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N° 3989

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 mars 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés ( 3443)

PAR Mme Agnès THILL

Députée

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Voir les numéros : 3443

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVant-propos.............................................. 5

EXAMEN des articles

Article 1er (art. 388 du code civil) Limiter la fraude à l’identité en favorisant le recours aux examens médicaux pour déterminer l’âge

1. L’état du droit

a. L’examen radiologique osseux peut être sollicité au cours de la procédure d’évaluation de l’âge d’une personne se présentant comme mineur non accompagné

i. Au civil, en matière de protection de l’enfance

ii. Au pénal, en matière d’enfance délinquante

iii. Un cas particulier, l’évaluation dans le cadre de la demande d’asile

b. Depuis 2016, les tests osseux font l’objet d’un encadrement législatif

c. Un cadre juridique précisé par la jurisprudence.

2. Le dispositif proposé

a. Les garanties qui encadrent l’évaluation de la minorité sont détournées

i. Beaucoup de mineurs non accompagnés sont en réalité majeurs

ii. Outre les refus des mineurs, l’évaluation de la minorité est confrontée à un manque de coopération entre les intervenants

b. Un nouvel équilibre visant à mieux protéger les vrais MNA

i. Le maintien des garanties prévues dans l’actuel article 388 du code civil

ii. Les apports de la proposition de loi

3. La position de votre Commission

Article 2 (art. 575 et 575 A du code général des impôts) Gage de charges

Compte rendu des dÉbats

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Le groupe UDI et Indépendants a fait le choix d’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le jeudi 25 mars, journée réservée à ses initiatives conformément au cinquième alinéa de l’article 48 de la Constitution, une proposition de loi visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés. En 2019, ce sont près de 19 000 enfants qui ont été déclarés mineurs non accompagnés en France.

La part des individus se présentant comme tels mais qui sont en réalité de jeunes majeurs oscille entre 60 % ([1]) et 90 % ([2]) selon que l’on s’intéresse à ceux qui souhaitent bénéficier des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance ou à ceux qui revendiquent les protections de la justice pénale des mineurs. Ce chiffre spectaculaire met en péril les politiques publiques de prise en charge des mineurs non accompagnés dans notre pays. Or, ces derniers méritent toute l’attention des pouvoirs publics car ce sont des enfants en danger qui sont parfois la cible de réseaux criminels.

Nos départements, sur lesquels repose le coût de cette prise en charge, sont saturés et nous alertent sur l’urgence de distinguer les mineurs non accompagnés des majeurs qui prétendent l’être.

Le 10 mars dernier, la commission des Lois a adopté un rapport d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés ([3]). Il y est rappelé les difficultés rencontrées par les autorités publiques pour identifier ces mineurs et vérifier qu’ils peuvent bénéficier des protections qu’accorde notre pays aux enfants, en matière civile comme en matière pénale. Il est impératif de faire évoluer notre droit sur ce point.

Différents outils ont été mis en œuvre pour évaluer plus efficacement la minorité (fichiers, protocoles, coopération internationale…) mais aucun d’entre eux ne permet de répondre efficacement à ce phénomène qui persiste depuis de nombreuses années et s’est aggravé avec l’accroissement des flux migratoires impliquant des mineurs.

Contrairement à plusieurs de ses voisins européens, dont le régime de protection des mineurs est pourtant équivalent au nôtre, la France ne s’est pas dotée des instruments adéquats pour identifier les mineurs non accompagnés et les prendre en charge dans des conditions décentes, certains dormant encore dans des chambres d’hôtel.

La présente proposition de loi vise à lutter contre les tentatives de fraude à l’identité en présumant majeur tout individu refusant de faire l’objet d’un examen médical visant à déterminer son âge lorsqu’il existe un doute sur sa minorité. Cette stratégie de refus, bien connue des réseaux qui les exploitent, incite de jeunes majeurs à se déclarer mineurs pour tirer profit d’une protection qui ne leur est pas destinée.

Cette présomption pourra encore être renversée si les autres éléments de l’évaluation démontrent la minorité. Dans le cas contraire, l’individu qui se prétend mineur pourra être considéré comme majeur. Conscient des précautions nécessaires pour garantir la constitutionnalité de ce dispositif, le texte proposé rappelle également un certain nombre de garanties nécessaires pour éviter qu’un mineur soit indûment considéré comme majeur. Il réaffirme l’importance de l’information et du consentement de la personne concernée et le droit de ces mineurs à la protection, aux soins et à l’éducation.

Il ne s’agit pas de stigmatiser les mineurs non accompagnés, objets de nombreux fantasmes mais qui ont, pour la majorité d’entre eux, la volonté de s’intégrer et de réussir dans notre pays. Pour y parvenir, il est nécessaire de s’assurer qu’il s’agit vraiment de mineurs afin que leur prise en charge soit efficace et ambitieuse.

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   EXAMEN des articles

Article 1er
(art. 388 du code civil)
Limiter la fraude à l’identité
en favorisant le recours aux examens médicaux pour déterminer l’âge

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article simplifie le recours aux examens médicaux susceptibles de déterminer l’âge d’un individu se présentant comme mineur et dont l’identité est inconnue ou fausse. Il prévoit que la majorité de cet individu est présumée s’il refuse de procéder aux dits examens. Il renforce en contrepartie les garanties nécessaires pour éviter qu’un mineur ne soit indûment considéré comme majeur.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’article 388 du code civil a été complété par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Son article 43 encadre l’usage des tests osseux en les plaçant sous contrôle de l’autorité judiciaire, en exigeant le consentement du mineur, en tenant compte d’une marge d’erreur et en prévoyant que le doute quant à ses conclusions profite à l’intéressé.

       Modifications apportées par la Commission

À l’initiative de Mme Delphine Bagarry, la Commission a supprimé cet article.

1.   L’état du droit

a.   L’examen radiologique osseux peut être sollicité au cours de la procédure d’évaluation de l’âge d’une personne se présentant comme mineur non accompagné

Le test osseux n’est pas le seul moyen de connaître l’âge d’un jeune se présentant comme mineur isolé. La possession de papiers d’état civil et d’identité, les procédures d’authentification réalisées par la police aux frontières, les entretiens biographiques et psychologiques sont autant d’indices pouvant être mobilisés. Lorsqu’un doute persiste, l’examen médical peut être demandé par le juge.

i.   Au civil, en matière de protection de l’enfance

L’examen médical prévu à l’article 388 du code civil s’inscrit dans la procédure d’évaluation d’une personne se déclarant mineure telle qu’elle est prévue par l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, récemment modifié par le décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019 ([4]).

Lorsqu’un individu se déclarant mineur non accompagné (MNA) est confié au conseil départemental, ce dernier met en place un accueil provisoire d’urgence de cinq jours et « procède aux investigations nécessaires en vue d’évaluer la situation de cette personne au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement » ([5]). L’évaluation s’appuie donc sur les éléments relatifs à l’identité de la personne mais également sur des entretiens et, dans des conditions strictement définies, sur des examens médicaux.

Concernant la vérification des documents d’identité, l’article 47 du code civil prévoit que : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». La première étape consiste donc, lorsqu’ils en ont, à vérifier l’authenticité des documents d’identité mais aussi à s’assurer qu’ils appartiennent bien à leur détenteur. En effet, les actes de naissance, même authentiques, ne comportent pas d’empreintes ou de photographie permettant de le confirmer.

L’évaluation de la minorité est réalisée par les services du département, ou par toute structure du secteur public ou du secteur associatif à laquelle la mission d’évaluation a été déléguée par le président du conseil départemental. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, elle est confiée à un pôle d’évaluation des mineurs isolés étrangers (PEMIE), géré par la Croix-Rouge française.

L’évaluation s’effectue en collaboration :

– avec les préfectures, notamment afin d’obtenir « les informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne » et « pour vérifier l’authenticité des documents détenus par la personne » ;

 

 

avec le ministère de la Justice puisque lorsque le conseil départemental signale un MNA ([6]), « le procureur de la République ou le juge des enfants demande au ministère de la justice de lui communiquer, pour chaque département, les informations permettant l’orientation du mineur concerné » ([7]). Le président du conseil départemental peut également demander au juge de solliciter l’examen médical prévu à l’article 388 du code civil.

Les départements peuvent également consulter le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) qui permet de savoir si un jeune a déjà été déclaré mineur ou majeur dans un autre département ou dans le cadre d’une autre procédure. Cela permet de limiter le « nomadisme » de certains de ces jeunes qui se font évaluer dans plusieurs départements jusqu’à être déclarés mineurs.

Au terme de l’évaluation, le président du conseil départemental informe ses interlocuteurs que « l’évaluation de la situation de la personne a pris fin, en précisant s’il estime que la personne est majeure ou mineure, le cas échéant privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille » ([8]).

ii.   Au pénal, en matière d’enfance délinquante

L’évaluation de l’âge peut également être nécessaire lorsqu’une personne faisant l’objet de poursuites pénales se prétend mineur. L’enjeu est important puisque la minorité permet de bénéficier de la protection et de l’atténuation des peines prévues par l’ordonnance du 2 février 1945, bientôt codifiées dans le code de la justice pénale des mineurs. C’est la raison pour laquelle les réseaux criminels instrumentalisent de jeunes majeurs isolés en leur recommandant de se prévaloir de leur minorité.

L’évaluation de la minorité ne fait pas l’objet du même encadrement au pénal qu’au civil. Dans une note du 5 septembre 2018 ([9]), le ministère de la Justice précisait que « rien n’indique que [le président du conseil départemental] doive y procéder dans un cadre pénal ».

La même note rappelle qu’ « aucun texte ne prévoit l’intervention [de la protection judiciaire de la jeunesse] en matière d’évaluation de la minorité » et que « l’évaluation de la minorité de la personne se déclarant MNA n’entre donc pas dans le cadre du recueil de renseignements socio-éducatifs, ni dans celui de la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE). Dans un cadre pénal, il s’agit d’un élément de la vérification de l’identité du mis en cause, qui relève du travail d’enquête mené lors de la garde à vue par les services de police ou de gendarmerie. Elle doit se faire conformément aux dispositions de l’article 388 alinéas 2 à 4 du code civil. »

En pratique, la vérification de l’âge peut s’effectuer à deux stades. Au cours de la garde à vue, à la demande du Parquet, ou après le renvoi de la personne devant le tribunal correctionnel ou le tribunal pour enfants, lorsque des vérifications supplémentaires apparaissent nécessaires. En effet, selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), il n’est pas rare que les deux juridictions se déclarent incompétentes compte tenu du doute sur l’âge de l’individu.

L’évaluation de la minorité au pénal pose davantage de difficultés car elle doit s’effectuer dans le temps de la garde à vue afin d’orienter la personne vers les juridictions de droit commun ou vers les juridictions spécialisées pour mineurs. Selon M. Luc Salen, procureur-adjoint au tribunal judiciaire de Bobigny, le recours au test osseux est donc très rare dans cette situation. En revanche, lorsque l’évaluation initiale est contestée, il est procédé à une évaluation approfondie confiée à des experts et complétée par un examen radiologique si le doute persiste.

iii.   Un cas particulier, l’évaluation dans le cadre de la demande d’asile

Selon M. Julien Boucher, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 634 des 90 000 demandes d’asile reçues en 2020 émanaient de MNA. Un tiers d’entre elles concernaient des Afghans ; les autres pays principalement représentés étaient la Guinée, la Somalie et la République Démocratique du Congo. Compte tenu des protections spécifiques prévues pour les réfugiés mineurs, 67 % de ces demandes ont reçu une réponse positive – avant les recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Ce public de MNA se distingue des deux précédemment évoqués et l’évaluation de la minorité n’occupe pas une place centrale dans la procédure pour deux raisons : d’une part, la falsification de l’identité est un facteur de non‑attribution de l’asile ; d’autre part, l’OFPRA procède à sa propre évaluation globale dans le cadre de son examen du demandeur d’asile.

Il pourrait être utile que les informations obtenues dans ce cadre puissent être transmises aux magistrats ou aux départements qui en feraient la demande afin de savoir si une personne se présentant comme MNA a par ailleurs engagé des démarches auprès de l’OFPRA qui permettraient de l’identifier. Un tel croisement d’informations n’existe pas aujourd’hui.

b.   Depuis 2016, les tests osseux font l’objet d’un encadrement législatif

Jusqu’en 2016, l’article 388 du code civil définissait uniquement l’âge de la majorité : « Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis » ([10]). Le recours aux tests osseux n’était alors encadré que par une circulaire du garde des sceaux du 31 mai 2013 prévoyant que « si le doute persiste […] et seulement dans ce cas, il peut être procédé à une expertise médicale de l’âge sur réquisitions du parquet » ([11]).

La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a complété l’article 388 du code civil pour encadrer la manière dont la minorité peut être déterminée. Cette modification a été introduite au cours des débats sur ce texte en première lecture à l’Assemblée nationale. Lors de l’examen en commission des Affaires sociales, un amendement de Mme Jeannine Dubié avait été adopté pour prévoir que l’évaluation de la minorité ne puisse pas s’effectuer à partir de données radiologiques de maturité osseuse.

Les tests osseux, un dispositif contesté mais utile

Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge s’effectuent, selon les cas, au niveau :

– du poignet, par l’observation les terminaisons osseuses ;

– des dents, notamment par la vérification de l’apparition des dents de sagesse ;

– de la clavicule et de l’homoplate, ce qui permet d’avoir les résultats les plus fiables mais exige un examen plus intrusif par scanner.

La fiabilité de cette méthode est mise en cause depuis plusieurs années. Sur le plan médical, la technique des tests osseux comprend une certaine marge d’erreur (estimée entre 12 et 24 mois) et s’appuie sur l’atlas de Greuliche et Pyle établi sur une population caucasienne aisée des États-Unis dans les années 1940.

Votre Rapporteure estime, compte tenu de la diversité des origines géographiques et ethniques des personnes concernées, que ce référentiel devrait être actualisé. Si la marge d’erreur doit évidemment bénéficier à l’intéressé, celle-ci pourrait être encadrée à hauteur de 24 mois afin de s’assurer d’exclure au moins les personnes de plus de 20 ans, même si cela pourrait aboutir à laisser certains majeurs âgés de 18 à 20 ans dans le champ de la protection.

Ces tests sont également couteux, entre 1 200 et 1 500 euros ([12]). Ils requièrent parfois des machines utilisés pour des soins, comme les scanners. C’est pourquoi certains médecins refusent parfois d’y procéder s’il y a des examens plus urgents à effectuer.

Les tests osseux sont donc parfois difficiles à mettre en œuvre pour des raisons techniques mais ils peuvent permettre, faute d’alternatives efficaces, de déterminer la majorité d’un individu.

En séance, le Gouvernement a souhaité revenir sur cette interdiction pour prévoir, à l’article 388 du code civil, un cadre juridique précis entourant le recours aux examens radiologiques de maturité osseuse. Lors des débats, la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées, de l’autonomie et de l’enfance, Mme Laurence Rossignol, a ainsi présenté le dispositif finalement adopté : « Le Gouvernement propose à l’Assemblée d’adopter l’amendement no 201 rectifié qui vise à limiter au maximum le recours aux examens radiologiques osseux destinés à estimer l’âge de la personne concernée, en les soumettant à quatre conditions : la décision doit être prise par l’autorité judiciaire, après avoir obtenu l’accord de l’intéressé, dès lors que l’on nourrit un doute sérieux sur son âge et faute de documents d’identité valables. En tout état de cause, les conclusions de ces examens ne peuvent à elles seules assurer la détermination de la minorité. Il me semble que cet amendement, tel qu’il est rédigé – en particulier parce qu’il prévoit l’intervention de l’autorité judiciaire –, peut satisfaire la commission. L’encadrement qu’il propose permettrait de conserver le dispositif des tests osseux dans notre arsenal. » ([13])

Le législateur a donc défini les conditions de recours aux examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge : ils ne peuvent être réalisés « que sur décision de l’autorité judiciaire », « après recueil de l’accord de l’intéressé », « en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Les résultats de l’examen « doivent préciser la marge d’erreur » et « ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur ». Enfin, il est précisé que « le doute profite à l’intéressé ».

c.   Un cadre juridique précisé par la jurisprudence.

Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’interprétation des conclusions de l’examen médical. La jurisprudence de la Cour de cassation a en effet affirmé en 2001 que la décision de considérer comme majeur un individu se présentant comme mineur ne pouvait être utilement contestée dès lors que « c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve que le premier président, qui relève que les conclusions de l’examen médical sont très claires et précises, et qu’aucune critique n’est émise à leur encontre, a fait siennes les conclusions du médecin ayant procédé à l’examen de l’intéressé » ([14]).

Le Conseil constitutionnel a également admis l’usage des tests osseux sous réserve des précautions prévues par le législateur. Dans une décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, il a confirmé la conformité du dispositif de l’article 388 du code civil à la Constitution et, plus particulièrement, à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il a toutefois rappelé que cette exigence impliquait que « les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures ».

Le Conseil constitutionnel a détaillé son interprétation des garanties prévues par la loi : « En premier lieu, seule l’autorité judiciaire peut décider de recourir à un tel examen […] ; en deuxième lieu, cet examen ne peut être ordonné que si la personne en cause n’a pas de documents d’identité valables et si l’âge qu’elle allègue n’est pas vraisemblable. Il appartient à l’autorité judiciaire de s’assurer du respect du caractère subsidiaire de cet examen. […] En troisième lieu, cet examen ne peut intervenir qu’après que le consentement éclairé de l’intéressé a été recueilli, dans une langue qu’il comprend. À cet égard, la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux. »

Cette dernière affirmation ne vient pas préciser la portée de l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans le commentaire de sa décision, le Conseil constitutionnel ajoute que « cette dernière mention, en forme de rappel, vise à répondre à l’argumentation développée par certains intervenants selon laquelle il existerait des pratiques en sens contraire » ([15]). Il s’agit donc de son interprétation de la volonté du législateur, sur laquelle cette proposition de loi pourrait revenir.

Votre Rapporteure est consciente de l’attention, légitime, portée par le juge constitutionnel à la protection des mineurs mais elle estime que les nombreuses garanties prévues par la proposition de loi permettent d’y répondre et pourront être encore renforcées lors de l’examen du texte. En outre, la protection des mineurs implique également qu’ils ne soient pas mélangés à des majeurs dans les établissements qui leur sont destinés.

2.   Le dispositif proposé

a.   Les garanties qui encadrent l’évaluation de la minorité sont détournées

i.   Beaucoup de mineurs non accompagnés sont en réalité majeurs

Les jeunes se présentant comme MNA connaissent les protections accordées aux enfants en France. Au civil, pour bénéficier de l’aide sociale à l’enfance, comme au pénal, afin d’être jugés sous le régime de l’ordonnance du 2 février 1945, de nombreux jeunes isolés – des garçons dans 95 % des cas – indiquent qu’ils ont moins de dix-huit ans. Les plus jeunes peuvent même prétendre avoir moins de seize ou de treize ans pour bénéficier de protections supplémentaires en matière pénale, par exemple l’interdiction de la garde à vue.

Les réseaux de passeurs et les réseaux criminels qui les exploitent les informent de cette stratégie. Ceux qui risquent d’être évalués comme majeurs refusent donc souvent l’examen médical, qui ne peut leur être imposé. Ils refusent également la prise de photographies ou d’empreintes digitales qui pourraient permettre de ne pas réévaluer plusieurs fois la même personne, même si celle-ci se présente dans un autre département ou sous un autre nom. Selon les personnes auditionnées, il arrive régulièrement que le même individu déclare des identités et des dates de naissance différentes alors que l’enregistrement de leur passage permettrait de gagner du temps sur l’évaluation.

Les différentes personnes auditionnées par votre Rapporteure soulignent néanmoins l’importance de distinguer deux profils de MNA très différents.

 

Les premiers sont ceux pris en charge au titre de la protection de l’enfance et qui ne posent pas de réelles difficultés. Selon M. Laurent Gebler, président du tribunal pour enfants de Bordeaux, « ce sont des jeunes, très majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne, qui sont missionnés par leur famille, qui veulent s’intégrer en France et qui ne tombent pas dans la délinquance ». Toutefois, nombreux sont ceux qui ne sont pas réellement mineurs. Dans les Pyrénées-Orientales, département frontalier de l’Espagne, sur 623 évaluations effectuées en 2020 par le conseil départemental, seulement 143 ont conclu à la minorité des intéressés ([16]). Selon l’Assemblée des départements de France, ce phénomène présente une charge financière conséquente ([17]) et pose des difficultés de prise en charge notamment pour les travailleurs sociaux.

Les seconds sont les MNA dits « délinquants », qui représentent environ 10 % de l’ensemble des MNA ([18]), parfois très jeunes, qui répètent des infractions de basse ou moyenne intensité et sont le plus souvent originaires du Maghreb. L’ensemble des personnes auditionnées ont insisté sur le fait qu’ils refusent toute forme de prise en charge au titre de la protection de l’enfance et fuguent des foyers lorsqu’ils y sont placés, parfois après avoir commis des infractions ou des agressions. Pourtant, lorsqu’ils sont interpellés pour des infractions de faible intensité, ils ne sont pas poursuivis et sont souvent orientés vers les services départementaux sans avoir été correctement évalués.

Or la population des MNA délinquants est, en réalité, souvent majeure. Selon le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, « une expérimentation menée par le parquet de Paris en 2019 souligne que, pour 154 jeunes formellement identifiés, 141 étaient majeurs, soit 91,6 % d’entre eux » ([19]). Lorsque ces majeurs sont poursuivis devant les juridictions spécialisées pour mineurs, les conséquences peuvent être lourdes, notamment au sein des quartiers mineurs des maisons d’arrêt et des établissements pénitentiaires pour mineurs où des jeunes de vingt-cinq ans côtoient des enfants de seize ans.

L’évaluation est donc une étape cruciale pour s’assurer que les moyens et les protections accordées aux MNA le sont légitimement. Dans le cas contraire, des mineurs sont moins bien protégés qu’il ne le devrait, par exemple en étant logés à l’hôtel ce qui aggrave le risque de les voir basculer dans la délinquance. En recentrant le soutien aux MNA sur ceux qui le sont effectivement, votre Rapporteure est convaincue de faire œuvre utile et de permettre à la plupart d’entre eux de s’en sortir et de s’intégrer.

ii.   Outre les refus des mineurs, l’évaluation de la minorité est confrontée à un manque de coopération entre les intervenants

Les fichiers d’identification sont insuffisamment utilisés et ne contiennent pas l’ensemble des informations utiles. Pourtant de nombreux pays, dont certains ont un régime de protection des mineurs plus ambitieux que la France, ont mis en place des mécanismes d’évaluation plus efficaces. En Espagne, les MNA sont identifiés dans un registre unique qui inclut également les jeunes s’étant présentés comme MNA mais ayant été déclarés majeurs. Pour protéger les mineurs, l’Espagne refuse de transmettre les informations relatives aux MNA ; en revanche, elle accepte d’informer ses partenaires sur les personnes qu’elle a identifiées comme majeures. Ces informations circulent dans le cadre des centres de coopération policière et douanière (CCPD) mais les départements et les parquets ne procèdent pas systématiquement à ces demandes.

Les magistrats auditionnés ont également indiqué que certains départements refusent de consulter les fichiers français, notamment le fichier AEM. Selon la DPJJ, leur nombre a toutefois diminué depuis le développement de protocoles entre les départements, les préfectures et les tribunaux et l’augmentation du soutien financier attribué par l’État aux départements utilisant le fichier AEM ([20]).

Selon Mme Catherine Denis, procureure de la République de Nanterre, dans les départements qui utilisent le fichier AEM, les résultats sont très satisfaisants et le nombre d’évaluations demandées a considérablement diminué.

La piste ouverte par le garde des Sceaux pour simplifier et accélérer les échanges d’information avec les autorités marocaines va également dans le bon sens. Au niveau européen, Mme Charlotte Caubel, directrice de la PJJ, a indiqué que la France inscrirait ce sujet dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne. Votre Rapporteure s’en félicite et souligne l’importance de développer la coopération internationale sur le sujet.

Pour être pleinement opérationnels, ces fichiers ont besoin de contenir davantage d’informations utiles. Les MNA refusent généralement de donner leurs empreintes digitales ou de se laisser prendre en photo. Ils en ont le droit même si ce refus est passible de poursuites pénales ([21]) qui ne sont en pratique presque jamais engagées. En France, il n’est pas possible de recourir à la force pour obtenir ces empreintes, ce que plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, ont pourtant autorisé.

 

 

La DPJJ a indiqué qu’un fichier recensant les décisions pénales concernant des mineurs non accompagnés était à l’étude. A minima, il serait utile que les parquets puissent consulter plus facilement le fichier AEM et les autorités étrangères dans le cadre des procédures pénales pour accélérer l’évaluation de la minorité, en particulier au pénal. Votre Rapporteure espère que la présente proposition de loi permettra aussi d’avancer sur ce point.

Il arrive également que des évaluations soient révisées à plusieurs reprises par les juge des enfants. Certains d’entre eux sont connus des associations et des avocats et procèdent de manière presque systématique à une déclaration de minorité, malgré des évaluations préalables en sens contraire. À l’inverse, lorsqu’un MNA a été reconnu comme mineur, il devient impossible – à moins que la date de naissance enregistrée permette de démontrer un passage à la majorité – de le déclarer majeur.

Enfin, l’étape spécifique des examens médicaux est parfois entravée par le refus de certains médecins de les effectuer, pour des raisons éthiques. Selon plusieurs magistrats, différents instituts de médecine légale refusent de procéder aux tests osseux. D’autres experts étendent excessivement la marge d’erreur de façon à rendre non significatives les conclusions de l’examen. Votre Rapporteure comprend ce choix lorsqu’il est dicté par la priorité donnée aux soins ou par des conflits d’usage sur certaines machines d’imagerie médicale. Mais il lui semble qu’il va parfois à l’encontre de l’intérêt des mineurs car il aboutit à laisser entrer dans le « circuit MNA » de jeunes majeurs.

Le droit en vigueur malgré sa précision ne parvient pas à répondre à l’ampleur croissante de ce phénomène depuis 2015 ([22]). Il est donc urgent de trouver les moyens d’améliorer l’évaluation afin de protéger les MNA qui le sont réellement.

b.   Un nouvel équilibre visant à mieux protéger les vrais MNA

i.   Le maintien des garanties prévues dans l’actuel article 388 du code civil

L’article 1er de la proposition de loi ne modifie pas les deux premiers alinéas de l’article 388. Cela implique le maintien des trois conditions prévues dans le droit en vigueur pour autoriser le recours à l’examen radiologique :

– une décision de l’autorité judiciaire, et non, par exemple, du président du conseil départemental ;

– le consentement de l’intéressé ;

– l’absence de documents d’identité valables et un âge allégué qui n’est pas vraisemblable.

La proposition de loi reprend également les garanties des deux derniers alinéas de l’article 388 qu’elle remplace :

– les alinéas 2 et 5 de l’article 1er prévoient que le résultat de l’examen médical ou le refus de procéder à celui-ci n’entraine qu’une présomption de majorité – qui n’est pas irréfragable – et ne permet donc pas à lui seul de déterminer la majorité ou la minorité d’un individu ;

– l’alinéa 6 rappelle que « le doute bénéficie à l’intéressé » comme cela avait été prévu par la loi du 14 mars 2016 ;

– l’alinéa 9 dispose qu’« en cas de doute sur la minorité de l’intéressé, il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires ».

La proposition de loi ne porte donc pas atteinte aux droits des mineurs mais vise à recentrer les dispositifs sur le public qui y est éligible afin d’améliorer sa prise en charge.

ii.   Les apports de la proposition de loi

Les alinéas 2 et 3 de l’article 1er favorisent le recours à l’examen médical à des fins d’établissement de l’âge en le rendant systématique dans certaines situations et en prenant en compte le refus de s’y soumettre pour présumer la majorité.

L’alinéa 3 prévoit que, si l’individu présente « des documents falsifiés ou ne pouvant être valablement certifiés conformes », l’examen médical doit être demandé par l’autorité judiciaire afin qu’elle puisse disposer d’informations fiables en vue de déterminer si l’individu est mineur ou non. Ces examens interviennent en complément de l’enquête sociale et des autres investigations pouvant être menées pour définir l’âge de l’intéressé.

L’alinéa 2 répond à un phénomène récurrent : le refus des jeunes qui ne sont pas réellement mineurs de procéder au test osseux. L’article 388 exige en effet, comme pour tout acte médical, le consentement libre de l’intéressé avant de procéder à l’examen radiologique. Le présent article ne revient pas sur cette exigence et le consentement sera toujours requis. En revanche, il présume la majorité de l’individu dès lors que celui-ci refuse de se soumettre à l’examen médical et que d’autres indices vont en le sens de la majorité.

Le droit au refus est aujourd’hui détourné par les réseaux criminels qui utilisent de « faux MNA » pour commettre des infractions et recommandent de refuser le test afin que les autorités ne puissent démontrer leur majorité. Lutter contre ce phénomène permettra aussi de dissuader les filières de passeurs.

M. Laurent Gebler a indiqué que certains magistrats considèrent déjà le refus de procéder à l’examen médical comme un indice contribuant à écarter la minorité. Selon le Conseil constitutionnel, cette pratique n’est pas légale puisqu’il affirme, pour « répondre à l’argumentation développée par certains intervenants selon laquelle il existerait des pratiques en sens contraire » ([23]), que « la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux » ([24]).

La présomption de majorité telle qu’elle est prévue dans la présente proposition de loi ne semble donc pas contrevenir à la décision du Conseil constitutionnel qui n’a procédé qu’à une précision quant à l’interprétation devant être faite de l’intention du législateur sur ce point.

En outre, cette présomption n’est pas irréfragable et le juge reste souverain pour apprécier la minorité, à l’instar de la procédure récemment adoptée concernant la présomption de discernement des mineurs de moins de treize ans ([25]). Le caractère réfragable de cette présomption est indispensable dès lors que certains MNA dont la minorité ne fait aucun doute refusent le test osseux à la seule fin de ne pas être considérés comme âgés de plus de treize ans ou de seize ans pour ne pas perdre les protections attachées à ces seuils.

Grâce à ce dispositif, les jeunes majeurs se prétendant MNA seront moins incités à se prétendre mineurs s’ils savent que le refus de faire le test les pénalisera lors de leur évaluation.

Outre le maintien des protections qui existent déjà, en particulier le fait que le doute quant aux conclusions de l’examen bénéficie à l’intéressé, l’article 1er contient de nouvelles garanties.

Les alinéas 4 et 5 renforcent l’information de l’individu se prétendant MNA. Ils rappellent l’exigence que l’intéressé soit informé, dans une langue qu’il comprend, de l’ensemble des conséquences de sa décision, y compris du fait que son refus engendrera une présomption de majorité.

Les alinéas 7 et 8 améliorent la qualité de l’examen médical effectué afin de réduire les risques d’erreur. Il doit être réalisé selon un protocole unique et opposable, dans une unité médico-judiciaire, et reposer non seulement sur des données radiologiques de maturité osseuse mais aussi sur d’autres données cliniques et sur les données dentaires.

 

Enfin, l’alinéa 10 prévoit la prise en charge automatique des MNA au titre de la protection de l’enfance par le conseil départemental lorsque ceux-ci sont déclarés mineurs. Cette protection est également assurée par la protection judiciaire de la jeunesse s’il a été procédé à l’évaluation de la minorité du MNA dans le cadre d’une procédure pénale.

Pour votre Rapporteure, il n’est en effet pas concevable qu’un majeur revendiquant les protections du statut de MNA puisse par ailleurs ne pas être soumis aux obligations qui en découlent en terme d’encadrement par des adultes ou d’éducation. Selon M. Laurent Gebler, cette situation fait souvent « craquer » les faux mineurs qui ne supportent pas les implications de leur statut, par exemple l’interdiction de fumer en détention, et finissent par admettre leur majorité.

3.   La position de votre Commission

La Commission a adopté un amendement de suppression de cet article présenté par Mme Delphine Bagarry et plusieurs de ses collègues.

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Article 2
(art. 575 et 575 A du code général des impôts)
Gage de charges

Rejeté par la Commission

Le présent article prévoit que les charges résultant, pour les départements, de l’application de la proposition de loi sont compensées par une majoration, à due concurrence, de la dotation globale de fonctionnement versée par l’État. Il compense la charge corrélativement induite pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur le tabac, prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La Commission a rejeté cet article.

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   Compte rendu des dÉbats

Lors de sa réunion du mercredi 17 mars 2021, la Commission examine la proposition de loi visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés (n° 3443) (Mme Agnès Thill, rapporteure).

Lien vidéo :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10505657_6051bc2d0493c.commission-des-lois--lutter-contre-les-individus-violents-lors-de-manifestations--lutter-contre-la-17-mars-2021

Mme Agnès Thill, rapporteure. Je suis très heureuse de vous présenter une proposition de loi visant à lutter contre la fraude à l’identité pour mieux protéger les mineurs non accompagnés. Elle vise à mieux distinguer les mineurs non accompagnés (MNA) des majeurs qui prétendent l’être pour bénéficier des protections de l’aide sociale à l’enfance ou des règles de la justice pénale des mineurs. C’est cette confusion entre majeurs et mineurs qui porte atteinte à notre capacité à bien prendre en charge ces enfants dont nous avons la responsabilité.

En matière civile, 60 % des mineurs non accompagnés sont en réalité des majeurs. Ce chiffre, établi par un rapport du Sénat en 2017, met en péril tout le système de la protection de l’enfance dont nos départements ont la charge, ce qui représente pour eux un surcoût considérable. Ils nous demandent de l’aide et nous ne pouvons pas faire comme si ce problème n’existait pas. À cause de cette situation, des mineurs dorment dans des chambres d’hôtel ou des studios tandis que d’autres côtoient des majeurs bien plus âgés qu’eux.

Le contexte n’est guère différent au pénal. Selon le récent rapport de la mission d’information menée par nos collègues Jean-François Eliaou et Antoine Savignat sur les problématiques de sécurité liées à la présence des MNA en France, certaines expérimentations, par exemple à Paris, ont montré un taux de majeurs parmi les MNA dépassant les 90 %. Ces faux mineurs détournent les protections légitimes accordées aux enfants délinquants.

Il est important, comme nous l’avions fait la semaine dernière, de distinguer deux catégories de MNA. La première catégorie, qui ne pose pas de difficultés, regroupe les mineurs pris en charge au titre de la protection de l’enfance. Ils sont souvent originaires d’Afrique subsaharienne et souhaitent travailler, car ils ont été missionnés par leur famille. La deuxième catégorie regroupe les MNA pris en charge au titre de l’enfance délinquante, impliqués dans des réseaux et souvent victimes d’addiction. Ces mineurs, très majoritairement originaires du Maghreb, refusent l’aide sociale à l’enfance et les magistrats sont souvent contraints de les placer en détention provisoire s’ils veulent pouvoir assurer une prise en charge, notamment sanitaire et scolaire, ce qui peut s’avérer difficile quand le mineur a en réalité plus de vingt ans.

Si nous voulons protéger les mineurs et nous mettre au service de l’intérêt supérieur de l’enfant, nous devons recentrer les dispositifs existants sur les enfants et mieux évaluer les jeunes qui se présentent comme des MNA. Personne ne trouve cette situation satisfaisante et il est urgent d’agir. Ma proposition de loi va en ce sens. Elle ne résoudra sûrement pas toutes les difficultés que je viens de décrire mais engagera un effort en ce sens. Je proposerai de la compléter, notamment en m’inspirant des recommandations de nos collègues Jean-François Eliaou et Antoine Savignat.

Au terme des auditions que j’ai menées, il m’a semblé utile d’encourager le recours au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM), afin d’éviter qu’un même mineur déclare plusieurs identités dans différents départements ou à l’occasion de diverses interpellations. La plupart de nos voisins procèdent ainsi. Il est également urgent d’accélérer la coopération internationale sur ce sujet. D’autres pays, d’origine ou de passage, disposent d’informations utiles pour identifier ces mineurs et mieux comprendre leur parcours. Il faut inciter nos magistrats à les interroger.

L’article 1er de la proposition de loi répond à une difficulté récurrente : le refus de certains jeunes d’effectuer les examens radiologiques, aussi appelés tests osseux, afin que leur majorité ne soit pas reconnue. Cette stratégie est bien connue des réseaux criminels qui les embrigadent et utilisent cette méthode pour les rassurer. Je souhaite donc que l’on puisse, en cas de refus, présumer que l’intéressé est majeur.

Les tests osseux ont été inscrits et encadrés par le législateur dans la loi relative à la protection de l’enfant du 14 mars 2016. En l’état du droit, trois conditions sont requises pour procéder aux tests osseux : l’absence de documents d’identité valables, une décision de l’autorité judiciaire et le consentement éclairé de l’intéressé. Cet examen, qui se pratique à partir d’une radiographie des os – poignet ou clavicule – ou des dents, intervient de manière subsidiaire lorsqu’un doute persiste au cours de l’évaluation d’une personne se présentant comme MNA, c’est-à-dire lorsque les autres informations recueillies ne suffisent pas à certifier la minorité. D’autres garanties protègent le mineur faisant l’objet d’un test osseux : les résultats doivent indiquer une marge d’erreur et ne peuvent suffire à déterminer la minorité. En cas de doute, celui-ci bénéficie à l’intéressé. Mon texte reprend ces garanties car, en aucun cas, un mineur ne doit être considéré comme majeur.

J’ai conscience des limites de la fiabilité des examens radiologiques. Les scientifiques estiment que la marge d’erreur pour ces tests osseux varie de douze à vingt-quatre mois. C’est à la fois peu et beaucoup, car cela signifie que toutes les personnes de plus de 20 ans pourraient être identifiées comme majeures. Pour ma part, je ne vois pas de difficulté à ce que certains très jeunes majeurs puissent intégrer un parcours en protection de l’enfance, à condition qu’ils en respectent aussi les obligations en matière d’éducation et de surveillance.

Au-delà de 20 ans, en revanche, l’écart d’âge au sein des établissements est trop important et pose des difficultés vis-à-vis des autres mineurs et des travailleurs sociaux. Je proposerai donc une rédaction globale de l’article 1er rétablissant la fixation de la marge d’erreur à vingt-quatre mois au maximum et indiquant que le test osseux ne permet pas à lui seul de définir la majorité. C’est un examen réalisé à titre complémentaire, et c’est bien ainsi que nous l’entendons.

Par ailleurs, le référentiel utilisé, qui date de 1940, est ancien et établi à partir d’une population américaine, ce qui explique également cette marge d’erreur. Je proposerai donc son actualisation tous les sept ans.

Je connais également les critiques faites à ce dispositif en raison de sa potentielle inconstitutionnalité. La présomption de majorité est une pratique contraire au droit existant mais elle n’est pas incompatible avec la Constitution. En effet, il semble que la position du Conseil constitutionnel sur le sujet soit moins radicale que certains l’affirment. À l’occasion d’une décision QPC du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a admis le principe des tests osseux, sous réserve des garanties prévues par le législateur et que je viens de présenter. La proposition de loi les préserve et en précise un certain nombre, notamment concernant l’information du mineur et la qualité de l’examen effectué.

Le Conseil constitutionnel indique également que le refus de procéder à l’examen ne saurait entraîner une présomption de majorité. Toutefois, il faut se référer au commentaire de la décision pour mesurer la portée de cette affirmation. Le Conseil constate que ce n’était pas l’intention du législateur en 2016 et indique que ce rappel « vise à répondre à l’argumentation développée par certains intervenants selon laquelle il existerait des pratiques en sens contraire ». En effet, un magistrat ayant des doutes sur l’âge d’un mineur en raison de son apparence physique et faisant face au refus de ce dernier de procéder au test pourrait être tenté de le déclarer majeur. Certains magistrats, y compris des juges des enfants, le font par manque d’éléments fiables, mais cette pratique est contraire à la loi.

En tant que législateur, nous pouvons donc inverser cette présomption dès lors que les protections persistent. En outre, d’autres éléments peuvent compléter la décision et inverser cette présomption qui n’est en aucun cas irréfragable.

Telle est, chers collègues, la présentation que je souhaitais faire de cette proposition de loi et des amendements que j’ai déposés pour l’améliorer et répondre à vos objections. La finalité de ce texte est bien de protéger les mineurs non accompagnés. J’espère que nous aurons un débat constructif sur ce sujet à propos duquel nous sommes très attendus.

M. Jean-François Eliaou. La semaine dernière, j’ai eu l’honneur de vous présenter le rapport relatif à la délinquance de certains mineurs non accompagnés, rédigé avec mon collègue Antoine Savignat. Au cours de cette réunion, nous avons évoqué la difficulté rencontrée par les professionnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE), comme par les services de police et de justice, pour identifier ces jeunes de manière certaine. Les vrais mineurs doivent être protégés au titre de l’aide sociale à l’enfance et pris en charge par des juridictions spécialisées, mais il arrive que des jeunes majeurs se fassent passer pour des mineurs afin de profiter de ses dispositifs avantageux.

Je me concentrerai sur le texte de la proposition de loi de notre collègue Agnès Thill. La procédure d’évaluation de la minorité et de l’isolement a fait l’objet de nombreuses discussions tout au long de nos travaux. Ses modalités, précisées par décret, reposent sur un faisceau d’indices pouvant inclure une évaluation sociale ainsi que les informations que le président du conseil départemental peut demander au préfet. C’est dans ce cadre qu’il peut, depuis 2019, consulter le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité, mis en place par la loi « Asile et immigration » du 10 septembre 2018. Cette évaluation repose aussi, en dernier recours, sur la réalisation d’examens complémentaires prévus à l’article 388 du code civil, au nombre desquels un examen radiologique osseux, dont la fiabilité est régulièrement remise en cause en raison d’une marge d’erreur de plus ou moins dix-huit mois, ce qui est considérable pour un test diagnostic qui, j’y insiste, n’a pas été conçu pour cela.

Nous nous sommes finalement refusés, avec mon collègue Antoine Savignat, à recommander la généralisation des tests osseux. La piste de l’inversion de la présomption de minorité, qui fait l’objet de la proposition de loi, n’a pas été davantage retenue. Cette présomption bénéficie à chaque individu se revendiquant mineur. Son renversement consisterait à exiger la production de documents d’identité afin de justifier de la minorité de l’individu, faute de quoi il serait considéré et traité comme majeur, c’est-à-dire susceptible d’être envoyé en centre de rétention et éventuellement jugé comme un majeur. Une telle disposition, qui a profondément divisé les personnes que nous avons auditionnées, pourrait encourir la sanction du Conseil constitutionnel. Nous n’avons donc pas souhaité en faire une recommandation dans le rapport de notre mission d’information.

Plusieurs pistes me semblent plus efficaces et réalisables afin d’améliorer concrètement l’évaluation de la minorité. Le fichier AEM gagnerait à être généralisé à l’ensemble des départements. Une marge d’amélioration pourrait être trouvée en favorisant le relevé d’empreintes digitales, soit en les rendant obligatoires, soit en renforçant les sanctions prononcées en cas de refus de s’y soumettre. Enfin, le renforcement de la coopération internationale favoriserait l’établissement de l’état civil de ces mineurs.

Le texte présenté par madame la rapporteure s’inscrit exclusivement dans une logique d’inversion de la présomption de minorité, alors qu’il existe d’autres pistes ne remettant pas en cause les grands principes de protection des mineurs auxquels notre groupe demeure attaché.

La proposition de loi indique, à plusieurs reprises, les conditions dans lesquelles l’individu est présumé majeur, mais elle semble également se contredire. L’alinéa 2 affirme que le refus de l’examen entraîne une présomption de majorité, ce qui me paraît inacceptable. L’alinéa 5 insiste de nouveau sur l’information à donner à l’intéressé concernant la présomption de majorité, mais à l’alinéa 4, il est tout de même fait mention du consentement, bien que celui-ci soit contraint par l’ensemble du texte proposé. Ces dispositifs, que l’on peut juger coercitifs, me semblent contraires à la fois à notre philosophie de protection de l’enfance et au minimum de respect de la vie privée accordé à tout individu, surtout s’il est possiblement mineur.

La proposition de suppression de l’alinéa 3 de l’article 388 du code civil pose également ce problème de changement de philosophie sur le fond, ainsi que celui de la fiabilité des tests. Cet alinéa doit être préservé, car il mentionne la marge d’erreur des examens osseux, important pour les individus d’un âge proche de 18 ans, d’autant que les résultats de ces examens ne peuvent à eux seuls déterminer si l’intéressé est mineur. Je tiens à rappeler qu’en amont du test osseux, il existe des enquêtes sociales sur lesquelles je ne reviendrai pas.

De plus, en termes d’effectivité, la proposition de loi est silencieuse quant à la prise en charge des individus en amont de la réalisation d’un diagnostic et pendant la durée de l’évaluation de la minorité ou de la majorité, qui peut prendre plusieurs semaines.

M. Antoine Savignat. Je serai bref puisque, comme l’a rappelé notre collègue Jean-François Eliaou, nous avons récemment présenté un rapport conjoint sur ce sujet.

Si, comme vous l’avez rappelé dans votre rapport et comme vient de l’indiquer notre collègue, la manière d’aborder la situation des mineurs non accompagnés sur le territoire national est un sujet prégnant, il nous est difficile de dire que nous ne sommes pas d’accord avec votre texte. L’un des points relevés à chaque audition que nous avons réalisée est la détermination de la minorité, qu’à mon sens, il eût été préférable d’aborder sous l’angle de l’identité de la personne, l’âge n’en étant que l’un des éléments constitutifs. De fait, la difficulté principale rencontrée par tous les professionnels est d’obtenir l’identité.

Comme vient de le rappeler Jean-François Eliaou, le sujet doit être abordé par cercles concentriques. Il convient, d’abord, de rechercher les pays de provenance de ces personnes et les raisons de leur départ, puis leur parcours migratoire. Au fil de nos auditions, nous nous sommes aperçus que la grande majorité de ceux qui avaient des documents d’identité en Espagne n’en avaient plus à leur arrivée en France. Il convient de s’interroger sur le fonctionnement de nos institutions et de notre système pour comprendre pourquoi en passant les Pyrénées, les papiers disparaissent.    

Il existe deux sortes de mineurs non accompagnés : ceux qui vont immédiatement à la rencontre de l’aide sociale à l’enfance et sont demandeurs d’accompagnement, et ceux qui, cherchant à passer sous les radars, sont appréhendés par les forces de l’ordre et déférés devant la justice. Pour ceux-là, votre proposition pose un énorme problème. À partir du moment où vous les présumerez majeurs, vous les renverrez devant le tribunal correctionnel qui, en l’absence d’identité et d’âge établis, ne pourra que se déclarer incompétent. Nous nous retrouverons dans un jeu de ping-pong entre le tribunal pour enfants et les juridictions correctionnelles qui ne seront pas en capacité de résoudre les litiges et de prononcer des décisions, dans l’ignorance totale de la minorité ou de la majorité de la personne.

Se pose aussi, comme le rappelait Jean-François Eliaou, le problème constitutionnel de l’inversion de la charge de la preuve. Puisque, selon la convention internationale des droits de l’enfant, chaque enfant a le droit d’être protégé s’il se déclare mineur, il appartiendra aux institutions, conformément au régime de charge de la preuve en vigueur en France, de démontrer le contraire. Mais comment le démontrer par une simple présomption ? Cela nous paraît difficile et incompatible avec les règles et principes fondamentaux du fonctionnement judiciaire de notre pays.

À cela s’ajoute l’incertitude du test osseux que vous voulez imposer et que nombre de professionnels reconnaissent comme non fiable et ne correspondant plus à la réalité des mineurs se présentant sur le territoire national.

Oui, le sujet est bon. Oui, le sujet est important. Oui, il faut que nous trouvions une solution. Avec Jean-François Eliaou, nous ne désespérons pas de voir notre rapport trouver rapidement écho et de parvenir à un texte proposant une solution globale afin de mettre un terme à des situations anormales. On expose les vrais mineurs à un danger en les hébergeant aux côtés de mineurs qui se révèlent être majeurs, ce que nous ne pouvons pas accepter. Mais en l’état, nous ne pourrons faire autrement que de voter contre ce texte.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Je remplace mon collègue Philippe Latombe.

La question des mineurs non accompagnés provoque d’importants débats, notamment sur les modalités de détermination de la minorité. L’évaluation de leur âge repose sur des faisceaux d’indices prévus par le législateur ou par décret, qui ne font pas toujours l’objet de consensus.

Au 31 décembre 2019, selon l’Assemblée des départements de France, l’aide sociale à l’enfance prenait en charge près de 40 000 mineurs non accompagnés (MNA). Pour l’ensemble de l’année 2020, 40 000 personnes étrangères se présentant comme mineures devraient avoir sollicité le statut de MNA, dont la moitié environ devrait être intégrée au dispositif de l’ASE, soit directement par les services du département, soit par le juge après un recours introduit par les candidats recalés, soit un total d’environ 20 000 personnes.

Cette situation engendre des crispations, en particulier dans les départements qui supportent le coût de la prise en charge, lequel s’élève en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an. Le coût total pour la collectivité en 2019 s’élevait à 2 milliards d’euros, à la charge des départements qui reçoivent une compensation de l’État pour une partie de ces dépenses, contre 50 millions en 2012. Ce chiffre pourrait atteindre 2,5 milliards d’euros en 2020 et, si la dynamique actuelle perdure, 3 milliards d’euros en 2021.

Votre texte, madame la rapporteure, propose de remplacer la présomption de minorité qui prévaut dans notre droit positif par une présomption de majorité lorsque l’intéressé refuse de se soumettre à un examen médical d’évaluation de son âge. Le groupe Modem et Démocrates apparentés n’est pas favorable à cette proposition de loi qui tend à créer un régime d’exception contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme l’ont dit les deux orateurs précédents, il comporte un risque d’inconstitutionnalité, point que je vais développer pour expliquer notre position.

L’inversion de la présomption de minorité prévue par cette proposition de loi semble contraire à la Constitution. Dans sa décision du 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel a indiqué que l’impossibilité de déduire la majorité d’une personne de son seul refus de se soumettre à un examen osseux fait partie des garanties attachées à la protection de l’enfance. Par conséquent, la présomption de majorité reviendrait à inverser la présomption du fait du refus de l’examen médical, ce qui est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant qui impose que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge.

De plus, un certain nombre de juridictions internationales posent le principe d’une présomption de minorité. Celle-ci est également consacrée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), tandis que le comité des droits de l’enfant des Nations unies consacre de manière claire cette présomption de minorité dans ses décisions du 31 mai 2019 contre l’Espagne. Pour cette seule raison, le groupe Modem et Démocrates apparentés est défavorable à cette proposition.

Enfin, le dispositif de cette proposition de loi pose la question des modalités de détermination de la minorité des mineurs non accompagnés. Le recours à des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge en l’absence de documents d’identité valables ne fait pas l’objet d’un consensus. Je précise que cet examen s’appuie sur des données collectées dans les années 1930 à 1940 auprès de mille jeunes Américains, qui ne correspondent plus du tout aux morphologies actuelles. La marge d’erreur, de plus à moins de dix-huit mois, mentionnée par Jean-François Eliaou, montre la fragilité de ce test.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas cette proposition de loi.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je représente mon groupe à la commission des Lois car, en tant que coprésidente du groupe d’études sur les mineurs non accompagnés, je suis particulièrement mobilisée sur les problématiques relatives à ces mineurs. Avec ma collègue Elsa Faucillon, nous avons participé à de nombreuses auditions d’associations et d’acteurs de terrain. Je salue, d’ailleurs, le travail de mes collègues Eliaou et Savignat, tout en rappelant que les problèmes de sécurité liés à la présence des MNA sur le territoire sont créés par 10 % d’entre eux, les autres étant avant tout des enfants vulnérables.

Nous devons dépasser les couleurs politiques. En l’état actuel du phénomène, aucun département français ne peut assumer la charge de ce sujet, la situation financière de ces collectivités étant d’ores et déjà catastrophique.

D’après l’Institut Montaigne, pour l’ensemble de l’année 2020, 40 000 personnes étrangères se sont présenté comme mineures et ont sollicité le statut de MNA. Sur ces 40 000, environ la moitié devrait être intégrée au dispositif de l’ASE, soit directement par les services du département, soit par le juge après un recours introduit par les candidats recalés, soit un total de 20 000 personnes. Cette situation ne va pas sans crispation, en particulier dans les départements qui supportent le coût de prise en charge, qui s’élève en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an. Ne faudrait-il pas gérer ce phénomène à l’échelle nationale par une enveloppe commune, là où les départements et l’ASE sont débordés et n’ont pas toujours les moyens de faire face ?

Selon les chiffres de 2019 fournis par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, les mineurs non accompagnés présents en France viennent avant tout d’Afrique de l’Ouest et de trois pays en particulier – la Guinée-Conakry, le Mali et la Côte-d’Ivoire –, et 10 % d’entre eux sont originaires du Maghreb. Il existe un vrai sujet de délinquance, puisqu’en 2019, les MNA maghrébins représentaient 75 % de ceux déférés à la justice. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 75 % des mineurs déférés à un tribunal depuis le déconfinement sont des mineurs non accompagnés.

Une autre question se pose quant à la coopération diplomatique avec ces pays. Il faudrait renforcer les partenariats avec les autorités guinéennes, par exemple, sur le modèle de ce qui a été fait avec les autorités marocaines, en 2018. Une équipe marocaine, composée de sept policiers déployés à Paris pour identifier les mineurs de la Goutte-d’Or, a permis d’identifier 320 Marocains, dont 140 étaient majeurs.

Madame Thill, je partage l’objectif visé par le dispositif. Dans la mesure où des individus connaissent très bien le droit de ne pas accepter d’examen médical afin d’établir la minorité, il est insupportable de penser que certains utilisent le statut très protecteur légitimement accordé par la France aux mineurs – et il faut s’en honorer – pour se jouer du droit des étrangers, du droit d’asile et du droit pénal. Néanmoins, l’ensemble des avis et recommandations s’accordent sur le fait que les tests osseux présentent, notamment autour de l’âge de 18 ans, une marge d’erreur de dix-huit à vingt-quatre mois. C’est une raison pour laquelle le Conseil constitutionnel, dans une décision QPC du 21 mars 2019, a jugé conformes les alinéas 2 et 3 de l’article 388 du code civil, estimant que la majorité d’une personne ne saurait être déduite de son seul refus de se soumettre à un examen osseux.

Il est urgent d’agir. Nous en sommes tous conscients, tout comme nous sommes conscients que cette problématique doit être traitée dans sa globalité, et que le rapport d’information de nos collègues Eliaou et Savignat et les propositions à venir du groupe d’études doivent nous inciter à élaborer un texte commun et global. Les sages de la rue de Montpensier ont été clairs ; la proposition de loi nous semble vouée à l’inconstitutionnalité et, en conséquence, nous ne la voterons pas. 

M. Pascal Brindeau. Je voudrais d’abord remercier Agnès Thill pour son travail approfondi sur les mineurs non accompagnés. Comme l’indique le titre de la proposition de loi, lutter contre la fraude à l’identité a pour objectif de mieux protéger les vrais mineurs non accompagnés.

Les chiffres cités par plusieurs de nos collègues montrent que des départements rencontrent d’importantes difficultés, non seulement financières, parce que la prise en charge pèse sur leurs budgets et les compensations de l’État ne sont nullement à la hauteur de l’évolution de ces dépenses, mais aussi en termes d’organisation des services de l’aide sociale à l’enfance. Pour avoir rencontré des agents de ces services, je puis témoigner de leur inquiétude, parfois même de leur peur, de se sentir submergés par le nombre de MNA pour lesquels ils doivent trouver des solutions d’hébergement et d’accompagnement, alors qu’ils se rendent compte que certains d’entre eux sont tout sauf des mineurs non accompagnés.

Dans leur rapport, nos collègues Eliaou et Savignat ont pointé cette question. En voyant 40 000 nouveaux mineurs non accompagnés arriver en France en 2019, nous comprenons que nous faisons face à des organisations et des systèmes d’immigration clandestine qui, contournant le droit de l’immigration européenne et française, utilisent de jeunes personnes à des fins criminelles. Même si beaucoup essaient d’échapper à une situation économique et sociale ne leur permettant pas de s’épanouir dans leur pays et pensent trouver en France ou dans d’autres pays d’Europe une situation économique plus favorable, nous faisons face à un système organisé, frauduleux et criminel. C’est cette extrême difficulté et rien d’autre que notre collègue Agnès Thill a voulu souligner. Dans sa proposition de loi, elle retient, en forme d’appel au débat public, deux pistes de solutions présentant les inconvénients qui ont été rappelés mais qui ont le mérite de la clarté et d’essayer de traiter la problématique de la fraude à l’identité.

Cela me rappelle les travaux que j’ai menés sur la fraude à l’identité génératrice de fraude aux prestations et cotisations sociales. Si vous n’essayez pas d’inverser la preuve, en l’occurrence de la minorité, vous laissez s’engouffrer des réseaux dans cette faille ou fragilité de notre droit français. Sans méconnaître le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, il nous faut travailler sur cet arsenal législatif. C’est l’objet de la proposition soutenue par notre collègue Agnès Thill et que le groupe UDI-I soutiendra.

M. Jean-Félix Acquaviva. En instaurant une présomption de majorité pour les enfants qui refusent de se soumettre au test et en créant, de fait, une obligation de s’y soumettre, les enfants isolés risquent de ne plus pouvoir bénéficier de la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en France. Or ces tests sont peu fiables et peu efficaces. Une étude réalisée en 2017 au centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de Marseille sur 1 423 garçons et 1 191 filles âgés de 1 à 21 ans, a mis en évidence que pour un individu donné, la marge d’erreur varie de six mois à un an près entre 0 et 10 ans et d’un à deux ans près au-delà de 10 ans. La variabilité la plus grande est observée entre 16 et 18 ans, c’est-à-dire la tranche d’âge la plus fréquente des migrants mineurs.

Dans plusieurs cas des personnes réellement mineures ont été chassées de l’aide sociale à l’enfance car étant considérées comme majeures. En 2014, le journal Le Monde rapportait le cas d’une jeune congolaise de 16 ans victime d’un réseau de proxénètes. Isolée et sans contact à Paris, elle avait pu bénéficier de l’aide sociale à l’enfance et se construire grâce à cela, mais elle en avait été chassée et s’était retrouvée à la rue à la suite d’un test osseux qui lui donnait 18 ans mais qui s’est finalement révélé erroné.

Ces tests ont été dénoncés par le Défenseur des droits, le conseil national de l’Ordre des médecins, le Haut Conseil de la santé publique, le comité des droits de l’enfant des Nations unies, le Syndicat de la magistrature, la Cimade, Médecins du monde, la Ligue des droits de l’homme, etc. La détermination d’un âge physiologique sur le seul cliché radiologique est à proscrire, a notamment souligné le Haut Conseil de la santé publique, dans un avis de 2014.

La problématique des mineurs étrangers non accompagnés est avant tout humaine. Environ 40 000 personnes seraient concernées sur le territoire français. Elle rejoint la problématique de l’accueil des migrants dans notre pays. Certains majeurs isolés essaient de se faire passer pour mineurs afin de bénéficier de l’aide sociale à l’enfance, parce qu’ils risquent de vivre à la rue s’ils ne bénéficient de cet accompagnement.

Le vrai problème est donc bien l’incapacité de l’État à construire une politique d’accueil des migrants respectueuse de la dignité humaine, des conventions internationales et européennes, mais également de la propre législation française qui peine à être appliquée pour cause de sous-dotation en moyens humains, financiers et matériels.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Libertés et territoires n’est pas favorable à cette proposition de loi.

Mme Marie-France Lorho. Je tiens à remercier notre collègue Agnès Thill pour son initiative. La problématique des mineurs non accompagnés fait partie intégrante de la question migratoire, qui concerne la France au premier chef. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie de la fermeture des frontières et de la « remigration », comme certains aimeraient le croire dans une vision caricaturale et contre-productive, mais de participer à la rationalisation et à l’amélioration de notre politique migratoire.

On ne doit plus voir de « jungles de Calais » ou de camps insalubres comme ceux de la porte de la Chapelle à Paris. C’est indigne. Mais on ne doit plus voir non plus des personnes étrangères bénéficier indûment du statut de mineur. On ne doit plus voir une violence dans l’espace public dont les mineurs non accompagnés, d’après la préfecture de Paris, sont responsables à 60 %. L’auteur de l’attaque devant l’ancien siège de Charlie Hebdo était arrivé en France sous le statut de mineur isolé, alors qu’il avait en réalité 25 ans. C’est un fait qu’on ne peut ignorer et croire qu’il serait un cas isolé relève de la naïveté et de l’aveuglement idéologique. D’après les chiffres de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, 96 % des migrants mineurs interpellés à Paris dont l’identification a été possible se sont révélés être majeurs,

Cela nuit au système entier et surtout aux véritables mineurs non accompagnés, qui sont lésés par ces profiteurs. Il ne s’agit pas, contrairement à ce qui est affirmé de façon caricaturale, d’écarter les mineurs non accompagnés de la protection de l’aide sociale à l’enfance, mais au contraire de s’assurer que ceux qui sont réellement mineurs puissent en bénéficier pleinement sans que des fraudeurs viennent parasiter leur statut.

Il y a une hypocrisie très forte sur ces questions, en France. J’espère que nous pourrons avoir ici un débat rationnel.

Mme Delphine Bagarry.  Permettez-moi de m’indigner de la proposition de loi présentée par le groupe UDI et Indépendants, parti centriste qui se fait le porte-voix d’une droite beaucoup plus dure, de thèses idéologiques simplistes et tend à considérer l’étranger uniquement comme un profiteur, en méconnaissant la jurisprudence du Conseil constitutionnel et la valeur constitutionnelle de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Quel est le rapport entre le titre de votre texte, qui dit protéger les mineurs non accompagnés, et le texte lui-même qui poursuit clairement d’autres objectifs ? Il vise non seulement à rendre quasi-automatiques et systématiques les tests osseux dont on sait qu’ils ne sont pas fiables, mais aussi à introduire une notion de présomption de majorité, c’est-à-dire à ne plus voir dans ces enfants des mineurs à protéger mais des étrangers à rejeter.

Mme Emmanuelle Ménard. Ils seraient 40 000 mineurs non accompagnés sur notre territoire, alors qu’ils n’étaient, selon les chiffres du Gouvernement, que 4 000 à 6 000 en 2007. Cette explosion du nombre des mineurs non accompagnés est confirmée par l’Assemblée des départements de France, qui constatait déjà qu’entre 2016 et 2017, le nombre de MNA pris en charge par le service d’aide sociale à l’enfance des départements avait augmenté de 74 %. Concrètement, à eux seuls, ils représentent 15 % à 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE, ce qui est considérable. Cela devient presque choquant quand on sait que 60 % d’entre eux seraient en réalité majeurs. Sachant que, selon les dernières estimations, un mineur non accompagné coûte 50 000 euros par an au contribuable français, l’addition est salée.

De plus en plus nombreux, ils coûtent de plus en plus cher. En outre, un grand nombre d’entre eux ne sont pas mineurs. Les filières qui les utilisent sont de mieux en mieux organisées. Je me réfère au rapport que viennent de publier nos collègues Antoine Savignat et Jean-François Eliaou, qui indique que mystérieusement, les papiers d’identité disparaissent au passage des Pyrénées.

Ce n’est pas tout. N’oublions pas que la violence, quand ce n’est pas le radicalisme, des mineurs non accompagnés dans nos rues ou dans nos prisons est galopante. Le rapport de nos deux collègues confirme cette tendance et précise que les MNA délinquants représentent environ 10 % de l’ensemble des MNA.

Je regrette qu’un amendement que j’avais déposé ait été déclaré irrecevable. Celui-ci prévoyait qu’un mineur non accompagné en situation irrégulière et ayant commis une infraction doit faire l’objet d’une comparution immédiate, et lorsque sa nationalité est établie, peut être expulsé du territoire national et confié à l’autorité administrative pour l’enfance compétente de son pays d’origine. Car malheureusement, ces mineurs non accompagnés se singularisent le plus souvent par un refus de toute prise en charge.

Face à cela, nous avons le choix entre deux options : faire l’autruche, comme cela a été le cas pendant de nombreuses années, au point que les forces de l’ordre comme les magistrats sont complètement dépassés, ou bien agir. La proposition de loi de notre collègue Agnès Thill entre dans cette seconde catégorie, qui souhaite légaliser les examens médicaux intégrant des données cliniques, des données dentaires et des données radiologiques de maturité osseuse. C’est vrai, ces tests ne sont pas fiables à 100 %, personne ne le conteste, mais vous avouerez que le refus de s’y soumettre n’aide pas à considérer la bonne foi des mineurs non accompagnés.

Autant dire qu’au regard des éléments évoqués précédemment et de l’urgence de la situation, je soutiendrai cette proposition de loi, que j’ai d’ailleurs cosignée.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Je remercie chacun d’entre vous pour l’intérêt porté à ma proposition de loi. J’ai rédigé plusieurs amendements allant dans votre sens. Je proposerai une réécriture globale de l’article 1er visant notamment à actualiser le référentiel datant de 1940 et portant sur mille personnes américaines. Un autre de mes amendements vise une meilleure coopération internationale, en sorte que nous nous rejoignons sur beaucoup de points, ce dont je me réjouis.

Monsieur Eliaou évoquait l’absence de fiabilité des tests osseux et leur marge d’erreur allant jusqu’à dix-huit mois. Dans mon propos liminaire, j’ai dit accepter jusqu’à deux ans d’erreur. Allons jusqu’à l’âge de 20 ans mais pas au-delà. Nous devons accepter une marge d’erreur de deux ans. Le cas de la jeune fille de 16 ans ne se produirait plus si on acceptait une telle marge d’erreur.

Je vous rejoins pour la généralisation du fichier AEM. C’est pourquoi j’ai présenté un amendement pour obliger les départements à l’alimenter.

Monsieur Savignat, je vous rejoins en ce qui concerne l’identité. J’avais prévu un amendement sur les empreintes et les photos qui a été déclaré irracevable, alors que dans des pays voisins, dont l’Allemagne, les empreintes sont accessibles afin de favoriser la détermination de l’identité. 

Quant au risque d’inconstitutionnalité qui pèserait sur la présomption de majorité en cas de refus de se soumettre aux tests, je ne le crois pas si certain car cette présomption ne serait pas irréfragable. Et, bien sûr, le doute bénéficie toujours à l’intéressé.

J’ai également prévu, madame Firmin Le Bodo, un amendement pour tendre vers une meilleure coopération internationale. On sait très bien que des réseaux de traite d’êtres humains existent et que des délinquants se mêlent aux mineurs. Tout une organisation malsaine entoure ces passeurs qui demandent 5 000 à 9 000 euros à un majeur et 15 000 euros à un mineur pour les conduire en Europe.

Je rejoins également notre collègue Acquaviva, la politique migratoire est bien une compétence de l’État. Claude Bartolone, que personne ne peut taxer d’être de droite, lorsqu’il était président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, en 2011, avait ouvert les hostilités en disant qu’il n’accueillerait plus de mineurs isolés étrangers (MIE), rappelant que leur prise en charge relevait de la compétence de l’État. Nous avons été alertés par l’ensemble des présidents des conseils départementaux : le budget qu’ils consacrent aux MNA augmente et ils ne peuvent y faire face, notamment parce que parmi ceux-ci se trouvent des faux mineurs. Cette proposition de loi vise à protéger, éduquer et former les vrais mineurs, qui en ont besoin. Il est même dangereux pour eux de se retrouver dans des lieux avec des jeunes majeurs.

Chaque mineur coûte 50 000 euros par an aux départements, que l’État, dans sa grande mansuétude, rembourse à hauteur de 4 500 euros et uniquement la première année. Les mineurs sont donc presque entièrement à la charge du département alors qu’ils devraient relever d’une politique de l’État.

Enfin, il est tout simplement interdit de frauder. Tout enseignant, éducateur ou parent l’enseigne : on ne triche pas, on ne ment pas. Or 60 % des jeunes qui se présentent comme mineurs ne le sont pas.

Article 1er (art. 388 du code civil) : Limiter la fraude à l’identité en favorisant le recours aux examens médicaux pour déterminer l’âge

La Commission examine l’amendement de suppression CL11 de Mme Bagarry.

Mme Delphine Bagarry. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 21 mars 2019, cite les garanties entourant le recours aux examens radiologiques osseux lorsqu’ils sont utilisés pour définir l’âge de l’enfant : seule l’autorité judiciaire peut décider d’y recourir et elle doit s’assurer du caractère subsidiaire de cet examen ; la majorité ne peut être déduite du seul refus de s’y soumettre ; le doute doit toujours profiter à la qualité de mineur de l’intéressé, compte tenu de la marge d’erreur de ces examens.

De fait, l’article 1er, en rendant les tests osseux quasiment systématiques, en les autorisant sans décision judiciaire et en introduisant une notion de présomption de majorité, contrevient à l’ensemble de ces garanties. Il porte atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant découlant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Je regrette ces amendements de suppression, car leur adoption nous priverait d’un débat utile et riche sur la question des mineurs non accompagnés. Vous avez, d’ailleurs, proposé des rédactions globales de l’article qui me sembleraient intéressantes à discuter.

Je suis d’accord sur la nécessité de renforcer la fiabilité des tests. C’est la raison pour laquelle je souhaite rétablir et encadrer la marge d’erreur au niveau sur lequel s’accordent les scientifiques, à savoir vingt-quatre mois. Je souhaite également actualiser les référentiels pour qu’ils soient adaptés aux mineurs d’aujourd’hui.

Il n’est pas question de porter atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous voulons, au contraire, ne pas mélanger les mineurs aux majeurs, précisément afin de les protéger. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas accompagner les jeunes majeurs, mais ce ne peut être dans les mêmes dispositifs.

Pour ce qui est du risque d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a autorisé les tests osseux sous réserve de garanties, que la proposition de loi maintient : le test osseux, compte tenu de sa marge d’erreur, ne peut seul servir à définir la minorité.

La présomption de majorité, quant à elle, peut être renversée. Le Conseil constitutionnel s’y est d’ailleurs montré défavorable au seul motif qu’il ne s’agissait pas de la volonté du législateur et qu’il ne souhaitait pas que des pratiques contraires à la loi se diffusent.

S’agissant du risque médical lié à l’examen radiologique, il faut rester raisonnable. Si la question peut effectivement se poser pour les jeunes filles enceintes, n’oublions pas que 95 % des mineurs non accompagnés sont des garçons.

M. Jean-François Eliaou. Je suis favorable à l’amendement défendu par Mme Bagarry. Nous sommes tous d’accord avec les objectifs de la proposition de loi : protéger les mineurs et empêcher que les jeunes majeurs se fassent passer pour des mineurs. Ce qui préoccupe le groupe La République en Marche, c’est le recours aux examens radiologiques osseux pour déterminer l’âge de l’enfant. Par ailleurs, l’alinéa 2 de l’article 388 du code civil satisfait déjà l’alinéa 3 de la proposition de loi.

Du point de vue scientifique, on ne peut pas dire qu’avec une marge d’erreur de dix-huit mois ou de deux ans, les tests osseux sont fiables. Ce n’est vraiment pas possible.

Pour ce qui est des référentiels, le problème qu’ils posent n’est pas de différence ethnique mais nutritionnelle. En général, les jeunes migrants qui se présentent en France ont un parcours totalement fracassé et sont mal nourris. On ne peut pas comparer des choses qui ne sont pas comparables. Quant à élaborer de nouveaux référentiels tous les cinq ou sept ans, ce n’est pas faisable – à partir de quelles populations et de quelles études cliniques ? Pour tout un tas de considérations méthodologiques, votre proposition de loi n’est pas fonctionnelle.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Le groupe Agir ensemble votera également en faveur de cet amendement de suppression. Outre que j’adhère aux arguments développés par M. Eliaou, voter pour un article qui peut être déclaré inconstitutionnel me gêne.

Nous sommes tous d’accord qu’il faut continuer de protéger les mineurs non accompagnés. Or cette question devrait être discutée dans le cadre d’une loi plus globale, et ne pas être traitée à travers le seul prisme de cette proposition de loi.

Mme Delphine Bagarry.  Les tests osseux sont complètement détournés de leur finalité médicale originelle, puisqu’ils ont été élaborés pour suivre les effets d’une thérapeutique sur la croissance osseuse d’un enfant.

Plutôt qu’une présomption de majorité, pourquoi ne pas plutôt introduire une présomption de minorité dans le droit français – même si cette possibilité a été récemment retoquée par le Conseil constitutionnel ?

Ayons bien conscience que le problème lié aux jeunes majeurs qui se font passer pour des mineurs non accompagnés ne se réglera pas par cette proposition de loi. La France doit assumer pleinement sa responsabilité d’accueil des majeurs, et la prise en charge des MNA doit être nationale. Les conseils départementaux ne doivent pas avoir seuls la responsabilité de cette question, d’autant que l’évaluation de l’âge des enfants varie d’un département à l’autre, ce qui n’est pas acceptable.

Mme Emmanuelle Ménard. Je voterai contre cet amendement de suppression, car l’objectif de cette proposition de loi est de prendre en charge le mieux possible les mineurs non accompagnés ; il y va de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Certes, cette proposition de loi ne réglera pas tout, mais elle a au moins le mérite d’exister et de se saisir de cette question. Si cet amendement de suppression est adopté, nous ne pourrons pas débattre de cette question avant longtemps. Cela signifiera que, comme avec la proposition de loi précédente sur les individus violents, vous ne voulez pas vous saisir du problème. Vous reconnaissez qu’il existe un vrai problème mais vous ne faites rien, vous baissez les bras, au motif que la proposition de loi ne serait pas adaptée. Il est reconnu que 60 % des MNA sont majeurs, que leur nombre sur le territoire français explose et que la plupart d’entre eux sont victimes de filières de passeurs, mais on décide de ne rien faire !

Cette proposition de loi était l’occasion de se saisir de cette question – vous auriez pu l’amender pour qu’elle soit meilleure. Vous refusez de commencer à travailler sur le sujet, tant pis ! Les Français vous regardent ; ils voient que vous n’êtes pas à la hauteur de leurs attentes sur ces questions majeures de notre société.

Mme Élodie Jacquier-Laforge. Ce n’est pas parce que le problème des mineurs non accompagnés est réel, qu’il faut y apporter une mauvaise solution. D’ailleurs, nous nous en sommes saisis, puisque des avancées ont été apportées par la loi de 2018. C’est pourquoi le groupe Modem et Démocrates apparentés votera cet amendement de suppression.

Les tests osseux sont interdits dans certains pays, notamment au Royaume-Uni. Pour protéger les mineurs le mieux possible, il faut poser le débat aux niveaux européen et international, et non adopter des solutions qui ne sont pas adaptées.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Ce n’est pas parce qu’il y a un problème qu’il faut y apporter une mauvaise solution, dites-vous. Faut-il pour autant ne rien faire ? Ce serait pire, je crois.

L’excellent rapport présenté par nos collègues Eliaou et Savignat me semble l’occasion de travailler sur cette question. Nous sommes tous d’accord pour dire que le problème est réel pour les départements, qu’il y a un danger à réunir dans un même lieu les majeurs et les mineurs et que la fraude existe bien. Nous ne pouvons pas laisser les choses en l’état.

La Commission adopte l’amendement CL 11.

En conséquence, la Commission supprime l’article 1er et les autres amendements portant sur l’article tombent.

Après l’article 1er

La Commission examine l’amendement CL26 rectifié de la rapporteure.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Il s’agit, dans le cadre d’une procédure civile ou pénale, en alternative ou en complément de l’examen radiologique, de permettre au juge de consulter le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité et d’interroger d’autres pays afin de savoir si la personne a déjà déclaré une date de naissance ou a été évaluée dans un autre État. D’une part, ces informations sont insuffisamment exploitées ; d’autre part, la coopération internationale est une voie efficace pour améliorer la lutte contre les faux mineurs non accompagnés.

Cet amendement fait référence au nouvel article L. 142-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui contiendra, à partir du 1er mai 2021, les dispositions de l’ancien article L. 611-6-1, relatives au fichier AEM.

M. Jean-François Eliaou.  Cet amendement est satisfait par l’article R. 221-15-3 du code de l’action sociale et des familles qui liste les personnes pouvant accéder au fichier AEM. Or le problème n’est pas tant la consultation de ce fichier que la qualité des informations qu’il contient, donc son utilité et son efficacité. Dans notre rapport, Antoine Savignat et moi-même proposons d’y remédier en rendant obligatoires un certain nombre d’éléments. C’est la raison pour laquelle je suis défavorable à cet amendement.

M. Éric Ciotti. Cet amendement est, selon moi, tout à fait pertinent.

La suppression de l’article 1er est une erreur : une nouvelle fois, nous allons passer à côté d’une solution, même si elle est partielle et susceptible de poser des problèmes de constitutionnalité. Le Gouvernement et sa majorité font preuve d’une grande lâcheté en refusant de se saisir de cette question.

Je suis élu départemental et j’ai présidé pendant près de dix ans le conseil départemental des Alpes-Maritimes, un département frontalier confronté à une forte présence de mineurs non accompagnés. Nous en comptons près de 500 dans nos structures d’accueil et nous connaissons de fréquents phénomènes de violence. La fraude à l’identité est manifeste – tous les policiers le constatent – et n’est pas combattue avec la vigilance et la détermination nécessaires. La minorité est devenue un vecteur de fraude à l’entrée sur le territoire national.

Je salue les propositions contenues dans le rapport de nos collègues Eliaou et Savignat, mais il faut maintenant passer à l’action. Cette proposition de loi serait un début. J’avais d’ailleurs déposé un texte, identique dans l’esprit, visant à renverser la charge de la preuve. Une fois de plus, je le regrette, la majorité refuse de s’attaquer au problème. On ne résout pas les problèmes uniquement par des discours, mes chers collègues ; à un moment, il faut passer aux actes.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Deux problèmes se posent, concernant les fichiers AEM. D’une part, ils ne sont pas remplis par tous les départements – seuls les procureurs y ont accès et non les juges pour enfants. D’autre part, ils sont uniquement utilisés au civil.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CL24 de la rapporteure.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Le décret du 30 janvier 2019, qui encadre l’utilisation du fichier AEM, prévoit que les départements peuvent y avoir accès et que ce fichier peut contenir le résultat des évaluations.

L’objet de l’amendement est de rendre systématique la transmission des informations aux départements lorsqu’un MNA leur est confié, afin qu’ils puissent savoir s’il a déjà été évalué. Il prévoit également la transmission systématique des évaluations vers le fichier, car certains départements continuent de refuser de le faire, ce qui a des conséquences néfastes pour tous les autres. Il s’agissait de la recommandation n° 2 du rapport sur les mineurs non accompagnés présenté la semaine dernière.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en arrive à l’amendement CL25 de la rapporteure.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Cet amendement vise, lorsqu’un doute persiste, à permettre au juge de réévaluer un mineur en interrogeant le fichier AEM – le décret de 2019 ne donne cette possibilité qu’au procureur de la République –, et l’encourage à interroger d’autres pays en s’appuyant sur les données contenues dans le fichier. S’il dispose des empreintes et photographies, il pourra interroger les pays d’origine supposés et les pays de passage. Certains pays comme l’Espagne acceptent notamment de transmettre des informations concernant des majeurs qui se sont présentés comme MNA sur son territoire.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL15 de Mme Emmanuelle Ménard. 

Mme Emmanuelle Ménard. Je redéposerai cet amendement en séance, car il vise un article erroné, puisque modifié par l’ordonnance du 16 décembre 2020. Quoi qu’il en soit, il tend à modifier un certain nombre de conditions pour la mise en œuvre du traitement automatisé des données à caractère personnel collectées au cours de l’accueil et de la prise en charge des MNA.

Je reviens également sur la question du fichier AEM, qui aurait grand avantage à être généralisé à l’ensemble du territoire national. Aujourd’hui, certains départements refusent d’y recourir pour des motifs politiques – ils refusent de ficher des mineurs. D’abord, il ne s’agit pas toujours de mineurs. Surtout, quand l’expérimentation est généralisée, les aspects positifs de ce fichier sont évidents.

Monsieur Eliaou, vous ne me contredirez certainement pas sur ce point, puisque l’expérience vient d’être faite dans l’Hérault. Le préfet m’a indiqué que sur dix mineurs se présentant à l’ASE, à qui l’on demande de se rendre à la préfecture pour vérifier que les informations données aux départements coïncident avec celles du fichier de la préfecture, huit ne se présentent pas et s’évanouissent dans la nature – justement parce qu’ils ne sont pas mineurs. Ces chiffres ne peuvent pas nous laisser indifférents ; il ne s’agit pas d’un jeune sur cent.

Cette expérience prouve l’utilité du fichier AEM et sa nécessaire généralisation sur le territoire national. Il serait même intéressant de rendre cette généralisation obligatoire.

Mme Agnès Thill, rapporteure. Cet amendement tend à réintroduire l’article L. 611-6-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, visant à autoriser le fichier AEM. Or cet article ne sera abrogé qu’à compter du 1er mai 2021, et il ne disparaîtra pas puisqu’il sera transféré à l’article L. 142-3 du nouveau CESEDA. Si cet amendement venait à être adopté, l’article apparaîtrait à deux endroits dans le texte.

Outre cette difficulté d’ordre légistique, je ne vois pas l’apport de cette rédaction puisque le fichier AEM, tel qu’il existe actuellement contient les informations que vous mentionnez : empreintes, photographies, résultats de l’évaluation. Je comprends donc que vous ayez pu vous inquiéter de la disparition de l’article, mais je ne vois pas le but d’une telle réécriture.

L’amendement est retiré.

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL13 de M. Ian Boucard.

Article 2 (art. 575 et 575 A du code général des impôts) : Gage de charges

La Commission rejette l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi est rejetée.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à mieux lutter contre la fraude à l’identité dans le cadre des mineurs non accompagnés (n° 3443).


—  1  —

   Personnes entendues

   M. Julien Boucher, directeur général

   Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse

   M. Laurent Gebler, président du tribunal pour enfants

   M. Luc Salen, procureur adjoint

   Mme Julie Morel, vice-procureure

   Mme Catherine Denis, procureure de la République de Nanterre

   M. Jean-David Cavaillé, procureur de la République de Perpignan

   Mme Hélène Gacon, membre du Conseil national des barreaux

   Mme Zohra Primard, membre de la Conférence des bâtonniers

   M. Pierre Monzani, directeur général

   Jean-Michel Rapinat, directeur délégué aux politiques sociales

   Mme Ann-Gaëlle Werner-Bernard, conseillère chargée des relations avec le Parlement


([1])              Rapport d’information du Sénat sur la prise en charge sociale des mineurs non accompagnés, présenté par Mme Élisabeth Doineau et M. Jean-Pierre Godefroy, n° 598 (2016-2017), 28 juin 2017, p. 54.

([2])              Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, présenté par MM. Jean-François Eliaou et Antoine Savignat, n° 3974 (XVème législature), 10 mars 2021, p. 9.

([3])              Ibidem.

([4])              Décret n° 2019-57 du 30 janvier 2019 relatif aux modalités d’évaluation des personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à ces personnes.

([5])              Deuxième alinéa de l’article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles.

([6])              Il en a l’obligation en application du quatrième alinéa de l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles.

([7])              Article 375-5 du code civil.

([8])              Article R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles.

([9])              Note du 5 septembre 2018 relative à la situation des mineurs non accompagnés faisant l'objet de poursuites pénales.

([10])              Article 1er de la loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l’âge de la majorité.

([11])              Circulaire du garde des sceaux du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers :dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation.

([12])              Audition de M. Laurent Gebler, président du tribunal pour enfants de Bordeaux.

([13])               Assemblée nationale, XIVe législature, session ordinaire de 2014-2015, compte rendu intégral de la deuxième séance du mardi 12 mai 2015.

([14])              Cour de cassation, 25 janvier 2001, n° 99-50.067.

([15])              Conseil constitutionnel, Commentaire de la décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, p. 21.

([16])              Audition de M. Jean-David Cavaillé, procureur de Perpignan.

([17])              Selon l’Assemblée des départements de France, la prise en charge globale d’un mineur représente un coût de 50 000€ par an, compensé à hauteur de 4 500 euros par l’État.

([18])              Rapport d’information de l’Assemblée nationale sur les problématiques de sécurité associées à la présence sur le territoire de mineurs non accompagnés, présenté par MM. Jean-François Éliaou et Antoine Savignat, n° 3974 (XVème législature), 10 mars 2021.

([19])              Rapport d’information de l’Assemblée nationale, n° 3974, 10 mars 2021, op. cit.

([20])              À ce jour, 77 départements utilisent le fichier d’appui à l’évaluation de la minorité.

([21])              Article 78-5 du code de procédure pénale.

([22])              Lors de son audition, M. Jean-David Cavaillé, procureur de la République de Perpignan, a rappelé qu’entre 2015 et 2019, le nombre de MNA entrés dans l’espace Schengen par l’Espagne est passé de 3 341 à 12 417.

([23])              Conseil constitutionnel, Commentaire de la décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, p. 21.

([24])              Conseil constitutionnel, décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019.

([25])              Article L. 11-1 du code de la justice pénale des mineurs.