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N° 3703

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2020.

 

 

 

RAPPORT

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse,

 

 

Présidente

Mme Sandrine Mörch

 

Rapporteure

Mme Marie-George Buffet

 

Députées.

 

——

 

 

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 3068 et 3165.

 

 


 

 


 

 

La commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse est composée de :

– Mme Sandrine Mörch, présidente ;

 Mme Marie-George Buffet, rapporteure ;

 Mme Sandra Boëlle, Mme Danièle Cazarian, Mme Sylvie Charrière, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, Mme Fabienne Colboc, Mme Béatrice Descamps, Mme Marianne Dubois, M. Pierre-Henri Dumont, M. Alexandre Freschi, Mme Albane Gaillot, Mme Perrine Goulet, M. Régis Juanico, Mme Anissa Khedher, Mme Anne-Christine Lang, M. Michel Larive, M. Jean-Charles Larsonneur, M. Gaël Le Bohec, M. Philippe Meyer, M. Bertrand Pancher, Mme Maud Petit, Mme Florence Provendier, M. Frédéric Reiss, Mme Mireille Robert, M. Cédric Roussel, M. Bertrand Sorre, Mme Sylvie Tolmont, Mme Souad Zitouni.

 

 

 

 


  1  

SOMMAIRE

___

 Pages

AVANT-PROPOS DE LA PRÉSIDENTE

introduction

PREMIÈre partie – une ÉpidÉmie inÉdite aux conséquences sur la santé des enfants et des jeunes, aggravant et mettant en lumière leurs difficultés

I. « la jeunesse est rÉsiliente », une affirmation À nuancer

A. un État sanitaire pour l’essentiel prÉservÉ mais qui cache des disparités importantes

1. Des tranches d’âge peu exposées et contribuant peu au risque épidémique

a. Des infections en nombre relativement limité et peu susceptibles de conduire à des formes graves de la maladie

b. Une moindre contribution des enfants aux chaînes de contamination

2. Des conséquences potentiellement importantes sur la santé des jeunes, plus marquées pour les catégories populaires

a. Les effets négatifs du recul de l’activité physique et de déséquilibres alimentaires

b. Des retards possibles dans la prévention et les traitements

B. Un ÉQUILIBRE PSYCHIQUE et moral des jeunes à reconstruire

1. Une crise sanitaire propice à l’apparition ou à l’aggravation de troubles psychiques

a. Des changements de comportement parmi les enfants en bas âge et en âge scolaire, susceptibles d’exprimer un sentiment d’insécurité

b. Des expressions de mal-être et de fragilité chez les adolescents et jeunes adultes

2. Des séquelles possibles dans le développement personnel des jeunes

C. DES capacitÉs de socialisation ALTÉRÉES ?

1. Une crise sanitaire favorisant l’isolement et un repli sur la cellule familiale, mais aussi un resserrement des liens familiaux

2. Un usage croissant des écrans, avec des risques de dépendance, mais un outil essentiel à la continuité sociale des jeunes

II. une occasion de revisiter de fond en comble la place des jeunes au sein des politiques publiques

A. Un discours culpabilisant, aux conséquences à long terme incertaines

1. Un récit qui fait de l’enfant et du jeune un coupable potentiel

2. Les dangers d’un discours culpabilisant

B. une parole des enfants et des jeunes qui peine à être recueillie et accueillie, en l’absence de communication adaptée à leur égard

1. La verticalité, une méthode qui trouve ses limites, un manque de lieux d’échange et d’écoute

a. Une gestion en silos qui privilégie l’urgence

b. Une méthode qui relègue les jeunes dans l’angle mort

c. Des structures qui existent mais qui peinent à trouver leur place

d. Une parole qui ne doit pas être ignorée ou disqualifiée lorsqu’elle ne rejoint pas l’attendu

2. L’insuffisance de messages adressés aux enfants et aux jeunes, la possibilité d’utiliser leurs propres canaux de communication

C. une société qui appréhende difficilement les questions de jeunesse, mais encline à s’interroger sur la jeunesse

1. Un contexte insécurisant depuis plusieurs années insuffisamment pris en compte

2. Des mesures affectant les enfants pendant la crise et lors du retour à l’école

3. Des conséquences potentiellement problématiques, un risque d’éloignement entre les jeunes et les adultes

deuxiÈme partie – une crise sanitaire mettant en cause LA PROTECTION Des droits fondamentaux des enfants et de la jeunesse et creusant les inégalités

I. Le droit à la santé, un droit fondamental

A. UNe organisation des SOINS dont la continuitÉ, la coordination et l’efficacité doivent être garanties

1. Une prise en charge des enfants maintenue mais à conforter, dans le cadre de réseaux et par un usage raisonné de la téléconsultation

a. Une poursuite de l’activité des professionnels n’excluant pas une organisation plus formelle de la continuité des soins, l’intérêt de développer davantage une organisation en réseau

b. Le nécessaire renforcement de la protection maternelle et infantile

c. La nécessité d’évaluer l’usage de la téléconsultation pour les enfants

2. Le besoin de soutenir la pédopsychiatrie et de renforcer son rôle

3. La continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap en question

a. Un accès aux structures évoluant au gré de l’évaluation du risque épidémique

b. Des répercussions sur l’état des enfants et jeunes en situation de handicap encore difficiles à mesurer

B. Un investissement nÉcessaire dans la santÉ à l’école et à l’université

1. Une médecine scolaire assez largement démunie dans le contexte de la crise épidémique

a. Une médecine scolaire en très grande difficulté

b. Des personnels insuffisamment associés pendant la crise sanitaire

2. L’accès des étudiants aux soins : une préoccupation toujours prégnante, particulièrement en matière de santé mentale

a. Un contexte sanitaire favorisant la persistance d’un non-recours aux soins

b. Des capacités de prise en charge des étudiants qui ne sont pas à la hauteur des besoins

c. Une crise mettant en cause des avancées dans la lutte contre les inégalités de genre en matière de santé ?

II. un accès À L’Éducation rÉaffirmé mais À la mise en œuvre problÉmatique

A. la continuité de la scolarité des enfants en question

1. Une année 2019-2020 partiellement escamotée, césure inédite pour les élèves

a. Fermeture des écoles : rappel de la chronologie

b. La mise en place d’un dispositif d’accueil dès le 16 mars en faveur des enfants de soignants

c. Une réouverture des écoles qui a eu le mérite d’être réalisée, même si elle a pu être anxiogène pour les élèves et leur famille, et inégale selon les territoires

2. Les difficultés à assurer la continuité pédagogique pendant le confinement et les débuts du déconfinement

a. Des mesures gouvernementales destinées au maintien de la continuité pédagogique, mais révélatrices de difficultés technologiques au sein de l’Éducation nationale

b. Des familles déboussolées par « la classe à la maison »

c. La reconnaissance du métier d’enseignant malgré un « professeur bashing » médiatique au mois de juin

d. La crise sanitaire comme révélateur de la fracture numérique

e. Les vacances apprenantes : une relance bienvenue des colonies de vacances

3. Des modalités d’examen perturbées, l’absence de rite de passage pour les jeunes de terminale

a. Un baccalauréat 2020 fortement perturbé

b. Le baccalauréat 2021 dans l’incertitude

4. Le creusement des inégalités scolaires et sociales lié à l’interruption de la scolarité

a. Le décrochage scolaire

b. Un retour plus difficile à l’école pour les enfants des catégories populaires

c. Des apprentissages qui ont souffert du confinement

B. Une rentrée scolaire 2020-2021 sous le signe de l’incertitude

1. Une rentrée qui a eu lieu dans le calendrier prévu, le maintien de l’ouverture des écoles lors du deuxième confinement à saluer

2. Une rentrée scolaire 2020 « de temps de crise » présentée comme un retour à la normale et diversement vécue

a. Sortir du récit démobilisateur d’une prétendue normalité

b. Adapter les programmes pour tenir compte du contexte

c. Maintenir la pratique sportive à l’école

d. Prévoir des moments de concertation dans les équipes pédagogiques

3. Faire face à la crise de façon durable et concertée, en ouvrant davantage l’Éducation nationale aux autres acteurs travaillant avec les jeunes

a. Former les enseignants, les élèves et les parents d’élèves au numérique

b. Développer l’accompagnement des familles et le soutien scolaire

c. À plus long terme, ouvrir l’école à l’ensemble des acteurs de l’enfance et de la jeunesse

C. Des activitÉs sportives entravÉes, la nécessitÉ de rÉaffirmer leur rôle

1. La chute du nombre de licenciés et son corollaire financier

a. Une véritable hémorragie de sportifs pratiquants

b. Des conséquences financières graves qui mettent en danger la pérennité de l’écosystème sportif français

2. Une urgence à maintenir l’offre sportive à destination des jeunes

a. Augmenter les subventions aux fédérations

b. Mettre rapidement en place le « pass’sport »

c. Apporter une attention particulière au sport féminin

D. des cursus D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PERTURBÉS, UNE VIE ÉTUDIANTE TRONQUÉE

1. 1. Une année universitaire affectée par une épidémie pesant de manière inédite sur la fréquentation et le fonctionnement des établissements

a. Des calendriers chahutés par la survenue puis le prolongement de la crise épidémique

b. La nécessité d’adapter les modalités d’enseignement et de délivrance des diplômes, et les difficultés soulevées

c. Des conditions d’accueil exigeant une évaluation et des accompagnements renforcés

2. La vie étudiante mise entre parenthèses, des mobilités internationales entravées

3. Le risque d’un creusement des inégalités entre étudiants selon leur cursus d’étude

III. intégrité physique et morale : une protection contre les violences exigeant un effort renouvelÉ et une continuité de l’ACTION PUBLIQUE

A. des menaces accrues dans des environnements familiaux et sociaux dÉstabilisés

1. Des signaux contrastés quant à une recrudescence des violences intrafamiliales

a. Des statistiques policières qui ne révèlent pas d’évolution nette sur les violences, mais laissent transparaître des signaux inquiétants

b. Une activité soutenue du numéro d’appel d’urgence 119

c. Le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED) réorganisé

d. Le rôle des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP)

2. Des inquiétudes particulières à propos de la situation des jeunes LGBT+

a. Un public déjà fragile sur lequel le confinement a des conséquences exacerbées

b. Des associations en difficulté pour jouer leur rôle

c. Au-delà des violences, des conditions de vie compliquées par la crise

d. Le plan d’urgence gouvernemental

B. Des dispositifs d’identification et de prise en charge des victimes À conforter

1. Des moyens à étoffer pour la libération de la parole et le signalement des violences

a. Le développement du 119 et l’intérêt de la coopération avec les associations pendant le confinement

b. Généraliser les outils innovants pour entrer en contact avec les enfants et leur permettre de signaler les violences

2. Le rôle de la police et de la justice à préserver dans le contexte d’un épisode épidémique

3. L’enjeu du soutien à la parentalité : une timidité à dépasser

IV. Enfance fragile : Les exigences du maintien des missions de l’aide sociale à l’enfance et le devoir de prise en charge des mineurs non accompagnés

A. la crise sanitaire, occasion de redessiner les missions, le rôle et les liens de coopération de l’ASE

1. Une adaptation des modalités d’accueil et des procédures pendant la crise, une forte mobilisation des acteurs de l’aide sociale à l’enfance

a. Une continuité de l’ASE mise à l’épreuve du fait des sujétions et difficultés pesant sur le fonctionnement des secteurs ouverts et fermés

i. Les adaptations de l’accueil et de l’accompagnement des enfants sous l’effet de la crise sanitaire

ii. Les effets contrastés du confinement pour les enfants relevant de l’ASE

iii. Les difficultés entraînées par la fermeture des écoles et des établissements spécialisés, particulièrement lourdes pour les familles d’accueil

iv. Les questions soulevées par la suspension des droits de visite et d’hébergement

v. Les difficultés rencontrées dans la gestion des effectifs des services de l’ASE du fait de l’absence de solution de garde, le fort engagement des personnels et le recours à des bénévoles

vi. D’autres enseignements à retirer de la crise, notamment sur le rôle des outils numériques pour maintenir les liens familiaux

b. Une justice exerçant ses missions dans un cadre aménagé, un impact difficile à mesurer

2. 2. Une politique appelant un renforcement du pilotage et une réflexion sur les orientations de la prise en charge

a. La coordination à renforcer entre les différents acteurs de l’aide sociale à l’enfance, le rôle de l’État à réaffirmer

b. Des normes et objectifs d’une politique à reconsidérer ?

B. B. les mineurs non accompagnés : un jeune public vulnérable appelant une attention particulière

1. Des effectifs en croissance, dont la prise en charge présente des écueils compte tenu des circonstances de leur arrivée sur le territoire

2. Une crise sanitaire qui a mis à l’épreuve la protection de ces mineurs vulnérables

a. Le principe d’une mise à l’abri inconditionnelle

b. De réelles défaillances constatées dans la mise en œuvre de ce principe

c. Les difficultés administratives rencontrées

d. Un accompagnement parfois insuffisant, ayant abouti à des situations extrêmement difficiles

e. La nécessité d’améliorer leur prise en charge, avec une réaffirmation du rôle de l’État

troisiÈme partie – la jeunesse en première ligne d’une conjoncture économique et sociale dégradée

I. DES CLASSES D’âge exposÉes à une aggravation de la pauvretÉ, du fait des conséquences sociales de la crise sur les familles et les jeunes

A. Une crise sanitaire qui accentue les inégalités et les vulnérabilités sociales préexistantes, et qui fait basculer des foyers dans la pauvreté

1. Une crise qui creuse les inégalités sociales

2. Le basculement dans la pauvreté et la précarité d’un certain nombre de foyers, de nouvelles catégories socio-professionnelles concernées

3. Les enfants et les jeunes particulièrement touchés, alors que le nombre d’enfants en situation de pauvreté était déjà de 3 millions en 2018

B. des difficultés exacerbées pour les familles en grande précarité

1. Des conditions de vie ne répondant pas aux besoins élémentaires des enfants

2. Des difficultés aggravées pendant la crise sanitaire

C. une amplification indispensable des politiques publiques en faveur des enfants et de leurs familles

D. Les associations caritatives : un rôle essentiel à consolider

1. Un rôle très important lors la crise sanitaire, qui doit être soutenu

2. Des financements nationaux et européens en hausse pour l’aide alimentaire face à l’urgence de la crise, la nécessité d’assurer une prévisibilité des moyens versés et une simplification des procédures

II. une condition Étudiante plus que jamais prÉcaire MAIS AUSSI FORTE DE PROPOSITIONS PROPRES À LA JEUNESSE

A. des répercussions négatives sur le niveau de vie des étudiants

1. Un contexte propice à la baisse du niveau de vie des étudiants

2. Un impact direct sur les ressources propres des étudiants par la perte des emplois étudiants et des stages

B. Des mesures prises en soutien des revenus et du logement Étudiants, À conforter et À inscrire dans la durÉe

1. Les mesures prises pour soutenir les étudiants pendant la crise

2. La nécessité de déployer des mesures pérennes de soutien à la condition étudiante

III. DES CAPACITÉs d’insertion Économique et sociale À préserver

A. Une crise de nature à rendre difficile l’obtention d’un premier poste et à nourrir un chômage des jeunes déjà élevé

B. Des mesures d’ampleur prises pour favoriser leur insertion professionnelle, dans le cadre du plan « un jeune, une solution »

C. l’accent porté sur le soutien à l’apprentissage

D. Des pistes à explorer afin de soutenir les jeunes : pour l’ouverture du RSA aux jeunes en cette période de crise et pour le renforcement de l’accès aux droits

1. La nécessité d’ouvrir le bénéfice du RSA aux moins de 25 ans

2. La nécessité d’améliorer l’accès des jeunes à leurs droits et de lutter contre le non-recours

Quatrième partie – replacer les enfants et les jeunes au cœur des politiques publiques, privilégier une méthode horizontale, s’appuyant sur les acteurs dans les territoires, afin de favoriser des dynamiques vertueuses

I. modifier la composition du conseil scientifique pour garantir la prise en compte des enjeux propres aux enfants et aux jeunes

A. Un conseil scientifique aux larges prérogatives consultatives et à l’influence importante

B. remédier à l’absence de spécialistes de l’enfance et de la jeunesse au sein du conseil scientifique, en intégrant un pédopsychiatre et une personne désignée par le défenseur des enfants

II. renforcer les acteurs accompagnant l’enfance et la jeunesse : Remettre des moyens humains à tous les niveaux et les valoriser à hauteur de l’importance de leurs missions

A. Des acteurs de l’enfance À bout de souffle : un système qui repose plus sur l’abnégation des personnes que sur la solidité des structures

B. Remettre de l’humain à toutes les échelles, revaloriser et renforcer les acteurs intervenant auprès de l’enfance et des jeunes

III. multiplier les enceintes de recueil de la parole des jeunes et les associer à la définition des politiques publiques

A. Soutenir les associations

1. Le tissu associatif, un outil essentiel de l’expression des jeunes à renforcer financièrement

2. Muscler le Haut Conseil à la vie associative

B. mieux associer les jeunes aux décisions les concernant

1. Favoriser le dialogue au sein de l’Éducation nationale, créer des temps de débats pour les enfants et développer une culture des droits des enfants

2. Prendre appui sur les structures régionales pour associer les jeunes à la co-construction des politiques les concernant

C. Renforcer la place des jeunes dans les organismes décisionnels ou de contrôle

1. Lors du processus législatif, faire de l’enfance et de la jeunesse une priorité, et créer une délégation aux droits de l’enfant à l’Assemblée nationale

a. Renforcer la clause d’impact jeunesse

b. Créer une délégation aux droits de l’enfant et à la jeunesse à l’Assemblée nationale

2. Pérenniser la présence des jeunes au sein du Conseil économique, social et environnemental

3. Mobiliser plus régulièrement le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse

4. Doter le délégué interministériel à la jeunesse de ressources propres

5. Créer un Observatoire national de la jeunesse

IV. Faire travailler les acteurs en réseau en s’appuyant sur les nouvelles solidarités apparues pendant la crise, sortir d’une organisation en silos et favoriser les dynamiques territoriales, au niveau des bassins de vie

propositions

Examen en commission

Personnes auditionnées par la commission d’enquête

PERSONNES auditionnées LORS DES DÉPLACEMENTS

PERSONNES auditionnées PAR LA PRÉSIDENTE

contributions

 

 


  1  

   AVANT-PROPOS DE LA PRÉSIDENTE

La crise est un détonateur, un révélateur, un stimulateur. Elle nous a poussés à innover et à entreprendre. Elle a socialement désinhibé beaucoup d’entre nous, a assoupli des hiérarchies, et obligé chacun à prendre des initiatives. Partant d’une montagne de difficultés, la situation a aussi généré des sommes d’ingéniosité et de courage.

Sans panique ni déni, il nous faut prendre le parti des jeunes.

À l’Assemblée nationale, Marie-George Buffet, rapporteure, et moi-même, présidente, avons souhaité une commission d’enquête rigoureuse, implacable, qui puisse nous aider tous à mesurer mais aussi à prévenir les effets de cette crise sanitaire sur la jeunesse.

Nous avons donné la parole à une multitude de jeunes extrêmement différents les uns des autres, du squat au campus d’HEC, du bidonville à l’IHEDN (Institut des hautes études de défense nationale), du jeune en milieu rural au jeune habitant un quartier prioritaire de la ville, et dans une fourchette d’âge la plus large possible. Tous, sans exception, ont apprécié d’avoir été écoutés, et pris en compte. Une soif d’être entendu qui en dit long sur leur sentiment d’être trop peu concertés sur les sujets qui les concernent. Et qui oblige chacun d’entre nous, adultes, parents, professionnels ou politiques, à reconsidérer les problématiques des jeunes, mais aussi leurs ressources, leurs talents, leurs idées et leur créativité. Afin qu’ils fassent eux-mêmes partie de la solution.

Les jeunes ne sont pas épargnés par le virus. Ils subissent très fortement la précarisation économique, l’isolement et une série de ruptures scolaires, affectives, psychologiques. Mais pour autant, cette crise violente que toutes les générations subissent est l’occasion de faire émerger la cause des jeunes. Entraide, fraternité, solidarité, ces mots parfois galvaudés ont repris tout leur sens à l’ère du Covid‑19. Les jeunes ont été propulsés en première ligne pour prêter main forte. Partout en France, ils ont accepté de prendre des risques pour être solidaires, avec leurs pairs, avec les personnes âgées, avec leurs voisins, pour aider les plus vulnérables à traverser cette crise. De la distribution alimentaire à la continuité pédagogique, en passant par des courses pour les plus fragiles ou la traduction des gestes barrières, les jeunes ont souvent pallié le manque criant de bénévoles, souvent âgés, ou le déficit en personnels, eux-mêmes touchés par le Covid-19. L’engagement associatif est une véritable solution qui donne du sens à leur vie, et leur permet de toucher aux réalités de la société qui les entoure.

Ces jeunes nous le disent et nous le redisent : la société, les médias, les adultes en général véhiculent une image négative et pessimiste de leur génération. Ils n’ont pas été contaminés par le virus, mais par la sinistrose. Le Covid-19 n’est pas le seul à leur avoir ravi leur insouciance déjà battue en brèche bien avant par les informations en continu, les attentats, la violence et la crise éco-climatique. À en écouter certains, ces jeunes n’ont plus aucun avenir.

Le Covid-19 a mis le doigt sur la grande pauvreté qui s’accentue depuis des années chez les jeunes et les touche au fur et à mesure que la société de consommation asphyxie toute autre aspiration. Le Gouvernement a pris la mesure de ces difficultés aggravées par la pandémie en prenant des mesures fortes qu’il déploie également dans son plan, « 1 jeune 1 solution » doté de 6,7 milliards d’euros. Alors que nous sortons de décennies de politiques publiques trop sourdes à la jeunesse, faisons-en sorte de ne plus perdre de vue tous ceux que la crise a enfin rendu visibles. C’est ce que nous pourrions appeler « l’opportunité » de cette crise : elle a obligé les décideurs et l’administration à scruter de très près les réalités du terrain.

Après plus de 80 heures d’auditions, les constats sont alarmants :

– plus de 50 % des jeunes sont inquiets sur leur santé mentale ;

– 30 % des jeunes ont renoncé à l’accès aux soins pendant le Covid-19 faute de moyens ;

– 700 000 jeunes vont faire leur entrée sur le marché du travail ; ils vont rejoindre les 600 000 jeunes déjà au chômage en France. C’est le plus fort contingent en Europe : 21,2 % des jeunes de 18 à 25 ans sont au chômage en France ;

– 38 % de jeunes travaillent dans le cadre d’un contrat précaire, soit sans contrat, en CDD ou en auto-entreprenariat ;

– un jeune sur six a arrêté ses études après la crise ;

– 43 % des non diplômés n’ont pas accès à internet ;

– 38 % de jeunes travaillent dans le cadre d’un contrat précaire, soit sans contrat, en CDD ou en auto-entreprenariat.

Bien évidemment, ces chiffres et surtout les réalités qu’elles recèlent n’atteignent pas le degré de gravité des conséquences de la pandémie dans certaines régions du monde. L’Unicef estime en effet que 6,7 millions d’enfants supplémentaires de moins de cinq ans, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du sud, souffriront de malnutrition et donc d’émaciation. Parmi eux, 10 000 en mourront chaque mois. Le rapport reviendra également sur la déscolarisation dans les pays à faibles revenus, spécialement celle des filles avec sa cohorte de conséquences en terme de travail infantile et de mariages précoces. Les effets de cette situation seront visibles à long terme jusque chez nous. Dans notre pays et concernant notre jeunesse, nous avons, en tout état de cause, des leviers pour transformer une épreuve en opportunité. La condition étant un accompagnement sans faille des adultes.

Quatre mois d’auditions, de rencontres, de discussions. Quatre mois d’histoires touchantes, bouleversantes, éprouvantes. Quatre mois pour mettre en lumière la parole d’une jeunesse souvent forte et engagée, qui, malgré les difficultés, les incertitudes et l’instabilité, tient debout tant bien que mal. Elle fourmille de solutions pour construire le monde de demain. Dans ce contexte de crise multiforme, c’est délibérément par le prisme du novateur et du constructif qu’il faut aborder un certain nombre de thématiques. Cette jeunesse demandait d’abord à être entendue. C’est chose faite avec cette commission, même si nous ne prétendons pas en avoir une parole exhaustive. Désormais, cette jeunesse demande à pouvoir agir, contribuer et participer aux politiques publiques d’aujourd’hui et de demain. Non seulement la voix des jeunes est indispensable dans la défense de leurs droits, mais leur regard sur la société est également fondamental. On ne résout pas un problème sans écouter ceux qui le subissent, sans associer étroitement les jeunes aux décisions grâce notamment au mouvement des Civic Tech pour une démocratie numérique.

1.   La santé psychique des jeunes

L’engagement de la jeunesse pendant le confinement ne doit pas occulter l’immense précarité et la détresse engendrées par cette crise, conjuguées à l’angoisse d’un horizon professionnel engorgé. Et si la commission a entendu de « belles histoires de jeunes », tous n’ont pas eu la chance d’être aidés par un proche ou un contact de confiance.

Si certains ont eu l’opportunité de s’engager, d’autres sont tombés en état de sidération parfois prolongé. Déprimés, désabusés par le monde, certains de ces jeunes ont totalement délaissé leur implication sociale et civique.

Les effets délétères du Covid-19 et du confinement sur un grand nombre de jeunes sont bien là : décompensations, tentatives de suicide, désespoirs en tous genres. Le ressenti d’un empêchement supplémentaire à vivre le présent, comme avant-goût angoissant de l’avenir qui se profile : situation écologique et économique désastreuse, terrorisme, géopolitique tendue, etc.

Témoignages de jeunes :

« Aujourd’hui, pour en parler autour de nous, les jeunes de 20 ans sont au bord de la déprime généralisée : les perspectives d’avenir sont toutes remises en question, et pourtant les modalités de parcours et d’exigence ne changent pas, les relations sociales sont « interdites » et le sentiment de culpabilité est omniprésent. Nous restons persuadés que les jeunes sont, dans leur grande majorité, responsables et conscients des enjeux de la pandémie et que la culpabilisation permanente par les discours politiques et médiatiques est contre-productive et presque malsaine : comment peut-on parler « d’éthique » (à propos du « seul confinement des personnes âgées ») lorsque seuls les jeunes étudiants sont, dans les faits, confinés ? Plus largement, nous pensons que soutenir psychologiquement les jeunes, et tous les jeunes (gratuité / démultiplication des centres d’aides), serait bénéfique d’un point de vue productiviste : l’absence de relations sociales, le mal-être et le stress permanent face aux perspectives d’avenir bloquent les jeunes, leur font perdre confiance en eux et dans les institutions. Il faut que les jeunes puissent mettre des mots sur cette période plus que compliquée pour eux, mais aussi pour leurs proches. Il ne faut pas revenir « comme avant » comme si de rien n’était. Le soutien psychologique permettrait d’améliorer et de maximiser la productivité des jeunes, et aussi de les faire renouer avec leurs institutions : un tout qui ne pourrait être que positif pour notre pays »

« Nos expériences nous font affirmer qu’il faut développer l’aide psychologique pour les jeunes. Notamment en mettant en relation les administrations, les professeurs et les élèves, qui souvent, osent s’adresser à eux, avec des dispositifs comme les Missions Locales ou les Maisons de Jeunesse pour que l’offre soit connue de tous et accessible. La gratuité est primordiale : tous les jeunes n’ont pas les moyens de se faire aider, la survie alimentaire ou le logement sont prioritaires, pourtant la stabilité psychologique est essentielle »

À cet égard, 1 600 référents supplémentaires ont été créés dans les CROUS qui quotidiennement travaillent à éviter l’isolement des étudiants et à détecter les situations de mal-être. C’est un premier pas qui en appelle beaucoup d’autres afin que nul ne se sente plus isolé dans l’univers estudiantin. Le Premier ministre a également annoncé le recrutement de psychologues et d’assistantes sociales.

Malheureusement la psychiatrie, très affaiblie dans notre système de santé, n’est pas prête aujourd’hui pour répondre à l’afflux des jeunes en souffrance. Quant au volet prévention, il est encore embryonnaire dans notre pays. De plus en plus de petits groupes d’étudiants pratiquent la méditation par visioconférence. Une façon efficace de combattre le stress, d’échanger sur les difficultés ressenties, et de se serrer les coudes.

Témoignage :

« Apprendre à se poser, à réfléchir, à ressentir et analyser ses émotions, savoir prendre du recul, cultiver de belles valeurs telles que la bienveillance, l’amour, la compassion, l’empathie, la patience, la générosité, la tolérance… et développer encore plus de joie, de créativité, de liberté… à travers la méditation est pour moi, l’un des plus beaux cadeaux que l’on puisse offrir à un enfant pour qu’il devienne un adulte heureux ! »

La santé psychique des jeunes de moins de dix ans est encore plus complexe. Les pédopsychiatres constatent des situations variables. Les enfants ne sont pas tous en mesure de comprendre ce qui est en jeu. Selon l’immaturité, la mort elle-même est un concept relativement abstrait ; mais ils sont les « éponges » de parents anxieux.

Enfin, il est estimé par les pédopsychiatres entendus qu’un tiers des jeunes vont bien. Ils ont bénéficié du temps de confinement pour prendre ou reprendre goût à la vie au sein de la cellule familiale, même dans un espace réduit. La commission a recueilli la parole d’un certain nombre d’entre eux, notamment collégiens de quartiers prioritaires, qui ont apprécié ce temps familial privilégié. Dans ce cas, la famille a pu rejouer le rôle protecteur et nourricier qui lui est dévolu.

Le rapport reviendra plus largement sur cette question et formulera un certain nombre de recommandations à ce sujet, notamment sur la pédopsychiatrie.

2.   La jeunesse frappée par la pauvreté

La pandémie a révélé la grande pauvreté qui se répand chez les jeunes depuis vingt ans. Entre 2002 et 2018, le taux de pauvreté des 18-29 ans a déjà progressé de plus de 50 %. Les chiffres sont accablants.

Trois millions d’enfants, soit un sur cinq, vivent sous le seuil de pauvreté en France. 31 000 enfants sont sans domicile fixe. Entre 8 000 et 10 000 enfants habitent dans des bidonvilles. La moitié des 5 millions de pauvres a moins de 30 ans et selon le témoignage du secrétaire général des Restos du cœur, la moitié des personnes que l’association aide ont moins de 25 ans, et 40 % d’entre eux sont mineurs.

La crise a fragilisé des jeunes déjà vulnérables, en particulier les décrocheurs, les jeunes ruraux, les femmes et les ultra-marins. Pour la plupart sans qualification, ni réseau, issus de familles elles-mêmes en difficulté, ils passent souvent sous les radars des aides et des mesures d’accompagnement de l’État.

La crise a permis de lever de véritables élans de solidarité à travers le pays et notamment à Toulouse.

Sandrine Mörch, présidente : « J’ai eu la chance de participer à cet élan de solidarité qui s’est mis en place dès les premiers jours du confinement. Une chaîne inédite, avec des coopérations jusque-là impensables, entre des acteurs de champs différents. J’ai donc été aux côtés des habitants eux-mêmes, des associations locales et départementales, j’ai rapidement fait le lien entre le terrain et la Préfecture de la Haute-Garonne. J’ai de nouveau constaté la grande implication, quasi quotidienne, des acteurs sociaux, y compris des toutes petites associations, souvent inconnues des services de l’État mais pourtant bien présentes sur le terrain. Présente aux côtés de ces acteurs, j’y ai rencontré des jeunes très actifs et impliqués dans cette urgence au quotidien. Ils distribuaient des colis alimentaires, ils assuraient la continuité pédagogique, ils faisaient de l’aide aux devoirs, ils traduisaient lors dans des maraudes sanitaires, etc. Ils étaient jeunes chômeurs, étudiants, jeunes travailleurs, jeunes volontaires en service civique. Ils habitaient en campagne, en ville, sur des bidonvilles, dans les quartiers populaires. Ils étaient jeunes, ils étaient là, et œuvraient sans calcul et avec empathie, en ayant accepté de prendre des risques, de modifier leurs missions, leurs quotidiens pour s’adapter aux besoins et aux urgences du moment. »

Les habitants eux-mêmes ont pris leur destin en main à la faveur de la crise, notamment ceux des bidonvilles autour de Toulouse.

Sandrine Mörch, présidente : « Une nouvelle tranche de vie de jeunes « héros du quotidien » amenés à jouer un rôle nouveau, assumer de nouvelles responsabilités, avec des engagements inédits. Si certains étaient déjà engagés auparavant dans l’action sociale ou associative, d’autres ont découvert un nouvel univers, celui de la solidarité, avec tout ce qu’il comporte : son lot de stress, d’imprévus, de tensions mais aussi de bonnes surprises, des rencontres furtives et inattendues. Ces jeunes y ont appris de nouvelles choses, à commencer par la gestion de crise, tout en apportant leur pierre à l’édifice : certains étaient polyglottes – très utile pour les traductions sur leurs propres campements –, d’autres étaient plus débrouillards, plus disponibles, plus introduits dans les communautés à qui il fallait porter secours. Ils ont chacune et chacun révélé des qualités humaines et professionnelles inédites, des talents cachés, insoupçonnés et insoupçonnables. Ils ont permis de rapprocher des catégories socio-professionnelles qui ne se parlaient ni ne se connaissaient, et même d’inverser les rôles. Ils sont devenus les « sésame ouvre-toi » de toute une série de lieux « fermés » ou « repliés » sur eux-mêmes : bidonvilles, squats, hôtels sociaux, fins fonds des QPV. Ces jeunes qui d’un coup, ont tordu le cou à certains préjugés dont ils sont souvent victimes. Des jeunes qui se sont pris en main et ont mis la main à la pâte pour aider les autres, contribuant aux nombreuses chaînes de solidarités qui naissaient de part et d’autre ».

Face à cette pauvreté aggravée par la crise, le Gouvernement a débloqué des moyens financiers conséquents.

Ainsi plusieurs aides d’urgence ont été versées aux jeunes pour qu’ils puissent se loger et se nourrir. Depuis la rentrée dernière, les étudiants peuvent par exemple profiter de repas universitaires à 1 euro.

Et la lutte contre la pauvreté des jeunes ne se passera pas de l’implication des chefs d’entreprise pour les employer. Ainsi des primes exceptionnelles ont été octroyées aux entreprises pour soutenir l’embauche des jeunes et permettre leur insertion sur le marché du travail. Le nombre d’apprentis a battu un nouveau record cette année malgré la crise pour atteindre près de 420 000 contrats signés.

Les mesures du Gouvernement reposent sur l’idée simple qu’aucun jeune ne doit être empêché de s’engager dans une démarche de formation ou de parcours vers l’emploi faute de ressources financières. Ainsi, le Gouvernement a augmenté les moyens financiers alloués aux missions locales pour permettre une hausse du nombre d’entrées en garantie jeunes. La ministre du Travail Mme Élisabeth Borne a déjà annoncé le doublement du nombre de bénéficiaires de la garantie jeune en 2021 pour atteindre 200 000 places. Conformément à la philosophie du revenu de solidarité active (RSA), les bénéficiaires reçoivent une rémunération s’ils suivent des périodes de formation, des mises en situation en milieu professionnel ou bien même un accompagnement social et professionnel. Il s’agira d’entamer une réflexion au sein de l’Assemblée nationale avec le Gouvernement pour pousser encore plus loin le dispositif, dont la qualité est saluée par l’ensemble des acteurs de terrain.

Le rapport reviendra plus largement sur l’ensemble des aides et des dispositifs que le Gouvernement a pu prendre pour soutenir la jeunesse.

3.   Le confinement dans des logements insalubres

À l’occasion de ses déplacements sur le territoire national, la commission d’enquête s’est enquis des conditions de logement des populations les plus précaires au moment où chacun était assigné à son domicile. Jamais la taille et les conditions du logement n’ont été aussi déterminantes pour le bien-être ou simplement pour la survie de la famille que pendant le premier confinement. Et habiter un hôtel social, c’est la certitude pour les enfants de ne pas avoir accès aux droits, et singulièrement le droit à l’éducation.

Les hôtels dits « sociaux » sont un exemple d’habitats précaires en France. À la suite de sa visite, la présidente a reçu un courrier d’une habitante de ces lieux qui consomment énormément d’argent public et qui rendent pourtant un service indigne de notre pays.

« Pourquoi cette action de l’État, qui à la base est salutaire, finit par se dévoyer bien souvent ? Pour répondre à cette interrogation, nous vous invitons, mesdames et messieurs, à porter en plus de vos masques, des gilets de protection, des chaussures confortables (pour les escaliers), des vêtements très chauds, et ne pas oublier de bien vous enduire tout le corps d’une crème anti-bestioles, pour nous suivre dans l’univers des enfants vivant en hôtel social…

« Les bagarres et autres formes de violence, les actes de vandalisme, le trafic et la consommation de stupéfiants, la manipulation d’armes, les interventions policières, etc. sont le vécu quotidien de ces enfants. Interrogez des enfants vivant en hôtel social sur la vie dans ces endroits, ils vous rapporteront des faits dignes de séquences de films d’horreur. Au-delà de l’insalubrité et la promiscuité du cadre de vie, l’insécurité permanente et la peur qui en découle restent les éléments les plus traumatisants pour ces enfants. »

Les personnes mises à l’abri sont bien conscientes que l’État ne joue pas là son rôle de contrôle de ses structures consommatrices d’argent public.

« Sauf erreur de notre part, nous ne croyons pas qu’il existe des dispositifs de contrôle des conditions d’hébergement dans les hôtels ; encore moins des moyens de pression sur ces hôteliers et structures d’accueil auprès desquels l’État engage d’importantes sommes d’argent pour garantir un minimum de bien-être à ces enfants. Au cas où ils existeraient, nous regrettons que leur application ne soit effective… Quand on voit l’insalubrité, le manque d’entretien, la vétusté ou le manque d’équipements de base (chauffage, ascenseurs, éclairage…), l’invasion de bestioles et j’en passe ; on ne peut que se demander si l’État exerce un droit de regard sur ces endroits ou en déduire tout simplement que c’est une volonté de ne s’en tenir qu’à la mise à l’abri. »

Il a été indiqué à la commission d’enquête que des travaux sur le sujet de l’accueil des mineurs isolés dans les hôtels sociaux ont été engagés à la demande de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles.

4.   Des dispositifs ambitieux auxquels les jeunes n’ont pas recours

À quoi sert-il que nous votions des lois, que nous construisions des dispositifs d’aides aux plus fragiles, si ceux-là même qui doivent en bénéficier n’y ont pas recours ? Cette question a longtemps été un angle mort des politiques publiques.

Et même s’il y a un regain d’intérêt de la part des pouvoirs publics depuis quelques années :

 23 % des jeunes déclaraient toujours ne pas avoir bénéficié de dispositifs, allocations, droits, aides ou tarifs sociaux auxquels ils auraient eu droit : une part en progression depuis 2016 (+ 5 points).

 Une part plus importante encore de jeunes (32 %) ne savaient pas s’ils avaient été en situation de non-recours au cours des 12 derniers mois ([1]).

Les jeunes sont les premières victimes de la complexité de l’administration qu’ils côtoient souvent pour la première fois. Les jeunes ne sont pas les seuls à ne pas connaître les droits et les services auxquels ils peuvent prétendre. Il n’est d’ailleurs pas rare que les accompagnateurs et les éducateurs ne les connaissent pas eux-mêmes face à un enchevêtrement de dispositifs incompréhensibles. Il ne faut pas non plus oublier l’auto censure de certains jeunes face aux lourdeurs des démarches et la honte ressentie face à la dépendance de ces aides. Dans cette société qui prône la réussite et le succès solitaire de l’individu, la demande d’une aide peut être vue comme un échec. Alors que cette crise sanitaire a manifestement accru l’isolement des jeunes et leur précarité, la simplification de la gouvernance, des démarches et le renforcement de l’accompagnement des jeunes qui en ont besoin, s’avèrent une priorité. Encore faut-il les connaître et aller à leur rencontre en renouvelant notamment nos modes de communication grâce aux outils numériques.

À cet égard, avec plus de 400 000 visiteurs depuis le début de son lancement, la plateforme « 1 jeune 1 solution », portail numérique recensant les offres et demandes de formation et d’emploi, assure une mise en relation des jeunes et des entreprises. Elle permet de mettre en relation un jeune avec un conseiller, de demander un accompagnement. Elle propose aux entreprises de déposer une offre, de valoriser et partager des initiatives en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes.

5.   L’éducation des enfants et des jeunes, un défi relevé malgré un décrochage scolaire non négligeable

Le rapport revient bien évidemment sur les problématiques liées à la continuité pédagogique et sur les difficultés générées par la fracture numérique. Mais de l’adversité sont nés de nouveaux usages : tout d’abord, le fait de réussir à mettre autour d’une même table l’Éducation nationale et les associations. Le premier confinement a poussé les uns et les autres à mettre leurs connaissances et leurs pratiques en commun, notamment pour repérer, rattraper et aider les décrocheurs.

C’est une des réussites qu’il est nécessaire de valoriser et pérenniser. En effet, il ne s’agit pas qu’une fois la crise terminée, tout redevienne comme avant.

Plus largement, le Gouvernement a, dès 2017, pris un certain nombre de mesures qui ont permis de mieux appréhender la crise et d’endiguer la catastrophe.

Les vacances apprenantes ont été une chance pour assurer une continuité pédagogique durant un été inédit qui marquera longtemps les esprits. C’est l’un des legs positifs de cette période. Pour mettre en place les vacances apprenantes, le Gouvernement a débloqué 200 millions d’euros en faveur des collectivités locales et des associations.

Les cités éducatives, embryonnaires avant la crise, se sont magnifiquement déployées pendant le premier confinement. En provoquant très rapidement la mise en lien des associations et des écoles et collèges, elles ont réellement pu mener un travail extrêmement efficace auprès des jeunes et prévenir un décrochage qui aurait pu être beaucoup plus important. Il conviendra de les systématiser. En effet, organiser des alliances dans et hors de l’école permet d’appréhender l’enfant dans toutes ses dimensions. Les adultes ont ainsi pu très vite identifier les problématiques sociales et liées au numérique. Il s’agit d’un écosystème qui fait converger à la fois des acteurs qui connaissaient bien les enfants et des financements immédiatement mobilisables puisqu’antérieurs à la crise.

Ainsi, les aspects positifs de cette crise ne sont pas négligeables. Isolés pendant le confinement, nombreux sont ceux qui se sont rendu compte de l’importance du contact humain, des liens sociaux, des rapports avec les camarades de classe, du rôle de l’école. Les manques générés par la crise auront là aussi été un révélateur. Le 11 mai, la majorité des enfants étaient contents de retourner à l’école.

Les élèves ont réussi à développer leur autonomie, à travailler et à bénéficier plus que d’autres de ce mode d’enseignement. Pour autant on ne peut pas ignorer le nombre de décrocheurs scolaires provoqué par la crise. Le rapport donne quelques chiffres à ce sujet, forcément partiels, concernant notamment les départements d’Outre-mer et plus particulièrement la Guadeloupe et la Martinique.

La lutte contre le décrochage doit être menée à tous les niveaux. Le raccrochage à l’école, ce n’est pas seulement et ce n’est pas prioritairement une question de maintien de continuité pédagogique. C’est aussi et avant tout une histoire affective, relationnelle, de liens, de motivations, de bien-être, qu’il est important de pouvoir restaurer. Depuis la rentrée, nous sommes confrontés à de plus en plus d’enfants et adolescents qui, s’ils ne sont pas en situation de décrochage, sont en situation d’évitement de l’école ou de refus ponctuel. Il s’agit par ailleurs d’enfants qui, jusqu’à présent, n’étaient pas nécessairement en difficulté d’accroche avec l’école.

La « génération sacrifiée » se constate depuis longtemps parmi les décrocheurs. Discriminés, accusés d’être la cause de leur échec, maltraités par le système, alors que l’échec scolaire est avant tout l’échec du système. Ils ont plus que jamais besoin d’un cadre stable et qu’on les aide à reconstruire leur image d’eux-mêmes. Par ailleurs, l’Éducation nationale doit impérativement s’ouvrir au monde de l’entreprise.

Pour ces jeunes, il faut également réfléchir à des outils adaptés, sur tous les territoires. Un certain nombre de jeunes risquent encore de décrocher et il est nécessaire de les accompagner aussi psychologiquement dans cette période d’instabilité, d’anxiété et d’enfermement.

Les enfants de familles confinées dans les hôtels sociaux du département ont particulièrement souffert de cet abandon, et de l’isolement qui en a découlé. Avec l’aide d’une travailleuse sociale particulièrement investie, et devant la détresse des parents déjà extrêmement précaires, une maman, elle-même hébergée, a organisé du soutien scolaire auprès des enfants résidants dans l’hôtel. Son témoignage est édifiant.

« En outre, le droit à l’éducation est l’un des droits fondamentaux de l’enfant. La France œuvre à ce que chaque enfant aille à l’école indépendamment de sa situation ou celle de ses parents, en rendant l’école obligatoire de 3 à 16 ans. Nous voulons saluer haut et fort cette initiative. Mais encore une fois, là où cette action est dévoyée, c’est dans sa mise en œuvre. Pour nous qui côtoyons au quotidien cette frange de la population scolaire vivant en hôtel social, nous pensons qu’il reste encore beaucoup à faire au niveau de ces milliers d’enfants et surtout ceux de familles allophones, analphabètes ou très peu instruites, qui débarquent dans l’inconnu avec ce gros handicap de la barrière du capital culturel et de la langue, dans un système méritocratique. Les dispositifs existants en la matière tels que la CASNAV, les UP2EA, etc. ont leurs compétences et places, certes, mais restent insuffisants. De toute évidence, bon nombre de ces enfants s’accrochent au système et finissent par décrocher à leur corps défendant. »

Pour faire face à ces situations qui peuvent se révéler explosives, le Gouvernement envisage de lancer une mission relative à l’accès à l’école pour tous. Ce sera l’occasion de chercher chaque enfant, dans chaque parcelle du territoire national, hexagonal et outre-mer, afin qu’il puisse bénéficier de son droit à l’éducation et à l’instruction qui lui est formellement garanti par nos lois et principes.

6.   Changer de discours sur les jeunes

« Générations sacrifiées », « Les ados dépressifs », « Nos jeunes seraient devenus vieux en quelques mois ! » : attention à la parole publique adulte et au signal politique et médiatique adressé aux jeunes. Les slogans encourageants sont rares. Les messages envoyés aux jeunes au début de la crise n’ont pas été les bons, provoquant un sentiment de culpabilité. Pour les aider à transformer leur inquiétude en engagement, il est nécessaire de leur parler plus souvent par le biais de nouveau vecteur de communication, notamment à travers les influenceurs qu’ils suivent – le Président de la République l’a fait le 4 décembre dernier sur un média dédié – mais surtout de les écouter afin d’instaurer ou de restaurer la confiance. Comment les jeunes pourraient-ils avoir confiance en eux si les adultes ne leur font pas suffisamment confiance ?

Conclusion

Il n’est pas question ici de réinventer des solutions maintes fois proposées par l’ensemble des acteurs de terrain qui se sont mobilisés pendant la crise pour accompagner notre jeunesse. Aujourd’hui, il s’agit d’abord de la respecter, puis surtout de l’écouter, de la valoriser et de lui donner les moyens d’actionner ses propres leviers. Le débat sur leur avenir ne peut pas se faire sans eux. Eux-mêmes font partie de la solution, avec les convictions fortes qui les animent. Notre jeunesse n’a pas peur de s’engager et la frustration de ne pas être à la manœuvre s’est exacerbée pendant la crise.

Pas question non plus de tomber dans le misérabilisme. Les jeunes « sortent » de cette crise plus dépendants aux écrans, plus pauvres, plus déprimés, mais ils en sortent vivants, plus visibles et mieux pris en compte. Certains se recroquevillent, légitimement effrayés par la crise économique, d’autres décident de courir le risque de lancer une nouvelle activité, de chercher un emploi porteur de sens. Ce virus les oblige à se projeter et à définir dans quel monde ils voudront atterrir, même s’il empêche l’action présente. Ce virus a le mérite de replacer l’enfant et le jeune au cœur de nos politiques publiques, de privilégier une méthode horizontale et de nous appuyer sur les acteurs dans les territoires. Ces bonnes pratiques doivent maintenant être pérennisées dans nos politiques structurelles.

En mobilisant des sommes colossales pour la jeunesse, l’action du Gouvernement a incontestablement pris un nouveau tournant depuis la crise sanitaire. À nous parents, associations, administrations, collectivités, élus et ensemble des acteurs sur le terrain, de conjuguer nos forces pour accompagner chaque jeune vers sa solution. Et aujourd’hui plus qu’hier nous devons écouter les mots de Wilson Churchill pour construire une politique de jeunesse ambitieuse : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ».


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   introduction

La crise sanitaire inédite que vit le monde à grande échelle depuis le mois de mars dernier est d’une grande violence. Il s’agit d’une crise sanitaire, bien évidemment, mais également sociale et économique, et in fine financière et politique.

Il est un paradoxe souligné par tous les interlocuteurs et interlocutrices : le virus ne touche pas – ou de manière très minoritaire – les enfants et les jeunes dans ses formes graves, mais ses conséquences les frappent de plein fouet. Celles-ci ne sont pas toujours appréhendées à leur juste mesure dès lors qu’elles ne sont que rarement mesurées à hauteur d’enfant.

C’est tout l’objet de cette commission d’enquête : mesurer l’ampleur de ces conséquences et les prévenir au mieux, dans la perspective d’une nouvelle crise, de quelque nature qu’elle soit. Les membres de la commission ont exprimé la volonté de s’attacher à différents aspects, dans le but d’appréhender l’enfant et le jeune dans sa globalité. Ils se sont attachés à écouter un grand nombre d’acteurs, que ce soit des professionnels de la santé psychique et physique des enfants, de l’éducation, de la protection de l’enfance, de l’insertion professionnelle, et bien sûr les jeunes eux-mêmes, dans toute leur diversité.

L’une des premières conclusions retirées des auditions de la commission d’enquête est le peu de place laissée aux enfants, aux adolescents et aux jeunes adultes dans nos politiques publiques : ils sont essentiellement appréhendés comme usagers de l’Éducation nationale ou par le biais des politiques familiales. Ainsi, leurs conditions morales et matérielles n’apparaissent que peu dans leur globalité. Elles sont généralement évoquées pour réaffirmer, à intervalles réguliers, des grands principes à portée générale sur la priorité absolue que constitue la jeunesse.

Cette absence a des conséquences importantes sur les enfants et les jeunes, et par extension sur l’avenir de la Nation toute entière. En effet, il est frappant de constater qu’au cours de ces dernières années, la plupart des réformes dans le champ social mais aussi les choix budgétaires ont abouti à fragiliser le quotidien de la jeunesse et/ou à obérer son avenir. La prise en compte insuffisante du long terme dans nos préoccupations politiques – les questions environnementales en sont l’exemple type – ajoute également au sentiment d’incertitude dans lequel vit notre jeunesse, première concernée par les bouleversements à venir. De telle sorte qu’il semble désormais acquis pour une majorité de Français que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, les jeunes eux-mêmes ayant intégré ce qui apparaît comme une fatalité.

Les causes de cette carence dans les politiques publiques sont multiples et complexes, d’où n’est probablement pas absente une certaine forme de frilosité à l’égard ce qui apparaît à de nombreux responsables politiques comme une terra incognita.

Ainsi, la commission d’enquête elle-même s’est heurtée à une insuffisance des données concernant les enfants et les jeunes. Les études, lorsqu’elles sont disponibles, sont souvent partielles et si les jeunes en sont les objets, ils n’en sont que rarement les sujets. Leur parole est difficile à récolter. Les lieux dédiés sont insuffisants et tendent même à se raréfier. Enfin, lorsqu’une parole est exprimée, elle n’est que peu prise en compte faute de relais politiques suffisamment puissants. Elle est même parfois ignorée, car non conforme à ce qui est attendu.

Ce panorama dessine une approche verticale, avec un discours et des décisions descendant des « adultes » vers les « jeunes ». Cette méthode a singulièrement atteint ses limites avec la crise sanitaire que nous vivons. En effet, la parole « adulte » a du mal à toucher les jeunes. Elle se contente, usant d’arguments d’autorité, d’utiliser ce qui apparaît aux jeunes comme des formules dénuées de sens ; les destinataires du message ne voient pas les effets concrets de cette parole, sauf en ce qui concerne les interdictions. Cette méthode se leurre sur son efficacité alors que les jeunes ont accès à des sources d’information multiformes, notamment sur internet, qu’ils mettent, dans le meilleur des cas, sur le même plan que la parole officielle.

Il est urgent de changer notre approche. Cet éloignement entre la société et sa jeunesse est en effet porteur d’un réel risque. La société peut se défaire. Si les jeunes n’ont plus confiance dans l’adulte et sa parole – soit pour accepter cette parole, soit pour la contester avec plus ou moins de virulence –, ils auront tendance à créer des sociétés parallèles à l’extérieur du cadre commun et institutionnel. Ce risque est particulièrement élevé concernant les jeunes vivant dans les territoires urbains ou ruraux défavorisés, qui cumulent les difficultés de tout ordre. À la vérité, ce processus est déjà à l’œuvre. Il faut écouter la parole des jeunes, qui ne se sentent ni entendus, ni compris. De nombreuses personnes auditionnées l’ont souligné devant la commission d’enquête.

En définitive, il s’agit de sortir de l’état de défiance à l’égard de la jeunesse. Défiance qui tend à devenir réciproque. Il est frappant que cette jeunesse ait été très vite accusée d’être le premier vecteur de transmission de la maladie. D’abord, les enfants dans les écoles puis les jeunes, lors de fêtes sans distanciation sociale, ni gestes barrières. Ce regard, non dénué de paternalisme et de culpabilisation, nous devons le déconstruire.

Plus largement, les travaux de la commission d’enquête ont également mis en évidence lors de la crise sanitaire une verticalité trop importante dans les décisions et le fonctionnement des services de l’État, alors que nombre d’initiatives venaient du terrain et permettaient de créer de nouvelles dynamiques entre les acteurs. Les exemples sont légions – le rapport en citera plusieurs – mais ils sont généralement le fait d’initiatives personnelles et ne trouvent que peu souvent des relais suffisamment puissants pour être étendus.

Le rapport fera un certain nombre de recommandations méthodologiques en ce sens. Il s’agit de définir collectivement une méthode la plus horizontale et la plus inclusive possible. Il convient d’une part de multiplier les lieux d’échange et d’écoute des enfants et des jeunes et d’identifier les canaux permettant à leur parole de trouver des traductions concrètes, et d’autre part de créer et d’encourager les dynamiques locales.

La crise sanitaire a agi comme un révélateur des difficultés et des fractures qui traversent la société. Elle a mis en lumière autant qu’elle a aggravé les inégalités au sein même de l’ensemble de la société, et au sein de la jeunesse. Ceux qui étaient les plus en difficulté, les plus en rupture avec la société, le sont et risquent de l’être davantage. Le creusement de ces inégalités est de tout ordre : difficultés sociales, droit à l’éducation avec notamment une fracture numérique béante et des retards d’apprentissage, accès aux soins, hausse des violences intrafamiliales… Le rapport reviendra sur chacune de ces problématiques.

La période que nous vivons depuis mars 2020 fait courir un réel risque à notre pays. Elle constitue cependant une opportunité si nous prenons collectivement conscience, à sa faveur, des dégâts pour l’ensemble de la société du creusement des inégalités. La rapporteure fera également un certain nombre de propositions visant à renforcer la lutte contre ces inégalités, révélées ou aggravées par la crise.

Elle tient d’ores et déjà à rendre un hommage appuyé à l’ensemble des personnes travaillant avec ou pour les enfants et les jeunes. Enseignants, fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales dans tous les domaines, de la protection de l’enfance à la protection maternelle et infantile, personnel médical et paramédical, salariés ou bénévoles des associations, tous ont fait preuve d’une capacité de réaction et d’adaptation remarquable. Ils permettent jusque-là de maintenir une certaine cohésion sociale avec les moyens dont ils disposent. Toutefois, avec ce deuxième confinement, ils manifestent un épuisement dû à un engagement sans faille. Nous devons les entendre et les prendre en compte.

En définitive, ce rapport est destiné à mettre réellement la jeunesse au centre de nos préoccupations, à faire des jeunes la priorité de la Nation. Cela implique d’évaluer toutes les politiques publiques à cette aune, et d’établir notamment un rapport bénéfices/risques pour les décisions concernant les enfants et les jeunes, au regard de leur développement et de leurs droits, ce qui n’a pas été toujours le cas pendant la première phase de cette crise.


  1  

   PREMIÈre partie – une ÉpidÉmie inÉdite aux conséquences sur la santé des enfants et des jeunes, aggravant et mettant en lumière leurs difficultés

I.   « la jeunesse est rÉsiliente », une affirmation À nuancer

A.   un État sanitaire pour l’essentiel prÉservÉ mais qui cache des disparités importantes

En soi, la santé physique des enfants et des jeunes ne constitue pas une préoccupation nouvelle. Dans un tableau publié en juillet 2019 ([2]), Santé publique France considérait déjà que, même si les enfants et les jeunes apparaissaient globalement en bonne santé – et se percevaient comme tels –, deux sujets essentiels appelaient une attention particulière :

– d’une part, les inégalités sociales de santé qui dès, le plus jeune âge, peuvent avoir des répercussions sur l’avenir des enfants et des jeunes ;

– d’autre part, l’impact de comportements préoccupants installés depuis l’enfance (sédentarité, comportements alimentaires, obésité, etc.) ou à l’adolescence (tabagisme, consommations d’alcool épisodiques excessives).

À n’en pas douter, la protection contre l’épidémie de Covid-19 représente aujourd’hui un nouvel enjeu de santé publique pour la jeunesse. Il importe d’en mesurer toutes les implications et d’en tirer des conséquences pratiques au plan sanitaire, tant au regard de l’exposition au virus de cette classe d’âge que des répercussions possibles sur son état physique et psychique.

1.   Des tranches d’âge peu exposées et contribuant peu au risque épidémique

En premier lieu, il importe de rétablir quelques vérités : contrairement à un préjugé tenace, les enfants et les jeunes ne comptent pas parmi les premiers propagateurs de l’épidémie de Covid-19. Les plus récents travaux scientifiques démontrent le caractère infondé de représentations qui, aux débuts de la crise sanitaire, ont nourri une méfiance déraisonnable à l’encontre d’enfants et d’adolescents considérés comme les premiers propagateurs de l’épidémie, et parfois même traités de « bombes humaines ».

a.   Des infections en nombre relativement limité et peu susceptibles de conduire à des formes graves de la maladie

● D’une part, le dernier état des connaissances sur l’épidémie tend à établir que les moins de dix-huit ans courent nettement moins de risques de contracter le Covid-19 que les adultes.

Suivant le résultat des études analysées par la revue JAMA Pediatrics ([3]), la probabilité d’une infection apparaît 44 % inférieure pour les enfants et adolescents de moins de vingt ans par rapport aux adultes. On notera également que les enfants âgés de dix à quatorze ans courent un risque de développer le virus inférieur de 48 % à celui des personnes âgées de vingt ans et plus.

Le rapport publié en août 2020 par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) sur l’infection par le Covid-19 chez les enfants et le rôle du milieu scolaire dans la transmission du virus indiquait qu’à l’échelle de l’Union européenne, la classe d’âge des moins de dix-huit ans ne représentait que moins de 5 % des cas porteurs du Covid-19 entre mars et juillet 2020 ([4]).

Le taux d’incidence du virus ([5]) s’avère systématiquement moins élevé chez les moins de quatorze ans, par rapport à l’ensemble de la population. À titre d’exemple, selon les chiffres présentés dans le bulletin épidémiologique de Santé publique France le 22 octobre dernier ([6]), le taux d’incidence des cas confirmés pour 100 000 habitants était de 94 chez les 0-14 ans, contre 367 pour les 15-44 ans, et 255 dans l’ensemble de la population.

Ces résultats corroborent les éléments d’analyse développés devant la commission d’enquête à propos de la situation observée en France et à l’étranger, à l’issue de la première phase de la crise sanitaire.

D’après les statistiques citées par M. Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie (SFP), l’effectif des enfants infectés par le Covid-19 représenterait 3 % à 4 % de la population de cette classe d’âge ; les enfants représentent moins de 1 % des hospitalisations pour cause de Covid-19 enregistrées depuis le printemps 2020.

Ce dernier chiffre correspond peu ou prou à l’ordre de grandeur établi par des études américaines récentes dont la Société française de pédiatrie fait état : dans le cadre de ces travaux, le taux cumulé d’hospitalisations causées par l’épidémie chez les jeunes de moins de dix-huit ans est évalué à 8/100 000 entre mars et juillet 2020, à comparer à 154,5 pour 100 000 chez l’adulte. Le rapport précité du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) soulignait également qu’en cas de diagnostic positif de Covid-19, les enfants sont beaucoup moins susceptibles d’être hospitalisés que les adultes.

Les chiffres publiés par Santé publique France le 26 novembre dernier ([7]) confirment la faiblesse du nombre des hospitalisations pour cause de Covid-19 parmi les enfants et les adolescents : au 24 novembre 2020, on dénombrait 88 enfants âgés de 0 à 14 ans admis pour cette affection, dont 15 placés en réanimation ([8])soit 0,3 % des patients de ces services enregistrés en France ([9]). Il convient de rapprocher ces chiffres des effectifs pris en charge à l’hôpital pour des affections saisonnières. Ainsi, la bronchiolite entraîne chaque année de 20 000 à 25 000 hospitalisations d’enfants de moins d’un an tandis que 3 500 enfants âgés de 0 à 4 ans sont admis à cause de la grippe saisonnière ([10]).

Par ailleurs, depuis le 1er mars 2020, on déplore trois décès d’enfants âgés de 0 à 14 ans enregistrés à l’issue d’une hospitalisation pour Covid-19 en France.

Dès lors, le virus ne relève pas de la catégorie des maladies pédiatriques, ainsi que le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie (SFP) lors de son audition : il infecte très peu les jeunes enfants, et d’autant moins qu’ils sont jeunes. Suivant l’état des lieux dressé devant la Commission d’enquête, très peu de cas ont ainsi été détectés chez les nouveau-nés, y compris parmi ceux dont la mère était porteuse du virus à l’accouchement.

● D’autre part, un consensus semble aujourd’hui exister quant à la propension des 0-18 ans à développer des formes bénignes de la maladie.

L’ensemble des spécialistes de la pédiatrie soulignent que pour la majorité des enfants atteints, le Covid-19 se manifeste sous des formes asymptomatiques ou peu symptomatiques : les sujets ne présentent pas ou peu de signes de l’infection.

Largement développé devant la commission d’enquête et dans la littérature existante ([11]), ce constat parait aujourd’hui objectivé par de nombreux travaux réalisés depuis la première vague de l’épidémie. Il convient de citer l’étude Ped‑Covid cordonnée par l’hôpital Necker (AP-HP) et l’Institut Pasteur : réalisée auprès d’un panel de 775 enfants âgés de 0 à 18 ans ([12]), elle conclut notamment que 69,4 % ne présentaient pas de symptômes de la maladie ou pouvaient présenter des symptômes mineurs susceptibles de ne pas permettre d’établir ce diagnostic.

Au-delà de l’absence ou de la faiblesse des symptômes, le consensus scientifique actuel porte à relativiser très fortement la probabilité de complications susceptibles d’aboutir à des formes aiguës.

Il en va ainsi pour la maladie de Kawasaki. Maladie orpheline, ce syndrome se caractérise par une inflammation des parois des vaisseaux sanguins (vascularite systémique aiguë), en conséquence d’une réponse disproportionnée de l’organisme à l’agression d’un virus ([13]). La maladie de Kawasaki peut entraîner certaines complications cardiovasculaires ([14]). Dans la grande majorité des cas, elle touche les nourrissons et les jeunes enfants avant la puberté.

D’après les statistiques produites par Santé publique France ([15]), le nombre des patients jeunes atteints, avec lien possible, probable ou confirmé avec le Covid‑19, pouvait être estimé, depuis le début de l’épidémie, à 196 cas. Plus largement, Santé publique France évalue à 13,5 cas par million d’habitants dans la population des moins de 18 ans l’incidence des « syndromes inflammatoires multi‑systémiques » (PIMS) en lien avec le Covid-19.

L’état des lieux présenté par M. Christophe Delacourt donne à penser qu’il existe un lien établi entre la recrudescence des syndromes de Kawasaki et la présente épidémie pour une proportion importante des enfants affectés. Sur la base des informations disponibles lors de son audition le 24 septembre dernier, il estimait que « la moitié de ces enfants a clairement été infectée par le Covid-19, puisqu’ils ont présenté un PCR ou une sérologie positifs. Un quart a été qualifié de cas Covid-19 probables, puisqu’il n’existait pas de résultat de test positif mais un lien de contact certain avec une personne infectée par le Covid. Au final, la preuve d’un lien direct ou indirect avec le Covid existe donc pour une proportion importante de ces enfants. »

Il a ajouté par ailleurs, s’agissant du suivi de ces enfants, qu’un seul décès était survenu : « Il s’agit de symptômes très aigus et l’ensemble de ces enfants a été admis en réanimation en raison de l’atteinte cardiaque. Un seul est décédé, et il s’agissait d’un des tout premiers cas. Je ne connais pas le détail de cet événement et j’ignore si une prise en charge non adaptée a pu se produire. Néanmoins, à partir du moment où la reconnaissance du diagnostic a été avérée, tous ces enfants ont parfaitement évolué dans les jours qui ont suivi. »

● Cela étant, les études disponibles, ainsi que l’observation des hospitalisations, ne permettent pas nécessairement de déterminer dans quelle mesure les enfants porteurs d’une maladie chronique peuvent développer une forme plus grave du Covid-19. D’après M. Christophe Delacourt, le constat semble établi pour les enfants placés en réanimation : le taux de comorbidité, unique ou multiple, atteignait en effet au moins 50 % de ces enfants pendant le premier confinement.

En revanche, l’identification d’une pathologie ou de facteurs de risques spécifiquement responsables, pour les patients jeunes, de formes graves du Covid‑19, soulève plus de difficultés, notamment du fait de cohortes limitées d’enfants hospitalisés pour le Covid-19.

Selon les données transmises par la Société française de pédiatrie, la proportion d’enfants hospitalisés au titre du Covid-19, et qui ont au moins une comorbidité, varie de façon importante dans les différentes séries pédiatriques publiées. La surreprésentation de chacune de ces comorbidités, telles que l’asthme ou l’obésité, dans ces cohortes reste incertaine, et surtout rarement reproduite d’un pays à l’autre. Dans une série européenne, 52 % des enfants admis en soins intensifs ont au moins une comorbidité, comparé à 22 % des enfants hospitalisés en secteur conventionnel ([16]). La série française mono-centrique de l’hôpital Necker est aussi en faveur de ce constat, avec 70 % des enfants admis en réanimation ayant au moins une co-morbidité (Oualha et al.).

D’autres publications évoquées par la Société française de pédiatrie n’identifient pas de risques accrus chez les enfants qui souffrent de certaines maladies chroniques telles que les maladies rénales chroniques (Plumb et alii), l’asthme (Hepkaya et alii) ou le diabète (Rabbone et alii), ou ceux qui souffrent de cancers avec chimiothérapie (Hrusak et alii).

L’ensemble des recherches tendent néanmoins à conclure que la présence d’au moins une comorbidité peut majorer le risque de formes graves du Covid-19.

b.   Une moindre contribution des enfants aux chaînes de contamination

Un certain nombre d’études semble démontrer que quel que soit l’âge, la charge virale – c’est-à-dire la quantité de virus présente dans leur organisme en cas d’infection au Covid-19 – des enfants peut être similaire à celle des adultes.

Il en va ainsi des travaux réalisés par les immunologistes et pédiatres du Massachussets General Hospital de Boston ([17]). L’étude visait à mesurer le lien éventuel entre la présence du virus dans les prélèvements réalisés sur des enfants atteints et l’importance des récepteurs qui lui permettent de pénétrer dans les cellules. Les résultats montrent que le nombre de récepteurs augmente avec l’âge mais que de jeunes enfants peuvent présenter une charge virale élevée. Les chercheurs en déduisent que le niveau de cette dernière ne varierait pas nécessairement en fonction de l’âge, et ne notent pas de différence entre la charge virale des patients pédiatriques et celle observée chez des adultes nécessitant d’être intubés.

Par ailleurs, en l’état des connaissances scientifiques, la capacité des enfants de transmettre le Covid-19 paraît assez largement établie, notamment au regard des résultats d’une étude menée par des chercheurs des hôpitaux universitaires de Genève ([18]). Néanmoins, un débat persiste entre scientifiques quant à la propension exacte des enfants à être victimes ou vecteurs de contaminations par le Covid-19, suivant l’environnement.

L’état des connaissances scientifiques semble permettre d’affirmer que le taux de contamination chez les jeunes augmente avec l’âge.

Ainsi que le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie (SFP), « [t]rès peu de cas ont été décrits chez des enfants fréquentant une crèche, une école maternelle ou une école primaire mais le nombre de cas augmente au collège, puis au lycée et à l’université – des clusters s’y sont formés à la rentrée ».

En outre, un certain nombre de travaux aboutissent à la conclusion que les enfants ne contribuent que peu aux chaînes de contamination, notamment les enfants de moins de onze ans ; les conclusions sont plus difficiles à établir s’agissant des adolescents, à partir de douze ans. L’étude de foyers épidémiques tend à prouver que les enfants se trouvent rarement à l’origine de la contamination d’adultes ; à l’inverse, « les adultes sont beaucoup plus souvent sources de contamination, soit d’autres adultes, soit d’enfants. »

Développée par Mme Gras-Le Guen aux débuts des travaux de la commission d’enquête, cette analyse désormais assez consensuelle paraît confirmée, tant au regard des derniers travaux relatifs aux conditions de circulation du virus que des enseignements tirés du déroulement de la dernière rentrée scolaire en France.

L’exposition au Covid-19 au sein des établissements scolaires et de l’enseignement supérieur selon le Conseil scientifique

Les principales connaissances sur la circulation du virus à l’issue de la première vague épidémique en Europe sont résumées dans la note de l’ECDC du 6 août 2020 (Covid-19 in children and the role of school setting in Covid-19 transmission). On peut y rajouter l’expérience tirée de la rentrée universitaire en septembre dernier, pour aboutir aux conclusions suivantes :

Pour les universités, les clusters ont été nombreux partout dans le monde, et la majorité des contaminations semble avoir eu lieu dans les résidences des campus, dortoirs, et lors d’activités récréationnelles ou festives en marge de l’université.

Pour les lycées et les collèges : Les adolescents de 12 à 18 ans semblent avoir la même susceptibilité au virus et la même contagiosité vers leur entourage que les adultes. Ils font cependant des formes moins sévères de la maladie comparés aux adultes, avec une proportion de formes asymptomatiques autour de 50 %. Le risque d’épidémie est bien documenté (France, Chili, Israël), avec une transmission vers le personnel enseignant. Les mesures de contrôle bénéficient d’un bon niveau de compréhension des élèves, mais le risque de contamination extra-scolaire est élevé.

Pour les écoles primaires : les enfants âgés de 6 à 11 ans semblent moins susceptibles, et moins contagieux, comparés aux adultes. Ils font des formes bénignes de la maladie, avec une proportion de formes asymptomatiques autour de 70 %. Peu d’épidémies ont été documentées, mais une transmission silencieuse du virus entre enfants a été décrite. En revanche, elle ne semble pas affecter de façon significative les enseignants, mais peut s’accompagner de transmission intrafamiliale secondaire.

Pour les crèches : quelques foyers de transmission limités ont été décrits dans les crèches, sans forme sévère chez les enfants. Les personnels de crèche semblent peu touchés (enquête de séroprévalence), mais des cas de transmission intra-familiale secondaire ont été décrits. »

Source : Conseil scientifique, avis du 26 octobre 2020, extrait de l’annexe I., page 25.

Néanmoins, la littérature scientifique met également en exergue des incertitudes que les pouvoirs publics ne sauraient méconnaître.

La première interrogation porte sur le « pouvoir contagieux » des cas asymptomatiques. Même si elle représente un paramètre clé, la charge virale ne constitue pas l’unique déterminant de la transmission du Covid-19. En l’état des recherches menées, la question demeure de savoir si les enfants asymptomatiques excrètent des quantités similaires, supérieures ou inférieures à celles des enfants présentant les signes de la maladie. Or, il s’agit là d’une donnée capitale dans la mesure où l’infection virale peut passer totalement inaperçue ou ne pas faire l’objet d’un diagnostic.

La seconde incertitude découle de l’impact de l’environnement et des interactions sociales dans les modalités de transmission du virus.

La méta-analyse réalisée par Jama Pediatrics invite en effet à considérer que les enfants, les adolescents et les jeunes adultes peuvent jouer un rôle sensiblement différent au sein des chaînes de contamination suivant le cadre.

En outre, le taux de contamination des enfants, des adolescents et des jeunes adultes se révèle assez tributaire des conditions de mise en œuvre des mesures de prévention sanitaire et de distanciation sociale.

Tel semble être l’enseignement à tirer d’une étude israélienne ([19]) signalée dans son blog par M. Marc Gozlan ([20]) : ses auteurs constatent la survenue d’une grande flambée épidémique une dizaine de jours après la réouverture d’une école, dans un contexte où les élèves de classes surchargées avaient enlevé leurs masques pour cause de canicule.

Les opérations de dépistage massif réalisées dans la faculté de médecine de Paris VI, en septembre dernier, suite à la multiplication de cas positifs, signalée par le doyen Bruno Riou, semble conduire à la même conclusion : elles montraient que le taux de contamination au Covid-19 atteignait près de 14 % parmi la promotion des étudiants de deuxième année, considérée comme la plus propice aux divertissements et à la fête – contre 2 % au sein de promotions plus soumises à des exigences de sérieux.

Ces constats ne peuvent que plaider en faveur d’un développement de la recherche sur les modalités de circulation de l’épidémie de Covid-19 et à la place des jeunes (enfants, adolescents et jeunes adultes) dans les chaînes de contamination.

Dans l’esprit de la rapporteure, cet effort de veille incombe tout particulièrement aux opérateurs publics de recherche dans leur diversité, notamment l’INSERM ([21]) et le CNRS ([22]), ainsi qu’aux grandes structures hospitalières du service public de la santé.

La connaissance des modalités exactes de transmission du virus relève évidemment d’un enjeu de santé publique pour l’ensemble de la collectivité nationale. Mais elle intéresse tout autant la jeunesse en ce qu’elle conditionne le retour à des conditions de vie plus conformes à ses aspirations et à son épanouissement.

Proposition : Développer les moyens de recherche consacrés à l’étude des modalités de circulation de l’épidémie de Covid-19 et au rôle des jeunes dans les chaînes de contamination

2.   Des conséquences potentiellement importantes sur la santé des jeunes, plus marquées pour les catégories populaires

Même indirectes, les implications de la crise sanitaire ne manquent pas de renforcer les inquiétudes et les interrogations exprimées dans le débat public avant sa survenue.

De fait, les signalements et témoignages recueillis ne permettent pas d’écarter la perspective d’une dégradation de l’état physique de la jeunesse, à raison de deux grands facteurs de risques : en premier lieu, les effets du recul de l’activité physique et des déséquilibres alimentaires ; en second lieu, des retards possibles dans la prévention et le suivi des traitements curatifs.

a.   Les effets négatifs du recul de l’activité physique et de déséquilibres alimentaires

● À l’évidence, le manque d’activité physique et la sédentarité représentent le premier facteur de risque pour la santé que le confinement menace d’aggraver.

De fait, les témoignages apportés par l’ensemble des professions médicales, des professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) et des éducateurs auditionnés portent à conclure qu’une liberté de circulation restreinte, l’absence d’espace dans les logements, l’interruption des activités sportives, que ce soit à l’école ou dans les clubs, ont favorisé une forte sédentarité chez les enfants et adolescents. Ce constat semble se vérifier pour l’ensemble des classes d’âges et ressort de la pratique de nombreux professionnels.

Ce sujet a été évoqué au cours de la table ronde des syndicats de professeurs d’EPS.

L’ensemble des intervenants soulignent « une prise de masse corporelle graisseuse chez certains élèves », ainsi qu’une diminution de leurs capacités physiques. D’après M. Benoît Hubert, secrétaire général du Syndicat national de l’éducation physique, les enquêtes réalisées par l’Association européenne des professeurs d’éducation physique dans certains États ([23]) corroborent les constats empiriques établis par les enseignants en France. Ces études longitudinales réalisées concluent que deux élèves sur cinq présentent une augmentation de leur masse graisseuse ; elles mettent en relief une diminution tant de la capacité aérobie (– 16 %) que de la coordination et de la capacité physique globale (– 13 %).

À supposer qu’ils puissent être généralisés, les résultats de ces enquêtes sont inquiétants. En 2016, des représentants de la Fédération française de Cardiologie (FFC) alertaient déjà l’opinion et les pouvoirs publics sur le fait qu’en quarante ans, les collégiens avaient perdu 25 % de leur capacité physique. En sa qualité de cardiologue au CHRU de Rennes et de membre de la FFC, le professeur François Carré observait alors que si un collégien courait 600 mètres en trois minutes en 1971, il lui fallait une minute de plus en 2013 afin de parcourir la même distance.

Au-delà, les témoignages présentés par les représentants des pédiatres et des professeurs d’EPS soulignent l’importance des environnements géographiques et sociaux pour le maintien d’une bonne condition physique par l’activité sportive.

D’après Mme Cécile Rossard, représentante du syndicat général de l’Éducation nationale de la CFDT (SGEN-CFDT), les constats réalisés à l’issue du déconfinement révèlent de fortes disparités suivant le milieu socioéconomique et le contexte dans lesquels vivent les enfants. Ainsi, elle estime que dans la zone d’éducation prioritaire où elle enseigne, de 20 % à 50 % des élèves auraient été en mesure de pratiquer une activité physique pendant cette période. En milieu rural, les enseignants évalueraient cette part – de manière manifestement empirique – à un taux compris entre 50 % et 70 %, probablement grâce à un accès à l’extérieur favorisé.

Ainsi, plusieurs personnes entendues rendent compte d’une exacerbation des inégalités existantes à la faveur de la crise sanitaire. Suivant le tableau brossé par Mme Cécile Rossard, « ce sont les jeunes urbains les plus défavorisés qui ont peu pratiqué l’activité physique pendant cette période, ceux qui disposaient des espaces de vie les plus exigus, avec une grande densité de personnes dans une petite superficie ; ceux qui ne possédaient ni ordinateur ni corde à sauter ni vélo d’appartement ni forêt à proximité ; ceux qui ont le moins bien mangé, le moins bien dormi ». Comme nombre de ses collègues, elle dit anticiper des conséquences tant psychologiques que physiques lors de la reprise.

● S’ajoutant à la diminution de l’activité physique, les contraintes propres au confinement à la maison, se traduisant par une propension plus grande au grignotage, souvent corrélée à un usage accru des écrans, et par une augmentation des activités de cuisine – qui est d’ailleurs positive –, peuvent se traduire par un accroissement des cas de surpoids chez les enfants et les jeunes.

Au cours de leur audition, Mmes Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français (SNPF), et Fabienne Kochert, présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA), ont affirmé qu’au sortir du premier confinement, une prise de poids significative chez les enfants et les adolescents pouvait être observée, en conséquence de « l’inactivité et de l’usage augmenté des écrans ». D’après Mme Kochert, une prise de poids de l’ordre de six kilos constituait généralement la norme.

D’après un récent rapport de l’Unicef, parmi les 38 États les plus riches au monde, la France se classe en 26e position sur le critère du surpoids et de l’obésité des enfants ([24]). Comme d’autres travaux, l’étude observe un accroissement de la part de jeunes âgés de cinq à dix-neuf ans en surpoids ou obèses. Cette proportion atteint 30 % en France. L’on peut craindre que cette tendance ne s’accentue dans le prolongement de la crise sanitaire.

Au-delà, de nombreux témoignages recueillis accréditent l’idée que les jeunes appartenant aux publics en situation de précarité ont pu pâtir d’une dégradation de la qualité de leur alimentation, en termes d’équilibre nutritionnel mais aussi de quantité. Il s’agit là d’une conséquence indirecte du contexte créé par le premier confinement, marqué par des restrictions de circulation, ainsi que par des pertes de revenus et d’emplois.

L’ensemble des personnes interrogées ([25]) conviennent de ce qu’en dehors de la poursuite des apprentissages, la fermeture des établissements scolaires emportait une conséquence préjudiciable : la perte d’un lieu où certains enfants prennent leur seul repas complet et équilibré de la journée. De fait, ainsi que l’a relevé M. Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile (SNMPMI), « [C]ertaines familles se sont retrouvées sans ressources du jour au lendemain, voire en grande difficulté financière pour celles dont les parents travaillent « au noir » ou qui s’approvisionnent dans des centres de distribution d’aide alimentaire, qui étaient fermés durant le confinement ». M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, a quant à lui souligné : « Dans certains départements tels que la Seine-Saint-Denis, l’absence de cantine peut priver l’enfant d’un repas ; l’alimentation se limite parfois à la consommation d’un kebab le soir. »

À certains égards, la fermeture des restaurants universitaires a contribué à créer les conditions d’une précarité de la population étudiante au plan alimentaire. Toutefois, ce jugement mérite sans doute quelques nuances, eu égard aux mesures prises par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), aux actions développées par les associations caritatives ([26]) et aux opérations de solidarité entre étudiants.

b.   Des retards possibles dans la prévention et les traitements

Assurément, nous manquons encore du recul nécessaire pour mesurer, au plan statistique, l’effet des contraintes que l’épidémie de Covid-19 a pu faire peser sur l’administration des soins. La question demeure ainsi posée de l’importance des pertes de chances qui ont pu en résulter dans le traitement d’autres pathologies. Néanmoins, les signalements et témoignages recueillis par la Commission peuvent nourrir deux questionnements.

● Le premier questionnement porte sur l’évolution des actes préventifs et, notamment, l’administration des vaccins.

Sur ce dernier point, les éléments recueillis par la Commission d’enquête incitent à considérer que la crise sanitaire a engendré un recul plus ou moins marqué de la pratique vaccinale.

Les données collectées dans le rapport d’EPI-PHARE ([27]) illustrent une très nette diminution du nombre des délivrances de vaccins par rapport aux prévisions avec, suivant les vaccins, des inflexions sur la période allant de mars à septembre 2020 ([28]). Le constat d’ensemble vaut pour les vaccins penta et hexavalents pour nourrissons, pour le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), ainsi que pour les vaccins antitétaniques (hors nourrisson).

Le tableau ci-après permet de constater la nette diminution des délivrances de vaccins par rapport au niveau attendu, au regard des données des années précédentes, et l’absence de rattrapage (sauf pour les vaccins penta et hexavalents) à la sortie du confinement :

Écart absolu entre le nombre de délivrances de vaccins observé en 2020 et le nombre attendu en 2020, selon les périodes.

 

Écart du nombre de délivrances (observé-attendu)
S12 à S19 (confinement)

Écart du nombre de délivrances (observé-attendu)
S20 à S37 (post-confinement)

Écart du nombre de délivrances (observé-attendu)
S12 à S37 (confinement et post-confinement)

Vaccins anti-HPV (contre le papillomavirus)

-89 510

-63 048

-152 558

Vaccins penta- hexavalents pour nourrissons

-44 173

+5 558

-38 615

Vaccins ROR

-123 974

-3 536

-127 510

Vaccins antitétaniques (hors nourrissons)

-446 585

-174 950

-621 535

Source : Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020, Rapport EPI-PHARE

Les graphiques ci-dessous illustrent la baisse très sensible des délivrances de vaccins par rapport au niveau attendu pour les vaccins penta et hexavalents et les vaccins ROR :

Nombre par quinzaine des délivrances sur ordonnance de vaccins
penta- et hexavalents pour nourrissons durant les 37 premières semaines de 2018, 2019 et 2020 – comparaison observé sur attendu.

Source : Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020 ; Rapport EPI-PHARE.

Note de lecture : La période de confinement entre les semaines 12 et 19 est représentée en bleu.

Nombre par quinzaine des délivrances sur ordonnance de vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) durant les 37 premières semaines de 2018, 2019 et 2020 - comparaison observé sur attendu

Source : Rapport EPI-PHARE Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020.

Note de lecture : La période de confinement entre les semaines 12 et 19 est représentée en bleu.

D’après les témoignages fournis à la Commission d’enquête, le recul enregistré dans l’administration des vaccins s’explique pour partie par la peur des familles de s’exposer au virus du Covid-19. Du reste, la situation peut varier de manière parfois significative entre les départements.

M. Pierre Suesser, co-président du SNMPMI, a indiqué qu’une chute de 15 % à 30 % a été enregistrée en Seine-Saint-Denis, suivant les vaccins, par rapport à l’année 2019. Néanmoins, le niveau de vaccination pourrait être qualifié de relativement satisfaisant par rapport aux statistiques des années précédentes. Et il a été constaté que peu de familles refusaient de se rendre dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI).

La pratique vaccinale observée au cours de la crise sanitaire reflète également les priorités fixées au regard des contraintes de l’épidémie, ainsi que les nécessités médicales.

Ainsi que l’a indiqué Mme Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français, sur la recommandation des sociétés savantes, les pédiatres se sont attachés à éviter la rupture des calendriers vaccinaux des plus jeunes enfants. En conséquence, les vaccinations des enfants plus âgés, entre 6 et 11 ans, ont pu connaître des reports, dans la mesure où ces vaccinations pouvaient être différées. En revanche, les pédiatres se sont efforcés de fixer un rendez-vous à la fin du printemps 2020 et à la sortie du confinement, afin de limiter les retards.

Si le sens des responsabilités des professionnels de la petite enfance ne peut être mis en cause, l’impact de la crise sanitaire sur la pratique vaccinale ne doit pas être minoré, dans un pays où elle suscite une défiance persistante. Ainsi que l’affirmait l’Unicef à la suite de la publication du rapport déjà évoqué ([29]), « les taux de vaccination constituent un vrai point noir de ce rapport, situant notre pays en dernière position du classement, au regard du pourcentage d’enfants ayant reçu leur deuxième dose du vaccin contre la rougeole. Ce taux a chuté de manière significative entre 2010 et 2018. »

Aussi, la rapporteure juge-t-elle indispensable que les autorités sanitaires prennent les mesures nécessaires afin de remédier aux retards pris dans l’application des calendriers vaccinaux pour les jeunes enfants.

Outre des recommandations données aux professionnels de la petite enfance (cabinets pédiatriques, médecins généralistes, PMI, crèches) et le suivi qui leur incombe, la réalisation de cet objectif pourrait nécessiter la diffusion périodique de supports informatifs (dans les médias, sur les réseaux sociaux) destinés aux familles afin de rappeler les obligations vaccinales. Il pourrait s’agir là d’un préalable nécessaire à l’organisation d’une campagne de vaccination afin de rattraper les retards éventuels pris lors du premier confinement.

Propositions :

Mesurer avec précision les retards enregistrés pendant la crise sanitaire dans les calendriers vaccinaux pour les jeunes enfants

Remédier aux éventuels retards constatés par la diffusion de supports informatifs et l’organisation d’une campagne de vaccination ciblée

L’organisation de cette campagne de vaccination pourrait d’ailleurs fournir le cadre d’une réévaluation des exigences de la couverture vaccinale des enfants et des adolescents.

Au cours de son audition, Mme Sylvie Hubinois a souligné l’intérêt de rendre plus accessible le vaccin contre la gastro-entérite.

D’après une étude publiée par Santé publique France ([30]), l’infection à rotavirus serait responsable de 300 000 épisodes de diarrhée aiguë chez les enfants de moins de cinq ans en France, dont 160 000 diarrhées sévères. Le nombre annuel de décès engendrés par ces infections se limiterait à neuf. Les infections à rotavirus seraient à l’origine de 138 000 consultations en ville par an (dont 112 000 chez un médecin généraliste et 26 000 chez un pédiatre) ; elles occasionneraient 18 000 hospitalisations chaque année. Les auteurs de l’étude estiment le coût annuel de l’infection pour le système de santé à 28 millions d’euros (dont plus de 80 % résultent des frais d’hospitalisation).

D’après Mme Hubinois, le coût du vaccin contre la gastro-entérite représenterait un obstacle à son accès pour beaucoup de familles. Dans la mesure où la recommandation émise par l’Académie de Médecine montre que son administration présente un intérêt sanitaire dans le contexte de la crise épidémique actuelle ([31]), la rapporteure estime qu’il conviendrait d’envisager le remboursement par la sécurité sociale des vaccins contre le rotavirus.

Proposition : Assurer la prise en charge du coût du vaccin contre les infections à rotavirus par la sécurité sociale

● Le second questionnement touche aux répercussions de la crise sanitaire sur l’efficacité de la détection, du suivi et du traitement des maladies chroniques et des pathologies graves.

Indéniablement, l’ensemble des données disponibles rend compte d’une baisse de l’activité des services médicaux pédiatriques. Il en va ainsi pour les urgences, avec par exemple un recul de 65 % des prises en charge dans les services d’accueil des urgences et de 88 % pour les consultations, pendant le premier confinement à l’Hôpital Necker ([32]).

Exemple de l’activité du Département médico-Universitaire (DMU) Médecine de l’enfant et de l’adolescent - Necker-Enfants Malades en 2019 et 2020

Source : Société française de pédiatrie. Note de lecture : HDJ = hospitalisation de jour.

Plusieurs causes peuvent expliquer la moindre fréquentation des urgences, et plus généralement des services accueillant des enfants et des adolescents, au-delà des craintes que pouvaient éprouver les personnes à se rendre dans les établissements hospitaliers pendant le confinement et de la volonté de ne pas solliciter davantage ces établissements alors qu’ils étaient surchargés par les cas de Covid-19. Suivant l’analyse développée par M. Christophe Delacourt, le premier facteur tient aux restrictions du confinement, lequel « a empêché la transmission des autres pathologies infectieuses, réduisant le nombre d’angines et d’autres pathologies bénignes. » Le second facteur consiste dans les retards de diagnostic.

En l’état des connaissances, il s’avère cependant difficile de déterminer l’importance exacte de cette seconde cause.

Ainsi que l’a relevé M. Christophe Delacourt, aucune publication n’établit à ce jour un lien entre un accès différé au système de soins et le décès de patients atteints d’affection grave en France. Il a cité des travaux communs publiés en Angleterre et en Irlande, qui imputent un certain nombre de morts à des retards de diagnostics, mais a indiqué : « le système de soins et l’accès aux soins est un peu différent en France et en Angleterre. Je ne suis pas certain que ce constat puisse être extrapolé pour la situation française. Dans les équipes que j’ai contactées, personne ne m’a fait remonter d’information sur des décès d’enfants liés à des retards de prise en charge. A priori, les retards de prise en charge qui se sont produits n’ont pas occasionné de décès. »

En revanche, dans plusieurs pays – France, Allemagne et Italie –, un retard important de diagnostic des nouveaux cas de diabète de type I semble établi pendant le confinement. Selon les conclusions des travaux évoqués par M. Christophe Delacourt, ces retards expliquent un nombre d’enfants victimes d’acidocétose sévère et modérée plus important que les années précédentes.

Les documents transmis par la Société française de pédiatrie soulignent que ce « modèle » de la maladie diabétique témoigne que le confinement induit un retard diagnostique devant des symptômes initialement mineurs, la consultation aux urgences ne venant que devant des symptômes plus sévères. Par extrapolation, il est possible que d’autres pathologies chroniques que le diabète, dont le retard diagnostique est moins facile à documenter, soient concernées par ces retards : tumeurs, infections d’évolution lente (tuberculose), maladies inflammatoires chroniques… L’impact à long terme de ces potentiels retards diagnostiques n’est pas clairement établi.

Quoi qu’il en soit, le premier confinement a conduit au report d’un certain nombre d’interventions jugées non urgentes. Il a également occasionné une interruption de la prise en charge des enfants et adolescents dont l’état nécessitait le suivi de thérapies médicales et paramédicales (telles que des séances de kinésithérapie, de rééducation, etc.).

À l’instar des professionnels entendus, la rapporteure ne peut que s’interroger sur les conséquences – à court ou moyen terme – de ces ruptures dans les parcours de soins, notamment pour les publics les plus fragiles et/ou précaires. Aussi, elle appelle les autorités sanitaires, les établissements hospitaliers et de recherche scientifique à systématiser l’évaluation de l’impact de la crise sanitaire sur le diagnostic et le suivi des maladies chroniques et des pathologies graves, afin de disposer d’une exacte connaissance des répercussions de la crise sanitaire du point de vue de la perte de chances, voire des décès causés, et d’améliorer les conditions de détection et de prise en charge des patients dans l’hypothèse d’un nouvel épisode épidémique.

En tout état de cause, l’on observe que de premiers enseignements ont été retirés des débuts de la crise sanitaire, lors du deuxième confinement mis en place le 30 octobre ; le suivi et la prise en charge des patients hors Covid-19 sont maintenus autant que possible au regard des contraintes résultant de l’épidémie, et des campagnes de communication ont été déployées pour encourager les Français à consulter leur médecin et à ne pas reporter leurs rendez-vous médicaux.

Propositions :

Évaluer l’impact de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid19 sur le diagnostic et le traitement des maladies chroniques et des pathologies graves

Définir les conditions d’une prise en charge adaptée des patients dans le contexte d’un épisode épidémique de cette nature

B.   Un ÉQUILIBRE PSYCHIQUE et moral des jeunes à reconstruire

Nul ne sait le souvenir que laissera la présente crise sanitaire dans la société. Mais pour certains jeunes, rien n’interdit de penser qu’elle pourrait revêtir la dimension d’un véritable traumatisme, du fait de la brutalité de son déclenchement, de l’imprévisibilité de son cours et de son dénouement, ainsi que de la menace inédite de la mort.

Quoi qu’il en soit, la crise sanitaire et le confinement affectent – de manière très concrète – les trois cadres essentiels au développement des jeunes et à leur intégration : la famille, l’école, le cercle des relations sociales et amicales. Dans la mesure où les professionnels attirent l’attention des pouvoirs publics depuis plusieurs années sur les enjeux de la santé mentale des jeunes et, en particulier des adolescents ([33]), les impacts possibles de la crise appellent une vigilance renouvelée.

De fait, à compter du mois d’octobre 2020, les statistiques se sont multipliées et fournissent autant d’indices d’une altération du bien-être moral des enfants, des adolescents et des jeunes adultes.

Premiers impacts de la crise sanitaire sur la santé mentale

en France et dans le monde

D’après CoviPrev ([34]), 21 % des personnes interrogées déclaraient souffrir d’un état dépressif au 6 novembre 2020 (contre 10 % à la fin septembre). À titre de comparaison avec la période antérieure à l’apparition du Covid-19, 10 % de la population a vécu un épisode dépressif dans l’année précédente, selon la dernière enquête menée en 2017.

L’étude montre que la proportion d’adultes souffrant d’un état dépressif dépasse nettement cette moyenne parmi les personnes déclarant une situation financière très difficile (35 %), parmi celles avec des antécédents de troubles psychologiques (30 %), ainsi que parmi les inactifs (28 %), les personnes suivant des études (30 %) et chez les jeunes (29 % chez les 18-24 ans, 25 % chez les 25-34 ans).

À cette même date, le taux d’anxiété est estimé à 20,8 %, en hausse depuis septembre 2020.

Des résultats préliminaires de l’enquête internationale COH-FIT ([35]) publiés le 10 novembre 2020, il ressort que la crise a augmenté le niveau de stress, la sensation de solitude ou de colère, en particulier chez les femmes et les jeunes : 27 % des femmes ressentent un stress accru (contre 14 % des hommes) et 23 % rapportent un sentiment de solitude plus important (contre 12 % des hommes). Il en va également ainsi pour un jeune sur quatre.

1.   Une crise sanitaire propice à l’apparition ou à l’aggravation de troubles psychiques

a.   Des changements de comportement parmi les enfants en bas âge et en âge scolaire, susceptibles d’exprimer un sentiment d’insécurité

● Ainsi que l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées par la Commission d’enquête, l’impact de la crise sanitaire sur le bien-être mental des enfants et des adolescents peut être difficile à mesurer et ses effets ne présentent pas un caractère univoque.

Dans certaines circonstances, le confinement et le repli sur la sphère familiale ont pu procurer une forme d’apaisement et de bien-être. Selon les observations de Mme Catherine Lacour Gonay, membre du conseil d’administration de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA), de nombreux enfants et adolescents ont vécu un bref moment d’euphorie : en raison de la fermeture des établissements scolaires, ils pouvaient rester chez eux, avec leurs parents et/ou devant les écrans.

Même si le confinement s’est accompagné de troubles du sommeil et des rythmes, comme évoqué infra, Mme Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, a également souligné que l’un des points positifs du confinement a résidé dans le fait que les adolescents pouvaient vivre un peu plus à leur rythme, notamment en termes de sommeil. Elle a ainsi souligné que « d’un point de vue physiologique, demander à un adolescent – à partir de 13-14 ans – de se lever à 6 heures 30 du matin et d’être en cours de 8 heures à 10 heures est en quelque sorte une aberration : son organisme n’est pas adapté pour se concentrer si tôt dans la journée. Le confinement a souvent permis aux adolescents d’adopter des horaires et un rythme physiologiquement plus adaptés. (…) De nombreuses études scientifiques de chronobiologistes ont démontré qu’uniquement en faisant débuter les cours une heure plus tard à l’adolescence, on améliore les résultats scolaires ; c’est automatique. Peut-être cette pandémie peut-elle servir à prendre conscience de telles données importantes. »

Ce constat conduit d’ailleurs la rapporteure à préconiser une réflexion plus large sur une meilleure prise en compte des rythmes physiologiques de l’adolescent par l’Éducation nationale.

Proposition : Engager une réflexion sur l’adaptation des rythmes scolaires pour les jeunes adolescents

● L’impact de la crise sanitaire varie en fonction de la vulnérabilité des enfants et de leur entourage. Selon les recherches menées par Mmes Édith Galy et Andréa Soubelet, il s’avère que les populations ayant déjà été exposées à des événements pénibles ou traumatiques risquaient davantage de ressentir un syndrome de stress pendant le premier confinement.

Pour sa part, M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, a identifié neuf facteurs qui pourraient conditionner l’impact de la crise sanitaire au plan psychique. Parmi ceux-ci, on retiendra notamment : la propension des parents à développer un état dépressif pendant la phase de confinement, cette dépressivité s’accompagnant systématiquement d’une augmentation des troubles chez les enfants ; la difficulté des parents à s’occuper de leurs enfants par perte de motivation ; le rapport qu’entretiennent les parents avec la crise (suivant la proximité avec une zone affectée par l’événement, la mort d’un parent) ; la pauvreté et l’inemploi, étant constaté que le chômage des parents a des effets sur les relations familiales et les enfants, et crée de l’angoisse chez ces derniers ([36]).

Au-delà de ces constats, l’ensemble des professionnels entendus mettent en exergue des changements observés dans l’attitude des enfants et adolescents. Même s’ils ne revêtent pas une dimension pathologique, ces changements peuvent être considérés, de l’avis général, comme une réaction face au caractère anxiogène de la crise sanitaire.

De l’enquête réalisée et analysée par Mmes Édith Galy et Andréa Soubelet ([37]), on peut ainsi retenir que :

– 68 % des parents déclarent observer une augmentation des comportements qui expriment de la colère et de l’irritabilité chez leurs enfants ;

– 53 % rapportent des problèmes de sommeil chez les enfants ;

– 47 % décrivent une augmentation de l’agressivité, ainsi que des difficultés de concentration ;

– 38 % des enfants manifestent davantage d’émotions négatives et font davantage de cauchemars qu’en temps ordinaire ;

– près de 70 % des enfants s’agrippent davantage à leurs parents – ce qui témoigne d’un probable sentiment d’anxiété ;

– plus de la moitié des enfants ont des souvenirs ou des pensées intrusives par rapport à des événements qu’ils ont vécus en lien avec la crise du Covid-19.

D’après leurs auteures, ces résultats révèlent, au sein de la population étudiée et selon les parents, l’existence d’un stress relativement important qui affecte le comportement, le sommeil, la concentration et peut susciter des réactions d’agressivité ou de colère. Il a pu contribuer à une dégradation des rapports entre parents et enfants dans certains foyers.

● Les observations tirées de cette étude font écho aux divers constats évoqués par les personnes auditionnées. Il en va ainsi des troubles du sommeil, évoqués dans 25 % des réponses à une enquête réalisée par le SNMPMI. D’après M. Pierre Suesser, ces problèmes peuvent être mis en rapport « avec le manque d’activité, l’excès d’écrans, la perte de rythme de vie et le sentiment d’insécurité ». Ils sont en effet souvent liés à des perturbations des rythmes des enfants, du fait du confinement.

Pendant le confinement, les rythmes biologiques ont été désynchronisés chez certains enfants, adolescents ou jeunes adultes. En effet, différents facteurs environnementaux influent sur les rythmes biologiques des enfants et contribuent à leur synchronisation. Ces facteurs, appelés « time-givers », sont les heures de coucher, de repas mais aussi les heures d’école et celles des activités sportives et culturelles. La disparition de ces activités et le basculement vers l’« école à la maison » ont conduit à la perte de ces facteurs durant le confinement. Mme Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, a ainsi indiqué : « cette désynchronisation a entraîné un certain nombre de troubles du sommeil. Des études ont mis en évidence des associations entre les troubles du sommeil et des problèmes auxquels les enfants et les adolescents peuvent être confrontés : l’anxiété, la dépression – ainsi que les troubles bipolaires pour les adultes –, l’hyperactivité et les déficits attentionnels (difficultés de concentration impliquant le cortisol), les troubles autistiques et la schizophrénie ; (…) il est donc important de repérer les troubles du sommeil. Nous en voyons les conséquences au long cours depuis le déconfinement, avec la désynchronisation des rythmes mais aussi des changements de comportement. »

En dernier lieu, on notera qu’au cours du premier confinement, les premières ré-hospitalisations nécessaires ont concerné les troubles du comportement alimentaire. Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi indiqué que « chez les anorexiques ou boulimiques cloîtrés à la maison, tous les symptômes ont flambé : il a fallu intervenir très vite. »

b.   Des expressions de mal-être et de fragilité chez les adolescents et jeunes adultes

Ainsi que l’ont relevé plusieurs personnes auditionnées, le printemps 2020 s’est caractérisé par une baisse de l’activité des services de santé et des hospitalisations, notamment psychiatriques. Pour sa part, Mme Catherine Lacour Gonay a également indiqué qu’une diminution des tentatives de suicide et des scarifications a pu être observée.

Afin d’expliquer ce constat paradoxal, certains professionnels formulent l’hypothèse d’une volonté délibérée des adolescents de refouler l’expression de leur éventuel mal-être afin, dans certains cas, de ne pas ajouter aux propres fragilités que trahissait le comportement de leurs parents.

Tous identifient en revanche des signaux de détresse et de souffrance psychologiques apparus après la levée du premier confinement.

Certes, les statistiques disponibles ne rendent pas compte – comme anticipé – d’une recrudescence des suicides dans l’ensemble de la population et chez les jeunes. Néanmoins, suivant les déclarations publiques de M. Guillaume Vaiva, chef de service en psychiatrie adulte au Centre hospitalier universitaire de Lille et vice-président du Groupement d’études et de prévention du suicide ([38]), on observe une baisse des suicides à l’automne moins nette que remarquée au cours du premier confinement. En outre, M. Vaiva évoque des propos et des conduites suicidaires exprimés de manière inédite par des jeunes de dix à vingt-cinq ans et des soignants.

De récentes informations parues dans la presse ([39]) font par ailleurs état de chiffres inquiétants. M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert-Debré, situé dans le nord-est de Paris, a adressé un message d’alerte à l’agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et aux autorités sanitaires, alors que les tentatives de suicide chez les mineurs de moins de quinze ans enregistrées dans son établissement en septembre-octobre ont doublé par rapport à la même période de 2019, passant de 20 à 40. Selon un tableau de bord de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) du 19 novembre recensant l’activité hors-Covid-19 des 39 hôpitaux – majoritairement franciliens – du groupe, les hospitalisations en pédiatrie pour raisons psychiatriques augmentent depuis août. Elles se situaient fin octobre à 3 600, contre 2 400 un an plus tôt, soit une hausse de 50 %.

Mme Catherine Lacour Gonay a également évoqué l’existence pendant le confinement de cas de décompensation psychotique (schizophrénie, hallucinations auditives), tout en soulignant qu’il ne s’agissait pas de nouvelles pathologies, mais que la crise sanitaire pouvait accentuer celles qui existaient ; elle a également cité l’augmentation de la consommation de cannabis, pour ceux qui en disposaient, ou bien le sevrage de ceux qui ne parvenaient plus à s’en procurer pendant le confinement, avec des syndromes de sevrage et l’émergence de ce que pouvait masquer la consommation de cannabis, notamment des troubles anxieux importants.

En ce qui concerne plus spécifiquement les étudiants, les éléments communiqués par les représentants de l’association Nightline, qui propose aux étudiants une permanence d’écoute nocturne, fournissent un autre indice de la hausse des besoins motivés par des vulnérabilités accrues à raison de la crise.

Ils donnent à penser que la prise en charge par les services de santé universitaires se heurtent à une saturation de leurs capacités d’accueil. Pour sa part, l’association a fait état publiquement d’un maintien des demandes reçues par ses antennes à un niveau très important depuis la rentrée universitaire, avec une augmentation de plus de 40 % des appels reçus ([40]).

Les déclarations publiques de représentants de La Fondation santé des étudiants de France et du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants (Resppet) quant à la hausse très nette des consultations depuis la rentrée 2020 donnent à penser que nous assistons à l’expression de besoins durables.

De fait, les réponses apportées dans le cadre de l’étude réalisée par le Centre national de ressources et de résilience (CNRR) auprès des universités françaises ([41]) tendent à montrer des facteurs de souffrance psychologique pendant le premier confinement : 27,5 % des étudiants ayant participé à l’enquête déclarent un haut niveau d’anxiété, 24,7 % un stress intense, 22,4 % une détresse importante, 16,1 % une dépression sévère, et 11,4 % des idées suicidaires.

L’étude tend à prouver que les étudiantes sont les plus touchées. Parmi les facteurs de risque exposant les étudiants à des formes de souffrance psychologique pendant le confinement, on trouve aussi :

– la précarité (en conséquence d’une perte de revenus subie ou anticipée) ;

– des conditions de logement médiocres ;

– des antécédents psychiatriques ;

– des symptômes compatibles avec le Covid-19 ;

– l’isolement social ;

– la qualité médiocre de l’information accessible sur la situation sanitaire.

Par ses résultats, l’enquête menée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) ([42]) fournit une autre illustration du rôle joué par l’isolement et la perte des relations sociales. En effet, il en ressort que la moitié des étudiants ont déjà souffert de solitude ou d’isolement pendant le premier confinement et que 31 % d’entre eux (soit près d’un étudiant sur trois) ont présenté les signes d’une détresse psychologique.

Au cours de son audition, M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, a affirmé vouloir « consacrer de l’énergie et du temps » au sujet de la santé mentale des jeunes et, notamment, celle des adolescents.

Au vu des conséquences de la crise sanitaire sur le bien-être moral des enfants, adolescents et jeunes adultes, l’organisation d’une prise en charge efficace des fragilités et détresses psychiques de cette classe d’âge constitue en effet une priorité nationale.

2.   Des séquelles possibles dans le développement personnel des jeunes

La Commission d’enquête ne saurait dresser un inventaire exhaustif des incidences de la crise sanitaire sur la construction de la personnalité et le bon développement des jeunes. Les auditions menées l’incitent toutefois à accorder une attention particulière à deux conséquences de la crise sanitaire dont on ne mesure pas totalement les implications, notamment pour ce qui est des jeunes enfants.

● Le premier sujet de préoccupation a trait aux conséquences d’un éloignement des jeunes enfants d’avec certains membres de la famille élargie, notamment les grands-parents, ainsi qu’à l’impact des deuils causés par la crise sanitaire.

Dans l’optique contemporaine des disciplines relatives au développement de l’enfant, les grands-parents se voient en effet reconnaître le rôle de figure d’attachement. Ils peuvent occuper une place importante dans la construction de l’enfant en ce qu’ils peuvent lui donner la possibilité de tisser un autre rapport que celui entretenu avec les parents, qui incarnent l’autorité. Pour certains auteurs, les grands-parents offrent également des références plus stables par rapport à des parents qui travaillent et, parfois, se séparent.

La crainte de la contagion et l’application de strictes mesures sanitaires (telles que la restriction du nombre des participants aux réunions privées ou des visites dans les EHPAD) ont pu conduire, depuis le déclenchement de la crise épidémique, à un desserrement des liens avec cette génération. L’absence de rencontres avec les grands-parents peut être mal ressentie par les enfants, suivant le rôle que ces derniers jouent auprès d’eux.

L’impossibilité pratique d’accomplir tous les rituels du deuil lors de la crise peut exposer les jeunes à des difficultés et à une remise en cause. Mme Hélène Romano a souligné le fait qu’« un événement traumatique comme un deuil provoque une perte de repères et de continuité […] ». D’après son analyse et les études dont elle a fait état, « le fait de ne pas avoir pu voir le corps de la personne décédée, ni d’avoir participé aux funérailles, peut rendre le deuil plus douloureux ». Ce constat a déjà pu être établi pour des adultes et des enfants en des circonstances plus ordinaires.

En conséquence, l’éloignement d’avec les grands-parents et les difficultés à faire le deuil en famille en cas de décès pourraient créer des traumatismes chez les enfants. Suivant l’opinion exprimée par M. Yann Renault, vice-président Éducation populaire du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP), l’impact psychologique sur les enfants mériterait sans doute une évaluation.

L’on peut toutefois ajouter, dans un sens favorable cette fois, que face à l’angoisse de mort véhiculée par l’épidémie, le message transmis sur l’importance de la vie de chacun pendant la crise sanitaire a été très positif. Comme l’a souligné Mme Catherine Lacour Gonay : « nous avons donné un formidable message à nos enfants et adolescents : la vie peut être un critère d’importance absolue, supérieur à tous les autres enjeux, qu’ils soient économiques ou autres. Ils ont vraiment pris à leur compte cette dimension éthique : la vie des personnes âgées, des personnes vulnérables, a de l’importance. On leur a transmis qu’il y a une responsabilité sociétale, et qu’ils sont eux-mêmes responsables. »

 Le second motif d’interrogation porte sur les conséquences du port du masque sur le développement des fonctions cognitives et des apprentissages. En effet, sa généralisation occasionne manifestement des difficultés non négligeables pour des publics dont le développement repose sur des interactions.

Ce besoin s’avère essentiel, en premier lieu, pour les bébés et les enfants faisant l’apprentissage du langage. Selon Mme Natacha Collomb, secrétaire nationale de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale, « le regard est précieux, mais sans une partie du visage, l’interaction est plus difficile. » Voir le visage des personnes influe sur le développement, la construction et l’apprentissage de la communication des tout-petits.

Pour les enfants de maternelle et de cours préparatoire (CP), le port du masque complique l’apprentissage de la lecture et de l’expression orale. D’après le témoignage de Mme Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU), face à un adulte masqué, un enfant de maternelle risque d’ignorer les messages qui lui sont adressés dans la mesure il entend un bruit sans en identifier la provenance. Ainsi, « il est extrêmement difficile de mobiliser les enfants avec la voix et les gestes sans le support des expressions du visage. En CP, c’est également une difficulté que rencontrent les enseignants pour l’apprentissage de la lecture. »

Le port du masque peut également mettre en cause la bonne intégration des enfants en situation de handicap, malentendants ou autistes.

D’une part, son usage ne va pas de soi pour certains enfants, adolescents ou jeunes adultes en situation de handicap. Suivant le signalement de Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, pour les enfants atteints de troubles autistiques, « même s’ils ont de bonnes capacités cognitives, ils étouffent et font des crises anxieuses. » D’autres ne comprennent pas l’usage des masques et les privent de toute utilité en les triturant ou en ne les gardant pas.

D’autre part, les modalités du port du masque pour certains jeunes en situation de handicap paraissent tributaires de la politique des établissements. D’après le récit de Mme Langloys, la compréhension des principaux et des proviseurs peut varier assez considérablement. Certains élèves et leurs familles ont ainsi été sommés de choisir entre le respect strict de l’ensemble des mesures sanitaires et l’exclusion, notamment au lycée. À l’inverse, dans certains collèges et lycées, des aménagements ont pu être négociés qui permettaient aux élèves, par exemple, de sortir toutes les heures pour respirer dans la cour de récréation ou de ne porter le masque que dans les couloirs, et pas dans les classes.

On rappellera cependant que dans le cadre des confinements et à la levée de l’état d’urgence sanitaire, le droit applicable admet bien une dérogation au port du masque au bénéfice des personnes en situation de handicap, sous réserve d’un certificat médical ([43]).

À l’évidence, ces multiples témoignages démontrent la nécessité de favoriser dans les meilleurs délais la mise à disposition et l’usage des masques dits « inclusifs » ([44]).

Ainsi que certains membres de la Commission d’enquête ont pu en faire le constat, ces dispositifs restaient assez peu utilisés à la rentrée scolaire, compte tenu des difficultés d’approvisionnement et, parfois, de leur coût pour les familles.

D’après les éléments communiqués par Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, le Comité interministériel du Handicap (CIH) et la Direction générale de l’Armement (DGA) se sont employés depuis le mois de mai 2020 à accélérer les procédures d’homologation des produits disponibles. L’État a noué des partenariats avec une start-up et des entreprises adaptées (avec le concours de l’association APF France Handicap) afin d’accélérer la production de masques « inclusifs ». D’après les chiffres évoqués par la secrétaire d’État le 1er octobre dernier, la production mensuelle dans les entreprises adaptées atteindrait les 500 000 unités (contre 10 000 à 20 000 à la fin du mois d’août 2020) ; l’homologation de ces masques n’est en effet intervenue qu’à la fin de ce mois d’août.

Par communiqué conjoint en date du 17 novembre 2020, le ministre des Solidarités et de la santé et le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles ont annoncé que l’État demandait à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) de financer, à titre exceptionnel, l’acquisition de trois masques transparents pour chaque professionnel des catégories de modes d’accueil concernées – à savoir ceux dans lesquels le port du masque est obligatoire en permanence : crèches, micro-crèches, maisons d’assistants maternels. À la suite de l’accord donné par le conseil d’administration de la Caisse à un financement unique et exceptionnel, 500 000 masques « inclusifs » devraient être ainsi livrés ([45]).

Selon les informations transmises par le ministère de l’Éducation nationale, une commande de 300 000 masques « inclusifs » a été passée par la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) pour un montant de 2,48 millions d’euros. Cette commande a été livrée aux académies courant octobre 2020 en deux vagues, la première de 120 000 masques et la seconde de 180 000.

Au terme de ses travaux, la rapporteure ne dispose pas d’une évaluation de l’efficacité de ces distributions. Elle estime néanmoins qu’il conviendrait d’évaluer les besoins en masques inclusifs et de développer leur usage auprès de l’ensemble des enfants, adolescents et jeunes adultes dont le développement et l’intégration pourraient être entravés par le port d’un masque classique (bébés, enfants en phase d’apprentissage du langage et de la lecture, jeunes en situation de handicap). La réalisation de cet objectif suppose également de doter toutes les personnes chargées de leur prise en charge.

Dans cette optique, une action ponctuelle telle que la distribution de 500 000 masques « inclusifs » financée par la CNAF semble insuffisante. Devant les incertitudes entourant la durée et la récurrence de la crise sanitaire actuelle, la question se pose de l’organisation durable, par l’État et les collectivités territoriales, d’une fourniture de masques inclusifs.

Propositions :

Évaluer précisément les besoins en masques inclusifs et développer leur utilisation auprès des bébés, des enfants en phase d’apprentissage du langage et de la lecture et des jeunes en situation de handicap

Envisager l’organisation d’une fourniture durable de masques inclusifs par l’État et les collectivités territoriales

C.   DES capacitÉs de socialisation ALTÉRÉES ?

À ce stade de la crise sanitaire, on ne saurait préjuger de son incidence sur le lien social et sur le regard que les enfants portent sur leur environnement, cette question méritant sans doute un certain recul que ne permet pas le ressaut de l’épidémie. Néanmoins, l’éventualité d’une distanciation sociale persistant au-delà des nécessités sanitaires ne saurait être écartée.

1.   Une crise sanitaire favorisant l’isolement et un repli sur la cellule familiale, mais aussi un resserrement des liens familiaux

De manière assez logique, les mesures de confinement adoptées par les pouvoirs publics ont eu pour effet premier de restreindre les interactions sociales. En conséquence de la fermeture des lieux de sociabilité (bars, restaurants, discothèques), de travail et d’enseignement, ainsi que des limitations apportées à la liberté de se déplacer et de se réunir, les jeunes ont été amenés à se replier sur le cercle parental ou sur leur lieu de résidence.

Les propos recueillis lors des auditions illustrent une certaine diversité et une évolution des réactions au fil du premier confinement.

 En règle générale, il semble que les enfants et les adolescents aient vécu une sorte d’« euphorie » dans les premières semaines – du fait de la possibilité de demeurer auprès de leurs parents et disposer de leur temps sans avoir à composer avec les obligations du temps scolaire. Néanmoins, le temps passant, il a pu être observé une certaine lassitude pouvant conduire à des conflits, notamment avec les adolescents.

Selon l’enquête réalisée par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), ce constat vaut pour de nombreux étudiants ([46]). 44 % des étudiants interrogés déclarent avoir quitté le logement de leur lieu d’étude. L’entourage familial (parents et, dans une moindre mesure, fratrie ou conjoint) est apparu comme un refuge pendant la crise sanitaire, puisque plus des trois quarts des étudiants ayant changé de logement, majoritairement décohabitants avant la crise, ont été confinés avec au moins un de leurs parents. Toutefois, 34 % des étudiants rapportent des difficultés d’ordre relationnel avec les personnes avec lesquelles ils ont cohabité ([47]).

Dans certains cas, les pédopsychiatres et les professionnels de la petite enfance interrogés affirment l’existence de comportements symptomatiques d’un repli sur la sphère domestique.

Comme évoqué supra, des enfants ont pu subir une désynchronisation par rapport aux différents temps qui scandent la vie ordinaire ; d’autres ont parfaitement adopté le rythme de familles qui n’en ont pas. Les pédiatres font également état de difficultés à reprendre les consultations, voire une anxiété ou une réaction phobique face à la perspective d’un retour à l’école.

À certains égards, de tels comportements peuvent évoquer le « syndrome de la cabane » popularisé par de nombreux médias, c’est-à-dire un trouble poussant les personnes qui en souffrent à ressentir – parfois à la suite d’une période prolongée d’isolement – une véritable angoisse à l’idée de sortir d’un espace clos et contrôlé. Toutefois, aucune étude n’indique à ce jour que la crise sanitaire ait pu contribuer au développement de ce syndrome.

Plusieurs professionnels de la petite enfance et pédopsychiatres notent que le confinement a pu contribuer à l’apaisement d’enfants pour lesquels les contacts avec des personnes étrangères et les sorties de l’environnement familier représentent une épreuve et une source d’insécurité. Ils constatent que la période a pu être très bien vécue par les enfants souffrant de troubles du spectre autistique qui, dans ce contexte, se sentaient protégés.

 Le confinement a été également l’occasion de resserrer les liens familiaux, et pour les parents, notamment pour les pères, de passer davantage de temps avec leurs enfants, de partager des activités qu’ils ne feraient pas d’ordinaire avec eux. Comme l’a souligné M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l’enfance, « beaucoup de parents ont tout de même trouvé un intérêt à la période de confinement, car malgré le travail et l’anxiété du moment, ils ont aussi pu reconstruire des liens de stabilité avec leurs enfants, alors qu’ils étaient traditionnellement à courir continuellement et être eux-mêmes envahis par leurs écrans, d’où très peu de disponibilité pour leurs enfants. » Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’UNAF, a également relevé : « Le confinement a montré qu’un temps avait été retrouvé, ensemble, même si des tensions ont évidemment existé. Il a aussi montré l’importance des dispositifs de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. »

Cet aspect positif du confinement est particulièrement accentué pour les tout jeunes parents. Mme Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre, a ainsi souligné cet effet positif : « lors de la proximité de la naissance, en période périnatale, un repli des parents sur eux-mêmes permet une immense disponibilité pour le bébé qui en a tout à fait besoin. »

Il importe de ne pas occulter cet aspect lorsque l’on cherche à mesurer les effets du confinement, même s’il a tendance à être éclipsé par les sujets liés à la recrudescence des violences intrafamiliales, qui ont été fortement mis en avant – et à juste titre, pour assurer la protection des enfants.

 En dernier lieu, la crise sanitaire a pu aggraver l’isolement d’étudiants se trouvant dans l’impossibilité de regagner le domicile familial ou le département d’origine.

Il en va ainsi pour des jeunes originaires des départements et collectivités d’outre-mer et accomplissant leurs études dans l’Hexagone. Au cours de l’année 2019-2020, ils représentaient un effectif estimé à 40 000 personnes. Une part d’entre eux n’a pu regagner leur territoire d’origine, faute de moyens financiers ou en raison de la fermeture des dessertes aériennes.

Il convient cependant de ne pas méconnaître l’action engagée par la Délégation interministérielle pour l’Égalité des chances des Français d’Outre-mer et la visibilité des Outre-mer. Par le biais de la plateforme « #OutremerSolidaires », la Délégation interministérielle a en effet proposé une prise en charge des coûts de retour dès avril 2020. La Commission d’enquête ne dispose pas à ce jour de statistiques actualisées quant au nombre de bénéficiaires de ce dispositif, dont la mise en œuvre procédait de l’exploitation d’un questionnaire créé en avril 2020 et destiné à recenser les situations des étudiants ultramarins dans l’Hexagone pendant la crise sanitaire.

Les étudiants étrangers ont pu connaître des situations assez similaires, et, au vu des enquêtes réalisées, apparaissent comme ceux qui ont le plus souffert de l’isolement. Néanmoins, il ressort de l’audition de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation que la France s’est efforcée de maintenir ses frontières ouvertes pendant les deux confinements, y compris vis-à-vis de ressortissants d’États où le virus circulait beaucoup. D’un point de vue juridique, l’inscription à une formation dispensée par un établissement d’enseignement supérieur en France constitue une dérogation aux restrictions à l’entrée sur le territoire national.

Au-delà, ainsi que l’a indiqué la ministre, 50 000 étudiants qui n’ont pas pu ou pas voulu rejoindre leur famille ont pu demeurer dans les logements des Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) ; ils ont bénéficié d’un accompagnement par les personnels et par les étudiants référents identifiés par les CROUS.

2.   Un usage croissant des écrans, avec des risques de dépendance, mais un outil essentiel à la continuité sociale des jeunes

 Le consensus des scientifiques appelle à une certaine vigilance sur les effets de la consommation excessive des écrans pour les enfants. Dans un avis de décembre 2019, le Haut conseil de la santé publique a mis en avant les effets négatifs qu’ils pouvaient entraîner chez les enfants, notamment chez les plus petits ([48]).

Cela pose la question de l’impact de l’augmentation de la place des écrans lors de la présente crise sanitaire. Si des statistiques précises manquent encore au sujet du temps consacré à leurs différents usages, les propos recueillis portent à conclure qu’à la faveur du premier confinement, les jeunes ont nettement accru leur consommation d’écrans.

Ce constat empirique procède des signalements apportés lors des consultations médicales. Il paraît cohérent avec des observations plus globales. Ainsi, suivant une enquête publiée en juin 2020 dans le journal JMIR Public Health and Surveillance ([49]), 64,5 % des personnes interrogées en France auraient augmenté leur consommation d’écrans. Il ressort également de ces travaux que parmi les utilisateurs ayant augmenté leur temps d’usage, 15,3 % affirment avoir éprouvé des difficultés à garder le contrôle ([50]).

Cette évolution mérite d’autant plus l’attention que les dernières études soulignent une hausse continue du temps passé devant les écrans, tant par les enfants que par les adolescents et jeunes adultes. D’après une enquête Ipsos (Junior’s connect) de 2018, les 13-19 ans passaient en moyenne 15 heures 11 minutes par semaine sur internet en 2017, soit 1 heure 41 minutes de plus qu’en 2015. Le temps passé par les 7-12 ans s’élevait lui à 6 heures 10 minutes en moyenne par semaine (soit 45 minutes supplémentaires par rapport à 2015) ; celui des 1-6 ans était estimé à 4 heures 37 minutes (soit 55 minutes de plus par rapport à 2015).

En soi, l’augmentation de la consommation d’écrans ne parait pas illogique au regard de l’équipement croissant de ces classes d’âges. D’après le baromètre numérique établi par l’ARCEP ([51]) en 2019, 90 % des 12-17 ans ([52]) possèdent ainsi un téléphone portable, contre 72 % en 2005, et 99 % des 18-24 ans.

 Sur le plan du développement personnel des enfants et des adolescents, les propos des personnes entendues tendent à mettre en exergue des effets négatifs de l’usage accru des écrans, notamment des troubles du sommeil et des manifestations d’anxiété observées en réaction à la couverture de la crise sanitaire par les médias, ainsi que des troubles du langage et de l’apprentissage chez les plus petits.

En revanche, les éléments recueillis par la Commission d’enquête ne permettent pas d’apporter la preuve d’une recrudescence de « syndromes de Hikikomori », en conséquence de la crise sanitaire. Touchant essentiellement les garçons, le syndrome désigne la propension à la désocialisation de sujets menant une existence centrée sur leur domicile, manifestant un intérêt ou un désir nuls pour l’école ou le travail et ayant souvent les jeux vidéo pour activité essentielle. La caractérisation d’un cas de Hikikomori suppose la persistance des symptômes pendant plus de six mois. D’après Mme Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, il semble que ces troubles soient l’expression d’une psychopathologie sous-jacente, et non de la consommation accrue d’écrans. Elle note que « [l]es premiers cas qui ont été décrits ne relevaient pas de l’addiction aux jeux vidéo : il s’agissait du symptôme perçu, mais au terme d’une analyse sémiologique, il s’agissait bien dans la grande majorité des cas d’un premier épisode psychotique ».

Sur le plan des relations au sein de la cellule familiale, la place nouvelle acquise par les écrans a pu mettre à l’épreuve l’autorité des parents et leurs méthodes d’éducation. En effet, certains d’entre eux ne parvenaient pas à fixer des règles admises par les adolescents à propos du temps consacré à cette activité.

Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi souligné que face à l’explosion de la consommation des écrans, les professionnels avaient beaucoup été interpellés par les parents sur des enjeux de guidance parentale : « ils nous disaient en substance : « Comment dois-je faire avec le sommeil ? Mon enfant est complètement décalé, toujours sur un écran. Mais que puis-je y opposer, je n’ai rien d’autre à lui proposer ? ». Pour les parents comme les professionnels, il a fallu repartir des compétences de chacun. Leur rappeler qu’ils étaient parents, qu’ils avaient des compétences, le droit d’émettre des règles à la maison, de fixer des règles de base sur les heures de sommeil, les heures de repas, les heures d’écran… Et leur faire imaginer des activités qu’ils pourraient faire avec leurs enfants, en ayant recours à leur propre créativité. »

 Ces constats sur les effets négatifs des écrans ne doivent pas occulter le rôle essentiel des outils numériques pour le maintien de la sociabilité des jeunes pendant le confinement, alors qu’ils étaient privés de contact avec leurs amis et leur famille plus éloignée. Grâce aux réseaux sociaux, aux applications, ils ont continué à entretenir des liens, à échanger, à partager, à jouer avec leurs amis.

Mme Lacour Gounay a ainsi indiqué : « la solitude a bien sûr été ressentie par les jeunes, mais peut-être pas autant que par leurs aînés. Les jeunes restaient connectés avec leurs réseaux. Un jeune qui va bien restait en contact, et même en hypercontact, avec les amis sur tous les réseaux. Ces contacts virtuels ont continué d’exister. (…) Ils ont imaginé des groupes WhatsApp ou autres, pour garder les liens [avec leurs grands-parents], et je crois que les grands-parents ont fait un bond technologique pendant ce confinement. »

S’ils n’ont bien évidemment pas pu remplacer les contacts directs avec leur entourage, les outils numériques ont joué un rôle essentiel pour les jeunes pour rompre l’isolement et l’ennui.

 Pour autant, la place croissante prise par les écrans et la consommation de contenus sur internet pourraient retentir de manière plus substantielle sur le rapport au monde des enfants et des adolescents. Au cours de la table ronde consacrée aux jeunes et au numérique, M. Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès, a affirmé avoir observé sur les réseaux sociaux « une explosion de discours racistes, xénophobes, violents, antisémites, islamophobes, terroristes, accompagnés par le cheval de Troie des théories du complot et du conspirationnisme » pendant le confinement. Si la crise épidémique ne peut être tenue pour la cause première de ce développement de la désinformation, elle a pu créer un contexte favorable en ce que l’enfermement chez soi, du fait du confinement, et l’absence d’autres activités, alimentaient l’enfermement intellectuel auquel peuvent pousser la fréquentation des réseaux sociaux et l’action des algorithmes. Or, ainsi que le soulignait le professeur Séraphin Alava, « internet ne crée pas de la mixité sociale mais crée l’entre-soi. En créant l’entre-soi, il isole les individus dans leur classe, dans leur groupe, dans leurs idées, dans leur appartenance ».

Ces constats militent pour un nouvel effort en faveur de la formation à l’usage des outils numériques des jeunes et des familles.

La réalisation de cet objectif passe par une sensibilisation accrue des élèves dans le cadre des programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique ». Elle implique également une sensibilisation des parents, notamment par le biais de supports informatifs ([53]).

Propositions :

Favoriser une sensibilisation des jeunes et des familles à un usage raisonné des outils numériques et d’internet

Renforcer les programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique »

Promouvoir l’exercice d’une parentalité numérique par la diffusion de supports informatifs

 L’émergence d’une culture partagée sur le bon usage des outils numériques et d’internet pourrait permettre d’apporter des réponses à des phénomènes que la crise sanitaire a pu nourrir, tels que le cyber-harcèlement et les cyber-violences.

Certes, l’évolution de l’ampleur de ces dérives sous le premier confinement ne fait pas l’objet d’une quantification précise ([54]). Le nombre des signalements recueillis par des associations fournit aujourd’hui la seule mesure chiffrée du cyber-harcèlement. L’association e-Enfance évoque ainsi une hausse de 30 % des faits pendant le confinement mais il semble que ce chiffre doive être consolidé.

L’association e-Enfance a par ailleurs présenté en novembre dernier un sondage sur les usages numériques et les cyber-violences, réalisé auprès des adolescents (10-19 ans) et leurs parents lors du premier confinement en mai dernier par OpinionWay. Elle fait ainsi état des éléments suivants : 8 % des adolescents qui ont eu accès à des classes virtuelles ont été témoins de cyber-harcèlement sur ces nouveaux espaces d’échanges. Du côté des parents, parmi les problèmes en ligne fréquemment subis par les adolescents pendant le confinement, ils évoquent les cyber-violences, avec une prééminence des insultes et une explosion des arnaques en ligne à destination des mineurs (22 %, contre 7 % hors confinement). Les principales raisons évoquées par les jeunes victimes de cyber-violences concernant leurs auteurs sont la jalousie et le physique. En revanche, ils mentionnent moins souvent la vengeance qu’en période normale (8 %, contre 22 %), mais beaucoup plus la colère (21 % contre 13 %) ; outre l’ennui généré par le confinement, la période a pesé sur l’humeur des jeunes.

Selon un constat partagé par M. Adrien Taquet et M. Vincent Dennery, directeur de la Fondation pour l’Enfance, on a pu observer au cours du premier confinement une sorte de substitution entre le cyber-harcèlement – en hausse – et le harcèlement scolaire – rendu impossible par la fermeture des établissements scolaires. Les réseaux sociaux et les messageries instantanées auraient – en quelque sorte – procuré aux harceleurs les moyens de poursuivre leurs agissements.

Plusieurs personnes interrogées par la Commission d’enquête décrivent par ailleurs la multiplication des faits de cyber-harcèlement à caractère sexuel, sous la forme de chantages ayant pour objet la publication de photos intimes sur les réseaux sociaux. Les menaces évoquées visent particulièrement les lycéennes, avec l’utilisation de comptes dits « fisha » sur la messagerie Instagram, parfois par des groupes de cyber-harcèlement.

Ces signalements recoupent en partie l’état des lieux dressé par M. Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale, et selon lequel « les infractions en lien avec la pédopornographie sur internet ont largement crû durant le confinement ».

En revanche, les raisons de cette hausse et l’effet du contexte créé par la crise sanitaire suscitent un débat. Certaines personnes entendues avancent l’hypothèse d’un simple « effet loupe » de la crise sur des phénomènes existants. M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), établit un lien entre l’augmentation de ces phénomènes et « une augmentation significative des usages et des utilisations du numérique, et de l’équipement de manière générale, des enfants et des adolescents dans notre pays ». Selon M. Vincent Le Beguec, les dangers de l’internet appellent une vigilance des parents quant à la mise en place de contrôles appropriés, notamment pour les plus jeunes.

Les parents assumeront d’autant mieux leurs responsabilités – en particulier dans le contexte d’un confinement pour cause d’épidémie – qu’ils posséderont une connaissance plus étayée des manifestations du cyber-harcèlement, de ses atteintes, et des risques de sanctions qu’il fait courir à ses auteurs. La rapporteure préconise donc l’organisation d’actions de sensibilisation des parents et des jeunes aux manifestations et risques du cyber-harcèlement.

Cette action pourrait avoir pour cadre les enseignements de l’Éducation nationale et pour support des outils d’information développés par les services publics et les associations. À titre d’exemples, peuvent être citées les actions de communication de la police et de la gendarmerie nationales ([55]) destinées à alerter les parents, par le biais d’internet et des réseaux sociaux, sur les risques de cyber-violences et de cyber-harcèlements dont les enfants peuvent être victimes.

Proposition : Sensibiliser les jeunes et les familles aux manifestations et aux risques des cyber-harcèlements et des cyber-violences sur internet

II.   une occasion de revisiter de fond en comble la place des jeunes au sein des politiques publiques

A.   Un discours culpabilisant, aux conséquences à long terme incertaines

1.   Un récit qui fait de l’enfant et du jeune un coupable potentiel

Au cours de la première comme de la seconde vague épidémique, les enfants et les jeunes ont régulièrement été mis en cause comme principaux vecteurs de la transmission du virus. Pourtant, comme vu supra, cette maladie n’est pas une maladie pédiatrique au sens virologique du terme. Le virus infecte très peu les jeunes enfants, et d’autant moins qu’ils sont jeunes.

Plusieurs journaux ont assimilé les établissements scolaires et les universités à de « véritables bombes à retardement ([56]) ». D’ailleurs, les écoles ont été fermées dans les zones de forte circulation du virus au tout début mars, soit avant le confinement général qui n’a été instauré qu’à compter du mardi 17 mars. Un certain nombre d’enfants ont intégré l’idée selon laquelle la circulation du virus était de leur responsabilité et se sont sentis très dangereux pour leurs parents, et surtout pour leurs grands-parents, dont ils avaient compris qu’ils étaient à risque. Cela a pu susciter chez eux une très forte anxiété, voire une angoisse.

À la fin du mois de septembre 2020, d’autres médias, se fondant sur le bulletin hebdomadaire de Santé publique France ([57]), ont dessiné une catégorisation des clusters où les établissements scolaires et universitaires sont apparus, avec 32 % d’entre eux, comme les principaux lieux de contamination. Enfin, les médias se sont fait les échos de plusieurs fêtes clandestines regroupant parfois un nombre important de jeunes sans distanciation sociale, ni gestes barrières évidemment.

Ces reportages et sujets journalistiques récurrents ont dessiné l’image d’une jeunesse insouciante, hédoniste et irresponsable. Cette image est d’autant plus insupportable pour une majorité des jeunes qu’elle ne correspond pas à leur vécu actuel, fait de privations et de restrictions.

Les journalistes se sont dotés de leurs propres outils pour effectuer les choix déontologiques nécessaires. Il n’est évidemment pas question de leur imposer une ligne éditoriale. Subsiste toutefois l’impression que la présentation univoque d’une jeunesse irresponsable, selon un discours parfois empreint de paternalisme, ne correspond pas aux réalités constatées au quotidien, ni au travers des auditions de la commission d’enquête. Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice d’une Maison d’enfants à caractère social (MECS), a par exemple souligné que leur « première excellente surprise au début de la crise » a été le « respect du confinement de façon quasiment immédiate et facile » par les jeunes hébergés dans l’établissement ; elle a ainsi indiqué : « alors qu’ils n’étaient pas inquiets pour eux, le discours sur la mise en danger possible des autres a été extrêmement efficace. Nous avons pu constater l’empathie, la citoyenneté de nos jeunes dès les premiers jours ».

Les médias n’ont parfois fait que relayer la parole institutionnelle ou y ont fait écho. À titre d’exemple, toujours au mois de septembre, une vidéo du ministère de la santé montrant une fête d’anniversaire d’une mère de famille embrassée par ses enfants et se terminant par l’hospitalisation de celle-ci, n’a pu échapper à aucun Français. Comme le soulignait Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie, devant la commission : « ce mode de communication n’aidera pas nos concitoyens à traverser les mois qui viennent. Il est donc urgent de lancer une communication qui ne reposerait pas sur la peur mais qui chercherait à responsabiliser chacun d’entre nous et sans stigmatiser les jeunes en leur procurant un sentiment de culpabilité à l’égard du malheur qui pourrait frapper leurs aînés. »

Cette communication gouvernementale, relayée et amplifiée par les médias, fait principalement appel à la responsabilité individuelle. Le corollaire de la responsabilité individuelle est bien évidemment la culpabilisation de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas respecter les règles édictées. Le message subliminal est par conséquent une culpabilisation de chacun pour les victimes de la pandémie dont le nombre a été énuméré chaque soir par les responsables politiques et administratifs.

Évidemment, la responsabilité individuelle est d’autant plus difficile à exercer que l’on est jeune. Or le poids moral a pesé sur chacun quel que soit son âge, et plus encore sur les plus jeunes présentés a priori comme irresponsables. Ce poids moral a pu toucher les jeunes dès lors qu’ils ont eu le sentiment de s’écarter de ce qui était attendu d’eux.

En définitive, les condamnations fréquentes des comportements jugés répréhensibles ou trop légers des jeunes ont installé l’idée qu’ils étaient par essence irresponsables, qu’ils ne faisaient pas suffisamment preuve d’empathie vis-à-vis de leurs parents ou de leurs grands-parents. Par ailleurs, les pédopsychiatres qu’a entendus la commission d’enquête ont fait part de cas où les enfants se sont sentis responsables de la mise en danger de leurs parents vulnérables par le seul fait d’aller à l’école. Mme Andréa Soubelet, psychologue et psychothérapeute, a ainsi cité l’exemple de jeunes patients dont les parents souffrent de troubles chroniques : « Les enfants ont conscientisé le risque et, par volonté de protéger le parent, manifestent un refus scolaire. Certains enfants ne sont pas retournés à l’école pour protéger leurs parents. »

Le discours de responsabilisation trouve là ses limites.

2.   Les dangers d’un discours culpabilisant

Il est évidemment trop tôt pour mesurer les effets de ce discours culpabilisant sur la jeunesse. Toutefois, un discours culpabilisant conduit l’enfant et le jeune à devoir lutter contre une partie de lui-même, de ses penchants, présentés par le discours comme mauvais ou à tout le moins inappropriés. Cette lutte interne vise à faire de l’enfant une meilleure personne, capable de respecter les règles édictées.

La gestion de ce sentiment conduit à un certain nombre de réactions : colère, déprime, comportements erratiques de tous ordres… Ce mal-être peut avoir des conséquences sur le long terme, surtout lorsqu’il apparaît chez des enfants vivant des situations difficiles par ailleurs.

En effet, les pédopsychiatres que la commission d’enquête a auditionnés ont fait part du fait que les difficultés les plus grandes ont été observées chez les enfants qui ont connu des catastrophes dans leurs familles – décès d’un proche ou autres bouleversements dus ou non au Covid-19. Mme Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre, a ainsi présenté le cas d’un jeune patient qui est ressorti pour la première fois de chez lui le jour de la rentrée des classes. Mme Hélène Romano, psychologue clinicienne, a également fait état du cas d’un jeune garçon dont le père était décédé. « On a expliqué à la mère que l’enfant était probablement porteur du virus, ce qui a été traduit hâtivement par : « L’enfant a tué son père » ! Le courtcircuitage élaboratif peut être violent chez une personne seule. »

En définitive, comme l’a rappelé Mme Catherine Lacour Gonay, membre du conseil d’administration de la SFPEADA, il faut faire confiance au sens de la responsabilité des jeunes et des adolescents : « Certains adolescents vont se faire tester avant de rendre visite à leurs grands-parents. Les faire culpabiliser était vraiment délétère. Nos jeunes ont des projets de société, il faut leur laisser rencontrer d’autres jeunes, prendre leurs risques en toute conscience s’ils le peuvent. Bien sûr, on a un devoir de protection, mais il faut leur laisser aussi un peu de liberté : c’est fondamental pour les adultes qu’ils deviendront et pour notre société. »

B.   une parole des enfants et des jeunes qui peine à être recueillie et accueillie, en l’absence de communication adaptée à leur égard

L’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 (CIDE) stipule : « 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. 2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale. »

Mme Claire Hédon, défenseure des droits, précise dans son rapport annuel 2020, la portée qui doit être donnée à ces stipulations : « Pour que la participation des enfants ne soit pas « décorative », elle doit être préparée, s’accompagner des conditions d’une expression libre, et s’inscrire dans le circuit décisionnel. ».

1.   La verticalité, une méthode qui trouve ses limites, un manque de lieux d’échange et d’écoute

a.   Une gestion en silos qui privilégie l’urgence

L’organisation politique et administrative privilégie les approches verticales. L’administration centrale travaille de manière privilégiée – lorsque ce n’est pas de manière exclusive – avec ses directions régionales et locales et peine à associer les autres acteurs. La crise sanitaire que nous vivons a encore accentué ces travers.

À titre d’exemple, Mme Pauline Spinas-Beydon directrice de la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Jean de Sannois, a fait part à la commission de son incompréhension, durant le premier confinement, face à la suspension des droits d’hébergement des jeunes enfants placés, qui sont en quelque sorte en garde alternée entre le foyer parental et l’établissement. En effet, l’absence de concertation avec les acteurs de terrain, le sentiment d’urgence et in fine la méthode verticale ont conduit à « oublier » les enfants de la protection de l’enfance. Le déplacement des parents divorcés ou séparés pour conduire les enfants d’un foyer à l’autre était considéré comme un motif légitime de sortie, mais pas celui visant à venir chercher son enfant placé en institution. Plusieurs exemples ont été donnés d’enfants qui n’ont pas pu voir leur famille durant cette période.

b.   Une méthode qui relègue les jeunes dans l’angle mort

Cette absence de concertation est particulièrement préjudiciable dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, pour lequel la complémentarité et le travail en synergie sur tous les sujets sont importants, et qui mobilise un grand nombre d’acteurs. Une absence de concertation suffisante entre les ministères, entre les équipes qui travaillent dans le champ scolaire, dans le champ de la protection de l’enfance, du soutien à la parentalité, sur les questions sanitaires et médico-sociales, peut rapidement générer des situations inextricables ou conduire à passer à côté de véritables dangers.

Si la concertation entre les acteurs travaillant avec les enfants et les jeunes est insuffisante, la situation est encore plus critique concernant la concertation avec les jeunes eux-mêmes.

L’ensemble des organisations de jeunesse que la commission a pu auditionner ont fait part d’un défaut criant d’écoute et de concertation. Elles ont précisé que la crise du Covid-19 a été l’illustration de la concentration des pouvoirs entre les mains de quelques personnes au motif de la situation de crise. Mme Nelly Vallance, présidente du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), a ainsi souligné : « sous le prétexte de cet état d’urgence, les décisions sont portées par un groupe restreint et nous avons noté l’absence de travail avec les corps intermédiaires pour construire des réponses adaptées et diversifiées. » M. Yann Renault, vice-président du CNAJEP, a aussi indiqué : « Les associations de jeunesse et d’éducation populaire sont aujourd’hui toujours motivées, toujours présentes, mais elles sont sans doute un peu fatiguées. Elles sont fatiguées parce qu’il a fallu confiner, fatiguées parce qu’il a fallu déconfiner, fatiguées parce que des concertations ont eu lieu qui n’avaient de concertation que le nom. Ceci n’a pas donné lieu à un vrai travail commun avec la puissance publique, notamment pour préparer l’été ».

Le manque de prise en compte de l’expression des enfants et des jeunes provient en partie de difficultés pour les adultes à reconnaître un intérêt aux idées et aux perceptions de l’enfant, le droit pour les enfants d’être entendus n’étant pas une considération primordiale pour l’ensemble des adultes, a fortiori en temps de crise où le temps d’écoute est considéré comme du temps perdu.

La culture décisionnelle française reste encore grandement celle d’une décision se prenant par un nombre restreint de personnes dans le but de la rendre la plus efficace et cohérente possible. Les jeunes sont les premières victimes de ce déficit de dialogue et de concertation.

c.   Des structures qui existent mais qui peinent à trouver leur place

Plusieurs structures de recueil de la parole des jeunes existent néanmoins mais elles n’ont été que peu utilisées durant la crise sanitaire.

Placé auprès du Premier ministre, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) a été créé par le décret n° 2016-1377 du 12 octobre 2016. Celui-ci en fixe les missions, la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement.

Le rôle du COJ va au-delà de l’évaluation des politiques de jeunesse et de la consultation facultative sur les projets législatifs ou réglementaires à l’initiative du Premier ministre ou du ministre chargé de la jeunesse. Il dispose en effet aussi d’un pouvoir d’initiative, pour adresser au Gouvernement toutes propositions relatives aux politiques publiques de jeunesse et d’éducation populaire

Le COJ ne s’est réuni qu’une seule fois en formation plénière depuis le 17 mars, soit le 14 octobre 2020 ([58]). Les commissions thématiques se sont quant à elle réunies une dizaine de fois. Le COJ n’a en tout état de cause pas permis de porter la parole des jeunes dans le débat public, soit qu’il n’ait pas été saisi par les autorités, soit qu’il n’en ait pas pris l’initiative lui-même. De façon générale, les réunions plénières du COJ ont été très espacées depuis sa création.

Au niveau local cependant, certaines synergies ont pu être créées grâce à un plein investissement des dialogues structurels régionaux permettant de co‑construire les politiques de jeunesse au niveau régional, avec les jeunes, dans ces processus regroupant les conseils régionaux, les directions régionales, les organisations de jeunesse. La région Bretagne a fait preuve d’originalité dans ce domaine, notamment en mettant en place un observatoire régional de la jeunesse.

Enfin, le lieu dédié à la prise en compte de la parole des jeunes devrait être le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les organisations étudiantes et mouvements de jeunesse y sont présents depuis deux mandats. Il est important que les organisations de jeunes ne disparaissent pas du CESE lors des prochains mandats et surtout que leur apport soit davantage mis en avant au sein de l’institution. Le rapport reviendra plus spécifiquement sur ce point dans la partie IV.

Il reviendra également sur la nécessité de mieux utiliser le Conseil national de la vie lycéenne (CNVL), instance consultative placée auprès du ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

d.   Une parole qui ne doit pas être ignorée ou disqualifiée lorsqu’elle ne rejoint pas l’attendu

Les jeunes ont subi de plein fouet la crise du Covid-19. Leur donner la parole et, plus que la parole, leur donner l’occasion de co-construire les réponses avec les pouvoirs publics est essentiel pour cette génération que l’on commence déjà à appeler « la génération confinée ».

Les jeunes ont pris leur part dans les actions de solidarité durant le confinement, ils ont respecté les gestes barrières, ils se sont confinés comme leurs aînés. Ils ont une expérience à faire valoir, une parole à exprimer.

Cette parole doit être accueillie. Le vécu et l’expérience de la jeunesse ne peuvent pas être disqualifiés par des arguments d’autorité. Le récent rapport de la défenseure des droits sur la prise en compte de la parole de l’enfant ([59]) rappelle que cette négligence a encore plus d’effets sur les enfants en difficulté : « Les conséquences d’une privation de ce droit sont d’autant plus fortes que la vulnérabilité de l’enfant qui la subit est grande. Pour un enfant en situation de grande pauvreté, la non-considération de sa parole viendra s’ajouter à la dépossession de leur pouvoir d’agir que subissent ses parents, si bien que les décisions prises à son encontre ont toutes les chances d’être dénuées de pertinence et d’ancrer un peu plus profondément sa vulnérabilité ».

Le même rapport ajoute que : « La réticence des adultes à écouter un enfant peut […] résulter d’une crainte ou d’un sentiment d’illégitimité à entendre et à recevoir sa parole. […]. Par conséquent, le manque de connaissance, d’information, de formation, de considération, de moyens et de temps témoigne d’une forme d’indifférence à l’égard de la parole de l’enfant qui, n’est pas intégrée dans les habitudes, ne fait pas partie des projets et ne constitue pas une obligation pour les adultes. ». Il en résulte que lorsqu’elle est exprimée, la parole des jeunes n’est prise en compte que si elle rejoint l’attendu et a tendance à être disqualifiée comme illégitime en cas de divergence avec les propos qui sont attendus.

2.   L’insuffisance de messages adressés aux enfants et aux jeunes, la possibilité d’utiliser leurs propres canaux de communication

● Si le recueil de la parole des enfants et des jeunes est insuffisant, la parole qui leur est directement adressée, avec un langage adapté, est quasi inexistante, et cela a été particulièrement marquant durant la crise sanitaire.

Pire, le décompte des décès tous les soirs par le directeur général de la santé, avec trop souvent, une télévision allumée dans le salon sans intermédiation parentale – les parents étant eux-mêmes affectés par les effets de la crise sanitaire –, qui diffusait en boucle des informations sur l’épidémie, était anxiogène et a pu avoir des conséquences graves auprès des plus fragiles des enfants et des jeunes. Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également rappelé que « les enfants ont été confrontés aux spots destinés aux adultes, qui pouvaient s’avérer extrêmement angoissants pour eux. Ces mêmes spots figurent encore dans les programmes de jeunesse. Ils peuvent même être diffusés entre deux dessins animés destinés aux enfants en bas âge. »

L’Unicef a pourtant alerté sur les effets de la communication anxiogène. L’organisation onusienne a préconisé « l’honnêteté et la franchise sur la situation » mais a également recommandé de présenter « les solutions possibles » sans « laisser l’enfant seul devant les chaînes d’information en continu, ce qui pourrait accroître son anxiété ».

 Comme l’a souligné Mme Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique, « les enfants ont été les grands oubliés de l’information et de la communication pendant la crise sanitaire. Dans d’autres pays, comme au Danemark, en Islande ou en Norvège, les responsables politiques (ministres en charge de l’éducation, présidents, etc.) se sont adressés aux enfants ». Ces pays ont élaboré une communication avec l’enfant sur les causes et les conséquences d’une éventuelle contagion. Les premières ministres danoise, Mme Mette Frederiksen, et norvégienne, Mme Erna Solberg, ont toutes deux organisé une séance de questions-réponses exclusivement réservée aux enfants, et cette démarche était attendue et a été saluée dans les deux pays. Mme Hélène Romano a ajouté : « cela ne réclamait pas beaucoup de temps d’expliquer aux enfants pourquoi ils étaient confinés, puis déconfinés. En France, des informations étaient transmises aux parents, à charge pour ces derniers d’expliquer la situation à leurs enfants alors qu’eux-mêmes ne savaient pas exactement ce qu’était un virus, ce qu’était cette maladie en particulier. »

Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, a également abondé en ce sens : « Une information claire et précise, adaptée à l’âge et aux situations de vulnérabilité des enfants et des jeunes, aurait été souhaitable. (…) Ce problème renvoie au droit des enfants à recevoir une information appropriée, c’est-à-dire précise, exacte et accessible. Cela permettrait notamment de lutter contre les fausses informations, auxquelles sont notamment confrontés les adolescents. L’enquête menée au mois de mai par la commissaire suédoise aux droits des enfants montre que 70 % d’entre eux ont besoin d’une information adaptée. »

En France, il a fallu attendre le mois d’octobre pour que le Président de la République affirme qu’il n’est pas facile d’avoir 20 ans en 2020 après bien des spots, et une communication en général, beaucoup trop anxiogènes.

● La rapporteure préconise de faire évoluer les campagnes de communication dans le cadre des telles crises, en déployant des messages ciblés, à destination des enfants, d’une part, et des adolescents et jeunes adultes, d’autre part. Ces campagnes doivent s’inscrire dans une approche positive, sans jouer sur la peur ou la culpabilisation, qui, de l’avis de toutes les personnes entendues, ne sont pas des ressorts efficaces ; elles doivent utiliser des mots et un langage adaptés aux enfants et aux jeunes, en diffusant des messages clairs, porteurs d’explications, mobilisateurs, qui rassurent plutôt qu’ils ne stigmatisent.

Par ailleurs, et particulièrement pour les adolescents et les jeunes adultes, le choix du vecteur du message est essentiel : pour atteindre les jeunes, il est nécessaire de passer par les moyens d’informations qu’ils utilisent, notamment les réseaux sociaux, au-delà des médias traditionnels que sont la télévision et la radio.

Propositions :

Modifier les campagnes de communication, aujourd’hui trop axées sur la peur et la stigmatisation ; ne pas axer les messages uniquement sur les interdictions

Recourir à des messages ciblés, clairs et utilisant un langage adapté, en direction des enfants et des jeunes

Utiliser davantage les vecteurs de communication utilisés par les adolescents et les jeunes adultes

C.   une société qui appréhende difficilement les questions de jeunesse, mais encline à s’interroger sur la jeunesse

Notre pays ne prend pas suffisamment en compte sa jeunesse. Il compte souvent sur sa résilience naturelle. La jeunesse serait plus encline à se reconstruire dès lors qu’elle serait encore en construction. Pourtant, les traumatismes de l’enfance peuvent s’enkyster à l’âge adulte et générer toutes sortes de pathologies, et ce d’autant plus que le contexte dans lequel vit la jeunesse depuis plusieurs années contribue à saper sa confiance dans l’avenir.

De plus, c’est la jeunesse la plus fragile qui subit en priorité les difficultés inhérentes à la crise sanitaire. M. François Salomé, président de Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) l’a clairement affirmé : « Cette période a été une épreuve pour beaucoup. Elle est venue perturber et parfois mettre en péril la vie des jeunes, en particulier celle des jeunes du milieu ouvrier et des quartiers populaires. Bien sûr, ils ne sont pas les seuls à avoir été affectés, mais leur situation habituellement précaire leur a fait prendre de plein fouet les changements liés au confinement. »

1.   Un contexte insécurisant depuis plusieurs années insuffisamment pris en compte

Chez un enfant encore plus que chez l’adulte, un événement traumatique provoque une perte de repères et de continuité. Le sentiment de normalité s’évanouit.

Le confinement, le déconfinement puis le reconfinement et enfin son allègement sans horizon précis sont aussi des événements traumatiques pour les enfants et même pour certains adultes, car le sentiment de sécurité et de protection disparaît. Une ou plusieurs ruptures de la continuité interviennent. Cela est susceptible d’entraîner des répercussions. Mme Hélène Romano, docteur en psychologie clinique, a parlé de « fracture de vie » lors de son audition par la commission d’enquête.

L’évènement traumatique que constitue la pandémie l’est d’autant plus qu’il survient dans un contexte déjà relativement insécurisant pour les enfants, notamment ceux vivant dans les grandes villes. Les enfants de Paris, Lyon ou Nice ont connu des attentats et ont dû apprendre à vivre dans un climat d’insécurité croissant. S’ajoutent à cela le contexte écologique, avec la perspective des effets du réchauffement climatique, et les autres difficultés d’ordre économique et social. Le taux de pauvreté des enfants est de 20 %. Avant même le déclenchement de l’épidémie, les enfants étaient déjà soumis à un contexte relativement angoissant. La confiance en l’avenir de la société française était ébranlée.

Les difficultés d’adaptation du discours politique et médiatique à la réalité vécue n’ont fait qu’accentuer l’affaiblissement de cette confiance dans l’avenir et dans la parole de l’adulte. En effet, les nouvelles relayées par les médias sont évolutives. Les décisions politiques ont été ajustées au jour le jour face à une maladie qui était encore méconnue au printemps 2020. Les conseils prodigués par les professionnels de santé changent en fonction de la connaissance du virus. Ces informations contradictoires sont diffusées en continu par les chaînes d’information. Ce qui relevait jusqu’ici d’un débat d’experts est exposé sans filtre sur la place publique et donc mis à la disposition des enfants.

Par ailleurs, les enfants, outre leur propre vécu d’un événement traumatique, sont extrêmement sensibles à la réaction des adultes. Lorsque les parents, les enseignants et les professionnels ne sont pas sereins, leur anxiété rejaillit sur les enfants, et la situation peut être compliquée à gérer pour eux. La notion de protection est fondamentale du point de vue psychique.

2.   Des mesures affectant les enfants pendant la crise et lors du retour à l’école

Des cas de discrimination envers les enfants ont été constatés dès le premier confinement de mars 2020. Ces discriminations ont été justifiées par l’impératif sanitaire qui l’a emporté sur tous les autres principes, notamment l’intérêt supérieur de l’enfant.

À cet égard, le cas d’enfants accompagnant leurs parents et interdits d’accès aux grandes surfaces a été le plus révélateur. Le Défenseur des droits a indiqué avoir reçu des dizaines de réclamations individuelles et de nombreux signalements téléphoniques : cette situation s’est la plupart du temps produite pour des femmes seules élevant des enfants en bas âge, mais l’on peut supposer que ces mesures discriminatoires ont touché beaucoup plus de cas. Cette interdiction constitue « une atteinte au droit de l’enfant à être protégé », a estimé le Défenseur des droits dans un communiqué daté du 8 avril 2020. Il a ajouté que « contraindre un parent à laisser son enfant seul à l’extérieur d’un magasin, ou seul auprès d’un adulte qu’il ne connaît pas, constitue une atteinte au droit de l’enfant à être protégé contre toute forme de violence » ([60]).

Les personnes entendues ont également souligné que les mesures sanitaires très restrictives, notamment celles retenues lors du déconfinement, ont pu constituer également des formes de maltraitance à l’égard des enfants. Mme Nathalie Vabres, pédiatre au CHU de Nantes, a ainsi souligné : « Nous avons tous des témoignages pour nos petits patients et, dans notre entourage, des enfants qui vivent des choses contraires à leurs droits et à leurs besoins fondamentaux, sous le prétexte de mesures de protection vis-à-vis du Covid-19 qui n’ont pas un substratum scientifique. » Elle a illustré son propos d’un exemple concret : « Par exemple, à la reprise de l’école, un garçon de 7 ans n’avait pas de couverts pour son pique-nique à l’école et aucun adulte ne lui a prêté de couverts. Cela peut paraître tout bête, mais il a fait pipi dans sa culotte l’après-midi alors que cela ne lui était jamais arrivé. Le soir, quand il est rentré, il n’a pas pu expliquer ce qui s’était passé. Il n’a pas osé manger avec ses doigts et aucun adulte ne lui a prêté de fourchette alors que nous savions largement à cette période qu’il suffisait de laver la fourchette sans que cela ne pose problème. »

Elle a alors souligné les risques associés à ce type de petites « maltraitances », commises sans volonté de nuire bien évidemment : « Pour l’enfant choyé par des parents qui s’ajustent à lui et qui respectent ses besoins fondamentaux, ces tracasseries ou petites maltraitances institutionnelles seront compensées. En revanche, pour les enfants plus vulnérables, (…), ces petites humiliations, difficultés ou manques de bienveillance ne seront pas compensés et ils peuvent générer de graves dégâts chez les enfants. »

Mme Christèle Gras-Le Guen a également évoqué « les images d’enfants qui devaient rester chacun dans un cercle, ne pas s’approcher de leurs camarades et ne pas partager leur balle ou leur crayon. Ces mesures apparaissent inadaptées au vu de nos connaissances actuelles sur la manière dont la maladie peut se transmettre entre enfants ».

Les enfants de soignants ont quant à eux vécu une sorte de double peine. En plus de voir leur parent prendre des risques en exerçant sa profession, certains d’entre eux ont été mis à l’écart lors de la reprise de l’école. À titre d’exemple, à Toulouse, une inspectrice de l’Éducation nationale a adressé le 5 mai une lettre aux parents d’élèves soignants leur annonçant qu’ils devraient laisser leurs enfants dans des écoles particulières. Une décision motivée par la volonté de « ne pas occasionner un brassage d’enfants qui ne serait pas en accord avec les conditions sanitaires requises ». Ce qui a conduit le syndicat national des infirmièr(e)s-anesthésistes (SNIA) à adresser un courrier au ministre de l’Éducation nationale en date du 11 mai 2020 pour dénoncer cette directive. « La note toulousaine est un message catastrophique envoyé à l’ensemble de la population française et notamment aux camarades de nos enfants : certains élèves français ne sont plus fréquentables. Cette décision qui semble plus être guidée par la peur irrationnelle et l’approximation que par des arguments scientifiques éclairés ou éthiques va à l’encontre des valeurs républicaines de fraternité et d’égalité ».

À l’inverse, même lorsqu’il s’est agi de ne pas faire porter de contraintes inutiles aux enfants, le défaut d’explication a pu avoir des conséquences délétères. En effet, les enfants en école maternelle ou primaire n’ont pas l’obligation de porter le masque mais ils entendent par ailleurs que le masque sert à se protéger et à protéger les autres. Faute d’explication suffisante, un enfant peut en déduire que sa vie est considérée comme sans valeur et qu’il risque de mourir.

Ces quelques exemples ne visent pas à jeter l’opprobre sur des responsables qui ont dû prendre des décisions inédites dans une urgence absolue et ce, sans aucun recul. Toutefois, ils visent d’une part à réaffirmer la nécessité d’expliquer aux enfants et aux jeunes les raisons pour lesquelles les mesures sont prises, et d’autre part, à ne pas perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant, lors des prises de décision les concernant.

3.   Des conséquences potentiellement problématiques, un risque d’éloignement entre les jeunes et les adultes

La capacité d’adaptation des enfants ne rend pas ces derniers insensibles à la douleur et ce d’autant plus que cette génération d’enfants et d’adolescents est soumise à des traumatismes multiples depuis 2015, soit dans un temps assez court. Cela peut soulever des enjeux de santé publique, dès lors que l’expression des troubles post-traumatiques liés au confinement ne sera pas nécessairement immédiate et aura des effets à plus long terme.

D’après les études internationales, citées par Mme Hélène Romano, la souffrance des enfants – mais aussi des adolescents ou des adultes – à la suite d’un événement traumatique est susceptible d’exploser trois ou quatre ans plus tard. 30 % des personnes confinées du fait du SRAS ou du virus Ébola présentaient des troubles post-traumatiques immédiats et le taux de personnes présentant ces troubles atteignait 70 % trois ou quatre ans plus tard. La dimension temporelle est donc fondamentale.

Si l’enfant n’a pas confiance dans le monde des adultes et ne trouve pas en lui cette bienveillance, cette écoute indispensable, le conflit de générations risque de s’exacerber, avec toutes les conséquences négatives qui s’ensuivent. En effet, le manque de confiance amène les adolescents et les jeunes adultes à considérer que les adultes sont de connivence dans le but de maintenir une société qui leur profite. Cette situation peut conduire à une rébellion ou à la constitution de « sociétés parallèles ».

Cette confrontation n’est pas nouvelle et est inhérente à la production de chaque nouvelle génération qui doit pour exister, s’autonomiser et se différencier de la précédente. Toutefois, les multiples fractures – économiques, sociales, culturelles, territoriales – qui traversent notre pays, ainsi que les craintes sur les conséquences du réchauffement climatique, et plus largement sur l’état de notre planète, et la dégradation de la conjoncture économique, peuvent alimenter les tensions générationnelles.

La crise sanitaire actuelle n’a été que peu mise à profit pour combler ce déficit de confiance. Elle a conduit au contraire à l’aggraver.

 


  1  

   deuxiÈme partie – une crise sanitaire mettant en cause LA PROTECTION Des droits fondamentaux des enfants
et de la jeunesse et creusant les inégalités

I.   Le droit à la santé, un droit fondamental

A.   UNe organisation des SOINS dont la continuitÉ, la coordination et l’efficacité doivent être garanties

Dans les circonstances exceptionnelles du confinement décidé en mars 2020, priorité a été donnée à la lutte contre la diffusion du Covid-19 sur le territoire national. En conséquence, le système de santé – structures hospitalières, cliniques, cabinets médicaux – a consacré une partie essentielle de ses ressources à l’accueil et au soin des patients atteints par le Covid-19. Dans le cadre du plan blanc, activé début mars, les hôpitaux ont déprogrammé toutes les activités médicales non indispensables. Les cabinets libéraux ont vu leurs consultations diminuer dans l’ensemble, largement sous l’effet de la crainte de contamination des populations. La téléconsultation s’est fortement développée, prenant pour partie le relais des consultations in situ.

Comme précédemment souligné, les inquiétudes quant aux pertes de chance, voire aux décès causés par des retards de diagnostics ou l’absence de prise en charge en temps utile, ont conduit à faire évoluer cette approche pendant le deuxième confinement, avec des campagnes de communication encourageant les Français à ne pas reporter leurs rendez-vous médicaux et à consulter leur médecin.

De fait, l’expérience du premier confinement a révélé l’existence de besoins qui touchent très directement à l’exercice du droit à la santé et qui ne se résument pas à la protection contre les atteintes du Covid-19. En ce qui concerne la jeunesse, il convient d’en tirer les enseignements sur la prise en charge des enfants en bas âge, les moyens de la pédopsychiatrie et la continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap

1.   Une prise en charge des enfants maintenue mais à conforter, dans le cadre de réseaux et par un usage raisonné de la téléconsultation

Si la fréquentation des structures hospitalières et des cabinets a pu connaître des fluctuations suivant les craintes des familles à l’égard du virus, les professionnels de la médecine infantile ont fait montre d’un réel engagement face aux contraintes que la crise sanitaire faisait peser sur l’exercice de leur profession, et ce en dépit du manque de moyens de protection, notamment de masques, pendant la première partie de l’épidémie.

Pour autant, le bilan du premier confinement met aussi en lumière la nécessité de conforter les moyens disponibles de la médecine infantile sur l’ensemble du territoire, en particulier dans le contexte créé par la crise sanitaire, et de favoriser une organisation en réseau sur les territoires.

a.   Une poursuite de l’activité des professionnels n’excluant pas une organisation plus formelle de la continuité des soins, l’intérêt de développer davantage une organisation en réseau

● S’agissant des établissements hospitaliers, la situation épidémique a imposé de déprogrammer les opérations et consultations non indispensables, y compris pour les enfants, afin de permettre de mobiliser les personnels soignants dans la prise en charge des adultes atteints du Covid-19. Comme vu supra, l’activité des services pédiatriques a fortement baissé. M. Christophe Delacourt a ainsi indiqué : « du personnel était indispensable pour prendre en charge ces patients en réanimation adulte, mais également pour renforcer les équipes des services de gériatrie, qui ont été très durement touchés », précisant que dans les services de pédiatrie de l’hôpital Necker, « cinquante des infirmières sont parties dans des services adultes. Face à cet effort considérable, nous ne pouvions pas continuer à prendre en charge les enfants. » Il a par ailleurs observé que « dans les quelques services qui ont continué d’assurer la prise en charge, les familles ne voulaient pas se rendre à l’hôpital. Il existait un obstacle psychologique majeur au fait de se déplacer dans cette situation épidémique. »

● Hors établissements hospitaliers, les éléments recueillis par la Commission d’enquête portent à conclure que pendant le confinement établi en mars 2020, l’accueil des enfants et de leurs familles a été maintenu, à des degrés divers, moyennant les priorités et adaptations recommandées par les sociétés savantes, mais aussi sous réserve des difficultés constatées dans l’accès aux services de protection maternelle et infantile (PMI).

Il en va ainsi en pédiatrie. Ainsi que l’a indiqué Mme Sylvie Hubinois, membre du Syndicat national des pédiatres français, suivant les recommandations de la Société française de pédiatrie et l’Association française de pédiatrie ambulatoire, les pédiatres ont recentré leurs activités sur les plus jeunes enfants, afin d’éviter une rupture des calendriers vaccinaux, et notamment sur les bébés en sortie de maternité, puisque ces sorties ont eu lieu de façon plus précoce qu’en temps normal. En revanche, pour les enfants plus grands, leur activité a été resserrée sur ceux qui en avaient vraiment besoin. Les pédiatres ont par ailleurs pu constater des changements dans la nature de leurs activités, à raison notamment d’une quasi disparition des cas d’urgence dans les dix à quinze jours suivant le début du confinement. D’après Mme Hubinois, il s’agit là de l’une des conséquences de l’arrêt des activités en collectivité, dans le contexte de la fermeture des écoles et des crèches. Par ailleurs, les pédiatres ont recouru, comme les autres professions médicales, à la téléconsultation (voir infra).

S’agissant des services de PMI, l’enquête réalisée par le Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile (SNMPMI) ([61]) indique que dans dix-neuf départements sur les vingt-huit ayant répondu, les professionnels de la PMI ont maintenu dès le départ des consultations auprès des enfants, avec des modes plus ou moins dégradés. D’après M. Pierre Suesser, co-président du SNMPMI, l’objectif principal restait là encore la réalisation des vaccinations et l’accueil des nouveau-nés à la sortie de maternité. Il s’agissait également de recevoir les familles confrontées à un certain nombre de difficultés et pour lesquelles les professionnels nourrissaient davantage d’inquiétudes. Généralement, il semble qu’au niveau de chaque département, une partie des centres aient été fermés, et que les activités dites prioritaires aient été réunies dans un ou plusieurs centres.

Suivant la même enquête, quatorze départements ont déclaré maintenir les consultations auprès des femmes enceintes et les consultations de planification familiale. Dans les quatorze autres, les situations se révèlent plus contrastées. Le suivi des nourrissons en famille d’accueil a été globalement poursuivi quand des consultations étaient ouvertes dans les centres médico-sociaux (CMS), ou à domicile si les visites y étaient autorisées.

M. Pierre Suesser a toutefois souligné que le maintien de l’ouverture des centres de PMI a suscité de réelles difficultés dans certains départements, notamment aux débuts du confinement. Il a ainsi souligné « l’effet de sidération » qui s’est produit dans des services de PMI, « car un certain nombre de collectivités départementales ont fermé leurs services du jour au lendemain. Nous avons noté dans l’enquête que lorsqu’un médecin-chef de PMI a toute sa place dans l’organigramme, lorsqu’il est reconnu dans ses missions par les élus et l’administration, le fonctionnement a été plus probant que dans d’autres départements où le service de PMI a été déstructuré et n’a plus qu’une organisation horizontale », faisant état de difficultés plus structurelles de l’organisation des services de PMI dans les départements.

Il a même indiqué que « dans certains départements, les médecins de PMI se sont battus face à leur administration pour rouvrir les consultations. (…) Certaines équipes de PMI ont été paralysées par [les] difficultés [d’accès aux masques et au gel hydroalcoolique]. Même si je ne devrais pas le dire, je pense que des situations que certains qualifieraient d’insubordination se sont produites, où des consultations ont été ouvertes en dépit des consignes données par le département. Ces éléments vous renseignent sur l’état de profonde crise du dispositif de PMI. ».

Il ne s’agit nullement de remettre en cause le professionnalisme des personnels de PMI ; ces constats ne doivent pas occulter tout le travail réalisé dans les centres ni les nombreuses initiatives prises pour assurer le suivi des enfants, y compris en utilisant les téléconsultations et le téléphone. Toutefois, les difficultés évoquées supra ne manquent pas d’interpeller, d’autant qu’elles renvoient à l’égalité de la prise en charge médicale des enfants selon les départements, donc à des inégalités territoriales.

Il apparaît donc indispensable de mieux définir les modalités de fonctionnement des services de PMI en temps de crise épidémique, afin de déployer un plan de continuité des activités sur l’ensemble des territoires ; des réflexions en ce sens ont d’ailleurs été évoquées par M. Suesser, et là encore, comme pour l’ensemble des services médicaux, les activités des centres de PMI sont maintenues pendant ce deuxième confinement.

La rapporteure juge par ailleurs utile que soient établis des schémas locaux plus exigeants en ce qui concerne la permanence des soins dans le cas d’un épisode épidémique, notamment pour les services de la médecine infantile.

En soi, l’article L. 1431-2 du code de la santé publique peut fournir un cadre. En effet, parmi les objectifs qu’il assigne au schéma régional de santé, figure la « préparation du système de santé aux situations sanitaires exceptionnelles », dans le cadre du dispositif ORSAN ([62]). L’article prévoit également que les objectifs du schéma régional peuvent être mis en œuvre par les contrats territoriaux de santé ([63]), ainsi que par les contrats territoriaux de santé mentale ([64]), voire les contrats locaux de santé ([65]).

La Commission d’enquête ne dispose pas d’éléments quant au contenu et à l’efficacité des schémas et contrats en vigueur. Compte tenu des enseignements de la crise sanitaire, il pourrait être pertinent de réviser le champ et les objectifs des instruments existants afin d’organiser la continuité des soins en matière de santé infantile et d’y associer, à l’échelle locale, tous ses acteurs publics (notamment les départements) et privés (les cabinets libéraux).

Propositions :

Définir des plans de continuité des activités sur l’ensemble du territoire pour les services de PMI en tirant les enseignements de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie

Établir des schémas locaux propres à garantir la permanence des soins pour les services de médecine infantile

● Cela étant, la lourdeur des organisations et procédures administratives dans le domaine de la santé peut inciter à s’en remettre d’abord aux acteurs eux-mêmes afin de développer une offre de soins adaptée en cas de crise sanitaire, et plus largement en « temps normal ».

À plusieurs reprises, lors des auditions, a en effet été invoqué l’intérêt de construire des réseaux, entre la médecine de ville et l’hôpital, entre les centres de référence et les médecins de proximité, pour améliorer la prise en charge des enfants ; ces réseaux permettent d’établir des niveaux de gradation des soins, une bonne coordination et une évaluation globale de l’état de santé de l’enfant. Ainsi que l’a souligné M. Christophe Delacourt, une des leçons du confinement est que « ces réseaux ne sont pas suffisamment formalisés et coordonnés ».

Il est d’ailleurs possible d’aller plus loin, en associant d’autres acteurs intervenant auprès des enfants, notamment l’Éducation nationale, ainsi que les forces de l’ordre et la justice lorsqu’il s’agit de la protection des enfants contre les violences. Une initiative dans le champ de la protection des enfants contre les violences a été présentée devant la commission, et constitue un excellent exemple, à généraliser, d’une approche structurée, au niveau territorial. Mme Sylvie Tordjman, professeur en pédopsychiatrie, chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PHUPEA) au centre hospitalier de Rennes, a ainsi présenté une plateforme mise en place dans l’académie de Rennes, en collaboration avec les services de l’Éducation nationale, afin d’assurer le repérage des enfants en difficulté psychologique, avec une permanence téléphonique tenue par des pédopsychiatres. Ce dispositif prévoit ensuite la prise en charge des enfants en difficulté, par le biais d’équipes mobiles en mesure d’intervenir rapidement. Est également mis en œuvre dans ce cadre un dispositif de détection et de prise en charge des enfants victimes de violences, associant la gendarmerie, la police, la justice, le centre départemental d’action sociale, les médecins généralistes et pédiatres ainsi que l’Éducation nationale, avec l’intervention d’une équipe mobile de crise intrafamiliale (CRIFEM).

Sur la base de ces exemples, la rapporteure préconise la formation de réseaux pluridisciplinaires opérationnels dans le champ de la médecine infantile au niveau des bassins de vie, et associant d’autres partenaires, notamment l’école, ainsi que la police, la gendarmerie et la justice dans le champ de la prévention des violences faites aux enfants.

Proposition : Favoriser la formation de réseaux pluridisciplinaires opérationnels dans le champ de la médecine infantile au niveau des bassins de vie, avec pour objectifs la continuité de l’accès aux soins et une prise en charge globale de l’enfant

● Au-delà, il importe de lever les obstacles au recours aux spécialistes intervenant auprès de la petite enfance (pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes…).

En effet, les propos recueillis donnent à penser que le prix des consultations de ces spécialistes représente un coût dissuasif pour certaines familles. Au-delà de la propension des familles à recourir à ces spécialités, le problème posé est sans doute celui de la prise en charge par la sécurité sociale et/ou les mutuelles, par exemple dans le cadre d’un parcours de soins. Si l’assurance maladie, sollicitée, n’a pas fourni d’éléments précis sur les conditions de prise en charge de ces consultations, il apparaît souhaitable de les améliorer ([66]).

La rapporteure préconise donc de travailler à l’allégement du reste à charge pour les familles, le cas échéant en prenant en considération leur niveau de ressources. Elle préconise également la création d’une consultation remboursable « pédopsy famille » en libéral. En effet, les éléments recueillis par la Commission d’enquête quant à la propension des familles à consulter ces professionnels suggèrent que le remboursement de la sécurité sociale (actuellement de 39 euros) n’est pas adapté.

Propositions :

Travailler à la réduction du reste à charge sur le prix des consultations des spécialistes de la petite enfance (pédiatres, pédopsychiatres, psychomotriciens, ergothérapeutes), par un meilleur remboursement de la sécurité sociale et/ou des mutuelles

Créer une consultation remboursable « pédopsy famille » en libéral

b.   Le nécessaire renforcement de la protection maternelle et infantile

● Cette nécessité ne découle pas des seules conséquences de la crise sanitaire provoquée par le Covid-19. Elle ressort des travaux réalisés depuis quelques années ([67]) qui, comme d’ailleurs pour la médecine scolaire (voir infra), dressent le constat d’une réduction des moyens et des activités des centres de PMI et de fortes inégalités territoriales.

Ainsi, le rapport établi par notre collègue Michèle Peyron en mars 2019 souligne :

– des disparités territoriales entre départements, qui préexistaient à la décentralisation de 1982, mais qui sont toujours très fortes : d’après les évaluations du rapport, la dépense annuelle par habitant [0-6 ans] peut varier de moins de 1 euro à plus de 300 euros selon les départements (avec une moyenne à 33 euros) ;

– en second lieu, une pénurie de médecins qui aboutit au rétrécissement marqué des actions sanitaires des centres et de leur capacité d’assumer leurs missions : le rapport met en exergue une baisse des consultations (– 45 % depuis 1995) – qui désormais se concentrent sur la tranche d’âge 0-2 ans, une division de moitié du nombre des visites à domicile infantiles par des infirmières puéricultrices en 25 ans ; une forte diminution des visites à domicile maternelles par des sages-femmes de PMI ; un taux de couverture de 6 % des besoins en termes d’entretien prénatal précoce ;

– en dernier lieu, des ressources en très nette diminution : le rapport estime à 100 millions d’euros les pertes de financements annuels subies par la PMI depuis dix ans, en conséquence d’un financement marginal de l’Assurance maladie (seulement 35 millions d’euros, sur un budget total estimé à 500 millions d’euros ([68])) et un engagement très fluctuant – pour ne pas dire en retrait – de la part de départements.

● Pourtant, l’article L. 2112-2 du code de la santé publique assigne des missions essentielles à la Protection maternelle et infantile. Dans ce cadre, il lui revient notamment d’assurer :

– des consultations médicales préventives (en direction des femmes enceintes, des enfants de la naissance à six ans, des femmes et des jeunes dans le cadre de la planification familiale),

– des visites à domicile de puéricultrices et de sages-femmes ;

– des bilans de santé en école maternelle ;

– des actions médico-sociales de soutien aux familles ;

– des actions de prévention et de prise en charge des mineurs en danger ;

– des activités d’agrément et de contrôle des modes d’accueil de la petite enfance ;

– le traitement d’informations épidémiologiques et en santé publique relatives à la maternité et à la petite enfance.

Comme précédemment observé, il s’agit là de missions qui touchent à la continuité des soins et aux actions de prévention si nécessaires en période de crise sanitaire. Du reste, l’accès aux soins dans les centres de PMI est facilité par la gratuité des consultations, par l’absence de formalités administratives excessives et par un accueil en principe inconditionnel, y compris en l’absence de droits ouverts à l’aide médicale de l’État ou à la protection universelle maladie.

● Aussi, la rapporteure juge-t-elle indispensable de soutenir davantage les services de PMI en rehaussant leur financement à hauteur des pertes subies depuis dix ans. De son point de vue, l’État doit exercer sa vigilance quant à la réalité des missions accomplies sur l’ensemble des territoires, afin d’assurer une égalité d’accès aux soins pour tous les enfants.

C’est la raison pour laquelle elle propose le déblocage de moyens importants, dans la lignée des préconisations du rapport de Mme Michèle Peyron, qui proposait de mobiliser 75 millions d’euros en 2020, 80 millions d’euros en 2021 et 100 millions d’euros en 2022. À cet égard, le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles a indiqué lors de son audition que l’État apporterait sur trois ans 100 millions d’euros aux centres de PMI, soit un montant en deçà des préconisations précitées.

Proposition : Soutenir les services de la Protection maternelle et infantile (PMI) à hauteur de 100 millions d’euros par an, pour compenser les pertes subies au cours des dix dernières années

c.   La nécessité d’évaluer l’usage de la téléconsultation pour les enfants

● Bien plus que l’aménagement des espaces d’accueil et d’examen, le développement de l’usage de la téléconsultation représente la conséquence la plus spectaculaire de la crise épidémique sur les conditions d’exercice des métiers de la santé.

Le terme désigne une consultation réalisée par un professionnel médical à distance d’un patient par le biais de la visioconférence, le patient pouvant être assisté ou non par un autre professionnel de santé (médecin, infirmier, pharmacien, etc.). Ce procédé technique a pu permettre aux thérapeutes de conserver un suivi de leurs patients pendant le confinement, même à distance. En conséquence, un nombre croissant de professionnels y ont eu recours à partir de mars 2020 et jusqu’à la levée des mesures de confinement. D’après une étude de la DREES ([69]), trois médecins généralistes sur quatre ont mis en place la téléconsultation depuis le début de l’épidémie de Covid-19.

S’agissant de la médecine infantile dans sa diversité, la téléconsultation a été jugée utile par les pédiatres, notamment pour la prise en charge d’un certain nombre de pathologies chroniques. Mme Sylvie Hubinois a ainsi indiqué : « nous avons pu réaliser des téléconsultations pour obésité ou pour suivre des troubles de l’apprentissage. La téléconsultation a permis d’aider les parents des jeunes enfants, qui sont souvent perdus face à des situations qui ne nécessitent pas un déplacement chez le pédiatre ». Pour autant, une fois le confinement passé, l’adhésion est apparue moins générale. Selon les personnes entendues, le déconfinement s’est traduit par une reprise des consultations en vis-à-vis dans les cabinets libéraux et à l’hôpital, et par la chute des téléconsultations. M. Delacourt a ainsi indiqué : « nous nous étions fixé l’objectif de maintenir une proportion de 10 à 20 % de nos consultations en téléconsultation. Or, nous observons aujourd’hui qu’en pédiatrie, tous les médecins ont repris les consultations en présentiel et aucun n’a conservé un service de téléconsultation. » Pour sa part, M. Pierre Suesser a exprimé des doutes quant à la propension des services de la PMI à utiliser le procédé, du fait de l’insuffisance des équipements informatiques nécessaires.

● De fait, les analyses développées devant la Commission donnent à penser que le recours à la téléconsultation ne se prête pas à tous les usages et présente des limites.

D’une part, la place que pourrait occuper la téléconsultation semble dépendre de l’importance et de la qualité des rapports directs entre professionnels et parents.

En ce qui concerne la pédiatrie à l’hôpital, M. Christophe Delacourt estime ainsi que « le contact avec les parents et avec l’enfant, cette relation tout à fait particulière à la pédiatrie, est peut-être plus difficile à obtenir en téléconsultation, où souvent seuls les parents sont consultés ». En ce qui concerne la pédiatrie en ville, les propos de Mme Sylvie Hubinois suggèrent que la connaissance antérieure des patients peut contribuer à ce que la visioconférence n’altère pas la qualité du diagnostic.

D’autre part, les professionnels entendus soulignent que la pertinence du recours à la téléconsultation varie suivant la situation et le diagnostic à établir, et selon l’âge de l’enfant. Selon Mme Sylvie Hubinois, son usage peut se concevoir pour des motifs de consultation relativement circonscrits, tels que des problèmes dermatologiques ou des troubles du sommeil. En revanche, elle considère qu’il doit être écarté pour les cas d’urgence – « en particulier avec des troubles respiratoires et la toux » –, ainsi que pour les états dont le diagnostic ne peut être établi avec sûreté sans constatations visuelles précises. Par ailleurs, la téléconsultation ne paraît pas adaptée pour les enfants en situation de handicap, notamment les enfants présentant des troubles autistiques.

La question se pose en termes un peu différents en pédopsychiatrie ; l’intérêt de la téléconsultation a été salué à plusieurs reprises, et le fait d’être à distance et de ne pas être physiquement face au thérapeute peut même libérer la parole de l’enfant, ou faciliter les échanges. Mme Sylvie Tordjman a ainsi indiqué : « j’ai à l’esprit l’exemple d’un jeune qui était sujet à des problèmes de comportement et de délinquance. J’ai été très surprise de voir que nos entretiens pouvaient dépasser une demi-heure au téléphone alors qu’en présentiel, des objets commençaient à voler à travers la pièce après dix ou quinze minutes. » Pour autant, ce mode de consultation n’est pas considéré comme une panacée, Mme Catherine Lacour Gonay a ainsi noté : « au début, les adolescents ont d’ailleurs beaucoup apprécié ce passage à l’écran, mais ils se sont ensuite lassés. Tout cela doit être réfléchi. »

En mai 2019, la Haute autorité de Santé (HAS) a publié un guide de bonnes pratiques à propos du recours à la téléconsultation et à la téléexpertise ([70]). Mais les prescriptions qu’il contient ne semblent pas être applicables au champ de la pédiatrie dès lors qu’elles mettent en premier lieu l’accent sur l’information du patient et le recueil de son consentement.

Aussi, il apparaît nécessaire d’évaluer l’apport de la téléconsultation pour les enfants et les adolescents et de déterminer aussi précisément que possible les usages qui présentent un réel intérêt thérapeutique, que ce soit pendant une crise sanitaire ou de façon générale.

Il s’agit notamment d’évaluer le rapport entre les facilités que procure ce procédé et les impacts possibles sur la qualité du diagnostic et du suivi – étant observé que les professionnels qui y recourent engagent leur responsabilité et qu’il est sans doute moins aisé d’appréhender à distance l’état physique et moral d’un enfant que celui d’un adulte.

Proposition : Évaluer l’apport de la téléconsultation et déterminer avec précision les usages qui présentent un réel intérêt thérapeutique

2.   Le besoin de soutenir la pédopsychiatrie et de renforcer son rôle

● Dans le contexte de la crise sanitaire, la pédopsychiatrie n’a plus à démontrer son importance. Néanmoins, au moment où les enfants et les jeunes ont le plus besoin de pédopsychiatres, la filière traverse une crise profonde.

C’est d’ailleurs le constat qu’a dressé M. Adrien Taquet lors de son audition : « nous sommes tous au fait de la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays, et de la psychiatrie, qui est le « parent pauvre » de la santé, pour reprendre la formule d’Agnès Buzyn, depuis 20 ans au moins en France. ». Il a souligné que lors de tous ses déplacements, cette problématique était soulevée par les associations et les départements.

Le nombre de pédopsychiatres a fortement diminué au cours des dernières années : M. Michel Dugnat, pédopsychiatre, a indiqué à la commission qu’en 2006, près de 1 200 pédopsychiatres formés exerçaient leur activité en France, contre 600 actuellement, tandis que leur moyenne d’âge atteint entre 61 à 62 ans.

La situation est également défavorable s’agissant du nombre de lits en pédopsychiatrie dans les établissements hospitaliers. Mme Touati-Pellegrin a ainsi indiqué : « À Paris, lorsqu’un enfant de dix ans fait une tentative de suicide, on n’a pas de place pour lui. Et on a beaucoup, beaucoup de mal à l’hospitaliser. Un enfant de dix ans qui a envie de mourir, c’est tout de même une catastrophe pour lui, pour sa famille et pour la société. Il serait urgent qu’on intervienne aussi sur cette question. »

Les délais d’attente pour un suivi au sein des centres médico-psychologiques (CMP) sont également très longs, atteignant souvent au moins une année, ce qui n’est pas acceptable.

● Des efforts sont engagés par le Gouvernement pour tenter de remédier à cette situation. M. Adrien Taquet a ainsi indiqué que des moyens ont été ouverts pour parer à l’urgence, avec, dans le cadre de la feuille de route pour la santé mentale, 80 millions d’euros dédiés à la pédopsychiatrie devant servir à créer des places en accueil de jour, des équipes mobiles pouvant intervenir dans des situations de crise – par exemple dans les foyers de l’ASE, auprès d’assistantes familiales. Au-delà de ces 80 millions d’euros, deux autres fonds peuvent être mobilisés par les agences régionales de santé pour financer des actions sur les territoires : le fonds d’innovation psychiatrie et le fonds psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.

Ces dispositifs sont complétés de façon plus structurelle par des créations de postes. Le secrétaire d’État a ainsi indiqué : « nous avons ajouté sur ces deux dernières années deux fois dix postes de chefs de clinique pour recréer une filière. Cela mettra six à sept ans, mais il est essentiel d’agir en ce sens puisqu’aujourd’hui il manque des pédopsychiatres. »

La rapporteure juge indispensable de développer davantage les créations de postes, et plus largement de dégager les ressources humaines et financières nécessaires au renforcement massif de la pédopsychiatrie, notamment à l’hôpital.

La profession ne parvient pas à se renouveler et la moyenne d’âge actuelle des professionnels en exercice – soit 61 ans – comporte le risque d’une rupture des capacités de prises en charge à plus ou moins brève échéance. Il est donc nécessaire de valoriser le choix de la spécialité de pédopsychiatrie pour les étudiants, ce qui passe par une réflexion sur l’organisation des études médicales.

Propositions :

Augmenter le nombre de pédopsychiatres en créant de nouveaux postes et en valorisant le choix de la spécialité de pédopsychiatrie dans les cursus de formation, pour renforcer son attractivité pour les étudiants

Développer les capacités d’accueil des services psychiatriques des enfants dans les établissements hospitaliers

3.   La continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap en question

a.   Un accès aux structures évoluant au gré de l’évaluation du risque épidémique

● Selon les données fournies par les services du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, environ 2 400 structures prennent en charge les enfants et les adolescents en situation de handicap, dont 1 309 instituts médico-éducatifs (IME) ([71]), 491 instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) ([72]), 197 établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés (EEAP) ([73]) et 146 instituts d’éducation motrice (IEM) ([74]). Le nombre de places d’accueil pour les enfants et adolescents s’élève à 110 600, dont 70 400 en IME, 17 000 en ITEP, 5 740 en EEAP et 7 570 en IEM. Ces différents établissements peuvent fonctionner en externat ou en internat.

Par ailleurs, les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD), constitués d’équipes pluridisciplinaires, accompagnent les enfants en situation de handicap sur tous leurs lieux de vie, y compris à l’école.

● Lors du confinement, à compter du 15 mars dernier, le Gouvernement a posé comme principe général de favoriser le maintien à leur domicile des personnes en situation de handicap afin de freiner la propagation du virus et protéger les enfants les plus fragiles : pour ce faire, ont été organisés la fermeture, totale ou partielle, des externats, pour les enfants comme les adultes, ainsi que le maintien des personnes dont le domicile était un établissement médico-social : il s’agit essentiellement des adultes, mais aussi des enfants confiés à l’ASE qui sont placés en internat dans un IME, IEM ou ITEP. Les visites dans ces structures ont été suspendues sauf dérogation après avis médical, de même que les sorties collectives.

Selon les informations transmises par les services du secrétariat d’État chargé des personnes handicapées, 65 000 enfants (et 30 000 adultes) ont ainsi été confinés au domicile de leurs familles ou de leurs proches – ou à leur domicile personnel pour les adultes.

39 300 enfants (et environ 160 000 adultes) sont quant à eux restés au sein des établissements médico-sociaux qui les hébergent toute l’année.

Ces données sont des estimations, encore en cours de vérification ; elles sont issues d’une enquête, intitulée « Adaptation de l’offre et coopérations territoriales en période de crise sanitaire », réalisée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et faite auprès de 4 977 établissements et services.

Les fermetures, qu’elles aient été totales ou partielles, concernent majoritairement les structures pour enfants. L’évolution des internats de semaine en internats à temps complet ne s’est pas faite pour au moins la moitié de ceux-ci ; lorsqu’elle s’est opérée, elle a été plutôt partielle pour les internats d’enfants, et plutôt totale pour les internats accueillant des adultes.

Les établissements comme les services ont largement réorienté leurs activités en appui du domicile, avec une part de réorientations totales de l’activité plus marquée pour les services. Cela devait permettre l’organisation du soutien aux personnes qui vivaient à domicile, à savoir la famille de l’enfant en situation de handicap.

Le graphique ci-après présente la part des établissements médico-sociaux restés ouverts, partiellement ou non, pendant le confinement, par catégorie d’établissement : 20 % des IME sont restés ouverts, et environ 32 % ont été fermés, les 48 % restants étant « partiellement fermés », sans que l’on sache la part des enfants effectivement accueillis dans ce cas. Environ 34 % des ITEP sont restés ouverts, et 41 % des EEAP.

Ouverture ou non de la structure en fonction du type d’ESMS


● Néanmoins, à compter du 4 avril 2020, des possibilités d’hébergement provisoire ont été ouvertes pour répondre aux besoins de répit des aidants exposés à un risque d’épuisement, et aux besoins de soutien des personnes isolées.

La secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a ainsi annoncé qu’« en cas de difficulté très importante dans le maintien à domicile, l’accueil temporaire en hébergement pouvait être proposé par les professionnels », sans formalité particulière auprès de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), « pour 7 à 14 jours renouvelables dans le respect des consignes sanitaires nationales ».

Selon l’enquête précitée réalisée par la CNSA, 30 % des établissements répondants ont mis en place des solutions d’accueil temporaire d’urgence pour les personnes ne pouvant plus être prises en charge par leurs familles ou ne pouvant se maintenir à domicile, avec quatre places par établissement concerné, en moyenne. Ce chiffre concerne le secteur du handicap dans sa globalité, sans distinction entre les secteurs enfant et adulte.

Les données fournies par le secrétariat d’État à la commission précisent que ces places temporaires se sont accompagnées de « solutions plus souples et modulaires, toujours dans un objectif de proportionnalité entre le maintien au domicile (confinement) et la poursuite des accompagnements (le cas échéant hors du domicile). Des solutions de relayage à domicile (pour une durée d’une à douze heures maximum) ont également été mises en place par les équipes des établissements et services médico-sociaux et les services d’aide et d’accompagnement à domicile. Ces solutions de répit ont également pu être mobilisées par les accueillants familiaux en charge des jeunes handicapés confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE).

« Enfin, la mise en place d’un accompagnement personnalisé hors du domicile (cf. accompagnement personnalisé par un professionnel dans les locaux de l’ESMS) a été réalisée lorsque les interventions au domicile ne pouvaient pas se dérouler dans des conditions adaptées : toujours selon l’enquête précitée, 35 % des établissements ont mis en place un accompagnement personnalisé (1 pour 1) dans les espaces sécurisés de l’ESMS. »

« Concernant les SESSAD, la consigne donnée a été la poursuite des accompagnements au domicile. Lorsque cela a été possible, des visioconférences ont été déployées avec les enfants pour réaliser des séances et/ou des exercices à distance. »

b.   Des répercussions sur l’état des enfants et jeunes en situation de handicap encore difficiles à mesurer

● Si les données transmises font état du maintien de l’ouverture d’une partie des établissements accueillant les enfants en situation de handicap et du déploiement de solutions d’accompagnement, les éléments recueillis par la commission d’enquête laissent à penser que le confinement s’est traduit par un fort report de la prise en charge des enfants sur les familles, qui ont ressenti parfois un fort isolement.

Selon l’enquête réalisée par le Collectif interassociatif des aidants familiaux (CIAAF) en octobre dernier ([75]), les familles ont pour beaucoup subi de plein fouet la fermeture des établissements, la réduction ou l’interruption des services d’aide à domicile, ainsi que l’impossibilité pour leur famille de venir les aider. Alors que 67 % des aidants ayant répondu à l’enquête étaient accompagnés dans le rôle d’aidant pendant le confinement, seuls 48 % sont restés accompagnés pendant cette période. Comme développé infra, les établissements de l’ASE et les familles d’accueil ont aussi relevé les difficultés soulevées par les fermetures des IME et des ITEP.

Selon Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, « les établissements, à de rares exceptions près, ont fermé massivement en laissant les enfants sans solution (…). La situation a été surtout difficile pour les enfants en IME, qui sont atteints des troubles les plus sévères. Ils se sont retrouvés brutalement à la maison, sans aide et sans soutien, sauf rares exceptions. » Celle-ci a également souligné que les solutions d’accompagnement à distance n’étaient pas nécessairement adaptées : « les relais proposés en visioconférence n’ont pas été adaptés au profil des enfants et adultes avec les troubles les plus sévères. Les aides proposées ont mis crûment en évidence les niveaux très hétérogènes de compétences des professionnels dans les IME et les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) », car beaucoup d’entre eux n’ont pas les compétences spécifiques nécessaires pour accompagner les personnes autistes.

Dans sa contribution écrite, l’UNAPEI (Union nationale des associations de parents, des personnes handicapées mentales et de leurs amis) indique que « l’organisation des interventions à domicile a été variable selon les territoires, la disponibilité des moyens humains et matériels, avec la question de la pénurie de matériels de protection. Les interventions à domicile ont été développées en fonction des besoins prioritaires et des ressources disponibles. Par exemple, plusieurs associations ont mis en place des équipes ambulatoires pouvant intervenir en fonction des besoins prioritaires et des ressources disponibles. »

Les familles ont donc dû faire face à la situation, en prenant en charge les différents aspects de la vie de leur enfant, au risque parfois de l’épuisement. On peut citer plusieurs témoignages recueillis par l’enquête précitée du CIAAF. La mère d’un enfant souffrant de troubles du spectre autistique a ainsi indiqué : « le confinement a fait de moi une femme de ménage, une infirmière, une secrétaire administrative, une institutrice, une éducatrice spécialisée et un punching-ball pour mon fils ». La mère d’une enfant de moins de 20 ans ayant un polyhandicap a souligné : « le positif est que je passe plus de temps avec mon enfant. Le négatif est qu’elle ne reçoit plus aucun soin : kiné, orthophonie, psychomotricité… Je suis seule à la stimuler, ce qui me fait éprouver des doutes, car je ne suis pas une professionnelle, cela génère de l’angoisse et du stress. »

L’UNAPEI a également indiqué que « force est de constater que certaines familles se sont retrouvées en grande difficulté pour accompagner leurs enfants (inégalités sociales, fracture numérique, besoins complexes). »

Il faut d’ailleurs relever que la continuité pédagogique, déjà difficile à assurer de façon générale pour les parents, était plus compliquée encore pour les parents d’enfants en situation de handicap, alors que ces derniers étaient habituellement suivis par des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), qui ne pouvaient pas venir à leur domicile (voir infra sur les enjeux de la reprise de la scolarité des enfants en situation de handicap).

Face à ces situations difficiles, des initiatives sont venues du terrain pour apporter de l’aide aux familles. La commission a par exemple entendu Mme Sonia Pareux, éducatrice spécialisée et référente handicap en Indre et Loire, qui a mis en place une structure de répit éphémère, baptisée « Le truc en plus », en coordination avec la caisse des allocations familiales, pour accueillir des enfants en situation de handicap pendant une semaine.

Il convient également de noter qu’à partir du 2 avril, les personnes en situation de handicap vivant à domicile ont bénéficié d’un assouplissement des règles de confinement : leurs sorties, seules ou accompagnées, n’étaient plus ni limitées à une heure ou restreintes à un kilomètre autour du domicile, ni régulées dans leur fréquence et leur objet.

Enfin, il a été souligné que la réouverture des établissements lors du déconfinement semble avoir été parfois très progressive, « tardive et à doses homéopathiques » pour reprendre l’expression de Mme Langloys.

● La commission ne dispose pas d’éléments chiffrés sur l’impact de la crise sanitaire sur l’état de santé des enfants en situation de handicap, notamment en termes de régression des apprentissages ou d’apparition de troubles spécifiques. Toutefois, au vu des propos recueillis, la prise en charge et le suivi des enfants et adolescents ont nécessairement été affectés par l’interruption ou la réduction des soins résultant du confinement. S’agissant des enfants atteints de troubles autistiques, ainsi que l’a indiqué Mme Danièle Langloys, « les cabinets privés ont fermé massivement, dont, entre autres, les orthophonistes et les psychologues du développement, qui accompagnent avec efficacité les enfants et adultes. Cela a été catastrophique. L’autisme est un trouble de communication sociale ; aussi, l’abandon des rééducations pendant plusieurs mois a été délétère (…) De précieux mois ont donc été perdus, en particulier pour les plus jeunes. »

Elle a également indiqué : « des comportements problématiques sont apparus, alors qu’ils avaient réussi à être stabilisés : de l’agitation, de la régression dans les acquis – c’est ce qui fait le plus mal, quand on s’est battu pour faire avancer un enfant, que l’on soit parent ou professionnel. C’est la continuité et la prévisibilité qui garantissent la stabilité et les progrès des personnes autistes. (…). Les enfants et les adultes ont massivement perdu les repères spatio-temporels patiemment construits et dont ils ont vraiment besoin ».

Dans sa contribution écrite, l’UNAPEI indique que « si le secteur médico-social s’est mobilisé pendant le confinement pour accompagner les enfants et leurs familles, des retards dans les apprentissages ont été constatés. Outre ces ruptures, la rupture sociale a eu de forts impacts sur les élèves. »

Au vu de ces différents éléments, il apparaît donc nécessaire de mener une évaluation aussi précise que possible des implications de la crise sanitaire sur l’état des enfants et adolescents en situation d’handicap, ainsi que sur l’efficacité de leur prise en charge au sein des structures spécialisées et par les services à domicile.

Il apparaît en tout cas que des enseignements du premier confinement ont été retirés, puisque dans le cadre du confinement mis en œuvre le 30 octobre dernier, les services et établissements médico-sociaux (ESMS, accueils de jour, externats, SESSAD, plateformes de répit…) restent ouverts, ainsi que les services de soins à domicile, pour éviter, notamment, les ruptures dans les parcours de soins et les pertes d’acquis. Le protocole applicable aux établissements sociaux et médico-sociaux en date du 5 novembre prévoit également un maintien des visites, des sorties le week-end (retour en famille), des interventions des professionnels dans les établissements en cohérence avec les mesures relatives au confinement national en vigueur.

Proposition : Évaluer les conséquences du premier confinement sur l’état des jeunes en situation de handicap, ainsi que l’efficacité de leur prise en charge au sein des institutions spécialisées et de l’Éducation nationale

B.   Un investissement nÉcessaire dans la santÉ à l’école et à l’université

Si la responsabilité première de veiller au bien-être physique et moral des enfants et adolescents incombe aux familles, les établissements scolaires et universitaires ont un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre les inégalités de santé, ainsi que dans l’acquisition d’une culture sanitaire et dans l’apprentissage des gestes d’une vie en bonne santé, qui font partie de l’éducation, dans son acception la plus large.

À bien des égards, la crise sanitaire invite à donner davantage de place à la médecine scolaire et à la médecine universitaire.

1.   Une médecine scolaire assez largement démunie dans le contexte de la crise épidémique

a.   Une médecine scolaire en très grande difficulté

● Les rapports sur la médecine scolaire qui se sont succédé au cours des dernières années, qu’ils soient issus de l’Académie nationale de médecine ([76]), du Sénat ([77]), du CESE ([78]) ou bien encore, tout récemment, de la Cour des comptes ([79]), établissent tous le constat d’une médecine scolaire en déshérence, qui n’est pas en mesure d’accomplir les missions qui lui sont attribuées. Dans le contexte créé par l’actuelle crise sanitaire, ce constat ne peut qu’inquiéter.

La Cour des comptes a ainsi établi un constat alarmant, diagnostiquant une « organisation défaillante » et une « performance médiocre » de la médecine scolaire.

Le nombre de missions confiées à la médecine scolaire n’a cessé de s’accroître au fil des années, avec, outre les visites médicales organisées à la sixième et à la douzième année, des actions de promotion de la santé, la surveillance de l’environnement scolaire, le suivi des élèves à risque ou présentant des difficultés particulières… Pour autant, pour prendre en charge toutes ces missions dans les 62 000 établissements scolaires, on compte, en termes de postes occupés (en équivalents temps plein), seulement :

966 médecins scolaires, en baisse de 15 % par rapport à 2013 ; le ratio est d’un médecin scolaire en poste pour 12 572 élèves (hors vacataires) ;

environ 7 890 infirmiers scolaires – en hausse de 4 % par rapport à 2013 ; le ratio est d’un infirmier pour environ 1 300 élèves.

Le rapport de la Cour des comptes laisse apparaître une dynamique inverse sur les deux dernières décennies entre le taux d’encadrement des infirmiers – en amélioration dans les trois quarts des départements – et celui des médecins scolaires – en recul de 20 % sur la période étudiée. D’après son calcul, dans six départements sur 99, le nombre d’élèves par équivalent temps plein de médecin est inférieur à 8 000, quand ce rapport dépasse les 20 000 élèves pour un médecin dans dix-neuf départements, ce qui illustre les grandes disparités territoriales.

En conséquence, la médecine scolaire peine à remplir ses missions. La visite obligatoire prévue lors de la sixième année de l’enfant par les médecins scolaires n’est effective que pour 18 % des élèves en 2018, (contre 26 % en 2013). Le taux de réalisation du bilan de la douzième année, réalisé par les infirmiers scolaires, est quant à lui de 62 % ([80]) ; ce taux est en revanche en hausse de plus de six points depuis 2013.

● L’une des raisons du ratio très défavorable du nombre d’élèves par médecin scolaire réside dans les difficultés de recrutement et le manque d’attractivité de la profession, qui est illustré par la faiblesse du nombre de postes pourvus par rapport aux postes offerts :

Recrutements des médecins par concours depuis 2013
(hors recrutements réservés)

Dans son rapport, la Cour des comptes établit ainsi que le nombre de postes de médecins titulaires occupés ne représente que 57 % des postes offerts – chiffre en recul de 14 % par rapport au taux constaté en 2013. D’un point de vue géographique, la Cour constate que le taux d’occupation des postes diminue dans 28 des 30 académies (à l’exclusion de Paris et de la Guadeloupe). En outre, on remarquera que les médecins contractuels comptent pour 17,4 % de l’effectif total de la catégorie en 2019 (contre 11 % en 2013).

Signe supplémentaire d’un manque de renouvellement, la Cour des comptes relève que l’âge moyen des titulaires est de 55 ans, et de plus de 50 ans pour 82 % des effectifs. Dans ses conditions, le ministère de l’Éducation nationale tablait sur le départ à la retraite de 128 médecins titulaires entre 2019 et 2021.

La description de cette « crise des vocations » a d’ailleurs été décrite en termes assez directs par Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie : « Quasiment personne ne choisit la médecine scolaire car les conditions d’exercice ne sont absolument pas attractives. »

Des problèmes de recrutement pour la catégorie des infirmiers scolaires semblent également apparaître dans la période la plus récente. Selon Mme Saphia Guereschi, secrétaire générale du Syndicat national des infirmiers et des conseillers de santé (SNICS-FSU), on commencerait à observer « des démissions et des demandes de disponibilité liées à une surcharge de travail et à un manque de reconnaissance […] ».

Au cours de son audition, M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, a convenu de la réalité de ce problème de manque d’attractivité et a indiqué qu’il faisait partie des thèmes abordés lors du « Grenelle de l’Éducation ».

 Il convient par ailleurs de préciser que les personnels de santé scolaire incluent également 3 900 psychologues du premier degré (+9 % par rapport à 2013), 4 650 psychologues du second degré (+2 % sur la même période), ainsi que 2 940 personnels des services sociaux – en hausse de 9 % par rapport à 2013.

Les psychologues de l’Éducation nationale disposent d’un concours spécifique de recrutement depuis 2017. Il n’y a à ce stade aucun problème de recrutement puisqu’au dernier concours, 600 personnes se sont présentées pour environ 120 postes de psychologue dans le premier degré. Toutefois, le nombre de places offertes au concours est problématique. La France est clairement en situation de sous-effectifs. Le rapport dit « Moro-Brison » ([81]) de 2016 notait qu’en France, on comptait un psychologue pour 1 600 élèves, alors que la moyenne européenne était d’un psychologue pour 800 élèves et même un pour 600 élèves en Finlande, pays souvent cité pour l’excellence de son système éducatif.

Si le nombre de psychologues des premier et second degrés de l’Éducation nationale a augmenté depuis 2013, cette hausse est insuffisante au vu du retard à combler.

Les assistants sociaux jouent également un rôle essentiel au sein des établissements scolaires, en proposant un accompagnement social aux enfants, en leur permettant de s’exprimer sur leurs difficultés – qui bien souvent débouchent sur des problèmes scolaires –, et en participant à la prévention et la détection des violences – notamment par la transmission d’informations préoccupantes aux services départementaux.

b.   Des personnels insuffisamment associés pendant la crise sanitaire

● De l’audition des médecins, infirmières et psychologues scolaires, est ressortie l’impression générale que ces personnels n’ont pas été associés et employés à la hauteur de ce qu’ils auraient pu apporter lors de la crise sanitaire, et que celle-ci pesait aujourd’hui sur l’exercice de leurs missions.

Mme Patricia Colson, secrétaire générale du Syndicat national des médecins de santé publique de l’Éducation nationale (SNAMSPEN/Sgen-CFDT) a résumé en ces termes la situation des médecins lors du confinement : « La période de confinement a été marquée par un sentiment d’abandon et d’inutilité pour les médecins de l’Éducation nationale. Rien n’était prévu, nous n’avions pas de place visible dans les dispositifs de continuité de la santé des élèves. Chacun a agi en son âme et conscience et suivant les cas préoccupants qu’il avait à sa charge. Chacun à sa manière a cherché à se rendre utile ».

Son témoignage laisse entendre que dans les premières semaines de la crise sanitaire, les médecins scolaires n’ont pas été sollicités par leur institution, et met en évidence l’absence de coordination au niveau local entre médecins, infirmières, assistantes sociales et psychologues : « l’activité des uns par rapport aux autres dépend du bon vouloir de chacun. Lors du retour du confinement, les directeurs d’école ont pu recevoir trois e-mails différents : un e-mail du médecin, un e-mail de l’infirmière, un e-mail de la psychologue scolaire. Chacun dans son couloir, avec sa responsabilité propre, s’inquiétait de ce qui se passait à l’école. »

La crise sanitaire semble également conduire les médecins scolaires à délaisser quelque peu, dans certains secteurs, des missions aussi essentielles que celles participant à l’école inclusive et au suivi des enfants les plus fragiles. D’après Mme Colson, les médecins scolaires seraient en effet amenés à remplir un nombre croissant de formulaires et de dossiers destinés aux caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et aux agences régionales de santé (ARS), dans le cadre du « traçage » des cas de Covid-19.

S’agissant des infirmiers scolaires, Mme Gwénaëlle Durand, représentante du Syndicat national des infirmiers.ères éducateurs.trices de santé (SNIES-UNSA-Éducation), a évoqué deux types d’actions pendant le confinement : d’une part, des appels auprès des élèves destinés à leur offrir la possibilité d’un suivi à distance ; d’autre part, l’organisation de télé-soins afin de soutenir, d’aider et d’orienter des élèves, mais aussi leurs parents. Elle a souligné à cet égard que pour réaliser ces missions, les infirmiers avaient manqué de matériel informatique, de téléphones professionnels et de logiciel de télésoin adapté, et que cela les avait freinés pour effectuer le suivi des élèves.

Mme Saphia Guereschi, secrétaire générale du Syndicat national des infirmier.ères conseiller.ères de santé (SNICS-FSU), a quant à elle souligné les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des protocoles sanitaires, au déclenchement de la crise sanitaire et à la suite du déconfinement. D’après son analyse, celles-ci trouveraient leur origine dans un manque initial de dialogue, ainsi que dans des délais de communication des informations de la part des autorités sanitaires. Mme Guereschi a ajouté que les infirmières étaient également mobilisées pour réaliser le « traçage » des cas de Covid-19 à l’école, ce qui les empêche de réaliser leurs missions : « Nous ne pouvons plus accueillir les élèves en consultation dans de bonnes conditions. Nous ne pouvons pas effectuer les bilans de santé. Ainsi, le bilan de santé de la douzième année est sous notre responsabilité mais nous ne pouvons pas le déployer à l’heure actuelle. Nous ne pouvons pas lancer les projets éducatifs de santé, alors que nous avons que la santé des jeunes et la prévention sont très importantes. »

En dernier lieu, les éléments communiqués à la Commission d’enquête donnent à penser que les établissements de l’Éducation nationale ont très peu associé les psychologues scolaires à la gestion de la crise épidémique pendant le premier confinement.

D’après une enquête réalisée par l’Association française des psychologues de l’Éducation nationale (AFPEN) à la sortie du premier confinement, à laquelle 600 psychologues scolaires ont répondu, il ressort que 50 % d’entre eux n’ont eu aucun contact avec leur hiérarchie pendant la période du confinement. Selon M. Laurent Chazelas, président de l’AFPEN, « certains ont même parfois été empêchés d’envoyer des documents pouvant aider les enseignants au prétexte que ces derniers étaient déjà envahis de documents. Il y a eu beaucoup de frustration parmi les collègues car ils n’ont pas pu mettre leurs compétences au service des enfants, des familles et des enseignants », alors que les élèves n’ont jamais autant eu besoin de psychologues que pendant cette période.

Ce constat révèle aussi les représentations, souvent très parcellaires, de la place et des missions des psychologues par l’institution. Il conviendrait pour remédier à cet écueil de prévoir la présence systématique d’un psychologue scolaire auprès des équipes académiques, probablement au niveau de la direction académique des services de l’Éducation nationale (DASEN). La profession, réglementée depuis 1985, est la seule dans l’institution scolaire à ne pas avoir de représentant auprès des différents étages décisionnels et fonctionnels.

● Du point de vue de la Commission d’enquête, ces faits plaident en faveur d’un renforcement, sinon d’une refondation, de la santé scolaire.

L’action globale qu’elle appelle de ses vœux ne saurait être résumée à la seule revalorisation des rémunérations au fil de la carrière – même si elle apparaît nécessaire, alors que le dernier rapport de la Cour des comptes relève des écarts de traitement, par exemple entre médecins scolaires et médecins inspecteurs de santé publique.

En soi, l’état des lieux dressé par les représentants auditionnés met moins l’accent sur des problèmes de rémunération que sur le poids de l’organisation du travail, facteur d’un manque d’attractivité et d’un manque d’efficacité dans l’accomplissement des missions et la prise en charge des enfants.

La Commission d’enquête n’entend pas ici discuter de la répartition des tâches entre médecins et infirmiers scolaires, pas plus qu’elle ne dispose d’éléments d’appréciation quant à l’opportunité de la création d’un service de santé scolaire intégré préconisée par la Cour des comptes. Toutefois, au vu des constats dressés en audition, la rapporteure appelle à une large concertation avec les professionnels de la santé scolaire pour mettre un terme à la dégradation de la situation, et parvenir à une meilleure coordination entre médecins et infirmiers. Au cours de leur audition du 15 octobre 2020, la santé scolaire est en effet apparue fortement polarisée entre médecins d’un côté, appelant à un lien fonctionnel entre eux, et les infirmiers, ces derniers le rejetant au nom de la spécificité de leurs missions – aucune solution consensuelle ne s’étant dégagée. Il est urgent de rapprocher les points de vue afin de créer les synergies indispensables au profit des élèves. Le chantier doit être lancé sans délai et s’accompagner de recrutements de médecins scolaires destinés à au moins combler le déficit observé depuis 2013.

Cet objectif pourrait donner lieu à une réflexion sur l’organisation d’instances ad hoc de concertation et d’information, au sein des écoles, collèges et lycées (sous l’autorité du chef d’établissement) mais aussi à l’échelle du ministère de l’Éducation nationale.

Propositions :

Renforcer l’attractivité des professions de santé scolaire, en revalorisant les rémunérations et les carrières pour les médecins, infirmiers, assistants sociaux et psychologues scolaires, et augmenter le nombre de postes ouverts

Engager une concertation parmi les personnels de la santé scolaire, pour parvenir à une meilleure définition de leurs missions respectives, une coordination de leurs interventions et la mise en place d’équipes pluridisciplinaires

Nommer des psychologues de l’Éducation nationale comme conseillers techniques des directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN), afin de prendre plus systématiquement en compte la dimension psychologique des difficultés au sein de l’école

2.   L’accès des étudiants aux soins : une préoccupation toujours prégnante, particulièrement en matière de santé mentale

a.   Un contexte sanitaire favorisant la persistance d’un non-recours aux soins

L’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) apporte régulièrement des statistiques tendant à illustrer la réalité de la renonciation aux soins parmi les étudiants, en particulier parmi les plus précaires : en 2016, 30 % des étudiants déclaraient avoir renoncé à des soins ou à des examens médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois ([82]).

Les premiers éléments disponibles sur la période du premier confinement tendent à prouver que la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 a conforté le non-recours aux soins parmi la population étudiante.

Ainsi que l’illustre le graphique ci-après réalisé à partir des déclarations des étudiants recueillis par l’OVE ([83]), la renonciation aux soins obéit à des motifs assez divers. On soulignera cependant que la peur de s’exposer et d’être contaminé par le Covid-19 représente 38,1 % des réponses. Par ailleurs, 26,8 % des étudiants interrogés invoquent des délais de rendez-vous trop longs ou des files d’attente trop importantes, tandis que 22,8 % indiquent n’avoir pas eu les moyens financiers nécessaires.

Motifs de renoncement aux soins durant le confinement (en %)

Ainsi que le soulignait M. Paul Mayaux, vice-président en charge des affaires sociales de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), ces résultats font écho aux difficultés rencontrées par 42 % des jeunes à payer des actes médicaux ou l’achat de médicaments au cours des trois mois de la crise sanitaire.

b.   Des capacités de prise en charge des étudiants qui ne sont pas à la hauteur des besoins

Ces différents constats soulèvent nécessairement la question des capacités d’accueil et de prise en charge des étudiants dans le cadre des structures de santé universitaires.

● Rappelons que le dispositif en la matière repose sur les services de santé universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS), ainsi que sur les actions et prestations réalisées dans des structures présentes dans l’environnement des universités : les centres médico-psychologiques, les bureaux d’aide psychologique universitaire ; les services des Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Les SUMPSS proposent des informations relatives à la santé et des consultations avec des professionnels médicaux. Le cas échéant et suivant les moyens des structures, les jeunes peuvent suivre une thérapie, recevoir des soins, soit en se rendant auprès des SUMPSS, soit auprès d’établissements de santé partenaires.

● Au vu des éléments recueillis par la Commission d’enquête, il apparaît que les structures de la santé universitaire sont demeurées assez largement ouvertes pendant le confinement. En outre, les CROUS ont déployé des actions de prévention sanitaire et ont pris part à la mise en œuvre des protocoles sanitaires pour ce qui concerne les étudiants demeurés et/ou confinés dans les résidences universitaires.

Des réponses apportées par le CNOUS à la Commission, il ressort que les mesures mises en œuvres par les centres régionaux ont eu pour objet :

– la commande et la distribution de masques et d’équipements de protection (gel, lingettes désinfectantes, produits désinfectants) pour ses personnels et les étudiants, dès le début du premier confinement ([84]) ; par ailleurs, les CROUS ont également été destinataires de masques commandés par le MESRI et ont noué des collaborations avec les collectivités territoriales à cette fin ;

– l’information des étudiants quant à l’évolution de la situation épidémique et les mesures de précaution sanitaires à observer ;

– l’isolement des étudiants résidents atteints par le Covid-19 ou suspectés d’avoir été contaminés : les centres régionaux ont organisé dans ce cas la livraison de repas directement au logement des personnes concernées ;

– l’organisation de consultations médicales ponctuelles, en collaboration avec les services de santé universitaires : les rendez-vous avec certains professionnels ont d’ailleurs pu donner lieu à la réalisation de visioconférences ([85]).

Mme Dominique Marchand, présidente du CNOUS, a par ailleurs indiqué que les dispositions du décret n° 2020-273 du 18 mars 2020, relatif aux missions des services de santé universitaires dans le cadre de la lutte contre le virus Covid‑19, ont permis aux centres régionaux de mieux être associés aux autres services de la santé universitaire dans ces circonstances exceptionnelles.

● Néanmoins, les éléments recueillis lors des travaux de la commission laissent à penser que les services de santé universitaires ne sont pas dimensionnés pour faire face aux besoins des étudiants, particulièrement en matière de santé mentale.

Dans un contexte marqué une hausse des demandes de rendez-vous depuis septembre 2020 auprès des psychologues des SUMPPS, l’ensemble des associations représentatives des étudiants font état d’une raréfaction des créneaux de consultation disponibles. Ce constat fait écho au nombre très insuffisant de psychologues, et plus largement à l’insuffisance de l’offre de soins dans les services de santé universitaires.

Les services de santé universitaires en quelques chiffres

D’après une enquête présentée en octobre 2020 par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, on dénombrait en juillet 2020 57 services de santé universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS), dont 26 érigés en centres de santé.

Sur ces 57 services, 48 ont répondu à l’enquête. 1 013 personnes travaillaient au sein de ces 48 services de santé universitaires au cours de l’année universitaire 2018-2019, tous statuts confondus (médicaux, sociaux, paramédicaux et administratifs). Cet effectif global se répartit ainsi :

 325 médecins dont 57 directeurs et 10 adjoints (médecins conformément au code de l’éducation) ;

 262 personnels infirmiers ;

 134 psychologues ;

 59 assistantes sociales ;

 3 dentistes ;

 11 sages-femmes ;

 166 personnels administratifs

À cela s’ajoutent les chargés de prévention ou chargés de projets, dont le nombre n’a pas été communiqué.

En outre, le ministère signale également l’existence de nombreux partenariats et conventions (par exemple, avec des établissements hospitaliers) qui contribueraient à enrichir l’offre de prévention et de soins par des vacations de psychiatres, de généralistes ou de gynécologues.

Source : MESRI, Département de la Vie étudiante et des campus

Sur la base de ces chiffres, les ratios du nombre d’étudiants par ETPT de professionnel de santé apparaissent particulièrement défavorables : le nombre d’étudiants par ETPT de médecin de service de santé universitaire atteint 15 813 et le nombre d’étudiants par ETPT de psychologue est encore plus élevé, avec 29 882 étudiants. Ces statistiques montrent que les ressources humaines dont disposent les services de santé universitaires ne sont pas en rapport avec la population étudiante.

D’après les données dont fait état l’association Nightline ([86]), ce ratio d’étudiants par psychologue est 8 fois plus élevé en France que dans la moyenne des autres pays recensés (soit 3 732 étudiants par ETPT de psychologue). Aux États-Unis, l’on compte un peu moins de 1 600 étudiants par ETPT, et ce chiffre est de respectivement 2 600 en Irlande, 4 000 en Australie ou encore 7 305 en Autriche. Le ratio constaté en France est très éloigné de certaines recommandations internationales, qui préconisent un taux de 1 ETPT pour 1 000 à 1 500 étudiants ([87]).

La rapporteure souligne donc l’importance fondamentale de renforcer l’ensemble des structures contribuant à la santé des étudiants, notamment leur santé mentale, a fortiori dans le contexte de la crise sanitaire qui a fragilisé les étudiants et se traduit par une forte hausse des besoins.

Suivant un constat analogue à celui établi pour la médecine scolaire, la réalisation de cet objectif justifierait probablement une évaluation de l’organisation du travail et des règles de dotation en personnel. Mais il importe d’apporter un soutien immédiat face à une crise sanitaire qui prolonge ses effets.

L’action 3 du programme budgétaire 231 Vie étudiante finance les services universitaires ou interuniversitaires de médecine préventive et de promotion de la santé (SUMPPS). Du point de vue de la rapporteure, cette ligne mérite également une inflexion très nette de la trajectoire budgétaire afin de conforter ces structures de proximité du point de vue de leurs ressources humaines et matérielles.

Proposition : Renforcer les moyens humains et matériels de l’ensemble des structures participant aux dispositifs de la santé universitaire, notamment pour la santé mentale

c.   Une crise mettant en cause des avancées dans la lutte contre les inégalités de genre en matière de santé ?

Du point de vue de la rapporteure, porter remède à la précarité étudiante suppose de prendre la mesure des inégalités de genre – encore insuffisamment évaluées aujourd’hui –, accrues par la présente crise sanitaire.

Dès lors, elle ne peut que s’alarmer des conséquences de la crise sanitaire sur l’exercice du droit à l’avortement.

Pour ce qui concerne le premier confinement, il ressort de l’analyse rendue publique par le Planning familial que dans leur ensemble, les femmes ont rencontré davantage de difficultés pour consulter en vue d’une interruption volontaire de grossesse (IVG) ([88]) pendant le confinement. Pour la période du 30 mars au 19 avril 2020, il a été rapporté à l’association, en nombre croissant :

– des dysfonctionnements ou le non-respect de la loi dans la prise en charge des personnes souhaitant réaliser une IVG ou se faire délivrer/poser une contraception ;

– un accueil en vue de la réalisation d’une IVG culpabilisant et/ou qui marque un jugement ;

– des situations de violence conjugale ou familiale ;

– des IVG réalisées à l’étranger, du fait du dépassement des délais légaux en France, parfois en conséquence d’un autoconfinement.

Ces difficultés peuvent être rapprochées de la baisse des avortements constatée sur la période analysée par le Planning familial. Pourtant, les procédures d’IVG médicamenteuses en ville ont été assouplies et il apparaît que la plupart des hôpitaux se sont organisés afin de maintenir les IVG pendant l’épidémie.

Au-delà des restrictions à la liberté de mouvement propre au confinement, cette situation doit sans doute beaucoup à une absence d’information quant aux conditions d’accueil des structures et cabinets médicaux. Au terme de ses travaux, la Commission d’enquête ne dispose pas d’éléments actualisés sur la persistance éventuelle des difficultés identifiées lors du premier confinement.

Néanmoins, la rapporteure appelle les pouvoirs publics à la vigilance quant aux pratiques ou difficultés d’organisation susceptibles de faire obstacle à la réalisation des IVG et à organiser une campagne d’information rappelant expressément les conditions dans lesquelles s’exerce par principe le droit à l’avortement pendant la crise sanitaire.

 

Propositions :

Prévenir et lutter contre les pratiques ou difficultés d’organisation susceptibles de faire obstacle à la réalisation des interruptions volontaires de grossesse

Organiser une campagne d’information nationale rappelant expressément les conditions dans lesquelles s’exerce par principe le droit à l’avortement pendant la crise sanitaire

II.   un accès À L’Éducation rÉaffirmé mais À la mise en œuvre problÉmatique

Lors de son audition, M. Sébastien Lyon, directeur d’Unicef France, a déclaré : « Nous avons beaucoup communiqué sur la fermeture des écoles. Cette situation est sans précédent dans l’histoire de l’humanité, avec un milliard six cents millions d’enfants qui n’avaient pas accès à l’école simultanément. Cette situation a des impacts. Aujourd’hui, six cents millions d’enfants ne sont toujours pas à l’école, et certains pays ont d’immenses difficultés à relancer leur système éducatif après l’avoir fermé. ». Cette situation constitue un recul sans précédent et aura, à n’en pas douter, des répercussions importantes, y compris dans notre pays.

Si la France ne s’est pas trouvée dans la situation de bien des pays où les professeurs ont quitté leur lieu de travail pour aller gagner leur vie ailleurs, la reprise de la scolarité ne se fait pas sans difficulté, d’autant que nous entretenons l’illusion de la normalité, d’un retour à la situation d’avant la crise. Cette illusion peut avoir des effets positifs mais engendre également des souffrances car elle ne correspond pas à la réalité vécue par les enseignants et les élèves.

En tout état de cause, M. Christophe Delacourt, président de la Société française de pédiatrie, l’a clairement affirmé lors de son audition du 24 septembre 2020 : « Nous pouvons en être convaincu, le pire pour un enfant est de ne pas aller à l’école ». Ainsi, si la crise sanitaire et le confinement ont eu une seule vertu, c’est bien de redémontrer l’importance de l’école aux yeux de tous. La fermeture des écoles est un puissant facteur de creusement des inégalités entre ceux qui en ont besoin et ceux qui en ont absolument besoin.

En effet, l’Éducation nationale et les universités ont été et sont des institutions essentielles dans la prise en charge des jeunes dans les circonstances exceptionnelles créées par la crise sanitaire. Un enfant, un adolescent ou un jeune adulte sont en souffrance sans leur famille qui constitue la sécurité de base, mais aussi sans l’école où se forgent ses apprentissages, où il côtoie ses pairs et expérimente la relation à autrui. Il est aussi parfois malheureusement le lieu où certains enfants mangent leur seul repas complet et où les violences peuvent être détectées, en définitive le point focal vers lequel convergent les regards de tous les acteurs de l’enfance et de la jeunesse.

A.   la continuité de la scolarité des enfants en question

Afin de situer les ordres de grandeur sur lesquels s’est appuyé le conseil scientifique pour élaborer le 24 avril 2020 son avis sur les conditions sanitaires minimales d’accueil dans les établissements scolaires, il est à rappeler que le système éducatif français est composé de :

– 50 500 écoles primaires dont près de 15 000 écoles maternelles ;

– 7 200 collèges ;

– 4 200 lycées dont 2 330 lycées professionnels ;

Ces établissements accueillaient, durant l’année 2019-2020, 12 875 650 élèves répartis comme suit :

– 6 750 250 élèves du premier degré ;

– 3 374 400 collégiens ;

– 1 621 750 lycéens en lycée général et 648 850 lycéens en lycée professionnel ;

210 000 élèves, dont 12 000 collégiens, sont internes. 83 % de l’ensemble des élèves sont scolarisés dans le secteur public, et 17 % dans le secteur privé sous contrat.

On dénombre 870 900 enseignants dont 142 500 dans le secteur privé sous contrat. La communauté éducative est complétée par d’autres agents (ATSEM, agents d’entretien, surveillants, personnels administratifs…).

1.   Une année 2019-2020 partiellement escamotée, césure inédite pour les élèves

a.   Fermeture des écoles : rappel de la chronologie

Alors que le premier confinement n’a été effectif que le mardi 17 mars, les écoles, quant à elles, ont dû fermer dès le lundi 16 mars. Le tableau ci-dessous reprend la chronologie des perturbations qu’ont dû subir les écoles, collèges et lycées en fonction des aggravations et des améliorations de la situation sanitaire. Cette crise a occasionné une coupure sans précédent dans la scolarité des enfants. Même pendant les événements de mai et juin 1968, les établissements n’ont pas été fermés aussi longtemps et aussi largement.


Jeudi 12 mars : annonce de la fermeture des établissements scolaires par le Président de la République, mise en œuvre à partir du lundi 16 mars.

Vendredi 3 avril : annonce par le ministre de l’Éducation nationale que le bac 2020 serait attribué sur la base du contrôle continu

Lundi 13 avril : annonce que les écoles, collèges et lycées devraient progressivement rouvrir à partir du 11 mai

Lundi 11 mai : réouverture progressive des classes, à compter du 11 mai pour les écoles de tous les départements, et à compter du 18 mai pour les collèges des départements classés « verts », en commençant par les classes de 6e et de 5e ; priorité accordée aux classes de grande section, CP et CM2 dans les écoles ; scolarisation « en présentiel » relevant du libre choix des familles.

Jeudi 28 mai : annonce du ministre de l’Éducation nationale que l’oral du bac de français n’aurait pas lieu, avec application du contrôle continu

Mardi 2 juin : généralisation de la réouverture des classes dans les écoles, collèges et lycées, « pour tous les élèves qui le souhaitent » (scolarisation par rotation, selon les contraintes de distanciation et d’espace) ; 15 enfants par classe à la fois au maximum, accueil complémentaire proposé aux familles avec le programme Sport, Santé, Culture, Civisme (2S2C)

Lundi 15 juin : annonce du Président de la République d’un retour à l’école et au collège des élèves de manière obligatoire et selon les règles de présence normales à partir du 22 juin, avec un assouplissement des règles sanitaires

Lundi 22 juin : les écoles et les collèges accueillent tous les élèves, les lycées peuvent accueillir davantage d’élèves (pas de sanctions en cas de non-retour des enfants à l’école)

Mardi 1er septembre : rentrée « en présentiel » dans tous les établissements scolaires

Mardi 22 septembre : allègement du protocole sanitaire (notamment sur la définition des cas contacts et les conditions de fermetures de classe, sur la base de l’avis du Haut conseil de la santé publique du 17 septembre)

Mercredi 28 octobre : annonce par le Président de la République d’un nouveau confinement. Les écoles, collèges et lycées restent ouverts.

Jeudi 5 novembre : annonce par le ministre de l’Éducation nationale du renforcement du protocole sanitaire dans les lycées qui pourront assurer 50 % de leur enseignement à distance.

b.   La mise en place d’un dispositif d’accueil dès le 16 mars en faveur des enfants de soignants

Le 16 mars, le dispositif d’accueil dans les établissements scolaires concernait les enfants des personnels suivants :

– les personnels travaillant en établissements de santé publics/privés : hôpitaux, cliniques, soins de suite et de réadaptation (SSR), hospitalisation à domicile (HAD), centres de santé… ;

– les personnels travaillant en établissements médico-sociaux pour personnes âgées et personnes handicapées : maisons de retraite, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), unités de soins longue durée (USLD), foyers autonomie, instituts médico-éducatifs (IME), etc. ;

– les professionnels de santé et médico-sociaux de ville : médecins, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, aides-soignants, transporteurs sanitaires, biologistes, auxiliaires de vie pour personnes âgées et handicapées, etc. ;

– les personnels chargés de la gestion de l’épidémie des agences régionales de santé (ARS), des préfectures et ceux affectés à l’équipe nationale de gestion de la crise.

Le 22 mars, ce dispositif d’accueil a été étendu aux enfants des personnels affectés aux missions d’aide sociale à l’enfance relevant des conseils départementaux ainsi que des associations et établissements publics concourant à cette politique, si ces personnels étaient dépourvus de solution de garde, notamment la protection maternelle et infantile (PMI).

Enfin, à compter du mardi 31 mars 2020, le dispositif d’accueil a été étendu, sur appréciation des préfets, à d’autres personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire sur présentation d’une attestation de l’autorité préfectorale et dans la limite des capacités d’accueil.

Le nombre d’élèves accueillis a atteint jusqu’à 115 000 au cours du mois d’avril 2020, grâce à la mobilisation de personnels volontaires de l’Éducation nationale, dont l’engagement doit être salué. Comme l’a souligné M. Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l’Éducation nationale, « au fil des semaines, les volontaires étaient de plus en plus nombreux, ce qui leur permettait de recréer du lien et de se sentir honorés de prendre ces élèves en charge. »

Ces élèves ont été accueillis selon un protocole strict, avec des groupes de cinq enfants au maximum pour les moins de six ans et de dix enfants pour les autres. Cet accueil a été organisé par les directeurs et directrices d’école et les responsables d’établissement des enfants concernés, sur présentation par le parent de sa carte professionnelle.

c.   Une réouverture des écoles qui a eu le mérite d’être réalisée, même si elle a pu être anxiogène pour les élèves et leur famille, et inégale selon les territoires

● Le processus de déconfinement scolaire s’est fait en trois phases :

– Le 11 mai 2020, réouverture de toutes les écoles de tous les départements ; le 18 mai 2020, réouverture des collèges des départements classés « verts » en commençant par les classes de sixième et de cinquième ;

Reprise scolaire subordonnée, d’une part, aux règles de confinement fixées par les autorités de l’État dans chaque département, et d’autre part, à la capacité effective des collectivités territoriales et des personnels à assurer le strict respect de ses règles ;

Cours se déroulant en groupes de quinze élèves au maximum dans le respect des règles de distanciation, de manière alternative et selon les modalités fixées par l’inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) et les chefs d’établissement, en concertation avec l’équipe pédagogique ;

– Le 2 juin 2020, réouverture de l’ensemble des collèges, selon des modalités distinctes selon que les départements étaient classés en zone verte ou orange ([89]) ; pour les lycées, les modalités de réouverture variaient selon les zones ([90]) ;

– Le 22 juin 2020, reprise des cours en classe pour les écoles et collèges, rendue obligatoire avec un assouplissement du protocole sanitaire dans les écoles – pas de distanciation physique à l’école maternelle et un mètre de distance dans les écoles. Dans les lycées, en revanche, le protocole sanitaire fut maintenu inchangé.

● Avant toute chose, il convient de rappeler que pour la première fois depuis la loi dite Ferry du 28 mars 1882, la scolarisation, même si le lien pédagogique avec l’extérieur était théoriquement maintenu dans tous les cas de figure, est apparue comme non obligatoire entre les mois de mai et juillet 2020 – l’obligation édictée à compter du 22 juin étant tempérée par l’absence de sanctions. La décision a été laissée à la responsabilité des parents. De nombreux parents ont témoigné d’un choix impossible à effectuer entre la volonté légitime de renvoyer leurs enfants à l’école et les risques qu’ils étaient susceptibles de faire prendre à leur progéniture dans un contexte de fortes incertitudes.

L’anxiété a été d’autant plus forte que des parents d’élèves ont fait part de leur incompréhension quant aux conditions évolutives de la reprise des enseignements in situ. Mme Myriam Menez, présidente pour le Val-de-Marne de la PEEP ([91]) a résumé la situation lors de son audition par la commission d’enquête : « Certaines familles souhaitaient que leurs enfants retournent à l’école, mais s’en voyaient refuser l’accès. D’autres ne le souhaitaient pas, soit par manque d’informations, mais aussi parce que les organisations proposées étaient parfois anxiogènes, voire très complexes ou totalement infernales pour les familles. Différents enseignants pouvaient se succéder sur la même semaine, ou n’être présents que quelques demi-journées. » Ce sentiment était renforcé par les différences parfois importantes des conditions de reprise des élèves au sein d’une même fratrie.

In fine, les cartes ci-dessous montrent que 84,5 % des écoles primaires avaient rouvert le 28 mai mais qu’elles accueillaient seulement 19,5 % des élèves, soit 1,28 million sur 6,67 millions d’écoliers.

Au collège, 96 % des établissements étaient ouverts dans les départements en zone verte ; ils ont accueilli 29 % des élèves de 6e et 5e, soit 292 000 élèves sur 1,015 million – sachant que le nombre total de collégiens atteint 3,37 millions dans l’ensemble des niveaux et des départements. Cela signifie donc que moins de 9 % des collégiens avaient repris le chemin de leur classe à la fin du mois de mai.

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Source : Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports

Ces cartes montrent les fortes disparités territoriales lors de la reprise des enseignements en classe. Le rapport reviendra sur le creusement des inégalités dû au confinement scolaire. D’ores et déjà, il est frappant de constater que les inégalités territoriales ont été exacerbées. En effet, sur un même bassin de vie, le département des Yvelines a ouvert 99 % de ses écoles pour accueillir 19 % des élèves lorsque le département de Seine-Saint Denis n’a pu ouvrir que 66 % de ses écoles et n’accueillir que 9 % des élèves. Les départements d’outre-mer n’ont que peu repris les enseignements dans les écoles jusqu’aux vacances estivales. La Martinique n’accueillait aucun élève le 28 mai et la Guadeloupe 2 %.

Des taux similaires ont été observés en Corse, avec seulement 3 % des élèves accueillis, et 15 % ou 27 % d’écoles rouvertes selon le département concerné. En revanche, les taux de scolarisation dans les écoles étaient beaucoup plus élevés en Bretagne (entre 44 % et 47 % d’élèves accueillis selon les départements), dans l’Aveyron (56 %) et en Savoie (51 %).

Selon les données fournies par le ministère de l’Éducation nationale, « le centre ministériel de crise ne dispose pas d’une analyse fine permettant d’expliquer les différences de proportion d’établissements ouverts et élèves accueillis. Néanmoins, quelques éléments permettent de porter une appréciation sur cette situation : le degré de circulation du virus dans la zone ; le refus de réouverture des écoles par certaines communes. » Au 12 mai, les données transmises au centre ministériel de crise font état de la non-réouverture d’écoles dans environ 3 600 communes.

Témoignages de collégiens scolarisés au collège Stendhal, à Toulouse

« Quand l’école s’est arrêtée, ça ne m’a pas dérangé. J’ai eu beaucoup d’aide par ma famille et l’école, je me suis débrouillé comme ça. »

« Ça s’est bien passé pour moi. Je suis assez casanière. J’étais contente de retrouver ma famille. Au début, tous les devoirs arrivaient en même temps. Ce n’était pas facile mais j’ai eu de l’aide à la maison. »

« J’ai bien vécu le confinement, sauf pour les cours en ligne compliqués à suivre. Il me manquait des explications au début pour maîtriser les outils. Dommage d’avoir arrêté le sport, le foot par exemple. Ça m’a bloqué dans ma progression. Je manque de défoulement. »

« Ça s’est passé normalement. Je suis sorti prendre l’air de temps en temps. J’ai récupéré mes devoirs au collège. Je m’en suis bien sorti en fait. »

« J’ai mal vécu le confinement. Ma connexion internet ne m’a pas permis de participer aux cours en visio. Le collège a prêté des tablettes, puis a mis à disposition des cours imprimés. Pas facile de suivre uniquement avec le papier et certains n’avaient que ça. Le bruit et le monde à la maison, ce n’est pas un endroit où on peut suivre des cours. J’ai besoin d’un endroit plus calme. »

« Je me demande quand je pourrai enlever mon masque pour être vraiment moi-même. Le masque est fatigant. Les cours sont peu animés parce que parler avec le masque est un effort. Physiquement, pour une fille, ce n’est pas simple. On devient moins coquettes. On voit moins nos émotions. »

« Au niveau des examens, en contrôle continu, le brevet a été pénalisant, frustrant pour ceux qui ont mal travaillé tout au long de l’année et qui espéraient se rattraper à l’examen. Pour ceux qui ont fait des efforts tout au long de l’année, ils n’ont pas forcément eu la mention qu’ils attendaient en récompense. »

« Je m’interroge sur la fin de l’année scolaire : est-ce que la présence va être maintenue un jour sur deux ? Comment ça va se passer pour Parcoursup, le bac… ? Est-ce que je pourrais avoir plus de soutien ? J’ai l’impression que certains profs sont « en marche forcée » pour avancer dans le programme sans que les élèves aient le temps d’assimiler. »

Quant aux lycéens, un très faible nombre d’entre eux ont pu retourner dans leur établissement avant la rentrée de septembre 2020. Cette situation est particulièrement vérifiée pour les lycéens d’Île-de-France.

Les données demandées sur le nombre d’élèves accueillis à la mi-juin et à la fin du mois de juin n’ont pas été fournies, mais le ministère de l’Éducation nationale a indiqué qu’à la mi-juin, on comptait 45 064 écoles ouvertes (91 %), 6 395 collèges (90 %) et 1 787 lycées (74 %). Fin juin, ces chiffres atteignaient 46 677 écoles (95 %), 6 529 collèges (94 %) et 1 879 lycées (76 %) ([92]).

Le cas des élèves en situation de handicap

Concernant les élèves en situation de handicap, la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées et le ministre de l’Éducation nationale avaient indiqué début mai que les élèves en situation de handicap pourraient faire leur rentrée comme les autres écoliers, selon le même calendrier et la même méthode, et qu’ils faisaient partie des publics prioritaires identifiés par l’Éducation nationale.

Le nombre d’élèves en situation de handicap ordinairement accueillis à l’école est le suivant : 194 500 dans le premier degré, dont 52 500 en ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) ; 166 500 dans le second degré, dont 48 500 en ULIS

À la rentrée 2019, on décomptait 9 239 dispositifs ULIS, dont 5 021 ULIS école et 3 462 ULIS collège. Mi-mai, 75 % des dispositifs ULIS école étaient ouverts, à savoir 3 765 dispositifs.

Selon les informations transmises par le ministère de l’Éducation nationale, « au tout début du déconfinement, entre 20 % et 50 % des élèves des dispositifs ULIS étaient accueillis en présentiel : en effet, de nombreuses familles préféraient que leur enfant reste en enseignement à distance.

À partir de début juin, 80 % des ULIS école (4 015 ULIS) étaient ouvertes, avec un effectif croissant d’élèves scolarisés en présentiel. 80 % des dispositifs ULIS collège, soit 2 770 ULIS collège scolarisaient les élèves en présentiel. Nous ne disposons pas d’informations concernant la réouverture des 756 ULIS lycée ».

Il est plus difficile d’obtenir des données chiffrées sur la reprise de l’école pour les élèves en situation de handicap hors ULIS. Mme Danièle Langloys, lors de son audition, a souligné les difficultés de reprise de l’école pour ces enfants, notamment du fait du manque d’AESH : « Une pression a été exercée sur les familles, en leur expliquant que ce n’était pas une urgence et qu’il était préférable d’attendre, car la reprise allait être très compliquée. Je comprends que les enseignants aient été dépassés par la situation. Les AESH ne sont pas tous revenus, soit parce qu’ils étaient malades, s’étaient mis en congé maladie ou avaient trouvé un autre travail. Assez généralement, la situation a été très chaotique pour les enfants en situation de handicap et encore plus pour les enfants autistes. » Mme Sophie Cluzel a indiqué lors de son audition que s’agissant de la rentrée scolaire de septembre, « les alertes ont été moins nombreuses que les années précédentes, des solutions ont systématiquement été trouvées dans les territoires et les familles étaient rappelées dans les vingt-quatre heures. Bien sûr, il reste, chaque année, des difficultés. Mais il y en a aussi pour les enfants valides. C’est l’organisation intrinsèque de l’Éducation nationale, qui accueille plus de 10 millions d’enfants, quels qu’ils soient et de tout âge. »

En tout état de cause, le ministère de l’Éducation nationale, interrogé sur le nombre d’AESH ayant repris leur activité lors du déconfinement, a indiqué que les données quantitatives sur les accompagnements au moment du déconfinement n’étaient pas disponibles.

La rapporteure tient à saluer les personnels de l’Éducation nationale pour avoir mené à bien le déconfinement scolaire et l’accueil des élèves avant les vacances estivales. Il est en effet apparu très important que chaque enfant ait un contact avec son établissement avant le mois de juillet pour terminer symboliquement l’année scolaire et mieux préparer la suivante.

2.   Les difficultés à assurer la continuité pédagogique pendant le confinement et les débuts du déconfinement

a.   Des mesures gouvernementales destinées au maintien de la continuité pédagogique, mais révélatrices de difficultés technologiques au sein de l’Éducation nationale

L’objectif des équipes enseignantes, dès le premier jour de confinement, a été de maintenir un lien pédagogique entre les professeurs et les élèves, afin d’entretenir les connaissances déjà acquises par les élèves tout en permettant l’acquisition de nouveaux savoirs. Plusieurs outils ont pu être utilisés dans le cadre de cette continuité pédagogique.

Ma classe à la maison : ce dispositif a été mis en place par le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Il fournit des supports de cours et des exercices en ligne pour les classes de la grande section de maternelle à la terminale et permet la tenue de séances de classe avec les élèves. Le ministère de l’Éducation nationale indique que les ressources pédagogiques de cette plateforme, conçues pendant l’hiver 2019-2020, ont été utilisées par deux millions de familles et que les classes virtuelles proposées dans le cadre de ce dispositif ont été utilisées par 500 000 professeurs. Pendant le confinement, plus de 3 millions d’élèves ont eu accès, par ce biais, à une ou plusieurs classes virtuelles.

Devoirs à la maison : La mise en œuvre de ce dispositif a permis de numériser les devoirs réalisés afin de permettre leur diffusion dématérialisée. Le CNED a par ailleurs mis en œuvre un agent conversationnel nommé « Jules » capable de répondre aux questions des élèves de tous niveaux.

La maison Lumni : la chaîne de télévision France 4 a développé son offre éducative avec la « maison Lumni ». Plus de 700 cours ont été élaborés par des professeurs de l’Éducation nationale et diffusés, recueillant jusqu’à un million de téléspectateurs.

Nation apprenante : Cette opération a mobilisé des chaînes de radio, de télévision et des organes de presse, afin que l’ensemble des élèves et des familles intéressées puissent accéder à des émissions culturelles, des cours, des exercices…

Environnement numérique de travail (ENT) : L’ENT est un ensemble intégré de services numériques choisis et mis à disposition de tous les acteurs de la communauté éducative. Il constitue un point d’entrée permettant à l’utilisateur d’accéder à des contenus numériques. Il offre un lieu d’échange entre professeurs et élèves notamment. Prolongement numérique naturel de l’établissement, il est mis à disposition dans le cadre d’une compétence partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Durant la période de mars à juin 2020, les ENT ont eu vocation à être le principal outil de la continuité pédagogique. Ils ont connu une augmentation de 346 % des visites pour le seul mois de mars et ont absorbé jusqu’à 57,91 millions de pages vues par jour, avec 217 millions de visites pour le mois de mars et les premières semaines de continuité pédagogique.

Par ailleurs le réseau de création et d’accompagnement pédagogique ou « réseau Canopé », dont les missions ont été récemment recentrées sur la formation continue en ligne des enseignants, a proposé aux professeurs des formations, des ressources et un accompagnement dans le cadre de l’enseignement à distance.

Évidemment, dans la pratique, la mise en œuvre des outils a soulevé des difficultés. Le dimensionnement des serveurs et des réseaux des collectivités territoriales qui déploient les ENT ne permettait pas de faire face à l’explosion des connexions. En conséquence, à titre d’exemple et dans les trois départements de l’académie de Créteil et sur l’ensemble de la région Île-de-France, les espaces numériques de travail (ENT) ont complètement explosé et ont été mis en croix, selon les termes de M. Daniel Auverlot, recteur de l’académie de Créteil. M. Bruno Faure, président de la commission Éducation de l’Assemblée des départements de France (ADF) a ainsi indiqué : « S’agissant du numérique éducatif et de nos plateformes, nous n’avions pas imaginé avoir besoin de faire face à des connexions simultanées aussi importantes. Nos plateformes ont été saturées, voire inopérantes, pendant huit à dix jours. Nous avons là aussi réussi à intervenir rapidement pour les rendre à nouveau actives et opérantes et permettre un enseignement à distance de façon massive. » Régions de France a indiqué que les volumes de connexion sur les ENT avaient été multipliés par 4 à 10, selon les régions.

Si les collectivités ont réagi extrêmement vite pour répondre à la hausse des connexions, des enseignants se sont tournés de manière dispersée vers de nombreuses solutions différentes, parfois peu compatibles avec le RGPD (Règlement général de protection des données). Les élèves et leurs parents ont dû souvent gérer différents supports de travail selon les matières et les enseignants, ce qui a été un important facteur de complexité pour eux.

En définitive, si la bonne volonté du ministère de l’Éducation nationale n’est pas à remettre en cause, le sous-investissement technologique est apparu en pleine lumière lors du confinement et appelle à un véritable plan d’investissement. La prise de conscience est réelle et le confinement a eu le mérite de faire faire un bond technologique à de nombreux enseignants, notamment ceux qui étaient jusque-là les plus éloignés du numérique. Il a surtout souligné l’importance du lien concret entre l’élève et le professeur, et de la classe comme lieu d’échanges.

Par ailleurs, l’absence d’ENT dans le premier degré – moins de 20 % des élèves à la rentrée 2020 – a pu être préjudiciable à la continuité pédagogique pour les élèves concernés.

Le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C)

La crise sanitaire et les contraintes de distanciation ont entraîné des conditions d’accueil très particulières, qui ont eu des conséquences sur le nombre d’élèves pris en charge simultanément par un même professeur.

Lorsque l’élève n’était pas en classe, le dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C) a été mis en place afin de proposer des activités sur le temps scolaire qui se déroulent dans le prolongement des apprentissages et en complémentarité avec l’enseignement.

Ces activités pouvaient être assurées en priorité par des professeurs, en complément de service, avec des échanges de service ou en inter-degrés (école /collège), et en heures supplémentaires.

En outre, dans le cadre d’une convention avec la collectivité territoriale de rattachement, des activités, notamment dans les domaines du sport, de la santé, de la culture et du civisme ont été organisées par la collectivité pendant le temps scolaire. Ces interventions dans les différents domaines proposés ne se substituaient pas aux enseignements et donc à l’action première des professeurs dans leurs disciplines (EPS, arts plastiques, éducation musicale, enseignement moral et civique…).

Au total, près de 3 000 conventions ont été signées pour les élèves du 1er degré, portant sur près de 6 000 écoles et bénéficiant à près de 170 000 élèves – dont plus de 45 000 dans les écoles maternelles et près de 122 000 dans les écoles élémentaires, soit 2,5 % des élèves concernés.

b.   Des familles déboussolées par « la classe à la maison »

Avant tout, il convient de signaler que cette crise n’a pas généré que des effets négatifs. Une véritable solidarité s’est développée entre les parents d’élèves et l’ensemble des membres des communautés éducatives. Les professeurs se sont adaptés à la situation et ont été capables d’organiser, en quelques jours, des cours à distance avec leurs élèves. Sans formation particulière, nombre d’entre eux ont trouvé le ton juste et ont su entretenir un lien social et maintenir le lien professeur/élève.

Cependant, pendant les semaines de confinement, les parents ont dû assumer, outre leur travail, le rôle de professeur de leurs enfants. Les parents d’élèves ont différemment vécu la période, selon qu’ils résident en ville ou à la campagne, qu’ils soient parents d’un ou plusieurs enfants, qu’ils habitent dans un appartement de 30 mètres carrés ou dans une maison avec jardin, et surtout selon leur propre rapport à la culture scolaire et le temps disponible que leur laissaient leurs autres tâches.

La continuité pédagogique a souvent connu des soubresauts lors de sa mise en place. Le travail à la maison demandé aux enfants était parfois mal adapté, avec une importante quantité de travail pour certains élèves. La charge de travail supplémentaire et des directives trop changeantes – voire contradictoires – ont parfois conduit des chefs d’établissement à gérer seuls les protocoles sanitaires, les emplois du temps mouvants et les adaptations parfois au jour le jour, au détriment des liens avec les familles, qui devaient s’adapter sans cesse.

Ce nouveau rôle a généré un grand stress chez de nombreux parents qui ne parvenaient pas à capter l’attention de leur enfant. Ils ont souvent oscillé entre un acharnement épuisant et un abandon « en attendant des jours meilleurs ».

En définitive, selon un sondage réalisé par la FCPE ([93]) en septembre 2020, 69,8 % des parents s’inquiétaient à l’idée que leurs enfants soient de nouveau amenés à rester à la maison pour cause de fermeture d’établissement liée au coronavirus, et à la mise en place de la continuité pédagogique. Ce chiffre donne une indication assez fiable de la manière dont les parents ont vécu le premier confinement et la fermeture des écoles.

c.   La reconnaissance du métier d’enseignant malgré un « professeur bashing » médiatique au mois de juin

Les fédérations de parents d’élèves reçues par la commission d’enquête ont toutes rendu un hommage vibrant aux enseignants. De nombreux parents ont pris conscience à l’occasion du confinement de la réalité du métier d’enseignant. S’il n’y a à retenir qu’un seul point positif du confinement, ce serait celui-là. Un sondage IFOP de mai 2020 montre que 75 % des parents d’élèves étaient satisfaits de la manière dont les enseignants ont géré la période de confinement ([94]).

Cependant, de manière inexpliquée, en juin dernier, la presse s’est faite l’écho d’un phénomène de professeurs décrocheurs qu’elle a pu présenter comme massif. Le chiffre de 4 à 5 % de professeurs qui n’auraient pas assuré le moindre enseignement durant le confinement a été avancé par un média audiovisuel, soit près de 40 000 enseignants, sans qu’il soit indiqué sur quelles données il reposait. Le ministre de l’Éducation nationale, par la voix de son ministre ([95]), a dû rappeler une évidence : une personne qui ne fait pas son travail est sanctionnable et sanctionnée.

La rapporteure condamne ces poussées démagogiques qui s’attaquent à l’ensemble d’une profession en se fondant sur des chiffres non étayés.

d.   La crise sanitaire comme révélateur de la fracture numérique

Selon le même sondage IFOP précité, la proportion de foyers n’ayant pas accès à un ordinateur est de 10 %. La part de foyers qui ne disposent pas d’une connexion internet qui fonctionne correctement est de 11 %. Ceux-ci sont minoritaires mais non marginaux. L’absence d’ordinateur à la maison est imputable à la fois à des raisons économiques et générationnelles : les parents âgés de moins de 35 ans (16 %) et ceux appartenant aux catégories pauvres (16 %) sont plus nombreux à indiquer ne pas être équipés. Enfin, 22 % des parents indiquent que leur enfant n’a pas accès une imprimante et 35 % déclarent que celui-ci ne dispose pas d’une pièce séparée avec un bureau.

Un nombre non négligeable de lycéens et de collégiens ont dû suivre des enseignements sur leur téléphone. Or, pour les élèves du premier comme du second degré, seul l’ordinateur serait susceptible d’assurer la continuité pédagogique.

Ces chiffres sont nationaux et cachent des inégalités numériques criantes. Dans certains territoires, le taux de pauvreté est tel qu’il est vain de parler de continuité pédagogique faute d’outils dédiés. M. Mostafa Fourar, recteur de l’académie de Guadeloupe jusqu’en juillet dernier, a qualifié « d’impressionnante » la précarité numérique dans le département.

Ils ne disent rien non plus des déserts numériques ni des difficultés d’accès à internet, notamment dans les territoires ruraux. La moitié du territoire martiniquais, situé au nord de l’île, n’est pas ou très peu couvert par internet. Il est évident que pour les élèves de ces zones, la continuité pédagogique n’a pu rester qu’une expression théorique. Cette situation n’est pas imputable à l’Éducation nationale, qui a mis en place un dispositif postal, développé avec la société Docaposte, permettant l’envoi des devoirs sur support papier, avec la possibilité de les retourner gratuitement pendant la durée de la crise sanitaire. 45 000 devoirs ont été envoyés par ce biais dans quatre départements d’outre-mer en avril et en mai 2020 ([96]). La Guyane n’a pas pu en bénéficier du fait d’un mouvement de grève.

Le présent rapport reviendra infra sur la fracture numérique comme source d’aggravation des inégalités de tous ordres. Il proposera également des recommandations pour y remédier.

Les collectivités territoriales et les associations en première ligne
pour lutter contre la fracture numérique

Les collectivités territoriales ont multiplié les initiatives dans le domaine du numérique. Nombreuses ont été celles qui ont distribué du matériel informatique et des moyens de connexion.

En Guadeloupe, la collectivité a accepté de prêter du matériel informatique aux familles numériquement isolées afin de permettre aux enfants de suivre les enseignements. Orange Guadeloupe a également accepté d’offrir des clés 4G.

En Seine Saint-Denis, c’est le département, en partenariat avec la caisse d’allocations familiales (CAF) et Emmaüs-connect, qui a distribué 1 100 ordinateurs à des familles allocataires du RSA pour les « reconnecter au monde ». En Moselle, grâce à un appel à projets d’EDF auquel il a répondu, le département a bénéficié de cent ordinateurs portables, mis ensuite à disposition des enfants du centre départemental de l’enfance.

Enfin, certaines régions ont renforcé leur dispositif de distribution d’ordinateurs. La région Île de France a distribué à chaque élève de seconde un ordinateur ainsi qu’un chèque numérique de 100 euros pour les bacheliers 2020.

Ces initiatives sont louables. Elles sont bien évidemment à encourager dès lors qu’elles montrent l’impact que peut avoir sur nos concitoyens une coopération réussie entre des collectivités territoriales, des associations et parfois de grandes entreprises.

e.   Les vacances apprenantes : une relance bienvenue des colonies de vacances

Durant l’été 2020, un dispositif de vacances apprenantes a été proposé afin de permettre aux élèves les plus fragiles de sécuriser leurs apprentissages et ainsi de mieux les préparer à l’échéance de la rentrée de septembre. La rapporteure salue cette initiative.

Le dispositif « École ouverte », l’accueil de loisirs ainsi que les colonies de vacances ont constitué les trois modalités de ces vacances apprenantes.

Le dispositif « École ouverte » a été élargi à l’ensemble du territoire. Un appel à projets spécifique à l’été 2020 a permis de recenser les activités scolaires, culturelles, artistiques et sportives pouvant être proposées aux élèves du CP à la terminale, avec une attention particulière accordée au premier degré et aux lycéens professionnels. « École ouverte » a pu être complétée par des « parcours buissonniers » pour les jeunes de l’éducation prioritaire et des quartiers prioritaires de la politique de la ville, leur permettant une immersion à la campagne, en zone littorale ou montagnarde, pour partir à la découverte de la nature et du patrimoine local, avec une sensibilisation au développement durable.

Ainsi, 3 800 écoles et établissements, soit sept fois plus d’établissements que sur l’ensemble de l’année 2019, sont restés ouverts début juillet et fin août pour proposer à 250 000 élèves fragilisés par le confinement un programme associant renforcement scolaire le matin et activités sportives et culturelles l’après-midi. Au total, plus de 20 000 professeurs et personnels se sont mobilisés, soit trois fois plus qu’en 2019. Les dépenses afférentes au dispositif « École ouverte » s’élèvent à 23 millions d’euros pour l’été 2020.

Compte tenu de l’utilité du programme, le dispositif a été prorogé durant les vacances d’automne.

Concernant les colonies de vacances, leur relance, après une lente érosion depuis les années 1980, est une excellente nouvelle pour les catégories populaires. En effet, pendant des années, elles ont joué un rôle d’intégration important et ont constitué un véritable lieu d’éducation populaire.

50 millions d’euros ont été mobilisés, dont 20 millions ont été consacrés aux colos apprenantes, et 30 millions aux centres de loisirs éducatifs. Ces crédits ont été entièrement consommés. Plus de 60 000 enfants sont partis en colos apprenantes, ce qui représente 1 500 séjours de vacances.

S’agissant des centres de loisirs, près 500 000 places ont été offertes au cours de l’été grâce à ce dispositif. Celui-ci est un peu complexe, au sens où il était également cofinancé par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Il comportait ainsi une dimension de « quartier d’été », destinée à toucher les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).

La rapporteure appelle à pérenniser ces dispositifs qui constituent un levier essentiel d’intégration des jeunes, et notamment les plus défavorisés, au sein de la société.

Proposition : Pérenniser les crédits destinés aux colonies de vacances au sein du programme 163 de la mission budgétaire Sport, jeunesse et vie associative

3.   Des modalités d’examen perturbées, l’absence de rite de passage pour les jeunes de terminale

a.   Un baccalauréat 2020 fortement perturbé

Les examens du brevet des collèges et surtout du baccalauréat ont été fortement perturbés par la crise sanitaire. Le 3 avril, M. Jean-Michel Blanquer a annoncé que toutes les épreuves du baccalauréat 2020 et celles du brevet des collèges seraient validées via le contrôle continu. Seul l’oral des épreuves anticipées de français devait être maintenu pour les élèves de première.

Après plusieurs semaines d’indécision, l’épreuve orale de français a également été annulée le 28 mai et remplacée par la moyenne des deux trimestres dans la matière.

Plusieurs interlocuteurs ont fait part à la commission d’enquête d’une certaine inquiétude observée chez les élèves de terminale de l’année 2019-2020. Ces inquiétudes se cristallisent notamment sur la valeur de leur diplôme, notamment du fait d’un taux de réussite de 95,7 % contre 88,1 % en 2019. L’on peut s’interroger sur la qualité de l’accueil et de l’enseignement réservés à une cohorte aussi nombreuse dès lors que nombre d’universités étaient déjà en sureffectifs.

De plus, le contrôle continu a pu constituer une rupture d’égalité dès lors qu’il est intervenu alors que les évaluations des deux trimestres étaient déjà faites lors de l’annonce du ministre. En effet, certains élèves qui avaient arrêté leur « stratégie » en fonction d’une règle ont vu les règles changées sans avoir la possibilité d’adapter cette stratégie.

Enfin, nombre de nouveaux bacheliers sont entrés à l’université et n’ont pas eu l’occasion de bénéficier d’enseignements in situ. Certains étudiants – anciens lycéens de terminale – n’ont eu aucun cours depuis 9 mois et n’ont toujours pas entamé leur vie étudiante dans toutes ses dimensions (vie de campus, activités culturelles et sportives, fêtes étudiantes…). La commission d’enquête a été alertée sur l’état psychologique alarmant de beaucoup d’entre eux (voir infra).

La rapporteure alerte à son tour sur ce dernier point et appelle les pouvoirs publics à cibler spécifiquement cette génération née en 2002 dans le cadre des politiques de soutien aux étudiants.

b.   Le baccalauréat 2021 dans l’incertitude

La session 2021 du baccalauréat sera la première du nouveau baccalauréat. Afin de tenir compte de la situation sanitaire, le ministère de l’Éducation nationale a décidé, à titre exceptionnel et pour cette session, plusieurs mesures d’adaptation.

Les épreuves écrites des enseignements de spécialités se tiendront aux dates prévues, du 15 au 17 mars pour la plupart des académies, mais avec deux sujets au choix, au lieu d’un seul : chaque élève sera donc assuré d’être évalué sur une thématique qu’il aura traitée avec son professeur. Par ailleurs, les évaluations communes de terminale (EC) sont supprimées au bénéfice des notes du bulletin scolaire, qui comptera donc pour 40 % de la note.

L’harmonisation de ces notes sera revue et des consignes seront transmises ultérieurement – de même pour l’attestation de langue vivante concernée par l’annulation de ces épreuves.

Les élèves de terminale, qui étaient en première l’année dernière, ont déjà eu à subir des perturbations dès lors qu’ils n’ont pas passé les épreuves anticipées de français et que les évaluations communes ont été tronquées. De plus, depuis le 5 novembre 2020, la plupart des lycées n’assurent plus que 50 % des cours dans les salles de classe, ce qui génère à nouveau du décrochage scolaire.

La rapporteure salue les adaptations apportées à la réforme du baccalauréat. Toutefois, elle souligne la difficulté à mettre en œuvre une réforme de cette ampleur, dans un contexte sanitaire mouvant qui nécessite une adaptation permanente. Il aurait été probablement plus sage et moins brutal de la reporter d’une année.

4.   Le creusement des inégalités scolaires et sociales lié à l’interruption de la scolarité

Mme Carla Dugault, co-présidente de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) a résumé les difficultés rencontrées : « Dans les faits, la continuité pédagogique a revêtu plusieurs formes : continue, en pointillé, discontinue ou même rompue. Nombreux sont les facteurs qui ont accentué les inégalités entre élèves déjà existantes : connexion internet, matériel, connaissance de la culture scolaire, contexte environnemental, sanitaire, social et familial, accompagnement et autonomie, etc. ».

La période du confinement a été un puissant facteur d’aggravation des inégalités scolaires. Nombreux sont les facteurs qui ont accentué les inégalités déjà existantes entre élèves : accès à une connexion internet et à du matériel informatique, connaissance de la culture scolaire, contexte environnemental, sanitaire, social et familial, accompagnement et autonomie, etc.

À cela s’ajoutent les possibles effets du confinement, comme l’isolement social, la moindre activité physique, le mal-être psychologique ou les violences intrafamiliales. La non-fréquentation des établissements porte gravement préjudice aux élèves les plus en difficulté, qu’il s’agisse de difficultés scolaires, sociales, psychologiques, ainsi qu’aux élèves en situation de handicap.

a.   Le décrochage scolaire

Le décrochage scolaire s’entend comme un processus qui conduit un jeune en formation initiale à se détacher du système de formation jusqu’à le quitter avant d’avoir obtenu un diplôme. En l’espèce, durant la crise sanitaire, le terme de décrochage a été utilisé de façon extensive, pour qualifier les élèves qui ne répondaient pas aux sollicitations des professeurs, ne faisaient pas les devoirs demandés et ne donnaient pas de nouvelles.

Enquête de la DGESCO sur le décrochage scolaire
pendant le premier confinement

Une enquête sur le décrochage scolaire a été lancée le 18 mai 2020 par la DGESCO auprès de tous les établissements publics et privés sous contrat du second degré. 5 888 établissements, dont 4 591 dans le public, sur 10 657, ont répondu à l’enquête, soit environ 55 % (58,6 % des collèges, 45,5 % des lycées d’enseignement général et technologique et 54 % des lycées professionnels). Ce taux de réponse est acceptable compte tenu du contexte sanitaire.

Les principales informations recueillies sont les suivantes :

Les élèves non-répondants aux sollicitations des enseignants dans le cadre de la continuité pédagogique :

 au collège, sur les quatre niveaux, environ 4,7 % des élèves sont non-répondants. Ce chiffre atteint 10,3 % pour les sections d’enseignement général et professionnel adapté (SEGPA)

 en lycée d’enseignement général et technologique, le taux est de 3 % en voie générale et de 6,6 % en voie technologique ;

 en lycée professionnel, 9,7 % des élèves sont non-répondants, la filière production et les CAP ont les plus forts taux.

Les élèves identifiés comme « décrocheurs avant le confinement » :

 au collège, 2,6 % des élèves étaient identifiés comme décrocheurs avant le confinement, avec un taux de 7,2 % en SEGPA ;

 dans la voie générale, 1,3 % étaient considérés comme décrocheurs, et jusqu’à 2,9 % en voie technologique ;

 dans la voie professionnelle, le taux s’élève à 5,2 %.

Les élèves identifiés comme « à risque de décrochage futur fort »

 au collège, 3,3 % des élèves sont identifiés comme à risque de décrochage futur fort, avec des taux allant jusqu’à 8,2 % en SEGPA ;

 dans la voie générale, le taux est de 1,8 % et de 3,9 % en voie technologique ;

 dans la voie professionnelle, le taux est d’environ 6 %.

En effectuant une comparaison avec les données issues du système interministériel d’échange de données (SIEI), les résultats tendent à montrer que l’augmentation du décrochage scolaire à la suite du confinement serait relativement modérée, et significativement plus élevée dans la voie technologique que dans les autres voies.

+ 1 point au lycée, toutes voies confondues ;

+ 1,1 point dans la voie générale ;

+ 2,8 points dans la voie technologique ;

+ 0,2 point dans la voie professionnelle.

Source : Ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports.

Ces moyennes cachent de fortes disparités. Une seule comparaison, présentée par M. Mostafa Fourar, recteur de l’académie de Toulouse, qui était jusqu’en juillet 2020 recteur de l’académie de Guadeloupe, l’illustre : « À la Guadeloupe, nous avons perdu pratiquement 18 % des élèves. C’est énorme. Pour Toulouse, c’est un peu moins de 5 % ».

Ce décrochage scolaire a bien évidemment concerné en premier lieu les familles touchées par la précarité numérique. C’est l’une des premières conséquences de la fracture numérique décrite ci-dessus. D’autres facteurs cumulatifs ont joué un rôle encore accru durant le confinement, et même après le déconfinement, notamment la difficulté pour les familles des quartiers populaires d’accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages.

Concernant les lycéens, le décrochage a davantage touché les lycées professionnels, où la pratique, et donc la présence sur site, est essentielle et ce, d’autant plus que le décrochage est déjà important habituellement.

Un certain nombre de facteurs sont d’ordre structurel et même culturel, comme le sentiment d’incompétence, la difficulté à appréhender les attentes implicites de l’école, ou encore la maîtrise insuffisante de la langue française. Sur d’autres facteurs, comme le mode de garde des enfants dont les parents occupent une profession essentielle au bon fonctionnement du pays (caissières de supermarché, agents d’entretien, agents de propreté urbaine…), les pouvoirs publics ont des leviers d’action immédiats.

En cas de nouvelle fermeture des établissements scolaires, la rapporteure recommande d’ouvrir un accueil sur le même modèle que celui dont ont bénéficié les enfants de soignants, en faveur des enfants dont les parents doivent se rendre à leur travail. En tout état de cause, un rattrapage est à opérer pour ces enfants victimes à plus d’un titre de la crise sanitaire et de ses corollaires.

Le décrochage scolaire chez les enfants des familles de gens du voyage

Après la sortie du confinement entre mai et juillet, le taux d’absentéisme est resté supérieur à celui habituellement observé chez les enfants des familles de gens du voyage.

« Parfois, la peur de la contamination est la raison centrale voire unique de l’absence de scolarité. Une grande majorité des enfants vivent au même « domicile » qu’une ou plusieurs personne(s) à risque, quand ils ne le sont pas eux-mêmes. Asthmes, autre problème respiratoire ou cardiovasculaire, obésité, diabète sont des pathologies plus fréquentes que dans la population moyenne. Par choix ou par absence d’autres alternatives, trois générations ou plus vivent souvent sous le même toit, les enfants vivent donc souvent au domicile de personnes à risque également du fait de leur âge. Parfois, cette explication concrète vient s’ajouter à une situation plus complexe de décrochage scolaire antérieure ou récente et rend plus difficile le travail d’accompagnement et de médiation sur le décrochage lui-même ([97]). »

Malgré l’accès aux supports de cours, de nombreux enfants se sont retrouvés seuls face à leur travail, les parents n’ayant pas les connaissances scolaires pour les accompagner. Si des moyens ont pu être déployés pour faciliter l’accès aux supports, le soutien scolaire pour l’appropriation des contenus d’enseignements par les enfants dont les parents sont non lecteurs a constitué un réel problème, pour lequel peu de moyens ont été déployés.

Il est évident que la crise sanitaire doit être l’occasion pour l’Éducation nationale de renforcer les moyens destinés au suivi des enfants des familles de gens du voyage.

Les conséquences du décrochage scolaire sont protéiformes et mettent en danger la société dans son ensemble. Sortis des radars, les jeunes deviennent invisibles mais leur situation n’en demeure pas moins préoccupante.

M. Antony Ikni, délégué général du Forum français de la jeunesse, que la commission d’enquête a entendu le 24 septembre 2020 a cité l’exemple du Québec, qui a banni le terme de « décrochage scolaire » au profit de celui de « persévérance scolaire ». La persévérance scolaire est destinée à prévenir le décrochage scolaire, et ce, dès le plus jeune âge. Les Québécois s’en préoccupent dès la maternelle, et jusqu’à une sortie positive du système scolaire. Ce sont des concepts qu’il serait intéressant d’importer en France et de développer.

La rapporteure recommande de mettre en place un observatoire national du décrochage scolaire, sur le modèle de celui créé en Bretagne en 2019, afin de disposer chaque année de chiffres et d’analyses étayés. La première condition pour prévenir ce fléau social encore aggravé par la crise sanitaire est de mieux le connaître en le documentant plus sérieusement et plus systématiquement.

Proposition : Créer un Observatoire national du décrochage scolaire auprès du ministre chargé de l’Éducation nationale

b.   Un retour plus difficile à l’école pour les enfants des catégories populaires

La commission d’enquête n’a pas pu disposer de chiffres précis et d’analyses comparées sur le retour des enfants à l’école entre les bassins de vie lors de la reprise de la classe le 11 mai dernier.

Cependant, au cours de son audition, le recteur de l’académie de Créteil qui regroupe les départements de Seine-et-Marne (77), de Seine-Saint-Denis (93) et du Val-de-Marne (94) a fait part de comportement très différents selon les situations sociodémographiques des élèves et de leurs familles et les caractéristiques de leur contexte de scolarisation. En effet, le recteur a déclaré : « J’ai par ailleurs été grandement surpris de constater à la sortie du confinement que tout le monde ne revenait pas de la même façon. Une corrélation forte apparaissait entre les catégories socioprofessionnelles aisées et le retour à l’école. Dans l’académie de Créteil, à Saint-Maur, à Nogent ou à Vincennes, je n’arrivais pas à accueillir tous ceux qui souhaitaient retourner à l’école en raison du protocole sanitaire. J’avais même des protestations des parents parce que tous les élèves ne pouvaient pas revenir, même en mettant en place les accompagnements sous forme du dispositif Sport-Santé-Culture-Civisme (2S2C). Parallèlement, dans les villes les plus populaires de l’académie de Créteil, le retour des élèves était très faible. Ainsi, le maire de La Courneuve a rouvert toutes ses écoles le 11 mai et la fréquentation s’est révélée extrêmement faible. ». Ce seul exemple suffit à montrer que la fracture scolaire s’est encore agrandie lors du confinement et du déconfinement.

En revanche, il convient de signaler que, contrairement à quelques informations erronées, notamment sur le département de Seine-Saint-Denis, dès le retour à une scolarisation obligatoire en septembre 2020, il n’y a pas eu de déperdition scolaire significative, quel que soit le territoire concerné.

Enfin, de façon générale, selon plusieurs personnes entendues, un certain nombre d’élèves ont perdu comportements et attitudes permettant de suivre les enseignements efficacement : sommeil déréglé, utilisation excessive des écrans, difficulté à se concentrer et même à rester assis, notamment chez les plus jeunes, non-emploi de la langue française pendant une durée assez longue… En définitive, il n’a pas suffi de décider le retour à l’école pour que celui-ci efface les effets nocifs des quelques mois passés sans y aller.

c.   Des apprentissages qui ont souffert du confinement

Les évaluations nationales des acquis des élèves en 2020 se sont tenues du 14 au 25 septembre pour les classes de CP et CE1, du 14 au 2 octobre pour les classes de sixième.

Les premiers résultats nationaux sont disponibles. De manière générale, les résultats, en baisse par rapport à 2019, démontrent très logiquement que, malgré les efforts de tous, les apprentissages des élèves – et plus particulièrement des plus fragiles d’entre eux – ont été affectés par la situation particulière qui a touché notre pays depuis mars dernier.

En classe de CP, les résultats sont, en français comme en mathématiques, en légère baisse, particulièrement sur les domaines travaillés en fin de grande section de maternelle. Par exemple, le pourcentage d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante de la « Connaissance du nom des lettres et du son qu’elles produisent » passe de 80,1 % à 77,8 % ; celui ayant une maîtrise satisfaisante de la compétence « Manipuler des syllabes » (discrimination des sons), passe de 81,3 % à 79,3 % ; celui ayant une maîtrise satisfaisante de la compétence « Comprendre des mots lus par l’enseignant », de 70,3 % à 69,1 %. En mathématiques, la proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante de la compétence « Résoudre des problèmes », où la dimension de compréhension des données est prégnante, fléchit, de 66,1 % à 64,4 %.

En outre, les écarts entre le secteur hors éducation prioritaire et le secteur de l’éducation prioritaire augmentent : cette augmentation des écarts ne dépasse pas deux points, sauf dans deux domaines, « Connaître le nom des lettres et le son qu’elles produisent » (+ 2,9 points) et « Reconnaître des lettres » (+ 2,8 points), c’est-à-dire des compétences essentielles dans l’apprentissage de la lecture.

En classe de CE1, soit les élèves de CP de l’année dernière, les baisses sont plus sensibles. En français, alors que les performances étaient en hausse dans cinq des six domaines comparables en 2019, on observe en 2020 des baisses dans sept domaines sur huit. Ainsi, la proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante diminue de 4,8 points pour la lecture de textes, de 4,3 points pour la lecture de mots ([98]) et de 4,5 points pour l’écriture de mots ([99]).

En mathématiques, en revanche, les performances sont comparables en moyenne entre 2019 et 2020, sauf pour les élèves les plus fragiles. Un tel constat confirme, s’il était besoin, le rôle capital du professeur dans l’apprentissage des fondamentaux de la lecture ; son expertise est irremplaçable.

De manière générale, les écarts entre le secteur hors éducation prioritaire et le secteur de l’éducation prioritaire s’accentuent en 2020. Ces données montrent que les élèves issus des milieux les plus défavorisés ont été les plus touchés par les effets du confinement.

En classe de sixième, il semble en revanche que, dans leur ensemble, les élèves n’aient pas été pénalisés par la situation particulière traversée lors du second semestre de l’année scolaire dernière, avec des résultats en hausse, en français comme en mathématiques. Selon les analyses transmises par le ministère de l’éducation, plusieurs explications peuvent être avancées :

 les compétences évaluées en début de sixième concernent des compétences progressivement acquises et régulièrement mobilisées depuis le début du CM2 ;

– l’autonomie acquise par les élèves leur a sans doute permis de mieux s’approprier les démarches et les ressources proposées à distance.

B.   Une rentrée scolaire 2020-2021 sous le signe de l’incertitude

1.   Une rentrée qui a eu lieu dans le calendrier prévu, le maintien de l’ouverture des écoles lors du deuxième confinement à saluer

Avant tout, la rapporteure tient à saluer la mobilisation des personnels du ministère de l’Éducation nationale qui ont réussi à accueillir tous les élèves à la rentrée de septembre 2020, malgré le contexte d’incertitude qui a prévalu jusqu’à la fin de l’été.

Le ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports l’a déclaré lors de son audition le 22 octobre : « J’ai été, durant le confinement, un avocat du retour à l’école et pour la rentrée de septembre 2020, l’avocat de la scolarisation de tous. Nous savons bien que lorsque nous perdons du temps ou des enfants, nous perdons les plus fragiles et les plus défavorisés, ceux qui n’ont que l’école pour eux ». La rapporteure partage entièrement cette ambition, qui n’était pas évidente pour tous au début de l’été 2020, comme en témoignent les nombreuses prises de position quant à un éventuel report de la rentrée des classes ou à une fermeture de celles-ci au plus fort de la deuxième vague de la pandémie en octobre-novembre.

Un protocole sanitaire a été élaboré au mois de juillet 2020 à la lumière de l’expérience acquise. Il prévoit un scénario sanitaire et un protocole de continuité pédagogique. D’abord, une fermeture des classes ou des établissements à partir de trois cas positifs avérés. Il revient toutefois aux autorités sanitaires locales de réaliser une analyse qui conditionne la décision, et c’est pourquoi la situation peut varier d’un endroit à l’autre. Le protocole sanitaire a par ailleurs été allégé le 22 septembre pour les écoles, notamment sur la définition des cas contacts et les conditions de fermetures de classe, sur la base de l’avis du Haut conseil de la santé publique du 17 septembre.

Comme vu supra, les protocoles sanitaires lors du déconfinement étaient probablement trop restrictifs, au regard des connaissances scientifiques acquises au fil de l’épidémie. Des protocoles sanitaires évolutifs peuvent comporter des exigences disproportionnées et inadaptées pour les enfants. Selon l’adage primum non nocere, les décisions politiques doivent être prises sous le prisme de l’enfant, c’est-à-dire en ne nuisant pas aux plus vulnérables. L’ensemble des responsables devront être attentifs sur ce point.

Depuis la rentrée, le nombre de classes et d’établissements fermés est apparu très faible. Au 16 octobre, selon les données fournies par le ministère de l’Éducation nationale, 27 établissements scolaires sur 61 500 étaient fermés, soit 0,04 %, et 293 classes étaient fermées sur 528 400 ([100]). Ces chiffres étaient revenus respectivement à 23 et 135 au 27 novembre dernier.

En outre, avec le recul nécessaire et les connaissances acquises, lors du deuxième confinement décidé le 28 octobre dernier, les établissements scolaires n’ont pas fermé. C’est une excellente décision, et l’on doit saluer cet engagement en faveur de la poursuite de l’accueil des enfants dans les écoles.

2.   Une rentrée scolaire 2020 « de temps de crise » présentée comme un retour à la normale et diversement vécue

a.   Sortir du récit démobilisateur d’une prétendue normalité

La rentrée 2020 n’est pas une rentrée « normale ». Les enfants ne sont pas dupes et ont bien vu que ce n’était pas une rentrée comme les autres. Or, le discours est bien celui d’une rentrée normale. Les programmes n’ont pas été adaptés et même la réforme du baccalauréat, dont la mise en œuvre représente un véritable défi, n’a pas été différée.

Entre le discours de normalité, qui se justifie par une volonté de réassurance, et la réalité vécue, les enfants et les adolescents peuvent en déduire que les adultes ont voulu leur mentir. Le terme de rentrée « normale » a pu apparaître comme stigmatisant pour les enfants ainsi que pour les enseignants, dont certains ont mal vécu la rentrée.

Les manifestations de mal-être sont nombreuses chez les enseignants. Après les soignants, ceux-ci ont également été héroïsés. Il leur a été demandé d’enseigner, de protéger, de gérer leur stress, les injonctions contradictoires et les protocoles. Parallèlement, selon une étude menée par le syndicat SNUipp auprès de ses adhérents, 81 % des répondants se sentent plutôt mal ou très mal protégés dans l’exercice de leurs fonctions au sein de l’institution Éducation nationale.

Le discours devrait être plus proche de la réalité : les enfants ont droit à une rentrée scolaire, même si celle-ci va être différente et innovante ; nous vivons une expérience inédite, et nous allons chercher à la dépasser de manière positive en réinventant l’école et l’apprentissage.

b.   Adapter les programmes pour tenir compte du contexte

Cette sortie de l’illusion de la normalité doit s’accompagner d’une adéquation entre les objectifs et la réalité vécue dans les établissements, et notamment dans les lycées où un fonctionnement à 50 % à distance est prévu entre le 5 novembre 2020 et le 20 janvier 2021 au moins, soit près d’un tiers de l’année scolaire.

À cet égard, les programmes et leurs contenus doivent être adaptés afin de tenir compte du décalage dans les apprentissages survenus sur l’année scolaire 2019-2020. Une telle adaptation pourrait permettre de lisser le rattrapage sur plusieurs années. Cette demande a été exprimée à plusieurs reprises par les personnes auditionnées, qui ont souligné toutefois que le ministère de l’Éducation nationale n’y paraissait pas réceptif.

Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des enseignants du second degré – Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU), a ainsi souligné : « Dans la durée, nous devrons tenir compte de la fragilité des acquis pédagogiques. Nous avons collectivement demandé au ministre de tenir compte de l’année dernière et de ce début d’année pour aménager les programmes, en particulier les programmes d’examens. Non seulement nos demandes demeurent sans réponse, mais nous devons également digérer des contraintes supplémentaires, (…). Nous avons l’impression que le ministère n’a pas réellement pris la mesure de la situation. » Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l’UNSA (SE-UNSA), a également souligné la nécessité, dans la perspective des examens, d’adapter les programmes et les contenus.

Les fédérations de parents d’élèves sont allées dans le même sens. Mme Myriam Menez, présidente de la PEEP du département du Val-de-Marne, a souligné que tous les parents et tous les représentants de parents souhaitaient et demandaient une adaptation des programmes, relevant que, « dans certains établissements, « la course à l’échalote » a déjà débuté. Certains enfants décrochent non pas à cause du Covid-19, mais tout simplement parce que la quantité de travail qui leur est demandée s’avère proprement insoutenable. Un temps de réadaptation était nécessaire, encore plus au niveau des lycées, puisqu’aucun lycéen – du moins en région parisienne – n’a pu retourner dans son lycée, soit pratiquement six mois sans cours. (…) Nous sommes en train de gérer un décrochage qui pourrait être évité, si nous acceptions de reconnaître qu’il est nécessaire, pour cette année et les années suivantes, de revoir la progression des programmes en fonction des niveaux afin de retrouver un fonctionnement beaucoup plus doux. »

Proposition : Adapter et alléger les programmes pour tenir compte des retards d’apprentissage liés à la crise sanitaire, notamment pour les classes à examens

c.   Maintenir la pratique sportive à l’école

L’éducation physique et sportive constitue un enseignement à part entière Il est donc essentiel de continuer à assurer les enseignements d’EPS quelles que soient les circonstances. Ces enseignements ne doivent pas servir de variable d’ajustement, notamment dans le cadre des 50 % du temps passé en établissement pour les lycéens.

La pratique sportive à l’école, une activité essentielle à maintenir
quelles que soient les circonstances

La fermeture des établissements scolaires a imposé l’arrêt de l’éducation physique et sportive, pratique peu compatible avec le télé-enseignement. Les professeurs ont parfois eu l’impression de perdre le sens premier de leur métier. Parallèlement, les équipes, malgré les complexités avérées, ont réinventé leur pratique, mais sans installations. Les professeurs d’EPS ont fait preuve d’engagement et d’inventivité pour proposer des pratiques de type fitness, yoga, renforcement musculaire…

S’agissant du déconfinement, le texte spécifique relatif à ce que l’on a appelé « les repères pour l’EPS », dans le cadre de la reprise de l’EPS a été produit très tardivement, ce qui n’a pas permis les temps de concertation nécessaires à la reconstruction de l’ensemble des programmations adaptées, à l’adaptation des séances au contenu du protocole sanitaire, diversement interprété, ce qui a engendré des injonctions contradictoires entre les inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) et les recteurs, chefs de centre, etc.

L’usage du masque devra faire l’objet d’une réflexion s’il doit perdurer sur le long terme. En effet, il n’est pas aisé de le prendre, de le remettre, de gérer les appréhensions de ceux qui souhaitent le garder en permanence et la légèreté de ceux qui refusent de le porter. En outre, le port du masque engendre une fatigabilité plus importante pour les professeurs comme pour les élèves et il convient de ne pas négliger cet aspect.

Par ailleurs, certains professeurs d’EPS ne peuvent plus dispenser les heures d’enseignement, faute de structures en bon état pour accueillir les élèves pendant les heures d’enseignement prévues. Il serait souhaitable de consentir un effort d’investissement dans les structures sportives, ce qui nécessite bien sûr des financements, notamment de la part des collectivités locales, qui doivent être soutenues par l’État.

d.   Prévoir des moments de concertation dans les équipes pédagogiques

Un réel défaut de concertation au sein de l’Éducation nationale pendant la crise sanitaire a été identifié par la rapporteure lors des auditions de la commission. Ce constat a d’ailleurs été illustré à la rentrée des vacances de la Toussaint, le 2 novembre : alors que le Président de la République avait annoncé un second confinement le 30 octobre et qu’un hommage au professeur Samuel Paty devait être préparé par les équipes pédagogiques dans chaque établissement, ces dernières devaient disposer d’un temps de concertation de deux heures – ce qui était déjà peu ; ce temps de concertation a finalement été annulé.

Mme Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat des enseignants de l’UNSA (SE-UNSA), a déclaré lors de son audition par la commission d’enquête : « Dans la première enquête que nous avions conduite à la rentrée, les deux mots qui ressortaient étaient « stressé » et « motivé ». Désormais, le terme « stressé » est toujours le premier mot cité par nos collègues, tandis que le terme « motivé » a disparu de la liste des premiers mots retenus : « difficulté », « frustration », « insécurité », « désarroi ». À noter que le terme « désarroi » est particulièrement retenu par les directeurs et directrices d’école, qui sont quotidiennement confrontés à la gestion de la crise sanitaire, au repérage des cas positifs, et qui sont en grande difficulté pour parvenir à faire face à cette situation. ». Si cette étude n’a pas valeur scientifique, elle donne une tendance intéressante quant à l’état d’esprit des enseignants.

Là encore, seule la concertation et l’écoute sont capables d’apaiser les tensions et peuvent permettre de dégager des solutions innovantes et adaptées aux circonstances particulières de chaque bassin de vie. La rapporteure estime nécessaire de prévoir des temps de concertation aux niveaux des rectorats, des directions académiques des services de l’Éducation nationale (DASEN) et des établissements, en associant l’ensemble des équipes pédagogiques, soit les personnels enseignants, sociaux et médicaux, les parents d’élèves et les collectivités, notamment les mairies pour les écoles.

Un tel temps d’échange et de concertation à la rentrée de septembre 2020 aurait été précieux pour permettre un partage d’expérience sur le confinement et le déconfinement, en tirer les enseignements et mieux préparer la rentrée des élèves et des enseignants.

Propositions :

Augmenter les temps de concertation à tous les niveaux de l’institution scolaire – établissements, DASEN, rectorats – afin de dégager des modus operandi adaptés et acceptés par tous

Renforcer le rôle des ressources humaines au sein de l’Éducation nationale afin d’améliorer la prise en compte de la parole de la communauté éducative

3.   Faire face à la crise de façon durable et concertée, en ouvrant davantage l’Éducation nationale aux autres acteurs travaillant avec les jeunes

a.   Former les enseignants, les élèves et les parents d’élèves au numérique

La crise sanitaire a mis en pleine lumière l’importance de la maîtrise des outils numériques, ainsi que de leur accès, alors que pendant le confinement, les modes de fonctionnement à distance, bien évidemment pour la continuité pédagogique, mais aussi pour un certain nombre de démarches, le travail, les achats en ligne…, ont entièrement reposé sur eux. La crise n’a fait qu’accentuer une tendance de fond qui ne doit pas laisser de côté tout un pan de la population, laquelle ne maîtrise pas suffisamment ces outils ou n’y aurait pas accès, ne serait-ce que du fait de l’absence de couverture internet dans son lieu de vie.

Les États généraux du numérique pour l’Éducation se sont tenus les 4 et 5 novembre 2020 à Poitiers. Ils ont fait suite à une consultation nationale lancée en juin par le ministre Jean-Michel Blanquer et constituent un des axes du Grenelle de l’Éducation. 40 propositions ont été formulées à l’issue de ces États généraux ([101]).

La rapporteure salue la volonté d’encourager une gouvernance plus participative afin de favoriser le déploiement du numérique dans les territoires, tout en soulignant la nécessité de ne pas faire de ces réunions et consultations des cénacles de spécialistes, mais de les ouvrir aux personnes peu sensibilisées à ces enjeux, pour permettre une approche concrète et inclusive.

Les États généraux ont également souligné l’importance d’une meilleure anticipation afin d’assurer en toutes circonstances la continuité pédagogique et administrative et ont recommandé de renforcer la formation initiale et continue des personnels. Afin de lutter contre la fracture numérique dont la commission a mesuré l’importance, les États généraux ont dégagé plusieurs propositions qui vont de dispositifs de détection de la fracture numérique et l’illectronisme à la mise en place du « Pass’ connexion éducation » pour tous. Enfin ces États généraux ont recommandé de garantir un socle numérique minimal pour les écoles et les établissements. Il importe en effet de parvenir à offrir des outils harmonisés et simples d’utilisation, notamment si un confinement devait se reproduire à l’avenir, afin d’éviter la multiplication des formats et des supports observés au printemps dernier, préjudiciable aux élèves.

Le suivi de ces propositions sera essentiel pour une mise en œuvre la plus rapide possible. Il est également nécessaire d’identifier les besoins des élèves en équipements numériques et de faciliter la mise à disposition de ces équipements dans les établissements scolaires.

Par ailleurs, le confinement a montré que l’illectronisme et la fracture numérique chez les parents étaient des causes essentielles du décrochage scolaire. Les propositions des États généraux du numérique doivent intégrer cette dimension et prévoir des sessions de formation pour les parents d’élèves désireux d’aider leurs enfants.

La rapporteure juge notamment particulièrement intéressante la proposition formulée par M. Michel Reverchon-Billot, directeur général du CNED, de mettre en place des tiers lieux intergénérationnels de proximité pour réduire la fracture numérique d’accès et d’usage, et recréer du lien social autour des apprentissages.

L’enjeu serait de réinvestir des lieux au plus près des usagers qui en ont besoin, pour favoriser l’accès et la maîtrise des outils numériques. Pourraient par exemple être utilisés des lieux fermés dans les communes rurales ou les quartiers des villes (ancienne poste, école, bâtiment communal…). Afin de réduire la fracture d’accès, pourraient être mis en place dans ces tiers lieux un équipement socle (ordinateurs, imprimantes…) avec une connexion de qualité, en associant les collectivités locales et en faisant appel le cas échéant à du mécénat d’entreprise.

En vue de réduire la fracture d’usage, il serait souhaitable de mobiliser le monde associatif, notamment les associations d’éducation populaire et les citoyens volontaires pour accompagner les usagers dans deux axes majeurs : les compétences de base en informatique-bureautique et l’éducation aux médias et à l’information.

Pour faire société, il importe de penser un numérique qui lie et rassemble, plutôt qu’un numérique qui isole et sépare. Ces lieux pourraient constituer des espaces de redynamisation d’un lien social intergénérationnel autour de la connaissance et des apprentissages, et permettre la rencontre sur ce même lieu de personnes en télétravail, d’adultes en reprise d’études à distance, d’élèves après la classe, de seniors qui veulent se former, de personnes en recherche d’emploi, etc.

Propositions :

Mettre en œuvre les propositions des États généraux du numérique et intégrer un volet concernant les parents d’élèves.

Mettre en place un plan permettant d’identifier les élèves ayant besoin d’équipements informatiques et faciliter la mise à disposition de ces équipements par les établissements scolaires

Déployer la mise en place de lieux de proximité pour favoriser l’accès et la maîtrise des outils numériques pour tous

En outre, le ministère a mis en place un certain nombre de dispositifs qui ont été présentés supra. Ces dispositifs n’ont été que peu évalués en terme d’efficacité. Il conviendrait de mener une évaluation plus précise en terme quantitative, mais aussi en terme d’appropriation par les enseignants, les élèves et leur famille.

Enfin, la rapporteure rappelle que les médiathèques municipales sont souvent les seuls lieux permettant aux élèves issus des familles les plus défavorisées de trouver un environnement de travail propice ainsi que du matériel informatique et d’une connexion internet. Au cours du premier confinement, celles-ci ont été fermées, et pendant le second confinement, leurs activités sont au mieux limitées au retrait de documents.

Proposition : Laisser les médiathèques ouvertes dans le strict respect du protocole sanitaire en cas de confinement

b.   Développer l’accompagnement des familles et le soutien scolaire

La rapporteure l’a rappelé : pendant le confinement, il a beaucoup été demandé aux familles, et singulièrement aux mères de famille.

La parentalité est une notion complexe. Il n’y a pas de ligne de conduite, de mode d’emploi pour être parent. Parler de ses émotions, de ce qu’on ressent, est un travail qui devrait être fait de façon conjointe, à la maternelle et en primaire, entre les enseignants et les parents. Or, au moment du confinement, les familles se sont retrouvées sans tiers, sans personnes extérieures pour les aider, les conseiller.

Les psychologues scolaires pourraient accompagner les parents dans leur rôle éducatif et singulièrement dans cette période où ils ont eu à assumer tous les rôles dans une même journée. Par ailleurs, il convient également de développer des relations plus denses entre les parents et les professionnels de la petite enfance, des personnels des crèches aux enseignants. Ceux-ci relaient en général un discours assez clair sur les rythmes, sur ce qu’il convient de faire.

Concernant le soutien scolaire, le ministère de l’Éducation nationale a réalisé un effort qui est à saluer. Le ministère indique que 1,5 million d’heures supplémentaires ont été dégagées, et 130 000 heures pour les assistants d’éducation dans le cadre de l’opération « devoirs faits » et des stages de réussite. Ce soutien scolaire s’est poursuivi durant les vacances d’octobre. La rapporteure salue cet effort et recommande de le pérenniser au moins durant les deux années scolaires prochaines, afin de résorber le retard pris dans les apprentissages en le lissant dans un temps plus long.

Proposition : Développer l’accompagnement des familles en favorisant les synergies entre les parents et les acteurs de l’école, notamment les psychologues scolaires, et pérenniser le soutien scolaire mis en place à la rentrée 2020

c.   À plus long terme, ouvrir l’école à l’ensemble des acteurs de l’enfance et de la jeunesse

L’école est le point focal de tout ce qui touche à l’enfance et à la jeunesse. Tous les acteurs ont une forte attente à son égard.

Concernant les violences faites aux enfants, Mme Martine Balençon, pédiatre-médecin légiste, présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale, a confirmé que l’école est le premier lieu de leur détection. L’école joue de ce point de vue-là parfaitement son rôle de détection des signaux faibles : dessins ou écrits inquiétants, professeur d’EPS témoin d’un élève refusant d’aller à la piscine à cause de marques sur le corps, etc.

Toutefois, la situation est perfectible. À titre d’exemple, l’Enfant bleu-Enfance maltraitée a souligné les difficultés rencontrées par les associations de prévention des violences aux enfants pour coopérer avec l’Éducation nationale sur ces questions et intervenir dans les établissements. Ce n’est visiblement pas une question de volonté politique, le ministre ayant fait part à de nombreuses reprises de sa volonté d’engager l’institution dans ce combat.

La rapporteure appelle à lever rapidement les freins de toutes natures à un véritable engagement de l’Éducation nationale auprès des associations de lutte contre la maltraitance des enfants.

Concernant les problématiques liées au handicap, c’est la multiplicité des acteurs qui crée des tensions. Mme Sonia Pareux, référente handicap dans le département d’Indre-et-Loire, a déploré un temps haché avec un enfant passant de la responsabilité des uns à celles des autres : « En ce qui concerne le temps partiel, nous abordons là le fait que l’école ne prend les enfants que sur les temps où l’AESH est présent et demande aux familles de les reprendre le reste du temps. Les familles pourraient très bien décider de les laisser à l’école, mais avec le risque qu’ils soient mal accueillis ».

Un diplôme d’accompagnant éducatif et social (AES) a été créé en 2016, correspondant aux anciens diplômes d’aides médico-psychologiques. Les AES doivent être en mesure de travailler aussi bien dans une institution qu’à domicile et dans le droit commun, notamment à l’école. Plusieurs personnes entendues ont jugé que cette réforme n’avait pas véritablement atteint ses objectifs, et que les passerelles entre les différents environnements de travail ne fonctionnaient pas. La secrétaire d’État chargée des personnes handicapées a souligné lors de son audition la nécessité de s’interroger sur la façon de valoriser ce diplôme et de « créer des passerelles plus souples pour faire de ces métiers des étapes de carrière ».

La difficulté est de permettre un accompagnement des enfants en situation de handicap dans la continuité du parcours de la semaine. Aujourd’hui, la même personne ne s’occupe pas d’un enfant à l’école, au centre de loisirs, voire à domicile – si les parents ont besoin d’un peu de répit un soir ou le week-end. Pour ce faire et être cohérentes vis-à-vis des enfants, il faudrait qu’elle soit embauchée par trois employeurs, dont une collectivité locale, l’Éducation nationale et un prestataire privé. Un porteur est nécessaire. La rapporteure estime que celui-ci pourrait être la collectivité territoriale idoine, soit le département. La notion de coordination est en effet très importante. L’Éducation nationale doit pouvoir accepter de ne pas avoir le chef de filat alors que celle-ci, de par sa taille et sa position centrale, a plutôt une culture de « domination ».

Proposition : À long terme, ouvrir plus largement l’Éducation nationale aux autres acteurs travaillant avec les enfants et les jeunes, notamment aux acteurs médico-sociaux, aux associations de prévention des violences et aux associations caritatives

M. André Altmeyer, directeur général adjoint des Apprentis d’Auteuil, a eu le mot de conclusion : « Le lien entre les établissements scolaires et les autres structures spécialisées est une question essentielle. Quelle est la capacité de l’Éducation nationale, des établissements scolaires, à travailler en lien avec les autres acteurs et les autres partenaires ? Nous constatons de vrais progrès. Les choses vont dans le bon sens, il faut les encourager, les accompagner. Que pouvons-nous mettre en place pour apprendre à nous connaître dans nos spécificités et nos complémentarités ? Les idées reçues et les projections sont tellement fréquentes. Chacun cherche le bouc émissaire alors que, de notre point de vue, la seule manière de faire est de travailler ensemble. Il faut créer les conditions pour que, sur des petits projets, nous découvrions que nous sommes capables de faire ensemble. ».

C.   Des activitÉs sportives entravÉes, la nécessitÉ de rÉaffirmer leur rôle

La commission d’enquête a mis en lumière le fait que la place de l’enfant et du jeune dans les politiques publiques était insuffisante. Il en va de même pour la pratique sportive. Si des fonds ont pu être annoncés pour les activités culturelles, le sport est grandement oublié alors qu’il constitue également un élément essentiel d’épanouissement et de construction des individus. Pourtant un nombre important de clubs sportifs connaissent ou vont connaître d’importantes difficultés financières.

1.   La chute du nombre de licenciés et son corollaire financier

a.   Une véritable hémorragie de sportifs pratiquants

● Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), dont la commission d’enquête a auditionné le président le 12 novembre dernier, a mené une enquête auprès des clubs, qu’il a rendue publique le 24 novembre suivant – cette enquête n’établit pas de distinction selon l’âge des pratiquants. Avec les retours de 44 414 clubs, cette enquête enregistre un record de participation, avec près d’un tiers des clubs fédérés participants.

Il ressort que :

– sur 35 808 réponses de clubs et d’associations sportives, 74 % ont constaté une baisse du nombre de leurs membres par rapport à la rentrée 2019, avec en moyenne une baisse de 26 % des licenciés ;

– ce chiffre s’élève à 71 % pour les clubs appartenant aux fédérations « sports collectifs » ;

– il atteint 88 % pour les sports de contact.

En moyenne, chaque club a perdu 71 membres, soit un total de 1 268 666 membres en moins, dont 340 954 pour les sports collectifs et 70 273 pour les sports de contact.

Ces seuls chiffres – forcément incomplets – montrent que la rentrée 2020 ne fut pas une rentrée comme une autre.

Les pertes en nombre de licenciés relèvent probablement à la fois de l’inquiétude générale par rapport aux activités collectives, mais également du fait d’avancer le prix de la licence sans savoir si la pratique sera assurée. Les effets de la crise sur les revenus des Français jouent probablement un rôle également.

Il est évident que cette situation aura des conséquences importantes sur la santé physique, mais aussi la santé psychique des enfants et des jeunes, qui trouvent dans les clubs une sociabilité, du plaisir et une réponse humaine à travers l’encadrement des bénévoles comme des techniciens.

● Il semble que le sport féminin ait été largement plus touché par la crise, dès lors qu’il était déjà dans une situation financière plus délicate, n’attirant que plus marginalement des partenariats financiers et bénéficiant pour les disciplines les plus populaires, comme le football et le rugby, de droits de télévision beaucoup moins élevés que le sport masculin. Or, la visibilité du sport féminin de haut niveau est très importante pour faire naître des vocations chez les jeunes filles par processus d’identification. La rapporteure sera attentive à ce que le sport féminin ne recule pas, ce qui serait très dommageable, notamment dans les quartiers populaires.

 Enfin, le sport adapté est particulièrement en crise. Mme Marie‑Amélie Le Fur, présidente du comité paralympique et sportif français (CPSF), l’a souligné lors de son audition : « la Fédération française du sport adapté présente un recul à hauteur de 70 % des prises de licences. Cet arrêt du sport pour les personnes en situation de handicap est assez fortement marqué dans les collaborations que ces fédérations connaissent avec le secteur social et médico-social. Actuellement, ces collaborations ne peuvent plus s’organiser pour favoriser les pratiques sportives mises à disposition des personnes en situation de handicap. À l’impact financier pour les clubs, s’ajoutent la réduction des partenariats et le fait de ne plus pouvoir organiser, dans le contexte actuel, des championnats, qui constituent des recettes complémentaires pour l’ensemble des clubs sportifs – que ceux-ci accueillent ou non des personnes en situation de handicap. »

b.   Des conséquences financières graves qui mettent en danger la pérennité de l’écosystème sportif français

Selon l’enquête du CNOSF citée, les clubs qui ont répondu ont déclaré des pertes de 259 millions d’euros sur les cotisations collectées auprès de leurs membres (comprenant la licence fédérale), soit 14 150 euros par club.

Le manque à gagner pour les fédérations résultant des pertes de cotisations collectées par les clubs est d’en moyenne 175 400 euros pour chacune, pour un total estimé à 2 750 millions d’euros.

Même si les dépenses ont pu baisser du fait du nombre d’événements ayant été annulés et à la faveur du dispositif de chômage partiel mis en place par le Gouvernement, il apparaît évident que c’est la pérennité d’un nombre très important de clubs sportifs qui est en question.

Les conséquences sociales pourraient être considérables, notamment dans les zones rurales où les clubs sportifs constituent une activité privilégiée des jeunes, de par son maillage territorial sans commune mesure.

2.   Une urgence à maintenir l’offre sportive à destination des jeunes

Des moyens supplémentaires ont été annoncés par le Président de la République le 17 novembre dernier en faveur du monde du sport, autour de diverses mesures de soutien, avec la création d’un « pass’sport » pour faciliter le retour des jeunes de moins de 16 ans dans les clubs sportifs, d’un fonds de compensation pour amortir les pertes des fédérations en termes de licences, ou encore d’un mécanisme de compensation de la billetterie pour le sport professionnel. La rapporteure estime que ce plan de soutien, qui doit certes être salué, est d’une ampleur insuffisante et qu’il aurait dû intervenir plus tôt. Elle souhaite mettre l’accent sur trois points.

a.   Augmenter les subventions aux fédérations

Comme il a été mis en évidence, des fédérations se trouvent en réelle difficulté. Pour certaines, les plus petites en nombre de licenciés mais aussi celles qui n’ont pas de visibilité suffisante, la dépendance aux licences est importante alors que les taux de renouvellement de ces licences, comparativement au 31 octobre 2019, montrent des chutes de 30, 40 voire 50 %.

Il semble donc nécessaire de prendre en compte cette difficulté de façon durable, au-delà du fonds de compensation créé, dans les conventions d’objectifs des fédérations ([102]) avec des compensations à la clé.

Proposition : Revoir l’ensemble des conventions d’objectifs des fédérations sportives pour les ajuster à la situation exceptionnelle due à la pandémie en augmentant les concours financiers de l’État

b.   Mettre rapidement en place le « pass’sport »

Le Président de la République a annoncé le 17 novembre le lancement d’un dispositif de « pass’sport » de reprise. Ce dernier aidera à financer l’adhésion à un club sportif ou encore l’achat d’équipements. La mise en œuvre de cette mesure est prévu en 2021 et son coût s’élèvera à 100 millions d’euros. Les critères d’octroi de ce pass doivent encore être définis.

D’ores et déjà, la rapporteure salue cette annonce, demandée depuis la rentrée par le mouvement du sport. Si la crise doit avoir une utilité, c’est bien la prise de conscience que la pratique sportive est essentielle et doit être soutenue. Le « pass’sport » pourrait ainsi constituer un levier décisif pour la relancer, particulièrement pour les enfants et adolescents.

La rapporteure considère toutefois que les montants affichés ne sont pas encore à la hauteur des besoins et surtout que le calendrier annoncé, au plus tôt en janvier 2021, ne correspond pas au calendrier sportif qui va de septembre à juin. Elle sera attentive à ce que sa mise en œuvre profite d’emblée aux jeunes et aux clubs, par une adaptation rapide des compétitions sportives, notamment amateurs. En outre, elle préconise que le « pass’sport » bénéficie à tous les jeunes, et englobe la tranche des 16-25 ans.

c.   Apporter une attention particulière au sport féminin

Si depuis quelques années, l’intervention financière des collectivités territoriales en faveur du sport professionnel s’est intensifiée et a particulièrement bénéficié aux clubs sportifs pour lesquels la professionnalisation est récente (basketball, handball, volleyball, rugby) et les ressources externes limitées, le soutien est différencié selon les disciplines sportives et, en fonction du degré de professionnalisation. Il n’a que peu bénéficié au sport féminin.

Ainsi, lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Denis Masseglia, président du CNOSF, a affiché un certain pessimiste sur le devenir du sport féminin de haut-niveau dont on ne dira jamais assez l’importance pour les jeunes filles : « le sport professionnel féminin dans son ensemble et les divisions inférieures des autres sports professionnels – et que je qualifierais de sport semi-professionnel – représentent une véritable activité qui fait vivre des communes et des associations. Il convient de l’aider sans tenir compte du fait qu’il est professionnel et qu’il devrait pouvoir agir seul parce que nous récoltons en contrepartie une animation, une activité utile à la société. Si l’on considère que l’équilibre est positif, nous devons continuer de l’aider. Si l’on refuse de l’aider, nous risquons de nous retrouver dans une situation plus négative que nous l’aurions imaginée… »

Il n’est plus possible, en temps de crise, de laisser les collectivités territoriales, elles-mêmes soumises à de fortes contraintes budgétaires, jouer le rôle de filet de sécurité. Il convient que l’État s’engage davantage dans le soutien au sport semi-professionnel, qui concerne de nombreux clubs féminins.

Proposition : Engager un vaste plan de soutien au sport semi-professionnel

D.   des cursus D’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR PERTURBÉS, UNE VIE ÉTUDIANTE TRONQUÉE

Depuis mars 2020, les étudiants n’ont pu retourner dans leurs établissements que quelques semaines, à partir de septembre 2020, avant que soit décidé le deuxième confinement le 30 octobre – puisqu’à la différence des établissements scolaires, les établissements de l’enseignement supérieur ont dû interrompre les cours in situ, basculant intégralement en cours à distance. Les dernières annonces présidentielles et gouvernementales laissent à penser que le retour aux cours « en présentiel » pourrait intervenir plus tôt qu’initialement envisagé, soit au début du mois de janvier, selon des modalités à définir, ce qui semble en effet très bienvenu, compte tenu des difficultés soulevées par l’enseignement à distance.

Ainsi qu’en conviennent nombre d’observateurs, ces deux confinements marquent une rupture historique pour l’enseignement supérieur, dont il convient de prendre la mesure, au regard de leurs impacts sur le déroulement des cursus universitaires et sur la vie étudiante.

Évolution des effectifs de l’enseignement supérieur en France

D’après les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) ([103]), le nombre total d’étudiants inscrits à la rentrée universitaire 2019 s’élevait à 2 725 300 (en France métropolitaine et dans les DROM).

Cet effectif a connu une hausse régulière pendant onze années consécutives ; il a progressé de 1,6 % par rapport à la rentrée de 2018 (+ 43 300 étudiants). Pour les seuls établissements universitaires, on dénombrait 1 675 100 étudiants inscrits. L’enseignement privé accueille 20,6 % des étudiants, ce qui représente 0,4 point de plus par rapport à 2018.

La hausse des effectifs inscrits dans l’enseignement supérieur à la rentrée universitaire 2019 résulte très directement du « boom » démographique observé en l’an 2000. D’après les prévisions communiquées au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2021, les effectifs inscrits pourraient atteindre 2,749 millions étudiants en 2022 ; 2,775 millions d’étudiants en 2024 ; 2,798 millions d’étudiants en 2026 ; 2,803 millions en 2027 (soit une hausse de 6,9 % par rapport à 2017).

Source : ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI).

1.   1. Une année universitaire affectée par une épidémie pesant de manière inédite sur la fréquentation et le fonctionnement des établissements

a.   Des calendriers chahutés par la survenue puis le prolongement de la crise épidémique

● Le premier effet de la crise sanitaire est d’avoir réduit de manière assez substantielle l’organisation des enseignements et la présence des étudiants et des personnels sur le site des universités et des grandes écoles au premier semestre 2020.

En effet, dès le 12 mars 2020, la plupart des locaux universitaires étaient fermés et, à compter du 16 mars 2020, les établissements n’ont plus accueilli leurs personnels et leurs étudiants. En application des mesures générales prises par les pouvoirs publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ([104]) et des prescriptions du MESRI, le fonctionnement des établissements universitaires et des grandes écoles découlait des principes suivants :

– la fermeture des activités de formation et des bibliothèques, avec l’établissement de la continuité pédagogique à distance ;

– le maintien des autres activités administratives ainsi que celles des laboratoires de recherche, en particulier afin de permettre la continuité pédagogique et la poursuite des activités de recherche ;

– le travail à distance privilégié pour les personnels autant que possible.

● Dans une large mesure, le plan de déconfinement des établissements d’enseignement supérieur présenté par le Gouvernement le 11 mai 2020 a prolongé la mise en œuvre des restrictions à l’accès des sites et campus.

Applicable jusqu’à la fin juillet 2020, il recommandait la poursuite autant que possible du travail à distance pour les personnels et posait le principe suivant lequel les enseignements sur site destinés aux étudiants ne pouvaient reprendre avant la rentrée universitaire de septembre 2020. En revanche, le plan de déconfinement comportait quelques atténuations en prévoyant les possibilités suivantes :

– des enseignements sur site dans le seul cadre de la formation professionnelle et dans le respect des consignes sanitaires ;

– l’exercice d’activités administratives ou de recherche « en présentiel » dans le respect des consignes sanitaires ;

– la réouverture partielle des activités de services aux étudiants ou aux agents (par exemple, certains services assurés par les bibliothèques universitaires).

● Dans le cadre des circulaires du MESRI publiées les 6 août et 7 septembre 2020 ([105]), les premières semaines de l’année universitaire ont été caractérisées par la diversité des modes d’accueil des étudiants.

Il ressort des témoignages recueillis par la Commission d’enquête ([106]) que les solutions retenues par les établissements universitaires et les grandes écoles ont été diverses : certains établissements ont prévu l’accueil des étudiants en alternance sur site, au moins une semaine sur deux, par la division des promotions en deux groupes ; d’autres ont réservé l’accès des locaux à certaines catégories d’étudiants (par exemple, les premières années de licence et les deuxièmes années de master à Paris Dauphine), avec alternance des groupes une semaine sur deux.

Néanmoins, il s’avère que dès la fin septembre et au début du mois d’octobre 2020, un certain nombre d’établissements se sont vus dans l’obligation d’ajourner ou de différer la rentrée universitaire, ou de fermer leurs portes, du fait de l’identification de foyers épidémiques parmi leurs étudiants.

D’après un entretien accordé par Mme Frédérique Vidal au Parisien le 2 octobre 2020, une quarantaine de sites universitaires étaient fermés à cette date, sur décision des chefs d’établissements, en collaboration avec les agences régionales de santé (ARS et les préfets), et en fonction du contexte local. Un des premiers établissements à avoir fermé est Sciences-Po Reims. Le 16 septembre 2020, Sciences Po Paris s’était résolu à fermer ses portes pendant quinze jours.

L’apparition de « clusters » dans les établissements d’enseignement supérieur a pu susciter des débats sur leur origine. M. Philippe Vendrix, président de la commission Vie étudiante de la Conférence des présidents d’université, a souligné lors de son audition que « ces étudiants positifs au Covid-19 n’ont pas été contaminés dans les universités », compte tenu de la mise en œuvre très strictes des consignes sanitaires en leur sein ; ces propos font écho à ceux de la ministre de l’enseignement supérieur dans la presse, qui soulignait fin septembre que rien ne disait que les cas de contamination au Covid-19 survenaient dans les établissements, et qu’il y avait probablement moins de risques pour les étudiants d’être contaminés dans une université que dans un bar le soir à boire un verre.

La rapporteure s’étonne de tels propos, alors que ce sujet requiert une analyse sur des bases scientifiques pour être certain de l’origine de ces contaminations. Par ailleurs, au vu de certaines images prises dans les universités lors de la rentrée, avec des amphithéâtres et des couloirs bondés, l’on peut s’interroger sur les possibilités d’y respecter les règles de distanciation sociale, et donc sur le postulat de M. Vendrix. Enfin, ces propos tendent à reporter sur les étudiants eux-mêmes la responsabilité des contaminations, dans une démarche culpabilisante déjà évoquée plus haut, qu’il serait temps d’abandonner.

● Le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire et de mesures de confinement à compter du 30 octobre 2020 tend de nouveau à restreindre strictement l’accès aux sites universitaires et des campus.

Le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ([107]) prévoit toutefois des conditions moins restrictives que pour le premier confinement, en ménageant la possibilité pour les établissements d’accueillir des étudiants, des enseignants et des personnels administratifs dans des cas limitatifs. Demeurent ainsi accessibles :

 les lieux de formations ne pouvant être réalisées à distance « compte tenu de leur caractère pratique » ([108]) (suivant une liste arrêtée par le recteur de région académique) ;

– les laboratoires et unités de recherche pour les doctorants ;

 les bibliothèques et centres de documentation, sur rendez-vous ;

– les services administratifs, sur rendez-vous ou sur convocation de l’établissement ;

– les services de médecine préventive et de promotion de la santé, les services sociaux et les activités sociales organisées par les associations étudiantes ;

– les locaux donnant accès à des équipements informatiques, sur rendez‑vous.

Par ailleurs, les étudiants des classes préparatoires et des BTS, formations assurées dans des lycées, peuvent suivre leurs cours sur place, contrairement aux autres étudiants. Les Instituts universitaires de technologie (IUT), autres formations post-bac en deux ans, mais dépendants des universités, basculent en revanche leurs cours à distance.

Les régimes d’ouverture des établissements universitaires
avant le second confinement

D’après Mme Frédérique Vidal, la doctrine définie par le MESRI prévoyait quatre régimes pour le fonctionnement des établissements universitaires suivant la gravité de la situation épidémique locale :

– niveau 1 : les cours sont donnés sur site présentiel, avec port du masque obligatoire et « gestes barrière » ;

– niveau 2 : quand un foyer épidémique est formellement identifié dans un établissement, les étudiants peuvent être présents au sein des locaux de manière alternée ;

– niveau 3 : une « promotion » entière suit les cours à distance ;

– niveau 4 : l’établissement universitaire ferme.

b.   La nécessité d’adapter les modalités d’enseignement et de délivrance des diplômes, et les difficultés soulevées

● Le remplacement des cours sur site par l’enseignement à distance, ainsi que la définition de nouvelles modalités d’examens, de concours et d’obtention des diplômes, constituent la seconde conséquence majeure de la crise sanitaire.

Selon les conclusions de la commission chargée des Affaires culturelles et de l’Éducation à l’Assemblée nationale ([109]), les universités ont mis en place dans des délais brefs des cours à distance, dans les jours qui ont suivi l’établissement du premier confinement pour certains établissements. Ces travaux soulignent que « le déploiement rapide et efficace de l’enseignement à distance a avant tout été possible grâce à la réactivité et l’implication des personnels enseignants, dont la mobilisation mérite d’autant plus d’être soulignée que ces évolutions se sont avérées, dans de nombreux cas, particulièrement chronophages. »

L’adaptation des modalités de contrôle des connaissances et des examens résultent des dispositions de l’ordonnance n° 2020-351 du 27 mars 2020. Le texte vise à autoriser les établissements à changer les modalités de contrôle des connaissances et mettre en place un cadre procédural plus souple (passage à des examens en ligne ou en contrôle continu ; neutralisation ou report des stages n’ayant pas pu être effectués pendant la crise). Il est fait obligation aux établissements de notifier les changements envisagés aux étudiants au plus tard quinze jours avant qu’ils ne soient appliqués.

La période du premier confinement comporte également l’annulation et/ou le report de concours, remplacés le cas échéant par des processus de sélection sur dossier ou à partir d’épreuves écrites.

Le 15 mars 2020, les ministres de l’Enseignement supérieur et de l’Éducation nationale ont décidé l’annulation des concours post-baccalauréat et leur remplacement par des examens sur dossier. La mesure concernait de nombreuses formations telles que les écoles de commerce et d’ingénieurs, certains brevets de techniciens supérieurs (BTS), des licences sélectives, de formations paramédicales, des filières de l’art et du design.

Le 17 avril 2020, les ministres ont annoncé le report des concours prévus pendant la période allant du 20 juin au 7 août 2020, le choix de la première semaine d’août permettant aux équipes administratives et pédagogiques de mener à bien les procédures de sélection. En conséquence de ce calendrier resserré, il apparait que la très grande majorité des écoles ont renoncé à organiser des épreuves orales et ont résolu de prononcer l’admission des candidats sur la seule base des résultats obtenus dans les épreuves écrites. Comme l’a indiqué M. Laurent Champaney, vice-président « écoles » de la Conférence des grandes écoles, « toutes les écoles n’ont organisé qu’une série d’épreuves écrites pour l’admission, sauf quelques cas particuliers comme l’École polytechnique et d’autres écoles relevant du ministère des Armées, qui imposent des épreuves sportives qui ne pouvaient être supprimées, et ont donc prévu des épreuves orales. Le calendrier retenu a permis de communiquer les informations d’intégration aux candidats à compter du 12 août, pour des rentrées qui se sont échelonnées entre le 31 août et la mi-septembre. »

Si l’on ne dispose pas d’un inventaire exhaustif des dispositions prises, il paraît établi que l’ensemble des établissements universitaires ont pu, à des degrés divers, faire usage des souplesses autorisées dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, avec pour objectif de limiter les brassages de populations.

● Cela étant, les témoignages recueillis par la Commission d’enquête donnent à penser que l’adaptation aux circonstances a pu donner à la période du premier confinement un caractère assez chaotique pour les étudiants, et susciter inquiétudes et stress, compte tenu des incertitudes récurrentes sur l’organisation à venir – ce qui était de toute façon difficilement évitable.

À titre d’exemple, M. Wasiim Gulabkhan, étudiant en kinésithérapie, a souligné : « les concours ont été reportés, sans date précise, ce qui a participé à rendre le contexte anxiogène. Nous ne savions pas si nos examens pourraient être organisés ou non, et quand ils le seraient. Un examen que nous devions passer en avril ou mai a été annulé en raison du confinement, sans que nous sachions s’il pourrait être organisé pendant l’été. Les étudiants ne savaient pas non plus s’ils pouvaient retourner chez leurs parents ou s’ils devaient rester à Lille. Ces incertitudes ont suscité de nombreuses interrogations et de l’anxiété. »

L’organisation des examens à distance a également conduit à des difficultés pour les étudiants n’ayant pas d’accès à internet, ou dépourvus d’ordinateur, et soulever des questions sur les possibilités de contourner les règles et tricher pendant les examens. M. Vincent Llorens, étudiant en deuxième année de licence économie-gestion à l’université Paris-Dauphine, a ainsi relevé que « les examens [avaient] été organisés à distance en fin de confinement, car ils étaient prévus début mai. Il est indéniable que nous avons rencontré des difficultés, notamment parce que les sites internet étaient surchargés par le nombre d’étudiants qui s’y connectaient en même temps, et des problèmes de triche, avec des dossiers qui circulaient pendant les examens, car l’université française n’a pas adopté les méthodes de contrôle des universités anglo-saxonnes, qui impliquent de contrôler ce que fait chaque élève devant son ordinateur au cours des examens. »

Les résultats de l’enquête de l’OVE sur la vie d’étudiant confiné ([110]) confirment ces témoignages, et indiquent que 23,4 % des étudiants ont rencontré des difficultés de connexion internet dans le cadre des examens durant le confinement, 13,3 % des problèmes d’équipement informatique et 16,4 % des problèmes de connexion à la plateforme ou au serveur d’examen. La tricherie ou fraude de certains étudiants est évoquée par 11,1 % d’entre eux.

c.   Des conditions d’accueil exigeant une évaluation et des accompagnements renforcés

● Le bilan de la crise sanitaire invite d’abord à s’interroger sur les modalités d’intégration des nouveaux bacheliers à l’enseignement supérieur, dans le contexte très particulier de la crise sanitaire.

D’après les statistiques communiquées par le ministère de l’Éducation nationale, le taux de réussite au baccalauréat organisé en 2020 s’élève à 95,7 % après les épreuves de rattrapage : 713 900 candidats ont ainsi été déclarés reçus (+ 7,6 % par rapport à 2019). Les prévisions disponibles tablaient en conséquence sur l’augmentation des effectifs inscrits dans l’enseignement supérieur de l’ordre de 48 000 étudiants. Dans cette perspective, le MESRI a indiqué travailler à l’ouverture d’au moins 10 000 places supplémentaires dans l’enseignement supérieur.

Néanmoins, cette mesure ne répond pas à un besoin identifié de longue date : l’accompagnement méthodologique des nouveaux bacheliers dans les premiers mois des formations de l’enseignement supérieur.

Beaucoup de renoncements ou d’échecs aux examens de première année peuvent en effet s’expliquer par l’absence des compétences nécessaires et un manque d’autonomie chez les nouveaux étudiants. Ces difficultés sont accentuées pour les jeunes bacheliers de 2020, dont beaucoup ne sont pas retournés en cours depuis mars dernier, et qui commencent leur première année dans l’enseignement supérieur dans des conditions très atypiques – pour ne pas dire dégradées.

D’après les documents transmis par la Conférence des présidents des universités, de nombreuses universités ont mis en place un encadrement et un accompagnement renforcés des nouveaux entrants. Cette action se matérialise par des mesures telles que l’organisation d’une rentrée échelonnée suivant les filières, la nomination d’« ambassadeurs », le recours à des forums et à des tchats afin de favoriser des échanges entre étudiants.

Au cours de son audition par la Commission d’enquête le 10 novembre dernier, Mme Frédérique Vidal avait affirmé la volonté du MESRI de généraliser des formes de tutorat ou de mentorat entre étudiants. Cette volonté s’est concrétisée par l’annonce le 26 novembre dernier de la création de 20 000 emplois étudiants supplémentaires pour des missions de tutorat, pour une durée de quatre mois. Selon les informations du MESRI, ces étudiants en année supérieure auront pour mission d’accompagner leurs pairs de première et deuxième année dans leurs études (aide à la recherche documentaire, aide à la réalisation des travaux dirigés, appropriation de l’espace numérique de travail, etc.), mais aussi de jouer un rôle d’interface avec les enseignants et l’ensemble des services à la disposition des étudiants (sociaux, santé, numérique, scolarité, etc.).

La rapporteure ne peut que soutenir cette démarche, dans la mesure où les nouvelles modalités d’enseignement développées en réponse à la crise sanitaire entraînent un certain isolement préjudiciable tant au plan psychologique que pédagogique. Elle estime qu’il conviendrait de pérenniser ce dispositif, au-delà des quatre mois annoncés.

Proposition : Pérenniser et développer les dispositifs de tutorat et de mentorat entre étudiants, notamment au bénéfice des élèves entrant en première année de l’enseignement supérieur

● En second lieu, l’expérience du premier confinement rend sans doute nécessaire une évaluation de la mise en place de l’enseignement à distance.

Les travaux précités de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale indiquent que « même lorsque la continuité pédagogique s’est mise en place dans de bonnes conditions, ce qui fut en général le cas, les enseignants estiment que l’enseignement à distance aurait induit une perte d’efficacité de l’ordre de 30 à 80 % ([111]) par rapport à l’enseignement en présentiel. »

Les éléments recueillis par la Commission d’enquête soulèvent également des questions quant à son efficacité au plan pédagogique.

D’une part, on ne saurait méconnaître les difficultés inhérentes à l’existence d’une fracture numérique sur le territoire national et entre les étudiants, déjà évoquée supra.

Certes, d’après les éléments communiqués par la Conférence des présidents des universités, il semble qu’un nombre relativement important d’universités développent des solutions afin de permettre à leurs étudiants de s’équiper ou de pouvoir utiliser un équipement informatique. Ces initiatives consistent, par exemple, à prêter des ordinateurs par l’intermédiaire des bibliothèques universitaires ou d’autres composantes des établissements, ou à offrir un accès à des salles équipées sur site. La ministre de l’enseignement supérieur a ainsi indiqué lors de son audition que « pour l’ensemble des universités, 1 800 ordinateurs ont été achetés et mis à disposition des étudiants, 4 800 ont été prêtés par les établissements et plus de 5 000 cartes SIM et clefs 4G distribuées. » Cet effort doit être salué, mais il reste relativement modeste, au regard du nombre d’étudiants susceptibles d’en avoir besoin – sachant que selon les résultats de l’enquête précitée de l’OVE sur la vie d’étudiant confiné, 16,8 % ont rencontré des difficultés dans l’utilisation des outils numériques pendant le confinement, et 38,9 % des difficultés de connexion internet.

L’ensemble des étudiants auditionnés par la Commission d’enquête soulignent en effet une inégalité persistante de moyens dans l’usage des outils informatiques : ils constatent que certains d’entre eux ne possèdent pas toujours d’équipements et/ou de connexion adaptés à leur domicile ou à celui de leurs parents et ce, malgré les aides procurées par les universités. Par ailleurs, la pratique des cours à distance peut contribuer à renforcer les inégalités d’apprentissage pour des étudiants ne vivant pas dans un environnement propice au travail.

D’autre part, la valeur pédagogique même des enseignements à distance ne va pas de soi et fait l’objet de remises en cause, notamment par ceux auxquels ils sont destinés.

En premier lieu, il semble que suivant les profils, les cours en ligne ne favorisent pas autant que les cours dispensés sur site les processus d’apprentissage et d’acquisition des connaissances. De l’avis des étudiants auditionnés, l’ordinateur peut priver du lien d’écoute et d’attention nécessaire à l’acquisition des compétences ; le suivi des enseignements par ce biais ne permet pas l’interactivité avec les professeurs, il est moins simple de leur poser des questions. Ils estiment également que les participants aux cours peuvent être davantage exposés aux distractions de l’environnement.

En second lieu, les témoignages donnent à penser que les enseignants ne sont pas tous suffisamment formés pour utiliser les outils numériques dans le cadre d’un enseignement à distance, ou qu’ils n’ont pas forcément adapté leur manière d’enseigner à ce nouveau cadre.

On notera cependant que d’après la Conférence des présidents d’universités, des tutoriels, créés par des enseignants ou par des ingénieurs pédagogiques, se sont multipliés afin de leur permettre de développer, au besoin, leurs compétences numériques (pour la création d’un site ou d’un blog, pour l’animation d’une communauté en ligne, pour l’organisation d’un cours à distance, etc.)

Enfin, on peut se demander si certaines disciplines ne se prêtent pas plus que d’autres à l’enseignement à distance.

Suivant la remarque de M. Vincent Llorens, étudiant en deuxième année de licence économie-gestion à l’université Paris-Dauphine, « [u]n cours de sociologie ou de sciences politiques peut être réalisé à distance, dans la mesure où il s’agit de matières « littéraires ». En revanche, les enseignements mathématiques que nous suivons à Paris-Dauphine (micro et macro-économie, statistiques, etc.) sont très difficiles à dispenser à distance, même si quelques professeurs utilisent des applications qui leur permettent d’écrire sur des tablettes graphiques ».

De fait, le suivi de cours en ligne constitue une pratique nouvelle dont le développement doit beaucoup aux circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire et qui ne saurait par ailleurs remplacer des cours dans les établissements, aux côtés d’autres étudiants et en face d’un professeur. Si d’autres pays ont une expérience plus riche, nous manquons de recul en pratique.

C’est la raison pour laquelle la rapporteure estime qu’il conviendrait d’évaluer l’efficacité pédagogique de l’enseignement à distance, par des équipes pluridisciplinaires, afin d’en mesurer l’intérêt et les inconvénients pour l’organisation de la continuité pédagogique. Cette démarche doit permettre d’évaluer les cas d’usage les plus pertinents et d’en tirer les conséquences utiles du point de vue de l’équipement des étudiants et de la formation des enseignants.

En tout état de cause, plusieurs étudiants entendus par la commission – le 22 octobre, soit avant le deuxième confinement – ont commencé leur propos en disant que leur état d’esprit était positif, précisément parce qu’ils suivaient leur formation « en présentiel » ; l’enseignement à distance induit en effet un fort isolement des étudiants. À cet égard, il semble en effet urgent d’avancer la reprise des enseignements sur place au début du mois de janvier. Comme pour l’école, la crise sanitaire a en tout cas conduit à revaloriser aux yeux des étudiants le temps d’enseignement passé dans les établissements, ce qui constitue en soi un élément positif.

Proposition : Évaluer l’efficacité de l’enseignement à distance, du point de vue des processus d’apprentissage, afin d’en mesurer l’intérêt pour l’organisation de la continuité pédagogique au sein de l’enseignement supérieur

2.   La vie étudiante mise entre parenthèses, des mobilités internationales entravées

● L’ensemble des témoignages recueillis par la Commission d’enquête rend compte, en premier lieu, d’un coup d’arrêt mis par la crise sanitaire aux activités et évènements qui scandaient l’année sur les campus et sites des universités et des grandes écoles.

En conséquence des confinements du printemps et de l’automne 2020, des manifestations (concerts, festivals, représentations de théâtre, débats) et moments festifs (soirées, compétitions sportives) ont été annulés ou ajournés. Les quelques semaines ordinaires vécues à la rentrée de septembre ne semblent pas avoir permis un semblant de retour à la normale, même dans des établissements possédant une solide vie étudiante tels que l’École Polytechnique.

Cette situation constitue la conséquence très directe du climat créé par l’éclatement de la crise sanitaire en mars 2020. Comme précédemment observé, du fait de la fermeture des lieux d’enseignement et du développement de l’enseignement à distance, beaucoup d’étudiants ont quitté la résidence du lieu de leur formation et ont regagné le domicile de leurs parents.

Par ailleurs, ainsi que le soulignait M. François Bouchet, directeur général de l’École polytechnique, président de la commission Vie étudiante de la Conférence des grandes écoles (CGE), de nombreux établissements universitaires et grandes écoles ont dû composer avec les restrictions de l’état sanitaire.

Ces dernières ont ainsi donné lieu à la fermeture d’espaces collectifs sur les campus ou à l’application de jauges de présence dans les quelques évènements encore organisés à la veille du second déconfinement.

Comme l’a souligné M. Bertrand Coly, conseiller du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse du CESE, la vie de campus, grâce aux organisations et associations présentes sur les campus, est un vecteur d’émancipation, de lien social et de confiance en soi pour les jeunes. Son absence, couplée à l’isolement résultant des cours à distance, pèse indéniablement sur le bien-être moral des jeunes étudiants, et leur donne le sentiment de « passer à côté » de leurs années étudiantes, et de la vie sociale qui va avec. La reprise de cette vie de campus est très attendue, et il est important de la favoriser, sous des modalités aménagées et dans le respect des règles sanitaires, lors de la reprise des enseignements.

Il convient cependant de noter que dans ce contexte, des associations ont pu maintenir leur activité et continuent à réaliser des projets collectifs pleins de créativité, avec le soutien des établissements et de leurs partenaires institutionnels. Devant la Commission d’enquête, Mme Yasmine Mebrouk, élue étudiante au conseil d’administration du CROUS de Montpellier-Occitanie, a ainsi fait état d’aides apportées par son université et le CROUS à la réalisation de projets contre l’isolement social par des associations étudiantes.

En outre, les nouveaux outils d’information et de communication permettent de réinventer les manifestations de la vie étudiante par voie dématérialisée.

● En second lieu et de manière assez logique, la crise sanitaire réduit les possibilités d’échanges internationaux.

Certes, malgré les confinements successifs, la France a continué d’accueillir les étudiants et les chercheurs étrangers, y compris pour les pays dans lesquels le virus du Covid-19 circulait le plus activement.

L’inscription dans un établissement de l’enseignement supérieur français constitue un motif de dérogation aux règles restreignant l’entrée sur le territoire national, sous réserve du respect de certaines procédures sanitaires. Depuis le 18 août 2020, les consulats français délivrent à nouveau des visas aux étudiants et aux chercheurs internationaux ([112]).

Toutefois, suivant les statistiques évoquées par la ministre de la Recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation, le nombre des visas accordés pour l’année académique 2020-2021 accuse une baisse de 27 %. En revanche, le nombre des étudiants étrangers inscrits en France ne reculerait pas dans les mêmes proportions.

Dans l’autre sens, la crise sanitaire a freiné les mobilités à l’étranger des étudiants français. Selon les chiffres indiqués par la ministre de l’enseignement supérieur, sur 2019-2020, on a constaté une baisse de 18 % de la mobilité sortante dans l’enseignement supérieur, principalement due au confinement qui a empêché les étudiants du second semestre de poursuivre le programme Erasmus. Les inscriptions Erasmus + en 2020-2021 demeurent stables, mais l’on constate une baisse de 20 % des départs d’étudiants à l’étranger : certains établissements internationaux étant fermés, les cours se font à distance, ce qui peut inciter à suivre les enseignements en France. Les chiffres définitifs de la mobilité des étudiants français au premier semestre 2020-2021 ne seront pas connus avant 2021.

Là encore, la crise sanitaire pèse fortement sur les échanges internationaux, et sur l’ouverture et l’expérience relationnelle qu’ils offrent aux étudiants pendant leur cursus d’études. Même quand les échanges internationaux ne sont pas annulés, passer une année d’étude dans un pays lui-même confiné ou semi-confiné, comme c’est le cas de nombre de pays européens actuellement, n’a rien à voir avec l’expérience d’une mobilité internationale dans les conditions habituelles, et expose au risque d’un grand isolement, loin de chez soi.

3.   Le risque d’un creusement des inégalités entre étudiants selon leur cursus d’étude

Si l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur ont été logés à la même enseigne durant le premier confinement, en subissant des contraintes similaires du point de vue de l’organisation des enseignements et de l’accès à leurs locaux, l’on constate des différences selon les catégories d’établissements, à la fois dans l’usage des outils numériques dans les enseignements, plus développé dans les grandes écoles, mais surtout dans les conditions d’études des jeunes en fonction de leur cursus.

● Ainsi que le soulignait Mme Anne-Lucie Wack, présidente de la Conférence des grandes écoles, sans négliger l’organisation des cours sur site et la vie de campus, les grandes écoles semblent tirer parti du travail engagé depuis quelques années afin de développer des modules d’enseignement en ligne. Cette démarche procéderait du constat que la vie des entreprises amène les salariés à user de manière croissante d’instruments permettant d’établir des rapports de travail à distance. D’après Mme Wack, elle permettrait aujourd’hui aux grandes écoles de mettre en place un « fonctionnement hybride », associant cours sur site et cours à distance. Les étudiants en grandes écoles ont sans doute bénéficié de supports de travail numériques plus étoffés que leurs homologues à l’université.

● Plus fondamentalement, le confinement a manifestement eu des conséquences moindres pour les étudiants en classe préparatoire ou en grande école que pour ceux à l’université, ainsi que le montrent les résultats de l’enquête précitée de l’OVE sur la continuité pédagogique.

D’après cette enquête, 79 % des élèves de classe préparatoire et 67 % des étudiants en école d’ingénieurs disposaient d’un espace de travail « isolé et calme », contre seulement 55 % des étudiants à l’université. 72 % des élèves de classe préparatoire et 69 % des étudiants en commerce avaient une « bonne connexion internet », contre 61 % des étudiants à l’université.

Par ailleurs, 96 % des élèves en classe préparatoire ont bénéficié de documents et supports de cours, contre seulement 74 % dans les autres filières. Enfin, 94 % des élèves en classe préparatoire et 85 % des élèves en école d’ingénieur ont pu suivre des cours ou des réunions de travail en visioconférence, contre 62,5 % pour les étudiants à l’université.

Enfin, dans le cadre du deuxième confinement, le maintien des cours « en présentiel », même ramené à 50 %, pour les élèves de classe préparatoire – de même que pour les étudiants en BTS –, introduit une forme de différence de traitement par rapport aux autres étudiants qui ont dû basculer dans l’enseignement à distance.

En cela, là encore, le confinement et la crise sanitaire aggravent les inégalités, les étudiants en classe préparatoire et en grande école, davantage issus de milieux sociaux favorisés, pouvant étudier à distance dans de meilleures conditions que les étudiants à l’université.

III.   intégrité physique et morale : une protection contre les violences exigeant un effort renouvelÉ et une continuité de l’ACTION PUBLIQUE

L’article 19 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 stipule : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

Ces mesures de protection doivent comprendre, selon qu’il conviendra, des procédures efficaces pour l’établissement de programmes sociaux visant à fournir l’appui nécessaire à l’enfant et à ceux à qui il est confié, ainsi que pour d’autres formes de prévention, et aux fins d’identification, de rapport, de renvoi, d’enquête, de traitement et de suivi pour les cas de mauvais traitements de l’enfant décrits ci-dessus, et comprendre également, selon qu’il conviendra, des procédures d’intervention judiciaire ».

Ces stipulations rappellent le droit à la sûreté des enfants et des jeunes et leur droit à la protection de la part de la puissance publique. Ces droits ont pu être mis à rude épreuve dans le contexte exceptionnel du confinement, et notamment pour les publics les plus fragiles.

A.   des menaces accrues dans des environnements familiaux et sociaux dÉstabilisés

Les situations difficiles et notamment les violences faites aux enfants ont pu être beaucoup plus complexes à détecter dans le contexte du confinement, notamment en raison de la fermeture des écoles, premier lieu où ces faits peuvent être détectés et signalés, mais aussi du fait des effets du confinement sur le fonctionnement des services publics et des associations.

En effet, un chiffre est à rappeler : 80 % des maltraitances sont issues des familles. Ces actes ont pu se multiplier dans le contexte de huis clos prolongé, s’accompagnant de tensions supplémentaires pour les parents et en l’absence d’un regard extérieur.

La prévention et la lutte contre les violences intrafamiliales ont fait l’objet d’une forte mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’enfance que la commission d’enquête a auditionnés.

1.   Des signaux contrastés quant à une recrudescence des violences intrafamiliales

a.   Des statistiques policières qui ne révèlent pas d’évolution nette sur les violences, mais laissent transparaître des signaux inquiétants

Selon les informations transmises par la direction générale de la police nationale, les statistiques sur les violences exercées sur les mineurs sont plutôt en diminution sur les neuf premiers mois de l’année 2020. La police nationale a enregistré une baisse des homicides : 20 homicides sur mineur de moins de 15 ans ont été commis sur les neuf premiers mois de l’année 2019, contre 16 sur les neuf premiers mois de l’année 2020.

Une baisse de 15 % des violences, mauvais traitements et abandons d’enfants a également été enregistrée : 25 000 faits enregistrés en 2019 contre 21 000 en 2020. De la même manière, les harcèlements et agressions sexuelles sur mineurs ont diminué de manière assez importante, de l’ordre de 11 %, correspondant à 5 950 faits en 2020 contre 6 700 en 2019. En revanche, les viols sur mineurs ont crû de plus de 4 %, passant de 3 900 faits enregistrés en 2019 à 4 000 en 2020.

statistiques de la police nationale – faits constatés relatifs aux mineurs

 

2019

2020

écarts

Violences, mauvais traitements, abandons d’enfants

25 090

21 252

– 15,3 %

Délits au sujet de la garde des mineurs

7 408

6 607

– 10,8 %

Non versement de pension alimentaire

3 103

2 124

– 31,5 %

Harcèlements et agressions sexuels sur mineurs

6 692

5 949

– 11,1 %

Homicide de mineurs de moins de 15 ans

20

16

– 20 %

Source : direction générale de la police nationale.

Les indicateurs s’avèrent donc plutôt orientés à la baisse sur l’année 2020, mais la période de confinement (17 mars-10 mai) a tout de même été très atypique, avec une diminution sensible des plaintes enregistrées par les services de police et de gendarmerie.

Cependant, lorsque le service statistique ministériel a, en juillet, réalisé une étude, cette baisse ne s’est pas confirmée. En effet, une augmentation de 4 % des faits de coups et blessures volontaires (CBV) commis sur les moins de 15 ans a alors été constatée, alors que l’ensemble des CBV se présentait en baisse de 28 % sur la période de confinement. Ces écarts s’expliquent vraisemblablement par un décalage dans l’enregistrement des plaintes. Selon M. Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale, il convient donc de retenir que pendant la période de confinement, les coups et blessures volontaires ont diminué d’une manière générale, alors que les violences intrafamiliales augmentaient de 4 %. Cela manifeste clairement une évolution atypique : dans un mouvement général de baisse de l’ensemble des indicateurs liés à la délinquance, on constate une augmentation des violences dans la sphère familiale.

Ainsi, plus de 41 000 interventions de police ont été réalisées à domicile au titre de violences intrafamiliales, contre 32 000 sur la même période de l’année 2019. Selon M. Vincent Le Beguec, cette hausse était liée à l’augmentation des tensions dans les foyers, mais aussi à un plus grand nombre d’appels de voisins et de riverains, signalant des phénomènes de tension. Il ne s’agissait pas nécessairement de violences, mais souvent, de disputes directement liées à une consommation d’alcool parfois excessive. Le simple transport des services de police au sein du foyer suffisait, dans la majorité des cas, à ramener le calme. Toutes les interventions ne se sont donc pas traduites par des plaintes.

De la même façon, les interventions pour violences intrafamiliales ont crû de 58 % sur la zone de gendarmerie. Le général Vincent Barbey a souligné, comme M. Le Beguec, qu’il ne s’agissait pas forcément de violences identifiées comme telles, et que ces déplacements ne donnaient donc pas nécessairement lieu à des dépôts de plainte. Il a également souligné qu’en termes de profils, « les auteurs de violences sur des enfants ou des femmes sont en majorité des hommes, mais surtout ils disposent d’un passif judiciaire en lien avec un champ délictuel étendu (…). Dans les cas que nous avons pu étudier au sein du service du renseignement criminel, 91 % des auteurs correspondaient à des personnes déjà connues au niveau judiciaire. »

Par ailleurs, durant cette période, une augmentation significative des appels pour violences conjugales a été constatée. Avant le confinement, les violences conjugales représentaient environ 30 % de l’activité de la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes ; durant le confinement, leur part a dépassé 50 % et même atteint, sur certaines semaines, 60 % de l’activité totale. Il est à rappeler ici que les violences conjugales sont aussi une violence faite aux enfants.

Parallèlement à l’augmentation des violences intrafamiliales, les plaintes ont massivement diminué pendant le confinement. La gendarmerie a en effet constaté un nombre de victimes mineures déclarées en baisse de 45 %, passant de 5 163 en 2019 à 2 800 sur la même période de 2020. La période de confinement a donc eu le double effet d’exacerber les violences à l’intérieur du huis clos familial et d’en rendre la dénonciation plus difficile.

Ainsi, Mme Martine Balençon, pédiatre-médecin légiste, présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale a estimé que : « l’activité des urgences pédiatriques a baissé de 30 à 70 % » pendant le confinement ce qui, dans un contexte d’accroissement des violences intrafamiliales, s’avère inquiétant.

La prostitution des mineurs, un phénomène protéiforme devenu encore
plus souterrain pendant le confinement

Tout d’abord, les acteurs – Secrétaire d’État, police, gendarmerie – ont confirmé que le confinement a conduit à ralentir les activités de prostitution des mineurs.

Toutefois, les personnes auditionnées ont toutes indiqué être assez dépourvues face à cette prostitution aux visages multiples, qui ne reprend pas les codes de la prostitution traditionnelle, et dans laquelle les victimes ne se considèrent pas comme victimes et les proxénètes, du même âge que les victimes, se considèrent à peine comme des proxénètes.

Même les associations spécialisées telles qu’Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE) ou les associations généralistes comme le Mouvement du nid sont dépourvues face à ce phénomène. Il y a deux ans, le chiffre de 3 000 ou 4 000 mineurs concernés était avancé, alors qu’il est aujourd’hui estimé à 8 000 à 10 000.

En effet, la prostitution des mineurs regroupe à la fois le « michetonnage », le phénomène des loverboy, les enjeux en lien avec l’ASE – avec des « Ubers » qui viennent à la sortie de certains foyers de l’aide sociale à l’enfance pour emmener les filles –, la prostitution de cités, mais aussi de classe moyenne.

Lors de son déplacement à Toulouse, la présidente a rendu visite à une association œuvrant dans le domaine. « Depuis une dizaine d’années, nous allons à la rencontre des jeunes en situation de prostitution via leurs sites d’annonce, et via les réseaux sociaux, Instagram, Twitter, Snapchat. C’est un public très éloigné des associations de prévention. C’est donc très compliqué de créer un lien. » ([113])

Pour rester en contact avec les jeunes, des associations créent un espace de médiation par les canaux de communication les plus empruntés par ces jeunes prostituées. « Le reconfinement amène panique et angoisse alors que les dettes du premier confinement ne sont pas réglées. Les associations n’ont pas de fonds d’aide directe à donner aux jeunes en situation de prostitution ou très peu. En plus de tout cela, elles reçoivent des amendes pour non-respect du confinement ou du fait de l’arrêté municipal pris à Toulouse. Pendant la première période, les associations ont pu aider grâce à des subventions exceptionnelles ».

Le Gouvernement a mis en place un groupe de travail sur la prostitution des mineurs en octobre 2020, qui est présidé par Catherine Champrenault, procureure générale auprès de la Cour d’appel de Paris. Le groupe va travailler jusqu’en février prochain avec les associations, les services de police, les services de la justice et de l’Éducation nationale ; il est en effet de bonne méthode d’impliquer tous les acteurs.

Plus largement, la plateforme de signalement des violences sexuelles et sexistes a vu son activité multipliée par 3,5 durant la période de confinement. 2 900 conversations électroniques (chats) ont entraîné 1 200 signalements sur des faits qui méritaient d’être orientés vers un service d’enquête en vue d’une prise de plainte ; ces chats ont en outre généré plus de 180 interventions urgentes à domicile.

Sans disposer de chiffres précis, la commission d’enquête a été alertée de l’augmentation des cyberviolences, notamment via les réseaux sociaux, pendant le confinement. Le collectif Stop Fisha qui traque et dénonce les comptes « fisha » a constaté une explosion de ces comptes, extrêmement viraux, qui affichent des photos intimes de jeunes femmes à leur insu avant de se livrer à du harcèlement sur les victimes.

b.   Une activité soutenue du numéro d’appel d’urgence 119

Globalement, sur la période du confinement, les appels au 119 pour l’enfance en danger ont augmenté de 56,2 % par rapport aux années précédentes (62 467 appels entrants en 2019, contre 97 542 en 2020, entre le 18 mars et le 10 mai), avec des pics, comme une hausse de 89 % sur la semaine du 13 au 19 avril.

Les données de la police nationale montrent une hausse des violences, avec un effet retard : les professionnels voient revenir depuis la fin du confinement des enfants victimes. Le deuxième confinement pourrait avoir des effets similaires même si ceux-ci devraient être de moindre ampleur du fait du maintien des écoles ouvertes.

L’augmentation des appels au 119 est aussi en partie liée à d’importantes campagnes de communication pour sensibiliser les Français à la nécessité de signaler les violences faites aux enfants, lancées dès le début du confinement, et en conséquence à une hausse de la vigilance de la population. Les personnes semblaient plus enclines à joindre le 119, avec un accroissement des appels par les mineurs et par les camarades, passés de 16,8 % du total des appels reçus à 21,8 % entre 2019 et 2020. Une augmentation similaire a été constatée dans les appels des voisins, la part des voisins parmi les appelants passant de 10,3 % à 16,6 %. Le rôle de signalement des violences que l’école ne pouvait plus assumer l’a été, au moins partiellement, par l’entourage et notamment des voisins plus présents à leur domicile. La rapporteure salue ce civisme et ce sens de la solidarité de nos concitoyens.

Selon les informations fournies par Mme Violaine Blain, directrice générale du Groupement d’intérêt public Enfance en danger (GIPED), le 119 a transmis plus de 30 % d’informations préoccupantes supplémentaires aux cellules départementales de recueil et de traitement de l’information (CRIP) pendant cette période.

c.   Le service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED) réorganisé

Le SNATED, mise en œuvre par le GIPED, qui gère le 119, a dû, d’une manière extrêmement rapide, réorganiser son service qui fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Pratiquement, lorsque le confinement a été décidé, les écoutants n’étaient pas dotés de matériel nomade permettant la mise en place de la continuité du service à distance.

Dans un réel élan de solidarité, les professionnels ont accepté d’organiser la prise des appels à domicile, sur la base de leur matériel personnel – téléphone portable et ordinateur –, sachant qu’il existe une nécessité de traçage des appels pour ouvrir des dossiers susceptibles d’être transmis au département, au travers de fiches d’informations préoccupantes. La rapporteure salue l’abnégation des personnels, sur laquelle elle reviendra en quatrième partie du présent rapport.

Les écoutants ont donc dû à la fois s’adapter à une nouvelle organisation de leur travail et à une forte hausse de leur activité.

d.   Le rôle des cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP)

Les cellules sont départementales. Il est donc difficile de porter une appréciation globale sur leur fonctionnement et leur activité. Il n’a par exemple pas été possible d’obtenir des éléments consolidés sur l’évolution du nombre des informations préoccupantes (IP) reçues par les départements pendant le confinement, ni sur les modalités de leur traitement. Les services du secrétariat d’État chargé de l’enfance et des familles ont en effet souligné la difficulté de recueillir des données harmonisées que l’on peut agréger d’un département à l’autre, alors que la définition de l’IP s’appuie sur des pratiques professionnelles très variables d’un département à l’autre. Le nombre d’IP serait ainsi très variable et surtout ne serait pas comparable, puisqu’il ne recouvre pas les mêmes réalités.

Ces services ont d’ailleurs indiqué que l’ONPE – Observatoire national de protection de l’enfance – travaille actuellement à partir des rapports d’activité d’environ 35 CRIP pour mettre en évidence ces difficultés, pour les expliquer et pour proposer des pistes de travail.

En tout état de cause, les chiffres et tendances évoqués en auditions sur les informations préoccupantes reçues pendant le confinement s’avèrent divers et ne permettent pas de retirer de conclusions à ce stade : Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère, a indiqué avoir observé une augmentation de 20 % d’informations préoccupantes reçues, tout en restant sur de petits chiffres ([114]). Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de Moselle, a indiqué que le tableau de suivi des informations préoccupantes n’avait pas enregistré d’augmentation massive dans la période. Mme Isabelle Santiago, vice-présidente du conseil départemental du Val de Marne jusqu’en septembre dernier, a au contraire indiqué qu’une forte baisse du nombre d’informations préoccupantes a été observée, avec jusqu’à -58 % d’IP durant le confinement, mais a observé « un rebond lors du déconfinement, avec aujourd’hui des chiffres très importants : en septembre 2020, nous sommes à 1 702 mesures ordonnées en actions éducatives en milieu ouvert, contre 1 305 dans la période précédente. »

Certains départements ont été plus prompts à s’adapter et à se mobiliser. Cela s’explique de deux façons :

– la qualité des partenariats préexistants, établis notamment avec les services de la justice. Dans ce domaine également, ces dysfonctionnements montrent le caractère fondamental de la coopération entre différentes institutions. Il est impératif que dans le domaine des violences faites aux enfants, la coopération entre services de sécurité, institution judiciaire, école et services départementaux de la protection de l’enfance soit étroite ;

– la question de l’équipement informatique et technique. Toutes les CRIP ont maintenu leur activité selon des modalités adaptées, mais dans un certain nombre d’entre elles, il n’était pas possible de mettre à disposition des travailleurs en télétravail du matériel informatique. Ainsi, le faible niveau d’équipement informatique a dégradé dans certains cas la continuité du service. La question des systèmes d’information est un sujet récurrent dans la relation entre les collectivités locales et l’État. Ces constatations montrent encore une fois le sous-investissement informatique et numérique qui caractérise la plupart des institutions publiques de notre pays.

2.   Des inquiétudes particulières à propos de la situation des jeunes LGBT+

a.   Un public déjà fragile sur lequel le confinement a des conséquences exacerbées

Durant le confinement, la situation de personnes LGBT+ a été particulièrement difficile, à l’échelle mondiale bien sûr, comme l’a relevé le Haut-Commissariat de l’ONU pour les Droits de l’Homme, mais également en France.

Les principales conséquences de la crise ont été psychologiques. La période a été difficile pour ces jeunes déjà fragilisés. En temps ordinaire, les jeunes LGBT+ sont déjà des sujets à risque en matière de dépression. Ainsi, selon les travaux de Santé publique France, les risques de suicide sont de deux à trois fois plus élevés que pour leurs homologues hétérosexuels. Par rapport à ces derniers, les jeunes LGBT+ courent trois fois plus de risques de subir des violences intrafamiliales.

La commission d’enquête n’a pas pu disposer de statistiques quantitatives ou qualitatives sur le phénomène des violences subies en raison de l’identité ou de l’orientation sexuelle. M. Omar Didi, président du Mouvement d’affirmation des jeunes lesbiennes, gays, bi et trans (MAG) a déclaré que : « À la CRIP de Paris, aucun signalement de LGBTphobie n’a été effectué en 2018, dans la famille ou à l’école. D’un point de vue général, l’aide sociale à l’enfance (ASE) et son personnel ne savent pas forcément que, si un jeune vit des violences intrafamiliales à caractère LGBTphobe, un dialogue doit s’instaurer ». Pendant le confinement, le manque de ligne d’urgence clairement identifiée sur les problématiques propres aux LGBT+ a empêché de quantifier le nombre de personnes victimes de violence, en détresse ou dans le besoin.

La seule ligne dédiée à ces problématiques spécifiques est celle du Refuge, qui a enregistré une augmentation de 30 % de ses appels. Mme Anne Tarrade, déléguée générale adjointe du Refuge, a ainsi indiqué : « ces appels sont plus longs que d’habitude et nous notons une augmentation du nombre de mineurs qui appellent pendant la période de confinement, sans doute en raison de la fermeture de l’école, ce qui a augmenté les tensions. Plus généralement, les violences intrafamiliales ont augmenté et les personnes LGBT les ont également subies ». Une analyse plus poussée de la typologie de ces appels pourrait utilement renseigner sur les conséquences du confinement sur les jeunes LGBT+.

Mme Anne Tarrade a en tout cas ainsi souligné l’importance des conséquences psychologiques de la crise : « la période a été difficile pour ces jeunes déjà fragilisés par la vie, ayant vécu une rupture familiale. La plupart d’entre eux vivent à plusieurs, dans des appartements. La vie en colocation n’est pas simple pour eux, d’autant qu’ils ne l’ont pas choisie. » Elle a également souligné que pendant le premier confinement, le nombre de jeunes mis à l’abri en urgence a augmenté, particulièrement à Marseille et à Paris.

Les associations entendues ont déploré l’inaction des services de police dans certains départements face aux violences subies par les jeunes LGBT+. M. Omar Didi a ainsi indiqué : « Lorsque nous orientions ces jeunes vers des officiers supposés être des référents LGBT dans les commissariats, rien n’était mis en place. Ces situations n’ont pas cours à Paris, où un officier LGBT est clairement identifié par la préfecture de Police ».

En outre, la professionnalisation de l’ensemble des acteurs de la jeunesse, et leur sensibilisation aux problématiques LGBT+, notamment des acteurs de l’aide sociale à l’enfance (ASE), est essentielle pour ne pas passer à côté de véritables situations de détresse.

Proposition : Systématiser la présence d’un référent LGBT+ au sein de la police nationale dans chaque département et mieux le former à ces problématiques spécifiques

De manière générale, les jeunes LGBT+ sont déjà davantage à risque du point de vue des troubles psychologiques. Le confinement a bien évidemment exacerbé les risques psychologiques chez ces jeunes.

b.   Des associations en difficulté pour jouer leur rôle

Les associations dédiées, comme le Refuge, ont dû adapter leurs modalités de fonctionnement pendant le confinement, dès lors qu’elles ne pouvaient plus organiser de permanences physiques pour soutenir les jeunes. Des activités en distanciel, notamment la mise en place d’une ligne d’urgence par le Refuge, a permis aux jeunes LGBT+ de les contacter, notamment ceux qui sont victimes de violences intrafamiliales. La cellule d’écoute psychologique a pu également être maintenue.

La rapporteure salue ce travail fait dans des conditions difficiles, d’autant plus que comme nombre d’associations, Le Refuge a déclaré avoir constaté suite à la crise une importante baisse de dons, allant jusque 40 %.

Par ailleurs, les associations LGBT+ doivent avancer la trésorerie relative aux nuitées lors de relogement des jeunes pris en charge, ce qui se révèle très délicat pour nombre d’entre elles. En effet, peu d’associations disposent d’une trésorerie suffisante permettant d’avancer les fonds. De plus, un jeune qui a vécu des violences intrafamiliales a besoin d’être suivi, accompagné et de bénéficier d’un accompagnement social sur la durée, qui va au-delà de la simple question de l’hébergement d’urgence. Le soutien à ces associations est essentiel.

c.   Au-delà des violences, des conditions de vie compliquées par la crise

Les associations Le Refuge, SOS Homophobie ou encore Acceptess-T ont pu observer que lors du confinement, de nombreux jeunes LGBT+ n’avaient pas eu accès à un hébergement d’urgence en cas de violences intrafamiliales ou encore de départ précipité du foyer familial. Une prise en charge dans les territoires implique la mise en place de dispositifs dans les départements, comme pour les femmes victimes de violences conjugales, par les services déconcentrés de l’État, en lien avec les associations.

La rapporteure recommande à la suite des associations travaillant avec le public concerné une décentralisation de la prise en charge des jeunes LGBT+ en rupture familiale. Les services déconcentrés de l’État, en relation avec le département, doivent pouvoir prendre en charge cette question, avec des financements transitant par des associations généralistes et spécialisées.

Proposition : Décentraliser la prise en charge les jeunes LGBT+ en rupture familiale, en coordination avec les associations spécialisées

Au-delà du logement, la précarité a durement touché les jeunes LGBT+ pendant le confinement. Certains ont dû recourir à la prostitution, phénomène déjà existant en temps ordinaire. M. Frédéric Gal,  directeur général de l’association Le Refuge, a précisé : « en ce qui concerne la prostitution, nous sommes confrontés, avec nos jeunes résidant en lieu de vie et d’accueil, à une forme de prostitution plus sournoise que la prostitution de rue. Il s’agit d’une prostitution sur internet, avec des échanges de services, qui peuvent être sexuels, mais il peut également s’agir de photos. Cette situation représente un véritable fléau. Nous avons la chance de compter une équipe de quatre encadrants, travailleurs sociaux, qui accompagnent ces jeunes dans le lieu de vie. »

d.   Le plan d’urgence gouvernemental

Mme Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations, a annoncé le 24 avril dernier un plan d’urgence pour aides les jeunes LGBT pendant la crise sanitaire.

Ce plan d’urgence, avec par exemple la mise à disposition de nuitées d’hôtel pour les jeunes LGBT+, a été mis en place tardivement, presque à la fin du confinement. Il était assez fermé, car il ne permettait qu’aux structures LGBT+ d’avoir accès à ces nuitées. Le conventionnement demeurait en effet impossible avec des associations généralistes, notamment des associations mettant en place un travail d’exfiltration et d’hébergement d’urgence à l’échelle départementale.

Les signalements restent cependant difficiles à réaliser faute de ligne dédiée. Par ailleurs, il serait nécessaire d’intégrer les jeunes LGBT+ dans le dispositif Arrêtons les violences mis en place pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles notamment au sein du couple.

Proposition : Élargir le champ de la plateforme Arrêtons les violences afin de prendre en compte les jeunes LGBT+, ainsi que les personnes LGBT+ victimes de violences conjugales

M. Omar Didi a fait part de sa satisfaction quant à la méthode choisie pour l’élaboration du nouveau plan d’urgence : « S’agissant du nouveau plan piloté par le ministère délégué et la DILCRAH, nous sommes plutôt satisfaits de la première réunion qui s’est tenue en présence d’Élisabeth Moreno. Nous constatons une réelle consultation des associations LGBT et un réel travail, en lien avec les associations, ce qui n’était pas le cas lors du premier confinement. La consultation est réelle à présent. Nous sommes plutôt satisfaits du dispositif actuel, malgré son caractère d’urgence. Nous disposons de l’oreille attentive du ministère et pouvons à présent débloquer plus rapidement des situations très complexes de jeunes LGBT, ce dont nous sommes très satisfaits ».

La rapporteure encourage cette méthode plus proche du terrain et s’appuyant sur une connaissance certaine des enjeux.

B.   Des dispositifs d’identification et de prise en charge des victimes À conforter

Le Gouvernement a lancé en novembre 2019 un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, qui ne doivent pas être dissociées de la lutte contre les violences faites aux femmes – liens qui ont été pris en compte dans la loi n° 20191480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.

Cependant, à la lumière de la crise sanitaire et de ses conséquences, les 22 mesures ([115]) de ce plan sont à réinterroger et probablement à renforcer sur un certain nombre de points.

1.   Des moyens à étoffer pour la libération de la parole et le signalement des violences

Le rapport a souligné le rôle fondamental de l’école dans l’identification des jeunes confrontés à des violences. Cependant, ce rôle est tributaire de la formation des enseignants, des moyens de la médecine scolaire et universitaire, et surtout du maintien de l’ouverture des établissements scolaires en période épidémique. Ces établissements sont restés ouverts pendant le deuxième confinement et la rapporteure a eu l’occasion de saluer cette décision.

D’autres outils sont cependant à parfaire.

a.   Le développement du 119 et l’intérêt de la coopération avec les associations pendant le confinement

Pour permettre au numéro d’urgence 119 d’absorber les appels supplémentaires, l’État a été au rendez-vous. Dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants de novembre dernier, les moyens du 119 avaient été augmentés de 200 000 euros de la part de l’État et de 200 000 euros de la part des départements. Ces 400 000 euros avaient permis, avant le confinement, de disposer d’équipes et d’écoutants supplémentaires.

En parallèle, l’articulation avec les associations a été renforcée pour appuyer le 119, à la fois quantitativement, en termes de nombre d’écoutants, et qualitativement, au regard de la nature des appels : quatre associations ont ainsi prêté main forte, La Voix de l’enfant, L’Enfant bleu-Enfance maltraitée, Enfance et Partage, Colosse aux pieds d’argile : elles sont venues en appui du 119 pour prendre des appels et réaliser de l’accompagnement sur des questions juridiques. L’Enfant bleu gère par exemple les sujets juridiques et en assure le suivi.

Cet écosystème regroupant l’État, les collectivités territoriales et les associations est le bon exemple à suivre afin de gagner en efficacité au service des enfants et des jeunes.

Toutefois, de l’avis des personnes entendues et en dépit des campagnes de communication menées, le 119 n’est pas encore assez connu des enfants et des jeunes eux-mêmes. La rapporteure recommande de le faire figurer sur l’ensemble des carnets de correspondance et des carnets de liaison des 12 millions d’élèves afin qu’aucune violence ne reste sans réponse faute de signalement.

Proposition : Insérer dans les carnets de correspondance des élèves une mention des dispositifs susceptibles de recueillir les signalements de violences intrafamiliales, tels le 119

Comme dit supra, il n’existe pas de lignes spécifiques destinées aux jeunes LGBT+ ; au cours des auditions, il est apparu nécessaire de créer un numéro dédié avec des écoutants formés aux problématiques spécifiques des jeunes LGBT+ au bout du fil.

Proposition : Développer des lignes spécifiques pour les jeunes LGBT+ ou étendre le champ de compétence de plateformes existantes

b.   Généraliser les outils innovants pour entrer en contact avec les enfants et leur permettre de signaler les violences

La Commission d’enquête a entendu quelques exemples innovants et plus en adéquation avec les habitudes des enfants et des jeunes qu’un simple appel téléphonique.

L’Enfant bleu-Enfance maltraitée a mis en place un dispositif innovant en collaboration avec le secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance. L’Enfant bleu et l’Association d’aide aux victimes d’abus sexuels (AAVAS), ont créé un petit avatar, qui s’appelait l’Enfant bleu, dans un jeu vidéo très populaire chez les jeunes. À travers ce jeu, les enfants pouvaient se signaler et dialoguer. 1 200 à 1 300 enfants se sont connectés. Cet exemple est une première ébauche de dispositif innovant et construit de manière horizontale, sur lequel travaillent le secrétaire d’État et ses services. Une coopération pourrait être utilement engagée avec les éditeurs de jeux vidéo.

Concernant le 119, un site internet a été créé pour être plus en phase avec les pratiques des jeunes. La rapporteure recommande de développer des applications avec des fonctionnalités multiples.

Proposition : Compléter les dispositifs des numéros verts par la mise en place d’applications téléchargeables

2.   Le rôle de la police et de la justice à préserver dans le contexte d’un épisode épidémique

De façon générale, les tribunaux ont été fermés au public pendant le confinement (voir infra). Toutefois, le traitement des contentieux urgents devait être assuré, des permanences devaient être tenues pour prendre les mesures utiles de protection pour les enfants en danger. Concernant la répression des violences faites aux enfants, les audiences de comparution immédiate et les présentations devant le juge d’instruction avaient vocation à se tenir également. En cas d’urgence, des ordonnances de placement provisoire pouvaient être rendues par les magistrats pour garantir la protection des enfants. Comme développé infra, il semble que le confinement se soit toutefois traduit pour la justice des enfants par des délais supplémentaires et des retards.

Dans le cadre du nouveau confinement instauré le 30 octobre, le principe est que les tribunaux ne ferment pas.

S’agissant des services de police et de gendarmerie, M. Vincent Le Beguec a souligné que dès le début du confinement, le ministère de l’Intérieur a donné des instructions très claires aux directions générales, afin de mobiliser l’ensemble des services, de prioriser le traitement des violences intrafamiliales et de maintenir un traitement en temps réel des procédures. Les directeurs généraux ont décliné ces instructions dans leurs organisations et la chaîne pénale a pu fonctionner de manière à peu près classique, selon les propos recueillis.

Le rapport a déjà développé la question des référents LGBT+ dans chaque département. De manière générale, la connaissance par les services de sécurité – police et gendarmerie – de l’ensemble de la population dans un climat de confiance est essentielle au métier de l’ordre et à la paix civile en général, comme le montre a contrario l’actualité relative au maintien de l’ordre.

Le temps du confinement a été mis à profit par la gendarmerie pour « pour acquérir à nouveau des connaissances à propos des territoires [isolés en zone rurale] et aller à la rencontre des personnes, dans le cadre de l’opération Répondre présent »

Les gendarmes ont profité du temps du confinement pour renouer le contact. Ils ont par exemple apporté des devoirs aux enfants, pour des familles isolées qui ne disposaient pas de connexion internet. Les gendarmes ont donc tissé un lien, transmis les informations aux intervenants sociaux du département et mis ces personnes en relation avec l’intervenant social de la gendarmerie, qui leur permettra d’ouvrir certaines portes afin d’améliorer leur situation.

Cette initiative bienvenue est à approfondir sur l’ensemble des problématiques de l’enfance et de la jeunesse, et bien sûr à élargir en zone urbaine dans le périmètre de compétence de la police nationale.

3.   L’enjeu du soutien à la parentalité : une timidité à dépasser

Le soutien à la parentalité est fondamental en période de crise aigüe. En effet, aux difficultés habituelles, se sont ajoutées des attentes implicites augmentant encore la charge de parents parfois harassés par leurs propres difficultés. Comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées, sont apparues assez rapidement des inquiétudes sur l’essoufflement parental, qui peut conduire à des situations de maltraitance dans le cercle familial.

Face aux informations anxiogènes et au décompte quotidien du nombre de décès par les services de l’État, face à l’enjeu de la continuité pédagogique, face à l’angoisse sanitaire pour eux et leurs enfants, les parents ont eu – et ont toujours – également besoin de soutien.

La gendarmerie a diffusé différents principes à respecter, sur la thématique « Comment parler du coronavirus avec les enfants ? », par exemple, avec les recommandations suivantes :

– ne pas forcer l’enfant à parler ;

– accueillir les questions avec bienveillance et y répondre ;

– utiliser des mots simples en se basant sur des faits réels ;

– ne pas faire de promesses non réalistes ;

– ne pas présupposer les réactions de ses enfants ou leur attribuer ses propres inquiétudes.

Tous ces conseils ont été travaillés avec des associations, des intervenants sociaux et des pédopsychiatres et diffusé sur le site de la gendarmerie sous le titre « Soutien à la parentalité en période de confinement ».

Ces principes simples contrebalançant les spots anxiogènes auraient dû faire l’objet d’une campagne plus large sur le modèle de celles passant quotidiennement sur l’ensemble des chaînes et appelant au respect des gestes barrières.

Proposition : Diffuser largement sur tous les supports audiovisuels et numériques des recommandations simples sur la manière de parler de la crise sanitaire aux enfants

Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, interrogé sur ce point, a informé la commission d’enquête sur les actions de son ministère dans le domaine de l’aide à la parentalité.

Ses services ont travaillé avec la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui a été très active en mettant un certain nombre d’outils à disposition, notamment l’accueil de loisirs à la maison sur le site monenfant.fr, qui proposait quotidiennement des activités aux parents.

En outre, un appel à projets a été lancé avec un fonds de 500 000 euros pour accompagner les projets associatifs de soutien à la parentalité. Par exemple, « Les Pâtes au Beurre », association créée à Nantes il y a une vingtaine d’années, qui a mis en place une ligne d’écoute pour les parents ayant besoin de conseils et de soutien à la parentalité. L’État les a accompagnés financièrement pour leur permettre de recruter des écoutants et de mettre en place un service téléphonique.

Ce type d’initiative est à reproduire sur d’autres territoires et surtout à populariser à travers des campagnes d’information efficace.

Elles pourraient trouver un prolongement dans le déploiement plus important de programmes de parentalité auprès des parents, comme souligné par M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré : « au niveau international, il existe vraiment un enjeu sur l’accompagnement des familles et le déploiement de programmes de parentalité, y compris en ligne ([116]) ». Ces approches sont davantage développées dans les pays anglo-saxons, et il serait utile de s’en inspirer.

IV.   Enfance fragile : Les exigences du maintien des missions de l’aide sociale à l’enfance et le devoir de prise en charge des mineurs non accompagnés

À l’exemple de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) du 20 novembre 1989, les accords internationaux conclus par les États consacrent aujourd’hui le droit des enfants à être protégés de la violence, de la maltraitance et de toute forme d’abus et d’exploitation, ainsi que de toutes les formes de discrimination. Ainsi, la CIDE prescrit aux pays l’ayant ratifiée d’« assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées » ([117]).

Indépendamment de ses engagements internationaux, la protection de l’enfance fragile constitue depuis longtemps en France un champ d’intervention privilégié des collectivités publiques. Prise dans son acception la plus large, la politique publique associe, depuis les lois de décentralisation de 1982, les départements, les services de l’État et l’autorité judiciaire.

Le propos du présent rapport n’est pas de juger de la pertinence de cette organisation, mais de son efficacité dans des circonstances il est vrai exceptionnelles. De fait, les travaux qu’elle a menés ont permis de montrer que la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 a mis à l’épreuve le fonctionnement de l’aide sociale à l’enfance et peut nourrir des réflexions et susciter des propositions sur l’organisation et les modalités de la prise en charge des mineurs fragilisés par leur situation familiale, notamment les mineurs non accompagnés.

A.   la crise sanitaire, occasion de redessiner les missions, le rôle et les liens de coopération de l’ASE

Régie par les articles L. 221-1 à L. 221-9 du code de l’action sociale et des familles (CASF), l’aide sociale à l’enfance désigne, au sens strict, un service départemental dépourvu de personnalité juridique distincte, chargé d’apporter un soutien matériel, psychologique et éducatif aux enfants et adolescents jusqu’à la majorité légale. Ses missions découlent des dispositions de l’article L. 221-1 du CASF. Sur ce fondement, les services départementaux de l’ASE peuvent prendre ou appliquer des mesures qui s’inscrivent dans deux cadres :

– l’aide à domicile : elle vise à maintenir les enfants ou les adolescents relevant de l’ASE dans leur milieu habituel ou à faciliter le retour à domicile après une prise en charge en dehors du milieu familial ; cette action peut donner lieu à l’octroi d’aides financières (sous forme d’allocations mensuelles ou de secours exceptionnels) ou à l’accès facilité aux prestations d’un technicien de l’intervention sociale et familiale – TISF – ou d’une aide-ménagère ; dans ce cadre, l’aide sociale à l’enfance peut également consister en la mise en œuvre, en milieu ouvert ou à domicile, de mesures relevant de l’action éducative à domicile (AED) ([118]) ou de l’action éducative en milieu ouvert (AEMO) ([119]) ;

– la prise en charge matérielle : elle concerne les mineurs qui ne peuvent demeurer dans leur milieu de vie habituel ou dont l’état nécessite un accueil spécialisé ; elle peut reposer sur trois types de mesures : des mesures administratives de placement après d’un service de l’ASE ou d’un service habilité ([120]), avec pour cadre différents modes d’accueil pendant toute ou partie de la journée ([121]), des mesures judiciaires de placement auprès d’un service de l’ASE qui détermine les modalités de la prise en charge ([122]), ou encore le placement direct auprès d’un service de l’ASE (avec hébergement par un établissement ou un tiers de confiance, ou encore d’une délégation de l’autorité parentale à un particulier ou à un établissement).

Quelques chiffres sur l’activité et
les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE)

Au 31 décembre 2018, on dénombrait 354 730 mesures de placement et d’action éducative (+ 3,1 % par rapport à 2017). Ces mesures se répartissent comme suit :

– 186 880 mesures de placement (dont 75 800 hébergements en famille d’accueil et 111 080 hébergements dans le cadre des autres modes d’accueil de l’ASE ([123])). Par rapport à l’exercice 2017, le nombre des mesures de placement augmente de 5,4 %, du fait d’une hausse des hébergements hors famille d’accueil de 9,3 % – avec une croissance de 9,1 % des placements en établissements ;

– 167 850 actions éducatives (+ 0,6 % par rapport à 2017).


À la même date, les enfants relevant de l’ASE vivaient pour l’essentiel au sein des familles d’accueil (44 %) et des établissements (38 %). Les structures destinées aux adolescents et jeunes majeurs autonomes ([124]) représentaient 7 % des effectifs accueillis, les autres modes d’accueil ([125]) 10 %.

Au 31 décembre 2017, il y avait 1 963 établissements de l’ASE (contre 1 932 établissements en 2012).

À la même date, la capacité d’hébergement installée des établissements de l’ASE était de 64 700 places (contre 60 700 places en 2012), dont :

– 47 800 places dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS) – contre 44 800 places par rapport à 2012 ;

– 11 800 places au sein des foyers de l’enfance (comme en 2012) ;

– 830 places en pouponnières (contre 850 places en 2012) ;

– 1 500 places dans les villages d’enfants (contre 1 300 places en 2012) ;

– 2 700 places dans les autres « lieux de vie » (contre 2 800 places en 2012).

Source : DREES, L’aide et l’action sociales en France - Perte d’autonomie, handicap, protection de l’enfance et insertion, octobre 2020.

1.   Une adaptation des modalités d’accueil et des procédures pendant la crise, une forte mobilisation des acteurs de l’aide sociale à l’enfance

Les évolutions constatées dans le fonctionnement de la protection de l’enfance lors de la crise sanitaire ne sauraient être appréciées sans prendre en considération les adaptations apportées au cadre juridique de ses missions.

S’agissant de l’aide sociale à l’enfance (ASE), ces dernières résultent pour l’essentiel des dispositions de l’ordonnance n° 2020-313 du 25 mars 2020 ([126]). Applicable à tous les établissements et services sociaux et médico-sociaux, ce texte autorise l’ASE ([127]), sous réserve du respect de conditions de sécurité suffisantes dans le contexte de l’épidémie, à :

– adapter ses conditions d’organisation et de fonctionnement ;

– dispenser des prestations non prévues dans les actes d’autorisation des établissements.

Les adaptations peuvent être réalisées en :

– dérogeant aux conditions techniques minimales de fonctionnement qui leur sont habituellement applicables ;

– recourant à un lieu d’exercice différent ou à une répartition différente des activités et des personnes prises en charge (par exemple par des interventions à domicile pour des établissements) ;

– dérogeant aux qualifications de professionnels requis applicables ;

– dérogeant au taux d’encadrement prévu par la réglementation s’il leur est applicable.

En outre, l’ordonnance autorise les établissements et services sociaux et médico-sociaux à accueillir et à accompagner des personnes en surreffectif, dans le cadre d’une prise en charge temporaire ou permanente, dans la limite de 120 % de leur capacité autorisée, sous réserve de maintenir les conditions de sécurité suffisantes dans le contexte d’épidémie.

En plus de l’établissement de ce cadre juridique, l’État a affirmé un certain nombre de principes et d’orientations. Ils s’expriment notamment dans le courrier adressé le 21 mars 2020 aux présidents des conseils départementaux par le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, ainsi que dans les « fiches méthodologiques » adressées aux professionnels et aux assistants familiaux.

a.   Une continuité de l’ASE mise à l’épreuve du fait des sujétions et difficultés pesant sur le fonctionnement des secteurs ouverts et fermés

i.   Les adaptations de l’accueil et de l’accompagnement des enfants sous l’effet de la crise sanitaire

● Le confinement et ses conséquences sur les personnels et services de l’ASE se sont traduits par des évolutions dans la prise en charge des enfants protégés. En premier lieu, comme l’indique un récent rapport du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) ([128]), le confinement s’est traduit par des mobilités contraintes pour les enfants placés.

Dans ses premières observations sur l’impact de l’épidémie sur les établissements et services d’aide à l’enfance ([129]), la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a établi qu’au cours de la semaine du 30 mars 2020, des jeunes avaient dû quitter leur lieu de vie habituel (lieux d’accueil ou milieu familial) dans 25 % des établissements de l’ASE et dans 30 % des services d’action éducative. Ces déplacements avaient pour principal motif de privilégier un retour des jeunes dans leur famille pendant le confinement.

Ces informations sont complétées et actualisées par le rapport du CNPE, qui indique que sous l’effet du manque de personnels dans les services, faute notamment de solutions de garde d’enfants pour les enfants des professionnels de l’ASE (cette question étant développée infra) et du fait des demandes de placement en urgence, 30 % des enfants et des jeunes protégés ont été conduits à quitter leur lieu de vie habituel, leur établissement ou leur lieu d’accueil ([130]). Selon la DREES, la solution privilégiée de mobilité a été le retour temporaire des enfants dans leur famille pour un nombre estimé de 10 000 à 15 000 d’entre eux. Ces retours à domicile ont été limités aux strictes situations d’accueil provisoire ou d’assistance éducative, dans le cas où les retours sur les droits de visite et d’hébergement étaient positifs. Ainsi que le souligne le rapport du CNPE, considérant le cadre règlementaire exceptionnel qui a accompagné ces initiatives, souvent sans accord ou sans information préalable des magistrats, une évaluation des enfants concernés et des familles, des conséquences sur leur santé globale et sur leur projet de vie serait extrêmement utile.

Parmi les éléments recueillis par la commission, Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Jean de Sannois, a ainsi indiqué que « pour certains jeunes sous ordonnance de placement, les droits ont été élargis pour qu’ils puissent être confinés au domicile. C’était complexe. Nous avons eu d’heureuses surprises qui ont accéléré le retour à domicile, mais aussi, parfois, nous avons été contraints d’organiser au bout de dix ou quinze jours le rapatriement en établissement de certains jeunes ».

M. Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d’Enfants, a quant à lui souligné le faible nombre de retours en établissements pour ces enfants retournés dans leur famille : « sur le millier d’enfants remis à leur famille au début du confinement, seulement trois sont revenus, et ces situations avaient prévu un retour progressif en famille. Nous n’avons eu que ces exemples, en ce qui nous concerne. »

● Le rapport du CNPE ajoute que la nécessité de libérer des places d’accueil dans les établissements, au sein d’un dispositif déjà saturé et peu flexible, explique aussi cette mobilité contrainte des enfants. Dans certains départements, une augmentation significative des placements a été observée durant le confinement.

Sollicités, les services du secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles ont indiqué ne pas disposer de données sur le nombre de placements en urgence d’enfants pendant le confinement. M. Yves Dusart, vice-président chargé de l’Enfance, de la famille et de la jeunesse du département du Nord, a indiqué que dans son département, a été constaté un glissement des placements vers des enfants de plus en plus jeunes, qui ne laisse pas d’inquiéter : « 40 % des ordonnances de placement provisoire (OPP) concernaient des enfants de 0 à 3 ans. Cela constitue une explosion des chiffres du département du Nord en la matière. Nous avons constaté des difficultés de plus en plus grandes et de plus en plus prégnantes pour ces enfants. Nous avons mis en place des dispositifs ad hoc pour accompagner au mieux ces enfants. Nous avons expérimenté, par exemple, l’intervention d’assistantes maternelles directement dans les pouponnières pour venir en aide aux personnels qui y interviennent quotidiennement. (…) Nous sommes alarmés par cette situation des très jeunes enfants. Nous souhaitons largement conforter le volet prévention auprès des familles »

● Ce même rapport du CNPE souligne que s’agissant des mesures éducatives, les visites à domicile ont été réservées aux situations considérées comme critiques suites à des informations préoccupantes ou à des familles en grande difficulté en raison de conflits intrafamiliaux récurrents. Les signalements portés à la connaissance de la Commission d’enquête semblent toutefois attester de la capacité des services départementaux de l’ASE, ainsi que des associations, à maintenir l’exécution des mesures relevant de l’aide éducative à domicile (AED) et de l’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO), selon des modalités adaptées.

Selon la présentation de Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance et de la famille du département de la Gironde, l’action éducative en milieu ouvert a été poursuivie dans le département « suivant un mode adapté : les contacts téléphoniques sont restés très réguliers, des rencontres ont pu être maintenues pour les situations les plus complexes, notamment au pas de la porte du domicile des familles, ou pendant le temps autorisé des sorties – des éducateurs ont utilisé l’autorisation de sortie sur un périmètre d’un kilomètre, pour un entretien avec un enfant à l’occasion d’une balade. Certaines associations ont développé des ateliers pédagogiques, y compris en visio, pour l’aide aux devoirs ».

En ce qui concerne la Moselle, Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental, a évoqué un maintien des visites à domicile réalisées par les professionnels des services éducatifs renforcés à domicile (SERAD) suivant les besoins, ainsi que des appels téléphoniques quasi quotidiens.

ii.   Les effets contrastés du confinement pour les enfants relevant de l’ASE

● S’il ne s’agit pas d’affirmer que tout s’est parfaitement déroulé sur l’ensemble du territoire, il ressort des témoignages recueillis que le premier confinement s’est déroulé de façon relativement paisible dans les établissements de l’ASE.

À l’instar de Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de Lozère, les représentants des départements et des associations s’accordent à penser que dans l’ensemble, « les jeunes ont été plutôt posés, et ont passé la période sans difficulté majeure ». Il semble que l’allègement des obligations pesant sur le quotidien des enfants confiés à l’ASE, avec la baisse des rendez-vous à honorer, notamment médicaux, ait parfois pu procurer une forme d’apaisement et le confinement un sentiment de sécurité. L’interruption des droits de visite et d’hébergement ont pu aussi participer de cet apaisement, lorsque les visites des familles n’étaient pas forcément bien vécues par les enfants (voir infra).

Suivant un point de vue réitéré au fil des travaux de la Commission d’enquête, il apparaît que le premier confinement a pu contribuer à un meilleur accompagnement des jeunes relevant de l’ASE, rendu par ailleurs nécessaire par l’interruption de la scolarité et de l’accueil des enfants dans les établissements spécialisés (IME, ITEP notamment, voir infra), mais aussi rendu possible par le fort engagement des professionnels. Des éducateurs ont pu tirer parti de l’allègement ou de la disparition de certaines tâches administratives afin de se recentrer sur leur cœur de métier. Le CNPE observe ainsi que les professionnels de l’ASE en établissements « ont pu renouer avec le cœur de leur mission, partager du temps de vie avec les enfants accueillis et être au plus près de leurs besoins fondamentaux ».

M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, s’est exprimé dans le même sens, soulignant que la crise avait permis « un recentrage des travailleurs sociaux sur l’enfant. Étant donné le contexte, les travailleurs sociaux ne consacraient pas leurs journées à la rédaction de rapports ou à la conduite des enfants chez le juge, à l’école, aux soins. Le temps effectif disponible pour l’enfant était donc plus important. Les uns et les autres se sont redécouverts. La relation entre l’éducateur, le travailleur social et l’enfant s’en est trouvée renouvelée, plus riche et plus féconde ».

Le secrétaire d’État a également relevé que le confinement ne s’était pas traduit par une recrudescence des violences, en se fondant sur des remontées de terrain : « Je craignais que les violences n’explosent dans les familles, mais aussi dans les foyers de l’aide sociale à l’enfance. La situation n’a pas été idéale partout, nous avons été confrontés à des difficultés. Cependant, nous avons constaté certaines situations contre-intuitives. Les professionnels de terrain ont signalé une baisse du nombre de fugues, ainsi que des violences entre enfants et entre enfants et éducateurs. »

Ce constat a été corroboré par les associations et les départements entendus. Toutefois, il apparaît que le prolongement du confinement puis sa levée ont pu peser sur le comportement de certains enfants et adolescents. À cet égard, paradoxalement, c’est le déconfinement qui s’est avéré plus complexe, comme l’indiquaient des responsables d’associations.

M. André Altmeyer, directeur général adjoint des Apprentis d’Auteuil, a évoqué une stabilité d’ensemble des violences, mais un changement dans leur nature : « notre observatoire national des incidents et accidents mis en place au début des années 2000 n’a pas enregistré de hausse statistique. Par contre, la nature des violences a évolué et nous avons observé des dégradations de biens durant le confinement. Les gamins ont passé leurs nerfs sur la porte, la paroi… »

Pour sa part, Mme Isabelle Santiago, qui était jusqu’en septembre 2020 vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne en charge de la protection de l’enfance et de la jeunesse, a attiré l’attention sur la propension de jeunes dans des processus d’addictions, voire de prostitution, à commettre des fugues. Elle rapporte que dans les établissements du Val-de-Marne, « cela a été une vraie difficulté pour les professionnels, car ces jeunes ont tendance à sortir, à faire des fugues de courte durée, ce qui a généré du stress pour les autres adolescents, qui ne sortaient pas. Potentiellement, l’adolescent qui fuguait pouvait revenir avec le Covid-19, ce qui a provoqué des situations extrêmement difficiles à gérer pour les éducateurs, parfois assez violentes. » De son point de vue, « l’addiction a constitué un sujet de préoccupation majeure durant le confinement ».

● Par ailleurs, le bilan établi par les services du département du Nord sur la protection de l’enfance en période de confinement ([131]) rend compte de situations des effets majoritairement négatifs sur les enfants suivis par l’ASE et vivant avec leur famille.

Ce bilan souligne d’ailleurs une polarisation entre les professionnels qui intervenaient au domicile et estimaient que les effets du confinement étaient majoritairement négatifs, et ceux qui accompagnaient des enfants qui vivaient en établissement ou chez des assistants familiaux, et qui faisaient plutôt état d’un apaisement de ceux-ci.

La dégradation observée chez les enfants suivis par l’ASE à leur domicile résulterait de plusieurs facteurs : premièrement, des conditions de vie difficile des familles (exiguïté des logements, problèmes financiers causés par le confinement) ; deuxièmement, l’arrêt de la scolarisation (avec un stress causé parfois par la classe à distance) ; troisièmement, la diminution des accompagnements éducatifs et des visites à domicile (dans le cadre de la mise en œuvre des AEMO et de l’affectation d’un technicien de l’intervention sociale et familiale) ; quatrièmement, l’arrêt ou la forte diminution de l’accueil dans les structures de soins ou spécialisées (centres médico-psychologiques, instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques…).

Dans cette même étude, les réponses des assistants familiaux tendent à mettre en exergue des effets positifs du confinement sur environ la moitié des enfants accueillis, notamment du fait de la diminution des changements de lieux de vie lors de la crise, en particulier pour les plus petits. Des effets négatifs sont identifiés en revanche pour 20 % à 30 % des enfants.

Un nombre très élevé des familles d’accueil font part d’un apaisement de l’enfant, d’une diminution de symptômes somatiques chroniques et d’une amélioration des relations qu’elles entretiennent avec l’enfant. Pour les enfants les plus jeunes, on peut formuler l’hypothèse que la stabilité du lieu de vie a favorisé l’établissement de liens d’attachements sereins, sans que l’enfant ne vive de discontinuité relationnelle ou affective.

Les résultats de ce bilan, sur un certain apaisement d’une partie des enfants placés, sont confirmés par les témoignages recueillis par la commission.

Effet du confinement selon l’âge de l’enfant accueilli
par l’assistant familial

Source : Département du Nord, Retour d’expérience : la protection de l’enfance en période de confinement

iii.   Les difficultés entraînées par la fermeture des écoles et des établissements spécialisés, particulièrement lourdes pour les familles d’accueil

L’ensemble des représentants des associations et des départements ont souligné la lourdeur des répercussions de la fermeture des instituts médico-éducatifs (IME) et des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) sur l’accompagnement des jeunes relevant de l’ASE, alors même que la prévalence des enfants en situation de handicap s’avère élevée parmi eux ([132]).

Mme Isabelle Santiago a ainsi indiqué : « les ITEP et les IME, qui sont les structures accueillant les enfants porteurs de troubles et de handicaps, ont fermé. Or sur notre territoire du Val-de-Marne, 46 % des enfants placés sont des enfants avec des troubles, porteurs de handicap – souvent autistiques, parfois des situations extrêmement difficiles (…). Avec la fermeture des ITEP et IME, nous avons connu un blocage de fonctionnement, puisque nous étions au complet : la protection de l’enfance n’est pas organisée pour accueillir des enfants en nombre en permanence, et il a fallu agir avec intelligence. »

Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance et de la famille du département de la Gironde, s’est exprimée dans le même sens : « comme les autres départements, nous avons été très impactés par la fermeture des ITEP et des IME. En Gironde, toutefois, ils n’étaient pas officiellement fermés, ce qui a finalement ajouté de la complexité. Concrètement, des contacts téléphoniques ont perduré avec certains enfants, mais de façon marginale. Au final, la situation aura été très difficile pour les accueillants, familles d’accueil ou établissements, parce que des enfants qui présentent des troubles sévères, qui sont à la fois accueillis en protection de l’enfance et dans un cadre médico-social, ont besoin d’un parcours d’accueil. Je précise que certains enfants sont en lien avec une famille-relais, ce qui sert de soupape, dans des moments de crise : avec le confinement, ce rôle de la famille-relais a disparu, et des enfants qui en auraient eu besoin sont restés 24 heures sur 24 sur un même lieu, sans soin. »

En second lieu, ont été relevées les difficultés en lien avec la fermeture des établissements scolaires. Le rapport précité du CNPE souligne « la difficulté « d’échanges » avec l’Éducation nationale, certains enfants de l’ASE ayant été souvent laissés pour compte, privés d’école à distance et de liens sociaux avec les autres enfants ».

Les expériences rapportées à la Commission d’enquête tendent à mettre en lumière des relations de qualité inégale avec l’Éducation nationale, susceptibles de nuire à l’organisation de la continuité pédagogique.

Pour ce qui concerne le Val-de-Marne, Mme Isabelle Santiago pense ainsi qu’« [a]u sein du pôle Enfants, la problématique majeure a concerné la continuité de la vie scolaire ». Elle déplore une défaillance de l’État, caractérisée selon elle « […] par le fait qu’aucun des enseignants n’a pris le soin de contacter les enfants pour essayer de mettre en place le suivi scolaire. » – étant observé que « [l]a direction d’un des foyers, qui accueille des enfants de la maternelle au primaire, a dû appeler 110 enseignants avant de pouvoir obtenir des informations, et cela quinze jours après le début du confinement. »

À l’inverse, M. André Altmeyer, directeur général adjoint des Apprentis d’Auteuil, fait mention d’un resserrement des liens entre enseignants et éducateurs : « Nos éducateurs se sont retrouvés à faire les professeurs, et en tout cas à travailler de façon très concertée avec eux. Cela a provoqué de belles rencontres qui perdurent dans le temps, puisqu’il fallait bien se parler. De plus, les uns et les autres ont pris conscience des difficultés de leur métier respectif (…). Tout ceci a été vécu de façon très intense pendant le confinement et, depuis la rentrée, a facilité les liens. » M. François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance, signale quant à lui la nécessité éprouvée par des éducateurs pendant le confinement de refréner l’activisme de « certains enseignants qui sollicitaient beaucoup trop les enfants et leur donnaient trop de devoirs. »

Suivant le constat établi à propos de la « fracture numérique », des associations, des familles d’accueil ainsi que des établissements de l’ASE, ont pâti d’un défaut d’équipements informatiques ou de connexion internet insuffisante.

Aussi la Commission d’enquête salue-t-elle les efforts qu’a réalisés le Gouvernement pour organiser une fourniture en équipements informatiques dans les foyers d’aide sociale à l’enfance et chez les assistants familiaux, dans le cadre des opérations et des partenariats présentés par le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.

Des initiatives pour l’équipement informatique

des établissements de l’ASE et des assistants familiaux

D’après les éléments communiqués par M. Adrien Taquet, le secrétariat d’État chargé de l’enfance et des familles et celui de la transition numérique et des communications électroniques ont lancé, dès le 27 mars 2020, l’opération « Des ordis pour nos enfants ».

En collaboration avec les associations Break Poverty et Emmaüs Connect, il a d’abord été demandé aux principales associations et têtes de réseaux (Uniopss, Croix rouge, etc.) de communiquer au Gouvernement leurs besoins informatiques. Par une mise en relation avec des entités qui possédaient du matériel informatique, l’opération a permis de fournir 17 000 ordinateurs, dont 10 000 dans des foyers d’aide sociale à l’enfance et chez des assistantes familiales, et 500 box 4G.

M. Adrien Taquet a indiqué que cette opération, désormais intitulée « Réussite connectée », menée encore une fois avec les deux associations Break Poverty et Emmaüs Connect, a été relancée lors du deuxième confinement, d’autant plus que les adaptations mises en place dans l’organisation des lycées pourraient à nouveau poser la question de la continuité pédagogique.

Les difficultés précitées relatives aux fermetures des écoles et des IME et ITEP ont été particulièrement pesantes pour les assistants familiaux, dont certains ont pu être confrontés à un fort sentiment d’isolement, notamment pour ceux qui accueillent des enfants en situation de handicap.

Des départements se sont employés à maintenir un contact et un appui aux familles d’accueil. Ainsi, les services du département de la Gironde se sont efforcés d’établir des contacts téléphoniques réguliers et de communiquer avec les assistants familiaux par des SMS collectifs ; une communauté virtuelle a été créée sur internet. D’après le témoignage de Mme Jeanne Clavel, le déploiement de ces outils visait à permettre « [d’] échanger sur leurs préoccupations, et aider certains à tenter de surmonter les difficultés auxquelles ils faisaient face – des enfants manifestant des troubles du comportement, des complications en termes d’accompagnement scolaire, etc. ». Le département a également été en mesure de faire intervenir quelques bénévoles auprès des familles d’accueil.

Le département du Nord s’est également efforcé d’accompagner les assistants familiaux pendant le confinement. M. Yves Dusart, vice-président chargé de l’Enfance, de la Famille et de la Jeunesse du département du Nord, a ainsi indiqué : « chaque assistant familial avait au minimum un ou deux contacts hebdomadaires. Des permanences téléphoniques, des foires aux questions ont été mises en place pour pouvoir les accompagner du mieux possible. Si cela était nécessaire, des accompagnements téléphoniques ou à domicile étaient conduits par des équipes spécialisées, notamment pour les cas complexes ou pour les tout-petits qui nécessitaient des accompagnements psychologiques ou pédopsychiatriques. Cela était d’autant plus nécessaire que la fermeture des instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) mais aussi des instituts médico-éducatifs (IME) a été une réelle difficulté. »

iv.   Les questions soulevées par la suspension des droits de visite et d’hébergement

Comme le rappelle le rapport du CNPE, les décisions de suspension des droits de visite et d’hébergement ont été prises en urgence, dès les premiers jours du confinement, mettant au premier plan les enjeux de santé publique, plutôt que l’intérêt de l’enfant. L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 a prévu le principe d’appréciation au cas par cas par le juge des enfants. La période du premier confinement a ainsi donné lieu en général à la suspension de l’exercice des droits de visite et d’hébergement, en accord avec le juge des enfants. D’après l’état des lieux dressé par les services départementaux, le maintien des liens familiaux a reposé sur l’usage des visioconférences, ainsi que sur des échanges téléphoniques.

Cette suspension des droits de visite a suscité des observations variables, qui reflètent la diversité de la situation des enfants accueillis. Plusieurs interlocuteurs ont souligné l’impact de la privation de contacts des enfants avec leurs parents. Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la Maison d’enfants à caractère social (MECS) Saint-Jean de Sannois a souligné que ce point avait été difficile : « pour les enfants de la protection de l’enfance, il s’agit d’une forme de garde alternée entre l’établissement et la famille, mais, pourtant, tous les droits de visite ont été suspendus. J’ai en tête un petit bonhomme de 12 ans arrivé en premier placement un mois avant le confinement. J’ai pris sur moi, au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’organiser un système lui permettant, dans un endroit adéquat, de voir sa mère. Cela a été du cas par cas, ce n’était pas évident, en tout cas peu organisé puisque la ligne directrice était la suspension des droits d’hébergement. »

Le bilan précité établi par le département du Nord souligne les difficultés posées par ces suspensions de visite, notamment pour les enfants de six à onze ans, notamment l’incertitude quant à la possibilité de voir leurs parents et le fait de ne pas savoir quand cela serait possible. Des parents ont souligné que le plus difficile pour eux avait été de ne pas forcément recevoir de décision formelle notifiant cette suspension. Pour certains parents, l’absence de communication sur la reprise des droits de visite et d’hébergement a été très mal vécue et a altéré le lien de confiance avec l’aide sociale à l’enfance.

D’autres interlocuteurs ont souligné que dans certains cas, cette suspension avait été source d’apaisement pour les enfants. Ainsi, les services du département du Nord soulignent que « certains enfants, très jeunes parfois, ont été incontestablement soulagés de ne plus avoir à se rendre aux visites médiatisées. Les assistants familiaux font état de disparitions de symptômes et témoignent d’enfants qui ont fini par dire qu’ils ne souhaitaient plus ces visites ». L’étude met également en exergue le fait que les enfants répugnent à endosser la responsabilité de ne plus voir leurs parents et que « [t]ous ne veulent pas pour autant rompre la relation mais alterner les moments de rencontres, voire les substituer totalement, par des liens téléphoniques ou télévisuels notamment ». D’après les services du département, ces constatations pourraient ouvrir un champ d’interrogations plus vaste quant à la place du lien familial dans le placement de l’ASE.

Mme Isabelle Santiago a souligné que l’alternance des semaines dans les foyers de l’ASE et des week-ends chez les parents peut provoquer « des difficultés importantes, lorsque les parents sont toxiques. Même si le lien a été maintenu (en visio, par téléphone, etc.), le confinement a été pour certains enfants un moment de stabilité, avec des équipes les accompagnant dans la durée, avec des activités régulières, avec de la quiétude et du calme dans la relation affective ».

v.   Les difficultés rencontrées dans la gestion des effectifs des services de l’ASE du fait de l’absence de solution de garde, le fort engagement des personnels et le recours à des bénévoles

● Selon l’enquête précitée de la DREES ([133]) de mai dernier, deux établissements de l’ASE sur trois et la moitié des services d’action éducative ont connu une baisse de leurs effectifs par rapport à la situation avant confinement. Les problèmes de garde d’enfants du personnel sont largement évoqués par les structures connaissant une baisse de leurs effectifs :

L’ensemble des personnes interrogées ont en effet souligné les difficultés liées à l’absence de structures de garde pour les enfants des professionnels dans les premières semaines du confinement. À l’instar de M. François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance, les représentants des associations ont déploré que les salariés n’aient pas été considérés comme faisant partie des personnels prioritaires dont les métiers justifiaient l’accueil de leurs enfants dans les établissements scolaires. D’après les chiffres cités par le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, « à partir du confinement et de la fermeture des écoles, les différents acteurs de la protection de l’enfance dans les départements, dans les centres de protection maternelle et infantile (PMI) et dans les associations ont connu du jour au lendemain une chute de 20 à 25 % de leurs effectifs. »

Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles a travaillé dès le 22 mars avec le ministère de l’Éducation nationale afin de remédier à cette situation dans les meilleurs délais. Par décret et après concertation avec les collectivités territoriales concernées, le Gouvernement a posé le principe suivant lequel les établissements scolaires assurent un accueil « au profit des enfants âgés de trois à seize ans des personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation » ([134]). Or, en l’état du droit, la notion de « personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation » demeure relativement indéfinie. Elle fait l’objet de lignes directrices établies par les services ministériels et comprend depuis avril 2020 les personnels de l’aide sociale à l’enfance.

Par souci de prévisibilité, il pourrait être expédient de formaliser la liste des « personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation » dont les métiers et fonctions peuvent justifier l’accueil de leurs enfants au sein des établissements scolaires et des structures de garde, en veillant à y inclure les personnels de l’aide sociale à l’enfance. Une telle démarche nécessiterait sans doute une concertation préalable avec les collectivités territoriales.

Proposition : Formaliser la liste des « personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation » dont les métiers et fonctions peuvent justifier l’accueil de leurs enfants au sein des établissements scolaires et des structures de garde, en veillant à y inclure les personnels de l’aide sociale à l’enfance

● En tout état de cause, les témoignages recueillis font d’état d’un fort engagement des membres du personnel de l’aide sociale à l’enfance, notamment de la présence renforcée des éducateurs auprès des enfants pris en charge. Comme l’a évoqué M. François Vacherat, directeur général de la fondation Action Enfance, certains d’entre eux ont poursuivi leurs activités professionnelles en dehors des cycles de travail établis au sein de leur organisation. Mme Pauline Spinas-Beydon a également souligné la forte mobilisation des personnels, indiquant que, pour ne pas risquer de contaminer leur entourage en rentrant à leur domicile le soir, « plus d’un quart des salariés ont fait le choix de l’engagement auprès des jeunes et sont venus habiter sur site, pour continuer à être au service des jeunes. Le mot « service public » a vraiment pris son sens et j’ai particulièrement salué le fait que, pendant la crise, l’enfance en danger continuait. »

Le rapport précité du CNPE indique quant à lui que le manque d’effectifs sur site a conduit à une suractivité du personnel professionnel présent, notamment pour le travail de nuit (pour 31 % des établissements, 61 % dans les lieux de vie).

À l’exemple de M. Bruno Passard, directeur du service de protection de l’enfance en milieu ouvert de l’association « Sauvegarde 69 », les représentants des associations soulignent que les personnels ressentent encore la fatigue des efforts fournis dans le contexte du premier confinement alors qu’ils font face aux conséquences de la seconde vague épidémique ; une grande lassitude a pu être accumulée, du fait de l’isolement relatif dans lequel les professionnels ont continué d’accomplir leurs missions et des lourdeurs occasionnées par le contexte sanitaire.

En dehors de considérations pratiques touchant à la conciliation des vies familiale et professionnelle, favoriser l’attractivité des métiers et des fonctions des professionnels de l’aide sociale à l’enfance implique de mesurer la nécessité d’une revalorisation des moyens financiers et des rémunérations, et notamment de verser des mesures de gratification au titre de la crise sanitaire.

La question des « primes Covid-19 » pour les personnels du secteur social et médico-social, y compris les personnels de l’aide sociale à l’enfance, constitue un sujet de discorde entre État et départements, sur les modalités de financement ([135]), et se traduit par des différences de situation selon les départements, sur les personnels bénéficiaires, au sein du secteur médico-social, et sur les montants versés. Il est regrettable que l’État ne soit pas davantage engagé financièrement pour permettre une reconnaissance uniforme des efforts réalisés par les personnels de la protection de l’enfance, sur l’ensemble du territoire.

● À l’exemple de Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance et de la famille du département de la Gironde, les représentants des services départementaux ont souligné l’utilité pour l’ASE de pouvoir s’appuyer sur des effectifs susceptibles d’offrir un renfort ponctuel.

D’après son témoignage, la possibilité pour le département de la Gironde de solliciter des bénévoles afin d’intervenir auprès des familles d’accueil « a vraiment donné un souffle à la protection de l’enfance dans un contexte très tendu pour les professionnels du secteur ». Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de Moselle, fait état d’un appel de ses services aux jeunes de l’Institut régional du travail social (IRTS), afin de venir prêter main-forte aux agents du département.

Le département du Nord a également mis en place un dispositif de bénévoles : comme l’a indiqué M. Yves Dusart, 260 bénévoles ont été impliqués pendant la première vague, et cela a constitué une expérience très positive : « ces 260 bénévoles venaient d’un peu partout ; par exemple le club de prévention spécialisée, des agents départementaux, des étudiants, des enseignants. Ils sont venus conforter l’accompagnement des maisons pour enfants. Cela a constitué une véritable bouffée d’oxygène pour les enfants, car du lien a été créé, qui ne se tisse peut-être pas forcément de la même manière en marche normale. »

La prise en charge des enfants et adolescents confiés à l’ASE ne va pas de soi et exige certaines garanties, notamment du point de vue de la qualité de l’encadrement. Aussi, sous réserve de l’examen des implications d’une telle mesure en termes de qualifications et de responsabilité, la rapporteure préconise d’établir, dans un cadre juridique pérenne, la possibilité de constituer une réserve de bénévoles employables auprès des différents modes d’accueil de l’aide sociale à l’enfance.

Proposition : Établir, dans un cadre juridique pérenne, la possibilité de constituer une réserve de bénévoles mobilisables auprès des différents modes d’accueil de l’aide sociale à l’enfance

vi.   D’autres enseignements à retirer de la crise, notamment sur le rôle des outils numériques pour maintenir les liens familiaux

Enfin, il apparaît nécessaire d’évaluer la pertinence des mesures d’adaptation du fonctionnement et de l’exercice des missions de l’ASE.

Cette démarche pourrait d’abord porter sur les simplifications administratives appliquées lors du premier confinement, notamment sur le fondement de l’ordonnance n° 2020-313 du 25 mars 2020.

Parmi les préconisations retenues par le département du Nord au terme de son analyse du premier confinement ([136]), figure ainsi l’objectif de « simplifier les procédures administratives et penser les organisations centrales davantage en soutien des pratiques professionnelles ». Ses services notent que l’assouplissement de certaines procédures a été appréciée et aurait favorisé « un recentrage autour des missions essentielles en protection de l’enfance ». Ils y voient également le facteur d’un développement d’initiatives locales (telles que des appels réguliers aux assistants familiaux et aux jeunes placés dans les établissements, ainsi qu’un raccourcissement des chaînes de décision).

Au-delà, il convient de déterminer l’apport exact de nouvelles méthodes, telles que l’usage accru des nouveaux outils numériques pour l’accomplissement des missions de l’ASE. Ainsi que l’ont souligné certains observateurs, ce nouveau procédé opératoire a pu démontrer son utilité pratique et sa pertinence pour les liens entre les enfants et leur famille. Dans cette optique, les services du département du Nord ([137]) envisagent que les nouveaux outils de communication servent au maintien du lien entre les fratries, à l’établissement de premiers contacts avec des adolescents réfractaires à une rencontre formelle, ou encore pour proposer un lien avec des parents dont le comportement dans la durée est déstructurant pour l’enfant.

Pour autant, l’usage des outils numériques ne va pas de soi pour tous les besoins et tous les âges, et soulève des questions assez similaires à celles des téléconsultations en médecine ou en psychologie infantile.

Il apparaît donc utile d’évaluer le bien-fondé de son usage, dans le cadre d’une analyse d’ensemble des nouvelles pratiques professionnelles développées au cours de la crise sanitaire.

Propositions :

Évaluer la pertinence des mesures d’adaptation du fonctionnement et de l’exercice des missions de l’ASE pendant la crise sanitaire

Envisager la pérennisation de certaines simplifications administratives

Examiner l’apport des nouvelles pratiques professionnelles telles que le recours accru aux outils numériques, notamment pour le maintien des liens familiaux des enfants

b.   Une justice exerçant ses missions dans un cadre aménagé, un impact difficile à mesurer

● Afin d’éviter une paralysie des juridictions susceptible de mettre en échec la protection de l’enfance, les pouvoirs publics ont apporté des aménagements aux procédures applicables devant les juridictions compétentes. Ces modifications découlent des mesures prises dans deux ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ([138]) : l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 déjà évoquée ([139]) ; l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 ([140]).

Pour la période du confinement correspondant à l’état d’urgence sanitaire, les deux textes prévoient notamment :

– la possibilité de statuer à juge unique, si la réunion de la formation collégiale n’est pas possible et si l’affaire le permet, pour le président du tribunal pour enfants ;

– la possibilité pour le juge de proroger d’office et sans audition des parties toute mesure de placement (pour une durée de quatre mois) et toute mesure éducative en milieu ouvert (pour une durée de sept mois), lorsque ces mesures sont ordonnées en application de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.

– comme vu supra, la suspension ou la modification par le juge des droits de visite et d’hébergement, sans audience et par décision motivée, le maintien des liens entre l’enfant et la famille devant être conservé par tout moyen.

– la possibilité pour le juge, sans audition des parties et par décision motivée, de prendre des mesures et décisions telles que le renouvellement pour une durée limitée d’une mesure d’assistance éducative ; la prise d’une mesure judiciaire d’investigation éducative ou d’expertise ou encore la prise d’une mesure d’accompagnement éducatif en milieu ouvert pour une durée qui ne peut excéder six mois.

L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 ([141]) est revenue sur un certain nombre de dispositions précitées en :

– limitant aux seules mesures en milieu ouvert et d’aide à la gestion du budget familial la prorogation de plein droit jusqu’au 23 juillet ou dans certains cas jusqu’au 1er août 2020 des mesures d’assistance éducative ;

– autorisant le juge à ne renouveler qu’une seule fois une mesure éducative en milieu ouvert sans audience (sans pouvoir excéder une année, avec l’accord écrit d’au moins l’un des parents) : le service éducatif doit transmettre au juge l’avis du mineur capable de discernement qui le demande et un tel renouvellement ne peut être prononcé qu’une seule fois ;

– permettant au juge des enfants de tenir les audiences civiles en ayant recours à un moyen de communication audiovisuelle : en conséquence, l’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 adapte les modalités de convocation et de notification des décisions.

Au regard des signalements recueillis par la Commission d’enquête, deux interrogations peuvent être formulées à ce stade.

● La première interrogation sur ce dispositif touche à la capacité de la justice à appréhender dans ce cadre les enjeux du prononcé de mesures relevant de l’aide sociale à l’enfance de manière satisfaisante.

Comme le soulignait Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, « l’objectif des ordonnances consistait à éviter que, par l’effet des délais, des mesures de protection tombent en l’absence de magistrats. Il s’agissait donc de sécuriser les délais et d’éviter qu’ils ne tombent au moment du confinement. Cela n’a pas empêché des contacts entre magistrats, référents du département et familles, pour accompagner la prolongation d’un certain nombre de mesures. »

Néanmoins, ainsi que l’a souligné M. Bruno Passard, directeur du service de protection de l’enfance en milieu ouvert de l’association « Sauvegarde 69 », l’audience conserve une importance primordiale en ce qu’elle constitue le lieu du débat contradictoire. On peut également concevoir que dans des procédures aussi particulières que celles relatives à la protection de l’enfance, elle présente aussi un intérêt décisif pour le règlement de certaines situations : celui de permettre « à une famille de saisir les difficultés qu’elle a » parce qu’« un tiers nomme la difficulté, ce qui peut déclencher une vraie dynamique ».

Le Défenseur des droits a été saisi de cette possibilité pour les juges de prendre des décisions sans contradictoire. Dans une décision rendue le 10 avril, le Conseil d’État a validé les dispositions de cette ordonnance, tout en soulignant qu’elles ne faisaient « pas obstacle à ce que le mineur capable de discernement puisse préalablement exprimer son avis ». Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants jusqu’en juillet 2020, s’était exprimée en avril pour souligner que cette ordonnance apportait des restrictions importantes aux droits des enfants et a souligné qu’il était « indispensable, dans les cas où le juge des enfants envisage de prendre une décision sans audition des parties, que l’opinion de l’enfant puisse être précisément recueillie ». Lors de son audition par la Commission d’enquête, elle a indiqué ne pas disposer de données permettant de savoir si ce point a été respecté dans la mise en application de l’ordonnance.

Le rapport du CNPE estime quant à lui que si des professionnels de l’action sociale en institutions ont pu renouer avec le cœur de leur mission, les juges des enfants ont eu le sentiment de perdre l’essence de leur mission : « mobiliser les compétences parentales plutôt que les sanctionner ».

● La seconde interrogation porte sur l’impact de la crise sanitaire, compte tenu des aménagements apportés par les ordonnances précitées du 25 mars 2020, sur le fonctionnement et l’efficacité de la justice.

Selon l’analyse du CNPE dans le rapport précité de novembre 2020, le premier confinement a eu un impact très fort sur les décisions judiciaires vis-à-vis des enfants. Les retards pris résulteraient des facteurs suivants :

– en premier lieu, l’organisation de l’activité des juridictions depuis l’éclatement de la crise sanitaire : les tribunaux ont pour l’essentiel fermé pendant le premier confinement et ont pu être affectés par la grève simultanée des avocats jusqu’au 11 mai 2020 ;

– en second lieu, la disparité des ressources et équipements informatiques de la justice : le CNPE signale l’existence d’applications et de logiciels parfois obsolètes et ne favorisant pas l’échange d’informations et de pièces par une procédure dématérialisée – ce qui peut susciter au demeurant chez les magistrats des inquiétudes quant à la protection des données.

Le CNPE parle même de « tribunaux paralysés, condamnés à juger sans audience et sans débat, avec des échanges d’informations confidentielles parfois sur les téléphones personnels des magistrats, par fax ou par mail non sécurisés. »

Au cours de son audition, Mme Charlotte Caubel, directrice de la Protection judiciaire de la Jeunesse, a indiqué pour sa part que « [s]elon la taille des juridictions et l’ampleur de la crise sanitaire, les pratiques ont été différentes en fonction des juridictions, pour maintenir les liens avec les partenaires et les différents acteurs de la protection de l’enfance ».

Si des représentants des associations et des services départementaux de l’ASE font état d’une bonne coopération avec les magistrats, d’autres interlocuteurs de la Commission d’enquête mettent en cause la longueur des délais pour la prise des mesures intéressant la protection de l’enfance.

D’après le témoignage de Mme Marie-Pierre Colombel, présidente d’Enfance et partage, ces longueurs et contretemps ont pu être constatés s’agissant des jugements relatifs aux missions d’administrateur ad hoc ([142]). Ainsi, pendant les premières semaines du premier confinement, son association n’aurait reçu aucune désignation puis aurait été investie à plusieurs reprises en mai et juin 2020. Mme Colombel a ainsi indiqué : « Certes les tribunaux étaient fermés, mais des permanences étaient tout de même assurées. Il s’agit donc d’un point d’achoppement important. Des enfants sont donc restés coincés chez eux sans que personne ne leur porte secours.

Ce dernier signalement tend à corroborer la diminution du nombre d’ordonnances de placement provisoire rendues par la justice évoquée dans la presse – sachant le ministère de la Justice n’est pas encore en mesure de fournir des données consolidées en la matière sur l’année 2020, selon les informations transmises à la rapporteure.

Il est possible en tout cas que l’on observe des disparités à l’échelle du territoire dans la continuité de l’activité des tribunaux et des services de la Protection judiciaire de la jeunesse. Sur la base d’une étude portant sur les départements de la Loire-Atlantique, de la Moselle et de la Mayenne, le rapport du CNPE souligne les difficultés rencontrées par les tribunaux pour enfants quant aux moyens disponibles, indiquant que toutefois, une réorganisation interne exceptionnelle a permis de traiter les cas de violences les plus graves en coordination avec les services de police.

Pour sa part, M. Bruno Passard affirme avoir observé des délais croissants entre le moment où les juges confient une mission aux associations et celui où les professionnels interviennent, aussi bien en milieu ouvert qu’en milieu fermé, pendant la crise sanitaire. D’après son analyse, 70 jours séparent désormais ces deux étapes dans la mise en œuvre des décisions judiciaires, contre 40 jours estimés précédemment, avant la crise sanitaire, ce qui est préjudiciable pour les enfants et leurs familles. Il a ainsi souligné : « Le fait de ne pas avoir les moyens humains pour pouvoir répondre implique un allongement des délais. Nous avons besoin de moyens humains supplémentaires pour pouvoir être vraiment réactifs, car la question essentielle dans la protection de l’enfance réside dans la rapidité de la réponse. Quand je parle du temps de l’enfant et du temps des adultes, la rapidité de la réponse et un délai très court sont indispensables entre le moment où le magistrat rencontre une famille et ordonne une mesure en milieu ouvert, qui est une mesure contrainte, et le moment où le service a les moyens de la mettre en œuvre. Il faut que ce temps soit le plus court possible. »

Ce constat fait écho à celui du rapport du CNPE, qui indique que les mesures en attente ont probablement augmenté pendant le confinement, même si le nombre de nouvelles mesures prises par les juges des enfants pendant cette période a été largement réduit.

En cela, les services intervenant dans la protection de l’enfance paraissent se heurter à des difficultés d’effectifs, ce qui se pose sans doute aussi la question des recrutements et de l’attractivité des métiers.

Dans la mesure où ces métiers supposent une implication personnelle forte et que l’accomplissement des missions comporte son lot de difficultés, la rapporteure estime également que leur attractivité suppose de leur accorder une certaine reconnaissance. C’est la raison pour laquelle elle attire l’attention des pouvoirs publics sur la nécessité de conforter les moyens de la justice des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que de veiller à la revalorisation régulière des carrières de ses personnels.

Propositions :

Évaluer les aménagements procéduraux introduits par les ordonnances de mars 2020, du point du fonctionnement de la justice et des implications pour les droits des enfants et des familles

Conforter les moyens de la justice des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse, et veiller à la revalorisation régulière des carrières de ses personnels

2.   2. Une politique appelant un renforcement du pilotage et une réflexion sur les orientations de la prise en charge

Les besoins identifiés dans l’organisation de la politique de protection de l’enfance ne résultent pas spécifiquement des effets de la crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 : ainsi qu’en attestent les plus récents travaux de l’Assemblée nationale ([143]), du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ([144]) et de la Cour des comptes ([145]), ils font l’objet depuis plusieurs années de diagnostics et de préconisations convergents mettant en cause des difficultés d’orientation et de coordination ; le dernier rapport de la Cour des comptes met notamment en exergue la persistance d’inégalités territoriales dans la prise en charge des jeunes.

Si le bilan de la crise sanitaire ne remet pas en cause ces constats, il permet de tirer d’autres enseignements quant à la capacité du dispositif de l’Aide sociale à l’enfance à s’adapter dans le contexte d’un évènement soudain et imprévisible susceptible de contraindre son organisation. Il en ressort deux impératifs identifiés par les interlocuteurs de la Commission d’enquête : d’une part, renforcer la coordination entre les différents acteurs de l’ASE et réaffirmer le rôle de l’État ; d’autre part, reconsidérer les normes et les objectifs de cette politique au regard des besoins de prise en charge des enfants, adolescents et jeunes adultes.

a.   La coordination à renforcer entre les différents acteurs de l’aide sociale à l’enfance, le rôle de l’État à réaffirmer

● Les propos recueillis en audition tendent à montrer que la protection de l’enfance peut subir les aléas d’une politique nationale définie par l’État, mais dont la mise en œuvre incombe aux collectivités territoriales.

Suivant les derniers chiffres rendus publics par la Cour des comptes, la politique de l’aide sociale à l’enfance représentait, en 2018, des dépenses d’un montant global de l’ordre de 8,3 milliards d’euros (dont 7,99 milliards pour les départements). Elle figure donc parmi les principales politiques sociales du pays. Depuis les lois de décentralisation de 1982, elle relève de la compétence des conseils départementaux – sa mise en œuvre associant plusieurs services de l’État (notamment la justice, avec la protection judiciaire de la jeunesse, et le ministère des Solidarités et de la Santé), outre les départements. Suivant les mots du secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, elle ne constitue pas « une compétence décentralisée mais une compétence partagée ».

L’État fixe les objectifs et les normes, notamment dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance présentée en octobre 2019 ([146]). En tout état de cause, dès lors que 80 % des mesures de protection de l’enfance (placements ou mesures éducatives) procèdent d’une décision judiciaire, l’État joue nécessairement un rôle de prescripteur et d’acteur de cette politique publique. La rapporteure estime que ce positionnement confère à l’État une responsabilité majeure qu’il lui faut assumer, pour assurer que les enfants soient protégés de la même façon sur l’ensemble du territoire national.

Au cours de son audition, M. Adrien Taquet a d’ailleurs réaffirmé la volonté que l’État se réinvestisse dans cette politique, soulignant : « Il est utile d’être exigeant avec les départements. Toutefois, être exigeant avec les autres nécessite d’être exigeant avec soi-même. Les défaillances constatées dans la protection de l’enfance depuis quelques années sont probablement dues aux insuffisances d’un certain nombre de départements, mais aussi de l’État. Il est indispensable que l’État se réinvestisse dans ce sujet, non pas pour reprendre la main sur la protection de l’enfance, qui reste la responsabilité des départements, mais parce que la vie d’un enfant n’a pas à subir l’organisation administrative et politique. »

À l’instar de Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de la Lozère, les élus et services des conseils départementaux interrogés par la Commission ont souligné la propension de certains services déconcentrés à formuler des exigences auprès des départements et à vouloir exercer une forme de contrôle, alors que l’action de l’État en matière d’aide sociale à l’enfance manque d’efficacité.

À cet égard, comme le souligne d’ailleurs M. Adrien Taquet, il convient de renforcer le pilotage national et territorial de cette politique : l’État doit jouer son rôle d’État stratège, en définissant les grandes orientations, en contrôlant qu’elles soient bien respectées, tandis que leur mise en œuvre reste de la responsabilité et de la compétence des départements.

Une réforme de la gouvernance de la protection de l’enfance est d’ailleurs en cours de préparation. Elle concernera le GIPED, le 119, l’ONPE, l’Agence française de l’adoption, que le secrétaire d’État souhaite ancrer dans la protection de l’enfance, et le Conseil national de la protection de l’enfance. Un travail est également conduit avec la Commission nationale d’accès aux origines personnelles (CNAOP). Une mission de préfiguration a été confiée à l’IGAS, et ce projet de réforme devrait être présenté au Parlement au premier trimestre 2021. L’objectif est de renforcer le pilotage de la protection de l’enfance, sur le même modèle que la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) pour le handicap, avec l’idée de réunir autour de la table l’État, les départements, les associations, et les anciens enfants protégés pour élaborer ensemble la politique, mettre en place des référentiels nationaux pour essayer de faire converger l’accompagnement des enfants et leur protection sur le territoire.

Le secrétaire d’État a aussi mentionné l’intérêt du levier de la contractualisation de l’État avec les départements, mis en œuvre dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, sur le modèle du plan de lutte contre la pauvreté ([147]). Il a estimé que la contractualisation est un « moyen d’exercer un effet levier pour faire en sorte que la protection de l’enfance redevienne une politique prioritaire dans les départements. »

Il importera donc de suivre avec vigilance la définition de la réforme de la gouvernance évoquée supra, sachant que l’objectif essentiel demeure de définir des cadres de prise en charge respectueux des besoins des jeunes, en particulier des enfants, de la même façon sur l’ensemble du territoire.

● Au plan pratique, pendant la crise sanitaire, les personnes auditionnées soulignent que les services départementaux n’ont pas été nécessairement associés aux instances locales sur lesquelles reposaient la coordination et la mise en œuvre des mesures qui découlaient du confinement, à l’exemple des centres opérationnels départementaux (COD) de confinement. Certains déplorent en outre un manque de concertation et de partage des informations pertinentes pour l’exercice des compétences dans le champ de l’aide sociale à l’enfance ([148]).

Il apparaît donc nécessaire d’évaluer l’apport des différents outils d’information et de coopération développés à la faveur du premier confinement. D’après les éléments communiqués, ces instruments et procédures présentent un caractère plus ou moins structuré.

Au cours de son audition, M. Adrien Taquet a ainsi évoqué l’organisation par les services du secrétariat d’État de visioconférences hebdomadaires visant au partage des informations, ainsi qu’à l’identification et au traitement de questions générales ou spécifiques – telles que les conditions d’accueil des jeunes par les assistants familiaux à la suite de la fermeture des IME et des ITEP.

Au-delà, le développement du partage de l’information a reposé sur les instances créées ou réactivées à l’échelle locale dans les circonstances de la crise sanitaire, et il convient de saluer ces initiatives. Parmi elles, il convient de citer :

– la formation de cellules interinstitutionnelles de coordination, permettant de réunir les assistantes familiales, les représentants des centres de protection maternelle et infantile (PMI), ceux du département, de la Justice, de l’agence régionale de santé (ARS) et le rectorat, ainsi que les associations ;

– la construction d’un réseau de correspondants territoriaux destiné à favoriser des temps d’échanges entre les associations d’un même territoire (avec pour finalité potentielle un partage des ressources, une mutualisation du personnel, le groupement des commandes d’équipements de protection, le partage des locaux, etc.) ;

 la mise en place d’une plateforme informatique associative par l’agence régionale de Santé (ARS), afin de recenser les besoins ressentis des enfants et personnels qualifiés du secteur médico-social et, le cas échéant, de procéder à une réorganisation de « l’offre territoriale », avec une possible mutualisation des remontées d’informations et des expériences des professionnels volontaires.

Pour ce qui concerne les relations avec les services de la justice, on relèvera la volonté exprimée par la Protection judiciaire de la Jeunesse de prendre sa part à la mise en place des instances quadripartites de concertation dont la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance prévoit la généralisation dans tous les départements ([149]). Siègent au sein de cette instance : un représentant du conseil départemental concerné ; le magistrat coordonnateur du tribunal pour enfants ou un juge des enfants ; un magistrat du ministère public chargé des mineurs et le directeur territorial de la Protection judiciaire de la Jeunesse.

Par ailleurs, il ressort de l’état des lieux dressé par Mme Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d’éducation, que la Protection judiciaire de la jeunesse se trouve actuellement engagée dans un processus de formalisation de ses rapports avec les départements en ce qui concerne la protection de l’enfance. Cette démarche repose sur la signature de conventions destinées « à stabiliser le fonctionnement » des services de la PJJ avec ceux des collectivités ([150]).

Ces éléments devraient permettre de remédier au constat fait par le rapport précité du CNPE, qui souligne quant à lui pendant la crise « l’absence de la PJJ dans les échanges intradépartementaux, ce qui interpelle profondément les conseils départementaux et les magistrats de plusieurs départements. »

Au terme de ses travaux, la Commission d’enquête ne dispose pas de « retour d’expérience » lui permettant d’apprécier l’efficacité de ces dispositifs pendant les deux confinements. Néanmoins, dans son principe, la création d’instances susceptibles de rassembler ou de mettre en rapport l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance paraît de nature à répondre à deux besoins identifiés en période de crise sanitaire : d’une part, le partage d’information et de bonnes pratiques ; d’autre part, la coordination des actions.

Il importe aujourd’hui de définir les contours d’une nouvelle organisation, ce qui ne dispense pas d’évaluer et de pérenniser les instances et procédures, développées à la faveur de la crise sanitaire, favorisant le partage d’informations et la coordination entre les acteurs de la protection de l’enfance.

Propositions :

Renforcer le pilotage national et territorial de la politique de la protection de l’enfance, en réaffirmant l’impératif d’une prise en charge équivalente des enfants sur l’ensemble des territoires, ce qui suppose de réaffirmer le rôle de l’État dans la définition des orientations de cette politique et dans le contrôle de leur mise en œuvre

Examiner la nécessité de pérenniser les instances et procédures développées lors de la crise sanitaire qui favorisent le partage d’informations et la coordination entre les acteurs de la protection de l’enfance.

b.   Des normes et objectifs d’une politique à reconsidérer ?

Au-delà du débat sur les organisations, les effets de la crise sanitaire et les sujétions du confinement soulèvent, de manière pratique, la question des modalités d’accueil et de prise en charge des enfants, des adolescents et des jeunes adultes.

● Un des sujets de réflexion mis en lumière touche à l’application des règles relatives à l’exercice des droits de visite et d’hébergement. De fait, comme vu supra, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que la crise avait révélé les enjeux du maintien des liens familiaux pour les enfants et les questionnements de fond qu’il peut soulever, au regard de l’apaisement de certains enfants du fait de la suspension des visites et des hébergements.

Du point de vue de la rapporteure, un tel questionnement paraît fondé. Le maintien des liens familiaux constitue un fondement du droit de la famille et des règles qui régissent la mise en œuvre de l’aide sociale à l’enfance. Pour autant, l’affirmation de principes essentiels ne dispense pas de réfléchir aux conditions pratiques de leur mise en œuvre, notamment au regard des besoins exprimés par l’enfant et de son intérêt supérieur.

Dans une certaine mesure, l’importance accordée d’ordinaire au maintien des visites et de l’hébergement par les familles procède d’un choix de société. Mais il reflète aussi des cultures professionnelles. Ce point de vue transparaît assez nettement dans l’interrogation exprimée par Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance et de la famille du département de la Gironde : « la justice et l’aide sociale à l’enfance n’ont-elles pas quelquefois un regard trop « familialiste » ? Mme Clavel relève que « cela renvoie aussi, au-delà même du confinement, à toute la question de l’acceptation du délaissement parental et au processus d’adoption. D’un certain point de vue, ce contexte a pu remettre en cause une représentation des liens familiaux. »

Proposition : Mener une réflexion sur des évolutions de l’exercice du droit de visite et d’hébergement au regard des besoins exprimés et de l’intérêt supérieur des enfants placés auprès de l’aide sociale à l’enfance

La crise sanitaire appelle également un renforcement des conditions de sortie de l’aide sociale à l’enfance pour les jeunes majeurs.

Certes, il peut être mis à l’actif du Gouvernement l’absence de « sorties sèches » ([151]) pendant la période du premier confinement.

Dans le cadre de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ([152]), le législateur a posé le principe suivant lequel les conseils départementaux ne pouvaient mettre un terme à la prise en charge, au titre de l’aide sociale à l’enfance, des enfants devenus majeurs ou des mineurs émancipés relevant de l’ASE pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire. Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles avait également affirmé ce principe dans le courrier adressé aux présidents des conseils départementaux, en leur demandant de « prolonger la prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance des mineurs au-delà de l’âge de 18 ans lorsque le jeune n’est pas autonome et en particulier s’il n’a pas d’hébergement, et d’éviter bien évidemment toute remise à la rue de ces mineurs lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ans. ».

Cette mesure exceptionnelle visait à prévenir toute rupture dans la prise en charge des 18-21 ans relevant encore de ce dispositif au moment de la crise sanitaire. De fait, aucune statistique disponible ne démontrait, en juillet 2020, l’existence de sorties de l’ASE en violation de cet encadrement législatif, en dehors de la volonté expresse des intéressés. Le rapport précité du CNPE parvient aujourd’hui à une conclusion similaire.

Ainsi que l’a rappelé M. Adrien Taquet, le rétablissement de l’état d’urgence sanitaire entraîne aujourd’hui l’application du principe consacré par le législateur au cours du premier confinement : à compter du 17 octobre 2020, aucun jeune ne peut être contraint de sortir de l’aide sociale à l’enfance jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire.

Par ailleurs, la situation de nombreux jeunes majeurs et mineurs émancipés relevant de l’ASE les expose à des difficultés d’insertion.

Selon une étude Elap citée dans le dernier rapport de la Cour des comptes consacrée à ce dispositif ([153]), 25 % des jeunes ne possèdent aucun diplôme à leur sortie de l’ASE et plus de la moitié a obtenu un diplôme professionnel (CAP ou baccalauréat professionnel). Il convient de rappeler qu’en 2013, une enquête de la DREES ([154]) montrait que 15,8 % des jeunes relevant de l’ASE n’étaient plus scolarisés à l’âge de 16 ans. Par ailleurs, il ressort des statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) dont fait état la Cour des comptes que 23 % des personnes sans logement sont d’anciens enfants placés auprès de l’aide sociale à l’enfance.

Or, l’interdiction des « sorties sèches » pendant l’état d’urgence sanitaire n’apporte qu’un remède provisoire aux difficultés des jeunes majeurs et aux effets durables de la crise.

En effet, suivant l’état des lieux dressé par la Cour des comptes ([155]), l’application de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 ([156]) ne semble pas contribuer de manière significative à l’amélioration de l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes majeurs de l’ASE ([157]).

En premier lieu, la Cour souligne que les présidents des conseils départementaux remplissent très diversement l’obligation d’organiser un entretien, un an avant la majorité des jeunes, afin de réaliser un bilan de leur parcours et d’envisager les conditions de leur accompagnement vers l’autonomie : « certains [départements] ne le mettent pas en place ou de manière très limitée ».

En second lieu, la Cour des comptes met en évidence une très grande hétérogénéité des conditions dans lesquelles sont conclus les « contrats jeunes majeurs » ([158]), au regard des conditions d’attribution, des publics visés, de la durée et des financements. Elle relève ainsi que « certains départements assurent la continuité des mesures déjà mises en œuvre avant la majorité du jeune sous la forme d’un hébergement […], tandis que d’autres mettent en place un accompagnement éducatif dès 17 ans » […] et que « [s]elon les départements, les contrats jeunes majeurs sont renforcés ou limités au profit d’autres dispositifs. »

Ces constats font écho à la situation décrite dans les documents transmis à la Commission d’enquête par l’Uniopss ([159]). En l’occurrence, l’association met également en exergue la baisse du volume des contrats jeunes majeurs, avec des disparités entre départements du point de vue des critères d’accès, de la durée des contrats et de leur nombre. Comme la Cour des comptes, l’Uniopss conclut à la diversité des accompagnements auxquels peuvent prétendre les jeunes majeurs relevant de l’ASE et déplore le cloisonnement des politiques publiques et des institutions.

Or, les éléments recueillis par la Commission d’enquête rendent compte de situations difficiles où des jeunes et des jeunes couples demeurent dans les structures associatives – et refusent parfois de les quitter – faute de solution d’accompagnement vers l’autonomie ([160]).

Il apparaît donc nécessaire de renforcer le dispositif des contrats jeunes majeurs déployés par les départements, tout en harmonisant leurs conditions d’obtention et leur durée, afin que, là encore, tous les jeunes puissent bénéficier d’un accompagnement similaire sur l’ensemble du territoire.

Il convient ici de rappeler que la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour la période 2020-2022 assigne aujourd’hui trois objectifs à l’État, aux départements, aux services et établissements publics parties prenantes de la politique d’accompagnement vers l’autonomie des jeunes majeurs de l’ASE :

 en premier lieu, « [m]obiliser l’ensemble des outils et dispositifs pour faire de l’accès au logement et de l’accès aux droits des jeunes sortants une priorité » ;

– en second lieu, « [g]arantir un accès prioritaire des jeunes sortant de l’ASE aux bourses et au logement étudiant et leur favoriser l’accès aux études supérieures » ;

– en dernier lieu, « [f]aciliter l’intégration sociale et professionnelle des anciens mineurs non accompagnés lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ans ».

En vue de leur réalisation, la Stratégie nationale propose un certain nombre d’outils, tels que la définition d’un contrat systématique entre les jeunes, les départements et l’État. Par ses finalités et certains de ses moyens d’action, elle présente beaucoup de similitudes avec la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté présentée en 2018.

Dans son dernier rapport consacré à la protection de l’enfance, la Cour des comptes souligne que la mise en œuvre de ces instruments suppose la signature de contrats entre l’État et les départements, voire des évolutions législatives et réglementaires.

Dès lors, la rapporteure estime que dans le contexte économique et social créé par l’épidémie de Covid-19, l’amélioration de l’accompagnement des jeunes majeurs relevant de l’ASE nécessite d’agir résolument sur deux axes : d’une part, accélérer la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour la période 2020-2022 ; d’autre part, progresser dans la contractualisation engagée avec les départements sur les objectifs de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

Propositions :

Renforcer le dispositif des contrats jeunes majeurs et favoriser l’harmonisation de leurs conditions sur l’ensemble du territoire

Accélérer la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour la période 2020-2022

Progresser dans la contractualisation engagée avec les départements sur les objectifs de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté

Enfin, il convient de rappeler que la crise sanitaire a occasionné des dépenses supplémentaires pour les départements et leurs services de protection de l’enfance. Dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, une dotation de 50 millions d’euros a été accordée aux départements pour y faire face. Or, le rapport précité du CNPE établit une projection des dépenses supplémentaires au titre de l’ASE pour les départements d’un montant de 200 millions d’euros – sachant que les situations varient selon les départements, avec par exemple 700 000 euros dans le Loiret et 4,4 millions d’euros dans le Pas-de-Calais. Il sera donc probablement nécessaire d’abonder encore davantage les moyens des départements.

B.   B. les mineurs non accompagnés : un jeune public vulnérable appelant une attention particulière

Au sens des articles L.112-3 et L. 221-2-2 du code de l’action sociale et des familles, la qualification de « mineur non accompagné » s’applique à tout mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Elle désigne ainsi les mineurs entrés en France sans être accompagnés d’un adulte et privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille, ainsi que les mineurs laissés seuls sur le territoire national ([161]).

En conséquence, le statut des mineurs non accompagnés (MNA) peut être appréhendé aussi bien sous l’angle du droit de l’entrée et du séjour sur le territoire national que sous celui du droit à la protection de l’enfance. Or, cette situation intermédiaire affecte nécessairement les modalités de leur prise en charge et suscite une controverse récurrente entre l’État et les départements.

Des signalements sur le traitement des « mineurs non accompagnés »
dès le début du premier confinement

– 31 mars 2020 : des associations parmi lesquelles Médecins sans frontières (MSF), l’Unicef, ainsi que des avocats, ont adressé un signalement au procureur de la République de Paris, concernant plus de 200 mineurs exposés à un danger grave et immédiat, errant dans les rues de Paris.

– 6 avril 2020 : dans une lettre ouverte au Gouvernement ([162]), de nombreuses associations demandent à l’État d’agir afin que soit assurée la prise en charge effective des mineurs isolés pendant la crise sanitaire, en pointant de nombreux manquements au principe de mise à l’abri inconditionnelle défini par le secrétaire d’État à la protection de l’enfance. Le courrier indique ainsi que certains départements refusent l’accueil provisoire d’urgence aux mineurs qui demandent une protection ([163]), ou mettent fin à leur prise en charge après avoir remis en cause leur minorité ; des ordonnances de placement provisoires (OPP) prises par les juges ne sont pas exécutées.

Le courrier souligne également le risque accru, dans le cadre d’un confinement anxiogène, d’un effondrement psychologique des jeunes du fait de la réactivation de traumatismes, et il souligne la disparition d’une partie du soutien fourni par les associations (aide alimentaire, aide au recours, accès aux soins, etc.) dans le contexte du confinement.

1.   Des effectifs en croissance, dont la prise en charge présente des écueils compte tenu des circonstances de leur arrivée sur le territoire

D’après les statistiques les plus récentes, le nombre de personnes déclarées mineurs non accompagnés (MNA) au cours de l’année 2019 et portées à la connaissance de la mission MNA du ministère de la Justice, était de 16 760 en 2019 ([164]). Au-delà de ce chiffre correspondant aux entrées, l’effectif des MNA pris en charge par les conseils départementaux était estimé à 40 000 en 2019, selon les chiffres de l’Assemblée des départements de France (ADF).

Une légère diminution peut être observée en 2019 dans la population suivie par le ministère de la Justice, après une hausse sensible en 2018 (17 022 MNA contre 14 908 en 2017). L’effectif a néanmoins plus que doublé depuis 2016, exercice au terme duquel on recensait 8 054 mineurs isolés entrés sur le territoire national.


Le nombre de mineurs isolés arrivés sur le territoire français semble avoir diminué au cours de l’année 2020, dans le contexte de la crise sanitaire. Ainsi que l’a indiqué la Croix-Rouge française, 6 999 personnes ont été déclarées « mineurs non accompagnés » sur la période allant du 1er janvier au 2 octobre 2020 suivant les chiffres du ministère de la Justice. Ils étaient 16 760 en 2019.

Le tableau ci-après montre quant à lui que l’effectif des MNA recensés dans le dispositif national se compose pour l’essentiel de mineurs âgés de quinze ans ou seize ans (75 %). Il ressort en outre des statistiques du ministère de la Justice que 95 % d’entre eux sont des garçons.

rÉpartition des mineurs non accompagnÉs

par tranches d’âge depuis 2016

Âge

2016

%

2017

%

2018

%

2019

%

 10 ans

21

0,26 %

46

0,31 %

28

0,16 %

20

0,12 %

10-12 ans

129

1,60 %

113

0,76 %

95

0,56 %

117

0,70 %

13-14 ans

1 105

13,72 %

1 669

11,20 %

1 808

10,62 %

1 526

9,11 %

15 ans

2 074

25,75 %

4 171

27,98 %

5 561

32,67 %

5 178

30,89 %

16 ans

3 575

44,39 %

6 662

44,69 %

7 495

44,04 %

7 647

45,63 %

17 ans

1 150

14,28 %

2 247

15,07 %

2 035

11,94 %

2 272

13,56 %

TOTAL

8 054

100,00 %

14 908

100,00 %

17 022

100,00 %

16 760

100,00 %

Source : Rapport d’activité de la Mission mineurs non accompagnés (ministère de la Justice), 2019

L’analyse de la Mission mineurs non accompagnés établit un lien assez étroit entre, d’une part, l’évolution des effectifs de cette population et, d’autre part, les récents changements constatés dans les flux migratoires que connaît l’Europe depuis 2016. En 2019, la majorité des MNA ayant intégré le dispositif venaient de Guinée (près de 25 %), du Mali (23 %), de Côte d’Ivoire (13 %) et du Bangladesh (près de 5 %).

Si la frontière alpine s’impose encore comme la principale voie d’entrée des migrants, une augmentation du flux des entrées par la frontière espagnole peut être constatée depuis 2018. Par ailleurs, la mission du ministère de la Justice observe que « [d]e nouveaux départements ont été fortement affectés par le flux des personnes se déclarant MNA » : les jeunes ne demeurent pas dans les zones frontalières mais se déplacent vers des zones géographiques éloignées des départements d’arrivée, en conséquence d’une très grande mobilité.

La localisation des MNA entrant dans le dispositif national supervisé par le ministère de la Justice résulte également de l’application d’une clé de répartition sur le territoire national. Révisé par le décret n° 2019-1410 du 19 décembre 2019 ([165]), ce dispositif vise à déterminer, pour chaque département, le nombre des mineurs reconnus non accompagnés dont la prise en charge doit être assurée. La clé de répartition prend en considération l’importance démographique des collectivités d’accueil, ainsi que la situation et l’intérêt des mineurs ([166]). Ce dernier critère peut justifier l’orientation vers un autre département. Les modifications apportées aux critères de répartition s’appliquent depuis le 15 avril 2020.

Selon les données fournies par l’Assemblée des départements de France, les mineurs non accompagnés représenteraient environ 15 % à 20 % des jeunes pris en charge par les services de protection de l’enfance ([167]).

2.   Une crise sanitaire qui a mis à l’épreuve la protection de ces mineurs vulnérables

a.   Le principe d’une mise à l’abri inconditionnelle

Ainsi que l’a souligné le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, l’État a affirmé dès le début du premier confinement le principe de l’accueil et de la mise à l’abri inconditionnels des personnes qui se présentaient aux départements et revendiquaient la qualité de mineurs non accompagnés.

La consécration expresse de ce principe découle de la lettre adressée par M. Adrien Taquet aux présidents des conseils départementaux, le 21 mars 2020, ainsi que des directives transmises par le Gouvernement sur l’accompagnement des MNA, en date du 6 avril 2020 ([168]).

Il ressort ainsi du bilan dressé par Mme Yasmine Degras, cheffe de la mission mineurs non accompagnés au sein du ministère de la justice, que c’est sur cette base qu’il a été rappelé aux départements « l’injonction qui leur était faite d’accueillir toutes les personnes qui se présentaient, aussi bien les mineurs non accompagnés que celles évaluées majeures, de les garder au sein de leurs structures jusqu’à l’issue de la période de confinement et même au-delà […] ». Les orientations des MNA vers d’autres départements que ceux auxquels ils s’étaient présentés ont repris à partir du 28 juin 2020, suite à la consigne donnée par le secrétariat d’État chargé de l’enfance et des familles.

Extrait du courrier adressé aux présidents des conseils départementaux,
le 21 mars 2020, par le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles

« En ce qui concerne la prise en charge des mineurs non accompagnés, priorité doit être donnée à leur mise à l’abri quand bien même les conditions de l’évaluation de la minorité sont perturbées. La protection des mineurs, et notamment de ceux se présentant comme mineurs non accompagnés, doit être garantie par des mises à l’abri systématiques. Jusqu’à nouvel ordre, aucun transfert de mineur d’un département à l’autre ne peut être mis en œuvre du fait du confinement général de la population et de la restriction des déplacements au strict nécessaire.

« Les mineurs doivent en conséquence être accueillis dans le département dans lequel ils se présentent. En cas d’urgence, de situation d’une particulière gravité, et pour les mineurs les plus jeunes et les plus vulnérables, les conseils départementaux pourront solliciter des ordonnances de placement provisoire auprès des magistrats, le plan de continuité des juridictions prévoyant le maintien d’une permanence en assistance éducative dans les tribunaux pour enfants. Dans cette hypothèse, en cas de saisine, la cellule nationale décidera d’un maintien dans le département d’arrivée. »

Source : Secrétariat d’État chargé de l’Enfance et des familles.

b.   De réelles défaillances constatées dans la mise en œuvre de ce principe

Sans que l’on puisse établir de généralités pour l’ensemble du territoire, du fait de la diversité des situations selon les départements, les éléments recueillis par la Commission d’enquête portent à conclure que le principe de mise à l’abri inconditionnelle a pu demeurer inopérant ou a pu être restreint dans sa portée du fait de difficultés d’application, dans certains départements.

D’une part, la crise sanitaire semble avoir contribué dans de nombreux cas à une certaine paralysie de la procédure de reconnaissance du statut de mineur non accompagné pendant le premier confinement.

Dans les premières semaines du confinement, le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, avait alerté les autorités locales et le Gouvernement sur la situation et la mise à l’abri des mineurs non accompagnés (MNA) qui, dans un certain nombre de départements, faisaient face à un service d’accueil qui avait tout simplement fermé, conduisant à ce que ces mineurs soient traités comme des étrangers adultes. Il avait souligné que la mise à l’abri des jeunes gens évalués majeurs par le département jusqu’à la fin de la période de confinement devait se poursuivre. En outre, M. Toubon avait requis la mise à disposition par les préfectures de structures ou bâtiments pouvant accueillir dans des conditions dignes et adéquates des jeunes gens en accueil provisoire d’urgence.

D’après l’analyse développée par Mme Aurélie Guitton, coordinatrice de l’association InfoMIE, des difficultés dans la mise à l’abri inconditionnelle ont été constatées tant pour l’accueil provisoire d’urgence (APU) que pour la détermination de minorité. Si ce constat ne peut être généralisé, compte tenu de la difficulté à avoir un panorama exhaustif des pratiques dans les départements, plusieurs exemples ont été évoqués, illustrant de graves insuffisances de prise en charge des mineurs non accompagnés dans certains départements.

En ce qui concerne le premier stade de la procédure, Mme Guitton décrit des situations dans lesquelles l’APU a pu être soit fermée (par exemple dans les Bouches-du-Rhône), soit momentanément suspendue (à Paris) ou encore modifié dans ses modalités – avec par exemple dans le Nord, la mise en place d’une orientation vers les services du département par téléphone en remplacement de l’accueil en préfecture à compter du 17 mars 2020. M. Hervé Lecomte, membre de Réseau éducation sans frontières, a également indiqué que la cellule MNA du département des Hauts-de-Seine avait fermé au début du confinement, relevant que « durant cette période, il était donc impossible d’être reçu et mis à l’abri. Suite à l’intervention des associations et à une réorganisation probablement nécessaire, elle a fini par rouvrir. »

D’après ces témoignages, la diversité des procédures mises en place suivant les départements et la fermeture des services préfectoraux ont occasionné des difficultés et des ruptures dans l’orientation des mineurs n’ayant pas fait l’objet d’une mise à l’abri.

S’agissant de l’évaluation de la minorité, il apparaît que certains départements n’ont entamé aucune procédure, à défaut de pouvoir accéder au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) à la suite de la fermeture des services préfectoraux. D’autres collectivités ont résolu de réaliser des évaluations par visioconférence, à l’exemple des Alpes-Maritimes. Du point de vue de l’association InfoMIE, ce procédé ne permet pas de prendre en compte correctement la question de la santé des mineurs.

En dernier lieu, certains signalements donnent à penser que la procédure de reconnaissance de minorité a pu aussi pâtir des conditions de maintien de l’activité des tribunaux judiciaires.

M. Hervé Lecomte a souligné les conséquences de l’interruption d’activité du tribunal pour enfants de Nanterre, en indiquant : « nous avions compris qu’en cas d’urgence, il serait possible d’accéder au tribunal et que des audiences pourraient avoir lieu, ou que des jugements pourraient se tenir sans audience pour répondre à l’urgence des situations. En réalité, la prise en charge par l’ASE et le placement à l’ASE des MNA n’ont pas été considérés comme une urgence alors que des mineurs étaient à la rue. » Ce constat fait écho à celui de M. Kouamé Adjoumani qui devant les commissaires, a remarqué qu’« il [fallait] beaucoup de temps avant que la décision du juge des enfants leur permette d’être hébergés dans un hôtel » et qu’en attendant, ils [devaient] se prendre seuls en charge et que certains [dormaient] dans la rue ».

Les associations ont également souligné les effets du gel des orientations nationales par la MMNA jusqu’au 29 juin 2020 sur la prise en charge des mineurs : Mme Aurélie Guitton a souligné que « des mineurs confiés sur décision de justice mais en attente d’orientation vers un autre département ont été maintenus dans des dispositifs d’APU. Durant cette période, ils n’ont pas été véritablement pris en charge et ont bénéficié d’un moindre accompagnement socio-éducatif (scolarité, bilan de santé, etc.). La prise en charge des mineurs s’est donc faite « en pointillé » le temps que ceux-ci soient orientés. »

c.   Les difficultés administratives rencontrées

L’impact de la crise sanitaire sur le fonctionnement des administrations territoriales et des services publics a suscité des difficultés administratives pour les MNA, en dépit des dispositions prises par ordonnances pour garantir une certaine sécurité juridique pendant le confinement.

Il en va ainsi des dispositions prises dans le cadre de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ([169]). Ce texte autorisait le prolongement de la durée de validité de différents titres devant être éventuellement renouvelés pendant le premier confinement et nécessaires à l’accomplissement de certaines démarches et de certaines activités de la vie civile (carte d’identité, passeport, permis de conduire, titre de séjour, titre de travail, etc.)

Or, suivant le constat partagé par de nombreux représentants d’associations, le confinement a rendu impossibles nombre de démarches. Pour les mineurs non accompagnés, la fermeture des services préfectoraux et des centres de formations d’apprentis (CFA) a pu entraîner des problèmes et contraintes majeurs dès lors qu’ils ne pouvaient obtenir des documents qui conditionnaient la régularité de leur séjour ou les autorisaient à exercer une activité professionnelle. La réouverture des services préfectoraux ayant été souvent tardives, la vie de nombreux « mineurs non accompagnés » a été comme suspendue. Or, M. Seydina Boiro, lui-même jeune mineur isolé, a souligné devant la commission l’importance du « facteur temps » pour ces jeunes mineurs, pour ne pas perdre leurs droits et accéder à la scolarité.

En outre, des interprétations divergentes ont pu pousser des services préfectoraux à écarter l’application de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 pour certains titres. Mme Aurélie Guitton, coordinatrice de l’association InfoMIE, signale ainsi la nécessité de procédures contentieuses afin d’obtenir son bénéfice s’agissant des autorisations provisoires de travail (APT) pour les jeunes en apprentissage ([170]).

d.   Un accompagnement parfois insuffisant, ayant abouti à des situations extrêmement difficiles

Au-delà, le bilan de la crise sanitaire rend compte d’une réelle dégradation des conditions de vie déjà difficiles des mineurs non accompagnés, et d’un fort isolement, conséquence d’une insuffisance de leur prise en charge.

Dans certains départements, la saturation des modes d’accueil et la non reconnaissance de la qualité de « mineur non accompagné » a pu exclure un nombre indéterminé de jeunes de la prise en charge de l’aide sociale à l’enfance.

À l’instar de l’Uniopss, certaines associations affirment même avoir constaté des ruptures de prise en charge pour des mineurs admis dans les structures de l’ASE pendant le premier confinement et depuis le 17 octobre 2020, avec pour conséquence un accroissement du nombre des jeunes mis à la rue et vivant dans des campements ([171]).

De manière plus générale, beaucoup de jeunes mineurs isolés ont été cantonnés dans des hôtels sociaux ou des dispositifs dits de « semi autonomie ». Or, les témoignages recueillis par la Commission d’enquête s’accordent à décrire des conditions de vie très précaires, dans des lieux parfois insalubres, ne favorisant pas un accompagnement conforme aux exigences de la protection de l’enfance.

En premier lieu, les représentants des associations et les jeunes mineurs isolés font état de réelles difficultés d’accès à des lieux de restauration, à des produits alimentaires, voire d’hygiène, souvent faute d’argent. Cela étant, des départements, comme la Seine-Saint-Denis, se sont mobilisés pour que des mineurs isolés puissent recevoir une aide alimentaire, par exemple sous la forme d’une demi-pension organisée pendant le premier confinement ([172]). Par ailleurs, les parlementaires peuvent témoigner du soutien décisif apporté par les associations.

En second lieu, ces mineurs isolés ont pu souffrir d’un grand isolement et d’un cadre de vie ne permettant pas de poursuivre une scolarité ou une formation. Certains témoignages illustrent également un certain relâchement des liens avec l’aide sociale à l’enfance.

On peut ici évoquer l’exemple de M. Seydina Boiro, qui résumait en ces termes devant la Commission la vie pendant le premier confinement : « Je l’ai traversé dans la chambre de 9 mètres carrés d’un hôtel social. Ces quatre murs sont devenus, pour moi, ma chambre à coucher, ma cuisine, mon bureau pour travailler. À ma solitude physique s’est ajoutée la solitude morale : je me suis senti abandonné par mes éducatrices, qui n’ont presque pas pris de mes nouvelles et ne m’ont apporté aucun soutien durant cette période. Le contexte anxiogène, l’isolement physique, l’absence de soutien moral ont été très durs à vivre pour moi comme pour beaucoup de jeunes de mon entourage. À ce stress se sont ajoutées les difficultés à pouvoir continuer de suivre mes cours. Je ne disposais ni d’un ordinateur, ni d’une imprimante, ni d’un accès à internet, celui-ci étant payant dans l’hôtel où je me trouvais. Dans ces conditions, la continuité pédagogique était quasiment impossible. »

M. Hervé Lecomte a lui aussi souligné l’ampleur des difficultés de ces jeunes mineurs, et les conditions de vie inacceptables qui ont pu être constatées dans certains cas : « pour les « mineurs des hôtels » – ceux qui ont été purement et simplement laissés à l’abandon dans des chambres d’hôtel –, la situation est rapidement devenue catastrophique. Toutes les difficultés surmontées d’ordinaire lorsque le jeune est scolarisé, qu’il a la possibilité de sortir, de rencontrer des associations, d’accéder à des activités de loisir, ne pouvaient plus l’être en raison de l’enfermement qu’ils ont vécu, et ce dans un cadre très souvent insalubre. En effet, les hôtels dans lesquels les mineurs isolés ont été placés dans les Hauts-de-Seine étaient souvent insalubres, avec des chambres infestées d’insectes, pas de savon, pas de lessive pour laver les vêtements, des carences en termes de nourriture, pas d’ordinateur ou de tablette numérique ni de connexion permettant de bénéficier de la continuité pédagogique pour ceux qui étaient scolarisés. »

Il a également souligné les conséquences d’un accompagnement défaillant de ces jeunes, notamment en termes d’accès aux soins : « Pour ceux qui ont eu des soucis de santé durant la période, beaucoup n’ont pas pu accéder aux services de santé en l’absence d’un adulte référent pour les accompagner aux rendez-vous médicaux. (…) Cette situation n’a pas été sans conséquence sur la santé mentale de certains mineurs, dont ceux qui ont été contraints par les gérants d’hôtel à rester dans leur chambre et qui n’avaient pas le droit d’en sortir sauf pour prendre leurs repas. »

Ainsi qu’en a convenu le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, de telles situations appellent « une attention particulière au suivi éducatif des jeunes qui sont souvent dans des dispositifs d’autonomie, ou de semi-autonomie, voire à l’hôtel ». De fait, sur la foi des signalements reçus par de nombreux parlementaires, ce suivi présente aujourd’hui un caractère très variable suivant les départements.

Au fond, l’expérience du premier confinement donne un relief exceptionnel aux dysfonctionnements et lacunes déjà identifiés dans la prise en charge des mineurs non accompagnés. La crise sanitaire pousse donc à reconsidérer les modalités de prise en charge de ces mineurs.

e.   La nécessité d’améliorer leur prise en charge, avec une réaffirmation du rôle de l’État

La première réflexion nécessaire touche aux responsabilités respectives de l’État et des départements. En effet, dans le contexte d’une crise épidémique de l’ampleur de celle provoquée par le Covid-19, la segmentation des politiques publiques (entre l’aide sociale à l’enfance et l’application des règles relatives à l’entrée et au séjour des étrangers) peut porter préjudice à l’efficacité de la prise en charge des mineurs non accompagnés. Du reste, elle soulève la question des charges financières supportées par les départements et de leur capacité à intégrer les mineurs non accompagnés dans le dispositif de l’aide sociale à l’enfance.

Un protocole d’accord avait été conclu en mai 2013 entre l’État et les départements, afin de définir les modalités de prise en charge des dépenses supportées par les collectivités au titre de la période d’évaluation de la minorité. Le nouvel accord conclu en mai 2018 tend à renforcer l’appui de l’État aux départements, par une augmentation de sa participation aux dépenses de mise à l’abri et d’évaluation.

À la lumière des témoignages recueillis dans le cadre des auditions, il apparaît indispensable d’améliorer les conditions de prise en charge et d’accompagnement de ces mineurs : cela passe par l’affirmation du rôle de l’État, là encore pour permettre une prise en charge identique sur l’ensemble du territoire, et par une nouvelle augmentation des dépenses prises en charge par l’État, par une révision du protocole signé en 2018.

Il serait dans un premier temps utile de déterminer une répartition adaptée des dépenses entre l’État et les départements pour la mise à l’abri inconditionnelle en temps de crise épidémique. Il s’agirait de prendre en considération les besoins engendrés par la prise en charge des MNA pendant la crise sanitaire ainsi que les capacités d’accueil de l’ASE.

Proposition : Mener une réflexion sur une évolution des compétences entre l’État et les départements dans la prise en charge des mineurs non accompagnés, pour garantir un accueil identique sur l’ensemble du territoire, et sur la répartition des financements, par une révision du protocole d’accord signé en 2018

La seconde évolution nécessaire concerne sans doute les conditions même de la reconnaissance du statut de mineurs non accompagnés.

Les propos recueillis tendent à souligner le caractère assez disparate voire arbitraire de l’évaluation de la minorité par les départements, préjudiciable à l’exercice des droits.

Suivant le témoignage de Mme Corinne Torre, cheffe de la mission France de Médecins sans frontières, l’évaluation « peut être conduite en l’espace d’une heure, voire d’un quart d’heure » ; l’on peut observer par ailleurs « la résurgence de pratiques qui n’avaient plus cours, et ce en raison de l’arrivée importante de mineurs à Paris depuis le premier déconfinement », avec des évaluations « parfois conduites très rapidement, sans interprète, sans consultation médicale ».

Or, ces conditions ajoutent un filtre supplémentaire alors que la reconnaissance de la qualité de « mineur non accompagné » ne va pas de soi devant un tribunal. En dehors du fichier d’appui à l’évaluation de la minorité, mis en place en 2018, l’évaluation de la minorité procède du recueil d’informations et de documents auprès des préfectures par le président du conseil départemental et des entretiens menés par des agents assermentés. Compte tenu de la part de contingence qui peut entrer dans cette évaluation, il serait utile de mieux définir les conditions de l’évaluation – étant observé qu’il n’existe pas à ce jour de méthode fiable au plan scientifique permettant de déterminer l’âge réel d’un individu.

Proposition : Établir un cadre juridique strict des investigations destinées à déterminer l’âge des personnes demandant à être reconnues « mineurs non accompagnés »


   troisiÈme partie – la jeunesse en première ligne
d’une conjoncture économique et sociale dégradée

La crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique sans précédent depuis la Libération, alors que la France devrait enregistrer en 2020 une baisse de son produit intérieur brut (PIB) comprise entre 9 % et 10 %. Si les projections sont difficiles, compte tenu des incertitudes pesant sur l’évolution de la situation sanitaire, les prévisions de croissance pour l’année 2021 ont été revues à la baisse en cette fin d’année, et tout porte à croire que les conséquences économiques et sociales de cette crise seront durables et importantes. Des mesures significatives de soutien aux revenus des ménages, notamment par le biais du dispositif d’activité partielle et des aides exceptionnelles de solidarité, ont été déployées et jouent un réel rôle d’amortisseur social, parallèlement aux dispositifs massifs instaurés pour soutenir les entreprises, via le fonds de solidarité des entreprises ou encore les prêts garantis par l’État.

Pour autant, la dégradation de la conjoncture économique a et aura d’importantes conséquences sociales, et les enfants et les jeunes en sont les premiers affectés, notamment en raison de l’impact de la crise sur les familles et de ses incidences sur l’insertion professionnelle des jeunes, diplômés ou non, alors même que ces derniers enregistraient déjà avant la crise un niveau de chômage supérieur à celui de l’ensemble de la population, et qu’ils sont plus souvent titulaires de contrats de travail courts ou précaires.

I.   DES CLASSES D’âge exposÉes à une aggravation de la pauvretÉ, du fait des conséquences sociales de la crise sur les familles et les jeunes

A.   Une crise sanitaire qui accentue les inégalités et les vulnérabilités sociales préexistantes, et qui fait basculer des foyers dans la pauvreté

1.   Une crise qui creuse les inégalités sociales

 L’ampleur et la soudaineté de la crise économique emportent de fortes conséquences sociales, en termes d’emploi et de niveau de revenus des ménages. Les premiers chiffres, accompagnant les annonces de plans sociaux, laissent transparaître une hausse du taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT), qui a bondi au troisième trimestre pour s’établir à 9 % de la population active, soit 0,9 point de plus qu’avant la crise ([173]). L’INSEE prévoyait début octobre – donc avant le deuxième confinement – un taux de 9,7 % à la fin de 2020 ([174]). Les effets de la crise sur l’emploi ne pourront être appréhendés avec plus de précision que l’année prochaine.

D’ores et déjà, les premières données disponibles montrent que la crise accentue fortement les inégalités, en fragilisant davantage les plus vulnérables. Ainsi, selon une étude de l’INSEE publiée en octobre dernier ([175]) sur la base de données de l’étude Epicov ([176]), environ un quart des personnes déclaraient en mai 2020 que leur situation financière s’était dégradée depuis le début du confinement ; or cette dégradation était d’autant plus forte que les revenus des ménages étaient initialement faibles. Parmi les 10 % de ménages les plus pauvres, plus d’un tiers d’entre eux perçoivent une dégradation de leur situation financière, tandis que cette proportion est deux fois moins grande parmi les 10 % de ménages les plus aisés, comme le montre le graphique ci-après :

Dégradation de la situation financière
selon le décile de niveau de vie des ménages

Le baromètre établi par le Secours populaire, rendu public le 30 septembre dernier ([177]), relevait quant à lui qu’environ un tiers des Français indiquaient avoir subi une perte de revenus depuis le confinement, importante dans 16 % des cas. Pas moins d’un tiers des ouvriers et près d’un quart des personnes percevant moins de 1 200 euros nets par mois soulignaient avoir connu une telle perte de revenus importante.

● Une étude réalisée par le Conseil d’analyse économique en octobre dernier ([178]) met également en exergue l’accentuation des inégalités induite par la crise, au travers de l’analyse de l’évolution de l’épargne.

L’étude évalue le surcroît d’épargne des ménages, par comparaison avec la période pré-Covid-19, de février 2019 à février 2020, à un peu moins de 50 milliards d’euros, entre le début du confinement et fin août 2020. Cette accumulation d’épargne a été très inégale, en étant très fortement concentrée sur des 20 % des ménages les plus aisés : 70 % du surcroît d’épargne ont été réalisés par ces 20 % des ménages, alors que les 20 % des ménages les moins aisés n’ont pas épargné, mais au contraire ont vu, de façon globale, leur endettement augmenter.

Contribution à la croissance du patrimoine financier net
par décile de dépenses pré‐Covid-19

L’étude conclut d’ailleurs que ces résultats « suggèrent qu’un soutien beaucoup plus franc aux ménages les plus modestes, plus exposés aux conséquences économiques des mesures sanitaires, va très rapidement s’avérer nécessaire ».

2.   Le basculement dans la pauvreté et la précarité d’un certain nombre de foyers, de nouvelles catégories socio-professionnelles concernées

Selon les dernières statistiques disponibles, portant sur l’année 2018 ([179]), 9,3 millions de personnes vivaient alors en dessous du seuil de pauvreté, égal à 60 % du revenu médian ([180]), contre 8,9 millions en 2017 ; le taux de pauvreté s’établissait à 14,8 % en 2018, en hausse de 0,7 point par rapport à l’année précédente.

En prenant en compte un seuil de pauvreté égal à 50 % du revenu médian, le nombre de personnes en situation de pauvreté en 2018 était ramené à 5,3 millions de personnes.

La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté

Une stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté a été présentée par le Président de la République le 13 septembre 2018. Devant mobiliser des financements de 8,5 milliards d’euros sur la période 2018-2022, elle s’articule autour de cinq objectifs :

– l’égalité des chances dès les premiers pas pour rompre la reproduction de la pauvreté ;

– garantir au quotidien les droits fondamentaux de tous les enfants ;

– un parcours de formation garanti pour tous les jeunes ;

– assurer l’émancipation sociale par l’activité ;

– rendre les minima sociaux plus simples, plus lisibles et plus incitatifs à l’activité.

Parmi les mesures phares déployées dans le cadre de cette stratégie, figurent le développement de l’accueil de la petite enfance sur tout le territoire ; la création d’un bonus « mixité sociale » dans les crèches ou encore la mise en place de petits déjeuners à l’école maternelle et primaire dans des territoires prioritaires ; le renforcement des services de PMI ; l’organisation de « maraudes mixtes » entre services de l’État et aide sociale à l’enfance afin de prendre en charge les familles avec enfants dans la rue.

Figure également dans cette stratégie la mise en place d’un revenu universel d’activité, issu de la refonte de plusieurs prestations sociales ; les travaux sur ce chantier ont été suspendus du fait de la crise sanitaire, mais ils devraient être finalisés au cours de l’année 2021, ainsi que l’a annoncé Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’autonomie, à l’Assemblée nationale le 26 novembre dernier.

Des commissaires à la lutte contre la pauvreté ont été désignés en 2019 auprès des préfets de région, afin de déployer la stratégie nationale sur le terrain. Par ailleurs, l’État développe avec les départements une démarche de contractualisation : en 2019, 99 conseils départementaux ont signé une convention de prévention et de lutte contre la pauvreté avec l’État ; tous ont reconduit cette convention par avenant en 2020. En 2020, la contractualisation a été élargie aux métropoles et aux conseils régionaux volontaires. Compte tenu du contexte économique lié à la crise sanitaire, les nouvelles conventions portent sur des sujets divers, laissés au choix des collectivités : aide alimentaire, soutien aux jeunes ayant quitté le système scolaire ou encore logement des personnes.

● S’il est encore trop tôt pour mesurer statistiquement l’évolution de la pauvreté des ménages en 2020 ([181]), beaucoup d’indicateurs sont passés au rouge au cours des derniers mois. Nombre d’associations caritatives ont tiré la sonnette d’alarme, en soulignant la forte augmentation du nombre de personnes venant solliciter leur aide.

Lors de son audition par la commission d’enquête, le secrétaire général des Restos du Cœur, M. Philip Modolo, a ainsi indiqué qu’une augmentation des publics de 20 à 30 % était attendue par l’association au cours des deux prochaines années ; l’on constate des hausses parfois très fortes, dans les différentes antennes locales des associations caritatives au cours de cette année 2020. L’antenne du Secours populaire au Blanc‑Mesnil faisait ainsi état d’un doublement du nombre de soutiens apportés aux ménages en 2020, par rapport à 2019.

Comme l’a souligné M. Thierry Couvert-Leroy, délégué national Enfants et Familles pour la Croix-Rouge française, « l’élément le plus choquant de l’impact de cette crise sur les familles est que certaines d’entre elles ont eu faim pendant le confinement, ce qu’il est encore plus bouleversant d’observer dans un pays comme le nôtre ».

Le réseau des Banques alimentaires estime que le nombre de personnes ayant recours à l’aide alimentaire devrait passer à 8 millions, contre 5,5 millions avant la crise.

Les associations caritatives soulignent qu’elles accueillent désormais des personnes qu’elles ne voyaient pas jusqu’alors, qu’il s’agisse d’intérimaires et de travailleurs saisonniers, d’artisans, de commerçants, ou encore – et le constat est systématiquement revenu –, de nombreux étudiants. Le Secours populaire indiquait au début du mois de mai que sur les 1,27 million de personnes aidées par ses bénévoles depuis la mi-mars, 45 % d’entre elles n’avaient jamais franchi jusqu’alors les portes de l’association.

Mme Aurélie Mercier, du Secours catholique Caritas France a ainsi souligné que « cette nouvelle précarité a été vécue par des familles que nous n’avions pas l’habitude de voir, notamment des mères seules, mais également des travailleuses intérimaires et des aides à domicile dont l’activité et les ressources ont chuté lors du confinement, ainsi que des jeunes, étudiants ou non, qui se sont vus privés de leur job étudiant et ne peuvent prétendre à aucune aide puisque le RSA ne leur est pas ouvert ».

Parmi les catégories particulièrement affectées par la crise autres que les étudiants, figurent les familles monoparentales. Lors de son audition, le secrétaire général des Restos du Cœur a ainsi souligné que ces familles avaient rencontré des « difficultés extrêmes durant cette crise sanitaire » ; pas moins de la moitié des familles accueillies par l’association étaient des familles monoparentales, alors que ces dernières ne représentent que 23 % des huit millions de familles avec enfants mineurs. Ce constat fait écho au fort taux de pauvreté constaté pour ces familles, puisqu’il atteint 35,3 %, contre 14,8 % pour l’ensemble de la population. Aux difficultés économiques et sociales, se sont souvent ajoutés, pour ces familles monoparentales, un grand isolement pendant le confinement, lié à une absence de soutien par l’autre parent, ainsi qu’une très forte charge mentale. Le parent seul – le plus souvent une femme, puisque dans 84 % des cas, les enfants résident avec leur mère – devait assurer à la fois le suivi scolaire et la garde des enfants, les tâches domestiques et le cas échéant le télétravail ou le travail sur place, pour les salariés exerçant dans les secteurs dits essentiels.

 Un autre signal d’alerte de la dégradation de la situation des ménages réside dans l’augmentation du nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) – lequel atteignait 1,92 million de personnes en mars 2020 ([182]). Le 19 octobre dernier, lors de l’examen en séance par l’Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2021, M. Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, a indiqué que le Gouvernement prévoyait pour l’année 2021 une augmentation moyenne de 8,7 % du nombre d’inscrits au RSA – en précisant qu’il s’agissait d’une moyenne, puisque l’on constatait parfois une augmentation de 1 % et d’autres fois de 20 %.

D’ores et déjà, les données transmises par l’Assemblée des départements de France (ADF) font état d’une forte hausse des dépenses de RSA par les départements en août 2020, par rapport à août 2019. Cette hausse est évaluée à 9,2 % en moyenne, et elle recouvre des situations contrastées, avec par exemple une hausse de près de 5 % dans les Bouches-du-Rhône, de 7,6 % dans la Loire ou de 5,6 % dans le Puy-de-Dôme, mais de 14,6 % dans la Sarthe, près de 18 % en Haute-Saône et de 13 % dans les Yvelines.

3.   Les enfants et les jeunes particulièrement touchés, alors que le nombre d’enfants en situation de pauvreté était déjà de 3 millions en 2018

● Selon les données statistiques les plus récentes ([183]), le nombre d’enfants en situation de pauvreté, selon le critère précité de revenus inférieurs à 60 % du revenu médian, atteint 2,93 millions. De ce fait, le taux de pauvreté des enfants (soit les jeunes de moins de 18 ans) s’élève à 21 %, soit un taux presque moitié plus élevé que celui constaté dans l’ensemble de la population, lequel atteint 14,8 %.

L’on retrouve un niveau de pauvreté similaire chez les jeunes de 18 à 29 ans : avec 1,6 million de jeunes entre 18 et 29 ans dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian, le taux de pauvreté atteint 19,7 % dans cette tranche d’âge.

Ainsi, lorsque l’on cumule ces chiffres, il apparaît que les mineurs et les jeunes entre 18 et 29 ans en situation de pauvreté sont au nombre de 4,55 millions, sur un total de 9,3 millions de personnes pauvres en France ; les moins de 30 ans représentent donc près de la moitié des personnes en situation de pauvreté dans notre pays, alors qu’ils réunissent 35 % de la population dans son ensemble.

Ainsi que le relève le rapport de l’Observatoire des inégalités sur « La pauvreté en France, 2020-2021 », publié en novembre dernier, cette population jeune touchée par la pauvreté est constituée en fait de deux grands ensembles : d’une part, les enfants de familles pauvres, d’autre part de jeunes adultes, souvent en difficulté d’insertion sur le marché de travail, du fait de l’ampleur du chômage, des bas salaires et de la précarité de l’emploi.

Le nombre de jeunes en situation de pauvreté et leur proportion s’avèrent d’ailleurs en augmentation au cours des dix dernières années, ainsi que l’illustrent les graphiques ci-après. C’est notamment le cas pour les moins de 18 ans ; cette évolution peut notamment s’expliquer, selon le rapport précité de l’Observatoire des inégalités, par la progression du nombre de familles monoparentales, davantage touchées par la précarité.

Évolution du nombre de jeunes en situation de pauvreté
dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu médian

(en milliers)

Source : commission d’enquête, sur la base des séries de l’INSEE « Pauvreté selon l’âge et le seuil ».

Évolution du taux de pauvreté, selon le critère d’un revenu inférieur à 60 % du revenu médian, pour les jeunes et la population dans son ensemble

Source : commission d’enquête, sur la base des séries de l’INSEE « Pauvreté selon l’âge et le seuil ».

Enfin, parmi les 5,3 millions de personnes dont le revenu est inférieur à 50 % du revenu médian, les jeunes de moins de 30 ans représentent là encore la moitié du total, soit 2,65 millions – dont 1,62 million d’enfants dans cette situation de grande pauvreté, et 1,035 million des 18-29 ans.

Ainsi que l’a indiqué le secrétaire général des Restos du Cœur, la moitié des personnes que l’association aide ont moins de 25 ans, et 40 % d’entre eux sont mineurs.

● Or, les enfants et les jeunes figurent parmi les premières victimes de la dégradation de la situation économique, tout d’abord parce que les chiffres réunis par l’INSEE dans l’étude précitée ([184]) montrent que l’impact de la crise est plus important pour les familles avec des enfants. Ainsi, les ménages avec enfants sont plus nombreux à déclarer une dégradation de leur situation financière : 33 % d’entre eux se trouvent dans ce cas, contre seulement 18 % des ménages sans enfants. L’étude propose deux éléments d’explication : d’une part, la fermeture des établissements scolaires, contraignant les parents à assurer la garde et le suivi scolaire de leurs enfants, a pu les obliger à restreindre leur temps de travail – sachant que le dispositif d’activité partielle, qui a joué un fort rôle d’amortisseur, peut toutefois conduire à une baisse de revenus ; d’autre part, la fermeture des cantines scolaires a entraîné des frais, les familles ayant dû prendre en charge ces repas sans bénéficier des subventions que constituent les tarifs sociaux.

Par ailleurs, ainsi que Mme Marie-Andrée Blanc le soulignait lors de son audition, « les parents sont les principaux aidants financiers des jeunes et ont d’ailleurs l’obligation légale de le faire. L’appauvrissement des parents interagit de fait sur celui des jeunes. »

L’accroissement de la pauvreté des familles a bien évidemment un impact direct sur les conditions de vie matérielles des enfants, mais il risque aussi de déstabiliser l’environnement familial, en créant un climat d’inquiétude et d’anxiété, et en suscitant des tensions.

Plus largement, les jeunes font partie des publics les plus affectés par la crise actuelle, tout d’abord parce qu’ils entrent dans le monde du travail bien souvent en cumulant les stages et les contrats temporaires, les plus directement touchés par la chute brutale de l’activité économique depuis mars (voir infra). Les étudiants sont aussi particulièrement concernés par la forte baisse, si ce n’est la disparition des « jobs étudiants » (voir infra).

B.   des difficultés exacerbées pour les familles en grande précarité

Si la crise sanitaire et économique aggrave les inégalités, elle a aussi frappé beaucoup plus durement les personnes vivant dans la grande précarité, qu’il s’agisse des personnes vivant dans des bidonvilles, des campements, des squats, des hôtels sociaux, des centres d’hébergement d’urgence, dans la rue, et plus largement, les personnes qui subissent une situation de mal logement. À cet égard, lors du confinement, où le mot d’ordre général était de « rester chez soi », les personnes mal logées ont nécessairement vécu beaucoup plus difficilement cette période, du fait de l’exiguïté de leur logement, de son insalubrité, d’une cohabitation imposée..., ou plus radicalement, du fait de l’absence de solution de logement.

La crise sanitaire a là encore agi comme un révélateur, en mettant en pleine lumière les difficultés vécues quotidiennement par les personnes en grande précarité, difficultés que nous ne voyons plus ou que nous ne voulons pas voir, tout en les exacerbant, voire en les portant parfois à un niveau extrême.

Selon les chiffres publiés par la Fondation Abbé Pierre sur la base de chiffres agrégés ([185]), près de 4 millions de personnes souffrent de mal‑logement en France : environ 900 000 personnes sont privées de logement personnel, dont 143 000 qui sont sans domicile et 643 000 en hébergement non choisi chez des tiers, tandis que 2,1 millions vivent dans des logements privés de confort et près d’un million dans des logements qualifiés de surpeuplés.

Comme le soulignait lors de son audition Mme Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national Droits de l’Homme Romeurope, la population en bidonvilles est composée d’un tiers de mineurs, et la moyenne d’âge des adultes est également assez basse. Plus de 90 % des personnes accueillies dans les hôtels sociaux sont des familles. Les enfants et les jeunes sont particulièrement exposés à ces difficultés de mal logement.

1.   Des conditions de vie ne répondant pas aux besoins élémentaires des enfants

● Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a tenu à entendre des personnes vivant dans des campements, dans des bidonvilles et des hôtels sociaux, qu’il s’agisse de familles ou de jeunes mineurs non accompagnés, et a pu constater à quel point, même en dehors de toute crise sanitaire, leurs conditions de vie sont difficiles et choquantes : elles ne respectent pas les droits fondamentaux des enfants et de leurs familles, qu’il s’agisse du droit à un logement digne, du droit à une vie familiale normale, du droit à l’éducation, du droit à la santé, ou encore du droit à l’eau.

La crise sanitaire a ainsi mis en exergue tous les manquements résultant de politiques menées depuis plusieurs décennies, et conduisant à ce que des enfants soient in fine victimes de véritables violences institutionnelles sur le sol français.

Des témoignages de la vie quotidienne en hôtel social et en squats

Entendue par la commission d’enquête de façon anonyme, une petite fille de 12 ans, vivant dans un hôtel social, raconte ainsi son quotidien : « Les chambres sont petites, les lits sont pleins de punaises et de cafards. La chambre est envahie par les cafards. La nuit, nous n’arrivons pas à dormir. Les piqûres de punaises nous démangent et nous font des plaques sur le corps. Les cafards et les punaises sortent de nos poches et de nos sacs à l’école. C’est la honte. Pour les devoirs, ce n’est pas facile. Nous n’avons pas d’espace ni de bureau. Nous n’arrivons pas à nous concentrer. Pendant que les petits jouent et regardent la télé, nous n’avons pas de place pour faire nos devoirs. La connexion internet est mauvaise. Il faut attendre la nuit que certains dorment pour avoir du réseau et faire nos devoirs dans le hall. Nous dormons tard et nous nous endormons au collège. Nous n’arrivons pas à suivre. Le bruit est important à l’hôtel ; l’alarme incendie sonne tout le temps. Les bagarres sont nombreuses. La police intervient presque tous les jours. Des gens cassent tout, ils sont très violents et en menacent d’autres avec des couteaux. Certains sont alcooliques et d’autres drogués. Des gens font très peur. Il y a des familles et des hommes seuls, qui sont bizarres. Je n’aime pas vivre à l’hôtel. Nous n’avons pas de cuisine. Nous faisons à manger et la vaisselle dans la chambre, au même endroit où l’on fait nos besoins. C’est dégoûtant. Les couloirs et les ascenseurs sont pleins d’urine. Les gens crachent dans l’ascenseur et jettent tout dedans. J’ai honte d’être à l’hôtel. Mes amies demandent à venir chez moi pour une "soirée pyjama" mais je refuse car je suis gênée de dire que j’habite à l’hôtel. Je ne veux pas faire l’objet de moqueries. J’ai envie d’avoir une maison comme tous les enfants et vivre une vie normale, pouvoir bien dormir, bien travailler à l’école et être heureuse avec ma mère et mes frères. »

Mme Annabelle Quillet, membre du groupement pour la défense du travail social, a complété ce témoignage en ces termes : « La violence est extrême puisque l’hôtel social n’accueille pas que des familles. Samedi dernier par exemple, une mère est venue me voir pour me dire que ses enfants étaient traumatisés et n’arrivaient plus à dormir parce qu’ils avaient vu un homme sortir d’une chambre et se taillader le torse avec un couteau. Un cafard a été retrouvé dans le vomi d’un petit enfant. Une dame était également présente, avec trois enfants. Elle m’a expliqué que son fils de 13 ans était suivi par un psychologue car après le confinement et le départ de l’hôtel, il ne faisait que pleurer. Il était en fait traumatisé par l’image de son père, policier dans son pays d’origine, qui dormait par terre à l’hôtel. Les images que ces conditions de vie renvoient aux enfants, d’eux-mêmes et de leurs parents, sont réellement traumatisantes. »

Leticia, jeune mineure isolée, a quant à elle raconté habiter « dans un squat à Mairie de Montreuil, qui n’est pas vraiment adapté. Je n’ai malheureusement pas d’autre choix. Cette situation est difficile. J’aimerais aller à l’école, avoir une situation stable [...]. Mettre des jeunes dans de telles situations, très stressantes, est vraiment difficile. Nous sommes stressés de tout. Nous n’arrivons pas à nous nourrir comme il faut. Le squat n’est pas propre. Nous sommes tout le temps piqués par des bêtes et n’arrivons à dormir qu’à partir de trois ou quatre heures du matin. Nous souhaitons vraiment trouver des solutions à nos problèmes. »

Ana Maria Stuparu, lycéenne rom roumaine de 18 ans ayant vécu en campement, et co-fondatrice du collectif #EcolePourTous, s’est exprimée ainsi devant la commission d’enquête : « Avant le confinement, les conditions de vie étaient déjà très difficiles. Je vivais dans une baraque avec ma mère et mon frère. Nous n’avions pas d’eau courante. La seule source d’eau était une borne incendie devant le terrain, à laquelle tous les habitants devaient s’approvisionner. L’accès au courant électrique était aussi aléatoire. Même avant le confinement, j’ai toujours rencontré des difficultés à travailler mes cours à la "maison" car nous étions trois personnes dans la même pièce, qui servait à la fois de cuisine, de séjour et de salle de bain. J’essayais au maximum de faire mes devoirs au lycée et d’être très concentrée pour assimiler les informations dont j’avais besoin. La situation était similaire pour les autres enfants du terrain mais malgré ces conditions, nous nous accrochions pour réussir à l’école. »

En hôtel social, les familles et les mineurs isolés vivent dans les logements exigus, le plus souvent mal entretenus, parfois mal chauffés et envahis de cafards, de punaises de lit et de souris, comme l’ont rapporté plusieurs personnes entendues par la commission. Ils ne sont le plus souvent pas en mesure de cuisiner, du fait de l’absence d’équipements. Une mère de famille habitant dans un hôtel social au Blanc‑Mesnil a indiqué avoir accès à un micro-ondes – partagé avec vingt‑deux familles et situé dans le couloir –, mais non à un réfrigérateur ; dans ces conditions, nourrir sa famille à un coût modéré est une gageure, d’autant que les aliments qui ne peuvent être conservés doivent nécessairement être jetés à brève échéance. Les personnes entendues ont souligné la promiscuité importante et l’absence d’intimité, la possibilité pour les hôteliers d’accéder à leur logement sans leur accord, les nuisances sonores et la grande instabilité de leur situation.

Pour autant, ce constat n’est pas nouveau : déjà, en 2014, un rapport du Samu Social de Paris de 2014 ([186]) pointait l’insalubrité d’hôtels sociaux et autres hébergements accueillant les ménages sans logement en Île-de-France ; le rapport relevait la présence de cafards ou d’insectes, qui concernait plus de quatre familles logées sur dix, le mauvais état des draps et des lits, l’insuffisance des installations sanitaires, et soulignait également que chaque enfant dormait dans son propre lit dans seulement quatre familles sur dix ; dans plus de 40 % des cas, au moins un enfant dans la famille occupait le même lit qu’un de ses parents. Six ans après la publication de ce rapport, les choses ne semblent pas avoir beaucoup évolué.

Les familles logées en bidonvilles, campements et squats se trouvent dans des conditions matérielles tout aussi dégradées, en termes d’exiguïté et d’insalubrité des locaux, d’absence d’intimité, avec de surcroît la problématique de l’accès à l’eau, qui n’est pas assuré dans de nombreux campements, ce qui soulève d’évidentes difficultés quotidiennes en termes sanitaires.

● De telles conditions ne sont pas acceptables, et sont d’autant plus choquantes, s’agissant des hôtels sociaux, que les établissements hôteliers sont rémunérés par l’État.

Les places dans ces hôtels dits sociaux s’élevaient à plus de 48 700 en 2018 ; elles sont concentrées en Île-de-France, où 40 000 nuitées sont réservées chaque jour, et accueillent plus de 90 % de familles avec enfants. Ainsi que le soulignait le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’hébergement d’urgence au printemps 2019 ([187]), faute d’un parc suffisant et adapté aux familles, le recours à l’hôtel n’a cessé de croître ces dernières années. Depuis 2010, le nombre de places d’hébergement financées dans des hôtels a augmenté de 251 %. Le coût unitaire de ces nuitées d’hôtels est élevé, malgré des conditions de confort parfois indignes, comme exposé supra, et une quasi-absence d’accompagnement social. Si l’accueil à l’hôtel avait initialement vocation à héberger les personnes sans abri pour une courte durée, la saturation des dispositifs et le manque de fluidité dans les parcs d’hébergement conduit des publics à rester hébergés à l’hôtel pour plusieurs mois, voire plusieurs années.

La rapporteure estime indispensable de développer des offres d’hébergement pérennes et adaptées aux besoins des familles, et de mettre fin au recours massif aux nuitées d’hôtel pour les loger. À court terme et dans un premier temps, ces hôtels doivent respecter un certain nombre de normes élémentaires d’hygiène et de décence, dans le cadre d’un cahier des charges ; le respect de ces normes doit être contrôlé par l’État de façon régulière et effective. Comme le soulignait Mme Annabelle Quillet, membre du groupement pour la défense du travail social, à la lumière de son expérience pendant le confinement, il serait utile de prévoir la présence régulière de travailleurs sociaux dans ces hôtels, qui constitueraient des interlocuteurs privilégiés pour les familles logées, pourraient relayer leurs difficultés et apporter un regard extérieur et une forme de contrôle sur les pratiques des hôtels qui les accueillent.

Propositions : Définir un cahier des charges que doivent respecter les hôtels sociaux et imposer un contrôle régulier et effectif de ce cahier des charges par l’État

Prévoir la présence régulière de travailleurs sociaux dans les hôtels sociaux

Des travaux sur le sujet de l’accueil des mineurs isolés dans les hôtels sociaux ont été engagés à la demande de M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, et ils doivent être l’occasion de faire enfin évoluer cette situation.

● Pour un enfant ou un jeune mineur isolé, vivre dans des hôtels sociaux, des bidonvilles et des campements est par construction insécurisant et ne permet pas de suivre sa scolarité dans de bonnes conditions : les enfants ne disposent pas d’un espace calme et adapté pour faire leurs devoirs, ils doivent parfois parcourir de longues distances pour aller à l’école, du fait des localisations aléatoires de leur hébergement, sans prise en compte de leur lieu de scolarisation, ils ont de grandes difficultés à accéder à une connexion internet fiable et à des équipements informatiques. L’instabilité de leur situation, avec le risque d’être expulsé sans préavis, n’est évidemment pas propice à un parcours scolaire serein et apaisé. Comme le soulignait par ailleurs Ana Maria Stuparu, co-fondatrice du collectif #EcolePourTous, une expulsion induit six mois de déscolarisation, notamment du fait des formalités administratives de réinscription, et peut conduire au décrochage des enfants.

C’est la raison pour laquelle la rapporteure préconise d’interdire les expulsions des familles comprenant des enfants scolarisés, afin de respecter véritablement le droit à l’éducation de ces enfants, dans la lignée de la proposition de loi qu’elle a déposée en février dernier ([188]).

Proposition : Interdire les expulsions des familles vivant avec des enfants mineurs

2.   Des difficultés aggravées pendant la crise sanitaire

● En premier lieu, pour les familles et les enfants vivant dans la grande précarité, la crise sanitaire et le confinement ont souvent conduit à un tarissement de leurs ressources, lorsqu’elles étaient issues de l’économie informelle. Comme le soulignait Mme Manon Fillonneau, « les mesures de confinement ont frappé durement les habitants des bidonvilles, déjà précarisés par des années d’expulsion et de grande précarité. L’arrêt instantané des activités génératrices de revenus, que ce soit la ferraille, la récupération de métaux, le recyclage et parfois la mendicité, a été une catastrophe, ayant généré encore plus de pauvreté et une situation humanitaire très préoccupante. »

Face à l’interruption brutale de leurs revenus, des familles sont devenues tributaires de l’aide extérieure, que ce soit pour l’accès aux aliments, à des produits d’hygiène, à des couches ou du lait pour les bébés, ou dépendantes de la solidarité familiale. Des mesures ont été prises par le Gouvernement pour répondre à l’urgence, notamment par la distribution de « chèques services » destinés aux personnes sans domicile fixe et aux familles précaires hébergées pour acheter des produits d’alimentation et d’hygiène, mis en place le 1er avril. De l’avis des personnes auditionnées, ces dispositifs ont plutôt bien fonctionné ; Mme Manon Fillonneau a ainsi souligné que « dans la plupart des territoires, la distribution alimentaire et celle de chèques services ont été plutôt bien coordonnées, grâce à un financement de l’État en particulier » – avec la Délégation interministérielle à l’hébergement et au logement (DIHAL). Toutefois, il a été observé que cette distribution n’a pas repris avec le deuxième confinement mis en place le 30 octobre dernier. La rapporteure estime qu’il serait souhaitable que cette mesure soit activée à chaque restriction imposée dans les déplacements, laquelle est synonyme d’une chute de revenus pour les personnes précaires.

● Compte tenu des conditions d’hébergement très dégradées des personnes précaires, le confinement et l’« assignation à résidence » qui en découlaient ont été particulièrement éprouvants. Ils se sont traduits à la fois par un isolement extrême de certaines populations, particulièrement les mineurs non accompagnés (voir supra), et par une promiscuité très grande, très difficile à vivre également, pour les familles ou les jeunes contraints de cohabiter dans de petits espaces.

● Ces conditions de vie rejaillissent inévitablement sur les conditions de la scolarité à distance, lors du confinement. Si, comme vu supra, la continuité pédagogique a soulevé des difficultés pour des nombreux élèves, elle est bien souvent apparue comme illusoire ou inaccessible pour les mineurs vivant dans des conditions précaires, qui avaient très difficilement accès à des équipements informatiques, à une connexion internet utilisable, et qui ne disposaient pas d’espace calme pour travailler dans la journée.

Mme Annabelle Quillet, membre du groupement pour la défense du travail social, a ainsi souligné que dans l’hôtel social où elle est intervenue, « trois frères et sœurs peuvent se partager une même pièce, sans bureau, avec l’un ou l’autre qui joue ou regarde la télévision. La connexion est très faible puisque les 95 ménages sont reliés au même réseau. Les enfants attendent minuit pour pouvoir accéder à l’espace numérique de travail (ENT) et faire leurs devoirs. »

Ana Maria Stuparu a également indiqué : « comme tous les enfants du bidonville, je ne disposais ni d’ordinateur ni de connexion internet ni d’imprimante. Mon lycée m’avait fourni une tablette en début d’année pour remplacer les manuels mais elle "buggait" souvent et n’était pas adaptée pour suivre les cours. Je me débrouillais avec mon téléphone quand la 4G était disponible. Beaucoup d’enfants du terrain, plus petits que moi, n’avaient pas de téléphone et leurs parents n’avaient pas de smartphone pour leur permettre d’accéder aux cours en ligne. Les professeurs qui connaissaient ma situation envoyaient mes cours imprimés à une bénévole, qui me les apportait sur le terrain. Pour tous les autres enfants du terrain, aucun soutien scolaire n’a été mis en place. Presque 100 % d’entre eux ont décroché pendant le confinement. »

Des initiatives ont été mises en œuvre pour tenter d’assurer cette continuité pédagogique pendant le confinement, qu’il s’agisse de l’envoi de cours et de devoirs sous format papier par les enseignants, relayés par les associations, ou encore de soutien scolaire dans les bidonvilles, comme par exemple par l’association Rencont’roms nous sur le terrain de La Flambère, à Toulouse. Andrei Nicolae, membre de cette association, a ainsi exposé l’organisation du soutien scolaire : « pendant le premier confinement, tous venaient au soutien scolaire, même ceux qui n’étaient pas scolarisés. Nous faisions de la lecture, du français, des mathématiques, du sport, etc. Certains enfants ont appris les couleurs, d’autres ont même appris à lire et nous avons continué à aller chercher des enveloppes dans les collèges toutes les semaines. Nous faisions même les cours avec un professeur grâce à une tablette. Les enseignants nous ont beaucoup aidés. Le soutien scolaire était important à mettre en place car les enfants n’avaient rien. La situation était compliquée car beaucoup d’élèves étaient en décrochage scolaire et rencontraient des problèmes avant même le confinement. Nous ne voulions pas que la situation s’empire pendant le confinement. »

Une mère de famille logée en hôtel social a également mis en place des cours de soutien pendant le confinement pour les enfants. Mme Aminata Coulibaly a ainsi raconté que « la continuité pédagogique a été le révélateur des difficultés scolaires que les enfants vivaient à l’hôtel. Les devoirs restaient dans le hall, sur la table de la réception, même lorsque le personnel d’accueil les remettait aux parents. [...] Je me suis rendu compte que ces personnes étaient allophones, analphabètes ou très peu instruites. J’ai organisé au sein de l’hôtel des cours de soutien avec des personnes hébergées, que j’avais repérées et qui avaient la capacité d’aider ces enfants. Nous avons été épaulés par Annabelle. Les cours se sont mis en place et ont suscité un engouement véritable. Cela a permis, alors que les décrocheurs étaient déjà nombreux avant le confinement, d’arrêter la saignée, que d’autres ne décrochent pas, que ceux qui avaient perdu le goût de l’école se remotivent et que les enfants en ayant besoin soient soutenus. Nous avons pu encadrer 32 enfants pendant le confinement. »

Ces initiatives ont d’ailleurs perduré, une fois le confinement terminé, afin d’accompagner la scolarité des enfants en grande précarité. Elles constituent une forme d’héritage positif de la crise sanitaire, qui a permis de faire émerger des solidarités, de favoriser des actions venues du terrain, qu’il importe de soutenir et d’accompagner.

Il faut par ailleurs noter qu’en septembre 2020, la DIHAL, en lien avec la délégation interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, a déployé un programme de médiation scolaire pour renforcer les actions d’accompagnement des familles et des enfants en bidonvilles vers et dans l’école. Plus de trente nouveaux médiateurs, actuellement en cours de recrutement, vont intervenir auprès des enfants vivant en bidonvilles, sur quinze territoires, avec pour missions d’identifier les mineurs en âge d’être scolarisés, de sensibiliser les familles à l’enjeu scolaire, de faciliter les démarches d’inscription et l’accueil dans les établissements, de soutenir la persévérance scolaire... Près de 2 000 enfants supplémentaires devraient ainsi être accompagnés dans leur scolarité au cours de l’année scolaire 2020-2021. La rapporteure souligne l’intérêt et la pertinence de ce dispositif de médiation scolaire et appelle de ses vœux son renforcement au cours des années à venir.

Propositions : Augmenter le nombre de médiateurs scolaires déployés auprès des familles en bidonvilles

Soutenir les initiatives d’accompagnement scolaire déployées sur le terrain

● Un autre enjeu du confinement a été l’accès à l’eau pour les populations vivant en campement, en bidonville ou en squat ; cet aspect a pris une résonance particulière dans la cadre de la crise sanitaire, puisqu’il est absolument impossible de respecter les gestes barrières en l’absence d’eau. Il s’agit donc, dans la situation actuelle, autant d’une question de dignité que de santé publique.

La crise sanitaire a eu un effet déclencheur et accélérateur en la matière, en conduisant nombre de communes à réaliser des opérations de raccordement à l’eau de campements et bidonvilles, notamment suite aux interventions de l’État et d’associations. Mme Manon Fillonneau a ainsi souligné : « après plusieurs années à réclamer un accès à l’eau dans les squats et les bidonvilles, nous nous sommes rendu compte que cet accès était possible, dans des délais relativement rapides, pour un coût peu élevé. Des organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires comme Solidarité internationale et Action contre la faim ont apporté des solutions techniques (telles que des citernes d’eau ou des raccordements au système de la ville), permettant à beaucoup de bidonvilles d’être raccordés à l’eau, même si cela ne s’est pas toujours fait dans les standards. »

Ces raccordements à l’eau constituent là encore un legs positif de la crise sanitaire, sous réserve que ces opérations soient poursuivies et qu’il n’y ait pas d’expulsion des bidonvilles ainsi raccordés.

La rapporteure souligne l’importance de la question de l’accès à l’eau pour les campements et bidonvilles, et estime indispensable d’instaurer un véritable « droit à l’eau », dans le prolongement d’une proposition de loi qu’elle avait déposée aux côtés de plusieurs de ses collègues sous la précédente législature ([189]) ; ce texte imposait notamment aux collectivités territoriales de prendre les mesures nécessaires pour satisfaire les besoins élémentaires en eau potable et assainissement des populations résidant sur leur territoire dépourvues de branchement à l’eau potable.

Proposition : Instaurer un véritable droit à l’eau potable et à l’assainissement, pour garantir le raccordement aux réseaux des campements et bidonvilles

● En dernier lieu, doit être évoqué l’enjeu des expulsions. Pendant la crise sanitaire, fort logiquement, la trêve hivernale des expulsions locatives, fixée chaque année du 1er novembre au 31 mars, a été prolongée : d’abord jusqu’au 31 mai 2020 ([190]), puis jusqu’au 10 juillet 2020, fin de l’état d’urgence sanitaire ([191]). Cette trêve hivernale s’applique à nouveau depuis le 1er novembre dernier.

L’interdiction des expulsions locatives s’est traduite par une forte diminution de leur nombre en 2020, selon les chiffres prévisionnels publiés par le Gouvernement, avec 3 500 expulsions, contre 16 700 recensées en 2019, soit une diminution de près de 80 %.

Pour autant, selon les informations figurant dans un rapport de la Ligue des droits de l’homme (LDH) ([192]), les expulsions sur des lieux de vie informels ont été mises en œuvre pendant le confinement, essentiellement sur le territoire du Calaisis et de Grande-Synthe, le procureur de la République de Calais se bornant à indiquer pour justifier une décision d’expulsion : « rien ne me prouve que ces gens sont malades. On invite les gens qui occupent illicitement un terrain à le quitter. »

Par ailleurs, le déconfinement le 11 mai, puis la fin de l’état d’urgence sanitaire se sont accompagnés d’une forte reprise des expulsions des lieux de vie informels : 295 ont eu lieu depuis le 10 juillet 2020, selon ce rapport publié en novembre. Mme Manon Fillonneau a ainsi souligné : « Ces expulsions ont généré un brassage des populations, malvenu sur le plan sanitaire. 90 % ont concerné des lieux de vie où vivaient des enfants. Les relogements ou les mises à l’abri n’ont pas été suffisants. Des lieux de vie raccordés à l’eau ont été expulsés. Or nous le savons tous, toute expulsion génère un nouveau bidonville, où il faut recommencer à zéro, notamment pour l’accès à l’eau. »

La rapporteure juge nécessaire que les expulsions locatives et sur des lieux informels soient suspendues pendant les périodes de crise sanitaire, plus larges que les seules périodes couvertes par l’état d’urgence sanitaire.

Proposition : Interdire les expulsions locatives pendant les périodes de crise sanitaire, au-delà des seules périodes d’état d’urgence sanitaire

C.   une amplification indispensable des politiques publiques en faveur des enfants et de leurs familles

● Les pouvoirs publics ont indéniablement déployé des mesures de soutien fortes et massives à destination des entreprises et des ménages pour faire face à une crise sanitaire et économique sans précédent.

Le principal soutien apporté aux revenus des ménages a pris la forme du dispositif d’activité partielle ([193]), adapté dans le cadre de la crise sanitaire, permettant de maintenir l’emploi et les revenus des salariés, ainsi que du versement des indemnités journalières de sécurité sociale pour les salariés gardant leurs enfants. S’y ajoute également le fonds de soutien pour les travailleurs indépendants. Par ailleurs, d’autres dispositifs ont été mis en œuvre, notamment le plan dit « Un jeune, une solution », destiné à faciliter l’insertion et l’accompagnement des jeunes, détaillé infra, ainsi que des mesures en faveur de la formation, au sein du plan de relance.

Néanmoins, dans l’ensemble, les mesures déployées pour faire face à la crise actuelle s’avèrent largement fléchées vers les entreprises – que ce soit par le fonds de solidarité des entreprises, les garanties d’emprunt, les allègements massifs de fiscalité, les plans sectoriels, les dispositifs prévus dans le plan de relance présenté en septembre dernier... Ainsi, le Rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2021, qui décompose le plan de relance par canal macroéconomique, évalue à seulement 10 %, sur les 100 milliards d’euros du plan, la part des dépenses de soutien aux ménages.

Les dépenses destinées à soutenir les revenus des ménages apparaissent moins prioritaires et beaucoup plus en retrait, alors même que la crise sociale qui débute sera sans nul doute violente et qu’il est indispensable d’aider et d’accompagner les plus fragiles et les plus vulnérables.

● Outre la prorogation et le versement automatique des prestations assurés par les caisses d’allocations familiales lors du confinement ([194]), plusieurs mesures ont été prises depuis le début de la crise sanitaire en direction des familles et des foyers modestes :

 une aide exceptionnelle de solidarité de 150 euros versée en mai dernier ([195]), pour les foyers percevant le revenu de solidarité active (RSA) ou l’allocation spécifique de solidarité (ASS), majorée de 100 euros par enfant à charge, et de 100 euros pour les familles bénéficiaires des allocations personnalisées au logement (APL) ne percevant pas le RSA ou l’ASS ; plus de 4,1 millions de foyers et de familles modestes, dont près de 5 millions d’enfants, y étaient éligibles, pour un coût estimé à 880 millions d’euros ;

– une aide de 200 euros versée en juin 2020 et fléchée vers les jeunes ([196]) : elle était destinée aux étudiants, boursiers ou non boursiers, qui avaient perdu leur emploi ou leur stage du fait de la crise sanitaire, aux étudiants originaires des outremers isolés dans l’Hexagone, qui n’ont pu rentrer chez eux, ainsi qu’aux jeunes non-étudiants de moins de 25 ans bénéficiaires d’APL et sans enfant à charge. Ces jeunes bénéficiaires des APL ont été plus de 533 000 à percevoir cette aide, selon les données transmises par le ministère des solidarités et de la santé. En prenant en compte les étudiants bénéficiaires de l’aide, celle-ci a été versée à environ 800 000 jeunes, pour un coût total de 160 millions d’euros ;

– la majoration de 100 euros de l’allocation de rentrée scolaire (ARS) ([197]), pour aider les familles à faire face aux dépenses de la rentrée ([198]) : le montant de l’ARS a ainsi été porté à 504 euros pour un enfant de 15 à 18 ans, et à 470 euros pour un enfant de 6 à 10 ans ; 3 millions de familles, comptant 5 millions d’enfants, bénéficient de l’ARS. Le coût de la majoration a représenté environ 600 millions d’euros ;

– le renouvellement de l’aide exceptionnelle de solidarité pour les foyers modestes et les jeunes, versée à la fin du mois de novembre ([199]) : peuvent notamment en bénéficier les personnes percevant le RSA et l’ASS, ainsi que celles bénéficiant de l’aide personnalisée au logement (APL), si elles ont au moins un enfant à charge ou bien si elles ont moins de 25 ans (apprentis, étudiants salariés ou non étudiants) ; les étudiants boursiers, au nombre de 740 000, bénéficient également de cette aide. Celle-ci est de 150 euros, majorés de 100 euros supplémentaires par enfant à charge, pour les bénéficiaires de minima sociaux et les jeunes de moins de 25 ans mentionnés supra, et elle est de 100 euros par enfant en charge pour les titulaires d’APL qui ne touchent pas les minima sociaux. Cette aide exceptionnelle inclut donc les jeunes et son montant total atteint 970 millions d’euros, au bénéfice de 4,7 millions de foyers.

Compte tenu de la mise en place du deuxième confinement le 30 octobre dernier, avec la mise à l’arrêt de certains secteurs et établissements, le Gouvernement a également pris une nouvelle mesure le 26 novembre dernier, à destination des travailleurs précaires, saisonniers, intermittents ou extras, avec une garantie de ressources de 900 euros par mois jusqu’en février 2021 ([200]). Cette garantie de revenu minimum s’appliquera sur les mois de novembre, décembre, janvier et février et devrait bénéficier à près de 400 000 travailleurs précaires, dont 70 000 jeunes.

Par ailleurs, plusieurs mesures ont été prises à destination des personnes sans abri pendant le confinement, avec notamment l’ouverture de 30 000 places d’hébergement supplémentaires et 50 millions d’euros de chèques services distribués à 120 000 personnes sans domicile fixe et sans ressources pour des dépenses d’alimentation et d’hygiène.

● Plusieurs mesures ciblées sur les ménages et les familles les plus modestes ont donc été mises en place au cours des derniers mois ; pour autant, face à l’ensemble des mesures de soutien à l’économie, les montants budgétaires en jeu apparaissent relativement modiques, et ne semblent pas à la hauteur des besoins.

La faiblesse des moyens dévolus aux ménages dans le cadre du plan de relance a d’ailleurs été soulignée par les associations caritatives. Mme Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde France, s’exprimait en ces termes devant la commission d’enquête : « le plan de relance, qui prévoit 0,8 % pour les pauvres, est une occasion ratée de montrer que nous voulons une société qui n’oublie personne. Nous entendons la nécessité de soutenir les entreprises, mais il est très ennuyeux de laisser 10 millions de citoyens sur le bord de la route. »

Compte tenu de l’ampleur des conséquences sociales de la crise actuelle, que les témoignages des associations caritatives rendent très tangibles, et du creusement des inégalités qu’elle occasionne, la rapporteure estime nécessaire de renforcer les aides apportées aux plus vulnérables, en augmentant leur montant et en élargissant le champ de leurs bénéficiaires – le bénéfice des aides exceptionnelles de solidarité pourrait ainsi être étendu aux familles percevant l’allocation de rentrée scolaire. La brutalité de la crise que nous traversons pose inévitablement la question de l’accès des jeunes de moins de 25 ans aux minima sociaux, et donc au RSA (voir infra).

Proposition : renforcer les aides versées aux ménages les plus précaires et aux jeunes, dans le prolongement des aides exceptionnelles de solidarité, en élargissant leurs critères et leur montant, et déployer un véritable plan de soutien des revenus des plus modestes

● La rapporteure souhaiterait également formuler deux propositions plus spécifiques. En premier lieu, comme l’a souligné Mme Marie-Aleth Grard, présidente d’ATD Quart Monde France, lors de son audition, il n’apparaît pas satisfaisant que les appels téléphoniques aux caisses d’allocations familiales (CAF) et à la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), tout comme aux services des impôts d’ailleurs, soient payants, particulièrement pendant la crise sanitaire, alors qu’il s’agit de services publics. Mme Grard observait ainsi que « certaines personnes en situation de pauvreté qui font l’objet de ruptures de droits ou de changements de situation ne disposent que d’une carte de téléphone prépayée et ces appels leur ont coûté une fortune. Nous avons bataillé avec des opérateurs téléphoniques pour obtenir des cartes de téléphone et des téléphones. Les factures de téléphonie des personnes les plus défavorisées dans notre pays durant cette période sont un vrai scandale. »

Proposition : Instaurer la gratuité des appels des particuliers vers les services des caisses d’allocations familiales et les caisses primaires et nationale d’assurance maladie

Par ailleurs, la rapporteure s’interroge sur la récente fusion, en novembre 2019, de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), avec le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) – cette fusion devant prendre la forme de la création, à partir de l’ONPES, d’un comité scientifique permanent directement rattaché au CNLE.

Elle semble se traduire par un repli des activités statistiques de l’ONPES, alors que cet observatoire, créé en 1998, avait pour objet de rassembler les données relatives à la pauvreté, la précarité et l’exclusion, les faire connaître et faire réaliser des études, recherches et évaluations sur ces sujets. Mme Marie-Aleth Grard a d’ailleurs souligné lors de son audition que l’ONPES était « certes, rattaché au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), mais ne dispos[ait] pas du tout des mêmes moyens. Il est très dommageable de ne plus disposer de chiffres exacts. » Elle indiquait d’ailleurs qu’ATD Quart Monde avait été sollicité par le secrétariat d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé (avant le remaniement de juillet dernier), qui lui demandait les chiffres des personnes que l’association accompagnait, et soulignait que la vocation de l’association n’était pas de chiffrer le nombre de personnes en situation de précarité, suite à la disparition de l’observatoire. L’affaiblissement des moyens statistiques de mesure de la pauvreté est en tout état de cause très regrettable, alors même que nous traversons une crise sociale de grande ampleur et qu’il importe de pouvoir en mesurer les effets.

Proposition : Renforcer les moyens statistiques de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), désormais intégré dans le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE)

D.   Les associations caritatives : un rôle essentiel à consolider

1.   Un rôle très important lors la crise sanitaire, qui doit être soutenu

● Lors du confinement, et plus largement lors de la crise sanitaire, les associations caritatives ont assuré et assurent encore un rôle essentiel dans le soutien et l’accompagnement des citoyens les plus vulnérables, par la distribution d’aide alimentaire et de produits d’hygiène notamment. Il semble que dans l’ensemble, les ruptures d’approvisionnement aient pu être évitées, grâce au maintien de la chaîne logistique – même si certaines sources se sont taries : par exemple, pour des raisons sanitaires, pendant le confinement, il n’était plus possible d’effectuer la « ramasse », qui consiste à récupérer les invendus auprès de la grande distribution. Les collectivités territoriales se sont mobilisées à leurs côtés, en leur distribuant des équipements de protection ou des dotations financières.

Les associations caritatives ont été contraintes d’exercer leurs missions avec un nombre moins élevé de bénévoles qu’à l’accoutumée ; en effet, les bénévoles les plus âgés, ceux de plus de 70 ans, ont généralement été mis en retrait, pour ne pas les exposer au virus. Or, du fait de la moyenne d’âge élevée au sein de ces associations ([201]), cela a conduit à mobiliser très fortement un noyau dur de bénévoles. Les Restos du Cœur ont ainsi fonctionné avec 20 à 25 % de leurs effectifs bénévoles pendant le confinement, qui se sont fortement engagés durant cette période, avec un risque d’épuisement à la clé. Ce constat illustre la nécessité d’encourager davantage l’engagement des jeunes dans ces associations.

● La crise sanitaire a mis crûment en lumière une difficulté déjà connue des associations, à savoir l’exiguïté, voire l’insalubrité de nombre des locaux qui sont mis à leur disposition par les collectivités territoriales. Cela s’avère particulièrement problématique lors d’une crise sanitaire imposant la distanciation sociale et des mesures d’hygiène, et les difficultés sont plus prégnantes encore en période hivernale, lorsque les personnes doivent attendre dehors dans le froid pour pouvoir récupérer des denrées. M. Philip Modolo, secrétaire général des Restos du Cœur, indiquait ainsi que 20 % de leurs locaux devraient être abandonnés pour rejoindre des lieux plus décents.

Les collectivités territoriales doivent s’emparer de cette problématique et proposer aux associations des locaux plus vastes et salubres, afin de répondre à leurs besoins et à l’afflux de bénéficiaires.

Proposition : Mobiliser les collectivités territoriales pour les inciter à fournir aux associations caritatives des locaux adaptés et décents

● La crise a également soulevé la question des rapports des associations avec les services administratifs, et notamment les préfectures, et celle de la coordination de leurs actions dans la gestion des aides apportées sur le terrain.

Des éléments recueillis lors des auditions, les situations semblent très hétérogènes selon les départements, avec des degrés de coordination assez variables. Mme Aurélie Mercier, chargée de projets au Secours catholique-Caritas France, a notamment indiqué sur la base d’une enquête réalisée auprès de leurs 73 délégations, avec des réponses portant sur 40 départements, que « l’analyse montre l’existence d’une coordination départementale [de l’action sociale] pilotée par le préfet ou la DDCS dans la moitié des cas. La moitié de nos délégués en étaient plutôt satisfaits. L’autre moitié d’entre eux la jugeaient insuffisante ou pas du tout utile. »

M. Thierry Couvert-Leroy, délégué national Enfants et Familles à la CroixRouge française, a quant à lui souligné qu’il était difficile d’apporter une réponse globale, « dans la mesure où chaque préfet a son usage, entre des bonnes pratiques qui s’appuient sur une coordination avec les différentes associations pour activer les uns et les autres en fonction de leurs projets [...], et des pratiques qui sont plus militaires ».

Il apparaît donc nécessaire de renforcer la coordination existante entre les services de l’État, et notamment les préfectures, et les associations caritatives, de la rendre effective dans les territoires où elle a été absente ou insuffisante, et de permettre aux associations de faire remonter les informations et les besoins de façon fluide et organisée. Il semble en tout cas que la crise ait souvent été l’occasion, sur le terrain, d’une découverte mutuelle des associations et des services, et il serait souhaitable que ces nouveaux modes de fonctionnement perdurent pour constituer une sorte de legs positif de la crise, là encore.

Plus largement, le sujet de la coordination avec les services administratifs est l’occasion d’aborder celui de l’articulation entre temps de l’urgence et temps administratif. Plusieurs exemples ont été évoqués, par exemple la transmission, souvent tardive, de consignes sanitaires contradictoires par les administrations centrales, ou encore les formalités administratives requises pour le versement des financements. Les associations, davantage accoutumées à gérer des situations d’urgence, avec des modes de fonctionnement très opérationnels, ont souligné la difficulté des services de l’État à s’adapter à l’urgence et à ses contraintes, ce qui montre aussi l’intérêt d’une plus grande coopération avec les associations. M. Philip Modolo a ainsi souligné l’importance de cet enjeu : « Pour les années à venir, le point clé résidera dans l’alignement des temps administratifs et du temps de l’urgence. L’État était présent durant cette période et a fait preuve d’une volonté évidente de nous accompagner, mais nous avons constaté un décalage parfois très marqué entre le moment où l’on doit être présent et celui où les moyens doivent être mis à disposition. Il s’agit d’un élément essentiel face à la crise économique et sociale qui nous attend. »

Proposition : Développer davantage la coordination entre associations et services administratifs dans les territoires, pérenniser les bonnes pratiques qui ont émergé pendant la crise sanitaire et développer une culture de la gestion de l’urgence dans les services de l’État

2.   Des financements nationaux et européens en hausse pour l’aide alimentaire face à l’urgence de la crise, la nécessité d’assurer une prévisibilité des moyens versés et une simplification des procédures

● Face à l’ampleur et l’urgence de la crise sociale, des financements importants ont été ouverts, tout d’abord par l’inscription de 94 millions d’euros au titre de l’aide alimentaire dans la troisième loi de finances rectificative pour 2020 adoptée en juillet dernier ; cette somme comprend 25 millions d’euros pour répondre aux surcoûts supportés par les associations d’aide alimentaire du fait de la crise, 4 millions d’euros pour des mesures spécifiques pour les outre-mer et 10 millions d’euros pour le financement des chèques d’urgence alimentaire dans les territoires en tension, auxquels s’ajoutent 55 millions d’euros au titre d’un plan d’urgence, dont 80 % des crédits ont été délégués aux services déconcentrés, afin de financer les dispositifs d’aide alimentaire généralistes et assurer le relais de la distribution des chèques services.

Par ailleurs, 100 millions d’euros ont été prévus dans le cadre du Plan de relance, pour la constitution d’un fonds d’aide aux associations de lutte contre la pauvreté ; ce plan de soutien sera mis en œuvre sur deux ans (50 millions d’euros en 2021 et 50 millions en 2022), et reposera sur des appels à projets organisés par le ministère des solidarités et de la santé. Ce fonds doit permettre de soutenir des projets de modernisation des dispositifs d’accès aux biens essentiels et des projets promouvant l’autonomie alimentaire, ainsi que d’encourager les coopérations entre les acteurs, notamment pour une meilleure utilisation des ressources.

Enfin, un accord européen est intervenu en novembre dernier pour arrêter un plan pluriannuel ambitieux de financement de l’aide alimentaire, se traduisant par une augmentation de l’ordre de 50 % des moyens alloués à l’aide alimentaire en France sur la période 2021-2027 : 869 millions d’euros sont ainsi prévus, contre 583 millions d’euros entre 2014 et 2020, dont 647 millions d’euros au titre du Fonds social européen plus (FSE+), au sein duquel le Fonds européen pour l’aide aux plus démunis (FEAD) est désormais intégré, et 132 millions d’euros au titre du plan de relance européenne pour 2020-2022, dans le cadre de REACT-EU ([202]).

Par ailleurs, et même si l’on ne dispose pas à ce stade de chiffres précis et consolidés, les associations caritatives ont souligné lors de leur audition que s’est manifestée pendant la crise une grande solidarité de la part des Français, à travers des dons supplémentaires, mais également de la part des entreprises, qui ont effectué des dons en nature et financiers.

● Si l’on ne peut que saluer la hausse des moyens alloués à l’aide alimentaire, et par là même aux associations caritatives, compte tenu de l’explosion des besoins sur le territoire français, plusieurs difficultés ont été identifiées par la rapporteure lors des auditions.

En premier lieu, l’intégration du FEAD au sein du FSE+, décidée dans le cadre des négociations du budget de l’Union européenne pour 2021-2027, suscite des inquiétudes parmi les associations caritatives. Créé en 2014, le FEAD était destiné à financer essentiellement l’aide alimentaire, alors que l’objet du FSE+ est beaucoup plus large, incluant des actions en faveur de la formation et de l’éducation, de l’emploi et de l’insertion sociale. Le secrétaire général des Restos du Cœur s’est inquiété ainsi de la moindre prévisibilité des fonds qui pourraient leur être alloués dans ce cadre au cours des années, et de la moindre visibilité financière que cela occasionnerait pour l’association, soulignant que : « finalement, un fonds européen intégralement dédié à la pauvreté sera transféré vers un fonds multi-actions dont l’arbitrage sera opéré par les pouvoirs publics français. Chaque année, l’État français choisira les dotations consacrées à telle ou telle action. Un fonds sanctuarisé sur une période de six ans nos offrant une lisibilité financière et la possibilité de nous projeter sera remplacé par un fonds à tiroirs qui générera chaque année des allers et retours avec les pouvoirs publics, afin de pouvoir continuer à bénéficier du même niveau de financement. Nous sommes extrêmement inquiets sur le niveau d’aide par rapport à celui dont nous bénéficions dans le cadre du FEAD, ainsi que sur sa pérennité. »

Le Gouvernement s’est toutefois engagé à ce que le nouveau budget européen maintienne le soutien alloué aux associations caritatives.

Proposition : Assurer une visibilité pluriannuelle par l’État des moyens alloués aux associations caritatives en matière d’aide alimentaire dans le cadre du FSE+

● En second lieu, les modalités de fonctionnement du FEAD, qui sont reconduites dans le cadre du FSE+, se traduisent par un resserrement du nombre de denrées mises à la disposition des associations caritatives et à une réponse insuffisamment adaptée à leurs besoins.

Les crédits du FEAD sont en effet destinés dans leur grande majorité à l’achat de denrées réalisé par l’établissement public FranceAgriMer au profit des quatre associations têtes de réseau nationales habilitées : la Fédération française des banques alimentaires, Les Restos du Cœur, le Secours populaire français et la Croix-Rouge française – l’autorité de gestion du FEAD étant exercée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) ([203]). La gestion assurée par la DGCS et FranceAgriMer a suscité des critiques, notamment lors d’un audit de la Commission européenne de 2016 ([204]), ce qui a conduit à l’application par la Commission européenne de corrections financières sur les appels de fonds.

Le nombre des produits faisant l’objet de passations de marchés par FranceAgriMer a été réduit au cours des dernières années, en passant de 41 à l’origine à 38 en 2018, puis à 27 depuis 2019, alors qu’une palette de produits étendue permet de proposer aux bénéficiaires de l’aide alimentaire une offre diversifiée et d’assurer un meilleur équilibre nutritionnel. Le secrétaire général des Restos du Cœur, M. Philip Modolo, indiquait ainsi : « À l’origine, nous bénéficiions de plus d’une quarantaine de produits, lesquels se réduisent systématiquement d’année en année faute de moyens affectés aux appels d’offres pour fournir aux associations les produits qui répondent à un équilibre nutritionnel. » Il s’agit d’un exemple concret de frein « que nous vivons à longueur d’année et qui nous mettent en grande difficulté puisque nous disposons de stocks de produits issus du FEAD que nous ne pouvons distribuer, car les associations départementales se lassent de cette monotonie, ce qui nous contraint à effectuer des achats de négoce grâce aux dons ».

Le secrétaire général des Restos du Cœur a souligné une difficulté particulière s’agissant du fonds REACT-EU, pour un appel d’offres de 60 millions d’euros passé en cette fin d’année 2020 ([205]), dans le cadre duquel des marchés seront passés pour seulement douze produits ; compte tenu de la hausse des financements, « si nous percevons l’ensemble de la dotation à laquelle nous avons droit, nous risquons de nous retrouver avec des milliers de palettes en stock, car les produits ne correspondent nullement à la demande liée à un équilibre nutritionnel correct et à l’augmentation des publics, pour de simples questions administratives et de moyens ».

La diminution du nombre de produits achetés s’avèrerait en effet imputable à l’insuffisance des ressources humaines et administratives au sein de FranceAgriMer et de la DGCS ; la DGCS l’a d’ailleurs indiqué d’une certaine façon, soulignant dans le cadre de travaux parlementaires que les critiques de l’audit précité de 2016 étaient justifiées, alors qu’elle ne souhaitait pas particulièrement prendre en charge cette gestion du FEAD, compte tenu du manque de personnel qualifié en la matière, et qu’elle avait dû le faire à effectifs constants ([206]).

Il apparaît donc nécessaire de renforcer les moyens humains et administratifs de la DGCS et de FranceAgriMer pour accroître le nombre de produits pouvant être acquis dans le cadre des fonds européens.

Proposition : Renforcer les moyens humains et administratifs de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et de FranceAgriMer pour accroître la palette de produits acquis au titre de l’aide alimentaire dans le cadre des fonds européens

● Les associations caritatives ont également souligné les contraintes administratives associées à la gestion des fonds alloués par les pouvoirs publics, avec des procédures lourdes, qui mobilisent des bénévoles et peuvent aussi les décourager. Ces contraintes sont d’autant plus difficiles à comprendre et à accepter dans une situation d’urgence et de crise aiguë.

À titre d’exemple, le secrétaire général des Restos du Cœur soulignait que la décentralisation de la gestion de 80 % des fonds ouverts par le Gouvernement en juillet dernier, au niveau départemental, était complexe pour une association nationale telle que la sienne : elle les a contraints à « présenter cent dossiers au lieu d’un, avec un système de subrogation pour faire en sorte que des subventions perçues par les associations départementales puissent remonter au niveau national, ce qui aboutit à une "usine à gaz". [...] Actuellement, deux personnes sont dédiées à plein temps à la simple gestion de cette opération de subventions départementales et de remontées nationales. » Par ailleurs, les montants alloués par les départements à l’association se sont avérés très hétérogènes, ce qui a conduit à un fort aléa sur les fonds versés dans l’ensemble : « alors que nous devons prévoir une situation à la fin de l’année et engager des achats de négoce et de nourriture pour faire face à la situation, nous rencontrons un aléa complet sur la somme que nous percevrons au final ».

Proposition : Alléger et simplifier les contraintes administratives pour les associations caritatives, prévoir des versements au niveau national, et non départemental, pour les associations intervenant sur l’ensemble du territoire

II.   une condition Étudiante plus que jamais prÉcaire MAIS AUSSI FORTE DE PROPOSITIONS PROPRES À LA JEUNESSE

A.   des répercussions négatives sur le niveau de vie des étudiants

Outre ses conséquences sur les conditions d’études et sur la vie étudiante, la crise provoquée par l’épidémie de Covid-19 présente aujourd’hui pour les étudiants une dimension économique et sociale. Par son retentissement sur l’activité économique, elle affecte très directement la capacité des 18-25 ans à acquérir leur autonomie et à s’insérer dans la société.

En soi, la crise sanitaire n’a pas créé la précarité des étudiants. Ainsi que le montrent les études statistiques, la fragilité économique et sociale des étudiants en France constitue un sujet de préoccupation récurrente.

D’après l’INSEE, 20,8 % des « élèves et étudiants » vivaient en 2016 sous le seuil de pauvreté (contre 19,1 % en 2012). Aux termes de l’enquête sur les conditions de vie des étudiants, réalisée en 2016 par l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE), 22,7 % des étudiants déclaraient avoir été « confrontés à d’importantes difficultés financières durant l’année ». Les statistiques de l’Observatoire établissaient par ailleurs que 30 % des étudiants avaient renoncé à des soins ou à des examens médicaux pour des raisons financières au cours des douze derniers mois. Ces données font écho au taux élevé de pauvreté de la tranche d’âge des 18-29 ans, qui atteignait 19,7 % en 2018.

Néanmoins, plus qu’une autre dégradation conjoncturelle, la crise sanitaire comporte le risque de créer durablement un contexte propice à l’aggravation de la pauvreté étudiante. Compte tenu de la gravité de cette menace pour l’avenir du pays, il importe que les pouvoirs publics engagent une action qui ne saurait avoir pour seul horizon la levée de l’état d’urgence sanitaire.

1.   Un contexte propice à la baisse du niveau de vie des étudiants

En l’absence d’un taux de pauvreté actualisé, plusieurs facteurs ou indices donnent à penser que dans le contexte de la crise sanitaire, les étudiants subissent dans leur globalité une baisse de leur niveau de vie.

En premier lieu, on observe que depuis le début de l’épidémie de Covid19, les étudiants sollicitent de manière croissante les œuvres sociales des universités et des CROUS. La Conférence des présidents des universités (CPU) fait ainsi état d’une hausse des demandes d’aides d’urgence. D’après son analyse, les aides sociales trouveraient aujourd’hui leurs limites.

En second lieu, la nouvelle enquête réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante (OVE) ([207]) rend compte de difficultés et restrictions financières pour une partie de cette population.

Ainsi, 33 % des étudiants interrogés déclarent avoir rencontré des difficultés financières pendant le confinement, dont 16,8 % davantage qu’en temps normal.

Difficultés financières rencontrées durant le confinement (en %)

28 % des étudiants interrogés affirment avoir été aidés financièrement et/ou matériellement par leurs parents, et près de 19 % déclarent avoir dû se restreindre dans l’achat de produits de première nécessité ; cette part augmente avec l’âge, atteignant 12,4 % chez les moins de 20 ans mais 20,8 % chez les 23-25 ans et 35 % chez les 26 ans et plus. 6,4 % des étudiants ont indiqué avoir connu des restrictions alimentaires pour des raisons financières. Les étudiants étrangers ont davantage connu des restrictions budgétaires (44 % d’entre eux, contre 15 % pour les étudiants français).

Le graphique ci-après établit que les difficultés financières éprouvées portaient sur le paiement des dépenses alimentaires (56 %) et l’acquittement du loyer (38 %).

Types de difficultés financières rencontrées durant le confinement (en %)

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête mettent en lumière une dépendance nouvelle ou accrue aux dispositifs d’aide alimentaire. M. Philip Modolo, secrétaire général des Restos du Cœur, indique avoir constaté que de nombreux étudiants venaient à leur rencontre dans le cadre des activités menées dans la rue par l’association, parce qu’ils ne parvenaient pas à se procurer des denrées alimentaires par leurs propres moyens. Les associations caritatives ont toutes souligné que les étudiants faisaient partie des « nouveaux publics » accueillis lors de la crise sanitaire.

De même, les éléments communiqués par la CPU font état d’un élargissement du public aidé par les universités, avec l’arrivée d’étudiants ne pouvant plus compter sur l’aide de leurs familles ou ayant perdu les petits boulots qu’ils exerçaient.

La CPU observe également que « les épiceries sociales ont dû se réorganiser pour maintenir leur activité dans un contexte de demandes accrues et des partenariats ont été réalisés avec les associations d’aide pour que les étudiants puissent les connaître et les solliciter ». Elle souligne ainsi que les épiceries sociales de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE) ont accueilli autant de bénéficiaires entre mars et juin 2020 qu’entre leur création, en 2011, et le début de l’année 2020.

Dans une certaine mesure, de telles constatations peuvent être mis en rapport avec la hausse du coût de la vie étudiante. D’après l’estimation annuelle de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) ([208]), ce dernier progresse de 3,69 % à la rentrée 2020, à raison de la hausse souvent substantielle du coût des transports et des loyers (+ 2,56 % à l’échelle nationale).

On notera que d’après l’UNEF, l’achat des masques de protection occasionne une dépense annuelle de 230,40 euros par étudiant.

2.   Un impact direct sur les ressources propres des étudiants par la perte des emplois étudiants et des stages

Il s’agit là d’une conséquence logique de la destruction d’emplois constatée depuis le déclenchement de la crise sanitaire, en mars 2020. Les « jobs étudiants », par exemple dans la restauration, sont les premiers concernés. Suivant le consensus des économistes, les emplois de la catégorie des moins de 25 ans, notamment les emplois étudiants, représentent souvent une véritable variable d’ajustement en cas de crise ou de récession. En conséquence, le taux de chômage des étudiants « réagit » plus facilement aux aléas de l’activité. En toute logique, le nombre des stages accordés aux étudiants apparaît lui aussi tributaire de la conjoncture.

Mme Yasmine Mebrouk, élue étudiante au conseil d’administration du CROUS de Montpellier-Occitanie, rapporte ainsi, au sujet de sa formation : « Au cours de l’année 2019-2020, deux promotions n’ont pas pu bénéficier de stages. En quatrième et cinquième années, ces stages ont été organisés sur la base du volontariat, et seul un tiers de la promotion a pu en suivre un. L’organisation des stages a depuis été rétablie, et tous les étudiants en bénéficieront cette année, sachant qu’un stage de longue durée est prévu de janvier à juin pour les étudiants en dernière année. » Ce signalement fait écho au constat de M. Adrien Di Rollo, étudiant en master 2 Droits de l’Homme et Union européenne à l’université de Paris-Sorbonne, qui observe pour sa part que « la recherche de stage est difficile en cette période de crise sanitaire, car les offres de stages ne sont pas aussi nombreuses qu’en situation normale ».

Or, selon une étude de l’OVE publiée en 2017 ([209]), 46 % des étudiants déclaraient en 2016 exercer une activité rémunérée en parallèle de leurs études. La moitié d’entre eux (52,3 %) travaillent ainsi « plus de six mois par an ». Parmi les étudiants qui avaient un job en parallèle de leurs études, 19,2 % d’entre eux exercent une activité « concurrente » ou « très concurrente des études » (activité non liée aux études et exercée au moins à mi-temps). Ces chiffres illustrent l’importance de ces emplois étudiants pour équilibrer leur budget, pour financer leurs études et leur permettre d’acquérir une certaine autonomie.

Le tableau ci-dessous tend à illustrer l’impact de la crise sanitaire sur l’emploi des étudiants. En effet, il établit que la période du premier confinement a coïncidé avec un recul du volume de travail parmi les étudiants déclarant une activité rémunérée, en raison des restrictions de circulation : sur les 33 % des étudiants interrogés déclarant une activité rémunérée, 38 % d’entre eux ont arrêté de travailler pendant le confinement, soit parce qu’ils ne pouvaient plus le faire (30 %), soit parce que leur employeur avait mis fin à leur contrat (8 %), et 21 % ont travaillé moins – tandis que 15 % ont travaillé davantage.

Modification de l’activité rémunérée pendant le confinement (en %)

B.   Des mesures prises en soutien des revenus et du logement Étudiants, À conforter et À inscrire dans la durÉe

La dégradation de la situation économique et sociale causée par la crise sanitaire a poussé les pouvoirs publics à prendre, dans l’urgence, des mesures de soutien général à l’activité dès le mois de mars 2020. Bien que le Parlement ait achevé l’examen du projet de loi de finances pour 2021, la rapporteure estime qu’il serait souhaitable d’envisager de nouveaux dispositifs, afin de soutenir l’accès au logement et les revenus des étudiants sur le long terme.

1.   Les mesures prises pour soutenir les étudiants pendant la crise

 Il peut être mis à l’actif du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) d’avoir mené une politique active de soutien aux étudiants dès le déclenchement de la crise sanitaire.

Cette action a d’abord consisté en l’application de mesures dérogatoires aux règles de gestion locative applicables aux résidences universitaires. Dans ce cadre, le CNOUS a ainsi décidé la levée du préavis de départ contractuel d’un mois pour les étudiants souhaitant regagner le domicile familial ([210]), ainsi que la suspension du loyer pour 120 000 étudiants dès le mois d’avril 2020 (mesure applicable pour les mois suivants en cas de non-retour dans les logements).

Les éléments rendus publics et communiqués à la commission d’enquête font également état d’une action de suivi sanitaire des étudiants isolés et de ceux confinés dans leur résidence – soit 50 000 personnes –, comportant la mobilisation des services de santé universitaires (SSU) ([211]). Afin de s’assurer de leur présence, les services des CROUS ont mené une campagne générale de recensement, fondée sur l’envoi de messages téléphoniques et électroniques, d’opérations d’appels, d’actions de porte-à-porte.

Dans ce cadre, les CROUS ont diffusé des informations sur l’évolution de l’épidémie, le respect des gestes barrières et distribué des matériels de protection.

● On notera qu’en conséquence des restrictions sanitaires, la fermeture des restaurants universitaires est intervenue dès mars 2020. La réouverture des structures n’a été réalisée qu’au cours du mois de juin 2020, mais de manière limitée.

Sur décision du Gouvernement, il a été décidé de mettre en place à la rentrée 2020 une offre de restauration à 1 euro dans les restaurants universitaires pour les étudiants boursiers (contre un prix unitaire de 3,30 euros pour tous les étudiants, quel que soit le niveau de leurs ressources). Des témoignages recueillis par la commission d’enquête, ces repas sont fortement appréciés des étudiants boursiers ; toutefois, la mise en œuvre de cette mesure a été interrompue par le deuxième confinement, le 30 octobre dernier.

● En réponse aux premières conséquences sociales de la crise sanitaire, l’État et les CROUS ont pris des mesures destinées à garantir le niveau de vie des étudiants à compter du mois de mars 2020. Cet objectif a ainsi donné lieu :

– au maintien du versement des bourses sur critères sociaux pendant le confinement, nonobstant la capacité des étudiants à justifier du respect de l’obligation d’assiduité, ainsi que l’éventuel épuisement des droits ;

– au prolongement en juillet du versement de bourses sur critères sociaux pour certains étudiants amenés à passer des concours ou examens au-delà du 30 juin ;

– à la conservation du bénéfice des bourses Erasmus + par les étudiants étrangers jusqu’au retour en France et la prise en charge des frais de rapatriement éventuellement exposés ;

– à la poursuite des contrats de vacation dans les universités ;

– à l’abondement des aides spécifiques d’urgence des CROUS de 10 millions d’euros : d’après les travaux du Sénat ([212]), les dossiers de demande ont été simplifiés et le montant maximal des aides est passé de 200 à 300 euros ; dans les premières semaines d’entrée en vigueur de la mesure, 30 % des aides servaient au paiement des loyers (pour les logements des CROUS ou du parc privé) ; le partage d’expériences au sein du réseau a permis à certaines initiatives locales d’être généralisées, comme, par exemple, le système d’e-cartes « alimentation et hygiène » mis en place à Montpellier ;

– à la création d’une aide exceptionnelle de 200 euros aux étudiants boursiers et non boursiers inscrits en formation initiale ayant subi une baisse de leurs ressources au cours de la crise, en juin dernier (cf. supra) ;

Pour leur part, les établissements universitaires ont utilisé le produit de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) ([213]) afin de financer des dépenses induites par la crise sanitaire. Selon l’avis budgétaire relatif à la mission Enseignement supérieur et recherche du projet de loi de finances pour 2021, l’usage des fonds a ainsi eu pour objet le financement des aides alimentaires et de première nécessité (10,1 millions d’euros), la lutte contre l’isolement numérique des étudiants (6,3 millions d’euros) et d’autres actions sociales (0,6 million d’euros). Au cours de la même période, 3,3 millions d’euros ont été employés pour favoriser l’accès aux soins, à la culture, au sport ou améliorer l’accueil des étudiants.

Depuis le déconfinement et la rentrée 2020, le Gouvernement a pris des dispositions afin de compléter le soutien apporté aux étudiants pendant le confinement. On citera notamment :

– la possibilité pour les établissements universitaires de prolonger des contrats doctoraux, en vertu des dispositions de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

– la revalorisation des bourses sur critères sociaux pour l’année universitaire 2020-2021 de 1,7 % (après révision des barèmes et des montants) ;

– une aide exceptionnelle de 150 euros dont doivent bénéficier les étudiants boursiers en novembre (cf. supra) ;

Ont de plus été annoncés le 26 novembre dernier :

– la création de 20 000 emplois étudiants dans les universités destinés à des étudiants exerçant des missions de tutorat, sur la base de contrats à durée déterminée de quatre mois et de 10 heures par semaine ;

– le doublement du budget alloué aux CROUS pour verser des aides financières d’urgence à des étudiants en situation de précarité, ce qui doit permettre à 45 000 jeunes supplémentaires (boursiers et non boursiers) de bénéficier d’une aide pour se loger et se nourrir, pour un montant de 56 millions d’euros sur les prochains mois.

2.   La nécessité de déployer des mesures pérennes de soutien à la condition étudiante

La rapporteure salue les mesures prises par le Gouvernement pour aider davantage les étudiants, qui traduisent une prise de conscience de leurs grandes difficultés. Elle estime toutefois qu’il ne peut être apporté de réponses durables aux besoins des jeunes que par l’application de mesures structurantes.

Ainsi que le demandent les syndicats étudiants, il semble dans un premier temps nécessaire de réformer le dispositif des bourses, en accroissant leur montant et en permettant leur versement sur douze mois, et non dix mois comme actuellement, car la précarité n’opère pas de trêve estivale.

Mais plus fondamentalement, la rapporteure estime qu’il convient de donner aux jeunes les moyens de leur autonomie quelles que soient les circonstances. C’est la raison pour laquelle elle plaide pour qu’une réflexion soit lancée sur les moyens d’assurer aux étudiants leur autonomie financière.

Proposition : Engager une réflexion sur les moyens de l’autonomie financière et matérielle des étudiants

L’amélioration de la condition étudiante passe également par le développement d’une offre de logement adaptée. Le réseau des CROUS dispose d’un parc d’environ 175 000 logements, dont les capacités d’accueil augmentent depuis plusieurs années. Le nombre de logements accessibles aux étudiants reste cependant en dessous des besoins avérés, notamment en région parisienne, d’autant que la population étudiante croît plus vite que le parc de logements du CROUS. Le pourcentage d’étudiants boursiers bénéficiant d’un logement social ne progresse pas.

Sur la période 2013-2017, 40 000 logements destinés aux étudiants ont été construits. Le Gouvernement a décidé de lancer un nouveau plan quinquennal de 60 000 logements étudiants qui s’inscrit dans la continuité du précédent, sur la période 2018-2022 ; auditionnée par la commission des affaires culturelles et de l’éducation le 20 octobre dernier, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a indiqué que la moitié de ces 60 000 logements prévus avaient été construits.

Compte tenu des besoins révélés à l’occasion de la crise sanitaire – et de leur caractère parfois très localisé –, la rapporteure juge indispensable d’achever le nouveau plan quinquennal dans les meilleurs délais et de poursuivre cet effort dans la durée, compte tenu de la croissance tendancielle du nombre d’étudiants.

Proposition : Mener à bien et dans les meilleurs délais le plan quinquennal de construction de logements sociaux pour étudiants

III.   DES CAPACITÉs d’insertion Économique et sociale À préserver

A.   Une crise de nature à rendre difficile l’obtention d’un premier poste et à nourrir un chômage des jeunes déjà élevé

● D’ores et déjà, et le constat est malheureusement bien connu, les jeunes se trouvent dans une situation plus difficile que l’ensemble de la population sur le marché du travail. Leur taux de chômage est supérieur : il atteignait 19,8 % pour les 15-24 ans en 2019, contre 8,4 % pour l’ensemble de la population, et le graphique ci-après montre une évolution sur longue période plus défavorable que pour les autres catégories d’âge.

Évolution du taux de chômage par âge de 1982 à 2019

Champ : France hors Mayotte, population des ménages, personnes actives.

Source : INSEE, enquête Emploi 2019, séries longues sur le marché du travail.

Comme le souligne un récent avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de mars 2019 ([214]), l’accès des jeunes à un emploi stable passe par des situations d’emploi sous contrats à durée déterminée (CDD) qui se renouvellent – ou pas – sur des durées de plus en plus longues, y compris pour les contractuels de la fonction publique. Cette évolution affecte très fortement les moins diplômés, mais sans épargner les jeunes plus qualifiés.

Selon les données de l’INSEE ([215]), les jeunes sont surreprésentés parmi les titulaires de contrats courts : sur l’ensemble de la population active, en 2019, 88 % étaient des salariés, et 74,6 % étaient titulaires d’un contrat à durée indéterminée (CDI), contre 9,1 % d’un CDD. Or, pour la tranche d’âge des 15-24 ans, seuls 44,6 % étaient titulaires d’un emploi à durée indéterminée – contre 78 % pour les 25-49 ans –, et 28,4 % des 15-24 ans étaient titulaires d’un CDD, contre 8,5 % des 25-49 ans.

Le graphique ci-après illustre les difficultés d’insertion sur le marché du travail, avec un taux de chômage de près de 47 % pour les jeunes non diplômés entre un et quatre ans après leur entrée sur le marché du travail, ainsi que la corrélation entre niveau de diplôme et insertion professionnelle, puisque ce taux de chômage est presque divisé par 5 pour les personnes de niveau bac + 2 ou plus.

Taux de chômage selon le niveau de diplôme et la durée
depuis la sortie de formation initiale en 2019

Lecture : en 2019, 9,6 % des personnes actives ayant un diplôme de niveau bac + 2 ou plus et ayant achevé leur formation initiale depuis 1 à 4 ans sont au chômage.

Champ : France hors Mayotte, population des ménages, personnes actives.

Source : INSEE, enquête Emploi.

L’avis précité du CESE souligne que l’âge moyen d’accès à un premier emploi stable est passé de 20 ans en 1975 à 27 ans aujourd’hui. Le recul de cet âge dans le temps tient bien sûr à l’allongement de la durée des études, se traduisant par une élévation des connaissances et des diplômes obtenus, mais il tient aussi à la dégradation des conditions d’insertion sur le marché du travail depuis les années 1980, et plus fortement encore depuis 2008.

Lors de son audition, Mme Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale du Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC), a par ailleurs souligné que les jeunes ruraux pouvaient rencontrer des difficultés plus grandes d’insertion professionnelle, indiquant : « le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) qu’a porté Bertrand Coly sur la place des jeunes dans les territoires ruraux a pointé le fait qu’un quart des jeunes de 18 à 25 ans ne sont ni en emploi ni en formation ».

Mme Nelly Vallance, présidente du MRJC, a mis en avant l’enjeu de la mobilité dans ces territoires ruraux, pour trouver un emploi et s’insérer : « les transports publics sont aujourd’hui peu présents, voire inexistants, dans les territoires ruraux. Cet éloignement géographique est un frein à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en milieu rural. »

● Alors que la situation des jeunes sur le marché de l’emploi n’était déjà pas favorable avant la crise, celle-ci affecte plus fortement ces catégories d’âge. Selon les prévisions présentées en annexe du projet de loi de finances pour 2021, l’emploi total baisserait de 920 000 sur l’année 2020, dont 800 000 pour l’emploi salarié et de 120 000 sur l’emploi non salarié. Ce sont les emplois en CDD et les contrats en intérim qui sont concernés en premier lieu, et donc les jeunes, qui en sont plus souvent les titulaires.

Comme le relève Mme Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT : « la population des jeunes actifs est plus sensible aux fluctuations économiques et davantage touchée par le chômage. Les jeunes occupent souvent des emplois saisonniers, majoritairement dans les secteurs les plus frappés par les arrêts d’embauche et par les mesures sanitaires. » M. François Salomé, président de la Jeunesse ouvrière chrétienne, souligne quant à lui que le confinement « a beaucoup touché les jeunes du milieu ouvrier qui ont très souvent des emplois à court terme, précaires ou qui sont privés d’emploi ».

Mme Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT, a également souligné que « Les rapports du CEREQ montrent que les crises dégradent la capacité d’insertion professionnelle, jusqu’à trois à cinq ans après l’obtention du diplôme. [...] Alors que le taux de chômage commençait à baisser, en s’établissant à 19,6 % fin 2019, on s’attendait à ce qu’il atteigne 26 ou 27 % fin 2020 ; il devrait encore augmenter sous le coup du second confinement. Le taux de chômage des jeunes entre un et quatre ans après la fin de leur formation initiale, qui s’élevait à 14,4 % en 2018, devrait avoisiner les 25 %. »

Ces derniers chiffres ne constituent pour l’instant que des estimations ; mais si les statistiques ne sont pas encore disponibles pour l’année 2020, il apparaît que les embauches se sont effondrées au cours du deuxième trimestre 2020 (– 45,7 %) par rapport au premier trimestre 2020, avec une baisse encore plus forte pour les CDD (– 46,6 %) que pour les CDI (– 41,3 %) ([216]).

Face à la baisse de l’activité et à l’incertitude sur les débouchés, les entreprises ont pu préférer ne pas pérenniser leur main d’œuvre temporaire, en CDD ou en intérim, ou réduire leurs embauches. Selon les données de l’INSEE, la part des personnes ayant perdu leur emploi lors du confinement est nettement plus élevée pour les 15-24 ans (9 %) que pour les 40 à 65 ans (2 %).

Part des fins de contrat pendant le confinement selon l’âge

Par ailleurs, selon une enquête réalisée par l’Union nationale des missions locales (UNML) auprès des jeunes que les missions accompagnent, sur les 30,1 % des jeunes interrogés qui étaient en emploi avant le confinement, pas moins de 42,5 % ont perdu cet emploi pendant cette période, majoritairement parce que leur employeur a mis fin à leur contrat de travail (56,6 %) ou bien du fait de fins de CDD, de missions intérimaires ou de périodes d’essai (24,7 %).

Les quelques 750 000 jeunes entrant sur le marché du travail chaque année trouvent une situation de l’emploi très dégradée en 2020, compte tenu des perspectives économiques, particulièrement dans certains secteurs très touchés tels que la restauration, l’hôtellerie, l’aéronautique, le tourisme... Il semble d’ailleurs, à partir des propos exprimés en auditions et lors de déplacements, qu’un certain nombre de jeunes préfèrent poursuivre leurs études cette année, pour différer leur entrée sur le marché du travail.

● Les jeunes en formation rencontrent également des difficultés pour réaliser leurs stages dans le cadre de leurs cursus, et alors même que les stages constituent généralement la porte d’entrée vers un premier emploi. Ce constat est valable autant pour les jeunes suivant des formations en lycée professionnel (CAP, bac professionnel) que pour ceux suivant des cursus universitaires ou en grande école – mais sans doute moins pour les jeunes en alternance, du fait de leur lien avec un employeur. Dans l’ensemble, les interlocuteurs rencontrés lors des auditions et déplacements ont indiqué que dans l’ensemble, les entreprises « jouaient le jeu » et s’efforçaient d’accueillir les jeunes, lorsque cela était possible ; néanmoins, les contraintes telles que les fermetures d’établissements imposées par les consignes sanitaires, le ralentissement de l’activité et le basculement dans le télétravail pèsent nécessairement sur les capacités d’accueil des entreprises.

Lors d’un déplacement dans le lycée hôtelier François Rabelais, situé à Dugny, il a été indiqué que priorité avait été donnée aux stages que doivent effectuer les élèves dans les classes « à examen », notamment les terminales, afin que les élèves des autres classes n’exercent pas une forme de concurrence, dans un contexte de raréfaction des offres de stages. La situation est particulièrement complexe pour les établissements formant les jeunes en hôtellerie-restauration, alors que ce secteur est très affecté par les restrictions sanitaires et que les établissements (hors restauration collective et restauration à emporter) sont fermés depuis le 30 octobre dernier.

Ces difficultés à effectuer les formations pratiques suscitent d’ailleurs l’inquiétude des jeunes lycéens rencontrés, et notamment la crainte de ne pas être suffisamment préparés à exercer leur métier et d’être moins bien formés que leurs prédécesseurs. Ces jeunes ont d’ailleurs exprimé une préoccupation plus large, propre à leur formation, celle d’arriver sur un marché de l’emploi très dégradé dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.

Au cours d’un déplacement de la présidente de la commission à Toulouse, et à l’occasion d’une rencontre avec des jeunes suivis par les missions locales, nombre d’entre eux ont fait état d’une interruption de leurs parcours de formation, lors du confinement, et du redémarrage difficile à l’automne – ce qui est nécessairement accentué par le deuxième confinement mis en œuvre depuis le 30 octobre. Selon les informations fournies par M. Jean-Patrick Gille, président de l’UNML, les formations ont été interrompues pendant le confinement pour plus de la moitié des jeunes accompagnés par les missions locales, en dépit de l’effort réalisé par les organismes de formation en termes de distanciel ; M. Gille soulignait d’ailleurs que la situation était différente pour l’alternance car le lien subsistait avec l’employeur.

De façon générale, les jeunes se montrent inquiets pour leur avenir et nombre d’entre eux se demandent à quoi bon faire des efforts, alors que la société ne leur permettra peut-être pas d’exercer leur métier et ne leur offrira pas d’emploi durable. Ils rencontrent des difficultés à se projeter dans l’avenir, et leur découragement est bien souvent palpable, avec à la clé un risque de renoncement à leur parcours d’apprentissage ou à leurs études universitaires.

B.   Des mesures d’ampleur prises pour favoriser leur insertion professionnelle, dans le cadre du plan « un jeune, une solution »

● Face au constat d’une jeunesse particulièrement affectée par les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire, le Gouvernement a mis en œuvre un plan spécifiquement destiné aux jeunes, intitulé « Un jeune, une solution », présenté le 23 juillet dernier par le Premier ministre.

Doté de 6,7 milliards d’euros, il doit permettre d’accompagner les jeunes de 16 à 25 ans afin de faciliter leur entrée dans la vie professionnelle, de les orienter et les former vers les secteurs et les métiers d’avenir et d’accompagner les jeunes éloignés de l’emploi en construisant des parcours d’insertion. Plusieurs dispositifs existants – notamment la garantie jeunes, les contrats initiative emploi – sont fortement étoffés, tandis que de nouveaux dispositifs incitatifs, avec des aides pour les embauches de jeunes recrutés d’ici début 2021 et pour les contrats en alternance, sont mis en place.

Les principaux dispositifs du plan « Un jeune, une solution »

1. Faciliter l’entrée dans la vie professionnelle

Une aide à l’embauche de 4 000 euros, par le biais de compensations de charges, pour tout jeune recruté entre août 2020 et janvier 2021.

Une aide exceptionnelle à l’apprentissage, de 5 000 euros pour recruter un alternant de moins de 18 ans (en contrat d’apprentissage ou de professionnalisation) et de 8 000 euros pour recruter un alternant de plus de 18 ans.

Des emplois francs « plus » pour les jeunes résidant en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), portant la prime à 7 000 euros la première année, puis 5 000 euros les années suivantes, dans la limite totale de trois ans, pour un recrutement en CDI ; et à 5 500 euros la première année, puis 2 500 euros l’année suivante, dans la limite totale de deux ans, pour un recrutement en CDD d’au moins six mois.

100 000 missions de service civique supplémentaires pour permettre à des jeunes de s’engager dans des associations, dont 20 000 en 2021 et 80 000 en 2021.

Le recrutement de 1 000 jeunes dans les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) sur des métiers centrés autour de la transformation écologique (« VTE verts »).

2 000 emplois FONJEP en appui des associations pour favoriser leur développement ou leur consolidation.

2. Orienter et former les jeunes vers les secteurs et les métiers d’avenir

100 000 nouvelles formations qualifiantes ou pré-qualifiantes qui seront proposées aux jeunes sans qualification ou en échec dans l’enseignement supérieur, dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC).

16 000 formations supplémentaires dans le secteur du soin (infirmiers, aides-soignants et auxiliaires de vie) pour accompagner la mise en œuvre du Ségur de la santé et du plan Grand âge.

35 000 formations numériques pour les jeunes non qualifiés en 2020 et 2021.

Des parcours individualisés pour 35 000 décrocheurs entre 16 et 18 ans, dont 30 000 en 2021.

40 000 places supplémentaires pour poursuivre des formations en études supérieures, en CAP et BTS à la rentrée 2020.

Le doublement du nombre d’élèves bénéficiaires des cordées de la réussite et des parcours d’excellence.

3. Accompagner des jeunes éloignés de l’emploi en construisant des parcours d’insertion sur mesure

120 000 dispositifs supplémentaires d’insertion dans l’emploi, fondés sur les parcours emploi compétences (PEC) et les contrats initiative emploi.

Une augmentation de 50 % des places en garantie jeunes, soit 50 000 accompagnements complémentaires.

80 000 parcours contractualisés d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) supplémentaires.

Un doublement de l’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) mis en place au sein de Pôle emploi, soit un total de 240 000 bénéficiaires.

3 000 places supplémentaires dans le dispositif SESAME, accompagnement sur mesure vers les métiers du sport et de l’animation.

● Les mesures présentées en juillet dernier, qui se sont concrétisées dans le projet de loi de finances pour 2021 ([217]), ont par ailleurs été complétées par les annonces effectuées le 26 novembre dernier par le Gouvernement. Outre les aides exceptionnelles prévues pour les saisonniers et extras et la création de 20 000 jobs étudiants, évoquées supra, le plan « Un jeune, une solution » va être renforcé, avec le doublement en 2021 du nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes, au lieu d’une augmentation de 50 % : ce nombre devrait ainsi atteindre 200 000. La ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, Mme Elisabeth Borne, a par ailleurs évoqué un dispositif spécifique pour les jeunes en fin d’études ne trouvant pas d’emploi : ils bénéficieront d’un accompagnement par l’APEC ou Pôle emploi, ainsi que d’un soutien financier le temps de la recherche, jusqu’à 500 euros par mois.

● Plusieurs personnes auditionnées par la rapporteure ont salué les mesures contenues dans ce plan, et notamment la « boîte à outils » qu’il constituait pour les entreprises et les acteurs œuvrant en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes. M. Jean-Patrick Gille, président de l’UNML, a ainsi indiqué : « [ce plan] nous dote d’une boîte à outils très large avec, notamment, la réactivation des emplois aidés, bien que les emplois d’avenir n’aient pas été remis en place, dans une volumétrie augmentée, ce qui nous permet de mettre les parcours des jeunes en œuvre en cherchant la solution adéquate ». Les mesures prises en faveur de l’apprentissage ont été particulièrement saluées (cf. infra). Les organisations syndicales représentant les salariés ont toutefois regretté que les mesures décidées par le Gouvernement ne prévoient pas de contreparties sociales de la part des entreprises. Mme Angeline Barth, secrétaire confédérale de la CGT, a ainsi indiqué : « nous regrettons que les mesures décidées par le Gouvernement ne comportent pas de contreparties sociales ni de contreparties sur la masse salariale globale de l’entreprise. Certes, il s’agit de mesures d’urgence, mais elles auraient gagné à être plus structurantes. »

Le Medef a quant à lui souligné que les mesures du plan semblaient bien calibrées et répondaient au besoin de simplification des dispositifs et des circuits de décision ; il a toutefois pointé le manque de lisibilité des prérogatives des différents acteurs, notamment du fait de la création d’un comité de pilotage ad hoc du plan, alors que cette mission pourrait être assurée par les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (CREFOP).

La rapporteure salue le déploiement de ce plan, mobilisant une large palette de mesures, et complété en cette fin de mois de novembre ; il conviendra d’en évaluer les effets et l’efficacité, d’ici quelques mois, notamment sur l’insertion et le taux d’emploi des jeunes de 15-29 ans.

L’on peut toutefois s’interroger sur les difficultés à déployer certains dispositifs, particulièrement dans le contexte du nouveau confinement. La création de 100 000 nouvelles missions de service civique, dont 80 000 pour 2021, correspond à une hausse de plus de 55 % par rapport au nombre de missions réalisées au cours des deux dernières années (de l’ordre de 140 000 missions par an). Il importera de veiller au maintien de la qualité des missions proposées aux jeunes volontaires, dans le cadre de cette forte augmentation : en tout état de cause, les missions de service civique ne sauraient remplacer un emploi, ni un stage, ni s’apparenter à un emploi déguisé.

La rapporteure souligne également la nécessité d’assurer que les crédits votés dans le cadre du plan « Un jeune, une solution », notamment ceux ayant trait à la garantie jeunes et au dispositif PACEA, parviennent suffisamment tôt aux missions locales. Lors de son audition, le président de l’UNML a souligné que « en temps normal, les dialogues de gestion ont lieu en juin et les crédits votés en décembre arrivent en septembre dans les missions locales. Si nous voulons augmenter nos capacités, notamment en garanties jeunes, ce qui nécessite des locaux, il convient d’investir aujourd’hui. Nous sommes un réseau basé sur des associations avec des fonds de roulement de trois mois, qui servent à couvrir les délais de versement de l’État. Il est heureux que les régions nous financent avant. Faute de perspective et d’avance de fonds, les structures ne s’engageront pas au regard de la prise de risque. »

Proposition : Assurer un versement accéléré des crédits aux acteurs de l’insertion au titre des dispositifs du plan « Un jeune, une solution », notamment la garantie jeunes et le PACEA, pour une mise en œuvre réactive

De façon plus générale, lors de leur audition, les associations représentant les jeunes ont regretté que le plan « Un jeune, une solution » ne porte que sur les aspects d’insertion professionnelle des jeunes, et ne comprenne pas de dispositifs d’urgence pour accompagner les jeunes se trouvant en situation de précarité, ni de dispositifs plus larges portant sur la vie des jeunes, en termes d’engagement, de loisirs ou encore de mobilité. L’on aurait en effet pu espérer que ce plan en direction des jeunes ait une ambition plus large, au-delà des seuls enjeux d’insertion professionnelle, et la rapporteure appelle de ses vœux une telle extension du champ des dispositifs en faveur des jeunes, par l’adoption de mesures plus structurantes.

Rencontre avec des jeunes suivis par la mission locale de Toulouse
dans le cadre de la garantie jeunes

Aurélie, 25 ans, diplômée d’un master en conseil et expertise en action publique de l’Institut d’études politiques de Toulouse depuis janvier 2020, s’est exprimée en ces termes, alors que le confinement a interrompu sa recherche d’emploi :

« Le confinement a complètement coupé ma recherche d’emploi et les processus de recrutement dans lesquels j’étais engagée, seulement deux mois après l’obtention de mon diplôme. J’ai été totalement sans ressources, sans famille à Toulouse. Si mon compagnon ne m’avait pas hébergée, je ne sais pas comment j’aurais pu m’en sortir. L’enfermement dans un petit appartement et cette dépendance étaient très anxiogènes. J’ai vécu plusieurs deuils dans cette période, ne pas pouvoir rejoindre ma famille dans le Nord a été particulièrement dur à vivre. [...] Le fait de ne pas avoir pu trouver un emploi, même à visée alimentaire, a été très frustrant. J’étais jugée trop qualifiée pour certains emplois dans les secteurs qui ont recruté durant la période ou comme n’ayant pas assez d’expérience pour les quelques offres publiées dans le domaine du conseil en action publique, devenu du fait de la rareté des recrutements encore plus sélectif qu’auparavant. Le déconfinement a aussi rimé avec reprise douce de l’activité économique. Certaines offres d’emploi réapparaissent mais évidemment beaucoup moins qu’avant le confinement. Les offres contiennent des critères plus exigeants, notamment sur l’expérience... pourtant difficile à obtenir si personne n’embauche les jeunes diplômés. De plus, je me suis retrouvée sur le marché du travail avec les jeunes diplômés en juin. Si on me demandait ce qu’a changé la pandémie et comment j’envisage le futur proche et à moyen terme, je serais forcée de répondre que je suis beaucoup moins enthousiaste pour mon avenir professionnel et celui du pays que je ne l’étais il y a quelques mois. J’ai perdu une partie de l’espoir que j’avais et j’ai bien conscience d’avoir assisté à une période de troubles forts et dont les conséquences ne se font pas encore toutes sentir. »

C.   l’accent porté sur le soutien à l’apprentissage

Un des volets importants du plan « Un jeune, une solution » réside dans le soutien apporté à l’alternance, avec une prime exceptionnelle versée à l’employeur de 5 000 euros par an pour un apprenti mineur et de 8 000 euros pour un apprenti majeur, pour tous les nouveaux contrats d’apprentissage signés entre le 1er juillet 2020 et le 28 février 2021. Cette aide vise à soutenir la dynamique de l’apprentissage engagée au cours des dernières années, alors que les entrées ont augmenté de 16 % entre 2018 et 2019, et que le nombre d’apprentis atteignait 491 000 jeunes en 2019.

● Des propos recueillis en audition, il ressort que dans l’ensemble, les centres de formation d’apprentis (CFA) et les entreprises ont pu s’adapter aux contraintes issues de la crise sanitaire pour permettre aux jeunes de suivre leurs formations, et que le taux de décrochage serait resté limité. M. Pascal Picault, vice-président de la Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis (FNADIR), a ainsi évalué le taux de décrochage à l’été dernier à environ 4 à 5 %, avec des pics à 10 % selon les secteurs, notamment les plus touchés comme la restauration ; il s’agit toutefois d’une estimation établie au travers de remontées ponctuelles, qui n’est pas étayée par des statistiques globales à ce stade.

M. Jean-Philippe Audrain, trésorier de la FNADIR, a souligné que les CFA ont mis en place un accompagnement très varié, autour de situations complexes : des apprentis ont été maintenus en présentiel par les entreprises, y compris sur les temps de CFA, en particulier dans celles dont l’activité relevait de l’effort national. À l’inverse, dans d’autres cas, les jeunes se trouvaient en chômage partiel et les CFA devaient travailler sur la suite de leur formation, afin de favoriser au mieux le développement des compétences, alors même que l’activité en entreprise n’était pas acquise. Certains jeunes ont pu toutefois se trouver bloqués dans leur parcours, car l’entreprise où ils accomplissaient leur alternance était fermée ou qu’ils ne trouvaient pas de place d’apprenti.

Les interlocuteurs entendus ont souligné les difficultés rencontrées actuellement dans les CFA, notamment dans les internats, avec l’apparition d’un sentiment de découragement chez certains apprentis, lors du deuxième confinement. Mme Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente en charge de l’éducation et de la formation de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), a ainsi souligné que « les difficultés quotidiennes sont telles que nous sommes en train de perdre des élèves. Pour présider sept CFA, je peux vous dire que l’augmentation progressive du taux de rupture, ces dernières semaines, nous inquiète particulièrement. Avec le deuxième confinement, beaucoup ont perdu confiance. Nous sommes très inquiets pour leur intégration, dans la mesure où la plupart sont encore en période d’essai. »

 En tout état de cause, la pertinence des aides à l’alternance de 5 000 et 8 000 euros – qui ont permis de « sauver la rentrée » pour reprendre les termes de la FNADIR – a été saluée par l’ensemble des personnes auditionnées, même si certaines d’entre elles ont souligné les risques d’effets d’aubaine pour les employeurs.

Mme Marie-Christine Oghly, présidente de la commission éducation et formation du Medef, a ainsi rappelé que 314 000 nouveaux contrats d’apprentissage avaient été signés depuis le début de l’année 2020, soit un chiffre proche de celui de l’an passé, alors que 320 000 nouveaux contrats d’apprentissage avaient été signés entre janvier et fin septembre 2019. Elle a également souligné l’engagement des branches, mais aussi les disparités selon les secteurs : « certaines [des branches] ont d’ores et déjà annoncé qu’elles dépasseraient leurs résultats de l’an passé, notamment l’agriculture, l’agroalimentaire et le bâtiment. Toutes notent l’impact positif de la prime alternance sur les recrutements depuis la rentrée et considèrent que, sans cette mesure exceptionnelle, la situation aurait été catastrophique. Les situations varient selon les secteurs d’activité. Si la tendance générale est à la stabilisation des effectifs d’alternants, les secteurs les plus touchés par la crise, comme le tourisme et l’hôtellerie-restauration, ne seront pas capables de maintenir le même nombre de contrats qu’en 2019, dans la mesure où ils cherchent, avant tout, à sauvegarder les emplois existants. »

Par ailleurs, pour tenir compte des difficultés liées à la conjoncture dégradée, le délai de signature d’un contrat d’apprentissage avec une entreprise a été prolongé, passant de trois à six mois : les jeunes entrés en formation entre le 1er août et le 31 décembre 2020 disposent ainsi d’un délai de six mois pour trouver une entreprise avec laquelle signer un contrat d’apprentissage. Ils peuvent ainsi rester en CFA sans contrat pendant six mois, et durant cette période, le CFA est financé pour assurer son accueil.

● Plusieurs enjeux et difficultés ont toutefois été soulevés s’agissant de l’apprentissage.

En premier lieu, il a été souligné que la couverture sociale des jeunes en CFA n’ayant pas encore trouvé de contrat avec une entreprise était incertaine et fragile, et qu’il était nécessaire de la clarifier, pour déterminer de quelle manière elle était prise en charge. Il en va de même d’ailleurs pour les jeunes se trouvant en prépa-apprentissage ([218]), qui constitue un dispositif manifestement bien adapté et apprécié des acteurs et des jeunes, mais dont la couverture sociale est incertaine. Les missions locales intervenantes peuvent mobiliser des garanties jeunes et assurer une couverture sociale et une indemnisation pour vivre la prépa-apprentissage, mais ce n’est pas systématique.

Proposition : Clarifier la prise en charge de la couverture sociale des jeunes apprentis qui n’ont pas encore signé leur contrat avec une entreprise et ceux en prépa-apprentissage

Il a également été souligné que le prolongement du délai de trois à six mois était en effet bienvenu, mais qu’il ne résolvait pas le problème financier des jeunes apprentis, qui se trouvaient sans indemnité tant qu’ils n’avaient pas signé de contrat. M. Pascal Picault, vice-président de la FNADIR, a ainsi relevé qu’il s’agissait « d’une question majeure pour les jeunes en CFA dans la mesure où suivre une formation implique des revenus pour financer les déplacements, l’hébergement et la restauration. Les jeunes qui ne vivent pas chez leurs parents et sont les plus démunis subissent une rupture nette. La mesure a réglé la question du statut et sécurisé la présence en CFA, mais n’a aucunement traité la problématique sociale du jeune décrocheur. »

D.   Des pistes à explorer afin de soutenir les jeunes : pour l’ouverture du RSA aux jeunes en cette période de crise et pour le renforcement de l’accès aux droits

1.   La nécessité d’ouvrir le bénéfice du RSA aux moins de 25 ans

● Le sujet a été abordé à de multiples reprises au cours des auditions, notamment par les associations de jeunesse, les syndicats étudiants et les associations caritatives : l’ampleur de la crise actuelle, qui prive de ressources un grand nombre de jeunes, plaide pour l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans ([219]).

Il s’agirait d’une mesure permettant de répondre à l’urgence sociale, pour éviter que ne basculent dans la grande précarité un grand nombre de jeunes, notamment ceux qui ne peuvent bénéficier du soutien de leur famille. Elle s’inscrirait aussi dans une logique de droits, afin de ne plus considérer les jeunes comme des « mineurs sociaux ». Ainsi que le relevait M. Bertrand Coly, conseiller du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse du CESE, ce débat n’est pas nouveau : « Le Commissariat général au plan disait dès 2001 dans le rapport Charvet qu’il fallait changer de logique en arrêtant de considérer le jeune entre 18 et 25 ans comme un enfant devant être pris en charge par sa famille, et en le traitant comme un citoyen à part entière. Un certain nombre de familles n’ont plus la capacité d’accompagner ces jeunes du fait de la crise, il faut donc absolument reconsidérer la situation, proposer un droit à la formation et à l’éducation et, plus globalement, aller vers une logique de droits pour faire entrer les jeunes dans la solidarité nationale. »

La crise actuelle offre en quelque sorte l’occasion de remettre ce sujet au cœur des débats, en insistant également sur les enjeux de l’accompagnement des jeunes – sachant que le RSA comporte un parcours d’accompagnement, mais qui pourrait être renforcé et adapté pour les jeunes, en s’appuyant par exemple sur les missions locales, les établissements pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE) ou encore le réseau des écoles de la deuxième chance. Cet enjeu de l’accompagnement des jeunes a été souligné à plusieurs reprises lors des travaux, par exemple par M. Paul Mayaux, vice-président de la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), qui précisait que l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans devait être « couplée à un accompagnement humain renforcé qui s’avère plus que primordial. En effet, les jeunes demandent à pouvoir disposer d’un accompagnement qui soit à la fois humain et financier. »

Proposition : Ouvrir le bénéfice du revenu de solidarité active aux jeunes de moins de 25 ans

● La rapporteure juge également nécessaire de renforcer et élargir les dispositifs proposés dans le cadre du plan « Un jeune, une solution ».

En premier lieu, la rapporteure s’interroge sur le ciblage des dispositifs prévus par le plan « Un jeune, une solution », qui concernent les jeunes de 16 à 25 ans. Compte tenu des conditions d’entrée sur le marché du travail, avec le recul de l’âge d’obtention d’un emploi stable, une réflexion sur l’extension de leur application, jusqu’à 30 ans, semble pertinente.

Proposition : Étudier l’extension de l’application à la tranche d’âge des 25-30 ans de tout ou partie des dispositifs prévus dans le cadre du plan « Un jeune, une solution »

● S’agissant de certains des dispositifs mobilisés dans le cadre du plan, la rapporteure juge qu’il serait souhaitable d’assouplir leurs critères d’éligibilité, afin de toucher des jeunes dont les besoins s’inscrivent pleinement dans le champ de ces mesures mais qui, pour des raisons administratives, ne peuvent pas en bénéficier.

Ainsi, selon les informations transmises par les missions locales, les jeunes sortant de l’ASE ou les MNA sont en théorie éligibles à la garantie jeunes, mais il est quasiment impossible de monter leur dossier administratif en raison des difficultés liées aux documents et à la résidence.

Il apparaîtrait également souhaitable de ne plus apprécier la situation des jeunes au regard de la situation de leur foyer fiscal lorsqu’ils sont toujours rattachés fiscalement à leurs parents. Selon les informations transmises à la rapporteure, les missions locales sont amenées à refuser l’accès à certains dispositifs pour des jeunes qui sont pourtant en réelle situation de précarité et alors que ces dispositifs pourraient répondre à leurs besoins d’accompagnement.

Proposition : Étudier l’assouplissement des critères d’éligibilité aux dispositifs d’insertion, notamment la garantie jeunes, afin de pouvoir intégrer les jeunes les plus en difficulté

2.   La nécessité d’améliorer l’accès des jeunes à leurs droits et de lutter contre le non-recours

● Enfin, de façon plus structurelle, la crise actuelle soulève la question de l’accès des jeunes à leurs droits, et du problème du non-recours aux dispositifs et prestations auxquelles ils pourraient prétendre.

Il s’agit d’un enjeu essentiel, dont la prise en compte s’avère assez tardive en France. Une récente revue de littérature réalisée sous l’égide de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) ([220]) souligne que « par rapport à d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les Pays-Bas, cette prise en compte publique du non-recours est relativement récente en France et s’inscrit dans un processus encore incertain. Dans le champ des politiques de jeunesse, l’intérêt pour le non-recours semble plus récent et plus fragile encore. » Un avis du CESE avait notamment abordé ce sujet en 2012 ([221]), alors que plusieurs travaux avaient mis en évidence ce phénomène de non-recours et s’étaient efforcés de le quantifier – ce qui par construction est une tâche difficile – tant dans l’ensemble de la population que chez les jeunes. Par exemple, le taux de non-recours au RSA-activité a été estimé au début des années 2010 à 68 % ([222]), celui à la CMU-C a été évalué à 24 % chez les 18-25 ans éligibles à ce droit ([223]).

Le premier baromètre de la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), réalisé par l’INJEP en 2016, a abordé ce sujet et montrait que le non-recours aux droits pouvait potentiellement concerner plus de la moitié des jeunes. Il établissait une corrélation entre vulnérabilité et nonrecours : les jeunes déclarant s’être retrouvés en situation de non‑recours se retrouvent davantage parmi les jeunes peu ou pas qualifiés, ni en emploi, ni en formation (28 %), parmi les chômeurs (27 %) et les jeunes percevant des bas revenus (26 %), ce qui conduit les auteurs à souligner que la part des jeunes se disant concernés par le non-recours diminue au fur et à mesure que leur niveau de vie s’améliore.

Le baromètre 2019 de la DJEPVA montre d’ailleurs que le niveau de connaissance des jeunes sur les prestations sociales est très inégal : si 83 % des jeunes ont connaissance de l’existence du RSA, et 85 % des APL, cette part se limite à 45 % pour les bourses sur critères sociaux, 33 % pour les dispositifs de caution pour les logements, de 28 % pour l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS) et seulement 25 % pour la garantie jeunes.

Selon ce même baromètre 2019, le manque d’informations sur les aides et les personnes à qui s’adresser est le premier facteur du non-recours avancé par les jeunes (32 %), devant le découragement devant l’ampleur et la complexité des démarches à suivre (14 %). La revue de littérature précitée estimait par ailleurs que le non-recours par non-connaissance s’expliquait moins par une absence de démarche que par les difficultés rencontrées par les jeunes dans l’accès, la compréhension et la mobilisation de l’information.

● Il apparaît donc essentiel de développer l’information sur les droits et dispositifs auxquels les jeunes peuvent prétendre et la rendre plus accessible, en utilisant les outils plébiscités par les jeunes, par exemple les applications sur smartphone. Ce renforcement de l’information doit en premier lieu concerner les dispositifs portés par le plan « Un jeune, une solution » ; le Gouvernement a d’ailleurs réalisé des efforts en ce sens, en créant un site internet spécifique présentant le plan. Il importe en effet que les jeunes aient connaissance des dispositifs d’insertion qui correspondent à leurs besoins et qu’ils se les approprient. Cela passe également par une démarche d’« aller vers » les jeunes, pour que chacun, même les plus vulnérables, les moins connectés, puisse être informé de ses droits. Cet enjeu du non-recours soulève par ailleurs la question des jeunes dits « invisibles », ou « sous les radars », pour reprendre des expressions entendues en audition, que les acteurs de l’insertion et de l’accompagnement social ne parviennent pas à identifier et à toucher.

Une expérimentation, intitulée « la Boussole des jeunes », a par ailleurs été engagée dès 2016, précisément afin d’améliorer l’accès des jeunes de 16 à 30 ans à l’information et à leurs droits, notamment dans les domaines de l’emploi, de la formation, du logement ou encore de la santé. Sur ces différentes thématiques, il s’agit de présenter aux jeunes, à partir d’un mini-questionnaire, une offre de services simple à comprendre et à mobiliser, mise en avant par des acteurs du territoire. L’intéressé peut alors choisir parmi les propositions celle qui présente le plus d’intérêt pour lui au moment de sa consultation, et demander à être contacté directement par le professionnel auteur de l’offre, dans un délai garanti. Cette boussole a donné lieu à des expérimentations dans plusieurs territoires, mais n’est pas déployée à l’échelle nationale.

Mme Inès Minin, secrétaire nationale de la CFDT, a regretté le manque de communication sur cet outil, qui aurait pu être très utile pendant la crise sanitaire : « Cette Boussole a pris la forme d’un site internet qui devait être généralisé dans toute la France. Mais nous n’en avons pas de nouvelles. Aucune communication n’a été faite à destination des jeunes, qui ne connaissent pas cet outil, ce qui est d’autant plus regrettable qu’il aurait pu être très pratique pendant la crise, pour entrer plus facilement en relation avec ceux qui peuvent les accompagner. On constate que les opérateurs sont prêts à accueillir les jeunes, mais que ceux-ci, par ignorance, ne vont pas vers eux. »

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement, a précisé à la commission d’enquête que son administration travaillait sur cette « Boussole des jeunes » pour lutter contre le non-accès aux droits, et que cet instrument devrait être mis en place au début de l’an prochain.

Propositions : Développer largement la communication sur les dispositifs et droits auxquels les jeunes peuvent prétendre, en utilisant les outils numériques, déployer une démarche d’« aller vers » les jeunes pour leur faire connaître leurs droits

Déployer la Boussole des jeunes au niveau national dans de brefs délais


  1  

   Quatrième partie – replacer les enfants et les jeunes
au cœur des politiques publiques, privilégier une
méthode horizontale, s’appuyant sur les acteurs
dans les territoires, afin de favoriser
des dynamiques vertueuses

Le rapport l’a souligné et la quasi-totalité des personnes auditionnées l’ont mis en avant. La crise sanitaire révèle le sentiment d’un manque général de concertation : trop de verticalité dans l’organisation des politiques publiques et les prises de décisions.

Pourtant au cours de la crise, des solutions sont venues du terrain. Un exemple plutôt éclairant en est l’« opération jardins », lancée par Autisme France, qui a extrêmement bien fonctionné. Il a été demandé aux familles disposant de grands jardins, équipés si possible, de prés ou d’autres espaces, de les mettre à la disposition des enfants en situation de handicap et des adultes accompagnants. Cette opération a constitué une bonne expérience solidaire, beaucoup d’aide a été apportée par ce biais aux familles d’enfants en situation de handicap. Toutefois, les mairies n’ont pas voulu en porter la responsabilité, à l’exception de la mairie de Saint-Denis.

Au-delà, la crise sanitaire a également été un vecteur de nouveaux liens et de rapprochements entre des acteurs de l’Éducation nationale et des éducateurs, entre des parents d’élèves et des professeurs... La crise sanitaire, au-delà des immenses difficultés générées, a également vu l’émergence de nouvelles solidarités, de nouveaux partenariats protéiformes et nés des territoires.

Ces expériences horizontales réussies n’ont malheureusement pas souvent servi de base à de nouvelles approches systémiques. S’il y a un seul exemple à donner, c’est celui de la rentrée d’octobre, où ont été finalement annulées les seulement deux heures données aux professeurs pour préparer les nouveaux protocoles et organiser l’hommage national au professeur Samuel Paty assassiné le 16 octobre, soit le dernier jour avant les vacances scolaires. Au contraire, l’institution s’est empressée de retrouver une forme de normalité qui ne laisse pas place à l’initiative et à l’échange.

Cette quatrième partie vise à tracer quelques perspectives en ce sens, et à répondre au constat lui aussi formulé tout au long des auditions, à savoir l’insuffisance de la prise en compte des enfants et des jeunes dans les politiques publiques. Pour reprendre l’expression de M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré, il faut « mettre de l’enfance partout » : « Nous mettons l’écologie au cœur des politiques, il faut faire de même avec l’enfance. Chaque décision doit être pensée sous le prisme des populations vulnérables, à qui l’on donne peu la parole, pour répondre à leurs besoins et les accompagner au mieux. Cette question est déterminante dans tous nos choix, qu’il s’agisse de la santé, de l’école ou du sport. Nous devons changer la manière d’envisager cette population vulnérable et il est important que des politiques portent cette question. »

I.   modifier la composition du conseil scientifique pour garantir la prise en compte des enjeux propres aux enfants et aux jeunes

A.   Un conseil scientifique aux larges prérogatives consultatives et à l’influence importante

Le conseil scientifique Covid-19 a été mis en place dès le 10 mars 2020 afin d’éclairer la décision publique dans la gestion de la crise. Il permet au Gouvernement de disposer des dernières informations scientifiques afin de l’aider dans ses choix.

Cette instance pluridisciplinaire a pour mission de donner des avis étayés sur l’état de la crise sanitaire et les mesures envisagées pour y faire face. Il est consultatif et dépourvu de fonction opérationnelle. Ainsi, il rend des avis simples, qui ne lient pas le Gouvernement, en toute indépendance. Il a été officialisé par le décret du 3 avril 2020, sous le nom de comité de scientifiques constitué à titre de l’urgence sanitaire en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

L’article L. 3131-19 du code de la santé publique issu de cette loi dispose en effet qu’« en cas de déclaration de l’état d’urgence sanitaire, il est réuni sans délai un comité de scientifiques. Son président est nommé par décret du Président de la République. Ce comité comprend deux personnalités qualifiées respectivement nommées par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ainsi que des personnalités qualifiées nommées par décret. Le comité rend périodiquement des avis sur l’état de la catastrophe sanitaire, les connaissances scientifiques qui s’y rapportent et les mesures propres à y mettre un terme, y compris celles relevant des articles L. 3131-15 à L. 3131-17, ainsi que sur la durée de leur application. Ces avis sont rendus publics sans délai. Le comité est dissous lorsque prend fin l’état d’urgence sanitaire. »

Le président du conseil scientifique, l’infectiologue M. Jean-François Delfraissy, a eu et continue d’avoir une influence importante, y compris directement auprès de l’opinion publique. Il a orienté les comportements par ses interventions fréquentes dans le débat public.

B.   remédier à l’absence de spécialistes de l’enfance et de la jeunesse au sein du conseil scientifique, en intégrant un pédopsychiatre et une personne désignée par le défenseur des enfants

● Entre le 12 mars et le 14 novembre 2020, le conseil scientifique a produit 28 avis sur des sujets d’ordre général touchant à l’épidémie ou sur des sujets plus spécifiques – EHPAD, critères de sortie de confinement, territoires d’outre-mer ou encore enfants, écoles et environnement familial.

Le conseil réunit une douzaine de membres en fonction des entrées, des sorties et des absences excusées. La majorité des membres sont des infectiologues, des virologues ou des épidémiologistes. Il compte également une anthropologue, un sociologue mais aussi un modélisateur.

Or, seul un médecin immunologue, M. Jean-Laurent Casanova, est spécialisé en pédiatrie parmi les membres de ce conseil ; il a participé aux travaux, à compter du 2 avril 2020, à quelques reprises et sur des problématiques liées à la santé. En revanche, le conseil scientifique n’a pas véritablement pris en compte la dimension psychique de la crise sanitaire, et encore moins cette dimension chez l’enfant.

Par ailleurs, aucun professionnel de l’enfance ou même représentant des jeunes eux-mêmes n’a jamais pris part aux travaux du conseil, étant entendu que si ce conseil s’appuie sur une expertise scientifique, il a formulé des recommandations qui touchent à tous les aspects de la vie de nos concitoyens, et notamment des plus jeunes.

● Lors de son audition devant la commission d’enquête, M. Adrien Taquet, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, s’est engagé à faire remonter l’interrogation de la rapporteure quant à l’absence de pédopsychiatres et de spécialistes de l’enfant au sein du conseil scientifique. Il a cependant ajouté que « même s’il n’y a pas de pédopsychiatres et de pédiatres au sein du conseil scientifique, nous nous appuyons très régulièrement sur les avis de la Société française de pédiatrie ».

La rapporteure propose tout de même d’y intégrer un pédopsychiatre, afin d’évaluer l’incidence de chaque décision sur la santé psychique des enfants et des jeunes, outre leur santé physique. Cette personnalité pourrait être un véritable référent « enfants » du conseil.

Proposition : Intégrer un pédopsychiatre au sein du conseil scientifique

Par ailleurs, en dehors du psychisme, l’intérêt de l’enfant doit être appréhendé dans toutes ses dimensions – l’enfant au sein de la famille, l’enfant à l’école mais également l’enfant en relation avec ses pairs. Or, il semble que l’intérêt supérieur des enfants, prévu à l’article 3-1 ([224]) de la convention internationale des droits de l’enfant, n’a pas été une priorité dans les décisions prises face à la crise sanitaire. Cela ne signifie pas qu’on ne s’en est pas préoccupé, mais le respect des droits des enfants n’a pas été intégré en tant que tel à l’ensemble des réflexions menées. La présence d’une personnalité proposée par le Défenseur des enfants, en son sein pourrait permettre de défendre une vision globale du droit des enfants.

Proposition : Intégrer une personnalité proposée par le Défenseur des enfants au sein du conseil scientifique

II.   renforcer les acteurs accompagnant l’enfance et la jeunesse : Remettre des moyens humains à tous les niveaux et les valoriser à hauteur de l’importance de leurs missions

A.   Des acteurs de l’enfance À bout de souffle : un système qui repose plus sur l’abnégation des personnes que sur la solidité des structures

Pour de nombreux acteurs de l’enfance, professions très liées aux contacts humains, la crise sanitaire est arrivée dans un contexte professionnel fortement dégradé. Les conditions de travail déjà très difficiles en temps ordinaire sont devenues intenables. Plusieurs acteurs ont souligné ce fait lors de leur audition. Le rapport reviendra infra sur le cas de quelques professions particulièrement emblématiques de la crise qui touche les professions à forte dimension humaine.

Outre les conditions de travail, toutes ces professions ont en commun un sentiment de non-reconnaissance de la part des citoyens et plus encore des pouvoirs publics. La crise a toutefois eu l’avantage de mettre leur travail dans la lumière avec pour symbole les applaudissements quotidiens à destination des personnels soignants.

Ces personnels ont pu être perçus comme des héros combattants. Si ces femmes et ces hommes ont pu ressentir pour certains d’entre eux une certaine satisfaction dès lors qu’ils ont été perçus comme bataillant à leurs risques et périls pour les autres, endosser le costume du héros peut s’avérer dangereux à moyen et long termes. En effet, ces personnels ont dû puiser dans leurs ressources physiques et psychiques. Ils sont arrivés exsangues à la fin du premier confinement et ont retrouvé un quotidien stressant en étant encore fragilisés par les combats passés.

Leur demande face au manque de moyens n’a toujours pas été entendue par les pouvoirs publics ; si le Ségur de la santé a prévu des mesures en faveur des personnels de la santé, le secteur médico-social n’a pas été pleinement inclus dans cette démarche. Beaucoup peuvent alors voir dans leur héroïsation un marché de dupes. En effet, le héros combattant est une sorte de demi-dieu qui se distingue par son courage hors du commun, sa grande abnégation et son sens du sacrifice. Il part au combat avec d’autant moins de moyens qu’il est courageux et fort et souffre en silence sans demander d’aide.

Il apparaît qu’un tel système n’est pas tenable. Les travailleurs n’ont pas vocation à voir leur nom inscrit dans la mythologie mais souhaitent simplement exercer leur profession dans des conditions dignes. De plus, un grand pays se distingue par la solidité de ses structures et non par l’abnégation et le sens du sacrifice de ceux qui y travaillent, quelles que soient leurs qualités personnelles.

B.   Remettre de l’humain à toutes les échelles, revaloriser et renforcer les acteurs intervenant auprès de l’enfance et des jeunes

 Il est nécessaire de remettre de l’humain partout, et prioritairement dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. En effet, ce sont la plupart du temps des métiers de contacts, de relations interpersonnelles et d’échanges de la parole. Le bienfait qu’apporte un taux d’encadrement élevé n’est pas quantifiable mais les fléaux sociaux et le coût pour la société dans son ensemble d’un désengagement des pouvoirs publics sont quant à eux visibles tous les jours, et notamment dans les quartiers populaires.

Ces professions intervenant auprès des enfants et des jeunes sont particulièrement à revaloriser, du point de vue de leur rémunération, mais aussi en termes de reconnaissance, au regard de leur rôle essentiel au sein de notre société. À titre d’exemple, selon un rapport de l’Organisation de développement et de coopération économiques (OCDE) datant de septembre 2019, la rémunération des enseignants français est de 7 % inférieure à celle de la moyenne des pays de l’OCDE et l’écart se creuse encore – leur rémunération ayant diminué de 6 % depuis 2010, date du gel du point d’indice de la fonction publique et de la mastérisation. On a demandé aux enseignants d’avoir un niveau de qualification plus élevé tout en les rémunérant moins. La crise des vocations y a trouvé un puissant accélérateur. Au-delà des annonces du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, il convient d’ouvrir d’ores et déjà des négociations sérieuses avec les syndicats enseignants, notamment en vue d’augmentations de rémunération pérennes afin de freiner la désaffection envers les métiers liés à l’enfance et à la jeunesse.

La revalorisation de ces professions doit aussi s’accompagner d’une réponse à leurs besoins matériels pour accomplir leurs missions : en cela, la crise sanitaire a révélé chez de nombreux professionnels, notamment dans le secteur médico-social ou encore dans les PMI, le manque d’équipements informatiques et téléphoniques, ce qui a constitué un réel frein à l’exercice de leur métier dans le contexte du confinement. Il est indispensable d’équiper les personnels à hauteur de leurs besoins.

Proposition : Équiper l’ensemble des personnels du secteur médico-social et des travailleurs sociaux du matériel informatique et téléphonique nécessaire

Au cours des développements précédents, la rapporteure a souligné la nécessité de renforcer les acteurs de l’aide sociale à l’enfance et les acteurs de la santé des enfants et des jeunes – alors que nombre d’entre eux rencontrent de graves difficultés, qu’il s’agisse des centres de PMI, des pédopsychiatres ou encore de la médecine scolaire et universitaire.

La rapporteure préconise, de la même façon, de renforcer les autres acteurs intervenant auprès de la jeunesse, et notamment les enseignants et les enseignants spécialisés qui interviennent dans les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED).

 S’agissant des enseignants, la fermeture de la totalité des écoles le 16 mars a été très inattendue et a entraîné les enseignants et la hiérarchie administrative dans une sorte de chaos. L’école n’était pas prête à affronter cette situation. Le confinement aura mis en lumière l’adaptabilité, l’inventivité de la profession, mais aussi l’impérieuse nécessité de tirer des enseignements de cette période.

La rapporteure a déjà développé supra les problématiques liées à l’Éducation nationale. À ce stade, il convient simplement de rappeler une évidence que le confinement a mise en lumière, s’il en était besoin : l’école à distance a démontré qu’il ne suffit pas de transmettre des consignes pour que les apprentissages soient effectifs. La classe favorise les interactions entre élèves, entre élèves et enseignants, et permet toute la variété des dispositifs pédagogiques, particulièrement pour les élèves les plus éloignés de la culture scolaire.

C’est pourquoi il est impérieux de baisser le nombre d’élèves par classe, notamment dans les quartiers défavorisés, les inégalités ayant augmenté dès lors que certains élèves ont bénéficié de l’aide de leurs parents plus disponibles quand d’autres sont restés de longs mois sans apprentissage et parfois même sans entendre ou parler la langue française.

Sans revenir plus avant sur les questions d’éducation, la rapporteure recommande d’ouvrir le recrutement des listes complémentaires d’enseignants immédiatement, afin de pallier toutes les difficultés révélées ou aggravées par la crise sanitaire.

Proposition : Ouvrir le recrutement des listes complémentaires des concours d’enseignants

● Les enseignants et les psychologues des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED) dispensent des aides spécialisées aux élèves d’écoles maternelles et élémentaires en grande difficulté. Leur travail spécifique, complémentaire de celui des enseignants dans les classes, permet d’apporter en équipe une meilleure réponse aux difficultés d’apprentissage et d’adaptation aux exigences scolaires qu’éprouvent certains élèves.

L’objectif de l’école est de développer les potentialités de tous les élèves, de les conduire à la maîtrise du socle commun de connaissances, de compétences et de culture en assurant pour chacun d’entre eux les conditions de sa réussite. La difficulté, inhérente au processus même d’apprentissage, est prise en compte quelle que soit sa nature. Les membres des RASED – enseignants spécialisés et psychologues – apportent une aide spécialisée à dominante pédagogique, rééducative et un suivi psychologique.

Une partie des enfants ont laissé derrière eux leur statut d’élève et le comportement qui en découle. Les enseignants se trouvent confrontés à des enfants qui ont perdu des habitudes de travail. À la suite du confinement, ils ont de grandes difficultés à retrouver le cadre scolaire et à reprendre leur statut d’élève, avec beaucoup de difficultés d’attention. Les relations au sein de la classe parmi les autres sont beaucoup plus compliquées. Une perte d’autonomie et une difficulté à rester assis ont également été constatées. Les psychologues scolaires vont être confrontés à une augmentation des demandes de diagnostic de troubles de l’attention, voire de TDAH (troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) et, partant, à la mise en place de suivis plus nombreux.

III.   multiplier les enceintes de recueil de la parole des jeunes et les associer à la définition des politiques publiques

A.   Soutenir les associations

1.   Le tissu associatif, un outil essentiel de l’expression des jeunes à renforcer financièrement

Alors qu’auparavant les conditions de rémunération des dirigeants d’associations excluaient de facto le tissu de la jeunesse, financé principalement sur fonds publics, la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté a permis aux dirigeants d’associations de jeunesse, généralement financées sur fonds publics, de percevoir une rémunération, sous réserve que celle‑ci n’excède pas le montant fixé par l’article L. 241-3 du code de la sécurité sociale, dit « plafond de la sécurité sociale ». Cette mesure d’équité peut potentiellement favoriser l’engagement des jeunes dans le milieu associatif, mais elle n’est évidemment pas suffisante.

Les associations de jeunesse, déjà en difficulté, ont subi de plein fouet les effets de la crise sanitaire. À des degrés divers, le tissu associatif subit les effets délétères de la crise sanitaire. Ainsi, cette dernière a provoqué pour de nombreuses associations, soit un arrêt d’activité plus ou moins durable, soit au contraire un afflux de sollicitations auxquels elles pouvaient difficilement répondre du fait de leur calibre.

Les associations de jeunesse interrogées ont exprimé leur inquiétude quant à la présence des bénévoles, eu égard au risque sanitaire et à une moindre disponibilité en rapport avec leur situation économique et professionnelle, mais surtout quant à la capacité à garantir l’équilibre financier des structures du fait de la menace d’une réduction des ressources et d’un épuisement des trésoreries.

La loi de finances pour 2021, si elle prévoit une hausse des ressources consacrées au développement de la vie associative en général, n’ouvre pas la voie à un sauvetage du tissu associatif de la jeunesse du fait de la modestie des montants alloués. Les collectivités territoriales, soumises également à de fortes contraintes budgétaires, ne pourront pas pallier ce manque de financements.

L’effort budgétaire, s’il est louable, sera insuffisant pour éviter la disparition d’associations de jeunesse, déjà en nombre insuffisant au regard des besoins d’encadrement et de sens qu’exprime notre jeunesse.

2.   Muscler le Haut Conseil à la vie associative

Créé par un décret du 28 juin 2011, le Haut Conseil à la vie associative (HCVA), instance de consultation placée auprès du Premier ministre, est saisi de tous les projets de lois et de décrets concernant les associations. Celles‑ci peuvent elles-mêmes, sous certaines conditions, se saisir sur toute question les intéressant. L’objectif poursuivi est d’enrichir le dialogue entre les pouvoirs publics et les associations et d’améliorer la pertinence des mesures prises.

Le HCVA a une vocation générale. Ses bilans d’activité font apparaître des préoccupations très diverses. Or, les associations de jeunesse sont très spécifiques de par leur financement mais également du fait de leurs préoccupations.

La rapporteure propose de créer un collège « jeunesse » au sein du HCVA ou à tout le moins un référent « jeunesse » à l’image du Défenseur des enfants auprès du Défenseur des droits.

Proposition : Mieux identifier la composante « jeunesse » du HCVA en créant un collège dédié

B.   mieux associer les jeunes aux décisions les concernant

1.   Favoriser le dialogue au sein de l’Éducation nationale, créer des temps de débats pour les enfants et développer une culture des droits des enfants

● À l’issue de ses auditions, la commission d’enquête a fait un constat sans appel : l’Éducation nationale est l’institution vers laquelle se tournent l’ensemble des acteurs travaillant avec ou pour les enfants et les jeunes. Celle-ci se trouve au centre de toutes les problématiques : enjeux médico-sociaux, lutte contre la pauvreté juvénile, handicap, prévention des violences de tout ordre...

À tel point qu’elle est souvent perçue comme une forteresse assiégée qui refuse de s’ouvrir aux autres acteurs. Sans revenir sur les questions éducatives développées en partie II, la rapporteure souhaite insister sur le déficit de dialogue et d’écoute des publics scolaires et universitaires. Ceux-ci ont unanimement fait le constat que s’ils étaient entendus régulièrement, ils n’étaient pas écoutés.

À titre d’exemple, au regard de la crise sanitaire et notamment de la décision de favoriser le recours à l’enseignement à distance dans les lycées à compter du mois de novembre 2020, le Conseil national de la vie lycéenne n’a pas eu de paroles fortes et ne semble pas avoir été réuni dans une optique de concertation.

La rapporteure invite l’Éducation nationale à formaliser un dialogue plus régulier avec les associations de jeunesse, à l’échelle nationale, régionale et locale. Celles-ci, si elles traitent de sujets qui vont au-delà de la seule instruction et formation, peuvent aiguillonner l’institution sur le devenir de ses publics et de ses attentes et regrets a posteriori.

Le Conseil national de la vie lycéenne – mais aussi les conseils académiques et les conseils dans chaque lycée – devront être renforcés, plus souvent sollicités et élargis à d’anciens lycéens. À l’image de ce conseil, les collégiens pourraient également être associés aux prises de décisions les concernant au moins au niveau académique.

●Par ailleurs, l’Éducation nationale constitue une enceinte privilégiée pour entendre la parole des enfants et leur donner l’occasion de s’exprimer, de débattre, de poser des questions et de formuler des propositions. Dans cette période de crise, il serait utile d’instaurer un temps d’écoute et de débat régulier, dans l’ensemble des établissements scolaires, de l’école élémentaire au lycée, sur les grands sujets d’actualité, pour permettre aux enfants de s’exprimer et de donner leur vision des choses, et de participer à la construction des décisions qui les concernent.

Cela suppose de diffuser une culture des droits de l’enfant à chaque stade de la formation initiale et continue des enseignants, et plus largement des intervenants auprès de la jeunesse, ainsi qu’auprès des enfants eux-mêmes. Il est nécessaire de sensibiliser davantage ces derniers à leurs droits, en s’appuyant sur les jeunes ambassadeurs des droits auprès des enfants ([225]) et sur le programme Educadroit déployé par le Défenseur des droits ([226]).

Propositions : Renforcer les conseils de vie lycéenne et les élargir en en faisant de véritables acteurs des décisions les concernant

Instaurer des temps de débats réguliers pour les enfants et les adolescents dans les établissements scolaires

Sensibiliser les enfants et les jeunes à leurs droits, en s’appuyant sur les jeunes ambassadeurs des droits auprès des enfants (JADE) et le programme Educadroit

Prévoir des modules de formation de recueil et de prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels travaillant au contact d’enfants et d’adolescents

2.   Prendre appui sur les structures régionales pour associer les jeunes à la co-construction des politiques les concernant

Les politiques publiques à destination de la jeunesse sont par nature transversales, et les compétences afférentes – qu’il s’agisse d’éducation, de santé, d’accès aux droits, de logement ou encore de culture – sont nécessairement partagées entre l’État, les régions, les départements et les communes.

Afin de clarifier l’exercice de ces compétences, la loi de 2017 « égalité et citoyenneté » précitée a confié à la région la coordination des politiques d’information à destination de la jeunesse.

Par ailleurs, cette même loi a introduit l’article L. 1112-23 dans le code général des collectivités territoriales, qui dispose que : « Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale peut créer un conseil de jeunes pour émettre un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de jeunesse. Cette instance peut formuler des propositions d’actions. Elle est composée de jeunes de moins de trente ans domiciliés sur le territoire de la collectivité ou de l’établissement ou qui suivent un enseignement annuel de niveau secondaire ou post-baccalauréat dans un établissement d’enseignement situé sur ce même territoire. »

La rapporteure appelle à donner sa pleine dimension à cette possibilité offerte par la loi. La crise sanitaire peut être l’occasion d’investir pleinement les dialogues structurels régionaux et de vraiment co-construire les politiques de jeunesse au niveau régional, avec les jeunes, dans ces processus regroupant les conseils régionaux, les directions régionales, les organisations de jeunesse. Les usagers ont en général des réponses assez efficaces à leurs propres problématiques. Essayons donc de faire vraiment vivre ces dialogues structurés régionaux dans les territoires.

C.   Renforcer la place des jeunes dans les organismes décisionnels ou de contrôle

1.   Lors du processus législatif, faire de l’enfance et de la jeunesse une priorité, et créer une délégation aux droits de l’enfant à l’Assemblée nationale

a.   Renforcer la clause d’impact jeunesse

L’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 dispose que sauf exception, tous les projets de loi doivent être accompagnés d’une étude d’impact.

La production d’une fiche d’impact est également requise pour tout projet de texte réglementaire – ordonnance, décret et arrêté – qui comporte des mesures nouvelles applicables aux collectivités territoriales, aux acteurs de la société civile (entreprises, public et associations) et/ou aux services déconcentrés de l’État. La méconnaissance de cette obligation expose, en théorie, le Gouvernement à un refus de la première assemblée saisie d’inscrire le projet de loi à son ordre du jour. En cas de désaccord entre cette assemblée et le Premier ministre sur le caractère satisfaisant de l’étude d’impact, le Conseil constitutionnel peut être saisi pour trancher la question sous huit jours.

La circulaire n° 5857-SG du 2 mai 2016 relative à l’évaluation de l’impact sur la jeunesse des projets de lois et de textes réglementaires a rendu obligatoire la prise en compte de la situation des jeunes dans les travaux d’évaluation préalable des textes législatifs et réglementaires préparés par le Gouvernement.

Il est inutile de souligner la fragilité juridique d’une circulaire et ce, d’autant plus qu’avec l’inflation législative et le calendrier souvent contraint dans lequel le Gouvernement prépare et le Parlement examine les projets de loi, les études d’impact sont souvent incomplètes et/ou parcellaires.

Pour y remédier, la rapporteure recommande de compléter l’article 8 de la loi organique précité afin d’y faire figurer explicitement l’évaluation des conséquences des dispositions d’un projet de loi sur les enfants et les jeunes.

Proposition : Renforcer la clause d’impact jeunesse en l’inscrivant à l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009

b.   Créer une délégation aux droits de l’enfant et à la jeunesse à l’Assemblée nationale

Une délégation parlementaire peut être créée soit par la loi, à l’image de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes créée par la loi du 12 juillet 1999 ([227]), soit par une décision de la Conférence des présidents, comme la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, mise en place en 2017.

La délégation aux droits des femmes a fait la preuve de son utilité et de son efficacité depuis une vingtaine d’années. Elle s’est saisie de nombreux projets et propositions de loi dont elle estimait qu’ils auraient un impact sur les droits des femmes et/ou sur l’égalité femmes/hommes. Elle a proposé et fait adopter des amendements, elle a alerté sur telle ou telle conséquence négative de certaines dispositions. Elle mène des missions d’information et assure une veille sur les droits des femmes.

Sur le même schéma, la rapporteure propose la création d’une délégation aux droits de l’enfant et à la jeunesse, qui porterait des propositions pour assurer le respect par nos politiques publiques de l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant.

Elle veillerait également au respect de la clause d’impact jeunesse lors du dépôt des projets de loi, et se saisirait des textes dont elle estimerait qu’ils ont des incidences pour les enfants et les jeunes.

Proposition : Créer une délégation aux droits de l’enfant et à la jeunesse au sein de l’Assemblée nationale

2.   Pérenniser la présence des jeunes au sein du Conseil économique, social et environnemental

Comme l’a rappelé la rapporteure dans la première partie du présent rapport, l’un des lieux dédiés à la prise en compte de la parole des jeunes devrait être le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Les organisations étudiantes et mouvements de jeunesse y sont présents depuis deux mandats au sein d’un groupe distinct.

Le CESE est organisé en neuf sections thématiques. Il dispose également de trois délégations, dont une délégation aux droits des femmes, une autre à l’outre‑mer et une à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques. La jeunesse et l’enfance ne font pas l’objet d’une attention particulière.

Profitant du fait que la loi organique adoptée le 15 décembre dernier ne limite plus le nombre de sections, la rapporteure propose, dans une optique prospective, de faire du Conseil un véritable outil de réflexion sur la jeunesse avec la participation la plus grande des jeunes eux-mêmes.

Proposition : Renforcer la dimension « jeunesse » du Conseil économique, social et environnemental en créant une section ou une délégation dédiée

3.   Mobiliser plus régulièrement le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse

Comme souligné supra, le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ) ne s’est réuni qu’une seule fois en formation plénière depuis le 17 mars, soit le 14 octobre 2020 ([228]). Il n’a pas permis de porter la parole des jeunes dans le débat public, soit qu’il n’ait pas été saisi par les autorités, soit qu’il n’en ait pas pris l’initiative lui-même.

La rapporteure appelle à une plus grande mobilisation de cet outil de dialogue. Il convient pour cela de prévoir dans les textes le régissant une périodicité de ses réunions plénières, sans préjudice des situations exceptionnelles comme celle que traverse le pays et sa jeunesse avec la pandémie de Covid-19.

Proposition : Mobiliser plus régulièrement le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse en prévoyant une périodicité minimale à ses réunions plénières

4.   Doter le délégué interministériel à la jeunesse de ressources propres

La direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) dispose d’une centaine d’agents et s’appuie sur des services déconcentrés en recomposition, regroupant environ un millier de personnes.

Le directeur de la DJEPVA, responsable du programme 163 Jeunesse et vie associative, est également délégué interministériel à la jeunesse, en application du décret du 9 janvier 2014 ([229]), qui lui a donné la mission ambitieuse de « coordonner la mise en œuvre des actions menées par les différents ministères en faveur des jeunes en veillant à y associer l’ensemble des acteurs et des partenaires y contribuant ».

Cependant, comme le souligne le référé de la Cour des comptes d’avril 2020 sur l’action en faveur de la jeunesse de la DJEPVA ([230]), le délégué interministériel est dépourvu de moyens propres pour coordonner des politiques sectorielles en faveur des jeunes, la Cour soulignant que « ni le positionnement, ni les moyens du délégué ne donnent de la consistance à cette fonction ». Ainsi les politiques de jeunesse restent grandement des politiques obéissant à des logiques sectorielles sans coordination. Le document de politique transversale (DPT), transmis au Parlement et intitulé « Politique en faveur de la jeunesse », traduit cette profusion des acteurs et des politiques.

La rapporteure recommande de renforcer la délégation interministérielle à la jeunesse – en la dissociant ou non de la DJEPVA –, en la dotant de moyens lui permettant d’assurer la coordination interministérielle et la recherche active de coopérations entre les administrations.

Proposition : Doter la délégation interministérielle à la jeunesse de moyens propres lui permettant de coordonner plus efficacement les différentes politiques sectorielles

5.   Créer un Observatoire national de la jeunesse

La région Bretagne dispose d’un Observatoire de la jeunesse. Il semble en effet très important de pouvoir mesurer, afin de les prévenir, les différentes difficultés auxquelles peuvent être confrontés les enfants et les jeunes. Une bonne politique ne peut pas être aveugle et doit s’appuyer sur des éléments étayés et des faits vérifiés.

L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), rattaché à la DJEPVA, réalise des travaux statistiques dans les domaines de la jeunesse, de l’éducation populaire, de la vie associative et du sport. Toutefois, ses moyens et effectifs sont limités, avec un peu moins d’un million d’euros inscrits dans le projet de loi de finances pour 2021. Il serait utile d’aller plus loin, et de créer un Observatoire de la jeunesse regroupant l’ensemble des acteurs de l’enfance et de la jeunesse, dotés de moyens d’évaluation pour analyser la situation des jeunes et les politiques qui leur sont destinées.

Le Gouvernement et le Parlement pourraient s’appuyer sur son expertise et cet Observatoire, de par sa composition et ses missions, aurait vocation à appréhender le jeune dans toutes ses dimensions, et pas seulement du point de vue de l’éducation ou de ses relations familiales.

Proposition : Créer un Observatoire national de la jeunesse et le décliner au niveau régional

IV.   Faire travailler les acteurs en réseau en s’appuyant sur les nouvelles solidarités apparues pendant la crise, sortir d’une organisation en silos et favoriser les dynamiques territoriales, au niveau des bassins de vie

● En définitive, si la crise sanitaire a révélé les limites et les difficultés soulevées par notre organisation administrative en silos, suivant une approche verticale et manquant de coordination, elle a aussi montré les possibilités d’évolution, au regard des nouvelles coopérations et solidarités qui ont émergé sur le terrain.

Dans des temps très courts et confrontés à des problématiques aiguës lors du confinement, les services de l’État sur le terrain ont en effet réussi à répondre aux situations d’urgence, en trouvant des solutions nouvelles, en travaillant en coopération avec d’autres acteurs et en faisant éclater ces silos. De nouveaux modes d’organisation ont émergé, de nouveaux liens se sont noués sur le terrain entre services de l’État, collectivités territoriales et associations, de nouvelles solidarités sont apparues, et c’est un indéniable apport de la crise sanitaire, audelà de toutes ses conséquences néfastes.

● La crise sanitaire a en effet été l’occasion de nouveaux rapprochements et de l’établissement de coopérations entre les acteurs, notamment ceux intervenant auprès des enfants, dans nombre de domaines.

La coopération établie dans la prévention des violences faites aux enfants entre le GIPED, associant l’État et les départements, et les associations de protection de l’enfance comme L’Enfant Bleu et La Voix de l’enfant, a été citée en exemple par les personnes entendues, qui ont souligné que la période de crise avait permis de constater la capacité des différents acteurs de travailler ensemble et leur complémentarité.

La mise en œuvre de nouvelles coordinations a également été mise en avant en matière d’aide sociale à l’enfance, avec la création de cellules interinstitutionnelles au niveau territorial, mettant autour de la table et faisant dialoguer les différents acteurs impliqués – assistants familiaux, PMI, départements, ARS et rectorat. De telles coopérations existaient déjà dans certains territoires, mais ce n’était pas le cas partout, et la crise a eu le mérite de les généraliser. De nouveaux liens ont également été établis entre les préfectures et les associations caritatives, pour déployer des actions de soutien au plus près des populations.

La crise sanitaire s’est aussi traduite par un resserrement des liens et l’établissement d’un dialogue qui n’existait pas ou peu jusqu’alors. Dans ce contexte inédit, qui rebattait toutes les cartes, les freins ont été levés, des barrières sont tombées. Pendant le confinement, les éducateurs de l’aide sociale à l’enfance et les enseignants ont par exemple travaillé ensemble, « les uns et les autres ont pris conscience des difficultés de leur métier respectif et, finalement, ils arrêtent de se demander qui est responsable en cas de problème, pour au contraire unir leurs forces. Tout ceci a été vécu de façon très intense pendant le confinement et, depuis la rentrée, a facilité les liens », a indiqué Mme Pauline Spinas-Beydon, des Apprentis d’Auteuil. La mise en œuvre de la continuité pédagogique a pu aussi favoriser un rapprochement entre enseignants et parents d’élèves, comme l’ont rapporté les fédérations de parents d’élèves, même si le constat n’est pas uniforme.

S’agissant des enfants en situation de handicap, selon Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, la pandémie a modifié positivement les relations entre les familles et les professionnels ; elle a indiqué : « il s’agit d’un acquis de la crise, d’après moi. Chacun a pu mieux comprendre sa part de travail et l’intérêt de mutualiser les compétences. [...] En effet, très souvent, les professionnels travaillent "dans leur coin", sans et parfois contre les familles ; mais pour une fois, tout le monde a travaillé ensemble. »

La crise sanitaire a permis l’apparition de nouvelles solidarités, d’initiatives venues du terrain, afin de trouver des solutions inédites face aux lourdes contraintes du confinement. La rapporteure a évoqué supra l’exemple de l’« opération jardins », pour accueillir les enfants en situation de handicap, ou encore les initiatives de soutien scolaire déployées dans des bidonvilles ou des hôtels sociaux. Les services de protection de l’enfance ont pu s’appuyer sur des bénévoles de tous horizons, dont le concours a été jugé très précieux, de nombreux enseignants se sont mobilisés pour apporter eux-mêmes des devoirs sous format papier à leurs élèves dépourvus d’accès à internet, des éducateurs d’établissement médicaux éducatifs se sont substitués aux tutelles pour verser des avances à des travailleurs en établissements et services d’aide par le travail (ESAT) en difficulté en allant à leur domicile, alors que certains services avaient fermé... Autant d’exemples positifs, qui illustrent les capacités d’engagement et la solidarité de nos concitoyens dans ce contexte hors normes.

● En revanche, les propos recueillis en audition et lors des déplacements laissent à penser que les administrations centrales ont plutôt travaillé comme à l’accoutumée, « dans leur couloir », ont eu des difficultés à adapter leurs modes de fonctionnement à l’urgence, et finalement ont eu de la peine à suivre les initiatives déployées sur le terrain.

En témoignent par exemple la multiplicité des protocoles et règles sanitaires définies par chaque ministère, qui n’étaient pas coordonnés et dont les divergences suscitaient des difficultés et des incompréhensions sur le terrain ([231]). À cet égard, il apparaît indispensable d’harmoniser les consignes, les règles et les protocoles sanitaires dès lors que sont concernés des pratiques et des environnements identiques – par exemple dans le domaine des activités sportives.

A également été pointée à plusieurs reprises la difficulté pour les services de l’État à fonctionner dans l’urgence, particulièrement par les associations caritatives (voir supra). Autre exemple, la diffusion des protocoles sanitaires par les ministères a été le plus souvent très tardive. M. Thierry Couvert-Leroy, délégué national Enfants et Familles à la Croix‑Rouge française, a ainsi souligné que, s’agissant des établissements de la petite enfance, les acteurs avaient reçu le guide de la direction générale de la cohésion sociale mi-septembre, alors que les établissements étaient déjà ouverts.

● Il importe donc de parvenir à faire remonter les bonnes pratiques et les coordinations qui ont émergé sur le terrain pour les diffuser dans les administrations au niveau central.

En définitive, il s’agit de proposer un véritable changement de méthode, et de substituer à la verticalité qui caractérise notre organisation administrative et politique, une approche plus horizontale, permettant de faire travailler les différents services de l’État avec les autres acteurs, territoriaux et associatifs, au plus près des territoires, au niveau des bassins de vie.

Cette démarche apparaît particulièrement nécessaire pour les politiques de l’enfance et de la jeunesse, qui sont éminemment transversales et mobilisent un grand nombre d’acteurs.

Le propos est évidemment ambitieux. Il conduit à revoir le fonctionnement de l’État, au moins en ce qui concerne les politiques de jeunesse. Il interroge la capacité des différents services de l’État à travailler en coopération au service des enfants et des jeunes, selon une démarche horizontale.

Enfin, l’enfance et la jeunesse, c’est le long terme. Il faut donner aux acteurs les moyens de travailler sur les évolutions de la société, les anticiper, en appréhender les opportunités comme les effets pervers afin que notre jeunesse puisse habiter demain un pays et un monde vivables. L’urgence n’est pas toujours sous notre nez.

 


  1  

   propositions

Première partie

Une épidémie inédite aux conséquences sur la santé des enfants
et des jeunes, aggravant et mettant en lumière leurs difficultés

Remédier aux éventuels retards constatés par la diffusion de supports informatifs et l’organisation d’une campagne de vaccination ciblée.

Définir les conditions d’une prise en charge adaptée des patients dans le contexte d’un épisode épidémique de cette nature.

Envisager l’organisation d’une fourniture durable de masques inclusifs par l’État et les collectivités territoriales.

Renforcer les programmes et outils de l’Éducation nationale ayant pour objectifs « le développement des compétences numériques, l’éducation aux médias et à l’information pour un usage raisonnable du numérique ».

Promouvoir l’exercice d’une parentalité numérique par la diffusion de supports informatifs.

Recourir à des messages ciblés, clairs et utilisant un langage adapté, en direction des enfants et des jeunes.

Utiliser davantage les vecteurs de communication utilisés par les adolescents et les jeunes adultes.

Deuxième partie

Une crise sanitaire mettant en cause la protection des droits
fondamentaux des enfants et de la jeunesse et creusant les inégalités

Établir des schémas locaux propres à garantir la permanence des soins pour les services de médecine infantile.

Créer une consultation remboursable « pédopsy famille » en libéral.

Développer les capacités d’accueil des services psychiatriques des enfants dans les établissements hospitaliers.

Engager une concertation parmi les personnels de la santé scolaire, pour parvenir à une meilleure définition de leurs missions respectives, une coordination de leurs interventions et la mise en place d’équipes pluridisciplinaires.

Nommer des psychologues de l’Éducation nationale comme conseillers techniques des directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (DASEN), afin de prendre plus systématiquement en compte la dimension psychologique des difficultés au sein de l’école.

Organiser une campagne d’information nationale rappelant expressément les conditions dans lesquelles s’exerce par principe le droit à l’avortement pendant la crise sanitaire.

Renforcer le rôle des ressources humaines au sein de l’Éducation nationale afin d’améliorer la prise en compte de la parole de la communauté éducative.

Mettre en place un plan permettant d’identifier les élèves ayant besoin d’équipements informatiques et faciliter la mise à disposition de ces équipements par les établissements scolaires.

Déployer la mise en place de lieux de proximité pour favoriser l’accès et la maîtrise des outils numériques pour tous.

Envisager la pérennisation de certaines simplifications administratives.

Examiner l’apport des nouvelles pratiques professionnelles telles que le recours accru aux outils numériques, notamment pour le maintien des liens familiaux des enfants.

Conforter les moyens de la justice des enfants et de la protection judiciaire de la jeunesse, et veiller à la revalorisation régulière des carrières de ses personnels.

Examiner la nécessité de pérenniser les instances et procédures développées à la faveur de la crise sanitaire qui favorisent le partage d’information et la coordination entre les acteurs de la protection de l’enfance.

Accélérer la mise en œuvre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour la période 2020-2022.

Progresser dans la contractualisation engagée avec les départements sur les objectifs de la Stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.

Troisième partie

La jeunesse en première ligne d’une conjoncture économique
et sociale dégradée

Prévoir la présence régulière de travailleurs sociaux dans les hôtels sociaux.

Soutenir les initiatives d’accompagnement scolaire déployées sur le terrain.

Déployer la Boussole des jeunes au niveau national dans de brefs délais.

Quatrième partie

Replacer les enfants et les jeunes au cœur des politiques publiques,
privilégier une méthode horizontale, s’appuyant sur les acteurs dans
les territoires, afin de favoriser des dynamiques vertueuses

Instaurer des temps de débats réguliers pour les enfants et les adolescents dans les établissements scolaires.

Sensibiliser les enfants et les jeunes à leurs droits, en s’appuyant sur les jeunes ambassadeurs des droits auprès des enfants (JADE) et le programme Éducadroit.

Prévoir des modules de formation de recueil et de prise en compte de la parole de l’enfant dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels travaillant au contact d’enfants et d’adolescents.

 


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   Examen en commission

Au cours de sa séance du mercredi 16 décembre 2020 à 15 heures, la commission d’enquête a procédé à l’examen du présent rapport.

Mme la présidente Sandrine Mörch. Mes chers collègues, nous achevons ensemble les travaux de la commission d’enquête avec l’examen du projet de rapport de notre rapporteure Marie-George Buffet.

Le texte de ce projet a été mis en consultation au secrétariat de la commission en début de semaine : il vous a donc été loisible d’en prendre connaissance.

Nos travaux ont débuté formellement avant l’été mais n’ont pu effectivement démarrer qu’à la rentrée de septembre. Leur déroulement a été perturbé, puisque nous avons été contraints par les nouveaux protocoles sanitaires à tenir de nombreuses réunions à distance : si c’est nettement mieux qu’une suspension, ce n’est pas l’idéal pour des échanges dynamiques.

Nous avons tout de même pu procéder dans ce laps de temps raccourci à l’ensemble des auditions que nous estimions nécessaires, soit quarante-sept au total. Nous avons également effectué deux déplacements.

Le premier, à Toulouse, juste avant le reconfinement, nous a permis de constater l’engagement de tous : celui des personnels de l’éducation nationale rencontrés lors d’une table ronde avec des élèves d’un collège dans un quartier difficile comme celui des associations œuvrant au cœur des populations les plus fragiles, notamment dans les bidonvilles et les hôtels dits sociaux.

Nous avons surtout été témoins de la grande résilience et de la formidable énergie que les jeunes déploient face aux difficultés inhérentes à la crise, qui les touchent eux plus que d’autres.

La pandémie aura au moins servi de révélateur de toutes ces énergies et de tous ces talents : ces jeunes sont désormais, comme les associations qui les soutiennent, visibles aux yeux des décideurs et des administrations. Nous ferons en sorte qu’ils le restent.

L’insertion professionnelle, sans laquelle il n’y a pas d’avenir autonome possible pour notre jeunesse, a également été au menu de notre déplacement toulousain.

La commission s’est également déplacée en Seine-Saint-Denis, où nous avons pu entendre de nombreux jeunes nous parler de leur vécu, qu’il s’agisse d’un jeune en situation de handicap, d’un élève de lycée professionnel, ou d’un sportif. La rapporteure et moi-même tenons particulièrement à la continuité de la pratique physique et sportive : il en va en effet autant du bien-être physique et psychique de nos jeunes que de la construction de leur être. Je regrette que nous ayons dû annuler, en raison de l’accélération des contaminations au mois d’octobre, la visite prévue auprès des Apprentis d’Auteuil dans le Val-d’Oise alors qu’il s’agit d’interlocuteurs quasi-permanents concernant la jeunesse.

Si ces travaux nous ont fait toucher du doigt de grandes difficultés révélées ou aggravées par la crise, et ce dans tous les domaines de la vie de nos jeunes, ils ont aussi mis en évidence certaines opportunités. Je retiendrai plutôt les secondes, pour des raisons qui tiennent peut-être à mon tempérament, mais également à ma conception de l’action politique.

Il est absolument nécessaire de généraliser les initiatives vertueuses et de soutenir ceux qui ont œuvré au bien-être des autres et ceux qui ont inventé mille procédés pour que la vie continue malgré tout : c’est là le rôle de la collectivité tel que je le conçois. De nombreux jeunes s’y sont investis, notamment ceux des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), tordant ainsi le cou à tous les préjugés ordinaires : j’y vois un effet positif et constructif de cette crise.

Quoi qu’il en soit, nous serons particulièrement attentifs aux suites politiques qui seront données aux propositions formulées dans le rapport, qui encouragent le Gouvernement à aller plus loin dans certains domaines. Elles mettent parfois en lumière des angles morts dans lesquels se retrouve toute une partie de notre jeunesse ; quelques-unes enfin soulèvent certaines questions à même de nourrir un dialogue fructueux entre pouvoirs législatif et exécutif, toujours dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Notre discussion de cet après-midi se conclura par un vote sur l’adoption du rapport par la commission d’enquête.

Si le rapport est adopté, je rappelle que sa publication ne pourra avoir lieu que passé un délai de cinq jours francs après notre réunion d’aujourd’hui, afin de se conformer au dispositif prévu à l’avant-dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au 3 de l’article 144-2 du règlement de l’Assemblée nationale.

Les rapports sur table ne sont d’ailleurs consultables que dans cette salle et ne peuvent être emportés.

Avec Mme la rapporteure, nous avons su travailler en bonne intelligence sur un sujet par essence transpartisan ; et si nous ne partageons pas toutes ses préconisations – mais tout de même bon nombre d’entre elles –, nous nous rejoignons sur le fond. Nous pouvons être fiers d’avoir, au travers de cette commission d’enquête, donné la parole à tout un panel de jeunes extrêmement divers. Nous n’avons pas l’intention de laisser cette jeunesse se taire à nouveau.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. En juin dernier, lorsque j’ai proposé la création de cette commission d’enquête, ma principale volonté était de donner à voir les conséquences multiples de la crise sanitaire et économique et du confinement lui-même sur les enfants, les adolescents et les jeunes adultes : un tel travail spécifique et au long cours me semblait en effet indispensable pour faire émerger les problématiques propres à ces catégories.

L’ensemble des groupes a soutenu la démarche et le travail que nous avons mené en commun montre à quel point il était nécessaire de mesurer, et surtout de prévenir, les effets de cette crise sur notre jeunesse dans sa diversité.

Je me félicite de la qualité de nos travaux lors des auditions et vous remercie, Madame la présidente, pour avoir largement contribué à élargir le champ du rapport en lien avec vos engagements, comme je remercie l’ensemble des commissaires pour la pertinence de leurs interventions et leurs apports.

Ce rapport vous propose de retenir quatre-vingts propositions d’ampleur, de nature et de portée diverses, mais toutes issues, sans a priori, des analyses et des données recueillies au cours de nos auditions.

D’abord, un constat : la parole des jeunes n’est pas suffisamment écoutée ni leurs propositions entendues, alors que leurs inquiétudes, comme leurs exigences, sont importantes pour le devenir de notre société. Nous avons été alertés tout au long de nos auditions, tant par les mouvements de jeunesse, par les syndicats étudiants que par les professionnels de l’enfance, sur ce déficit de représentation de la jeunesse dans les débats comme dans les politiques publiques. Pour reprendre le terme d’un des auditionnés, nous devons mettre de l’enfance partout.

Plusieurs propositions du rapport vont dans ce sens : renforcement du collège des jeunes dans plusieurs instances comme le Haut Conseil à la vie associative (HCVA), création d’une délégation permanente à l’enfance au sein de l’Assemblée nationale, renforcement de la clause d’impact jeune et participation d’un ou une pédiatre et d’un ou une pédopsychiatre au Conseil scientifique.

Premier axe de nos travaux : la santé des jeunes. Bien que sensiblement préservés, par rapport aux autres catégories d’âge, des effets dramatiques de la Covid-19, ses conséquences sanitaires sont cependant réelles tant pour les enfants que pour les adolescents.

En effet, les témoignages recueillis ne permettent pas d’écarter la perspective d’une dégradation de l’état physique de la jeunesse, à raison de deux grands facteurs de risques : la sédentarité et les déséquilibres alimentaires d’une part, et les retards possibles dans la prévention et le suivi des traitements curatifs d’autre part.

L’arrêt des activités physiques et sportives a eu des conséquences sur les capacités physiques des enfants ainsi que sur la prise de masse graisseuse : des études complémentaires devront être menées. L’absence de cantine scolaire a également eu, au cours du premier confinement, des conséquences sociales pour les familles précaires, mais également sur la santé de certains enfants privés du seul repas équilibré et complet de leur journée.

En outre, le suivi des traitements a alors également été rendu plus compliqué, comme la prévention, la vaccination ayant notamment connu une chute sensible. Nous devrons être particulièrement vigilants quant au rattrapage des soins et des vaccinations : d’où, la proposition d’une aide exceptionnelle aux centres de Protection maternelle et infantile (PMI).

Notre vigilance s’est particulièrement exercée à l’égard de la continuité de l’accompagnement des enfants en situation de handicap, qui a pu s’avérer compliqué au cours de la même période.

Les conséquences sur la santé psychique à court et long termes ne sont pas négligeables. Si le confinement a pu apporter du bien-être en permettant aux familles de se retrouver, la cohabitation, les inquiétudes liées au contexte angoissant, la gestion du sommeil et des écrans sont autant d’éléments qui justifient un renforcement des moyens de suivi de la santé psychique des enfants et des jeunes, et un investissement substantiel dans le soutien à la parentalité.

Des initiatives locales de coopérations inédites entre soignants et enseignants et entre parents et enseignants ont vu le jour : je préconise donc que les services de l’État concernés les analysent pour étudier comment les utiliser tant en période de crise qu’en temps normal.

Nous avons également constaté l’inadéquation des messages diffusés concernant le coronavirus, notamment sur les chaînes de télévision : les spots diffusés se sont, en l’absence de messages spécifiques dédiés aux enfants, avérés très anxiogènes. Le rapport propose donc, en cas de crise, la diffusion de messages ciblés sur les plus jeunes.

Notre pays souffre en outre d’un déficit très important en pédopsychiatrie. Le nombre de pédopsychiatres a ainsi fortement diminué au cours des dernières années : M. Michel Dugnat, pédopsychiatre, a indiqué à la commission qu’en 2006, près de 1 200 pédopsychiatres formés exerçaient leur activité en France, contre 600 actuellement, leur moyenne d’âge se situant entre 61 et 62 ans. Le rapport propose donc plusieurs pistes pour y remédier, notamment la revalorisation de cette spécialité.

Le soutien psychologique aux étudiants et à leur santé mentale est en outre extrêmement lacunaire, et notre pays très en retard dans ce domaine.

Le ratio du nombre d’étudiants par professionnel de santé apparaît particulièrement préoccupant : le nombre d’étudiants par équivalent temps plein (ETP) de médecin du service de santé universitaire atteint 15 813 ! Le même problème se pose pour les psychologues : on n’en compte qu’un pour près de 30 000 étudiants alors que les standards internationaux recommandent un ratio d’un pour 1 500. Ce rapport alerte donc une nouvelle fois sur le manque criant de médecins, d’infirmiers et de psychologues universitaires et scolaires : y remédier est donc une priorité absolue. Parfois, des postes ne sont pas pourvus, et beaucoup d’acteurs du secteur médico-social scolaire réclament une clarification de leurs missions ainsi qu’une reconnaissance à la hauteur de l’importance de leurs missions.

Le deuxième axe de nos travaux a été celui de la fermeture des établissements scolaires. À l’instar du Gouvernement, la commission d’enquête fait sien le principe selon lequel l’école doit, en temps de crise, rester a priori ouverte car les conséquences de sa fermeture sont lourdes pour de nombreux élèves et aboutissent, au final, à un creusement des inégalités.

Les disparités en termes de dotations matérielles, de connaissance du numérique et de conditions de vie ont eu un impact très significatif sur la possibilité ou non, pour les enfants, de continuer à avoir un lien régulier avec l’école et de connaître une véritable continuité pédagogique, bien que les équipes pédagogiques aient déployé l’ensemble des moyens mis à leur disposition pour le maintenir au travers d’outils qui se sont améliorés au fur et à mesure des semaines.

Les parents d’élèves se sont également mobilisés pour s’organiser : ce confinement a donc permis des progrès dans l’utilisation du numérique au sein des familles. Le rapport propose un renforcement des efforts dans l’identification des difficultés des élèves et des familles en termes de matériels, mais aussi d’illectronisme. Certaines familles hébergées dans des hôtels sociaux par le 115 et privées de connexion ont ainsi dû mener un combat quotidien pour que leurs enfants aient accès aux cours.

Enjeu majeur pour l’avenir, cette problématique de l’équipement doit également être résolue pour les personnels sociaux de l’éducation nationale ou de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), qui doivent bénéficier de moyens suffisants pour assurer l’accompagnement des enfants et des familles, même à distance, leurs tâches étant primordiales.

Le retour à l’école sur la base du volontariat n’a pas été, avec le recul, une option évidente, car elle faisait peser sur de nombreux parents une trop lourde responsabilité. En outre, on a constaté d’importantes disparités entre établissements, révélatrices d’inégalités sociales et territoriales.

Notre vigilance, dans la période à venir, devra s’exercer particulièrement à l’égard des générations des classes charnières, c’est-à-dire le cours préparatoire (CP), la sixième, la seconde et la terminale.

Pour les élèves de terminale, les inquiétudes sont grandes, entre le baccalauréat qu’ils n’ont pu vivre comme un rite de passage et une entrée dans l’enseignement supérieur escamotée : de l’avis des spécialistes, cette génération doit faire l’objet d’un accompagnement renforcé.

Chers collègues, nous avons tenu collectivement à ce que nos travaux abordent en profondeur la situation des jeunes les plus vulnérables, avec leurs problématiques spécifiques, et notamment les questions relatives à la protection de l’enfance.

Les effets du confinement sur les jeunes relevant de l’ASE sont assez contrastés. Nous avons pu noter une polarisation entre les professionnels qui intervenaient au domicile et qui estimaient que les effets du confinement étaient majoritairement négatifs, et ceux qui accompagnaient des enfants vivant en établissement, ou chez des assistants familiaux, et qui faisaient plutôt état d’un apaisement.

La dégradation observée chez les enfants suivis par l’ASE à leur domicile semble résulter de plusieurs facteurs : les conditions de vie difficile des familles, et notamment l’exiguïté des logements et les problèmes financiers ; l’arrêt de la scolarisation et la diminution des accompagnements éducatifs et des visites et, enfin, l’arrêt ou la forte diminution de l’accueil dans les structures de soins ou spécialisées.

Nous avons été également alertés sur les conséquences parfois négatives de la suspension des droits de visite.

Les témoignages recueillis font d’état d’un fort engagement des personnes de l’ASE, notamment de la présence renforcée des éducateurs auprès des enfants pris en charge.

Pour les aider dans leurs missions, le rapport propose de renforcer le pilotage national et territorial de la politique de la protection de l’enfance en réaffirmant l’impératif d’une prise en charge équivalente des enfants sur l’ensemble des territoires.

Un tel objectif suppose de réaffirmer le rôle de l’État dans la définition des orientations de cette politique et dans le contrôle de leur mise en œuvre, comme nous l’a indiqué avec beaucoup de force le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles.

Une attention particulière a été portée aux mineurs non accompagnés (MNA), dont la prise en charge pendant le confinement n’a pas toujours été assurée alors même que le principe d’une mise à l’abri inconditionnelle a bien été rappelé par l’État.

Cependant, les éléments recueillis par la commission d’enquête portent à conclure qu’un tel principe a pu demeurer inopérant ou être restreint du fait de difficultés d’application dans certains départements. De plus, beaucoup de jeunes mineurs accompagnés ont été logés dans des hôtels sociaux ou au sein de dispositifs dits de semi-autonomie. Or, dans ces lieux parfois insalubres, les conditions de vie sont très précaires et ne favorisent pas un accompagnement conforme aux exigences de la protection de l’enfance.

Le rapport propose donc une évolution des compétences entre l’État et les départements en matière de prise en charge des MNA afin de garantir un accueil identique sur l’ensemble du territoire ; et pour ce qui est de la répartition des financements, une révision profonde du protocole d’accord signé en 2018 s’impose.

Quelques mots enfin de la précarité chez les jeunes et des problématiques d’insertion dans l’emploi.

La pauvreté infantile atteint 21 % des enfants. La crise aggrave les inégalités mais surtout la pauvreté. Les associations caritatives nous ont ainsi alertés sur l’urgence de moyens supplémentaires pour aider les ménages pauvres et à amplifier la lutte contre la précarité, sachant que les enfants en sont les premières victimes.

De même, la précarité étudiante, exacerbée par la perte des jobs étudiants, ne pourra que perdurer si nous n’agissons pas structurellement sur l’accompagnement que proposent l’État et les établissements d’enseignement supérieur, l’actuel système de bourses peinant à y remédier efficacement.

De plus, l’absence de filet de sécurité pour notre jeunesse a été évoquée lors de toutes les auditions, si bien que la question des moyens visant à renforcer l’autonomie des jeunes doit être au cœur de notre action.

Le rapport propose à cet égard certaines pistes, notamment l’engagement d’une réflexion portant sur l’autonomie financière et matérielle des étudiants et sur l’ouverture du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans.

Les étudiantes et les étudiants éprouvent de fortes inquiétudes quant à leur insertion professionnelle. Les projections anticipent un chômage des jeunes aux alentours de 25 %, en prenant en compte le fait que le nombre de contrats à durée déterminée (CDD) et de contrats d’intérim – les plus proposés aux jeunes – a dramatiquement chuté.

De même, trouver un stage s’avère très compliqué, ce qui a des conséquences importantes en particulier pour les filières professionnelles. Dans certains secteurs, la prime d’alternance mise en place par le Gouvernement va permettre de sauver ces contrats, mais dans d’autres, comme la restauration, cela ne suffira peut-être pas. Nous avons pu rendre visite aux élèves d’un lycée hôtelier qui nous disaient ne pas trouver de stages pratiques, ce qui met en péril tant la valeur de leur diplôme que leur avenir professionnel.

Les mesures prises dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » devront permettre d’apporter des réponses concrètes à ces jeunes adultes : le rapport propose à cette fin d’assurer un versement accéléré des crédits aux acteurs de l’insertion au titre des dispositifs de ce plan, notamment la garantie jeunes et le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (PACEA), pour une mise en œuvre réactive.

Je conclus cette brève présentation du rapport, en remerciant, encore une fois, l’ensemble des personnes auditionnées pour la qualité de leurs contributions et des commissaires.

M. Régis Juanico. Durant près de six mois, nous avons tous participé de façon assidue à l’ensemble des auditions, dont je souligne la très grande qualité. C’était un véritable travail de salubrité publique : les conséquences de la crise sanitaire due à la pandémie de la covid-19 sur les jeunes générations – enfants, adolescents, étudiants – exigeaient une analyse particulièrement fine. Notre collègue Marie-George Buffet, qui a été ministre en charge de la jeunesse, est bien placée pour savoir la place que devraient tenir les jeunes dans les décisions et donc dans les politiques publiques : une de ses premières décisions avait été, en juin 1997, de créer le Conseil national de la jeunesse (CNJ). Je ne peux donc que rejoindre les propositions mentionnées à la fin du rapport et qui consistent à associer le plus souvent possible les organisations de jeunesse, et donc les représentants des jeunes dans leur diversité, aux décisions concernant très directement leur vie quotidienne.

Nous serons extrêmement vigilants s’agissant des moyens de l’autonomie financière et matérielle des jeunes, et en particulier des étudiants : les propositions du projet de rapport – je pense en particulier à l’extension urgente, compte tenu de leurs difficultés matérielles, financières et psychologiques, du RSA aux moins de 25 ans – devront être adoptées.

Notre groupe souhaiterait bien évidemment aller plus loin, notamment concernant le revenu universel et les expérimentations visant à réduire tant le taux de pauvreté des jeunes, qui est deux fois plus important que dans le reste de la population, que leur taux de précarité, tout à fait anormal : nous y reviendrons au cours de débats qui auront lieu au début de l’année 2021 à l’occasion des niches parlementaires et des semaines réservées au contrôle dédiées à la question de la jeunesse. La transition vers l’âge adulte s’apparente de plus à un parcours du combattant pour notre jeunesse : comme l’indique le projet de rapport, il faut en moyenne atteindre l’âge de 27 ans pour accéder au marché du travail « classique », en finir avec les CDD et la précarité, obtenir un contrat à durée indéterminée (CDI) et enfin pouvoir se lancer dans certains projets. C’est proprement aberrant.

Je terminerai par deux observations. La première porte sur les vacances apprenantes : le rapport y voit, à la page 120, une relance bienvenue des colonies de vacances ; or si l’aide exceptionnelle apportée cet été a certes revêtu une certaine importance, un léger décalage a été constaté entre l’objectif initial et les publics visés, notamment ceux des quartiers de la politique de la ville. Il faudra être extrêmement vigilant au moment de les reconduire, et s’assurer qu’ils iront bien aux colonies de vacances, apprenantes ou non.

La seconde a trait aux activités sportives mentionnées à la page 136. Il s’agit d’un sujet majeur compte tenu des méfaits de la sédentarité sur toute une génération. Le rapport fait état de chiffres extrêmement alarmants : plusieurs kilos en plus en moyenne par individu, augmentation de la masse graisseuse, perte de coordination et de capacités physiques.

De leur côté, les clubs sportifs ont perdu près de 30 % de leurs adhérents et les fédérations sportives scolaires pratiquement 50 % de leurs licenciés. Des dispositifs sont donc nécessaires pour relancer au premier trimestre 2021 la pratique sportive, dans le cadre de l’éducation physique et sportive (EPS) au sein de l’éducation nationale comme dans celui des clubs ; les familles devront alors être aidées pour que les enfants et les adolescents en retrouvent le chemin. J’espère que l’expérimentation conduite dans l’académie de Créteil et visant à faire pratiquer aux élèves une activité physique pendant trente minutes chaque jour pourra être généralisée très rapidement lors de la rentrée 2021.

Les étudiants, enfin, sont les grands laissés pour compte de la pratique physique et sportive, d’autant plus que leurs problèmes de santé tant physique que psychique doivent nous interpeller.

Je préconise que le Pass’Sport ne soit pas mis en place à l’été 2021 mais le plus rapidement possible si l’on peut mobiliser les moyens financiers correspondants, et qu’il soit élargi, comme le suggère Mme la rapporteure, aux plus de seize ans.

Enfin, comme je l’ai indiqué, nous sommes favorables à l’extension du RSA aux moins de 25 ans.

Mme la présidente Sandrine Mörch. Je rappelle que les propositions – si je fais miennes beaucoup d’entre elles, d’autres, comme celle qui vient d’être évoquée, sont sujettes à discussion – sont à la main de la rapporteure.

Si le rapport a le mérite de lancer le débat sur la pauvreté des jeunes, sujet que nous empoignerons, et d’animer les échanges entre les pouvoirs législatif et exécutif, notre groupe privilégie la garantie jeunes qui, tout en s’inscrivant dans le même esprit, requiert un engagement dans une formation ou dans un emploi.

Mme Sylvie Tolmont. Voici donc, à travers ce document, le résultat de plusieurs mois de travail et des nombreuses réunions qui nous ont permis d’appréhender avec plus de clarté les multiples conséquences de la pandémie sur l’enfance et la jeunesse. Je tiens évidemment à saluer et remercier Marie-George Buffet, sans qui cette commission d’enquête essentielle n’aurait pas vu le jour.

On sait désormais que, du fait de son ampleur inégalée, la crise que nous traversons représente le trouble le plus grave subi par la France depuis la seconde guerre mondiale. La commission d’enquête sur l’impact, la gestion et les conséquences de l’épidémie de covid-19 ne s’étant pas penchée spécifiquement sur les effets de cette crise sur la jeunesse, il était essentiel que notre assemblée se saisisse du sujet pour identifier les leviers qui ont été efficaces, ceux qui ne l’ont pas été et ceux qu’il convient d’améliorer.

Le constat que vous dressez, madame la rapporteure, est celui d’un paradoxe assez glaçant : si les jeunes sont physiquement moins affectés par le virus, ce sont eux qui subissent les conséquences les plus graves de la crise sanitaire. Augmentation des inégalités, sédentarité, altération psychologique provoquant un profond mal-être, rupture dans la continuité pédagogique, précarité étudiante exacerbée : notre jeunesse a vécu et vit toujours une période extrêmement tourmentée, souffrant de maux nombreux et alarmants, qui risquent de déstabiliser dangereusement toute une génération. Ce rapport atteste d’une réalité extrêmement grave : sans chercher à noircir le tableau, force est de constater que notre jeunesse est victime d’un véritable « trauma » psychologique.

Serge Hefez trouvait anormal que, alors même que la nation française était impactée psychologiquement par la crise, il n’y ait aucun psychiatre au sein du comité scientifique ; vous proposez, à juste titre, qu’un pédopsychiatre y participe également. Je me souviens d’ailleurs que, lors d’une de nos premières auditions, des pédiatres et des pédopsychiatres avaient dressé un constat sans appel : si rien n’était fait pour panser les plaies psychiques, les conséquences sur le long terme seraient catastrophiques à l’échelle d’une génération.

Je souscris donc pleinement aux propositions visant à renforcer la présence des personnels de santé – infirmières, médecins et psychologues – et des assistants sociaux dans les établissements scolaires. Sans vouloir être perfide, je signale que nous avions appelé dès le début de la pandémie à un renforcement des moyens humains au sein des écoles ; or toutes les propositions que nous avons émises en ce sens dans le cadre des projets de loi de finances ont été écartées par le Gouvernement.

Je souhaite, à l’instar de mon collègue Régis Juanico, insister sur la nécessité absolue de replacer notre jeunesse au cœur des politiques publiques : c’est la condition sine qua non pour éviter que la génération dite covid soit sacrifiée. Pour le reste, je partage l’ensemble des remarques de Régis Juanico.

Alors que nous souhaiterions une réaction la plus rapide possible, les propositions émises dans le rapport s’inscrivent dans le temps long. Il est probable qu’elles ne seront pas adoptées dans l’immédiat, alors que la crise est toujours là et que nos enfants et notre jeunesse en subissent de plein fouet les conséquences. D’où ma question : si une mesure devait être mise en œuvre immédiatement, quelle seraitelle ?

Mme Albane Gaillot. Madame la rapporteure, je tiens tout d’abord à vous féliciter pour la richesse de votre travail. Deux jours après la fin du deuxième confinement et la mise en place d’un couvre-feu, votre rapport est plus que jamais d’actualité. Nous devons tirer les enseignements de cette crise sanitaire qui a mis en exergue un certain nombre de difficultés rencontrées par les jeunes, notamment les jeunes femmes – je pense en particulier aux cyberviolences sur lesquelles j’ai alerté à plusieurs reprises lors des auditions. J’y insiste : il ne s’agit pas d’un phénomène marginal ; d’après une étude du centre Hubertine-Auclert, cela concernerait une jeune femme sur cinq. J’ai récemment échangé avec les collectifs Stop Fisha et Féministes contre le cyberharcèlement : à titre d’exemple, le channel « Dossier » sur Telegram, qui se veut une boucle de partage d’images pédopornographiques, réunit plus de 240 000 personnes.

J’ai pris connaissance de vos propositions avec beaucoup d’intérêt. Vous proposez – seulement, dirais-je – de sensibiliser les jeunes et les familles aux manifestations et risques de cyberviolence. C’est essentiel, mais il ne faudrait pas oublier que ce sont avant tout les cyberharceleurs – souvent des hommes – qui sont les responsables de ces actes. Que suggérez-vous pour responsabiliser davantage les auteurs de ces violences et faire de l’internet un espace sécurisé ? Quelles mesures préconisez-vous pour soutenir et accompagner les victimes de cyberviolences ?

D’autre part, les enfants en situation de grande précarité vivent dans une insécurité peu favorable à leur épanouissement et à l’acquisition des savoirs fondamentaux. À cette insécurité s’ajoute l’instabilité, accentuée par le risque d’être expulsé. C’est pourquoi je salue tout particulièrement deux de vos propositions : interdire l’expulsion des familles vivant avec des enfants mineurs et instaurer un véritable droit à l’eau et à l’assainissement – c’est une question de dignité autant que de santé publique.

Mme Florence Provendier. Merci, madame la présidente, madame la rapporteure, de nous avoir accordé ce temps si précieux pour nous pencher sur un sujet auquel on ne prête pas suffisamment attention. Je le dis avec le cœur : on devrait toujours commencer par là d’où l’on vient, c’est-à-dire par l’enfant, et ne jamais l’oublier. Merci donc pour ce travail remarquable, et pour ce foisonnement de propositions en tous genres.

La question, maintenant, est de savoir par quoi l’on commence. J’aimerais avoir votre avis car il y a à la fois du macro, du micro, de l’opérationnel, des propositions qui relèvent de la vision politique globale, d’autres qui sont des suggestions pratiques à mettre en œuvre immédiatement… Plus de quatre-vingts recommandations au total ! Comment les hiérarchisez-vous ? Si vous deviez n’en garder que six, lesquelles sélectionneriez-vous ?

J’ai deux regrets concernant la méthode. Le premier, c’est que nous n’ayons pas eu davantage de temps et de recul pour nos travaux ; avec six mois de plus, je pense que nous aurions pu avoir des retours d’expérience plus intéressants. Peut‑être faudrait-il lancer une commission d’enquête pour faire suite à cette commission d’enquête ? (Sourires.) Plus sérieusement, il faut poursuivre ces travaux : il ne faudrait pas qu’ils s’arrêtent avec la commission d’enquête.

Le deuxième regret, c’est que nous aurions dû faire participer plus d’enfants et de jeunes, conformément d’ailleurs aux recommandations faites dans le rapport. Outre qu’il existe plusieurs organisations rassemblant des enfants, à commencer par le Parlement des enfants, nous aurions pu élaborer un questionnaire ou passer par l’intermédiaire des réseaux de jeunes. Trop souvent, nous restons dans l’incantation, à dire ce qu’il faudrait faire, alors même que nous pourrions faire participer un plus grand nombre de personnes à nos travaux – et je m’inclus dans la critique.

La commission d’enquête nous a cependant permis de faire le point sur l’impact de la crise, qui précarise davantage encore les plus vulnérables, ainsi que sur l’articulation des politiques en faveur des enfants et de la jeunesse. Or les principaux intéressés sont trop rarement consultés, a fortiori dans cette période. Autre point qui ressort de nos travaux, c’est qu’il est extrêmement difficile d’évaluer les conséquences du confinement sur les enfants et la jeunesse dans la mesure où nous ne disposons pas véritablement d’indicateurs sur lesquels nous appuyer. Pour donner un exemple qui me permettra de revenir sur les propos d’Albane Gaillot, on pourrait avoir le sentiment que les violences dans l’espace numérique ont augmenté, en raison d’une exposition plus forte aux écrans ; or, à part des témoignages individuels, nous ne disposons pas à ce jour de données fiables qui en attesteraient. Sans repères ni indicateurs, il est extrêmement difficile de mener des politiques publiques adaptées.

L’ambition de la commission d’enquête était immense ; on ne devrait pas s’en tenir à son rapport et continuer à questionner et contrôler les politiques publiques relatives à l’enfance et à la jeunesse. Comment faire pour aller plus loin ?

Afin d’appuyer certaines des propositions que vous avez faites, je souhaite donner un coup de projecteur sur cinq points et formuler dix suggestions.

Premièrement, il faut favoriser la participation des jeunes. Comment faire les bons choix si les jeunes ne sont pas consultés et impliqués dans les mesures qui les concernent ? Dans le cas présent, nous pourrions organiser des sondages, à travers une plateforme dédiée ou une application mobile, se fondant sur des questionnaires adaptés afin de valider les orientations envisagées. Cela permettrait d’avoir un état de leur opinion à l’instant T ou dans un territoire en particulier. À plus long terme, c’est leur capacité à se faire entendre qui doit être repensée par la mise en place de consultations généralisées ou la création d’un Parlement des jeunes au niveau national, sur le modèle de notre assemblée nationale.

Il faudrait aussi faire des droits de l’enfant et de la jeunesse une boussole des politiques publiques. Vous proposez de créer une délégation aux droits de l’enfant. Nous essayons, tous autant que nous sommes, de faire valoir la pertinence de cette proposition, étant donné qu’à l’Assemblée nationale, aucune commission permanente ne traite spécifiquement de l’enfance. À la commission des affaires culturelles et de l’éducation, on traite de l’éducation ; à la commission des affaires sociales, de la famille ; mais nulle part on ne traite de l’enfant. Même chose au niveau de l’État, où pas moins de douze ministères se partagent l’enfant ; une main à la justice, un doigt pour la santé, un bras à l’éducation nationale, un pied pour le secrétariat d’État… Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à un fonctionnement plus adapté, soit de manière transverse, interministérielle, soit en créant un ministère de plein droit ?

Troisièmement, attachons-nous à rendre lisibles et accessibles les contenus destinés aux jeunes. L’information est toujours descendante ; il y aurait pourtant d’autres solutions, par exemple le pair à pair, que je trouve extrêmement intéressant. Quoi qu’il en soit, il faut absolument revoir contenus et contenants. Vous évoquez certaines campagnes totalement à côté de la plaque ou moralisatrices : si l’on veut s’adresser aux enfants et à la jeunesse, il faut avoir les bons outils, passer par les médias qu’ils utilisent, utiliser les mots qu’ils comprennent. D’où la nécessité de les placer au centre des dispositifs – vous le voyez, mes propositions sont extrêmement concrètes.

Quatrièmement, essayons de recréer du collectif dans une société de l’engagement. La Fondation de France a rendu début décembre un rapport qui souligne qu’un des principaux maux liés à la situation actuelle, c’est l’isolement. Jusqu’à présent, les jeunes y étaient moins sujets que les moins jeunes ; or désormais, les chiffres sont équivalents : 14 % des jeunes ont le sentiment d’être complètement livrés à eux-mêmes, du fait de problèmes liés à la pauvreté, au décrochage scolaire etc. Pour aborder la question du RSA et faire un peu de politique, il me semble que, dans ces conditions, il est extrêmement important de ne pas simplement perfuser, mais d’inviter chacun à redevenir acteur de sa vie et faire en sorte qu’il ait la capacité de pêcher son propre poisson.

Dernier point : l’ASE. Si les enfants en foyer ou en famille d’accueil ont été relativement épargnés, alors même qu’ils sont d’habitude transbahutés de droite à gauche, les enfants hébergés dans des hôtels sociaux ont été touchés de plein fouet par la crise. Vous appelez à renforcer les protocoles et l’encadrement pour l’accueil des familles en hôtels sociaux ; je suis quant à moi partisane d’une interdiction pure et simple. Le Défenseur des droits l’a bien dit : la place d’un enfant n’est pas dans un hôtel. À supposer que la situation actuelle dure encore quelques mois, il faut impérativement trouver des solutions pour éviter que des enfants ne crèvent pas de faim – car c’est bien ce qui s’est passé. Quand bien même ils disposeraient d’outils informatiques et du wifi, bref du minimum, il faut mettre en œuvre une politique qui nous permette de les sortir de l’hôtel.

J’avais dix suggestions à formuler, mais je crois que mon temps de parole est écoulé…

Mme la présidente Sandrine Mörch. En effet, chère collègue ! Il serait bon que les interventions soient plus concises…

Mme Sylvie Charrière. Vous connaissez tous mon engagement sur les questions liées à la jeunesse. Mon intervention sera malheureusement proportionnée à ma participation à cette commission d’enquête, dont l’étendue du rapport et des propositions montrent l’extrême richesse.

Nous n’avons pas réussi, dans la nouvelle configuration gouvernementale, à obtenir un secrétariat d’État auprès du Premier ministre ; le caractère polymorphe et en silo du travail sur la jeunesse rend les choses extrêmement compliquées. On aurait vraiment besoin d’une instance qui dispose de ramifications locales et fasse remonter non seulement des données quantitatives, ce qui permettrait d’affiner les indicateurs, mais aussi des informations qualitatives, afin de s’assurer de la bonne déclinaison sur le terrain des plans très ambitieux décidés à l’échelon national, comme le « plan jeunes » inclus dans le plan de relance. À cet égard, votre proposition de création d’un observatoire me paraît essentielle.

Pour ce qui concerne le RSA, il est vrai que l’État doit être à la hauteur pour accompagner ces jeunes qui ne sont pas encore autonomes, à tous points de vue, et qui ne sont pas complètement formés – le diplôme étant la meilleure arme contre le chômage. On a vu les biais que peut avoir le RSA dans certains territoires – je pense que Mme Buffet en conviendra. Nous devrions avoir pour ambition de donner aux jeunes les meilleures armes pour démarrer dans la vie, en garantissant aussi bien leur autonomie que leur insertion. De ce point de vue, le RSA n’est pas une solution ; il faut être beaucoup plus ambitieux en matière de garantie jeunes, aller plus loin pour ce qui est des degrés de prise en charge et d’accompagnement – car nous nous devons d’accompagner ces jeunes, qui en ont vraiment besoin.

Enfin, ce qui me paraît essentiel, c’est la médecine scolaire et, plus généralement, la problématique de la santé. Là aussi, il faudrait être beaucoup plus ambitieux. Si beaucoup de choses ont déjà été faites, il y a encore nombre de problèmes à régler : les listes d’attente pour accéder aux centres médico-psychologiques ou médico-psycho-pédagogiques, la difficulté à trouver des médecins scolaires… Posons-nous donc les bonnes questions : dans les territoires où la précarité est forte, les problèmes de santé sont vraiment trop importants pour qu’on puisse aller beaucoup plus loin.

Mme Perrine Goulet. Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre rapport. Si le constat que vous dressez est largement partagé, certaines des recommandations que vous formulez le sont un peu moins – mais cela montre toute la vitalité de notre démocratie. Merci aussi d’avoir repris certaines propositions que nous défendons sans succès depuis plusieurs mois, comme la création d’une délégation spécifique au sein de l’Assemblée nationale, la réforme de la gouvernance de l’aide sociale à l’enfance ou la mention du 119 dans le carnet de liaison : autant de petites mesures qui ne coûteraient pas grand-chose mais qui pourraient être d’une grande aide.

À la lecture de ce rapport, j’ai été frappée par une chose : c’est le manque de données. Pendant la période du confinement, on nous a transmis jour par jour le nombre de morts et celui d’hospitalisations, mais on n’est pas capable de dire combien d’informations préoccupantes ont été traitées par les départements, combien de décisions judiciaires ont été prises dans le cadre des ordonnances, c’est-à-dire en mode dégradé, combien d’ordonnances de protection ont été délivrées ; on n’est pas capable d’évaluer l’impact de la crise sur la santé des enfants, ni les violences intrafamiliales, ni le cyberharcèlement. On voit bien à quel point la politique de l’enfance manque de suivi ! Cela ne date certes pas d’aujourd’hui, mais cela transparaît dans votre rapport : on y trouve beaucoup de témoignages, mais peu de données objectives. Cela devrait nous interroger.

Étant très impliquée dans l’aide sociale à l’enfance, j’ai été étonnée de voir que 10 000 à 15 000 enfants en avaient été sortis au moment du confinement pour être, pour la plupart, renvoyés dans leur famille. Nous n’avons aucune information sur ce qui s’est passé pour eux ; et quand bien même cela se serait bien passé, cela poserait question : cela signifierait que l’on avait placé ces enfants alors que l’on pouvait sans danger les renvoyer en catastrophe dans leur famille ! Il serait bon de réexaminer notre politique de protection de l’enfance.

À l’inverse, de nombreux enfants ont été assagis par une certaine rupture avec leur famille. Je l’avais évoqué dans mon propre rapport l’année dernière : je sais que c’est compliqué dans notre société, mais il serait bon de réinterroger l’idée du lien à maintenir obligatoirement entre les parents et les enfants.

De même, la crise a montré que moins de paperasse et d’activités superflues permettaient aux éducateurs de mieux accompagner les enfants. Si l’on ne peut pas décharger les éducateurs de toutes ces tâches, nécessaires pour le suivi des dossiers, il serait bon de parvenir à un taux d’encadrement qui leur permette d’effectuer aussi leur travail éducatif et d’être davantage présents auprès des enfants.

Concernant le contrat jeune majeur, je partage entièrement votre opinion, madame la rapporteure. Dans notre pays, un enfant qui n’est pas passé par l’aide sociale à l’enfance peut attaquer ses parents s’ils ne veulent pas lui verser après ses dix-huit ans une pension alimentaire pour qu’il puisse poursuivre ses études, alors qu’un enfant confié à l’ASE ne peut se retourner contre personne pour obtenir une aide alimentaire. Il faut examiner cette question.

Venant, comme beaucoup de collègues, du monde de l’entreprise, quand j’ai vu que vous évoquiez un plan de continuité d’activité pour les PMI, je me suis dit que c’était une bonne idée… À ceci près qu’il ne faut pas s’en tenir aux PMI : il en faudrait aussi pour les instituts médico-éducatifs (IME), les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), les cellules de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP) et l’éducation nationale. Nous sommes encore en période de crise, les difficultés perdurent – j’ai été sollicitée aujourd’hui encore au sujet des IME et des ITEP – et il serait bon d’y remédier. L’un des principaux enseignements de votre rapport, c’est de montrer que la crise a eu pour effet des formes de maltraitance à la reprise de l’école ; ce petit garçon qui se fait pipi dessus parce qu’il n’y a plus de couverts, ces enfants placés dans des cercles et qui ne peuvent pas échanger entre eux… : il s’agit véritablement là de cas de maltraitance à l’école. C’est pourquoi l’on a besoin d’un plan de continuité d’activité : il est nécessaire que les enfants puissent rester à l’école.

Dernière remarque : si je partage, tout comme Régis Juanico, le constat que vous dressez concernant le sport, un enfant ne se construit pas uniquement à travers les activités sportives ; il le fait aussi à travers les activités culturelles, comme le théâtre, la musique, le dessin… Il serait bon de souligner aussi l’impact qu’a pu avoir l’arrêt de ces activités sur les enfants – car tous ne sont pas sportifs.

Encore bravo pour le rapport ; quant aux propositions, on verra bien quand elles seront reprises dans un texte !

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Je vous remercie d’avoir demandé la création de cette commission d’enquête, qui nous permet de remettre sur le devant de la scène les politiques en faveur de la jeunesse – ce n’est pas rien ! Nous partageons tous l’ambition de participer à l’émancipation de la jeunesse.

J’aimerais souligner le fait que cette crise n’a pas eu que des conséquences négatives – Perrine Goulet parlait des enfants qui se sont assagis pendant la crise. La situation est cependant très hétérogène et dépend tant du profil des jeunes que des territoires. On a vu émerger de belles initiatives, la solidarité s’est développée entre les jeunes eux-mêmes, dans les lycées et parmi les étudiants. Il faut reconnaître quand certaines choses vont dans le bon sens. Je n’irai pas jusqu’à dire merci à la crise, mais elle nous a donné l’occasion de nous pencher sur notre jeunesse.

Concernant l’autonomie financière des étudiants, trois sujets sont à appréhender en priorité. Le premier concerne l’information sur les droits et l’accès au droit. C’est toujours très confus, alors qu’il existe des structures d’information jeunesse, une plateforme pour l’emploi des jeunes, etc. Comment l’information arrive-t-elle vraiment chez les jeunes ?

Le deuxième sujet concerne la souffrance psychique. Nous avons eu l’occasion d’auditionner une plateforme d’écoute destinée aux jeunes et aux étudiants. Il y a un problème d’offres de services en matière de santé mentale en France. Il faut absolument donner plus de moyens aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) pour l’écoute des jeunes en souffrance psychique.

Le troisième sujet porte sur l’offre de logements. La France a cette particularité d’avoir des campus universitaires dans les métropoles, ce qui rend complexe l’augmentation du nombre de résidences étudiantes.

Je souhaite également mettre l’accent sur la garantie jeunes. Je suis impliquée dans le réseau des missions locales depuis une dizaine d’années. Pour les mêmes raisons que mes collègues, je ne suis pas pour le RSA jeunes. Quand la commission d’enquête a été créée, le plan jeunes n’existait pas, ou venait tout juste de naître. Il a évolué depuis, le Premier ministre a récemment annoncé que les trous dans la raquette seraient comblés. Le nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes sera doublé en 2021. C’est un sacré défi pour les missions locales, mais on ne pourra pas atteindre 100 000 jeunes de plus si l’on n’assouplit pas les critères. Nous travaillons avec le cabinet du ministère du travail pour parvenir à supprimer les freins à l’entrée. Il en existe deux principaux : le critère « NEET » (Not in Education, Employment or Training), tout d’abord, qui désigne les jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation. Un jeune ayant un petit boulot ne peut pas bénéficier de la garantie jeunes, alors qu’il n’est pas dans une situation d’emploi durable. Il faut donc faire sauter ce critère. De même, le critère du foyer fiscal non imposable ne doit pas constituer un frein à l’entrée dans la garantie jeunes.

Nous ne pourrons pas résoudre le problème de l’insertion des jeunes à coup d’allocations. Il faut raisonner par parcours d’accompagnement contractualisé, adapté aux besoins du jeune, sécurisé financièrement en fonction des besoins. C’est ce que nous avons fait avec la garantie jeunes et avec le PACEA pour ceux qui ne peuvent bénéficier de la garantie jeunes. Nous avons élargi dernièrement le périmètre de l’allocation PACEA aux jeunes accompagnés par Pôle Emploi dans le dispositif d’accompagnement intensif des jeunes (AIJ) et à ceux qui sont accompagnés par l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) dans le dispositif Objectif premier emploi. Il faut vérifier l’efficacité de ces mesures et s’assurer qu’il n’y a plus de trous dans la raquette : certains profils de jeunes ne sont peut-être pas encore identifiés, ou bien nous avons du mal à les atteindre. Le repérage constitue en effet un véritable enjeu. La formation, l’accompagnement et le travail permettront à nos jeunes de s’émanciper et de devenir des citoyens à part entière.

M. Gaël Le Bohec. Madame la rapporteure, bravo ! Je suis venu dans cette commission car sa thématique m’était chère, et je ne doutais pas, compte tenu de votre expérience passée, que nous allions vivre de bons moments. Si nous n’avons pas pu tous participer aux auditions du fait de nos contraintes d’agenda, je tiens à souligner la très grande qualité des intervenants et la richesse de ces auditions qui nous ont beaucoup appris. Je vous félicite également pour la remarquable diversité des personnes auditionnées.

Je soutiens dans l’ensemble votre rapport, qui est fidèle aux auditions que nous avons menées. L’objet de la commission était de mesurer et de prévenir les effets de la covid-19 sur la jeunesse. Or je ne peux cacher une petite déception concernant la question de la prévention. Je souhaitais que l’on insiste sur ce point, même si la culture française s’intéresse moins aux causes qu’aux conséquences. S’il est indispensable d’accompagner les jeunes en difficulté, il y a aussi, fort heureusement, une majorité de jeunes pour qui cela se passe bien : il faut aussi s’occuper d’eux, faire de la prévention à leur égard, afin de leur donner les outils pour qu’ils ne connaissent pas les difficultés que d’autres vivent. Des expériences sont menées dans des écoles, des collèges, des lycées, des universités, et cela fonctionne bien : je suis donc assez surpris que si peu de propositions concernent la prévention. Il me paraît important d’aborder cette question au sujet des rythmes scolaires, de l’adaptation des programmes, du numérique, de l’ouverture à l’école, de l’écoute et de la médiation.

La santé mentale sera le premier poste de dépenses de santé dans dix ans : j’aurais aimé que la prévention dans ce domaine soit davantage prise en compte. Le ministre, que nous avons reçu en octobre, a annoncé une expérimentation large et dans les plus brefs délais de la pleine conscience à l’école. Je regrette toutefois que nous n’ayons pu auditionner des chercheurs français de renom, comme Rebecca Shankland, qui était pourtant prête à venir. Madame la rapporteure, vous pourrez constater que cette expérimentation donne des résultats extraordinaires, en particulier dans votre département, puisque cette pratique contribue à réduire les inégalités à l’école en permettant aux enfants qui en ont le plus besoin de rattraper le niveau de la classe.

Parmi les aspects positifs, vous avez relevé, en page 69 de votre rapport, le travail de terrain accompli par l’excellent observatoire régional de la jeunesse de Bretagne, dont l’objectif est de suivre l’ensemble des jeunes. Je suis toutefois un peu déçu que vous proposiez de créer un observatoire du décrochage plutôt que de la persévérance scolaire, comme l’on fait nos collègues du Québec : le but doit être de maintenir le maximum de nos jeunes à l’école, plutôt que de s’occuper seulement de ceux qui décrochent.

M. Bertrand Pancher. La crise a révélé de grandes inégalités sociales, financières et territoriales chez les jeunes, comme le démontre votre rapport. Comment ne pas être frappé par certains chiffres que vous analysez : ces 27,5 % d’étudiants souffrant d’un haut niveau d’anxiété, les 40 000 étudiants d’outre-mer éloignés de leur famille, les 50 000 étudiants étrangers, dont on ne parle pas souvent, victimes de précarisation, ou encore les familles des 65 000 enfants handicapés confrontées à des difficultés particulières. Je tenais à vous remercier pour cette description de la réalité, dont ce rapport est une fidèle photographie.

Vos propositions, madame la rapporteure, sont pour la plupart de bon sens. Le renforcement des services publics sur le plan sanitaire est une urgence. Vous ne traitez cependant pas de la question des compétences, alors qu’il faudrait, notamment dans le domaine de l’éducation, commencer à réfléchir à la décentralisation d’un certain nombre de services et au partage des politiques éducatives avec les collectivités territoriales, les familles et les enseignants. La Suède, pays aussi centralisé que la France, a totalement décentralisé son système éducatif, permettant ainsi de responsabiliser davantage les acteurs. N’ayons pas peur d’aborder ces sujets.

Vous évoquez la nécessité de renforcer le pilotage des politiques de l’enfance, notamment dans le domaine de l’aide sociale à l’enfance. C’est une réalité : ayant été un temps président d’un département, j’ai été frappé par l’habitude prise par l’État de se décharger des politiques d’accompagnement sur les départements, ceux-ci étant parfois livrés à eux-mêmes. La décentralisation, ce choc girondin que nous réclamons tous, suppose non seulement beaucoup plus de moyens pour les collectivités mais également un vrai pilotage par l’État. Or celui-ci, à vouloir tout faire, ne parvient pas à se cantonner dans son rôle, à savoir définir les grandes politiques tout en donnant des moyens aux collectivités.

Enfin, la piste de l’ouverture du RSA aux moins de 25 ans est un vrai sujet. L’Institut Montaigne a très récemment préconisé un plan massif en direction des personnes les plus fragiles, à savoir les 12 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Ce plan de 30 milliards, soit 2 000 euros par famille ou par personne concernée, permettrait de remédier immédiatement aux grandes difficultés économiques et à la détresse des étudiants de notre pays.

Mme Maud Petit. Je tiens à vous féliciter, madame la rapporteure, pour le travail que vous avez accompli. Nous vous avons accompagnée et soutenue dans votre proposition de créer cette commission. Quatre-vingt-seize heures d’auditions ont permis d’aboutir à ce rapport conséquent. Le constat est très simple : de nombreuses difficultés et carences existant au niveau de nos politiques publiques ont été aggravées par la crise sanitaire.

Quelques points positifs sont à noter, comme la formidable solidarité dont ont fait preuve les Français dans ces moments difficiles, ainsi que le renforcement des liens familiaux. Cela fait plusieurs mois que nous souhaitons intégrer l’intérêt de l’enfant et des jeunes dans nos politiques publiques, raison pour laquelle nous avons adopté, l’année dernière, la résolution de notre collègue Florence Provendier, dont c’était l’objet.

Si nous ne savons pas systématiquement aller vers ces jeunes, il faut se souvenir qu’ils viennent parfois vers nous. J’ai eu l’occasion de rencontrer Nollan Ducloux, président de l’association Jeunes de France, qui souhaite s’inspirer des conseils municipaux des enfants ou des jeunes pour faire la même chose au niveau du Parlement. Il souhaite être régulièrement auditionné par nous pour pouvoir porter la parole des jeunes : c’est une demande que nous devons entendre. De même, Hakaroa Vallée, qui se bat pour la reconnaissance des maladies chroniques, est venu nous solliciter pour faire réécrire le SIGYCOP. Les jeunes savent venir vers nous si nous ne leur prêtons pas suffisamment attention. Il faut donc ouvrir les portes.

J’exprimerai par ailleurs plusieurs regrets concernant cette commission d’enquête. Tout d’abord, la santé mentale est un véritable problème dans notre pays, aggravé par la crise sanitaire. Nous n’y accordons pas suffisamment d’attention, ni à l’accompagnement des personnes touchées par ces maux. Nous devons impérativement nous pencher sur cette question.

Le deuxième regret concerne les violences intrafamiliales. Si nous savons que les violences physiques et psychologiques ont augmenté pendant les périodes de confinement, nous ne savons rien sur les violences sexuelles. Nous ne sommes pas capables de dire si elles ont été plus nombreuses ni quels enfants ont pu être concernés.

Troisième regret, il aurait fallu ajouter dans le rapport une communication rappelant l’interdiction, depuis juillet 2019, des violences éducatives ordinaires. Nous ne mettons pas suffisamment l’accent sur ce sujet. Je rappelle que les violences éducatives ordinaires, appelées communément fessées ou gifles, qui comportent aussi une dimension psychologique, sont le terreau de la maltraitance. Si on ne l’indique pas clairement en amont, on aura toujours à déplorer des cas de maltraitance.

Enfin, mon dernier regret concerne l’outre-mer. Même si nous avons évoqué la situation des étudiants ultramarins, tout comme celle des étudiants étrangers présents sur notre territoire au moment des confinements, nous ne sommes pas allés voir dans le détail ce que les enfants, les jeunes et les jeunes adultes ont vécu dans les territoires ultramarins. À chaque fois que j’ai posé des questions sur ce point, les réponses qui m’ont été données, quand il y en avait, étaient très lacunaires : je le déplore. S’il est encore possible de noter cela dans le rapport, je vous en saurai gré.

Mme Marie-George Buffet, rapporteure. Je vous remercie toutes et tous une nouvelle fois pour votre participation et votre apport à cette commission d’enquête.

Vous m’avez demandé quelle serait la première mesure à appliquer. Il en est une qui me paraît évidente : demander un rendez-vous en urgence au président de l’Assemblée nationale afin de créer une délégation aux droits de l’enfant. Tous les groupes doivent se réunir pour faire cette demande, que nous devons rendre publique, parce que cela nous permettra de poursuivre le débat – nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais ce n’est pas grave – et d’inspirer des propositions de loi et des projets de loi à l’Assemblée nationale. J’ai vu ce que la délégation aux droits des femmes nous a apporté : sans elle, il n’y aurait pas eu la loi abolitionniste, il n’y aurait pas eu la première loi contre les violences faites aux femmes. C’est vraiment un élément moteur au sein de l’Assemblée. Mobilisons-nous début janvier, de façon pacifique, afin d’insister fortement sur la création de la délégation aux droits de l’enfant.

Ensuite, il faut une mobilisation réelle des services sanitaires, notamment des psychologues et des psychiatres, au niveau des premières années d’université. Des moyens doivent être dégagés pour accompagner ces jeunes qui sont les plus touchés par l’anxiété liée à la disparition des rapports sociaux à l’entrée à l’université. Il faut être très vigilant sur cette question : c’est ma principale inquiétude.

Par ailleurs, nous devons obtenir un observatoire des données. L’enfance et la jeunesse relevant de différents ministères, nous n’avons pas de données suffisantes pour examiner, par exemple, s’il y a eu progression ou non des violences intrafamiliales.

Je ne classerai pas ces quatre-vingts propositions par ordre d’importance. Il est vrai qu’elles sont d’ampleur différente. Veiller à une meilleure communication à destination des jeunes et des enfants en cas de crise, cela ne nécessite pas des millions d’euros : cela demande de réfléchir à la cible, à la teneur du message, etc. Certaines propositions ne demandent pas beaucoup de moyens.

S’agissant de la coopération, beaucoup d’exemples démontrent que l’éducation nationale doit ouvrir grand ses portes et travailler avec d’autres partenaires : c’est important pour l’éducation nationale elle-même et surtout pour le bien des enfants et des jeunes.

La prévention apparaît dans plusieurs propositions, notamment sur le suivi sanitaire des enfants en cas de crise. Concernant le plan de continuité, je pense qu’il est encore possible de l’ajouter au rapport, car cela me semble très précis, très concret. De même, il faudrait ajouter la notion de culture – nous avons, il est vrai, beaucoup travaillé sur le sport.

J’ai essayé de faire des propositions qui tenaient compte de nos auditions. Je souhaite que notre démarche soit positive et privilégie la formation et l’emploi. Toutefois, je peux comprendre que des associations, constatant l’extrême précarité des jeunes, nous demandent d’agir tout de suite et proposent la création d’un RSA pour les jeunes.

Le secrétaire d’État chargé de l’enfance a déjà demandé à me rencontrer. Il faut entamer un dialogue avec tous les ministères concernés – nous avons d’ailleurs reçu les quatre ministres – pour voir avec eux quelles propositions pourraient être appliquées ou travaillées. Je ferai ce travail, en janvier, avec Mme la présidente et tous ceux qui souhaiteront y participer, de rencontre avec les différentes institutions ministérielles. Si nous obtenons la création de cette délégation, nous pourrons de nouveau recevoir les principales associations pour faire le travail avec elles également.

J’ai pris note des autres propositions. J’espère qu’avec la délégation, nous aurons l’occasion de débattre de toutes les nouvelles propositions que vous avez faites. Nous allons l’obtenir, cette délégation !

 

La commission adopte le rapport et autorise sa publication.

 

 

 


  1  

   Personnes auditionnées par la commission d’enquête

(par ordre chronologique)

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-d-enquete-pour-mesurer-et-prevenir-les-effets-de-la-crise-du-covid-19-sur-les-enfants-et-la-jeunesse/(block)/ComptesRendusCommission

 

Jeudi 17 septembre 2020

       Table ronde d’associations de jeunesse :

 Forum Français de la Jeunesse (FFJ)* – M. Anthony Ikni, délégué général

 CNAJEP (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire) – M. Yann Renault, vice-président Éducation populaire, et Mme Eva Baronnet, chargée de projet dialogue structuré

 Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) – M. François Salomé, président

 Mouvement rural de jeunesse chrétienne (MRJC) – Mme Nelly Vallance, présidente, et Mme Maximilienne Berthelot-Jerez, secrétaire nationale

 Conseil économique, social et environnemental – M. Bertrand Coly, conseiller du groupe des organisations étudiantes et mouvements de jeunesse

       Table ronde de syndicats étudiants :

 Fédération des associations générales étudiantes (FAGE)*M. Paul Mayaux, vice-président en charge des affaires sociales

 Union nationale des étudiants de France (UNEF)* – Mme Maryam Pougetoux, vice-présidente en charge des questions universitaires et des questions de jeunesse

 L’Alternative – Union syndicale et associative – M. Naïm Shili, co-secrétaire général

 Union nationale-interuniversitaire (UNI) – M. Jacques Smith, délégué national

Jeudi 24 septembre 2020

       Table ronde sur la santé physique des enfants au sortir du confinement :

 Société française de pédiatrie – Pr Christophe Delacourt, président

 Syndicat national des pédiatres français – Dr Sylvie Hubinois

 Syndicat national des médecins de Protection maternelle et Infantile (SNMPMI) – Dr Pierre Suesser, président

       Table ronde sur les troubles psychiques et psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent confiné :

 Dr Stéphanie Bioulac, praticienne hospitalière, chef de l’unité de prise en charge du sommeil de l’enfant au sein du service universitaire de médecine du sommeil du CHU de Bordeaux

 Dr Marie Touati-Pellegrin, pédopsychiatre

 Dr Catherine Lacour Gonay, membre du Conseil d’Administration de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et des disciplines associées (SFPEADA)

       Table ronde sur l’influence de l’environnement familial sur les enfants :

 Mme Martine Balençon, pédiatre-médecin légiste, présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale

 Mme Natacha Collomb, secrétaire nationale de l’Alliance francophone pour la santé mentale périnatale

 M. Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de l’hôpital Robert Debré

 M. Michel Dugnat, pédopsychiatre, praticien hospitalier responsable de l’Unité d’hospitalisation conjointe parents-enfant du service de psychiatrie infanto-juvénile du Pôle de psychiatrie de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille

 Mme Édith Galy, docteur en psychologie et professeur des universités en ergonomie

 Mme Andréa Soubelet, maître de conférences à l’Université Côte d’Azur et psychologue et psychothérapeute spécialisée pour les enfants et adolescents

 Mme Nathalie Vabres, pédiatre au CHU de Nantes et membre du bureau de la Société française de pédiatrie médico-légale

       Table ronde sur l’interruption de la présence des enfants en milieu scolaire :

 Pr Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie

 Dr Fabienne Kochert, présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire

 Dr Hélène Romano, docteur en psychopathologie clinique, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans le psycho traumatisme

– Mme Sylvie Tordjamn, professeur en pédopsychiatrie, chef du Pôle hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (PHUPEA) au Centre hospitalier Guillaume Régnier de Rennes

Jeudi 1er octobre 2020

       Apprentis d’Auteuil* – M. André Altmeyer, directeur général adjoint, Mme Pauline Spinas-Beydon, directrice de la maison d’enfants à caractère social Saint-Jean de Sannois (Val-d’Oise), et Mme Emilie Casin-Larretche, responsable du plaidoyer et des relations extérieures

       Mme Danièle Langloys, présidente d’Autisme France, M. Steven Beurel, directeur général de l’association Enfance et Pluriel, et Mme Sonia Pareux, éducatrice spécialisée et référente handicap en Indre-et-Loire

       Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées

Jeudi 8 octobre 2020

       Table ronde d’associations de protection de l’enfance :

 L’Enfant bleu-enfance maltraitée* – Mme Isabelle Debré, présidente

 Enfance et partage – Mme Marie-Pierre Colombel, présidente

 La Voix de l’enfant – Mme Martine Brousse, présidente

 Fondation pour l’enfance – M. Vincent Dennery, directeur

       Groupement d’intérêt public Enfance en danger (GIPED) – Mme Violaine Blain, directrice générale

       Général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière de la direction générale de la gendarmerie nationale, et M. Vincent Le Beguec, conseiller du directeur général de la police nationale

       Table ronde d’associations caritatives :

 Croix-Rouge française* – M. Thierry Couvert-Leroy, délégué national Enfants et Familles

 Secours catholique-Caritas France* – Mme Aurélie Mercier, chargée de projets au département Solidarités familiales

 ATD Quart Monde France* – Mme Marie-Aleth Grard, présidente

 Les Restos du Cœur* – M. Philip Modolo, secrétaire général

Jeudi 15 octobre 2020

       Table ronde de syndicats d’enseignants et de personnels de direction de l’éducation nationale :

 Syndicat national unitaire des instituteurs, des professeurs des écoles et PEGC (SNUipp- FSU) – Mme Guislaine David, co‑secrétaire générale

 Syndicat des enseignants de l’UNSA (SE-UNSA) – Mme Claire Krepper, secrétaire nationale, et Mme Sophie Giaretti, conseillère nationale

 Syndicat national des enseignements du second degré - Fédération syndicale unitaire (SNES-FSU)Mme Géraldine Duriez, secrétaire nationale, et Mme Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe

 Syndicat national des personnels de direction de l’éducation nationale (SNPDEN-UNSA) – M. Bruno Bobkiewicz, secrétaire national

       Table ronde d’associations de parents d’élèves :

 Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) – Mme Myriam Menez, présidente de la PEEP du département du Val-de-Marne

 Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) – Mme Carla Dugault, co-présidente

 Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APEL nationale) – Mme Violaine Bigot, membre du Bureau national, et M. Christophe Abraham, secrétaire général adjoint

       Audition de recteurs d’académie :

 M. Daniel Auverlot, recteur de l’académie de Créteil

 M. Mostafa Fourar, recteur de l’académie de Toulouse

 M. Pascal Jan, recteur de l’académie de Martinique

       Table ronde de syndicats et représentants de médecins, d’infirmiers et de psychologues scolaires :

 Syndicat national autonome des médecins de santé publique de l’Éducation nationale (SNAMSPEN)/SGEN-CFDT – Mme Patricia Colson, secrétaire générale

 Syndicat national des infirmier.ères conseiller.ères de santé (SNICS-FSU) – Mme Saphia Guereschi, secrétaire générale, et Mme Carole Pourvendier, secrétaire générale adjointe

 Syndicat national des infirmiers.ères éducateurs.trices de santé (SNIES-UNSA-Éducation) – Mme Gwenaëlle Durand et M. François Simon

 Association française des psychologues de l’Éducation nationale (AFPEN)  M. Laurent Chazelas, président

Jeudi 22 octobre 2020

       M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports

       Conférence des présidents d’université (CPU)* – M. Philippe Vendrix, président de la commission Vie étudiante

       Conférence des grandes écoles (CGE) – Mme Anne-Lucie Wack, présidente, M. François Bouchet, directeur général de l’École polytechnique, président de la commission Vie étudiante, et M. Laurent Champaney, président de la commission Amont

       Table ronde des étudiants sur l’université à distance :

 M. Adrien Di Rollo, étudiant en master 2 Droits de l’homme et Union européenne à l’université de Paris-Sorbonne

 M. Florentin Guerret, étudiant à l’université Paris Nanterre

 M. Wasiim Gulabkhan, vice-président étudiants du conseil d’administration du CROUS de Lille

 M. Vincent Llorens, étudiant en deuxième année de licence économie-gestion à l’université Paris-Dauphine

 Mme Yasmine Mebrouk, élue étudiante au conseil d’administration du CROUS de Montpellier-Occitanie

 M. Lilian Rousset, étudiant en master 2 Relations internationales-Sécurité et Défense à l’université Lyon 3

       Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) – Mme Dominique Marchand, présidente, et M. Clément Cadoret, directeur des projets

Jeudi 29 octobre 2020

       Mme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants et adjointe au Défenseur des droits, vice-présidente du collège chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant jusqu’au 16 juillet 2020

       Table ronde des départements sur l’aide sociale à l’enfance :

 Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de la Lozère

 Mme Marie-Louise Kuntz, vice-présidente du conseil départemental de la Moselle, et M. Laurent Zakrzewski, directeur général adjoint chargé de la solidarité au département de la Moselle

 Mme Isabelle Santiago, députée, conseillère départementale du Val-de-Marne

– Mme Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance et de la famille du département de la Gironde

       Table ronde d’associations d’aide sociale à l’enfance :

 SOS villages d’enfants* – M. Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer

 Fondation action enfance – M. François Vacherat, directeur général

 Sauvegarde 69 – M. Bruno Passard, directeur du pôle social, directeur du Service de protection de l’enfance en milieu ouvert (SPEMO)

       Table ronde sur les mineurs non accompagnés :

 Mme Yasmine Degras, cheffe de la mission mineurs non accompagnés (MMNA), et Mme Frédérique Botella, adjointe au sous-directeur des missions de protection judiciaire et d’éducation de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse

 Mme Daphné Bogo, directrice adjointe de l’enfance et de la famille du département de la Seine-Saint-Denis

 Mme Dany Marcy, chef de service départemental sur l’accueil des mineurs non-accompagnés du département du Pas-de-Calais, et Mme Fanny Bertrand, chef de service adjointe

 M. Laurent Gollandeau, directeur de l’enfance et des familles du département de la Loire-Atlantique, et Mme Emilie Suaud, chef du service mineurs non accompagnés

 Mme Christine Teixeira, directrice générale adjointe en charge des solidarités humaines du département des Alpes-Maritimes

       Table ronde sur les mineurs non accompagnés :

 M. Kouamé Adjoumani, auteur de Revenu des ténèbres et Le Peuple des ombres – itinéraire d’un enfant migrant

 M. Seydina Boiro, ancien mineur isolé

 Médecins du monde – Mme Carine Rolland, secrétaire générale du conseil d’administration

 Médecins sans frontières – Mme Corinne Torre, responsable mission France

 Réseau éducation sans frontières (RESF) – M. Hervé Lecomte, membre du réseau

 Association InfoMIE – Mme Aurélie Guitton, coordinatrice

Jeudi 5 novembre 2020

       Mme Marie-Andrée Blanc, présidente de l’Union nationale des associations familiales (UNAF)

       Audition conjointe :

 Fondation Le Refuge* – Mme Anne Tarrade, déléguée adjointe, et M. Frédéric Gal, directeur général

 Mouvement Mag – Mouvement d’affirmation des jeunes lesbiennes, gais, bi et trans – M. Omar Didi, président

       Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, et Mme Frédérique Botella, sous-directrice adjointe des missions de protection judiciaire et d’éducation

       M. Jean-Benoît Dujol, directeur de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) et délégué interministériel à la jeunesse

       M. Sébastien Lyon, directeur d’UNICEF France*, et Mme Jodie Soret, chargée des relations avec les pouvoirs publics

Vendredi 6 novembre 2020

       M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé de l’enfance et des familles

Mardi 10 novembre 2020

       Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation

Jeudi 12 novembre 2020

       Audition conjointe :

 Comité national olympique et sportif français (CNOSF)* – M. Denis Masseglia, président, et Mme Julie Lavet, directrice des relations institutionnelles

 Comité paralympique et sportif français (CPSF)Mme Marie-Amélie Le Fur, présidente, et M. Élie Patrigeon, directeur général

       Table ronde de syndicats de professeurs d’éducation physique et sportive (EPS) :

 SNEP-FSU – M. Benoît Hubert, secrétaire général

 SE-UNSA – Mme Perrine Prost, déléguée nationale

– SGEN-CFDT – M. Alexis Torchet, secrétaire national, et Mme Cécile Rossard

 Syndicat national des personnels du ministère de la jeunesse et des sports (SNPJS-CGT)M. Pierre Mourot

 Solidaires Jeunesse et sportsM. François Pelletier

       Table ronde réunissant les organisations syndicales représentant les salariés et les organisations patronales :

 Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Inès Minin, secrétaire nationale

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – M. Philippe Lehericey, secrétaire général adjoint de la CFTC-EPR, et M. Maxime Dumont

 Confédération générale du travail (CGT) – Mme Angeline Barth, secrétaire confédérale

 Mouvement des entreprises de France (MEDEF)* – Mme Marie Christine Oghly, présidente de la commission Éducation-Formation

 Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) – Mme Marie Dupuis-Courtes, vice-présidente en charge de l’éducation et de la formation, et Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe

       Audition conjointe :

 UNML (Union nationale des missions locales) – M. Jean-Patrick Gille, président, et Mme Sandrine Aboubadra-Pauly, déléguée générale

 FNADIR (Fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d’apprentis) – M. Pascal Picault, vice-président, et M. Jean Philippe Audrain, trésorier

Lundi 16 novembre 2020

       M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer

Mercredi 18 novembre 2020

       Table ronde de jeunes traversant la crise sanitaire dans des habitats précaires :

– Mme Ana Maria Stuparu, lycéenne et co-fondatrice du Collectif #EcolePourTous

– Mme Annabelle Quillet, membre du Groupement pour la défense du travail social, Mme Aminata Coulibaly et Océane

– Lili, Mory, Leticia, Sambou, jeunes mineurs isolés, et Mme Nathalie Senikies, de l’Association de solidarité avec les mineurs isolés étrangers (ASMIE)

– M. Andrei Nicolae, membre de Rencont’roms nous

– Mme Manon Fillonneau, déléguée générale du Collectif national Droits de l’Homme Romeurope

Jeudi 19 novembre 2020

       Mme Claire Hédon, défenseure des droits, et M. Éric Delemar, défenseur des enfants, adjoint en charge de la défense et de la promotion des droits de l’enfant

       M. Jean-Pierre Rosenczveig, président de la commission Enfances-Familles-Jeunesses de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux), et Mme Marie Lambert-Muyard, conseillère technique

       Mme Sarah El Haïry, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, chargée de la jeunesse et de l’engagement

       Association des départements de France (ADF) – M. Bruno Faure, président du département du Cantal et président de la commission Éducation, Culture et Sport de l’ADF, M. Yves Dusart, vice-président chargé de l’enfance, de la famille et de la jeunesse du département du Nord, représentant de la commission Affaires sociales, et Mme Alyssia Andrieux, conseillère en charge de l’éducation, de la jeunesse, du sport, de la culture.

       Table ronde sur le numérique éducatif :

 CNED – M. Michel Reverchon-Billot, directeur général, et M. Jean-Michel Leclercq, directeur de cabinet

 Réseau Canopé – Mme Marie-Caroline Missir, directrice générale

– Régions de France – M. Kamel Chibli, président de la commission Éducation, et M. David Duval, conseiller

       Table ronde sur les jeunes et le numérique :

 M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN)

 Mme Anne-Manuèle Hébert, organisatrice du festival Tubecon

 M. Séraphin Alava, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


  1  

   PERSONNES auditionnées LORS DES DÉPLACEMENTS

 

Déplacement à Toulouse, 16 octobre 2020

       Table-ronde organisée par l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA)

– Mme Lydie Benzal, chargée de projet formations à la mission locale de Toulouse

– Mme Nadège Carel, directrice générale de la Mission locale de Haute-Garonne, Océane Bayle, Jihane Fettouhi et Cloé Frady

–  Mme Béatrice Daunay, responsable des relations avec les entreprises de l’école de la deuxième chance, Mehdi Lhaddad et Yasmine Emdounan

– M. Boris Quegneaux, responsable des accompagnements de parcours et de formations de l’AFPA, Amir Mohamad Amiri, Anwar Adam et El Amine Kabsor, stagiaires du dispositif HOPE accompagnés par l’AFPA

– M. Jean-François Vincent, conseiller en insertion professionnelle de l’établissement pour l’insertion dans l’emploi (EPIDE) de Toulouse, Assma Diab, Morgan Borg, Corentin Larroze et Gregory Venturi

       Table-ronde organisée par l’entreprise FREYA

– Étudiants de l’école de photographie et du jeu vidéo (ETPA) de Toulouse

– Mme Magali Bel-Cunnac, directrice de la politique de petite enfance de Sicoval

– M. Christophe Coquis, directeur du magazine Geek Junior

– Mme Bérengère Dastarac, directrice de l’école e-Artsup de Toulouse

– Mme Agnès Montmerle, déléguée générale Occitanie de JobIRL

– Mme Catherine Viès, directrice de l’école Arborescences

– Aidan, créateur de la chaîne Youtube Zetup

       Visite du club Toulouse Aviron Sports et Loisirs et rencontre avec des jeunes accompagnés par la Mission locale

– M. Laurent Portes, directeur du club Toulouse Aviron Sports et Loisirs

       Visite du campement de La Flambère avec l’association Rencont’roms nous

– M. Nathanaël Vignaud, président de l’association Rencont’roms nous 

– M. Andrei Nicolae, médiateur scolaire et membre de l’association

 – Ferndus et Iacob, jeunes en mission de service civique au sein de l’association

Déplacement à Stains, à Dugny, au Blanc-Mesnil et à La Courneuve, 23 novembre 2020

       Visite de l’Externat médico-professionnel (EMPro) de Stains

– M. Mehdi Nabti, directeur

– Éducateurs et jeunes travailleurs  

       Visite du Lycée hôtelier François Rabelais de Dugny

– M. Alain Durant, proviseur

– Élèves du lycée hôtelier

       Rencontre au Blanc-Mesnil avec des mères de famille hébergées en hôtel social

       Table-ronde en visioconférence à la mairie de La Courneuve sur le thème du sport, avec notamment M. Pascal Le Bris, adjoint au maire de La Courneuve, M. Mokrane Rahmoune, responsable du service des sports de La Courneuve, M. François Chelers, président de l’Office municipal des sports de La Courneuve, et Mme Gwladys Epangue, championne olympique de taekwondo et professeur

 


   PERSONNES auditionnées PAR LA PRÉSIDENTE

 

       Mme Fadila Leturcq et M. Raphaël Königsberg, membres du comité directeur Les jeunes-IHEDN

       Mme Rebecca Shankland, professeure des Universités en psychologie du développement à l’Université Lumière-Lyon 2, M. Joël Monzee, docteur en neurosciences, Mme Françoise Sarrazin, médecin chef au SESSAD-Centre de soins et de rééducation Toulouse-Lautrec de Vaucresson, et Mme Candice Marro, en charge du pôle éducation de l’Initiative Mindfulness France (IMF) et présidente de l’association pour la Méditation dans l’Enseignement

       Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté

       M. Patrick Skehan, délégué général de Nightline France

       M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, porte-parole du Gouvernement

 

 

 


  1  

   contributions

Contribution de Mme Sylvie Charrière,
Députée de Seine-Saint-Denis

Par la présente contribution, je tiens, en préambule, à saluer de manière républicaine le travail important réalisé par Madame la Présidente, Sandrine Mörch, Madame la rapporteure, Marie-Georges Buffet, ainsi que l’ensemble des membres de la commission d’enquête.

Ce travail, au-delà des propositions concrètes formulées dans le rapport, permet de mettre en lumière un public particulièrement touché par les crises sanitaires et sociales que nous traversons.

La force et l’originalité de cette commission d’enquête sont, selon moi, de ne pas analyser la situation de notre jeunesse par un seul prisme, mais au contraire, d’aborder les problématiques de la jeunesse avec une vision plus globale.

Notre jeunesse ne peut pas et ne doit pas se penser sous le seul prisme de l’insertion professionnelle. Il faut ajouter à cette dimension importante, l’épanouissement personnel et social, l’émancipation notamment culturelle, l’accès au logement, l’accès aux soins, la mobilité ou encore la construction de la citoyenneté.

J’estime que la force de cette commission d’enquête est de considérer le jeune comme un tout. En effet, comment, par exemple, résoudre durablement les difficultés d’insertion des jeunes, sans en parallèle se pencher sur la problématique de la mobilité ?

Cette prise en compte globale de notre jeunesse doit se retrouver dans la construction et la gouvernance de nos politiques publiques. Le travail en silo ne peut pas être une solution pérenne, nous devons impérativement œuvrer pour que la gouvernance, tant au niveau national, que local, des politiques jeunesse, se fasse de manière interministérielle et collective.

Si je salue le travail et l’engagement sans faille de Gabriel Attal et Sarah El Haïry en tant que Secrétaires d’État à la jeunesse, je persiste à penser qu’un positionnement de ce Secrétariat d’État auprès du Premier Ministre, au-delà de l’aspect symbolique, aurait permis au Secrétaire d’État d’avoir une vision plus élargie des problématiques de la jeunesse et de pouvoir ainsi mener une politique globale.

Ce positionnement auprès du Premier Ministre, permettrait également à la Secrétaire d’État, d’avoir toute la légitimité pour être responsable du déploiement de toutes les politiques pour la jeunesse, quel que soit le thème abordé.

Le plan « un jeune, une solution », est une chance pour notre pays et un investissement sans précédent pour notre avenir. Un pilotage clair de ce plan par le Secrétariat d’État à la jeunesse, en prenant en compte toutes les problématiques des jeunes, de l’absence de socialisation, en passant par la difficulté de se nourrir, à l’insertion professionnelle, est essentiel.

Ce pilotage fort, interministériel, avec une vision d’ensemble, doit impérativement se retrouver aussi dans nos politiques au niveau local. En effet, la compétence jeunesse est aujourd’hui partagée entre la commune, le département et la région. Les communautés de communes ou Métropoles, peuvent également disposer de prérogatives pour notre jeunesse.

Si l’engagement des collectivités territoriales pour notre jeunesse n’est plus à prouver, parfois, la multiplication d’acteurs peut causer une forme de désengagement ainsi qu’un manque de lisibilité pour les usagers. Si toutes les collectivités sont responsables de la compétence jeunesse, comment dès lors déterminer une politique collective à mener sur un territoire ?

Ne vous méprenez pas, je ne souhaite pas que la compétence jeunesse ne dépende que d’une seule collectivité territoriale. En effet, la Région, de par sa compétence sur la formation, le département, de par sa compétence sur l’ensemble du domaine social et la commune, grâce notamment à sa proximité, ont toutes un rôle primordial à jouer. Je préconise cependant une clarification de ces rôles et une gouvernance collégiale claire.

L’instruction ministérielle du 22 octobre 2020, relative à l’obligation de formation des jeunes âgés de 16 à 18 ans, préconise une organisation territoriale pour veiller à la bonne application et réussite de cette mesure. De fait, un comité régional, présidé par le Préfet de Région, le Président du Conseil Régional et le Recteur de Région a la charge de la coordination des actions à mener à l’échelle régionale. Ce comité doit lui-même trouver sa déclinaison territoriale au niveau des Sous-Préfectures. Les maires auront un rôle essentiel pour « mettre en musique » cette politique au niveau de leur commune. Je crois profondément à ce nouveau modèle de politique publique partagé, avec un objectif commun et une gouvernance claire à plusieurs niveaux.

Enfin, je crois particulièrement au rôle essentiel des Maires au quotidien. De fait, ils sont les élus de proximité, ceux, qui doivent à tout moment connaître tous les jeunes de leurs villes et apporter des solutions concrètes à leurs problématiques.

Selon moi, le Maire doit jouer le rôle d’ensemblier des politiques en faveur de notre jeunesse. Sans avoir la compétence exclusive, il doit être à même de solliciter les collectivités et l’État, lorsqu’il constate des dysfonctionnements ou des besoins dans sa ville. La connaissance du terrain d’un Maire est une richesse dont nous devons nous servir. Une fois de plus, je préconise une gouvernance partagée car ce rôle d’ensemblier, le Maire ne peut l’accomplir seul. Pour cela, je propose de nous inspirer du modèle de gouvernance des cités éducatives, où le Maire travaille d’égal à égal avec un Principal de collège et un délégué du Préfet afin de proposer des actions favorisant la réussite scolaire des jeunes de son territoire, en ayant une approche globale sur tous les temps, tous les âges. Ce comité, dit « troïka », doit pour cela s’appuyer sur tous les acteurs de la ville (associations, parents, entreprises, acteurs du médico-social, etc.) pour monter ces projets ambitieux.

Une gouvernance forte, claire, partagée et interministérielle, c’est l’avenir de nos politiques publiques en faveur de notre jeunesse. « Seul on va plus vite, ensemble, on va plus loin ».


Contribution de Mme Christine Cloarec,
Vice-présidente de la commission d’enquête,
Députée d’IlleetVilaine

Nous avons pu constater que la situation des jeunes pendant la crise est hétérogène sur le territoire. La jeunesse est multiple et les profils sont variés. Sans vouloir nier les impacts négatifs de cette période chez certains jeunes, cette crise a aussi révélé des évolutions positives concernant les comportements psycho-sociaux chez les lycéens et étudiants, des initiatives d’entraide et de solidarité et des remises en question nombreuses autant chez les jeunes que dans les réseaux qui s’occupent de les accompagner. Elle a été une véritable opportunité pour remettre en avant les politiques jeunesse et les questionner à nouveau.

Les auditions ont révélé que la santé reste un des parents pauvres de nos politiques publiques en direction des jeunes. Le besoin de refonder les missions de santé à l’école comme à l’université est indispensable.

Nous avons entendu, au travers des auditions, un certain nombre d’estimations sur la situation des jeunes au détriment de chiffres contemporains et donc consolidés.

L’idée d’un observatoire national du décrochage scolaire prend toute sa justification à condition que des observatoires régionaux soient mis en place, à l’image de ce qui existe en Bretagne, pour une vraie prise en compte des remontées de terrain.

Au-delà des chiffres, il nous faut assurer la coordination effective sur nos territoires entre tous les acteurs institutionnels et associatifs qui participent à accompagner notre jeunesse.

Sur le sujet de l’autonomie financière des étudiants, nous devons mieux accompagner les CROUS dans leurs missions d'accompagnement des étudiants :

=>20 000 postes vont être créés pour les étudiants qui cherchent des petits boulots ou qui les ont perdus du fait de la crise.

=> Revoir les moyens de mieux accompagner les étudiants en souffrance psychique en particulier dans cette crise si particulière que nous traversons, les privant en partie d’interaction sociale.

Selon une étude du Cercle des économistes, les jeunes sont très impactés par la crise sanitaire moralement et financièrement : « 6 jeunes sur 10 ont dû modifier leurs projets personnels, 4 sur 10 leurs projets professionnels ».

=> Étudier la possibilité de créer un « Pass équipement », pour la téléphonie et l’informatique pour les étudiants précaires.

=> Trouver des solutions pour augmenter l'offre de logement pour les étudiants et réduire le coût. Les campus universitaires, en France, sont positionnés dans les métropoles ; ce qui rend la politique du logement étudiant compliquée.

Nous devons améliorer l’information sur les droits et l’accès aux droits pour lutter contre le non-recours chez les jeunes et pour mieux communiquer avec eux.

Aujourd’hui, les jeunes identifient deux portes d’entrée pour être aidés : les Missions locales et le réseau Information jeunesse. Appuyons-nous sur ces deux réseaux pour réussir « l’aller vers », diffuser l’information et créer et/ou valoriser des outils adaptés aux modes de communication des jeunes aujourd’hui, en particulier au travers des réseaux sociaux.

2 exemples à suivre et à valoriser :

Il nous faudra suivre et évaluer la pertinence de la Boussole des jeunes via les expérimentations pilotées par les Structures Information Jeunesse.

Je vous invite à aller voir la communication via Facebook mise en place par la Mission locale des jeunes du Pays de Vitré. Le nombre de jeunes connectés depuis et qui interagissent avec la Mission locale a explosé.

La plateforme « 1 jeune, 1 solution » répond à cet enjeu d’information. C’est un portail numérique qui met en relation les jeunes de moins de 26 ans avec des entreprises ou des conseillers dont la mission est de les accompagner vers la formation et l'emploi, de construire avec eux des parcours adaptés et de lever les freins périphériques que sont les difficultés liées à la santé, la mobilité, le logement, l'accès aux droits et la précarité financière :

• Je suis un jeune de moins de 26 ans (ou moins de 30 ans si je suis en situation de handicap), je cherche une formation, un emploi, je veux être accompagné :

=> je trouve des offres d'emploi : déjà plus de 20 000 offres d'emploi et d'alternance ont été sélectionnées depuis le lancement, par Pôle emploi ;

=> je trouve un calendrier des ateliers et séances d'information partout en France avec la possibilité de s'inscrire ;

=> un conseiller ou une conseillère vous recontacte ;

=> je trouve une formation

• Je veux m'engager :

=> Je trouve des missions de Service civique de 6 à 12 mois indemnisées, qui sont proposées pour permettre de développer de nouvelles compétences tout en se rendant utile.

Depuis le mois de juillet, les parlementaires de la majorité ont alerté le Gouvernement pour que des mesures en faveur des jeunes, particulièrement touchés par la crise économique, soient prises. Depuis plusieurs mois, avec ma collègue Sylvie Charrière, nous sommes particulièrement mobilisées sur cet enjeu essentiel pour notre société, aux côtés du Gouvernement.

Le plan « 1 jeune 1 solution » va dans le bon sens, renforcé en novembre dernier, il va permettre aux jeunes de profiter pleinement de ce plan de relance. Présenté en juillet 2020, le plan « 1 jeune, 1 solution » mobilise une palette de dispositifs pour aider chaque jeune à trouver une formation, un emploi, une mission ou un accompagnement qui corresponde à ses besoins. Avec un budget de 6,7 milliards d’euros, le Gouvernement et sa majorité ont triplé les moyens consacrés à la jeunesse pour faire face à la crise.

C’est un engagement fort pour protéger l’avenir de notre jeunesse. Les grands objectifs de ce plan jeunes sont de garantir la mobilisation des employeurs, permettre une appropriation par les acteurs des territoires et doter d’un dispositif de pilotage et d’évaluation. C’est une boîte à outils au service des entreprises, des jeunes, des acteurs de l’orientation, de la formation, de l’emploi et de l’accompagnement. Il doit s’organiser dans la durée.

Parmi les nombreuses mesures intégrées dans ce plan, j’aimerais faire un focus sur l’accompagnement des jeunes éloignés de l’emploi. La notion de parcours sur mesure y est essentielle.

1) Ce plan jeunes conforte le droit à l’accompagnement vers la formation et l’emploi pour tous les jeunes au travers du Parcours d’accompagnement et de contractualisation vers l’emploi et l’autonomie. Un jeune qui s’engage dans un parcours vers l’emploi a la garantie d’un accompagnement (PACEA) et d’un soutien financier en fonction de ses besoins et la durée d’accompagnement :

2) Il intègre la mise en œuvre de l’obligation de formation des 16/18 ans

3) Il permet la montée en charge de la garantie jeune, réponse française aux prérogatives européennes dans le cadre de la garantie jeunesse. C’est le dispositif d’accompagnement renforcé du PACEA, qui propose une phase de 6 semaines en collectif
4) Il permet aux jeunes suivis par Pôle emploi dans le cadre du dispositif « Accompagnement intensif jeunes » et à ceux qui sont accompagnés par l’APEC dans le cadre du dispositif "objectif premier emploi" de bénéficier du PACEA, mobilisé par les Missions locales ainsi que de l’allocation inhérente.

Des résultats sont déjà visibles

Entre août et septembre, les embauches en CDI ou CDD de plus de trois mois ont augmenté par rapport à la même période l’année passée – 696 000 jeunes ont ainsi un contrat de travail leur permettant d’aborder la crise actuelle plus sereinement –, sans compter le nombre de contrats d’apprentis qui devrait atteindre voire dépasser le record de 2019. Le premier bilan chiffré du « plan jeunes » est encourageant avec :

– Près de 100 000 demandes déposées depuis l’ouverture d’aide à l’embauche (AEJ) depuis l’ouverture de la plateforme le 1er octobre ;

– 314 000 nouveaux contrats d’apprentissage mi-octobre (vs 353 000 en 2019) ;

– Parcours Emploi Compétences (PEC jeunes) : 13 000 réalisés (objectif de 20 000 en 2020) ;

– PACEA : 277 600 réalisés (objectif de 2020 : 340 000) ;

– Garantie jeunes : 70 500 réalisés (rappel objectif 2020 : 100 000) ;

– Accompagnement intensif jeunes (AIJ) : 104 000 réalisés (objectif 2020 : 135 000).

Mais, comme l’a souligné récemment le président de la République, il n’est « pas facile d’avoir 20 ans en 2020 ». Nous devons donc aller encore plus loin…

Nous devons aller encore plus loin

Depuis le mois de juillet, je travaille avec ma collègue Sylvie Charrière sur des mesures structurelles à mettre en place pour mieux accompagner les jeunes sur les marchés de la formation et du travail.

1) En adaptant mieux nos offres de formation au marché du travail…

Nous devons travailler sur de nouvelles formations « ad hoc » pour mieux adapter nos jeunes au marché du travail, notamment dans les secteurs en tension. En effet, même si la crise frappe lourdement certains secteurs d’activité, d’autres continuent à recruter, à l’instar du numérique et de la santé, des métiers restant même paradoxalement « en tension », avec de la peine à trouver des candidats. Début octobre, l’Insee évoque une situation loin d’être uniforme selon les secteurs, avec une reprise des embauches dans la construction, le commerce ou encore les services aux entreprises. Par ailleurs, dans le prolongement de la loi « pour avoir la liberté de choisir son avenir professionnel », il est devenu impératif d’associer les entreprises au référentiel de certification des formations.

2) Le droit à l’accompagnement doit prévaloir sur l’allocation. Nous portons le projet que l'émancipation passe par la formation et le travail.

4) Réduire la fracture sociale et territoriale entre les jeunes…

Pour les jeunes de 16 à 25 ans, le parcours contractualisé vers l’emploi et l’autonomie adapté vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) permet de bénéficier d’un accompagnement adapté, mais il faut aller plus loin. Il faudrait en effet aligner les avantages dont bénéficient actuellement les étudiants concernant l’accès à la mobilité, la culture et le sport aux jeunes du PACEA.

Parlementaire et Vice-Présidente de l’Union nationale des Missions locales, j’ai porté à connaissance un certain nombre de freins à la montée en charge du Parcours d’accompagnement contractualisé vers l’emploi et l’autonomie et de la Garantie jeunes. Le travail mené entre le réseau, le cabinet du ministère du travail et de la DGEFP depuis plusieurs mois a porté ses fruits et des améliorations vont être apportées :

1/ Problématique de la dématérialisation des démarches administratives avec l’ASP

La période de confinement de mars dernier a fait la démonstration de l’urgence de travailler à la dématérialisation des flux de données entre les Missions Locales et l’ASP.

En effet, durant la période, et au regard des enjeux, une procédure dégradée a été mise en place pour permettre la transmission par mail des dossiers et de récolter des signatures numériques de façon à ne laisser aucun jeune en difficulté.

De nombreuses préfectures ont fléché des jeunes en grande précarité vers le réseau des Missions Locales afin qu’elles puissent les prendre en charge, les accompagner et leur verser des allocations dans le cadre du PACEA. Le réseau des Missions Locales a su répondre présent.

Dans un souci d’efficience des Missions Locales et de l’ASP, il est plus que nécessaire de se lancer de toute urgence sur le chantier de la dématérialisation si nous voulons réussir la montée en charge du PACEA et de la GJ.

Il n’est pas rare que des jeunes, déjà en situation de forte précarité, doivent attendre plusieurs mois avant de bénéficier d’une allocation pour les sécuriser dans leurs parcours d’accompagnement. Cela génère chez les jeunes une grande incompréhension, un sentiment de défiance vis-à-vis des institutions et dans certains cas des violences verbales et physiques vis-à-vis des Missions Locales. Il est donc urgent d’engager ce chantier pour réduire ses situations.

     Demander à l’ASP d’accepter les dossiers du confinement en l’état pour éviter des démarches de recouvrement auprès de jeunes déjà en situation de précarité et permettre aux Missions Locales de se concentrer sur l’accompagnement des jeunes.

     Engager de toute urgence les travaux concernant la dématérialisation des démarches entre les Missions Locales et l’ASP afin qu’elle soit opérationnelle au 1er janvier 2021 pour réussir les montées en charge prévues par le plan jeune.

Exemple de la ML des jeunes du Pays de Vitré sur le bénéfice RH

La Mission Locale de Vitré dispose d’une équipe de 17 salariés. Cette année, elle a signé 400 Cerfa PACEA et 90 Cerfa GJ. Pour assurer le suivi administratif de ces dossiers « papiers » en lien avec l’ASP, elle a mobilisé ½ équivalent temps plein (ETP).

     On peut en déduire que pour l’ensemble du réseau, une dématérialisation de ces démarches aboutirait à un gain de 390 ETP qui pourrait être remobilisé dans l’accompagnement des jeunes

2/ Critères d’entrée en GJ

     Les revenus imposables du foyer empêchent l’entrée en GJ. Ce critère ne devrait pas prévaloir sur le besoin d’accompagnement du jeune dans un dispositif qui a fait ses preuves. Nous devons pouvoir faire entrer en GJ davantage de jeunes.

     Il serait opportun de revoir le critère « NEET ». Aujourd’hui, les petits jobs et les emplois saisonniers ne permettent pas l’entrée en GJ alors que l’objectif est bien de former dans une logique de parcours et pour amener le jeune dans une situation d’emploi durable.

3/ Mineurs et GJ

Le nombre de mineurs entrés en GJ a augmenté fortement en 2019. Selon la proportion des mineurs dans les cohortes, le dispositif apparaît compliqué à gérer et pas toujours adapté.

     Questionner la Garantie jeunes pour les mineurs et s’appuyer sur des expérimentations locales de dispositifs GJ adaptés.

     Orienter les 16/18 ans de préférence vers les dispositifs, existants ou mis en place dans le cadre de l’obligation de formation pour éviter les déscolarisations

Le sujet du RSA jeunes revient régulièrement dans les discussions.

Nous avons une autre ambition pour notre jeunesse. Depuis 3 ans nous privilégions les mesures qui permettent l’émancipation par la formation et l’emploi, la mise en place de parcours adaptés aux besoins.

L’enjeu de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ne se règlera pas qu’à coup d’allocations. Il est nécessaire et vital d’avoir une autre ambition pour la jeunesse : son insertion pleine et entière dans la société. C’est d’ailleurs à ce niveau que se situe la demande sociale.

Partant de ce constat, la Garantie Jeunes est une bien meilleure réponse puisqu’elle permet de s’adapter à la diversité des besoins des jeunes. L’évaluation scientifique du dispositif (cf. le rapport de la DARES) a fait la preuve des bienfaits du dispositif en constatant une augmentation à +7,1 points de pourcentage sur le taux d'emploi total. Autrement dit, la part des jeunes qui sont en emploi est de 36,3 %, au lieu de 29,2 % pour des jeunes aux caractéristiques similaires n’ayant pas bénéficié du dispositif. Elle répond également aux enjeux de sécurisation de parcours par le versement d’une allocation corrélée à un véritable accompagnement renforcé. Enfin, la Garantie Jeunes par sa dimension de remobilisation est plus dynamique parce qu’elle permet de remettre les jeunes au cœur de leur parcours d’insertion et de les réorienter autant que de besoin vers les nombreuses autres politiques d’insertion existantes : formation professionnelle, alternance, contrats aidés, IAE…

Aussi, il est préférable dans l’intérêt des jeunes de se poser la question des politiques publiques qui leur permettent de s’insérer dans la société plutôt que d’acter l’abandon de toute ambition d’insertion pour l’ensemble de ces jeunes par la société.


Contribution de Mme Marianne Dubois,
Députée du Loiret

Parce que nos armées disposent d’un savoir-faire incontestable en matière d’intégration de la jeunesse – elles recrutent chaque année 20 000 à 30 000 jeunes – les armées ont été mises à contribution pour favoriser l’insertion professionnelle de la jeunesse en difficulté.

Trois dispositifs aux objectifs similaires ont été mis en place à cette fin : le service militaire adapté (SMA) en outre-mer, dès 1961, l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDE), en 2007, et le service militaire volontaire (SMV), depuis le mois d’octobre 2015.

S’ils ne touchent aujourd’hui que des publics assez faibles, moins de 10 000 au total, au regard du nombre de jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme ou qualification, soit 60 000, ils proposent à une population ciblée une remise à niveau comportementale, une formation civique et un chemin vers l’emploi qui s’apparentent à bien des égards à l’ancienne fonction sociale du service militaire.

Il s’agit de jeunes, à partir de 16 ou 18 ans, qui sont éloignés de tout et s’adressent volontairement à l’armée de terre, laquelle dispose de dix mois pour les remettre à niveau quant au savoir être et au savoir vivre, ce qui génère plus de 72 % de sorties positives. Entendre un jeune qui était perdu pour la société affirmer qu’il est regardé et aimé pour la première fois est émouvant. Ces structures sont insuffisamment développées.

Au sein de la commission de la Défense de l’Assemblée nationale, je milite de longue date en faveur du développement du service militaire volontaire (SMV), lequel est calqué sur le service militaire adapté (SMA), avec l’objectif de créer un centre par région.


Contribution de Mme Perrine Goulet,
Députée de la Nièvre

Les auditions permettent de mettre en lumière les effets du confinement opéré au printemps sur l’attitude des enfants protégés hébergés en foyers ou dans les familles d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance.

Ainsi apparaît-il que l’absence de contact des enfants avec la famille a permis dans de nombreux cas de les tranquilliser. Ils étaient dès lors moins agités, plus sociables et un travail approfondi avec les éducateurs a été possible. Ces enseignements doivent nous interroger à plusieurs échelles.

– La doctrine du maintien du lien, coûte que coûte, avec les parents peut nous interroger ;

– Les activités annexes des éducateurs peuvent être questionnées ;

– Un taux d’encadrement peut être déterminé.

Dès lors, 3 recommandations sont possibles :

Faire de la rupture familiale un outil de tranquillisation des enfants placés

De nombreux acteurs ont pointé l’effet bénéfique du confinement sur les enfants placés. Ils étaient ainsi coupés, notamment, de leurs parents. Il serait pertinent, en cas de placement judiciaire, que le juge puisse décider, lorsqu’il est constaté que le contact familial est délétère pour l’enfant, qu’il s’y soustrait. Ne pas être en contact avec sa famille peut effectivement être douloureux pour certains mais aussi relever d’un soulagement pour d’autres enfants. Une telle mesure devra être instaurée par un dialogue entre la justice, les éducateurs, l’enfant et les parents à qui il faudra apporter une explication pertinente. Cette recommandation peut être immédiatement opérante : étudier le maintien des liens en tenant compte uniquement du besoin supérieur de l’enfant.

Faire évoluer la doctrine du « lien avec les parents »

Dans la droite ligne de ce qui précède, la propension des juges à maintenir absolument un lien avec les parents doit être questionnée. Ainsi, l’intérêt supérieur de l’enfant commande-t-il d’isoler un enfant d’un parent incestueux par exemple ? Pourtant, il arrive que ce lien soit maintenu. Cette décision, prise par le juge, doit nous questionner. Sans remettre en cause l’indépendance de la décision du juge, cette doxa pourrait évoluer au gré de la formation (initiale et continue) délivrée aux magistrats et futurs magistrats.

Recentrer les éducateurs sur leur métier

Le confinement a mis en lumière la disponibilité accrue des éducateurs et un meilleur travail éducatif auprès des enfants. Ils n’avaient plus à accompagner les enfants à l’extérieur et ils avaient également moins de contraintes administratives : des tâches qui prennent du temps et qui sont éloignées du métier d’éducateur. Dès lors, il semble nécessaire de procéder à un allègement administratif fort afin de permettre aux éducateurs d’exercer leur métier : éduquer.

Définir un taux d’encadrement

Dès lors et au regard de ce qui précède, il convient d'instaurer un taux d'encadrement strict qui serait de 1 encadrant pour 8 enfants au-dessus de 6 ans et un taux d’encadrement supérieur pour les plus petits.

L’acquisition de l’autonomie et de l’émancipation dans ce contexte de crise sanitaire et, de facto, de crise économique, a conduit le ministère à prendre la décision d’interdire les sorties d’ASE durant la période d’urgence sanitaire. Cette interdiction bienvenue a été salutaire pour de nombreux jeunes atteignant leurs 18 ans durant le confinement, évitant ainsi qu’ils ne se retrouvent à la rue.

Plus largement, c’est la transition ASE / Sortie d’ASE qui doit nous interroger et donc le suivi social indispensable. On constate que les aides sociales ne proposent peu de dispositifs pertinents, en temps normal pour un jeune entre 18 et 25 ans, la solution pour une fille de tomber enceinte pour faire valoir les droits aux prestations sociales n’étant pas entendable.

Cette situation est particulièrement criante pour les jeunes pris en charge par l’ASE.

Des solutions existent par les Contrats jeunes majeurs mais ces derniers sont territorialement inéquitables et plus généralement sous-utilisés par certains départements.

Ces éléments appellent deux réflexions :

- s’interroger sur les obligations légales des départements en la matière ;

- définir un nombre minimal de Contrats jeunes majeurs.

Expliciter le code de l’action sociale et des familles

L'accompagnement de chaque jeune vers l'autonomie est laissé à l'appréciation des départements au titre de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qui dispose :

Article L222-5

Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général :

1° Les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel, modulable selon leurs besoins, en particulier de stabilité affective, ainsi que les mineurs rencontrant des difficultés particulières nécessitant un accueil spécialisé, familial ou dans un établissement ou dans un service tel que prévu au 12° du I de l'article L. 312-1 ;

2° Les pupilles de l'État remis aux services dans les conditions prévues aux articles L. 224-4, L. 224-5, L. 224-6 et L. 224-8 ;

3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil, des articles 375-5, 377, 377-1, 380, 433 du même code ou du 4° de l'article 10 et du 4° de l'article 15 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante ;

4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les établissements ou services qui accueillent ces femmes organisent des dispositifs visant à préserver ou à restaurer des relations avec le père de l'enfant, lorsque celles-ci sont conformes à l'intérêt de celui-ci.

Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants.

Dès lors et comme le précise le dernier alinéa, le Président du département est discrétionnaire dans l'attribution de Contrats jeunes majeurs. Or, il apparaît que certains départements n’en proposent pas ou peu. Il conviendrait donc de réviser l'article L. 222-5 du présent code afin de préciser les obligations (qui sont aujourd’hui des possibilités) du Département en la matière. Cette révision devra s'articuler avec des moyens ad hoc.

Définir un seuil de contrat jeunes majeurs

Aussi il serait pertinent que ce qui est aujourd’hui une possibilité, devienne une obligation en définissant un seuil minimal, basé sur la population de mineurs du département, ces chiffres étant facilement identifiables. Les Départements auraient un nombre minimal de contrats à proposer pour les jeunes sortant de l’ASE.

La mise en œuvre du télé-enseignement a été particulièrement difficile tant pour les enfants que pour les enseignants. Si des leçons ont été tirées du premier confinement il apparaît qu’un sujet s’impose : la question des violences intra-familiales.

Pour les enfants subissant des violences intra-familiales, l’école représente un espace de respiration permettant de ne plus subir les pressions et de donner l’opportunité de se confier.

Renforcer le corps enseignant dans son rôle de détection des violences intra-familiales

Les équipes enseignantes doivent mieux pouvoir jouer un rôle de vigie. Il convient donc de proposer rapidement la mise en œuvre d'un module de formation continue à l'attention des enseignants (différencié en fonction des niveaux) de détection des signaux faibles de violences intra-familiales. Outre cette formation continue à l'attention de tous les enseignants, un module de formation initiale devra être mis en œuvre dans les ESPE, avant les premiers stages pratiques.

Faire de l’éducation au corps un élément du programme scolaire dès la maternelle

La détection des violences intra familiales est difficile en raison du jeune âge des victimes et de leurs difficultés à savoir ce qui est bien et mal. Il conviendrait d’instaurer un programme d’éducation au corps auprès des enfants dès leur plus jeune âge. Il s’agirait là d’appréhender son corps, le concept même « d’intimité ». Tout cela pour lutter contre les violences éducatives ordinaires qui ont été interdites dans notre pays l’année dernière et les violences sexuelles encore trop répandues. Pour cela, il convient que l’enfant puisse identifier que ce que peut lui infliger un adulte est « mal ».


Contribution de Mme Anissa Khedher,
Députée du Rhône

La crise sanitaire a des conséquences économiques, sociales, humaines douloureuses. Familles, écoles, activités extrascolaires, elle touche directement le quotidien des enfants, des adolescents, des jeunes de tous les territoires.

Au cours de cette commission d’enquête, ce fut un honneur de nous engager pour les plus jeunes, d’œuvrer pour que nous puissions, dans les mois qui viennent, alors que l’épidémie continue de nous atteindre collectivement, mieux comprendre comment les enfants et les jeunes vivent cette période, quelles sont les difficultés auxquelles ils se confrontent, quelles sont les solutions sont apportées pour les aider par les acteurs éducatifs, associatifs, institutionnels et quelles sont les réponses que l’État doit construire pour les accompagner.

Je tiens, dans cette contribution, à souligner le travail exceptionnel de tous les professionnels qui œuvrent dans la protection de l’enfance, qui accompagnent les enfants et les adolescents en foyer ou en milieu ouvert, à tous les éducateurs en prévention spécialisée qui, dans les territoires et en particulier dans les quartiers prioritaires, vont à la rencontre des jeunes pour les aider à s’en sortir.

Alors que les violences intrafamiliales et le décrochage scolaire ont augmenté ces derniers mois, alors que l’insertion professionnelle, l’accès aux services publics se sont compliqués depuis le début de la crise sanitaire, nous devons témoigner notre reconnaissance à celles et ceux qui protègent et accompagnent les plus jeunes de nos concitoyens qui se retrouvent en situation de grande fragilité.

Dans les quartiers prioritaires, je salue le travail des acteurs éducatifs et des associations qui, notamment pendant le premier confinement, se sont organisés pour permettre aux élèves de suivre la scolarité à distance en veillant à la transmission papier des documents scolaires, en distribuant du matériel informatique, en appelant régulièrement les enfants en difficulté. S’il y a eu des situations de décrochage scolaire, trop nombreuses, il est important de préciser les efforts fournis par une grande majorité des enseignants pour garder contact et pour ne laisser aucun élève sur le côté.

Pour lutter contre le décrochage scolaire, mais aussi pour apporter une respiration méritée aux enfants et aux jeunes qui vivent dans la précarité voire dans la pauvreté, le dispositif Vacances Apprenantes a été mis en place durant l’été puis pendant les vacances scolaires d’automne. Il nous faudra évaluer pleinement ce dispositif afin de définir comment il peut être reconduit et amélioré dans les prochaines années.

De la même manière 2020 fut une année de lancement pour les Cités Éducatives. La crise sanitaire a compliqué le déploiement de ce programme ambitieux à destination des enfants et des jeunes des quartiers prioritaires de la Politique de la Ville. Pour autant, les moyens que l’État a débloqués et les discussions engagées avec l’ensemble des acteurs éducatifs dans les communes concernées ont permis d’aboutir à des réponses concrètes ces derniers mois dans l’accompagnement scolaire des élèves des territoires concernés.

Dans ce rapport, j’aimerais également avoir un mot pour les enfants en situation de handicap et leur famille. Nous continuons à œuvrer pour construire la société inclusive à laquelle toutes les personnes handicapées aspirent et qu’elles méritent. Pendant cette période, nous avons poursuivi le développement de l’inclusion à l’école, dont l’objectif, à moyen et long termes, est de construire une société dans laquelle, dès le plus jeune âge, la différence est perçue comme une richesse.

Je tiens, en lien avec le handicap, à évoquer la situation des enfants et des jeunes aidants pour qui la situation s’est compliquée pendant la crise sanitaire. Ces enfants et ces jeunes qui aident quotidiennement un parent, un proche en situation de handicap ou gravement malade, sont eux aussi confrontés à une forme de violence, celle d’endosser des responsabilités importantes pour leur âge, souvent au détriment d’activités sociales, sportives et culturelles propres à leur jeunesse. Il nous faudra, me semble-t-il, travailler sur ce sujet dans les prochains mois pour apporter à ces enfants et à ces jeunes des solutions d’accompagnement et de répit leur permettant de concilier leur rôle d’aidant tout en vivant leur jeunesse et en construisant leur avenir.

Aussi, après plusieurs rencontres avec les professionnels de la protection de l’enfance, j’appelle à revoir le financement des interventions éducatives en milieu ouvert. La valorisation de ces dernières souffre d’une très grande disparité sur le territoire qui a, d’après le rapport de l’IGAS de décembre 2019, une incidence directe sur la file active des référents éducatifs et donc à terme sur les délais et la qualité de prise en charge en Action Éducative en Milieu Ouvert.

De la même manière, les professionnels de la prévention spécialisée appellent à ce que l’Etat engage une réflexion quant à une harmonisation nationale des objectifs qui leur sont fixés. En effet, aujourd’hui territorialisés, les objectifs confiés dépendent directement des attentes et des moyens alloués par les collectivités territoriales. Cette situation génère de fortes disparités d’un territoire à un autre dans le domaine de la prévention spécialisée.

Enfin, ce rapport est l’occasion de rappeler que nous devons garantir l’accès et le respect des droits de chaque enfant, mais aussi préserver l’insouciance qu’offre la période infantile. De la même manière, nous devons veiller à ce que les plus jeunes puissent, malgré la crise sanitaire et économique provoquée par la covid19, se projeter dans un futur meilleur, empli des belles opportunités que la jeunesse promet et que la République leur doit.


Contribution de Mme Maud Petit,
Vice-présidente de la commission d’enquête,
Députée du Val-de-Marne

Mme Maud Petit a souhaité intégrer la parole de terrain, notamment celle des élus locaux et de jeunes du Val-de-Marne. Dans cette optique, elle a tenu un certain nombre de réunions dont la présente contribution est le fidèle compte rendu, sans filtre.

1.   Entretiens avec des élus locaux du Val-de-Marne le 16 octobre 2020

Présents :

Madame Petit expose les enjeux de la Commission d’enquête et invite Laure et Jimmy à prendre la parole concernant l’impact de la crise sanitaire sur leur quotidien.

Laure indique ses ressentis. Elle évoque l’ennui ressenti pendant la première période de confinement, la difficulté d’être confinée et bloquée à la maison pendant un long laps de temps. Il lui a été difficile d’être éloignée de ses amis, et de sa famille (hors noyau familial). Laure considère l’utilisation du numérique comme un bon outil pour rester en contact, mais il ne remplace pas les échanges réels.

Jimmy est mitigé concernant la scolarité à distance lors du 1er confinement : les visios étaient une bonne chose, mais des problèmes techniques récurrents rendaient les cours plus difficiles à appréhender. Il mentionne également la tenue de certains cours en visioconférence pendant les vacances, qui ont accentué la fatigue des élèves.

Après le premier confinement, le retour à l’école fut une bonne chose selon lui, notamment pour retrouver les camarades de classe. Le protocole sanitaire est présent, mais pas toujours respecté par les enfants, notamment pendant les récréations. Concernant les gestes barrières, Jimmy trouve cela contraignant mais important à respecter pour ne pas propager la maladie. Il précise aussi que concernant le port du masque, certains élèves ne veulent pas écouter. Il considère qu’il n’y a pas assez d’explications sur le masque à l’école.

Madame Valérie Dray prend la parole. Elle constate une démobilisation, une tristesse chez les jeunes. Elle est inquiète concernant une perte de repères des jeunes. Lors de certains échanges, elle a constaté un grand pessimisme, entendant même des phrases comme « On attend la mort ». Madame Dray insiste sur la vigilance à apporter concernant des dépressions post-Covid-19.

Concernant le suivi des consignes sanitaires, sur la commune d’Ormesson, cela est relativement respecté des jeunes. Madame Dray regrette la fermeture des associations et souhaiterait une réouverture rapide des structures, car ce sont des lieux d’expression de la jeunesse. Elle rappelle également l’importance de la culture et de l’art pour libérer et apaiser les angoisses (exemple du théâtre). Madame Dray conclue en rappelant l’importance de redonner espoir à la jeunesse dans ce moment délicat. Sur la commune, il y a des réflexions engagées pour la mise en place de passerelles avec les jeunes.

Madame Karine Roussel et Monsieur Sedent prennent la parole à leur tour. Sur la commune de Noiseau, l’application du protocole par les services de la mairie, la gestion de l’état de crise sont la priorité. Le 1er confinement est encore trop récent pour constater sur le terrain leffet de la Covid-19, les équipes sont toujours dans l’analyse de la gestion de l’urgence. Globalement, Madame Roussel constate un respect des consignes sanitaires de la part de la population. Madame Roussel et Monsieur Sedent font état d’une augmentation des violences intra familiales.

Concernant le protocole sanitaire dans les écoles, il est respecté. Les élus nous font part de l’importance de la réouverture des établissements scolaires, notamment pour le maintien du lien social. Ils font état des réflexions engagées par la municipalité sur le bien-être des enfants, notamment à l’école. Un travail futur est prévu sur la mise en place d’ateliers (Yoga à l’école…). Il faut permettre l’apprentissage du lâcher-prise, gestion des émotions. Pour ce faire, une augmentation du budget serait idéale, notamment pour pouvoir équiper les écoles.

La question du sport est abordée. Indispensable pour tous, et bien évidemment pour les jeunes, afin d’évacuer le stress, se recentrer.

Enfin, Madame Roussel et Monsieur Sedent rappellent à leur tour l’importance des associations, qui sont des relais importants pour la prise en charge des jeunes, qui leur permettent de s’évader.

 

2.   Entretiens avec des élus locaux du Val-de-Marne le 16 novembre 2020

Présents :

Madame Maud Petit présente les enjeux de la Commission d’enquête et invite les auditionnés à faire part de leurs remarques et observations liées à leur profession.

Madame Fellah prend la parole. Elle prend en charge deux enfants (20 mois et 24 mois) ainsi qu’un bébé. Actuellement, la prise en charge des enfants se poursuit. En termes de rémunération, elle reçoit actuellement 80 % de 2 de ses employeurs, et 100 % pour le troisième. Les parents sont en confiance concernant cette méthode de garde, et le protocole sanitaire est rigoureux. Ainsi, les parents ne rentrent plus dans l’espace de garde, le port du masque est obligatoire et les horaires de dépôt et de récupération des enfants sont différentes afin d’éviter les croisements.

Dans l’espace de garde, les jeux et les jouets sont nettoyés minutieusement. On ne sort plus tous les jeux des enfants. Le plus jeune enfant a ses jeux attitrés (période où l’enfant met les jeux à la bouche, il faut donc faire attention pour la propagation des germes). Madame Fellah explique aux enfants la situation, qui est comprise des plus grands. Une attention particulière est portée à l’apprentissage des gestes sanitaires (lavage de main). Chaque enfant dispose de sa serviette. Madame Fellah a fabriqué des masques adaptés pour eux, car les enfants veulent porter un masque, par mimétisme. La continuité des gestes sanitaires appris avec l’AM est présente à la maison, avec les parents.

Concernant l’accompagnement de la profession, la PMI était chaque semaine en contact direct avec Madame Fellah pendant le confinement, ainsi que le RAM (Relais assistantes maternelles). La mairie de Sucy-en-Brie et le département du Val-de-Marne (via la PMI) lui ont fourni des masques.

Les Dr Catherine Barrey et Dr Nadia Allon prennent la parole. L’activité pédiatrique du service pendant le premier confinement fut faible, le personnel ayant été transféré au service urgences des adultes. Les consultations furent reportées, déplacées ou réalisées en téléconsultation jusqu’au mois de mai.

Après le mois de mai, reprise d’une activité de consultation normale. L’activité d’hospitalisation fut faible jusqu’au mois d’octobre. Pour le second confinement, le personnel fut à nouveau transféré aux Urgences adultes, mais cette fois-ci, l’organisation fut plus problématique car les urgences pédiatriques furent plus importantes sur la seconde période. Le nombre de place en hospitalisation était en tension. Les médecins ont constaté une activité dense au niveau des pathologies lourdes telles que de nouveau diabètes, des méningites. Les médecins ont aussi constaté un retard important pour des consultations concernant des pathologies digestives ou sur de fortes fièvres de plusieurs jours. En revanche, les médecins indiquent moins de soucis liés aux virus hivernaux (Les mesures barrières ont un effet positif sur ce dernier point.)

Concernant la mise en œuvre de la Téléconsultation en pédiatrie, cette pratique a montré ses limites. Les médecins ont besoin de voir l’enfant afin de l’examiner, interagir, pouvoir parler et jouer. La téléconsultation est en revanche efficace pour des renouvellements de traitements.

Concernant l’impact de la crise sanitaire sur les jeunes, les médecins estiment que la Covid-19 a un rôle d’accélérateur et déclencheur des troubles psychiatriques (qui commencent généralement à l’adolescence). Le nombre de consultations pendant le confinement a considérablement diminué. Or, le déconfinement a mis en exergue une forte augmentation des pathologies psychologiques chez l’adolescent : troubles anxieux, tentatives de suicide, état de stress post-trauma.

Les médecins expriment des craintes pour l’adolescence, qui est déjà période de fragilité et de vulnérabilité. Le confinement accentue l’isolement social, sentiment de solitude. Les médecins ont observé une augmentation des situations de tensions familiales, (maltraitances éventuelles).

Ils ont également souligné les difficultés à respecter les gestes barrières que les ados considèrent comme étant imposés. (Adolescence = période de recherche de liberté et de l’opposition, transgression.). Pendant les consultations, les médecins ont recueilli des paroles exprimant un sentiment de culpabilité, liée à la perte d’un proche et du travail de deuil rendu impossible par les mesures sanitaires.

Au sujet de la scolarité, il a été rapporté aux médecins des situations anxiogènes, comme le non-respect des gestes barrières de la part de certains élèves à l’école.

Les médecins ont fait état de situations de décrochage scolaire, avec des disparités entre les familles. Il fut observé des difficultés notamment plus prononcées pour les familles monoparentales. Le retour à fut synonyme de stress pour certains enfants, lié à la peur de l’échec au retour, et au retard dû à labsence de scolarisation. Selon les médecins, la réouverture des écoles est importante car le lien social très important pour la santé psychique des enfants et adolescents. Les médecins précisent que le confinement a pu être positif pour certains aussi, mais elles ont observé une majorité conséquences négatives à l’hôpital.

Les médecins estiment nécessaire d'autoriser le sport outdoor, pour permettre aux jeunes de bouger et de retrouver un équilibre psychique.

Concernant l’impact du confinement sur le diagnostic des pathologies aiguës et chroniques, notamment pour le diabète de type 1, les médecins confirment des retards de diagnostics car il existe des hésitations à venir aux urgences en période de crise sanitaire : des enfants sont arrivés avec des signes d’une importante déshydratation (diabète), plus qu’en situation classique. En termes de suivi, en téléconsultation ou sur place, des déséquilibres ont été constatés dans les traitements suite au confinement. Cela est aussi dû à la perte de rythmes des enfants dans la journée (plus de rythme scolaire, changements de rythme de vie aussi pour les parents, ce qui influe sur le rythme des enfants).

Les médecins constatent l’augmentation des conflits familiaux et des tensions entre les parents et les enfants. Une pression parfois trop importante est exercée sur les enfants, ce qui devient une source de conflits et d’angoisse pour les enfants. Elles constatent également une augmentation des hospitalisations pour sévices et maltraitances.

Concernant l’impact du confinement sur les enfants présentant des troubles du spectre autistique, tout dépend de la relation famille / enfant auparavant, et de la gestion de l’autisme. Il y eut une forte demande de réouverture des IME, car les familles ont besoin d’un accompagnement en cette période particulière. La crise a interféré sur tous les aspects du quotidien de ces jeunes, entraînant donc un retentissement à tous les niveaux.

En ce qui concerne la prise en charge du nouveau-né et de la maman en période de confinement, l’hôpital Sainte-Camille ne dispose pas d’une maternité, mais l’accueil des mamans accompagnantes et de leur nouveaux-nés est toujours possible, sous condition d’un test systématique pour les mamans. Observation de nouveaux nés contaminés par la Covid-19, les bébés s’en remettent vite.

Au sujet de l’impact de la crise sur les actions préventives (vaccination infantile, par ex), les médecins n’ont pas constaté de changement majeur. Le confinement a simplement pu servir de prétexte pour ceux qui étaient déjà réticents à la vaccination.

L’importante utilisation des écrans et Réseaux sociaux (RS) pendant le confinement est à souligner. En effet, il a été constaté une augmentation de recherches concernant la mutilation sur internet chez les jeunes (Tranche d’âge 14/16 ans). Les médecins ont pu constater une continuité du harcèlement sur les RS. Les jeunes harcelés ont toujours du mal à arrêter de lire ces messages, malgré leur nocivité.

Il est ensuite rappelé le rôle des médias dans la diffusion constante d’informations anxiogènes. Les réactions sont diverses de la part des jeunes : certains ont conscience du danger, ce qui entraîne une peur de la mort, une incapacité à se projeter dans l’avenir. Dans d’autres cas, les jeunes asymptomatiques font preuve de négligence. Il est donc important de faire attention aux communications contradictoires qui faussent le message de prévention.

Le Dr Catherine Barrey et le Dr Nadia Allon concluent cette visioconférence en indiquant que la privation de liberté de plus en plus difficile à accepter pour toute la population, et que cet impact sur le moral des Français ne doit pas être minimisé.

 

 

 


 

Contribution de Mme Florence Provendier,
Députée des Hauts-de-Seine

Qui dit enfant ou jeunesse dans notre pays, dit une douzaine de ministères dont la santé, l’éducation, le sport, la culture, sans oublier la vie associative, l’inclusion, le travail, la justice, les affaires étrangères, l’économie sociale et solidaire ainsi que les secrétariats dédiés à la jeunesse ou à l’enfance.

Du côté de l’Assemblée nationale, le mot enfant ne figure dans aucune des missions des commissions permanentes, ce qui se traduit par l’absence d’une approche holistique, pour ne pas dire de boussole, qui permettrait de prendre en compte et de façon concertée, le respect des droits de l’enfant en toutes circonstances.

Cette commission d’enquête nous a donc donné la possibilité de faire le point sur l’impact de la crise certes, qui précarise davantage les plus vulnérables, mais aussi sur l’articulation de nos politiques en faveur des enfants et de la jeunesse, où les principaux intéressés ne sont que rarement consultés, a fortiori en cette période.

De nombreux témoignages en attestent, le confinement a entraîné un certain repli sur soi voire une “rupture” avec la société. Au-delà de la détresse psychologique et économique, c’est tout le lien social qui s’est effrité. D’après le rapport publié par la Fondation de France début décembre 2020, 13 % des jeunes sont aujourd’hui touchés par l’isolement, soit presque autant que l’ensemble de la population (14 %) alors qu’ils n’étaient que 2 % en 2010. Cette hausse s’explique en partie par la paupérisation croissante des jeunes - les 18-29 ans constituent la classe d’âge la plus pauvre. Comme le rappelle le CESE, le lien social est un élément essentiel de la personne humaine et une condition de son émancipation et de sa capacité à faire société. Cette réalité est d’autant plus prégnante pour la jeunesse qui se construit au travers d’expériences sociales.

Ce qui ressort par ailleurs, c’est qu’il est extrêmement difficile d'évaluer les conséquences du confinement sur les enfants et la jeunesse, dans la mesure où nous n’avons pas véritablement d’indicateurs sur lesquels nous pouvons nous appuyer. À titre d’exemple, il pourrait y avoir le sentiment que les violences dans l’espace numérique ont augmenté en raison d’une exposition plus importante aux écrans. Dans les faits, à part des témoignages individuels, nous ne disposons pas à ce jour de données fiables qui en attestent.

L’ambition de la commission d’enquête était immense et ne devrait pas s’arrêter à son rapport pour questionner et contrôler nos politiques publiques enfance & jeunesse. Par cette note, j’ai souhaité apporter un coup de projecteur sur 5 points de vigilance et faire 10 propositions.

3.   FAVORISER LA PARTICIPATION DES JEUNES

Le manque de prise en compte de la parole de l’enfant, principalement pendant le premier confinement, est un sujet qui est revenu de façon récurrente au cours des auditions menées par la commission d’enquête. Or, il est primordial de mettre au cœur de nos politiques publiques l’intérêt supérieur de l’enfant et de veiller à la prise en compte systématique des propositions des jeunes dans les décisions qui les concernent. Cette demande me parvient régulièrement et tout particulièrement ces dernières semaines lors d’entretiens avec des associations de jeunes, à l’occasion du 31e anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). D’ailleurs, conscientes de cet enjeux, l’Unicef et l’OMS, dans un rapport de février, nous invitent à réécrire les Objectifs de Développement Durable (ODD) à partir du point de vue des jeunes et de leurs droits dans la perspective de l’Agenda 2030.

« Mais ton droit à la participation dépasse le cadre de la famille et de l’école : tu peux aussi participer à la vie publique, même si tu ne peux pas voter aux élections. » Code de l’enfant créé par la France à l’occasion des 30 ans de la CIDE

Comment faire les bons choix si les jeunes ne sont pas consultés et impliqués dans les mesures qui les concernent ? Dans le cas présent, ils auraient pu participer à des consultations individuelles comme des sondages sur une plateforme dédiée ou sur une application mobile au travers de questionnaires adaptés pour valider les orientations envisagées. Cela nous aurait permis d’avoir un état de leur opinion à un instant T, voire dans un territoire particulier. Sur un temps plus long, c’est toute leur capacité à se faire entendre qui doit être repensée par la mise en place de consultations généralisées ou encore la création d’un Parlement des jeunes au niveau national.

4.   FAIRE DES DROITS DE L’ENFANT & DE LA JEUNESSE UNE BOUSSOLE DE NOS POLITIQUES PUBLIQUES

Aujourd’hui, au niveau de l'État, il n’y a pas d’informations consolidées, claires et simples d’accès concernant les 15,3 millions des moins de 18 ans dans notre pays. Pour ce faire, il faut s’appuyer sur des évaluations de l’ONU, de l’Unicef, ou des fondations et des corps intermédiaires comme le CESE. Cette commission d’enquête a relevé les difficultés à avoir un diagnostic global sur la situation des jeunes grâce à des indicateurs indispensables à l’évaluation des situations et facilitant la prise de décision. Un observatoire de l’enfance et de la jeunesse (qui irait bien au‑delà de la mission de l’ONPE et de l’INJEP) pourrait produire des données propres, rassembler les travaux d’autres instances comme le CESE, voire celles citées précédemment, mais avant tout interroger massivement les jeunes et recueillir leurs propositions. Ainsi, il constituerait une banque de données précises et diverses sur les questions de jeunesse.

Si nous pensons réellement que les enfants et les jeunes sont notre présent et notre avenir, il y a urgence à les remettre au centre de nos politiques, a fortiori en temps de crise. D’une part, l’Assemblée nationale devrait reconsidérer la création d’une délégation parlementaire aux droits de l’enfant et d’autre part, le Gouvernement pourrait positionner les enjeux des politiques de l’enfance et de la jeunesse dans un ministère de plein droit, pour coordonner l’action de l’ensemble des parties prenantes de l’État.

Pour paraphraser Simone de Beauvoir « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits [des enfants] soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. »

5.   RENDRE LISIBLES ET ACCESSIBLES LES CONTENUS DESTINÉS AUX JEUNES

Il n’y a jamais eu autant de dispositifs pour les jeunes depuis le début de la crise. L’offre est foisonnante et de ce fait il est difficile de s’y retrouver. Il est indispensable de simplifier l’information d’abord, pour une question d’accessibilité aux droits et ensuite, pour encourager l’appropriation de ces dispositifs par les jeunes eux-mêmes.

Une piste serait la création d’un portail unique qui réunirait des informations sur des sujets tels que la formation, l’engagement, l’emploi, l’éducation, la santé ou encore le sport. Un jeune pourrait, dès son entrée au collège, se saisir de ce dispositif afin de l’accompagner dans son développement et l’aider dans son orientation éducative, culturelle, associative, professionnelle etc.

Pour faciliter la connaissance et l’appropriation des mesures qui concernent les jeunes, il est indispensable d’adapter le langage des pouvoirs publics. En effet, les auditions ont mis en exergue un véritable décalage entre la façon de parler des décideurs et celle de la jeunesse. Les outils de communication doivent être adaptés à l'instar du Code de l’enfant qui s’adresse directement à lui d’une façon pédagogique. Une meilleure utilisation des réseaux sociaux et des médias tout numérique ainsi qu’un partenariat renforcé avec des “influenceurs” par exemple favoriseraient une diffusion plus efficace de l’information vers tous les publics jeunes sans exception.

De même, il faudrait s’appuyer davantage sur le pair à pair et valoriser les retours d’expérience. Les missions locales pourraient ainsi devenir des pôles jeunesse “élargis”. Il est encore trop souvent difficile de s’orienter et d’avoir un point d’entrée pour accéder à toutes les possibilités offertes, ce qui laisse sur le côté encore trop de jeunes.

6.   RECRÉER DU COLLECTIF VERS UNE SOCIÉTÉ DE L’ENGAGEMENT

Parallèlement à la multiplication des situations d’isolement, plusieurs associations que nous avons auditionnées ont observé de nouvelles solidarités se développent entre les Français à travers la plateforme “réserve civique” par exemple. L’engagement dans des associations a permis à beaucoup de jeunes de s’impliquer pour le bien commun ainsi que pour établir, rétablir et maintenir un lien social pour rompre l’isolement qui les touchent de plus en plus. Au-delà d’une réponse au confinement et à la crise, s’engager c’est aussi réenchanter l'envie de s’insérer dans la société et ainsi renforcer la cohésion sociale.

Lors de l’audition de la Défenseure des droits nous avons évoqué la création de plus de missions “jeunes ambassadeurs et ambassadrices des droits de l’enfant” afin de sensibiliser les enfants et les jeunes à leurs droits. Ils se déplacent dans les établissements scolaires, les structures d’Aide Sociale à l’Enfance, ou encore les associations. Leur rôle est d’autant plus fondamental en cette période où nous travaillons au renforcement de l’adhésion aux valeurs républicaines et que tous les enfants ne connaissent pas leurs droits. De même, de nouvelles missions pourraient être créées dans des commissariats ou dans des casernes de pompiers. Alors que la confiance entre forces de l’ordre et citoyens semble brisée ou tout du moins compliquée, associer des jeunes volontaires à leur travail pourrait aussi retisser ce lien si nécessaire au bon fonctionnement de la société. Qui mieux que les jeunes pour encourager l’engagement des jeunes ?

7.   SORTIR LES ENFANTS CONFIÉS À l’ASE DE L’HÔTEL

La période de confinement a mis en lumière de nombreux dysfonctionnements concernant la situation des enfants suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance hébergés à l’hôtel. Même si certains départements ont été réactifs, il s’est avéré que beaucoup de jeunes n’avaient pas de solution pour se nourrir pendant les premières semaines. Puis s’est posé la question de la possibilité de poursuivre leur scolarité à distance sans ordinateur, sans WIFI et sans contact avec un adulte pendant des mois. Ce qui m’a frappé, pour être allée à leur rencontre dans plusieurs hôtels des Hauts-de-Seine, c’est leur préoccupation de pouvoir poursuivre leur scolarité et de pouvoir passer leurs examens. Cette situation critique montre, si cela était encore nécessaire, que la place d’un enfant n’est pas dans un hôtel et qu’il faut coûte que coûte s’assurer que le plus rapidement possible les Départements n’aient plus recours à ce mode d’hébergement, par ailleurs dénoncé par le Défenseur des Droits l’année dernière : « La vie à l’hôtel implique une instabilité résidentielle importante empêchant tout ancrage territorial et favorisant les ruptures scolaires ». Autant dire qu’en temps de crise les effets négatifs en sont exacerbés.

10 propositions :

1. Consulter autant que nécessaire les enfants et les jeunes via des sondages sur une plateforme dédiée

2. Fonder un Observatoire de l’Enfance et de la Jeunesse

3. Créer une délégation parlementaire aux droits de l’enfant à l’Assemblée nationale

4. Instituer un ministère de plein droit pour l’enfance et la jeunesse

5. Développer un portail unique, accessible dès l’entrée au collège, avec tous les dispositifs à destination des jeunes

6. Adapter les outils de communication (fond et forme) à l’enfance et à la jeunesse

7. S’appuyer davantage sur le pair à pair entre jeunes

8. Faire des missions locales de véritables pôles jeunesses dans les territoires

9. Proposer plus de missions de service civique “JADE” et créer de nouvelles missions dans les commissariats et les casernes de pompiers

10. Mettre fin, le plus rapidement possible, au placement d'enfants de l’ASE à l’hôtel.

 


Contribution de Mme Souad Zitouni,
Députée du Vaucluse

Consciente que les problématiques engendrées par la crise de la Covid-19 ne sauraient être appréhendées de la même manière dans l’Éducation nationale et dans l’enseignement supérieur, Mme Zitouni a souhaité intégrer la parole des acteurs de terrain de l’éducation nationale de la maternelle au lycée dans le Vaucluse. Dans cette optique, elle a tenu un certain nombre de réunions dont la présente contribution en traduit les principales conclusions, divisés par types d’établissements.

Cette contribution sera divisée en 2 axes rendant compte des remontées de terrain des divers acteurs. Des subdivisions pourront également apparaître dans la partie « Éducation Nationale », au vu de la diversité des classes d’âges regroupées dans cette partie.[232] Pour les lycées, des représentants d’association de parents d’élèves, ainsi que d’associations d’élèves ont été auditionnés en complément, la situation de ces établissements étant particulière, puisqu’accueillant des adolescents voir de jeunes adultes, parfois aux portes de l’enseignement supérieur.

1 - Éducation Nationale

Écoles maternelles

Concernant les écoles maternelles, six réponses ont été obtenues. Il est ressorti des échanges que l’impact de la crise sanitaire a entraîné de nombreuses difficultés sur la garantie d’une continuité pédagogique pertinente et adaptée, y compris chez les plus petits.

Concernant l’impact psychologique de la crise sanitaire sur la santé mentale des élèves, les contributions récoltées sont plus partagées, ne signalant pas d’impact trop négatif. L’ensemble des personnes auditionnées ont cependant insisté sur la plus grande difficulté de déceler des signes de mal-être chez les plus petits qui extériorisent moins explicitement qu’un adolescent par exemple. Certaines remarques portent sur un manque de professionnels formés à la psychologique de la petite enfance dans les établissements.

100 % des répondants estiment avoir eu des difficultés variées avec les parents d’élèves : réticence à envoyer leurs enfants à l’école, doutes quant au protocole sanitaire, refus de porter le masque pour venir chercher les enfants à l’école et dans certains cas plus rares, déni de la réalité de la crise sanitaire.

Un grand nombre de chefs d’établissement estime qu’il n’a pas été aisé de mettre en place le protocole sanitaire préconisé et ce pour plusieurs raisons :

Écoles Primaires

4 réponses ont été obtenues de la part des écoles primaires de la circonscription. Il est ressorti lors des discussions que l’impact de la crise sur la continuité pédagogique est fortement corrélé au « type » d’établissement concerné. Ainsi, les établissements situés dans des zones REP ou REP + rapportent un fort taux d’absentéisme lors de la 1ère vague. Les établissements situés hors zone REP ou REP+ quant à eux rapportent un impact moins important.

Comme pour les écoles maternelles, l’impact sur la santé mentale des élèves ne semble pas très important, bien qu’il soit intéressant de noter qu’il le devient lorsque l’on se situe dans un établissement situé en REP+

La majeure partie des chefs d’établissement mentionne une bonne coopération globale des parents d’élèves bien que certaines tensions puissent apparaître au fil du temps.

Globalement, les mêmes remarques ont été formulées que pour les écoles maternelles concernant la mise en place du protocole sanitaire ainsi que sur la réouverture des écoles à la rentrée septembre 2020 : cela préserve de l’absentéisme et du décrochage notamment dans less zones les plus prioritaires.

Collèges

3 réponses ont été apportées par les collèges de la circonscription.

La continuité pédagogique a été fortement impactée par la crise sanitaire. Les répondants ont notamment souligné la difficulté logistique de mettre en place un enseignement à distance :

Selon 2/3 des répondants, la crise a eu un impact négatif sur la santé mentale des élèves. Outre l’augmentation des difficultés scolaires, de l’absentéisme et du décrochage, les adolescents sont anxieux concernant les perspectives immédiates et à long terme. Il est également souligné que les enseignants ne sont pas forcément formés correctement pour répondre à ces problématiques et qu’un manque de psychologues scolaires est présent dans les établissements.

La mise en place du protocole sanitaire est unanimement jugée difficile par les chefs d’établissements répondants :

Lycée

Lors des auditions de présidents d’associations de parents d’élèves et de représentants d’association d’élèves, plusieurs difficultés ont été évoquées, notamment de mise en place des protocoles dans les lycées et ce pour plusieurs raisons :

2 - Enseignement supérieur

Les contributions d’élèves ont été recueillies via des auditions des principaux acteurs de l’Université d’Avignon, dont la majeure partie d’entre elles ont été envoyé par des organisations et syndicats étudiants, dont voici les principales conclusions :

Enfin, des inquiétudes fortes sont présentes quant à l’insertion à court, moyen et long terme sur le marché́ du travail. En effet, on observe une raréfaction des stages et alternances pour les étudiants en fin de cursus, ainsi qu’une insertion professionnelle rendue compliquée, voire impossible, dans un contexte de contraction des offres d’emplois. L’ensemble de ces problématiques entraîne des difficultés psycho-sociales parfois graves pour certains étudiants.

 


([1])  Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2019 p 41.

([2]) https://www.santepubliquefrance.fr/la-sante-a-tout-age/la-sante-a-tout-age/enfants-et-jeunes.

([3]) Susceptibility to SARS-CoV-2 Infection Among Children and Adolescents Compared With Adults : A Systematic Review and Meta-analysis, par Russell M. Viner, Oliver T. Mytton, Chris Bonell et alii, article publié en ligne le 25 septembre 2020. Publiée par l’American Medical Association et traitant de l’ensemble des questions relatives à la santé des enfants, la revue mensuelle rend compte dans cet article des conclusions d’une méta-analyse portant sur trente-deux études publiées dans vingt-et-un pays, principalement d’Asie du Sud-est et d’Europe. En particulier, l’article décrit l’objet et les résultats de dix-huit études fondées sur le suivi (« tracing ») de personnes ayant été au contact d’individus porteurs du virus.

([4]) Santé publique France, COVID-19 et enfants : le rôle des établissements scolaires dans la transmission du virus, août 2020.

([5]) Le taux d’incidence correspond au nombre de tests positifs pour 100 000 habitants. Il est calculé de la manière suivante : (100 000 * nombre de cas positif) / Population).

([6])  Covid-19 - Point épidémiologique hebdomadaire du 22 octobre 2020, Santé publique France (bilan tiré de l’analyse des données épidémiologiques de surveillance du COVID-19 rapportées à Santé publique France jusqu’au 20 octobre 2020).

([7]) Covid-19 - Point épidémiologique hebdomadaire du 26 novembre 2020 », Santé publique France (bilan tiré de l’analyse des données épidémiologiques de surveillance du COVID-19 rapportées à Santé publique France jusqu’au 25 novembre 2020).

([8])  Par rapport aux données présentées le 17 novembre 2020, le nombre des hospitalisations pour cette classe d’âge diminue de 27 (après une diminution de 15) et les effectifs admis en réanimation de 1 (après une baisse de 7).

([9]) Au 24 novembre 2020, selon le point épidémiologique précité de Santé publique France, le nombre de patients atteints du Covid-19 hospitalisés atteignait 30 622, dont 4 289 en réanimation.

([10]) D’après les statistiques citées par M. Christophe Delacourt, au cours de la table-ronde consacrée à la santé physique des enfants au sortir du confinement.

([11]) Voir en ce sens la table-ronde consacrée au thème de la santé physique des enfants au sortir du confinement ; l’intervention de Mme Christèle Gras-Le Guen, secrétaire générale de la Société française de pédiatrie au cours de la table ronde portant sur l’interruption de la présence des enfants en milieu scolaire.

([12]) Étude menée par un consortium de laboratoires de l’Institut Pasteur et de cliniciens de l’AP-HP, de l’Inserm et de l’Université de Paris, du 1er mars au 1er juin 2020, dans sept hôpitaux parisiens et de la proche couronne. Parmi les 775 enfants (de 0 à 18 ans) formant le panel examiné, 36 présentaient un syndrome apparenté à la maladie de Kawasaki. L’étude PED-COVID, coordonnée par l’hôpital Necker et l’Institut Pasteur, visait à déterminer la fréquence, le type et la concentration d’anticorps produits par les enfants en réponse à l’infection et leur capacité de neutralisation du virus SARS-CoV-2.

([13]) Désignée sous le vocable de « syndrome lympho-cutanéo-muqueux », la maladie de Kawasaki relève de la catégorie des « syndromes inflammatoires multi-systémiques » (PIMS).

([14]) Le tableau clinique peut comporter une dilatation des artères, des anomalies de valves cardiaques (souffle), des troubles du rythme cardiaque (arythmie), des atteintes de la paroi musculaire (myocardite), une atteinte de la membrane du cœur (péricardite). Les symptômes peuvent consister en un gonflement des ganglions lymphatiques ; des éruptions cutanées, en la survenue d’une conjonctivite ; une langue framboisée et des lèvres craquelées ; une desquamation des extrémités de la peau, accompagnée de rougeurs et d’œdème.

([15])  Covid-19 : point épidémiologique hebdomadaire du 19 novembre 2020, Santé publique France (bilan tiré de l’analyse des données épidémiologiques de surveillance du COVID-19 rapportées à Santé publique France jusqu’au 17 novembre 2020).

([16]) COVID-19 in children and adolescents in Europe : a multinational, multicentre cohort studio, Florian Gotzinger, Begoña Santiago-García, et alii, publié dans le Lancet Child Adolescent Health, édition de septembre 2020, pp. 653–661.

([17]) Étude publiée dans The Journal of Pedatrics (fin août 2020) et réalisée à partir de prélèvements nasopharyngés (fosses nasales) ou oropharyngés (par l’introduction d’un écouvillon au fond de la gorge). Le panel portait sur 49 enfants diagnostiqués porteurs du SARS-CoV-2 et comprenait des témoins sains. L’âge de ces jeunes patients se situait le plus souvent entre onze et seize ans. Seuls deux patients avaient moins d’un an.

([18]) Culture-Competent SARS-CoV-2 in Nasopharynx of Symptomatic Neonates, Children, and Adolescents, Arnaud G. L’Huillier, Giulia Torriani et alii, Emerging Infectious Diseases, volume 26, n° 10, octobre 2020. Les échantillons biologiques provenaient de nouveau-nés, d’enfants et d’adolescents. Le plus jeune enfant était âgé de sept jours.

([19]) Enquête publiée dans Eurosurveillance.

([20]) Covid-19 : ce que l’on sait sur les enfants et adolescents et ce qu’il reste à apprendre, article publié le 2 novembre 2020, sur le blog Réalités Biomédicales, le Blog de Marc Gozlan, lemonde.fr.

([21]) Institut national de la santé et de la recherche médicale.

([22]) Centre national de la recherche scientifique.

([23]) Notamment en Slovénie et en Angleterre.

([24]) Des mondes d’influence - Comprendre ce qui détermine le bien-être des enfants dans les pays riches, Unicef, Bilan Innocenti 16, septembre 2020, p. 15.

([25]) Voir en ce sens, la table ronde des associations caritatives, la table ronde des syndicats enseignants et l’audition du ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

([26]) Cf. infra.

([27]) Créé en 2018 par l’ANSM et la CNAM, le Groupement d’intérêt scientifique (GIS) EPI-PHARE est une structure d’expertise publique en pharmaco-épidémiologie des produits de santé et en sécurité sanitaire.

([28]) EPI-PHARE, Usage des médicaments de ville en France durant l’épidémie de la Covid-19 – point de situation jusqu’au 13 septembre 2020, Étude pharmaco-épidémiologique à partir des données de remboursement du SNDS, octobre 2020, pp.44–47.

([29]) Des mondes d’influence - Comprendre ce qui détermine le bien-être des enfants dans les pays riches, Unicef, Bilan Innocenti 16, septembre 2020, p. 15.

([30])  Mortalité, morbidité et coût des infections à rotavirus en France, Hugues Melliez, Pierre-Yves Boelle, Sophie Baron et alli, juillet 2019 (https://www.santepubliquefrance.fr/docs/mortalite-morbidite-et-cout-des-infections-a-rotavirus-en-france ).

([31])  Covid-19 : une opportunité pour vacciner les nourrissons contre les infections à rotavirus, Communiqué de l’Académie nationale de médecine, 22 juillet 2020 : l’Académie souligne que « cette vaccination, indiquée entre 2 et 6 mois, a fait la preuve de son efficacité et qu’elle permettrait d’alléger le fardeau pédiatrique des infections à rotavirus » ; elle « recommande d’envisager dès maintenant la vaccination des nourrissons dans la stratégie de lutte contre les infections à rotavirus afin de prévenir les effets délétères d’une épidémie concomitante avec la survenue de flambées de Covid-19 durant la saison hivernale ».

([32]) Voir en ce sens l’intervention du M. Christophe Delacourt au cours de la table ronde consacrée à la santé physique des enfants au sortir du confinement.

([33]) Dans le cadre de l’établissement de la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » présentée le 28 juin 2018, il a été estimé qu’en France, 15 % des 10-20 ans (soit 1,5 million de personnes) auraient besoin de suivi ou de soin.

([34]) CoviPrev désigne une enquête nationale réalisée par Santé publique France qui interroge en ligne, à intervalles rapprochés, des échantillons indépendants de 2 000 personnes de plus de 18 ans.

([35]) Pour Collaborative Outcomes Study on Health and Functionning during Infection Times. Portant sur 100 000 personnes vivant dans une quarantaine de pays, cette étude internationale vise à identifier les facteurs et les effets de la crise provoquée par l’épidémie de Covid-19 sur le bien-être physique et moral des populations.

([36]) Ainsi que le relève un avis du CESE de mai 2016, intitulé « L’impact du chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et accompagner ».

([37]) Effet du confinement lors de la crise Covid-19 sur les parents et les enfants, étude menée par Mmes Edith Galy et Andréa Soubelet, sur la base d’éléments recueillis auprès de 1 000 participants, tous parents d’au moins un enfant de un à 22 ans, Université Côte d’Azur, LAPCOS.

([38]) « Le nombre de suicides n’a pas augmenté malgré l’épidémie de Covid-19 et le confinement », de William Audureau, les décodeurs, Lemonde.fr, 23 novembre 2020.

([39]) À l’hôpital Robert-Debré, l’« explosion » des troubles psychiques chez les enfants, de Pascale Santi, Le Monde, 26 novembre 2020.

([40]) « Ce reconfinement, c’est la double peine. On est enfermés et en plus, c’est de notre faute » : une jeunesse en détresse psychologique, de Léa Iribarnegaray, article paru dans Le M Campus, Lemonde.fr, le 10 novembre 2020.

([41]Covid19 : étude sur les conséquences de la quarantaine sur la santé mentale, Centre national de ressources et de résilience, octobre 2020. Cette étude repose sur les réponses apportées par 69 054 étudiants au questionnaire adressé aux 70 universités françaises. Les données ont été collectées du 17 avril au 4 mai 2020.

([42]La vie étudiante au temps de la pandémie de Covid-19 : incertitudes, transformations et fragilités », OVE infos n° 42, septembre 2020, pp. 6-7.

([43])  Article 2 du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ; article 2 du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé ; article 2 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([44]) Les masques « inclusifs » désignent des dispositifs qui protègent le nez et la bouche mais laissent la partie inférieure du visage à la vue de tous grâce à une visière en plastique.

([45]) Par le biais d’un partenariat avec Chronopost qui réaliserait l’acheminement des masques sur l’ensemble des sites visés à titre gracieux.

([46]) La vie étudiante Au temps de la pandémie de Covid-19 : incertitudes, transformations et fragilités », OVE infos n° 42, septembre 2020, pp. 6-7.

([47]) Les étudiantes font davantage état de relations conflictuelles que les étudiants (38 % contre 29 %).

([48]) Cet avis sur les effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans souligne que la littérature apporte des éléments contradictoires sur l’effet des écrans sur le développement cognitif de l’enfant, ses apprentissages, et sur les troubles de la santé mentale. Il met toutefois en évidence que les effets sur le sommeil sont établis et sont plus importants si le temps d’utilisation augmente. L’avis relève que les comportements associés aux écrans sont responsables de l’augmentation du surpoids - prises alimentaires augmentées, temps de sommeil réduit et de qualité altéré - et il souligne l’existence de différences de comportements vis-à-vis des écrans en fonction des catégories sociales.

([49]) Global Changes and Factors of Increase in Caloric/Salty Food Intake, Screen Use, and Substance Use During the Early COVID-19 Containment Phase in the General Population in France : Survey Study, Benjamin Rolland, Frederic Haesebaert, Élodie Zante et alii, article publié dans JMIR Public Health and Surveillance, septembre 2020.

([50]) Au plan statistique, l’étude souligne les facteurs suivant dans la description des utilisateurs d’écrans ayant accru leur consommation : être de sexe féminin ; être âgé de moins de 29 ans ; ne pas avoir de partenaire ; avoir une activité professionnelle ; posséder un niveau de diplôme élevé ou moyen ; être confiné seul sans disposer d’accès à un espace extérieur ; être confiné seul, dans un environnement urbain et ne pas travailler.

([51]) Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes.

([52]) Dont 81 % des 12-14 ans et 99 % des 15-17 ans.

([53]) Voir en ce sens le Livre blanc sur la parentalité numérique, publié par l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN) à la suite de travaux menés avec l’UNAF et Médiamétrie.

([54]) Selon M. Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), il n’existe pas de statistiques ministérielles sur le cyber-harcèlement et la dernière étude date de 2017, dans le cadre de travaux du réseau Canopé.

([55])  D’après la présentation du général Vincent Barbey, sous-directeur de la sécurité publique et de la sécurité routière, les informations transmises aux parents portent sur les contenus pornographiques ou violents, le cybersexisme (harcèlement, discrimination), le sexting (ou textopornographie), les diffusions de contenus, les chantages à caractère sexuel, les jeux de paris et d’argent en ligne, les achats intégrés générant des surcoûts, les challenges ou défis dangereux.

([56]) Le Parisien du 30 septembre 2020.

([57]) En date du 24 septembre 2020.

([58]) https://www.jeunes.gouv.fr/spip.php?article7603.

([59]) Prendre en compte la parole de l’enfant : un droit pour l’enfant, un devoir pour l’adulte, rapport du Défenseur des droits, novembre 2020.

([60]) Le Défenseur des droits et ses délégués ont obtenu l’arrêt de ces pratiques discriminatoires auprès de la grande majorité des commerces concernés. Par ailleurs, suite à cette alerte du Défenseur des droits, le Secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations a mis en place un dispositif de réclamation sur une adresse de messagerie dédiée pour recevoir les signalements des parents isolés refusés à l’entrée des magasins et intervenir.

([61]) Voir en ce sens l’intervention de M. Pierre Suesser, co-président du Syndicat national des médecins de Protection maternelle et infantile au cours de la table ronde sur la santé physique des enfants au sortir du confinement. Enquête réalisée au printemps 2020, auprès des professionnels de la protection maternelle et infantile et ayant obtenu quatre-vingts réponses émanant de vingt-huit départements.

([62]) Mentionné à l’article L. 3131-11 du code de la santé publique.

([63]) Article L. 1434-12 du code de la santé publique.

([64]) Article L. 3221-2 du code de la santé publique.

([65]) Article L. 1434-10 du code de la santé publique.

([66]) À titre d’exemple, les actes des ergothérapeutes, psychomotriciens et psychologues en cabinet de ville ne sont pas remboursés par la sécurité sociale, alors qu’ils sont remboursés s’ils sont réalisés dans un CMP, un CMPP ou un CAMSP.

([67]) La prévention santé en faveur de la jeunesse, rapport d’information de Mme Ericka Bareigts et M. Cyrille Isaac-Sibille au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, septembre 2018 ; « Pour sauver la PMI, agissons maintenant ! », de Mme Michèle Peyron, avec le concours de Mme Bénédicte Jacquey-Vazquez (IGAS) et du Dr Pierre Loulergue (IGAS), mars 2019.

([68]) Les évaluations des financements annuels des PMI oscillent entre 380 et 600 millions d’euros, notamment du fait de la difficulté à ventiler les dépenses de personnel, ce qui montre les difficultés statistiques à établir leur situation.

([69])  Trois médecins généralistes sur quatre ont mis en place la téléconsultation depuis le début de l’épidémie de Covid-19, Martin Monziols, Hélène Chaput (DREES), Pierre Verger, Dimitri Scronias (ORS Provence-Alpes-Côte d’Azur) et Bruno Ventelou (AMSE) et alii, Études et Résultats, n° 1162, DREES, septembre 2020.

([70]Qualité et sécurité des actes de télé consultation et de télé expertise – Guide de bonnes pratiques, Haute autorité de Santé, mai 2019.             

([71]) Les IME accueillent des enfants et adolescents atteints de déficience intellectuelle.

([72]) Les ITEP accueillent des enfants et adolescents dont les troubles du comportement, malgré des potentialités cognitives préservées, sont engagés dans un processus handicapant qui perturbe gravement leur scolarisation.

([73]) Les EEAP accueillent des enfants qui souffrent d’un polyhandicap entraînant une réduction notable de leur autonomie.

([74]) Les IEM assurent la prise en charge des enfants ou adolescents présentant une déficience motrice nécessitant des moyens particuliers.

([75]) Impact du confinement : une charge supplémentaire pour les aidants, Collectif interassociatif des aidants familiaux, 6 octobre 2020.

([76])  La médecine scolaire en France, Académie nationale de médecine, 24 octobre 2017.

([77]) Avis budgétaire au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2017, M. Jean-Claude Carle et Mme François Férat, sénateurs ; 24 novembre 2016.

([78]) Pour des élèves en meilleure santé, avis du CESE, mars 2018.

([79]) Les médecins et les personnels de santé scolaire, Communication de la Cour des comptes à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, avril 2020.

([80]) La définition des missions respectives des médecins et des infirmiers en matière de visites médicales a été modifiée par un arrêté interministériel du 3 novembre 2015. Celui-ci confie la visite des six ans aux seuls médecins, la collaboration de l’infirmier qui réalisait jusqu’alors un dépistage infirmier n’étant plus prévue ; le dépistage de la 12e année est réalisé par le seul personnel infirmier. La Cour des comptes estime que la fin de cette collaboration entre médecins et infirmiers sur ces visites a affecté la performance des services de santé scolaire.

([81]) Mission bien-être et santé des jeunes, rapport réalisé par Mme Marie-Rose Moro, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, et M. Jean-Louis Brison, inspecteur d’académie - inspecteur pédagogique régional, novembre 2016.

([82]) Enquête sur la santé des étudiants, Observatoire national de la vie étudiante, 2016.

([83]) La vie d’étudiant confiné – Résultats de l’enquête sur les conditions de vie des étudiants pendant la crise sanitaire – Santé, Observatoire national de la vie étudiante.

([84]) Le montant des commandes passées entre le 31 mars et le 19 mai 2020 atteint 0,8 million d’euros.

([85])  Voir en ce sens l’intervention de Mme Yasmine Mebrouk, élue étudiante au conseil d’administration du CROUS de Montpellier-Occitanie, au cours de la table ronde des étudiants sur l’université à distance.

([86]) À partir de données du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. https://www.nightline.fr/sites/default/files/publications/2020-11/2020-11-16_Nightline-France_rapport_ETPT.pdf.

([87]) Telles que celles émises par l’Accréditation internationale des services de Santé Mentale Universitaire [International Accreditation for Counseling Services (IACS)], organisation indépendante qui accrédite depuis 1971 les services de santé mentale dans les établissements d’enseignement supérieur autour du monde afin de reconnaître leur qualité.

([88]) L’analyse du Planning familial se fonde sur les données du numéro vert national « Sexualités, Contraception, IVG » porté par l’association du Planning Familial, ainsi que sur les remontées d’informations de ses associations départementales. Les appels téléphoniques faisant état de difficulté ont augmenté sur cette période de 330 %.

([89]) En zone verte, les collèges pouvaient accueillir les élèves de la sixième à la troisième, en zone orange, ils accueillaient en priorité les élèves de sixième et de cinquième ; les élèves des autres niveaux étaient accueillis seulement si les conditions matérielles étaient réunies.

([90]) En zone verte, les lycées généraux, technologiques et professionnels pouvaient ouvrir et accueillir tous les élèves sur au moins un niveau, et d’autres niveaux pouvaient ouvrir selon les situations locales. En zone orange, les lycées professionnels accueillaient en priorité les élèves qui avaient besoin de certifications professionnelles (CAP, bac pro, etc.), tandis que pour les lycées généraux et technologiques, les élèves étaient accueillis sur convocation de l’équipe éducative pour des entretiens individuels ou un travail en petits groupes.

([91]) Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public

([92]) S’agissant des lycées notamment, le fait qu’ils étaient ouverts ne signifiaient pas qu’ils accueillaient des classes d’élèves, comme vu supra (entretiens individuels d’élèves, travail en petits groupes).

([93]) Fédération des conseils de parents d’élèves

([94]) Le regard des parents sur l’école à distance, étude IFOP réalisée auprès de 801 parents ayant au moins un enfant scolarisé dans l’enseignement primaire ou secondaire, mai 2020.

([95]) Interview de Jean-Michel Blanquer, RTL, mercredi 10 juin

([96]) Sur l’ensemble du territoire national, ce dispositif a permis d’envoyer plus de 330 000 devoirs.

([97]) Association ESPOIR, Fédération des acteurs de la solidarité, Toulouse.

([98])  La proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante passe de 72,6 % en 2019 à 68,3 % en 2020.

([99]) La proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante passe de 77,1 % en 2019 à 72,6 % en 2020.

([100]) Le nombre de cas de Covid-19 confirmés parmi les élèves étant de 8 223 chez les élèves et 2 063 chez les personnels.

([101]) https://www.education.gouv.fr/les-etats-generaux-du-numerique-pour-l-education-304117.

([102]) Article R. 411-1 du code du sport : « Les fédérations agréées peuvent recevoir un concours financier de l’État dans des conditions fixées par une convention d’objectifs ».

([103]) Les effectifs dans l’enseignement supérieur en 2019-2020, Note flash du Système d’information et d’études statistiques (SIES) du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, n° 14, juillet 2020.

([104]) Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

([105]) La circulaire du 7 septembre énonce des principes en ce qui concerne les mesures de protection, le recours éventuel aux enseignements à distance, l’accompagnement de la reprise de la vie étudiante, l’usage et l’accès des locaux (bibliothèques, restaurants universitaires, locaux consacrés à la vie étudiante, autres espaces partagés entre usagers et agents).

([106])  Voir en ce sens les interventions de M. Vincent Llorens, étudiant en deuxième année de licence économie-gestion à l’Université Paris-Dauphine, et de M. Lilian Rousset, étudiant en Master 2 Relations Internationales-Sécurité et Défense à l’Université de Lyon 3.

([107]) Articles 33 et 34 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([108]) Par exemple, les travaux pratiques nécessitant un matériel spécifique, tels que les manipulations en biologie ou les gestes professionnels en santé.

([109]) Synthèse des travaux de la commission des affaires culturelles et de l’éducation sur les effets de la crise sanitaire pour les secteurs relevant de son champ de compétence, par M. Bruno Studer, président de la commission, juin 2020.

([110]) La vie d’étudiant confiné, résultats de l’enquête sur les conditions de vie des étudiants pendant la crise sanitaire, Continuité pédagogique – Observatoire de la vie étudiante.

([111]) Chiffres avancés par le Syndicat national des personnels titulaires et contractuels de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche et de la culture (SNPTES) lors de son audition par le groupe de travail.

([112])  Les visas délivrés sont des visas de long séjour pour études/stages, des visas de court séjour pour études/stages (hors visas concours), ainsi que des visas de long séjour « passeport talent ».

([113]) Association GRISELIDIS – association de santé communautaire, paritaire et féministe à Toulouse.

([114]) En 2019, 215 informations préoccupantes ont été enregistrées, pour un total de 77 000 habitants

([115]) https://www.gouvernement.fr/22-mesures-pour-en-finir-avec-les-violences-faites-aux-enfants.

([116]) Certains de ces programmes communautaires, où les parents « s’autoaccompagnent » et déploient leurs propres ressources, sont validés par l’OMS sous différentes appellations (pratiques parentales positives ou PPP, accompagnement de la parentalité, the incredible years, communauté des mères).

([117]) Second alinéa de l’article 3 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989.

([118]) Mise en place sur décision du président du conseil départemental, l’action éducative à domicile (AED) a pour finalité l’apport d’un soutien matériel et éducatif aux familles dont les parents se trouvent confrontés à d’importantes difficultés sur le plan éducatif. Elle conduit parfois à assurer une prise en charge partielle ou totale des mineurs, selon les besoins identifiés. La mise en place d’une mesure d’AED comporte l’intervention des éducateurs spécialisés ou des psychologues, appartenant aux services départementaux de l’ASE ou à un service public ou privé habilité. Comme les autres aides à domicile, elle peut également être mise en œuvre pour des jeunes majeurs de moins de 21 ans.

([119]) L’action éducative en milieu ouvert (AEMO) poursuit les mêmes objectifs que l’AED mais revêt un caractère contraignant à l’égard des familles. Elle procède d’une décision du juge des enfants, dans le cadre de l’assistance éducative prévue par l’article 375 du code civil.

([120]) Sur décision du président du conseil départemental, à la demande ou en accord avec la famille.

([121]) Dans le cadre de la mise en œuvre des mesures administratives de placement, les jeunes relevant de l’ASE peuvent être accueillis par des assistants familiaux, au sein d’un établissement d’éducation spéciale, en maison d’enfant à caractère social (MECS) ou en pouponnière. La loi offre également la possibilité d’un placement auprès d’un tiers digne de confiance, d’un hébergement en internat ou en foyer d’étudiants ou de jeunes travailleurs. Elle prévoit également l’accueil d’urgence ou encore l’accueil de 72 heures.

([122])  Les mesures judiciaires de placement peuvent intervenir à la suite du placement au titre de l’assistance éducative, de délégation de l’autorité parentale à l’ASE, de retrait partiel de l’autorité parentale, de tutelle d’État déférée à l’ASE ou en application de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante (de manière provisoire ou pour les mineurs de moins de 13 ans).

([123]) Ces mesures comprennent les placements en établissement de l’ASE, l’hébergement pour adolescents et jeunes majeurs autonomes, ainsi que les autres modes d’hébergement).

([124]) Foyers d’étudiants ou de jeunes travailleurs, en hôtel, en location, etc.

([125])Internat scolaire, placement auprès d’un tiers digne de confiance, attente de lieu d’accueil, placement chez la future famille adoptante, etc. Depuis la collecte portant sur 2018, les villages d’enfants ne sont plus intégrés au sein de cette catégorie mais à celle d’établissements.

([126]) Ordonnance n° 2020-313 du 25 mars 2020 relative aux adaptations des règles d’organisation et de fonctionnement des établissements sociaux et médico-sociaux.

([127]) L’ordonnance prévoit une entrée en vigueur rétroactive de ces dispositions, à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

([128]) Rapport sur l’impact du Covid-19 sur l’accompagnement des enfants et des familles en prévention et protection de l’enfance, quelles leçons pour l’avenir ? Georges Labazee, vice-président du CNPE, et Emmanuelle Latour, secrétaire générale du CNPE, novembre 2020.

([129]) Les établissements et services de l’aide sociale à l’enfance durant le confinement - Résultats de l’enquête Flash sur le fonctionnement des établissements et services de l’aide sociale à l’enfance pendant la période de confinement liée au Covid-19, Élisa Abassi, Les Dossiers de la DREES, n° 56, mai 2020.

([130]) Selon les informations transmises par le secrétariat d’État en charge de l’enfance et des familles, ce taux de 30 % ne concerne que la 1re semaine et englobe les enfants qui étaient suivis à domicile et qui, pour des raisons de sécurité, ont été placés en établissement durant le confinement, ainsi que les jeunes qui faisaient l’objet d’une fin de prise en charge durant cette semaine.

([131]) Retour d’expérience : la protection de l’enfance en période de confinement, département du Nord, novembre 2020. Enquête réalisée entre août et octobre 2020, par l’envoi de questionnaires auprès de l’Unité territoriale de prévention et d’action sociale (UTPAS) et du Pôle Enfance et famille (hors fonctions administratives), des assistants familiaux et des psychologues de l’Aide sociale à l’enfance. Les données ont été collectées auprès de 510 professionnels, 1 013 assistants familiaux et 135 psychologues de l’ASE.

([132]) Cette prévalence est estimée à 25 % par le rapport intitulé Démarche de consensus sur les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance, de Mme Marie-Paule Martin-Blachais, en février 2017. Le secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles a indiqué lors de son audition que 20 à 25 % des enfants de l’ASE avaient une reconnaissance de la MDPH (maison départementale des personnes handicapées).

([133])  « Les établissements et services de l’aide sociale à l’enfance durant le confinement - Résultats de l’enquête Flash sur le fonctionnement des établissements et services de l’aide sociale à l’enfance pendant la période de confinement liée au Covid-19 », Élisa Abassi, Les Dossiers de la DREES, n° 56, DREES, mai 2020.

([134]) Voir par exemple l’article 12 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

([135]) L’État a prévu des financements de 80 millions d’euros, qui doivent couvrir la moitié des besoins, le reste des financements devant être apportés par les départements ; toutefois, les départements font valoir que cette enveloppe de l’État ne correspond pas à la moitié des dépenses occasionnées par les primes exceptionnelles.

([136]) Retour d’expérience : la protection de l’enfance en période de confinement, Département du Nord, novembre 2020, p. 15.

([137]) Op. cité, p. 13.

([138]) Article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

([139]) Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

([140]) Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

([141]) Ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 modifiant l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

([142]) L’administrateur ad hoc est nommé par le magistrat en cas de défaillance du parent ou de conflit d’intérêts avec les parents.

([143]) L’aide sociale à l’enfance, rapport d’information de Mme Perrine Goulet, sous la présidence de M. Alain Ramadier, Assemblée nationale, juillet 2019, n° 2110.

([144])  Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance, Avis du Conseil économique, social et environnemental sur le rapport présenté par M. Antoine Dulin, rapporteur au nom de la Section des Affaires sociales et de la Santé, juin 2018.

([145]) La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant, Cour des comptes, Rapport thématique, novembre 2020.

([146]) Présentée par M. Adrien Taquet le 14 octobre 2019, la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance en cours porte sur la période 2020-2022.

([147]) L’État contractualise avec les départements – 30 départements dans un premier temps, 40 départements en 2021 et les 30 derniers en 2022 –, et apporte des financements à hauteur de 80 millions d’euros en 2020, de 200 millions d’euros la deuxième année et de 280 millions d’euros la troisième année.

([148]) Voir en ce sens les interventions de Mme Sophie Pantel, présidente du conseil départemental de la Lozère, de M. Laurent Zakrzewski, directeur général-adjoint du conseil départemental de la Moselle, chargé de la solidarité au cours de la table ronde des services départementaux d’aide sociale à l’enfance.

([149]) Dépêche de la Directrice de la Protection judiciaire de la Jeunesse du 8 juin 2020 relative au renforcement des instances de coordination et des dispositifs d’évaluation et de suivi des enfants en danger ou en risque de l’être, dans le contexte de la levée progressive des restrictions imposées par l’épidémie de Covid-19 et de la reprise de l’activité des juridictions.

([150]) D’après les éléments communiqués, à la date de l’audition de la directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, seul le département des Alpes-Maritimes avait signé une telle convention. Les départements de l’Oise et du Pas-de-Calais auraient manifesté leur intérêt.

([151]) D’après des chiffres parus dans la presse, le nombre des « sorties sèches » de jeunes majeurs relevant de l’ASE pourrait être estimé à 80 à 100 jeunes par an (https://www.lagazettedescommunes.com/692247/limiter-les-contrats-jeunes-majeurs-a-une-duree-minimale-daccueil-par-lase-nest-pas-legal ).

([152]) Article 18 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19.

([153]) La protection de l’enfance, une politique inadaptée au temps de l’enfant, Cour des comptes, Rapport thématique, novembre 2020, p. 112. Elap (Étude Longitudinale sur l’accès à l’Autonomie des jeunes en Protection de l’enfance) porte sur les conditions de vie et d’accès à l’autonomie des jeunes accueillis à l’ASE dans sept départements représentant 27 % des jeunes de 17 à 20 ans pris en charge en France.

([154]) Échec et retard scolaire des enfants hébergés par l’aide sociale à l’enfance », DREES, Études et résultats n° 845, juillet 2013.

([155]) Op. cité, pp. 115-118.

([156]) Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

([157]) La sortie du dispositif de protection de l’enfance intervient soit quand l’enfant protégé est encore mineur, (après une décision de fin de mesure), soit quand l’enfant protégé atteint l’âge de la majorité. L’accompagnement du jeune majeur jusqu’à l’âge de 21 ans revête un caractère facultatif. Au terme de l’accueil d’un enfant par le service de l’aide sociale à l’enfance, le président du conseil départemental doit s’assurer qu’un accompagnement permet le retour et le suivi du mineur dans sa famille dans les meilleures conditions.

([158]) Le « contrat jeune majeur » accorde aux jeunes confiés à l’aide sociale à l’enfance la possibilité d’un maintien des aides dont ils bénéficient pendant leur minorité. L’aide apportée dans ce cadre peut revêtir plusieurs formes telles que le soutien éducatif, l’hébergement, le soutien psychologique et éducatif, ou une allocation financière. Cette prise en charge participe de l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes majeurs.

([159]) Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux.

([160]) Voir en ce sens l’intervention de M. Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d’Enfants, à propos des associations qui accueillent des personnes sorties d’une prise en charge ou les Associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance (ADEPAPE), lors de la table ronde d’associations intervenant dans l’aide sociale à l’enfance.

([161])Cf. la dépêche conjointe de la direction des Affaires criminelles et des grâces (DACG), de la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et de la direction des Affaires civiles et du sceau (DACS) du 11 juillet 2016 relative à l’application des dispositions de l’article 375-5 du code civil et de l’article L.221-2-2 du code de l’action sociale et des familles.

([162]https://www.uniopss.asso.fr/sites/default/files/fichiers/uniopss/lettre_ouverte_au_pm_mna_sans_protection_version_finale.pdf.

([163]) Selon le courrier, dans la Nièvre, le Cher et le Doubs, aucun accueil provisoire d’urgence n’a ainsi été mis en place. À Paris, l’accueil provisoire d’urgence s’est révélé limité suite à la fermeture provisoire du dispositif d’évaluation. Dans le Pas-de-Calais, la maraude, permettant de repérer les mineurs en danger sur le littoral, a dû réduire son activité faute de personnel.

([164]) Rapport annuel d’activité 2019, Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse-Mission mineurs non accompagnés, mai 2020, pp. 7 à 9.

([165]) Décret n° 2019-1410 du 19 décembre 2019 relatif au calcul de la clé de répartition entre les départements des mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

([166]) Les modifications apportées par le décret n° 2019-1410 du 19 décembre 2019 procèdent des travaux interministériels engagés en 2019 en réponse aux contestations croissantes portant sur la clé de répartition et ses modalités de calcul. Le décret remplace le critère relatif au « nombre de jeunes de 19 ans et moins » par celui de population générale.

([167])  Fiche infos, Assemblée des Départements de France, avril 2019 et septembre 2019.

([168]) Le document indique également qu’il est prioritaire d’assurer a minima la mise à l’abri et l’accompagnement des personnes se présentant comme mineurs non accompagnés.

([169])  Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période.

([170])  Cette autorisation est accordée de droit pour tout mineur isolé souhaitant entrer en apprentissage mais la continuité de cette autorisation se pose à partir de 18 ans. Mme Aurélie Guitton a indiqué que l’association InfoMIE a saisi la justice afin de démontrer que l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 s’appliquait aux autorisations provisoires de travail et que celles-ci pouvaient être prorogées de plein droit dans un délai de trois mois à l’issue de la fin de la période juridiquement protégée.

([171])  Voir en ce sens l’exemple du squat Saint-Just à Marseille : selon des informations parues dans la presse, des dizaines de jeunes se sont entassés pendant des mois, dans des conditions d’hygiène douteuses et sans possibilité de respecter les gestes barrières, dans le cadre d’un hébergement d’urgence géré par des associations. Le département aurait nié ses obligations de prise en charge de ces mineurs, dont 22 bénéficiaient en outre d’une OPP qui n’a jamais été appliquée, obligeant les associations à déposer un référé-liberté pour que ces jeunes soient finalement pris en charge dans des conditions dignes.

([172]) Voir en ce sens l’intervention de Mme Daphné Bogo, directrice générale adjointe de l’enfance et de la famille du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, au cours de la table ronde sur le thème des mineurs non accompagnés.

([173]) INSEE Informations rapides, 10 novembre 2020, n° 2020-287.

([174]) Note de conjoncture, octobre 2020, INSEE.

([175]) Confinement : des conséquences économiques inégales selon les ménages, INSEE Première, n° 1822, octobre 2020.

([176]) EpiCOV est une enquête réalisée à partir d’un échantillon représentatif de la population vivant en France, sélectionné par tirage au sort en mai dans le fichier Fidéli de l’INSEE, visant 150 000 à 200 000 répondants.

([177]) Résultats du 14e baromètre Ipsos/Secours populaire Français, sur la perception de la pauvreté par les Françaises et les Français – quel impact de la crise sanitaire sur la précarité en France ?

([178]) Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires, Focus du Conseil d’analyse économique, n° 49-2020, octobre 2020.

([179]) En 2018, les inégalités de niveau de vie augmentent, INSEE Première, n° 1813, septembre 2020.

([180]) Le seuil de pauvreté monétaire est fixé par convention à 60 % du revenu médian, soit 1 063 euros par mois en 2018. Le revenu médian des 9,3 millions de personnes en dessous de ce seuil était estimé à 855 euros.

([181]) Le chiffre d’un million de personnes supplémentaires basculant dans la pauvreté du fait de la crise actuelle a été évoqué dans la presse ; s’il est jugé crédible par les acteurs de la solidarité, au regard des constats faits sur le terrain, il n’est pas véritablement étayé à ce stade. L’INSEE publie généralement des séries statistiques sur les niveaux de pauvreté d’une année donnée environ deux ans après.

([182]) Le revenu de solidarité active fin juin 2020, RSA Conjoncture n° 31, octobre 2020.

([183]) Pauvreté selon l’âge et le seuil, données annuelles de l’INSEE, septembre 2019.

([184]) Confinement : des conséquences économiques inégales selon les ménages, INSEE Première, n° 1822, octobre 2020.

([185]) L’état du mal‑logement en France 2020, Rapport annuel n° 25, Fondation Abbé Pierre, 31 janvier 2020.

([186])  Rapport d’enquête enfants et familles sans logement personnel en Île-de-France, Observatoire du Samu Social de Paris, octobre 2014.

([187]) Conclusions du groupe de travail de l’Assemblée nationale sur l’hébergement d’urgence, par M. Nicolas Démoulin, mars 2019.

([188]) Proposition de loi visant à surseoir à l’expulsion locative quand un mineur vit dans le logement, présentée par Mme Marie-George Buffet et plusieurs de ses collègues, n° 2647, février 2020.

([189]) Proposition de loi visant à la mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, présentée par M. Michel Lesage, M. Jean Glavany, M. Jean-Paul Chanteguet et Mme Marie-George Buffet, n° 2715, déposée le 8 avril 2015.

([190]) Ordonnance n° 2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale.

([191]) Article 10 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

([192]) Note d’analyse détaillée de l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels, 1er novembre 2019-31 octobre 2020.

([193]) Son coût est évalué à 34 milliards d’euros dans le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020, dont 22,6 milliards d’euros financés par l’État et la part restante relevant de l’Unedic.

([194]) Sept millions de bénéficiaires des minima sociaux ont vu leurs droits maintenus pendant la crise ; les indemnités des demandeurs d’emploi en fin de droits ont été prolongés pendant toute la période du confinement ; 30 000 personnes ont été concernées.

([195]) Décret n° 2020-519 du 5 mai 2020 portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux ménages les plus précaires.

([196]) Décret n° 2020-769 du 24 juin 2020 portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à l’urgence sanitaire aux jeunes de moins de vingt-cinq ans les plus précaires.

([197]) Décret n° 2020-985 du 5 août 2020 relatif à la majoration exceptionnelle de l’allocation de rentrée scolaire en 2020.

([198]) L’ARS est versée sous condition de ressources aux familles ayant au moins un enfant scolarisé âgé de 6 à 18 ans.

([199]) Décret n° 2020-1453 du 27 novembre 2020 portant attribution d’une aide exceptionnelle de solidarité liée à la crise sanitaire aux ménages et aux jeunes de moins de vingt-cinq ans les plus précaires.

([200]) La ministre du travail a précisé que l’aide concernerait « ceux qui ont travaillé plus de 60 % du temps en 2019 » et « qui n’ont pas pu travailler suffisamment en 2020 pour recharger leurs droits » au chômage du fait de la crise liée au coronavirus. Cette aide sera versée par Pôle emploi tous les deux mois, selon les précisions apportées par le ministère du travail.

([201]) 80 % des bénévoles des Restos du Cœur ont plus de 55 ans, par exemple.

([202]) S’y ajoute l’octroi du reliquat de la campagne du FEAD pour la période 2014-2020, pour un montant de 90 millions d’euros sur 2021-2022.

([203]) La DGCS habilite et contrôle les associations d’aide alimentaire, supervise l’exécution des campagnes d’achat de denrées, assure le suivi budgétaire et contrôle le respect des règles européennes.

([204]) Manque de fiabilisation des contrôles de service fait voire des vérifications de gestion, défaut de pilotage de la DGCS, défaut de transparence dans la passation des marchés publics par FranceAgriMer, notamment.

([205]) Les 72 millions d’euros restants de l’initiative REACT-EU en termes d’aide alimentaire devraient être mobilisés au cours de l’année 2021 et porteraient quant à eux sur les 27 produits faisant l’objet de marchés dans le cadre du FSE +.

([206]) Annexe 41, Solidarité, insertion et égalité des chances, au rapport de M. Joël Giraud sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2018 (Mme Stella Dupont, rapporteure spéciale), n° 990, juin 2019.

([207]) Observatoire nationale de la vie étudiante, La vie d’étudiant confiné – Résultats de l’enquête sur les conditions de vie des étudiants pendant la crise sanitaire – Situation financière, Enquête réalisée du 26 juin au 8 juillet 2020 auprès d’étudiants contactés par mail, par l’envoi de 6 130 questionnaires.

([208]) https://unef-aix-marseille.fr/enquete-cout-vie-etudiante-2020/.

([209]) Observatoire national de la vie étudiante, L’activité rémunérée des étudiants, Enquête nationale conditions de vie des étudiant(e)s 2016, avril 2017.

([210]) 65 % des étudiants ont quitté leur résidence du CROUS lors du confinement.

([211]) Décret n° 2020-273 du 18 mars 2020 relatif aux missions des services de santé universitaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19. Le suivi des résidents et des personnes confinées s’inscrivait dans le cadre de la collaboration entre les CROUS, les établissements d’enseignement supérieur, les agences régionales de santé et les centres de santé de proximité.

([212]) Conclusions du groupe de travail Covid-19 « Enseignement supérieur » de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, mai 2020.

([213]) Instaurée par la loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, la CVEC vise à favoriser l’accueil et l’accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des étudiants et à conforter les actions de prévention et d’éducation à la santé réalisée à leur intention.

([214]) Les jeunes et l’avenir du travail, Dominique Castéra et Nicolas Gougain, Les avis du CESE, mars 2019.

([215]) Une photographie du marché du travail en 2019 – le chômage continue de reculer, INSEE Première, n° 1793, février 2020.

([216]) Effondrement des embauches et des fins de contrat au deuxième trimestre 2020, DARES Indicateurs, novembre 2020, n° 035.

([217]) Une grande partie des crédits afférents figurent sur l’action 2 du programme Cohésion de la mission budgétaire Plan de relance du projet de loi de finances pour 2021, avec 4,2 milliards d’euros inscrits.

([218]) Prévue par la loi du 5 septembre 2018, la prépa-apprentissage, financée par le plan d’investissement dans les compétences, permet à des jeunes de 16 à 29 ans de préparer leur entrée en apprentissage, en découvrant l’alternance et en testant des métiers. Leur durée peut aller de quelques jours à plusieurs mois, en fonction de la situation du jeune et de son projet.

([219]) Le RSA dit « jeune actif » peut être versé à un jeune de 18 à 25 ans, mais sous réserve qu’il ait exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans à temps plein au cours des trois ans précédant la date de la demande, ou lorsqu’il est parent isolé. Les conditions requises sont donc très restrictives, ce qui explique que le RSA « jeune actif » ne bénéficie qu’à un nombre très limité de personnes (de l’ordre de 700 en 2018), et en constante diminution au cours des dernières années (probablement du fait également de la création de la garantie jeunes).

([220]) Le non-recours des jeunes adultes à l’aide publique – Revue de littérature, de Benjamin Vial, INJEP Notes et rapports, avril 2018.

([221]) Droits formels/droits réels : améliorer le recours aux droits sociaux des jeunes, avis du CESE, M. Antoine Dulin, juin 2012.

([222]) Rapport du comité national d’évaluation du RSA de décembre 2011.

([223]) Le non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire. Enquête auprès de populations précaires, par Mme Catherine Chauveaud et M. Philippe Warin, rapport de recherche ODENORE pour le Fonds CMU, 2016.

([224]) « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

([225]) Les jeunes ambassadeurs des droits (JADE) sont des jeunes de 16 à 25 ans effectuant une mission de service civique afin de sensibiliser les enfants et les jeunes à leurs droits, dans les établissements scolaires, mais aussi dans les structures de l’aide sociale à l’enfance, les structures de loisirs ou encore les structures accueillant des enfants en situation de handicap. Depuis 2014, plus de 270 000 enfants et jeunes ont été sensibilisés par 484 JADE, au sein de 656 établissements scolaires, 58 structures spécialisées et 542 événements grand public auxquels les JADE ont participé, selon le bilan annuel de 2020 sur l’activité des JADE, publié en juin dernier.

([226]) Educadroit est un programme de sensibilisation et de formation destiné aux enfants de 6 à 11 ans et aux jeunes de 12 ans pour les sensibiliser au droit et à leurs droits, lancé par le Défenseur des droits en partenariat avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la justice et différents partenaires, notamment associatifs.

([227]) Loi n° 99-585 du 12 juillet 1999 tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

([228]) https://www.jeunes.gouv.fr/spip.php?article7603

([229]) Décret n° 2014-18 du 9 janvier 2014 portant création d’un délégué interministériel à la jeunesse.

([230])  Référé de la Cour des comptes sur l’action en faveur de la jeunesse conduite par la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, publié en avril 2020.

([231]) M. André Altmeyer, directeur général adjoint des Apprentis d’Auteuil, a ainsi souligné les divergences entre les directives selon que leurs établissements relevaient d’un ministère ou d’un autre : « Les directives étaient parfois contradictoires, par exemple entre les internats éducatifs et scolaires qui, au départ, n’avaient pas besoin de travailler avec masque tandis que le port du masque était obligatoire en protection de l’enfance ; finalement, c’est l’inverse qui a été décidé. »

[232] Méthodologie : des « Google Forms » adaptés aux divers types d’établissements (école maternelle, école primaire, collège, lycée) ont été envoyés aux chefs d’établissements présents sur la 1ère circonscription de Vaucluse. Ces « Google Forms » ont à la fois un but d’évaluation de la pertinence et de la faisabilité des dispositifs sanitaires mis en place pendant la crise sanitaire, de l’impact psychologique de la crise sur le corps enseignant et les élèves mais aussi de recueil de doléances des chefs d’établissements et des pistes d’amélioration qu’ils pourraient éventuellement proposer.