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Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Cédric VILLANI, député

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

Vice-présidents

 

M. Didier BAICHÈRE, député

 

Mme Sonia de LA PRÔVOTÉ, sénatrice

M. Jean-Luc FUGIT, député

 

Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

M. Patrick HETZEL, député

 

Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

Députés

 

Sénateurs

M. Julien AUBERT

M. Philippe BOLO

Mme Ã‰milie CARIOU

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Claude de GANAY

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Jean-Paul LECOQ

M. Gérard LESEUL

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

 

Mme Laure DARCOS

Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Annick JACQUEMET

M. Bernard JOMIER

Mme Florence LASSARADE

M. Ronan Le GLEUT

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Michelle MEUNIER

M. Pierre OUZOULIAS

M. Stéphane PIEDNOIR

M. Bruno SIDO

 



 

 

SOMMAIRE

 

Pages

conclusionS de l’audition publique sur l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage

I. Un sujet complexe auquel la science n’Apporte jusqu’à présent que des réponses partielles

A. La contribution des champs électromagnétiques aux troubles de comportement des animaux n’est pas démontrée par la science

B. Des observations in situ mettent en avant plusieurs facteurs : la forte sensibilité des animaux, le rôle des courants parasites et l’influence de la géologie

C. La nécessité de financer la recherche

II. Un effort de prise en charge qui reste à améliorer

A. Le GPSE : une structure au service des agriculteurs qui suscite toutefois des critiques

B. Le rôle croissant de la géobiologie en réponse aux angles morts de la science

III. Les préconisations DE l’Office

Saisine de l’Office

Travaux de l’Office

I. Compte rendu de l’audition publique du 18 février 2021

II. Compte rendu de la réunion du 25 mars 2021 présentant les conclusions de l’audition publique du 18 février 2021

Annexe 1  Liste des acronymes

ANNEXE 2  présentations des intervenants

1. Présentation de Joe Wiart

2. Présentation de Charlotte Dunoyer et Olivier Merckel

3. Présentation de Stéphane Denécheau et Frédéric André

4. Présentation de Laurent Delobel

ANNEXE 3  Réponses aux Questions des internautes

ANNEXE 4  enquÊte auprès des membres dU European Parliamentary Technology Assessment (EPTA)

Annexe 5  Réponse de l’Union suisse des paysans au questionnaire envoyé par l’Office

Annexe 6  Liste des personnes entendues

 


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conclusionS de l’audition publique sur l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage

 

Saisi par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale pour dresser un bilan des connaissances scientifiques concernant l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a organisé le 18 février 2021 une audition publique consacrée à ce thème. Celle-ci a été diffusée en direct sur les sites du Sénat et de l’Assemblée nationale. Les débats avec les parlementaires ont été ouverts aux internautes au moyen d’une plateforme numérique leur permettant de poser des questions.

Cette audition publique s’est déroulée sous la forme de deux tables rondes.

La première a traité des phénomènes observés et des explications apportées par la science.

Sont intervenus :

- Joe Wiart, professeur titulaire de la chaire C2M à Télécom ParisTech, pour expliquer les concepts physiques et électriques liés au sujet ;

- Serge Provost, Isabelle Brault, Alain Crouillebois et Hubert Goupil, agriculteurs dont les élevages ont connu de graves perturbations et membres de l’association Animaux sous tension (ANAST) ;

- deux experts de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) co-auteurs en 2015 d’un rapport visant à approfondir l’expertise scientifique relative aux conséquences sur la santé animale et sur les performances zootechniques des champs électromagnétiques extrêmement basses fréquences : Charlotte Dunoyer, chef de l’unité de l’évaluation des risques liés à la santé et l’alimentation et au bien-être des animaux et Olivier Merkel, chef de l’unité de l’évaluation des risques liés aux agents physiques ;

- deux des rapporteurs de l’étude commanditée conjointement par le ministère de l’agriculture et le ministère de la transition écologique sur l’état des élevages à proximité du parc éolien des Quatre-Seigneurs en Loire-Atlantique : Stéphane Denécheau, inspecteur général de l’administration du développement durable au conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et Frédéric André, inspecteur général de santé publique et vétérinaire au conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) ;

- Laurent Delobel, docteur vétérinaire et directeur du groupement de défense sanitaire de Loire-Atlantique, pour décrire les troubles de comportement des animaux observés in situ.

La seconde table ronde a porté sur la manière dont sont actuellement prises en compte et gérées les difficultés rencontrées par certains éleveurs.

Sont intervenus :

- Claude Allo, président du groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE), pour expliquer l’action de cette instance afin de remédier aux difficultés rencontrées par les éleveurs ;

- des représentants de Réseau Transport Électricité, pour décrire les modalités de conception et de mise en service des lignes électriques : Delphine Porfirio, directrice du département de la concertation et de l’environnement, François Deschamps, ingénieur référent national sur les champs électromagnétiques au département de la concertation et de l’environnement et Philippe Pillevesse, directeur des relations institutionnelles ;

- un représentant d’Enedis, Guillaume Langlet, chef du département expertise et relations fournisseurs matériels aÌ€ la direction technique, pour connaître la position de cette entreprise sur les liens supposés entre les champs électromagnétiques et la dégradation de la santé des animaux ;

- un géobiologue, Olivier Ranchy, également conseiller à la chambre d'agriculture des Pays de la Loire, pour évoquer la discipline de la géobiologie et son rôle dans la prévention des interactions entre les champs électromagnétiques et les animaux d’élevage ;

- un représentant du ministère de l’agriculture, Emmanuel Bert, adjoint au chef du bureau du lait, produits laitiers et sélection animale à la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE), pour analyser l’implication de l’État dans la recherche de solutions et le financement de programmes de recherche.

L’organisation de cette audition publique était justifiée à plusieurs titres.

D’abord, parce que l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage reste un sujet très mal connu, alors qu’il peut conduire à des situations dramatiques, à la fois en termes économiques et humains. Il n’existe pas d’inventaire exhaustif et précis du nombre d’exploitations affectées par d’éventuels effets des champs électromagnétiques. Plusieurs intervenants ont insisté sur le nombre très limité de cas rapporté au nombre d’exploitations à proximité d’infrastructures électriques. Enedis gère environ 1,3 million de kilomètres de lignes électriques réparties sur toute la France. RTE est en charge de 100 000 km de lignes électriques à haute tension dont 70 % passent en milieu agricole. Par ailleurs, depuis 2014, le GPSE a fait l’objet de seulement 72 demandes d’interventions, ce qui laisserait penser que 99,9 % des éleveurs ne connaissent pas de difficulté. L’ANAST estime que la prévalence d’animaux souffrant des impacts des champs électromagnétiques est sous-estimée et évoque des centaines de cas. Si le nombre d’exploitations concernées s’accompagne de grandes incertitudes, les conséquences s’avèrent dramatiques pour les éleveurs lorsque les origines des troubles de comportement des animaux restent inexpliquées : la plupart sont contraints à une liquidation judiciaire de leur exploitation après de longues années de lutte sans avoir pu véritablement comprendre et remédier aux causes de la détérioration de la santé et des performances de leur élevage. Faute d’explication rationnelle, leur professionnalisme est parfois remis en cause, allégation qui aggrave la situation morale des agriculteurs.

Ensuite, malgré la mise en place d’une instance pour résoudre les difficultés rencontrées par certains élevages ‑ les premiers cas identifiés remontent aux années 1990 ‑, la situation reste bloquée et continue d’opposer les parties prenantes : d’un côté, les gestionnaires des réseaux électriques créant des champs électromagnétiques s’appuient sur les études scientifiques pour récuser leur éventuelle responsabilité directe dans les phénomènes observés ; de l’autre côté, les éleveurs subissent des désordres et dépendent de la bonne volonté d’opérateurs privés pour que la recherche de l’origine des troubles soit prise en charge.

La représentation nationale a rarement eu l’occasion de se saisir de ce sujet même si un nombre croissant de parlementaires s’y intéresse à titre individuel. En mai 2008, la commission des affaires économiques du Sénat avait saisi l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les effets sur la santé et l’environnement des champs électromagnétiques produits par les lignes à haute et à très haute tension. Le rapport rendu en mai 2010 au nom de l’Office par le sénateur Daniel Raoul[1] abordait brièvement la question des effets des champs électriques et magnétiques sur les animaux d’élevage[2]. Plusieurs des recommandations que ce rapport formulait notamment pour développer l’expertise et la recherche n’ont cependant pas été suivies d’effet.

Ce phénomène n’est pas propre à la France. Dans le cadre du présent rapport, une enquête a été réalisée auprès des vingt structures étrangères, comparables à l’OPECST membres du European Parliamentary Technology Assessment (EPTA) afin de savoir (1) si leurs parlements nationaux avaient été saisis de la question des impacts des champs électromagnétiques sur le comportement des animaux d’élevage et (2) si les équivalents de l’OPECST avaient réalisé une étude à ce sujet. Douze instances ont répondu. Seuls les parlementaires suisses[3] ont été interpellés sur cette question et aucun membre de l’EPTA à l’exception de l’OPECST n’a réalisé d’étude sur cette problématique.

Si les politiques de transition écologique et numérique exigent le déploiement d’infrastructures de production d’énergie et de télécommunications mobiles sur tout le territoire national, cela ne pourra se concrétiser sans une acceptation sociale des projets. La médiatisation croissante des impacts supposément négatifs de ces technologies sur les animaux d’élevage et les risques de judiciarisation exacerbent les clivages existants sans apporter d’explication scientifique aux phénomènes observés ni de perspective pour la résolution des difficultés.

Onze ans après le rapport du sénateur Daniel Raoul, l’Office se saisit à nouveau de ce sujet à travers l’organisation de cette audition publique avec un objectif précis : contribuer à la sortie de l’impasse en écoutant l’ensemble des parties prenantes et en formulant des préconisations pour trouver des solutions durables aux difficultés rencontrés par les éleveurs.

 

I.  Un sujet complexe auquel la science n’Apporte jusqu’à présent que des réponses partielles

A.  La contribution des champs électromagnétiques aux troubles de comportement des animaux n’est pas démontrée par la science

Plusieurs intervenants ont mis en avant la complexité de la question.

Joe Wiart[4] a rappelé qu’en fonction de leurs sources d’émission, les champs électromagnétiques avaient des fréquences variables. Les antennes relais de télécommunications génèrent des champs électromagnétiques hautes fréquences quand les lignes haute tension induisent des champs électromagnétiques basses fréquences. Or, pour une tension donnée, les interactions des champs électromagnétiques avec l’environnement varient considérablement en fonction de leur fréquence. Ainsi, une intensité électrique de 1000 V/m existant entre les bornes d’une batterie de 4,5 v ne peut pas être comparée à une intensité de 1000 V/m émise par une antenne.

Il convient également de distinguer entre les effets directs des champs électromagnétiques et leurs effets indirects.

Les effets directs des champs hautes fréquences sont des effets thermiques, alors que ceux des champs basses fréquences sont des phénomènes d’induction.

 

Courants induits par les champs électriques et magnétique 50 Hz

 

Source : avis de l’ANSES, août 2015 : conséquences des champs électromagnétiques d’extrêmement basses fréquences sur la santé animale et les performances zootechniques.

 

Les effets indirects concernent les courants électriques induits qui peuvent créer des courants indésirés, appelés courants parasites, qui se propagent dans les structures métalliques[5] lorsque la mise à la terre n’est pas optimale. Ces courants parasites peuvent avoir une origine interne, liée à l’activité de l’élevage, ou/et externe, imputable aux lignes électriques avoisinantes.

S’agissant des effets directs des champs électromagnétiques, Delphine Porfirio a insisté sur le fait qu’aucune étude scientifique n’a établi un lien de causalité direct entre la proximité d’une ligne électrique et la santé des animaux. Charlotte Dunoyer a confirmé que toutes les tentatives visant à relier les champs électromagnétiques à des dysfonctionnements du système immunitaire ou au stress physiologique restent infructueuses.

En ce qui concerne les effets indirects, Charlotte Dunoyer[6] a rappelé que les études sur les modifications comportementales des animaux en réponse à des courants électriques induits concluent à des réponses de stress, modérées à sévères, qui varient selon les espèces.

Par ailleurs, les études commanditées par l’ANSES pour caractériser l’exposition des animaux d’élevage aux champs électromagnétiques ont conclu à des niveaux d’exposition largement en-dessous des valeurs limites d’exposition définies au niveau européen (100µT pour le champ magnétique et 5kv/m pour le champ électrique pour une fréquence de l’électricité de 50Hz).

La science a également du mal à établir un lien direct entre les difficultés constatées et l’exposition des animaux à des champs électromagnétiques en l’absence de symptôme pathognomonique. Comme l’a fait remarquer Laurent Delobel[7], les pathologies constatées – mammites, boiteries, dérèglements hormonaux, etc. – peuvent avoir des origines variées. De même, les troubles de comportement observés ne sont pas spécifiques à un désordre électrique ou/et magnétique.

Cependant, le fait qu’une vache, censée boire environ 80 litres d’eau par jour en plongeant son mufle dans l’eau, se mette à laper la surface comme un chat, constitue un signe laissant présager que des perturbations électriques affectent l’animal. Un autre signe est celui du refus de fréquentation par les animaux de certains lieux de l’exploitation (tout ou partie de la stabulation, robot de traite).

B.  Des observations in situ mettent en avant plusieurs facteurs : la forte sensibilité des animaux, le rôle des courants parasites et l’influence de la géologie

Les observations sur le terrain des difficultés rencontrées par certains élevages permettent de dégager des tendances qui devraient orienter les recherches scientifiques.

Alain Crouillebois, producteur de lait, a raconté qu’à la suite du remplacement d’une ligne aérienne par une ligne souterraine à une vingtaine de mètres de ses bâtiments, il a constaté des comportements anormaux de ses animaux ‑ regroupement anormal, refus d’aller au robot de traite ‑, une baisse de la production et de la qualité du lait ainsi qu’une surmortalité des veaux. Ces troubles ont disparu lorsqu’il a déplacé cette ligne souterraine 150 mètres plus loin.

Selon Isabelle Brault, éleveuse de poulets et de vaches allaitantes, les anomalies constatées chez ses volailles ‑ lots de plus en plus hétérogènes ‑ et chez ses vaches ‑ infertilité croissante ‑ sont apparues à la suite de l’installation d’une antenne relais de téléphonie mobile.

Laurent Delobel a ajouté que les troubles observés dans deux élevages à proximité du parc éolien des Quatre-Seigneurs étaient apparus dès les travaux de terrassement, soit bien avant la mise sous tension électrique du parc.

Claude Allo a également fait remarquer que, dans certains cas, des troubles sont observés chez les animaux en l’absence d’ouvrage électrique à proximité – antennes, éoliennes, lignes à haute tension.

Comme l’a fait remarquer Laurent Delobel, la sensibilité des animaux d’élevage est supérieure à celle des humains. Elle varie en fonction des espèces et dépend de leur résistance électrique (500 ohms pour la vache). Cette résistance est élevée pour les volailles puis va en décroissant pour les ovins, les porcins et les bovins. La sensibilité des animaux varie également en fonction des individus d’une même espèce et elle est influencée par les saisons et l’environnement (multiplication des appareils électriques, conductivité des équipements métalliques en contact avec les animaux, humidité du sol).

Les expériences menées sur des rats de laboratoire exposés à des courants électriques permettent de comprendre les comportements des animaux d’élevage confrontés à un stress électrique : évitement de certaines zones lorsque la fuite est possible ; prostration accompagnée de conséquences cliniques, zootechniques et sur la production lorsque les animaux ne peuvent pas échapper aux perturbations électriques ; modification du comportement des troupeaux avec le développement de l’agressivité et des chevauchements chez les bovins, voire cannibalisme chez les porcs.

L’environnement immédiat des animaux d’élevage peut favoriser l’apparition de courants parasites. Les champs électromagnétiques, comme les courants liés aux installations électriques, peuvent induire des courants et des tensions parasites sur les différents éléments métalliques des exploitations, à commencer par les bâtiments eux-mêmes. Ils se manifestent par des décharges électriques que subissent les animaux au contact des parties métalliques – tension de contact – ou par une circulation de courant dans leur corps à travers l’application d’une différence de potentiel ‑ tension de pas.

 

Tension de contact