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N° 3797

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 janvier 2021.

 

 

 

RAPPORT

FAIT

 

AU NOM DE LA COMMISSION SPÉCIALE ([1]), CHARGÉE D’EXAMINER LE PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, confortant le respect des principes de la République,

Par M. Florent BOUDIÉ,

Rapporteur général

et

Mme Laetitia AVIA, Mme Anne BRUGNERA, Mme Nicole DUBRÉ-CHIRAT,
M. Sacha HOULIÉ, M. Éric POULLIAT et Mme Laurence VICHNIEVSKY,

Rapporteurs thématiques

Tome Ii

examen des articles

——

 

Voir le numéro :

 Assemblée nationale :  3649 rect.


La commission spéciale est composée de :

M. François de Rugy, président 

M. Florent Boudié, rapporteur général

Mme Laetitia Avia, Mme Anne Brugnera, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Sacha Houlié, M. Éric Poulliat et Mme Laurence Vichnievsky, rapporteurs thématiques

M. Pierre-Yves Bournazel, Mme Annie Genevard, Mme Anne-Christine Lang et M. François Pupponi, vice-présidents 

M. Charles de Courson, M. Éric Diard, M. Jean-François Eliaou et Mme Cécile Untermaier, secrétaires 

Mme Caroline Abadie, M. Saïd Ahamada, Mme Stéphanie Atger, Mme Géraldine Bannier, M. Belkhir Belhaddad, M. Philippe Benassaya, M. Yves Blein, Mme Anne-Laure Blin, M. Xavier Breton, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Marie-George Buffet, Mme Émilie Chalas, M. Francis Chouat, M. Éric Ciotti, Mme Fabienne Colboc, M. Éric Coquerel, M. Alexis Corbière, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Coralie Dubost, M. Christophe Euzet, M. Olivier Falorni, Mme Isabelle Florennes, Mme Laurence Gayte, Mme Perrine Goulet, Mme Florence Granjus, Mme Marie Guévenoux, M. David Habib, M. Meyer Habib, M. Yves Hemedinger, M. Pierre Henriet, M. Mansour Kamardine, Mme Marietta Karamanli, Mme Sonia Krimi, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Guillaume Larrivé, M. Gaël Le Bohec, Mme Constance Le Grip, Mme Marine Le Pen, M. Olivier Marleix, M. Jean-Paul Mattei, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Valérie Oppelt, M. Patrice Perrot, M. Frédéric Petit, M. Stéphane Peu, M. Bruno Questel, M. Julien Ravier, M. Robin Reda, Mme Laurianne Rossi, M. Pacôme Rupin, M. Boris Vallaud, M. Philippe Vigier et M. Guillaume Vuilletet

 

 

 

 


SOMMAIRE

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Pages

Comptes rendus DE l’examen des articles

1. Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17 heures

2. Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 21 heures 30 (avant l’article 1er et article 1er)

3. Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 17 heures 30 (suite de l’article 1er et après l’article 1er)

4. Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 21 heures (suite d’après l’article 1er et article 2)

5. Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 10 heures (après l’article 2 à l’article 4)

6. Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 4 à l’article 6)

7. Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 6)

8. Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 9 heures (après l’article 6 à après l’article 12)

9. Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 15 heures (avant l’article 13 à l’article 17)

10. Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 17 à après l’article 20)

11. Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 9 heures (article 21)

12. Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 21 à l’article 22)

13. Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 22 à avant l’article 25)

14. Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 9 heures (article 25 à article 27)

15. Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 27 à après l’article 51)


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   Comptes rendus DE l’examen des articles

1.   Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 17 heures

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10161234_6005adb957d0d.respect-des-principes-de-la-republique--examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-18-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Madame, messieurs les ministres, soyez les bienvenus devant notre commission spéciale, qui entame la deuxième phase de ses travaux après celle des auditions, qui a été riche et éclairante. Nous avons conduit trente-quatre auditions, pour un total de cinquante heures, sans compter celles qui ont été menées directement par le rapporteur général ou les rapporteurs thématiques.

La discussion générale par laquelle nous ouvrirons cette deuxième phase suivra les mêmes règles qu’en séance publique. Nous entendrons les ministres, puis le rapporteur général et les rapporteurs thématiques, pour une durée de trois minutes, et les orateurs des groupes, pour cinq minutes. S’il nous reste du temps, nous pourrons entendre quelques collègues supplémentaires, pour des interventions n’excédant pas une minute.

Certains collègues ayant tenu, sur les réseaux sociaux et dans les médias, des propos souvent assez éloignés de la réalité, j’aimerais donner quelques explications au sujet des irrecevabilités. À la date limite de dépôt, jeudi, 1878 amendements étaient déposés ; 286 ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de notre Constitution, soit 15 % du total. Cela n’a rien d’exceptionnel : ce taux était de 18 % sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, de 16 % sur le projet de loi Énergie et climat, que j’ai défendu en tant que ministre et de 13 % sur le projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé. Nous sommes donc dans la moyenne. Quant à l’article 40 de la Constitution, c’est au président de la commission des finances qu’il revient de l’appliquer ; or, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, celui-ci appartient à l’opposition. La recevabilité des amendements ne relève donc pas du débat politique mais de l’application de notre Constitution.

Des journalistes m’ont demandé si l’on pouvait, sur un sujet aussi important, s’en remettre aux fonctionnaires de l’Assemblée nationale. Je tiens tout d’abord à remercier ces fonctionnaires pour leur travail de très grande qualité, mais j’ajoute que c’est bien moi, en tant que président de la commission spéciale, qui décide in fine de la recevabilité des amendements – cela m’a d’ailleurs beaucoup occupé ce week-end. J’assume pleinement les décisions prises et je rappelle que l’objet de l’article 45 est d’éviter que l’examen d’un texte de loi n’aboutisse à le modifier totalement : il convient que les amendements aient un lien, direct ou indirect, avec les sujets abordés dans le texte. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel est très claire sur ce point.

Pour éviter les procès d’intention, je précise que l’irrecevabilité a frappé des amendements de tous les groupes, à l’exception de celui de la Gauche démocrate et républicaine.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie d’avoir déjà consacré beaucoup de temps au projet de loi que je viens vous présenter, avec Mme Marlène Schiappa et tout le Gouvernement, au nom du Premier ministre.

Le sujet est extrêmement important : la République est attaquée et il est légitime qu’elle prenne des mesures pour se défendre. Elle est attaquée par le terrorisme, et les gouvernements précédents, quelle que soit leur couleur politique, ont donné des armes judiciaires et administratives pour intervenir. Elle est attaquée aussi par ce qui fait le terreau du terrorisme, ce que le Président de la République a appelé les « séparatismes ». Le plus dangereux, celui qu’il faut combattre aujourd’hui, c’est le séparatisme islamiste, mais il y en a d’autres, dont nous aurons sans doute à parler plus tard – comme nos prédécesseurs, nous faisons une loi pas seulement pour maintenant, mais aussi pour l’avenir.

De fait, ce projet de loi est présenté 115 ans, jour pour jour, après la loi de séparation des Églises et de l’État, qui a mis fin au Concordat. Il trouve son origine dans le discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux. Un très grand travail de concertation avait déjà été engagé par mes prédécesseurs, Gérard Collomb et Christophe Castaner, que je tiens à saluer, et nous l’avons poursuivi. Vous y avez pris part, mesdames et messieurs les députés, en menant des auditions aussi longues que passionnantes.

Ce texte vise, non pas à modifier, mais à conforter les principes de la République, car nous sommes persuadés qu’ils constituent, et singulièrement la laïcité, le meilleur remède aux attaques contre celle-ci. Il s’agit de renforcer le principe de neutralité, composante essentielle de la laïcité – ainsi que le rappellent constamment la jurisprudence, le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le Parlement –, pour le service public et ceux qui y concourent, mais il n’est pas question de changer ce principe et de l’appliquer aux usagers du service public. Il s’agit également de renforcer le principe d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, mais aussi celui de liberté, parce que la liberté de conscience et la liberté de culte sont une composante de la laïcité et parce que les religions concourent à l’état d’apaisement d’une république.

Ce n’est pas une loi contre quoi que ce soit ; c’est une loi pour la République. À ce titre, elle prévoit un renforcement sans précédent de la police des cultes et de leur gestion ainsi que le renforcement de l’ordre public, déjà inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et sans lequel la liberté ne serait qu’un vain mot.

L’objet du projet de loi n’est pas de régler des questions relevant du dogme ou de l’action de telle ou telle église : la République ne reconnaît aucun culte. Elle peut certes discuter avec eux mais, depuis 1905, elle ne s’occupe d’aucun d’eux en particulier. Le propos est de lutter contre les séparatismes et surtout de nous défendre contre l’islamisme politique, qui veut englober l’islam, particulièrement en France. N’oublions pas que les premières victimes de l’islamisme à travers le monde sont les musulmans. Au passage, je tiens à saluer la signature d’une charte des principes de l’islam de France, qui est intervenue ce matin en présence du Président de la République. Je vous ai fait parvenir ce document dès sa signature.

Nous vous présentons donc un texte à la fois de liberté – d’association, de culte, de conscience – et d’autorité, assumée par le Gouvernement afin de faire respecter les principes de la République qui fondent la nation française et qui perdureront, espérons-le, pendant des siècles.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Je suis ravie d’être avec vous ce soir, pour commencer l’examen en commission spéciale du projet de loi confortant le respect des principes de la République. Comme l’a rappelé Gérald Darmanin, nous l’avons présenté en conseil des ministres le 9 décembre, à l’occasion des 115 ans de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. Il est le fruit de larges consultations, conduites par plusieurs ministères avec la société civile, les partis politiques, les représentants des cultes, les intellectuels et les associations philosophiques. Vous avez vous‑mêmes, mesdames, messieurs les députés, mené de nombreuses et fructueuses auditions.

L’objectif du texte est clair : défendre nos valeurs et la promesse républicaine de liberté et d’émancipation. Avant d’évoquer plus particulièrement les mesures relatives au droit des associations et à la dignité humaine, je tiens à rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui sont engagés dans la vie associative et qui font vivre au quotidien nos territoires et nos communes. Ce dynamisme et ces richesses, dans des domaines aussi variés que le sport, les loisirs, la culture ou les arts, sont un singularisme dont nous pouvons être fiers en France. Cet engagement est porteur de sens, parce qu’il s’inscrit dans le ciment républicain. C’est pourquoi nous avons voulu rappeler la souveraineté absolue des principes de la République sur tout autre système normatif.

Cela passe par la neutralité des services publics, mais aussi par un meilleur encadrement des activités associatives, afin d’empêcher qu’y prospèrent les discours et les pratiques contraires aux valeurs de la République – c’est l’objet des articles 6 et 7 du projet de loi. Nous ne voulons pas qu’un seul euro d’argent public aille aux ennemis de la République. Toute association sollicitant une subvention publique, sous quelque forme que ce soit, devra désormais signer un contrat d’engagement républicain, par lequel elle s’engage à respecter les valeurs de la République. Parce que ce contrat doit être le fruit d’une élaboration conjointe, avec le ministre de l’intérieur, nous avons décidé qu’il ferait l’objet d’un décret en Conseil d’État. Les consultations se poursuivent avec les associations, grâce à Sarah El Haïry, ainsi qu’avec les associations représentant les élus, par le biais de Jacqueline Gourault. Je remercie d’ores et déjà celles et ceux qui se sont engagés dans cette démarche.

Nous introduisons, avec ce contrat, un mécanisme de suspension ou de rétrocession de la subvention versée, qui suscite quelques inquiétudes. Mais je veux vous rassurer : notre objectif est d’éviter tout amalgame entre les associations qui participent de l’offre républicaine et celles, minoritaires, qui diffusent insidieusement des valeurs contraires aux principes républicains, comme nous avons pu le mesurer grâce aux travaux des cellules de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).

Le respect des principes de la République, c’est aussi celui de la dignité humaine et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les idéologies séparatistes attaquent en premier lieu les femmes en voulant décider à leur place ce qu’elles ont le droit de faire ou de ne pas faire. C’est pourquoi l’article 13 du projet de loi permet de mieux veiller à l’égalité de traitement entre les héritiers ; les articles 14 et 15 prévoient une réserve générale de polygamie pour la délivrance d’un document de séjour ; l’article 16 pose l’interdiction aux professionnels de santé d’établir des certificats de virginité ; l’article 17 renforce la lutte contre les mariages forcés.

Enfin, le Gouvernement a déposé des amendements pour renforcer le pilotage de la promotion et de la défense de la laïcité, y compris au sein de l’appareil d’État. Vos propres amendements nous donneront l’occasion d’aborder de nombreux autres sujets ; c’est là toute la richesse du travail parlementaire. L’objectif du projet de loi est bien de lutter contre toutes les formes de séparatisme qui gangrènent notre société et de conforter les principes de la République.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports. Je suis très heureux d’être avec vous à un moment aussi important du processus législatif. Les volets relatifs à l’éducation, aux associations et au sport de ce projet de loi viennent conforter le respect des principes de la République. L’enjeu au cœur de ce texte est connu de tous : la lutte contre le séparatisme. Personne ne doute que c’est à l’école que les choses commencent. Les articles concernant l’éducation, la jeunesse et les sports sont complémentaires d’un travail législatif ancien et posent un jalon important dans un processus qui a commencé il y a plusieurs années. Ainsi, la loi Gatel permet de s’opposer avec efficacité à l’ouverture de certaines écoles privées hors contrat. Plusieurs dispositions de la loi pour une école de la confiance sont également utiles dans ce cadre, notamment l’interdiction du prosélytisme aux abords des établissements.

Ici, il s’agit de supprimer certains angles morts dans le domaine scolaire. Une disposition a beaucoup attiré l’attention, celle relative à l’instruction en famille. Elle représente, à mes yeux, une étape importante dans la définition du cadre de la liberté d’enseignement, qui, comme les autres, a besoin d’être définie. Mieux définir les libertés contribue à les renforcer. C’est pourquoi l’instruction en famille a besoin, d’une part, d’être définie et, d’autre part, que son cadre le soit également. Nous ne sommes pas restés sourds aux différentes objections qui nous ont été faites, notamment par les associations qui la défendent. Aussi plusieurs phases de discussion ont–elles été menées. Le dialogue avec le Conseil d’État nous a permis de trouver un premier point d’équilibre permettant de définir un régime d’exception au système déclaratif et d’autorisation que nous avons proposé. Évidemment, cela n’a pas mis un terme au dialogue en cours. Nous avons entendu plusieurs préoccupations, notamment sur la date de mise en œuvre de la loi et sur la question de la prise en compte du projet pédagogique au titre du quatrième motif d’accès à l’instruction en famille. Sur ces deux points, le texte est encore susceptible d’évoluer.

Mais nous ne devons pas perdre de vue l’esprit initial du texte, qui est celui du discours des Mureaux du Président de la République. Nous devons lutter contre un phénomène qui a pris beaucoup d’ampleur, même s’il reste difficile à mesurer : il y a des angles morts de la République dans certains territoires. Certains voient dans l’existence de structures clandestines une fatalité. Ce n’est pas le cas à nos yeux. Nous devons nous donner tous les outils pour les combattre. Dans les structures clandestines que nous avons démantelées avec le ministre de l’intérieur, plus de la moitié des élèves relevaient officiellement l’instruction en famille.

Par ailleurs, le dispositif dispense un message très simple, qui est d’actualité en pleine crise épidémique : l’école, c’est bon pour les enfants. J’entends trop de discours qui relativisent l’importance du rôle de l’école. Il y aura toujours des arguments pour rechercher plus d’exceptions, mais ne perdons pas de vue le but initial : l’intérêt supérieur de l’enfant. Si ce texte vise à défendre les valeurs de la République, il s’agit aussi de défendre les droits de l’enfant, ce qui explique que l’expression « intérêt supérieur de l’enfant » y apparaisse à plusieurs reprises. L’enfant n’appartient à personne. C’est son intérêt supérieur qui doit être regardé pour chacune des dispositions que nous prenons.

Vous avez tous à l’esprit les autres mesures du texte, notamment celle relative à la fermeture des écoles hors contrat qui ne répondent pas aux valeurs de la République. Le dialogue se poursuivra. Il est déjà bien engagé – je vous en remercie – et permet de façonner le texte dans un sens qui préserve toutes les libertés.

M. Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux, ministre de la justice. Je suis ravi et fier d’être ici pour vous présenter le projet de loi. Notre présence à quatre aujourd’hui, à cinq demain, signe et témoigne de notre volonté de traiter du sujet du séparatisme dans sa globalité : d’abord, par la transmission des valeurs républicaines à l’école ; ensuite, par la prévention des infractions à visée séparatiste ; enfin, par la sanction pénale. Je voudrais vous exposer très brièvement les dispositions portées au nom du ministère de la justice.

L’article 3, sur lequel nous avons travaillé avec Gérald Darmanin, concerne le fameux fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infraction terroriste, dit FIJAIT. Il nous semble nécessaire qu’y soient inclus les noms, non seulement des personnes ayant été condamnées pour des infractions en lien avec des activités terroristes, mais aussi de celles qui l’ont été pour apologie du terrorisme. Ce fichier est notamment utile lorsque les services de l’État souhaitent recruter une personne, pour qu’ils puissent vérifier que le loup n’entre pas dans la bergerie.

L’article 4 renforce la protection des personnes exerçant des missions de service public contre ceux qui, par des comportements violents ou menaçants, souhaitent porter atteinte aux valeurs de la République. Bien sûr, les menaces existent déjà dans le code pénal. Mais menacer un gardien de piscine municipale pour obtenir de lui des choses qui n’ont rien à voir avec les valeurs de la République, notamment l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est une infraction qui doit être spécifique et, partant, spécifiquement condamnée. Il faut savoir de quoi l’on parle et ce que l’on veut.

Concernant la haine en ligne, le ministère de la justice s’est directement inspiré de la malheureuse affaire du professeur Samuel Paty. Nous avons regardé comment il aurait été possible de judiciariser plus vite. Il y avait un trou dans la raquette, comme disent les sportifs – une expression que je déteste mais qui est très explicite. Toute une bulle mortifère s’est mise en place qui a abouti à l’assassinat du professeur. C’est cela que nous voulons judiciariser. Ce texte aura – nous le verrons dans nos débats, dont je ne doute pas un instant de la richesse – une véritable utilité.

Le but de cette nouvelle infraction est de sanctionner celui ou celle qui mettrait en danger une personne en diffusant des informations d’identification tenant à sa vie privée, quand bien même cette diffusion ne serait pas suivie de conséquences – c’est l’élément intentionnel qui nous a mobilisés. Je suis d’ailleurs favorable à l’amendement que Laetitia Avia défendra sur ce point : il importe de préciser qu’il s’agit d’un risque que « l’auteur ne pouvait ignorer ». Le parquet de Paris, entre autres, a indiqué que cela pourrait présenter des difficultés sur le terrain probatoire. Certes, mais la même réalité vaut pour toutes les infractions : c’est au ministère public de rapporter la preuve. C’est très bien ainsi et, de ce point de vue, rien ne doit changer.

L’article 19 traite de ce qu’il convient d’appeler les sites miroirs. Notre collègue Cédric O, secrétaire d’État chargé de la transition numérique et des communications électroniques, le défendra devant vous. La question comporte une dimension nationale, mais aussi internationale, particulièrement européenne.

Enfin, l’article 20 permet d’attraire, en comparution immédiate, devant la juridiction correctionnelle les haineux du quotidien qui se lovent dans la loi de 1881. Celle-ci a pour objet de protéger les journalistes et, d’une façon très large, la presse, certainement pas ceux qui utilisent les réseaux sociaux pour y répandre la haine. Après avoir consulté longuement les journalistes, les patrons de presse, les syndicats et les avocats spécialisés dans ce domaine, nous avons décidé de ne pas toucher à la loi de 1881, qui est totémique et consensuelle, mais de créer des dispositions dans le code de procédure pénale, tout en précisant que les journalistes ne pourraient en aucune façon être jugés sur leur fondement, car les responsables en cascade sont exclus du champ de l’article. Le Conseil d’État a confirmé que la rédaction proposée exonérait les journalistes et les patrons de presse.

Ce texte, mes collègues l’ont dit, est une loi de liberté, un mot qui, par les temps qui courent, tend à voir son sens complètement dévoyé. Ainsi l’obligation de port du masque deviendrait-elle « liberticide », comme d’autres mesures au gré desquelles l’on voit surgir tous azimuts des spécialistes de la question. Moi, j’affirme, et j’aurai l’honneur de vous le démontrer, que c’est une loi de liberté, et une loi importante. D’ailleurs, à chaque fois que l’on rappelle les valeurs de la République, on rappelle les valeurs de la liberté.

M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II. C’est effectivement un texte de liberté, car il vise à protéger nos libertés publiques contre les dérives du repli communautaire, les dérives dites séparatistes. Il s’agit de protéger la liberté de conscience et la liberté de culte, et de conforter les principes qui organisent et structurent la République.

L’objet du texte est de lutter contre les dérives partout où elles se produisent. Ces phénomènes s’introduisent aussi bien par le biais des services publics, notamment locaux, que des associations, des établissements scolaires, de la haine en ligne ou encore de l’organisation des cultes. Nous souhaitons y apporter des réponses fermes, mais aussi équilibrées. Pour ce faire, nous nous sommes attachés à objectiver les choses. C’est tout le travail que nous avons fait depuis le 17 décembre, à travers une centaine d’auditions de grande qualité, menées aussi bien par la commission spéciale dans son ensemble que par les rapporteurs thématiques. Certains sujets très techniques ont nécessité d’entrer dans le détail – je pense aux immeubles de rapport ou encore à la déclaration de qualité cultuelle des associations, question centrale qui sera abordée au titre II. Chaque fois, nous avons analysé le droit existant pour voir dans quelle mesure le projet de loi le modifie : pour débattre raisonnablement de ces questions, il fallait commencer par les objectiver.

Nous avons aussi cherché à faire en sorte que la loi puisse être effectivement appliquée, ce qui supposait de veiller à ce que certains articles soient bien compris – vous avez souligné, monsieur le ministre de l’éducation nationale, les inquiétudes qui se sont fait jour concernant l’instruction en famille.

Tel est, mes chers collègues, l’état d’esprit des rapporteurs au moment où la commission spéciale entame son travail de discussion : à la fois tenir l’objectif de fermeté que poursuit le texte et chercher des points d’équilibre. Car notre conviction – largement partagée, me semble-t-il – est que la loi ne sera un outil efficace pour la puissance publique que si l’ensemble des acteurs concernés s’approprie ceux que nous créons à leur bénéfice, dont l’objectif, encore une fois, est de conforter les principes de la République.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. Il m’appartient de vous présenter succinctement les dispositions du chapitre Ier du projet de loi, qui concerne les services publics et comporte cinq articles.

L’article 1er poursuit deux objets : imposer aux délégataires de service public le respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité qui prévalent dans l’administration en transposant les solutions dégagées par la jurisprudence, et renforcer l’effectivité de ces principes en garantissant aux personnes publiques des voies de droit leur permettant de s’assurer de leur respect. Les principales questions qui se poseront à la commission concerneront le champ précis d’application de ces principes.

L’article 2 a pour objet d’inclure dans le champ de la procédure dite du déféré accéléré les actes des collectivités territoriales qui portent gravement atteinte au principe de neutralité des services publics. Cette procédure permet au préfet d’obtenir du président du tribunal administratif, dans les quarante-huit heures suivant la saisine, une décision de suspension de l’acte déféré. La rédaction de cet article, qui a très largement tenu compte de l’avis du Conseil d’État, apparaît désormais équilibrée.

L’article 3, relatif au FIJAIT, prévoit, d’une part, d’inscrire de plein droit dans ce fichier les condamnations pour infractions terroristes, sauf décision contraire et motivée, et, d’autre part, d’élargir les inscriptions aux infractions de provocation au terrorisme et d’apologie du terrorisme, tout en faisant bénéficier ces inscriptions élargies d’un régime plus doux que celui qui est réservé aux condamnations pour les infractions matérielles de terrorisme. Je déposerai deux amendements : le premier pour aligner les décisions d’irresponsabilité pénale sur le régime général des décisions de condamnation ; le second pour imposer aux auteurs de provocation au terrorisme ou d’apologie du terrorisme les obligations déclaratives de domicile et de voyage pendant cinq ou trois ans, selon qu’ils sont majeurs ou mineurs.

L’article 4 crée un nouveau délit consistant à user de menaces ou intimidations contre les agents qui concourent au service public afin d’obtenir, pour soi-même ou pour autrui, une exemption ou une application différenciée des règles du service public. Je proposerai deux amendements. Le premier consiste à exclure de l’article 433-3 du code pénal les faits qui sont couverts par ce nouveau délit. Le second a pour objet d’autoriser l’administration ou son délégataire à porter plainte en cas de commission de ce délit à l’encontre de l’un de ses agents. Je crois beaucoup à cette mesure, qui me semble être un bon signal.

L’article 5 élargit le champ de la protection fonctionnelle des agents publics : les violences physiques et les menaces s’ajoutent à la liste des atteintes personnelles pouvant être signalées à l’employeur. Je propose deux amendements : le premier pour étendre le champ de la procédure de signalement à tout acte d’intimidation, par cohérence avec l’article 4 ; le second pour consacrer l’engagement de mesures d’urgence dans les cas les plus graves, même en l’absence de demande formelle de l’agent.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier. Le chapitre II du titre Ier comprend les dispositions relatives aux associations, piliers de notre pacte républicain, ainsi que l’a rappelé le Président de la République dans son discours des Mureaux. J’ajoute qu’elles participent à rendre concrète la promesse républicaine en encourageant l’émancipation, en protégeant les plus fragiles et en faisant vivre les valeurs et principes qui font de nous ce que nous sommes. Force est toutefois de constater que certaines associations déploient des stratégies assumées d’endoctrinement ou sont la cible des séparatismes. Les associations doivent unir la nation et non la fracturer. Dans leur grande majorité, elles s’attachent à respecter la République et ses principes, et, en retour, méritent notre respect. C’est protéger les associations et leur statut si particulier que de garantir leur liberté.

Les articles 6 à 8 visent à garantir le respect des principes républicains par les associations, ainsi qu’à offrir les moyens à la puissance publique de stopper les agissements d’une association qui menacerait gravement l’ordre public et nuirait au vivre ensemble. Pour ce faire, le texte crée un contrat d’engagement républicain, que s’engagerait à respecter toute association demandant une subvention publique ou en bénéficiant. L’objectif est simple : pas 1 euro d’argent public ne doit contribuer au financement d’une association qui ne respecterait pas les grands principes de la République. Le respect de ce contrat serait également une nouvelle condition pour l’obtention d’un agrément. L’article 8 vise, quant à lui, à compléter le régime permettant de dissoudre des associations, dans le but de permettre une plus grande effectivité de l’action publique. Ces mesures forment un ensemble cohérent. Elles sont de nature à éviter qu’une association ne dévoie son rôle civique et citoyen par des agissements qui porteraient atteinte aux principes qui nous rassemblent.

Les articles 9 à 12 constituent un second bloc, relatif au financement des associations et, plus généralement, des organismes sans but lucratif. Ils reposent sur l’idée selon laquelle l’argent public ne doit pas permettre de financer des activités séparatistes ou contraires aux principes de la République. Le texte prévoit le renforcement des contrôles sur les fonds de dotation et sur les organismes bénéficiaires de dons ouvrant droit à une réduction d’impôt. Il prévoit, en outre, la suspension des avantages fiscaux accordés aux organismes condamnés définitivement pour des infractions faisant peser une menace grave sur la société.

Pour ma part, je m’attacherai principalement à renforcer l’efficacité du contrat d’engagement républicain, à garantir la cohérence de l’action publique face à des associations qui s’inscrivent en rupture avec nos principes et à valoriser celles qui font vivre la République. Il ne s’agit en aucune façon d’exprimer de la défiance vis-à-vis des associations, que je salue pour leur participation à la concrétisation de la promesse républicaine, mais bien de combattre les individus qui utilisent ce bel outil démocratique à des fins séparatistes et de protéger les associations contre de tels agissements.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier. Les articles 13 à 17, dont je suis la rapporteure, sont relatifs à l’application de la réserve héréditaire pour protéger les droits des héritiers, au renforcement de la lutte contre la polygamie dans le cadre de la délivrance des titres de séjour et du versement des pensions de réversion, à l’interdiction des certificats de virginité, ainsi qu’au renforcement de la lutte contre les mariages forcés et frauduleux. L’ensemble de ces articles relève d’un même chapitre intitulé « Dispositions relatives à la dignité de la personne humaine ». Pour ma part, je considère plus cohérent avec le contenu des articles de faire référence au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les hommes et les femmes ; j’ai déposé un amendement en ce sens.

Par ailleurs, s’agissant des dispositions relatives à la lutte contre la polygamie, il m’apparaît essentiel qu’un accompagnement soit prévu pour les conjointes des ressortissants en état de polygamie, dès lors que leur titre de séjour leur est retiré automatiquement en même temps que celui de leur conjoint. L’épouse subit la violence de la polygamie. C’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à ce que la situation du conjoint d’un étranger dont le titre de séjour est retiré pour polygamie fasse l’objet d’un examen individuel. Les associations devront se mobiliser pour accompagner ces femmes, souvent victimes collatérales, de même que celles qui se verront retirer leur pension de réversion. En outre, il apparaît indispensable de renégocier l’ensemble des conventions internationales qui autorisent le partage de la pension de réversion entre toutes les épouses.

Pour ce qui concerne l’interdiction des certificats de virginité, je suis très favorable à ce que l’entourage de la jeune femme qui la pousse à demander un tel certificat fasse également l’objet de poursuites pénales. Nous travaillons avec les ministres concernés à la rédaction d’un amendement en ce sens.

Enfin, pour lutter efficacement contre les mariages frauduleux et forcés, il est impératif de doter les officiers d’état civil d’outils communs – trame pour conduire l’entretien en couple, puis individuellement –, afin de leur permettre de détecter des signes de non-consentement d’une des personnes concernées.

Nous souhaitons aborder ces discussions dans un esprit positif et constructif.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier. Assurer le respect des principes de la République est un combat qui doit être mené en tout lieu, y compris dans l’espace numérique. Tel est l’objet du chapitre IV de ce projet de loi. Il ressort de nos auditions que tous nos interlocuteurs – représentants des cultes et des courants philosophiques, sociologues, historiens, associations d’élus – s’accordent sur le besoin de réguler internet et de lutter contre les dérives sur les réseaux sociaux.

La lutte doit viser l’exacerbation des discours de haine à laquelle peuvent se livrer des personnes cachées derrière un écran et des pseudonymes, donnant des coups de canif quotidiens à notre pacte républicain ; la facilité qu’internet procure à ceux qui, dans le but de nuire à autrui, lancent, en toute impunité, de véritables fatwas numériques – nous avons une pensée très forte pour Samuel Paty et ses proches ; internet comme lieu de radicalisation de la jeunesse, particulièrement vulnérable aux stratégies d’endoctrinement et d’embrigadement numériques. Nous devons agir en sanctionnant les pourvoyeurs de haine et en régulant les plateformes numériques, pour protéger chacun et chacune dans l’espace numérique.

Le texte proposé par le Gouvernement comporte trois dispositifs. Le premier crée un délit de mise en danger de la vie d’autrui par la divulgation d’informations personnelles sur internet. Il signifie que l’on ne peut pas mettre une cible impunément dans le dos de quelqu’un. Ce délit apportera une réponse au calvaire que vivent de nombreuses jeunes filles et des jeunes LGBT – lesbiennes, gays, bisexuels et trans –, régulièrement victimes de ces pratiques. Il nous faudra préciser les éléments de caractérisation de ce délit ; nous ferons une proposition en ce sens.

Le deuxième dispositif vise à mieux lutter contre les sites miroirs répliquant les sites interdits par la justice. Ces sites extrémistes sont souvent tenus par des racistes antisémites homophobes et suprémacistes blancs, dont je tairai le nom.

L’objet du troisième dispositif est de contrer l’impunité que procure le temps numérique, auquel les procédures doivent être adaptées par leur rapidité. Je salue la proposition de faire passer en comparution immédiate les pourvoyeurs de haine, qui ne relèvent aucunement des protections dues à la presse.

Pour que ces dispositifs soient complets, nous ne pouvons pas faire l’impasse sur la régulation des plateformes, qui sont les principaux outils des dérives. Avec le Gouvernement, nous avons déposé un amendement visant à soumettre les plateformes à des obligations de diligence et de transparence, sous la supervision du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L’actualité récente nous le rappelle, les plateformes ne peuvent plus détourner le regard et doivent être encadrées par des lois. C’est ce que nous vous proposons ici, sous l’impulsion de la Commission européenne.

Nous ne serons peut-être pas d’accord sur tous les moyens à mettre en œuvre, mais j’espère que nous partagerons tous le sentiment de l’urgence et de la nécessité d’agir. Nous le devons à Samuel Paty, à Mila, à Miss Provence et à tant d’autres victimes quotidiennes de cette haine.

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. J’ai l’honneur d’être rapporteure des articles relatifs à l’éducation et au sport. La vingtaine d’auditions que j’ai menées a démontré l’importance de ces sujets pour de nombreux Français. La présence de ces dispositions dans le projet de loi a tout son sens compte tenu de leur étroite relation avec la transmission des principes de la République.

L’article 21 du projet de loi a pour objet d’encadrer l’instruction en famille, pour la prémunir contre certaines dérives qui ont pu être observées. Il s’agit, en la dotant d’un cadre précis, de garantir qu’elle s’exerce dans des conditions permettant la qualité de l’instruction de l’enfant, mais surtout le respect de son intérêt supérieur, qui doit primer en toute circonstance. Les articles 22 et 23 renforcent le contrôle des établissements d’enseignement privé hors contrat, notamment s’agissant de leur financement et de leurs personnels, pour veiller à la sécurité des élèves et à la qualité de l’enseignement qui leur est dispensé. L’article 24 conditionne la passation du contrat avec l’État à une vérification plus approfondie de la capacité de l’établissement privé à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public. Enfin, l’article 25 modifie le cadre d’exercice des associations sportives et des fédérations pour garantir le plein respect et la promotion de l’éthique du sport.

S’agissant de l’instruction en famille, je défendrai plusieurs amendements tendant à faire de l’intérêt supérieur de l’enfant le motif primant sur tous les autres et à supprimer la mention des convictions religieuses, philosophiques ou politiques des parents ; à préciser les cas dans lesquels l’autorisation pourra être délivrée pour une durée supérieure à un an ; à indiquer de manière claire que le silence de l’administration vaut accord à l’issue d’un délai de deux mois ; à inscrire plusieurs précisions visant à garantir le caractère opérationnel du dispositif. Je proposerai également plusieurs mesures pour lutter contre la déscolarisation et l’évitement scolaire, qui affectent en particulier les enfants instruits en famille et en établissements hors contrat. Ceux-là peuvent sortir du radar de l’État et sont parfois dans des situations préoccupantes. Je forme le vœu que nous parvenions à un dispositif véritablement équilibré, de nature à assurer la pleine prise en compte des droits de l’enfant, qui doivent être notre boussole.

S’agissant du sport, nous pourrons également enrichir le texte pour donner aux associations et aux fédérations sportives la place qu’elles souhaitent prendre, et que certaines assument déjà, en matière de promotion des principes républicains et de protection des sportifs, dont de nombreux mineurs.

M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV. La laïcité, c’est d’abord la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer un culte ou pas. On la trouve dans cette phrase de Condorcet : « Nous ne demandons pas que les hommes pensent comme nous ; mais nous désirons qu’ils apprennent à penser d’après eux-mêmes ». Elle est l’esprit de la loi de 1905, un esprit libéral qui a guidé les travaux d’Aristide Briand et selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est par principe autorisé, et ce qui est interdit l’est dans un but d’intérêt général : la sauvegarde de l’ordre public.

La laïcité est également de nature contractuelle, et certaines dispositions du projet de loi, comme celle créant le contrat d’engagement républicain, le rappellent. J’emprunterai donc au lexique du droit des contrats pour présenter les dispositions relatives à la police des cultes. Il y a tout d’abord les « clauses noires », celles qui ont pour objet de lutter contre le terrorisme. Ce texte n’en comporte pas directement puisque ces dispositions relèvent soit de la loi de 1955 relative à l’état d’urgence, soit de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, que nous avons adoptée au début du quinquennat.

Viennent ensuite les « clauses blanches », les plus libérales, instituant toutefois un régime déclaratoire, avec des obligations administratives ou comptables nouvelles pour les associations : certification des comptes, obligation de tenir des comptes séparés pour les financements provenant de l’étranger, établissement d’une liste des lieux de culte. Des moyens sont donnés à l’administration en cas d’infraction, ainsi que le droit de s’opposer à des financements étrangers. Le but recherché est celui de la transparence.

Les « clauses grises », c’est la principale novation de ce texte, visent à moderniser les dispositions de la loi de 1905 devenues obsolètes, dans le but de tenir les prêcheurs de haine éloignés des lieux de culte et des associations qui en ont la charge, et pour prescrire des sanctions efficaces et proportionnées.

En conservant l’essentiel de cette construction, et à la lumière des auditions que nous avons conduites, je souhaite que nous discutions de la possibilité d’élargir le contrôle des financements étrangers aux associations relevant de la loi de 1901 lorsque ces financements proviennent d’États tiers à l’Union européenne. Je proposerai l’alignement des peines prévues au titre de la police des cultes en cas d’incitation à la haine ou à la violence sur celles de la loi de 1881 sur la liberté de la presse : il y va de la clarté de la réponse pénale, comme l’indique le Conseil d’État dans son avis.

Je proposerai également le prononcé plus systématique de la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les lieux de culte, lorsque ces infractions ont été commises en lien avec les cultes.

Il conviendrait de fixer à trois mois la durée maximale de la fermeture des lieux de culte introduite par l’article 44 du projet de loi ; elle serait non renouvelable, sauf en cas d’éléments nouveaux.

Enfin, il serait nécessaire de préciser le régime d’opposition dans le but de protéger les collaborateurs des banques qui auront à l’exercer, d’exonérer les établissements de leur responsabilité puisqu’ils agiront sur ordre de l’administration, et de garantir l’effectivité du droit nouveau en appliquant le blocage aux paiements par chèque et par carte bancaire.

M. le président François de Rugy. Nous en venons aux orateurs des groupes.

M. Francis Chouat. Cette commission a réussi, dans un laps de temps contraint, à recueillir, pendant des dizaines d’heures d’audition, les avis d’un spectre très large d’acteurs et de personnalités, qui ont beaucoup éclairé les législateurs que nous sommes. Dans la diversité de leurs opinions et de leurs propositions, nul n’a remis en cause la nécessité de légiférer pour conforter les principes de la République. Ce texte répond à une attente dans le pays. Malgré le contexte sanitaire qui obsède, à juste titre, nos concitoyens, tout montre qu’ils sont très inquiets face au terrorisme islamiste et aux menaces de dislocation de notre communauté nationale.

Nous sommes moins de quatre mois après que le Président de la République a, aux Mureaux, fixé le cap face à l’une des principales menaces pesant sur la paix civile, qui opprime et qui tue en France, en Europe et dans le monde. Quelques jours plus tard, le terrorisme décapitait Samuel Paty pour avoir simplement fait son devoir d’éducateur à la liberté de conscience. Les parties civiles du procès Charlie Hebdo ont fait l’objet de menaces de mort. Nice a de nouveau été durement touchée. Vienne, la capitale de l’Autriche, a été frappée. Régulièrement, des États musulmans d’Afrique et d’Asie centrale subissent des massacres de masse perpétrés par les islamistes. Plus insidieusement, combien d’enseignants, d’élus, de policiers, de gendarmes, de pompiers, de médecins, de femmes ont la boule au ventre, se demandant s’ils ne vont pas devoir s’excuser de vivre en République sous l’égide du principe de laïcité, qui est la quintessence de la liberté ?

Ne perdons jamais de vue qu’à travers la complexité et l’extrême sensibilité des sujets qu’il traite, ce texte est fait pour armer démocratiquement, légalement tous ceux qui auront à mettre en œuvre ses dispositions ; sa réussite dépendra de son exécution volontaire. Il permettra à tous les acteurs des services publics et à ceux qui y concourent de mieux faire vivre le principe fondateur de notre République : le respect de la laïcité, de l’égalité et de la neutralité de l’État. À travers le contrat d’engagement républicain, il fournira l’occasion aux élus, aux associations, aux administrations publiques de construire ensemble la laïcité du quotidien et d’exprimer clairement ce que sont nos règles de vie commune dans une société démocratique, et l’égalité – pour reprendre la belle expression de la Convention européenne des droits de l’homme de 1953. Il s’attaque très volontairement au déferlement de haine et de harcèlement en ligne, ainsi qu’au e-djihad. Il fait honneur à notre statut de patrie des droits de l’homme en réprimant les phénomènes d’emprise et les pratiques attentatoires à l’intégrité et à la dignité de la personne. Il donne des moyens nouveaux aux cultes et à la justice pour combattre l’emprise du séparatisme sur des associations cultuelles et culturelles. Il remet l’école au cœur du village, pour tous les enfants, dans le respect des libertés fondamentales des familles, mais en agissant contre les zones d’ombre des écoles hors contrat et contre la déscolarisation d’enfants à des fins séparatistes, qui porte atteinte à leur intérêt supérieur.

Nous allons enrichir ce projet de loi – c’est notre rôle de législateur. Je pense en particulier à la nécessité de renforcer la protection et l’accompagnement des agents publics, en premier lieu des personnels de l’éducation, dans l’exercice de leurs missions, ainsi qu’à l’impérieuse nécessité de mettre en œuvre un vaste programme de formation de tous les agents publics et de tous les acteurs associatifs aux principes républicains et à la laïcité. Si l’adhésion à la République et à la laïcité a perdu du terrain face à ceux qui se sont promis de disloquer la société française, c’est bien entendu parce que grandit le sentiment d’impuissance à s’attaquer à la racine des multiples inégalités et discriminations qui minent l’avenir de millions de nos concitoyens et rongent des territoires entiers – et sans doute aurons-nous besoin de charpenter plus solidement les politiques de citoyenneté, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, de prévention de la radicalisation, de lutte contre les ghettos et pour l’engagement citoyen et l’intégration. Mais c’est aussi parce qu’au fil du temps, nous avons cessé de faire de l’adhésion à une communauté de destin et du respect de ces principes un sujet cardinal de mobilisation populaire, que notre socle s’est fragilisé. Face à des offensives identitaires très structurées idéologiquement et politiquement, la République doit retrouver des appuis solides. Faisons-en sorte que ce texte y contribue !

Mme Annie Genevard. Presque toutes les personnes que nous avons auditionnées ont souligné l’urgence dans laquelle se trouve notre pays, confronté à un danger majeur. Si nous en avons connu d’autres dans notre histoire, celui-ci est d’une nature particulièrement grave, tant l’islamisme radical s’est enraciné au point de menacer les principes mêmes de notre République.

Ces principes, le présent projet de loi affirme vouloir les conforter. Le groupe Les Républicains partage cette volonté et entend apporter sa contribution. Je voudrais à ce sujet rappeler qu’à l’Assemblée, il n’y a pas de débat interdit. Nous entendons bien introduire dans la discussion parlementaire des sujets comme le port du voile, dont la propagation exponentielle vise à imposer une autre norme sociale, que l’immense majorité des femmes de notre pays refuse, ou la question migratoire – vous n’en voulez pas, alors que nul ne peut raisonnablement nier qu’elle a un lien étroit avec la propagation de cette idéologie. Nous reviendrons donc sur ces questions. Nous sommes particulièrement choqués par l’usage, que nous jugeons politique, de l’article 45 de la Constitution : je rappelle qu’en sa rédaction actuelle, adoptée en 2008 à l’initiative du Président Nicolas Sarkozy, un amendement est recevable dès lors qu’il présente un lien « même indirect » avec le texte examiné.

Pour nous, ce texte ne va pas assez loin. Les propositions utiles, nous les approuverons ; celles que nous jugeons trop faibles, nous les amenderons. Quant à celle que nous jugeons mauvaises, nous les combattrons – car contrairement à ce que certains membres du Gouvernement ont pu déclarer récemment, c’est là l’essence de la fonction parlementaire.

Je laisse Éric Diard compléter cette prise de parole au nom du groupe Les Républicains.

M. Éric Diard. Ce projet de loi se sera fait attendre ! Voilà longtemps que divers groupes cherchent à faire vaciller de l’intérieur notre République ; à chaque fois, on a apporté une réponse au coup par coup, en réaction à l’actualité. Pourtant, dès le début du mandat, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme avait fourni l’occasion de prendre le problème de la radicalisation à bras-le-corps. Il y a un an, en janvier 2020, fut déposée la proposition de loi relative à la sécurité globale, que nous avons adoptée en première lecture il y a deux mois : cela aurait pu être, là encore, l’occasion d’intégrer des dispositions relatives à la lutte contre la radicalisation, mais on nous a répondu que ce n’était pas le sujet du texte étudié, alors que la radicalisation est l’un des ferments du terrorisme. Si, en février 2020, dans son discours de Mulhouse, le Président de la République a souligné la nécessité de protéger la liberté contre le séparatisme islamiste, il a fallu attendre le discours des Mureaux, en octobre dernier, pour savoir quand nous pourrions discuter de ce texte.

Et alors que nous en commençons enfin l’examen, voilà que nous assistons à une série de renoncements. Les articles concernant la mixité sociale ont été supprimés de l’avant-projet. Rien n’est prévu pour reprendre en main les territoires oubliés de la République, contrairement à ce que le Président de la République avait annoncé dans son discours des Mureaux. Le Gouvernement a également renoncé à l’idée d’obliger les associations gérant un lieu de culte à s’inscrire dans le régime spécifique de la loi de 1905. Le rapporteur général a même affirmé en audition, vendredi dernier, que ce texte ne traitait pas de la radicalisation – comment traiter du séparatisme si l’on occulte la radicalisation ? Enfin, certains services publics ne font l’objet d’aucun article ; je pense notamment aux hôpitaux, aux universités et aux prisons.

En outre, monsieur le président, vous avez fait une lecture restrictive de l’article 45 de la Constitution. Je n’en prendrai qu’un exemple : le développement d’enquêtes administratives dans certains secteurs publics a systématiquement été rejeté, même lorsqu’elles concernaient l’éducation, alors que celle-ci fait l’objet d’un chapitre entier du projet de loi et que de telles enquêtes ont été préconisées tant par le rapport d’information sur les services publics face à la radicalisation que j’ai rédigé avec mon collègue Éric Poulliat que par la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris le jeudi 3 octobre 2019, dont le rapporteur général du présent projet de loi était le rapporteur.

Je pense qu’il convient que nous profitions de ces débats pour enrichir le texte afin de le rendre pleinement efficace contre les menaces qui pèsent sur notre République. Pour répondre aux levées de boucliers de ceux qui protestent contre les restrictions de nos libertés, je dirai qu’il faut garder à l’esprit qu’il y a dans ce pays des personnes qui usent de nos libertés pour nous en priver.

Mme Isabelle Florennes. Le titre même du texte dont nous commençons aujourd’hui l’examen – projet de loi renforçant le respect des principes de la République – indique l’étendue de ce que nous avons à reconquérir. Notre réussite ne dépendra pas uniquement de ce texte.

Dire qu’il faut respecter des principes, c’est reconnaître implicitement leur affaiblissement ; c’est aussi rappeler que la République, comme la démocratie, doit avoir constamment le souci de sa propre pédagogie, pour convaincre plutôt que contraindre, provoquer l’adhésion plutôt que forcer. Cette recherche du plébiscite de tous les jours est un défi permanent pour un régime politique qui place au plus haut de ses ambitions la liberté et l’égalité de tous ses concitoyens, et qui ne tient que parce qu’il se donne les moyens d’accéder à cet idéal. Si l’on n’a pas conscience de la fragilité de l’édifice démocratique et républicain, on ne peut mesurer les menaces qui le guettent. Il faut pourtant avoir conscience que la démocratie est une exception dans la longue histoire des hommes.

Parmi ses principes, il en est un qui est, à notre sens, au-dessus des autres. Il s’agit de la séparation du temporel et du spirituel, résumée dans cette simple phrase : « La loi protège la foi et l’absence de foi […] et la foi ne fait pas la loi ». Or ce principe est depuis trop longtemps attaqué par ceux qui n’ont d’autre but que d’imposer leur loi à une société démocratique. Ces menaces, nous les connaissons : il s’agit de la radicalité religieuse, en particulier de l’intégrisme, du communautarisme qui en découle et qui conduit à s’affranchir progressivement de toutes les règles de la vie en société, du rejet des lois républicaines, de l’affaiblissement de l’école et de la liberté associative, le tout amplifié par la caisse de résonance offerte par les réseaux sociaux.

Notre pays ne connaît que trop ces déchirements et la République doit rester ferme sur ses principes. C’est déjà ce qu’affirmait en 2003 la commission Stasi au sujet de la laïcité. Rester ferme, ce n’est pas se laisser convaincre par ceux qui affirment que la laïcité serait discriminante, un outil du pouvoir pour limiter la volonté ou la liberté, voire une arme tournée contre une partie de la population ; elle est tout le contraire. Il y a une réponse ferme à apporter.

Si ce projet de loi y contribue par de nombreuses mesures que nous aurons largement le temps de discuter, il existe un autre type de réponse, tout aussi essentiel, qui est de tenir la promesse républicaine d’offrir à chacun les moyens de son propre avenir. Je souhaite que, tout au long de nos débats, nous ne perdions pas de vue cette double obligation : donner les moyens à la République de se défendre et permettre à tous d’accomplir cet idéal. Cela passera notamment par l’accompagnement des élus locaux et des collectivités territoriales, qui sont confrontés très directement et quotidiennement aux pratiques séparatistes, et qui se trouvent souvent démunis pour lutter contre elles. De même, nous devons veiller au renforcement des principes contenus dans la loi du 9 décembre 1905 relatifs au fonctionnement des associations cultuelles et des lieux de culte. Nous devons aussi étendre le principe de neutralité, qui, en de multiples endroits, est mis à mal.

Il nous faudra progresser sur plusieurs points. Il convient d’abord d’affirmer l’obligation pour l’administration de porter plainte lorsqu’elle a connaissance de menaces ou d’actes de violence ou d’intimidation envers l’un de ses agents, ainsi que l’obligation pour les associations bénéficiant d’une subvention publique de s’engager à promouvoir les principes énoncés dans le contrat d’engagement républicain et l’obligation pour l’intégralité de leurs membres, qu’ils soient bénévoles ou non, de respecter le principe de neutralité lorsque leurs activités s’adressent à des mineurs. S’agissant plus spécifiquement de l’instruction en famille, nous proposons un régime d’autorisation adossé à une déclaration préalable, ce qui aurait l’avantage de protéger cette liberté tout en renforçant le suivi des enfants, garantissant ainsi la qualité de l’enseignement. Enfin, afin de lutter plus efficacement contre la haine en ligne, nous proposons la réécriture de l’article 18, afin de préciser les catégories juridiques visées et d’élargir le dispositif aux mineurs, premières victimes des campagnes de harcèlement sur internet, ainsi que le blocage des sites dits miroirs qui relaient des contenus haineux ou font l’apologie du terrorisme.

En conclusion, le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés a la ferme intention de rappeler que nous devons œuvrer collectivement afin de trouver les voies et les moyens de la concorde nationale, et qu’il convient pour cela de réaffirmer que la loi est la même pour tous. Nous devons faire en sorte de porter au plus haut la liberté, la conscience et la responsabilité de chacun d’entre nous.

Mme Cécile Untermaier. Je ferai trois observations au nom du groupe Socialistes et apparentés.

Une observation de forme, pour commencer : bien que ce texte touche à nos libertés fondamentales et aux droits garantis par la Constitution, son étude d’impact est très sommaire, ce qui complique considérablement l’analyse objective que nous devons faire de ses dispositions – le Conseil d’État l’a d’ailleurs noté. Et ce n’est pas le court exposé des motifs qui pourra éclairer le législateur. L’impression de précipitation est encore accrue par le choix de la procédure accélérée et du temps législatif programmé pour l’examen en séance publique. Plusieurs années ont été nécessaires à nos prédécesseurs pour construire les œuvres législatives que nous sommes appelés à revisiter. Ce projet de loi exige une grande attention et une grande prudence, afin de trouver les bons équilibres ; nous ne sommes pas convaincus que ce soit le cas, en particulier s’agissant de la liberté d’association et de la liberté de culte.

Une remarque de fond, ensuite : l’effroyable assassinat de Samuel Paty n’est pas, hélas ! le premier crime commis en France au nom du fondamentalisme islamiste. Celui-ci n’est pas la religion musulmane. Il s’inscrit dans un engrenage de barbarie, que nous combattons, notamment par le rappel constant que ces actes d’une violence insoutenable ne devront pas, ne pourront pas avoir raison de nos modes de vie et de nos libertés, qu’au contraire ils confortent. Ainsi, le respect des principes de la République ne se négocie pas ; il ne peut faire l’objet d’un contrat, au surplus limité dans le texte aux associations sollicitant une subvention publique. Respecter les principes de la République – puisque telle est l’ambition du texte –, c’est d’abord faire vivre une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, qui lutte contre les discriminations, organise la mixité sociale à l’école ainsi que dans l’habitat, et assure l’égal accès de tous aux soins et à la culture. Rien n’est dit, à ce sujet, dans le texte.

Troisième remarque, notre groupe soutiendra certaines dispositions du texte, mais nous avons de sérieux doutes, de façon générale, sur son efficacité et son utilité. Fallait-il modifier les lois du 1er juillet 1901, du 9 décembre 1905 et du 2 janvier 1907 ? Fallait-il y ajouter des incriminations pénales ? Peut-être. Dès lors, il s’agit de s’interroger, plutôt que sur le renforcement de l’arsenal pénal, sur l’efficacité de la sanction des infractions visées. Comment faire en sorte que le dépôt d’une plainte assure à la victime d’être rapidement protégée des violences ou des menaces qu’elle dénonce ? Dans son avis, le Conseil d’État préconise la prudence, ayant constaté que les libertés d’expression, d’opinion et de culte sont convoquées, et que les multiples contraintes nouvelles sont de nature à remettre en question l’équilibre législatif en la matière. Tel est notamment le cas de l’article 6, relatif au contrat d’engagement républicain, ainsi que des articles 27 et 33. Nous ne soutiendrons pas des contraintes inutiles, dès lors qu’elles sont sans effet sur l’idéologie mortifère que nous combattons et constituent finalement une intrusion dans une sphère de liberté.

Enfin, le texte est dépourvu de dispositions positives en miroir des dispositions de contrôle, lesquelles finissent par faire naître le soupçon et l’inquiétude. Trop d’amendements visant à corriger le texte en ce sens ont été rejetés, sur la base de l’article 45 de la Constitution. Nous pensons notamment à la formation à la citoyenneté, à la déradicalisation dans les prisons, à la mixité sociale dans l’habitat et à l’école. Notre demande d’un rapport à ce sujet a également été rejetée. Ce dont la République a le plus besoin, c’est d’une politique généreuse et constante pour faire vivre ses valeurs. C’est à l’aune de ces exigences que nous débattrons du texte.

M. Christophe Euzet. M. le Garde des Sceaux a fait remarquer le nombre élevé de ministres présents aujourd’hui pour signifier l’importance du texte. Les membres du groupe Agir ensemble partagent ce sentiment. Il s’inscrit comme tel dans la législature, à la suite de plusieurs autres relatifs à l’éducation, à la rénovation urbaine, à la réforme de la justice et de la police, et précédemment à un volet législatif relatif à la mixité sociale. Surtout, ce texte est important car il traite de la cohésion de notre pays et de notre avenir collectif, sous l’angle d’un sujet éminemment sensible : le risque séparatiste, c’est-à-dire le danger qu’une partie de la communauté nationale fasse sécession pour embrasser un destin alternatif.

Ce sujet est périlleux et appelle, à ce titre, un débat digne et responsable. Il est grave aussi ; le déni et l’inertie ne rendraient pas service au pays, et l’exagération répressive remettrait en cause la démocratie libérale et sociale, à laquelle chacun ici est attachée, comme l’est l’État de droit. Il y va de la liberté de nos compatriotes, quelle que soit leur religion, à qui nous avons le devoir de garantir l’application des principes républicains. Il fallait trouver des solutions fermes et procéder avec discernement – être fermement raisonnable, en somme. Nous avons le sentiment que ce texte, qui n’a pas de précédent, est audacieux, équilibré et proportionné, sans perdre de vue ce qui est en jeu : la cohésion de la société et la protection des libertés fondamentales de nos compatriotes, que seul le principe de laïcité peut garantir.

Les dispositions relatives à la neutralité du service public et celles visant à lutter contre les dérives des organismes de droit privé chargés d’une mission de service public nous semblent de bon aloi et pleines de discernement. L’encadrement des activités associatives, par le contrôle de l’accès aux dotations publiques et le contrat d’engagement républicain, est nécessaire, comme le sont les dispositions relatives à la dignité de la personne humaine. En matière d’éducation, les propositions suggèrent une réflexion sérieuse, pleine de bon sens et bien avancée. Au lendemain du drame que nous avons vécu, combattre la haine en ligne nous apparaît tout à fait pertinent et souhaitable, compte tenu du déferlement de haine dont les réseaux numériques, cette vie tristement virtuelle, accablent notre société. Enfin, le financement des associations à objet cultuel et la police des cultes font l’objet de dispositions que nous considérons également comme importantes et louables.

Globalement, le groupe Agir ensemble est très favorable au projet de loi. Sur plusieurs points, nous présenterons des amendements, les uns pour le rendre un peu plus répressif et dissuasif, les autres pour lui donner un caractère un peu plus préventif – des dispositions relatives à la formation renforcées nous semblent particulièrement indispensables à la cohésion nationale. Chacun de nos membres conservera la liberté de se déterminer sur des points susceptibles de faire débat à la marge, selon ses convictions profondes. En tant que porte-parole, Pierre-Yves Bournazel et moi-même nous attacherons à contribuer à la dignité de ce débat majeur pour le pays, au cours duquel nous serons probablement attentivement regardés et écoutés, et sans aucun doute évalués collectivement.

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous soutenons globalement les objectifs du projet de loi, même si l’examen des amendements nous offrira plusieurs occasions d’interroger l’opérationnalité et l’efficacité des dispositions envisagées.

Dans son discours prononcé aux Mureaux, le Président de la République a dressé un diagnostic lucide de ce qui a favorisé la propagation de menées séparatistes – mot qui a disparu du texte – dans notre pays. Elles ont pour litière les échecs de la République en matière d’éducation, d’intégration et d’accompagnement social ainsi que de réinsertion sociale. Cela n’a rien de neuf. En dresser le constat lucide aurait dû conduire à élaborer un texte accompagnant la destruction de cette litière, ce terreau fertile sur lequel poussent les intégrismes, principalement l’islamisme. Tel n’est pas le cas ; au nom de notre groupe, je le regrette. On peut toujours nous annoncer un prochain texte, l’encombrement législatif incite à nourrir de sérieux doutes sur la possibilité qu’il voie le jour au cours de cette législature.

Reste que nous pouvons soutenir certaines dispositions du présent texte : la nécessité de neutralité du service public, la protection des agents publics, la meilleure surveillance et la lutte contre les détournements de financement, qui ne sont pas acceptables. Comme ses prédécesseurs, le texte a vocation à s’appliquer à toutes les religions, mais il vise en premier lieu à combattre l’islamisme ; non pas la religion musulmane, mais un projet politique qui la dévoie pour imposer une autre forme d’organisation politique dans notre pays – la France a inventé la laïcité, elle est même le seul pays au monde à la pratiquer et à la défendre. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt, nous sommes en présence d’un projet politique dévoyant une religion dont les fidèles sont les premières victimes. Le texte s’y attaque, notamment sous l’angle financier, qui est un enjeu lourd. Nous proposerons de compléter certaines dispositions, par exemple en faisant en sorte que chaque association relevant de la loi du 2 janvier 1907 ouvre un compte bancaire séparé, car il est trop facile, à l’heure actuelle, de collecter de l’argent pour le culte et de le transférer à des œuvres caritatives dont la visée n’est pas la seule charité.

À mon tour, je regrette que plusieurs amendements aient été victimes d’une interprétation extensive de l’article 45 de la Constitution. Tel est le cas, par exemple, de l’amendement CS1186, qui nous a été inspiré par les événements dramatiques de Dijon et de Décines. Il s’agit, si un groupe ethnique s’en prend à un autre, de faire en sorte qu’il soit sanctionné plus gravement que s’il s’agissait d’individus pris isolément. Il me semble que la création d’un tel délit est souhaitable. Je ne vois pas en quoi il diffère des autres dispositions renforçant le code pénal ou créant de nouvelles infractions, qui partagent la même philosophie.

L’enseignement est l’une de nos principales préoccupations. Nous estimons que les dispositions la concernant manquent leur cible. Dans certaines franges de la population, la volonté d’éloigner les enfants de l’école de la République se manifeste par le refus de tel ou tel enseignement au sein de l’enseignement public, par l’inscription dans des établissements d’enseignement hors contrat et, de façon manifestement plus occasionnelle, par l’instruction en famille, dont nous estimons qu’elle joue un rôle marginal dans cette affaire. Vous auriez dû vous intéresser bien davantage aux établissements d’enseignement hors contrat, comme nous l’avons fait lors de l’élaboration de la loi Gatel, dont les dispositions sont dorénavant insuffisantes, car le phénomène s’est étendu et se développe hors radar.

Au régime d’autorisation que vous envisagez pour l’instruction en famille (IEF), qui encourt un risque d’inconstitutionnalité, nous préférons un régime de déclaration assorti d’un contrôle effectif – l’élu de Seine-Saint-Denis que je suis y est très attaché, d’autant que le nombre de demandes progresse plus rapidement que le nombre de contrôles. Il serait paradoxal que les établissements d’enseignement hors contrat conservent un régime déclaratif, alors même qu’ils font rarement l’objet d’un contrôle, et que l’instruction en famille soit placée sous un régime d’autorisation préalable, dont on peut craindre qu’il fasse l’objet d’interprétations excessives. Les motifs de recours à l’IEF sont très limités. Ils ne reconnaissent pas le droit, pour un citoyen français, d’avoir un projet éducatif personnel pour son enfant, sans rapport avec aucune forme de religion ou d’intégrisme, et visant uniquement à lui permettre de s’accomplir et s’épanouir différemment. Un tel projet est autorisé pour les établissements d’enseignement hors contrat ; il n’y a pas de raison qu’il ne le soit pas dans le cadre de l’IEF.

M. Charles de Courson. Les articles de ce projet de loi permettront-ils, conformément à son titre initial et à son exposé des motifs, de conforter les principes républicains et de lutter contre les séparatismes ? Le texte se veut ambitieux ; le Gouvernement et la majorité veulent en faire un marqueur politique – en témoigne le grand nombre de ministres auditionnés et de ceux présents aujourd’hui.

Nous formons le vœu de parvenir à dépassionner le débat, hystérisé par certaines de ses thématiques. Le projet de loi touche, en effet, à de très nombreux sujets – service public, ordre public, enseignement, associations ou exercice du culte. Il modifie plusieurs de nos lois emblématiques, notamment la loi sur la liberté de la presse de 1881 et la loi de séparation des Églises et de l’État, de 1905. Il touche à de nombreuses libertés fondamentales, telles que la liberté d’enseigner, la liberté d’association, la liberté de culte, la liberté de communication.

Nous pensons, comme le Gouvernement, que l’islam radical, ou plutôt le fondamentalisme islamique, constitue une menace importante pour notre société. Nous partageons la volonté affichée de s’y attaquer et de réaffirmer notre attachement collectif au principe fondamental de la laïcité. C’est dans cet état d’esprit que nous avons entamé l’examen du texte. Cependant, la lecture détaillée des articles ainsi que les auditions nous ont amenés à réviser ce jugement. En l’état, le texte nous semble rater sa cible : censé viser l’islam radical, ou plutôt le fondamentalisme islamique, il rendra surtout la vie plus compliquée à un nombre considérable de parents, d’associations, de croyants de diverses religions, qui sont tous de bons républicains, qui respectent les règles de la République et qui n’ont rien à voir avec le fanatisme visé.

Les articles de ce texte peuvent être répartis en trois catégories : ceux qui apportent une réelle amélioration à l’état du droit ; ceux qui seraient acceptables sous réserve d’amendements significatifs ; ceux qui sont dangereux, soit qu’ils sont attentatoires aux libertés fondamentales, soit qu’ils sont inutiles, car déjà couverts par le droit existant, soit qu’ils sont inapplicables.

Nous approuvons les mesures prises pour protéger les fonctionnaires et celles visant à rendre plus effectif le principe de neutralité du service public. Nous regrettons néanmoins que le périmètre d’application de ces mesures ne soit pas défini de façon suffisamment précise – des amendements y pourvoiront. Il en va de même pour le concept de contrat d’engagement républicain. Mais la République n’est pas un contrat : il faut parler d’engagement à respecter les principes républicains.

D’autres articles, dont nous partageons l’ambition, paraissent parfois inutiles car déjà couverts par le droit existant. Ils relèvent de l’incantatoire, de l’affichage, et contribuent à une prolifération législative qui, in fine, affaiblit la loi. Au chapitre consacré à la dignité de la personne humaine, par exemple, tous les notaires nous disent que les mécanismes de pension réservataire sont totalement inapplicables. S’agissant des pensions de réversion pour les épouses de polygames étrangers, le texte prévoit que le dispositif sera appliqué dans le respect des engagements internationaux de la France, qui prévoient le partage, c’est-à-dire exactement l’inverse – il y en a quatorze et le Gouvernement ne veut pas les dénoncer. Cela est impossible et contribuera à créer des contentieux internationaux sans fin ! De même, des sanctions sont prévues à l’encontre des médecins ayant délivré de pseudo-certificats de virginité pour protéger des jeunes femmes. Or, Mme Dubré-Chirat l’a rappelé, ce sont les personnes qui forcent les femmes à demander de tels certificats qui doivent être sanctionnées.

Certains articles semblent attentatoires aux libertés fondamentales. Sont concernées la plupart des mesures relatives aux associations, notamment l’article 6 qui traite de l’exercice du culte, l’article 21 portant sur l’enseignement en famille et l’article 18, relatif à la lutte contre la haine en ligne. Ces dispositions ont fait l’objet d’échanges au sein de notre groupe, notamment ces trois articles.

Nombre d’articles consacrés à l’exercice des cultes créeront des lourdeurs administratives et comptables coûteuses pour l’ensemble des associations cultuelles, et dégraderont ainsi l’attractivité de la loi de 1905, malgré la possibilité de détenir des immeubles de rapport, soit l’exact inverse de l’objectif affiché par le présent projet de loi.

Une quatrième catégorie pourrait regrouper ce que le texte ne contient pas. Conformément au discours des Mureaux du 2 octobre 2020 du Président de la République, nous aurions attendu d’un texte ambitionnant de conforter les principes républicains des mesures visant, par exemple, à favoriser l’éducation à la laïcité, souvent mal comprise, l’intégration en matière d’emploi ou la mixité sociale dans le logement. De tout cela, il n’est pas question. Votre texte se veut répressif quand il aurait dû être équilibré par un volet éducatif, économique et social.

Dans un tout autre registre, la question des prisons, cruciale dans la lutte contre l’islam radical, ou plutôt le fondamentalisme islamique, n’est pas traitée. Quant aux moyens, ils ne sont jamais évoqués alors que c’est bien souvent ce qui manque avant tout, plutôt qu’un nouvel arsenal juridique.

En conclusion, à la différence de la loi de 1905, qui était une loi libérale, d’équilibre, faite de compromis, votre texte est, en l’état, déséquilibré, et tombe souvent dans des dispositions liberticides.

M. Alexis Corbière. Oui, des attaques ont eu lieu contre la Réplique ; oui, la Réplique est affaiblie dans plusieurs domaines. Dans un pays où près de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, où tant de violences sociales sont commises, elle est effectivement en danger.

Adopter un texte de loi sur le respect des principes républicains est une grande tâche. On peut agiter des thèmes par la voie médiatique – c’est la facilité –, mais, si l’on veut agir, il faut des constats partagés. S’il s’agit d’acter qu’une volonté forte existe dans notre pays que plus jamais aucun attentat, en l’occurrence du terrorisme islamiste, ne nous frappe, on peut dire que cette exigence existe. S’il s’agit d’agir sur le terreau du terrorisme, il faut aller plus loin et comprendre comment nous en sommes arrivés là. Au cours des nombreuses auditions, nous avons manqué de chiffres et de constats s’agissant des dynamiques sur lesquelles nous voulons légiférer – sont-elles résiduelles, en régression, en augmentation ? La seule augmentation des crimes qui ont eu lieu ne suffit pas.

Par exemple, quand ce texte prévoit de demander à l’ensemble des associations de respecter un contrat d’engagement dit républicain, et que la ministre Jacqueline Gourault estime que, dans la plupart des cas, il n’y a rien à redire sur les associations qui reçoivent des subventions, on se demande si la mesure n’est pas disproportionnée par rapport à l’objectif visé. Quand la Défenseure des droits dit que ce texte comporte des risques d’atteintes à nombre de libertés fondamentales, il y a de quoi s’interroger. Quand les représentants du MEDEF, que vous écoutez généralement, disent n’avoir rien demandé ni rien à signaler sur la radicalité en entreprise, ou que l’arsenal législatif leur paraît suffisant, il faudrait peut-être les entendre. L’ensemble des organisations syndicales de salariés ont estimé que la loi suffisait et qu’elles n’apporteraient pas leur soutien au texte. Quant aux associations philosophiques que nous avons entendues, elles ne se sont pas totalement reconnues dans le détail des articles que vous présentez. Certes, nous avons travaillé d’arrache-pied sur ce projet de loi, mais c’est sans commune mesure avec la loi du 9 décembre 1905, à laquelle chacun se réfère et qui avait demandé deux ans de travaux.

Vouloir comprendre n’est pas excuser, c’est être efficace. Puisqu’il s’agit de s’en prendre notamment au séparatisme d’origine islamiste, je ne suis pas d’accord pour commencer ces travaux comme M. le ministre de l’intérieur l’a fait, en disant que l’islamisme politique a fait une OPA sur l’islam de France. La responsable du service central du renseignement territorial nous a bien indiqué que, dans 96 % des lieux de culte musulman, il n’y a aucun problème. Cette formule ramassée me semble donc inutile.

Sans revenir sur l’utilisation abusive de l’article 45, je regrette que certaines de nos propositions aient été censurées. En particulier, si l’on veut défendre la loi de 1905, on doit l’appliquer dans l’ensemble du territoire : ce texte doit donc abroger le Concordat d’Alsace-Moselle, qui constitue un privilège pour près de 3 millions de nos concitoyens et coûte chaque année 60 millions d’euros. Rien ne justifie cette singularité ! Nous demandons la suppression des avantages fiscaux qui financent le culte : c’est cela la laïcité au sens de l’article 2 de la loi de 1905. Bien que les services fiscaux soient incapables de l’établir précisément, ces avantages représentent sans doute plusieurs centaines de millions d’euros. La loi de 1905, selon laquelle la République ne reconnaît aucun culte, doit nous interdire toute volonté de nous immiscer dans l’organisation des cultes. Ils doivent sans aucun doute respecter la loi, mais ce n’est pas à nous de dire comment ils doivent s’organiser.

Les associations ne doivent pas subir une suspicion généralisée. Celles qui contreviennent à la loi doivent être sanctionnées, mais en aucune manière leur comportement ne peut amener à considérer que toutes doivent se plier à respecter un contrat d’engagement républicain, dont d’ailleurs nous, législateurs, n’avons pas connaissance.

Pour ce qui est de l’école, l’école publique est le cœur de tout ; il faut la réinvestir. Elle est en danger, mise en concurrence avec l’école privée – sous contrat ou hors contrat –, que nous finançons. La loi Debré de 1959 coûte tout de même 10 milliards d’euros au contribuable et, dernièrement, la loi pour une école de la confiance, dite loi Blanquer, occasionne des surcoûts aux communes pour financer l’école privée. Dans ce domaine aussi, nous devons renforcer les contrôles. Nous devons également garantir à l’ensemble de nos fonctionnaires l’assurance de la protection fonctionnelle, qui n’est pas appliquée lorsqu’ils sont en danger.

Le discours du Président de la République aux Mureaux portait la promesse d’une action en faveur des quartiers reconnus comme relégués et visés par nombre de menaces. Déjà en 2015, le Premier ministre avait considéré qu’il existait un « apartheid territorial, social, ethnique ». À son tour, Emmanuel Macron a dénoncé une « ghettoïsation » que la République a laissé faire. Mais tout cela est complètement absent du texte. Tous les amendements que nous avions présentés pour casser cette ségrégation sociale et remettre en cause le séparatisme des riches, l’un étant la conséquence de l’autre, ne pourront pas être discutés.

Tout cela fait que le projet de loi rate sa cible ; il généralise la suspicion, remet en cause la bonne compréhension de la loi de 1905 et ne donne pas véritablement les moyens de lutter contre le terrorisme aux services, tels les renseignements, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS) ou la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), qui permettraient d’être efficace face à des comportements que nous ne pouvons tolérer.

Mme Marie-George Buffet. Pour être opérant, ce projet de loi aurait besoin de traiter en même temps du renforcement de la place de l’État, d’un service public réarmé dans l’ensemble du territoire, de la mixité sociale et de la lutte contre les inégalités qui sapent notre cohésion sociale. Sans politique sociale ambitieuse, sans avancée de la démocratie, nous ne pourrons lutter pleinement contre l’atomisation de la société et l’anomie sociale.

Ce texte est cependant nécessaire. Nous devons nous en emparer pleinement pour construire ensemble des dispositifs efficaces, et lutter contre les graves dérives qui frappent douloureusement notre pays, tout en étant respectueux des droits et des libertés des individus. Je suis persuadée que nos débats se dérouleront dans un esprit serein, sans stigmatisation de nos compatriotes de confession musulmane, qui ne demandent qu’à vivre sereinement au sein de notre République, dans le respect de ses principes.

Oui, il y a nécessité d’agir contre les extrémismes religieux, contre les prêcheurs de haine, les manipulateurs en tout genre, que ce soit à travers l’islam radical ou toute autre pratique allant à l’encontre de nos principes et de nos lois. Il n’y a pas lieu de toucher à la loi de 1905, qui reste d’une profonde modernité et qui, par son équilibre, garantit cette articulation si délicate entre principes de même valeur. Nous ne souhaitons pas de loi concordataire.

Dans un souci d’efficacité, pour que cette loi remplisse son objectif de lutte contre tous les séparatismes, nous soutiendrons les dispositions relatives à la neutralité du service public, à la dignité humaine et à l’école. S’agissant de la dignité humaine, la lutte contre la polygamie, les mariages forcés ou les certificats de virginité est un impératif. La loi doit les interdire expressément. J’alerte cependant sur le fait que, tels qu’ils sont rédigés, certains articles pourraient avoir des conséquences indirectes, en particulier sur le statut des femmes étrangères. Je me réjouis donc de l’amendement de Mme la rapporteure Dubré-Chirat.

Les dispositions concernant l’école, en particulier l’obligation scolaire, vont dans le bon sens. Comme ma famille politique, je crois profondément que l’intérêt supérieur de l’enfant commande qu’il aille à l’école de la République, à laquelle je suis très attachée. La rédaction actuelle de l’article, instaurant un régime d’autorisation préalable, nous apparaît équilibrée. Nous nous assurerons par voie d’amendement que les critères d’acceptation de la dérogation et la collégialité de la décision sont harmonisés dans le territoire. Nous sommes également favorables à un renforcement strict du contrôle des écoles hors contrat, car de nombreuses dérives ont été constatées. Du reste, nous nous interrogeons sur la pertinence de conserver de telles structures en France.

Je suis plus réservée à propos des dispositifs concernant les associations et les fédérations sportives, en particulier s’agissant du contrat d’engagement républicain.

Tout d’abord, je vois un paradoxe à renforcer les contrôles visant le monde associatif, ce qui jette sur celui-ci une sorte de suspicion généralisée, alors que l’État se repose de plus en plus sur les associations pour mener des politiques publiques là où les services publics se sont désengagés. Les associations assurent un lien social indispensable et participent ainsi grandement à la cohésion du pays. Si on leur impose de nouvelles obligations, l’État doit aussi se montrer à la hauteur de leur engagement et prendre ses responsabilités pour lutter contre la fragmentation de notre société. Un contrat se signe au moins à deux ; or, ici, seules les associations et fédérations souscrivent des engagements, que la plupart honorent déjà au quotidien. Dire cela n’est pas méconnaître les difficultés que posent certaines associations aux influences néfastes.

Ensuite, le fait de contractualiser à propos de principes fondamentaux suscite l’interrogation. Quels moyens de contrôle les associations et les fédérations auront-elles ? En outre, dans le texte actuel, la laïcité ne fait pas partie des principes républicains inscrits au contrat : c’est incompréhensible.

Enfin, nous ne savons pas comment le contrat sera rédigé, ni même s’il y en aura plusieurs, selon le type d’association. Or nous, législateurs et législatrices, ne pouvons avancer ainsi à l’aveugle : ce n’est pas normal. Nous ne voterons donc pas la disposition tant que nous ne connaîtrons pas le contenu du contrat ou des contrats.

Nous sommes, en outre, réservés, pour des raisons que nous développerons au cours des débats, à propos des articles 18 et 20.

Nous espérons être entendus en défendant nos amendements, avec pour fil conducteur toute la loi de 1905.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sur certains points, nos interventions liminaires permettent de répondre aux questions soulevées.

Pour le reste, je commencerai par une remarque générale que m’inspire l’affirmation du président Lagarde, selon laquelle la laïcité n’existerait qu’en France. Je veux contrer factuellement et philosophiquement cette affirmation. S’agissant des faits, d’autres pays que le nôtre, fort heureusement, consacrent la laïcité, dont, jusqu’à une date récente, la Turquie, mais aussi l’Uruguay, notamment. Si je le rappelle, ce n’est pas seulement pour le plaisir d’un débat historique et géopolitique, mais pour souligner que nous devons avoir une vision offensive et fière de la laïcité. La laïcité n’est pas un concept à la française, désuet, en déshérence, comme beaucoup de forces à l’échelle internationale – et, parfois, nationale – tentent de nous le faire croire. Bien au contraire, c’est une clé pour le XXIe siècle, et ce pour beaucoup de sociétés, sinon pour toutes, que ce soit sous ce nom ou sous un autre, car peu importe ici la sémantique : ce qui compte, c’est le sens qu’on lui attribue, c’est-à-dire l’égalité des êtres humains sur cette planète et dans chaque société. C’est un aspect majeur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ce n’est pas, je le répète, un petit sujet à la française, mais l’objet de grands combats philosophiques et politiques. Ne le perdons pas de vue lorsque nous débattons.

Sur ce point, l’approche du Gouvernement, que l’on perçoit dans le discours du Président aux Mureaux, est ainsi l’héritière de la philosophie des Lumières, ce dont nous sommes fiers. L’enjeu existe non seulement en France, mais aussi à l’échelle européenne, comme on l’a vu lors de l’assassinat du professeur Samuel Paty. J’ai, pour ma part, travaillé à ce que plusieurs pays d’Europe nous manifestent très clairement leur solidarité, notamment par des minutes de silence, et mes débats avec mes homologues européens confirment que le principe de laïcité, loin d’être une particularité française un peu bizarre, les intéresse tous parce que tous sont confrontés au communautarisme. Nous sommes adeptes non pas du système à l’américaine, mais du système républicain dont nous avons la chance d’être les héritiers.

Ce point est essentiel, car il se retrouve dans tout ce que nous avons à dire à ce sujet, qu’il s’agisse de l’école ou d’autres domaines.

Anne Brugnera a détaillé les évolutions qui lui semblent souhaitables à la lumière de la réflexion collective que le texte a suscitée. Sans entrer moi-même dans les détails, je répète que nous sommes ouverts à la plupart de ces propositions, parce que notre approche est équilibrée, contrairement à ce qu’ont estimé M. de Courson et M. Corbière et que le texte est le fruit d’un véritable dialogue. Il ne faudrait pas modifier le sens du discours des Mureaux ou l’élan initial que celui-ci traduisait à petites touches et qu’on finisse par perdre cet élan et par déséquilibrer vraiment l’ensemble.

Voici ce que cela signifie concernant les sujets relevant de ma compétence. Être équilibré, c’est équilibrer la dimension sociale et la dimension régalienne. Mais nous ne prétendons pas que le présent projet de loi soit l’alpha et l’oméga de ce qu’il y a à dire sur l’ensemble des sujets sociaux et sociétaux. Bien sûr, nous devons marcher sur deux jambes, tout le monde en est d’accord, mais le volet social ne figure pas nécessairement dans ce projet de loi et ne relève pas nécessairement du domaine législatif. Ainsi, le dédoublement des classes de CP et de CE1 en zone d’éducation prioritaire est une mesure sociale, qui conforte la République, dans l’esprit de ce que plusieurs d’entre vous, dont Mme Marie-George Buffet à l’instant, viennent de réclamer ; mais elle n’a pas attendu ce projet de loi pour exister. Au total, ce serait un peu facile de s’opposer au texte au motif qu’il ne résout pas tous nos problèmes sociaux. Nous devons travailler sur ces sujets, nous l’avons fait et nous continuerons à le faire, au niveau législatif ou infra-législatif. Il se trouve que la jambe que nous vous présentons, si je puis dire, est plutôt régalienne ; nous l’assumons.

On nous dit aussi que nous manquerions la cible. Je ne le crois pas, mais c’est à vous de nous aider à ne pas le faire : à trop critiquer le texte, à trop vouloir l’édulcorer, c’est en effet le risque auquel on l’expose. Manquer la cible, cela signifie qu’il y aurait des balles perdues : les libertés de personnes non visées par la loi seraient atteintes. Ce n’est évidemment pas le but et je ne crois pas que ce soit le cas. Nos exigences en matière scolaire sont parfaitement proportionnées et permettent de mettre en œuvre les principes républicains. Il est normal de considérer que l’éducation n’est pas une question ordinaire et qu’elle n’autorise pas l’anarchie dans l’exercice de la liberté.

À cet égard, j’aimerais remercier Marie-George Buffet de ses propos, fidèles à ses principes et à son positionnement politique. L’enjeu de l’école républicaine a trait, depuis ses débuts, aux droits de l’enfant : faire ce que l’on veut en considérant que l’on est propriétaire des enfants, c’est violer les principes républicains. Cela vaut de l’islamisme radical, mais cela peut aussi valoir des sectes, citées à juste titre par M. Corbière. En la matière, le régime d’autorisation sera un progrès certain.

M. le président Lagarde nous reprochait de ne parler que de l’instruction en famille là où il faudrait se soucier davantage de l’enseignement hors contrat. En réalité, quatre problèmes se posent, tous abordés dans le travail législatif accompli au cours du quinquennat.

Premièrement, notre capacité à identifier les enfants sur un territoire donné. C’est un domaine dans lequel nous souhaitons progresser ; il n’est pas normal que des enfants passent sous les radars. On retrouve ici l’enjeu social : si l’on veut repérer les enfants, c’est pour leur appliquer à la fois des politiques sociales et des politiques éducatives. C’est donc dans l’intérêt des enfants que cela doit être fait.

Deuxièmement, le hors contrat. Comme vous l’avez souligné vous-même, monsieur Lagarde, nous n’avons pas été inactifs en la matière. Deux questions se posent : la régulation des ouvertures et les fermetures. Sur le premier point, la loi Gatel a eu d’excellents résultats, dont je suis l’agent quant à l’exécution. Nous sommes désormais beaucoup plus efficaces lorsqu’il s’agit d’empêcher l’ouverture d’écoles hors contrat dont le projet ne correspondrait pas aux valeurs de la République. Nous avons ainsi pu le faire lors des deux dernières rentrées scolaires. C’est un progrès.

Sur le second point, j’ai été le premier à considérer que la loi Gatel était insuffisante. Voilà pourquoi le présent texte inclut une très importante disposition relative à la fermeture des écoles hors contrat. Elle est sans doute occultée dans les débats, qui se focalisent sur l’instruction en famille ; ce n’est pas une raison pour la méconnaître. Désormais, nous pourrons distinguer le hors contrat « normal », qui a tout à fait droit de cité en France, pays de liberté, du hors contrat problématique, qui ne doit pas exister. On pouvait dire avant 2017 qu’il était plus facile d’ouvrir une école qu’un bar en France ; en 2022, ce ne sera plus vrai – cela l’est déjà beaucoup moins qu’auparavant depuis la loi Gatel.

Enfin, l’instruction en famille. Il est exact que nous raterions la cible en ne parlant que d’elle, mais ce que le projet de loi en dit ne fait que compléter les autres aspects que je viens d’énumérer.

Je le répète, tout n’est pas dans cette loi, soit que des dispositions aient déjà été prises avant elle, soit que certains éléments relèvent du niveau infra-législatif.

Ce que je peux dire du volet éducation, jeunesse et sports du projet de loi vaut également des autres domaines, comme le confirmeront certainement mes collègues : il s’agit d’un texte équilibré, complémentaire d’autres dispositions, recherchant l’efficacité face aux diagnostics que la plupart d’entre vous ont dressés et à propos desquels nous sommes d’accord.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je répondrai très brièvement aux différentes interventions, car les amendements nous donneront l’occasion d’échanger sur chacun des sujets.

Je constate qu’à une ou deux exceptions près, tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale estiment que ce texte pose des questions légitimes dans un contexte qui appelle une réponse politique forte de l’État. À la possible exception du groupe La France insoumise, bien que son représentant ne l’ait pas formalisé, aucun groupe n’a déclaré d’emblée qu’il voterait contre ce projet de loi. Il est intéressant de constater, alors que l’on annonçait une grande fracture, que ce texte ne suscite pas d’opposition de principe au début de la discussion – certains groupes ont annoncé qu’ils jugeraient en fonction du déroulement des débats. C’est assez rare pour être souligné, surtout s’agissant d’un texte aussi médiatique. J’en remercie chacune et chacun d’entre vous ; cela souligne le travail qui a été réalisé par le Gouvernement et par votre commission spéciale. Le Gouvernement aborde une question compliquée avec des idées simples, et il acceptera volontiers des amendements, d’où qu’ils viennent, avec l’intérêt général à l’esprit.

Certains ont reproché à ce texte de ne pas aborder l’immigration, le logement social, la mixité, la politique de la ville ou les conventions internationales de la France. Je concède bien volontiers qu’il ne s’agit pas d’une déclaration de politique générale : ce texte se rapporte à son intitulé et aux annonces du Président de la République. Le discours des Mureaux constitue un ensemble cohérent : le présent projet de loi en reprend une partie, certes importante, mais elle sera complétée. Il existe à coup sûr un lien entre les séparatismes et le fait d’avoir entassé – il n’y a pas d’autre mot – des populations. En tant que maire d’une commune qui connaît ces difficultés, j’ai constaté que la politique de peuplement, l’absence de mixité sociale, les difficultés économiques et l’urbanisme contribuent aux séparatismes. On peut aussi y voir un lien avec les difficultés internationales et les questions qui relèvent de l’immigration. Cependant, nous ne posons pas dans des termes d’égalité immigration et non-mixité sociale, et séparatisme. Les choses sont plus complexes, et ce texte ne résume pas la politique du Gouvernement. Selon un beau proverbe africain, il faut tout un village pour élever un enfant ; il faut sans doute toute une politique publique pour mettre fin à ces problèmes si importants et si longtemps éloignés du regard du grand public et du législateur.

Tandis que certains critiques estiment que ce texte est très urgent, d’autres demandent pourquoi nous l’étudions avec une telle précipitation. La vérité est sans doute au milieu : ni urgence absolue ni lenteur excessive. Nous nous hâtons lentement mais sûrement, sachant que nous touchons d’une main tremblante des libertés fondamentales particulièrement surveillées par nos concitoyens. Le bonheur de la démocratie est de combattre ceux qui l’attaquent avec ses propres armes, ce qui est plus difficile.

Quelques-uns ont déclaré que ce texte portait atteinte à des libertés fondamentales. J’ai exercé un mandat de député, je suis ministre depuis bientôt trois ans et demi : jamais je n’ai vu un avis du Conseil d’État souligner à ce point le travail réalisé par le Gouvernement, qui a corrigé sa copie sur presque tous les points soulevés. C’est à remarquer, le Gouvernement n’a pas été sourd aux remarques du Conseil d’État. Et je m’inscris en faux contre la remarque de la députée du groupe socialiste : l’étude d’impact, longue de 403 pages, est très complète. Je remercie tous ceux qui y ont longuement travaillé.

Je suivrai une grande partie des propositions des rapporteurs Laurence Vichnievsky et Sacha Houlié. Le Gouvernement est prêt à modifier un certain nombre de dispositions, en bonne intelligence avec la Haute Assemblée, avec laquelle nous avons eu des relations en amont de la présentation du texte. Je remercie son président pour son attitude extrêmement constructive, même s’il reste l’homme de conviction que nous connaissons.

Monsieur Diard, je ne partage pas votre avis selon lequel les hôpitaux et les prisons sont exclus de ce texte. Les services publics concernent tout le monde ; ce texte ne s’adresse pas à une religion, mais à tous les cultes, et il porte sur tous les services publics. Le délit de séparatisme s’appliquera à tous les agents publics. Quand un homme refusera de se faire soigner par une femme, il sera évidemment coupable du délit que nous créons. La neutralité s’applique dans tous les champs du service public, pas simplement en ce qui concerne les collectivités locales.

Vous avez beaucoup travaillé avec le député Poulliat sur le sujet extrêmement important de la radicalisation. Ce texte ne prévoit pas de mesures se rapportant au renseignement contre le terrorisme et la radicalisation. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir en séance publique avec le rapporteur général.

Mme Untermaier a distingué les points sur lesquels elle était d’accord de ceux qui soulèvent des questions au sein de son groupe. Nous tâcherons de la rassurer, mes collègues du Gouvernement et moi. Comme M. Lagarde et M. de Courson, elle estime que la cible est manquée. Nous pensons, au contraire, que les mesures prévues sont très efficaces. Si nos débats démontraient que ce n’est pas le cas, le Gouvernement les retirera.

Monsieur Corbière, c’est bien la première fois que vous appelez à entendre le MEDEF ! J’assume parfois de ne pas écouter le patronat : nous avons choisi de ne pas insérer de dispositions modifiant le code du travail. La jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État établit déjà que le règlement intérieur d’une entreprise peut imposer les principes de laïcité et de neutralité. Les représentants des entreprises et les syndicats nous ont fait savoir qu’ils n’avaient pas besoin de dispositions particulières ; nous les avons écoutés sur ce point. Nous ne considérons pas que le MEDEF a nécessairement son mot à dire sur l’organisation du service public et le statut de ses agents. Peut-être est-ce un point de différence entre nous.

Nous ne partageons pas votre volonté d’interdire le Concordat en Alsace‑Moselle – vous auriez pu ajouter quelques territoires ultramarins. Nous respectons l’histoire de la République, ce qui ne veut pas dire que nous n’appliquons pas, dans les régimes concordataires, des dispositions qui relèvent de la police du culte. Mais nous les insérons dans le droit local, en parfait respect de l’histoire de France. Il suffit de se promener en Alsace-Moselle pour constater que le principe de laïcité, même s’il n’y est pas régi par les mêmes règles, est évidemment vécu de la même façon.

De manière intéressante, vous expliquez que nous nous en prenons trop aux cultes et vous proposez immédiatement après de supprimer l’exonération fiscale dont ils bénéficient. Certes, cette mesure rapporterait beaucoup d’argent aux pouvoirs publics, mais elle nous semble disproportionnée et serait sans doute contraire aux principes mêmes de la République – un avis du Conseil d’État est explicite à ce sujet. Mais cette position est conforme à celle que vous avez toujours adoptée. Je vous trouve moins cohérent quand vous demandez plus de moyens pour les services de renseignement : lorsque nous avons débattu du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, je n’ai pas eu l’impression que votre groupe était prêt à améliorer leurs ressources. Et dans les trois budgets que j’ai présentés, il n’a pas voté les crédits sur ce chapitre.

Je me permets de vous corriger lorsque vous citez la cheffe d’un service de renseignement – il y en a plusieurs – en disant que 96 % des lieux de culte musulman ne posent aucun problème. Ce chiffre est absolument faux. Dans les lieux de culte, et singulièrement ceux qui relèvent du culte musulman, l’intensité de la menace liée au terrorisme a beaucoup baissé, ainsi que le travail de l’islamisme. Mais baisser d’intensité ne signifie pas disparaître. L’islamisme politique s’insère dans la société par les associations, dans le secteur sportif, dans les écoles, par internet. Il existe aussi, malheureusement, dans les lieux de culte. Je ne sais pas si vous partagerez l’avis des dirigeants du culte musulman qui ont signé la charte des principes de l’islam de France ce matin. Ils condamnent très clairement le salafisme, les Frères musulmans et le tabligh. De nombreux lieux de culte se propagent – déclarés ou non – et sans relever directement du terrorisme, ils en constituent le terreau.

J’appelle votre attention sur l’article 44 du projet de loi, validé par le Conseil d’État, qui permettra d’ordonner, sous l’autorité du juge, la fermeture de lieux de culte sans se fonder sur les règles applicables aux établissements recevant du public ou en lien avec la lutte contre le terrorisme. En l’état du droit, en dehors de ces situations, le ministre de l’intérieur ne peut pas décider de la fermeture de lieux de culte qui constituent pourtant des lieux de radicalisation avérés. Cette disposition est évidemment nécessaire.

Tous les intervenants se disent attachés à l’équilibre trouvé en 1905. J’ai relu les débats parlementaires de l’époque : l’unanimité n’était pas de mise, y compris au sein de la société civile. La loi de 1905 fait suite au compromis trouvé en 1901 ; à peine votée – et difficilement, car très contestée –, elle a été modifiée dès 1906, et le Parlement s’est réuni pour voter ce qui deviendra la loi de 1907, qui fournit la base légale aux associations diocésaines. Il aura fallu attendre qu’Aristide Briand devienne ministre des cultes et Clemenceau ministre de l’intérieur pour qu’ils décident conjointement de ne pas appliquer des dispositions qu’ils avaient pourtant poussées, l’un au Sénat, l’autre à l’Assemblée. Il faut l’avoir à l’esprit lorsque l’on évoque l’unanimité à propos de la loi de 1905, qui a été modifiée vingt et une fois, dont deux fois sous cette législature. Nous pouvons en préserver l’esprit, les principes, les premiers articles, auxquels nous sommes extrêmement attachés et que nul ne souhaite modifier. Notre travail est de chercher la plus large majorité possible sans perdre la force de l’autorité et de l’intérêt général.

Éric Dupond-Moretti, Garde des Sceaux. Dans une période aussi anxiogène, difficile que celle que nous vivons, la parole publique doit être parcimonieuse, notamment quand elle évoque les grands principes. Avez-vous remarqué à quel point ce qui vient de l’État est immédiatement suspect aux yeux de certains, et le rapport particulier que certains autres entretiennent avec la verticalité du pouvoir, tout cela encouragé par quelques-uns ? On essaye de passer par une entreprise privée pour répertorier les personnes qui doivent être vaccinées ? C’est du « fichage » ! Ces propos font peur aux gens.

Ici, nous parlons de liberté, de séparatisme ou de valeurs de la République. Je remercie la très grande majorité d’entre vous qui s’est exprimée avec beaucoup d’intelligence et de modération, et dans un esprit de concertation alors même que nos débats n’ont pas encore commencé. Il a fallu – je le redoutais – que l’on entende le mot : « liberticide ». Posture ! Entraver la liberté d’un haineux qui menace la petite Mila, je ne trouve pas cela liberticide ; je trouve cela normal. Entraver la liberté de ceux qui menacent nos fonctionnaires pour obtenir l’application d’autres règles que celle de la République, ce n’est pas liberticide.

Nous protégeons quelques belles libertés. Marlène Schiappa défendra le consentement éclairé. La liberté d’aimer qui l’on veut, ce n’est pas rien ! Cette petite qui a été tondue car elle avait commis l’infraction suprême d’aimer un homme qui n’était pas de la religion de sa famille, oui, nous la protégeons ! Je n’ai pas honte d’aller dans ce sens et je ne me considère pas comme liberticide. Il faut arrêter de se gargariser de mots ; la liberté mérite autre chose que cela.

Le fait que ce texte ne traite pas de la radicalisation ni de la déradicalisation dans les prisons ne signifie pas que nous ne nous intéressons pas ou que nous ne travaillons pas sur ce sujet. Je viens de constituer un groupe de travail, auquel participent notamment les magistrats du pôle antiterroriste du tribunal judiciaire de Paris, pour réfléchir et agir sur cette question très importante. Comme l’a rappelé Gérald Darmanin, notre projet de loi s’intéresse à ce qui se passe en prison, de même qu’il s’intéresse à ce qui se passe dans les hôpitaux, dans les écoles et partout ailleurs.

Vous souhaitez, madame Florennes, que l’administration puisse déposer une plainte en lieu et place de l’agent public victime d’agression. Vous avez raison, car les victimes ont parfois peur, à juste titre d’ailleurs – l’actualité récente nous l’a malheureusement montré. Je suis donc tout à fait favorable à ce que l’administration se substitue à l’agent lors du dépôt de la plainte.

Nous n’avons pas évoqué les cas où la haine vise les mineurs, que nous devons absolument protéger. Je propose de faire de cette situation une circonstance aggravante de l’infraction.

Certains ont regretté que nous n’abordions pas la question du voile. Je n’en dirai que quelques mots. Ce projet de loi est un texte de principes. Le port du voile peut traduire un asservissement, mais il peut aussi résulter d’un choix. Si nous engagions cette discussion maintenant, nous nous enliserions dans des débats qui ont déjà eu lieu. Après son discours des Mureaux, le Président de la République a répondu à certaines questions posées par des journalistes, et il a alors affirmé très clairement que le sujet du voile ne serait pas évoqué dans ce texte. Si nous nous mettions à discuter des tenues vestimentaires et de tout ce qui peut distinguer les uns et les autres dans la pratique de leur foi, alors nous sortirions de ce texte et nous nous perdrions. Ce beau projet de loi doit être consensuel : les clivages politiciens doivent être dépassés au profit d’une avancée commune pour les valeurs de notre République.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Le contrat d’engagement républicain est élaboré en lien avec les élus et les associations – je sais que cela tient à cœur à M. Poulliat, rapporteur thématique, à Mme Florennes et à d’autres députés. Si nous ne disposons pas encore, à l’heure actuelle, du texte de ce contrat, c’est justement parce qu’il est en cours de rédaction. Nous voulons qu’il s’organise autour de grands principes comme la liberté de conscience, la liberté d’association, l’égalité entre les femmes et les hommes, la non-discrimination, la fraternité, la prévention de la haine et de la violence, le respect de la dignité humaine et le respect de la légalité et de l’ordre public. Nous rédigeons donc ce texte avec les associations et les élus locaux, qui ont été nombreux, dans tous les partis politiques – je pense en particulier à des élus Les Républicains ou du Parti socialiste –, à mener une action courageuse dans ce domaine. Je suis allée soutenir le maire de Montpellier, M. Delafosse, qui a souhaité mettre en place une telle charte et a été attaqué en justice par un certain nombre d’organisations. Pour soutenir ces maires et ces élus locaux qui sont en première ligne, il nous semble important d’intégrer ce dispositif dans le projet de loi. Comme nous nous y sommes engagés, avec le ministre de l’intérieur, nous présenterons le texte du contrat d’engagement républicain aux députés membres de la commission spéciale dès qu’il sera rédigé, afin qu’ils puissent le découvrir, en débattre et proposer des amendements avant la discussion du projet de loi en séance publique.

Monsieur Corbière, je partage totalement votre objectif s’agissant de PHAROS. Avec Gérald Darmanin, nous avons d’ailleurs annoncé le renforcement de cette plateforme et son ouverture sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre – cet accès permanent est déjà effectif et les nouveaux policiers affectés à PHAROS sont d’ores et déjà en poste. Pour la première fois depuis plusieurs années, nous avons d’ailleurs réuni le groupe de contact permanent, auquel participent les patrons des différents réseaux sociaux, afin d’améliorer et de fluidifier la communication entre PHAROS et ces derniers.

Le ministre de l’intérieur et moi-même saluons la grande qualité du travail accompli par les rapporteurs, tant sur le fond que sur la précision juridique des dispositions de ce projet de loi. Nous examinerons leurs amendements avec beaucoup de bienveillance ; je pense notamment à la fusion entre agrément et contrat d’engagement républicain, qui permettrait de simplifier les procédures et de rassurer le monde associatif, mais également à des modifications sémantiques visant à améliorer la qualité juridique du texte. Par ailleurs, madame Dubré-Chirat, nous avons bien entendu votre alerte concernant les femmes victimes d’une situation de polygamie, et nous avons engagé un travail d’action publique sur ce sujet parallèlement à ce projet de loi.

Un grand nombre d’entre vous ont exprimé le souhait de mieux défendre la laïcité dans l’appareil d’État et l’administration. Ce texte ne poursuit pas qu’une ambition immédiate : il a vocation à transformer durablement, de façon pérenne, la manière dont la laïcité est respectée et défendue dans l’appareil d’État. C’est pourquoi le Gouvernement soutiendra deux amendements visant, d’une part, à désigner des référents laïcité dans tous les services publics, afin d’assurer un véritable maillage de l’administration et une communication effective en la matière, et, d’autre part, à mettre en place une formation obligatoire à la laïcité destinée à l’ensemble des agents publics, comme plusieurs d’entre vous l’ont souhaité. Je vois dans ces deux amendements fondamentaux une illustration tant du travail commun entre le Gouvernement et les parlementaires que de notre volonté collective de transformer les choses en profondeur et de veiller à l’application concrète des principes énoncés dans les textes que nous votons. L’administration doit être au service des valeurs de la République française, au premier rang desquelles figure la laïcité.

M. le président François de Rugy. Je tiens à préciser qu’aucune loi n’a jamais été votée en France contre le voile : la loi adoptée en 2004 visait à interdire les signes ostentatoires à l’école. Il existe, par ailleurs, une jurisprudence du Conseil d’État sur la neutralité des services publics, à laquelle l’article 1er du présent texte donne force de loi en l’étendant à tout organisme exerçant des missions de service public, même s’il s’agit d’une entreprise privée ou d’une association. Les amendements déposés sur cet article et portant sur les signes religieux, y compris le voile, ont bien sûr été déclarés recevables. Je tenais à apporter cette précision, car j’ai lu dans les médias et sur Twitter que j’aurais censuré les amendements sur le voile. Vous pensez bien que cela n’aurait aucun fondement juridique !

Nous n’écrivons pas une loi sur les associations cultuelles musulmanes, mais un texte de portée générale, qui concerne, par exemple, les associations cultuelles, les signes ostentatoires et la neutralité du service public. Le projet de loi comporte un article relatif au service public, qui s’applique non seulement aux agents du service public, mais aussi à toute personne exerçant des missions de service public ; il mentionne également les usagers du service public. Tous les amendements portant sur ces sujets ont bien sûr été jugés recevables, y compris s’ils expriment une préoccupation à propos de la question du voile, dont nous savons bien qu’elle existe tant chez nos concitoyens et que chez un certain nombre de nos collègues.

M. Julien Ravier. Après l’horrible décapitation de Samuel Paty et le cruel assassinat de croyants catholiques à Nice, il était grand temps de prendre à bras-le-corps la lutte contre l’islamisme. Je voudrais donc d’abord saluer ce texte indispensable – je ne reviendrai pas sur les éléments positifs qu’il comporte et que nous soutiendrons.

Pour autant, comme je l’ai souvent dit lors des auditions, ce projet de loi ne va pas assez loin. D’abord, il ne nomme pas l’ennemi : l’islamisme politique, radical et séparatiste. Résultat, il suscite des dommages collatéraux pour la liberté d’exercice des cultes, la liberté d’association et la liberté d’instruction. Vous voulez conforter les principes républicains en restreignant nos libertés et nos droits fondamentaux : c’est un véritable paradoxe pour un texte de liberté, ainsi que l’a qualifié le ministre de l’intérieur.

Par ailleurs, vous abusez de l’interprétation de l’article 45 de la Constitution pour museler un petit peu le débat sur le respect des principes républicains par les partis politiques ou encore sur la place des symboles de la République tels que le drapeau ou l’hymne national à l’école. Ma question est simple : avez-vous peur de fracturer la majorité en abordant ces questions fondamentales dans la lutte contre l’islamisme radical pour protéger les Français ?

M. Thomas Rudigoz. Il ressort de l’avis du Conseil d’État comme des auditions menées par notre commission que le projet de loi confortant le respect des principes de la République alourdit certaines contraintes administratives auxquelles sont assujetties les associations cultuelles et mixtes. Je pense notamment à la déclaration de qualité cultuelle en préfecture, à renouveler tous les cinq ans, ou encore aux nouvelles règles relatives au financement des cultes, comme la certification des comptes annuels par un commissaire aux comptes en cas de financements étrangers. Je soutiens totalement cette mesure mais j’estime, avec d’autres, que le seuil financier envisagé n’est pas le bon et va grandement compliquer la tâche de petits lieux de culte aux faibles moyens humains et matériels. Certes, les obligations créées par ce texte sont en partie compensées par des avantages nouveaux accordés aux associations cultuelles, tels que l’assouplissement de la condition relative au nombre minimal de membres requis pour constituer une association de ce type. Cependant, serait-il possible de prendre en compte ces doléances exprimées par les représentants de quasiment tous les cultes ?

M. Philippe Vigier. Nous aurions aimé qu’une place un peu plus large soit accordée à la formation à la laïcité et à la lutte contre les séparatismes, à destination tant du monde associatif que des élus locaux. Nos amendements sur ce thème ont été jugés irrecevables, mais qu’en pense le Gouvernement ?

Monsieur le ministre de l’intérieur, aux termes de l’article L. 114-2 du code de la sécurité intérieure, les employés et sous-traitants des entreprises de transport public de personnes ou de marchandises dangereuses soumises à l’obligation d’adopter un plan de sûreté font l’objet, lors de leur recrutement, d’un criblage par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS). N’aurait-il pas été judicieux d’étendre cette mesure à d’autres secteurs tels que l’éducation et la santé ?

Enfin, nous aurions pu rendre inéligible tout candidat inscrit au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), dès lors que le préfet apporterait la preuve objective que ce candidat présente un risque avéré pour l’ordre public. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette proposition ?

Mme Anne-Laure Blin. Il y aurait tant à dire après les réponses des ministres, notamment celle du garde des Sceaux… Nous souhaitons fixer un cadre républicain, sans immixtion dans l’organisation des cultes. Les représentants de certains d’entre eux ont regretté, lors des auditions, que les changements prévus par ce texte concernent leur organisation.

Les ministres ont évoqué un texte de liberté. Elle prévaudrait pour tout le monde, peut-être, mais pas pour le Parlement, compte tenu de la manière dont la majorité, en particulier la présidence de cette commission, utilise l’article 45 de la Constitution. Par ailleurs, ce texte sacrifierait la liberté fondamentale de l’instruction. L’intérêt supérieur de l’enfant a été évoqué mais aucune disposition n’est prévue, malheureusement, en ce qui concerne l’école publique. Dans quelle mesure seriez-vous ouverts à des propositions sur ce point ?

M. Belkhir Belhaddad. Le discours prononcé par le Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier, a fixé le cap et montré la voie à suivre pour réaffirmer et faire vivre nos principes républicains. Le Gouvernement a su traduire cela, en grande partie, en actes : qu’il en soit remercié. Néanmoins, il faudra consacrer encore du temps, sous cette législature, à certains sujets, comme l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations.

Ce texte tend à instaurer des protections pour notre République mais aussi pour l’exercice des cultes, la vie associative et les services publics. Les oppositions et certains médias ne voyant dans le projet de loi que des contraintes, pouvez-vous nous dire, madame et messieurs les ministres, quels moyens seront mis en œuvre pour rendre effectives ces mesures protectrices ?

M. Pierre-Yves Bournazel. La lutte contre les dangers du séparatisme est un combat qui demande du courage, de la responsabilité, du discernement et un esprit d’équilibre. Je salue l’engagement du Gouvernement dans ce combat long et difficile contre toute forme de radicalisation. Il faut s’inscrire dans une logique opérationnelle de diffusion de nos principes intangibles de laïcité, de liberté, d’égalité et d’unité.

Les associations jouent un rôle majeur en matière d’éducation, de solidarité, d’inclusion et d’animation auprès de la population. À travers leurs missions, elles assument une responsabilité éminente dans la transmission des principes de la République. Le groupe Agir ensemble est attaché à ce que le contrat d’engagement républicain soit assorti d’une mesure complémentaire qui rendrait obligatoire la formation des cadres associatifs à la laïcité et à la lutte contre les discriminations. Ce serait un levier décisif pour la transformation de notre société. Le Gouvernement est-il favorable à une telle mesure ?

M. Charles de Courson. Y aura-t-il, madame la ministre, un contrat d’engagement républicain unique ou un contrat type par catégorie d’associations – sportives, culturelles ou encore sociales ?

Par ailleurs, le Gouvernement va-t-il dénoncer les quatorze conventions bilatérales de sécurité sociale qui prévoient un partage des pensions de réversion des étrangers polygames ayant travaillé en France ?

M. Alexis Corbière. Je voulais interroger le ministre de l’éducation nationale sur un grand absent : le renforcement de l’école publique, qui est un creuset pour le respect des principes républicains.

Monsieur le ministre de l’intérieur, j’ai repris tout à l’heure les propos de Mme Rolland, qui est responsable du renseignement territorial : elle a indiqué, lors d’une audition, que moins d’une centaine des 2 400 ou 2 500 lieux de culte posaient problème. Vous venez de dire que ce chiffre était faux : c’est une illustration, me semble-t-il, de la difficulté concernant le partage des constats et des chiffres. Si les éléments qui nous ont été donnés lors de nos auditions, menées au pas de charge, sont contestés par le ministre, cela devient un peu compliqué !

Je me souviens, monsieur le garde des Sceaux, de propos extrêmement forts que vous avez tenus lorsque vous étiez avocat : vous avez déclaré que si un homme, même le pire d’entre eux – vous défendiez alors l’auteur d’un attentat –, était accusé sans preuves, les terroristes gagneraient. Je suis pour que l’on soit efficace contre eux, mais aussi pour que l’on avance sur la base de constats et d’éléments réels, et non pas d’une série d’impressions qui conduisent à des choses blessantes. Lorsqu’on veut changer le statut des associations cultuelles, notamment la Fédération protestante, alors qu’elle n’a rien à voir avec ce texte, je considère qu’on introduit dans le débat des restrictions de libertés qui sont totalement à côté du sujet.

Mme Caroline Abadie. Le combat contre le séparatisme, on l’a bien compris, ne se mènera pas que dans les lieux de culte. L’islam politique s’est déployé sur internet depuis de nombreuses années. Nous sommes très heureux de voir arriver, grâce à ce texte, une régulation des réseaux sociaux qui est, bien sûr, indispensable. À notre avis, néanmoins, elle ne sera pas suffisante. Nous utilisons les réseaux sociaux depuis dix ou vingt ans. Mais avions-nous tous en tête, à notre première connexion ou à chaque fois que nous nous sommes connectés, l’enfermement algorithmique, la dépendance aux likes et aux écrans, et tout ce qu’implique l’économie de l’attention s’agissant de la haine en ligne ? La prévention et l’éducation sont les pendants nécessaires de la régulation. Les enfants doivent être sensibilisés dès le plus jeune âge aux bons usages d’internet et ils doivent ensuite poursuivre cet apprentissage au collège. Les gendarmes et les policiers arrivent à sensibiliser près d’un quart des enfants d’une classe d’âge. Le groupe La République en marche, uni derrière ce texte et le Gouvernement, défendra un amendement tendant à généraliser ce type de formation.

M. Philippe Benassaya. Le Président de la République a dit aux Mureaux, le 2 octobre dernier, que le problème était le séparatisme islamiste. C’était un point de départ intéressant mais il n’en est pas question à l’arrivée, ou peu. La référence qui figurait dans le titre du projet de loi a même été gommée. Exit, donc, le séparatisme, mais aussi tous ses ferments, notamment le premier d’entre eux, qui est le monde carcéral. J’ai déposé plusieurs amendements à la loi de 2009, qui prévoyait un encellulement individuel afin d’éviter l’endoctrinement en groupe, mais ils ont malheureusement été déclarés irrecevables.

À quoi sert un texte qui évite l’essentiel ? Nous avons été noyés sous une avalanche d’auditions pour donner l’apparence d’une ouverture, tout cela pour en arriver à une sorte de débat limitatif. Je pensais que ce texte pouvait nous rassembler autour des valeurs de la République. Or un rassemblement, monsieur le garde des Sceaux, se construit : cela ne se décrète pas. Ce texte tiède est sacrifié sur l’autel d’un juridisme strict et dévoyé concernant l’article 45 de la Constitution : nos amendements ont un lien direct ou indirect avec le projet de loi.

M. le président François de Rugy. Nous n’allons pas reprendre ce débat indéfiniment…

M. Ludovic Mendes. Ce projet de loi, que nous étions nombreux à attendre, nous permettra de garantir le renforcement des principes républicains. Je tiens notamment à saluer la volonté du Gouvernement de faire de la protection de l’enfance un pilier du texte.

Le projet de loi protégera l’ensemble de nos concitoyens sans jamais stigmatiser une partie de la population. Les seuls qui doivent se sentir concernés sont les prêcheurs de haine, ceux qui militent pour la chute de la République, qui souhaitent imposer un mode de vie à une population. Tous ceux qui voudront, à partir de ce texte, tenir des propos stigmatisants ou reposant sur des amalgames trouveront sur leur route des défenseurs de la République, qui n’accepteront jamais la mise à l’index d’une partie de nos concitoyens, lesquels sont souvent, d’ailleurs, les premières victimes du séparatisme.

Notre seul et unique objectif, avec ce projet de loi, est de faire société en recréant une appartenance collective à notre nation, qui s’est effritée au fil de discours fracturants, tenus aussi bien par des partisans d’idéologies nauséabondes que par une partie de la classe politique. Je nous souhaite de débattre sereinement de ce projet de loi. Pour nos concitoyens, pour la République et pour l’histoire de France, soyons à la hauteur !

M. Xavier Breton. Je veux m’inscrire en faux contre l’idée qu’une grande concertation aurait eu lieu. Les représentants des milieux associatifs, éducatifs ou cultuels que nous avons auditionnés ont très souvent regretté le manque de concertation avant le dépôt du texte.

Le projet de loi souffre d’un double défaut. Il ne va pas assez loin sur un point : la lutte contre l’islamisme radical. On peut regretter que les amendements déposés à ce sujet aient été refusés en application de l’article 45 de la Constitution. Mais c’est aussi un texte qui va trop loin : il comporte des mesures de portée générale qui s’appliqueront à tout le monde et causeront des dommages collatéraux en s’attaquant à des libertés – d’expression, d’association, d’enseignement et de culte. Des associations et des citoyens qui ne demandent rien seront concernés par ce texte, qui compliquera leur vie. On peut aussi le regretter.

Voilà autant de raisons, monsieur le ministre de l’intérieur, pour lesquelles nous nous opposerons à ce texte.

M. François Cormier-Bouligeon. Ce sera une loi de liberté, comme cela a été souvent dit ce soir. Ce sera aussi un texte qui protège. Comme l’affirmait Lacordaire, « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». La loi protège. Celle de 1905, qui a établi une liberté absolue de conscience, a apporté une protection à tous – aux athées, aux agnostiques, aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans. Nous devons poursuivre cette œuvre législative de nature protectrice en rendant juste et parfaite l’obligation de neutralité dans la sphère du service public. Je défendrai des propositions en ce sens par voie d’amendements.

Auparavant, pour la clarté de nos débats, monsieur le ministre de l’intérieur, j’aimerais comprendre à qui fait référence l’article 1er du projet de loi lorsqu’il est question, à propos de ceux à qui l’obligation de neutralité doit être étendue, de personnes sur lesquelles un organisme public ou de droit privé participant à l’exécution d’une mission de service public exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Permettez-moi de citer les débats relatifs à la loi de 2004, qui a interdit le voile, ou plutôt, pardonnez-moi, les signes religieux ostensibles à l’école. « Un seul exemple : demain, le port du voile sera interdit mais celui du keffieh sera autorisé. Pourtant, le keffieh peut apparaître en particulier par les jeunes juifs, comme un signe d’agression. Je m’inquiète aussi pour l’intégration. Si là est la grande affaire, est-il bien raisonnable de commencer par stigmatiser et exclure ? Autant il faut combattre fermement toutes les formes de communautarisme, autant ce serait une erreur de voir dans toute expression d’une identité l’affirmation d’un quelconque communautarisme. Il n’y a d’ailleurs communautarisme que lorsqu’une communauté agresse les autres. [...] Le grand défi républicain réside désormais dans la sécularisation de l’islam ». Voilà ce que disait Marc Le Fur à l’époque.

S’agissant des divisions, je rappelle que vingt-neuf députés du groupe UMP n’ont pas voté le texte de 2004, pour des raisons d’ailleurs tout à fait compréhensibles qui tiennent à la liberté et à la culture politique. Je pourrais également citer d’autres parlementaires aujourd’hui dans vos rangs. Il y a, et c’est bien normal, des discussions politiques importantes au sein des groupes Les Républicains (LR), La République en marche, MODEM et d’autres encore. Il ne faut pas caricaturer : dire que nous n’avons pas prévu telle disposition parce que nous aurions peur de diviser la majorité, c’est faire peu de cas du débat politique. Êtes-vous tous d’accord, au sein du groupe LR, sur l’instruction à domicile ? J’ai vu qu’il y avait des différences notables entre M. Diard et Mme Genevard, comme entre certains députés LR qui disent qu’ils voteront le texte, quoi qu’il arrive, et d’autres qui déclarent qu’ils verront bien, ces différences étant, je le répète, bien normales…

Je rappelle également, cette fois au groupe socialiste, qu’en 2004 M. Glavany disait être contre la disposition présentée par le Gouvernement – c’était sous la présidence de Jacques Chirac –, parce qu’il trouvait que les députés UMP avaient la laïcité honteuse. Ils visaient les signes religieux « ostensibles » alors que le groupe socialiste demandait qu’il soit question des signes « visibles ». Il est peut-être vrai que la laïcité est avant tout une loi et une aspiration de gauche.

Je souhaiterais que l’on évite les arguments de tribune, qui sont faciles. Je pourrais également citer d’autres personnes…

Il est normal d’avoir des débats politiques et philosophiques sur des textes aussi importants. Le garde des Sceaux a eu raison de rappeler que tout n’était pas si évident a priori. Je crois que nous pouvons avoir un débat serein en évitant de nous jeter à la figure des anathèmes, de nous accuser de lâcheté ou d’autoritarisme.

M. Breton, qui est entré dans le vif du sujet alors que d’autres ont évoqué la forme plutôt que le fond, a reproché au texte d’être à la fois trop mou et trop dur. Vous auriez sans doute aimé, monsieur Breton, que nous présentions un texte pour le culte musulman, ad hominem, en quelque sorte – c’est ce que je comprends de vos propos. Cela aurait été absolument contraire aux principes de la République, de notre Constitution et de la loi de séparation entre les Églises et l’État. Nous n’avons donc pas fait ce choix. D’autres pays l’ont fait mais, pour notre part, comme l’ont très bien dit le Garde des Sceaux et le ministre de l’éducation, nous souhaitons un texte qui s’adresse à tout le monde. Vous l’avez souligné, monsieur le président, la loi est l’expression de la volonté générale, elle s’applique d’une façon générale, et non pas en particulier. C’est un point très important : nous n’avons pas voulu faire une entorse considérable au principe de laïcité qui est celui de notre République. Elle ne nie pas certaines religions pour en reconnaître une autre. Tout le combat de l’État français, sous la monarchie, sous l’empire et sous les républiques a été de ne pas reconnaître un culte en particulier. Vous avez le droit d’avoir la position qui est la vôtre, mais elle est foncièrement contraire aux principes républicains. On comprend donc mieux pourquoi vous vous opposez à ce texte, qui vise à les renforcer.

Monsieur Corbière, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. La directrice des renseignements territoriaux a eu raison de vous indiquer – j’ai lu avec attention le compte rendu de son audition – que quatre-vingt-neuf lieux posaient problème, car tel est le cas aux termes de la loi actuelle. Mais le projet de loi que nous vous soumettons a pour objet d’identifier, entre les deux catégories que constituent, d’une part, les lieux qui ne posent aucun problème et, d’autre part, ceux qui ont un lien avec le terrorisme, une cible politique : le séparatisme ou l’islamisme politique. Ainsi, demain, en tant que ministre de l’intérieur, je demanderai aux services de renseignement de travailler, non plus seulement sur la question du terrorisme, mais aussi sur celle du séparatisme. Des critères me permettront de classer un certain nombre de lieux de culte dans cette dernière catégorie, qui n’a pas forcément un lien direct avec le terrorisme – même si, nous l’avons vu, ce lien était évident dans le cas de l’assassinat de Samuel Paty. Longtemps, beaucoup ont pensé que l’islamisme politique était certes condamnable, mais n’était pas de même nature que le terrorisme. La force de ce texte est de considérer qu’il existe entre ces deux phénomènes une différence de degré et non de nature.

Parmi les lieux de culte qui posent problème du point de vue du ministère de l’intérieur – ce qui exige des vérifications complexes –, on dénombre, outre les 89 mosquées jugées inquiétantes pour la République – soit 91 moins 2, puisque nous en avons exclu certaines de la liste de celles que nous soupçonnions –, 147 lieux de culte classés « fréristes », c’est-à-dire appartenant au mouvement des Frères musulmans, dont 18 écoles – que la loi ne nous permet pas de fermer –, 136 lieux classés salafistes, dont 7 écoles de la même mouvance, et 200 lieux de culte – 150 selon le bureau central des cultes – de la mouvance tabligh, dont je rappelle qu’elle est actuellement représentée au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM). Nous parvenons donc à un total de plus de 400 lieux de culte sur environ 2 400 : cela ne fait pas 4 %. La réponse de la patronne des RT est fondée, et c’est normal, sur la loi actuelle ; celle du ministre de l’intérieur que je suis sur l’objectif politique que je me fixe.

Nous voulons avoir les moyens de contrôler ces lieux de culte, mais il ne s’agit pas de les fermer pour les fermer : si nous n’avons aucune preuve que nos soupçons sont avérés, nous ne les fermons pas. Ainsi, sur les dix-huit mosquées qui avaient été considérées comme très dangereuses, neuf ont été fermées ; les neuf autres ne l’ont pas été, car nous n’en avions pas les moyens, et je me refuse à sanctionner un délit d’opinion. En tout état de cause, s’agissant des chiffres, nous n’avons rien à cacher.

Monsieur Cormier-Bouligeon, nous aborderons ce soir l’examen de l’article 1er. Nous pourrions discuter à l’envi de la définition du service public, mais nous nous en tenons aux éléments suivants : est un service public, soit ce que la loi désigne comme tel, soit les missions exercées par des fonctionnaires relevant du statut de la fonction publique et des personnels y concourant : apprentis, stagiaires, agents publics titulaires d’un contrat de droit privé – soit 20 % des agents publics – ainsi que tous les personnels d’une entreprise exerçant une délégation de service public ou relevant du code des marchés publics s’ils participent directement à l’exécution du service public – je pense aux transports publics, aux piscines… C’est un point essentiel.

Monsieur Rudigoz, jusqu’à présent, est considéré comme un lieu de culte un lieu où l’on exerce habituellement un culte. Ainsi, certains d’entre eux ne relèvent d’aucune structure juridique – ils peuvent être cachés, cela arrive, dans des halls d’immeuble ou des caves. Nous revenons sur ce paradigme historique, et le Conseil d’État accepte cette nouvelle définition : dorénavant, sera considéré comme un lieu de culte un lieu gouverné par une structure juridique ayant pour objet d’exploiter ce culte. Cela change tout ! Nous préférons que cette structure juridique soit une association loi de 1905, mais ce pourra être une association loi de 1901, avec des contraintes supplémentaires. Ce point est très important.

Dès lors, nous devons opter pour un régime de déclaration ou d’autorisation – jusqu’à présent, le ministère de l’intérieur délivrait un rescrit dont la durée était d’environ cinq ans. Nous souhaitions un régime d’autorisation. Le Conseil d’État, estimant que nous allions très loin, accepte que nous imposions l’existence d’une association pour chaque lieu de culte mais recommande que nous options pour un régime de déclaration. Nous l’avons suivi, en proposant une déclaration qui devra intervenir tous les cinq ans pour que nous ayons les moyens d’exercer un contrôle.

J’ai indiqué aux représentants des cultes protestant, catholique, musulman et juif que notre objectif n’était pas d’empêcher l’existence de lieux de culte qui respectent totalement les principes de la République et ses attendus. Nous allons donc proposer, avec le rapporteur, un amendement afin qu’une déclaration tacite, reconductible, suffise lorsque ces associations sont anciennes et que nous n’avons rien à leur reprocher. La mosquée de Paris, par exemple, construite en 1920 grâce au budget du Parlement, indépendamment de la loi de séparation des églises et de l’État, en fait partie. Il s’agit de prendre en considération, non pas des thèmes ou des religions, mais l’histoire, ce qui n’empêchera pas l’État d’exercer son contrôle. Nous allons proposer cette simplification, car j’ai bien compris la préoccupation de ceux qui pensent que nous ratons la cible.

En ce qui concerne la certification des comptes, j’ai indiqué aux représentants des cultes que nous ne renoncerions pas à imposer l’obligation de déclarer les sommes perçues de l’étranger lorsqu’elles excèdent 10 000 euros par an, l’État devant pouvoir s’opposer au versement d’argent provenant de l’étranger, quels que soient le culte et le montant. En revanche, je comprends que l’on souhaite que nous revenions sur le seuil de 10 000 euros qui déclenche l’intervention d’un commissaire aux comptes, notamment pour les associations loi de 1905. De fait, certains lieux de culte perçoivent parfois 10 000 ou 15 000 euros pour réaliser des travaux, par exemple ; s’ils doivent rémunérer un commissaire aux comptes, ils ne pourront plus réaliser ces travaux, de sorte que cette règle porterait atteinte à la liberté de culte. J’ai donc accédé à cette demande et déposé un amendement qui prévoit que, pour les associations loi de 1905, et uniquement pour celles-là, nous ne reviendrons pas sur le seuil qui déclenche l’intervention d’un commissaire aux comptes et qui est actuellement de 153 000 euros. En revanche, pour les associations loi de 1901, je proposerai que l’on maintienne le seuil prévu. Nous souhaitons, en effet, que les lieux de culte relevant d’une association loi de 1901 migrent vers des associations loi de 1905 ; nous faisons donc en sorte que le régime des premières soit plus contraignant que celui des secondes. La loi n’a pas été faite pour satisfaire la technocratie, mais pour embêter ceux qui nous embêtent.

Monsieur Vigier, vous souhaitez que les candidats fichés S ne puissent pas être éligibles. Tout d’abord, ce fichier n’a pas de lien avec les atteintes à l’ordre public : il s’agit d’un fichier de signalement. Au demeurant, nombre de personnes ne savent pas qu’elles figurent dans ce fichier, et c’est heureux car, si elles le savaient, elles adopteraient un autre comportement et, M. le garde des Sceaux et moi-même, nous ne pourrions pas intervenir. Par conséquent, si vous souhaitez que certaines personnes soient inéligibles, mieux vaut vous appuyer sur le FIJAIT, qui regroupe des personnes condamnées ou mises en examen. En outre, il arrive qu’une personne fasse l’objet d’une fiche S, non pas parce que nous nous intéressons à elle mais parce que nous nous intéressons aux personnes avec lesquelles elle est en contact. Du reste, les islamistes sont minoritaires parmi les 22 000 fichés S, qui regroupent également des personnes appartenant à l’ultradroite, à l’ultragauche ou des militants très violents. Nous aurons l’occasion d’y revenir – je vous fais là une ouverture.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Le contrat d’engagement républicain sera unique : il ne peut pas être décliné secteur par secteur, car les principes de la République sont les mêmes partout. Cependant, nous ferons en sorte – des travaux sont en cours sur ce point – que les associations agréées n’aient pas à souscrire un double engagement. Par ailleurs, j’ai entendu dire que les consultations n’étaient pas suffisamment abouties : je le confirme, puisqu’elles sont toujours en cours.

Enfin, nous partageons l’objectif des députés qui ont déposé des amendements visant à améliorer la formation à la laïcité. C’est, du reste, l’objet de deux amendements du Gouvernement concernant l’administration. Nous discuterons du point de savoir si cette formation doit faire l’objet d’une recommandation ou d’une obligation. Il ne me paraît pas opportun d’entrer dans le détail d’une obligation de formation s’agissant des non-fonctionnaires, mais nous en débattrons. En tout cas, ces deux amendements du Gouvernement ont pour objet de donner à chacun les moyens de mieux se former aux questions de la laïcité et de la lutte contre l’islamisme.

 

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2.   Réunion du lundi 18 janvier 2021 à 21 heures 30 (avant l’article 1er et article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10162568_6005effb57028.respect-des-principes-de-la-republique--examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-18-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous allons aborder l’examen des amendements.

TITRE IER
GARANTIR LE RESPECT DES PRINCIPES RÉPUBLICAINS

Chapitre Ier
Dispositions relatives au service public

Avant l’article 1er

La commission est saisie des amendements CS1370 de M. Julien Ravier et CS1350 et CS1558 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Julien Ravier. Le titre Ier est intitulé : « Garantir le respect des principes républicains ». Il est proposé d’ajouter les mots « la prééminence et » après le mot « garantir ».

Mme Emmanuelle Ménard. Les amendements CS1350 et CS1558 ont pour objet de préciser l’intitulé du titre Ier. Les mots « principes républicains » et « valeurs de la République » souffrent de l’absence d’une définition claire et sont donc difficilement compréhensibles par les Français et, encore plus, par les islamistes, qui sont la cible de ce texte. Encore faudrait-il le dire. Pour une fois, peut-être pourrions-nous dire les choses sans faux-fuyant et décrire la réalité telle qu’elle est. Aujourd’hui, ce qui menace notre société, notre façon de vivre ou notre civilisation porte un nom : l’islamisme. C’est lui et lui seul qui veut faire des femmes des citoyens au rabais, qui rêve d’imposer ses règles à l’ensemble des habitants de notre pays, qui exige toujours plus de dérogations aux règles qui régissent notre façon de vivre. C’est aussi en son nom que, depuis plusieurs années, des centaines d’hommes et de femmes ont été blessés, mutilés, marqués à vie et tués. Ces assassins se réclament de l’islamisme et de personne d’autre. Lutter contre l’islamisme, c’est être aux côtés des musulmans soucieux de respecter scrupuleusement nos lois, alors même que 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l’islam avant la République. Lutter contre l’islamisme, c’est aider à une sécularisation de l’islam, comme on a assisté dans le passé à un aggiornamento du judaïsme ou du christianisme. C’est pourquoi je propose de préciser l’intitulé du titre Ier.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. Je ne pense pas que ce titre soit imprécis et qu’on ne sache pas à quoi correspondent les principes républicains. Nous devons en rester à la garantie du respect des principes républicains, car c’est ce qui correspond le mieux au contenu du titre Ier. Il ne me paraît pas opportun de mettre en exergue un principe plus qu’un autre. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements qui proposent de modifier l’intitulé du titre Ier.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission examine l’amendement CS20 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Il vise à compléter l’intitulé du titre Ier par les mots « et des exigences minimales de la vie en commun dans une société démocratique ». Cette expression permettrait de couvrir davantage de domaines du droit. Les termes « principes de la République » ont un contenu à la fois trop vague et trop restrictif. La référence aux exigences minimales de la vie en société trouve son ancrage dans la décision du Conseil constitutionnel relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je ne pense pas que la référence aux principes républicains soit vague. Cela étant, je me range à votre proposition, directement inspirée par une décision du Conseil constitutionnel, dans la mesure où elle élargit le champ d’application de ces dispositions. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je partage totalement l’avis de Mme Vichnievsky. Madame Genevard, vous faites référence à une décision importante, dans laquelle le Conseil constitutionnel a invoqué les « exigences minimales de la vie en société », formulation qui me paraît plus précise que la vôtre, laquelle déborde un peu du cadre constitutionnel. Il me paraît cependant légitime d’inscrire cette référence dans le titre Ier.

La commission adopte l’amendement.

Article 1er : Respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité par les salariés participant à une mission de service public

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS21 de Mme Annie Genevard et CS1029 de M. Francis Chouat.

Mme Annie Genevard. Je propose qu’à l’alinéa 1er, on substitue aux mots : « ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui-ci », les mots : « , le règlement ou le contrat confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, ou lorsque la qualification de service public peut être déduite de la nature de la tâche confiée à cet organisme et de ses relations avec une personne publique, cet organisme ». Cela permettrait d’étendre les exigences de neutralité et de laïcité. Il me paraît en outre utile de réintroduire le contrat dès le début de l’article 1er, lequel consacre une jurisprudence de la Cour de cassation du 19 mars 2013 concernant une caisse primaire d’assurance maladie. Le juge y affirmait que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. » La formulation du texte risque d’être plus restrictive que la jurisprudence, ce qui serait un comble.

M. Francis Chouat. Il convient de prévoir le cas où un contrat, autre qu’un contrat relevant de la commande publique au sens strict de l’article L. 2 du code de la commande publique, confie directement l’exécution d’un service public à un organisme public ou privé. Si l’on n’adoptait pas l’un de ces amendements, la loi pourrait paraître en retrait par rapport à la jurisprudence du Conseil d’État, qui a précisé que les principes de neutralité et de laïcité sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Je précise que les établissements d’enseignement privé sous contrat simple ou contrat d’association, qui font l’objet, dans le code de l’éducation, de dispositions qui dérogent au principe de la laïcité du service public, se situent hors du champ de l’article 1er.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il a fallu, dès l’article 1er, déterminer le champ d’application des principes de neutralité et de laïcité du service public. Chacun admet qu’il ne peut se limiter aux seules personnes de droit public. Le choix a été fait d’une double entrée par la loi ou le règlement, d’une part, et par le contrat de la commande publique, d’autre part. On a laissé volontairement hors du champ d’application de l’article 1er des cas d’exécution du service public par un organisme privé.

Si une rédaction plus large était retenue, il est à craindre qu’elle impose le respect des principes de neutralité et de laïcité aux établissements d’enseignement confessionnel ou aux établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), qui en sont légitimement exonérés. Des dispositions législatives permettent d’exonérer les établissements d’enseignement confessionnel du respect des principes de neutralité et de laïcité. Le cas des ESPIC est un peu plus complexe, car il arrive que la loi ou le règlement leur confie une mission de service public sous réserve qu’ils reçoivent l’agrément du directeur de l’Agence régionale de santé (ARS). Rien ne nous interdirait de préciser la situation de ces organismes. Quant aux contrats ayant trait, par exemple, aux fonctions support ou au recours à des agents d’entretien, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État, on peut sans difficulté considérer qu’ils ne portent pas sur une mission de service public.

Il est vrai, toutefois, que la jurisprudence est parfois difficile à appréhender compte tenu de la complexité de la notion de service public. La rédaction proposée par les amendements est plus conforme à la jurisprudence, plus complète que celle du projet de loi, et même plus ambitieuse. En effet, le secteur associatif n’est pas nommément visé, alors qu’une mission de service public peut lui être confiée, sous réserve d’un agrément, par la loi ou le règlement. Les associations se trouvent donc exclues du champ de la neutralité, y compris celles qui prennent en charge les mineurs dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse. Cela doit nous faire réfléchir. Il n’y a pas de difficulté, à mon sens, à intégrer une jurisprudence dans le texte, et une disposition particulière pourrait être prévue pour les ESPIC. Pour toutes ces raisons, je donne un avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ces questions techniques emportent des conséquences essentielles. La jurisprudence définit le service public et l’exécution directe de ce dernier selon plusieurs critères. Le Gouvernement a considéré, dans le projet de loi validé par le Conseil d’État, que l’exécution directe d’un service public peut résulter, soit d’une qualification explicite de la loi ou du règlement, soit de la conclusion, entre une collectivité publique et un organisme, d’un contrat de la commande publique – concession ou marché public – qui a pour objet, en tout ou partie, l’exécution d’une mission de service public. Quelle que soit la personne contractante, si elle est directement liée au service public, le principe de neutralité s’impose à elle. Telle est la jurisprudence que nous vous proposons de transposer.

Deux types d’établissement échappent à ces dispositions : les écoles sous contrat et les ESPIC. Alors que le Gouvernement exclut ces derniers du champ de la loi, vos amendements s’appliquent à eux. Il existe beaucoup d’associations – EHPAD, hôpitaux – d’inspiration confessionnelle, souvent catholiques, parfois protestantes. Le personnel peut y porter des vêtements manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, à condition qu’il ne fasse pas preuve de prosélytisme. Si l’un de ces amendements était adopté, il faudrait exonérer les ESPIC de l’application de ces règles. Le Conseil d’État nous avait alertés sur ce point.

À nos yeux, il appartient au juge de définir ce qu’est un service public et de déterminer si un contrat assure l’exécution directe d’un service public. La loi ne pourra pas être aussi inventive que la jurisprudence et prendre en compte de la même façon les évolutions qui pourraient se manifester dans le domaine, par exemple, des délégations de service public ou de l’action d’associations travaillant pour le public. Comme l’ont montré des arrêts célèbres, il arrive au Conseil d’État de requalifier un contrat.

Nous n’entretenons pas de réelles divergences sur cet article, mais il me semble que notre rédaction est plus claire. Elle exclut les ESPIC du champ de la loi. Quant à la qualification du service public, elle laisse le juge trancher en cas de doute. Le Gouvernement est favorable à sa rédaction et au rejet des amendements, mais nous pouvons en débattre.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Mon avis est défavorable sur les amendements. Le projet de loi ne restreint en rien la jurisprudence du Conseil d’État. Il faut lire l’arrêt APREI du 22 février 2007 pour comprendre que sa transposition dans le texte ne présenterait pas d’intérêt. Le Conseil d’État y indique que, dans le silence de la loi, indépendamment de ce que le législateur a souhaité inclure ou non dans la notion de service public, il établit un certain nombre de critères. C’est une jurisprudence balai : faute de qualification du législateur, il examine les conditions de création de l’organisme, il vérifie que la mission exercée est d’intérêt général, il étudie les conditions d’organisation, l’existence éventuelle d’un contrôle de l’administration. À partir de ce faisceau d’indices, le juge administratif ne s’interdit pas de requalifier en service public une activité que nous n’aurions pas définie comme telle.

Si nous intégrions cette jurisprudence dans la loi, nous reprendrions à notre compte un raisonnement qui est un outil pour le juge, a posteriori. En en faisant une condition première, nous commettrions une erreur juridique. Dans une telle hypothèse, le champ de l’article 1er s’étendrait, ce qui serait source d’effets contradictoires. Une série d’associations confessionnelles, comme certaines associations de scoutisme, par exemple, seraient immédiatement considérées comme faisant partie du service public et se verraient appliquer le principe de neutralité. Si nous posions la question de cette façon, de nombreux parlementaires pourraient considérer qu’il n’est pas opportun de transposer cette jurisprudence dans le texte.

Mme Annie Genevard. Vous ne pouvez pas condamner le principe de la transposition de la jurisprudence dans la loi puisque c’est ce que fait l’article 1er, et c’est sur ce principe que le texte a été bâti. Je récuse donc l’argument juridique. Mme la rapporteure a souligné le risque qu’entraînerait l’adoption de notre amendement, par exemple pour les écoles privées sous contrat. Or, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi fait déjà peser ce risque, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis. Celui-ci a recommandé que vous fassiez référence, dans l’étude d’impact, aux hôpitaux, aux prisons et aux établissements d’enseignement, ce que vous n’avez pas fait. J’ai déposé l’amendement CS81 afin de clarifier le texte sur la question des établissements d’enseignement. S’il fallait élargir l’exonération aux ESPIC, on pourrait l’envisager. Par ailleurs, les associations de scoutisme, auxquelles vous faisiez référence, ne sont pas un service public délégué. Pourquoi voudriez-vous qu’elles entrent dans le champ de l’amendement ?

M. Charles de Courson. Bien qu’étant un ancien magistrat, je me demande si le Parlement doit s’adapter à la jurisprudence du Conseil d’État. En l’espèce, vous vous êtes calé, monsieur le ministre, sur sa conception du service public. Or l’évolution, depuis un siècle, de sa jurisprudence montre qu’il ne cesse d’en élargir la notion. On se demande, aujourd’hui, ce qui n’est pas un service public ! Le législateur doit reprendre la main et définir le service public. Ce n’est pas aux juges de le faire. Le service public, c’est, selon ce qu’on appelle les faisceaux d’indices, un service d’intérêt général financé, au moins en partie, par des prélèvements obligatoires, et je ne crois pas que le Conseil d’État doive le définir à notre place. Je vous renvoie à l’article L. 2 du code de la commande publique : « Sont des contrats de la commande publique les contrats conclus à titre onéreux par un acheteur ou une autorité concédante, pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques. » Lorsqu’une administration sous-traite l’entretien de ses locaux, peut-on encore parler de service public ? Oui si elle gère l’entreprise en direct. Mais si elle délègue ? Me répondrez-vous par la négative ? Comment se fait-il qu’un même travail soit considéré comme un service public ou non selon qu’il fonctionne en régie ou est sous-traité ? On pourrait multiplier les exemples. Ainsi, de nombreuses administrations recourent à des sociétés de sécurité privées.

Comme mes collègues, je pense qu’il nous appartient de définir nous‑mêmes ce périmètre.

Mme Coralie Dubost. Je suis gênée par ces amendements qui visent à élargir un périmètre déjà très vaste. Nous aurions pu choisir, par ce texte, de nous arrêter au simple contrat de délégation de service public, sans y inclure les marchés de travaux, de fourniture ou de service mais nous avons décidé d’aller au-delà de la simple délégation de service public ou de la concession classique des services publics. Je ne vois pas pourquoi nous irions encore plus loin, jusqu’aux missions d’intérêt général, au risque de mettre en difficulté de très nombreuses associations, qui travaillent au plus près des populations les plus en difficulté. Est-ce cela l’objet du texte ? Pas du tout ! Nous sommes là pour préserver le vivre-ensemble et certainement pas pour inquiéter, par des dispositions relatives à certains contrats passés dans le cadre de la commande publique, des associations qui assurent des missions d’intérêt général. Je voterai contre ces amendements.

M. Guillaume Vuilletet. Je suis d’accord avec Mme Dubost. L’adoption de ces amendements pourrait figer la définition du périmètre du service public et rendre la situation ingérable alors que ce texte nous permet d’avancer. Je voterai contre ces amendements.

M. Francis Chouat. Je ne suis issu ni du corps de la Cour des comptes ni de celui du Conseil d’État mais c’est en tant qu’élu local, confronté durant de nombreuses années à ces sujets, que je vous ai proposé cet amendement. Évitons les faux débats : nous ne sommes pas en train de définir la notion de service public avec ces amendements. L’article 1er du projet de loi prévoit d’élargir à tous ceux qui concourent à une mission de service public l’obligation de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public. Nous n’avons pas l’intention de mettre en difficulté les associations, qu’elles soient scoutes, bouddhistes ou laïques, mais de les soumettre, comme les autres, au respect des principes de neutralité et de laïcité, dès lors qu’elles exercent une mission de service public, par contrat ou convention.

Si ces amendements ne sont pas adoptés, comment le maire fera-t-il respecter les principes de neutralité ou de laïcité à des organismes conduits à intervenir dans des domaines aussi immatériels que la culture, l’éducation, l’aide aux devoirs, le sport ? Il serait inconséquent de ne pas les adopter, alors même que nous voulons, par cet article 1er, élargir l’obligation de neutralité du service public.

M. Gérald Darmanin, ministre. Les ESPIC et les écoles sont bel et bien exclus de ces dispositions. L’avis du Conseil d’État est très clair : « Il prend note de ce que le champ ainsi retenu vise à ne pas remettre en cause des restrictions à l’application du principe de laïcité du service public aujourd’hui admises par des lois, telles que les dispositions du code de l’éducation relatives aux établissements d’enseignement privé ou celles du code de la santé publique relatives aux ESPIC, ou par la jurisprudence. » Par ailleurs, les ESPIC, qui doivent être agréés, ne relèvent pas du code des marchés publics.

Monsieur de Courson, la femme de ménage, employée par une société qui a conclu un marché public avec la mairie, qui nettoie les marches de cette mairie à six heures et demie du matin, avant que le service public ne soit ouvert, ne sera pas plus soumise demain qu’elle ne l’est aujourd’hui, à la neutralité qui s’impose aux agents du service public. En effet, même en présence d’un contrat, l’objet doit être l’exécution du service public. Or, ni la loi ni la jurisprudence ne voient dans cette activité une mission de service public.

Vous dites que ce n’est pas à la jurisprudence mais à la loi de définir la notion de service public. C’est un peu aux deux ! La notion peut être définie par la loi ou le règlement mais en cas de doute, le juge doit intervenir. Le critère peut être organique, ce qui est le cas lorsqu’une puissance publique confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé. Si la mission a été confiée à un organisme de droit privé, on se réfère aux trois critères dégagés par la jurisprudence du Conseil d’État qui définit le service public comme une activité d’intérêt général menée sous le contrôle de l’administration avec des prérogatives de puissance publique. Le Conseil d’État a ainsi pu considérer qu’une personne privée qui assure une mission sociale d’intérêt général sous le contrôle de l’administration pouvait être chargée d’une mission de service public, même en l’absence de prérogatives de puissance publique.

Il ne me semble pas que la rédaction de cet article aille à l’encontre du travail législatif. D’une part, nous inscrivons dans la loi un principe dégagé par la jurisprudence et nous excluons les ESPIC et les écoles privées sous contrat. D’autre part, en cas de doute, on fait confiance au juge pour déterminer si une mission relève du service public ou non. Bien évidemment, les parlementaires restent libres de décider que telle activité est un service public. Les TER et les trains d’équilibre du territoire relèvent du service public, mais pas les TGV. On y perd son latin ! On pourrait imaginer que les sociétés de transport sont un service public mais Thalys et Eurostar n’en sont pas un ! Ce n’est pas forcément évident au premier coup d’œil. Laissons à la jurisprudence le soin de faire entrer certaines missions dans le champ du service public. Le Gouvernement reste attaché à la rédaction actuelle.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Chouat, oui, vous êtes en train de définir la notion de service public avec ces amendements, et de la pire manière qui soit. Quelles seraient les conditions de la création de ce service public ? Son organisation ? Son fonctionnement ? Ce n’est pas défini. L’adoption de votre amendement conduirait à inscrire dans la loi des critères qui, faute d’être définis, devront donner lieu à des contentieux pour être clarifiés par le juge. Je maintiens mon avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS547 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Merci, monsieur le président, de nous permettre de défendre quelques amendements… Lorsque vous avez présenté ce texte, monsieur le ministre, aux côtés du Premier ministre, nous avons pensé que l’obligation de neutralité, à laquelle j’adhère avec conviction, s’appliquerait enfin aux entreprises privées. Nous en sommes très loin. Finalement, vous vous contentez d’inscrire une jurisprudence constante dans la loi et, selon les interprétations qui en seront faites, nous risquons bien de nous retrouver avec une neutralité au rabais. Cet amendement, soutenu en particulier par l’Association des maires de France, vise à étendre l’obligation de respecter la neutralité et la laïcité à l’ensemble des organismes qui contribuent à une mission de service public, quelle que soit la nature du contrat en cause, afin de ne pas restreindre cette obligation aux seuls organismes liés par un contrat de commande publique.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. J’ai déjà donné mon avis personnel : je ne suis pas certaine que l’ajout du terme « contrat » perturbe l’équilibre du projet de loi.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement est déjà satisfait. Relisez l’article 1er : « Le titulaire du contrat veille également à ce que toute autre personne à laquelle il confie pour partie l’exécution du service public s’assure du respect de ces obligations. »

Je m’inscris en faux : ne minimisez pas la portée de ce texte. Non seulement il consacre la jurisprudence mais, M. de Courson l’a dit, c’est d’abord à la loi de définir la notion de service public.

Par ailleurs, ce texte va plus loin que la jurisprudence puisqu’il étend l’obligation de neutralité et de laïcité à des organismes qui ne sont pas concernés aujourd’hui, même par les dispositions jurisprudentielles. C’est le cas des offices HLM qui devront, demain, respecter le principe de neutralité au même titre que les caisses primaires d’assurance maladie ou Pôle emploi.

Les dispositions de cet amendement seraient redondantes avec celles du texte.

M. Alexis Corbière. M. Ciotti, dont les raisonnements sont toujours très cohérents, souhaite-t-il que les établissements privés sous contrat de sa commune ou de son département, qui participent à des missions de service public, fassent disparaître tout signe religieux ? Je suis défavorable à cet amendement mais je suis curieux de savoir s’il pousse la logique de son raisonnement jusqu’au bout. Si c’est le cas, je ferai passer le message aux établissements d’enseignement privés, dont la grande majorité est de confession catholique, que M. Ciotti ne souhaite plus y voir la moindre croix.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS980 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de faire en sorte que les mesures de ce projet de loi correspondent aux objectifs de l’exposé des motifs. En conséquence, l’amendement vise à insérer les mots « dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes. »

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il n’apparaît pas nécessaire de préciser que cette mesure intervient dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes, d’autant moins que la rédaction que vous proposez laisse à penser que la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’une mission de service public à un organisme de droit public ou de droit privé dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement est satisfait puisque la neutralité n’est pas seulement religieuse : elle est aussi politique. En l’occurrence, l’entrisme communautariste ou les idéologies, d’une manière générale, sont des idées politiques. L’agent d’un service public doit respecter une neutralité religieuse et politique.

Mme Annie Genevard. J’aimerais, monsieur le ministre, que la neutralité politique s’impose dans tous les services publics. C’est loin d’être le cas !

La commission rejette l’amendement.

Elle étudie l’amendement CS1511 de Mme Christine Hennion.

Mme Laurianne Rossi. Il s’agit de compléter les obligations incombant aux organismes de droit public ou de droit privé en charge de l’exécution d’un service public en ajoutant le principe d’accessibilité déjà dégagé par la jurisprudence administrative au même titre que le principe d’égalité inscrit dans le texte.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il y a une vraie cohérence entre les principes d’égalité, de neutralité et de laïcité devant les services publics, qui ont une reconnaissance constitutionnelle et sont intimement liés. Il n’apparaît pas justifié d’y ajouter le principe d’accessibilité qui, comportant de nombreuses dimensions dont les principales sont sociales – accès à tous sans discrimination –, économiques – à un prix abordable voire gratuit – et territoriales, ne semble pas directement lié à ce texte.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cet article concerne les obligations des agents. Or, la mesure que vous proposez, à laquelle nous pouvons tous souscrire, concerne les lieux où s’exerce un service public. Elle trouverait davantage sa place dans un texte relatif aux lieux du service public plutôt que dans un article qui fixe les obligations des agents. Je vous invite à le retirer.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS170 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Lors de l’audition des différents courants philosophiques, il nous est apparu une différence de rédaction entre l’article 1er qui se réfère aux principes de neutralité et de laïcité et l’article 2 qui vise le seul principe de neutralité. Nous vous proposons, par cohérence, de conserver la seule référence au principe de neutralité.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Certes, le principe de laïcité est un élément du principe de neutralité mais il apparaît nécessaire de le mentionner expressément pour affermir la portée du principe de neutralité religieuse en raison de la multiplication des atteintes à ce principe dans les services publics, en particulier chez les délégataires de service public.

M. Xavier Breton. Ne serait-il pas préférable que les articles 1er et 2 se réfèrent aux mêmes principes, quitte à ce que nous ajoutions celui de laïcité à l’article 2 ? Je maintiens l’amendement mais je ne suis pas opposé à ce qu’on en modifie la rédaction d’ici à l’examen en séance publique.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Dans ce cas, il faudrait compléter l’article 2.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord.

M. Xavier Breton. Je vous laisserai faire.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1284 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Pour faire suite à une recommandation du Conseil d’État, il convient de préciser que les organismes prennent des mesures « afin d’assurer le respect des obligations et de pouvoir en identifier ou faire cesser tout manquement ».

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je ne pense pas que cet ajout soit utile. La nature des mesures pourra être précisée par décret. Ayons bien à l’esprit que toute précision portant sur l’exécution d’une mission tend à restreindre les possibilités de la personne à qui elle est confiée. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. Cet ajout tend à alourdir le texte et l’adoption de l’amendement nous contraindrait à modifier l’alinéa 2. Avis défavorable.

Mme Coralie Dubost. Cet amendement répond à une recommandation du Conseil d’État. Le nombre de structures assujetties à l’obligation de neutralité et de laïcité va augmenter considérablement, ce qui apportera un changement sensible dans l’organisation de notre société. M. le ministre peut-il nous donner la garantie qu’un décret viendra préciser la nature de ces mesures, qu’une campagne de sensibilisation ou qu’un guide explicatif seront conçus pour aider ces structures à respecter cette obligation, nouvelle pour elles ?

M. Guillaume Vuilletet. L’intention de l’amendement me paraît juste, mais je souhaiterais que Mme Rossi le retire afin que nous trouvions une nouvelle rédaction d’ici à la séance.

Mme Laurianne Rossi. Je conçois que l’adoption de cet amendement pourrait alourdir le texte, mais il me paraît nécessaire d’affirmer explicitement que les organismes doivent prendre des mesures pour identifier et faire cesser les manquements aux principes républicains. Sous réserve d’un engagement du ministre à apporter des précisions sur ces mesures, je retire cet amendement en vue d’en travailler la rédaction.

M. Gérald Darmanin, ministre. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas seulement d’appliquer la jurisprudence mais d’imposer de nouvelles règles à des dizaines de milliers de personnes. Nous accompagnerons ces structures, notamment au travers de formations et d’un guide explicatif. Enfin, le texte prévoit que les contrats en cours seront modifiés pour se conformer aux obligations dans les vingt‑quatre mois suivant la publication de la loi mais que les contrats dont le terme intervient dans les trente‑six mois suivant cette date ne seront pas concernés. Le décret prévoira un délai raisonnable avant que des sanctions ne soient imposées.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS403 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Le rappel des principes de laïcité et de neutralité auquel sont soumis ces organismes suffit en soi ; il ne paraît pas nécessaire de préciser que leurs salariés « s’abstiennent de manifester leurs opinions, notamment religieuses. »

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Le Conseil d’État a jugé que le principe de neutralité religieuse fait en particulier obstacle à ce que les agents disposent du droit de manifester leurs croyances religieuses. Il a ainsi précisé que « le fait pour un agent (…) de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ». Le principe de laïcité interdit ainsi le prosélytisme de la part d’un agent durant son service. Il convient de prévoir les moyens d’assurer la neutralité, en particulier religieuse, des personnes qui assurent une mission de service public. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous ne souhaitez donc pas, madame la députée, que l’on impose le principe de neutralité, notamment religieuse, aux agents concernés ? Si l’on adoptait votre amendement, on allégerait les obligations qui pèsent sur eux : je ne suis pas certain que ce soit, politiquement, votre intention. Avis défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je m’étonne que Mme Ménard considère qu’un agent, dans l’exercice d’une mission de service public, doive pouvoir exprimer sa croyance religieuse…

M. Xavier Breton. Le texte est bavard. Avec la première phrase – « Lorsque la loi ou le règlement confie directement l’exécution d’un service public à un organisme de droit public ou de droit privé, celui‑ci est tenu d’assurer l’égalité des usagers devant le service public et de veiller au respect des principes de laïcité et de neutralité du service public » – tout est dit ! Pourquoi préciser que les salariés s’abstiennent de manifester leurs opinions, notamment religieuses, et entrer dans le détail de la mise en application ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce texte n’est pas bavard ; il est le parallèle de l’article 25 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires qui précise que le fonctionnaire est tenu à l’obligation de neutralité, qu’il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité et qu’à ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses.

Il arrive que, sur une base consensuelle – le respect du principe de laïcité – on s’aperçoive que ses amis politiques sont animés par des courants contraires…

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1523 de Mme Coralie Dubost.

Mme Coralie Dubost. Nous proposons de préciser que l’obligation de respecter les principes de neutralité et de laïcité ne s’impose pas aux collaborateurs occasionnels du service public. Nous avons eu ce débat lors des auditions et dans nos circonscriptions, et des universitaires en droit public nous ont recommandé de clarifier la disposition afin que la jurisprudence n’interprète pas cette obligation de manière extensive.

Je pense notamment aux mères qui accompagnent les sorties scolaires, tantôt qualifiées par la jurisprudence d’ « usagers du service public », tantôt de « collaborateurs occasionnels de service public ». Ces variations dans l’interprétation sont source d’instabilité. Il s’agit d’éviter toute confusion, dans le contexte actuel et alors que le projet de loi respecte une logique qui permet que tous s’y retrouvent.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. En l’état de la jurisprudence, la catégorie de « collaborateurs occasionnels de service public » n’existe pas ; il serait paradoxal de la citer pour l’exclure du champ du texte. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mon argumentaire vaudra aussi pour les amendements visant à inclure les « collaborateurs occasionnels de service public » dans le champ du texte. Bien que tout le monde en parle, cette catégorie n’existe pas dans la loi ; cette notion a été créée par la jurisprudence dans le but d’indemniser les personnes victimes d’un accident lors d’une sortie scolaire, par exemple.

Le Conseil d’État a précisé que des restrictions à la liberté de manifester ses convictions religieuses pouvaient être prises « dans la mesure rendue nécessaire par le maintien de l’ordre public et le bon fonctionnement du service public ». Ainsi des directeurs d’établissements ont-ils pu interdire le port de vêtements, qu’ils jugeaient contraire à l’ordre public.

En tout état de cause, inclure ou exclure les « collaborateurs occasionnels de service public » dans le champ du texte supposerait de modifier la Constitution. Personne n’a jamais rien fait sur le plan législatif. La circulaire Chatel n’est qu’une circulaire et aucune majorité n’a depuis osé modifier la loi, d’abord parce que les parlementaires ont été nombreux à s’y opposer, ensuite parce que les textes n’ont pas passé le cap constitutionnel – alors qu’on savait pertinemment qu’il fallait modifier la Constitution.

Mme Coralie Dubost. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il n’existe pas de statut juridique. Ce qui pose problème, c’est que des tribunaux administratifs ont retenu la qualification, tout en considérant qu’elle était fonctionnelle, pour justifier des interdictions.

Je formulerai donc la question autrement : les personnes considérées d’un point de vue de protection fonctionnelle, et non statutaire, comme des « collaborateurs occasionnels de service public » sont-elles inclues ou exclues du champ du texte ? Plus précisément, les mères accompagnatrices de sortie scolaire seront-elles soumises à ces obligations ?

M. Boris Vallaud. Je comprends l’intention de Coralie Dubost, mais j’ai les mêmes réserves que le ministre et la rapporteure car je considère que les parents accompagnateurs ne participent pas au service public ; ils en sont des usagers. Nous risquerions d’introduire, entre l’agent et l’usager, une catégorie nouvelle infondée sur le plan juridique et jurisprudentiel, et qui doit demeurer fonctionnelle. Je crains que cette disposition, une fois adoptée, ne devienne réversible alors que l’interprétation de la loi, telle qu’elle existe aujourd’hui, protège les parents accompagnateurs – durablement, je l’espère.

M. Charles de Courson. On anticipe sur les amendements suivants et sur la catégorie juridique de « collaborateur bénévole ». Celle-ci n’inclut pas seulement les accompagnateurs de sortie scolaire mais aussi les personnes à qui il peut être fait appel en cas d’incendie ou d’accident, par exemple.

M. Alexis Corbière. Le Conseil d’État, dans l’étude qu’il a réalisée en 2013 à la demande du Défenseur des droits, considère que les accompagnateurs de sortie scolaire sont des usagers du service public. Bien que je comprenne son intention, je mets en garde Coralie Dubost contre la création d’un statut hybride, que d’aucuns voudront soumettre aux exigences de neutralité.

De manière générale, je suis inquiet de voir les services publics faire de plus en plus appel à des personnes qui n’ont pas le statut de fonctionnaire mais auxquelles nous voulons imposer les mêmes exigences. Les organisations syndicales que nous avons auditionnées redoutent que ces nouvelles dispositions ne soient la porte ouverte à un service public assuré indifféremment par des fonctionnaires et des salariés de statut privé.

S’il faut accompagner les sorties scolaires, embauchons des personnes, donnons-leur un statut et rémunérons-les de manière raisonnable ; ou alors, faisons appel aux parents, qui demeureront des usagers du service public. Mais ne fabriquons pas des entre-deux !

M. Guillaume Vuilletet. Pour ceux qui pouvaient encore en douter, cet amendement et le suivant sont la démonstration criante qu’il existe des débats au sein de LaREM ! Par souci d’équilibre, j’appellerai à voter contre les deux.

S’agissant de la question des parents accompagnateurs, je suis d’accord avec la rapporteure : il faut en rester là.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement est le fruit d’une stratégie défensive et d’anticipation. Il suscite des fusions et des effusions, puisque Boris Vallaud et Alexis Corbière rejoignent le ministre de l’intérieur – cela sera noté au compte rendu ! (Sourires.)

La notion de « collaborateur occasionnel de service public » n’existe pas en droit. Je le dis à Coralie Dubost : on ne peut pas écarter une notion qui n’a pas de valeur juridique.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS376 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Je présenterai également l’amendement CS377, puisque tous deux suppriment les mots « lorsqu’ils participent à l’exécution du service public », respectivement aux alinéas 1 et 4.

L’obligation de neutralité et de laïcité s’impose aux personnes qui travaillent pour le compte d’un organisme de droit privé lorsqu’elles sont chargées d’une mission de service public, mais pas lorsque leur mission est éloignée du service public – c’est le cas des agents d’entretien ou les personnes chargées de fonctions « support ». Ces amendements visent à soumettre aux exigences de neutralité et de laïcité toutes les personnes qui participent, même indirectement, au service public.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre proposition me semble contraire au droit du travail, qui respecte le principe de la liberté de conscience. Comme l’a relevé la Cour de cassation, dans son arrêt Baby Loup de 1994, « il résulte de la combinaison des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ».

Depuis la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, « le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise, et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Dans ces conditions, il n’est pas justifié d’étendre l’application du principe de neutralité à tous les salariés d’une entreprise. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1131 de Mme Marietta Karamanli et CS292 de M. Xavier Breton.

M. Boris Vallaud. La neutralité ne se limite pas aux opinions religieuses ; cet amendement vise à préciser qu’elle s’applique aussi aux opinions politiques et philosophiques.

M. Xavier Breton. Les salariés et les personnes sur lesquelles le service public exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, lorsqu’ils participent à l’exécution du service public, doivent s’abstenir de manifester leurs opinions, notamment religieuses. Il vous est proposé d’ajouter « politiques », afin que les religions ne se sentent pas seules visées. En outre, il s’agit de lutter contre l’islamisme politique, qui n’est pas la manifestation d’opinions religieuses, mais politiques. Les expressions politiques doivent être neutres. Contrairement aux collègues du groupe socialiste, je n’ai pas ajouté « philosophiques » car cela me semble plus complexe à définir.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je partage votre analyse, monsieur Breton, et partiellement celle de M. Vallaud. Il faut inclure les opinions politiques, mais pas philosophiques.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis du même avis. Nous avons précisé « notamment religieuses » par parallélisme avec la Déclaration des droits de l’homme. Il s’agissait de souligner que la religion n’est pas qu’une opinion, mais qu’elle est centrale dans le concept de laïcité. Mais M. Breton a raison, l’islamisme n’est pas l’islam. C’est une idéologie, voire une action politique. Il faut donc savoir la définir. À l’inverse, je ne suis pas favorable à l’inclusion des opinions philosophiques, trop difficiles à cerner – nous pourrons éventuellement y revenir en séance.

Enfin, il faudrait sans doute supprimer « notamment ».

M. le président François de Rugy. Nous pouvons rectifier l’amendement avant de le mettre aux voix.

M. Charles de Courson. Je partage l’opinion du ministre. Le terme « notamment » est à proscrire. La formulation de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – même religieuse – ne me paraît pas adaptée au contexte. Il nous reste deux solutions : supprimer les mots « notamment religieuses », pour exclure toute discrimination, ou préciser qu’il s’agit des opinions politiques et religieuses, au risque d’oublier d’autres types d’opinions.

M. Alexis Corbière. Il est arrivé que des services publics se fassent le support d’opinions, en défendant notamment, au travers des caricatures, la liberté d’expression. Nous ne sommes pas là dans le champ du politique, au sens partisan du terme. Pour éviter un texte bancal sur le plan juridique, je supprimerais la précision « notamment religieuses ».

M. Boris Vallaud. En effet, cela suffirait à qualifier l’exigence de neutralité. Je retire mon amendement.

L’amendement CS1131 est retiré.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je me range à cet argument. Il faudra, en conséquence, modifier le statut général de la fonction publique car le législateur de 2016, qui n’a peut-être pas eu ce débat, a écrit : « [Le fonctionnaire] exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. »

Mme Annie Genevard. Je suis opposée à cette suppression car viser l’expression de toute opinion, quelle qu’elle soit, ne voudrait plus rien dire ! N’ayons pas peur de notre ombre : c’est lorsqu’une personne chargée d’une mission de service public livre des considérations d’ordre religieux ou politique que la situation peut déraper.

M. le président François de Rugy. Une solution consisterait à rédiger ainsi l’amendement CS292 : « À la seconde phrase de l’alinéa 1, substituer au mot : « notamment » les mots : « politiques et ». »

Mme Émilie Chalas. Ce que l’on attend du fonctionnaire, dans ses fonctions mêmes, c’est qu’il donne son opinion, qu’il ait un avis. Viser toutes les opinions n’aurait aucun sens. Il faut assumer que l’enjeu réside dans les opinions politiques et religieuses.

Mme Coralie Dubost. Il me semblait que le texte, en mentionnant les opinions, faisait référence au bloc de constitutionnalité et au sens que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et la jurisprudence ont donné à la liberté d’opinion. Dans ce cas, il est suffisamment précis : l’ajout de « notamment politiques et religieuses » ne serait qu’une précision supplémentaire. Dans le cas contraire, il faudrait une clarification.

M. le président François de Rugy. Monsieur Breton, souhaitez-vous rectifier votre amendement ?

M. Xavier Breton. Cela permet de répondre à l’ensemble des questions soulevées.

M. Charles de Courson. Il faudrait cependant substituer au mot « et » le mot « ou ».

M. le président François de Rugy. Je soumets donc la rédaction suivante : « À la seconde phrase de l’alinéa 1, substituer au mot : « notamment » les mots : « politiques ou ».

M. Xavier Breton. Je pense que, d’un point de vue légistique, « et » est plus juste. Mais restons sur la proposition du président pour faire consensus. Nous pourrons en reparler en séance.

La commission adopte l’amendement CS292 rectifié.

Suivant l’avis de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement de précision CS404 de Mme Emmanuelle Ménard.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS1306 de Mme Laurianne Rossi et CS661 de M. Charles de Courson.

Mme Laurianne Rossi. Cet amendement concerne le service public de transport. L’article auquel il se rattache ne concerne pas les services ferroviaires librement organisés, comme ceux des grandes lignes TGV de la SNCF. C’est ce qu’indique la page 37 de l’étude d’impact. Pourtant, depuis la loi d’orientation des transports intérieurs, dite LOTI, du 20 décembre 1982, le code des transports précise que le système de transport ferroviaire de notre pays et tous les opérateurs publics historiques concourent au service public ferroviaire.

C’est pourquoi, afin de lever l’ambiguïté juridique, mon amendement précise qu’en complément des services gérés par une autorité organisatrice de transport, les services ferroviaires librement organisés concourent également au service public.

M. Charles de Courson. Quelle est la position du ministre sur les services mixtes de transport ? Ainsi, SNCF Voyageurs est une entreprise privée, société anonyme, qui gère deux services publics – les transports express régionaux (TER) avec les régions et les trains d’équilibre du territoire (TET) avec l’État –, le reste de son activité étant privé.

Or le personnel n’est pas affecté à une activité mais peut passer d’un service public à une activité privée. Comment appliquer la loi dans ce cas ? Mme Rossi propose que tout bascule – je caricature : s’il est adopté, les activités hors TER et TET seront soumises aux mêmes règles que le service public. C’est une révolution… Il suffirait que l’entreprise réalise un infime pourcentage de son activité pour le service public pour qu’elle soit soumise aux mêmes règles que ce dernier. Vous comprendrez que je pose la question.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Nous avons déjà eu ce débat lors de l’examen des amendements de nos collègues Genevard, Larrivé et Chouat. Quel est le champ d’application de l’alinéa 1 de l’article 1er ? Il n’est pas encore totalement clarifié, mais il est difficilement imaginable qu’en prenant un TGV, on ne soit pas dans la même situation qu’en prenant un train d’équilibre du territoire. Si nous avions adopté les amendements susvisés, l’amendement de Mme Rossi aurait été satisfait. Puisque ce n’est pas le cas, je suis favorable à l’amendement CS1306.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis également favorable à l’amendement de Mme Rossi, en attendant mieux, si elle me le permet. Par qualification de la loi, nous allons étendre les obligations du service public, notamment en termes de neutralité, à des personnels qui ne relèvent pas du service public en France, comme ceux des TGV, et alors que la jurisprudence estime à l’inverse que les personnels des remontées mécaniques relèvent du service public. Peut-être le Conseil constitutionnel considérera-t-il que c’est disproportionné, de telles dispositions ne relevant pas de la loi, mais du règlement intérieur de la société par exemple.

Nous avons déjà réfléchi avec le ministère des transports et allons continuer à le faire d’ici à la séance publique pour éviter la censure constitutionnelle. Il s’agit d’une brèche juridique originale, et intéressante parce qu’elle est originale. Je précise que, quelle que soit la rédaction, les lignes internationales, comme le Thalys ou l’Eurostar, ne seront pas concernées.

Monsieur de Courson, votre amendement, à l’inverse, ne qualifie pas ce qu’est un service public pour lui appliquer le principe de neutralité.

M. Charles de Courson. Il faut être attentif aux conséquences de l’adoption d’un tel amendement. Alors que les activités de service public, liées aux TER et aux TET, représentent une part minoritaire du chiffre d’affaires de SNCF Voyageurs – 25 à 30 % probablement –, l’entreprise basculerait intégralement dans le service public. C’est votre conception des choses, chère collègue, mais réfléchissons aux répercussions.

Ainsi, prenez la RATP : c’est un service public, mais elle gère aussi d’autres activités, de location de bus privés avec chauffeur par exemple. Il ne faudrait pas mettre le doigt dans un engrenage que nous ne maîtriserions pas.

M. Frédéric Petit. Je ne vois pas le problème, monsieur de Courson. Il ne s’agit pas de transformer ces entreprises en services publics, mais de leur appliquer les dispositions prévues à l’article 1er.

Mme Laurianne Rossi. Monsieur de Courson, mon amendement est de précision et je n’exprime pas une position personnelle, mais les termes d’un débat autour du périmètre du service public ferroviaire. Nous en avons déjà discuté à l’occasion de l’examen de l’amendement de notre collègue Francis Chouat. Le code des transports dispose que le service ferroviaire de voyageurs concourt au service public. Vous pouvez ne pas être d’accord et, sans doute, la jurisprudence a-t-elle été différente par le passé. Mais mon amendement est nécessaire et n’emporte pas les conséquences que vous les évoquez.

M. Charles de Courson. Ma chère collègue, la SNCF n’est pas seule à exploiter le réseau SNCF. Des entreprises privées achètent des sillons à SNCF Réseau. Sont-elles pour autant un service public ? Pas du tout !

M. le président François de Rugy. Ne nous égarons pas. Il ne s’agit pas ici de définir les services publics, mais le périmètre d’application des dispositions de l’article 1er.

M. Gérald Darmanin, ministre. On s’égare, et pas seulement de la gare de l’Est, monsieur de Courson !

En l’occurrence, l’amendement de Mme Rossi ne définit pas ce qu’est un service public. Il dispose que les TGV, par exemple, participent à une mission de service public. Par cohérence, je rappelle que les entreprises de transport que vous avez auditionnées et que j’ai rencontrées le demandent.

En outre, les réseaux de transport et la SNCF ne sont pas totalement privatisés – en tout cas, le bénéfice capitalistique de la SNCF ne m’a pas sauté aux yeux quand j’étais ministre des comptes publics et cela ne vous sautera sans doute pas aux yeux quand vous devrez abonder son budget du fait des difficultés actuelles…

Enfin, même si elles sont privées, les entreprises qui vont utiliser les sillons de SNCF Réseau le feront par délégation de service public, tout comme une entreprise peut être délégataire d’une piscine municipale.

Je suis favorable à cet amendement très clair et nous veillerons, le cas échéant, à faire des propositions pour la séance publique afin d’éviter la censure du Conseil constitutionnel.

M. Boris Vallaud. En l’état actuel de la rédaction du projet de loi, cela signifie-t-il que les entreprises aériennes bénéficiant d’une obligation de service public (OSP) sur la ligne Paris-Tarbes seront assujetties à l’obligation de neutralité, ce qui ne sera pas le cas sur Paris‑Pau ?

La commission adopte l’amendement CS1306.

En conséquence, l’amendement CS661 tombe.

La commission examine ensuite l’amendement CS1305 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Il s’agit d’intégrer les ordres professionnels dans le périmètre de l’article 1er, notamment l’ordre des médecins.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. C’est satisfait : la jurisprudence du Conseil d’État considère que les ordres professionnels exercent une mission de service public. Ils sont donc assujettis aux principes de neutralité et de laïcité. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS657 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Cet amendement soulève une question toute bête : quelle est la sanction du non-respect du principe de neutralité par l’organisme chargé d’exécuter une mission de service public ? Si rien n’est prévu, la loi n’est que déclarative. Je propose, sans être méchant, qu’on puisse lui retirer cette mission.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Ce n’est pas raisonnable ! Imagine-t-on que l’on retire leur mission aux caisses d’allocations familiales, aux missions locales, aux offices publics de l’habitat ? Il me semble que tout cela sera prévu par décret.

M. Gérald Darmanin, ministre. Oui, pour les organismes chargés directement de la mission de service public. Selon le dernier alinéa du I de l’article 1er, « Les dispositions réglementaires applicables à ces organismes précisent, le cas échéant, les modalités de contrôle et de sanction des obligations mentionnées au présent I. » Pour les structures de type Caisse primaire d’assurance maladie ou organisme HLM par exemple, ce seraient des sanctions financières. Pour les contrats de la commande publique du II, « Les clauses du contrat rappellent ces obligations et précisent les modalités de contrôle et de sanction du cocontractant lorsque celuici n’a pas pris les mesures adaptées pour les mettre en œuvre et faire cesser les manquements constatés. » On peut imaginer des sanctions financières après mise en demeure, puis des mesures pouvant aller jusqu’à la fin du contrat en cas de manquements répétés.

M. Charles de Courson. Mais les sanctions relèvent-elles du décret, ou du contrat ? Il me semble vraiment que non, et qu’il y a là un vrai problème. Étant donné la gravité de certaines sanctions, je pense qu’elles doivent relever de la loi. Restons prudents.

M. Gérald Darmanin, ministre. Les deux alinéas que j’ai cités montrent que la loi prévoit bien des sanctions. Les collectivités locales devront en faire des critères de leurs appels d’offres et les intégrer dans leurs contrats, au même titre que toutes les autres sanctions prévues, dans tous les domaines. C’est le principe même du contrat.

Mme Émilie Chalas. Le contrat de délégation de service public qui lie la collectivité commanditaire et le prestataire de service public contient des clauses de sanction dans plusieurs domaines, comme celui des retards de livraison. Et s’agissant des personnes, il me semble qu’il y a une piste dans le mécanisme même de la délégation de service public : une association chargée du temps périscolaire par exemple a son propre règlement, qui prévoit des sanctions. Si quelque chose ne convient pas à la collectivité, elles peuvent en reparler dans le cadre de leur contrat, mais le règlement intérieur du prestataire est l’outil d’action.

Mme Cécile Untermaier. Sur le II, il n’y a pas de difficulté puisque le projet de loi précise bien que les clauses du contrat rappellent les obligations en matière d’égalité, de laïcité et de neutralité. En revanche, s’agissant du I, je rejoins Charles de Courson : hors du cadre contractuel, c’est la loi qui doit définir les sanctions et obligations applicables. Il faut avancer sur cette question.

M. François Pupponi. Il y a effectivement un vrai problème s’agissant du I, puisque le troisième alinéa prévoit que « Les dispositions réglementaires applicables à ces organismes précisent, le cas échéant, les modalités de contrôle et de sanction des obligations mentionnées au présent I. » Ce « le cas échéant » rend la sanction hypothétique, ce qui n’est pas acceptable. Si ces dispositions sont du niveau réglementaire, ce que je ne crois pas, il faut enlever « le cas échéant ». Si elles sont du niveau législatif, il faut les inscrire dans le texte.

M. Éric Ciotti. Je soutiens cet amendement, qui pose une question essentielle. Oui, quand la loi sera votée, des dispositifs de sanction, de révocation, de rupture du contrat pourront être intégrés au contrat lors de son renouvellement, mais qu’en est-il du principe de neutralité pour les contrats de délégation de service public en cours ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Si vous souhaitez que ce soit la loi qui définisse les sanctions, soit. Il me semble que d’ordinaire, c’est traité par le règlement, et qu’il convient d’éviter de rendre la loi trop rigide, mais je ne me battrai pas sur ce point.

Pour ce qui est des contrats en cours, tout est déjà écrit : « Les contrats pour lesquels une consultation ou un avis de publicité est en cours à la date de publication de la présente loi et les contrats en cours à cette même date sont modifiés, en tant que de besoin, pour se conformer aux obligations mentionnées au troisième alinéa du II dans les vingtquatre mois suivant cette date ». Il suffira de faire un avenant. Toutefois, il est aussi précisé que « cette obligation de mise en conformité ne s’applique pas à ceux de ces contrats dont le terme intervient dans les trente-six mois suivant la date de publication de la présente loi. » Nous pensions à un délai moins long, mais le Conseil d’État nous a dit que ces trente-six mois étaient nécessaires pour ne pas compromettre l’équilibre du contrat. Dans ces cas donc, les obligations seront introduites dans le contrat suivant.

M. Charles de Courson. Cet amendement n’avait pour but que de faire réfléchir, mais je pense qu’il faut modifier cet alinéa, monsieur le ministre : il ne tourne pas, comme on dit à la commission des finances.

L’amendement est retiré.

La commission en vient aux amendements CS659 et CS660 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. J’ai été un peu choqué de lire dans l’avis du Conseil d’État que le principe de neutralité et un principe général qui s’applique à tous les services publics, mais pas à tous les organismes chargés d’une mission de service public. Le Conseil exclut essentiellement l’enseignement privé, sous et hors contrat, et les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC), ainsi que les prisons, je n’ai pas bien compris pourquoi.

L’article 1er inquiète. Il n’est pas compatible avec le caractère propre des établissements hospitaliers ou des établissements d’enseignement participant au service public. Je pense qu’il est préférable de dire dans la loi qu’il ne leur est pas applicable, plutôt que de le laisser déduire d’un avis du Conseil d’État.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. En l’état actuel de l’article 1er, dont le champ d’application n’a pas été amendé pour l’instant, je ne crois pas que ce soit nécessaire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Conseil d’État précise bien que ni les ESPIC, ni les écoles confessionnelles, sous ou hors contrat, ne sont concernés par l’article 1er. On peut le déduire aussi du fait que les écoles et les ESPIC ne font partie ni I, ni II de l’article : ­ils ne sont ni un contrat, ni une délégation pure de service public, puisqu’il faut les agréer. Ils n’entrent donc pas, par définition, dans le champ de la loi. On peut le préciser, je ne sais pas si cela emporte des conséquences, mais à coup sûr ils ne sont pas concernés.

M. Charles de Courson. Les établissements d’enseignement privés, sous contrat ou non, participent au service public de l’enseignement. En droit, ils font donc partie du champ du I de l’article 1er. Le Conseil d’État dit que, comme c’est une loi qui leur a confié cette mission et qu’elle n’est pas visée par l’article 1er, ces établissements sont bien entendu exclus de son champ d’application, et les ESPIC aussi. Moi, je voudrais un engagement très clair du Gouvernement en ce sens. Il faut le dire explicitement, pas implicitement. Le Conseil d’État n’est que le Conseil d’État, c’est tout de même nous qui faisons la loi !

Mme Annie Genevard. Je partage cet avis. Certes, le Conseil d’État précise que les établissements d’enseignement privés ne sont pas concernés par les dispositions de l’article 1er, mais il recommande aussi « d’améliorer et de préciser l’étude d’impact pour qu’elle explique plus concrètement ce champ d’application. » Le doute est permis, puisque ces établissements font partie du service public de l’enseignement ! Nous avions déjà eu ce débat à propos des articles de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt qui concernaient l’enseignement agricole, qui est essentiellement privé mais qui relève du service public de l’enseignement. Il y a une ambiguïté qu’il faut lever.

M. Francis Chouat. Personne ne dit que les établissements d’enseignement privés ne participent pas au service public ! En revanche, le code de l’éducation précise bien qu’ils ne sont pas soumis aux obligations de neutralité et de laïcité. Je pense donc que ces amendements sont superfétatoires.

M. François Pupponi. C’est ce que dit le code de l’éducation, certes, mais la loi dira aussi, si le présent texte est voté, que ces obligations s’appliquent aux organismes de droit privé chargés de l’exécution d’un service public, ce qui est exactement le cas des écoles de droit privé. Ces deux articles se télescopent, il faut vérifier assez vite et lever l’ambiguïté.

M. Alexis Corbière. Voilà un paradoxe qui va peut-être traverser tous nos débats. Pour certains de nos collègues, il faut tout faire pour réaffirmer les principes de la République, s’assurer de la neutralité des agents qui exécutent des missions de service public, défendre la jeunesse de toute emprise religieuse… mais surtout sans toucher aux établissements d’enseignement privé. Bref, vous êtes en train d’élaborer les conditions pour que des établissements qui accueillent 20 % de notre jeunesse puissent continuer à se passer de la neutralité. Ces exigences à géométrie variable n’aident pas à une claire compréhension de ce qu’est la laïcité. Je suis contre cet amendement, mais chacun devrait méditer la question. Franchement, vous voulez aller vérifier la neutralité partout, mais vous ne voyez aucun problème à ce que plus de 10 milliards d’euros d’argent public soient consacrés à des écoles qui autorisent la manifestation de signes d’appartenance religieuse, sans compter le scandale des documents pédagogiques homophobes qui a touché des établissements du côté de Bordeaux par exemple ! Il y a là un problème de fond qui est incompréhensible pour beaucoup de nos concitoyens et que je trouve préoccupant.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Peut-être ai-je été un peu elliptique, pour aller plus vite, et je vais développer. Selon l’article L. 442-1 du code de l’éducation, « l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’État. L’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner cet enseignement dans le respect total de la liberté de conscience. Tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances, y ont accès. » En l’état, la rédaction de l’article 1er exclut les cas où la délégation de service public est confiée par un contrat, à l’exception de ceux relevant de la commande publique. Les établissements confessionnels sont donc exclus par nature : cela résulte du texte, pas de l’avis du Conseil d’État. Je maintiens mon avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, nous avons complété l’étude d’impact, comme l’avait demandé le Conseil d’État. Il est très clairement expliqué aux pages 33 et 34 que « Les établissements d’enseignement privé sous contrat sont également écartés de ce dispositif, en ce qu’ils ne ressortissent pas d’une catégorie homogène qui est automatiquement associée au service public. »

Monsieur Corbière, je ne vois pas d’incohérence. La grande différence entre les écoles sous contrat ou les ESPIC et les autres services publics, c’est que l’usager a le choix. Quand on veut aller à la mairie, il n’y en a qu’une, et la neutralité doit y être assurée. Mais parfois, par exemple pour l’enseignement confessionnel, on peut choisir en toute connaissance de cause un établissement différent, régi bien sûr par la loi. On peut donc vouloir la neutralité dans le service public et ne pas vouloir l’imposer dans les établissements privés confessionnels ou dans les ESPIC, puisque l’usager a le choix.

Mme Annie Genevard. Cette question fait débat depuis la loi Debré de 1959. Les dispositions que nous votons aujourd’hui peuvent soit éteindre, ou apaiser, le débat, soit le relancer. Je crois donc très important de clarifier les choses.

La loi Debré a consacré des exceptions à la loi de 1905, permettant à l’État de financer, par le biais de contrats d’association ou contrats simples, des établissements à vocation d’enseignement. Pourquoi l’étude d’impact, dont vous me dites qu’elle a été complétée, monsieur le ministre, donne-t-elle comme exemple certains hôpitaux ou certaines prisons, mais ne cite-t-elle pas les établissements d’enseignement privés ?

M. Charles de Courson. Même si cela apparaît dans l’étude d’impact, je déposerai un amendement en séance publique pour que le Gouvernement puisse dire clairement les choses.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1525 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Cet amendement est de cohérence.

L’obligation de neutralité s’applique aux agents de service public. La loi de 2004 l’a étendue aux élèves, à qui le port d’insignes religieux ostentatoires a été interdit, et elle s’applique sans problème. L’article 1er l’étend aux salariés des organismes de droit public et de droit privé délégataires d’une mission de service public. Je pense que nous y sommes tous favorables, mais il faudrait aller au bout de cette logique en demandant que l’État soit tout aussi exigeant à l’égard des administrations, où l’obligation de neutralité doit s’appliquer à tous ceux qui concourent à l’exécution d’une mission de service public, y compris les collaborateurs occasionnels. Peu importe leurs statuts puisque le critère qui prévaut est celui de la nature de la mission qui, en l’occurrence, peut être celle d’un juré dans une cour d’assise, d’un réserviste de la gendarmerie ou d’un accompagnateur de sortie scolaire, où l’acte éducatif se poursuit « hors les murs ». Tous les usagers du service public doivent avoir le droit de bénéficier de cette neutralité.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je vous ferai part une fois encore d’une analyse personnelle.

Selon l’étude réalisée en 2013 par le Conseil d’État à la demande du Défenseur des droits, la loi et la jurisprudence ne reconnaissent pas, entre l’agent public et l’usager, cette fameuse catégorie des « collaborateurs » occasionnels ou des participants qui pourrait être, en tant que telle, soumise à l’exigence de neutralité religieuse. Elle n’en existe certes pas moins mais, à mon sens, il ne faut pas se focaliser sur les accompagnatrices de sorties scolaires : y entrent également les participants à de très nombreuses commissions, les juges non professionnels, les jurés, les assesseurs de tribunaux pour enfants, les juges consulaires, les conseillers prudhommaux et les experts. Pour eux, des dispositions particulières existent, dont il est possible de tirer une obligation de neutralité qui, je le répète, n’est pas en tant que telle en vigueur.

À titre personnel, je considère toutefois qu’il importe de ne pas laisser d’angles morts et de corriger les conclusions de cette étude sur ce point. Cet amendement, comme d’autres à venir, permet de le faire au sein de l’article 1er qui, dans la lecture que j’en fais, l’autorise puisqu’il vise les « salariés ou les personnes sur lesquelles [l’organisme] exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction » même si, il est vrai, ces derniers s’appliquent – mais pas uniquement ? – à une relation de travail salarié : prêts de main-d’œuvre, intérimaires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Selon moi, cet amendement doit être repoussé pour trois raisons.

Juridique, tout d’abord : l’interdiction de toute expression d’une conviction religieuse par des mères de famille qui accompagnent les enfants lors des sorties scolaires supposerait une modification de la Constitution. Si nous procédions ainsi dans le cadre d’une loi ordinaire, certains se feraient peut-être plaisir mais nous serions censurés par le Conseil constitutionnel.

Ensuite, veut-on étendre le principe de la neutralité religieuse au-delà des personnes qui ont un contrat, qui sont rémunérées ou qui reçoivent un avantage de la part du service public ? La question ne manque pas d’intérêt, mais elle bouscule la notion de laïcité, qui repose à la fois sur la neutralité du service public, l’acceptation de la pluralité religieuse et la liberté de culte. Or, on doit pouvoir exprimer ses opinions, même religieuses, et pas seulement en paroles. De ce point de vue, interdire à ces personnes l’expression d’une conviction religieuse impliquerait de surcroît de l’interdire aux usagers du service public, ce qui est loin d’être un détail.

Enfin, si l’interdiction du port de signes religieux ou de vêtements ostensibles comme le voile est très largement justifiée à l’école – ou, sur la voie publique, le voile intégral, pour des raisons d’ordre public et pas de laïcité – c’est, comme l’ont souligné le Conseil constitutionnel, le législateur dans ses débats de 2004, M. Baroin dans son rapport, le Défenseur des droits de l’époque M. Dominique Baudis, et le Conseil d’État, parce que cela concerne des mineurs. Aujourd’hui, vous allez légiférer pour des personnes qui ne sont plus en construction et ont besoin de repères neutres, mais des adultes qui font un choix d’expression religieuse. Sans sous-estimer le problème, je ne considère pas que toutes les personnes voilées manifestent leur opposition à la République, ce qui relèverait de la caricature : je rappelle que la mère du militaire tué par Mohammed Merah porte le voile et qu’elle a été très récemment promue dans l’ordre de la Légion d’honneur par le Président de la République. Ni le Gouvernement ni moi‑même ne sommes favorables à la neutralisation religieuse complète de l’espace public.

La liberté s’arrête au respect de l’ordre public. Dans les cas qui nous préoccupent, est‑il troublé ? Selon le Conseil d’État, non, et si tel devait être le cas, la jurisprudence permettrait aux chefs d’établissement d’interdire les vêtements ostensibles.

M. François Cormier-Bouligeon. Je crains que l’argument du ministre sur la constitutionnalité soit à double détente : si un problème devait se poser pour les collaborateurs occasionnels, il se posera peut-être également pour la première catégorie visée par l’article 1er.

Nous devons absolument prendre garde au niveau auquel nous situons le débat : nous légiférons sur les principes et pas sur telle ou telle catégorie. La loi de 2004 a été présentée à tort comme une loi contre le voile, notamment à la une du Monde, alors qu’elle prohibe tous les signes religieux, quels qu’ils soient.

S’agissant des collaborateurs occasionnels du service public, sont visés autant la kippa du père de famille, la casquette « Avec Macron » de la grand-mère, le T-shirt « Ni Dieu ni maître » de l’oncle que le voile de la mère de famille. Si nous tombons dans le piège d’une catégorisation, nous stigmatisons une partie de la population alors même que nous voulons la protéger.

Enfin, dans le cas des accompagnateurs de sorties scolaires, l’usager du service public est à l’évidence mineur, les accompagnateurs concourant à l’exécution d’une mission de service public. Nous proposerons d’ailleurs par voie d’amendement une définition de cette catégorie de collaborateurs occasionnels du service public, qui n’en sont en aucun cas les usagers.

La loi de 2004, d’une certaine façon, a protégé les élèves contre eux-mêmes. Je propose ici d’étendre l’obligation de neutralité aux collaborateurs occasionnels afin de protéger les élèves, qui sont en pleine construction de soi.

Mme Annie Genevard. Un éminent constitutionnaliste, secrétaire général du Conseil constitutionnel pendant près de dix ans, me disait que le législateur intériorise un peu trop le risque constitutionnel : un texte comporte toujours des dispositions qui seront jugées inconstitutionnelles, or, plus il est audacieux et innovant, moins les censures seront nombreuses.

Lutter contre le séparatisme, c’est combattre tout ce qui menace l’unité du peuple français. Ne pensez-vous pas que cela mérite de courir le risque de l’inconstitutionnalité et, en cas de succès, d’atteindre ainsi le but que nous nous sommes fixés ?

M. Sacha Houlié. Nous ne parlons pas de « catégories » mais d’un régime de responsabilité défini par la jurisprudence administrative. Il n’est donc pas possible de se fonder sur les « collaborateurs » occasionnels ou non pour définir de nouvelles obligations.

De plus, la loi de 1905 est d’inspiration libérale, or, un régime qui interdirait le port de tout signe distinctif à qui concourrait au service public me paraîtrait contradictoire avec son esprit.

J’ajoute que les personnes qui participent à l’exercice d’un service public en tant qu’accompagnateurs dans une sortie scolaire ou en participant à des activités culturelles ou sportives sont précisément les meilleurs élèves de la République. Les en empêcher serait totalement contre-productif pour un texte qui vise, précisément, à lutter contre les séparatismes, et renverrait ces derniers à leur identité en favorisant ainsi le repli communautaire.

Enfin, heureusement que nous envisageons la possibilité d’une inconstitutionnalité ! Si tel n’était pas le cas, d’aucuns se feraient sans doute plaisir mais la loi serait censurée et nous serions tous accusés d’incompétence et d’amateurisme !

M. Frédéric Petit. Nous parlons beaucoup des accompagnatrices scolaires mais je prendrai l’exemple de personnes qui se lèvent le dimanche à six heures du matin pour accompagner en voiture des enfants qui jouent au football : faut-il qu’ils enlèvent le Saint‑Christophe de leur véhicule ? Si, dans le domaine sportif, la neutralité s’appliquera à l’entraîneur, je ne pense pas que ce sera le cas pour les parents accompagnateurs.

La notion de contrat permet de faire une distinction entre un entraîneur, même bénévole, qui relève de l’autorité de l’« organisme » dont il dépend, et une personne qui se propose simplement de donner un coup de main et, ainsi, contribue au vivre-ensemble républicain.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce débat est important et ne doit pas être caricaturé en opposant d’immondes sectaires visant spécifiquement telle ou telle religion et des laxistes qui n’oseraient pas légiférer.

La laïcité suppose la neutralité du service public et la liberté de conscience. Toute la question est de savoir où l’on place le curseur : soit on considère que les accompagnatrices participent directement à une mission de service public et la neutralité doit leur être imposée, soit on considère que tel n’est pas le cas et que, comme tout un chacun, elles ont le droit d’exprimer des convictions, « même religieuses ».

La République n’a jamais jugé que les religions étaient incompatibles avec elle : bail emphytéotique administratif cultuel, déductions fiscales, écoles sous contrat et, parfois, constructions de lieux de cultes avec des deniers publics. Doit-on élargir le champ de la neutralité, quitte à limiter la pluralité religieuse ? Au point où nous en sommes, ne risque-t-on pas d’interdire au Grand-rabbin d’accompagner ses enfants lors d’une sortie scolaire s’ils sont dans une école publique, à moins qu’il ne retire sa kippa ? Même chose, mutatis mutandis, pour une tante qui serait religieuse et qui accompagnerait son neveu. Le dispositif qui est proposé n’exclut pas les ministres du culte et les religieux !

J’ai tiré de mon expérience de maire qu’autant il fallait être extrêmement dur dans la lutte contre le communautarisme et le séparatisme islamiste, qui passe notamment par le champ associatif et certains comportements, autant je ne suis pas certain que la première attaque séparatiste soit le fait de la maman accompagnant de façon occasionnelle et bénévole une sortie scolaire en portant un vêtement rappelant sa religion, surtout lorsque l’enfant est scolarisé dans une école publique. Lorsqu’on veut lutter contre la non-mixité, il faut savoir distinguer ce qui relève de la provocation. Mais porter un vêtement rappelant sa religion dans le cadre d’une sortie scolaire ne me semble pas être un acte séparatiste. Je respecte cependant ceux qui peuvent le penser. Une telle disposition obligerait une femme ou un homme religieux par vocation ou du fait de son métier à se dépouiller de son expression religieuse pour accompagner, dans une école publique, une sortie scolaire. Je ne suis pas certain que cela ferait avancer les choses.

Je le répète : notre sujet, c’est l’ordre public, la pluralité et la neutralité. Si celle-ci doit s’imposer à ceux qui sont payés par le service public et qui y concourent directement, il doit en aller différemment pour ceux qui ne le sont pas et qui ne lui sont pas liés par un contrat.

M. Guillaume Vuilletet. La position exprimée par le ministre formera le cadre de la position du groupe La République en marche.

Je reviens sur la notion d’ordre public, sur la base duquel le voile intégral a été interdit par la loi. Dès qu’un problème qui en relève se pose, l’école peut toujours intervenir pour le rétablir.

Nous souhaitons permettre à des usagers d’accompagner une sortie scolaire. Je ne suis pas d’accord avec l’idée selon laquelle la loi de 2004 protégerait les élèves contre eux-mêmes : elle définit l’école comme un lieu d’apprentissage de la citoyenneté et de ses valeurs qui nécessite une neutralité, notamment religieuse, ce que les parents acceptent.

Il faut par conséquent établir une limite : les dispositions du projet de loi fixent ainsi de manière beaucoup plus claire le périmètre de l’obligation de neutralité, qui ne s’impose pas aux bénévoles, qui sont des usagers. C’est une très bonne chose.

M. Julien Ravier. J’abonde dans le sens de notre collègue François CormierBouligeon.

En se plaçant du côté de l’usager, et donc de l’enfant, la question qui se pose est la suivante : souhaite-t-on que, dans le cadre par exemple de sorties scolaires, qui prolongent l’enseignement, lequel doit promouvoir les valeurs de la République en toute neutralité, cet enfant puisse subir de la part de certains accompagnants un prosélytisme religieux ? Un tel comportement ne relèverait-il pas du trouble à l’ordre public et du risque séparatiste ?

J’estime que les parents accompagnateurs, qui sont certes bénévoles, participent à l’encadrement des enfants et exercent donc une responsabilité dévolue par l’enseignant. Ainsi, ils exercent une mission de service public, dans le cadre d’un contrat de fait. Cela les oblige à respecter les règles du service public, dont le principe de neutralité.

M. Alexis Corbière. Nous parlons ici d’usagers – je vous renvoie à l’avis du Conseil d’État de 2013. La laïcité, c’est la neutralité de l’État et de ses agents, pas des citoyens : l’exiger de leur part relève d’un régime d’athéisme d’État contraire aux religions et qui n’a rien à voir avec elle. Or chaque fois que l’on a cherché à faire fermer les églises ou interdire les signes religieux, cela s’est toujours mal fini : soit, pour reprendre les mots d’Aristide Briand, l’imagination naît ailleurs pour trouver d’autres solutions, soit cette interdiction est vécue comme une oppression.

De quoi s’agit-il ici ? Des citoyens comblent, gentiment et bénévolement, une carence du service public car, sans parents accompagnateurs, le maître ou la maîtresse n’organisera pas de sortie. Il faut donc remercier ces parents. Ce sont souvent les mères, qui, parce qu’elles ne travaillent pas, se rendent disponibles. Il n’y a là aucun prosélytisme. Le seul qui existe s’exerce pour l’école publique : ces citoyens viennent en effet lui apporter leur aide.

Si vous trouvez cela insupportable, soit on doit désormais interdire les sorties scolaires, soit on doit rendre obligatoire l’embauche de personnels pour accompagner les enfants. Se situer hors de cette alternative me semble traduire une incompréhension totale de ce qu’est la laïcité. Le trouble à l’ordre public, c’est que le maître ou la maîtresse soit obligé de solliciter les parents ! Imaginez qu’un service de transport public tombe en panne et que des particuliers viennent gentiment avec leur voiture pour amener les gens à leur destination, allez-vous accepter que seuls ceux qui ne portent pas de signes religieux puissent le faire ? Ce serait absurde !

Arrêtons donc ce débat et, pour reprendre les mots du ministre, mettons fin à l’hypocrisie. Personne ici ne veut interdire aux parents de venir avec une kippa ou avec une croix. Vous ne visez ici qu’une seule religion : franchement, c’est blessant.

M. le président François de Rugy. Lors de son audition, M. Henri PeñaRuiz nous a expliqué que tout cela venait du fait qu’on ne payait plus des gens pour accompagner les sorties scolaires. Or je n’ai jamais vu des fonctionnaires de l’éducation nationale ou des salariés communaux assurer cette mission.

M. le président de l’Association des maires de France a considéré quant à lui qu’il suffisait d’embaucher des gens. Or il proteste souvent, y compris dans cette enceinte, contre les charges supplémentaires que les décisions de l’État ou du législateur imposent aux communes !

On peut défendre tous les points de vue mais on ne peut pas dire que faire appel à des bénévoles constitue un recul du service public.

M. François Pupponi. Ma position a beaucoup évolué concernant ce vaste sujet. Au début, j’ai considéré qu’il n’y avait aucune raison d’exclure une mère de famille ayant confié ses enfants à l’école publique et répondant à une demande d’accompagnement des enseignants ni d’exiger d’elle qu’elle retire son voile à cette occasion, parce que la neutralité s’imposerait à elle.

Mais je constate depuis quelques années que les réseaux de l’islam radical investissent les écoles publiques à travers des associations de parents d’élèves dites indépendantes. Il ne faut ni ignorer ni nier ce mouvement prosélyte.

Cependant, si l’on exclut ces mères de famille, les représentants d’écoles hors contrat issues de l’islam radical auront beau jeu de leur dire : vous voyez, la République et l’école publique ne vous aiment pas, venez chez nous ! L’obligation de neutralité risque donc de remplir ces écoles.

Un autre argument me pousse à ne pas voter cet amendement : beaucoup de nos concitoyens de confession musulmane, comme les responsables des mosquées de ma circonscription, considèrent, à tort ou à raison, que cette loi est faite contre eux. Revenir sur le statut des femmes accompagnatrices, qui plus est à l’article 1er, leur enverra un signe le confirmant.

Charles de Courson m’a demandé si, à Sarcelles, les enfants de la communauté juive enlevaient leur kippa en entrant dans leur établissement. Mais il y a bien longtemps que les collèges publics ne les accueillent plus, tant pour des raisons religieuses que pour des raisons de sécurité. La question ne se pose plus parce qu’ils sont dans des établissements privés.

Si l’on ne veut pas envoyer de messages négatifs dès le début de l’examen de ce texte, il ne faut donc pas voter cet amendement.

Mme Géraldine Bannier. Ayant participé à de nombreuses sorties scolaires, je peux témoigner que la responsabilité en incombe d’abord aux enseignants : les parents volontaires ne sont là que pour accompagner. Il me paraît primordial de les associer le plus possible, notamment dans les zones difficiles, car cela permet aux enseignants de garder le contact avec eux, quand bien même ils seraient éloignés des valeurs de la République. Cela fait également partie des missions du service public et de l’éducation nationale.

M. Boris Vallaud. De par l’avis du Conseil d’État, les parents d’élèves sont d’abord des usagers du service public : lorsqu’ils visitent par exemple une exposition, ils ne la commentent pas. Ils ne participent pas à l’exécution d’une mission de service public.

Quelle est l’alternative ? Ne plus organiser de sorties scolaires ou dire aux enfants concernés : si vous voulez que vos mamans vous accompagnent, allez dans un établissement confessionnel ? Quelle leçon de liberté, d’égalité et de fraternité leur donnerions-nous alors ?

En fait, et comme nous l’ont dit les syndicats d’enseignants, grâce à l’avis du Conseil d’État et aux différentes lois votées, l’essentiel des difficultés se règle. Ferons-nous d’un enfant à qui l’on dit que sa mère – ou son père – est une imbécile qui n’a rien compris à la République un petit républicain ? Je n’en suis pas du tout convaincu.

M. François Cormier-Bouligeon. Je ne répondrai pas aux arguments d’opportunité politique car ils ne sont pas à la hauteur de notre débat. En outre, je fais confiance à l’intelligence de nos concitoyens et ne porte pas de regard paternaliste sur telle ou telle catégorie de la population que je ne veux pas infantiliser. Je m’en tiendrai aux principes.

Devons-nous placer chaque seconde de la vie de nos concitoyens sous une loi particulière, qui serait religieuse, ou existe-t-il des activités à l’occasion desquelles la neutralité doit l’emporter ? S’agissant du séparatisme, nous voulons leur indiquer que, quelles soient leurs convictions, ils doivent être neutres dans le cadre du service public.

Lors de son audition, la philosophe Catherine Kintzler a clairement distingué l’espace privé, l’espace public, où la pluralité l’emporte puisqu’il ne saurait être question d’athéisme d’État ou d’interdiction des religions, et l’espace du service public. De l’article 1er de la loi de 1905, qui établit la liberté absolue de conscience, découle celle de ne pas croire comme celle de croire.

Nous légiférons uniquement sur l’espace du service public et de ses missions, sphère pour laquelle nous demandons d’étendre la neutralité. L’amendement est très clair et répond, monsieur le ministre, à votre préoccupation.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Pour un bénévole accompagnant une sortie scolaire, manifester de quelque façon que ce soit son opinion, même religieuse, est-il par nature le signe d’un repli communautaire et une manifestation séparatiste ? Je ne le crois pas. On ne peut pas dire : séparatisme égal signes religieux. Un tel amalgame pourrait s’avérer dangereux.

Quel est, en outre, l’espace de neutralité ? Quel est le lien entre le bénévole accompagnant scolaire et la mission de service public ? Il n’est ni monétaire, ni contractuel, ni hiérarchique. Cela n’entre pas dans le cadre de l’article 1er. En outre, dans le droit français, il n’existe pas de collaborateurs occasionnels du service public. Une telle notion n’est utilisée, en droit de la responsabilité, que dans un cas très particulier, en cas de dommages.

Avant de créer une nouvelle catégorie, examinons ce que l’on peut aujourd’hui imposer à celle des bénévoles accompagnants. En l’état du droit applicable, qui est d’ailleurs sanctionné par le juge, ils doivent, pour les nécessités de l’ordre public, s’abstenir de toute forme de prosélytisme et ne nuire en rien au bon fonctionnement du service public.

Si le législateur peut certes prendre à tout moment toute décision politique qu’il estime opportune, il s’agit d’un sujet qui peut diviser très profondément les Français dont certains, sans être ni séparatistes ni communautaristes, portent des signes religieux. Nous devons parfois considérer que nous ne devons surtout pas légiférer. Ayez sur ce point la prudence de ne pas le faire. Je suis donc défavorable à l’amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le témoignage de M. Pupponi me paraît très intéressant : nous pouvons tous évoluer en fonction de notre expérience. En effet, il ne faut se montrer ni naïfs face aux provocations parfois organisées, ni insensibles au fait de repousser hors du champ public davantage de personnes.

Si l’on peut être gêné par le port du foulard dans la rue, par certains comportements, par l’usage fait par tel ou tel de la liberté d’expression, comme par les caricatures, même s’il faut les accepter, on n’est pour autant pas obligé de traduire de façon systématique, surtout en l’absence de trouble à l’ordre public, une telle gêne dans la loi. La pluralité religieuse revient d’abord à accepter l’altérité, ce qui n’équivaut pas à la neutralité.

Je reviens sur la notion d’espace. L’argument de M. Cormier-Bouligeon, qui sous-tend d’ailleurs le projet de loi, est bon : il existe en effet des endroits en France où l’on peut vivre à 100 % dans sa communauté, c’est-à-dire y naître, y être éduqué, y travailler, y consommer, s’y marier, y être soigné et y mourir. C’est du séparatisme et c’est l’ennemi de la République. Nous devons donner des espaces de neutralité dans des moments très marqués religieusement : nous pensons tous, évidemment, à l’islamisme. C’est d’ailleurs ce que la République a tenté de faire à la fin du XIXe siècle en tentant d’imposer des devoirs de neutralité à l’omniprésence du catholicisme.

Si nous ne nions pas qu’il faille lui ménager des espaces – les mairies, l’école publique, et maintenant le TGV –, où doit s’arrêter cette exigence de neutralité ? On ne peut pas nier que la pluralité religieuse, l’expression de son opinion, comme la possibilité de s’habiller comme on le souhaite, du moment que cela ne trouble pas l’ordre public, si elles peuvent nous gêner, font partie de la liberté de chacun.

Il manque quelque chose à notre débat qui feint de croire qu’il n’existe rien entre la neutralité religieuse et le prosélytisme. Au titre de la neutralité, on demande ainsi à un agent du service public de l’état-civil de la mairie de Tourcoing de ne pas montrer son opinion politique ou religieuse lorsqu’il reçoit un usager. Mais la maman qui porte le foulard, le papa juif qui porte la kippa font-ils du prosélytisme ? Le prosélytisme, c’est chercher à convaincre. Exprimer une opinion, que ce soit en portant une casquette marquée Macron ou un T-shirt affichant le nom de Ciotti, ne revient pas forcément à faire du prosélytisme et à vouloir convaincre.

Il est évident que l’on doit interdire tout prosélytisme aux accompagnateurs de sortie scolaire, mais je ne pense pas que le fait de porter un foulard ou une kippa en soit. Porter un vêtement peut montrer un attachement à sa religion, et toute personne en démocratie a le droit de faire montre de son opinion religieuse. Ce n’est pas du prosélytisme pour autant. Je ne nie pas qu’il existe, comme l’a montré François Pupponi, des calculs et une « empreinte » communautaristes, mais cela ne doit pas l’emporter sur la nécessaire liberté religieuse.

En 1989, le débat sur le port du voile n’a pas porté sur les agents du service public – dont il était évident qu’ils devaient rester neutres – mais sur les élèves. On entendait protéger ces mineures contre elles-mêmes, considérant qu’elles étaient en construction et qu’elles devaient, pour cela, pouvoir évoluer dans un espace neutre.

On n’a jamais considéré que la religion empêchait de faire de bons citoyens – il n’a pas été proposé de supprimer l’école confessionnelle. Permettez-moi, sans esprit de provocation, de souligner l’incohérence qu’il peut y avoir, chez certains députés du groupe LR, à vouloir absolument introduire la neutralité religieuse à l’école – et l’imposer aux parents accompagnateurs de sortie scolaire –, tout en combattant les dispositions qui visent à limiter l’instruction à domicile, au motif que chacun est libre d’élever ses enfants comme il l’entend.

La commission rejette l’amendement CS1525.

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3.   Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 17 heures 30 (suite de l’article 1er et après l’article 1er)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10165444_600706e941b09.respect-des-principes-de-la-republique--examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-19-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, lors de la séance d’hier, nous avons examiné trente amendements, sur les 1 470 déposés. Je vous laisse calculer le nombre d’heures de séance qu’il nous faudra pour terminer l’examen du projet de loi si nous poursuivons à ce rythme.

Article 1er (suite) : Respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité par les salariés participant à une mission de service public

La commission examine l’amendement CS1362 de M. Éric Pauget.

M. Éric Pauget. Il s’agit d’étendre le principe de laïcité et l’obligation de neutralité religieuse à tous les participants et acteurs d’une mission de service public.

L’amendement vise à répondre aux polémiques qui traversent parfois notre société ; je pense notamment à ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale en septembre dernier, où la présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) était auditionnée – et donc invitée à participer à la mission de service public, celle de l’élaboration de la loi. Dans ce contexte, nous devrions pouvoir appliquer les principes de laïcité et de neutralité religieuse.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. Vous visez probablement le port du voile par la présidente de l’UNEF lors de son audition. Seules les personnes qui participent à l’exercice ou aux travaux d’une mission de service public, à titre rémunéré ou bénévolement, sont tenues de respecter les exigences de neutralité religieuse. Mon avis sera donc défavorable.

M. Éric Pauget. Distinguez-vous l’accompagnateur et l’encadrant d’une sortie scolaire ? En effet, lorsqu’on encadre, on est acteur de la mission de service public.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. En l’espèce, le Conseil d’État considère que ces personnes ne participent pas à une mission de service public.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure et du ministre, la commission rejette ensuite successivement les amendements CS419 de Mme Emmanuelle Ménard et CS377 de M. Jean-Baptiste Moreau.

Elle en vient aux amendements identiques CS125 de M. Jacques Marilossian et CS410 de M. Xavier Breton.

M. Jacques Marilossian. Il s’agit de rappeler que le projet de loi vise à lutter contre les séparatismes qu’ils soient religieux ou politiques.

Nous en avons débattu hier ; je propose donc de rectifier mon amendement en supprimant la mention du « notamment » à l’alinéa 2 et en remplaçant « et » par « ou » à l’alinéa 4.

M. Xavier Breton. Il s’agit effectivement de reprendre la rédaction sur laquelle nous nous sommes accordés hier soir.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Par cohérence, mon avis sera favorable.

M. Boris Vallaud. S’agissant des opinions philosophiques, je vous rappelle qu’il y a quelques semaines, nous nous étions émus des décrets qui élargissaient le fichage aux opinions politiques, ainsi qu’aux convictions philosophiques et religieuses ou des appartenances syndicales.

La commission adopte les amendements rectifiés.

Elle examine ensuite l’amendement CS171 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Ainsi que l’indique le Conseil d’État dans son avis, les dispositions relatives aux titulaires d’un contrat de la commande publique ne doivent pas avoir pour objet, et ne sauraient avoir pour effet, d’écarter un candidat à la passation d’un tel contrat au seul motif qu’il s’agirait d’un organisme se réclamant d’un courant de pensée ou d’inspiration confessionnelle. Il convient de le préciser dans la loi. C’est l’objet de l’amendement.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. La rédaction de l’article 1er est suffisamment explicite pour qu’il ne soit pas nécessaire de l’ajouter. Il est évident que telle n’est pas notre intention.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS426 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Il vise à imposer la communication à l’acheteur par le titulaire d’un contrat de commande publique aux fins de l’exécution d’un service public l’ensemble des contrats de sous-traitance qu’il signera pour l’exécution dudit service public.

La communication des contrats de sous-traitance permettra à l’acheteur de s’assurer que son cocontractant a bien fait figurer les clauses contractuelles comprenant les obligations relatives aux principes de laïcité et de neutralité, ainsi que les modalités de contrôle et les sanctions.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’amendement est intéressant à double titre. Il met en lumière la problématique des sous-traitants mais, surtout, illustre la façon dont pourra être exercé le contrôle, laissé à la libre appréciation des cocontractants. En imposant la transmission des contrats au titulaire, puis à l’acheteur, nous facilitons la tâche des uns et des autres, plusieurs sous-traitants de rang différent pouvant être amenés à collaborer.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Sur le principe, j’y suis évidemment favorable : des sous-traitants agissant pour le compte d’une société qui elle-même exécute une mission de service public pour une collectivité doivent se voir appliquer le principe de neutralité. C’est évident, et la précision me semble superfétatoire. Mais si cela va mieux en le disant, disons-le.

M. Guillaume Vuilletet. En l’espèce, cela va mieux en le disant. Nous soutiendrons l’amendement.

La commission adopte l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS427 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Il s’agit de s’assurer que chaque sous-traitant, direct ou indirect, qui contribuera à l’exécution du service public aura lui aussi l’obligation de veiller au respect des principes de neutralité et de laïcité.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je suis plus réservée sur cet amendement, comme sur le suivant, le CS428. Ils me semblent satisfaits. L’obligation pour les sous-traitants de rang inférieur résulte d’une application en chaine d’obligations législatives déclinées dans la relation contractuelle.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS428 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Il s’agit de dupliquer le dispositif prévu dans cet alinéa aux contrats avec les sous-traitants, quel que soit leur rang, afin que les obligations, les modalités de contrôle et les sanctions figurent dans les clauses contractuelles.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je l’ai déjà évoqué, j’y suis défavorable.

M. Jean-Paul Mattei. J’ai beau lire, cela ne me semble pas aussi évident que vous l’indiquez, madame la rapporteure. Hier déjà, on s’est beaucoup référé à la jurisprudence du Conseil d’État. C’est hasardeux. Les lois doivent être précises pour éviter que quelques-uns se servent d’éventuelles « trappes » dans leur intérêt. Je regrette d’ailleurs que nous ayons rejeté l’amendement précédent, mais nous y reviendrons en séance.

M. Philippe Vigier. Madame la rapporteure, les délégataires de services publics font de plus en plus souvent appel à la sous-traitance et, parfois, cela peut aller jusqu’à une sous-traitance de cinquième rang. Il est essentiel que le délégataire, mais aussi tous ceux qui participent à la chaine de sous-traitance, soient soumis aux mêmes règles. Pour qu’ils respectent les termes de la loi, il convient que cette dernière soit précise, mais surtout effective, et c’est notre responsabilité, et notre exigence. Chez ces sous-traitants, serons-nous capables d’endiguer des pratiques qui ne respectent pas le principe de neutralité ? Nous ne pouvons uniquement nous référer aux avis du Conseil d’État.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Sans doute m’avez-vous mal comprise, mais la loi le prévoit déjà puisque la chaîne d’obligations législatives est déclinée dans la relation contractuelle. L’amendement est donc satisfait par la rédaction actuelle de l’article 1er.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS922 M. Charles de Courson.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il n’est pas nécessaire d’exclure explicitement les sociétés anonymes d’habitations à loyers modérés (HLM) du champ de l’article 1er, car l’exclusion résulte de la rédaction même de l’article : les organismes privés, même désignés par la loi, qui sont soumis à une habilitation, un agrément ou toute autre forme de décision de l’autorité publique, ne sont pas concernés.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’entends qu’ils ne sont pas concernés car ils sont agréés, mais je souhaiterais qu’ils le soient. S’ils ne le font pas toujours et à tout moment, les organismes de HLM participent malgré tout à l’exécution d’un service public.

Certes, il existe plusieurs types d’organismes : ceux qui dépendent des collectivités locales, les offices HLM, les sociétés HLM privées, etc. Certes, ces dernières font parfois aussi du développement économique. Mais tous ces organismes bénéficient d’avantages fiscaux – certains également de la participation des employeurs à l’effort de construction, également appelée « 1 % logement » – et sont concernés par les obligations imposées par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, dite SRU. Enfin, ils sont aussi au cœur de la problématique du regroupement communautaire.

Pourquoi les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) seraient-elles concernées et pas les HLM ? Il ne faut pas distinguer les services gérés par le public de ceux gérés par le privé car tous sont bien, initialement, gestionnaires d’habitations à loyer modéré.

La rédaction de l’amendement ne me paraît pas satisfaisante, mais je souhaiterais que nous revenions sur ce point en séance.

M. Philippe Vigier. Le ministre m’a ôté les mots de la bouche. Pour faire suite à l’adoption de la loi du 23 novembre 2018 relative à l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite ELAN, les organismes HLM avaient jusqu’au 31 décembre 2020 pour opérer des regroupements. Que se passe-il dans nos départements ? On constate qu’ils ont souvent choisi de se transformer en sociétés anonymes (SA). Quel message leur envoie-t-on si, dès les premiers jours de janvier, on leur indique qu’elles ne sont pas concernées ? J’invite la rapporteure à en évaluer les conséquences.

M. Francis Chouat. Entre l’examen en commission et la séance publique, début février, nous aurons le temps d’apporter cette précision. Je partage l’analyse du ministre et de M. Vigier. En outre, j’ai été maire d’une commune où opéraient vingt-sept bailleurs de logements sociaux, dont quatorze au sein d’un seul quartier, ultra-prioritaire, de la politique de la ville. Pas un seul n’était un office public.

Si, dans ce type de quartier, la gestion des patrimoines sociaux – incluant en l’espèce l’attribution des logements – n’entre pas dans le champ du présent texte, autant ne pas faire de loi…

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. J’entends parfaitement les arguments politiques de mes collègues, et les partage sur le fond. Mais je me plaçais ici uniquement sur le plan de la cohérence juridique, afin de ne pas vider l’article 1er de sa substance.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS550 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Nous avons évoqué hier les conditions de modification des contrats et délégations de service public afin d’intégrer les dispositions de l’article 1er par le biais d’avenants. Nous avons également souligné l’importance des sanctions si les services concernés ne se mettent pas en conformité avec la loi.

L’article 1er comporte une exception à cette obligation de mise en conformité, qui le vide d’une partie importante de sa substance, et que nous souhaitons donc supprimer : en l’état actuel de sa rédaction, l’obligation ne s’applique pas aux contrats dont le terme intervient dans les trente-six mois suivant la date de publication de la loi.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Mon avis sera défavorable car il faut laisser un peu de temps aux entreprises pour se conformer à ces obligations, qui ne sont pas si faciles à lire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Ciotti, vous trouvez que le délai de trente-six mois est trop long, mais vous ne proposez pas de le réduire – à vingt-quatre mois par exemple – puisque vous supprimez la période de transition. Cet article important va changer la vie de beaucoup d’entreprises et de leurs employés ; un certain équilibre doit donc être respecté. Je vous renvoie d’ailleurs à l’étude d’impact qui précise qu’avant de valider le dispositif juridique de l’article 1er, le Conseil d’État a vérifié que nous avions bien prévu une période de transition.

En outre, monsieur Ciotti, hier, vous avez pris la parole pour estimer que cet article ne changeait rien et visait simplement à inscrire la jurisprudence dans la loi. Aujourd’hui, à l’inverse, il serait fondamental et il faudrait l’appliquer sans tarder. Je vous remercie, par la défense de cet amendement, de mettre en avant l’importance de l’article 1er !

M. Éric Ciotti. Il ne s’agit pas de supprimer toute transition mais de revenir sur l’exonération qui s’applique aux entreprises dont le terme du contrat intervient dans les trois ans à venir. Trois ans, c’est long !

Sur le fond, rassurez-vous, je reste sur ma position : cet article ne fait que reprendre la jurisprudence, et il n’y a aucune raison qu’il faille attendre trois ans !

M. Boris Vallaud. La disposition que souhaite supprimer M. Ciotti fait-elle obstacle à l’application de la jurisprudence concernant le principe de neutralité ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Ciotti, je ne peux vous laisser dire que rien ne va se passer pendant trois ans et que le principe de neutralité sera évacué durant cette période. La disposition que vous voulez supprimer ne concerne que les clauses qui doivent rappeler l’obligation de neutralité dans les contrats. La jurisprudence, que nous consolidons – et donc le principe de neutralité – continueront bien sûr à s’appliquer.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne vais pas répéter les arguments que j’ai déjà développés. Mais si vous estimez que le délai est trop long, je suis tout à faire ouvert à la discussion d’ici à la séance publique, en collaboration avec le rapporteur général et la rapporteure.

M. Éric Ciotti. Monsieur le ministre, vous souhaitez polémiquer ; c’est votre nature et on ne vous changera pas… Ce n’est pas la période de transition qui est visée, mais les contrats qui arrivent à échéance dans les trente-six mois après la publication de la loi. La question de M. Vallaud est donc parfaitement pertinente. Nous avons débattu de la sanction hier soir, monsieur le rapporteur général, et vous nous avez expliqué que, si les termes de l’article 1er ne sont pas respectés et les clauses du contrat non modifiées, la collectivité pourra résilier le contrat ou la délégation de service public. Elle n’aura donc pas la possibilité de le faire dans les trente-six mois suivant la publication de la loi. Trois ans, c’est un temps long pour certains établissements et certaines associations que nous avons évoqués…

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS662 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Cet amendement vise à inscrire dans la loi un dispositif de sanction permettant de mettre fin au contrat d’exécution de service public des organismes qui n’assureraient pas l’égalité des usagers, le respect les principes de laïcité et de neutralité du service public. Aucune sanction n’est prévue dans la rédaction actuelle de l’article. Or cela doit être explicitement prévu, le rôle du législateur étant de définir les modalités des sanctions.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Défavorable comme sur un amendement précédent poursuivant le même objectif.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ces dispositions sont de nature réglementaire ou relèvent du contrat. Bien entendu, le droit du contrat peut aller jusqu’à la résiliation.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à la discussion commune des amendements CS290 de M. Julien Ravier et CS81 de Mme Annie Genevard.

M. Julien Ravier. Il s’agit d’exclure du champ d’application de l’article 1er les établissements d’enseignement privés sous contrat et les établissements de santé privés. Nous avons commencé à en débattre hier. Vous estimez que la demande est satisfaite par le biais d’autres dispositions légales.

Mais il est important d’envoyer des signaux forts. En effet, l’article 1er s’applique aux établissements exécutant un service public. Pourquoi donc ne pas préciser ceux qui n’entrent pas dans son champ d’application ?

Mme Annie Genevard. Stricto sensu, l’association par contrat n’est ni une concession, ni une délégation, ni une prestation, ni même l’exécution d’une mission de service public. Le Conseil d’État a souligné dans son avis – vous avez précisé, monsieur le ministre, que la rectification a été opérée dans l’étude d’impact – que la volonté de renforcer l’obligation de neutralité ne s’étend pas à toute entité chargée d’un service public et qu’elle ne vise pas, notamment, à remettre en cause les dispositions du code de l’éducation relatives aux établissements d’enseignement privé.

Cela étant, sur un point aussi essentiel, qui a été tant débattu au cours de l’histoire, il convient d’être très prudent pour éviter toute insécurité juridique. L’association avec l’État est en effet très proche, à bien des égards, de ce qui est visé dans l’article 1er. Il est donc nécessaire d’être clair quant à l’étendue des organismes privés concernés.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’article 1er, qui consacre l’application du principe de neutralité au délégataire du service public, est essentiel. Cette reconnaissance législative d’un principe jurisprudentiel constitue une avancée. On peut déduire de la rédaction du I de l’article 1er un certain nombre d’exclusions, qui concernent notamment les ESPIC et les établissements d’enseignement confessionnel. Je suis évidemment très favorable à l’extension du principe de neutralité – qui concerne par exemple les sociétés HLM et les services exploitant les lignes à grande vitesse (LGV). Cela conduit à limiter les restrictions prévues par le texte. Si on faisait sortir les établissements privés d’enseignement confessionnel sous contrat et les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) du champ des exclusions, on reviendrait, pour ce qui concerne ces derniers, à un principe très large. La précision que vous proposez ne me semble absolument pas nécessaire juridiquement, compte tenu de la rédaction actuelle.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je redis à Mme Genevard que les ESPIC et les établissements d’enseignement privé sous contrat sont exclus du champ de l’article, par nature et par construction. Une difficulté vient du fait que les établissements privés sous contrat ne forment pas une catégorie homogène et ne sont pas tous associés au service public. Pour reprendre le raisonnement suivi hier par Mme Rossi lors de la présentation de son amendement CS1306, concernant les LGV, il faut commencer par définir le service public pour déterminer si le principe de neutralité s’applique. Il me semble que notre rédaction permet d’exclure les établissements d’enseignement privé sous contrat – lesquels concourent, dans certains cas, à l’exercice d’une mission de service public. Je vous propose de retirer vos amendements, afin que nous puissions en rediscuter avec Mme la rapporteure et, le cas échéant, après une analyse juridique, préparer un amendement pour la séance.

Mme Annie Genevard. La question mérite d’être posée, et je vous remercie d’en prendre acte, monsieur le ministre. Il s’agit de sécuriser le caractère propre de certains établissements. Ce qui va sans dire va mieux en le disant, surtout sur des sujets aussi sensibles, qui ont donné lieu à des tentatives de remise en cause dans notre histoire récente. Je retire l’amendement afin qu’on y retravaille en vue de la séance.

M. Julien Ravier. Je voudrais moi aussi que l’on précise ce point. Il serait inconcevable d’interdire l’expression du fait religieux au sein d’une école privée confessionnelle, qui assume une mission de service public. Cela suscite l’inquiétude, notamment de la part de ces établissements. Même si le code de l’éducation le prévoit, il faut préciser à nouveau que ces établissements sont exclus du champ d’application de la loi.

Les amendements sont retirés.

La commission examine les amendements CS928 et CS948 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’amendement CS928 concerne les cantines scolaires non exploitées en régie. Si elles sont en régie, il s’agit d’un service public. Qu’en est-il lorsqu’elles sont gérées autrement ? Quelle est la portée du principe de neutralité pour les cantines gérées en régie ainsi que pour celles qui ne le sont pas, dans l’hypothèse où ces dernières entreraient dans le champ du texte ? A-t-on le droit de proposer des repas casher, hallal ou autres ?

L’amendement CS948 concerne les haltes-garderies de droit privé, auxquelles les communes, les intercommunalités laissent l’usage de bâtiments, souvent gratuitement, prennent en charge le coût du chauffage, parfois du nettoyage… La crèche est gérée par une association, qui a la liberté de fixer les tarifs – souvent calés sur ceux de la caisse d’allocations familiales (CAF) pour bénéficier des aides de cette dernière.

Ces deux activités entrent-elles dans le champ de l’article – ce qui justifierait, le cas échéant, le vote de mes amendements ? Surtout, quelle est la portée du principe de neutralité pour ce type de service public, si telle est l’interprétation que vous donnez du texte ?

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. S’agissant de l’amendement CS928, le Conseil d’État, dans une décision du 11 décembre 2020, a affirmé que les « principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas, par eux-mêmes, obstacle à ce que les usagers du service public facultatif de la restauration scolaire se voient offrir un choix leur permettant de bénéficier d’un menu équilibré sans avoir à consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses. » Cet arrêt est de nature à vous éclairer sur la portée du principe de neutralité.

S’agissant de l’amendement CS948, les crèches et haltes-garderies de droit privé auxquelles aucune mission de service public n’a été confiée n’entrent pas dans le champ de l’article 1er. Les établissements privés qui se voient confier une mission de service public n’y entrent pas davantage, car l’article exclut les organismes privés, même désignés par la loi, lorsqu’ils sont soumis à une habilitation, un agrément ou toute autre forme de décision de l’autorité publique. Or, les établissements qui accueillent de jeunes enfants sont soumis à une autorisation délivrée par le président du conseil départemental après avis du maire de la commune d’implantation.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement a un avis défavorable sur votre amendement CS948. Pour déterminer l’existence d’un service public, il faut se fonder sur certains critères, comme on l’a vu à propos des lignes ferroviaires, et non sur le domaine d’activité.

Le service de la cantine scolaire est facultatif mais, une fois qu’il est institué, les collectivités locales n’ont pas le droit de refuser des enfants, que ce soit pour des motifs tenant à l’origine de la famille ou au comportement. Il existe peu de dispositions législatives sur les cantines. La loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté prévoit que les enfants scolarisés sont inscrits de droit à la cantine lorsque le service existe. L’article L. 131-13 du code de l’éducation proscrit toute discrimination selon la situation des enfants.

La plupart des cantines offrent un choix, grâce au self-service ou à plusieurs menus ; les menus alternatifs ou de substitution permettent de respecter les prescriptions religieuses. Toutefois, des collectivités refusent les dérogations au menu commun, les enfants étant libres de ne manger que ce qu’ils souhaitent. Cette solution est acceptée lorsque la collectivité démontre que, compte tenu de sa situation budgétaire ou du nombre de repas servis, elle n’a pas les moyens ou la possibilité de proposer plusieurs menus. Dans les collectivités d’une certaine taille, le juge administratif relève un détournement de pouvoir lorsque la décision est prise, de manière implicite ou explicite, pour écarter les élèves pratiquant une certaine religion – notamment l’islam – des cantines scolaires. La jurisprudence est claire : la délibération municipale de Chalon-sur-Saône, qui avait supprimé les menus de substitution, a été annulée par la cour administrative d’appel de Lyon puis par le Conseil d’État. M. Person a déposé un amendement à ce sujet.

Une autre question est de savoir si on peut proposer des repas communautaires – et non de substitution. Au vu des analyses que nous avons menées, cela n’est pas explicitement interdit aux collectivités locales. Cependant, à la suite d’un pourvoi formé par un détenu du centre pénitentiaire de Saint‑Quentin‑Fallavier, contestant le refus de servir des repas halal aux détenus musulmans, le Conseil d’État a estimé que « l’administration pénitentiaire n’est pas tenue de garantir aux personnes détenues, en toutes circonstances, une alimentation respectant leurs convictions religieuses ». Toutefois, a-t-il précisé, « il lui appartient de permettre, dans toute la mesure du possible […] l’observance des prescriptions alimentaires résultant des croyances et pratiques religieuses. »

Ce qui n’est pas interdit étant autorisé, on peut penser que des repas communautaires – halal ou casher – pourraient être servis dans les cantines scolaires. Comme ce n’est pas un service public obligatoire, il est à peu près certain qu’on doit proposer des repas différenciés si les moyens budgétaires le permettent. Selon le Conseil d’État, « le gestionnaire ne peut […] modifier les modalités d’organisation et de fonctionnement [du service public de la cantine] que pour des motifs en rapport avec les nécessités strictes du service. »

Avis défavorable, puisque les cantines scolaires disposent d’une certaine liberté.

M. Charles de Courson. Si une commune peut proposer du casher ou du halal, en sens inverse, les familles ont-elles le droit d’exiger des élus ce type d’alimentation ? Autrement dit, les communes doivent-elles, au nom du principe de neutralité, offrir une diversité alimentaire en fonction de la composition ethnique ou religieuse des enfants ?

M. François Pupponi. Comme l’a dit le ministre, une municipalité peut proposer des repas casher ou halal. Si un enseignant demande à en bénéficier, il y a droit. De son côté, l’armée en propose.

Vous nous dites que la loi s’appliquera aux crèches, mais nombre d’entre elles sont confessionnelles, tout en étant financées par des fonds publics, un peu à l’image des écoles – même si elles n’obéissent pas au même statut. Si je comprends bien, sitôt la loi votée, le personnel devra respecter le principe de neutralité. Les conséquences ne seront donc pas anodines pour les employeurs.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur de Courson, je n’ai pas trouvé de jurisprudence faisant droit à cette exigence. Toutefois, en faisant le parallèle avec la décision du Conseil d’État concernant le centre pénitentiaire de SaintQuentinFallavier, on peut considérer qu’il n’y a pas de droit à obtenir un repas communautaire. Si j’interprète correctement la jurisprudence, un parent ne peut donc l’exiger.

Monsieur Pupponi, il me semble que les crèches font déjà partie du service public. Ce n’est pas parce qu’elles sont confessionnelles que le personnel ne respecte pas le principe de neutralité. Aucune discrimination ne peut être faite entre les salariés. On peut être salarié d’un établissement confessionnel sans devoir faire état de ses opinions politiques et religieuses. L’affaire Baby-Loup concernait un établissement financé par des fonds privés, et non une crèche publique. Si les critères démontrent qu’une crèche constitue un service public, les agents sont soumis au principe de neutralité – le projet de loi ne fait que le réaffirmer. En revanche, dans un établissement privé, les agents peuvent porter des signes ostensibles si le règlement intérieur le permet.

M. Charles de Courson. Je retire l’amendement CS928. S’agissant des crèches et des haltes-garderies, la situation n’est pas si claire que cela. Vous n’avez pas tout à fait répondu à François Pupponi : au regard du texte, des crèches financées par des fonds publics pourront-elles recruter leur personnel sur des critères exclusivement religieux, philosophiques, ethniques ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Les critères du service public sont cumulatifs. Par ailleurs, ce n’est pas parce que 10 % des ressources de l’établissement proviennent de la CAF que cette qualification sera retenue. À la suite d’un recours lié à l’application du principe de neutralité, le juge peut requalifier une halte-garderie en service public, si, par exemple, il constate que la subvention publique dépasse 50 % des ressources, que le bâtiment a été nommé par la mairie, que le maire siège au conseil d’administration… En revanche, une faible subvention publique ne suffira pas à établir cette qualification. Peut-être certains d’entre vous ont-ils, comme moi, accordé des fonds provenant de la réserve parlementaire pour la réalisation de travaux dans des maisons d’assistants maternels (MAM) privées ? L’attribution de ces crédits n’était pas liée au respect du principe de neutralité. Lorsque le service public est reconnu, sur le fondement de critères organiques, la neutralité s’applique ; dans le cas contraire, elle ne s’applique pas.

M. Charles de Courson. Je retire l’amendement CS948. Je regrette qu’on s’en remette toujours au juge administratif pour définir le service public. Nous n’avons pas défini les critères de la qualification, qui ne sont d’ailleurs pas cumulatifs : le juge utilise un faisceau d’indices. Il me paraît regrettable que nous ne les définissions pas dans la loi, au regard de notre compétence.

M. le président François de Rugy. Les crèches peuvent être gérées dans le cadre d’une régie, d’une délégation de service public ou par une personne privée – association ou entreprise. Dans ce dernier cas, même si l’établissement bénéficie de subventions publiques, il a un caractère privé. L’article 1er fait référence à la délégation de service public et au contrat de service public. Soit une crèche entre dans cette catégorie, soit elle n’y entre pas : il n’existe pas trente-six statuts. L’accueil de la petite enfance n’obéit pas au même régime que l’école.

Les amendements CS928 et CS948 sont retirés.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Après l’article 1er

La commission est saisie de la discussion commune des amendements CS28 de Mme Annie Genevard, CS94 de Mme Anne-Laure Blin et CS555 de M. Éric Ciotti.

Mme Annie Genevard. L’amendement CS28 vise à modifier l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, qui dispose que « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » Je propose d’étendre cette disposition aux établissements publics d’enseignement supérieur. Autrement dit, il s’agit de traiter la question – qui sera certainement débattue – du voile à l’université.

La liberté religieuse n’est pas absolue ; elle doit s’exercer dans des conditions qui ne portent pas atteinte aux activités d’enseignement et de recherche, et qui ne troublent pas l’ordre public. Vous le savez, depuis quelques années, on assiste à un accroissement des revendications religieuses et communautaristes dans l’enseignement supérieur. Les alertes se multiplient. Beaucoup d’entre vous ont certainement lu la remarquable enquête d’un hebdomadaire sur ces « nouveaux fanatiques », pour reprendre son titre.

Dans le cadre de nos auditions, nous avons entendu, le 7 janvier dernier, Gilles Denis, fondateur et coordonnateur du collectif Vigilances Universités, qui a précisé que les associations traditionnelles d’élèves sont touchées les unes après les autres par les lignes indigénistes. Ces problématiques communautaires sont patentes et connues. Elles entravent manifestement le travail académique des enseignants, qui constatent toutes sortes de dérives. Dès lors qu’ils s’en émeuvent et les combattent, ils sont voués à la détestation, au lynchage sur les réseaux sociaux – ce que les Américains appellent la cancel culture, qui gagne progressivement notre pays.

Dans un arrêt Leyla Sahin contre Turquie du 10 novembre 2005, la Cour européenne des droits de l’homme, en se fondant sur la nécessité de respecter la liberté de conscience et les convictions de chacun, a considéré que la réglementation turque visant à interdire le port de signes religieux dans les établissements d’enseignement supérieur était justifiée et proportionnée au but recherché. Vous voyez que d’autres pays, que l’on n’aurait pas soupçonnés d’une telle rigueur, se sont prononcés très clairement en faveur de l’interdiction du port de signes religieux à l’université. Il faut ouvrir ce débat, qui me semble salutaire.

Mme Anne-Laure Blin. L’amendement CS94 vise à insérer, au premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, après le mot « lycées » les mots « et les universités ». Il s’agit d’appliquer à l’université l’interdiction du port de tenues ou de signes religieux ostentatoires – sujet totalement passé sous silence par le projet de loi.

À l’image des fédérations sportives et des associations, les universités sont devenues progressivement la proie du prosélytisme religieux et du communautarisme. Le rapport sur la laïcité de 2003 ne préconisait pas l’interdiction du port du foulard islamique à l’université, mais la situation n’est plus la même. Le débat doit avoir lieu. Si la laïcité s’impose aux personnels des universités, il n’en est pas de même pour les usagers, c’est-à-dire les étudiants. Il s’agit, par cette proposition, de mettre sur un pied d’égalité les personnels universitaires et les étudiants, afin que l’on soit plus à même de vivre ensemble les principes de la République.

M. Éric Ciotti. Nous arrivons à un moment important du débat. Je souhaite, comme mes collègues, interdire le port de signes religieux ostensibles à l’université – pour être clair, je veux parler du voile islamique – ou islamiste. Vous refusez de citer les maux. Pour notre part, nous estimons que nous avons le devoir et la responsabilité de les affirmer. Ce débat honorerait notre assemblée et marquerait une avancée considérable, dans la lignée des grands textes qui ont fondé et fait évoluer la laïcité.

Je voudrais rappeler le courage du président Jacques Chirac, qui a posé les fondements de la grande loi du 15 mars 2004, à laquelle certains ont opposé des arguments que, vraisemblablement, nous allons entendre à nouveau dans quelques instants. Le président Sarkozy a fait preuve du même courage pour interdire, dans la loi du 11 octobre 2010, la dissimulation du visage dans l’espace public, c’est-à-dire le port de la burqa. La circulaire Chatel de 2012 a traduit la même volonté. Nous devons avoir le même courage, car la situation est grave. Je ne saurais tolérer que l’université, temple des savoirs, de la raison, de la science, admette en son sein le port d’un vêtement qui est un instrument d’asservissement de la femme.

Je voudrais citer le propos tenu, lors de l’affaire de Creil, en 1989, par le recteur de la Grande mosquée de Paris. Il affirmait : « Le Coran est clair, il recommande à la femme musulmane de se couvrir pour éviter toute forme de séduction […]. Le voile a cette fonction : couvrir ce qui peut être attirant chez elle ». Comment tolérer cela dans notre République ? C’est ce débat qu’on doit ouvrir, sans tabou, avec courage, monsieur le ministre. Des députés de la majorité font preuve, sur d’autres sujets, d’un courage que je salue et qui leur vaut des menaces de mort.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Mes chers collègues, vous avez rappelé que les principes de neutralité et de laïcité ne s’appliquent pas aux usagers du service public. Vous avez également fait référence à la loi de 2004, qui interdit le port de signes ou de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et les lycées publics. Cela constitue une exception dans notre droit. Faut-il étendre l’interdiction qu’elle prévoit à l’université ou aux établissements d’enseignement supérieur ? Les étudiants ne sont pas des enfants en construction. En outre, l’université est un lieu d’échange d’idées et doit être ouverte sur le monde.

Lors des auditions que nous avons menées, le président de l’Association des maires de France (AMF) a rappelé les conditions d’élaboration de la loi de 2004 et notamment la commission Stasi. Je reprendrai l’une des phrases de conclusion de son rapport : « Il n’est pas question d’empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. »

M. Gérald Darmanin, ministre. Le débat n’est pas tronqué : nous parlons en effet du voile depuis quasiment vingt-quatre heures. M. Pupponi a bien résumé la situation à son propos en évoquant une part de liberté et une autre de provocation ou d’entrisme – je ne l’ignore pas. C’est vrai aussi dans certains établissements universitaires.

En tout cas, le débat est plus compliqué que tel que vous l’avez présenté car, à la différence de la France, la Turquie n’a pas de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article 10 dispose que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses […] ». À coup sûr également, nous nous adressons à des adultes, et non à des citoyens en construction, c’est-à-dire à des enfants, ce qui rend le parallèle avec l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école hasardeux.

Sans entrer dans un autre débat visant à déterminer si le voile répond à une prescription religieuse, peut-on limiter la liberté d’expression et d’opinion des adultes, même religieuse, à l’université, pour des motifs soit d’ordre public, dont le législateur a usé pour interdire la burqa, soit pour d’autres, relevant de la lutte contre le séparatisme ? Le fait que ce soit à l’université constitue une « circonstance aggravante ». La liberté d’enseignement des professeurs d’université, comme la liberté d’expression des parlementaires, est d’ailleurs particulièrement consacrée par le droit constitutionnel. Le motif de troubles à l’ordre public tel que l’entend la jurisprudence administrative ne peut être invoqué. Mais la question reste ouverte s’agissant de la lutte contre le séparatisme.

À coup sûr cependant, une telle disposition ne relève pas de la loi ordinaire. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que l’article 1er de la Constitution, permettraient d’interdire à toute personne d’imposer le port d’un vêtement religieux quelque part, en raison de la liberté absolue en la matière, mais n’autoriseraient pas le retrait d’une expression, même religieuse, quand bien même celle-ci nous gênerait. Comme je l’ai dit hier, la gêne ne doit pas forcément inspirer la loi.

S’ils lancent un débat politique, de tels amendements encourent la censure du Conseil constitutionnel. Du reste, personne n’a jamais osé inscrire dans la loi les dispositions de la circulaire Chatel sur les mamans accompagnatrices de sorties scolaires dans l’enseignement public. Le ministre de l’éducation de l’époque avait indiqué qu’il faudrait sans doute modifier la Constitution pour le faire.

C’est donc pour des raisons tant de forme que de fond que le Gouvernement est défavorable aux amendements.

M. le président François de Rugy. Je rappelle que le président de la commission est censé avoir jugé irrecevables tous les amendements relatifs au voile. Nous en avons la démonstration cet après-midi…

Mme Anne Brugnera, rapporteure thématique. L’article L. 141-6 du code de l’éducation précise que : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique […]. »

En outre, le principe de neutralité des agents publics reste intangible à l’université comme dans le reste de la fonction publique. Un étudiant ne peut en outre arguer d’une prescription religieuse pour récuser un examinateur ou être dispensé du suivi d’un cours.

L’enseignement supérieur français se caractérise par ailleurs par un équilibre entre d’une part la liberté de conscience et d’opinion des étudiants et d’autre part le respect de l’ordre public et de l’absence de tout prosélytisme.

Enfin, s’agissant de votre amendement qui porte sur l’article L. 141-5-1 du même code, la situation de l’enseignement supérieur n’est pas comparable à celles des écoles, collèges et lycées publics, en raison de l’âge des élèves. Sa mission est bien différente puisqu’elle s’adresse à des adultes. À cet égard, je n’apprécie pas du tout vos propos s’agissant de nos étudiants et plus particulièrement de nos étudiantes, que vous refusez en quelque sorte de traiter comme les adultes qu’elles sont. Je trouve cela extrêmement grave et irrespectueux.

Mme Annie Genevard. Si je respecte votre opinion, madame, je ne la partage pas. Dans cette maison, aucun débat n’est interdit. Le législateur doit régler les problèmes de la société : s’il y reste sourd, à quoi sert-il ? Si la loi ne protège pas, à quoi sert-elle ?

Le ministre a évoqué la liberté religieuse. Or si elle est constitutionnelle, elle n’est pas sans frein ni sans limite. Elle n’autorise pas en particulier que l’on porte atteinte aux activités d’enseignement. Les enseignants et les chercheurs ne cessent d’alerter l’opinion publique sur le danger que courent certains établissements.

Notre débat est donc légitime. Le refuser, c’est méconnaître le rôle du parlementaire et du Parlement.

Mme Caroline Abadie. Comme les rapporteurs, je distinguerai l’enseignement secondaire de l’université, qui concerne des adultes et qui vise l’apprentissage d’une spécialité et d’un métier.

Si le voile est un signe religieux, il n’est pas nécessairement synonyme de prosélytisme d’un islam radical et politique. Cachez ce voile que je ne saurais voir… Devons-nous cloîtrer toutes ces femmes qui font le choix, assumé ou influencé, de le porter ?

C’est à l’université que j’ai vu pour la première fois une femme en porter un. Certes, c’était il y a vingt-six ans et les choses ont certainement changé depuis. En tout cas, cette vision ne m’a ni agressée ni agacée. J’ai au contraire ressenti une certaine fierté à voir qu’une telle différence était acceptée sans aucune polémique.

Combattre l’islamisme politique, ce n’est pas combattre le voile. Oui, c’est parfois un signe de communautarisme, de séparatisme mais ce n’est pas toujours cela. Quelles seraient les conséquences d’un tel amendement sur ces jeunes filles, qui ont fait le choix de porter un voile et d’aller à université ? Je crains qu’elles ne gardent leur voile et cessent d’aller à l’université.

M. Alexis Corbière. Monsieur le président, de notre point de vue, vous avez censuré à tort des amendements puisque depuis hier on ne fait que discuter du voile !

M. le président François de Rugy. Le critère de recevabilité n’a pas été le voile mais le lien avec l’un des articles du projet de loi.

M. Alexis Corbière. Je conteste cette décision : en avons-nous le droit ?

M. le président François de Rugy. On n’a pas le droit de dire des choses fausses sans voir la vérité rétablie.

M. Alexis Corbière. Le débat a déjà eu lieu en 1905 : le député Charles Chabert voulait interdire le port de la soutane, la considérant comme un attribut catholique radical et ultramontain. Selon certains, il fallait libérer les prêtres de ce courant conservateur de l’église catholique. Aristide Briand s’y était opposé.

C’est un débat de fond. En disant que le port du voile n’était pas souhaitable en France, le ministre de l’éducation M. Blanquer n’a fait que remettre une pièce dans une machine infernale. Certains s’opposent ici non pas aux signes religieux mais à ceux d’une religion. Lorsque j’étais à l’université, nombre des membres de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) portaient la kippa sans que cela pose de problème. Et il en était de même pour le voile. Interdire ce signe religieux au motif que davantage d’étudiantes le portent traduirait une incompréhension de la laïcité, un athéisme d’État.

Nous devons cependant empêcher que le savoir y soit remis en cause.

M. Éric Diard. Il est bon de parler de ce sujet de manière apaisée.

Auditionné au Sénat le 13 décembre 2019 M. Youssef Chieb, professeur associé à l’université Paris-XIII, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), indiquait : « En tant qu’universitaire à Paris XIII où j’enseigne tous les vendredis, je ne sais pas si je suis dans une université ou dans une mosquée. Les jeunes filles portent de manière ostentatoire non seulement le voile islamique mais carrément le hidjab et le niqab et personne ne peut changer cette réalité alors qu’elle devient de plus en plus visible. »

M. Boris Vallaud. Ce débat est tranché depuis 1905 et la loi qui a défini notre conception d’une laïcité de l’État et non de la société. Les étudiants sont précisément des usagers du service public, et ce ne sont plus des enfants.

Les propositions ne sont pas exemptes de caricatures et d’amalgame, comme lorsque nos collègues du groupe Les Républicains ont proposé une mission d’information portant sur les dérives intellectuelles et idéologiques dans les milieux universitaires. Il est vrai que, sur cette question comme sur celle du voile, M. le ministre de l’éducation nationale n’avait pas manqué d’apporter sa touche personnelle.

Le président de la Conférence des présidents d’université (CPU) nous a fait savoir par courrier qu’il ne souhaitait pas nous voir remettre en cause la loi existante : « Y voir une menace relève d’une défiance à l’encontre des universitaires qui seraient jugés inaptes à former des esprits libres et à ouvrir de nouveaux champs de connaissance. C’est aussi mépriser les étudiants en les tenant pour incapables d’exercer leur esprit critique et de prendre distance avec leur croyance. Accueillant des élèves de nombreux pays, l’université ne souhaite pas renoncer à toute ouverture internationale profondément ancrée dans la tradition universitaire. La vraie menace réside dans le risque d’intrusion des religions et des idéologies diverses dans la science, le contenu des enseignements et les champs de recherche, au mépris de la liberté de chaque enseignant d’exprimer sa pensée et de la liberté des étudiantes et des étudiants inscrits d’assister aux enseignements dispensés. »

M. Frédéric Petit. L’enseignement supérieur est un lieu de débat et de recherche entre adultes : chacun, enseignant ou étudiant, doit pouvoir y venir avec ce qu’il est. Un signe religieux n’y constitue pas systématiquement une agression. Laissons les professeurs faire leur travail. L’essentiel est que la science reste la science. N’aseptisons pas notre société ! N’aseptisons pas notre université ! Mais ne soyons pas naïfs pour autant : ce qui relève de la contrainte est déjà condamné par la loi.

M. Saïd Ahamada. Je suis de ceux qui pensent que ce débat n’a pas grand‑chose à faire dans le cadre de l’examen de ce texte, sauf à assimiler islam politique et voile.

Les députés n’ont pas vocation à dire comment les religions doivent être pratiquées par les uns et les autres. Il revient aux Françaises de décider si elles souhaitent ou non porter le voile. Je n’y suis pas favorable, mais je défendrai celles qui veulent le faire et qui ne sont pas des agents infiltrés de l’islam politique.

Il faut respecter la tradition de liberté d’expression, de formation d’esprits libres au sein de l’Université. Empêcher des femmes voilées de la fréquenter serait à mon sens contre-productif. Il faut même tout faire pour qu’elles y aillent, afin de rencontrer l’autre et de former leur esprit. Elles décideront ensuite, en connaissance de cause, si elles continuent de se voiler À défaut, nous aurons des ghettos de femmes voilées, qui se formeront ailleurs.

Ce pays, et c’est l’une de ses richesses, nous permet de regarder dans la même direction avec nos cultures et nos religions différentes. L’Assemblée nationale n’a pas à perpétuer des clones ou une certaine idée de la France.

Mme Anne-Laure Blin. Il faut en effet que nous parvenions à établir un socle commun de valeurs républicaines en nous interrogeant sur le cadre que nous souhaitons pour notre République et pour nos établissements d’enseignement supérieur. Il ne s’agit pas de jeter la pierre à tel ou tel. La communauté universitaire est confrontée à des difficultés où le port de signes ostentatoires a créé des tensions palpables. Ne pas figer un cadre de valeurs reviendrait à laisser nos enseignants et nos personnels se débrouiller seuls. Vous écartez le problème au motif que ces étudiantes sont des adultes. Doit-on en déduire que des amendements jugés irrecevables auraient pu être votés puisqu’ils concernaient des enfants ?

Enfin, l’enseignement supérieur ne se résume à l’université : certains étudiants suivent leurs cours en classe de BTS ou en classe préparatoire. Or le port du voile est proscrit dans ces établissements.

M. Ludovic Mendes. La loi de 2004 avait trouvé un juste équilibre entre la liberté de conscience et les principes de la laïcité. Le niqab est totalement interdit parce qu’il cache le visage : il ne devrait donc pas être autorisé à l’université puisque cela va à l’encontre de la loi.

Nous devons en outre protéger la liberté de conscience et le respect des convictions des étudiants. Nous devons aussi garantir le respect de l’ordre public et l’absence de tout prosélytisme religieux par la parole et l’imposition de débat ou le refus de débattre. En cas de troubles à l’ordre public, la loi peut précisément intervenir. Ce n’est pas le vêtement qui est visé.

En cas de non-respect des règles, le président d’université peut user de son pouvoir de police. Il peut exclure, même définitivement, certains étudiants.

Certes, on peut s’interroger mais finirons-nous par exclure le port du boubou au motif qu’il n’est pas assez républicain ou pas assez français ? On peut combattre le prosélytisme religieux sans s’en prendre aux vêtements.

M. Charles de Courson. Estimons-nous que porter des signes ostentatoires constitue un risque de prosélytisme, notamment religieux ? L’envisager c’est faire peu de cas des personnes majeures qui fréquentent l’université.

Voter les amendements nous ferait courir le risque d’exclure celles qui refuseraient de les retirer. Qu’y aurons-nous gagné ? Rien. Nous aurons au contraire conforté le séparatisme. La sagesse serait donc de les rejeter.

M. Jean-François Eliaou. Le port du voile à l’université, sujet très important, n’est cependant pas le point central de notre débat. Il importe de souligner que les établissements d’enseignement supérieur, les écoles sont également concernés. Il faut aussi rappeler que si l’on interdit le voile, il faut également interdire les autres signes ostentatoires religieux comme la kippa et la croix. En outre, tout ne se résume malheureusement pas au port du voile. Je veux parler des tendances indigénistes, de la censure ou du boycott de certains cours, des discussions provoquées ou interdites, des réunions racisées, du désaveu de certains professeurs, autant d’événements gravement perturbateurs de la vie de l’Université. Enfin certains enseignants, qui ne doivent pas porter le voile, portent en revanche des discours et des contre-discours.

Lorsque j’enseignais dans l’enseignement supérieur, certaines de mes étudiantes étaient voilées, mais à aucun moment elles n’ont perturbé mon cours. J’aurais réagi si elles l’avaient fait. Celles qui portent le voile à l’université ne sont pas significativement perturbatrices.

Mme Marie-George Buffet. L’université est un lieu de débat, d’échanges et d’expression entre adultes. Il faut y conserver cette liberté de conscience et religieuse.

Si certaines étudiantes se cachent le visage, elles tombent sous le coup de la loi, si une religion ou une autre se livre à du prosélytisme, ou si des perturbateurs discutent de la liberté d’enseignement des professeurs, l’université doit faire cesser de tels comportements.

Tout cela est causé non pas par un vêtement, mais par la volonté de remettre en cause la liberté de pensée, de conscience et d’enseignement contre laquelle nous avons les moyens d’agir.

Mme Coralie Dubost. Effectivement, la laïcité implique la neutralité de l’État et le respect par celui-ci de la liberté de conscience. À l’université, de jeunes majeurs apprennent l’esprit critique en faisant leurs humanités. Or quoi de plus beau que d’apprendre l’autre, y compris dans sa différence ?

J’ai auditionné l’association Étudiants musulmans de France (EMF). Deux de leurs représentantes – étudiantes voilées, libres et épanouies – m’ont livré un message qui pourrait se résumer ainsi : merci, nous allons bien et sommes heureuses de mener des études qui nous permettront de nous intégrer professionnellement. Elles déploraient juste de ne pas être intégrées dans certaines associations universitaires sportives.

Par pitié, ne les mettons pas en difficulté ! Ne les amenons pas à rompre avec l’université !

Mme Cécile Untermaier. La question du voile n’a rien de tabou. Il est même bon de la poser.

Les universités font partie du service public de l’éducation, mais concernent des personnes majeures. Elles sont ouvertes au monde et dépositaires d’une tradition médiévale d’accueil. Lieux de transmission du savoir, elles ont une forte dimension internationale et une pleine ouverture à la société. L’enseignement supérieur ne saurait donc se donner pour objet d’ordonner la vie privée et personnelle des étudiants. Les universitaires, qui se sont exprimés, réclament avant tout que le législateur n’intervienne pas. Imaginez donc quelle résonance aurait cette loi si elle comportait une interdiction du voile à l’université !

M. Éric Poulliat, rapporteur thématique. Je souscris aux propos de Mme Buffet. J’ajoute qu’il ne faudrait pas se tromper de combat. Comme l’a dit Mme Genevard, il y a une montée inquiétante d’une idéologie fondée sur le racialisme, le séparatisme racial, l’indigénisme, le décolonialisme, qui expose nos jeunes à un discours qui divise et qui met l’accent sur nos différences plutôt que sur ce qui nous rassemble. Il faut savoir mener ce combat, c’est vrai, sur le plan politique – les présidents d’université par exemple y ont un rôle : la paix sociale ne s’achète pas à n’importe quel prix dans nos universités – mais le lien avec la religion qu’opèrent les amendements me paraît hasardeux. Surtout, il ne faut pas prendre en exemple des cas qui tombent déjà sous le coup de la loi et qui montrent une nouvelle fois que celle-ci n’est parfois pas respectée comme elle le devrait dans nos universités. Cela soulève la question de la responsabilité de ceux qui sont chargés de la faire respecter.

M. Pierre-Yves Bournazel. Le groupe Agir ensemble votera contre ces amendements. D’abord, l’université est le lieu de la liberté. Y vont des hommes et des femmes majeurs, qui ont cheminé sur le plan politique, philosophique et religieux, ce qui est très différent des collèges ou des lycées. Voter ces amendements, ce serait considérer ces femmes dont on parle comme des mineures, pas comme des majeures dotées de leur liberté de vision et de pensée. Je suis d’accord avec un certain nombre d’arguments qui rappellent les dangers du prosélytisme, du boycott des cours, du voile intégral, mais tout cela est déjà sanctionné, car la loi est déjà intervenue dans ces domaines. Cette dérive de l’islamisme radical politique doit évidemment éveiller nos consciences et notre vigilance, mais interdire le voile à l’université ou dans l’enseignement supérieur, c’est dire que toutes les femmes qui portent le voile posent problème, et donc que l’islam pose problème. Or ce n’est pas l’islam, pas une religion qui pose problème dans la République : c’est quand on dévoie une religion, qu’on l’instrumentalise sur le plan politique, qu’on verse dans des dérives d’entrisme, de séparatisme, ce qui est le cas par exemple de l’islam radical. Ce ne sont pas les femmes qui ont décidé de porter le voile à l’université qu’il faut condamner, c’est le prosélytisme.

Ce que le législateur de 1905 a voulu, c’est une triple protection : une protection des individus, libres de choisir une religion, d’en changer, d’en sortir ou de ne pas en avoir ; une protection pour les groupes religieux, puisque la laïcité garantit l’exercice des cultes ; et une protection pour la société, car avec la neutralité des institutions publiques, la laïcité doit assurer l’égalité des droits de tous les citoyens, ni plus ni moins.

M. Éric Ciotti. Dans ce débat essentiel, madame Brugnera, il n’y a pas d’attitude irrespectueuse, ou alors je pourrais retourner l’argument : l’irrespect, les étudiants qui ne portent pas de signe religieux ostensible et à qui sont imposées les marques d’une appartenance religieuse le subissent aussi. Le respect marche dans les deux sens.

Si j’entends la logique de M. Bournazel, c’est la République qui doit s’adapter à une règle religieuse, quelle qu’elle soit, et donc aux règles de l’islam – en admettant que ce dont nous parlons soit une de ses règles d’ailleurs, puisque le débat existe. Mais non ! C’est à la religion, quelle qu’elle soit, et notamment à l’islam, de s’adapter aux lois de la République. C’est cela l’idée qu’il faut défendre. Il faut le faire avec courage. Je sais que c’est difficile, que cela peut susciter des tensions, mais où en serons-nous dans dix ans si nous n’avons pas ce courage aujourd’hui ? Je pose la question en pensant à ceux qui l’ont eu en 2004.

Pour finir, je veux citer trois auteurs que je respecte et dont j’ai pu soutenir certaines positions, même si je ne partage pas leurs engagements actuels. D’abord, le ministre de l’éducation nationale, selon lequel le voile n’est pas souhaitable dans notre société. Ensuite, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, disant hier que le voile peut signer l’asservissement et qu’il peut aussi signer un choix. Tolérer quelque chose qui signe un asservissement, cela me semble choquant. Et enfin vous-même, monsieur le ministre, écrivant dans Plaidoyer pour un islam français. Contribution pour la laïcité en 2016 « La multiplication des signes ostentatoires religieux à l’intérieur même des cours de l’enseignement public supérieur pose la question du prosélytisme. »

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce débat a lieu entre nous parce qu’il a lieu dans la société. Il doit être apaisé, certes, mais pas simplifié : la simplification, c’est l’intempérance, monsieur Ciotti, et sur des sujets aussi complexes, rien n’est pire. Il m’a semblé que certains aspects de vos propos faisaient polémique. Nous voulons traiter ce sujet sans polémique, froidement, et très fermement.

Il a été question des majorités qui ont agi, en 2004 ou 2010 : ont-elles réglementé l’usage du voile dans l’enseignement supérieur ? Non. En effet, le rapport Stasi de 2003 est très clair sur ce sujet, et d’une certaine façon assez définitif. L’objet du débat, rappelle-t-il, ce sont des personnes majeures, comme nous, à l’Assemblée nationale, qui sont capables d’exercer leur savoir critique, et ce dans un lieu de liberté, comme le disait Pierre-Yves Bournazel – la liberté du savoir, du savoir critique. Pour reprendre la discussion d’hier soir, madame Genevard, le voile, en tant que tel, est-il un signe de repli communautaire ? De séparatisme ? D’appartenance à l’islam radical ou politique ? La réponse est non. En revanche, devons-nous lutter de toutes nos forces contre celles et ceux qui font acte de prosélytisme et considèrent que leurs valeurs doivent dominer les principes de la République, ces principes mêmes que nous voulons conforter avec ce projet de loi ? Oui. C’est notre objectif.

Sommes-nous dénués de moyens ? Non. Tous les exemples cités par Éric Diard sont prévus par la loi. Une étudiante qui porte le voile intégral à l’université, comme dans tout l’espace public d’ailleurs, tombe sous le coup de la loi de 2010. Des actes de prosélytisme qui portent atteinte au bon fonctionnement du service public sont condamnables, et seront sanctionnés. Le rapport Stasi recommandait que chaque université se dote d’un règlement intérieur, traitant notamment de ces questions : les universités en disposent maintenant, et cette police des universités, si j’ose dire, doit s’exercer. Bref, nous ne sommes pas dénués de moyens et la seule question qui vaille est donc celle qu’a posée Charles de Courson : faut-il légiférer sur cette question ? Nous en parlions hier soir à propos des collaborateurs occasionnels du service public. Je crois qu’il ne faut pas légiférer plus que ce qui a déjà été fait. Ce serait un acte de division, ce serait dénier à des êtres majeurs la liberté essentielle de faire part, à l’université, de leur opinion philosophique, politique ou religieuse. Car c’est cela aussi, le savoir critique et la confrontation des savoirs.

Il n’est donc pas question d’inaction, de laxisme. La majorité présidentielle ne regarde pas passer les difficultés sans vouloir agir : c’est l’objet même de ce texte. Mais acter l’interdiction d’un signe religieux à l’université, c’est simplement contrevenir aux règles de l’université et c’est je crois diviser profondément notre pays. Or nous, monsieur Ciotti, voulons au contraire le rassembler, autour des principes de la République.

M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement, monsieur Ciotti, les polémiques sont inutiles, surtout avec des éléments sortis de leur contexte. Oui, M. Blanquer dit que le voile n’est pas souhaitable. Nous pouvons être un certain nombre à penser que certaines choses nous gênent et ne sont pas souhaitables : l’abstention, par exemple, n’est pas souhaitable. Mais faut-il interdire la liberté d’aller, ou non, voter ? En tout cas, considérer que quelque chose n’est pas souhaitable ne signifie pas qu’on remplit le monde de la législation qu’on pense adéquate. D’ailleurs, encore faudrait-il choisir l’opinion qui serait supérieure à celle des autres.

Ensuite, des auteurs qui sont contre le port du voile à l’université, je peux en citer quelques-uns dans votre famille politique, comme Alain Juppé ou Marc Le Fur. Je respecte les philosophes culturellement proches de la droite qui pensent que la religion n’est pas l’ennemie de la République. C’est un débat très ancien. Qui pourrait penser d’ailleurs que l’imposition de la laïcité est plutôt à gauche qu’à droite ? Sauf à considérer que le sujet est l’islam et non les religions.

M. Charles de Courson. Cela a bien changé.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois surtout qu’il y a quelque chose d’assez peu cohérent dans tout cela. Nous verrons bien ce que fera le Sénat, et notamment le président Larcher, qui travaille depuis longtemps à ces questions et qui je crois n’a pas les mêmes positions que le groupe LR à l’Assemblée nationale, si j’ai bien compris ce qu’il a dit dans un excellent entretien avec Marcel Gauchet. Bref, il y a plusieurs courants à droite, comme à gauche, ce qui est parfaitement normal. Il ne faut pas penser qu’une certaine droite, et elle seulement, serait capable de sauver la République. C’est plus compliqué, et c’est bien normal : la relation entre le temporel et le spirituel, entre les âmes et le citoyen, est compliquée.

Vous m’avez bien cité, monsieur Ciotti : la question du voile à l’université pose celle du prosélytisme. Beaucoup de choses posent question, il est normal de les aborder, cela ne veut pas dire qu’on doit les interdire. Quant à votre parallèle avec l’école, il n’est pas bon, puisqu’il s’agit d’adultes d’un côté et d’enfants de l’autre. Il y a d’ailleurs quelque chose qui ne va pas, si vous considérez que le fait qu’il y ait de plus en plus de signes ostensibles religieux, et singulièrement de voiles, montre que les textes ne permettent pas de lutter contre les formes de communautarisation, puisque c’est ce que vous dénoncez.

À ce propos, madame Genevard, défendre l’école et le collège confessionnels, comme vous l’avez fait à l’occasion d’amendements, c’est partir du principe qu’ils ne sont pas incompatibles avec la République, sauf à considérer que ce ne devraient être que des établissements catholiques, ce qui n’est pas votre cas. C’est aussi défendre le port du voile dans les écoles sous contrat. Le lycée Averroès de Lille, un autre près de Lyon, sont deux établissements sous contrat avec l’éducation nationale, et créés tous les deux sous Nicolas Sarkozy, pas sous un horrible gouvernement de gauche. Les défendre, c’est accepter que les jeunes filles portent des foulards au collège et au lycée de la République. Si vous ne proposez pas la fin de l’enseignement libre, ce qui serait un retournement de situation improbable, c’est qu’il n’y a pas d’incompatibilité de nature entre le fait de croire en quelque chose, même en-dessous de la majorité, et le fait de pouvoir être un bon citoyen.

La laïcité elle-même n’est pas l’imposition de la neutralité. Elle a toujours recouvert trois choses, les trois mêmes depuis 1905 : la neutralité des agents du service public, la liberté de culte, qui est garantie constitutionnellement, et la pluralité religieuse, autrement dit l’altérité. C’est là la victoire de Briand sur tous les autres : l’acceptation de la pluralité. La République ne reconnaît aucun culte et même la religion catholique, majoritaire en 1905, n’est pas reconnue juridiquement comme telle.

Vous allez un peu vite en besogne, monsieur Bournazel, en disant que ce n’est pas à nous de nous adapter aux lois de l’islam. Vous avez parfaitement raison, mais personne ne propose cela. Personne ne veut obliger toutes les jeunes filles de France à porter un voile à l’université – car ce serait cela, s’adapter à la loi de l’islam.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je n’ai jamais dit cela.

M. Gérald Darmanin, ministre. Bien sûr. La liberté ne permet pas à certains d’imposer ce qu’ils pensent à d’autres, mais à chacun d’exprimer ses opinions. Hier, nous avons complété le texte, notamment sur la proposition de M. Breton, pour ajouter le terme « politiques » à celui de « religieux ». Mme Genevard a alors fait remarquer que la neutralité n’était pas que religieuse, mais aussi politique, et cela pour tous les services publics. Comment alors penser interdire les opinions religieuses à l’université, qui est le lieu même de l’expression politique, celui où l’on crée des partis, où l’on défend des idées, où l’on organise des manifestations ? Si l’on veut la neutralité dans l’espace de l’enseignement supérieur, il faut y imposer aussi la neutralité politique.

Mais le plus important, c’est qu’avec vos amendements le texte à coup sûr serait censuré par le Conseil constitutionnel. Vous souhaitez définir une nouvelle conception de la laïcité. C’est un débat qui n’est pas médiocre, et je comprends qu’on le tienne. Je constate que personne ne propose d’amendement pour protéger une jeune fille de l’obligation qui lui serait faite de porter le voile. Ce serait peut-être cela, pour vous, la bonne façon d’aborder le sujet de la protection que doit accorder le texte…

M. Alexis Corbière. C’est déjà dans la loi.

M. Gérald Darmanin, ministre. On pourrait aussi condamner de ce point de vue le prosélytisme. Je suis d’accord avec M. de Courson, ce n’est pas parce que quelqu’un porte une croix, une kippa ou encore plus un foulard – qui à coup sûr est un signe ostensible, contrairement à la croix qui est un signe visible, mais c’est un autre sujet – que les autres vont changer de religion, ou alors c’est faire peu de cas du libre arbitre de chacun. On ne change pas de religion parce qu’on croise un foulard.

C’est donc un débat noble, qu’il ne faut pas sous-estimer. Il faut démontrer que votre proposition ne peut pas être un parallèle de la loi sur l’école, et qu’en revanche elle peut être un changement fondamental de la laïcité, qui a sa place dans un texte constitutionnel, pas dans une loi ordinaire. Vous vous demandez où nous en serons dans dix ans. Pour ma part – mais peut-être nous payons-nous de mots, peut-être que, comme vous le pensez, ce sera de pire en pire – j’espère que dans dix ans l’énorme travail fait par l’Education nationale, le texte que nous élaborons ici, les possibilités que nous créons de lutter contre l’islamisme politique auront abouti à une nette baisse d’intensité. On peut l’espérer. Quoi qu’il en soit, vous pouvez parfaitement choisir de modifier la Constitution, car c’est à ce niveau que se placent vos propositions.

La commission rejette successivement les amendements CS28, CS94 et CS555.

M. le président François de Rugy. Chers collègues, nous arrêtons là pour cet après‑midi. Nous reprendrons nos travaux à vingt et une heures.

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4.   Réunion du mardi 19 janvier 2021 à 21 heures (suite d’après l’article 1er et article 2)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10170974_600737c62ef04.respect-des-principes-de-la-republique--examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-19-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi.

Après l’article 1er (suite)

La commission examine en discussion commune les amendements CS1536 de M. François Cormier-Bouligeon, CS1625 de M. Pierre Henriet et CS1387 de M. Éric Diard.

M. François Cormier-Bouligeon. Après les débats enflammés de cet après-midi, revenons à plus de mesure et au droit.

En ce qui concerne le service public, trois catégories sont traditionnellement reconnues par la doctrine : les agents, les usagers et les tiers. Une quatrième catégorie juridique, celle des collaborateurs occasionnels, se dessine au fil de l’évolution des usages et de la jurisprudence. Cette catégorie, issue de la théorie dite fonctionnelle, est fondée sur la nature de la mission effectuée.

Je pourrais citer, par exemple, l’arrêt Commune de Saint-Priest-la-Plaine du Conseil d’État du 22 novembre 1946. On évoque aussi, en la matière, une étude du Conseil d’État de 2013, mais ce n’est précisément qu’une étude, descriptive – même si certains pensent qu’elle constitue une incitation à légiférer. C’est notamment l’avis du professeur de droit public Ferdinand Mélin-Soucramanien, que nous avons auditionné la semaine dernière.

C’est au législateur de forger la loi. L’amendement CS1536 vise à créer cette quatrième catégorie – des collaborateurs occasionnels du service public – et à faire porter sur eux une obligation de neutralité. On a dit hier que cette catégorie n’avait pas d’existence juridique : créons-la.

Il existe actuellement une insécurité juridique : les agents du service public ne savent pas toujours si tel signe ou tel vêtement est prosélytique ou non, et l’interprétation peut varier selon les chefs d’établissement et les régions, au risque de créer des inégalités entre les territoires. Nous devons absolument clarifier la situation, en rendant neutre toute la sphère du service public. Cet amendement le permettra.

M. le président François de Rugy. Je ferai une observation qui ne vous est pas particulièrement destinée, monsieur Cormier-Bouligeon – vous avez d’ailleurs strictement respecté votre temps de parole. Je fais en sorte que les débats qui paraissent manifestement importants à toutes et tous puissent se dérouler sans que l’on applique strictement la règle permettant à deux orateurs de s’exprimer en réponse à la rapporteure et au ministre. Je pense qu’il est sain que notre commission puisse consacrer un peu plus de temps à certains sujets, mais nous ne pourrons évidemment pas le faire pour tous les amendements. S’agissant de cette série, une partie du débat – la plus grande partie, même – a déjà eu lieu hier. Je vous demanderai donc de vous en tenir à la présentation des amendements et aux réponses à la rapporteure et au ministre.

M. Pierre Henriet. La participation à l’exécution d’un service public ne saurait constituer une opportunité de faire du prosélytisme, qu’il soit religieux, philosophique ou politique, je pense que nous pouvons tous en convenir. Nous devons prendre des mesures pour prévenir ce risque, en ne nous enfermant pas dans le débat sur la tenue vestimentaire, dont nous avons déjà fait le tour, me semble-t‑il.

L’amendement CS1625 concerne les personnes qui exécutent une mission de service public, quel que soit leur statut. Je ne crois pas que l’objectif d’une telle mission soit de faire la promotion de convictions personnelles et intimes. Cet amendement ne constituera, donc, en aucun cas, une entrave à une quelconque liberté, à l’application de notre Constitution ou à la pluralité religieuse, à laquelle vous avez fait précédemment référence, monsieur le ministre. Il existe d’autres espaces pour exprimer ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques.

M. Éric Diard. Je serai d’autant plus bref que je préférerais que l’on adopte l’amendement CS1396 que je défendrai juste après.

L’objet de l’amendement CS1387 est de soumettre les collaborateurs occasionnels du service public aux mêmes règles que celles s’appliquant à l’ensemble des agents et des contractuels du service public, en particulier l’obligation de neutralité. Le projet de loi étendra cette obligation, à laquelle les agents publics sont déjà soumis, mais cela ne concernera pas, dans la rédaction actuelle du texte, les collaborateurs occasionnels du service public. Je rappelle que la jurisprudence ne les soumet pas à cette obligation.

Il ne s’agit pas d’exclure des personnes qui pourraient être considérées comme des collaborateurs occasionnels après que le service a été rendu. Quelqu’un qui aurait porté secours à une autre personne, par exemple, et qui aurait subi un dommage à cette occasion, pourra toujours être indemnisé en tant que collaborateur occasionnel du service public.

Cet amendement, qui vise à assurer une simple coordination avec l’ensemble du projet de loi, permettra d’étendre l’obligation de neutralité à l’ensemble des collaborateurs du service public – les règles sont les mêmes pour tous. Il s’agit d’également d’envoyer un signal aux usagers en leur rappelant que la République est laïque en toute circonstance : elle ne reconnaît officiellement aucun culte, afin de préserver la liberté de conscience de chacun.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. Nous avons déjà abordé ce sujet hier, en effet. Je l’avais dit, dans son étude de 2013, le Conseil d’État a bien indiqué que la loi et la jurisprudence n’avaient pas identifié de troisième catégorie de collaborateurs du service public ou de participants qui seraient soumis, en tant que tels, à l’exigence de neutralité religieuse. Outre ces catégories qui existent dans la réalité, il n’est pas question, pour ma part, de se focaliser sur les accompagnatrices de sorties scolaires : il y a beaucoup d’autres catégories de personnes concourant occasionnellement à l’exécution du service public. Je l’ai illustré hier à propos de la justice.

À mon sens, il est souhaitable de ne pas laisser subsister l’angle mort mis en exergue par l’étude du Conseil d’État. L’amendement CS1387 de M. Diard et de ses collègues, plus peut-être que ceux de M. Cormier-Bouligeon et M. Henriet, parce qu’il s’inscrit dans la logique juridique du projet de loi, permettra d’atteindre cet objectif. L’amendement soumettra tous les collaborateurs et participants au service public, dans la limite, bien sûr, de la participation à l’exécution du service, à l’obligation de neutralité que le Conseil d’État a voulu réserver aux seuls agents publics. Il reprend la formulation retenue par le projet de loi en l’étendant, pour désigner l’organe devant faire respecter ce principe, à toute personne chargée de l’exécution d’un service public. J’y suis favorable.

Selon moi, il serait regrettable que les délégataires de service public soient, en raison de la référence du projet de loi aux personnes sur lesquelles s’exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, soumis à des contraintes plus sévères que les personnes publiques tenues de faire respecter les principes de neutralité et de laïcité aux seuls agents publics.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons eu hier soir, très longuement, ce débat sur la création d’une catégorie supplémentaire, en plus de celle des agents publics, auxquels s’applique pleinement la neutralité, et de celle des usagers, dont relèvent notamment ce que vous appelez, mes chers collègues, les collaborateurs occasionnels du service public. Nous avons, me semble-t-il, tout dit hier soir à ce sujet. Je me contenterai donc d’émettre un avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Avis défavorable.

M. Alexis Corbière. J’aimerais demander, une nouvelle fois, à nos collègues s’ils sont conscients des conséquences : dans les établissements privés, sous ou hors contrat, qui accueillent 20 % des élèves, tout signe religieux serait interdit, et il en serait de même dans les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) dont il a été question hier. J’espère que, dans l’esprit des auteurs de ces amendements, il ne s’agit pas d’être tatillon à l’égard des bénévoles mais de faire preuve de largesse, de tolérance à l’égard des signes religieux dans les établissements privés financés par de l’argent public. Je ne crois pas que ce soit réellement leur position, mais j’aimerais qu’ils nous disent s’ils souhaitent, en conséquence, que l’enseignement privé catholique n’arbore plus aucun signe religieux.

M. François Cormier-Bouligeon. À voir la tournure que prennent les débats, il n’est plus question de s’en tenir aux principes ; pour certains, c’est l’opportunité de promouvoir des obsessions politiques qui me paraissent folles et dangereuses. On revient sur le voile, soit pour l’accepter aveuglément, le syndrome de Stockholm se transformant en syndrome d’Istanbul ou de Téhéran, soit pour le proscrire partout, pour tous, et ainsi stigmatiser une seule croyance et ses fidèles, qui ne doivent pas être inquiétés en tant que personnes. Car la République, c’est l’esprit critique envers toutes les idées philosophiques, toutes les convictions politiques, toutes les croyances religieuses, mais aussi le respect absolu des personnes et de leur liberté de conscience. La laïcité, c’est la liberté absolue de conscience, dont découle la liberté de croire ou de ne pas croire, et la loi qui traite à égalité tous nos concitoyens, qu’ils soient athées, agnostiques, chrétiens, juifs ou musulmans. Nous ne faisons pas de différence entre eux. Ces amendements ont pour but de rétablir l’égalité en étendant l’obligation de neutralité à toute la sphère du service public.

M. Guillaume Vuilletet. En l’état, la loi garantit l’égalité, la liberté de conscience des usagers et le devoir de neutralité des agents du service public. Ce serait une erreur de la changer.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1538 de M. François Cormier-Bouligeon et CS1396 de M. Éric Diard.

M. François Cormier-Bouligeon. Il y a une forme d’ambiguïté dans nos échanges. Les usagers de l’école, ce sont les élèves, pas les parents ou les accompagnateurs. C’est l’intérêt de l’enfant qui doit être pris en compte, et non celui de l’adulte qui voudrait afficher tel ou tel signe.

Lors des auditions, M. Henri Peña-Ruiz, notamment, nous a dit que l’école est la deuxième vie de l’enfant, après sa famille. Il faut respecter cette deuxième vie parce qu’elle offre ce que la philosophe Catherine Kintzler a qualifié de « chance de dépaysement ». L’école publique accueille des mineurs, vulnérables, en construction ; elle les instruit, pour en faire des citoyens libres, maîtres de leur jugement. Les élèves doivent donc être protégés contre le prosélytisme.

Le code de l’éducation est clair : les sorties scolaires ont une finalité pédagogique et éducative. Ce sont des missions de service public. L’argument selon lequel la neutralité des accompagnateurs serait dirigée contre les mamans voilées me révolte, à titre personnel. Je l’ai dit à plusieurs reprises, il ne s’agit pas de la finalité que nous voulons atteindre. Le respect de la liberté et de la diversité des convictions des familles exige la neutralité des adultes, enseignants ou encadrants. Tel est l’objet de notre amendement CS1538.

M. Éric Diard. L’amendement CS1396 vise à reconnaître la qualité de collaborateur bénévole du service public à toute personne extérieure accompagnant ou recevant une classe lors d’une sortie scolaire, même d’une manière occasionnelle. Actuellement, les intervenants extérieurs ponctuels ne sont pas soumis au principe de neutralité, contrairement aux intervenants réguliers. C’est une disparité importante à l’égard des enfants.

N’oublions pas qu’ils doivent toujours être la priorité à l’école. Le préambule de la Constitution de 1946 reconnaît ainsi que l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïc est un devoir de l’État, et le code de l’éducation que l’État protège la liberté de conscience des élèves. L’objectif est de les protéger alors qu’ils sont en construction et donc vulnérables. L’État assure-t-il vraiment la liberté de conscience des élèves lorsque des accompagnants ou des intervenants se présentent avec des signes religieux ostensibles, à la vue des enfants, au simple prétexte que l’aide apportée est occasionnelle ?

Les accompagnants scolaires ne sont pas nécessairement des parents d’élèves. Ceux d’entre eux qui accompagnent une classe ne le font pas en tant que parents accompagnant leurs enfants mais en tant que collaborateurs anonymes, qui doivent, à ce titre, se soumettre aux mêmes obligations que les agents publics. Les sorties scolaires font partie de l’enseignement, comme les cours. De même que les enseignants, les intervenants et les accompagnateurs scolaires doivent respecter l’obligation de neutralité du service public, afin d’atteindre le seul objectif de l’enseignement : aider les enfants à se construire en tant que citoyens, en protégeant leur liberté de conscience.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Mon approche est différente. La position que j’ai défendue tout à l’heure ne visait pas une catégorie particulière de collaborateurs occasionnels. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS96 de Mme Anne-Laure Blin et CS752 de M. Julien Ravier, et les amendements identiques CS27 de Mme Annie Genevard et CS556 de M. Éric Ciotti.

Mme Anne-Laure Blin. L’amendement CS96 devrait obtenir l’assentiment du Gouvernement. À partir du moment où les signes ostentatoires peuvent toucher un public constitué de mineurs, nous pouvons avoir une conception un peu plus large de ce qu’on peut entendre par laïcité. Sans parler de la qualification juridique que vous ne voulez pas accorder à la catégorie des collaborateurs occasionnels du service public, l’idée est que les parents accompagnant les sorties scolaires aient une tenue totalement neutre.

En 2013, le Conseil d’État ne s’était pas opposé à ce que l’éducation nationale recommande aux parents accompagnateurs de s’abstenir de manifester une appartenance ou une croyance religieuse, mais la situation est différente aujourd’hui. Ne pas agir reviendrait à imposer aux élèves une atteinte à leur liberté de conscience, alors même que l’État et nous-mêmes, en tant que législateur, avons le devoir de la protéger. Cela accentuerait encore l’affaiblissement des valeurs républicaines face au séparatisme et à l’islamisme politique.

M. Julien Ravier. L’amendement CS752 vise également à étendre l’interdiction de manifester ostensiblement une appartenance religieuse aux personnes participant aux activités liées à l’enseignement dans ou en dehors des établissements, ce qui comprend les sorties et les voyages scolaires.

Les personnes participant à ces activités s’inscrivent dans une mission de service public. Il s’agit donc de les soumettre aux mêmes obligations de neutralité que les personnes assurant une mission de service public et de conforter le principe de la laïcité au sein de l’école de la République pour ses usagers, les enfants, qu’il convient de protéger.

Les parents accompagnateurs participent clairement à l’encadrement des enfants. Cette responsabilité leur est dévolue par l’enseignant. Si un enfant traverse la route et risque de se faire écraser, le parent accompagnateur doit intervenir : sa responsabilité est engagée. Il a, de fait, une mission de service public. Je pense donc qu’il faut lui étendre le principe de neutralité.

Mme Annie Genevard. Je propose, par l’amendement CS27, d’interdire le port de signes ou de tenues attestant une appartenance religieuse par des parents d’élèves, pères ou mères, lorsqu’ils accompagnent des élèves à l’occasion de voyages ou de sorties scolaires.

Lors de son audition passionnante et lumineuse, Catherine Kintzler, que l’on ne peut pas soupçonner d’avoir de mauvaises pensées, a considéré qu’il fallait soutenir cette approche. Selon elle, il faut toujours rappeler au citoyen que nous pouvons tous sortir de l’assignation : nous avons tous un ailleurs, un dépaysement qui est une élévation – Élisabeth Badinter parle de la possibilité de cultiver la différence par rapport à la norme, « d’être différent de sa différence ».

Pour Catherine Kintzler, les accompagnateurs scolaires sont tenus de protéger la liberté de conscience des élèves, car l’école n’est pas faite pour les parents, mais pour les enfants. J’ai beaucoup entendu parler, dans nos débats, du respect dû aux parents, mais il faut défendre l’intérêt supérieur de l’enfant. On doit se poser la question de la nature de la mission exercée et non du statut de l’accompagnateur. C’est précisément à cela que vous invite notre amendement.

M. le président François de Rugy. Je vais donner la parole à M. Ciotti pour présenter l’amendement CS556, en précisant qu’il est cosigné par Mme Genevard et que le précédent l’était par M. Ciotti. Il est, tout de même, totalement artificiel de déposer des amendements identiques qui ont, en grande partie, les mêmes cosignataires. On sait que c’est pour grappiller du temps de parole, mais je pense être très correct en la matière. Je vous invite, à l’avenir, à vous entendre au sein de chaque groupe pour que les mêmes amendements ne soient pas défendus deux fois.

M. Éric Ciotti. Les accompagnants scolaires ne doivent pas pouvoir imposer aux enfants, que l’on doit protéger de toute influence et de tout prosélytisme religieux, leur appartenance religieuse.

J’ai déjà lancé ce débat à plusieurs reprises, sous plusieurs législatures, et récemment encore, à l’occasion du projet de loi pour une école de la confiance. Cela avait d’ailleurs suscité quelque émoi dans la majorité que le ministre de l’éducation nationale semble vouloir donner un avis favorable à mon amendement, qui était cohérent avec ce qu’il avait toujours défendu, en particulier lorsqu’il était directeur général de l’enseignement scolaire – il avait rédigé lui-même, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la courageuse « circulaire Chatel ». Ce texte posait des garde-fous, que nous devons, plus que jamais, ériger contre l’avancée d’un prosélytisme islamiste qui menace notre société.

Il faut, je le redis, avoir du courage. On doit poser des marqueurs, défendre des symboles, avoir une forme d’audace. Cela ne nous débarrasse pas de certains risques, de certaines menaces, bien sûr, mais c’est la défense des valeurs républicaines essentielles qui est en cause. L’école doit être préservée de telles influences, sanctuarisée. Une forme de prosélytisme se manifeste à travers les accompagnants scolaires. Nous pouvons avancer juridiquement, et nous avons surtout le devoir et la responsabilité de le faire.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Mon avis est défavorable. Je n’ai pas besoin de développer davantage, compte tenu de ce que j’ai exposé précédemment. Je ne souhaite pas une approche de ce sujet par catégorie.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Guillaume Vuilletet. Il y a constamment une référence au courage. Le courage, ce n’est pas instrumentaliser les stigmatisations, les haines ; c’est assurer la cohérence de notre société en la respectant telle qu’elle est. C’est respecter le fait que des familles, malgré ou avec leurs convictions religieuses, envoient leurs enfants à l’école de la République, où il n’existe pas de distinctions sur ce plan.

M. Alexis Corbière. De grâce, arrêtez avec le mot « courage » ! Je ne considère pas comme courageux de s’attaquer à des gens qui prennent sur leur temps pour rendre service à l’école publique, qui permettent l’organisation d’une sortie scolaire, et qui portent parfois des signes religieux sans faire de prosélytisme. Monsieur Ciotti, vous êtes un homme puissant, un député ; en quoi est-il courageux d’imposer, depuis deux jours, un débat sur ces gens qui n’ont commis aucun crime ? Le courage eut peut-être été, lorsque vos amis étaient au Gouvernement, de ne pas supprimer des postes dans la police et d’aider nos services de renseignement !

Sitôt que quelqu’un se trouve en désaccord avec les amendements que vous déposez encore et encore, vous laissez entendre qu’il y a d’un côté les courageux, de l’autre les lâches. Vous avez le droit de présenter ces amendements ; je respecte ce débat, il a sa cohérence. Mais cessez de considérer qu’il y a d’un côté des postures républicaines fermes, et de l’autre des couards. Surtout vous, monsieur Ciotti et madame Genevard, qui ne voyez aucun problème à ce que l’argent public finance la scolarisation de 20 % de nos enfants dans des établissements privés qui affichent des signes religieux et au sein desquels des discours homophobes se tiennent encore aujourd’hui. Vous ne trouvez rien à redire à ce que l’argent public serve à financer cela, mais tracasser des gens bénévoles qui portent des signes religieux, ça c’est courageux, selon vous !

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Je trouve stérile de prolonger ce débat des heures durant sur des amendements peu ou prou similaires. Mais il est intéressant, monsieur Ciotti, que vous disiez que le Parlement a un véritable rôle à jouer en prenant parti sur ce sujet. Il a déjà clairement pris position dans la loi sur l’école de la confiance, pour des raisons juridiques exposées au début de ce débat et pour des raisons politiques tenant à la démarche respectueuse de la République de la part des parents accompagnants qui choisissent de participer au service public.

La cohérence de la majorité est de confirmer la ligne qu’elle a adoptée, quand bien même la position de certains ministres pourrait être différente. Reconnaissez que le Parlement a son mot à dire : c’est lui qui a fixé la position de la majorité, qui est maintenue dans ce projet de loi.

Mme Annie Genevard. J’ai été très frappée, hier, par le témoignage de notre collègue François Pupponi. J’ai aimé l’authenticité avec laquelle il a fait part de son trouble et de ses hésitations, nous invitant à prendre conscience que notre école est dans le viseur des islamistes, et qu’il faut s’en protéger.

Monsieur Corbière, il n’est pas nécessaire de vous emporter comme vous le faites. Parler de courage ne signifie pas distinguer les courageux et ceux qui ne le sont pas. En employant ce mot, nous voulons souligner que certains débats nous exposent plus que d’autres. Le port du voile à l’université ou par les accompagnateurs scolaires en est un exemple, et il serait beaucoup plus confortable pour beaucoup d’entre nous de n’en rien dire. C’est ce que nous entendons en parlant de courage.

Prenons l’exemple d’une femme qui travaille dans le service public. Vous trouvez normal qu’elle enlève son voile pour y exercer sa fonction – c’est l’objet de l’article 1er de ce projet de loi – mais vous trouvez scandaleux qu’on lui demande de l’ôter lorsqu’elle entre dans une école, espace éminemment consacré au service public ? Je ne vois pas la différence.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est un débat extrêmement intéressant, même s’il commence à devenir un peu redondant depuis hier. Cela montre que la parole est libre dans cette commission, que l’on y débat de tous les sujets, et le Gouvernement le fait bien volontiers.

Il est bien question du voile, pas d’autre chose. Et ce voile cache trois autres débats, que nous ne réglerons pas maintenant – bien malin, qui pourrait le faire.

D’abord, vos amendements proposent une redéfinition de la laïcité. Ce que vous défendez n’est pas la laïcité française telle qu’elle résulte du compromis d’Aristide Briand et qui repose sur la neutralité des agents du service public et de l’État, la pluralité religieuse et la liberté de culte. Vous êtes libres de défendre qu’elle doit aussi inclure la neutralité de l’espace public, mais alors il ne s’agit pas de faire respecter les principes de la République, il s’agit de les modifier. La laïcité qui prévaut depuis 115 ans, l’intégralité de la jurisprudence la définit par les trois éléments que j’ai cités, parmi lesquels la pluralité religieuse vient d’encore plus loin, puisqu’elle existait avant la République, depuis que le gallicanisme est arrivé sur le territoire national, au XIVe siècle.

Ce voile cache un deuxième débat qui ne dit pas son nom. Au fond, vous n’êtes pas opposés au voile en général, et M. Corbière n’a pas tort dans sa démonstration – un peu absurde, il faut bien l’avouer. Soit nous débattons de l’expression des opinions religieuses et de la neutralité nécessaire ; c’est la laïcité. Soit nous débattons, non pas de la compatibilité de la religion avec le pouvoir politique – cela nous amènerait trop loin et j’imagine que nombre d’entre vous considèrent que la question ne se pose plus pour les catholiques, les protestants ou les juifs – mais de la compatibilité de l’islam et de son expression publique avec la République. Certaines positions politiques défendent que l’islam, intrinsèquement, n’est pas compatible avec la République. Je crois profondément que l’islam est compatible, à la condition d’une importante sécularisation et d’efforts de la part de l’État et des croyants. Mais si l’on considère qu’une religion et son expression n’est pas compatible avec la République, parce qu’elle représente un danger à chaque fois qu’elle se montre, je comprends certaines prises de position, mais M. Corbière a raison de poser la question des écoles sous contrat confessionnelles.

M. Ciotti ne cite qu’une partie du bilan de Nicolas Sarkozy, qui a aussi accordé des conventions à des écoles sous contrat musulmanes. C’est lui qui a donné son accord à l’ouverture du lycée Averroès et du groupe scolaire musulman de Lyon, où les jeunes filles ont le droit d’être voilées. Si vous considérez que c’est absolument incompatible avec la construction d’un citoyen, indépendamment de votre opinion favorable à l’école libre – disons plutôt privée pour ne pas choquer les plus laïcs d’entre vous –, alors il faut distinguer entre les religions. Ce débat n’est pas médiocre, il est soulevé par une partie de nos concitoyens ; mais nous pensons être fidèles aux principes de neutralité, de pluralité et de liberté de culte qui définissent la laïcité, et que la République ne doit distinguer aucun culte.

Enfin, madame Genevard, vous avez dit une bêtise. Il n’est pas interdit à une maman qui porte un foulard ou un papa qui porte une kippa d’entrer dans une école publique.

Mme Annie Genevard. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Gérald Darmanin, ministre. On peut imaginer de proposer cette interdiction, mais à ce jour, il n’est pas interdit à un usager d’entrer dans un espace public en portant des signes religieux. Or vous comparez ce cas à l’article 1er du projet de loi, qui prévoit la disparition des signes religieux pour respecter la neutralité lorsque la personne concernée est fonctionnaire. Mais dans ce cas, elle a un lien contractuel ou statutaire avec le service public, et perçoit une rémunération. La maman qui accompagne une sortie hors du site scolaire n’a pas de contrat – c’est ce que M. Cormier-Bouligeon a intelligemment tenté d’introduire – et elle n’a pas de mission…

Mme Annie Genevard. Mais si ! Collaborateur occasionnel du service public !

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, elle est bénévole. Vous le savez bien, c’est pour cette raison que la circulaire de M. Chatel n’a jamais été inscrite dans la loi, il faudrait changer la Constitution pour modifier la notion de laïcité.

Le débat sur la neutralité religieuse des sorties scolaires peut aller assez loin. Faut-il étendre cette neutralité aux sites visités lors des sorties scolaires ? Des écoles publiques organisent des visites de la grande mosquée de Paris ; faut-il interdire ces visites ? Toutes les écoles le font, et c’est tant mieux. Je suis pour que l’on explique les religions aux enfants ; je n’ai pas la laïcité honteuse.

Pour résumer, sans nier l’intérêt de ce débat, je considère, d’abord, qu’il est de nature constitutionnelle. Ensuite, vous n’osez pas dire – au moins une partie d’entre vous – que vous ne visez que l’islam – ce qui n’interdit pas de discuter de sa compatibilité avec la République. Enfin, le problème principal est de savoir si l’on doit accepter l’expression de l’islam dans tous les espaces publics. Il ne faut pas, dites-vous, que les enfants soient influencés ; en ce cas, l’école n’est pas le seul lieu concerné. Pourquoi ne pas complètement interdire les signes religieux dans l’espace public ? Ce serait plus cohérent. Il faut donc citer tout le bilan de Nicolas Sarkozy.

Tout le monde l’aura compris, le Gouvernement considère que les mamans qui portent le foulard ne sont pas les plus séparatistes des personnes qui attaquent la République. C’est un faux débat qui cache les vrais sujets abordés par ce texte. Les dispositions sur les signes religieux s’opposent à l’expression d’une partie des religions alors que ce texte n’a jamais été pensé contre celles-ci. Il tend à lutter contre les séparatismes, ce qui est fondamentalement différent.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1500 de M. Pierre-Yves Bournazel, CS1871 du rapporteur général, CS1388 de M. Éric Diard et CS746 de Mme AnneFrance Brunet.

M. Pierre-Yves Bournazel. L’amendement CS1500 tend à préciser explicitement l’obligation de former les enseignants et personnels d’éducation à la laïcité et au respect des principes de la République. Selon l’Observatoire de la laïcité, 81 % des enseignants n’ont jamais reçu de formation sur la laïcité. Rendre une telle formation obligatoire serait un moyen d’accompagner les enseignants et les personnels d’éducation qui peuvent faire face à des difficultés pour aborder les questions de laïcité. Ainsi seraient-ils dotés d’outils pour présenter le principe de laïcité dans le cadre de leur enseignement ; intégrer de nouvelles façons d’agir et progresser dans la lutte contre les discriminations ; savoir comment réagir face à des situations complexes ; détecter et signaler des comportements contraires à la laïcité et aux principes de la République en général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Lors des nombreuses auditions, nous avons constaté de manière consensuelle qu’un texte qui porte en partie sur la laïcité et tend à renforcer la neutralité des agents publics et protéger nos fonctionnaires devait impérativement proposer des mesures plus efficaces de formation à la laïcité, particulièrement pour le personnel de l’éducation nationale.

Avec la rapporteure thématique Anne Brugnera, nous avons relayé les préoccupations exprimées au sein de cette commission auprès du ministre de l’éducation, et nous vous proposons l’amendement CS1871. Il propose un mécanisme de formation valable au sein des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE), mais aussi en formation continue, ce qui permettra de réarmer le personnel de l’éducation nationale. C’est d’ailleurs pourquoi je demanderai le retrait des autres amendements dans cette discussion commune.

M. Éric Diard. Mon amendement CS1388 est assez similaire ; il vise à former les étudiants des INSPE à l’appréhension du fait religieux et du séparatisme, grâce à un module spécifique, car les enseignants du primaire et du secondaire y sont de plus en plus souvent confrontés. L’école doit être un temple républicain dans lequel les élèves sont préservés des influences qui pourraient altérer leur développement, particulièrement celles liées au séparatisme.

Les enseignants sont les premiers défenseurs des élèves et leur permettent de poursuivre leur développement en toute sérénité. Dans ce rôle, ils sont souvent désarmés. Samuel Paty a tragiquement perdu la vie alors qu’il voulait sensibiliser sa classe à la liberté d’expression, car le cours qu’il a donné n’était pas en accord avec les dogmes séparatistes et extrémistes de certains. C’est la raison pour laquelle il est indispensable de donner à ceux qui se destinent à la profession d’enseignant dans le primaire et le secondaire les moyens de répondre aux faits comme aux discours séparatistes. Un module de formation spécifique dans les INSPE serait un bon moyen pour démarrer. Rappelons que seulement 20 % des enseignants sont formés à la laïcité.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CS746 est défendu. 

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je suis d’accord avec vous tous, cette formation est absolument indispensable. Au regard de la mission de nos enseignants, de leur public et des contextes qu’ils connaissent, et en considération de leurs propres demandes, la mention de cet enseignement spécifique doit explicitement figurer parmi les dispositions du code de l’éducation.

L’amendement défendu par le rapporteur général devrait tous vous satisfaire. Aussi suggéré-je le retrait des amendements CS1500, CS1388 et CS746 à son profit.

M. Philippe Vigier. Il faut voir dans ces amendements le deuxième pilier de cette loi : la prévention. Je suis ravi qu’ils permettent de réarmer le personnel enseignant, auquel nous le devons bien.

Je regrette cependant que ces formations à la laïcité ne puissent pas bénéficier aux élus. J’avais déposé un amendement en ce sens. Un amendement gouvernemental est bien consacré aux fonctionnaires, mais pour emporter l’adhésion de tous, ce projet de loi ne doit pas oublier ceux qui sont en première ligne. Les associations d’élus ont formulé cette demande à plusieurs reprises lors des auditions ; il faut répondre à cette exigence républicaine. N’oublions pas que les élus sont des agents de l’État.

M. Alexis Corbière. Je voterai l’amendement du rapporteur général. On parle de laïcité, encore faut-il l’enseigner, la faire comprendre pour avoir un langage commun. Nos débats démontrent qu’il y a différentes approches.

Malheureusement, vous avez déclaré irrecevable notre amendement CS1117, qui prévoyait de renforcer l’enseignement de la laïcité dans les établissements scolaires. Pourquoi former les enseignants à la laïcité si ce n’est pour qu’ils transmettent ce savoir à leurs élèves ?

Nous évoquons tous la mémoire de Samuel Paty. C’est un enseignement sur la liberté d’expression qui lui a coûté la vie, pas sur la laïcité. Il n’y a pas vraiment de cours sur la laïcité, nous gagnerions à l’instituer.

M. le président François de Rugy. Cet amendement a été déclaré irrecevable parce qu’il portait sur les agents du service public, qui font l’objet de l’article 1er.

Mme Géraldine Bannier. J’appelle à une formation très pragmatique qui offre de vraies solutions de suivi des élèves reconnus en dérive à l’égard des principes républicains. Je ne suis pas contre l’idée de renforcer la formation, mais la laïcité fait déjà partie de la base de la formation aux enseignants dans les INSPE ; elle n’est pas ignorée.

Faisons attention, chers collègues, car de projet de loi en projet de loi, je constate que les professeurs sont souvent pointés du doigt, pas forcément pour faire du mal à la profession, mais il semble toujours nécessaire de les former à quelque chose. Ils font de leur mieux sur le terrain, et la laïcité, ils connaissent. Ils ont besoin de solutions pour prendre en charge les élèves à la dérive.

M. Xavier Breton. Qui pourrait s’opposer à une formation à la laïcité ? Mais il faut toujours se méfier des idées faciles. Il n’est pas ressorti des auditions que le problème des enseignants était d’être formés à la laïcité. Connaissez-vous, monsieur le rapporteur général, les modules de formation qui existent déjà dans les INSPE ?

Plutôt que de montrer du doigt les enseignants en disant qu’ils ne sont pas assez formés, il faut au contraire que leur hiérarchie et toute la société les soutiennent quand ils sont confrontés à des difficultés.

La laïcité ne s’impose pas verticalement, par une instruction enjoignant d’être laïc. On ne peut pas imposer une conception de l’être humain. La laïcité est un état d’esprit que l’on partage, dans lequel on débat, de manière beaucoup plus ouverte que la conception fermée et les instructions que vous voulez donner. Je ne voterai pas cet amendement.

M. Christophe Euzet. Je ne partage pas du tout ce point de vue. Pour avoir fréquenté, dans d’autres fonctions, des publics de niveaux très différents et des enseignants livrés à eux-mêmes à propos des principes républicains, sur lesquels ils étaient très défaillants, je pense qu’il est d’un grand intérêt de les former à ces principes.

Un système politique est toujours la combinaison d’une part d’autorité et d’une part de séduction. L’autorité passe par la sanction et la répression, la séduction tient à sa propre capacité à prouver qu’il est légitime et qu’il peut être reconnu dans le temps. Ce message ne peut être véhiculé que par des enseignants susceptibles de le transmettre. C’est pourquoi nous sommes très favorables à la formation des enseignants à la laïcité et aux principes républicains.

M. Ludovic Mendes. Je suis d’accord avec l’amendement, mais est-il possible d’intégrer la proposition de M. Bournazel d’élargir la formation sur les principes républicains à la lutte contre les discriminations ? Cela permettrait de renforcer l’accompagnement du corps enseignant dans la lutte contre le harcèlement au sein de l’école.

M. Stéphane Peu. Nous soutenons cet amendement avec beaucoup d’enthousiasme. S’il est un lieu où les valeurs et les principes de la République doivent être enseignés, s’il y a un creuset de l’intégration républicaine, c’est bien l’école. Je ne vois pas, dans cet amendement, une accusation ou une mise en doute de la qualité du corps enseignant ; j’ai entendu, au contraire, leur demande d’une telle formation.

La formation des enseignants a été sacrifiée au cours des dernières années. Cette année, dans mon département, l’éducation nationale a recruté des enseignants par l’intermédiaire de Pôle emploi – dans ma circonscription, un enseignant non francophone s’est retrouvé devant une classe de CE2. Voilà où nous en sommes ! La formation des maîtres est donc essentielle, et les valeurs de la République et la laïcité en font évidemment partie.

M. François Cormier-Bouligeon. Nous allons voter cet amendement. Nous soutenons les enseignants, qui sont en première ligne. Ils sont courageux et font un métier de plus en plus difficile. Aussi devons-nous sans cesse donner davantage de moyens à l’éducation nationale.

Je suis surpris des arguments selon lesquels former les enseignants reviendrait à les stigmatiser, comme si enseigner ne s’apprenait pas. Le père de la laïcité et de l’instruction publique, Ferdinand Buisson, a publié entre 1882 et 1887 un Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire en quatre tomes, deux théoriques et deux pratiques, pour lesquels il s’était entouré de quelque 350 collaborateurs. On y trouvait quelques articles intéressants, dont un sur la laïcité. Oui, être enseignant, cela s’apprend, c’est pourquoi nous avons besoin des INSPE. Cette formation sur la laïcité armera les enseignants ; ils en ont bien besoin. Loin de les stigmatiser, elle va les conforter.

M. Boris Vallaud. Nous soutiendrons également cet amendement. Il y a quelques années encore, on considérait que l’on pouvait se passer des instituts de formation des enseignants et de la formation initiale. Il est bien que l’on soit revenu sur ce point.

Comment nos enseignants pourraient-ils échapper à toutes les controverses qui agitent notre société, sur ce qui fait la laïcité, sur les principes républicains ? Il faut les armer, et il est utile que cela fasse partie des missions confiées par la loi aux INSPE. Ce serait fidèle à la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs, qui a été lue lors de l’hommage à Samuel Paty, mais aussi aux leçons que Jean Zay tirait dans Souvenirs et solitude sur les faiblesses de l’école de la République face à la montée des extrémismes.

Mme Fabienne Colboc. Une telle formation sera un soutien apporté aux enseignants, en poste et futurs, ainsi qu’aux personnels d’éducation. Les formations sont toujours l’occasion d’échanges, de discussions de cas pratiques, de retours d’expérience qui permettent des améliorations. Nous voterons l’amendement.

M. Éric Diard. L’amendement CS1388 ne visait pas à stigmatiser les enseignants. Non seulement il résultait des propos entendus en auditions, mais il m’a été proposé par des enseignants et un syndicat d’enseignants. Il présentait une petite distinction par rapport à l’amendement du rapporteur en ce qu’il envisageait un module de formation laïque sur le fait religieux, ce qui n’est pas exactement la même chose qu’une formation à la laïcité.

Les amendements CS1500, CS1388 et CS746 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS1871.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1869 du rapporteur général, CS1556 de Mme Caroline Abadie, CS1876 du Gouvernement, CS1217 de M. Francis Chouat et CS1479 de Mme Aina Kuric.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je retire l’amendement CS1869 au profit de l’amendement CS1876 du Gouvernement, qui est mieux rédigé. Les rapporteurs et d’autres députés ont longuement discuté avec le Gouvernement, considérant qu’il était indispensable d’ajouter au texte un dispositif de formation renforcée pour les 5 millions d’agents publics concernés. La ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin, et le ministre de l’intérieur en ont accepté le principe. Après avoir introduit dans la loi une obligation de formation à la laïcité, je propose d’aller plus loin et de modifier la loi du 13 juillet 1983, pour prévoir une obligation de formation aux droits et obligations résultant du principe de laïcité.

Mme Caroline Abadie. L’amendement CS1556, similaire au précédent, est issu des travaux de la mission d’information sur l’émergence et l’évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter. Les fonctionnaires ont besoin d’une formation à la laïcité. Une étude de l’IPSOS l’a montré, ils connaissent l’importance de la laïcité – 96 % d’entre eux savent que la neutralité entre dans leurs obligations –, mais 64 % seulement savent qu’ils peuvent exercer leur liberté de conscience dans leur vie privée, en dehors de leurs heures de travail, et 72 %, que l’usager n’a pas de devoir de neutralité. Cela signifie que 28 % et 36 % des agents ne savent pas exactement ce qu’implique la laïcité, ce qui peut entraîner des discriminations envers les usagers.

L’amendement du Gouvernement concerne-t-il bien toutes les fonctions publiques, d’État, territoriale et hospitalière, ainsi que les agents contractuels, qui semblent moins au fait de certains sujets ? Il faut non seulement réarmer notre service public mais aussi protéger les usagers.

M. Francis Chouat. Je m’apprêtais à faire œuvre constructive en retirant mon amendement au profit de celui du rapporteur général, mais celui-ci l’a retiré pour se rallier à celui du Gouvernement, qui semble très juste mais très vague. Cela me gêne.

L’amendement CS1217 va dans le sens de l’amendement du rapporteur général, mais précise en plus que la formation concerne aussi les fonctionnaires stagiaires.

Aucun des amendements ne va plus loin que l’obligation générale de formation ; les contenus n’en sont pas précisés. En 2019, sur 1,8 million de fonctionnaires que compte la fonction publique territoriale, seuls 15 000 ont été formés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), et ils n’appartenaient pas à la catégorie C. Les formations traitaient davantage des principes philosophiques que les situations auxquelles les personnels étaient confrontés. La ville d’Évry-Courcouronnes a mis trois ans à former tous ses personnels d’accueil.

Quelle est la portée exacte de l’amendement du Gouvernement, moins riche, me semble-t-il, que les amendements CS1869 et CS1217 ?

Mme Aina Kuric. Le renforcement des principes républicains passe par la montée en compétences des agents publics. L’amendement CS1479 vise à faire dispenser à tous les fonctionnaires territoriaux une formation obligatoire sur la lutte contre les discriminations, par un organisme assermenté.

M. Gérald Darmanin, ministre. Tous les agents des trois versants de la fonction publique, les contractuels et les stagiaires appelés à rester suffisamment longtemps dans la collectivité doivent être concernés. Je partage l’idée de M. Vigier que les élus le soient aussi, mais cela ne peut pas figurer dans l’amendement CS1876, qui tend à modifier le statut de la fonction publique, auquel les élus n’appartiennent pas. Je propose de l’introduire en séance publique par un autre amendement que le Gouvernement déposera après l’avoir fait valider par les associations d’élus – elles ont tendance à dire qu’on leur donne des obligations sans les concerter.

Évitons les querelles d’auteurs ; si vous estimez que l’amendement du rapporteur général est mieux rédigé que celui du Gouvernement, je suis prêt à le retirer au profit de l’amendement CS1869. L’important est qu’il soit rédigé correctement, de sorte qu’on comprenne bien que tous les agents, de tous les versants de la fonction publique, reçoivent une formation. Naturellement, la loi ne pourra pas se substituer aux collectivités pour organiser ces formations. Elle ne règlera donc pas les difficultés qu’a rencontrées l’ancien maire d’Évry. Le patron du CNFPT s’est engagé à les organiser. Nous pouvons également adopter l’amendement CS1876 et le compléter en séance.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Aux termes de mon amendement et de celui du Gouvernement, la formation concernerait tous les fonctionnaires relevant de l’article 2 du statut de 1983, à l’exception des fonctionnaires des assemblées parlementaires. Le champ est très large – fonctionnaires civils des administrations de l’État, des régions, des départements, des communes, de leurs établissements publics. Mon amendement modifie différents articles du statut, pour y introduire ces précisions ; le Gouvernement propose une rédaction plus simple ; dans les deux amendements, il y a une obligation de formation et là est l’avancée importante, car elle ne figurait pas dans le texte initial. Ayant retiré l’amendement CS1869, je ne peux pas le redéposer, mais je retravaillerai son périmètre avec le Gouvernement d’ici à la séance.

M. Stéphane Peu. Le père de la loi de 1983, Anicet Le Pors, dont on connaît l’attachement au principe de laïcité, verra certainement d’un bon œil que l’on inscrive dans la loi cette obligation de formation des fonctionnaires.

À propos du sondage IPSOS cité par Mme Abadie, il y a tout de même un paradoxe à ce qu’il inquiète la même majorité qui a voté une loi qui, qu’on le veuille ou non, inscrit l’extinction progressive du statut de la fonction publique et ouvre le recrutement de personnels hors statut à plus d’1 million d’agents sur 5 millions, alors que l’on sait, le sondage et le rapport de M. Pouillat et M. Diard le confirment, que le statut de la fonction publique, avec ses exigences de neutralité et de laïcité, est très protecteur. Dès que l’on délègue et que l’on sort du statut de la fonction publique, on affaiblit le principe de laïcité dans notre pays.

M. le président François de Rugy. Nous venons tout de même de voter l’article 1er, qui étend le respect des principes d’égalité, de neutralité et de laïcité à tous ceux qui exercent une mission de service public.

M. Charles de Courson. La rédaction du Gouvernement me semble être la meilleure, car elle est la plus brève. Toutefois, elle ne vise que les fonctionnaires alors qu’elle devrait concerner les agents publics c’est-à-dire les fonctionnaires et les salariés sous contrat.

M. Francis Chouat. D’ici à la séance, il faudra préciser l’amendement CS1876. Parfois, la brièveté crée des omissions, des angles morts et des oublis. Je ne suis pas pour une loi bavarde, je suis pour des articles clairs.

Monsieur le ministre, je ne voulais pas vous embêter avec les difficultés d’un maire en matière de formation de ses personnels. J’indiquais simplement que, pour l’essentiel, les formations actuelles sont dispensées de manière centrale, pour quelques catégories. Il faut davantage les territorialiser et les élargir à celles et ceux qui sont le plus en contact avec les problèmes de séparatisme.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 2 de la loi de 1983 concerne l’ensemble des agents de la fonction publique, y compris les contractuels.

L’amendement CS1876 du Gouvernement, qui crée une obligation, donc une charge, est sans doute le plus facile à adopter, car il ne passe pas sous les mêmes fourches caudines que les vôtres.

Mme Annie Genevard. L’amendement CS1876 impliquerait en effet une charge pour les collectivités. Leurs associations ont-elles été consultées ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Le bureau de l’Association des maires de France (AMF), auquel assistaient M. Laignel, pourtant très attentif à toute action du Gouvernement sur les charges des collectivités, et le président du CNFPT, nous l’a même demandé. Nous les consulterons à nouveau en vue de la séance.

Les amendements CS1869, CS1556 et CS1217 sont retirés.

Successivement, la commission rejette l’amendement CS1479 et adopte l’amendement CS1876.

La commission examine l’amendement CS1833 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit, en lien avec la ministre de la transformation et de la fonction publiques, d’installer un référent laïcité au sein de l’ensemble des administrations des trois versants de la fonction publique, non en créant un poste mais en désignant une personne disponible pour répondre à ces questions. Des délégués à la protection des données existent déjà dans les collectivités.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis favorable.

M. Éric Diard. Il me semblait qu’un référent laïcité était déjà désigné dans la plupart des administrations. Par ailleurs, les universités, très peu évoquées dans ce texte, désignaient auparavant un référent radicalisation ou référent laïcité, mais cette mission a été arrêté et de nombreux établissements n’ont pas de référent.

M. Charles de Courson. Les référents laïcité existent en effet déjà, mais ils relèvent d’une obligation réglementaire. Est-ce une bonne idée d’élever cette obligation au niveau législatif ? Je ne suis pas persuadé que cela soit nécessaire pour parer au risque de créer une charge, évoqué dans l’exposé sommaire, qu’il faudrait compenser, en vertu de l’article 72 de la Constitution.

Mme Cécile Untermaier. On ne peut s’opposer à une telle mesure. Je me demande si les attributions du référent laïcité ne devraient pas inclure la neutralité, en plus des opinions politiques et religieuses traitées à l’article 1er.

Par ailleurs, il serait intéressant d’accrocher les notions de laïcité et de neutralité au travail du déontologue de la fonction publique, vers lequel les agents publics peuvent se tourner lorsqu’ils rencontrent des difficultés.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1322 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’amendement, issu d’une proposition de loi que j’avais déposée, vise à instaurer une prestation de serment pour tout agent public qui entre en fonction. C’est une suggestion qu’avaient faite le précédent préfet de police, M. Delpuech, et la directrice du renseignement à la préfecture de police de Paris, Mme Bilancini, dans le cadre de la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation, et de la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements ayant conduit aux attaques commises à la préfecture de police de Paris.

Un médecin prête le serment d’Hippocrate ; un avocat jure d’exercer ses fonctions « avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Je propose un serment sur la Constitution, non pas par mimétisme avec les États-Unis, mais pour des raisons juridiques. Les policiers ont témoigné qu’il est difficile de révoquer une personne pour radicalisation – en raison de la liberté d’opinion, ce n’est pas un délit –, ce qui oblige à utiliser des motifs connexes. La prestation de serment faciliterait la révocation des personnes qui ne respectent pas les valeurs de la République, car le non-respect du serment est constitutif d’un délit de parjure.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il serait tout aussi difficile de renvoyer un agent pour parjure. Comment le définir ? Le serment proposé est si vaste, que des difficultés se poseraient pour qualifier les erreurs commises par les agents. Les textes dont nous disposons sont plus faciles à manier que votre proposition, qui est intéressante mais difficile à concrétiser. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Éric Diard. La proposition émane tout de même d’un préfet et d’une directrice du renseignement, pour remédier à un angle mort dans la procédure de révocation.

M. François Pupponi. De tels serments existent pour de nombreux agents de la fonction publique, voire pour tous. Les agents des impôts, par exemple, prêtent serment au nom du peuple français. On peut naturellement modifier ce serment.

Mme Emmanuelle Ménard. Une prestation de serment apporterait de la solennité à l’entrée d’un agent dans la fonction publique. Elle pourrait même conduire, pour certains, à une prise de conscience de ce qu’est le service public. Je suis aussi sensible à l’argument selon lequel le serment faciliterait la révocation d’un agent qui n’y serait pas fidèle. C’est une piste qu’il me semblerait intéressant de creuser d’ici à la séance.

Mme Annie Genevard. Madame la rapporteure, vous semblez embarrassée par le parjure, mais vous ne vous êtes pas exprimée sur le principe d’une déclaration solennelle d’adhésion loyale à la République et à ses valeurs. Si je comprends la difficulté à établir le parjure et à s’en servir pour révoquer un agent, je considère néanmoins que la première partie de l’amendement mérite attention.

Par ailleurs, j’ignorais que certains agents de la fonction publique prêtaient serment aux valeurs de la République.

M. Gérald Darmanin, ministre. Hormis l’intérêt qu’elle peut présenter au regard de l’honneur et de la solennité, je pense qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. Il revient aux directeurs d’administration de prendre leur courage à deux mains et de saisir leur autorité, les conseils de discipline et la commission créée par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) pour faire sortir de la fonction publique des individus radicalisés. Or la mission d’information sur les services publics face à la radicalisation l’a montré, la commission prévue par la loi SILT est très peu utilisée. Seule la police nationale y a recours pour l’instant.

Dans mes fonctions précédentes, j’ai eu à gérer des agents publics soupçonnés, à raison, de radicalisation : j’ai pris des dispositions fortes pour qu’ils ne soient plus agents de la fonction publique. Le statut de la fonction publique présente des avantages mais des contraintes y sont aussi attachées, et l’État employeur peut les utiliser pour se séparer d’un agent. Encore faut-il que, dans les conseils de discipline, l’administration comme les organisations syndicales jouent le jeu. Peut-être faut-il s’interroger sur ces conseils – c’est un autre sujet – voire sur la commission créée par la loi SILT. J’y suis ouvert. La commission, instaurée depuis peu, ne fonctionne manifestement pas bien, en raison de sa lourdeur.

Par ailleurs, sur quoi l’agent public prêtera-t-il serment ? Il a le droit de ne pas être républicain, d’avoir des convictions monarchistes, par exemple. On a le droit d’être monarchiste, de garder cette opinion politique pour le secret de l’isoloir, et même d’avoir une activité militante et politique parce que l’on souhaite un autre régime politique, pourvu que l’on serve loyalement les lois de la République. Outre le contenu du serment, quelles en seraient les contraintes et comment prouver qu’il ne serait pas respecté ? Utilisons d’abord les armes de la fonction publique, qui sont très fortes. Le statut est clair : il donne à l’employeur les moyens de se séparer des agents. Simplifions les choses dans les conseils de discipline et la commission de radicalisation issue de la loi SILT, plutôt que de créer un dispositif qui apparaît sans doute intéressant sur le plan médiatique, mais qui ne sera pas efficace. Du reste, il n’y a rien de pire qu’un serment qui n’est pas respecté.

M. Éric Diard. Certes, on a le droit d’être monarchiste ; n’empêche que, quand on est fonctionnaire, on doit respecter la République et ses valeurs !

La commission de radicalisation ne marche peut-être pas très bien, mais je tiens à signaler qu’alors que la loi SILT a été promulguée le 30 octobre 2017, il a fallu attendre deux ans, à savoir la circulaire du 24 octobre 2019 – soit après l’attentat à la préfecture de police de Paris –, pour que sa mise en place soit effective.

M. Alexis Corbière. J’ai beau être passionné d’histoire et adorer les prestations de serment, le culte de l’être suprême et les prêtres jureurs de la Révolution française, je pense que cet amendement est l’exemple même de la fausse bonne idée. Sur 5,6 millions de fonctionnaires qui font bien leur travail, combien de personnes cela concerne-t-il ? C’est epsilon ! De grâce, collègues, ne soyons pas offensants envers les fonctionnaires en les obligeant à prêter un serment ; ils ont un statut, et signent un contrat qu’ils sont tenus de respecter. Les enseignants – dont je suis – sont inspectés ; s’ils ne font pas bien leur travail, ils sont sanctionnés !

En outre, sur quoi leur faire prêter serment ? On en revient à la discussion concernant le contrat d’engagement républicain : on nous demande d’adopter des mesures dont on ne connaît pas le contenu !

Enfin, les arguments du ministre de l’intérieur sont de bon sens : si l’on est tenu de respecter les lois de la République et les statuts professionnels, on a aussi le droit de militer pour une autre République, d’être anarchiste ou d’être monarchiste. N’imposons pas une conception totalitaire !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Dans plusieurs professions, il existe déjà des prestations de serment : ainsi dans la gendarmerie nationale ou dans l’administration pénitentiaire. Ce que je proposais dans le rapport de la commission d’enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris en octobre 2019, à laquelle Éric Diard a fait allusion et dont les travaux furent menés, sous la présidence d’Éric Ciotti, de manière, je crois, très collective, c’est, à la suite des remarques du préfet Michel Delpuech, d’étendre ces prestations de serment aux professions sensibles, dans un souci de lutte contre la radicalisation, parce que cela aurait donné la possibilité, en cas de rupture du serment, de compléter les éléments de procédure, notamment disciplinaire. Cette proposition s’inscrivait donc, de manière très prudente, dans un cadre tout à fait spécifique, et il ne s’agissait absolument pas d’étendre cette procédure à la totalité des agents de la fonction publique.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1405 de M. Éric Diard et CS381 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Éric Diard. L’amendement CS1405 est de repli : il s’agit de prévoir, non plus une prestation de serment, mais la signature d’une charte solennelle visant à garantir le respect des principes de la République. Les modalités d’élaboration de cette charte seraient fixées par décret pris en Conseil d’État.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’article 25 de la loi portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit que le fonctionnaire « exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité », qu’il est « tenu à l’obligation de neutralité » et qu’il « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité ». Aucun engagement écrit de sa part n’est requis à son entrée en fonction. Mon amendement vise à ce que tout fonctionnaire, lorsqu’il est titularisé, signe une charte l’engageant à respecter les principes de neutralité et de laïcité.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable. Peut-être est-ce dû à mes anciennes fonctions, mais je ne suis pas très sensible aux chartes, les engagements sans sanctions me paraissant dénués d’efficacité. En outre, il existe déjà une charte de la laïcité dans les services publics, qui doit être affichée dans les lieux publics et qui indique que « le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations » et qu’« il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ces services ». Si mes souvenirs sont exacts, l’élaboration de cette charte remonte à l’époque du gouvernement de M. de Villepin.

La commission rejette successivement les deux amendements.

Elle est saisie de l’amendement CS1130 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. La laïcité est un principe au nom duquel de nombreuses mesures nous sont proposées. Il mériterait d’être précisé dans la loi ; vous en avez d’ailleurs dessiné les contours devant nous, monsieur le ministre. Le Conseil d’État ayant relevé que l’exposé des motifs du projet de loi ne comportait pas d’exposé du contexte, cet amendement est une invitation à faire preuve de pédagogie et à accroître l’intelligibilité de la loi en indiquant de quoi l’on parle. Je précise que cette idée nous a été soumise par le professeur Mélin‑Soucramanien, professeur de droit public spécialiste de la laïcité, lors de son audition par la commission spéciale.

Il s’agirait, non pas de s’aventurer à proposer une définition de la laïcité, mais de dessiner les contours de la conception française de celle-ci, telle qu’elle s’exprime notamment à travers la liberté et la pluralité des cultes et le respect des valeurs communes. À cette fin, nous proposons de reprendre quelques textes fondateurs, comme les dispositions inscrites dans la loi du 9 décembre 2005, l’article 1er de la Constitution de 1946 tel que repris par la Constitution de 1958 – « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » – et la décision du 19 novembre 2004 du Conseil constitutionnel qui précise que les règles constitutionnelles interdisent à quiconque « de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».

Je vais néanmoins retirer cet amendement pour que nous puissions y retravailler dans la perspective de la séance publique : d’une part, il n’est pas bien placé dans le texte, d’autre part, un amendement de cette nature mériterait que chacun des groupes y apporte sa contribution : il ne doit pas émaner du seul groupe Socialistes et apparentés.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1129 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de combler le silence du projet de loi sur la partie du discours du Président de la République à Mulhouse relative aux promesses de la République. Le présent texte est essentiellement d’injonction ; il ne concrétise en actes aucun des grands principes de la République. Or les promesses non tenues sont des promesses frauduleuses ; on s’expose à des maux cruels.

Cet amendement pourra paraître tautologique, puisqu’il s’agit d’indiquer que tout organisme public ou privé chargé de l’exécution d’un service public garantit, dans l’exercice de ses compétences, la mise en œuvre effective des grands principes républicains et que le respect de ces derniers ne doit pas être le seul fait des associations et de la société civile, mais qu’il est d’abord de la responsabilité de ceux qui ont la charge de les faire vivre, à commencer par l’institution scolaire. C’est pourquoi nous mentionnons la mixité sociale parmi ces principes. De nombreuses expérimentations avaient été lancées en 2015 et 2016, mais elles ont été enterrées. Quand la promesse d’égalité est démentie dès le plus jeune âge, il est difficile de prétendre construire des adultes qui vivront ensemble selon les mêmes règles et les mêmes valeurs.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable. Si je partage votre volonté de lutter contre le séparatisme et de faire en sorte qu’aucun territoire ni aucun citoyen ne soit laissé de côté, votre amendement énonce des garanties qui, pour certaines, font partie des principes à valeur constitutionnelle et s’appliquent déjà dans les services publics et, pour d’autres, ne sont pas définies avec assez de précision pour qu’elles puissent donner lieu à une application concrète.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Boris Vallaud. Nous saurons nous souvenir de cet avis au moment où nous discuterons du contrat d’engagement républicain, qui mentionne plusieurs des principes que j’ai évoqués et que vous jugez insuffisamment précis. Une association, qu’elle soit subventionnée ou non, est censée respecter les lois de la République. Ce qui vaut pour les associations vaut pour l’État.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS82 de Mme Annie Genevard, CS548 de M. Éric Ciotti et CS83 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Lors de son audition par la commission spéciale, le président de l’Association des maires de France, François Baroin, portant une voix collective, nous a invités à réfléchir à l’extension du principe de neutralité aux espaces de service public, dans la mesure où il s’agit de lieux où se définit l’intérêt général. L’objectif est d’enrayer la montée en puissance de revendications religieuses et communautaristes, expression d’un séparatisme que beaucoup de Français veulent combattre.

L’amendement CS82, d’appel, invite à une réflexion collective sur une application extensive du principe de neutralité.

L’amendement CS83 est un amendement de repli : il vise à imposer au sein des espaces de service public la « discrétion religieuse » prônée par M. Chevènement – qui n’est pourtant pas de mon obédience – lorsqu’il exerçait la fonction de président de la Fondation de l’islam de France. C’est une question de respect : on ne doit pas imposer à autrui la visibilité de sa propre croyance.

M. Éric Ciotti. Il convient d’étendre aux usagers des services publics le principe de neutralité qui s’applique déjà à tout agent d’une administration publique. Ce serait une grande avancée, car cela permettrait de modifier en profondeur les pratiques et usages en vigueur.

Cette révolution dans l’affirmation du principe de laïcité s’impose en raison de la progression du prosélytisme religieux et des pressions croissantes exercées dans les services publics. Je souhaite qu’en la matière, nous ayons, oui, monsieur Corbière, le courage d’avancer de façon beaucoup plus déterminée et concrète. Il est temps de passer des mots aux actes, et je crois qu’il convient de poser dans cette loi un acte fondateur. Dans de brillants et pertinents discours, hélas à chaque fois tenus dans des circonstances tragiques – dans la cour des Invalides devant le cercueil du colonel Beltrame, dans la cour de la préfecture de police devant ceux des quatre fonctionnaires assassinés par Mickaël Harpon ou dans la cour de la Sorbonne –, le Président de la République a nommé et décrit le mal : l’islamisme. Eh bien, il faut qu’aujourd’hui nous prenions nos responsabilités pour éradiquer ce mal et que, dès le moindre signal faible, nous agissions. Nous devons changer les pratiques et étendre l’application du principe de neutralité religieuse aux usagers.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Si l’amendement CS82 est d’appel, madame Genevard, accepteriez-vous de le retirer ?

Mme Annie Genevard. Certainement pas, madame la rapporteure.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Dans ce cas, je répondrai de manière synthétique aux trois amendements.

Comme vous le savez, les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de santé et d’hygiène. En outre, ils ne doivent pas faire de prosélytisme et, par conséquent, s’abstenir de comportements trop ostentatoires. Il existe donc d’ores et déjà un certain nombre de restrictions.

D’autre part, il convient – tous les magistrats le savent – de trouver le point d’équilibre entre deux libertés qui peuvent parfois s’opposer mais doivent toutes deux être protégées : la liberté de conscience et le respect du principe de laïcité. Il me semble que notre ordonnancement juridique actuel assure cet équilibre.

Avis défavorable sur les trois amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre. Quoiqu’il s’en approche, ce n’est pas tout à fait le même débat que tout à l’heure.

Chacun voit que la notion d’espace public, qui a été évoquée à plusieurs reprises et pourrait a priori satisfaire tout le monde, est difficile à définir.

Mme Annie Genevard. Nous parlons ici d’espaces de service public.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est en effet le terme que M. Baroin a employé. Mais qu’est-ce que cela représente, l’espace du service public ? Doit-on utiliser un mètre pour le mesurer ?

Comme l’a très bien dit M. Ciotti, il s’agit en réalité de changer la définition de la laïcité. Les termes du débat n’ont en réalité pas beaucoup changé depuis 1905, voire depuis l’avènement de la République : doit-on considérer que les religions, et par conséquent les expressions religieuses, sont, par nature, incompatibles avec la République ? Et qui vise-t-on à travers elles ? Je vois bien qu’il y a parmi vous – pardonnez-moi si je caricature un peu vos propos – ceux qui, comme M. Cormier-Bouligeon, considèrent les religions dans leur ensemble, et ceux qui estiment, comme il me semble que c’est le cas ici, que le sujet à traiter, c’est l’islam.

M. Éric Ciotti. C’est ce qu’a dit le Président de la République.

M. Gérald Darmanin, ministre. Encore faudrait-il prendre en considération l’intégralité de ses discours, y compris celui des Bernardins, dont la teneur n’est d’ailleurs pas très éloignée de celle du livre La République, les religions, l’espérance publié par Nicolas Sarkozy en 2004 – je vous l’offrirai, monsieur Ciotti, car je crois que vous n’avez pas lu les œuvres complètes de ce dernier.

M. Éric Ciotti. Je l’ai – il me l’a même dédicacé !

M. Gérald Darmanin, ministre. Encore faudrait-il que vous en ayez poursuivi la lecture au-delà de la dédicace… Pour citer un auteur, il faut avoir tout lu de lui – d’autant que certaines personnes peuvent changer d’opinion.

Mme Annie Genevard. Cela ne vous aura certainement pas échappé, monsieur le ministre…

M. Gérald Darmanin, ministre. Absolument, madame Genevard. Comme on dit : il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

La croyance religieuse est-elle une opinion comme les autres ? « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses », dit la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Certes, l’emploi de « même » montre bien qu’à l’époque déjà, le législateur jugeait que la religion pouvait être dangereuse – et pour cause : on avait connu par le passé quelques difficultés s’agissant de la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel. Néanmoins, je ne suis pas d’accord avec Jean-Pierre Chevènement concernant l’obligation de discrétion religieuse. Si je suis très attaché à la neutralité du service public et de l’État, et si j’estime qu’une loi ne doit pas être faite en fonction de la susceptibilité de tel ou tel groupe et que nul ne saurait faire pression sur l’État – ce qui est une forme de laïcité intransigeante –, je considère que, dans les limites de la loi et dès lors, bien évidemment, qu’elle s’applique à tous, chacun doit pouvoir faire comme il le souhaite. D’ailleurs, la seule limitation à ce principe que le législateur et le Conseil constitutionnel aient acceptée en 115 ans relève d’un impératif d’ordre public : c’est pour cette seule raison que le port de la burqa a été interdit.

À travers ces amendements, vous défendez une conception de la laïcité très différente de celle qui a été appliquée jusqu’à présent : vous souhaitez aboutir à l’effacement des religions dans l’espace public. Je ne partage pas cette opinion. Je trouve d’ailleurs que le président de la commission spéciale a été très magnanime dans l’usage qu’il a fait de l’article 45 de la Constitution : on aurait très bien pu considérer que ce texte, sauf pour ce qui concerne le titre II, ne traite pas des religions – c’est en tout cas la lecture qu’en fait le Gouvernement. Il porte sur l’obligation de neutralité, qui s’applique à toute forme d’opinion, et sur la lutte contre certaines idéologies.

La question qui se pose est somme toute assez simple : pensez-vous – et, singulièrement, s’agissant de l’islam – que les expressions religieuses soient contraires à la République ? À travers la notion d’espace du service public, on en vient en réalité à refaire le débat sur voile ; et l’on en arrive aux mêmes conclusions : d’une part, vos propositions sont anticonstitutionnelles ; d’autre part, elles viennent, non pas conforter les principes républicains, mais les modifier.

M. le président François de Rugy. C’est parce qu’il y est question des services publics que ces amendements ont été intégrés à notre discussion. Néanmoins, pour rebondir sur les propos de M. Baroin lors de son audition, il est certain qu’il faudrait définir ce que sont les espaces de service public. Le parvis d’une mairie en est-il un ? Quand on fait la queue pour pénétrer dans un bâtiment public – ce qui est fréquent dans les circonstances actuelles – ou que l’on attend à un arrêt de bus, se trouve-t-on dans un espace de service public ? Je rappelle que l’espace public, tel qu’il est défini dans le droit administratif, recouvre tout ce qui n’est pas privé, c’est-à-dire la voie publique, d’une manière générale.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je ne suis pas d’accord avec vos propos concernant l’application de l’article 45 de la Constitution, monsieur le ministre. Vous me permettrez de vous rappeler que ce n’est pas au Gouvernement de juger de ce qui est rationnel ou non dans la sélection opérée par le président de la commission spéciale. Et si, ce faisant, vous avez eu l’intention de soutenir ce dernier, celui-ci a, en retour, peut-être eu un peu trop la volonté de soutenir le Gouvernement en jugeant irrecevables des amendements qui n’auraient pas dû l’être.

Vous avez néanmoins raison : ce qui nous est proposé est un changement radical de conception de la laïcité. Avec beaucoup de difficultés et parfois de violences verbales, voire davantage, la République est arrivée à sanctuariser pendant 115 ans l’idée que le service public était neutre et que les usagers étaient libres de leurs convictions. Ces amendements reviennent à dire que, dans un certain nombre de lieux publics, les usagers ne seraient plus libres d’avoir des convictions. Il nous semble, quant à nous, que ce qui importe, c’est la neutralité de l’État, afin de garantir à tous la même liberté. Si l’on commence à vouloir contraindre les usagers, on risque d’enclencher une spirale extrêmement dangereuse. « Manifester ostensiblement une appartenance religieuse », à quoi cela correspond-il ? Vous avez parlé de prosélytisme, mais ce n’est pas ce qui est écrit dans les amendements. Quant à la « discrétion religieuse », n’en parlons pas ! Imaginez-vous que nous, parlementaires, puissions transmettre aux juges le pouvoir de décider de ce qui est discret ou ostensible et de définir ce qu’est un espace de service public ?

Néanmoins, on doit pouvoir conforter l’idée – mais ce n’est pas à la loi de le faire – que la laïcité garantit à tous un service public parfaitement neutre et les mêmes droits et capacités en matière de croyances et de pratiques religieuses ; en revanche, à l’extérieur, le prosélytisme, c’est-à-dire la pression exercée sur les autres, doit être interdit. Or le projet de loi ne répond pas à ce dernier enjeu. Le groupe UDI et indépendants souhaiterait que, dans ce domaine, l’on aille plus loin.

M. Alexis Corbière. Pour ma part, j’avais été très intéressé par cette idée quand François Baroin l’avait évoquée, avant de m’apercevoir que ce nouveau concept était extrêmement flou. Les mairies, les bureaux de poste sont des espaces publics : on ne pourrait plus y aller au motif que l’on affiche un signe religieux. Plutôt que de préciser les choses, cela les rend encore plus confuses.

Plus fondamentalement, l’acte de 1905 est un acte de séparation – d’ailleurs, les défenseurs du texte étaient appelés les « séparatistes ». Il s’agissait de séparer les Églises et l’État. Mais aller dans le sens proposé par nos collègues, c’est faire autre chose : c’est séparer les citoyens croyants et l’État. Ces derniers ne pourraient plus se mouvoir dans la société, ce qui n’a plus rien à voir avec la laïcité.

Faut-il interdire à toute personne qui croit de manière non discrète de le manifester ? Mais qu’est-ce que cela veut dire, « non discret » ? Lorsque l’Armée du salut chante dans la rue, est-ce un acte de foi non discret, et, si oui, faut-il l’interdire ? On aborde des concepts extrêmement mouvants.

On a le droit d’avoir des convictions athées et anticléricales, mais la laïcité, ce n’est pas cela. Ce que vous nous proposez, c’est un athéisme d’État militant qui interdit les religions, mais de manière variable, et c’est bien là le problème. Si vous proposiez d’exclure toutes les religions de l’espace public au motif qu’elles relèvent de l’obscurantisme – « l’opium du peuple » –, cela nous emmènerait sur un terrain extrêmement dangereux, mais je comprendrais le raisonnement. Mais votre virulence est à géométrie variable : vous vous en prenez uniquement à nos concitoyens musulmans. Cela commence à être fatigant !

M. Éric Ciotti. C’est l’honneur de notre assemblée de se saisir de ce qui constitue un problème majeur. Nous ne devons pas nous poser de limites face à l’évolution, pour ne pas dire la révolution qui est proposée ici. Manifestement, le débat s’installe autour de cette notion. Comment pourrait-on ne pas discuter d’un élément structurant, au motif qu’il n’est pas dans le texte, alors que l’on parle pendant des heures du texte en question, en réalité assez creux ?

La notion d’espace de service public dans lequel s’appliquerait une laïcité beaucoup plus exigeante est importante ; il faut aller vers cette évolution. Qui peut nier les problèmes qui existent ? Si le projet de loi dont nous débattons a été déposé, c’est pour faire face à des difficultés majeures. Même si le constat a été édulcoré, même si certains mots ont été enlevés, le mal a été clairement identifié, y compris par le Président de la République : c’est l’islamisme. Les 270 personnes tuées par le terrorisme dans notre pays ne l’ont pas été aux cris de « Jésus, reviens ! ».

Il faut avoir la lucidité et le courage de poser le constat pour y apporter des réponses, au lieu de se cacher derrière des arguties. Je vous invite donc à faire bouger les lignes. Imposer la neutralité pour les usagers des services publics, c’est aussi protéger les personnes à qui d’autres essaient d’imposer une appartenance religieuse. Les usagers des services publics n’ont pas à subir le prosélytisme.

Mme Annie Genevard. Lorsque le président Baroin est venu devant notre commission spéciale, aucune des réserves que j’ai entendues n’a été exprimée. Vous avez, pour la plupart, écouté avec intérêt et attention sa proposition, et plusieurs ont souhaité le rencontrer par la suite pour en débattre. Si cette proposition était aussi inepte que certains commentaires semblent le laisser penser, elle n’aurait pas reçu un tel accueil au moment où elle a été formulée.

Je prendrai deux exemples montrant que se pose la question de la neutralité de certains espaces de service public, même s’il faudrait, en effet, définir ces derniers. D’abord, si vous interrogez les responsables ou adhérents d’associations sportives, ils vous diront que, dans les vestiaires des matchs de foot, notamment, certaines habitudes ont changé, sous l’effet d’un entrisme à bas bruit – je pense à des moments de prière avant le match. Ensuite, lorsqu’une délibération prévoyant des horaires différenciés dans une piscine est déférée par le préfet, celui-ci justifie sa démarche par le fait que l’autorité publique veut que l’espace de service public demeure neutre. Ce débat est donc déjà engagé de facto, y compris dans les décisions prises au nom de l’État ; je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l’ouvrir.

M. le président François de Rugy. Audition ne vaut pas approbation. J’ai écouté toutes les personnes auditionnées, sans pour autant poser des questions car je souhaitais permettre à nos collègues de le faire. M. Baroin avait d’ailleurs un impératif le forçant à nous quitter avant l’heure prévue. Nous avons reçu des personnalités pour les entendre et les interroger ; cela ne veut pas dire que nous approuvions tous leurs propos.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Premièrement, madame Gevenard, de même que vous entreteniez une confusion s’agissant du régime de responsabilité des agents ou des collaborateurs du service public, vous mélangez le service public et l’espace public. Celui‑ci n’est pas concerné par les obligations de neutralité.

Deuxièmement, j’ai la prétention de m’y connaître un peu en football. Il y a toujours eu des expressions religieuses, notamment en lien avec la religion catholique – des joueurs se signant, dans les vestiaires comme sur le terrain, et arborant des signes ostentatoires –, et cela n’a jamais posé de problème à personne.

Troisièmement, le code pénal prévoit, à l’article 225-3, qu’il est permis, à titre dérogatoire, d’établir des discriminations fondées sur le sexe, notamment pour protéger certaines personnes, ou encore pour les besoins des compétitions sportives. Ce texte fait échec aux dispositions nouvelles que vous voulez créer.

Quatrièmement, vous anticipez : ce que vous réclamez d’inscrire ici renvoie au dispositif de l’article 4, relatif aux pressions exercées sur les agents du service public, mais aussi à la police des cultes, dont nous discuterons au chapitre II du titre II.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Ciotti, on comprend et l’on peut partager votre souhait de lutter contre ce que vous pensez définir comme étant le séparatisme islamiste, parfois avec raison – le Président de la République lui-même l’a fait. Ce séparatisme conduit, car c’est une différence de degré, non de nature, à des attentats. Vous dites que ce n’est pas aux cris de « Jésus, reviens ! » que l’on a commis 270 attentats. Certes, mais dites-moi lesquels ont été commis par des femmes voilées. Il y a donc des limites à la simplicité de l’argument.

Mme Annie Genevard et Mme Marine Le Pen. L’attentat de Notre-Dame !

M. Gérald Darmanin, ministre. Sauf erreur, il n’y a pas eu de morts à Notre-Dame, car les services sont intervenus.

Ce n’est pas parce qu’il y a des attentats d’extrême droite, madame Le Pen, qu’on en fait tout le temps le procès à l’extrême droite.

Si vos arguments sont à la limite de pousser vers les islamistes toute personne qui se dit musulmane croyante alors qu’elle respecte les lois de la République, effectivement, on ne sera pas très loin de la guerre civile que vous évoquez. Mon grand-père priait Allah ; il est mort pour la République, dans laquelle il croyait. Certaines femmes voilées étaient aussi des épouses de harkis.

L’argument consistant à dire que, au motif que des attentats meurtriers sont commis au nom de l’islamisme, il faut supprimer tout signe religieux musulman dans l’espace public, me paraît à tout le moins simpliste, pour ne pas dire simplet. Cela ne fait que pousser vers les islamistes ceux qui voudraient refaire l’oumma – la communauté des croyants –, non pas au nom du culte mais au nom d’une idéologie. C’est jouer les idiots utiles. Cela ne rend pas service à la République.

Du reste, madame Genevard, vos exemples disent l’inverse de ce que vous prétendez démontrer. Ce que vous dites à propos du football est prévu dans le texte : c’est le principe même du contrat d’engagement républicain. Je ne nie en aucun cas la difficulté que vous évoquez : c’est précisément pour cela que nous proposons ces dispositions. Qu’il y ait du communautarisme et de l’entrisme communautaire dans le sport, chacun le constate. Avec l’article 6, aucune association utilisant ne serait-ce qu’une partie du domaine public – les vestiaires d’un club de football, par exemple – ne pourra être subventionnée si elle contrevient aux principes républicains.

Mme Annie Genevard. Il ne s’agit que des subventions.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mettre à disposition des vestiaires est une forme de subvention : le code général des collectivités territoriales l’indique clairement.

Lisez bien l’article 6 : il dispose qu’aucune association se caractérisant par un comportement communautaire contraire aux principes de la République – ce qui est le cas dans l’exemple que vous avez évoqué – ne pourra plus vivre sur le sol de la République. Elle devra rembourser les subventions reçues et ses dirigeants seront poursuivis.

L’autre cas dont vous parliez, à savoir les piscines, est couvert par l’article 2, avec le déféré accéléré. Le préfet n’intervient qu’en ce qui concerne le fonctionnement du service public. Un élu n’a pas le droit d’organiser le service public pour telle ou telle communauté, sur le fondement de revendications religieuses. C’est déjà le cas, mais l’article 2 réaffirme le principe en permettant de se fonder sur l’exigence de neutralité des services publics. Cela vaut notamment pour le règlement intérieur d’une piscine qui établirait une différence de régime entre les femmes et les hommes. Ce n’est pas l’usager en tant que tel qui est visé, et la règle ne vaut pas parce qu’il s’agirait d’un espace public : du fait de l’article 1er, nous avons étendu l’espace de neutralité.

Du reste, M. de Rugy a raison de vous demander de définir ce que vous entendez par espace public. Le parvis de la mairie est-il un espace public ? Et l’arrêt de bus ? À coup sûr, oui.

Monsieur Ciotti, vous avez eu l’honnêteté de dire que le problème, pour vous, c’était l’islamisme, et donc l’islam. Quant au voile, vous reconnaîtrez que, de la même manière que toute personne qui exprime son appartenance à la religion musulmane n’est pas un islamiste en puissance, une femme peut porter un foulard sans être une islamiste.

M. Éric Ciotti. Le Président de la République a parlé d’un « islam dévoyé ».

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous sommes bien d’accord, mais vous m’accorderez que toute femme qui porte un foulard n’est pas une islamiste.

M. Éric Ciotti. Absolument, mais toutes les islamistes portent un foulard !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas vrai.

Pouvons-nous convenir ensemble que la solution qui consisterait à interdire l’expression de toute opinion religieuse dans l’espace public serait disproportionnée, tout comme le fait de viser directement les pratiquants de la religion musulmane – ce qui, par ailleurs, serait tout à fait contraire à la loi de 1905 ? Il importe de juger les personnes non pas pour ce qu’elles portent mais pour ce qu’elles font ; c’est tout l’objet du texte. Au demeurant, le vêtement n’est pas non plus prosélyte en lui-même. M. Lagarde a raison, d’ailleurs, de dire qu’il convient de définir la notion de prosélytisme.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CS1552 de Mme Jacqueline Dubois.

M. François Cormier-Bouligeon. Le projet de loi prévoit d’encadrer l’instruction à domicile et dans les écoles hors contrat, mais aucune disposition ne concerne les activités périscolaires. Or celles-ci peuvent être aussi le lieu de diffusion du prosélytisme. L’amendement vise à renforcer les contrôles sur le temps périscolaire en complétant l’article L. 551-1 du code de l’éducation : le projet éducatif territorial doit être en conformité avec les principes républicains.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’amendement concerne les activités périscolaires réalisées dans le cadre du service public de l’éducation et non de l’instruction en famille ou de l’enseignement privé – d’où son intégration à ce chapitre sur le service public.

Vous proposez que les organisateurs transmettent chaque année la liste de ces activités et celle des intervenants. Cela me semble disproportionné, et représenter une charge insupportable. Je ne crois pas que nous aurions la capacité de vérifier et de faire vérifier ces informations.

S’agissant des modalités de fermeture administrative, le dispositif n’est pas assez précis. Avis défavorable, même si vous posez une vraie question.

M. François Cormier-Bouligeon. Je comprends de ce que nous dit Mme la rapporteure que si, en vue de la séance, l’amendement était modifié en retirant le I et le II et en complétant le III, elle serait en mesure de l’entendre.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. On verra…

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1606 de Mme Stéphanie Rist.

Mme Stéphanie Rist. Les difficultés liées aux questions de neutralité au sein des services publics sont également présentes dans le secteur de la santé. Depuis 2011, une circulaire prévoit qu’un agent est désigné en qualité de correspondant chargé des questions de laïcité et de pratique religieuse dans chaque agence régionale de santé. Cependant, sur le terrain, ce référent n’est pas connu par les professionnels de santé, ou très peu. L’amendement a pour objet de donner une valeur législative au référent laïcité, de renforcer son rôle en demandant aux directeurs d’établissements publics de santé d’organiser une rencontre annuelle avec les personnels de l’établissement. Cette rencontre est fondamentale pour que les professionnels se sentent accompagnés.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement est satisfait par celui du Gouvernement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1634 de Mme Stéphanie Rist.

Mme Stéphanie Rist. Force est de constater que nous disposons de très peu de données objectivées sur les difficultés liées à l’exigence de neutralité dans le monde de la santé. Néanmoins, sur le terrain, les agents publics hospitaliers sont confrontés à cette question. Il est absolument nécessaire d’organiser une meilleure remontée et centralisation des informations pour que des solutions soient trouvées. L’amendement vise à faire peser une obligation sur les directeurs d’établissements publics : ces derniers doivent transmettre les manquements relatifs à l’exigence de neutralité des professionnels de santé à l’Agence régionale de santé compétente.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Le sujet relève plutôt du domaine réglementaire. Avis défavorable.

M. Éric Diard. Éric Poulliat et moi-même avions remarqué, dans notre rapport relatif aux services publics face à la radicalisation, qu’il existait certes des référents laïcité dans le secteur de la santé, mais que malheureusement le système ne fonctionnait pas aussi bien que dans l’éducation nationale, dont l’organisation est beaucoup plus pyramidale. Les ARS ont des référents laïcité à mi-temps, voire à quart-temps, contrairement à ce que souhaiteraient les établissements hospitaliers. Comme, par ailleurs, il n’y a pas entre les ARS et les établissements hospitaliers un lien hiérarchique aussi fort que dans l’éducation nationale, ces personnes ne se sentent pas accompagnées comme le fait le ministère de l’éducation nationale à l’égard des rectorats et des enseignants.

M. Philippe Vigier. Je soutiens cet amendement. C’est dans le milieu hospitalier que l’on observe le plus régulièrement des attaques contre la laïcité. La rapporteure nous dit qu’il faut passer par la voie réglementaire. Non ! C’est la loi qui doit marquer une volonté, précisément parce que l’on sent bien que ces difficultés vont croissant. Ce serait un symbole très fort, un signe que l’on adresserait aux personnels, lesquels sont totalement désemparés. Dans la région Centre-Val de Loire, les référents ne sont même pas employés sur des postes à temps partiel : il n’en existe quasiment pas. Les agents sont exposés et ne bénéficient d’aucune protection. Aidons-les !

M. le président François de Rugy. On peut quand même s’étonner que l’on soit obligé de passer par la loi pour demander des remontées d’information. Cela montre un léger problème de pilotage des administrations : une simple commande d’un ministre devrait y suffire. Certes, dans la police ou au ministère des finances, il y a sans doute une plus grande tradition concernant les remontées d’information, mais le fait que l’on en soit réduit à faire des amendements pour le demander – alors même que les informations en question sont de la plus haute importance – traduit un vrai problème de pilotage de l’administration.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS429 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Lors des auditions, les entreprises délégataires de service public ont insisté sur la nécessité d’avoir un retour sur la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er afin de progresser ensemble dans la bonne direction. Toutes n’ont pas la même pratique, et certaines sont plus avancées que d’autres en matière de respect de la neutralité et de la laïcité. Cet amendement demandant la remise d’un rapport devrait permettre d’avoir une première évaluation de la mise en œuvre de la loi dans les six mois suivant sa promulgation. Cette évaluation serait utile pour le législateur dans sa mission de contrôle, ainsi que pour l’ensemble des organismes de droit public et de droit privé qui entrent dans le champ d’application de l’article.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends l’objet de cet amendement, même si je suis parfois réservée quant aux demandes de rapport, car nous n’en faisons pas un usage suffisamment concret. Je suis d’accord avec vous : lorsqu’il s’agit d’évaluer une politique publique, il nous faut des éléments. Mais le délai que vous avez fixé me paraît beaucoup trop court, surtout au regard des délais de mise en conformité prévus s’agissant des contrats. Le rapport qui est prévu pour évaluer l’ensemble de la loi me semble préférable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis opposé à cette demande de rapport comme aux autres – et elles sont nombreuses. Je considère que c’est au Parlement, s’il le souhaite, d’évaluer la loi et de contrôler l’action de l’exécutif. Lorsque le Gouvernement remet un rapport au Parlement, il conclut forcément que ce qu’il a fait est très bien. Le Parlement, en revanche, peut contrôler le Gouvernement autant qu’il entend – c’est même l’un des principes posés par la Constitution.

M. le président François de Rugy. Le président de la commission des lois Jean-Jacques Urvoas expliquait qu’il donnait toujours un avis négatif aux demandes de rapport du Parlement au Gouvernement, considérant que si le Parlement voulait évaluer la politique du Gouvernement, ce qui fait partie de ses prérogatives constitutionnelles, il pouvait le faire sans avoir à le demander au Gouvernement.

L’évaluation des politiques publiques fait partie de nos prérogatives : menons-la au lieu de voter des demandes de rapport au Gouvernement. Qui plus est, la plupart du temps, ces demandes sont oubliées aussitôt que votées. Il n’en demeure pas moins qu’elles mobilisent des fonctionnaires, pour un résultat en général de très mauvaise qualité pour nous, parlementaires.

Enfin, la remise du rapport est demandée six mois après la promulgation de la loi, alors que certains délais d’application de l’article 1er vont jusqu’à trente-six mois en raison de l’existence de contrats de délégation de service public. On gagnerait vraiment à ce que cet amendement soit retiré.

Mme Isabelle Florennes. J’entends votre argument concernant les délais, mais j’écoute aussi ce qui nous a été dit au cours des auditions.

Vous dites, monsieur le président, que c’est au Parlement de jouer son rôle en matière d’évaluation et de contrôle mais, après quelques années de mandat, je ne suis pas totalement satisfaite du travail que nous effectuons en la matière. Le Parlement, comme le Gouvernement, doit encore évoluer en matière d’évaluation et de contrôle, même si je reconnais que ce n’est pas simple. Des progrès ont peut-être été accomplis depuis le début de cette législature mais ils ne sont pas satisfaisants ; et votre réponse, monsieur le président, ne me satisfait pas non plus.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, vous avez raison : demander des rapports au Gouvernement n’est pas satisfaisant. Il faudrait que l’Assemblée nationale se donne les moyens d’évaluer elle-même les politiques publiques. Or le contrôle, sous la Ve République, reste très virtuel, donc inopérant. Nous n’avons pas les moyens d’expertiser. Je pensais que cette majorité changerait les choses, mais ça n’a malheureusement pas été le cas.

L’amendement de Mme Isabelle Florennes, sur lequel Mme la rapporteure, par amitié, n’a pas osé s’exprimer aussi directement que vous, pose la question de l’attitude des services publics d’État. Mais ce qui est le plus préoccupant, c’est l’attitude des services publics locaux. Il sera très difficile, pour un service public local, de savoir si un service concédé, par exemple de transport, est effectué dans le respect de la loi que nous nous apprêtons à voter. C’est la raison pour laquelle Pascal Brindeau proposera, avec l’amendement CS1249, l’introduction d’une formation en la matière.

Monsieur le ministre, comment allons-nous aider les collectivités locales à faire respecter cette loi ? C’est bien de faire des déclarations à l’Assemblée nationale, et je les approuve, mais c’est mieux de se donner les moyens de faire appliquer la loi sur le terrain.

M. le président François de Rugy. J’avais, avec de nombreux députés issus de différents groupes, travaillé à la création d’une agence parlementaire d’évaluation. J’avais même fait en sorte que nous ayons notre propre budget car l’État, après avoir envisagé de nous transférer des services, avait finalement retiré sa proposition. Je le rappelle pour l’histoire de notre assemblée.

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce projet a disparu au moment de votre nomination au ministère !

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS554 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, cet amendement demande également un rapport : je vous inviterai à être indulgent sur la forme, car ce qui importe, c’est le fond. Je note que vous n’avez pas répondu à l’invitation du président Lagarde à critiquer le président Ferrand, ce qui, je le sais, est très loin de votre pensée…

Par cet amendement, je propose d’engager une réflexion sur l’opportunité de modifier la Constitution pour ajouter à la devise de la République, « Liberté, égalité, fraternité », le terme « laïcité ». Au cours de la précédente législature, j’avais déposé une proposition de loi en ce sens. Cet ajout permettrait d’affirmer une ambition très forte.

À nombre de nos propositions, vous avez objecté, monsieur le ministre, qu’elles supposeraient une réforme de la Constitution. La situation est d’une extrême gravité, les principes de la République sont menacés – c’est le constat qui a inspiré ce texte – et vous nous répondez constamment qu’on ne peut pas aller plus loin parce que la Constitution nous en empêche ! Moi, je crois qu’il faut avoir le courage, compte tenu des dangers qui les menacent, d’affirmer que rien ne doit limiter notre volonté de protéger la République, notre nation et nos concitoyens. Nous devons donc, si elle s’impose, être prêts à aller vers une réforme constitutionnelle.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. J’ai déjà dit ce que je pensais des demandes de rapport, d’une manière générale. Sur le fond, je ne suis pas sûre que vous ayez besoin d’un rapport du Gouvernement pour déposer une proposition de loi constitutionnelle. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1249 de M. Pascal Brindeau.

M. Pascal Brindeau. C’est une nouvelle demande de rapport, mais il s’agit d’un sujet important, qui fait écho à l’amendement CS1876 du Gouvernement relatif à la formation des agents territoriaux au principe de la laïcité. Nous aurions aimé le déposer nous-mêmes mais il aurait sans doute été frappé d’irrecevabilité au titre de l’article 40.

Parce que la pression qui s’exerce sur les agents territoriaux s’exerce également sur les élus locaux, il nous semble que la formation des agents territoriaux aura d’autant plus de sens que les élus locaux auront eux-mêmes été formés à la laïcité et à son incidence sur les services publics locaux. C’est pourquoi cet amendement propose que le Gouvernement remette, dans un délai d’un an, un rapport au Parlement évaluant les besoins de formation des élus sur ces questions.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement me semble satisfait par celui du Gouvernement, s’agissant des trois versants de la fonction publique, et je crois que le ministre de l’intérieur a annoncé un amendement sur la formation des élus. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. Vous m’avez demandé, monsieur Lagarde, ce que fait l’État pour les collectivités. Je rappellerai d’abord – j’ai été ministre de l’action et des comptes publics pendant trois ans – que lorsqu’on tente d’intervenir auprès d’elles, les collectivités locales nous rappellent que ce sont elles, les employeurs. Certaines responsabilités vont avec la liberté, ce n’est pas une famille politique comme la vôtre qui va me dire le contraire.

Il me semble que la question se pose davantage pour les élus ruraux, qui ont moins de moyens, que pour la plupart des élus urbains. Dans le département des Vosges, la préfecture ne compte plus que 130 fonctionnaires – plusieurs gouvernements sont responsables de cette situation – et ils ne sont que 90 en Lozère. À côté de cela, d’autres collectivités locales ont des centaines, parfois des milliers d’agents publics.

Certes, l’État doit faire absolument tout ce qui est nécessaire pour aider les collectivités locales, mais nombreuses sont celles qui ont parfaitement les moyens de faire appliquer, dans les contrats qu’elles délèguent, les règles qui correspondent à leurs appels d’offre. Les questions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes, au principe de non-discrimination ou à l’écologie figurent déjà dans les contrats de délégation de service public et il appartient à l’autorité qui accepte cette délégation de contrôler leur application. Je veux bien que l’État aide et accompagne, notamment les collectivités les plus rurales, mais je ne veux pas que cela soit systématique. Ce serait un peu contradictoire avec la tendance continue, depuis quinze ans, à la diminution du nombre d’agents de l’État dans les départements.

M. Philippe Vigier. La formation à la laïcité des élus, des fonctionnaires, de la communauté enseignante et de la communauté médicale est essentielle.

Monsieur le président, vous savez très bien que c’est le couperet de l’article 40 qui nous oblige à faire des demandes de rapports. Vous savez aussi que même lorsqu’on est rapporteur spécial de la commission des finances et que l’on a des pouvoirs d’investigation, comme cela a été mon cas, on manque parfois de moyens pour obtenir les documents que l’on demande. J’ai fait un rapport sur ce sujet, sous le pilotage de celui qui m’a formé en la matière, Charles de Courson. Vous nous parlez du pouvoir de contrôle du Parlement mais il faut nous donner les moyens de contrôler ! C’est notre boulot de voter la loi et c’est notre boulot aussi de contrôler son application.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, je souscris aux propos de Philippe Vigier. D’une façon générale, je ne signe pas les amendements qui demandent des rapports, mais lorsque les articles 40 et 45 s’appliquent avec autant de rigueur, on n’a pas d’autre choix que de recourir à cette manœuvre.

M. le président François de Rugy. Il y a 1 470 amendements en discussion !

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous avons la chance, vous et moi, de siéger dans cette assemblée depuis un certain temps. De mandat en mandat, votre raisonnement a évolué, tandis que le mien est resté le même. Il faut que le débat puisse avoir lieu, sans excès ; vous conviendrez que notre groupe ne fait pas partie de ceux qui déposent des amendements ou qui demandent la parole de manière excessive.

Monsieur le ministre, c’est un appel à l’aide que nous vous lançons. Je souscris totalement à vos propos : l’État préfectoral se déshabille, c’est vrai. Mais il commande toutes les autres administrations ; il n’est donc pas nu comme un ver dans les départements. Vous avez été maire ; vous comprenez bien que lorsqu’il organise le service public de transport avec une délégation de service public, le maire ne peut pas savoir ce qui se passe dans les vestiaires de l’organisme chargé du transport. Il y a donc besoin d’une coopération plus forte entre les services de renseignement territoriaux et le délégataire de service public si on veut que la loi soit opérationnelle. Au sein de la RATP, qui gère seule ou à peu près, les transports en région parisienne, il y a eu des dérives. Votre collègue Élisabeth Borne pourrait vous les décrire parce qu’elle en a été la présidente, mais la personne qui dirigeait la région Île-de-France, elle, ne pouvait pas les connaître.

Vous avez raison au sujet des collectivités rurales, mais les élus urbains aussi ont besoin d’être informés par les services de renseignement territoriaux des dérives dont ils ne peuvent avoir connaissance.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Élargissement de la procédure dite du « déféré accéléré » aux actes des collectivités territoriales qui portent une atteinte grave au principe de neutralité des services publics

La commission examine l’amendement CS472 de Mme Marine Le Pen.

Mme Marine Le Pen. Monsieur le ministre, vous avez tenu tout à l’heure des propos très graves, qui m’ont paru s’adresser à moi car vous me regardiez : vous avez accusé quelqu’un dans cette salle de pousser à la guerre civile. Il n’y a ici que des députés et nous sommes en train de travailler sur une loi contre le séparatisme. Dieu merci, vous vous adressiez manifestement à vos anciens amis du groupe Les Républicains. Je considère néanmoins cette accusation comme une outrance, et même comme un outrage.

Nos débats montrent que vous avez fait un choix dangereux, qui vous fait risquer l’amalgame, puisque vous ne cessez de naviguer entre l’islamisme, l’islam et les religions diverses et variées. Il aurait été plus simple, pour éviter cette confusion, de faire une loi de lutte conte l’idéologie islamiste. En visant une idéologie politique, on aurait évité les ambiguïtés qui ne manqueront pas de naître dans l’esprit de beaucoup.

Je soutiens le mécanisme de veto et, s’il ne suffit pas, de substitution par l’autorité préfectorale, car il va dans le bon sens. Toutefois, je suis un peu inquiète de la rédaction de l’article 2, qui ne concerne que les cas où il est porté « gravement » atteinte au principe de neutralité des services publics. En tant qu’ancienne avocate, je sais que dès lors qu’on écrit « gravement » dans un texte, on le rend difficile à appliquer, et donc relativement inopérant. C’est pourquoi je propose, afin de renforcer l’effectivité de cette mesure, de supprimer le mot « gravement ».

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. La procédure du déféré accéléré est limitée aux actes de nature à compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle. Ce sont donc des actes particulièrement graves qui peuvent en faire l’objet et, en règle générale, d’ailleurs, ce sont des mesures de police. En tant qu’avocate, vous savez que les magistrats apprécient cette notion de gravité, qui existe dans nombre de dispositions pénales. Le juge administratif n’aura pas de difficulté, comme le juge judiciaire le fait, à apprécier cette gravité. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS411 de Mme Emmanuelle Ménard. 

Mme Emmanuelle Ménard. L’attentat de la préfecture de police de Paris, le 3 octobre 2019, perpétré par Mickaël Harpon, a montré où menait le manque de courage face à la radicalisation. Comment se fait-il qu’un homme qui s’était réjoui de l’attentat de Charlie Hebdo et qui ne voulait plus serrer la main des femmes travaillant dans son service n’ait pas été signalé pour radicalisation ?

Ces actes ne sont pas seulement de nature à « compromettre l’exercice d’une liberté publique ou individuelle » ou de « porter gravement atteinte au principe de neutralité des services publics », ils sont aussi l’expression d’une radicalisation islamique. Il me semble important de nommer cette radicalisation au sein de notre corpus législatif. Tel est l’objet de cet amendement.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je ne comprends pas bien le sens de votre amendement et je vais y répondre par deux questions. Comment caractérisez-vous la radicalisation ? Dois-je comprendre que l’acte d’une collectivité territoriale pourrait relever de celle-ci ? Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’article 2 ne concerne pas des actes individuels mais des actes ou des délibérations des collectivités locales. Si votre amendement concerne bien les collectivités locales, il est satisfait, dans la mesure où l’article 2 couvre déjà les atteintes au principe de neutralité. Si, en revanche, vous visez des actes individuels, des dispositions ont déjà été votées à ce sujet après l’article 1er.

Mme Emmanuelle Ménard. Madame la rapporteure, j’ai précisément répondu à la première de vos questions dans la défense de mon amendement. C’est à dessein que j’ai pris l’exemple de Mickaël Harpon et les faits très précis et concrets qui ont précédé son attentat. Il n’a pas tenu des propos vagues, il a donné des signaux très précis : il s’est réjoui de l’attentat de Charlie Hebdo, il refusait de serrer la main des femmes, et tout cela s’est produit à la préfecture de police ! Dans n’importe quel centre pénitentiaire, dans n’importe quelle prison, ce sont des signaux qui inquiètent les autorités ; dans une préfecture de police, ils auraient dû alerter autant, si ce n’est plus. C’est précisément ce que je considère comme les caractéristiques d’une radicalisation.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ne vous méprenez pas, madame Ménard : le but de l’article 2 est de faire casser en moins de quarante-huit heures, grâce au « déféré laïcité », tout acte d’une collectivité locale qui serait séparatiste. Il n’est pas question dans cet article, je le répète, des personnels, mais des collectivités. Je comprends votre argumentation, mais elle n’a pas grand-chose à voir avec l’article 2.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements CS664 et CS665 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’amendement CS664 propose d’étendre le dispositif de l’article 2, qui ne concerne que les collectivités territoriales, aux établissements publics de santé, pour lesquels un contrôle de légalité est exercé par les directeurs des agences régionales de santé (ARS). L’amendement CS665, dans le même esprit, propose de l’étendre aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel pour lesquels le contrôle de légalité est exercé par les recteurs académiques.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Vos amendements sont en contradiction avec la procédure accélérée que nous voulons introduire. Le directeur général de l’Agence régionale de santé défère au tribunal administratif les délibérations et les décisions qu’il estime illégales dans les deux mois suivant leur réception. Il informe sans délai l’établissement et lui communique toutes les précisions sur les motifs d’illégalité. Il peut assortir son recours d’une demande de sursis à exécution. Vous proposez que le tribunal administratif statue dans un délai de quarante-huit heures, mais cette procédure interviendra après le délai de deux mois. Votre amendement fait perdre la notion d’urgence et ce délai de quarante-huit heures, qui est l’apport très considérable de cette procédure.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je peux comprendre votre préoccupation, même si elle me paraît davantage fondée pour les ARS que pour les rectorats. Ces derniers sont une émanation directe de l’État, tandis que les premières, même si elles dépendent évidemment du ministère de la santé, relèvent d’un phénomène d’agenciarisation. L’objet de l’article 2, et je vous renvoie à l’avis du conseil d’État, est bien le contrôle de légalité. Or ce contrôle, dans notre Constitution, est un contrôle que l’État exerce sur les actes des collectivités locales, et non sur lui-même. On peut surveiller ce que font les agences régionales de santé, les rectorats, voire les préfectures, mais cela ne relève pas du contrôle de légalité, dont il est question à l’article 2.

M. Charles de Courson. On peut sans doute critiquer la rédaction de mes amendements, mais ils avaient pour but de soulever un problème. L’article 2 s’applique aux collectivités territoriales et j’aimerais savoir si le Gouvernement, ainsi que nos collègues, seraient d’accord pour l’étendre aux autres domaines concernés par l’article 1er, à savoir les établissements de santé et les établissements universitaires et assimilés. S’ils sont mal rédigés, je veux bien les retirer et les réécrire, mais je voulais savoir si vous seriez d’accord pour étendre le champ de ce référé, qui permet de casser immédiatement certains actes, au lieu de les laisser s’appliquer pendant plusieurs mois.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si je vous comprends bien, vous visez des actes administratifs commis par des établissements ne relevant pas du contrôle de légalité exercé par le préfet sur les collectivités locales. Vous vous demandez, par exemple, comment un acte unilatéral pris par un président d’université pourrait être contrôlé, et par qui – probablement par son instance de tutelle. Vous voudriez introduire une sorte de contrôle de légalité entre les universités et leur instance de tutelle et vous vous demandez comment le juge pourrait intervenir.

Pourquoi, en effet, ne pas introduire une forme de contrôle sur tous les actes publics. Il faut voir comment créer un contrôle de légalité différent de celui qu’exercent les préfectures sur les collectivités locales. Je ne dis pas non sur le principe mais il va falloir trouver une rédaction très fine d’ici à la séance.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je suis d’accord : il faudra trouver une rédaction très précise.

M. Charles de Courson. L’idée, c’est que le recteur, qui est soumis à l’article 1er, dispose de l’outil juridique dont dispose le préfet à l’égard des collectivités locales. Et ce serait la même chose pour les hôpitaux car, comme l’ont noté plusieurs collègues, les atteintes à la neutralité sont beaucoup plus fréquentes dans les hôpitaux publics que dans les collectivités locales. Or l’article 2 ne s’applique qu’à ces dernières. Je vais retirer ces amendements et les retravailler.

M. Gérald Darmanin, ministre. Une dernière fois, j’aimerais que l’on ne se méprenne pas sur l’article 2 : il ne vise pas les actes séparatistes ou communautaires des agents, qui feront l’objet d’autres dispositions. Il concerne les actes des organes délibérants ou des collectivités en tant que telles. Mme Annie Genevard a pris tout à l’heure l’exemple d’une collectivité locale qui adopterait des règles vestimentaires particulières pour les femmes dans une piscine, en fonction de critères religieux : cela rentre typiquement dans le champ de l’article 2. Aujourd’hui, le préfet peut porter ces faits à la connaissance du juge, mais la procédure est souvent longue. Désormais, tout pourra être réglé en quarante-huit heures.

Vous dites qu’il y a plus d’actes communautaristes dans les hôpitaux qu’ailleurs, mais vous parlez d’actes individuels, d’usagers ou d’agents. Or ce dont il est question à l’article 2, ce sont les actes des personnes morales, non des agents. Mais je crois que M. le rapporteur général est prêt à organiser quelques réunions avec vous pour travailler sur ces questions d’ici la séance publique.

M. Charles de Courson. L’article 2 ne vise pas seulement les délibérations des organes délibérants des collectivités territoriales. Il vise aussi des arrêtés pris par le maire. De la même façon, dans les universités, cela pourrait concerner des décisions prises par le président d’université, qui a un pouvoir propre, ou par le conseil d’administration de l’université. Dans les établissements hospitaliers, en revanche, ce n’est pas le conseil de surveillance qui peut prendre des délibérations : c’est le directeur.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je confirme que Mme la rapporteure organisera des réunions avec M. de Courson pour régler ce problème d’ici à la séance.

Les amendements sont retirés.

L’article 2 est adopté sans modification.

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5.   Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 10 heures (après l’article 2 à l’article 4)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10173168_6007ef50c5d48.respect-des-principes-de-la-republique--projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-rep-20-janvier-2021

M. Pierre-Yves Bournazel, président. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Je vous prie de bien vouloir excuser le président de Rugy, qui va nous rejoindre dans quelques instants – il est retenu à la commission des affaires étrangères, par l’hommage à Marielle de Sarnez.

Après l’article 2

La commission examine l’amendement CS1641 de M. Pierre Person.

M. Sacha Houlié. Nous avons discuté longuement hier de ce que la laïcité peut permettre d’interdire, mais il y a aussi ce qu’elle interdit d’interdire. Les communes peuvent ainsi proposer ou non des menus de substitution ou des repas différenciés dans les cantines scolaires, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans un arrêt fameux qui concernait le maire Les Républicains de la commune de Chalon‑sur-Saône. Je ne crois pas, néanmoins, que cet amendement ait vocation à être adopté et je le retirerai donc.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS401 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il propose de privilégier des produits de saison lors du choix de la composition des repas servis dans les cantines et de ne pas utiliser de produits issus de l’abattage rituel. Si la France a fait le choix de la laïcité, il me semble que celle-ci doit s’appliquer à tous les pans de la société, en particulier dans le domaine de l’alimentation. Il n’est pas compréhensible que les gestionnaires publics et privés des services de restauration des établissements scolaires et universitaires, d’accueil des enfants de moins de six ans, de santé, sociaux et médico-sociaux et pénitentiaires puissent choisir des produits issus de l’abattage rituel, tout simplement parce que leurs achats financent notamment les cultes.

La laïcité est un principe exigeant qu’on ne saurait écarter en fonction des situations ou des lieux. Sinon, le risque est de l’amoindrir, de n’en faire qu’un mot vide de sens qui, à terme, ne protégera plus les Français du fondamentalisme islamique. Je rappelle aussi que la Cour de justice de l’Union européenne a autorisé en 2017 l’interdiction de l’abattage d’animaux sans étourdissement préalable : elle a considéré qu’il n’y avait pas de contradiction entre la liberté de religion et la protection du bien-être animal.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. Votre amendement s’appliquerait aussi aux établissements confessionnels, ce qui ne serait pas raisonnable. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements CS602, CS616 et CS601 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Ces amendements concernent les subventions attribuées par les collectivités locales – les conseils régionaux, départementaux ou municipaux –, qui jouent un rôle primordial pour le développement des territoires. Les élus doivent être vigilants au risque que des associations aux objectifs contraires aux valeurs républicaines en bénéficient. Il est important d’affirmer la nécessité de respecter le principe de la neutralité des services publics en la matière.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Ces amendements me paraissent satisfaits par l’article 6 du projet de loi, puisqu’il prévoit d’insérer dans la loi du 12 avril 2000 un article conditionnant l’octroi d’une subvention par une autorité administrative ou un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel ou commercial au respect, par l’association concernée, des principes de liberté, d’égalité, de fraternité et surtout de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public. J’émettrai donc un avis défavorable à ces trois amendements.

M. Boris Vallaud. On peut écrire partout, à tous les niveaux, qu’il faut respecter les principes de la République. On pourrait même, éventuellement, modifier la Constitution pour dire que nous devons nous-mêmes respecter les principes de liberté, d’égalité et de neutralité. On peut mettre tout le monde sous « Ritaline républicaine ». La réalité est que nous sommes tous, à peu de choses près, j’imagine, des républicains, soucieux de valeurs que nous défendons dans nos familles politiques, par différents engagements, depuis des décennies. Méfions-nous d’une défiance à tous égards, à tous les étages et vis-à-vis de toute personne. Serions-nous les seuls à être soucieux de ces règles ? Je crois que nous avons, heureusement, ces valeurs en partage dans notre société. La République, la démocratie, c’est un état d’esprit, un sens civique, une morale qui se cultivent chaque jour.

M. Pascal Brindeau. Je comprends les objectifs de ces amendements, mais on va vite être confronté à des problèmes d’interprétation très compliqués. Si on vous suivait, le strict respect du principe de neutralité du service public voudrait dire, a priori, qu’une collectivité ne pourrait plus subventionner, au titre du soutien aux actions caritatives, le Secours catholique ou le Secours populaire parce que ces associations peuvent avoir, historiquement, des liens confessionnels ou politiques. On musellerait, d’une certaine façon, les capacités d’action des collectivités.

Mme Valérie Oppelt. Je vais retirer ces amendements mais je voudrais réinsister sur le rôle des élus. Les fonctionnaires sont déjà couverts, en matière de neutralité, par la loi du 13 juillet 1983 – ce sont les services qui, au sein des collectivités, examinent les dossiers concernant l’attribution des subventions. Il me semble qu’il faudrait avancer un peu s’agissant des élus.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1251 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. C’est un amendement important pour nous. Beaucoup considèrent qu’il y a parfois une forme de clientélisme – pardon pour cette expression – dans certaines communes lorsque des élus participent à des cérémonies religieuses, de manière ostensible, non dans le cadre de leurs convictions personnelles – c’est tout à fait leur droit de le faire – mais ès qualités. Nous souhaitons que cela ne soit plus permis.

Ici, lors du vœu adressé par une ville qui a été protégée du choléra en 1832, des élus sont présents au premier rang de l’église, chaque année, en tant que maire ou député, et ils communiquent à ce sujet. Ailleurs, il est de bon ton de participer à des ruptures de jeûne et d’en faire la publicité. À Béziers, ville qui m’est chère, le maire annonce, sur les panneaux municipaux, qu’il organise une messe à l’occasion du début de la féria. Je ne suis pas d’accord avec cela.

L’amendement intègre, bien sûr, le fait qu’il peut exister des événements exceptionnels, des drames, à la suite desquels nous pouvons souhaiter incarner la solidarité de la République en assistant à une cérémonie religieuse. En revanche, les élus ne devront plus participer, en tant que tels, aux cérémonies religieuses régulières. C’est une application de la laïcité : la République garantit la liberté de culte et de conscience mais elle ne reconnaît aucun culte. Sinon, cela revient parfois à accorder un privilège : certains élus ne vont pas à d’autres cérémonies religieuses, ce qui peut conduire à des interrogations chez nos concitoyens.

Nous proposons une manière de procéder qui est claire et fidèle à la conception qu’avait, à une époque, Clemenceau – vous y serez sensible, monsieur le ministre de l’intérieur. Il avait même refusé, après la Première guerre mondiale, que son Gouvernement participe au Te Deum organisé à Notre-Dame pour rendre hommage aux morts. C’était peut-être une version radicale de ce que nous proposons. Nous considérons qu’un élu n’a pas sa place, ès qualités, dans les cérémonies religieuses – s’il est croyant, il pourra pratiquer sa religion.

M. Pierre-Yves Bournazel, président. Cela devait être l’époque où Georges Clemenceau était maire de Montmartre.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends votre souci et je suis sensible à votre argumentation ainsi qu’à vos références historiques, en particulier à Clemenceau. Il me semble, néanmoins, que les principes dégagés par la jurisprudence à partir des textes existants doivent vous rassurer.

Je rappelle qu’un élu assistant à une cérémonie religieuse d’une manière officielle, en tant que représentant des pouvoirs publics, doit s’abstenir de toute participation personnelle au culte, c’est-à-dire qu’il doit en principe s’abstenir de se signer à l’occasion d’une messe, d’accomplir les rites d’une prière israélite, de se prosterner devant un autel bouddhique, d’effectuer des ablutions dans une mosquée ou de participer aux chants religieux du culte protestant. J’ajoute que le maire qui assiste à titre privé à une cérémonie religieuse ne peut pas porter son écharpe, symbole de sa qualité.

Lorsqu’un maire assiste à une cérémonie religieuse traditionnelle, organisée par une institution de la République – je fais allusion aux nombreuses célébrations de la Sainte-Barbe, pour les sapeurs-pompiers –, il le fait en tant que représentant de la commune et il est donc autorisé à porter son écharpe. Il y est également autorisé à l’occasion des obsèques d’un élu ou d’un ancien élu qui se dérouleraient sur le territoire de sa commune, car il y assiste en tant qu’autorité communale, sans que le principe de laïcité, auquel vous êtes si attaché, comme nous tous, soit remis en cause.

Il me semble que ces décisions couvrent le champ que vous avez évoqué et qu’il n’est pas opportun d’aller au-delà. Par conséquent, avis défavorable.

M. Éric Diard. Le groupe Les Républicains est opposé à cet amendement. Nous tenons à la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire. Par ailleurs, certaines fêtes ont une origine religieuse mais aussi un aspect traditionnel. Il existe dans ma commune, dont j’ai été le maire pendant seize ans, une fête de la Saint‑Pierre – c’est un village de pêcheurs – comportant une procession. Un maire est libre d’assister ou non à une messe, mais il ne participe pas aux sacrements. Je ne vois pas pourquoi on remettrait en cause les traditions de notre pays, fussent-elles judéo-chrétiennes.

Mme Emmanuelle Ménard. Je me permets d’intervenir puisque la commune de Béziers a été citée.

Je l’ai déjà dit lundi : notre pays appartient à la civilisation chrétienne. Il a une histoire judéo-chrétienne. La France est pétrie de cette culture. Son espace, ses paysages, ses monuments, ses musées et sa littérature sont intimement liés à elle. Quoi de plus normal que des élus participent à des messes et à des processions ou qu’ils les organisent ?

Vous avez cité la messe qui a lieu à l’ouverture de la féria : elle existe depuis son origine. Alors qu’elle était auparavant réservée à un petit nombre de personnes, le maire de Béziers a jugé bon de proposer au plus grand nombre d’y participer, qu’on soit chrétien ou non. Il n’y a pas de filtrage à l’entrée des arènes pour savoir si on est chrétien ou si on vient juste par curiosité.

Il existe, ne vous en déplaise, des traditions qui sont liées à la culture judéo-chrétienne. Cela fait partie de notre histoire. Quand le maire de Béziers va à la synagogue pour participer à une cérémonie, il met une kippa, et quand la députée que je suis va à la mosquée pour participer à une cérémonie, je me déchausse et je mets un foulard, par respect pour ces religions. Il me semble que c’est la moindre des choses.

M. Charles de Courson. Savez-vous quand je vais à la synagogue ? C’est pour commémorer la déportation. Vous voulez l’interdire par votre amendement ? Mais cela ne va pas ! Mes grands-parents ont été déportés. Je ne suis pas israélite, mais je suis tout à fait solidaire de ceux qui ont subi la Shoah.

Autre exemple, quand vous avez des amis qui sont croyants et dont les obsèques sont religieuses, vous n’y allez pas ? Quand un maire de ma circonscription meurt et qu’il y a des obsèques religieuses, j’y vais quand je peux le faire. Et ce serait interdit par votre amendement ? Vous rendez-vous compte ? Ce n’est pas possible…

Il y a un problème de sectarisme. Vous pensez, quand on vous pousse à aller au fond des choses, que la foi est contraire aux valeurs de la Républiques. C’est votre erreur fondamentale.

M. Robin Reda. Je crois que le principe de la laïcité n’exclut pas celui, fondamental, de la politesse. Quand on est invité à l’église, à la mosquée ou à la synagogue par des ministres du culte, la moindre des politesses et des déférences est de s’y présenter, en toute neutralité, certes. En tant qu’élu local et désormais en tant que parlementaire, j’ai toujours veillé à le faire.

Il faut voir les incohérences auxquelles votre amendement mènerait. M. Mélenchon n’était-il pas présent aux obsèques de Jacques Chirac en l’église Saint-Sulpice et à celles de Johnny Hallyday en celle de la Madeleine ? Tout cela fait partie de nos traditions françaises, du respect, de la politesse et de la déférence. Cela n’a rien à voir avec une quelconque manifestation anti-laïque de la part d’élus de la République.

Mme Coralie Dubost. Je voudrais introduire une nuance.

Il y a effectivement beaucoup de cérémonies culturelles héritées de cérémonies cultuelles. Je pense qu’il ne faut absolument pas prévoir une interdiction dans ce cadre. Il existe des invitations, adressées par des communautés, qui relèvent des liens qu’un élu peut entretenir. En revanche, une question se pose, peut-être plus particulièrement dans le territoire dont vous êtes issu, lorsque des cérémonies culturelles sont un peu instrumentalisées par certains élus qui y réimplantent du cultuel. Cela arrive. On a assisté au retour de cérémonies religieuses qui n’existaient plus.

On pourrait raisonner dans les termes suivants : quand le cultuel est devenu culturel, il n’y a pas de problème, mais quand le culturel est instrumentalisé pour réintroduire du cultuel, alors c’est une autre forme de projet politique, comportant une instrumentalisation de la liberté de conscience. Cela, je ne l’accepterai pas.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si je n’ai pas demandé la parole tout à l’heure, ce n’était pas par mépris envers l’amendement de M. Corbière, mais parce que je pensais que la messe serait vite dite (Sourires). Tout est prévu dans le texte que nous proposons et par la loi de 1905.

Il est évident que toute personne peut se rendre à une cérémonie cultuelle – il serait fou, et sans doute contraire à la Constitution, de l’interdire – et qu’il existe un devoir de discrétion des élus, en tant que tels – cela me paraît la bonne coutume républicaine. Le général de Gaulle ne communiait pas. Pourtant, il allait chaque semaine à la messe, et il y avait une chapelle à l’Élysée – elle est toujours là. Il y en a même une au Sénat. Elle est très belle, et des cérémonies s’y déroulent parfois. Par ailleurs, les sénateurs légifèrent sous une statue de Saint Louis…

La question qui se pose est celle de la discrétion des élus et de l’absence de présence ou de discours politique. C’est ce que prévoit le texte. Les dispositions relatives aux cultes comportent des sanctions extrêmement fortes si les interdictions datant de 1905 ne sont pas respectées. Il est interdit de tenir des réunions politiques ou électorales dans les lieux de culte – nous en parlerons, et tout le monde ne sera sans doute pas d’accord. C’est une chose d’y être présent et une autre d’y prendre une position politique, d’y tenir des réunions politiques ou électorales, d’y mettre des affiches ou des tracts, d’y mener campagne.

Il faut savoir raison garder. Vous pourriez retirer votre amendement. Nous avons bien compris où vous vouliez en venir. Vous verrez que le titre II du projet de loi couvre très largement les sujets électoraux et politiques qui vous inquiètent – c’était déjà le cas en 1905.

M. Alexis Corbière. Que les choses soient claires. Chacun d’entre nous peut avoir des convictions spirituelles et pratiquer sa foi d’une manière privée. Ce n’est absolument pas la question.

Il existe aussi des moments exceptionnels – c’est prévu dans l’amendement –, par exemple lorsqu’une personnalité de la commune décède. On peut vouloir marquer sa solidarité : même si on ne partageait pas la foi de la personne concernée, on va évidemment à la cérémonie. Des drames peuvent également se produire, comme l’assassinat de fidèles dans un lieu de culte, et là aussi on peut souhaiter marquer sa solidarité. L’amendement est clair sur ce point.

Il y a, par ailleurs, des traditions – le mot a été prononcé. La laïcité doit permettre de mettre bon ordre en la matière. Nous devons garantir la possibilité que les traditions se perpétuent. Mais faut-il considérer que les élus de la République doivent participer et que les communes doivent faire de la publicité ? C’est généralement un petit privilège qui est accordé à une religion et pas à d’autres. C’est la question que nous avons à traiter. Je rappelle accessoirement que beaucoup de nos concitoyens, lorsqu’on les interroge, disent ne pas croire en Dieu, et qu’il y a plusieurs cultes dans notre pays.

J’observe bien souvent que des élus vont à certains endroits – comme par hasard, il y a généralement beaucoup de fidèles de la religion concernée dans leur circonscription – mais qu’ils ne vont pas ailleurs. Cette conception à géométrie variable est blessante.

Vous avez évoqué les traditions, madame Ménard. Vous savez que la ville dont vous êtes la députée m’est chère. De quelle tradition parlons-nous ? La féria de Béziers a été créée en 1968 par un élu franc-maçon et socialiste, Jules Faigt. Cette tradition a donc mon âge, 52 ans. La messe était limitée, à l’origine, aux toreros avant leur entrée dans l’arène. C’était une messe dans une petite chapelle. Le maire de Béziers a choisi d’en faire une messe publique, annoncée sur des panneaux grâce à de l’argent municipal. Trouvez-vous franchement que c’est respecter la laïcité et une tradition ? C’est la fabrication d’une nouvelle tradition.

On invite tout le monde à venir, y compris, bien sûr, les musulmans. Mais où sont les affiches de M. Ménard invitant les catholiques à aller à la mosquée ? Elles n’existent pas. C’est une conception à géométrie variable ou, pour le dire vulgairement, un clientélisme électoral dont je ne veux pas.

Mme Emmanuelle Ménard. Mais non !

M. Alexis Corbière. Il faut rappeler des règles simples. Quand il est nécessaire d’aller à une cérémonie pour marquer la solidarité de la République, on y va. S’agissant des traditions, en revanche, certaines religions n’en font pas partie, elles n’ont pas leur place. La laïcité est une rupture avec la tradition : ce n’est pas la continuité.

M. Boris Vallaud. On voit bien la difficulté à distinguer le culturel et le cultuel. C’est une des questions qui se posent s’agissant des associations dites « mixtes ». Il y a aussi la difficulté à définir ce que sont un culte et une religion. Le législateur, y compris en 1905, s’est bien gardé de le faire. Il a même été incapable de distinguer une religion d’une secte – vous vous souvenez de la loi adoptée en la matière et de la controverse qui a eu lieu. Le doyen Carbonnier, qui avait dit que ce n’était pas possible, avait eu ce mot fameux : le christianisme est une secte juive qui a réussi.

Comment s’étonner, par ailleurs, qu’il y ait une instrumentalisation politique et qu’une municipalité d’extrême droite mène une politique d’extrême droite ? On peut seulement en être désolé et le combattre.

Je reviens sur ce que la rapporteure a dit à propos de la jurisprudence. L’interdiction de participer à l’exercice du culte quand on fait partie des autorités publiques pourrait faire l’objet d’une forme de codification. Je ne sais pas s’il y a des circulaires destinées aux élus, locaux et nationaux, dans ce domaine – c’est le cas, me semble-t-il pour le corps préfectoral. Aller dans ce sens pourrait valoir la peine.

Je comprends la préoccupation exprimée par notre collègue Corbière, même si j’ai du mal à penser que la rédaction proposée permettrait de répondre complètement aux problèmes qui se posent.

Mme Géraldine Bannier. M. Corbière a évoqué les traditions. Je parlerai, pour ma part, du lien parfois inextricable entre l’histoire et la religion.

On a commémoré dimanche dernier, en Mayenne, le 150e anniversaire d’une apparition mariale. L’histoire dit que l’armée prussienne a été arrêtée devant Laval quelques jours plus tard. Il y avait donc une commémoration des anciens combattants et en même temps une commémoration de l’apparition mariale à Pontmain. Que l’on y croie ou non, celle-ci a eu une influence importance sur la vie du département.

Je n’étais pas présente car ce n’était pas dans ma circonscription, mais je ne trouve absolument pas choquant que des députés puissent assister à ce genre d’événements qui sont quasiment entrés dans l’histoire.

Mme Emmanuelle Ménard. Je voudrais m’exprimer car j’ai été prise à partie directement. Je passe sur les erreurs factuelles de M. Corbière – la messe n’était pas réservée aux toreros avant leur entrée dans l’arène. On voit que notre collègue ne vit plus, depuis très longtemps, à Béziers – tant mieux pour les Biterrois ! Si nous faisions du clientélisme électoral, vu le nombre de personnes qui vont à la messe le dimanche, il faudrait organiser des cérémonies dans les mosquées et non des messes catholiques dans les arènes. Votre accusation est absolument odieuse et infondée. Les Biterrois apprécieront…

M. Pascal Brindeau. Chacun pourrait évoquer des exemples dans lesquels un élu est amené, par ses fonctions comme en tant que personne privée, à participer à des cérémonies religieuses différentes. L’amendement de notre collègue traduit une conception de la laïcité qui me semble contraire à l’esprit de la loi de 1905 – elle a prévu la séparation de l’Église et de l’État mais aussi le respect de la liberté de croyance et de la pratique religieuse. Quand un élu participe à un enterrement, à une cérémonie religieuse, à la fête de Sainte Geneviève, patronne des gendarmes, comment voulez-vous distinguer s’il le fait à la fois à titre personnel et en tant qu’élu ? Il faudrait que l’État s’immisce dans la pensée du dépositaire de l’autorité publique, ce qui serait contraire à la loi de 1905.

M. François Cormier-Bouligeon. Je trouve que la passe d’armes entre Mme Ménard et M. Corbière est extrêmement révélatrice. Les masques tombent.

L’extrême gauche parle de laïcité à géométrie variable par soumission à un culte : elle se cherche un peuple de substitution. On comprend bien, en effet, que le peuple les a abandonnés : il est difficile de suivre un leader qui a fait fortune lors de sa carrière politique.

De l’autre côté, l’extrême droite ne se réfère qu’aux traditions judéochrétiennes, oubliant que notre Nation existait déjà avant la chrétienté – je suis un descendant du peuple d’Avaricum, Bourges, qui existe depuis plus de trois ou quatre mille ans – et qu’il y a aussi une tradition des Lumières – Voltaire, Condorcet, Ferdinand Buisson, Jean Zay et Camus ont été cités depuis le début de nos débats. C’est tout cela qui a forgé notre Nation, et pas seulement une vision étriquée des choses.

Le texte qui nous est proposé est important. Il établit un juste milieu, en prévoyant de la neutralité partout où elle est nécessaire et, pour le reste, une présence modérée, adaptée. La présidente Genevard a précédemment cité des propos tenus par Jean-Pierre Chevènement au sujet de la discrétion. Je suis allé dimanche à la fête de la Saint-Vincent à Sancerre, non pour participer à un culte mais pour soutenir les vignerons – je l’ai fait sans me signer et sans participer à la liturgie. C’est inscrit dans la vie de notre Nation.

M. Francis Chouat. Cet amendement ne touche absolument pas au vrai problème posé par le fait qu’il existe de plus en plus une instrumentalisation de la religion dans l’activité politique de candidats ou d’élus des municipalités.

Si cet amendement était adopté, il y aurait, en outre, une toute petite difficulté : vous ne pourriez pas participer à des manifestations publiques contre l’islamophobie où se déroulent des appels à la prière. Vous devriez ne pas être là et enlever vos écharpes tricolores.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1591 de Mme Stéphanie Rist.

Mme Stéphanie Rist. Je pense que cet amendement va permettre de nous rassembler, d’une part parce qu’il n’empêchera pas du tout les élus de participer à des manifestations religieuses, même en portant leur écharpe, mais aussi parce qu’il précisera bien, dans la loi, leur obligation de neutralité.

Je vais vous donner un exemple. Le 10 décembre dernier, à Orléans, dont je suis conseillère municipale, une charte de la laïcité a été adoptée par la majorité en place. Ce texte précise en particulier que les élus ont le droit de communier, en portant leur écharpe, lors des messes célébrées à l’occasion de la fête de Jeanne d’Arc. Il faut trouver un juste milieu. La jurisprudence ne suffit probablement pas, on le voit dans le cadre de nos débats.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. C’est de la conception de la laïcité dans notre pays que nous débattons. L’équilibre que nous avions trouvé entre des principes qui doivent être également protégés est contesté et peut-être battu en brèche ces derniers temps.

S’agissant de la jurisprudence, je pense que c’est à elle de trouver l’équilibre entre les principes constitutionnels qui sont les nôtres et peut-être de suivre l’évolution de notre conception de la laïcité, que vous avez tous rappelée dans le cadre de nos échanges, même si les positions sont différentes.

En ce qui concerne la participation à des cérémonies religieuses, j’ai déjà répondu. S’agissant du respect du principe de neutralité dans le cadre de l’exercice des fonctions d’état civil, je voudrais dire que le maire agit au nom de l’État dans cette hypothèse et qu’il est donc soumis aux mêmes exigences que lui – c’est-à-dire au principe de neutralité. La question me paraît donc réglée. J’émets un avis défavorable à l’amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Philippe Vigier. Monsieur Corbière, je n’ai absolument pas compris votre amendement. Vous remettez en cause la loi de 1905. J’ai déposé des amendements qui devraient vous protéger, exigeant qu’il n’y ait pas de prosélytisme dans les lieux de culte, quels qu’ils soient. J’espère que vous les soutiendrez parce que la neutralité et la laïcité, c’est aussi la libre pratique des cultes. Madame la rapporteure, le rappeler dans la loi me semble une exigence.

M. Alexis Corbière. Je soutiens cet amendement. Je vais prendre un exemple, celui des fêtes johanniques. Le personnage de Jeanne d’Arc fait l’objet d’une double célébration : une célébration républicaine, défendue notamment par l’historien Michelet au dix-neuvième siècle, mais aussi religieuse, à l’initiative de Mgr Dupanloup, qui va à la même époque faire de Jeanne d’Arc un personnage important de la religion catholique. En 1920, Maurice Barrès a d’ailleurs fait adopter une loi autorisant les fêtes républicaines, patriotiques, autour de Jeanne d’Arc.

Le problème à Orléans, c’est que les élus sont invités à une cérémonie religieuse ! Si la République veut rendre hommage au personnage historique de Jeanne d’Arc, la municipalité peut parfaitement organiser une cérémonie laïque, républicaine. Mais c’est mal comprendre la loi de 1905 que de confondre une cérémonie républicaine et une cérémonie religieuse. Que des élus, croyants, souhaitent aller à la messe pour célébrer Jeanne d’Arc, c’est leur droit le plus strict, mais si les élus d’Orléans veulent lui rendre hommage, il faut que la municipalité organise une cérémonie ! Dans le cas contraire, cela participe à la confusion, d’autant que ce privilège accordé à certains cultes ne l’est pas à d’autres. La charte de la laïcité adoptée à Orléans est une charte de la non-laïcité. C’est même un scandale et nous devrions intervenir !

M. Julien Ravier. Pourquoi, en tant qu’élus de la République, devrions-nous nier le cultuel ? Monsieur Corbière, c’est le seul objectif de votre amendement. Pourquoi serait-ce un problème de respecter nos traditions cultuelles et culturelles ? Cela engendre-t-il un trouble à l’ordre public ou un problème séparatiste ? Non.

Votre amendement vise, à nouveau, à conforter les principes républicains en restreignant nos libertés, notamment celles dont nous disposons en tant qu’élus de la République.

Enfin, je partage l’analyse de Mme la rapporteure sur le présent amendement : à partir du moment où vous êtes officier d’état civil, vous êtes soumis au devoir de neutralité. L’amendement est donc satisfait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Mme la rapporteure a raison : la loi prévoit déjà que ceux qui exercent des missions de service public doivent adopter un comportement neutre. Dans le cas contraire, ils sont sanctionnés.

Monsieur Corbière, vous nous refaites la loi de 1901, pas celle de 1905 ! La République a tranché : la laïcité n’est pas la négation des religions, mais la pluralité des religions – M. Briand a gagné contre M. Combes.

M. Alexis Corbière. Qui veut interdire les religions ? Pas moi !

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est tellement vrai qu’en moyenne 15 % des budgets d’investissement des communes sont consacrés aux édifices religieux. Votre prochain amendement visera-t-il à interdire aux collectivités locales de réparer la toiture de l’église, alors qu’elles en ont aujourd’hui le droit, et même le devoir ?

On a nationalisé les biens de l’Église, on ne reconnaît aucun culte, mais cela ne signifie pas la négation des cultes !

Je le répète pour rassurer Mme Rist : les officiers d’état civil et tous ceux qui accomplissent une mission de service public ont, évidemment, un devoir de neutralité. Mais je le répète également, la laïcité n’est pas la négation des religions. Au contraire, elles doivent toutes pouvoir coexister dans le champ public.

Mme Stéphanie Rist. Je vais retirer mon amendement afin de le retravailler d’ici à la séance pour modifier le dispositif de sanctions à l’égard des élus qui ne respectent pas ces principes.

L’amendement est retiré.

Article 3 : Élargissement du fichier national des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) aux auteurs d’apologie et de provocation à des actes terroristes

La commission examine l’amendement CS857 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Alexis Corbière. Pourquoi écarter la décision de l’autorité judiciaire et rendre l’inscription dans le fichier national des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) automatique ? En l’état actuel du droit, le juge a la possibilité de procéder à cette inscription, mais ce n’est pas une obligation. Il apprécie la gravité de l’infraction et cette inscription fait partie du « panel » de sanctions. L’inscription sur ce fichier a de lourdes conséquences ; il serait donc normal que le juge garde un pouvoir d’appréciation, en connaissance du dossier et de la gravité des faits. C’est ce que propose l’amendement.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. J’y suis défavorable. Il me semble au contraire nécessaire de remplacer le dispositif actuel, qui repose sur une décision d’inscription expresse de la juridiction, par un système d’inscription de plein droit, afin d’optimiser le fonctionnement du FIJAIT. Je rappelle qu’il s’agit d’un fichier judiciaire automatisé concernant les auteurs d’infractions terroristes.

Un garde-fou est prévu à l’inscription de plein droit : elle ne peut avoir lieu en cas de décision contraire et spécialement motivée par la juridiction ou par le procureur de la République. J’ajoute que cette inversion de la logique d’inscription est conforme au régime de traitement des infractions les plus graves dans les fichiers. Il est, en effet, déjà admis pour le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) que la gravité des infractions en cause justifie le recours à un régime d’inscription systématique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CS1821 de la rapporteure et CS430 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Cet amendement poursuit un double objectif. Il s’agit d’abord de faire enregistrer, dès leur prononcé et de plein droit, les décisions d’irresponsabilité pénale prononcées par les juridictions d’instruction ou de jugement. Depuis la réforme introduite par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la décision d’irresponsabilité pénale ne peut intervenir qu’après que la juridiction a examiné la question de l’implication de la personne en cause dans les faits et y a répondu de manière positive. Cela justifie pleinement l’enregistrement de cette personne au FIJAIT, dès le prononcé de la décision d’irresponsabilité, sauf si la juridiction concernée décide expressément, par motivation spéciale, le non-enregistrement.

Il s’agit également de clarifier la répartition des compétences entre le siège et le parquet en retirant au procureur l’appréciation d’un éventuel non-enregistrement de la décision d’irresponsabilité, pour la confier à la juridiction qui a pris la décision : si une juridiction française prend une décision en matière de terrorisme, c’est à elle que revient légitimement l’appréciation d’un éventuel non-enregistrement au FIJAIT.

Mme Isabelle Florennes. Le groupe MoDem et Démocrates apparentés soutient cet amendement. C’est pourquoi il en a déposé un qui est identique. Il est effectivement très important que la loi précise ces dispositions, et fondamental que ce soit la juridiction qui a pris la décision, et non le ministère public, qui apprécie l’éventuel non-enregistrement de la décision d’irresponsabilité.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la commission.

M. Jean-François Eliaou. Madame la rapporteure, pourriez-vous préciser ce qu’apportent ces nouvelles dispositions ? Quelle est la plus-value ?

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. En l’état actuel de sa rédaction, le projet de loi prévoit déjà l’inscription automatique par les juridictions du siège, sauf pour les décisions d’irresponsabilité, du ressort du parquet. C’est pourquoi nous souhaitons procéder à un alignement de la procédure pour ces dernières.

S’agissant des décisions rendues par les juridictions étrangères, le parquet restera compétent, ce qui est logique puisque les condamnations n’ont pas été prononcées par des juridictions françaises.

M. François de Rugy remplace M. Pierre-Yves Bournazel à la présidence.

M. Alexis Corbière. C’est sans doute une faiblesse de ma part, mais j’ai du mal à comprendre l’objet de l’amendement. S’agit-il de permettre aux juges d’apprécier l’inscription automatique dans le FIJAIT ? Si tel est le cas, je le soutiendrai.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. En l’état actuel de sa rédaction, le projet de loi prévoit l’inscription automatique par les juges du siège, sauf dans deux cas : une possibilité de non-inscription, laissée à la libre appréciation du juge qui s’est prononcé sur la culpabilité du mis en cause, et l’appréciation d’un éventuel non-enregistrement de la décision d’irresponsabilité si l’auteur des faits n’est pas condamné car atteint de troubles psychiques.

Dans ce dernier cas, comme pour les décisions rendues par des juridictions étrangères, le procureur est compétent. S’agissant de l’appréciation d’un éventuel non-enregistrement de la décision d’irresponsabilité, je souhaite que ce soit le juge qui s’est prononcé sur la culpabilité qui soit compétent. Les faits ayant eu lieu, la dangerosité existe et le juge doit donc pouvoir procéder à cette inscription.

M. Gérald Darmanin, ministre. M. le garde des Sceaux, compétent sur ce point, ne peut malheureusement pas être parmi nous. Pourquoi le Gouvernement s’en remet-il à la sagesse de la commission ? À l’exception des mineurs, l’inscription est de droit, sauf si le juge s’y oppose. Pourquoi est-ce le procureur qui est compétent ? Car il travaille en lien direct avec les préfets, et les services de l’État, au sein des groupes d’évaluation départementaux (GED) afin d’analyser les dossiers des personnes radicalisées et de décider s’il faut, ou non, les inscrire au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

S’agissant de terrorisme ou de radicalisation, il nous semble que le procureur, parce qu’il est en lien direct avec les préfets et les services de renseignement, est mieux à même que les juges du siège de prendre cette décision.

Pour autant, et c’est pourquoi nous nous en remettons à votre sagesse, cela ne change pas fondamentalement la donne : chacun pourra consulter le fichier, notamment le procureur.

Pour répondre à MM. Corbière et Eliaou, l’enjeu est simple : qui du procureur ou du juge doit prendre la décision ?

M. le président François de Rugy. Pour compléter les propos du ministre, je vous prie, en effet, d’accepter les excuses du garde des Sceaux, ministre de la justice, qui m’a fait savoir qu’il était retenu en conseil des ministres pour la présentation du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

La commission adopte ces amendements.

Elle passe à l’amendement CS862 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Alexis Corbière. Nous nous opposons à l’inscription de plein droit au FIJAIT des personnes condamnées pour infractions terroristes.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. M. le ministre évoquait des raisons d’efficacité – heureusement, le procureur et le président sont proches. Il me semble plus logique que le juge, qui a eu à apprécier les faits ayant donné lieu à condamnation, apprécie également s’il y a lieu de ne pas inscrire cette décision au FIJAIT. C’est pourquoi je vous ai proposé cet amendement et je suis défavorable au vôtre, monsieur Corbière.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS173 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. L’article 3 modifie le champ d’application du FIJAIT. Mon amendement fait suite à l’audition des courants philosophiques. Par souci de transparence, il convient de préciser par décret qui sont les personnes habilitées à avoir accès aux données de ce fichier.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement est déjà satisfait par l’article 706-25-9 du code de procédure pénale qui fixe la liste les personnes habilitées à consulter ce fichier. Il s’agit notamment des autorités judiciaires, des officiers de police judiciaire, des préfets pour les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément ou d’habilitation.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS870 de M. Éric Coquerel.

M. Alexis Corbière. Nous nous opposons à l’inscription de mineurs de moins de quinze ans au sein du FIJAIT. Treize ans, c’est très jeune en effet même si les attitudes peuvent être absolument intolérables. Cela concerne également l’apologie du terrorisme, et donc des paroles insupportables, mais on peut aussi imaginer que, hélas, à treize ou quatorze ans, certains jeunes, encore en formation, n’ont pas toujours conscience des conséquences de leurs propos. À l’inverse, comment nier les conséquences sur leur vie de l’inscription dans ce fichier ?

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Monsieur Corbière, ce fichier ne concerne pas seulement les actes d’apologie ou de provocation. Il est plus général. En outre, la particularité des mineurs est déjà prise en compte dans la mesure où ils bénéficient d’un régime spécial : contrairement aux adultes, ils ne sont pas inscrits de plein droit au FIJAIT, mais sur décision de l’autorité judiciaire.

Enfin, votre proposition n’est pas pertinente au regard des principes gouvernant le droit pénal des mineurs, le seuil d’irresponsabilité pénale étant fixé en dessous de treize ans.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS417 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’aligner le régime de l’inscription au FIJAIT des mineurs de treize à dix-huit ans sur le droit commun. En l’état actuel du droit, vous l’avez rappelé, les mineurs ne sont pas inscrits automatiquement dans ce fichier, mais sur décision du juge ou du procureur.

Pourtant, des enfants de treize à dix-huit ans pratiquent des actes de terrorisme ou en font l’apologie. Devant la gravité des faits, ils ne doivent pas être excusés a priori, à cause de leur âge. L’islam radical ne commence pas à la majorité. Je vous rappelle que les « Lionceaux du califat » sont des enfants soldats de quatre à seize ans entraînés par l’État islamique à tuer à mains nues ou avec des armes. Nous ne pouvons pas faire comme si ces enfants – puisque ce sont encore des enfants – étaient des enfants comme tous les autres, malheureusement.

Un autre exemple, plus proche de nous : pour avoir publié sur son compte Instagram une courte vidéo dans laquelle elle rejette l’islam, Mila, une jeune fille, a subi des pluies d’insultes et de menaces de mort. Des informations personnelles, comme son adresse ou l’adresse de son lycée, ont été divulguées sur les réseaux sociaux. Elle a dû être déscolarisée pour la préserver de certains camarades, des lycéens comme elle, qui étaient prêts à la lyncher pour la « punir d’avoir insulté leur communauté », le tout dans une indifférence quasi généralisée. Certains ont même prévu de confronter l’adolescente dans son lycée : « elle est dans mon lycée, c’est une seconde et, lundi, on va régler ça » a déclaré l’un d’entre eux sur les réseaux sociaux. Ces actes ne peuvent être jugés selon le droit commun des mineurs !

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement vise aussi les mineurs de treize ans, ce qui n’est pas envisageable au regard des principes gouvernant le droit pénal des mineurs. S’agissant des mineurs de treize à dix-huit ans, vous proposez d’inverser le principe. Je n’y suis pas favorable. Il est indispensable que le juge motive expressément sa décision s’agissant de l’inscription au FIJAIT d’un mineur, par essence non encore majeur.

Mme Marie-George Buffet. Cet amendement remet en cause les fondements de la protection et de la justice des mineurs dans notre pays ! Quelle que soit la gravité de leurs gestes et de leurs crimes, la justice doit être adaptée aux mineurs puisqu’on présume toujours qu’il leur est possible de se reconstruire.

Mme Emmanuelle Ménard. Malheureusement, on parle de terrorisme. Il ne s’agit donc pas de n’importe quel acte, mais de crime ! Je ne refuse pas l’attention particulière, au contraire, puisque le procureur de la République a toujours la possibilité de prendre une décision contraire s’il la motive.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS473 de Mme Marine Le Pen.

Mme Marine Le Pen. Il vise à ce que les majeurs inscrits au FIJAIT ne puissent pas bénéficier des restrictions à l’expulsion des étrangers prévues aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). On aurait du mal à comprendre qu’on puisse faire bénéficier des gens inscrits sur ce fichier de mesures les rendant inexpulsables au motif qu’ils sont ressortissants de l’un des États de l’Union européenne ! Dès lors qu’ils ont commis des faits graves sur le territoire national, ils doivent en être expulsés, sans réserve.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Les deux articles du CESEDA que vous citez énoncent les catégories d’étrangers qui ne peuvent pas être expulsés, comme les parents d’enfants français mineurs. Mais l’article L. 521-2 prévoit aussi des exceptions permettant, au contraire, de les expulser si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique. L’article L. 521-3 précise, quant à lui, que l’expulsion peut être ordonnée en cas d’activités à caractère terroriste. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Le Pen, votre amendement est déjà satisfait. Les étrangers inscrits dans le FIJAIT ou au FSPRT, condamnés pour terrorisme ou lien avec une organisation terroriste, peuvent être expulsés. Et nous expulsons bien des étrangers radicalisés, comme le prévoit l’article L. 521-3 du CESEDA.

Mme Marine Le Pen. Il serait beaucoup plus simple d’édicter une règle générale : tous ceux qui sont sur ces fichiers ne peuvent pas bénéficier des exceptions à l’expulsion. Certes, un alinéa permet d’y déroger, mais, par conséquent, cela peut créer les conditions d’un conflit judiciaire. Une règle générale permettrait d’échapper aux recours et faciliterait les procédures d’expulsion.

M. Gérald Darmanin, ministre. Votre proposition ne modifierait en rien la possibilité de faire un recours. Si une quelconque disposition législative les empêchait, cela se saurait. Par ailleurs, il y a, dans le FIJAIT, des gens qui ne sont pas condamnés mais seulement mis en examen ou qui ne sont pas directement liés à une entreprise terroriste. Il serait donc disproportionné de les expulser au seul motif qu’ils y figurent. Enfin, nous avons déjà des dispositions qui nous permettent, lorsque nous sommes sûrs et certains que ces personnes sont en lien avec la radicalisation terroriste, de les expulser.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS150 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Il concerne, de façon un peu technique, le cas de l’apologie du terrorisme ou de l’appel à la haine. Sans modifier ni l’inscription automatique au FIJAIT pour les adultes, ni l’enregistrement de plein droit dans ce fichier, prévu à l’article, ni la durée du maintien dans le fichier, de cinq ans pour un majeur et de trois ans pour un mineur, il prévoit que les mesures de sûreté accompagnant l’inscription au FIJAIT, soit les obligations de déclaration et de justification d’adresse ainsi que de présentation à un service de police ou de gendarmerie, prévues à l’article 706-25-7, s’appliquent aux infractions dites « d’expression » pendant toute la durée de l’inscription dans le fichier.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. S’il est justifié de prévoir pour les auteurs d’apologie du terrorisme et d’incitation au terrorisme des mesures de sûreté pendant cinq ans pour les majeurs et trois ans pour les mineurs, je ne crois pas opportun, en revanche, au regard de la nature de l’infraction, d’inclure l’interdiction de sortie du territoire – si je vous ai bien compris. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Jean-François Eliaou. Rien n’est modifié, sinon que celui qui est inscrit au FIJAIT pour une infraction dite « d’expression » doit, tout le temps de son inscription, être soumis aux obligations qui y sont associées : justification de l’adresse, présentation au commissariat ou déclaration d’un déplacement à l’étranger. L’amendement vise à harmoniser l’utilisation du fichier, afin de le rendre plus efficace. En effet, il ne suffit pas d’inscrire quelqu’un cinq ans dans le fichier ; encore faut-il que les mesures de suivi soient effectives.

M. Charles de Courson. Je suis d’autant plus sensible à cet amendement que j’en ai déposé un, le CS952, qui est un peu plus modéré mais qui pose le même problème de fond : pourquoi deux régimes ? J’ai proposé, pour ma part, que l’on connaisse au moins l’adresse des personnes inscrites dans le fichier relevant de ces deux nouvelles catégories d’infraction.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il est arrivé dans ma commune que des gens repérés, inscrits dans un fichier et placés sous contrôle judiciaire disparaissent. En 2013, 2014 et 2015, des gens avaient été repérés comme potentiellement dangereux et suivis par des services spécialisés, avant d’être placés sous contrôle judiciaire. Mais le contrôle s’étant relâché, ils se sont retrouvés en Syrie et l’un d’eux a fini, abattu, au Bataclan. Il me semble pertinent de conserver des dispositifs permettant de maintenir dans le viseur des gens dont on n’a pas envie qu’ils disparaissent dans la nature, en particulier à l’étranger, d’où ils nous reviennent comme des boomerangs.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. C’est exactement l’objet de mon amendement CS1826. Monsieur Eliaou, il me semble qu’il y a une contradiction entre la rédaction de votre amendement et son exposé des motifs. Le projet de loi propose un régime différencié, tout en incluant ces deux nouvelles infractions dans le FIJAIT. Il leur prévoit un régime plus doux, si je puis dire : une durée d’inscription moindre et pas d’obligation de sûreté. Mon amendement a pour objectif d’en prévoir. Pour la clarté et l’honnêteté des débats, je me dois d’indiquer la raison pour laquelle le projet de loi prévoit ce régime plus doux : la nature des deux nouvelles infractions inscrites au FIJAIT est moins grave. L’apologie du terrorisme et la provocation aux actes terroristes sont punies de peines moins lourdes. Elles n’ont pas non plus le même régime de prescription. Elles sont également soumises à un régime d’exécution des peines différent, plus doux. Le Conseil d’État, assez logiquement, a estimé que le régime différencié proposé par le projet de loi était proportionné. Il y aurait donc un risque de disproportion à aligner le régime d’inscription de ces deux nouvelles infractions sur celui des autres actes terroristes. Je vous expliquerai, lors de la présentation de mon amendement, pourquoi je pense néanmoins respecter ce principe de proportion, tout en prévoyant un régime spécifique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis défavorable à l’ensemble des amendements, y compris celui de la rapporteure. Je m’inquiète du risque constitutionnel. Il faudra bien motiver l’adoption de l’amendement en séance. L’apologie du terrorisme, le législateur a choisi de n’en faire qu’un petit délit, qui relève d’un abus de la liberté d’expression, et non pas un crime ou la complicité directe d’un acte terroriste. Si vous imposez des mesures de sûreté pour un délit qui relève d’un abus de la liberté d’expression, la position du Conseil constitutionnel ne fera pas beaucoup de doute. Qui plus est, si le Gouvernement n’a pas inscrit une telle disposition dans le texte, c’est que le Conseil d’État a dû lui en parler. On peut toujours jouer et voir si l’on gagne ou non. Mais il ne faudrait pas que le Conseil constitutionnel censure l’article, qui est très important. Vous auriez aussi pu définir autrement le délit d’apologie du terrorisme, afin de rendre nécessaires des mesures de sûreté.

Monsieur Lagarde, ce n’est pas parce que des gens disparaissent du FIJAIT qu’ils disparaissent des services de renseignement. Il semble normal de sortir du fichier au bout d’un moment. Une personne condamnée pour apologie du terrorisme et connue des services, si les préfets et les procureurs font bien leur travail, se retrouvera dans le FSPRT. Sur ses 22 000 fiches, d’ailleurs, seules 8 000 sont actives. On garde les fiches, même quand les personnes ont quitté le territoire national. C’est sans doute cela qui a manqué en 2015, puisque ces dispositions sont postérieures aux attentats du Bataclan.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il y a une divergence d’interprétation entre le Gouvernement et certains députés. Nous estimons que les délits d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme sont d’une gravité qui ne justifie pas un régime différencié mais un alignement des mesures de sûreté. Nous entendons les préoccupations du Gouvernement concernant la motivation de notre proposition et le risque d’inconstitutionnalité, dont nous estimons, après analyse avec la rapporteure thématique, qu’il peut être levé. Nous préférons, monsieur Eliaou, la rédaction de la rapporteure, qui a fait l’objet d’analyses très poussées.

M. Jean-François Eliaou. Nous avons également beaucoup travaillé sur cet amendement, même si mon équipe était plus légère que la vôtre. Il faut être cohérent. Dès lors qu’une personne est inscrite dans un fichier, il doit être fonctionnel. Si l’on diminue sa fonctionnalité et que l’on considère que c’est une peine moindre, ce n’est même pas la peine de l’y inscrire. J’entends bien l’exigence de proportionnalité. Si l’on craint un problème de proportionnalité de la peine, en ce cas, n’inscrivons pas la personne dans le fichier. Je ne connais pas votre amendement, madame la rapporteure, mais si les personnes peuvent être suivies pendant toute la durée de l’inscription au fichier, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS876 de M. Éric Coquerel.

M. Alexis Corbière. Nous souhaitons que les mineurs ne soient pas astreints aux obligations au titre des mesures de sûreté. Imaginons qu’un Corse de quatorze ou quinze ans, particulièrement exalté, se mette à crier « Vive Yvan Colonna ! » et que la famille Érignac porte plainte. Il se fait condamner pour apologie du terrorisme. Faut-il pour autant qu’il se retrouve pour une durée comprise entre trois et dix ans dans le FIJAIT ? Cela peut avoir des conséquences néfastes sur sa formation et nous semble disproportionné.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. La durée de conservation des données sera de trois ans pour les mineurs. Mon amendement ne la modifie pas, afin de préserver le principe de proportionnalité. Je prévois seulement des obligations de sûreté. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. François Pupponi. Une personne mise en examen pour un délit d’apologie du terrorisme lié aux droits de la presse sera inscrite au FIJAIT pendant la procédure et devra, à chaque fois qu’elle se déplace, dire où elle habite. Je comprends cette précaution dans le cas d’une véritable apologie, mais pas dans celui où elle est simplement suspectée d’apologie. Il faudrait voir ce que recouvrent ces mises en examen et qui elles concernent, puisque, quand on parle, dans les amendements, des auteurs d’apologie du terrorisme, on parle bien de ceux qui sont condamnés et non pas de ceux qui sont mis en examen. Je m’y perds un peu.

Mme Cécile Untermaier. C’est vrai qu’on s’y perd un peu… J’ai été très sensible à ce qu’a dit Mme la rapporteure, mais également aux propos du ministre. Au principe de proportionnalité, s’ajoute la question de la justice des mineurs sur laquelle j’aimerais avoir une précision. N’oublions pas non plus le principe de réalité : quels moyens de contrôle aurons-nous ?

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS1826 de la rapporteure et CS431 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avant d’en venir à mon amendement, je tiens à vous rappeler brièvement le dispositif du projet de loi, qui prévoit d’intégrer deux nouvelles incriminations – provocation aux actes de terrorisme et apologie du terrorisme – aux infractions inscrites au FIJAIT. La notion d’apologie recouvre des situations très différentes. Comme nous l’a dit François Molins, procureur général près la Cour de cassation, il y a aussi bien le mineur qui porte un tee-shirt floqué à l’effigie d’un islamiste que le directeur d’une publication qui assure la traduction de la propagande de Daech. Ce n’est pas le même degré de gravité. Même si l’apologie est un délit d’expression, elle peut correspondre à des situations lourdes. La provocation est un peu différente, car on pense aussi à la complicité.

Le régime général prévoit des obligations de sûreté, comme la déclaration de son adresse, de ses changements d’adresse et de sa sortie du territoire français, pour une durée de dix ans pour les mineurs et de vingt ans pour les majeurs.

En étendant à ces infractions l’inscription automatique au FIJAIT, le projet de loi a prévu un régime différencié, moins dur, pour respecter le principe de proportionnalité : ce sont des infractions moins sévèrement punies, dont la prescription est plus courte et le régime d’exécution des peines plus doux, pour simplifier.

Mon amendement, pour préserver l’intérêt du fichier, dont l’un des objectifs est de suivre des individus dont on pense qu’ils peuvent être dangereux, ainsi que pour respecter le principe de proportionnalité et prendre en compte la gravité de certaines situations, prévoit, sans toucher à la durée qui a été réduite – cinq ans pour les majeurs et trois ans pour les mineurs –, de maintenir les obligations de sûreté du régime général.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement nous semble important, parce qu’il n’est pas question d’exonérer des mesures de sûreté ceux qui font l’apologie du terrorisme ou incitent à des actes de terrorisme. Leur dangerosité dans la chaîne conduisant à la commission d’un acte terroriste est réelle. Aussi, il peut être nécessaire de les localiser, compte tenu de l’influence que certains d’entre eux exercent dans la mouvance terroriste.

M. Charles de Courson. Je suis tout à fait d’accord avec l’amendement de Mme la rapporteure, puisqu’elle ne vise dans les deux catégories d’extension que le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement leur apologie. Souvent, ceux qui font cela sont encore plus responsables que les auteurs des actes, en allumant le feu. Aussi, ne faudrait-il pas aller un peu plus loin, pour faire remonter les sanctions sur cette incrimination au même niveau que pour ceux qui ont commis les actes de terrorisme, de façon à échapper à l’argument du Conseil d’État sur la proportionnalité ?

Concernant la deuxième catégorie, qui est « le fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique d’actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d’entraver en connaissance de cause l’efficacité de procédures prévues », ne faudrait-il pas aussi amender pour définir un système intermédiaire et qu’il y ait, au moins, l’obligation de déclarer son adresse et ses changements d’adresse ?

M. François Pupponi. L’amendement CS1826 semblait concerner les auteurs d’apologie du terrorisme, c’est-à-dire les personnes qui ont commis cette infraction et ont été condamnées. Pourtant, le ministre et la rapporteure ont indiqué à plusieurs reprises que le FIJAIT inclut aussi les mis en examen. Les personnes suspectées davoir fait l’apologie du terrorisme entrent-elles dans le champ de l’amendement CS1826 ? Si tel est le cas, on va tout de même très loin.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Le FIJAIT n’est pas un fichier de condamnation, mais de renseignement. (Exclamations) Mes collègues apporteront leur éclairage sur ce qu’ils considèrent être ce fichier. Certes, il comprend des condamnations, mais il inclut aussi des décisions d’irresponsabilité, qui n’en sont pas.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je n’ai pas compris l’émotion qui a gagné la salle Colbert. Il est question de mesures de localisation, qu’elles concernent des condamnés ou des mis en examen. Cette mesure de sûreté vise à indiquer une première adresse, à la confirmer tous les trois mois, à signaler un changement d’adresse, et un départ à l’étranger, quinze jours avant. Je veux donc ramener l’émotion de chacun à la réalité des mesures de sûreté visées par l’article 706-25-7 du code de procédure pénale, qui visent uniquement la localisation, pendant trois ans pour les mineurs et cinq ans pour les majeurs.

Nous proposons d’étendre ces mesures aux délits de provocation à des actes terroristes, dont on peut considérer qu’elles s’apparentent à la complicité, et d’apologie du terrorisme, même pour des mis en examen. Naturellement, les faits doivent être prouvés et une décision sera prise. Mais, dans l’intervalle, il ne semble pas inconvenant de pouvoir localiser ces personnes, durant trois ans pour les mineurs et cinq ans pour les majeurs.

Mme Souad Zitouni. Je salue l’article car il est très important de pouvoir surveiller et suivre les auteurs de tels délits. Quelles sanctions sont-elles prévues si la personne n’observe pas ses obligations de déclaration ? Pour une personne mise en examen, il pourrait s’agir de revenir en détention, mais qu’en est-il pour les autres ?

M. François Pupponi. Rien ne me choque dans tout cela, mais nous sommes en train de mal écrire le droit. L’amendement évoque uniquement les auteurs d’infractions, c'est-à-dire les personnes condamnées, non les mis en examen.

Par ailleurs, M. le rapporteur général a indiqué que l’obligation de déclaration est de cinq ans pour les mis en examen et trois ans pour les mineurs. Un mineur, qui serait mis en examen cinq ans et condamné au bout de six ans, ne serait donc plus inscrit dans le FIJAIT pendant trois ans. Pour les mis en examen, il semble qu’il faille revoir la loi : j’ai le sentiment qu’il y a un trou dans la raquette.

M. Éric Diard. Je suis en désaccord avec Mme la rapporteure. On ne peut pas dire que le FIJAIT n’est qu’une fiche de signalement. Certes, il concerne les personnes mises en examen, mais aussi les personnes condamnées. On ne doit pas mettre dans le même sac le FIJAIT et la fiche S ou le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), qui sont des fiches de signalement, par exemple d’une personne dont un ami fréquente une mosquée qui prêche la haine.

M. Gérald Darmanin, ministre. N’oublions pas l’objectif de l’article, qui est d’élargir un fichier existant, qui inclut les personnes mises en examen. À ce titre, M. Pupponi a raison, il faut certainement examiner encore quelques points. L’article est prévu pour que les administrations puissent regarder qui elles recrutent, de la même manière qu’elles consultent le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAIS). La question est de savoir pendant combien de temps des personnes condamnées ou mises en examen restent inscrites. Nous avons ajouté l’apologie du terrorisme, qui relève du délit. L’enjeu n’est pas tant les mesures de sûreté, que la possibilité pour les employeurs publics – collectivités territoriales, État – de connaître le passé d’un candidat. De nombreux élus nous ont demandé cet accès, pour savoir qui ils recrutent.

La discussion se déplace vers les mesures de sûreté. Veillons à éviter la disproportion, qui ne donnerait aucune clé aux employeurs dans leur recrutement. J’ai ainsi invité le rapporteur général à redéfinir le délit d’apologie du terrorisme, s’il souhaite inclure des mesures de sûreté car, selon le législateur, il n’est qu’un abus de la liberté d’expression. Une censure de la disposition par le Conseil constitutionnel est quasi certaine si nous renforçons les mesures de sûreté pour un délit que le Gouvernement a souhaité introduire seulement en vue de permettre aux employeurs de connaître ceux qu’ils embauchent.

M. Jean-Christophe Lagarde. Un travail législatif est en effet nécessaire d’ici à la séance, et, sans doute, pendant la navette. Si, comme le ministre l’a dit, le délit d’apologie est rattaché au droit de la presse, la mise en examen peut être automatique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas le cas.

M. Jean-Christophe Lagarde. Cela nous évite des mises en examen anormalement considérées comme dangereuses.

Par ailleurs, des mesures de sûreté différentes sont-elles prévues contre d’autres types de mis en examen ? Le fichier a été créé avec un objectif ; on est en train de dévoyer sa nature. Ce qui était nécessaire pour savoir à qui on avait affaire dans le recrutement d’agents publics, parce que l’on applique des mesures de sûreté, devient une exception du droit. Des mis en examen se retrouvent astreints à des mesures de sûreté, qui conduisent ensuite à la difficulté juridique mentionnée. Or, dans les principes généraux du droit, la mise en examen n’est en rien une culpabilité. Le ministre a raison, le Conseil constitutionnel pourrait tout envoyer valser.

M. Jean-François Eliaou. Le FIJAIT recense les personnes âgées de 13 ans ou plus qui sont condamnées ou mises en cause pour des infractions terroristes. Le projet de loi introduit une nouvelle raison d’inscrire des personnes dans le fichier – l’apologie et la provocation à des actes terroristes – avec un quantum de peine, si l’on peut dire, qu’est la diminution de la durée d’inscription. Le fichier comprend des mis en cause et des personnes qui n’ont pas encore été condamnées. Les mesures qui accompagneront l’inscription et le maintien dans le fichier, comme de communiquer son adresse tous les trois mois, viseront-elles les personnes condamnées, celles mises en cause ou les deux catégories ? Si, comme le ministre l’a indiqué, le fichier est un moyen de renseigner les employeurs publics, le fait qu’il comprenne des mis en cause qui n’ont pas été condamnés pose problème.

Mme Marine Le Pen. On cherche à permettre aux administrations d’avoir accès à une information, sans risquer une censure du Conseil constitutionnel. Pourquoi ne pas réserver les mesures de sûreté aux personnes condamnées, dont nous n’avons plus la maîtrise ? Il est essentiel de savoir où elles habitent, si elles changent de domicile ou partent à l’étranger. Pour les mis en examen, on laisserait au juge d’instruction le soin de déterminer, selon les cas, si des mesures de surveillance sont nécessaires. Cela permettrait d’éviter une censure et d’atteindre l’objectif visé.

M. Alexis Corbière. Il y a donc des fiches S, très nombreuses, et un FIJAIT, comprenant des personnes condamnées. Vous y introduisez des personnes non condamnées.

Mme Cécile Untermaier. Elles y étaient déjà !

M. Alexis Corbière. En tout cas, l’employeur pourra avoir accès au fichier, ce qui aura à 99 % pour conséquence que la personne ne sera pas recrutée. Cela pose un problème de fond : on ne peut pas fabriquer un outil qui conduit quelqu’un à se voir refuser un emploi parce qu’il est mis en examen – s’il est condamné, c’est différent. C’est une condamnation a priori, avant que la justice ne se soit prononcée.

Vous avez en tête l’islamisme politique mais en Corse ou au Pays basque, on peut être mis en examen pour certains propos. Cela doit-il entraîner que les personnes ne peuvent plus travailler ? J’invite chacun à être raisonnable. Comme l’oratrice précédente l’a proposé, faisons une claire distinction entre une inscription dans le fichier pour les condamnés et des mesures au cas par cas pour les mis en examen.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Le FIJAIT concerne toutes les infractions terroristes, que les personnes soient condamnées ou mises en examen, mais pas « mises en cause ». Le juge doit déjà avoir prononcé une décision, pour que la personne soit inscrite au FIJAIT. C'est le cas pour toutes les infractions terroristes.

L’amendement CS1826 vise les deux nouvelles infractions auxquelles l’inscription au fichier est élargie. Nous n’évoquons donc pas le régime général de l’inscription au FIJAIT.

Les délits d’expression considérés ont été intégrés au code pénal. Le régime procédural du droit de la presse n’est plus applicable.

Toute personne qui ne respecte pas ses obligations encourt une peine de deux ans d’emprisonnement et une amende de 30 000 euros.

Le ministre a rappelé que le fichier a été largement créé pour aider les employeurs publics lors du recrutement. L’extension aux personnes mises en examen se conçoit donc. Tout fichier a pour objectif de localiser et de suivre des personnes.

Dans la mesure où l’inscription au FIJAIT pour ces deux nouvelles infractions d’apologie et de provocation est limitée à cinq ans pour les majeurs et trois ans pour les mineurs, et où leur obligation déclarative est alignée sur cette durée, elle reste inférieure à l’obligation de ceux qui ont commis des actes terroristes. Cela répond au risque de disproportion.

L’amendement CS1826 paraît donc équilibré.

M. le président François de Rugy. Monsieur le ministre, quel est votre avis sur ces amendements ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est défavorable.

La commission adopte l’amendement CS1826.

En conséquence, l’amendement CS431 tombe.

La commission examine l’amendement CS560 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Comme l’amendement CS1826, il s’agit de faire en sorte que les mesures de sûreté s’appliquent également pour les délits dits « d’expression ».

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. François Pupponi. Je n’ai pas reçu de réponse à ma question : un mineur mis en examen pour le délit d’apologie ou de provocation sera inscrit trois ans au FIJAIT. Si sa mise en examen dure six ans, il sera hors du FIJAIT durant trois ans. Il y a là un vide juridique. La solution serait de prévoir comme durée d’inscription celle de la mise en examen.

M. le président François de Rugy. Mon cher collègue, vous obtiendrez une réponse en séance car l’amendement auquel vous faites référence a été adopté tel qu’il était rédigé.

L’amendement CS560 est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS952 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Comme de nombreux collègues, j’avais été choqué par la disproportion entre les dispositions visant les nouvelles et les anciennes catégories. L’amendement CS1826 la résout, mais uniquement pour la première catégorie. Pour la seconde, mon amendement vise à obliger les personnes condamnées ou mises en examen pour les infractions citées à donner leur adresse et à signaler toute modification. Ces infractions visent le « fait d’extraire, de reproduire et de transmettre intentionnellement des données faisant l’apologie publique d’actes de terrorisme ou provoquant directement à ces actes afin d’entraver, en connaissance de cause, l’efficacité des procédures prévues […] ».

L’amendement, qui inclut l’adresse de la personne mais exclut les informations sur ses déplacements, visait initialement les deux catégories, mais à la suite de l’adoption de l’amendement CS1826, il ne s’applique plus qu’à la seconde.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je me suis déjà exprimée sur cette catégorie à l’occasion de l’amendement CS150. C’est pourquoi je donnerai un avis défavorable à l’amendement s’agissant de ces délits d’expression.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS640 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Il vise à rendre systématique l’expulsion des étrangers inscrits au FIJAIT. Vous avez élargi le nombre et la qualité des personnes qui devaient être inscrites dans ce fichier – je m’en réjouis, c’est une bonne disposition. Vous avez rappelé les objectifs et la pertinence de cet outil pour que les employeurs, notamment les collectivités ou l’État, puissent filtrer les candidats avant leur recrutement.

Alors que le FSPRT rassemble des signalements, c'est-à-dire des personnes pour lesquelles il y a une suspicion, des contacts, le FIJAIT contient pour l’essentiel des personnes déjà condamnées. C’est pourquoi l’amendement vise à expulser de manière systématique les étrangers inscrits au FIJAIT. Il est inconcevable que des personnes condamnées pour actes de terrorisme continuent de bénéficier d’un titre de séjour sur le territoire national. Nos concitoyens ne le comprennent pas.

Par ailleurs, monsieur le ministre, monsieur le garde des Sceaux, pouvez‑vous nous communiquer le nombre des personnes de nationalité étrangère, en situation légale et illégale, inscrits au FIJAIT ainsi qu’au FSPRT ?

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Notre droit positif prévoit déjà un arsenal important permettant d’éloigner du territoire les personnes représentant une menace pour l’ordre public voire, spécifiquement, les terroristes. Vous le savez, les difficultés touchent à l’application concrète de ces mesures. Ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

Dans cet arsenal juridique, on trouve l’article 422-4 du code pénal, relatif à l’interdiction du territoire français ; l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui permet à l’autorité administrative de prononcer une obligation de quitter le territoire ainsi que son article L. 521-1, qui vise les cas dans lesquels un étranger peut faire l’objet d’une mesure d’expulsion ; l’article 25 du code civil, qui prévoit une déchéance de la nationalité française, pour un individu binational, s’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ; ainsi que l’article L. 214-1 du CESEDA consacré à l’interdiction administrative du territoire.

Pour toutes ces mentions de notre droit positif, j’émettrai un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Monsieur Ciotti, je n’imaginais pas le FIJAIT se transformer en cheval de Troie de vos marottes. Rappelons que le FIJAIT inclut des mis en examen. Vous voudriez les expulser : c’est une curieuse conception de la présomption d’innocence. Il faut rester prudent. D’un point de vue administratif, vous le savez, la situation d’une personne qui a été inscrite au FIJAIT peut toujours être révisée. La proposition paraît de plus excessive car elle présente de sérieux inconvénients d’un point de vue opérationnel. Dans ces conditions, j’y suis entièrement défavorable.

Enfin, je vous donnerai ultérieurement le nombre exact d’étrangers inscrits au FIJAIT, qui vous préoccupe légitimement.

M. Gérald Darmanin, ministre. M. Ciotti a évoqué les « personnes condamnées pour actes de terrorisme ». Or tous les inscrits au FIJAIT n’ont pas été condamnés pour de tels actes puisqu’il y a aussi, notamment, des apologies du terrorisme.

La circulaire du 29 septembre, que j’ai envoyée au corps préfectoral, en application de la loi de la République, précise bien que la carte de résident des personnes condamnées n’est pas renouvelée.

Si l’amendement visait à extraire les mis en examen – l’argument du garde des Sceaux est de bon sens – et à n’expulser que les condamnés, il est satisfait, car le trouble à l’ordre de la République est évoqué.

M. Éric Ciotti. Plutôt que de « marotte », je parlerai de constance dans mon souci de mieux protéger nos concitoyens. Cette inscription des mis en examen souligne qu’il existe une présomption de dangerosité pour la société. En matière de terrorisme, nous avons le devoir, voire l’obligation d’instaurer un principe de précaution. C’est sans doute une différence dans notre approche : nous pensons qu’il faut privilégier la sécurité collective de la société à la défense de la liberté d’un individu soupçonné de présenter une menace pour la société. Je privilégierai toujours la défense de la sécurité collective, pour prévenir une menace extraordinairement grave, à la défense de cette liberté particulière.

Une telle différence est légitime, acceptez-la. J’entends toutefois votre point de vue et peux comprendre la différence entre les personnes définitivement condamnées pour un acte de terrorisme, conformément au nom du fichier, et, avec les éléments introduits aujourd’hui, celles qui sont condamnées pour apologie – cela pourrait faire l’objet d’un amendement de repli en séance. C’est un progrès, que je salue.

Je reste viscéralement attaché à ce principe de précaution. Lorsque l’on demande un titre de séjour à la France, qu’on y est accueilli, si l’on présente une menace pour le pays, celui-ci doit se protéger, même s’il peut y avoir une forme d’injustice. Le risque doit être pris non pas par le pays, mais par ceux dont le comportement menace la sécurité nationale.

Mme Cécile Untermaier. Tous les gouvernements s’efforcent évidemment de prendre les mesures appropriées pour agir si un étranger pose problème à l’ordre public. C'est l’objet de l’article L. 521-1 du CESEDA relatif à la décision de prononcer une expulsion si la présence en France d’un étranger constitue une menace grave à l’ordre public. Le dispositif législatif est complet.

Je comprends la finalité de l’amendement, en raison de l’inquiétude que vous exprimez – et vous êtes légitime à le faire –, mais il paraît disproportionné par rapport à un dispositif législatif qui permet de mener des actions. Encore faut-il, naturellement, les conduire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je n’aime pas le manichéisme : il n’y a pas, d’un côté, ceux qui veulent préserver la sécurité de nos concitoyens et, de l’autre, les laxistes qui s’en moquent. Votre constance est à votre honneur, mais la marotte, c’est une constance dévoyée, trop zélée. Vous dites que l’on peut être d’accord. Non, on ne peut pas transiger sur la Constitution. J’ai dit que le mis en examen était présumé innocent. Vous ne voulez tout de même pas qu’à titre préventif, on prenne des dispositions coercitives à l’encontre de gens qui sont mis en examen. Attendons de voir.

Le ministre de l’intérieur vient opportunément de rappeler que la situation administrative pouvait être révisée à tout instant, que notre vigilance sur cette question est totale. Ne faisons pas de ce débat des enjeux idéologiques, qui nous conduiraient là où nous ne devons pas aller. Nous devons rester raisonnables.

Vous êtes un homme intelligent, monsieur le député, vous faites la différence entre un homme condamné pour des faits de terrorisme et quelqu’un qui serait mis en examen pour des faits d’apologie. On peut raisonnablement les distinguer, et notre arsenal juridique, et judiciaire, est complet sur ces questions.

Mais qu’on n’essaie pas de tirer la couverture à soi : il n’y a pas, d’un côté, les bons, qui veulent la sécurité de nos concitoyens et de l’autre, ceux qui, à l’égard de ces questions, sont dilettantes. Ce n’est pas ainsi que les choses méritent d’être posées.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à la discussion commune des amendements CS1190 de M. JeanChristophe Lagarde et CS418 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Pascal Brindeau. L’amendement CS1190 prévoit d’inclure le maire dans les autorités administratives ayant accès au FIJAIT, pour les ressortissants de sa commune. On voit l’utilité que peut avoir cette possibilité, non seulement en matière de recrutement des agents territoriaux, mais aussi parce que, dans les articles suivants, il sera demandé au maire et aux élus locaux d’être vigilants, notamment envers les dérives possibles liées à la radicalisation des personnes qui ont une activité associative, qu’elle soit sportive, cultuelle ou culturelle. L’accès au FIJAIT sera utile pour assurer le contrôle et la vigilance sur les ressortissants de la commune.

Mme Emmanuelle Ménard. Je retirerai l’amendement CS418 au profit de l’amendement CS1190, plus précis. Puisque la tendance est au partenariat avec les maires et les élus locaux, et que l’on nous vante sans cesse le couple maire-préfet, permettons au maire, dans certaines conditions, d’accéder au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes. Il s’agit non d’assouvir une curiosité malsaine, mais de savoir qui réside sur le territoire de la commune. À titre d’exemple, un maire qui apprend qu’une personne ayant fait la demande d’un logement social près d’une école est inscrite au FIJAIT, pourrait l’aiguiller vers un logement plus éloigné de l’établissement, afin de protéger les enfants de la commune. Un tel amendement n’a rien d’idéologique. C’est une affaire de bon sens, de pragmatisme et de réalisme.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Ces amendements visent à permettre aux maires d’avoir un accès direct et général au FIJAIT. Or, à mon sens, l’existence d’un filtre est indispensable pour protéger les responsables des collectivités territoriales, lesquels ont de surcroît déjà accès aux informations de ce fichier pour les décisions administratives de recrutement, d’affectation, d’autorisation, d’agrément et d’habilitation.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable pour les raisons développées par Mme la rapporteure.

M. Charles de Courson. La discussion sur l’accès des élus locaux aux fichiers dure depuis des années. La pression monte, puis, les mêmes raisons nous sont toujours objectées.

Si les décisions sont publiques, les maires n’en sont pas informés : il n’est pas possible de savoir si une personne condamnée réside dans la commune qu’ils administrent alors que ces informations sont très utiles, et pas seulement en matière de recrutement.

En fait, les gouvernements, quels qu’ils soient, n’ont pas confiance dans les élus locaux. Les arguments que l’on nous objecte ne tiennent pas ! Je voterai donc en faveur de cet amendement.

Dans mon département, un ministre de l’intérieur nous a jadis fait savoir qu’il donnerait instruction au préfet de nous communiquer discrètement quelques informations. Nous nous sommes réunis et ce dernier nous a montré une carte indiquant, commune par commune, où se trouvaient des personnes soupçonnées de terrorisme. Dans une petite commune de 2 000 habitants, près de chez moi, vivait une famille connue pour son fondamentalisme islamique dont les membres n’y figuraient pas. Pourquoi donc ne pas nous donner des noms ?

M. Philippe Vigier. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez été maire et vous êtes très attaché à l’implication des élus locaux. Je ne demande pas à avoir un accès automatique aux fichiers mais nous devons trouver un biais : une forme de consultation numérique ne serait‑elle pas possible, par exemple avant un recrutement ? L’absence de réponse vaudrait acceptation. Imaginez les catastrophes qui peuvent se produire si tel ou tel était recruté dans un service sensible ! Les maires, qui sont des agents de l’État, doivent disposer d’un tel outil.

J’ai été maire pendant seize ans et je n’ai jamais reçu un coup de fil du préfet ou du procureur pour me signaler tel ou tel problème. C’est pourtant dans une ferme, au fin fond d’un village, que des choses très intéressantes ont un jour été découvertes. Les services de gendarmerie ont fait leur boulot, mais il était temps…

M. Ludovic Mendes. En matière de recrutement, il suffit de demander le casier judiciaire d’un candidat, où figurent les éventuelles condamnations pénales, y compris dans le Bulletin n° 2.

Par ailleurs, un préfet ne donnera peut-être pas au maire le nom et l’adresse de telle ou telle personne mais il signalera le nombre de personnes condamnées sur sa commune.

Enfin, plus le nombre de personnes pouvant accéder à un fichier est important, plus les risques potentiels sont nombreux, et en France, on compte 35 000 maires.

M. Robin Reda. Mes collègues Les Républicains et moi-même soutenons l’amendement de Jean-Christophe Lagarde.

Il n’est pas question de supprimer ce filtre qu’est la consultation du préfet, qui constitue en effet aussi un filet de sécurité pour les maires.

De même qu’écarter une personne fichée d’un emploi public ne suppose pas de méconnaître le principe de l’égal accès aux emplois publics, de même un maire pourrait conditionner l’accès à certains services – logements sociaux, salles de réunions – à une absence de fichage, toujours à travers le filtre de la préfecture. Il en va de la confiance envers les maires et les élus locaux mais, aussi, de leur responsabilité, ensuite, s’ils ont par exemple prêté une salle à telle ou telle personne.

M. Pascal Brindeau. Nous ne remettons évidemment pas en cause le filtre préfectoral.

En l’état actuel du droit, le maire ne peut accéder qu’aux informations intéressant le recrutement d’un agent. Or, vous allez lui demander de se montrer très vigilant sur l’attribution de subventions aux associations sportives, etc., Il me semble donc très utile qu’il sache si l’un des responsables de l’association qu’il se propose de subventionner est inscrit sur le FIJAIT suite à une condamnation pour terrorisme ou est mis en examen pour apologie du terrorisme.

J’ajoute que le maire est un officier du ministère public, placé sous l’autorité du préfet, et qu’une forme de « secret professionnel » s’impose à lui. Il va de soi que les 35 000 maires de France ne diffuseront pas dans la presse locale la liste de leurs administrés figurant sur le FIJAIT !

M. le président François de Rugy. J’ai beaucoup de respect pour la fonction de maire mais nous voyons nombre d’entre eux revendiquer, dans la presse, leur refus d’appliquer des lois.

J’ajoute que les informations transmises à la presse sont ensuite couvertes par le secret des sources et que nul ne saura jamais qui a été à l’origine de leur fuite.

Certaines imbrications juridiques expliquent les dérives que nous constatons aujourd’hui.

Par ailleurs, si une condamnation est rendue publique, une mise en examen ne l’est pas toujours immédiatement.

La formule du « couple maire-préfet », quant à elle, n’est pas très heureuse. Les élus du suffrage universel, cela existe, et je vous rappelle que nous en faisons partie ! Les maires gèrent une commune, sur laquelle ils ont des pouvoirs de police, mais ils ne sont pas les seuls élus du suffrage universel, ce que nous sommes – notre République compte peu d’élus au suffrage universel direct, je profite de cette occasion pour le rappeler.

L’amendement CS418 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS1190.

Elle examine l’amendement CS1672 de Mme Souad Zitouni.

Mme Souad Zitouni. Il vise à créer un fichier spécifique rattaché au FIJAIT consacré aux mineurs poursuivis pour apologie du terrorisme, qui sont nombreux depuis le tragique assassinat de Samuel Paty : environ soixante-dix enquêtes ont été ouvertes suite à des propos tenus après cet attentat. Or, dans de nombreux cas, ces jeunes n’adhèrent pas à une idéologie terroriste. Ils rejettent certes les cadres, ils éprouvent un mal-être, ils décrochent sur le plan scolaire, voire, souffrent de troubles psychiatriques, mais ils ne font pas peser de risques terroristes tandis que, il faut le reconnaître aussi, des jeunes se radicalisent, par faiblesse, au sein de réseaux.

Il importe donc de mieux distinguer les uns et les autres, les mineurs pouvant manifestement être réinsérés de ceux qui font peser un risque certain au respect des principes républicains.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable.

Ce n’est pas la création d’un fichier spécifique « FIJAIT mineurs » qui permettrait de distinguer ceux d’entre eux qui sont amendables et ceux qui ne le sont pas. D’autres dispositifs permettent de le faire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Un régime dérogatoire pour les mineurs existe déjà au sein du FIJAIT. Par ailleurs, la création d’un nouveau fichier, outre les coûts importants générés, constituerait une complexité supplémentaire. Avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 3 modifié.

Après l’article 3

La commission examine l’amendement CS1324 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Les personnes inscrites sur le FIJAIT ne doivent pas pouvoir se présenter à une élection – nombre d’élus ont demandé qu’il en soit également ainsi pour celles qui sont fichées S ou au FSPRT mais ce ne serait pas conforme à la Constitution.

Peut-être ferez-vous valoir que certaines personnes dont les noms figurent sur le FIJAIT sont simplement mises en examen mais l’article 43 de ce texte dispose que les personnes inscrites sur ce fichier ne peuvent présider une association cultuelle. Il me semble qu’un parallélisme se justifierait.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Ce parallèle est assez osé. Puisque, justement, les personnes mises en examen figurent dans le FIJAIT, votre proposition me paraît difficilement soutenable.

S’agissant des personnes condamnées, cet amendement est satisfait par l’article 131‑26‑2 du code pénal qui prévoit que le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable d'un délit ou d'un crime terroriste, sauf décision spécialement motivée du juge.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nostalgie, quand tu nous tiens ! Voilà un petit relent des peines planchers ! Vous prévoyez en effet une inéligibilité de plein droit mais il convient de laisser au juge le soin de décider. Par ailleurs, Mme la rapporteure l’a rappelé, le code pénal prévoit des dispositions permettant à ce dernier de prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité.

Avis défavorable.

M. Éric Diard. Vous avez jugé ce parallèle audacieux mais pourquoi le président d’une association cultuelle ne peut plus exercer son mandat en cas de simple mise en examen ?

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS957 de M. Philippe Benassaya.

M. Philippe Benassaya. Il convient d’éloigner du territoire national tout étranger qui se serait rendu coupable d’infraction terroriste et qui aurait été inscrit au FIJAIT. L’objectif de cette loi est de renforcer les principes de la République, or, il n’est probablement pas de geste de défiance plus fort vis-à-vis de ces principes, pour un étranger, que de commettre dans notre pays une infraction terroriste.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable pour les raisons que j’ai déjà exposées lors de la discussion du précédent article.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Selon l’article 10 de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, aucune décision individuelle défavorable ne peut être prise sur le seul fondement de l’inscription dans un fichier de données personnelles.

Avis très défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS511 de Mme Agnès Thill.

M. Pascal Brindeau. Il convient d’ajouter au fichier des auteurs d’infractions terroristes toute inscription dans une association culturelle ou cultuelle afin que l’autorité administrative qui a accès au FIJAIT connaisse ces activités et puisse prévenir des risques éventuels.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il est toujours possible de considérer tout fichier comme un fichier de renseignement, or, le FIJAIT est un fichier judiciaire qui se limite aux informations nécessaires au suivi du respect des obligations de sûreté, comme le nom et l’adresse d’une personne.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable pour les mêmes raisons.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS420 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il vise à compléter ce qui devrait selon moi figurer dans le FIJAIT en y mentionnant les actes qui témoignent d’une radicalisation. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont chargés d’assurer le contrôle et le suivi des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert ou fermé. Leurs rapports sur les individus qui sont en prison et suspectés de radicalisation pourraient être intégrés au FIJAIT.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il ne faut pas confondre les fichiers de police et de renseignement, notamment le FSPRT, où doivent figurer les informations auxquelles vous faites allusion, et les fichiers judiciaires, qui visent en premier lieu à assurer les obligations de sûreté.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le FIJAIT est en effet un fichier judiciaire qui n’a pas vocation à inclure des éléments recueillis par les services de renseignement. J’ajoute que la notion de radicalisation, dans votre amendement, est trop imprécise.

Mme Emmanuelle Ménard. Je comprends votre argumentation à propos du FSPRT, madame la rapporteure, mais une personne condamnée pour acte de terrorisme est inscrite dans le FIJAIT et fait l’objet d’un suivi du SPIP, dont les rapports pourraient dès lors être utilement insérés dans le FIJAIT dès lors que cette personne peut se radicaliser plus encore ou faire du prosélytisme. Ce serait une preuve de pragmatisme, notamment, pour les services du renseignement territorial.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS874 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Notre groupe est attentif à la spécification de la situation des mineurs. Les informations qui les concernent peuvent être conservées jusqu’à dix ans, durée que nous voudrions réduire de moitié. Un mineur est un citoyen en pleine formation et qui peut connaître des périodes difficiles. Une durée de cinq ans peut favoriser sa reconstruction au seuil de l’âge adulte ou d’une vie professionnelle. Nous continuons à faire ce pari, qui n’a rien de naïf.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends et partage votre souci mais nous évoquons des infractions terroristes et la durée de dix ans tient déjà compte de la spécificité des mineurs puisque la durée prévue pour les adultes est de vingt ans.

J’ajoute que l’amendement que nous avons adopté précédemment prévoit une moindre durée pour les délits d’apologie et de provocation à la commission d’actes de terrorisme.

Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable pour les raisons développées par Mme la rapporteure.

La commission rejette l’amendement.

Article 4 : Création de l’infraction pénale de menaces, violences ou actes d’intimidation à l’égard d’une personne participant à l’exécution d’une mission de service public aux fins d’obtention d’une exemption ou d’une dérogation aux règles régissant ce service

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement CS883 de M. Alexis Corbière.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1822 de la rapporteure et CS432 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’amendement que je vous propose vise à soustraire, sans ambiguïté, les faits visés par l’article 433-3-1 du code pénal du champ d’application de l’article 433-3 du même code.

Il existe en effet des risques sérieux de recoupement entre l’alinéa 5 de l’article 433-3 et le nouvel article 433-3-1, qui ont d’ailleurs été relevés par le Conseil d’État dans son avis sur ce projet de loi. Celui-ci a en effet estimé que « la mesure envisagée par le projet (…) n’entre que de façon partielle et incertaine dans le champ du dernier alinéa de l’article 433-3 ».

M. le procureur général près la Cour de cassation a confirmé ce risque de chevauchement et a indiqué qu’une précision serait bienvenue, le dernier alinéa du texte existant prévoyant une peine de dix ans et non de cinq ans.

Le juge répressif doit connaître de manière certaine la loi pénale qui s’applique à un fait déterminé. Ce principe n’est que la conséquence du droit de chaque personne de savoir à l’avance pour chaque acte qu’elle commet, d’une part, si cet acte est prohibé par la loi et, d’autre part, si tel est le cas, la peine qu’elle encourt pour l’avoir commis.

Je propose donc d’insérer à la fin du cinquième alinéa de l’article 433-3 du code pénal une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du présent alinéa ne s’appliquent pas aux faits visés à l’article 433-3-1. »

Mme Isabelle Florennes. En quel sens avez-vous précisément retravaillé votre amendement, qui diffère assez peu du mien ?

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Notre objectif est en effet exactement le même et la différence entre ces deux amendements est purement rédactionnelle. Je vous invite donc à retirer le vôtre. La rédaction à laquelle nous sommes parvenus à la suite des échanges que nous avons eus lors des auditions et avec nos ministres ou leur cabinet me semble plus juste et plus précise.

L’amendement CS432 est retiré.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’article 433-3 du code pénal punit de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait d'user de menaces, de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation commis à l’encontre des dépositaires de l’autorité publique ou des personnes chargés de missions de service public pour qu'ils accomplissent ou s'abstiennent d'accomplir un acte relevant de leur fonction ou de leur mission.

Imaginez par exemple que des menaces soient portées à l’endroit d’un décideur afin d’obtenir un permis de construire illégal. Le nouveau délit que nous créons par l’article 433‑3‑1 vise des actes de menaces, d’intimidation ou de violences exercés dans le but d’obtenir d’une personne participant à l’exécution d’une mission de service public une application différenciée des règles d’accès ou de fonctionnement de ce service public. Par exemple : exiger à parler à une personne du même sexe ne me semble pas être un acte atteignant la fonction du maire et un tel comportement ne saurait être placé sur le même plan que l’exigence d’une autorisation ou d’un passe-droit. L’objectif poursuivi est clair : troubler le fonctionnement du service public. Les textes sont donc différents.

Je ne partage pas l’analyse de l’avis du Conseil d’État que vient de faire Mme la rapporteure, selon lequel « la création d’une infraction spéciale » est « possible » et « n’entre que de façon partielle et incertaine dans le champ du dernier alinéa de l’article 4333 ».

Ces textes ont des vocations différentes. Ils s’inscrivent certes dans une même logique mais ils ne doivent pas être confondus et ils ne le seront pas.

M. Jean-François Eliaou. Cette nouvelle disposition s’appliquera-t-elle, par exemple, dans le secteur hospitalier lorsqu’une femme tient absolument à être examinée par une autre femme ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Évidemment.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avec la rapporteure, nous avons souhaité répondre aux incertitudes qui ont été prudemment soulevées par le Conseil d’État. La rédaction de l’amendement CS1822 n’enlève rien à l’article 433-3 et ne diminue en rien la nouvelle infraction créée par l’article 4 du projet de loi. Il nous a simplement paru plus prudent de mentionner explicitement qu’ils relèvent de deux champs différents.

La commission adopte l’amendement CS1822.

Elle examine l’amendement CS1673 de Mme Souad Zitouni.

Mme Souad Zitouni. Il vise à ajouter la notion d’outrage au dispositif proposé.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable. Comment la notion d'outrage, qui recoupe en grande partie celle d'injure, pourrait se concilier avec le but que poursuit l'auteur des faits ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

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6.   Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 4 à l’article 6)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10180593_600835b4a6c28.respect-des-principes-de-la-republique--projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-rep-20-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des amendements à l’article 4.

Nous avons examiné ce matin 36 amendements, à un rythme de 12 amendements par heure. Dans la mesure où il en reste 1 470, il serait raisonnable de faire un petit effort de concision. Je serai donc un peu plus strict quant à l’application des règles : deux minutes pour présenter un amendement, deux réponses maximum d’une minute chacune après les avis du rapporteur et du ministre.

Article 4 Création de l’infraction pénale de menaces, violences ou actes d’intimidation à l’égard d’une personne participant à l’exécution d’une mission de service public aux fins d’obtention d’une exemption ou d’une dérogation aux règles régissant ce service (suite)

La commission examine l’amendement CS1132 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. La Défenseure des droits demandait ce qu’apportera le dispositif de l’article 4 à l’enchevêtrement des dispositions existantes. On peut, en effet, s’interroger sur sa pertinence, notamment sur l’intérêt d’une peine complémentaire d’interdiction du territoire français.

Notre proposition vise à supprimer les mots : « ou de commettre tout autre acte d’intimidation ». Au regard du principe de légalité, le terme d’« intimidation » apparaît très subjectif et ouvrir des perspectives quasi infinies d’interprétation.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure pour le chapitre Ier du titre Ier. La notion d’« acte d’intimidation » est connue en droit pénal et est parfaitement définie par la jurisprudence, qui en retient une acception large. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice. Même avis : la jurisprudence a défini très clairement cette notion.

M. Boris Vallaud. Je prendrai connaissance avec intérêt de cette jurisprudence. Je note qu’elle est à la fois très claire et très large, ce qui me paraît un peu contradictoire.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, elle rejette l’amendement CS796 de Mme Catherine Osson.

La commission examine l’amendement CS1198 de M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Pascal Brindeau. Il s’agit de préciser que tous les élus, y compris les conseillers municipaux et les adjoints au maire, sont concernés par les agissements définis à l’article 4.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Une telle précision ne me paraît pas utile dans la mesure où les élus d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public entrent dans le champ de l’infraction créée en tant que personne participant à l’exécution d’une mission de service public, comme l’a relevé le Conseil d’État dans son avis. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

M. Pascal Brindeau. La question est précisément de savoir si un conseiller municipal, qui ne détient pas de délégation du maire, peut être considéré comme une personne participant à l’exécution d’une mission de service public. Il participe certes à la décision d’exécuter un service public, mais il n’est pas exécutant en tant que tel. Là réside la fragilité de la rédaction.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1540 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon.  Dans un arrêt du 13 janvier 2017, le Conseil d’État a étendu le champ de la protection fonctionnelle aux collaborateurs occasionnels du service public. En vertu d’un principe général du droit, toute personne qui apporte son concours à l’administration, même de façon ponctuelle, peut bénéficier de la même protection que les agents publics. L’amendement CS1540, comme le CS1542 à venir, tend à appliquer ce principe en permettant aux collaborateurs occasionnels du service public de jouir du cadre protecteur de l’article 4.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement est satisfait. Les collaborateurs occasionnels du service public, qu’ils soient rémunérés ou non, entrent dans le champ du nouveau délit en tant que « toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public ». Cette analyse a été validée par le Conseil d’État.

La même argumentation vaut pour l’amendement CS1542.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Avis défavorable, pour les mêmes raisons.

M. François Cormier-Bouligeon. Je retiens que Mme la rapporteure a indiqué que le même régime s’applique aux agents et aux collaborateurs occasionnels du service public, et souhaite que l’on s’en souvienne quand nous débattrons de l’obligation de neutralité en séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1823 de la rapporteure et CS433 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Cet amendement politiquement fort répond à une demande insistante des agents publics, des personnes agissant dans le cadre d’une délégation de service public et de l’opinion publique, à la suite des événements récents. Il a pour objet de permettre à l’administration ou au délégataire de service public de porter plainte pour des actes commis à l’encontre de ses agents ou préposés, malgré la règle procédurale selon laquelle « nul ne plaide par procureur ». Les victimes menacées ou intimidées sont parfois dissuadées de porter plainte elles-mêmes, par crainte des représailles.

Le dépôt de plainte se ferait auprès du procureur de la République ou des services de police ou de gendarmerie, bien que l’administration ou le délégataire de service public ne soit pas la victime directe des actes en cause. Pour ne pas s’écarter des principes de base de notre procédure pénale, il n’est pas prévu que l’administration ou le délégataire puisse mettre en mouvement l’action publique en se constituant partie civile devant le juge d’instruction ou en citant directement les auteurs du délit devant le tribunal correctionnel.

Le dépôt de plainte n’en manifeste pas moins un engagement fort de la structure en charge du service public aux côtés de son agent, à la différence du signalement prévu par l’article 40 du code de procédure pénale, qui oblige seulement l’administration à informer l’autorité judiciaire d’une infraction dont elle a connaissance. Une telle implication du service public est aujourd’hui réclamée tant par les personnels concernés, qui, souvent, ne se sentent pas soutenus par leur hiérarchie, que par l’opinion publique.

La question s’est posée de savoir s’il fallait donner au dépôt de plainte un caractère obligatoire. Selon certains, si l’on oblige l’administration délégataire à porter plainte, la protection de l’agent s’en trouvera renforcée. À cela, j’opposerai deux arguments. D’un point de vue juridique, il n’existe pas, à ma connaissance, de domaine dans lequel on peut obliger une personne à déposer plainte. D’un point de vue circonstanciel, la victime ne souhaite pas toujours que l’on dépose plainte pour son compte. C’est pourquoi il nous a semblé préférable de ne pas retenir l’obligation.

Il ne s’agit pas d’un principe général. Nous proposons de circonscrire le dispositif à l’incrimination nouvelle, car celle-ci vise à obtenir une application différenciée de la règle du service public exercé directement ou indirectement. On pourrait en concevoir l’élargissement à tout type d’infraction – je n’y serais pas opposée –, mais une étude d’impact serait nécessaire.

Mme Isabelle Florennes. Par l’amendement CS433, nous souhaitons aller plus loin, en posant l’obligation de déposer plainte. Lorsque les agents menacés, intimidés, sont dissuadés de porter plainte, craignant des représailles, il nous semble important que l’autorité puisse se substituer. Selon nous, la rédaction ne garantit pas la protection de l’agent en cas de menace.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’amendement CS433 comporte une imperfection rédactionnelle concernant les modalités du dépôt de plainte, qui semblent exclure le procureur de la République.

J’ai développé les raisons qui, à mon sens, s’opposent à ce que l’on retienne ce caractère obligatoire. Dans notre droit, le seul cas d’obligation est l’obligation qui pèse sur tout un chacun de dénoncer un crime dont il a connaissance, et, encore, sous certaines conditions. De surcroît, elle ne concerne pas un dépôt de plainte. Je ne vois pas comment on peut contraindre une personne, publique ou privée, à déposer plainte. Je vous demande donc de retirer l’amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. L’objectif poursuivi est louable : il s’agit d’aider la victime, qui peut avoir peur. On entend parfaitement que l’administration soutienne son agent. Madame la rapporteure, je donnerai un avis de sagesse sur votre amendement. Nous souhaitons poursuivre la réflexion avec vous pour trouver la meilleure rédaction possible d’ici à la séance publique. En revanche, nous sommes défavorables à l’amendement CS433, car la systématisation de la plainte serait trop rigide. Mieux vaut encadrer cette nouvelle faculté que le législateur entend donner à l’administration.

La commission adopte l’amendement CS1823.

En conséquence, l’amendement CS433 tombe.

L’amendement CS1542 de M. François Cormier-Bouligeon est retiré.

La commission examine l’amendement CS565 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. La peine complémentaire d’interdiction du territoire français introduite par l’article 4 va dans la bonne direction, à cela près que son prononcé est une faculté. Je propose d’en faire une obligation, tout en offrant à la juridiction la possibilité de ne pas l’ordonner, par une décision spécialement motivée.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement entre en contradiction avec plusieurs articles du code pénal, en vertu desquels le prononcé de cette peine complémentaire est, selon les hypothèses, prohibé ou soumis à une décision spécialement motivée, au regard de la gravité de l’infraction et de la situation familiale et personnelle de l’intéressé. En conséquence, j’émets un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je n’ai ni la mémoire ni la culture politique du ministre de l’intérieur, mais il me semble que c’est M. Sarkozy qui avait limité la double peine.

Vos propositions contredisent les articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal, qui encadrent le prononcé d’une telle peine complémentaire et laissent – ce qui est heureux – une grande liberté d’appréciation au juge. C’est une décision qui doit être spécialement motivée au regard de la gravité de l’infraction, d’une part, et de la situation personnelle et familiale de la personne, d’autre part. La systématisation est, en la matière, une bien mauvaise solution. Défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. La mesure que nous proposons est tout à la fois très dure et très juste. Du reste, la faculté offerte au juge est indépendante de la sanction administrative. Le juge judiciaire a la possibilité de prononcer une interdiction de rester sur le territoire national et d’ordonner la reconduite à la frontière. Parallèlement, l’autorité administrative peut prendre une sanction. Depuis le 29 septembre dernier, selon mes instructions, une personne étrangère en situation régulière – si elle est en situation irrégulière, cela va de soi – condamnée pour trouble à l’ordre public se voit délivrer, au terme de sa peine, une obligation de quitter le territoire français (OQTF), sa carte de résident n’étant pas renouvelée. Je demanderai au corps préfectoral de prononcer cette mesure en cas de condamnation au titre du nouveau délit institué à l’article 4.

M. Éric Ciotti. Monsieur le garde des Sceaux, il ne s’agit pas ici de la double peine, qui désigne le prononcé automatique d’une sanction administrative à la suite d’une décision judiciaire. Rassurez-vous, je défendrai un peu plus loin un amendement qui vise au rétablissement de celle-ci, ce que j’assume. J’ai toujours été cohérent. Le sarkozysme est un bloc ; avec M. le ministre de l’intérieur, nous en assumons l’héritage, si je puis dire. J’ai toujours été opposé à la décision de limiter la double peine – mais je n’étais, alors, pas député.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1325 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Selon les termes de l’article 131-30 du code pénal, une interdiction du territoire français (ITF) entraîne de plein droit la reconduite d’un condamné à la frontière, le cas échéant à l’expiration de sa peine d’emprisonnement et de réclusion. Il me paraît nécessaire de compléter cet article en conférant au préfet la possibilité de prononcer une obligation de quitter le territoire français, l’OQTF étant la traduction administrative de l’ITF. À des fins d’efficacité, et parce qu’il est intolérable que la moindre pression soit exercée sur une personne participant à l’exécution d’une mission de service public, l’amendement vise à inscrire à l’article 4 que les personnes condamnées à une ITF feront automatiquement l’objet d’une OQTF.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Même avis.

M. Gérald Darmanin, ministre. Du point de vue administratif, pour prononcer une OQTF il faut disposer de l’interdiction de retour sur le territoire national, ce qui n’est pas toujours le cas. J’ai demandé que les préfectures puissent systématiquement joindre à une OQTF l’acte judiciaire d’ITF correspondant, dans le cadre de la simplification des arrêtés préfectoraux. C’est désormais automatique.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS5 de M. Pierre Cordier et CS1403 de M. Éric Diard.

M. Pierre Cordier. Dans l’ensemble du territoire, quotidiennement, des enseignants voient leur autorité contestée, parfois violemment, par des élèves et des parents qui se croient tout permis. Dimanche dernier encore, un père de famille a été écroué à Nîmes pour avoir menacé un directeur d’école de « lui faire comme à Samuel Paty ». Il est urgent de mettre un terme à cette évolution délétère. La République le doit d’abord à Samuel Paty. La loi doit poser clairement le principe de respect, sans condition, du professeur.

Il convient de rétablir l’ordre dans les notions. Les professeurs ont été recrutés sur concours ; leur compétence a donc été vérifiée. Ils connaissent les programmes. Ils ont été titularisés à la suite d’une inspection et sont évalués tout au long de leur parcours professionnel. Cela leur donne autorité pour accomplir leur travail ; la respecter c’est leur permettre de le faire dans les meilleures conditions. Le respect dû aux professeurs et à tout le personnel éducatif, tant par les élèves que par leur famille, est la base du lien de confiance qui doit unir les membres de la communauté éducative ; il n’en résulte pas. L’amendement CS5 vise à modifier en ce sens l’article L. 111-3-1 du code de l’éducation.

M. Éric Diard.  Il s’agit de répondre à une forte demande des enseignants, à la suite de la tragique affaire Samuel Paty. L’amendement CS1403 présente un caractère certes déclaratif, mais il est bon, parfois, de rappeler que les élèves et leurs parents doivent le respect aux enseignants.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends la motivation, mais ces amendements ne sont pas de nature législative et n’ont aucune portée normative. Les dispositions du code de l’éducation, dans la rédaction issue de la loi pour une école de la confiance de 2019, ont permis de trouver un équilibre satisfaisant. Je ne crois pas que la disposition que vous proposez aurait pu, d’une quelconque manière, éviter l’acte terrible commis contre Samuel Paty. Du reste, vous avez reconnu son caractère déclaratif. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Le Conseil supérieur de l’éducation a eu à connaître de votre amendement. Contrairement à ce que vous avez dit un peu hâtivement, seuls trois enseignants sur soixante et onze y étaient favorables. En outre, la suppression de l’article L. 111-3-1 de la référence à l’engagement et à l’exemplarité des personnels de l’éducation enverrait un bien curieux signal, au lendemain du Grenelle de l’éducation, qui a marqué le lancement d’un travail ambitieux de revalorisation du métier d’enseignant. Je comprends vos motivations, mais il faut éviter des amalgames un peu douteux entre le respect que l’on doit aux enseignants et leur engagement, qui est reconnu par la loi, et qu’il ne faut pas modifier. Défavorable.

M. Alexis Corbière. Monsieur le garde des Sceaux, il me semble que vous ne vous adressez pas toujours aux députés de manière très convenable – M. Ciotti a reçu un de vos coups de griffe. Je ne suis pas le dernier à apprécier l’ironie et la controverse, mais j’ai le sentiment que vous en abusez. Cela dit, vous avez votre liberté de parole et je ne suis pas encore ministre de la justice – ce qui est peut-être une bonne chose pour certains…

L’enseignant que je suis en dehors de mon mandat de député est sensible aux propos d’Éric Diard, mais il faut éviter la surenchère verbale dépourvue d’effet. Si, demain, des pompiers, des policiers, d’autres fonctionnaires étaient agressés, faudrait-il insérer dans la loi une disposition similaire ? Je crains que cela n’apporte rien aux enseignants. La sobriété est parfois plus efficace pour assurer le respect envers les représentants de l’État.

M. Éric Diard. Il ne faut pas réduire le point de vue des enseignants aux positions du Conseil supérieur de l’éducation, qui ne représente qu’une infime partie d’entre eux. Par ailleurs, je souhaiterais qu’après la dramatique affaire Paty, on n’utilise pas les termes « amalgames douteux ». Cela me paraît pour le moins déplacé.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Sans vouloir polémiquer, j’aime, monsieur Corbière, quand vous devenez l’arbitre des élégances, avec cette mesure qui vous caractérise si bien et tient lieu de fil rouge à la manière dont vous vous exprimez. Éric Ciotti sera ravi de vous avoir pour avocat. Il est tellement timide, Éric Ciotti, que s’il avait été heurté par mon propos, il n’aurait jamais osé me le dire. Grâce à vous, c’est chose faite et l’injustice est réparée.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune les amendements CS23 de Mme Annie Genevard et CS396 de M. Jean-Baptiste Moreau.

Mme Annie Genevard. Contrairement à M. Corbière, je pense que depuis l’assassinat de Samuel Paty, il est nécessaire de distinguer dans notre code les actes perpétrés contre un enseignant. Au moment de sa mort, tout le pays a été saisi car le fait de s’en prendre à un enseignant est un symbole d’une particulière gravité.

Le code pénal qualifie de délit le fait d’entraver l’exercice de la liberté d’expression, de travail, d’association, de réunion ou de manifestation, mais l’entrave à l’exercice du métier d’enseignant n’est pas expressément visée. Nous proposons d’y remédier en ajoutant un alinéa à l’article 431-1 du code pénal.

J’ai bien compris que les mesures du projet de loi englobaient aussi les menaces graves proférées contre les enseignants mais, sans aller jusque-là, des pressions peuvent s’exercer sous d’autres formes et conduire des enseignants à renoncer à transmettre certains enseignements, de peur d’en affronter les conséquences, de la part de leurs élèves ou des parents. Dans cette zone grise, on retrouve les intimidations, les insultes, qui ne relèvent pas de ce projet de loi. C’est pourquoi je vous propose l’amendement CS23, afin de compléter le code pénal et protéger la liberté d’enseigner.

Pierre Cordier l’a dit, après la mort de Samuel Paty, on aurait pu penser que les intimidations, les pressions, les menaces, les insultes cesseraient, compte tenu des circonstances tragiques qui ont conduit à l’assassinat de ce malheureux enseignant. Pas du tout ! Le 7 janvier, un professeur a été agressé après un cours, et c’est lui qui a été obligé de quitter son établissement !

M. Jean-Baptiste Moreau. L’amendement CS396 vise à créer une nouvelle infraction pénale dite de délit d’entrave à l’enseignement. Il s’agit de protéger l’enseignant dans l’exercice de sa liberté pédagogique. Elle ne vise pas uniquement la liberté pédagogique qui est un aspect de la liberté de l’enseignant, dans la limite du respect des programmes et des instructions. Elle ne vise pas non plus uniquement le harcèlement ou les menaces de commettre un crime ou un délit, déjà couverts par le code pénal. Il s’agit de créer une infraction qui englobe l’ensemble de ces actes et d’incriminer le fait de menacer ou de tenter de menacer un professeur pour ce qui l’enseigne, par ceux à qui il enseigne.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends très bien l’objectif que vous poursuivez, mes chers collègues, mais il n’est pas nécessaire de créer cette nouvelle incrimination, car les faits que vous visez sont déjà réprimés dans le code pénal par des incriminations générales. Lorsque l’on cherche à préciser la qualité des victimes ou des auteurs, en incluant certaines personnes ou en en excluant d’autres, on réduit la portée de ces incriminations générales, car on oublie souvent quelqu’un ou bien on mentionne des personnes déjà visées. Laissons leur portée aux incriminations générales.

Qui plus est, la création de ce nouveau délit d’entrave à l’enseignement aurait pour effet paradoxal d’atténuer la répression de ces actes car les sanctions dont vous l’assortiriez sont inférieures à celles prévues pour réprimer les incriminations générales. Pour toutes ces raisons, je n’y suis pas favorable.

Pour revenir au terrible assassinat de Samuel Paty, les mesures prévues à l’article 18 du projet de loi devraient permettre de protéger plus efficacement l’ensemble de nos concitoyens, en particulier les enseignants.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Nous comprenons tous le sens de ces amendements mais je ferai trois remarques. Tout d’abord, le texte a vocation à protéger tous les serviteurs de la République. Ensuite, l’actualité crue a posé un éclairage particulier sur la profession d’enseignant. C’est l’affaire du professeur Paty. Or d’autres professions sont également menacées et on ne peut pas les distinguer. Enfin, paradoxalement, alors que vous souhaitez mieux protéger les professeurs, les sanctions que vous proposez seraient moins sévères que celles de ce projet de loi.

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas favorable à ces amendements, même si j’en comprends la signification.

M. Thomas Rudigoz. Je soutiens ces amendements. Ces faits sont une réalité. Quelques semaines après l’hommage rendu à Samuel Paty dans nos établissements, un professeur d’histoire d’un collège de ma circonscription s’est fait agresser et menacer par un parent d’élève qui n’avait pas du tout apprécié une de ses leçons. Le professeur n’a pas été menacé de mort mais on lui a fait comprendre qu’il n’avait pas à aborder certains sujets, par des pressions morales, voire physiques. Ce professeur, qui ne s’est pas senti soutenu par sa hiérarchie, a été arrêté par son médecin, avant de demander à l’inspecteur d’académie à être muté dans un autre établissement. Ses collègues ont manifesté leur colère, que l’on peut comprendre.

Alors que l’article 18 prévoit de créer un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui, celui évoqué par nos collègues vise des faits moins graves comme l’exercice de pressions morales ou physiques, les menaces ou les insultes, mais qui doivent tout de même être sanctionnés.

M. Francis Chouat. Il y a des moments symboliques qui nécessitent de laisser de côté tout cynisme, toute polémique, tout effet de manche. Depuis la décapitation de Samuel Paty, la principale demande des personnels de l’éducation nationale, en particulier des enseignants, est d’être assurés de la protection et de l’accompagnement de la puissance publique.

Je partage les arguments juridiques de Mme la rapporteure et le point de vue du garde des Sceaux, mais il est des moments où la loi, sans être bavarde, pourrait distinguer les personnels de l’éducation nationale qui se retrouvent en première ligne, ne serait-ce que symboliquement. À titre personnel, je voterai ces deux amendements.

Mme Annie Genevard. Au deuxième alinéa de l’article 431-1 du code pénal, il est question du délit d’entrave de l’exercice de la liberté de création artistique ou de la liberté de la diffusion de la création artistique. La loi distingue déjà des activités auxquelles elle attache une importance particulière. L’argument ne me semble donc pas pertinent.

Cela étant, je veux bien convenir que la rédaction de mon amendement recoupe celle du projet de loi, notamment pour les termes de « menace » et d’« intimidation », tout en prévoyant des peines plus faibles. Je vous propose par conséquent de rectifier cet amendement en enlevant les termes « menace » et « intimidation » pour n’y laisser que les pressions et les insultes.

Qu’est-il arrivé, à ce professeur de la région lyonnaise, dont j’ai cité le cas tout à l’heure ? Le père d’un de ses élèves s’est présenté à lui en tant que musulman et lui aurait interdit de parler, en cours, de politique et de l’assassinat du professeur Samuel Paty. Ce fait n’est pas visé par l’article que vous proposez, car il se situe dans cette fameuse zone grise. Je vous propose par conséquent, monsieur le président, de mettre aux voix cet amendement tel que je viens de le rectifier.

M. Alexis Corbière. Je suis sensible aux propos de Mme Genevard. Nous sommes nombreux à avoir enseigné et l’émotion est telle qu’il semble légitime d’envoyer des signes forts. Pour autant, je ne voudrais pas que l’on croie que rien n’était prévu dans la loi jusqu’à présent. D’ailleurs, les enseignants ne le pensent pas ; ils reprochent plutôt la non-application de la loi. Ils se plaignent bien souvent, lorsqu’ils s’ouvrent de leurs difficultés à leur chef d’établissement, de ne pas être accompagnés. Ne donnons pas l’impression que tous les problèmes seront réglés du jour au lendemain parce que nous aurions comblé les lacunes de la loi. Nous devrions plutôt réfléchir aux moyens de la faire appliquer.

Prenons garde, par ailleurs, à ne pas judiciariser la moindre tension qui naît au sein d’un établissement scolaire. Tel que l’article est rédigé, les élèves eux-mêmes pourraient être concernés. J’ai enseigné pendant vingt-cinq ans dans un lycée professionnel. Les élèves passaient la plus grande partie de mes cours à les contester, par indiscipline ou par conviction politique ou religieuse. Ces comportements appellent des sanctions pédagogiques mais toute la difficulté est de les faire appliquer. Faute de surveillants, l’enseignant ne sait que faire. S’il exclut l’élève de son cours, il sait que celui-ci se retrouvera dans la rue, ce qui n’est pas une solution. Alors il s’autocensure. C’est un exemple des nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les enseignants, par manque de surveillants, de médecins scolaires ou encore de psychologues scolaires. Sanctionner pénalement la moindre contestation des élèves serait une erreur complète.

Cela étant, les menaces sont intolérables et doivent être condamnées mais, entre un élève qui élève le ton et se montre irrespectueux, voire grossier, et un parent qui menace, il faut savoir faire la différence.

Mme Fabienne Colboc. Notre groupe votera contre ces amendements qui prévoient une infraction dont la portée est moins forte et les sanctions moins sévères que celles prévues par l’article 18 du projet de loi.

Mme Géraldine Bannier. Je comprends le sens de l’amendement et j’apprécie le soutien ainsi apporté aux enseignants, mais je m’interroge sur l’application concrète de cette disposition relative à la liberté pédagogique. Par exemple, si un enfant refuse de lire un livre prescrit par un enseignant, ne sommes‑nous pas dans le cas de l’application différenciée des règles d’un service ?

M. Éric Ciotti. Cet amendement me semble très pertinent, surtout après sa rectification. Nous ferions œuvre utile et nous enverrions un message très fort en l’adoptant. Je ne peux comprendre que vous y soyez si réticents tout simplement parce qu’il est issu de l’opposition. Nous devons être unis pour faire face à ces entraves qui sont de plus en plus fréquentes et ne cesseront, malheureusement, de s’accroître. Nous devons y mettre fin en faisant preuve de courage – je maintiens ce mot contesté. Il faut soutenir nos enseignants qui se trouvent très souvent isolés. J’ai eu le cas, dans ma circonscription, d’une enseignante d’un collège de Nice qui a été prise à partie et menacée. J’ai dû remonter jusqu’au ministre de l’éducation nationale pour qu’elle soit soutenue parce que, finalement, c’était elle qui se retrouvait lâchée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure thématique. Je comprends l’intention des auteurs de ces amendements ainsi que de M. Chouat qui a rappelé l’importance des symboles. En l’espèce, nos concitoyens, en particulier les enseignants, attendent surtout de nous que nous agissions en votant des textes qui permettent d’améliorer la situation. Or, en droit pénal, plus nous voterons des textes qui se superposent, plus nous risquerons de paralyser la procédure judiciaire, ce dont ne manqueront pas de s’émouvoir nos concitoyens. Restons extrêmement vigilants.

Madame Genevard, en rectifiant votre amendement, vous ne l’améliorez pas, bien au contraire. Vous reconnaissez qu’en visant les menaces et les intimidations, vous créez de la confusion avec d’autres articles de droit pénal, actuels ou à venir, mais comment distinguerons-nous les pressions des intimidations ? N’avez-vous pas l’impression de compliquer encore davantage l’application du droit ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je comprends les interventions des uns et des autres. Il me semblait que l’article 4, tel qu’il est rédigé, suffisait à couvrir la notion d’intimidation. Par ailleurs, les sanctions que vous prévoyez sont moins fortes que celles du texte et le risque de confusion avec d’autres mesures est réel. Je vous propose que nous y travaillions en toute transparence d’ici à la séance publique. Il est important que nous consolidions le dispositif que nous avons voté ce matin.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Je comprends que vous vouliez donner une portée hautement symbolique à ce texte, mais la loi a une portée générale. En vertu de sa vocation erga omnes, elle s’applique à tous. Votre émotion est légitime mais si l’on fait un texte pour les enseignants, il faut aussi en faire un pour toutes les autres catégories de serviteurs de la République. La victime fut un enseignant ; elle aurait tout aussi bien pu être un magistrat, un autre fonctionnaire, une personne chargée d’une mission de service public. L’éclairage, en l’espèce, fut porté sur la profession d’enseignant et nous avons tous entendu le chagrin et les doléances de ce corps essentiel dans la République, puisqu’il forme les citoyens de demain.

Cependant, votre amendement pose des problèmes d’ordre légistique. Certains pensent que nous sommes contre parce qu’il serait issu de l’opposition. Pas du tout ! Il n’y a pas de place pour des discussions politiciennes et nous sommes face à un sujet qui transcende les clivages. Je vous redis ma réserve. On ne peut pas présenter les choses de manière manichéenne. Il n’y a pas, d’un côté, les pro-enseignants et, de l’autre, les anti-enseignants. La loi est la même pour tout le monde. D’ailleurs, je suis parti, avec le ministre de l’intérieur, du cas de Samuel Paty pour essayer de combler certains manques. Nous nous sommes notamment demandé comment nous aurions pu judiciariser plus tôt.

Je vous propose donc, madame Genevard, de travailler avec la Chancellerie pour regarder comment se rapprocher de l’entrave que vous appelez de vos vœux. Il faudra veiller à ce que les dispositions ne soient pas superfétatoires, notamment au regard de l’article 18, et que la situation des enseignants soit traitée de manière suffisamment générale pour que les autres soldats de la République ne soient pas délaissés – les hospitaliers, les pompiers et tant d’autres.

Mme Annie Genevard. J’accepte bien volontiers votre proposition, mais je tiens à ce que l’on préserve une disposition pour les enseignants. Je ne suis pas certaine, après votre réponse, que ce souhait soit satisfait, aussi vais-je maintenir mon amendement. Son adoption n’empêcherait pas d’y réfléchir ensemble.

L’amendement CS396 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS23 rectifié.

Elle examine l’amendement CS1326 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’article 4 représente une avancée dans la protection des personnes chargées d’exécuter un service public, je le reconnais. Cependant, il pourrait se heurter au « mur du silence » dans certaines administrations, notamment de la part de supérieurs hiérarchiques. Souvenez-vous du mouvement « Pas de vague », par lequel les enseignants ont dénoncé, sur les réseaux sociaux, l’inertie de leur hiérarchie, qui laissait filer la mouvance séparatiste chez certains parents d’élèves et jusqu’au sein de leurs établissements, pour ne pas attirer l’attention des médias ou des autorités. Je vous propose d’inscrire dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires que le fait de ne pas signaler ou de faire taire des agissements constitutifs d’une infraction à la loi ou manifestement contraire aux principes républicains, est une faute grave.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il me semble plus efficace, plutôt que de prévoir une sanction à l’égard du représentant de l’administration, de lui donner la possibilité de porter plainte, comme nous l’avons fait en adoptant mon amendement à l’article 4. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet ajout ne présente pas d’intérêt juridique. Avis défavorable.

M. Éric Diard. Je retire l’amendement qui était une invitation au débat. Nous le retravaillerons.

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements identiques CS24 de Mme Annie Genevard et CS1498 de M. Julien Ravier.

Mme Annie Genevard. Il s’agit d’introduire dans le projet de loi un principe républicain simple, clair, intelligible : « Nul individu ou groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune ».

Bien évidemment, nous aurions préféré que ce principe devienne constitutionnel mais il n’est pas rare qu’une disposition non retenue pour figurer dans la Constitution trouve sa place dans la loi.

M. Julien Ravier. Cet amendement est devenu identique à celui de Mme Genevard après une intervention rédactionnelle des services. J’avais prévu d’en faire le premier article du chapitre Ier, de manière à faire commencer le texte sur une disposition autant symbolique que fondamentale. J’avais également proposé de modifier l’intitulé du chapitre Ier en affirmant la prééminence des lois de la République, ce qui n’a pas été retenu. Il est dommage de commencer par des dispositions relatives au service public.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Nous avons débattu de cette question, madame Genevard, lorsque vous avez soutenu la proposition de loi constitutionnelle relative à la prééminence des lois de la République. Il ne me semble pas utile d’insérer une telle disposition. En tant qu’héritiers de l’universalisme des Lumières et de la Révolution française, nous sommes tous, d’abord, des républicains, quelles que soient nos origines et nos croyances personnelles. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux. Cet amendement a au moins le mérite de souligner une certaine constance. Vous avez essayé d’entrer par la grande porte de la Constitution. En dépit d’efforts louables, vous n’y êtes pas parvenue, aussi tentez-vous votre chance par la porte plus étroite de la loi. En réalité, la loi est une disposition normative qui pose une règle juridique d’application obligatoire. Elle doit être respectée et connue de tous. Nul n’est censé l’ignorer. Tout ce qui s’ajoute à cela serait redondant. Avis défavorable.

Mme Annie Genevard. Je ne le nie pas, c’est le prolongement de la proposition de loi constitutionnelle. Cette mesure est importante, car la situation est préoccupante. Je suppose que vous avez été attentifs aux récents sondages : trois jeunes musulmans sur quatre considèrent que les lois de la République doivent s’effacer devant celles de la religion. Il arrive à présent que l’on conteste à un professeur d’université la légitimité d’évoquer certains auteurs au motif qu’il n’en aurait pas la couleur de peau. On pourrait multiplier les exemples de personnes qui s’exonèrent de la règle commune en raison de leur origine ou de leur religion. Puisque le projet de loi traite des principes, pourquoi ne pas insérer celui-ci qui est beau et garant d’une vie harmonieuse en société ? Comment pouvons-nous vivre ensemble si l’on n’accepte pas la règle commune ?

M. Christophe Euzet. Ne confondons pas. D’un côté, nous pouvons tous souscrire à la légitimité des préoccupations sur le fond. De l’autre, nous devons respecter la hiérarchie des normes. Or il ne revient pas au législateur de préciser que la loi a autorité sur la population. C’est le rôle de la Constitution.

La commission rejette les amendements.

Article 5 : Extension aux atteintes à l’intégrité physique et aux menaces du champ des signalements pour les actes dont un agent public est victime

La commission examine l’amendement CS25 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Il s’agit d’élargir le dispositif de signalement aux familles des agents publics.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. C’est à l’agent public ou aux témoins des faits de les signaler et non à la famille de l’agent. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est satisfait puisque l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit que la protection fonctionnelle peut-être accordée aux ayants droit de l’agent public, s’ils sont concernés.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS603 de Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Il s’agit de prendre en compte les atteintes à l’intégrité psychique, et pas uniquement physique. En effet, 51 % des salariés du secteur public se disent exposés aux incivilités, insultes et menaces. Plus d’un tiers d’entre eux disent en être personnellement affectés et en souffrir.

Le code du travail confère une obligation de résultat à l’employeur pour protéger la santé physique, mentale et psychique de ses salariés. Le texte doit répondre à cette obligation et reprendre la notion d’atteinte psychique, d’autant que les pressions et insultes sur les personnes qui participent à une mission de service public sont en forte augmentation.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est une question très intéressante, sur laquelle l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale nous a donné l’occasion, à Mme la rapporteure et à moi, d’exprimer nos divergences de vues : qu’est-ce que le psychique et comment le caractériser ?

Dans le cas présent, si ce qui est visé est la prévention psychique à apporter aux personnels, ce n’est pas l’objet du texte. Le statut de la fonction publique comporte déjà des dispositions relatives à la prévention des risques professionnels, y compris psychiques. S’il s’agit de viser les conséquences psychiques des pressions, des menaces ou des intimidations, la loi les reconnaît en tant que blessures même si elles sont difficiles à caractériser.

Ma fiche indique « demande de retrait ». Si vous proposiez, en vue de la séance, une rédaction visant clairement les conséquences et caractérisant les torts psychiques, vous n’obtiendriez sans doute pas l’accord de Mme la rapporteure et n’emporteriez peut-être pas l’adhésion majoritaire de la majorité, mais vous recueilleriez mon avis de sagesse.

Mme Florence Granjus. J’ai travaillé trente ans dans le service public et j’ai été confrontée à une forte explosion des incivilités. J’ai voté tout à l’heure l’amendement de Mme Genevard parce que, parmi les dix professions les plus maltraitées par le public, les enseignants arrivent en premier, subissant dix fois plus d’incivilités que les autres personnels exerçant une mission de service public, les agents du service public de l’emploi, au sein duquel j’ai travaillé, arrivant en troisième position. À cela, aucune réponse n’est apportée.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1825 de la rapporteure et CS126 de M. Jacques Marilossian.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Il s’agit d’étendre le champ de la procédure de signalement à tout acte d’intimidation, par cohérence avec l’article 4 du projet de loi.

Par ailleurs, avis défavorable à l’amendement CS126.

Mme Laurianne Rossi. L’amendement CS126 étend les dispositions de cet article aux propos portant atteinte à la dignité humaine.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable à l’amendement de la rapporteure.

La commission adopte l’amendement CS1825.

En conséquence, l’amendement CS126 tombe.

La commission l’amendement CS1135 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de renforcer la protection des agents publics, en informant dans les meilleurs délais le procureur de la République afin qu’il diligente rapidement une enquête. Pour être effective, la plainte d’un agent public qui a subi une menace ou une violence doit être traitée avec diligence. Nous avons malheureusement pu constater combien cela aurait été nécessaire dans le cas de Samuel Paty.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement est satisfait par l’article 40 du code de procédure pénale ainsi que par le dispositif que nous avons adopté à l’article 4. Veiller à ce que la justice soit diligente est un autre sujet.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends l’intention de M. Vallaud, mais je ne peux que souscrire aux propos de Mme la rapporteure.

Il a été dit, lorsque M. Paty a été victime de la barbarie terroriste, que le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice n’étaient pas intervenus pour le protéger, alors qu’il existait une note des renseignements territoriaux évoquant l’exercice d’une pression communautaire séparatiste de la part du père de la jeune fille et d’un accompagnant de la même religion, sur la principale du collège, et donc sur le service public de l’éducation. C’est vrai, nous en avions eu connaissance par l’intermédiaire de la préfecture des Yvelines. Mais le fait n’était pas judiciarisable et le groupe d’évaluation départemental (GED), dans le cadre duquel échangent l’autorité préfectorale, les renseignements territoriaux et le procureur de la République, n’a pu faire ressortir aucun délit qui aurait pu être judiciarisé pour protéger contre cette pression communautaire et séparatiste.

Avec l’article 4 et l’article 5 qui le complète, nous avons fait en sorte que, sur saisine d’un membre du personnel directement, de son administration ou du procureur de la République, on puisse considérer qu’il s’agit d’un délit et rendu possible d’intervenir. Dans ce drame, le préfet aurait pu effectuer un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou aurait déposé plainte, la principale du collège aussi, et le procureur de la République, qui a connaissance des informations transmises par la préfecture et les renseignements territoriaux, aurait découvert le délit et ouvert une enquête.

Monsieur Vallaud, votre amendement est donc largement satisfait, et risque même de nuire à la simplicité que nous avons voulu conférer au dispositif. Quant à votre souhait que la justice ait rapidement connaissance des faits et soit diligente, Mme Vichnievsky a raison, cela dépend de son organisation.

M. Boris Vallaud. Bien sûr, les nouvelles qualifications pénales offrent de nouvelles possibilités. Mais on ne peut pas demander à ce que des atteintes à la neutralité du service public soient réglées en quarante-huit heures et que des menaces à l’endroit de ses serviteurs ne soient pas traitées avec la même diligence. La promptitude de la réponse judiciaire est absolument déterminante et il conviendrait de trouver un moyen de l’affirmer dans la loi.

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements CS886 de M. Jean-Luc Mélenchon et CS891 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Ces amendements ont pour objet de faciliter les procédures de signalement et la protection fonctionnelle, afin que le droit devienne réalité. Les organisations syndicales et beaucoup de représentants des personnels ont souligné que les agents connaissent rarement l’existence de cette protection et pensent qu’ils doivent eux-mêmes porter plainte.

L’amendement CS886 vise à mettre fin à ce que la presse appelle parfois, à tort, une omerta dans les entreprises. Souvent, des agents qui sont dans une situation difficile, même lorsqu’ils l’ont signalée à leur hiérarchie, souffrent en silence, car ce n’est pas un sujet de discussion dans les instances de représentation du personnel. Il s’agirait ici d’informer les représentants du personnel de l’activation du dispositif de signalement, sans pour autant remettre en cause la confidentialité. Cette information permettrait aux représentants de mesurer le nombre de signalements, d’engager une concertation en vue d’une meilleure prévention et d’accompagner au mieux les agents.

L’amendement CS891 tend à remédier au défaut d’information des personnels sur la protection fonctionnelle. Une information décrivant le dispositif de signalement et son fonctionnement serait communiquée tous les ans à chaque agent, par exemple par voie d’affichage dans la salle réservée au personnel.

Je vais présenter également l’amendement CS894, qui sera appelé un peu plus tard. Il a pour objet de ramener le délai de réponse de l’autorité à une semaine après le signalement – quarante-huit heures lorsque les circonstances et l’urgence le justifient. Bien souvent, des agents signalent et rien ne se passe, la souffrance s’accentue, jusqu’à avoir parfois une issue dramatique. Un délai de réponse encadré, c’est ce qui est nécessaire pour que les problèmes prennent fin au plus vite.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends les objectifs que vos amendements poursuivent. Les représentants des organisations syndicales ont d’ailleurs soulevé ces points. Toutefois, ces dispositions relèvent du pouvoir réglementaire.

En outre, l’amendement CS886 ne garantit pas que l’anonymat soit préservé – on sait bien comment fonctionnent les entreprises ou les administrations. L’agent lui-même peut ne pas souhaiter que les organisations syndicales soient informées. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Le Gouvernement partage votre objectif d’information. C’est d’ailleurs le sens des deux amendements que nous avons présentés hier concernant la nomination des référents laïcité dans les services publics et la formation de tous les agents publics, afin qu’ils puissent disposer de cette information.

Mais, comme l’a souligné la rapporteure, ces dispositions sont du domaine réglementaire. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Christophe Lagarde. Les interventions de MM. Diard, Vallaud et Corbière disent la même chose : nous avons tous un doute quant à l’effectivité de ces dispositions, à cause de l’omerta et de la crainte de mesures de rétorsion. Nous avons bien conscience que le problème n’est pas du domaine de la loi, mais prenez‑le comme un appel au Gouvernement pour que le pouvoir réglementaire fasse comprendre à son administration que c’est une faute grave que de taire des dysfonctionnements, des menaces, des insultes, des intimidations.

Il n’y a rien de pire que la discussion autour de la machine à café, car elle n’est pas institutionnalisée. Tout le monde sait qu’il se passe quelque chose mais personne ne voit la puissance administrative réagir. Le sens de tous ces amendements, c’est que le Gouvernement s’engage, en séance publique, à ce qu’une circulaire appelle, dans tous les ministères, à une vigilance particulière.

M. François Pupponi. Lorsqu’un maire saisit la justice, il en informe immédiatement le conseil municipal. L’information est anonyme, mais si un élu demande des précisions, le maire doit les lui transmettre. En l’espèce, il faudrait trouver une solution similaire. Il est important que l’agent – et les syndicats s’il les a saisis – sache que l’administration a réagi. Il faut vraiment répondre à la demande de ceux qui, légitimement, se sentent parfois abandonnés.

M. Boris Vallaud. Madame la rapporteure, pourquoi votre amendement CS1824 ne vise-t-il que les collectivités publiques, alors que l’article 6 quater A évoque les administrations, collectivités et établissements publics ?

M. le président François de Rugy. Nous ne débattons pas encore de cet amendement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il ne fait aucun doute que les mesures proposées à travers ces amendements relèvent du domaine réglementaire. Nous n’allons pas légiférer pour indiquer qu’il faut afficher tel ou tel document dans une salle du personnel.

Toutefois, le travail que nous avons effectué ici, avec d’autres collègues, sur la situation de la direction du renseignement de la préfecture de police, a montré que les agents – spécialistes du renseignement, donc – étaient informés autour de la machine à café de certains signaux faibles, voire très faibles, liés au comportement de Mickaël Harpon. Or ils n’avaient aucune culture de la transmission de l’information propre à cette direction. Il est donc indispensable de développer une telle culture du signalement. Je ne peux qu’encourager le Gouvernement et les administrations à la favoriser, ainsi que les protections qui l’accompagnent, car c’est fondamental pour protéger les agents concernés.

M. Alexis Corbière. Vous renvoyez mes amendements au domaine réglementaire ; pourtant, sur d’autres points, vous vous êtes autorisés à inscrire dans la loi des dispositions tout aussi discutables à cet égard.

On doit pouvoir discuter dans les entreprises, dans les administrations, dans les établissements scolaires, de la souffrance des collègues. Il faut organiser la discussion de la même façon qu’on le fait pour un problème sanitaire, et en préservant l’anonymat, peut-être au sein du comité social et économique. Sans cela, on ajoute des problèmes au problème. C’est important notamment dans l’éducation nationale, car les professeurs ont parfois le sentiment qu’ils n’ont pas eu la bonne attitude pédagogique et n’osent pas en parler. Il faut vraiment avancer concrètement sur ce sujet.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CS1106 de M. Matthieu Orphelin.

Mme Émilie Cariou. Il vise à permettre à tout agent public qui se sentirait menacé de faire appel à un conseil juridique en urgence et d’être remboursé de ses frais par l’État. Pour des questions de recevabilité financière, il se présente sous la forme d’un crédit d’impôt, mais son objectif est bien de rendre effective la nouvelle procédure de signalement et de faire en sorte que les agents publics puissent réellement bénéficier de leurs droits. La soutenabilité financière de l’assistance juridique est importante, notamment pour un professeur. Bien évidemment, nous préférerions que l’éducation nationale, ou les autres administrations concernées, prenne ce dispositif en charge par avance de frais.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Votre amendement est satisfait par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit une prise en charge de tout ou partie des frais et honoraires d’avocats sous forme d’une avance de frais ou d’un remboursement a posteriori. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. Soit immédiatement, soit sur justificatifs, l’agent se fait rembourser l’intégralité de ses frais. Compte tenu de ses revenus, on peut parfois regretter le retard avec lequel il est accompagné, mais le crédit d’impôt n’y pourvoira pas puisqu’il s’applique avec un décalage d’un an. On pourrait en envisager la contemporéanisation avec le prélèvement à la source, mais, compte tenu de l’état des finances publiques, cela ne sera pas possible avant longtemps.

Il serait préférable d’obliger la fonction publique à prendre en charge les protections fonctionnelles dès le début de la procédure, plutôt que de créer une machine fiscale. J’ai d’ailleurs toujours donné cette consigne à mes secrétaires généraux, quand j’étais maire et maintenant en tant que ministre de l’intérieur, pour les protections fonctionnelles comme pour les frais médicaux.

M. Alexis Corbière. Même si, je le découvre, une loi couvre déjà cet aspect financier, je soutiens cet amendement, car il met en lumière la même notion d’urgence que j’ai soulevée dans les miens. Dans l’affaire Paty, tout a dérapé en une semaine alors, qu’en l’état actuel des procédures, les délais sont d’environ deux mois. On peut comprendre, si l’agent n’a pas de réponse concernant le déclenchement de sa protection fonctionnelle dans les quarante-huit heures, et s’il sent que les choses dérapent, qu’il veuille voir un avocat.

Mme Émilie Cariou. Monsieur le ministre, j’ai expliqué que nous avons utilisé le crédit d’impôt pour des problèmes de recevabilité financière. C’est un appel au Gouvernement pour intégrer ces avances de frais directement dans la loi.

Madame la rapporteure, vous nous apprenez que la loi de 1983 prévoit déjà cette participation aux frais. Très bien, mais les personnes que nous avons auditionnées n’en ont pas connaissance – elle n’est pas forcément appliquée ni proposée. D’où l’importance d’impliquer les représentants syndicaux, car c’est le rôle du collectif d’informer et de protéger l’agent. Nous appelons donc le Gouvernement à rappeler dans le projet de loi les dispositions de la loi de 1983 et à faire en sorte qu’elles soient systématiquement appliquées.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1824 de la rapporteure et CS894 de M. Alexis Corbière.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. J’entends que la loi est méconnue et que le déclenchement de la procédure de protection fonctionnelle est trop long. L’amendement CS1824 tend à l’accélérer, sans présager de la décision formelle de protection fonctionnelle, subordonnée à la réunion des conditions de l’article 11 précité. Il s’agit de lever les obstacles, notamment administratifs, qui pourraient gêner la mise en œuvre immédiate de toute mesure utile de protection et de soutien prévue par les administrations. L’amendement consacre l’engagement de mesures d’urgence, dans les cas les plus graves d’un risque manifeste à l’intégrité physique de la personne, même en l’absence de demande formelle de l’agent.

Monsieur Vallaud, l’amendement vise bien l’ensemble de la fonction publique. Il mentionne la « collectivité publique » dans la mesure où il complète le IV de l’article 11 qui commence par ces termes.

La commission adopte l’amendement CS1824.

En conséquence, l’amendement CS894 tombe.

Elle est saisie de l’amendement CS1134 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de renforcer le régime de protection accordé aux fonctionnaires et de prévoir que les administrations et les collectivités soutiennent et assistent par tout moyen, y compris le recours à une aide psychologique, les agents publics déposant plainte lorsqu’ils ont été victimes d’un fait commis alors qu’ils exerçaient leur mission.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. L’amendement est satisfait par l’article 6 qui prévoit que les administrations, collectivités et établissements publics mettent en place un dispositif ayant pour objet de recueillir les signalements des agents et de les orienter vers les autorités compétentes en matière d’accompagnement, de soutien, de protection des victimes et de traitement des faits signalés.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1133 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Je sais que vous n’aimez pas cela, mais il s’agit de demander au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport établissant les moyens effectivement consacrés à la protection des agents publics, notamment en termes de prévention des attaques ou des menaces dont ils peuvent faire l’objet.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Avis défavorable. Trois mois, monsieur Vallaud !...

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

La commission examine l’amendement CS1437 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Le phénomène de radicalisation n’épargne aucun milieu social ou professionnel. Ainsi, la fonction publique française subit de plein fouet le développement de l’entrisme et des manifestations de séparatisme religieux. En mars 2020, le ministre de l’intérieur Christophe Castaner annonçait que plus de 287 signalements de radicalisation islamiste d’agents publics étaient parvenus à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) depuis le 3 octobre, date de l’attentat à la préfecture de police de Paris.

Reprenant une proposition de M. Diard et M. Poulliat, l’amendement vise à interdire l’accès à la fonction publique aux individus qui présenteraient des signes de radicalisation.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je comprends votre souci, mais les personnes radicalisées ne constituent pas une catégorie juridique et la radicalisation n’est pas une infraction pénale.

Je vous rassure, toutefois, le code de la sécurité intérieure prévoit déjà un système de criblage – une vérification de fichiers – avant l’embauche à certaines fonctions. Les collectivités publiques peuvent également saisir le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS) du ministère de l’intérieur pour réaliser une enquête préalablement à une embauche, une habilitation, une autorisation, un agrément ou une titularisation. Ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Tout dépend de qui vous visez, madame la députée. S’il s’agit d’un individu recensé au FIJAIT, il ne pourra pas être recruté ; s’il est déjà en poste, il perdra sans doute son emploi ; s’il s’agit d’un individu « signalé », nous avons un problème d’automaticité, car le fait de figurer dans un fichier de signalement n’est pas toujours synonyme de radicalisation. Certes, il ne faut pas laisser les signes faibles prospérer ; comme l’a dit la rapporteure, avec le SNEAS et la commission mise en place par la loi SILT la fonction publique a des outils pour se séparer de ces fonctionnaires.

Mme Anne-Laure Blin. Certes, la catégorie n’existe pas en droit et le signalement n’est pas un gage de radicalisation, donc de dangerosité. Mais pour protéger les usagers des services publics et rendre la fonction publique la plus étanche possible, il ne faut pas s’en tenir au seul FIJAIT mais couvrir tous les domaines.

Mme Constance Le Grip. Plusieurs amendements du groupe LR, visant à élargir les possibilités de criblage par le SNEAS des candidats à divers emplois dans les secteurs publics – ils s’inspiraient des préconisations de l’excellent rapport Diard-Poulliat –, ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45. J’espère que nous pourrons y retravailler d’ici à la séance et, bravant une nouvelle irrecevabilité, proposer des dispositions législatives utiles et opérationnelles.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1233 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Nous proposons, dans un délai plus long cette fois, que le Gouvernement remette un rapport sur l’effectivité de la protection fonctionnelle. Je connais votre position sur ce type d’amendement, madame la rapporteure, mais les rapports sont une modalité de contrôle de l’action gouvernementale. Il serait bon que le Gouvernement se demande si tout est bien mis en œuvre dans ce domaine.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure. Je regrette de terminer sur un avis défavorable… Il nous appartient, bien sûr, d’évaluer la politique du Gouvernement ; nous pouvons le faire dans un autre cadre que la demande de rapports, même s’il est vrai que les moyens mis à notre disposition sont parfois insuffisants.

M. Boris Vallaud. J’estime que le printemps de l’évaluation ne répond pas suffisamment aux préoccupations qui devraient être les nôtres.

La commission rejette l’amendement.

Chapitre II
Dispositions relatives aux associations

Avant l’article 6

La commission examine l’amendement CS1234 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Nous proposons de préciser que « Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du Gouvernement, est nulle et de nul effet. »

M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier. Vous souhaitez indiquer que l’article 3 de la loi 1901 s’applique aux associations cultuelles de la loi de 1905 et de la loi de 1907. Votre amendement est satisfait : les associations cultuelles ont pour objet exclusif l’exercice du culte et ne peuvent donc se donner un objet illicite, contraire aux lois ou aux bonnes mœurs. Par ailleurs, la police des cultes les soumet au respect de l’ordre public. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il ne semble pas que le rappel des dispositions de l’article 3 de la loi de 1901 constitue ici un apport fondamental.

La commission rejette l’amendement.

Les travaux, suspendus à dix-sept heures dix, reprennent à dix-sept heures vingt.

Article 6 : Signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations sollicitant ou bénéficiant d’une subvention au titre de l’intérêt général

La commission examine les amendements de suppression CS785 de M. Charles de Courson, CS897 de M. Jean-Luc Mélenchon et CS1136 de M. Boris Vallaud.

M. Olivier Falorni. S’assurer que les associations sollicitant l’octroi d’une subvention respectent les principes républicains est un objectif louable, auquel nous ne pouvons que souscrire. Mais nous craignons que cet article soit inefficace, voire contre-productif, d’où notre proposition de le supprimer.

D’abord, on pourrait l’interpréter a contrario et estimer que les associations ne souscrivant pas au « contrat » ne sont pas tenues de respecter les principes républicains, ce qui est paradoxal. Ensuite, on ne peut proprement parler de « contrat » – le ministre de l’intérieur l’a reconnu lors de son audition –, puisqu’il ne s’agit pas d’une négociation mais d’un acte unilatéral. En outre, les principes ne sont pas explicités et sont renvoyés à un décret en Conseil d’État. Or le caractère parfois incertain de principes comme la fraternité ou la sauvegarde de l’ordre public peut donner lieu à des interprétations différentes. Enfin, cette disposition paraît difficilement applicable puisqu’elle implique que chaque autorité ou organisme sollicité – y compris les petites communes – vérifie le respect par l’association de ces principes.

M. Alexis Corbière. Madame la ministre, vous nous avez expliqué que ce n’était pas aux parlementaires de rédiger le contrat, mais vous nous avez promis que nous aurions connaissance de son contenu à l’ouverture de nos travaux. Ce n’est pas le cas : en tant que législateur, jamais je ne voterais une disposition qui conditionne une subvention au respect d’un contrat dont je ne connais pas le contenu.

J’imagine que la discussion pourrait en rester là, mais allons au fond. Soit ce contrat d’engagement républicain réaffirme la loi et il est inutile, puisque les associations sont tenues de respecter la loi ; soit il va au-delà de la loi et il est illégal, puisqu’on ne peut demander aux associations de respecter autre chose que la loi.

Je crains que tout cela n’aboutisse à une ligne supplémentaire sur un formulaire CERFA, comme c’est le cas depuis 2014. Nous aurons beaucoup parlé, mais peu avancé, pour déboucher sur quelque chose de très général que toutes les associations signeront, même celles animées de mauvaises intentions. Nous serons revenus à la case départ, contraints de contrôler par les moyens du renseignement les associations qui utilisent à tort l’argent public. Et ce ne sera pas le contrat d’engagement républicain, un des grands totems de ce texte, qui réglera quoi que ce soit !

M. Boris Vallaud. Pour commencer, je n’ai pas l’impression, lorsque je lis l’avis du Haut Conseil à la vie associative ou que j’entends le mouvement associatif, qu’il y a eu concertation et qu’ils ont été entendus.

Ensuite, tout au long de son histoire mouvementée, la liberté d’association s’est exercée grâce au mécanisme déclaratif ; cela s’accommode mal de la notion de contrat, surtout lorsqu’il n’est pas synallagmatique. Le terme de « contrat » n’est donc pas fondé et le ministre de l’intérieur, lors de sa première audition, l’a reconnu. La République n’est pas un contrat qu’il serait loisible de dénoncer pour faire sécession, c’est un système de partage des valeurs, une éthique, une morale.

En outre, vous renvoyez le détail à un décret, ce qui est contraire aux recommandations du Conseil d’État, qui a estimé préférable que l’énumération de ces principes dans la loi ait un caractère limitatif.

Ce contrat est perçu comme un acte de défiance par les acteurs associatifs qui ont besoin d’être soutenus – Le Mouvement associatif a fait paraître une tribune titrée « Associations présumées coupables ? ». De plus, son utilité semble douteuse puisque la charte d’engagement réciproque, qui avait fait l’objet d’une large concertation, existe depuis 2014 et que toute association qui sollicite une subvention doit la signer.

Le contrat renferme un venin potentiel : la notion de sauvegarde de l’ordre public. Cette notion est floue, sa qualification aléatoire. De nombreux acteurs associatifs ont souligné le risque de voir requalifiées comme délits un certain nombre d’activités militantes dans le domaine de l’exclusion ou de l’accueil d’étrangers.

La disposition pose, par ailleurs, un problème de proportionnalité – qui s’agit-il de combattre ? Enfin, pourquoi ne s’applique-t-elle qu’aux associations, et pas aux fondations ou aux sociétés civiles et commerciales ?

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je tiens à préciser que ce sont les modalités d’application qui sont renvoyées à un décret en Conseil d’État. Le Gouvernement s’est déjà entendu avec le Conseil d’État sur les principes à retenir ; il a fait des concessions.

Par ailleurs, les principes fondamentaux de la République sont définis – une question prioritaire de constitutionnalité de 2018 a porté sur la fraternité et l’a notamment définie comme principe à valeur constitutionnelle– et ne sont pas aussi flous qu’on pourrait le penser. J’entends que la sauvegarde de l’ordre public soulève des questions, nous en parlerons ultérieurement.

Rayer d’un trait le contrat d’engagement républicain, ce serait en rester au statu quo. Or, face aux problèmes qui se posent, nous devons réagir et poser des actes. Si nous votons ce texte, les associations qui ne respectent pas les principes républicains pourront voir leurs subventions retirées. C’est un engagement fort : plus un euro d’argent public ne servira à mener des actions contre la République.

Enfin, le contrat d’engagement républicain n’altère en rien le principe de la liberté d’association. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis. Le contrat d’engagement, fruit de plusieurs années de travail et de réflexion, s’inspire notamment de la charte que j’ai mise en place dans mes précédentes fonctions, qui a été très bien acceptée et ratifiée sans aucun problème par l’ensemble des associations financées par l’État dans le champ de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je vous avais indiqué que je vous transmettrai le texte du contrat, mais pas avant l’examen en séance publique. Je poursuis, avec ma collègue Sarah El Haïry, les consultations ; la concertation est en cours !

Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur le monde associatif ; non seulement il est, dans son immense majorité, respectueux des principes républicains mais il est souvent très engagé dans leur défense et leur promotion. Il s’agit de répondre à une demande des élus locaux, comme la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, dont la charte de la laïcité a été contestée en justice, ou le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, qui a été menacé d’une action en justice pour avoir tenté d’élaborer une telle charte. Pour soutenir les élus locaux qui combattent avec courage le séparatisme et font la promotion des principes de la République, il faut qu’un tel document entre dans la loi, devienne inattaquable dans sa mise en œuvre et fasse consensus. La rédaction de ce contrat est en cours ; les propositions des parlementaires sont évidemment les bienvenues.

J’ajoute qu’il semble singulier de demander la suppression de cet article tout en proposant d’en appliquer les dispositions aux fondations. Enfin, alors que tout le monde nous assurait que le contrat d’engagement serait retoqué par le Conseil d’État, je note que la rédaction de cet article a été validée.

M. Boris Vallaud. Que nous examinions un texte faisant encore l’objet de consultations est ennuyeux et prouve que vous n’êtes pas tout à fait prêts. Par ailleurs, la charte des engagements réciproques existe déjà ; elle a été négociée et fait consensus. Nous pourrions nous appuyer sur ce texte, ainsi que le proposent Le Mouvement associatif et le Haut Conseil à la vie associative – qui a été consulté préalablement.

Sur le terme de « contrat », je vous invite à consulter le compte rendu de l’audition du ministre de l’intérieur : M. Darmanin a reconnu qu’il était « sans doute impropre ». Par ailleurs, toujours lors de son audition, le ministre a expliqué que le Conseil d’État avait évoqué de façon générale les principes républicains et que le décret les arrêterait dans le détail, éclairé par les débats parlementaires. On comprend bien que le décret arrêtera le détail des principes républicains. Il est fondamental de savoir ce qui sera dans la loi et ce qui figurera dans le contrat.

Mme Caroline Abadie. On emploie le terme de « contrat », mais il est clair que l’on n’ira pas devant le tribunal de commerce pour ce type de litige ! Il ne s’agit pas d’un engagement unilatéral, mais bien d’un engagement de deux parties – l’une subventionne, l’autre qui respecte ce qui est écrit. J’ai aussi entendu qu’un tel contrat était inutile puisque le respect de la loi s’imposait à tous. Certes, mais en l’état du droit, aucun texte ne prévoit la restitution des subventions publiques lorsqu’une association n’a pas respecté ces principes.

M. Pierre-Yves Bournazel. Nous voterons contre ces amendements car nous sommes attachés à cet article, que nous entendons renforcer. Nous proposerons par amendement de former les cadres associatifs au principe de laïcité et à la lutte contre les discriminations.

Les associations sont essentielles dans notre société. Elles assument un rôle de cohésion sociale, d’émancipation individuelle dans le soutien scolaire dans la culture, le sport et dans bien d’autres domaines. Si, dans leur immense majorité, elles respectent les principes de la République, de nombreuses enquêtes journalistiques et études universitaires ont montré que certaines associations – et souvent leurs gérants – les violent. On ne peut pas faire semblant et se satisfaire de la liberté d’association, même lorsqu’elle concourt à discriminer des citoyens. Il faut affirmer haut et fort que le contrat d’engagement républicain consolidera le respect des principes de la République. L’adhésion aux principes de la République n’est pas une option !

M. François Pupponi. Il faut poser un acte pour remédier au problème des associations qui ne respectent pas les lois de la République. Depuis le début, j’alerte sur une difficulté qui ne manquera pas de se poser s’agissant des financements obtenus dans le cadre de la politique de la ville, car ils sont souvent croisés. Il risque donc d’y avoir jusqu’à cinq contrats sur une même association et des financeurs qui demanderont le remboursement, tandis que d’autres considéreront que l’association respecte bien les valeurs républicaines. Qui décidera alors ? Il vaut mieux anticiper et trouver une solution d’ici à la lecture en séance.

Mme Annie Genevard. Qui dit « contrat », dit « réciprocité ». Le terme suggère que, dès lors qu’une association respecte les principes républicains, elle a droit à des subventions. Par ailleurs, qu’en est-il des associations qui ne sollicitent pas de subventions, et qui ne respectent pas les principes républicains ?

M. Boris Vallaud. Qu’une association soit ou non subventionnée, elle doit respecter les principes républicains ; cela ne souffre pas de discussion. Nous avons recherché ce qui nous paraissait être un équilibre acceptable et nous défendrons des amendements en ce sens. La charte de 2014, qui a été négociée, vise bien le respect des principes et des valeurs républicaines.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Olivier Falorni à l’instant, Charles de Courson lors des auditions, ont dit que la République n’était pas un contrat, mais plutôt une adhésion. Je pense, au contraire, que chacun d’entre nous, en tant que citoyen, passe un contrat avec la République, un contrat fait de droits et de devoirs. C’est le sens même de la citoyenneté – ce qui la distingue, d’ailleurs, de la communauté. Lorsque l’appartenance religieuse devient un élément de la citoyenneté, justifiant des droits spécifiques, alors il y a rupture de contrat avec la République.

À l’attention de Boris Vallaud, je rappellerai que le contrat comportera très clairement les principes d’égalité, de liberté, de fraternité, ceux qui appartiennent au bloc de constitutionnalité. L’apport fondamental de l’article 6 ne réside pas dans la définition des principes qui figureront dans le contrat d’engagement républicain, mais dans l’obligation faite à l’autorité publique de retirer ou de refuser des subventions à une association qui violerait ces principes. Supprimer l’article 6 serait une grave erreur, car les dispositions qu’il contient visent précisément à consolider ce qui nous lie à ces principes, et que nous partageons tous ici.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame Genevard, le contrat d’engagement républicain ne serait pas le seul outil qui nous permette de contrôler les associations, et dans le cas d’espèce, celles qui ne demanderaient pas de subventions. Les cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) examinent, autour du préfet, du procureur, des services de l’État – éducation, sports, etc. –, les dossiers problématiques. C’est leur travail de terrain qui a conduit à la fermeture de lieux où l’islamisme prospérait.

Monsieur Vallaud, vous avez fait référence à plusieurs reprises à la charte de 2014. Celle-ci n’a ni valeur juridique ni valeur réglementaire et elle ne pourrait servir de fondement à un arrêt de la subvention, encore moins à son remboursement. Nous devons nous réjouir de voir entrer dans la loi le contrat d’engagement, qui donne davantage de pouvoirs. Je ne suis pas particulièrement attachée au terme de « contrat », mais il comporte bien l’idée d’engagement réciproque : chacun fait un pas vers l’autre.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le ministre de l’intérieur est aussi le ministre des libertés publiques. La liberté d’association étant une liberté fondamentale, nous avons dû nous poser la question de la constitutionnalité des articles 6 et 7, avant même leur rédaction. Fort heureusement, le Conseil d’État a considéré qu’il n’y avait pas de droit automatique à la subvention et que le fait de refuser ou de retirer une subvention ne constituait pas une atteinte à la liberté d’association.

Cela ne signifie pas qu’une association non subventionnée doive répondre aux mêmes critères qu’une association subventionnée. La démocratie a cela de supérieur à la dictature qu’elle n’interdit pas de créer une association dont le but serait de lutter contre les valeurs de la République – c’est le cas de l’Action française ou du parti royaliste – ou même de changer le modèle d’organisation de la société. S’il est heureusement possible de contester la création d’associations dont les buts seraient séditieux, il faut accepter que des associations militent pour un autre modèle que celui que nous défendons – s’il n’y avait pas d’alternative, la République deviendrait le but de l’histoire.

Si je devais résumer notre logique, je dirais que la subversion ne peut pas vivre de subventions. Le parti pris de l’article 6, c’est d’exiger le respect des principes républicains – le Conseil d’État nous a fait retirer les valeurs –, en contrepartie de l’argent public. Nous devons aussi respecter la liberté d’association et accepter qu’il existe des associations qui militent pour un autre modèle : c’est ce qui fait le supplément d’âme de la démocratie. Toutes les associations doivent respecter la loi, mais respecter la loi ne signifie pas que l’on ne puisse pas militer pour en changer – c’est le propre des partis politiques, et ce n’est pas à Alexis Corbière que je l’apprendrai.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CS906 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Selon la Défenseure des droits, ce projet « opère un retournement en mettant les associations dans une position où il ne leur est plus simplement demandé de ne pas commettre d’infraction, mais aussi de s’engager positivement et explicitement, dans leurs finalités », notamment en respectant le principe de « sauvegarde de l’ordre public », ce qui est délicat : autant les associations doivent respecter la loi, autant on peut se demander si tel est leur rôle. En ont-elles seulement les moyens ?

M. Éric Poulliat, rapporteur. Votre amendement ne mentionne pas la question de l’ordre public, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. Vous proposez, en fait, de remplacer le contrat d’engagement républicain par une convention d’objectifs, mais il y en a déjà beaucoup. Non seulement cet amendement ne modifierait en rien la situation existante, mais vous interdiriez toute possibilité de retrait de subventions. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1139 de Mme Cécile Untermaier, CS1137 de Mme Marietta Karamanli, CS1138 de M. David Habib et CS1454 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. L’amendement CS1139, inspiré par les propositions de la Fédération protestante de France, vise à réécrire cet article 6 en supprimant la notion de contrat d’engagement républicain, ce qui n’affaiblirait ni le sens ni la portée de votre proposition. Je reviendrai le cas échéant sur les autres amendements du groupe Socialistes et apparentés.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. Nous avons déjà évoqué la suppression d’un échelon de contrat et nous parlerons bientôt de la question de l’ordre public.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis. Ces amendements ne formulent aucune contre-proposition claire et n’ont aucune portée juridique ou pratique.

M. Jean-Paul Mattei. La relation entre une autorité administrative et une association est bien de nature contractuelle. Elle me semble particulièrement pertinente vis-à-vis des adhérents, qui doivent prendre conscience des engagements pris par l’association bénéficiaire de la subvention : l’effet pédagogique est majeur.

M. Boris Vallaud. Je précise que nos amendements prévoient également une extension du contrat à toutes les personnes morales qui reçoivent des subventions publiques.

M. Éric Poulliat, rapporteur. S’agissant de l’amendement CS1137, la suppression de la mention de l’ordre public serait une erreur, de même que le remplacement de la notion de contrat par celle de charte, qui n’a aucune portée juridique et n’est pas opposable.

M. Boris Vallaud. C’est un peu court. Pourquoi d’autres personnes morales sont-elles dispensées de signer ce contrat ? Les chartes, quant à elles, n’ont en effet pas de valeur juridique tant qu’elles ne sont pas intégrées dans l’ordre positif mais, lorsque c’est le cas, elles sont opposables. La charte négociée en 2014 semble faire consensus. L’ensemble du mouvement associatif continue de se poser de telles questions, que je relaie.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’élargissement du champ des signataires ne nous semble pas opportun. Les sociétés commerciales, les fondations obéissent déjà à des dispositions assez contraignantes dès lors que de l’argent public est engagé.

Nous proposons un tel contrat parce que les élus locaux l’appellent de leurs vœux et qu’ils s’en réjouissent, soit parce qu’il leur est difficile, politiquement ou juridiquement, d’assumer la rédaction d’une charte ou d’un contrat, soit parce que celle-ci est continuellement l’objet d’actions en justice. Or il relève de la responsabilité du Gouvernement de protéger les élus qui se démènent pour faire respecter la laïcité et les principes de la République en donnant valeur de loi à ce contrat.

Je m’étonne, de plus, d’une application à géométrie variable du terme de négociation : les principes républicains ne sont pas négociables et la charte de 2014 a toutes les vertus parce qu’elle a été négociée. Nous ne sommes pas en train de négocier mais de concerter. Certaines associations ont considéré que les consultations n’ont pas été assez loin mais elles ne sont pas terminées – nous avons eu besoin des premiers retours du Conseil d’État afin de pouvoir poursuivre nos échanges sur la base d’un texte de loi. Les concertations se poursuivent avec le monde associatif mais aussi avec les élus locaux. Avec le ministre de l’intérieur, nous avons reçu à plusieurs reprises les représentants de l’Association des maires de France (AMF) et, avec ma collègue Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, nous poursuivrons d’autres cycles de consultations avec les élus, notamment, les maires, afin de travailler au déploiement de ce contrat, qui pourra être joint au CERFA.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1277 et CS1278 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Il convient de distinguer, parmi le 1,5 million d’associations que compte notre pays, celles auxquelles l’État reconnaît, par un agrément, une qualité particulière. Celles-ci ne doivent pas être tenues de signer un contrat supplémentaire. En cas de manquement, il revient à l’État de retirer l’agrément et, ainsi, de retirer les moyens publics dont l’association bénéficiait.

Par ailleurs, les fédérations sportives pouvant déléguer leur agrément aux associations qui en sont membres doivent bénéficier de la même disposition.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je partage une telle logique, car nous sommes animés par une volonté de simplification, mais je suis défavorable à ces amendements pour des raisons pratiques. Leur adoption entraînerait un risque juridique : en dispensant les associations agréées de s’engager à respecter les principes du contrat, on perdrait la possibilité de leur retirer une subvention. Je vous propose de les retirer et de réfléchir à une rédaction différente.

M. Yves Blein. Je les retire donc, dans l’attente d’une proposition d’amendement permettant d’aller en ce sens et d’identifier l’ensemble des associations agréées.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1279 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Il s’inscrit dans la même logique pour les associations reconnues d’utilité publique.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable, car la signature du contrat d’engagement, pour des raisons symboliques et pratiques, doit rester la norme pour toute association qui demande une subvention publique. Il importe de pouvoir retirer une subvention.

La procédure de reconnaissance d’utilité publique prend en compte plusieurs critères, dont l’objet d’intérêt général, la gestion désintéressée, le fonctionnement démocratique. Or ces critères ne comprennent pas les principes du contrat d’engagement républicain.

M. Yves Blein. Je retire l’amendement, même si la question des critères, sur laquelle nous reviendrons à l’article 7, est importante.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS438 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Les fondations doivent également signer le contrat d’engagement républicain. Même si je n’ai pas osé aller jusque-là, les fonds de dotation qui demandent une salle publique pour se réunir devraient également le faire.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le régime juridique des fondations diffère de celui des associations, mais elles peuvent percevoir des subventions de l’État, des collectivités, ou des avantages matériels. Il me semble donc légitime de les inclure parmi les organismes signataires. Avis favorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cela ne nous semble pas nécessaire, les fondations étant déjà soumises à un certain nombre de contrôles. Néanmoins, avis de sagesse.

M. Jean-Paul Mattei. Nous évoquons une relation contractuelle entre l’autorité administrative et l’association, avec des clauses précises, non un engagement abstrait. Une telle extension me semble donc opportune.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS893 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je propose que les associations loi 1901 qui relèvent d’une activité cultuelle ne soient pas soumises à la signature du contrat lorsqu’elles demandent une subvention pour cette activité.

De nombreuses communes prêtent des salles municipales à des associations qui exercent un culte à l’occasion de grandes fêtes religieuses. Un fait religieux se déroule donc dans un lieu public. Les femmes peuvent y être séparées des hommes, par exemple, par un drap, et pas uniquement dans le culte musulman. Le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes n’y est donc pas particulièrement respecté. Considère-t-on pour autant que ces associations le respectent si elles ont signé le contrat ? Un maire risque de refuser le prêt d’une salle sur ce motif, même si la jurisprudence du Conseil d’État reconnaît qu’une municipalité a le droit de prêter un équipement public pour l’exercice d’un fait religieux dans des conditions très particulières.

M. Éric Poulliat, rapporteur. La rédaction de cet amendement et sa présentation ne concordant guère, je me tourne vers le Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’argumentation de M. Pupponi est très convaincante. Il n’est pas anormal que la collectivité publique prête des lieux publics, par exemple des gymnases ou des stades, pour que, ponctuellement, s’y déroulent des offices religieux. Je trouve choquant non pas qu’une salle soit prêtée, mais que les femmes et les hommes y soient séparés, même si certains cultes l’imposent.

Les collectivités locales procèdent-elles ainsi suite à un « arrangement » qui ne passe par le contrôle de légalité ? Le préfet a-t-il, dès lors, son mot à dire ? Inscrire une telle disposition dans la loi entraînerait-elle une interdiction générale ?

Je me vois mal émettre un avis défavorable à votre amendement même s’il me paraît plus sage d’en retravailler la rédaction et de le réexaminer en séance publique. Il serait assez étonnant de refuser le subventionnement pour des raisons liées au contrat d’engagement républicain tout en acceptant de prêter des salles, ce qui constitue une forme de subvention, alors que les femmes et les hommes sont séparés pour des raisons cultuelles qui ne regardent pas la République. À titre personnel, je suis favorable au principe de cet amendement.

M. Alexis Corbière. C’est un sujet sensible. Quoi qu’il en soit, je ne suis pas convaincu que le prêt d’une salle équivaut à un subventionnement. Il est possible de prêter un gymnase à ses opposants politiques pour qu’ils s’y réunissent sans pour autant considérer qu’on les subventionne.

Le libre exercice du culte peut supposer que, par exception, tel ou tel local soit mis à disposition des fidèles. Dès lors, le déroulement du culte lui-même ne dépend pas des lois de la République. Moi aussi, je considère qu’il est choquant de séparer les femmes et les hommes, mais des religieux peuvent aussi fort bien juger que l’avortement est intolérable. Nous ne devons pas nous mêler du déroulement des cultes, sauf si, bien sûr, il est prétexte à des appels à la haine.

M. Jean-Christophe Lagarde. Notre collègue Pupponi met le doigt sur une grande hypocrisie de la République. Il est évident que le prêt d’une salle relève du subventionnement. La République est censée ne subventionner aucun culte mais elle le fait depuis longtemps ! Nous nous sortirions de cette difficulté en considérant que de tels prêts ne sont plus possibles – c’est d’ailleurs ce que j’ai toujours fait comme maire –, sauf ceux consentis à titre onéreux. Dans ce cas-là, ne soyons pas faux-culs en jugeant que les principes de la République doivent être contractualisés ! À titre gratuit, le prêt enfreint les lois sur la laïcité. Le caractère exceptionnel a bon dos pour des fêtes qui peuvent durer jusqu’à quarante jours ! Il n’y a pas à soumettre les élus à des pressions qu’il est possible d’éviter.

M. Gérald Darmanin, ministre. La laïcité ne constitutionnalise pas le non-subventionnement. Selon le Conseil constitutionnel, c’est le principe de non-reconnaissance des cultes et la reconnaissance de leur pluralité qui sont constitutionnels. Seul le législateur peut revenir sur le principe de subventionnement des cultes. Les articles 1er et 2 de la loi de 1905 n’ont pas la même force juridique.

Pour les 92 % d’associations du culte musulman qui relèvent de la loi de 1901, il est logique de pouvoir procéder à des prêts de salle – ce qui, selon le code général de la propriété des personnes publiques, relève du subventionnement – et ce n’est pas contradictoire avec le principe de laïcité, la loi pouvant modifier les exceptions qu’elle a prévues à la règle générale.

Les maires peuvent également mettre à disposition des salles à titre gratuit, monsieur Lagarde, si les délibérations du conseil municipal le prévoient pour tout le monde, cultes religieux ou partis politiques.

Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur Corbière : nous devons nous intéresser à ce qui se fait dans l’exercice d’un fait religieux. Nous avons le droit de poser un certain nombre d’exigences qui, si elles sont jugées disproportionnées, peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif.

M. Alexis Corbière. J’ai dit qu’il n’était pas question de se mêler du dogme.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il n’est pas question d’instaurer une police de la pensée mais d’observer ce qui se fait. Je ne pense pas que M. Pupponi veuille absolument que les femmes et les hommes ne soient pas séparés et que la police municipale vienne vérifier si tel est bien le cas. La question est de savoir si la présence d’un marqueur physique de séparation est ou non acceptable. Je suis d’accord avec lui pour considérer que le texte n’intègre pas ce genre de disposition.

M. François Pupponi. Je suis favorable au drap !

M. Gérald Darmanin, ministre. Eh bien, nous ne sommes pas d’accord !

Avis défavorable.

M. le président François de Rugy. L’amendement de M. Pupponi est très clair : il doit être possible de continuer à mettre à disposition des salles municipales, gratuitement ou pour des sommes modiques, à des associations qui les utiliseront pour l’exercice d’un culte qui ne contrevient pas à l’engagement républicain. Le drap fait en l’occurrence partie de l’exercice du culte !

M. Gérald Darmanin, ministre. La présentation de M. Pupponi ne concordait pas avec la lettre de son amendement.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Selon la jurisprudence, la pratique d’un culte n’est pas un obstacle à la mise à disposition d’une salle, mais cela ne constitue pas pour autant un blanc-seing. La République n’a pas à fermer les yeux sur ce qui s’y passe, au contraire ; c’est même tout l’objet de ce projet de loi. La liberté d’expression n’a jamais été absolue : les propos antisémites ou l’appel à la haine des femmes sont prohibés.

M. Alexis Corbière. Évidemment, mais c’est la loi qui l’interdit.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Certes, mais vous avez dit tout à l’heure que la République n’avait pas à se mêler du déroulement d’un culte…

M. Alexis Corbière. Dès lors qu’il respecte la loi !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. …et je ne suis pas d’accord avec vous. Des élus locaux ont prêté leurs salles à des organismes qui proposaient des « thérapies de conversion » à destination de jeunes LGBT+, voire des exorcismes, et ils souhaitent que cela ne soit plus possible.

M. Alexis Corbière. En l’occurrence, ce sont des dérives sectaires et c’est illégal !

M. François Pupponi. Mon amendement me semble correctement rédigé : une association n’est pas obligée de signer le contrat d’engagement républicain dans le cadre de son activité cultuelle. L’exercice d’un culte peut imposer la séparation entre les femmes et les hommes, y compris par un marqueur physique, et cela relève de la liberté de culte. Dès lors que l’on prête un lieu public pour l’exercice d’un culte, il faut accepter les règles du culte.

Mme Marine Le Pen. On n’aura le droit de violer la loi que dans les espaces publics loués !

M. Frédéric Petit. Le responsable du séminaire de ma ville m’a demandé de lui prêter un local pour que les séminaristes viennent suivre leurs cours, pendant quinze jours, dans un quartier difficile. Que devais-je faire ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Ce n’est pas pour l’exercice d’un culte.

M. Frédéric Petit. Ce n’est certes pas tout à fait pareil.

Je vous invite à rédiger l’amendement afin que, lors de la signature du contrat, ces associations mixtes soient tout de même invitées à s’engager, quitte à adapter ledit contrat. Il est possible d’être républicain et séminariste.

M. Jean-Baptiste Moreau. Cet amendement excède la question de la location de salles et revient, sinon à supprimer l’article 6, du moins à l’affaiblir considérablement. Si le contrat ne s’applique pas aux associations cultuelles, à quoi sert-il ? Je suis totalement opposé à cet amendement, en tout cas tel qu’il est rédigé.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il me semble que nous dérivons bien loin de l’article 6. Cet article porte sur les associations recevant des subventions publiques, ce qui exclut les associations cultuelles relevant de la loi de 1905. Cela n’empêche pas les baux emphytéotiques ni le prêt de salles. Monsieur Lagarde, aujourd’hui, un maire qui refuserait un tel prêt pour l’exercice d’un culte pour ce seul motif n’en aurait pas le droit, et le juge administratif casserait une telle décision.

Un certain nombre de pratiques dans l’ordre des cultes ne sont en effet pas conformes à l’esprit de l’égalité entre les hommes et les femmes. Ainsi certains d’entre eux réservent-ils leur ministère à des hommes. À l’évidence, nous n’allons pas le leur interdire ; en revanche, nous veillerons à ce que des propos incitant à la discrimination entre les hommes et les femmes le soient.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS895 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Avec cet amendement d’appel, je propose de soumettre au principe de neutralité les associations encadrant des mineurs qui obtiennent des financements publics. Il serait paradoxal que les enfants évoluent à l’école dans un cadre de neutralité, mais plus à partir de 16 h 30, une fois récupérés par celles qui organisent leurs activités périscolaires. Je pense, en particulier, à celles qui le font dans le cadre du Programme de réussite éducative (PRE), qui est financé par l’État.

La République doit être cohérente. On sait très bien que les réseaux que cette loi cherche à combattre investissent tout le champ éducatif et du soutien scolaire pour être présentes dans un certain nombre de territoires. D’où la proposition que les associations agréées pour l’accueil des mineurs s’engagent à respecter le principe de neutralité.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Si je comprends la préoccupation relative au temps périscolaire des mineurs, imposer la neutralité aux associations concernées se heurte à un obstacle majeur. Soit elles interviennent dans le cadre d’une délégation de service public et exercent une mission de service public, auquel cas la neutralité concernera ce dont nous avons débattu aux articles précédents ; soit ce n’est pas le cas, et la neutralité serait imposée à une partie du champ associatif, ce qui me semble attentatoire à la liberté d’association. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il faut distinguer la délégation de service public, auquel cas la neutralité religieuse des encadrants s’imposerait, et les associations, comme les scouts, qui organisent des activités et des colonies de vacances. Il n’est pas ici question d’en interdire le soutien, or c’est l’effet de bord que pourrait avoir cet amendement s’il était adopté. D’où notre demande de retrait, sinon, de rejet.

Pour autant, un travail de contrôle est accompli localement par les CLIR, notamment auprès des associations d’aide aux devoirs, à l’issue duquel plusieurs ont été dissoutes.

M. François Pupponi. Des associations liées à l’islam radical, proches des Frères musulmans et faisant du soutien scolaire dans les quartiers, sont parfois financées par l’État. J’en avais saisi la direction départementale de la jeunesse et des sports (DDJS), mais personne n’est jamais venu vérifier.

Il y a bien trop d’associations à contrôler pour que les municipalités puissent espérer mettre un terme à cette situation par ce biais. Essayons de trouver une solution autre que le contrôle.

M. François Darmanin, ministre. Nous partageons tous votre préoccupation, mais elle ne relève pas de l’article 6 : il faut juste dissoudre ces associations le cas échéant. Une novation du texte permettra même de les suspendre, de façon à éviter la lourdeur de la dissolution prononcée en Conseil des ministres.

Vous risquez d’exposer à un effet de bord des associations qui ne posent pas de problème à la République, même si les statuts des scouts ne sont par exemple pas très laïques, alors que vous visez des situations qui relèvent de la suspension de la vie associative. Si vous avez des associations à nous signaler, n’hésitez pas le faire ; nous menons en ce moment un très gros travail de dissolution.

L’amendement est retiré.

La commission examine les amendements identiques CS492 de M. Saïd Ahamada et CS1577 de Mme Florence Granjus.

M. Saïd Ahamada. Il s’agit d’élargir le champ d’application de l’engagement républicain aux associations qui ne sollicitent pas de subventions publiques, pour ne pas laisser penser que celles-ci n’auraient pas à respecter les principes républicains. D’ailleurs, celles qui sont susceptibles de prôner le séparatisme évitent de demander des subventions publiques. En ne visant que celles qui en demandent, on risque de taper à côté.

M. Éric Poulliat, rapporteur. La liberté d’association, principe de valeur constitutionnelle, n’est soumise ni à une autorisation ni à un contrôle a priori de l’autorité administrative. Votre proposition ajouterait, au moment de la création, des formalités autres que la simple déclaration aujourd’hui requise. C’est déjà un obstacle assez important.

Ensuite, l’efficacité du dispositif repose sur la subvention en échange de laquelle l’association s’engage à respecter le contrat.

Par ailleurs, l’article 3 de la du 1er juillet 1901 prévoit que « Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes mœurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet. »

En outre, l’article 8 du projet de loi a pour objet d’améliorer la procédure de dissolution des associations.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’objectif du contrat d’engagement est avant tout de permettre à l’État et aux collectivités de mettre fin à des subventions, voire d’en exiger le remboursement. Quel serait l’intérêt de l’étendre aux associations non subventionnées ?

Par ailleurs, la plupart du 1,5 million d’associations actives en France sont autonomes, ne demandent jamais de subventions et sont si petites qu’elles ne seraient pas en mesure de solliciter un tel contrat. L’amendement créerait beaucoup de paperasserie qu’elles auraient du mal à gérer, et la disposition serait, par conséquent, inopérante. L’intention est louable, mais le Gouvernement est défavorable.

Mme Coralie Dubost. C’est une très bonne question qui est posée là. Autant je suis favorable à demander aux associations, subventionnées ou non, de respecter les principes républicains, autant je suis gênée lorsque l’on présente ce respect comme la contrepartie d’une subvention. La République se respecte parce que l’on remplit une mission d’intérêt général dans le cadre de l’action publique.

M. Jean-Christophe Lagarde. Si une association monarchiste a droit de cité dans notre pays, lui demander d’adhérer à la République irait à l’encontre de son objet.

D’une certaine façon, l’article 6 est une arme mise dans les mains des élus en cas de dérapage.

Par ailleurs, l’État n’a pas toujours été exemplaire. Il lui est arrivé de subventionner des associations discutables en termes de respect des lois républicaines, certaines intervenant, de surcroît, alternativement dans le champ public et dans le champ privé. L’État doit également faire le ménage de ce point de vue.

M. Alexis Corbière. Nul dans cette salle ne connaît le contenu du contrat d’engagement républicain. Cela donne à notre discussion un aspect complètement lunaire.

Le principe de libre association n’implique pas de respecter et d’aimer la République. On a le droit d’être monarchiste, mais aussi anarchiste ; on a le droit, comme les motards en colère ou les opposants au droit à l’avortement, de s’organiser pour défaire une loi. Ne remettons donc pas en cause l’esprit même de la loi de 1901 : la libre association !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Le contrat d’engagement républicain est défini à l’alinéa 2 – c’est la devise républicaine, qui recouvre les autres principes ; ses modalités d’application feront l’objet d’un décret. Le plus important n’est pas tant la définition que l’obligation qui en résulte pour l’autorité publique concernée de refuser ou de retirer une subvention parce que les principes de la République ne seraient pas respectés. C’est cela la cible !

S’agissant des impératifs, l’article 3 de la loi de 1901 définit déjà considérablement ceux qui s’imposent à toute association. Par ailleurs, nous pouvons assumer que les financements publics aient des contreparties : cela ne me paraît pas totalement hallucinant.

La commission rejette les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CS383 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Il vise à élargir l’obligation de signer le contrat d’engagement républicain aux associations bénéficiant d’un crédit d’impôt. Il en est qui n’ont pas de lien avec une quelconque religion, qui sont reconnues d’utilité publique mais qui ne respectent pas toujours les principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité ni l’ordre public.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Certaines, parmi ces associations, sont subventionnées : elles seront donc automatiquement soumises au principe du contrat d’engagement républicain. Pour les autres, il y a la procédure du rescrit fiscal, mais elles ne la suivent pas toutes. En réalité, l’administration n’a pas les moyens de savoir combien de reçus sont délivrés – les moyens de contrôle seront abordés à la fin du chapitre. Pour les obliger à s’engager à respecter les principes du contrat d’engagement, il faudrait revoir profondément le système de réduction d’impôt.

L’amendement nécessite d’être rédigé de façon plus précise : en l’état, j’y suis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS567 de M. Éric Ciotti et CS238 de Mme Olga Givernet.

M. Éric Ciotti. Cette proposition de l’amendement CS567 est soutenue par l’Association des maires de France. Il s’agit d’étendre la notion de subvention à toutes les formes d’aide en nature, notamment aux prêts de salle ou de matériels.

Mme Olga Givernet. En cas de rupture de contrat, une commune devrait pouvoir retirer une autorisation accordée pour un événement sur la voie publique. Tel est l’objet de l’amendement CS238.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’amendement d’Éric Ciotti me semble satisfait par l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, dite DCRA, que tend à modifier l’article 6 : toute aide en nature est considérée comme une subvention.

Selon la même logique, l’accès à la voie publique constitue une aide en nature. Je suis donc également défavorable à l’amendement d’Olga Givernet.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Ces amendements nous semblent également satisfaits. Dans la mesure où les subventions sont définies, à l’article 9-1 de la loi DCRA, comme « les contributions facultatives de toute nature », la mise à disposition de salles en fait partie. Très souvent, d’ailleurs, les municipalités y attribuent un équivalent tarifaire. Demande de retrait.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS666 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il s’agit de restreindre le champ d’application de la mesure aux seules autorités administratives attribuant les subventions. Y inclure les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial (SPIC) fait courir un risque de contrevenir aux principes de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’association.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. Ces organismes sont inclus dans la loi du 12 avril 2000, que l’article 6 propose de modifier.

M. Charles de Courson. Que faites-vous d’un établissement public industriel et commercial comme la SNCF, dont les services sont à 5 % publics et à 95 % non publics ? Est-ce à dire qu’elle ne pourra plus subventionner sans signer de contrats d’engagement républicain ? Pour éviter l’énorme problème que posent les structures mixtes, je propose de les exclure.

M. le président François de Rugy. Le cas de la SNCF est clair. Elle-même subventionnée, elle accorde des subventions : il ne serait pas aberrant que lui soit appliqué le contrat d’engagement républicain.

M. Charles de Courson. La SNCF est un mauvais exemple, mais il y en a d’autres.

M. le président François de Rugy. Dans les collectivités locales, un très grand nombre de sociétés d’économie mixte, notamment dans le secteur des transports, sont subventionnées pour leurs activités de service public et sont elles-mêmes amenées à subventionner des associations. Il est logique que le contrat d’engagement républicain leur soit applicable.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Peu importe la part de l’activité, si une entité accorde une subvention, elle entre dans le champ de l’article et le contrat d’engagement républicain doit être la règle.

M. le président François de Rugy. Cette règle générale est claire et s’applique aux organismes concernés.

M. Charles de Courson. Pouvez-vous me citer tous les organismes entrant dans ce champ ? Et qui va contrôler tout cela ?

M. le président François de Rugy. Pour reprendre une formule célèbre, ici personne n’est le maître et personne n’est l’élève.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS274 de M. Julien Ravier, CS1281 et CS1275 de M. Yves Blein, CS298 de M. Xavier Breton, CS668 de M. Charles de Courson, CS902 de M. Alexis Corbière, les amendements identiques CS279 de M. Julien Ravier et CS1178 de M. Jean-Christophe Lagarde, ainsi que l’amendement CS151 de M. JeanFrançois Eliaou.

M. Julien Ravier. Je suis très favorable à la conditionnalité des subventions publiques au respect des principes républicains par les associations, ainsi qu’à la capacité de l’autorité administrative de retirer ou demander la restitution d’une subvention. De mon point de vue, cela n’entraîne pas d’obligation de réciprocité de la part de celle-ci. C’est pourquoi l’amendement CS274 vise à écarter la notion de contrat, qui a été largement contestée lors de nos auditions, au profit de celle, plus appropriée, d’engagement républicain.

M. Yves Blein. La discussion ayant déjà eu lieu, je retire l’amendement CS1281.

L’amendement CS1275 traite, lui, d’une difficulté auquel le monde associatif est confronté, avec la multiplicité des supports nécessaires à la sollicitation d’une subvention. L’État a fait des progrès avec un formulaire unique, mais les collectivités font souvent assaut d’imagination en la matière. En un seul formulaire, les associations pourraient à la fois faire leur demande de subvention et s’engager à respecter les fondements de la République.

M. Charles de Courson. Le contrat d’engagement républicain est un faux concept, car la République n’est pas un contrat. Il faut le remplacer, aux alinéas 3 et 4, par un renvoi aux principes mentionnés au premier alinéa de l’article. C’est le sens de l’amendement CS668.

M. Alexis Corbière. Suivant une préconisation de la Défenseure des droits, et opposés à la notion de contrat d’engagement républicain, nous proposons, par l’amendement CS902, de supprimer le mot : « contrat » pour ne conserver que ceux « d’engagement républicain ». Cela nous paraît plus conforme au type de relation que nous devons avoir avec le monde associatif.

M. Julien Ravier. L’amendement CS279 vise à substituer au contrat, la charte d’engagement républicain.

M. Jean-Christophe Lagarde. L’amendement CS1178 est identique. Nous sommes également plutôt opposés à ce contrat, qui donne le sentiment d’un échange. Au regard du symbole, le choix sémantique compte.

Le Gouvernement s’est engagé à nous soumettre les termes du contrat avant le débat dans l’hémicycle, mais celui-ci n’aura qu’une valeur réglementaire. Une charte votée par le Parlement serait bien plus symbolique et plus efficace. Je proposerai, d’ailleurs, en séance publique, que celle-ci soit votée par le Parlement sous forme de résolution.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CS151 vise à remplacer le mot « contrat » par le mot « pacte », dont l’étymologie se rapporte à la « paix ». Les principes républicains n’ont pas à être contractualisés – il ne s’agit pas du contrat social qui nous lie comme citoyens.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je suis convaincu que le contrat est un outil juridique, et qu’il ne faut pas y substituer un engagement dont on ne sait pas véritablement sur quoi il repose. Je laisserai le Gouvernement expliquer plus en détail sa vision.

Je suis tout à fait favorable au formulaire CERFA unique, mais il figure déjà dans la loi. Seulement, au lieu de l’utiliser, les collectivités en transposent le contenu obligatoire dans leurs propres formulaires de demande de subvention. Ce sont elles qu’il faudrait convaincre d’utiliser le formulaire unique.

Je sais tout le travail mené par Le Mouvement associatif sur la charte des engagements réciproques, à laquelle il est particulièrement attaché. Or celle-ci n’est pas opposable et n’a pas de portée juridique, contrairement au contrat d’engagement républicain qui permet d’exiger la restitution de la subvention.

Je suis donc défavorable à l’ensemble des amendements.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. À l’évidence, les principes de la République ne se discutent pas. D’ailleurs, ils ne constituent pas l’objet de la signature du contrat ; c’est la demande de subvention, dont l’octroi est conditionné à l’engagement vis-à-vis de ceux-ci.

Oui, le formulaire CERFA unique existe et figure dans la loi.

Quant aux termes de « contrat » et de « pacte », ils sont très similaires. Il n’y a qu’à regarder dans le dictionnaire : ils renvoient à une convention, entre personnes ou entre entités, qui engage à quelque chose. J’aime le mot de pacte ; je l’ai choisi pour le pacte transparence crèches, par exemple, mais, en l’occurrence, le terme de contrat nous paraît à la fois plus pédagogique et plus clair. On comprend bien que cela engage deux parties, la personne qui délivre la subvention – État, collectivité – et la personne qui la reçoit, en l’espèce l’association. D’ailleurs, certains doutaient de la solidité du terme « charte », mais dès que nous avons commencé à parler de contrat, chacun a compris que la ratification de ce contrat conditionnait l’octroi de la subvention et mettait en jeu son remboursement éventuel. Avis défavorable.

M. Jean-François Eliaou. J’apprécie l’explication exhaustive de la ministre sur mon amendement, moins l’absence de commentaires du rapporteur.

M. Ludovic Mendes. Historiquement, la charte a une logique descendante : par elle, les seigneurs allaient vers le peuple. L’avantage du contrat est qu’il engage les deux parties. Le contrat d’engagement républicain n’est pas un contrat administratif en tant que tel, il y a des éléments requis en contrepartie de l’attribution de la subvention ; il engage les deux parties selon un fonctionnement clair et simple. Le terme de contrat a beaucoup plus de poids aujourd’hui, et s’articulera parfaitement avec la charte de 2014. Tout le monde ici veut la même chose, mais puisqu’on chipote sur les mots, le terme de contrat est le plus approprié.

M. Jean-Paul Mattei. Le formulaire CERFA est un imprimé administratif qui n’a pas la force d’un véritable contrat. Le contrat d’engagement républicain peut être un élément du contrat global, qui contiendra aussi les autres mesures. Il peut être une mention obligatoire, du même type que celles auxquelles les contrats de droit privé doivent faire référence pour être valides. Mais cocher une case sur un imprimé CERFA rend l’engagement un peu dérisoire. Il me semble important qu’un engagement soit pris par écrit dans un contrat, même si ce contrat aborde également d’autres points.

Mme Géraldine Bannier. Puisqu’on parle étymologie, pacte vient de paciscor, « faire la paix », mais contrat vient de contrahere, « resserrer les liens ». Je préfère le mot contrat à tout autre, parce qu’il s’agit de resserrer les liens entre l’association et l’État.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je ne voudrais pas laisser M. Eliaou sur une frustration. Je l’invite à réécouter le début de mon intervention : j’ai bien dit que j’étais attaché à la portée juridique du contrat et que je laissais le Gouvernement expliquer plus en détail sa vision.

M. Julien Ravier. Le nombre d’amendement montre tout de même que la question se pose. Je ne suis pas contre le choix du contrat, mais alors il faut le nourrir. Nous allons demander à des dirigeants d’association de signer un contrat sur les principes républicains, que d’ailleurs on connaît mais qui vont être précisés par décret en Conseil d’État, et il n’y a même pas de formation obligatoire ! Je proposerai par amendement d’en imposer une. Pour qu’il y ait un contrat, il faut un certain nombre d’obligations réciproques, que je ne vois pas pour l’instant. En fait, je ne vois pas pourquoi les autorités devraient contractualiser les termes du versement de leurs subventions.

L’amendement CS1281 est retiré.

La commission rejette successivement les autres amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS753 de M. Jean-Paul Mattei et CS437 de Mme Isabelle Florennes.

M. Jean-Paul Mattei. On ne parle pas beaucoup de l’article 1er de la Constitution, qui pose les principes républicains. On peut pourtant y lire que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » ou que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Tout cela est sous-entendu dans tout ce que nous disons sur l’engagement républicain, mais je pense qu’une référence explicite à cet article de la Constitution aurait un rôle pédagogique. Tel est le sens de l’amendement CS753.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS437 du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés tend à ce que les associations qui demandent une subvention publique s’engagent non seulement à respecter, mais également à promouvoir les principes républicains. J’attends vos avis, mais l’amendement de M. Mattei me paraît plus fort.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Faire référence à l’article 1er de la Constitution dans son ensemble ne me paraît pas nécessaire et va à l’encontre de l’avis du Conseil d’État, qui recommande de s’en tenir dans cet article 6 à des principes clairs, sans le surcharger. Exiger la promotion des principes républicains en contrepartie du maintien de la subvention, car c’est de cela que nous parlons, me paraît également excessif. On peut entendre que la promotion soit une affaire importante, mais en faire une obligation pour maintenir une subvention va trop loin. Avis défavorable sur ces deux amendements.

Mme Cécile Untermaier. Au nom de mon groupe, je voudrais tout de même faire quelques remarques. D’abord, le terme de « contrat » ne nous convient pas, et je vois que beaucoup ici ne sont pas convaincus. Le Conseil d’État lui-même d’ailleurs estime qu’il n’est pas besoin d’un contrat pour rendre opérant un dispositif et pour être en capacité de retirer une subvention. Ensuite, nonobstant toute la qualité que je trouve au travail de mes collègues du groupe Modem, je pense que la promotion des principes républicains doit plutôt être l’objet même d’une association.

Enfin, il faut tout de même rester dans la réalité. Pensez à ce que sont les associations dans nos territoires ! Plutôt que de leur demander une liste d’engagements, nous pourrions commencer par les remercier du travail qu’elles font, et dire à quel point elles sont utiles alors qu’elles mènent, malgré le manque de crédits dont elles souffrent, des actions qui nous aident à faire société et à vivre ensemble. Je ne voudrais pas que cet article 6, en ajoutant contrainte sur contrainte, devienne un repoussoir pour ceux dont nous avons pourtant bien besoin pour nous aider à régler des questions que ni l’État, ni les collectivités ne peuvent résoudre. Je pense en particulier au domaine de la culture, qui souffre beaucoup. Il me semble que cet article 6 ne devrait pas être vécu comme une course d’obstacles, mais devrait au contraire accueillir et remercier des associations qui, certes, sollicitent une subvention, mais dans l’intérêt général, et qui fonctionnent d’une manière bénévole. Ce n’est pas suffisamment exprimé dans cet article.

Mme Marine Le Pen. Ce débat est vraiment lunaire. On décide de règles très générales, qui touchent absolument tout le monde, pour essayer d’atteindre une ultra minorité qui ne respecte pas les lois de la République et qui prône l’islamisme et le séparatisme. Et on se retrouve à demander à l’association des horticulteurs du quartier de Bougival, à celle des éleveurs de bengals ou à l’association Jumeaux et plus de faire la promotion des principes de la République. C’est absurde ! Sans compter qu’elles sont censées signer un engagement dont on ne sait toujours pas ce qu’il contient, ce qui me pose un problème. Si on s’était attaqué directement à l’islamisme, on n’en serait pas à discuter de choses qui apparaissent déconnectées à la majorité des Français.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame Untermaier, nous souscrivons tous à vos propos sur le tissu associatif. Il est important, et particulièrement dans la période que nous traversons, de remercier ceux qui s’engagent, surtout bénévolement, auprès de toutes les associations, y compris Jumeaux et plus, les associations d’horticulteurs ou celles qui délivrent des colis aux plus précaires d’entre nous. Cet engagement doit être salué et c’est aussi ce que nous rappelons à travers l’article 6.

Par ailleurs, toutes les associations ne sont pas bénévoles : certaines ont besoin de salariés pour fonctionner, et reçoivent des subventions, des fonds européens, parfois des fonds privés. Les subventions de l’État aux associations sont considérables. Pour 2019, elles ont atteint 6,5 milliards d’euros, sachant que très souvent elles sont complétées par les collectivités. J’entends qu’il y ait des associations dans la difficulté. Elles sont soutenues, soit par l’augmentation des subventions, notamment avec le plan de relance, soit au travers des dispositions qui visent leurs salariés, et grâce aussi aux mesures de chômage partiel, qui ont évité à certaines associations de licencier dans la période que nous avons traversée. C’est l’honneur de l’État que de soutenir les associations, mais je crois qu’il faut rappeler que les montants concernés sont très importants.

M. le président François de Rugy. Nos nombreuses auditions ont montré que l’article 6 avait pu susciter, c’est vrai, les interrogations ou les inquiétudes du monde associatif, ou de certains qui voulaient s’exprimer en son nom, ce qui est un peu différent. Mais les exemples qui viennent d’être cités montrent bien que les associations n’auront aucun problème à signer un engagement républicain, qu’il n’y aura pas besoin d’un temps de formation important. Les Français comprennent très bien ce que c’est que respecter les principes de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de l’ordre public.

Une association qui souhaite développer l’alimentation végétarienne et qui trouve une collectivité prête à la subventionner signera le contrat républicain sans aucun problème. Et si la collectivité se rend compte qu’au lieu de subventionner la promotion du véganisme, elle finance des actions visant à vandaliser des élevages et à faire échapper les animaux, elle sera en droit de dire que l’association n’a pas respecté le contrat d’engagement républicain, qu’elle a troublé l’ordre public et qu’elle doit rembourser la subvention. Madame Le Pen, il n’est pas question d’adopter une loi pour retirer des subventions à une association dont on aura découvert, un peu tard, qu’elle est islamiste : on fait une loi pour fixer les critères selon lesquels on respecte ou non les principes républicains.

J’entends beaucoup de choses antagoniques : d’un côté, ces dispositions ne serviraient à rien, on n’en aurait pas besoin pour être efficace, et, de l’autre, elles seraient très graves, elles remettraient en cause la vie associative. La vérité est que cet article 6 a une portée très large, en effet. Il ne s’agit pas que de régler le cas des associations qui feraient du prosélytisme religieux. D’ailleurs, vous aurez remarqué qu’il n’est pas fait mention des religions, dans cet article. Ce champ très large permettra aux ordonnateurs des subventions, s’ils s’en saisissent, de reprendre la main par rapport aux associations qui sollicitent une subvention pour un motif tout à fait acceptable mais dont on se rend compte que dans leurs actions, même une petite partie de l’ensemble de leurs activités, il y a des choses qui contreviennent aux principes républicains. Cela ira bien au-delà de la seule question de l’intégrisme religieux, qui peut exister évidemment dans certaines actions associatives. Voilà l’enjeu de cet article 6. Pour le reste, il n’y a pas de raisons de se compliquer la vie : les critères qui sont évoqués dès les premières lignes de l’article sont très clairs et ont une large portée générale.

La commission rejette successivement les amendements.

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7.   Réunion du mercredi 20 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 6)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10189903_60088a3fa8618.respect-des-principes-de-la-republique--projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-rep-20-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Article 6 : Signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations sollicitant ou bénéficiant d’une subvention au titre de l’intérêt général (suite)

La commission examine l’amendement CS1263 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Il vise à préciser le contenu du contrat d’engagement républicain, en ajoutant, après la mention de la liberté, les mots : « notamment de conscience », tout comme le Gouvernement a tenu à préciser qu’il s’agissait de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il serait regrettable que puissent être subventionnées des associations qui imposeraient à leurs adhérents une vision de l’être humain ou de la création du monde qui irait à l’encontre de la liberté de conscience – associations d’inspiration musulmane militant contre l’apostasie ou associations d’inspiration évangélique contestant radicalement la théorie de l’évolution.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier. La liberté de conscience est comprise dans le principe général de liberté. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Même avis.

Mme Marie Guévenoux. La précision me semble utile, d’ailleurs le Gouvernement a précisé la notion d’égalité. Je ne comprends donc pas vraiment votre avis, monsieur le rapporteur.

Mme Coralie Dubost. Je soutiens d’autant plus cet amendement que mon amendement CS1520 concerne le même ajout. Puisque nous ne pouvons pas énoncer la totalité des principes républicains dans une liste à la Prévert, au moins pouvons-nous souligner ceux qui nous semblent déterminants, pour garantir la République d’apaisement que nous souhaitons.

M. Charles de Courson. Dans son vademecum du bon législateur, le Conseil d’État conseillait de supprimer systématiquement tous les « notamment » et leur suite, dans la mesure où cela affaiblit le principe énoncé.

M. Guillaume Vuilletet. On ne peut qu’être d’accord avec l’objet de l’amendement. Mais si nous aurons, à d’autres occasions, à rappeler le cadre dans lequel s’exerce le contrat, en l’espèce, il me semblerait plus profitable de le retirer.

Mme Cécile Untermaier. Dans la Constitution, il n’y a pas d’ajout à la liberté. En revanche, quand il est question de l’égalité, on mentionne l’égalité entre les femmes et les hommes. Il me paraît donc cohérent d’en rester à la rédaction initiale sur ce point.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Selon moi, il faudrait même supprimer la précision relative à l’égalité entre les femmes et les hommes proposée par le Gouvernement, non que j’y sois opposé, bien évidemment, mais parce que les principes généraux se suffisent à eux-mêmes. Tout ajout les concernant est bavard et risque de nous entraîner dans une discussion infinie, car une définition exhaustive des principes de la République prendrait beaucoup de temps. L’économie de cette disposition mérite la simplicité.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS568 de M. Éric Ciotti.

Mme Annie Genevard. L’amendement de M. Ciotti rejoint le mien, le CS1546, que je défends à cette occasion. Nous proposons d’ajouter aux principes du contrat d’engagement républicain la laïcité, ce qui paraît bien le moins que l’on puisse faire dans une telle loi, d’autant que, si j’ai bien compris M. le ministre de l’intérieur hier, il n’a eu de cesse de nous démontrer que la laïcité était l’absolu respect de toutes les confessions, sans frein. S’il est difficile de la définir, je retiens la proposition du professeur Mélin-Soucramanien, pour lequel la laïcité se définit selon deux critères, la séparation du politique et du religieux et la liberté de conscience, ajoutant que, pour le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, le principe qui interdit de s’exonérer de la règle commune au titre de son origine ou de sa religion est un autre fondement de la laïcité.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Pour être attaché, comme beaucoup d’entre vous, à la laïcité, je vais prendre un peu de temps pour vous répondre, ne voulant pas donner le sentiment que j’expédie le sujet. La laïcité, selon la définition communément admise, impose le respect de toutes les croyances et l’égalité des citoyens sans distinction de religion, le libre exercice des cultes et la liberté de conscience, ainsi que la neutralité de l’État et des services publics par extension. Dès lors, si l’on intègre la notion de laïcité dans le contrat d’engagement républicain, cela veut dire que l’on confie un devoir de neutralité à toutes les associations. Or elles n’ont pas de raison d’être soumises à un tel devoir, à partir du moment où elles n’exercent pas une mission de service public. Ainsi, on pourrait s’entendre en ne considérant qu’une partie de la définition. Mais la laïcité, c’est tout l’ensemble. Il faut continuer à la défendre et à l’inclure partout où l’on peut, mais dans ce cas précis on fait entrer une notion de neutralité, soit de laïcisation du monde associatif, qui ne me paraît pas appropriée. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis défavorable. Nous partageons évidemment tous un attachement profond pour le principe de laïcité, mais le faire entrer, stricto sensu, dans le contrat d’engagement républicain, risquerait de conduire à priver de subventions certaines associations – les scouts, par exemple, ou le Secours catholique. C’est pourquoi nous avons trouvé une voie de compromis, en mentionnant la question de la laïcité, en rappelant en préambule l’article 1er de la Constitution et le fait que la République soit laïque, sans entrer dans le détail de l’obligation de laïcité en tant que telle, qui nous apparaît comme de nature à affaiblir considérablement la possibilité de financer certaines organisations.

M. le président François de Rugy. D’autres amendements portant sur le même sujet arriveront un peu plus tard et seront évidemment examinés.

M. Robin Reda. Ce n’est pas bon signe que nous tournions autour du pot, alors même que la laïcité est l’un des éléments fondateurs du projet de loi. Que l’on évite ce mot, alors même que nous parlons du contrat d’engagement républicain, né des nombreuses propositions des collectivités territoriales, qui ont souhaité faire adopter des chartes de la laïcité pour conditionner l’octroi de leurs subventions, c’est un mauvais signal que nous leur envoyons. Vous les placez dans une situation d’insécurité, puisqu’elles vont être contraintes de continuer à faire voter des chartes de la laïcité. Personne n’oblige les scouts, par exemple, à être catholiques ! Ils sont parfaitement intégrés dans la République et sauraient faire observer le principe de laïcité, qui n’est pas la neutralité. Les chartes de la laïcité s’appuient sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, sur le Préambule de la constitution de 1946, sur l’article 1er de la loi de 1905, ainsi que sur l’article 1er de la Constitution. La laïcité est partie intégrante du contrat d’engagement républicain et toutes les associations peuvent la respecter, même si elles ont une tradition d’inspiration confessionnelle.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je crois que nous parlons de la même chose et que pourtant vous faites une erreur d’appréciation manifeste. Voyons plutôt les statuts des associations que vous évoquez. L’article 1er du statut des éclaireurs et éclaireuses israélites de France dispose que : « L’association a pour but de former des hommes et femmes conscients de leur judaïsme, de leur rôle dans la vie civique nationale et au service de la communauté juive de France. » La disposition que vous évoquez serait de nature à exclure toute subvention à cette association, qui fait partie de la mouvance du scoutisme français. L’article 1er du statut des scouts unitaires de France prévoit que : « Les membres de l’association sont de confession catholique. » Je ne sais pas si à Juvisy vous subventionnez les scouts de France, mais la charte de la laïcité ne s’applique pas vraiment dans ce cas… Regardons encore Caritas, qui précise à l’article 3 de son statut qu’elle agit afin d’aider les enfants du peuple et les orphelins et de leur assurer une éducation et une formation chrétiennes. Il n’est plus possible de subventionner une telle association, si le mot « laïcité » apparaît dans l’article 6.

Il y a deux solutions : soit nous nous trompons tous depuis très longtemps et vous changez les statuts des associations, ce qui serait disproportionné et insultant ; soit vous partez du principe que la laïcité n’est pas faite pour laïciser la vie associative. Que l’on demande aux gens de respecter la liberté de conscience de leurs membres ou de respecter les règles et les lois de la République, tout le monde le comprend, et c’est le principe de la charte, mais on ne leur demande pas d’imposer en tant que telle la laïcité, au sens où elle ne permet pas la neutralité et le principe complémentaire de la pluralité religieuse. Si vous imposez le mot « laïcité » dans l’article 6, vous imposez à la vie associative d’être subventionnée selon ce que vous pensez être le mieux : ne pas reconnaître une religion en particulier et ne pas mettre dans la charte des scouts que les membres sont catholiques.

Il ne faut pas tout confondre. Le texte n’a pas pour but d’étendre infiniment à tous les pans de la société le principe de la laïcité. L’article 6 vise à faire respecter les principes de la République en général et à lutter contre la subversion de tous ceux qui font du prosélytisme actif contre la République. Les scouts sont parfaitement intégrés à la République, mais ils ne sont pas laïcs.

M. François de Rugy. Je vais donner la parole à plusieurs orateurs. Mais on ne refera pas le débat lors de la défense des prochains amendements sur le même sujet.

Mme Annie Genevard. Si d’aventure l’introduction du terme de laïcité dans le contrat d’engagement devait compromettre le soutien apporté aux associations qu’a mentionnées M. le ministre, je ne prendrais pas le risque. Mais permettez-moi une réflexion personnelle : plus on avance dans ce débat, plus je m’interroge sur le sens du mot laïcité. Vous avez parlé de neutralité de l’État. La foi n’a pas à intervenir dans les décisions publiques, mais l’État intervient en matière religieuse – vous êtes bien ministre des cultes. Je m’interroge de plus en plus sur le sens de ce mot et je souhaite bien du courage à ceux qui vont élaborer le programme de formation à la laïcité, parce que si, moi qui ai travaillé sur le texte, je me pose de telles questions, d’autres se les poseront aussi… Je ne m’autorise pas à retirer l’amendement de M. Ciotti ; en revanche, je retire le mien.

L’amendement CS1546 est retiré.

M. Alexis Corbière. Vous donnez l’impression d’être pris à votre propre piège. Vous nous expliquez depuis des semaines qu’il va y avoir une charte d’engagement républicain pour encadrer les choses et éviter des comportements antilaïcs, avant de nous dire qu’il n’y aura pas le mot laïcité dans la charte, avec de bons arguments au demeurant. Mais vous allez quand même demander à des gens de respecter des engagements républicains qui ne comportent pas la laïcité, sous‑entendant qu’elle n’est pas un engagement républicain. On n’y comprend plus rien ! Et le mouvement associatif comprendra encore moins !

Ce matin, quand j’ai osé suggérer que des élus ne devraient pas aller à la messe, vous avez hurlé en m’expliquant que c’était scandaleux et que l’on avait le droit, au nom de la tradition, d’aller fêter sainte Rita qui nous avait sauvés du choléra ! C’est incompréhensible ! Revenons à l’essentiel : c’est l’État qui doit être laïc et neutre, le mouvement associatif doit seulement respecter la loi. Votre contrat d’engagement républicain ne tient pas debout, parce que vous-mêmes en mesurez les conséquences.

Par ailleurs, qu’il y ait du patronage confessionnel, c’est une réalité, tout comme le fait que certains scouts de France soient d’origine confessionnelle, mais je ne subventionnerais pas des associations scoutes qui imposeraient des prières. Si je confie mes filles aux scouts de je ne sais quelle confession, je serais fort agacé qu’elles me disent qu’il y avait obligation de faire la prière. L’origine d’une association est une chose, mais si, quand on leur confie des enfants, il y a de l’éducation religieuse ou une obligation de prier, je ne suis plus d’accord pour qu’on la subventionne. Vous emmêlez tout. Le mouvement associatif doit respecter la loi et ce contrat d’engagement républicain ne tient plus debout, puisqu’il ne pourra même pas demander que les gens soient laïcs. Supprimons l’article 6 !

Mme Coralie Dubost. Je n’aurais jamais imaginé défendre un amendement de M. Ciotti, même si, en réalité, je vais plutôt m’interroger sur le contenu donné par le texte à la laïcité. Assimiler la neutralité à la laïcité, à mon sens, c’est une erreur. Cela ne correspond pas non plus à mes convictions politiques. La laïcité comporte notamment la neutralité, mais elle comporte aussi la garantie de la pluralité des religions. Cela ne mettrait donc pas en danger les associations cultuelles qui signeraient un contrat comportant le terme de laïcité. On peut être laïc et religieux. On peut défendre la laïcité, tout en ayant une activité religieuse. Je ne voudrais pas que l’on évacue cette dimension qui a fait la richesse de l’équilibre de 1905, qui garantit la neutralité de l’État à l’endroit des cultes, qui empêche d’en favoriser l’un par rapport à l’autre et qui permet à tous les individus, y compris les personnes morales associatives, d’être libres dans leur exercice de conscience et dans la manifestation de leur culte. Je ne voudrais pas que le débat se trompe de sujet.

M. Charles de Courson. Il faut totalement exclure le principe de laïcité du mouvement associatif, faute de quoi vous le détruirez ! Il ne faut donc surtout pas voter l’amendement Ciotti. Allons-nous interdire aux collectivités locales et à l’État d’aider le Secours catholique ou le Croissant rouge ? Il faut dire clairement que le principe de laïcité ne s’applique pas au mouvement associatif. Je suis d’ailleurs certain que Mme Genevard regrette d’avoir défendu l’amendement de M. Ciotti, parce que ce n’est pas du tout ce qu’elle voulait faire.

M. Julien Ravier. La question qui se pose est celle de l’application du principe de laïcité. Selon le président de l’Observatoire de la laïcité, ce principe s’applique de façon différenciée : l’État a un devoir de neutralité, tandis que la sphère associative doit respecter le pluralisme et la liberté de croire ou de ne pas croire. De ce fait, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas intégrer le principe de laïcité dans le contrat d’engagement républicain, dans la mesure où il ne s’apparente pas au principe de neutralité.

Par ailleurs, dans un autre amendement, je vous proposerai d’appliquer le principe de laïcité sans contrevenir à l’inspiration religieuse de l’association. J’y reviendrai parce que j’ai l’impression que tout le monde est diverti par le fait qu’Éric Ciotti retire son amendement.

M. le président François de Rugy. L’introduction du principe de laïcité dans le contrat d’engagement républicain fait débat et de nombreux amendements ont été déposés sur ce sujet. J’ai donc fait le choix de mener une discussion assez générale maintenant, mais il n’en ira pas ainsi à chaque amendement.

Par ailleurs, je pourrais décider d’arrêter le débat puisque l’amendement semble être retiré, mais je rappelle qu’un député absent ne peut faire dire qu’il retire un amendement : il faut quand même être un peu rigoureux. Madame Genevard, en tant que cosignataire de cet amendement, vous avez parfaitement le droit de le retirer en l’absence de M. Ciotti, et sauf avis contraire d’un autre cosignataire.

Mme Elsa Faucillon. Nous défendrons un peu plus loin un amendement presque identique à celui de M. Ciotti : c’est suffisamment rare pour que j’y mette un peu les formes. Au fur et à mesure de nos débats, le contrat d’engagement républicain révèle ses insuffisances. Si nous avons souhaité que le terme de laïcité y soit inscrit, c’est pour éviter de tourner autour du pot : on a l’impression qu’on voudrait que la laïcité figure au nombre des principes qui y sont énoncés mais que l’on ne souhaite pas l’écrire dans le contrat, au motif que cela serait contraire au fait qu’une association puisse revendiquer un culte.

Il y a une confusion entre les mots « laïc » et « laïcité ». Vous pouvez être non laïc et être tout à fait favorable au fait que nos principes républicains s’articulent avec la laïcité, justement parce qu’elle assure la liberté de conscience et la liberté de culte. Vous faites comme si ceux qui ne sont pas laïcs étaient contre la laïcité. Or, c’est l’inverse ! C’est le cas des écoles privées : bien que non laïques, elles ne vont pas à l’encontre du principe de laïcité.

Mme Anne-Laure Blin. Notre débat illustre bien le manque d’ambition du texte qui nous est présenté : le contrat d’engagement républicain est très limitatif puisqu’il ne concerne que les associations demandant des financements. Nous avons le plus grand mal à rassembler autour des valeurs de la République ; la défiance s’est installée et nous ne parvenons pas à instaurer la confiance. En entrant dans le détail de l’organisation des cultes, nous nous trompons profondément. Nous devons affirmer de grands principes si nous voulons défendre nos valeurs, et non pas se contenter d’un contrat d’engagement républicain. Si nous voulons rassembler, nous devrons débattre ensemble et éviter toutes les postures, notamment sur l’islam radical.

Mme Géraldine Bannier. Aux termes de l’article 1er de la Constitution, la France est une République laïque. Je suis un peu gênée de ne pas voir ce principe fondateur apparaître dans le contrat d’engagement républicain. Nous avons une mauvaise lecture de la laïcité : celle‑ci garantit le libre exercice des cultes et le respect de toutes les croyances. Elle impose une obligation de neutralité à l’État, mais en aucun cas aux associations.

M. Jean-Baptiste Moreau. J’ai déposé exactement le même amendement que ma collègue Faucillon, ce qui n’arrive pas tous les jours ! Laïcité ne signifie pas neutralité. Je ne comprends plus rien : tout à l’heure, on nous a expliqué que l’article 6 concernait les associations non cultuelles, c’est-à-dire les associations dites « loi de 1901 ». Or il me semblait que le texte avait justement pour objet de sortir les associations cultuelles ou mixtes – cultuelles et culturelles – de la loi de 1901 pour les soumettre au régime des lois de 1905. Dès lors, je ne vois pas en quoi cela gêne de demander qu’une association « loi de 1901 » respecte la laïcité, laquelle est différente de la neutralité. Je suis moi-même un peu perdu dans les objectifs du texte et en particulier de l’article 6.

M. Christophe Euzet. J’ai le sentiment que c’est la tournure du débat qui crée de la confusion, alors que je n’avais pas le sentiment d’en trouver à la lecture du texte. L’article 1er soumet le service public à une obligation de neutralité et de laïcité, qui s’entend très aisément. L’article 6 invite les associations souhaitant bénéficier de fonds publics à s’engager dans le respect d’un certain nombre de règles républicaines, qui s’entendent également très aisément. Je rejoins notre collègue Charles de Courson : je ne vois pas ce que la laïcité aurait à faire dans les principes de liberté et de fraternité, si ce n’est à conditionner le droit des associations à une autorisation préalable liée au respect du principe de laïcité. Cela me semble contraire à la liberté d’association ; je suis donc très opposé à cet amendement.

M. François Pupponi. La laïcité repose sur deux piliers : la neutralité de l’État et la liberté absolue de conscience. Ayant été maire de Sarcelles pendant vingt ans, j’ai eu la chance de fréquenter les trois grandes religions monothéistes, qui n’ont pas forcément la même conception de l’égalité homme-femme que la nôtre. Quand vous entrez dans une synagogue ou une mosquée, les femmes sont séparées des hommes, cachées à la vue. Certaines femmes de ma commune ne me serraient jamais la main pour respecter une loi religieuse. Cela peut me choquer en tant qu’individu, mais l’élu que j’étais s’interdisait de faire un commentaire, en application du principe de neutralité de l’État.

Si l’on va vers l’égalité homme-femme, ce que l’on peut souhaiter, alors arrêtons de dire que l’on est dans une République laïque qui respecte la liberté absolue de conscience, parce que certaines religions ne respectent pas l’égalité homme-femme. Il faut l’accepter, il faut l’entendre. Dès lors qu’on ne m’impose pas cette inégalité homme-femme, dans une République laïque, chacun croit ce qu’il veut. Je peux comprendre que l’on souhaite inscrire le respect de l’égalité homme-femme dans un contrat, mais cela ne respecte pas la liberté absolue de conscience de ceux qui ne respectent pas ce principe – et je ne parle pas que de la communauté musulmane, loin de là !

M. Guillaume Vuilletet. La position du groupe La République en marche vaudra pour tous les amendements équivalents. Notre objectif est d’éviter les comportements séparatistes. D’aucuns utilisent l’artifice de l’association pour définir des projets de contre-société et sortir un certain nombre de personnes de la République.

La distinction entre cultuel et culturel ne pose pas de problème. Cultuel, cela veut dire qu’on a vocation à organiser le culte : telle n’est pas la vocation du Secours catholique, qui est une association caritative. Quand on signe un contrat d’engagement républicain, c’est bien pour s’engager à respecter certains principes dans son propre fonctionnement, notamment l’égalité homme-femme. Mais si l’association a un objet religieux, nous ne voulons pas intervenir dans son fonctionnement : c’est pourquoi l’engagement ne peut porter sur la laïcité.

Mme Marine Le Pen. Il y a un problème de conception de la laïcité. Cela apparaît même dans vos propos, monsieur le ministre : à vous écouter, le contraire de la croyance serait la laïcité, alors qu’il s’agit en fait de l’athéisme. Une association confessionnelle doit-elle respecter les principes républicains ? Oui, évidemment. La loi est supérieure à toutes les croyances et les croyants doivent s’y soumettre : c’est aussi simple que cela. La laïcité organise les relations entre l’État et les religions. Selon la loi de 1905, « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » : elle interdit de subventionner un culte, pas une organisation associative confessionnelle. Il y a là une confusion qui, me semble‑t‑il, va à l’encontre de la neutralité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La République et l’État sont laïcs, mais pas la société, pas les Français, pas les associations. Il y a une méprise totale : si le législateur décidait de laïciser la société, ce serait une autre laïcité, un autre compromis historique. Il serait alors nécessaire de réformer profondément la loi de 1905, et même probablement notre texte constitutionnel.

Avec le contrat d’engagement républicain, on ne demande pas aux associations d’être laïques, mais de respecter un certain nombre de principes : la liberté ; l’égalité, surtout entre les hommes et les femmes ; la fraternité, qui comprend la dignité de la personne humaine. En cas de non-respect, l’autorité publique aura l’obligation de refuser ou de retirer la subvention qui a été accordée. C’est cela, le mécanisme. Mais si vous prétendez qu’il faut désormais imposer la laïcité à tous les Français, nous changeons de régime juridique, nous changeons de République. Ce serait particulièrement dangereux.

Certains d’entre nous ont eu l’occasion de travailler avec la Cimade : cette association, créée en 1939, est membre de la Fédération protestante de France. Elle n’est absolument pas laïque : selon ses statuts, « la Cimade est reconnue par les Églises comme une forme du service qu’elles veulent rendre selon l’esprit de l’Évangile ». Si nous voulons laïciser la Cimade, alors les débats seront incommensurables parce que cela impliquera de changer de République.

M. le président François de Rugy. Dans l’histoire de France, la laïcité a d’abord été revendiquée par la gauche. Quand je me suis engagé en politique, il y a une trentaine d’années, cela faisait même partie du clivage gauche-droite : la gauche revendiquait la laïcité tandis que la droite souhaitait que les religions puissent participer au débat politique. Les choses ont évolué : la laïcité est désormais revendiquée par un plus grand nombre de forces politiques. Mais la foi des derniers convertis veut parfois tout emporter sur son passage : ceux qui ont fini par revendiquer la laïcité voudraient tout laïciser. Dans notre pays, depuis toujours, des gens se réunissent dans des associations sur une base confessionnelle. Je suis élu d’une région où la moitié des clubs sportifs s’appellent Saint-Pierre, Saint-Médard, etc. Des clubs sportifs se créent aujourd’hui sur la base d’autres confessions. La question que nous leur posons, s’ils demandent des subventions, ce n’est pas de savoir s’ils sont confessionnels ou pas – l’article 6 ne fait d’ailleurs nullement référence à la question religieuse –, c’est s’ils vont mener un combat contre la République. Certains me rétorqueront que c’est théorique : non, ce n’est absolument pas théorique, c’est même très concret ! Parmi les associations caritatives ou de soutien scolaire, certaines respectent parfaitement les principes républicains tandis que d’autres, sur la base de leur vision du monde et quelle que soit leur religion, œuvrent contre les valeurs de la République, parfois en utilisant des subventions. Si une association sportive ou caritative refuse, au nom de sa vision du monde, l’égalité homme-femme, nous serons fondés à lui dire qu’elle ne respecte pas le contrat d’engagement républicain. Il n’y a nul besoin de mélanger la laïcité à cela car elle concerne les rapports entre l’État, les collectivités publiques et les religions, ce qui implique la neutralité. Nous devons être très clairs sur le contenu de l’article 6.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois que nous sommes d’accord sur le fait que nous ne souhaitons pas que l’article 6 mette fin aux subventions à des associations confessionnelles. Je n’ai entendu personne dire qu’il fallait arrêter de subventionner les scouts en raison de leur engagement religieux. Nous sommes donc à peu près d’accord sur la finalité.

Si la laïcité ne figure pas dans la devise de la République, c’est parce qu’elle n’est pas tout à fait sur le même plan que la liberté, l’égalité et la fraternité. Nous devons nous mettre d’accord sur sa définition, ce qui n’est pas facile. Nous avons élaboré le présent texte en nous fondant sur la définition de la loi de séparation des Églises et de l’État. Cette loi, qui entérine la séparation de l’État d’avec l’Église catholique, ne vise pas le catholicisme dans son titre. Tout comme en 1905, nous faisons une loi générale : le texte que nous vous soumettons ne cible pas l’islam.

La laïcité, telle qu’elle a été définie par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et le législateur, repose sur trois éléments : la pluralité religieuse, la liberté de culte et la neutralité de l’État et de ses agents. Dans l’article 1er de la Constitution, c’est la République qui est laïque. Le terme « laïque » s’applique à l’organisation des pouvoirs publics, et non à des personnes, même s’il peut y avoir des « laïcs », c’est-à-dire des personnes qui ne sont pas ministres du culte, au sein de l’Église.

La difficulté vient de ce que nous avons chacun notre propre définition de la laïcité. Du reste, les ministres de l’intérieur ont longtemps parlé de « laïcité positive », « laïcité ouverte » ou « laïcité fermée ». C’est une notion difficile à définir. Le Gouvernement a choisi de suivre la position du Conseil d’État, lequel écrit dans son avis : « S’agissant des expressions retenues, le Conseil d’État relève que celle de “ principes de la République ” est juridiquement définie puisqu’elle fait référence à des principes de droit interne, relevant du droit positif, quels que soient les termes dans lesquels ils sont reconnus ou consacrés par les textes ou la jurisprudence. Mais il observe que ces principes, nombreux, ne sont pas tous susceptibles d’être retenus dans le cadre de l’engagement républicain. Ainsi en va-t-il par exemple du principe de laïcité qui ne s’impose qu’aux agents publics. » Les différentes définitions de la laïcité sont toutes respectables, mais nous nous en tenons à celle du droit français.

Par ailleurs, madame Le Pen, je ne pense pas que vous souhaitiez interdire aux scouts de recevoir des subventions. Si l’on impose la laïcité aux associations, comment peut-on justifier de verser des subventions à une association qui écrirait dans ses statuts que tous ses membres doivent être de confession catholique, rejetant ainsi le principe de pluralité religieuse ?

Le projet de loi n’est pas entièrement consacré à la laïcité ; son titre ne porte pas sur le renforcement de laïcité, et tous ses articles ne portent pas sur ce thème. De plus, on oublie un peu vite à quoi sert l’article 6 : les associations peuvent déjà être condamnées si elles mettent en place des règles contraires à la loi. Le journal Le Parisien a ainsi révélé le scandale d’une association de jiu-jitsu de Savigny-le-Temple ayant touché 2 000 euros de subventions de la collectivité, alors que les hommes devaient se doucher habillés, qu’il y avait des prières obligatoires et que des propos antisémites étaient tenus sur le groupe WhatsApp du club. Lorsque le préfet a eu connaissance de cette activité associative – cela ne figurait pas dans les statuts de l’association, bien évidemment –, il a pu faire cesser le versement de la subvention. Le préfet s’est fondé sur un faisceau d’indices, le seul fait que des hommes récitent des prières n’étant peut-être pas suffisant pour motiver cette décision. L’intérêt de l’article 6, c’est qu’il permet de récupérer les sommes. Il n’existe pas actuellement de dispositions permettant au ministre de l’intérieur de s’opposer, par l’intermédiaire des préfets, au versement de subventions à des associations subversives et de récupérer les sommes. L’article 6 est donc aussi une modalité d’action.

Enfin, et c’est un point extrêmement important, il n’est pas possible de contrôler la totalité des subventions versées par les autorités administratives à des associations. Toutefois, il n’est pas nécessaire de contrôler 100 % des gens pour imposer une règle – un service d’urbanisme ne vérifie pas toutes les déclarations de travaux reçues pour la création d’une nouvelle porte ou d’une nouvelle fenêtre. Mais lorsqu’un habitant pose un certain nombre de problèmes, lorsque vous considérez que vous devez intervenir pour mettre fin à une difficulté, vous utilisez le droit pour remettre en ordre un certain nombre de choses, par exemple en vérifiant si cette personne a bien fait sa déclaration de travaux. Tous les contrevenants ne se font pas systématiquement attraper par la patrouille, mais le jour où vous vous intéressez à telle ou telle association, il est toujours intéressant de disposer des armes du droit pour faire cesser les subventions ou pour en réclamer le remboursement.

L’article 6 ne fait donc pas que définir nos valeurs, il propose aussi un modèle pratique de récupération de l’argent public. Il ne retient pas la laïcité au nombre de ces principes, car elle n’a pas à être mise à toutes les sauces. Même les dispositions relatives au culte, que nous examinerons un peu plus tard, ne font pas état de la laïcité. Enfin, si nous adoptions de tels amendements, cela obligerait les associations à modifier leurs statuts, même si elles existent depuis longtemps, faute de quoi elles seraient privées de subventions.

Mme Marlène Schiappa, ministre. J’aimerais formuler plusieurs observations.

Tout d’abord, si passionnant que soit ce débat philosophique, que nous aimerions tous prolonger pendant plusieurs semaines, il ne s’agit pas ici de définir la laïcité, qui est un principe d’ordre philosophique, politique et juridique. Il me semble que chacun s’emploie à partager sa vision philosophique de la laïcité. La question que nous devons nous poser, à mon humble avis, est de savoir si l’ajout du mot « laïcité » à l’alinéa 2 apporte ou non quelque chose, et attrape ou non, pour ainsi dire, quelque chose de plus. La question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre la laïcité. Il ne s’agit pas non plus de la définir, ni de savoir s’il faut ou non la qualifier. La laïcité, à mes yeux, ne se qualifie pas. Elle est la laïcité, un point c’est tout. Au demeurant, il n’y a pas d’un côté des croyants et de l’autre des athées. Certaines personnes changent de religion au cours de leur vie, d’autres sont sceptiques, agnostiques ou membres d’organisations philosophiques. Ce débat philosophique est passionnant, mais il n’est pas d’actualité.

Le préambule du contrat d’engagement républicain rappelle que l’article 1er de la Constitution dispose que la République française est laïque. Je ne balaie pas d’un revers de main les arguments de celles et ceux qui tiennent absolument à y introduire la mention explicite de la laïcité. Ils ne sont pas sans intérêt. Je me pose la question de savoir comment nous parviendrons, ensemble, à inclure ce que nous voulons inclure, en évitant les effets de bord. Il me semble que nous sommes tous d’accord sur les objectifs et sur la nécessité d’éviter les effets de bord, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Je me demande de quelle façon nous pourrons demander aux associations de faire en sorte que la foi ne soit pas au-dessus de la loi, et de bannir des pratiques coutumières contraires aux valeurs de la République, telles que l’excision et les mutilations génitales. De telles pratiques m’ont incitée, dans mes précédentes fonctions, à proposer une charte aux associations : les responsables de l’une d’elles, non loin de Marseille, avaient répondu à une jeune fille qui l’interrogeait sur l’excision : « ton corps, ton choix ». Des associations universalistes s’étaient insurgées, à juste titre, et nous avons élaboré une charte rappelant les grands principes que doivent respecter les associations, au premier rang desquels la supériorité des lois de la République, en l’espèce celles qui interdisent l’excision, sur toute règle religieuse ou coutumière.

Lorsque vous m’avez auditionnée, j’ai rappelé que le premier engagement du contrat est de garantir la liberté de conscience. Sa mention en toutes lettres me semble répondre aux questions soulevées alors. Par ailleurs, le sixième engagement est le respect de la légalité et de l’ordre public, qui suppose notamment de ne pas revendiquer sa soustraction aux lois de la République pour un motif quelconque, notamment religieux.

Je comprends que l’on regrette l’absence du mot « laïcité » dans le contrat d’engagement républicain, mais il me semble qu’avec le rappel, dans le préambule, que la République est laïque, et la mention de la liberté de conscience et de l’impossibilité de se soustraire à ses lois pour un motif religieux, nous répondons globalement à la commande, ainsi qu’aux questions posées par les auteurs des amendements.

Enfin, j’aimerais exprimer une opinion personnelle, même si elle est un peu éloignée du cœur du débat : je n’accepte pas que l’on refuse, pour des motifs religieux, de serrer la main de quelqu’un en raison de son sexe.

M. François Pupponi. Si la religion l’impose !

Mme Marlène Schiappa, ministre. Je me suis rendue dans le Tarn pour y soutenir la préfète, qui a courageusement fait condamner un homme radicalisé ayant refusé de lui serrer la main pour un motif religieux. Refuser de serrer la main d’une élue ou d’une préfète, c’est refuser de serrer la main de la République. Il est fondamental, me semble-t-il, de ne pas tolérer de tels agissements, fût-ce pour des motifs religieux.

M. François Pupponi. Ce n’est pas cela, une République laïque !

L’amendement CS568 est retiré.

La commission examine l’amendement CS1519 de Mme Coralie Dubost.

Mme Coralie Dubost. Cet amendement vise à insérer, dans la liste des principes républicains énumérés dans le contrat d’engagement, après les mots « d’égalité », les mots « et de non-discrimination ». J’ai pris note des critiques dont le contrat d’engagement a fait l’objet. Pour ma part, j’y vois une bonne idée, novatrice et susceptible d’évoluer avec le temps. Le maire de Montpellier a mené une expérimentation en ce sens, sous la forme d’une charte de la laïcité. La moitié des associations locales l’a signée, l’autre l’a refusée. Son application opérationnelle est donc très diverse. En l’espèce, il s’agit d’un contrat d’engagement et non d’une charte. Dans un contrat, les engagements sont réciproques et lient les parties entre elles. Dès lors que nous demandons aux associations de garantir la bonne application des principes républicains, il me semble intéressant d’y inclure l’un de ceux qui figurent sur le fronton de chaque bâtiment officiel et inspirent nos politiques publiques de façon prioritaire et qui traduit l’idée de non-discrimination. Il s’agit de veiller à son application par les associations, mais aussi de le rappeler aux collectivités locales, dont certaines sont parfois dans l’omission à ce sujet.

M. Éric Poulliat, rapporteur. On ne peut que souscrire à l’idée de rappeler la nécessité de lutter contre les discriminations. Ce principe résonne aux oreilles de tout républicain. Toutefois, une discrimination est par définition une rupture d’égalité. Elle découle du fait que l’on cesse de considérer quelqu’un comme égal aux autres. Or l’égalité, qui figure à l’article 1er de notre Constitution, ainsi que dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, est d’ores et déjà l’un des principes mentionnés par le contrat d’engagement républicain. L’interdiction de toute discrimination découle du principe d’égalité. L’amendement est donc satisfait. J’en suggère le retrait et émets à défaut un avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

Mme Coralie Dubost. Une précision s’impose : le principe de non-discrimination est distinct de la lutte contre les discriminations, qui est intégrée dans les politiques publiques. Le principe de non-discrimination est d’ordre constitutionnel et conventionnel, à l’échelle internationale et européenne. Il nous engage, au même titre que les principes généraux que sont la liberté et l’égalité, à une nuance près : l’égalité est une idée, qui figure dans notre devise, elle n’est pas un principe juridique opérationnel. C’est pourquoi elle prend la forme, dans notre droit, notamment dans le code pénal et le code du travail, de la non-discrimination, qui permet de cibler des faits précis et de la rendre effective. Or il me semble, monsieur le ministre, madame la ministre déléguée, que vous souhaitez obtenir un résultat effectif, grâce à des dispositions susceptibles d’avoir des effets tangibles. Je propose donc que nous retenions le principe juridique opérationnel qu’est la non-discrimination, et non la seule égalité.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS669 de M. Charles de Courson et CS273 de M. Julien Ravier.

M. Charles de Courson. S’agissant de l’amendement CS669, notre rapporteur a tout dit : il faut proscrire l’adverbe « notamment ». L’égalité entre les femmes et les hommes est comprise dans le principe d’égalité. Le préciser en affaiblit la portée, et autorise à décliner à l’infini – pourquoi pas « notamment entre les minorités ethniques et les minorités non ethniques » ? Loin de moi l’idée de contester l’égalité entre les femmes et les hommes, bien au contraire, mais une telle rédaction en affaiblit la portée.

M. Julien Ravier. L’esprit de l’amendement CS273 est identique à celui de l’amendement présenté par Charles de Courson, mais sa lettre, différente, permet de conserver les mots « notamment entre les femmes et les hommes ». L’égalité entre les femmes et les hommes est un principe fondamental de notre République. Comme telle, elle doit être respectée. Toutefois, la rédaction de l’alinéa pourrait pénaliser les associations qui, pour être masculines ou féminines exclusivement, ne portent pas forcément atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes. Certaines associations, notamment les associations sportives, se constituent en non-mixité, ce qui ne les empêche pas d’en faire la promotion. Le présent amendement vise à ajouter, après le mot « hommes », les mots « sans contrevenir à l’affectio societatis exclusivement féminin ou masculin de l’association, ». L’inscription dans le projet de loi de l’égalité entre les femmes et les hommes a pour finalité de garantir qu’aucune association n’applique un principe de supériorité ou de discrimination en la matière. Les associations exclusivement féminines ou masculines qui respectent l’égalité entre les femmes et les hommes, et qui en font parfois la promotion, doivent pouvoir percevoir des subventions et signer un contrat d’engagement républicain.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je comprends l’objet de l’amendement CS273, mais son adoption n’est pas nécessaire pour autoriser une association à reposer sur un fonctionnement non-paritaire, tant que, dans le discours qu’elle produit notamment, l’égalité entre les sexes n’est pas remise en question. S’agissant de l’amendement CS669, je souscris à l’argumentaire de M. de Courson, qui est aussi le mien. Toutefois, je souscris avec la même force à la volonté du Gouvernement d’inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes dans le texte. J’émets donc un avis de sagesse.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Je suis vigoureusement défavorable à l’amendement CS669 et considère que l’amendement CS273 est satisfait.

L’égalité entre les femmes et les hommes, la mixité et la parité sont des notions proches, mais pas similaires. L’égalité entre les femmes et les hommes n’exige pas de compter partout 50 % de femmes et 50 % d’hommes. La mixité consiste à faire en sorte que femmes et hommes partagent un même espace de loisirs ou de travail. Elle ne se confond pas avec la parité, et n’implique pas l’égalité entre les femmes et les hommes, ce dont le monde politique fait la démonstration chaque jour. Il va de soi qu’il n’est pas question, pour nous, de cesser de subventionner, par exemple, une association de femmes enceintes ou une association sportive, telle qu’un club de football, exclusivement masculine ou féminine, ce qui ne nous empêche pas de nous battre pour la promotion du sport féminin. Qu’une association interdise la mixité ne contrevient pas au principe d’égalité entre les femmes et les hommes. Au demeurant, de plus en plus d’organisations dites féministes organisent des événements en non-mixité. Il s’agit d’un débat distinct. Ainsi, les mots « notamment entre les femmes et les hommes » n’interdisent pas le financement d’associations non mixtes.

Je suis vigoureusement opposée à leur suppression. Les idéologies séparatistes, partout dans le monde, visent en premier lieu les femmes. Au demeurant, le texte comporte des dispositions « relatives à la dignité humaine », que plusieurs d’entre vous ont proposé de renommer « dispositions relatives à l’égalité entre les femmes et les hommes ». Les pratiques telles que l’excision, les mutilations génitales en général, le mariage forcé et l’exclusion des filles d’un héritage visent en premier lieu les femmes. C’est aux femmes que l’on interdit certaines activités ; ce sont les femmes que l’on place sous la coupe d’un mari ou d’un père. Il suffit d’écouter les femmes yézidies, qui ont été réduites à l’esclavage sexuel par Daech et accueillies en France par le Président de la République, pour comprendre à quel point les islamistes radicaux, et les séparatistes en général, visent les femmes en premier lieu. Il s’agit d’un enjeu véritablement fondamental : la liberté des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. On ne peut pas prétendre lutter contre le séparatisme sans rappeler vigoureusement que celle-ci fait partie des principes républicains indiscutables et non négociables.

M. François Pupponi. Je partage votre avis. Toutefois, j’aimerais vous poser une question concrète. Notre collègue de Courson considère que le mot « notamment » affaiblit le principe d’égalité. Son amendement se fonde sur une notion de droit. Une association – j’en ai eu l’exemple – demande une vacation dans une piscine municipale, comme n’importe quelle association, et annonce qu’elle n’accueillera pas les femmes et les hommes aux mêmes horaires en vertu d’une règle religieuse. Sur la base de l’article 6 tel qu’il est rédigé, faut-il accepter ou non cette demande ?

M. Philippe Vigier. Je vous pose la même question. J’ai également connu cette situation ; on m’a demandé « Acceptez-vous de réserver les lignes de nage aux femmes le dimanche matin de 9 heures à 10 heures et demie ? ». Que répondre ?

S’agissant de la suppression des mots « notamment entre les femmes et les hommes », je vous invite à lire avec moi le texte : les associations s’engagent « à respecter des principes et valeurs de la République, en particulier le respect de la dignité de la personne humaine, le principe d’égalité notamment entre les femmes et les hommes, le principe de fraternité et le rejet de la haine ainsi que la sauvegarde de l’ordre public ». La proposition « notamment entre les femmes et les hommes » peut se rapporter à la liberté ou à l’égalité. Supprimez-la ! À défaut, cet article affaiblit les trois piliers républicains que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

Mme Elsa Faucillon. Je voterai contre ces amendements, et j’espère ne pas être la seule. Je suis d’accord avec vous, madame la ministre déléguée : les obscurantismes s’attaquent d’abord aux femmes. Toutefois, je suis d’accord avec les auteurs des amendements sur un point : la rédaction retenue amoindrit la portée du dispositif tel que vous venez de le présenter. Peut-être faut-il la modifier avant l’examen du texte en séance publique. Si nous voulons affirmer ensemble avec force que les obscurantistes s’attaquent d’abord aux femmes, il faut l’écrire autrement qu’entre deux virgules.

M. le président François de Rugy. Madame Faucillon, je vous rappelle que, n’étant pas membre de la commission spéciale, vous ne pouvez pas participer aux votes.

M. Julien Ravier. J’ai pris bonne note de la différence entre l’égalité et la parité. Monsieur le rapporteur, vous avez exclu la mention explicite de la laïcité en nous demandant l’objectif que nous visions. Il s’agissait d’exclure les associations cultuelles du financement public, mais pas les associations d’inspiration religieuse. La raison d’être de la précision « notamment entre les femmes et les hommes » m’échappe. L’égalité se suffit à elle-même. Toutefois, si le Gouvernement tient à mentionner l’égalité entre les femmes et les hommes dans cet article, il me semble nécessaire d’exclure de son champ d’application les associations qui ne comptent parmi leurs membres que des hommes ou que des femmes. Cette caractéristique peut être prévue dans leurs statuts, comme d’autres ont des statuts prévoyant que leurs membres doivent être de confession juive ou catholique.

M. Éric Poulliat, rapporteur. J’aimerais compléter l’avis que j’ai donné sur l’amendement CS273. Les associations qui ne sont pas mixtes et qui ne contestent pas le principe d’égalité entre les femmes et les hommes ne seront pas inquiétées. L’amendement est donc satisfait. J’en suggère donc le retrait et émets à défaut un avis défavorable.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur le rapporteur, vous avez émis sur l’amendement CS669 un avis de sagesse, ce qui est le propre du Gouvernement – même si notre sagesse n’a rien à envier à celle du Gouvernement !

M. le président François de Rugy. En effet. Mieux vaut que les députés s’abstiennent de parler le langage du Gouvernement !

M. Florent Boudié, rapporteur général. De nombreux amendements visent à préciser les principes généraux convoqués dans le texte : l’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, ainsi que la liberté, notamment le respect de la liberté de conscience, et le respect de la dignité de la personne humaine. En 2018, le Conseil constitutionnel a adopté une très belle décision élevant la fraternité au rang de principe à valeur constitutionnelle, dans le cadre du débat sur ce que l’on appelait autrefois le délit de solidarité, que nous avons réformé. Pour la clarté du texte, il importe de s’en tenir aux principes généraux. À défaut, nous préciserons et amenderons systématiquement les dispositions du présent article, chacun souhaitant y incorporer des principes supplémentaires. Pour ma part, je suis favorable à la position de Charles de Courson.

Mme Marlène Schiappa, ministre. J’aimerais simplement poser une question. Il va de soi que cette commission spéciale est souveraine, et qu’elle votera ce qu’elle entend voter. Toutefois, nous savons tous comment fonctionne le système médiatique. Si d’aventure vous décidiez de voter l’amendement CS669, donc de supprimer la mention de l’égalité entre les femmes et les hommes, quel message enverriez-vous ? Comment justifier demain que la commission spéciale a décidé de supprimer la mention du principe d’égalité entre les femmes et les hommes ? (Protestations.) Je regrette : j’ai passé un long moment à développer un argumentaire juridique, j’ai le droit de prendre 34 secondes pour poser cette question, ancrée dans la réalité des commentaires à venir. Le message que nous adressons à l’opinion publique, notamment aux associations, n’est pas sans importance.

La commission adopte l’amendement CS669. En conséquence, l’amendement CS273 tombe.

Puis elle examine l’amendement CS1520 de Mme Coralie Dubost.

Mme Coralie Dubost. Il est assez semblable à l’amendement CS1263 défendu par Marie Guévenoux, et devrait répondre à la préoccupation de M. de Courson. Il s’agit d’insérer la liberté de conscience au sein des principes républicains dont le contrat d’engagement républicain exigera le respect par les associations, sans la faire dépendre d’un autre par le biais de l’adverbe « notamment ». Cette notion fonde l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905. Compte tenu des débats que nous avons ce soir, il me semble nécessaire de rappeler qu’elle fait partie des principes républicains.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Monsieur le président, j’ai pris bonne note de votre dernière observation. Je me permets d’indiquer que le Parlement sait être au moins aussi sage que le Gouvernement. S’agissant de l’amendement, en cohérence avec mes précédents avis, je considère qu’il faut s’en tenir aux principes généraux. La liberté de conscience découle du principe de liberté. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements identiques CS670 de M. Charles de Courson et CS1671 de Mme Cécile Rilhac.

M. Charles de Courson. Le dernier principe cité par le contrat d’engagement est la sauvegarde de l’ordre public. Ces mots font l’objet de nombreux débats dans le milieu associatif. La sauvegarde de l’ordre public incombe-t-elle aux associations ? Je ne le pense pas. Elle incombe à l’État, et dans une certaine mesure aux collectivités territoriales, qui ont quelque compétence en la matière. Je propose donc de supprimer les mots « ainsi que la sauvegarde de l’ordre public ». Cette disposition me semble trop ambiguë. Au demeurant, si je demandais à Monsieur le ministre en quoi consiste la sauvegarde de l’ordre public par les associations, il serait sans doute bien en peine de me répondre. Les associations doivent respecter l’ordre public, pas le sauvegarder.

Mme Cécile Rilhac. Comme M. de Courson, je propose la suppression des mots « ainsi que la sauvegarde de l’ordre public » dans le contrat d’engagement républicain. L’objet d’une association est la création du lien social, ainsi que la mise en commun de savoirs, de compétences et de techniques. Souvent, les associations contribuent à renforcer la cohésion sociale dans les territoires, en assurant des missions complémentaires du service public. L’investissement des bénévoles est le gage d’une société ouverte, généreuse et dynamique, en cohérence avec les principes républicains que sont la liberté, l’égalité et la fraternité. Contractualiser avec les associations au sujet de nos valeurs peut aller de soi ; leur demander de participer à la sauvegarde de l’ordre public revient à leur confier une mission inappropriée, qui ne relève pas de l’engagement républicain, mais de la fonction régalienne, laquelle ne doit pas être assumée par les associations.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je tiens à rassurer M. de Courson et Mme Rilhac : je partage leur inquiétude. J’ai d’ailleurs déposé un amendement à ce sujet. Il importe, me semble-t-il, de conserver la mention de l’ordre public. Toutefois, en confier la sauvegarde aux associations me semble être une demande un peu trop proactive. Je défendrai un amendement visant à introduire la notion de respect de l’ordre public, qui me semble suffisante pour garantir le respect des autres principes énumérés dans le contrat d’engagement républicain.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je partage les propos de M. le rapporteur, ainsi que ceux de M. de Courson et de Mme Rilhac en grande partie. La sauvegarde de l’ordre public n’incombe pas aux associations. En revanche, elles doivent – c’est une évidence – respecter l’ordre public, dont chacun sait, depuis l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qu’il constitue la limite de la liberté. Certes, le Conseil d’État a validé cette formulation, se contentant d’une observation à son sujet. Toutefois, les concertations que nous avons menées nous amèneront à soutenir l’amendement de M. le rapporteur visant à remplacer la notion de sauvegarde par celle de respect. Je propose donc aux auteurs des amendements de les retirer à son profit, ce qui permettra d’en conserver l’esprit.

M. Charles de Courson. Je serais prêt à retirer l’amendement si tel était le cas, monsieur le ministre. Or il est évident que tout un chacun doit respecter l’ordre public, les associations comme les autres. Une telle précision me semble superfétatoire, comme on disait autrefois. J’adopte une position plus radicale en proposant de supprimer les mots « ainsi que la sauvegarde de l’ordre public ». Le respect de l’ordre public s’impose à tout citoyen d’une société organisée ; il me semble curieux de l’ériger en principe. Mon amendement permet d’éteindre les polémiques. Je le maintiens.

Mme Cécile Rilhac. Dans cet esprit, je rappelle que l’article 3 de la loi du 1er juillet 1901 impose aux associations le respect de l’ordre public. Il est donc superfétatoire de le rappeler dans le présent projet de loi. Je maintiens mon amendement.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’article 6 ne traite pas des obligations du citoyen, mais des conditions dans lesquelles une subvention peut être retirée. Le non-respect de l’ordre public permettra de demander la restitution des subventions allouées. Bien entendu, tout citoyen doit respecter l’ordre public. Il s’agit ici de donner un cadre au contrat d’engagement républicain.

M. Gérald Darmanin, ministre. Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, nous ne cherchons pas à redéfinir le champ d’action des associations, mais à déterminer une modalité de récupération d’argent public.

La commission rejette les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CS272 de M. Julien Ravier, CS382 de M. Jean-Baptiste Moreau, CS890 de M. François Pupponi, CS1215 de Mme Marie-George Buffet et CS1327 de M. Éric Diard, ainsi que l’amendement CS271 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Je retire l’amendement CS272 au profit de l’amendement CS271.

M. Jean-Baptiste Moreau. J’aimerais revenir brièvement au débat que nous avons eu sur la laïcité, car plusieurs observations m’ont choqué. La laïcité ne se confond pas avec l’athéisme. La laïcité de la République n’est pas l’athéisme d’État. On peut très bien être croyant et laïque. Je ne comprends pas ce qui fait obstacle à l’ajout de la laïcité parmi les principes républicains rappelés dans le contrat d’engagement républicain.

M. Éric Diard. La laïcité ne consiste pas s’opposer à la religion des uns ou des autres, mais à protéger la liberté de conscience. Je ne comprends toujours pas, et je ne suis pas le seul, pourquoi l’ajout du mot « laïcité » empêcherait les associations non laïques de bénéficier d’une subvention. Toutes les associations, laïques ou non, doivent respecter tout un chacun. La France est laïque – l’article 1er de la Constitution dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » –, mais il n’en résulte pas que chaque citoyen l’est. Qu’une association ne soit pas laïque ne doit pas la priver de subventions publiques.

M. Julien Ravier. Mon amendement CS271 tend à intégrer le principe de laïcité au contrat d’engagement républicain dans des termes qui n’excluent pas de celui-ci les associations d’inspiration religieuse. Il s’agit d’écarter les associations cultuelles tout en respectant l’affectio societatis confessionnelle de leurs membres.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Défavorable. Comme l’a très bien dit le ministre, quand une association impose à ses adhérents d’être d’une confession déterminée, elle ne respecte pas la laïcité.

M. Gérald Darmanin, ministre. Quand une association précise dans ses statuts que ses membres sont catholiques, cela signifie que, pour y entrer, il faut être catholique. Il n’y a alors ni pluralité religieuse ni liberté de conscience.

De deux choses l’une : soit on considère qu’il ne faut pas donner d’argent public à ce type d’association – les Scouts de France, par exemple – parce que ce ne serait pas conforme à la laïcité, soit on admet que les scouts ne sont pas des séparatistes au sein de la République, auquel cas on ne mentionne pas la laïcité dans le contrat.

M. Alexis Corbière. Personnellement, je suis opposé à toute subvention publique à une association qui refuserait l’adhésion d’une personne n’appartenant pas à une certaine confession. En revanche, on devrait pouvoir accorder une subvention à une association d’inspiration confessionnelle à l’origine, mais qui mène des actions d’intérêt général. Si l’association distribue une soupe populaire, très bien ; si elle la réserve aux personnes d’une confession donnée, non ! Certaines ont pu prendre soin de mettre des lardons dans la soupe pour écarter les personnes d’une certaine confession : il ne s’agit alors plus de solidarité, mais de prosélytisme religieux.

Il a été fait référence aux statuts, mais nombre d’associations, malgré des statuts anciens, ont fait évoluer leur pratique, comme les patronages d’inspiration confessionnelle qui animent des clubs de football ouverts à tous. J’en ai été témoin comme élu : de vieux encadrants ont voulu faire faire la prière aux gamins, mais les parents n’étaient plus d’accord.

Si certains veulent réserver une activité aux personnes d’une confession donnée, c’est leur droit, mais qu’ils ne touchent pas d’argent public.

M. François Pupponi. Monsieur le ministre, quelle conclusion tirez-vous de l’exemple que vous avez cité ? Que, selon la rédaction actuelle de l’article 6, les scouts qui réservent aux catholiques l’adhésion à leur association bénéficieraient d’un financement, mais que si la notion de laïcité est ajoutée au contrat, ils n’en auront pas ?

M. Robin Reda. Monsieur le ministre, vous exigez des cultes eux-mêmes – qui ne sont évidemment pas subventionnés par l’argent public – qu’ils rappellent leur attachement à la laïcité, comme à l’article 8 de la charte des principes de l’islam de France que vous nous avez transmise, mais vous ne l’exigeriez pas des associations qui, elles, reçoivent de l’argent public ? Qui peut le plus peut le moins ! Il ne s’agit que de cela, pas de demander que les principes de l’association soient neutres du point de vue religieux.

Madame la ministre, vous vous dites attachée aux symboles diffusés dans les médias ; or tout le monde a compris que vous prépariez une charte de la laïcité ; si vous en retirez le mot « laïcité », personne ne comprendra plus rien au texte de loi, qui est déjà un fourre-tout.

La commission rejette les amendements identiques.

Puis elle rejette l’amendement CS271.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS490 de M. Saïd Ahamada et CS1140 de M. Boris Vallaud.

M. Saïd Ahamada. La notion de respect de l’ordre public me paraît plus adaptée que celle de sauvegarde de l’ordre public, dont je pense, comme ancien responsable associatif, qu’elle aurait laissé dubitatives les associations. Je retire mon amendement et je remercie le ministre de son engagement sur ce point.

L’amendement CS490 est retiré.

Mme Cécile Untermaier. Nos discussions depuis plus d’une heure sur la laïcité montrent combien il est important de définir celle-ci. Il aurait fallu avoir le courage de le faire à l’article 1er, pour clarifier ce qui sous-tend la notion, à l’intention des personnes appelées à mettre en œuvre le dispositif. Vous êtes clair sur ce point, monsieur le ministre ; vos éclaircissements méritent d’être inscrits dans le texte.

Quant à la notion de sauvegarde de l’ordre public, sur laquelle porte l’amendement CS1140, elle inquiète beaucoup les associations. L’une d’elles, qui m’a contactée, distribue une soupe populaire dans une petite ville de ma circonscription ; elle se demande si sa responsabilité sera engagée dans l’hypothèse où les choses se passeraient mal, pour quelque raison que ce soit. Une autre, diocésaine, fait un gros travail d’accueil de personnes étrangères en situation irrégulière qui, ensuite, s’insèrent – certaines ont pu ouvrir un restaurant syrien avant la crise sanitaire. De telles associations, qui agissent en mobilisant les citoyens, parfois en organisant une manifestation statique devant une préfecture, vont-elles être inquiétées ? Leurs actions sont pourtant essentielles et conformes aux exigences de la République : elles assurent un accueil dont l’État ne peut se charger et permettent à des familles de s’insérer au lieu d’errer, ce qui poserait beaucoup plus de problèmes d’ordre public et de questions sur l’idéal de fraternité.

M. Éric Poulliat, rapporteur. J’ai entendu les représentants des mêmes associations et je confirme qu’une association n’a pas à être garante de la sauvegarde de l’ordre public. Voilà pourquoi je propose plutôt la notion de respect d’ordre public.

Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous relayez les interrogations d’associations que j’ai moi aussi reçues et qui méritent une réponse.

Une association qui poursuit des objectifs non pas politiciens, mais politiques – ce que l’on peut tout à fait comprendre –, par exemple qui aide des migrants pourtant sous le coup d’une mesure de reconduite à la frontière en vertu d’une décision de justice, qui paye des avocats pour contester les décisions, apporte nourriture et éducation à ceux qu’elle aide…

M. Alexis Corbière. La Cimade !

M. Gérald Darmanin, ministre. Et d’autres ; elles sont nombreuses. De telles associations ne seront pas inquiétées du fait des dispositions que nous prenons dans le texte. Si le mot « sauvegarde » a créé le doute, il faut dissiper ce doute. Le mot « respect » garantit que la Cimade, comme d’autres, pourra continuer à travailler comme elle le fait.

En revanche, l’irrespect de l’ordre public, au sens militant du terme, est un motif de récupération des subventions versées, voire de dissolution. La dissolution de BarakaCity et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) s’est notamment fondée sur l’existence d’un trouble évident à l’ordre public.

C’est une chose d’aider au nom de l’humanité et de la fraternité, y compris des gens qui subissent des décisions de l’État ou du législateur ; c’en est une autre d’appeler au soulèvement. J’espère rassurer ainsi les associations.

La notion de respect de l’ordre public reprend ce qui figure déjà dans la loi, comme l’a rappelé M. de Courson, mais permettra désormais de récupérer les subventions, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent.

La commission spéciale rejette l’amendement.

Puis elle aborde, en discussion commune, les amendements CS1264 de Mme Marie Guévenoux et CS1674 de Mme Souad Zitouni.

Mme Marie Guévenoux. Mon amendement vise à ajouter trois éléments au contenu du contrat d’engagement républicain. Premièrement, la protection de l’enfance et des personnes en situation de faiblesse : il serait étrange de subventionner des associations qui militeraient en faveur de l’eugénisme ou du travail des enfants. Deuxièmement, les exigences minimales de la vie en société, dont nous avons voté l’insertion au titre Ier ; elles avaient été invoquées dans une décision du Conseil constitutionnel relative à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, le Conseil constitutionnel estimant comme le Conseil d’État que la liberté individuelle devait être conciliée avec la protection des droits et libertés d’autrui. Troisièmement, les symboles fondamentaux de la République – le drapeau et l’hymne national.

L’amendement tend également à apporter une précision concernant la sécurité publique, mais M. le rapporteur et M. le ministre ont répondu sur ce point.

Mme Souad Zitouni. Je vais retirer mon amendement – un amendement d’appel –, car il est mal rédigé : il devrait parler de « respect » plutôt que de « défense » de l’environnement.

Je profite de l’occasion pour ajouter une remarque relative à la laïcité, n’ayant pu obtenir la parole tout à l’heure. L’État est neutre, mais le principe de neutralité ne s’applique pas aux associations, qui ne sont pas les représentantes de l’État, ni à leurs membres, qui ne sont pas des fonctionnaires.

L’amendement CS1674 est retiré.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Nous avions en effet répondu à propos de la notion de sécurité publique : celle-ci n’est qu’une partie de l’ordre public, de sorte qu’il vaut mieux conserver la référence à celui-ci.

La protection de l’enfance et des personnes en situation de faiblesse est comprise dans les principes d’égalité et de dignité de la personne humaine.

En ce qui concerne les exigences minimales de la vie en société, que vous avez proposé plusieurs fois d’introduire dans le texte, la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui sert de fondement juridique à cette demande demeure floue quant à leur définition ; or il pourrait être dangereux de demander aux associations de respecter des principes que le législateur lui-même n’a pas définis.

Quant aux symboles de la République, on pourrait en débattre ; mais j’émettrai un avis défavorable à l’amendement dans son entier puisque je suis opposé à trois des quatre propositions qu’il contient.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Nous partageons entièrement les objectifs de l’amendement. Compte tenu des problèmes rédactionnels qu’il pose, le Gouvernement émet toutefois un avis de sagesse. On ne peut, en effet, être opposé au principe de protection de l’enfance, entre autres.

M. Francis Chouat. Peut-être le Gouvernement sera-t-il alors favorable à l’amendement CS1752, également déposé par Marie Guévenoux.

Concernant la laïcité, vous m’avez considérablement rajeuni, monsieur le ministre, en me renvoyant en 1960 et à la pétition du Comité national d’action laïque contre la loi dite Debré de 1959 sur les rapports entre l’État et les établissements d'enseignement privés – heureusement, la laïcité a progressé depuis.

Concernant l’amendement en discussion, mettons-nous à la place de ceux qui vont devoir rédiger et appliquer le contrat d’engagement républicain dans l’esprit de la loi. À force de ne pas vouloir être bavard et de ne pas s’écarter des principes généraux, des éléments aussi essentiels que le respect des exigences minimales de la vie en société vont être absents du texte de loi, donc du contrat. Alors que nous avons débuté l’examen du projet en adoptant un amendement qui ajoute ces exigences à l’intitulé du titre Ier, nous ne ferions pas de leur respect un critère de base dans la rédaction des contrats d’engagement républicain ? C’est contradictoire, et les acteurs associatifs, les élus, les administrations vont s’en arracher les cheveux. Pour éviter cela, il faudra voter sinon cet amendement, du moins l’amendement CS1752.

M. Guillaume Vuilletet. Quand je suis entré à l’Assemblée, on m’a appris la notion d’a contrario : si nous indiquons expressément certains éléments, ceux de même niveau qui ne sont pas spécifiés sont réputés non concernés. Voilà pourquoi il faut s’en tenir aux principes généraux dans le contrat d’engagement républicain : si on commence à préciser certaines choses, il va falloir tout préciser. Je soutiens donc le rapporteur au sujet du présent amendement.

La commission rejette l’amendement CS1264.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS620 de Mme Laurence Vanceunebrock et CS73 de M. Raphaël Gérard.

Mme Laurence Vanceunebrock. Il s’agit d’ajouter la lutte contre les discriminations à la liste des principes républicains que les associations s’engagent à respecter dès leur demande de subvention.

Régulièrement utilisé par divers acteurs, dont le Défenseur des droits, ce principe recouvre des situations variées. Il est ici proposé, compte tenu de la fréquence des violences LGBTphobes et de leur hausse ces dernières années, de mettre en avant la lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, de même que, pour le principe d’égalité, le Gouvernement a choisi de préciser « notamment entre les femmes et les hommes ».

On se souvient, madame la ministre, de vos combats acharnés pour cette égalité et contre les discriminations. Notre mandat doit réaffirmer les valeurs de la République, dont le respect de tous les citoyens, sans discrimination dans quelque domaine que ce soit.

M. Raphaël Gérard. Mon amendement est proche de celui qu’a précédemment défendu Coralie Dubost à propos de la non-discrimination. J’ai bien entendu l’avis qu’avait alors émis le rapporteur, invoquant le principe d’égalité.

Il y aura bientôt deux ans, j’avais saisi le Gouvernement au sujet de propos transphobes figurant sur le site du Mouvement du Nid et proposé de subordonner le versement de subventions publiques à la signature d’une charte de déontologie. Le secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes m’avait répondu en louant les actions de cette association en faveur des personnes souhaitant sortir de la prostitution. Sans remettre en cause son travail de terrain, j’observe que l’intérêt public de l’objet de l’association a pu servir à minimiser la portée des propos discriminatoires tenus et à justifier le doublement des subventions publiques qui lui étaient allouées, sans aucune sanction ni rappel à la loi.

Face à la prolifération de ce type de propos de la part d’associations – citons également le collectif Abolition Porno Prostitution sur Twitter –, nous devons dissiper les soupçons d’une hiérarchie entre les principes républicains qui pourrait conduire à minimiser certaines violences discriminatoires.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que précédemment.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Sans refaire le débat de 2018 sur la prostitution, et puisque le secrétariat d’État de l’époque chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes a été cité, je précise que la subvention allouée au Mouvement du Nid a effectivement augmenté, comme celle de beaucoup d’associations – je remercie Raphaël Gérard de le rappeler –, parce que le Mouvement du Nid est chargé de la mise en œuvre de la loi de 2016, s’agissant notamment des parcours de sortie de la prostitution dans tout le territoire.

Quant aux amendements, je suis personnellement plutôt favorable au fait de détailler le contenu du principe d’égalité, mais, concernant la lutte contre les discriminations, nous avons déjà expliqué que, celles-ci constituant une rupture d’égalité, de tels amendements sont satisfaits. Par souci de cohérence, demande de retrait.

M. Christophe Euzet. J’aurais dû déposer une centaine d’amendements, cela m’aurait permis de prendre davantage la parole que je ne me suis autorisé à le faire…

Nous avons adopté tout à l’heure, contre l’avis du Gouvernement, un amendement délicat concernant le détail de l’une des trois notions composant la devise du pays ; mais, avant même de connaître la proposition de réécriture de l’article 6 par le rapporteur, nous recommençons à vouloir tout détailler à l’infini. À ce rythme, nous allons y passer deux nuits sans avancer d’un pouce ! Je voterai contre ces amendements, comme contre tous ceux allant dans le même sens.

M. Ludovic Mendes. Je partage entièrement le point de vue de mes collègues et leur combat.

La dignité de la personne humaine s’est imposée comme un principe du droit après la seconde guerre mondiale. Le droit à la non-discrimination découle en particulier de l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » C’est sur ce fondement que le droit européen a construit un droit de la non-discrimination, transposé en droit français. La dignité d’une personne peut être bafouée de bien des façons. Ce qui doit être au fondement de la lutte contre les discriminations, c’est le respect de la dignité de la personne humaine.

Ainsi, les amendements sont satisfaits, comme l’était celui de Mme Dubost.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est alors saisie de l’amendement CS1751 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Cet amendement de repli tend à intégrer aux éléments du contrat la protection de l’enfance et des personnes en situation de faiblesse.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Même avis que précédemment, pour les mêmes raisons.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Comme précédemment, je ne peux, par principe, émettre un avis défavorable s’agissant de ce sujet, même si nous avons déjà débattu de l’opportunité de détailler le contenu des principes généraux. Sagesse.

M. Éric Ciotti. Monsieur le président, puisque vous ne m’avez pas laissé intervenir à propos du précédent amendement de Mme Guévenoux, je souligne maintenant son intérêt, particulièrement s’agissant du respect des symboles républicains.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle aborde, en discussion commune, les amendements CS1675 de Mme Souad Zitouni et CS797 de Mme Catherine Osson.

Mme Souad Zitouni. Je propose d’ajouter au contrat la garantie du respect des droits fondamentaux ainsi que du bloc de constitutionnalité, car celui-ci, situé au sommet de la hiérarchie des normes, fournit un cadre juridique protecteur des droits fondamentaux et est souvent invoqué à cette fin.

Mme Catherine Osson. Le contrat d’engagement républicain est un instrument symbolique mais non moins important : il permettra à l’ensemble des associations présentes sur notre sol d’affirmer leur adhésion à la République. La liberté, l’égalité et la fraternité, inscrites au fronton des bâtiments officiels, sont évidemment des valeurs essentielles de notre République, mais elles ne sont pas les seules. D’aucuns peuvent être surpris que la sauvegarde de l’ordre public figure parmi les principes mentionnés à l’article 6 ; je crois surtout que ce serait diminuer notre État de droit que d’opérer une sélection parmi les principes républicains. L’objectif du contrat d’engagement républicain est, au contraire, d’afficher l’adhésion des associations à l’ensemble des valeurs de la République. C’est pourquoi l’amendement CS797 vise à inclure à l’article 6 tout ce que le Conseil constitutionnel appelle le « bloc de constitutionnalité », qui comprend notamment les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, les principes particulièrement nécessaires à notre temps et la Charte de l’environnement.

M. Éric Poulliat, rapporteur. J’entends votre volonté d’allonger la liste des principes et des références déclinés dans le contrat d’engagement républicain, mais je crains malheureusement que toutes les associations ne soient pas en mesure de respecter l’ensemble des principes énoncés dans le bloc de constitutionnalité. Elles risqueraient d’être régulièrement prises en défaut concernant le respect de l’un de ces principes, et donc de se voir obligées de rembourser leurs subventions. Je rappelle en effet que l’article 6 permet à l’autorité publique de réclamer la restitution des subventions versées à une association qui ne respecterait pas le contrat d’engagement républicain. Malgré votre bonne intention, vous mettriez les associations dans une situation dangereuse. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine l’amendement CS1755 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il s’agit de remplacer la notion de « sauvegarde de l’ordre public » par celle de « respect de l’ordre public ».

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le ministre de l’intérieur s’est déjà exprimé à ce sujet. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement CS293 de M. Xavier Breton tombe.

La commission est saisie des amendements CS626 et CS628 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. L’amendement CS626 vise à intégrer la lutte contre les discriminations dans les objectifs du contrat d’engagement républicain, de sorte que toute association s’engage, dans le cadre de son activité et de son administration, à respecter le principe d’égalité. J’ai bien entendu les avis exprimés tout à l’heure sur des amendements similaires, ainsi que les opinions des uns et des autres sur l’opportunité de préciser que le principe d’égalité s’appliquait « notamment entre les femmes et les hommes ». Cependant, il me semble important d’affirmer encore plus fort certains principes afin d’obtenir des actions efficaces de la part des associations.

L’amendement CS628 concerne la lutte contre les dérives sectaires, dont nous n’affirmons pas assez la nécessité dans ce projet de loi. Il convient d’impliquer davantage les associations dans cette action et d’inciter ces dernières à aller plus loin dans le signalement de ces dérives.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je suis défavorable à l’amendement CS626, pour des raisons que j’ai déjà évoquées. La commission a justement décidé de supprimer les mots « notamment entre les femmes et les hommes ».

Je donne également un avis défavorable à l’amendement CS628. La lutte contre les dérives sectaires est un objectif tout à fait louable – ce n’est pas parce que je m’oppose à certains amendements que je ne partage pas les combats qu’ils expriment –, mais elle s’intègre dans le respect de l’ordre public.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le rapporteur a très bien répondu. Le Gouvernement est également défavorable aux amendements, même s’il partage évidemment les objectifs poursuivis par Mme Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Je retire les deux amendements. Nous ne connaissons pas encore le contenu du contrat d’engagement républicain mais nous savons que les modalités d’application de l’article 6 seront précisées par décret en Conseil d’État. J’espère que ces notions de lutte contre les discriminations et les dérives sectaires y seront clairement définies.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1752 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à celui que j’ai défendu précédemment. Il devrait satisfaire le rapporteur car il énonce des principes suffisamment généraux qui figurent déjà à l’article 1er. Les « exigences minimales de la vie en société » font référence à une jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme : elles sont donc précisément définies. Il en est de même des « symboles fondamentaux de la République », qui sont le drapeau et l’hymne national.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le fait que votre amendement n’évoque pas la « sécurité publique » me le rend plus acceptable que le précédent. Vous parlez des « exigences minimales de la vie en société », mais nous avons complété hier l’intitulé du titre Ier par les mots « exigences minimales de la vie en commun dans une société démocratique ». Par souci de cohérence, il conviendrait peut-être de modifier la rédaction de votre amendement.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Je partage l’objectif poursuivi par Mme Guévenoux mais je comprends la question que vient de soulever M. le rapporteur. La définition des « exigences minimales de la vie en société » et des « symboles fondamentaux de la République » nous semble faire l’objet d’un consensus, mais nous nous en remettons à la sagesse de la commission.

Mme Marie Guévenoux. M. Chouat et moi-même ne voyons pas de difficulté à ce que M. le rapporteur sous-amende notre amendement pour y ajouter le mot « démocratique ».

M. le président François de Rugy. Vous êtes l’auteure de l’amendement, madame Guévenoux : c’est donc à vous qu’il revient de le rectifier.

Mme Anne-Laure Blin. Il convient d’adopter cet amendement : les « symboles fondamentaux de la République » méritent de figurer à l’article 6. Je souscris d’autant plus à cette initiative que j’avais déposé un certain nombre d’amendements à ce sujet, qui ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution.

M. le président François de Rugy. Ils n’étaient sans doute pas rattachés au bon article du projet.

M. Guillaume Vuilletet. Comme l’a souligné le rapporteur, l’amendement de Mme Guévenoux et M. Chouat évoque enfin des principes généraux. Il se réfère à une jurisprudence du Conseil constitutionnel, et la notion de « symboles de la République » ne laisse aucune place au doute. Même si nous entendons encore quelques hésitations s’exprimer, le groupe La République en marche considère que cet amendement mérite d’être adopté.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est plutôt l’intitulé du titre Ier, que nous avons adopté hier soir, qu’il conviendra de modifier pour le rendre conforme à l’amendement de Mme Guévenoux. La notion mise en avant par le Conseil constitutionnel est bien celle des « exigences minimales de la vie en société ». À titre personnel, je trouve que cette notion est trop floue pour être normative : c’est la raison pour laquelle il me semblait important de l’introduire dans l’intitulé du titre Ier plutôt que dans les articles. Mais je retiens surtout la référence aux « symboles fondamentaux de la République », qui doit figurer dans le texte pour conforter la solidité de l’article 6.

M. Alexis Corbière. Les formulations générales que vous choisissez ouvrent un océan de possibilités d’interprétation. Tout en étant attachés à la République, nos compatriotes peuvent aimer écouter Renaud chanter « La Marseillaise, même en reggae / Ça m’a toujours fait dégueuler », ou Brassens chanter « La musique qui marche au pas / Cela ne me regarde pas ». Est-ce, pour vous, une absence de respect des symboles de la République ? Qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Évidemment, nous n’avons pas le droit de brûler le drapeau national, mais que répondrez-vous à une association de gens un peu frondeurs, un peu anars, qui n’aiment pas voir tout le temps le drapeau tricolore ? Ils demandent parfois des subventions : ils organisent des barbecues, ils diffusent des chansons… (Exclamations.) J’ai bien compris que nous voulions lutter contre les dérives sectaires et les comportements susceptibles de constituer une agression contre nos compatriotes, mais l’exigence de respect des symboles de la République ouvre une marge d’interprétation qui menace de nombreux éléments de notre culture profonde. Restons raisonnables, n’allons pas plus loin que l’exigence de respect de la loi !

M. Jean-Christophe Lagarde. Je vois bien ce que sont les symboles de la République. Je ne suis pas d’accord avec M. Corbière : nous avons d’ailleurs pénalisé, il y a une dizaine d’années, l’outrage public au drapeau tricolore et à la Marseillaise. On peut considérer que la République a des symboles sacrés, qui doivent être respectés par tout le monde, y compris par ceux qui la contesteraient – on a le droit de contester, mais pas d’insulter.

En revanche, je suis beaucoup plus dubitatif s’agissant des « exigences minimales de la vie en société », non pas parce que je n’y verrais pas la même chose que Marie Guévenoux, mais parce que ce concept est trop flou pour être rendu normatif, comme l’a dit le rapporteur général lui-même. Si nous ne définissons pas cette notion, nous transférerons le pouvoir du législateur vers les magistrats. Je suis toujours très réticent à transférer notre pouvoir au Conseil constitutionnel, dont la légitimité ne vient pas du peuple, même par délégation, et qui est maintenant composé de nombreux anciens politiques – ce que je trouve contestable –, ou au Conseil d’État. Certes, il existe une jurisprudence relative à ces « exigences minimales de la vie en société », mais elle est tellement floue que nous ouvrons un boulevard à toutes les interprétations possibles.

M. Charles de Courson. S’agissant des « symboles fondamentaux de la République » – pour ma part, j’aurais plutôt parlé des « symboles de la République », tout simplement –, les choses sont claires : il s’agit de la Marseillaise et du drapeau tricolore. En revanche, que sont les « exigences minimales de la vie en société » ? Vous dites que vous vous référez à une jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, mais cette jurisprudence concerne la fameuse loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. Les exigences minimales de la vie en société renvoyaient alors au principe de sécurité : si vous dissimulez votre visage, on ne peut pas vous contrôler et vous pouvez alors mener des attaques à main armée, ou que sais-je encore. Je vous en supplie, mes chers collègues, ne votez pas une disposition de portée générale relative aux exigences minimales de la vie en société en vous référant à cette jurisprudence tout à fait particulière. Ce ne serait plus du droit !

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1676 de Mme Souad Zitouni.

Mme Souad Zitouni. Il vise à renforcer le respect du principe d’égalité en complétant l’alinéa 2 par la phrase suivante : « Le contrat d’engagement républicain garantira le respect des droits de l’enfant en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, et les droits des personnes porteuses d’un handicap ainsi que de toute personne dont la vulnérabilité est connue. »

M. Éric Poulliat, rapporteur. Une nouvelle fois, je soutiens cette cause mais je souhaite m’en tenir au principe général. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même argumentaire que précédemment. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1889 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il prévoit qu’un agrément vaudra signature du contrat d’engagement républicain. Autrement dit, toute association agréée sera réputée signataire de ce contrat.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le Gouvernement est très favorable à ce bel amendement, qui permet de simplifier considérablement le travail effectué par les associations, de rassurer une grande partie du mouvement associatif et de répondre aux questions soulevées précédemment par un certain nombre de députés.

Mme Cécile Untermaier. Vous semblez tenir beaucoup à l’article 6 et à l’engagement des associations sur un certain nombre de principes dont nous avons discuté. Or l’agrément n’est pas du tout accordé sur la base du respect de ces principes. Je m’interroge donc quant à la cohérence de cet amendement, qui réserve le contrat d’engagement républicain aux associations non agréées, avec le reste de l’article 6. Pourquoi ne considérez-vous pas que toute association recevant des subventions doit satisfaire à cette exigence républicaine à laquelle vous tenez tant ?

M. François Pupponi. Je peux comprendre qu’une association agréée soit dispensée de signer le contrat d’engagement républicain à chaque fois qu’elle redemande une subvention, mais pas qu’elle en soit dispensée lorsqu’elle demande l’agrément. Il faut obliger les associations qui demandent l’agrément à signer le contrat, une fois pour toutes. En les en exonérant a priori, nous créerions un vide juridique.

M. Jean-François Eliaou. J’irai dans le même sens que M. Pupponi : nous sommes d’accord sur le principe, mais la chronologie n’est pas la bonne. J’ai déposé un amendement à ce sujet à l’article 7, et non à l’article 6, car nous n’avons pas encore parlé des associations agréées ni des conditions d’agrément.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je vous rassure : à l’article 7, nous introduisons une quatrième condition pour obtenir un agrément, qui est de respecter les principes du contrat d’engagement républicain. Il faut bien distinguer l’article 6, qui concerne la demande de subvention, et l’article 7, qui porte sur l’agrément. Par souci de simplification et pour satisfaire une demande du monde associatif, nous prévoyons à l’article 6 qu’on ne redemandera pas à une association de signer le contrat d’engagement républicain pour recevoir une subvention si elle l’a déjà fait au moment d’obtenir l’agrément. Les deux articles se répondent pour éviter aux associations d’accomplir deux fois la même démarche.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1759 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Signer le contrat d’engagement républicain, c’est bien, mais encore faut-il que les membres de l’association soient informés de ce à quoi cette dernière s’est engagée. Nous proposons qu’en signant le contrat, l’association s’engage aussi à informer chacun de ses membres du contenu de ce document, de manière individuelle, et non en affichant ces principes quelque part dans un coin de ses locaux.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Avis défavorable. Nous partageons évidemment le souci d’information et de formation exprimé par M. le rapporteur, mais cet amendement soulève plusieurs questions qui ont d’ailleurs été posées tout à l’heure.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je soutiens l’amendement du rapporteur. Demain, nous entendrons des associations affirmer, y compris devant les tribunaux, qu’elles ignoraient tout de l’activité de tel ou tel de leurs membres, à qui elles n’ont d’ailleurs jamais rien demandé. Quand vous adhérez à une association, il est rare que l’on vous fournisse et que vous signiez ses statuts – même si c’est théoriquement ainsi que les choses devraient se passer. Au cours de l’examen parlementaire de ce projet de loi, il faudra donc trouver un moyen de s’assurer que les membres d’une association ayant signé un contrat d’engagement républicain en soient effectivement informés. Dans le cas contraire, il sera très facile pour l’adhérent à un club de sport, par exemple, de faire quelque chose qui contrevient aux engagements signés par l’association, dont il n’a jamais été informé d’autant qu’ils ne figurent même pas dans ses statuts.

M. Jean-Paul Mattei. Je soutiens moi aussi cet amendement, qui conditionne le respect effectif du contrat d’engagement républicain par les adhérents. L’information de ces derniers me semble indispensable, même si son caractère individuel est peut-être un peu excessif car il risque de se heurter à des difficultés d’organisation. Nous devons donc réfléchir aux modalités de cette information, qui pourront être précisées dans un décret d’application.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le Gouvernement est ouvert à toute évolution. C’est l’obligation de formation des adhérents qui nous paraît trop lourde et qui soulève trop de questions, s’agissant notamment de son application. Quant à l’information, l’amendement ne prévoit pas les modalités de contrôle de son effectivité. Néanmoins, je suis sensible aux arguments exprimés par M. Lagarde et d’autres députés : d’ici à la séance publique, nous devrons trouver une manière d’assurer l’information des membres des associations sans créer de nouvelles obligations trop lourdes pour ces dernières. Il y a sans doute un chemin de crête à trouver.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je ne parle pas de formation, mais uniquement d’information. L’information individuelle est importante, notamment dans le contexte actuel de crise sanitaire qui empêche la tenue des assemblées générales ou l’organisation de rassemblements collectifs. Par ailleurs, on considère à l’article 8 que tout membre de l’association peut voir engager sa responsabilité : il est donc important de s’assurer de l’information effective de chacun. Cette information peut prendre la forme d’un mail : elle ne crée donc pas de charge administrative particulière.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS93 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Yves Hemedinger, absent ce soir, avait déposé un amendement analogue.

Il s’agit de permettre au maire, qui, en tant qu’élu de proximité, est le mieux à même d’identifier les signaux faibles de radicalisation, de procéder à des visites inopinées dans les locaux des associations présentes sur le territoire de sa commune afin de contrôler le respect par ces dernières du contrat d’engagement républicain.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le maire, qui sera en effet souvent le premier à être confronté au non-respect du contrat d’engagement républicain, peut déjà, aux termes de l’article L. 1611-4 du code général des collectivités territoriales, exercer un contrôle sur les associations qui perçoivent des subventions de sa commune. L’amendement me semble donc satisfait.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Nous partageons votre analyse du rôle du maire. Toutefois, celui-ci dispose d’ores et déjà de la possibilité de contrôler l’emploi des subventions qu’il attribue, pourvu que la commune ait conclu avec l’association une convention qui le prévoit. Il peut également, notamment au titre de la police des établissements recevant du public (ERP), réaliser des visites inopinées, par exemple dans le cadre des contrôles de sécurité. L’amendement me paraît donc satisfait.

J’ajoute qu’un élu peut également adresser un signalement au préfet afin que la CLIR se réunisse pour étudier le dossier de l’association et décider, le cas échéant, de fermer ses locaux. Avis défavorable.

Mme Anne-Laure Blin. Je ne comprends pas : pour M. le rapporteur, le code général des collectivités locales permet au maire de se rendre dans les locaux d’une association pour y exercer un contrôle alors que, pour Mme la ministre, il doit, pour ce faire, signer une convention avec l’association. Pourriez-vous clarifier ce point ?

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le rapporteur et moi faisons référence à des textes différents, mais nous sommes d’accord. En fait, le maire a plusieurs possibilités d’intervenir. Depuis le 13 novembre 2018, il peut, par exemple, dans le cadre du dialogue renforcé avec l’État dans le domaine de la prévention de la radicalisation violente, demander aux services de l’État de l’accompagner lorsqu’il se rend dans les locaux d’une association. J’ai cité les visites de contrôle de la sécurité incendie à titre d’exemple, pour illustrer la possibilité qu’a le maire de procéder à une visite des locaux. Par ailleurs, s’il met à la disposition d’une association une salle municipale, il est fondé, comme tout autre élu de la commune, à se rendre dans cette salle pour apprécier la réalité et la nature des activités qui y sont exercées.

Enfin, le préfet et les services de l’État doivent rester à la manœuvre en la matière. Or, je crains, si cet amendement était adopté, que le maire se sente obligé de se déplacer et que l’État soit accusé de se défausser sur les élus locaux.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le maire peut en effet d’ores et déjà se déplacer pour exercer un contrôle. J’ajoute que ce pouvoir de contrôle de la collectivité est mentionné dans la plupart des conventions conclues entre les mairies et les associations.

Mme Anne-Laure Blin. Il n’est pas question de faire peser la responsabilité de l’État sur les élus locaux. Nous proposons que ceux-ci aient la possibilité de se déplacer et non qu’ils y soient obligés.

M. le président François de Rugy. Faut-il descendre à ce niveau de détail dans la loi ? De fait, un maire peut déjà se rendre dans les locaux d’une association que sa commune subventionne. Si ses responsables refusent de lui ouvrir la porte, il ne manquera pas d’en tirer les conséquences.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1212 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Elsa Faucillon. Il s’agit d’associer les collectivités territoriales ainsi que le mouvement associatif et sportif à la rédaction du contrat d’engagement républicain. Non seulement cette concertation faciliterait l’adhésion à ce contrat, qui ne serait pas perçu comme une injonction, mais elle attesterait la reconnaissance par l’État de la contribution du mouvement associatif à la cohésion sociale. De fait, dans bien des quartiers, ce sont les associations qui font vivre la République et ses valeurs ; or elles se sentent bien seules.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’organisation d’une concertation avec le mouvement associatif est bien entendu nécessaire sur les questions qui le concernent. Mais cette concertation est déjà en cours. En outre, la disposition proposée me semble relever davantage du champ réglementaire. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Votre amendement est juste et pertinent, mais il est satisfait. En effet, nous avons commencé, avec la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’engagement, à consulter les associations, dont nous avons d’ailleurs pris en compte certaines remarques et demandes, comme en témoigne notamment l’amendement relatif aux associations agréées adopté tout à l’heure. Le mouvement associatif est ainsi pleinement associé à la rédaction du contrat d’engagement républicain. Par ailleurs, nous allons poursuivre, avec la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, la consultation des associations d’élus, qui ont déjà été reçues par le ministre de l’intérieur. Pour ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement.

Mme Elsa Faucillon. Je maintiens l’amendement. Comprenez-le, puisqu’on nous demande de voter la création du contrat d’engagement républicain sans en connaître le contenu, nous souhaitons qu’au moins cet engagement concernant la consultation des associations soit inscrit dans le projet de loi.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je soutiens cet amendement. Ce n’est pas au Gouvernement, me semble-t-il, de définir le contenu du contrat d’engagement républicain ; il serait plus logique qu’il fasse l’objet d’une résolution de l’Assemblée nationale et du Sénat. Par ailleurs, je souhaiterais que l’on nous dise d’ici à la séance publique si l’élu qui souhaite contrôler une association subventionnée a le droit de pénétrer dans ses locaux, même si ceux‑ci ne sont pas considérés comme un ERP.

M. Philippe Vigier. L’amendement me paraît intéressant : le dialogue avec les collectivités territoriales et le mouvement associatif et sportif est nécessaire. Et il doit se dérouler aussi au niveau territorial, faute de quoi les petites associations auront le sentiment qu’on leur impose quelque chose depuis Paris. Il faut emmener tout le monde ! Le contrat d’engagement républicain est une belle idée ; elle doit partir de la base pour remonter vers le haut, et non l’inverse.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1677 de Mme Souad Zitouni.

Mme Souad Zitouni. Cet amendement d’appel a pour objet de soumettre les associations à une obligation de moyens en matière de promotion de la mixité sociale.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. L’obligation de moyens sort du champ des principes dont relève le contrat d’engagement républicain. En outre, elle représenterait une charge beaucoup trop lourde pour les associations de petite taille.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis que le rapporteur.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1768 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Lorsqu’une association subventionnée exerce une activité en lien avec un public mineur, le devoir de neutralité doit s’imposer aux salariés et personnels, y compris bénévoles, qui participent à cette activité. Même si la plupart d’entre elles respectent scrupuleusement cette règle, il nous faut prendre la mesure de l’entrisme dont font l’objet beaucoup de nos associations sportives et, plus largement, celles qui concourent aux activités périscolaires.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Imposer une obligation de neutralité à une association qui n’exerce pas une mission de service public me paraît attentatoire à la liberté d’association. J’ajoute que les associations concernées seront amenées, si elles sont subventionnées, à signer le contrat d’engagement républicain. Au demeurant, celles qui accueillent des mineurs sont souvent agréées. Je suis donc défavorable à l’amendement, même si je comprends l’inquiétude exprimée.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

M. Frédéric Petit. Je suis en désaccord absolu avec le rapporteur. La loi interdit à une association d’accueillir plus de sept mineurs si elle n’est pas agréée. Mais, depuis les années 1990, on a accordé de nombreuses dérogations à de petites associations qui se sont multipliées au détriment des animateurs des maisons des jeunes et de la culture, lesquels disparaissent du paysage. C’est ainsi qu’a commencé l’abandon des tiers de confiance et, partant, des quartiers. Pour une fois, dans ce texte, un amendement vise juste ! Soit nous renonçons à accorder des dérogations, soit, et ce serait préférable, nous inscrivons dans la loi que l’accueil d’enfants implique le respect de la neutralité.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS1282 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Nous proposons de supprimer l’alinéa 3 de l’article 6. Le fait d’obliger une collectivité à refuser une subvention à une association dont l’objet est illicite nous paraît en effet incompatible avec le principe de libre administration des collectivités territoriales.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. Non seulement le Conseil d’État considère que cette disposition ne porte pas atteinte au principe de libre administration des collectivités, mais la suppression de l’alinéa 3 priverait le contrat d’engagement républicain de tout effet contraignant.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’alinéa 3 respecte l’article 72 de la Constitution puisque celui-ci dispose : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement […] ». Du reste, le bureau de l’Association des maires de France elle‑même soutient à l’unanimité l’article 6.

M. Charles de Courson. Cet alinéa est-il opératoire ? La décision de la collectivité sera, certes, soumis au contrôle de légalité mais, sachant que des milliers de décisions de ce type sont prises, on peut douter de son efficacité. Au demeurant, en quoi est-il utile, puisque la loi s’applique ?

M. Jean-Christophe Lagarde. Hélas, les refus de subventions font l’objet de contestations de plus en plus nombreuses, comme si l’aide de la collectivité était devenu un droit quasi automatique. Dans ces conditions, l’alinéa 3 est indispensable car il permettra aux élus locaux de motiver leur refus. Je voterai donc contre l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1141 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Cécile Untermaier. Afin d’éviter tout risque d’arbitraire, nous proposons de préciser qu’une subvention est refusée ou retirée à une association si l’objet de celle-ci est manifestement illicite. Une telle précision serait de nature à rassurer les associations qui ne posent pas de problème, c’est-à-dire la très grande majorité d’entre elles.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je crains que l’ajout du mot « manifeste » ne soit à l’origine de nombreux contentieux, car on se fondera sur cet adjectif pour contester la décision de la collectivité. Dès lors que le texte impose à celle-ci de motiver sa décision et de respecter une procédure contradictoire, on évite, me semble-t-il, tout risque d’arbitraire. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le Gouvernement estime également que la rédaction actuelle est préférable car celle que vous proposez risquerait de provoquer une cascade de contentieux. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. De toute façon, les contentieux existeront.

M. Charles de Courson. Je ne comprends pas la rédaction de cet alinéa. Si une association a un objet illicite, cela signifie que le contrôle de légalité exercé par la préfecture a été défaillant lors du dépôt des statuts !

M. François de Rugy. Je crains qu’il y ait un malentendu. En France, les associations sont soumises, non pas à un régime d’autorisation préalable comprenant un contrôle de la légalité des statuts, mais à un régime de déclaration.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS1760 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS604 de Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Pour s’assurer que le contrat d’engagement républicain est bien respecté, nous proposons qu’il fasse l’objet d’une évaluation annuelle.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je rappelle que 61 % des associations perçoivent un financement public ; l’évaluation proposée représenterait donc une charge de travail considérable. En outre, l’amendement ne précise pas si ce sont les associations ou les services des collectivités ayant délivré la subvention qui seront chargés de réaliser cette évaluation. Je vous propose donc de le retirer et d’y retravailler. En l’état, j’y suis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1142 de M. David Habib.

Mme Cécile Untermaier. Je vais retirer l’amendement, mais je souhaitais faire remarquer à M. le rapporteur que, contrairement à ce qu’il a indiqué au sujet de l’amendement CS1141, il n’est pas fait mention, à l’alinéa 3, d’une obligation de motiver la décision. Les modalités du refus de la subvention sont très floues, alors que le dispositif de l’alinéa 4 est, je vous l’accorde, un peu plus encadré.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement CS1831 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il s’agit de permettre à la collectivité ayant attribué une subvention de consulter pour avis le préfet avant de prendre la décision de retirer cette subvention pour non-respect des principes du contrat d’engagement républicain. Cet avis permettrait de renforcer la motivation de sa décision.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Avis favorable.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi de le dire, je ne comprends pas que l’on précise dans la loi que le maire peut téléphoner ou écrire au préfet. J’espère qu’ils n’ont pas besoin de cela pour se parler !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS1765 et CS1761 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS102 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Il s’agit de préciser qu’en cas de non-respect du contrat d’engagement républicain, l’intégralité des sommes versées et perçues doit être restituée.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cette précision me semble inutile. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. L’amendement est satisfait. Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS605 de Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Il s’agit de fixer le délai dans lequel doivent être restituées les subventions versées à des associations qui ne respecteraient pas le contrat d’engagement républicain.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le délai de six mois que vous proposez me paraît trop long. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

(Protestations prolongées.)

La commission est ensuite saisie de l’amendement CS423 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. En cas de mauvaise foi, de volonté de dissimulation ou de rupture du contrat d’engagement républicain, la simple restitution de la subvention perçue apparaît comme une sanction trop faible. C’est pourquoi je propose que l’autorité judiciaire compétente puisse compléter cette restitution par une amende pouvant aller jusqu’à 75 000 euros.

M. Éric Poulliat rapporteur. Défavorable. Si des poursuites doivent être engagées pour des agissements contraires aux principes de la République, elles doivent être fondées sur des délits et des crimes. Si le non-respect des principes républicains peut se matérialiser par la commission de crimes, ce n’est pas à travers le prisme de la subvention publique, dont le retrait serait majoré d’une amende, que la question doit être traitée. Nous parlons ici du lien entre l’association et la collectivité. Dès lors, le retrait de la subvention se suffit à lui-même.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis que le rapporteur.

M. Philippe Vigier. Je demande la parole, monsieur le président !

M. le président François de Rugy. J’ai bien compris que vous contestiez le résultat du vote sur l’amendement CS605. Mais il se trouve que c’est moi, en tant que président, qui compte les voix. Lors du scrutin, de nombreux députés ne levaient pas la main. J’ai donc demandé à nouveau qui était contre l’amendement ; il se trouve que les votes contre étaient plus nombreux que les votes pour. C’est ainsi ! L’amendement pourra, si vous le souhaitez, être redéposé en séance publique où il sera à nouveau soumis au vote.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1758 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Dans le cas où une association a demandé des subventions à plusieurs acteurs publics, l’amendement vise à obliger l’administration retirant sa subvention à le notifier aux autres collectivités ainsi qu’au préfet, de sorte que tous soient prévenus que le contrat d’engagement républicain a été rompu. La libre administration des collectivités est respectée, puisqu’il n’y a pas de mécanisme automatique. Cela permet d’éviter qu’une association reste subventionnée, alors qu’elle n’a pas respecté le contrat d’engagement.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Ce principe du partage de l’information est judicieux, et je suis évidemment très favorable à l’idée que les préfets soient avertis. Néanmoins, l’amendement ne vient-il pas créer une obligation de notification pour les collectivités territoriales ? Que se passerait-il si elles ne prévenaient pas les autres administrations et le préfet ? Peut-être est-il possible de travailler d’ici à la séance à une rédaction plus souple. Avis favorable en conscience.

M. François Pupponi. L’amendement ne tourne pas complètement, parce que des associations sont financées par l’État et les collectivités. Que se passe-t-il si c’est l’État qui retire sa subvention ? Le préfet va écrire au préfet ? L’amendement n’est pertinent que lorsque ce sont les collectivités qui sont concernées. Il faudra améliorer sa rédaction d’ici à la séance.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’amendement mentionne bien « plusieurs autorités administratives ».

M. François Pupponi. « Allô, monsieur le préfet ? C’est le préfet ! »

M. le président François de Rugy. Monsieur Pupponi, vous pinaillez ! S’il faut améliorer la rédaction d’ici à la séance, le rapporteur aura un peu plus d’une semaine pour y réfléchir.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1143 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Je me pose toujours la question de l’arbitraire et de la contestation de la décision. Il faut encadrer le recours juridictionnel pour garantir la liberté d’association. La pression du retrait de subventions est énorme pour une association. Il ne faudrait donc pas que cela devienne une arme, qui dissuade de constituer des associations. C’est pourquoi l’amendement vise à insérer après l’alinéa 4 : « Les décisions de refus ou de retrait des subventions sont susceptibles de recours en référé-liberté au sens de l’article L5212 du code de justice administrative. »

M. Éric Poulliat, rapporteur. Même si je comprends son intention, je suis défavorable à l’amendement. Le juge des référés peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. L’objectif du référé-liberté est de mettre fin à l’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale. Or le retrait de la subvention n’empêche pas l’association de continuer à se réunir. Dès lors, la liberté d’association n’est pas menacée par la décision de retrait, et un recours traditionnel est suffisant.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Il n’y a pas de droit aux subventions publiques. Beaucoup d’associations fonctionnent soit avec des fonds privés, soit avec des cotisations, soit de façon bénévole. La subvention est accordée sur la base de différents paramètres, mais il n’y a pas d’obligation ni pour l’État ni pour les collectivités d’en attribuer. Avis défavorable.

Mme Cécile Untermaier. Certes, il n’y a pas de droit à la subvention. Je me place simplement dans la situation où c’est quasiment un droit acquis, une fois que l’association l’a obtenue. Parfois, elle a besoin de ces crédits pour fonctionner. Or le recours juridictionnel a posteriori est long. Pour protéger la liberté d’association, il faut s’interroger sur la possibilité d’un recours immédiat et rapide.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1205 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Christophe Euzet. Les associations qui font l’objet de donations de la part de contribuables ont la faculté d’émettre des documents, listés à l’article 1740 A du code général des impôts, permettant aux donateurs d’obtenir des déductions fiscales. Il serait au moins choquant que des associations ayant refusé de signer le contrat d’engagement républicain ou l’ayant manifestement violé puissent offrir à leurs donateurs des réductions fiscales ou que leurs donateurs puissent obtenir des réductions d’impôt en finançant de telles associations.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Si je partage la philosophie de votre amendement, qui rejoint les intentions des articles 10, 11 et 12 en matière de contrôle des associations, j’y suis défavorable. En effet, les associations qui délivrent un reçu fiscal à leurs contributeurs peuvent le faire sans que l’administration dispose d’une voie d’autorisation obligatoire préalable. Dès lors, il semble difficile, en l’état du droit et sans proposer une refonte totale du système en vigueur, d’exercer le droit de regard que vous proposez.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

M. Christophe Euzet. Je prends acte de la réponse du rapporteur. Nous retravaillerons l’amendement pour la séance.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS920 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il nous paraît important d’accompagner toute subvention d’un document récapitulant les droits et les devoirs des associations. Soyons concrets car de nombreuses associations ont peu de moyens et doivent s’orienter dans un véritable maquis de règles. Nous devons leur fournir des outils pratiques. Cela contribuera à éclaircir cette discussion qui est parfois opaque.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cet objectif me semble déjà largement satisfait. La demande de subvention liste d’ores et déjà les engagements de l’association. Le CERFA utilisé pour les demandes de subvention renvoie explicitement à la charte des engagements réciproques de 2014. En outre, il existe des points ressources sur tout le territoire, par exemple les maisons des associations. Dès lors, imposer une contrainte administrative supplémentaire aux collectivités ne me semble pas nécessaire. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1756 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Nous avons souvent évoqué l'importance du contrôle du respect du contrat d’engagement républicain. Je vous propose d’intégrer dans le décret d’application relatif à ce contrat les modalités de contrôle.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Demande de retrait car le décret d’application ne nous semble pas être le meilleur vecteur. La convention passée entre l’autorité qui octroie la subvention et l’association bénéficiaire peut prévoir des modalités de contrôle – compte rendu des fonds alloués, bilan de budget, etc. Les contrôles peuvent également s’appuyer sur les compétences propres de chaque autorité publique ; il serait difficile de les rappeler toutes dans le décret d’application.

Cela ne diminue en rien la volonté du Gouvernement de faire exercer des contrôles, d’abord par les autorités qui accordent des subventions, mais aussi grâce à différents signalements provenant par exemple des CLIR (cellules locales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire), qui étudient dans chaque département l’ensemble des dossiers concernant les organisations, commerces et associations qui lui sont signalés comme étant problématiques du point de vue du respect des principes républicains.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS282 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. La formation est la grande absente de ce projet de loi. Conforter les principes de la République, ce n’est pas seulement restreindre et encadrer les libertés, c’est aussi les enseigner. L’objectif est donc de proposer une obligation de formation aux principes républicains pour les dirigeants d’associations, afin de s’assurer qu’ils ont bien saisi le contrat qu’ils ont signé et de faciliter l’application du contrat d’engagement par les membres de l’association. Il existe des formations gratuites, dispensées sur la plateforme Fun, une plateforme de Massive Open Online Courses (MOOC), qui permettent d’éviter d’ajouter une charge au budget de l’association.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Vous avez tout à fait raison de souligner l’importance de la formation dans les associations ; il en existe déjà de nombreuses pour les dirigeants associatifs. Ajouter une obligation de formation aux principes républicains semble être une bonne chose. Toutefois, cela créera une charge qu’il faudra financer ; cela peut être compliqué pour les associations ayant une taille critique. De plus, nous avons déjà instauré un devoir d’information des membres de l’association, qui peut être l’occasion de débattre de ce que recouvre le contrat. Même si je partage votre objectif, je n’y suis pas favorable car cela créerait une charge trop lourde pour les associations. Je demande donc le retrait de cet amendement, et nous essaierons de le réécrire en vue de son examen en séance ; à défaut, avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Le Gouvernement a déposé deux amendements sur la question de la formation à la laïcité. Le premier vise à nommer des référents laïcité dans tous les services publics, y compris dans les administrations qui accompagnent les associations sur la laïcité. Le deuxième amendement vise à rendre obligatoire la formation de l’ensemble des agents publics à la laïcité. Nous avons confié une mission flash sur ce sujet au préfet Pierre Besnard, qui rendra ses conclusions dans moins de deux mois.

La formation à la laïcité soulève beaucoup de questions, d’abord sur son financement, ensuite sur son contenu et enfin sur les prestataires, certains délivrant des formations à la laïcité qui, en réalité, ne combattaient pas les idéologies séparatistes. Par ailleurs, certaines associations disposent de moyens trop faibles pour assurer une formation. Si nous ne sommes pas favorables à la création d’une obligation de formation pour les dirigeants d’associations, nous sommes en revanche d’accord pour réfléchir à une mise à disposition d’outils d’information et de formation.

M. Julien Ravier. Votre réponse porte sur la formation à la laïcité des agents du service public. Or mon amendement concerne les associations percevant une subvention, dont le versement est désormais conditionné à la signature d’un contrat d’engagement républicain. La moindre des choses, c’est de s’assurer que le dirigeant de l’association signant ce contrat a reçu une formation minimale. Nous pouvons peut-être revoir la rédaction de l’amendement pour préciser que cela vise la personne qui a la signature. Quoi qu’il en soit, il existe des formations totalement gratuites. Alors que l’on cherche à conforter les principes républicains dans le secteur des associations, le texte n’aborde à aucun moment la formation de leurs dirigeants : c’est pourtant le minimum ! Nous attendons un signal de votre part sur cette question.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1283 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Il s’agit de régler le problème de la formation des bénévoles d’associations en modifiant la loi du 3 août 2018 pour permettre au comité consultatif du Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) de veiller à ce qu’une partie des fonds soit affectée à la formation des responsables associatifs, afin que ceux-ci puissent parfaitement maîtriser et diffuser les principes arrêtés dans le contrat d’engagement républicain.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je partage totalement votre avis sur l’importance de la formation des dirigeants. Toutefois, votre amendement n’est pas opérant. Vous indiquez que les membres du comité consultatif du FDVA doivent veiller à ce que ces fonds financent des formations aux principes républicains. Votre formulation me semble floue car elle n’impose pas d’obligation de moyens ni de résultats. Il est dès lors difficile pour ces membres de juger dans quelle mesure l’effort de formation réalisé est suffisant ou au contraire insuffisant.

De plus, il n’est pas forcément pertinent d’ajouter des contraintes aux associations. L’idée est louable mais il faudrait trouver un autre moyen pour rendre cette obligation de formation plus opérante. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 6 modifié.

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*     *

8.   Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 9 heures (après l’article 6 à après l’article 12)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10191579_60093231155d8.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-21-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi confortant le respect des principes de la République par les amendements portant article additionnel après l’article 6.

Après l’article 6 :

La commission examine tout d’abord l’amendement CS1385 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. J’ai déjà évoqué les propos de M. Youssef Chieb, professeur associé à l’université Paris-XIII, lors de son audition par une commission d’enquête sénatoriale, à propos de la problématique de l’entrisme séparatiste dans nos universités, lieux de savoir et de lumière dont certains mouvements veulent pourtant faire l’arrière base du séparatisme.

Certaines associations tirent parti de la liberté qui y règne, essaient de déroger à la loi de 2004 et incitent les étudiants à arborer des insignes religieux ostentatoires.

Je souhaite donc que l’obtention de subventions par les associations étudiantes soit soumise à une nouvelle condition : outre la signature du contrat d’engagement républicain, elles devraient participer à des séminaires de prévention de la radicalisation et du séparatisme avec les référents laïcité de leurs établissements.

M. Éric Poulliat, rapporteur pour le chapitre II du titre Ier. Si nous avons travaillé ensemble, cher collègue, sur la question de la radicalisation, et si je souscris à la philosophie de votre amendement, il me semble que l’obligation de formation que vous proposez créerait une charge très importante pour l’organisation et les finances tant des associations étudiantes que des universités.

En outre, les initiatives étudiantes ont, dans le contexte actuel, besoin d’exister : or une telle mesure contribuerait à les brider.

Par ailleurs, le contrat d’engagement républicain que nous avons voté hier, qui implique un devoir d’information individuel des membres, diffusera une culture d’adhésion aux principes républicains.

Par conséquent si l’objectif est bon, le moyen ne me semble pas le plus approprié, parce qu’il est trop contraignant. Je propose donc le retrait de l’amendement pour conserver cette fenêtre d’expression de la jeunesse.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur, chargée de la citoyenneté. Nous sommes défavorables à l’amendement, mais pas sur le fond, l’entrisme et la radicalisation au sein des universités nous alertant également.

Pourquoi cette opposition ? Tout d’abord comment vérifierons-nous que les formations en question ont vraiment eu lieu et par quels opérateurs elles ont été menées ? Cette dernière question nous a notamment conduits à créer des référents laïcité dans les administrations et à confier au préfet Pierre Besnard une mission flash de deux mois visant à déterminer un calendrier permettant la formation de 100 % des agents publics.

La question du financement de telles formations se pose également.

Mme Marie-George Buffet. Si les faits que vous rapportez sont exacts, cher collègue, il faut que l’université concernée agisse, la loi permettant de lutter contre le voile intégral.

Par ailleurs les étudiants sont des adultes majeurs : laissons-les donc s’engager dans le bénévolat et dans la vie associative ! Allons-nous demander à tous les candidats et candidates à une élection dans la République de suivre un stage de formation ?

Soyons un peu raisonnables concernant la liberté d’association.

M. Christophe Euzet. Il faut se réjouir du fait que le rapporteur général et le ministre de l’éducation nationale aient adopté le principe de la formation initiale et continue des enseignants.

Ayant moi-même été référent laïcité sur le campus de mon université, je partage la préoccupation de notre collègue Éric Diard concernant le système associatif dans les universités.

Il est en effet aujourd’hui indispensable d’envisager la formation du personnel dirigeant des associations étudiantes, même si elle peut concrètement être difficile à organiser, la mobilisation de la réserve citoyenne – objet de l’un de nos amendements – pouvant cependant être imaginée.

Ceux qui sont appelés à demander des financements publics doivent être informés du fait républicain.

M. Éric Diard. Tout en ayant bien entendu les préconisations du rapporteur et de la ministre et en admettant qu’il doit être retravaillé, je maintiens l’amendement, qui n’a pas été déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

Madame Buffet, il ne s’agit pas de former tous les étudiants mais leurs représentants associatifs.

Je suis inquiet : Sciences-Po Paris organise le « Hijab day ». J’ai par ailleurs été interpellé il y a un mois à l’occasion d’un échange en visioconférence par une étudiante de ce même établissement qui m’a dit : « Monsieur Diard, l’emploi du mot séparatisme dans cette loi est scandaleux : c’est un mot colonial qui nous renvoie au général de Gaulle et qu’il faut bannir. »

M. Charles de Courson. C’était des « première année » ! (Sourires.)

M. Éric Diard. Pas seulement, malheureusement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS1019 de Mme Brigitte Kuster, CS95 de Mme Anne-Laure Blin, CS146 de M. Emmanuel Maquet, CS1169 de Mme Constance Le Grip et CS333 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Il s’agit de permettre aux maires de refuser la location d’une salle à un individu ou à une association voulant y organiser un événement religieux.

Pourquoi en passer par la loi ? En raison d’une jurisprudence datant de 2011 : le Conseil d’État a en effet jugé que le refus de la maire de la commune de Saint-Gratien de prêter une salle à une association musulmane en période de ramadan « […] portait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés de réunion et de culte […] ».

Si nous ne méconnaissons évidemment ni la liberté d’association ni la liberté de réunion, ce jugement en contredit d’autres, qui lui sont antérieurs et dont certains sont même antérieurs à la loi de 1905.

Ainsi, en 1900, le Conseil d’État avait jugé qu’un conseil municipal pouvait mettre l’utilisation de locaux appartenant à une commune à l’abri « […] de querelles politiques ou religieuses […] ».

Or un maire qui n’aurait pas pu s’opposer à la liberté de réunion et aurait été obligé d’accorder une salle communale à une association pour un motif cultuel ou prétendu tel serait tenu pour responsable des images tournées dans celle-ci – ou des discours de haine à l’égard de la République ou déviants par rapport à ses valeurs qui y auraient été prononcés –  et diffusées sur les réseaux sociaux.

L’amendement tend donc à protéger les maires et à leur donner un outil supplémentaire pour se mettre à l’abri de discours fondamentalistes ou séparatistes.

Mme Anne-Laure Blin. Il s’agit de la même idée : en première ligne dans nos territoires, les maires doivent pouvoir, afin de combler un vide juridique, refuser de louer une salle à une association qui porterait atteinte à la République « […] sans porter préjudice au principe d’égalité ou de la liberté de réunion […] ».

Il faut en passer par la loi pour que ces élus puissent le refuser sans pour autant être condamnés.

Mme Constance Le Grip. Nous souhaitons modifier un article du code général des collectivités territoriales (CGCT) afin qu’un maire puisse refuser la location d’une salle municipale à un individu ou à une association organisant un événement pour un motif religieux, tout en étant, compte tenu de la décision du Conseil d’État de 2011, parfaitement respectueux des libertés de réunion, d’association et de culte.

Les maires sont en effet à même d’apprécier, sur le terrain, les risques de dérive et de propagation d’idées séparatistes ou portant atteinte aux principes de notre République de la part d’individus ou d’associations sollicitant la location d’une salle municipale.

Nous souhaitons leur offrir un cadre juridique leur permettant de la refuser, ce qui serait cohérent avec l’objectif du projet de loi, qui est de renforcer les principes de la République.

En l’état du droit, il leur faut en effet justifier très précisément, pour des motifs tenant notamment au fonctionnement des services, au maintien de l’ordre public ou aux nécessités de l’administration des propriétés communales, de telles décisions, ce qui ne les arme pas face aux dérives et aux discours séparatistes contraires à ces mêmes principes.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je comprends votre objectif, chers collègues. Le CGCT autorise l’utilisation de locaux municipaux par des associations, même à des fins cultuelles. Or, le communautarisme n’ayant pas de définition juridique, il est impossible d’en tirer un motif. Qui plus est, s’appuyer sur un motif religieux pour refuser l’accès à certains équipements publics entraînerait une pure rupture d’égalité, qui serait censurée par le Conseil constitutionnel.

Il faut donc s’en remettre aux questions d’ordre public et aux conventions, le maire comme son administration étant libres de définir les conditions de prêt et d’occupation des salles communales.

Si j’entends la préoccupation, les arguments sont contraires aux principes. En outre, le prêt d’une salle étant une subvention, le contrat d’engagement républicain permettra sans doute de se retrancher derrière la rupture de l’engagement au respect des principes républicains pour éviter un tel prêt.

Je suis donc, pour toutes ces raisons, défavorable aux amendements.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous en demandons le retrait, notamment pour des raisons juridiques.

Si le maire dispose, selon le CGCT, d’une compétence exclusive pour déterminer la possibilité de prêter ou de louer une salle, il ne peut effectivement en refuser le prêt, la location ou la mise à disposition à une religion pour un motif religieux, car une telle décision serait contraire tant à la jurisprudence qu’aux principes constitutionnels de liberté d’association et d’organisation.

En revanche, si son refus est motivé par des pratiques associatives traduisant selon lui soit un repli communautaire soit une radicalisation, il est fondé puisqu’il s’appuie sur une menace que ferait peser le rassemblement sur l’ordre public ou sur la tranquillité publique.

Au-delà de ce refus, le maire doit adresser un signalement à la cellule départementale de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR).

Les amendements sont donc soit inconstitutionnels, soit satisfaits tant par le droit que par la jurisprudence.

Mme Constance Le Grip. Il me semble néanmoins que les maires ne se sentent pas suffisamment armés sur le plan juridique pour faire face à des demandes parfois extrêmement pressantes émanant d’associations ou de courants de pensée ou religieux, même s’ils peuvent bien évidemment invoquer, notamment en lien avec les personnalités invitées et leur éventuelle radicalisation, le trouble à l’ordre public.

M. Charles de Courson. Mes chers collègues, ces amendements ne sont pas acceptables tout simplement parce qu’ils sont contraires à tous les principes constitutionnels, notamment à la liberté de réunion et à la liberté d’expression.

Si les maires peuvent s’opposer à de telles demandes notamment pour des motifs liés à des risques de trouble à l’ordre public, à la tranquillité ou à la salubrité publiques, ils ne le peuvent certainement pas, par principe, en raison du caractère religieux des demandeurs.

Laissez-donc le droit tel qu’il est !

M. Philippe Vigier. Le maire qui a besoin d’être protégé n’est pas toujours l’élu d’une très grande commune qui a la chance de disposer de services juridiques ad hoc : or les jurisprudences le fragilisent un peu plus chaque jour.

En outre, mon expérience de maire est qu’une association peut sous-traiter la location d’une salle à une autre.

Madame la ministre, si vous voulez que votre loi soit puissante et appliquée, il faut vous appuyer sur la maison commune, ce qui implique de mieux armer les maires tout en respectant la liberté d’association à laquelle nous sommes tous viscéralement attachés.

M. Boris Vallaud. J’appelle l’attention de l’ensemble de nos collègues sur les cailloux dont nous parsemons depuis hier le chemin des libertés : si le quinquennat a démarré avec un « État au service d’une société de confiance », nous en sommes presque à construire un État au service d’une société de défiance !

La majorité des Français et des Françaises aurait-elle vraiment un problème avec les valeurs de la République ou avec les libertés ? Faut-il tous les former et leur rappeler qu’ils doivent les respecter dans chacun de leurs actes alors qu’heureusement ils en sont, au quotidien, les vigies et les garants ? Si nous le pouvons encore, il faut que nous traduisions cela en actes dans cette loi.

S’agissant des amendements, si la loi de la République permet effectivement aux maires de veiller à la sauvegarde de l’ordre public, le Conseil d’État n’a sanctionné qu’un abus de pouvoir.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cher collègue Boris Vallaud, si vous commentez bien non pas le texte, mais les amendements, je partage votre opinion : nous pourrions d’ailleurs faire équipe pour les rejeter.

Depuis hier, nous ne cessons de baliser systématiquement, et de façon très ferme, le périmètre de ce texte.

Je partage évidemment l’argumentation de Charles de Courson : tout ce qui est écrit dans ces mêmes amendements est contraire aux principes de valeur constitutionnelle les plus fondamentaux relatifs aux cultes et encourrait la censure du Conseil constitutionnel.

Enfin, la notion de communautarisme n’a au fond pas plus de valeur juridique que celle de séparatisme, ce qui explique son absence du texte. Toutes deux ont en effet un sens dans le langage courant, une valeur politique et une valeur symbolique forte mais aucune valeur juridique.

Mme Anne-Laure Blin. Plus globalement, alors que les maires sont les premiers à pouvoir repérer tous les signaux faibles de radicalisation, votre texte ne répond pas aux demandes précises du terrain et ne contient aucun dispositif permettant de mieux armer les maires face aux menaces dans nos territoires.

Si je peux entendre que notre proposition n’est pas parfaitement conforme aux différents principes de notre droit, il ne faut pas fermer les yeux sur les difficultés quotidiennes très concrètes de nos élus de terrain, notamment dans les communes rurales.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il nous semble possible, pour les maires, de refuser le prêt d’une salle non pas pour des motifs religieux mais, en cas de radicalisation, en s’appuyant notamment sur la circulaire du ministre de l’intérieur du 13 novembre 2018 qui rappelle les modalités des échanges d’informations entre les préfets et les maires.

Par ailleurs, la décision du Conseil d’État de 2011 n’a fait que rappeler que le motif tiré du seul exercice du culte n’était pas suffisant pour refuser le prêt ou la location d’une salle municipale, contrairement à celui tiré de la radicalisation, sur le fondement du trouble à l’ordre public.

Quant à armer les maires, je considère que le texte comporte certaines dispositions très fortes portant à la fois sur l’organisation des associations et sur le contrat d’engagement républicain, qui a été plébiscité par nombre d’élus locaux et de maires.

Je crois enfin qu’un chemin de crête existe entre la confiance aveugle et absolue et la défiance systématique.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1303 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. Je partage la philosophie des amendements qui viennent d’être débattus même si juridiquement leur adoption n’était effectivement pas envisageable.

De la même manière qu’il nous faut outiller les élus locaux face aux manquements aux principes républicains, il nous faut nous prémunir contre les manquements d’une infime partie d’entre eux liés aux associations ne respectant pas les principes républicains.

L’amendement vise donc à soumettre au dispositif de l'article 131-26-2 du code pénal prévoyant une peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité les élus ayant fait preuve d’imprudence, de négligence ou de manquement matériellement prouvé à une obligation ou aux principes républicains figurant au contrat d’engagement.

Cette peine serait évidemment susceptible de s'appliquer sur appréciation du juge.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je comprends bien la nécessité d’aider les maires dans le contrôle du contrat d’engagement républicain et dans l’identification du non-respect des engagements républicains : j’ai d’ailleurs présenté hier un amendement dans ce sens, qui n’a pas malheureusement pas été adopté

Vous proposez de créer pour les élus une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité dont je rappelle qu’elle existe notamment pour les auteurs d’escroquerie, de discriminations et de violences ayant entraîné mutilation. Un tel dispositif placerait cependant les élus dans une situation de très forte insécurité juridique, par ailleurs disproportionnée par rapport à ce qu’est aujourd’hui l’exercice quotidien de leur mission. J’y suis donc défavorable, même si je comprends tout à fait le besoin d’exigence à leur égard.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Deux cas de figure sont possibles : le maire peut avoir volontairement et manifestement pris la décision de soutenir financièrement une organisation séparatiste ne respectant pas les principes républicains, auquel cas il est d’ores et déjà possible de le poursuivre – et donc de le faire condamner – sur la base de différentes incriminations.

Il peut également avoir été floué, car nos travaux nous ont montré que les organisations ne respectant pas les principes républicains agissent souvent sous couvert d’une vitrine agréable et respectable.

Lorsqu’il le découvre, il peut demander, grâce au contrat d’engagement républicain, le remboursement des subventions accordées.

Au-delà de l’aspect juridique, et à titre tout à fait personnel, je suis un peu inquiète devant l’excès de judiciarisation notamment à l’encontre des élus, en particulier des maires de petites communes, qui ne disposent pas forcément d’une administration pléthorique leur permettant d’analyser la situation, notamment d’un point de vue juridique.

Je ne suis donc pas sûre que la création de nouvelles peines qu’ils seraient susceptibles d’encourir soit l’objectif que nous poursuivons. Aussi, le Gouvernement demande le retrait de l’amendement ; à défaut, il y serait défavorable.

Mme Laurianne Rossi. Je retire mon amendement, qui visait évidemment le premier cas de figure et non le second. Il n’en reste pas moins que certains élus se prêtent au clientélisme ou à l’entrisme communautaristes sans qu’ils soient pour autant sanctionnés.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1792 de M. Éric Diard, CS1457 de M. Pierre-Yves Bournazel, CS530 de M. Julien Ravier et CS503 de Mme Stéphanie Atger.

M. Éric Diard. Il convient de protéger les associations contre les personnes condamnées pour des infractions terroristes. La loi dispose que ces dernières ne peuvent exercer dans une association ou la diriger pendant quinze ans à partir de la date de condamnation définitive mais nous proposons que cette mesure, outre les associations cultuelles, s’applique à toutes.

M. Christophe Euzet. Il faut en effet faire preuve de cohérence, l’article 43 du texte disposant que les associations « loi 1905 » ne peuvent être dirigées ou administrées par des personnes condamnées pour des actes de terrorisme, il convient qu’il en soit de même pour les associations « loi 1901 ».

M. Julien Ravier. Mon amendement a le même objectif, les associations sportives, culturelles, éducatives pouvant être des foyers de radicalisation et des viviers de recrutements.

M. François Cormier-Bouligeon. De manière analogue à l’article 43 qui vise à « interdire à toute personne condamnée pour des actes de terrorisme de diriger ou d’administrer une association cultuelle pendant une durée de dix ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive », l’amendement de Mme Atger vise à étendre ladite interdiction aux associations culturelles, qui elles aussi peuvent être concernées par les velléités de prise de pouvoir de personnes condamnée pour l’une des infractions prévues aux articles 421-1 à 421-8 du code pénal. Les associations culturelles dépendant d’associations cultuelles dans l’exercice de missions à visée sociale ou éducative doivent bénéficier du dispositif prévu à cet article.

En novembre, j’ai mené une mission d’information du groupe d’études « Sport » sur les atteintes aux principes de la République dans ce domaine, où le communautarisme, la radicalisation et l’entrisme sont répandus, comme l’atteste d’ailleurs également le rapport Diard-Poulliat.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le texte, précisément, vise à différencier le cultuel et le culturel.

J’ai participé à vos travaux, que je salue, et Éric Diard et moi-même savons que des associations sportives, par exemple, peuvent être elles aussi confrontées à des pratiques communautaristes contre-républicaines.

Néanmoins, ces amendements visent des personnes condamnées pour actes terroristes. Une extension de cette interdiction aux associations de droit commun me semble disproportionnée dès lors qu’un individu qui a purgé sa peine a le droit de se réinsérer, éventuellement dans le cadre d’un engagement associatif.

Cela dit, pas d’angélisme ! Ces personnes sont suivies et il conviendra de réagir en cas de manquements au respect des principes de la République en mettant un terme à tout subventionnement, voire en envisageant une dissolution de l’association, comme le prévoit l’article 8.

Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Un tel dispositif présenterait de surcroît un risque d’inconstitutionnalité en raison de l’automaticité de la peine – le cas des associations cultuelles est particulier. Une association fondée par une personne condamnée pour des faits de terrorisme qui manquerait au respect des principes républicains devrait être tout simplement dissoute.

Avis défavorable.

M. Christophe Euzet. Peut-être des enjeux m’ont-ils échappé et je veux bien entendre que chacun a le droit à la réinsertion mais, tout de même, nous parlons d’une personne qui a purgé une peine de prison pour des actes de terrorisme et qui ne peut plus diriger ou administrer une association cultuelle ! Elle retrouverait donc de telles facultés pour une association « loi 1901 » ? Pas d’angélisme, en effet ! Faisons donc en sorte que des individus manifestement nuisibles ne puissent pas assumer de telles fonctions dans quelque association que ce soit !

M. Philippe Vigier. L’article 43 est ambitieux, audacieux et juste.

Mme la ministre fait état d’un problème constitutionnel. Que se passe-t-il pour quelqu’un qui est interdit bancaire ? Il ne peut recréer une entreprise pendant le délai imparti par décision de justice.

Je suis certain que les zones d’influence communautaristes des associations cultuelles se déplaceront vers les associations culturelles ou sportives. Pourquoi donc appliquer partiellement une telle mesure ? Il ne s’agit en rien d’une double peine mais de protéger la société en se gardant de confier des postes de dirigeants à des personnes lourdement condamnées et qui peuvent influencer grandement les adhérents.

M. Éric Diard. Je ne comprends pas les arguments du rapporteur et du Gouvernement. Une personne condamnée pour fait de terrorisme ne peut diriger une association cultuelle mais, après avoir purgé sa peine, pourrait donc diriger une association culturelle ou sportive ?

En outre, en quoi l’automaticité serait-elle constitutionnelle pour les associations cultuelles et ne le serait-elle pas pour les associations culturelles et sportives ?

M. Sacha Houlié. La distinction entre associations « loi 1905 » et « loi 1901 » s’explique par la jurisprudence conventionnelle communautaire au titre de l’arrêt Commission contre Hongrie. Le juge communautaire a jugé, eu égard à la protection et à la sauvegarde de la sécurité, qu’une telle démarche était envisageable à l’endroit des associations cultuelles mais que c’est beaucoup plus discutable pour les autres, la liberté d’association étant hautement protégée. D’où ces dispositifs différenciés. Nous considérons en effet que, dans les associations cultuelles, l’influence morale des dirigeants s’exerce plus fortement que dans les associations relevant de la loi de 1901.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cette démonstration est très convaincante.

C’est l’automaticité de la peine qui est inconstitutionnelle, pas la peine, nous en avons longuement débattu à plusieurs reprises.

La commission rejette successivement les amendements.

M. le président François de Rugy. Nous allons devoir réagir pour éviter les frustrations qui se font jour à la fin de l’examen des textes. Depuis lundi, nous avançons très lentement et si nous accélérons brutalement, certains articles et amendements pâtiront d’avoir été examinés différemment. Je vous invite donc à faire preuve de sens des responsabilités. J’aurai sans doute l’occasion, dans la journée, de réfléchir avec le bureau de la commission à l’organisation de nos travaux.

La commission examine l’amendement CS1483 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Christophe Euzet. Dans les campus dont nous parlions précédemment, sans connaître les tenants et aboutissants des financements qui pourraient leur échoir, des étudiants fondent des associations qui, en se développant, feront appel au financement public sans la moindre porosité sociale.

Il est indispensable de former les dirigeants des associations, au-delà même des campus universitaires, pour que les louables initiatives sociales qui sont prises ne méconnaissent pas les enjeux liés à une demande de financement public. Il ne serait en rien extravagant de recourir à la réserve citoyenne une fois par an pour que les dirigeants et les administrateurs d’associations se familiarisent non seulement avec les principes républicains mais avec ce que j’appelle le principe de la « caisse commune ».

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cet amendement a été excellemment défendu. Vous avez raison sur bien des points, notamment, sur la nécessaire porosité entre le monde étudiant et la société. Votre appel à la réserve citoyenne me paraît également intéressant. Néanmoins, nous avons souligné hier que la formation des dirigeants pouvait être une charge difficilement supportable pour de nombreuses associations. Je suis donc très partagé mais j’aurais presque envie de donner un avis favorable !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Une obligation de formation nous semble trop contraignante, même si nous devons trouver les voies et moyens d’informer les associations subventionnées. Par ailleurs, il serait difficile de s’assurer de son effectivité.

Avis défavorable.

M. Christophe Euzet. Je retire l’amendement, mais il n’est pas possible de ne pas combler une telle lacune : les jeunes qui fondent une association ne connaissent pas le contexte politique et social dans lequel ils s’insèrent et recourent au financement public sans avoir la moindre idée de sa provenance.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS440 de M. Philippe Vigier.

M. Philippe Vigier. Cette loi comporte un indispensable volet répressif mais, après les attentats de 2015, le Président de la République d’alors avait expliqué à Versailles que lorsque la République est fragilisée, il faut plus de République. Cela suppose de faire preuve de pédagogie en expliquant à nos concitoyens que la promesse républicaine, ce n’est pas rien, que la France n’est pas un pays comme les autres car il est possible de s’y insérer, de s’y intégrer, et que l’on y donne à tous l’accès aux soins et à l’éducation.

Nous souhaiterions que cette promesse républicaine s’incarne au cœur de ce projet en demandant un rapport sur la création d’un fonds destiné à aider celles et ceux qui s’impliquent sur ce chemin difficile, exigeant, mais qu’il est indispensable de suivre. Il n’est pas possible de constater, jour après jour, la fragilisation du tissu social républicain et de laisser faire : où en sommes-nous, que veut-on, pourquoi la situation s’est-elle dégradée, comment améliorer la formation des élus, des enseignants, des fonctionnaires territoriaux, des dirigeants d’associations ?

M. Éric Poulliat, rapporteur. Ce rapport me semble conforme à l’esprit de ce texte. Un tel fonds permettrait de surcroît d’unir les collectivités, l’État et l’ensemble des Français. Je partage pleinement votre souci de la promesse républicaine. Avis favorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes plutôt défavorables aux demandes de rapport mais, sur le fond, nous sommes très favorables à la création d’un fonds de soutien aux associations et collectivités locales qui promeuvent les principes contenus dans le contrat d’engagement républicain. Je vous propose de commencer à travailler sur sa constitution dans les meilleurs délais et dans le respect du budget voté par le Parlement.

Avis favorable.

M. le président François de Rugy. On ne va pas recommencer le débat sur les rapports dès lors que les amendements qui en demandent sont recevables… Vous rendez-vous compte ? Cinq ou six collègues demandent à intervenir pour un amendement disposant que « Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport analysant les possibilités de créer un fonds de soutien aux associations et collectivités locales promouvant les principes contenus dans le contrat d’engagement républicain, baptisé « Promesse républicaine », sur le modèle du fonds de développement de la vie associative. » Ce ne sont pas les associations à qui l’on demande de signer un contrat d’engagement républicain qui sont en question mais les associations qui auront pour but de promouvoir le contenu de ce dernier ! Et vous voulez tous intervenir à ce propos ! ? Serait-ce une manœuvre pour empêcher d’achever l’examen du texte d’ici demain ? Dans ce cas-là, il faut le dire !

Mme Marie-George Buffet. De tels propos sont scandaleux !

Mme Isabelle Florennes. Les délais d’examen sont très serrés !

M. le président François de Rugy. Le délai d’une semaine, sur un tel texte, est tout à fait normal. Il faut être raisonnable !

J’appliquerai désormais strictement le règlement, avec deux prises de parole. Sur cet amendement de la plus haute importance pour l’avenir de la République française, ce sont Mme Buffet et M. Ravier qui s’exprimeront.

Mme Perrine Goulet. Quel mépris ! De tels commentaires ne s’imposent pas !

M. le président François de Rugy. Le président a le droit de donner son avis.

Mme Marie-George Buffet. Personne, ici, ne fait d’obstruction et cet amendement n’est pas si négligeable que cela puisqu’il permettrait de donner un nouvel élan à l’éducation populaire (M. Philippe Vigier, Mme Perrine Goulet et Mme Isabelle Florennes applaudissent) à travers des initiatives municipales.

Un tel financement ne doit pas pénaliser les grandes associations d’éducation populaire mais il doit être un complément. Je pense notamment aux associations de jeunesse comme le Mouvement rural de jeunesse chrétienne, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), la Fédération nationale des Francas, les scouts, à ces associations qui ont besoin de moyens pour transmettre les principes républicains. Je soutiens donc cet amendement.

M. Julien Ravier. Je regrette que la discussion de ce texte ait commencé juste avant les vacances de Noël et que nous soyons aujourd’hui pressés d’examiner des questions fondamentales.

La commission adopte l’amendement.

Article 7 : Obligation de respecter le contrat d’engagement républicain pour les associations agréées

La commission examine les amendements identiques CS175 de M. Xavier Breton et CS926 de M. Éric Coquerel, qui visent à supprimer l’article.

M. Xavier Breton. Il fait suite à l’avis du Haut Conseil à la vie associative.

L’article 7 ajoute une « condition » supplémentaire pour la délivrance du socle commun d’agrément délivré par l’État : la signature et le respect du contrat d’engagement républicain. Les trois critères originels – réponse à un objet d’intérêt général, mode de fonctionnement démocratique, transparence financière – sont de bon sens mais cette condition relève plutôt d’une marque de défiance à l’endroit des associations.

Mme Mathilde Panot. Cette suppression s’inscrit dans la logique de notre refus du contrat d’engagement républicain, dont on ne sait pas bien où il va.

Par ailleurs, cet article est inutile puisque le décret du 8 mai 2017 dispose que l’obtention de l’agrément suppose de « répondre à un objet d’intérêt général ». Pour cela, l’association en question doit « inscrire son action dans le cadre d’une gestion désintéressée et d’une absence de but lucratif, demeurer ouverte à tous sans discrimination, et présenter des garanties suffisantes au regard du respect des libertés individuelles ». Autrement dit, la condition « répondre à un objet d’intérêt général » oblige déjà les associations qui demandent un agrément et a fortiori des subventions à respecter des principes de non-discrimination et de liberté.

Enfin, l’autorité administrative qui a délivré l’agrément peut l’annuler lorsqu’une condition nécessaire à son attribution n’est plus remplie.

En fait, tout ceci relève plutôt de l’affichage que de l’action politique.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il importe au contraire d'inscrire le respect des valeurs du contrat d'engagement républicain lors de la procédure d’agrément. Nous avons de surcroît voté hier à l’article 6 un amendement précisant qu’il ne serait plus dès lors nécessaire de le faire lors de la demande de subvention.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CS424 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je partage largement les propos de M. Breton.

Lors des auditions, la question du contenu du contrat d’engagement républicain a souvent été soulevée. Il serait donc nécessaire de le connaître précisément. Le Conseil d’État lui-même a d’ailleurs montré que ce vocable n’est pas approprié et propose de retenir « engagement républicain » à la place de « contrat d’engagement républicain », celui-ci n’ayant pas la nature d’un vrai contrat.

Je vous propose donc de ne retenir que le mot « engagement », plus explicite que l’expression « engagement républicain ».

M. le président François de Rugy. Je rappelle que nous avons adopté hier l’article 6, qui crée le contrat d’engagement républicain. Son détricotage à l’article 7 ne témoignerait pas d’une très grande cohérence juridique.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Vous m’ôtez les mots de la bouche !

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CS1699 de M. Yves Blein est retiré.

La commission examine l’amendement CS1276 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. À la place du 4° tel qu’il est formulé, il conviendrait de préciser que les associations agréées doivent respecter les principes « de liberté, d’égalité, notamment entre les femmes et les hommes, de fraternité, de respect de la dignité de la personne humaine et de sauvegarde de la sécurité publique » en reprenant les termes de l’article 6 plutôt que de faire référence à un contrat que ces mêmes associations ont été dispensées de parapher.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je comprends le souci qui est le vôtre mais comme vous avez retiré l’amendement CS1699 précisant la notion de contrat, je souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le maintien de ce terme est en effet important.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable, donc.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements en discussion commune CS280 de M. Julien Ravier, CS679 de M. Charles de Courson et CS275 de M. Julien Ravier, l’amendement CS159 de M. Jean-François Eliaou ayant été retiré.

La commission examine l’amendement CS299 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Amendement de cohérence avec les dispositions de l’article 6 demandant l’annexion du contrat d’engagement républicain à la charte des engagements réciproques.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cette charte, fruit d’un long travail entre les associations, les collectivités et l’État, présente un grand intérêt mais je suis défavorable à l’idée d’annexer un document juridiquement contraignant à un document qui ne l’est pas.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1280 de M. Yves Blein.

M. Yves Blein. Il est aujourd’hui possible d’encadrer des mineurs sans être agréé pour le faire. Je propose que toute association ayant pour objectif l’accueil ou la prise en charge de mineurs doive demander un agrément délivré par l’État, ce qui la placerait sous la tutelle de l’administration.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Sur la forme, votre amendement ne vise pas le bon article. L'article 25-1 que vous modifiez vise les conditions du tronc commun pour la délivrance de tous les agréments et non les conditions spécifiques aux associations accueillant des mineurs, ni l'objet même des agréments.

Sur le fond, il existe deux types de procédures concernant l'accueil des mineurs.

Tout d'abord, ces associations peuvent obtenir plusieurs types d’agréments : agréments de jeunesse et d'éducation populaire, du sport ou d'associations éducatives complémentaires de l'enseignement public. Ces agréments visent à délivrer un label reconnaissant la qualité de l'activité de l'association et témoignent du lien qui existe entre une association et un ministère. Dès lors, rendre l'obtention d'un agrément obligatoire ferait perdre à cet objet sa valeur de signal et n'aurait plus grand sens.

En revanche, un encadrement administratif est rendu obligatoire par l'article L. 227-5 du code de l'action sociale et des familles précisant que les personnes accueillant au moins sept mineurs, à l'occasion des vacances scolaires, des congés professionnels ou des loisirs, au sein d'un mode d'accueil collectif à caractère éducatif doivent en faire la déclaration préalable auprès de l'autorité administrative. Cette dernière peut s'opposer à l'organisation de cette activité lorsque les conditions dans lesquelles elle est envisagée présentent des risques pour la santé et la sécurité physique ou morale des mineurs, notamment, lorsque les exigences prévues au dernier alinéa ne sont pas satisfaites.

Ainsi, cette déclaration d'accueil collectif de mineurs est obligatoire pour une association accueillant au moins sept mineurs. On peut discuter de ce seuil qui, à mon avis, gagnerait à évoluer, mais il est fixé par voie réglementaire. Par ailleurs, la modification de la démarche visant les accueils collectifs de mineurs n'est pas l'objet de l'article 7 que vous proposez de modifier.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS160 de M. Jean-François Eliaou.

M. Jean-François Eliaou. Après l’amendement « ceinture » adopté hier soir, je présente l’amendement « bretelles ». Une association, pour être agréée, doit signer le contrat d’engagement républicain inclus dans le tronc commun. Il convient de la dispenser de signer une nouvelle fois le contrat lors d’une demande de subvention.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Le mot « dispenser » soulève un risque juridique mais je partage l’esprit de cet amendement, que nous pourrions retravailler pour la séance publique.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même réserve sur ce terme et même ouverture de principe. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 7 modifié.

Après l’article 7

La commission est saisie de l’amendement CS1506 de Mme Sylvie Charrière.

M. Yves Blein. Nous en revenons à la question de l’agrément. J’ai bien entendu les arguments du rapporteur quant au code de l’action sociale et des familles, mais des associations qui accueillent par exemple des mineurs et ne demandent pas de subvention ne sont assujetties à aucune réglementation particulière. Si vous louez un garage et accueillez cinq gamins tous les jours de dix-neuf à vingt heures pour du soutien scolaire, personne ne vient vous demander quoi que ce soit tant que vous n’avez pas de subvention, et vous n’êtes pas assujetti à la signature du contrat dit d’engagement républicain. Or il faut un contrôle minimal sur l’activité de ces associations, puisqu’elles accueillent des mineurs. Cet amendement propose donc de rendre obligatoire l’agrément par le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports dès lors que l’on accueille des mineurs, au-delà des obligations déjà prévues par le code de l’action sociale et des familles.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’agrément que vous évoquez a un champ plus large que la jeunesse seulement. Toutefois, je vous rejoins sur le fait que certaines associations, peu nombreuses – il ne s’agit pas de les rendre toutes suspectes d’enfreindre les principes de la République –, peuvent échapper au contrôle de la puissance publique et que cela soulève des interrogations importantes. Une évolution du régime de la déclaration des accueils collectifs de mineurs, qui figure dans le code de l'action sociale et des familles, pourrait être intéressante. Je pense néanmoins que cette commission, et en tout cas ce texte, ne sont pas le lieu pour tenir ce débat. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 8 : Adaptation et élargissement des motifs de dissolution administrative d’une association

La commission est saisie des amendements de suppression CS302 de M. Xavier Breton et CS931 de M. Alexis Corbière.

M. Xavier Breton. L’article 8, dans son ensemble, soulève des problèmes importants. Cet amendement fait suite à l’avis du Haut Conseil à la vie associative.

L’article 8, qui modifie l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure, étend notamment la possibilité d’une dissolution par décret du Premier ministre aux associations dont les agissements portent atteinte à la dignité de la personne humaine ou qui exercent des pressions psychologiques ou physiques sur des personnes dans le but d’obtenir des actes ou des abstentions qui leur sont gravement préjudiciables. Il semble que ces deux ajouts soient déjà couverts par le 6° du même article, lequel vise les provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne. Cet article L. 212‑1 est dans son état actuel largement suffisant pour prendre en Conseil des ministres un décret de dissolution d’une association, au regard des seuls critères énumérés. C’est pourquoi nous considérons que l’article 8 est superfétatoire.

Mme Mathilde Panot. L’article 8 ouvre une boîte de Pandore, en étendant les motifs de dissolution administrative des associations et groupements de fait. Cette procédure confère de larges pouvoirs à l’exécutif. Nous préférons que des moyens supplémentaires soient donnés à la justice pour développer la possibilité de la dissolution judiciaire. Par ailleurs, l’actualité récente nous a montré que cet article était inutile, puisqu’il a été possible de dissoudre des associations rapidement : les dispositions en vigueur dans le code de la sécurité intérieure sont suffisantes pour cela.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Nous entrerons dans le détail plus tard, mais d’un point de vue général, cet article 8 doit être maintenu. La rédaction de l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure est obsolète, comme cela apparaît depuis le début de l’examen du projet de loi, et doit être améliorée. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je voudrais souligner l’intérêt global de cet article 8. Autant je peux comprendre l’intervention de Mme Panot, autant j’ai du mal pour celle de M. Breton. Je pense que mes arguments pourront l'amener à changer sa position, dont j’imagine qu’elle n’est pas celle de l’ensemble du groupe LR.

La liberté d’association est capitale. C’est une liberté constitutionnelle à laquelle il ne faut toucher que d’une main tremblante, et en prévoyant des garde-fous. Quels sont-ils en l’occurrence ? D’abord, la dissolution se fait toujours en conseil des ministres. On pouvait imaginer autre chose que cette procédure un peu lourde, utilisée avec prudence, qu’il s’agisse de dissoudre une collectivité locale – des élections doivent alors suivre ­ ou une association. Mais nous avons souhaité garder ce filtre afin que la proposition de dissolution portée par le ministre de l’intérieur soit exposée devant cet organe collégial, devant le Président de la République et devant les yeux des Français.

Comme toute décision prise par le ministère de l’intérieur, la procédure de dissolution d’une association est évidemment contradictoire. Cette période peut être très resserrée en cas de lien direct avec le terrorisme, mais est sinon assez longue ­ une quinzaine de jours ­ pour que nous puissions présenter un décret construit en conseil des ministres. Et, bien sûr, la décision prise en conseil des ministres est susceptible de recours. Il ne s’agit pas d’un acte de gouvernement et le juge administratif, en l’occurrence le Conseil d’État, est susceptible de la casser. J’appelle l’attention des parlementaires sur le fait que l’étude d’impact comme l’avis du Conseil d’État valident cette procédure. Le Gouvernement a corrigé les quelques virgules d’écart qu’il y avait entre son texte et l’avis du Conseil d’État afin que la loi soit parfaitement conforme à la volonté de protéger la liberté d’association. Bref il y a des garde-fous. N’allons pas croire que nous allons dissoudre des associations « vite fait » et en cachette. C’est un acte grave, qui peut provoquer des difficultés d’appréciation. Non, nous gardons bien cette procédure exceptionnelle.

Comme l’a dit le rapporteur, il faut cependant remarquer que la procédure de dissolution existante doit être modernisée, en particulier s’agissant des agissements des associations et des groupements de fait. Une chose fondamentale sera que nous puissions imputer à l’association les faits et gestes de ses dirigeants et de ceux qui parlent en son nom. À l’heure des réseaux sociaux, il arrive que les dirigeants d’une association, parce qu’ils ont beaucoup de suiveurs, aient beaucoup plus d’impact que l’activité de l’association elle-même. Sans vouloir parler trop avant d’une affaire en cours d’examen par la justice administrative, on voit bien, dans l’exemple de BarakaCity, que son dirigeant est très suivi, autant médiatiquement que sur les réseaux sociaux. C’est parce qu’il l’est que cette association est connue et lève des fonds, extrêmement importants d’ailleurs. Nous aurions souhaité pouvoir imputer clairement les propos que nous considérions pour notre part comme inacceptables de ce dirigeant à l’association.

Vous aurez constaté à ce propos la présence d’un autre garde-fou dans le texte : la possibilité de laisser le temps à l’association de condamner les propos qui auraient été tenus, ou de les retirer de son site. Cela peut être le cas quand l’association invite une personnalité qui manifestement va expliquer que les Juifs sont des mécréants, qu’il faut lapider les femmes ou qu’en écoutant de la musique on va se transformer en animal – je précise que toutes les associations sont concernées par ce texte, pas seulement celles qui relèvent de la loi de 1901. Il m’a parfois été reproché de ne pas avoir dissous certaine association particulièrement antirépublicaine : il n’y avait tout simplement pas de moyen juridique de le faire, parce que la personne ne parlait pas au nom de l’association, mais n’était qu’une voix parmi d’autres. L’imputabilité est donc un concept nouveau, très important pour le ministère de l’intérieur, mais une possibilité est laissée à l’association de corriger et de faire cesser les agissements.

Il y a une dernière proposition essentielle dans cet article 8 : la possibilité de suspendre à titre conservatoire certaines activités de l’association. Il existe des associations aux structures complexes, des associations mixtes qui font à la fois de l’humanitaire, de l’aide à domicile, du sport et parfois même du culte. Imaginons que la branche sport fasse montre d’un communautarisme effréné, alors que les autres branches de l’association mènent une activité utile à la société. Aujourd’hui, le ministre de l’intérieur a le choix entre rien et tout. Nous proposons de pouvoir suspendre l’activité sport à titre conservatoire, discuter avec les dirigeants de l’association et voir les conclusions qu’ils en tirent, avant d’aller éventuellement à une dissolution.

Cet article me paraît donc à la fois absolument nécessaire et respectueux de la liberté d’association, y compris dans le mécanisme de la dissolution, qui intègre évidemment une procédure contradictoire et un recours. Il nous rend plus modernes, parce que les agissements le sont toujours plus, accroît la responsabilité des dirigeants ou porte-parole des associations et prévoit une nouvelle graduation, la suspension, avant le déclenchement de la dissolution en conseil des ministres.

Cet article 8 est absolument indispensable au texte, dans la mesure où il permet de lutter très fortement contre les comportements séparatistes et, avec l’article 44, de fermer des lieux de culte, comme cela se fait déjà en matière de terrorisme, mais pour des raisons par exemple d’incitation à la haine. Il permet au ministre de l’intérieur de répondre aux très nombreuses interpellations qui lui sont adressées, quels que soient les élus et les territoires : les faits sont là, pourquoi n’intervenez-vous pas, pourquoi n’avez-vous pas les moyens de le faire ! Nous demandons aujourd’hui au Parlement de donner au ministère de l’intérieur les moyens d’intervenir pour faire cesser ces associations séparatistes.

Avis défavorable.

M. Xavier Breton. Pour ce qui est de l’imputabilité, on entend bien le mécanisme. Le problème est que cela cause une sorte de renversement de la charge de la preuve. Il va être possible, pour dissoudre une association, de lui attribuer la responsabilité d’agissements commis par un de ses membres sans qu’elle puisse dire qu’elle n’était pas au courant. On entre vraiment dans une autre logique.

Cela soulève par ailleurs le risque que des personnes entrent dans une association, y tiennent des discours, y provoquent des actes dans le seul but de la déstabiliser. Il est nécessaire de mieux resserrer le dispositif.

Pa ailleurs, lorsqu’un groupement de fait est reconnu, la notion de contrat s’applique et la dissolution nécessite l’intervention du juge. Mais lorsque c’est un groupement de fait « pur », qui n’a pas fait l’objet d’une déclaration ‑ car il existe une liberté totale de constituer une association sans la déclarer officiellement, bien sûr ‑ alors par définition, il n’y a pas de possibilité de dissolution juridique.

On voit donc que la rédaction de cet article pose de nombreux problèmes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Breton, nous sommes franchement en opposition. Vous l’assumez, mais j’appelle l’attention du groupe que vous représentez : nous vous demandons des armes pour poursuivre des buts politiques qui sont exactement les vôtres. Il va falloir que nous trouvions un équilibre.

S’agissant du groupement de fait, vous faites une erreur. J’ai proposé la dissolution de groupements de fait, comme le collectif Cheikh Yassine ou les Loups gris. Bien sûr, il ne s’agit pas d’une dissolution juridique, puisque par définition les personnes qui constituent un groupement de fait n’ont pas déposé de statuts. Mais il y a une conséquence : elles n’ont plus le droit de se retrouver, et si elles le font, cela donne lieu à une incrimination. Si trois personnes exercent une activité associative non déclarée et que ce groupement de fait est dissous, le fait qu’elles se retrouvent ensemble devient un délit. C’est très intéressant, pour les services de police notamment. Je crois vraiment que c’est une arme essentielle.

Par ailleurs, si une personne malintentionnée entre dans une association, cela n’entraînera nullement sa dissolution. Il suffira de demander aux dirigeants de faire cesser ses agissements ‑ par exemple de retirer d’internet la vidéo où un « universitaire » témoigne de ce que les femmes ne sont pas égales aux hommes. C’est ce qui fait que l’article 8 est très équilibré : il permet d’abord à l’association de faire la police chez elle. Si elle ne le fait pas, on considère qu’elle assume les propos et les agissements en cause.

La commission rejette les amendements.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement CS301 de M. Xavier Breton.

Elle en vient à l’amendement CS692 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement d’appel, fondé sur le rapport de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, déposé le 7 juillet 2020 au nom de la commission d’enquête sénatoriale sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.

L’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure prévoit les raisons qui peuvent conduire à la dissolution d’une association par décret en conseil des ministres. Ces dispositions sont applicables aux associations cultuelles. Elles peuvent également entraîner, lorsqu’elles s’appliquent à une association assurant la gestion d’un lieu de culte, la fermeture de ce dernier. Dans la pratique, divers motifs ont pu fonder la dissolution d’une association cultuelle ou d’une association mixte à objet cultuel et culturel : prêches légitimant le djihad armé, soutien aux grandes figures du djihadisme, interventions radicales d’un imam, prêches hostiles aux principes républicains.

Selon le rapport de juillet 2018 de la commission d’enquête sénatoriale sur la menace terroriste, la dissolution d’une association cultuelle reste peu utilisée. Cet amendement viendrait y remédier et permettrait, comme le ministre le souhaite, au Gouvernement d’agir plus facilement.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. Il me semble que cet amendement est satisfait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Non, il ne l’est pas. Nous ne souhaitons pas une automaticité de la dissolution. Il y a un enjeu, administratif certes, mais aussi politique : il faut assumer la dissolution. Je souhaite conserver un mécanisme qui intègre le volet de l’instruction, faite par les services du ministère de l’intérieur, et celui du jugement politique, assuré par la collégialité du conseil des ministres ‑ puisqu’on engage la signature du Président de la République.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS947 de M. Éric Coquerel.

Mme Mathilde Panot. L’alinéa 4 de l’article nous semble extrêmement dangereux. Il modifie le dispositif anti-ligues, datant de 1936. C’est même l’argument : le dispositif serait désuet. Il prévoyait la possibilité de dissoudre par décret en conseil des ministres toutes les associations ou groupements de fait « qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ». Le Gouvernement veut remplacer ces termes par « qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents contre les personnes et les biens ».

Cette extension du champ n’est pas mince. D’après le Syndicat des avocats de France, cela permet d’assimiler à la provocation à des manifestations armées dans la rue la provocation à tous les agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens, ce qui peut aller d’actes de casseurs à des actions de démantèlement d’un McDonald, d’occupation d’un appartement ou d’une usine, de réquisition de logements vides, de protestation contre l’affichage publicitaire, et d’une manière générale à de nombreuses formes de protestation ou de désobéissance civique. Les agissements violents comprendront-ils les agissements violents moralement ? On passe en tout cas de la dissolution pour atteinte très grave à l’ordre public à la dissolution pour atteinte à des intérêts privés matériels.

Jusqu’où cela ira-t-il ? Nous ne pouvons souscrire à cette nouvelle rédaction et rappelons que la dissolution ne peut être justifiée que par la nécessité de sauvegarder l’ordre public, et doit répondre à un triple impératif de nécessité, d’adaptation et de proportionnalité.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je suis favorable à la rédaction actuelle, qui répond à nos besoins.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS951 de M. Alexis Corbière.

Mme Mathilde Panot. Il s’agit de supprimer cette fois les alinéas 5 et 6. Je ne comprends vraiment pas quel est votre but en écrivant « dont l’objet ou l’action tend à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ». L’expression « tendre à » n’est pas claire. Une tendance, je crois, ne peut pas être la source d’une dissolution : il s’agit de sanctionner un objet ou des activités avérés. Je ne comprends donc pas pourquoi vous modifiez ainsi une disposition qui ne soulevait pas de difficulté.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS954 de M. Alexis Corbière.

Mme Mathilde Panot. L’alinéa 8, comme les précédents, introduit une expression inadaptée. Cette fois, il s’agit d’ajouter à la provocation, comme motif de dissolution, le fait de « contribuer par leurs agissements ». Cela nous paraît extrêmement vague. La provocation est le comportement poussant à commettre un acte, par exemple en le justifiant ou le légitimant. La référence à cette notion est suffisante. Mais, comme pour la précédente, je n’obtiendrai pas de réponse à cette question-là non plus.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il me semble que les réponses ont déjà été données. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est vrai, mais je ne veux pas frustrer Mme Panot. Les atteintes aux biens, ou le fait d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement, sont des notions bien connues des constitutionnalistes qui n’ont rien à voir avec la désobéissance civile. Il n’est pas question de dissoudre une association parce qu’elle fait de la désobéissance civile ! En revanche, lorsqu’elle porte profondément atteinte aux biens et aux personnes, il paraît assez légitime que le Gouvernement propose une dissolution.

Imaginons une association de black blocs dont les membres revendiquent des attaques contre les forces de l’ordre, contre des biens, contre les autres manifestants. De mon point de vue personnel, il serait assez normal que le Gouvernement, après avoir discuté et essayé de calmer tout le monde, propose de la dissoudre. Et si jamais cette association contestait cette dissolution, le juge serait là pour réformer l’acte du Gouvernement.

Le fait que nous n’ayons pas répondu n’est pas du mépris, madame la députée, nous avions expliqué tout à l’heure quel était le principe de l’article 8.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS680 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il s’agit de corriger une faute d’orthographe…

Suivant l’avis favorable du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS98 de Mme Anne-Laure Blin, CS177 de M. Xavier Breton et CS466 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Anne-Laure Blin. En lisant l’alinéa 9, on voit soudain apparaître le concept d’identité de genre. Je vous avoue que j’en ai été étonnée, alors que cette notion n’est absolument pas définie. Je crois que cela n’a pas de raison d’être dans ce projet de loi et que la suppression est de rigueur.

M. Xavier Breton. Effectivement, l’introduction progressive de la notion d’identité de genre dans notre droit pose des problèmes importants. On l’a vu encore dans les débats sur le projet de loi bioéthique, quand les ministres, dans leurs réponses, passaient d’impasses en contradictions, ne sachant plus très bien ce qui relevait exactement de ce concept et se perdant dans les combinaisons induites. Le concept d’identité de genre ne peut pas entrer dans notre droit parce qu’il est fondé sur une appréciation subjective. Or notre droit a besoin d’éléments objectifs. La réalité corporelle, sexuée, en est une que tout le monde peut constater. L’identité de genre est mouvante, en fonction de l’appréciation de chaque personne. Dans un souci de cohérence juridique, nous proposons que cette notion soit ôtée du projet de loi.

Mme Emmanuelle Ménard. L’identité de genre est une idéologie qui nie la réalité sexuée biologique des personnes au profit d’une construction sociale. Je pense que c’est la première fois que cette notion entrerait dans la loi. Je ne crois pas que ce soit souhaitable.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Comme les auteurs des amendements ont soulevé une question de droit, je rappelle que les violences visant l'identité de genre sont explicitement reconnues comme un concept juridique. Depuis la promulgation de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse punit expressément la diffamation ou l'injure envers une personne ou un groupe de personne à raison de leur identité de genre. C’est sur ce fondement que, dans une décision de janvier 2020, la Cour de cassation s'est prononcée sur des propos injurieux visant des personnes transgenres.

L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, que vise l’article 8, liste les provocations à discriminations pouvant donner lieu à une dissolution. Il convient de compléter cette liste pour qu'elle soit la plus exhaustive possible, et les discriminations et violences portant sur l'identité de genre y ont toute leur place. Elles ont un fondement juridique et renvoient à des faits bien précis, qui consistent à nier une partie fondamentale de l'identité d'une personne, engendrant des souffrances et des dégâts souvent considérables. Je suis défavorable à ce qu’elles en soient retirées.

Mme Anne-Laure Blin. Je ne me faisais pas grande illusion quant au fait à la fois que vous rejetteriez nos amendements et que cette insertion était volontaire. Je voulais simplement que vous le disiez de manière claire et officielle : cette insertion dans la loi est due à un mouvement culturel et philosophique et permet finalement d’avaliser la construction d’un concept éminemment humaniste, celui du transhumanisme.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS26 de Mme Annie Genevard, CS1265 de Mme Marie Guévenoux et CS1020 de Mme Brigitte Kuster.

Mme Annie Genevard. Je vous propose de compléter les motifs de dissolution afin d’armer le droit. Il faut se donner toutes les possibilités de mieux résister aux agissements et à la propagande islamiste. Cela couvre les discours de haine à l’encontre de groupes autres que ceux qui sont énumérés par le projet de loi, comme les militaires ou les forces de l’ordre, ainsi que l’incitation à méconnaître les exigences minimales de la vie en société telles que l’égalité hommes-femmes, la dignité de la personne humaine, l’intérêt supérieur de l’enfant, le sentiment d’appartenance à la nation ou le respect de la liberté de conscience. Tout cela fait l’objet d’un point 8° que je vous propose d’insérer. Le 9°, lui, porte sur ceux qui exercent des pressions psychologiques ou physiques sur des personnes, ou les soumettent à des techniques propres à altérer leur jugement, dans le but d’obtenir d’elles des actes ou des abstentions qui leur sont gravement préjudiciables ou qui sont contraires à l’ordre public.

Ces dispositions couvrent tout le champ des agissements auxquels certains islamistes veulent se livrer, et nous donneraient des armes supplémentaires pour dissoudre des associations dont nous ne voulons plus.

Mme Marie Guévenoux. L’amendement CS1265 va dans le même sens, une fois n’est pas coutume, que celui de Mme Genevard. Il vise à ajouter des motifs légaux de dissolution d’une association.

En effet, le projet de loi ajoute aux motifs actuels la provocation à la discrimination, à la violence ou à la haine en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre, mais étrangement il n’inclut pas les actions tendant à porter atteinte à l’un des principes fondateurs de la République et plus précisément à la liberté, à l’égalité, à la sauvegarde de la sécurité publique ou aux symboles fondamentaux de la République. Les associations ou groupements de fait qui pratiquent cela sont pourtant l’incarnation de la démarche séparatiste que le projet de loi veut combattre. Le premier objet de cet amendement est de combler cette lacune.

Il en a un second. Dans l’avant-projet de loi qui avait été présenté au Conseil d’État figurait la possibilité de dissoudre une personne morale dont les actions ont pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d’exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ses activités. Je voudrais savoir ce qui vous a amenés à renoncer à cette disposition, et propose de la réintroduire. La dissolution pour ce motif existe certes déjà dans notre droit, mais au bout de très longues procédures qui ne permettent pas d’être aussi efficaces que si elle figurait à l’article 8.

M. Robin Reda. Ce que demande Mme Guévenoux, c’est qu’on étende les motifs de dissolution à toutes les associations ne respectant pas le contrat d’engagement républicain.

De deux choses l’une. Si l’association perçoit des subventions publiques, le contrat d’engagement républicain s’applique. Si elle ne le respecte pas, on peut lui retirer sa subvention ou lui en demander le remboursement, voire aller jusqu’à la dissolution. Mais pour les associations qui ne touchent pas de subventions publiques et n’ont pas signé le contrat républicain, il faut étendre les motifs de dissolution. L’amendement de Mme Kuster que je défends est peut-être trop restrictif sur ce point et j’appelle à trouver une rédaction commune, en faisant fi de nos différences de groupes politiques qui n’ont pas grand-chose à voir dans un débat qui se concentre avant tout sur l’intérêt des Français.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je rejoins les derniers propos de Robin Reda.

Ces amendements visent à ajouter des motifs de dissolution. Le premier est l’atteinte aux lois et aux exigences minimales de la vie en commun, dont nous avons déjà parlé ici. Il me paraît devoir être précisé. La notion d’exigences minimales de la vie en commun est proche de celle utilisée par le Conseil constitutionnel dans une décision d’octobre 2010, mais ce concept est toutefois assez peu défini. Il a un caractère trop flou pour justifier une décision de dissolution. Mme Genevard introduit aussi le concept de sentiment d’appartenance à la nation. Dissoudre une association sur un sentiment me paraît également assez malaisé à défendre. Enfin, le Conseil d’État a considéré qu’il n’était pas pertinent de faire figurer les pressions psychologiques ou physiques sur les personnes dans les motifs de dissolution. En effet, la frontière avec la liberté de culte et de conscience est souvent difficile à fixer et le recours à la dissolution pourrait s’avérer hasardeux.

Toutes ces dispositions me paraissent donc nécessiter de gros efforts de rédaction ou de précision. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis opposé à ces amendements pour des raisons soit d’opportunité, soit de fond, soit de confusion.

L’opportunité vaut pour l’amendement de Mme Genevard. Je peux avoir la même réflexion qu’elle. Je l’ai même eue. Le Conseil d’État a disjoint les propositions qui en ont résulté. Pour le citer, « En raison du risque sérieux de méconnaissance de la liberté d’association, le Conseil d’État propose de ne pas retenir l’atteinte à la dignité de la personne humaine comme motif pouvant fonder légalement la dissolution ».

Nous l’avons dit, ce texte touche à des libertés fondamentales. Il y a deux solutions : soit on se fait plaisir et on se fait censurer par le Conseil constitutionnel : l’autorité du législateur et de l’État en sera atteinte ; soit on agit dans le sens le plus politique mais aussi le plus juridique possible, dans le cadre du bloc de constitutionnalité. Il nous semble que l’article 8, s’il était adopté, permettrait déjà de faire beaucoup de choses. La dissolution du CCIF n’a pas été facile, mais nous avons pu y arriver avec les dispositions actuelles. Maintenant, le ministre de l’intérieur vient devant le Parlement pour demander un peu plus de moyens, mais attention à la mesure de trop. Je peux être d’accord avec vous sur le fond, mais prenons garde à ne pas déséquilibrer l’article 8 et aboutir à la censure du Conseil constitutionnel, même si je sais que ce n’est pas votre esprit.

Sur le fond, Madame Guévenoux, il n’est pas question de dissoudre toute association qui aurait pour but de changer les valeurs ou les principes de la République, voire la République elle-même. Avec votre amendement, l’Action française serait dissoute. On peut ne pas aimer l’Action française, et son but premier n’est sans doute pas de garder la République telle qu’elle est, mais elle a le droit d’exister dans une démocratie qui permet de contester y compris la forme républicaine de l’action du gouvernement. Tant qu’elle ne porte pas atteinte aux biens et aux personnes, toute association a le droit de militer pour une autre République, d’autres principes, une autre devise, un autre drapeau ou même une autre langue, bref ce que vous appelez les symboles de la République. Votre proposition peut paraître séduisante, mais l’adopter serait en fait très liberticide et méconnaîtrait à coup sûr des principes constitutionnels. Je n’y suis pas favorable. La démocratie permet à ceux qui ne sont pas d’accord de le dire : c’est la grande différence avec la dictature.

Monsieur Reda, vous confondez : oui, le contrat d’engagement républicain permettra de ne plus verser de subventions à ceux qui vivent par la subversion ; oui, les faits reprochés pourront amener à la dissolution ; mais, non, ce contrat n’est pas lié à l’article 8.

L’article 8 concerne toutes les associations, à commencer par les associations cultuelles. Le ministre de l’intérieur aura ainsi désormais deux armes pour mettre fin aux lieux de culte radicaux : l’arme de la liberté de culte et du statut des cultes ; celle du droit des associations.

Le contrat d’engagement républicain ne concerne pas les associations cultuelles – vous l’aurez probablement compris à l’issue de nos débats d’hier. Certaines associations, sans être contraires à l’ordre public, peuvent vouloir une autre société – et c’est la démocratie que de les accepter – mais nous refusons de les subventionner. Ainsi, on pourrait imaginer une association qui souhaite faire reconnaître officiellement une religion en France. Mais elle ne saurait proposer des actions totalement contraires aux lois de la République ; c’est ce que nous sanctionnerons.

Je comprends le débat mais je suis intimement persuadé qu’il faut refuser ces amendements pour des raisons de sécurité législative. En outre, madame Guévenoux, vous allez trop loin dans votre définition de l’association. Monsieur Reda, je pense vous avoir répondu : le contrat d’engagement est différent. Le Gouvernement ne lie pas subventions, valeurs républicaines, respect de l’ordre public, dissolution dans un même article, mais a rédigé plusieurs articles afin de prendre en compte et de respecter les différences, tout en étant attentif au but qu’il veut atteindre – mettre fin aux associations séparatistes.

Mme Annie Genevard. Cet article est vraiment très important. Si nous armons notre droit à la hauteur de la menace qui pèse sur notre pays, nous aurons fait œuvre utile. C’est également l’objectif de l’amendement : s’interroger collectivement sur la pleine efficacité d’un dispositif qui vous donnerait toutes les armes pour dissoudre.

Ne nous y trompons pas : à l’opposé du jeune déculturé qu’on manipule, certains islamistes sont formés, instruits, habiles et développent une véritable stratégie. Ils sont déterminés à détruire notre pays, notre République, nos principes, nos valeurs avec toutes les armes du droit et toutes les armes intellectuelles dont ils disposent.

J’entends parfaitement le risque d’inconstitutionnalité : si l’article 8 modifié devait être jugé inconstitutionnel, on voit bien le parti que pourraient en tirer ceux que nous voulons combattre. Un jour, un secrétaire général du Conseil constitutionnel m’avait dit que les parlementaires intègrent trop le risque d’inconstitutionnalité. Ils se refrènent alors que le volume de dispositions censurées est peu ou prou le même et, que plus un texte va loin, moins il court le risque d’être censuré.

Monsieur le ministre, beaucoup de vos interventions aboutissent à une seule et même conclusion – la nécessité de modifier la Constitution. Nous en avons ici la démonstration : le risque d’inconstitutionnalité nous limite dans notre action et limite l’efficacité du droit. Pourquoi ne pas y réfléchir, afin d’échapper à ce risque ?

Mme Marie Guévenoux. Je vais retirer mon amendement. J’entends les explications du ministre, mais je le retravaillerai probablement pour la séance, afin de conserver le fil rouge de l’objectif du contrat d’engagement républicain, comme l’a souligné Robin Reda.

L’amendement CS1965 est retiré.

La commission rejette les amendements CS26 et CS1020.

Elle passe à la discussion commune des amendements CS127 de M. Jacques Marilossian et CS1210 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Christophe Euzet. Je rejoins Mme Genevard sur un point : depuis trois ans et demi, j’ai constaté que le Parlement a la fâcheuse tendance de s’autocensurer pour éviter toute censure constitutionnelle. Or cette dernière n’est pas un désaveu, juste un aiguilleur.

Dans cet esprit, des députés du groupe Agir ensemble proposent de réintroduire dans les causes de dissolution administrative la notion d’atteinte à la dignité humaine, telle qu’initialement prévue par le préprojet de loi. Dans son avis, le Conseil d’État estimait que la dissolution ne devait « reposer que sur des motifs d’ordre public précisément et restrictivement délimités. »

Depuis la célèbre décision interdisant le lancer de nains, dite « Morsang-sur-Orge », que le Conseil d’État a rendue, le respect de la dignité humaine est une composante de l’ordre public. La notion de dignité humaine est donc parfaitement définie par la jurisprudence nationale, mais aussi européenne. Il s’agirait d’un signal fort adressé aux associations concernées.

M. Éric Pouillat, rapporteur. La rédaction du Gouvernement est cohérente avec l’avis du Conseil d’État. Je suis donc défavorable à votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’y suis également défavorable.

Pour en revenir aux propos de Mme Genevard, le sujet n’est pas tant la Constitution que le bloc de constitutionnalité – la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le préambule de 1946 et, surtout, les principes fondamentaux issus des lois de la République, jurisprudentiels et, à ce titre, soumis à d’éventuels revirements. En outre, même si le dispositif n’est pas censuré après son adoption par le Parlement, grâce à M. Sarkozy, des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) peuvent intervenir plusieurs années après la promulgation de la loi.

S’agissant de la jurisprudence sur le lancer de nains, je ne suis pas conseiller d’État, mais j’ai cru comprendre que le débat n’était pas clos. Il semble même vif entre juristes.

Enfin, n’oublions pas nos engagements européens : qu’on le veuille ou non, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont leur mot à dire… En conséquence, dire qu’il faut modifier la Constitution, madame la députée, est un peu court, comme disait Cyrano.

Quand le Conseil d’État nous dit non, parfois, nous passons outre. Mais la différence entre la roulette belge – ou suisse – et la roulette russe, c’est qu’avec la dernière, vous avez une chance sur six de perdre, quand c’est six chances sur six avec les premières. Je suis d’accord pour jouer, mais pas pour perdre à coup sûr ! Je suis trop attaché – comme beaucoup d’entre vous – à l’article 8 pour provoquer sa censure.

La commission rejette successivement les deux amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1104 de M. Alexis Corbière.

Mme Mathilde Panot. Nous souhaitons supprimer la possibilité d’imputer à une association les agissements commis par un ou plusieurs de ses membres, dès lors que ses dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser.

Le Haut Conseil à la vie associative est opposé à cette mesure. Il estime que ce texte risque de créer une présomption de responsabilité du fait d’autrui, susceptible d’entraîner la dissolution d’une structure pour le comportement de ses membres, et que la mesure n’est pas conforme au droit pénal actuellement en vigueur. Constatation que nous partageons, puisqu’il s’agit d’une entorse au principe de base posé par l’article L. 121-2 du code pénal qui énumère les conditions d’imputabilité à une association, personne morale, d’infractions commises par une ou plusieurs personnes physiques : il est nécessaire que l’infraction soit commise par un organe de l’association ou par un représentant de celle-ci.

L’article autoriserait des dérives, pour des infractions commises par de simples membres – ni président, ni administrateur de l’association.

M. Éric Pouillat, rapporteur. Cette nouvelle disposition est entourée de garanties protectrices pour les dirigeants de l’association. Ces derniers doivent être informés des agissements, et n’avoir rien fait, compte tenu des moyens à leur disposition, pour y mettre un terme. Mon avis sera donc défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. À travers vous, je voudrais rassurer le monde associatif. Je vais prendre un exemple très concret : un membre d’association, suivi évidemment, publie périodiquement sur Twitter des propos du type « les Juifs sont tous des mécréants » ou « il y a une inégalité entre les femmes et les hommes, chacun le sait » ou « posons-nous la question de la Shoah ». Bien sûr, on peut poursuivre cette personne sur le plan pénal, et ce n’est pas parce que des poursuites pénales sont engagées que les associations qui l’accueillent, qui diffusent parfois ses conférences sont, en tant que telles, responsables si elles ont diffusé, par exemple, une vidéo sans faire attention.

Mais cela devient un motif de dissolution si l’association persévère diabolicum, après avoir reçu des alertes, car nous devons évidemment combattre le séparatisme.

Cette disposition concerne aussi les associations cultuelles. J’illustre à nouveau mon propos : un conférencier, un psalmodieur ou un « imam » qui tiendrait des propos tels que ceux que je viens de citer peut, lui aussi, être poursuivi – c’est évident. Mais, dans ce cas, il est normal que les associations cultuelles qui diffusent ces prêches, et dont les chaînes YouTube sont parfois suivies par des dizaines, voire des centaines, de milliers de personnes, subissent les conséquences de l’action de l’État puisqu’elles ont accolé leur nom à la diffusion de ces propos, n’ont rien fait pour empêcher leur diffusion et ne s’en sont pas désolidarisés.

Cet article est équilibré, même s’il est rude, au sens où il est nouveau et que la dissolution est toujours dramatique. Mais il est nécessaire et proportionné puisqu’il laisse le choix à l’association de se désolidariser, de retirer des propos et de reconnaître son erreur – il n’y a parfois rien de mieux que de retirer un tweet quand on sait que c’est une bêtise.

M. Xavier Breton. Vous n’avez pas répondu à la question, monsieur le ministre, mais les dispositions de l’alinéa 13 constituent bien un renversement de la charge de la preuve : il existera désormais une présomption de responsabilité du fait d’autrui imputable aux dirigeants de l’association. Cela modifie les équilibres de la vie associative…

Par quel moyen un dirigeant d’association sera-t-il « informé » de ces agissements ? Le fait de lire le tweet sera-t-il suffisant ? Ou l’information sera-t-elle formalisée ? Il faudrait le préciser.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS480 de Mme Marine Le Pen.

Mme Marine Le Pen. Personne n’a, plus que moi, envie de lutter contre les séparatistes, les prêches, les appels à la haine. Personne n’est plus convaincue que moi de l’importance de cette lutte. Mais cela ne peut se faire au prix de l’effondrement de nos principes de droit.

Un de ces principes, c’est la responsabilité individuelle. Il n’existe pas de responsabilité collective, ni de présomption de responsabilité pour un président de structure du fait des agissements à caractère pénal de l’un de ses membres.

En outre, je ne suis absolument pas d’accord avec vous, monsieur le ministre : vous nous indiquez qu’en l’état actuel du droit, une association ne peut rien faire contre un prêche vidéo diffusé sur sa chaîne YouTube. Mais la loi de 1881 est extrêmement claire : le diffuseur est l’auteur principal et celui qui tient les propos n’est que le complice. Notre arsenal juridique nous permet donc déjà d’agir pour empêcher dans les plus brefs délais une telle violation du droit pénal.

En l’état de la rédaction du projet, le président d’association doit prouver qu’il n’était pas informé. Il doit donc apporter la preuve d’un fait négatif. C’est parfaitement contraire à nos principes de droit. C’est pourquoi, même si le but que vous poursuivez m’apparaît louable, je suggère de supprimer les alinéas 13 à 15 de l’article.

M. Éric Pouillat, rapporteur. Nous avons déjà répondu à la question de l’imputabilité. La procédure de suspension prévue à l’alinéa 14 me semble tout aussi utile. Elle permet de faire cesser immédiatement, et sans attendre la fin de la procédure de dissolution, les activités d’une association en cas d’urgence. Une telle mesure est de nature à garantir la sécurité publique. Je suis donc défavorable à votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Le Pen, si vous me permettez, vous n’avez pas le monopole de l’engagement. Cet amendement de suppression en est la preuve. Vous évoquez un faux-semblant et le fait que la loi de 1881 permettrait de poursuivre les dirigeants d’une association. Certes, mais elle ne permet pas de dissoudre l’association.

Devons-nous continuer à donner crédit à l’insulte, avec quelques mois de sursis par-ci, quelques amendes par-là ? Non, et le dispositif que nous proposons permettra de dissoudre l’association car certains faits, agissements et condamnations démontrent qu’elle est séparatiste.

Vous vous érigez désormais en protectrice des principes fondamentaux du droit. Pourquoi pas, mais ce n’a pas toujours été le cas pour le droit des étrangers ou certains droits des personnes par exemple. Mme Panot, de la France insoumise, estime que nous allons trop loin. Je respecte son point de vue et peux comprendre sa démonstration. À l’inverse, je ne saisis pas très bien où vous voulez en venir, si ce n’est que vous ne donnez pas au droit français les moyens de mettre fin à ce que vous dénoncez.

Mme Marine Le Pen. Monsieur le ministre, vous émaillez toujours vos réponses de sous-entendus relativement désagréables et assez révélateurs. Si on ne peut plus discuter du droit des étrangers quand on est chef d’un parti politique, il y a un problème démocratique. Que faites-vous du respect de la liberté d’opinion, protégée par l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme ?

Je le répète, vous avez déjà la possibilité de dissoudre des associations en vous fondant sur les condamnations prononcées contre ses membres. Vous pouvez parfaitement porter cet élément à la connaissance d’un magistrat si la décision de dissolution fait l’objet d’un recours. Je maintiens que cette bascule des principes de notre droit est extrêmement dangereuse.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe aux amendements identiques CS178 de M. Xavier Breton et CS1213 de Mme Marie-George Buffet.

M. Xavier Breton. Je me permets de poser à nouveau la question : par quel moyen un dirigeant d’association sera-t-il « informé » des agissements d’un de ses membres ? S’agit-il d’une information formalisée, les dirigeants d’associations recevant un courrier d’alerte, ou de tout moyen d’information, le fait de « liker » un tweet ou un message Facebook étant suffisant pour démontrer la bonne information ? Il convient d’être précis car cela peut conduire à la dissolution d’une association.

Mme Marie-George Buffet. Monsieur le ministre, vous l’avez dit, cet article 8 est une arme puissante. Vous avez refusé les amendements en faisant état de la position du Conseil constitutionnel. Certes, mais notre préoccupation doit surtout être de disposer des outils pour dissoudre des associations qui combattent les principes de la République, tout en respectant la liberté d’association et la liberté d’expression.

L’article 8 dispose : « leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ». Ce point me préoccupe car le monde associatif est très divers. Certaines associations, importantes, sont structurées et peuvent recourir à des services juridiques. D’autres mouvements associatifs, fondés sur le bénévolat, ne le sont pas toujours et n’ont pas les mêmes moyens administratifs et juridiques.

Il faut donc aider le monde associatif à s’emparer de ce dossier et vérifier comment les services de l’État en charge du mouvement associatif l’accompagnent. Sinon, je crains que ces dispositions ne leur soient appliquées non pas du fait de leur mauvaise volonté, mais de leur incapacité.

M. Éric Pouillat, rapporteur. J’entends les inquiétudes. Cependant, la rédaction me semble garantir la proportionnalité des mesures en fonction de la taille et des moyens de l’association puisque l’alinéa précise qu’il sera tenu compte des moyens dont l’association dispose.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Buffet, je partage votre souci : il faut être sévère, tout en respectant la liberté d’association. Nous parlons d’une procédure de dissolution, très strictement encadrée, monsieur Breton. La procédure est parfaitement contradictoire et se déroule d’abord entre l’État – le préfet –, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) et l’association. Si, alors, l’association fait amende honorable et retire les publications incriminées, sauf à ce qu’il s’agisse du vingtième ou du centième incident, la procédure s’arrête.

Quand le dossier de dissolution arrive en conseil des ministres, il est extrêmement argumenté pour répondre aux questions du Président de la République et des membres du Gouvernement. En effet, une dissolution a des conséquences politiques et juridiques majeures. Le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques ne propose pas sans garanties une telle procédure au ministre de l’intérieur. Il a parfaitement conscience que la liberté d’association est une liberté fondamentale.

L’information, monsieur Breton, est donc notamment assurée par le contradictoire. À partir du moment où les dirigeants de l’association assument les publications, nous utilisons les outils à notre disposition. Ce fut le cas pour le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) ou BarakaCity.

Madame Le Pen, les condamnations de membres d’association – même pour terrorisme – ne suffisent pas pour proposer une dissolution, sinon j’imagine que d’autres gouvernements l’auraient fait avant le nôtre.

La commission rejette les amendements.

Elle passe à l’amendement CS983 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je remercie le ministre de l’intérieur pour ses explications sur le contradictoire. Le présent amendement vise à préciser que le mécanisme est déclenché « dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes ». Il s’agit des termes de l’exposé des motifs du projet de loi.

M. Éric Pouillat, rapporteur. Cette précision affaiblit la procédure, j’y suis défavorable.

Mme Marine Le Pen. Je soutiens l’amendement car les possibilités de dissolution sont extrêmement larges en l’état de la rédaction de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Ce n’est pas un sujet nouveau, monsieur le ministre, et, quand on rédige le droit, on ne peut arguer du fait qu’on utilise peu la procédure pour minimiser sa puissance. L’article L. 212‑1 évoque la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Il peut, par exemple, s’agir de la discrimination en raison de la non-appartenance à une nation. Les associations visées sont donc celles qui propagent des idées ou des théories tendant à justifier ou à encourager une discrimination de ce type. Moi qui suis pour la priorité nationale, suis-je visée et mon association peut-elle être poursuivie et dissoute ? La réponse est oui si l’on s’en tient à la loi. Il serait donc rassurant de préciser la rédaction de l’article.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS803 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Nos débats le soulignent, l’alinéa 13 pose beaucoup de problèmes : ce n’est pas tant le fait que la dissolution de l’association soit prononcée quand l’un de ses dirigeants a tenu des propos contraires aux principes républicains qui nous interpelle – tout le monde devrait être d’accord sur ce point –, que le fait que des actes de « membres » puissent entraîner les mêmes conséquences. Vous tentez de nous rassurer en rappelant les verrous. Le premier : les dirigeants de l’association doivent avoir eu une connaissance « préalable », des agissements répréhensibles – l’étude d’impact le précise, pas le projet de loi. Deuxième condition : les dirigeants doivent s’être abstenus, en connaissance de cause, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la cessation des activités constatées.

Pensez-vous sérieusement que c’est applicable ? Si les dirigeants, interrogés, répondent : « nous avons certes été informés, mais pas préalablement, postérieurement », la réponse sera négative. En d’autres termes, les deux verrous bloquent quasiment le dispositif.

C’est pourquoi l’amendement propose de conserver ces dispositions uniquement pour les dirigeants, et non pour des membres. Cette position me semble centriste !

M. Éric Pouillat, rapporteur. Le verrou est suffisant. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le terme « préalable » n’a pas été repris dans le projet de loi. Le dispositif est donc parfaitement opérant.

En outre, je reviens sur les arguments de Mme Genevard : il s’agit souvent de gens intelligents, qui contournent les dispositions législatives et réglementaires. Si nous ne visons que les dirigeants, monsieur de Courson, vous savez très bien que des membres « influenceurs », ou d’anciens dirigeants, iront sur les plateaux de télé ou sur les réseaux sociaux parler au nom de l’association.

Il faut donc absolument que les membres soient visés, d’autant que l’alinéa est clair. Je vous le relis : « les agissements mentionnés à cet article commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité, ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser ». Vous remarquerez que l’information n’a pas besoin d’être « préalable ».

M. Charles de Courson. Mais, monsieur le ministre, vous êtes également l’auteur de l’étude d’impact. Je vous lis le dernier alinéa de la page 103 : « les dirigeants de l’association ou du groupement de fait doivent avoir eu une connaissance préalable des agissements répréhensibles d’un ou plusieurs de leurs membres ». Je n’invente rien !

M. le président François de Rugy. Cher collègue, ne nous perdons pas dans les méandres de l’étude d’impact. Nous votons sur le texte.

M. Charles de Courson. Dernier argument, celui du Défenseur des droits : « ce dispositif ferait également courir le risque que des associations fassent l’objet de tentatives de déstabilisation de la part de personnes qui, prenant la qualité de membre ou se faisant passer pour tel, agiraient d’une façon qui mettrait l’existence de l’association en difficulté. »

M. le président François de Rugy. Il suffit que les dirigeants des associations prennent clairement position contre les usurpateurs ! On peut indéfiniment prendre des arguments et les analyser dans tous les sens pour leur faire perdre en efficacité, monsieur de Courson ! On connaît bien le raisonnement qui consiste à utiliser les principes de la République pour les retourner contre elle, nous l’avons vu au cours de l’audition que vous mentionnez.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS748 de Mme AnneFrance Brunet.

Elle examine l’amendement CS866 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Les sept critères de dissolution que prévoit l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure sont justifiés ; cependant, pour écarter tout soupçon d’abus de pouvoir, je propose de préciser que les dirigeants des structures doivent avoir été informés par l’autorité judiciaire compétente des agissements de leurs membres.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS99 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Je propose de supprimer, à la fin de l’alinéa 13, la mention « compte tenu des moyens dont ils disposaient », qui tend à affaiblir le dispositif. En effet, comme l’a expliqué Charles de Courson, les dirigeants peuvent prétendre ne pas avoir eu suffisamment de moyens à leur disposition. Il serait plus clair de clore l’alinéa par « dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser. »

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’objet, la taille et les moyens des associations peuvent varier. Ne pas mentionner les moyens dont disposent les dirigeants pour faire cesser de tels agissements serait une erreur, car cela reviendrait à mettre toutes les associations sur le même plan. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’étude d’impact précise que pour imputer à une association les infractions commises par leurs membres, plusieurs conditions cumulatives doivent être respectées.

Les agissements doivent avoir été commis par des membres se prévalant de l’appartenance à l’association ou être directement liés aux activités de l’association ; les dirigeants doivent avoir eu une connaissance préalable de ces agissements. Si les propos d’un membre, prononcés dans la sphère privée, sont diffusés sur un site, et même si la personne revendique son appartenance à l’association, on peut estimer que les dirigeants n’en ont pas eu connaissance ; en revanche, si ces propos sont relayés par l’association sur son site et sur les réseaux sociaux, on estimera que les dirigeants en ont eu connaissance, ne serait-ce que parce qu’ils ont une responsabilité éditoriale.

Par ailleurs, les dirigeants doivent s’être abstenus, en connaissance de cause, de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les agissements.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie des amendements identiques CS179 de M. Xavier Breton et CS1103 de M. Alexis Corbière.

Mme Mathilde Panot. L’alinéa 14 crée une procédure de suspension à titre conservatoire de tout ou partie des activités d’une association faisant l’objet d’une procédure de dissolution administrative. L’alinéa 15 prévoit une peine en cas de violation de cette mesure.

Je ne comprends pas l’intérêt de cette procédure intermédiaire, qui paraît, par son caractère disproportionné, ouvrir à de nombreuses dérives. Si le ministère de l’intérieur détient des éléments suffisants, il peut sans attendre prendre un décret de dissolution en conseil des ministres. En outre, assortir la violation de cette mesure d’une peine pénale revient à sanctionner une personne seulement soupçonnée par l’autorité administrative.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur la nécessité d’une telle mesure. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. C’est précisément parce que nous avons durci la mesure de dissolution que nous proposons une mesure intermédiaire, de suspension. Cette mesure est donc un élément de gradation, par ailleurs contestable devant les tribunaux. Elle peut être l’occasion de discuter de tel ou tel critère avec les responsables de l’association. Je précise que ces mesures peuvent viser soit les activités cultuelles, soit les activités culturelles d’une association mixte, ce qui permet de ne pas dissoudre tout le champ associatif.

La commission rejette l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS875 de Mme Emmanuelle Ménard.

Elle en vient à l’amendement CS1349 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Le texte prévoit que la durée maximale de la suspension est de trois mois. Je considère plus prudent de l’étendre jusqu’à l’issue de la procédure de dissolution.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Certes, il convient d’éviter qu’une association puisse reprendre ses activités alors même que la procédure de dissolution suit son cours. Toutefois, je considère que la durée maximale de trois mois devrait inciter l’administration à faire en sorte de dissoudre au plus vite l’association, si les faits sont avérés ou, dans le cas contraire, permettre à l’association de reprendre ses activités, dans le respect de la liberté d’association. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS681 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je crois raisonnable de prévoir que la mesure de suspension des activités de l’association peut être décidée pour une durée maximale de trois mois, non renouvelable.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis : il ne faut pas se lier les mains. Si la mesure devait être renouvelée indéfiniment, le juge considérerait à coup sûr que c’est disproportionné. La durée prévue est somme toute assez courte – la fermeture d’un lieu de culte peut être décidée pour six mois. L’idée est que si le problème n’est pas résolu au bout de trois mois, il faut accélérer la procédure de dissolution.

M. Charles de Courson. En l’état du texte, cette mesure serait renouvelable indéfiniment, sous réserve de l’appréciation du juge. Je trouve cela disproportionné. Je vous invite à rectifier l’amendement et à préciser que la mesure est renouvelable une fois.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS100 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Au regard des objectifs assignés à cette mesure, la durée de trois mois me semble bien courte, quand bien même elle inciterait le ministère à agir rapidement. Je propose de la porter à un an.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cela pourrait conduire à ralentir l’instruction des dossiers. Vous expliquez dans l’exposé sommaire vouloir muscler la répression des associations ; je ne pense pas que cet amendement soit une solution adéquate. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1769 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. La suspension des activités d’une association est une mesure lourde. Conformément à l’objectif assigné à ce texte, il convient de préciser qu’elle ne concerne que les associations qui font l’objet d’une procédure de dissolution dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1144 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Il est utile de préciser que cette décision est susceptible d’un référé liberté au sens de l’article 521-2 du code de justice administrative : l’étendue des motifs de dissolution et les marges d’interprétation nous laissent circonspects et font craindre des procédures abusives.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’amendement est satisfait. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est en effet le droit commun : saisi d’une demande justifiée par l’urgence, le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS682 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il convient de préciser que la sanction prévue à l’alinéa 15 s’entend lorsque la violation de la mesure est le fait du ou des dirigeants de l’association.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS467 de Mme Emmanuelle Ménard.

Elle en vient à l’amendement CS101 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Les associations qui font l’objet de ce type de mesures disposent de moyens souvent importants ; un an de prison et 15 000 euros d’amende me semblent constituer une sanction somme toute légère. Je propose de rendre l’amende proportionnelle aux moyens de l’association.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. La violation de la mesure de suspension sera tout de même assortie d’une peine d’emprisonnement et sera suivie à coup sûr d’une décision de dissolution.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 8 modifié.

Après l’article 8.

La commission examine l’amendement CS202 de M. Thomas Rudigoz.

M. Thomas Rudigoz. Il s’inspire d’une des recommandations présentées, le 6 juin 2019, par la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite. Il vise les groupes extrémistes, aussi bien politiques que religieux. Nous devons être intraitables vis-à-vis des ennemis de la République – jamais nos démocraties n’ont été autant menacées, l’invasion du Capitole, le 6 janvier, en témoigne.

Nous proposons de renforcer la sanction prévue à l’égard des individus qui participent au maintien ou à la reconstitution d’une association dissoute et de l’aligner sur celle applicable en cas de reconstitution d’un groupe de combat, à savoir cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

En outre, nous proposons de compléter la liste des peines complémentaires prévues à l’article 431-18 du code pénal en permettant au juge de prononcer une interdiction de fonder ou de participer au bureau d’une autre association pour une durée pouvant aller jusqu’à cinq ans.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable. Il convient de maintenir la distinction avec les groupes de combat, lesquels représentent un danger pour la sécurité publique. Le fait d’y participer doit être plus sévèrement réprimé.

Par ailleurs, votre amendement prévoit de supprimer le deuxième alinéa de l’article 431-15, ce que je tiens pour une erreur légistique.

Le code pénal prévoit que la reconstitution d’une association dissoute peut entraîner la confiscation des biens mobiliers et immobiliers. Le champ des peines appliquées en pareille situation me semble donc proportionné et suffisamment dissuasif. Je suis en tout état de cause défavorable à l’ajout, parmi les peines complémentaires, de l’interdiction de participer au bureau d’une association dont les activités ne soulèveraient aucune difficulté.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1579 de M. Jacques Maire.

M. Jacques Maire. Il s’agit de permettre, lors de la dissolution administrative ou judiciaire d’une association cultuelle, le transfert de ses biens immobiliers à une autre association cultuelle.

Il est nécessaire d’assurer la permanence du culte pour les pratiquants, qui ne sont pas nécessairement complices des dirigeants de l’association dissoute. Les lieux de culte sont souvent acquis grâce à leur participation financière ; que la nouvelle entité affecte les locaux à un autre usage pourrait être perçu comme une punition collective.

L’insécurité juridique actuelle conduit des associations à vendre des lieux de cultes à des États étrangers – c’est le cas de la grande mosquée Mohamed-VI de Saint-Étienne ou de la mosquée Averroès à Montpellier ; des projets sont en cours à Puteaux, à Argenteuil, à Angers, à Carpentras et la grande mosquée de Paris elle-même a fait l’objet d’un protocole de vente à l’État algérien.

Le dispositif proposé sécurise le transfert du bien vers une autre association cultuelle ; parallèlement, nous proposerons à l’article 26 d’interdire la vente des lieux de culte à un État étranger et, à défaut, que les collectivités locales puissent exercer un droit de préemption.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Les modalités de dissolution sont précisées dans les statuts de l’association, donc fixées par voie réglementaire. Votre amendement est en partie satisfait, puisque les statuts d’une association peuvent prévoir qu’en cas de dissolution, les biens seront dévolus à une autre entité. Mais en l’absence d’une association appartenant au même culte dans la commune ou dans les environs, cette disposition obligerait l’association à léguer son bien à une association exerçant un autre culte. Il me semble que cette situation devrait être évitée. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Charles de Courson. Les statuts comportent la plupart du temps une clause de dissolution et prévoient que l’assemblée générale délibérera sur ce point ; mais si la dissolution est administrative, l’assemblée générale ne pourra se réunir. Notre collègue a raison de soulever cette question. Je doute que cet amendement soit la solution, mais le ministre peut-il apporter son éclairage et préciser que ce n’est pas l’État qui vendra les biens à son profit ?

M. Gérald Darmanin, ministre. La loi de 1901 dispose bien, en effet, que les statuts prévoient les modalités de dévolution des biens en cas de dissolution. Dans le délai, assez long, qui précède la dissolution, l’assemblée générale peut se réunir et modifier ses statuts. Enfin, l’État peut procéder au gel des avoirs, afin qu’ils ne soient pas dévolus à une association, si j’ose dire, chargée de continuer le combat. C’est ce que nous avons fait récemment avec les millions d’euros dont disposait une association, non cultuelle, dissoute en conseil des ministres.

J’ai bien compris que votre intention concernait les bâtiments, dans lesquels les pratiquants pourraient continuer d’exercer leur culte. Je vous propose de retravailler ce point en vue de la séance, au titre II, et vous invite à retirer votre amendement.

M. Jacques Maire. On peut imaginer que les associations auxquelles nous avons affaire n’ont pas prévu ce cas dans leurs statuts et que l’agilité juridique dont elles peuvent faire preuve, dans un moment de stress au surplus, n’est pas très grande. Je retiens l’invitation du ministre à travailler, d’ici la séance, sur la dévolution des biens immobiliers.

L’amendement est retiré.

Article 9 : Renforcement des contrôles sur les fonds de dotation

La commission examine l’amendement CS303 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il vise à supprimer l’article 9, qui renforce les contrôles sur les fonds de dotation. En effet, l’article 140 de la loi du 4 août 2008 dispose déjà que « L’autorité administrative s’assure de la régularité du fonctionnement du fonds de dotation. À cette fin, elle peut se faire communiquer tous documents et procéder à toutes investigations utiles. Le fonds de dotation adresse chaque année à l’autorité administrative un rapport d’activité auquel sont joints le rapport du commissaire aux comptes et les comptes annuels. Si l’autorité administrative constate des dysfonctionnements graves affectant la réalisation de l’objet du fonds de dotation, elle peut, après mise en demeure non suivie d’effet, décider, par un acte motivé qui fait l’objet d’une publication au Journal officiel, de suspendre l’activité du fonds pendant une durée de six mois au plus ou, lorsque la mission d’intérêt général n’est plus assurée, de saisir l’autorité judiciaire aux fins de sa dissolution. »

Par ailleurs, l’article L. 562 2-1 du code monétaire et financier instaure pour certains professionnels une obligation de déclaration en cas de soupçon dans la gestion d’un certain nombre d’organismes, dont singulièrement les fonds de dotation.

TRACFIN et les réseaux bancaires nationaux sont en première ligne et remplissent parfaitement leur mission.

Enfin, les ressources humaines dont disposent les préfectures ne sont pas calibrées pour participer de manière déterminante à cet effort. L’arsenal juridique est suffisant, le problème réside plutôt dans l’effectivité des contrôles.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Les fonds de dotation, dont les modalités de création et de fonctionnement sont simples, et qui sont très peu soumis aux contrôles, ont été identifiés comme un facteur de risque.

Les mesures de suspension de l’activité et de dissolution sont rarement mises en œuvre. Il est important de donner à l’autorité administrative les moyens de repérer plus rapidement les fonds qui ne respectent pas les règles, qui financent une activité lucrative ou cultuelle. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. J’ai appris, dans mes fonctions précédentes, que TRACFIN n’avait pas toujours les moyens d’exercer sa mission, faute de signalements, notamment sur les fonds de dotation.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS908 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. C’est un vrai sujet. Plus on encadrera et on contrôlera les associations, plus les personnes animées de mauvaises intentions utiliseront les fonds de dotation. Je propose que les fonds de dotation, à l’image des associations cultuelles, soient tenus de déclarer les fonds provenant de l’étranger. Je précise, à toutes fins utiles, que n’étant pas financés par des fonds publics, les fonds de dotation n’ont pas à s’engager à respecter les valeurs républicaines.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’article 35 instaure un contrôle des financements étrangers reçus par les associations cultuelles relevant de la loi de 1905 et aux associations mixtes relevant de la loi de 1907. Faut-il étendre ce contrôle aux associations relevant de la loi de 1901 et aux fondations ? C’est un débat que nous aurons à l’article 12.

Étendre ce contrôle aux fonds de dotation n’est pas souhaitable car ils sont soumis à un contrôle a priori, volontairement allégé au profit d’un contrôle a posteriori, renforcé. Il ne convient pas de dénaturer cet outil de financement en complexifiant ses modalités de fonctionnement. Par ailleurs, l’article 9 précise déjà les obligations imposées aux fonds de dotation et renforce la capacité du préfet de suspendre ceux qui ne respectent pas la loi.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous abordons ici un point très important de nos débats : faut-il étendre l’obligation de déclaration des fonds provenant de l’étranger, lorsqu’ils excèdent 10 000 euros, aux associations relevant de la loi de 1901 et aux fonds de dotation ? C’est une question qu’ont posée successivement MM. Houlié et Pupponi. Il est vrai, monsieur Pupponi, que les fonds de dotation sont un véhicule souvent emprunté pour faire transiter l’argent en toute discrétion.

Je ne suis pas défavorable à cette idée et suggère que nous y travaillions d’ici la séance. Je souhaite au préalable consulter mes homologues de Bercy et écarter plusieurs difficultés – hormis la charge de travail que cela pourrait représenter pour l’administration. La solution qui consisterait à limiter ces dispositions aux fonds hors Union européenne serait sans doute discriminatoire. Il faudrait veiller en outre à éviter toute censure du Conseil constitutionnel pour disproportion. Enfin, monsieur Houlié, cette nouvelle obligation sera de nature à renforcer encore la technocratisation dont se plaignent les associations. Les discussions juridiques et politiques que nous aurons sur ces questions seront très importantes. Je vous suggère, dans cette perspective, de retirer l’amendement.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Même avis.

M. François Pupponi. Je sais que les fonctionnaires de Bercy craignent une surcharge de travail. Il s’agit ici de prévoir une simple déclaration des fonds, qui ne déclenchera pas automatiquement un contrôle. Un autre argument en faveur d’une telle disposition est que les représentants des cultes ne comprennent pas que seules les associations cultuelles puissent faire l’objet de soupçons quant à leurs financements provenant de l’étranger. Ils n’ont pas tort d’évoquer une possible discrimination.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS984 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Comme les amendements CS1790 et CS1791, que je défends par anticipation, cet amendement vise à préciser que le contrôle des fonds de dotation s’exerce dans le cadre de la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes – l’objet du projet de loi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’examen de l’amendement CS683 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je propose de clarifier la rédaction en prévoyant que le fonds de dotation transmet bien trois documents : le rapport annuel d’activité, les comptes annuels et, lorsque les ressources excèdent 10 000 euros, le rapport du commissaire au compte.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS1790.

Elle est saisie de l’amendement CS1762 du rapporteur.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je propose d’aligner les deux procédures de suspension de l’activité d’un fonds de dotation, lorsque les documents n’ont pas été transmis dans les délais, et lorsque sont constatés des dysfonctionnements affectant la réalisation de l’objet du fonds. Il s’agit d’imposer dans les deux cas à l’autorité administrative de motiver sa décision et de publier au Journal officiel la décision de suspension ainsi que la décision de levée de suspension.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS1791.

Elle est saisie de l’amendement CS684 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Je voudrais féliciter le Gouvernement pour avoir mis une borne à la suspension – six mois, renouvelables deux fois. Remarquons que ce n’est pas tout à fait cohérent avec les réponses que j’ai reçues. Il faudra sans doute y revenir, monsieur le ministre.

Six mois renouvelables deux fois, cela nous amène à dix-huit mois, ce qui peut paraître disproportionné. Je vous propose de fixer la durée maximale à six mois, renouvelables une fois, soit douze mois, ce qui n’est déjà pas mal.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il faut tout de même couvrir le temps de l’autorité judiciaire. La borne peut vous sembler longue mais elle ne l’est pas tant que cela. Elle correspond au temps nécessaire pour diligenter des enquêtes et rendre des décisions de justice. Ce n’est pas comparable avec la situation antérieure qui ne concernait que l’autorité administrative. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Ne pourrions-nous prévoir un délai de jugement en urgence, comme cela existe dans d’autres cas ? Trois suspensions, c’est beaucoup ! D’ailleurs, il n’est pas précisé que c’est pour attendre la décision judiciaire. Il faudrait trouver une solution.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 9 modifié.

Après l’article 9

La commission examine l’amendement CS1055 de M. Éric Coquerel.

Mme Mathilde Panot. Vous vous inquiétez, à cet article, des potentielles dérives des fonds de dotation. La Cour des comptes a, elle aussi, tiré la sonnette d’alarme, à tel point qu’elle a estimé nécessaire que les services de l’État dressent un bilan des faiblesses observées dans le fonctionnement de ces organismes et prennent les mesures adéquates.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Article 10 : Renforcement du contrôle fiscal des organismes bénéficiaires de dons ouvrant droit à une réduction d’impôt pour les contribuables donateurs

La commission étudie l’amendement CS985 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. L’article 10 renforce les contrôles exercés sur les organismes à but non lucratif, en autorisant l’administration, dans le cadre du contrôle fiscal, à vérifier la régularité de la délivrance des reçus. Il s’agit de s’assurer que les mesures de ce projet de loi correspondent aux objectifs de l’exposé des motifs du projet de loi : lutter contre l’entrisme communautariste et les idéologies séparatistes.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS903 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’article 10 prévoit que l’administration fiscale contrôle la régularité des reçus fiscaux délivrés par les organismes bénéficiaires de dons, sans définir la notion de régularité. Cet amendement vise donc à la préciser. Elle consiste d’une part à vérifier la concordance entre les montants figurant sur les reçus délivrés aux donateurs et les montants des dons perçus par l’organisme donataire. Il est en effet arrivé que des reçus mentionnent la somme de 150 euros alors que seuls 100 euros avaient été versés. En gros, c’était une machine à cash, aux frais de l’État.

Elle consiste d’autre part à s’assurer que l’association respecte trois critères : une activité non lucrative, une gestion désintéressée et un nombre non restreint de bénéficiaires.

Cette précision est essentielle pour encadrer le contrôle exercé par l’administration fiscale et le mettre à l’abri de toute contestation.

M. Éric Poulliat, rapporteur. En tant que rapporteur, je ne peux que saluer votre volonté de préciser le texte et de le rendre le plus intelligible possible. Toutefois, la définition proposée ne mentionne pas toute l’étendue du contrôle que pourra exercer l’administration fiscale. Elle pourra vérifier le bien-fondé de l’éligibilité des dons aux réductions d’impôt en s’assurant que l’organisme respecte bien les conditions prévues aux articles 200, 238 bis et 978 du code général des impôts – caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, culturel, etc.

Enfin, le contrôle pourra s’étendre à un contrôle de comptabilité portant sur le caractère non-lucratif de l’activité et le caractère désintéressé de la gestion.

Je donne donc un avis défavorable et je laisse au Gouvernement le soin de nous dire si une telle précision, avec une rédaction améliorée, est envisageable en vue de la séance.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il faut entendre, par régularité, le contrôle par l’administration fiscale, du bien-fondé de l’aide par rapport à l’objet de l’association.

Ce secteur est assez peu contrôlé et les déductions fiscales peuvent ne donner lieu à aucun contrôle. Nous avons d’ailleurs dû dissoudre des associations qui, tout en étant contraires aux lois de la République, pour leurs liens avec des entreprises terroristes par exemple, pouvaient délivrer des reçus fiscaux. Cette disposition, cela dit, ne concerne pas les seules entreprises séparatistes, monsieur Breton. Les déductions fiscales représentent des sommes importantes et doivent être contrôlées. L’administration fiscale elle-même a pris la mesure du travail juridique et humain à accomplir.

Par ailleurs, sous prétexte de préciser le texte, cet amendement pourrait en réduire la portée. Le but essentiel de cet article est de donner aux contrôleurs des impôts les moyens de contrôler que l’objet pour lequel le contribuable donne de l’argent est bien en rapport avec l’action de l’association. Nous avons constaté, à plusieurs reprises, que des associations, sous couvert d’aide humanitaire ou de lutte contre les discriminations islamophobes, finançaient des lieux de culte. Il y a mensonge puisque la personne donne de l’argent à une association dans un but précis, mais l’argent servira en réalité à tout autre chose. C’est un problème important.

Je veux bien, monsieur de Courson, affiner la rédaction de cet article pour sécuriser le contrôle et le contrôleur mais il ne faut pas, monsieur Breton, limiter les actions de contrôle car elles sont rares et se déroulent dans des conditions hasardeuses, parfois sur simple dénonciation. Si nous apportions la précision que vous souhaitez, nous retirerions le lien entre l’objet et l’activité, qui est au contraire essentiel. Avis défavorable, tout en assurant à M. de Courson que nous pourrons essayer d’améliorer la rédaction pour la séance publique.

M. Charles de Courson. Il ne faut pas transformer les inspecteurs des impôts en contrôleurs qui relèveraient de votre ministère actuel. Je veux bien compléter ma définition en ajoutant le contrôle de l’adéquation entre les dépenses de l’association et son objet, mais il faudra faire attention !

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas le ministre des comptes publics qui diligente les contrôles fiscaux. En tout cas, en trois ans, cela ne m’est jamais arrivé ! On peut mener une politique fiscale de contrôle. Quand j’ai eu connaissance des cas de fraude aux certificats d’économie d’énergie, j’ai diligenté une demande de contrôle général sur les entreprises qui délivraient ces certificats, mais je n’ai pas visé telle ou telle société. En trois ans, je n’ai jamais demandé un seul contrôle fiscal à l’administration pour telle ou telle association. Il n’y a donc pas beaucoup de risques pour que les services de Bercy fonctionnent comme ceux du ministère de l’intérieur. Quant à ces derniers, vous aurez constaté que les contrôles se déroulent toujours sous l’autorité d’un juge. Peut-être la pratique que vous redoutez date-t-elle d’un temps que les moins de 39 ans ne peuvent pas connaître. En revanche, le ministre, je le répète, peut mener une politique de contrôle fiscal. Si TRACFIN, les impôts ou d’autres services de l’État lui signalent des fraudes qui font perdre des centaines de millions aux contribuables, il peut demander que soit contrôlée toute association qui, par exemple, dépasserait un certain seuil de déduction fiscale.

Par ailleurs, s’il faut tout un village pour élever un enfant, il faut aussi tout une administration pour contrôler les ennemis de la République. C’est le principe de la cellule de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (CLIR) et, plus généralement, de toutes les administrations à qui il pourra être demandé de contrôler, dans la limite de leurs prérogatives et sous la houlette du préfet, une association, par exemple cultuelle, qui serait dans le collimateur de tout le monde. Il ne faut pas non plus se désarmer ! Le contrôle fiscal ne peut pas se résumer à des algorithmes. Tout en respectant les procédures et les limites, sans transformer les contrôleurs des impôts en agents du ministère de l’intérieur – ce qu’ils ne souhaiteraient pas –, nous ne devons pas sous-estimer l’utilité de ces mesures. Il en va de même des contrôles URSSAF, qui ne dépendent pas non plus du ministère de l’intérieur, ou des contrôles réalisés par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ou par l’Architecte des bâtiments de France. On peut s’y mettre à plusieurs.

J’assume le fait que l’État mène des politiques de contrôle, sans diligenter de contrôle individuel.

M. François Pupponi. Mon vieux passé de vérificateur ressurgit. La modification de l’article L. 14 A du livre des procédures fiscales, prévu à l’article 10, va dans le bon sens. En revanche, nous devrons combler un vide juridique d’ici l’examen en séance publique. En effet, lorsque l’administration fiscale contrôle la comptabilité d’une association, elle n’a pas à s’assurer de la régularité des documents visés à l’article 10, ce qui pourrait conduire le vérificateur à engager deux procédures, au risque de commettre des erreurs susceptibles de provoquer un vice de procédure : la vérification de comptabilité et le contrôle de l’article L. 14 A du livre des procédures fiscales. J’en ai discuté avec la direction générale des finances publiques (DGFIP) : il faut que le contrôle de comptabilité s’exerce sur les mêmes documents que le contrôle de l’article L. 14 A. Bercy doit se pencher sur la question.

Monsieur le ministre, c’est vrai, vous n’avez pas demandé de contrôle durant les trois années où vous étiez en poste. Lorsque j’étais dans ce service, il y a quelques années, les ministres nous écrivaient pour nous demander d’arrêter les vérifications ! Vous le voyez, les temps changent.

M. Charles de Courson. Je déposerai un nouvel amendement, avec mon ami François Pupponi, et nous espérons que le ministre l’accueillera avec bienveillance.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1763 du rapporteur.

Elle adopte l’article 10 modifié.

Article 11 : Création d’une nouvelle obligation déclarative pour les organismes sans but lucratif délivrant des reçus fiscaux à leurs donateurs

La commission en vient aux amendements CS304 et CS986 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet article prévoit d’ajouter un article 222 bis au code général des impôts en vue de créer une nouvelle obligation pour les associations qui font appel à la générosité du public. Elle consiste à déclarer à l’administration fiscale, dans les trois mois de la clôture de leur exercice comptable, le montant global des dons reçus l’année précédente et le nombre de documents délivrés au cours de cette période.

Cette mesure, qui semble n’avoir d’autre finalité qu’un recensement statistique, entre-t-elle bien dans le cadre du projet de loi qui vise à lutter contre les séparatismes ? Nous ne le pensons pas.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il serait illusoire de nier que l’article 11 a en partie pour finalité un recensement statistique, mais la mesure permettra aussi de lutter contre le non‑respect des principes républicains et le séparatisme.

En effet, les avantages fiscaux peuvent bénéficier à des organismes qui ne remplissent pas les conditions d’éligibilité du dispositif, par exemple en raison de l’exercice d’une activité lucrative, mais aussi à des organismes qui ne respectent pas la loi ni les principes de la République. À cet égard, votre amendement CS986 prévoit de restreindre le contrôle des organismes sans but lucratif à la lutte contre le communautarisme et le séparatisme. Cela prouve que la mesure permet aussi de lutter contre le non-respect des principes de la République. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CS923 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Le non-respect des obligations de déclaration prévues à cet article est puni d’une amende de 150 euros, autant dire : rien. Je propose de porter cette amende à 3 750 euros, voire jusqu’à un quart de la somme sur laquelle a porté l’infraction. Sans tomber dans l’excès de vouloir sanctionner de petites associations, on se rend bien compte qu’une amende de 150 euros n’est pas dissuasive.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Cet amendement soulève une vraie question. La sanction actuellement prévue est peu dissuasive, en effet. Toutefois, cela ne semble pas inquiéter outre mesure l’administration fiscale. L’important est surtout de pouvoir détecter les associations qui ne rempliraient pas leurs obligations déclaratives pour pouvoir les contrôler sur le fondement du contrôle prévu à l’article L. 14 A du livre des procédures fiscales.

Quoi qu’il en soit, la sanction proposée par votre amendement est disproportionnée pour les petites associations et risquerait de les mettre en difficulté. Avis défavorable.

M. François Pupponi. L’idée est d’inciter les associations à délivrer des reçus pour que l’administration le sache. Si elles ne déclarent pas, l’administration ne s’amusera pas à aller contrôler les associations au hasard pour dénicher celles qui n’ont pas déclaré ! Il y en a des dizaines de milliers ! Il faut donc prévoir une sanction suffisamment forte pour que les associations se sentent obligées de déclarer. Avec une amende de 150 euros, les associations n’ont aucun intérêt à le faire !

M. Gérald Darmanin, ministre. Les gens ne disent pas à qui ils donnent. Le don est anonyme. Je propose à M. Pupponi de contacter le ministre chargé des comptes publics pour réfléchir à ces différentes considérations mais, en l’état, on ne peut accepter l’amendement qui est excessif.

La commission rejette l’amendement.

Elle étudie l’amendement CS1124 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Mathilde Panot. Il s’agit d’imposer à l’État de publier chaque année la liste des vingt entreprises dont le bénéfice de la réduction d’impôt sur les sociétés au titre du mécénat est le plus élevé sur l’exercice fiscal précédent. La Cour des comptes a très souvent alerté quant au manque d’informations et à l’inaction de l’État face à l’opacité du mécénat : « Malgré les observations et recommandations récurrentes des parlementaires et de la Cour, l’État n’a toujours pas mis en place les moyens et méthodes lui permettant de connaître l’impact de sa politique incitative en faveur du mécénat. Il est tout à fait singulier que les seules informations disponibles soient produites par des organismes privés selon des méthodologies diverses et à partir d’enquêtes portant sur des échantillons d’entreprises réduits. Il apparaît ainsi déterminant que soient conduites par les pouvoirs publics des enquêtes permettant de mieux connaître les entreprises mécènes, utilisatrices ou non des mesures fiscales, les bénéficiaires du mécénat et les secteurs d’activité concernés. Dans un souci de plus grande transparence, la Cour recommande que ce travail débouche sur l’établissement d’une annexe au projet de loi de finances annuel. »

Pour commencer, nous proposons d’éditer chaque année une liste des vingt entreprises bénéficiant le plus des réductions d’impôt liées au régime du mécénat. Cette échelle paraît pertinente car le mécénat est très concentré : selon la Cour des comptes, les vingt-quatre plus grandes entreprises qui ont eu recours à cette réduction d’impôts représentent 44 % de la dépense fiscale liée au mécénat. Cela est d’autant plus important que les contrôles sont très insuffisants, comme le souligne la Cour des comptes, alors que le renforcement des contrôles jouerait un rôle dissuasif.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Il ne s’agit pas de rendre publiques des informations confidentielles sur les contribuables concernés. En outre, nous sommes ici dans les dispositions relatives aux associations afin d’éviter que ce bel outil démocratique ne soit pas utilisé par des gens mal intentionnés pour déployer des stratégies d’endoctrinement et d’enfermement. Nous ne parlons pas des entreprises et je ne vois pas le lien entre votre amendement et l’objectif du texte. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1764 du rapporteur.

Elle adopte l’article 11 modifié.

Après l’article 11

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS1068 de M. Éric Coquerel.

Article 12 : Suspension des avantages fiscaux dont bénéficient les organismes sans but lucratif en cas de condamnation pénale

La commission examine l’amendement CS1122 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Mathilde Panot. Cet amendement tend à retirer la référence au délit créé par l’article 18 du projet. Cet article allonge la liste des infractions graves qui donnent lieu, pour une personne morale éligible au régime fiscal du mécénat, à la suspension du bénéfice de ce régime pour trois ans. Certaines de ces infractions ne souffrent à cet égard d’aucune contestation, comme le blanchiment, le terrorisme ou le recel. En revanche, le délit créé par l’article 18 pose problème et n’a encore été ni débattu ni amendé.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’article 12 élargit la liste des infractions pouvant entraîner la suspension des avantages fiscaux dont bénéficie un organisme à raison des dons qui lui sont consentis en cas de condamnation définitive. Cet amendement vise à retirer de cette liste le délit d’atteinte à la vie d’autrui par la diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle, créé à l’article 18.

Toutes les infractions concernées par l’article 12 sont soit de nature économique, soit susceptibles de faire peser une menace grave sur la société.

Il est indéniable que le délit d’atteinte à la vie d’autrui par la diffusion d’informations privées appartient à cette seconde catégorie. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 12 sans modification.

Après l’article 12

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements CS1827 de M. Sacha Houlié, CS1432 de M. Pierre-Yves Bournazel, CS975 de M. François Pupponi et CS807 de M. Christophe Euzet.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Les associations cultuelles ne sont pas les seules à bénéficier d’avantages et de ressources en provenance de l’étranger et à subir l’influence d’une puissance étrangère. C’est aussi le cas, par exemple, de certaines associations culturelles ou sportives.

En l’état du texte, le contrôle des financements étrangers prévus à l’article 35 ne s’applique qu’aux associations cultuelles relevant de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et aux associations mixtes relevant de la loi de 1907 concernant l’exercice public des cultes. En conséquence, il est proposé d’élargir ce contrôle à l’ensemble des associations relevant de la loi de 1901 relative au contrat d’association. En effet, si l’on veut inciter les associations cultuelles à adhérer au régime de la loi de 1905, il ne faut pas créer de trop grande distorsion avec le régime de la loi de 1901.

Cet amendement suscite des réserves à Bercy. Pourtant, seule la déclaration de fonds provenant d’un pays étranger à l’Union européenne est obligatoire. L’administration fiscale peut former opposition ou ignorer cette déclaration. Surtout, elle a les moyens d’exercer ce contrôle puisque l’objectif était d’atteindre les 200 emplois équivalents temps plein en 2022 pour TRACFIN et qu’ils en sont à 197 début 2021.

M. Christophe Euzet. Le groupe Agir ensemble partage les propos de Sacha Houlié. Le dispositif de l’article 35, très contraignant pour les associations cultuelles, doit être étendu aux associations culturelles soumises au régime de la loi de 1901, qui doivent également être préservées de l’entrisme séparatiste.

L’amendement CS807 est un amendement d’appel, très différent de l’amendement CS1432. Mon expérience m’a appris que des fonds publics alloués à des associations françaises peuvent parfois être utilisés pour financer des manifestations à l’étranger, dont l’objet serait incompatible avec les principes républicains. Nous proposons d’obliger ces associations bénéficiaires d’informer l’autorité administrative de l’objet ou du montant des versements qu’elles versent à des bénéficiaires étrangers.

M. Éric Poulliat, rapporteur. La rédaction de l’amendement de M. Houlié semble la plus aboutie car elle instaure un contrôle distinct de l’article 35, centré spécifiquement sur les États tiers à l’Union européenne et à l’Espace économique européen.

Faisons attention à ne pas ajouter trop de contraintes aux associations.

Par ailleurs, il faudra travailler la rédaction afin d’éviter toute atteinte non proportionnée au droit de l’Union européenne et à la libre circulation des capitaux, et réfléchir au calibrage des contrôles afin de ne pas engorger le contrôle des associations cultuelles prévu à l’article 35.

En conséquence, je vous invite à retirer les amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ferai trois remarques, même si je suis favorable aux propositions de M. Houlié et de M. Pupponi. En effet, la pression des séparatistes peut s’exercer autrement que par le financement des lieux de culte.

Cependant, il convient de ne pas faire de discrimination entre les différentes provenances de l’argent, au risque de subir la censure du Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, si les effectifs de TRACFIN ont augmenté, leurs missions se sont accrues et, surtout, les effectifs de la DGFIP ont diminué, pour de nombreuses raisons qui tiennent à la numérisation, la suppression de la taxe d’habitation, etc. Qui plus est, il ne peut s’agir d’une simple déclaration. Il faut une opposabilité, sinon l’intérêt s’en trouverait fort réduit.

Enfin, si les associations cultuelles peuvent s’offusquer d’être les seules concernées par cette nouvelle contrainte, le Conseil d’État nous a fait savoir que la mesure, en l’état, était juridiquement acceptable et n’était pas disproportionnée, parce qu’elle concerne, dans un but précis, les seules associations cultuelles qui sont les premières à recevoir des financements étrangers en lien avec une influence séparatiste. Toutefois, il est possible qu’en la généralisant à l’ensemble des associations, on la rende disproportionnée.

Je pose ces questions, même si je suis plutôt favorable à ces propositions.

Cela étant, il me semble que les services de Bercy sont les plus qualifiés pour travailler avec vous à l’élaboration d’un tel dispositif. Je ne me vois pas donner mon avis à la place du ministre de l’économie et des finances ou du ministre délégué chargé des comptes publics, d’autant que la charge de travail pour les agents concernés serait immense. S’il y a déclaration sans opposabilité, les services de l’État pourront être mis en cause pour n’avoir rien fait.

Je ne ferme pas la porte pour autant. Peut-être demanderai-je au ministre délégué chargé des comptes publics de se joindre à nous en séance publique lors de l’examen de ces dispositions. Je vous invite, par conséquent, à retirer les amendements.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Je retire l’amendement CS1827, que je proposerai au ministre délégué chargé des comptes publics ainsi qu’au rapporteur chargé de cette partie.

M. Christophe Euzet. Nous espérons être à la table des discussions, sinon nous pourrions nous opposer à une proposition qui ne nous conviendrait pas. Je regrette de ne pas avoir eu de réponse à propos de l’amendement CS807.

Les amendements CS1827, CS975 et CS1432 sont retirés.

La commission rejette l’amendement CS807.

Elle étudie l’amendement CS631 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. Il vise à rendre accessible en ligne l’ensemble des données relatives au montant, aux modalités de versement et aux conditions d’utilisation des subventions attribuées par les collectivités territoriales. Certaines subventions pourraient être attribuées à des organismes dont les objectifs vont à l’encontre des principes républicains. Or, les collectivités locales qui attribuent ces subventions ne disposent pas forcément des moyens de contrôle pour prévenir et constater ces agissements. Rendre les informations concernant les subventions accessibles au grand public permettrait d’élargir le champ de signalement de ces agissements à l’ensemble des citoyens, ce qui renforcerait l’efficacité et la transparence des contrôles.

D’ailleurs, selon l’étude d’impact, il n’existe aucune donnée centralisée concernant ces subventions.

M. Éric Poulliat, rapporteur. L’esprit de cet amendement est positif puisqu’il s’agit de permettre aux citoyens de vérifier que les collectivités territoriales ne versent pas de subventions à des organismes dont les actions iraient à l’encontre des principes de la République.

Toutefois, je crains que supprimer totalement le seuil entraîne un engorgement du dispositif avec de nombreuses informations à publier. Peut-être pourrait-on plutôt jouer sur le niveau du seuil, aujourd’hui fixé par un décret du 6 juin 2001 à 23 000 euros. Sur ce point, je laisse le Gouvernement nous dire ce qu’il en pense.

En tout état de cause, il me semble que les subventions sont attribuées par le conseil municipal et figurent donc dans les délibérations du conseil municipal, qui sont publiques. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable.

Mme Valérie Oppelt. Je le retire. Tout a beau être public, il est parfois compliqué d’obtenir ces informations. Peut-être faudrait-il réfléchir à un seuil lié au nombre d’habitants.

L’amendement est retiré.

La commission étudie l’amendement CS1555 de M. Bruno Studer.

M. Thierry Michels. Pour des raisons historiques, le droit applicable aux associations domiciliées dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ne s’appuie pas sur la loi de 1901 relative au contrat d’association mais sur la base de l’article 21 du code civil local. Celles-ci acquièrent leur capacité juridique auprès de tribunaux judiciaires. Ce faisant, elles n’apparaissent pas dans le répertoire national des associations de la loi de 1901, dont les données sont accessibles en consultation et téléchargeables en données ouvertes sur data.gouv.fr.

Les registres des tribunaux judiciaires n’étant pas numérisés ni centralisés, leur accès est particulièrement contraignant, ce qui constitue une entrave aux objectifs de transparence visés par le chapitre II du titre Ier de ce projet de loi et une inégalité entre les associations régies par la loi de 1901 et les associations de droit local d’Alsace-Moselle, demandeuses d’un tel dispositif.

Cet amendement vise à appeler l’attention du ministre de la justice sur la nécessité de fixer une date à compter de laquelle le registre d’associations inscrites dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, sera disponible sur support électronique en vue d’accélérer la numérisation de ce dernier.

M. Éric Poulliat, rapporteur. Je vois l’intérêt pratique de cet amendement mais il me semble qu’il relève du domaine règlementaire. Je laisse le soin au Gouvernement de répondre plus précisément. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je transmettrai cette question au Garde des Sceaux. En tout cas, la mesure est réglementaire.

M. Thierry Michels. J’insiste sur l’importance d’un tel dispositif.

La commission rejette l’amendement.

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9.   Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 15 heures (avant l’article 13 à l’article 17)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10198769_60098682bed03.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-21-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous commençons l’examen du chapitre consacré à la dignité de la personne humaine.

Chapitre III
Dispositions relatives à la dignité de la personne humaine

Avant l’article 13

La commission est saisie, en discussion commune, des amendements CS1881 de la rapporteure, CS1521 de Mme Laurence Gayte et CS1510 de Mme Coralie Dubost.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier. L’amendement CS1881 vise à renforcer la cohérence entre l’intitulé du chapitre III du titre Ier et le contenu des articles y figurant, en faisant référence « au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes ». Les propositions faites par les deux autres amendements sont intéressantes mais les mentions relatives à la dignité de la personne humaine ou au respect de la vie privée et de l’intégrité de la personne humaine ne me semblent pas pertinentes. En effet, la notion de dignité de la personne humaine est ambivalente et recouvre des options philosophiques et idéologiques divergentes, comme l’a mis en évidence le comité de réflexion sur le préambule de la Constitution présidé par Simone Veil, en 2008. Par ailleurs, les notions d’intégrité de la personne humaine et de respect de la vie privée ne me semblent pas tout à fait correspondre au contenu des articles du chapitre III.

Mme Laurence Gayte. L’amendement CS1521 vise à compléter l’intitulé du chapitre III par les mots « et au respect de l’égalité femmes-hommes ». En effet, ce chapitre traite de plusieurs thématiques liées à l’égalité entre les femmes et les hommes : les certificats de virginité, la polygamie, les mariages forcés, les droits réservataires. De plus, le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes est reconnu par plusieurs textes fondateurs du droit français. Ajouter cette notion à l’intitulé du chapitre renforcerait sa portée juridique.

Mme Coralie Dubost. Nous nous sommes beaucoup interrogés sur le choix de l’intitulé du chapitre relatif à la dignité humaine. Chacun souscrit à l’objectif du Gouvernement de mieux protéger les personnes. Toutefois, il ressort de l’avis du Conseil d’État et des auditions que nous avons menées que la dignité humaine peut tant incarner une forme de morale collective que le point de vue de la personne elle‑même, dans le respect de son intégrité et de sa vie privée. Cette ambivalence, qui a donné naissance à des jurisprudences dissemblables, peut induire un certain flou sur l’application du principe. La Cour européenne des droits de l’homme s’appuie désormais quasi exclusivement sur l’article 8 de la convention, qui garantit le respect de la vie privée et familiale, lequel inclut le droit à l’autodétermination et le respect du corps et de l’intime. Cela fait écho à des dispositions de notre code civil sur le respect de l’intégrité de la personne, tant physique que psychique. Nous proposons de rattacher la dignité humaine à ce droit, pour conforter son assise juridique. Nous avions réfléchi à la possibilité d’intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes, mais il nous a semblé préférable d’avoir un intitulé général, en prévision d’évolutions futures.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Avis défavorable sur les amendements CS1521 et CS1510. Le concept de dignité est large et flou. La notion de vie privée est également à préciser. Le chapitre III couvre plusieurs articles et son champ est vaste, ce qui relève de la dignité humaine ne faisant plus spécifiquement l’objet que de l’article 16. L’intitulé proposé rendra compte de cette diversité.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Le ministre de l’intérieur et moi-même avons beaucoup échangé sur cette question et avons hésité sur l’intitulé du chapitre III. La dignité humaine nous a semblé rendre compte de l’objet de chacun des articles – la lutte contre les mariages forcés ou contre les certificats de virginité. Je salue les propositions des députés. Par ailleurs, nombre de mesures renvoient à l’égalité entre les femmes et les hommes, principe que nous tenons à voir écrit en toutes lettres. Nous donnons donc un avis favorable à l’amendement de la rapporteure et à celui de Mme Gayte. En revanche, nous demandons à Mme Dubost de retirer son amendement, car nous considérons que des questions telles que la réserve héréditaire et la pension de réversion ne relèvent pas tout à fait de la vie privée.

Mme Marie-George Buffet. Je me réjouis de l’amendement de Mme la rapporteure. On le sait très bien, les extrémismes religieux et sectaires s’en prennent toujours aux droits des femmes. Il est donc essentiel de réaffirmer le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans ce texte.

Mme Coralie Dubost. Le droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme couvre l’ensemble des champs du chapitre III. Il renvoie à la vie privée familiale, sociale, personnelle, à l’autodétermination, au corps, aux conditions de vie. C’est l’une des constructions juridiques les plus solides pour les personnes dans le droit européen des droits de l’homme. Cela va dans le sens de l’objectif politique du texte.

La commission adopte l’amendement CS1881.

En conséquence, les amendements CS1521 et CS1510 tombent.

Article 13 : Renforcement de la protection des héritiers réservataires

La commission examine l’amendement CS184 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement est le fruit d’une observation formulée par le Conseil supérieur du notariat lors de son audition. L’article 13 vise à renforcer la protection des héritiers réservataires. À cette fin, il fait à nouveau entrer dans le droit des successions et des libéralités une sorte de droit de prélèvement, qui a pourtant été déclaré inconstitutionnel par le Conseil constitutionnel en 2011 à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), au motif qu’il engendrait une rupture d’égalité entre les héritiers de nationalité française, qui en bénéficiaient, et les héritiers étrangers. Le Conseil supérieur du notariat a fait part de ses interrogations quant à la mise en œuvre de cette mesure : comment respecter cette nouvelle obligation ? Comment retrouver un héritier ? Le problème sera moins d’identifier les biens que de rechercher les personnes. Cette nouvelle responsabilité risque de créer frustrations et contentieux ; elle est de nature à engendrer des incertitudes juridiques. C’est pourquoi nous vous proposons de supprimer l’article 13.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’article vise à éviter que des héritiers réservataires ne soient déshérités ou partiellement lésés s’agissant de leurs droits de succession. Il renforce l’information des héritiers par le notaire. Il prévoit la possibilité pour les enfants omis par le testament d’effectuer un prélèvement compensatoire. Le Conseil constitutionnel a en effet déclaré inconstitutionnelle la notion de prélèvement, en raison de l’iniquité entre enfants français et étrangers. Ce n’est pas le cas, en l’occurrence, car le texte permet à tous les enfants – notamment aux femmes, qui sont le plus souvent lésées – de bénéficier du prélèvement. J’ai entendu le Conseil supérieur du notariat, mais aussi des notaires travaillant à l’international, qui mènent déjà ce travail et qui considèrent qu’il n’y aura pas de difficultés supplémentaires. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Conseil d’État n’a pas relevé de motif d’inconstitutionnalité. Avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Nous soutenons l’article, car il vise à renforcer l’égalité et à lutter contre les discriminations sexistes. On peut regretter – c’est valable pour tout le projet de loi – l’absence de chiffres dans l’étude d’impact mais le principe n’en demeure pas moins louable.

Je m’étonne de l’argument qui a été invoqué, car les notaires font souvent face à des situations semblables, qui se soldent par un prélèvement. En droit français, la réserve héréditaire permet de lutter contre les testaments discriminants. Si le défunt a déshérité sa fille au profit de son fils, celle-ci peut réclamer sa part réservataire d’un tiers. Je suppose qu’en pareil cas, un prélèvement est effectué. L’objection ne semble donc pas valable. Pour ces raisons, je m’opposerai à l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS180 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il ne s’agit pas de contester les objectifs de l’article mais les moyens juridiques employés, qui risquent d’être inefficaces. L’article 913 du code civil, complété par les dispositions du projet de loi, prévoit un prélèvement compensatoire pour rétablir la réserve reconnue par le droit français. Toutefois, cette disposition ne semble pas conforme au règlement européen sur les successions, selon lequel on ne peut écarter la loi étrangère au seul motif qu’elle connaît une réserve différente. C’est pourquoi nous proposons la suppression des alinéas 2 et 3.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il serait inopportun de supprimer les dispositions qui complètent l’article 913 du code civil car ces dernières permettront aux enfants évincés de la succession, pour quelque motif que ce soit, de récupérer une part successorale sur les biens situés en France. Il nous faut mettre fin à la possibilité, pour le testateur, d’établir des discriminations entre ses enfants en raison de leur sexe, de leur ordre de naissance, de leur filiation, de leur religion ou encore de leur orientation sexuelle.

En outre, le dispositif proposé paraît conforme au règlement européen relatif aux successions. En effet, celui-ci prévoit que, par exception, la loi interne peut contrarier l’application de la loi étrangère désignée par la règle de conflit. Son article 35 définit l’exception d’ordre public international. La Cour de justice de l’Union européenne laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres pour définir les contours de leur ordre public international. Elle a défini plusieurs conditions pour qu’une disposition nationale puisse être considérée par l’État membre comme d’ordre public international. La règle interne doit ainsi correspondre à des valeurs partagées par l’ensemble des États membres et constituer pour l’État considéré un élément essentiel de son ordre juridique social, économique ou culturel.

La réserve héréditaire remplit ces conditions. Elle constitue en effet un principe commun à l’ensemble des États membres de l’Union européenne liés par le règlement et exprime de fortes valeurs politiques et culturelles – elle traduit notamment les principes républicains français de liberté, d’égalité et de fraternité.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis également défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS182 de M. Xavier Breton et CS481 de Mme Marine Le Pen.

M. Xavier Breton. L’amendement CS182 a pour objet de supprimer, au début de l’alinéa 3, les mots « Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou y réside habituellement, et ». En effet, le seul fait pour le défunt ou au moins l’un de ses enfants d’être ressortissant d’un État membre de l’Union européenne ou d’y résider habituellement ne donne pas nécessairement compétence à une autorité française ni ne permet d’aboutir à l’application de la loi française. L’article 4 du règlement européen sur les successions donne compétence pour statuer sur l’ensemble d’une succession aux juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès. Aux termes de son article 21, c’est également la loi de cet État qui a vocation à s’appliquer.

Mme Marine Le Pen. L’amendement CS481 vise à supprimer le début de l’alinéa 3 pour élargir la protection des enfants et ne pas la limiter aux ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. Les injustices dont les enfants sont victimes en vertu d’une loi étrangère peuvent reposer, par exemple, sur le sexe – au détriment des filles –, l’orientation sexuelle – au préjudice des personnes homosexuelles – ou le handicap. Il ne faudrait pas, derrière l’affichage, oublier que ce texte doit protéger l’ensemble des enfants et assurer l’égalité entre eux.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La disposition que vous proposez de supprimer a pour objet de faire jouer un ordre public de proximité européen : lorsque le juge français est compétent et que la situation présente un lien avec l’Union européenne, il pourra appliquer cette disposition d’ordre public. L’avis est donc défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette ces amendements.

La commission examine l’amendement CS685 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Il s’agit d’insérer, à l’alinéa 5, après les mots « Lorsque le notaire », les mots « chargé de la succession et installé en France ». La mesure proposée ne peut en effet s’appliquer que lorsque le notaire est installé en France. La rédaction actuelle laisse croire que la disposition pourrait s’appliquer à toute personne faisant office de notaire à l’étranger, ce qui est inexact.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La réserve du conjoint est subsidiaire : elle n’existe qu’en l’absence d’enfants. Sa spécificité est liée au fait que le mariage est un lien juridique électif et fragile qui peut être rompu par le divorce, ce qui n’est pas le cas du lien entre le parent et son enfant. La réserve héréditaire du conjoint n’est donc pas assise aussi solidement que celle des enfants : on ne peut pas lui donner la même force. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

La commission passe à l’amendement CS442 de M. François Pupponi.

M. Philippe Vigier. Nous souhaitons renforcer la protection des héritiers réservataires en introduisant une référence à l’article 912 du code civil. Les notaires ont appelé notre attention de façon insistante sur ce sujet.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Vous souhaitez préciser que le mécanisme réservataire protecteur des enfants doit être entendu au sens de l’article 912 du code civil. Je n’y suis pas favorable, car cet ajout rendrait la disposition contraire au règlement européen relatif aux successions.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le dispositif de l’amendement ne correspond pas tout à fait à l’exposé des motifs. Si vous souhaitez que les donations rapportables soient imputées sur la part de réserve, comme vous l’avez expliqué, cela ne pose pas de difficultés, car le texte le prévoit déjà. En effet, comme son nom l’indique, le prélèvement compensatoire vise à compenser une perte, dans la limite des droits réservataires de l’enfant. En revanche, nous ne sommes pas favorables à ce que le prélèvement soit fait – comme le prévoit le dispositif de votre amendement – à partir des biens déjà donnés par le défunt et non de ceux existant au jour du décès, car cela produirait des effets excessifs. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1036 de M. Francis Chouat.

M. Francis Chouat. Il s’agit de compléter l’article 13 – dont je salue l’importance – pour prévoir que, lorsque la loi étrangère applicable à la succession comporte un mécanisme réservataire protecteur des enfants – leur réservant par exemple 50 % de la succession – mais ne respecte pas l’égalité entre ces enfants – en excluant, par exemple, les filles ou en attribuant à l’aîné l’essentiel de la part réservataire –, le mécanisme prévu par le I de l’article 13 s’applique. Cela permettrait à chaque enfant d’effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants, situés en France au jour du décès, de façon à être rétabli dans les droits réservataires que lui octroie la loi française

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Vous souhaitez préciser qu’une loi étrangère qui accorderait une réserve d’un montant inégal aux enfants, en fonction de leur sexe, par exemple, devrait être écartée. Cette précision n’est pas utile car une loi expressément inégalitaire serait nécessairement repoussée par le juge sur le fondement de l’exception d’ordre public international.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous essayons d’empêcher que l’on déshérite l’un des enfants en raison de son sexe, sur le fondement d’un droit coutumier ou étranger. En revanche, la loi ne prévoit pas d’obligation de parité dans l’héritage, y compris pour les héritiers français de parents français, concernant des biens situés en France. Il existe une liberté testamentaire : on peut léguer la quotité disponible à qui l’on veut, y compris à un enfant préférentiellement à un autre, indépendamment de son sexe.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement CS500 de Mme Stéphanie Atger.

Mme Stéphanie Atger. L’amendement vise à insérer, à l’alinéa 3, après le mot « compensatoire », les mots « , à part égale, ». Il s’agit en effet de prévenir toute inégalité entre les ayants droit, en précisant que chaque enfant, ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire, à part égale, sur les biens existants.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Votre amendement ne paraît pas justifié car, comme le prévoit le code civil, lorsqu’il existe plusieurs réservataires – par exemple plusieurs enfants – au même degré, la réserve se divise par souche entre les enfants, chacun prenant la même part individuelle dans la réserve globale. La quotité disponible, elle, peut permettre d’introduire des écarts entre les enfants. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis, pour les mêmes raisons.

La commission rejette l’amendement.

La commission en vient à l’amendement CS181 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de compléter l’alinéa 3 par la phrase suivante : « Les libéralités préalablement consenties par un défunt à un enfant devront être imputées sur la part de réserve ». L’étude d’impact indique que ces libéralités devront faire l’objet d’une telle imputation : l’amendement vise à le préciser dans le corps du texte.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Votre amendement est satisfait par la rédaction de l’article 13. Il est en effet prévu que chaque enfant peut effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants, situés en France au jour du décès, de façon à être rétabli dans les droits réservataires que lui octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS183 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de supprimer les alinéas 4 et 5, en raison des interrogations relatives à l’applicabilité de ces dispositions.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’obligation d’information fait partie du devoir de conseil du notaire et est constamment mise en pratique pour des successions en France ou à l’étranger. Il n’y a donc pas de raison qu’elle bloque plus qu’auparavant le règlement des successions. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement CS686 de M. Charles de Courson.

La commission est saisie de l’amendement CS443 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il vise à encadrer la responsabilité professionnelle des notaires de manière proportionnée à l’obligation renforcée d’information individuelle instituée par l’article. En effet, comme l’a notamment expliqué le Conseil supérieur du notariat, le risque est grand que les notaires ne réussissent pas à informer tous les héritiers qui vivent à l’étranger et qu’ils ne connaissent pas. Aussi, je vous invite à substituer aux mots « il informe chaque héritier concerné » les mots « il informe chaque héritier connu ». La rédaction actuelle risque d’allonger les procédures, car les notaires devront mener des recherches approfondies.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il est évident que le notaire ne peut informer que les héritiers connus, ou au moins ceux qu’il aurait dû connaître. La Cour de cassation ne reproche pas au notaire qui a fait des recherches d’avoir ignoré l’existence d’un héritier : il a une obligation de moyens et non de résultat. Il recense les héritiers concernés par la réserve héréditaire, qui ne sont pas tous connus. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je partage les arguments de la rapporteure. Demande de retrait, car l’amendement est satisfait.

Mme Perrine Goulet. Les notaires nous ont indiqué que les mots « héritier concerné » pourraient les empêcher de faire jouer l’assurance qu’ils souscrivent souvent dans le cadre d’une succession. Pour être plus précis, mieux vaudrait écrire « héritier connu ». Je vous invite à y réfléchir pour qu’il n’y ait pas de difficulté dans le règlement des successions. Il ne faudrait pas que l’article 13, qui constitue une avancée, ait finalement pour résultat de bloquer des successions pendant des mois.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’identification des héritiers à l’international réclame parfois l’intervention d’un généalogiste. L’un des objectifs recherchés grâce à l’article est que chacun des héritiers, se sentant concerné, favorise l’avancement de la succession pour percevoir sa part. Cette disposition ne changera pas le travail des notaires.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. J’entends les arguments des notaires, mais ce n’est pas à la loi de s’adapter aux polices ou aux conditions générales des assurances, qui pourraient aller crescendo dans leurs demandes.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 13 sans modification.

Article 14 : Introduction d’une réserve générale de polygamie faisant obstacle à la délivrance de tout titre de séjour

La commission est saisie de l’amendement CS1891 de la rapporteure.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’amendement poursuit un double objet : préciser que la situation du conjoint qui a subi la polygamie fait l’objet d’un examen individuel ; procéder aux coordinations nécessaires avec l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui entrera en vigueur le 1er mai 2021.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis favorable.

Mme Marie-George Buffet. J’ai défendu en 2016 une proposition de loi visant à l’autonomie des femmes étrangères. Lorsqu’elles arrivent en France pour des raisons liées au mariage, elles sont parfois victimes de la polygamie, de violences conjugales. Or elles peuvent éprouver des difficultés à faire renouveler leur carte de séjour, au bout d’un an, si leur situation matrimoniale a changé. Nous avions obtenu qu’en cas de violences familiales ou conjugales, les femmes concernées puissent faire renouveler leur carte de séjour. Il faudrait que l’on aille un peu plus loin en étendant cette possibilité aux femmes victimes de polygamie.

La commission adopte l’amendement CS1891.

L’article 14 est donc ainsi rédigé.

En conséquence, les amendements CS688 et CS687 de M. Charles de Courson, CS642 de M. Éric Ciotti, CS1679 de Mme Souad Zitouni, CS710 et CS892 de Mme Emmanuelle Ménard, CS52 de M. Fabien Di Filippo, CS898 de Mme Emmanuelle Ménard et CS689 de M. Charles de Courson tombent.

Après l’article 14

La commission examine l’amendement CS912 de M. Philippe Benassaya.

M. Philippe Benassaya. L’article 14 du projet de loi vise à renforcer la lutte contre la polygamie, qui est incompatible avec les fondements de notre droit matrimonial. Celle-ci ne doit pas avoir sa place en France, qu’elle concerne des nationaux ou des étrangers. L’amendement s’inscrit pleinement dans ce combat en obligeant tout demandeur d’un titre de séjour à abandonner la pratique de la polygamie.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Votre amendement me semble satisfait par l’article 14. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. L’amendement reprend en effet les dispositions de l’article 14 en les rédigeant autrement. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission en vient à l’amendement CS579 de M. Éric Ciotti.

Mme Annie Genevard. L’amendement vise à ce que le titre de séjour d’un étranger ayant été condamné à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans soit systématiquement retiré par l’autorité administrative.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. J’appelle votre attention sur le fait que notre droit prévoit déjà un certain nombre de dispositions qui permettent d’éloigner du territoire les étrangers créant un trouble à l’ordre public. J’en citerai deux. L’article L. 313-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) dispose que « La carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusée ou retirée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public. »

L’article L. 313-5 du même code prévoit que la carte de séjour temporaire ou la carte de séjour pluriannuelle peut être retirée à l’étranger ayant commis les faits qui l’exposent à l’une des condamnations en lien avec le trafic de stupéfiants, la réduction en esclavage et l’exploitation de personnes réduites en esclavage, la traite des êtres humains, certaines formes de vol ou encore la demande de fonds sous contrainte.

Le retrait automatique du titre de séjour de l’étranger indépendamment de sa situation personnelle ne me paraît pas souhaitable, car il peut, par exemple, être parent d’un enfant français. Nous avons là une divergence politique. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme Annie Genevard. Il serait utile de disposer d’éléments statistiques pour connaître le nombre de retraits réellement opérés par rapport à ceux qui auraient dû l’être, afin de savoir si l’amendement de M. Ciotti est justifié ou redondant.

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur. Je vous encourage, madame Genevard, ainsi que tous ceux que cela intéresse à participer à mon prochain déplacement en Seine-Saint-Denis, où je devrais discuter avec les services préfectoraux, afin de voir comment tout cela se matérialise. Dans ce département, depuis le 29 septembre, il y a eu, de mémoire, plus de 1 300 retraits ou non‑renouvellements de la carte de séjour, pour des motifs d’ordre public.

Pour les étrangers qui ont droit à une carte de séjour en arrivant sur le territoire national, avec la ministre déléguée, nous apposons plusieurs signatures chaque semaine de sorte à revenir sur des dispositions, notamment parce que des préfectures l’ont accordée, avant de s’apercevoir de mensonges – polygamie, non‑paiement fiscal, violences conjugales, trafic de stupéfiants. La difficulté première tient à la bonne organisation de notre service du ministère de l’intérieur, qui doit être informé des condamnations définitives du fichier des étrangers en France, pour éviter que les services de préfecture mènent une recherche systématique à chaque renouvellement. Je ne pense pas qu’il faille de nouvelles mesures, puisque, comme l’a dit Mme la rapporteure, ces dispositifs ne sont parfois pas appliqués, parce que le service préfectoral considère qu’il y a une vie de famille ou que la personne a pu profondément changer de comportement ou parce qu’elle est en appel de sa décision, y compris devant une instance européenne. Peut-être faudrait-il ajouter de nouveaux délits à ceux mentionnés par Mme la rapporteure ?

En réalité, si l’on adoptait l’amendement de M. Ciotti, on ne pourrait plus viser un grand nombre de personnes dont on ne renouvelle actuellement pas les titres. En effet, beaucoup de condamnés pour trafic de stupéfiants n’écopent pas de trois ans de prison. Si l’automaticité ne me paraît pas nécessaire, une meilleure organisation du ministère de l’intérieur l’est sans doute. Je ferai communiquer à l’ensemble des parlementaires la circulaire du 29 septembre qui rappelle le droit et qui est aussi valable pour les demandeurs d’asile. C’est bien volontiers que je vous proposerai un petit bilan des mesures que j’ai prises, depuis que je suis ministre de l’intérieur, et de rencontrer, si vous le souhaitez, les services de préfecture les plus concernés.

M. Boris Vallaud. Comment cela se passe-t-il quand la polygamie est constatée chez des parents d’enfants français et qu’il n’y a pas de possibilité de mesures d’éloignement ? Vous évoquez, par ailleurs, une dissolution des liens du mariage. Qu’est-ce que cela implique juridiquement pour les enfants ? Enfin, pourriez-vous nous donner des chiffres à jour ? Vous avez mentionné un rapport de mars 2018, mais je pense qu’il s’agit de celui de mars 2006 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Mme Annie Genevard. Monsieur le ministre, lorsqu’une personne est en cours de jugement et que sa situation se télescope avec le renouvellement de sa carte, comment cela se passe-t-il concrètement ?

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Monsieur Vallaud, je ne vous dis pas que la situation des enfants nés en France de parents polygames de nationalité étrangère est formidable une fois que leurs parents ne sont plus en situation de polygamie. Mais je ne crois pas qu’elle était formidable auparavant non plus. Nous renforçons la loi pour mieux lutter contre la polygamie parce que nous considérons que c’est une atteinte aux droits des femmes, qui subissent dans 100 % des cas la situation, et aux droits des enfants, dans la mesure où le mariage, ce n’est pas seulement la vie en commun mais aussi l’ouverture à un certain nombre de droits – héritage, filiation, pension de réversion.

Selon le rapport de 2006 de la CNCDH, il y aurait 180 000 personnes, enfants compris, concernées par la polygamie, et, selon un rapport de 2009 de l’Institut Montaigne, environ 30 000 familles. En 2013, une chercheuse évaluait leur nombre à 40 000 familles, soit entre 150 000 et 400 000 personnes. Si ce nombre est très difficile à quantifier précisément, plusieurs rapports confirment l’existence de ces faits de polygamie. Les contrôles des Caisses d’allocations familiales (CAF) permettent également de donner des informations sur la vie de ces familles.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Genevard, considérons tout d’abord le cas où la condamnation n’est pas assortie d’une suspension des décisions judiciaires et administratives, étant donné que l’on peut être expulsé du territoire national de deux manières, administrativement ou judiciairement. La personne ne pouvant être expulsée qu’une fois qu’elle a purgé sa peine, les préfets doivent veiller à prendre au bon moment l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), dont la validité n’est que d’un an et qui est susceptible de recours. M. Ciotti le sait, je ne pense pas que le droit des étrangers mérite d’être resserré. En revanche, il y a peut-être un peu trop de possibilités de jouer sur les délais de recours, d’autant qu’il peut y en avoir jusqu’à cinq.

Soit il est prévu – et c’est l’essentiel des cas – une mesure de recours, au moins en appel, et, dans ces conditions, il faut attendre le jugement. La carte de résident peut être alors prolongée ou renouvelée, puisque cette personne n’est pas reconnue définitivement coupable. La consigne donnée aux services de préfecture est de ne prendre qu’ensuite les décisions administratives, dans l’attente du jugement définitif et éventuellement de l’incarcération. On pourrait très bien imaginer – et c’est parfois ce qui se fait – une division entre le juge, le jugement et la sanction. La validité de l’OQTF n’étant que d’un an, si on la prend au moment de l’appel, on ne pourrait pas en prendre une deuxième, quand bien même cette personne serait condamnée. S’il est bien de pouvoir retirer des cartes de résident, c’est encore mieux de pouvoir expulser. Cette situation explique néanmoins que certaines personnes ne soient ni régularisables ni expulsables.

Le troisième cas concerne les personnes qui ont fait des recours devant les instances européennes, dont certaines nous lient et d’autres non. La tradition française est d’attendre l’avis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), notamment pour les personnes en situation irrégulière qui sont expulsées du territoire national. Mais, dans des cas exceptionnels, notamment ceux qui relèvent des personnes les plus dangereuses, sauf avis exprès du juge, nous les expulsons avant même l’arrêt de la CEDH.

La commission rejette l’amendement.

 

Plusieurs députés. Monsieur le président, nous voulions intervenir ! Ce n’est pas correct !

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, il est plus que correct d’avoir eu un échange aussi long sur cet amendement qui a donné lieu à de nombreuses interventions de différents groupes, alors qu’il avait été déposé par les députés d’un seul. Par ailleurs, nous avons eu une discussion tout à l’heure avec des représentants de tous les groupes pour voir comment avancer sur le texte, en se concentrant sur les débats importants.

La commission examine l’amendement CS1430 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Dans les cas de polygamie, les femmes sont profondément victimes, parce que, très souvent, par peur de perdre leur titre de séjour, elles se taisent, comme celles qui sont victimes de violences. C’est pourquoi il faut absolument faire en sorte que ces femmes sentent qu’elles ont des droits assurés. L’un des droits essentiels pour elles, pour continuer à élever leurs enfants dans de bonnes conditions et à travailler, c’est d’obtenir un titre de séjour. Je propose tout simplement que, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après les mots « violences familiales ou conjugales », soient insérés les mots « ou a été victime de pratique de polygamie », ce qui assurerait aux femmes l’accès à leur titre de séjour.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je comprends votre préoccupation et la partage. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai proposé de modifier l’article 14 afin qu’il soit explicitement prévu dans la loi que les conjoints victimes de polygamie puissent faire l’objet d’un suivi individuel. Cela incitera les préfectures et le juge à porter une attention particulière à l’aspect de la vie familiale de ces femmes, notamment leur durée de séjour sur le territoire, le nombre d’enfants vivant en France et leur intégration, pour leur permettre d’aller vers une demande de titre individuel.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame la députée, je voudrais vous remercier pour les alertes que vous aviez partagées lors de mon audition et qui ont été relayées par Mme la rapporteure, qui nous ont amenés à nous interroger sur l’action publique et la manière dont les informations sont transmises. Comment les femmes qui sont victimes de la polygamie peuvent-elles bénéficier d’une véritable information dans les préfectures, dans les services de l’État ou à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sur leurs droits, notamment celui de mettre fin à une telle situation ? Nous avons commencé avec Mme la rapporteure un travail de politique publique, en marge de la loi, à la suite de votre interpellation, avec plusieurs associations, comme le GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles, des Mariages Forcés et autres pratiques traditionnelles néfastes à la santé des femmes et des enfants) et Women for Women, pour faire en sorte, avec la direction générale des étrangers en France, de trouver les voies et moyens d’apporter jusqu’à elles ces informations et de mieux les soutenir, y compris par le biais des associations et financièrement. Nous ne manquerons pas d’échanger avec vous sur l’avancée de ces travaux.

M. Éric Coquerel. Je soutiendrai les amendements CS1430, CS1433 et CS1431 de Mme Buffet, qui ont le grand mérite de rappeler que les premières victimes de la polygamie sont les femmes. Dès lors que l’on estime devoir légiférer de nouveau sur des titres d’étrangers, dont je vous rappelle que, pour la plupart, le retrait est déjà prévu pour tous les motifs familiaux, c’est que l’on juge que cette pratique est toujours plus condamnable. Il serait paradoxal que les femmes qui la subissent ne soient pas protégées par la loi, ce qui passe d’abord par le fait de pouvoir continuer à vivre légalement en France. Le renouvellement automatique de leur titre de séjour dans ce cas me semble une évidence.

Mme Perrine Goulet. Je remercie Mme Buffet d’avoir déposé cet amendement. Je suis allée rencontrer les fonctionnaires qui s’occupent de l’immigration dans mon territoire, mais trop tard pour déposer un amendement. Ils m’ont effectivement alertée sur cette complication dès lors qu’il y a décohabitation. Il faut pouvoir aider ces femmes dans leur insertion. Je pense vraiment que l’amendement de Mme Buffet est un bon amendement qui va sécuriser la situation de ces femmes, qui souvent découvrent qu’elles sont victimes de polygamie et auxquelles on va demander de décohabiter, de divorcer, sans leur assurer l’obtention d’un titre de séjour.

M. Boris Vallaud. Je soutiendrai également les trois amendements de Mme Buffet, qui viennent pour partie répondre à la question que je posais tout à l’heure et qui ne me paraît pas avoir obtenu de réponse sur le plan juridique. Sur le plan moral, la condamnation de la polygamie ne se discute pas. Mais je considère aussi que la seconde épouse et les éventuels enfants sont des victimes et qu’ils risquent de l’être doublement, s’il devait y avoir des conséquences juridiques du fait de la dissolution du mariage. Dans le cas de biens communs, par exemple, comment cela se passe-t-il ? Qu’est-ce que cela implique pour la situation juridique des enfants ?

Mme Elsa Faucillon. Je rejoins l’ensemble des intervenants. Le Gouvernement décide de plus et de mieux punir ceux qui pratiquent la polygamie. Il nous semble, par conséquent, normal et juste de mieux protéger celles qui en sont victimes et leurs enfants. Il y a en effet un flou sur ce que deviennent les liens juridiques, d’héritage et de protection des enfants, lorsque le mariage est cassé à juste titre. Mieux protéger par la loi, c’est ce que propose l’amendement de Marie-George Buffet, pour les femmes victimes et leurs enfants. Quant à l’attention particulière mentionnée par la rapporteure, nous avons entendu pendant des années que ce serait le cas pour les femmes victimes de violences. Or elle était loin d’être suffisante. Il a fallu en passer par des combats et par la loi pour que cette attention particulière se concrétise dans une protection des femmes – et même avec la loi, l’attention particulière fait bien défaut.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis très sensible à tous les arguments avancés, en plus de ceux de Mme Buffet. Je me pose seulement la question de l’automaticité dans le renouvellement du titre de séjour et de la manière dont on peut être assuré qu’il ne s’agisse pas d’une manière d’organiser une forme de filière, de sorte que la femme serait doublement victime, de la polygamie et d’un réseau. Je n’en reste pas moins sensible à vos arguments. Avec le ministre de l’intérieur nous changeons notre avis : sagesse. Il conviendrait de retravailler l’amendement pour répondre à la question de l’automaticité d’ici à la séance.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je ne dis pas que l’attention particulière est suffisante. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons inscrit à l’article 14 le besoin d’un entretien individuel. L’idée n’est pas de renouveler le titre de séjour automatiquement, mais d’accompagner ces femmes vers la décohabitation et les démarches pour obtenir un titre de séjour individuel avec leurs enfants et de leur permettre de rester sur le territoire dans des conditions normales. Il me semblerait également pertinent d’améliorer la rédaction de l’amendement avant la séance.

M. Guillaume Vuilletet. Devant tant de sagesse, la question est de savoir le message que l’on veut adresser. On peut retravailler l’amendement pour la séance, mais on peut aussi le faire dans l’autre sens et soutenir cet amendement.

La commission adopte l’amendement. (Applaudissements.)

La commission examine les amendements CS1433 et CS1431 de Mme MarieGeorge Buffet.

Mme Marie-George Buffet. Je les retire. Je pense à une femme, qui a été mariée dans son pays d’origine et qui s’est aperçue, en arrivant il y a quatre ans dans ma circonscription, que son mari était polygame. Elle a été victime de violences. Elle a eu le courage de porter plainte. On l’a accompagnée avec les associations. Cette femme a reçu il y a quelque temps une obligation de quitter le territoire. Bien sûr, elle a fait appel et j’espère que le juge lui donnera raison, mais cela montre qu’il faut une loi.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS955 de M. Philippe Benassaya.

M. Philippe Benassaya. Il vise à renforcer la portée de cet article en instituant que toute contraction simultanée de plusieurs mariages en France par un étranger constitue un rejet manifeste par ce dernier des principes de notre République. L’étranger ayant démontré son incapacité à s’intégrer dans notre vie commune ne peut rester sur le territoire national sans représenter une menace pour notre société et une grande injustice pour les étrangers profondément désireux d’adhérer aux valeurs de la République et de s’intégrer à notre société.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Avis défavorable, puisqu’un étranger ne peut pas contracter simultanément plusieurs mariages en France.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis défavorable.

Mme Emmanuelle Ménard. Certes, il ne peut pas se marier civilement plusieurs fois, mais il peut se marier religieusement plusieurs fois – c’est le cas des polygames. C’est bien sur ce terrain qu’il faut agir.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Quand on parle de polygamie, on parle bien de mariage à valeur légale, donc pas de mariage religieux. Théoriquement, le mariage religieux en France ne peut être célébré qu’après le mariage civil. En général, les hommes mariés avec plusieurs femmes se sont mariés dans plusieurs pays ou dans un pays où la polygamie est autorisée.

M. François Pupponi. Vous allez enlever le titre de séjour. Mais quelqu’un qui est sur le sol français et qui a des enfants nés en France, de mémoire, n’est ni expulsable ni régularisable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas vrai. Des gens ont des enfants nés en France et sont expulsés. Par ailleurs, il n’y a pas d’automaticité à dix-huit ans. Mais certaines juridictions considèrent aussi que les décisions de l’administration sont trop dures et les cassent.

Le Gouvernement soutiendra l’amendement CS1189 de M. Lagarde sur le renforcement des sanctions pour ceux qui se marient religieusement avant le mariage civil ou ne se marient que religieusement. Chacun sait que le mariage en France, pour la République, c’est le mariage civil et que, par ailleurs, les gens ont le droit de se marier religieusement. L’église catholique et l’église protestante doivent ainsi recevoir le document d’état civil. C’est d’ailleurs un délit de marier religieusement des gens qui n’ont pas été mariés civilement. Or cet usage tend à diminuer, moins par volonté séparatiste que par méconnaissance de la loi. Nous souhaitons renforcer les peines pour tout mariage religieux qui se ferait avant le mariage civil ou sans mariage civil, non pas tant dans l’intention de les appliquer que pour rappeler que le seul mariage qui vaut dans notre pays est le mariage républicain. Cela explique, madame Ménard, que nous n’entrions pas dans ce sujet par le biais des mariages religieux, qui n’intéressent que la religion.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS690 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Il vise à empêcher les personnes en situation de polygamie de bénéficier de prestations sociales supérieures à celles des personnes en situation monogame.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il me semble que votre amendement, par sa rédaction, relève plus de la pétition de principe que d’une mesure opérationnelle. Sa portée étant très générale et ne visant précisément aucune prestation dans les textes concernés risque de soulever des difficultés d’application. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Demande de retrait, dans la mesure où votre amendement est déjà satisfait, puisque lorsque l’on remplit des dossiers pour obtenir des prestations, notamment auprès de la caisse d’allocations familiales (CAF), il faut déclarer sa situation. Lorsque la CAF s’aperçoit que deux ou trois femmes sont mariées au même homme dans le même foyer, elle met fin aux allocations. C’est d’ailleurs souvent ainsi que l’on se rend compte des situations de polygamie.

M. Olivier Falorni. Ce n’était pas une pétition, mais un amendement, qui soulève un problème réel. La CAF ne procède pas toujours, en réalité, à ces vérifications – peut-être faute de moyens humains. Même si je vous concède que la rédaction de l’amendement n’est pas optimale, il souligne néanmoins un vrai problème. J’espère que nous pourrons avancer d’ici à la séance pour essayer d’y remédier.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS691 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Dans le même esprit, il vise à empêcher que des personnes en situation de polygamie puissent bénéficier d’abattements fiscaux sur l’impôt sur le revenu supérieurs à ceux des personnes en situation monogame.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Chaque organisme dispose d’un certain nombre de critères selon lesquels il révise les différentes situations personnelles. Le principe est bien que chacun ne bénéficie que de l’abattement auquel il a droit. Il ne faudrait pas tomber dans une double peine. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis défavorable.

M. Olivier Falorni. Je n’ai pas compris l’argument de la double peine. L’insuffisance des moyens humains sur le terrain peut nous conduire à des situations de ce type.

L’amendement est retiré.

Article 15 : Limitation du bénéfice d’une pension de réversion à un seul conjoint survivant

L’amendement CS1434 de Mme Marie­George Buffet est retiré.

La commission examine l’amendement CS694 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. La formulation « sous réserve des engagements internationaux de la France » rend les dispositions de l’article inapplicables à chaque fois que l’une des nombreuses conventions internationales signées entre la France et des États tiers les contredira. De ce fait, l’article est malheureusement rendu peu effectif. C’est pourquoi nous souhaitons supprimer cette réserve pour le rendre pleinement applicable.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». À moins de les renégocier par avenant, les conventions internationales s’appliquent forcément.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La convention est au-dessus de la loi. Elle peut être renégociée diplomatiquement, mais on ne peut pas voter sa renégociation.

M. Éric Coquerel. Les traités internationaux étant supérieurs à la loi française, cet article est un simple affichage. Que l’amendement soit voté ou non, il sera inapplicable.

M. Boris Vallaud. Lors des auditions, j’avais cru obtenir deux réponses différentes de deux ministres, lorsque j’avais demandé si ces treize conventions internationales de sécurité sociale seraient renégociées. Si ce n’était pas le cas, le nombre de personnes concernées serait extrêmement faible.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. C’est bien la loi qui donnera un argument pour renégocier, par la suite, les conventions internationales. On ne va pas aller les renégocier sans loi. C’est pourquoi il est fondamental de voter l’article.

M. Olivier Falorni. Je retire l’amendement, en espérant que l’article vaille engagement du Gouvernement à renégocier ces treize conventions.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’article 15 sans modification.

Après l’article 15

La commission est saisie de l’amendement CS1241 de Mme Anne-Christine Lang.

Mme Anne-Christine Lang. Il concerne les articles du code civil lus pendant la cérémonie du mariage. J’ai été frappée, pendant l’audition des associations féministes et à la relecture de ces articles, de constater combien ils étaient obsolètes. La plupart des articles du code civil consacrés au mariage datent de 1803. D’autres ont été ajoutés, notamment en 1966 pour intégrer les droits nouveaux obtenus par les femmes en matière d’activité professionnelle et de détention d’un compte bancaire, puis en 1971 pour consacrer l’égalité des deux parents en matière d’éducation des enfants en supprimant la notion de chef de famille. De ce point de vue, il serait opportun de modifier ou de compléter certains articles pour prendre en compte l’évolution de la société et des rapports entre les sexes.

Il s’agit notamment de reconnaître les principes essentiels que sont le libre consentement au mariage, l’égalité entre les sexes, la liberté des femmes et la condamnation de toute forme de violence au sein du couple. Tel est l’objet de la création de ce nouvel article 212‑1 de mon amendement, qui prévoit par ailleurs qu’il figurera parmi les articles devant être lus aux futurs époux au moment de la cérémonie du mariage.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Vous proposez d’inclure un nouvel article prévoyant que « les époux consentent à leur union, en l’absence de toute pression, par un consentement libre et éclairé ». Lors de la célébration, le maire reçoit la déclaration de l’un et l’autre des époux qu’ils se veulent prendre pour tels et il fait lecture d’articles du code civil relatifs à leurs droits et devoirs respectifs. Aussi, rappeler les conséquences d’un défaut de consentement à mariage, au cours de la célébration, est prématuré et non justifié. Le consentement doit être recueilli avant ; l’interdiction de la polygamie est une réalité. Le texte lu au moment du mariage prévoit que « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance » : cela recouvre le libre consentement et la non-violence sur son conjoint. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Sur le fond, je partage l’objectif de renforcer la connaissance par les futurs époux de leurs droits et de leurs devoirs. Toutefois, plus une liste est longue, plus elle perd en efficacité. De plus, je ne suis pas certaine que l’attention soit plus grande au moment où on lit le code civil que lors de l’entretien avec l’officier d’état civil. J’ai moi aussi célébré beaucoup de mariages et je n’ai pas le souvenir que l’attention était très forte à ce moment-là. Néanmoins, je suis sensible à votre volonté de condamner toute forme de violence au sein du couple et d’évoquer l’égalité entre les sexes. Je m’en remets donc à la sagesse de la commission spéciale.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement est intéressant dans son esprit. En revanche, la rédaction du IV de l’article que vous proposez d’insérer dans le code civil est un peu lourde – quand il sera lu lors de la célébration, il faudra l’accompagner d’un discours de haute tenue ! Sur le fond, puisque nous sommes d’accord sur les principes, nous pourrions nous arrêter au III relatif au principe d’égalité.

M. le président François de Rugy. Je me permets de soutenir les propos du rapporteur général. Je peux témoigner, pour avoir célébré de nombreux mariages, que l’attention est grande, non seulement chez les futurs époux mais également dans l’assistance.

À la suite d’une modification apportée en 2002 par la loi relative à l’autorité parentale, les élus doivent désormais lire un article assez long sur l’éducation des enfants. Certes, il peut arriver que les futurs époux, compte tenu de leur âge, ne soient pas concernés parce qu’ils n’auront plus d’enfants, mais cela n’enlève rien à la valeur pédagogique de cette lecture. Certains articles du code civil peuvent sembler vieillots. Il reste que le mariage civil, donc républicain, est l’occasion de réaffirmer un certain nombre de principes pour le couple et tous ceux qui participent à la célébration du mariage.

Mme Annie Genevard. Dans le nouvel article proposé par cet amendement, le II concerne la polygamie. Je crois davantage à l’efficacité de la loi pour combattre cette situation.

Concernant le principe d’égalité, je vais essayer de formuler les choses d’une façon qui ne me vaille pas une réprobation générale. Tout d’abord, il ne vous aura pas échappé que la plupart des couples ne sont pas mariés, aujourd’hui. Une déclaration de ce type ne peut donc pas concerner tous les couples dans lesquels s’exerceraient les dérives que l’on veut combattre.

Un couple a un projet de vie, et cela se négocie entre époux : le législateur doit-il intervenir ? Voilà mon interrogation ; c’est celle d’une femme libre au sein de son couple, qui, en même temps, est consciente qu’il faut parfois négocier certaines choses. (Sourires.)

Enfin, je ne sais pas quelle sera l’ambiance du mariage, une fois qu’on aura lu le IV, alors même que la question des violences intrafamiliales est un problème majeur – cela représente la majorité des interventions des services sociaux. Serait-il envisageable que ce type de recommandations, tout à fait utiles, soient faites au moment de l’entretien entre le maire et le couple ? Voilà la contre-proposition que je fais à ma collègue.

M. Philippe Vigier. Ayant célébré des dizaines de mariages, j’ai observé que c’était le fameux article 371-1, relatif à l’éducation des enfants, qui retenait le plus l’attention dans la salle. L’union devant un officier d’état civil n’est pas un moment comme un autre. Rappeler ce jour-là que le principe d’égalité doit être respecté, que les violences intrafamiliales sont passibles de sanctions pénales ou qu’un deuxième mariage ne peut être contracté si les liens du premier n’ont pas été dissous, peut avoir une portée sur les personnes présentes le jour du mariage – époux, témoins et familles. Elles se rappelleront ainsi que le mariage n’est pas un acte que l’on fait à la légère : c’est un projet de vie qui comporte des engagements.

Mme Géraldine Bannier. Les points I, II et IV ne me posent pas de problème – je trouve même le rappel du IV très utile. En revanche, je ne sais comment sera perçu le III : ayant moi aussi célébré des mariages, je me demande si « le principe d’égalité se traduit par le respect de la liberté de chacun des époux » ne fera pas sourire dans la salle.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Nous pouvons travailler d’ici à la séance à la rédaction d’un amendement qui intégrerait le principe d’égalité et la notion de liberté de consentement. Les autres points sont évoqués dans le cadre des entretiens préalables.

M. Gérald Darmanin, ministre. Selon l’article 212 du code civil, « les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance ». L’idée de compléter cette disposition me paraît très bonne mais nous devons être attentifs à la rédaction pour éviter les redondances. Nous émettons un avis de sagesse à ce stade car c’est le garde des sceaux qui aura l’occasion de travailler sur ce sujet et de donner l’avis définitif du Gouvernement.

Comme nombre d’entre vous, il m’est arrivé de célébrer des mariages. J’ai pu constater qu’en dehors de l’officier d’état civil, qui connaît la formule par cœur, personne ne retient vraiment ce qui se dit ce jour-là. Dans ma mairie, nous remettions donc aux mariés un document encadré rappelant la date, pour que chacun se souvienne de l’anniversaire de mariage – cela faisait toujours rire les mariés – et les obligations sur lesquelles ils s’étaient engagés. Une fois que vous avez quitté la mairie, je ne suis pas sûr que vous consultiez le code civil tous les jours pour les vérifier… Il peut donc être utile de remettre aux futurs époux un document, pourquoi pas dans le cadre de l’entretien individuel, afin de leur donner le temps de bien comprendre, notamment pour les personnes qui ne parlent pas très bien français. Le mariage n’est pas que l’expression d’un amour devant le maire, c’est avant tout un contrat entre les personnes et avec la République. Ce n’est pas seulement un moment joyeux, c’est aussi un engagement. Nous pourrions donc prévoir la remise d’un document dans le cadre des entretiens individuels : je pense que cela serait utile.

Concernant les quatre points cités dans l’amendement, je suis très sensible à celui sur les violences conjugales ; je le suis moins aux autres arguments, que je trouve certes intéressants mais qui sont redondants avec les dispositions dont on fait déjà lecture le jour de cette fête républicaine qu’est le mariage.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’abonderai dans le sens de la rapporteure et du ministre. Il faut se montrer prudent dans la rédaction et, à ce stade, on n’y voit pas très clair. Je vous propose donc d’y travailler en vue de la séance, sans doute en conservant le III, qui porte sur les atteintes à l’intégrité physique et psychique. Ce n’est pas la même chose que les violences intrafamiliales, j’en conviens, mais cela recouvre des réalités qui sont en partie identiques. Je vous propose donc de retirer votre amendement, avec l’assurance de notre part d’y retravailler pour la séance.

M. le président François de Rugy. Votre amendement vise à insérer un nouvel article après l’article 212 du code civil, qui est le premier article lu lorsque l’on procède à un mariage. Cela peut avoir sa justification mais il me paraît souhaitable d’articuler les dispositions que vous proposez avec les articles existants, qui recouvrent déjà des domaines assez divers, comme les conventions matrimoniales et l’éducation des enfants. On passe de considérations très générales à des points très pratiques. Acceptez-vous de retirer votre amendement et de travailler à une nouvelle rédaction ?

Mme Anne-Christine Lang. Ayant l’engagement que nous le réécrirons pour la séance, je retire cet amendement. S’agissant de la proposition du ministre de remettre un document avant et après le mariage, je pense que la lecture des articles est un moment fort, symbolique. Il me semble donc important de rappeler, à ce moment-là, un certain nombre de règles, les yeux dans les yeux. Concernant le IV, j’ai bien conscience qu’il sera de nature à plomber un peu l’ambiance, et je suis évidemment prête à en faire évoluer la rédaction, mais la question des violences intrafamiliales, étant donné l’ampleur du phénomène, doit être prise en compte.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS134 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Lors des auditions, nous avons reçu des responsables des caisses d’allocations familiales (CAF). Ils nous ont expliqué que, dans bien des cas, ils devinaient quand il y avait une situation de polygamie. Cet amendement vise à permettre aux organismes chargés du versement des prestations familiales de signaler au procureur de la République les situations matrimoniales qui leur paraissent suspectes. Quand un homme déclare deux enfants à deux mois d’intervalle, cela mérite qu’on y regarde de plus près. Je souhaite que l’on puisse mettre dans la boucle les organismes de versement de prestations familiales pour mieux combattre la polygamie, qui est illégale.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La CAF n’est pas missionnée pour faire des signalements au procureur. En revanche, elle a l’habitude de faire des enquêtes sur la base de critères établis, en croisant les données de différents organismes. Elle dispose donc de suffisamment de moyens pour pouvoir enquêter correctement, même s’il peut y avoir des « trous dans la raquette ».

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme Annie Genevard. Madame la rapporteure, vous énoncez une généralité : la CAF est en mesure de conduire des enquêtes. Nous n’en doutions pas ! Ma question porte spécifiquement sur la polygamie : avez-vous fait des recherches, avez-vous contacté des organismes de versement de prestations familiales pour savoir si cette situation faisait l’objet d’enquêtes ? Puisque le Gouvernement veut combattre la polygamie, autant qu’il soit efficace ! Votre réponse me donne à penser que ce n’est pas particulièrement le cas.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Tout comme nous cherchons à améliorer la protection des femmes subissant la polygamie, nous sommes en train de travailler sur la mise en œuvre de la loi ; mais pour que celle-ci s’applique, il faut d’abord qu’elle soit votée ! Nous avons commencé des travaux préparatoires avec le secrétariat d’État chargé de l’enfance et des familles, compétent sur les questions ayant trait à la CAF. Dès que la loi sera votée, elle sera appliquée et une information sera adressée aux agents de la CAF.

Rappelons que les agents de la CAF, comme tous les agents publics, sont soumis à l’article 40 du code de procédure pénale, qui leur fait obligation de signaler au procureur un crime ou un délit dont ils auraient eu connaissance. La polygamie n’est pas autorisée en France. Sans doute les contrôles ne sont-ils pas suffisants, et nous devons chercher à les améliorer, mais la CAF fait déjà des signalements : les contrôles qu’elle effectue sont même la première voie de signalement de la polygamie. La proposition que vous faites est pertinente mais, d’une part, elle est déjà satisfaite et, d’autre part, elle relève davantage de la responsabilité du Gouvernement et des indications qui sont données aux administrations.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS673 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Il s’agit d’une demande de rapport – je n’en suis pas coutumière, mais il n’y a pas d’autre moyen d’évoquer le sujet. On se paye de mots concernant la répression de la polygamie puisque la France a conclu avec un certain nombre de pays des accords permettant le partage de la pension de réversion, encourageant de facto la polygamie. C’est le cas des accords internationaux conclus avec des pays dont sont issues des personnes polygames, principalement le Mali, mais aussi l’Algérie, le Bénin, le Cameroun, le Congo, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Tunisie. L’immense majorité de ces pays connaissent une situation de polygamie légale. Nous sommes coincés, si vous me permettez l’expression !

Cet amendement vise à ce que, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, un rapport sur la possibilité de renégociation ou de dénonciation des accords internationaux de sécurité sociale qui autorisent le partage de la pension de réversion en cas de polygamie soit remis au Parlement. Il faut regarder la réalité en face : on peut se payer de beaux mots et de bons sentiments, mais si ce n’est pas opérationnel, cela ne sert à rien.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Nous ne sommes pas favorables à la multiplication des rapports mais cette question est en effet importante. Il me semble intéressant de travailler sur les possibilités de renégociation de ces conventions.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement, la majorité et, je le crois, l’ensemble des députés sont révoltés par la situation de polygamie qui perdure en France. Nous partageons votre conviction qu’il faut renforcer la loi ; c’est précisément pour cela que nous vous soumettons ce texte. Nous ne sommes absolument pas en train de nous payer de mots, au contraire : nous cherchons les trous dans la raquette de la loi – si vous me permettez cette expression –, qui permettent à la polygamie de subsister en France malgré son interdiction.

Avant de pouvoir renégocier les conventions, nous devons d’abord voter et promulguer la loi : c’est sur cette base que nous pourrons ensuite intervenir. C’est pourquoi le délai pour remettre le rapport, que vous avez fixé à trois mois, nous paraît très court compte tenu du temps nécessaire pour mener à bien ce travail.

Par principe, nous ne sommes pas favorables aux demandes de rapports. Toutefois, le Parlement est fondé à contrôler l’action du Gouvernement : vous pourrez donc, lorsque vous le jugerez opportun, contrôler la renégociation de ces conventions sur le fondement de la loi que vous aurez votée.

La commission rejette l’amendement.

Article 16 : Interdiction des certificats de virginité

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1067 de M. Éric Coquerel, CS820 de Mme Perrine Goulet et CS1257 de Mme Monica Michel.

M. Éric Coquerel. Je souhaite tout d’abord dire que nous condamnons fermement la pratique des certificats de virginité, qui témoigne d’une vision rétrograde des femmes et de leur corps, et d’une conception obscurantiste et scientifiquement erronée.

Toutefois, aucune étude d’impact n’évalue le nombre de cas réels. La seule source existante est un sondage en ligne du Quotidien du médecin portant sur quelque 400 praticiens, lesquels sont manifestement des abonnés de ce journal : on peut douter que cela soit suffisant pour constituer une étude d’impact. Le Planning familial, que l’on ne peut soupçonner d’être favorable à ce type de pratique, nous a indiqué que c’était très minoritaire. La dénonciation de cette pratique s’apparente de ce fait à une discrimination de certaines religions.

Cela étant, puisque l’on nous propose de légiférer sur ce sujet, nous souhaitons agir le plus efficacement possible. Pour cela, il nous semble nécessaire de créer une obligation d’information de la patiente concernant les organismes vers lesquels elle peut se tourner pour trouver de l’aide, assortie de la délivrance d’un document expliquant les problèmes posés par cette pratique et son interdiction par la République, afin de faire œuvre de pédagogie auprès des personnes qui en sont victimes.

Mme Perrine Goulet. La proposition de rendre illégal le certificat de virginité est une très bonne chose. Il faut cependant entendre ce que nous a dit la Défenseure des droits, qui redoute que la non-délivrance des certificats de virginité mette en difficulté les jeunes filles vis-à-vis de leur famille. C’est pourquoi je vous propose que le professionnel de santé qui prend en charge la jeune fille l’informe et l’oriente vers les associations d’aide aux victimes pour qu’elle ne se retrouve pas toute seule quand elle retourne dans sa famille.

Mme Monica Michel. J’approuve également l’interdiction de cette pratique.

Après le refus d’un professionnel de santé de délivrer un certificat visant à attester la virginité d’une personne, il conviendra d’informer et d’orienter les familles vers des structures adaptées comme les centres de Planning familial, les centres d’information des droits des femmes et des familles, ou encore le dispositif du 3919, afin de ne pas laisser ces personnes dans une situation familiale qui peut s’avérer précaire, voire dangereuse.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les associations de femmes, les syndicats de médecins et le Conseil de l’ordre des médecins nous ont tous dit qu’ils étaient favorables à l’interdiction du certificat de virginité. La plupart des professionnels de santé procèdent déjà à cette information et fournissent des documents permettant à ces jeunes femmes de s’adresser à des associations. En outre, ces amendements sont plutôt d’un niveau réglementaire. Enfin, lorsque des certificats de virginité sont établis en dehors des professionnels de santé, il n’y a pas de possibilité d’intervenir : seules les associations peuvent faire ce travail. Or il est difficile de traduire cela dans la loi.

J’émets donc un avis défavorable, pour cette raison.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Tout d’abord, j’observe que dès qu’on soulève le problème des violences faites aux femmes, la première réaction collective est de dire que cela n’existe pas ou qu’il n’y en aurait pas suffisamment pour justifier un combat contre ces violences. Ce fut le cas en 2018 quand nous avons voulu verbaliser le harcèlement de rue : les premières réponses ont consisté à minimiser le problème – « ce n’est pas partout », « il n’y en a pas beaucoup », « avez-vous vraiment des études scientifiques qui montrent que les femmes sont harcelées dans la rue ? » Ce n’est qu’après une déferlante de témoignages que chacun a fini par convenir que le harcèlement de rue existait.

De même, quand nous avons évoqué les violences gynécologiques et obstétricales, on nous a affirmé pendant des mois que cela n’existait pas, que c’était des inventions des femmes, etc. Là encore, il a fallu des témoignages, des enquêtes journalistiques, des collectifs de femmes pour qu’enfin, on reconnaisse qu’il y avait des violences gynécologiques et obstétricales.

Aujourd’hui, nous voulons lutter contre les certificats de virginité et, comme à chaque fois, on nous demande s’il y en a vraiment beaucoup, si cela vaut la peine de faire une loi sur ce sujet, etc. À partir de combien considèrerait-on que c’est le cas ? Même si cela ne concernait que 150 femmes, je considérerais qu’il faut légiférer pour faire interdire cette pratique atroce. Du reste, la République française l’a fait pour l’excision alors qu’on n’avait pas particulièrement de prévalence ni d’étude scientifique à l’époque. Cela a été fait, de façon très courageuse, sous le président Chirac. Ce serait notre honneur que de mettre fin à la pratique des certificats de virginité.

Selon l’étude réalisée par le Quotidien du médecin auprès de 431 participants, 29 % des médecins ont déjà été sollicités pour rédiger un certificat de virginité. Si certains médecins et gynécologues témoignent qu’on ne leur en a jamais demandé, d’autres, particulièrement dans certains quartiers, nous disent avoir été très souvent sollicités en ce sens.

Plusieurs organisations se sont prononcées très clairement sur ce sujet. Le président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français, Israël Nisand, affirme ainsi que s’il n’y a plus personne pour établir un tel certificat, les femmes qui le réclament ne subiront plus de violences. L’ancienne présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), Jeannette Bougrab, s’est également prononcée pour l’interdiction. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, qui n’est pas connu pour sa légèreté sur ces sujets, le certificat de virginité n’a pas de justification médicale et constitue une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme.

En octobre 2018, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a considéré qu’il était urgent de lutter partout dans le monde contre les certificats de virginité ; il a remis un rapport affirmant qu’ils sont potentiellement dangereux pour les femmes, que cette pratique est médicalement inutile, humiliante et traumatisante. L’ONG Plan international, une des plus grandes ONG du monde en matière de défense des droits des femmes, des droits sexuels et reproductifs, a considéré l’année dernière qu’il était urgent que tous les pays qui n’avaient pas encore de législations contre les certificats de virginité en adoptent une. Nous avons auditionné de nombreux réseaux, des élues locales, des membres du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, l’association Regards de femmes : toutes nous ont dit qu’elles connaissaient des jeunes femmes en détresse du fait de demandes de certificat de virginité.

Le débat sur les chiffres est inopérant. Il est fondamental d’interdire les certificats de virginité ; j’émets donc un avis défavorable.

M. Éric Coquerel. Personne ne nie le caractère éminemment problématique de cette pratique ; il ne s’agit pas de la défendre. Mais vous ne pouvez pas ignorer que ces articles s’inscrivent dans une loi qui ne s’attaque qu’à un seul séparatisme, lié à l’intégrisme, lui-même lié à une religion. Il serait donc utile de savoir si c’est une pratique répandue ou non, par exemple dans certains départements comme la Seine-Saint-Denis. Cela permettrait de mesurer le sujet auquel nous nous attaquons.

Nous condamnons tout aussi fermement que vous cette pratique. Même si elle n’était que marginale, nous serions favorables à une condamnation très claire. Le débat n’est pas centré sur la pratique elle-même, mais sur le message que nous renvoyons. Les associations que nous avons auditionnées nous disent elles-mêmes que cela est très résiduel – tant mieux ! Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas lutter contre ces pratiques résiduelles.

Mme Perrine Goulet. Si la plupart des professionnels de santé dispensent déjà une information auprès des jeunes filles, tous ne le font pas. En cas de fin de non-recevoir du médecin, la jeune fille se retrouve toute seule et doit retourner dans sa famille. Quand on dépose plainte au commissariat, on nous donne des documents concernant les associations d’aide aux victimes ; il faut vraiment imposer une telle obligation aux professionnels de santé. J’entends qu’une telle mesure aurait un caractère réglementaire. Mais quand l’intérêt général est en jeu, par exemple en matière de santé, on l’inscrit dans la loi. Ces jeunes filles ne doivent pas être laissées seules.

Enfin, il convient de rappeler aux médecins qu’ils peuvent jouer un rôle préventif : en orientant ces jeunes filles vers les associations d’aide aux victimes, ils leur permettent de trouver un appui face à leur famille.

M. Boris Vallaud. Je suis favorable à ces amendements et souscris aux propos de notre collègue Goulet. De telles dispositions me semblent impératives. Ne craignons pas, une fois encore, de façon excessive les risques constitutionnels. S’il est ennuyeux que le pouvoir réglementaire empiète sur le pouvoir législatif, le contraire l’est moins. En l’occurrence, l’adoption de ces amendements présenterait un risque juridique modéré et aurait un sens politique important. Il arrive que certains amendements soient rectifiés en séance publique. Je verrais avantage au renforcement de l’information des patientes sur les risques qu’elles encourent pour leur santé, si elles sollicitent un certificat de virginité auprès de gens qui ne sont pas membres du corps médical, compte tenu du risque de conduites de substitution que créerait l’interdiction de cette pratique. Nous pourrions par exemple rectifier l’amendement d’Éric Coquerel, qui serait ainsi très complet.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. D’après les informations dont nous disposons, les médecins, en général, informent les femmes concernées et les orientent vers une association, ou vers la police en cas de maltraitance. Au demeurant, les trois précédentes lois relatives à la santé adoptées par cette assemblée renforcent considérablement les obligations des professionnels de santé en la matière. Je maintiens l’avis défavorable. Je ne souhaite pas, en l’absence du ministre des solidarités et de la santé, introduire de nouvelles obligations pour les soignants et les professions médicales. Je n’en soutiens pas moins le travail mené à ce sujet.

Par ailleurs, je ne peux pas ne pas répondre à M. Coquerel, qui affirme que nous stigmatisons une religion. Personne n’a parlé d’une religion, ni dans l’exposé des motifs, ni dans l’article que nous allons adopter, ni dans nos débats. Vous parlez tout seul d’une religion et de stigmatisation, monsieur Coquerel. Les seules personnes stigmatisées, dans cette affaire, sont les jeunes femmes que l’on oblige à produire des certificats de virginité. Personne n’a parlé de religion, ni maintenant ni précédemment, à ce sujet. Au demeurant, les associations nous ont indiqué que la recrudescence de demandes de certificats de virginité est un phénomène importé des États-Unis, où certaines stars ont publiquement indiqué qu’elles en exigent un de leur fille ou de leur fiancée.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les représentantes des associations de femmes que nous avons auditionnées sont unanimes sur ce point : l’interdiction du certificat de virginité fait reculer cette pratique. Elle est donc nécessaire. Certes, nous manquons de chiffres, mais plusieurs médecins régulièrement sollicités pour en établir m’ont assuré recevoir quelques demandes par an. Par ailleurs, cette pratique n’est pas le propre d’une religion en particulier. Dans le cadre de la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, nous avons prévu, pour les jeunes, une consultation consacrée à la santé sexuelle. Il faut l’utiliser à bon escient pour diffuser une information en la matière. Peut-être peut-on prévoir son renforcement dans le code de déontologie médicale. Quoi qu’il en soit, la plupart des personnels de santé qui officient dans les quartiers concernés, lorsqu’ils sont sollicités, le font, détaillant les avantages, les inconvénients et les risques à leurs patientes avant de les orienter vers les associations.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Coquerel, lorsque ce texte a été présenté en Conseil des ministres au mois de décembre dernier, il a essuyé plusieurs critiques, dont l’une consistait à dire que nous pointions du doigt des pratiques minoritaires, au risque d’accentuer certaines tensions qui traversent notre société. Or, depuis que cette commission a entamé ses travaux, lors des auditions et, depuis lundi, dans le cadre de l’examen du texte, il me semble que tout démontre que nous sommes dans un état d’esprit de protection, et en rien d’instrumentalisation. Il me semble aussi que notre attitude à l’égard des amendements présentés, en en adoptant certains de façon tout à fait ouverte et, surtout, en en rejetant d’autres, très fermement et de façon systématique, prouve notre volonté de ne pas stigmatiser qui que ce soit, ni quelque communauté ou religion que ce soit. En l’occurrence, la disposition dont nous débattons vous paraît si adaptée à la situation et à la lutte contre certaines pratiques coutumières minoritaires, que vous souhaitez renforcer l’information des victimes potentielles. Elle possède donc à vos yeux, comme vous l’avez dit, une légitimité particulière.

Sur le fond, votre amendement soulève une difficulté qui n’est en rien politique, mais juridique. Le code de déontologie médicale est en effet entièrement de niveau réglementaire. Les membres des professions concernées ne souhaitent pas que certaines règles soient établies par le législateur seul, car elles nécessitent une concertation, notamment avec le pouvoir exécutif. Je ne peux qu’encourager le Gouvernement, très modestement, à le modifier pour donner satisfaction au droit d’information que vous mentionnez à juste titre dans votre amendement.

M. Éric Coquerel. Je reprends la parole pour inviter M. le rapporteur général à visionner les nombreux débats auquel le texte a donné lieu dans les médias. Il constatera que plusieurs ministres ont fait du projet de loi la lecture que j’ai indiquée, à la suite du Président de la République.

M. le président François de Rugy. Cher collègue, vos propos n’ont rien à voir avec l’amendement !

M. Éric Coquerel. Je souscris à la proposition de Boris Vallaud visant à ajouter, dans notre amendement, une mention sur les risques qu’encourent les femmes auxquelles on demande un certificat de virginité.

La commission rejette successivement les amendements

Puis elle examine l’amendement CS363 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. Comme l’a indiqué Mme la ministre déléguée, tout à l’heure, et M. le ministre, lors de son audition, près de 30 % des médecins affirment avoir été consultés en vue de l’établissement d’un certificat de virginité. Cet état de fait place les professionnels de santé concernés en situation de lanceurs d’alerte. Il s’agit de faire en sorte qu’ils informent le procureur de la République, qui mènera une enquête, afin que quiconque oblige une personne à prouver sa virginité soit effectivement condamné.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’article 226-14 du code pénal prévoit que le secret professionnel n’est pas applicable « au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, […] les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ». Ce même article dispose également : « Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ». J’émets un avis défavorable à l’amendement. Les médecins que nous avons auditionnés, dans leur pratique, procèdent à des signalements, notamment pour les mineurs, dont l’accord n’est pas nécessaire.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. À la suite du Grenelle des violences conjugales, le Parlement a adopté des dispositions à ce sujet. Elles me semblent suffisantes.

M. Jean-François Eliaou. Nous devons tenir compte de la situation compliquée dans laquelle se trouvent ces jeunes femmes. Elles sont sous emprise, à tout le moins sous influence. Nous devons en tenir compte avant d’accepter ou de rejeter des amendements.

Par ailleurs, l’amendement, tel qu’il est rédigé, fait obligation au professionnel de santé d’alerter le procureur de la République. Une telle disposition n’est pas envisageable.

Enfin, nous devons veiller à faire en sorte que la consultation chez le médecin demeure un refuge, en nous abstenant d’adopter toute disposition susceptible d’entraîner une perte de confiance, comme je l’ai indiqué lors de l’examen d’un précédent texte. Toute disposition susceptible d’introduire une rupture de confiance entre le médecin et la personne qui le consulte, qui n’est pas une patiente, car elle n’est pas malade, doit être envisagée avec beaucoup de précaution.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS696 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. L’amendement vise à rappeler que la plupart des demandes de certificat de virginité sont faites à l’initiative de la famille ou de la belle-famille des intéressées, et parfois sous la contrainte. Nous souhaitons que les individus demandant aux femmes de leur remettre un tel certificat soient poursuivis en justice, notamment si cette demande est faite sous la contrainte. Une telle interdiction nous semble être un moyen efficace pour lutter contre cette pratique. Nous proposons de créer un délit permettant de punir les personnes qui obligent les femmes à produire un certificat de virginité.

Mme Dubré-Chirat, rapporteure. Cher collègue, la pénalisation des individus demandant des certificats de virginité nous a été réclamée de toutes parts. Pour l’heure, nous souhaitons travailler à une rédaction plus élaborée que celle de votre amendement, permettant leur pénalisation adaptée, dans la mesure où leur identification est difficile. Je suggère le retrait de l’amendement et émets à défaut un avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je défendrai ultérieurement des amendements à ce sujet. Le fait même de demander un certificat de virginité constitue incontestablement une pression inadmissible. Par ailleurs, cela signifie qu’on ne croit pas sur parole une femme déclarant être vierge. Ce débat est important. J’ignore s’il faut retravailler la rédaction de l’amendement. J’ai pris bonne note de l’avis de Mme la rapporteure. Il faut être intraitable avec celles et ceux qui exercent une pression inadmissible, intolérable dans la République, sur des jeunes femmes en vue d’obtenir un certificat de virginité, que nous allons mettre hors la loi.

Mme Constance Le Grip. Je voterai l’amendement. Nos collègues Charles de Courson et Olivier Falorni mettent le doigt sur un aspect majeur de la question : l’emprise, et plus généralement la pression familiale ou sociale, forte et insistante, dont nous savons qu’elle pèse sur les femmes concernées. Même si nous ne disposons pas de données chiffrées sur le phénomène, nous savons qu’il existe, à une échelle bien plus grande que ce que l’on en dit. Ce phénomène, qui peut aller jusqu’à l’intimidation et aux menaces, doit être pris en considération. Il faut instaurer un dispositif juridique pénalisant cette pratique absolument dégradante. Mme la rapporteure a donné un avis de principe favorable mais souhaite que l’amendement soit réécrit. À vrai dire, je ne vois pas où sont les marges d’amélioration. La rédaction de l’amendement me semble tout à fait satisfaisante.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1435 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Elsa Faucillon. Je le dis avec sincérité : cet amendement est peut-être le fruit d’un manque de données et d’information. Madame la ministre déléguée, vous vous étonniez des demandes systématiques de chiffres dès lors qu’il s’agit d’identifier les violences faites aux femmes. En l’espèce, il faudrait disposer de données, non pour minimiser la gravité du phénomène, mais pour mieux le comprendre et mieux s’en prémunir.

Cet amendement est le seul que nous déposons sur l’article 16. Nous considérons qu’il faut interdire le certificat de virginité. Toutefois, celles et ceux exerçant dans des Maisons des femmes et dans des centres du Planning familial dont nous avons recueilli le témoignage nous ont indiqué qu’il leur était arrivé de délivrer des certificats de virginité, sans avoir procédé à un examen, naturellement. Entendons-nous bien : celui ou celle qui se dit médecin sait combien tout cela repose sur un mythe, bien inscrit dans la domination masculine, et que, pour bien des femmes, il est impossible de déterminer si elles sont vierges ou non. Nos interlocuteurs nous ont donc indiqué avoir délivré à certaines jeunes femmes des certificats de virginité, à l’issue de longues discussions, parce qu’ils considéraient que ne pas le faire les aurait mises davantage en danger.

Telles sont les informations dont nous disposons. Elles sont peut-être incomplètes. En tout état de cause, nous considérons que la sanction par le Conseil de l’ordre des médecins est suffisante. Prévoir une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ne règle pas le problème et place en porte-à-faux des gens qui tentent d’aider les femmes concernées.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Nous considérons qu’il ne faut pas se contenter de punir ceux qui délivrent les certificats de virginité, et qu’il faut agir à la source du problème, pour accompagner les femmes concernées, afin qu’elles ne soient pas isolées ni exposées à des risques si elles ne rentrent pas chez elles avec ce document. Notre collègue Jean-François Eliaou travaille à la rédaction d’un amendement sur la pression et les incitations que subissent les jeunes femmes, afin d’arrêter un système de peines adéquates pour les accompagner. Nous n’avons pas encore trouvé le bon équilibre, mais l’amendement est en cours de rédaction. M. Éliaou exposera ultérieurement la façon dont nous parviendrons à cette pénalisation.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme Elsa Faucillon. Madame la rapporteure, mon propos portait, en toute prudence, sur les médecins, et consistait à dire que les personnes qui délivrent des certificats de virginité dans les centres de Planning familial et dans les Maisons des femmes tentent d’aider les femmes qui les sollicitent. Prévoir une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ne règle pas le problème de ces femmes et criminalise des gens qui, bien souvent, ne savent pas comment les protéger.

M. Jean-François Eliaou. Elsa Faucillon et moi-même sommes assez souvent d’accord. Je nourris moi aussi des doutes sur la pénalisation du professionnel de santé, qui peut être un médecin, spécialiste ou généraliste, ou une sage-femme. Je n’ai déposé aucun amendement à l’article 16, car le risque d’effet de bord est élevé. En cas de rupture de confiance, la personne ayant consulté un professionnel de santé sera sans refuge. Elle ne consultera pas ou mal, de peur que l’on communique son adresse et ses contacts au procureur. Il faut être très attentif au fait que ces personnes sont sous emprise, sous influence, et prendre en considération leur fragilité physique et psychologique. Je me suis demandé comment on pouvait pénaliser la demande ou l’obtention de certificats de virginité, ce qui m’a amené à viser une autre cible, à savoir ceux qui sont à l’origine de l’incitation ou de la contrainte. Certes, il est très important d’interdire de délivrer un certificat de virginité en France, mais plus encore d’inciter les femmes à en obtenir un.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement est défavorable à votre amendement, madame Faucillon. Vous vous êtes informée, dites-vous, auprès de gynécologues et de soignants qui vous ont expliqué avoir délivré des certificats de virginité pour telle ou telle raison. C’est donc qu’ils existent ! Tout à l’heure, votre collègue M. Coquerel rapportait que ceux qu’il avait rencontrés n’avaient pas fait l’objet de telles demandes.

M. Éric Coquerel. Je n’ai pas dit que cela n’existait pas !

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Veuillez m’excuser, j’ai dû confondre vos interventions. Nous constatons donc ensemble qu’un problème se pose à ce sujet.

Si j’ai bien compris vos propos, ces médecins – nous avons sans doute consulté les mêmes – vous ont dit établir des certificats de virginité sans vérifier si l’hymen des intéressées était intact ou non. Vous avez d’ailleurs rappelé, à juste titre, que la présence d’un hymen ne garantit pas biologiquement la virginité d’une jeune femme. Ces médecins disent délivrer des certificats de virginité parce qu’ils considèrent, de bonne foi, que ce faisant ils aident les jeunes filles concernées.

J’ai entendu moi aussi ces témoignages mais je ne suis pas d’accord avec le procédé. Je mesure la responsabilité d’un gynécologue ou d’un médecin face à la jeune personne qui est dans son cabinet, en détresse, et qui dit avoir besoin d’un certificat de virginité pour rentrer chez elle. Mais il me semble que la responsabilité du législateur est de fixer des interdits, sans prendre en considération la bonne intention qui peut amener certains professionnels de santé à délivrer un certificat de virginité. « Que se passera-t-il si la jeune fille rentre chez elle sans certificat de virginité ? Ce sera un drame ! », nous expliquent-ils. À mon tour, je pose une question : « Que se passera-t-il si la jeune fille rentre chez elle avec un certificat de virginité ? ». Qu’imagine-t-on qu’il arrivera à la jeune fille rentrant chez elle avec, dans son enveloppe, son petit certificat de virginité, comme un cheval dont on aurait fait vérifier les dents avant de l’acheter ? Croit-on qu’après le mariage, sa dignité de personne humaine, sa liberté et son intégrité de femme seront respectées ? Je ne le crois pas. Il est fondamental d’interdire cette pratique, et donc de pénaliser en sanctionnant y compris les médecins qui délivrent des certificats de virginité. Il faut fixer un interdit clair.

De surcroît, une telle disposition est utile pour les pays qui voient la France comme un modèle en matière de droits des femmes. Si, lors de nos actions de diplomatie féministe, nous pouvons dire qu’il est désormais interdit, en France, de délivrer des certificats de virginité, nous ferons progresser les droits des femmes dans d’autres pays. J’espère avoir répondu aux questions soulevées par l’amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS810 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. L’alinéa 5 crée la pénalisation de la délivrance d’un certificat de virginité. Si nous voulons mettre un terme à ces pratiques, il faut également envoyer un signal fort à l’entourage des jeunes filles qui en sont victimes en prévoyant de sanctionner les personnes qui font pression sur elles. Mon amendement vise à pénaliser l’incitation à l’établissement du certificat. Nous définirions ainsi un délit adapté, sur le modèle de la pénalisation du recel de certificats de virginité, à laquelle le Garde des sceaux s’est dit favorable.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Nous partageons l’intention, mais nous souhaitons modifier la rédaction de l’amendement, ainsi que les sanctions prévues. Je vous propose de retirer votre amendement au profit de celui dont la rédaction est en cours.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme Perrine Goulet. Madame la rapporteure, comment puis-je retirer un amendement au profit d’un autre qui n’est pas encore rédigé ? Je veux bien admettre beaucoup de choses, mais quand même ! Mon amendement a le mérite d’exister.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1608 de Mme Sonia Krimi.

M. Vincent Thiébaut. L’amendement vise à appeler l’attention sur le lieu où est établi le certificat de virginité. Il s’agit de pénaliser cette pratique à l’identique en France et à l’étranger.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Si nous pouvons adapter la loi française pour prévoir des interdictions, tel n’est pas le cas pour la loi en vigueur dans les autres États. Nous ne pouvons qu’espérer que l’interdiction de cette pratique en France fasse école. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS697 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Je tiens à dire à Mme la rapporteure, en toute cordialité, que, s’agissant d’un sujet aussi grave que la pression et la contrainte exercées sur des femmes pour l’établissement de certificats de virginité, on ne peut accepter la réponse qu’elle a faite à notre collègue Goulet. En substance, cela revenait à dire : « L’idée est bonne, mais nous allons réécrire l’amendement ». Je suis curieux de lire cette nouvelle rédaction ! Certes, il sera signé par vous et non par nous…

Persistant néanmoins dans la volonté de sanctionner toute personne obligeant une femme à demander un certificat de virginité, nous proposons, par le biais de l’amendement CS697, d’établir un dispositif de sanctions pour ce nouveau délit, qui serait puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, sur le modèle de la sanction prévue par le projet de loi pour les professionnels de santé établissant un tel certificat. Nous mettons en cohérence les sanctions applicables aux personnes qui contraignent les femmes et exercent sur elles une pression inacceptable avec celles que le texte prévoit d’appliquer aux médecins, même s’il faut sans doute prévoir des exceptions, comme je le proposerai tout à l’heure. À un moment donné, il faudra bien que, dans cette commission spéciale, nous ne nous contentions pas de renvoyer l’adoption de telles dispositions à une nouvelle rédaction qui n’existe pas, et que nous actions, par voie d’amendement, le principe d’une sanction des personnes qui exercent une contrainte sur ces femmes.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je vous renvoie à l’amendement que M. Éliaou présentera dans un instant, et qui est rédigé. La sanction que vous proposez est inférieure à la sanction générale que nous proposerons.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. Olivier Falorni. La réponse de Mme la rapporteure est un aveu. Chacun aura compris le sort réservé aux amendements issus des groupes dits d’opposition, alors même que le nôtre s’inscrit dans une démarche positive et qu’il est plutôt enclin à voter le texte. En fin de compte, l’avis du rapporteur et celui du Gouvernement ne sont pas déterminés par le contenu de l’amendement, mais par ses signataires !

M. le président François de Rugy. Monsieur Falorni, vous pouvez consulter la liste des amendements adoptés. Dès le début de l’examen du texte, nous avons adopté un amendement issu du groupe Les Républicains.

M. Guillaume Vuilletet. Je tiens à rassurer M. Falorni, ainsi que les orateurs qui l’ont précédé. Soyons clairs : nous ne renvoyons pas aux calendes grecques la pénalisation des individus qui contraignent les femmes à faire établir un certificat de virginité. Nous voterons l’amendement de M. Éliaou, qui n’est pas identique à celui que nous nous apprêtons à rejeter. Que le Gouvernement et les rapporteurs proposent des modifications d’ici à l’examen du texte en séance publique, voilà qui est tout à fait possible, et nous écouterons leurs arguments. Pour l’heure, je ne déflore aucun secret en indiquant que nous soutiendrons un amendement que présentera notre collègue Éliaou, et qui n’est pas exactement le même que celui que vous venez de présenter, monsieur Falorni.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous devons procéder à une caractérisation juridique très subtile. Nous sommes véritablement sur une ligne de crête. Nous nous sommes posé la question de savoir si nous devions, dans le texte présenté par le Gouvernement, pénaliser les personnes – les commanditaires, en quelque sorte – obligeant une femme à demander un certificat de virginité. Les analyses juridiques auxquelles nous avons procédé ont démontré qu’il était possible, en l’état actuel du droit, de prononcer des condamnations, notamment pour des faits d’emprise et de violence psychologique. À l’issue du Grenelle des violences conjugales, nous avons en effet adopté des sanctions en cas de menaces et de pression. Ces incriminations pénales sont caractérisées. C’est pourquoi il ne nous a pas semblé nécessaire, dans un premier temps, de prévoir la pénalisation de l’entourage de ces femmes.

Néanmoins, je m’interroge toujours sur les messages que nous envoyons dans le cadre, non pas du débat médiatico-politique, mais de l’adoption de la loi et de la portée symbolique de nos discussions. Je suis attentive à la forme qu’ils prennent dans l’opinion publique, notamment dans les familles et parmi les professionnels concernés. Je suis donc sensible aux arguments issus de la majorité et de l’opposition selon lesquels il serait souhaitable, ne serait-ce que pour envoyer un signal, de prévoir une disposition englobant la question du commanditaire, de la famille, de la personne demandant à la jeune fille de faire établir un certificat de virginité. Les rédactions proposées jusqu’à présent ne nous semblent pas cependant constitutionnelles ou présenter un apport au regard du droit en vigueur. C’est ce qui a motivé un avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Voici bientôt quatre jours que nous avons commencé l’examen de ce texte. Le Gouvernement, chacun l’aura constaté, travaille dans un esprit qui ne consiste pas à organiser les choses avec la seule majorité politique, qui vote le budget et le soutient. Nous avons fait preuve, me semble-t-il, d’une grande ouverture d’esprit, acceptant de réviser plusieurs rédactions et de renvoyer des débats à la séance publique. Monsieur Falorni, si vous envisagez de voter ce texte par conviction, j’imagine que mes propos, quels qu’ils soient, ne vous feront pas changer d’avis. Sur la forme, nous avons montré notre très large ouverture d’esprit. Le Gouvernement ne fonctionne pas comme vous le prétendez. En tout cas, il n’a pas entamé les débats en commission spéciale de cette façon, et il ne les achèvera pas ainsi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne peux pas laisser dire que les avis des rapporteurs sur les amendements sont systématiquement déterminés par l’identité des signataires.

M. Olivier Falorni. Moi je le dis !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Monsieur Falorni, dans un souci de transparence, le député Éliaou a annoncé la présentation de l’amendement CS1581. Comme il porte article additionnel après l’article 16, il n’est pas en discussion commune avec ceux dont nous débattons. C’est ainsi. Nous vous informons également qu’après y avoir travaillé – car il arrive, évidemment, que le groupe majoritaire travaille avec les rapporteurs –, nous considérons que sa rédaction permet d’atteindre les objectifs que vous visez, tout en étant sans doute davantage plus conforme au droit que la vôtre. Au demeurant, il sera sans doute nécessaire d’y travailler encore d’ici à l’examen du texte en séance publique, car il s’agit de sujets sensibles pour lesquels la légistique est importante. Pas de mise en cause, s’il vous plaît ! Nous avons adopté tout à l’heure un amendement de la députée Buffet, dans des conditions qui démontrent dans quel état d’esprit nous sommes depuis que la commission spéciale a commencé ses travaux.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1680 de Mme Souad Zitouni.

Mme Monica Michel. Il vise à diviser par deux l’échelle des peines encourues en cas d’établissement d’un certificat de virginité. Ce faisant, nous enverrons aux médecins un message moins répressif tout en réaffirmant notre refus de cette pratique.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le quantum de peine proposé à l’article 16 est adapté à la nature des faits : il correspond à celui prévu par l’article 441-7 du code pénal pour les délits de faux et d’usage de faux. La sanction pénale reste à l’appréciation du juge, qui a toujours la possibilité de prononcer une peine inférieure à la peine maximale prévue.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1798 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Dans le même esprit que l’amendement précédent, nous proposons de supprimer la peine d’un an d’emprisonnement encourue par les médecins. Les interventions des uns et des autres ont bien montré que l’article 16 était déséquilibré et qu’il risquait de ne pas atteindre son objectif. Les principaux responsables de cette pratique, les donneurs d’ordres, ne seront pas punis. La création d’une peine à leur encontre fait débat ; pour ma part, je n’ai pas voté pour car il aurait fallu assortir cette mesure d’une protection des victimes qui auraient dénoncé l’un de leurs proches. Il n’en est pas moins problématique de punir celui qui rédige le certificat, parce qu’il fait face à une situation compliquée. Les médecins du Planning familial nous ont dit avoir été confrontés à un petit nombre de demandes de certificat ; ils y ont répondu favorablement, d’autant que ce certificat n’a pas de valeur en tant que tel, avant d’aller dénoncer la situation à la police et à la justice. La commission a rejeté un amendement visant à obliger les professionnels de santé à informer les victimes de l’existence d’organismes spécialisés dans la défense des droits des femmes. Je n’arrive toujours pas à le comprendre. L’article 16, tel qu’il est rédigé, ne sanctionne pas les principaux coupables et laisse en jachère la mission d’information et de prévention qui devrait être assurée par les médecins. C’est un véritable problème.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Même avis que sur l’amendement précédent. L’établissement d’un certificat de virginité ne fera plus partie des attributions des médecins ; dès lors que l’on interdit cet acte, il est logique de sanctionner les professionnels de santé qui continueront de le réaliser.

Si nous avons repoussé un amendement relatif à l’accompagnement et à l’orientation des jeunes femmes victimes de ces pratiques, c’est parce que ces dispositions ne doivent pas figurer dans la loi mais dans les codes de déontologie des professionnels de santé.

Par ailleurs, je le répète, le quantum de peine est fixé à un niveau dissuasif, mais la peine prononcée pourra être moindre, en fonction de l’appréciation du juge.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1386 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Monsieur le rapporteur général, il n’est pas très glorieux d’affirmer que vous avez été magnanime, lundi, au tout début de nos travaux, avec l’adoption d’un amendement de M. Breton.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Éric Diard. Je vous remercie de votre magnanimité, mais je tiens à vous rappeler qu’un autre amendement, visant à créer un délit d’entrave à la fonction d’enseignant, a pu être adopté grâce à la persévérance de Mme Genevard et au vote de quelques députés de la majorité qui ont jugé que c’était une mesure de bon sens, contre l’avis du Gouvernement et des rapporteurs.

J’en viens à l’amendement CS1386, que je présenterai rapidement tant le « teasing » exercé au profit de l’amendement de M. Eliaou montre que les dés sont déjà jetés. Dès 2003, le Conseil de l’ordre des médecins a indiqué que la rédaction de certificats de virginité n’avait « aucune justification médicale » et constituait « une violation du respect de la personnalité et de l’intimité de la jeune femme […] ». Les témoignages recueillis sur cette question concordent, et nous pouvons tous affirmer que c’est souvent l’entourage des jeunes filles qui est plus ou moins directement à l’origine de la demande d’émission d’un certificat de virginité. La condamnation de l’établissement d’un tel document par un professionnel de santé ne me paraît pas suffisante pour mettre fin à cette pratique. Comme l’indique la gynécologue Amina Yamgnane, « la loi seule risque de ne pas mettre fin à ces pratiques. Au lieu d’aller chez le gynécologue, ces familles risquent d’aller chez le voisin, qui va s’improviser “Père la Vertu” et produire ce genre de certificats ». Je vous propose donc de ne pas condamner simplement l’émission d’un certificat de virginité, mais également la demande d’un tel certificat, qui serait passible de la même peine.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Nous entendons très bien ce que vous dites. Nous sommes tous d’accord : plutôt que de pénaliser les professionnels de santé, nous devons trouver une solution juridique adaptée permettant de sanctionner les personnes faisant pression sur les jeunes femmes et d’accompagner ces dernières. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS698 de M. Charles de Courson.

M. Olivier Falorni. Nous n’allons pas user notre salive pour défendre nos idées alors que l’amendement de M. Eliaou semble déjà adopté avant même que nous en ayons débattu. Nous considérons que les vrais coupables sont les personnes qui font pression sur les jeunes femmes, et non les médecins qui cèdent à cette pression. Nous souhaitons donc éviter aux professionnels de santé qui ont établi un certificat de virginité d’encourir une peine de prison ou une amende. En somme, il s’agit de rétablir un certain équilibre.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Si le professionnel de santé veut protéger la personne qui demande le certificat de virginité, il doit, en application de l’article 226-14 du code pénal, porter « à la connaissance du procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être […] les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ». Les médecins appliquent déjà cette disposition – plus pour les mineurs que pour les majeurs, puisque ces derniers doivent donner leur accord. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Avis défavorable.

M. Olivier Falorni. La réponse de Mme la rapporteure est tout à fait acceptable.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS364 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. L’article 16 vise à faire condamner des professionnels de santé dès lors qu’ils ne respectent pas leur obligation d’alerter le procureur de la République lorsqu’il leur est demandé d’établir un certificat aux fins d’attester la virginité d’une personne. Nous proposons de punir les professionnels de santé ne respectant pas cette obligation d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà exposées.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1297 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Nous craignons que les femmes qui ne pourront plus aller chez le médecin se tournent vers une autre personne, qui se rendrait coupable d’exercice illégal de la médecine. Nous devons essayer de prévenir ces déports ; c’est pourquoi nous proposons d’accroître les peines encourues en cas d’exercice illégal de la médecine lorsque cet exercice vise à attester de la virginité d’une personne.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le risque que vous soulignez est réel. Les jeunes femmes pourraient se tourner vers des personnes de leur entourage qui ne sont pas médecins et qui produiraient des attestations de convenance ou engageraient des examens totalement irresponsables, interdits et répréhensibles. Pour que ces non-professionnels soient condamnés pour agression, blessures ou mutilation, il faut cependant que la victime dépose une plainte ou effectue un signalement. Cette question dépasse le cadre du présent projet de loi.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même argument et même avis.

M. Boris Vallaud. Vous répondez à côté de la question, madame la rapporteure. Le délit d’exercice illégal de la médecine existe déjà : je propose d’en faire une circonstance aggravante lorsqu’il vise à établir un certificat de virginité. Vous dites qu’il faudra que la victime porte plainte, faute de quoi on ne pourra pas poursuivre la personne qui s’en est rendue coupable. C’est vrai, mais il en sera de même lorsqu’un certificat de virginité aura été produit par un médecin. À un moment donné, il faudra bien se demander qui a connaissance de ce certificat et qui engage les poursuites.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1524 de Mme Laurence Gayte et CS812 de Mme Perrine Goulet.

Mme Laurence Gayte. L’amendement CS1524 rejoint celui de M. Vallaud : il vise à qualifier d’agression sexuelle ou de viol tout examen visant à établir un certificat de virginité et réalisé par une personne n’appartenant pas au corps médical. Nous voulons envoyer un message fort afin que plus personne ne soit tenté de réaliser ce type d’examen. Notre amendement s’appuie sur la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, que Mme Schiappa connaît bien et qui a élargi la définition du viol.

Mme Perrine Goulet. L’amendement CS812 est légèrement différent de celui de Mme Gayte. On constate encore dans notre pays, dans certaines communautés, des rituels traditionnels visant à s’assurer que la femme ou la fille est vierge au moment du mariage. Ce sont souvent des cérémonies barbares, qui ne donnent pas lieu à un certificat mais, souvent, au brandissement d’un drap ou d’un mouchoir blanc maculé de la tache de sang de la jeune fille. Je souhaite envoyer un signal fort à toutes ces communautés en insérant dans le code pénal un nouvel article ainsi rédigé : « Constitue une agression sexuelle le fait, notamment par tradition, de contraindre une personne par la violence, la menace, la surprise ou la contrainte à subir un examen physique visant à la vérification de la virginité. […] » Ces jeunes filles étant soumises à l’emprise familiale, elles ne dénonceront peut-être pas tout de suite ces agissements, mais elles pourront un jour se retourner contre leurs agresseurs et dire au grand jour qu’elles ont été victimes de ces actes rituels. Je vous invite à regarder mon amendement avec bienveillance et à l’adopter afin d’envoyer un message à toutes ces communautés qui, dans le cadre de rites traditionnels n’ayant rien à voir avec la religion, agressent sexuellement les jeunes filles avant de les livrer au mariage.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Madame Gayte, il me semble préférable d’en rester à la rédaction de l’article 16, qui incrimine de manière proportionnée la délivrance d’un certificat de virginité. S’il y a viol, cela relève du code pénal et non du code de la santé publique.

Madame Goulet, les pressions exercées sur une personne pour obtenir gain de cause sont déjà punies par la loi ; la sanction est alourdie lorsque la victime est mineure.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je comprends évidemment la démarche de Mme Gayte et de Mme Goulet, dont les deux amendements sont différents.

Je voudrais distinguer les personnes qui établissent des certificats de virginité sans pour autant être des professionnels de santé de celles qui procèdent au test, à la cérémonie, à la pénétration. Autant je souhaite pénaliser la délivrance de certificats de virginité quelle que soit l’intention, comme je le disais à M. Coquerel et à Mme Faucillon, autant je considère que rédiger un certificat de virginité, parfois même sans avoir procédé à l’examen, n’équivaut pas à commettre une agression sexuelle.

En revanche, la cérémonie du drap, qui consiste – pardonnez-moi d’être technique – à pénétrer avec un drap une femme ou une jeune fille, présente déjà, selon la jurisprudence existante, les caractéristiques du viol. Vous l’avez rappelé, le viol n’implique pas forcément un rapport sexuel : il se caractérise, en droit, par un acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. Dès lors que l’une de ces circonstances est établie, tout acte de pénétration, même avec un objet, lors d’un bizutage, peut être qualifié de viol. C’est manifestement le cas dans les cérémonies dont nous parlons : il ne me paraît donc pas nécessaire de les ajouter à la liste des éléments constitutifs du viol.

Je suis donc défavorable à ces deux amendements, mais pour des raisons différentes. Je comprends l’objectif qu’ils poursuivent, mais je ne pense pas qu’ils soient opérants juridiquement.

Mme Laurence Gayte. Mon amendement ne concerne pas la personne qui demande ou établit le certificat de virginité, mais celle qui pratique l’examen.

Mme Perrine Goulet. Je veux bien croire, madame la ministre déléguée, que la jurisprudence permet déjà de qualifier ces faits de viol – pour ma part, je parlais d’agression sexuelle. Je vais dire quelque chose d’horrible : ces jeunes filles consentent à ces agissements par tradition. C’est pourquoi je pense qu’il faut mentionner ce genre de cérémonie dans le code pénal. Par ailleurs, inscrire la jurisprudence dans la loi permettrait d’envoyer un signal aux communautés concernées afin qu’elles cessent de pratiquer ces traditions, qui sont d’un autre âge. Il est intolérable que, par tradition, on continue d’agresser sexuellement des jeunes filles. Si vous pensez qu’il faut revoir la rédaction de l’amendement, nous pouvons y travailler, mais il faut vraiment aller au-delà de la jurisprudence pour que les jeunes filles de notre pays ne subissent plus ces tests de virginité qu’on ne fait pas subir aux hommes et qui sont, pour elles, le sésame pour un mariage qui s’avérera d’ailleurs souvent catastrophique.

La commission adopte l’amendement CS1524.

Elle rejette l’amendement CS812.

Elle adopte ensuite l’article 16 modifié.

Après l’article 16

La commission examine l’amendement CS1541 de Mme Laurence Gayte.

Mme Laurence Gayte. Il vise à interdire les pratiques coutumières dégradantes telles que la cérémonie du mouchoir ou du drap dont parlait Mme Goulet, que l’ONU qualifie de « pratiques traditionnelles néfastes » et qui violent les droits humains, en particulier ceux des femmes. Ces pratiques peuvent constituer des violences physiques ou psychiques et dévalorisent les personnes qui en sont victimes. Elles favorisent l’aliénation des femmes, visent à les écarter de la vie en société et bafouent leur liberté de disposer de leur avenir. Cet amendement rejoint plusieurs conventions et traités internationaux qui établissent l’obligation pour les États de prendre des mesures pour en finir avec ces pratiques néfastes.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les articles 223-1 et 222-7 à 222-16-2 du code pénal évoqués dans cet amendement s’appliquent d’ores et déjà à l’ensemble des violences physiques ou psychiques, aux pratiques dégradantes et aux violations des droits humains, y compris si elles résultent de pratiques coutumières. Il n’est pas nécessaire de le repréciser dans la loi.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis très favorable à ce que l’on fasse entrer l’expression « pratique traditionnelle néfaste » dans le vocabulaire courant des politiques publiques et dans la loi, car elle est très bien comprise par les femmes migrantes arrivant notamment des pays d’Afrique subsaharienne. Ces pratiques traditionnelles néfastes désignent, entre autres, le mariage forcé, l’excision et les mutilations génitales. Néanmoins, cet amendement est satisfait dans la mesure où l’excision et le mariage forcé sont déjà interdits, comme le seront désormais les certificats de virginité.

Je rappelle par ailleurs que le Gouvernement a mis en place, il y a un an, un plan national visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines. Ce plan, dont le bilan doit être présenté prochainement, nous permet de travailler avec les associations pour améliorer la prévention et lutter plus efficacement contre l’excision et contre un certain nombre de pratiques qui y sont liées. Le débat se pose dans les mêmes termes que pour les certificats de virginité : les parents des jeunes filles ou des adolescentes n’ayant parfois connu que ces pratiques, ils y sont favorables et sont donc à la fois les victimes et les auteurs des violences.

L’amendement étant satisfait, nous en demandons le retrait, même si nous devons bien évidemment continuer à travailler sur ce sujet.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1670 de Mme Sonia Krimi.

M. Vincent Thiébaut. Il vise à assurer la protection effective des mineures en déplacement à l’étranger, seules ou accompagnées d’une personne non dépositaire de l’autorité parentale, en prévoyant qu’elles soient munies d’un certificat de non-excision. Je rappelle que la loi du 29 juillet 2015 a déjà mis en place deux mécanismes tendant à la production par les parents de certificats médicaux constatant la non-excision.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il est nécessaire de lutter contre l’excision, une pratique inacceptable qui porte atteinte à l’intégrité du corps des femmes. Toutefois, cet amendement est peu opérationnel. Comment détecter les mineures qui risquent une mutilation sexuelle ? Comment déterminer si les mineures qui quittent le pays ne risquent rien ? Comment empêcher la sortie du territoire d’une mineure qui ne détiendrait pas de certificat ? En cas de risque d’excision à l’occasion d’un voyage à l’étranger, la seule protection effective est l’interdiction de sortie du territoire, déjà prévue à l’article 375-5 du code civil. En outre, les crimes ou délits commis à l’étranger sur une mineure résidant en France sont déjà punis par l’article 222-16-2 du code pénal. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1592 de Mme Sonia Krimi.

M. Vincent Thiébaut. Il nous semble important de mener un travail de prévention des violences sexuelles, psychologiques et des mariages forcés auprès des mineurs. Nous proposons d’organiser, une fois par an, des séances de prévention dans les établissements scolaires, ce qui permettra de sensibiliser aussi le corps enseignant et les parents à ces violences.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le ministère de l’éducation nationale a déjà prévu que soit apportée, dans les écoles, une information sur l’ensemble de ces thématiques, qui mérite sans doute d’être renforcée. Ces informations relatives au comportement responsable des jeunes et à la sexualité aident les jeunes à mieux se positionner dans leur rapport au corps et dans leurs relations avec les autres. La convention interministérielle 2019-2024 pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, élaborée à la suite du Grenelle contre les violences faites aux femmes, prévoit également des initiatives pédagogiques pour sensibiliser les jeunes. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de prévoir de telles dispositions dans la loi, qui n’a pas à aller autant dans le détail. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis assez partagée. Je vous présenterai d’abord les mesures que la loi prévoit déjà et qui me permettent de considérer que votre amendement est satisfait.

La loi prévoit depuis longtemps que les élèves bénéficient de trois séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle, mais dans les faits, ces formations n’étaient pas mises en place. Jean-Michel Blanquer et moi-même avons décidé de faire appliquer la loi : depuis l’année scolaire 2018-2019, nous nous assurons donc de l’organisation effective de ces trois séances annuelles, au cours desquelles les sujets dont vous avez parlé peuvent être abordés.

Par ailleurs, à l’approche des vacances d’été, le ministère de l’éducation nationale sensibilise l’ensemble des lycées, par le biais de lettres envoyées aux chefs d’établissement, à la question des mariages forcés, qui se produisent souvent pendant cette période.

Je ne vous dirai pas que tout est parfaitement bien appliqué partout – je pense que ce n’est pas le cas. Il faut améliorer l’information des jeunes et faire en sorte que les établissements scolaires se saisissent véritablement de ces sujets, dont le traitement ne doit pas dépendre du bon vouloir de tel ou tel intervenant. Très honnêtement, je ne suis pas sûre que cela passe par la loi, qui contient déjà de nombreuses dispositions ; il convient plutôt de contrôler son application concrète sur l’ensemble du territoire. Si je considère donc que votre amendement est satisfait, je partage pleinement votre objectif, que nous atteindrons en concentrant l’action publique sur la mise en œuvre des dispositions législatives existantes.

M. Vincent Thiébaut. Cet amendement est intéressant car il permet de dépasser le cadre scolaire en associant non seulement les familles et l’ensemble des personnels de l’éducation nationale, mais également les représentants des collectivités territoriales.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS935 de M. Philippe Benassaya.

M. Philippe Benassaya. Il vise à renforcer la portée de l’article 16 en prévoyant que toute demande, par un étranger, d’un certificat de virginité, pour lui-même ou pour autrui, constitue un rejet manifeste des principes de notre République. L’étranger ayant fait la preuve, par cette demande, de son refus d’adhérer aux principes républicains, il a par la même occasion démontré son incapacité à s’intégrer dans notre vie commune : il ne peut donc rester sur le territoire national, dont il doit être éloigné.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Le défaut d’adhésion aux principes républicains révélé par la demande d’un certificat de virginité pourra être appréhendé dans le cadre du droit de l’étranger à la délivrance d’un titre de séjour. Le refus de délivrance ou de renouvellement de ce dernier justifiera alors l’édiction d’une obligation de quitter le territoire. L’objectif poursuivi par cet amendement me semble donc en partie satisfait par le droit existant. Je demande cependant l’avis du ministre de l’intérieur à ce sujet.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis d’accord avec M. Benassaya : si une personne étrangère est coupable d’un tel comportement et que l’infraction est clairement établie par la justice – peut-être faudra-t-il apporter cette précision dans le texte –, elle n’a rien à faire sur le territoire national et doit être reconduite à la frontière. Je suis donc favorable à cet amendement, à condition qu’il soit bien précisé que la condamnation prononcée doit être définitive. Il restera à déterminer si l’interdiction doit être judiciaire ou administrative. Nous pourrons régler la question en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1695 de Mme Sonia Krimi.

M. Vincent Thiébaut. Le droit français doit condamner pénalement et explicitement la mutilation génitale qui serait faite par un professionnel de santé.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Tous les actes de violence ayant entraîné une mutilation entrent dans le champ de l’incrimination prévue à l’article 222-9 du code pénal, qui les punit de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Cet article s’applique sans aucune considération quant à la profession de l’auteur : ainsi, un professionnel de santé qui pratiquerait une mutilation génitale tombe sous le coup de ce délit. L'amendement est donc satisfait. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1581 de M. Jean-François Eliaou, CS1250 de M. Pierre-Yves Bournazel et CS365 de M. Robin Reda.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CS1581 a été rédigé avec Mme Avia et cosigné par tous les membres du groupe La République en marche. Il vise à interdire le certificat de virginité en France en dissuadant toute personne de chercher à obtenir un tel document et en sanctionnant les « commanditaires », pour reprendre le terme employé par Mme la ministre déléguée.

L’amendement n’a pas été déposé à l’article 16 car il vise à introduire un nouvel article dans le code pénal : « Le fait d’inciter ou de contraindre une personne à solliciter un certificat de virginité par menace, violence, abus d’autorité ou abus de pouvoir, est puni d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Lorsque la personne est mineure, les peines sont portées à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende. » Cet article serait inclus dans une nouvelle section, intitulée « De l’incitation ou de la contrainte à solliciter un certificat de virginité », elle-même située au chapitre V du titre II du livre II du code pénal, intitulé « Des atteintes à la dignité de la personne ».

Le certificat de virginité n’est justifié par aucune indication médicale. Il perpétue certaines habitudes culturelles, porte atteinte à l’intégrité du corps de la femme ainsi qu’au respect de la dignité de la personne humaine, et viole le secret médical.

M. Pierre-Yves Bournazel. L’amendement CS1250 est rédigé différemment de celui de M. Eliaou, mais il traduit la même vision des choses. Nous nous félicitons de l’adoption de l’article 16 visant à sanctionner les professionnels qui établissent des certificats de virginité. Ceux qui font usage dudit document pourront voir leur responsabilité engagée. Néanmoins, nous voulons aller plus loin en appréhendant ceux qui sont à l’origine de la demande de certificat de virginité. Imposer à une femme de produire un certificat de virginité constitue à nos yeux une atteinte à la dignité humaine que nous devons réprimer avec la plus grande sévérité.

Pour ce faire, nous voulons nous aussi introduire un nouvel article dans le code pénal : « Le fait d’exercer des pressions psychologiques ou physiques sur une personne dans le but de la contraindre à faire établir un certificat attestant de sa virginité est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Lorsque lesdites pressions sont exercées à l’encontre d’une personne mineure, l’infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. »

M. Philippe Benassaya. L’amendement CS365 permet de condamner les membres de la famille, proches ou tiers exerçant une pression sur une personne afin qu’elle produise un certificat attestant de sa virginité. Il punit ce délit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Ces trois amendements ont le même objet, mais leurs dispositifs juridiques diffèrent légèrement, de même que le quantum de la peine proposé. Ma préférence va à celui de M. Eliaou ; je demande donc à M. Bournazel et à M. Benassaya de retirer leurs amendements au profit du CS1581.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je me réjouis qu’un consensus semble se dessiner sur la volonté de sanctionner les commanditaires des certificats de virginité. Il importe cependant d’aboutir à une rédaction qui soit la plus solide possible au plan juridique et qui n’ait pas pour effet indirect d’abaisser le niveau de la sanction prévu par le droit en vigueur. Or il subsiste une interrogation sur la viabilité juridique des rédactions proposées. C’est pourquoi, à ce stade, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la commission.

Mme Laetitia Avia, rapporteure thématique. Je salue à mon tour le fait que la sanction des commanditaires de certificats de virginité fasse consensus au sein de la commission.

Pourquoi faut-il privilégier l’amendement CS1581 ? Premièrement, il vise à inscrire la sanction des commanditaires dans le code pénal et non dans le code de la santé publique, comme le proposait M. Falorni. De fait, il ne s’agit pas d’un acte médical ; il s’agit bien d’un délit. Deuxièmement, cet amendement tend à protéger les jeunes femmes qui demanderont un certificat de virginité à un médecin, contrairement à l’amendement défendu par M. Diard, qui aboutissait à les incriminer. En outre, il établit le rapport direct entre la personne qui exerce des pressions et la victime, c’est-à-dire la jeune fille. Enfin, il vise à créer une nouvelle section dans le chapitre V du code pénal, relatif aux atteintes à la dignité de la personne. Cela nous permet de revenir sur cette notion alors que nous avons changé le titre du chapitre III de ce projet de loi.

Mme Perrine Goulet. L’amendement de M. Bournazel me semble plus intéressant que celui de M. Eliaou, dans la mesure où il est plus pertinent de faire référence aux « pressions psychologiques » exercées sur les jeunes filles plutôt qu’à des « menaces, violences, abus d’autorité ou abus de pouvoir ». Par ailleurs, il prévoit une peine plus lourde. Le groupe MoDem votera donc pour l’amendement CS1250.

M. Jean-François Eliaou. Madame Goulet, je regrette votre décision ; la discussion n’est pas terminée. Nous sommes tout à fait disposés à améliorer la rédaction de notre amendement notamment en augmentant le quantum de la peine, comme le suggère d’ailleurs le Gouvernement. La force de cet amendement réside dans le fait qu’il vise à créer dans le code pénal une nouvelle section intitulée : « De l’incitation ou de la contrainte à solliciter un certificat de virginité ». Cet élément, qui marque clairement la volonté du législateur de sanctionner de tels faits, est important au plan politique et symbolique.

Mme Emmanuelle Ménard. Au plan des principes, il est tout à fait louable de vouloir réprimer ceux qui contraignent ou incitent une jeune femme à solliciter un certificat de virginité plutôt que la jeune femme elle-même. Mais, dans les faits, croyez-vous vraiment que celle-ci dénoncera son père, son frère ou son futur mari lorsqu’on lui demandera qui l’a incitée ou contrainte à solliciter ce certificat ? La mesure me paraît difficilement applicable.

M. Éric Diard. Monsieur Eliaou, je comprends que vous défendiez votre amendement mais, si vous estimez qu’il est mal rédigé ou que celui de M. Bournazel est meilleur que le vôtre, retirez-le et déposez-en un nouveau en séance publique, ou votez celui de M. Bournazel.

M. Philippe Vigier. Monsieur Eliaou, la qualité de notre travail législatif doit primer. Sur une telle question, nous devons faire preuve d’intelligence collective. Les trois amendements sont très proches ; si l’un d’eux est meilleur sur tel point, peut-être pourriez-vous vous engager à présenter un amendement qui rassemble l’ensemble des groupes, au-delà du clivage majorité-opposition. Il faut avoir un peu d’élégance dans la vie politique. Faisons en sorte de sortir grandis de ce débat !

La commission adopte l’amendement CS1581.

En conséquence, les amendements CS1250 et CS365 tombent.

La commission examine les amendements identiques CS1691 de Mme Sonia Krimi et CS1707 de Mme Constance Le Grip.

M. Vincent Thiébaut. Face à un enfant victime de violences, les médecins sont souvent face à un dilemme éthique : soit ils signalent ces violences au titre de l’article 226-14 du code pénal et risquent des sanctions disciplinaires et des poursuites pénales, soit ils ne les signalent pas et risquent de faire l’objet de poursuites et de sanctions pénales en application des articles 434-3 et 226-3 du code pénal. Pour mettre un terme à ce dilemme, nous proposons d’introduire à l’article 226-14 du code pénal l’obligation de signaler les suspicions de violences psychologiques, physiques et sexuelles.

Mme Constance Le Grip. Il nous paraît important que le projet de loi traite du drame des mutilations génitales féminines. Ce fléau mondial correspond, sur le territoire de notre République, à une réalité qui ne doit pas être occultée. En effet, le nombre des femmes vivant en France et ayant subi des mutilations génitales, dont l’excision, était évalué, il y a quelques années, à 60 000 par l’Institut national des études démographiques et, en juillet 2019, à 124 355 aux termes d’un rapport publié dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire. Il convient d’aller plus loin que le plan national de lutte contre les mutilations génitales féminines en élaborant des instruments juridiques adéquats. Tel est l’objet de cet amendement.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Ces amendements visent à élargir les dérogations au secret professionnel des médecins pour leur permettre de signaler toutes les violences physiques, sexuelles ou psychologiques sur des mineurs dont ils seraient témoins. Je reconnais le bien-fondé de cette proposition, mais le projet de loi n’a pas pour objet de modifier le périmètre du secret professionnel des médecins. Ces derniers ont la possibilité de faire des signalements lorsqu’ils constatent que leurs patients ont été victimes de telles pratiques, que ce soit en France, où elles sont interdites, ou à l’étranger.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis que la rapporteure, pour les mêmes raisons.

Mme Constance Le Grip. Madame la rapporteure, la loi du 30 juillet 2020, qui vise à protéger les victimes de violences conjugales, a modifié l’article 226-14 du code pénal pour lever en partie le secret médical en cas de violences faites aux femmes. Il nous semble important de préciser explicitement que cette dérogation s’applique également aux cas de mutilations génitales féminines.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. S’agissant de la loi du 30 juillet 2020, je rappelle qu’il nous a été très difficile d’aboutir à une rédaction satisfaisante. En outre, le texte limite la levée partielle du secret médical aux situations dans lesquelles la vie de la victime est exposée à un danger immédiat.

La commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques CS1328 de M. Éric Diard et CS1715 de Mme Constance Le Grip.

M. Éric Diard. Nous proposons de compléter les dispositions de l’article 227-24-1 du code pénal –  lequel punit tout individu qui, par « des promesses, des offres, ou […] des dons, présents ou avantages » voudrait infliger une mutilation sexuelle à un mineur ou inciter autrui à commettre sur un mineur une mutilation sexuelle – en sanctionnant également « les pressions ou contraintes de toute nature » exercées sur un mineur afin qu’il se soumette à une mutilation sexuelle ou sur autrui afin qu’il exerce sur la personne d’un mineur une mutilation sexuelle. Comment comprendre en effet que l’offre « avantageuse » incitant à la pratique sur un mineur d’une mutilation sexuelle soit condamnée, et non l’offre « désavantageuse » consistant dans des menaces ou des pressions ? Il s’agit là d’une incohérence majeure.

Mme Constance Le Grip. Encore une fois, il nous paraît important qu’au-delà de la volonté politique affichée, ce texte comporte des avancées législatives qui permettent de lutter plus vigoureusement contre les pratiques barbares d’un autre âge que sont les mutilations sexuelles féminines. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles n’ont pas leur place dans la République française.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je comprends et je partage votre souci de protéger les mineurs contre les mutilations sexuelles. Toutefois, il me semble préférable de ne pas toucher au quantum actuel de la peine – cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende – qui paraît équilibré.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis que la rapporteure.

La commission rejette ces amendements.

Puis elle examine l’amendement CS162 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Il s’agit de mettre fin aux mutilations sexuelles pratiquées dans le domaine médical en clarifiant le régime d’autorisation des opérations de féminisation aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, telle que la résection du clitoris.

En effet, malgré le principe d’interdiction générale défini à l’article 16-3 du code civil, des professionnels de santé pratiquent, en invoquant des motifs psychosociaux, des actes chirurgicaux mutilants dans les premiers jours ou les premiers mois de la vie de petites filles qui présentent des organes génitaux atypiques. Ces opérations, pratiquées dans le seul but de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations traditionnelles du sexe féminin, portent atteinte à la dignité humaine et singulièrement à celle de la femme en niant son droit à l’autonomie. Ce n’est pas au corps des femmes de se conformer aux normes sociales, mais à la société de changer de regard sur le corps de ces femmes.

C’est pourquoi je propose que ces opérations ne puissent être réalisées qu’à la demande de l’enfant lui-même s’il exprime une souffrance psychologique. La mutilation des organes génitaux féminins ne peut pas être considérée comme un acte barbare lorsqu’on l’appelle excision et comme un acte médical lorsqu’elle est pratiquée dans un cadre hospitalier, en dehors de tout respect du droit.

Ayons le courage d’entendre les avis émis sur le sujet par l’Organisation des nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme ou la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) et le Comité consultatif national d’éthique.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La question a été abordée dans le cadre du projet de loi relatif à la bioéthique, où elle a davantage sa place. Soit les interventions de ce type sont interdites, et doivent être réprimées si elles sont réalisées, soit elles doivent faire l’objet d’une évaluation médicale, souvent pluridisciplinaire, après accord des parents et dans le cadre d’une prise en charge psychologique. Il est difficile de se prononcer sur cette question, qui relève davantage de l’éthique ou de la déontologie que de la loi.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je partage l’attention que vous portez au sort des bébés qui ont subi des opérations dites de conformation sexuée. Dans le cadre de mes précédentes fonctions, j’avais d’ailleurs demandé à la DILCRAH de mener une réflexion sur cette question.

Cependant, celle-ci a été abordée lors de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, qui est toujours en cours. Par ailleurs, votre amendement risque d’alléger les peines d’ores et déjà prévues dans le code pénal. En effet, l’auteur d’une mutilation et le responsable de l’enfant mutilé peuvent être poursuivis pour des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Celles-ci sont punies, aux termes de l’article 222-9 du code pénal, d’une peine de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. L’article 222-10 du code pénal dispose que la peine d’emprisonnement encourue est portée à quinze ans si la mutilation permanente est commise sur un mineur de moins de quinze ans et à vingt ans si l’auteur est un ascendant ou un parent légitime, naturel ou adoptif ou toute autre personne ayant autorité sur le mineur. Quant à l’article 222-8 du code pénal, il dispose qu’elle est portée à trente ans si la mutilation a entraîné la mort sans intention de la donner.

Je suis donc circonspecte. Je partage votre préoccupation, même si l’on peut s’interroger sur le lien direct de cette question avec l’objet du projet de loi, mais votre amendement allégerait les peines prévues. Avis défavorable, donc.

M. Xavier Breton. Nous avons eu l’occasion de débattre, sur le fond, de cette question délicate et sensible dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique. Je suis plutôt favorable à l’amendement. Sur la forme, il me paraît très éloigné de l’objet du projet de loi, qui est de lutter contre les idéologies séparatistes et l’entrisme communautariste. Je m’étonne du reste que, contrairement à plusieurs centaines d’amendements, celui-ci ait échappé au couperet de l’article 45.

M. Pacôme Rupin. Il s’agit d’un amendement important, même si l’on peut se demander s’il a sa place dans ce projet de loi. Les interventions de ce type pratiquées à la naissance d’un enfant sont encore trop nombreuses. Beaucoup de pays européens ont une certaine avance sur nous en la matière. Je remercie donc notre collègue de mettre à nouveau le sujet sur la table, car il est urgent d’agir et d’envoyer un message très fort aux praticiens pour que cessent ces opérations.

M. Raphaël Gérard. Il ne faut pas mélanger les deux questions. L’article 21 bis du projet de loi bioéthique a pour objet de rappeler le cadre des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), d’obliger les médecins à informer les parents de l’accompagnement psychologique des enfants et de les soumettre à l’autorité d’une RCP nationale, seule compétente pour évaluer la nécessité médicale d’une intervention. L’amendement, quant à lui, tend à préciser que celle-ci doit être expressément choisie par l’enfant lui-même. Certes, les peines actuellement prévues sont plus élevées, mais des médecins ont déclaré encore le week-end dernier dans la presse que, tant que ces opérations n’étaient pas formellement interdites par le législateur, ils continueraient à y procéder. Ils s’abritent pour cela derrière la nécessité médicale, après avoir organisé des RCP au sein d’un seul service, qui défendent donc un point de vue unique. Encore une fois, en Afrique, l’ablation du clitoris, cela s’appelle une excision. Rappelons les principes républicains de respect du corps humain !

La commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS1687 de Mme Sonia Krimi.

M. Vincent Thiébaut. Lorsqu’un médecin ou une sage-femme constate à l’occasion d’un examen médical qu’une femme enceinte a subi une mutilation de nature sexuelle, ils doivent pouvoir remettre à celle-ci une charte de protection de l’intégrité génitale de la femme, qui présentera le droit applicable en matière de protection du corps humain, notamment l’interdiction de toute forme de mutilation prévue par le code pénal, ainsi que les risques sanitaires encourus à l’occasion d’une mutilation génitale.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les médecins ont déjà un devoir d’information, dont les modalités d’application relèvent moins de la loi que du pouvoir réglementaire, voire de la responsabilité des professionnels de santé.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis que la rapporteure.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CS1066 de M. Éric Coquerel et CS1438 de Mme Marie-George Buffet.

M. Éric Coquerel. Je regrette que l’étude d’impact du projet de loi ne contienne pas davantage d’informations sur l’ampleur de la pratique condamnable des certificats de virginité, les modalités de leur délivrance ainsi que sur les auteurs des demandes et leurs raisons. Aussi proposons-nous que, dans un délai de trois mois, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur cette question, afin que nous soyons au moins informés a posteriori.

Mme Marie-George Buffet. Il importe en effet que, sur les dérives très graves que sont les mariages forcés, les certificats de virginité, la polygamie ou les certificats médicaux de complaisance concernant des pratiques sportives – ces derniers font l’objet d’un amendement que nous examinerons ultérieurement –, nous disposions de données scientifiques qui nous permettent de prendre la mesure de ces phénomènes et d’alerter l’opinion sur leur réalité.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il serait certes intéressant de disposer d’un diagnostic en la matière, mais on sait que ces données sont difficiles à établir, et je crains qu’elles ne le soient davantage encore une fois que ces pratiques seront interdites. Avis défavorable.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je comprends votre proposition, mais il ne me paraît pas très cohérent de demander au Gouvernement de remettre au Parlement, après la promulgation de la loi, un rapport sur l’ampleur du phénomène des certificats de virginité dont le texte vise précisément à interdire la délivrance. Je doute que les médecins qui enfreindront la loi le reconnaissent dans un questionnaire que leur adresserait le Gouvernement. Avis défavorable.

Mme Marie-George Buffet. S’agissant, par exemple, de la délivrance de certificats de complaisance destinés à justifier l’absence aux cours de natation, l’éducation nationale doit pouvoir nous fournir quelques éléments statistiques de nature à nous éclairer sur l’ampleur du phénomène.

M. Charles de Courson. Il serait éventuellement plus intéressant que le Gouvernement étudie, dans l’année suivant l’application de la loi, le phénomène de substitution, c’est-à-dire le fait de se faire délivrer un certificat de virginité à l’étranger.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Madame Buffet, il me semble que l’amendement porte sur la délivrance de certificats de virginité et non sur celle de certificats d’allergie au chlore…

Mme Marie-George Buffet. Je faisais allusion à un amendement que nous allons bientôt examiner.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS444 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Lors de son audition, la Défenseure des droits a indiqué que la lutte contre les demandes de tests de virginité devait s’appuyer sur une véritable pédagogie nationale, tant à l’égard de la population que des personnels de santé. Aussi paraît-il souhaitable de dresser un état des lieux des dispositifs de sensibilisation et de formation existant dans ce domaine afin d’élaborer une stratégie nationale de formation et d’information sur ces agressions contre la dignité de la femme.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Défavorable. Encore une fois, le projet de loi vise à interdire la délivrance des certificats de virginité.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1441 de Mme Marie-George Buffet.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La question des certificats dits de complaisance a été abordée avec les médecins que nous avons auditionnés. Ces derniers ont souligné que la délivrance d’un certificat médical relevait de leur responsabilité. S’agissant de l’allergie au chlore, elle peut être réelle ou non, mais ils ont évoqué également des problèmes liés à l’image que certains jeunes ont de leur corps ou des troubles psychologiques. Il est vrai que les certificats d’allergie au chlore sont fréquents, parfois au sein d’un même établissement. S’ils sont particulièrement nombreux et toujours libellés de la même façon, l’établissement peut éventuellement adresser un signalement au Conseil de l’ordre des médecins.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous avons besoin d’une enquête de prévalence sur la délivrance des certificats d’allergie au chlore, car beaucoup d’enseignants, notamment Iannis Roder, membre du conseil des sages de la laïcité, ont indiqué avoir constaté qu’à l’adolescence, de nombreuses jeunes filles devenaient allergiques à cet élément chimique… Néanmoins, il n’est pas permis de délivrer des certificats de complaisance ; des contrôles sont effectués. En tout état de cause, je ne crois pas qu’un rapport du Gouvernement soit la bonne solution. Je vous propose donc de retirer l’amendement, en prenant l’engagement de solliciter mes collègues, le ministre des solidarités et de la santé et celui de l’éducation nationale, pour qu’au niveau interministériel, une enquête de prévalence soit menée sur cette question.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1692 de Mme Sonia Krimi et CS1714 de Mme Constance Le Grip.

M. Vincent Thiébaut. L’amendement CS1692 tend à permettre une connaissance plus fine de l’activité judiciaire en matière de mutilations sexuelles, pour combler une lacune soulignée notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Mme Constance Le Grip. J’ai demandé précédemment la parole pour m’exprimer à propos d’amendements relatifs au même sujet, mais vous ne m’avez pas vue, monsieur le président… Je regrette qu’aucun des amendements tendant à faire part dans le texte de notre vive préoccupation devant la recrudescence des mutilations génitales féminines n’ait été adopté. Nous réessayerons. Je rappelle que plusieurs amendements émanant des différents groupes sont issus des travaux menés par notre ancienne collègue Valérie Boyer, désormais sénatrice, résolument engagée depuis très longtemps pour les droits des femmes et contre ces mutilations.

Mon amendement tend lui aussi à demander un rapport chiffré établissant un état des lieux. Vous connaissez très bien le sujet, madame la ministre ; nous attendons donc avec intérêt un bilan de l’application de votre plan national d’action visant à éradiquer les mutilations sexuelles féminines.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette les amendements.

Elle aborde ensuite l’amendement CS813 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Les violences faites aux femmes peuvent aussi survenir au moment de la maternité ou lors de rendez-vous médicaux. Parmi elles, le fameux « point du mari », pratiqué sur la mère après un accouchement pour l’épanouissement sexuel de son mari, est particulièrement choquant. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a émis en 2018 bon nombre de recommandations à ce sujet, dont l’adaptation du code de déontologie médicale. Celui-ci est d’ordre réglementaire : comme législateur, nous ne pouvons pas y toucher. Même si je sais que vous n’aimez pas les demandes de rapport, madame la ministre, je ne vois donc pas d’autre moyen de faire le point avec le Gouvernement sur l’article 7 de ce code : permet-il vraiment de lutter contre ces mutilations sexuelles aux conséquences très importantes pour les femmes ? Il devrait obliger le médecin à agir dans le respect de ce que demande la femme, et non en pensant à sa place.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. C’est en effet par le biais du code de déontologie qu’il faut aborder ce problème. Si le médecin ne respecte pas le souhait de la patiente – et non celui du mari, car c’est à elle de donner son
accord –, la pratique est répréhensible. Je doute qu’un rapport fasse avancer les choses, malheureusement.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je suis entièrement d’accord avec Mme Goulet – j’ajoute que, d’après les témoignages, le « point du mari » ne répond souvent même pas à une demande du mari, mais résulte d’une initiative personnelle du médecin.

Toutefois, sans minimiser le moins du monde la gravité de l’acte – vous savez combien je suis impliquée dans la lutte contre les violences gynécologiques et obstétricales –, je ne peux prendre d’engagement à ce sujet dans le cadre du présent projet de loi, d’autant que la question ne relève plus de mes attributions directes. S’agissant notamment de la mise en œuvre du rapport sur ces violences que j’avais commandé au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, il faudrait interroger le ministère des solidarités et de la santé. Je ne me défausse pas, je ferai l’intermédiaire avec plaisir, mais je n’ai pas autorité sur l’administration compétente.

Il en va de même du bilan du plan excision, que j’ai lancé dans le cadre de mes précédentes fonctions mais à propos duquel je ne peux désormais rendre compte que de ce qui est fait en matière de dépôt de plainte, de suivi, d’accompagnement et d’interventions de la police et de la gendarmerie, notamment concernant les femmes migrantes et étrangères.

Demande de retrait.

La commission rejette l’amendement.

Article 17 : Renforcement de la lutte contre les mariages forcés ou frauduleux

La commission aborde l’amendement CS1102 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Le mariage forcé – un problème important – est déjà proscrit par la loi puisque celle-ci dispose que le consentement des futurs époux est libre et sincère. Il n’en est pas moins fréquent. Il est donc nécessaire d’agir.

Nous proposons par conséquent de compléter l’article à des fins de prévention, en permettant à l’officier d’état civil de s’entretenir séparément avec chacun des futurs époux pour leur rappeler ce qu’est un mariage forcé et les possibilités de l’annuler.

Le mariage forcé est une double peine : il est le début d’une vie de recluse – au féminin, car dans la quasi-totalité des cas ce sont les femmes qui le
subissent –, mais aussi une source de violences conjugales.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’entretien individuel prévu par le texte, comme l’entretien commun, a précisément pour but de détecter une absence de consentement et de donner des informations sur les notions de consentement et de nullité du mariage. Les pièces du dossier, les doutes qui subsistent, les éventuels signalements contribuent à alerter l’officier d’état civil sur les risques encourus. L’amendement est donc satisfait.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. Éric Coquerel. Nous proposons de mieux encadrer les entretiens et de les rendre plus précis : ils serviraient à rappeler les articles du code civil relatifs au consentement et à la possibilité d’annulation du mariage. Nous défendrons un autre amendement concernant les alertes aux associations.

Mme Annie Genevard. Si je comprends bien, l’officier d’état civil peut actuellement demander un entretien préalable séparé, mais le projet de loi lui imposera désormais de le faire. Personnellement, j’ai toujours pratiqué des entretiens séparés, mais je vous prie de croire qu’il n’est pas facile de débusquer un mariage de complaisance et que, lorsqu’on est quasiment sûr d’en constater un, c’est un véritable parcours du combattant qui attend l’officier d’état civil auprès du procureur. J’ai en tête l’exemple d’une jeune fille mineure, déficiente mentale, soumise à un mariage manifestement de complaisance ; j’ai eu toutes les peines du monde à l’empêcher !

La disposition prévue ne suffira donc pas. Il faut agir bien plus fermement en prévoyant des pénalités beaucoup plus lourdes.

M. François Pupponi. Je confirme. La plupart du temps, quand le maire téléphone au procureur pour lui faire part de ses doutes, le procureur répond : « Mariez-les, on verra après ! » Et l’on n’a jamais plus de nouvelles, parce que le parquet a autre chose à faire que de vérifier. L’officier d’état civil procède donc au mariage parce que le procureur le lui ordonne. Il faudrait qu’il prenne la responsabilité de ne pas le faire, mais il est compliqué de passer outre ! Les élus locaux, officiers d’état civil, devraient avoir cette latitude.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes bien conscients de ces difficultés : les témoignages d’élus locaux dont nous disposons concordent avec les vôtres. La loi est donc fondamentale, notamment parce qu’elle permet aux élus de s’organiser et de se former. Toutefois, les dispositions prévues n’étant pas suffisantes, à la suite de nos entretiens avec l’AMF, Gérald Darmanin et moi-même avons décidé de travailler à des documents d’information et à d’autres moyens d’action publique qui ne figurent pas dans la loi. Ils permettront de mieux informer les officiers d’état civil, mais aussi – avec le Garde des sceaux – les procureurs, notamment du caractère urgent de leur intervention. On comprend que la mairie soit démunie quand elle ne reçoit pas de réponse cohérente et rapide à ses alertes.

La commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement CS1270 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Pierre-Yves Bournazel. Nous soutenons l’action du Gouvernement contre les mariages blancs ou forcés, mais nous voulons lutter contre les dénonciations anonymes, qui, même circonstanciées, ne devraient pas être prises en considération par l’officier d’état civil parmi les éléments extérieurs pouvant nourrir ses soupçons. Ce n’est pas notre vision du vivre ensemble en société.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Il ne me semble pas possible, aux termes du texte, que l’officier d’état civil tienne compte d’éléments circonstanciés qui seraient d’origine anonyme : un signalement doit être nominatif pour être pris en considération.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. Éric Coquerel. Je soutiens l’amendement. Vous estimez qu’un élément anonyme n’est pas recevable, madame la rapporteure, mais le texte ne le dit pas ; il est donc bon de le préciser.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Si nous avons prévu la possibilité de tenir compte de signalements, c’est essentiellement pour répondre à la demande d’associations et d’organisations non gouvernementales qui suivent les jeunes filles et ne savent pas toujours comment alerter, ni si l’alerte sera prise en considération.

Quant à l’anonymat, je voudrais apporter une nuance : il existe différents types de signalements anonymes. Tout dépend du mode de signalement, de son contenu. Imaginons qu’il émane du petit frère ou de la petite sœur de la jeune fille, qui ne communique pas son identité de peur d’avoir des ennuis. La question doit donc être laissée à l’appréciation de la collectivité, de l’officier d’état civil puis de la justice. Ne détaillons pas la loi à ce point.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je le répète, nous sommes attachés à l’article 17, mais nous voulons aller plus loin. N’autorisons pas la délation ; il y va de notre vision de la société. Vous donnez un exemple convaincant, madame la ministre, mais il existe beaucoup de contre-exemples où le signalement résulte d’un désir de vengeance ou d’une autre raison de vouloir empêcher le mariage.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient aux amendements identiques CS1025 de Mme Brigitte Kuster et CS1374 de Mme Constance Le Grip.

M. Julien Ravier. Pour mieux armer des maires parfois démunis face aux mariages forcés, l’amendement de Mme Kuster tend à permettre à l’édile de désigner un adjoint officier d’état civil qui sera référent en matière de détection de ces unions et à ajouter les mariages frauduleux à la liste des infractions dont la suspicion donne lieu à une saisine du procureur de la République par l’officier d’état civil. Je confirme d’expérience le témoignage de M. Pupponi sur la difficulté à être pris au sérieux par le procureur en pareil cas.

M. le président François de Rugy. Peut-on considérer que l’amendement CS1374 est défendu ?

Mme Constance Le Grip. Non, monsieur le président, je souhaite le défendre.

M. le président François de Rugy. À la mi-journée, nous sommes convenus avec les représentants de tous les groupes que, pour que pouvoir débattre vraiment de certains sujets, il nous fallait nous abstenir par ailleurs de défendre longuement tous les amendements, surtout quand ils sont identiques, à plus forte raison quand ils sont issus du même groupe ! C’est du bon sens, et l’enjeu est le bon déroulement et la clarté de nos débats. Tout à l’heure, madame Le Grip, vous avez pris deux minutes pour défendre un amendement identique à celui d’un membre de votre groupe !

Mme Constance Le Grip. Dont acte, monsieur le président ; mais je ne crois pas avoir abusé de mon temps de parole depuis le début de nos travaux.

Je soutiens l’article 17, car il faut mieux lutter contre les mariages forcés. Mon amendement tend à améliorer de la même manière la lutte contre les mariages frauduleux, dits gris, contractés en vue d’obtenir la nationalité française.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. En ce qui concerne la désignation d’un adjoint référent, on nous demande souvent de laisser les maires s’organiser en toute autonomie. Dans les faits, et selon la taille du conseil municipal, certains adjoints expérimentés choisissent souvent de s’occuper des entretiens ; laissons-leur ce choix.

En ce qui concerne les mariages frauduleux, ils sont couverts par le texte lorsque celui-ci cite l’article 146 du code civil : les mariages forcés ne sont pas seuls visés.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

Mme Annie Genevard. Madame la ministre, votre précédente proposition de solution est absolument inefficace : le problème n’est pas le manque d’information des élus, qui sont parfaitement au courant des procédures, mais l’absence d’outils juridiques à leur disposition.

Voici un exemple. On signale au procureur un soupçon de mariage frauduleux, parce que l’un des futurs époux est en situation irrégulière et que le mariage pourrait servir à régulariser cette situation. Il ne faut pas être grand devin, ni spécialiste, pour comprendre ce genre de chose… Et le procureur répond : « Madame le maire, ce n’est pas une raison pour empêcher le mariage ! »

J’ai vu des situations invraisemblables. Une femme de 75 ans, habitante de ma commune, voulait épouser un jeune Tunisien de 25 ans. J’ai appelé le consulat de France à Tunis ; voici ce que m’a répondu le consul : « Madame la députée, c’est à vous de changer la loi » – et de m’expliquer que 75 % des mariages unissant un Tunisien et une Française débouchent dans les deux ans sur une séparation, suivie d’un remariage, une fois le titre de séjour obtenu, avec une femme que l’on fait venir de Tunisie. C’est la réalité ! Il faut absolument s’y opposer avec lucidité.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je me suis mal fait comprendre si vous avez entendu que je n’incriminais que le manque de formation des élus. Il me semble au contraire avoir souligné que – comme vous l’avez dit, ainsi que M. Pupponi et plusieurs membres du bureau de l’AMF que Gérald Darmanin et moi-même avons auditionnés – les élus, même convaincus, peuvent ne pas être suivis et, en particulier, ne pas recevoir de réponse du procureur.

Je tiens par ailleurs à dire qu’il y a aussi des mariages entre des Françaises et des Tunisiens qui se passent très bien, dans la joie et la bonne humeur !

Mme Annie Genevard. Interrogez donc les Tunisiens !

La commission rejette ces amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS445 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Nous souhaitons la création d’une trame commune pour les entretiens individuels effectués par les élus préalablement au mariage. Une élue que nous avons auditionnée a fait état des disparités en la matière, qui conduisent les futurs époux à aller de commune en commune jusqu’à trouver la personne qui voudra bien les marier. Elle nous a également parlé des difficultés des nouveaux élus à se former.

Nous proposons donc la création d’un document unique qui permettra aux petites communes, moins sollicitées pour des mariages, d’appliquer les mêmes exigences que les grandes.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’instruction générale prescrit non l’établissement d’un procès-verbal mais la rédaction d’un compte rendu d’entretien mettant en avant des éléments de réponse significatifs et qui servira de base à la communication au procureur de la République. Ce document doit être signé par les deux participants à l’entretien ; un éventuel refus de signer est mentionné.

Il ne s’agit certes pas d’une trame commune, mais cette dernière est plutôt de nature réglementaire. Les maires peuvent par exemple, à l’issue d’une formation, mettre des outils en commun. En Seine-Saint-Denis, un guide pratique fournit une aide à la réalisation de l’entretien. Tout cela ne relève pas de la loi.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. le président François de Rugy. Il me semble en effet de bon sens que les documents servant de support à l’entretien ne soient pas du domaine législatif.

M. Philippe Vigier. L’amendement avait l’intérêt de permettre la création d’un petit questionnaire qu’il n’y aurait plus eu qu’à faire remplir, parapher et envoyer. Tout le monde n’a pas les mêmes possibilités d’organisation ni les mêmes moyens. Ma longue expérience de célébration de mariages me pousse à penser que c’est une bonne idée.

Mme Perrine Goulet. Madame la rapporteure, je ne parle pas d’un document à faire remplir par les futurs mariés. L’adjointe que nous avons auditionnée ensemble nous a bien expliqué que le traitement des dossiers n’était pas le même d’une commune à l’autre. Je ne dis pas qu’il faut faire figurer le document unique dans la loi, simplement qu’il convient d’y préciser que les entretiens individuels se fondent sur un tel document. Des dispositions équivalentes apparaissent par exemple dans le code de l’action sociale et des familles à propos de référentiels. Pourquoi pas ici ?

La commission rejette l’amendement.

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*     *

10.   Réunion du jeudi 21 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 17 à après l’article 20)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10202210_6009da88b23e6.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-21-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi.

Article 17 : Renforcement de la lutte contre les mariages forcés ou frauduleux (suite)

La commission est saisie de l’amendement CS1258 de Mme Monica Michel.

Mme Monica Michel. Si l’entretien individuel avec chacun des futurs époux n’a pas permis à l’officier de l’état civil d’établir que le consentement est libre, celui-ci ne doit pas limiter son action à saisir le procureur de la République. Nous proposons de lui faire également obligation d’orienter la personne vers une information et une prise en charge adaptées.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure pour le chapitre III du titre Ier. Les modalités de l’entretien sont du niveau réglementaire, pas du domaine de la loi. Par ailleurs, les officiers d’état civil remettent déjà aux personnes qu’ils reçoivent des documents préparés par les associations.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1575 de Mme Laurence Gayte.

Mme Laurence Gayte. Il s’agit d’imposer l’établissement par les officiers d’état civil de procès-verbaux précis, reprenant mot à mot les échanges lors des entretiens individuels convoqués en cas doute sur le consentement. L’objectif est de prévenir les mariages forcés, blancs ou précoces en s’appuyant sur ce procès-verbal juridiquement reconnu.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. L’instruction générale du 11 mai 1999 relative à l’état civil prescrit une trame d’entretien, lequel doit faire apparaître les noms de l’officier d’état civil et des époux, les questions posées et les réponses données, les signatures des époux ou la mention du refus de signer. C’est ce document qui est adressé au procureur de la République en cas de recours. Ce n’est pas une retranscription mot à mot, mais un recueil des éléments significatifs de l’entretien, qui permet de confirmer ou d’infirmer les doutes.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS815 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Lorsque les futurs époux résident à l’étranger, je propose qu’il ne soit pas possible de mener des auditions communes dans les consulats, mais uniquement des auditions séparées.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La procédure doit être la même sur le territoire français et dans les consulats : un entretien commun, éventuellement suivi d’un entretien individuel. Lorsque l’entretien est réalisé entre la France et l’étranger, le consulat assure l’entretien de manière simultanée ou décalée, en fonction des disponibilités des personnes.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1547 de Mme Laurence Gayte.

Mme Laurence Gayte. Je propose de supprimer la possibilité de déroger pour « motifs graves » à l’interdiction de mariage des mineurs, le motif le plus fréquemment invoqué étant la grossesse de la future épouse. Il est inadmissible, de nos jours, de considérer qu’une femme n’est pas digne de vivre en société parce qu’elle a des enfants hors du mariage. Outre que lier une obligation de mariage à une grossesse relève de principes archaïques, interdire toute dérogation au mariage des mineurs permettrait de mieux les protéger contre les mariages forcés.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Lorsque le procureur, qui est destinataire de la demande de dérogation, conduit son enquête familiale, il recherche les solutions les plus adaptées à l’avis des parents. Il n’est pas pertinent de lui supprimer cette capacité d’appréciation du motif grave.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Rien à ajouter à l’avis très détaillé de la rapporteure, même avis.

Mme Laurence Gayte. Il faut vraiment réétudier la question. Chaque année, 400 autorisations de mariage de mineurs sont délivrées pour cause de grossesse. Ça ne devrait plus être possible de nos jours, en France ! Nous ne protégeons pas assez les mineurs.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1256 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Nous proposons d’exclure la virginité des époux du champ des qualités essentielles justifiant une annulation du mariage au sens de l’article 180 du code civil. Une jurisprudence existe à ce sujet, nous proposons de l’inscrire dans la loi pour la stabiliser.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure thématique. Avis défavorable. La loi a vocation à édicter les principes généraux, pas à dresser une liste des qualités qui seraient déterminantes pour un couple mais contraires aux valeurs de la République. C’est au juge qu’il revient de définir les qualités essentielles. La décision du tribunal judiciaire de Lille que vous citez dans votre exposé sommaire est isolée et a été infirmée par la cour d’appel.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Même avis.

M. Boris Vallaud. Vous considérez donc qu’il y a des circonstances dans lesquelles l’absence de virginité est un motif d’annulation du mariage. Cela ne vous paraît pas contradictoire avec les propos que nous tenons depuis le début de l’après-midi ?

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’article 17, sans modification.

Après l’article 17

La commission examine l’amendement CS819 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Les mariages forcés sont souvent utilisés comme un moyen d’obtenir la nationalité française. Il y a de grosses différences entre les procédures de naturalisation et celles d’obtention de la nationalité par mariage. Pour limiter les mariages forcés, il faut durcir les conditions de cette dernière. Il est donc proposé de calquer la procédure d’obtention de la nationalité par mariage sur celle de la naturalisation.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je partage votre souci de ne pas accorder la nationalité française à des citoyens étrangers hostiles aux principes de la République. Toutefois, la nationalité française à raison du mariage n’est obtenue que si plusieurs conditions sont réunies.

Il faut avoir été marié depuis au moins quatre ans et que la communauté de vie affective et matérielle n’ait pas cessé entre les époux. Ce délai peut être prolongé d’une année si la communauté de vie n’a pas été complète. Le candidat doit avoir une bonne connaissance de la langue française. Il ne doit pas avoir fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou d’une interdiction du territoire français toujours en vigueur, et ne doit pas avoir de condamnation pénale. Ces conditions supposent déjà une certaine connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises.

En outre, conformément à l’article 21-28 du code civil, la charte des droits et devoirs du citoyen français est remise aux personnes ayant acquis la nationalité française, lors de la cérémonie d’accueil, créée en 2006.

Votre amendement est donc partiellement satisfait et je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller plus loin.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La réponse de la rapporteure est très complète. Le parcours pour accéder à la nationalité française est long et satisfait certains des critères mentionnés dans l’amendement. Avis défavorable.

Mme Perrine Goulet. Mon amendement n’est en effet que partiellement satisfait, puisqu’il n’est pas nécessaire de démontrer son insertion dans la société française. Selon moi, c’est un manque. Qui plus est, les deux procédures ne sont pas aussi exigeantes, l’une se déroulant devant le tribunal, l’autre consistant en une régularisation au niveau préfectoral. Si nous voulons vraiment agir contre les mariages forcés, c’est un sujet à examiner.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS1242 de Mme Anne-Christine Lang.

Elle examine l’amendement CS1548 de Mme Laurence Gayte.

Mme Laurence Gayte. Il s’agit d’ajouter un module de sensibilisation aux mariages forcés, blancs ou précoces et à la lutte contre les pratiques coutumières dégradantes au programme des séances d’éducation sexuelle et affective.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Je partage votre souhait de lutter contre les mariages forcés et les pratiques coutumières dégradantes, mais il ne relève pas de la loi de définir en détail le contenu des modules de l’information et de l’éducation à la sexualité prévue à l’article L. 312-16 du code de l’éducation. Il faut avant tout qu’elle soit effectivement assurée ; elle l’est souvent par des associations, mais pas partout et pas encore suffisamment.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La loi me semble très complète sur ce point ; c’est son application partout sur le territoire qu’il faut améliorer. Je ne pense pas que l’inscription dans la loi de cette mention fasse avancer les choses, mais vous pouvez travailler avec le ministre de l’éducation nationale à sa mise en œuvre.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1458 de Mme Constance Le Grip.

Mme Constance Le Grip. Nous souhaitons que les maires puissent désigner parmi leurs adjoints un ou plusieurs référents chargés de la détection en matière de mariage, pour développer une expertise et la mutualiser entre les membres du conseil municipal appelés à célébrer des mariages.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. Les maires doivent rester libres d’organiser le fonctionnement de leur municipalité. Ce type d’entretien est difficile ; pour le mener, il faut avoir une sensibilité particulière et une formation complémentaire.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Il importe de respecter le principe d’autonomie des collectivités, notamment le choix des délégations. Avis défavorable.

Mme Constance Le Grip. J’entends que le principe du référent sur les mariages forcés est vu comme une bonne idée. Je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1173 de Mme Constance Le Grip et CS1559 de Mme Laurence Gayte.

Mme Constance Le Grip. Le dispositif présenté par le Gouvernement dans cet article 17 me semble intéressant. À travers l’amendement CS1173, je souhaite que l’on insiste sur la formation des élus à la détection des mariages forcés.

Mme Laurence Gayte. Le CS1559 vise la dispensation de formations spécifiques aux agents de l’état civil, afin de détecter les mariages forcés, blancs ou précoces.

Mme Nicole Dubré-Chirat, rapporteure. La formation des élus nous tient à cœur. Ces éléments sont déjà compris dans leur formation initiale, et l’Association des maires de France (AMF) et le centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) vont proposer des formations plus spécifiques. On peut envisager la même chose pour les employés municipaux des services d’état civil qui récupèrent les documents.

Même si ces dispositions ne sont pas de nature législative, c’est une démarche que nous soutenons tous.

Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Ce n’est pas à la loi de prévoir cette formation, mais je partage l’objectif. Avec le ministre de l’intérieur et l’AMF, nous avons cherché comment l’État pouvait participer, à travers la production de documents ou la mise à disposition de référents au sein de l’administration. C’est tout un travail d’action publique à conduire, plutôt que législatif. Avis défavorable.

Mme Constance Le Grip. Je prends acte avec satisfaction des déclarations de la ministre. Puisqu’il est établi que la formation doit comprendre un volet sur la détection des mariages forcés, je retire mon amendement.

Les amendements sont retirés.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS1172 de Mme Constance Le Grip.

Chapitre IV
Dispositions relatives à la lutte contre les discours de haine
et les contenus illicites en ligne

Article 18 : Sanction de la divulgation d’informations permettant d’identifier ou de localiser une personne dans le but de l’exposer à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens

La commission examine les amendements de suppression CS958 de M. Charles de Courson, CS1308 de M. Stéphane Peu et CS1440 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Charles de Courson. Ceux qui ont suivi le texte sur la sécurité globale se souviennent sans doute de son article 24. Nous ne fûmes que 104 à voter contre ce texte, mais l’écho fut tel dans l’opinion publique que le Gouvernement l’a enterré.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Pas du tout !

M. Charles de Courson. Bon courage si vous essayez de le ressortir !

Exit, donc, l’article 24 ; on nous présente cet article 18. Avant de créer un nouveau délit, il faut se demander si le droit existant ne permet pas déjà de réprimer les comportements visés. Or, selon ce que nous ont indiqué les barreaux de Paris et de province, pour sanctionner des personnes ayant diffusé des informations qui ont pu nuire à d’autres, il y a ce qu’il faut dans le code pénal.

Ce nouvel article nous est présenté, semble-t-il, pour pacifier les syndicats de policiers. Il est inutile et dangereux, et son champ est encore plus vaste que l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale. Nous gagnerions beaucoup de temps en votant les amendements de suppression et en passant à autre chose.

Mme Elsa Faucillon. La primauté des libertés fondamentales est en jeu avec cet article, comme ce fut le cas avec l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale. Notre peuple est attaché à ses libertés fondamentales, car il sait à quel prix elles ont été acquises.

Outre que l’arsenal législatif pour sanctionner les comportements incriminés existe déjà, la rédaction de cet article est très floue – les termes « informations » ou « intégrité psychique » sont trop ouverts à interprétation. Et le fait que la divulgation d’informations soit suivie ou non d’effets semble peu compter.

Nous aimerions comprendre ce qui vous pousse à insister de la sorte, alors qu’en manifestant son effroi devant l’assassinat de Samuel Paty, le peuple faisait entendre dans le même temps son attachement aux libertés fondamentales.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 18 tend à créer un nouveau délit de mise en danger de la vie d’autrui par la diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne qui permettraient de l’identifier ou de la localiser. On pense immédiatement à Samuel Paty et à la jeune Mila, mais aussi aux nombreux policiers épinglés sur des sites aussi écœurants que CopWatch.

Pour ma part, je n’étais pas opposée au but poursuivi par l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale ; je l’étais au fait que cette disposition se rattachait à la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Le nouveau délit prévu par le texte que nous examinons ne serait pas inscrit dans cette loi. En revanche, il existe déjà des délits très similaires. Le droit actuel comportant de nombreuses mesures permettant de punir une telle incitation à des crimes ou à des délits, l’article 18 du projet de loi ne me semble pas nécessaire. En outre, cet article fait référence à ces notions trop floues, comme l’intégrité psychique. Il serait préférable de tout faire pour appliquer réellement le droit existant.

S’agissant de la jeune Mila, je pense que nous serons tous d’accord pour trouver scandaleux qu’elle soit forcée de se cacher alors qu’elle n’a fait, elle, qu’user de sa liberté d’expression, tandis que la plupart de ceux qui la menacent encore continuent à vivre tranquillement.

Mme Laetitia Avia, rapporteure pour le chapitre IV du titre Ier. Il n’est pas question ici de l’article 24 d’une quelconque proposition de loi, mais de l’article 18 de ce projet de loi qui renforcera nos principes républicains.

Je vous invite vraiment à garder en tête l’objectif, réel, assumé et sincère : il s’agit de pouvoir protéger ceux à qui des personnes malveillantes mettent des cibles dans le dos, intentionnellement. Oui, c’est un délit conçu après le terrible assassinat terroriste de Samuel Paty, car nous avons des trous dans notre raquette juridique. Monsieur de Courson, nous avons bien participé aux mêmes auditions, pourtant je n’ai pas entendu parler de dispositions inutiles, peut-être d’éventuels frottements sur lesquels il faut travailler.

Il y a la jeune Mila, de jeunes LGBT ou des jeunes filles subissant ce qu’on appelle des pratiques de doxing : on révèle des informations les concernant, leur orientation sexuelle, des éléments un peu intimes et l’endroit où on peut les trouver. Ces jeunes filles doivent changer de lycée ou de collège parce qu’on fait de leur vie un enfer. Il y a aussi la décision qui a été rendue récemment dans l’affaire Zineb el Rhazoui : on a considéré qu’à partir du moment où il n’y avait pas eu de conséquences, le droit actuel ne permettait pas de réprimer la divulgation d’informations personnelles. Le risque d’atteintes à la personne, de mise en danger, n’est pas suffisamment appréhendé dans notre droit. C’est sur ce sujet que nous voulons travailler grâce à l’article 18.

Les libertés fondamentales, nous y sommes toutes et tous attachés, et il faut les protéger. Mais soyons très clairs, mettre en danger les gens n’est pas une liberté fondamentale. On doit travailler, bien sûr, sur certains éléments de cet article. C’est notre travail de parlementaires : nous amendons, nous peaufinons, nous affinons les textes mais on ne doit pas supprimer une disposition aussi importante. Avis défavorable aux amendements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. On ne peut pas se payer de mots. Les hommes qui ont créé la bulle mortifère qui a conduit à l’assassinat de Samuel Paty ne faisaient pas usage d’une liberté fondamentale. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Ils ont désigné à la vindicte un homme, qui en est mort. On peut galvauder le mot de liberté, mais ce n’est pas forcément utile.

Nous sommes tous, ici, très attachés aux libertés fondamentales. S’agissant de la rédaction de l’article 18 – que certains veulent absolument confondre avec une disposition d’un autre texte, qui portait sur la loi de 1881, comme l’a rappelé Mme Ménard, alors que ce n’est pas le cas du présent article –, je vais tout simplement rappeler ce qui s’est passé. Quand nous avons regardé précisément, factuellement, le déroulement de l’affaire Samuel Paty, nous nous sommes demandé, en particulier du côté des autorités judiciaires, quand on aurait pu judiciariser plus tôt. Nous n’avions malheureusement pas les outils pour le faire. Nous les aurons avec l’article 18. Je suis donc défavorable aux amendements.

M. le président François de Rugy. Je me permets d’ajouter que les interlocuteurs, extrêmement variés, que nous avons rencontrés lors des auditions nous ont très souvent demandé s’il y avait dans le texte une disposition à ce sujet. Certains nous ont même dit – j’avais réagi vivement – que nous ne faisions rien concernant le problème de la haine en ligne, sur différents supports. J’avais immédiatement souligné que l’article 18 répondait en partie à cette question.

Toutes les autorités religieuses nous en ont parlé, en particulier le Grand Rabbin de France et le président du Consistoire, qui nous ont dit qu’une grande partie du déferlement antisémite avait lieu de cette manière, par la divulgation de noms, d’informations qui ne sont pas nécessairement relatives à la vie privée – c’est pourquoi il est très important de mentionner d’autres critères. Les obédiences maçonniques nous l’ont également indiqué. On considère, dans leur tradition, qu’une personne peut dire si elle appartient à une loge maçonnique mais que ce n’est pas à d’autres de le faire, contre le gré de l’intéressé. Le représentant du Conseil français du culte musulman (CFCM) nous a également dit que de nombreux imams étaient exposés à la vindicte. Les associations d’élus locaux ont indiqué, de même, que des élus pouvaient être concernés.

Contrairement à certains collègues, je pense que les qualifications prévues dans le texte sont déjà assez restrictives. Il faudra prouver que les informations ont été diffusées dans le but d’exposer la personne à un risque. Devant les tribunaux, on le sait, certains allèguent qu’ils n’ont pas agi dans ce but. Dans l’affaire récente que la rapporteure a citée, c’est un des arguments qui ont été utilisés : on n’a fait que donner des informations, pas du tout dans le but de nuire. Or on sait très bien comment fonctionnent les réseaux sociaux : des personnes répandent, d’une manière faussement naïve, ce qu’ils présentent comme des informations, pour que la meute se déchaîne. Des personnes qui réfléchissent un peu moins appellent ensuite à la haine ou passent à l’acte.

Vous voulez supprimer cette disposition, qui est très encadrée, malgré toutes les auditions que nous avons faites mais aussi tout ce que nous pouvons voir dans nos circonscriptions. Des lycéens, des lycéennes, n’importe quel citoyen peut être confronté à ce problème.

Mme Elsa Faucillon. J’aimerais savoir si le temps de parole sera étendu pour tout le monde…

M. le président François de Rugy. Un président de commission a parfaitement le droit d’intervenir, notamment pour rappeler le déroulement des travaux. Personne ne l’a contesté jusqu’à présent, y compris les membres de votre groupe qui ont assisté aux auditions – cela s’est d’ailleurs très bien passé avec eux.

Mme Emmanuelle Ménard. L’assassinat de Samuel Paty a bouleversé la France entière. L’affaire Mila aussi – peut-être moins puisqu’elle ne s’est pas terminée, heureusement, d’une façon aussi dramatique. Reste que la vie qui est désormais celle de cette jeune fille, si on peut appeler cela une vie, est absolument dramatique. Pour une adolescente, être cloîtrée chez soi – il n’y a pas d’autre mot – doit être bouleversant et terrible.

Je ne veux rien minimiser. Pour autant, les appels à la haine ou à la violence, la provocation à commettre un crime ou un délit sont déjà prévus par la loi de 1881. Qu’apportera donc cet article ? Ne pourrait-on pas renforcer, éventuellement, le dispositif actuel au lieu d’en créer un nouveau par l’article 18, sur la base de notions aussi vagues que l’intégrité psychique ? Comment la définit-on ? Dans l’affaire Mila, bien sûr, c’est facile, car cela se voit tout de suite, mais cela peut être beaucoup plus compliqué. C’est ce qui m’inquiète.

M. Pacôme Rupin. Nous réalisons, depuis plusieurs années, le danger croissant de l’utilisation malveillante des réseaux sociaux. Les pratiques scandaleuses qui s’y développent, que nous n’aurions jamais tolérées avant l’existence de ces réseaux, restent souvent impunies. Nous ne pouvons plus accepter le règne de la loi du plus fort ; nous devons protéger les victimes, qui peuvent subir des conséquences dramatiques. Il est temps de faire entrer l’utilisation des réseaux sociaux dans le droit. Notre rôle, en tant que législateurs, est de permettre de limiter et de sanctionner de telles pratiques.

C’est pourquoi je pense qu’il faut soutenir cet article qui donnera de nouveaux outils pour lutter contre une réalité contre laquelle nous avons suffisamment tardé à réagir. Je me réjouis des nouveautés juridiques sur lesquelles le travail de notre collègue Laetitia Avia et du Gouvernement a débouché à cet égard.

M. Charles de Courson. Le minimum, madame la rapporteure, serait de nous expliquer l’articulation entre l’article 18 qui nous est proposé et l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale que vous avez voté en première lecture.

Il existe actuellement trois outils dans le code pénal. L’article 223-1 sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner, notamment, une mutilation. L’article 226-4-1 prévoit une sanction en cas d’usage d’une ou de plusieurs données de toute nature permettant d’identifier un tiers en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération. Enfin, l’article 226-22 sanctionne le fait de porter à la connaissance d’un tiers qui n’a pas qualité pour les recevoir des données à caractère personnel dont la divulgation aurait pour effet de porter atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée.

Les cas que vous avez cités sont déjà prévus par tout ou partie de ces articles. Si ce n’est pas le cas, démontrez-le. Vous avez évoqué une jeune fille qui a été traînée dans la boue sur les réseaux sociaux : son cas relève de l’article 226-22 du code pénal.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CS545 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. L’objectif est de changer le rattachement de l’article 18. Il serait inséré après l’article 223-1 du code pénal traitant de la mise en danger de la vie d’autrui, ce qui pourrait avoir pour conséquence d’imposer, pour ce nouveau délit, les conditions relatives au précédent.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je me suis posé cette question intéressante dans le cadre des travaux préparatoires. Vous voulez intégrer le contenu de l’article 18 dans l’article 226-4-1 du code pénal, relatif au délit communément appelé d’usurpation d’identité numérique, qui a une rédaction un peu plus large et fait l’objet d’une jurisprudence très stabilisée. Or cela ne correspond pas aux cas que nous envisageons. Ce qui constituera le nouveau délit, c’est la mise en danger d’autrui et non pas seulement l’utilisation ou la divulgation d’éléments d’identité. Il est donc très important que l’article 18 s’inscrive dans la continuité des dispositions déjà prévues en matière de mise en danger d’autrui. Nous les caractériserons mieux, afin de combler les trous dans la raquette. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il ne s’agit pas, en réalité, de créer un délit visant à sanctionner les atteintes à la vie privée mais de réprimer des comportements qui risquent de nuire à une personne par la divulgation d’éléments relatifs à la vie privée. Il nous semble tout à fait cohérent de positionner cet article, non pas au sein des dispositions relatives à l’atteinte à la vie privée, mais dans la partie du code pénal consacrée aux risques causés à autrui. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS959 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le texte vise « le fait de révéler, diffuser ou transmettre » les informations qui viennent d’être évoquées. « Révéler » est-il utile ? N’est-ce pas inclus dans le fait de « diffuser » ? Si on révèle une information, on la porte à la connaissance d’un tiers, ce qui correspond à sa diffusion.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Cela va mieux en le disant. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS962 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Quelle est la différence entre diffuser et transmettre ? Transmettre, c’est diffuser. Pourquoi accumuler les mots ? Pour clarifier, parlons de diffusion, c’est-à-dire du fait de porter une information à la connaissance d’un tiers.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Les trois éléments prévus sont nécessaires pour une bonne caractérisation. La transmission n’est pas nécessairement une diffusion. Par ailleurs, si la question des réseaux sociaux est principalement ciblée, cette disposition s’appliquera de manière générale à tous les moyens de communication. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur le député, si je vous transmets une information, je ne vous la diffuse pas. Sur le plan sémantique, on fait bien la différence. La diffusion d’une information suppose une certaine audience, alors que la transmission peut se faire entre deux personnes. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Si vous me transmettez une information, c’est une « diffusion restreinte ».

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS386, CS387 et CS388 de M. Jean-Baptiste Moreau, et l’amendement CS447 de Mme Isabelle Florennes.

M. Jean-Baptiste Moreau. Mes trois amendements visent le même but à travers des rédactions différentes. Ils m’ont été inspirés par ce qui est arrivé récemment à mon amie Zineb el Rhazoui, dont des éléments de la vie privée, supposés ou réels, ont été révélés par un individu sur les réseaux sociaux. Même si cette personne ne la menace pas directement – elle est sous protection policière depuis les attentats de Charlie Hebdo –, des actions violentes peuvent très bien être fomentées contre elle.

Mes amendements visent à clarifier l’article 18 en précisant que les informations révélées n’étaient pas publiques jusqu’à la commission de l’infraction, que la victime n’avait pas consenti à leur diffusion et que celle-ci a eu lieu dans un but manifeste ou non. Je n’ai pas à commenter le premier jugement rendu dans l’affaire que j’ai évoquée, mais, dans les attendus, il est clairement précisé qu’il existe un vide juridique.

Il serait utile de bien préciser les choses afin qu’on ne puisse plus révéler des informations mettant délibérément en danger la vie d’une personne.

Mme Isabelle Florennes. L’amendement CS447 tend à préciser que les informations diffusées peuvent avoir un caractère public ou non, afin d’éviter que d’éventuelles poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs des faits soient empêchées. En effet, la diffusion massive d’informations déjà publiques peut conduire à une exposition accrue des personnes visées et de leur entourage voire, dans certains cas, à des tentatives d’atteinte à leur intégrité physique, lorsque l’adresse du lieu de travail ou du domicile est relayée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous défendez deux positions différentes : l’une, que les informations ne doivent pas être publiques ; l’autre, que le délit existe même si elles le sont.

Il est extrêmement important, pour que le dispositif soit opérationnel, qu’on ne restreigne pas ses possibilités d’application par l’ajout de différents éléments. Plus on le fera, plus il sera compliqué de caractériser le délit.

On doit, bien sûr, affiner des éléments, mais je pense, monsieur Moreau, que les éléments proposés par vos amendements compliqueraient plutôt l’application de cet article. Quant à l’affaire concernant Zineb el Rhazoui, il me semble que l’article 18, dans sa rédaction actuelle, répondra à la situation. Il est indiqué dans le jugement qu’il n’y avait pas eu de conséquences en matière de dégradation de la vie – chacun peut en penser ce qu’il veut… L’article 18 vise le risque et s’appliquera donc à la situation dont nous parlons.

Je vous demande de retirer ces quatre amendements, à défaut de quoi j’émettrai un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même position, notamment parce que le texte doit pouvoir s’appliquer quel que soit le caractère, public ou non, des informations diffusées, sans qu’il soit nécessaire de le préciser. Restreindre cet article n’irait pas dans le bon sens.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS284 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Nous proposons d’étendre les dispositions du présent article à toute atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, qu’elle soit immédiate ou non. Le critère d’immédiateté semble contradictoire avec l’atteinte à l’intégrité psychique – je pense, par exemple, au harcèlement. Il est difficile de caractériser l’immédiateté d’atteintes qui se constituent à moyen ou long terme.

M. le président François de Rugy. Ce n’est manifestement pas l’amendement CS284 que vous avez présenté.

M. Julien Ravier. Toutes mes excuses. L’amendement a pour objet de faire figurer après la mention de la vie privée et professionnelle, les mots « scolaire, universitaire », afin d’inclure notamment les collégiens, les lycéens et les étudiants.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. J’ai indiqué tout à l’heure que nous viserons les situations dans lesquelles des informations concernant un collège ou un lycée seraient divulguées. La notion de vie scolaire et universitaire, qui ne figure pas dans le code pénal, est intégrée dans la référence à la vie privée. Je vous demande de retirer l’amendement, sinon j’émettrai un avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même position : l’amendement est satisfait.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS967 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Les informations relatives à la vie familiale sont un sous-élément de celles concernant la vie privée. Ce n’est pas une autre catégorie. Suivant le même raisonnement que celui de Mme la rapporteure, je propose de supprimer le mot « familiale ».

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Comme le précédent, cet amendement m’a interpellée, mais on trouve des références à la notion de vie familiale à la fois dans le code pénal et dans le droit européen. Il est donc possible de conserver les deux termes. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le terme figure notamment à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. La vie familiale est-elle un sous-élément de la vie privée ? Si la réponse est oui, la précision est inutile, et il faut voter mon amendement ; dans le cas contraire, je retirerai celui-ci…

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS973 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. La question des informations relatives à la vie professionnelle est difficile. Certaines d’entre elles sont publiques : madame la rapporteure, dire que vous êtes députée n’a rien d’une révélation ; l’information est publique. La jurisprudence distingue, s’agissant de la vie professionnelle, les éléments publics et ceux qui ne le sont pas. Dans l’attente d’une meilleure rédaction, limitant par exemple le texte à certaines informations secrètes en rapport avec la vie professionnelle, je vous propose de supprimer les mots « ou professionnelle ».

Mme Laetitia Avia, rapporteure. D’abord, le délit n’est pas caractérisé uniquement par la diffusion d’informations : celle-ci doit avoir pour but de nuire à une personne et de la mettre en danger. C’est l’association de ces éléments qui permet de savoir si l’on entre dans le champ du délit. Ensuite, ce délit a été conçu à la suite de l’assassinat de Samuel Paty. Ce sont bien des informations relatives à la vie professionnelle de ce professeur qui ont été diffusées, en particulier le nom du collège où il enseignait. Si l’article 18 ne permettait même pas de faire face à ce genre de situation, vous seriez fondé, pour le coup, à considérer qu’il est vain.

M. Charles de Courson. Limitez-le aux éléments qui ne sont pas publics, sinon c’est trop vaste !

M. le président François de Rugy. Si une personne travaillant dans un magasin casher est stigmatisée pour ce motif, que l’adresse du magasin est diffusée et que des individus viennent la bastonner, on est bien dans le champ du délit visé. Certes, le fait qu’un enseignant travaille dans tel ou tel établissement est connu des parents d’élèves, mais je ne vois pas pourquoi cette information serait communiquée à d’autres personnes. Au-delà de l’assassinat de Samuel Paty, l’article peut répondre à des situations extrêmement diverses.

M. Boris Vallaud. J’ai à vous soumettre un cas d’espèce suggéré par des avocats : dénoncer des faits de corruption ne revient-il pas à révéler « des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer […] à un risque immédiat d’atteinte à la vie […] ou aux biens » ?

M. Éric Coquerel. L’article peut répondre à des situations extrêmement diverses, disiez-vous, monsieur le président. C’est tellement vrai que, malgré tout ce que l’on entend, la notion d’information relative à la vie professionnelle permettant d’identifier une personne englobe l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale : les images de policiers ou de gendarmes sont bien des informations relatives à la vie professionnelle permettant de les identifier.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Le projet de loi a été conçu bien avant le drame de Samuel Paty, puisque le Président de la République a prononcé le discours des Mureaux bien avant. Mais en cours d’élaboration, il était légitime que le Gouvernement se demande quelles dispositions il pourrait proposer au Parlement d’adopter pour éviter que de tels événements ne se reproduisent.

Je comprends très bien que les parlementaires se demandent si la disposition est proportionnée et légitime. Plusieurs, à l’inverse ont dit que le texte n’aurait pas empêché la mort de Samuel Paty. Ce qui est certain, c’est que les articles 4 et 18 auraient permis aux services de l’État de réagir aux deux événements scandaleux qui ont provoqué le drame et contre lesquels il n’existe aucune réponse pénale ou administrative.

Le premier est la pression communautaire exercée, lors d’un rendez-vous au collège,  par le père de la jeune fille accompagné de l’imam qui n’en était pas un, expliquant que M. Paty était un moins que rien et qu’on allait voir ce qu’on allait voir s’il continuait à enseigner la liberté d’expression aux enfants. Cet événement a donné lieu à une note des renseignements territoriaux, le 12 octobre, quelques jours avant le drame. Certains en ont conclu que les services de l’État étaient au courant et n’avaient rien fait. Mais, en l’état actuel du droit, si la même chose se reproduisait, ni les policiers, ni le préfet, ni le procureur de la République, ni le ministre de l’intérieur ne pourraient intervenir. L’article 4, que vous avez voté, permet de répondre à des pressions communautaires de ce type.

Le deuxième événément est la diffusion par le père, sur les réseaux sociaux, d’une vidéo dans laquelle il menaçait M. Paty, véritable fatwa qui a armé idéologiquement le terroriste. Là encore, en l’état actuel du droit, on ne peut ni exiger le retrait de vidéos analogues ni poursuivre pénalement leur diffusion et faire condamner leur auteur. Autrement dit, le même enchaînement de faits pourrait se reproduire et conduire à la mort d’un autre professeur, d’un policier, d’un magistrat ou d’un élu – car on parle de Samuel Paty, mais, comme le suggérait le président, nous devons faire face à beaucoup d’autres situations comparables. M. le garde des sceaux, M. le ministre de l’éducation nationale et moi-même pouvons en témoigner : nos services reçoivent de nombreux signalements.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tous les jours !

M. Gérald Darmanin, ministre. Sans les articles 4 et 18, nous ne pourrions pas combattre les deux phénomènes mortifères ayant conduit à l’assassinat de M. Paty. Je comprends les questions qui peuvent se poser ; ce qui est certain, c’est que l’article 18 constitue une arme absolument efficace sur le plan pénal, à condition naturellement que l’on repère la vidéo sur internet, que les services de police fassent leur travail et que la justice accompagne ce travail. C’est un élément essentiel pour nous permettre d’atteindre notre but, à savoir lutter contre tous ceux qui mettent en danger les agents de la République.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS699 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L’intention de commettre le délit doit être établie. Or la rédaction proposée risque de rendre très difficile d’en apporter la preuve. Serait puni le fait de diffuser des informations permettant d’identifier ou de localiser une personne « dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens ». Comment peut-on écrire des choses pareilles ? Je vous propose une rédaction beaucoup plus simple, très large : « avec une exhortation expresse à commettre des crimes ou des délits ». L’article mentionne un risque « immédiat » : est-ce à dire que, s’il est différé, les faits n’entrent pas dans le champ de l’article 18 ? Par ailleurs, comment voulez-vous démontrer que la personne diffusant des informations avait l’intention de porter atteinte à l’intégrité psychique d’autrui ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je ne vous comprends plus : d’un côté, vous dites qu’il existe déjà des dispositions permettant de sanctionner les faits visés et, de l’autre, vous proposez de réécrire l’article 18 pour qu’il corresponde aux articles 23 et 24 de la loi de 1881. L’objet de nos travaux est précisément de nous assurer que le nouveau délit, qui doit combler les trous dans la raquette, est distinct de ceux qui existent déjà. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La provocation à commettre des infractions est déjà visée à l’article 24 de la loi de 1881, qui distingue selon que les provocations ont été ou non suivies d’effet. L’article 18, c’est autre chose : M. le ministre de l’intérieur a rappelé très opportunément que, sans ce texte, il n’est pas possible de judiciariser le comportement observé dans l’affaire Paty, en tout cas pas assez tôt. Telle est en effet la préoccupation qui a guidé notre travail : voir comment on aurait pu judiciariser ces faits plus tôt, avant la mort de cet homme. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Il s’agissait, une fois encore, de dire que, plutôt que de présenter l’article 18, il aurait peut-être fallu modifier les outils existants.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1771 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il vise à réécrire la fin du deuxième alinéa, où sont précisés les éléments de caractérisation du délit. Cet amendement résulte de nos nombreuses auditions et des questions qui se sont fait jour. Il s’agit de toucher de façon plus juste les faits visés : une intention de nuire qui ne tombe sous le coup de la provocation à la haine. L’objectif est aussi de faire en sorte que le dispositif soit pleinement opérationnel sur le terrain, car l’attente est forte : il ne faut pas la décevoir.

Premièrement, nous proposons de remplacer la notion d’atteinte à l’intégrité physique et psychique par une notion déjà inscrite dans le droit pénal : l’atteinte à la personne ou aux biens. Ainsi, on vise clairement les délits prévus au titre II du livre II du code pénal.

Deuxièmement, la notion de risque immédiat posait problème, comme le soulignait Charles de Courson : ce n’est pas tant la temporalité qui est en cause que le caractère direct et tangible du risque. Nous proposons donc de lui substituer la notion de risque direct, elle aussi plus simple à appréhender.

Enfin, il y a la question du dol spécial : comment caractériser l’intention ? Je propose de préciser que l’auteur de la divulgation ne pouvait pas ignorer le risque. Il s’agit moins d’entrer dans la tête de l’auteur que de se demander ce qu’il ne pouvait pas ne pas savoir. Pour caractériser le délit, on va ainsi regarder le contexte, par exemple les messages antérieurs. Ce faisant, nous allons donner au procureur toutes les armes nécessaires pour engager les poursuites, tout en permettant bien sûr à chacun d’assurer sa défense.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement qui apporte des précisions tout à fait bienvenues à la rédaction de l’article 18.

M. Jean-Paul Mattei. Je ne soutiens pas l’amendement : je trouvais l’alinéa 2 très bien écrit en l’état. Il forme un tout, il a sa cohérence. Vous enlevez notamment la référence à l’atteinte psychique. Lorsqu’une personne se suicide parce qu’elle est harcelée, n’est-ce pas le résultat d’une atteinte psychique ? Il risque d’y avoir un manque dans le texte.

Mme Constance Le Grip. Je soutiens, quant à moi, cet amendement : la réécriture envisagée, substantielle, aboutira à un texte beaucoup plus solide. Plusieurs membres du groupe Les Républicains avaient pointé une faiblesse du dispositif s’agissant de l’intentionnalité. Comme l’indique le Conseil d’État, il faut, pour que le délit soit établi, que l’intention soit manifeste et caractérisée. On pouvait douter que le dispositif initial permette de répondre au problème soulevé par la vidéo ayant conduit à l’assassinat du malheureux Samuel Paty. Il est donc essentiel de préciser que l’auteur ne peut ignorer les conséquences de la diffusion d’informations. Les autres modifications proposées sont, elles aussi, significatives et intéressantes.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le harcèlement moral et la provocation au suicide font partie des atteintes à la personne, bien entendu.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les autres amendements se rapportant à l’alinéa 2 tombent.

La commission examine l’amendement CS1145 de Mme Marietta Karamanli.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de tenir compte de la réserve formulée par le Conseil d’État dans son avis. Nous proposons d’insérer un alinéa ainsi rédigé : « Cette disposition n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises ou retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser. » Nous essayons de lever les craintes pesant sur la liberté d’informer.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Sur le fond, nous sommes tout à fait d’accord : il importe de ne pas limiter la liberté d’informer, mais tel n’est absolument pas l’objet de l’article 18. Je le dis pour éclairer nos débats, car il est vrai que l’article n’indique pas ce que la disposition ne fera pas. Quoi qu’il en soit, il ne me semble pas des plus opportuns d’intégrer une telle disposition dans le code pénal. Je demande le retrait de l’amendement.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En réalité, il n’y a strictement aucune ambiguïté, sinon fantasmée. Ce qui va caractériser l’infraction prévue à l’article 18, c’est que l’auteur de la révélation poursuit une intention de nuire. Sont de facto exclues les révélations faites dans un but légitime, notamment celui de l’information du public sur un sujet d’intérêt général. Il ne peut y avoir de confusion en la matière. L’amendement est donc d’ores et déjà pleinement satisfait.

M. Charles de Courson. L’amendement ne fait que citer l’avis du Conseil d’État : son adoption pourrait confirmer que le Gouvernement partage cette analyse…

M. Boris Vallaud. Je serais encore plus rassuré, après avoir entendu les propos de Mme la rapporteure et de M. le garde des sceaux, si ces précisions figuraient dans le texte. Je me suis contenté de reprendre la réserve interprétative du Conseil d’État. L’inscrire ne réduirait en rien la portée de votre proposition ; en revanche, cela nous sécuriserait tous.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS700 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le dernier alinéa établit une différence selon que les faits visent une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, ou le reste des citoyens. Dans le premier cas, la peine est aggravée de 60 %. Certes, de telles différences existent déjà dans le code pénal, mais je n’y suis pas très favorable. Nous sommes tous des citoyens ; quand un délit est commis, il doit être réprimé de la même façon quelle que soit la personne visée.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Il importe de protéger davantage ceux qui sont particulièrement la cible de ces attaques ou qui se trouvent en situation de vulnérabilité spéciale. Le texte du Gouvernement vise les dépositaires de l’autorité publique et les agents publics ; d’autres amendements viseront à étendre les circonstances aggravantes à d’autres personnes dites vulnérables, ce qui me semble également important.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1883 de Mme Isabelle Florennes.

Mme Isabelle Florennes. Il a pour objet de mieux définir les catégories juridiques visées par l’alinéa 3 : nous souhaitons élargir la disposition aux mineurs et à certaines catégories de personnes pouvant faire l’objet d’attaques spécifiques directement liées aux fonctions qu’elles occupent ou au mandat qu’elles exercent.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. S’il nous paraît important d’inclure les mineurs, l’élargissement proposé est un peu trop large. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous allons en venir à la question des mineurs ; pour le reste, la proposition est beaucoup trop large. Pour des questions de clarté, également, nous préférons nous en tenir à la rédaction initiale.

Mme Isabelle Florennes. Notre proposition reprend pourtant la formulation d’un autre article du code pénal. Je souhaiterais davantage de précisions de la part de Mme la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. La liste serait beaucoup trop longue : le Président de la République, « un ou plusieurs membres du ministère » – on peut d’ailleurs se demander ce que cela signifie –, « un ou plusieurs membres de l’une ou l’autre Chambre », « un fonctionnaire public », « un ministre de l’un des cultes salariés par l’État », « un citoyen chargé d’un service ou d’un mandat temporaire ou permanent », « un juré », « un témoin »… Il y va aussi de la clarté et de la lisibilité du droit, comme le disait M. le garde des sceaux. Viser plus précisément les catégories vulnérables me semble plus approprié.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CS927 de M. François Pupponi est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS925 de M. François Pupponi et CS1448 de Mme Mireille Clapot.

M. François Pupponi. L’amendement CS925 vise à ajouter les titulaires d’un mandat électif. Les parlementaires, par exemple, ne sont pas concernés par la rédaction actuelle de l’alinéa.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je demande le retrait de ces amendements car ils sont satisfaits : les élus sont inclus dans cette circonstance aggravante, en application de l’article 433-3 du code pénal.

M. le président François de Rugy. Y compris donc les parlementaires ? Ou bien seuls les élus locaux sont-ils concernés ?

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Les parlementaires sont couverts par la disposition : l’article fait référence à tous les titulaires d’un mandat électif public.

M. François Pupponi. Je suis en désaccord complet avec cette interprétation. Dans l’article 223-1-1 du code pénal, qui est créé ici, ne seront citées que les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. En tant que parlementaires, nous ne sommes pas dépositaires de l’autorité publique. Nous ne serons donc pas concernés par ce nouvel article, même si nous sommes cités dans un autre article du code pénal.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je répète que les titulaires d’un mandat électif public sont dépositaires de l’autorité publique, au titre de l’article 433-3.

M. le président François de Rugy. Nous n’allons peut-être pas réussir à trancher ce point de droit ce soir, mais nous étudierons la question d’ici à la séance.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Les maires sont concernés au titre des personnes dépositaires de l’autorité publique, les parlementaires, au titre des personnes chargées de la mission de service public.

La commission adopte l’amendement CS925.

En conséquence, l’amendement CE1448 tombe.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS288 de M. Ravier et CS542 de M. Robin Reda, ainsi que les amendements identiques CS1772 de la rapporteure, CS66 de Mme Annie Genevard et CS391 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Julien Ravier. Mon amendement tend à créer, pour la mise en danger de la vie d’autrui du fait de la diffusion d’informations, une circonstance aggravante si les faits sont commis au préjudice d’un mineur, à l’instar de ce que l’on prévoit pour les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. Il convient de mieux protéger les plus vulnérables, en l’occurrence les enfants, et leur vie privée, scolaire et familiale.

Je serais, en outre, favorable à une extension de la circonstance aggravante à d’autres personnes vulnérables, comme les personnes en situation de handicap.

M. Philippe Benassaya. L’objet de l’amendement CS542 est de retenir comme circonstance aggravante la qualité de personne mineure, handicapée ou dépendante de la victime. La protection de ces personnes contre le cyberharcèlement doit être une priorité.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Le CS1772 tend, lui aussi, à étendre la circonstance aggravante aux personnes mineures.

Mme Annie Genevard. Il en est de même de mon amendement CS66, que l’on pourrait appeler « amendement Mila », du nom de cette jeune fille qui a vécu une situation absolument terrifiante, dont la presse s’est fait l’écho cette semaine, et qui est désormais emprisonnée chez elle, interdite de sortir, d’étudier – de vivre. Il est indispensable que nous adressions un message fort de soutien à tous ces jeunes qui sont harcelés sur les réseaux sociaux et la proie de la haine la plus barbare qui soit.

Mme la rapporteure ayant jugé cet amendement intéressant, elle l’a repris dans les mêmes termes, y compris pour l’exposé sommaire ; quoique surprise du procédé, j’en suis honorée et y vois un signe de bon augure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous voulez dire que vous êtes agréablement surprise, madame Genevard, puisque j’avais déposé un amendement dont la formulation était légèrement différente mais qui correspondait à celle habituellement utilisée dans le code pénal – « un mineur » –, et que, pour vous être agréable, j’en ai modifié la rédaction pour que nous puissions adopter le vôtre !

Par ailleurs, si je suis prête à envisager une éventuelle extension de la mesure à d’autres catégories de personnes vulnérables, je souhaiterais que l’on s’en tienne, pour l’heure, aux mineurs.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avis favorable sur les amendements identiques et demande de retrait des deux autres.

M. Julien Ravier. Il me semble avoir déposé exactement le même amendement que les trois identiques, quoique la rédaction diffère un peu. J’entends néanmoins qu’on prévoie un alinéa supplémentaire : cela permettra peut-être de compléter en séance la liste des personnes vulnérables concernées.

Les amendements CS288 et CS542 sont retirés.

La commission adopte les amendements identiques.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS1681 de Mme Souad Zitouni.

Elle est saisie de l’amendement CS392 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Il vise à prévoir une circonstance aggravante lorsque les révélations d’informations concernant la vie privée d’un individu sont motivées par l’orientation sexuelle de ce dernier.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Demande de retrait, l’article 132-77 du code pénal prévoyant déjà une circonstance aggravante pour tout délit commis en raison de l’orientation sexuelle de la victime.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 18 modifié.

Après l’article 18

La commission examine l’amendement CS1455 de M. Belkhir Belhaddad.

M. Belkhir Belhaddad. Il s’agit de compléter la liste des motifs de la peine complémentaire d’inéligibilité, en y incluant les délits visés par l’article 23 de la loi de 1881, dont la provocation à la discrimination et à la haine. Aujourd’hui, un élu qui utilise les réseaux sociaux pour délivrer de tels messages est condamné – souvent longtemps après les faits – à des peines qui nous semblent insuffisantes ; ce fut récemment le cas dans l’Aube, avec une amende de 2 000 euros seulement. La possibilité offerte au juge de prononcer une peine complémentaire d’inéligibilité serait réellement dissuasive et permettrait de mieux prévenir ces délits qui portent atteinte aux principes de notre République.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable. Si je comprends l’intention des auteurs de l’amendement, celui-ci fait du prononcé de cette peine non pas une possibilité, mais une obligation. Or, dans une décision de 2017, le Conseil constitutionnel a estimé que l’obligation de prononcer une peine d’inéligibilité en cas de condamnation pour certains délits prévus par la loi de 1881 représentait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avis défavorable : la décision du Conseil constitutionnel s’impose à nous.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS536 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. Amendement de concordance, afin que les dispositions de l’article 18 du projet de loi et celles de l’article 226-4-1 du code pénal, s’agissant des peines encourues pour les infractions de droit commun, soient les mêmes.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS930 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Lorsqu’une personne crée un compte en usurpant l’identité d’une autre, la victime en subit les conséquences pendant des années. Je juge nécessaire d’aggraver les peines prévues pour ce délit.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même avis : l’amendement est très éloigné du texte et remettrait totalement en cause la gradation des peines réprimant le délit d’usurpation d’identité.

M. le président François de Rugy. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de suggérer que l’article 45 de la Constitution n’a pas été appliqué avec tant de sévérité que cela !

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1471 de M. Belkhir Belhaddad.

M. Belkhir Belhaddad. La caractérisation des faits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence est souvent complexe, le juge s’en tenant souvent à la notion d’exhortation. La jurisprudence est nettement plus précise. En particulier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 17 mars 2015, que les textes incriminés – deux articles de presse qui associaient de façon répétée et insistante divers faits à la religion de leurs auteurs – avaient pu susciter un sentiment de rejet envers un groupe de personnes ou une personne à raison d’une religion déterminée. Il est proposé de faire entrer cette précision jurisprudentielle dans la loi et de prévoir un durcissement de la peine en cas de récidive.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. La caractérisation et la sanction des faits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence doivent être effectuées dans l’office du juge, afin que celui-ci puisse apprécier les faits in concreto, notamment les éléments de contexte et les conséquences. Si l’on peut faire état d’un sentiment de rejet dans une décision de justice, il ne me semble pas opportun de l’inscrire dans la loi, qui plus est dans celle de 1881. Quant à la peine, je pense qu’il faut être attentif à sa proportionnalité. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS1773 de la rapporteure et CS1668 de M. Stanislas Guerini.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. S’il est indispensable, comme nous le faisons dans ce texte, de renforcer la protection des agents publics, il convient, en parallèle, de souligner leurs devoirs. L’objet de cet amendement est de renforcer l’exigence d’exemplarité qui leur incombe en créant une circonstance aggravante applicable à ceux qui commettent des délits racistes ou discriminatoires, partant du présupposé qu’une injure raciste, une provocation à la discrimination ou une incitation à la haine est encore plus violemment ressentie lorsqu’elle émane d’une personne qui incarne la République, donc est censée en défendre les valeurs.

Mme Fabienne Colboc. La mesure proposée par la rapporteure a été élaborée en liaison avec le groupe LaREM, qui présente un amendement identique.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Avis extrêmement favorable.

La commission adopte les amendements.

Elle est saisie de l’amendement CS389 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Cet amendement tend à étendre aux discours de haine et contenus illicites exposant autrui à un risque immédiat de mort ou de blessure la possibilité pour l’autorité administrative de demander le retrait d’un contenu.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Demande de retrait. L’amendement est satisfait par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).

L’amendement est retiré.

Article 19 : Lutte contre les sites dits « miroirs »

La commission examine les amendements de suppression CS701 de M. Charles de Courson, CS1312 de Mme Elsa Faucillon et CS1443 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Charles de Courson. L’article 19 est largement déclaratif : il se borne à rappeler les possibilités existantes, ne rend obligatoire aucune mesure et ne prévoit pas de sanction si les hébergeurs ou fournisseurs d’accès à l’internet refusent la demande des autorités. Dès lors, il risque d’être sans efficacité dans la lutte contre la propagation de contenus haineux sur l’internet. Ne souhaitant pas contribuer à la prolifération de dispositions législatives inutiles, nous en demandons la suppression – à moins qu’on ne prévoie de véritables sanctions.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 8 de la loi dite Avia, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, qui a été censuré par le Conseil constitutionnel, donnait à l’autorité administrative la possibilité, lorsqu’une décision judiciaire passée en force de chose jugée a ordonné toute mesure propre à empêcher l’accès à un service de communication au public en ligne dont le contenu est haineux, de demander aux fournisseurs d’accès à l’internet et aux moteurs de recherche de prendre les mesures nécessaires pour empêcher l’accès à tout service de communication au public en ligne reprenant en totalité ou de manière substantielle le contenu du service visé par ladite décision. Alors que le mécanisme ne prévoyait, dans sa première version, aucun moyen de contester la décision de l’administration ni aucun recours devant le juge, raison pour laquelle il avait fait l’objet de vives critiques de la part du Conseil d’État, la loi Avia précisait dans sa rédaction finale que lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement du site visé par l’injonction de l’administration, l’autorité judiciaire peut être saisie en référé ou sur requête pour ordonner toute mesure destinée à faire cesser l’accès aux contenus de ces services.

L’article 19 du présent projet de loi reprend le même mécanisme. Je l’avais déjà dit au moment de l’examen de la proposition de loi susnommée, je ne trouve pas opportune la référence systématique à l’autorité administrative. En matière de liberté d’expression, c’est le juge judiciaire qui doit rester compétent, à tous les niveaux ; pour bloquer des sites ou des contenus, il faut impérativement que l’intention provienne d’un juge, et non de l’autorité administrative.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Il est ici question des sites miroirs, qui sont des répliques de sites ayant fait déjà l’objet d’une décision de justice visant à leur blocage ou à leur déréférencement. Les procédures les concernant sont longues. Prenons l’exemple de ce site, dont on parle souvent, qui est tout ce qu’il y a de plus raciste, antisémite, homophobe etc. et est animé par un suprémaciste blanc qui n’hésite pas à répandre sa haine par ce moyen ; dès qu’il fait l’objet d’une décision de justice, son auteur le réplique en toute impunité, puisqu’il faut une nouvelle décision de justice pour bloquer le « nouveau » site. Nous en sommes à neuf blocages de répliques de ce site. Il faut que les procédures soient plus rapides. Notre objectif, sous l’impulsion d’une décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne en octobre dernier, est de pouvoir obtenir auprès des fournisseurs, hébergeurs et moteurs de recherche, sur la base de la première décision de justice, le blocage de sites qui ne seraient que des copies d’un site jugé illicite.

M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Même avis. Pour illustrer la situation absurde dans laquelle nous nous trouvons : il arrive qu’après avoir mis six mois, voire un an pour obtenir le blocage d’un site, quelques heures après la décision du juge, le même site réapparaisse, sans aucun changement mais avec une autre extension – et c’est reparti pour six mois. Ce que nous vous proposons, c’est que le juge puisse lui-même prévoir que si un nouveau site est identique ou presque à celui dont il vient d’ordonner le blocage, il n’y aura pas besoin de repasser par la case judiciaire pour le bloquer à son tour – étant entendu qu’il y aura bien évidemment la possibilité de faire appel de cette décision. Cela répond d’ailleurs à une demande des fournisseurs d’accès à l’internet et des hébergeurs.

Je n’ai eu, jusqu’à présent, connaissance d’aucun refus de leur part d’appliquer une telle décision de justice, monsieur de Courson. En revanche, ils ne prennent pas la liberté de bloquer des sites qui, quoique strictement identiques, ont une autre extension, parce qu’ils estiment qu’ils ont besoin d’une décision judiciaire ou de l’autorité administrative pour le faire. C’est à ce problème que nous souhaitons apporter une réponse.

La commission rejette les amendements.

Elle examine les amendements identiques CS451 de Mme Isabelle Florennes et CS531 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. Il est nécessaire qu’une autorité habilitée, telle que l’autorité administrative, soit chargée de l’identification ou de la qualification juridique des contenus et sites miroirs illicites, et de leur transmission aux intermédiaires techniques pour une action de leur part. En raison du rôle central de l’autorité judiciaire dans le système juridique français, il paraît cependant approprié de limiter le rôle de l’autorité administrative en matière de qualification juridique, fonction normalement dévolue au juge, aux contenus strictement identiques à celui du service visé par une décision judiciaire. De plus, l’ensemble des acteurs susceptibles de remédier au dommage doivent être intégrés dans le processus de lutte contre la diffusion de contenus et sites miroirs, notamment les hébergeurs.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable à ces amendements tendant à réécrire largement le dispositif.

M. Cédric O, secrétaire d’État. Je propose à leurs auteurs de les retirer au bénéfice d’amendements à venir, notamment le CS449 et le CS1779.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1774 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. L’objectif est de simplifier la première procédure judiciaire en vue d’obtenir le déréférencement ou le blocage d’un site, en permettant au juge de saisir indifféremment l’hébergeur ou le fournisseur d’accès à l’internet, de manière à accélérer le traitement de ces procédures.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS449 de Mme Isabelle Florennes et CS532 de M. Robin Reda.

Mme Isabelle Florennes. Ces amendements tendent à supprimer, à travers les alinéas 2 et 3 du présent article, le nouvel article 6-3 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui permettrait à toute partie à la procédure judiciaire de demander le blocage d’un service de communication en ligne reprenant le contenu d’un service visé par une décision judiciaire. Seule une autorité habilitée, telle que l’autorité administrative, éventuellement saisie par toute personne intéressée, doit pouvoir être chargée de l’identification ou de la qualification juridique des contenus et sites miroirs illicites et de leur transmission aux intermédiaires techniques pour une action de leur part.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous pointez là une difficulté dans le dispositif qui est proposé, et qui n’est pas exactement celui qui était contenu dans la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Les alinéas 2 et 3 du présent article prévoient la possibilité pour toute personne qui était partie à la procédure judiciaire de se prévaloir de la décision de justice pour demander au fournisseur d’accès à l’internet de bloquer un site miroir. Or cela pose un problème de qualification : qui décidera qu’il s’agit bien d’un site miroir ? Est-ce la personne physique concernée ? Je crains que cette disposition ne soit guère opérationnelle, voire qu’elle soit risquée. Les fournisseurs d’accès à l’internet n’ont pas à qualifier les contenus : ils ont seulement à appliquer des décisions de justice.

Ce que j’avais l’intention de vous proposer, à travers mon amendement n° 1776, c’est que cette demande soit adressée non pas aux fournisseurs d’accès à l’internet mais aux hébergeurs, qui ont pour activité habituelle de qualifier les contenus. Il leur reviendrait donc de déterminer si l’on est ou non en présence d’un site miroir.

Je suis néanmoins disposée à apporter mon soutien à vos amendements, quitte à voir le mien tomber, pour privilégier un dispositif plus simple et mieux encadré : on passerait systématiquement par l’autorité administrative, c’est-à-dire, concrètement, par PHAROS, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, laquelle contacterait ensuite les fournisseurs d’accès à l’internet, les moteurs de recherche et les hébergeurs pour leur demander de bloquer les sites miroirs.

Avis favorable, donc.

M. Cédric O, secrétaire d’État. Le projet de loi prévoit en effet que si le contenu d’un site est strictement identique à celui d’un autre visé par une décision de justice, les parties à la procédure judiciaire peuvent demander directement aux fournisseurs d’accès à l’internet, sans passer par l’autorité administrative, que les différentes déclinaisons du site soient bloquées. Les fournisseurs d’accès à l’internet nous ont indiqué que l’évaluation de ce qui était ou non un site identique ne relevait pas de leur compétence et qu’ils n’avaient pas les moyens de le faire, et qu’il serait préférable de passer par l’autorité administrative – ce qui serait de surcroît plus protecteur pour les personnes susceptibles d’être injustement bloquées. Après concertation avec la rapporteure, nous sommes favorables à cette demande d’ajustement ; il reviendra à l’autorité administrative, et à elle seule, de juger si deux sites sont identiques ou similaires.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les autres amendements se rapportant aux alinéas 2 et 3 tombent.

La commission examine l’amendement CS787 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Le contrôle de la haine sur internet ne peut être laissé qu’à un juge, site-miroir ou non. Les représentants des plateformes que j’ai auditionnés sont demandeurs d’une action du juge mais certainement pas de l’autorité administrative, et estiment dangereux de lui laisser un trop grand pouvoir.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je veux bien connaître les noms des plateformes avec lesquelles vous avez échangé car, au contraire, elles demandent à passer systématiquement par PHAROS. Quoi qu’il en soit, la disposition ne les concerne pas puisqu’elle vise les sites, non les réseaux sociaux.

M. Cédric O, secrétaire d’État. L’article ne concerne pas les plateformes. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1779 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il permet à l’autorité administrative de saisir à la fois les fournisseurs d’accès à l’internet et les hébergeurs pour bloquer les sites à la source.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1778 de la rapporteure.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il vise à appliquer le dispositif aux sites « dont le contenu est identique ou équivalent à tout ou partie du contenu du service visé par ladite décision ». Nous reprenons là les termes d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 octobre 2019 relative aux moyens de lutter contre les sites-miroirs.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement CS788 de Mme Emmanuelle Ménard.

La commission est saisie de l’amendement CS572 de M. Éric Ciotti.

Mme Annie Genevard. Lorsqu’il n’est pas procédé au blocage ou au déréférencement des services visés, l’article 19 prévoit que l’autorité judiciaire peut être saisie. L’amendement instaure une sanction d’un an d’emprisonnement et de 250 000 euros d’amende pour une personne physique, en cas de non-respect de l’obligation de retirer ou de rendre inaccessible les contenus. Le montant est porté à 37,5 millions d’euros pour une personne morale.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 19 modifié.

Après l’article 19

L’amendement CS1243 de Mme Caroline Abadie est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS571 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Benassaya. Il vise à rendre obligatoire la vérification par les hébergeurs de l’identité des utilisateurs. Si un individu veut ouvrir un compte Facebook ou Twitter, il devra au préalable fournir une pièce d’identité au site internet ainsi qu’une déclaration de responsabilité pour le propos qu’il tient. La personne qui publie un message sera ainsi identifiable immédiatement et responsable des contenus qu’elle aura publiés. La mesure sera de nature à remédier au sentiment d’impunité des auteurs de propos haineux sur internet.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Concrètement, l’amendement a pour objet de mettre sa carte d’identité sur les plateformes. Nous en avons discuté à de nombreuses reprises, notamment avec M. Ciotti. Mon avis reste défavorable. Il faut plutôt renforcer la coopération, s’assurer, dès lors qu’un délit est commis, que les plateformes transmettent des éléments d’identification avec diligence. L’amendement CS1770 que le Gouvernement défendra et l’amendement CS1780 que j’ai déposé avec le rapporteur général comportent des mesures plus proportionnées. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS932 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je ne désespère pas d’inscrire un jour dans le droit français que l’antisémitisme est élargi à la haine d’Israël. Dire « mort aux Juifs » et « mort à Israël », c’est la même chose. On l’a vu lors de la récente élection de Miss France : c’est lorsque la candidate a annoncé que son père était Israélien que la haine s’est déversée sur les réseaux sociaux. Il existe donc bien une corrélation. Juridiquement, on peut parvenir à cet élargissement, mais symboliquement, son introduction dans le droit est importante, même s’il ne s’agit pas que d’un symbole.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Nous en avons débattu à de nombreuses reprises. La résolution visant à lutter contre l’antisémitisme que nous avons adoptée répond à cette préoccupation, tout en fournissant des éléments concrets pour appréhender ces phénomènes. La loi est générale. Le terme même d’antisémitisme n’y figure d’ailleurs pas. Si je partage vos objectifs, je n’estime pas nécessaire de modifier la LCEN en ce sens. C’est pourquoi je vous suggère de retirer l’amendement.

Mme Constance Le Grip. Avec Annie Genevard, je soutiens l’amendement. J’entends les réserves d’usage et les réserves juridiques mais, en évoquant la lutte contre la cyberhaine, nous ne pouvons manquer de mentionner le déferlement de propos antisémites et les formes nouvelles d’antisémitisme telles que nous les avons caractérisées dans la résolution, qui reprend la définition opérationnelle internationale de l’antisémitisme. Le texte, approuvé non sans mal par l’Assemblée, avait été présenté par Sylvain Maillard et des membres de toutes les tendances politiques appartenant notamment au bureau du groupe parlementaire d’études sur l’antisémitisme. À la faveur de cette discussion, il nous faut rappeler notre attachement à la lutte contre l’antisémitisme, sous toutes ses formes.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS1770 du Gouvernement et CS1780 de la rapporteure, qui font l’objet des sous-amendements CS1897, CS1898, CS1899, CS1901, CS1902 et CS1903 de Mme Emmanuelle Ménard, et CS1906 de Mme Blandine Brocard.

M. Cédric O, secrétaire d’État. L’amendement CS1770 traduit l’engagement du Gouvernement à la suite du drame du meurtre de Samuel Paty et face à l’explosion des phénomènes de haine en ligne.

L’amendement CS1770 transpose par anticipation le texte européen relatif aux services numériques, le Digital Services Act (DSA), qui a été présenté par Thierry Breton et Margrethe Vestager début décembre, mais uniquement pour sa partie concernant la haine en ligne et les très grands réseaux sociaux. Nous avons essayé de coller au plus près à la rédaction du texte européen pour créer un régime réel de responsabilité des grands réseaux sociaux, envisagés non comme émetteurs mais comme accélérateurs de contenus.

L’objectif est double. Premièrement, faire la transparence sur les modalités d’opération et de traitement des contenus s’agissant de la haine en ligne sur les grands réseaux sociaux. Alors qu’ils rassemblent plusieurs dizaines de millions de Français, personne n’est capable de contrôler la façon dont les contenus y sont modérés. Sur Twitter, par exemple, nous ne savons pas combien de modérateurs ou d’algorithmes contrôlent les contenus en langue française. C’est une forme d’aberration démocratique : nous n’avons aucun moyen de savoir ce qui se passe dans un espace public d’expression qui formate notre démocratie ou, du moins, la communication entre nous.

Le deuxièmement découle de cette transparence : si les informations recueillies nous permettent d’estimer que les efforts de modération des plus grands réseaux sociaux ne sont pas à la hauteur des enjeux qu’ils représentent, l’autorité indépendante qu’est le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pourrait les sanctionner fortement de n’avoir pas combattu assez vigoureusement la haine en ligne.

La transposition anticipée – si tant est que le terme ait une valeur juridique – du Digital Services Act a donc vocation à anticiper la législation européenne compte tenu de l’urgence du sujet. La clause d’extinction au 31 décembre 2023 est là pour signifier que les dispositions européennes ont vocation à prendre la suite de ce texte.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Nous travaillons depuis longtemps sur ces sujets avec le Gouvernement. Une première proposition de loi a été votée par l’Assemblée, mais la censure de son article 1er par le Conseil constitutionnel a, par un effet de domino, fait tomber l’ensemble des autres dispositions. L’amendement CS1780 en reprend certaines, telles que la supervision des réseaux sociaux ou les obligations de moyens. Nous demandons aux plateformes de les instaurer pour qu’elles ne puissent plus détourner le regard des dérives qui se produisent au sein de leur outil.

Au cours des derniers mois, pas un drame ou événement majeur n’est survenu sans que la question de la régulation des réseaux sociaux soit posée. Courrier international titrait récemment : « Quand les réseaux sociaux font la loi ». Or c’est à nous de faire la loi. La définition d’un cadre pour cet espace numérique, quand bien même il est géré par des entreprises privées, emporte un enjeu à la fois de protection des citoyens et de souveraineté. Faire la loi, c’est donner des obligations en matière de transparence, de diligence, de traitement des notifications et d’information des utilisateurs. Le cadre proposé est défini sous l’impulsion de la Commission européenne, qui a proposé un projet de règlement le 15 décembre. Il s’agit de se saisir de ces dispositions et de les appliquer. Il y a urgence lorsqu’il s’agit de lutter contre la haine en ligne.

Mme Emmanuelle Ménard. Plusieurs points de cette proposition d’article additionnel fort long posent problème.

Le secrétaire d’État a mentionné le Digital Services Act et j’ai bien entendu la notion d’accélérateur de contenu. Néanmoins, il me semble y avoir une dichotomie profonde entre l’objectif de lutter contre toute forme de haine sur internet et le dispositif visant les propos haineux proférés sur des sites dont l’activité sur le territoire français dépasse un nombre de connexions déterminé. Quid des autres sites internet, dont l’activité est moindre ? Les propos haineux sont-ils plus graves proférés sur Facebook que sur une petite plateforme moins fréquentée ? Le nombre de visiteurs rend-il le propos plus haineux qu’un autre ? C’est, en tout cas, ce que laissent entendre les amendements identiques.

Il serait absurde que la gravité du propos haineux dépende non seulement de son contenu mais également du site où il a été exprimé. C’est le propos en lui-même qui doit être condamné. Les circonstances de sa publication n’ont rien à voir avec sa gravité. Ces amendements sont donc empreints d’un subjectivisme qui n’est pas opportun, et crée une rupture d’égalité.

Par le biais de ces amendements, vous remettez sur la scène une grande partie des articles de la loi Avia, revenant par la petite porte au péché originel. En fait, vous demandez au loup comment garder la bergerie. À nouveau, vous accordez un pouvoir exorbitant aux plateformes et aux GAFA, ainsi qu’au CSA, qui pourront décider ce que l’on peut dire ou non sur l’internet. Il n’y aura pas de difficulté lorsqu’il s’agira de propos qui font l’apologie du terrorisme ou qui incitent à la violence, mais les mêmes problèmes se poseront pour la fameuse zone grise dont nous avions tant parlé. M. le ministre de l’intérieur l’a dit, les islamistes dont on cherche à réprimer les propos sont souvent très intelligents et trouvent rapidement les failles, parce qu’il en existe.

Par ailleurs, confier la tâche de régulation au CSA, dont on connaît la prétendue impartialité, à près d’un an de l’élection présidentielle, a de quoi interroger.

Le même CSA sera doté de pouvoirs exorbitants, alors qu’aucune étude d’impact n’a été menée pour savoir si une telle fonction ne dépasserait pas les limites de sa compétence. Il n’est pas souhaitable de donner toujours plus de pouvoir à une instance, dont le président est directement nommé par le Président de la République. Cela est d’autant plus regrettable que la raison d’être du CSA a objectivement disparu. Il avait été créé dans un monde hertzien, où les ondes constituaient un domaine public rare et où il fallait réguler les détenteurs de fréquences. Aujourd’hui, si l’État peut organiser la surveillance du service public, il n’a pas à régir le service privé.

S’agissant des condamnations prononcées à l’encontre des plateformes, elles doivent être proportionnées : 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial de l’exercice précédent pourrait représenter pour certaines des millions d’euros. Cela paraît disproportionné pour un refus de communiquer une information.

Enfin, vous prévoyez d’arrêter l’application de l’article 31 décembre 2023 sous prétexte que le Digital Services Act aura été voté. On voudrait donc aller plus vite que le Parlement européen, et faire entrer en vigueur une loi sans savoir à quoi ressemblera la législation que l’Union européenne votera. Les plateformes en ligne adopteront donc un système pour deux ans, avant de devoir à nouveau s’adapter à un autre dispositif. Le caractère précipité de cet article pose, lui aussi, question, au regard des échéances électorales majeures qui doivent se dérouler à cette période.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Sans surprise, l’avis sera défavorable pour tous les sous-amendements. J’ai beaucoup de respect pour votre travail, madame Ménard, mais je vous invite à mettre à jour vos fiches. Vos propos ne correspondent pas au texte, qui vise non pas les contenus, mais les processus. Nous n’indiquons aux plateformes ni les ingrédients, ni les proportions ; tout ce que nous voulons, c’est que le gâteau soit bon. S’il ne l’est pas, un audit sera chargé d’identifier les éventuelles disproportions, par exemple le manque de moyens humains ou l’insuffisance des processus d’analyse des contenus. Le but est que l’outil soit viable in fine.

Nous avons repris les seuils proposés par la Commission européenne. Il s’agit d’adopter une approche progressive que Margrethe Vestager a illustrée par une citation connue : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités ». Plus les plateformes sont grandes, plus le risque de viralité est élevé et plus forte est la capacité de nuisance, donc plus les obligations doivent être renforcées. Cela ne signifie pas que rien n’est prévu pour les plus petites : le socle de la LCEN s’applique, ainsi que certaines mesures de blocage et de déréférencement. Les plateformes à qui l’on demande d’investir, d’apporter des moyens, de recruter, sont celles qui brassent des millions de contenus chaque jour.

J’ai toute confiance en l’indépendance du CSA pour réaliser des audits et gérer ces sujets.

On ne peut pas s’offusquer à la fois d’un prétendu anonymat sur les réseaux sociaux – il n’existe pas, en réalité, puisque les plateformes peuvent transmettre des éléments d’identification –, et de sanctions allant jusqu’à 1 % du chiffre d’affaires si les plateformes ne coopèrent pas. Car le problème, c’est qu’elles ne coopèrent que lorsqu’elles le veulent. Elles sont très réactives dans 95 % des cas de contenus à caractère pédopornographique ou terroriste, mais beaucoup moins pour des contenus homophobes – elles ne coopèrent que pour moins d’1 % des cas. Lorsque, telle une épée de Damoclès, des sanctions financières importantes seront suspendues au-dessus de leur tête, elles coopéreront en permanence. On pourra alors lutter contre l’impunité.

M. Cédric O, secrétaire d’État. Avis défavorable. Les sous-amendements, comme les parallèles de Mme Ménard, traduisent une incompréhension profonde de ce que défendent les amendements du Gouvernement et de la rapporteure. 

La censure du Conseil constitutionnel n’a porté que sur l’article 1er de la loi Avia ; l’ensemble des autres articles a été censuré par effet de domino, sans que le Conseil constitutionnel se prononce sur le fond.

Ni la gravité, ni la qualification juridique du contenu ne changent selon l’importance du réseau social. Vous serez sanctionné de la même manière, que vous ayez insulté ou menacé de mort quelqu’un sur une petite plateforme ou sur une grande. Il est cependant vrai, compte tenu des mécanismes d’accélération et de la visibilité qui est donnée aux contenus sur une très grande plateforme, que la même insulte ou menace de mort y est plus dangereuse. Le résultat n’est pas le même quand des algorithmes accélèrent vos propos auprès de millions de Français ou dans des cercles plus confidentiels. Nous considérons donc qu’à grand réseau social, grandes responsabilités. Le DSA prévoit d’ailleurs des obligations renforcées pour les grands réseaux sociaux et un système transversal pour les plus petites plateformes. Compte tenu de la complexité juridique, nous avons choisi de nous concentrer sur les grands réseaux sociaux, où les Français sont les plus nombreux et qui font le plus de mal. Mais, encore une fois, un contenu est tout autant illégal qu’il soit diffusé sur une petite ou sur une grande plateforme, et le risque pénal est le même.

S’agissant du CSA, vous faites un parallèle entre réseau hertzien et grandes plateformes de l’internet, arguant que celles-ci ne sont pas un service public. Vous commettez une erreur historique. C’est précisément lors du passage du monopole public de l’ORTF à la privatisation de la première chaîne, que la nécessité du pluralisme d’expression s’est fait sentir, et que le CSA a été chargé de le garantir. On a considéré qu’il y avait une asymétrie avec la mainmise importante d’une chaîne sur le marché de l’information.

C’est la même chose ici. Il n’est pas totalement vrai que vous avez le choix d’aller ou non sur un réseau social dominant ; des effets de réseau font que chacun va où tout le monde se trouve. Pour certaines personnes, quitter Facebook c’est perdre une partie de leur sociabilité. Même en ayant conscience d’être exposé à des contenus dangereux ou problématiques, il est difficile de quitter les très grands réseaux sociaux. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’existe pas plusieurs Facebook, Twitter ou Tik Tok. Dès lors, on considère que les grands réseaux, qui sont pourtant des entreprises privées, ont certaines obligations, sous la supervision du pouvoir public. Et il est logique que le CSA, compte tenu de son historique et de son action, en soit chargé.

Enfin, le texte contient non seulement des dispositions de protection, de régulation et de modération, mais aussi des mesures d’encadrement de la modération, notamment en matière de suppression des comptes. On sait que certaines personnes ou associations, y compris des victimes de la haine en ligne, ont pu être censurées et leurs comptes supprimés par les plateformes de manière indue. Le texte introduit une forme d’équilibre, en obligeant les plateformes à instituer des procédures très normées de suppression de compte, avec des mécanismes d’appel, pour défendre la liberté d’expression.

Mme Emmanuelle Ménard. J’entends l’argument selon lequel les grands sites constituent un accélérateur de contenus. Et je comprends pourquoi, dans cette perspective, des propos haineux publiés sur ces sites pourraient être considérés comme plus graves.

En revanche, madame la rapporteure, je trouve que vous jouez sur les mots quand vous dites qu’il ne s’agit pas de contrôler les contenus mais les processus, puisqu’il s’agit des processus de contrôle des contenus…

Vous faites confiance au CSA, et c’est votre droit, mais je n’ai pas la même position que vous. Le CSA n’est d’ailleurs pas à l’abri des critiques : en novembre 2020, le Conseil d’État l’a condamné à indemniser la chaîne C8 à hauteur de 1,1 million d’euros, estimant disproportionnée la sanction qu’il avait infligée à la chaîne.

Enfin, personne ne m’a répondu sur la concomitance de ces mesures avec la période électorale qui va bientôt s’ouvrir.

Mme Isabelle Florennes. Lorsque nous avons auditionné les représentants des plateformes, ils nous ont dit, et cela m’a beaucoup frappée, qu’ils pouvaient intervenir sur 90 % des contenus posant un problème mais que, dans 10 % des cas, c’était plus compliqué. Or, sur ces 10 %, il peut y avoir des faits très graves. C’est le fondement même de notre démocratie qui est en jeu, comme l’ont montré les événements récents aux États-Unis.

Je tiens donc à remercier Mme la rapporteure, M. le secrétaire d’État et ses services pour la pré-transposition du Digital Services Act. La France est motrice sur ces sujets au niveau européen et c’est évidemment à ce niveau qu’il faut agir, pour donner des moyens de régulation aux États et à la Commission européenne. Pour y avoir nous-mêmes travaillé, nous savons que ce travail de pré-transposition n’était pas simple et nous en connaissons les difficultés.

Il faut obliger les plateformes à se doter de moyens de régulation pour lutter contre ce fléau et c’est une bonne chose d’avancer sur cette question dès l’examen du texte en commission. Le groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés vous soutient pleinement.

M. Charles de Courson. Cet amendement est vraiment long et complexe. Nous n’avons pas vraiment eu le temps de l’examiner et d’en mesurer les risques. Pourquoi l’avoir déposé aussi tardivement ?

Sur le fond, la quasi-totalité des courants politiques reconnaît qu’il nous faut un système de régulation dépendant, non pas du Gouvernement, mais d’une autorité indépendante, et c’est ce que vous proposez. Mais ce que vous transposez ici, c’est un projet de directive, qui va encore être modifié lors des débats au Parlement européen. Nous serons donc probablement obligés de légiférer à nouveau pour transposer la directive dans sa version définitive.

Vous dites, à juste titre, que réguler les seuls réseaux français n’aurait pas beaucoup de sens et qu’il importe, pour que le dispositif soit opérationnel, qu’il s’applique aussi aux plateformes établies à l’étranger, notamment dans les autres pays de l’Union européenne. Mais vous expliquez aussi que cela suppose de déroger au principe du pays d’origine, inscrit dans la directive sur le commerce électronique. J’aimerais savoir si, dans l’état actuel du projet de directive, on peut déroger dans un objectif de protection de la dignité humaine. En définitive, ne serait-il pas préférable d’attendre, pour la transposer, que cette directive soit votée, d’ici à un an ou un an et demi ? Bref, ne va-t-on pas un peu trop vite ?

M. Éric Coquerel. Cet amendement du Gouvernement arrive un peu au dernier moment, et il nécessite d’être expertisé d’ici à la séance.

Monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, vos réponses aux questions soulevées par les sous-amendements de Mme Emmanuelle Ménard ne me satisfont pas. Mon sentiment, c’est que vos amendements présentent les mêmes défauts que ceux qu’avait relevés le Conseil constitutionnel dans la loi Avia.

Le problème, ce n’est pas l’objectif que vous affichez : tout le monde est convaincu qu’il faut introduire un système de régulation des contenus numériques, notamment pour lutter contre la haine en ligne. La question, c’est de savoir qui doit exercer ce contrôle, et sur quels critères. Pour notre part, nous pensons que c’est à l’État, et non aux GAFA, qu’il convient de le faire. S’agissant du CSA, nous estimons qu’il a déjà du mal à exercer ses missions sur les chaînes de télévision, par exemple contre les provocations racistes, et qu’il lui sera donc difficile de supporter cette tâche supplémentaire.

Enfin, madame, la rapporteure, votre métaphore du gâteau ne me semble pas très heureuse, car si un gâteau est mauvais, ce n’est pas seulement à cause de la cuisson, mais aussi des ingrédients qui le composent. L’amendement du Gouvernement me semble présenter les mêmes défauts que votre loi.

Mme Caroline Abadie. Certains collègues ont peut-être l’impression que les dispositions introduites par ces amendements ressemblent trop à la proposition de loi que Laetitia Avia a défendue il y a un peu plus d’un an, au nom du groupe La République en marche. Je rappellerai toutefois que le Conseil constitutionnel n’a censuré que les dispositions relatives à l’obligation de résultat et à la responsabilité pénale des plateformes, qui constituaient la première partie de la loi, non les dispositions relatives à la régulation, que l’on retrouve ici.

S’agissant du CSA, le Conseil d’État avait estimé qu’il était assez cohérent de lui confier cette mission et qu’il était louable de ne pas créer un nouveau régulateur. Il est vrai que le président du CSA est nommé par le Président de la République, mais il se trouve que c’est la seule personne, en France, à être élue au suffrage universel. Les coprésidents, eux, sont nommés par les présidents des assemblées et le fonctionnement du CSA est très collégial. Je ne vois rien à redire à cela. Nous soutenons pleinement la régulation des réseaux sociaux, qui est bienvenue.

M. François Pupponi. Je n’ai pas encore défendu le sous-amendement CS1906 de Mme Blandine Brocard. Les plateformes étant tenues de communiquer les données dont elles disposent, de nature à permettre l’identification des utilisateurs qui ont mis en ligne des contenus, il s’agirait de les obliger à prendre des mesures pour permettre l’identification d’un utilisateur lorsque celui-ci masque volontairement ses données. Cela permettrait, par exemple, de rendre obligatoire l’indentification téléphonique d’une personne utilisant un système d’anonymisation.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Votre sous-amendement me semble satisfait, puisque nous proposons déjà des dispositions pour renforcer la coopération judiciaire et l’identification des auteurs de contenus illicites.

Je ne suis pas en train de défendre des dispositions qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel. La loi que nous avons votée comportait trois grandes parties. L’une n’a pas du tout été censurée et s’est appliquée : c’est celle qui concerne le parquet numérique et l’observatoire de la haine en ligne, qui ont été créés. Celle qui a été censurée par le Conseil constitutionnel portait sur l’obligation de retrait de contenus haineux et a fait, c’est vrai, l’objet de nombreux débats entre nous. Mais il y avait d’autres dispositions, qui sont tombées par effet de domino, et qui portaient sur l’organisation des réseaux sociaux – sur la manière dont ils pouvaient modérer les contenus et sur la manière dont nous pouvions superviser et encadrer leur action. Sur cette partie du texte, nous avons eu des débats assez consensuels, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, qui l’avait d’ailleurs votée.

Il ne s’agit pas, je le répète, de se focaliser sur le point d’arrivée, à savoir le retrait des contenus – ce que nous avions fait à l’époque, je le reconnais. Il s’agit de réfléchir au cheminement et de savoir comment les plateformes travaillent. Parce qu’elles sont devenues notre point de contact sur l’extérieur, notre moyen d’information privilégié, nous avons besoin de savoir comment les plateformes travaillent. Pour mettre fin aux dérives actuelles, il faut leur demander de recruter davantage de modérateurs. Au bout de trois ans, on ne sait toujours pas combien il y a de modérateurs chez Twitter !

Monsieur de Courson, je rappelle que le Digital Services Act n’est pas un projet de directive, mais de règlement. Il va de soi que les dispositions que nous voterons ont vocation à s’éteindre si elles sont écrasées par les dispositions votées à l’échelle européenne. L’articulation entre les deux niveaux ne posera donc aucun problème.

Madame Ménard, je ne crois pas que l’élection présidentielle va se jouer sur la question des contenus haineux. J’espère que personne n’est favorable à la diffusion de messages à caractère raciste, antisémite, homophobe, sexiste, ou que sais-je encore, et, en tout cas, que cela ne constituera pas un élément clé de la campagne. Je crois, en revanche, que nos concitoyens jugeront la manière dont nous aurons répondu à ce qui est une vraie préoccupation pour eux au quotidien. C’est bien beau de commenter l’élection de Miss France, de soutenir Miss Provence, de dénoncer l’horreur des attaques dont elle a fait l’objet, de dire qu’il faut lutter contre les contenus haineux, mais à un moment, il faut agir. Que nous ayons été capables d’apporter des réponses concrètes à un problème qui détruit des vies sera, je le crois, un enjeu important dans les prochains mois.

M. Cédric O, secrétaire d’État. Monsieur de Courson, le Digital Services Act est effectivement un projet de règlement : il n’y aura donc pas lieu de légiférer une nouvelle fois.

Vous m’avez, comme monsieur Coquerel, interpellé sur le délai de dépôt de cet amendement. J’ai fait une petite erreur : le Digital Services Act a été présenté le 15 décembre. Il comprend quatre-vingts articles ; il a fallu prendre le temps d’échanger avec la Commission et de l’analyser en profondeur. Nous aurions pu prolonger l’étude juridique et ne présenter notre amendement qu’en séance, mais, dans un souci de transparence vis-à-vis du Parlement, nous avons fait le choix de le présenter dès l’examen en commission spéciale. C’est pourquoi les choses ont été un peu précipitées. Mais vous aurez encore du temps, d’ici à l’examen en séance, pour examiner cet amendement et ses implications. Je vous concède que sa présentation n’est pas évidente, mais nous étions tenus de suivre celle du règlement européen qui, je le rappelle, était attendue initialement pour fin novembre.

Vous avez mis le doigt sur la question importante du pays d’origine et du pays de destination. Le règlement européen prévoit deux choses : que ce soit l’autorité du pays d’origine qui régule les contenus et qu’il y ait, vis-à-vis du pays de destination, une espèce de mécanisme de règlement des différends, de sorte que si le CSA français a à se plaindre du traitement des contenus français par le CSA irlandais sur Facebook – puisque le siège de Facebook est en Irlande –, les choses puissent être réglées rapidement. C’est un sujet sur lequel l’Allemagne et la France ont émis des réserves ; elles préfèreraient que la question des pays de destination soit mieux traitée. Cela fera l’objet de discussions au niveau européen. Il faut, en tout cas, que le règlement des différends soit plus rapide que ce que permet actuellement le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Il n’était pas envisageable que le CSA français ne régule que les plateformes françaises, puisque les plateformes concernées sont établies au Luxembourg ou en Irlande – cela serait revenu à réguler un ensemble vide. Nous avons donc introduit une petite différence par rapport à ce que prévoit le Digital Services Act, en considérant que nous régulerions toutes les plateformes exerçant des activités en France, même si elles n’y ont pas leur siège. Il y aura donc effectivement un travail d’ajustement à faire. Mais, vous l’avez dit vous-même, le Digital Services Act n’a pas encore été adopté et il continue de faire l’objet de débats, et même de réserves, de la part de la France et de l’Allemagne.

Monsieur Coquerel, le principal reproche qui a été fait à la loi Avia, et qui a conduit à la censure du Conseil constitutionnel, c’est l’obligation de résultat en vingt-quatre heures. Le Conseil constitutionnel a estimé que les plateformes, parce qu’elles seraient incapables de juger au fond de chaque contenu en vingt-quatre heures, seraient amenées à en retirer davantage pour se prémunir de toute sanction. Nous n’avons pas repris cette disposition, qui était la plus polémique et qui a suscité le plus de débats. Ce que nous avons retenu, ce sont les dispositions relatives aux obligations de moyens qui, si ma mémoire est bonne, faisaient l’objet des articles 2 à 4 : elles obligent les plateformes à se doter de moyens de modération et à faire le maximum, sous la supervision du régulateur. On sait que des contenus passeront à travers les mailles du filet, c’est normal, mais les plateformes doivent faire tous leurs efforts possibles pour réguler. Il n’y a pas d’autre solution que de demander aux plateformes de réguler sous la supervision du régulateur. Vous êtes peut-être la cible, vous aussi, de propos haineux ; la justice ne peut pas juger du retrait de centaines ou de milliers de commentaires insultants, dans la temporalité qui est celle d’internet. C’est pourquoi nous demandons aux plateformes de créer des systèmes de modération à la hauteur de l’enjeu.

La commission rejette successivement les sous-amendements.

Puis elle adopte les amendements identiques.

L’amendement CS1460 de M. Belkhir Belhaddad est retiré.

La commission examine l’amendement CS373 de Mme Sophie Panonacle.

Mme Sophie Panonacle. Les réseaux sociaux ont révolutionné les modes d’échanges et la diffusion de l’information, et ont permis des avancées sur le terrain de la liberté d’expression. Mais la liberté d’expression, ce n’est pas la liberté d’insulter par des messages haineux ; ce n’est pas manipuler l’opinion publique par des idéologies violentes et de façon anonyme.

L’anonymat n’existe pas vraiment, me direz-vous, puisque 90 % des diffuseurs d’informations sont traçables, mais il en reste tout de même 10 % que l’on a du mal à retrouver. Mieux vaut peut-être parler de pseudonyme. Mais, même sous pseudonyme, le sentiment d’impunité favorise la profération de menaces. Derrière un pseudonyme, on se sent à l’abri, et les mots sont parfois des armes.

Vous venez d’adopter une mesure pour lutter contre les activités illicites. C’est une bonne chose, mais nous savons très bien, monsieur le secrétaire d’État, qu’il faudra, pour lutter contre ce fléau, d’importants moyens humains et un effort de formation des forces de l’ordre. Cela concernera les faits les plus graves. Quant à moi, je veux appeler votre attention sur la violence du quotidien : une infirmière qui travaille dans un service covid et que ses voisins dénoncent, un collégien harcelé, une jeune femme qui participe à un concours de beauté, et tous ceux de nos concitoyens qui sont la cible d’insultes au quotidien… On ne s’insulte pas dans la rue. Pourquoi et comment cette violence s’est-elle banalisée sur les réseaux sociaux ? Le pseudonyme, parfois, peut aussi être un moyen de se protéger de la haine.

Je ne suis pas commissaire aux lois, je ne suis pas juriste ; je suis seulement la porte-parole des Françaises et des Français qui me demandent, en tant que législateur, d’ouvrir ce débat et de réfléchir à une levée progressive de l’anonymat sur les réseaux sociaux. Je sais que le sujet est complexe et qu’il faut l’aborder avec sérénité, dans le cadre d’un débat apaisé. C’est pourquoi je demande, avec cet amendement, un rapport évaluant la faisabilité et les conséquences de la levée de l’anonymat sur les réseaux sociaux. Ce rapport serait une première étape ; il permettrait d’éviter la censure du Conseil constitutionnel. Compte tenu de la complexité technique, juridique et sociétale d’un tel sujet, je pense qu’il serait bienvenu.

M. le président François de Rugy. Chère collègue, nous avons dit et répété, mais peut-être n’étiez-vous pas là, que les demandes de rapport recevraient un avis défavorable de manière quasi systématique.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Vous l’avez dit vous-même, l’anonymat n’existe pas sur les réseaux sociaux. Un rapport doit permettre d’obtenir des informations qui ne sont pas en notre possession. En l’occurrence, nous avons ces informations ; ce dont il faut nous assurer, c’est que les plateformes nous les transmettent. C’est pourquoi il faut que les géants du numérique aient un représentant légal en Europe, afin que nous ne soyons plus obligés d’envoyer des réquisitions judiciaires aux États-Unis ; pourquoi aussi il faut des sanctions financières fortes lorsqu’ils ne répondent pas. Avis défavorable.

M. Cédric O, secrétaire d’État. Ce sujet de l’anonymat revient assez régulièrement, et je pense que la question plus globale de la régulation et des institutions à l’ère d’internet doit effectivement faire l’objet d’une réflexion.

J’ai un peu plus de réserves sur votre demande de rapport, d’abord par principe, mais surtout parce qu’un rapport du Gouvernement vise généralement à mieux connaître ce qui se passe à l’intérieur de l’État et les discussions qui peuvent avoir lieu entre administrations. Or il me semble que, sur la question de l’anonymat et de la régulation des réseaux sociaux, les données sont assez bien connues. Les questions qui se posent, par exemple les impossibilités techniques, font déjà partie du débat public. Je suis tout à fait disposé à le poursuivre, mais je ne pense pas qu’un rapport soit le bon outil pour le faire. Je vous invite donc à retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Guillaume Vuilletet. Je ne pense pas non plus qu’un rapport soit un outil adapté pour traiter de ce problème, qui est tout à fait sérieux. Même si l’on arrive généralement à découvrir qui se cache derrière un pseudonyme, on ne peut pas réparer le traumatisme causé par un message de haine. Puisque le Gouvernement a engagé un travail sur cette question, laissons-le le mener à bien. J’aurais préféré que notre collègue retire son amendement ; si elle le maintient, le groupe La République en marche votera contre, malgré toute l’amitié que nous lui portons.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1012 de Mme Sophie Panonacle.

Mme Sophie Panonacle. Cet amendement vise à obtenir un état précis de l’engagement des plateformes numériques dans la reconnaissance de l’identité des auteurs de messages haineux ou violents. Il complétera celui du Gouvernement, qui oblige les opérateurs de plateformes à mettre en œuvre des procédures et des moyens humains et technologiques pour informer dans les meilleurs délais les autorités judiciaires. Il est demandé au Gouvernement de présenter les résultats des indicateurs de suivi et d’évaluation des obligations des plateformes en matière de transmission des données permettant l’identification des auteurs de contenus illicites.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je vous invite à retirer votre amendement, car il est satisfait. Les amendements que nous venons de voter prévoient déjà que les plateformes transmettent les informations dont elles disposent au CSA, qui en informera le grand public, ou directement au grand public. La plus grande transparence est déjà assurée.

L’amendement est retiré.

Article 20 : Extension des procédures rapides de jugement des délits à certains délits prévus par la loi du 29 juillet 1881

La commission examine les amendements de suppression CS1064 de M. Éric Coquerel, CS1313 de Mme Elsa Faucillon et CS1449 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Éric Coquerel. Notre groupe est, par principe, opposé à la comparution immédiate, sur laquelle nous avions d’ailleurs déposé des amendements lors de l’examen du projet de loi de réforme de la justice. Cette procédure ne respecte pas les droits fondamentaux, en particulier le droit à la défense. Dans la mesure où cet article vise à en étendre l’usage, nous demandons sa suppression.

Mme Elsa Faucillon. Nous sommes opposés à l’élargissement progressif du champ d’application des procédures rapides de jugement, a fortiori s’agissant des délits prévus par la loi de 1881. Les procédures de jugement rapide ne nous semblent pas appropriées, d’une manière générale, et encore moins lorsqu’il s’agit de traiter des matières aussi sensibles que les délits liés à la presse.

L’amendement CS1449 est retiré.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La haine en ligne est réprimée par l’article 24 de la loi de 1881. Ce texte est totémique pour les journalistes, sans doute à juste titre. Le problème, c’est qu’un certain nombre de haineux du quotidien viennent se lover dans ce texte qui, à l’origine, n’a pas été fait pour eux, mais pour garantir la liberté de la presse. Ces haineux du quotidien nous pourrissent la vie en diffusant leur venin. Or ils n’ont rien à voir, ni de près ni de loin, avec le journalisme.

Il y avait deux solutions. La première, c’était de toucher à la loi de 1881, ce qui était extrêmement délicat. Si nous l’avions fait, vous auriez été les premiers à pousser des cris d’orfraie – à juste titre. Je ne voulais surtout pas toucher à cette loi. J’ai consulté tout le monde sur cette question : les patrons de presse, les journalistes, les syndicats, les avocats spécialisés en matière de presse ; tous m’ont dit leur attachement à cette loi. Nous avons choisi l’autre solution, celle qui consiste à modifier certaines dispositions de la procédure pénale afin d’attraire les haineux du quotidien en comparution immédiate, en prenant évidemment le soin d’exclure les journalistes ou assimilés d’un tel traitement judiciaire.

La loi de 1881 n’a pas été faite pour les haineux du quotidien, mais ils en tirent tous les bénéfices : ils sont jugés deux ans après les faits, et en retirent un sentiment d’impunité. Moi je souhaite que ceux qui prononcent en ligne des mots qui nous font tellement de mal soient jugés rapidement. Quant à dire que la comparution immédiate serait une privation de droit, ce n’est pas vrai : c’est une procédure qui a le mérite de la rapidité.

Je ne crois pas à l’exemplarité de la peine, surtout pour des professionnels de la délinquance. Comme l’a dit Robert Badinter, on ne commet pas une infraction avec un code pénal sous le bras. En revanche, pour les gamins qui sont les haineux du quotidien, la comparution immédiate peut avoir un effet intéressant, en termes d’exemplarité. Je pense qu’on ne parviendra pas, hélas ! à éradiquer la haine en ligne, mais si nous arrivons à la faire un peu diminuer, nous n’aurons pas perdu notre temps. Je suis évidemment défavorable à vos amendements.

M. Éric Coquerel. Je n’ai pas très bien compris pourquoi certains devraient avoir droit à la comparution immédiate et pas d’autres : les grands délinquants pourraient attendre, mais il faudrait une comparution immédiate pour ceux que vous appelez les haineux du quotidien.

L’appel à la haine est poursuivi par la justice : cela ne fait pas débat. Mais la comparution immédiate, que vous voulez étendre, nous apparaît comme une justice expéditive. En cas d’appel à la haine caractérisé par la loi, la justice peut très bien faire son travail et on ne voit pas pourquoi il faudrait introduire une exception, à moins que vous n’ayez une définition très large des haineux du quotidien, qui ne seraient pas seulement des journalistes… Encore une fois, je trouve bizarre que certains aient droit à la comparution immédiate et pas d’autres. J’ai du mal à comprendre la distinction que vous faites.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je peux la reprendre, si vous voulez.

M. le président François de Rugy. Vu l’heure tardive, je ne sais pas s’il faut relancer ce débat, mais il est tout de même étonnant que vous ne compreniez pas cela, monsieur Coquerel, franchement.

M. Éric Coquerel. Arrêtez avec vos jugements !

M. le président François de Rugy. Cela vous dérange peut-être, mais j’ai parfaitement le droit de m’exprimer, et je crois exprimer le sentiment de nombreux Français. Internet a tout changé, car c’est à la fois l’immédiateté et l’éternité : si vous publiez une information sur internet, elle a un effet immédiat, mais elle y reste tant qu’elle n’a pas été retirée. Autrefois, les journaux paraissaient et étaient remplacés par d’autres le lendemain dans les kiosques, les émissions télévisées passaient une seule fois. Avec internet, la donne a changé. Je veux bien vous redonner la parole, monsieur Coquerel, mais notez que ce n’est pas de droit.

M. Éric Coquerel. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas intervenir pénalement face à des gens qui publient des messages de haine. Ce que nous contestons, c’est le recours à la comparution immédiate ; et le fait qu’elle s’applique dans certains cas et pas dans d’autres.

La commission rejette les amendements identiques.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1781 de la rapporteure.

La commission examine, en discussion commune, l’amendement CS1582 de M. JeanFrançois Eliaou et les amendements identiques CS452 de Mme Isabelle Florennes et CS1321 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Jean-François Eliaou. L’amendement CS1582, auquel j’ai travaillé avec la rapporteure, tend à étendre la dérogation prévue à l’article 20 du projet de loi à l’article 24 bis et aux alinéas 3 et 4 de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881.

Il s’agit ainsi d’apporter une réponse juridique rapide aux négationnistes des crimes contre l’humanité et des génocides – mentionnés à l’article 24 bis – ainsi qu’aux injures proférées aux personnes en raison de leur origine, leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion, mais également en raison de leur sexe, leur orientation sexuelle ou identité de genre ou leur handicap – mentionnées à l’article 33.

Mme Isabelle Florennes. L’objectif de l’amendement CS452 est d’élargir le champ de la procédure de comparution immédiate ou à délai différé prévue par l’article 397-6 du code de procédure pénale aux injures publiques à caractère racial telles que visées par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881, de manière à englober les comportements haineux ou diffamatoires.

M. Pierre-Yves Bournazel. Il importe de réagir immédiatement aux discours de haine. Une comparution immédiate pour toutes les injures à caractère raciste, antisémite ou LGBTphobe sera efficace.

Mme Lætitia Avia, rapporteure. Je suis très favorable à l’amendement CS1582 de M. Eliaou, parce qu’il intègre le négationnisme, mentionné à l’article 24 bis, et qu’il vise précisément les alinéas de l’article 33 relatifs à l’injure discriminatoire.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je ressens le même enthousiasme que la rapporteure pour l’amendement de M. Eliaou. J’aurai un avis défavorable sur les deux autres amendements.

La commission adopte l’amendement CS1582.

En conséquence, les amendements CS452 et CS1321 tombent.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1782 de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article 20 modifié.

Après l’article 20

La commission examine l’amendement CS1583 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie. Je travaille aux côtés de Lætitia Avia depuis bientôt trois ans sur cet amendement, que mon groupe soutient avec force et qui concerne la formation aux bons usages d’internet.

Je précise qu’il ne s’agit pas des compétences techniques pour utiliser internet, dont traitent des plateformes telles que Pix, mais de la prévention des risques – le harcèlement, les atteintes à la vie privée, l’enfermement algorithmique, la dépendance aux écrans et aux likes ou la haine en ligne – ainsi que des bons comportements à adopter. Cela me paraît essentiel pour les jeunes publics.

Sur le modèle du permis internet que la gendarmerie et la police nationale font passer tous les ans à un quart des élèves de CM2, nous souhaitons former en la matière les écoliers puis les collégiens, qui se verraient délivrer un certificat.

La prévention routière est entrée dans les écoles en 1954. Le parc automobile français comptait alors 2,5 millions de véhicules – une paille par rapport au nombre d’internautes français en 2021 !

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Je suis extrêmement favorable à cet amendement qui va dans le bon sens. La lutte contre la haine en ligne repose sur un triptyque : sanctionner les auteurs, réguler les réseaux sociaux – c’est l’amendement que nous avons adopté après l’article 19 – mais aussi prévenir. C’est en ce sens qu’il faut accompagner la jeunesse.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il me semble que l’amendement est déjà pleinement satisfait. Cela existe déjà à l’école. La maîtrise des outils numériques, dans tous les domaines de la vie, est déjà prévue par le code de l’éducation, qui comporte une mention toute particulière sur la lutte contre la diffusion des contenus haineux.

Mme Caroline Abadie. Des enfants passent le permis internet en CM2, mais pas tous : ce n’est pas généralisé. Ensuite, la formation Pix, qui porte sur les compétences techniques – j’ai pu le constater de mes propres yeux, avec mes enfants –, ne correspond en rien à de la prévention des risques, grâce à la diffusion des bons usages. Savoir changer une photo de profil n’a pas d’intérêt au regard de l’objectif que nous cherchons à atteindre.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Il s’agira d’une généralisation : toute une génération passera un certificat à la sortie du primaire et du collège. Les dispositions que vous avez évoquées, monsieur le garde des sceaux – nous les avons adoptées dans le cadre de la loi du 24 juin 2020 –, n’ont pas du tout la même portée que ces éléments structurants qui permettront à toute une génération de bénéficier d’une sensibilisation, notamment à la question de l’endoctrinement numérique, extrêmement importante en matière de lutte contre la radicalisation.

Mme Perrine Goulet. Le brevet informatique et internet est une attestation délivrée aux élèves des écoles élémentaires, des collèges et des lycées. Comme l’a dit le garde des sceaux, cela existe déjà. S’il faut modifier les programmes, ce n’est pas du ressort de la loi.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS678 de Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Le groupe Les Républicains souhaite supprimer toute possibilité de réduction ou d’aménagement de peine pour les individus condamnés pour faits de terrorisme ou pour apologie de celui-ci.

M. le président François de Rugy. Voilà encore un amendement qui a échappé à la vigilance exercée au titre de l’article 45 de la Constitution.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Même position. Les personnes condamnées pour des actes de terrorisme sont déjà exclues du bénéfice des crédits automatiques de réduction de peine. Par ailleurs, j’ai engagé en la matière une réflexion globale qui n’est pas encore achevée.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS933 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. J’ai déjà tenté d’introduire une référence à la haine d’un État, en particulier celui d’Israël, dans la loi de 2004. Je vais réessayer, cette fois à propos de la loi de 1881. Son article 24 parle d’ethnies, de races, de religions, d’origines et de nations, mais pas d’États. Or une nation n’est pas la même chose qu’un État. On est sanctionné en cas de haine de l’une mais pas de l’autre.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS77 de M. Raphaël Gérard.

Mme Stéphanie Atger. Il s’agit de renforcer la lutte contre la propagation des discours de haine en étendant les cas, prévus par l’article 48 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, dans lesquels le ministère public peut agir d’office, sans qu’il soit besoin d’un dépôt de plainte de la victime. Seraient désormais concernés les injures et les actes diffamatoires envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l’identité de genre. La lutte contre la propagation des contenus transphobes sur internet est d’intérêt général, au même titre que celle contre les contenus homophobes, sexistes ou racistes.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS448 de Mme Isabelle Florennes et CS1160 de M. Pierre-Yves Bournazel.

Mme Isabelle Florennes. Il nous a paru intéressant, à la suite de l’audition du procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, d’harmoniser les délais de prescription pour un certain nombre de délits.

M. Pierre-Yves Bournazel. Avec le groupe Agir ensemble, nous proposons d’harmoniser les délais de prescription de l’action publique pour les délits prévus par l’article 24 de la loi du 19 juillet 1881, en instaurant un délai de prescription unique d’un an.

Les différences existant créent un manque de lisibilité et certaines incohérences. Le délai de prescription d’une provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne en raison de son origine est d’an, mais de trois mois seulement pour la provocation au meurtre.

L’amendement vise donc à faciliter la poursuite et la condamnation des auteurs de provocation à la commission d’un crime ou d’un délit et à améliorer l’intelligibilité de la loi.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis favorable à l’amendement CS1160, dont la rédaction est bien plus précise que celle de l’amendement CS448.

L’amendement CS448 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS1160.

Elle est saisie de l’amendement CS1147 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Du fait de l’harmonisation des délais de prescription, je me demande si mon amendement est encore justifié… Il s’agissait de porter de trois mois à un an la durée de prescription en cas d’injure ou de diffamation visant une personne chargée d’une mission de service public.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.

Les amendements CS1231, CS1226 et CS1237 de Mme Caroline Abadie sont retirés.

La commission examine l’amendement CS878 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous demandons au Gouvernement un rapport d’évaluation sur l’adéquation des moyens affectés à PHAROS. Notre groupe estime que la meilleure manière de lutter contre le terrorisme djihadiste est de donner aux services de renseignement les moyens humains et matériels d’appliquer les lois existantes plutôt que d’en produire d’autres, qui d’ailleurs recoupent parfois les précédentes.

PHAROS a enregistré 228 545 signalements pour la seule année 2019, soit environ 4 400 par semaine, alors même que cette plateforme n’est pas uniquement dédiée à la haine en ligne ou au terrorisme. Le manque d’effectifs a été confirmé, d’une certaine manière, par la réaction du Gouvernement après l’assassinat de Samuel Paty : vingt agents supplémentaires ont été affectés à la plateforme, et un autre renforcement a été annoncé. PHAROS n’a pas les moyens suffisants pour prévenir les événements comme ceux qui ont conduit à la mort de Samuel Paty.

Le rapport a aussi pour objet d’examiner les causes précises du non-fonctionnement du groupe de contact permanent dans l’année qui a précédé l’assassinat. Le GCP est censé se réunir tous les quinze jours.

Toutes ces choses intéresseront les parlementaires et leur permettront de voir si cette plateforme, dont le rôle est très important, a les moyens – en termes de méthodes, de matériel et d’effectifs – d’accomplir ses missions.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Défavorable, d’autant que nous venons de renforcer PHAROS.

M. Éric Coquerel. Madame Avia, je suis très content d’apprendre que vous disposez d’informations vous conduisant à penser que le renforcement annoncé est suffisant pour faire face à la charge de travail de PHAROS, alors même que celle-ci augmente constamment, qu’il s’agisse de la haine en ligne, qui est l’une raisons du projet de loi, de la pédocriminalité, de la haine raciale ou encore des discriminations. Pour ma part, mais c’est sans doute le cas d’autres parlementaires, je n’en dispose pas. J’aimerais donc qu’on nous présente ces éléments, pour voir comment améliorer la plateforme. C’est là qu’on lutte concrètement contre le terrorisme et contre des faits comme ceux qui ont conduit à l’assassinat de Samuel Paty. C’est la raison pour laquelle je me permets d’insister sur l’importance de cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS269 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Je serai brève, car je connais votre inclination pour les demandes de rapport. Celle-ci concerne également PHAROS. Lors de l’audition de Cédric O, je l’avais interrogé sur les suites, notamment judiciaires, des signalements enregistrés sur la plateforme. Il n’avait pas été en mesure de me répondre. Par la suite, je lui ai adressé un courrier, mais je n’ai toujours pas reçu d’éléments. Mon amendement vise donc à obtenir l’ensemble des informations relatives aux répercussions judiciaires des signalements, lesquels permettent effectivement d’avoir une visibilité sur les faits de terrorisme en ligne.

Mme Laetitia Avia, rapporteure. Avis défavorable. Pour information, PHAROS dépend du ministère de l’intérieur : c’est lui que vous devriez interroger.

Mme Anne-Laure Blin. Merci pour cette précision, madame la rapporteure. Malheureusement, ni M. O ni M. Darmanin ne sont parmi nous à cet instant, ce qui renforce l’intérêt de voter mon amendement.

La commission rejette l’amendement.

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11.   Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 9 heures (article 21)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10203472_600a8236033e4.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-22-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Nous reprenons nos travaux avec l’examen de l’article 21 qui, vous le savez, monsieur le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, suscite une forte mobilisation dans le pays et dans notre commission.

Je vous propose, chers collègues, d’entendre les représentants de chaque groupe et les non-inscrits, puis Mme la rapporteure, Anne Brugnera, et M. le ministre avant que ne soient présentés dans leur globalité les nombreux amendements de suppression qui ont été déposés. Nos débats seront ainsi bien organisés, comme nous en sommes convenus hier avec les représentants des groupes, tout en permettant l’expression du pluralisme, auquel je suis très attaché.

Chapitre V

Dispositions relatives à l’éducation et aux sports

Section 1 : Dispositions relatives à l’instruction en famille

Article 21 : Encadrement des possibilités de recours à l’instruction en famille

La commission examine les amendements de suppression CS2 de M. Pierre Cordier, CS9 de Mme Anne-Laure Blin, CS53 de M. Fabien Di Filippo, CS87 de Mme Annie Genevard, CS105 de Mme Sandra Boëlle, CS121 de M. Philippe Gosselin, CS138 de M. Emmanuel Maquet, CS191 de M. Xavier Breton, CS207 de M. Philippe Meyer, CS215 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CS233 de M. Jean-Jacques Ferrara, CS239 de M. Yves Hemedinger, CS259 de M. Matthieu Orphelin, CS266 de M. Philippe Latombe, CS470 de M. Olivier Gaillard, CS483 de Mme Marine Le Pen, CS495 de M. David Lorion, CS514 de Mme Agnès Thill, CS704 de M. Charles de Courson, CS739 de M. Xavier Batut, CS749 de Mme Anne-France Brunet, CS792 de M. Julien Ravier, CS823 de Mme Emmanuelle Ménard, CS846 de Mme Delphine Bagarry, CS1235 de M. Benoît Potterie, CS1334 de M. Grégory Labille, CS1346 de Mme Frédérique Meunier, CS1372 de M. Jean-François Parigi, CS1411 de M. Max Mathiasin, CS1474 de Mme Béatrice Descamps, CS1501 de M. Cédric Villani, CS1571 de M. Mohamed Laqhila, CS1649 de Mme Cécile Untermaier, CS1666 de M. Paul-André Colombani et CS1702 de Mme Sonia Krimi.

Mme Anne-Laure Blin. Nous commençons en effet l’examen d’un chapitre relatif au versant éducatif du texte, monsieur le ministre, que vous avez conçu d’une manière très restrictive puisqu’il concerne seulement l’instruction en famille (IEF) et les écoles hors-contrat. Il est regrettable qu’il ne soit pas question de l’école publique, où le problème de l’islam radical se pose également, et que les amendements déposés par le groupe Les Républicains à ce sujet n’aient donc pas été retenus.

Cet article aborde donc un sujet sensible depuis que le Président de la République a prononcé un discours indiquant qu’il existait un lien étroit entre la radicalisation et le domaine éducatif et qu’il a ciblé l’instruction en famille. Quant à vous, monsieur le ministre, vous avez déclaré au Sénat que ce mode d’instruction était suffisamment encadré et contrôlé pour résoudre les difficultés auxquelles nous sommes confrontés mais, malheureusement, vous semblez avoir changé d’avis depuis les propos présidentiels, ce que nous ne pouvons que regretter.

Lors des auditions, auxquelles j’ai participé, Mme la rapporteure a entendu des parents, des enseignants, des chercheurs et je pense sincèrement que vous vous trompez de cible. L’instruction en famille repose sur ce principe fondamental, constitutionnel, qu’est la liberté d’instruire. L’instruction doit être laissée à l’appréciation des familles, qui doivent pouvoir jouer un rôle bien plus important que celui que vous voulez leur concéder. Ce sont elles, les premiers éducateurs des enfants ! Vous devez leur laisser la liberté de choisir le mode d’instruction qu’elles souhaitent : école publique, écoles privées, instruction en famille. Ne sacrifiez donc pas celles qui respectent les règles à celles qui ne les respectent pas !

Je partage votre objectif de lutte contre toutes les dérives mais l’instruction en famille en est exempte, à moins que vous disposiez d’éléments que nous ignorons.

M. Guillaume Vuilletet. Nous avons tous reçu des familles pour nous faire part de ce qu’elles vivent et de la façon dont leurs enfants s’épanouissent dans un système qu’elles ont conçu. Elles ne comprennent pas pourquoi, en raison des agissements d’une infime minorité, tout le monde devrait être touché par les dispositions qui seront prises. Nous avons tous tenu à leur répondre, tant à partir de notre engagement personnel qu’à partir des dispositions du texte.

Nous devons absolument maintenir que le cadre scolaire commun, laïque, est une bonne chose pour la société et permet aux enfants de s’épanouir, de faire l’apprentissage de la citoyenneté, d’acquérir les connaissances nécessaires. Il faut évidemment tenir compte des situations où cela n’est pas possible, où des enfants ont besoin d’un autre système, où des apprentissages nécessitent une autre organisation, mais nous ne devons pas non plus sombrer dans le déni : quelques milliers d’enfants, en particulier des filles, sont soustraits à la République dans une logique purement séparatiste. Ils doivent être repérés et sauvés.

Le groupe La République en marche soutient donc le système d’autorisation proposé par le Gouvernement, remplaçant celui de la déclaration. Je ne crois pas qu’il soit disproportionné par rapport à l’objectif que nous poursuivons car il contient un certain nombre de dispositions permettant de prendre en compte les situations particulières.

Nous allons débattre, ce système évoluera, mais nous souhaitons sauver ces quelques milliers de personnes et nous répèterons aussi sans cesse que l’instruction à l’école est une très bonne chose pour tous les enfants, comme pour la société.

Mme Géraldine Bannier. Le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés partage l’objectif du Gouvernement visant à mieux contrôler l’instruction en famille mais souhaite également que soit préservée la liberté de l’enseignement, consacrée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et le Conseil constitutionnel.

Il convient bien entendu de répondre aux situations problématiques – il y en a, il ne faut pas le nier – mais nous souhaitons aussi rassurer toutes les familles pour qui l’instruction en famille, souvent momentanée et qui répond à une situation particulière, demeure adaptée.

Le MODEM proposera donc des aménagements à cet article, sans vouloir le supprimer, et souhaite évidemment être entendu.

M. Boris Vallaud. Le groupe Socialistes et apparentés, moi-même, sommes attachés à l’école et, en particulier, à l’école publique. On peut regretter que le Serment de Vincennes n’ait pas été tenu, on peut être favorable à la scolarisation de tous les enfants et, en même temps, constater les remous que suscite votre proposition.

Comme beaucoup de collègues, j’ai été interpelé par des parents d’élèves qui se demandent en quoi ils contreviennent aux lois de la République alors qu’ils ont le sentiment de les respecter. Ils s’interrogent d’autant plus compte tenu de l’objectif poursuivi. La question de la proportionnalité, évidemment, se pose.

Pour essayer de comprendre, nous aurions aimé nous reporter à l’étude d’impact mais elle est indigente : aucun chiffre ne nous permet de prendre la mesure des choses, de connaître la répartition géographique des élèves en IEF, la structure de scolarisation des familles qui ont plusieurs enfants, etc.

De plus, nous aurions aimé que la question de la mixité sociale au sein des établissements scolaires soit posée. Nous avions déposé à ce propos des amendements qui ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Pourtant, fin 2015, début 2016, ont été lancées plusieurs dizaines d’expérimentations dont il aurait été utile de débattre : lorsque, pour les plus jeunes, les promesses d’égalité de la République sont démenties, lorsque l’on n’a pas étudié ensemble, comment prétendre, plus tard, vivre ensemble ?

Nous écouterons vos réponses attentivement mais nous avons surtout le sentiment que nous discutons d’une loi d’injonction qui ne fera vivre aucune des promesses de la République.

M. Pierre-Yves Bournazel. Monsieur le ministre, vous incarnez fort bien le respect des principes de la République, en ce qui concerne tant l’égalité des chances que la laïcité. Rappelons tout de même la réforme la plus importante de ce quinquennat : le dédoublement des classes en zone d’éducation prioritaire et en zone d’éducation prioritaire renforcée, qui permet de donner plus à ceux qui, au départ, ont un moindre capital social et culturel. À cela s’ajoute le renforcement de la formation des enseignants et des agents de l’éducation nationale à la laïcité.

Nous allons parler de l’autorisation de l’instruction des enfants en famille, pas de son interdiction ! Il n’est pas question de revenir sur cette liberté. Le groupe Agir ensemble est attaché aux libertés, mais toute liberté doit être encadrée pour être protégée et, en l’occurrence, il convient de distinguer les familles qui respectent les principes de la République et celles qui choisissent de contourner le droit : nous savons que des enfants sont soustraits à l’école par des familles qui haïssent les principes de la République et qui veulent les séparer d’elle et de notre nation. Nous envisagerons ce débat dans ce cadre, de manière constructive.

M. Stéphane Peu. Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera cet article, dont il se félicite de la rédaction finale.

Nous considérons que ce n’est pas l’instruction qui devrait être obligatoire mais l’école avec, le cas échéant, des dérogations. L’école, creuset d’intégration, lieu de socialisation, est en effet la clé de voûte de l’édifice républicain.

M. Bournazel vient de le dire, cet article n’interdit pas l’instruction en famille. Comme tous les collègues, j’ai été sollicité par des administrés : s’ils ont été d’abord inquiets, ils comprennent maintenant que, simplement, un meilleur contrôle sera appliqué, ce qui conviendra très bien à ceux qui respectent les lois et qui ne conviendra pas à ceux qui les enfreignent en soustrayant leurs enfants à la République.

Je suis l’élu d’une circonscription où, dans certaines écoles publiques, un quart seulement des élèves est scolarisé, avec tous les problèmes que cela pose en termes de mixité sociale. Je regrette que ce texte ne traite pas de cette question, alors qu’elle est indissociable de celles de la laïcité et de la République.

M. Charles de Courson. Monsieur le ministre, je vous plains, parce que vous êtes chargé d’appliquer une décision du Président de la République formulée dans son discours des Mureaux : « L’instruction à l’école sera rendue obligatoire (…) et l’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment, aux impératifs de santé. »

L’étude d’impact établit un faux diagnostic. Les deux cas qui se sont posés en Seine-Saint-Denis ont été résolus dans le cadre de la loi existante ; par ailleurs, si 10 % des enfants en IEF présentent des lacunes majeures, qu’en est-il dans les autres modalités d’enseignement ? La forte croissance de l’instruction en famille, selon l’étude d’impact, « rend les conditions de contrôle de plus en plus complexes compte tenu des moyens disponibles et de l’expertise nécessaire. » Précisément, c'est l’insuffisance des moyens qui est problématique !

De plus, seuls sept pays de l’Union européenne ont pris des mesures analogues. Je vous invite à ne pas faire valoir le cas allemand : c’est le régime nazi qui, en 1938, a supprimé l’instruction en famille, considérant que l’État devait éduquer tous les enfants !

Par ailleurs, l’article 21 est-il constitutionnel ? En l’état, non. Comment interdire à des familles le recours à l’IEF pour des motifs politiques, philosophiques ou religieux ? C’est inacceptable dans un pays libre, or, c’est ce que propose votre texte !

Vous rendez-vous compte où nous allons, avec le remplacement d’un système de déclaration par un système d’autorisation ? Vers une atteinte fondamentale à la liberté d’enseignement ! Celle-ci, de plus, est un bloc : pourquoi les établissements sous contrat ou hors contrat ne sont-ils pas soumis à ce système ?

Cet article n’est ni fait ni à faire. L’augmentation du nombre de familles recourant à l’IEF traduit un malaise, et c’est ce problème qu’il convient de résoudre.

M. Grégory Labille. En France comme dans de nombreux pays, c’est l’instruction qui est obligatoire et pas l’école. L’instruction en famille constitue l’une des modalités de l’expression de la liberté d’enseignement reconnue comme principe à valeur constitutionnelle.

Instruire ses enfants en famille est un choix exigeant, minoritaire et très mal connu. Ce mode d’enseignement est, de plus, très encadré par le code de l’éducation : tous les deux ans, les familles sont contrôlées par la mairie et tous les ans, par les services de l’éducation nationale.

En juin 2020, vous avez rappelé, monsieur le ministre, que la liberté d’instruction est l’un des fondements de la Constitution et que l’on ne peut qu’appliquer les règles établies par la loi de 2019. Sur le plan juridique, avez-vous déclaré, « je pense que nous sommes parvenus à un bon équilibre ».

Les familles qui pratiquent l’IEF nous regardent et sont très inquiètes : elles ne comprennent pas ce débat, alors qu’hier encore nous évoquions les certificats de virginité, la neutralité et la laïcité dans les services publics, les fichiers concernant les auteurs d’infractions terroristes, la lutte contre la polygamie. Que fait donc l’IEF dans ce projet de loi ?

Environ quarante amendements de suppression cosignés par plus de cent-soixante députés – dont quelques-uns de la majorité – ont été déposés. Selon le groupe UDI et Indépendants, la liberté d’enseignement doit demeurer telle qu’elle est définie et pratiquée.

M. Éric Coquerel. J’ai dit hier que nombre d’articles de ce texte visent à s’en prendre, en fait, à une seule pratique religieuse, ce que le rapporteur a démenti. Je rappelle donc l’exposé des motifs de la loi, selon lesquels « un entrisme communautariste, insidieux mais puissant, gangrène lentement les fondements de notre société dans certains territoires. Cet entrisme est pour l’essentiel d’inspiration islamiste. » Tout y est !

Le Gouvernement se prend encore une fois les pieds dans le tapis faute de s’être soucié des chiffres. Il soulève une question, pour lui, explosive alors que, selon M. Castex, sur les 62 500 enfants relevant de l’IEF, la question de l’intégrisme religieux se pose pour seulement 5 000 d’entre eux. Si j’en crois Le Canard enchaîné, le ministère de l’intérieur a expliqué ne pas savoir d’où provenaient ces chiffres… Nous légiférons donc à l’aveugle !

Par ailleurs, les parents qui réagissent le plus sont ceux qui estiment que leurs enfants ne doivent pas fréquenter l’école pour des motifs de liberté pédagogique ou des raisons philosophique personnelles.

La suppression de l’instruction en famille ne pose aucun problème au groupe La France insoumise car nous considérons que l’école est la matrice de la formation des citoyens, de leur émancipation, et qu’elle apporte ce que l’enfant ne saurait trouver au sein de sa famille. Cet article n’en reste pas moins déloyal car il n’est pas possible de traiter le problème sous ce seul rapport : il faudrait également qu’un article donne les moyens à l’école publique d’accueillir ces enfants, ce qui est loin d’être le cas.

Il convient également d’évoquer le problème des contrôles, qui n’ont pas lieu faute de personnels – nous proposerons un amendement permettant au Délégué départemental de l’éducation nationale (DDEN) d’y prendre part. N’est pas non plus abordé le cas, pourtant beaucoup plus répandu, des enfants privés d’école pour des raisons sociales : 100 000, selon la Défenseure des enfants. Cet article devrait être intégré dans une loi plus vaste qui donnerait à l’école publique tout son sens, tous les moyens nécessaires à son bon fonctionnement, et qui convaincrait ainsi les parents de scolariser à nouveau leurs enfants.

Mme Marine Le Pen. Nos libertés constitutionnelles sont en péril.

On ne peut indéfiniment rogner nos libertés, sauf à accorder d’incroyables victoires aux minorités antinationales et antirépublicaines. Le Conseil d’État vous en fait d’ailleurs le reproche en jugeant que vous cherchez à appliquer à tous des décisions alors que « les risques » que ces décisions « ont pour objet de prévenir ne concernent que les agissements d’une faible minorité. »

De même, la loi « Avia » restreint notre liberté d’expression à cause d’une minorité agissante haineuse, et notre liberté de manifestation se réduit à cause d’une minorité violente perturbant les manifestations ! Jusqu’à quand nos grandes libertés constitutionnelles seront-elles rognées au motif que des minorités refusent de se soumettre à la Constitution et aux lois ?

Je suis convaincue que, tous ensemble, nous pouvons trouver les moyens de renforcer les contrôles sans attenter à ces libertés constitutionnelles, pourquoi pas en renforçant les dispositions de l’article R. 131-3 du code de l’éducation nationale visant à lutter contre la déscolarisation ?

Contrairement à ce que disent certains, il n’est pas seulement question ici d’une autorisation préalable mais d’une autorisation qui ne sera accordée que pour des raisons médicales ou pour des enfants engagés dans un parcours d’excellence sportive ou artistique.

Oublions donc la communication politique et attachons-nous à préserver pour l’ensemble des Français un droit fondamental des familles : celui de choisir l’instruction à donner à leurs enfants, avec tous les contrôles qui s’imposent afin que certains ne profitent pas d’un « trou de souris » pour nourrir le séparatisme, lequel est également à l’œuvre au sein de l’éducation nationale, probablement bien plus que dans l’IEF !

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Je ferai une réponse générale aux amendements de suppression et aux amendements visant à réécrire cet article, à supprimer des alinéas ou à revenir sur l’autorisation.

Cet article 21 me paraît essentiel dès lors qu’il vise en premier lieu à garantir l’intérêt supérieur de l’enfant qui, dans la très grande majorité des cas, consiste à se rendre à l’école afin d’être socialisé, à accéder à la mixité sociale et à l’égalité des chances, à partager les valeurs de la République.

Notre République laïque française s’est construite avec l’école, une école à qui nous confions nos enfants pour qu’ils accèdent au savoir mais, aussi, pour qu’ils se construisent et partagent le socle de ces valeurs communes que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la dignité, la justice, la solidarité, le respect de la personne, l’égalité des femmes et des hommes, la tolérance et le rejet de toute forme de discrimination, cela même qui constitue l’éducation morale et civique.

À l’école, les enfants découvrent une sphère publique et collective, apprennent l’altérité, la différence et le respect. Ingénieure agronome, j’aime à dire que l’école est le biotope des enfants. Les conséquences délétères de l’épidémie de covid-19 et du confinement qu’elle a entraîné ont d’ailleurs montré à quel point la scolarisation est cruciale.

Selon la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, « la non-fréquentation des établissements porte gravement préjudice aux élèves les plus en difficulté, qu’il s’agisse de difficultés scolaires, sociales, psychologiques, ainsi qu’aux élèves en situation de handicap. »

C’est pourquoi, après de nombreuses auditions, je maintiens que l’instruction en famille doit rester une possibilité dérogatoire et encadrée afin de garantir qu’elle ne s’effectue que dans l’intérêt supérieur de l’enfant et, surtout, qu’elle ne soit pas dévoyée de son objectif premier.

J’ai relu les commentaires d’un maître de conférences en sciences de l’éducation à propos des lois Ferry de 1881 et 1882 définissant le rôle de l’État, de la famille et de la religion dans l’éducation : l’État a instauré l’instruction primaire obligatoire et gratuite dans les écoles publiques ou libres en même temps qu’il autorisait explicitement le mode d’instruction au sein de la famille mais en le contrôlant à travers des examens. Selon ce spécialiste, l’instruction en famille se définit dès l’origine comme une forme de « liberté contrôlée ». Hier comme aujourd’hui, il s’agit de garantir le droit à l’éducation de l’enfant qu’il convient, selon lui, de prémunir contre le risque de l’ignorance. Il conclut ainsi ses propos de 2014 : « Comme l’affirmait avec force Ferdinand Buisson en 1913, ainsi même, dans ce cas extrême de l’enseignement familial, on ne saurait parler d’absolue liberté d’enseignement. »

Si, la plupart du temps, l’instruction en famille se déroule dans de bonnes conditions, cela peut également ne pas être le cas lorsqu’il n’est pas tenu compte de l’intérêt ni des droits de l’enfant, notamment, du droit à l’éducation. De telles situations peuvent sembler marginales mais si, hors le cadre réglementé du Centre national d’enseignement à distance (CNED), seuls 3 000 enfants étaient concernés il y a une quinzaine d’années, ils étaient près de 45 600 à la rentrée scolaire 2020.

Les détournements et les dérives de l’instruction en famille, même minoritaires, ne peuvent pas être considérés comme insignifiants et appellent une réaction des pouvoirs publics et du législateur. Dans certains cas, ils traduisent une forme de rejet de l’école, une forme de séparatisme qui doivent également nous alerter.

Parmi ces dérives, plus encore que les lacunes de l’enseignement nous préoccupent celles qui portent atteinte à l’intégrité morale et physique des enfants. Nous avons auditionné la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), selon laquelle l’instruction en famille peut s’inscrire dans des projets néfastes de société fermée où sont utilisées des techniques psychologisantes pouvant entraîner un enfermement de l’enfant et un embrigadement des consciences.

Le lien entre instruction en famille et séparatisme est difficile à mesurer mais il existe. Plusieurs contrôles pédagogiques ont conduit des inspecteurs à transmettre des signalements aux cellules de prévention de la radicalisation motivés par des comportements inadaptés de parents ou d’enfants. La moitié des enfants qui ont été identifiés après le démantèlement d’écoles clandestines étaient officiellement déclarés comme étant instruits en famille.

L’enquête de mairie, tous les deux ans, et les contrôles annuels de l’autorité pédagogique ne suffisent pas. Les inspecteurs de l’éducation nationale, dont le travail est précieux, sont chargés de vérifier que l’enseignement assuré est conforme au droit de l’enfant à l’instruction et à l’acquisition progressive du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. De plus, ces contrôles se déroulent après que l’IEF a été engagée et deux contrôles portant un jugement d’insuffisance sont nécessaires pour mettre en demeure les parents de scolariser à nouveau leur enfant.

C’est pourquoi il est nécessaire de mieux encadrer l’instruction en famille. Il ne s’agit pas de la supprimer mais de la préserver, car elle est une solution pour certains enfants, à un moment de leur parcours ou pour une durée plus longue. Pour garantir qu’elle se déroule dans de bonnes conditions et qu’elle est motivée par l’intérêt supérieur de l’enfant, l’article 21 prévoit une autorisation préalable. Cet encadrement permettra de vérifier les motifs invoqués par les personnes responsables de l’enfant, notamment leur capacité à assurer l’instruction et leur disponibilité. Le recours à l’instruction en famille ne doit être choisi que pour répondre aux besoins spécifiques de l’enfant. La liste retenue me paraît satisfaisante, même si le quatrième motif pourrait être clarifié.

J’en viens aux arguments juridiques qui ont été invoqués. Le dispositif retenu est juridiquement solide, tant au regard du droit français que du droit international. Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur la question de savoir si le droit de pratiquer l’instruction en famille était une composante essentielle ou une modalité secondaire de notre socle constitutionnel. À ce jour, seules ont été retenues comme des composantes essentielles du principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement, l’existence de l’enseignement privé, le respect dû au caractère propre des établissements privés et l’octroi à leur profit de financements publics.

La Cour européenne des droits de l’homme a estimé, en 2006, que ni l’article 2 du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni les articles 28 et 29 de la convention relative aux droits de l’enfant ne s’opposent à ce qu’un État partie impose la scolarisation, cela relevant de sa marge d’appréciation. En 2019, elle est allée plus loin, en considérant que le placement des enfants en foyer dans le cas où les parents refuseraient de respecter l’obligation de scolarisation est acceptable.

Enfin, vous le savez, d’autres États interdisent ou restreignent l’instruction en famille plus strictement que nous proposons de le faire à l’article 21, sans que cela ait créé de difficultés vis-à-vis de l’Union européenne ou de la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour toutes ces raisons, je donnerai un avis défavorable aux amendements de suppression.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Ce débat est essentiel car il touche à la liberté de l’enseignement et à son évolution. La loi soumise à votre examen – qui est une loi de liberté – permettra de la préciser, donc de la renforcer.

Il y a, dans notre société, des facteurs qui unissent, et d’autres qui fragmentent. Cette loi vise à la mobilisation républicaine, dans une logique d’unité. L’école de la République est le facteur d’unité par excellence. L’école, c’est ce qui, dès la petite enfance, permet la transmission de savoirs et de valeurs, c’est ce qui cultive la différence et permet l’épanouissement.

Ce texte est non seulement une loi de défense de la République mais aussi de défense des droits de l’enfant. Ce qui se joue derrière tout ce que nous allons dire, au-delà des arguments de droit subjectifs qui seront invoqués, ce sont les droits de l’enfant, qui présentent un caractère objectif. Le premier des droits de l’enfant est d’être préservé de pressions qui l’empêchent de se développer et de faire usage de sa liberté. Cela renvoie à des enjeux philosophiques qu’il ne faut pas négliger. Beaucoup d’entre vous ont manié le concept de liberté ; or, la première des libertés de l’homme, c’est d’interagir avec ses semblables. Sans cette liberté, un enfant devient sauvage : c’est une réalité anthropologique. Pour reprendre le mot d’Aristote, l’homme est « l’animal social » par excellence. L’école est ce qui lui permet de se réaliser. Elle complète le cadre d’épanouissement majeur que constitue la famille, même si celui-ci n’est pas toujours parfait. La société doit savoir regarder ces réalités. Elle sait intervenir en présence de violences intrafamiliales.

Un droit absolu ne saurait exister en ces matières, sous peine de heurter d’autres droits, en l’occurrence le droit de l’enfant d’être protégé ainsi que notre désir que la société soit unie et non fragmentée. La radicalité, qu’elle provienne de l’islamisme fondamentaliste, de manifestations sectaires ou d’autres tendances, contribue à fragmenter notre société, mais cette division peut aussi être le fruit de l’individualisme exacerbé.

La loi soumise à votre examen est une loi d’équilibre et de liberté, ce qui explique qu’on fasse souvent référence à la loi de 1905, qui présente les mêmes caractéristiques. Pourtant, cette dernière a souvent été critiquée, à l’époque, voire ultérieurement, comme étant une loi déséquilibrée et liberticide. La situation actuelle n’est donc pas nouvelle. On peut aussi se référer, comme l’a fait la rapporteure, à l’œuvre législative de 1881 et 1882. Les débats de l’époque influent sur le jugement que l’on peut porter sur la constitutionnalité de la disposition proposée. Je ne doute pas que le juge constitutionnel, comme le juge administratif, s’y reporteront. À l’époque, l’instruction en famille n’était absolument pas envisagée comme un droit absolu, tant s’en faut. Lorsque l’instruction est devenue obligatoire en France, l’instruction à domicile a été perçue comme un phénomène devant être accepté, d’un point de vue sociologique, mais non comme un élément consubstantiel au nouveau régime juridique. Elle avait d’ailleurs vocation à être provisoire. Un système de contrôle fut institué. À l’époque, les monarchistes et la gauche républicaine s’accordaient à reconnaître que cela permettrait surtout de maintenir le préceptorat, alors très répandu dans les familles aristocratiques. L’instruction en famille n’était absolument pas vue comme une liberté consubstantielle à la République, que toutes les familles pourraient exercer.

La liberté d’enseignement s’est construite étape par étape – nous en franchissons une nouvelle aujourd’hui. Dans une décision de 1977, le juge constitutionnel a reconnu cette liberté en se fondant notamment sur une loi de finances de 1931. Depuis lors, la jurisprudence en a défini les contours, parallèlement à la loi. Ce qui se joue au travers de nos débats, non seulement sur l’article 21, mais sur d’autres sujets, c’est la capacité à préciser une liberté. Si nous ne le faisions pas, cela pourrait conduire à des déséquilibres, comme la pratique nous le montre.

La définition de la liberté d’enseignement s’inscrit dans le cadre d’une vision globale. J’ai souvent entendu la critique selon laquelle nous aurions une approche partielle – et partiale – des enjeux, au motif que nous ne traiterions qu’un sujet, celui de l’instruction en famille. Il est évident, pour quiconque étudie la question, que c’est faux. Il serait souhaitable qu’on ne répète pas cet argument à l’envi alors que son inexactitude a été démontrée. Il ne s’agit pas, faut-il le rappeler, de notre première initiative en la matière. La loi Gatel a considérablement amélioré l’encadrement des écoles hors contrat. En 2017, il était plus facile d’ouvrir une école qu’un bar ; en 2022, nous aurons encadré l’ouverture – grâce à la loi Gatel – et la fermeture – grâce au texte en discussion – de ces établissements.

Il est également faux de dire que nous ne portons pas la même attention à l’école publique. Nous avons pris de multiples mesures en sa faveur, parmi lesquelles je citerai l’institution du conseil des sages de la laïcité et la création des équipes « valeurs de la laïcité » – tous les sujets, en la matière, ne sont pas de niveau législatif. J’ai été le premier à dire que le problème dont nous débattons concernait tant l’école publique que l’école privée, sous contrat comme hors contrat.

Le projet de loi en discussion a vocation à compléter les réponses qui ont été apportées à quatre enjeux.

Le premier est l’éducation de l’ensemble des enfants présents sur le territoire, ce qui pose la question des enfants non scolarisés. Il faut que tout enfant, sur le territoire de la République, aille à l’école.

Le deuxième est la création des écoles hors contrat, objet de la loi Gatel. Le projet de loi n’a pas vocation à aller plus loin en la matière.

Le troisième est la fermeture des écoles hors contrat, que le projet de loi traite de très près, et qui est aussi important que l’instruction en famille, cette dernière question ne devant pas l’occulter.

Le quatrième enjeu est, précisément, l’instruction en famille. Nous manquerions complètement les objectifs que nous nous fixons si nous faisions semblant de ne pas voir ce qui se passe. Il faut regarder en face ce phénomène de société, qui ne concerne pas tous les enfants dont l’instruction est assurée en famille. C’est pourquoi l’article 21, qu’il ne faut pas caricaturer, prévoit des exceptions assez larges.

Les confinements pratiqués dans le monde entier peuvent conduire à la déscolarisation, ce qui n’est pas sans lien avec l’article en discussion. La crise pandémique est susceptible de conduire à une catastrophe pour l’école, à l’échelle mondiale, et de faire régresser l’humanité. Au long du vingtième siècle, les enfants ont été de plus en plus nombreux à aller à l’école ; un recul serait dramatique.

Malgré le contexte, la France n’a pas eu plus de décrocheurs en 2020 qu’au cours des années précédentes ; tout au contraire, elle a continué à progresser sur ce sujet, ce qui n’allait pas de soi. En ce début d’année 2021, le fait que les enfants aillent à l’école demeure un enjeu majeur. Je répète souvent que l’école, c’est bon pour les enfants. Ce n’est pas un facteur marginal, une variable d’ajustement, mais quelque chose d’essentiel pour le développement de tous les enfants. L’instruction en dehors de l’école doit demeurer l’exception. Il est normal, à ce titre, d’instituer un régime d’autorisation, de manière ouverte et pragmatique. Nous avons été très ouverts et très pragmatiques en amont de nos discussions. Nous avons été à l’écoute de la société, nous avons eu un dialogue avec le Conseil d’État avant d’en débattre avec vous. Nous nous présentons devant vous au terme de ce cheminement, après avoir pris en compte plusieurs objections. C’est pourquoi il me semble que nous sommes parvenus à un article équilibré, qui est moins restrictif que les dispositions existantes dans des pays qui ont été cités.

Monsieur de Courson, vous avez été un peu loin en faisant référence à l’Allemagne nazie. Je vous invite à dire cela en Allemagne aujourd’hui.

M. Charles de Courson. C’est un fait historique !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Pensez-vous vraiment que les Allemands pensent s’inscrire, avec cette disposition profondément ancrée dans leur droit, dans la continuité du régime nazi ? La réponse est évidemment non. De la même façon que leur droit interdit les partis extrémistes, dans un objectif de défense de la République, ils ont vu dans l’instruction en famille un risque d’embrigadement dès la petite enfance.

Par ailleurs, la Suède, l’Espagne et d’autres pays sont allés beaucoup plus loin que ce que nous proposons, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme.

Défendre une conception sans limites de l’instruction en famille…

M. Charles de Courson. Je n’ai pas dit cela !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. …n’est pas raisonnable tant du point de vue de l’histoire que de celui des réalités sociales actuelles. En revanche, il serait intéressant de parvenir à définir et encadrer l’instruction en famille, qui constituait jusqu’à présent un angle mort de notre droit, de même que, pour les écoles hors contrat, nous connaissions un régime très peu défini. Le travail qui vous est présenté marque une nouvelle étape dans l’histoire de la liberté d’enseignement, qu’elle contribuera à consolider et qui, à ce titre, dépasse le cadre de l’instruction en famille. Lorsqu’elle sera justifiée, l’instruction en famille se trouvera renforcée par la loi ; dans le cas contraire, elle ne sera plus possible. De la même façon, une distinction sera faite entre les écoles hors contrat, selon qu’elles respectent ou non les lois de la République, au travers de la loi Gatel comme du présent projet de loi.

Par définition, une liberté ne peut jamais être absolue, car elle doit être conciliée avec d’autres libertés. La liberté d’enseignement sera renforcée par son explicitation et son cadrage. Comme l’a précisé le Conseil constitutionnel, cette liberté concerne surtout le choix de l’institution à laquelle on confie ses enfants, mais elle se traduit aussi par la liberté d’établissement, qui est encadrée par le projet de loi, y compris sur la question du financement.

On peut additionner les requêtes individuelles, défendre des subjectivités, mais cela place certains d’entre vous devant des contradictions, par exemple quand vous affirmez votre attachement à l’école publique. Monsieur Peu, comme je l’ai dit à Mme Buffet, vous avez tenu un discours très cohérent, même si on peut être en désaccord sur tel ou tel point. Si nous voulons avancer, il est important d’être cohérent, d’avoir une vision complète de ce qu’est la République et la liberté, sans se contenter d’additionner des attentes.

Nous sommes ouverts à des évolutions, tout en restant très fermes sur le but fixé par le Président de la République dans son discours des Mureaux : faire progresser l’école et, ce faisant, la République.

M. le président François de Rugy. Je donne la parole à un député par groupe pour répondre à la rapporteure et au ministre.

M. Julien Ravier. Vous souhaitez conforter les principes républicains mais, pour atteindre cet objectif, vous encadrez et restreignez nos droits et nos libertés, provoquant ainsi des dommages collatéraux. L’article 21 a suscité l’émoi de beaucoup de familles qui pratiquent l’IEF, dont le nombre s’élève à environ 50 000. Elles se sont senties stigmatisées – à tort, je crois, puisqu’à aucun moment, ni dans les auditions, ni dans l’étude d’impact, le lien n’a pu être fait entre l’instruction en famille et la radicalisation et le séparatisme. Nous sommes en train de légiférer sur un faux problème – ou, en tout cas, un problème potentiel. En tant qu’élus responsables, devons-nous anticiper le fait que l’IEF pourrait devenir, demain, un foyer de radicalisation ? En tout état de cause, les éléments de preuve sont aujourd’hui insuffisants pour que l’on s’en prenne à une liberté de l’instruction qui, à mes yeux, revêt un caractère constitutionnel.

Vous vous y attaquez injustement, en passant d’un régime de déclaration, où la liberté est la règle, à un régime d’autorisation, dans lequel quatre motifs pourront être invoqués. Il en manque un cinquième : la conviction pédagogique et religieuse des parents. Ce n’est pas parce que nous sommes confrontés au séparatisme, en particulier islamiste, que nous devons empêcher des familles, qui pratiquent très correctement l’instruction en leur sein, de continuer à le faire pour des raisons tenant à leurs convictions religieuses ou pédagogiques. Nous avons été nombreux, au sein du groupe Les Républicains, à proposer des amendements de suppression, parce que nous pensons que vous vous trompez de cible et que vous créez des dommages indirects. La loi prévoit aujourd’hui des contrôles qui, lorsqu’ils sont correctement réalisés, empêchent de contrevenir à l’intérêt de l’enfant, pour reprendre votre argument. Nous aurons des amendements de repli pour rester dans un régime de déclaration renforcé et améliorer le contrôle.

Mme Anne-Christine Lang. Nous assistons à une très forte augmentation de l’instruction à domicile, qui n’est plus un phénomène marginal, comme il y a quelques années. On constate, de manière de plus en plus fréquente, une forme de rejet de l’école, du creuset républicain, au nom d’un communautarisme, d’un consumérisme, d’un entre soi, d’un individualisme qui nous inquiètent. Certes, les parents sont libres d’instruire leurs enfants à domicile, et cet article préserve cette liberté constitutionnelle. Mais, au-delà de ce qui est possible, il y a ce qui est souhaitable. Pour la société tout entière, il est souhaitable que les enfants aillent à l’école. Nous assumons, par cet article, notre volonté d’encadrer l’IEF et de convaincre les parents d’envoyer leurs enfants à l’école.

Je crois effectivement que l’école, c’est bon pour les enfants : je le dis au nom des droits de l’enfant, du droit à l’école, du « droit à une deuxième vie », pour reprendre l’expression d’Henri Pena-Ruiz. L’enfant a le droit de sortir du huis-clos familial et du seul regard de ses parents. Il a besoin d’être confronté à d’autres règles imposées par la vie en collectivité. À l’époque de Jules Ferry, déjà, certains considéraient que l’enfant appartient à la famille et se méfiaient de l’État, craignant l’endoctrinement laïc et républicain. Il faut le redire : l’enfant n’appartient à personne. Il faut entendre ces parents qui, avec la meilleure volonté du monde, décident de scolariser leurs enfants à domicile. L’école doit leur tendre la main et être toujours plus inclusive, plus bienveillante, plus ouverte : c’est le sens des amendements que je présenterai, dans l’intérêt de l’enfant.

M. Philippe Vigier. Pour nous, l’enfant est au cœur de tous les projets. Si la liberté constitutionnelle d’instruction – à laquelle je suis personnellement attaché – est préservée, la rédaction de l’article 21 peut toutefois paraître un peu restrictive, comme l’illustre le début de l’alinéa 8 : « L’autorisation mentionnée au premier alinéa ne peut être accordée que pour les motifs suivants […] ».

Par ailleurs, nous appelons de nos vœux une modification de la rédaction de l’alinéa 12. Mieux vaudrait, à mon sens, parler de « situation propre à l’enfant qui motive un projet éducatif ». En effet, il arrive que des parents arrêtent leur activité professionnelle pour développer un projet éducatif. Il me paraît essentiel qu’on soit capable d’évoluer sur ce point.

Le concept d’autorisation ne me choque pas, même si on aurait préféré un système combinant la déclaration et l’autorisation. En effet, on peut craindre les lenteurs administratives, les tracasseries. On sait que les contrôles ne sont pas réalisés partout de la même façon. Nous avons besoin de garanties de votre part.

Monsieur le ministre, vous avez développé l’enseignement à distance dans le contexte du covid. Nous souhaiterions que les familles ayant fait le choix – que nous respectons – de pratiquer l’instruction en leur sein puissent bénéficier de ce dispositif.

Comme vous l’avez dit, l’école est le lieu de la socialisation. Les enfants qui ont la chance d’être instruits en famille devraient pouvoir côtoyer d’autres enfants. Ce pourrait être un moment fort du projet pédagogique.

M. Jean-Christophe Lagarde. Je regrette l’approche totalement idéologique qui est faite du sujet. Ne nous faites pas le coup de la politique de l’autruche, en particulier pas à moi, député de la Seine-Saint-Denis. Personne ne nie l’existence de ce problème, dont on sait, bien qu’il ne soit pas documenté, qu’il prend de l’ampleur. Cela étant, il doit concerner moins de 10 % des enfants scolarisés en famille.

À vous écouter, monsieur le ministre, madame la rapporteure, on pourrait croire que seul l’État sait ce qui est bon pour l’enfant et ce qu’il doit devenir. L’État confère des droits à l’enfant mais ne sait pas ce qui est bon pour lui en toutes circonstances. On se demande ce que sont devenues les générations d’enfants qui ont reçu l’instruction en famille : des attardés, des reclus, des enfants sauvages ? Je ne le crois pas.

Cette approche idéologique vous conduit d’ailleurs à instituer un régime d’autorisation plutôt qu’à rendre effectif le contrôle. Il n’y a pas qu’une seule façon d’atteindre un objectif, en l’occurrence d’éviter que des gens arrachent leurs enfants à leur avenir, à la société, même si l’école est sans doute la meilleure solution pour le plus grand nombre. Les lois Ferry ont affirmé un droit – aller à l’école – et un devoir – pourvoir à l’instruction des enfants. Pour votre part, vous voulez qu’aller à l’école devienne un devoir.

L’instruction au sein de l’école publique ou de l’école privée, sous contrat et hors contrat est, selon vous, un droit essentiel, une liberté consubstantielle à la République, mais ce ne serait plus le cas de l’instruction en famille. Pour quelle raison ? La seule différence entre ces formes d’instruction tient à l’incapacité de l’éducation nationale à vérifier ce que les familles apportent à l’enfant.

Pour garantir une liberté, encore faut-il la rendre effective, lui donner les moyens d’exister. Or, vous refusez, comme vos prédécesseurs, de créer des postes dans les écoles privées, ce qui prive parfois les familles d’un choix. Que feront-elles si elles ne souhaitent pas inscrire leurs enfants à l’école publique, alors qu’elles ne pourront plus les instruire en famille ?

Pour que cette liberté soit effective, il faudrait aussi pouvoir s’adapter aux enfants différents. En Seine-Saint-Denis, dans quelle école publique scolariser un enfant précoce ? Il n’y a qu’à Paris qu’on trouve des places, ce qui est difficilement envisageable pour une femme élevant seule ses enfants.

Il faudrait que l’école publique soit exemplaire en termes de mixité sociale. De mémoire, 8 % des enfants d’ouvriers deviennent cadres, alors qu’ils étaient 40 % il y a cinquante ans. Certaines familles veulent donner plus de chances à leurs enfants même si, il est vrai, l’instruction en famille concerne majoritairement les milieux sociaux favorisés.

Enfin, je n’ai pas entendu un seul argument expliquant en quoi le contrôle a posteriori renforcé, que je proposerai, serait moins souhaitable que l’autorisation préalable. On peut se demander sur quoi celle-ci se fondera, si ce n’est sur l’appréciation a priori de la famille, sans savoir ce qu’elle fera réellement.

M. Charles de Courson. Je répondrai sur quatre points. Premièrement, sur le plan juridique, il est vrai que le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur l’IEF. En revanche, le Conseil d’État a considéré, dans sa décision du 19 juillet 2017, que « le principe de la liberté d’enseignement, qui figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, implique la possibilité de créer des établissements d’enseignement, y compris hors de tout contrat conclu avec l’État, tout comme le droit pour les parents de choisir pour leurs enfants des méthodes éducatives alternatives à celles proposées par le système scolaire public, y compris l’instruction au sein de la famille. » Comme vous le savez, nous irons jusqu’au Conseil constitutionnel. Soyez donc très prudents, car le Conseil d’État affirme, à l’alinéa 61 de son avis, que cela pose un grave problème constitutionnel.

Deuxièmement, l’encadrement de la liberté conférée aux familles existe déjà, monsieur le ministre. Ne faites pas des opposants à votre article des libertaires ! Nous disons simplement que vous entendez réduire substantiellement le nombre d’enfants instruits en famille – mais on ne connaît toujours pas votre objectif. Combien d’enfants, parmi ces 62 000, font l’objet d’une incitation au séparatisme par leurs parents ? On a entendu les chiffres de 2 500, 3 500… En fait, vous ne le savez pas. Personne ne le sait. Nous devons nous prononcer dans des conditions qui ne sont pas acceptables.

Troisièmement, qui définit l’intérêt supérieur de l’enfant ? Nous appartenons à des familles politiques où l’on pense que ce rôle revient à la famille et que, lorsque la famille est défaillante, l’État doit se substituer à elle. Autrement dit, l’enfant n’est pas la propriété de l’État. Dans les États autoritaires, fascistes, communistes, l’enfant dépendait de l’État, comme l’illustre la loi de 1938 en Allemagne.

Quatrièmement, vous ne répondez pas aux questions sur l’insuffisance notable des moyens de contrôle, si ce n’est pour dire que vous n’avez pas les moyens de les renforcer. Peut-être pourriez-vous y consacrer une partie des économies liées au fait que les familles financent l’instruction de leurs enfants, sans rien demander à l’État ? Cela permettrait d’appliquer la loi et de sanctionner la petite frange des familles qui dérivent ; les enfants concernés seraient alors scolarisés.

M. Pierre-Yves Bournazel. Depuis 2017, des mesures ont été prises pour renforcer le principe de laïcité et l’égalité des chances. Le dédoublement des classes, qui est à l’œuvre dans le XVIIIe arrondissement de Paris – dans une partie de ma circonscription – est la plus importante des réformes menées depuis le début du quinquennat. En effet, elle a donné à des enfants qui ont reçu moins de capital social et culturel que d’autres les moyens de réussir par eux-mêmes. Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une action globale en matière d’éducation. La liberté d’enseignement doit être encadrée pour être protégée, dans l’intérêt des enfants et des familles. Le contournement des règles qu’on observe est très inquiétant, car il est l’œuvre de personnes qui cherchent à se séparer de la société, de la nation, à contester le pacte républicain. Il est normal que le Gouvernement et le législateur s’emparent du sujet. Le régime de l’autorisation constitue un progrès.

Mme Emmanuelle Ménard. En France, c’est l’instruction qui est obligatoire, et non l’école. Les parents ont la possibilité de déléguer l’instruction de leur enfant à un établissement scolaire ou de l’instruire en famille. Avec l’article 21, vous allez réduire drastiquement le nombre d’enfants instruits en famille, en soumettant l’exercice de cette liberté à une autorisation préalable – on ne sait pas sur quels critères elle sera accordée. Une dérogation à l’obligation scolaire ne pourra être obtenue qu’avec l’autorisation de l’autorité compétente de l’État pour une seule année, et sous des conditions très restrictives. Or, d’après une enquête récente, la première raison du choix de l’IEF par les parents est de suivre les motivations et les rythmes d’apprentissage des enfants. Les familles se demandent si cette raison est prise en compte par la quatrième dérogation, énoncée à l’alinéa 12.

On revient toujours au péché originel de votre texte : comme vous ne voulez pas nommer l’ennemi, si j’ose dire – l’islamisme –, vous faites un texte général, qui va punir tout le monde. L’article 21 en est l’exemple parfait : refusant de cibler les écoles coraniques, vous soumettez à autorisation l’instruction hors de l’école, qui est un droit. Ce faisant, vous pénalisez toutes les familles qui respectent les règles et qui ne comprennent pas pourquoi elles n’ont plus le droit d’offrir à leurs enfants l’enseignement adapté dont ils ont besoin.

L’instruction en famille est une modalité d’enseignement très encadrée par le code de l’éducation et très exigeante : 98 % des enfants instruits à la maison sont dans une situation jugée conforme au droit de l’enfant à l’instruction. Attaquez-vous aux 2 % restants et laissez tranquilles ces familles ! Attaquez-vous aux ennemis de la France et de ses enfants !

M. Éric Coquerel. Je ne partage pas l’avis de Charles de Courson. L’enfant n’est pas non plus la propriété des familles. Je veux bien qu’on compare dans l’histoire les visions plus ou moins progressistes des modèles d’éducation proposés par la famille et par l’État mais je ne suis pas certain que la comparaison soit favorable aux familles pour ce qui est de l’émancipation que l’on doit à tout citoyen en devenir, notamment par la critique. On ne peut pas résumer la question de l’État en évoquant l’État nazi ! Il y a des États différents et le régime auquel je me rattache est celui de la République qui donne à tous ses enfants les moyens de se qualifier et de s’émanciper pour exercer leurs droits de citoyens. Ce préalable vous montre que mes arguments diffèrent de ceux de mes collègues de droite et du centre à ce propos.

Notre collègue de La République en Marche a été assez amusant. Grosso modo, il explique qu’ils ont voulu cibler des enfants auxquels les familles délivrent une mauvaise éducation religieuse mais lui-même revendique le droit pour les parents de donner à leurs enfants une éducation fondée sur les principes d’une bonne religion. On voit bien le problème…

Selon le préfet de Seine-Saint-Denis, 900 enfants n’étaient pas scolarisés, en 2019. Ce n’est pas un chiffre délirant qui témoignerait d’une dérive intégriste dangereuse pour la République. En tout cas, les chiffres dont nous disposons ne vont pas dans ce sens.

Pour résumer, nous sommes d’accord pour mettre fin à l’instruction en famille mais cette décision ne peut être prise dans un cadre uniquement coercitif. Il faudrait par exemple que chaque famille ait une école publique dans sa commune ou à moins de trente minutes. Malheureusement, notre amendement l’imposant a été jugé irrecevable alors que de nombreuses communes n’ont pas d’école publique. La question n’est pas tant celle de la présence d’une école mais de sa nature. Nous avons présenté des amendements au sujet des écoles hors contrat et du régime d’autorisation. Ils ont été refusés. Donnons plutôt aux parents l’envie d’envoyer leurs enfants à l’école, qui est d’abord l’école publique, plutôt que de les contraindre par des mesures coercitives pour donner une certaine image idéologique à cette loi.

M. Stéphane Peu. Cet article 21, qui prévoit de passer de la notion d’instruction à celle de scolarisation obligatoire, s’inscrit dans la continuité de la décision par laquelle l’instruction a été rendue obligatoire dès l’âge de 3 ans. C’est un changement fondamental, que nous approuvons.

Cela étant, comme beaucoup d’entre vous, j’ai reçu de nombreux messages à ce sujet, ce qui m’a étonné. C’est vrai, nous avançons à l’aveugle et il est gênant de ne pas avoir idée des conséquences qu’emporteront nos décisions. Nous ne savons rien du nombre d’enfants concernés, par exemple. Soit les familles concernées sont d’un milieu social élevé et ont la capacité d’influencer le législateur, ce qui expliquerait les sollicitations que nous avons reçues. Soit les élèves en question sont effectivement beaucoup plus nombreux que les chiffres ne l’indiquent. J’espère que nous serons éclairés, d’ici la séance. En soi, cela ne changerait pas grand-chose au soutien que j’apporterai à cet article mais j’aimerais que l’on puisse mesurer les conséquences de nos décisions.

Mme Laurence Vichnievsky, rapporteure thématique. Beaucoup de choses ont été dites et bien dites, notamment par mes collègues Stéphane Peu et Pierre-Yves Bournazel. Rappelons à Charles de Courson ce qu’il nous répète souvent : le législateur, c’est nous, pas le Conseil d’État.

Là encore, il s’agit de concilier la liberté fondamentale de l’enseignement avec l’intérêt supérieur de l’enfant. L’endroit où l’on place le curseur est déterminant pour apprécier si le bon équilibre a été trouvé. Autres temps, autres mœurs, ce point d’équilibre évolue avec le contexte socio-économique ou géopolitique. S’il appartient à la jurisprudence de bouger le curseur, la loi est nécessaire. La politique, c’est faire des choix. En l’espèce, le Gouvernement a souhaité instaurer un régime d’autorisation plutôt que de déclaration. C’est un choix politique, motivé par l’idée très simple, monsieur le ministre, que l’école, c’est bon pour les enfants. Je suis d’accord avec vous. Ce texte, qui évoluera sans doute à la faveur de nos débats, a placé le curseur au bon endroit.

M. Florent Boudié, rapporteur général. M. Labille s’interrogeait sur la pertinence d’introduire dans un texte qui vise à conforter les principes de la République, des dispositions relatives à l’instruction en famille. En réalité, nous cherchons à débusquer le séparatisme partout où il s’introduit, dans les services publics locaux, les structures associatives, les pratiques coutumières comme les certificats de virginité ou la polygamie, jusqu’au sein du système scolaire ou à la marge. On peut y trouver des signes de repli communautaire, que nous voulons pénaliser et sanctionner fortement. C’est pourquoi il nous semble utile, dans un texte visant à conforter les principes de la République, de viser toutes les activités pour lesquelles il est nécessaire de renforcer les principes, les règles, les conditions, les restrictions.

Vous pensez que cette disposition n’aurait pas sa place dans ce projet de loi. Au contraire, ce serait très cohérent.

M. Coquerel l’a dit, l’école est le creuset de l’émancipation, de la citoyenneté. Selon M. Lagarde, aller à l’école de la République n’est pas un devoir. Cela en est un, au contraire, inscrit dans le Préambule de la Constitution de 1946 qui impose d’ailleurs à l’État de l’organiser. L’école de la République est bonne pour la République, pour la communauté nationale. C’est une divergence idéologique entre nous.

Nous devons nous poser une question : faut-il encadrer l’instruction en famille ? Anne-Christine Lang a essayé d’y répondre. Ses conditions ont été établies à une époque où elle restait marginale. Selon les chiffres dont nous disposons, qui datent d’une petite quinzaine d’années, 3 000 enfants étaient instruits en famille. Du fait de la hausse du nombre d’enfants, il me semble nécessaire de poser des règles supplémentaires.

Monsieur de Courson, le Conseil constitutionnel n’évoque pas, dans sa décision du 23 novembre 1977, les méthodes alternatives, contrairement au Conseil d’État, mais il est clair que le seul principe auquel il accorde une valeur constitutionnelle dans la liberté d’enseignement est celui du choix, donné aux familles, d’inscrire leur enfant dans un établissement privé ou public. Il constitutionnalise d’ailleurs le financement public d’établissements d’enseignement privés. Il ne va pas au-delà mais il sera probablement saisi de ce sujet.

Les familles ont vu dans le principe d’interdiction une vexation, voire une punition. C’est pourquoi le Conseil d’État a demandé au Gouvernement de revoir sa copie et nous sommes passés d’un principe d’interdiction à un principe d’autorisation. C’est un pas considérable. Nous sommes passés d’un système d’interdiction privatif de liberté à un système où il faudra rechercher les motivations des familles susceptibles de créer les conditions de l’instruction en famille. Nous devons prendre en compte deux considérations fondamentales. La première est celle de l’intérêt de l’enfant. Monsieur Ravier, je ne crois pas que les convictions politiques, religieuses, philosophiques doivent justifier l’instruction en famille. Ce ne serait plus l’intérêt de l’enfant, qui serait pris en considération, mais l’intérêt des convictions propres aux parents.

La seconde est le projet pédagogique. Il est indispensable que cette notion figure dans cette disposition car elle est constitutive d’une motivation fondamentale pour les familles que nous avons rencontrées.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi de vous lire, à ce stade, la lettre d’un de vos lointains prédécesseurs, monsieur le ministre : Jules Ferry. Il écrivait aux instituteurs, le 17 novembre 1883, pour la deuxième année de l’application de loi de 1882 : « La loi du 28 mars se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire. D’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier. D’autre part, elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. L’instruction religieuse appartient aux familles et à l’Église, l’instruction morale à l’école. » Il conclut : « J’ai essayé de vous donner, monsieur, une idée aussi précise que possible d’une partie de votre tâche qui est, à certains égards, nouvelle, qui de toutes est la plus délicate. Permettez-moi d’ajouter que c’est aussi celle qui vous laissera les plus intimes et les plus durables satisfactions. Je serai heureux si j’avais contribué, par cette lettre, à vous montrer toute l’importance qu’y attache le gouvernement de la République, et si je vous avais décidé à redoubler d’efforts pour préparer à notre pays une génération de bons citoyens. Recevez, monsieur l’instituteur, l’expression de ma considération distinguée. » Signé : le président du Conseil, ministre de l’instruction publique et des beaux-arts, Jules Ferry.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Merci de nous avoir replacés dans ce contexte qui apporte un éclairage particulier à nos travaux. Nous franchissons une nouvelle étape dans la construction et la consolidation de notre République, par son école. C’est une caractéristique particulièrement forte de la France, ne l’oublions jamais face aux fragmentations, aux individualismes, au séparatisme contemporain.

Le contexte pandémique nous le rappelle : la société française exprime son attachement à l’école, beaucoup plus fortement que dans d’autres pays. C’est une force et une espérance, dans la période très difficile que nous traversons. Cet attachement particulier est lié à notre histoire et au fait que l’école fut l’un des premiers éléments de consolidation de la République, dans une vision libérale et équilibrée, les propos de Jules Ferry en témoignent, et dans un souci de construire du commun par l’éducation civique et morale en particulier, par tout ce qui se joue à l’école plus généralement.

On aura beau brandir toute une série de sujets spécifiques, il faudra toujours revenir à cet ensemble qui ne fait pas de nous une dictature, sinon nous le serions depuis cent cinquante ans. Gardons-nous de tout propos caricatural en la matière. J’espère rassurer M. de Courson et le convaincre d’être avec nous. Si cet article 21 installait une dictature en France, cela se saurait. Citons les exemples étrangers avec délicatesse et subtilité. Le cas de l’Allemagne est l’exact inverse de ce que vous avez dit : c’est au titre de la défense de la démocratie que les choses se sont jouées.

Madame Vichnievsky, l’arrêt du Conseil d’État que vous citez n’est pas un arrêt de principe mais une décision d’espèce – d’ailleurs, il ne figure pas dans le recueil Lebon. Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État ne guide pas le législateur, c’est l’inverse. Nous sommes justement arrivés à un stade où il devient nécessaire de définir, par la voie législative, le cadre de cette liberté. C’est vrai, nous devons prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant et ce concept est à un point d’équilibre entre les différents acteurs qui permettent de le définir.

Je voudrais que l’on sorte de ces postures caricaturales pour deux raisons. La première tient à l’intérêt supérieur de l’enfant car tout ce que nous disons ne vise qu’un seul objectif : éviter à un enfant de se retrouver dans une situation qui serait totalement contraire à ses droits, même s’il ne s’agissait que d’un seul enfant. Ce qui a caractérisé la République, c’est d’avoir été capable de se mobiliser des mois entiers pour une seule personne. Le droit d’un seul enfant compte. L’objectif, monsieur de Courson, n’est pas quantitatif mais qualitatif : aucun enfant ne doit voir ses droits violés. Derrière chacune des décisions que vous prendrez en votre âme et conscience se trouve le cas de chaque enfant de France. Ne l’oubliez pas.

Vous dites que la réalité n’est pas assez cernée. C’est vrai, nous aimerions qu’elle le soit bien davantage. La présence d’angles morts dans les lois de la République est un problème que je suis le premier à reconnaître. C’est précisément ce que nous voulons combattre. Le régime d’autorisation nous y aidera. Nous connaissons tous suffisamment le terrain pour savoir que ces angles morts ne sont pas une invention de ma part. Nous en avons des preuves, d’ailleurs. Lorsque nous démantelons des structures clandestines, plus de la moitié des enfants sont officiellement instruits en famille. La question se pose donc bel et bien, d’autant plus que, souvent, l’instruction en famille n’est qu’un paravent à l’endoctrinement et que ces situations peuvent favoriser la violation des droits de l’enfant. Une petite fille de 4 ans, voilée de la tête aux pieds, dans un hangar de Seine-Saint-Denis : c’est une violation des droits de l’enfant, monsieur Lagarde. Vous ne pouvez ignorer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante et que nous avons besoin de nouveaux moyens juridiques pour y faire face.

Nous n’avons pas voulu d’une politique de l’autruche, qui aurait été la solution de facilité. C’est justement parce que de telles politiques ont été menées dans le passé que nous nous retrouvons dans des situations compliquées. L’outil que nous vous proposons ne sera pas le seul mais il est un levier très important pour préserver un dispositif équilibré et respectueux des libertés.

La commission rejette les amendements de suppression de l’article.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1339 de M. Grégory Labille, CS992 de M. Xavier Breton, CS867 de Mme Géraldine Bannier, CS789 de M. Julien Ravier, CS1222 de M. Olivier Marleix, CS1335 de M. Grégory Labille.

M. Grégory Labille. La liberté doit rester la règle et la restriction, l’exception. Les parents doivent pouvoir décider librement du type d’instruction pour leur enfant et l’État se restreindre à un contrôle a posteriori. Les outils législatifs existent déjà pour permettre à l’État de lutter contre ceux qui détournent la liberté de l’instruction en famille. L’article L. 131-5 du code de l’éducation ordonne un contrôle annuel des familles par un inspecteur académique et le maire à un contrôle tous les deux ans. La loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019 et le décret du 2 août 2019 permettent de contrôler inopinément la famille. Ce contrôle permet de respecter l’équilibre entre la liberté d’enseignement et le droit à l’instruction de l’enfant.

La restriction de cette liberté, par un régime d’autorisation, va donc à l’encontre de cette liberté de l’instruction en famille qui est déjà contrôlée et bouleverse cet équilibre sans pour autant résoudre le problème de la radicalisation au sein des familles, qui n’est pas limité à celles pratiquant l’instruction en famille. Nous vous proposons d’en rester au mode déclaratif.

M. Xavier Breton. Cet amendement tend à maintenir le principe de la liberté, qui s’exprime par un régime de déclaration et non d’autorisation, la déclaration donnant lieu à un contrôle. Il y a une différence entre exercer une liberté sans lever le doigt pour en demander l’autorisation et exercer une liberté après en avoir demandé l’autorisation. Nous n’avons pas la même conception de la liberté mais ce n’est pas notre seule divergence. J’ai été très surpris par votre vision de la famille. Vous dites, monsieur le ministre, qu’il faut préserver l’enfant des pressions qui l’empêcheraient de développer sa liberté et qu’il doit sortir de sa famille. Quelle image avez-vous donc des familles ? Croyez-vous que ce sont elles qui privent de liberté leur enfant ? Vous dites encore que l’enfant doit connaître la société. Mais que croyez-vous ? Les familles font vivre leur enfant dans la société, les font participer à des activités sportives, culturelles. Beaucoup d’entre elles ont été choquées d’entendre, pour reprendre les propos de l’un de vos prédécesseurs, dans la continuité duquel vous vous inscrivez, que pour émanciper un enfant, il fallait l’arracher au déterminisme, y compris familial. Est-ce là, votre vision de la République ? Est-ce à la République de définir, toute seule, l’intérêt supérieur de l’enfant ? Ne croyez-vous pas que les familles ont, elles aussi, leur mot à dire ? Une conception de fond nous oppose. Il n’est pas étonnant que M. Peu ait voté contre la suppression de l’article car c’est une vieille demande communiste d’inscrire non pas une obligation d’instruction mais de scolarisation.

Mme Géraldine Bannier. Nous proposons d’en rester au statu quo ante bellum de la déclaration annuelle. En revanche, pour assurer un meilleur suivi des enfants, je propose que tout enfant, qu’il soit inscrit dans un établissement ou déclaré instruit en famille, soit identifié par un numéro d’identification nationale (INE) et participe à la journée particulièrement symbolique de la rentrée scolaire. J’ai connu l’expérience d’enfants lourdement handicapés, inscrits dans des classes ordinaires mais instruits dans leur famille. Une fois de retour dans la classe, ces enfants étaient mieux intégrés. Nous avons également auditionné des parents d’enfants autistes, instruits à domicile en attendant d’être prêts pour l’école. S’ils sont inscrits dans les classes, leurs camarades pourront les connaître avant qu’ils n’arrivent. J’ai eu le cas d’une enfant déscolarisée pendant deux ans mais inscrite dans la classe. Elle était intégrée au groupe scolaire, ce qui a facilité son retour.

Il me semble important que les enfants instruits en famille participent, à un moment donné, à la vie de l’école – bien évidemment, des dispenses pour raison médicale pourront toujours être accordées.

M. Julien Ravier. Cet amendement vise à préserver l’instruction en famille en supprimant le régime d’autorisation conditionné à des motifs pour revenir à un régime de déclaration renforcée, dans lequel la liberté d’instruction demeure la règle, ce qui nous met à l’abri d’une censure du Conseil constitutionnel.

Il s’agit d’instituer un formulaire de déclaration unique, fourni par l’éducation nationale et précisé par un décret pris en Conseil d’État. Ce formulaire pourrait préciser les raisons du choix de l’instruction en famille, les méthodes pédagogiques employées et le respect des principes de la République auxquels nous sommes tous attachés.

Le caractère incomplet ou la non-conformité de la déclaration à l’égard des principes de la République ou de la maîtrise de la langue française pourraient entraîner un contrôle a priori des familles et donc l’interdiction de l’instruction en famille avant même sa prise en considération.

L’objectif est de maintenir la liberté d’instruction en famille pour ne pas pénaliser les familles qui instruisent leurs enfants à domicile sans présenter la moindre menace pour notre République, tout en instaurant un contrôle du respect des principes républicains.

M. Robin Reda. Personne ne peut sérieusement ne pas voir que l’instruction en famille est instrumentalisée, parfois pour des motifs séparatistes et bien éloignés des principes de la République. Cet amendement vise à proposer une nouvelle rédaction de l’article, en substituant au principe de scolarisation obligatoire initialement prévu, un contrôle du niveau de qualification des personnes dispensant l’instruction. Le contrôle actuel est davantage centré sur l’enfant que sur les personnes responsables de l’instruction, dont il convient de s’assurer qu’elles peuvent dispenser un enseignement de qualité en français.

M. Grégory Labille. L’amendement CS1335 vise à rédiger ainsi l’article 21 : « Dans un délai d’un an après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant le lien potentiel entre l’instruction en famille et la radicalisation des enfants instruits à domicile. »

Sans nier ce phénomène, constatons qu’aucune étude sérieuse n’en dessine les contours, hormis l’évocation, dans le cadre général du projet de loi, de la découverte d’écoles de fait, et la difficulté, parfois, de contrôler les familles en instruction en famille. Le cadre général n’évoque pas de rapport public. Malgré les demandes réitérées auprès des académies et du directeur académique des services de l’éducation nationale de la Somme, je n’ai eu aucun chiffre étayant en toute objectivité le lien entre la radicalisation et l’instruction en famille.

Il est donc nécessaire qu’un rapport soit remis au Parlement avant de transformer un régime déclaratif en régime d’autorisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vos amendements ont en commun de tendre à une nouvelle rédaction de l’article 21. Je donne un avis défavorable mais je vais entrer dans les détails.

Concernant les familles, monsieur Breton, je ne tiendrai jamais de propos généralistes. Elles sont libres d’éduquer leurs enfants comme elles le souhaitent, à condition de se conformer à l’obligation de l’instruction. On ne peut prétendre que tout aille bien ni déplorer que tout aille mal. Il faut être plus nuancé. Tout se passe bien pour certaines familles mais ce n’est pas le cas dans toutes. Nous en reparlerons.

Madame Bannier, vous soulevez plusieurs questions intéressantes. S’agissant de l’identifiant national, je proposerai un amendement après l’article 21. Nous souhaitons tous, en effet, trouver une solution pour mieux suivre le parcours éducatif des enfants. Nous reparlerons également de la participation des enfants à certains événements scolaires, comme du contrôle de la capacité des parents. En revanche, je suis défavorable au système de déclaration, ce qui vaut aussi pour l’amendement de M. Ravier.

Nous reprendrons également le sujet du contrôle de la capacité des personnes responsables de l’enfant.

Quant au dernier amendement qui propose une réécriture globale, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis que Mme la rapporteure. Une remarque générale : ne sombrons pas dans la caricature. Ne nous dépeignez pas en contempteurs de la famille car notre position n’est pas radicalement différente de la vôtre. La famille est un cadre essentiel pour l’enfant, personne ne dit le contraire. Le droit à la famille fait d’ailleurs partie des droits de l’enfant. Malheureusement, la réalité offre des situations très hétérogènes, indépendamment du milieu social. Une famille fortunée peut aussi rencontrer des problèmes éducatifs. Il faut simplement trouver une solution équilibrée. Bien sûr, c’est la famille qui fait les grands choix pour l’enfant. Bien sûr, elle est un cadre pour l’épanouissement de l’enfant. Mais ces affirmations trouvent leurs limites quand l’enfant est en danger et il arrive que des entités supérieures soient amenées à déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant. C’est une réalité, nous n’inventons rien. Lorsqu’un enfant subit des violences, des entités externes doivent intervenir. Nous pourrions parvenir à un large consensus. Il n’est pas nécessaire d’idéologiser le débat à l’excès. Depuis cent cinquante ans d’histoire de l’école, il subsiste des approches différentes, mais les positions sont beaucoup moins clivées et manichéennes que par le passé. Ne réveillons pas ces vieux conflits, ce serait artificiel et inutile.

En revanche, il est important d’entrer dans le détail concret des objectifs que nous partageons largement, en particulier celui que les enfants reçoivent tous une instruction de qualité. Pour cela, il faut connaître leur existence et pouvoir les repérer dans un territoire. Nous reviendrons sur la proposition de Mme Bannier de créer un INE. L’idée d’un rendez-vous républicain pour tous les enfants de France, même ceux instruits en famille, est à creuser. Nous devrons réfléchir au modèle.

Vous aurez compris que je partage l’esprit de nombre de vos propositions. Il faudra simplement réfléchir à leur donner forme.

M. Xavier Breton. Bien sûr, tout ne se passe pas bien dans les familles. Ce que nous interrogeons, c’est la position de l’État : soit il a confiance dans la capacité des familles à exercer leur mission, quitte à les contrôler en cas de problème grave, soit il est méfiant à leur égard et les soumet à un contrôle a priori, avant même qu’elles n’exercent leur liberté. C’est toute la différence entre un régime de déclaration et un régime d’autorisation.

M. Stéphane Ravier. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, votre tendance à rejeter tout dispositif fondé sur la déclaration est dogmatique. Je propose un système de déclaration renforcée : les familles devront remplir un document fourni par l’Éducation nationale et précisé par un décret pris en Conseil d’État. Si, sur la base des éléments qu’il contient, les autorités considèrent que l’instruction en famille présente des risques séparatistes ou pour l’intérêt de l’enfant, elles déclenchent un contrôle a priori. Cette solution permet de respecter la liberté d’instruction, à laquelle un grand nombre d’entre nous sont attachés, sans contrevenir à votre objectif, lutter contre le séparatisme.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS1610 de M. Jean-Christophe Lagarde, CS1499 de Mme Béatrice Descamps, CS1611 de M. Jean-Christophe Lagarde et CS1482 de Mme Béatrice Descamps.

M. Jean-Christophe Lagarde. Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre… Le dialogue auquel on nous a conviés se déroule surtout au sein de la majorité. C’est bien dommage car nous défendons une position qu’un libéral comme vous devrait partager : la liberté consiste à pouvoir l’exercer ; l’État se donne les moyens d’en contrôler l’abus. Vous l’avez dit, lorsque les parents, dont le rôle est d’élever leurs enfants, sont défaillants, l’État peut intervenir. Mais je conçois mal ce que peut signifier une autorisation a priori.

L’État peut lui aussi être défaillant lorsqu’il exerce le contrôle de cette liberté. Nous avons déjà évoqué l’absence de dialogue avec les élus locaux – alors que le maire est censé contrôler les conditions matérielles et l’Éducation nationale le contenu pédagogique – des contrôles trop tardifs et trop rares, des contrôles réalisés par des agents dont ce n’est pas la spécialité – ne faudrait-il pas à cet égard un corps spécifique ? Il est vrai que l’État communique difficilement les chiffres, mais je peux vous dire que, dans ma commune, le nombre d’enfants concernés par l’instruction en famille est passé de 27 à 47 en cinq ans. L’évolution est inquiétante, mais aucun moyen supplémentaire n’a été donné pour augmenter les contrôles !

Je ne cherche pas la controverse idéologique, mais j’en ai assez des politiques déclamatoires sans effet sur le terrain. Je propose de maintenir le système déclaratif, considérant que la liberté est la règle et que l’État n’intervient qu’en cas de défaillance, comme lors de maltraitances – et priver un enfant d’instruction est une maltraitance. Je propose donc, à l’amendement CS1610, de conserver une déclaration simple, mais de prévoir que dans le mois suivant sa réception, l’autorité compétente effectue un contrôle des conditions de réalisation de l’instruction. Je poursuis le même objectif, mais j’inverse la logique : il faut lutter contre ceux qui abusent, tout en permettant aux autres d’exercer leur liberté.

En outre, les parents doivent pouvoir être accompagnés par l’État, qui ne serait plus seulement censeur, mais aussi conseiller. Je propose à l’amendement CS1611 que les familles puissent demander avis et conseil à l’autorité compétente en matière d’éducation pour l’élaboration de leur projet pédagogique. J’ai dit tout à l’heure que les enfants qui ne sont pas accueillis par l’Éducation nationale dans des conditions satisfaisantes devraient se voir offrir des alternatives. J’ai rencontré de nombreuses familles, dont des parents d’enfants précoces en Seine-Saint-Denis, en demande d’aide. Mais l’éducation nationale n’est pas en capacité de faire du sur-mesure. Je ne parle évidemment pas des familles dont les enfants seraient sans doute renvoyés à l’école si elles étaient contrôlées – je suis même favorable à ce que le droit à l’instruction en famille soit dénié aux personnes figurant dans un fichier de radicalisation.

Je ne doute pas que nous trouverons, dans l’hémicycle peut-être, un équilibre grâce auquel des familles pourront jouir de cette possibilité, dans l’intérêt de leur enfant.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable sur ces amendements qui réécrivent intégralement l’article 21 et proposent de maintenir un système déclaratif.

Nous pourrons discuter ultérieurement du projet pédagogique, monsieur Lagarde, en présence des députés qui ont déposé un amendement sur cette question.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Jean-Christophe Lagarde. Tentons d’avoir une discussion constructive. Peu importe la paternité des amendements – ce qui m’intéresse, c’est l’effectivité de la loi –, mais je me réserve la possibilité de les présenter à nouveau.

Je terminerai en signalant que le système de l’identifiant national élève est une vraie difficulté pour les services éducatifs et qu’il conviendrait de faciliter le boulot des maires de France en prévoyant quels sont les enfants susceptibles d’entrer en maternelle.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS129 de M. Jacques Marilossian.

M. Jacques Marilossian. Cet amendement est rédactionnel. La mention « des deux sexes » n’a pas de sens dans la mesure où l’instruction est obligatoire pour tous les enfants.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est satisfait, car nous avons effectué cette suppression en 2019 dans la loi sur l’école de la confiance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Jacques Marilossian. Le site Légifrance n’est pas à jour !

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’examen de l’amendement CS1526 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. C’est l’occasion d’inscrire que « Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d’éducation à donner à leur enfant. Si l’instruction obligatoire est assurée prioritairement dans les établissements d’enseignement, elle l’est toujours dans le respect du principe de subsidiarité et le respect du choix éducatif des familles. »

Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants et ils délèguent cette tâche à l’école. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, la logique n’est pas celle de la co-éducation. Tout le monde n’est pas au même niveau, et chacun exerce son rôle, en complémentarité. L’État a-t-il vocation à arracher les enfants aux familles, en tant que lieu où s’exercent les déterminismes ou, au contraire, à les respecter et à favoriser l’épanouissement des enfants ? C’est tout le sens de cet amendement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’école doit être le premier recours, et l’instruction en famille possible uniquement sur autorisation. Je suis assez choquée que vous nous accusiez d’ « arracher » les enfants aux familles. Je ne comprends même pas cette expression.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Mais dites-le ! Dites clairement que ce que vous voulez, c’est que tous les enfants de la République aillent à l’école de la République ! Dites ici que c’est votre objectif, et que petit à petit, vous y parviendrez !

Vous nous faites part de l’augmentation des chiffres de l’instruction en famille, mais soyez honnête : vous savez très bien qu’un grand nombre d’enfants ont été déclarés instruits en famille lorsque votre majorité a rendu l’école obligatoire dès 3 ans.

Par ailleurs, cette disposition est censée lutter contre la radicalisation mais vous nous parlez de répondre aux difficultés qui se posent dans le cadre de la crise sanitaire, des violences conjugales. Quels sont vos véritables motifs ? Nous avons bien conscience que tout ne va pas forcément bien dans ce mode d’instruction, et nous aimerions avoir des éléments chiffrés : qui, quoi, où, comment ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends que vous défendiez l’instruction en famille et que vous souhaitiez maintenir le système de la déclaration. Je respecte votre avis mais je n’accepte pas que vous nous prêtiez des intentions qui ne sont pas les nôtres et que vous usiez d’arguments fallacieux. Les chiffres figurent dans l’étude d’impact : la hausse de l’instruction en famille ne résulte pas seulement de la scolarisation obligatoire à 3 ans.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Nous pouvons être précis sur les chiffres. En novembre 2020, on comptait 16 392 enfants âgés de 3 à 6 ans instruits en famille. Les enfants concernés par l’abaissement à 3 ans de l’instruction obligatoire ne constituent pas la majorité des enfants instruits en famille ! D’autres phénomènes, qui remontent à une dizaine d’années et que l’on retrouve dans d’autres pays, expliquent cette progression. Ils devraient, à ce titre, retenir toute votre attention.

Mais vous préférez user d’arguments fallacieux – le terme est juste – et recréer artificiellement un débat qui se révèle contre-productif. Il ne sert à rien d’aller réveiller de fausses oppositions, alors que nous avons réussi à instaurer la paix scolaire en France.

Depuis quelques années, nous œuvrons, sur le plan législatif, à distinguer dans l’enseignement ce qui est conforme aux principes de la République et ce qui ne l’est pas. L’enseignement privé sous contrat, doté de droits et de devoirs, et qui a montré sa capacité à mieux intégrer le système scolaire, s’en trouve renforcé. Loin de remettre en question la liberté d’enseignement et la liberté des familles, nous cherchons à définir ce qui va, et ce qui ne va pas, en matière d’instruction. Cela contribue à consolider les systèmes qui fonctionnent et à mieux lutter contre ceux qui dysfonctionnent. Dire le contraire et caricaturer notre position est contre-productif.

Bien des positions sur ce texte ne s’expliquent que par une opposition au Gouvernement. On est pour l’école publique, mais on n’aime pas le Gouvernement ; on veut lutter contre l’islamisme radical, mais on ne veut pas aller dans le sens du Gouvernement. Ne perdez pas de vue les objectifs qui nous sont communs, ne faites pas semblant de ne pas voir les problèmes, tout à fait réels, que nous essayons de régler. Vous manquez votre coup en nous interrogeant sur les motifs cachés, en nous accusant de vouloir porter atteinte à la liberté d’enseignement. Si vous voulez être cohérente avec l’objectif de lutte contre le fanatisme et la radicalisation et soutenir la définition d’une liberté d’enseignement conforme aux valeurs de la République, utilisez d’autres arguments !

M. le président François de Rugy. Cela fait maintenant deux heures et demie que nous examinons l’article 21. Nous avons eu un long débat sur l’ensemble et tous les représentants des groupes se sont exprimés. Un certain nombre d’amendements reviennent sur le fond et donnent lieu à de nouveaux échanges d’ordre général sur l’instruction en famille. Pour que nous puissions achever en temps voulu l’examen des amendements à cet article, je vous demande de vous abstraire de votre point de vue particulier, de vous conformer à la volonté générale – car c’est aussi cela la République – et de concentrer désormais vos interventions sur les amendements concrets, à même de faire évoluer le texte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS708 de Mme Emmanuelle Ménard et CS991 de M. Xavier Breton.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article L. 131-2 du code de l’éducation dispose que « L’instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix. » Cette rédaction a le mérite de laisser une liberté totale aux parents dans le choix de l’éducation de leurs enfants.

Vous souhaitez modifier cette rédaction et soumettre ainsi la liberté d’instruction à une autorisation. Le rapporteur général peut se féliciter et rappeler que le projet initial prévoyait l’interdiction de l’instruction dans la famille mais – faut-il le rappeler ? – l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut souffrir d’aucun régime d’autorisation préalable dans un état de droit. La liberté doit rester la règle et la restriction, l’exception.

Comme l’a dit Mme Blin, vous voulez en réalité que tous les enfants aillent à l’école de la République. Vous rendez les choses tellement compliquées pour ceux qui veulent faire autrement que, de fait, l’école de la République deviendra un jour obligatoire pour tous.

M. Xavier Breton. Sur le déroulement de nos débats, monsieur le président, je vous rappelle que le Gouvernement a décidé d’engager la procédure accélérée et que la Conférence des présidents a choisi d’appliquer le temps programmé, ce qui limitera le nombre de nos interventions dans l’hémicycle. Prenons donc le temps d’aller au fond des choses en commission, ne nous imposez pas une marche forcée !

Monsieur le ministre, vous nous dites que nous cherchons à réactiver les oppositions. Personne ne parlait de l’instruction en famille il y a trois mois – tout se passait bien, même si les contrôles étaient insuffisants –, c’est vous qui avez lancé le débat. Maintenant qu’il est ouvert, ne vous étonnez pas de nous trouver en face !

La progression de l’instruction en famille doit être mise sur le compte de l’instruction obligatoire dès 3 ans, mais aussi de l’état de l’école publique. Je ne veux pas peindre un tableau apocalyptique et je rends hommage aux enseignants qui font leur travail du mieux qu’ils peuvent, mais le fait est que leur hiérarchie ne les soutient pas, que le harcèlement scolaire et les violences existent et que les différences pédagogiques sont souvent importantes. Il faut parfois savoir faire son autocritique !

Madame la rapporteure, le mot « arracher » n’est pas de moi mais de Vincent Peillon, lorsqu’il était ministre de l’éducation nationale. Il parlait de la morale laïque, dans laquelle vous vous inscrivez, et expliquait qu’il fallait arracher l’élève à tous les déterminismes, à commencer par le déterminisme familial. Nous sommes ici dans la même logique.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CS317 de M. Jacques Marilossian et CS1348 de M. Pierre-Yves Bournazel ainsi que les amendements CS188 de M. Xavier Breton et CS798 de Mme Catherine Osson.

M. Jacques Marilossian. C’est un élève de l’école publique qui présente cet amendement inspiré par les établissements d’enseignement à distance (EAD), membres de la Fédération nationale de l’enseignement privée (FNEP).

En tant que rapporteur sur le budget de la marine nationale, j’ai entendu l’inquiétude des familles de marins, pour qui l’instruction en famille est une solution adaptée. Elles comprennent la nécessité de mieux encadrer l’instruction en famille mais espèrent que les nouvelles dispositions faciliteront leurs démarches, surtout lorsqu’elles font appel à des structures d’enseignement à distance autorisées et reconnues.

Puisque nous voulons préciser le cadre de l’instruction en famille, éviter la déscolarisation et combattre les angles morts de l’instruction en République, nous proposons un système d’agrément, délivré sous conditions aux établissements privés d’enseignement à distance, permettant de vérifier leur conformité avec le respect des valeurs républicaines et les exigences d’une scolarisation encadrée et effective. Nous proposons aussi que l’établissement d’enseignement à distance, l’éducation nationale et les parents signent une convention républicaine d’enseignement. L’amendement prévoit en outre les conditions supplémentaires de délivrance de l’agrément, notamment la conformité de l’enseignement dispensé, le contrôle de l’obligation scolaire et d’assiduité des élèves.

M. Xavier Breton. Il est proposé de préserver la liberté de l’enseignement en l’autorisant par correspondance auprès d’établissements agréés.

La rapporteure a assuré qu’il était tout à fait possible d’obtenir les informations sur la réalité de l’instruction en famille. C’est faux ; la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) vient finalement d’émettre un avis favorable à la demande d’une citoyenne qui s’était vu refuser par le ministre de l’éducation nationale la communication de l’enquête de la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) relative à l’instruction en famille de 2018-2019 ; lorsque l’on veut obtenir des documents pour objectiver les choses, on se rend compte qu’il y a un barrage, certainement parce que les chiffres n’existent pas, ou que ceux qui servent de toile de fond à votre texte sont des impressions mensongères.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement soulève des questions très intéressantes. Tout d’abord, la notion d’établissement d’enseignement à distance n’existe pas – seul le CNED est considéré comme un service public de l’enseignement à distance. Les écoles, qu’elles soient publiques, privées, hors contrat ou sous contrat, sont des écoles « en dur ». Elles garantissent une socialisation que l’on ne saurait comparer avec celle que peut apporter l’enseignement à distance. Le code de l’éducation ne mentionne pas les établissements d’enseignement à distance, il distingue seulement les enfants qui vont à l’école et ceux qui sont instruits en famille.

Les parents qui font le choix de l’instruction en famille sont responsables et libres du choix des ressources pédagogiques qu’ils veulent utiliser. Agréer les ressources est une idée intéressante – je l’avais évoqué du temps de ma mission sur la déscolarisation –, mais très difficile à mettre en pratique, puisque de nombreuses plateformes sont à l’étranger, et sans effet sur le choix des familles. Il est plus sage de considérer à ce stade que les parents sont garants des ressources qu’ils utilisent – cela fait d’ailleurs l’objet d’un échange avec les inspecteurs lorsqu’ils sont contrôlés. Le débat sur l’enseignement à distance est intéressant et touche à la continuité pédagogique, question soulevée lors du confinement. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Lors des auditions, nous n’avons jamais entendu parler des difficultés rencontrées dans l’instruction en famille. En revanche, nous avons pu prendre conscience de la richesse que constitue l’enseignement à distance et nous avons été alertés sur les conséquences économiques que ne manquera pas d’entraîner votre décision. Ces plateformes emploient notamment d’anciens enseignants de l’éducation nationale, qui font ce métier pour des raisons personnelles, parfois parce qu’ils souffrent de handicap, et qui ne pourront plus réintégrer la fonction publique.

M. Frédéric Petit. Le service à distance, pour les personnes qui ne peuvent pas bouger, est un service bien plus large que l’éducation à distance, puisque c’est aussi un service de soutien – on l’a vu pendant la pandémie. Il est défini dans la loi et ne peut être réduit à son opérateur, le CNED. Il était important de le rappeler.

Les établissements privés d’enseignement à distance dont vous avez parlé sont une ressource pour les familles, notamment celles dont les enfants font partie des 500 000 jeunes français non soumis à l’obligation d’instruction – je veux parler des 200 000 familles résidant à l’étranger, employeurs d’enseignants. Celles-ci, dois-je le préciser, comprennent mal les querelles sur la place de la famille.

Il convient donc bien, pour la précision de nos débats, de faire la différence entre les établissements d’enseignement à distance et les ressources pour les parents. La confusion a souvent été faite lors des auditions et encore à l’instant par Mme Blin.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS705 de M. Charles de Courson et CS453 de Mme Géraldine Bannier.

M. Charles de Courson. Vous faites une erreur fondamentale en voulant substituer au régime déclaratif un régime d’autorisation. Contrairement à ce que vous avez dit tout à l’heure, le Conseil d’État considère que l’instruction en famille est l’un des éléments de la liberté d’enseignement et que le principe de la liberté de l’enseignement figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Je ne pense pas que vous puissiez soumettre une telle liberté à un système d’autorisation. Vous ne voulez pas nous écouter ; nous nous retrouverons dans trois mois au Conseil constitutionnel. En attendant, cet amendement permet de revenir au régime déclaratif.

Mme Géraldine Bannier. Le groupe MoDem, soucieux de trouver une solution de consensus, propose que la déclaration préalable en mairie fasse office d’autorisation provisoire, confirmée par un contrôle par les autorités compétentes dans les trois à six mois suivant son dépôt.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Mon avis sera défavorable sur ces deux amendements qui visent à maintenir le régime déclaratif. L’amendement de Mme Bannier se rapproche de celui défendu par M. Ravier, qui proposait une déclaration renforcée. Ils prévoient tous deux un contrôle a posteriori, qui se pratique déjà aujourd’hui au travers de l’enquête du maire et du contrôle pédagogique.

L’intérêt de l’autorisation, c’est qu’elle soit instruite en amont de la déscolarisation de l’enfant, s’il est d’âge scolaire, ou avant ses 3 ans. Il est préférable d’opposer suffisamment tôt un refus, dans le cas où l’instruction en famille serait motivée par des raisons autres que celles prévues par la loi.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Charles de Courson. Madame la rapporteure, monsieur le ministre, vous ne pouvez pas vous contenter de dire « défavorable » sans répondre aux questions de fond. L’instruction en famille fait-elle partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? Si oui, peut-on soumettre une telle liberté à un régime d’autorisation ?

M. le président François de Rugy. Monsieur de Courson, chacun est libre de s’exprimer comme il l’entend. Vous posez vos questions, vous intervenez, monsieur le ministre et madame la rapporteure le font également, comme ils l’entendent ; il ne saurait y avoir d’injonction ! Tout à l’heure, j’ai entendu des propos un peu menaçants. Je n’ai pas voulu les relever sur le moment, mais cela n’a pas sa place dans cette enceinte.

La liberté d’expression est totale, mais respectons aussi nos institutions. Cher collègue, ne faites pas semblant de ne pas comprendre. Le ministre s’est déjà exprimé à maintes reprises et les réponses à vos questions sont aussi dans le texte. Oui, le Gouvernement pense qu’on peut encadrer cette liberté par un régime d’autorisation. En France, il existe un droit au logement. Pour autant, construire un logement, ou même changer une fenêtre, est soumis à autorisation.

Mme Géraldine Bannier. Il me semble qu’une déclaration valant autorisation, et un contrôle a posteriori, permettraient de mieux répondre aux situations d’urgence rencontrées par les familles. Ainsi, lorsqu’un enfant tombe malade et ne peut retourner à l’école pour des raisons immunitaires, la réponse de l’institution doit être rapide. Que se passe-t-il si les familles sont obligées d’attendre le contrôle et l’enquête ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. D’autres collègues ont également soulevé cette question, madame Bannier, et, vous avez raison, c’est un point très important. Que se passe-t-il lorsqu’un enfant doit interrompre en urgence sa scolarité pour des raisons de santé, de harcèlement, de phobie, de handicap, etc. ?

Ces situations sont déjà prises en compte dans le code de l’éducation : il est, bien sûr, possible de retirer immédiatement l’enfant de l’école. Contact est pris avec le directeur académique des services de l’Éducation nationale (DASEN), le plus souvent en concertation avec le directeur d’école ou le principal de collège. Le dialogue s’instaure dans un certain délai afin de trouver, avec la famille, quelles solutions proposer à l’enfant. Si la solution est une instruction en famille, l’autorisation est alors accordée.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS709 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit de supprimer les mots « par dérogation » à l’alinéa 3, pour les raisons précédemment détaillées.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1489 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Je vous sais attaché au débat parlementaire, monsieur le président. Il est important de pouvoir s’exprimer en commission car les débats qui n’y auront pas lieu se dérouleront en séance, vous le savez.

S’agissant de l’amendement, je préférerais une déclaration exigeante à une autorisation indigente. Monsieur le ministre, nous avons soutenu et voté en 2018 la proposition de loi dite Gatel visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. L’article L. 441-2 du code de l’éducation liste les pièces nécessaires au dépôt du dossier de déclaration d’ouverture d’un établissement d’enseignement scolaire privé. Je ne vais pas vous le lire dans son intégralité mais il est intéressant car exigeant, afin d’anticiper ces ouvertures et d’encadrer l’éducation des enfants.

Il doit comporter des informations sur la ou les personnes physiques déclarant l’ouverture – dans le cas de l’instruction en famille, on peut penser qu’il s’agit des parents. Il doit également comporter des informations précises sur l’établissement – dans le cas de l’instruction en famille, on peut aussi comprendre l’importance de disposer d’informations claires sur le domicile ou le lieu d’instruction. Enfin, le 3° de cet article, relatif au statut de la personne morale demandant l’ouverture de l’établissement, ne s’applique pas à l’instruction en famille.

Après analyse de cet article, comment expliquez-vous ce déséquilibre entre la simple déclaration d’ouverture, nécessaire pour les établissements hors contrat, et l’autorisation, pour l’instruction à domicile ? Est-ce une intention malencontreuse ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre amendement propose de rester sur un système de déclaration, j’y suis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Plusieurs d’entre vous l’ont dit, le régime de l’instruction en famille serait – je parle bien au conditionnel – plus sévère que celui des écoles privées hors contrat ou sous contrat.

Je l’avais déjà souligné à l’occasion des débats sur la proposition de loi Gatel, les contraintes, légitimes, qui pèsent sur une école hors contrat ne sont pas les mêmes que celles encadrant l’instruction en famille, mais elles ne sont ni plus fortes ni plus faibles.

Lors de la création d’une école, il est logique de vérifier la capacité des initiateurs, la soutenabilité financière du projet et son respect des valeurs de la République. Quand il s’agit d’une famille, on s’assure que la situation particulière de l’enfant le justifie. D’un côté, il s’agit d’une institution, de l’autre, d’un élève. Tout cela me semble parfaitement naturel.

M. Gaël Le Bohec. Si c’est naturel, est-il naturel d’avoir un point de vue différent ? Le présent projet de loi vise à renforcer les principes républicains. Je comprends les différences que vous évoquez, mais quand il existe des points communs, pourquoi les procédures ne sont-elles pas communes ?

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur le ministre, une déclaration valant autorisation serait quand même un outil beaucoup plus simple ! Cela n’empêcherait en outre pas le processus de contrôle, conformément aux dispositions de l’article L. 131-10 du code de l’éducation. C’est du bon sens ! Pourquoi embouteiller les services, ceux des mairies et les autres ? Peut-être faut-il retravailler l’amendement, mais il me semble logique, et le couperet de l’autorisation préalable, néfaste. Nous ne sommes pas contre l’article 21 mais nous souhaiterions l’aménager.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS535 de M. David Lorion.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement vise à ce que l’autorisation ne puisse être délivrée qu’après que les personnes responsables de l’enfant ont transmis par écrit un projet éducatif. J’apprécie cette idée, ainsi que celle de la signature d’une charte. Mais le délai proposé ne me paraît pas convenir. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS457 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Je remercie monsieur le ministre d’avoir évoqué au début de notre réunion le problème des 250 millions d’enfants dans le monde qui ne bénéficient pas d’instruction. C’est également un problème français.

Mon expérience est triple. Tout d’abord, je fais partie de ce demi-million de parents français qui habitent à l’étranger, où l’instruction n’est donc pas obligatoire. Ensuite, j’ai passé quinze ans dans une zone à urbaniser en priorité (ZUP) dans laquelle j’animais un projet d’action sociale. Je sais ce que cela signifie quand des parents disparaissent… Enfin, je suis rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères pour le budget de la diplomatie d’influence et, à ce titre, je contrôle certains opérateurs, sur lesquels je vais revenir.

Il ne faut pas idéologiser le rapport entre la famille et l’école. Je n’ai pas pu intervenir ce matin, mais les débats étaient très pénibles. Nous avons beaucoup parlé de liberté d’éducation et d’instruction, mais n’oublions pas d’évoquer l’excellence. Si notre éducation se propage dans le monde, c’est qu’elle est excellente. Certes, ce n’est pas un système d’ampleur – il est plutôt fait de petites expériences, s’inspirant de Freinet, de Montessori – mais il vise l’excellence.

Le CNED fait désormais partie du service numérique de l’éducation, défini à l’article L. 131-2 du code de l’éducation. L’amendement propose que nous adaptions ce service numérique afin qu’il devienne le soutien de l’instruction en famille, en tissant des liens et en interagissant avec l’IEF. Je suis contre l’instruction en famille qui archipellise notre société, mais pour une IEF pionnière de notre excellence éducative.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’esprit de votre amendement mais il est satisfait car de nombreuses ressources sont en ligne, et mises à disposition des familles qui pratiquent l’IEF sur Eduscol.

En outre, les familles pratiquant l’instruction en famille sont bien sûr libres d’utiliser les ressources qu’elles souhaitent, et certaines choisissent le CNED. On ne peut les obliger à utiliser ce service, pour des raisons liées au droit de la concurrence, d’autres établissements d’enseignement à distance proposant le même type de service.

Enfin, les élèves inscrits au CNED bénéficient bien d’un enseignement moral et civique, conformément aux programmes de l’éducation nationale. Ce n’est pas directement l’objet de votre amendement, mais nous y reviendrons car d’autres collègues l’ont évoqué.

Si vous le souhaitez, je vous propose de retirer votre amendement pour que nous réfléchissions ensemble à une rédaction plus adéquate.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Mon avis sera le même que celui de la rapporteure. Je vous remercie d’avoir mis l’accent sur la question des ressources car c’est effectivement un enjeu. Les familles, et pas seulement celles qui choisissent l’IEF, doivent pouvoir disposer de ressources pour les aider à suivre leur enfant. Nous avons beaucoup développé ces outils au cours des dernières années.

Ainsi Eduscol, que Mme la rapporteure a cité, est extrêmement riche. Sur ce point comme sur d’autres, la crise épidémique a été à la fois révélatrice et stimulante. Ce que nous avons appelé l’opération « Nation apprenante » consiste justement à développer des ressources pour les familles. Nous avons travaillé avec l’audiovisuel public – France 4 et Radio France – ainsi qu’avec une série de partenaires. Les ressources ainsi créées sont à la fois de plus en plus riches et labellisées. Le Réseau Canopé, que vous connaissez bien, monsieur le député, est centré sur la formation des enseignants, et dispose lui aussi de plus en plus de ressources, avec des effets de bord pour les familles.

Les enfants français domiciliés en dehors du territoire sont, de fait, dans une situation spécifique par rapport à la scolarité obligatoire, vous avez raison. À l’inverse, aucun enfant sur le territoire de la République ne saurait être exclu de la scolarité.

M. Frédéric Petit. Je maintiens mon amendement. J’ai bien parlé de service numérique de l’éducation, et non uniquement du CNED. L’article L. 131-2 est plus large, et inclut Canopé et Eduscol il me semble. J’y insiste car c’est un point encore confus pour mes collègues.

Monsieur le ministre, votre action a permis le regroupement de différents opérateurs. Si l’on considère que le service numérique de l’éducation est un service public, nous devons le renforcer et inclure l’IEF dans ses missions, alors qu’elle n’y figure pas. Ce serait également un signe positif en direction de l’excellence dont j’ai parlé.

Enfin, madame la rapporteure, mon amendement n’oblige personne à s’inscrire au CNED, pas plus qu’à suivre des cours de morale !

La commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CS1884 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Toujours dans la même veine, il s’agit de revenir au système de déclaration. Puisque vous ne voulez pas me répondre, je vais vous poser ma question différemment : l’IEF ne fait-il pas partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vais finir par me vexer car j’en ai parlé pendant plusieurs minutes dans mon propos introductif, monsieur de Courson. J’ai même dit que le dispositif retenu était juridiquement solide, au regard tant du droit français que du droit international.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’espère que vous me ferez la grâce de penser que je connais un peu ces sujets pour avoir beaucoup écrit dessus. Nous l’avons déjà abordé avec la rapporteure, mais je vais le répéter : la liberté d’enseignement ne fut explicitement consacrée qu’en 1977 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle fait référence à une loi de finances du 31 mars 1931. Le juge constitutionnel, s’appuyant sur cette loi, a fait du principe de la liberté d’enseignement un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Vous le savez très bien puisque vous vous référez à la jurisprudence du Conseil d’État – sans viser celle de la Cour européenne des droits de l’homme – il n’y a pas, et il n’y a jamais eu de consécration constitutionnelle de l’instruction à domicile. La seule base constitutionnelle est celle de la liberté d’enseignement, laquelle inclut l’instruction à domicile, mais précisément dans ce cadre. Or nous pouvons tous constater que l’instruction à domicile évolue encore trop dans un fort vide juridique. C’est pourquoi nous apportons ces précisions afin de contribuer à la construction législative de ce principe fondamental reconnu par les lois de la République qu’est la liberté d’enseignement.

Nous verrons ce qu’en dira le juge constitutionnel : si l’instruction à domicile fait sans aucun doute partie de la liberté d’enseignement, selon des modalités qui restent à définir, elle ne saurait constituer un principe absolu, au risque de se heurter à d’autres libertés et droits importants, notamment les droits de l’enfant.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS189 de M. Xavier Breton, CS944 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1382 de M. Arnaud Viala.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, mon collègue Gosselin avait demandé la parole sur l’amendement précédent. Veillons à ce que nous puissions parfaitement débattre de ces questions.

Monsieur le ministre, l’article 2 du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « l’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

De même, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 16 juillet 1971 relative à la loi sur la liberté d’association, a jugé que l’exercice d’une liberté fondamentale ne peut pas être conditionné « à l’intervention préalable de l’autorité administrative ou même de l’autorité judiciaire », c’est-à-dire à une autorisation préalable.

Nous considérons que l’instruction à domicile est une liberté fondamentale. Il ne s’agit pas uniquement d’un débat juridique, mais également d’un débat politique, que nous devons relayer. La liberté d’éducation et la liberté d’enseignement sont-elles des libertés fondamentales ? Nous le pensons ; vous ne le pensez pas et cherchez à rogner ces libertés. C’est pourquoi nous proposons cet amendement.

M. le président François de Rugy. Je rappelle qu’il s’agit de supprimer l’alinéa 5.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis également opposée au régime d’autorisation préalable – qui plus est annuel. Je le répète, une liberté soumise à autorisation n’est plus une liberté fondamentale, l’interdiction devenant la règle. Selon l’étude d’impact, environ 30 000 enfants actuellement instruits en famille risquent de ne plus pouvoir en bénéficier. En outre, ceux qui souhaiteront y avoir recours à l’avenir en seront dissuadés par des contraintes excessives.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je suis défavorable à ces amendements qui proposent de supprimer l’alinéa 5, donc le dispositif d’autorisation.

M. le président François de Rugy. Monsieur Gosselin, dans les prises de parole, je donne la priorité aux porteurs d’amendements et aux membres de la commission.

Mme Annie Genevard. La question du contrôle me semble essentielle. J’avais déposé un amendement que je n’ai pu défendre, ayant dû m’absenter. Si les contrôles ne doivent pas être excessifs, il faut sans doute les renforcer, un inspecteur de l’Éducation nationale que nous avons auditionné avec Mme Brugnera ayant convenu qu’ils étaient actuellement probablement insuffisants.

Si on veut toucher notre cible – l’absence d’enseignement ou l’enseignement dévoyé –, si on soupçonne une défaillance grave pour l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut pouvoir effectuer des contrôles. Or l’inspecteur a convenu que certains parents se dérobent délibérément aux contrôles en étant absents lorsque le contrôle est annoncé, ou en faisant intervenir des associations pour le contester. Je plaide pour le maintien de l’instruction en famille, car c’est une liberté importante pour ces dernières. Mais il faut punir ceux qui se dérobent aux contrôles. Monsieur le ministre, ne faudrait-il pas alors scolariser les enfants dans une école publique ou privée ?

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à la discussion commune des amendements CS1486 de M. Gaël Le Bohec, CS761 de M. Xavier Breton, CS1888 de Mme Géraldine Bannier, CS757, CS758, CS759, CS760 et CS762 de M. Xavier Breton, ainsi que des amendements CS1484 de M. Gaël Le Bohec, CS1050 de Mme Béatrice Piron et CS1485 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Bien entendu, l’article 21 est très important et il est hors de question de le supprimer car ce serait nier que des améliorations sont possibles. J’ai auditionné entre deux cents et deux cent cinquante familles qui plaident pour ces améliorations : modes de déclaration, anticipation des délais, etc.

C’est l’objet de l’amendement CS1486 qui prévoit que la déclaration à l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation se fasse de manière préalable, avant la rentrée scolaire afin de permettre aux services de l’éducation nationale et aux familles de s’organiser. Bien sûr, dans certaines situations exceptionnelles, il faudrait faire preuve de souplesse, mais fixer une telle règle permettrait à tout le monde de s’organiser et d’améliorer la relation des familles avec l’administration.

M. Jean-Paul Mattei. Il n’est pas question de remettre en cause l’autorisation. Nous souhaitons simplement améliorer les modalités de son octroi. C’est pourquoi nous plaidons pour une déclaration préalable valant autorisation provisoire, puis un contrôle conformément à l’article L. 131-10 du code de l’éducation. Un tel dispositif serait beaucoup plus souple.

M. Xavier Breton. Je vais défendre les amendements CS761, CS757, CS758, CS759, CS760 et CS762. Ils visent à maintenir le système de déclaration car l’instruction en famille est une liberté fondamentale, la déclaration étant suivie d’un contrôle – qu’il s’agit de rendre effectif par le biais de ces amendements.

L’amendement CS761 propose un formulaire-type afin de mieux encadrer la déclaration. L’amendement CS757 dispose que les motifs de choix devront être indiqués dans la déclaration puisqu’il est important de savoir dans quelle logique la famille recourt à l’instruction en famille. Au-delà des choix pédagogiques différents de chaque parent, qui doivent être respectés dans leur diversité, l’amendement CS758 rappelle les objectifs de l’instruction, à savoir maîtriser le socle commun et réaliser tous les enseignements.

L’amendement CS759 précise que le formulaire-type doit comprendre des informations sur la participation des enfants aux activités extrascolaires. Contrairement à la vision que vous avez de ces familles, elles sont souvent très ouvertes, vivent au sein d’un quartier, dans une commune, où les enfants participent à la vie sportive et culturelle. Il faut pouvoir le vérifier a posteriori et, si on a un doute, l’indiquer.

L’amendement CS760 prévoit que la déclaration devra être accompagnée d’un dossier pédagogique afin d’expliquer la démarche pédagogique de la famille.

Je vais retirer l’amendement CS762, qui visait à préciser par décret le contenu du formulaire-type, car nous ne partageons pas les objectifs de l’exécutif et je ne souhaite donc pas lui confier cette rédaction.

L’amendement CS762 est retiré.

M. Gaël Le Bohec. Mon deuxième amendement poursuit un objectif totalement différent de l’amendement précédent. Il a trait au rattachement de l’enfant instruit au titre de l’IEF à son établissement scolaire de référence, afin d’améliorer l’efficacité de la déclaration et de renforcer les principes républicains.

Cela permettrait de maintenir un lien de confiance avec l’établissement dans la durée. L’article D. 331-4 du code de l’éducation le prévoit déjà puisqu’il dispose que « l’élève reste inscrit dans son établissement scolaire de référence s’il est contraint d’interrompre momentanément sa scolarité en raison de son état de santé et de recevoir un enseignement à domicile ». Beaucoup d’associations d’enfants handicapés ou autistes plaident pour ce continuum d’éducation, très important.

Enfin, les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont rappelé que 50 % des enfants sont instruits à domicile pour des durées inférieures à un an. Dans ce contexte, le lien avec l’établissement est d’autant plus fondamental.

Mme Béatrice Piron. Je suis très favorable à ce que tous les enfants suivent leur scolarité dans une école, mais en même temps consciente que l’IEF est un moment particulier et la solution parfois la mieux adaptée à certains enfants. Je plaide pour une école inclusive pour tous les enfants, qu’ils soient en situation de handicap ou instruits en famille.

Le rattachement à une école, comme le propose M. Le Bohec, permet de préparer l’éventuelle réintégration de ces enfants dans l’école, en la leur faisant découvrir, voire intégrer à temps partiel, comme cela se fait déjà pour certains enfants en situation de handicap. Cela permettrait de rassurer les familles qui craignent l’avis défavorable de la mairie, soucieuse d’éviter des fermetures de classes. Cela permettrait aussi de garantir une place aux enfants, s’ils ont besoin de réintégrer l’école en urgence.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Tous ces amendements réécrivent l’alinéa 5 relatif à l’autorisation. Mon avis sera donc défavorable.

À la place de l’autorisation, plusieurs d’entre vous proposent une déclaration préalable qui vaudrait autorisation provisoire et serait suivie de contrôles renforcés, le refus des contrôles étant sanctionné. Mais c’est déjà le cas ! Il s’agirait donc d’un statu quo, et non une amélioration. Il y a déjà des contrôles et, quand les parents effectuent des manœuvres dilatoires ou les refusent, il faut effectivement plusieurs contrôles et plusieurs procédures avant de conclure que l’instruction en famille n’est pas effectuée correctement.

Madame Genevard, je partage votre ambition. Si vous aviez été là pour défendre votre amendement, je vous aurais dit qu’il était satisfait. Nous traitons le problème évoqué ci-dessus par le biais de l’autorisation préalable. Elle permettra en temps et en heure de fixer des règles claires pour les familles qui veulent recourir à l’instruction en famille. Il est dommage que vous ayez retiré votre amendement, monsieur Breton, car je partage votre souci du concret et suis favorable à des règles claires.

Vos autres amendements ne règlent pas le problème actuel : en attendant que les contrôles soient diligentés, refusés, diligentés à nouveau, refusés à nouveau et que l’administration arrive au terme de la procédure, l’enfant est instruit – ou pas – en famille et ses droits ne sont pas préservés. C’est pourquoi nous préférons une autorisation en amont, sous réserve, vous avez raison, que son instruction soit réalisée dans des délais raisonnables. Nous y reviendrons probablement à l’occasion d’autres amendements.

S’agissant du rattachement, le rapporteur général va présenter un amendement. Nous en rediscuterons à ce moment.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Plusieurs d’entre vous ont signalé le manque de moyens humains pour réaliser les contrôles. Il est vrai qu’il existe depuis toujours un angle mort, puisque l’institution ne s’était jamais organisée pour les effectuer. Depuis trois ans, nous développons les moyens – trente postes d’inspecteurs ont été créés l’an dernier. Davantage d’inspecteurs peuvent se consacrer à ces contrôles, ce qui nous a permis de mieux identifier le phénomène.

L’instruction en famille, qui concerne 65 000 enfants, a récemment pris une grande ampleur. Si nous prolongions les courbes, nous aboutirions à un changement de la nature du système : l’enseignement se ferait en famille, et la mission de l’éducation nationale serait de contrôler, conseiller et intervenir dans les familles, ce qui serait très complexe.

Il est normal de développer les moyens de contrôle, nous l’avons fait, sans doute insuffisamment, nous le ferons davantage au cours des prochaines rentrées. Cet effort sera corrélé au déploiement des moyens humains que nous allons consacrer à la laïcité. Depuis trois ans, dans chaque académie de France, des équipes « valeurs de la République » ont été formées pour intervenir dans les établissements. Elles ne se consacrent pas à l’enseignement à distance, mais jouent un rôle complémentaire et connexe. À l’avenir, dans chaque rectorat de France, il y aura une équipe « valeurs de la République » et une équipe chargée de contrôler les écoles hors contrat et l’instruction en famille. La présence de ces deux équipes permettra le partage d’expérience et assurera de disposer des moyens humains suffisants pour intervenir sur ces sujets. La montée en puissance est donc prévue, mais elle ne peut pas être infinie, il faut la cadrer.

À propos du régime d’autorisation, je rappelle que le silence de l’administration vaut acceptation au terme d’un délai de deux mois. Gardons-nous des préjugés selon lesquels l’administration serait froide, bureaucratique, sans considération pour les cas particuliers. C’est une vision erronée. Il est facile de caricaturer l’administration de l’éducation nationale ; pour la fréquenter au quotidien depuis longtemps, notamment dans ses établissements déconcentrés, je sais qu’elle est composée de gens admirables dotés d’un grand sens du service public qui sont parfaitement capables de travailler sur ces sujets.

M. Philippe Vigier et Mmes Perrine Goulet, Géraldine Bannier, Isabelle Florennes. Mais ils n’ont pas les moyens suffisants !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Par leur recrutement et leur formation, les personnes chargées du contrôle auront à cœur de défendre l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le rattachement à une école est une idée intéressante, il faut en étudier les conséquences. Au premier degré, il est sans doute plus pertinent de prévoir le rattachement à une circonscription, pour éviter une concentration excessive dans une école et d’éventuels effets pervers. Au second degré, le rattachement peut se faire à un établissement.

La référence aux enfants en situation de handicap et au concept d’école inclusive est judicieuse. Le grand mouvement d’intégration des enfants en situation de handicap à l’école, en cours depuis une vingtaine d’années, s’est accéléré ces dernières années. Il est paradoxal de souhaiter accueillir de plus en plus d’enfants handicapés à l’école tout en facilitant le développement de l’enseignement au sein des familles.

Nous devons développer une vision cohérente – résumée par l’expression : l’école, c’est bon pour les enfants – qui implique de rattacher au système scolaire ceux qui reçoivent l’instruction en famille. C’est particulièrement vrai pour les enfants malades ou en situation de handicap, qui doivent rester à la maison pour des cas de force majeure. Nous souhaitons créer le lien avec l’école, la rédaction retenue sera le fruit de nos travaux.

M. Philippe Vigier. Monsieur le ministre, entendez le message qui vient de tous nos bancs. Nous ne demandons rien d’autre que d’aligner ce dispositif sur celui des écoles hors contrat : leur création est déclarée, et l’administration peut les faire fermer dans les trois mois. Dire que le silence de l’administration vaut acceptation est un mauvais message, nous souhaitons tous que nos enfants bénéficient de la meilleure éducation possible. Comment expliquer que des écoles privées hors contrat aient un régime plus facile d’accès que les écoles contrôlées ?

Dans l’Eure-et-Loir, il n’y a pratiquement aucun contrôle sur les familles. Vous demandez aux maires de contrôler les locaux, mais nous ne sommes pas capables de vérifier la qualité de l’enseignement. Ce n’est pas parce qu’un dossier d’autorisation sans véritable projet pédagogique est déposé que vous garantirez l’intérêt supérieur de l’enfant.

M. Gaël Le Bohec. Lors de leur audition, les chercheurs Philippe Bongrand et Dominique Glasman nous ont déclaré que le dossier d’autorisation n’est pas producteur de confiance avec les services publics, et l’autorisation constitue une sorte de mise à distance de la promesse républicaine. Ils ont étudié méticuleusement, en allant chercher les dossiers chez les directeurs académiques pour comprendre la logique de ces familles d’un point de vue sociologique.

Je suis prêt à retirer mon amendement sur le rattachement à une école, mais j’aimerais avoir quelques détails sur les propositions à venir du rapporteur général.

M. Jean-Christophe Lagarde. Les débats sont organisés, normalement, pour que nous parvenions à nous convaincre. On entend sur tous les bancs – y compris du groupe MoDem – que le principe doit être la liberté de faire, l’obligation de déclarer, et le devoir, pour l’État, de contrôler. C’est la demande de la plupart des députés présents, y compris de votre majorité. Une évolution du projet de loi au cours des débats est-elle possible ? On nous répond toujours que nos propositions ne peuvent être retenues car elles reviennent sur le principe de l’autorisation.

Dans le but, légitime, de lutter contre l’abus de liberté commis par les personnes radicalisées qui enferment leurs enfants dans leur idéologie et cherchent à leur faire prendre les armes contre la République, le Président de la République a proposé l’interdiction de l’école à domicile. Le Conseil d’État ayant jugé cette interdiction illégale, vous avez décidé d’instaurer un régime d’autorisation. Il me semble que le point d’équilibre, c’est un régime de déclaration et un contrôle effectif, pas dans un délai de trois mois, mais dans les semaines qui suivent la déclaration.

Monsieur le ministre, j’ai cité les chiffres de ma commune, vous avez cité ceux de la nation. Le ressort d’une inspection correspond à peu près à celui d’une commune. Passer de vingt-sept à quarante-sept enfants en cinq ans traduit une progression qu’il ne faut pas négliger, et la collaboration entre les communes, qui connaissent la situation de ces familles, et l’éducation nationale serait très utile. Mais ne dites pas que l’enseignement à domicile devient le modèle, alors que dans la même commune, on compte 8 000 élèves scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires. On peut trouver que quarante-sept élèves sur 8 000, c’est trop – c’est mon cas – mais ce n’est pas en train de devenir le modèle ! J’espère que nous sommes capables de nous adapter, et que les inspections suivent aussi les 380 enseignants et les 8 000 élèves.

Je suis favorable à un encadrement plus strict de l’instruction en famille, et j’espère que nos débats permettront de trouver le bon équilibre, qui permette de défendre la République et d’interdire que des enfants soient pris en otages dans des objectifs contraires aux droits de l’enfant et aux principes de la République, tout en incitant l’administration à faire confiance aux familles. La confiance n’exclut pas le contrôle.

M. le président François de Rugy. Je suis étonné par le raisonnement qui est employé. On commence par dire qu’il faut que l’instruction en famille soit aussi ouverte que possible et qu’une simple déclaration doit suffire, ce qui faciliterait l’augmentation du nombre d’enfants concernés. Puis, dans un second temps, on appelle à renforcer les contrôles.

La République ne fonctionne pas comme cela, ce n’est pas à la collectivité de supporter le coût des choix individuels. J’ai interrogé les familles qui pratiquent l’IEF, les contrôles durent deux à trois heures. Donc pour un seul enfant, un inspecteur de l’éducation nationale accompagné de l’équivalent d’un conseiller principal d’éducation sont accaparés pendant une demi-journée. Vous rendez-vous compte de la différence de moyens mobilisés par rapport aux enfants scolarisés dans des classes ? Chaque enseignant n’est pas inspecté une fois par an. Vous proposez que chaque élève, ainsi que ses parents, passent un entretien avec un inspecteur de l’éducation nationale accompagné d’un conseiller principal d’éducation, au moins une fois par an, et que l’on contrôle la progression des savoirs. Ce serait donc à la collectivité de payer les conséquences de choix individuels.

Mme Perrine Goulet. De quelle partie du texte est-il le rapporteur ? (Sourires.)

M. le président François de Rugy. Ce seront autant de moyens en moins pour l’éducation nationale, c’est-à-dire pour les enfants que les parents ont choisi de placer dans des structures collectives. Il faut considérer les conséquences des raisonnements que vous tenez !

Je vais mettre aux voix les amendements… (Protestations.)

Mme Perrine Goulet. Vous ne pouvez pas intervenir de cette façon sans nous laisser la possibilité de reprendre la parole !

M. le président François de Rugy. Je ne suis pas celui qui intervient le plus dans les débats, loin de là. Je sais que certains s’agacent parfois que je rappelle les choses, mais j’ai rencontré comme vous les parents qui défendent l’instruction en famille.

Et je continue à donner la parole en priorité à ceux qui ont déposé des amendements. Chacun a pu vérifier que je suis attentif à l’expression de tous les points de vue.

Mme Annie Genevard. Il s’agit de questions fondamentales, qui seront parmi les plus débattues de ce projet de loi.

Si le projet de loi contient ces dispositions, c’est qu’un problème a été identifié. La rapporteure explique que mon amendement sur le renforcement des contrôles est satisfait dans la pratique, en contradiction flagrante avec les propos du ministre qui a reconnu qu’il existait un angle mort et qu’il n’y avait pas assez de contrôles.

C’est le point central, il faut adresser le message de la sévérité la plus absolue en cas de manquement. Évidemment, on ne peut pas contrôler chaque année tous les enfants qui sont instruits en famille. Il faut que ceux qui font mal les choses craignent le contrôle, et soient sanctionnés.

M. Jean-Paul Mattei. Monsieur le président, il me semble que le président d’une commission est tenu à une certaine neutralité, et que son rôle est d’organiser les débats, pas de les orienter.

M. le président François de Rugy. Vous confondez avec le rôle du président de l’Assemblée nationale. M. Woerth intervient régulièrement dans les débats de la commission des finances pour donner son point de vue, c’est tout à fait légitime, et il appartient d’ailleurs à l’opposition.

M. Jean-Paul Mattei. Vous savez très bien que la commission des finances obéit à des règles particulières.

M. le président François de Rugy. M. Lescure et Mme Braun-Pivet font la même chose. Et nous avons salué le fait que la regrettée Marielle de Sarnez donnait très souvent son avis au sein de la commission des affaires étrangères, et ses interventions étaient très riches.

M. Jean-Paul Mattei. Pour en revenir aux amendements, les parents seront tenus par les dispositions de l’article 21 pour établir leur déclaration, ils ne la feront pas dans le vide. Nous avons tous rencontré des familles qui ont de vrais projets éducatifs, des projets de vie, ils ne font pas les choses à la légère. La déclaration conforme à l’article 21 peut parfaitement valoir autorisation provisoire dans l’attente d’un contrôle effectif.

M. Xavier Breton. Monsieur le président, vous avez pris part aux débats en soulignant que nous demandions des contrôles supplémentaires. Ce n’est pas pour contrôler l’instruction en famille en tant que telle, l’éducation n’est pas l’objet de ce projet de loi, il vise à lutter contre les séparatismes. Nous proposons que les contrôles sur l’instruction en famille permettent d’assurer l’absence de tentation séparatiste. C’est dans cet objectif que l’amendement CS759 propose de renseigner les activités extrascolaires auxquelles l’enfant participe.

Nous le constatons à nos échanges, il s’agit d’une question de principe : si la liberté d’enseignement est une liberté fondamentale, le régime de la déclaration s’impose. Sinon, il est possible de prévoir un régime d’autorisation. Le Gouvernement et sa majorité s’accrochent à l’autorisation pour une question de principe : les modalités de contrôle sont du domaine technique, nous pouvons nous entendre, mais vous voulez revenir sur la liberté de l’instruction en famille, qui fait partie de la liberté d’enseignement au sens large.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1838 de la rapporteure.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1839 de la rapporteure et CS130 de M. Jacques Marilossian.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je propose de renvoyer à un décret en Conseil d’État la définition des modalités d’autorisation de donner l’instruction en famille.

Le caractère annuel de cette autorisation est maintenu, mais il serait possible d’y déroger pour prendre en compte la situation particulière de certains enfants, dont la maladie de longue durée ou le handicap font obstacle à la scolarisation pour une durée supérieure à l’année scolaire.

M. Jacques Marilossian. Si le régime d’autorisation pour l’instruction en famille est mis en place, l’obligation de formuler une demande d’autorisation chaque année apparaît lourde et disproportionnée, dans la mesure où les contrôles annuels effectués par les pouvoirs publics sont maintenus.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable à l’amendement de la rapporteure, et je demande à M. Marilossian de retirer le sien.

M. Charles de Courson. Cet amendement va atténuer en partie les effets de l’article 21, ce qui est une bonne chose.

Les résultats des contrôles sont les suivants : il n’y a aucun problème lors du premier contrôle dans 93 % des cas. Lors du deuxième contrôle, cette proportion monte à 98 %. Les problèmes ne concernent que 2 % des cas.

Le 18 juin 2020, le ministre a déclaré devant le Sénat : « la liberté d’instruction en famille a un fondement constitutionnel puissant que l’on ne peut que reconnaître, et qui est, je pense, positif. (…) À l’heure actuelle, je pense qu’il faut appliquer les règles que nous avons établies dans la loi de 2019. (…) Mais sur le plan juridique, je crois que nous sommes parvenus à un bon équilibre. » Tout est dit ! C’est ce que nous proposons, il faudrait donner le nom du ministre à nos amendements !

M. Julien Ravier. Selon les statistiques, 30 % des contrôles de l’instruction en famille ne sont pas effectués, faute de moyens ou de stratégie.

Vous allez instaurer un système d’autorisations préalables annuelles, dans lesquelles ne seront pas détaillées les méthodes pédagogiques, le respect des principes républicains ou la nécessité de réaliser l’enseignement en langue française. Il devrait impliquer un contrôle systématique car à défaut, le silence vaudra autorisation. Si l’administration est dépassée, tout le monde aura une autorisation, sans aucune vérification des motifs ou des raisons.

Je rappelle que j’ai proposé un système de déclaration renforcée, qui permettrait un contrôle a priori. Ce contrôle pourrait s’effectuer de manière stratégique, en fonction du contenu de la déclaration. Cela permettrait d’être beaucoup plus pragmatique, efficace et opérationnel.

La commission adopte l’amendement CS1839. En conséquence, l’amendement CS130 tombe.

Elle est saisie de l’amendement CS393 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’article 21 ne vise pas à interdire l’enseignement en famille, mais à le soumettre à autorisation. Je propose de créer un temps d’enseignement républicain pour ces élèves au sein des écoles, dont les conditions et le contenu seront fixés par décret.

Je suis surpris par nos débats. Oui, monsieur Breton, l’école de la République vise aussi à sortir les enfants de l’assignation à résidence, et j’en suis la preuve vivante. Il n’était pas évident pour le fils de paysans de la Creuse que je suis de devenir député, et je le dois à l’école de la République, à une institutrice de classe unique qui m’a enseigné la solidarité au sein de la classe, à aider ceux qui étaient moins favorisés, qui m’a fait côtoyer des gens aux capacités et aux origines différentes. C’est un socle de notre République.

Rien n’est plus normal, dans ce texte qui réaffirme les principes de la République, que de rappeler que l’école de la République l’emporte sur le reste. Elle est le creuset républicain qui peut créer l’unité, si nous voulons lutter contre les séparatismes, il faut que la République soit forte, et l’école joue ce rôle.

M. Pupponi témoignait de la tendance de certains élèves à se réfugier dans les écoles confessionnelles pour échapper aux mauvais traitements qu’ils subissent dans les écoles de la République. Nous ne devons pas nous y résigner, l’école doit réaffirmer les valeurs de la République partout, pour tout le monde, et systématiquement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre proposition de diffuser l’enseignement républicain à tous les enfants est intéressante. Néanmoins, elle soulève des problèmes au regard de la liberté d’enseignement des parents qui pratiquent l’instruction en famille.

Je vous propose de le retirer pour y retravailler. Nous pourrions appliquer cette mesure sur la base du volontariat, en proposant aux familles ou aux enfants de participer à ces enseignements. Plusieurs amendements à venir nous permettront d’approfondir cette proposition.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage évidemment l’esprit de cet amendement, nous devons réfléchir à ses modalités d’application. Cette proposition rejoint celle d’organiser un rendez-vous républicain au moins une fois dans l’année, et d’obliger les parents à s’engager au respect des principes républicains. Dans le dossier que les parents rempliront, ils prendront plusieurs engagements – on voit tout l’intérêt d’un système d’autorisation – dont celui d’assurer l’éducation civique. Il faut continuer à travailler sur ces idées, qui sont conformes à l’esprit du texte.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1549 de Mme Natalia Pouzyreff.

Mme Natalia Pouzyreff. Il n’est exigé de démontrer la capacité des personnes qui assureront l’instruction en famille que dans un des quatre motifs invocables. Nous souhaitons qu’elle soit généralisée.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les trois premiers motifs invocables pour demander l’instruction en famille permettent d’avoir recours au CNED réglementé. Les parents peuvent en effet déléguer cette instruction au CNED. C’est pourquoi l’exigence de capacité des personnes n’est prévue que pour le quatrième motif.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS816 de Mme Perrine Goulet et CS1488 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Perrine Goulet. Le ministre a parlé de moment républicain. Pour lutter contre l’instruction en famille, il faut redonner confiance aux parents dans l’école. Le problème tient souvent à des difficultés qu’ils ont pu avoir avec certains enseignants. Pour restaurer cette confiance, je pense nécessaire de rencontrer ces enfants.

Je propose de rattacher chaque enfant à un établissement d’enseignement public. Il y serait périodiquement accueilli, avec les autres enfants recevant l’instruction en famille, afin de bénéficier des enseignements sur la laïcité et les valeurs républicaines, mais également en matière d’hygiène, d’éducation au corps et de droits de l’enfant, ce qui permettrait de détecter les cas de violences au sein des familles.

Cette rencontre permettrait également d’évaluer les connaissances de ces enfants, et résoudrait la difficulté d’envoyer des inspecteurs dans toutes les familles.

M. Gaël Le Bohec. Selon les chercheurs que nous avons auditionnés, la socialisation des enfants qui reçoivent l’instruction en famille n’est pas un problème. J’aimerais avoir la réaction du ministre et de la rapporteure sur un courrier que les familles ont reçu de Matignon, en date du 20 janvier, qui peut sembler blessant. Il y est écrit : « Comme vous le savez, la progression de l’obscurantisme religieux est en grande part alimentée par le repli communautaire. À cet égard, plus de 50 000 enfants sont scolarisés à domicile, un chiffre qui augmente chaque année. Nombre d’entre eux sont totalement hors système. »

Je suis étonné de cette réponse, car les enfants qui reçoivent l’instruction en famille sont déclarés, il est impropre de dire qu’ils sont « hors système ».

L’amendement CS1488 porte sur le rattachement, j’aimerais avoir plus d’informations sur vos propositions à ce sujet.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Madame Goulet, le rattachement est une bonne idée, et je défendrai un amendement qui propose de rattacher chaque enfant qui reçoit l’instruction en famille à une circonscription dans le premier degré, ou à un établissement dans le deuxième degré. Nous pourrons débattre de l’intérêt de ce rattachement.

En revanche, je ne suis pas favorable à l’évaluation semestrielle par l’établissement. Les évaluations sont faites par des inspecteurs qui disposent d’une expérience en la matière. L’instruction en famille permet d’adopter le rythme qui convient à l’enfant, qui n’est pas forcément celui de l’école, il est préférable de laisser aux inspecteurs le soin de l’évaluation.

Le contrôle des connaissances en matière d’hygiène ou d’éducation au corps est une idée pertinente, à laquelle nous pourrions travailler. Dans le cadre du contrôle pédagogique, l’inspecteur peut aborder ces sujets avec les parents car cela fait partie du programme d’enseignement.

S’agissant de la socialisation des enfants scolarisés en famille, j’invite à faire preuve de nuance. Beaucoup d’enfants n’ont aucun problème de socialisation, mais certains éprouvent de réels problèmes. Je n’invoquerai pas mon expérience personnelle d’adjointe à l’éducation, mais j’invite à ne pas trop simplifier les propos que nous avons recueillis en audition.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage totalement l’avis de la rapporteure. Nous pourrons toujours citer des exemples positifs, ce sont les situations négatives que nous visons, et elles existent, ne nous voilons pas la face.

Mme Perrine Goulet. L’évaluation semestrielle que je propose ne serait pas faite par les enseignants mais par les inspecteurs, pendant les vacances scolaires, ce qui leur éviterait de multiplier les visites aux familles.

J’y retravaillerai, je pense que c’est une piste pour préserver les ressources de l’éducation nationale et redonner envie à ces enfants de voir des camarades et revenir dans l’école. Je propose d’organiser ces rencontres hors du temps scolaire pour préserver les enfants en phobie scolaire.

M. Gaël Le Bohec. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes en IEF, mais on ne peut pas dire que plus de 50 000 enfants sont scolarisés à domicile, et que nombre d’entre eux sont hors système. S’ils sont en IEF, nous pouvons les tracer.

L’amendement CS1488 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS816.

 

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12.   Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 21 à l’article 22)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10209227_600b0391db608.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-22-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles.

Article 21 : Encadrement des possibilités de recours à l’instruction en famille (suite) 

La commission examine l’amendement CS456 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Cet amendement vise, lorsqu’une famille a choisi l’instruction à la maison, à ce que son enfant soit systématiquement enregistré dans ce que la loi définit comme le service public du numérique éducatif et de l’enseignement à distance (SPNEED) du ministère de l’éducation nationale, sous un statut spécifique restant à définir.

Il ne faut pas confondre ce service, fruit d’un travail mené depuis trois ans au sein du ministère notamment par la direction du numérique pour l’éducation (DNE), avec le Centre national d’enseignement à distance (CNED), qui n’est qu’un opérateur parmi d’autres. L’amendement ne pose pas d’obligation d’inscription au CNED, seulement l’intégration d’une famille dans un outil. Ainsi est-il répondu très simplement et de façon très fonctionnelle à la question du rattachement. Le CNED dispense déjà des formations comme la scolarité complémentaire internationale qui permet, sans être scolarisé au sein du système français, de maintenir une relation avec l’éducation nationale.

S’agissant des aspects sécuritaires, je sais que le service sera bientôt capable de fournir un identifiant national unique (INE) aux enfants qui feront appel à lui. Enfin, le CNED repère très bien les signaux faibles, notamment la fatigue de la famille.

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Je vous remercie pour vos propos sur le CNED, souvent méconnu et qui a été une ressource précieuse, notamment pour la continuité pédagogique.

Votre amendement a ceci d’intéressant, par rapport à ceux qui visaient le rattachement à un établissement « en dur », qu’il propose le rattachement de l’enfant instruit en famille au SPNEED. Je vous propose de le retirer pour que nous puissions y travailler.

M. Frédéric Petit. Une telle proposition résoudrait beaucoup d’autres problèmes : l’INE, la classe, le précontrôle. Nous disposons, en outre, d’un outil qui existe depuis cinquante ans, opérationnel et spécialiste des élèves qui ne sont pas dans les murs. Utilisons-le !

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. J’adhère à l’esprit de votre démarche, qui nécessite d’être examinée du point de vue de son articulation avec d’autres propositions et de ses aspects législatifs ou non. D’où l’importance, comme l’a dit la rapporteure, d’y retravailler.

Je vous remercie d’avoir ainsi souligné l’importance de ce qui se joue à Poitiers en ce moment, notamment entre le CNED et Canopé, afin d’avoir une vision puissante et organisée du numérique éducatif français.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1238 de Mme Anne-Christine Lang.

Mme Anne-Christine Lang. Les enfants pour lesquels le choix de l’instruction en famille (IEF) a été fait doivent aussi bénéficier d’un droit à l’école ; ils ne doivent pas en être privés. L’école de la République doit savoir s’adapter et tendre la main pour accueillir et accompagner toutes les familles, et non les tenir à l’écart, ce qu’elles peuvent ressentir parfois. Je crois à une école attentive, inclusive et bienveillante, qui sache garder le contact avec ceux qui sont instruits en famille, et surtout avec leurs parents.

L’amendement tend à ce que tous les enfants instruits à domicile puissent être associés, d’une façon ou d’une autre, au projet scolaire par le biais d’un protocole d’accompagnement individualisé qui en préciserait les modalités pratiques. Celui-ci serait établi à l’occasion d’un entretien individuel avec l’inspecteur de l’éducation nationale (IEN) planifié de façon large et systématique, et pas seulement dans les situations d’urgence. D’ailleurs, la pédopsychiatre responsable de La Maison de Solenn ne préconise pas, en cas de harcèlement ou de phobie scolaire, l’éviction scolaire systématique et totale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage votre idée de participation de l’enfant à certains enseignements. Toutefois, la participation au projet scolaire doit être étudiée dans le cadre du travail sur le processus de rattachement qui fera l’objet d’un amendement plus général du rapporteur. Je vous propose donc de retirer le vôtre.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS715 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement de cohérence. Je vous signale, monsieur le président, que votre intervention, en fin de matinée, sur le coût des contrôles a beaucoup fait réagir les familles qui pratiquent l’IEF. Elles voulaient vous faire savoir par ma voix qu’elles ne demandent rien à l’État alors qu’elles payent, comme tout le monde, des impôts qui financent l’école publique dont elles ont fait le choix de ne pas profiter.

M. le président François de Rugy. Il m’arrive de consulter Twitter : cela ne m’avait donc pas échappé.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’alinéa 6 permettant la cohérence juridique du dispositif, je suis défavorable à cet amendement qui tend à le supprimer.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS716 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il vise à supprimer les alinéas 7 à 12, qui énoncent les quatre conditions auxquelles serait soumise l’instruction à domicile.

Or soumettre l’école à domicile à des conditions nuit évidemment à la liberté d’instruction des parents. Tous les parents qui font l’école à la maison ne sont pas des islamistes, et tous les islamistes radicaux en France ne donnent pas exclusivement une instruction à domicile à leurs enfants.

Il serait bien plus nécessaire et urgent – mais évidemment beaucoup plus difficile aussi – de s’attaquer aux écoles coraniques ou aux manifestations de cet islamisme à l’école, comme les quelque 800 incidents ou apologies du terrorisme qui ont émaillé la cérémonie d’hommage à Samuel Paty. De récentes enquêtes révèlent, par ailleurs, que près de la moitié des enseignants se sont déjà autocensurés afin d’éviter des incidents en classe.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1885 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Non seulement l’alinéa 8 impose une autorisation, mais il exclut « […] que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses des personnes qui sont responsables de l’enfant […] ». Monsieur le ministre, vous courez au désastre !

Il y a encore une liberté de conscience, une liberté d’opinion dans ce pays. Au nom de quoi allez-vous expliquer à une famille invoquant de telles convictions qu’elle n’a pas le droit d’instruire ses enfants en dehors du contrôle de l’éducation nationale ? Mais où va-t-on ! Cette mesure est totalement attentatoire aux libertés publiques. Vous qui avez été directeur de mon école, l’ESSEC, comment avez-vous pu laisser écrire cette abomination ?

M. le président François de Rugy. Je ne crois pas que l’ESSEC ait été créée pour des motifs religieux, politiques ou philosophiques…

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Nous reparlerons des conditions à l’occasion de mon amendement CS1840.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Que vous soyez un ancien élève de l’institution que j’ai dirigée vous rend sympathique à mes yeux, mais cela n’est pas le sujet. Je peux entendre votre argumentation s’agissant de la possible interprétation de l’écriture. Cela fait partie des sujets sur lesquels nous sommes ouverts à la discussion.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1490 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. Il s’agit de conserver le régime de la déclaration par parallélisme avec celui des établissements privés.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS250 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Il vise à conditionner l’autorisation à la justification par les personnes responsables de l’enfant de leur capacité à assurer l’IEF. Dans les familles pratiquant l’IEF, les parents sont souvent eux-mêmes enseignants : raison de plus pour les laisser s’occuper de leurs propres enfants.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. S’agissant de la suppression de la mention relative aux convictions des parents, je vous renvoie à nouveau à mon amendement à ce sujet.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS706 de M. Charles de Courson et CS718 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Charles de Courson. Si vous ne votez pas cet amendement, mes chers collègues, vous êtes assurés que le texte sera censuré par le Conseil constitutionnel !

Monsieur le ministre, qui, parmi les membres de votre cabinet, a bien pu vous souffler que les parents ne pouvaient pas avoir des motivations diverses et variées, d’ordre philosophique, politique ou religieux ? Nous proposons la suppression pure et simple de cette mention à l’alinéa 8.

Mme Emmanuelle Ménard. Il est évident que le choix de l’instruction de ses enfants peut se faire en fonction de convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Cette disposition me semble tout à fait attentatoire aux libertés.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. La crainte exprimée ne me paraît pas fondée puisqu’il s’agit de ne pas invoquer les convictions en question, et donc de ne pas avoir à les expliciter.

M. Charles de Courson. Alors, maintenant, il va falloir déclarer quelles sont ses convictions politiques ! Avec cette locution conjonctive « sans que », si je demande à pratiquer l’instruction en famille pour des raisons politiques, de quelles arrière-pensées me soupçonnerez-vous ? Dans quel monde sommes-nous !

Madame la rapporteure, jamais je ne retirerai l’amendement ! C’est comme si vous me demandiez de renoncer à la liberté. Nous en discuterons tout à l’heure, au travers de votre amendement. Vous aussi, vous voulez faire sauter cette mention : même si vous ne pouvez pas trop le dire, vous partagez fondamentalement ce que je viens de dire.

Mme Marine Le Pen. Je souligne l’incohérence de la rédaction du texte, qui établit une différence fondamentale, en quelque sorte une rupture de liberté, avec les parents souhaitant inscrire leurs enfants dans des écoles privées, sous ou hors contrat, puisqu’ils peuvent évidemment le faire en fonction de leurs choix philosophiques, politiques ou religieux.

M. le président François de Rugy. Dans les écoles privées, qu’elles soient sous ou hors contrat, les programmes d’enseignement sont ceux de l’éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Deux catégories d’observations révèlent un malentendu qui justifie que l’on fasse évoluer la rédaction.

Vous objectez qu’on serait obligé de déclarer ses convictions, ce qui est attentatoire à la liberté. C’est tout le contraire ! « […] sans que puissent être invoquées les convictions politiques, philosophiques ou religieuses […] », exclut précisément d’avoir à les invoquer pour justifier l’IEF.

Je peux entendre qu’il est tout à fait légitime pour toute famille d’avoir des convictions politiques, philosophiques ou religieuses, et que celles-ci déterminent le type d’enseignement qu’elle choisit en conscience pour ses enfants. C’est une chose que de reconnaître cette liberté, qui est effectivement constitutionnelle ; c’en est une autre que d’en faire un étendard pour un choix que l’on doit faire administrativement.

Considérez mes propos comme prolégomènes à l’amendement de la rapporteure qui poursuivra cette discussion.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CS1840 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement prévoit que la famille qui demande à recourir à l’IEF ne puisse invoquer d’autres raisons que « l’intérêt supérieur de l’enfant », ces mots se substituant aux « convictions politiques, philosophiques ou religieuses ». Ainsi, il s’agit d’expliciter l’objectif que poursuit l’article, en indiquant que l’instruction en famille ne peut être organisée que dans l’intérêt supérieur de l’enfant, en fonction d’une situation particulière et des besoins propres de l’enfant.

Il s’agit également de garantir la conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le protocole additionnel n° 2 précise que « nul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction. L’État, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques. » La formulation proposée permettra de mieux respecter ces convictions sans que celles-ci puissent être néanmoins invoquées comme seules raisons du choix du recours à l’instruction en famille.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable. L’amendement permet de répondre aux craintes exprimées.

M. Charles de Courson. Je voterai l’amendement de la rapporteure, qui revient exactement au même que le mien puisqu’il supprime la disposition qui vous piégeait, monsieur le ministre. Il introduit aussi la notion un peu vague d’intérêt supérieur de l’enfant, dont il faudra débattre.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CS1338 de M. Grégory Labille, CS132 de M. Jacques Marilossian et CS1683 de Mme Souad Zitouni tombent.

La commission examine l’amendement CS252 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Votre amendement, madame la rapporteure, mériterait quelques explications supplémentaires, notamment à l’attention des familles qui ont bien du mal à identifier les critères qui emporteront le refus de l’autorisation.

Les enfants porteurs d’un handicap figurent parmi ceux susceptibles de bénéficier de l’IEF, mais leurs familles s’inquiètent notamment de la lourdeur de l’autorisation que vous souhaitez mettre en place. L’amendement est de cohérence.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous proposez de supprimer le motif tenant à l’état de santé de l’enfant ou à son handicap, permettant d’obtenir l’autorisation de l’IEF. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Boris Vallaud. L’étude d’impact nous permet difficilement d’appréhender les conséquences de la loi telle que modifiée, à l’article 21, par l’amendement de Mme la rapporteure. À combien estimez-vous le nombre de dérogations ? Pour combien de personnes légiférons-nous ?

M. Xavier Breton. Il serait dommage de ne pas approfondir l’amendement CS1840 de la rapporteure, qui consacre l’abandon des convictions politiques et religieuses et qui introduit la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Ces convictions entreront-elles dans la définition de cette notion ?

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1206 de Mme Stéphanie Do.

Mme Stéphanie Do. Pour qu’un enfant bénéficie d’une instruction à domicile pour des motifs de santé, les parents doivent produire un certificat médical attestant de son incapacité à suivre des cours dans un établissement public ou privé, et ce en cohérence avec des dispositions juridiques déjà existantes.

Pour faire obstacle à une éventuelle complaisance, un tel certificat ne doit pouvoir être délivré que par un médecin agréé, qui ne peut en outre effectuer le contrôle médical d’une personne dont il est le médecin traitant.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le motif de l’état de santé de l’enfant ou de son handicap fait déjà l’objet d’instructions aux familles relatives aux certificats de santé délivrés par les médecins techniques départementaux de l’éducation nationale. L’amendement est satisfait, et vous pouvez être rassurée au sujet d’éventuels certificats de complaisance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS79 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. Cet amendement traite d’un sujet dont nous avons déjà longuement débattu : l’identité de genre des élèves, à l’encontre desquels l’institution scolaire peut parfois exercer des violences involontaires. L’absence de cadre législatif et réglementaire fait qu’aujourd’hui, certains d’entre eux s’en retrouvent exclus, alors que l’école devrait être la plus inclusive possible.

Il doit être possible, aujourd’hui, de déscolariser certains élèves pour des motifs liés à leur identité de genre quand l’institution scolaire n’est pas capable de les accueillir. Le film Petite fille de Sébastien Lifshitz montre ainsi les difficultés rencontrées par une élève trans. Il ne s’agit pas d’un sujet médical, mais bien de la réaction particulière de l’institution vis-à-vis de ces enfants.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vous remercie, cher collègue, pour le travail que vous conduisez entre autres sur le mégenrage, et pour votre combat pour faire évoluer les mentalités et la législation à ce sujet.

Effectivement, l’éducation nationale doit prêter une attention particulière à la situation très particulière de ces enfants et de ces jeunes, souvent faite de détresse, de souffrance, de harcèlement et de discrimination. L’identité de genre ne peut néanmoins constituer un motif à part entière du recours à l’IEF, d’une part, parce que l’école doit se montrer suffisamment inclusive pour que les jeunes concernés y poursuivent une scolarité épanouissante, d’autre part, parce que toute difficulté qui lui serait liée relèverait du quatrième motif.

Je propose le retrait de l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Raphaël Gérard. Je le maintiens. Nous n’aurons pas fait notre travail tant qu’un cadre législatif ou réglementaire ne fixera pas les règles de l’inclusion des élèves trans.

M. Coralie Dubost. Je suis également très sensible à cette cause, mais je me demande si dire à un enfant que, pour s’épanouir dans son genre, il doit être retiré de l’école de la République est vraiment une bonne solution. Je n’en suis pas sûre.

En revanche, il faut que l’éducation nationale et le corps enseignant prêtent une attention sérieuse à ces situations d’exclusion en raison du genre, qui peuvent être dramatiques pour les enfants et les conduire parfois jusqu’au suicide.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS253 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. C’est un amendement de cohérence avec celui que j’ai défendu précédemment. Je crois que vous faites une erreur en proposant une liste à la Prévert pour les raisons qui pourraient pousser certaines familles à recourir à l’instruction en famille. Je souhaite supprimer la totalité de ces dispositions. Laissons les parents libres de se tourner vers l’IEF à partir du moment où ils en ont la capacité.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Quant à la « liste à la Prévert », elle comporte quatre motifs.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis défavorable.

M. le président François de Rugy. Ce qui signifie au moins quatre amendements…

La commission rejette l’amendement.

M. Xavier Breton. La manière dont vous conduisez les débats, monsieur le président, pose un problème…

M. le président François de Rugy. C’est vrai que je suis peut-être un peu trop indulgent en ce qui concerne le temps de parole.

M. Xavier Breton. Je ne le dépasse jamais !

Tous ceux qui se sont exprimés au sujet de l’amendement de M. Gérard sont allés dans le même sens. Vous avez ignoré d’autres demandes de prise de parole. Ce sont pourtant des sujets importants, relatifs à des situations sociales délicates. Peut-on avoir un peu de pluralisme dans nos débats, au lieu de la pensée unique que vous essayez de nous imposer ?

M. le président François de Rugy. J’ai appliqué la règle consistant à donner la parole à deux orateurs, d’abord à l’auteur de l’amendement, qui est prioritaire, puis à quelqu’un d’autre, et on s’est arrêté là.

Je ne laisserai pas passer votre attaque concernant le pluralisme des débats. Vous êtes la preuve vivante, avec beaucoup d’autres, qu’il existe dans cette commission. Tous les avis, y compris au sein d’un même groupe, s’expriment largement, et c’est très bien ainsi.

Cela ne justifie pas, en revanche, l’enlisement de nos travaux, contre lequel je lutterai jusqu’au bout. Vous savez parfaitement, car vous êtes un parlementaire chevronné, que déposer des amendements de suppression portant sur la totalité d’un article puis sur chacun de ses alinéas est un moyen d’enliser nos débats.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement CS254 de Mme Anne-Laure Blin.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission adopte l’amendement CS1043 de M. Francis Chouat.

Elle est saisie de l’amendement CS1052 de Mme Béatrice Piron.

Mme Béatrice Piron. Il s’agit de préciser que le motif de l’éloignement géographique d’un établissement scolaire français concerne aussi nos concitoyens vivant à l’étranger.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les dispositions relatives à l’instruction en famille ne s’appliquent qu’aux personnes résidant en France. Une famille en itinérance ou établie à l’étranger n’est pas soumise aux mêmes règles. On peut donc considérer que votre amendement est satisfait. Je vous demande de le retirer.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS251 de Mme Anne-Laure Blin.

M. le président François de Rugy. Il s’agit, cette fois, de supprimer l’alinéa 12…

Mme Anne-Laure Blin. Tout à fait. Cela me permet de vous demander, monsieur le ministre, si vous pouvez expliciter cette disposition qui traduit peut-être un peu plus d’ouverture vis-à-vis de l’instruction en famille. Nous n’avons pas connaissance des critères qui seront appliqués. Pouvez-vous les préciser ?

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1009 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Nous souhaitons préserver la possibilité de choisir l’instruction en famille tout en la conditionnant à un contrôle, qui est nécessaire, la nation étant également responsable de l’éducation des enfants. Ce contrôle a priori portera sur les motivations des personnes responsables de l’enfant et sur le projet pédagogique, qui devra être objectivé, notamment au regard du socle commun des compétences et des connaissances attendues. La référence aux motivations et au projet pédagogique paraît moins imprécise, et donc plus efficace en matière de contrôle, que la mention de la « situation particulière propre à l’enfant » et de « la capacité à assurer l’instruction en famille » qui figure dans le projet de loi.

Je voudrais ajouter, s’agissant du rattachement aux établissements scolaires, que les enfants doivent bénéficier, dans le cadre de l’instruction en famille, du même suivi médical que les autres, notamment en ce qui concerne leur développement et leur santé mentale et sociale. J’aimerais que le ministre s’exprime à ce sujet et qu’un travail ait lieu d’ici à la séance. L’amendement que j’avais déposé a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous n’êtes pas la seule à souhaiter la présentation d’un projet pédagogique par les parents qui demandent l’autorisation de recourir à l’instruction en famille ; d’autres amendements le proposent également. Je vous suggère de retirer le vôtre afin d’en parler dans le cadre de la discussion commune qui aura lieu sur ce point.

D’autres amendements traitent également du suivi médical des enfants. Nous en discuterons et j’espère que nous trouverons une solution d’ici à la séance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même demande de retrait.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je veux bien retirer mon amendement sous réserve d’un travail commun d’ici à la séance. Je n’ai pas en tête tous les amendements que nous allons examiner mais je ne suis pas sûre qu’ils répondent complètement aux attentes.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1886 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le 4° évoque une « situation particulière propre à l’enfant » : qu’est-ce que cela veut dire ? Ne pensez-vous pas qu’il y a un vrai risque de voir cette disposition censurée au titre de l’« incompétence négative » du législateur, c’est-à-dire parce qu’on n’aurait pas défini dans la loi les critères applicables ?

Je propose, à la place, de faire référence à « tout autre motif » sans changer le reste de l’alinéa.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. J’entends votre remarque. Des amendements que nous allons examiner juste après – dont un que j’ai déposé – parlent d’un « besoin particulier », ce qui me paraît plus intéressant. La rédaction que vous proposez permettrait tous les motifs et ne fait pas mention des particularités de l’enfant. Je préfère garder l’idée qu’il faut une adaptation à celui-ci. Avis défavorable.

M. Charles de Courson. Je vous suis reconnaissant de reconnaître que le texte, en l’état, ne « tourne » pas. Il est même dangereux, si le 4° est censuré.

Je n’ai pas eu le temps de regarder tous les amendements qui suivent, mais nous allons nous heurter à une autre question : qu’est-ce qu’un besoin ?

L’avantage de mon amendement, de conception libérale, est que l’on pourra s’appuyer sur l’intérêt supérieur de l’enfant et la capacité des parents à lui donner une instruction correcte, conforme aux programmes. Veut-on lutter contre le séparatisme ? Si on voit que la famille cherche en réalité à enfermer l’enfant, on pourra refuser la demande.

Mme Annie Genevard. Cet alinéa ne sera-t-il pas une source infinie de contentieux ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Ce n’est pas une disposition spécialement imprécise, mais un standard juridique qui sera très certainement précisé par la jurisprudence. Je ne doute pas qu’il y aura un contentieux, comme c’est déjà le cas sur d’autres sujets. Vous verrez que le bon sens l’emportera, avec le temps, quant à la manière de faire.

Vous avez fourni, monsieur de Courson, un argument allant dans notre sens à la fin de votre dernière intervention. Il se passera ce que vous avez décrit, et ce sera bien. C’est ce qu’on peut appeler une utilisation pertinente d’un standard juridique par l’administration d’une démocratie.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1890 de la rapporteure, CS1596 de M. Bruno Studer et CS454 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Mon amendement tend à introduire dans le texte, s’agissant du quatrième motif, la notion de projet pédagogique motivé par l’existence d’une situation propre à l’enfant. Les situations conduisant à choisir l’instruction en famille peuvent avoir des origines très diverses et correspondre à des contextes très différents – les auditions de chercheurs l’ont montré.

Il faudra regarder l’articulation entre le motif invoqué par les responsables de l’enfant et le projet pédagogique. Il pourra s’agir, par exemple, de prendre en compte la nécessité pour certains enfants de suivre un apprentissage reposant sur des méthodes adaptées, un autre schéma pédagogique ou un rythme éducatif différent de ce que propose l’éducation nationale.

Les deux autres amendements en discussion commune partagent, me semble-t-il, le même objectif.

M. Gaël Le Bohec. L’amendement CS1596, déposé par Bruno Studer, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, avec une cinquantaine de collègues, tend à remplacer la notion de « situation particulière propre à l’enfant » par celle de « projet pédagogique adapté à l’enfant et à ses besoins ».

J’ai vu que la rapporteure était attachée à cette notion d’adaptation. La rédaction que nous proposons serait, par ailleurs, cohérente avec la loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat – le I de l’article L. 441-1 du code de l’éducation demande de prendre en compte l’impératif de protection de l’enfance et de la jeunesse.

Le deuxième alinéa de l’amendement vise à tirer les conséquences, sur le plan rédactionnel, de la réécriture proposée.

Enfin, le dernier alinéa prévoit que la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet pédagogique et les pièces justifiant de la capacité des parents à assurer l’instruction en famille, en parallèle, cette fois, de l’article L. 441‑2 du code, qui demande, pour l’ouverture d’un établissement hors contrat, de présenter l’objet de l’enseignement.

Nous voulons renforcer les principes républicains et avoir des dispositions claires, notamment pour la jurisprudence à venir.

Mme Géraldine Bannier. Nous souhaitons, par l’amendement CS454, que l’on retienne l’expression suivante : une « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ». On supprimerait ainsi l’adjectif « particulier », qui est assez flou et insiste trop sur le caractère atypique ou les particularités de l’enfant, et on garderait la référence à une situation propre à celui-ci, c’est-à-dire l’idée que l’on part de son besoin et non des motivations des parents.

On peut hésiter entre le terme de « projet éducatif » et celui de « projet pédagogique ». Ces deux termes sont des quasi-synonymes, mais je préfère parler de projet « éducatif ». Pédagogie, qui provient étymologiquement de paidion, renvoie au pédagogue grec, c’est-à-dire à l’enseignant. Ce terme est donc à réserver aux professeurs. Éducatif vient du latin educo, qui signifie éduquer mais aussi élever, ce qui correspond un peu mieux aux familles.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je demande le retrait de l’amendement AS1596, sans quoi j’émettrai un avis défavorable, car il me semble que le motif serait alors le projet pédagogique. Dans la rédaction proposée par l’amendement CS454, c’est la situation propre à l’enfant qui motive le projet éducatif. Elle est le motif de la demande.

Je retiendrai, en revanche, l’idée, figurant dans l’amendement CS1596, que la demande d’autorisation devrait être assortie de la présentation du projet – cela me paraît important.

Je vais retirer mon amendement au profit de celui de Mme Bannier, auquel je donne un avis favorable : il introduit la notion de « projet éducatif » qui me paraît plus adaptée et supprime « particulière » à propos de la situation de l’enfant.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis favorable à l’amendement CS454, et propose le retrait des deux autres.

M. Guillaume Vuilletet. Je pense que M. de Courson connaît, depuis sa scolarité à l’École nationale d’administration, ces quatrièmes alinéas qui servent de voitures-balais pour des situations qu’on n’a pas réussi à embrasser. Ce n’est pas, pour autant, n’importe quoi : on ne change pas de philosophie.

En l’espèce, l’intérêt de l’enfant est au cœur de ce que nous voulons faire. C’est autour de lui que doit se construire un projet éducatif permettant de prendre en compte une situation spécifique.

L’approche initiale était trop restrictive, mais je pense que nous arriverons à l’équilibre grâce à l’amendement CS454, que mon groupe soutiendra.

M. Charles de Courson. Ce serait mieux que le texte proposé par le Gouvernement, à une réserve près. Vous améliorez la rédaction mais je dirais : « peut mieux faire ». Des parents choisissent l’instruction en famille parce qu’ils veulent avoir recours à des pédagogies alternatives. Tel que l’amendement est rédigé, vous risquez de les exclure, me semble-t-il. Ces pédagogies peuvent être liées aux besoins de l’enfant, mais pas nécessairement. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les parents choisissant l’instruction en famille sont libres en ce qui concerne les méthodes pédagogiques. Il y a un contrôle pédagogique, mais l’inspecteur a surtout vocation à apprécier la progression de l’enfant.

Les pédagogies alternatives seront tout à fait possibles. Il faudra qu’elles soient adaptées à l’enfant, et les demandes d’autorisation devront être motivées.

M. Gaël Le Bohec. Je m’incline devant l’excellente rédaction proposée par Géraldine Bannier – elle a démontré qu’il valait mieux parler de projet « éducatif » –, mais je ne voudrais pas que l’on oublie le troisième alinéa de l’amendement CS1596. Il prévoit que la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet pédagogique, expression que l’on pourrait donc remplacer par celle de projet éducatif, et les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille.

M. le président François de Rugy. Je comprends que vous êtes prêt à retirer l’amendement CS1596 au profit de celui de Mme Bannier sous réserve qu’il soit rectifié. Est-ce bien cela ?

M. Gaël Le Bohec. Tout à fait, monsieur le président.

M. Francis Chouat. Nous essayons, depuis ce matin, d’écrire l’article 21 en pensant à son application. J’ai une hésitation en ce qui concerne ces amendements. Le débat n’est pas seulement sémantique ou technique. Je regrette que l’essentiel de la discussion porte sur un des deux sujets abordés par l’article 21 et fasse disparaître le deuxième, qui en est pourtant à l’origine et me paraît prioritaire : la volonté de lutter contre l’utilisation du droit à l’IEF pour déscolariser des enfants pour d’autres motifs que leur situation particulière. On l’a fait, notamment, en supprimant du texte ce qui concernait les convictions politiques, philosophiques ou religieuses.

Il serait très dangereux, alors que nous réaffirmons la priorité de l’éducation collective sur la base de projets pédagogiques relevant de l’éducation nationale, dans des écoles publiques ou sous contrat, de laisser penser que l’on pourrait avoir des projets pédagogiques de nature séparatiste, au moins sur le plan social et peut-être aussi sur des fondements philosophiques ou religieux. On institutionnaliserait dans la loi, à travers l’instruction en famille, une sorte de dualité des projets pédagogiques.

Je me rallie à l’amendement de Mme Bannier, car il fait référence à un projet éducatif, ce qui n’est pas du tout la même chose qu’une mise en concurrence de projets pédagogiques entre, d’un côté, l’instruction en famille et, de l’autre, ce qui est placé sous la responsabilité de l’éducation nationale.

De guerre lasse, je voterai l’article 21 mais il me semble manquer sa cible.

M. Julien Ravier. Nous ne comprenons plus très bien. Que signifie l’adaptation aux besoins de l’enfant ? Faudra-il, pour pouvoir entrer dans le cadre de l’IEF, que l’enfant ait des besoins particuliers ?

Par ailleurs, n’est-on pas en train de faire des circonvolutions parce qu’on veut absolument mettre en avant l’intérêt de l’enfant ? C’est bien normal, mais la liberté d’enseignement repose, à la base, sur le choix des parents et non sur celui de l’enfant. Qu’il s’agisse de l’IEF ou de l’enseignement privé, les parents font un choix pour des raisons pédagogiques ou tenant à des convictions religieuses ou philosophiques. On veut se prémunir contre des convictions religieuses, parce que l’ennemi, la cible, c’est l’islamisme radical, séparatiste, et on cause des dommages collatéraux. En réalité, c’est le contrôle qui permettra de lutter.

L’itinérance de la famille peut être un motif recevable pour l’instruction en famille. Mais est-elle dans l’intérêt de l’enfant ? Ce sont les parents qui l’ont choisie.

Mme Géraldine Bannier. Je rectifie mon amendement en reprenant la fin de celui de M. Studer dans les termes suivants : « Dans ce cas, la demande d’autorisation comporte une présentation écrite du projet éducatif ainsi que les pièces justifiant de la capacité à assurer l’instruction en famille. »

Mme Anne Brugnera, rapporteure. J’émets un avis favorable à l’amendement ainsi rectifié. Merci pour ce travail collectif.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable aussi.

Mme Marine Le Pen. Plus on avance dans le débat, plus on se rend compte qu’il n’apportera absolument rien de plus à l’État, en réalité, pour lutter contre les islamistes qui retirent leurs enfants de l’école en vue de leur apprendre des choses tout à fait regrettables et contraires aux fondements de la République. Il serait beaucoup plus simple, en effet, de renforcer les moyens de contrôle – on pourrait détecter assez rapidement les dysfonctionnements et y mettre fin.

Il faudra donc que l’enfant ait des besoins particuliers obligeant à mettre en place un projet éducatif, lui aussi particulier. Il y a les questions médicales, notamment les troubles « dys » – je comprends très bien. Mais prenons le cas des enfants en danger. La petite Mila, par exemple, aurait une bonne raison de bénéficier d’un enseignement à domicile. Quel est, en l’occurrence, le besoin particulier ? Est‑ce la sécurité que l’État est incapable de lui procurer ? Il y a toute une série d’enfants qui sont persécutés en raison de leur physique, de leur sexualité, de l’origine de leurs parents ou parce qu’ils descendent de harkis. Tous ces enfants correspondent-ils à votre définition des besoins particuliers ? Si tant est, naturellement, que l’on considère qu’être éduqué en sécurité est un besoin particulier : il me semble que c’est un besoin général.

M. le président François de Rugy. À force de multiplier les petits débats, de tronçonner la discussion de fond sur l’article 21, on finit, en effet, par perdre de vue certains enjeux.

Nous avons tous rencontré, je crois, les représentants de l’instruction en famille. Ils nous disent que leur motivation n’est pas du tout qu’ils veulent se soustraire aux principes de la République, ou même aux programmes de l’éducation nationale, mais que les enfants ont un autre rythme – cela concerne, par exemple, les surdoués – et que le cadre de l’éducation nationale ou des écoles sous contrat ne leur convient pas. C’est tout.

Cela fait des années que je m’intéresse à ce sujet. J’avais saisi la ministre de l’éducation nationale d’un précédent gouvernement, bien avant qu’une telle disposition figure dans un projet de loi, du problème de la déscolarisation en lien avec des dérives sectaires – c’est une vieille question – et avec l’islamisme radical. Au fil des amendements qui tendent à élargir toujours plus la possibilité de recourir à l’instruction en famille, il devient de plus en plus difficile de circonscrire les cas dans lesquels les gens refusent que leur enfant aille à l’école ou veulent les en retirer. Une polémique en chasse une autre, mais souvenons-nous qu’il y a eu un jour, sous la précédente législature, un appel à déscolariser les enfants, relayé par une chaîne de SMS, au motif qu’ils étaient en danger à cause des programmes scolaires – il y a même eu des tentatives de grève d’une journée. Ce sont des réalités, que nous pouvons constater dans les territoires où nous avons été élus, et non des choses imaginaires, des fantasmes de la rue de Grenelle.

On a l’impression que la question de l’instruction en famille est devenue la meilleure solution, et on passe des heures et des heures à débattre de ce sujet qui concerne 50 000 ou 60 000 familles, alors que nous faisons la loi pour 67 millions de Français.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je voudrais simplement corriger Mme Le Pen à propos de Mila. Nous regrettons tous ce qui lui arrive. Je ne peux pas laisser dire que l’État ne fait rien pour protéger cette jeune fille. Elle a été placée dans un lycée militaire, protégé par la République. Je vous le dis en faisant preuve de toute la discrétion exigée par mes fonctions : son domicile, celui de ses parents et sa vie sont protégés tous les jours par des policiers et des gendarmes. Ne serait-ce que pour eux, qui risquent leur vie pour protéger les personnes attaquées, j’aimerais que vous ne disiez pas des bêtises. Je crois que nous avons suffisamment de motifs de discorde : vous n’avez pas besoin d’en rajouter.

Mme Marine Le Pen. C’est l’éducation nationale que j’évoquais : elle a été dans l’incapacité de maintenir Mila dans son lycée.

Les amendements CS1890 et CS1596 sont retirés.

La commission adopte l’amendement CS454 rectifié.

En conséquence, les amendements CS953 de Mme Emmanuelle Ménard, CS1590 de Mme Jacqueline Dubois et 1260 de Mme Monica Michel tombent.

La commission examine l’amendement CS1709 de M. Michel Castellani.

M. Charles de Courson. Cet amendement concerne le harcèlement scolaire, qui peut entraîner de lourdes conséquences morales ou physiques. Notre collègue M. Castellani demande de préciser que ce cas est bien couvert par l’article 21. Plusieurs parents m’ont dit avoir choisi l’IEF à cause du harcèlement : leur enfant déprimait à son retour de l’école et ne voulait plus y aller le matin. M. le ministre de l’éducation nationale va sans doute nous dire qu’il faudrait remettre de l’ordre dans l’école qui a permis que des enfants en agressent d’autres. C’est vrai mais, en attendant, des familles décident d’éduquer seules leurs enfants.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le harcèlement scolaire est un sujet important et douloureux. Je comprends que M. Castellani ait souhaité l’aborder dans le cadre de l’article 21.

Néanmoins, cette question n’est pas complètement liée à celle de l’instruction en famille. J’ai eu à connaître, hélas ! des enfants victimes de harcèlement scolaire lorsque j’étais adjointe au maire, en charge de l’éducation. Nous avons trouvé des solutions en les changeant d’école : l’instruction en famille n’est pas la seule possibilité. Il y a des discussions entre la famille, les spécialistes qui prennent en charge l’enfant et les autorités de l’éducation nationale afin de trouver la meilleure réponse.

Le quatrième motif prévu par l’article 21, qui est désormais relatif à la situation particulière de l’enfant, ne cite pas les situations visées – nous en avons tous en tête, comme le harcèlement. Nous nous sommes demandé, lors des auditions, s’il ne fallait pas préciser le texte en établissant une liste de situations ou de besoins, mais nous avons jugé qu’il était préférable de ne pas modifier la rédaction sur ce point de peur d’exclure des enfants ayant besoin d’une instruction en famille.

Je vous propose de retirer l’amendement, étant entendu que le harcèlement est inclus dans le quatrième motif.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. Il existe une politique de lutte contre le harcèlement, qui produit de premiers effets. Nous avons un peu réduit le harcèlement au cours des deux dernières années, dans le cadre de pratiques qui sont internationales, le problème du harcèlement existant, malheureusement, dans le monde entier. Nous avons pris des initiatives à cette échelle, à travers l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Union européenne. Nous avons aussi lancé une initiative internationale dans ce domaine lorsque la France a présidé le G7. Mme Macron s’est elle-même impliquée dans cette cause.

Cela suppose des comparaisons internationales, des techniques partagées avec d’autres pays. Tous ces travaux ont permis quelques améliorations sur le sujet ces derniers temps, par exemple avec les ambassadeurs contre le harcèlement, qui sont des élèves de l’établissement qui prennent en responsabilité cette action. Lorsque je parle de lire, écrire, compter et respecter autrui, le harcèlement est évidemment inclus dans ce dernier concept. C’est vraiment une question primordiale. On considère qu’il concerne 10 % des élèves,­ peut-être est-on descendu à 9 %. En revanche le cyberharcèlement est plutôt en train de régresser, non seulement en France mais partout, a fortiori pendant le confinement.

C’est un sujet qu’il est important d’évoquer aujourd’hui, parce que le harcèlement est une cause de déscolarisation et de phobie scolaire. Comme cela a été dit tout à l’heure, la réponse n’est pas forcément la déscolarisation : c’est même une forme d’échec. En revanche, il est tout à fait normal qu’une famille puisse, en urgence, retirer son enfant qui est en souffrance à l’école. Cette possibilité existe dans l’état actuel du droit, et perdurera dans le nouveau cadre.

Le problème soulevé par M. Castellani existe bien, et il est normal que nous en parlions, mais il a donc déjà une réponse avec cette possibilité de retrait en urgence. Toutefois, ce qui est souhaitable est plutôt la réaffectation, soit dans le même établissement, soit dans un autre. Cette question doit donc être sans impact sur notre approche de l’instruction en famille.

M. Charles de Courson. Comme vous me confirmez l’un et l’autre que cet amendement est satisfait, je le retire.

L’amendement est retiré.

Les amendements CS907 et CS1731 de M. Jean-Baptiste Moreau sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1259 de Mme Monica Michel.

Mme Monica Michel. Au titre du même alinéa 12, il propose qu’un engagement à respecter les valeurs de la République soit signé entre les personnes responsables de l’enfant et le représentant de l’État dans le département

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je pense que la capacité des parents à réaliser l’instruction en famille est plus large que la signature d’un contrat d’engagement républicain avec le préfet, celui-ci étant d’ailleurs destiné par le projet de loi aux associations qui demandent des subventions. Il ne me paraît pas judicieux de se servir du même moyen pour les parents qui font l’instruction en famille. Néanmoins, je retiens l’idée d’une sorte d’engagement des parents envers les principes de la République, et d’autres députés l’ont en tête également. Nous pourrions donc travailler à une nouvelle rédaction.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1049 de Mme Béatrice Piron. 

Mme Béatrice Piron. Dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, il semble pertinent de demander à la famille qu’elle justifie sa capacité à assurer l’instruction, au moyen d’un diplôme par exemple, comme c’est le cas en Italie, en Irlande ou dans certains cantons suisses.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La capacité des parents à assurer l’instruction en famille est un point important pour l’application du quatrième motif. Néanmoins cette capacité ne peut se limiter aux seuls diplômes ; entre aussi en considération la disponibilité du parent. Je vous propose donc de retirer cet amendement pour travailler à une rédaction plus globale sur la capacité des parents à réaliser l’instruction en famille.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1044 et CS1584 de M. Francis Chouat, CS1585 de Mme Marie Guévenoux, qui fait l’objet des sous-amendements CS1896 et CS1895 de la rapporteure, et CS1042 de M. Francis Chouat. 

Mme Marie Guévenoux. Ces amendements portent tous sur le même sujet et sont même redondants. L’idée est de trouver la meilleure façon d’associer le maire dans le quatrième motif à satisfaire pour une autorisation préalable. Dans ce cas où la situation particulière propre à l’enfant est invoquée, il paraît opportun au groupe La République en marche que l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation sollicite, avant de statuer sur la demande de dérogation, l’avis du maire de la commune de résidence de l’enfant. Ce motif de dérogation, à la différence des trois premiers, a un caractère subjectif et l’avis des exécutifs de la commune sera utile pour mieux apprécier la réalité de la situation invoquée. Le maire dispose en effet souvent d’informations concrètes sur la situation de la famille.

Cet avis du maire est l’objet de l’amendement CS1584. Le CS1585 prévoit que, quel que soit le motif invoqué, le maire est informé qu’une autorisation d’instruction en famille a été délivrée. Les amendements CS1044 et CS1042 sont redondants et je les retire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces deux amendements touchent à la place du maire de la commune dans la procédure d’instruction de la demande, mais les deux propositions sont assez différentes.

Je ne suis pas favorable à ce que soit sollicité l’avis du maire de la commune de résidence de l’enfant. Compte tenu de la taille de certaines communes, tout maire ne peut pas donner un avis éclairé sur tout enfant de sa commune – je parle là en tant que députée lyonnaise. Il y aurait donc un risque de différence de traitement suivant les communes. Surtout, cette disposition complexifierait la procédure, qui doit pourtant être simple pour pouvoir donner une réponse à la famille le plus rapidement possible. Je demande donc le retrait de l’amendement CS1584.

En revanche, je suis favorable au second amendement, qui est d’une grande importance. Il est primordial que le maire de la commune soit informé des autorisations délivrées, afin de connaître les enfants qui sont instruits en famille sur sa commune et de mener les enquêtes de la mairie qui sont prévues dans le cadre de l’instruction en famille – le sous-amendement CS1896 vise à spécifier ce point – et de suivre ces enfants avec le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN), qui lui s’occupe des contrôles pédagogiques. Le sous-amendement CS1895 propose, quant à lui, de ramener le délai dans lequel le maire doit être informé de trois à deux mois, afin de rendre l’application de cette disposition essentielle encore plus rapide.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. L’information du maire est un des points dans ce texte qui permettra d’arriver à une situation beaucoup plus claire quant à l’identification des enfants concernés et à un partage d’informations exhaustives entre le maire et l’éducation nationale.

Mme Marine Le Pen. Informer le maire paraît effectivement essentiel. En revanche, dans un monde normal, il aurait été évident de demander au maire son avis sur la demande d’autorisation. Le problème, c’est qu’on est face à des islamistes – enfin, il me semble que c’était l’objet de nos discussions, même si l’on s’en éloigne de plus en plus. Bref, puisque c’est contre des islamistes qu’on se bat, alors je pense qu’il ne faut pas mettre le maire en situation de danger. Une décision du maire a en effet vocation, dans une démocratie, à être rendue publique à un moment ou un autre, connue de l’administré. Dès lors, compte tenu de la violence, de la brutalité, de la dangerosité des islamistes qui retirent leurs enfants de l’éducation nationale, le maire pourrait être victime de menaces ou de pressions, lesquelles pourraient d’ailleurs avoir une conséquence sur l’avis qu’il pourrait donner.

Mme Annie Genevard. Je suis favorable à ce que l’on sollicite l’avis du maire, dans un délai rapide. Vous avez donné l’exemple de la ville de Lyon, mais la grande majorité des communes en France comptent tout de même moins de 2 000 habitants. Le maire connaît sa population. Il peut être informé de situations particulières qui échappent à l’inspection académique, au rectorat, aux autorités plus éloignées. Et s’il ne peut pas donner d’avis alors qu’un délai raisonnable lui a été donné, l’examen du dossier par les autorités académiques se poursuit normalement.

Le travail partenarial entre tous ceux qui ont en charge l’autorité et la sécurité publique est utile, cela a été démontré depuis des années. Le maire est un acteur fondamental de la proximité et, dans l’instruction en famille, il faut intensifier ses relations avec les autorités académiques.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Le texte vise aussi à préserver les élus de toutes les pressions communautaires. Si l’on vient demander l’avis du maire sur la situation d’un élève, les familles qui demanderont la dérogation, potentiellement des familles qui veulent se soustraire à l’enseignement national pour des raisons que nous cherchons à combattre, pourront exercer une telle pression. Ce dispositif serait, à mon avis, contreproductif.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Le Pen, si nous voulons protéger les maires, il faut éviter à tout prix qu’ils participent directement à la décision en donnant un avis. Par ailleurs, j’ai cru comprendre que beaucoup de parlementaires ici voulaient s’assurer que le dispositif s’applique de manière égale partout sur le territoire national, que les critères soient les mêmes où que l’on se trouve. Demander l’avis du maire, c’est aussi prendre le risque, au-delà des pressions communautaires qui viennent d’être évoquées, de rendre le dispositif inéquitable, parce que appliqué de façon différenciée selon les territoires de la République.

Les amendements CS1044, CS1584 et CS1042 sont retirés.

La commission adopte successivement les sous-amendements CS1896 et CS1895.

Puis elle adopte l’amendement CS1585 sous-amendé.

La commission est saisie de l’amendement CS743 de Mme Anne-France Brunet. 

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je propose qu’il soit retiré, car nous avons inclus le projet pédagogique dans le quatrième motif, sous le terme « projet éducatif », en votant l’amendement CS454 tout à l’heure.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS918 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Il s’agit d’insérer un cinquième motif : « Une demande suffisamment motivée par la famille et appréciée au regard des exigences des programmes pédagogiques dispensés par l’Éducation nationale. » Je pense que l’instruction en famille doit respecter les bases définies par l’éducation nationale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les familles sont libres des modalités de l’IEF et des ressources pédagogiques qu’elles utilisent. En revanche, elles sont régulièrement contrôlées par les inspecteurs de l’éducation nationale, qui vérifient la progression de l’enfant dans ses acquisitions, notamment sur la base du socle commun de connaissances, de compétences et de culture de l’éducation nationale. Je pense que cet amendement est satisfait. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS36 de Mme Annie Genevard. 

Mme Annie Genevard. Je propose d’ajouter après l’alinéa 12 une condition pour la délivrance de l’autorisation, si toutefois c’est bien le principe de l’autorisation qui est retenu : que l’on puisse apprécier la capacité des familles à proposer dans un français maîtrisé un enseignement de qualité à l’enfant. On le sait, le niveau de maîtrise du vocabulaire d’un enfant de 3 ans est déterminant pour la réussite de sa scolarité. Si l’enseignement doit être délivré en famille, il faut s’assurer qu’on donne toutes ses chances à l’enfant. Et, outre ce niveau de maîtrise de la langue, il faut avoir quelques garanties sur la capacité à enseigner les matières. Comment allez-vous vous en assurer ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je connais votre constance s’agissant de la maîtrise de la langue française. Il y a deux volets dans votre proposition : la capacité des familles, et la qualité de l’enseignement. La capacité des familles est déjà évoquée dans le quatrième motif, et l’on pourrait y inclure la maîtrise de la langue française. Quant à la qualité de l’enseignement, le DASEN peut juger de la qualité du projet éducatif qui est présenté au moment de la demande d’autorisation, même s’il ne fait pas vingt pages ; surtout, les contrôles pédagogiques de l’éducation nationale permettent de vérifier la qualité de l’enseignement dispensé, et notamment la progression de l’enfant.

Je vous propose donc de retirer cet amendement et de retravailler, d’ici à la séance, le point de la capacité des parents. En tout état de cause, votre proposition ne peut figurer parmi les motifs puisque vous l’avez placée après l’alinéa 12, mais devrait être une condition dans la capacité des parents.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le sujet est important : la maîtrise du français est un enjeu pour tous les enfants, et il est normal de s’assurer que l’instruction en famille permet de l’acquérir. Cela fait partie des choses évidentes qui sont en arrière-plan de ce projet de loi. Mais, comme l’a dit la rapporteure, la capacité des familles figure bien dans le texte. Dans l’ensemble des documents qui suivront, notamment les textes réglementaires, il sera important de préciser ce que nous entendons par là. Je pense que cela ne relève pas du niveau législatif, mais je veux bien admettre avec vous que la question de la maîtrise du français, et plus généralement du socle et donc des savoirs fondamentaux, est essentielle. Nous devrons nous assurer que les conditions soient réunies pour que les savoirs fondamentaux soient acquis.

Mme Annie Genevard. Je maintiens cet amendement : la rapporteure m’a donné raison d’aborder le sujet mais qu’il fallait y retravailler ; le ministre m’a dit que non, cela allait de soi. La porte est donc fermée.

La maîtrise de la langue française est fondamentale. Or on le sait, pour certaines familles, l’instruction en famille répond à la volonté de soustraire les enfants à un enseignement qu’ils jugent préjudiciable. Exiger la maîtrise du français permet de discerner ceux qui ne veulent pas entrer dans la normalité d’une instruction de qualité. Ce n’est pas injurieux de demander la maîtrise du français : c’est nécessaire pour l’obtention de la nationalité, pourquoi pas pour l’enseignement aux enfants, alors même que vous vous référez dans votre texte à l’intérêt supérieur de l’enfant ? Je remarque, au passage, que dans d’autres lois, à chaque fois que nous avons mis en avant l’intérêt supérieur de l’enfant, nous nous sommes fait recadrer. Mais pour ma part, je suis très attachée à cette notion. Or demander à des parents de maîtriser le français, c’est s’assurer que l’enfant bénéficiera d’une éducation et d’un enseignement conformes à son intérêt supérieur.

Chaque fois que j’ai demandé que l’on s’assure de la maîtrise du français, monsieur le ministre, vous m’avez répondu que j’avais raison, et je pense que vous étiez sincère, mais ce n’était jamais le bon moment ni le bon endroit pour l’inscrire dans la loi ! Je m’interroge sur cette hésitation que nous avons à promouvoir notre langue.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je pense, moi aussi, que la maîtrise de la langue française est absolument essentielle, singulièrement pour les parents qui souhaitent réaliser l’instruction en famille. De manière générale, même si cela sort du cadre de notre discussion, il faut renforcer nos dispositifs de formation au français des parents, parce qu’avoir à la maison des parents qui ne parlent pas correctement la langue est souvent un frein à l’apprentissage à l’école. Bref, il serait bon de pouvoir rediscuter du sujet. Comme je partage la philosophie de l’amendement, je voudrais savoir comment vous envisagez de prendre en compte cette demande et assurer aux parlementaires que ce sera un critère essentiel dans la délivrance de l’autorisation. Et j’en profite pour faire remarquer au groupe Les Républicains l’intérêt de cette autorisation, puisqu’elle permet de vérifier les critères qu’ils veulent fixer.

M. Boris Vallaud. Le cas d’un enfant binational, par exemple, qui déciderait de suivre à domicile le programme d’enseignement d’un pays étranger, y compris un programme contraire aux valeurs de la République, a-t-il été envisagé ? Comment cette situation serait-elle traitée ? Cela fait-il partie des exceptions admises ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Genevard, lorsqu’il y a une divergence d’appréciation entre un rapporteur thématique et un ministre, c’est le fait d’un dialogue constructif entre parlementaires et exécutif. Beaucoup d’entre nous sont sensibles à votre amendement, à la nécessité de défendre la langue française, mais je note les difficultés d’application qu’a soulevées Boris Vallaud : qu’en est-il pour une famille qui souhaiterait, à travers l’instruction en famille, préserver une langue maternelle par exemple ? La question se pose. Je ne sais pas si la langue française doit être une condition qui exclut a priori l’instruction en famille. Je propose donc que nous retravaillions la question pour la séance. Je m’engage à le faire, avec la rapporteure, aux côtés du Gouvernement et avec votre précieux concours bien sûr !

M. Bruno Questel. C’est en tant qu’élu local depuis vingt-cinq ans que je vous dis combien cet amendement me paraît important. Certes il y a des particularités urbaines, mais il ne faut jamais oublier que parmi nos 35 000 communes, plus de 30 000 comptent moins de 2 000 habitants. Les considérations soulevées par Mme Genevard sont fondamentales pour de multiples raisons, et j’ai vraiment besoin de savoir de quelle façon vous envisagez d’en tenir compte pour être définitivement convaincu de ne pas voter son amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Les propos du rapporteur général correspondent exactement à ce que j’ai dit, et ce que vous proposez me va très bien. Sur le fond, je suis totalement d’accord avec l’esprit de la proposition et je donnerai après cette séance toutes les preuves à Mme Genevard de l’important travail qui est fait pour la maîtrise du français, notamment à l’école primaire. Je n’ai absolument pas dit que ce n’était pas le moment de traiter la question, mais qu’il fallait y travailler pour l’introduire par le biais de la capacité des parents. J’ajoute juste, après M. Bournazel, que cette discussion montre bien tout l’intérêt du régime d’autorisation, qui permet de s’assurer du respect des conditions que nous voulons poser, et qu’il faut donc voter l’article 21.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Pour répondre à M. Questel, l’amendement de Mme Genevard classe la capacité des familles à enseigner dans un français maîtrisé parmi les motifs de demande d’IEF. Ce n’est pas un motif, c’est un critère. Cet amendement ne « tourne » pas, il faut revoir la rédaction.

Mme Annie Genevard. Il y a un problème rédactionnel, je l’admets. Je retire donc l’amendement, en entendant bien la volonté du Gouvernement et des rapporteurs de retravailler ce point qui semble avoir recueilli l’attention de beaucoup.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1337 de M. Grégory Labille. 

M. Grégory Labille. Cet amendement vise à créer une cinquième catégorie, qui permet l’IEF du simple fait de la volonté de la famille. Les familles font souvent ce choix dans le cadre d’un projet de vie plus global. Certains considèrent que dès lors qu’ils ont fait un enfant, ils s’en occupent jusqu’à son émancipation.

Cet amendement rétablit ainsi la liberté fondamentale des parents de choisir l’instruction de leur enfant, comme le prévoit la loi de Ferry de 1882. Le contrôle reste a posteriori et aucun contrôle supplémentaire n’est prévu en amont : le contrôle existe déjà et c’est à l’éducation nationale d’y pourvoir, en y mettant les moyens. Pour vous communiquer quelques informations que j’ai reçues du DASEN de la Somme, le nombre de familles pratiquant l’IEF a été multiplié par quatre en trois ans. Sur 135 familles, 80 % ont été contrôlées, et parmi elles, seules deux ont fait l’objet d’un second contrôle. Dans une seule des familles l’enfant a été rescolarisé. Et je précise qu’aucun cas de radicalisation n’a été découvert.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ce cinquième motif d’autorisation, le libre choix des parents, va à l’encontre de l’article 21. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. Vous l’avez dit, comme cela va dans le sens du libre choix des parents, cela va à l’encontre de votre texte. Effectivement, il empêche le libre choix des parents. Il y a bien une atteinte à la liberté d’enseignement.

M. Boris Vallaud. Pourrais-je avoir un commencement de réponse à ma question ? On a évoqué les 500 000 Français expatriés dispensés de l’obligation d’inscription. Il y a beaucoup de Français binationaux. Auront-ils la possibilité de réaliser l’instruction à domicile en suivant le programme d’un autre pays ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. C’est une question compliquée, monsieur Vallaud. Nous sommes en train d’y travailler et je m’engage à vous communiquer les réponses.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1722 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Dans la mesure où l’inscription dans un établissement scolaire devient une obligation, il faut que la famille ait le choix entre l’enseignement public ou privé. Peut-être faudra-t-il trouver une autre formulation, mais nous proposons d’ajouter un cinquième motif pour demeurer en instruction à domicile : l’absence d’offre scolaire publique.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage votre intérêt pour la question, étant donné que certains territoires ont une densité d’écoles publiques moindre que d’autres. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de créer un motif, puisque le troisième inclut déjà « l’éloignement géographique d’un établissement scolaire ». Ce motif est déjà en vigueur et dans les critères de son instruction actuelle, ce n’est pas tant la distance que la longueur du trajet qui est prise en compte. L’amendement est satisfait.

M. Boris Vallaud. Franchement, la lecture du point 3° ne laisse pas supposer que, en l’absence d’offre publique, on serait dispensé d’accepter une offre privée qui serait proche du domicile. Cette précision serait utile. Je veux bien que la formulation soit modifiée, mais la question se pose, surtout dans le contexte de l’enseignement obligatoire à 3 ans : on sait bien que dans certains endroits, il sera difficile d’accueillir tout le monde dans l’enseignement public.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Souhaitez-vous que je relise les trois premiers motifs ? Il s’agit de l’état de santé de l’enfant ou de son handicap, de la pratique d’activités sportives ou artistiques intensives, ou de l’itinérance de la famille en France ou de l’éloignement géographique d’un établissement scolaire.

M. le président François de Rugy. Dans l’esprit, l’amendement est donc satisfait. Je pense qu’on ne peut pas faire de l’absence d’offre scolaire publique, dont d’ailleurs devrait être définie l’échelle – la commune, plus loin ? –, un critère automatique pour obtenir l’instruction en famille.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1904 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il s’agit de l’amendement relatif au rattachement administratif de l’enfant instruit dans la famille. Ce que je vous propose, c’est un rattachement automatique à une circonscription ou un établissement d’enseignement scolaire public, ce qui permettrait d’attribuer un identifiant national élève à l’enfant. L’administration scolaire pourrait ainsi assurer son suivi et lui proposer des rencontres ou des activités en lien avec la citoyenneté – diverses idées ont été formulées au cours de ce débat –, sans pour autant remettre en cause l’instruction dans la famille.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable.

M. Charles de Courson. « Rattaché administrativement », qu’est-ce que cela signifie exactement ? J’imagine que l’enfant figure dans les fichiers de l’établissement, mais cela lui ouvre-t-il le droit de le fréquenter de temps en temps ? La médecine scolaire entre-t-elle dans le champ de l’administratif ?

Mme Fabienne Colboc. Nous avons écouté les familles avec bienveillance et empathie et nous sommes montrés sensibles à leurs arguments sur les projets éducatifs permettant d’assurer la sociabilité et l’épanouissement des enfants. Le vrai problème, ce sont les enfants déscolarisés, que l’on n’arrive pas à retrouver parce qu’ils ont disparu des radars. Cet amendement permet d’y répondre et de trouver un bon équilibre entre l’écoute des familles qui souhaitent assurer l’instruction des enfants en leur sein et la lutte contre la déscolarisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Étant rattaché administrativement, l’enfant sera lié, à travers l’enregistrement de son INE dans un fichier, à une circonscription – et non à une école en particulier – pour ce qui concerne le premier degré et à un établissement pour ce qui concerne l’enseignement secondaire, ce qui permettra au chef d’établissement qui souhaite organiser une rencontre ou une activité de solliciter les parents à cette fin.

On pourrait imaginer, dans le primaire par exemple, qu’il propose une visite médicale aux enfants instruits en famille, mais c’est en réalité une autre question. En effet, si l’amendement de notre collègue Tamarelle-Verhaeghe a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40, c’est parce qu’il crée une charge. Nous y retravaillerons dans la perspective de l’examen du texte en séance publique.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1246 de M. Benoit Potterie.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il s’agit d’un amendement proche de l’amendement CS36 de Mme Genevard. Nous avions dit que nous y retravaillerions dans la perspective de l’examen du texte en séance publique. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1669 de M. Bruno Studer.

M. Gaël Le Bohec. Je tiens à féliciter la rapporteure et le rapporteur général pour leur excellent amendement sur le rattachement administratif de l’enfant instruit dans la famille, qui permettra d’assurer un lien avec l’école, ce qui va réellement dans le sens d’un renforcement des principes républicains.

L’amendement CS1669, présenté par Bruno Studer et une cinquantaine de collègues, tend à permettre au rectorat de rencontrer les parents qui demandent une autorisation d’instruction en famille, afin de s’assurer du respect des conditions posées dans l’article L. 131-5 du code de l’éducation.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS607 de Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Cet amendement vise à prévoir, pour tout enfant instruit dans la famille, une visite médicale et une visite du lieu d’instruction préalablement à la délivrance de l’autorisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Bien qu’ayant trait à deux questions importantes, cette disposition risque de compliquer excessivement l’instruction de la demande d’autorisation. S’agissant du contrôle du lieu d’instruction, c’est en grande partie l’objet de l’enquête de la mairie diligentée une fois l’autorisation délivrée ; sur ce plan, l’amendement est satisfait. Concernant la visite médicale, la réflexion est en cours ; on a évoqué diverses possibilités – l’amendement ne précise d’ailleurs pas les modalités de cette visite. Je vous propose d’y retravailler en vue d’aboutir à un dispositif qui serait simple pour les familles et pour l’enfant, afin de ne pas retarder pas la délivrance de l’autorisation, tout en apportant les garanties nécessaires concernant le suivi de l’enfant et sa santé.

Demande de retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Florence Granjus. Je suis d’accord pour travailler sur la visite médicale, mais peut-être serait-il bon d’étudier aussi la question de la visite du lieu d’instruction, car, même si elle est difficile à mettre en œuvre, ce serait un bon moyen de contrôler et sécuriser l’endroit où l’enfant reçoit l’instruction, de s’assurer que celle-ci se déroule dans de bonnes conditions et de promouvoir les principes républicains.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1841 de la rapporteure, CS1587 de M. Guillaume Vuilletet, CS1245 de M. Benoit Potterie, CS190 de M. Xavier Breton et CS1466 de Mme Béatrice Descamps.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Mon amendement CS1841 tend à préciser que le silence gardé par l’administration sur une demande d’autorisation d’instruction dans la famille vaut acceptation à l’issue d’un délai de deux mois, comme le dispose le droit commun.

M. Guillaume Vuilletet. Si nous ne sommes pas favorables à ce que, dans l’attente de son instruction, le dépôt d’une demande vaille autorisation, c’est que nous considérons qu’il suffit de s’en tenir au droit commun. Encore faut-il que ce soit explicité. C’est pourquoi nous proposons, par l’amendement CS1587, d’indiquer que le silence vaut acceptation, et cela sans exception possible, afin d’éviter que des dispositions ultérieures ne restreignent ce principe. Ce sera de nature à rassurer les familles, sans que l’acceptation devienne pour autant systématique. Je suis, par ailleurs, convaincu que l’administration saura se donner les moyens d’instruire les demandes de façon que ses décisions soient éclairées.

M. Xavier Breton. L’amendement CS190 va dans le même sens, seulement il fixe le délai à un mois au lieu de deux. En cas de refus, il faut en effet que les familles aient le temps de procéder à l’inscription de l’enfant dans un établissement scolaire, ce qui risque d’être compliqué, notamment pendant les vacances d’été.

En outre, nous demandons que, conformément, là encore, aux règles qui régissent depuis 2015 les relations entre l’administration et les usagers, le refus de l’autorisation de l’instruction dans la famille soit motivé expressément.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Si je partage, monsieur Breton, votre souci d’une procédure claire et s’inscrivant dans des délais compatibles avec l’organisation de la famille en cas de scolarisation, je pense que la date de dépôt de la demande d’autorisation par les familles devra tenir compte du calendrier scolaire. Quant à l’obligation de motivation du refus, elle est imposée par le droit commun.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le Gouvernement est favorable à l’amendement de la rapporteure.

M. Xavier Breton. Le fait que le silence vaut acceptation au bout d’un délai de deux mois relève, tout comme l’obligation de motivation du refus, du droit commun, et pourtant vous l’indiquez expressément dans la loi. Soit l’on explicite tout, soit l’on n’explicite rien !

M. Alexis Corbière. Lors des auditions a été fait le constat que 69 % seulement des familles instruisant un enfant recevaient une visite de contrôle pendant l’année, alors que toutes devraient être contrôlées. La raison en est souvent l’absence de moyens. Je crains que s’il n’y a pas de réponse, ce soit en réalité parce que l’administration n’a même pas examiné le dossier. On revient ainsi à la case départ, c’est-à-dire à une absence de validation de sa part. Tout continuera exactement comme avant !

Nous estimons, quant à nous, qu’il serait bon pour l’enfant qu’il y ait une forme de contrôle de la part de l’administration. Tel est le sens de l’amendement que nous présenterons tout à l’heure – j’espère qu’il sera adopté.

La commission adopte l’amendement CS1841.

En conséquence, les amendements CS1587, CS1245, CS190 et CS1466 tombent.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS608 de Mme Florence Granjus et CS1262 de Mme Constance Le Grip.

Mme Florence Granjus. Nous demandons que le refus de l’autorisation d’instruction dans la famille soit motivé dans un délai de quinze jours.

Mme Constance Le Grip. Mon amendement CS1262 va dans le même sens. J’abonderai dans le sens de notre collègue Breton : dès lors que l’on mentionne que le silence gardé vaut acceptation au bout de deux mois, il serait nécessaire d’expliciter qu’en application des mêmes règles de droit commun, le refus sera motivé.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration précise que toute décision administrative individuelle défavorable doit être motivée sans délai. La mention d’un délai de quinze jours correspondrait donc, paradoxalement, à une réduction des droits. Je le répète, il s’agit de l’application du droit commun. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Constance Le Grip. Je souhaiterais néanmoins que l’on travaille à une rédaction plus précise, faisant explicitement référence au droit commun, dans la perspective de la séance publique.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1048 de Mme Béatrice Piron.

Mme Béatrice Piron. Si le droit commun prévoit qu’en l’absence de réponse au bout de deux mois, celle-ci est considérée comme positive, rien n’est indiqué sur ce qui se passe durant ce délai. Mon amendement vise, par conséquent, à préciser que, dans l’attente de la réponse de l’autorité compétente, la famille pourra commencer l’instruction à domicile afin que l’enfant ne soit pas privé d’instruction pendant deux mois.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il convient de distinguer deux cas de figure.

S’il s’agit d’un enfant qui est retiré de l’école en cours d’année et pour lequel, à l’issue de discussions entre la famille et l’autorité académique, il est décidé de demander une autorisation d’instruction dans la famille, on a affaire à un cas d’urgence ; la situation, qui est d’ores et déjà envisagée, est alors gérée par l’autorité académique.

Dans le cas d’une demande annuelle, qu’il s’agisse d’une première demande ou d’un renouvellement, il conviendra de faire la demande en fin d’année scolaire, suffisamment tôt pour avoir la réponse avant la rentrée.

Je demande donc le retrait de l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Béatrice Piron. Pour l’heure, cette distinction entre ce qui est un cas d’urgence et ce qui ne l’est pas n’est pas précisée dans la loi. Il serait bon de clarifier les choses. Je retire néanmoins l’amendement.

L’amendement est retiré.

L’amendement CS133 de M. Jacques Marilossian est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1887 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Il s’agit, dans la logique de mes amendements précédents, de s’opposer au régime de l’autorisation. Je souhaite, comme d’autres collègues, maintenir celui de la déclaration.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1491 de M. Gaël Le Bohec.

M. Gaël Le Bohec. L’objet de cet amendement est, au cas où un défaut d’instruction serait constaté par l’autorité de l’État compétente, de prévoir la rescolarisation de l’enfant dans l’établissement de rattachement.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS584 de M. Robin Reda.

M. Philippe Benassaya. Il nous semble nécessaire de réduire de quinze à huit jours le délai prévu pour la reprise de la scolarité en cas de retrait de l’autorisation d’instruction en famille afin de régler au plus vite la situation délicate dans laquelle l’enfant se trouvera.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable : huit jours pour trouver un établissement d’accueil et faire les démarches pour l’inscription, c’est vraiment très court. De surcroît, le délai de quinze jours est cohérent avec celui prévu pour les autres mises en demeure. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement CS1381 de M. Arnaud Viala.

Elle examine les amendements CS765 et CS763 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Ces deux amendements visent à détecter plus facilement les enfants qui ont disparu des radars, au moyen d’un partenariat renforcé avec les mairies.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je suis d’accord avec vous : le maire joue un rôle essentiel dans le respect de l’obligation d’instruction et le suivi des enfants. Deux missions lui sont confiées : tenir à jour la liste des enfants en âge d’être instruits et mener une enquête sur ceux qui reçoivent une instruction dans la famille.

L’amendement CS765 est satisfait par l’article R. 131-3 du code de l’éducation. Demande de retrait.

Quant au CS763, j’y suis défavorable, non sur le fond, mais sur la forme, car l’échange de données est prévu par le code de l’éducation et réalisé de manière plutôt satisfaisante. Il sera facilité, de surcroît, par la généralisation de l’INE et des cellules de lutte contre l’évitement scolaire que je vais vous proposer.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. Si nous partageons leur objectif, à savoir faire en sorte qu’il n’y ait plus d’enfants qui disparaissent des radars, ces deux amendements sont satisfaits ou en passe de l’être.

M. Xavier Breton. Je vais les retirer pour vous être agréable, mais pour ce qui concerne le CS765, l’enjeu est précisément d’inscrire dans la loi ce qui relève pour le moment d’une disposition réglementaire, à savoir que le maire doit non seulement dresser la liste des enfants soumis à l’obligation scolaire, mais la mettre à jour.

Les amendements sont retirés.

La commission examine l’amendement CS1842 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je propose la généralisation d’un dispositif qui existe dans certaines communes du nord de la France : les cellules de prévention de l’évitement scolaire, qui se réunissent sous l’égide du préfet et associent les services de l’éducation nationale, ceux du conseil départemental, la caisse d’allocations familiales et la préfecture ; elles permettent d’échanger des informations sur la situation d’enfants ne bénéficiant pas, à la connaissance des services, d’une instruction et d’essayer de trouver une solution dans le cadre d’un dialogue avec les familles, afin d’éviter une mise en demeure de scolarisation. C’est la caisse d’allocations familiales du Nord qui, dans le cadre de nos auditions, nous a présenté ce dispositif très intéressant. Je pense que cela contribuera à répondre aux demandes de plusieurs d’entre vous concernant les enfants qui ont disparu des radars.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis très favorable à cet amendement et à la généralisation de ce dispositif, qui a fait la preuve de son utilité. On a besoin du travail en commun de l’ensemble des services ministériels, des organismes sociaux et des collectivités territoriales. C’est d’ailleurs là toute l’efficacité de ce projet de loi en matière de lutte contre les séparatismes : il facilite le croisement des informations et promeut une vision partagée du territoire par les différentes institutions.

M. Charles de Courson. Si l’on veut être réellement efficace, il faudrait que l’identifiant national utilisé par l’éducation nationale soit le code INSEE : c’est celui qui est utilisé par la CAF et, à l’issue d’une bataille qui aura duré quinze ans, par les services fiscaux. Cela permettrait à ces cellules de procéder à des recoupements et d’accroître l’efficacité de l’amendement de la rapporteure.

Seriez-vous favorable à une telle mesure, monsieur le ministre ? Il n’y a pas besoin de l’accord de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) pour la mettre en œuvre, mais une disposition législative est nécessaire.

Mme Emmanuelle Ménard. Peut-être faudrait-il intégrer les services municipaux dans ces cellules ? Ils connaissent particulièrement bien les familles et les enfants de leur commune.

Je souscris, en outre, à ce que vient de dire M. de Courson. J’ai d’ailleurs déposé après l’article 21 un amendement visant à ce que l’on attribue un numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques dès la naissance, et non pas à partir de 16 ans, comme c’est le cas aujourd’hui. Cela permettrait d’identifier et de suivre chaque enfant dès sa naissance, et d’éviter que certains disparaissent des radars.

M. Xavier Breton. Je suis d’accord avec Mme Ménard : les communes devraient avoir leur place dans le dispositif. Certes, l’usage de l’adverbe « notamment » devrait permettre de les y intégrer, mais il serait bon de les mentionner explicitement.

Je trouve l’idée intéressante, mais le nom de ces cellules – « cellules de prévention de l’évitement scolaire » – devrait être modifié. La prévention, c’est une action en amont ; or ce dont il s’agit là, c’est un suivi personnalisé et une véritable lutte contre l’évitement de l’instruction – de l’instruction en général, et pas uniquement scolaire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La cellule départementale est appelée à se subdiviser et à organiser des réunions à l’échelon de la commune, auxquelles la mairie et son service de l’éducation, qui est concerné au premier chef, seront systématiquement associés. D’où l’emploi de « notamment ». On n’a pas précisé ce point parce que la cellule est une structure départementale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Un travail important a déjà été réalisé pour la création de l’INE. Si, à l’époque, la CNIL s’était opposée à ce que le code INSEE soit utilisé pour les élèves, c’est notamment parce qu’il est signifiant : il donne des informations sur le sexe, ainsi que sur la date et le lieu de naissance. Certes, le législateur pourrait passer outre l’avis de la CNIL, mais ses objections sont à prendre en considération.

Sur le plan technique, de surcroît, ce serait un lourd chantier à engager, puisqu’il faudrait faire correspondre l’INE et le code INSEE.

Si l’idée n’est pas inintéressante, il convient donc d’examiner les choses de très près avant de s’engager dans cette direction. L’INE est désormais une réalité. Le problème qui subsiste, ce sont les enfants qui ont disparu des radars ; cela ne concerne qu’un tout petit nombre de personnes et, même si votre proposition mérite d’être creusée, on peut, pour l’heure, s’en tenir à essayer d’identifier les enfants concernés territoire par territoire.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS766 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise lui aussi à éviter que des enfants disparaissent des radars, en signalant aux services départementaux de l’éducation nationale toute désinscription d’un élève, afin qu’on ne perde pas le contact avec l’enfant, comme c’est le cas aujourd’hui. Si nous défendons la liberté du mode d’instruction, il revient à l’État de vérifier que cette dernière est effective.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La question que vous soulevez est importante, mais délicate. Vous envisagez le cas de parents qui demanderaient au directeur de désinscrire leur enfant, mais il arrive qu’un enfant quitte l’école sans que le directeur en soit informé. Cela recoupe le problème de l’assiduité. Quand doit-on considérer qu’un enfant a quitté une école ? C’est tout l’enjeu du certificat de radiation, qui est normalement requis pour tout changement d’établissement et qui permet le suivi de l’élève.

En outre l’amendement est satisfait : l’article R. 131-3 du code de l’éducation prévoit déjà que les directeurs des écoles ou les chefs des établissements scolaires, publics ou privés, doivent déclarer au maire et au directeur académique des services de l’éducation nationale, dans les huit jours suivant la rentrée, les élèves fréquentant leur établissement, puis faire état des mutations à la fin de chaque mois.

Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. Le certificat de radiation ne concerne pas les enfants qui quittent un établissement mais n’en rejoignent pas un autre, madame la rapporteure ! L’objet de cet amendement, ce sont les enfants qui disparaissent des radars.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS794 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Cet amendement découle d’auditions que j’ai conduites dans ma circonscription, à Marseille. L’objectif est d’améliorer le contrôle de l’éducation nationale sur l’instruction en famille.

Ce contrôle est très disparate suivant les académies. Il n’est pas toujours effectué par des agents qualifiés – ce sont bien souvent des enseignants qui ne sont pas formés à l’instruction en famille qui s’en chargent, et non les inspecteurs d’académie. Il n’est pas toujours conduit au domicile, ce qui, à mon avis, est problématique dans la mesure où il s’agit du lieu principal de l’instruction en famille, même si celle-ci peut reposer sur beaucoup de sorties, par exemple au musée.

Je propose donc d’améliorer le contrôle, d’abord en le rendant uniforme sur l’ensemble du territoire national, ensuite en le confiant à un inspecteur d’académie spécifiquement formé à la pratique de l’instruction en famille, enfin en l’organisant systématiquement au domicile de la famille.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Si vos intentions sont louables, vous réécrivez entièrement l’article L. 131-10 du code de l’éducation, supprimant, ce faisant, l’enquête de la mairie et les sanctions en cas de résultats insuffisants.

L’enquête de la mairie est systématiquement menée au domicile, afin de contrôler le cadre dans lequel l’instruction en famille a lieu. Quant au contrôle pédagogique, il peut avoir lieu au domicile, dans un établissement scolaire ou à l’académie, au choix du contrôleur et après discussion avec la famille. Suivant les cas, il peut être plus intéressant d’y procéder à domicile ou dans un cadre neutre – mais nous en reparlerons à l’occasion d’autres amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Julien Ravier. Loin de moi l’idée de faire disparaître le contrôle des mairies, que certaines dispositions réglementaires prévoient d’ailleurs également. Si vous estimez l’amendement intéressant, j’améliorerai sa rédaction pour la séance. Ces dispositions, qui viennent du terrain, sont fondamentales.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS193 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement vise à renforcer les pouvoirs de contrôle de l’État. Le contrôle qui doit être assuré par les mairies est insuffisamment exécuté, les représentants de l’Association des maires de France l’ont reconnu lors de leur audition. Pour les grandes villes, le nombre de contrôles à effectuer est élevé ; pour les communes de plus petite taille, un problème de compétences se pose.

Dans un souci d’efficacité, il conviendrait de confier ce contrôle aux services de l’éducation nationale, pour garantir une équité de traitement dans tout le territoire, ainsi qu’un contrôle effectif.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Tel qu’il est rédigé, l’amendement conserve la logique du principe de la déclaration, alors que l’article 21 introduit un système d’autorisation.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. Je ne cherche pas à rouvrir le débat entre autorisation et déclaration. L’objet de l’amendement, de confier les deux contrôles aux services de l’éducation nationale, pourrait-il vous agréer ?

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1843 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Du fait de l’instauration d’une autorisation préalable en lieu et place du système actuel de déclaration, il convient de modifier l’article L. 131-10 du code de l’éducation, qui traite des contrôles de l’instruction en famille par les mairies et par les inspections académiques. Les mots « la déclaration » sont notamment remplacés par « l’autorisation ».

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1652 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Dans le cadre de l’enquête diligentée par le maire, les responsables de l’enfant instruit à domicile doivent être tenus de fournir une attestation de suivi médical. Il paraît important d’élargir le contrôle au suivi médical de l’enfant, car il peut révéler certaines souffrances.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est intéressant. Comme plusieurs députés ont fait des propositions sur le suivi médical des enfants instruits en famille, j’ai proposé de retravailler le sujet. Je vous suggère donc de retirer l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Boris Vallaud. Je maintiens l’amendement, ce qui n’empêche pas de le retravailler.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS606 de Mme Florence Granjus et CS1653 de Mme Marietta Karamanli.

Mme Florence Granjus. L’amendement CS606 vise à instaurer une ou plusieurs évaluations en milieu scolaire pour les enfants instruits en famille.

M. Boris Vallaud. L’amendement CS1653 a pour objet de soumettre les enfants instruits en famille à des évaluations scolaires identiques à celles organisées par l’éducation nationale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces amendements rappellent ce que Jules Ferry avait prévu dans la loi de 1882. J’avais approfondi ce sujet au cours de ma mission flash sur la déscolarisation, et je l’ai depuis beaucoup évoqué avec les familles pratiquant l’IEF mais aussi avec des spécialistes du domaine. Il s’avère qu’il est souvent mal compris.

Pour certains, le terme « évaluation » signifie contrôle, notes et sanctions. De mon point de vue, faire participer les enfants des familles qui ont choisi l’IEF aux évaluations nationales, permettrait à celles-ci de recevoir, si elles le souhaitent, un avis sur les acquisitions de leurs enfants, et donc, éventuellement, de modifier et d’adapter leur programme pédagogique. Je tiens à l’autorisation pour mieux encadrer l’instruction en famille, mais une fois celle-ci obtenue, je ne souhaite pas imposer trop de contrôles et obligations.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’esprit de cette proposition est intéressant au regard de la nécessité de s’assurer régulièrement des progrès de l’enfant dans le cadre de l’instruction en famille. Les visites sont utiles mais lourdes à réaliser ; elles pourraient être complétées par un mécanisme d’évaluation nationale.

La France procède à des évaluations nationales de début d’année, qui sont particulièrement robustes et approfondies au début du CP, du CE1 et de la sixième, et qui pourraient marquer des crans intéressants dans notre système. La rédaction de l’amendement ne permet pas de s’inscrire précisément dans ce cadre, mais l’idée mérite d’être creusée. Demande de retrait à cette fin.

M. Boris Vallaud. Et si je proposais de remplacer « sont soumis à » par « peuvent bénéficier des » ?

M. le président François de Rugy. « Peut » a généralement moins de portée que « doit ».

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cela est déjà possible.

M. Boris Vallaud. Vous sembliez reprocher à l’amendement CS1653 de créer une contrainte supplémentaire. Mais lorsque je rends la possibilité d’évaluation facultative, vous dites qu’elle est déjà prévue.

M. le président François de Rugy. C’est antinomique. Les évaluations sont faites dans le cadre d’un programme scolaire, dans une temporalité qui correspond à une progression des apprentissages, en lien avec des programmes. Dans l’instruction en famille, les parents revendiquent une autre progression, un autre enseignement et, généralement, une autre évaluation. C’est ce que l’on appelle faire rentrer par la fenêtre ce que l’on a fait sortir par la porte.

M. Boris Vallaud. Le programme est toutefois le même.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est pourquoi j’invite à une discussion ultérieure plus large. En effet, la progression est forcément différente en famille et à l’école, même si des différences peuvent exister d’un endroit à l’autre. Peut-être pourrait-on considérer les moments clés – le début du CP, du CE1, de sixième voire de seconde –, où les progrès sont mesurés, comme des rendez-vous de fin de cycle pour s’assurer qu’un certain niveau est atteint.

Mme Florence Granjus. Je retire l’amendement CS606 pour le retravailler en vue de la séance, et je remercie le ministre de ses informations et explications.

Les amendements sont retirés.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS455 de Mme Géraldine Bannier et CS1120 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Mme Géraldine Bannier. Nous étions précédemment très favorables aux amendements sur le rattachement et l’outil de prévention que constituent les cellules.

L’amendement CS455 tend à doubler le contrôle annuel de l’instruction en famille en l’organisant alternativement au domicile de l’enfant et dans l’école publique à laquelle il est rattaché.

M. Alexis Corbière. Il faut clairement deux contrôles par an. Actuellement, il n’y en a qu’un et seulement 69 % des familles sont visitées – un tiers n’y a pas droit. C’est très significatif du manque de moyens, très regrettable, de cette belle maison qu’est l’éducation nationale.

Nous soumettons l’idée d’utiliser le réseau des Amis de l’école publique et les délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN). Désignées par l’inspection académique, ces personnes ont pour mission de veiller à ce que l’école publique offre des conditions correctes, par exemple au regard des locaux. On pourrait imaginer qu’ils veillent plus particulièrement sur cet aspect, à côté d’une visite plus pédagogique. En tant qu’enseignant, il m’intéresse de savoir si les parents qui font l’instruction en famille proposent une progression pédagogique. Même s’ils ne suivent pas un programme, ils doivent sans doute fixer des objectifs à atteindre d’une certaine manière, à des moments clés. Je serais très surpris, même si les familles s’émeuvent de ce que nous discutions de l’instruction en famille à l’occasion de ce projet de loi, qu’une famille ne veuille pas qu’on vienne la voir, au moins une fois dans l’année, pour savoir comment les choses se passent.

La règle actuelle est d’un contrôle par an, mais la loi n’est pas respectée pour 30 % des familles. Si l’on en croit vos chiffres, cette année, sur 60 000 enfants instruits en famille, 20 000 n’ont pas reçu de visite. C’est inquiétant ! Avec les deux contrôles que nous demandons par l’amendement CS1120, nous assurerons peut-être au moins une visite par an. Pour en avoir une, il faut en demander deux !

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, ne dévalorisez pas ainsi la loi, ni le travail législatif et celui de l’administration !

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable aux deux amendements.

Le dispositif de contrôle des enfants instruits en famille prévoit une enquête de la mairie, qui doit avoir lieu tous les deux ans, et un contrôle pédagogique des inspecteurs de l’éducation nationale. Ce contrôle a lieu au minimum une fois par an, mais les inspecteurs peuvent en diligenter un second s’ils l’estiment nécessaire.

Je ne suis pas favorable à établir deux contrôles par an pour ces enfants. Les contrôles se déroulent à domicile et ils mobilisent beaucoup de temps pour connaître la famille et les enfants. L’instruction en famille prévoit souvent un projet, adapté à l’enfant, avec certaines pédagogies. Le rôle des inspecteurs est de vérifier la progression de l’enfant, et cela implique de laisser le temps nécessaire à son accomplissement.

La proposition de Mme Bannier d’organiser alternativement le contrôle au domicile et dans l’école publique procède d’une bonne intention. Je propose cependant de laisser l’inspecteur, qui connaît bien l’enfant, décider avec la famille du meilleur lieu. Les contrôles créent des conditions de stress pour les enfants, qui doivent montrer ce qu’ils savent faire à un inspecteur.

Monsieur Corbière, les chiffres que vous avez donnés ne sont pas ceux que nous avons. Les contrôles ont bien progressé et sont réalisés à 75 % ou 80 %. Effectivement, les 100 % ne sont pas atteints, mais l’année 2019-2020 a été marquée par le covid et le confinement. Les refus de contrôle – car ils existent – font aussi baisser le taux. Le code de l’éducation prévoit des sanctions au bout de deux refus.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis du même avis que la rapporteure. On peut, en effet, constater quelques faiblesses du contrôle, qui sont liées à la fois à la difficulté de l’exercice – les maires eux-mêmes en témoignent – et à des difficultés pratiques dues au nombre élevé d’enfants. Le contrôle représente beaucoup de travail, et il est sans doute vrai que, pendant plusieurs décennies, l’éducation nationale n’en a pas fait une priorité. Je me suis engagé à renforcer les équipes dans les rectorats. Dès lors, souhaiter un second contrôle au moment où nous atteignons l’objectif du premier contribuerait à perpétuer le non-accomplissement de la loi. Mieux vaut conserver l’ambition réalisable d’un contrôle annuel, que le développement des moyens humains permettra d’accomplir.

L’idée de mobiliser les amis de l’éducation nationale que sont les DDEN avec comme enjeu de développer l’esprit républicain auprès des familles et des élèves est intéressante, quoique mal formulée. Il faudra la considérer, mais pas sous la forme du contrôle. Les délégués départementaux ne sont pas des fonctionnaires, et les visites à domicile sont un sujet délicat de libertés publiques.

M. le président François de Rugy. La proposition risque d’entraîner un léger choc culturel, car les DDEN sont vraiment des militants de l’école publique.

Mme Marine Le Pen. C’est inquiétant, ce nombre d’élèves qui ne seraient pas contrôlés : approximativement, il y en aurait un sur quatre, chaque année. Le Gouvernement n’aurait-il pas dû commencer par instituer un contrôle systématique de tous ces enfants avant de vouloir supprimer peu ou prou la capacité de l’instruction à domicile ?

Combien y a-t-il de refus de contrôle par an ? La représentation nationale devrait connaître ce chiffre.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il y en a 14 %.

Mme Marine Le Pen. Et combien de sanctions sont prononcées ? Quelles sont-elles ?

En réalité, on supprime un processus, qui est une liberté constitutionnelle, sans même avoir essayé de régler la situation des familles qui échappent au contrôle et qui, par définition, sont plus inquiétantes que les autres. A priori, il y a quand même une suspicion que celles-là pourraient chercher à cacher une situation de séparatisme ou de dérive sectaire. Il serait bon d’avoir des éléments précis sur ces sujets.

Mme Géraldine Bannier. Je retire l’amendement CS455, au vu des explications données.

M. Alexis Corbière. Le chiffre de 69 % a été donné par le Conseil d’État ou l’étude d’impact – je le vérifierai. Depuis le début, sur de nombreux sujets, on jongle avec les chiffres. Là, je dis 69 % ; vous répondez 75 % ou 80 %. Cela concerne plusieurs milliers d’enfants si vous dites que, cette année, 62 000 enfants sont instruits en famille.

Une fois de plus, on aborde un sujet avec des éléments de constat non maîtrisés : on ne sait pas très bien de quoi l’on parle, on ne sait pas pourquoi des familles échappent au contrôle. Vous nous dites que des gens refusent le contrôle. S’agit-il d’un déménagement, d’une porte fermée ? Tout cela est déterminant pour notre travail.

Monsieur le ministre, je suis ravi que l’idée de Jean-Luc Mélenchon concernant les DDEN vous plaise. Le président de Rugy a raison de souligner que la charte des DDEN comprend un fort attachement au principe de laïcité. C’est précisément le sujet que nous abordons. La rencontre serait certainement stimulante ! Les gens qui sont attachés à l’instruction en famille doivent l’être autant à l’idée qu’elle se déroule dans un cadre où la liberté de conscience est le fil conducteur de ce que font les parents. C’est la mission des DDEN, utilisons-les. Deux contrôles, franchement, sont peu de chose en vérité.

Les parents que j’ai rencontrés sont attachés à l’instruction en famille, mais ils n’ont pas peur que l’on vienne les voir. Au contraire, ils sont fiers de ce qu’ils font. Qu’ils le montrent ! Ne donnons pas l’impression que l’on veut les surveiller. C’est l’enfant qui nous intéresse, et les parents ne décident pas seuls de son bien-être. Je ne comprends pas ces arguments. Je maintiens mon amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. S’agissant des chiffres, reconnaissons-le, sur certains sujets, nous pouvons être précis ; sur d’autres, nous pouvons l’être moins. C’est la raison pour laquelle nous voulons avancer quant au cadre législatif. Pour répondre à Mme Le Pen, nous avons aussi besoin de nous renforcer sur le plan juridique car, sans ces outils juridiques, on ne peut pas empêcher des formes de séparatisme de se constituer, au nom de l’instruction en famille. On ne peut donc pas arguer de certaines faiblesses actuelles puisque nous sommes devant vous précisément pour y remédier.

Cela étant, on est capable de dénombrer le nombre d’enfants instruits en famille – 65 000 –, de dire qu’il progresse fortement depuis une dizaine d’années et de chiffrer précisément cette progression. Nous savons qu’en plus des 65 000 enfants, d’autres sont hors des radars. Nous savons aussi certaines choses sur ces 65 000 enfants, mais nous ne savons pas tout. Je ne suis pas capable, par exemple, de vous dire combien sont concernés par l’islamisme fondamentaliste. Nous savons qu’ils sont plusieurs milliers, ce qui justifie largement d’être devant vous ; nous connaissons leur âge et savons que ceux qui ont entre 3 et 6 ans ne représentent pas le principal contingent, contrairement à ce que disent certains.

Au moins, savons-nous dire ce que nous ne savons pas, et nous voulons y porter remède au travers de cette loi et d’une série de démarches. L’autorisation permettra de progresser : nous créons des obligations nouvelles. Au fil du temps, l’instruction en famille était devenue un angle mort de notre droit et de notre pays. Le phénomène ayant pris de l’ampleur, cet angle mort devient inacceptable ; d’où ce projet de loi.

On ne peut pas dire une chose et son contraire ; prétendre que le volet de l’instruction en famille de cette loi ne sert à rien et se scandaliser de problèmes qui ne seraient pas résolus. Cette loi est précisément faite pour les résoudre. On peut donc s’interroger sur les modalités, mais certainement pas sur la pertinence de légiférer sur l’instruction en famille. Les questions que vous posez montrent la pertinence de l’article 21, enrichi des discussions que nous avons eues.

L’amendement CS455 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS1120.

Elle est saisie de l’amendement CS1469 de Mme Béatrice Descamps.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement propose un contrôle complémentaire de l’enfant instruit en famille, en plus des contrôles annuels prévus, à la fin de chaque cycle. Cela introduirait une très forte augmentation des contrôles pour les enfants instruits en famille. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1220 de M. Olivier Marleix.

Mme Constance Le Grip. Compte tenu de l’objet du projet de loi, l’autorité compétente en matière d’éducation doit s’assurer que les personnes auxquelles sont confiés les soins et les obligations de l’instruction en famille ne sont pas inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le FSPRT est un fichier de renseignement ; par nature, il n’est ni public ni consultable. Il recense non pas des personnes condamnées, mais des personnes à surveiller, ce qui ne peut entraîner la même restriction des droits. Des mesures sont néanmoins prises, notamment au niveau des cellules de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles, car l’enjeu est important. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage l’esprit de l’amendement, mais il se heurte aux caractéristiques du fichier. D’une certaine façon, il est satisfait par l’organisation des cellules de prévention de la radicalisation et de l’accompagnement des familles et des groupes départementaux de prévention de la déscolarisation, dont certains membres peuvent consulter le fichier et donner, le cas échéant, les informations qui permettront de refuser l’instruction en famille.

Comme pour les fiches S dans d’autres domaines, il faut veiller à l’usage que l’on fait de ces fichiers de renseignement ; ils recensent des personnes qui, à ce stade, n’ont pas de condamnations judiciaires.

Mme Annie Genevard. Les services de l’éducation nationale consultent-ils systématiquement ce fichier de renseignement ? De fortes présomptions que la radicalisation n’a pas cessé – ce qui devrait être le cas le plus fréquent – sont-elles un motif de refus de l’instruction en famille ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Sur le premier point, la réponse est non : l’éducation nationale ne manie pas les fichiers de renseignement. On peut s’en désoler, mais aussi le comprendre. Les cellules départementales de prévention permettent de partager des informations avec d’autres administrations, donc d’éclairer la décision future de l’administration d’autoriser ou non l’instruction en famille. C’est par ce biais que les fichiers peuvent être utiles, non par une disposition juridique directe de consultation des fichiers de renseignement par l’éducation nationale.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1650 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Les familles dispensant l’instruction à domicile que nous avons interrogées manifestent parfois de l’incompréhension vis-à-vis de la nature du contrôle de leur pratique. Une formation des inspecteurs pourrait utilement favoriser une compréhension réciproque. Elle pourrait aussi comprendre des modules spécifiques visant à détecter les formes de séparatisme contre lesquelles le projet de loi prétend lutter.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Effectuer des contrôles à domicile, qui plus est auprès d’enfants, nécessite en effet des compétences et une formation ad hoc. Ces thématiques font partie de la formation des inspecteurs ; l’amendement est donc satisfait. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS767 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton.  La formule rendant compte des contrôles est, à notre sens, trop subjective et susceptible d’interprétation arbitraire. Nous proposons de la scinder en deux termes correspondant à deux contrôles. Dans un premier temps, on repérerait « des lacunes graves […] manifestes dans les enseignements ». Dans un deuxième temps, on viserait une obligation non plus de résultat mais de moyen, avec la formule : « démontrent le défaut d’investissement pour remédier aux insuffisances signifiées ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je préfère la rédaction actuelle, plus englobante. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements identiques CS719 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1492 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Emmanuelle Ménard. Cet amendement de cohérence vise à supprimer l’alinéa 16, pour supprimer le régime de l’autorisation et revenir au régime de la déclaration.

Je salue l’amendement CS1840 de la rapporteure, qui a réintroduit la notion d’intérêt supérieur de l’enfant dans l’article 21, alors que, comme Mme Genevard l’a rappelé, la majorité n’avait eu de cesse de faire disparaître cette notion dans le projet de loi visant à réformer l’adoption. Lors des débats, de nombreux députés de la majorité avaient indiqué que l’intérêt supérieur de l’enfant n’avait pas d’existence juridique dans notre corpus législatif. Je salue cette position, plus raisonnable, et j’espère que vous saurez vous en souvenir, lorsque le texte reviendra dans l’hémicycle.

L’amendement CS1492 est retiré.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement CS719.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, elle rejette l’amendement CS1464 de Mme Béatrice Descamps.

La commission examine l’amendement CS621 de Mme Laurence Vanceunebrock.

M. Gaël Le Bohec. Cet amendement vise à assurer l’égalité des chances entre les enfants instruits à domicile et ceux qui sont scolarisés. Les personnes chargées de l’instruction à domicile doivent pouvoir recourir aux ressources pédagogiques produites par le ministère de l’éducation nationale ou financées par celui-ci et accéder à l’ensemble des espaces numériques, notamment l’espace numérique de travail, EDUSCOL.

Puisque M. le ministre a parlé tout à l’heure de Canopé, j’en profite pour féliciter tous les acteurs pour les avancées nombreuses réalisées dans ce domaine. En préparant cet amendement, je suis allé voir, par exemple, les modalités de formation au principe de la classe inversée. Il est possible d’aller travailler avec des collègues à tel ou tel endroit. On a même accès au covoiturage pour se rendre sur le lieu de la formation. Les plateformes évoluent ; elles offrent des possibilités extraordinaires.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La question est importante, mais votre demande est satisfaite car le site EDUSCOL met à disposition de tous, notamment des parents prodiguant l’instruction en famille, des ressources pédagogiques gratuites. Qui plus est, cela relève du domaine réglementaire. Demande de retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Gaël Le Bohec. Je le retire, tout en restant particulièrement vigilant sur le sujet.

L’amendement est retiré.

L’amendement CS1493 de M. Gaël Le Bohec est retiré, de même que l’amendement CS1872 de la rapporteure.

À la demande de la rapporteure, l’amendement CS799 de Mme Catherine Osson est retiré.

La commission examine les amendements identiques CS320 de Mme Anne-Laure Blin, CS707 de M. Charles de Courson, CS768 de M. Xavier Breton, CS1336 de M. Grégory Labille et CS1494 de M. Gaël Le Bohec.

Mme Anne-Laure Blin. Il s’agit de décaler d’une année, c’est-à-dire à 2022, la date d’entrée en vigueur du régime d’autorisation. Entre le temps lié au parcours législatif du texte et celui nécessaire à la mise en place d’un certain nombre de dispositions par l’administration, une entrée en vigueur dès la prochaine rentrée scolaire paraît un peu précipitée aux parents avec lesquels j’ai échangé.

M. Charles de Courson. Le temps que la loi soit votée, puis que les textes d’application soient pris, je ne vois pas comment il serait possible d’opérer le basculement dès septembre 2021. À cela s’ajoutent les conséquences du reflux éventuel vers l’école – je ne suis pas persuadé qu’il se produise, mais retenons l’hypothèse du Gouvernement –, qui va poser des problèmes de création de classes et d’affectation de personnel. La sagesse serait de repousser la date d’effet à septembre 2022, faute de quoi l’on en serait réduit, une fois de plus, à constater que l’on n’arrive pas à appliquer les lois votées.

M. Xavier Breton. C’est un amendement de sagesse et de bon sens.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis favorable. Je voulais déposer un amendement allant dans le même sens, mais je vous en ai laissé la primeur. Je fais miens les arguments de Mme Blin.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable, conformément à l’esprit d’ouverture qui est le nôtre depuis le début du processus. En 2021-2022, il faudra nécessairement concevoir un régime de transition, y compris s’agissant de l’amélioration des contrôles, que plusieurs d’entre vous ont demandée.

La commission adopte les amendements.

L’amendement CS610 de Mme Florence Granjus est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1340 de M. Grégory Labille.

M. Grégory Labille. Il s’agit d’obliger le Gouvernement à remettre, dans un délai d’un an, un rapport au Parlement objectivant le lien potentiel entre l’instruction en famille et la radicalisation des enfants. Sans nier ce phénomène, il convient de constater qu’aucune étude sérieuse ne vient le délimiter avec précision, hormis l’évocation, dans le cadre de la présentation du projet de loi, de la découverte d’écoles de fait, et la difficulté pour l’État de contrôler certaines familles ayant opté pour l’IEF. Aucun rapport public n’est envisagé. Si j’ai réussi à trouver le chiffre pour mon département, ce n’est apparemment pas le cas de mes collègues. Voilà qui ne permet pas d’établir de lien entre la radicalisation et l’IEF.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Nous en arrivons aux demandes de rapport... Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’article 21 modifié.

M. le président François de Rugy. J’ai lu tout à l’heure sur Twitter que certaines personnes demandaient déjà la liste des députés ayant voté l’article, que leur nom serait affiché sur le mur de la honte, ou que sais-je encore. Je précise donc à celles et ceux qui nous regardent et sont concernés de très près par le sujet que les votes en commission se font à main levée et ne sont pas nominatifs. Les noms seront publiés s’il y a un scrutin public en séance. Il me semblait normal d’expliquer la procédure à ceux de nos concitoyens qui nous regardent.

M. Alexis Corbière. À ce propos, l’autre soir, j’ai eu le tort de quitter la salle cinq minutes avant le vote de l’article 6, dont j’avais demandé la suppression. On a insisté sur le fait qu’il avait été adopté à l’unanimité, et le ministre l’a retweeté. Je trouve que ce n’est pas une manière juste de retranscrire les choses. Si j’avais su que mon départ serait utilisé ainsi…

M. le président François de Rugy. Nous vous ferons une attestation.

M. Alexis Corbière. Toujours est-il que certains utilisent les réseaux sociaux de manière parfois un peu discutable.

Après l’article 21

La commission examine l’amendement CS187 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de prévoir des sanctions pour déclaration d’instruction en famille frauduleuse identiques à celles qui sont imposées en cas de refus d’inscrire un enfant dans un établissement d’enseignement en dépit d’une mise en demeure. Il faut lutter vraiment contre le séparatisme et les écoles clandestines, ce qui suppose de se donner des moyens opérationnels. L’objectif doit être non pas de s’en prendre aux familles qui veulent instruire leur enfant chez elles de manière tout à fait pacifique, mais bien de viser les personnes qui sont dans une logique séparatiste.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. C’est effectivement un enjeu important : qu’en est-il des cas d’autorisation frauduleuse ou d’absence d’autorisation ? Quoi qu’il en soit, dans la rédaction que vous proposez, il est question de « déclaration », alors que nous serons désormais dans un système d’autorisation. Je suis donc obligée de vous demander de retirer votre amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. Il n’est pas possible de faire référence à une déclaration alors que nous allons vers un régime d’autorisation. Cela dit, je suis d’accord avec l’idée selon laquelle il faut une sanction claire en cas de fraude ou de tentative de fraude si l’on veut que le dispositif ait un effet réel, faute de quoi nous aurions parlé un peu dans le vide.

Plus de la moitié des enfants que nous avons trouvés dans les structures clandestines était officiellement en instruction en famille. Il s’agit bien de fraudes, qu’il convient de sanctionner. La rédaction de cet amendement ne permet pas de le faire. Néanmoins, d’ici à la séance, nous devrions réussir à préciser quelle sera la sanction.

M. Xavier Breton. Qu’en est-il de l’autre moitié : étaient-ils hors radars, scolarisés dans un établissement privé hors contrat ou sous contrat, ou encore à l’école publique ? Il est important que nous connaissions aussi ces chiffres.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS220 de Mme Anne-Laure Blin, CS1844 de la rapporteure, CS1697 de M. Ludovic Mendes, les amendements identiques CS186 de M. Xavier Breton et CS1046 de Mme Béatrice Piron, et l’amendement CS1304 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Anne-Laure Blin. Pour atteindre l’objectif que vous vous êtes fixé de suivre tous les enfants susceptibles d’être soumis à la radicalisation, il faut mettre en place un numéro d’identification pour l’ensemble des enfants en âge d’être scolarisés. Cela me semble nécessaire pour suivre tous les « enfants fantômes », qui passent complètement sous les radars. Ils méritent une attention particulière et appellent des préconisations spécifiques. D’où l’amendement CS220.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’identifiant national élève est un sujet qui nous importe. L’INE est attribué aux enfants scolarisés à l’école publique et dans les écoles privées sous contrat. Mon amendement CS1844 vise à faire en sorte que tout enfant en âge d’être instruit se voie attribuer un identifiant national élève, ce qui permettra de suivre son parcours d’instruction. Cela vaudrait également pour les enfants autorisés à être instruits en famille et les enfants scolarisés dans des écoles privées hors contrat. Un travail aurait lieu entre les services de l’éducation nationale et ces écoles. Au-delà de l’attribution de l’identifiant national, ce qui est important, c’est le suivi de l’enfant, notamment par les cellules de prévention de l’évitement scolaire.

M. Ludovic Mendes. L’amendement CS1697 est défendu. J’ouvrirai un autre débat : le numéro de sécurité sociale, attribué à toute personne qui naît en France, ne serait-il pas suffisant ? Cela permettrait de simplifier le système.

M. Xavier Breton. Avec l’amendement CS186, je propose une rédaction plus sobre que Mme la rapporteure : mon amendement vise tout simplement à attribuer à chaque enfant un identifiant national, dans le cadre de l’obligation d’instruction, tandis que le sien détaille en plus les objectifs de ce système. On a toujours intérêt à ce que la loi soit aussi sobre que possible.

M. Patrice Perrot. Dans le même ordre d’idées, l’amendement CS1304 vise à confier la gestion des identifiants aux caisses d’allocations familiales.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Chers collègues, cela ne vous étonnera pas, je vous demanderai de retirer vos amendements au profit du mien.

Dans le Nord, les cellules de prévention de l’évitement scolaire réussissent à travailler alors que la CAF et l’éducation nationale ont des identifiants différents.

M. le président François de Rugy. Le croisement des fichiers – sociaux, fiscaux, INSEE, etc. – est un sujet ancien. Régulièrement, un certain nombre d’instances, relayées par la presse bien-pensante, s’y opposent, au motif que ce serait une atteinte grave aux libertés. Cela permet d’être les complices des fraudeurs, mais aussi de favoriser la déscolarisation – ce qui n’a rien à voir avec l’instruction en famille, bien entendu. Certains enfants ne sont identifiés ni par les maires, ni par l’éducation nationale, ni par aucun service. La scolarisation des enfants roms, notamment, pose problème, chacun le sait et les associations qui accompagnent cette communauté sont les premières à le dire – je ne pointe personne du doigt. À Nantes, par exemple, je ne suis pas persuadé qu’il y ait une liste complète des enfants qui vivent dans les campements roms.

M. Frédéric Petit. L’identification de l’élève n’est pas tout à fait la même que celle qui sert à la pharmacie. L’INE permet d’aller sur Parcoursup, par exemple : va-t-on finir par se connecter à cette plateforme avec son numéro de sécurité sociale, alors même que, généralement, on ne connaît celui-ci que quand on entre à l’université ? Cela compliquerait encore plus les choses. Il faut croiser les fichiers, mais, de grâce, ne mélangeons pas tout.

Si nous nous efforçons, en élargissant l’INE, d’aller chercher des enfants qui ne sont pas scolarisés, profitons-en pour régler un problème sur lequel je travaille depuis plusieurs années avec vos services, monsieur le ministre : celui des élèves français dans les écoles françaises à l’étranger. Ils doivent, eux aussi, se voir attribuer un numéro. Tous les enfants français qui doivent un jour aller à l’université devraient en avoir un.

M. Charles de Courson. Je suis prêt à déposer un amendement visant à substituer le code INSEE à l’INE. Naturellement, le basculement ne se ferait pas en un an, mais, grâce à cela, il serait possible de recouper les informations. Je me suis battu pendant quinze ans pour que l’on puisse interconnecter le fichier de l’impôt sur le revenu et celui de la CAF. J’ai toujours défendu les libertés, mais que n’ai-je entendu sur ce thème ! L’interconnexion des fichiers a pour seul but de pister et de détecter les fraudeurs. De la même manière, si l’on pouvait interconnecter le fichier de l’éducation nationale et celui de l’INSEE, on se rassurerait quant au sort de certains enfants qui disparaissent – sachant qu’il y a parfois de bonnes explications, par exemple un départ à l’étranger avec leurs parents.

L’autre jour, j’ai demandé à des maires parmi les quarante que compte ma communauté de communes s’ils savaient que c’était à eux de contrôler que tous les enfants domiciliés dans leur commune étaient scolarisés. Stupeur générale ! Quatre seulement étaient au courant ; les autres m’ont demandé comment il était possible de faire ce contrôle. Ensuite, les histoires ont commencé à fuser : l’un a parlé d’un camp de personnes dont certains n’avaient jamais envoyé leurs enfants à l’école, un autre a parlé d’une famille, dans sa commune, dont l’enfant n’était pas scolarisé. On parle de formation des enseignants, mais il faut aussi former les élus. Je suis élu dans une zone rurale : 2 000 habitants, chez nous, c’est déjà beaucoup. Or, même les maires de communes de 1 000 habitants m’ont dit qu’ils ne connaissaient pas tous les enfants, que c’était impossible. Imaginez ce qu’il en est pour le maire de Reims, qui compte 170 000 habitants…

Il y aurait 100 000 enfants non scolarisés en France – je ne sais pas si l’ordre de grandeur est exact. Si l’on n’utilise pas le code INSEE, on n’y arrivera pas. Avec cet outil, en revanche, on pourrait faire un travail sérieux, notamment à travers les cellules de prévention. Seriez-vous ouverts à un amendement en ce sens ?

Mme Fabienne Colboc. Nous nous réjouissons de la généralisation de l’identification nationale de l’élève, qui contribuera très efficacement à la poursuite de notre objectif, à savoir lutter contre la déscolarisation.

M. Ludovic Mendes. Dans mon amendement, je prévois une responsabilité du maire s’agissant du contrôle de l’inscription et du partage des informations. Il est vrai que cette procédure peut poser problème pour les personnes arrivées en France ultérieurement, par exemple les demandeurs d’asile. De plus, quand on change de ville, on ne se déclare pas automatiquement en mairie – cela pourrait être rendu obligatoire par la loi, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, les services de l’état civil ne pourraient-ils pas être tenus pour responsables en cas de défaillance dans l’inscription ?

Mme Anne-Laure Blin. Je suis ravie que nous partagions le même objectif. La différence principale entre nos amendements, madame la rapporteure, c’est que le mien précise que le Gouvernement met en œuvre la disposition dès la promulgation de la loi. On le voit bien, il faut régler rapidement un certain nombre de problèmes.

Mme Laurianne Rossi. Je me réjouis que nous partagions tous le même objectif. Je proposais, dans le même esprit, de s’appuyer sur les fichiers des caisses d’allocations familiales mais, constatant notre volonté unanime, je suis prête à le retirer au profit de celui de Mme la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. En ce qui concerne les croisements de fichiers, je voudrais vous rassurer : le code de l’éducation prévoit expressément cette possibilité, en prenant naturellement toutes les précautions nécessaires vis‑à‑vis de la CNIL. Les cellules de prévention de l’évitement scolaire, dans le Nord, le font d’ailleurs, alors même que les services de l’éducation nationale utilisent l’identifiant national élève et que la CAF a ses propres identifiants.

L’utilisation du numéro de sécurité sociale est un sujet extrêmement délicat, car de nombreuses données personnelles y sont liées. La CNIL, l’INSEE, la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) et la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), que j’ai auditionnés, me l’ont confirmé. C’est pourquoi je propose d’utiliser plutôt l’INE. L’amendement constituera déjà une grande avancée.

Monsieur Mendes, ce que vous proposez me fait penser au système qui existe en Allemagne où, quand on déménage, on doit s’inscrire dans un registre auprès de sa nouvelle mairie. Si la même chose existait en France, cela nous aiderait, mais tel n’est pas le cas.

Je suis parfaitement consciente des difficultés que rencontrent les maires s’agissant de l’établissement de la liste des enfants soumis à l’obligation de scolarisation dans leur commune. J’avais auditionné leurs représentants en 2018, et je les ai de nouveau entendus en vue de l’examen du projet de loi. Nombre d’entre eux, hélas ! ne connaissent pas leurs obligations en la matière, et un certain nombre les connaît mais a du mal à les mettre en œuvre.

Tout est déjà dans la loi. Par ailleurs, le ministère de l’intérieur et la direction générale des collectivités locales (DGCL), qui dépend de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Mme Jacqueline Gourault, ont élaboré des vade-mecum à destination des maires. En dépit de ce travail d’information, la question reste difficile. Je suis prêt à y retravailler avec vous, monsieur de Courson, ainsi qu’avec les maires, bien entendu – cela fait trois ans que j’essaie de le faire.

Par ailleurs, vous avez raison : ces difficultés concernent aussi bien les grandes villes que les petites. L’Association des maires ruraux de France nous a expliqué que, lorsqu’une famille s’installe dans une commune au fin fond de la campagne, le maire ne le sait pas forcément.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’objectif est évidemment d’identifier tous les enfants sur un territoire donné. Cela ne suppose pas forcément de modifier la loi, comme vient de le dire la rapporteure.

La question est assez technique, au demeurant. Il faut faire attention à ne pas négliger l’existant, car nous ne sommes pas si éloignés que cela de l’objectif : s’agissant de l’INE, 98 % des enfants sont déjà enregistrés. Plutôt que de repartir de zéro et de s’engager dans un travail technique qui prendrait plusieurs années, il paraît plus pragmatique d’élaborer une méthode permettant de toucher les 2 % manquants. C’est d’ailleurs le sens des pistes que nous ouvrons.

Quoi qu’il en soit, je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il est intéressant de créer un consensus, d’ici à la séance, sur les manières d’atteindre l’objectif – lequel est visiblement partagé par tout le monde –, étant entendu, encore une fois, que cela ne débouchera pas nécessairement sur une évolution législative.

Mme Anne-Laure Blin. Puisque nous partageons le même objectif, je retire mon amendement, mais je compte sur vous, monsieur le ministre, pour la mise en œuvre de l’INE.

L’amendement CS220 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS1844.

En conséquence, les amendements CS1697, CS186, CS1046 et CS1304 tombent.

La commission est saisie de l’amendement CS713 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard.  Même s’il ne concerne pas l’identifiant national élève, le but poursuivi est le même. Je propose qu’un numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques – pour faire simple, un numéro de sécurité sociale – soit attribué à chacun dès la naissance. Cela me semble beaucoup plus simple : il n’y aurait qu’un seul numéro, que l’on garderait toute sa vie.

J’ai bien entendu que la CNIL oppose à cette idée le fait que ce numéro contient des données identifiantes, en l’occurrence le sexe, le département et l’année de naissance. Je ne vois pas très bien où est le problème : quand on inscrit un enfant à l’école, on donne en réalité bien plus de données identifiantes.

J’ai en mémoire une déclaration de M. Darmanin expliquant que, lorsqu’il était maire, il était incapable de dire combien d’enfants manquaient à l’appel dans certains quartiers, même si la loi l’y obligeait. Il n’était pas le seul maire dans cette situation. En attribuant un numéro de sécurité sociale dès la naissance, et non pas à partir de seize ans, l’État pourrait mieux contrôler la scolarisation. Cela permettrait également de surveiller l’instruction à domicile, dans le cadre législatif déjà en vigueur : tous les enfants ayant un numéro, on pourrait tout à fait savoir lesquels risquent de passer sous les radars.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie des amendements CS1219 et CS1221 M. Olivier Marleix.

Mme Constance Le Grip. Ces amendements ont été rédigés avant que nous puissions prendre connaissance de l’amendement CS1844 de Mme la rapporteure, qui vient d’être adopté à une très large majorité. À travers ces amendements, Olivier Marleix souhaitait, lui aussi, mettre le projecteur sur les enfants hors radars. Il proposait, dans un cas, d’adosser la recherche de ces enfants difficilement identifiables aux fichiers de la CAF, dans l’autre, d’octroyer un numéro de sécurité sociale aux enfants dès la naissance.

Avec l’inscription de l’INE dans la loi, notre pays s’est doté d’un outil d’identification, et l’on voit bien que nous partageons tous le même objectif. Je retire donc ces deux amendements – M. Marleix me le pardonnera certainement.

Les amendements sont retirés.

La commission est saisie de l’amendement CS1216 Mme Stéphanie Do.

Mme Stéphanie Do. Malgré le caractère exhaustif de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, il paraît essentiel de préciser, au vu de l’interprétation parfois erronée qu’en font les maires, que l’absence d’un justificatif de domicile ne saurait à elle seule être à l’origine d’un refus de scolarisation. La question se pose notamment pour les enfants roms.

De plus, pour rendre plus précis l’alinéa 8 du même article, il semble opportun de rappeler que, même si le mode d’habitat des familles résulte de l’occupation illégale d’un terrain communal, cette raison ne peut pas être avancée pour refuser la scolarisation d’un enfant. L’objectif premier du projet de loi est de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous souhaitez que l’inscription des élèves dans une école publique ou privée puisse se faire sur présentation d’un certificat d’inscription sur la liste scolaire prévue à l’article L. 131-6, élaborée par le maire. J’y suis défavorable : la liste des pièces justificatives à fournir lors de l’inscription est déjà fixée par un décret relativement récent. Nous avons d’ailleurs travaillé sur le sujet lors de l’étude du projet de loi pour une école de la confiance, qui a déjà renforcé les modalités selon lesquelles le DASEN peut inscrire tout élève sur délégation du préfet. Votre inquiétude n’a donc pas lieu d’être ; je vous propose de retirer votre amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS192 M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de renforcer les obligations pesant sur les organismes d’enseignement à distance en prévoyant qu’ils doivent signaler les élèves en situation de décrochage scolaire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’objectif. Néanmoins, le dispositif ne me semble pas vraiment opérationnel : les établissements d’enseignement à distance ne sont pas soumis au contrôle de l’assiduité. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS213 Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. L’amendement vise à interrompre le versement des prestations familiales en cas de non-déclaration d’un enfant aux services compétents en matière d’éducation, comme le prévoit déjà dans certains cas le code de la sécurité sociale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre amendement est satisfait par l’article L. 552-4, tel que l’article 21 prévoit de le modifier. Le versement des prestations familiales afférentes à un enfant soumis à l’obligation scolaire est subordonné à la présentation d’un certain nombre de pièces prouvant qu’il reçoit une instruction. Les prestations peuvent également être payées rétroactivement ou rétablies si l’allocataire apporte les justifications nécessaires. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le cadre législatif existe déjà, en effet. Sans doute faut-il regarder de plus près ce qui se passe du côté des caisses d’allocations familiales. Autrement dit, il y a un enjeu de mise en œuvre de la loi déjà existante. Je suis prêt à étudier la question avec mon collègue chargé des affaires sociales.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1588 de Mme Fabienne Colboc.

Mme Fabienne Colboc.  Toujours avec la volonté de rassembler, et non d’opposer, nous souhaitons développer de nouvelles interactions entre les enfants suivant l’instruction en famille et ceux des écoles publiques et privées. Il nous semble opportun de les réunir pour les sensibiliser à la citoyenneté et répondre à leurs questions sur ce sujet, qui peut les concerner à tout âge.

Pour ce faire, le groupe La République en marche propose d’instaurer, à titre expérimental, une journée pédagogique autour de la citoyenneté et des principes républicains dans les écoles volontaires. Cette journée pourrait se greffer sur des actions qui existent déjà dans les écoles, comme la journée de la laïcité du 9 décembre. Les enfants suivant l’instruction en famille seraient invités à cette journée afin de rencontrer les élèves de l’école et d’échanger avec les enseignants sur la citoyenneté et les principes républicains.

Mme Anne Brugnera, rapporteure.  Ce moment de sociabilisation et de partage des principes de la République que votre amendement tend à instaurer dans les écoles volontaires me paraît très intéressant. Avis favorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cette proposition est en effet intéressante mais je m’interroge sur sa mise en œuvre. Il faudrait le retravailler en vue de la séance, et je vous invite donc à le retirer.

M. le président François de Rugy. Il est également possible de travailler sur la base de l’amendement adopté.

Mme Fabienne Colboc. Je préfère alors le maintenir.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS622 de Mme Laurence Vanceunebrock. 

M. Gaël Le Bohec. Nous proposons que le Gouvernement remette, dans un délai de douze mois, un rapport sur la scolarisation obligatoire des enfants aujourd’hui soumis à l’obligation d’instruction, comportant des éléments chiffrés sur les répercussions de cette mesure sur le budget de l’État et des collectivités, les conséquences pour les services académiques et l’impact social sur les familles concernées, ainsi que les effets psychologiques d’une première scolarisation pour les enfants.

Toutes ces informations nous manquent. Les chercheurs que nous avons auditionnés nous ont dit que l’étude d’impact manquait de chiffres, qu’elle était un peu à charge et, d’une certaine manière, « amputée du réel ». Il paraît donc souhaitable, si nous devons de nouveau légiférer sur cette question à l’avenir, que nous puissions le faire à partir de chiffres précis.

Suivant l’avis de la rapporteure et du Gouvernement, la commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS270 de Mme Anne-Laure Blin et CS1095 de M. Alexis Corbière.

Mme Anne-Laure Blin. « Encore un rapport ! » allez-vous sans doute dire, monsieur le président.

M. le président François de Rugy. Je commence effectivement à me lasser.

Mme Anne-Laure Blin. S’il y a un sujet sur lequel nous avons besoin de chiffres précis, c’est bien l’instruction en famille. Nous avons auditionné des chercheurs qui travaillent sur cette question mais nous n’aurons leurs conclusions que dans deux ans. On ne connaît même pas le profil-type des personnes qui font le choix de l’instruction en famille. Je ne vais pas rouvrir ce débat, mais il faudrait vraiment que le Gouvernement transmette au Parlement des données précises sur l’instruction en famille.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Outre que vous demandez un rapport, le délai de six mois que vous entendez fixer me paraît bien court pour faire un état des lieux.

Mme Anne-Laure Blin. Sincèrement, je ne comprends pas votre position. Nous avons passé toute la journée à dire qu’il nous manquait des chiffres et vous vous opposez à ce que l’on fasse un état des lieux pour disposer de données précises. Si ce n’est qu’une question de délai, on peut le modifier.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre.  Nous sommes opposés par principe à la multiplication des rapports. Il est légitime que la représentation nationale demande des chiffres, mais on peut fort heureusement les obtenir sans faire un nouveau rapport. Nous y travaillerons : je vous ai dit que c’était ma volonté.

Mme Anne-Laure Blin. Est-ce à dire que si nous nous tournons vers vous, vous nous communiquerez ces chiffres ? Jusqu’à présent, mes collègues et moi n’avons jamais pu les trouver… Vous engagez-vous à nous transmettre toutes les données dont vous disposez ?

M. le président François de Rugy. Chère collègue, je sais que vous ne siégez pas dans cette assemblée depuis longtemps mais je vous rappelle que si nous voulons, en tant que députés, obtenir des informations, nous avons un certain nombre d’outils à notre disposition. Nous pouvons créer une commission d’enquête, qui permettrait d’analyser tous les aspects de la question, jusqu’aux conséquences psychologiques de l’instruction en famille qui intéressent M. Le Bohec. Nous pouvons adresser des questions écrites à M. le ministre – même s’il est vrai que les ministres ne répondent pas toujours en temps et en heure. Nous pouvons aussi organiser une séance de questions dédiées à ce sujet ou prévoir une audition du ministre dans six mois ou un an pour faire le point sur l’application de la loi. En lui adressant nos questions à l’avance, il pourrait venir avec des chiffres précis.

Nous avons tendance à plaisanter avec ces demandes de rapports au Gouvernement sur tous les sujets, mais je trouve que c’est devenu une habitude qui revient à mettre en scène la faiblesse du Parlement. Et je rappelle que si ces demandes prenaient la forme d’une injonction au Gouvernement, nous aurions un problème constitutionnel, puisque le Parlement n’a pas ce pouvoir.

Faisons les choses par nous-mêmes ! Je ne suis pas certain que, dans un an, l’instruction en famille suscitera toujours la même passion mais, si tel est le cas, l’Assemblée nationale pourra très bien, par elle-même, évaluer la manière dont cette loi aura été appliquée. Nous sommes parfaitement fondés à pousser les ministres dans leurs retranchements pour qu’ils donnent les chiffres les plus précis possibles, et les rapporteurs spéciaux de la commission des finances peuvent toujours faire les contrôles sur pièces et sur place.

M. Alexis Corbière. Un groupe comme le nôtre a droit à une commission d’enquête par an. Les choses ne sont pas si simples. Au cours des auditions, on nous a dit qu’on manquait de données et les auteurs du texte le reconnaissent eux-mêmes ! Vous taxez le Parlement d’inconséquence, mais c’est le Gouvernement qui nous a présenté ce texte et nous sommes en droit de demander des précisions.

Nous pouvons, c’est vrai, adresser des questions écrites aux ministres. Si vous saviez le nombre de courriers que je leur ai envoyés et qui sont restés sans réponse ! En tant que législateur, il est normal que nous nous saisissions de tous les outils à notre disposition. Je ne fais injure à personne en rappelant que M. le ministre et Mme la rapporteure, qui sont de fins connaisseurs du sujet, ne disposent pas eux-mêmes de toutes les informations. C’est une question sérieuse, puisque le phénomène concernerait près de 500 000 personnes et plusieurs milliers d’enfants et qu’il y a un risque de dérive sectaire. Pour toutes ces raisons, une demande de rapport paraît totalement justifiée.

M. Gaël Le Bohec. Au cours des auditions, on a entendu que l’instruction en famille concernait 40 000, 50 000, voire 60 000 enfants : qu’en est-il en réalité ? De même, s’agissant des enfants en situation de radicalisation, les chiffres qu’on nous donne vont de quelques centaines à quelques milliers. C’est bien que nous avons besoin de données précises.

La commission rejette successivement les amendements.

La commission examine l’amendement CS674 de Mme Annie Genevard.

Mme Constance Le Grip. Monsieur le président, je compte sur votre mansuétude, puisque cet amendement consiste encore en une demande de rapport, cette fois sur le suivi du recensement et l’obligation d’assiduité scolaire. Certains maires ne sont pas au courant de cette obligation que leur fait la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, et d’autres nous font remonter les difficultés qu’ils rencontrent. Nous souhaiterions creuser ce sujet, afin de connaître les raisons des blocages et des dysfonctionnements constatés.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage votre analyse. Je vous propose, dans la droite ligne des propos du président, que la délégation aux collectivités territoriales crée une mission sur la question, plus large, de la compétence et des missions des maires. Je vous invite à retirer votre amendement.

Mme Constance Le Grip. J’espère que Mme Annie Genevard me pardonnera de parler en son nom, mais je prends acte de la proposition que vous me faites et je retire cet amendement.

M. le président François de Rugy. J’ai, moi aussi, une proposition à vous faire. Notre commission spéciale n’a pas, comme les commissions permanentes, le pouvoir de créer une mission. Ceux de nos collègues qui siègent au sein de la commission des affaires culturelles et de l’éducation peuvent peut-être demander au président Bruno Studer de lancer un travail au long cours sur la question de l’instruction en famille. Je veux bien lui en parler aussi. Et pour répondre à M. Corbière, si vous souhaitez que l’on établisse, en vue de la séance, une liste de toutes les questions auxquelles nous voulons des réponses précises, je veux bien, en tant que président de la commission, les transmettre aux ministres concernés en leur demandant la plus grande diligence.

Mme Coralie Dubost. Dans d’autres commissions spéciales – comme celles sur la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, ou sur la loi de bioéthique, pour éviter la multiplication des demandes de rapports par les différents groupes politiques tout en garantissant un suivi de l’application de la loi, le rapporteur général avait déposé, à la fin de l’examen du texte, un amendement global d’évaluation et de suivi de la loi, impliquant l’ensemble des rapporteurs thématiques. Une telle démarche permet d’avoir un suivi global, au lieu de le confier à différentes commissions.

M. le président François de Rugy. Nous verrons cela.

L’amendement est retiré.

Section 2 : Dispositions relatives aux établissements d’enseignement privés

Article 22 : Renforcement des contrôles sur les établissements d’enseignement privés hors contrat

La commission examine l’amendement de suppression CS711 de M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. Le présent article a pour objet de permettre au préfet de prononcer la fermeture temporaire ou définitive d’un établissement d’enseignement privé.

Actuellement, c’est bien au juge judiciaire de se prononcer sur une telle fermeture, selon les mêmes motifs repris par le présent projet de loi : lorsque l’établissement a ouvert en méconnaissance des dispositions régissant l’ouverture des établissements d’enseignement privé et constitue alors un « établissement de fait » ; lorsqu’il a refusé de se soumettre à la surveillance et à l’inspection des autorités scolaires ; lorsqu’il est constaté, à l’occasion d’un contrôle et en l’absence d’amélioration après mise en demeure et nouvelle visite, que les enseignements dispensés ne sont pas conformes à l’objet de l’instruction obligatoire ou que le fonctionnement de l’établissement porte atteinte à l’ordre public.

Ces sanctions sont prononcées après la saisine par l’autorité académique du procureur de la République afin qu’il engage des poursuites. Ce système a été simplifié et unifié récemment, à l’occasion de la loi Gatel, en avril 2018. Il est équilibré et proportionné. Plutôt que de revenir purement et simplement sur ce régime de contrôle, il nous paraît plus judicieux de se pencher sur son application concrète. Ce n’est pas la loi qui est défaillante ; ce sont les moyens concrets et pratiques du contrôle qui manquent. C’est sur cet aspect-là qu’il convient d’avancer.

Par conséquent, cet amendement vise à supprimer le transfert, du juge pénal au préfet, du pouvoir d’ordonner la fermeture provisoire ou définitive d’un établissement d’enseignement privé. C’est une position constante de notre groupe : nous ne voulons pas que ce soit une autorité administrative qui prenne une décision grave touchant aux libertés publiques, mais le juge – saisi par l’autorité judiciaire ou par toute autre personne.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous défendez la liberté, mais le fait de pouvoir fermer rapidement une école peut avoir un impact sur la vie de nombreux enfants. Il ne faut jamais l’oublier.

La loi Gatel nous a permis d’avancer, notamment sur la question de l’ouverture des établissements hors contrat. Le contrôle n’est pas défaillant : il a lieu et permet de relever des irrégularités. Le problème, c’est que lorsque les contrôles mettent en lumière des insuffisances, parfois graves, seule une procédure judiciaire peut ordonner la fermeture de l’établissement, ce qui peut prendre un certain temps. Nous vous rejoignons sur l’importance des contrôles, comme sur la nécessité de préserver la liberté de l’enseignement, mais nous souhaitons pouvoir fermer les établissements défaillants le plus vite possible, dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Votre exposé me paraît très théorique, et suivre votre raisonnement reviendrait à accepter d’être inefficaces face à des phénomènes que, par ailleurs, vous dites vouloir combattre.

Quels sont les termes du problème ? Certains établissements hors contrat doivent être fermés le plus vite possible, parce qu’ils sont très notoirement en opposition avec les valeurs de la République. Pendant tout le temps qui s’écoule jusqu’à leur fermeture, ils violent les droits de l’enfant, tels que nous les concevons, puisqu’ils les endoctrinent et ne respectent pas certains des principes de notre République. Il nous faut donc être en mesure de les fermer rapidement.

Tout ce que je vous dis est fondé sur l’expérience. Les nouveaux instruments juridiques introduits par la loi Gatel se sont révélés suffisants, en matière d’ouverture, mais insuffisants en matière de fermeture. Pendant de nombreux mois, j’ai eu à m’occuper personnellement des poursuites judiciaires que nous devions intenter contre la direction d’une école de l’académie de Grenoble qui a défrayé la chronique. Nous avons gagné en première instance mais, l’appel étant suspensif, l’école a continué d’exister, ce qui est une manière de narguer l’éducation nationale et la République. Ce n’est qu’au terme d’un travail énorme, qu’il serait impossible de mener à une plus grande échelle, et au bout de plusieurs mois, que nous avons finalement pu atteindre notre objectif.

La situation actuelle est tout à fait inadaptée. La disposition introduite par l’article 22 n’est pas attentatoire aux libertés, en soi. Je rappelle que tout cela se fera sous le contrôle du juge administratif, qui est protecteur des libertés. S’il y a une urgence, du point de vue des personnes ayant créé l’établissement concerné, elles pourront agir vite, grâce au référé-liberté qui, comme son nom l’indique, est fait pour garantir les libertés ; et elles disposeront toujours du recours pour excès de pouvoir. Il y a un cadre protecteur et un juge derrière l’administration, pour s’assurer qu’aucun abus n’est commis. Ce que propose l’article 22, c’est un mécanisme efficace pour régler un problème très grave. Il me paraît aussi important que l’article 21, qui a davantage attiré l’attention. La fermeture des écoles hors contrat qui vont à l’encontre des valeurs de la République est l’un de nos moyens d’action essentiels.

M. Charles de Courson. Vous supposez toujours que l’administration a raison ; mais l’administration peut se tromper. Dans un État démocratique, il faut que l’administration, comme le Gouvernement, accepte de perdre certains recours. Vous m’avez choqué quand vous avez dit, à propos de cette affaire que je ne connaissais pas, que vous aviez gagné en première instance mais que l’établissement avait fait appel : c’est ce que prévoit le dispositif ! Ce que je critique, c’est que vous donniez ce pouvoir à une autorité administrative. Si vous nous disiez qu’il faut aménager la loi Gatel, sous le contrôle du juge, pour que celui-ci puisse, dans une procédure de référé, prononcer la suspension provisoire, je serais d’accord.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En tant qu’ancien élève de l’ESSEC et de l’ENA – me semble-t-il –, vous n’ignorez pas qu’il y a un juge dans la procédure que nous proposons : le juge administratif.

Je vous renvoie la balle : vous supposez toujours que l’administration agit de manière arbitraire. Dans le cas que j’ai évoqué, comme dans d’autres situations, l’administration ne s’est pas trompée et le juge judiciaire lui a donné raison. Mais il a fallu, à chaque fois, des mois, voire des années, pour que la procédure aboutisse, ce qui est tout de même problématique. Le nouveau dispositif ne repose pas sur l’arbitraire de l’administration, puisque le référé-liberté peut rapidement contester une décision qui semblerait arbitraire. Nous avons, avec ce dispositif, un moyen de mettre fin à l’un des phénomènes graves que cette loi entend combattre.

On a beaucoup dit que nous frappions à côté de la cible, que nous nous éloignions de l’objectif qu’est la lutte contre le radicalisme et le séparatisme au sein de notre société. Cet article, pour le coup, a un objectif clair : des écoles hors contrat violent les valeurs de la République ; nous voulons mettre fin à cette situation dans les délais les plus brefs, sous le contrôle du juge administratif qui est parfaitement compétent pour constater une violation des libertés de la part de l’administration. C’est aussi simple que cela. Si vous êtes contre la disposition que nous proposons, cela signifie que vous êtes contre une mesure efficace pour lutter contre un phénomène qui gangrène notre société.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement de cohérence CS1845 de la rapporteure.

La commission est saisie de l’amendement CS1092 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Nous souhaitons permettre aux services de l’éducation nationale de s’opposer à l’ouverture d’un établissement privé hors contrat lorsque le projet pédagogique de l’établissement ne respecte pas les apprentissages prévus par le code de l’éducation dans les écoles primaires, les collèges, les lycées et les formations technologiques et professionnelles. L’objectif est de garantir à tous les élèves l’acquisition des savoirs et des connaissances indispensables pendant la période d’instruction obligatoire. Dans nombre d’écoles hors contrat, il se passe des choses qui devraient susciter notre indignation, mais qui ne font pas l’objet d’un réel contrôle.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Le contenu des enseignements des établissements hors contrat ne peut leur être imposé, pas plus que le projet pédagogique.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1063 de M. Éric Coquerel.

M. Alexis Corbière. Nous proposons d’allonger le délai imparti à l’administration pour instruire la déclaration d’ouverture d’un établissement hors contrat, en le faisant passer de trois à six mois, afin que cette déclaration puisse faire l’objet d’un contrôle approfondi. Nous estimons que trop d’établissements hors contrat sont ouverts avec trop de facilité, alors qu’ils n’offrent pas de bonnes conditions d’accueil aux enfants, aussi bien sur le plan matériel que pédagogique.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le délai que vous proposez de modifier a été introduit par la loi Gatel, qui a déjà accompli une avancée importante en le portant à trois mois, contre un auparavant, voire huit jours pour les maires. Je ne suis pas favorable à un nouvel allongement de ce délai.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, pour votre information, nous avons examiné 150 amendements cet après-midi, ce qui fait un rythme de 33 amendements à l’heure ; il nous en reste encore 528.

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*     *

13.   Réunion du vendredi 22 janvier 2021 à 21 heures (suite de l’article 22 à avant l’article 25)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10210375_600b2ba886a5d.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-22-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi.

Article 22 : Renforcement des contrôles sur les établissements d’enseignement privés hors contrat (suite) 

La commission est saisie de l’amendement CS993 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de limiter le dispositif exorbitant du droit commun de l’article 22 – qui permet à l’autorité administrative de fermer des établissements d’enseignement privés hors contrat – à l’objet du projet de loi tel qu’il figure dans son exposé des motifs, à savoir la lutte contre l’entrisme communautariste et les idéologies séparatistes. Il convient d’être méfiant, compte tenu de la tendance liberticide qui caractérise plusieurs des décisions prises par le Gouvernement au cours des derniers mois.

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Sauf erreur de ma part, nous avons déjà examiné des amendements similaires déposés par vous-même sur d’autres articles. Défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Défavorable.

M. Xavier Breton. Vous avez raison, madame la rapporteure : sur chaque article restreignant les libertés, j’ai déposé un amendement analogue à celui-ci pour m’assurer que cet article vise bien la lutte contre les idéologies séparatistes. À chaque fois, vous y êtes défavorable, et pour cause : ces mesures sont bien de portée générale, et elles vont donc restreindre les libertés de nos concitoyens.

M. Florent Boudié, rapporteur général et rapporteur pour le chapitre Ier du titre II. Ni l’Assemblée nationale ni le Sénat ne peuvent accepter d’inscrire dans la loi les termes « entrisme communautariste » et « idéologies séparatistes », qui n’ont aucune valeur juridique. Ce serait contraire à tous nos principes constitutionnels. Une fois pour toutes, monsieur Breton, notre démarche consiste à identifier les comportements séparatistes ou traduisant un repli communautarise et à leur imposer des contraintes nouvelles, voire des sanctions supplémentaires. Mais nous ne pouvons pas inscrire dans la loi des notions qui n’en relèvent pas.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS1846 et CS1847, tous deux de la rapporteure.

Elle examine ensuite l’amendement CS1446 de Mme Marie-George Buffet.

M. Stéphane Peu. Cet amendement d’appel vise à supprimer les alinéas 11 à 26 afin qu’il ne soit plus possible pour un établissement d’enseignement privé d’être hors contrat. Le nombre de ces établissements a augmenté de 26 % entre 2011 et 2014 et, en 2019, la Fondation pour l’école a indiqué avoir recensé plus de 300 projets d’ouverture d’écoles de ce type.

Cinq années de fonctionnement sont nécessaires pour pouvoir passer un contrat avec l’éducation nationale. Nous souhaiterions, et c’est le sens de notre amendement, que ce délai d’instruction soit réduit de manière à éradiquer le plus grand nombre possible d’écoles hors contrat.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Défavorable.

M. François Pupponi. Je soutiens l’amendement de M. Peu, car les écoles hors contrat sont le problème de demain. Si nous limitons l’instruction des enfants en famille, les réseaux contre lesquels nous voulons lutter vont ouvrir des centaines d’écoles hors contrat pour accueillir ces enfants. Soyons très attentifs à ce problème !

M. Boris Vallaud. Je soutiens également l’amendement de M. Peu et je partage l’inquiétude qui le motive. En durcissant les conditions de l’instruction en famille, nous risquons de provoquer un report sur les établissements hors contrat. Si tel est le cas, nous serons forcés de constater que l’article 21 aura raté la cible qu’il prétendait atteindre.

M. Xavier Breton. Je demande la parole, monsieur le président !

M. le président François de Rugy. Non, monsieur Breton. Seuls deux orateurs peuvent répondre au rapporteur et au ministre.

M. Xavier Breton. Ce n’est pas très pluraliste.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1091 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous souhaitons renforcer le contrôle de l’État sur les établissements privés hors contrat en garantissant à chaque élève le droit d’avoir accès aux savoirs et connaissances qu’il doit, aux termes du code de l’éducation, acquérir pendant sa formation scolaire. En effet, le projet de loi tend à limiter le contrôle exercé par l’éducation nationale aux attendus du socle commun. Or, celuici, souvent désigné comme un « SMIC éducatif », ne correspond pas à la formation d’un futur citoyen. Par ailleurs, chaque enfant doit pouvoir bénéficier d’une éducation à la santé et à la sexualité sans que lui soient opposés le caractère propre de l’établissement ou des convictions religieuses, politiques ou philosophiques.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement est similaire à un autre amendement défendu cet après-midi par M. Corbière. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. On ne peut pas escamoter le débat sur les établissements privés hors contrat. Or, à M. Peu, qui propose l’extinction de ce régime, vous vous contentez de répondre : « Défavorable ». Il faut dire les choses franchement ! Nous considérons, nous, que l’enseignement doit être libre et que cette liberté implique la possibilité pour les parents de choisir le mode d’instruction de leurs enfants. M. Vallaud, quant à lui, craint que des écoles privées hors contrat se développent selon une logique séparatiste. Discutons-en ! C’est vous qui réveillez ce débat en abordant cette question dans le projet de loi. Répondez-nous : quelle est votre conception de l’enseignement privé hors contrat ? A-t-il toute sa place dans notre système éducatif ?

M. Éric Coquerel. Madame la rapporteure, l’amendement qu’a défendu M. Corbière cet après-midi avait pour objet de permettre à l’éducation nationale de s’opposer à l’ouverture de certains établissements. Il n’a donc pas le même objet que celui que je viens de soutenir,qui vise à renforcer le contrôle de l’État sur les écoles hors contrat. Nous dénonçons leur existence mais, si elles sont autorisées, que l’on s’assure au moins qu’elles respectent l’intérêt supérieur de l’enfant.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Monsieur Breton, M. Peu a bien indiqué que son amendement était un amendement d’appel. Par ailleurs, nous avons déjà débattu des écoles hors contrat, notamment lors de l’examen de l’amendement de suppression ; je crois que nous avons été suffisamment clairs à ce sujet. Enfin, monsieur Coquerel, M. Corbière a évoqué tout à l’heure l’enseignement qui devrait être dispensé dans les écoles hors contrat, ce à quoi je lui ai répondu que nous ne pouvions avoir, vis-à-vis de ces établissements, les mêmes exigences en matière de programmes.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CS936 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Il s’agit de préciser que les principes de la République doivent être enseignés dans les établissements hors contrat. Nous savons que les quelques contrôles auxquels ils sont soumis ne sont pas suffisants. Or, ce sont ces établissements que, demain, les réseaux que nous voulons combattre investiront.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces principes figurent dans le socle commun de compétences, de connaissances et de culture que les établissements hors contrat doivent permettre à leurs élèves d’acquérir à l’issue de chaque cycle ; cet élément est contrôlé lors des inspections. Votre amendement est donc satisfait ; je vous propose de le retirer.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1207 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Il s’agit de compléter l’alinéa 14 – qui impose aux établissements hors contrat de communiquer à l’éducation nationale les noms des personnels ainsi que les pièces attestant de leur identité, de leur âge, de leur nationalité et, pour les enseignants, de leurs titres – par la phrase suivante : « Un fichier national recense l’ensemble des enseignants exerçant dans ces établissements. »

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Un fichier d’une telle ampleur – dont, au demeurant, nous ne connaissons pas la finalité – serait très difficile à gérer pour les établissements privés. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Géraldine Bannier. L’objectif de ce fichier serait de permettre un contrôle plus efficace des enseignants.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS994 de M. Xavier Breton et CS937 de M. François Pupponi.

M. Xavier Breton. Pour lutter de manière concrète contre les séparatismes, il paraît nécessaire que les responsables des établissements hors contrat puissent obtenir des autorités académiques qu’elles consultent le bulletin n° 2 (dit B2) du casier judiciaire des personnels qu’ils souhaitent recruter, ainsi que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS) et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT).

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’esprit de votre amendement, mais il est en partie satisfait : les FIJAIS et FIJAIT sont déjà consultés. Quant à la mesure relative à la consultation du B2, elle est de nature réglementaire. Avis défavorable.

M. François Pupponi. Lorsqu’une école hors contrat recrute un enseignant, aucun contrôle n’est effectué. Elle doit, une fois par an, envoyer la liste de ses enseignants, de sorte que le contrôle s’exerce éventuellement a posteriori. Or, il n’est pas question que, pendant plus d’un an, on confie nos enfants à un enseignant figurant sur un fichier relatif au terrorisme ou à la radicalisation. Je propose donc, par l’amendement CS937, qu’avant de recruter un enseignant, les responsables puissent saisir la préfecture pour qu’elle vérifie que celui-ci ne figure ni dans le FIJAIT, ni dans le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ni à la lettre S du fichier des personnes recherchées (FPR). Les responsables que nous avons auditionnés nous ont confirmé qu’ils ne pouvaient pas être informés de ces éléments lors d’un recrutement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cette demande a en effet été exprimée lors de l’audition des responsables de l’enseignement privé. Toutefois, le FSPRT est un fichier de renseignement et non un fichier de condamnations judiciaires. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. Un décret relatif à la consultation du B2 est en cours de rédaction.

M. François Pupponi. S’il est vrai que le contrôle ne s’effectue éventuellement qu’un an après le recrutement de l’enseignant, alors des personnes figurant sur l’un des fichiers de renseignement mentionnés ou condamnées pour terrorisme peuvent enseigner dans des écoles privées. Réagissons : n’attendons pas qu’un drame se produise ! Je rappelle qu’on ne peut pas être embauché dans un aéroport si l’on est inscrit dans l’un de ces fichiers.

M. Éric Diard. Au début de notre mission d’information, M. Poulliat et moi-même avons constaté que les personnels de l’administration pénitentiaire n’étaient pas soumis à un criblage par le service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), si bien qu’actuellement, une vingtaine de surveillants pénitentiaires sont inscrits au FSPRT. Depuis mars 2019, les choses ont changé. Mais les enseignants ne font toujours pas l’objet d’un tel criblage, ni les éducateurs, dont certains ont pourtant été envoyés sur des théâtres d’opérations. Il est urgent de remédier à cette situation.

J’ajoute que, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale, je suis parvenu à faire adopter un amendement qui vise à soumettre à un criblage les personnes chargées de la maintenance dans les transports publics.

M. Florent Boudié, rapporteur général. À notre connaissance, lorsqu’un établissement privé est créé, le FIJAIS et le FIJAIT sont consultés. Puis, chaque année, la liste de leurs personnels est transmise à l’autorité académique, qui a la possibilité d’avoir accès à ces fichiers. Nous allons donc chercher à savoir, d’ici à la séance publique, si cette consultation annuelle a lieu ou non et s’il est nécessaire de préciser le cadre dans lequel elle doit se faire.

La commission rejette l’amendement CS994.

Elle adopte l’amendement CS937.

Puis la commission est saisie de l’amendement CS91 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Nous proposons que les pièces figurant à l’alinéa 14 soient également communiquées aux maires, dans la mesure où il leur appartient de recenser les enfants de leur commune.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends la préoccupation des maires, mais ils n’ont pas, me semble-t-il, à connaître des informations relatives aux personnels des établissements d’enseignement privés ni à procéder aux vérifications qui s’imposent ; cela relève d’une prérogative de l’État. Par ailleurs, les personnels sont contrôlés par l’éducation nationale. Enfin, le rôle du maire est déjà important puisque la loi dite « Gatel » lui permet de s’opposer à l’ouverture d’un établissement. Défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CS260 de Mme AnneLaure Blin et CS307 de M. Xavier Breton.

Mme Anne-Laure Blin. En ce qu’ils peuvent donner lieu à une ingérence dans les activités éducatives françaises, les financements d’établissements scolaires par des organisations ou des États étrangers doivent être publics. Il convient donc de restreindre la communication des informations budgétaires et comptables aux cas où de tels financements existent.

M. Xavier Breton. Les contrôles doivent en effet cibler les situations qui présentent un risque de séparatisme, notamment celles qui concernent des fonds provenant de l’étranger.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vos amendements visent à restreindre la possibilité de demander des informations comptables et financières aux cas de suspicion de financements étrangers. En pratique, l’État demandera ces informations lorsqu’il aura des soupçons et non pour s’ingérer dans le fonctionnement des établissements. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle est saisie de l’amendement CS821 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il s’agit de s’assurer que les établissements hors contrat dispensent, non seulement des enseignements relatifs aux principes de la République, notamment la laïcité, mais transmettent également les informations relatives à l’éducation au corps et aux droits de l’enfant. Cette précision me paraît d’autant plus importante que, nous le savons, les inspections sont rares puisqu’elles ne sont obligatoires qu’au cours de la première et de la cinquième année suivant l’ouverture de l’école.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage votre intérêt pour cette question, mais les principes que vous mentionnez figurent dans le socle commun de compétences, de connaissances et de culture que les établissements hors contrat doivent permettre à leurs élèves d’acquérir à l’issue de chaque cycle, ce qui est contrôlé lors des inspections. Je vous demande donc de bien vouloir retirer l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1119 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Éric Coquerel. Cet amendement vise à mieux contrôler les écoles hors contrat. Nous proposons que ces dernières fassent obligatoirement l’objet d’un contrôle par an, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. Il en va aussi de l’égalité entre les territoires : il n’est pas acceptable que, dans certains départements des établissements hors contrat soient moins contrôlés faute de personnel disponible.

Dans un rapport publié en 2017, on apprend que, sur une centaine d’écoles hors contrat implantées dans l’académie de Versailles, seule une trentaine ont été contrôlées en trois ans et qu’aucune d’entre elles ne respecte le socle commun – les enseignements minimaux ne sont pas dispensés aux élèves. L’éducation physique et sportive, l’histoire, la géographie, les arts et les sciences sont réduites à leur portion congrue. Il est donc nécessaire de normaliser le nombre de contrôles auxquels ces établissements doivent être soumis.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous proposez un contrôle au moins annuel des écoles hors contrat. Pour ma part, j’estime qu’il faut laisser de la souplesse aux contrôleurs dans l’établissement de leur planning : il peut être nécessaire d’effectuer un ou plusieurs contrôles par an dans certains établissements, alors que d’autres écoles ayant déjà fait l’objet d’évaluations satisfaisantes peuvent être soumises à des contrôles plus espacés. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Coquerel. Je ne suis pas d’accord avec vous, madame la rapporteure. Si telle ou telle école hors contrat n’est pas contrôlée, ce n’est souvent pas du fait d’une décision du contrôleur qui estimerait que, d’après les informations dont il dispose, elle est « dans les clous », mais bien à cause d’un manque de personnel. Dès lors que la loi imposera au moins un contrôle par an, il faudra évidemment y consacrer les moyens humains adaptés. Les dérives constatées dans les écoles hors contrat sont beaucoup plus importantes que celles observées dans le cadre de l’instruction en famille, une pratique sur laquelle nous avons pourtant passé beaucoup de temps. Les écoles hors contrat posent des problèmes qui dépassent le seul séparatisme : il faudrait vraiment augmenter le nombre de contrôles dont elles font l’objet.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS458 de M. Frédéric Petit, CS1093 de M. Alexis Corbière et CS395 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Frédéric Petit. L’amendement CS458 vise à ce que les établissements hors contrat soient contrôlés tous les ans, et surtout que le premier contrôle ait lieu au cours de la première année suivant leur ouverture. Si nous n’adoptons pas ce genre d’amendement, il y aura un décalage entre ce que nous imposerons aux familles et ce que nous demandons à l’enseignement hors contrat – ce n’est pas logique. Nous avons ici l’occasion de faire baisser la pression qui s’exerce contre l’ensemble du texte et de montrer que nous nous attaquons vraiment à ce qui mérite d’être combattu.

M. Éric Coquerel. L’amendement CS1093 est quasiment le même que celui de M. Petit. Nous demandons qu’au sixième alinéa de l’article L. 442‑2 du code de l’éducation, les mots « de la première année » soient remplacés par les mots « des six premiers mois ». Lorsque des enfants sont scolarisés dans des conditions déplorables, que ce soit en termes sanitaires, de violences subies ou d’instruction, on ne peut tout de même pas attendre un an avant que l’établissement soit contrôlé ! Ce contrôle est d’autant plus important que plusieurs amendements visant à conditionner l’ouverture des établissements au respect d’un certain nombre de critères ont été rejetés tout à l’heure.

M. Jean-Baptiste Moreau. Défendu.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Comme je l’ai déjà dit lors de l’examen de l’amendement précédent, la loi prévoit un contrôle des écoles hors contrat au cours de leur première année d’existence. À l’issue de ce premier contrôle, il faut laisser le corps de contrôle décider de la pression qui sera exercée sur l’établissement ; celui-ci pourra faire l’objet de plusieurs contrôles par an ou, au contraire, de contrôles plus espacés, en fonction de ce qui aura été observé lors du premier contrôle. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1848 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS308 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il convient de laisser aux directeurs d’établissements privés hors contrat un délai raisonnable pour régulariser ce qui doit l’être. Nous proposons de fixer ce délai à trois mois. En cas de risque pour l’ordre public, la santé ou la sécurité physique ou morale des mineurs, ou de manquement de l’établissement à ses devoirs en matière de contrôle de l’obligation scolaire et de l’assiduité des élèves, un délai plus court pourrait être fixé. Le régime actuellement prévu par l’alinéa 18, qui prévoit que « l’une des autorités de l’État […] peut adresser au directeur ou au représentant légal d’un établissement une mise en demeure […] dans un délai qu’il détermine […] », laisse trop de latitude à l’autorité publique. Il est important de fixer a priori les règles du jeu, en tenant compte, encore une fois, de la gravité des situations.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Il faut laisser le préfet et le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN), qui connaissent la situation, décider de ce délai, qui peut être beaucoup plus restreint que trois mois si les insuffisances constatées sont très importantes.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1849 de la rapporteure.

Elle examine les amendements identiques CS262 de Mme Anne-Laure Blin et CS309 de M. Xavier Breton.

Mme Anne-Laure Blin. Si l’État doit avoir un droit de regard sur le fonctionnement des établissements hors contrat, les contrôles diligentés par l’éducation nationale ne doivent pas concourir à aligner les progressions des programmes, des supports et des méthodes scolaires mis en œuvre dans ces écoles sur les pratiques développées dans les établissements publics.

M. Xavier Breton. J’insiste sur la nécessité de concilier le droit à l’instruction des enfants avec la liberté d’enseignement des établissements scolaires, dont je rappelle qu’il s’agit d’une liberté de rang constitutionnel. Il convient de respecter la liberté de choix des progressions, des programmes, des supports et des méthodes scolaires relatifs à la spécificité des établissements privés hors contrat. Nous proposons de rappeler expressément ce principe à l’alinéa 20.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. D’une manière générale, l’État doit respecter la liberté de l’enseignement dont bénéficient les établissements privés hors contrat. Il n’est pas besoin d’alourdir la rédaction de l’alinéa 20 pour expliciter ce principe, mentionné à l’article L.442-3 du code de l’éducation, qui permet à ces établissements d’exercer leur liberté dans le choix des méthodes, des programmes et des supports. Les mises en demeure adressées par le préfet se fondent uniquement sur l’insuffisance des enseignements qui pourrait résulter d’un mauvais usage de cette liberté.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette ces amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1850 de la rapporteure.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, elle rejette l’amendement CS611 de Mme Florence Granjus.

Elle est saisie de l’amendement CS769 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Comme l’a dit cet après-midi notre collègue Charles de Courson, le juge des libertés doit intervenir à chaque fois qu’il est porté atteinte à une liberté. Substituer un régime de fermeture administrative d’un établissement à un régime de fermeture par le juge judiciaire ne nous semble ni utile ni prudent : ce serait donner trop de pouvoirs à l’administration, qui les exercerait de manière arbitraire et menacerait la liberté de l’enseignement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Nous avons déjà débattu de ce sujet important tout à l’heure, lors de l’examen des amendements de suppression de l’article 22. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS265 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 24. Comme vient de l’expliquer M. Breton, il n’est absolument pas prudent de substituer un régime de fermeture administrative à un régime de fermeture par le juge judiciaire. Aujourd’hui, l’administration peut vider une école en quinze jours, en mettant en demeure les parents des élèves scolarisés dans l’établissement mis en cause d’inscrire leurs enfants dans un autre établissement d’enseignement scolaire, dans les quinze jours suivant la notification qui leur en est faite. Ces enfants sont alors soustraits au danger que l’administration a identifié : le dispositif proposé à l’alinéa 24 n’est donc pas utile.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1851 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement prévoit l’information du maire de la commune sur le territoire de laquelle est implanté un établissement hors contrat en cas de fermeture administrative de ce dernier sur le fondement du non-respect d’une mise en demeure.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Favorable.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure, elle rejette l’amendement CS264 de Mme Anne-Laure Blin.

Elle examine l’amendement CS1852 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il s’agit d’informer le maire de la commune sur le territoire de laquelle est implanté un établissement hors contrat en cas de décision administrative de fermeture prise par le préfet sur le fondement d’un refus de contrôle.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est ce qui se pratique déjà. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS263 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Cet amendement reprend la même idée que mon amendement précédent. Cependant, madame la rapporteure, je ne comprends pas ce qu’apporte votre amendement CS1852, que la commission vient d’adopter.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Lorsque le préfet décide de fermer une école hors contrat, il faut qu’il en informe le maire de la commune concernée. C’est important, surtout si celui-ci doit organiser la rescolarisation des enfants.

Mme Anne-Laure Blin. Lorsque nous proposons des dispositions similaires, vous les repoussez !

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1853 de la rapporteure.

Elle adopte ensuite l’article 22 modifié.

Après l’article 22

L’amendement CS938 de M. François Pupponi est retiré.

La commission examine l’amendement CS939 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. L’article L. 911-5 du code de l’éducation dispose : « Sont incapables de diriger un établissement d’enseignement […] ceux qui ont été définitivement condamnés par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs […]. » Cela veut dire, a contrario, qu’une personne condamnée pour terrorisme peut diriger un établissement privé ce qui est quelque peu gênant ! Je propose donc d’ajouter, après les mots « condamnés par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs », les mots « ou pour crime ou délit terroriste mentionnés aux articles 4211 à 4216 du code pénal ». C’est quand même le minimum que l’on puisse faire !

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement est satisfait, car les crimes et délits contraires à la probité et aux bonnes mœurs incluent les crimes et délits terroristes. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Je ne voudrais pas contredire madame la rapporteure, d’autant que je n’ai pas regardé les choses précisément, mais si les crimes et délits terroristes ne sont pas compris dans les crimes et délits contraires à la probité et aux bonnes mœurs, peut-être pourrions-nous inclure à l’article L. 911-5 du code de l’éducation les individus inscrits au FIJAIT. Ce serait cohérent avec les dispositions du chapitre Ier relatives au service public. Si ces personnes ont été condamnées pour terrorisme, alors elles sont inscrites au FIJAIT !

M. le président François de Rugy. Logiquement, l’amendement est satisfait.

M. François Pupponi. Nous avons adopté aujourd’hui, contre l’avis du Gouvernement, un amendement empêchant les individus inscrits au FIJAIT d’être enseignants. Mais l’article L. 911-5 du code de l’éducation concerne les dirigeants des établissements scolaires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je rappelle que le FIJAIT ne recense pas seulement les personnes condamnées pour des crimes ou délits terroristes, mais aussi certains individus mis en examen pour ces motifs et certains auteurs d’apologie d’acte de terrorisme, dont les propos, pour affreux qu’ils soient, relèvent du délit d’opinion et non du code pénal. Il serait opportun d’appliquer ici des dispositions similaires à celles que nous avons adoptées pour la fonction publique et que nous pourrions étendre demain à d’autres domaines.

M. Florent Boudié, rapporteur général. On ne peut pas rédiger de telles dispositions dans l’urgence.

M. François Pupponi. Je pourrais rectifier mon amendement. Dans sa rédaction actuelle, il concerne les personnes condamnées pour crime ou délit terroriste, mais si le champ du FIJAIT est plus large… Pour ne pas rendre les choses plus difficiles, je vais être gentil : je retire mon amendement.

M. le président François de Rugy. Nous devons réaliser un travail législatif sérieux… (Exclamations.) Tout le monde voit bien qu’on est dans le flou !

M. François Pupponi. C’est le Gouvernement qui a mis le doigt sur un vrai problème !

M. le président François de Rugy. Je vous invite à réfléchir à une rédaction claire en vue de la séance publique. C’est tout l’intérêt de nos réunions de commission que de soulever de vrais sujets afin d’effectuer un travail législatif complet.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS942 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Monsieur le ministre de l’intérieur, j’ai rédigé l’amendement dont vous rêviez : il vise à ajouter dans le champ de l’article L. 911-5 du code de l’éducation les individus inscrits au FSPRT.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons déjà évoqué ces sujets lors de l’examen de l’article 1er.

Le FIJAIT est un fichier judiciaire : il recense des individus condamnés pour terrorisme ou mis en examen pour ce motif, lorsqu’un juge a ordonné l’inscription de la décision dans le fichier. Avec le rapporteur général, nous avons fait le choix d’interdire à ces personnes d’accéder aux emplois publics et à certaines fonctions comme celle de membre du conseil d’administration d’un lieu de culte.

Quant au FSPRT, il s’agit d’un fichier de signalement, d’un fichier de renseignement. Nous ne pouvons pas accepter votre amendement, pour la bonne et simple raison que les individus qui figurent dans ce fichier ne sont pas des personnes condamnées. Certains n’ont pas été jugés responsables d’actes terroristes mais sont soupçonnés de l’être ou sont en contact avec des personnes elles-mêmes soupçonnées de l’être. Le principe d’un fichier de renseignement, c’est que les individus qui y figurent n’en sont pas informés : nous pouvons ainsi les suivre ou les écouter en toute discrétion.

Enfin, il y a un doute sur le fait que toutes les personnes inscrites au FIJAIT peuvent être considérées comme condamnées pour crime ou délit contraire à la probité et aux bonnes mœurs. Si tel n’est pas le cas, il faudra compléter l’article L. 911-5 du code de l’éducation – je le dis en vue de la séance publique.

M. François Pupponi. J’avais anticipé l’explication du ministre : j’ai déposé un amendement CS940 portant sur le FIJAIT.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS940 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Il s’agit d’inclure dans le champ de l’article L. 9115 du code de l’éducation les personnes inscrites au FIJAIT.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je l’ai indiqué tout à l’heure, cette mention ne paraît pas nécessaire dans la mesure où nul ne peut diriger ou être employé dans un établissement d’enseignement s’il a été condamné pour des crimes ou délits contraires à la probité ou aux bonnes mœurs – une notion qui semble inclure les crimes et délits terroristes. Je propose que nous vérifiions ce point.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je propose que nous travaillions sur ce sujet d’ici à la séance publique afin de lever toute ambiguïté.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous recevons des informations contradictoires. Je préfère que nous restions prudents et que nous examinions le droit existant ; lorsque nous serons éclairés, nous pourrons modifier la loi, le cas échéant, dans le sens que propose M. Pupponi.

M. François Pupponi. Lorsque nous avons auditionné les ministres, j’ai posé cette question. Il m’a été répondu que les personnes condamnées pour des crimes et délits contraires à la probité ou aux bonnes mœurs incluaient les personnes condamnées pour terrorisme. J’ai alors répliqué qu’une jurisprudence de la Cour de cassation me faisait penser le contraire. Les services du ministère ont eu tout loisir de vérifier mes dires. Si j’ai accepté de retirer mes amendements précédents, je ne peux que maintenir cet amendement CS940, qui concerne le FIJAIT et va dans le même sens que les explications du ministre de l’intérieur. Je suis cohérent avec le ministre de l’intérieur et je partage son avis.

La commission adopte l’amendement.

L’amendement CS941 de M. François Pupponi est retiré.

La commission examine l’amendement CS995 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Je m’étonne de l’improvisation à laquelle nous venons d’assister dans la rédaction du texte, s’agissant de sujets aussi importants. Vous votez des mesures pour empêcher les établissements privés hors contrat de fonctionner normalement, mais lorsqu’il s’agit d’atteindre les véritables objectifs de ce projet de loi, vous ne proposez aucune mesure opérationnelle. Je remercie M. Pupponi d’avoir formulé des propositions.

L’amendement CS995 vise à adapter aux besoins actuels les conditions requises pour diriger un établissement hors contrat.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, dite « loi Gatel », soumet les personnes désireuses de diriger un établissement privé hors contrat à une obligation d’exercice préalable dans un établissement scolaire pendant cinq ans. Si elle constitue une contrainte pour un certain nombre de personnes, cette condition garantit surtout la compétence des chefs d’établissement dans le domaine éducatif. La « loi Gatel » a été adoptée récemment : je propose donc de lui laisser le temps d’être mise en œuvre avant de la modifier. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Frédéric Petit. Je comprends, madame la rapporteure, votre souci de laisser vivre la « loi Gatel ». Elle présente cependant quelques faiblesses. Lors des auditions que nous avons menées, nous avons entendu le témoignage d’une personne empêchée de diriger un établissement hors contrat alors qu’elle avait exercé un métier dans le domaine de l’éducation, avec de très fortes responsabilités. Je pense aussi aux personnes ayant travaillé auprès de la jeunesse, par exemple dans un centre de documentation, ou ayant dirigé pendant quinze ans un centre social. Leur expérience devrait être prise en compte : il conviendrait donc de modifier cette obligation introduite par la « loi Gatel », qui altère peut-être la qualité de certains établissements hors contrat au moment de leur ouverture. Je ne voterai pas l’amendement de M. Breton, dont la rédaction est trop large, mais si la « loi Gatel » est efficace, les auditions que nous avons conduites nous ont donné des exemples assez frappants de sa trop grande rigidité sur certains points.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS996 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Les personnes qui ne réunissent pas toutes les conditions pour enseigner ou diriger un établissement hors contrat peuvent demander une dérogation. Cependant, l’article L. 914-4 du code de l’éducation dispose que le recteur « peut accorder » une telle autorisation ; on peut craindre qu’il ne considère, alors, qu’il a le choix de faire droit ou non à cette demande. Si les conditions exigées pour demander une dérogation sont réunies, il est impératif que celle-ci soit accordée par le recteur ; dans le cas contraire, la liberté d’appréciation laissée à ce dernier serait source d’insécurité juridique et présenterait un risque d’arbitraire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’octroi de dérogations aux conditions fixées pour diriger ou exercer dans un établissement public ou privé doit rester une faculté et non une obligation. Ce ne sont pas les dérogations elles-mêmes qui sont fixées par le décret, mais les modalités dans lesquelles la dérogation peut être accordée. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1090 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous souhaitons que le projet de loi proscrive de manière très claire tout financement public, direct ou indirect, pour la création ou les besoins de fonctionnement des établissements hors contrat. Autrement dit, ces établissements doivent être financés exclusivement par des fonds privés. Or, aujourd’hui, ils peuvent bénéficier de fonds publics, sous différentes formes – subventions des collectivités territoriales, parfois via des participations d’associations recevant elles-mêmes des subventions publiques, ventilation de subventions reçues directement de l’État par des établissements à statut multiple.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le financement public des établissements hors contrat est déjà très encadré. Il est interdit s’agissant des écoles du premier degré et limité à un certain pourcentage des dépenses de fonctionnement pour les établissements du second degré. Votre amendement mettrait fin à cette possibilité, qui est ancienne et qui présente, surtout, un intérêt pour les élèves. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Coquerel. Je ne comprends pas très bien cette réponse. Nous avons adopté l’article 21, dont l’objectif est de transférer vers l’école de nombreux enfants faisant actuellement l’objet d’une instruction en famille. Je suppose que vous ne souhaitez pas que ces enfants soient scolarisés dans une école hors contrat – je pense notamment aux enfants instruits en famille du fait des croyances religieuses ou des opinions philosophiques de leurs parents, qui seraient tout à fait enclins à se tourner vers les établissements hors contrat. Pourquoi refusez-vous des amendements visant à pénaliser davantage ce type d’établissements et à les empêcher d’apparaître comme une alternative ? Je ne vois pas en quoi l’interdiction du financement des écoles hors contrat par des fonds publics n’irait pas dans le sens du bien de l’enfant.

La commission rejette l’amendement.

Article 23 : Augmentation des sanctions à l’encontre des chefs d’établissements d’enseignement privés hors contrat méconnaissant différentes mises en demeure

La commission est saisie des amendements de suppression CS998 de M. Xavier Breton et CS1422 de Mme Anne-Laure Blin.

M. Xavier Breton. L’article modifie l’article 227-17-1 du code pénal afin de pouvoir sanctionner beaucoup plus facilement et sévèrement les directeurs d’établissements hors contrat. Or si, dans certaines situations, il faut naturellement faire preuve de sévérité, il convient que les mesures soient justifiées et proportionnées, ce qui n’est pas le cas ici.

Mme Anne-Laure Blin. Actuellement, le fait, pour un directeur d’établissement hors contrat, de ne pas prendre, malgré la mise en demeure de l’autorité de l’État compétente en matière d’éducation, les dispositions nécessaires pour que l’enseignement dispensé dans son école soit conforme à l’objet de l’instruction obligatoire est puni de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. C’est un cumul de faits qui expose à ces deux sanctions. L’article punit beaucoup plus sévèrement ces directeurs : c’est disproportionné.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’article 23 prévoit des peines de nature à dissuader quiconque de ne pas respecter les mises en demeure et les décisions administratives prises par l’État sur le fondement des mesures introduites par l’article 22. Il aligne également les peines encourues sur celles prévues par l’article 22, notamment pour ouverture d’un établissement sans autorisation.

Il s’agit de sanctionner le non-respect des mises en demeure adressées par le préfet ou par l’autorité académique, mais également celui des mesures de fermeture administrative. En effet, le renforcement des contrôles doit s’accompagner d’un renforcement des sanctions pour être opérationnel. C’est tout l’enjeu des articles 22 et 23.

Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis très surpris de ces amendements de suppression venant du groupe Les Républicains : comme ceux visant l’article 22, ils sont en totale contradiction avec la volonté que vous affichez, la même que la nôtre – fermer les établissements hors contrat qui ne respectent pas les valeurs de la République.

Il se joue actuellement un jeu du chat et de la souris qui nécessite que nous légiférions. La procédure judiciaire est longue, l’injonction de rescolarisation n’est pas toujours respectée, des directeurs recréent rapidement voire immédiatement l’établissement sous un autre nom et à une autre adresse. Ce jeu peut prendre bien des formes, à l’initiative de groupes qui se consacrent à cette question et ont donc acquis une certaine expertise en la matière.

Nous créons les moyens juridiques de sanctions plus lourdes pour ceux qui s’y adonnent. Cela devrait recueillir votre assentiment. À part votre volonté systématique de supprimer chaque article du projet de loi, je ne vois pas ce qui motive votre demande quant au fond.

Avis profondément défavorable.

Mme Anne-Laure Blin. Ce qui nous motive, c’est, comme nous vous l’expliquons depuis le début, le caractère général de vos dispositifs. Vous aviez annoncé vouloir vous attaquer à l’islam radical et au séparatisme, mais, en réalité, vous ciblez l’ensemble des écoles hors contrat et vous portez ainsi atteinte à la liberté d’enseignement.

M. Xavier Breton. Monsieur le ministre, nous ne déposons pas des amendements de suppression à chaque article, seulement à ceux qui sont privatifs de liberté et qui vont entraîner des dégâts collatéraux. Ceux-ci sont, je crois, volontaires : ce sont les parents qui instruisent leurs enfants à domicile et les établissements privés hors contrat qui sont dans le collimateur. Vous profitez de ce texte pour imposer des mesures qui étaient dans les tuyaux depuis longtemps. C’est contre cela que nous nous élevons, et nous continuerons de le faire.

La commission rejette ces amendements.

Elle en vient à l’amendement CS771 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il convient que les sanctions pénales prévues ciblent bien ce que vise la loi : les seuls cas où l’ordre public et la sécurité des enfants sont en danger, ou encore où le directeur s’oppose aux contrôles de l’administration. Voilà des critères objectifs, et non généraux, afin d’éviter l’arbitraire.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

La commission aborde alors l’amendement CS997 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Au départ, comme le dit l’exposé des motifs, le texte a pour but la lutte contre l’entrisme communautariste et contre les idéologies séparatistes. Il ne porte pas sur l’éducation, sur l’instruction en famille ni sur les établissements privés hors contrat. Les mesures répressives ici prévues sont-elles bien conformes à cet objectif ou en visent-elles un autre – ce serait la face cachée du texte ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Coquerel. Cela a déjà été dit au sujet de l’instruction en famille : on s’aperçoit que le projet de loi ne vise pas la cible annoncée. Pourquoi cela suscite-t-il tout à coup des réactions ? En réalité, un tiers des écoles hors contrat sont confessionnelles et, parmi elles, 17 % seulement sont musulmanes. Nos collègues réalisent ainsi qu’en voulant légiférer sur les écoles hors contrat, on met en évidence ce qu’a de fantasmatique l’influence de l’intégrisme religieux au sein de ces établissements – à moins d’admettre que cet intégrisme est très divers et pluraliste… La plupart des écoles hors contrat, dont nous dénonçons régulièrement le contenu de l’enseignement, sont en effet chrétiennes. Voilà ce qui gêne nos collègues.

Mme Emmanuelle Ménard. En effet, un certain nombre d’écoles hors contrat posent problème, et personne ne le conteste. Mais je voudrais rappeler à M. Coquerel que c’est l’islamisme qui tue en France : jusqu’à preuve du contraire, les écoles catholiques hors contrat n’ont jamais fourni de terroriste qui égorge les professeurs dans la rue !

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS612 de Mme Florence Granjus.

Mme Florence Granjus. Aux termes de cet amendement, des chefs d’établissement qui ne se plieraient pas aux mises en demeure qui leur sont adressées encourraient, puisque cela constitue un manquement particulièrement grave, des sanctions deux fois plus élevées que celles prévues par le texte actuel, afin d’en assurer l’effet dissuasif.

Vous parlez de jeu du chat et de la souris, monsieur le ministre, mais, parfois, le contrôle par l’État est défaillant, et le chat ne passe pas souvent…

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cette mesure serait disproportionnée et contraire à l’exigence de gradation des peines en fonction de la gravité des délits. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS770 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il tend à supprimer la seconde phrase de l’alinéa 2.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS1854 de la rapporteure.

Elle examine alors l’amendement CS772 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de faire en sorte que la sanction ne soit pas disproportionnée, pour éviter un effet contre-productif.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 23 modifié.

Après l’article 23

La commission aborde l’amendement CS776 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Cet amendement constructif tend à permettre au médiateur de l’éducation nationale d’établir des relations avec les familles dont les enfants fréquentent une école hors contrat et avec celles pratiquant l’instruction à domicile, pour resserrer les liens entre ces familles et l’éducation nationale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le médiateur de l’éducation nationale, dont on parle peu, représente un recours pour les familles et pour les enfants scolarisés. En pratique, les familles dont vous parlez peuvent déjà établir un lien avec lui, notamment en cas de réclamation. L’amendement est donc satisfait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. En effet, le médiateur s’occupe déjà des relations avec le privé. Avis défavorable. Mais je vous remercie de nous donner l’occasion de signaler le rôle important que le médiateur joue désormais, à l’échelle académique comme nationale, dans notre système éducatif – et qu’il jouera certainement dans la mise en œuvre de la présente loi.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS868 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Cet amendement, qui nous a été suggéré, lors des auditions, par le directeur d’une école hors contrat, vise à proposer aux établissements hors contrat une charte des valeurs et principes républicains. Ce serait une version de la charte de la laïcité qui s’applique dans les établissements publics et qui serait adaptée aux établissements sous contrat sous le forme de charte d’éthique républicaine. Le directeur que nous avons auditionné a souligné que la plupart des écoles hors contrat adhèrent aux principes républicains ; la mesure que nous défendons serait ainsi un moyen de séparer le bon grain de l’ivraie et de mettre en valeur ces établissements vertueux.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Merci de cet amendement. Avis favorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. L’amendement est en partie satisfait, puisque l’enseignement du socle commun de connaissances et de compétences inclut les valeurs et principes républicains, mais il a le mérite d’être plus explicite et d’aller un peu plus loin. Avis favorable.

Mme Anne-Laure Blin. Je suis intriguée que l’on suggère régulièrement que les écoles hors contrat ne respecteraient pas les valeurs et principes républicains. Le texte n’encadre que le hors contrat et l’instruction à domicile : il ne parle pas des établissements publics. Je vous ai entendu, monsieur le ministre : il n’y a ni islam radical ni séparatisme dans les écoles publiques. Pour ma part, j’avais proposé des amendements relatifs au respect de ces principes et de ces valeurs au sein de l’école publique, car on constate des difficultés à en imprégner celle-ci. Or ils ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45. On va pouvoir imposer aux établissements hors contrat une charte des valeurs et principes républicains, mais on ne fait absolument rien au sein de l’école publique !

M. Xavier Breton. En effet, l’amendement en discussion est très révélateur. Ceux qui vivent en République n’ont pas nécessairement à lui prêter allégeance : ils sont seulement tenus de ne rien faire qui soit contraire à ses lois. Ici, selon la même logique que celle qui préside au contrat d’engagement républicain avec les associations, la République impose ses principes du haut vers le bas à défaut de les définir et de les faire vivre concrètement.

On est pourtant fondé à demander, comme madame Anne-Laure Blin, comment ces principes sont appliqués au sein de l’école publique, où l’islamisme radical est beaucoup plus présent qu’ailleurs. Mais, à ce sujet, rien n’est fait : tous nos amendements visant à lutter contre l’islamisme radical à l’école publique ont été déclarés irrecevables, sans exception.

On voit bien que le but poursuivi n’a rien à voir avec la lutte contre le séparatisme. Vous voulez imposer votre vision de la République – de haut en bas, selon un système d’allégeance et de tutelle. Pour nous, la République est un état d’esprit partagé. Aucun soupçon à cet égard ne devrait viser telle ou telle catégorie de population. On peut faire vivre l’idéal républicain par des initiatives communes, non par des chartes imposées d’en haut.

M. le président François de Rugy. Inutile de répéter les mêmes propos sur l’irrecevabilité, comme si elle vous visait délibérément : elle vient en l’occurrence du fait que le projet de loi ne compte pas d’article sur l’éducation nationale ni sur l’organisation de l’école publique, mais seulement des articles sur les établissements d’enseignement privés sous contrat, hors contrat et sur l’instruction en famille.

Monsieur le ministre vous répondra à propos de tout ce qui est fait au sein de l’éducation nationale pour lutter contre le communautarisme et le séparatisme.

M. Diard veut, je crois, apporter une nuance aux propos tenus par les membres de son groupe.

M. Éric Diard. Les nuances ont été apportées de toutes parts au sujet de l’article 21. Je veux simplement rappeler que c’est par le biais des établissements hors contrat et de l’instruction à domicile que la radicalisation s’est développée – je pourrai citer les chiffres concernant certains départements. Puisque la plupart des établissements hors contrat ne sont pas séparatistes, la charte ici proposée permettra de signaler les brebis galeuses. Pourquoi, si les associations sportives doivent s’engager à respecter les valeurs de la République, les établissements hors contrat en seraient-ils dispensés ?

M. Thomas Rudigoz. Sans vouloir polémiquer, je ne peux pas ne pas réagir quand j’entends certains collègues de la droite républicaine nous donner de telles leçons. Je veux bien que vous soyez de grands défenseurs de l’école publique, que vous avez certainement fréquentée et où vous avez assurément envoyé vos enfants… Pour ma part, pur produit de l’école publique, je ne peux vous laisser dire que rien n’y est fait pour défendre nos valeurs républicaines, citoyennes et laïques. Vous qui n’avez cessé de promouvoir l’instruction en famille, vous nous donnez des leçons sur l’école publique et laïque ? Si le professeur Paty a été assassiné de la sorte, c’est bien parce que la République avait instauré dans nos écoles publiques des dispositifs destinés à lutter contre l’extrémisme radical islamique. On peut certainement mieux faire, mais voilà longtemps que la République agit en ce domaine.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Les principes républicains sont évidemment affichés au sein de l’école publique – je vous renvoie à la charte de la laïcité. Je ne reprendrai pas toutes les mesures adoptées depuis trois ans à ce sujet, dont la création du conseil des sages de la laïcité et celle des équipes dites « Valeurs de la République », qui interviennent directement dans les établissements.

Les obligations auxquelles il est ici proposé de soumettre les établissements hors contrat restent très en deçà de celles qui s’imposent aux écoles publiques en la matière. Il est totalement absurde de dire le contraire. Certains directeurs d’établissements hors contrat demandent d’ailleurs plus de contrôles et d’obligations de ce type, car ils se sentent très à l’aise avec les principes de la République : ce genre de règles ne gêne que ceux qui ne respectent pas ces derniers. Seules les institutions problématiques sont visées. Il est absolument aberrant d’avoir pour ligne de défense l’idée que nous ne ferions rien à l’école publique. Je pourrai vous dresser le bilan de l’action conduite en la matière. Vous ne cessez de le répéter depuis ce matin ; je le redis, c’est totalement absurde.

Je l’ai dit – mais vous n’étiez peut-être pas là –, nous devons considérer quatre enjeux : premièrement, le repérage des élèves ; deuxièmement, l’ouverture d’établissements hors contrat – c’est la loi dite « Gatel » ; troisièmement, la fermeture d’établissements hors contrat – ce sont les dispositions que nous examinons ici ; enfin, l’instruction en famille – c’était l’article 21, qui nous a longuement occupés.

Depuis ses fondements, l’école de la République a défini des principes ; en pratique, depuis trois ans, des actions de nature infralégislative sont menées, qui sont bien connues et sur lesquelles nous pourrions revenir – mais certainement pas ce soir.

La commission adopte l’amendement CS868.

Elle aborde ensuite l’amendement CS775 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. « Si on n’a rien à se reprocher… » : ce genre de déclaration est insupportable. Pourquoi ne pas imposer une charte des principes républicains dans l’appartement de chacun de nos concitoyens, en commençant par ceux qui pratiquent l’instruction à domicile ? Dans la salle à manger, et pourquoi pas dans la chambre à coucher, pendant qu’on y est ? Une telle ingérence de l’État dans la société suscite de très fortes résistances, qui s’expriment de plus en plus. C’est ce qui a donné lieu au mouvement des « gilets jaunes ». Je n’excuse pas les violences qu’elles entraînent ; j’explique ce à quoi ces mouvements réagissent. Arrêtez d’embêter les gens, les familles, ceux qui prennent des initiatives !

Vous imposez la République alors qu’elle doit être partagée. Vous vous heurterez à des résistances, comme toujours quand on impose quelque chose de vide. Le rapporteur général a souhaité tout à l’heure que l’on définisse le séparatisme : nous sommes en train d’élaborer un texte portant sur une notion dont on ne connaît pas le sens ! Et voilà que reviennent toutes les vieilles lubies de contrôle de l’enseignement extérieur à l’éducation nationale, comme les contrôles fiscaux des associations – tout était dans les tuyaux de l’administration centrale ! En revanche, peu de mesures efficaces sont prises pour lutter contre la cible. Je le répète, cela suscite des réactions de fond, qui vont être de plus en plus nombreuses.

Aux termes de notre amendement, un représentant des parents d’élèves de l’école hors contrat et un représentant des parents d’élèves de l’instruction à domicile sont désignés par le ministre chargé de l’éducation, sur proposition des associations de parents d’élèves, pour siéger au Conseil supérieur de l’éducation, de façon à favoriser le partenariat entre l’éducation nationale et toutes les autres formes d’enseignement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Pour désigner des représentants de parents d’élèves, il faut les élire au sein d’un collectif. Je vous répondrai donc ce que je disais aux parents d’élèves indépendants lorsque j’étais adjointe au maire chargée de l’éducation : pour avoir un représentant, il faut se fédérer. Dès lors, votre amendement paraît difficilement applicable. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Monsieur le ministre, que vous attachiez une telle importance à l’affichage de chartes dans les établissements publics, soit ; mais ne partagez-vous pas le diagnostic d’un problème au sein de l’école publique ? Hier – j’assiste aux débats depuis leur début, contrairement à ce que vous avez dit –, nous avons examiné des dispositions qui trouvent leur origine dans l’assassinat de Samuel Paty, qui enseignait à l’école publique. Pourquoi n’y avait-il eu aucune nouvelle mesure depuis celles que vous invoquez ? Sauf erreur, on a observé un certain nombre de violations de la minute de silence faisant suite à l’attentat contre Samuel Paty, et de violations des valeurs et principes républicains à l’école publique. Pourquoi ne pas résoudre ces problèmes ?

Par ailleurs, des terroristes ont été formés à l’école de la République, et non dans des établissements hors contrat. On le sait, et vous avez certainement des éléments à ce sujet. C’est là qu’est le mal ; il faut y remédier. C’est l’objet du texte, me semble-t-il ! Vous ne pouvez pas dire que nous sommes hors sujet !

M. le président François de Rugy. Madame la députée, je vous rappelle que vous n’aviez qu’une minute de temps de parole pour répondre à la commission et au Gouvernement.

M. Guillaume Vuilletet. Le rôle de la loi est de permettre à ceux qui la respectent de vivre bien, et de contraindre et punir ceux qui sont « en dehors des clous ». Il est donc légitime de dire que les mesures que nous prenons ne poseront problème qu’à ceux qui se soustraient au schéma républicain.

M. Xavier Breton. C’est une logique totalitaire !

M. Guillaume Vuilletet. Vous parlez de logique totalitaire ? À propos du fait de demander aux gens de respecter la loi ? Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette définition… Je ne vois pas dans l’école publique de système, d’enseignant, d’administration qui transgresse les principes républicains. Que le respect des principes républicains pose problème à une partie de la population qui vit dans certains quartiers, bien sûr : c’est ce qui justifie le projet de loi. Mais le texte traite des environnements où ces phénomènes apparaissent, non de ceux où l’école publique fait son travail. Il faut protéger les fonctionnaires ; nous l’avons fait au début du titre Ier. Ici, il s’agit de demander aux établissements hors contrat de respecter les principes républicains ; ceux qui posent problème se trahiront en refusant de le faire.

M. Stéphane Peu. Les propos de Mme Blin m’ont profondément heurté. L’école publique, parce qu’elle accueille tout le monde, parce qu’elle est fidèle à des principes, par son histoire qui se transmet de génération en génération, est le principal rempart contre le séparatisme et contre les tentatives de l’islam politique. Ce n’est pas par hasard si ce sont ses professeurs qui sont visés, accusés, tués !

Votre haine de l’enseignement public est insupportable. Je connais des écoles privées catholiques – je peux vous en citer le nom – qui envoient des représentants rencontrer les communautés musulmanes au pied des mosquées pour leur dire : « Venez chez nous, chez nous il n’y a pas de mécréants, et si vous voulez, vous pourrez porter le voile ! » Cela témoigne d’une convergence des séparatismes contre la République. Dites ce que vous voulez sur les écoles hors contrat, défendez-les, mais n’attaquez pas l’école publique, qui est, je le répète, le principal rempart contre le séparatisme dans notre pays.

M. Gérald Darmanin, ministre. Voilà un moment que j’ai envie de répondre à M. Breton et à Mme Blin.

De deux choses l’une. Première hypothèse : ils croient sincèrement à ce qu’ils disent. Je connais peu Mme Blin, mais je connais bien M. Breton ; j’ai eu la chance de siéger avec lui et je sais que c’est un homme sincère. Dans ce cas, je suis désolé de constater, monsieur le député, que vous n’êtes manifestement pas convaincus que ce projet de loi nous donne des armes puissantes pour lutter contre les séparatismes, et singulièrement contre le séparatisme islamiste. Je vais m’employer à vous convaincre.

Il y a des problèmes, dans les transports en commun et les piscines – les magazines regorgent d’articles à ce sujet –, de communautarisation, d’organisation parallèle, de femmes refusant de serrer la main aux hommes ou le contraire : l’article 1er étend comme jamais le champ d’application du principe de neutralité. Certains élus présentent des listes communautaires, d’autres concluent des accommodements plus que déraisonnables : l’article 2 permet à la République de reprendre la main. Il y a des problèmes, sur internet, de haine en ligne, notamment sur des sites miroirs qui réapparaissent : les débats que vous avez eus hier soir avec Cédric O vous ont démontré à quel point la loi de la République va au-delà du règlement européen, qui n’est même pas achevé, se méfiant aussi des puissances d’argent, comme diraient certains, au premier rang desquels les entreprises dites « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Des fonctionnaires sont attaqués : madame Blin, permettez-moi de vous rappeler que nous avons passé une soirée de débats à élaborer les articles 4 et 18, visant à lutter contre les pressions et les intimidations dont ils sont victimes. Vous y étiez, je ne vous ferai donc pas l’offense de lire les articles que vous avez votés, si tant est que vous les ayez votés. Je constate que les articles sont tous quasiment votés à l’unanimité, avec quelques abstentions, que M. le président prend soin de mentionner. Vous n’avez donc pas voté contre.

Mme Anne-Laure Blin. Je n’ai pas voté pour !

M. Gérald Darmanin, ministre. Si vous n’avez pas voté contre ces articles, c’est qu’ils ne sont pas si terribles que cela ! Ou alors voter n’a plus de sens…

Nous allons donc disposer désormais des armes adéquates. Nous avons créé deux délits, l’un visant à lutter contre les pressions exercées sur les agents du service public et contre le séparatisme, sanctionné par une reconduite à la frontière le cas échéant, l’autre visant à assurer la protection des agents publics, enseignants compris.

Il y a des difficultés, depuis toujours, nées du financement des cultes depuis l’étranger. Nous constaterons tout à l’heure ou demain que la République, pour la première fois, connaîtra tous les financements et pourra s’y opposer. Il y a des difficultés, ça et là, en raison de « médecines » parallèles dédiées à l’établissement de certificats de virginité, ainsi que du fait de situations de polygamie et de mariages forcés : la République prend comme jamais – on nous le reproche parfois – des mesures d’autorité.

Nous avons également pris des dispositions s’agissant de la vie associative. Je pourrais ainsi énumérer, une par une, les dispositions du projet de loi. Pour une fois, nous aurons énormément de moyens pour lutter contre les phénomènes que vous déplorez. Sans faire le procès des précédents gouvernements, il se trouve que c’est le nôtre qui prend ces mesures, que nous devrions tous soutenir. Je ne dis pas pour autant que rien n’avait été fait avant. Ainsi, madame Blin, monsieur Breton, si vraiment vous êtes sincères, j’espère que la lecture du compte rendu de nos débats, ainsi que nos discussions ultérieures, vous démontreront que nous prenons des mesures sans précédent, assorties d’actes forts.

Seconde hypothèse, plus complexe : vous ne croyez pas à ce que vous dites et cherchez des prétextes pour ne pas voter le texte. M. Breton, qui souscrit aux philosophies d’inspiration libérale, considère que l’État intervient trop et que nous aurions dû prendre des mesures spécifiques contre une religion en particulier, et non contre toutes. C’est un débat politique, que je respecte, mais telle n’est pas notre conception des choses. L’État, c’est bien ! L’école, c’est bien ! La République, c’est bien ! Il est normal – et heureux ! – que l’État intervienne. Au demeurant, il ne vous aura pas échappé, monsieur Breton, que les courants libertariens ne sont pas majoritaires dans notre pays, ni économiquement ni politiquement. Nos positions politiques peuvent être différentes ; dans ce cas, assumez-le.

Madame Blin, il me semble que vous cherchez des prétextes politiques pour ne pas voter le texte. Si vous aviez été maire – pardonnez-moi de vous le dire ainsi –, vous sauriez que les établissements d’enseignement privés hors contrat sont très difficiles à gérer, quelle que soit la couleur politique du maire. Curieusement, vous ne citez pas les communiqués de l’Association des maires de France (AMF), que les membres de votre groupe citent, par ailleurs, matin, midi et soir. M. Baroin, M. Laignel, M. Platret, M. Lisnard passent leur temps à nous dire qu’il faut leur donner la possibilité de prendre des mesures. Chaque maire sait très bien qu’il ne peut pas entrer à sa guise dans un établissement d’enseignement privé hors contrat. Il arrive qu’il ne sache même pas qu’un tel établissement a été ouvert dans sa commune, qu’il découvre, après coup, qu’il a été ouvert pour un autre motif. Monsieur Coquerel, des petites filles de trois ans se retrouvent dans des locaux sans fenêtre. Lorsque la moitié des parents d’un établissement déclarent officiellement leurs enfants comme étant instruits en famille, c’est un drame pour la République ! Seuls 17 % des établissements d’enseignement privés hors contrat à vocation confessionnelle s’inscrivent dans le cadre de la religion musulmane, avez-vous rappelé. Certes, mais leur croissance est exponentielle, d’une part, et, d’autre part, pas une école où l’on enferme des petites filles ou des petits garçons ne peut être tolérée. Je sais bien que tel est votre avis ; mon propos est de démontrer à quel point les dispositions que nous adoptons sont importantes. Il ne s’agit pas d’une fantasmagorie des services. Au demeurant, vous le savez très bien ; vous êtes en contact avec les agents de la préfecture de votre département et voyez très bien de quoi je parle.

Lutter contre de tels établissements est une action forte. Bien entendu, tous les établissements privés hors contrat ne correspondent pas à cette description, mais on ne peut que constater que certains sont ouverts clandestinement et travaillent bizarrement, avec des financements bizarres. Il va de soi qu’il faut réguler leur fonctionnement. Il ne s’agit pas d’insulter quiconque, mais d’assurer la protection de l’enfance. Permettez-moi de faire également observer que ce n’est pas seulement une question de religion ; nous luttons aussi contre les dérives sectaires, et plus généralement contre ceux qui ne sont pas capables d’offrir à nos enfants un projet pédagogique ni de garantir leur sécurité.

Pour vous le dire franchement, madame Blin, si vous cherchez une excuse pour ne pas voter le texte, parce que vous êtes membre du groupe Les Républicains, dites-le-nous ! Vous nous accusez à longueur de journée d’être naïfs ou trop laxistes, et, dès que nous prenons des mesures, soit nous sommes trop autoritaires, soit nous n’allons pas assez loin. Dites que vous ne voulez pas voter le texte, cela ira plus vite ! Je comprends les nuances exprimées par M. Breton ; il y a cinquante nuances de Républicains, nous l’avons bien compris. (Sourires.) Entre M. Ciotti, qui veut tout régenter et tout interdire – je caricature à peine – en matière d’IEF et Mme Genevard qui pense le contraire, entre M. Breton, dont je comprends la position très libertarienne, hostile à toute intervention de l’État, et M. Diard qui au contraire la juge très intéressante, je suis curieux de connaître le vote final du groupe sur ce texte.

Mme Anne-Laure Blin. Ce n’est pas le sujet !

M. Gérald Darmanin, ministre. Si, madame Blin, c’est le sujet. Cela fait trois jours que vous multipliez les arguments pour ne pas voter le texte.

Mme Anne-Laure Blin. Je fais mon travail de parlementaire ! Vous, vous faites de la politique !

M. Gérald Darmanin, ministre. Il est normal de faire de la politique – c’est un beau mot ! –, surtout au Parlement. Vous ne pouvez pas demander au Gouvernement d’être dur tout en lui refusant les armes pour l’être. C’est totalement irresponsable, ou totalement politicien.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1094 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Monsieur le ministre, je ne niais pas qu’au sein des 17 % d’établissements que j’ai mentionnés on pouvait trouver les situations que vous avez décrites. Je voulais aussi appeler l’attention, par exemple, sur la Fraternité Saint Pie-X, qui compte seulement soixante écoles sur le territoire national, mais où l’on tient, selon les enquêtes qui y ont été effectuées, des propos antisémites, ou d’inspiration analogue, que je ne reprendrai pas ici. Il faut donc contrôler plus étroitement ces établissements.

Tel est l’objectif du présent amendement. Monsieur Blanquer, vous avez déclaré le 16 février 2018, dans l’émission politique de France 2, que la loi dite « Gatel », alors en cours d’élaboration, serait un outil juridique efficace pour mieux contrôler l’ouverture des établissements d’enseignement privés hors contrat. Nous pouvons constater ensemble que l’objectif n’a pas été pleinement atteint. Nous proposons donc de nous calquer sur les dispositions prises pour l’IEF et de remplacer le régime de déclaration applicable aux établissements d’enseignement privés hors contrat par un régime d’autorisation. Le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions de la loi Égalité et citoyenneté prévoyant une telle évolution, en raison de l’absence de motifs permettant aux autorités compétentes de refuser l’ouverture de certains établissements. Le présent amendement vise à répondre aux objections du Conseil constitutionnel en précisant ces motifs.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La loi dite « Gatel », récemment adoptée, a durci les conditions d’ouverture des établissements d’enseignement privés hors contrat, ainsi que les contrôles auxquels ils sont soumis. Leur ouverture suppose le dépôt d’un dossier de déclaration largement étoffé, auxquelles les autorités compétentes peuvent s’opposer dans un délai de trois mois. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. La loi dite « Gatel » est efficace pour empêcher, s’il y a lieu, les ouvertures de tels établissements. Sur cette base, j’ai refusé, lors des deux précédentes rentrées scolaires, l’ouverture de plusieurs dizaines d’établissements privés hors contrat. L’innovation offerte par le présent projet de loi réside surtout dans la possibilité accrue de fermer ces établissements. S’agissant de leur ouverture, il ne nous semble pas nécessaire de durcir les choses sur le plan législatif. Nous disposons des moyens juridiques nécessaires. Quelques améliorations sont envisageables sur le plan réglementaire ; nous y travaillons.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1397 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’existence d’opinions distinctes au sein d’un même groupe politique ne me gêne pas. Sauf erreur de ma part, les membres du groupe majoritaire n’ont pas voté l’article 21 d’une seule voix ; certains ont même défendu des amendements visant à le supprimer ! S’agissant de la proposition de loi pour une sécurité globale, nous avons été bien plus cohérents que les groupes La République en marche et MoDem lors de son adoption dans l’hémicycle. Monsieur Sylvain Waserman, qui présidait la séance, a dit à cette occasion qu’il existait cinquante nuances de MoDem.

Le présent amendement vise à soumettre les établissements d’enseignement privés hors contrat à un régime d’autorisation avant ouverture. Dès lors que l’IEF est soumise à un tel régime, il semble normal, en vertu du parallélisme des formes, de l’étendre aux établissements d’enseignement privés hors contrat. Au demeurant, la loi dite « Gatel » dispose qu’en l’absence d’opposition de l’autorité compétente – maire ou procureur de la République – dans un délai de trois mois, les établissements d’enseignement privés hors contrat peuvent ouvrir. L’instauration d’un régime d’autorisation vise à éviter l’ouverture d’établissements en cas d’opposition formulée hors délai, ou contournée par quelques modifications de détail d’un dossier précédemment refusé. Je me fonde sur des faits constatés : certains établissements, à peine fermés, rouvrent ailleurs sous une autre forme, faisant le tour de la région parisienne ; d’autres demandent une autorisation au mois de juin en espérant profiter de la vacance des services de l’éducation nationale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La loi dite « Gatel » oblige les établissements privés hors contrat à déposer un dossier de déclaration avant ouverture. Ils ne peuvent pas ouvrir tant qu’ils n’ont pas reçu l’autorisation des autorités compétentes, qui la donnent dans un délai de trois mois. S’agissant du régime d’autorisation préalable appliqué à l’instruction en famille, les parents devront déposer une demande d’autorisation, qui sera instruite, sachant que le silence de l’administration vaudra accord au bout de deux mois. Votre amendement me semble satisfait par la loi dite « Gatel ». J’en suggère le retrait et émets à défaut un avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Diard. L’application à l’instruction en famille d’un régime d’autorisation me convient, d’autant plus que le Conseil d’État, dans sa grande sagesse, a suggéré d’ouvrir davantage de possibilités que celles initialement prévues. Cette position est également celle d’une partie de notre groupe. Mais cette évolution revient à être plus laxiste avec les établissements d’enseignement privés hors contrat. L’exemple que j’ai donné sur les demandes d’autorisation formulées avant l’été m’a été rapporté par des inspecteurs de l’éducation nationale. Tout le monde connaît maintenant la ficelle – qui est un peu grosse, d’ailleurs – et j’imagine, monsieur le ministre, que vous avez trouvé la parade.

M. François Pupponi. Je partage les propos de M. Diard. Je comprends les réticences et les difficultés, mais nous serons obligés, demain, de nous attaquer aux établissements privés hors contrat. Les réseaux de l’islam radical vont chercher en effet à en ouvrir partout. Ils rêvent de pouvoir accueillir les enfants, qu’ils pourront encadrer comme ils veulent. Ils ont les fonds nécessaires et n’auront besoin de personne pour financer ces établissements. J’en ai pris conscience lors de la controverse sur la théorie du genre : ils venaient faire leur publicité devant les écoles publiques et cherchaient à faire peur aux parents.

Enfin, les islamistes ont ouvert des établissements hors contrat en expliquant, comme notre collègue, que certains terroristes étaient issus de l’école publique. C’était l’un de leurs arguments pour convaincre les parents de scolariser leurs enfants chez eux ! Soyons attentifs à nos propos !

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Monsieur Pupponi, vous ne pouvez pas dire cela. La loi dite « Gatel » a considérablement durci les modalités d’ouverture de ces établissements. J’indique à nouveau, car je n’ai manifestement pas été claire, qu’ils ne peuvent pas ouvrir tant que leur dossier de déclaration n’a pas été approuvé par l’administration.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1450 de Mme Marie-George Buffet.

M. Stéphane Peu. Cet amendement vise à supprimer les dispositions du code de l’éducation relatives aux établissements d’enseignement privés hors contrat. Nous nous opposons à la création de nouveaux établissements privés hors contrat et souhaitons que ceux qui existent soient contraints de conclure avec l’éducation nationale un contrat d’association avec le service public de l’éducation ou un contrat simple. Nous considérons qu’il n’y a pas de place, dans notre pays, pour ces établissements. Les établissements d’enseignement publics et les établissements d’enseignement privés sous contrat suffisent. À tout le moins, l’éducation de nos enfants doit s’inscrire dans le cadre d’un contrat avec l’État, donc avec la République et ses valeurs. Le présent amendement vise à conforter les valeurs de la République.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les établissements d’enseignement privés ne peuvent être créés que sous la forme d’établissements hors contrat. La contractualisation ne leur est proposée qu’à l’issue de cinq années d’existence. La suppression du régime des établissements hors contrat entraînerait mécaniquement l’impossibilité de toute nouvelle création d’établissements d’enseignement privés sous contrat, à l’avenir. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. Nos débats mettent en lumière les façons distinctes que nous avons de concevoir l’enseignement privé hors contrat. Notre collègue Pupponi considère que nous devrons tôt ou tard leur appliquer un régime d’autorisation. Cela reviendra à réduire la liberté de l’enseignement. Le Conseil constitutionnel a pourtant rappelé que l’exigence d’une autorisation administrative préalable était contraire à cette liberté fondamentale. Il est normal que les opinions à ce sujet divergent, au sein des groupes politiques comme dans la société. Certaines collègues pointent déjà une inégalité entre l’instruction en famille et les établissements d’enseignement privés hors contrat. Une logique de restriction progressive de la liberté d’enseignement est en marche. Nous nous y opposerons toujours.

M. François Pupponi. Monsieur Breton, je n’y viendrai pas de gaieté de cœur. Malheureusement, ceux qui attaquent la République utilisent nos libertés pour nous attaquer, ce qui nous contraint à les restreindre pour nous protéger. C’est leur stratégie. Donc, soit nous ne touchons pas à nos libertés, et ils peuvent nous détruire, soit nous les restreignons pour nous protéger. Le choix est terrible !

Madame la rapporteure, la loi dite « Gatel » a permis en effet de nombreuses avancées. Il n’en reste pas moins que nous avons souvent un temps de retard. Peut‑être faudrait-il, un jour, avoir deux temps d’avance.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CS1659 et CS1660 de Mme Marietta Karamanli.

M. Boris Vallaud. Les établissements d’enseignement privés hors contrat sont soumis à des contrôles obligatoires. L’enseignement dispensé doit être conforme aux normes minimales de connaissances et respecter le droit des élèves à l’éducation, tel qu’il est défini par le code de l’éducation. Ces établissements ont également des obligations en matière de respect de l’ordre public, de prévention sanitaire et sociale ainsi que de protection de l’enfance et de la jeunesse. Nous proposons de renforcer leur contrôle, selon deux modalités, chacune prévue par l’un des deux amendements : lors de leur troisième et cinquième année d’existence, ou de manière inopinée.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. S’agissant du rythme des contrôles effectués dans ces établissements, mieux vaut conserver une certaine souplesse, afin de contrôler plus fréquemment ceux sur lesquels pèsent le soupçon qu’ils ne se conforment pas à leurs obligations, et moins fréquemment ceux dont le contrôle produit des résultats régulièrement satisfaisants. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Stéphane Peu. Je soutiens ces amendements. Madame la rapporteure, je sais que les établissements privés hors contrat ne peuvent contractualiser avec l’État qu’après cinq ans d’existence. Nous pensons qu’il faut raccourcir ce délai, et leur imposer d’emblée un contrat simple ou un contrat d’association au service public de l’éducation, ce qui permettra de les soumettre à un contrôle minimal avant de signer ou non un contrat avec eux. Ils ne doivent pas échapper à tout contrôle pendant cette période.

Quant aux cinquante nuances plusieurs fois évoquées, vous ne les trouverez jamais dans notre groupe, car nous ne sommes pas cinquante. (Rires.)

M. Boris Vallaud. Madame la rapporteure, votre argument repose sur la périodicité des contrôles, pour lesquels il faut conserver une certaine souplesse, avez-vous dit. L’amendement CS1660, prévoyant un contrôle aléatoire, devrait vous convenir.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine l’amendement CS1481 de M. Jean-Louis Thiériot.

Mme Constance Le Grip. Chacun ses références littéraires ! Certains évoquent cinquante nuances de telle ou telle couleur ; pour ma part, j’ai récemment relu certains rapports d’information rédigés par nos collègues sénateurs – c’est un autre genre, je le conçois bien volontiers ! (Sourires.) J’ai tiré de ces documents certains constats et certaines préconisations, dont l’amendement CS1481 est issu. Il vise à étendre aux établissements d’enseignement privés hors contrat l’obligation de transparence sur les financements d’origine étrangère, que les articles 35 et 36 du présent projet de loi durcissent. Les rapports d’information à ce sujet de nos éminents collègues sénateurs, ainsi que plusieurs observations formulées depuis le début de nos débats, attestent de la capacité de certaines mouvances et de certaines organisations à s’insérer dans la moindre faille de notre droit. La disposition que nous proposons permettrait de se réarmer face aux entreprises de conquête, notamment celles de l’islam politique.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement prévoit, s’agissant des établissements d’enseignement privés hors contrat, l’introduction d’un mécanisme de déclaration des avantages, ressources et libéralités reçus de l’étranger, et d’opposition au financement étranger pour un grave motif d’ordre public tiré de l’existence d’une menace réelle. Il est satisfait par la loi dite « Gatel », qui prévoit que ces établissements doivent, avant leur ouverture, présenter leur plan de financement, qui peut motiver une opposition pour risque pour l’ordre public. Le présent projet de loi permet à l’État de contrôler ponctuellement ces ressources, notamment leur provenance pour prendre des mesures appropriées en cas de suspicion de financement occulte. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS777 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Voilà un amendement constructif dans le cadre des relations entre les diverses formes d’éducation, dont le choix appartient aux parents. Il s’agit de faire en sorte que les sorties scolaires soient proposées aux enfants instruits au sein d’établissements d’enseignement privés hors contrat et en famille. Nous avons déjà adopté une disposition relative au rattachement administratif à un établissement d’enseignement public. Les établissements d’enseignement public organisent régulièrement des sorties scolaires, notamment dans des musées. Réunir les enfants issus des divers modes d’instruction– établissements d’enseignement publics, établissements d’enseignement privés sous contrat et hors contrat, instruction en famille – serait un moyen de favoriser la socialisation de tous. En la matière, aucun mode d’éducation n’est meilleur qu’un autre. Il s’agit de jeter une passerelle entre les diverses formes d’éducation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. S’agissant des enfants instruits à domicile, la disposition proposée pourra s’inscrire dans le cadre du rattachement administratif que nous avons adopté tout à l’heure. S’agissant des établissements d’enseignement privés hors contrat, ils peuvent organiser des sorties scolaires dans le cadre de leur projet pédagogique. Quant aux sorties scolaires organisées par les établissements d’enseignement publics, sur lesquelles vous tentez sans doute d’appeler l’attention par le biais de cet amendement, il faudrait plutôt – c’est un avis personnel – faire en sorte que tous les enfants y participent, car il s’agit d’un enjeu de cohésion de classe, avant d’envisager d’y inclure les enfants des autres établissements. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Xavier Breton. Madame la rapporteure, dois-je comprendre qu’il y a des problèmes dans l’école publique ? Tous les enfants des établissements d’enseignement publics ne participent donc pas aux sorties scolaires ? Pourtant, notre collègue Stéphane Peu affirmait tout à l’heure que tout s’y passe bien ! Demandez donc aux enseignants ce qu’il en est. Ils vous diront qu’ils manquent de moyens et qu’ils ne sont pas soutenus par leur hiérarchie. Dire qu’il existe des problèmes dans l’école publique, ce n’est pas s’en prendre au service public de l’éducation, c’est dresser un constat. Je suis très inquiet de vous entendre dire que tous les enfants des établissements d’enseignement publics ne participent pas aux sorties scolaires. Où est le volet du projet de loi visant à résoudre les dysfonctionnements de l’école publique ? Je rappelle que nos amendements visant à combattre les tendances séparatistes qui s’expriment au sein de l’école publique ont été jugés irrecevables.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. À partir d’une simple phrase, M. Breton parvient à bâtir tout un scénario sur la défaillance de l’école publique. Ce n’est pas ce que je voulais dire !

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1394 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Cet amendement vise à demander un rapport au Gouvernement pour évaluer la pertinence de la création d’un module de formation des inspecteurs de l’éducation nationale à l’inspection des établissements privés hors contrat, afin de s’assurer du respect des principes républicains en leur sein, ou de la création d’un corps d’inspecteurs spécifiquement dédiés à cette mission. En effet, à l’heure actuelle, la mission des inspecteurs de l’éducation nationale consiste à vérifier que les enseignements dispensés respectent les programmes énoncés par le ministère. Certains inspecteurs m’ont confié qu’ils se sentaient un peu démunis pour contrôler les établissements hors contrat.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. J’ai annoncé un peu plus tôt un déploiement des inspecteurs pour contrôler le respect des valeurs de la République tant dans l’instruction en famille que dans les établissements hors contrat. S’agissant d’un amendement d’appel, qui, de surcroît, demande un rapport, j’émets un avis défavorable, mais nous souhaitons, en effet, étoffer les équipes pour être à la hauteur des nouvelles obligations de contrôle qui pèsent sur l’éducation nationale.

M. Éric Diard. Étant plutôt satisfait par la réponse du ministre, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

Article 24 : Condition de capacité à dispenser un enseignement par référence ou conforme aux programmes de l’enseignement public pour la conclusion d’un contrat avec l’État

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1855 de la rapporteure.

Elle en vient à l’amendement CS1656 de M. David Habib.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de supprimer à l’alinéa 2 les mots : « la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le Conseil d’État a jugé à plusieurs reprises que l’obligation d’organiser l’enseignement par référence aux programmes et aux règles générales relatives aux horaires de l’enseignement public ne s’applique qu’aux classes et établissements déjà placés sous le régime du contrat simple et ne saurait fonder un refus de passation d’un tel contrat. C’est pourquoi nous avons choisi de vérifier la capacité de l’établissement à dispenser cet enseignement plutôt que le fait qu’il le fasse déjà, l’obligation ne prenant effet qu’à la date d’entrée en vigueur du contrat. Dès lors, je donne un avis défavorable à cet amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine les amendements identiques CS773 de M. Xavier Breton et CS267 de Mme Anne-Laure Blin.

M. Xavier Breton. Loin d’être libertarien, cet amendement se veut opérationnel. Les écoles pilotées depuis l’étranger, valorisant une langue et une culture étrangères et mettant en contact leurs élèves avec des interlocuteurs dont les propos ou les actes ont été jugés contraires à l’ordre public ne doivent pas passer sous contrat. Pour lutter contre les séparatismes, il faut adopter des mesures ciblées et non s’en prendre à toutes les formes d’éducation qui n’entrent pas dans l’enseignement public.

Mme Anne-Laure Blin. Les établissements hors contrat peuvent poser problème, et il convient de s’assurer que les établissements pilotés depuis l’étranger, valorisant une langue et une culture étrangères, ne portent pas atteinte à l’ordre public.

J’en profite pour demander à nouveau à Mme la rapporteure de nous communiquer quelques éléments d’information sur les difficultés que pourraient rencontrer les élèves et les enseignants lors de sorties scolaires. Cela permettrait d’approfondir la question.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces deux amendements sont satisfaits. Les conditions sont déjà vérifiées puisque l’établissement doit pouvoir dispenser les enseignements permettant l’acquisition du socle commun. Quant aux financements, contrôlés au moment du dépôt du dossier d’ouverture, ils le seront également ponctuellement grâce aux dispositions du projet de loi. Le contrat ne sera pas passé en cas de liens financiers avec une organisation française ou étrangère contraire à l’ordre public. Demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette ces amendements.

Elle examine les amendements CS509, CS510 et CS546 de Mme Cathy Racon-Bouzon.

Mme Coralie Dubost. L’amendement CS509 vise à instaurer un pourcentage minimal, qui ne peut être inférieur à 25 %, d’élèves boursiers dans les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré sous contrat. N’étant pas soumis à la sectorisation, ceux-ci peuvent choisir leurs élèves. Cela favorise la reproduction des élites au détriment de la mixité sociale que nous appelons tous de nos vœux.

M. François Cormier-Bouligeon. L’amendement CS510 propose d’instaurer un pourcentage minimal d’élèves boursiers dans les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré sous contrat. Le taux en serait fixé par le recteur après concertation avec le chef d’établissement afin de respecter les spécificités locales.

L’amendement CS546 vise à imposer à ces mêmes établissements, tout en les laissant libres des moyens pour y parvenir, de développer une politique favorisant l’égal accès de tous les élèves, comme le fait l’enseignement public.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces amendements traitent de la mixité sociale dans les établissements privés sous contrat. J’émets un avis défavorable sur le premier de ces amendements, qui propose de fixer à 25 % le pourcentage minimal d’élèves boursiers, car ce seuil en valeur absolue est élevé. De plus, il doit être appréhendé différemment selon les territoires.

Le deuxième amendement propose que l’autorité académique fixe ce pourcentage après concertation avec le chef d’établissement. Cela permettrait de l’adapter aux spécificités du territoire dans lequel se situe l’établissement. L’objectif est de favoriser la mixité sociale dans les établissements privés, comme le propose le troisième amendement, qui lui demande aux établissements de faire un rapport sur les moyens qu’ils engagent pour améliorer cette mixité.

En application de l’article L. 111-1 du code de l’éducation, l’établissement privé sous contrat, qui concourt au service public de l’éducation, veille à la mixité sociale des élèves scolarisés ainsi qu’à la prise en considération de leurs difficultés et de leur état de santé. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. L’objectif de mixité sociale est très important et nous le poursuivrons par des voies diverses, notamment par des incitations dans le cadre des politiques rénovées d’éducation prioritaire, mais l’adoption de ces amendements créerait trop de rigidité et poserait probablement un problème constitutionnel. Avis défavorable.

Mme Coralie Dubost. Le pourcentage de 25 % n’est pas un chiffre absolu mais un seuil plancher ; il peut évoluer. Le rôle de la loi est de donner des instructions claires à l’action publique. Si, en matière de mixité sociale, on peut parfaitement imaginer des déclinaisons territoriales afin d’apporter un peu de souplesse, on ne peut toutefois déplorer que la loi soit très précise.

M. François Pupponi. Depuis quelques années, les quartiers les plus ghettoïsés retrouvent une mixité sociale car les classes moyennes mettent leurs enfants dans des écoles privées. Pour ma part, je mettais mes enfants à l’école publique mais la directrice de l’école de mes enfants, avant de venir enseigner, déposait son enfant dans l’école privée de la ville. Je ne peux pas lui en vouloir car ce débat est très compliqué.

Il faudra trouver le moyen de faire revenir les classes moyennes dans certains quartiers pour assurer la mixité dans les écoles, particulièrement dans l’école publique. Si on retire les meilleurs élèves boursiers des écoles publiques pour les scolariser dans le privé, on videra encore un peu plus l’école publique d’élèves qui appartiennent à l’excellence. Je comprends la logique de vos amendements, mais des mesures comme celles-là peuvent se révéler très contre-productives.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1118 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Éric Coquerel. Cet amendement vise à aligner les devoirs des écoles privées sous contrat simple sur ceux des établissements privés sous contrat d’association. Nous proposons donc, à l’alinéa 3, de substituer aux mots : « d’organiser l’enseignement par référence » les mots : « à dispenser un enseignement conforme ». La simple « référence » est une notion relativement floue, qui ne nous paraît pas suffisante. La contractualisation permet à ces établissements de recevoir des fonds publics et à leurs enseignants d’être rémunérés par l’État. Nous devons donc leur demander d’être plus exigeants et plus précis sur le contenu de l’enseignement.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les contrats simples imposent de dispenser un enseignement « par référence » aux enseignements de l’éducation nationale, tandis que les contrats d’association imposent un enseignement « conforme » à ceux de l’éducation nationale. Il paraît nécessaire de conserver cette dualité. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Coquerel. Pourquoi est-ce nécessaire ?

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il existe deux types d’établissement privés, avec deux types de contrats comportant chacun des exigences différentes. Celles-ci sont définies dans le code de l’éducation.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS774 de M. Xavier Breton.

M. Xavier Breton. Il s’agit de clarifier les conditions d’octroi du contrat en introduisant un peu plus de rationalité et de transparence dans le processus. Il est proposé que l’autorité compétente motive sa décision, celle-ci pouvant être contestée devant le juge administratif.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il s’agit du droit commun. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 24 modifié.

Après l’article 24

La commission examine l’amendement CS1657 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement, qui vise à préciser que l’objectif de mixité sociale s’applique également aux établissements privés, me donne l’occasion de rappeler un certain nombre de chiffres : 10 % des collèges accueillent moins de 15 % d’élèves issus de milieux défavorisés ; 10% des élèves fréquentent un établissement qui accueille au moins 63 % d’élèves issus de milieux défavorisés ; en moyenne, l’enseignement privé accueille moitié moins d’enfants défavorisés.

Or l’enjeu de la mixité sociale est majeur. Nombre d’expérimentations, à Paris ou à Toulouse, ont produit des effets extrêmement intéressants et devraient être prolongées. Si les principes et les valeurs de la République ne sont pas respectés dès le stade de l’école, comment espérer que les enfants les respectent une fois devenus adultes ? Comment peut-on prétendre vivre ensemble quand on n’a ni grandi ni étudié ensemble ? Il est particulièrement regrettable que cette loi ne prévoie rien de ce point de vue, ni pour l’enseignement privé ni pour l’enseignement public.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre amendement propose d’inscrire dans l’article L. 442-1 que l’objectif de mixité sociale s’applique également aux établissements privés. Or cet article prévoit déjà que « tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » ont accès aux établissements privés sous contrat et que, dans la mesure où ceux-ci font partie du service public de l’enseignement, ils doivent contribuer à l’objectif de mixité sociale. Cela est donc déjà prévu dans le code de l’éducation. Je comprends votre souhait d’aller plus loin, néanmoins j’émets un avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1214 de Mme Caroline Abadie.

Mme Caroline Abadie. Concernant la scolarisation des enfants roms, étrangers ou vivant dans des bidonvilles, un grand pas a été fait avec l’adoption de la loi pour une école de la confiance, qui a établi une liste limitative des pièces pouvant être demandées par la commune pour l’inscription sur la liste des élèves soumis à l’obligation scolaire. Nous proposons de faire de même avec la liste des pièces à fournir pour l’inscription dans un établissement. Je rappelle que la Commission nationale consultative des droits de l’homme estime que 80 % des jeunes vivant en bidonville en France métropolitaine sont non scolarisés.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Votre amendement illustre le souci largement partagé de veiller à la scolarisation de tous les enfants présents sur le territoire français. Il est satisfait, le code de l’éducation limitant déjà, dans son article L. 131-6, la liste des pièces à fournir. Demande de retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Caroline Abadie. Je me permets d’insister car si cela est prévu pour l’inscription sur les listes des élèves soumis à l’obligation scolaire, le code de l’éducation ne mentionne pas les pièces à fournir pour l’inscription dans un établissement public ou privé. Ce sont deux choses différentes.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vous propose de retirer votre amendement afin que nous puissions y retravailler et lever ce doute avant la séance.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS589 de Mme Cathy Racon-Bouzon.

M. Gaël Le Bohec. La part des enfants défavorisés dans les collèges est de 20 % dans l’enseignement privé et de 43 % dans l’enseignement public ; un effort important doit donc être mené. Le rapport de M. Yann Algan, Agir pour la mixité sociale et scolaire au collège, paru en 2016, mentionne près d’une vingtaine d’expérimentations qui montrent qu’agir à l’échelle d’un territoire, avec seulement quelques collèges, donne des résultats. Ainsi, dans le pays de Redon, situé entre Vannes, Nantes et Rennes, trois collèges privés et publics ont œuvré ensemble au renforcement de la cohésion sociale. Alors que le collège Saint-Joseph ne comptait que 25 % d’élèves défavorisés en 2014, il en accueillait 36 % deux ans plus tard : c’est un résultat important. C’est pourquoi, dans cet amendement, je propose de conditionner le versement de subventions par les collectivités territoriales à des objectifs favorisant la mixité.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est satisfait car les collectivités territoriales peuvent déjà conditionner le versement de leurs subventions au respect de critères de mixité sociale. Demande de retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. Certaines politiques publiques infra-législatives doivent être incitatives, par exemple en impliquant les établissements privés dans la réalisation d’objectifs de mixité sociale – je vous renvoie à l’expérience des CLA (contrats locaux d’accompagnement). Toutefois, et même si je partage l’esprit de cet amendement, je ne pense pas qu’il faille écrire des choses trop rigides dans la loi.

Mme Géraldine Bannier. Je partage l’objectif de mixité sociale mais il est important de raisonner par bassin. Dans certains territoires, les toutes petites communes n’ont parfois qu’une seule école, privée. Quand il n’y a que cinquante élèves, il n’est pas envisageable de fixer des objectifs de mixité sociale à l’école locale.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1062 de M. Éric Coquerel.

M. Éric Coquerel. Nous souhaitons que les établissements privés sous contrat soient contrôlés une fois par an.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le contrôle est différent de celui exercé sur les établissements hors contrat car il porte sur les enseignants. Ceux-ci participent en effet à une mission de service public et sont rémunérés par l’État. Votre proposition reviendrait à imposer à chaque enseignant d’être inspecté tous les ans, ce qui ne correspond pas à la pratique de l’inspection des enseignants. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cela créerait une inégalité entre les enseignants des établissements privés sous contrat et les enseignants de l’enseignementpublic. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1013 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe.

Mme Florence Granjus. Lorsqu’ils existent, les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté fonctionnent à l’échelon de l’établissement, ce qui ne favorise pas toujours la mixité sociale. L’objectif de cet amendement est d’en faire des comités inter-établissements. C’est d’ailleurs une recommandation formulée par la Cour des comptes, qui estime que l’échelon inter-établissements favorise la lutte contre l’entre-soi et contre le séparatisme.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’objectif de votre amendement. Néanmoins, votre organisation semble trop complexe à mettre en œuvre. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Le risque, c’est que l’accumulation de bonnes intentions conduise à des lourdeurs extrêmes. Il y a des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté à l’échelle de chaque établissement et des politiques sociales à l’échelle territoriale. Mais je comprends l’esprit de votre amendement, sur lequel nous pouvons travailler d’ici à la séance.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS394 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Cet amendement vise à proposer à tous les établissements hors contrat, dès leur création et à chaque rentrée scolaire, une contractualisation de la part du ministère de l’éducation nationale.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il faut actuellement cinq ans de fonctionnement avant de pouvoir passer un contrat avec l’État. Les contrôles menés en amont permettent de s’assurer d’un certain nombre de dispositions avant d’engager financièrement l’État. Cela permet aussi de s’assurer de la solidité financière de l’établissement et de l’existence d’un besoin scolaire. Demande de retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS114 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. J’ai déjà présenté cet amendement dans le cadre de l’article concernant le contrat d’engagement républicain et je sais que vous n’êtes pas favorables au déplacement des maires dans les établissements privés hors contrat.

M. le président François de Rugy. Pour avoir suivi tous les débats, je ne crois pas que ce soit ce qui a été dit. Il a été dit qu’il n’y avait pas forcément besoin d’inscrire une telle disposition dans la loi pour que les maires se rendent à tel ou tel endroit de leur commune.

Suivant l’avis défavorable de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1087 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. L’amendement vise à mettre fin aux discriminations entre les sexes dans les établissements scolaires privés sous contrat, qui sont une sorte de séparatisme, puisque certains établissements imposent des tenues plus couvrantes aux filles, que, dans d’autres, filles et garçons sont séparés ou que, dans d’autres encore, un sexe est exclu. Ce n’est pas ainsi que l’on prépare à un égal accès aux responsabilités professionnelles et sociales, qui sont pourtant prévues à l’article 1er de la Constitution. De la même manière qu’il ne doit pas y avoir de discriminations liées à une distinction d’origine, d’opinion ou de croyance, il ne doit pas y en avoir non plus pour le sexe.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’esprit de votre amendement, mais la mixité ne peut pas être imposée de manière absolue, en application du droit international, qui prévoit explicitement que la lutte contre les discriminations ne fait pas obstacle à l’organisation des enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe. De manière générale, la non-mixité de certains établissements ou enseignements n’en rend pas moins obligatoire la transmission des enseignements relatifs à l’égalité homme‑femme. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Coquerel. Vous me permettrez de m’étonner de votre réponse, madame la rapporteure. J’avais cru comprendre que, par rapport à certaines pratiques religieuses, on faisait en sorte de réduire tout ce qui était assujettissement des femmes. En revanche, des établissements peuvent continuer à penser au XXIe siècle qu’il faut que filles et garçons soient séparés et qu’il y ait des discriminations de fait basées sur le sexe. C’est assez étonnant pour une loi qui prétend renforcer les principes républicains, dont l’égalité homme­‑femme devrait être l’un des socles.

Mme Emmanuelle Ménard. La tenue vestimentaire et l’organisation de classes non mixtes ne relèvent-elles pas du règlement intérieur de l’établissement ? Des établissements célèbres à Paris proposent aux parents de mettre leur enfant au collège dans des classes de filles, de garçons ou mixtes. Quant à la question de la tenue vestimentaire, monsieur le ministre, qui a été d’actualité il y a quelques mois, vous aviez utilisé l’expression de « tenue républicaine ». Ce n’est pas le terme que j’utiliserais, mais je pense que cela relève du chef d’établissement et que cela n’a donc pas sa place dans la loi.

La commission rejette l’amendement.

Elle étudie l’amendement CS1662 de M. David Habib.

M. Boris Vallaud. Vous allez trouver que je tarabistouille... L’amendement vise à inverser la logique actuelle concernant la passation de contrat entre l’État et les établissements privés, en proposant que ce soit désormais l’État qui soit à l’initiative du contrat.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. Il vaut mieux que ce soient les établissements qui fassent la démarche et se montrent volontaires pour passer le contrat.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

La commission examine l’amendement CS1089 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous souhaitons abroger la « loi Carle » qui instaure des obligations supplémentaires de financement des écoles privées pour les communes. Lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence, les communes doivent payer les dépenses de fonctionnement des écoles sous contrat. On nous parle de parité, mais le privé n’a pas les mêmes obligations que l’école publique, ne serait-ce que pour ce qui est de la possibilité de choisir ses élèves. En outre, la « loi Carle » fragilise les écoles primaires publiques des petites communes rurales. Dans un amendement déclaré irrecevable, nous avions proposé que la loi détermine qu’il y ait une école publique par commune ou, à tout le moins, à moins de trente minutes de chaque enfant. Pour nous, dès lors qu’un parent choisit d’inscrire son enfant dans une école qui n’est pas dans la commune, ce n’est pas à la collectivité de prendre en charge ce contournement de la carte scolaire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous proposez d’abroger la loi dite « Carle », qui a un impact très fort sur les finances des communes mais aussi sur celles des établissements privés. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure et du ministre, elle rejette successivement les amendements CS513 et CS587 de Mme Cathy Racon-Bouzon.

La commission examine l’amendement CS1088 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous souhaitons abroger les dispositions particulières régissant l’enseignement dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Les élèves, des écoles primaires au lycée de l’enseignement public, consacrent dans ces départements une heure par semaine à suivre un enseignement religieux élaboré en dehors du cadre du ministère de l’éducation nationale. Les écoliers travaillent ainsi une heure de moins par semaine les programmes scolaires. Mais surtout cela contrevient à la non‑reconnaissance par l’État d’une religion. Par ailleurs, certains témoignages, que nous citons dans l’exposé sommaire, font montre d’une dérive dangereuse et d’un prosélytisme religieux dans ces cours. L’Observatoire de la laïcité l’a notamment relevé. Nous souhaitons que le même principe de laïcité et de neutralité du service public de l’éducation s’applique sur tout le territoire.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je m’étonnais de certains amendements déposés après l’article 24… Le Conseil constitutionnel reconnaît comme un principe fondamental celui du droit local de ces départements, qui s’applique notamment en matière d’enseignement. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Ludovic Mendes. Je me sens un peu concerné en tant que Mosellan… Je comprends la logique de M. Coquerel, et partage sa position concernant l’aspect obligatoire de ces cours. Mais il n’est pas démontré que le niveau scolaire des élèves des écoles d’Alsace‑Moselle soit inférieur à celui du reste de la France, malgré cette heure de cours en moins. Votre argumentaire ne tient pas. Cela peut vous déranger que l’on y parle de Jésus, mais ce sont des cours de religion. Plus encore que le Concordat c’est le droit local alsacien‑mosellan issu de la loi Falloux qui s’applique. Il faudrait revoir vos classiques. Mais je suis prêt à discuter avec vous du statut obligatoire de ces cours.

M. Éric Coquerel. J’en serais très satisfait, d’autant que vous me semblez tolérant. Mais je connais mes classiques ! Nous sommes contre le Concordat. Nous sommes pour que la loi de 1905 s’applique partout sur le territoire français, notamment en matière d’éducation et de religion.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1654 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Cet amendement vise à ce que les actions de formation professionnelle de tous les enseignants des établissements privés sous contrat, financés par l’État, soient assurées par l’État et son administration. C’est l’éducation nationale qui élaborerait les plans de formation de tous ses agents et s’assureraient de leur accès effectif aux actions de formation. Nous respectons ainsi le principe de laïcité : les enjeux religieux sont éloignés de la carrière des agents des établissements privés, qui sont aussi des agents de l’État.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il faut permettre à l’État d’ouvrir aux professeurs du privé des possibilités de formation, mais on ne peut pas instaurer son exclusivité sur celle-ci. De manière générale, la formation des enseignants du privé sous contrat est assise sur un principe de parité avec celle du public, qui repose sur le fait que les maîtres du privé participent au service public de l’enseignement. Toutefois, encore récemment, le Conseil d’État a précisé que, si les maitres dans des établissements d’enseignement privés sous contrat devaient bénéficier des mêmes possibilités de formation que ces derniers, leur formation devait, néanmoins, être assurée dans le respect notamment du caractère propre de leur établissement.

Certains établissements privés ont des caractéristiques spécifiques, des méthodes pédagogiques particulières ou encore des enseignements techniques très rares. C’est notamment le cas de certains établissements de la fédération nationale des établissements privés laïcs sous contrat que nous avons entendue en audition. Pour ceux-là, il faut prévoir que des formations puissent être organisées en dehors du cadre de formation de l’État, qui ne peut décemment assurer un éventail de formation aussi large. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Boris Vallaud. Mon amendement ne fait absolument pas obstacle à la jurisprudence du Conseil d’État telle que vous venez de l’énoncer. Nous souhaitons simplement que ce soit l’académie qui soit l’autorité à l’initiative des actions de formation et non pas que ce soit elle qui les dispense, afin de faire sortir un certain nombre d’enseignants d’une forme de tutelle excessive du privé.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1086 de M. Alexis Corbière.

M. Éric Coquerel. Nous proposons que la formation initiale et continue des enseignants des établissements privés sous contrat soit identique à celle des enseignants des établissements publics. Cet amendement nous a été proposé par l’UNSA-SNEP, que nous avons auditionné de notre côté. Le syndicat nous a fait part de son inquiétude concernant la qualité des formations de l’enseignement privé. C’est pourquoi il nous semble nécessaire d’opérer un rééquilibrage.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable, comme pour l’amendement de M. Vallaud.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CS779 de M. Xavier Breton et CS1442 de Mme Anne-Laure Blin.

M. Xavier Breton. Il s’agit d’un amendement de cohérence. Le ministre de l’éducation nationale avait invité les parents d’élèves qui pratiquaient l’instruction en famille et qui ne pourraient pas continuer à le faire à rejoindre ou à créer des établissements privés hors contrat, en présentant cela comme une perspective accessible. En réalité, le code de l’éducation interdit aux parents, à moins qu’ils aient surveillé ou dirigé un établissement d’enseignement pendant cinq ans, ou qu’ils y aient enseigné, de fonder leur propre école hors contrat. Dans la logique des propos du ministre, nous vous proposons d’ouvrir les conditions définies par le code de l’éducation pour pouvoir diriger un établissement scolaire, en proposant, alternativement aux cinq ans d’expérience dans un établissement d’enseignement, d’autres caractéristiques comme cinq ans d’activité d’enseignement, de soutien scolaire, d’instruction en famille, d’accompagnement paramédical des élèves ou de production de manuels scolaires ou de supports pédagogiques.

Mme Anne-Laure Blin. Même idée.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous souhaitez revenir sur les dispositions de la loi dite « Gatel », nous ne le souhaitons pas. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis de la rapporteure et du ministre, elle rejette l’amendement CS1085 de M. Alexis Corbière.

La commission examine l’amendement CS1395 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. La section 2 du chapitre V de la présente loi a pour objectif principal d’assurer la conformité des enseignements dispensés dans les établissements d’enseignement privés avec les principes de la République. À l’article 24 est notamment introduite une disposition subordonnant toute signature d’un contrat d’association à l’enseignement public à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public et, de facto, aux principes de la République. Dans les faits, cette vérification passe par une inspection de l’établissement commandée à un inspecteur académique par sa hiérarchie. L’amendement a pour objectif d’empêcher le refus d’inspection d’un établissement par un inspecteur académique sans justification particulière qui ne soit reconnue et validée par le rectorat. Je vous parle d’expérience, monsieur le ministre, puisque je sais qu’un inspecteur a refusé d’aller contrôler un établissement hors contrat qui posait problème.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement concerne le fonctionnement d’un corps de contrôle, comme il en existe dans plusieurs administrations. Tout fonctionnaire qui se réfère à son autorité hiérarchique parce qu’il refuse un contrôle peut avoir des raisons, notamment une situation de conflit d’intérêts. Sinon, je pense qu’il existe des dispositions dans nos administrations pour traiter ce sujet. Votre amendement m’étonne un peu et j’aimerais en discuter avec vous à l’occasion. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Diard. J’aimerais bien qu’on en rediscute, parce qu’il y a eu des soucis. Un établissement n’a pas pu être contrôlé parce que l’inspecteur a refusé, sans aucun motif, l’inspection.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1508 de Mme Sylvie Charrière.

Mme Sylvie Charrière. Cet amendement vise à ce que les établissements privés sous contrat d’association rendent compte tous les trois ans à l’autorité compétente de l’État en matière d’éducation des actions menées afin d’améliorer la mixité sociale en leur sein. Les bienfaits de la mixité sociale sont reconnus. Les établissements privés ont également leur rôle à jouer et une valeur ajoutée à apporter, notamment lorsqu’ils font, par ailleurs, l’objet d’un contrat d’association avec l’État. Beaucoup d’expérimentations ont montré tous les bienfaits d’un travail par bassin de formation. Il faudrait que nous réussissions à proposer un amendement pour la séance.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je trouve votre amendement très intéressant. Néanmoins, je vous propose de le retirer afin d’en rediscuter pour la séance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Stéphane Peu. Quelle que soit leur forme, leur intensité ou le groupe d’où ils proviennent, les amendements sur la mixité sociale sont rejetés. Je veux bien comprendre que le discours des Mureaux du Président de la République n’était pas toute la loi, mais il avait suscité un certain consensus, notamment en liant le combat contre le séparatisme et la mixité sociale ou, autrement dit, le refus du séparatisme social et territorial. Or la loi a fait l’impasse sur ce volet. Aussi, sur les sujets qu’elle aborde, comme celui de l’éducation, il me semblerait profitable de faire preuve d’une exigence républicaine de mixité sociale.

Mme Sylvie Charrière. Je retire l’amendement pour travailler avec Mme la rapporteure sur une rédaction satisfaisante pour la séance.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS459 de M. Frédéric Petit.

M. Frédéric Petit. Ces dernières décennies, dans les quartiers, nous avons subi le lent effondrement des mouvements d’éducation populaire, que cette loi pourrait être l’occasion de refonder. Seul le mouvement sportif a réussi à se maintenir. Tous les autres, ceux qu’on appelait les tiers de confiance, ont disparu. Je ne dis pas que c’est la faute d’un grand méchant, et je pense que ces mouvements doivent aussi analyser les causes de leur disparition. Mais nous devons réfléchir pour voir comment revenir à une action éducative périscolaire.

J’ai été très surpris, en me préparant pour ce débat, de constater qu’il y avait un code du sport mais rien qui réunisse toutes les autres activités. Quand Mme la ministre dit que l’on sait former des fonctionnaires mais pas les responsables du secteur associatif, cela fait frémir les gens qui ont mon âge. Il y a quarante ans, il y avait une multiplicité de formations dans le domaine associatif, très fiables, contrôlées par l’État. Tout le monde a entendu parler de la fédération Léo-Lagrange, des Francas, des grandes associations familiales. Tout cela a disparu. Mon amendement est un amendement d’appel. J’aimerais que l’on trouve comment étendre aux autres activités ce que l’on va définir pour le domaine sportif. C’est ainsi que je propose un code qui soit une extension du code du sport, un code du sport et de l’activité éducative en dehors de l’école. Nous devons restructurer l’éducation extrascolaire, sans quoi nous n’y arriverons pas.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Lors de nos auditions, nous avons souvent abordé le sujet de l’éducation populaire, des temps péri et extrascolaires, du secteur socio‑éducatif, socioculturel, des accueils de mineurs. Nous devrions lancer une mission sur cette question. Quant au sujet éminemment technique et difficile de la codification, il faudrait saisir la commission supérieure de codification, afin d’avoir son avis sur l’opportunité de la création du nouveau code que vous proposez. Avis défavorable, même si je suis très intéressée par votre amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Frédéric Petit. J’ai parlé de codification, parce que j’ai été très surpris de voir que seul le droit du sport avait été codifié. Il me semble que ce que nous disons à l’article 25 sur les fédérations sportives est transposable à tout le reste. Nous avions des fédérations qui avaient des délégations. Je retire mon amendement sauf si quelqu’un veut prendre la parole dessus.

M. Éric Diard. Je partage l’avis de M. Frédéric Petit. Il manque, dans le texte, tout le volet relatif à la réhabilitation des quartiers et à la disparition de l’éducation populaire. Le jour de l’assassinat de Samuel Paty, je regardais un documentaire avec Gilles Legendre sur Marseille, où l’on voyait que les quartiers avaient été abandonnés, qu’il n’y avait plus d’éducation populaire et que le religieux avait pris la place des associations d’éducation populaire. Il reste le sport, certes, mais il est de plus en plus dévoyé par des mouvements séparatistes, malheureusement.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1661 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. C’est une demande de rapport afin d’envisager une transition vers une contractualisation obligatoire pour tous les établissements privés.

Suivant l’avis de la rapporteure et du ministre, la commission rejette l’amendement.

Avant l’article 25

La commission examine l’amendement CS1878 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il vise à créer une section 3 : « Dispositions relatives aux sports ».

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, je vous informe que, à la demande du Gouvernement, par cohérence, l’examen de l’article 31 est réservé et que cet article sera examiné après l’article 44.

 

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14.   Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 9 heures (article 25 à article 27)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10212175_600bd646447c8.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-23-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen des articles du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Chapitre V
Dispositions relatives à l’éducation et aux sports

Section 1 : Dispositions relatives à l’instruction en famille

Article 25 : Contrôle de l’État sur les fédérations sportives et conclusion d’un contrat d’engagement républicain

La commission est tout d’abord saisie des amendements identiques CS1080 de M. Alexis Corbière et CS1389 de M. Éric Diard.

M. Alexis Corbière. Il vise à supprimer l’alinéa 2, car la tutelle de l'État sur les fédérations sportives doit être maintenue : la supprimer marquerait une forme de désengagement de l'État.

Nous craignons un mouvement de privatisation de ces fédérations, parfois obligées de trouver différentes astuces pour survivre, dans une logique de marchandisation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure pour le chapitre V du titre Ier. Je vous renvoie, s’agissant de la nécessité de passer d’un régime de tutelle – à la fois très large, assez flou et pâtissant du manque de moyens du ministère des sports – à un régime de contrôle, à un rapport de l’inspection générale des sports de 2017.

Ce dernier régime est plus engageant, d’autant qu’il s’appuiera sur un contrat de délégation qui définira les objectifs des fédérations et les points sur lesquels portera le contrôle du ministère.

Je suis par conséquent défavorable aux amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. Même avis.

La commission rejette les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS1081 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à supprimer les alinéas 3 à 18, car nous ne connaissons pas le contenu du contrat d’engagement républicain : nous ne voulons donc pas que les fédérations sportives le signent en vue d’obtenir leur agrément.

Au-delà de l’affichage, aucune étude d’impact n’a été menée.

Nous récusons en outre l’idée selon laquelle ces fédérations, qui, dans leur immense majorité, font ce qu’elles peuvent dans des conditions extrêmement difficiles, devraient être considérées d’un œil suspicieux.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Les fédérations sportives sont tout à fait conscientes de leur rôle et désireuses d’être parties prenantes dans le combat visant à conforter le respect des principes de la République : certaines mènent d’ailleurs déjà des actions très intéressantes dans ce sens.

Je suis donc défavorable à l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Vos arguments m’étonnent, Monsieur Corbière, car vous savez fort bien qu’il existe des problèmes de ce genre dans le sport, et plus particulièrement dans les clubs.

Il ne s’agit pas d’avoir vis-à-vis des fédérations une démarche de suspicion mais bien de partenariat – qui prolonge celle poursuivie depuis le début du quinquennat – qui traduise les valeurs de la République – qui convergent avec celles du sport, et notamment la neutralité politique et religieuse – à travers les contrats d’engagement, véritables contrats de confiance.

En outre, des décrets et règlements complètent presque toujours la loi : cet argument ne trahirait-il pas votre aveuglement ? Voudriez-vous jeter le voile sur ces enjeux, qui font pourtant consensus dans le milieu du sport, les fédérations se réjouissant de disposer de ce type de contrat ?

Par ailleurs, l’ensemble de l’action sportive représente une alternative aux mauvaises tentations de la jeunesse.

M. Alexis Corbière. Monsieur le ministre, je ne souhaite jeter le voile sur rien du tout, et certainement pas sur les dérives intégristes. J’ai comme vous des convictions républicaines.

M. François Cormier-Bouligeon. Le champ du sport est extrêmement important : 18 millions de licenciés et 38 millions de pratiquants.

Plusieurs rapports parlementaires ont désigné le sport comme l’une des quatre principales cibles de l’islamisme : il ne faut à cet égard pas faire preuve, cher collègue Corbière, de cécité, mais prendre de la hauteur et, en nuances, dire les choses clairement.

Si l’immense majorité de nos compatriotes de tradition musulmane vit paisiblement en respectant les institutions de la République, certaines personnes, peut-être issues d’une immigration récente, veulent fracturer la République et utilisent à cette fin, malheureusement, les lieux de socialisation que sont les écoles et les clubs sportifs, que nous devons absolument protéger.

Les présidents de fédération, les dirigeants de club et les bénévoles sont les premiers demandeurs d’outils car ils constatent bien la pression de la pénétration religieuse, qui se manifeste notamment par des refus de saluer le tatami en judo ou par des prières dans les vestiaires.

Défendons donc le sport en le protégeant : le contrat d’engagement républicain revêt à cet égard une extrême importance.

M. Éric Diard. J’abonde dans le même sens. Au cours des travaux de la mission d'information sur les services publics face à la radicalisation, Éric Poulliat et moi-même avions constaté que le sport était de plus en plus gangrené par le séparatisme.

J’ai eu accès à un rapport des renseignements intérieurs de 2018 qui considérait que le sport constituait le premier vecteur de radicalisation, devant les salles de prière et internet.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS281 et CS278 de M. Julien Ravier, ainsi que de l’amendement CS790 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Julien Ravier. L’idée est de remplacer le contrat d’engagement républicain par la charte.

Le sport est en effet vraiment un lieu de radicalisation, mais également de recrutement.

Les auditions menées par le groupe Les Républicains nous ont permis de constater que 100 % des terroristes français ayant agi sur notre territoire se sont radicalisés et ont été recrutés dans une association sportive ou un club sportif.

Il faut donc agir absolument sur la sphère sportive.

Mme Emmanuelle Ménard. On ne connaît effectivement pas le contenu du contrat d’engagement républicain : le mot charte serait plus explicite.

Par ailleurs une formation, qui permettrait aux membres des associations sportives ou aux fédérations sportives de signaler des pratiques contraires à la laïcité aurait tout son sens dans le milieu sportif, dans la mesure où certains dirigeants d’associations sportives se trouvent parfois très démunis face à certaines manifestations d’islamisme.

J’avais déposé un amendement dans ce sens mais il a été déclaré irrecevable.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je suis défavorable aux amendements. Nous aborderons la formation un peu plus tard, au travers de plusieurs amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Pierre-Yves Bournazel. J’ai rendu en 2017 un rapport sur la lutte contre les discriminations dans le domaine du sport, qui avait fortement recommandé de former les cadres associatifs à cette question, le sport étant un lieu de cohésion sociale et d’émancipation individuelle mais également de reproduction des discriminations : racisme, antisémitisme, haine de l’autre, LGBT-phobie.

Le contrat d’engagement républicain constitue donc vraiment un socle absolument essentiel pour défendre les principes de la République, et en particulier le principe de laïcité.

M. Alexis Corbière. Je suis, chers collègues, un républicain : si je ne suis pas pour que les clubs sportifs deviennent des lieux de radicalisation, faire signer aux clubs sportifs des propos très généraux que je ne connais pas ne réglera pas le problème concret que nous avons.

Il faut effectivement les aider à se former et à comprendre.

Je ne veux pas que l’on affiche des choses : je veux que l’on soit efficace et pas que l’on fasse croire que l’on va régler le problème uniquement grâce au contrat d’engagement républicain dont on ne connaît pas le contenu.

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, il n’y a pas de discussion générale sur chaque article.

Je note par ailleurs que des collègues qui nous demandent de nous montrer plus offensifs dans la lutte contre l’islamisme radical et contre l’entrisme communautariste proposent de passer du contrat à une charte, ce qui constitue de fait un affaiblissement.

Par ailleurs, l’histoire regorge d’exemples où, à d’autres époques, les religions ont voulu prendre la main – notamment, en France, la religion catholique, du berceau à la tombe – sur la vie des gens, à travers l’école, les clubs sportifs ou d’autres organisations.

La République a vocation à offrir d’autres possibilités de s’émanciper, notamment grâce à l’école, qui est un de ses piliers notamment dans la transmission de ses valeurs. Je regrette d’ailleurs que nous ne l’ayons vue, à l’article 21, qu’à travers le prisme de l’instruction en famille (IEF).

Le tissu associatif, notamment les clubs sportifs, constitue également un enjeu majeur.

M. Frédéric Petit. Cher collègue Corbière, les politiques publiques du XXIe siècle ne seront pas menées à 100 % par des fonctionnaires. C’est à raison que l’article 25 remet à plat la relation, dans le sport, entre l’État et les fédérations, organismes parapublics, car celles-ci sont des outils partenariaux qui manquent peut-être ailleurs.

M. Julien Ravier. Monsieur le président, vous semblez vouloir dire que parce que nous voulons dans la loi substituer la charte au contrat, nous voudrions atténuer la force de ce dernier.

Pas du tout : nous considérons seulement qu’un contrat est en principe totalement bilatéral, qu’il détermine des obligations synallagmatiques et qu’en l’occurrence il s’agit d’une obligation unilatérale.

En revanche, le projet de loi pèche s’agissant de la formation, en particulier des dirigeants d’associations, ainsi que du contrôle du respect du contrat d’engagement républicain : il faudrait y mettre les moyens.

Il ne va donc pas assez loin, et nous ratons certainement la cible.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1856 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS39 de Mme Marie-Pierre Rixain. 

M. François Cormier-Bouligeon. Nous abordons un sujet extrêmement important : les violences sexistes et sexuelles

Depuis quelques années, la parole s’est heureusement libérée pour que la honte change de camp : je pense notamment à l’action très courageuse de Sarah Abitbol au sein de la Fédération française des sports de glace (FFSG).

Pour accompagner cette libération de la parole et mettre fin à un tabou, le ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports a notamment lancé une convention sur la prévention des violences sexuelles dans le champ du sport.

L’amendement vise, à l’alinéa 7, à préciser que le contrat d’engagement républicain doit également porter sur la protection des mineurs vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La précision est tout à fait bienvenue, étant entendu qu’elle n’est pas exclusive de toute autre forme de violence : je suis donc favorable à l’amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1390 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’article 25 prévoit la signature d’un contrat d’engagement républicain pour les associations et les fédérations sportives agréées afin de renforcer la défense des principes de la République.

L’alinéa 7 précise que ce contrat comporte l’« […] engagement de veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs […] ».

L’amendement vise à détailler cette protection de l’intégrité morale en listant les points cardinaux de ladite intégrité au sein de notre société républicaine, à savoir « le respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité, de la laïcité, de l’indivisibilité de la République et du peuple français ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Le contrat d’engagement républicain est défini à l’article 6 : je ne pense pas nécessaire d’y ajouter notamment le principe d’indivisibilité de la République. Mon avis est par conséquent défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Si l’ensemble des principes républicains doit être respecté, le cadre réglementaire de la loi les précisera : avis défavorable.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS814 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. La radicalisation passe aussi, malheureusement, par le sport, y compris lors des activités périscolaires : il est en effet facile de formater de jeunes esprits fragilisés, en particulier au cours de l’adolescence.

Des auditions de la rapporteure est ressorti un besoin de neutralité des encadrants. À titre d’exemple, la Fédération française de football utilise déjà ce terme, à la satisfaction générale, y compris à l’occasion de compétitions internationales.

L’amendement vise donc à compléter l’alinéa 7 par les mots : « ainsi qu’à la neutralité des encadrants ».

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Comme vous le savez, si la neutralité découle, en ce qui concerne l’État et ses agents, de la laïcité, elle ne peut s’imposer aux associations.

En revanche chacune d’entre elles peut tout à fait, si elle le souhaite, appliquer en la matière des règles concernant ses encadrants, notamment de mineurs.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Si je comprends bien la visée de l’amendement, on ne peut étendre aux individus une obligation faite aux institutions dès lors qu’elles sont chargées d’une mission de service public.

Rappelons que nous parlons d’associations : c’est le contrat d’engagement républicain qui doit, au quotidien, assurer une neutralité du contexte dans lequel évoluent les enfants et les adolescents.

Si je suis d’accord avec son esprit, la lettre de l’amendement pose problème pour des raisons juridiques. En l’état, j’y suis donc défavorable, même si cela mérite d’en discuter avant la séance publique.

Mme Perrine Goulet. Il existe cependant un lien fort, que matérialise le code du sport, entre l’État et le sport, qui explique le rôle particulier joué dans notre pays par les associations et fédérations sportives.

J’ai entendu que vous n’étiez pas fermé, Monsieur le ministre, à étudier comment avancer sur ce sujet.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1391 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Il vise à inscrire dans la loi le deuxième paragraphe de l'article 50 de la charte olympique, selon lequel « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n'est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique ».

Par ailleurs, l’avis du Conseil d’État indique que « […] eu égard au développement des phénomènes relevés plus haut, [il] estime que le contrat de délégation de l’État à une fédération, créé par le projet de loi pour les fédérations délégataires, pourrait utilement comporter un engagement selon lequel la fédération assure la promotion et la plus large diffusion des valeurs et principes qui inspirent le 2 de l’article 50 de la charte olympique […]. »

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cher collègue, la charte olympique ne vaut que pour le temps olympique, dans le cadre de compétitions internationales diffusées en public où les équipes représentant les États sont alors chargées, pour ce qui concerne la France, d’une mission de service public.

Cette charte n’a donc pas vocation à s’appliquer en tout temps au milieu sportif, notamment dans les lieux gérés par des associations qui ne sont pas chargées d’une telle mission où ont par ailleurs parfois lieu, de façon ponctuelle, des meetings politiques : mon avis est donc défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je partage l’esprit de l’amendement. Qu’il n’y ait pas de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale ne me paraît pas une exigence excessive vis-à-vis des clubs.

Ceci étant, n’est-ce pas à nouveau dans le contrat d’engagement lui-même que nous devrions insérer cette disposition, sans avoir à multiplier les éléments dans la loi ?

Si je ne suis donc absolument pas fermé à l’objectif visé, je souhaite à ce stade le retrait de l’amendement. À défaut, mon avis serait défavorable.

M. Éric Diard. Il s’agit d’une recommandation du Conseil d’État : pourquoi donc ne pas l’intégrer au contrat d’engagement républicain ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Une telle disposition, qui correspond effectivement à une demande du Conseil d’État, peut poser une multitude de problèmes pratiques.

Il faut par ailleurs examiner les autres amendements allant dans le même sens et faire progresser la discussion jusqu’à la séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1857 de la rapporteure.

Elle est saisie, en discussion commune, des amendements CS793 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1330 de M. Éric Diard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement d’interrogation à propos du mille-feuilles de compétences réparties entre le ministère et les autres strates.

Centraliser le contrôle de l’exécution du contrat, donc le retrait éventuel de l’agrément, dans un service existant du ministère semble préférable car de nature à uniformiser les décisions prises et à minimiser le risque de divergence d’interprétation.

Par ailleurs, qui investiguera pour savoir si une association sportive viole le contrat d’engagement républicain ? À qui s’adressera-t-on pour signaler une association aux pratiques séparatistes ?

M. Éric Diard. L’amendement me paraît primordial en ce qu’il remédie à une faiblesse du projet de loi en matière de séparatisme dans le sport. Il ne faut en effet pas se contenter du contrat d’engagement républicain.

Depuis une mesure de simplification du 23 juillet 2015, l’affiliation d’une association sportive à une fédération sportive agréée par l’État vaut agrément. Auparavant, toutes les associations sportives candidates à l’agrément devaient en passer par un arrêté préfectoral, même si elles étaient déjà affiliées à une fédération.

Bien évidemment, les fédérations se saisissent rarement de leur pouvoir disciplinaire. Elles ont plutôt la culture du résultat. De plus, certaines associations ont profité de cette simplification par ordonnance pour s’affilier à plusieurs fédérations : si l’une d’entre elles les repère, ce n’est pas forcément le cas de toutes, ce qui leur permet de continuer à opérer.

Il est donc important de redonner au préfet le pouvoir de délivrer l’agrément. C’était d’ailleurs la proposition no 35 du rapport qu’Éric Poulliat et moi-même avions rédigé. Vous créez le contrat d’engagement républicain ; c’est très bien, mais, à travers lui, vous agissez en aval. Nous vous proposons d’agir aussi en amont. Il est évident que certaines associations séparatistes ne demanderont pas de subventions publiques, et ne signeront donc pas le contrat d’engagement républicain. Ainsi, elles passeront sous les radars.

Je sais que dans plusieurs ministères l’idée que je défends a été jugée intéressante et a été débattue. Le monde du sport n’y est pas opposé non plus. Parmi les préconisations du plan national de prévention de la radicalisation (PNPR) figure celle-ci, sous le numéro 25 : « Sous la coordination locale du préfet de département, développer les actions de contrôle administratif et les orienter vers les disciplines et les territoires impactés par la radicalisation. » Dans cette logique, il est important de redonner au préfet de département le pouvoir de délivrer l’agrément, sans lui enlever, évidemment, celui de le retirer.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Monsieur Diard, je comprends tout à fait votre demande et partage une partie de vos propos. En pratique, nous instaurons déjà un certain nombre de contrôles sur les associations agréées. Par ailleurs, je vous proposerai un peu plus loin, par amendement, que l’agrément des associations sportives cesse de produire ses effets trois ans après l’adoption de la loi si elles n’ont pas souscrit entre-temps au contrat d’engagement républicain. Cela répond en partie à votre demande. Le principe selon lequel l’agrément découle de l’affiliation à une fédération agréée a été retenu à l’occasion de mesures de simplification prises en 2015. Il mériterait, effectivement, d’être rediscuté.

Madame Ménard, j’entends votre volonté d’harmonisation. Néanmoins, une nationalisation du suivi de toutes les associations représenterait une charge considérable. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Éric Diard. L’amendement auquel vous faites référence resserrerait moins les mailles du filet, madame la rapporteure. Il n’empêchera pas non plus les associations de changer de fédération.

Le fait de redonner en amont ce pouvoir au préfet me paraît de nature à lutter plus efficacement contre le séparatisme dans le sport. C’est une mesure fondamentale. Lorsque mon collègue et moi-même l’avons inscrite dans nos propositions, la quasi-totalité des autorités politiques s’y est dite plutôt favorable. Je m’étais également rapproché de plusieurs présidents de fédération, et ils n’y étaient pas hostiles non plus, considérant que ce n’était pas leur travail que de faire un tel criblage des associations ; certains étaient même demandeurs.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je souscris à une partie de vos arguments, monsieur Diard. C’est une des vertus du débat que de faire évoluer les positions.

Ce qui s’opposerait le plus à ce que vous proposez, c’est le fait que la décision inverse a été prise dans un passé très récent pour des raisons de simplification administrative ; il vaut mieux éviter de tels allers-retours. Cela dit, vous proposez de confier la délivrance de l’agrément au préfet de département, c’est-à-dire à l’autorité déconcentrée. Celle-ci devrait être en mesure de se prononcer dans des délais normaux.

Nous sommes prêts à travailler à la question d’ici à la séance. Dans l’attente de ce travail, je vous demande de retirer votre amendement.

M. Éric Diard. Monsieur le ministre, je vous fais confiance – ce n’est d’ailleurs pas la première fois. Nous nous retrouverons donc dans quinze jours. Je retire mon amendement.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. C’est même la troisième fois depuis ce matin que vous me faites confiance : je vais essayer de ne pas en abuser…

Mme Emmanuelle Ménard. Je retire moi aussi mon amendement.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’amendement de coordination CS1858 de la rapporteure.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CS1875 de la rapporteure et l’amendement CS1331 de M. Éric Diard.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je vous propose d’affirmer explicitement que l’agrément est délivré aux fédérations sportives par le ministre chargé des sports, par parallélisme avec ce qui est prévu s’agissant de son retrait. Du reste, c’est déjà ce qui se fait actuellement.

La commission adopte l’amendement CS1875. En conséquence, l’amendement CS1331 tombe.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1859 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS89 de Mme Marie-Pierre Rixain.

M. François Cormier-Bouligeon. C’est un amendement de cohérence par rapport à l’amendement CS39, que nous avons adopté tout à l’heure. L’amendement CS39 s’adressait aux associations sportives ; l’amendement CS89 concerne les fédérations sportives agréées.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1860 de la rapporteure.

Elle est saisie de l’amendement CS1266 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Le sport est affecté par des phénomènes de repli communautariste, de prosélytisme religieux et de radicalisation. L’article 25 prévoit que les associations agréées, qui exécutent une mission de service public, en plus de souscrire au contrat d’engagement républicain, doivent « veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes ». Le Conseil d’État a indiqué qu’il serait bienvenu de s’inspirer également de l’article 50 de la charte olympique. Nous proposons donc de préciser que chaque fédération agréée veille « à ce que l’appartenance religieuse des participants à une compétition sportive organisée par elle ou par les associations qui lui sont affiliées ne donne lieu à aucune manifestation ostentatoire ». Il s’agit de s’inspirer de ce qu’a fait la fédération française de football, contrairement à d’autres fédérations sportives dont on sait pourtant qu’elles sont soumises à des phénomènes d’entrisme et de radicalisation, par exemple dans le domaine des arts martiaux. Cette remarque ne vise pas à mettre en cause les fédérations en question, qui font un travail formidable.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Certaines fédérations ont déjà travaillé sur le sujet, effectivement, notamment la fédération française de football, que nous avons auditionnée. Mais ce n’est pas le cas de toutes. Or l’enjeu est important. Pour les raisons expliquées précédemment, je vous propose de retirer cet amendement pour retravailler à la question d’ici à la séance.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis. La fédération française de football a fait du bon travail, ce qui montre bien qu’il est possible d’agir.

Mme Marie Guévenoux. J’ai bien compris que vous vouliez vraiment travailler à la question en vue de la séance. Je m’inscris dans cette démarche avec plaisir ; je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement de coordination CS1861 de la rapporteure.

Elle en arrive à l’amendement CS1315 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à créer une mutualisation entre le sport de masse et le sport professionnel. La fracture qui se creuse entre ces deux mondes est à l’origine des difficultés que rencontre le mouvement sportif dans son ensemble. Les grands événements comme les Jeux olympiques produisent souvent beaucoup d’argent mais n’ont pas de retombées réelles dans les clubs. On estime que 300 000 équipements arrivent en fin de vie. Faire en sorte que le mouvement sportif ait davantage de moyens ne nous semble pas à côté du sujet : améliorer la vie des clubs permettra d’engager le dialogue avec eux et de leur demander de faire preuve de plus de vigilance sur les questions dont nous parlons.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je comprends l’idée, mais ce que vous proposez ne relève pas de la loi : il revient aux clubs et aux différents acteurs impliqués de s’organiser. Par ailleurs, la rédaction proposée pose quelques difficultés. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Ce n’est pas la première fois que nos collègues de La France insoumise déposent des amendements qui partent certes d’une bonne intention mais sont un peu en dehors de la réalité. Hier, par exemple, l’un d’entre eux, qui concernait les délégués départementaux de l’éducation nationale (DDEN) et l’instruction en famille, m’a valu un coup de fil du président des DDEN de mon département, car, contrairement à ce qu’indiquait l’amendement en question, signé de M. Mélenchon, les DDEN n’appartiennent pas à l’éducation nationale et, dans leurs statuts, figure l’interdiction de contrôler le contenu des activités pédagogiques.

En ce qui concerne le lien entre le sport professionnel et le sport amateur, l’intention est bonne, mais ce qui est demandé est déjà organisé. Nos collègues de La France insoumise l’ignorent peut-être, mais nous sommes un certain nombre de députés du groupe majoritaire à nous battre depuis trois ans pour relever le plafond de la taxe Buffet, prélevée sur les droits de retransmission télévisée – notamment du football – et qui alimente le budget de l’Agence nationale du sport, ce qui permet, précisément, de financer les clubs amateurs. Je pourrais donner d’autres exemples de ce que nous faisons dans ce domaine. Oui, nous devons absolument maintenir très serré le lien entre le monde sportif professionnel et le monde sportif amateur, mais non, chers collègues de La France insoumise, on ne peut pas dire qu’il n’existe rien pour le faire.

M. Alexis Corbière. Je pourrais faire la même chose que vous pour chaque amendement : mettre le disque pendant cinq minutes, réciter la messe, dire tout le mal que je pense de La République en marche. Je suis ravi d’apprendre qu’un amendement que j’ai présenté hier vers dix-neuf heures a provoqué immédiatement un appel du président des DDEN de votre département, monsieur Cormier-Bouligeon. Nous y croyons tous, bien entendu…

Il y a des moments où l’on peut juger important de se répondre, mais si je faisais pour chaque amendement la même chose que notre collègue, monsieur le président, vous finiriez par m’expulser, et vous auriez peut-être raison, car nous y serions encore dans trois semaines !

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, je partage votre volonté que nous puissions étudier les derniers articles, non seulement dans la sérénité, mais également d’ici à la fin de journée. Cela dit, je vous rassure : je ne vous ferai pas expulser, car je suis très respectueux de la parole de chacun, mais aussi du règlement de notre assemblée, qui ne prévoit pas une telle pratique.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1594 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Je vais essayer de recréer un peu de consensus…

Cet amendement, comme les suivants, est issu des travaux du groupe d’études sur le sport, que j’ai le plaisir et l’honneur de présider. Ce groupe d’études, qui est l’un de ceux comportant le plus de membres, s’est saisi à l’automne, notamment en prévision de l’examen du projet de loi, des atteintes aux principes républicains, du communautarisme et de la radicalisation dans le monde du sport. Nous avons procédé à des dizaines d’auditions de fédérations, d’experts et d’universitaires, ce qui nous a permis d’enrichir le constat dressé par les rapports parlementaires ayant déjà abordé les enjeux du séparatisme dans le monde du sport – celui de notre collègue sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio et celui d’Éric Diard et Éric Poulliat.

Nous nous sommes demandé comment protéger le mouvement sportif. Seules 43 % des fédérations sportives se sont dotées d’un référent radicalisation, selon le chiffre rapporté par la commission d’enquête du Sénat. Seuls quarante-six référents avaient été nommés en 2018, quatre en 2019. Nous ne saurions nous contenter de ces résultats alors que la radicalisation, le communautarisme et les atteintes aux principes de la République s’immiscent dans la vie des fédérations et associations sportives. Nous devons absolument aider les fédérations, leurs dirigeants, leurs bénévoles et leurs licenciés à se protéger.

Nous proposons donc que l’État, dans la compétence régalienne qu’il lui reste dans ce domaine à travers le ministère des sports, aide les fédérations à se doter de référents sécurité. Cette dénomination couvrira un champ très large : les référents sécurité aideront les clubs, comités, ligues et fédérations au quotidien et assureront la sécurité des délégations lors des déplacements à l’étranger, à l’occasion des compétitions internationales.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Je partage tout à fait l’objectif et l’esprit de votre proposition, et, lors des auditions, le besoin d’un tel référent sécurité a été exprimé. Néanmoins, j’appelle votre attention sur une question rédactionnelle et vous propose de retirer cet amendement pour que nous retravaillions ensemble la question en vue de la séance. En effet, il existe dans certaines fédérations des référents radicalisation, comme vous l’avez signalé ; dans cet amendement, il est question d’un référent sécurité ; dans le plan national de lutte du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, il est fait état d’un référent citoyenneté ; dans certaines fédérations, hélas, le besoin de référents dopage se fait sentir. Plutôt que d’inscrire les référents sécurité dans la loi, nous pourrions travailler à inclure cette dimension d’une manière un peu plus globale dans le contrat de délégation.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Compte tenu de la qualité de la réponse de notre collègue rapporteure, qui me tend la main, je retire l’amendement. Nous allons travailler avec le ministère.

L’amendement est retiré.

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1593 de M. François Cormier-Bouligeon et CS1267 de Mme Marie Guévenoux.

M. François Cormier-Bouligeon. Si la politique est parfois un sport, et même un sport de combat, il convient que le sport ne devienne pas un lieu d’expression politique. Ce serait trahir le vœu que formulait le baron Pierre de Coubertin devant les congrès olympiques, à l’hôtel de ville de Prague, en 1925 : « Si l’Olympisme moderne a prospéré c’est parce qu’il y avait à sa tête un conseil d’une indépendance absolue, que personne n’a jamais subventionné et qui, se recrutant lui-même, échappe à toute ingérence électorale et ne se laisse influencer ni par les passions nationalistes ni par la pesée des intérêts corporatifs. »

Nous proposons que le sport soit dégagé de toutes les influences religieuses, politiques et syndicales. Les terrains de sport doivent rester des espaces d’émancipation – d’émancipation républicaine, ajouterai-je, car je suis un républicain de progrès. Les activités physiques et sportives contribuent à l’apprentissage des valeurs et des principes de notre République. Le mouvement sportif français doit absolument conserver cette orientation. Je salue d’ailleurs la fédération française de football, qui a mis en place un programme éducatif fédéral ayant contribué à former près de 800 000 licenciés, dans 6 000 clubs, aux règles du jeu mais aussi, plus généralement, aux règles de la vie en commun et au principe de laïcité. Nous souhaitons que le contrat de délégation comporte un volet relatif à la laïcité.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Ces amendements visent à la fois les fédérations délégataires et les associations. Si les fédérations sont liées au ministère des sports par un contrat de délégation, ce n’est pas le cas des associations. La question de la neutralité ne saurait donc être traitée de la même façon. Je vous propose donc, dans la lignée de nos discussions précédentes, de retirer ces amendements.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. François Cormier-Bouligeon. Je retire mon amendement : nous travaillerons à la question en vue de la séance.

Mme Marie Guévenoux. Je retire aussi le mien.

Les amendements sont retirés.

La commission examine les amendements identiques CS1113 de M. Jean-Luc Mélenchon et CS1905 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Se réclamer du baron Pierre de Coubertin pour défendre la République, c’est ne pas connaître le personnage : réactionnaire notoire, raciste, misogyne, il participa aussi, accessoirement, aux Jeux olympiques de 1936, adoubant ainsi Adolf Hitler. Comme référence, on peut trouver mieux…

L’alinéa 24 dispose que les fédérations sportives doivent promouvoir le contrat d’engagement républicain. Vous connaissez notre opinion sur ce contrat : à ce stade, une orientation générale est donnée, mais on ne sait pas exactement de quoi il est question.

Par ailleurs, la disposition que nous proposons de supprimer méconnaît ce qu’est le mouvement sportif : si l’on n’accompagne pas vraiment celui-ci, tout cela risque de se transformer, dans de nombreux clubs, en une sorte de bouillie. La promotion des principes républicains se limitera à l’apprentissage de La Marseillaise et à l’installation d’un drapeau tricolore. À mes yeux, les principes républicains, ce n’est pas seulement cela. Vous faites de la surenchère, sans que ces dispositions trouvent la moindre déclinaison concrète.

S’il s’agit de dire aux clubs sportifs et aux éducateurs qu’il faut apprendre aux jeunes à respecter la loi et à combattre le racisme, je suis d’accord ; mais, en l’état, le propos est trop général. En outre, il nous semble révéler une incompréhension des relations qui doivent être celles d’un État républicain avec ses clubs sportifs. Ces derniers ne doivent pas être des instruments de propagande, surtout s’il s’agit de relayer un discours très mal digéré.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Avis défavorable. L’alinéa 24 concerne la stratégie nationale, qui est tout à fait bienvenue. Nous avons déjà échangé avec les fédérations à ce propos.

La commission rejette les amendements.

Elle adopte l’amendement de précision CS1862 de la rapporteure.

Elle examine l’amendement CS1589 de Mme Fabienne Colboc.

Mme Fabienne Colboc. L’article 25 conditionne la délivrance de l’agrément aux fédérations sportives à la signature du contrat d’engagement républicain, lequel comprendra l’engagement « de veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs » et « de participer à la promotion et à la diffusion auprès des acteurs et publics de leur discipline sportive des principes du contrat d’engagement républicain ».

Les fédérations sportives sont déjà très engagées dans la promotion des valeurs de la République, notamment à travers leurs actions de formation. Il semble opportun de mettre celles-ci en avant. Dans le cadre de la stratégie nationale visant à promouvoir les principes du contrat d’engagement républicain, les fédérations seraient encouragées à intégrer des modules obligatoires, tant pour les formations encadrant l’activité des bénévoles que pour celles dispensées par les fédérations en vue de l’obtention de diplômes d’État.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1863 de la rapporteure.

Elle examine les amendements CS1393 et CS1392 de M. Éric Diard.

M. Éric Diard. L’article 6 induit une application immédiate du contrat d’engagement républicain. L’article 25, quant à lui, prévoit en réalité une application différée à l’année 2025. Je propose que le dispositif entre en vigueur en 2022. On peut comprendre que la mesure soit légèrement différée, pour laisser le temps de mettre en œuvre la disposition, mais l’année 2025 me paraît trop lointaine au vu de la nécessité de conforter le respect des principes républicains dans certains milieux sportifs. Pourquoi est-ce que je propose 2022 ? D’abord, parce que je pense à mes amis Alexis Corbière et François Cormier-Bouligeon : la Coupe du monde de rugby aura lieu en 2023 et les Jeux olympiques en 2024. Ensuite, et surtout, pour des raisons d’efficacité plus immédiate.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il est quand même préférable de prévoir une durée suffisamment longue pour permettre aux fédérations délégataires de s’adapter, d’autant plus que le renouvellement des délégations est prévu à l’issue des prochains Jeux olympiques. Toutefois, nous pourrions réfléchir à un amendement visant à avancer l’entrée en vigueur à 2024. En tout état de cause, 2023 me semble être une date trop proche.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Je suis assez d’accord avec le raisonnement de M. Diard, mais la rapporteure a raison. Peut-être un compromis est-il possible ?

M. Éric Diard. Je vous propose de rectifier mon amendement CS1393, qui était un amendement de repli par rapport à l’amendement CS1392, en substituant « 2024 » à « 2023 ».

La commission adopte l’amendement CS1393 ainsi rectifié. En conséquence, l’amendement CS1392 tombe.

Elle en arrive à l’amendement CS1864 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il dispose : « Tout agrément accordé à une association sportive ou résultant de l’affiliation à une fédération sportive agréée par l’État en application de l’article L. 131-8 du code du sport antérieurement à la date de publication de la présente loi cesse de produire ses effets trente-six mois après la date de publication de la présente loi à défaut de signature du contrat d’engagement républicain mentionné à l’article 10-1 de la loi no 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. » Son objectif est d’inciter les associations agréées à souscrire au contrat d’engagement républicain.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1865 de la rapporteure.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Il permet d’élargir le périmètre du contrôle de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche sur les fédérations agréées. Celui-ci est lié à la tutelle : dans la mesure où cette notion va être remplacée par celle de contrôle, il est nécessaire d’ajouter cette mention.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Avis favorable. C’est l’occasion de souligner l’importance de l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, qui résulte de la fusion, opérée il y a deux ans, entre les deux inspections générales de l’éducation nationale, celle de la jeunesse et des sports et celle des bibliothèques. Nous sommes heureux d’avoir cette grande inspection générale, qui permet justement le type de contrôle pluridisciplinaire et très professionnel que suppose cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte l’article 25 modifié.

Après l’article 25

La commission examine l’amendement CS822 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il vise à inscrire la laïcité dans le code du sport. Compte tenu du fait que M. le ministre s’est montré ouvert à une discussion sur cette question, je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1627 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Cet amendement est une déclaration de confiance, de respect et d’amour au mouvement sportif français. Nous proposons d’enrichir l’article L. 100-1 du code du sport en y ajoutant que les activités physiques et sportives « contribuent notamment à la construction de la citoyenneté et à l’apprentissage des principes et valeurs de la République ». Aimé Jacquet – j’espère que cette référence conviendra à Alexis Corbière – a dit : « Le sport est une école de la vie. » J’ajoute qu’il est une école de la citoyenneté et de l’apprentissage des valeurs de la République.

Le mouvement sportif est percuté de plein fouet par une pression politico-religieuse qui dévoie parfois le rôle positif du sport. Ces phénomènes existent, mais les polémiques et les stigmatisations qu’ils provoquent ne doivent pas faire oublier le rôle social très fort du sport. Des millions de jeunes licenciés apprennent les règles de vie au sein de leur club. Lorsque l’on s’incline face à son adversaire au judo, on lui témoigne une forme de respect. Le sport permet d’apprendre les valeurs qui nous rassemblent, au-delà de nos différences : il apprend à vivre en société. Les valeurs du mouvement sportif français sont simples et positives. Ce sont des valeurs qui nous rassemblent. Le sport est pour les jeunes une école de la citoyenneté, de nos valeurs et de nos principes. Les fédérations et associations sportives y contribuent pleinement. L’amendement vise à ancrer la reconnaissance de ce rôle dans la loi.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Vous avez raison de rappeler l’importance du sport dans l’apprentissage de la citoyenneté et des règles de la vie collective. De nombreux sports permettent d’acquérir le sens du respect, notamment, dès le plus jeune âge. L’inscrire dans la loi contribue à valoriser le travail que font tous les acteurs du sport. Avis favorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Cet amendement est tout à fait bienvenu : il permet d’ancrer les principes qui devraient nous rassembler autour de ce projet de loi. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle en arrive à l’amendement CS1626 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Nous avons créé en 2019 l’Agence nationale du sport, conformément à notre ambition de réformer le modèle sportif français. Nous avons créé un espace de gouvernance partagée représentant l’ensemble des acteurs : l’État, les collectivités locales, le mouvement sportif et les acteurs économiques du monde du sport. Je suis un peu étonné qu’aucune disposition du projet de loi ne fasse état de cette agence – qui, dit par parenthèse, était présidée il y a quelques mois encore par notre Premier ministre. Le ministère des sports ne distribue plus la majorité des subventions publiques : c’est l’Agence nationale du sport qui s’en charge, avec un budget qui dépassera cette année les 300 millions d’euros, sans compter le plan de relance. Si le contrat d’engagement républicain permet de reprendre les subventions aux associations qui ne respectent pas nos principes, je souhaite que des engagements forts en la matière s’appliquent tout autant à l’Agence nationale du sport, chargée de distribuer ces subventions. C’est une question de cohérence politique.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cet amendement permet d’inclure explicitement l’Agence nationale du sport dans ces enjeux, pour conforter le respect des principes de la République. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1112 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Il vise à démocratiser les fédérations sportives : dans nombre d’entre elles, les licenciés ne sont pas représentés dans les instances dirigeantes. L’absence de transparence et de démocratie d’une partie du mouvement sportif affaiblit celui-ci plutôt qu’elle ne le renforce.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La démocratie dans le sport est un enjeu extrêmement important, qui pourrait être précisé dans le contrat de délégation qui découlera du projet de loi, mais ne relève pas du domaine de la loi. Je demande le retrait de l’amendement ; à défaut, avis défavorable.

M. François Cormier-Bouligeon. Je rappelle un point de droit : les fédérations sportives sont des fédérations de clubs. L’objet du renforcement de la démocratie au sein des fédérations est donc de permettre davantage l’expression des clubs, par exemple lors de l’élection des instances dirigeantes. C’est précisément l’une des dispositions que nous voulons inscrire dans le futur projet de loi relatif au sport et à la société ; j’espère qu’elle bénéficiera du plein soutien de Jean-Michel Blanquer – mais je n’en doute pas un seul instant.

La commission rejette l’amendement.

L’amendement CS811 de Mme Perrine Goulet est retiré.

La commission étudie l’amendement CS817 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il s’agit de consacrer la neutralité des encadrants, notamment dans leur formation.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’amendement est satisfait par l’adoption de celui de Mme Colboc.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

L’amendement est retiré.

La commission en vient à l’amendement CS1690 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Selon les chiffres communiqués en 2017 par le directeur de l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), près de 10 % des 8 000 personnes fichées au Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) évoluaient dans le milieu sportif. Parmi elles se trouvaient des éducateurs, décrits par le chercheur Médéric Chapitaux comme des « éducateurs sportifs recruteurs ». Et d’ajouter que le danger est immense car l’influence que peut avoir un éducateur sportif recruteur sur un sportif ou un groupe d’individus est particulièrement forte. Elle est même plus importante que la seule influence spirituelle que l’on reproche à certains prêcheurs puisque les éducateurs sportifs recruteurs peuvent préparer en même temps le corps et l’esprit. Vous connaissez tous la différence entre le petit djihad et le grand djihad, qui a notamment été décrite par Gilles Kepel.

Ce type de profil existe et il convient de les empêcher d’œuvrer du fait du danger qu’ils représentent pour la société. Dans notre pays, près de 8,5 millions de mineurs ont une licence sportive. Il est absolument nécessaire de protéger ce public contre ceux qui sèment la division dans notre République. Par cet amendement, nous proposons d’étendre le contrôle d’honorabilité prévu pour les encadrants sportifs à la consultation des fichiers de prévention de la radicalisation, dans le strict respect des droits fondamentaux.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. La consultation du FSPRT est impossible. Avis défavorable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. La question se pose toujours dans les mêmes termes pour la consultation des fichiers de renseignements mais n’oublions pas le travail de concertation interministériel qui peut être réalisé sur le terrain, notamment dans le cadre des cellules départementales. Je partage l’esprit de cet amendement mais il ne sera pas possible de l’adopter. En revanche, le fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) pourrait être pris comme référence.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Peut-on utiliser un fichier qui, comme le FSPRT, recense les personnes susceptibles de commettre des actions terroristes ou violentes, pour surveiller certaines professions sensibles ? Le législateur l’a accepté pour les policiers et les gendarmes. Les métiers d’éducateur sportif ou d’enseignant sont-ils suffisamment sensibles pour justifier une telle consultation ? Je ne le pense pas car, dans ce cas, beaucoup d’autres métiers pourraient être considérés comme sensibles et, si tout le monde accède à ces fichiers, ils ne servent plus à rien. Leur principe est justement de tenir secret le nom des personnes qui y sont recensées pour que les services de renseignement puissent continuer à les surveiller. À force d’étendre le nombre de ceux qui peuvent les consulter, ils ne serviront plus à rien et on ne pourra plus prévenir les attentats.

En revanche, nous pourrions renvoyer à la séance publique la question de la consultation d'autres fichiers, comme le FIJAIT, qui recense les auteurs de certaines infractions terroristes. L’acte est alors avéré et public puisque la personne a été condamnée ou mise en cause pour ces infractions.

Si je devais résumer ma position par un slogan, ce serait : oui au FIJAIT, non aux fiches S.

M. François Cormier-Bouligeon. Très bon slogan, monsieur le ministre. Nous modifierons l’amendement en conséquence. Aujourd’hui, le monde associatif sportif a le sentiment de ne pas être totalement protégé contre les agissements de ces personnes et de servir de lieu de surveillance, ce qui leur est fort désagréable. Ils ont l’impression qu’au motif de renseignement, on peut mettre les mineurs en danger. Le débat est sensible.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends votre préoccupation. Lorsque des rumeurs circulent, rien n’empêche le président de l’association de prendre contact avec les renseignements territoriaux ou le préfet, pour, sans accéder au fichier, demander ce qu’il en est. Il arrive par ailleurs que des personnes soient fichées alors qu’elles ne représentent pas un danger immédiat. Je peux, avec le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, redonner des consignes pour que, si un éducateur sportif est fiché, les services puissent en discuter avec le président de l’association. Il ne s’agit pas forcément de le renvoyer de l’association mais, au moins, de ne pas le mettre en contact avec des jeunes. Cette discussion républicaine est possible.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS818 de Mme Perrine Goulet.

Mme Perrine Goulet. Il s’agit de compléter les dispositions du code du sport relatif aux équipements sportifs afin d’y interdire les manifestations ou activités cultuelles. Nous avons auditionné le référent radicalisation de la fédération de boxe qui nous a fait part de pratiques problématiques, comme des prières dans ces équipements sportifs avant ou après les matchs, assorties de pressions sur les jeunes s’ils ne veulent pas s’y soumettre. Il faudrait envoyer un signal fort pour que ces instances sportives ne deviennent pas des lieux de pratique de la religion.

Bien sûr, le préfet, après avis du maire de la commune, pourrait déroger à cette interdiction dans les cas où il peut être nécessaire de prêter des équipements sportifs ponctuellement, pour certaines célébrations, afin d’éviter qu’elles ne se déroulent dans la rue.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. L’article L. 312-2 du code du sport vise tous les équipements sportifs, y compris les équipements privés. Or, on ne peut pas imposer une telle neutralité à des équipements qui ne relèvent pas d’une mission de service public. Avis défavorable ou retrait.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

Mme Perrine Goulet. L’amendement est en effet mal placé. J’y réfléchirai d’ici la séance.

L’amendement est retiré.

La commission passe à l’amendement CS375 de Mme Anne-Laure Blin.

M. Julien Ravier. L’amendement tend à insérer, après l’article 25, l’article suivant : « Chaque fédération ou club sportif, professionnel ou amateur, organise une cérémonie de levée des couleurs, hymne national, suivi de salut au drapeau, avant toute manifestation ou compétition sportive. » L’objectif est de conforter les principes républicains dans le domaine du sport.

Mme Anne Brugnera, rapporteure. Cette proposition est intéressante mais il faudrait préciser le type de manifestation. Je vous invite à le retirer.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. Même avis.

M. Julien Ravier. Je ne peux me permettre de le retirer mais j’espère que nous pourrons y réfléchir ensemble.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS1601 de Mme Brigitte Liso.

TITRE II
Garantir le libre exercice du culte

Chapitre Ier 
Renforcer la transparence des conditions de l’exercice du culte

Section 1 : Associations cultuelles

Avant l’article 26

La commission examine l’amendement CS671 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je vous propose une nouvelle rédaction de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Ce projet de loi qui vise à conforter le respect des principes de la République pose quelques problèmes puisque, au lieu de garantir les libertés individuelles, il instaure des principes à portée uniforme qui sanctionnent de façon disproportionnée le libre exercice des cultes, notamment la liberté de l’église catholique.

Au lieu de nommer spécifiquement les dérives islamistes comme ennemi des principes qui fondent notre pays, ce texte risque de contredire un travail mené de longue date entre l’Église catholique et l’État alors que, depuis plus de cent ans, l’un et l’autre ont appris à vivre à la fois séparément et dans le respect mutuel.

Cet équilibre ne s’est d’ailleurs pas trouvé sans douleur puisque la loi de 1905 a conduit à l’exil de plus de 30 000 religieux et religieuses catholiques.

Alors que la blessure infligée aux catholiques était béante, la loi de 1905 a été fermement combattue par eux-mêmes et le Pape Saint Pie X. C’est au prix de longues négociations qu’un statut légal a été garanti à l’Église catholique par convention internationale entre le Saint-Siège et la France.

Aujourd’hui, c’est tout ce travail que vient remettre en question ce projet de loi discuté en temps législatif programmé, empêchant ainsi tout débat et défense de position.

Si je vous explique tout cela à présent, monsieur le président, c’est parce que je n’aurai sans doute pas une seule minute de temps de parole dans l’hémicycle en ma qualité de députée non inscrite. C’est pourquoi j’ai assisté à toutes les réunions de la commission spéciale même si je n’en suis pas membre.

Ce texte ne tient pas suffisamment compte des garanties offertes aux catholiques par l’échange de lettres Poincaré-Cerretti en 1923 et 1924, toujours en vigueur et publiées au Journal officiel à la faveur d’un échange de lettres Baldelli-Védrine en décembre 2001, interprétatif du précédent.

Au-delà de l’inefficacité du texte pour combattre activement les dérives islamistes, il s’agit bien d’une atteinte aux équilibres obtenus au sujet du statut légal de l’Église catholique en France, grâce aux relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège.

Cet amendement vise à rappeler que ce n’est pas la République, simple régime politique, qui garantit la liberté de conscience, mais bien l’État français, à travers tous les régimes politiques assumés. Par sa présence multiséculaire en France et son lien avec l’histoire de notre nation, l’Église catholique ne peut être traitée tout à fait de la même manière que d’autres cultes arrivés plus récemment dans notre pays.

M. le président François de Rugy. Selon une disposition de notre règlement, que le président Jean-Louis Debré faisait rigoureusement respecter à l’époque où il était président de notre assemblée, il est interdit de lire une défense d’amendement, en particulier l’exposé des motifs,

M. Florent Boudié, rapporteur général. La réécriture de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 pose de grandes difficultés, d’autant plus que vous ne cherchez pas à faire respecter les principes de la République mais à les modifier et à les transformer. Je préfère l’écriture de cet article tel qu’il est rédigé depuis 1905 : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

Restons-en à l’un des piliers fondamentaux de notre République plutôt que d’aller dans le sens de votre travestissement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous modernisons le régime des cultes tout en restant fidèles aux grands principes de la loi de 1905, inscrits notamment à l’article 1er de cette loi, qui a valeur constitutionnelle. L’organisation des cultes est particulièrement complexe, parfois un peu passée, tout le monde en convient, mais elle nous permet de lutter contre les idéologies. Le Conseil constitutionnel a reconnu à la liberté de culte la valeur d’une liberté fondamentale, qui ne peut être limitée que pour la sauvegarde de l’ordre public. Le Président de la République s’est engagé à ne pas modifier les principes inscrits aux premiers articles de la loi de 1905, qui sont un héritage important et ont apporté la preuve de leur efficacité. Ils sont aussi une marque de la continuité historique, puisqu’ils s’inscrivent dans le sillage des grands textes qui fondent le principe de laïcité, des lois sur l’instruction publique. Plus généralement, ils s’inscrivent dans cette évolution historique qui fait qu’aujourd’hui, on ne prie plus à l’entrée des Chambres, comme cela se pratiquait sous la IIIe République. La loi de 1905 s’inscrit dans la continuité de l’important travail réalisé sous la monarchie, le Consulat et l’Empire, pour qu’aujourd’hui, la République ne reconnaisse aucun culte.

Bien évidemment, tout comme le rapporteur général, je ne suis pas favorable à votre amendement. Il est étonnant que vous vouliez remplacer République par État français. Peut-être est-ce un lapsus mais, en tout cas, vous l’avez suffisamment répété. Cette provocation n’était pas utile d’autant plus que la forme républicaine de notre régime, protégée par la Constitution, ne peut être remise en cause. Vous vous demandiez pourquoi nous avions changé le titre du texte. Si même le terme de République est gênant, je comprends que vous ayez du mal à accepter le nouveau titre. Avis défavorable, bien évidemment.

Mme Emmanuelle Ménard. Il ne s’agit pas de remettre en cause la République mais de rappeler qu’elle est un régime comme un autre qui fait partie de l’histoire de France.

M. Alexis Corbière. Un régime comme un autre ! Comme la monarchie, par exemple !

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne suis pas monarchiste. Ce procès que vous me faites n’a pas de sens. Notre pays appartient à cette civilisation chrétienne, de très longue date. Avant la République, notre pays a connu d’autres régimes, critiquables, comme la République peut l’être sous certains aspects. En tout état de cause, je n’ai pas voulu remettre en cause la République. J’ai l’impression de faire bondir à chaque fois que je dis que notre pays appartient à cette civilisation chrétienne. C’est pourtant une réalité ! L’espace français, les paysages français, les monuments français, les musées français, la littérature française sont intimement liés à cette civilisation judéo-chrétienne. Du fait de cette histoire judéo-chrétienne, on peut se poser la question de placer sur le même plan les différentes confessions pratiquées dans notre territoire. Oui, il existe des traditions dans notre pays, pour l’essentiel de civilisation judéo-chrétienne.

M. le président François de Rugy. Même si je suis en profond désaccord avec vous, pour ce qui est du fond de votre amendement et de l’emploi de l’expression « État français », qui est une référence historique assez lourde puisque c’est ainsi que le Maréchal Pétain a souhaité nommer le régime qu’il avait institué en 1940, je vous remercie pour ce petit détour historique qui témoigne que l’histoire ne fut jamais simple mais toujours conflictuelle dès lors qu’il s’est agi de fixer des règles pour que les religions ne dirigent pas tout et que s’applique la loi débattue dans les assemblées, et non celle de Dieu. Par ailleurs, l’influence étrangère, souvent évoquée dans le domaine religieux, existe depuis toujours. C’est aussi une affaire diplomatique entre la France et le Vatican. Si je ne m’abuse, le Pape nomme les évêques en France, ainsi que le nonce apostolique, chargé de représenter le Vatican. Ces sujets sont complexes et les rappels historiques nous invitent à la mesure par rapport aux propos simplistes que l’on peut entendre sur le sujet.

M. Alexis Corbière. Je vous remercie, sans ironie, madame Ménard, pour la cohérence de votre pensée. Ce que vous proposez est très intéressant : remplacer République par État français, jeter le mot de laïcité au sol. Vous reformulez les deux articles principaux de la loi de 1905 jusqu’à leur faire perdre leur sens : l’État français serait fort de son héritage chrétien dans l’amendement CS671 tandis que vous voulez valoriser un culte en particulier là où la loi de 1905 dispose que la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. Vous affirmez clairement qu’on ne peut pas mettre toutes les religions sur le même plan.

L’apport de la laïcité, après des siècles de conflits, de guerres civiles, de guerres de religion, de remise en cause de l’Édit de Nantes, est essentiel. Enfin, nous avons trouvé une formule magique, si je puis dire, un élément de concordat : la loi traite de la même façon toutes les religions. Aucune ne peut revendiquer un privilège. Bien sûr, la France compte une majorité de catholiques et personne ne nie que le culte catholique a façonné notre paysage. Garantir le libre exercice des cultes, ce n’est pas nier notre histoire, mais au contraire la respecter. Nous vivons aujourd’hui dans une République que nous avons réussi à rendre laïque. Toutes les religions, quel que soit le moment où elles se sont développées dans notre pays, se valent aux yeux de la loi, même si notre pays compte beaucoup plus de musulmans aujourd’hui qu’en 1905. Il est intéressant de voir comment certains essaient de remettre en cause ce principe qui découle du principe républicain de l’égalité des citoyens devant la loi. Je respecte les idées de chacun. Je constate simplement que des personnes emploient régulièrement des mots comme République ou laïcité mais, lorsqu’il s’agit de les définir, en bafouent totalement le sens.

Je souhaite que Mme Ménard puisse présenter cet amendement en hémicycle. Le débat est si intéressant qu’il devrait avoir lieu devant tous nos concitoyens.

M. le président François de Rugy. Mme Ménard peut défendre ses amendements ici alors qu’elle ne fait pas partie de la commission spéciale. D’autres l’ont fait avant elle. Je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas les présenter en séance publique.

M. Éric Diard. C’est à cause du temps législatif programmé.

M. le président François de Rugy. C’est un autre problème qui tient au statut des députés non-inscrits.

M. François Cormier-Bouligeon. Il est important que tous les groupes puissent réagir. Je respecte Mme Ménard qui est une parlementaire assidue au sein de cette commission spéciale et dans l’hémicycle. Je la remercie pour la franchise de ses propos, ce qui ne m’empêche pas d’être profondément révolté par cet amendement.

Mme Ménard propose de réécrire l’article 1er de la loi de 1905 qui dispose que la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. La proposition de Mme Ménard a le mérite de clarifier le débat. Depuis plusieurs années, on dit que l’extrême-droite serait dédiabolisée dans notre pays, que le clan Le Pen serait devenu républicain. On entend même parfois cette partie de la vie politique française défendre la laïcité, en la dévoyant bien évidemment. Pour une fois, les choses sont claires. L’extrême-droite, dans l’hémicycle, propose de remplacer la République par l’État français et d’inverser les facteurs de l’article 1er en plaçant la liberté religieuse, en référence à l’héritage chrétien, avant la liberté de conscience. Je vous le dis, madame Ménard, la liberté absolue de conscience, nous la défendrons toujours car elle permet à chacun de nos concitoyens, quel qu’il soit, de croire ou non, de pratiquer un culte ou non, de changer de culte s’il le désire, ou d’abandonner un culte. La liberté de conscience est fondamentale. Nous la défendrons dans l’hémicycle, je vous le garantis !

Mme Emmanuelle Ménard. Vous me faites dire ce que je n’ai pas dit, ce n’est pas honnête.

M. Frédéric Petit. Je ne me sens pas choqué par vos propos, madame Ménard, ni par les faits que vous rappelez. Ce sont des faits. Ils n’ont rien à faire dans les lois de la République car elles ne sont ni un livre d’histoire, ni une remarque historique, ni une confrontation. Ce sont les lois de la République et la loi de 1905 est l’une d’elle. Elle consacre la neutralité de la République mais cela ne signifie pas que vos phrases soient choquantes. Vous rappelez simplement des faits historiques. Cela étant, ce rappel historique est partiel car la République que nous revendiquons ne s’applique pas qu’à des territoires qui compteraient de nombreuses églises. Certains territoires n’ont pas été façonnés de la même manière, notamment parce qu’ils se trouvaient sous d’autres latitudes. Vous pourriez faire des remarques géographiques, climatiques : elles n’auraient pas leur place dans les lois de la République française.

M. Guillaume Vuilletet. On ne peut pas employer les mots « État français » sans faire réagir, madame Ménard. D’ailleurs, vous ne les avez pas employés par hasard. La République ne reconnaît aucun culte. La France a connu une succession de régimes mais la République en est un aboutissement, obtenu après des révolutions, des révoltes. Les Français ont conquis leur liberté en versant leur sang. La République n’est pas un régime parmi d’autres : il est celui qui nous permet d’être libres aujourd’hui. Personne ne nie l’héritage chrétien mais n’oublions pas l’héritage historique, celui des Lumières, celui de toutes les civilisations qui l’ont nourri.

On a beaucoup glosé sur les raisons du changement de titre de ce projet de loi, qui est passé de « projet de loi contre le séparatisme » à « projet de loi confortant le respect des principes de la République ». La raison en est pourtant simple : ce texte tend à ce que chacun puisse vivre sa spiritualité, en son âme et conscience, sans empiéter sur la liberté d’autrui mais sans y être contraint non plus.

La plupart des associations cultuelles musulmanes relèvent du régime de la loi de 1901 alors qu’elles devraient relever de celui de la loi de 1905. Notre objectif est de pacifier et de dédiaboliser nombre de situations. M. Corbière a employé le mot concordat. J’ai cru comprendre qu’il pouvait revêtir une autre signification. En réalité, le mot est juste : nous voulons aboutir à une forme de concorde pour que tous ceux qui ont une foi puissent la vivre dans le respect du vivre-ensemble, qui fonde notre République.

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Je suis toujours surpris d’entendre, en commission, des propos d’estrade. Nous sommes en commission pour construire la loi. Si nous nous mettons à y faire un débat d’hémicycle, cela est moins efficace et le message politique se perd. Si nous pouvions, ce samedi matin, poursuivre notre travail sur les amendements et le fond du texte et réserver ces débats passionnants pour l’hémicycle, ce serait plus pertinent.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je ne suis pas tout à fait d’accord, monsieur Houlié. Ce temps de clarification est nécessaire.

Madame Ménard, vous reconnaissez que l’extrême-droite…

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne m’appelle pas extrême-droite !

M. Florent Boudié, rapporteur général. …en France, a été, de tout temps et à jamais, l’ennemie de la République, à tel point que vous souhaitez en supprimer le mot même, à l’article 1er de la loi de 1905, qui a pourtant valeur constitutionnelle. Vous évoquez l’héritage chrétien, les racines chrétiennes, mais personne, dans cette assemblée, n’a de problème avec cet héritage qui est, d’ailleurs, judéo-chrétien. Simplement, vous remettez en cause un principe fondamental, celui de la non-reconnaissance d’une religion en particulier, ce qui ne signifie pas que l’État ignore les religions. Parce qu’il est neutre envers toutes, il ne s’attache à aucune en particulier. Ce principe fondamental est l’essence même de notre régime politique, de notre régime de liberté.

Je suis très heureux que cet amendement permette de montrer ce qu’est encore, aujourd’hui, le visage de l’extrême-droite.

M. Gérald Darmanin, ministre. Reprenons littéralement l’amendement de Mme Ménard. Tout d’abord, son amendement mentionne l’héritage chrétien mais, je suis désolé, il est judéo-chrétien. Devant la pression, elle a ajouté judéo dans sa présentation. Et si d’autres pressions s’exercent encore, nous aurons toutes les autres religions. Finalement, comme la République reconnaît toutes les croyances, ce n’est peut-être pas la peine de changer de rédaction. Il est tout de même bizarre que l’héritage soit judéo-chrétien quand vous en parlez, madame Ménard, mais qu’il ne soit plus que chrétien dans la rédaction de votre amendement. J’ai bien compris que l’État français ne pouvait pas être judéo-chrétien, mais il est important de clarifier les choses. Les gens nous écoutent ! Or, on pourrait croire, à entendre votre discours, qu’il est modéré. La lecture de votre amendement montre qu’il est, au contraire, scandaleux.

Par ailleurs, l’article 89 de la Constitution dispose que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision. Le régime de la République n’est sans doute pas exempt de toute critique mais penser qu’il pourrait y avoir un autre, c’est être profondément contre la République. C’est au sens premier du terme. Vous avez le droit de vous exprimer et de le dire mais ne faites pas croire que c’est un détail.

Enfin, Madame Ménard, vous savez bien que les mots « État français » sont très connotés. D’ailleurs, l’État n’est pas l’État français. Il représente le régime politique, quel qu’il soit, qui a l’action des pouvoirs publics. L’État français a une signification. Comme on écrit la loi française, on imagine bien qu’on ne parle pas d’un autre État, ici. N’ayez pas peur, madame Ménard, des conséquences de vos propos. Vous avez souhaité ce débat politique et il nous a semblé normal de le clarifier. Après tout, peut-être était-ce un autre lapsus que d’avoir oublié judéo.

M. le président François de Rugy. Si nous commençons à parler d’héritage, ce sera sans fin. Nous pourrions parler de l’héritage gréco-romain, de celui des Francs qui ont envahi la France, sans oublier les Celtes, chers à mon cœur.

La commission rejette l’amendement.

M. le président François de Rugy. Permettez-moi, avant de poursuivre nos débats, de faire une remarque. Je comprends votre point de vue, monsieur Houlié. J’étais déjà député lorsque la réforme constitutionnelle de 2008 a prévu que les textes seraient intégralement examinés en commission et que les amendements qui y seraient adoptés seraient intégrés au texte examiné en séance publique. Nous devrons réfléchir un jour au moyen de ne pas refaire en séance publique le débat qui s’est tenu en commission. J’avais proposé, lorsque j’étais président de l’Assemblée nationale, que l’on n’examine pas en séance publique des amendements qui avaient été débattus en commission. Ce n’est pas la procédure actuelle, aussi est-il normal que la commission ne soit pas le lieu des seules discussions techniques et que nous puissions aussi y débattre des grandes orientations d’un texte.

La commission examine l’amendement CS1383 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Je ne lirai pas l’exposé sommaire mais je ferai quatre mises au point. Tout d’abord, je ne fais partie d’aucun clan. Deuxièmement, j’ai rappelé la garantie du libre exercice des cultes et de la liberté de conscience, dans mon amendement. Troisièmement, il ne s’agit pas de remettre en cause l’égalité des citoyens mais de rappeler que toutes les religions n’ont pas le même poids historique en France. Les choses seront peut-être différentes dans deux ou trois siècles, ce que je ne souhaite pas, mais pour l’instant, je ne fais que rappeler une réalité historique. Enfin, je me suis expliquée quant au régime juridique de la République. Ce n’est pas une négation de ce régime politique. Je n’appelle pas à passer à la VIe République ou à un autre régime, je ne suis pas monarchiste ni quoi que ce soit d’autre.

J’en viens à mon amendement. Le 29 avril dernier, j’ai dû écrire au Premier ministre Édouard Philippe pour lui rappeler qu’il était inadmissible, voire insultant pour les croyants, de laisser closes les portes des lieux de culte alors que les commerces pouvaient rouvrir. Je n’étais pas la seule à le dire dans l’hémicycle. Il m’a fallu rappeler qu’exercer en toute liberté sa religion, quelle qu’elle soit, est au moins aussi essentiel pour les croyants que, pour certains, faire du sport ou marcher dans la nature. Déconfiner les lieux de culte aurait dû être l’un des premiers réflexes du Gouvernement. Hélas, il fut l’un des derniers. L’argument épidémique permet, depuis près d’un an à présent, de suspendre, au détour d’un simple décret, la liberté d’exercer pleinement son culte. On a pu constater avec quelle absurdité des jauges étaient parfois décidées de façon uniforme et imposées sans concertation et encore moins acceptation des représentants des cultes, sans parler d’autres mesures censées protéger la santé des Français. Pourtant, la plupart d’entre eux ont joué le jeu. De toute urgence, il convient de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. C’est l’objet de cet amendement.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Première remarque, juridique : vous souhaitez qu’une clause spécifique aux crises sanitaires soit inscrite après l’article 1er de la loi de 1905. C’est un détail qui me paraît un peu complexe à assumer. Après avoir réaffirmé la référence à l’État français, dont nous avons dit ce que nous pensions, vous voudriez que la première chose qui apparaisse soit la crise sanitaire. Ce serait une véritable dénaturation.

Nous voulons précisément lutter contre les communautarismes. Selon vous, en situation de crise sanitaire, chaque communauté devrait s’organiser, décider des mesures à prendre. Il est vrai qu’il faut déterminer des modalités précises s’agissant des cultes : il y a eu des débats sur ce sujet, et l’État a d’ailleurs revu sa position après discussion. Mais il n’est pas question que chaque communauté s’organise toute seule : après avoir introduit l’État français, vous effacez aussitôt son intervention ! Avis très défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Aucun lieu de culte n’a vu ses portes fermées durant la crise sanitaire : chacun a pu y entrer et se recueillir individuellement. Il n’y a pas eu de cérémonies, et encore certaines ont-elles été acceptées, mais il est faux de dire que les églises étaient fermées. Les commerces l’étaient. Par ailleurs, mettre la crise sanitaire dans la loi de 1905, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup ! L’avis défavorable s’impose.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS824 de M. Alexis Corbière et CS1170 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Alexis Corbière. Je suis heureux que d’autres amendement aillent dans le même sens que le mien. Je ne voudrais pas que, dans la passion de nos échanges, ce que je vais dire soit mal entendu.

Le principe de la laïcité, c’est la séparation des Églises et de l’État, énoncée par la loi de 1905. La conséquence en est que le culte n’est pas financé par de l’argent public. Entre en jeu aussi l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Il s’avère que trois départements français, Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle, échappent à cette loi, plus d’autres territoires d’outre-mer comme la Guyane, et cela pour des raisons historiques dépassées. Pour la métropole, nous parlons de la perte de ces trois départements après la défaite de 1870, de la victoire en 1918… Il y a plus d’un siècle !

Dans ces trois départements donc, où la loi de 1905 ne s’applique pas, nous finançons certains cultes ­ pas tous. Soixante millions d’euros d’argent public y sont consacrés chaque année. Les rémunérations des ministres du culte ne sont même pas payées seulement par les habitants de ces départements : l’ensemble des contribuables y participent. Je pourrais aussi expliquer qu’une heure d’enseignement de l’éducation nationale est remplacée par une heure d’éducation religieuse, et ainsi de suite.

Rien ne justifie selon nous le maintien de cette exception, de ces privilèges pour certains cultes ­ pas tous. Je parle bien du maintien du Concordat de 1801, datant de Napoléon Bonaparte, Premier consul, et non pas des droits bismarckiens qui ont cours dans ces départements : ces avantages sociaux, notamment une meilleure prise en charge des dépenses de santé, peuvent parfaitement être maintenus en l’état et pour ma part je les étendrais bien volontiers à l’ensemble de nos concitoyens.

Accepter l’idée d’un particularisme local, c’est accepter qu’une spirale infernale entraîne nos concitoyens dans l’ensemble du territoire à revendiquer leurs particularismes propres, y compris à demander à échapper à la loi de 1905, au nom de leur histoire, de leurs traditions ou que sais-je. Non, si les citoyens sont égaux devant la loi, nous devons abroger le Concordat. Nous rendrons ainsi service à la République.

M. Jean-Baptiste Moreau. L’amendement CS1170 va dans le même sens. La République ne salarie ni ne reconnaît aucun culte, sauf dans certaines régions. Cela pose un problème d’égalité entre les Français. Qu’une région choisisse de s’abstraire de la loi de 1905, étant un chantre de la différenciation territoriale, je pourrais y réfléchir ­ et encore. Mais que la République tout entière rémunère certains ministres des cultes de certaines régions, non. Cela a eu sa raison d’être à l’époque du Concordat, mais avec le temps, tout est bon à changer. L’histoire évolue tous les jours, le fait historique de l’époque du Concordat n’existe plus. La laïcité doit être valable en tous points du territoire, en Alsace, en Guyane et ailleurs outre-mer.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est un beau débat. Je préfère à la vôtre la vision du Conseil constitutionnel. Celui-ci reconnaît la pleine légitimité des dérogations acquises depuis 1918-1919, en tout cas pour ce qui est de l’Alsace et de la Moselle, tout en considérant que le droit spécifique doit progressivement rejoindre le droit commun, que le droit local a vocation à s’effacer peu à peu, évolution après évolution. Un certain nombre de responsables et de penseurs locaux d’ailleurs luttent contre cette réduction progressive de la spécificité du droit local.

Vous aurez noté que l’article 31 du projet de loi fait entrer dans le droit local certains éléments du droit commun sur les cultes. Vous souhaitez la suppression pure et simple, brutale, sans transition du droit local, et cela sans consultation des populations locales. Je préfère cette façon qu’a la République d’imaginer des transitions douces et longues en respectant les spécificités locales. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable également. Je ne reviens pas sur la décision du Conseil constitutionnel, qui a jugé bien sûr constitutionnelles les dispositions concordataires et du droit local d’AlsaceMoselle, mais aussi les a en quelque sorte justifiées politiquement.

Monsieur Corbière, il ne faut pas avoir une vision purement métropolitaine des choses. Dans beaucoup de territoires de la République, ni le Concordat ni la loi de 1905 –­ car en fait vous ne souhaitez pas abolir le premier mais étendre la seconde – ­ne s’applique : je pense aux territoires du Pacifique, à Saint-Pierre-et-Miquelon, à la Guyane, à Mayotte, et différemment à La Réunion.

Pour ce qui est de l’Alsace-Moselle, vous qui êtes un historien, savez quelle déchirure ce fut de voir partir ces territoires à la veille de la République pour les voir revenir en pleurs lorsque la France gagna la première guerre mondiale. La République d’alors, qui était très laïque, pour ne pas dire laïcarde, a voulu conserver ce qui avait fait pendant de nombreuses années la vie des Alsaciens et Mosellans : pas simplement le Concordat, que la France avait quitté entre-temps, mais aussi les œuvres de Bismarck, et entre autres le salariat des ministres du culte. Ce qui est en question ici, ce n’est pas tant de garder le Concordat que de sauvegarder le droit local. L’héritage historique est à respecter. Ce n’est pas parce que 115 ans ont passé que nous devons tout effacer d’un trait. J’imagine que vous avez rencontré les Alsaciens et les Mosellans, monsieur Corbière : ils sont extrêmement attachés, quelle que soit leur couleur politique, à cette spécificité qui est pleinement républicaine, comme la diversité sur le territoire national.

Par ailleurs, imaginons qu’une nouvelle religion apparaisse sur le sol de la République, même à Strasbourg. Entrerait-elle dans les dispositions de la loi concordataire ? Non. Le droit local alsacien et mosellan prévoit deux régimes : les cultes anciens, reconnus – catholique, luthérien, réformé, et israélite ­ et les cultes non reconnus. Ainsi l’archevêque de Strasbourg est-il nommé par le ministre de l’intérieur, qui le rémunère aussi ­ à hauteur d’un fonctionnaire pas très bien payé, n’en concevez pas de jalousie. Cet héritage de l’histoire ne s’est pas agrandi à l’arrivée d’autres cultes, bouddhiste, musulman par exemple, qui sont inscrits en tant qu’associations de culte non reconnues. Nous ne rémunérons pas les ministres du culte des associations non reconnues.

Le droit alsacien et mosellan n’empêche en rien – ­ ­comme nous l’avons fait en parfaite concertation avec les élus, en respectant l’idée que la loi de 1905 n’est pas applicable, ni celle de 1901 d’ailleurs – que la police du culte et certaines dispositions que nous avons en la matière sur le reste du territoire national s’appliquent. Elles sont transposées en droit local.

C’est vrai, il y a une différence essentielle : le salariat des ministres du culte. Ce que reconnaît le Conseil constitutionnel – ­ peut-être prendra-t-il une autre décision qui fera date, ou peut-être pas  ­ c’est la valeur constitutionnelle de la laïcité. La République reconnaît toutes les croyances et ne reconnaît aucun culte. Pour le reste, l’interdiction du subventionnement ne relève que de la loi. Peut-être cela aura-t-il valeur constitutionnelle demain, mais pour l’instant le législateur pourrait très bien décider de subventionner publiquement le culte. C’est une des raisons pour lesquelles le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’y avait pas d’incompatibilité, pour le dire vite, entre le droit alsacienmosellan et le droit national.

Franchement, du point de vue historique, en songeant au respect des morts, de l’histoire, de tous ceux qui ont souhaité rejoindre la République dans des circonstances affreuses, comme du point de vue de l’efficacité, il n’y a aucune raison, à part une raison idéologique que je respecte d’ailleurs parfaitement, d’accéder à la demande de MM. Corbière et Moreau.

M. Alexis Corbière. Merci pour ces réponses, d’ailleurs de deux types. D’après le rapporteur, nous allons y arriver progressivement. J’entends l’argument, mais au bout de plus d’un siècle, on peut dire qu’il perd un peu de sa crédibilité. Le ministre, lui, préfère laisser les choses en l’état. Pour lui, le fait que les nouvelles religions n’aient pas été intégrées est la preuve que tout va bien. Sauf que cela fait éclater une inégalité entre les cultes, qui ne sont pas traités de la même façon ! Tous nos concitoyens qui sont de confession musulmane, quoi qu’on en pense, sont des citoyens français et ne sont pas traités de la même façon que d’autres. Dans la laïcité, la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte, elle traite toutes les religions de la même façon, même celles qui sont plus anciennes ou plus pratiquées. Or il y a là une rupture de ce droit fondamental. Ce que je propose, c’est une réponse républicaine : non qu’il faille financer les autres cultes, ce que j’entends un peu dans vos propos, mais qu’il faille n’en financer aucun.

Par ailleurs, vous m’inquiétez en disant que l’article 2 de la loi de 1905, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », n’a pas plus de valeur que cela. Le salariat des ministres du culte pourrait soudain être décidé par la loi ? Si cela avait lieu, j’espère que cela occasionnerait pour le moins une grande mobilisation, mais ce serait une remise en cause complète de l’esprit, du noyau de sens des deux premiers articles de la loi de 1905. Non, nous n’avons pas à accepter le financement public du culte, et donc des ministres du culte.

Enfin, certes nous avons connu un épisode douloureux, certes nos compatriotes d’Alsace-Moselle ont passé quarante-sept ans sous la tutelle de la Prusse puis de l’Allemagne, mais enfin, cela fait plus de cent ans ! Il est temps de régler l’affaire. Dès 1924, le cartel des gauches avait voulu mettre fin au Concordat d’Alsace-Moselle. Il en avait été empêché par une mobilisation à l’époque, mais il me semble qu’un peu de courage politique suffirait maintenant. Il est temps. Car enfin, les ministres du culte ne sont pas rémunérés par les seuls habitants de ces départements, mais par vous et moi ! Je ne suis pas d’accord pour que mes impôts soient employés à cela. Je suis laïque. Je ne veux pas que le moindre de mes centimes participe à la rémunération d’un pasteur, d’un curé ou d’un rabbin.

M. Frédéric Petit. En tant que Mosellan, je dois vous dire, monsieur Corbière, que ce n’est pas au Concordat qu’il faut faire référence. Les Alsaciens et Mosellans n’étaient pas français au moment de la loi de 1905. Quand ils sont revenus, un référendum a été organisé, pour demander s’ils étaient d’accord avec un retour dans certaines conditions. Ces conditions ne faisaient pas référence au Concordat, mais au droit local. Quand vous parlez du Concordat, vous niez tout ce qui s’est passé un peu avant 1924. C’est un raccourci idéologique que de dire que le droit local est concordataire, au motif du salariat de certains ministres du culte : ce qui est en jeu à cette époque, c’est le référendum et si l’on en faisait un aujourd’hui, les habitants d’Alsace Moselle voteraient pour. La République française a travaillé là, comme pour d’autres territoires, à la réintégration d’un territoire qui était perdu. On parle d’un retour après quarante-sept ans sous domination étrangère, mais c’était beaucoup plus douloureux que cela ! Dans certaines familles, on s’était battu des deux côtés ! Oui, cela fait cent deux ans, mais certaines choses commencent à s’arranger. L’instruction religieuse n’est plus obligatoire depuis quarante ans ! En tout cas, il est faux d’en faire une querelle idéologique, il ne s’agit pas du Concordat.

M. Ludovic Mendes. Je n’aurais jamais voulu défendre le Concordat, et je suis obligé de le faire aujourd’hui. Monsieur Corbière, vous qui vous référez en permanence à l’histoire, au peuple et à sa volonté, je vous signale que nous parlons là d’un choix fait par le peuple en 1925, qui a été confirmé quand Édouard Herriot a voulu revenir dessus. Un amendement proposant un référendum pour entendre l’opinion du peuple d’Alsace-Moselle serait intéressant. Vous, vous voulez lui imposer votre choix.

Le Conseil d’État a confirmé en 1925 que le Concordat restait en vigueur, et le Conseil constitutionnel l’a validé en 2013. Il y a un débat sur les établissements publics des cultes, c’est vrai. La loi de 1905 s’applique aussi pour les associations dans les départements d’Alsace-Moselle, même si je rappelle que les associations y ont aussi un statut dérogatoire, puisqu’elles ne relèvent pas de la loi de 1901.

Selon vous, il n’y a pas de particularisme en France. Et pourtant, la Corse a la langue corse et la Bretagne la langue bretonne ! Il y a des particularismes, et cela n’empêche pas l’unité de la République. C’est là-dessus que nous devons travailler. Si demain le Concordat devait être remis en question, ce qui d’ailleurs ne concernerait pas l’ensemble du droit local, il faudrait le faire par référendum. La classe politique doit savoir écouter les habitants des territoires. Les choses évoluent, nous avons par exemple parlé hier des cours de religion à l’école. Mais il ne faut pas attaquer le Concordat sans en connaître les tenants et aboutissants dans ce territoire.

M. Jean-Baptiste Moreau. Nous sommes en train de discuter d’un projet de loi qui réaffirme les principes de la République. Un de ces principes, inscrit dans le Constitution, est la laïcité. Il s’applique partout et pour tout. Que certaines régions choisissent pour elles-mêmes, après consultation de leur population, des dispositions un peu dérogatoires, pourquoi pas. Mais que l’ensemble du pays accepte de financer des cultes dans quelques-unes d’entre elles, j’y suis fermement opposé. La laïcité n’est pas à géométrie variable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Corbière, nous ne prenons pas vos propositions à la légère, et vous avez cité trois arguments que je veux réfuter profondément.

D’abord, vous dites qu’en Alsace-Moselle nos impôts payent des cultes, et qu’il y a d’ailleurs une inégalité de traitement entre les anciens et les nouveaux cultes. Mais c’est le cas en dehors de l’Alsace-Moselle ! Que faites-vous de la nationalisation des biens de l’Église ? Quand 8 à 12 % de l’investissement de la mairie de Tourcoing va à la rénovation des églises, rien ne va aux mosquées ! L’inégalité de traitement est évidente, tout simplement parce qu’en 1905 il n’y avait pas de mosquées. Il est clair que le culte catholique n’occasionne pas les mêmes dépenses que les autres ­ ce ne sont pas les mêmes bâtiments, le même patrimoine, le même nombre de croyants ­dans la mesure où ces biens appartiennent aux communes. Ne faites pas comme si l’inégalité de traitement n’existait qu’en Alsace‑Moselle ! C’est simplement la loi. Ne faites pas comme s’il y avait l’égalité la plus profonde entre les cultes dans le reste du territoire, ce n’est pas vrai et c’est un des problèmes que nous avons avec l’islam en France.

Ensuite, vous vous dites très inquiet quant au salariat des cultes. Je vous le redis, le Conseil constitutionnel en fera peut-être un jour un principe fondamental reconnu par les lois de la République, mais aujourd’hui le non-subventionnement est seulement de niveau législatif. C’est un constat, ce n’est pas une ouverture : on ne propose nulle part de salarier les ministres des cultes !

Enfin, la décision du Conseil constitutionnel et le travail que fait le droit mosellan contredisent vos propos. Oui, en Alsace-Moselle les collectivités locales peuvent subventionner la construction de lieux de culte, mais non, elles ne peuvent pas le faire uniquement pour un culte. La jurisprudence est très claire : si une mairie aide la construction d’une église, elle ne peut pas refuser une aide à un autre culte, quel qu’il soit, même non reconnu. C’est tout de même un engagement d’égalité. Les seules inégalités se trouvent dans la reconnaissance et dans le salariat des cultes reconnus, mais il ne se passe pas en Alsace-Moselle des choses totalement différentes d’ailleurs. Oui, sur notre territoire national, certains cultes sont aidés plus que d’autres, par le fait de l’histoire. Oui, vos impôts servent aussi à reconstruire les églises. C’est la loi.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS825 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. C’est le même sujet. Et depuis tout à l’heure, j’inclus dans la discussion la Guyane et son ordonnance de Charles X et les autres territoires d’outre-mer avec leurs décrets Mandel.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Article 26 : Modification des règles relatives à l’organisation et au fonctionnement des associations cultuelles

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS634 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 26 pose effectivement de sérieux problèmes et il est difficile de saisir l’étendue de ses conséquences. Il modifie en profondeur l’article 19 de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, qui reconnaît l’existence d’associations mixtes, régies par la loi de 1901, ainsi qu’un certain nombre de prérogatives : recevoir des cotisations ou le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions, etc. Tout en disant que l’héritage historique doit être préservé, vous n’hésitez pas à modifier cet article 19 d’une loi qui a été la cause d’une grave crise diplomatique entre l’État français et le Saint-Siège, au point que le pape Pie X l’a condamnée par l’encyclique Vehementer Nos. Ces inquiétudes ont été rappelées dans un courrier du président de la Conférence des évêques, Mgr de Moulins-Beaufort, qui a été auditionné par l’Assemblée. Il explique que les mesures accumulées par le texte vont dans un tout autre sens que les dispositions de liberté de la loi de 1905. Pour acquérir des moyens nouveaux d’empêcher les islamistes radicaux de mener à bien leurs projets, l’État multiplie les contrôles et organise une nouvelle mise sous tutelle des cultes. L’inquiétude est grande. Je crains de surcroît que cet article 26, qui est dangereux pour l’Église, n’empêche nullement les islamistes de diffuser leur idéologie mortifère.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet article est très clair. Il reprend dans plusieurs de ses paragraphes le texte de 1905, en en modernisant légèrement l’écriture. Par ailleurs, contrairement à ce que vous prétendez, il propose des solutions bienvenues. Ainsi il autorise la création d’une association cultuelle à partir d’un nombre minimum de sept personnes majeures par strate de population, contre 7 à 25 dans la loi de 1905. C’est un assouplissement noté par les cultes. Surtout, il propose une disposition que vous devriez soutenir, qui donne la capacité à une association cultuelle de faire face à des minorités actives qui voudraient renverser le pouvoir interne dans une logique de repli, de rupture, une logique séparatiste. Cette disposition n’est pas propre aux associations cultuelles : elle est imposée dans d’autres types de structures associatives, comme les associations d’utilité publique, où déjà l’État impose des conditions internes d’organisation. Pour les associations cultuelles, il s’agit d’imposer la création d’un organe délibérant qui leur permettra de se prémunir d’une OPA idéologique. Avis très défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Quelques mots sur cet article 26 d’une grande importance, dont je ne crois pas que les parlementaires attachés à la loi de 1905 ne puissent pas l’adopter.

Il y a une difficulté historique. En 1905, la loi de la République a voulu imposer des associations cultuelles, c’est-à-dire dont le but unique est de gérer un culte, puisque le culte est différent des autres activités associatives. Il ne faudrait pas penser que l’Église catholique est très attachée à cette loi de 1905 : ça ne s’est pas tellement vu à l’époque ! Elle a même refusé de l’appliquer, ce qui a donné lieu à la loi de 1907 et aux accords Cerretti-Poincaré. Il y aura à ce propos des amendements sur les associations diocésaines, qui sont évidemment des associations cultuelles. Elles ont été reconnues comme telles et ne relèvent pas de la loi de 1901.

Seuls le culte protestant et, différemment, le culte israélite se sont organisés pleinement dans la loi de 1905. Les cultes musulman, évangélique, bouddhiste se sont surtout servis de la loi de 1901, constituant des associations mixtes dont la philosophie de séparation du public et du culte est pour le coup confuse.

Le Gouvernement aurait souhaité supprimer la possibilité de gérer un culte en loi 1901, mais le Conseil d’État a estimé que ce serait contraire à la liberté de culte. Nous y avons donc renoncé, mais, avec cet article 26 et les amendements que nous allons présenter, nous posons des contraintes supplémentaires pour les associations loi 1901 qui veulent gérer un culte et donnons des avantages supplémentaires à celles qui sont organisées en loi 1905, laquelle est faite pour cela.

Pourquoi ces avantages supplémentaires ? Quand j’étais maire, j’ai reçu une association musulmane sous statut de 1901, qui demandait à la ville une subvention pour payer sa taxe foncière. Sous le statut de la loi de 1905, la même association n’aurait pas eu à payer de taxe foncière. Comme je refusais la subvention, elle a emprunté à l’étranger de l’argent pour payer une taxe foncière qu’elle n’aurait pas dû payer autrement. C’est digne des Shadoks.

La loi de la République protège les cultes. Elle crée des obligations, c’est vrai, mais elle leur donne aussi des avantages. Une association constituée sous le régime de la loi de 1901 ayant une double activité, cultuelle et humanitaire, ne peut pas émettre de reçus fiscaux au titre de la première activité, mais elle peut le faire au titre de la seconde, qui est d’intérêt général. Jusqu’à présent, comme il n’y a pas de différenciation des comptes, l’humanitaire peut financer le culte : la loi de 1905 est donc bafouée.

L’article 26 réaffirme la liberté de culte et rappelle qu’il existe un instrument formidable pour gérer un lieu de culte : la loi de 1905. Celle-ci présente des avantages – non-paiement d’impôt, reçus fiscaux et, peut-être demain, si vous le souhaitez, possibilité de gérer des immeubles de rapport – et des inconvénients – recours à un expert-comptable, déclaration des financements reçus de l’étranger, création d’un bureau, dont les membres ne doivent pas avoir été condamnés pour terrorisme, par exemple. On ne peut plus contourner, grâce au statut de la loi de 1901, les désavantages du statut de 1905 et chercher des modes de financement en dehors de ceux prévus par la loi.

Monsieur le président, je souhaiterais, si vous le permettez, distribuer un tableau récapitulant les avantages des deux statuts – 1901 et 1905 – et indiquant ce qui va changer avec cette loi. Notre devoir républicain est de garantir la liberté de culte dans une association dédiée à cela. Certes, nous introduisons des contrôles – et on peut comprendre que les cultes n’en veuillent pas –, mais nous leur accordons aussi des avantages, de façon à ce que les lieux de culte ne soient plus financés, ni par un subventionnement public, ni par l’étranger. Il n’y a pas plus républicain, au sens de la loi de 1905, que l’article 26.

Je ne reviens pas sur la clause antiputsch, qui est frappée au coin du bon sens.

Madame Ménard, l’article 26 ne remet nullement en cause les associations diocésaines, qui ont été reconnues comme des associations cultuelles par la jurisprudence. Mais il poussera à se déclarer sous le statut de la loi de 1905 toutes les associations qui naïvement, ou par calcul, pour faire du « détournement de fonds publics », violent la loi de 1905. Cet article est très important pour la République. Il est technique, c’est vrai, mais il est extrêmement clair, et je remercie, à cet égard, les services du ministère de l’intérieur et tous ceux qui y ont travaillé. Le législateur de 1905 ne pouvait pas anticiper l’arrivée sur notre territoire des cultes évangélique et musulman, qui impose des ajustements.

M. le président François de Rugy. Je suis tout à fait favorable à ce que vous distribuiez un document susceptible d’éclairer nos travaux. D’une façon générale, je suis toujours preneur de documents, de chiffres ou de comparaisons entre l’existant et ce qu’un texte entend modifier.

M. François Pupponi. Je partage totalement la philosophie des articles 26 et suivants et je n’ai pas vraiment de désaccord avec l’exposé que vous venez de faire, monsieur le ministre. Le seul petit problème, à mon sens – et je déposerai des amendements pour y remédier –, c’est que le statut de 1905 n’est pas assez attractif du point de vue de la construction des lieux de cultes, qui est un enjeu essentiel pour la communauté musulmane. La loi présente des avantages pour ce qui relève de la gestion des lieux de culte, mais pas vraiment pour ce qui relève de leur construction. Je crains, du reste, que les contrôles accrus sur les financements étrangers n’incitent certaines associations à rester sous le statut de la loi de 1901, qui n’oblige pas à déclarer les financements étrangers.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si, nous allons introduire cette obligation.

M. François Pupponi. Pour l’instant, le texte ne le prévoit pas, monsieur le ministre.

En tout cas, nos concitoyens de confession musulmane nous demandent comment nous pouvons les aider à construire leurs lieux de culte. Les communes financent l’entretien des lieux de culte catholiques, la communauté juive a elle aussi ses lieux de culte, et nos concitoyens musulmans demandent : « Et nous ? ». Si nous ne réglons pas la question du financement des lieux de culte de la communauté musulmane, ce sont des puissances étrangères qui, d’une manière ou d’une autre, continueront de venir les construire en France. Il faudrait peut-être introduire un petit avantage supplémentaire pour régler ce problème.

M. Guillaume Vuilletet. L’article 26 est l’une des pierres angulaires du projet de loi et il n’est pas inutile de lui consacrer un peu de temps afin de dissiper toute confusion. Ce projet est vraiment un texte de liberté et cet article l’illustre parfaitement. Son objectif est de simplifier et de rendre plus attractifs les articles de loi qui assurent la gestion du culte dans un cadre républicain. Le statut des associations constituées sous le régime de la loi de 1905 est rendu plus attractif et nous exerçons une pression plus forte sur les associations mixtes constituées sous le statut de la loi de 1901. On voit bien que c’est dans ces associations dites « mixtes » que des formes de séparatisme peuvent s’installer : certaines jouent sur la confusion entre les domaines cultuel, culturel, voire sportif ou social. Ce texte va offrir à toutes les religions un cadre qui leur permettra de fonctionner normalement, en conformité avec les principes républicains.

Mme Emmanuelle Ménard. Monsieur le ministre, j’aimerais vous demander quelques précisions.

Vous m’avez confirmé que l’existence des associations diocésaines n’était pas remise en cause. Mais vous me confirmez aussi que les associations mixtes, ayant le double statut 1901 et 1905, vont disparaître ?

M. Gérald Darmanin, ministre. En effet.

Mme Emmanuelle Ménard. Bien, les choses sont claires.

L’accroissement des contrôles sur le financement des associations cultuelles suscite de nombreuses questions. L’obligation de publier les comptes ne me pose aucun problème et je n’ai pas d’objection à l’introduction d’une transparence économique et financière, ni au contrôle des flux financiers venus de l’étranger, mais une inquiétude demeure, quant à la liberté d’utilisation des fonds. Les associations diocésaines, par exemple, contribuent au financement du Saint-Siège mais n’en reçoivent pas d’aide financière ; elles soutiennent aussi des activités caritatives en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Ce contrôle accru ne risque‑t‑il pas d’enfreindre la liberté de conscience des citoyens, en empêchant ces associations diocésaines d’avoir recours à ces modes de financement à l’étranger ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Je souhaiterais d’abord répondre à M. François Pupponi. L’alinéa 4 de l’article 30 est ainsi rédigé : « Ces associations sont soumises aux dispositions des articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 9 bis et 17 de la loi du 1er juillet 1901 précitée ainsi que du troisième alinéa de l’article 19, de l’article 19‑3 et des articles 25, 34, 35, 35‑1, 36, 36‑1 et 36‑2 de la loi du 9 décembre 1905 précitée. » L’article 19-3 de la loi de 1905 sera modifié par l’article 35 de notre projet de loi, qui prévoit un régime de déclaration et d’opposabilité des financements étrangers. Pour résumer, si vous votez le projet de loi du Gouvernement, toute association gérant un culte, qu’elle ait été créée sous le statut de la loi de 1901 ou de 1905, devra désormais déclarer les sommes reçues de l’étranger lorsqu’elles dépassent 10 000 euros. Et l’État pourra s’y opposer.

Madame Ménard, je vous répète, et je le redirai dans l’hémicycle car c’est très important, que les associations diocésaines ne sont pas remises en cause – je l’ai d’ailleurs écrit aux représentants du culte catholique. Elles sont considérées comme des associations cultuelles.

S’agissant de l’argent venu de l’étranger, nous avons fait le choix de ne pas nous y opposer – ce qui aurait sans doute été considéré comme anticonstitutionnel. Le fait que de l’argent vienne de l’étranger n’est pas condamnable en soi, quel que soit le culte. Ce que nous demandons, c’est une déclaration lorsque les sommes dépassent 10 000 euros : il paraît normal que la République sache ce qui est financé sur son sol.

S’agissant de l’obligation de faire certifier les comptes par un commissaire aux comptes, nous allons rendre la loi de 1901 plus contraignante et alléger cette contrainte pour les associations relevant de la loi de 1905. La certification sera obligatoire pour les premières dès lors qu’elles reçoivent plus de 10 000 euros de l’étranger ; on gardera en revanche, pour les secondes, le seuil de 153 000 euros. C’est une façon de prendre en compte des situations concrètes, comme celle d’une petite association qui recevrait 12 000 euros de l’étranger pour refaire son toit, et qui devrait payer 6 000 euros pour payer un commissaire aux comptes.

La République ne contrôlera pas l’utilisation de ces fonds, mais elle se réserve le droit de s’opposer à certains mouvements d’argent, en motivant sa décision – nous en parlerons à propos des articles concernant TRACFIN. Vous imaginez bien les cas où une telle disposition pourrait s’appliquer, lorsque ces financements proviennent d’États que nous ne souhaitons pas voir intervenir sur notre territoire, par exemple. Peut-être faut-il que le Parlement précise les raisons pour lesquelles on pourrait s’opposer à de tels financements mais il importe en tout cas que l’on puisse s’y opposer. Être informé de ces financements sans pouvoir rien y faire n’a pas grand intérêt. Je tiens vraiment à vous rassurer : il ne s’agit pas d’intervenir dans l’utilisation de ces fonds mais d’en contrôler l’origine.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il est tout à fait normal que le ministre réponde aux questions des députés mais, pour la clarté de nos débats, je rappelle que l’article 26 concerne seulement le statut des associations cultuelles créées sous le régime de la loi de 1905. C’est lorsque nous aborderons le chapitre II que nous débattrons des questions relatives au financement des associations. L’objet de l’article 26 est très précis : il impose aux associations cultuelles de disposer d’un ou plusieurs organes délibérants – un bureau ou un conseil d’administration, par exemple – ayant pour compétence de décider de l’adhésion de tout nouveau membre, de la modification des statuts, de la cession de tout bien immobilier et, le cas échéant, et si elles sont organisées en conséquence, du recrutement d’un ministre du culte.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1127 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Alexis Corbière. Nous souhaitons supprimer la disposition dite « antiputsch », que vous avez présentée dans la presse bien avant le dépôt de ce texte, monsieur le ministre, en assurant qu’elle était très robuste.

Elle vise à éviter que certaines associations cultuelles soient submergées par un groupe – vous aviez évoqué, je crois, les salafistes –, un peu comme dans notre jeunesse étudiante, lorsqu’à l’occasion d’une assemblée générale, une association politique prenait le contrôle d’une organisation de jeunesse.

Pour ce faire, vous demandez aux associations cultuelles qui désignent leur ministre du culte de modifier leurs statuts en se dotant d’une sorte de conseil d’administration, ou d’un bureau. C’est déjà le cas dans la plupart des associations et cela n’empêchera pas à une majorité de fidèles ayant par exemple une pratique plus rigoriste de prendre le dessus.

Plus fondamentalement, la distinction que vous faites entre les associations cultuelles qui désignent leur ministre du culte et les autres me semble poser un problème et témoigne d’une mauvaise compréhension de ce qu’est la loi de 1905. Nos amis protestants, qui désignent leur ministre du culte, ont demandé pourquoi on venait se mêler de leurs affaires. En 1905, l’Église catholique s’était émue de ce que la République veuille se mêler de son mode d’organisation : elle redoutait que cela n’entraîne un « risque schismatique ». Le compromis de 1907 a permis de rassurer les catholiques, en leur disant que l’organisation de leurs associations serait respectueuse de leur hiérarchie : c’est l’évêque qui désignerait les responsables des associations diocésaines. En un mot, on leur a garanti qu’il n’y aurait pas de démocratie et que c’est l’organisation catholique, dans sa verticalité, qui désignerait les responsables.

Ce compromis a été trouvé il y a bien longtemps. On peut estimer, aujourd’hui, qu’il faut un fonctionnement plus démocratique, mais nous ne le demandons pas à tous les cultes : nous n’allons pas demander à l’Église catholique de fonctionner de façon démocratique, avec des conseils d’administration. Nous avons accepté, en 1907, que l’évêque exerce son autorité sur les associations diocésaines, et on peut d’ailleurs considérer que c’est très bien ainsi et qu’il n’y a pas à remettre en cause cette organisation. La République ne reconnaît, ni ne salarie aucun culte : cela signifie qu’elle ne se mêle pas de la manière dont s’organisent les cultes. Elle veille, en revanche, à ce que les cultes et les fidèles respectent la loi : cela ne fait pas débat.

Pour résumer, le dispositif que vous proposez est inefficace car il n’empêchera pas, contrairement à ce qui a été annoncé dans la presse, que des coups d’État puissent se produire au sein des associations cultuelles. Par ailleurs, il s’appuie sur un raisonnement idéologique qui me semble témoigner d’une intrusion de la puissance publique dans la manière dont s’organisent les cultes, laquelle doit être laissée à la liberté des fidèles : un point, c’est tout. C’est aux fidèles de décider comment ils souhaitent s’organiser et nous n’avons pas d’avis à avoir là-dessus, tant qu’ils respectent la loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. À celles et ceux qui considèrent que cette disposition est une forme d’ingérence inacceptable – ce n’est pas ce que vous avez dit, monsieur Corbière –, je rappellerai qu’il s’agit seulement d’imposer la création d’organes délibérants, tels qu’un bureau ou un conseil d’administration.

Il y a effectivement des situations où des majorités actives arrivent dans une association et s’y imposent, faute d’échelons intermédiaires. Elles prennent le pouvoir en assemblée générale, par exemple, et se retrouvent en situation de force, parce qu’il n’existe ni bureau, ni conseil d’administration pour leur faire face. À l’inverse, on voit parfois des minorités prendre le pouvoir – une, deux ou trois personnes –, parce qu’il n’existe aucun organe de décision, ni aucun contrôle démocratique. En imposant la création d’instances de délibération démocratiques au sein des associations cultuelles, nous essayons de répondre à la double menace que constituent l’entrisme majoritaire, qui peut faire basculer une association vers un fonctionnement séparatiste, un repli communautariste ou une forme de radicalisation religieuse, et la prise de pouvoir par une minorité, faute d’une organisation démocratique. Avec cette disposition, nous donnons des outils aux associations pour résister à des offensives, qu’elles soient majoritaires ou minoritaires.

M. Gérald Darmanin, ministre. Cette disposition antiputsch répond à un besoin historique. Monsieur Corbière, j’ai consulté les comptes rendus des débats de l’examen de la loi de 1905. À l’époque, les amendements dits « de gauche », ceux de votre ancien collègue, M. Maurice Allard, qui n’était pas un modéré, puisqu’il était fondamentalement opposé au texte proposé par Aristide Briand, plaidait pour relever le nombre minimum de personnes nécessaires à la création d’une association pour favoriser l’esprit démocratique et éviter ce qu’il appelait les « coteries cléricales », alors que le centre droit plaidait pour baisser ce nombre. Le rapporteur et le ministre sont restés fidèles au texte de 1905.

M. Alexis Corbière. Avec Jean Jaurès !

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Avec Jean Jaurès, contre Allard et pour Briand ! Cette discussion est ancienne et avouons que les termes en sont désormais inversés.

Je ne crois pas que le parallèle avec le culte catholique – qui, il est vrai, a refusé d’appliquer la loi de 1905 à cause de cet article –, soit tout à fait pertinent. Je ne considère pas qu’un culte est supérieur à l’autre, mais c’est un fait que l’un a un clergé, et l’autre non. Si nous n’avions affaire qu’à l’islam chiite, nous pourrions considérer que nous avons un clergé avec lequel discuter, mais la grande différence entre le culte catholique et l’islam, c’est, que lorsque nous discutons avec le premier, nos interlocuteurs sont des ministres du culte – les évêques et les prêtres –, alors que nos interlocuteurs musulmans sont des laïcs. Il nous faut des interlocuteurs, et comme le culte musulman n’a pas de pape, il faut bien que les croyants choisissent démocratiquement les représentants avec lesquels l’État et les collectivités locales discuteront.

La République ne reconnaît aucun culte, c’est vrai, mais elle doit tout de même avoir des interlocuteurs. En l’absence d’une organisation de l’islam – encore une fois, je ne fais aucun jugement de valeur en disant cela –, et puisqu’il n’y a pas l’équivalent des évêques dans la religion musulmane, il faut bien que ces interlocuteurs soient désignés. Vous avez parlé des évêques mais je vous rappelle, monsieur le député, qu’ils ne sont responsables que des églises et des prêtres qui sont sous leur autorité, et non de tous les bâtiments de l’Église, ce qui pose d’ailleurs de sérieuses difficultés aux élus locaux. Il arrive fréquemment qu’un élu conclut un accord avec l’évêque au sujet d’un bâtiment religieux occupé par une congrégation et que les sœurs ne soient pas d’accord. Celles-ci lui font bien comprendre que l’évêque est sympathique mais que c’est avec elles qu’il faut négocier ; et il faut tout recommencer. De nombreux élus qui croyaient que l’évêque était le patron dans son diocèse ont ainsi découvert que ce sont les femmes qui ont le pouvoir dans l’Église. Cette différence de traitement, si vous pouvez la regretter d’un point de vue littéral, se justifie d’un point de vue pratique.

Troisièmement, il ne s’agit pas d’être antidémocratique, et des changements peuvent évidemment se produire à la tête d’une association, mais nous y mettons des conditions, qui ont aussi vocation à protéger les élus. Combien de maires ont signé un permis de construire à une association cultuelle musulmane qui venait le leur demander ? Le maire ne peut pas financer la construction, mais il signe le permis de construire ; il connaît les dirigeants, il peut toujours demander des informations au préfet, qui le rassure : aucun n’est terroriste. L’association lance les travaux et, un an après, le maire s’aperçoit que les dirigeants de l’association ont changé. Tout le monde lui dit que ce sont des gens très dangereux et lui demande pourquoi il leur a accordé un permis de construire. Et la presse se déchaîne contre le maire, qui a accepté que des islamistes s’installent dans sa commune. Cette disposition antiputsch permet le renouvellement des instances dirigeantes, mais elle introduit des garde-fous.

Enfin, vous demandez pourquoi on introduit un nombre de membres par habitant : cette disposition figurait déjà dans la loi de 1905, mais nous l’avons simplifiée.

Ne voyez aucune malice dans cette disposition antiputsch ; voyez-y un témoignage de notre considération pour nos compatriotes musulmans, mais aussi évangéliques. La différence de traitement dont bénéficie l’Église catholique s’explique par l’histoire, mais aussi par le fait qu’elle n’a pas la même structuration. Lorsqu’il y a un problème avec un prêtre, le ministre de l’intérieur peut parler avec le nonce, et le Président de la République, avec le Pape ; lorsqu’il y a un problème avec un imam, le ministre de l’intérieur n’a personne à qui parler, ou presque.

M. François Pupponi. Je partage totalement votre analyse, monsieur le ministre, et j’ai un autre exemple en tête, qui montre la complexité de la situation. Dans la commune que j’ai dirigée pendant vingt ans, une SCI liée à la Confédération islamique Millî Görüş (CIMG), dont on parle beaucoup en ce moment, vient de déposer une demande de permis de construire pour un lieu de culte. Le problème, c’est que ce n’est pas cette SCI, mais une association, qui y exercera une activité cultuelle : la SCI qui construit le bâtiment n’est donc pas tenue, si elle reçoit de l’argent de l’étranger pour financer la construction, de le déclarer. Entre ceux qui construisent le lieu de culte et ceux qui y ont une activité cultuelle, il me semble qu’il manque quelque chose, et je voudrais être sûr que l’on n’oublie rien.

M. Éric Diard. Je ne reviendrai pas sur le fait que l’absence de clergé au sein de la mouvance sunnite, qui est majoritaire, est responsable de ces putschs. Je suis un peu gêné de parler juste après François Pupponi, parce que, lors de la commission d’enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris, il avait beaucoup été question de la mosquée de Gonesse, qui avait été reprise en main pendant un temps, avant de retomber aux mains d’un mouvement fondamentaliste, qui avait fait un putsch dans la mosquée. Nous avions été assez frappés par ces mouvements internes.

François Pupponi a évoqué la CIMG : je rappelle que c’est l’un des trois mouvements fondamentalistes qui n’a pas encore signé la charte des principes de l’islam, et qu’elle est d’obédience turque.

M. le président François de Rugy. Ces débats montrent que ce projet de loi répond à des problèmes très concrets, qui avaient été bien identifiés depuis de nombreuses années, mais qui n’avaient jamais été traités. Vous n’étiez pas là, monsieur le ministre, lorsque j’ai dit, au cours des auditions, que nous faisions collectivement preuve de courage en nous attaquant à ces problèmes. Longtemps, on n’a rien osé faire, du fait d’une sorte de « totémisation » de la loi de 1905. Il est important de clarifier le cadre juridique et nos collègues ont raison de souligner que les nouvelles mouvances, qu’elles soient liées à l’islam ou au culte évangélique, n’ont pas du tout la même organisation que l’Église catholique ; elles-mêmes demandent de telles dispositions.

M. Gérald Darmanin, ministre. Monsieur Pupponi, j’entends vos remarques mais je propose que nous nous en tenions, comme le rapporteur général l’a proposé, à l’objet de cet article. Nous aurons ce débat à l’occasion de l’examen des prochains articles.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1292 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. L’article 26 fixe un certain nombre de règles de fonctionnement aux associations cultuelles, pour le bien de ces associations, puisqu’il s’agit de les aider à se défendre à la fois contre l’entrisme majoritaire ou une prise de contrôle par une minorité. L’article prévoit notamment qu’un ou plusieurs organes délibérants assument certaines compétences, dont le recrutement d’un ministre du culte.

Je propose de clarifier cette disposition en prévoyant, premièrement, que cette obligation de désigner un organe compétent pour le recrutement d’un ministre du culte ne concerne que les associations qui procèdent elles-mêmes à ces recrutements et, deuxièmement, que cet organe de recrutement du ministre du culte soit bien distinct des autres organes évoqués par l’article, qu’ils soient chargés de l’adhésion de nouveaux membres, de la modification des statuts ou de la cession de biens immobiliers. Il s’agit de bien séparer cette mission de recrutement des autres missions, dans le respect du principe de la collégialité de la désignation du ministre du culte.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons précisément voulu laisser la possibilité aux structures cultuelles de choisir le mode d’organisation qui leur convient le mieux. Nous avons voulu cette souplesse. Dans le culte catholique, par exemple, c’est le président de l’association diocésaine, en tant qu’autorité spirituelle, qui va continuer de nommer le ministre du culte : il faut que cette organisation perdure. Vous souhaitez séparer les modes de désignation ; je pense qu’il faut, au contraire, donner la possibilité aux associations cultuelles de procéder comme elle l’entendent, en faisant preuve de souplesse – sachant qu’on leur impose déjà une contrainte supplémentaire. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Alexis Corbière. Il me semble que déposer un amendement comme celui-ci, c’est typiquement vouloir s’immiscer dans l’organisation du culte. Ce n’est pas à la République de décider comment doit être désigné un ministre du culte, d’autant plus que la situation est très différente chez les protestants, les musulmans ou les catholiques.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement CS633 de Mme Emmanuelle Ménard.

Puis elle adopte l’article 26 sans modification.

Après l’article 26

La commission examine les amendements CS1600 et CS1605 de M. Jacques Maire.

M. Jacques Maire. Cet amendement vise à interdire la vente ou la cession d’un lieu de culte à un État étranger ou à une entité étrangère.

Ce phénomène se développe, notamment par crainte des communautés locales de perdre la propriété d’un lieu de culte en cas de dissolution – c’est pourquoi j’avais déposé, à l’article 8, un amendement visant à assurer la continuité de l’affectation au culte d’un lieu de culte. Par ailleurs, les lieux de culte étant souvent coûteux à entretenir, surtout les plus importants, il arrive qu’ils soient mis en vente pour que le nouveau propriétaire en assume l’entretien. Ces ventes se multiplient, souvent pour un euro symbolique ; il arrive qu’elles passent par une structure publique, par exemple un ministère, ou par une association parapublique. Ce phénomène ne cesse de se développer et les plus grands établissements sont concernés : cela a failli être le cas en 2015 avec la grande Mosquée de Paris et cela a été le cas, il y a quelques années, avec la grande mosquée Mohammed VI de Saint‑Etienne ; des cessions de ce type sont en discussion à Puteaux, Argenteuil et Carpentras et les choses sont bien avancées à Angers.

Dans ce contexte, nous proposons qu’une association cultuelle ne puisse « vendre ni céder ses biens immobiliers à un État étranger, à une personne morale étrangère, à tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou à une personne physique non-résidente en France ». Il arrive souvent que la vente ne se fasse pas directement à un État, mais par l’intermédiaire de structures relativement opaques. Nous avons essayé de trouver une rédaction qui prenne en compte cette réalité.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cet amendement est très intéressant et il concerne un problème extrêmement important, puisqu’il s’agit d’éviter la reprise d’un lieu de culte par des puissances étrangères, dans une logique d’influence – géopolitique ou religieuse. La rédaction de votre amendement pose toutefois un problème. En effet, il propose une interdiction pure et simple, alors qu’il existe des accords bilatéraux entre États, ainsi que des formes de réciprocité, puisqu’il arrive à l’État français d’acquérir des lieux de culte dans des pays étrangers. Je parle sous le contrôle du ministre de l’intérieur, avec qui j’ai échangé sur cette question, mais je crois que nous pourrions retravailler votre amendement en vue de la séance car votre objectif me semble correspondre à des préoccupations politiques que beaucoup partagent. Je vous invite, pour l’heure, à retirer votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le rapporteur a raison : la question que vous posez est extrêmement intéressante.

À ma connaissance, il n’est aucun domaine de l’État français dont on puisse interdire l’acquisition par une personne ou un État étrangers. Il faudrait donc arguer du fait que les lieux de culte constituent un cas particulier, ce que je suis prêt à reconnaître. Cela étant, je ne crois pas qu’il faille introduire une interdiction pure et simple. Je suis favorable à ce que nous travaillions ensemble d’ici la séance, soit à une « possibilité de vente, sauf opposition », soit à une « interdiction de vente, sauf accord ». La première option, qui est moins dure que la seconde, risque moins d’être censurée par le Conseil constitutionnel – mais il faudra bien spécifier, je le répète, que vous ne visez que les lieux de culte.

Deuxièmement, nul n’ignore qu’une partie des gens qui veulent acheter des lieux de culte sur notre territoire ne le font pas seulement pour la beauté de la religion, mais aussi pour avoir le contrôle de leur diaspora. À ce titre, votre amendement permettrait effectivement de lutter contre l’islamisme politique – mais pas seulement. Je partage donc l’esprit de votre amendement, même si l’interdiction générale me paraît contraire à la Constitution. Il faudrait commencer par introduire un régime de déclaration car lorsqu’un lieu de culte est vendu en France, je n’en suis pas informé. Je l’apprends généralement en discutant avec mes homologues, ou dans la presse. Il faudrait donc commencer par améliorer la procédure de déclaration.

Se pose, enfin, la question de la réciprocité. J’informe la commission – et cela ne va pas plaire à M. Corbière, qui va découvrir que ses impôts ne financent pas seulement les ministres du culte mosellans – que La Trinité-des-Monts, Saint-Louis-des-Français, Saint-Yves-des-Bretons, Saint-Claude-des-Bourguignons et Saint-Nicolas-des-Lorrains sont cinq églises que l’État français possède dans les pieux établissements de Rome, et qu’il gère en direct. Sont également possession de l’État français le domaine national français en Terre sainte, qui compte l’église Sainte-Anne et le monastère d’Abou Gosh, mais aussi Saint-Louis d’Istanbul, qui est sous notre emprise diplomatique, ou encore Saint-Louis des Français de Lisbonne – mais je m’arrête là.

Il est évident que si nous prenions une mesure forte, comme une interdiction pure et simple, les choses se passeraient probablement bien avec Rome, mais sans doute moins bien avec Istanbul, et ce serait un mauvais signal. Une interdiction pure et simple ne me semble donc pas être une solution, d’autant qu’elle serait sans doute jugée anticonstitutionnelle. En revanche, un régime de déclaration et d’autorisation, comme pour les financements étrangers, me semblerait correspondre à la fois à la volonté du législateur et au respect des traditions.

M. Jacques Maire. Je vous remercie, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, de laisser la porte ouverte à un amendement sur le sujet en séance ; je suis prêt à travailler avec vous en ce sens.

Une réflexion, néanmoins. Je connais bien le monastère d’Abu Gosh et l’église Sainte-Anne de Jérusalem. Il s’agit là d’établissements parfaitement sûrs, reconnus, qui ont en général été donnés par les autorités locales à la France à l’occasion de manifestations de solidarité.

Si un régime d’autorisation assortie d’un droit de veto suffirait peut-être pour les acquisitions réalisées par un État étranger, la question pouvant se régler par la voie diplomatique – on ne va pas s’agresser entre États pour cela –, il me semble que la question se pose en des termes différents pour celles réalisées ou financées par des acteurs étrangers privés, parfois par des voies opaques, comme des fiducies ou des trusts. Cela concerne aujourd’hui de nombreux lieux de culte – notamment évangéliques –, qui échappent ainsi à la vigilance du Quai d’Orsay. Il serait nécessaire de concevoir un dispositif d’alerte susceptible d’y remédier.

Les deux amendements sont retirés.

Article 27 : Obligation de déclaration au préfet d’une association cultuelle souhaitant bénéficier des avantages propres auxdites associations

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS648 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. L’article 27 modifie substantiellement le régime établi en 1905. Actuellement, une association cultuelle doit, comme toute association et conformément à la loi de 1901, se déclarer, puis elle bénéficie automatiquement des avantages contenus dans la loi de 1905. Dans le nouveau régime que vous proposez, l’association cultuelle devra toujours se déclarer conformément à la loi de 1901, mais elle ne pourra bénéficier des avantages de la loi de 1905 qu’après avoir déclaré sa qualité cultuelle au préfet, qui pourra ainsi exercer un contrôle sur elle ; il lui faudra en outre renouveler son agrément tous les cinq ans. Le fait que le préfet ait à reconnaître ou non le caractère cultuel d’une association est quelque peu contradictoire avec l’article 2 de la loi de 1905, qui proclame que la République ne reconnaît aucun culte.

En préambule à l’examen de ce texte, vous aviez affirmé, monsieur le ministre, que nous étions là pour renforcer les principes de la République – liberté, égalité, fraternité –, et non pour les changer. Or le fait d’imposer aux associations cultuelles le renouvellement tous les cinq ans d’une forme d’agrément de l’État soulève quelques questions concernant le renforcement de la liberté de culte. Comment ne pas s’inquiéter quand le régime des associations cultuelles va être poussé à l’obésité – si j’ose dire –, puisqu’il a vocation à absorber une grande partie des autres formes d’associations, et que, dans le même temps, la création et la survie d’une association cultuelle seront conditionnées à la bonne volonté de l’administration ? Il me semble que cet article apporte beaucoup trop peu de garanties juridiques à la liberté de culte. C’est pourquoi j’en demande la suppression.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Ménard, vous écrivez dans l’exposé sommaire de votre amendement que l’article 27 fait passer les associations cultuelles d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. C’est tout à fait inexact, puisque l’association devra déclarer sa qualité cultuelle au représentant de l’État – c’est ce qu’indique l’alinéa 2. Nous avons déjà eu le débat relatif à la déclaration et à l’autorisation sur un autre sujet ; il me semble que nous sommes maintenant assez armés pour faire la différence entre les deux catégories, et admettre qu’il s’agit bien d’un régime de déclaration.

Vous dites que la disposition prévue reviendrait à une reconnaissance de fait des cultes par l’État. Il est vrai qu’aujourd’hui, lorsqu’une association cultuelle dépose ses statuts à la préfecture, elle n’a pas l’obligation de déclarer sa qualité. Toutefois, il faut bien qu’à un moment ou l’autre de son existence, elle se la voie reconnaître, ne serait-ce que pour bénéficier des avantages fiscaux qui lui sont reconnus par la loi de 1905, pour les procédures de rescrit fiscal et de rescrit administratif ou pour recevoir des libéralités. Il existe actuellement trois dispositifs juridiques qui requièrent qu’une association se tourne vers l’État pour lui demander de reconnaître sa qualité cultuelle ; si l’État la lui refuse, l’association ne pourra pas bénéficier des avantages afférents à ce statut. Ce bénéfice vaut pour cinq ans : le nouveau dispositif ne changera rien sur ce point.

Il s’agit en revanche d’anticiper et, au lieu qu’une association se voie reconnaître au fil de l’eau sa qualité cultuelle, qu’elle en fasse la demande dès sa déclaration de constitution, ce qui apportera une protection tant pour elle, qui sera assurée, en cas d’acceptation, de bénéficier des avantages associés à cette qualité, que pour l’État – ce qui est un des objectifs de ce texte.

Cet article ne travestit donc en rien l’esprit de la loi de 1905. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. S’agissant de la période de cinq ans et de la procédure de rescrit, le rapporteur général a donné des explications très claires ; je n’y reviendrai pas. Le projet de loi ne modifie rien sur ce plan.

Vous affirmez, madame Ménard, que l’article 27 est contraire au principe selon lequel la République ne reconnaît aucun culte. Ne confondons pas tout. Si la République ne reconnaît pas un culte en particulier, en revanche, il existe un ministre des cultes – en l’occurrence votre serviteur –, un bureau central des cultes, et l’État délivre aux cultes des agréments, des rescrits, des reçus fiscaux, des exonérations et prévoit pour eux des dispositions particulières : la République travaille avec les cultes. Elle les reconnaît en tant que tels, sans faire pour autant de distinctions entre eux. Il ne faut pas interpréter de travers la loi de 1905.

En outre, le Conseil d’État a dit au Gouvernement qu’il ne fallait pas se diriger vers un régime d’autorisation. Lisez son avis et l’étude d’impact : vous y trouverez la confirmation qu’il s’agit d’un régime de déclaration, et non d’autorisation.

Que fera le préfet avec cette déclaration ? Eh bien, il examinera si l’association satisfait, formellement, aux conditions du statut de 1905, qui, s’il crée des obligations, octroie aussi des avantages, comme le fait de ne pas payer d’impôts locaux ou de pouvoir délivrer des reçus fiscaux – ce qui a d’ailleurs un coût pour les finances publiques. Il faut donc qu’un contrôle suffisamment strict soit exercé. Le préfet vérifiera que l’association a bien transmis sa déclaration de constitution et contrôlera le nombre de membres, la circonscription d’action, le caractère public et exclusif de l’activité cultuelle – conformément à la loi de 1905 –, la nature des ressources, afin de vérifier qu’elle ne reçoit pas de subventions publiques, et le caractère démocratique de son fonctionnement, conformément à l’article 26 du présent projet de loi.

J’entends que pour les associations cultuelles qui se trouvent depuis un certain temps sur le territoire de la République, ce nouveau régime puisse paraître bureaucratique. Je prends donc l’engagement que pour les associations cultuelles qui sont depuis plus de quinze ou vingt ans dans notre pays, le renouvellement des avantages liés au statut sera tacite, et cela quel que soit le culte concerné ; il faudra une action positive de l’État, pour un motif d’ordre public évident – par exemple l’activation d’une clause antiputsch –, pour le remettre en cause. Cela relève a priori d’une mesure réglementaire, mais s’il faut préciser les choses en séance publique, ce sera fait. En revanche, pour toutes les nouvelles associations, cultes ou églises qui apparaîtraient sur le territoire national, et qui auraient par conséquent à démontrer leur qualité cultuelle, le renouvellement devra être demandé tous les cinq ans – ou tout autre délai.

Il est évident qu’on ne va pas demander à la grande mosquée de Paris, aux associations protestantes ou catholiques, ni au consistoire de Paris de faire une déclaration tous les cinq ans : cela fait un siècle, voire plus, que tout se passe bien, et ils n’ont pas à prouver qu’ils sont en règle avec la République. D’où l’idée d’une reconduction tacite. Néanmoins, j’appelle votre attention sur le fait que la déclaration est nécessaire pour, premièrement, que le préfet constate la qualité cultuelle de l’association, deuxièmement, qu’il puisse agir en cas de besoin – par exemple, si une association touche de l’argent de l’étranger sans l’avoir déclaré – non seulement sur les personnes, mais sur l’association elle-même.

Si je comprends vos interrogations, je pense y avoir répondu en grande partie.

M. le président François de Rugy. Madame Ménard, maintenez-vous votre amendement ?

Mme Emmanuelle Ménard. Je le maintiens dans l’attente de la séance publique.

M. Boris Vallaud. Vous affirmez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, que cet article sécurise et simplifie le dispositif. Je ne suis qu’à moitié convaincu.

Sous un régime concordataire, il est assez simple de définir ce qu’est un culte : cela se confond avec sa reconnaissance ou son autorisation. C’est quand on n’est pas dans un régime concordataire que les difficultés surgissent. Jamais le législateur n’a défini ce qu’était un culte ou une religion, pas même en 1905. Dans un avis de 1997, le Conseil d’État fixe un certain nombre de critères, mais il existe une jurisprudence abondante soulignant la difficulté de distinguer le cultuel du culturel, par exemple ; on l’a vu avec les crèches, c’est une source de controverse incessante.

Aujourd’hui, c’est le fait de se déclarer association de statut 1905 qui donne la qualité cultuelle à une association. Demain, il faudra une double déclaration : une pour obtenir le statut de 1905 et une autre pour bénéficier des avantages fiscaux – alors que jusqu’à présent, le rescrit ne requérait pas une deuxième déclaration.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il ne vaut néanmoins que pour cinq ans.

M. Boris Vallaud. Certes, mais une double déclaration modifie l’équilibre des choses. Cela va-t-il apporter une amélioration sur le plan fiscal ? Non, puisqu’il y avait déjà le rescrit. Existe-t-il des cas où il a été répondu négativement à la demande de rescrit parce que la nature cultuelle de l’association n’a pas été reconnue ? Je n’en ai pas trouvé.

Que se passera-t-il en cas de contestation par le préfet de la deuxième déclaration ? L’association sera-t-elle requalifiée en association loi 1901 ? Or, au titre du statut de 1901, le préfet aura aussi à vérifier la nature cultuelle ou culturelle de ses activités, avec la même part d’aléas.

J’aimerais donc savoir ce qu’il est prévu d’inscrire dans le décret en Conseil d’État auquel vous nous renvoyez. Prévoyez-vous de donner, pour la première fois, une définition de ce qu’est le culte ? Ce serait pour le coup une nouveauté par rapport à la loi de 1905 !

M. Alexis Corbière. J’abonderai dans le sens du collègue Vallaud. Les conséquences pratiques de ce qui nous est proposé ne sont pas très claires. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : n’importe quel groupement d’adorateurs peut se déclarer comme étant un culte – y compris ceux de Darmanin ! (Sourires.)

Revenons à l’objet du texte : il s’agit de lutter contre les associations qui prônent l’islamisme politique, avec une zone grise comprenant celles qui pratiquent un islam très rigoriste. Il se peut que le préfet décide de ne plus reconnaître la qualité cultuelle de ces associations – mais cela ne les empêchera pas de continuer à pratiquer leur foi. Que va-t-il se passer ? Ces groupements passeront peut-être au statut de 1901, mais resteront de fait des associations cultuelles. Cela ne résoudra pas le problème !

D’autre part, cela pose un problème de principe : même si l’on considère que la pratique religieuse d’une association est rigoriste ou obscurantiste, ce n’est pas au préfet de décider qu’il ne s’agit pas d’un culte !

Si je ne suis pas opposé au fait de donner au préfet un pouvoir de contrôle – raison pour laquelle nous n’avons pas déposé d’amendement sur l’article –, je souhaiterais pouvoir saisir toutes les conséquences de ces dispositions.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Dans le cadre de la procédure actuelle de rescrit, il y a des rejets de demandes à bénéficier des avantages liés à la qualité d’association cultuelle : l’année dernière, par exemple, 22 associations sur 608 se sont vu refuser cette qualité – sachant que, sur les cinq dernières années, 1 200 rescrits ont été opérés, selon la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ).

Pour qu’une association soit reconnue comme ayant une activité cultuelle, il faut, aux termes de la loi de 1905, qu’elle satisfasse à trois conditions : assumer les frais, l’entretien et l’exercice public du culte. L’administration fiscale ou le représentant de l’État au niveau départemental examine l’objet de l’association, ses statuts, ses conditions de création, son fonctionnement : sont-ils conformes aux dispositions de la loi de 1905 – que nous voulons d’ailleurs assouplir ? Il s’agit non pas de reconnaître un culte, mais de vérifier que l’activité de l’association répond bien aux critères d’une activité cultuelle. En cas de réponse négative, l’association ne peut bénéficier des avantages liés à la qualité cultuelle : voilà la sanction.

La question de la reconnaissance ou non des cultes par l’État est donc un faux débat, monsieur Vallaud : depuis 1905, l’État a toujours contrôlé, sur le fondement de la loi, si l’activité d’une association était bien cultuelle !

M. Gérald Darmanin, ministre. Le rapporteur général parle d’or. Il s’agit, non de reconnaître un culte, mais de ne pas accorder indûment des avantages liés à ce qui a été défini comme un culte par la loi de 1905 ; c’est une disposition extrêmement forte qui consiste à affirmer que ce n’est pas ainsi qu’on touche les subsides de la nation – ce qui devrait être de nature à vous satisfaire, monsieur Corbière.

Monsieur le rapporteur général vient de l’indiquer : les demandes de rescrit débouchent dans environ 5 % des cas sur une réponse négative ; l’une des dernières en date concernait le Mandarom : cela signifie non qu’il ne s’agit pas d’un culte – ce n’est pas à nous d’en juger –, mais que cette structure ne pourra pas bénéficier des avantages liés à la qualité d’association cultuelle.

D’autre part, ce que savent rarement nos concitoyens, c’est que si un lieu de culte est un lieu où l’on rend habituellement un culte, on peut rendre un culte sans association juridique. L’État n’a pas à définir ce qu’est un ministre du culte, s’il doit ou non être agréé, ni ce qu’il doit dire. Nous n’avons nullement l’intention de revenir sur ce point.

Toutefois, ce n’est pas parce que, chacun disposant de la liberté de conscience et de la liberté de culte, n’importe quel culte a le droit d’exister que la République doit tous les reconnaître ou leur accorder des avantages sans conditions ; cela a tout de même des conséquences en matière de finances et d’ordre publics ! Tel est l’objet du présent article : n’y entendez donc pas malice.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, je vais encore donner la parole à M. Vallaud et à M. Pupponi mais je rappelle que ce n’est pas de droit : à l’Assemblée nationale, il ne suffit pas de lever la main pour avoir la parole. S’il faut répondre à la réponse sur la réponse à la réponse, on n’en finit jamais !

En outre, je vous signale que la discussion est censée porter sur l’amendement CS648 de Mme Ménard tendant à supprimer l’article 27. Depuis que nous avons repris nos travaux ce matin, nous examinons vingt amendements à l’heure : vu qu’il en reste plus de 300, à ce rythme, il nous faudra encore quinze heures de réunion pour achever l’examen des articles !

Sans vouloir vous censurer, j’invite donc les orateurs à faire un effort de concision et à ne pas revenir indéfiniment sur des sujets qui ont déjà été abordés, afin que nous puissions faire correctement notre travail et terminer à une heure raisonnable.

M. Boris Vallaud. N’entendez pas malice non plus à nos questions, monsieur le ministre. En l’occurrence, il existe aujourd’hui une procédure de rescrit qui fonctionne plutôt bien. Qu’est-ce qu’une deuxième déclaration apportera de plus ?

M. François Pupponi. Je voudrais être certain d’avoir bien compris. Une association cultuelle qui n’est pas reconnue comme telle par le préfet restera au statut de 1901 et ne bénéficiera pas des avantages liés à sa qualité, et cela bien qu’elle soit quand même une association cultuelle, puisqu’elle exerce un culte ?

M. le président François de Rugy. Monsieur Pupponi, ne faisons pas semblant de ne pas voir l’enjeu qui est derrière. Lorsque nous avons auditionné les représentants des cultes, plusieurs nous ont dit qu’ils souhaitaient que leurs associations puissent mélanger les activités cultuelles avec d’autres activités, alors que le principe sur lequel la loi de 1905 est fondée est la séparation des activités. Il ne faudrait pas que la multiplication des questions sur des points de détail en vienne à occulter les vrais débats !

M. François Pupponi. Mais enfin ! On n’a donc pas le droit d’avoir un doute et de poser une question ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je vais répondre à votre question, monsieur Pupponi : l’intérêt de ce projet de loi, c’est précisément que si une association qui se prétend cultuelle ne se voit pas reconnue comme telle, elle basculera vers le régime des associations loi 1901, avec toutes les contraintes supplémentaires que nous allons leur imposer, en matière de contrôle du financement, de gestion et d’ordre public.

M. Gérald Darmanin, ministre. Pour ce qui regarde le financement, j’y reviendrai au moment où nous examinerons les dispositions qui y sont consacrées – mais, n’ayez crainte, monsieur Pupponi, je répondrai moi aussi à votre question.

Monsieur Vallaud, le rescrit est facultatif, alors que la déclaration sera obligatoire : voilà la différence. M. le président de la commission vient de souligner le problème auquel nous sommes confrontés : il y a aujourd’hui des associations loi 1901 qui ont des activités à la fois cultuelles et culturelles et qui bénéficient de déductions fiscales pour leurs activités culturelles ; mais comme les comptes ne sont pas séparés, ces déductions servent parfois à financer des activités cultuelles. D’où leur demande de pouvoir mélanger les activités dans le cadre de la loi de 1905 – ce qui, vous l’admettrez, n’est pas conforme à son esprit.

La procédure de rescrit est un moyen de faire reconnaître la qualité d’association cultuelle, qui permet de bénéficier de certains avantages accordés par la République – l’essentiel des demandes proviennent d’ailleurs d’associations loi 1901. À défaut de rescrit, il faut que les services fiscaux procèdent à des contrôles, ce qui est très compliqué et loin d’être systématique. Ce que nous proposons, ce n’est pas d’imposer une double déclaration, c’est de rendre obligatoire la déclaration et son renouvellement tous les cinq ans.

Néanmoins, j’entends la question soulevée par Mme Ménard et je suis prêt, je le répète, à aller vers un système de déclaration tacite pour certaines associations, afin que le dispositif ne soit pas trop bureaucratique.

La commission rejette l’amendement.

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*     *

15.   Réunion du samedi 23 janvier 2021 à 15 heures (suite de l’article 27 à après l’article 51)

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10212964_600c2924d5421.respect-des-principes-de-la-republique--suite-de-l-examen-du-projet-de-loi-confortant-le-respect-de-23-janvier-2021

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, nous poursuivons l’examen du projet de loi confortant le respect des principes de la République.

Article 27 : Obligation de déclaration au préfet d’une association cultuelle souhaitant bénéficier des avantages propres auxdites associations (suite)

La commission est saisie de l’amendement CS1152 de Mme Cécile Untermaier.

M. Boris Vallaud. Il s’agit de faire en sorte que la qualité cultuelle des associations soit déclarée dans leurs statuts afin de les dispenser d’une seconde déclaration. Nous en avons déjà parlé.

M. Florent Boudié, rapporteur général, rapporteur pour le chapitre Ier du titre II. Avis défavorable. Votre amendement conduirait à renoncer à la totalité du dispositif prévu à l’article 27.

M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine en discussion commune les amendements CS521 de M. Julien Ravier et CS945 de M. François Pupponi.

M. Julien Ravier. L’amendement CS521 vise à exclure du système de déclaration et de renouvellement, tous les cinq ans, les associations cultuelles organisées sur le fondement de la loi de 1905 avant le 1er janvier 2021. L’objectif, qui a déjà été évoqué précédemment, est de ne pas alourdir les démarches administratives des associations existantes, déclarées d’une manière régulière, et d’éviter de suivre une démarche de restriction de libertés à l’égard des cultes.

Je voudrais vous poser une question, monsieur le ministre. J’ai bien saisi que le Conseil d’État vous avait dit que la loi de 1901 ne permettait pas d’exclure une activité cultuelle et que vous souhaitiez donc rendre plus attractif le dispositif de la loi de 1905 pour faire basculer dans ce cadre les associations cultuelles qui ne sont pas constituées actuellement sur cette base – cela concerne notamment les associations musulmanes. J’ai regardé le tableau qui a été mis à la disposition des parlementaires sur ce sujet – c’est vraiment une aide à la décision. J’en retiens qu’il y aura beaucoup de freins dans les dispositions de la loi de 1905, comme M. Pupponi l’a dit : la déclaration, tous les cinq ans, l’obligation d’avoir un organe délibérant démocratique – c’est indispensable, notamment pour structurer le culte musulman, mais c’est malgré tout une contrainte –, l’interdiction de bénéficier de subventions, le contrôle des financements étrangers et l’absence d’avantages en matière de construction, alors que cela pourrait être un outil pour attirer les associations.

Je sais les avantages que vous prévoyez, en matière fiscale – encore faut-il qu’il y ait des fidèles souhaitant bénéficier d’une défiscalisation dans le cadre de dons – ou s’agissant des immeubles de rapport – cette disposition est néanmoins assez contestée et je ne sais pas s’il en résultera vraiment un avantage. En ce qui concerne la certification des comptes, vous dites que vous réduirez le seuil prévu : c’est peut-être une bonne chose mais il y aura tout de même une obligation de certification. À cela s’ajoute l’exemption du droit de préemption pour les donations – je crois, cependant, qu’une grande majorité d’entre nous est contre cette mesure.

Ne devrait-on pas, finalement, réviser la Constitution afin de permettre non pas d’attirer les cultes vers la loi de 1905 mais de les exclure du bénéfice de la loi de 1901 et ainsi réunir tout le monde dans le même cadre ?

M. François Pupponi. J’irai un peu moins loin... Vous avez proposé, monsieur le ministre, que les associations existant déjà n’aient pas nécessairement de déclaration à faire. Mon amendement tend à ce que celles qui existaient avant la promulgation de la loi n’aient pas à redemander à la préfecture leur reconnaissance comme associations cultuelles. Ainsi, on n’imposera pas à celles qui ont déjà été contrôlées de refaire une démarche. Si elles devaient le faire, cela poserait un vrai problème : le nombre de déclarations serait conséquent. Le préfet devra répondre dans un certain délai, ce qui compliquera la situation. L’amendement que j’ai déposé permettra de ne pas pénaliser les associations qui existent et qui n’ont jamais posé de problème.

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’émets un avis défavorable, compte tenu du dispositif que le ministre a évoqué ce matin et qu’il est prêt à proposer d’ici à la séance.

M. Gérald Darmanin, ministre. M. Pupponi verra que l’alinéa 3 de l’article 45 va déjà dans le sens qu’il a évoqué : « Toutefois, lorsque ces associations ont bénéficié d’une réponse favorable à une demande faite sur le fondement du V de l’article 111 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 précitée ou ont bénéficié d’une décision de non-opposition à l’acceptation d’une libéralité avant l’entrée en vigueur de la présente loi, elles ne sont soumises aux dispositions du quatrième alinéa de l’article 19 et de l’article 19-1 de la loi du 9 décembre 1905 mentionnée plus haut, dans leur rédaction issue de la présente loi, qu’à compter de l’expiration de la validité de ces décisions ou à l’issue d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du décret d’application prévu à l’article 19-1 si cette dernière date est plus tardive ». Cette disposition transitoire permettra d’éviter de refaire une demande. Il n’y aura donc pas tout un stock à traiter d’un seul coup, je tiens à vous rassurer.

Merci, monsieur Ravier, pour votre question qui me donne l’occasion de dire une nouvelle fois que nous assumons les obligations faites aux associations loi 1905. Il ne s’agit pas de les alléger. Je sais que vous partagez l’idée de l’importance d’une bonne organisation des cultes puisque vous voulez même supprimer, à la faveur d’un revirement constitutionnel, la possibilité pour les cultes d’utiliser des associations loi 1901. Nous voulons renforcer les avantages dont bénéficient les associations loi de 1905 et renforcer les contraintes de celles constituées dans le cadre de la loi de 1901.

Quels seront les futurs avantages au titre de la loi de 1905 ? Les dispositions relatives aux immeubles de rapport et celles prévues sur le plan fiscal sont extrêmement importantes. Les associations loi 1901 n’auront, quant à elle, aucun des avantages accordés dans le cadre de la loi de 1905 et elles seront soumises à des contraintes supplémentaires – le recours à des experts-comptables ou la déclaration des revenus venant de l’étranger. Puisqu’on ne peut pas revenir sur l’application de la loi de 1901 aux cultes, car cela serait censuré par le Conseil constitutionnel, et que ce serait bien pour eux et pour la République qu’ils soient rattachés à la loi de 1905, nous ajoutons des contraintes dans le cadre de la loi de 1901 et des avantages s’agissant de la loi de 1905. Nous rendrons cette dernière plus attractive mais nous n’allégerons pas les contraintes qui lui sont liées, nous l’assumons.

M. Julien Ravier. Je ne parlais pas de permettre une reconduction tacite, monsieur le ministre, mais d’éviter carrément une déclaration et de faire en sorte qu’il ne soit pas nécessaire, pour le stock actuel d’associations, qui ne posent pas de problème, de faire de nouvelles démarches. J’aimerais qu’on arrive à s’entendre vraiment sur ce que vous nous proposerez. Vous avez dit quelque chose ce matin, et il serait bon que vous le répétiez.

S’agissant de l’attractivité de la loi de 1905, nous sommes pleinement d’accord. Néanmoins, pensez-vous vraiment que les associations cultuelles que nous visons seront attirées par les avantages, notamment fiscaux, que vous proposez ? Je ne le pense pas réellement. Il faudrait être vraiment ambitieux dans ce domaine, quitte à réviser la Constitution, comme nous l’avons proposé, pour pouvoir mieux lutter contre le séparatisme. Je regrette que l’on n’aille pas suffisamment de l’avant. Nous verrons bien ce qu’il en sera à l’avenir…

L’amendement CS945 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS521.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1742 du rapporteur général.

Elle est saisie de l’amendement CS1743 du rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit d’introduire dans le dispositif de déclaration un mécanisme contradictoire entre l’association et le représentant de l’État. Ce serait une sécurité supplémentaire ou en tout cas un dialogue utile.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous n’avons pas besoin de cette précision. Le contradictoire est un principe général du droit depuis l’arrêt Dame veuve Trompier-Gravier du Conseil d’État, qui date de 1944. La décision prise par le préfet sera évidemment susceptible de recours, et elle sera cassée, à coup sûr, si le principe du contradictoire n’a pas été respecté. Votre amendement alourdirait seulement le projet de loi. Je vous propose de le retirer.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je note pourtant que le Gouvernement souhaite lui-même inscrire une procédure contradictoire à ce même article, sans doute afin de garantir que le droit commun est respecté pour tous. Nous pourrions faire de même s’agissant des déclarations, même si j’ai bien compris que ce serait superfétatoire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Si vous y tenez absolument parce que cela peut vous rassurer, je m’en remets à la sagesse de la commission.

Mme Constance Le Grip. Les décisions de l’administration, quelles qu’elles soient, doivent être notifiées le plus rapidement possible et motivées, et il faut qu’une discussion contradictoire, rapide et équilibrée, soit permise. Des amendements similaires qui portaient sur d’autres articles et concernaient, par exemple, les agréments des établissements d’enseignement ou les demandes d’autorisation de l’instruction en famille, ont été retoqués au prétexte qu’il n’était pas utile de préciser que des règles relevant du droit commun s’appliqueraient. Je voudrais qu’il y ait une sorte de parallélisme des formes.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit bien de parallélisme des formes en l’occurrence : le Gouvernement a prévu une procédure contradictoire pour le retrait des avantages. Nous souhaitons qu’il en soit de même s’agissant des déclarations.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1376 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Pierre-Yves Bournazel. Le groupe Agir ensemble souhaite aller un peu plus loin dans les cas, complexes, où le préfet refuse de reconnaitre la qualité cultuelle d’une association. Il conviendrait d’éclairer le dossier au moyen d’une expertise reconnue en matière de religion : une commission consultative pourrait apporter une assistance scientifique indépendante. Ce travail permettrait de renforcer la solidité juridique et la légitimité des décisions prises en la matière.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Votre amendement demande de saisir la commission consultative des cultes, qui n’est chargée que du rattachement des ministres des cultes à un régime de sécurité sociale. Cela reviendrait à lui confier une fonction qu’elle n’exerce pas actuellement. La partie de votre amendement qui concerne le contradictoire est, par ailleurs, satisfaite par la disposition que je viens de faire adopter. Je vous propose donc un retrait.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CS1729 de Mme Cécile Untermaier.

La commission est saisie de l’amendement CS289 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Nous souhaitons étendre la durée de validité de la reconnaissance, par l’administration, de la qualité cultuelle des associations. Elles n’ont pas vocation à changer régulièrement de qualité. Une réévaluation pourrait donc avoir lieu tous les dix ans, et non tous les cinq ans.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je suis défavorable à l’amendement compte tenu du dispositif qui a été présenté par le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ajoute que la validité des rescrits actuels est de cinq ans. Nous prévoyons la même durée pour les déclarations.

M. Julien Ravier. Je ne comprends pas. Vous nous avez dit que les associations constituées sur le fondement de la loi de 1905 avant la promulgation du texte ou avant le 1er janvier 2021 – il faudrait s’entendre sur ce point – bénéficieraient d’une tacite reconduction tous les cinq ans, est-ce bien cela ?

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai indiqué précédemment que nous garderons un régime de déclaration tous les cinq ans et qu’il n’y aura pas de double déclaration. Cela remplacera le régime d’autorisation que nous souhaitions instaurer mais que le Conseil d’État nous a encouragés à faire évoluer.

Les modalités d’application seront précisées par décret. J’ai dit à Mme Ménard que j’indiquerai en séance publique les mesures réglementaires que je m’engage à prendre. On pourrait envisager de procéder d’une manière tacite pour les associations dont on sait qu’elles posent peu de problèmes ou qui sont anciennes – étudions cette question – et un rôle plus actif pour le ministère de l’intérieur en ce qui concerne le certificat de non-opposition. En tout état de cause, tout le monde devra faire une déclaration.

Ce dispositif succédera au rescrit administratif, valable cinq ans et facultatif, qui existe jusqu’à présent. J’ajoute que des associations qui ne posent pas de problème peuvent se mettre à le faire. C’est pourquoi nous prévoyons que la question sera revue tous les cinq ans. L’opposition entre le stock et le flux n’est pas toujours vraie : si nous prévoyons de nouvelles mesures, c’est parce que nous constatons que des associations qui existent ne respectent pas tout à fait leur objet.

J’aurai l’occasion de préciser dans l’hémicycle, je le redis, les mesures de nature réglementaire que je prendrai à la suite de nos travaux.

M. Julien Ravier. Je note que la durée de cinq ans qui est prévue correspond à celle de la validité du rescrit.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1744 du rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est un amendement de coordination avec la disposition que nous avons adoptée au sujet de la procédure contradictoire.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 27 modifié.

Après l’article 27

La commission est saisie de l’amendement CS695 de Mme Valérie Oppelt.

Mme Valérie Oppelt. L’objectif de cet amendement est de permettre de mieux contrôler les congrégations non autorisées, qui constituent actuellement des groupements de fait. La mesure que je vous propose aura pour effet de résoudre des problèmes de constitutionnalité et de conventionnalité, elle permettra d’effectuer des opérations – ouverture de comptes, souscription d’assurances et actes de la vie courante – au nom des associations et non plus à titre individuel – et, ce qui est le plus important à mes yeux, elle soumettra des groupements de fait à un contrôle sur la base de la loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La loi du 1er juillet 1901 dispose que toute congrégation religieuse peut obtenir la reconnaissance légale par décret rendu sur avis conforme du Conseil d’État. C’est une procédure très formalisée, car les droits attachés à cette reconnaissance sont beaucoup plus larges que ceux des associations cultuelles – ils se rapprochent du régime des associations reconnues d’utilité publique. Je préfère donc maintenir le dispositif actuel, qui est plus complexe que pour d’autres associations. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le rapporteur général a raison. J’ajoute qu’un avis du Conseil d’État, datant de 1989, a précisé qu’un groupement de personnes se caractérisant par la soumission à des vœux et par une vie en commun selon une règle approuvée par une autorité religieuse ne peut être régi que par la loi de 1901. Par conséquent, j’émets aussi un avis défavorable.

Mme Valérie Oppelt. Je vais retirer l’amendement. Une partie de ces groupements restent de fait : ils n’entrent pas, apparemment, dans le cadre que vous avez décrit. Il faudrait peut-être prévoir un autre système.

L’amendement est retiré.

Article 28 : Modification des règles relatives au financement des associations cultuelles

La commission examine l’amendement de suppression CS1635 de M. François Cormier-Bouligeon.

M. François Cormier-Bouligeon. Je vais défendre en même temps les amendements CS1635 et CS111.

L’article 28 est une atteinte inacceptable à la loi de 1905. Celle-ci était généreuse en ce qu’elle accordait aux cultes des avantages fiscaux pour les dons des fidèles. Cela se justifiait si, et seulement si, l’association cultuelle se limitait à son objet, c’est-à-dire au culte. Certes, la loi de 1905, nous l’avons dit, a déjà été entaillée, notamment par la loi dite Debré de 1959. Il faut néanmoins rappeler qu’il n’est pas du ressort de l’État de financer directement ou indirectement le fonctionnement d’une association cultuelle, a fortiori si celle-ci est autorisée à pratiquer une activité commerciale non soumise à l’impôt.

La loi de 1905 assure la liberté de conscience, mais elle ne fait que garantir le libre exercice du culte, ce qui est bien moindre que ce qu’on voudrait nous faire croire. Garantir ne veut pas dire assurer mais ne pas empêcher. L’article 28 ne s’inscrit pas dans la continuité de l’équilibre prévu par la loi de 1905 : il marque, au contraire, une rupture avec lui. Et cela entraînera d’autres ruptures : une rupture de l’égalité entre les cultes, en fonction de la situation immobilière de chacun d’entre eux, une rupture de l’égalité avec les exploitants immobiliers commerciaux ou encore une rupture avec le principe d’exercice de l’activité cultuelle, du fait de l’autorisation à se livrer à d’autres activités qui n’ont rien à voir avec le culte.

Une telle disposition constitue un véritable subventionnement indirect des cultes. Que se passera-t-il ensuite ? D’anciens cultes qui bénéficient déjà d’un parc immobilier très important pourront se livrer à des activités étrangères à leur objet – c’est le premier risque. Les cultes évangéliques pourront aussi, comme dans le système américain, assurer l’enrichissement de leurs pasteurs par la constitution de fortunes immobilières. À cela s’ajoutera une course aux legs et aux donations pour tous les cultes.

Nous n’avons pas à rougir du choix, qui est fait dans ce projet de loi, de tarir les financements étrangers. Quand on lutte contre le séparatisme, quand on renforce les principes républicains, quand on demande plus de transparence et davantage de règles, il n’est pas nécessaire de donner une contrepartie. Le fait d’exiger des cultes plus de transparence financière et de leur imposer de se couler dans le cadre républicain n’appelle pas de compensation. La laïcité n’est pas un deal entre le peuple français et les églises. On est soit ministre d’un culte soit agent immobilier. Il faut choisir entre prier et faire du business. Jésus n’a-t-il pas chassé les marchands du temps ? Pourquoi les y ferait-on rentrer ?

M. Florent Boudié, rapporteur général. J’observe que vous demandez la suppression de la totalité de l’article 28 – en tout cas, c’est l’objectif du premier amendement que vous avez défendu. Vous voulez tout supprimer, y compris la loi de 1905.

M. François Cormier-Bouligeon. Mais non !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Si, puisque plusieurs alinéas de l’article 28 figurent déjà dans la loi de 1905. Il serait donc plus habile, comme le prévoit un autre amendement, de supprimer uniquement l’alinéa 5.

Je vais tenter de vous répondre également sur le fond. Je laisserai le ministre de l’intérieur rappeler la philosophie générale qui justifie, aux yeux du Gouvernement, de valider des ressources dont je précise tout de suite qu’elles ne sont pas supplémentaires. Qu’en est-il, en effet, des immeubles de rapport à l’heure actuelle ? Si une association cultuelle reçoit une libéralité portant sur un bien immobilier, elle doit le vendre dans un certain délai, mais elle bénéficie de la ressource correspondante. L’alinéa 5 ne tend donc pas à offrir aux associations cultuelles une ressource nouvelle. Elles l’ont déjà. Ce qui leur sera permis, ce sera d’administrer la ressource dans la durée, grâce à la possibilité de posséder de tels biens immobiliers.

Vous avez fait, pardonnez-moi de le dire, une remarque fallacieuse. Les ressources locatives tirées, le cas échéant, des biens immobiliers ne pourront pas être affectées à autre chose qu’au but exclusif du culte. Vous avez dit que cette ressource pourrait être utilisée pour d’autres activités, ce qui n’est pas exact. Les ressources locatives devront être affectées de manière à subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice public du culte – uniquement à cela.

Je suis très soucieux d’éviter que les associations cultuelles deviennent des gestionnaires de biens. Ce n’est pas leur but : elles n’ont pas vocation à devenir des administrateurs de fondations patrimoniales. Elles doivent, en application de la loi de 1905, assurer les frais, l’entretien et l’exercice public du culte. Il serait donc prudent et légitime d’encadrer le dispositif, voire de le plafonner – nous aurons l’occasion d’en reparler lorsque nous examinerons un amendement que j’ai déposé.

Je crois qu’il est important de donner aux associations cultuelles, d’une manière encadrée, la possibilité d’administrer dans la durée une ressource qu’elles ont déjà. J’émets donc un avis défavorable à votre amendement.

M. Gérald Darmanin, ministre. La question des immeubles de rapport est extrêmement importante. De même que l’article 26 tend à créer des associations loi 1905 modernes, pour pousser celles relevant de la loi de 1901 à aller vers ce cadre, et ainsi respecter la philosophie de la loi de 1905, que nous allons renforcer par ailleurs, il est important de donner aux associations cultuelles des ressources, sans leur permettre, évidemment, de se constituer des empires immobiliers – je partage la réserve formulée par le rapporteur général et j’émettrai un avis favorable à l’amendement tendant à « caper » ou à borner le dispositif.

Que voulons-nous faire à l’heure actuelle ? Nous ne sommes plus en 1905 – je reviendrai plus tard sur les aspects historiques. Nous souhaitons que les cultes puissent continuer à vivre, et je pense que presque tout le monde sera d’accord sur ce point, sans financement public, car c’est l’équilibre de la loi de 1905, et sans ou avec de moins en moins de financements étrangers, afin qu’il n’y ait pas de dépendance – au sens où qui paie décide –, c’est-à-dire que l’on n’aille pas quémander auprès du Qatar, de l’Algérie, de la Turquie ou d’autres pays.

Si nous ne voulons pas qu’il y ait des financements publics – personne ne le souhaite ici – ou des financements étrangers – ou alors qu’ils soient réduits –, il faut accepter l’idée des ressources propres. Il y a le non-paiement de certaines choses – de la taxe foncière, par exemple –, les associations cultuelles peuvent aussi délivrer des reçus fiscaux – à cet égard, le texte ne prévoit ni d’augmenter le taux ni de créer des crédits d’impôts : M. Ravier a parlé des personnes qui ne sont pas imposables –, et à cela s’ajoute la question des immeubles de rapport.

Indépendamment de ce texte, le Président de la République a pris des décisions fondamentales pour l’islam de France, en vue d’assurer une non-ingérence de la part d’États étrangers et de mettre un terme à ce qu’on peut appeler l’islam consulaire, notamment par la fin des imams détachés, ce qui est une mesure très courageuse. De quoi s’agit-il ? Des centaines de ministres du culte sont payés par des États étrangers, comme le Maroc, l’Algérie et la Turquie, en toute légalité et dans un total respect de la volonté du législateur, car le Parlement s’est prononcé sur les conventions qui ont été conclues. Des fonctionnaires d’États étrangers, payés par eux et relevant de ministères des affaires religieuses – cela n’existe pas chez nous : vous n’avez qu’un ministre de l’intérieur (Sourires) – sont envoyés en France pour y être ministres du culte. Ce ne sont pas nécessairement des gens qui posent des problèmes d’ordre public – souvent, ce n’est pas le cas –, mais nous considérons qu’il est compliqué d’accepter l’idée que des fonctionnaires d’États étrangers, payés par eux, soient ministres du culte en France. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’interdire à des ministres du culte étrangers d’exercer en France. Seulement, ils ne doivent pas être rémunérés, en tant que fonctionnaires, par des États étrangers.

Si nous mettons un terme aux imams détachés – il n’y en aura plus un seul sur le sol de la République en 2024 – et si nous nous opposons, par ailleurs, aux financements étrangers, qui sont à l’heure actuelle la règle, vous le savez bien, pour une partie des cultes, notamment le culte musulman, alors qu’une partie des cultes « anciens » en France ont des aides, en raison de l’histoire, notamment du fait que les églises sont des bâtiments patrimoniaux et que ce n’est pas l’Église catholique, la plupart du temps, qui finance les travaux mais la puissance publique, par l’intermédiaire des collectivités locales, ce qui n’est pas le cas des mosquées, il faut le dire, cela conduira à une paupérisation, contraire à l’idée que la République reconnaît toutes les croyances, et à une islamisation, s’agissant du culte musulman. En effet, les moyens qui sont donnés permettent de former les ministres du culte, en l’occurrence les imams, même si le terme n’est pas tout à fait exact, et d’avoir des gens correspondant non pas à l’ « islam des caves » mais à un « islam du juste milieu », comme le disent certains islamologues.

Je précise également qu’il est question d’immeubles cédés à titre gratuit, et non à titre onéreux – une demande des cultes, lors de certaines auditions, portait sur ce dernier point. Si quelqu’un a envie de céder un bien à sa mort, il faut que ce soit possible. La lecture que vous faites, monsieur Cormier-Bouligeon, est vraiment jusqu’au-boutiste – vous n’auriez pas été du côté de Briand en 1905. Ce que je dis est à peine une provocation… Vous voulez supprimer des dispositions qui figurent déjà dans la loi de 1905 et qui ne datent pas de celle de 2014. Nous proposons de les garder, en ajoutant certaines conditions – je pense au bornage que présentera le rapporteur général tout à l’heure et dont l’effet sera de limiter très fortement les possibilités. Il y aura, par ailleurs, un renforcement contrôlé des associations loi 1905 dans le cadre des dispositions que vous avez adoptées précédemment.

En application de la loi de 1901, on a le droit de posséder des immeubles de rapport. Il existe donc une iniquité. L’association cultuelle est avant tout une association. Si une association relève de la loi de 1901 et qu’elle est d’intérêt général, elle a le droit d’avoir des immeubles. Si elle est mixte, elle n’en a pas le droit. Il s’agit donc, aussi, de remédier à une iniquité qui n’a pas été vue en 2014, me semble-t-il, par le législateur et par le Gouvernement. Vous vous en souvenez sans doute : nous avions essayé de corriger les choses dans le texte dit du droit à l’erreur, mais une partie d’entre vous avaient dit que ce n’était pas le sujet et qu’on en traiterait quand on parlerait des cultes. Nous y voilà.

L’idée n’est pas de conclure un deal – on ne passe pas un contrat avec les religions – mais de respecter les croyances et de permettre à chaque culte d’avoir son autonomie. On ne peut dire, d’un côté, au culte musulman – notamment – qu’il doit être indépendant des États étrangers et ne pas lui donner, de l’autre côté, aucun moyen de l’être. Ce n’est pas possible.

La disposition que vous examinez est évidemment importante, et je ne sous-estime pas le débat la concernant. Elle doit évidemment être limitée – le rapporteur général a raison – et il faut qu’elle puisse être expliquée à nos concitoyens. Mais elle permettra, je le dis avec toute ma foi républicaine, de respecter les croyances, de les prendre au sérieux et de les contrôler – vous avez vu que nous prévoyons certains alourdissements en la matière.

Voilà ce qui fera de ce texte une loi équilibrée, permettant le développement des nouvelles religions, si je puis dire, sur le sol national tout en les contrôlant et en les prenant au sérieux, je le redis. Il s’agit d’accepter l’idée que pour lutter contre les influences étrangères, au sujet desquelles vous savez que l’argent est important, il faut donner des moyens de développement.

Tout cela est fidèle à la loi de 1905. Si la République ne salarie aucun culte, je rappelle qu’elle a nationalisé les biens de l’Église : elle lui a donné une charge supplémentaire, consistant à payer les ministres du culte, mais elle lui a retiré celle des travaux dans les édifices. Cette disposition, qui sera complétée par les conditions strictes que le rapporteur général veut introduire et auxquelles le Gouvernement donnera un avis favorable, est conforme à l’esprit de la loi de 1905.

M. le président François de Rugy. Je voudrais ajouter que ce sujet a évidemment été abordé avec les représentants des cultes lors des auditions. La Fédération protestante de France a notamment souligné que la mesure dont nous parlons résulte d’un contentieux. Des associations protestantes avaient commencé à suivre une pratique qui a été contestée par des préfets. Les décisions qui ont été prises ont conduit à l’impossibilité, pour les associations cultuelles, d’avoir cette source de revenus. Il faut rappeler que les associations cultuelles peuvent bénéficier de dons, de legs de bâtiments mais qu’elles sont obligées de les revendre. Elles ne peuvent pas les garder alors que d’autres associations, philanthropiques et relevant de diverses catégories, ont été autorisées par la loi dite Hamon, de 2014, à les louer. Il s’agit aussi de régler ce problème.

Par ailleurs, on entend dire que ce serait un financement public. Il s’agit au contraire d’un financement privé, pour des associations cultuelles. Certains disent qu’il peut y avoir un avantage fiscal, mais, à ce moment, le don défiscalisé est déjà un avantage fiscal – on ne s’en sort plus ! Il s’agit donc de dons privés, puis de ressources régulières pour les cultes qui en bénéficieraient.

Il est plus intéressant que les ressources soient ciblées sur des associations cultuelles, plutôt qu’elles ne prospèrent dans des associations parallèles, non cultuelles, qui, auraient un autre statut permettant cette gestion, et par lesquelles on continuerait d’entretenir des imbrications entre cultuel et culturel, social, caritatif. Ce flou est une réalité, nous le savons ; c’est pourquoi nous essayons de remettre un peu de clarté, ce qui permettra de revenir à des associations cultuelles plus contrôlées, qui auront ainsi une ressource régulière, privée.

En outre, M. le ministre l’a dit, la très grande partie du patrimoine de l’Église catholique est entretenue par la collectivité. Ce culte a aussi un vaste patrimoine foncier, dont la valeur est élevée. Cela lui permet, comme tout propriétaire, de gérer la vente d’une partie de ce patrimoine pour financer l’entretien d’une autre partie. Les autres cultes, notamment les plus récents, n’ont pas cette faculté. Chaque fois qu’ils reçoivent un don ou un legs, ils doivent le revendre. La mesure permet donc de rétablir l’équilibre entre tous les cultes.

Mme Emmanuelle Ménard. Je comprends qu’il s’agit d’accorder la possibilité de conserver les immeubles de rapport reçus à titre gratuit. Pourquoi ne pas l’étendre à la possibilité d’acquérir des immeubles de rapport à titre onéreux ? Limiter la possibilité pour les associations cultuelles de placer leurs réserves dans des biens immobiliers, alors que tous les autres types de placements sont autorisés, n’est-ce pas une atteinte à la liberté de gestion des cultes ?

M. Sacha Houlié, rapporteur thématique. Le ministre et le rapporteur général l’ont dit, notre but est bien de favoriser la transition des associations relevant de la loi de 1901 vers la loi de 1905. Or elles n’y auraient plus aucun intérêt si on les privait de financements publics, si on rendait plus difficiles les financements étrangers et si, comme le prévoit l’alinéa 2, on supprimait le financement par les fidèles et, plus encore, l’autofinancement par les immeubles de rapport.

La mesure peut par ailleurs résoudre certaines questions sur les lieux de culte. Il y a quelques années, certains cultes n’avaient pas les moyens de louer des salles, ce qui a conduit à la polémique sur les prières de rue, d’une religion ou d’une autre. Les patrimoines immobiliers règlent la question.

Par ailleurs, le texte n’est pas la révocation de l’Édit de Nantes, c’est un texte de tolérance, qui doit pouvoir organiser les relations entre l’État et les Églises, en permettant des libéralités, donc en organisant un régime dans lequel l’association peut gérer librement ses biens, son patrimoine. De telles dispositions sont utiles.

Le contrat n’est pas entre l’État et les associations, mais peut-être entre nous, sur les concessions réciproques que nous devons faire. Vous proposiez de supprimer l’article 28. Je préférerais le conserver en l’état, et qu’on ne plafonne pas les avantages offerts aux associations. Je ne crois pas qu’aucune association cultuelle ait l’intérêt, l’intention ou le besoin de se transformer en promoteur immobilier. Leur but principal est le culte. Avoir une présomption de culpabilité sur ces associations me gêne.

Pour le compromis, il y a l’amendement du rapporteur général. Encore une fois, considérer les dirigeants des associations comme des gens intéressés financièrement, c’est leur faire un faux procès.

M. François Pupponi. Je soutiens cette proposition. Comme l’a dit le ministre de l’intérieur, on ne peut pas à la fois supprimer les financements étrangers des cultes et les empêcher d’en avoir d’autres. Il faudra bien qu’ils construisent leurs lieux de culte et trouvent les moyens de les financer, en particulier la communauté musulmane. Dans certains territoires, en particulier les plus défavorisés de notre pays, les fidèles n’ont pas les moyens de financer seuls les lieux de culte. Ils ne sont pas capables de prélever les 3, 4 ou 5 millions d’euros nécessaires pour construire une mosquée. Dire aux musulmans qu’ils ne doivent pas aller chercher l’argent ailleurs, alors qu’ils n’ont pas les moyens nécessaires, c’est leur dire qu’ils ne construiront pas leur mosquée. C’est la traduction, dans les faits. Nous avons déposé certains amendements à ce sujet car il faut peut-être parfois aller un peu plus loin, si l’on veut que le culte musulman soit capable de construire les lieux de culte dont il a besoin, à partir des territoires où il est implanté.

M. Pierre-Yves Bournazel. Le groupe Agir ensemble souscrit à la position de M. le ministre, qui paraît équilibrée et respectant les cultes. C'est une position de clarté, de liberté et de contrôle. Le principe de laïcité ne reconnaît aucune religion mais ne nie pas l’existence de cultes. Il faut tenir cette position d’équilibre : pas de financements publics, le ministre de l’intérieur l’a dit ; moins de financements étrangers, du moins, des financements davantage contrôlés. Les cultes ont pourtant besoin de ressources propres, pour pouvoir exercer librement dans notre territoire. À cet égard, la question des immeubles de rapport est importante, car cela permet d’avoir une source de revenus, de financer les ministres des cultes, et de lutter – c’est un élu du 18e arrondissement qui le dit –, contre l’islam des caves, que nous avons connu dans les années 1990 et 2000, ou l’islam qui a été pratiqué dans les rues jusqu’en 2011, notamment dans la rue Myrha de mon arrondissement. Il faut bien l’organiser, et nous sommes très heureux qu’une solution ait été trouvée, même s’il faudra la pérenniser, notamment Porte des Poissonniers. Pour lutter contre l’islamisme radical ou l’intégrisme religieux, en général, il faut bien que les cultes puissent s’organiser. C’est ainsi que nous pourrons avancer.

C’est la raison pour laquelle nous soutiendrons la position du Gouvernement, du rapporteur général et de M. le rappporteur Houlié en la matière.

M. Guillaume Vuilletet. Le groupe La République en marche soutiendra l’amendement du rapporteur général et votera contre les autres. Je fais miens les propos de Pierre-Yves Bournazel. Je ne ferai qu’une seule fois le lien entre islam et islamisme : dire à des jeunes ou des à personnes un peu perdues qu’ils ne sont respectés nulle part, y compris dans leur propre religion fait partie de la propagande islamiste. Notre système global peut apparaître comme rejetant une religion. Ce texte s’adresse précisément à tous, à toutes les religions. Comme le disait le rapporteur Sacha Houlié, ce n’est pas la révocation de l’Édit de Nantes, c’est un texte libéral et de tolérance, qui encourage une pratique normale, républicaine du culte. Pour ce faire, il veut garantir la traçabilité des financements, leur clarté, leur transparence. C’est la seule boussole que nous devons avoir.

Lorsque, il y a fort longtemps, je fréquentais plus assidûment certains cercles, j’ai pu argumenter contre les immeubles de rapport, les trouvant scandaleux. Cette vision est datée. Aujourd’hui, s’il y a un don, on n’obligera pas à revendre le bien, pour donner un avantage aux associations de loi de 1905 par rapport à celles qui trichent, qui se cachent derrière le statut de 1901, sans même être des associations mixtes, et qui en profitent pour détourner l’objet de la loi. C’est une mesure de bon sens.

Un encadrement est sans doute nécessaire. Nous soutiendrons à cet égard les amendements du rapporteur général, et prendrons sans doute une position en ce sens à l’article 32.

Enfin, dans la diversité des religions, il y a certaines pratiques liées au financement, y compris certains interdits. On peut faire semblant de ne pas le savoir, de ne pas le voir. On peut aussi se dire que l’on peut faciliter la vie des gens, non en leur donnant de l’argent public, mais en faisant en sorte que l’argent des fidèles puisse être utilisé au meilleur escient.

M. Alexis Corbière. Je suis opposé à une modification de la loi de 1905. De fait, nous modifions la nature de ce qu’est une association cultuelle de loi 1905, dont l’objet est uniquement les frais d’entretien et d’exercice du culte. Ce n’est pas rien ! Désormais, il y aura aussi la gestion éventuelle de bâtiments dont l’association aura hérité. Il y a là un paradoxe.

Je peux entendre que vous vouliez modifier le caractère mixte de certaines associations de loi 1901, qui, pour des raisons historiques, gèrent aussi d’autres choses que le culte. Votre idée est de les faire passer en loi de 1905 : ce qui est cultuel doit être cultuel ; ce qui est culturel, culturel. En même temps, vous donnez une nouvelle nature aux associations cultuelles, qui, au-delà du culte, pourront éventuellement gérer un bâtiment. Cela me semble être une première contradiction.

Dans ma conception des choses, ce sont les fidèles qui doivent payer leur culte, non la rente d’un bâtiment, les loyers de personne qui y vivent ou les recettes d’un hôtel. Cela fonctionne ainsi dans l’ensemble des cultes : les cotisations et les dons des fidèles doivent être la principale ressource. Ce n’est pas l’association cultuelle qui doit gérer ce type de bâtiments.

M. le ministre avait déjà donné pour argument que les musulmans avaient besoin de cette disposition. Or le représentant du Conseil français du culte musulman (CFCM) – quant à savoir si sa parole est représentative, sur ce point, je crois que oui – a dit que son culte n’en tirera aucun bénéfice car les fidèles ont pour particularité, pardon pour la simplification sociologique, de posséder rarement des biens, et qu’il ne reçoit rien.

Il a ensuite dit la même chose que Mme Ménard, c’est-à-dire qu’il souhaite, non pas gérer les biens hérités à titre gratuit, mais pouvoir acheter, ce qui sera sans aucun doute l’étage suivant de la fusée, dans quelques années. On nous expliquera alors que la mesure a manqué la cible, qu’elle a profité essentiellement à des cultes déjà installés, si je puis me permettre l’expression, et non au culte musulman. Celui-ci se développe pourtant, puisqu’il dispose de 2 400 lieux de culte. Ne donnons pas l’impression que l’on est encore à l’heure de l’islam des caves : des lieux se construisent. Réfléchissons à de nouvelles sources de financement. Par exemple, une commune peut se prêter caution d’une association lorsqu’elle emprunte de l’argent auprès d’un établissement bancaire. On pourrait aussi mener une réflexion sur le halal, qui, aujourd’hui, ne va pas directement au financement du culte. Les pistes sont nombreuses.

Je suis donc contre cette mesure, qui me semble être une remise en cause de la loi de 1905, une incompréhension de ce qu’elle doit être, et la porte ouverte, que vous le vouliez ou non, à ce que se développe un « business » cultuel, qui me semble particulièrement contraire à l’esprit de ce à quoi nous travaillons.

Par ailleurs, je suis opposé aux déductions fiscales dont bénéficient les cultes. Les services de Bercy sont incapables de nous dire combien elles représentent. L’économiste Thomas Piketty parle de 250 à 300 millions de manque à gagner dans nos recettes. Il faut que l’argent public soit consacré aux services publics, à soulager le fidèle de dépenses – moins de dépenses de santé, moins de dépenses d’école. Ensuite, libéré de toutes ces exigences, le fidèle donne ce qu’il veut. Nous n’avons pas à accepter que 66 % de ce qui est donné par les fidèles échappe à l’impôt. C’est un financement public du culte.

Monsieur le président, j’aurai ainsi défendu nos deux amendements à l’article 28.

Mme Marie-George Buffet. L’amendement CS1311 vise à supprimer l’alinéa 5. Je comprends la motivation de l’article 28 : il s’agit de limiter l’argent venu de l’étranger, donc l’éventuelle mise en domination d’un culte par des éléments étrangers. Mais il y avait déjà la possibilité, après le don d’un bien, de le revendre, donc d’obtenir une rentrée financière. Là, on transformera une association cultuelle en un gestionnaire de biens, qui sera amené à administrer des bâtiments – selon quelles conditions de location ? On peut tout imaginer.

Comme Alexis Corbière, j’ai entendu le président du Conseil français du culte musulman dire que la mesure ne l’intéressait pas tellement car ses fidèles détiennent peu de biens immobiliers. Il faut donc aller vers d’autres mesures, notamment, en effet, la garantie d’emprunts.

M. Boris Vallaud. L’amendement CS1153 vise également à supprimer l’alinéa 5. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé du rapprochement des lois de 1905 et de 1901. Les associations cultuelles selon la loi de 1905 ont un objet exclusif. Il est important de demeurer dans ce cadre, et de ne pas offrir la possibilité d’une gestion patrimoniale qui ne serait pas directement liée à cet objet. Il nous faut travailler notamment sur le financement par une taxe sur le halal. Des propositions ont été faites : j’ignore si le ministère de l’intérieur y travaille avec les représentants du culte musulman. C’est sans doute une voie possible. En effet, le CFCM l’a dit, la plupart des dons sont de petits dons, en argent liquide. J’entends qu’il y a une communauté de croyants vieillissante, qui aura peut-être un patrimoine à transmettre dans les années prochaines, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. En tout état de cause, ces patrimoines pourront être transmis, revendus et financer la construction d’éventuels lieux de culte.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai écouté avec attention tous les arguments sur ce sujet important : aucun ne m’a paru convaincant. D’abord, mesdames, messieurs les parlementaires, ne faites pas comme si l’islam n’était que la religion des pauvres – ce n’est peut-être pas votre propos mais il peut être entendu comme tel. C’était peut-être vrai il y a trente ans, mais le propos est infantilisant. Vous rencontrez certainement les mêmes concitoyens que moi, et vous voyez bien que, comme dans toutes religions, une grande partie de gens ne paient pas d’impôt – c’est d’ailleurs le cas pour la majorité des Français. Mais il y a aussi des musulmans, qu’ils soient Français ou étrangers, sur le sol national, qui sont cadres, médecins, chirurgiens, notaires, qui se rendent à la mosquée et qui souhaiteraient financer leur culte. Il est donc faux de parler d’une religion de pauvres, qui ne pourront jamais donner. Je suis d’ailleurs curieux de connaître les chiffres exacts par rapport aux autres cultes. Cela dépend aussi beaucoup des territoires.

Par ailleurs, s’agissant des avantages fiscaux, monsieur Corbière, il est évident que nous ne pouvons pas vous donner de statistiques, pour la bonne et simple raison que s’il fallait indiquer à quel culte on donne sur la déclaration d’impôts, et si la direction générale des finances publiques (DGFIP) tenait un fichier des fidèles de telle ou telle religion, vous seriez le premier à accuser le ministre de l’intérieur, ministre des cultes publics, de fichage. Ne faites donc pas semblant de dire que l’on ne donne pas les éléments. Tel est bien le cas, puisque le don est anonyme. De la même manière, on ne sait pas qui donne à La France insoumise ou à telle ou telle association. L’anonymisation du don est la garantie que le contrôle fiscal ne sera pas décidé en fonction de ce que vous pensez et donnez. L’argument « ne vaut pas tripette », comme disait Jacques Chirac.

Pour ce qui concerne le « deal », comme s’il y en avait eu un, je dirai à M. Cormier-Bouligeon ainsi qu’à Mme Ménard, que, s’il y avait eu un deal, nous aurions dû inclure l’accès à titre onéreux, rien ne l’empêchait. Il n’y a pas eu de « deal ». Nous n’avons pas voulu déséquilibrer la loi de 1905. Nous avons voulu revenir sur l’inégalité, à la fois historique et de traitement, qui était déjà prévue dans l’esprit de la loi de 1905. Certains cultes voulaient cet accès, nous leur avons dit non. Il n’y a donc pas d’accord avec les cultes, mais une position de sagesse, d’équilibre, comme l’a dit M. Bournazel, que je remercie.

Vous évoquez l’argent liquide : il est étonnant de penser que le culte musulman est à la fois une religion pauvre, et une religion où il y a beaucoup d’argent liquide. L’argent liquide est d’ailleurs présent dans toutes les religions, qu’il s’agisse de la quête ou de l’aumône obligatoire, la zakat pour les musulmans. Chacun connaît les traditions religieuses. C’est justement parce que nous contrôlons les avantages des associations relevant de la loi de 1905, vers laquelle nous voulons amener toutes les associations cultuelles, que nous pensons que l’argent liquide doit être déclaré. Cela me paraît tout à fait logique, dans le fonctionnement des cultes. Nous essayons de le faire par l’intervention de l’expert-comptable. Des amendements sur la séparation des comptes bancaires nous permettront d’améliorer les contrôles.

Il est étonnant de refuser que le public aide les religions tout en proposant que les collectivités garantissent les emprunts des associations cultuelles. C’est une aide absolue, chacun le sait : lorsqu’un défaut de paiement survient, il échoit à la collectivité publique. Lorsque j’étais maire et que le conseil municipal délibérait sur une garantie, je faisais très attention à ce que, même pour la bonne cause, on ne se retrouve pas avec une obligation quelques mois ou années après. La mesure me semble totalement attentatoire au principe de séparation que vous défendez. Surtout, vous faites semblant de ne pas voir ce qu’a dit M. Vuilletet avec des mots choisis, que l’usure est interdite en islam, vous le savez bien. Il est donc étonnant d’avoir des arguments dans la première partie de la discussion pour dire que nous ne pouvons pas obliger nos compatriotes musulmans à faire des choses contraires à la religion, dès lors que cela ne porte pas atteinte à l’ordre public – personne ne pousserait à manger du porc à la cantine, ce n’est pas ce que vous avez dit, et c’est bien ce que nous essayons tous de défendre, collectivement – et, ensuite, de proposer de prendre une mesure interdite par la religion, qui ne touche pas à l’ordre public. Vous faites semblant de ne pas voir que l’usure est interdite par l’islam.

L’accès au compte bancaire est une possibilité – encore faut-il avoir une assise, d’où votre idée de garantie, qui est orthogonale avec la loi de séparation. Mais, en plus, par provocation – vous le dites peut-être sans en être conscient -, vous allez vers une solution que n’accepte pas ce culte. Il y a d’ailleurs fort à parier que si le culte musulman avait des emprunts à contracter, il les ferait sans doute auprès de banques étrangères, et pas forcément nationales, ce qui renforcerait ce que nous souhaitons absolument éviter.

S’agissant du halal, monsieur Vallaud, le ministère de l’intérieur n’y travaille pas, comme c’était aussi le cas avec mon prédécesseur. J’y suis parfaitement opposé. Bien sûr, il y a beaucoup d’argent qui circule avec le halal. C’est un système extrêmement compliqué dont trois mosquées en ont le monopole.

M. Alexis Corbière. C’est vous qui avez donné l’agrément aux trois mosquées !

M. Gérald Darmanin, ministre. Deux arguments s’opposent à cette fausse bonne idée, qui est défendue par beaucoup et qui va à l’encontre de notre conception de la République.

Le premier argument est que vous enfermez le financement d’un culte par des pratiques communautaires.

M. Alexis Corbière. Et les produits casher ?

M. Gérald Darmanin, ministre. Ce n’est pas l’État français qui prélève l’impôt sur les produits casher. Arrêtez de dire n’importe quoi ! Ce n’est pas un argument.

Je le répète, nous ne travaillons pas sur cette hypothèse. Je refuse qu’une pratique communautaire religieuse enferme le financement d’un culte. On a le droit de donner à tel ou tel culte, sans attendre toutes les prescriptions, et passer par une obligation. Je suis contre l’enfermement, en partant du principe qu’il y a une manne – le halal –, que l’on va taxer, là où il y a des sacrificateurs. Il est tout de même curieux, dans l’idée de la séparation des Églises et de l’État, de décider une contribution obligatoire, ou un impôt. Il est déjà tellement difficile de structurer l’islam de France ! Imaginez structurer un système de financement qui convienne à toutes les mosquées, où tout le monde se mettra d’accord sur une telle source d’argent, qui sera évidemment énorme ! Il faudra que quelqu’un s’y intéresse, sinon, il n’y aura pas de répartition de cette fiscalité.

Second argument, en vertu des lois de séparation, nous ne pouvons pas créer une fiscalité propre à une religion. Il faut donc faire un travail d’organisation et de structuration qui, malheureusement, n’est pas celui du culte musulman en France.

Le seul sujet sur laquelle travaille notamment le Quai d’Orsay, à la demande du Président de la République, est le fonctionnement de l’organisation du pèlerinage à La Mecque, le hajj. En vertu des lois de séparation, cela ne peut passer que par un accord diplomatique, entre l’Arabie saoudite et la France, par le biais d’un certain nombre d’agences de voyages, dont certaines, vous le savez, exploitaient une partie des fidèles. Cela peut être un des sujets évoqués, mais ce n’est pas le principal.

Pour conclure, je comprends les réticences qui peuvent s’exprimer mais ces mesures sont essentielles si l’on veut une autonomie de ces associations à l’égard des puissances étrangères. C’est d’autant plus essentiel que cet argent, qui n’est pas forcément toujours en lien avec les salafistes ou les Frères musulmans, a une puissance forte sur le discours, sur le choix des ministres, les associations – qui paie décide ! Si elles ne s’expriment pas dans les lieux de culte, elles le font par l’intermédiaire de nombre d’associations, qui ne sont pas cultuelles.

La commission rejette l’amendement CS1635.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CS1819 de M. Jean-Luc Mélenchon. 

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette les amendements identiques CS86 de Mme Annie Genevard, CS111 de M. Jean-Louis Touraine, CS1111 de M. Jean-Luc Mélenchon, CS1153 de M. Boris Vallaud et CS1311 de M. Stéphane Peu.

Puis elle examine l’amendement CS460 de M. Jean-Paul Mattei.

M. François Pupponi. Il vise à préciser que l’association peut mettre des biens à disposition ou les louer, plutôt que de les « administrer » car les biens de rapport qui sont conservés sans rien rapporter ne constituent pas une source de revenus. Si « administrer » concerne la location, l’amendement est satisfait.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit d’un alignement sur les dispositions de la loi de 1901, qui portent sur le même dispositif. « Posséder et administrer » sont les termes figurant dans la loi de 1901. Il y a simplement une transposition de ces termes dans le dispositif préparé pour la loi de 1905. La rédaction est donc identique.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. François Pupponi. Ce n’est pas parce que les mots sont ceux de la loi de 1901 qu’ils signifient que les associations pourront louer. La location serait un argument de plus pour inciter les associations à rejoindre la loi de 1905.

M. Florent Boudié, rapporteur général. « Posséder et administrer » permet bien de louer.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1837 du rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il concerne le plafonnement du dispositif des immeubles de rapport. Il s’agit d’ajouter l’alinéa suivant : « Une association cultuelle ne peut acquérir à titre gratuit un immeuble mentionné au troisième alinéa du présent II dont la valeur excède un montant fixé par décret ». Cela permettra de caper le dispositif, dans les termes évoqués précédemment.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable. Si le rapporteur général le permet, nous préciserons en séance les conditions de plafonnement, qui sont difficiles à appréhender pour le moment. Peut-être pourrons-nous imaginer d’autres dispositions, telles qu’un pourcentage du budget global ou des recettes. L’idée est du moins adoptée. Elle nécessitera peut-être aussi une consultation avec les cultes.

M. le président François de Rugy. Il y a en effet une différence entre plafonner la valeur du bien ou la part des revenus tirés du bien dans le budget global de l’association, ce qui me paraît plus juste pour éviter que les associations cultuelles ne finissent par avoir la location de biens immobiliers comme ressource principale.

M. Florent Boudié, rapporteur général. La réflexion va au-delà de l’amendement, et concernerait en effet le plafonnement de la part des ressources dans le budget de l’association. Un tiers, une moitié ? Ce n’est pas encore déterminé.

À ce stade de nos discussions, l’amendement fixe la nécessité d’encadrer le dispositif, sur la base du montant de chaque bien qui fait l’objet d’une libéralité. Je souhaite aller plus loin en séance, avec un dispositif plus précis et, sans doute, plus contraignant, y compris pour les associations cultuelles, puisque nous examinerions la part des ressources locatives dans le budget des associations. Nous aurons l’occasion de débattre du montant de cette part.

Mme Marie-George Buffet. J’entends que vous comptez travailler d’ici à la séance. Dans l’état actuel de la rédaction, il est question d’un montant global, qui se comprend peut-être par rapport aux ressources de l’association cultuelle. Si encadrement il y a, ne doit-on pas réfléchir à un encadrement des objectifs de l’administration de ce bien ? À quoi servira le bien administré par une association cultuelle ? Des conditions à la location seront-elles posées ?

M. Alexis Corbière. À la suite de l’excellente question de Marie-George Buffet, je m’interroge sur un éventuel « business » communautaire, qui réserverait par exemple l’accès d’un hôtel à une religion.

Je soutiens l’idée d’un plafonnement, mais il y a une contradiction dans votre raisonnement. Vous justifiez en effet ce dispositif en expliquant qu’il rapportera des fonds, mais lorsque nous soulevons un problème, vous nous dites que vous allez le plafonner ! C’est bien la preuve que vous voulez maîtriser les choses. La cohérence est difficile à maintenir. Je me félicite, quant à moi, de ce plafonnement car je ne veux pas de la libéralité que vous prévoyez d’accorder.

Avec ce plafonnement, vous actez le fait qu’il y a un problème : les pouvoirs publics ne veulent pas voir se développer un business cultuel non maîtrisé, à l’image de ce qui se passe en Amérique du Nord avec les megachurches ou « mégaéglises ». Vous avez raison de vous en préoccuper, mais c’est bien la preuve que modifier la loi de 1905 sur ce point est lourd de danger.

M. le président François de Rugy. Chacun poursuit son raisonnement, c’est bien normal, et cela nous fait progresser sur l’écriture de la loi.

M. François Pupponi. Je peux comprendre la raison du plafonnement, mais j’ai tout de même du mal à vous suivre. On ne peut pas dire que l’on va essayer de favoriser le régime de la loi de 1905, autoriser la possession d’immeubles de rapport, pour donner des ressources supplémentaires, en particulier à une religion qui a de grandes difficultés de financement et dont on va tarir les sources actuelles de financement, et, en même temps prévoir un plafonnement de ces revenus ! Depuis la loi de 1905, la religion catholique a obtenu des dons d’une valeur très importante. Alors qu’on a pu donner aux religions sans plafonnement pendant des années, ce ne serait maintenant plus possible ? Je ne suis pas sûr qu’en limitant les dons alors que l’on essaie de trouver de nouveaux financements pour la religion musulmane, on fasse passer un bon message.

M. François Cormier-Bouligeon. Ces immeubles de rapport seront-ils soumis au droit commun des biens immobiliers ou bénéficieront-ils des exemptions fiscales destinées aux édifices cultuels ?

M. le président François de Rugy. Certains cultes possèdent déjà un patrimoine immobilier, qu’ils pourront louer grâce à cette disposition. C’est le cas pour le culte protestant – l’idée du dispositif est partie de l’audition de ses représentants. S’agissant du culte catholique, Mgr de Moulins-Beaufort a bien dit qu’il n’était pas demandeur mais que, si la loi était votée, il utiliserait la possibilité ainsi offerte car nombre de presbytères, devenus trop vastes, pourraient être loués en logements.

D’autres cultes recevront des dons de cette façon et pourront se constituer un patrimoine immobilier. Il importe de savoir si les revenus ou le don seront plafonnés – où et à quel niveau, car, selon les villes, la valeur du bien peut être élevée. Il faut anticiper ce sujet pour éviter qu’un jour, les associations cultuelles ne se trouvent maintenues artificiellement, parce qu’elles auraient un patrimoine immobilier à gérer. Nous le savons, la baisse du nombre de fidèles existe dans différents cultes. Si les associations survivaient uniquement grâce à leur patrimoine immobilier, a fortiori dans des cultes fragmentés – les cultes ne sont pas dans la même situation selon leur organisation –, une concurrence pourrait s’exercer, uniquement sur la base de ces patrimoines.

A contrario, dans un territoire, certaines personnes pourraient favoriser telle ou telle association cultuelle, y compris du même culte, grâce à ce système, parce que le culte est fragmenté. Il faut avoir tous ces éléments en tête lorsque l’on réfléchit à ces dispositions, tant sur les dons que sur ce que cela rapporte.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Non, les immeubles de rapport ne bénéficieront pas des avantages fiscaux propres aux édifices cultuels.

S’agissant du plafonnement, la disposition que je vous propose d’adopter est une première intention. Prenons un bien dont le montant excéderait 1 million d’euros. S’il est légué, à titre gratuit, à une association cultuelle alors que le plafond a été fixé par décret à 1 million d’euros, et bien, comme aujourd’hui, l’association devrait céder le bien dans le délai imparti de trois ans. Elle ne pourrait ni le posséder, ni l’administrer. En revanche, en deçà de ce montant, valeur vénale du bien, elle pourrait le posséder et l’administrer.

Ce n’est pas contradictoire, monsieur Corbière : dès le départ, j’ai indiqué clairement que le dispositif me semblait intéressant mais qu’il était aussi nécessaire de l’encadrer. Je n’ai pas caché mon intention. La logique même du dispositif mériterait qu’on le présente de cette façon. Il prévoit à la fois une ouverture qui paraît nécessaire, pour les raisons qui ont été indiquées par le ministre de l’intérieur, et un encadrement, pour éviter les excès possibles. Si nous devions aller vers un autre dispositif, qui serait le pourcentage de ressources issues de ces immeubles dans le budget de l’association, ce serait le même mécanisme : dès lors que ses ressources auraient atteint la part du budget fixée, l’association aurait l’obligation de céder les biens et l’interdiction, au-delà de ce pourcentage, de les posséder ou de les administrer. Voilà comment nous pourrions réguler ce dispositif, qui suscite des inquiétudes pour les uns, et représente un attrait pour les autres. Il est vrai qu’aucun des cultes que nous avons auditionnés n’a indiqué son intérêt pour cette disposition.

M. le président François de Rugy. Si, le culte protestant l’a revendiquée.

M. Alexis Corbière. En audition, ce n’était pas clair !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Disons qu’ils ont tenu des propos diplomatiques devant la représentation nationale car la réalité est différente. Je ne dis pas que les revendications ont conduit à un défilé devant les grilles du ministère de l’intérieur, mais les messages ont été passés, depuis longtemps, au bureau central des cultes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Les associations cultuelles soit ne disent rien, soit souhaitent la disposition, à titre onéreux voire à titre gratuit. Monsieur le président, l’Église catholique, après avoir peu évoqué ce sujet devant vous, vous a écrit, pour dire dès les premières phrases, qu’elle était favorable à la disposition – j’ai reçu copie du courrier. Ce n’est d’ailleurs pas honteux.

M. le président François de Rugy. Cela a été dit dans l’audition. Mgr de Moulins-Beaufort a dit qu’il n’était pas demandeur mais qu’il s’en saisirait, le cas échéant.

M. Alexis Corbière. On les comprend, ils ne vont pas dire non !

M. Gérald Darmanin, ministre. Je voudrais rassurer les parlementaires, notamment ceux qui sont intervenus contre l’article. Il ne peut pas y avoir d’empire commercial, ni d’utilisation de cet argent pour une propagation communautaire. Les revenus tirés des immeubles de rapport sont en lien direct avec l’objet cultuel. Il y a une spécificité de l’objet d’association, le culte, d’où notre travail. Par souci de cohérence, nous pensons que le culte ne doit s’intéresser qu’au culte, et pas à autre chose. S’il y a des immeubles de rapport, ils ne peuvent servir qu’au financement du culte, et à rien d’autre. Ce point très important, qui répond à l’interrogation de M. Corbière, va de pair avec les articles 26 et 27.

Par ailleurs, monsieur Cormier-Bouligeon, il n’y a pas de disposition fiscale favorable. Les associations cultuelles paieront les taxes d’habitation et seront soumises à des taux réduit de l’impôt sur les sociétés (IS), comme toute association. L’exonération de la taxe foncière ne vaut que pour le lieu cultuel en tant que tel.

Quant à la remarque de M. Pupponi, il n’y a pas de contradiction avec l’amendement du rapporteur général. Il s’agit d’une position d’équilibre. Vous avez compris que le rapporteur général en modifierait la rédaction en fonction de ce que nous avons dit. La commission débat, et il est logique de trouver une position d’équilibre. Ce n’est pas tout au culte, ou rien au culte : nous prenons une disposition favorable au financement du culte, mais nous devons la caper pour éviter toute dérive.

Enfin, il importe de distinguer les immeubles de rapport, des immeubles de rapports. Un immeuble de rapport n’est pas un immeuble dont sont issus des rapports. Il n’est pas là pour faire naître de l’argent servant à financer autre chose que l’objet cultuel. Sa seule fonction est de financer l’association cultuelle en tant que telle. C’est pour cela qu’il faut se battre.

Je conçois que le présent article suscite l’intérêt et la polémique, mais la pierre angulaire du texte, c’est l’article 26, car il a pour effet de spécialiser les associations cultuelles. Chacun a le droit de nous accuser de modifier des équilibres ; tel n’est pas le cas. C’est la situation actuelle qui est déséquilibrée : 92 % des associations musulmanes sont des associations loi 1901. Elles peuvent acquérir des immeubles de rapport pour financer d’autres activités, ce dont personne ne s’inquiète. Elles peuvent obtenir des reçus fiscaux pour leurs activités relevant du domaine humanitaire et financer le culte grâce à un compte commun. Elles peuvent s’insinuer dans les dispositions complexes que j’évoquais en introduction de mon intervention, ainsi que dans les vides de notre droit, car, en 1905, le culte musulman était absent du sol métropolitain. C’est aujourd’hui que l’esprit de la loi de 1905 est déformé.

J’admets que l’on débatte au sujet des immeubles de rapport, mais la pierre angulaire de notre dispositif, c’est la spécialisation des associations, ainsi que la déclaration des financements étrangers, qui permet de s’y opposer le cas échéant. Ainsi, elles disposeront de ressources propres qui les mettront à l’abri des ingérences étrangères. Il n’y a donc ni malice, ni contradiction avec les précédents discours dans l’amendement du rapporteur général. Nous faisons, au contraire, preuve de modération après avoir recueilli l’avis de toutes les parties prenantes.

La commission adopte l’amendement CS1837.

Puis elle examine l’amendement CS488 de M. Saïd Ahamada.

M. Saïd Ahamada. L’un des objectifs du texte est de limiter le financement étranger des cultes, notamment du culte musulman, voire de le proscrire. Chacun ici, je l’espère, y est favorable. Toutefois, les cultes sont inégaux en matière de dons d’immeubles. Je suis plutôt d’accord avec M. le ministre : la richesse des fidèles n’est pas en cause. Quoi qu’il en soit, certaines habitudes n’ont pas été prises, et constituer un capital foncier prendra du temps.

Le présent amendement vise à inciter les cultes – il ne s’agit pas de les obliger, tel n’est pas le rôle de l’État et du législateur – à créer un fonds national de péréquation, afin que les ressources tirées des immeubles de rapport servent au financement de tous les cultes, ce à quoi il me semble que nous n’avons pas réfléchi. Cet amendement compléterait utilement celui que nous venons d’adopter, en permettant l’utilisation des ressources excédant le plafond pour abonder le fonds national de péréquation. Je peux réécrire l’amendement en ce sens.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cher collègue, chacun voit bien l’intérêt de votre proposition. Pour ma part, je m’interroge sur sa compatibilité avec la liberté d’association. Après avoir soulevé la question auprès de plusieurs interlocuteurs, j’avoue nourrir quelques doutes sur le plan juridique.

Par ailleurs, l’amendement est en partie satisfait – j’ai conscience que ma réponse n’est pas satisfaisante, d’autant plus que mon avis sera défavorable –, car le droit en vigueur permet à une association cultuelle de transférer ses biens ou de faire des donations à d’autres associations cultuelles ou unions d’associations cultuelles. Dans le cadre de la loi de 1905, chaque culte peut adopter une logique de péréquation. S’agissant de la création d’un fonds national de péréquation, destiné à servir de pot commun à tous les cultes, elle me semble se heurter à de grandes difficultés juridiques, sans parler des questions de diplomatie religieuse.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Saïd Ahamada. Je précise que sa création dépendrait d’un engagement volontaire des cultes, visant à faciliter le financement de chaque culte par tous les autres. Il ne s’agit absolument pas de créer une obligation. Cela permettrait d’assurer la transparence sur la façon dont ces fonds sont gérés, et surtout une solidarité entre les cultes qui, au XXIe siècle, serait de bon aloi.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CS946 et CS950 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Je retire l’amendement CS946 au profit de l’amendement CS950. Nous voulons préciser un point très particulier : le prêt de salle à titre gratuit, à quelques reprises dans l’année, pour les grandes fêtes religieuses, qui constitue une subvention en nature. Il s’agit de préciser dans la loi que le financement des associations cultuelles est autorisé dans ce cas d’espèce.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Nous avons évoqué ce sujet lors de l’examen de l’article 6. La jurisprudence va très au-delà de la disposition proposée. Par exemple, un maire ne peut pas refuser le prêt d’une salle au seul motif qu’elle sera utilisée pour l’exercice du culte. Par ailleurs, il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait que le prêt d’une salle constitue une subvention au sens de l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 et l’interdiction du subventionnement public des associations cultuelles. Ce point a été tranché par la jurisprudence. L’amendement est satisfait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. François Pupponi. La jurisprudence s’applique aux lois en vigueur. En l’espèce, nous allons adopter un article interdisant tous les financements publics, quels qu’ils soient. La loi de 1905 n’interdit pas le financement des cultes, au contraire. Nous allons donc au-delà de ses dispositions, à tel point que le présent article rappelle que les sommes allouées à la réparation des édifices affectés au culte public, qu’ils soient ou non classés monuments historiques, ne sont pas considérées comme des subventions. Dès lors que l’on fait évoluer la loi, il faut la préciser pour éviter de contredire la jurisprudence.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Sur plusieurs points, l’article 28 ne modifie pas la loi de 1905. Plusieurs de ses alinéas en reprennent les dispositions telles quelles. Par ailleurs, la jurisprudence administrative se fonde sur la liberté de culte. L’article 28 consolide donc la possibilité que vous évoquez.

M. François Pupponi. Vous réécrivez l’article 19 de la loi de 1905 !

M. Florent Boudié, rapporteur général. Pas exactement. Nous procédons à certains ajouts, par exemple à l’alinéa 5 relatif à la possession et à l’administration d’immeubles de rapport, qui est nouveau. Les autres alinéas sont des réécritures partielles – des mises à jour, si j’ose dire – de l’article 19 de la loi du 9 décembre 1905. Ils n’en modifient ni le sens, ni la portée juridique. Penchez-vous dessus, c’est très intéressant.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je confirme ce que vient de dire M. le rapporteur général. Surtout, une collectivité locale ne peut pas prêter une salle de façon continue. Tel n’était pas le cas hier, tel ne sera pas le cas demain. Il est possible, après délibération du conseil municipal ou de la collectivité concernée, de prêter une salle une fois à une association. Si elle souhaite y accéder de nouveau, elle doit payer, comme tout le monde. Votre amendement, monsieur Pupponi, donne le sentiment que cela peut être de façon continue et gratuitement. C’est interdit. C’est comme pour les partis politiques auxquels on n’a pas le droit de donner de l’argent mais qu’on peut autoriser, après délibération du conseil municipal, à utiliser une salle à une ou deux reprises – chacun ici connaît cela très bien. J’irai plus loin que M. le rapporteur général : je considère que votre amendement est dangereux.

L’amendement CS946 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS950.

Puis elle adopte l’article 28 modifié.

Après l’article 28 

La commission examine les amendements CS968 et CS971 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Les dispositions relatives aux immeubles de rapport vont dans le bon sens. Toutefois, les représentants d’associations musulmanes de certains des quartiers les plus défavorisés de notre pays que j’ai rencontrés se sentent assez peu concernés. Ils ne connaissent pas beaucoup de fidèles susceptibles de leur donner des immeubles valant plusieurs millions d’euros pour financer leurs mosquées ou d’autres lieux de culte.

Si le Gouvernement souhaite rendre plus attractif le statut prévu par la loi de 1905, il faut aller au-delà, notamment en faisant un geste en matière de TVA. La construction d’un lieu de culte pourrait être exonérée de TVA – tel est l’objet de l’amendement CS968 – ou assujettie à un taux réduit de TVA – tel est l’objet de l’amendement CS971. Il s’agit d’inciter les associations qui manquent de lieux de culte à basculer vers le statut offert par la loi de 1905, ce qui suppose de leur proposer des avantages un peu plus substantiels que ceux prévus par le projet de loi.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Je comprends tout à fait l’intention dont procèdent les amendements, qui visent à renforcer les avantages fiscaux dont bénéficient les associations cultuelles. Il s’agit de dispositions très techniques.

S’agissant de l’exonération de TVA des travaux de construction, de reconstruction ou d’agrandissement d’un bâtiment dédié à l’exercice du culte, elle excède le cadre du texte, qui vise à aligner le régime fiscal des associations cultuelles sur celui des associations reconnues d’intérêt général. L’adoption de l’amendement CS968 induirait un traitement inégalitaire de deux structures associatives qui, pour être très différentes, n’en présentent pas moins des connexions et des communautés de fonctionnement. Prévoir une exonération de TVA me semble excessif, dans la mesure où les associations cultuelles bénéficieraient alors de dispositions exorbitantes du droit commun, lequel s’applique aux associations reconnues d’intérêt général. Quant à l’amendement CS971, il pose un problème véritablement politique qu’il faut assumer : l’application d’un taux de TVA réduit de 5,5 % aux travaux de construction entrepris par une association cultuelle ne peut être décidée dans le cadre d’une commission spéciale comme la nôtre, qui n’a pas pour objet d’étudier spécifiquement de telles dispositions. J’émets un avis défavorable aux deux amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’aimerais formuler deux observations. La première est un peu provocante, mais, à l’issue de cette semaine, M. Pupponi ne s’en offusquera pas : il s’agit davantage d’amendements « Bâtiments publics » que d’amendements « Cultes ». Leur intérêt est surtout sensible pour la construction de bâtiments davantage que pour les cultes.

Par ailleurs, vous avez introduit la présentation de vos amendements par des propos que nous avons entendus à plusieurs reprises, monsieur Pupponi, et je tiens à tordre le cou à ce canard. Les dons reçus par les cultes ne sont pas le fait des seules personnes qui s’apprêtent à mourir. Vous indiquez que, parmi les fidèles du culte musulman, rares sont les riches propriétaires susceptibles de donner des biens immobiliers. Mais une assemblée de croyants peut tout à fait décider – le culte doit être financé par ses croyants, disait M. Corbière, et il n’a pas tort – de fonder une société civile immobilière (SCI). Si cent personnes fondent une SCI, chacun en prenant une part à sa façon, rien ne les empêche de la donner au culte en guise d’immeuble de rapport. La question ne se résume pas à la formule « J’ai un immeuble, je le donne au culte ! ». Ces observations répondent également aux interrogations de Mme Ménard sur les cessions à titre onéreux. Acquérir un immeuble par le truchement d’une SCI et le donner à un culte assure le financement de celui-ci par les croyants. Aucun argent public n’est versé et tout est organisé. Certes, dans certains territoires, les gens sont particulièrement défavorisés – j’en connais –, mais ils sont aussi nombreux. La contribution au culte peut être collective ; elle n’est pas limitée aux riches propriétaires. La disposition que nous proposons est cadrée et s’adresse à tous.

M. François Pupponi. Certes, monsieur le ministre, mais je connais plusieurs exemples très précis de fidèles qui n’arrivent pas à financer leur lieu de culte. Lorsque j’étais élu local, mon équipe et moi-même en avons dissuadé certains de se mettre en quête de financements à l’étranger. Ils ne l’ont pas fait, moyennant quoi ils ne construisent pas leur mosquée, car ils n’en ont pas les moyens. Une mosquée destinée à accueillir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes, cela coûte entre 5 et 10 millions d’euros. Faute de moyens, ces gens rencontrent des difficultés depuis des années. Je leur ai annoncé il y a quelques jours que leur association pourrait bientôt relever du statut prévu par la loi de 1905. « Quel avantage supplémentaire aurons-nous pour la construction de notre mosquée ? », m’ont-ils demandé. « Aucun », leur ai-je répondu. Il faut entendre aussi ceux qui tiennent à respecter la loi, mais qui ne parviennent pas à financer leurs lieux de culte.

M. le président François de Rugy. Derrière le ministre de l’intérieur se cache sans doute l’ancien ministre du budget, tant le débat sur les taux de TVA réduits consiste toujours à savoir à qui ils profitent !

M. Gérald Darmanin. Et derrière le ministre du budget, le contribuable !

M. Alexis Corbière. Et derrière le contribuable, le citoyen !

M. le président François de Rugy. Dans le domaine du logement, que je connais bien, le taux de TVA réduit bénéficie à ceux qui font des travaux. Ceux qui les commandent et ceux qui les réalisent y voient une disposition gagnant-gagnant.

M. Gérald Darmanin, ministre. N’ouvrons pas le débat sur la fiscalité de l’immobilier, monsieur le président, cela nous emmènerait trop loin !

La commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur général, elle rejette l’amendement CS1310 de M. Stéphane Peu.

Puis elle examine les amendements CS969 et CS970 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Les lieux de culte sont exonérés de la taxe foncière. Ces amendements visent à les exonérer d’une partie de la taxe d’aménagement, afin de faciliter leur construction.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Les associations cultuelles bénéficient d’ores et déjà d’une exonération en la matière, dans le cadre d’un équilibre qui nous semble satisfaisant. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin. Même avis.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine l’amendement CS1079 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. La loi de 1905 a été modifiée le 25 décembre 1942 – belle date ! – par le régime de Vichy, ce qui autorise à ne pas considérer comme des subventions les sommes allouées à la réparation d’un édifice cultuel, et/ou classé monument historique. Auparavant, seules les sommes allouées à la réparation des édifices classés monuments historiques étaient concernées. Nous souhaitons supprimer ce « et/ou » pour en revenir à l’esprit de la loi. En somme, nous souhaitons mettre un terme au financement public de la réparation de bâtiments religieux non classés. Monsieur le rapporteur général, je vous propose de me répondre dans l’hémicycle. Vous serez sans doute opposé à l’amendement ; nous en reparlerons. Nous voulons évacuer les aspects de la loi de 1905 hérités du régime de Vichy.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Cher collègue, je me permets de vous indiquer que vous proposez de modifier une disposition là où elle n’est pas. Je n’en émets pas moins un avis défavorable. Si vous voulez que je vous réponde en séance publique, je vous suggère de placer la disposition que vous visez au bon endroit.

M. Gérald Darmanin. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 29 : Application des modifications de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État aux unions d’associations cultuelles

La commission examine l’amendement CS649 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec mon amendement de suppression de l’article 26.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de coordination CS1870 du rapporteur général.

Elle adopte ensuite l’article 29 modifié.

Section 2 : Autres associations organisant l’exercice du culte

Article 30 : Extension aux associations dites « mixtes » d’obligations prévues pour les associations cultuelles

La commission examine l’amendement CS650 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il vise à supprimer l’article 30, modifiant notamment l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 relatif à l’exercice public des cultes, qui prévoit que celui-ci peut être assuré indépendamment des associations cultuelles, dans le cadre d’associations simplement déclarées sur le seul fondement de la loi du 1er juillet 1901, ou par voie de réunion tenue sur initiative individuelle. La modification opérée par l’article 30 a pour objet d’assujettir les associations simplement déclarées dont l’objet est cultuel en tout ou partie, dites « mixtes », aux obligations essentielles imposées aux associations cultuelles, ce qui ne me semble pas être une bonne idée.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis très défavorable. Madame Ménard, votre amendement déséquilibre le projet de loi de façon stratégique. L’un de ses principaux objectifs est de faire en sorte que les associations dites « mixtes », dont les activités sont cultuelles et culturelles, socio-éducatives ou philanthropiques, puissent être soumises à des contraintes de nature à mieux contrôler leur activité cultuelle, notamment sur le plan comptable. En l’espèce, vous donnez des outils supplémentaires à celles et ceux qui, le cas échéant, favorisent la confusion des activités culturelles et des activités culturelles, et qui en font parfois un projet politique, et même théologico-politique ; nous voulons les en priver.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme Emmanuelle Ménard. Le statut d’association mixte a été instauré par la loi de 1907, qui a offert la souplesse que réclamait l’Église catholique après l’adoption de la loi de 1905, qu’elle avait fermement combattue. Je comprends parfaitement vos arguments, monsieur le rapporteur général. Ce que je reproche à ce texte, c’est qu’à défaut de nommer clairement ce à quoi il s’attaque, qui est l’islamisme, il punit tous les cultes, placés dans le même panier.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS1802 du rapporteur général.

La commission examine ensuite l’amendement CS1800 du rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il vise à rendre applicable aux associations dites « mixtes » l’obligation d’établir un traité d’apport lorsqu’elles reçoivent un apport, qui s’applique aux associations cultuelles. Il s’agit de l’une des dispositions de contrôle supplémentaires que nous souhaitons adopter.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

M. François Pupponi. Les associations mixtes ont vocation à disparaître.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il s’agit d’en réduire le nombre.

M. François Pupponi. Je veux être sûr que si elles conservent leur statut, elles pourront toujours être financées au titre de leurs activités culturelles.

La commission adopte l’amendement.

M. Alexis Corbière. J’aimerais faire le point sur l’organisation de nos débats. Même si tous les présidents de groupe ne sont pas présents, ne pourrions-nous pas conclure un accord permettant d’accélérer les débats, sauf ceux portant sur les sujets les moins consensuels ? Pour ma part, j’y suis prêt. Nous avons eu le débat sur les immeubles de rapport, nous pouvons consacrer du temps à celui sur le droit de préemption et débattre plus rapidement des autres dispositions restant en discussion. À défaut, nous nous laisserons aller à débattre sans fin – moi le premier.

M. le président François de Rugy. Monsieur Corbière, je vous remercie pour cette contribution. Je le répète, nous ne sommes pas en assemblée générale et nous ne pouvons donc pas modifier le règlement en cours de route. Tout dépend de la bonne volonté des uns et des autres. À titre personnel, je considère que nous aurons les débats que nous devons avoir tout en achevant la réunion à une heure tout à fait correcte.

Puis elle examine l’amendement CS1893 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il vise à obliger les associations mixtes à ouvrir un compte bancaire spécifique pour leurs activités qui sont en relation avec le culte. Nous souhaitons séparer l’état comptable des activités cultuelles de celui des activités culturelles, afin de bien les distinguer. Il s’agit d’un amendement simple mais important.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 30 modifié.

Après l’article 30 

La commission examine l’amendement CS924 de M. Benassaya.

M. Philippe Benassaya. Il vise à faire en sorte que les associations dites « mixtes » puissent continuer, sous le contrôle des autorités compétentes, à jouir pleinement de l’usage gratuit des espaces publics dans le cadre de leurs activités culturelles et sportives. Il permet cependant d’éviter toute mise à disposition gratuite des espaces publics lors d’activités cultuelles, pratique qui serait contraire au principe selon lequel la République ne subventionne aucun culte.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Sur ce point, le droit en vigueur est particulièrement équilibré. Nous aurons le débat dans l’hémicycle, si vous le souhaitez. Je suis persuadé que les dispositions en vigueur répondent à vos préoccupations, tout en offrant les garanties que vous appelez de vos vœux. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin. Même avis. Si l’amendement était adopté, la prochaine fois que le pape viendra en France, il serait impossible d’organiser les Journées mondiales de la jeunesse (JMJ) dans l’espace public.

La commission rejette l’amendement.

M. le président François de Rugy. Je vous rappelle que l’examen de l’article 31 a été réservé jusqu’à après l’article 44.

Article 32 : Exemption du droit de préemption des biens immeubles faisant l’objet de donations entre vifs au profit des organisations religieuses et associatives en mesure de recevoir des libéralités

La commission examine les amendements identiques CS1868 du rapporteur général, CS19 de Mme Anne-Laure Blin, CS338 de M. Robin Reda, CS651 de Mme Emmanuelle Ménard, CS972 de M. François Pupponi, CS1314 de M. Stéphane Peu et CS1645 de M. Guillaume Vuilletet.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Il s’agit d’un amendement de suppression de l’article. Les auditions que nous avons menées ont démontré que l’exemption au droit de préemption qu’il prévoit pose problème. De nombreux collègues et de nombreuses personnes auditionnées se sont interrogés à ce sujet. Monsieur le ministre, j’ai bien conscience que la suppression de l’article 32 édulcore l’un des avantages dont le projet de loi entendait faire bénéficier les cultes. Toutefois, elle me semble opportune compte tenu de nos débats et des éclairages obtenus grâce à nos travaux.

Mme Anne-Laure Blin. Il importe de maintenir le droit de préemption pour les immeubles faisant l’objet d’une donation entre vifs au profit des fondations, des congrégations et des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

M. le président François de Rugy. À titre personnel, je considère que nous cédons un peu vite aux arguments avancés notamment par l’Association des maires de France. Le sujet est un peu plus complexe que la présentation qui en a été faite. Contrairement à ce qu’a dit M. Baroin, l’article 32 n’était pas une remise en cause générale du droit de préemption. La disposition proposée recouvrait plusieurs aspects. La réduire à la suppression du droit de préemption est un peu facile. En l’occurrence, chacun le sait, ce droit était parfois utilisé pour d’autres raisons que la préemption.

La commission adopte ces amendements.

En conséquence, l’article 32 est supprimé.

Après l’article 32 

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission rejette l’amendement CS656 de Mme Stéphanie Kerbarh.

Puis elle examine les amendements CS624, CS625 et CS658 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Ils visent à infliger une contravention de cinquième classe, voire une fermeture administrative, aux mosquées de France refusant de signer une charte dont je présenterai quelques articles, sans être exhaustive, et qui pourrait être retravaillée. Il s’agit notamment, pour les imams, de s’engager à prêcher en français, à offrir à défaut une traduction du prêche en français et à ne pas appeler publiquement à la prière. Nous pourrions également leur demander de s’engager à ne pas diffuser les discours de cheikhs savants saoudiens wahhabites, ni ceux des Frères musulmans de tous les pays, et à ne pas en faire la promotion.

Je vous laisse lire l’exposé sommaire de mes amendements, qui énumèrent les mesures que je propose de prendre. Bien entendu, l’objectif d’une telle charte n’est pas de pointer du doigt une religion en particulier (Exclamations), mais de rétablir le lien de confiance entre les Français et la religion musulmane, qui a été abîmé par les agissements des islamistes – chacun aura observé que je prends bien soin de distinguer les deux. Une telle charte a été signée, à Béziers, par deux mosquées soucieuses de démontrer leur attachement aux principes et aux valeurs de notre pays.

Cette politique, que nous appliquons à Béziers depuis plusieurs années, a un effet très positif au sein de la population de la ville, démontrant que les musulmans eux-mêmes acceptent d’affirmer leur attachement aux principes qui nous guident. Il importe, me semble-t-il, que la démarche consistant à réfuter et refuser l’islamisme émane des musulmans, et qu’ils démontrent bien qu’ils sont des Français à part entière.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Madame Ménard, je me contenterai d’indiquer que vous avez proposé ce matin un amendement relatif à l’héritage chrétien de notre pays, pour achever la journée par un amendement stigmatisant la religion musulmane. Vous ne souhaitez pas mettre le destin de la communauté des musulmans entre ses mains, mais l’écrire à sa place dans la loi. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Chapitre II
Renforcer la préservation de l’ordre public

Section 1 : Contrôle du financement des cultes

Article 33 : Renforcement des obligations administratives et comptables des associations cultuelles

La commission examine les amendements CS1815, CS1804 et CS1805 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur pour les chapitres II et III du titre II, et pour les titres III et IV. Ce sont des amendements rédactionnels.

La commission adopte successivement les amendements.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS256 de M. JeanMarie Sermier.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CS1806 du rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 33 modifié.

Article 34 : Sanction du non-respect des obligations administratives et comptables imposées aux associations cultuelles

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS576 de M. Éric Ciotti.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel CS1807 du rapporteur.

Puis elle est saisie de l’amendement CS1828 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’article 33, alinéa 4, tend à imposer aux associations cultuelles de dresser une liste des lieux dans lesquels elles organisent habituellement l’exercice du culte. Or les associations diocésaines ont ceci de particulier qu’elles n’organisent pas l’exercice du culte. Plutôt que de créer une discrimination en les dispensant de l’obligation de l’article 33, nous proposons de supprimer la sanction du non-respect de cette obligation.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même si elles n’organisent pas l’exercice du culte, les associations diocésaines sont bien des associations cultuelles. L’article 4 de leurs statuts type précise, certes, que « toute immixtion dans l’organisation du service divin [leur] est formellement interdite ». Mais dès lors qu’une association acquiert un édifice du culte, ce qui est leur cas, elle participe nécessairement à l’organisation de l’exercice public du culte, qui est la finalité de toute association cultuelle au sens des dispositions des articles 18 et 19 de la loi de 1905. Cette précision étant de nature à vous rassurer, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 34 modifié.

Article 35 : Obligation de déclarer les financements étrangers bénéficiant aux cultes et droit d’opposition de l’autorité administrative

La commission est saisie de l’amendement CS577 de M. Éric Ciotti.

M. Robin Reda. Nous proposons de durcir le dispositif proposé par le Gouvernement en privant les associations cultuelles de la possibilité de bénéficier, directement ou indirectement, d’avantages ou de ressources versés en numéraire ou consentis en nature par un État étranger, par une personne morale étrangère, par tout dispositif juridique de droit étranger comparable à une fiducie ou par une personne physique non résidente en France.

M. Sacha Houlié, rapporteur. En adoptant un régime d’interdiction, nous irions très au-delà de ce que permet la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment l’arrêt Commission contre Hongrie de 2020. Par ailleurs, dès lors que les associations cultuelles ne peuvent bénéficier de subventions publiques, il faut qu’elles puissent avoir d’autres sources de financement, parmi lesquelles les dons des fidèles, les immeubles de rapport et les financements étrangers, pourvu que ceux-ci soient conformes à l’ordre public. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ajoute, monsieur Reda, que sans doute ni M. Ciotti ni vous-même ne souhaitez que les Français ne puissent pas aider les chrétiens d’Orient, par exemple. Or, il est évident que nous nous exposerions, par réciprocité, à une telle interdiction. Votre amendement laisserait cois les cultes chrétiens – et je ne suis pas certain que ce soit ce que vous souhaitiez. Par ailleurs, n’ayons pas la victoire honteuse : nous allons enfin pouvoir avoir connaissance de tous les financements étrangers des cultes et, le cas échéant, nous y opposer. La disposition proposée par le Gouvernement est dure et forte.

M. le président François de Rugy. Lors des auditions, le représentant du culte catholique a indiqué que, pour ce qui concerne ce dernier, les financements se font plutôt de la France vers l’étranger, notamment le Vatican et les missions implantées en Afrique.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS727 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Il s’agit de soumettre les financements extracommunautaires d’au moins 10 000 euros versés à des associations cultuelles à une autorisation préalable de l’autorité administrative. Une telle mesure nous permettrait, dans les cas où de tels financements seraient jugés non souhaitables par l’administration, de traiter les causes plutôt que les conséquences. J’ajoute que, lors de leur audition, les représentants de TRACFIN ont semblé favorables à une telle mesure, à condition d’avoir les moyens d’exercer le contrôle.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il s’agit, me semble-t-il, d’un amendement de repli par rapport au CS577. Dès lors que les associations déclarent les fonds provenant de l’étranger qu’elles perçoivent, l’administration pourra s’y opposer si elle juge le financement suspect. La mesure proposée ne me paraît donc pas très utile.

M. Gérald Darmanin, ministre. Défavorable.

M. Julien Ravier. Le contrôle préalable permet de remédier au problème de la restitution du financement, que le régime de la déclaration laisse entier.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS974 de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Il s’agit de soumettre les associations mixtes à la même obligation que les associations cultuelles.

Par ailleurs, il existe, me semble-t-il, un trou dans la raquette. Prenons l’exemple d’une société civile immobilière (SCI) entièrement financée par des fonds étrangers qui construit un lieu de culte qu’elle loue ensuite à une association cultuelle. Elle ne prodigue aucun avantage ni aucune ressource à cette association, laquelle échappera ainsi à l’obligation de déclarer des financements étrangers.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Votre amendement est satisfait. En effet, l’alinéa 3 de l’article 30 dispose que les associations mixtes sont soumises aux dispositions de l’article 19‑3 de la loi du 9 décembre 1905, de sorte que les associations mixtes sont bien soumises au régime de déclaration pour les financements étrangers qu’elles récolteraient à des fins cultuelles.

M. François Pupponi. Que se passe-t-il en cas de location ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je ne suis pas en mesure de vous répondre à ce stade.

M. Gérald Darmanin, ministre. Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 30, les associations mixtes sont soumises au même régime que les associations cultuelles, de même que les intermédiaires, dont les SCI. Quant à l’hypothèse de la location, nous allons étudier la question pour en être certains, mais nous pensons que les cas que vous évoquez sont couverts par le texte.

M. François Pupponi. Le texte vise les « avantages et ressources ». Or, une location à titre onéreux n’est ni un avantage ni une ressource.

M. Julien Ravier. Dans ma circonscription, j’ai rencontré le cas évoqué par M. Pupponi. Une telle situation, qui permet d’échapper au contrôle des fonds étrangers, mériterait d’être contrôlée.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Nous allons vérifier ce point. Cependant, l’alinéa 7 de l’article 35 vise « les avantages et ressources apportés à toute association ou à toute société sous contrôle exclusif […] ».

M. François Pupponi. Mais une location n’est ni un avantage ni une ressource !

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je ne suis pas certain qu’elle ne soit pas considérée comme telle par le droit fiscal ; nous allons vérifier.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1447 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Pierre-Yves Bournazel. Le groupe Agir ensemble propose de supprimer le seuil de 10 000 euros fixé dans le projet de loi, afin d’éviter qu’il puisse être contourné, par exemple en multipliant les dons de 9 900 euros.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Le montant du don unitaire le plus bas perçu par une association cultuelle est de 75 000 euros ; la moyenne des dons unitaires est de 700 000 euros et la moyenne du montant total des dons perçus par les associations cultuelles est de 1,15 million d’euros. Le seuil fixé permet d’assurer l’effectivité du contrôle exercé par TRACFIN en lui évitant d’avoir à examiner tous les micro-dons effectués notamment par des personnes physiques depuis l’étranger. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Défavorable.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je maintiens l’amendement. Nous en rediscuterons en séance publique, car nous devons nous prémunir contre le risque d’un contournement de la loi, plusieurs personnes pouvant s’organiser pour multiplier des dons inférieurs à 10 000 euros.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je veux rassurer M. Bournazel : le seuil de 10 000 euros s’applique, non pas au donateur, mais à l’association donataire : si, lors d’un exercice annuel, celle-ci perçoit plus de 10 000 euros de l’étranger, elle est obligée de déclarer ces financements.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’alinéa 3 précise bien, en effet, que la déclaration s’impose si le montant ou la valorisation dépasse le seuil de 10 000 euros ou « lorsque le montant ou la valorisation du total des avantages et ressources dépasse ce même seuil sur un exercice comptable ».

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS1829 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il s’agit d’ajouter à la liste des avantages et ressources devant être déclarés par les associations cultuelles et susceptibles de faire l’objet d’une opposition les mécénats de compétences, les prêts de main-d’œuvre, les dépôts, les titres de créance, les échanges, cessions ou transferts de créance. L’ajout de ces opérations nous a été suggéré notamment par les associations philosophiques.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS578 de M. Éric Ciotti.

M. Robin Reda. Nous proposons que l’administration puisse s’opposer au financement étranger d’une association cultuelle dès lors que celle-ci représente une menace réelle et actuelle. Il n’est pas besoin, nous semble-t-il, que cette menace soit, au surplus, « suffisamment grave » et qu’elle affecte « un intérêt fondamental de la société », cette formulation étant source d’insécurité juridique. Une menace, c’est une menace.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cette formulation est précisément issue d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, selon laquelle l’atteinte portée à la liberté de circulation des capitaux ne peut se justifier qu’en présence d’une « menace réelle, actuelle et suffisamment grave portant atteinte à un intérêt fondamental de la société ». C’est pour surmonter l’obstacle conventionnel que cette formule a été inscrite dans le projet de loi.

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS54 de M. Fabien Di Filippo.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il est satisfait. Qu’il soit prévu que l’administration « s’oppose » ou qu’elle « peut s’opposer » ne change rien : elle a la faculté d’exercer son droit.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable. La rédaction proposée serait sans doute redondante, mais nous pourrions examiner ce point en séance publique avec le rapporteur.

M. Robin Reda. Nous n’avions donc pas tout à fait tort !

M. Boris Vallaud. L’alinéa 13 de l’article 35 prévoit que le droit d’opposition de l’administration peut s’exercer « lorsque constituent une menace de même nature les agissements de tout État étranger […] ». Cela signifie-t-il que la dégradation de nos relations diplomatiques avec la Turquie, par exemple, pourrait justifier que l’administration s’oppose au financement récurrent d’associations cultuelles turques, quand bien même celles-ci n’auraient pas changé de comportement ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. Ce qui est visé, ce n’est pas le comportement d’un État en général ou l’état de nos relations diplomatiques avec celui-ci, c’est la tentative d’ingérence d’un État étranger dans la société via une association. L’appréciation portera sur l’opération elle-même.

M. Gérald Darmanin, ministre. M. le rapporteur a raison : il ne s’agit pas de répercuter des difficultés diplomatiques sur une association mais de juger un cas d’espèce.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CS1467 de M. Pierre-Yves Bournazel.

M. Pierre-Yves Bournazel. Il s’agit de préciser que le droit d’opposition de l’administration peut s’exercer dans un délai de deux mois, afin de garantir la sécurité juridique et, surtout, l’accessibilité du droit, car les bénévoles des associations ne sont pas toujours des professionnels du droit.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’amendement devrait être satisfait, car le délai de recours contre une décision administrative est traditionnellement de deux mois. Quoi qu’il en soit, la fixation de ce délai relève du pouvoir réglementaire. Avis plutôt défavorable, donc.

M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez adopté un excellent texte, la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi ESSOC, qui dispose que le silence de l’administration vaut acceptation. Cette règle générale impose aux fonctionnaires de travailler vite. Il ne me paraît donc pas pertinent de fixer ce type de délais dans la loi : non seulement ils relèvent du pouvoir réglementaire, mais cela reviendrait à revenir sur cette excellente loi que votre serviteur a défendue, avec votre soutien.

M. Pierre-Yves Bournazel. Nous avons en effet voté ce texte. Toutefois, cette demande émane des associations que nous avons auditionnées, car beaucoup de leurs membres ignorent la règle des deux mois.

M. Gérald Darmanin, ministre. Le silence vaut acceptation !

La commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CS55 de M. Fabien Di Filippo.

M. Robin Reda. Dans le même esprit que l’amendement CS54, les mots « l’opposition est exercée » nous semblent préférables à la formule « l’opposition peut être exercée ». Ainsi l’opposition de l’administration serait systématique dès lors qu’une menace est constituée.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Par cohérence, avis défavorable. Mais nous examinerons ce point d’ici à la séance.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS283 de M. Julien Ravier.

M. Julien Ravier. Nous proposons de porter le montant minimum de l’amende due en cas de non-respect des dispositions de l’article 35 de 3 750 euros à 10 000 euros, soit le seuil à partir duquel s’exerce le contrôle des financements étrangers.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il s’agit d’une contravention, et je souhaite maintenir la proportion des peines prévues dans le texte, qui a été longuement examinée par le Conseil d’État, et dont je pourrai vous communiquer le tableau que j’ai en ma possession.

M. Gérald Darmanin, ministre. L’amendement est satisfait. Nous allons même plus loin que vous car, outre l’amende de 3 750 euros, qui correspond bien à une contravention, les auteurs de l’infraction sont passibles d’un délit et encourent une peine complémentaire de confiscation de la valeur des avantages et ressources concernés dans les conditions définies à l’article 131-21 du code pénal. Cela me semble suffisamment proportionné.

M. Julien Ravier. Votre réponse me rassure, monsieur le ministre.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1810 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 35 modifié.

Article 36 : Droit d’opposition de l’autorité administrative aux libéralités bénéficiant aux associations cultuelles en provenance de l’étranger

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1811 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 36 modifié.

Après l’article 36

La commission est saisie de l’amendement CS1123 de M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Alexis Corbière. Il s’agit de revenir sur les avantages fiscaux accordés aux cultes qui ne sont pas prévus dans la loi de 1905.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CS956, CS461 et CS966, tous trois de M. François Pupponi.

M. François Pupponi. Il s’agit de rendre plus attrayant le statut d’association cultuelle en augmentant les avantages fiscaux dont peuvent bénéficier les particuliers faisant un don à ces associations. L’amendement CS956 vise ainsi à porter la réduction d’impôt de 66 % à 75 %. L’amendement CS461 tend quant à lui à appliquer ce taux de 75 % pendant une durée limitée à deux ans. Enfin, l’amendement CS966 vise à créer un crédit d’impôt de 75 % pour les donateurs non imposables.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Tout d’abord, l’avis du ministre des comptes publics serait sans doute très défavorable. Ensuite, nous avons choisi, pour inciter les associations à passer du statut de la loi de 1901 à celui de la loi de 1905, d’utiliser d’autres outils, notamment la disposition concernant les immeubles de rapport. En outre, il n’est pas souhaitable de créer un régime spécial en faveur des associations cultuelles.

M. Gérald Darmanin, ministre. Défavorable.

M. Frédéric Petit. L’amendement CS461 me paraît intéressant, dans la mesure où il intègre une dimension d’évaluation qui devrait plaire au Parlement et ne présente guère de risques pour Bercy.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements CS361 et CS348, tous deux de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Il s’agit d’assurer la transparence du dispositif de la redevance perçue par les associations cultuelles lors de la certification de conformité à une religion de biens de consommation, de produits financiers ou de produits alimentaires.

M. Sacha Houlié, rapporteur. S’il n’y a pas, à ce stade, de taxe halal – nous en avons débattu –, il en existe, en revanche, une taxe qui finance le culte hébraïque.

M. François Pupponi. Comment cela ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. Mais il n’y en a pas d’autre. Une telle obligation créerait donc une discrimination et serait – pardonnez-moi ce terme – un peu « farfelue ».

M. Gérald Darmanin, ministre. Défavorable. Je me permets de corriger le rapporteur : la taxe de cacherout n’est pas une taxe d’État ; elle est interne au culte.

M. le président François de Rugy. Ce sont des contributions volontaires qui sont redistribuées de manière privée.

Mme Anne-Laure Blin. J’entends vos arguments, mais cela n’empêche pas la transparence.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je n’ai pas été suffisamment précis. Dès lors que la taxe est collectée par une association ou par le culte, il s’agit d’une contribution privée. Il serait curieux que l’État s’immisce dans la gestion d’une taxe qu’il n’a pas lui-même instaurée. Je suis plutôt opposé à cette idée.

La commission rejette successivement les amendements.

Section 2 : Police des cultes

Article 37 : Renforcement des sanctions au titre de la police des cultes

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1733 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 37 modifié.

Article 38 : Renforcement des sanctions en cas d’atteinte à la liberté d’exercer un culte ou de s’abstenir de l’exercer

La commission est saisie de l’amendement CS643 de M. Éric Ciotti.

M. Robin Reda. Nous proposons d’étendre la sanction encourue par celui qui impose à autrui d’exercer ou de s’abstenir d’exercer un culte au fait d’imposer à autrui certaines pratiques religieuses, notamment le port du voile ou la pratique du jeûne. Le ministre de l’intérieur, au début de la semaine, a exprimé la volonté de rechercher une voie pour réprimer ceux qui imposent de telles pratiques contraires à la dignité humaine.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’article 31 de la loi du 9 décembre 1905 réprime le fait, soit par voies de fait, violences ou menaces, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou de l’exposer à un dommage, de déterminer une personne à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à quitter une association cultuelle, à contribuer ou à ne pas contribuer aux frais d’un culte. Le 1° du présent article en fait un délit puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Non seulement votre amendement est satisfait, mais il présente deux difficultés juridiques : l’expression « pratiques religieuses » n’est pas suffisamment précise, non plus que le verbe « imposer », qui est davantage caractérisé à l’article 31.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels CS1734 et CS1735 du rapporteur.

Elle examine ensuite l’amendement CS717 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il convient de renforcer le droit de choisir librement sa religion sans avoir à craindre pour sa vie, en promouvant le principe de la liberté religieuse et en luttant contre le séparatisme islamique, qui se caractérise par la privation de liberté religieuse puisque l’apostasie est interdite, et elle est, qui plus est, plus sévèrement punie lorsqu’elle est le fait d’une femme.

Nous proposons donc de punir d’un an de prison et de 75 000 euros d’amende toute atteinte à la liberté de conscience lorsqu’elle est commise à l’encontre du conjoint ou d’un mineur, c’est-à-dire par une personne susceptible d’exercer un ascendant moral ou une autorité sur la personne.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Tout d’abord, l’article 31 de la loi de 1905 punit à peu près les mêmes faits que ceux visés dans votre amendement. Ensuite, il y a une disproportion entre le montant de l’amende et la peine d’emprisonnement proposés. Par ailleurs, les amendements relatifs aux pressions exercées sur les mineurs que nous avons examinés au début de la discussion du texte ont fait l’objet d’avis défavorables. Par cohérence, je suis donc défavorable à votre amendement.

M. Alexis Corbière. Mme Ménard envisage-t-elle que son amendement puisse être invoqué par une personne qui souhaiterait attaquer ses parents en justice pour l’avoir forcée à faire sa communion lorsqu’elle était enfant ? Moi-même, j’ai été enfant de chœur (Sourires et exclamations) … Et j’en veux parfois un peu à mes parents, car ce n’est pas toujours de gaieté de cœur que nous allions au catéchisme. N’allons pas trop loin ! Vous vous aventurez sur un terrain glissant, madame Ménard.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 38 modifié.

Après l’article 38

La commission examine l’amendement CS1375 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Nous proposons d’ériger au rang de valeur républicaine le droit de quitter une religion ou d’en changer.

La loi de 1905 conjugue deux protections : d’une part, elle garantit la liberté de culte et la liberté d’expression et, d’autre part, elle protège le citoyen contre toute pression s’exerçant contre sa libre détermination en conscience. On peut croire ou ne pas croire. La liberté de ne pas croire implique le droit de s’affranchir de la tutelle d’instances religieuses. Cet implicite de notre droit doit devenir explicite. Si tel n’était pas le cas, nous reconnaîtrions que les citoyens français peuvent demeurer sous l’autorité permanente de mouvements idéologiques ou d’institutions religieuses.

Conforter les principes républicains, comme vous nous y invitez dans ce texte, implique d’inscrire dans la loi le droit qu’a chaque citoyen d’exercer, sans pouvoir être inquiété, sa souveraine liberté de conscience dans ses choix politiques, philosophiques et religieux.

M. Sacha Houlié, rapporteur. D’autres ont proclamé ce droit avant nous, et bien mieux que nous. Je pense à l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 – « La République assure la liberté de conscience » – et à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »

Mme Anne-Laure Blin. Ce n’est pas pareil !

M. Sacha Houlié, rapporteur. Vous avez raison : c’est meilleur.

M. Gérald Darmanin, ministre. La liberté de conscience est déjà garantie par notre Constitution ; rappeler ce principe serait insultant pour celle-ci.

M. Boris Vallaud. Je rappellerai pour ma part l’article 31 de la loi de 1905, qui dispose : « Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois […] ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. »

Mme Emmanuelle Ménard. L’amendement de Mme Blin est un peu différent, puisqu’il a pour objet d’énoncer très explicitement le droit de quitter sa religion ou d’en changer.

Monsieur Corbière, si votre passé d’enfant de chœur vous déplaît et que vous souhaitez renier votre religion, vous pouvez le faire sans être puni. L’islam, en revanche, interdit l’apostasie. Voilà la différence !

Mme Anne-Laure Blin. Je ne vois pas ce qui vous gêne dans ma proposition : elle est éminemment républicaine, puisqu’il s’agit de reconnaître qu’aucune instance religieuse ne peut faire pression d’aucune manière sur aucun citoyen français pour l’empêcher de changer de religion.

M. le président François de Rugy. Il faut aussi se poser la question de ce qu’il convient de faire figurer dans une loi. On pourrait aussi établir en valeur républicaine le droit de fréquenter l’école publique, d’avoir un travail ou un logement. Tout cela n’a aucune portée juridique : c’est du pur affichage. J’ai bien compris que cela permet de parler du sujet, éventuellement de pointer du doigt une religion plutôt que les autres, mais cela ne fait pas progresser notre droit.

M. Gérald Darmanin, ministre. Madame Ménard, les fédérations musulmanes qui ont signé la charte de l’islam défendent explicitement, ce faisant, la liberté de conscience de nos concitoyens et le rejet de toute forme de condamnation de l’apostasie. Quand bien même un doute subsisterait dans le monde islamique – comme de toute religion – quant à la possibilité de changer de religion, les représentants de l’islam de France ont démontré combien ils s’en désolidarisaient. On devrait les citer en exemple plutôt que montrer du doigt leur religion, et saluer le travail qu’a fait le Président de la République avec eux.

Madame Blin, si ce genre de chose devait arriver sur le territoire national – cela arrive sans doute –, à coup sûr les tribunaux protégeraient les personnes visées. Il existe une jurisprudence concernant de manière générale les menaces, les intimidations et les violences envers les personnes – dont la République n’a pas à se mêler de savoir si elles ont ou non changé de religion. Il faut laisser la porte ouverte, soit, mais elle l’est déjà au moins depuis 1958, voire depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; je crois même que la liberté de conscience a été promue avant même la Révolution, au temps des Lumières…

M. le président François de Rugy. Surtout, la portée juridique des textes en question est beaucoup plus grande !

La commission rejette l’amendement.

Article 39 : Renforcement des peines pour certaines infractions lorsqu’elles sont commises dans des lieux de culte ou aux abords de ces lieux

La commission est saisie de l’amendement de suppression CS1149 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Au lieu de réécrire l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905, il me semblerait pertinent de durcir le dispositif prévu – ce sera le sens d’un autre de mes amendements.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’article 35 est justement réécrit pour être durci, mais je préférerais pour ma part une autre option, que j’exposerai en défendant mon amendement CS1832. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1832 du rapporteur et CS632 de Mme Emmanuelle Ménard.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Les peines par lesquelles la loi de 1905 sanctionne certaines infractions commises par un ministre du culte sont inférieures à celles prévues par la loi de 1881 pour des infractions similaires.

Le présent texte crée à l’intérieur de la loi de 1905 un régime particulier qui aggraverait les peines de sorte qu’elles soient supérieures à celles prévues par la loi de 1881.

Or le Conseil d’État nous a clairement invités à aligner les différents régimes afin d’éviter une disparité entre la loi de 1905 et celle de 1881 s’agissant des infractions visées à l’article 39, relevant de l’incitation ou de la provocation à la haine.

Je propose donc d’abroger purement et simplement l’article 35 de la loi de 1905, devenu désuet puisque d’autres dispositions protègent les personnes visées par l’incitation à la haine ainsi que l’ordre public, que cet article visait à préserver.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon amendement CS632 a été défendu.

Monsieur le rapporteur, en abrogeant l’article 35 de la loi de 1905 au profit de la loi de 1881, vous allez diluer la spécificité du culte. La loi de 1905 étant postérieure à la loi de 1881, cette dilution aurait été opérée dès cette époque si le législateur l’avait voulu.

M. Sacha Houlié, rapporteur. On n’a pas dilué, on a séparé la police du culte de celle de la liberté d’expression. Mais, en organisant la police du culte, on a prévu une sanction moindre. On veut aujourd’hui l’alourdir, reconnaissant ainsi que la police du culte doit être alignée sur le droit commun ou, à tout le moins, renforcée.

Je ne m’appuie sur rien de moins qu’une recommandation du Conseil d’État, qui observe que « les peines prévues par l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse sont déjà lourdes, ce qui s’explique par la gravité des comportements en cause », et conclut en n’estimant « pas souhaitable de multiplier les particularités de la règle pénale en prévoyant, pour des infractions identiques, des sanctions différentes selon la situation de l’auteur de l’infraction ».

Il s’agit d’une règle de droit public selon laquelle, quand la situation est objectivement la même, les sanctions prévues sont identiques.

Voilà pourquoi, pour des raisons juridiques, mon amendement conserve un seul régime de protection de la liberté d’expression au lieu de les multiplier, ce qui a tendance à détourner l’attention du juge et de ne pas conduire à l’application des peines prévues par les textes.

M. Gérald Darmanin, ministre.  Nous avons considéré en écrivant l’article 39 que le lieu de culte et ses abords – le parvis d’une église, par exemple – était un endroit particulier, où l’on est particulièrement attentif à ce qui se dit et où la provocation peut être plus lourde de conséquences qu’ailleurs. D’où la spécificité que nous lui avons accordée.

D’une certaine façon, nous donnons raison à Mme Ménard comme à M. Houlié dans la mesure où c’est le lieu où la provocation survient qui compte, et non la personne à l’origine de la provocation, ce qui permet de condamner plus fortement les personnes qui viennent faire de la provocation dans les lieux de culte comme les ministres du culte qui s’y expriment. Ainsi, on protège moins les églises – de toutes sortes – en même temps que l’on attaque davantage les responsables qui s’expriment dans les lieux de culte.

Nous sommes cependant sensibles à l’argument du rapporteur, qui propose, par souci d’équité, de ne prévoir aucun délit spécifique et de renvoyer aux dispositions de la loi de 1881. D’autant que les églises, singulièrement l’Église catholique, sont gênées de la spécificité du délit prévu dans la loi.

Mais la question est complexe : on pourrait souhaiter un délit particulier, car – sans refaire le débat sur l’article 18 du projet de loi, ancien article 25, et le fameux article 24 – les dispositions du code pénal ne sont pas identiques à celles de la loi de 1881 sur les délits de presse, s’agissant des gardes à vue, des comparutions immédiates et d’autres dispositifs de police. En outre, on peut considérer qu’un lieu de culte est équivalent à n’importe quel autre symbole ou au contraire qu’il a quelque chose de sacré, même si l’on aime la République et que l’on ne reconnaît pas les cultes. Enfin, un délit spécifique fournirait un moyen supplémentaire de couvrir les discours haineux.

Avis favorable à l’amendement du rapporteur, pour l’instant ; nous en reparlerons sans doute en séance ainsi qu’au Sénat.

La commission adopte l’amendement CS1832.

En conséquence, l’amendement CS632 tombe, ainsi que les amendements CS312, CS1296, CS1793, CS485 et CS1032.

Après l’article 39

La commission aborde l’amendement CS1329 de M. Éric Diard.

Mme Constance Le Grip. Cet amendement avait initialement été déposé après l’article 17, relatif à des dispositions du code civil sur le mariage, puisqu’il concerne celui-ci. Nous sommes étonnés qu’il ait été rattaché à cet endroit du texte.

Il a pour objet de sanctionner plus lourdement les mariages sans passage devant l’officier d’état civil, en exposant les ministres du culte qui les célébreraient à des peines pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je suis d’accord pour renforcer la sanction encourue par les personnes concernées lorsque la pratique a lieu de manière habituelle – car des circonstances particulières peuvent la justifier, par exemple pour une veuve ou une personne en fin de vie –, mais les peines que vous prévoyez sont trop sévères. J’aurais été favorable à l’amendement de M. Lagarde s’il avait été défendu. Je vous propose que nous retravaillions le vôtre en vue de la séance afin d’en adopter une version modifiée.

M. Gérald Darmanin, ministre. Nous avons nous-mêmes alerté sur cette dérive au début des débats sur l’article concernant les officiers de l’état civil. Nous ne pouvons donc que souscrire à l’objectif des auteurs de l’amendement.

Cependant, il n’est pas plus recevable à nos yeux que ne l’aurait été en l’état celui de M. Lagarde, d’où la nécessité de le retravailler, en effet, en vue de la séance afin qu’il puisse être adopté. D’une part, la disproportion de la peine – vous proposez de doubler le montant de l’amende actuellement prévue – nous exposerait au risque de censure. L’interdiction d’exercer que prévoyait M. Lagarde aurait quant à elle violé la loi de séparation des Églises et de l’État. En revanche, on pourrait envisager une peine complémentaire sous la forme d’un éloignement du territoire par le juge si la personne concernée n’est pas française.

Par ailleurs, l’amendement est mal rédigé : comme l’a très bien dit le rapporteur, le code civil n’interdit pas les mariages religieux sans mariage civil préalable à condition qu’ils n’aient pas lieu « de manière habituelle ». Il existe en effet des cas très particuliers, par exemple le mariage posthume, pour des raisons que le droit canon peut expliquer. Or votre amendement mentionne « de manière habituelle » au début, mais plus ensuite.

Si les conditions indiquées par le rapporteur sont réunies en séance, l’avis du Gouvernement sera alors favorable.

Mme Constance Le Grip. Je transmettrai vos remarques à Éric Diard et aux autres cosignataires de l’amendement. Nous le retravaillerons pour le calibrer conformément à nos échanges. Étant donné votre engagement à lui réserver un accueil favorable, je le retire.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement CS1229 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. La difficulté du renvoi à la loi de 1881 dont nous parlions précédemment est que certaines règles ou certains rites peuvent paraître discriminatoires à des profanes alors qu’ils relèvent d’un objet de foi pour les croyants. Il convient d’être vigilant sur ce point.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Avis défavorable. Pourquoi supprimer la référence à la discrimination à l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi de 1881 au sein d’un texte qui vise à conforter la police des cultes ? C’est totalement contre-productif : il existe bien au sein des cultes des appels à distinguer selon le sexe, l’origine – je pense aux propos contre les kouffar, l’orientation sexuelle, et ce sont eux que vise le texte.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme Emmanuelle Ménard. Et si quelqu’un proteste contre le fait que, dans l’Église catholique – ou dans la religion musulmane, d’ailleurs –, l’accès à la prêtrise est refusé aux femmes ? C’est une discrimination, mais elle est liée à cette religion et nous n’allons pas nous immiscer dans son organisation.

M. Alexis Corbière. C’est assez piquant : dès qu’il s’agit de certains cultes, Mme Ménard prend des précautions, met en garde contre les interprétations… Je l’ai connue plus virulente concernant d’autres cultes ! Restons-en à la législation actuelle : les choses y sont très claires.

La commission rejette l’amendement.

Elle est alors saisie de l’amendement CS641 de M. Éric Ciotti.

M. Julien Ravier. Les propos manifestant une haine de la France se banalisent, en particulier sur les réseaux sociaux. Or notre droit est silencieux sur ce point. Aussi proposons-nous de créer un délit d’incitation à la haine de la France, puni des mêmes peines que l’incitation à la haine raciale.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’amendement a au moins le mérite d’être créatif… Mais s’il suppose déjà de notre part un effort d’interprétation, comment le juge pénal pourra-t-il, lui, apprécier la haine de la France alors que le droit pénal est d’interprétation stricte ? Ce que vous visez est couvert par les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Alexis Corbière. J’apprécie, comme beaucoup d’entre vous, Brassens ou Renaud et sa chanson « Hexagone ». Ils font partie de notre patrimoine, celui de la chanson française. Que nos collègues aient bien conscience de ce qu’ils proposent en défendant des amendements qui conduiraient à sanctionner des chanteurs comme ceux-là.

M. Julien Ravier. Je vous comprends, je respecte les artistes, mais il ne faut pas caricaturer : la culture, l’art, la poésie, la critique, la liberté d’expression, ce n’est pas la même chose que l’incitation à la haine qui peut déclencher des émeutes et des manifestations très violentes envers une nation.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1332 de M. Éric Diard.

Mme Constance Le Grip. Il tend à créer un délit de déni d’apostasie. Comme la disposition doit s’insérer après l’article 35 de la loi de 1905, il faudrait simplement modifier l’amendement en tenant compte de la suppression de cet article par suite de l’adoption d’un précédent amendement du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Avis défavorable, par cohérence avec la réponse que j’ai faite tout à l’heure à Mme Blin.

Mme Laetitia Avia, rapporteure thématique. Le délit d’apostasie est déjà réprimé par l’article 24 de la loi de 1881, qui sanctionne les appels à la haine ou à la violence à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance à une religion, et qui est très bien appliqué.

La commission rejette l’amendement.

Article 40 : Modernisation et renforcement des règles relatives à l’interdiction de la tenue de réunions politiques et d’opérations de vote dans des locaux servant à l’exercice d’un culte

La commission est saisie de l’amendement CS462 de M. Philippe Vigier.

Mme Isabelle Florennes. La loi ne doit pas uniquement lutter contre les réunions publiques tenues dans des locaux destinés à un usage cultuel, mais aussi en proscrire tout propos politique qui pourrait y être tenu par un élu, un candidat, voire un ministre du culte à l’intention de l’assemblée réunie.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Si cela veut dire qu’un ministre du culte ne peut tenir de propos politiques dans le cadre de son ministère, je suis réservé. J’ai connu, à Poitiers notamment, des évêques qui appelaient à la solidarité et au devoir d’entraide vis-à-vis des plus démunis : était-ce un propos politique ? On pourrait invoquer de même, bien que je ne la rejoigne pas du tout, l’exemple de la mobilisation contre la loi de bioéthique. La disposition porterait trop fortement atteinte à la liberté d’expression. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme Emmanuelle Ménard. M. le rapporteur m’a devancée : je voulais citer l’exemple d’un prêtre qui serait contre la loi de bioéthique et pour le droit à la vie ; serait-ce considéré comme un propos politique alors que cette position est intrinsèque à sa religion ? Ce serait aller un peu trop loin.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS1298 de Mme Laurianne Rossi.

Mme Laurianne Rossi. J’entends parfaitement l’objection de M. le rapporteur. Je propose pour ma part de remplacer les mots de « propagande électorale » par ceux de « propagande politique ». Je ne vise donc pas les propos politiques ni la présence d’un élu, que l’on peut accepter dans un lieu de culte, mais bien les opérations de propagande – distribution de tracts, discours militants.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Comme M. le ministre vient de le dire en aparté, selon la doctrine marxiste, tout est politique… Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Tout est politique, mais tout n’est pas électoral ! Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS463 de M. Philippe Vigier.

Mme Isabelle Florennes. Il vise à empêcher que les lieux de culte ou leurs dépendances ne puissent servir à la diffusion de messages politiques, qu’elle soit le fait de candidats à des élections ou d’élus qui assisteraient à une manifestation quelconque dans ces lieux.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Avis favorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1010 de M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Dans le même esprit, nous souhaitons empêcher toute initiative de campagne électorale dans un lieu de culte : sans aller jusqu’à y organiser une réunion, il peut s’agir de venir y saluer les fidèles et d’y être pris en photo, photo qui circulera sur les réseaux sociaux. Cela arrive trop souvent ; nous n’y sommes pas favorables.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cela conduirait à interdire aux ministres de se rendre à certaines cérémonies, par exemple après un attentat.

M. Alexis Corbière. Dans ce cas, ils ne sont pas en campagne électorale !

M. Sacha Houlié, rapporteur. Selon M.  Mélenchon, on est toujours en campagne électorale…

M. le président François de Rugy. Des cérémonies peuvent survenir de manière impromptue en pleine campagne électorale, comme en 2012 après les attentats de Toulouse.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS582 de M. Éric Ciotti.

M. Philippe Benassaya. L’article 40 interdit la propagande électorale et la tenue d’opérations de vote dans des lieux cultuels. Le présent amendement ajoute aux peines encourues une sanction d’inéligibilité.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’article 40 modifié.

La commission suspend ses travaux à dix-huit heures dix et les reprend à dix-huit heures vingt-cinq.

Article 41 : Modification des conditions de la mise en cause de la responsabilité civile de l’association lors de la commission de certaines infractions

La commission adopte l’article 41 sans modification.

Article 42 : Création d’une peine alternative ou complémentaire d’interdiction de paraître dans les lieux de culte

La commission est saisie de l’amendement CS1867 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’article 42 permet, en cas d’incitation ou de provocation à la haine, de prononcer une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans un lieu de culte. Pour avoir rédigé un rapport sur les interdictions judiciaires de stade, je sais que de telles peines sont obligatoires, sauf décision motivée en sens contraire. Il serait délicat de maintenir cette automaticité dans un cas et non dans l’autre. Je propose donc que l’interdiction judiciaire soit, ici aussi, automatique à moins d’une décision motivée.

M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai été convaincu par l’argumentaire du rapporteur. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS1125 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Elle adopte alors l’article modifié.

Article 43 : Interdiction temporaire de diriger une association cultuelle pour les personnes condamnées pour des actes de terrorisme

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1794 du rapporteur.

Puis, suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS614 de Mme Florence Granjus.

Elle en vient ensuite à l’amendement CS345 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. La menace qui pèse sur la France est désormais entièrement endogène : nous sommes face à un véritable entrisme. Nous proposons donc d’ajouter l’éducation, la jeunesse, le sport et la recherche aux domaines dont relèvent les associations concernées par l’interdiction.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Défavorable : on ne peut juridiquement pas inscrire dans un article de la loi de 1905 ayant trait à la police des cultes des interdictions concernant d’autres associations que cultuelles. Cela n’aurait pas de sens.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS741 de M. Julien Ravier et CS1161 de Mme Constance Le Grip.

M. Julien Ravier. Mon amendement vise à rendre permanente l’interdiction de diriger des associations cultuelles qui frappe les personnes condamnées pour terrorisme ou apologie du terrorisme – des faits qui menacent suffisamment la sécurité de la population et de la nation pour que nous ne prenions pas le risque d’offrir une tribune à leurs auteurs.

Mme Constance Le Grip. Le mien vise également à interdire définitivement aux personnes ayant commis les infractions en question de diriger ou d’administrer une association cultuelle.

M. Sacha Houlié, rapporteur. La liberté d’association a valeur constitutionnelle. Une peine complémentaire comme celle dont nous parlons, relevant de la police administrative qu’est la police des cultes, ne peut être définitive ; d’ailleurs, il n’existe plus de peine définitive dans notre droit. La mesure est donc disproportionnée et subirait assurément la censure du Conseil constitutionnel si nous venions à l’adopter.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

M. Julien Ravier. Dans ce cas, seriez-vous d’accord pour durcir la peine en portant la durée de l’interdiction à au moins vingt ans ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. La disposition qui figure dans le texte est suffisante : dix ans, cela permet de réfléchir aux actes que l’on a commis.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle étudie, en discussion commune, les amendements CS591 et CS592 de M. Robin Reda et l’amendement CS1333 de M. Éric Diard.

M. Robin Reda. Mon amendement CS591 tend à porter à trente ans la durée de l’interdiction susmentionnée, soit une quasi-perpétuité, ce qui n’a rien de disproportionné et paraît même laxiste. Mon amendement CS592 fixe cette durée à vingt ans.

Mme Constance Le Grip. Le mien, à quinze ans.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Par cohérence, avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle en vient à l’amendement CS593 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Il vise à faire courir la durée de l’interdiction à partir du moment où la peine a été purgée, et non de celui où elle est devenue définitive.

M. Sacha Houlié, rapporteur. On peut avoir purgé sa peine en détention préventive. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle aborde l’amendement CS157 de M. Jean-François Eliaou.

M. François Cormier-Bouligeon. Nous proposons que l’interdiction soit définitive en cas de récidive – car celle-ci est la preuve que la personne n’a pas tiré les leçons de sa condamnation.

M. Sacha Houlié, rapporteur. En cas de récidive, il n’est pas prévu de peine plancher ; à plus forte raison, une peine complémentaire ne saurait alors être définitive. Toutes les interdictions prononcées à titre de peine complémentaire – privation des droits civiques, interdiction d’exercer une fonction publique – sont d’ailleurs temporaires. S’il y a récidive, une nouvelle interdiction pourra être prononcée pour dix ans.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent pensent que ce débat oppose les tenants de l’autorité aux laxistes, d’autant que c’est nous qui proposons le texte. L’opposition défend des dispositions dont elle sait qu’elles seront censurées par le Conseil constitutionnel : c’est sans doute intéressant politiquement, mais ce n’est pas conforme à l’intérêt général, car une telle censure nous priverait de toute mesure autorisant à prononcer une interdiction de paraître. Sachons donc raison garder : les dix ans que nous introduisons sont déjà beaucoup. Conservons le dispositif qui nous permettra d’être efficaces.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CS347 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Il s’agit d’interdire à toute personne condamnée pour des faits de terrorisme de diriger un établissement, service ou lieu de vie et d’accueil régi par le code de l’action sociale et des familles, ou d’y exercer.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Pas plus que précédemment, des dispositions qui ne concernent pas les associations cultuelles ne peuvent figurer dans la partie de la loi de 1905 consacrée à la police des cultes.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme Anne-Laure Blin. Et si l’amendement figurait à un autre endroit ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je vous laisse libre de rédiger vos amendements !

Mme Anne-Laure Blin. Il y a eu des réorganisations et des réattributions d’amendements à tel ou tel article tout à fait indépendantes de notre volonté, de même que les irrecevabilités au titre de l’article 45 !

M. le président François de Rugy. L’efficacité des services de l’Assemblée nationale me permet de vous dire en direct que c’est bien vous qui avez rattaché cet amendement à l’article 43.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Et surtout à l’article 36-2 de la loi de 1905, qui traite de la police des cultes, ce que ni moi ni les services ne pouvons changer.

La commission rejette l’amendement.

La commission est saisie de l’amendement CS346 de Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin. Il vise à interdire à toute personne condamnée pour des actes de terrorisme d’enseigner, d’animer ou d’encadrer une activité physique ou sportive auprès de mineurs.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’article 43 modifié.

Article 44 : Création d’une nouvelle mesure de fermeture administrative temporaire des lieux de culte et des locaux dépendant du lieu de culte

La commission examine l’amendement de suppression CS1077 de M. Alexis Corbière.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne suis pas certain qu’il faille continuer à défendre la suppression de cet article, monsieur Corbière. Je suis sûr que, comme moi et n’importe quel républicain, vous n’aimeriez pas entendre « mort aux mécréants » dans un lieu de culte. Cependant, selon la loi en vigueur, le ministre de l’intérieur ne pourrait pas le fermer pour cette raison, ce qui est un peu dommage.

La commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS32 de Mme Annie Genevard.

M. Robin Reda. Il vise à élargir les conditions dans lesquelles la fermeture d’un lieu de culte peut être prévue, la rédaction actuelle nous semblant bien insuffisante, en précisant ce que sont les discours de haine et en permettant une fermeture au-delà de deux mois.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Le sujet est délicat, du point de vue des libertés publiques. En effet, dans ce contexte, d’une part, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ne permet pas la fermeture des lieux de culte et, d’autre part, il serait hypocrite d’y recourir en invoquant des raisons de non‑respect de la législation sur les établissements recevant du public (ERP). Aussi s’agit-il d’une mesure administrative et non terroriste, ce qui rend la marge de manœuvre du législateur particulièrement étroite. L’amendement doit donc être strictement proportionné. L’absence de limite dans le temps de la mesure que vous prévoyez et l’élargissement des motifs pouvant donner lieu à une fermeture constituent deux raisons de censurer votre dispositif, d’autant que le Conseil d’État nous a fait part de préventions fortes concernant cet article. C’est pourquoi je suis d’avis de le modifier le moins possible, en vous proposant, dans un amendement à venir, une fermeture de trois mois et non de six, comme dans la loi SILT. C’est déjà prendre un pari sur sa constitutionnalité.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS57 de M. Fabien Di Filippo.

Elle est saisie de l’amendement CS1272 de Mme Marie Guévenoux.

Mme Marie Guévenoux. Il vise à préciser que les propos, idées ou théories condamnés par l’article sont diffusés « par tous moyens ».

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’amendement est satisfait. Pour ce qui est des fermetures administratives prononcées sur le fondement de la loi SILT, les services de l’État s’appuient sur un faisceau d’indices tels que les messages véhiculés de manière active ou passive, les fréquentations ou les activités. Demande de retrait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Votre amendement est parfaitement satisfait.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CS802 de Mme Catherine Osson, CS136 de M. Jacques Marilossian et CS1783 de Mme Marie Guévenoux.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS58 de M. Fabien Di Filippo, CS646 de M. Éric Ciotti, CS1273 de Mme Marie Guévenoux et CS1866 du rapporteur.

M. Robin Reda. Il nous paraît très étrange de plafonner à deux mois seulement la durée de fermeture de lieux de culte où une menace a été identifiée et de prévoir, par conséquent, une réouverture automatique. C’est sous le contrôle du juge administratif, après qu’il a constaté que la menace a disparu, que la réouverture peut être prononcée. C’est pourquoi nous proposons de supprimer le plafond de deux mois.

M. Philippe Benassaya. Nous proposons, pour notre part, une durée de fermeture de six mois.

Mme Marie Guévenoux. Dans le même état d’esprit, nous proposons de prolonger le délai de fermeture à quatre mois.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Vous êtes nombreux, y compris dans la majorité, à vouloir augmenter la durée de fermeture. L’article 2 de la loi SILT prévoyant un délai de six mois, je vous propose d’aller aussi loin que possible, dans la mesure où il ne s’agit pas de terrorisme mais de séparatisme, soit à trois mois – l’exacte moitié de la mesure de la loi SILT – en étant bien conscient du risque constitutionnel.

M. Gérald Darmanin, ministre. À l’origine, j’avais imaginé un délai de six mois, comme la loi SILT. L’administration, quant à elle, était partie sur quinze jours. À force de discuter et d’entendre les arguments, notamment ceux du Conseil d’État, qui consistaient à rappeler que la liberté de culte était constitutionnelle – ce n’est pas la même chose de fermer un lieu de culte en lien direct avec le terrorisme et d’en fermer un à cause d’une incitation à la haine –, j’ai proposé deux mois, ce qui est déjà ambitieux. Ces deux mois sont renouvelables, si des éléments nouveaux apparaissaient à la réouverture. Cela laisse la possibilité de faire le ménage dans un certain nombre d’associations cultuelles.

Le juge administratif doit regarder à combien de kilomètres se trouve le prochain lieu de culte. Il a ainsi donné raison au ministre de l’intérieur dans la fermeture de la mosquée de Pantin, en considérant qu’il y avait un autre lieu de culte à douze kilomètres, sous‑entendant que s’il avait été trop éloigné, les fidèles n’auraient pas pu exercer leur liberté de culte. J’appelle votre attention sur la fragilité des dispositifs que nous présentons. Je souscris à l’idée de fixer une durée supérieure, mais cela risque de fragiliser l’article, qui est essentiel dans la lutte contre les séparatismes. Une durée de deux mois témoigne déjà d’une volonté politique forte. Retrait ou avis défavorable.

Les amendements CS1273 et CS1866 sont successivement retirés.

La commission rejette successivement les amendements CS58 et CS646.

Les amendements CS1784 de Mme Marie Guévenoux et CS1300 de Mme Laurianne Rossi sont successivement retirés.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS464 de Mme Laurence Vichnievsky.

Elle examine l’amendement CS1399 de M. Éric Diard.

Mme Constance Le Grip. M. le ministre vient de déclarer qu’une fermeture de deux mois n’empêcherait pas, à la réouverture, une nouvelle fermeture si de nouvelles circonstances la justifiaient. Nous proposons que soit inscrite dans la loi, tout en respectant le principe de proportionnalité, la possibilité de proroger la décision de fermeture.

M. Sacha Houlié, rapporteur. La prorogation est conditionnée à la découverte de faits nouveaux, comme l’a précisé le Conseil d’État. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. C’est prévu dans le texte.

Mme Constance Le Grip. Il faudra rediscuter de ce point en séance, de sorte que nul n’ignore que la fermeture peut bien être prorogée.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie de l’amendement CS465 de Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Isabelle Florennes. Il vise à compléter l’article par cet alinéa : « Lorsque cette violation est commise par un étranger, l’interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues par l’article 13110 du code pénal, soit à titre définitif, soit pour une durée de 10 ans au plus. »

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je suis d’accord avec vous sur le fond, mais j’aurais une réserve sur le caractère définitif de l’interdiction. Je vous suggère donc de le retirer. À défaut, avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

Mme Isabelle Florennes. J’accepte de retirer : «, soit à titre définitif, soit ».

M. Gérald Darmanin, ministre. Il y a quand même une disproportion, à mon sens. Il serait bon de prendre des avis juridiques avant d’adopter cet amendement. Demande de retrait, pour en rediscuter en séance.

Mme Isabelle Florennes. Au contraire, je préfère maintenir l’amendement, avant d’en rediscuter en séance.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cela me gêne un peu, en tant que parlementaire, d’être moins nuancé que le ministre de l’intérieur sur ces questions. Je révise mon avis. Regardons comment le déposer dans une nouvelle rédaction en séance.

La commission rejette l’amendement 465 rectifié.  

Elle adopte l’article 44 sans modification.

Après l’article 44

La commission examine l’amendement CS524 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Nous proposons d’étendre les mesures de fermeture aux lieux pouvant présenter un lien de rattachement avec le lieu de culte fermé.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Votre disposition visant à modifier la loi SILT n’a pas sa place ici.

M. Gérald Darmanin, ministre. Lors du prochain débat sur la loi antiterroriste, nous proposerons notamment la modification de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure. Mais votre mesure n’a pas sa place à cet article. Qui plus est, elle serait disproportionnée. Prenons rendez-vous pour la révision de la loi SILT.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS526 de M. Robin Reda.

Elle examine l’amendement CS525 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Il vise à fixer le plafond de fermeture à deux ans plutôt qu’à six mois.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CS522 de M. Robin Reda.

M. Robin Reda. Il vise à ce que les ressortissants étrangers, qui ont fréquenté habituellement un lieu de culte ayant fait l’objet d’une mesure de fermeture, soient expulsés du territoire national.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Les personnes qui n’auraient pas commis d’autre infraction que fréquenter un lieu de culte interdit seraient expulsables. C’est particulièrement sévère et ce n’est pas individualisé.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CS523 de M. Robin Reda.

Article 31 (précédemment réservé) : Extension aux associations de droit local à objet cultuel d’Alsace Moselle de certaines dispositions applicables aux associations cultuelles et à la police des cultes

La commission examine l’amendement CS1894 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Il vise à récrire l’article concernant le droit local, sans faire référence à 1905.

Suivant l’avis du rapporteur général, la commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CS1353 de M. Vincent Thiébaut, CS47 de M. Raphaël Schellenberger et CS1252 de M. Fabien Di Filippo tombent.

La commission adopte l’amendement rédactionnel CS1747 du rapporteur général.

Suivant l’avis du rapporteur général, elle adopte l’amendement de cohérence CS1907 du Gouvernement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1750 du rapporteur général.

La commission est saisie de l’amendement CS1801 du rapporteur général.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Amendement rédactionnel.

M. le président François de Rugy. Vu sa longueur, j’ai l’impression qu’il est un peu plus que rédactionnel !

M. Florent Boudié, rapporteur général. C’est un amendement de coordination, afin de rendre applicables dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle les nouvelles mesures prévues à l’article 44.

M. Gérald Darmanin, ministre. On voit bien que l’on transpose le droit national dans le droit local. Il peut y avoir un droit local, sans qu’il soit indépendant des mesures nationales, monsieur Corbière. On ne fait pas non plus de régimes selon la carte du territoire, monsieur Moreau. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 31 modifié.

Après l’article 31

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CS826 de M. Jean-Luc Mélenchon.

Chapitre III
Dispositions transitoires

Article 45 : Dispositions transitoires pour les associations cultuelles

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CS1737 et CS1738 du rapporteur.

Elle examine l’amendement CS1908 du Gouvernement.

M. Gérald Darmanin, ministre. Amendement de transposition en droit local ultramarin.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CS1789 de M. Xavier Breton et CS1739 du rapporteur tombent.

La commission adopte l’article 45 modifié.

TITRE III
DISPOSITIONS DIVERSES

Article 46 : Extension de la portée du droit d’opposition de TRACFIN

La commission est saisie de l’amendement CS1830 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il vise à renforcer le dispositif de l’article, lequel élargit le droit d’opposition de TRACFIN, qui lui permet de suspendre pendant dix jours l’exécution d’une opération susceptible d’être liée à du blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Ce droit d’opposition est actuellement entravé par des contraintes d’ordre procédural, l’opposition devant s’exercer opération par opération et autant de fois que nécessaire même lorsque les opérations sont liées à la même infraction. L’article 46 permet à TRACFIN de s’opposer à une opération et, par anticipation, à toutes les opérations liées à la même infraction. Toutefois, certaines sont plus faciles à suspendre que d’autres. Un virement bancaire est facile à reporter ; c’est moins évident pour un paiement par carte bancaire ou par chèque. En conséquence, l’amendement renvoie à un décret l’application de l’article afin de prévoir que les personnes en charge de l’exécution d’une opération ne seront obligées de suspendre une opération que lorsque cela est techniquement réalisable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1818 du rapporteur.

Elle examine les amendements identiques CS1820 du rapporteur et CS1834 du Gouvernement.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il introduit deux modifications au dispositif prévu par le Gouvernement : l’une pour exonérer la responsabilité des personnes chargées d’exécuter l’opération suspendue par TRACFIN et l’autre pour autoriser les personnes en charge de l’exécution d’une opération suspendue à déroger au principe de confidentialité qui couvre les opérations de TRACFIN aux fins de prévenir l’autorité judiciaire.

M. Gérald Darmanin, ministre. Par politesse à l’égard du Parlement, je retire mon amendement.

L’amendement CS1834 est retiré.

La commission adopte l’amendement CS1820.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CS1812 du rapporteur.

Elle adopte l’article 46 modifié.

Après l’article 46

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS809 de M. Bruno Questel et CS1402 de M. Éric Diard.

Mme Constance Le Grip. L’amendement CS1402 concerne à nouveau le sujet des aumôniers pénitentiaires. Tout au long des nombreuses heures du débat, nous aurons assez peu parlé des établissements pénitentiaires. Or nous savons que la radicalisation en prison est un véritable fléau, au point que l’État a fini par créer un service de renseignement spécifique. Les aumôniers pénitentiaires jouent un rôle important. Mais il nous semble qu’il faudrait pouvoir mieux les contrôler. C’est pourquoi nous suggérons que l’agrément délivré aux aumôniers pénitentiaires puisse être suspendu ou retiré, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d’État, en cas de non-respect de l’ordre public.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Les aumôniers visent à garantir l’exercice du culte, y compris dans les lieux de privation de liberté. Le code de procédure pénale prévoit qu’ils sont agréés par le directeur interrégional des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Leur formation a été renforcée par un décret du 3 mai 2017, qui avait été critiqué par plusieurs associations cultuelles pour son caractère réglementaire, avant d’être validé par un arrêt de juin 2018 du Conseil d’État. Le sujet étant essentiellement réglementaire, j’attends l’avis du ministre. Je vous suggère de retirer vos amendements.

M. Gérald Darmanin, ministre. Je comprends la philosophie de Mme la députée. Avis défavorable, néanmoins, parce que le renseignement pénitentiaire relève de M. le garde des Sceaux avec lequel je n’ai pas pu parler de votre amendement. Attendons la séance.

L’amendement CS809 est retiré.

La commission rejette l’amendement CS1402.

Elle examine l’amendement CS929 de M. Philippe Benassaya.

M. Philippe Benassaya. Le monde carcéral est le premier foyer de radicalisation et de prosélytisme. Dans ce contexte, les aumôniers délivrant une assistance spirituelle dans les établissements pénitentiaires sont un soutien précieux pour nombre de détenus dans leur chemin vers la réhabilitation. Il semble néanmoins très important de s’assurer que la liberté de discours des aumôniers ne conduise pas à une radicalisation politique ou religieuse de certains détenus dans ce moment difficile de leurs existences. L’amendement vise donc à garantir la compatibilité des discours des aumôniers avec les principes de la République.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Avis défavorable. La directrice du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne m’a expliqué que sa seule prérogative en tant que directrice était d’interdire l’accès aux aumôniers dont le comportement était jugé inapproprié. Par ailleurs, les aumôniers disposent de la liberté de ne pas dispenser le culte auprès de certains fidèles. Il arrive ainsi que des aumôniers refusent de rencontrer des détenus radicalisés, ce qui n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés.

M. Gérald Darmanin, ministre. Même avis. La loi permet déjà de sanctionner les appels à commettre des crimes, des délits ainsi que toutes les incitations à la haine et à la violence.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette successivement les amendements CS399 de Mme Emmanuelle Ménard et CS1151 de Mme Marietta Karamanli.

Elle est saisie de l’amendement CS1401 de M. Éric Diard.

Mme Constance Le Grip. Nous l’avons présenté sous la forme d’une demande de rapport pour le rendre recevable au titre de l’article 40… Il reprend l’une des propositions fortes du rapport Diard-Poulliat sur la radicalisation dans les services publics. Il serait intéressant que le ministère de la justice étudie la possibilité de financer les aumôniers pénitentiaires, à l’instar de ce qui se fait pour les aumôniers militaires.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je suis plutôt favorable à ce principe, d’autant que le ministre de la justice a obtenu une augmentation de 8 % de son budget. Cependant, une telle mesure relève davantage de la loi de finances. Demande de retrait.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CS1058 de M. Éric Coquerel.

M. Alexis Corbière. Il s’agit d’une demande de rapport sur TRACFIN.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Comme TRACFIN nous l’a indiqué lors de son audition, le service vise, pour exercer l’ensemble des missions qui lui sont confiées par la loi, un objectif de 200 équivalents temps plein (ETP) en 2022. La directrice de TRACFIN nous a indiqué qu’elle avait reçu le renfort de quinze ETP en 2020 et qu’elle en attendait cinq autres en 2021, ce qui porte le plafond d’emplois à 197 ETP. Cela montre que l’État met déjà à la disposition de TRACFIN des moyens humains suffisants. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

TITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES À L’OUTRE-MER

Avant l’article 47

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS1637 de M. François Cormier-Bouligeon et CS827 de M. Alexis Corbière.

M. François Cormier-Bouligeon. L’amendement CS1637 porte sur un sujet très important qui mérite un débat en séance publique, en présence de nos collègues députés de Guyane.

M. Alexis Corbière. L’amendement CS827 vise notamment à abroger la célèbre ordonnance de Charles X du 27 août 1828 concernant le gouvernement de la Guyane française.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Nous avons déjà débattu de ce sujet tout à l’heure. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Contrairement au territoire métropolitain, où s’applique la loi de 1905, la Guyane est soumise au régime de l’ordonnance de Charles X de 1828 et des décrets Mandel de 1939. Les communes assurent l’entretien des édifices religieux existant avant 1939 tandis que l’Église est responsable des bâtiments construits depuis cette date.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 47 : Mesures d’harmonisation du régime des cultes en outre-mer avec le cadre juridique métropolitain

La commission adopte l’article 47 sans modification.

Article 48 : Application en Polynésie française des dispositions relatives à la protection des héritiers réservataires

La commission adopte l’article 48 sans modification.

Article 49 : Adaptation des dispositions relatives à la délivrance des titres de séjour et aux pensions de réversion à Mayotte

La commission est saisie de l’amendement CS1877 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il opère une coordination avec une ordonnance publiée en décembre 2020.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 49 modifié.

Après l’article 49

La commission est saisie de l’amendement CS1892 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il rend l’article 14 relatif à la réserve générale de polygamie applicable à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et dans les îles du Pacifique.

La commission adopte l’amendement.

Article 50 : Application des dispositions liées à la dissolution administrative des associations et groupements de fait en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna

La commission adopte l’amendement de coordination CS1814 présenté par le rapporteur.

Elle adopte ensuite l’article 50 modifié.

Article 51 : Application à Wallis-et-Futuna des dispositions relatives à l’interdiction des certificats de virginité

L’amendement CS1301 de Mme Laurianne Rossi est retiré.

La commission adopte l’article 51 sans modification.

Après l’article 51

La commission est saisie de l’amendement CS1879 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il rend les dispositions relatives au contrat d’engagement républicain applicables dans les îles du Pacifique.

La commission adopte l’amendement.

Elle examine l’amendement CS1880 du rapporteur.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il rend les dispositions relatives au blocage des sites internet dits « miroirs » applicables dans les îles du Pacifique.

La commission adopte l’amendement.

Titre

La commission examine, en discussion commune, les amendements CS7 de Mme Annie Genevard, CS115 de Mme Anne-Laure Blin, CS1016 de Mme Brigitte Kuster, CS1347 de Mme Emmanuelle Ménard et CS6 de Mme Annie Genevard.

M. Robin Reda. Les députés du groupe Les Républicains appartiennent peut-être à différentes nuances, mais ils considèrent tous que ce projet de loi devrait affirmer plus explicitement, dans son titre, la nécessité de lutter contre le séparatisme. Je comprendrais cependant que vous donniez un avis défavorable à nos amendements, puisque le texte qui sortira de cette commission ne permettra pas de lutter efficacement contre le séparatisme et d’affirmer réellement la prééminence des lois de la République.

Mme Anne-Laure Blin. Dans son discours des Mureaux, le Président de la République avait indiqué que le projet de loi viserait à lutter contre le séparatisme : il aurait donc été cohérent que nous retrouvions cette notion dans le titre. Or vous ne nommez pas le fléau contre lequel vous entendiez lutter. Un certain nombre de propositions que nous aurions souhaité défendre n’ont pas pu être débattues, du fait de l’application de l’article 45 de la Constitution. Permettez-moi de vous rappeler que l’islam politique était la cible que nous aurions dû atteindre à l’issue de nos travaux.

Mme Emmanuelle Ménard. Je partage le constat de mes collègues. Si nous pouvions décrire la réalité telle qu’elle est, nous irions peut-être dans la bonne direction. Ce qui menace aujourd’hui notre société, notre mode de vie et notre civilisation porte un nom : l’islamisme. Depuis plusieurs années, des centaines d’hommes et de femmes ont été blessés et tués par des individus qui se réclament de l’islamisme, et de rien d’autre : c’est cette idéologie qu’il convient de combattre. Cela va plus loin que le séparatisme, car les islamistes n’ont nullement l’intention de se contenter de régner en maîtres dans tel ou tel quartier.

Lutter contre l’islamisme, c’est être aux côtés des musulmans soucieux de respecter scrupuleusement nos lois, à l’heure où 74 % des Français musulmans de moins de 25 ans affirment mettre l’islam avant la République. Il est vraiment très important de bien nommer les choses : tel est le sens de mon amendement CS1347.

Mme Constance Le Grip. L’amendement CS6 vise à remplacer le mot « confortant » par le mot « garantissant », qui est plus fort, et à compléter le titre du projet de loi par les mots « et luttant contre le séparatisme ». Comme l’ont dit mes collègues, dans la droite ligne des discours du Président de la République à Mulhouse et aux Mureaux, il faut affirmer clairement, dès le titre du texte, que l’objectif de ce dernier est la lutte contre le séparatisme qui gangrène notre République.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable. Le Gouvernement et la majorité assument pleinement la lutte contre le séparatisme, à tel point que ce terme, qui fut fortement contesté lorsqu’il a été prononcé pour la première fois par le Président de la République, s’est désormais imposé dans le débat public. Le terme que vous utilisez, que vous faites vôtre, a été versé au débat public par la majorité. Mais nous considérons que le socle de la lutte contre les séparatismes et les replis communautaires, c’est le respect des principes de la République. Voilà pourquoi ce titre nous paraît beaucoup plus puissant que la dénonciation d’un phénomène contre lequel nous luttons de toutes nos forces.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle examine, en discussion commune, les amendements CS1341 et CS901 de M. Philippe Benassaya, ainsi que l’amendement CS291 de M. Julien Ravier.

M. Philippe Benassaya. L’amendement CS1341 vise également à ajouter le terme « séparatisme » dans le titre du projet de loi – j’ignore toujours pourquoi il en a disparu, et je n’ai pas compris l’explication du rapporteur général. Cet amendement ne contrevient en rien au principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant la loi, dans la mesure où toutes les dispositions du projet de loi s’appliqueront de manière égale à tous les individus.

M. le président François de Rugy. Vous dites vouloir lutter contre tous les séparatismes, mais vous ciblez dans l’amendement CS901 « l’islamisme politique ». C’est contradictoire.

M. Philippe Benassaya. Mes deux amendements sont au choix. Que l’on mentionne le séparatisme ou l’islamisme politique, l’important est de nommer ce qui affaiblit et menace les principes de la République.

M. Julien Ravier. L’amendement CS291 vise également à compléter le titre du projet de loi. Conforter les principes républicains, c’est une chose, mais il faut y ajouter « la lutte contre l’islamisme radical, politique et séparatiste ». Ce texte a changé plusieurs fois d’intitulé ; malheureusement, le fondement même de son élaboration a disparu. Bien que la loi doive avoir une portée générale, la peur de nommer les choses pour éviter de stigmatiser le dévoiement extrême d’une religion conduit à des amalgames et des dommages collatéraux.

Ce texte est indispensable, mais il manque d’ambition. Malheureusement, il rate parfois sa cible. On oublie la lutte contre l’islamisme politique, radical et séparatiste. On ne s’exprime pas sur l’immigration, sur les partis politiques, sur les symboles de la République, sur le milieu carcéral et la radicalisation en prison. On ne parle pas de la formation aux principes républicains ni de la prévention contre la radicalisation. On ne dit rien sur l’école publique et peu de choses sur l’université. Lutter contre le séparatisme islamiste, ce n’est pas seulement restreindre nos libertés ; c’est aussi et surtout consacrer les moyens nécessaires à la formation, au contrôle, à la sécurité et à la protection des Français. Il faudra aussi être ambitieux et, un jour, décider de modifier la Constitution, puisque nous nous sommes vu opposer l’inconstitutionnalité potentielle de certaines de nos propositions. La menace est bien présente. Il serait grand temps de protéger efficacement les Françaises, les Français et la République.

M. Florent Boudié, rapporteur général. Avis défavorable.

M. Gérald Darmanin, ministre. Avis défavorable également.

Je vous remercie, monsieur Ravier, d’avoir eu l’honnêteté de reconnaître que ce texte était indispensable. J’ai tellement entendu dire qu’il était superfétatoire, qu’il n’était pas nécessaire, que ce n’était pas comme cela qu’il fallait faire… Il s’agit d’un texte d’autorité et de liberté, qui ne touche pas aux équilibres qui caractérisent les principes de la République. Ceux qui nous attaquent cherchent justement à changer ce que nous sommes, à remporter une victoire dans les esprits même sans gagner dans les actions.

Maintenant, réjouissez-vous ! Ces problèmes existent depuis longtemps. Depuis que j’ai l’âge de lire les journaux et de suivre l’actualité politique, j’entends parler du communautarisme, de la radicalisation dans les transports, de la mixité dans les piscines : le projet de loi répond à ces problèmes. Vous évoquez la compromission de certains élus locaux, l’apparition de listes communautaires : le projet de loi répond à ces problèmes. Vous expliquez que des associations créées dans les années 2000 sont devenues des officines islamistes : le projet de loi répond à ce problème en prônant leur suspension ou leur dissolution. Je note d’ailleurs que le Gouvernement n’a pas attendu ce texte pour faire son travail et exercer son autorité en la matière.

Vous évoquez des difficultés sur internet : le projet de loi y répond. Vous soulignez les problèmes posés par les sites « miroirs » : le projet de loi y répond. Des services publics et des agents publics sont attaqués, à l’université, dans les prisons ou ailleurs : le projet de loi répond à ce problème pour l’ensemble des services publics. Vous réclamez la création d’un délit de séparatisme et la possibilité d’expulser du territoire national les étrangers qui commettent ce délit : le projet de loi le prévoit.

Ce texte traite aussi des cultes. Depuis 115 ans, personne n’avait jamais osé toucher à l’équilibre de la loi de 1905 : nous l’avons renforcé. Nous avons notamment fermé des lieux de culte : cette mesure a toujours été demandée mais n’avait jamais été mise en œuvre par aucun gouvernement jusqu’à présent. Le projet de loi répond aussi à ces problèmes.

Pourquoi dites-vous que ce texte ne comporte aucune disposition relative à l’immigration ? Il y en a beaucoup ! Certains d’entre vous considérez que l’immigration est un problème de nombre et que les étrangers doivent être regardés pour ce qu’ils sont ; quant à nous, nous pensons qu’il faut regarder ce qu’ils font. Toute personne a le droit de se trouver sur le territoire de la République, quelle que soit sa couleur de peau, sa religion ou son origine. Certes, il faut poser la question de l’intégration et des moyens que nous y consacrons, mais ce sont les mauvais comportements des étrangers présents sur notre sol qui peuvent justifier leur expulsion. Vous parlez des quotas, mais personne ne les a jamais instaurés, y compris dans votre famille politique lorsqu’elle était aux responsabilités – M. le garde des Sceaux a d’ailleurs rappelé certaines de vos contradictions à ce sujet.

Nous avons donc examiné un texte fort. Je tiens à remercier le président de la commission, le rapporteur général, les rapporteurs thématiques et l’ensemble des députés présents, y compris ceux des oppositions, pour les débats que nous avons eus. Ils étaient intéressants et ont sans nul doute éclairé nos concitoyens. Les discussions sont certes un peu techniques en commission, mais elles deviendront probablement plus politiques en séance publique. Je suis fier d’avoir défendu, au nom du Gouvernement et aux côtés de mes collègues ministres, ce projet de loi dont personne ne peut douter qu’il fera date, d’autant que l’avis du Conseil d’État était très positif – il faut pouvoir mener ce travail sans craindre une censure du Conseil constitutionnel.

Je veux défendre une dernière fois le titre de ce projet de loi, qui est très bon. Il convient de renforcer, de conforter, d’assumer les valeurs et les principes de la République, sans jamais les modifier – nous risquerions de trahir notre engagement républicain – ni fermer les yeux sur quoi que ce soit. M. le rapporteur général a raison, la notion de séparatisme a été mise en avant par le Président de la République et la majorité. Le séparatisme islamiste est évidemment le premier des séparatismes, mais il n’est pas le seul. Les survivalistes tuent également – pensez aux trois gendarmes tués à Saint-Just. Vous savez aussi que nous sommes confrontés à une droite extrême, à une ultra-droite très dangereuse, et que de nombreux « fichés S » appartiennent à cette tendance. Tous les jours, des agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) enquêtent sur cette mouvance et en arrêtent des membres au risque de leur vie. L’ultra-gauche pose aussi un problème : c’est un autre séparatisme. La loi n’est pas faite pour aujourd’hui : elle s’appliquera aux nouvelles menaces qui apparaîtront demain ou après-demain. En 1905, a-t-on reproché à Aristide Briand de manquer d’ambition parce qu’il ne mentionnait pas l’Église catholique dans le titre de son texte ? La loi concernant la séparation des Églises et de l’État ne s’adressait pas à une seule religion, mais à toutes les religions : la laïcité a une vocation universelle. Nous espérons être à la hauteur de nos illustres prédécesseurs en élaborant une loi pour l’avenir, et pas simplement pour le moment présent. Nous pouvons nous réjouir d’adopter des dispositions qui permettront à tous les gouvernements républicains, quels qu’ils soient, de protéger nos concitoyens.

J’ai été ravi de partager ce moment républicain avec vous. Je serai tout aussi heureux de passer encore quelques jours avec vous dans l’hémicycle, dans un avenir proche.

La commission rejette successivement les amendements.

M. le président François de Rugy. Mes chers collègues, avant de donner la parole aux représentants des groupes qui le souhaitent pour des explications de vote sur l’ensemble du projet de loi, je veux moi aussi vous remercier pour la bonne tenue de nos débats. Nous avons pu discuter de l’ensemble des sujets traités dans le projet de loi, et même sur des sujets connexes. Toutes les opinions ont pu se faire entendre.

Je remercie aussi les membres du Gouvernement qui ont participé à nos travaux, notamment M. le ministre de l’intérieur, présent de manière quasi ininterrompue. Je suis toujours prêt, mes chers collègues, à recueillir les questions précises que vous souhaiteriez transmettre aux ministres. L’idéal serait d’obtenir des réponses avant la discussion du texte en séance publique, qui s’ouvrira le 1er février prochain pour une durée de deux semaines. Les débats pourront être vifs, mais j’espère qu’ils se tiendront toujours dans le même état d’esprit.

Je remercie enfin les administrateurs et le personnel de l’Assemblée nationale, qui nous accompagnent dans nos travaux quels que soient l’heure et le jour de la semaine. Je salue leur sens du service public.

M. Guillaume Vuilletet. Nous disons souvent que le cœur battant de la démocratie se situe dans l’hémicycle, mais les échanges que nous avons eus en commission étaient riches et très sincères, à tel point que nous nous sommes dit des choses que nous n’avons peut-être pas l’habitude de partager.

Chacun sait que ce texte trouve son origine dans le discours du Président de la République sur le séparatisme. Si ce terme ne se retrouve pas dans le titre, c’est parce que la lutte contre le séparatisme dépasse le cadre de ce projet. Il ne s’agit pas d’un texte de répression, de coercition. D’autres lois ont déjà été votées contre le terrorisme ; dans ce domaine, je ne pense pas que la majorité ait à pâlir de son bilan ni de son action.

Nous avons voulu commencer à restaurer le pacte républicain. La base de ce pacte, c’est que les uns et les autres se sentent bien dans leur rôle de citoyen, qu’ils puissent pratiquer leur religion librement, et que ceux qui n’en ont pas ne subissent pas des obligations disproportionnées ou indues eu égard à leur liberté de conscience. Les outils que nous mettons en place nous permettent de trouver une forme de tranquillité publique, d’assurer un meilleur fonctionnement des cultes et d’éviter le développement de la haine en ligne.

Encore une fois, ce projet de loi n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre le séparatisme. Il y aura le volet social, celui de la mixité et celui de l’égalité des chances. Ce sont toutes ces actions, engagées sur tous les plans et dans le cadre de différents textes, qui nous permettront d’être efficaces et de réintégrer dans la République ceux qui s’en éloignent, pour des raisons identitaires, parce qu’ils ne comprennent pas le contrat républicain ou parce qu’ils ont l’impression que ce contrat n’est pas respecté à leur égard. Ces personnes sont manipulées par des gens qui, jusqu’à maintenant, savaient très bien utiliser tous les artifices, toutes les failles et tous les angles morts de notre système pour s’y introduire en vue de le détruire. Nous avons fait œuvre utile en commission, nous referons bientôt œuvre utile en séance : les débats seront vifs, mais c’est parce que nous touchons au cœur de notre système démocratique et de la République.

M. Philippe Benassaya. Je veux tout d’abord remercier non seulement mes collègues du groupe Les Républicains, mais également tous nos collègues présents pour leur travail et leur engagement.

Au pas de charge, après avoir siégé cinq jours et cinq nuits, notre commission spéciale vient de terminer l’examen des articles de ce projet de loi confortant le respect des principes de la République. Ce texte est censé traduire la parole présidentielle prononcée aux Mureaux le 2 octobre dernier : le Président de la République avait alors dénoncé le séparatisme et l’islamisme radical qui s’infiltrent dans notre société. Au début, nous avions l’espoir que le Gouvernement tiendrait un discours clair et ferme, qu’il lutterait enfin contre ce phénomène qui met en danger la République. Nous y avons cru. Mais l’examen de ce texte nous laisse un goût amer. Il comporte sans nul doute quelques avancées, mais réglera-t‑il vraiment le problème ? À force de reculer, à force d’éviter certains débats, nous en doutons. Il n’y a rien sur les prisons, rien sur l’immigration, rien sur le port du voile dans l’espace public. Nos concitoyens voient un grand nombre de leurs libertés remises en cause. En outre, le débat a été amputé en raison d’une application stricte de l’article 45 de la Constitution, écartant un grand nombre de nos amendements pourtant essentiels au débat démocratique.

Nous ne perdons pas espoir. Le débat en séance devra nous permettre d’avancer et d’enrichir ce projet de loi. Les députés du groupe Les Républicains souhaitent, pour l’avenir de la France et de la République, aboutir à un texte qui les protège réellement et qui s’attaque à ce poison qu’est le séparatisme, un mot qui a même disparu du titre du projet de loi.

À ce stade, nous voterons contre ce texte technique. Nous attendons un sursaut du Gouvernement, en séance, pour faire de la lutte contre l’islamisme une priorité de tous les instants.

M. le président François de Rugy. Je précise que l’examen du texte en commission a duré plus de cinquante-cinq heures et que 169 amendements ont été adoptés.

Mme Isabelle Florennes. Puisque nous avons déjà siégé cinquante-cinq heures en commission, je ne veux pas allonger nos débats. Au nom du groupe Mouvement démocrate (MoDem) et démocrates apparentés, je remercie les services de l’Assemblée nationale qui nous ont accompagnés pendant ces six jours, les rapporteurs ainsi que l’ensemble de nos collègues pour ces débats de haute tenue. J’exprimerai la position de mon groupe lors de la discussion du projet de loi en séance publique.

M. Boris Vallaud. Je réserve les explications de vote du groupe Socialistes et apparentés à la séance publique.

M. Alexis Corbière. Ce projet de loi s’apprête à franchir une étape importante, après de nombreuses heures de discussions en commission. Pour notre part, nous avons souhaité participer au débat avec loyauté et franchise, en défendant nos convictions laïques et républicaines. Je remercie chacun d’entre vous de ne pas avoir trop cédé à la tentation de nous attaquer de façon caricaturale et assez absurde – ce comportement, qu’il était de bon ton d’adopter il y a quelque temps, nous a blessés. Je remercie en particulier M. le ministre de l’intérieur, avec lequel je me suis souvent accroché, mais que j’ai trouvé sincère et désireux de convaincre. Cela change de l’attitude de certains de ses collègues qui remettaient récemment en cause nos convictions républicaines… Je n’en dirai pas plus. (Protestations.) La confrontation intellectuelle ne me dérange pas : j’apprécie que l’on réponde à mes arguments.

Nous nous opposerons à ce projet de loi. Il ne contient pas de mesures réellement efficaces qui permettraient d’empêcher que se produisent à nouveau les odieux attentats que nous avons connus – c’est pourtant l’une des raisons qui vous ont poussés à déposer ce texte. Vous avez défendu beaucoup de mesures d’affichage, mais vous avez présenté peu de faits ou de chiffres nous permettant de connaître précisément la dynamique des phénomènes sociaux contre lesquels vous entendez lutter. Les réponses que vous apportez ne règlent pas véritablement les problèmes. Nous avons même constaté que la loi de 1905, à laquelle nous sommes très attachés, était parfois affaiblie – je pense notamment à la mesure que vous avez votée sur les biens immeubles de rapport. Nous n’avons toujours pas compris pourquoi 100 % des associations devaient s’engager à respecter un contrat d’engagement républicain dont le texte ne nous a même pas été présenté. Cette politique du soupçon généralisé ne nous semble pas de nature à répondre aux problèmes.

À la fin de son discours des Mureaux, le Président de la République avait exprimé sa volonté de casser les ghettos sociaux qui constituent parfois ce que le ministre de l’intérieur appelle le « terreau du terrorisme ». Cet aspect ne figure nulle part dans le projet de loi que nous avons examiné. Pourtant, en tant qu’élu de Seine-Saint-Denis, je peux vous dire que c’est parce qu’il n’y a plus de service public, qu’on concentre nos concitoyens en situation de grande pauvreté dans certains endroits et qu’on les assigne à résidence spatiale et sociale, qu’un fanatisme religieux meurtrier se développe.

La parole de chacun est libre, mais j’espère vraiment que le débat que nous aurons en séance publique à partir du 1er février ne sera pas l’occasion d’exprimer des propos blessants à l’encontre de certains de nos concitoyens. Une mauvaise compréhension de la loi de 1905 amène certains à vouloir interdire le port de signes religieux dans l’espace public. J’invite chacun d’entre vous à formuler des arguments acceptables pour l’ensemble de la population. Je rappelle que notre pays compte plusieurs millions de Français de confession musulmane, qui sont des gens dignes et qui se sentent blessés à chaque fois qu’un attentat se produit sur le territoire national. Certains affichent leur foi mais ne veulent pas être traités comme des suppôts du terrorisme ou des gens conciliants à l’égard de ces actes barbares. Je compte donc sur chacun d’entre vous pour se comporter de manière digne, malgré la vigueur de ses convictions.

M. Pierre-Yves Bournazel. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir si bien dirigé les travaux de notre commission spéciale. Je me joins aussi aux remerciements que vous avez adressés aux administrateurs et au personnel de l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi vise à conforter le respect des principes de la République partout où il est nécessaire de le faire, que ce soit dans les services publics, dans les associations, sur internet ou dans les clubs de sport. Il faut aussi garantir, évidemment, le libre exercice du culte. Les députés du groupe Agir ensemble ont défendu des amendements visant notamment à mieux former les enseignants, les personnels de l’éducation nationale, les agents publics en général et les cadres et gérants associatifs à l’application du principe de laïcité et à la lutte contre les discriminations.

Nous, députés de la majorité présidentielle, sommes fiers de ce beau projet de loi, que nous soutiendrons. J’espère qu’au-delà de la majorité, des parlementaires de gauche, de droite et de toutes les oppositions s’uniront pour conforter les principes de la République. Ce rassemblement est nécessaire.

Il faut inscrire ce texte dans le récit du présent quinquennat. C’est la volonté du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité parlementaire que de réaffirmer les principes de laïcité, de non-discrimination et d’égalité des chances. Nous avons dédoublé les classes dans les réseaux d’éducation prioritaire et les réseaux d’éducation prioritaire renforcée. Nous avons donné plus à ceux qui partent avec moins de capital social ou de capital culturel. Nous avons accru la solidarité et agi en faveur des personnes en situation de handicap, des précaires, des jeunes travailleurs et des salariés, qui bénéficient de la baisse des cotisations sociales. C’est aussi cela, la République qui se vit au quotidien et que nous défendons. En votant ce projet de loi, nous réaffirmons un certain nombre de principes que nous avons voulu concrétiser et que nous continuerons de concrétiser partout dans le pays.

La commission adopte l’ensemble du projet de loi modifié.

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([1])  La composition de cette commission spéciale figure au verso de la présente page.