—  1  —

Nos 3878

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 février 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,

DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

 

renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721)

 

 

 

PAR Mme Isabelle SANTIAGO

Députée

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 3721


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS...................................................... 7

I. Le fléau des violences sexuelles sur mineurs

II. Un droit en vigueur insatisfaisant

A. Un arsenal judiciaire conséquent

1. Approche historique

2. Les crimes et délits sexuels sur mineur aujourd’hui

a. Les agressions sexuelles aggravés par la minorité de la victime

b. Les qualifications pénales spécifiques aux mineurs

B. Des lacunes cependant béantes

1. Des affaires relayées par la presse et peu compréhensibles par l’opinion

2. Des évolutions récentes peu convaincantes

a. L’âge de la victime et la contrainte morale

b. La surqualification pénale d’inceste

3. Un cadre constitutionnel strict

a. Le recours difficile à une présomption

b. La création d’une infraction autonome

III. Une proposition de loi pour mettre un terme à la question du consentement

1. La sanction des atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans

2. La répression des atteintes incestueuses commises sur des mineurs

IV. Une proposition de loi profondément remaniée par la commission des Lois

A. Un nouveau dispositif de répression des infractions pénales sur mineurs

B. Trois dispositions complémentaires pour mieux protéger les mineurs

1. Une nouvelle incrimination pour les extorsions et menaces par internet

2. Une adaptation des règles de la prescription

3. L’application d’une procédure pénale dérogatoire à un nouveau délit

Examen des articles

Chapitre Ier (nouveau) Mieux réprimer les infractions sexuelles sur un mineur de quinze ans

Article 1er (art. 222-221 [supprimé], 22224, 222291 [supprimé], 222301, 227141 à 2271413 [nouveaux], 227221 et 227241 [supprimés], 22725 et 22726 [supprimés], 227271, 227272, 227281, 227283, 22729, 22731, 22732 à 227321 [nouveaux] du code pénal ; art. 23, 8, 70647, 706472 et 7065313 du code de procédure pénale ; art. L. 4213 du code de l’action sociale et des familles ; art. L. 16014 du code de la sécurité sociale) Nouvelle section du code pénal relative aux crimes et délits sexuels sur mineur

Article 2 (supprimé) Pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans

Chapitre II (nouveau) Mieux protéger les mineurs victimes d’inceste

Article 3 (art. 227-27 et 2272721 du code pénal) Acte sexuel incestueux criminel sur mineur de plus de quinze ans

Article 4 (art. 227-25-3 [nouveau] du code pénal) Acte sexuel incestueux délictuel sur mineur de plus de quinze ans

Chapitre III (nouveau) Dispositions communes

Article 5 (nouveau) (art. 2271410 [nouveau] du code pénal) Provocation par un majeur d’un mineur de quinze ans à commettre un acte sexuel par voie numérique

Article 6 (nouveau] (art. 92 du code de procédure pénale) Modification des règles de prescription des infractions sur mineurs

Article 7 (nouveau) (art. 70647 du code de procédure pénale) Procédure pénale dérogatoire pour certaines infractions sur mineurs

Compte rendu des débats

1. Première réunion du mercredi 10 février (matin)

2. Deuxième réunion du mercredi 10 février (après-midi)

Personnes entendues


—  1  —

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

Personne n’a le droit de voler l’innocence et les rêves d’un enfant. Il est grand temps de tirer les conséquences des insuffisances de notre législation pour protéger les jeunes mineurs victimes de crimes sexuels.

La présente proposition de loi, déposée en décembre dernier, s’inscrivait dans une dynamique d’écoute et de dialogue avec les acteurs de terrain, les associations, les experts, les juristes, les collectivités en charge de l’enfance en danger. Elle procède de ce travail collectif, mené depuis plusieurs années, et de l’observation que les débats nationaux se poursuivent depuis trop longtemps sur ces questions sans volonté réelle de changer de paradigme. Il était temps de proposer un chemin et de poser très clairement un interdit pour protéger les enfants des violences sexuelles, de dire qu’un enfant n’est jamais consentant à l’inceste, que ces principes simples et évidents trouver une traduction dans la loi !

En juin 2018, comme membre du conseil national de la protection de l’enfance, votre rapporteure avait déjà tenu à réagir sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Déjà, le constat s’imposait de la non prise en compte, par le droit pénal, des spécificités des enfants et des adolescents en termes d’immaturité émotionnelle et cognitive, de leur incapacité à s’opposer à des adultes, de l’inanité des notions de contrainte, de menace, de violence ou de surprise, pour juger d’actes sexuels commis par un adulte sur un mineur.

Déjà, en 2018, apparaissait la nécessité d’instaurer une infraction spécifique, posant l’interdiction absolue pour tout majeur de commettre un acte de pénétration sexuelle sur un enfant de moins de quinze ans sous peine d’une sanction criminelle. Déjà, la logique fixant l’interdit à dix-huit ans pour l’inceste n’était plus sérieusement contestée.

Aussi était-il essentiel pour votre rapporteure, de ne pas subordonner l’action aux travaux d’une énième commission ou à l’attente d’un rapport supplémentaire. Déposer cette proposition de loi était une évidence. Mais comment imaginer qu’elle s’inscrirait dans un phénomène qui marque notre un tournant dans notre société avec la parution du livre de Camille Koucher « La familia grande » et l’irruption du mot-dièse MeTooInceste, libérant la parole de milliers de victimes pour demander un réel changement de paradigme concernant les violences sexuelles faites aux enfants ? Charge à la loi, désormais, que cette parole soit entendue et accompagnée !

C’est pourquoi il est pertinent d’établir un seuil d’âge de non-consentement indiscutable aux relations avec un majeur, en raison de la particulière vulnérabilité des ùineurs à l’autorité de l’adulte. Ce seuil, dans le texte adopté par la commission des Lois, est établi à quinze ans. L’âge de « majorité sexuelle » devient ainsi un véritable « âge de consentement » comme c’est le cas en Belgique, au Royaume-Uni ou en Espagne.

Il faut se féliciter qu’après de multiples atermoiements, le Gouvernement et la majorité parlementaire, qui en avaient rejeté l’idée durant l’examen de la loi Schiappa en 2018, se soient ralliés au principe de seuils d’âges. Cette évolution satisfait les objectifs poursuivis par la proposition de loi.

Votre rapporteure a considéré qu’il en allait de sa mission de rechercher le consensus et de faire travailler ensemble les différents groupes parlementaires dans l’intérêt supérieur des enfants, une fois la présente proposition de loi déposée et inscrite à l’ordre du jour. Toutefois, lors de l’examen du texte en commission des Lois, ce travail en commun n’a pu avoir lieu : les initiatives portées par les groupes d’opposition, et même par les groupes minoritaires soutenant le Gouvernement, ont été écartées au profit d’une réécriture globale des dispositifs proposés, faisant de la présente proposition de loi le fac-similé d’une autre, dont le dépôt avait eu lieu la veille.

Or, la réécriture complète du texte, sans concertation et sans discussion avec des parlementaires dont l’expérience aurait pu être mise à profit, soulève de lourdes interrogations. La rédaction issue de la commission des Lois, adoptée à l’issue de débats décousus, n’est pas exempte de malfaçons. Elle aboutirait même, dans certaines hypothèses, à l’abandon des poursuites sur des faits jusqu’à présent réprimés sévèrement. Ainsi l’introduction d’un fait justificatif lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur n’excède pas cinq ans est-elle au centre des interrogations, puisque cela revient à limiter la protection accordée aux mineurs de de treize et quatorze ans lorsque l’auteur des faits est âgé de moins de vingt ans. Pire encore, en écartant la possibilité de poursuites pour viol sur mineur, pourrait-on encore condamner les relations sexuelles sous une contrainte manifeste ? Rien n’est moins sûr.

Cette nouvelle condition d’écart d’âge de cinq ans constitue une régression dans la protection des enfants victimes. Comme il s’agit d’une loi pénale plus favorable aux mis en cause, elle serait d’application immédiate et elle vaudrait pour des faits passés. Toutes les affaires en cours concernant des atteintes sexuelles sur des mineurs de treize à quinze ans, commises par des majeurs de dix-huit et dix-neuf ans, risquent ainsi d’être classées sans suite ou d’aboutir à des relaxes, faute de base légale. Pour votre rapporteure, par ailleurs première signataire de la présente proposition de loi, ce serait une régression inimaginable.

La vigilance de chacun a permis que les victimes d’inceste échappent à des avanies comparables. Cependant, là où l’affirmation d’un seuil d’âge de dix-huit ans pour les infractions incestueuses permettait d’énoncer, dans un unique dispositif, un interdit clair, la nouvelle rédaction disperse la répression de l’inceste dans six dispositions distinctes.

Pour toutes ces raisons, le texte issu des travaux de la commission des Lois ne permet pas une protection suffisante des victimes. Les hypothèques qui pèsent sur sa rédaction, les suspicions qui entourent ses effets pratiques, les conséquences immanquables d’une réécriture solitaire dans un domaine complexe dont toutes les chausse-trappes n(ont pas été identifiées, doivent conduire les députés, en séance publique, à la plus grande circonspection. Il leur reviendra de rétablir, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, les articles de la proposition de loi dans leur rédaction initiale pour dire l’interdit et protéger les victimes, sans bien sûr que cela n’exclue par principe les évolutions pertinentes que pourrait justifier le débat.

Victor Hugo a dit : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue. » Cette proposition de loi, déposée il y a plusieurs mois, était au rendez-vous de l’histoire sans le savoir. C’est désormais à la Représentation nationale d’être à la hauteur et d’honorer les attentes des Français pour protéger les mineurs et ouvrir de nouveaux droits de l’enfant.

*

*     *


—  1  —

I.   Le fléau des violences sexuelles sur mineurs

Les derniers mois ont vu la population française prendre conscience de l’ampleur et de la gravité des violences sexuelles commises sur des mineurs. La succession d’affaires qui ont occupé les médias, pour certaines portées à la connaissance du public sous la forme d’ouvrages littéraires – Le Consentement ([1]), La Familia grande ([2]), Un si long silence ([3]) –, a levé le voile sur deux réalités qui doivent interroger.

D’une part, il existe, ou du moins il a existé, une connivence sociale propice à la perpétuation des atteintes, des agressions et des viols. La gravité du problème n’est pas correctement appréhendée.

D’autre part, la récurrence des témoignages et la libération de la parole sur les réseaux sociaux illustrent la multitude de souffrances individuelles qui n’ont pas, jusqu’à présent, réussi à s’exprimer ([4]). L’ampleur du problème n’est pas, non plus, justement évaluée.

Parce qu’une fraction seulement des faits commis se trouve dénoncée et vient en jugement, les statistiques policières et judiciaires sont insuffisantes pour donner un aperçu fidèle de la situation. Les enquêtes de victimation apparaissent contribuer plus efficacement à l’évaluation du nombre de personnes touchées puisqu’elles mettent au jour les blessures demeurées secrètes et les infractions jamais investiguées. Si les recherches sur les violences sexuelles en général sont relativement fréquentes, les enquêtes relatives à la situation des mineurs sont plus rares puisqu’elles requièrent le consentement préalable des mineurs et des parents. Les études réalisées portent donc plus souvent sur des adultes appelés à évoquer leur enfance, autrement dit des éléments appartenant à un passé plus ou moins distant.

Citée dans le rapport consacré par le Sénat aux mineurs victimes d’infractions sexuelles en 2018 ([5]), l’étude « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes » (Virage) conduite en 2015 par l’Institut national des études démographiques (Ined) livre une estimation de la prévalence des différentes formes de violences. Les personnes déclarant avoir subi des violences sexuelles dans les douze derniers mois étaient également interrogées sur les violences sexuelles subies au cours de leur vie ; les personnes déclarant avoir subi au moins une violence sexuelle au cours de leur vie étaient interrogées sur leur âge lors de ces violences.

Les résultats de cette enquête montrent que les mineurs sont les premières victimes des violences sexuelles :

 38,3 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 59,2 % de ceux déclarés par les hommes ont été subis avant leurs 15 ans ;

– 27 % des femmes et 34 % des hommes interrogés confient que les faits de viol et de tentative de viol ont eu lieu au cours de leurs dix premières années.

Répartition de l’âge des violences sexuelles déclarées au cours
de la vie concernant des mineurs

Groupe d’âge

Viol et tentative de viol

Autres agressions sexuelles

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

0-10 ans

27,0 %

34,1 %

23,3 %

20,4 %

11-14 ans

11,3 %

25,1 %

15,3 %

17,8 %

15-17 ans

14,4 %

16,3 %

16,3 %

12,5 %

Part de la minorité

52,7 %

75,50 %

54,9 %

50,7 %

Données : femmes et hommes âgés de 25 à 69 ans vivant en France métropolitaine, ayant subi au moins une violence sexuelle au cours de leur vie.

Source : Ined, enquête Virage 2015.

Les violences sur les enfants ont principalement lieu dans le cadre de la famille. Elles surviennent alors avant 15 ans dans plus de 86 % des cas pour les hommes et de 80 % des cas pour les femmes.

Le traitement policier et judiciaire des dossiers revêt naturellement une importance fondamentale pour les victimes qui ont osé parlé. Il l’est peut-être davantage encore pour celles qui hésitent à se confier. On ne peut valablement les inciter à la confiance envers les institutions et les pouvoirs publics s’ils courent le risque de voir leur parole décrédibilisée, ignorée ou pervertie. Dans un tel contexte, une décision de justice qui écarte la qualification de viol ou d’agression sexuelle en arguant du possible consentement d’un enfant d’une dizaine d’années à se livrer à des actes sexuels qu’il ne peut concevoir, c’est une incitation à se taire pour tous les adultes qui ont gardé le silence sur leurs souffrances d’enfant.

La présente proposition de loi vise précisément à prévenir les incompréhensions nées d’infractions dont les Français ne comprennent plus le sens. Elle aspire à poser des règles claires, intelligibles par tous, reposant sur la définition claire d’un âge en deçà duquel le consentement n’existe jamais.

II.   Un droit en vigueur insatisfaisant

A.   Un arsenal judiciaire conséquent

1.   Approche historique

Alors que les droits antiques et médiévaux tendaient à confondre prescription morale et ordre social, la Révolution française a séparé rigoureusement les deux domaines dans la définition des infractions à caractère sexuel. C’est ainsi, par exemple, qu’ont disparu du droit national, dès le code pénal de 1791, la répression de l’homosexualité et le crime de sodomie ([6]). Les dispositifs modernes ne s’attachent donc plus à extirper le vice ou à dénoncer le péché, mais à prévenir les actes sexuels préjudiciables à la société, soit qu’ils soient exercés avec violence, soit qu’ils sont commis publiquement, soit qu’ils sont perpétrés à l’encontre d’un mineur.

Promulgué en 1810, le code pénal napoléonien punit les « attentats aux mœurs » ([7]). Il établit notamment, pour ce qui concerne ce que l’on qualifierait aujourd’hui d’atteintes sexuelles, d’agressions sexuelles et de viol, une répression à trois niveaux :

– l’auteur du crime de viol ou de tout autre attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence contre des individus de l’un ou de l’autre sexe, est puni de la réclusion pour cinq à dix ans ;

– si le crime est commis « sur la personne d’un enfant au-dessous de l’âge de quinze ans accomplis », le coupable encourt les travaux forcés pour cinq à vingt ans ;

– enfin, « si les coupables sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l’attentat, s’ils sont ses instituteurs ou ses serviteurs à gages, ou s’ils sont fonctionnaires publics, ou ministres d’un culte, ou si le coupable, quel qu’il soit, a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes », la loi prévoit les travaux forcés à perpétuité.

La structure juridique privilégiée est celle des circonstances aggravantes : l’infraction de droit commun est plus durement sanctionnée en cas de minorité de la victime et dans l’hypothèse où l’auteur des faits était investi d’une responsabilité envers elle. Mais le viol comme l’attentat à la pudeur n’étaient constitués qu’à la condition d’actes sexuels obtenus par la violence. Aussi le législateur du XIXe siècle fut-il rapidement confronté aux situations dans lesquelles un adulte se livrait à un acte sexuel avec un enfant sans que ce dernier ait opposé une résistance, voire après l’expression d’un consentement tout relatif ([8]). Deux infractions autonomes ont été imaginées pour répondre à cette difficulté :

– la loi du 28 avril 1832 ([9]) institue l’attentat à la pudeur sans violence sur mineur de onze ans. Ce seuil est porté à treize ans par la loi du 13 mai 1863 ([10]), puis à quinze ans par ordonnance du 2 juillet 1945 ([11]) ;

– la loi précitée du 13 mai 1863 créé également un délit d’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans mais uniquement imputable à un ascendant.

Cette architecture répressive est toujours celle qui régit globalement les infractions sexuelles sur mineur dans la France contemporaine. La minorité de la victime, et plus spécifiquement sa minorité sexuelle fixée à 15 ans, peut être soit une circonstance aggravante, soit un élément constitutif de l’infraction.

2.   Les crimes et délits sexuels sur mineur aujourd’hui

En énonçant que « constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » ([12]), le code pénal distingue désormais deux grandes catégories d’infractions contre les mœurs. Il existe donc, à côté des faits qualifiés d’agression sexuelle, une atteinte sexuelle définie en creux et correspondant à un comportement de nature sexuelle commis sans violence, contrainte, menace ou surprise, bien que pénalement répréhensible pour d’autres raisons parmi lesquelles le jeune âge de la victime.

a.   Les agressions sexuelles aggravés par la minorité de la victime

Les agressions sexuelles sont les actes commis avec violence, contrainte, menace ou surprise. La violence consiste dans les pressions physiques exercées sur la victime pour obtenir d’elle un acte ou un comportement sexuel. La contrainte peut être physique, et se rapprocher ainsi de la violence en désignant les pressions corporelles mises en œuvre par l’auteur pour parvenir à ses fins, ou morale, par les promesses ou les menaces faites à la victime quant à sa personne, à ses proches ou à son patrimoine. Enfin, la surprise est assimilée à la ruse permettant d’abuser une victime en la trompant sur la situation réelle ou en profitant de sa difficulté à l’appréhender.

L’agression sexuelle est le fait d’obtenir d’autrui un comportement de nature sexuelle auquel il ne consent pas. Ceci ne revient pas tout à fait à affirmer que la loi impose que les relations licites soient pleinement consenties. En effet, pour constituer une agression sexuelle au regard du droit pénal, deux éléments sont donc nécessaires :

– un élément matériel, à savoir un contact physique à caractère sexuel ;

– un élément intentionnel, autrement dit la conscience de l’auteur d’agir sur la victime par coercition – les violence, contrainte, menace et surprise. Cet élément intentionnel est indispensable pour ne pas pénaliser les relations sexuelles consenties. L’infraction est donc caractérisée, non pas au regard du comportement ou du consentement de la victime, mais bien par rapport aux faits et à l’intention de leur auteur.

Le code pénal distingue le viol des autres agressions sexuelles. Le viol est défini depuis quarante ans comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui » ([13]). Cette rédaction nécessite soit l’insertion d’un organe sexuel dans le corps de la victime, soit l’insertion d’un élément étranger dans son corps dans une intention sexuelle. Sont ainsi couvertes la pénétration d’un sexe masculin dans le vagin, l’anus ou la bouche de la victime, comme la pénétration digitale ou l’insertion d’un objet dans l’anus ou le vagin de la victime ([14]). Par ailleurs, la loi du 3 août 2018 ([15]) a étendu cette définition à la pénétration sexuelle « commise sur la personne de l’auteur », permettant de qualifier de viol le fait de forcer la victime à recevoir une fellation ou à pénétrer elle-même le vagin ou l’anus de son agresseur. Le viol simple est puni de quinze ans de réclusion criminelle ([16]).

Quant aux agressions sexuelles autres que le viol, le code pénal n’en donne qu’une définition en creux : elles recouvrent tout contact physique de nature sexuelle, exercé sur autrui par violence, contrainte, menace ou surprise, et qui ne puisse être qualifié de viol. L’agression sexuelle simple est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

La commission de ces infractions sur un mineur de quinze ans est une circonstance aggravante, comme l’est également leur perpétration par un ascendant ou par toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. Toutefois, à l’inverse d’autres infractions ([17]), les circonstances aggravantes des agressions sexuelles ne se cumulent pas. La peine encourue en cas de viol aggravé est de vingt ans de réclusion criminelle ([18]) ; celle à laquelle s’expose l’auteur d’une agression sexuelle sur un mineur de quinze ans de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende ([19]).

Peine privative de liberté encourue pour agression sexuelle

 

Victime
mineure de 15 ans

Victime
mineure de 15 à 18 ans

Victime
majeure

Viol

20 ans de réclusion quelles que soient les circonstances

15 ans de réclusion


20 ans de réclusion si l’auteur a autorité

Agression sexuelle autre que le viol

10 ans d’emprisonnement quelles que soient les circonstances

5 ans d’emprisonnement

 

7 ans d’emprisonnement si l’auteur a autorité

Source : code pénal.

b.   Les qualifications pénales spécifiques aux mineurs

La protection pénale de l’enfance prend également la forme d’infractions spécifiques visant des comportements pleinement licites lorsqu’ils ont lieu entre personnes majeures, mais dont la minorité de la victime a convaincu le législateur de la pertinence d’en faire des délits.

Le principal de ces délits est l’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Il sanctionne tout acte ou comportement de nature sexuelle ([20]) commis par un majeur au motif que le mineur ne dispose pas d’une maturité et d’un discernement suffisants pour formuler un consentement valable, même en l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise. L’atteinte sexuelle sur mineur est forcément le fait d’un majeur : les actes commis entre mineurs échappent complètement à cette incrimination, considérant que le défaut de maturité est alors partagé.

En incriminant tout acte de nature sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans, la loi a pour effet pratique de définir une majorité sexuelle à 15 ans. Avant cet âge, le mineur est réputé incapable de consentir librement à un rapport sexuel avec un majeur. C’est donc à l’adulte qu’il incombe toujours de prendre garde, de se montrer responsable dans la perspective d’une relation de nature sexuelle.

L’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ([21]). Ces peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende dans certaines circonstances aggravantes, notamment lorsque les faits ont été commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ([22]).

D’autres infractions spécifiques apparaissent dans le code pénal. Elles reposent sur un postulat identique à l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans : parce que son discernement ne permet pas à un enfant de consentir valablement à la sollicitation d’un adulte, c’est à cet adulte qu’il revient de s’abstenir d’un acte qui, avec un autre adulte, serait parfaitement licite ou très faiblement réprimé. L’infraction est donc indifférente à la question du consentement, ou de l’apparence du consentement. Entrent notamment dans ce cadre, sans que cette énumération prétende à l’exhaustivité :

– l’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans, soit au-delà de l’âge de la majorité sexuelle établie en droit commun, est réprimée de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Elle ne peut être exercée que par un majeur ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ou par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions. Le législateur considère que, si les mineurs âgés de plus de quinze ans bénéficient de la liberté sexuelle, celle-ci serait abusée si elle les orientait vers un parent, un professeur, un représentant d’une autorité publique ou spirituelle, qui userait de l’ascendant que lui confère sa position pour, en réalité, intimer au mineur de consentir ;

– la corruption de mineur, appelée aux siècles précédents l’excitation d’un mineur à la débauche, constitue le fait de « favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur » ([23]). Elle suppose l’accomplissement d’un acte obscène en présence ou avec la participation du mineur dans le but non seulement d’assouvir les passions de l’auteur de fait, mais aussi et surtout de corrompre le mineur en instillant en lui une envie de débauche. La corruption de mineur est réprimée de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, voire dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans ;

– le recours à la prostitution de mineur consiste dans le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération ou d’un avantage en nature, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution ([24]). Contraventionnelle lorsque la prostitution est le fait d’un majeur, l’infraction constitue un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsque la sollicitation est adressée à un mineur, voire de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si ledit mineur est âgé de moins de quinze ans. Le législateur entend ici clairement tirer les conséquences de l’incapacité manifeste de l’enfant à décider pour lui-même, de façon éclairée, de monnayer son corps.

Peines encourues pour certaines infractions sexuelles

 

Victime
mineure de 15 ans

Victime
mineure de 15 à 18 ans

Victime
majeure

Atteinte sexuelle

Sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende

 

Dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si l’auteur a autorité

Trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende si l’auteur a autorité

 

Corruption de mineur

Dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 euros d’amende

Cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende

 

Recours à la prostitution

Sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende

Trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende

1 500 euros d’amende

 Source : code pénal.

B.   Des lacunes cependant béantes

Si les différentes situations envisageables apparaissent correctement appréhendées par le droit pénal en théorie, tel n’est pas le cas dans la pratique des juridictions. L’actualité offre trop souvent à une opinion publique interloquée des exemples de faits divers sordides dans lesquels la justice – faisant en cela application de la loi – conclut qu’on ne peut affirmer l’absence de consentement d’un mineur alors même que les actes commis outragent immédiatement le bon sens.

Alors que la loi précitée du 23 décembre 1980 a défini le viol comme tout acte de pénétration sexuelle imposé par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, il revient toujours à l’accusation, et donc à la victime constituée partie civile, d’apporter la preuve de son non-consentement. Cette situation est imparfaite en droit commun. Elle est injustifiable en matière d’agression sexuelle sur mineur, puisque l’immaturité de l’enfant – voire son inconscience en deçà d’un certain âge – lui interdit de pleinement comprendre ce que l’adulte, parfois un membre de sa famille, lui propose. Comment pourrait-il consentir à ce qui lui est inintelligible ?

Heureusement, le débat n’est plus celui des années 1820 : l’auteur majeur des actes sexuels n’échappe plus à la sanction pénale de son comportement. L’incrimination des atteintes sexuelles sur mineur permet de le poursuivre sur une base délictuelle et de lui infliger une peine parfois significative. Toutefois, si cette architecture est satisfaisante du strict point de vue du droit, elle ne l’est pas dans les faits. L’atteinte sexuelle, dans sa définition actuelle, souffre de trois défauts importants :

– elle traduit l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel, écartant la solennité de la cour d’assises et banalisant l’acte commis ;

– en permettant la correctionnalisation, elle permet d’entrer en voie de condamnation selon une procédure plus souple pour les juridictions, de sorte que la recherche de l’efficacité administrative ouvre la voie à une négation des droits des victimes :

– en constituant une infraction quasi-subsidiaire au regard de l’agression sexuelle, elle conduit à sous-entendre que les actes sexuels ont été consentis par le mineur, puisqu’il a déféré aux sollicitations de l’auteur sans que soit nécessaire une violence, une contrainte, une menace ou une surprise ;

1.   Des affaires relayées par la presse et peu compréhensibles par l’opinion

La caractérisation du défaut de consentement de très jeunes victimes et l’application rigoriste de la définition du viol suscitent fréquemment de sérieuses interrogations à l’occasion d’affaires judiciaires relayées par les médias. On peut notamment évoquer :

– l’arrêt de la cour d’assises de Seine‑et‑Marne, le 7 novembre 2017, à propos d’un adulte de 22 ans accusé de viol à l’encontre d’une mineure de 11 ans, jugeant que les faits ne démontraient ni violence, ni contrainte, ni menace, ni surprise. En outre, le président de la cour d’assises ayant négligé de poser une question subsidiaire sur la qualification d’atteinte sexuelle, un acquittement pur et simple avait été prononcé ([25]) ;

– la décision du parquet de Pontoise de retenir la qualification d’atteinte sexuelle pour caractériser les relations sexuelles entre un homme de 28 ans et une fille de 11 ans constituées d’une fellation et d’une pénétration ([26]) ;

– le choix du parquet de Paris de requalifier en atteinte sexuelle sur mineur en réunion, à l’été 2020, la plainte pour viol déposée par une jeune femme à la suite de multiples rapports sexuels subis entre ses 13 et 15 ans avec plus de vingt hommes de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, alors qu’elle subissait par ailleurs un lourd traitement médicamenteux.

Sans préjuger du contenu des dossiers, il paraît difficilement acceptable que le très jeune âge des victimes ne puisse conduire à l’incrimination de viol. Aussi les options retenues par l’autorité judiciaire ont-elles provoqué de vives réactions dans l’opinion publique, qui ont conduit à des évolutions jurisprudentielles et législatives plus ou moins judicieuses.

2.   Des évolutions récentes peu convaincantes

a.   L’âge de la victime et la contrainte morale

La chambre criminelle de la Cour de cassation tient pour constitué l’état de contrainte ou de surprise qui « résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » ([27]). En l’espèce, l’auteur s’était rendu coupable d’agressions sexuelles aggravées sur trois mineurs âgés d’un an et demi à cinq ans. Cette solution jurisprudentielle, qui apparaît évidente, semble cependant ne valoir que jusqu’à l’âge de six ans ([28]).

La loi du 9 juillet 2010 a souhaité s’inscrire dans la lignée de cette jurisprudence pour mieux réprimer les agressions sexuelles ([29]). Elle a précisé que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-exerce sur cette victime » ([30]).

Cette rédaction a été extrêmement critiquée en ce qu’elle fait de la différence d’âge entre un majeur et un mineur de quinze ans un élément constitutif de l’infraction de viol, alors même que la minorité de la victime est aussi une circonstance aggravante de la même infraction. La tentative du législateur a d’ailleurs été rapidement neutralisée par le Conseil constitutionnel, pour qui elle n’a « pas pour objet de définir les éléments constitutifs de l’infraction ; qu’il s’ensuit que, dès lors qu’il ne résulte pas de ces dispositions qu’un des éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle est, dans le même temps, une circonstance aggravante de ces infractions, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de légalité des délits » ([31]). Tout au plus ces dispositions ont-elles une portée indicative, ce qui a d’ailleurs permis aux juridictions d’en faire un usage immédiat ([32]).

Le législateur est à nouveau intervenu, par la loi précitée du 3 août 2018, en ajoutant au même article 222-22-1 un alinéa précisant que « lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». L’absence de consentement de la victime est alors déduit du seul fait qu’à son âge, nécessairement peu élevé, elle ne pouvait avoir conscience de ce qu’est une activité sexuelle.

Cette évolution a été, comme la précédente, accueillie avec scepticisme. Faut-il déduire de l’alinéa en question que, par nature, le mineur de quinze ans ne dispose pas du discernement nécessaire pour consentir à un acte sexuel, qui est de ce fait toujours une agression sexuelle ? Cette lecture semble délicate, d’autant que l’alinéa n’exige pas la majorité de l’auteur des faits, de sorte que deux mineurs de quinze ans ayant ensemble une relation sexuelle seraient réputés se violer mutuellement... Plus probablement, la loi appelle désormais la juridiction de jugement à évaluer si le mineur dispose, ou non, du discernement nécessaire à son consentement. La notion complexe de consentement, se trouve alors subordonnée à une autre, tout aussi complexe – le discernement ([33]) – qui n’est pas davantage définie.

b.   La surqualification pénale d’inceste

« Règle universelle élaborée par l’humanité et transmise d’âge en âge » ([34]), l’inceste est défini par le Trésor de la langue française comme le « commerce charnel entre un homme et une femme parents ou alliés à un degré qui entraîne une prohibition au mariage ». Le code civil proscrit les mariages entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne, ainsi qu’au sein de la fratrie et entre oncle, tante, neveu et nièce ([35]).

En application des articles 161 à 163 du code civil, les mariages incestueux sont interdits. Toutefois, cette prohibition est de nature strictement matrimoniale. Elle est dépourvue de portée pénale et rien, depuis la Révolution française, ne vient altérer en la matière la liberté d’adultes consentants ([36]).

Le droit pénal n’appréhende l’inceste qu’indirectement, à travers la protection des personnes, qui justifie la répression des agressions sexuelles, et la protection des mineurs, qui fonde la sanction des atteintes sexuelles. L’ascendance et le lien d’autorité sont une circonstance aggravante des agressions sexuelles et de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Elles sont un élément constitutif du seul délit d’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans.

Au cours des années 2000, la multiplication des affaires d’inceste et une première libération de la parole ont amené le législateur à faire apparaître la notion d’inceste dans le code pénal. Les modifications apportées se sont cependant bornées à un aspect symbolique.

En 2010, une surqualification pénale a été introduite pour désigner certaines atteintes sexuelles d’incestueuses ([37]). Sans effet juridique puisque portant sur des infractions existantes et non modifiées, cette évolution souffrait de surcroît d’une mauvaise rédaction, puisqu’elle visait jusqu’au « concubin d’un membre de la famille » sans porter de limite dans les degrés de parenté. Cette imprécision a provoqué la censure du Conseil constitutionnel ([38]).

Le mot « incestueux » a été rétabli dans le code pénal en 2016 ([39]). La qualification obligatoire d’inceste vient s’ajouter aux infractions et infractions aggravées existantes. Elle ne crée pas de nouvelle incrimination et, selon les mots de la chambre criminelle, elle « n’a aggravé ni la définition de l’infraction ni les peines encourues » ([40]). Toutefois, elle présente l’avantage d’imposer à la juridiction de jugement de se prononcer sur un éventuel retrait de l’autorité parentale dont dispose l’auteur des faits sur la victime ainsi que sur ses frères et sœurs mineurs ([41]).

Dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2016, le code pénal prévoit que les crimes et délits « sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur » par un ascendant, un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées précédemment, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait ([42]). La loi précitée du 3 août 2018 a modifié cet équilibre en déconnectant la surqualification d’inceste de la minorité de la victime, en l’attachant à l’ensemble des infractions commises par une des personnes précédemment énumérées.

Le traitement pénal de l’inceste n’a donc évolué que symboliquement au cours des dernières années. Si cet aspect n’est pas négligeable, car il aide les victimes à surmonter l’épreuve qui leur a été imposée, il crée également une incohérence regrettable. Le périmètre de l’inceste ne recoupe pas la commission par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait – circonstance aggravante ou élément constitutif des infractions correspondantes. Par exemple, une atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans :

– si elle est commise par un frère, sera qualifiée d’incestueuse mais ne sera pas aggravée ([43]) ;

– si elle est commise par l’accueillant dans le cadre d’un placement, sera aggravée puisque le fait d’une personne ayant autorité, mais ne sera pas qualifiée d’incestueuse.

3.   Un cadre constitutionnel strict

Les débats préalables à l’adoption de la loi précitée du 3 août 2018 ont mis en évidence la nécessité d’apporter une réponse aux difficultés de caractérisation du défaut de consentement des mineurs victimes de violences sexuelles de la part de majeurs. Ils ont également souligné les règles et principes constitutionnels qui encadrent, dans ce domaine, l’action du législateur.

a.   Le recours difficile à une présomption

Les premières réflexions sur le sujet, en 2018, avaient exploré la piste d’une présomption irréfragable de non‑consentement d’un mineur à tout acte sexuel en deçà d’un certain âge. Elles s’étaient heurtées au principe de la présomption d’innocence qui implique qu’il revienne à l’accusation de prouver ce qu’elle avance, et non à l’accusé de s’en défendre ([44]).

Il en résulte que les présomptions posées par la loi pénale ne sauraient être irréfragables, c’est-à-dire insusceptibles d’être contredites par la défense. Même une présomption simple, qui peut être renversée par une preuve contraire, suppose le respect des droits de la défense et la vraisemblance de l’imputabilité des faits. En matière délictuelle, le Conseil constitutionnel a :

– admis une présomption de responsabilité du créateur ou de l’animateur d’un site internet à raison du contenu de messages à condition qu’elle n’ait pas pour conséquence d’engager sa responsabilité pénale à raison du seul contenu d’un message dont il n’avait pas connaissance avant la mise en ligne ([45]) ;

– accepté l’imposition des revenus réalisés par l’intermédiaire de structures établies à l’étranger et soumises à un régime fiscal privilégié à condition que le contribuable conserve la possibilité de prouver que la participation qu’il détient dans l’entité constituée hors de France n’a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d’évasion fiscales, la localisation de revenus à l’étranger ([46]) ;

– refusé l’interruption de l’abonnement internet d’une personne en raison des actes de contrefaçon commis à partir de sa ligne ([47]).

Des doutes avaient été émis sur la constitutionnalité d’une présomption en matière criminelle, en l’occurrence d’une présomption de contrainte permettant de caractériser le viol sur mineur. Si cette solution présentait l’avantage symbolique de préserver l’incrimination de viol, elle comportait le risque d’une censure dès lors que la preuve contraire s’avérait particulièrement difficile à imaginer. Elle imposait également à la défense d’affirmer la détermination de la victime à engager des relations sexuelles, stratégie d’autant plus risquée que son succès sur le terrain du viol n’exonérait de toute façon pas son auteur d’une condamnation subsidiaire pour atteinte sexuelle sur mineur.

b.   La création d’une infraction autonome

L’autre option envisageable pour une meilleure répression réside dans la répression objective des faits commis par un majeur sur un mineur d’un certain âge, sans considération d’une quelconque violence, contrainte, menace ou surprise. Elle consisterait, tout simplement, à aggraver significativement le quantum des peines encourues en cas d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans pour les porter au niveau de celles des agressions sexuelles, le cas échéant en prévoyant une répression d’ordre criminel. Dans son avis sur la loi précitée du 3 août 2018 ([48]), le Conseil d’État soulignait les lignes directrices à respecter pour ce faire :

– veiller à ne pas laisser subsister de dispositions permettant une double incrimination pour les mêmes faits, de sorte que l’atteinte sexuelle sur mineur renforcée vienne se substituer, et non s’ajouter, aux agressions sexuelles aggravées actuellement prévues ;

– s’attacher à caractériser l’élément intentionnel de l’infraction, qui exige que l’auteur des faits ait eu conscience d’exercer une coercition sur la victime ([49]). Cette condition est déjà remplie par l’actuel délit d’atteinte sexuelle sur mineur dans lequel l’élément intentionnel réside dans la conscience de l’acte accompli et nullement dans le mobile qui le fait commettre ;

– enfin, tenir compte des situations dites « Roméo et Juliette », du nom des héros de Shakespeare, dans lesquelles la relation préexistante entre un garçon de 17 ans et demi et une mineure de 14 ans deviendrait, dès les 18 ans du jeune homme, répréhensible. Cette recommandation du Conseil d’État, tout à fait judicieuse, vient néanmoins heurter l’état actuel du droit puisque de telles situations tombent déjà sous le coup du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.

III.   Une proposition de loi pour mettre un terme à la question du consentement

La présente proposition de loi retient l’option consistant à créer des infractions autonomes pour évacuer la question du consentement des affaires judiciaires d’ordre sexuel impliquant des mineurs. Dès lors que les peines encourues en répression de ces peines autonomes sont équivalentes à celles prévues aujourd’hui en cas de viol ou d’autres agressions sexuelles, le débat judiciaire sur le sujet n’aura plus lieu d’être.

La proposition de loi agit pour ce faire sur le droit commun (articles 1er et 2) et sur le terrain particulier des relations incestueuses (articles 3 et 4).

1.   La sanction des atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans

Les deux premiers articles de la proposition de loi aggravent les peines attachées au délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en les portant au niveau actuellement en vigueur pour la répression des agressions sexuelles. Ils dédoublent également ladite atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en deux infractions, selon qu’il y a eu pénétration sexuelle ou non, sur le modèle de la distinction entre viol et autres agressions sexuelles.

Les atteintes sexuelles prévues par la proposition de loi viennent se substituer aux actuelles infractions de viol sur mineur, d’agression sexuelle sur mineur et d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en retenant, dans chaque cas, le niveau de peine le plus élevée.

Peines privatives de liberté encourues en cas
d’infraction sexuelle (proposition de loi)

 

Victime
mineure de 15 ans

Victime
mineure de 15 à 18 ans

Victime
majeure

Pénétration sexuelle

Vingt ans

Quinze ans si viol

Vingt ans si viol aggravé

Autre atteinte sexuelle

Dix ans

Cinq ans si agression sexuelle

Sept à dix ans si agression sexuelle aggravée

Source : code pénal et proposition de loi (articles 1er et 2).

L’âge de la majorité sexuelle est fixé à quinze ans pour plusieurs raisons. D’une part, il est celui actuellement en vigueur à travers l’infraction d’atteinte sexuelle : sauf exception, c’est l’âge auquel la personne dispose pleinement de sa liberté sexuelle. D’autre part, ce seuil a fait consensus tout au long des auditions réalisées par votre rapporteure, bien que le Sénat ait récemment privilégié un âge de treize ans ([50]).

2.   La répression des atteintes incestueuses commises sur des mineurs

Les articles 3 et 4 de la proposition de loi adaptent ce cadre aux infractions sexuelles incestueuses commises sur un mineur par :

– un ascendant ;

– un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu, une nièce ;

– le conjoint, le concubin, d’une des personnes citées plus haut, ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Peines privatives de liberté encourues en cas
d’infraction sexuelle incestueuse (proposition de loi)

 

Victime
mineure de 15 ans

Victime
mineure de 15 à 18 ans

Victime
majeure

Pénétration sexuelle

Vingt ans

Quinze à vingt ans si viol

Autre atteinte sexuelle

Dix ans

Cinq ans à dix ans si agression sexuelle

Source : code pénal et proposition de loi (articles 3 et 4).

Les infractions ainsi créées viennent se substituer aux actuelles infractions de viol sur mineur, d’agression sexuelle sur mineur, d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze à dix-huit ans par ascendant ou par personne ayant autorité.

IV.   Une proposition de loi profondément remaniée par la commission des Lois

Lors de ses réunions du mercredi 10 février, la commission des Lois a apporté de nombreuses modifications aux dispositifs de la proposition de loi. Si ses deux principales lignes directrices ont été retenues – un âge de consentement des mineurs fixé à 15 ans et une répression stricte des comportements incestueux imposés aux enfants jusqu’à leur majorité, les infractions proposées ont subi de multiples aménagements. En outre, des dispositions complémentaires ont été adjointes au texte.

A.   Un nouveau dispositif de répression des infractions pénales sur mineurs

Les sanctions auxquelles s’expose un majeur qui commet un acte sexuel avec un mineur ont été redéfinies par plusieurs amendements de Mme Alexandra Louis et des membres du groupe La République en marche. Elles figurent désormais dans une section 4 bis, relatives aux crimes et délits sexuels sur mineurs, du chapitre VII traitant des atteintes aux mineurs et à la famille au sein du titre II, des atteintes à la personne humaine, du livre II du code pénal réprimant les crimes et délits contre les personnes.

Le nouvel article 227-14-1 prévoit que le fait pour un majeur de commettre volontairement sur la personne d’un mineur de quinze ans un acte de pénétration sexuelle, commis sur la personne du mineur ou sur la personne de l’auteur, est puni de vingt ans de réclusion criminelle. Un sous-amendement de M. Aurélien Pradié, adopté avec l’avis favorable de la rapporteure, a inclus les pratiques bucco-génitales parmi les actes interdits par cette nouvelle incrimination. Le dispositif adopté par la commission des Lois ne mentionne cependant aucun nom pour cette infraction criminelle nouvelle.

Les nouveaux articles 227-14-2 et 227-14-3 précisent que le crime précédent est réprimé de trente ans de réclusion criminelles lorsqu’il entraîne la mort de la victime ([51]) et de la réclusion criminelle à perpétuité s’il est accompagné de tortures et d’actes de barbarie ([52]). Dans les deux cas, les règles de droit commun en matière de sûreté sont applicables ([53]).

Le nouvel article 227-14-4 définit une circonstance aggravante de l’infraction criminelle prévue plus haut. Elle se trouve réprimée de trente années de réclusion criminelle en cas de commission dans un cadre incestueux – soit par un ascendant, un membre de la fratrie, un oncle ou une tante, un neveu ou une nièce, ou le conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes précédentes s’il dispose sur la victime d’une autorité de droit ou de fait.

Le nouvel article 227-14-5 institue un nouveau délit réprimant, comme précédemment, le fait pour un majeur de commettre un acte sexuel avec un mineur de quinze ans, dès lors que cet acte sexuel ne comprend aucune pénétration. La peine encourue est fixée à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende ; la tentative de commettre l’infraction est également sanctionnée.

Le nouvel article 227-14-6 prévoit une circonstance aggravante d’inceste pour le cas où le délit est commis par un membre du cercle familial précédemment délimité. La peine privative de liberté encourue demeure toutefois fixée à dix années et aucune peine d’amende n’est prévue.

Le nouvel article 227-14-7 ordonne à la juridiction de jugement de se prononcer sur le retrait de l’autorité parentale de l’auteur des faits incestueux. Cette disposition est la reprise de l’actuel article 227-27-3.

Le nouvel article 227-14-8 réprime l’administration à un mineur de quinze ans d’une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un crime ou un délit sexuel. Cette disposition est la reprise de l’actuel article 227-30-1.

Les nouveaux articles 227-14-9 et 227-14-10 sont les actuels articles 227‑22‑1, relatif au fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique, et 227‑24‑1, traitant des promesses et des pressions conduisant un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle, qui se trouvent simplement déplacés.

Le nouvel article 2271412 prévoit la poursuite du délit créé à l’article 5 de la présente proposition de loi lorsque les faits sont commis à l’étranger par un auteur français ou résidant habituellement en France. Le nouvel article 227­1413 institue des peines complémentaires pour le cas où des crimes et délits sexuels sur mineur seraient commis par une personne morale.

Les peines complémentaires applicables aux personnes physiques, prévues à l’article 22729, comprennent désormais la confiscation des armes et des véhicules ainsi que l’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation pendant cinq ans. Ces peines complémentaires sont obligatoirement prononcées par le juge, sauf décision contraire spécialement motivée.

Enfin, les auteurs encourent désormais également l’interdiction du territoire français, s’ils sont étrangers, et l’interdiction de séjour.

En cohérence avec ce qui précède, le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans et les circonstances aggravantes attachées aux agressions sexuelles commises sur un mineur de quinze ans sont supprimés.

Ces ajouts au code pénal prévus à l’article 1er de la proposition de loi sont complétés par deux dispositions aux articles 3 et 4 :

– à la suite des modifications opérées à l’article 3, l’article 227‑27‑2‑1, qui prévoyait jusqu’à présent la surqualification incestueuse des atteintes sur mineurs, définit désormais le crime consistant, pour un majeur appartenant au cercle familial précédemment délimité, à commettre volontairement sur la personne d’un mineur de plus de quinze ans un acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital. La peine encourue est de vingt ans de réclusion criminelle ;

 l’article 4 crée un nouvel article 2272722 qualifiant de délit des circonstances similaires qui n’incluent ni pénétration, ni pratique bucco-génitale. Les peines encourues sont alors de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

Le dispositif adopté par la commission des Lois comporte ainsi deux groupes infractions autonomes – l’un protégeant les mineurs de quinze ans et prévoyant une circonstance aggravante ou une surqualification d’inceste, l’autre sanctionnant les incestes commis sur les mineurs âgés de quinze à dix-huit ans. Quelques éléments de ces dispositions attirent particulièrement l’attention de votre rapporteure :

– à chaque infraction, la commission des Lois a jugé opportun d’exiger que les faits soient commis « volontairement ». Cette mention interroge. Elle semble s’inspirer, notamment, des rédactions du code pénal en matière d’atteintes volontaires à la vie ([54]) ou à l’intégrité des personnes ([55]). Toutefois, cette précaution s’entend dans la mesure où les atteintes involontaires à la vie ([56]) et à l’intégrité des personnes ([57]). Tel n’est pas le cas des atteintes sexuelles et des agressions sexuelles, pour lequel le législateur n’a pour l’heure jamais estimé que l’élément intentionnel de l’infraction dût être particulièrement souligné ;

– la commission des Lois a souhaité préciser que l’infraction n’est constituée qu’à la condition que l’auteur des faits « a connaissance de [l’âge du mineur] ou ne pouvait l’ignorer ». Cette précision avait été discutée, quelques semaines auparavant, par la commission des Lois du Sénat, qui la qualifiait de « superfétatoire » ([58]). Elle apparaît surtout saugrenue dans la définition des infractions incestueuses qui par construction peuvent uniquement être commises par de proches parents de la victime pour lesquels il sera impossible de prétendre méconnaître l’âge de l’enfant ;

– enfin, la commission des Lois a ajouté un fait justificatif ([59]) aux infractions sexuelles non incestueuses ([60]). L’acte sexuel avec un enfant de moins de quinze ans sera toujours licite dès lors que la différence d’âge le séparant de l’auteur des faits majeurs n’excède pas cinq ans. Il en résulte un régime pénal plus complexe que dans la rédaction initiale.

Surtout, votre rapporteure constate que, si les dispositions adoptées par la commission des Lois vont globalement dans le sens d’une meilleure protection des enfants, les rédactions adoptées aboutissent parfois, au contraire, à une plus grande permissivité que les dispositions actuellement en vigueur. Cette situation résulte de la combinaison de la suppression de la circonstance aggravante de viol sur mineur de quinze ans et de l’introduction d’un fait justificatif pour les auteurs qu’une différence d’âge inférieure à cinq ans sépare de leur victime.

Peines encourues en cas d’infraction sexuelle par un auteur majeur

Dispositions adoptées par la commission des Lois

 

 

Victime mineure de 13 ans

Victime mineure
de 13 à 15 ans

Victime mineure
de 15 à 18 ans

Victime majeure

Pas d’inceste

Pénétration sans violence

20 ans

20 ans si différence d’âge > 5 ans

 

Licite si différence d’âge < 5 ans

3 ans si auteur ayant autorité

 

Licite dans les autres cas

 

Pénétration avec violence

20 ans si différence d’âge > 5 ans

 

15 ans si différence d’âge < 5 ans (viol)

15 ans (viol, sous réserve de circonstances aggravantes)

Violence sans pénétration

10 ans

10 ans si différence d’âge > 5 ans

 

5 ans si différence d’âge < 5 ans (agression sexuelle)

5 ans (agression sexuelle, sous réserve de circonstances aggravantes)

Ni pénétration ni violence

10 ans si différence d’âge > 5 ans

 

Licite si différence d’âge < 5 ans

3 ans si auteur ayant autorité

 

Licite dans les autres cas

 

Inceste

Pénétration sans violence

30 ans

20 ans

 

Pénétration avec violence

20 ans (viol aggravé)

Violence sans pénétration

10 ans

7 ans

7 ans (agression sexuelle aggravée)

Ni pénétration ni violence

 

Deux situations apparaissent extrêmement problématiques :

– l’auteur, âgé de 18 ans, d’une atteinte sexuelle sur une enfant de 14 ans encourt sept ans d’emprisonnement aux termes de la loi dit « Schiappa » du 3 août 2018. Dans la rédaction issue de la commission des Lois, il ne commet aucune infraction ;

– l’auteur, âgé de 18 ans, d’un viol sur une enfant de 14 ans encourt vingt ans de réclusion criminelle pour viol aggravé dans le droit en vigueur. Dans la rédaction issue de la commission des Lois, non seulement il bénéficie du fait justificatif qui l’exonère de l’infraction autonome nouvellement créée, de sorte qu’il faudra encore rechercher devant la cour d’assises la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, mais de surcroît la suppression de la circonstance aggravante de viol sur mineur réduit la peine encourue à quinze ans ([61]).

Ces rédactions ne manqueraient pas d’avoir des conséquences. Comme le soulignent les chiffres publiés par le ministère de la justice, les mineurs et les jeunes majeurs sont responsables d’une fraction significative des viols sur mineurs de quinze ans et, pour les seconds, des atteintes sexuelles recensées en France.

Répartition par âge des condamnés pour infraction sexuelle

Champ : condamnations prononcées entre 2007 et 2016 dont l’infraction principale relève des violences sexuelles hors harcèlement sexuel.

Rappel : l’atteinte sexuelle ne peut être commise par un mineur.

Source : ministère de la justice, fichier statistique du casier judiciaire national, Infostats n° 164 de septembre 2018.

B.   Trois dispositions complémentaires pour mieux protéger les mineurs

1.   Une nouvelle incrimination pour les extorsions et menaces par internet

La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Alexandra Louis, devenu l’article 5 de la proposition de loi. Il réprime de dix ans d’emprisonnement le fait de provoquer un mineur de quinze ans, par un moyen de communication électronique, à commettre un acte de nature sexuelle, que cet acte soit suivi ou non d’effet, ainsi que le fait d’user, par un moyen de communication électronique, de pressions, de violences, de menaces de violence ou de contraintes de toute nature afin qu’il réalise un acte de nature sexuelle, que cet acte soit suivi ou non d’effet. La commission des Lois a également adopté un sous-amendement de M. Pacôme Rupin prévoyant que le délit ne pouvait être commis que par un majeur et ramenant l’amende encourue, initialement fixée à un million d’euros, à cent mille euros.

Cette disposition fait suite à un déplacement de la commission des Lois, le 19 février 2020, au siège de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Au cours de leur visite, les députés avaient pu échanger avec des enquêteurs de la brigade de protection des mineurs qui avaient fait part de leur difficulté à poursuivre, sur le fondement du viol, les agissements de manipulateurs adultes utilisant internet pour pousser des mineurs à se mettre dans des situations sexuellement dégradantes – allant jusqu’à l’autopénétration par des objets divers. Les policiers indiquaient que les magistrats ne reconnaissaient pas la violence, la contrainte, la menace ou la surprise constitutive du viol, et qu’ils poursuivaient seulement sur le fondement de la corruption de mineur ([62]).

2.   Une adaptation des règles de la prescription

La commission des Lois a également adopté deux amendements identiques de M. Aurélien Pradié et de Mme Albane Gaillot, avec l’avis favorable de la rapporteure, devenus l’article 6 de la proposition de loi.

Les règles de prescription applicables aux infractions de nature sexuelle et mettant en jeu la protection des mineurs, énumérées à l’article 706‑47 du code de procédure pénale, ont été modifiées par la loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa ». La prescription est désormais acquise après trente ans à compter de la majorité de la victime.

L’article 9-2 du code de procédure pénale indique cependant que le délai de prescription peut être interrompu par différents actes d’enquête, jugements ou arrêts, et que ses dispositions sont « applicable[s] aux infractions connexes » ([63]).

L’article 6 vient préciser cette situation. Il dispose que le délai de prescription d’un crime se trouve ainsi interrompu en cas de commission par leur auteur d’une des infractions mentionnées contre d’autres mineurs, de façon à permettre plus longtemps l’action publique à l’encontre de criminels en série.

3.   L’application d’une procédure pénale dérogatoire à un nouveau délit

L’article 7 de la proposition de loi résulte de l’adoption, avec l’avis favorable de la rapporteure, d’un amendement de M. Aurélien Pradié. Outre deux mesures de coordination, il prévoit l’inscription sur la liste des infractions sexuelles suivant une procédure pénale dérogatoire de l’incitation à commettre un crime ou un délit à l’encontre d’un mineur, délit prévu à l’article 227‑28‑3 du code pénal ([64]).

Cette procédure particulière est prévue au titre XIX, traitant « de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes », du livre V du code pénal portant diverses procédures particulières. Elle prévoit notamment :

– la possibilité de soumettre les auteurs à une injonction de soins et à un traitement inhibiteur de libido ([65]) ;

– des expertises médicales obligatoires, avec des modalités facilitées, au stade de l’enquête et dans la perspective du jugement ([66]) ;

– la possibilité pour le ministère public d’informer l’employeur de toute condamnation prononcée à l’encontre d’une personne dont il a été établi au cours de l’enquête ou de l’instruction qu’elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l’exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l’administration ([67]) ;

– l’enregistrement audiovisuel des auditions du mineur victime ([68]) ;

– l’inscription au FIJAISV des auteurs des infractions énumérées ([69]).

 

 


—  1  —

   Examen des articles

Chapitre Ier (nouveau)
Mieux réprimer les infractions sexuelles sur un mineur de quinze ans
 

Article 1er
(art. 222-221 [supprimé], 22224, 222291 [supprimé], 222301, 227141 à 2271413 [nouveaux], 227221 et 227241 [supprimés], 22725 et 22726 [supprimés], 227271, 227272, 227281, 227283, 22729, 22731, 22732 à 227321 [nouveaux] du code pénal ; art. 23, 8, 70647, 706472 et 7065313 du code de procédure pénale ; art. L. 4213 du code de l’action sociale et des familles ; art. L. 16014 du code de la sécurité sociale)
Nouvelle section du code pénal relative aux crimes et délits sexuels sur mineur

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi porte à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende la peine encourue pour atteinte sexuelle sur un mineur âgé de moins de quinze ans en l’absence d’une pénétration sexuelle.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa », a porté les peines encourues pour atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

  Modifications apportées par la Commission

La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Alexandra Louis et du groupe La République en marche, avec un avis de sagesse de la rapporteure, procédant à une nouvelle rédaction de l’article 1er de la proposition de loi.

Le dispositif prévoit désormais la création d’une section 4 bis consacrée aux crimes et délits sexuels sur mineurs au sein du chapitre VIII, relatif aux atteintes aux mineurs et à la famille, du titre II du livre II du code pénal. Cette section regroupe, outre des incriminations existantes et non modifiées – telles que l’administration d’une drogue à un mineur de quinze ans afin de commettre à son égard une infraction sexuelles, les propositions sexuelles formulées en ligne par un majeur à un mineur de quinze ans, et la provocation d’un mineur à la mutilation sexuelle –, de nouvelles infractions autonomes proscrivant les actes de nature sexuelle commis volontairement par un majeur sur un mineur de quinze ans dont l’âge lui était connu.

Dans le cas où l’acte sexuel comporte une pénétration ou, suite à un sous-amendement de M. Aurélien Pradié adopté avec l’avis favorable de la rapporteure, un acte bucco-génital la peine encourue est de vingt ans de réclusion criminelle. Dans le cas contraire, l’infraction est un délit puni de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Le caractère incestueux de l’acte constitue une circonstance aggravante du crime, alors sanctionné de trente ans de réclusion, mais une simple surqualification pénale du délit, dont la répression demeure inchangée.

Par ailleurs, un fait justificatif est ajouté lorsque la différence d’âge entre majeurs et mineurs de quinze ans en cause n’excède pas cinq ans. À la suite d’un sous-amendement de M. Jean Terlier adopté avec l’avis favorable de la rapporteure, cette précision n’aura pas d’incidence dans les affaires incestueuses.

Enfin, diverses coordinations sont effectuées pour permettre au juge de prononcer des peines complémentaires en répression des nouvelles infractions créées, notamment la confiscation d’arme et de véhicule ou l’interdiction du territoire français, et pour que lesdites infractions soient soumises à la procédure dérogatoire que le code de procédure pénale prévoit pour la répression des infractions à caractère sexuel.

*

*     *

Article 2 (supprimé)
Pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 de la proposition de loi porte à vingt ans de réclusion criminelle la peine encourue pour atteinte sexuelle sur un mineur âgé de moins de quinze ans en présence d’une pénétration sexuelle.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa », a entendu faciliter la qualification de viol sur mineur de quinze en précisant que la contrainte morale ou la surprise constitutives de l’infraction sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes.

  Une disposition supprimée par la Commission

Considérant l’objectif initial de l’article 2 satisfait par les modifications apportées aux précédentes dispositions de la présente proposition de loi, la commission des Lois ne l’a pas adopté.

*

*     *

Chapitre II (nouveau)
Mieux protéger les mineurs victimes d’inceste
 

Article 3
(art. 227-27 et 2272721 du code pénal)
Acte sexuel incestueux criminel sur mineur de plus de quinze ans

Adopté par la Commission avec modifications

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 de la proposition de loi réprime de vingt ans de réclusion criminelle l’atteinte sexuelle sur un mineur en présence d’une pénétration sexuelle lorsque les faits sont commis par un membre de la famille proche, c’est-à-dire lorsqu’ils revêtent une qualification incestueuse.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a procédé à la surqualification des infractions sexuelles incestueuses. La juridiction de jugement est tenue de se prononcer sur le maintien de l’autorité parentale dans les cas où l’auteur des faits en dispose.

  Modifications apportées par la Commission

La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Alexandra Louis et du groupe La République en marche, avec un avis de sagesse de la rapporteure, définissant un crime autonome de pénétration sexuelle incestueuse par un majeur sur un mineur de plus de quinze ans dont il ne pouvait ignorer l’âge et qui appartient à sa famille. Le crime est réprimé de vingt ans de réclusion criminelle. Le cercle familial comprend les ascendants, la fratrie, les oncles et tantes, les neveux et nièces, ainsi que les conjoints, concubins et partenaires liés par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes précédentes.

L’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans par personne ayant autorité, excluant désormais les ascendants et les membres de la famille désignés ci-dessus, demeure punie de trois ans d’emprisonnement et 40 000 euros d’amende.

La commission des Lois a également adopté, avec l’avis favorable de la rapporteure, un amendement de M. Aurélien Pradié étendant les faits incriminés aux actes bucco-génitaux.

*

*     *

Article 4
(art. 227-25-3 [nouveau] du code pénal)
Acte sexuel incestueux délictuel sur mineur de plus de quinze ans

Adopté par la Commission avec modifications

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 de la proposition de loi réprime de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende l’atteinte sexuelle sur un mineur en l’absence d’une pénétration sexuelle lorsque les faits sont commis par un membre de la famille proche, c’est-à-dire lorsqu’ils revêtent une qualification incestueuse.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux a porté la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende à trois ans d’emprisonnement et 40 000 euros d’amende.

  Modifications apportées par la Commission

La commission des Lois a adopté un amendement de Mme Alexandra Louis et du groupe La République en marche, avec un avis de sagesse de la rapporteure, fixant à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende la peine encourue pour tout acte sexuel autre qu’une pénétration commis par un majeur sur un mineur de plus de quinze ans dont il ne pouvait ignorer l’âge et qui appartient à sa famille. Le périmètre du cercle familial est identique à celui défini à l’article 3.

*

*     *

Chapitre III (nouveau)
Dispositions communes
 

Article 5 (nouveau)
(art. 2271410 [nouveau] du code pénal)
Provocation par un majeur d’un mineur de quinze ans à commettre un acte sexuel par voie numérique

Introduit par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 5 de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Alexandra Louis et du groupe La République en marche, adopté en dépit d’un avis défavorable de la rapporteure, dans une rédaction sous-amendée par M. Pacôme Rupin. Il réprime le fait, pour un majeur, de provoquer un mineur de quinze ans, par un moyen de communication électronique, à commettre un acte de nature sexuelle, que cet acte soit suivi ou non d’effet, ainsi que le fait d’user, par un moyen de communication électronique, de pressions, de violences, de menaces de violence ou de contraintes de toute nature afin qu’il réalise un acte de nature sexuelle, que cet acte soit suivi ou non d’effet. La peine encourue est de dix ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

*

*     *

Article 6 (nouveau]
(art. 92 du code de procédure pénale)
Modification des règles de prescription des infractions sur mineurs

Introduit par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 6 de la proposition de loi est issu de deux amendements identiques de M. Aurélien Pradié et de Mme Albane Gaillot, adoptés avec l’avis favorable de la rapporteure. Il modifie les règles de prescription applicables aux infractions de nature sexuelle et mettant en jeu la protection des mineurs énumérées à l’article 706‑47 du code de procédure pénale. Le délai de prescription d’un crime se trouve ainsi interrompu en cas de commission par leur auteur d’une des infractions mentionnées contre d’autres mineurs, de façon à permettre plus longtemps l’action publique à l’encontre de criminels en série.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a allongé le délai de prescription en matière de crime sexuel sur mineur, le portant à trente années à compter de la majorité de la victime.

*

*     *

Article 7 (nouveau)
(art. 70647 du code de procédure pénale)
Procédure pénale dérogatoire pour certaines infractions sur mineurs

Introduit par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 7 de la proposition de loi est issu d’un amendement de M. Aurélien Pradié adopté avec l’avis favorable de la rapporteure. Outre deux mesures de coordination, il prévoit l’inscription sur la liste des infractions sexuelles suivant une procédure pénale dérogatoire de l’incitation à commettre un crime ou un délit à l’encontre d’un mineur, délit prévu à l’article 227‑28‑3 du code pénal.

*

*     *

 


—  1  —

   Compte rendu des débats

Lors de ses deux réunions du mercredi 10 février 2021, la Commission examine la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721) (Mme Isabelle Santiago, rapporteure).

1.   Première réunion du mercredi 10 février (matin)

Lien vidéo : http://assnat.fr/RSxltI

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je suis ravie d’intervenir pour la première fois devant la commission des Lois, d’autant que c’est pour présenter un texte qui me tient particulièrement à cœur. Avant d’être élue députée, j’ai occupé durant dix ans la vice-présidence du département du Val-de-Marne en charge de la protection de l’enfance et de l’adolescence. J’ai aussi été membre du conseil national de la protection de l’enfance ; à ce titre, je concourais aux avis donnés sur les textes soumis au Parlement.

Eu égard à l’actualité – la Cour de cassation se réunit aujourd’hui sur l’affaire « Julie » –, je voudrais avoir une pensée pour toutes les victimes et leurs familles, ainsi que pour les associations qui attendent cette proposition de loi. Nous allons leur envoyer le message suivant : nous vous entendons. La loi va changer !

Notre Commission examine aujourd’hui la proposition de loi, déposée par le groupe Socialistes et apparentés, renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. Elle sera débattue dans l’hémicycle le 18 février prochain dans le cadre de la journée d’ordre du jour réservé que la Constitution accorde aux groupes minoritaires.

Je tiens à remercier les collègues de la commission des Lois, de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, ainsi que les professionnels auditionnés – experts, membres d’associations, pédopsychiatres, magistrats – pour le travail accompli dans la préparation de ce texte. Je veux aussi mentionner le soutien que m’ont apporté de nombreux parlementaires qui ont affiché leur volonté de légiférer, rapidement et dans un esprit de consensus, sur cette question des plus graves. Je me réjouis enfin des annonces effectuées hier soir par le Gouvernement ; elles apportent une réponse à un combat mené depuis longtemps par M. Adrien Taquet et moi au sein du conseil national de la protection de l’enfance.

Appréhender les besoins fondamentaux de l’enfant, c’est interroger une construction sociale, culturelle, clinique, juridique. Celle-ci s’inscrit dans une histoire, une temporalité et un contexte donnés. Les besoins communs et universels de l’enfant sont fondamentaux dans le sens où leur satisfaction permet la construction du sujet dans la plénitude de ses potentialités et de ses droits, et au service de son développement et de sa socialisation.

Aujourd’hui, la préservation de la santé, de la sécurité et de l’éducation ainsi que le respect des droits constituent les références théoriques et juridiques de la protection de l’enfance. En effet, si l’enfant est sujet de droit, il est aussi objet de protection du fait de sa minorité, de son statut de sujet en devenir et de sa vulnérabilité due à sa dépendance envers les adultes. Lesdits adultes sont chargés de sa protection et son éducation. En conséquence, il importe de garantir à tout mineur un environnement soucieux de son bien-être, favorable à son épanouissement aux fins de son autonomie et de son intégration sociale. C’est ce que dit la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. C’est ce que nous inscrivons dans les lois qui permettent de protéger les enfants.

La proposition de loi soumise à votre examen a été rédigée dès mon arrivée à l’Assemblée nationale, hors de toute agitation médiatique récente. Toutefois, on ne peut jamais faire fi du contexte. Du témoignage de Camille Kouchner au mot-dièse #MeTooIncest, il est devenu évident aux yeux de tous qu’il fallait agir, et vite. Je ne prétends pas vous présenter une solution miracle. Il ne s’agit que d’un premier pas. Ce texte a toutefois l’intérêt de répondre à plusieurs revendications formulées de longue date par les acteurs de la protection de l’enfance ; plusieurs, notamment des représentants d’associations, ont prêté la main à sa rédaction.

Les deux premiers articles de la proposition de loi créent dans le code pénal un délit et un crime spécifiques d’atteinte sur mineur perpétrée par un majeur, sans pénétration dans le premier cas et avec dans le second. Ils posent un seuil de non-consentement à la sexualité avec un majeur : l’âge de 15 ans. Ce seuil a recueilli un large consensus parmi les auditionnés, quoique le Sénat ait privilégié récemment l’âge de 13 ans – ce qui lui a d’ailleurs valu beaucoup de critiques.

Les articles 3 et 4 créent un délit et un crime spécifiques d’atteinte sexuelle sur mineur perpétrée par un majeur membre de la famille ou ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. Il s’agit de concrétiser dans le code pénal ce qu’on appelle couramment l’inceste.

La proposition de loi repose donc sur deux seuils d’âge : 15 ans pour un acte sexuel avec un majeur ; 18 ans pour l’inceste. L’objectif est de mieux protéger les enfants par un interdit clair, levant toute ambiguïté sur une question fondamentale : un mineur peut-il consentir à un acte sexuel avec un majeur, qui plus est avec un parent ? À cette question, nous pensons depuis longtemps qu’il faut répondre avec fermeté : non.

Ces dernières années, le Parlement a conduit plusieurs travaux de contrôle, qui ont montré que les violences sexuelles sur mineur demeuraient rarement réprimées par les juridictions pénales. Trop souvent, les victimes n’osent pas dénoncer ce qu’elles ont subi. Un Français sur dix déclare avoir été victime d’inceste, de violences sexuelles dans son enfance. On recense près de 300 000 victimes de viol chaque année. Le nombre de victimes de violences sexuelles, dont 60 % sont des enfants, est effarant. Pourtant, le nombre de condamnations pour viol est extrêmement modeste, de l’ordre d’un petit millier. C’est un choc pour beaucoup de l’apprendre.

Selon une enquête réalisée par l’Institut français d’opinion publique (IFOP) pour l’association Face à l’inceste, il y aurait plus de six millions de victimes potentielles, mais moins de 10 000 plaintes enregistrées par la justice. Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes évoque même une certaine impunité des agresseurs. Dans notre République, nous ne pouvons plus l’accepter. Ces violences qui viennent détruire la vie d’un enfant, le marquer à vie, touchent tous les milieux sociaux sur tout le territoire.

Il convient de saluer des avancées récentes. Je pense à la loi n° 2016‑297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, à laquelle j’ai eu l’honneur de contribuer et qui a fait apparaître le terme d’inceste dans le code pénal. Je pense aussi à la loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, qui a posé les jalons d’une présomption de vulnérabilité liée à l’âge de la victime. Ce sont des succès indéniables dont les artisans méritent respect et reconnaissance. Pour autant, il existe un consensus sur la nécessité d’aller plus loin.

L’examen de la présente proposition de loi survient deux ans et demi après l’entrée en vigueur de la loi du 3 août 2018. Si celle-ci a amélioré les dispositions pénales tendant à protéger les mineurs, elle n’a pas donné satisfaction à tous les acteurs de la protection de l’enfance. Beaucoup appellent de leurs vœux, depuis de longues années, la création d’une infraction nouvelle, afin qu’il ne soit plus nécessaire de s’interroger, au cours du procès pénal, sur l’éventuel consentement du mineur à un rapport sexuel avec un majeur. En effet, la distinction entre le consentement et le discernement du mineur de quinze ans est obscure. Poser un interdit clair permet d’écarter toute recherche du défaut de consentement et d’éviter d’instiller dans la tête de la victime ce refrain pernicieux selon lequel, en fin de compte, ce serait de sa faute.

La proposition de loi répond à cette attente en créant de nouvelles infractions de délit et crime sexuels sur mineur de quinze ans, lesquels seraient constitués pour tout fait de nature sexuelle commis par un majeur. La peine encourue serait de dix ans d’emprisonnement pour l’atteinte sexuelle sans pénétration et de vingt ans de réclusion criminelle pour l’atteinte sexuelle avec pénétration. À la différence du viol et de l’agression sexuelle, l’infraction serait constituée sans élément de violence, contrainte, menace ou surprise, dont la preuve est difficile à rapporter et qui place les victimes en situation de devoir prouver leur non-consentement.

Pour les actes incestueux, les mêmes dispositions sont reprises. Seule différence : si l’auteur présente un lien familial avec la victime, l’âge du consentement est fixé à 18 ans – la majorité légale. Ce seuil est préconisé par les associations nationales de la protection de l’enfance. Il est conforme à l’avis rendu en 2018 par le conseil national de la protection de l’enfance.

Je voudrais souligner que nous tenons compte des débats parlementaires survenus lors de l’examen de la loi du 3 août 2018. À l’époque, le Gouvernement avait envisagé modifier la définition du viol pour introduire une présomption de non-consentement du mineur de moins de quinze ans. Cette solution n’avait pas été retenue en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui n’admet que de manière très limitée la possibilité d’une présomption en droit pénal. La proposition de loi contourne cet obstacle en créant des infractions autonomes.

Je voudrais insister sur un aspect qui semble relever de la sémantique, mais dont les implications sont d’une grande importance. J’entends les demandes de certains d’entre vous pour introduire, dans la définition des infractions spécifiques commises par un adulte sur un mineur, le terme de « viol ». Ce mot a acquis une symbolique forte dans le combat féministe. Or, il désigne une infraction criminelle précisément définie à l’aide de ce que les juristes appellent des adminicules : la violence, la contrainte, la menace, la surprise. Cela fait plusieurs années que l’on ambitionne de mieux réprimer les violences sexuelles sur des enfants présumant ces adminicules ; à chaque fois, ces constructions juridiques se heurtent au risque d’inconstitutionnalité, au droit de la défense à contester tous les éléments de l’infraction.

C’est pourquoi, à l’instar de législations étrangères et comme le préconisent tant les experts et associations spécialisés que notre collègue Alexandra Louis – dont je salue la présence parmi nous – dans son rapport d’évaluation de la loi Schiappa remis le 4 décembre dernier, nous avons préféré définir les atteintes sexuelles par des adultes sur des mineurs hors de toute référence aux termes de viol et d’agression sexuelle. Nous créons des infractions autonomes. Cela nous semble garantir la sécurité juridique de notre proposition.

Enfin, nous avons eu le souci de construire un texte ferme, comportant un interdit clair, afin de limiter les interprétations et de le rendre efficace, y compris pour la communication auprès du grand public. Le fondement sociétal de cet interdit est la vulnérabilité de l’enfant et son corollaire, la responsabilité de l’adulte. L’élément central de ces infractions est l’âge de l’enfant, quelles que soient les circonstances de l’acte sexuel. Concernant les infractions incestueuses, elles sont liées au statut des auteurs et à la minorité de la victime.

Chers collègues, ma conviction profonde, issue d’un parcours de plus de dix ans dans la protection de l’enfance contre l’innommable – j’ai accueilli par centaines des adolescents, enfants, bébés qui, tous, étaient des victimes –, c’est que nous, parlementaires, pouvons agir et envoyer un message clair. Tel est le vœu que j’ai formé quand je suis arrivée à l’Assemblée nationale. Je suis fière, et même émue, d’être devant vous pour le concrétiser.

Pour les enfants qui sont chaque jour cinquante à être victimes de violences sexuelles, pour ceux que nous représentons alors qu’ils ne votent pas, pour ceux qui siégeront à notre place dans quelques années, nous pouvons et nous devons agir. Les avis du Conseil d’État et les décisions du Conseil constitutionnel sont des lignes directrices pour agir, pas des alibis pour nos renoncements.

Ce texte ne sera pas un brevet à brandir pour nous donner bonne conscience. C’est un pas ferme et décidé vers une législation qui protège les plus faibles, les plus fragiles : les enfants. Il faut que le message adressé soit clair : on ne touche pas à un mineur.

L’honneur de rapporter cette proposition de loi devant la commission des Lois s’ajoute à la fierté de l’avoir, avec d’autres, rédigé. Plus de cent amendements ont été déposés : j’espère que nos débats seront riches et que nous pourrons nous retrouver autour d’un texte consensuel.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant d’engager la discussion générale, je donne la parole aux auteurs du rapport d’information de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur la présente proposition de loi.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Les violences commises sur les mineurs sont à la fois un phénomène d’ampleur et un tabou.

C’est un phénomène d’ampleur. D’après les données de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales recueillies lors des enquêtes sur le cadre de vie et la sécurité en France, entre 2012 et 2017, 2,4 % de la population déclarait avoir été victime de violences sexuelles avant l’âge de 15 ans. Je précise qu’il ne s’agit que d’une estimation basse car ces données se fondent sur une dénonciation ou un dépôt de plainte. Il semble que les mineurs soient les plus représentés parmi les victimes de violences sexuelles. L’enquête sur les violences et rapports de genre (Virage) conduite par l’Institut national d’études démographiques est, de ce point de vue, édifiante : plus de 52 % des actes de viols déclarés par les femmes et 75 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant quinze ans. Ces violences sont commises majoritairement dans le cadre familial. Les auteurs sont principalement des hommes, cohabitant ou non avec l’enfant au moment des faits, et ayant agi seul la plupart du temps, en particulier les oncles et les beaux-pères. Elles concernent tous les milieux sociaux.

Ces violences sont encore un tabou. Les victimes sont peu nombreuses à entreprendre des démarches pour dénoncer ce qu’elles ont enduré parce qu’elles sont souvent convaincues de l’inefficacité ou de l’inutilité de l’action judiciaire. Les conséquences psychologiques et physiologiques sont pourtant dévastatrices. Nombreux sont les obstacles qui entravent la libération de la parole des victimes. La difficulté à comprendre la gravité des actes subis et l’emprise de l’agresseur placent l’enfant dans un conflit de loyauté. Comme l’a souligné M. Alain Legrand lors de son audition, les liens familiaux tendent à renforcer la confiance de l’enfant envers les personnes a priori protectrices.

Les précédentes réformes, notamment la loi du 3 août 2018, ont posé plusieurs jalons. Elles ont renforcé les peines de prison et les amendes applicables en cas d’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Elles ont lutté contre les crimes incestueux, terme introduit dans le code pénal par la loi précitée du 14 mars 2016, en les faisant tomber sous le coup de la loi, qu’ils soient commis sur un mineur ou sur un majeur.

Il nous semble nécessaire, notamment à la lumière d’affaires récentes, de compléter ces dispositions et d’améliorer un droit parfois difficile à appréhender : la distinction entre consentement et discernement du mineur de quinze ans est délicate. Un interdit clair permettrait d’écarter toute recherche du défaut de consentement. Tel est l’objet de la démarche de notre collègue Isabelle Santiago, membre de la Délégation et dont je salue l’engagement sur le sujet.

M. Erwan Balanant. La Délégation se réjouit du message envoyé par ce texte, qui pose l’interdit clair et absolu de relations sexuelles avec un mineur. Le seuil d’âge retenu, fixé à quinze ans, va au-delà de celui initialement proposé par la Délégation – il était de treize ans. Toutefois, nous considérons désormais, suite à la maturation sociale du sujet, que ce seuil est le bon. Nous saluons aussi le choix de traiter l’inceste comme une infraction distincte et non plus comme une circonstance aggravante.

En revanche – vous y avez fait allusion, madame la rapporteure –, il nous semble nécessaire de nommer plus clairement les crimes et délits que vous définissez. Il faudrait créer deux branches – l’une pour les moins de 15 ans, l’autre pour les plus de 15 ans – et nommer les choses comme elles sont : d’un côté un viol sur mineur, de l’autre côté un viol. Il me semble important de le faire, ne serait-ce que parce qu’un interdit doit être nommé.

Il est dommage que nous n’ayons pas plus de temps pour nous exprimer, madame la présidente. La Délégation mène depuis longtemps des travaux approfondis sur le sujet. Mais j’y reviendrai à l’occasion de l’examen des amendements.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La parole est aux orateurs des groupes.

Mme Alexandra Louis. Chers collègues, nous abordons un sujet grave, sociétal, qui nous concerne toutes et tous. Je m’abstiendrai de citer des chiffres et d’énoncer des généralités. D’abord, ils ont déjà été rappelés. Ensuite et surtout, nous avons tous, dans nos mandats et nos vies professionnelles ou personnelles, eu à connaître de ce douloureux sujet. Il me semble indispensable de garder à l’esprit que, derrière la froideur des chiffres, il existe une multitude de vécus différents. Chaque histoire est singulière, chaque victime est unique, aucune souffrance ne ressemble à une autre.

En 2018, nous avons adopté à l’unanimité un texte qui a, de l’avis général, considérablement amélioré la protection des victimes. J’ai été chargée d’une mission d’évaluation qui m’a amenée à étudier six mois l’application de cette loi du 3 août 2018. J’ai organisé plus d’une centaine d’entretiens avec des policiers, des soignants, des magistrats, des avocats, des associations, des travailleurs sociaux, des enseignants, des universitaires… Je dois dire qu’à mes yeux, leur travail a plus de valeur que n’importe quel texte que nous pourrions voter. Au terme de ma mission, j’ai remis au Gouvernement un rapport comprenant soixante-dix-sept propositions dont la majeure partie concerne la prévention et l’accompagnement des victimes. Pour moi, l’enjeu est là. Toutefois, j’ai aussi souligné la nécessité d’une réforme pénale d’ampleur s’agissant des violences sexuelles commises sur les mineurs et de l’inceste.

Avant de m’exprimer sur le fond de la proposition de loi, je tiens à souligner la complexité du sujet. Cela doit nous amener à travailler avec autant de prudence que de détermination. C’est parce que le sujet est complexe que nos prédécesseurs n’ont pas réussi à aller aussi loin qu’ils le souhaitaient. Toutefois, leur travail n’a pas été vain car il a préparé le terrain ; sans eux, nous n’en serions tout simplement pas là.

Je crois que notre société est désormais prête à un véritable changement. Dans un souci d’objectivité, je vous ferai néanmoins part d’un constat issu de mon rapport d’évaluation : d’aucuns doutent de l’opportunité de reprendre la plume sur un sujet si sensible. Ils considèrent que le droit positif, issu de la loi du 3 août 2018, est suffisant. Si j’entends ces arguments, il importe de souligner que le rôle de la loi pénale ne se limite pas à la répression ; elle a aussi une fonction expressive, qui consiste à fixer des règles claires et comprises par tous. Or, en la matière, la complexité de l’arsenal juridique relatif aux infractions sexuelles sur mineur suscite une incompréhension chez nos concitoyens. Nous ne pouvons l’ignorer.

Surtout, il est temps de changer de paradigme pour accorder aux mineurs de moins de quinze ans une protection pénale spécifique – car oui, la vocation du droit pénal est aussi de protéger. Ce sera un bouleversement législatif, mais je le crois nécessaire pour accompagner le mouvement de libération de la parole. Gisèle Halimi le soulignait : « nos lois […], dans notre culture, provoquent au changement des mentalités, avant de changer elles-mêmes ». Le rôle de la loi est d’engager des changements sociétaux ; le Gouvernement a fait des annonces en ce sens hier.

Sur un sujet aussi grave, nous n’avons pas le droit à l’erreur, Nous suivons une ligne de crête. Nous en éloigner ferait courir aux victimes un grand risque : une censure du Conseil constitutionnel impacterait de nombreuses procédures. Il est indispensable d’éviter la tragédie du harcèlement sexuel, délit invalidé en son temps. C’est avec détermination, mais prudence que nous devons avancer : je suis convaincue qu’il existe une possibilité de modifier la loi dans le respect de notre Constitution.

Je regrette toutefois l’empressement avec lequel la présente proposition de loi a été inscrite à l’ordre du jour par le groupe Socialistes et apparentés, alors que le Sénat a amorcé un travail intéressant sur le sujet à l’initiative de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Quoique le groupe La République en marche ne partage pas le choix de nos collègues sénateurs de retenir l’âge de treize ans plutôt que celui de quinze ans, il eût été judicieux d’unir nos forces et de travailler sur le texte sénatorial. En outre, des concertations sont menées en ce moment par le Gouvernement.

Le texte que nous examinons peut néanmoins apporter sa pierre à l’édifice. S’il part de bonnes intentions, il soulève quelques difficultés constitutionnelles et il est incomplet. C’est pourquoi je proposerai, par voie d’amendement, de modifier certaines rédactions – sur ces questions, notre Commission a toujours travaillé dans un esprit constructif. Je propose d’intégrer dans le code pénal une nouvelle section dédiée aux infractions sexuelles sur mineur, qui incluraient un délit et un crime autonomes, avec un seuil d’âge fixé à quinze ans. Il faudrait aussi prévoir des exceptions pour protéger les couples que nos collègues sénateurs appellent « Roméo et Juliette », c’est-à-dire des couples d’adolescents au faible écart d’âge. Enfin, je souhaite créer un délit de « sextorsion » afin de protéger les mineurs exposés aux violences sexuelles en ligne ; ce phénomène est en train d’exploser.

Pour conclure, la volonté du groupe LaREM est de poser, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, les bases d’un travail de fond. Il votera donc en faveur de certains amendements dans le but d’engager une discussion appelée à nourrir nos travaux durant les prochains jours et semaines, sans que cela puisse être interprété comme un blanc-seing.

M. Raphaël Schellenberger. Le groupe Les Républicains est favorable à la proposition de loi dans son ensemble. Néanmoins, je tiens à souligner qu’il n’a pas attendu l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de notre assemblée pour se saisir de la question. Il n’a pas attendu que l’actualité impose la nécessité de l’action politique ou que le Gouvernement se saisisse d’une niche parlementaire de l’opposition pour évoquer concrètement la nécessité d’une évolution législative. Nous avions déjà émis des propositions lors de l’examen du projet de loi présenté par Mme Marlène Schiappa. Mon collègue Aurélien Pradié a accompli un travail très important sur le sujet. Le Sénat, cela a été rappelé, a adopté il y a quelques jours une proposition de loi visant à lutter contre ce fléau.

Le droit actuel doit évoluer car il peut conduire à des situations choquantes. À Pontoise, en septembre 2017, le parquet avait dans un premier temps décidé de ne pas retenir la qualification de viol alors qu’une fillette de douze ans avait effectué une fellation à un adulte de vingt-huit ans. En novembre 2017, un homme accusé d’avoir violé une fillette de onze ans a été acquitté par la cour d’assises de Seine-et-Marne. Ce texte vient clarifier les choses et rappeler que la loi pénale est d’interprétation stricte. Pour que les victimes puissent être respectées, il faut que nous accomplissions un travail de législateur précis en posant un interdit : il ne peut y avoir de relations sexuelles, quelles qu’elles soient, entre un majeur et un mineur de quinze ans. Cet interdit doit être énoncé le plus clairement possible. Tel est l’objet de ce texte et c’est pourquoi le groupe LR le soutiendra.

Nous présenterons quelques amendements parce qu’il faut impérativement éviter, comme l’a souligné Mme Louis, tout risque constitutionnel. Le travail que vous avez engagé, madame la rapporteure, notre Commission se doit de l’approfondir. Le pire serait de susciter une forme d’espoir déçu par une censure constitutionnelle, surtout si celle-ci survient à un moment inopportun. Imaginez une saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité : ce serait un terrible constat d’échec pour le législateur.

Par conséquent, nos amendements visent à intégrer dans le présent texte des avancées déjà adoptées par le Sénat, ainsi qu’à formuler des propositions concernant la question de la prescription, laquelle se trouve souvent au cœur d’affaires qui éclatent longtemps après les faits, quand un de ceux qui savaient change de position. Nous avons aussi déposé des sous-amendements sur des amendements du groupe La République en marche afin que les rapports bucco-génitaux soient assimilés à une pénétration sexuelle.

Ce texte doit aller jusqu’au bout de la navette parlementaire. Il serait inacceptable que nous n’arrivions pas à faire en sorte qu’il soit promulgué.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Mon père me racontait que, enfant de chœur, il ne devait jamais rester seul avec le curé. Ma mère, quant à elle, m’a dit et répété de ne pas accepter de bonbon de la part d’inconnus. Pour l’enfant que j’étais, ces messages paraissaient assez énigmatiques.

Ce que montrent la proposition de loi soumise à notre examen, celle adoptée dernièrement par le Sénat et les lois de 2016 et 2018, c’est qu’il faut aller plus loin en matière de protection des mineurs. Hier soir, le Gouvernement s’est déclaré favorable à ce que tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans constitue automatiquement un crime, sans que l’on s’interroge sur le consentement de la victime. Si la loi du 3 août 2018 a permis de renforcer la protection des mineurs, des progrès restent à faire pour dissuader et pénaliser ce type de comportement, assurer l’égalité de traitement des victimes et leur permettre de se reconstruire. Il est indispensable de supprimer la notion de contrainte exercée par l’agresseur. Le nouveau mécanisme juridique dit de prescription glissante que le Gouvernement souhaite instaurer nous semble une bonne mesure, tout comme l’introduction d’une exception au cas où les deux protagonistes auraient moins de cinq ans de différence d’âge, afin de ne pas criminaliser une relation adolescente consentie qui se poursuivrait après la majorité du plus âgé. Il est en outre essentiel de renforcer la répression de l’inceste.

Nous devons dire clairement et avec force aux adultes qu’il est interdit d’avoir des relations sexuelles avec des enfants, en posant un interdit absolu. Il faut répéter aux enfants que leur corps leur appartient, qu’un adulte n’a pas à les toucher, que certaines parties de leur corps sont intimes, qu’ils ont le droit de dire non à un adulte. Il faut poser l’interdit de l’inceste, à la maison comme à l’école. Il faut en finir avec ce tabou.

À l’occasion de vos contacts avec les forces de police, vous avez dû être informés, chers collègues, que durant la période de confinement, les violences à l’encontre des enfants ont fortement augmenté à la fois en gravité et en quantité. Il y a urgence. Toute occasion de débattre de ces questions doit être saisie.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés suivra attentivement l’examen de ce texte et il souhaite que l’on avance en cette matière.

Mme Cécile Untermaier. Bien évidemment, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra la proposition de loi. Je voulais saluer le travail de la rapporteure qui est très impliquée dans la protection des enfants et qui travaille sur ce dossier avec ferveur, conviction et compétence.

Les violences sexuelles subies par les enfants sont un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur tout en restant tabou. Nous devons agir avec beaucoup d’émotion, de sensibilité et de respect pour ces enfants qui sont aussi les nôtres. La situation actuelle impose une réponse ferme : on ne touche pas un mineur quand on est un adulte ; si on le fait, la condamnation pénale tombera de manière stricte. Cela suffira-t-il ? Probablement pas, mais le dialogue que nous engageons est en lui-même important. Il est essentiel de travailler en ce sens dans la sphère de la formation et de l’éducation, ainsi qu’au sein des familles.

Le seuil de quinze ans me semble largement admis et je remercie la rapporteure de l’avoir inscrit dans le texte. Le choix de traiter l’inceste comme une infraction distincte est essentiel. Nous nous rangeons aussi à votre analyse concernant la prescription, qui coïncide avec celle que nous avions faite lors du précédent quinquennat. Quant au risque constitutionnel, je nous invite à une certaine forme de prudence : nous ne travaillons pas sous le couvercle du Conseil constitutionnel ; nous devons aussi, me semble-t-il, faire état des évolutions de la société. Nous avons l’obligation, non de nous affranchir de la Constitution, mais de lui donner son sens.

M. Dimitri Houbron. Merci, madame la rapporteure, pour cette proposition de loi qui a le mérite d’engager le débat dans notre Commission alors même que l’actualité nous rattrape. Permettez-moi de vous soumettre quelques données qui souligneront, si cela était nécessaire, l’impérieuse nécessité de légiférer et d’apporter des solutions. Plusieurs études montrent que les mineurs représentent la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles : 40 % des viols et tentatives de viols déclarés concernent des enfants de moins de 15 ans ; 27 % de ces crimes touchent des enfants de moins de 10 ans ; on estime qu’un enfant est violé toutes les heures en France. Neuf fois sur dix, le prédateur sexuel est un proche, un membre de la famille, une personne de confiance. Ces chiffres effroyables sont en deçà de la réalité ; ils témoignent de l’ampleur du phénomène et nous imposent d’agir pour protéger les mineurs.

De la publication en 1986 du témoignage d’Éva Thomas dans Le viol du silence jusqu’aux travaux de la psychiatre Muriel Salmona, les effets de l’inceste et des violences sexuelles sur les mineurs sont largement documentés. Le secrétaire d’État en charge de l’enfance et des familles, M. Adrien Taquet, estime le coût individuel de ces sévices insoupçonnable. Ils ont aussi un coût collectif : les violences sexuelles dans l’enfance sont le premier facteur de tentatives de suicide, dépressions, troubles du comportement alimentaire, maladie chronique à l’âge adulte. Ces enfants volés deviennent des adultes désaxés.

Comme la sénatrice Annick Billon le soulignait le mois dernier, l’évolution des consciences n’a pas été suivie d’une évolution du droit. Notre loi pénale ne protège pas suffisamment les enfants contre les prédateurs sexuels. Aujourd’hui, pour caractériser une agression sexuelle ou un viol, il faut pouvoir démontrer la contrainte, la menace, la violence ou la surprise : cela revient à faire porter au juge ou au juré une appréciation sur le comportement de la victime, à poser inévitablement la question de son consentement. Or, la notion de consentement, déjà complexe lorsque la victime est adulte, n’a tout simplement pas sa place lorsqu’elle est particulièrement jeune. Dans Le consentement, Mme Vanessa Springora expose bien l’enjeu de cette question : il ne s’agit pas de savoir si l’enfant mineur a cru être amoureux ou s’il a été ou non contraint à avoir des relations sexuelles ; le problème vient entièrement de l’auteur qui, quel que soit le comportement d’un mineur, n’a pas à le considérer comme son égal. Il y va de la responsabilité des adultes. Un enfant ne peut jamais être consentant à un rapport sexuel avec un majeur pour la simple et bonne raison que c’est un enfant. La création rapide d’une infraction autonome avec, pour élément constitutif, l’âge de la victime serait un apport indispensable à notre arsenal juridique.

À titre personnel, il me semble que, pour le seuil de non-consentement, l’âge de treize ans serait plus adapté. D’abord, notre droit reconnaît déjà ce seuil, notamment pour la présomption simple de non-discernement pour les mineurs délinquants. Ensuite, cela permettrait d’éviter de criminaliser des relations entre de très jeunes majeurs et des mineurs de quatorze ou quinze ans. Je précise que cette position m’est propre et qu’elle ne représente pas l’intégralité des membres de mon groupe.

Si le groupe Agir ensemble salue la volonté qui sous-tend ce texte, celui-ci ne nous paraît malheureusement pas satisfaisant en l’état, pour des raisons ayant trait à la fois au fond et à la forme.

Sur la forme, nous en revenons à l’éternel problème du manque de temps accordé à la préparation et à la discussion des propositions de loi présentées dans le cadre des niches parlementaires. Un tel sujet mériterait une vraie place dans l’agenda de l’Assemblée nationale.

Sur le fond, le texte élude certaines questions comme la prescription, la formation des instituteurs et enseignants pour qu’ils puissent mieux détecter les enfants victimes d’abus ou encore le durcissement de la procédure pénale applicable au délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. En outre, je note que la proposition de loi conduirait à ne plus aggraver la peine en cas d’atteinte sexuelle sur mineur dans un cadre incestueux : les articles 1er et 4 punissent en effet de dix ans d’emprisonnement toute atteinte sexuelle sur un mineur, qu’elle soit commise par un ascendant ou non. Il me paraît important de maintenir une gradation du quantum de la peine encourue.

Soucieux néanmoins de m’inscrire dans une démarche constructive, j’ai déposé deux amendements visant à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation de crimes ou de délits commis sur des mineurs. La responsabilité de ceux qui savent et ne parlent pas est immense, car les enfants parlent rarement.

Il faut envoyer sur le sujet ce message fort : nous travaillons sérieusement sur le fond et nous luttons avec la plus grande fermeté contre les « aigles noirs » chantés par Barbara en 1970.

Mme Sophie Auconie. Je m’associe à tout ce qui a été dit sur cette initiative. Ce sujet, essentiel, est transpartisan. Je ne cache pas ma satisfaction de le voir enfin abordé à la hauteur des enjeux car nous avons laissé passer beaucoup trop d’occasions de nous en saisir. Je pense bien entendu à la discussion de la loi du 3 août 2018 : la proposition de créer des infractions autonomes avait déjà été avancée à l’époque, mais elle avait été rejetée sans appel. Aujourd’hui, ce sont nos enfants qui paient les lacunes de cette loi, notamment du fait de la conjoncture sanitaire et de la multiplication des huis clos à l’occasion des confinements.

S’agissant de l’infraction de viol, comme il est toujours difficile de prouver le non-consentement, on a assisté à des affaires horrifiantes. Il faut se saisir de la question de manière collective et décidée. Comme l’ont souligné Mme Alexandra Louis et M. Dimitri Houbron, le Sénat a déjà fait un bout du chemin : la proposition de loi d’Annick Billon, présidente de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, est un travail de qualité. Nous estimons qu’il était possible de travailler sur cette base dans le cadre de la navette parlementaire.

Cela étant dit, notre objectif commun est de créer des infractions posant des interdits clairs et permettant de surmonter les difficultés liées à la nécessité de réunir les éléments constitutifs du viol, en particulier l’absence de consentement. La création d’infractions autonomes permettra d’éviter cet écueil. Un acte de pénétration réalisé par un majeur sur un mineur de quinze ans doit être interdit, sans qu’il soit fait référence à une quelconque possibilité de consentement. L’inceste doit également trouver sa place au sein du code pénal en tant qu’interdit fondamental.

Nous aurons plusieurs points importants à discuter dans nos travaux, en particulier la prescription et l’amnésie traumatique mise en évidence par Mme Muriel Salmona. Il convient de prendre en considération les spécificités liées à ce type d’infractions : nous ne pouvons continuer à accepter que certains viols ou agressions sexuelles sur mineurs restent impunis. Il faut trouver un terrain d’entente ; à défaut, les nouveautés juridiques seraient inopérantes.

Vous l’aurez compris : le groupe UDI et Indépendants soutient, depuis longtemps, les objectifs de cette proposition de loi. Il faut en améliorer la rédaction mais nous souhaitons aboutir rapidement à l’adoption d’un texte. Si la loi peut parfois sembler bavarde et le droit chercher à s’emparer du moindre détail de notre vie, en l’occurrence, il n’en est rien : nous avons l’occasion d’introduire dans notre ordre juridique un élément dont nous avons grandement besoin. Il s’agit d’un choix de société, d’un combat qui doit aboutir. Pour cela, je vous remercie, madame la rapporteure.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. La suite de la discussion de la proposition de loi aura lieu cet après-midi, à partir de quatorze heures trente.

2.   Deuxième réunion du mercredi 10 février (après-midi)

Lien vidéo : http://assnat.fr/CuH385

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, nous reprenons la discussion générale sur la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles.

Mme Danièle Obono. Hasard du calendrier, au moment où nous discutons de ce texte important, la Cour de cassation doit se prononcer sur la demande de requalification en viol de faits commis par vingt pompiers sur une adolescente entre ses treize et quinze ans. L’histoire de cette enfant, surnommée Julie, de ce qu’elle aurait subi de la part de ces hommes mais aussi des différentes institutions auprès desquelles elle est allée demander justice, n’est ni un cas isolé ni un fait divers. Rappelons-le : une femme sur six, un homme sur vingt déclare avoir subi un viol ou une tentative de viol au cours de sa vie, une personne sur dix affirme avoir été victime d’inceste. Seules 10 % des victimes portent plainte et 1 % seulement des viols font l’objet d’une condamnation. Les correctionnalisations sont nombreuses. Pour quatre personnes sur dix, aujourd’hui encore, la responsabilité du violeur est atténuée si l’attitude de la victime a été provocante ou si elle a flirté.

L’ensemble des histoires que les victimes de violences sexuelles, pour la plupart encore enfants à l’époque des faits, partagent sur les réseaux sociaux au moyen des mots-dièses #MeToo, #MeTooGay, #MeTooInceste ou #Iwas Corsica, témoignent du caractère massif, systémique, de ces violences, ainsi que des défaillances, voire des résistances institutionnelles à reconnaître les faits et à déconstruire les mécanismes et les rapports de domination qui nourrissent ces violences.

Près de deux ans et demi après l’occasion manquée de la loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, cette proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés permet de reprendre le fil d’une discussion parlementaire arrêtée au milieu du gué. Elle est donc extrêmement bienvenue. Tout en saluant l’initiative de la rapporteure Isabelle Santiago, je rends hommage aux associations qui portent ce combat depuis des décennies.

C’est à l’article 2 que l’on trouve l’apport principal de ce texte puisqu’il crée une nouvelle infraction criminelle pour tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de 15 ans. Dès 2017, Mme Clémentine Autain avait appelé l’attention du Gouvernement, au nom de notre groupe, sur la nécessité de clarifier le droit en instaurant un seuil de présomption de non-consentement à 15 ans. Lors de l’examen de la loi Schiappa, en 2018, notre groupe, parfois avec le soutien de certains députés de la majorité, avait présenté des amendements en ce sens. Puis, nous avions déposé en 2019 une proposition de loi visant à lutter contre les violences sexuelles à l’égard des enfants, cosignée par des députés de plusieurs groupes, pour renverser la charge de la preuve en prévoyant une présomption simple de la contrainte quand la victime d’une agression sexuelle est un mineur de treize ans. Cette mesure semblait être, alors, le minimum sur lequel pouvaient s’entendre tous les députés. Ce seuil, de notre point de vue, pouvait être porté à quinze ans.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui va plus loin en opérant un changement majeur : désormais, la question du consentement de l’enfant victime serait évacuée. C’est heureux et je suis favorable à cette avancée. Je m’interroge cependant à propos du quantum des peines et de leur échelle. En effet, l’article 1er punit de dix ans d’emprisonnement le fait, pour un majeur, de commettre sur un mineur de quinze ans une atteinte sexuelle, tandis que l’article 2 prévoit vingt ans de réclusion criminelle lorsque cette atteinte comporte une pénétration. Ces dispositions feraient disparaître la circonstance aggravante d’inceste puisque l’atteinte sexuelle incestueuse est punie de dix ans d’emprisonnement par l’article 227-26 du code pénal et le viol incestueux de vingt ans de réclusion criminelle par l’article 222-24 du même code. Le viol d’un mineur de 15 ans serait puni de la même peine, incestueux ou non. Il faudra y réfléchir pour améliorer le texte.

Le débat nous permettra de mettre en avant certaines lacunes du texte. Ainsi, les peines ont beau avoir été durcies, elles ne semblent pas encore suffisamment dissuasives. Il nous semble fondamental d’intervenir avant même la commission de l’infraction en renforçant la prévention et la formation de l’ensemble des professionnels de l’éducation, de la santé, du médico-social, de la police, de la justice, pour améliorer l’accueil, l’écoute, l’alerte, la prévention des violences. Nous devons construire une véritable culture du consentement. Nous avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements visant à mieux définir la notion de consentement.

Cette proposition de loi est une avancée. Nous espérons qu’elle sera, non pas un aboutissement, mais le point de départ d’un débat qui s’étende dans l’ensemble de notre société pour que cessent les violences sexuelles, en particulier contre les enfants.

M. Stéphane Peu. Je salue ce texte et l’occasion qui nous est offerte de débattre de ce sujet. Je remercie la rapporteure, qui a ce combat chevillé au corps et au cœur depuis bien longtemps puisqu’elle a été, durant dix ans, vice-présidente du conseil départemental du Val-de-Marne chargée de la prévention et de la protection de l’enfance et de l’adolescence. Le hasard du calendrier fait qu’une lumière particulière est jetée sur ce texte, mais sa préparation a commencé bien avant que l’actualité ne braque ses projecteurs. Il n’en est que plus légitime.

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra évidemment cette proposition de loi qui vise à élever la France au rang des pays les plus protecteurs de l’enfance. Nous ne serons plus à la traîne du fait de règles juridiques bien en deçà de celles en vigueur dans les autres pays. C’est une bonne chose.

Ce texte s’articule autour de deux piliers. Tout d’abord, il instaure un interdit clair et déterminant : un mineur de quinze ans n’est pas capable de consentir à des relations sexuelles avec un majeur. La barrière sera dorénavant claire et la victime n’aura plus à prouver l’absence de consentement. Le consentement est une notion subjective, dont l’appréciation diffère d’un juge à l’autre, comme le révèle la lecture de l’exposé des motifs qui montre qu’à l’issue de certains jugements, des viols sur des enfants de onze ans ont pu être requalifiés en atteintes sexuelles. Ensuite, l’inceste devient un acte répréhensible à part entière et non plus seulement une circonstance aggravante.

Comme Mme Danièle Obono, je souhaite que ce débat permette d’aborder des sujets qui dépassent les limites de ce texte. Je me suis rendu, avec Mme Alexandra Louis, à l’audience de rentrée du tribunal judiciaire de Bobigny, qui a mis l’accent sur un phénomène en développement : la prostitution des mineurs. Les dispositions de ce texte relatives aux mineurs de quinze ans permettront sans doute de lutter plus efficacement contre ce fléau. J’espère également que les débats permettront d’alerter le ministère de l’éducation nationale sur le manque d’infirmiers et de médecins scolaires dans les collèges. Dans mon département, qui n’est sans doute pas le seul, il n’est pas rare qu’un collégien traverse tout le secondaire sans rencontrer un seul médecin ou infirmier scolaire, alors qu’il a atteint l’âge de la puberté et que son corps se transforme. Malheureusement, les postes n’existent pas ou ne sont pas pourvus. Bref, cette proposition de loi peut être l’occasion d’ouvrir de nombreux débats.

Je souhaite que l’ensemble des groupes, à commencer par le groupe majoritaire, s’approprient cette proposition de loi pour aboutir à un consensus autour d’un texte de l’opposition et non pas, comme souvent, de l’exécutif. Le rôle du Parlement en serait renforcé. Espérons que ce texte franchisse les étapes du processus législatif. Depuis que je suis député, une seule proposition de loi émanant de l’opposition a été adoptée : celle, déposée par le député du groupe Les Républicains Aurélien Pradié, visant à agir contre les violences au sein de la famille. Puisse le texte de Mme Santiago être le deuxième !

M. Jean-Félix Acquaviva. Je remercie la rapporteure pour son travail et le groupe Socialistes et apparentés pour avoir inscrit à l’ordre du jour cette question ô combien importante. La proposition de loi va dans le bon sens et nous en partageons les objectifs. Les violences sexuelles commises sur les mineurs, notamment incestueuses, sont nombreuses, beaucoup trop si l’on en croit l’enquête Ipsos réalisée en novembre dernier qui révèle que 10 % de la population française aurait été victime d’inceste. C’est effarant. Chaque nouveau témoignage d’enfant abusé par des adultes nous glace et nous révolte. La libération de la parole est salutaire si elle permet de ne plus craindre de parler de viol ou d’inceste et de porter de tels faits à la connaissance de la justice. La population attend du législateur une réponse appropriée. Plusieurs voix s’élèvent, émanant d’associations de victimes, de juristes, d’avocats, pour que les victimes soient mieux protégées. Le groupe Libertés et territoires s’associe à cette démarche visant à construire avec clairvoyance la meilleure protection possible, dans notre droit pénal, des mineurs victimes de violences sexuelles.

Si la nécessité de modifier la loi fait consensus, comment parvenir à un dispositif juridique clair, fort et équilibré ? Plusieurs propositions sont sur la table et nous devons agir vite. Il y a la vôtre, madame la rapporteure, que nous saluons. La sénatrice Annick Billon a, de son côté, déposé une proposition de loi, que le Sénat a adoptée à l’unanimité, pour fixer à treize ans l’âge au-dessous duquel l’absence de consentement est présumée. Notre collègue Alexandra Louis, rapporteure de la loi Schiappa en 2018, travaille elle aussi sur la question. Enfin, le garde des Sceaux a annoncé hier qu’il souhaitait retenir un seuil d’âge de quinze ans, en introduisant un écart d’âge supérieur à cinq ans entre le mineur et le mis en cause ainsi qu’une prescription glissante pour les accusés.

L’instauration d’un âge en deçà duquel le non-consentement est présumé permettra de mieux protéger les victimes. En 2018, le Gouvernement avait envisagé faire figurer dans le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes une présomption irréfragable de non-consentement, permettant de considérer comme un viol toute pénétration commise par un adulte sur un mineur de quinze ans, avant d’y renoncer, après un avis du Conseil d’État qui soulevait un risque d’inconstitutionnalité fondé sur la présomption d’innocence et les droits de la défense. À titre personnel, je soutiendrai l’instauration d’un seuil d’âge au-dessous duquel tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur sera qualifié de viol. C’est à la défense de prouver le discernement du mineur.

Cela étant, le garde des Sceaux a raison, il faut aussi pouvoir tenir compte de situations particulières. Un jeune homme de 17 ans qui noue une relation consentie avec une jeune fille de 14 ans et demi ne doit pas devenir un criminel le jour de ses 18 ans. Nous devons être vigilants et réfléchir aux conséquences de chacune de nos propositions pour retenir celle qui sera la plus adaptée. La version définitive du texte, quel que soit son initiateur, devra être bien solide pour ne pas retarder la réforme de notre droit.

Bien évidemment, notre groupe ne s’opposera pas à ce texte qui traite d’une question de société importante et vise à renforcer la protection des victimes.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous en venons aux prises de parole individuelles.

M. Didier Paris. Je suis extrêmement favorable à ce que des discussions s’engagent sur le sujet, quel que soit le groupe à l’initiative. C’est un débat auquel nous ne pouvons pas échapper. J’exprimerai cependant deux regrets et quelques doutes.

Je regrette d’abord que cette proposition de loi arrive à l’ordre du jour alors que d’autres réflexions ont été engagées. Je pense, en particulier, à la commission sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, coprésidée par le juge Édouard Durand. D’autres propositions encore sont en cours. Bien sûr, on arrive toujours trop tard pour des sujets de cette importance mais, en l’espèce, peut-être sommes-nous, non pas à contretemps, mais légèrement en avance par rapport à une réflexion qui devrait aboutir à des résultats rapides.

Je regrette ensuite que l’on aborde le sujet uniquement sous l’angle pénal. En effet, il ne se pose pas qu’en ces termes. La question du secret professionnel, par exemple, est laissée de côté, alors qu’elle est extrêmement prégnante dans ces affaires. Rien n’est dit de la manière dont nous pourrions libérer encore davantage la parole. Les mesures prévues dans le texte sont importantes mais elles ne suffiront pas à résoudre toutes les difficultés que nous rencontrons, y compris au niveau départemental.

Venons-en à mes doutes. Aujourd’hui, l’âge de quinze ans est un élément constitutif du délit d’atteinte sexuelle mais il n’est qu’une circonstance aggravante du viol et de l’agression sexuelle. Il y a là, en effet, un hiatus auquel réfléchir. Il me semble que la loi du 3 août 2018 a amélioré la situation, en précisant la définition de la contrainte qui peut découler d’une différence d’âge significative entre la victime et l’auteur des faits. C’est déjà, à mon avis, une avancée forte même si, hélas, nous ne disposons d’aucune étude qui atteste de son bien-fondé ou non. On n’arrête pas de voter des lois sans savoir ce que les précédentes ont donné. Si le problème est général, il prend, en l’espèce, une acuité particulière.

Réfléchissons une seconde. Est-on nécessairement une victime à quinze ans ? Un adolescent de quatorze ans et demi ou de quinze ans est-il vraiment incapable d’être responsable de son corps ? Personnellement, je n’en suis pas persuadé. D’ailleurs, la responsabilité pénale est fixée à treize ans et non à quinze, ce qui veut bien dire que, même si des excuses de minorité sont prévues, on peut être pénalement responsable à cet âge-là. Je me souviens même que nous avons débattu dans cette enceinte de l’abaissement de l’âge de la majorité à seize ans. Est-ce à dire qu’à seize ans, on pourrait être jugé pleinement responsable civilement, mais qu’à quinze ans, on n’aurait aucune responsabilité sur son corps ? Ce texte supprimerait toute gradation au profit d’un effet couperet – étant précisé que l’âge doit être connu de l’auteur des faits, sinon l’élément moral ne serait pas constitué. Écoutons aussi la parole des adolescents ; le planning familial lui-même s’inquiète des conséquences en matière de contraception.

Pour conclure, je pense que la décision prise par le Sénat mérite réflexion. Ne nous précipitons pas vers la mesure couperet introduite par cette proposition de loi.

M. Pacôme Rupin. Si je soutiens totalement la proposition de loi, M. Didier Paris a raison : nous devons rester vigilants. Les relations consenties entre un jeune majeur et un adolescent existent. Nous devons en tenir compte afin qu’un jeune ne se retrouve pas, le jour de sa majorité, coupable des infractions que nous pourrions créer. Prévoir un écart d’âge de cinq ans est une piste intéressante mais il peut y en avoir d’autres, que nos débats permettront d’éclairer. La question qui nous occupe est de celles sur lesquelles nous devons tomber d’accord si nous voulons toutes les chances d’éviter la censure du Conseil constitutionnel.

Mme Sophie Auconie. À entendre les députés du groupe majoritaire, je pressens ce qu’il adviendra de ce texte et je le regrette. Rappelons simplement qu’en novembre 2017, le Président de la République avait fait de ce sujet l’une des grandes causes du quinquennat. Novembre 2017 ! Depuis, il y a d’abord eu la loi du 3 août 2018 – sur laquelle certains amendements allant dans le sens de ce que nous appelons de nos vœux aujourd’hui avaient été déposés mais rejetés sans appel –, puis la loi du 29 décembre 2019, la loi du 30 juillet 2020, la proposition de loi Billon et aujourd’hui celle de Mme Isabelle Santiago. Cessons de tergiverser ! Le sujet est majeur. Nous devons protéger les victimes, les enfants. Que diable n’avez-vous déposé des amendements pour enrichir ce texte ?

M. Pacôme Rupin. Nous l’avons fait !

Mme Sophie Auconie. L’enjeu est de taille et il ne serait pas souhaitable de retarder davantage l’adoption de cette proposition de loi.

Mme Alexandra Louis. Le groupe LaREM, conscient de la complexité des enjeux, entend aborder ce texte dans un esprit constructif. Nous voulons tous avancer et aboutir à un texte solide, conforme à la Constitution. C’est parce que le sujet est complexe que nos prédécesseurs ont eu du mal à avancer et que nous avons eu des débats nourris en 2018. À l’époque, nous avions néanmoins sécurisé la pratique. J’ai passé beaucoup de temps à évaluer ce texte ; cela m’a permis de me faire une idée précise de ses effets et de me forger une conviction personnelle : concernant les mineurs victimes de violences sexuelles, nous devons changer de paradigme.

Mes propositions découlent aussi de l’observation de la législation de nos voisins, en particulier l’Allemagne. Le droit comparé est un outil précieux pour tirer profit de l’expérience d’États qui ont connu les mêmes débats parce que, comme nous, ils sont des États de droit dans lesquels la présomption d’innocence est centrale.

Beaucoup d’entre vous ont dit que l’inceste était une circonstance aggravante. En droit pénal français, l’inceste est une simple surqualification pénale. Il n’est ni une infraction autonome ni une circonstance aggravante. Il existe une circonstance aggravante de commission par ascendant, qui n’inclut pas tous les cas d’inceste. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet complexe mais je tenais à donner cette précision pour que l’on parte sur des bases solides.

Enfin, le choix du seuil d’âge, quinze ou treize ans, a fait l’objet de nombreux travaux en 2018. L’âge de quinze ans a été retenu non pas arbitrairement mais à la suite d’études menées avec des psychologues et des psychiatres ; il est celui sur lequel s’accordent la majorité des professionnels. Attention à ne pas faire de parallèle entre responsabilité pénale et maturité sexuelle. Ce n’est pas du tout la même chose. En France, l’âge moyen du premier rapport sexuel est de dix-sept ans. Prenons garde à ne pas nous laisser submerger par l’émotion provoquée par certains faits divers !

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je remercie tous les députés, quel que soit leur groupe, qui ont pris la parole. Ce faisant, ils contribuent à la construction de ce texte. Je suis une nouvelle députée, puisque je ne suis arrivée qu’en septembre. Mais depuis lors, je vous observe pour comprendre comment travailler. Du fait de mon parcours, j’ai l’habitude de parler avec tout le monde et je n’ai pas eu le temps de m’apercevoir que les choses pourraient être plus compliquées. Surtout, je travaille sur des sujets qui, d’ordinaire, recueillent un large consensus. En général, les mesures que l’on prend pour protéger l’enfance font l’unanimité.

Je répondrai rapidement à certaines questions avant que nous ne les abordions plus longuement au cours du débat. En particulier, je reviendrai sur certains messages que j’ai reçus sur les réseaux sociaux. Le travail législatif suppose de faire preuve, à un moment donné, de courage politique et de déposer un texte. Il faut ensuite être capable d’entendre les positions des uns et des autres, d’améliorer ce premier jet et d’aboutir à une rédaction qui conviendra au plus grand nombre. Si le texte, à l’issue de la procédure législative, est adopté par le Parlement, il sera souvent différent de celui déposé. Néanmoins, il me semble important que nous conservions les deux principes qui fondent celui-ci, tout en l’enrichissant et, puisque nous sommes à la commission des Lois, en assurant sa solidité juridique.

Concernant la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon, je ne vous dirai pas ne pas avoir pensé inscrire mes travaux dans ce cadre. Au contraire, j’aurais voulu le faire si le seuil d’âge y avait été fixé à quinze ans et si l’inceste avait été au cœur des débats. Mais les votes n’ont pas permis cette avancée. Surtout, les délais constitutionnels qui exigent un délai de quatre semaines entre le vote du Sénat et l’examen par l’Assemblée nationale n’auraient pas permis, de toute manière, une inscription dans la niche de mon groupe. Il semblerait néanmoins que la proposition de loi Billon ait vocation à être inscrite en mars. De la sorte, elle aura bien une vie à l’Assemblée nationale.

Vous avez été nombreux à poser des questions autour de l’enfant, qu’il s’agisse de prostitution des mineurs, de médecine scolaire ou de formation. Lorsque j’ai été élue, je me suis présentée au président de l’Assemblée nationale et, forte de mon expérience, je lui ai fait part de ma surprise de constater l’absence d’une délégation aux droits de l’enfant. Je vous le dis à présent : j’aimerais que, ensemble, nous demandions sa création. Nous devons pouvoir intervenir dans tous les domaines que vous avez cités. Prenez la prostitution des mineurs. Lorsque j’étais chargée de la protection de l’enfance dans le Val-de-Marne, je côtoyais ce phénomène tous les jours. Durant les trois dernières années, nous avons travaillé sur la question. M. Adrien Taquet a participé à de nombreuses réunions avec les services du Val-de-Marne parce que, à l’époque, nous étions les premiers à mener des actions contre ce fléau en partenariat avec le parquet et le préfet. Des idées, il y en a plein ! Le sujet de l’enfance est transversal et ce n’est qu’en travaillant main dans la main que nous pourrons avancer.

S’agissant des délais de prescription, n’étant pas experte en ce domaine, je me suis abstenue de faire des propositions. Néanmoins, la question est légitime et je souhaite que nous y réfléchissions avec la majorité et le Gouvernement. Dans cette attente, je soutiendrai l’amendement que Mme Laurence Rossignol avait déposé sur le texte de Mme Billon, qui est le fruit d’un travail avec des juristes et que certains d’entre vous ont déposé aujourd’hui.

À présent, pour ce qui concerne l’examen des articles, je ne pourrai pas approuver tous vos amendements. Cela étant, l’essentiel est d’aboutir à un texte qui serve l’intérêt des enfants. C’est ma priorité. Je suis ravie que les travaux de l’Assemblée nationale le permettent et je suis honorée, en tant que députée, de défendre cette cause avec vous tous.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL109 de la rapporteure.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Cet amendement vise à mieux structurer la proposition de loi en identifiant les thématiques qu’elle contient. Le chapitre Ier traiterait des atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, le chapitre II de l’inceste et le chapitre III des dispositions communes.

Mme Alexandra Louis. Si je ne vois pas d’inconvénient à créer des chapitres, le terme d’atteinte sexuelle ne me semble pas approprié. En effet, il existe déjà une infraction pénale intitulée ainsi, qui est très connotée, comme on a pu le constater lors de l’examen de la loi du 3 août 2018, et qui est, en pratique, retenue par défaut lorsqu’on ne peut retenir l’agression sexuelle ou le viol sur mineur.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’entends. Auriez-vous une autre formulation à proposer à la Commission ?

Mme Alexandra Louis. Je n’en ai aucune.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Si vous trouvez un autre terme d’ici à la séance publique, je l’accepterai avec grand plaisir.

M. Raphaël Schellenberger. Il faudra s’en souvenir à l’issue de la réunion : les chapitres servent à organiser le texte et l’intitulé est à parfaire. Nous devons trouver un terme qui permette de qualifier l’ensemble des actes qui deviennent une même infraction du fait qu’ils sont commis sur un mineur. Idéalement, ce terme ne devrait pas être déjà utilisé.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vous voulez dire qu’il ne doit pas recouvrir une qualification juridique existante.

M. Erwan Balanant. Nous avons débattu de cette question au sein de la délégation aux Droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. D’autres termes pourraient être utilisés mais ils correspondent déjà à des incriminations. Pourquoi ne pas parler, tout simplement, de violences sexuelles ? Le terme de « violence », contrairement à celui d’« atteinte », a le mérite de ne pas édulcorer la réalité.

M. Didier Paris. Le sujet relève de la matière pénale, aussi vous proposerai-je de parler des « infractions sexuelles » sur mineur de quinze ans.

M. Raphaël Schellenberger. Et les crimes ?

M. Didier Paris. Sans me lancer dans un cours de droit pénal, je rappelle que les infractions recouvrent les crimes – donc les viols –, les délits et les contraventions. Tous les cas seraient couverts. Le terme d’atteinte sexuelle ne convient pas puisqu’il désigne déjà une catégorie d’infraction pénale à l’encontre des mineurs.

On pourrait aussi ne rien mettre du tout, ce qui serait encore plus simple.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. La rédaction proposée par M. Didier Paris me convient très bien.

La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié.

Article 1er (art. 227-25 du code pénal) : Atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans

La Commission examine l’amendement CL77 de Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. J’ai déposé cet amendement dans le seul but de nous poser la question du véhicule législatif utilisé pour renforcer, dans notre droit, la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. La présidence de l’Assemblée nationale a enregistré, le 22 janvier 2021, la proposition de loi adoptée par le Sénat visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Le Gouvernement a également annoncé sa volonté de criminaliser tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de quinze ans. Afin de ne pas alimenter l’inflation législative, il serait préférable de réunir les dispositions concernant ce sujet au sein d’un seul et même texte, ce qui clarifierait notre droit. Par conséquent, je vous suggère de ne pas retenir les dispositions proposées par ce texte mais de les réintroduire par voie d’amendement dans le texte du Sénat.

En outre, selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, l’article 1er aurait pour objet de créer une nouvelle infraction délictuelle d’atteinte sexuelle sur un mineur de quinze ans. Or, cette infraction est déjà prévue par l’article 227-25 du code pénal. Je vous invite donc à supprimer cet article 1er.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Malgré tout le respect que m’inspire votre position, je dois émettre un avis défavorable sur votre amendement car il couperait court à nos débats. Je vous l’ai expliqué tout à l’heure : la seule façon d’avancer rapidement est de retenir ce texte qui peut être adopté rapidement si le Gouvernement accède à la demande qui lui a été faite d’engager la procédure accélérée. Au contraire, la proposition de loi de Mme Billon, qui ne peut plus être examinée selon la procédure accélérée, devra être soumise à la procédure normale.

M. Pacôme Rupin. Nous ne voterons pas cet amendement de suppression car nous souhaitons utiliser tous les vecteurs possibles pour avancer.

La Commission rejette l’amendement.

L’amendement CL58 de Mme Alexandra Louis est retiré.

La Commission est saisie de l’amendement CL108 de Mme Alexandra Louis, lequel fait l’objet de quatre sous-amendements : les sous-amendements CL119 et CL120 de M. Aurélien Pradié et les sous-amendements CL123 et CL124 de M. Jean Terlier.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Comme l’adoption de cet amendement ferait tomber tous les autres amendements sur l’article, je vous propose d’engager une discussion nourrie afin que tous ceux qui le souhaitent aient la possibilité de s’exprimer.

Mme Alexandra Louis. L’objet de mon amendement est de servir de base pour un travail en séance publique en vue d’améliorer le texte, et cela suivant plusieurs axes.

En premier lieu, il convient, pour des raisons qui tiennent à la lisibilité du droit, de créer dans le code pénal une section dédiée aux infractions sexuelles sur mineurs. C’est pourquoi j’ai rédigé un amendement visant à créer cette nouvelle section, qui reprend plusieurs des éléments relatifs aux infractions autonomes, mais dans une rédaction différente.

Je suis tout à fait favorable au principe d’une infraction autonome pour une simple et bonne raison : aujourd’hui, le crime de viol et le délit d’agression sexuelle protègent cette valeur sociétale qu’est la liberté sexuelle ; c’est la raison pour laquelle il faut rechercher l’existence ou non d’un consentement. En revanche, s’agissant de mineurs de moins de quinze ans – seuil qui rallie la majorité des suffrages –, ce que l’on veut protéger, ce n’est pas la liberté sexuelle, c’est l’intégrité physique et psychique des enfants. C’est pourquoi il faut changer de raisonnement juridique et écarter toute idée de consentement en posant l’interdit de toute relation sexuelle avec un majeur. Il convient néanmoins de faire attention à l’effet couperet. Le Conseil d’État avait appelé notre attention sur ces couples d’adolescents que nos collègues sénateurs appellent « Roméo et Juliette » : dans le cas d’une relation nouée entre deux mineurs, dans un cadre donc parfaitement légal, le simple fait que l’un d’eux parvienne à l’âge de la majorité rendrait cette relation criminelle et ferait peser sur la personne concernée le risque d’être mis en accusation devant la cour d’assises. Je pense que nous devons impérativement tenir compte de tels cas particuliers, car ils forment le cœur même du droit pénal et de la vie judiciaire. Il s’agit donc d’un sujet complexe et j’y ai beaucoup réfléchi. Deux options peuvent être envisagées.

La première consiste à prévoir ce qu’on appelle un fait justificatif : si la relation a commencé avant la majorité, on tient compte de cette circonstance pour neutraliser la responsabilité pénale. Cette formule a un inconvénient, lié aux effets de seuil : qu’en est-il si le couple se forme alors que le plus âgé vient tout juste d’avoir 18 ans ?

L’autre solution réside en la fixation d’un écart d’âge maximum de cinq ans. L’une des juristes qui m’a assistée dans mes travaux, Mme Hardouin-Le Goff, a fait beaucoup de droit comparé. Certains pays ont retenu cette option.

Quant à l’inceste, il faut qu’il trouve toute sa place dans le code pénal car il n’est aujourd’hui qu’une surqualification. Il convient non seulement d’évacuer la question du consentement des mineurs concernés, mais aussi de réprimer l’infraction incestueuse davantage qu’un délit de droit commun afin d’établir une hiérarchie, de tirer les conclusions de tels actes en matière d’autorité parentale et de prévoir des circonstances aggravantes.

Enfin, l’article 1er tel qu’il est rédigé n’est pas satisfaisant pour ce qui concerne l’élément moral. Il convient de prendre en considération la connaissance par l’auteur de l’âge du mineur ; à défaut, ces dispositions risqueraient d’être déclarées inconstitutionnelles.

L’objectif de l’amendement est en définitive de limiter le risque constitutionnel et d’engager le débat, notamment sur l’écart d’âge. Tel est l’objet des sous-amendements de mon collègue Jean Terlier : il ne faudrait pas que l’on tienne compte du critère de l’écart d’âge lorsqu’il s’agit de faits incestueux.

M. Raphaël Schellenberger. Le sous-amendement CL119 vise précisément à remettre en question ce critère. On touche là à la vie de jeunes adultes ; il faut éviter la multiplication des effets couperet.

On peut considérer que, dès lors qu’un acte sexuel est commis par un majeur sur un mineur, il n’y a pas besoin de pénétration pour qu’il soit considéré comme une agression sexuelle ou, selon nous, comme un viol. Le sous-amendement CL120, auquel nous tenons particulièrement, précise que les agressions sexuelles qui comprennent un acte bucco-génital sont soumises au même régime que celles qui comportent une pénétration – c’est une des difficultés auxquelles se heurte la jurisprudence. C’est pourquoi nous avons déposé des sous-amendements en ce sens sur chacun des amendements de Mme Louis – manière de souligner que nous soutenons votre démarche, mais que nous souhaitons l’élargir aux actes bucco-génitaux.

M. Jean Terlier. Mes sous-amendements tendent à protéger les victimes de crimes ou de délits incestueux en considérant que l’exception relative à la différence d’âge de cinq ans ne trouve pas à s’appliquer dans ces cas.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Mon avis est favorable sur tous les sous-amendements. Le critère de l’écart d’âge soulève, en pratique, des difficultés et il serait nécessaire de creuser la question. Les associations ont appelé notre attention sur le fait qu’un écart d’âge de cinq ans pourrait correspondre à une relation entre un étudiant de dix-huit ans et un collégien de treize ans. Prendre en considération le cas des couples « Roméo et Juliette », nous y sommes très favorables, mais il faut être prudent quant aux effets de bord induits. J’avais plutôt envisagé privilégier un amendement rédigé différemment – mais il nous reste encore du temps pour échanger.

Ce que propose Mme Louis n’est ni plus moins qu’une autre rédaction du texte. En vous présentant la proposition de loi, j’ai indiqué qu’elle reposait sur deux piliers : le seuil d’âge à quinze ans pour définir l’infraction d’atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur ; et celui de dix-huit ans pour réprimer l’inceste. Créer deux infractions autonomes différentes, sans retenir le seuil de dix-huit ans pour l’inceste, me paraît une option plus compliquée. L’idée initiale de ce travail collectif – réalisé, je le rappelle, avec les grandes associations nationales et le conseil national de la protection de l’enfance – était que la clarté prime.

Certes, le travail de Mme Louis est remarquable. Mais il s’agit d’une approche très différente. J’émettrai donc un avis de sagesse sur son amendement, étant précisé que son adoption ferait tomber de nombreux amendements et sous-amendements et modifierait la nature même du texte.

M. Erwan Balanant. La façon dont nous travaillons est problématique. Nous avons reçu une proposition de loi dont la Délégation s’est saisie. Nous avons procédé à des auditions sur ce texte, sur lequel nous avons déposé des amendements. Et voilà que Mme Louis – qui a fait un travail remarquable sur la loi Schiappa dont elle fut la rapporteure et dont elle était chargée de l’évaluation – nous fait des propositions sur lesquelles nous n’avons pu procéder à aucune audition ni recevoir la moindre expertise. Je suis dans l’incapacité de déterminer laquelle des propositions est la meilleure, entre la présente proposition de loi, celle de Mme Billon, le travail qu’a accompli la Délégation et l’amendement CL108 qui réécrit en totalité ou presque le texte soumis à notre examen.

M. Pacôme Rupin. Il réécrit l’article 1er, pas l’intégralité du texte !

M. Erwan Balanant. À travers l’article 1er, il s’agit de procéder à une réécriture presque totale des articles du code pénal sur la question !

Je vous le dis : c’est un sujet sur lequel – comme presque toutes les personnes présentes – je travaille depuis longtemps et cela me gêne de ne pas pouvoir expertiser cet amendement. J’en suis confus car je suis certain que le travail de Mme Louis est de qualité. Mais si l’on travaille sur une rédaction, c’est que cela a un sens, sinon il n’y aurait pas de travail législatif : on se contenterait de présenter un seul texte sur chaque question.

À cette remarque sur la forme s’ajoutent des objections sur le fond. Il y a d’abord le sous-amendement CL120 qui soulève la question des actes bucco-génitaux, sur laquelle la Délégation a beaucoup réfléchi. Il y a ensuite l’amendement CL44, extrêmement important car il aligne le dispositif proposé sur la nouvelle définition – saluée par tous les juristes – du viol, qui inclut les actes commis sur la personne de l’auteur. Tout cela va passer à la trappe.

C’est la première fois depuis le début de la législature que cela se passe ainsi. C’est d’autant plus gênant qu’il s’agit d’une question importante. Comme je l’ai déjà dit, les textes de ce type, de surcroît lorsqu’ils sont d’origine parlementaire, doivent faire l’objet d’un travail commun, de manière à aboutir à un consensus. Or, nous nous retrouvons aujourd’hui avec trois textes qui visent le même objectif, mais qui répondent à des philosophies légistiques différentes. Nous ne nous y retrouvons pas du tout.

M. Raphaël Schellenberger. Après cette digression technique concernant l’organisation de nos travaux, qui ne doit pas intéresser grand monde hormis les parlementaires (M. Erwan Balanant s’exclame), je voudrais revenir au choix qui nous est proposé.

Le débat est le suivant : comment devons-nous appréhender, d’une part, l’acte sexuel commis par un majeur sur un mineur – que nous voulons pour notre part qualifier de viol –, d’autre part, l’inceste ? Selon moi, il s’agit de deux questions distinctes. Il ne faudrait pas que l’actualité nous influence et que nous nous focalisions sur l’inceste. N’oublions pas que des crimes sexuels sur mineurs peuvent être commis par des personnes qui ne sont pas des proches de la victime.

Mme Alexandra Louis. Nous sommes d’accord.

M. Raphaël Schellenberger. Il me semble donc nécessaire de distinguer deux choses : d’un côté, le crime ; de l’autre, la circonstance aggravante qu’est l’inceste.

Mme Sophie Auconie. Pour ma part, je souscris totalement à ce que vient de dire notre collègue Erwan Balanant. Mme Louis a souligné à plusieurs reprises que le sujet était complexe et qu’il fallait y travailler avec sérieux, attention et compétence. Or, que se passe-t-il ? On nous soumet un amendement de réécriture du texte certainement très intéressant mais sur lequel – contrairement à la proposition de loi – nous n’avons pu mener aucune investigation et dont nous ne pouvons mesurer les conséquences. Ce n’est pas une façon de procéder ! Une question aussi complexe et importante doit être examinée suivant les procédures parlementaires habituelles.

M. Stéphane Peu. Je suis moi aussi embêté. Il me semblait avoir compris les intentions de la proposition de loi telle qu’elle nous avait été soumise. L’article 1er, en particulier, avait pour objectif – sauf erreur de ma part – d’éviter que la question du consentement ne se pose pour un enfant de moins de quinze ans. On a d’ailleurs évoqué certains jugements récents qui ont vu des viols ou agressions sexuelles sur de jeunes enfants requalifiés du fait, d’une part, d’une interprétation subjective du consentement, d’autre part, de l’obligation faite à la victime de faire la démonstration de son non-consentement. C’est un des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés et c’est pourquoi je voyais plutôt d’un bon œil cet article 1er. Mais si l’on prend en considération le critère de l’écart d’âge, c’est problématique : dans ces tranches d’âge, il peut s’établir dans bien des circonstances – à l’école ou au sein d’une association sportive, par exemple – une relation d’emprise ou d’autorité avec un écart inférieur à cinq ans.

Je pense pour ma part qu’il vaut mieux conserver l’article en l’état car il a le mérite de la clarté. En outre, il ne sort pas de nulle part : il a été élaboré en liaison avec les associations, nous avons travaillé dessus… Déposer un amendement qui réécrirait entièrement sinon la proposition de loi, du moins l’article 1er qui en est l’un des piliers, reviendrait à vider le texte de son sens.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je tiens à faire part de deux choses qui ont surpris la nouvelle parlementaire que je suis.

D’abord, dans le cadre de mon activité professionnelle, je me suis toujours inscrite dans le dialogue et c’est ce que je continue de faire. J’ai donc invité les membres de la majorité et le Gouvernement à participer, en amont de l’examen du texte, à une réunion lundi dernier, afin de travailler sur ce qui aurait pu être amélioré dans le sens de l’intérêt général. Personne n’a trouvé le temps d’y assister. De même, lors des auditions, j’ai eu le plaisir de voir des collaborateurs, mais aucun des collègues qui proposent aujourd’hui de réécrire le texte.

M. Jean Terlier. Et vous, avez-vous assisté aux travaux de Mme Louis ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. À l’époque, je n’étais pas élue !

M. Jean Terlier. Cela ne vous empêchait pas d’en prendre connaissance !

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Quoi qu’il en soit, il est bon de s’inscrire dans le dialogue – depuis le début du travail sur ce texte, la main est tendue.

M. Jean Terlier. Le dialogue a lieu ici.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Il ne doit pas avoir lieu qu’ici : la preuve en est que nous nous retrouvons avec plusieurs textes, dont une proposition de loi déposée hier. Tous les amendements que vous avez déposés en sont un copier-coller !

Pour ce qui me concerne, ce qui continuera à me guider, c’est l’intérêt général, à savoir celui de l’enfant. En fonction de ce qui se passera au moment des votes, je me rangerai à l’avis de la majorité.

M. Jean Terlier. Espérons-le !

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je voulais néanmoins, puisque notre réunion est publique, indiquer dans quelle situation nous nous trouvons.

Mme Alexandra Louis. Je rappelle, parce que ce que nous entendons viendrait à nous en faire douter, que nous disposons tous ici de la liberté de déposer des amendements. Nous les présentons, nous les discutons, puis nous les mettons aux voix.

Peu importe le véhicule législatif : ce qui compte, c’est la destination. Ce que j’ai proposé ne tombe pas du ciel. Moi aussi, j’ai procédé à des auditions – une centaine. J’ai rencontré des associations, des policiers, des gendarmes, des magistrats. J’ai fait expertiser une cinquantaine de rédactions différentes avant de proposer celle-ci.

Il existe néanmoins des différences de fond entre les deux rédactions. D’abord, je ne l’ai peut-être pas dit assez clairement, la proposition de loi pose un problème de constitutionnalité : on ne tient pas compte de l’élément moral ; on ne prend pas en considération les exceptions. Bref, on ne tient pas compte de l’avis du Conseil d’État de 2018. Ensuite, je propose de réprimer plus sévèrement l’inceste, notamment par un retrait de l’autorité parentale.

Bref, mon amendement n’est pas de pure forme. Moi aussi, je suis une professionnelle ; j’ai des convictions, que j’ai défendues avec des juristes ; je propose d’apporter ma pierre à l’édifice. Toutes les propositions sont bonnes à entendre. Nous aurons ensuite la navette parlementaire pour y travailler.

Je suis surprise d’entendre que nous aurions refusé de participer à une réunion de balayage proposée deux jours à peine avant l’examen du texte en Commission. Permettez-moi de rappeler que le président de notre groupe, M. Christophe Castaner, avait proposé au groupe Socialistes et apparentés de travailler de manière transpartisane.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. M. Christophe Castaner a proposé que nous retirions cette proposition de loi sans contrepartie alors qu’elle est celle qui pourrait aboutir le plus vite !

Mme Alexandra Louis. Je rappelle aussi que, sur le projet de loi relatif à la justice pénale des mineurs, nous avons établi un groupe de contact en amont de l’examen du texte – ce qui ne nous a pas empêchés d’avoir des débats en Commission et en séance publique – et que nous avons fourni un travail de qualité. Nous devrions travailler sur ce texte suivant le même modèle : il en va de l’intérêt des enfants.

Mme Albane Gaillot. Il importe en effet de considérer d’abord l’intérêt de l’enfant. C’est pourquoi, tout comme M. Balanant et Mme Auconie, je regrette la réécriture intégrale proposée. Vous dites, madame Louis, que nous devons nous accorder du temps, qu’il s’agit d’un sujet compliqué. Je ne suis moi-même ni juriste ni avocate et c’est vrai que la matière est d’un abord difficile. Or, la réécriture portera bien au-delà de l’article 1er puisqu’elle affectera aussi mon amendement relatif aux actes bucco-génitaux.

Quant à l’écart d’âge, pourquoi retenir cinq ans et non quatre ou six ? Cela pose le problème de l’effet de seuil. C’est pourquoi j’avais déposé des amendements, auxquels la rapporteure a fait allusion tout à l’heure en indiquant les privilégier, visant à pallier cet inconvénient en prenant en considération la nature du rapport entre le mineur et le majeur. Malheureusement, ils tomberont si l’amendement de Mme Louis est adopté.

M. Didier Paris. L’amendement qui nous est soumis vise à améliorer le texte en vue de la séance publique : il ne s’agit nullement de figer les choses. À titre personnel, je le trouve infiniment plus complet et mieux adapté juridiquement que le texte initial de la proposition de loi, dont le degré d’aboutissement, après tant de travail, me surprend. Le pragmatisme de la démarche n’exclut pas la rigueur juridique. Il s’agit ici – faut-il le rappeler ? – de droit pénal.

J’adhère à l’idée de tout reprendre et de tout clarifier, même si le quantum de la peine reste identique. Ce qui change, c’est la manière de l’exprimer, qui me semble bonne – à la réserve près, je le répète, qu’un seuil à treize ans nous permettrait d’aboutir plus clairement.

Les dispositions relatives à l’inceste sont bienvenues : on a besoin d’une répression autonome de l’inceste, qui tienne compte de toutes les situations, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Ma seule réserve va dans le même sens que les sous-amendements de notre collègue Jean Terlier : on ne peut pas appliquer la même logique à l’inceste qu’aux infractions de droit commun.

M. Jean Terlier. Découvririez-vous le droit d’amendement à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, chers collègues ? Il ne nous appartient pas à nous, majorité, de critiquer ou même contester la possibilité qui vous est offerte de réécrire tel ou tel article d’un texte que nous présentons ! En outre, cela a été dit, la question ne date pas d’aujourd’hui. Le rapport de Mme Alexandra Louis, dont est issu cet amendement, est public : chacun aura pu le consulter. Il est un peu outrancier de nous faire un procès d’intention parce que nous souhaitons améliorer ce texte en exerçant notre droit d’amendement !

Ce procès, vous l’auriez instruit avec encore plus de force si nous avions rejeté en bloc la proposition de loi ou si nous l’avions réécrite en séance publique. Nous le faisons aujourd’hui, ce qui nous permettra d’avoir un débat apaisé dans l’hémicycle.

M. Erwan Balanant. Ce qui est en cause, ce n’est pas la qualité des propositions de Mme Louis. C’est la méthode.

Mme Alexandra Louis. Il aurait fallu que je ne dépose pas d’amendement ?

M. Erwan Balanant. Je fais partie de la majorité. J’ai entendu hier le garde des Sceaux faire de très bonnes propositions. Je pensais que ce texte allait nous permettre de converger et de trouver un terrain d’atterrissage. Malheureusement, ce ne sera pas le cas.

Prenons la question de l’inceste, que vous incluez dans votre réécriture. Nous avions prévu de défendre des amendements sur le sujet. Que va-t-il se passer ? Eh bien, la Commission va adopter vos amendements, le texte sera réécrit et ce sera plié. Or, vous savez bien que nous travaillons sur les textes plus finement ici qu’en séance publique.

Je ne remets pas en cause votre travail, madame Louis : j’ai lu votre rapport, je suis ce dossier, comme Mme Sophie Auconie et d’autres collègues, depuis le début de la législature. Mais je trouve que la méthode employée pose un problème. À travers cet amendement, vous réécrivez une partie significative du code pénal !

M. Pacôme Rupin. On ne peut pas faire autrement !

M. Erwan Balanant. Eh bien, dans ce cas, vous amendiez le texte, on passait cette étape et vous reveniez avec votre proposition de loi. Là, c’est comme si un député, à l’occasion d’une question liée à la pêche, refondait entièrement le code rural !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Essayons d’avancer, chers collègues. De toute façon, il reste la séance publique : si elle n’est pas l’exacte réplique de l’examen en commission des Lois, ce n’est pas plus mal. Ce que nous allons voter aujourd’hui risque d’être très différent de ce qui a été proposé, mais au moins aurons-nous adopté un texte. Il nous restera du temps pour continuer à travailler, déposer des amendements et engager un nouveau débat, ce qui permettra à l’Assemblée nationale d’être éclairée au terme d’un travail parlementaire de qualité.

M. Dimitri Houbron. Le groupe Agir ensemble se moque de savoir qui a l’initiative de la loi. Ce matin, par exemple, nous avons été ravis de voter en faveur d’une proposition de loi déposée par le groupe Socialistes et apparentés. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de voter en faveur de textes présentés par l’opposition et je pense que nous avons démontré notre capacité à travailler avec elle sur nombre de sujets. Même si nous faisons partie de la majorité, ne voyez de notre part aucune volonté de nous opposer par principe à ce qui provient d’autres groupes.

Cela étant, je voudrais vous alerter sur un point et exprimer deux réserves concernant l’article 1er.

Le point sur lequel je voudrais vous alerter, c’est que la création de l’infraction autonome que nous allons, je l’espère, voter aujourd’hui et confirmer la semaine prochaine en séance publique, n’a pas de portée rétroactive. Les faits qui ont déjà eu lieu ne pourront pas, hélas, faire l’objet de cette nouvelle qualification juridique. C’est d’ailleurs pourquoi nous avions privilégié en 2018 des dispositions interprétatives, afin de laisser aux magistrats un pouvoir d’appréciation. Il faut que les choses soient dites clairement, que nous les assumions et que nos concitoyens aient bien conscience du fait que les crimes qui ont déjà été perpétrés ne seront pas concernés par ces dispositions.

Ma première réserve porte – je l’ai dit lors de la discussion générale – sur le fait que toutes les rédactions proposées prévoient d’augmenter le quantum de la peine, en le fixant à dix ans d’emprisonnement contre sept ans aujourd’hui avec une circonstance aggravante lorsque l’acte est perpétré par un ascendant, c’est-à-dire en cas d’inceste, ce qui donnait la possibilité de porter la peine à dix ans. Dix ans, c’est la peine maximale pour un délit. Si l’augmentation du quantum de la peine part d’une bonne intention, elle aurait des répercussions sur les circonstances aggravantes et aboutirait donc à mettre au même niveau toutes les atteintes sexuelles, qu’elles soient commises par un inconnu ou par un membre de la famille.

D’autre part, je salue la nouvelle rédaction relative aux délits et crimes incestueux. En 2016, nos collègues avaient eu les plus grandes difficultés à définir le crime d’inceste. Si la définition proposée aujourd’hui n’est peut-être pas parfaite, elle fournit une base de travail intéressante pour la séance publique.

Si je comprends la frustration notre collègue Erwan Balanant, nous sommes tous tributaires du fonctionnement de notre assemblée. Les collègues ici présents ont voulu, de bonne foi, enrichir le texte. La base de travail proposée me paraît juridiquement plus solide que la proposition initiale, même si elle est encore imparfaite. Je suis convaincu que d’ici à la semaine prochaine, nous parviendrons à une rédaction qui conviendra à tous.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Sur la forme, je regrette que tout notre travail, ainsi que celui des collègues, soit réduit à néant par cet amendement de rédaction globale. Bien sûr, je souhaite, comme vous, que le dispositif adopté soit solide, mais les amendements que j’avais rédigés et ceux auxquels j’étais favorable, ainsi que les différentes coordinations avec les dispositions du code, visaient le même objectif.

Cette proposition de loi, rédigée en novembre et déposée en décembre dernier, n’est pas celle que Mme Louis a déposée hier. Je ne nie pas l’important travail qu’elle a réalisé, mais nous ne sommes pas dans le même rythme. En outre, il eût été préférable que ces échanges interviennent avant aujourd’hui.

Sur le fond, vous me reprochez un élément intentionnel mal conçu. J’en suis surprise parce que je reprends presque sans changement la rédaction actuelle de l’article 227‑25 du code pénal ; je me borne à écarter le cas de pénétration sexuelle. Or, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité portant précisément sur cet article, et elle a répondu sans nuance le 6 juin 2018 : « Les dispositions critiquées, qui [...] sont rédigées en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre que leur interprétation se fasse sans risque d’arbitraire et dans des conditions garantissant le respect des droits de la défense, ne portent pas atteinte au principe de la légalité des délits et des peines ».

Il a été annoncé que la proposition de loi de Mme Billon serait examinée en mars. Mme Louis, je le répète, a réalisé un important travail, et elle a compris que son propre texte ne serait jamais inscrit à l’ordre du jour du Parlement. C’est pourquoi elle a déposé ses amendements, qui sont des copier-coller de sa proposition de loi. Même si la présente proposition de loi restera celle des socialistes et sera examinée comme telle en séance publique, sur le fond comme sur la forme, je ne suis pas dupe de la manœuvre !

La Commission rejette le sous-amendement CL119. Elle adopte successivement les sous-amendements CL120, CL123 et CL124, puis elle adopte l’amendement CL108 sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements CL104 de Mme Alexandra Louis, CL44 de M. Erwan Balanant, CL45 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CL82 de Mme Marie-France Lorho, CL66 et CL67 de M. Fabien Di Filippo, CL84 de Mme Marie-France Lorho et CL24 de Mme Albane Gaillot, qui faisait l’objet du sous-amendement CL110 de la rapporteure, tombent.

Article 2 (art. 227-25-1 [nouveau] du code pénal) : Pénétration sexuelle sur mineur de quinze ans

L’amendement CL59 de Mme Alexandra Louis, qui faisait l’objet du sous-amendement CL121 de M. Aurélien Pradié, est retiré.

La réunion est suspendue de seize heures à seize heures cinq.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Les amendements sur l’article 2 sont quelque peu vidés de leur sens du fait de l’adoption de l’amendement de rédaction globale de l’article 1er, mais ils restent en discussion sauf si leurs auteurs les retirent. Sachez néanmoins qu’ils sont soit satisfaits, soit incompatibles au fond avec les dispositions déjà adoptées.

La Commission examine les amendements identiques CL26 rectifié de Mme Albane Gaillot, CL33 de M. Aurélien Pradié et CL55 rectifié de M. Erwan Balanant.

Mme Albane Gaillot. Il s’agit d’inclure les rapports bucco-génitaux dans les faits constitutifs des crimes sexuels. En effet, dans un arrêt du 14 octobre 2020, la Cour de cassation a écarté la qualification de viol dans une affaire d’inceste par cunnilingus au motif que la pénétration vaginale par la langue de l’auteur n’aurait pas été d’une profondeur significative et que la plainte de la victime n’aurait été assortie d’aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement.

M. Erwan Balanant. Certes, on ne doit pas commenter une décision de justice, mais je dois dire que l’arrêt de la Cour de cassation est très surprenant. C’est pourquoi il nous semble indispensable d’inclure les atteintes sexuelles comportant un acte bucco-génital au dispositif de l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Vos demandes sont satisfaites puisqu’intégrées à l’article 1er.

M. Erwan Balanant. Je suis heureux de savoir qu’elles sont satisfaites, même si nous n’en avons pas discuté dans les conditions habituelles.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Le principal, selon moi, est que ces dispositions soient adoptées puisque j’avais émis un avis favorable sur ces amendements. Les avoir intégrées à l’article 1er va dans le bon sens.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Comme ils ne sont pas retirés par leurs auteurs, je suis obligée de mettre ces amendements aux voix mais sachez qu’ils sont satisfaits par les dispositions adoptées à l’article 1er.

La Commission adopte les amendements identiques.

Elle est saisie de l’amendement CL46 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. Cet amendement est issu des travaux de la Délégation. La proposition de loi de Mme Santiago crée une nouvelle incrimination, mais celle-ci n’a pas de nom. Je trouve dommage que les choses ne soient pas nommées. La Délégation propose donc de créer deux branches pour le viol : le viol pour les plus de quinze ans serait toujours associé à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ; lorsque la victime est mineure de quinze ans, il s’agirait d’un viol sur mineur, non nécessairement associé à la surprise, la menace, la violence ou la contrainte.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Ce point est très important. Étant donné qu’il est clair que la majorité ne compte pas adopter l’article 2, nous veillerons à ce qque votre préoccupation figure dans le texte que nous voterons en séance publique. Je suis désolée que les choses se passent de cette façon…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. L’important, vous l’avez souligné, madame la rapporteure, est d’atteindre notre objectif : la protection des mineurs. Les questions qui font consensus feront l’objet d’un examen attentif en vue de trouver un terrain d’atterrissage en séance publique. Je pense que nous pouvons prendre collectivement cet engagement.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL95 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Cet amendement, inspiré de la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon, adoptée il y a quelques jours par le Sénat, prévoit que l’infraction sexuelle est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie de tortures ou d’actes de barbarie.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’aurais demandé le retrait ou, à défaut, émis un avis défavorable sur cet amendement, satisfait par l’article 222-2 du code pénal.

La Commission rejette l’amendement.

Elle passe à l’amendement CL25 de Mme Albane Gaillot, qui fait l’objet du sous-amendement CL111 de la rapporteure.

Mme Albane Gaillot. Il s’agit de prévoir une exonération pénale pour les jeunes majeurs qui entretenaient une relation continue et pérenne avec un mineur de quinze ans. L’amendement vise à tenir compte du fait qu’un mineur de quinze ans peut, dans certains cas et quand sa maturité affective le lui permet, consentir à un rapport sexuel avec un jeune de dix-huit ans.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Comme je l’ai expliqué tout à l’heure, j’avais préparé un amendement que j’ai retiré au profit du vôtre, madame Gaillot, qui prévoit que la relation doit être inscrite dans la durée et que le mineur ne doit pas être sous emprise. Cela me semble préférable au critère de l’écart d’âge, qui risque de faire repartir le débat sur les treize ans, ce que je ne souhaite pas.

Mon sous-amendement tend simplement à préciser que l’exonération de responsabilité pénale ne vaut pas dans les situations d’inceste.

M. Erwan Balanant. La notion d’écart d’âge n’est pas nécessairement une bonne idée : ainsi un éducateur peut avoir un lien d’autorité sans que l’écart d’âge soit atteint. Le critère d’une relation continue et pérenne me semble préférable – même si cette notion est, elle aussi, difficile à définir.

Mme Alexandra Louis. Je l’ai indiqué : deux voies sont envisageables. Si l’amendement de Mme Gaillot prend bien en considération la situation d’autorité ou de dépendance, il ne couvre pas forcément tous les cas de figure. Or, la difficulté, c’est qu’à une multitude de situations doit s’appliquer une seule disposition, qui doit de surcroît être très précise puisque le droit pénal est d’interprétation stricte. La solution de l’écart d’âge me semble plus souple et n’empêche pas forcément de réprimer. Cela constituerait un progrès tout en étant peut-être constitutionnellement plus sûr. Quoi qu’il en soit, il sera nécessaire de poursuivre le débat dans l’hémicycle.

La Commission rejette le sous-amendement, puis elle rejette l’amendement.

La Commission rejette ensuite l’article 2.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL99 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Il s’agit de répondre à la problématique d’une éventuelle relation entre adolescents qui pourrait tomber sous le coup de la loi au moment où l’un des membres du couple arriverait à l’âge de majorité. Il est proposé que, dans ce cas de figure, les infractions ne soient pas constituées. Il convient de prévoir dans la loi ce fait justificatif afin d’éviter tout effet de seuil.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable : l’amendement est satisfait.

L’amendement est retiré.

La Commission passe à l’amendement CL112 de la rapporteure.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Afin de bien séparer les thématiques, il est proposé d’insérer un chapitre II relatif à l’inceste après l’article 2. Du fait de la nouvelle rédaction de l’article 1er, je ne sais pas si c’est encore pertinent…

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. C’est utile vu que nous avons adopté un chapitre Ier. L’intitulé du chapitre est-il perfectible ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. On peut toujours faire mieux, mais il faudra voir en séance publique.

La Commission adopte l’amendement.

Article 3 (art. 227-25-2 [nouveau] du code pénal) : Pénétration sexuelle incestueuse sur mineur

La Commission examine l’amendement CL102 de Mme Alexandra Louis, qui fait l’objet du sous-amendement CL122 de M. Aurélien Pradié.

Mme Alexandra Louis. Cet amendement s’inscrit dans la continuité de l’amendement CL108 précédemment présenté. Il s’agit de réprimer dans le code pénal les relations incestueuses imposées par un majeur à un mineur de plus de quinze ans. Le sujet est juridiquement complexe et la rédaction devra être retravaillée d’ici à la séance publique, afin qu’elle soit la plus rigoureuse possible.

M. Raphaël Schellenberger. D’ici à la séance publique, nous devrons clarifier la question de l’articulation juridique entre l’inceste et l’infraction sexuelle. Trois cas de figure se dégagent : sur un mineur de quinze ans, il y a présomption d’infraction et l’inceste est une circonstance aggravante ; entre quinze et dix-huit ans, même si la relation sexuelle entre un majeur et un mineur peut être consentie, l’inceste est réprimé ; enfin, la situation d’inceste peut se produite après la majorité.

Le sous-amendement CL122 vise à inclure les rapports bucco-génitaux dans les crimes sexuels.

Mme Alexandra Louis. L’inceste suscite plusieurs débats. Il y a celui du quantum de la peine d’abord puisqu’en droit français, il ne fait l’objet que d’une simple surqualification pénale, la seule circonstance aggravante étant sa commission par ascendant, ce qui n’est pas satisfaisant. Mais d’autres questions se posent. Doit-on interroger le consentement entre quinze et dix-huit ans ? Comment prendre en compte l’inceste ? Doit-il être, ou pas, une circonstance aggravante ? Il faut y réfléchir, même pour les majeurs. En l’état actuel du droit, lorsqu’un viol ou une agression sexuelle est commis par un frère ou une sœur, cela ne constitue pas forcément une circonstance aggravante. Les degrés de répression pourraient être différents car beaucoup estiment que l’inceste est plus grave qu’un viol ou une agression sexuelle de droit commun.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Eu égard aux précédents votes de la Commission, il serait cohérent qu’elle adopte l’amendement, même si mes réserves perdurent. Je suis favorable au sous-amendement.

Suivant l’avis favorable de la rapporteure, la Commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

En conséquence, l’article 3 est ainsi rédigé et les amendements CL20 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL35 de M. Aurélien Pradié, CL47 de M. Erwan Balanant, CL10 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL70 de M. Fabien Di Filippo, CL42 de Mme Valérie Beauvais, CL76 de Mme Laurence Trastour-Isnart, CL9 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL48 de M. Erwan Balanant, qui faisait l’objet du sous-amendement CL113 de la rapporteure, CL81 de Mme Marie-France Lorho, CL71 de M. Fabien Di Filippo et CL91 de Mme Sophie Auconie tombent.

M. Erwan Balanant. Nous n’avons pas pu en parler puisque les amendements sont tombés, mais la limitation du cadre familial fait débat et la délégation aux Droits des femmes souhaite inclure les cousins et cousines dans le champ des personnes susceptibles d’être incriminées pour viol incestueux. Cela soulève une difficulté puisqu’en France, il est possible de se marier entre cousins…

Certains objecteront qu’il n’y a pas de différence d’âge entre cousins mais, parfois, même entre cousins germains, il peut y avoir des différences de génération, notamment dans les très grandes familles.

Votre sous-amendement visant à ajouter « germain » me semblait pertinent, madame la rapporteure. La notion de cousin peut être large. Il faudra que nous en débattions en séance publique.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Vous avez raison, monsieur Balanant, et ce point avait fait l’objet de toute notre attention à l’issue des auditions. Cela explique mon sous-amendement de précision. Il faudra l’intégrer dans le texte en séance publique.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Il conviendrait d’inclure aussi les demi-frères et demi-sœurs.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’avais bien vu votre amendement en ce sens et je comptais vous apporter une réponse. Il faudra veiller à intégrer l’ensemble de la famille élargie au dispositif.

M. Raphaël Schellenberger. Vous excuserez mon expression, peut-être un peu froide, mais nous devons nous interroger sur le périmètre de l’inceste. La famille a changé et le code pénal passe probablement à côté de l’organisation sociale actuelle. Ce qui compte dans la définition de l’inceste, n’est-ce pas le lien quotidien qu’entretient la victime avec l’auteur, plutôt que la réalité du lien du sang ? À l’origine, l’inceste est une relation sexuelle entre personnes liées par le sang. En ajoutant le conjoint ou le concubin, par exemple, on s’en éloigne pour aller vers la notion de famille vécue, de famille au quotidien. Doit-on conserver le lien du sang – ce qui est visé par l’amendement de M. Balanant – ou plutôt travailler sur l’idée d’emprise ?

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Soyons attentifs aux termes que nous employons, monsieur Schellenberger. En matière d’inceste, on ne parle pas de relations sexuelles mais de traumatismes sexuels. Les pédopsychiatres me l’ont fait remarquer car je faisais parfois l’erreur il y a quelques années.

M. Raphaël Schellenberger. Vous avez tout à fait raison !

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Si nous avions pu travailler sur le texte proposé, élaboré en liaison avec les associations nationales et qui aurait été complété par certains des amendements déposés, nous aurions pris en compte la famille élargie que vous décrivez, dans les limites permises par le droit. Je pense que cette rédaction était la bonne.

Mme Alexandra Louis. Nous avons eu ce débat en 2018 et je me souviens de nos échanges sur les cousins et cousines. La définition juridique de l’inceste a beaucoup évolué dans l’histoire ; il faut en tenir compte. Elle a également fait l’objet de nombreuses péripéties constitutionnelles : il est arrivé par le passé que le Conseil constitutionnel l’invalide.

Je suis assez sensible au sujet des demi-frères et demi-sœurs pour une raison simple : si l’on peut se marier entre cousins, on ne peut pas le faire entre demi-frères et demi-sœurs. Il nous faut engager une réflexion globale car, dans le cas contraire, les dispositions civiles seront différentes des dispositions pénales, ce qui pourrait engendrer de graves difficultés pratiques. Je vous propose de nous y atteler, avec prudence, pour la séance publique.

M. Jean Terlier. L’enjeu est moins le périmètre que la définition même de l’inceste. Selon Wikipédia – prudence, donc –, « ce peut être une relation entre membres d’une même famille dont le degré de parenté ou d’alliance interdit le mariage civil ou religieux ». C’est sur ce canevas que nous devrions retravailler pour établir la frontière entre ce qui est considéré comme de l’inceste et ce qui ne l’est pas.

M. Raphaël Schellenberger. Faut-il lier civil et pénal ? Les enjeux ne sont pas les mêmes : d’un côté, un traumatisme sexuel pour une victime sujette à une emprise familiale ; de l’autre, l’empêchement du mariage pour raisons de consanguinité. Si on lie les deux, je crains – sans faire la promotion de ce type d’union – que l’on n’en vienne à empêcher le mariage entre personnes élevées ensemble alors qu’aucun élément génétique ne le justifie.

Mme Alexandra Louis. Nous sommes au cœur du sujet. Si on ne prend en considération ni le consentement ni la différence d’âge, on pourrait en venir à réprimer pénalement la relation entre deux cousins âgés respectivement de 17 ans et de 18 ans et demi, qui peuvent pourtant se marier – le mariage des mineurs peut être autorisé dans certains cas. Nous devons donc être vigilants quant aux conséquences de notre choix. Peut-être des personnes mariées sont-elles aujourd’hui dans ce cas de figure ; il s’agit sans doute de cas exceptionnels, mais nous devrions les intégrer à notre réflexion pour que la définition que nous adopterons soit très prudente. Ne nous exposons pas au risque d’une nouvelle censure du Conseil constitutionnel !

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Nous en débattrons en séance publique et j’espère que nous pourrons y travailler en amont pour éviter une cacophonie. C’est le but de nos travaux que d’enrichir le texte, mais il est essentiel que nous aboutissions à un résultat clair et lisible. C’est ce qu’attendent les intéressés et l’ensemble des Français. Il faut donc que le code pénal soit le plus clair possible au sujet de l’inceste.

Article 4 (art. 227-25-3 [nouveau] du code pénal) : Atteinte sexuelle incestueuse sur mineur

La Commission est saisie de l’amendement CL103 de Mme Alexandra Louis.

Mme Alexandra Louis. Il s’agit de réprimer les faits d’inceste sur un mineur de plus de quinze ans. L’échelle des peines pourrait encore être ajustée – il nous faut être vigilants sur ce point –, mais cela permet de consacrer la prise en compte de l’inceste. Nous parlons ici du délit, sans pénétration sexuelle, qu’il importe de distinguer du crime impliquant un acte de pénétration sexuelle prévu à l’article 3. À défaut, cela poserait un problème de proportionnalité qui pourrait mettre à mal la rédaction proposée.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Comme précédemment, l’adoption de cet amendement de réécriture de l’article ferait tomber tous les amendements à l’article dont nous allions débattre, y compris ceux sur lesquels je m’apprêtais à donner un avis favorable ou de sagesse.

Je comprends aussi la cohérence des votes de la Commission. Permettez-moi de m’en remettre à la sagesse collective !

M. Erwan Balanant. Deux amendements issus de la Délégation aux droits des femmes ont été déposés par Mme Battistel à cet article. Le premier, le CL49, tendait à mentionner les actes commis sur la personne de l’auteur afin de coller à la nouvelle définition du viol. Le second, le CL50, visait à donner un nom à l’atteinte sexuelle considérée en la qualifiant d’agression sexuelle incestueuse sur mineur.

Mme Sophie Auconie. À mon grand regret, je comprends que mon amendement CL92 va tomber.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé et les amendements CL22 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL49 et CL50 de Mme Marie-Noëlle Battistel, CL11 de Mme Emmanuelle Anthoine, CL72 et CL73 de M. Fabien Di Filippo et CL92 de Mme Sophie Auconie tombent.

Après l’article 4

L’amendement CL115 de la rapporteure est retiré.

La Commission aborde l’amendement CL117 de la rapporteure.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. L’amendement crée un chapitre III.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est saisie de l’amendement CL75 de Mme Laurence Trastour-Isnart.

Mme Laurence Trastour-Isnart. L’amendement permet au juge de prononcer contre l’auteur d’actes commis sur un mineur de moins de quinze ans une interdiction d’activité professionnelle ou bénévole le mettant en contact avec des mineurs qui soit valable plus de dix ans. L’absence de précision quant à la durée autorise le juge à prononcer des interdictions de quinze ou vingt ans.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Demande de retrait. On ne peut pas créer de peine automatique ; le juge doit rester libre de prononcer ou non une peine complémentaire. En l’occurrence, celle-ci existe déjà à l’article 227-29 du code pénal.

L’amendement est retiré.

Les amendements CL114 et CL116 de la rapporteure sont successivement retirés.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL56 de M. Erwan Balanant et CL62 de Mme Alexandra Louis. Ce dernier fait l’objet d’un sous-amendement CL125 de M. Pacôme Rupin.

M. Erwan Balanant. Les violences sexuelles numériques, perpétrées en ligne par un prédateur sexuel, sont un phénomène sur lequel nous avons été plusieurs à travailler. On m’en avait parlé lorsque je préparais mon rapport sur le harcèlement scolaire et on nous l’a présenté précisément et crûment lors de notre visite à la brigade de protection des mineurs.

Mon amendement tend à créer un nouvel article du code pénal sanctionnant de dix ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait, pour un majeur, d’inciter un mineur de quinze ans à commettre, par un moyen de communication électronique, un acte sexuel de quelque nature qu’il soit. Il s’agit d’actes sexuels commandés à distance. Ils créent pour les victimes un double traumatisme : le premier, que je suppose au moins égal à celui résultant d’une agression ou d’un viol, du fait de pénétrations induites à distance ; le second qui vient des photos prises, qui peuvent resurgir longtemps après la commission des faits et qui enferment à jamais la victime.

Nous en restons ici au délit, mais je me demande si l’on ne devrait pas criminaliser les actes les plus graves que sont les pénétrations à distance.

Mme Alexandra Louis. J’ai fait le même constat que mon collègue Balanant. Il existe des phénomènes dits de « sextorsion » qui passent par les réseaux sociaux : des majeurs utilisent ces réseaux pour entrer en contact avec des mineurs ; ces prédateurs usent de stratagèmes pour obtenir des éléments ayant trait à la vie privée des enfants et les amener à leur donner des photos, ce qui leur permet de les soumettre à un chantage. Cela peut aller très loin : on demande à l’enfant de se livrer à des actes d’autopénétration. On a pourtant tendance à considérer ces infractions comme moins graves que si elles avaient lieu dans la vie « réelle ».

En pratique, les mêmes faits sont qualifiés tantôt de violence, tantôt de corruption de mineur. C’est un vrai problème. Je propose donc moi aussi qu’ils soient réprimés pénalement – le droit pénal sert à exprimer les interdits.

Un problème particulier se pose dans le cas de l’autopénétration induite à distance. Je suis partie du principe qu’il fallait sans doute la criminaliser et peut-être modifier en ce sens l’infraction de viol, mais les juristes interrogés ont été presque unanimement hostiles à cette proposition. Nous n’en devons pas moins nous demander comment mieux protéger les mineurs de ces violences en ligne qu’il ne faut absolument pas minimiser. Dans la dernière affaire dont on nous a parlé, il y avait quarante victimes pour un auteur : les réseaux sociaux fournissent aux prédateurs un terrain de chasse sans précédent.

Il faut en tirer les conséquences en matière de peines et d’accompagnement : il convient de tenir compte de l’aspect sexuel dans la qualification de l’infraction, d’autant que les victimes souffrent de psychotraumatismes assimilables à ceux qu’entraîne un viol de droit commun – voire pires, en raison des photos et des vidéos qui peuvent resurgir des années après les faits.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tous les membres de notre Commission qui ont pris part à la visite du Bastion s’en souviennent. Les policiers nous ont alertés sur le phénomène en question et nous ont demandé de faire évoluer la définition du viol pour inclure cette incrimination, car ils sont souvent entravés dans les enquêtes et poursuites qu’ils voudraient lancer contre ce type de prédateurs. En progressant sur cette voie en vue de la séance publique, nous ferions œuvre utile et nous confirmerions l’intérêt de nos visites de terrain, dont je ne doutais pas.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Le sujet est essentiel. Avis favorable à l’amendement CL56. En revanche, j’ai une réserve concernant l’amendement CL62 car il ne précise pas qu’il vise les actes commis par un majeur : demande de retrait.

M. Stéphane Mazars. Je me souviens moi aussi de notre visite au Bastion et de notre rencontre avec les services qui luttent contre la pédocriminalité en ligne. Il en ressortait qu’il manquait dans notre droit pénal une qualification permettant de poursuivre les auteurs de tels faits. Peut-être faudrait-il établir une distinction entre les peines encourues selon que l’acte en question est une autopénétration ou un auto-attouchement. Ces amendements sont en tout cas essentiels.

M. Pacôme Rupin. Mon sous-amendement à l’amendement CL62 tend à préciser, à l’alinéa 2, que les faits sont commis par un majeur – ce serait cohérent avec l’alinéa 3 – et à ramener le montant de l’amende d’un million d’euros à 100 000 euros.

M. Rémy Rebeyrotte. Ce qui m’a frappé lors de notre visite au Bastion, c’est que les professionnels nous ont demandé de rapprocher la définition française du viol de celle en vigueur en Belgique. Cette dernière ne distingue pas les actes de pénétration venant d’un tiers de ceux qu’une personne est amenée, par ruse ou sans son consentement, à pratiquer sur elle-même. Cela nous permettrait de poursuivre plus facilement les actes commis en ligne par manipulation de la victime.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. J’avais étudié cette suggestion mais elle nous amènerait à modifier la définition du viol en général, ce que nous ne pouvons faire dans le cadre d’une proposition de loi consacrée aux infractions sur mineurs.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Voilà un an presque jour pour jour que nous avons fait la visite à laquelle plusieurs d’entre nous viennent de se référer. Il y a urgence : les policiers sont démunis et nous n’avons pas la possibilité de protéger les mineurs qui se font piéger. Les stratégies développées par les prédateurs sont efficaces : n’importe quel mineur, même très entouré par sa famille et ses camarades, peut être touché. Face à ces situations dramatiques, les policiers ont peu de moyens : dans le cas déjà cité de la personne à l’origine d’atteintes sur quarante mineurs, ils n’ont pas pu agir comme ils l’auraient voulu et l’intéressé, libéré très rapidement, a pu recourir aux mêmes stratagèmes dans d’autres pays.

Je soutiens la proposition des auteurs des amendements ; reste à trouver d’ici à la séance le meilleur moyen légistique de lui faire droit.

M. Erwan Balanant. Il faut que nous réfléchissions ensemble au bon emplacement de la disposition dans le code pénal : j’ai proposé de l’introduire après l’article 227-22-1, Mme Alexandra Louis un peu plus loin. Nous devrions nous coordonner. J’ai le sentiment que la place que j’ai choisie est la bonne ; sans doute Mme Louis pourrait-elle dire la même chose de son propre amendement, mais comme c’est le mien qui a fait l’objet d’un avis favorable…

M. Raphaël Schellenberger. Il est important de préciser dans l’amendement CL62 de Mme Louis qu’il vise les actes que des majeurs font commettre à des mineurs de quinze ans ; sinon, on sort du champ du texte et on touche à d’autres équilibres que l’on ne peut pas remettre en cause aujourd’hui.

Mme Alexandra Louis. S’agissant de l’emplacement, j’avais pris le parti de créer une section dédiée aux infractions sexuelles sur mineurs, sur le modèle du code de la justice pénale des mineurs. Cela me paraîtrait plus lisible et symboliquement important. C’était aussi le sens de mon amendement CL108 et la raison pour laquelle son adoption a fait tomber beaucoup d’autres amendements.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Il faudra que nous nous réunissions pour travailler ensemble et nous coordonner avant l’expiration du délai de dépôt des amendements en séance publique.

La Commission rejette l’amendement CL56.

Elle adopte le sous-amendement CL125, puis l’amendement 62 sous-amendé. En conséquence, l’article 5 est ainsi rédigé.

La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL23 de Mme Brigitte Kuster et CL98 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. L’allongement du délai de prescription me semble indispensable ; l’actualité récente démontre que, dans certains cas, le délai actuel n’est pas satisfaisant. Il faut laisser aux victimes le temps nécessaire à la dénonciation des faits subis car le phénomène d’amnésie traumatique peut les empêcher d’avoir conscience de ce qui s’est passé, parfois pendant plusieurs décennies. Le report à la majorité du point de départ du délai de prescription est insuffisant. Voyez les affaires Preynat, Le Scouarnec, Hamilton ! Je propose que le point de départ du délai de prescription soit fixé au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer ses droits.

Je vous recommande à ce sujet le travail de la psychiatre Muriel Salmona, auditionnée ici même à de nombreuses reprises, et le documentaire Enfance volée, chronique d’un déni. Nous devons tenir compte de l’amnésie traumatique dans le droit pénal.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Vous prêchez une convaincue ; les travaux dont vous parlez sont connus et reconnus. J’avais donc souhaité que l’on puisse réfléchir aux questions de mémoire traumatique et d’imprescriptibilité. Il faudrait également former les experts judiciaires à ces questions. Mais je demande le retrait de votre amendement, car le sujet appelle un travail avec le Gouvernement et la majorité sur la rédaction la plus opportune. Je suis prête à en discuter en séance publique, où nous pourrons échanger avec le garde des Sceaux.

Sur l’amendement CL23, avis défavorable.

Mme Sophie Auconie. Compte tenu de votre proposition, je vais retirer mon amendement, non sans rappeler que, sur les trois à quatre mille agressions que recouvre l’affaire Preynat, touchant plusieurs centaines de victimes, quelques-unes seulement ont été reconnues non prescrites. C’est un vrai sujet.

L’amendement CL98 est retiré.

La Commission rejette l’amendement CL23.

Elle est saisie de l’amendement CL94 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Je remets sur la table la question de l’imprescriptibilité, qui avait suscité un débat passionné en 2018. Pour moi, l’imprescriptibilité a tout son sens dans le cas de crimes contre des enfants. On me dit qu’elle est liée aux crimes contre l’humanité, mais je considère que nos enfants sont l’humanité. L’auteur doit réaliser qu’il sera puni quel que soit le jour où son crime aura été dévoilé.

On commence à tenir compte de l’amnésie traumatique et, de ce point de vue, l’extension du délai de prescription à trente ans après la majorité de la victime a constitué une avancée. Mais elle n’est pas suffisante. Les exemples actuels le confirment, puisque de nombreuses victimes ne sont pas considérées telles parce que les faits sont prescrits. L’imprescriptibilité montrerait que nous comprenons l’ascendant, l’emprise, l’amnésie traumatique – toutes les raisons pour lesquelles un enfant ne dévoile pas le mal qu’on lui a fait, n’en dénonce pas l’auteur. C’est essentiel : il faut protéger l’enfant jusqu’au bout.

Dans l’affaire Le Scouarnec, les victimes, qui se comptent par centaines, ont dénoncé les faits après de longues années, de sorte que beaucoup ne seront pas considérées comme victimes à cause de la prescription. Ce n’est pas acceptable.

Mme Alexandra Louis. Au moment d’aborder le sujet sensible de la prescription, je rappelle qu’en 2018, nous avons allongé le délai de sorte que l’action publique peut désormais être engagée jusqu’aux 48 ans de la victime, étant précisé qu’il n’y a pas de limite dans le temps pour porter plainte. Il est important de le dire à nos concitoyens car les mécanismes de prescription sont devenus si complexes qu’on ne sait jamais à première vue si des faits sont prescrits ou non.

Cet allongement recouvre de nombreuses situations. Lors des auditions que j’ai menées, il est apparu que, sur la prescription, les avis sont divisés. Mais la quasi-totalité des magistrats et juristes rencontrés sont réservés quant à un nouvel allongement, voire une imprescriptibilité, à cause des difficultés pratiques auxquelles les confronte déjà l’allongement du délai lorsqu’il s’agit d’apporter la preuve des faits. Le vrai combat est celui-là : apporter la preuve et mobiliser la société, libérer la parole. Le véritable enjeu est que les gens parlent. S’ils l’avaient fait, dans de nombreuses affaires médiatisées, nous ne nous poserions pas la question de la prescription. C’est d’ailleurs, rappelons-le, une obligation lorsque des mineurs sont en jeu.

Je proposerai un mécanisme de prescription pour les infractions sérielles, commises par un auteur sur une multitude de victimes, dont il faut mieux tenir compte.

N’oublions pas, enfin, l’absence d’effet rétroactif : les faits qui sont prescrits le resteront. Dans l’affaire Duhamel, comme pour de nombreux faits révélés aujourd’hui, les faits ne seraient pas prescrits si la loi de 2018 avait été en vigueur à l’époque. Nous avons vraiment fait un pas en avant en 2018 ; il me paraît difficile d’aller plus loin.

M. Dimitri Houbron. Je souscris entièrement à ce qui vient d’être dit. Il y a deux obstacles à l’imprescriptibilité en la matière. Théorique, d’abord : elle est réservée aux crimes contre l’humanité, ce qui représente un symbole fort ; de plus, si on l’étend aux crimes sexuels sur mineurs, pourquoi pas aux autres crimes sur mineurs ? Pratique, ensuite : il faut libérer la parole le plus vite possible, voilà le message que nous devons diffuser. La conservation des preuves est difficile au bout de trente ans. Nous avons cependant voulu l’allongement en 2018 pour tenir compte de l’amnésie traumatique, mais ne laissons pas croire que, si la parole se libère au bout de cinquante ans, la justice pourra faire son œuvre. Ce serait un mensonge.

Travaillons en revanche à une prescription « glissante », dont le délai partirait de la dernière infraction commise quand les infractions sont multiples, et bénéficierait ainsi aux actes antérieurs.

M. Stéphane Mazars. La question de la prescription des violences sexuelles se pose avec de plus en plus d’acuité, la société ayant du mal à accepter qu’une personne identifiée comme l’auteure d’une infraction puisse ne jamais être poursuivie. Par ailleurs, l’amnésie traumatique, de plus en plus documentée, est une donnée nouvelle qui nourrit le débat.

J’ai toujours considéré, tant sur le plan universitaire que professionnel, que la prescription était nécessaire. Il existe une hiérarchie entre les crimes contre l’humanité et les crimes relevant du droit commun, et il est important que notre système judiciaire en tienne compte. De plus, dans ces dossiers où la parole se libère trop tard, les investigations peuvent être longues et sont parfois surinvesties par la victime. Or, quand on n’arrive pas à trouver les preuves qui permettraient d’établir la culpabilité et de prononcer des sanctions, ce parcours long, douloureux se solde par un échec, et c’est traumatisant pour les victimes. La loi Schiappa, en portant à trente ans le délai de prescription, constitue une avancée. Mais, au-delà de trente ans, le risque de dépérissement de la preuve est réel, qui plus est dans un domaine où celle-ci est très difficile à établir.

Mme Naïma Moutchou. Le débat sur l’imprescriptibilité est ancien dans la classe politique, parmi les féministes et dans la société d’une manière générale. Il s’agit pourtant d’une fausse bonne idée : si l’objectif est d’en finir avec les infractions sexuelles commises sur des enfants, l’imprescriptibilité ne changera rien. Nous ne mettrons pas fin à ces violences en autorisant leurs poursuites pour l’éternité, ou du moins pour un temps très long. Si les victimes ont droit à la justice, elles ne se reconstruiront pas par la sanction : c’est un leurre. Elles le reconnaissent elles-mêmes. Il est illusoire de penser que la justice peut être rendue quarante, cinquante ou soixante ans après les faits. Il n’y a rien de pire qu’un procès parole contre parole dans ce type d’affaire.

Les véritables avancées sont celles que nous avons votées et celles qui seront proposées sur la prescription « glissante » ou « « échelonnée ». Elles se situent presque en dehors du répressif, et relèvent de l’accompagnement, de la libération de la parole, de la prévention. Le reste, notamment l’imprescriptibilité, est malvenu. Du reste, de très nombreuses associations, très sérieuses, s’y opposent : elles aussi doivent être entendues.

Mme Sophie Auconie. J’entends ces arguments qui sont très justes. Mais je pense aux affaires récentes dans lesquelles les victimes sont nombreuses. Le classement sans suite d’une procédure judiciaire faute de preuve est, certes, un traumatisme, mais l’ensemble des victimes d’un même auteur doivent bénéficier, par principe, d’une égale protection. L’abbé Preynat a fait plusieurs centaines de victimes, mais seules quatre plaintes font l’objet d’une procédure judiciaire : quel traumatisme pour toutes les autres victimes ! La seule solution réside dans l’imprescriptibilité.

Vous dites que la première action à mener est de libérer la parole : nous sommes tous d’accord ! Et je suis très fière de vivre dans une société dans laquelle, grâce aux réseaux sociaux, la parole se libère. Toutefois, la situation d’emprise perdurera quoi qu’il arrive : c’est ce que nous ont dit les victimes et les magistrats qui reçoivent ces enfants tous les jours. L’extension du délai de prescription à trente ans est un véritable progrès. Mais ce n’est pas suffisant – toutes les associations le disent. Compte tenu de l’existence d’amnésies traumatiques, lesquelles sont scientifiquement démontrées – c’est une pathologie –, il faut à tout le moins faire débuter le délai de prescription au moment où les souvenirs ressurgissent. À défaut, je demande l’imprescriptibilité pour assurer l’égalité de protection de toutes les victimes d’un même auteur. Pour des cas moins évidents que ceux de Le Scouarnec ou de Preynat, la présomption d’innocence prévaut et bénéficie toujours à l’auteur ; c’est un principe de notre droit. La présomption d’innocence ne pose donc pas de problème.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine, en discussion commune, l’amendement CL87 de M. Dimitri Houbron et les amendements identiques CL36 de M. Aurélien Pradié, CL88 de M. Dimitri Houbron et CL97 de Mme Sophie Auconie.

M. Dimitri Houbron. La loi du 3 août 2018 a fait évoluer la procédure pénale dans le domaine qui nous occupe. Tout d’abord, les infractions sexuelles criminelles commises à l’encontre des mineurs sont prescrites trente ans après la majorité de la victime. Ensuite, en modifiant la lettre de l’article 434-3 du code pénal, la loi a permis de faire du délit de non-dénonciation une infraction continue et non plus instantanée. Ainsi, tant que les sévices sexuels durent sans que la personne les dénonce, la prescription ne court pas.

Toutefois, cette disposition n’est pas à la hauteur de l’enjeu. En effet, le délit de non-dénonciation se prescrit conformément aux règles de droit commun, soit six ans révolus à compter du jour de l’infraction. L’argument selon lequel les victimes devenues majeures n’ont plus besoin de la protection d’une loi imposant à ceux ayant connaissance des faits de les dénoncer n’est pas pertinent. Certes, on peut considérer que si ces victimes sont en état d’agir, il n’y a plus lieu de reprocher à des tiers de ne pas le faire. Mais cela reviendrait à considérer que le droit pénal sert non pas à punir des auteurs pour les faits qu’ils ont commis, mais à satisfaire le besoin de réparation des victimes, ce qui n’est pas le rôle de la sanction pénale. Ceux qui savent et se taisent doivent prendre conscience de la gravité d’un tel silence. En ne prenant pas leurs responsabilités, ils autorisent la perpétuation de sévices aux conséquences irréversibles.

L’objet de cet amendement est de calquer les délais de prescription de l’action publique du délit de non-dénonciation, sans modifier le quantum de la peine encourue, sur celui du crime ou du délit qui n’est pas dénoncé.

M. Raphaël Schellenberger. Il convient d’allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation concernant un délit ou un crime commis sur un mineur, en le portant à dix ans pour un délit et à vingt ans pour un crime. Dans les affaires qui alimentent l’actualité, on constate souvent que des personnes savent et se taisent, permettant ainsi le maintien d’un système et parfois sa transmission. Pour casser ces chaînes, il faut absolument que ceux qui savent et ne disent rien puissent être inquiétés le plus longtemps possible.

Mme Sophie Auconie. Nous proposons que le délit de non-dénonciation soit sanctionné de façon beaucoup plus sévère. Si le mineur a été victime d’un délit, par exemple une atteinte sexuelle, le délai de prescription serait porté à dix ans à compter de la majorité de la victime. Si le mineur a été victime d’un crime, par exemple un viol, le délai de prescription serait porté à vingt ans à compter de la majorité de la victime.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Favorable aux amendements identiques, je demande à M. Houbron de bien vouloir retirer le CL87.

Mme Alexandra Louis. Si je comprends bien l’objectif de ces amendements, je m’interroge sur deux points. Au plan juridique, tout d’abord, il faut se montrer très vigilant quant à la cohérence et à l’équilibre général des délais de prescription, que ces amendements remettraient en cause. À chaque fois que l’on touche à ces délais, on fragilise la pratique judiciaire : c’est un message que m’ont répété en boucle les magistrats et les avocats.

Ensuite, je m’interroge sur l’efficacité de la mesure proposée. Nous sommes tous d’accord sur l’objectif : ceux qui savent doivent parler. Or, je ne suis pas persuadée que l’allongement des délais de prescription ait un effet dissuasif. Le quantum de la peine a déjà été alourdi en 2018 et le début du délai de prescription a été décalé lorsque cette infraction instantanée a été transformée en une infraction continue. En outre, l’abstention est difficile à prouver – en droit, on parle de probatio diabolica, la preuve diabolique. Là réside le véritable enjeu.

J’ai souvent entendu, au cours des auditions, que s’il était souhaitable d’améliorer le droit pénal, il ne fallait pas oublier que le véritable combat est la mobilisation de la société. Beaucoup de gens savent ou ont des doutes – et je rappelle qu’en l’espèce, en cas de doute, on ne s’abstient pas – et doivent être amenés à parler. Nous sommes allés loin en matière de répression, beaucoup plus loin en matière de prescription. Ces amendements me laissent dubitative.

M. Dimitri Houbron. Il serait paradoxal que l’auteur de l’infraction soit passible des assises mais que la personne qui savait et n’a pas dénoncé, par exemple la mère, soit exemptée de responsabilité. C’est triste à dire mais c’est souvent dans le cadre intrafamilial que les faits sont commis. Le message à transmettre, c’est qu’il faut libérer la parole : les gens qui ont connaissance de ces faits doivent les dénoncer. Mais il ne me paraît pas exorbitant d’appliquer le même délai de prescription à l’infraction principale et au délit de non-dénonciation. Ce serait faire œuvre utile, même si la difficulté d’apporter la preuve existe.

Mme Sophie Auconie. Je comprends mieux pourquoi nous ne sommes pas souvent d’accord, madame Louis : selon moi, le véritable enjeu, ce n’est pas de sensibiliser l’opinion publique – il y a des structures, des établissements, des organisations bien plus efficaces que nous dans ce domaine –, c’est d’envoyer un signal aux auteurs. Il faut libérer la parole, évidemment – je ne suis pas sûre qu’un texte comme celui-ci y parvienne –, mais aussi sanctionner, et protéger nos enfants. Voilà le véritable enjeu ! Le texte tel qu’il est réécrit ne correspond pas aux enjeux de ce qui est un sujet sociétal majeur, comme en témoignent quotidiennement les médias – qui, ce faisant, sensibilisent l’opinion publique.

M. Raphaël Schellenberger. J’adopterai une position d’équilibre, à mi-chemin entre Mme Auconie et Mme Louis. À titre personnel, je tiens à la prescription parce qu’elle structure notre système juridique. Avant d’étendre systématiquement les délais, observons déjà l’effet produit par l’allongement qui a été voté. Mais, en l’occurrence, nous parlons de personnes qui savaient et qui ont permis, en se taisant, que l’infraction perdure. C’est inacceptable. C’est pourquoi le délit de non-dénonciation ne doit pas être prescrit trop vite : il doit pouvoir faire l’objet de poursuites longtemps après, parce qu’il est aussi impardonnable que l’acte lui-même.

M. Pacôme Rupin. Madame Auconie, vous avez fixé des objectifs qui parfois nous dépassent. Je ne sais pas si notre rôle est d’envoyer un signal. En revanche, il est de renforcer les sanctions et c’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi, dans un cadre juridique équilibré. Nous ne nous opposons pas à l’esprit de votre amendement, mais nous devons nous montrer vigilants quant à la constitutionnalité de ce que nous votons.

Mme Sophie Auconie. L’affaire Duhamel est prescrite. Le délai de trente ans ne suffit donc pas !

Mme Alexandra Louis. La loi pénale n’est pas rétroactive : c’est un principe à valeur constitutionnelle. L’affaire Duhamel n’est donc pas sous l’empire de la loi de 2018.

Pour en revenir au sujet qui nous intéresse, je ne ferme pas la porte mais je m’interroge sur l’efficacité d’un allongement de la durée de prescription. La loi pénale a plusieurs fonctions : elle protège, elle amorce des changements sociétaux et elle réprime. Il faut tenir compte de tous ces aspects et savoir ce que l’on veut faire tant en matière de dissuasion que de répression. Je propose donc que nous débattions de ce sujet en séance publique, en présence du ministre. Encore une fois, lorsque l’on modifie le régime de prescription, on touche à l’architecture du droit. Or, il ne faut y toucher qu’avec la main tremblante, pour reprendre la formule consacrée.

M. Erwan Balanant. Votre remarque aurait pu valoir pour l’ensemble du texte !

Tout n’est pas parfaitement logique dans l’agencement des différentes prescriptions. La prescription est un cadre important de notre droit pénal mais, en l’occurrence, les délais sont courts. Si l’on veut faire preuve de cohérence, il faut les allonger. En effet, une personne n’ayant pas dénoncé un crime ou un délit peut, à partir d’un certain délai, se sentir à l’abri de poursuites, tandis que la prescription n’est pas acquise pour l’auteur des faits. Cela ne va pas ! Nous avons bien avancé tout à l’heure en traitant quarante articles du code pénal en un seul amendement : nous pouvons également voter celui-ci, quitte à y revenir en séance publique.

Mme Naïma Moutchou. Ce que nous faisons nécessite un minimum de rigueur : on ne peut pas être approximatif ! L’affaire Duhamel est jugée sous l’empire de la loi ancienne. Si elle se produisait aujourd’hui, elle serait jugée sous l’empire de la loi Schiappa votée il y a deux ans, c’est un fait ! Il ne s’agit pas de freiner des quatre fers – nous aussi, nous voulons avancer –, mais de faire en sorte que ce que nous votons tienne la route, parce que nous sommes attendus sur ce sujet.

La Commission rejette successivement l’amendement CL87 et les amendements identiques.

Elle examine, en discussion commune, les amendements identiques CL37 de M. Aurélien Pradié et CL27 de Mme Albane Gaillot, ainsi que l’amendement CL89 de Mme Alexandra Louis.

M. Raphaël Schellenberger. Il s’agit encore une fois du délai de prescription. L’amendement répond aux préoccupations légitimes exprimées par Mme Sophie Auconie puisqu’il interrompt le délai de prescription si l’auteur des faits poursuit ses actes sur d’autres victimes, ce délai ne recommençant à courir qu’à l’issue de la succession d’actes criminels ou délictueux.

Mme Alexandra Louis. Nous sommes d’accord sur l’objectif. Plutôt que de parler de prescription glissante, réactivée ou rééchelonnée, je préfère retenir la notion d’infractions sérielles. De fait, dans de nombreuses affaires, certaines victimes sont parties civiles tandis que d’autres ne sont que témoins, ce qui pose des difficultés.

Les rédactions proposées par nos collègues soulèvent un problème technique : il faut veiller à ce que ce ne soit pas la commission de l’infraction qui interrompe le délai, mais bien un acte interruptif défini dans le code de procédure pénale. Si la première infraction tombait, on serait bien embêté. Il faut être attentif à cette articulation.

Je vous soumets donc la définition que Mme Haritini Matsopoulou, professeure de droit privé, m’a proposée, et qui s’inspire de plusieurs solutions jurisprudentielles. Il s’agit de recourir à la notion de connexité et de l’adapter à ces infractions spécifiques, en traitant à la fois les délits et les crimes et en veillant à ce qu’un acte interruptif – en l’espèce, la saisine d’une juridiction –, et non une infraction, interrompe le délai de prescription. Je veux bien retravailler cet amendement mais je le trouve intéressant parce qu’il s’inscrit dans la continuité de ce qui a été fait pour d’autres infractions, par exemple des infractions économiques. En tout cas, il est nécessaire d’apporter une précision dans le code de procédure pénale, sinon cela ne fonctionnera pas.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’ai écouté avec une grande attention vos propositions, qui sont intéressantes. Mais, même si vous êtes majoritaires, je reste la rapporteure du texte, lequel doit être élaboré dans le cadre d’un rassemblement le plus large possible, dans la recherche de l’intérêt général. J’émets un avis favorable sur les amendements identiques.

M. Raphaël Schellenberger. Je conviens avec Mme Louis qu’aucun de ces trois amendements ne propose une rédaction parfaite et qu’il sera nécessaire de les retravailler. La loi pénale est d’interprétation stricte ; il faudrait donc éviter d’employer des termes utilisés à propos de délinquance économique s’agissant de délits et de crimes sexuels commis sur des mineurs. Si je suis d’accord avec la première partie de l’amendement de Mme Louis, je désapprouve la seconde, qui tend à considérer comme connexes les délits et les crimes sexuels qui « sont déterminés par la même cause et tendent au même but ». Il conviendrait d’amender cette rédaction pour qu’elle corresponde à la réalité d’une infraction sexuelle.

Mme Alexandra Louis. Je ne suis pas opposée à l’idée de retravailler cet amendement ; il s’agit d’un point de départ. Ma préoccupation est que le délai de prescription d’une infraction ne soit pas interrompu par une autre infraction.

La Commission adopte les amendements identiques. En conséquence, l’amendement CL89 tombe et l’article 6 est ainsi rédigé.

La Commission en vient à l’amendement CL38 de M. Aurélien Pradié, qui fait l’objet d’un sous-amendement CL118 de la rapporteure.

M. Raphaël Schellenberger. Il s’agit d’élargir la liste des infractions dont les auteurs sont inscrits au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes en y faisant figurer le délit d’incitation à commettre un crime ou un délit sur un mineur. Cette extension, qui ne serait pas la première, nous semble pertinente car, si l’on veut lutter contre ces infractions, il est essentiel de se donner les moyens d’informer et d’éviter que leurs auteurs ne se trouvent à proximité de mineurs ou ne travaillent avec les mineurs en tant qu’encadrants, salariés ou même bénévoles.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Avis favorable. Je retire le sous-amendement.

Le sous-amendement est retiré. La Commission adopte l’amendement et l’article 7 est ainsi rédigé.

La Commission est saisie de l’amendement CL96 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Il s’agit d’assurer la coordination des règles applicables aux nouvelles infractions.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. La structuration du texte ayant changé, votre amendement n’a plus d’objet. Demande de retrait.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL39 de M. Aurélien Pradié.

M. Raphaël Schellenberger. Nous souhaitons l’inscription d’un plus grand nombre de personnes sur le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles et violentes, en rendant cette inscription automatique lorsque la victime est mineure, et ce, quel que soit le quantum de la peine encourue. Certes, le juge a une liberté d’appréciation mais, s’agissant de l’inscription dans ce type de fichier, nous devrions être un peu plus incitatifs.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Je n’ai pas d’opposition de principe.

M. Raphaël Schellenberger. Je précise que cet amendement reprend une disposition adoptée au Sénat.

Mme Sophie Auconie. Je me réjouis qu’il puisse être adopté car il reprend exactement une disposition rejetée en 2018 lors de l’examen de la loi Schiappa.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL40 de M. Aurélien Pradié.

M. Raphaël Schellenberger. Une fois n’est pas coutume, nous demandons au Gouvernement un rapport sur les moyens alloués à la lutte contre les violences sexuelles, sur l’accueil et la prise en charge des victimes de viol et d’inceste, et sur les dispositifs nouveaux qu’il entend déployer. Il y a souvent des déclarations d’intention, dont les effets se font attendre longtemps. En l’espèce, un rapport peut favoriser une action publique plus rapide.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. J’émets un avis favorable, avec plaisir !

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement CL43 de Mme Valérie Beauvais.

Mme Laurence Trastour-Isnart. Il s’agit de demander au Gouvernement de remettre un rapport sur la recrudescence des violences sexuelles commises par des mineurs sur des mineurs. Ces faits sont en en effet en forte augmentation : 50 % des condamnations pour viol sur mineurs de 15 ans concernent des auteurs eux-mêmes mineurs.

Mme Isabelle Santiago, rapporteure. Avis favorable, même si nous manquons surtout de recherches sur l’enfance.

Mme Alexandra Louis. Je ne suis pas favorable aux demandes de rapport : les parlementaires ont un pouvoir d’évaluation, qu’ils peuvent exercer. Si nous avons des questions à poser au Gouvernement, le débat en séance publique permettra d’obtenir des réponses.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL57 de M. Erwan Balanant.

M. Erwan Balanant. L’objet de cet amendement de repli était de demander au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de créer un délit de violences sexuelles numériques, délit que nous avons créé un peu plus tôt. Cependant, celui-ci ne règle pas totalement la question des violences numériques, qui méritera sans doute de faire l’objet d’un travail de notre Commission.

L’amendement est retiré.

La Commission examine l’amendement CL93 de Mme Sophie Auconie.

Mme Sophie Auconie. Il s’agit de demander au Gouvernement un rapport évaluant la possibilité de considérer l’amnésie traumatique comme un obstacle insurmontable au sens de l’article 9-3 du code de procédure pénale dans les affaires portant sur des violences sexuelles commises sur des mineurs.

Mme Isabelle Santiago rapporteure. Avis favorable.

Mme Alexandra Louis. Une partie du rapport d’évaluation que j’ai rédigé est consacrée à ce sujet : j’invite tous ceux qui le souhaitent à en prendre connaissance. J’ai essayé de retracer les différents points de vue, tous intéressants, sur ce sujet très complexe.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


—  1  —

   Personnes entendues

ASSOCIATIONS

 Mme Ernestine Ronai

– Mme Michèle Créoff, ancienne vice-présidente du conseil national de la protection de l’enfance

– M. Pascal Cussigh, Coup de Pouce-protection de l’enfance

– Mme Aude Mirkovic, Juristes pour l’enfance

– Mme Vanessa Saab, Enfance Majuscule

– Mme Isabelle Aubry, présidente

– M. Patrick Loiseleur, vice-président

– M. Arnaud Gallais, directeur général

UNIVERSITAIRES

– M. Jean-Marc Baleyte, chef du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du centre hospitalier intercommunal de Créteil et professeur de pédopsychiatrie à l’Université Paris-Est-Créteil

– M. Jérôme Payen de La Garanderie, pédopsychiatre au service universitaire du centre hospitalier intercommunal de Créteil

– M. Philippe Conte, directeur de l’institut de criminologie et de droit pénal de l’Université Paris II Panthéon-Assas

– Mme Carole Hardouin-Le Goff, directrice des études de criminologie et droit pénal de l’Université Paris II Panthéon-Assas

MAGISTRATS

 Mme Catherine Mathieu, présidente du tribunal judiciaire de Meaux

 Mme Cristina Mauro, vice-procureur du tribunal judiciaire de Paris

AVOCATS

– Mme Annie Koskas, avocate, ancienne bâtonnière de Créteil

– Mme Nassera Meziane, avocate, ancienne vice-bâtonnière de Créteil

 


([1]) Vanessa Springora, Le Consentement, Grasset, 2020.

([2]) Camille Kouchner, La Familia grande, Seuil, 2021.

([3]) Sarah Abitbol & Emmanuelle Anizon, Un si long silence, Plon, 2020.

([4]) « "La France a un problème avec l’inceste" : avec #metooinceste, des dizaines de milliers de tweets libèrent la parole », Le Monde, 18 janvier 2021.

([5]) Protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles, rapport d’information n° 289 (2017-2018) de Mme Marie Mercier au nom de la commission des Lois du Sénat, 7 février 2018.

([6]) Thierry Pastorello, « L’abolition du crime de sodomie en 1791 : un long processus social, répressif et pénal », Cahiers d’histoire – Revue d’histoire critique, n° 2010-112/113, pp. 197-208.

([7]) Art. 330 à 340 du code pénal de 1810.

([8]) Il est saisissant de constater que les interrogations des juristes de l’époque n’ont guère changées au cours des deux derniers siècles. Anne-Claude Ambroise-Rendu en rend compte dans un article « Attentats à la pudeur sur enfants : le crime sans violence est-il un crime ? (1810-années 1930) » paru dans la Revue d’histoire moderne et contemporaine 2009/4 (n° 56/4), pp. 165-189 : « Le plus souvent, l’absolution est motivée par le fait que le jury, tout en reconnaissant l’attentat ou la tentative de viol, en récuse la violence, « circonstance caractéristique du crime », permettant ainsi de prononcer la culpabilité tout en autorisant la relaxe finale de l’accusé. À propos d’un arrêt d’absolution qu’il a dû rendre, le président de la cour d’assises d’Amiens note, en 1824, que les jurés lui « ont fait regretter que le législateur n’ait pas déterminé un âge au-dessous duquel la violence serait toujours censée exister et qu’il n’ait pas laissé aux magistrats la faculté d’appliquer une peine correctionnelle à des faits qui, reconnus constants par le jury, ne peuvent sans blesser la morale publique, être mis par un arrêt à l’abri de toute punition légale ». Il insiste, interrogeant : « un enfant peut-il se défendre et laisser des traces qui attestent sa défense […] Peut-on conclure, comme on l’a fait que, s’il n’y avait pas de consentement au moins il n’y avait pas de résistance et par conséquent pas de violence ? ». Très tôt donc, certains magistrats tentent d’affiner la définition de la violence, en introduisant une gradation entre la violence physique et des formes plus subtiles de contrainte morale. « Vainement, notent Briand et Chaudé en 1846 (qui citent quatre arrêts de la cour de cassation échelonnés entre 1820 et 1830), quelques cours d’assises (ont-) elles voulu considérer comme équipollente la violence morale. C’était une extension de la loi pénale, extension interdite par notre droit criminel ». »

([9]) Loi du 28 avril 1832 contenant des modifications au code pénal et au code d’instruction criminelle.

([10]) Loi du 13 mai 1863 portant modification de plusieurs dispositions du code pénal.

([11]) Ordonnance n° 45‑1456 du 2 juillet 1945 abrogeant et remplaçant l’art. 331 (al. 1 et 2) du code pénal,

([12]) Art. 222-22 du code pénal.

([13]) Art. 222-23 du code pénal issu de la loi n°80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.

([14]) Si la pénétration vaginale ou anale sont évidemment visées par le code pénal, la jurisprudence a également considéré de longue date que le fait de forcer la victime à pratiquer une fellation devait recevoir la qualification de viol (Cass. crim. 22 févr. 1984 : Bull. crim. n° 71). En revanche, l’insertion dans la bouche de la victime d’autres organes ou objets n’est analysée en tant que viol qu’à la condition de rapporter la preuve d’un contexte sexuel.

([15]) Loi n° 2018‑703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite « loi Schiappa ».

([16]) Art. 222-23 du code pénal.

([17]) Par exemple, les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Mais l’article 222-12 du code pénal porte ces peines à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en présence d’une des circonstances aggravantes qu’il énumère, à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende en présence de deux circonstances aggravantes, et à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en présence de deux circonstances aggravantes.

([18]) Art. 222-24 du code pénal.

([19]) Art. 222-29-1 du code pénal. L’agression sexuelle sur mineur de quinze ans donne lieu à la peine la plus lourde, les autres agressions sexuelles aggravées étant punies de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

([20]) Constituée au premier contact physique de nature sexuelle, l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze permet de réprimer tous les actes sexuels, qu’ils comportent ou non une pénétration.

([21]) Art. 227-25 du code pénal.

([22]) Art. 227-26 du code pénal. Constituent également une circonstance aggravante la commission par plusieurs coauteurs ou complices, l’utilisation d’un réseau de communication électronique ou encore l’ivresse manifeste ou l’emprise de produits stupéfiants.

([23]) Art. 227-22 du code pénal.

([24]) Art. 225-12-1 du code pénal.

([25]) La loi précitée du 3 août 2018 a depuis rendu obligatoire, à l’article 351 du code de procédure pénale, que « lorsque l’accusé majeur est mis en accusation du chef de viol aggravé par la minorité de quinze ans de la victime, le président pose la question subsidiaire de la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats ». Quant à l’affaire proprement dite, la cour d’assises de Paris saisie en appel a condamné l’auteur des faits à sept ans d’emprisonnement pour viol. 

([26]) Le tribunal correctionnel s’était finalement déclaré incompétent et, le 27 février 2018, une information judiciaire était ouverte pour viol.

([27]) Cass. crim, 7 décembre 2005, n° 05-81.316.

([28]) La Cour de cassation, qui connaît des affaires au cas par cas, n’a jamais affirmé une règle générale en la matière.

([29]) Loi n° 2010‑769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

([30]) Art. 222-22-1 du code pénal.

([31]) Conseil constitutionnel, décision n° 2014-448 QPC du 6 février 2015, M. Claude A., cons. n° 7.

([32]) La loi pénale ne vaut que pour l’avenir à moins qu’elle est pour effet d’adoucir la répression encourue.

([33]) Le discernement permettant le consentement à un acte sexuel ne saurait être rapproché du discernement fondant la responsabilité pénale, que l’article 122-8 du code pénal établit à treize ans.

([34]) Le Monde, 20 septembre 1981.

([35]) Articles 161 à 163 du code civil. Le Président de la République peut cependant, pour des causes graves, lever la prohibition attachée aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée, et entre oncle, tante, nièce et neveu.

([36]) « Pourquoi ? Parce que pour eux, l’inceste n’est pas un crime au regard de la société. Il n’est pas dangereux, il ne l’atteint pas. Il n’est un crime que pour la morale et la religion. On peut dire, en ce sens, que les révolutionnaires ont laïcisé l’inceste (…). Leur volonté était donc de rendre libre des pratiques sexuelles qui ne heurtaient pas la société. À l’inverse, ils ont inscrit le crime de viol (dans lequel une partie spécifique de l’inceste est concernée) parce que ce dernier, en atteignant le corps d’un individu, menace les libertés individuelles et donc de la société » (Fabienne Giuliani citée in « Pour les révolutionnaires de 1789, l’inceste n’était pas un crime », L’Obs, 7 novembre 2016).

([37]) Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

([38]) Conseil constitutionnel, décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, M. Claude N., et décision n° 2011‑222 QPC du 17 février 2012, M. Bruno L. « S’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille » (cons. n° 4 de la décision du 16 septembre 2011). 

([39]) Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.

([40]) Cass. crim., 7 mars 2018, n° 17-81.341.

([41]) Art. 222-31-2 et 227-27-3 du code pénal, le premier pour les agressions sexuelles et le second pour les atteintes sexuelles sur mineur.

([42]) Art. 222-31-1 et 227-27-2-1 du code pénal, le premier pour les agressions sexuelles et le second pour les atteintes sexuelles sur mineur.

([43]) Sauf circonstance particulière dans laquelle ledit frère dirigerait le foyer, il n’a pas autorité sur la victime.

([44]) L’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 commande que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ». En outre, l’article 6, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 précise que « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».

([45]) Décision n° 2011-164 QPC du 16 septembre 2011, M. Antoine J.

([46]) Décision n° 2017-659 QPC du 6 octobre 2017, Époux N.

([47]) Décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

([48]) Avis n° 394437 sur un projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs, 15 mars 2018.

([49]) Conseil constitutionnel, décision n° 99-411 DC du 16 juin 1999, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité routière et aux infractions sur les agents des exploitants de réseau de transport public de voyageurs, cons. n° 16 : la « culpabilité ne saurait résulter de la seule imputabilité matérielle d’actes pénalement sanctionnés » et « la définition d’une incrimination, en matière délictuelle, doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celleci ».

([50]) Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels adoptée par le Sénat le 21 janvier 2021 et transmise le lendemain à l’Assemblée nationale (n° 3796).

([51]) Cette disposition fait écho à l’article 222-25 selon lequel « le viol est puni de trente ans de réclusion criminelle lorsqu’il a entraîné la mort de la victime ».

([52]) Cette précision est une redite de l’article 222-2 du code pénal aux termes de laquelle l’infraction de tortures et d’actes de barbarie « est punie de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’elle précède, accompagne ou suit un crime autre que le meurtre ou le viol ».

([53]) Art. 132-23 du code pénal : « En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ou supérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peut bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l’extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle. La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans. La cour d’assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu’aux deux tiers de la peine ou, s’il s’agit d’une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans, soit décider de réduire ces durées. »

([54]) Art. 221-1 à 221-5-5 du code pénal. Par exemple, « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre » (art. 221‑1).

([55]) Art. 222-1 à 222‑18-3 du code pénal.

([56]) Art. 221-6 à 221-7 du code pénal. Par exemple, « le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » (art. 221‑6).

([57]) Art. 222-19 à 222-21 du code pénal.

([58]) « Sur un point plus technique, il n’apparaît pas opportun de préciser que l’infraction est constituée si l’auteur connaissait ou ne pouvait ignorer l’âge de la victime. En effet, dès lors que l’âge de la victime est un élément constitutif de l’infraction et que la mise en cause de la responsabilité pénale suppose un élément intentionnel, la personne mise en cause pourra toujours se défendre en expliquant qu’elle ne connaissait pas l’âge de la victime sans qu’il soit nécessaire de le préciser dans la loi. C’est pourquoi la commission a choisi de supprimer cette précision superfétatoire… » (rapport n° 271 (2020‑2021) de Mme Marie Mercier au nom de la commission des Lois sur la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, 13 janvier 2021).

([59]) Les faits justificatifs sont une cause objective d’irresponsabilité pénale alors que tous les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis. Ils peuvent procéder de l’ordre de la loi, du commandement de l’autorité légitime, de la permission de la loi, de la légitime défense ou de l’état de nécessité.

([60]) Ce sont deux sous-amendements de M. Jean Terlier, adoptés avec l’avis favorable de la rapporteure, qui ont exclu les infractions incestueuses de ce fait justificatif.

([61]) La suppression de la circonstance aggravante de viol sur mineur de quinze ans vaut d’ailleurs plus encore pour les auteurs eux-mêmes mineurs, qui verraient pareillement la peine qu’ils encourent diminuée d’un quart – sauf autre situation aggravante en l’espèce.

([62]) Art. 227-22 du code pénal. La corruption de mineur est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ou, lorsque les faits sont commis au préjudice d’un mineur de quinze ans, de dix ans d’emprisonnement et un millions d’euros d’amende.

([63]) L’article 203 du code de procédure pénale définit cette notion : « Les infractions sont connexes soit lorsqu’elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu’elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d’un concert formé à l’avance entre elles, soit lorsque les coupables ont commis les unes pour se procurer les moyens de commettre les autres, pour en faciliter, pour en consommer l’exécution ou pour en assurer l’impunité, soit lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l’aide d’un crime ou d’un délit ont été, en tout ou partie, recelées. »

([64]) « Le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette à l’encontre d’un mineur l’un des crimes ou délits visés aux articles 222-22 à 222-31, 225-5 à 225-11, 227-22, 227-23 et 227-25 à 227-28 est puni, lorsque cette infraction n’a été ni commise ni tentée, de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si cette infraction constitue un délit, et de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si elle constitue un crime. »

([65]) Art. 706-47-1 du code de procédure pénale.

([66]) Art. 706-47-2 du code de procédure pénale.

([67]) Art. 706-47-4 du code de procédure pénale.

([68]) Art. 706-52 du code de procédure pénale.

([69]) Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (FIJAISV) recense les personnes majeures ou mineures condamnées pour certaines infractions sexuelles ou violentes. Il sert à empêcher la répétition de ces infractions et à faciliter l’identification et la localisation des auteurs de ces infractions. Il comprend notamment l’identité des personnes et leurs adresses régulièrement actualisées.