Logo2003modif

N° 4035

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION sur la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion,

 

 

Par MPaul MOLAC,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1re lecture : 2548, 2654 et T.A. 408.

2e lecture : 3658.

Sénat :  1re lecture : 321 (2019-2020), 176, 177 et T.A. 32 (2020-2021).


—  1  —

SOMMAIRE

___

  Pages

AVANT-PROPOS

Principaux apports de la commission  en deuxiÈme lecture

examen des articles

Article 2 ter (nouveau) Enseignement immersif

Article 2 quater (nouveau) Application de l’article L. 312-10 du code de l’éducation à Mayotte

Article 2 quinquies (nouveau) Participation financière des communes à la scolarisation d’enfants résidant sur leur territoire dans un établissement privé du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale situé sur le territoire d’une autre commune

Article 3 (rétabli) Enseignement des langues régionales dans le cadre de l’horaire normal des écoles et établissements d’enseignement

Travaux de la commission

Réunion du mercredi 31 mars à 9 heures 30 ()

I. Discussion générale

II. examen des articles

Article 2 ter (nouveau) : Enseignement immersif

Article 2 quater (nouveau) : Application de l’article L. 312-10 du code de l’éducation à Mayotte

Article 2 quinquies (nouveau) : Participation financière des communes à la scolarisation d’enfants résidant sur leur territoire dans un établissement privé du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale situé sur le territoire d’une autre commune

Article 3 (rétabli) : Enseignement des langues régionales dans le cadre de l’horaire normal des écoles et établissements d’enseignement


—  1  —

    

   AVANT-PROPOS

Près d’un an après l’examen et l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, en février 2020, de la proposition loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, le texte a également été examiné et adopté en première lecture par le Sénat le 10 décembre 2020. Il est, aujourd’hui, soumis à l’examen en deuxième lecture de l’Assemblée nationale.

Les débats tenus au Sénat ont témoigné du consensus et de l’accord profond entre les deux chambres du Parlement sur ce sujet sensible et particulièrement important, tant à l’échelle de chacun de nos territoires qu’à celle de la Nation et de l’Europe.

Le texte soumis au Sénat comportait sept articles (1er, 2, 2 bis, 8, 9, 11 et 12), qui tous ont été adoptés conformes, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale. Six articles avaient été supprimés à l’Assemblée, dont un seul, l’article 3, a été rétabli, dans une forme proche de celle issue de la proposition de loi initiale. En outre, le Sénat a adopté trois articles additionnels (2 ter, 2 quater et 2 quinquies), qui rejoignent parfaitement les positions du rapporteur et s’inscrivent pleinement dans l’esprit et l’ambition du texte.

C’est pourquoi le rapporteur souhaite que l’Assemblée nationale adopte, en deuxième lecture, un texte identique à celui voté par le Sénat pour les quatre articles restant en discussion : il ne présentera donc pas d’amendement ni ne donnera d’avis favorable à ceux qui pourraient être déposés.

Il s’agit, en effet, de garantir l’adoption aussi rapide que possible d’un texte qui permet de grandes avancées pour la promotion et la protection des langues régionales, non pas seulement aux plans symbolique et politique – comme au travers de la reconnaissance des biens présentant un intérêt majeur pour la connaissance des langues régionales parmi les trésors nationaux – mais également de manière très concrète et pratique – comme au travers de l’autorisation de l’utilisation des signes diacritiques dans les actes d’état civil, de l’enseignement des langues régionales sur l’horaire scolaire normal, ou encore de l’extension du forfait scolaire.

L’entrée en vigueur de ces dispositions assurera un cadre favorable au développement des langues régionales qui constituent une véritable richesse pour le patrimoine national et doivent faire l’objet d’une protection et d’un soutien à la hauteur des bienfaits qu’elles assurent et des menaces d’extinction auxquelles elles sont confrontées.


 

Principaux apports de la commission
en deuxiÈme lecture

La commission a adopté le texte dans la rédaction du Sénat en ce qui concerne les articles 2 ter, 2 quater et 3.

Elle a en revanche, à l’initiative de Mme Géraldine Bannier, supprimé l’article 2 quinquies, ajouté par le Sénat, qui rend obligatoire la conclusion d’un accord de participation financière entre la commune de résidence d’un élève et un établissement privé d’enseignement du premier degré sous contrat d’association avec l’État dispensant un enseignement de langue régionale, situé sur le territoire d’une autre commune, dès lors que ladite commune de résidence ne propose pas un tel enseignement.

 


—  1  —

   examen des articles

Article 2 ter (nouveau)
Enseignement immersif

Adopté par la commission sans modification

Origine de l’article : amendement adopté par le Sénat en première lecture

Adopté en séance par le Sénat contre l’avis défavorable du Gouvernement, le nouvel article 2 ter ouvre la possibilité d’un enseignement dit « immersif », c’est‑à-dire effectué en langue régionale pour la plus grande partie du temps scolaire ou, selon les termes du Conseil constitutionnel, « qui ne se borne pas à enseigner une langue régionale, mais consiste à utiliser celle-ci comme langue d’enseignement général et comme langue de communication au sein de l’établissement » (décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, loi de finances pour 2002).

À cette fin, il modifie l’article L. 312-10 du code de l’éducation, qui prévoit deux formes d’enseignement des langues régionales – l’enseignement de la langue et de la culture régionales d’une part ; l’enseignement bilingue en langue française et en langue régionale, d’autre part – pour prévoir explicitement une troisième forme d’enseignement : l’enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française.

Il s’agit, pour les auteurs de l’amendement, d’assurer l’acquisition d’une seconde langue – celle-ci servant de support à l’enseignement d’un certain nombre de matières – sans remettre en cause l’acquisition et l’enseignement de la langue française. Les langues utilisées sont ainsi « acquises » et non simplement « apprises », et se renforcent mutuellement.

Si plusieurs réseaux d’écoles proposent ce type d’enseignement, notamment les écoles Diwan pour l’enseignement en breton, Bressola pour l’enseignement en catalan, Calandreta pour l’enseignement en occitan ou Seaska pour l’enseignement en basque, les filières d’enseignement immersif ne peuvent toutefois pas être proposées dans l’enseignement public à ce jour et sont ainsi circonscrites aux établissements privés.

L’article 2 ter permettrait, au contraire, aux établissements publics de proposer une filière d’enseignement immersif, au côté de filières « classiques ».

L’enseignement bilingue

La circulaire n° 2017-072 du 12 avril 2017 relative à l’enseignement des langues et cultures régionales définit l’enseignement bilingue de la manière suivante :

– à l’école, les classes bilingues français-langue régionale proposent, dès la petite section lorsque c’est possible, un cursus spécifique intensif, dans lequel la langue régionale est à la fois langue enseignée et langue d’enseignement dans plusieurs domaines d’activité et d’apprentissage. Ce cursus repose sur un principe de parité horaire hebdomadaire dans l’usage de la langue régionale et du français en classe, sans qu’aucune discipline ou aucun domaine disciplinaire autre que la langue régionale soit enseigné exclusivement en langue régionale ;

– au collège, dans le prolongement de l’école primaire et pour en assurer la continuité, des sections bilingues de langues régionales proposent un enseignement renforcé de la langue régionale d’une durée hebdomadaire d’au moins trois heures et un enseignement partiellement en langue régionale dans une ou plusieurs autres disciplines ; ce dispositif tend vers un enseignement à parité horaire. Dans le cadre du diplôme national du brevet, les élèves des sections bilingues français-langue régionale peuvent choisir de composer en langue régionale lors de l’épreuve écrite qui porte sur les programmes d’histoire, de géographie et d’enseignement moral et civique, pour les exercices ouvrant cette possibilité ;

– au lycée, les enseignements bilingues suivis dans les sections « langues régionales » de collège se poursuivent selon des modalités similaires. L’objectif visé est de permettre aux élèves d’atteindre un niveau d’« utilisateur expérimenté » à l’issue de leur scolarité secondaire.

En ouvrant une simple possibilité d’enseignement dit « immersif », la disposition introduite par l’article 2 ter ne contrevient aucunement à la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel : en effet, aucune décision n’a consacré de manière explicite le caractère inconstitutionnel de l’enseignement immersif ; seul son caractère obligatoire l’a été.

Ainsi, dans la décision du 27 décembre 2001 précitée, le Conseil constitutionnel indique clairement que « l’usage d’une langue autre que le français ne peut être imposé aux élèves des établissements de l’enseignement public, ni dans la vie de l’établissement, ni dans l’enseignement des disciplines autres que celles de la langue considérée » : pour le rapporteur, l’enseignement immersif tel qu’il est ici proposé répond à cette condition, dans la mesure où il ne serait pas imposé mais seulement proposé, au sein des établissements publics, au côté de filières classiques d’enseignement, la décision finale restant du ressort des personnes responsables de l’enfant.

De plus, dans la décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 relative à la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, le Conseil constitutionnel affirme que l’insertion dans le temps scolaire de l’enseignement de la langue et de la culture corses ne porte atteinte à aucun principe à valeur constitutionnelle, dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire ni n’a pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements concernés aux droits et obligations applicables à l’ensemble des élèves des établissements du service public de l’enseignement ou associés au service public de l’enseignement. Pour le rapporteur, l’enseignement immersif respecte également ces conditions et, dès lors, doit être considéré comme conforme à la Constitution.

Il convient, par ailleurs, de noter que ces décisions précèdent la révision constitutionnelle de 2008 introduite par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, qui insère, au sein d’un article 75-1 nouveau de la Constitution, la mention selon laquelle « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » : cette reconnaissance constitutionnelle ne peut qu’aller dans le sens d’une plus grande ouverture à l’enseignement immersif.

Les opposants à l’enseignement immersif avancent régulièrement une décision du Conseil d’État (décision du 29 novembre 2002 n° 238653) portant sur l’arrêté du 31 juillet 2001 relatif à la mise en place d’un enseignement bilingue en langues régionales soit dans les écoles, collèges et lycées « langues régionales » soit dans des sections « langues régionales » dans les écoles, collèges et lycées, et sur la circulaire du 5 septembre 2001 qui le complète, qui prévoient un enseignement « immersif ». L’arrêté, attaqué par plusieurs syndicats d’enseignants, prévoit que, dans des « zones d’influence des langues régionales », un enseignement bilingue dispensé selon la méthode dite « de l’immersion », peut être mis en place par le recteur d’académie pour la totalité des élèves des écoles, collèges et lycées « langues régionales » ; la circulaire du 5 septembre 2001 précise que « la langue régionale est langue d’enseignement et de vie quotidienne dans l’école » et, qu’à l’école maternelle, « l’ensemble des activités scolaires et leur accompagnement s’effectuent en intégralité dans cette langue », l’introduction du français s’effectuant progressivement.

Loin de contester la constitutionnalité de ces dispositions – ce qui ne relève pas de sa compétence – le Conseil d’État se borne à dire que de telles mesures règlementaires excèdent le cadre des dérogations prévues par le législateur, au sein des articles L. 121-3 et L. 312-11 du code de l’éducation qui disposent alors, respectivement, que « la langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français, sauf exceptions justifiées par les nécessités de l’enseignement des langues et cultures régionales ou étrangères » et que « les maîtres sont autorisés à recourir aux langues régionales dans les écoles primaires et maternelles chaque fois qu’ils peuvent en tirer profit pour leur enseignement, notamment pour l’étude de la langue française », ces mesures allant, selon le Conseil d’État, au-delà des simples nécessités de l’apprentissage de la langue régionale prévues par le code de l’éducation.

Rien n’interdit cependant au législateur de modifier ces articles – il l’a fait à plusieurs reprises – ou d’introduire des dérogations plus larges à l’usage obligatoire du français au sein d’articles nouveaux, pour que de tels décrets, arrêtés ou circulaires ne soient pas, à l’avenir, considérés comme excédant le cadre fixé par la loi. Ainsi, la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République a notamment inscrit à l’article L. 312‑10 du Code de l’éducation la possibilité de procéder à un enseignement en langues régionale par la voie de l’option, ou selon un format bilingue.

Enfin, l’article L. 314-2 du code de l’éducation prévoit déjà que, dans le cadre de l’enseignement public, sous réserve de l’autorisation préalable des autorités académiques, le projet d’école ou d’établissement peut prévoir la réalisation d’expérimentations portant sur l’enseignement dans une langue vivante, étrangère ou régionale. L’on peine à croire que de telles expérimentations seraient autorisées si leur généralisation était inconcevable en raison du caractère inconstitutionnel de la démarche… Ces expérimentations sont, de plus, loin d’être récentes ou marginales : comme l’indique notamment le rapport du Sénat sur la proposition de loi ([1]), ce sont ainsi 19 expérimentations immersives en langue basque, 6 en langue corse et une en langue catalane qui ont lieu actuellement dans des écoles publiques, et cela depuis 1995 pour cette dernière langue.

*

Article 2 quater (nouveau)
Application de l’article L. 312-10 du code de l’éducation à Mayotte

Adopté par la commission sans modification

Origine de l’article : amendement adopté par le Sénat en première lecture

Adopté en séance par le Sénat avec l’avis favorable de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement, cet article additionnel abroge l’article L. 372-1 du code de l’éducation, qui dispose que l’article L. 312-10 même code, reconnaissant les langues et cultures régionales comme appartenant au patrimoine de la France et favorisant leur enseignement dans les régions où elles sont en usage, n’est pas applicable à Mayotte.

Il s’agit de corriger une erreur de coordination juridique : en effet, l’ancien article LO6161-26 du code général des collectivités territoriales prévoyait des dispositions spécifiques relatives à l’enseignement de la langue mahoraise ([2]), justifiant la non-application à Mayotte de l’article L. 312-10 pour éviter toute redondance. Cependant, dans le cadre de la départementalisation de Mayotte, cette disposition a été abrogée par la loi organique n° 2010-1486 du 7 décembre 2010 relative au Département de Mayotte, sans que la correction correspondante  l’extension de l’article L. 312-10 à Mayotte – ne soit opérée.

La modification apportée par l’article 2 quater corrige cette omission et permet ainsi, notamment, de donner au shimaoré et au kibushi, langues régionales très pratiquées à Mayotte, une reconnaissance égale à celle des autres langues régionales de la France métropolitaine et des outre-mers.

*

Article 2 quinquies (nouveau)
Participation financière des communes à la scolarisation d’enfants résidant sur leur territoire dans un établissement privé du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale situé sur le territoire d’une autre commune

Supprimé par la commission

Origine de l’article : amendement adopté par le Sénat en première lecture

Adopté en séance par le Sénat avec l’avis favorable de la commission et contre l’avis défavorable du Gouvernement, le nouvel article 2 quinquies précise les dispositions du code de l’éducation relatives à la participation financière des communes à la scolarisation des élèves dans un établissement privé du premier degré – une école – sous contrat d’association d’une autre commune dispensant un enseignement de langue régionale.

La rédaction actuelle de l’article L. 442-5-1 du code de l’éducation, qui résulte de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance telle qu’issue de la commission mixte paritaire, dispose que « la participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale au sens du 2° de l’article L. 312-10 est une contribution volontaire » et que cette participation « fait l’objet d’un accord entre la commune de résidence et l’établissement d’enseignement situé sur le territoire d’une autre commune, à la condition que la commune de résidence ne dispose pas d’école dispensant un enseignement de langue régionale ». À défaut d’accord, le préfet de département réunit le maire de la commune de résidence et le responsable de l’établissement concerné afin de permettre la résolution du différend en matière de participation financière, dans l’intérêt de la scolarisation des enfants concernés.

L’article 2 quinquies nouveau adopté par le Sénat modifie ce dispositif en supprimant la mention du caractère volontaire de la contribution et en rendant obligatoire la conclusion de l’accord de participation financière entre la commune de résidence et l’établissement d’enseignement. La condition que ladite commune ne dispose pas d’école dispensant un tel enseignement est en revanche maintenue.

Les auteurs des différents amendements – six amendements identiques – ont en effet estimé que la rédaction en vigueur ne permettait pas d’atteindre les objectifs affichés, en raison, notamment, du caractère volontaire de la contribution, source de nombreuses divergences d’interprétation et demandes d’arbitrages au préfet (près de 150 pour la seule région Bretagne). Ainsi, un grand nombre de maires refuseraient de verser la contribution, alors même que les engagements gouvernementaux, et l’esprit des débats, tendaient à rendre cette contribution automatique.

En effet, à l’issue des débats en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le projet de loi pour une école de la confiance, l’article adopté, sous la numérotation provisoire 6 ter A, prévoyait une obligation d’accord de contribution financière sous réserve de l’accord de la conférence territoriale de l’action publique. Il insérait pour ce faire, à l’article L. 442-5-1, un alinéa ainsi rédigé : « En outre, après accord de la conférence territoriale de l’action publique, la participation financière à la scolarisation des enfants dans les établissements privés du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale situés sur le territoire régional, fait l’objet d’un accord entre la commune d’accueil et la commune de résidence, à la condition que cette dernière ne dispose pas d’école dispensant un enseignement de langue régionale ».

Cette version semblait recueillir l’accord du Gouvernement : en réponse à plusieurs amendements tendant à modifier cet article, le ministre, M. Jean‑Michel Blanquer, avait donné un avis défavorable et rappelé les engagements du Premier ministre et les siens : « Lors de son récent déplacement en Bretagne, le Premier ministre a pris des engagements importants, qui ne sauraient être sous-estimés. Voici ce qu’il a déclaré à cette occasion : "[…] nous nous sommes mis d’accord, avec [le président du conseil régional de Bretagne], pour laisser aux communes de Bretagne, représentées au sein de la conférence territoriale de l’action publique, et à la CTAP plus globalement, le soin de se prononcer sur la possibilité d’élargir le forfait scolaire aux écoles bilingues sous contrat. Si les maires sont d’accord et que la CTAP émet un avis favorable, alors le Gouvernement en tiendra compte pour proposer les modifications législatives nécessaires" […]. Le texte qui vous est soumis traduit cette avancée, voulue par le Gouvernement. Le rapporteur a très bien résumé la situation : aujourd’hui, la conférence territoriale de l’action publique, la CTAP, permet une forme de régulation […]. Le Premier ministre a pris un engagement très fort, inédit, qui trouve sa mise en œuvre au travers de l’article 6 ter A […]. Cet article représente un progrès énorme pour le développement du bilinguisme et nous sommes déterminés à le mettre en œuvre dans le respect des grands principes » ([3]).

La version issue de la commission mixte paritaire, qui fixe le principe d’une contribution volontaire, est donc apparue particulièrement peu satisfaisante et sans cohérence avec les engagements pris par le Gouvernement.

L’article 2 quinquies inséré par le Sénat dans la présente proposition de loi retient donc une rédaction proche de celle adoptée par le Sénat lors de sa première lecture du projet de loi pour une école de la confiance, en prévoyant que la contribution de la commune de résidence a un caractère obligatoire (et non plus volontaire), au travers de la conclusion d’un accord de participation financière entre la commune de résidence de l’enfant et l’établissement scolaire proposant l’enseignement en langue régionale (et non plus entre les deux communes).

Le montant de la participation sera calculé en tenant compte des ressources de la commune, du nombre d’élèves de cette commune scolarisés dans la commune d’accueil et du coût moyen par élève calculé sur la base des dépenses de fonctionnement de l’ensemble des écoles publiques de la commune d’accueil, sans que le montant de la contribution ne puisse être supérieur au coût qu’aurait représenté, pour la commune, l’inscription de l’élève y résidant dans l’une de ses écoles publiques (dixième alinéa de l’article L. 442-5-1, non modifié).

Il convient toutefois de noter que cette participation se limite aux établissements privés du premier degré – les écoles – ayant conclu un contrat d’association, et demeure soumise à deux conditions : celle que les écoles enseignent la langue régionale, et que cette offre n’existe pas dans la commune de résidence de l’enfant. En l’absence d’accord, le préfet de département demeure compétent pour résoudre le différend en matière de participation financière, dans l’intérêt de la scolarisation des enfants concernés, comme en dispose le onzième alinéa de l’article L. 442-5-1 non modifié.

*

Article 3 (rétabli)
Enseignement des langues régionales dans le cadre de l’horaire normal des écoles et établissements d’enseignement

Adopté par la commission sans modification

Origine de l’article : proposition de loi, supprimé en première lecture par l’Assemblée nationale

Sort au Sénat : rétabli en première lecture avec modifications

I.   les dispositions adoptÉes par l’assemblÉe nationale

L’article 3 dispose que, sous réserve de la conclusion d’une convention entre l’État et les régions, la collectivité territoriale de Corse ou les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution, la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées de tout ou partie des territoires concernés. Il étend ainsi à l’ensemble des langues régionales, d’une part, et aux collèges et lycées, d’autre part, les dispositions existant aujourd’hui pour la seule langue corse et pour les seules écoles maternelles et élémentaires en application de l’article L. 312-11-1 du code de l’éducation.

L’article a pour objet d’instaurer un cadre juridique favorable, reposant sur la conclusion d’une convention entre l’État et la collectivité territoriale – à la différence de l’article applicable à la Corse – permettant d’accentuer le développement de l’enseignement de la langue régionale à l’école, sans pour autant contraindre à dispenser systématiquement cet enseignement dans le cadre de l’horaire normal : l’obligation de l’offre d’enseignement ne s’appliquerait que si une telle convention a été conclue, et dans les territoires pour lesquels elle l’a été. La convention pourrait également prévoir une mise en œuvre progressive, de nature notamment à permettre aux enseignants de recevoir une formation adaptée. Il s’agit ainsi de pouvoir adapter l’offre d’enseignement en langue régionale aux territoires et à la demande sociale qui y est exprimée.

L’article ne pose pas de difficultés d’ordre constitutionnel, dès lors qu’il n’a pas non plus pour effet de créer un enseignement à caractère obligatoire pour les élèves, ni de soustraire ces élèves aux droits et obligations qui leur incombent : la matière, même enseignée dans le cadre de l’horaire normal, resterait facultative.

En témoigne, notamment, la décision du Conseil constitutionnel précitée relative à l’enseignement du Corse ([4]), confirmée par la décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004, loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française, dans laquelle le Conseil constitutionnel indique à nouveau que, « si l’article 57 de la loi organique prévoit l’enseignement de la langue tahitienne ou d’une autre langue polynésienne "dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et primaires, dans les établissements du second degré et dans les établissements d’enseignement supérieur", cet enseignement ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves ou étudiants, ni pour les enseignants ; qu’il ne saurait non plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci ; que, sous ces réserves, l’article 57 n’est contraire ni à l’article 2 de la Constitution ni à aucune autre de ses dispositions ».

L’Assemblée nationale a supprimé cet article en première lecture.

II.   Les modifications apportées par le Sénat

Le Sénat a rétabli cet article en première lecture, en y apportant deux modifications :

– il a précisé que l’article 3 s’appliquait également à la collectivité européenne d’Alsace ;

– il a mentionné explicitement l’objectif de la mesure, c’est-à-dire « proposer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves ».

*


—  1  —

   Travaux de la commission

Réunion du mercredi 31 mars à 9 heures 30 ([5])

La Commission examine, en deuxième lecture, la proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (n° 3658).

I.   Discussion générale

M. le président Bruno Studer. Mes chers collègues, nous examinons, en deuxième lecture, la proposition de loi n° 3658 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, sur le rapport de M. Paul Molac. Ce texte a été adopté par notre assemblée en première lecture, le 13 février 2020, puis par le Sénat, le 10 décembre 2020. Il est inscrit à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Libertés et territoires, jeudi 8 avril. Je donne la parole au rapporteur pour qu’il nous présente les modifications adoptées par le Sénat et nous fasse connaître sa position.

M. Paul Molac, rapporteur. Le texte qui nous est soumis en deuxième lecture témoigne de l’accord profond, transpartisan, existant entre l’Assemblée nationale et le Sénat. En effet, ce dernier a maintenu l’ensemble des dispositions que nous avions votées et a ajouté quatre articles relatifs à l’enseignement. Cette convergence de vues illustre l’importance des langues régionales, qui sont constitutives de notre patrimoine. Je serais très heureux que ce texte soit adopté conforme, car les associations l’attendent, comme nous tous, depuis fort longtemps.

La première loi sur les langues régionales, dite « Deixonne », en 1951, disposait que les langues régionales pouvaient être enseignées si elles aidaient à apprendre le français, ce qui dénotait une vision des choses quelque peu limitée.

Ce texte constitue une étape historique. Dans une France marquée par le principe de la langue unique et la volonté de mettre les langues régionales de côté, les mentalités commencent à changer. On s’aperçoit que ces langues font partie de notre patrimoine, de notre culture et sont, en quelque sorte, constitutives de notre identité.

Les présidents des treize régions métropolitaines soutiennent ce texte, dont la grande majorité des articles ont été adoptés conformes par le Sénat. La question est de savoir si nous confirmerons notre vote ou si la méfiance envers les langues régionales reprendra ses droits.

Le Sénat a rétabli l’article 3, qui autorise la conclusion de conventions entre l’État et les régions pour étendre l’offre d’enseignement en langue régionale aux établissements publics, sous des formes spécifiques.

Il a également inséré trois articles, qui correspondent parfaitement à l’esprit et à l’ambition de la proposition de loi.

L’article 2 ter autorise l’enseignement dit « immersif » – qui excède la stricte parité horaire avec le français – en langue régionale. Le ministère de l’éducation nationale a toujours considéré que cette limite de 50 % constituait une ligne rouge. La disposition proposée permet aux établissements d’aller au-delà. Il n’est évidemment pas question de déterminer a priori les modalités de l’enseignement, qui doivent être définies par l’éducation nationale, à partir de l’expérience du terrain et au moyen d’évaluations.

Certains mettent en doute la constitutionnalité de cette disposition. Le Conseil constitutionnel a simplement estimé qu’une telle modalité d’enseignement ne pouvait être obligatoire et que les élèves devaient se conformer à ce que l’on attend d’eux en France, en particulier concernant la connaissance du français. En revanche, il ne s’est pas prononcé sur l’enseignement immersif proprement dit. De surcroît, cette jurisprudence est antérieure à la révision constitutionnelle de 2008, qui a introduit l’article 75-1, aux termes duquel « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». L’État a donc un rôle à jouer et des obligations à assumer en matière de préservation de ce patrimoine.

Le Conseil d’État, quant à lui, avait annulé en 2002 l’arrêté du 31 juillet 2001 relatif à la mise en place d’un enseignement bilingue en langues régionales soit dans les écoles, collèges et lycées « langues régionales » soit dans des sections « langues régionales » dans les écoles, collèges et lycées, et la circulaire du 5 septembre 2001 qui le complète, qui prévoient un enseignement « immersif », sans toutefois porter de jugement sur le principe de la méthode immersive. Les établissements Diwan proposent, par exemple, un enseignement très particulier, puisque les cours sont dispensés exclusivement en langue régionale jusqu’au CE1 et que la langue de communication en leur sein est la langue régionale. Ce système diffère de celui qui est proposé aujourd’hui par l’enseignement public, dans le cadre d’expérimentations réalisées en maternelle – on en compte dix-neuf, par exemple, au Pays basque. Le Conseil d’État a estimé que cette méthode d’immersion spécifique excédait les possibilités de dérogation à l’obligation d’utiliser le français posée par la loi Toubon, tout en relevant qu’il appartenait au législateur d’en décider. Il a donc laissé une porte ouverte, que nous sommes en train – du moins je l’espère – d’ouvrir un peu plus.

L’article 2 quinquies rend obligatoire le versement, par la commune de résidence d’un élève, du forfait scolaire à une école privée sous contrat d’association, située dans une autre commune, dispensant un enseignement de langue régionale, à condition qu’il n’existe aucune proposition d’enseignement de langue régionale, sous quelque forme que ce soit – enseignement immersif, bilingue ou d’initiation –, dans la commune de résidence. Ce forfait scolaire ne saurait excéder la moyenne départementale, c’est-à-dire le coût qu’aurait représenté, pour la commune, l’inscription de l’élève dans l’une de ses écoles publiques.

Le Sénat a voté cette disposition à deux reprises. Il l’a d’abord insérée dans le projet de loi pour une école de la confiance, dite « Blanquer », en première lecture. Toutefois, en commission mixte paritaire, à la demande de la rapporteure de notre assemblée, les mots « contribution volontaire » ont été ajoutés, ce qui a changé radicalement l’esprit de la loi, puisque cela a retiré à la mesure tout caractère obligatoire. Le Sénat a réitéré sa position lors de l’examen de la présente proposition de loi, puisqu’il a supprimé les mots « contribution volontaire » de la loi en vigueur. Cette vision des choses recueille un large accord au sein de la Chambre haute, ce qui montre qu’elle répond à une véritable attente des collectivités locales, en particulier des communes.

L’article 3 étend à l’ensemble des langues régionales, d’une part, et aux collèges et aux lycées, d’autre part, certaines dispositions existant aujourd’hui pour la seule langue corse : la langue régionale serait désormais une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des établissements, et non plus un cours supplémentaire, à midi ou le soir, qui constitue parfois une contrainte pour les familles. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet enseignement serait facultatif. Il serait par ailleurs encadré, puisqu’il devrait faire l’objet d’une convention entre la collectivité locale et le ministère de l’éducation nationale.

L’enseignement d’une langue régionale n’a de sens que s’il répond à une demande sociale. En Bretagne, 7 à 8 % d’une classe d’âge est scolarisée dans une classe bilingue, alors que, d’après les sondages, 40 % des parents souhaiteraient que leur enfant suive un tel cursus. Notre objectif est évidemment de leur donner satisfaction. L’éducation nationale est un partenaire historique, important, et nous souhaitons qu’elle le demeure, mais peut-être faudrait-il qu’elle change un peu de mentalité vis-à-vis de nos langues.

Le texte que je vous propose – et qui est, pour partie, issu du Sénat, puisque je vous invite à adopter conforme la version qu’il nous a transmise – correspond aux attentes d’une partie de la population concernant les langues régionales. L’adopter serait une manière de nous réconcilier. Ce sujet soulève en effet un certain nombre de difficultés. Je ne vous décrirai pas tout ce que j’ai dû faire pour ouvrir une classe bilingue à Ploërmel… Bien que je me sois appuyé sur une circulaire, j’ai eu du mal à faire comprendre à l’inspecteur de l’éducation nationale qu’une telle ouverture était possible.

Nous pouvons contribuer à ce que les langues régionales, qui sont considérées par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) comme étant en danger d’extinction, perdurent au XXIe siècle.

Mme Stéphanie Atger. Le groupe La République en marche salue l’initiative du groupe Libertés et territoires et, plus particulièrement, celle du rapporteur, M. Paul Molac, dont la proposition de loi porte à notre attention les éléments fondamentaux de notre culture que sont les langues régionales et leur protection. La question du patrimoine linguistique concerne en effet l’ensemble des régions françaises, hexagonales comme ultramarines. La reconnaissance progressive de leur importance, qui est cruciale, a été consacrée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui fait des langues régionales une composante à part entière du patrimoine de notre pays.

La proposition de loi que nous avons adoptée en première lecture en février 2020, à l’issue de débats exigeants, nous revient ce matin modifiée par le Sénat. Les sénateurs ont ajouté les articles 2 ter, 2 quater et 2 quinquies, et ont rétabli l’article 3. Si nous maintenons que la proposition de loi présente une véritable valeur ajoutée au regard de la protection patrimoniale des langues régionales et consacre la nécessité de protéger ces langues sur l’ensemble du territoire national, plusieurs dispositions ajoutées par la Chambre haute nous interpellent.

Il nous semble que la rédaction de l’article 2 ter fait peser un risque juridique, en ce qu’elle ne prévoit aucune délimitation temporelle entre les enseignements dispensés en langue régionale et ceux dispensés en français. Il faut souligner les avancées majeures qu’a entraînées la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, et saluer la réforme du baccalauréat. L’évaluation de l’une et de l’autre constitue un préalable nécessaire au vote de toute nouvelle mesure.

Nous nous réjouissons de l’ajout de l’article 2 quater, qui vise à intégrer les langues réellement parlées à Mayotte, le shimaoré et le shibushi, dans le champ de l’article L. 312‑10 du code de l’éducation et, ainsi, à les faire bénéficier des mêmes dispositions que l’ensemble des langues régionales. Il sera ainsi établi qu’elles font partie du patrimoine de la France.

L’article 2 quinquies impose aux communes, sans concertation préalable, une nouvelle obligation de financement de l’enseignement des langues régionales. Une telle atteinte à la libre administration des communes ne semble pas justifiée, alors que l’enseignement obligatoire doit être dispensé en français. L’article revient sur les dispositions existantes relatives à la participation financière des communes à la scolarisation des enfants, notamment dans les écoles privées.

L’article 3 vise à ce que la langue régionale soit enseignée dans le cadre de l’horaire normal et puisse être proposée à tous les élèves sur l’ensemble du territoire. Sa rédaction laisse cependant planer un doute quant au caractère obligatoire de la mesure.

Les langues régionales sont le produit d’un héritage historique. Elles sont vivantes et dynamiques, comme on peut le constater, par exemple, en Bretagne, en Corse, en Occitanie ou dans les territoires ultramarins. Je rappelle que ces derniers rassemblent les deux tiers des langues régionales parlées en France. Il paraît nécessaire de prolonger le dialogue et d’adapter ces évolutions, en veillant à ne pas remettre en cause ce qui fait notre nation.

Le Gouvernement porte une attention particulière à l’ensemble des réformes évoquées et à leur application.

Le groupe La République en marche, quant à lui, réaffirme sa volonté de voter cette proposition de loi, qui reconnaît l’importance patrimoniale des langues régionales et contribue à leur vitalité dans l’espace public.

M. Frédéric Reiss. La France a signé, en 1999, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, mais ne l’a toujours pas ratifiée. Les langues régionales font pourtant partie de notre patrimoine immatériel. Le Parlement l’a acté en introduisant l’article 75-1 dans notre Constitution, réforme que j’ai votée avec fierté en 2008 – à laquelle, je le rappelle, l’Académie française s’est opposée. Depuis, les lois du 8 juillet 2013 et du 26 juillet 2019 ont introduit quelques changements à la marge.

La proposition de loi que nous examinons à l’initiative de Paul Molac, qui était, à l’origine, ambitieuse et incisive, a été singulièrement édulcorée en première lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat a réintroduit plusieurs dispositions, ce qui a donné un nouveau souffle à cette ambition.

L’article 2 ter complète l’article L. 312-10 du code de l’éducation pour prévoir une troisième forme d’enseignement en langue régionale, de nature immersive. Ce type d’enseignement ne peut être dispensé, à l’heure actuelle, dans les écoles publiques.

La loi pour une école de la confiance a été à l’origine de plusieurs contentieux relatifs au forfait scolaire. En vertu de ce texte, en effet, la commune de résidence d’un élève ne disposant pas d’une école dispensant un enseignement de langue régionale peut verser, si elle le souhaite, une participation financière à une école privée sous contrat d’association située dans une commune voisine qui propose un tel enseignement. L’article 2 quinquies, ajouté par le Sénat, n’a a priori qu’une portée limitée, mais il a le mérite de clarifier les choses. Peut-être incitera‑t‑il certains maires à développer un enseignement en langue régionale dans leur commune.

Sept articles issus des travaux de l’Assemblée nationale ont été adoptés conformes par le Sénat, ce qui plaiderait pour que nous votions également conformes les quatre articles restant en discussion. Le groupe Les Républicains n’a déposé, à dessein, aucun amendement. Toutefois, d’autres groupes ont déposé des amendements de suppression, ce qui laisse augurer de l’adoption d’une nouvelle version du texte à l’issue du débat dans l’hémicycle.

Les Français sont majoritairement favorables à la reconnaissance officielle des langues régionales. C’est pourquoi le Parlement ne peut rester flou sur leur enseignement. Certes, l’éducation nationale permet l’apprentissage des langues régionales de manière parfois soutenue, selon les régions où elles sont en usage, comme c’est le cas en Alsace et dans les pays mosellans depuis 1992. Toutefois, l’office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle (OLCA) note la diminution de l’apprentissage du dialecte, dont les accents sont pourtant si savoureux.

Cette tendance a été amplifiée par la réforme du baccalauréat. La spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales » (LLCER) est fortement concurrencée par d’autres filières, dont les mathématiques. Notre ministre répète à l’envi vouloir soutenir et développer les langues régionales, mais les actes ne suivent pas les paroles. Le message officiel peut paraître séduisant : « Tu souhaites consolider ta maîtrise d’une langue régionale, telle que le breton, le basque, le catalan ou encore le créole ? Alors la spécialité LLCER est faite pour toi. » Cela étant, les 26 % d’élèves qui choisissent la spécialité LLCER anglais en classe de première ne sont plus très nombreux à présenter une langue régionale au bac.

Dans le rapport de la mission flash sur la mise en place de la carte des spécialités dans le cadre de la réforme du lycée, Géraldine Bannier et moi-même avons alerté sur la situation des langues régionales, souvent choisies comme option. En effet, certains établissements ont réduit les options proposées pour offrir de nouvelles spécialités. Pour éviter de porter un coup fatal aux langues régionales, il faut restaurer et améliorer leur attractivité en rétablissant l’option facultative bonifiante de langue régionale au bac.

Pour l’ensemble de ces raisons, j’invite mes collègues à voter en faveur de la proposition de loi.

Mme Géraldine Bannier. Yves Duteil, maire de son état mais surtout remarquable parolier, a fait résonner ces quelques mots inoubliables : « En écoutant chanter les gens de ce pays, on dirait que le vent s’est pris dans une harpe et qu’il a composé toute une symphonie ». Si la langue française est une langue belle, c’est bien parce qu’elle est riche de son histoire et de ses accointances avec nombre de langues régionales. Toutes ont le même ancêtre, mais l’indo-européen s’est répandu en d’innombrables méandres au fil du temps. On compte, de fait, pas moins de quatre-vingt-deux langues minoritaires ou régionales en métropole et en outre-mer, qui témoignent de la richesse de notre territoire. Ensemble, elles constituent un pan important de notre héritage, un patrimoine linguistique, transmis avec engouement dans nos régions, que les Démocrates ont à cœur de conserver, mais aussi de promouvoir.

Aujourd’hui, 180 écoles privées sous contrat et hors contrat enseignent le breton, l’occitan, le basque, l’alsacien ou encore le catalan à 15 000 élèves, de la maternelle à la terminale, sous une forme immersive. Beaucoup d’autres apprennent une langue ou une culture régionale dans les établissements privés ou publics.

Apprendre et maîtriser une langue, quelle qu’elle soit, est toujours un acquis précieux, qui permet d’aller plus aisément vers d’autres apprentissages linguistiques – j’en sais quelque chose. C’est aussi, concernant les langues régionales, transmettre une mémoire fragile, celle recensée par Ferdinand Brunot, créateur, en 1911, des archives de la parole.

Ces dernières années, l’État a su se montrer attentif au vif intérêt que suscite leur transmission. La réforme du lycée entérine un enseignement de spécialité consacré aux langues régionales. Les lycéens qui le souhaitent peuvent composer certaines épreuves de contrôle continu en langue régionale. Enfin, la loi dite « Blanquer » a entraîné une évolution du versement du forfait communal. Dès lors qu’il ne le propose pas dans sa commune, un conseil municipal peut participer à titre volontaire au financement de la scolarisation d’élèves qui souhaitent suivre un enseignement en langue régionale hors de leur commune de résidence, dans un établissement privé sous contrat.

Vous le savez, le groupe des Démocrates, de par son ADN, est très attaché à la défense des langues régionales. Récemment, François Bayrou affirmait : « Je veux que l’on sache qu’en France, on peut parler et transmettre parfaitement bien le français et en même temps, parler et transmettre parfaitement bien les langues de notre patrimoine culturel. » La proposition de loi de Paul Molac a le mérite de rappeler qu’il faut défendre le pluralisme culturel, la richesse, la diversité que portent nos langues régionales. C’est pourquoi, lors de la première lecture, notre groupe avait voté à l’unanimité en faveur de son adoption.

L’article 2 quater permettra d’appliquer l’article L. 312-10 du code de l’éducation à Mayotte, ce dont nous nous réjouissons.

Nous soutiendrons aussi l’article 3 dans son principe, même si des ajustements devraient lui être apportés.

L’article 2 ter vise à inscrire dans la loi une troisième forme d’enseignement en langue régionale : l’enseignement immersif. Sans même évoquer le risque d’inconstitutionnalité, il nous semble que les établissements immersifs proposent, dans les faits, un enseignement dans les deux langues qui correspond aux dispositions législatives en vigueur et à ce qui est souhaitable pour nos élèves.

L’article 2 quinquies prévoit une participation financière obligatoire de la commune de résidence au profit de l’établissement de la commune d’accueil dispensant un enseignement en langue régionale. Il doit être appréhendé au regard des réalités locales. Ce dispositif soulève des interrogations. En effet, il est susceptible de mettre en difficulté les écoles uniques de petites communes rurales, où les ressources humaines pourraient manquer. Nous souhaiterions avoir votre avis sur ce point, monsieur le rapporteur.

Nous aurons à cœur de rappeler, au cours des débats, notre profond attachement aux langues régionales, mais aussi l’importance qui s’attache à ce que l’on adopte des mesures applicables et respectueuses de notre Constitution.

Mme Claudia Rouaux. Il aura fallu attendre la révision constitutionnelle de 2008 pour que les langues régionales obtiennent une reconnaissance légitime au sommet de la hiérarchie des normes. En effet, l’article 75-1 de la Constitution dispose que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Cette évolution ne s’est toutefois pas traduite par la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je le regrette, et j’y vois le témoignage des réticences plus ou moins avouées à la consolidation et à l’affirmation des langues régionales dans notre droit positif.

Je me réjouis de l’examen de la proposition de loi, qui vise à assurer la protection et la promotion des langues régionales, et tiens à remercier mon collègue breton Paul Molac pour son travail et son investissement. Je suis d’autant plus satisfaite que ce texte s’inscrit dans la droite ligne des tentatives menées par mes collègues socialistes. Je pense notamment à la proposition de loi des députés socialistes relative à la promotion des langues régionales, adoptée en première lecture par l’Assemble nationale en janvier 2017, mais aussi à celle défendue par Roland Courteau visant à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale.

Le texte soumis à notre examen vise à lever les freins au respect de la lettre de la Constitution et à sa pleine application. C’est particulièrement le cas en matière d’enseignement. L’article 34 de la loi pour une école de la confiance, relatif au versement du forfait scolaire, a suscité de nombreux imbroglios administratifs. Ainsi, chez moi, en Bretagne, plus de 150 demandes de médiation ont été transmises aux services de l’État, ce qui met en lumière l’ambiguïté de la loi et les difficultés de son application. Je soutiens donc fortement l’article 2 quinquies, issu des travaux du Sénat, qui lève toute incertitude.

En outre, la préservation et le développement des langues régionales dans notre société passe par la sécurisation juridique de leurs usages et pratiques. Je pense au titre III, et notamment à l’article 9 – qui, en tant que Bretonne, me tient tout particulièrement à cœur – lequel conforte l’utilisation des signes diacritiques – dont le tilde – dans les actes d’état civil. Cette disposition mettra fin à un feuilleton jurisprudentiel qui entretenait l’insécurité juridique et limitait l’usage de ces signes.

Mes chers collègues, il nous faut composer et recomposer avec nos langues, comme avec nos identités, certes ancrées mais constamment en devenir. C’est donc avec force que mon groupe et moi-même soutiendrons ce texte.

M. Christophe Euzet. Non sans avoir remercié Paul Molac, je dirai quelques mots, d’abord, de la légitimité des demandes formulées à travers ce texte. Les mentalités ont beaucoup changé depuis le temps où les langues régionales étaient identifiées à un folklore un peu attendrissant. Chacun a compris que l’humanité n’était pas condamnée au règne triomphant de l’anglais : on sera de plus en plus polyglottes. Nous ne sommes pas davantage condamnés à la disparition des langues régionales. L’homme a besoin de savoir d’où il vient ; même dans la société numérisée, déterritorialisée, il lui est nécessaire de connaître son identité et ses racines. La question des langues régionales est un combat légitime, qui n’a plus rien de folklorique.

Chacun s’accorde à dire que la maîtrise de plusieurs langues est valorisante et constitue une richesse sur le plan intellectuel. L’acquisition des langues est d’autant plus aisée qu’elle se fait en immersion. L’éducation nationale peut prendre en charge une formation polyglotte locale, nationale, voire internationale.

L’objectif de la promotion des langues régionales ne doit pas être de combattre la langue nationale, qui est le français, auquel aucune langue ne saurait se substituer intégralement dans l’espace public. Nous devons viser le bilinguisme, qui fera de nos langues des alliées et en aucun cas des adversaires.

Le groupe Agir ensemble est très favorable à la promotion et à la préservation des langues régionales. Aussi pensons-nous que la proposition de loi de M. Molac fait œuvre utile : elle pose une question intéressante, celle de l’introduction de l’enseignement immersif des langues régionales à l’école publique.

Nous nous réjouissons de l’adoption conforme, par le Sénat, des articles 1er et 2 relatifs à la reconnaissance des langues régionales au titre du patrimoine culturel immatériel et à la nécessité d’une intervention publique visant à les protéger. De même, nous sommes satisfaits des dispositions relatives à la signalétique bilingue et à la reconnaissance des signes diacritiques, déjà adoptées par les deux chambres.

À ce stade de la navette, quatre articles restent en discussion.

Nous voterons l’article 2 quater relatif à Mayotte, qui n’appelle pas de commentaire particulier.

Si l’article 2 quinquies emporte notre adhésion sur le fond, le caractère facultatif de l’accord aurait sans doute mérité d’y être précisé, même si la formulation retenue nous paraît finalement acceptable.

Quant à l’article 3, il ne nous dérange absolument pas sur le fond, mais le dispositif juridique qu’il comporte nous semble imparfait. Si l’exposé des motifs de la proposition de loi précise bien que l’enseignement des langues régionales n’est pas obligatoire, le texte ne le laisse pas entendre. Nous défendrons donc un amendement de précision à ce sujet.

S’agissant enfin de l’article 2 ter, nous avons déjà dit que nous considérions le principe de l’enseignement immersif comme tout à fait acceptable. Pour autant, sans limitation de proportions ni quota, cet article rend l’enseignement en langue régionale possible à hauteur de 100 %, ce qui nous semble porter préjudice à l’apprentissage normal de la langue française que les textes requièrent par ailleurs. C’est pourquoi nous défendrons un amendement de suppression de l’article 2 ter, qu’il vous faut interpréter, monsieur le rapporteur, comme une invitation à réfléchir à une nouvelle rédaction en vue de la séance.

Sous ces deux réserves, le groupe Agir ensemble votera la proposition de loi.

M. Paul-André Colombani. Une langue qui ne s’apprend pas à l’école, ne se voit pas et ne s’entend pas dans la vie quotidienne ne peut être totalement appropriée par ses locuteurs. L’invisibilisation des langues régionales leur fait perdre une part de légitimité, les reléguant souvent au statut de langues de second rang. Or toutes les langues se valent et méritent d’être sauvées, car elles portent en elles une part inestimable de la richesse de l’humanité.

La proposition de loi de mon collègue Paul Molac, discutée en deuxième lecture à l’initiative du groupe Libertés et territoires, entend fournir des outils permettant de répondre à ces deux nécessités que sont la transmission et la promotion des langues régionales, en proposant de nouveaux moyens d’action et en sécurisant le droit existant. Trop souvent, l’administration remet en cause des décisions de justice, la volonté des élus locaux, ou méprise les demandes des citoyens qui, dans leur très grande majorité, veulent que les langues régionales soient préservées et enseignées.

La proposition de loi vise donc à rehausser la protection, l’accessibilité et la visibilité des langues régionales dans trois domaines.

Le titre Ier vise à assurer la protection patrimoniale des langues régionales en reconnaissant leur appartenance au patrimoine immatériel de la France. Quant au titre III, consacré à la vie publique, il vise à sécuriser l’affichage des traductions en langue régionale sur les inscriptions et signalétiques publiques, ainsi que l’utilisation des signes diacritiques des langues régionales dans les actes d’état civil. Nous nous rappelons tous l’histoire de ce bébé breton prénommé Fañch, dont les parents ont dû aller jusqu’à la Cour de cassation pour avoir le droit de garder un tilde au-dessus de la lettre « n », ce qui est ubuesque. Nous nous félicitons que les articles de ces deux titres adoptés par l’Assemblée nationale aient été votés conformes par le Sénat, qui a su faire preuve d’une grande ouverture.

C’est au tour de notre assemblée et des députés de la majorité, désormais, de faire preuve d’une telle ouverture en votant conformes les articles relatifs à l’enseignement des langues régionales introduits par le Sénat. Il serait en effet incompréhensible qu’une proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion ne comporte aucune disposition relative à l’enseignement de ces langues.

Il est primordial de reconnaître dans la loi la possibilité de suivre un enseignement immersif en langue régionale au sein de l’école publique. Des expérimentations sont déjà menées depuis de longues années – c’est le cas en Corse, dans six écoles. La méthode immersive est la seule qui permette de former des locuteurs complets en langue régionale et en français. Le but est bien d’arriver à une égale maîtrise des deux langues, sachant que les élèves ayant bénéficié d’un enseignement immersif ont, selon toutes les études, de meilleurs résultats en français que les élèves issus de filières monolingues.

Par ailleurs, nous nous félicitons de l’annonce, la semaine dernière, de deux projets d’écoles associatives immersives en Corse ; ce serait une première, car l’enseignement de la langue corse ne passe pas, aujourd’hui, que par le public. Nous analysons ces projets comme une réponse aux manquements de l’État, en particulier de l’éducation nationale, en matière d’enseignement des langues régionales.

L’article 3 répond, au même titre que la reconnaissance de l’enseignement immersif, à la nécessité d’élargir l’offre d’enseignement. Il prévoit une extension de cette offre dans les établissements publics, selon un modèle proche de celui de la Corse qui serait appliqué au collège et au lycée.

Nous sentons un élan phénoménal autour de ce texte. Les treize présidents de région ont exprimé publiquement leur souhait d’un vote conforme. Le tissu associatif est mobilisé comme jamais, et les réseaux d’enseignement public, associatif et confessionnel attendent une reconnaissance digne de leur investissement dans l’éducation de nos enfants. Ils ont compris qu’une occasion historique se présentait à nous. Tâchons de nous montrer à la hauteur !

M. Yannick Kerlogot. Je salue le travail de notre collègue Paul Molac. Je constate avec émotion que de belles choses se passent au sein de notre commission : tandis qu’à la fin de l’année dernière, nous avons voté à l’unanimité la restitution de biens culturels à la République du Bénin, c’est aujourd’hui le patrimoine immatériel qui nous réunit autour de la question des langues régionales. Le fait que la défense de notre biodiversité culturelle constitue un enjeu important n’est plus à démontrer.

Ma question porte sur deux des quatre articles introduits à juste titre par le Sénat : je veux vous interroger, monsieur le rapporteur, sur l’immersion et le forfait scolaire. N’est-il pas temps de rassurer nos collègues en expliquant que défendre les langues régionales ne revient pas à remettre en cause l’indivisibilité de la République et la primauté de la langue française mais consiste, au contraire, à se donner des moyens supplémentaires pour sauvegarder des langues en voie de disparition ? Le développement de l’immersion et le versement d’un forfait scolaire semblent être des outils suffisants pour assurer la sauvegarde de la biodiversité culturelle. Ces deux propositions sont intrinsèquement liées, si bien qu’on ne peut les séparer l’une de l’autre : nous devons donc veiller à voter conformes les articles 2 ter et 2 quinquies. Partagez-vous mon point de vue ?

Mme Emmanuelle Anthoine. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi aborde la question des langues régionales au travers des prismes de la protection patrimoniale, de l’enseignement et des services publics. D’autres approches sont‑elles envisageables ? Je pense notamment au spectacle vivant et à l’édition, qui pourraient contribuer à faire vivre ces langues régionales dans le monde culturel. Nous pourrions également inciter les acteurs de l’audiovisuel public à élaborer des programmes de diffusion en langues régionales en introduisant des dispositions allant dans ce sens dans leurs contrats d’objectifs et de moyens. Qu’en pensez‑vous ?

Mme Danièle Hérin. Il y a encore quelques années, j’étais convaincue que la deuxième langue à enseigner aux jeunes enfants devait être l’anglais. Or, dans ma circonscription située en Occitanie, j’ai observé deux tendances qui m’ont fait changer d’avis. En premier lieu, une école Calandreta a été ouverte en 2018, d’abord avec une classe, puis avec deux classes. Ce projet s’est avéré très bénéfique, s’agissant non seulement du contenu des enseignements, mais également de la façon d’enseigner. Les parents sont très impliqués dans la formation et effectuent un travail bénévole impressionnant. Par ailleurs, il est évident que le patrimoine immatériel culturel de l’Occitanie est de plus en plus défendu par l’ensemble de ses habitants. Alors qu’il y a quelques années, l’occitan était considéré comme une langue ancienne, on constate aujourd’hui qu’il est de nouveau à la mode. N’oublions pas que le nom « Occitanie » a été choisi à l’issue d’une consultation publique organisée par la présidente de la région. Je voterai cette proposition de loi.

M. Paul Molac, rapporteur. Je vous remercie de votre soutien – même s’il n’est pas toujours total, cela me fait plaisir de constater que nous avançons.

L’immersion pratiquée dans les écoles associatives est très spéciale. Jusqu’en CE1, la langue régionale est utilisée à 100 % ; le français n’est introduit qu’ensuite. Au collège et au lycée, de nombreuses matières sont enseignées en langue régionale ; cette dernière est d’ailleurs parlée par l’ensemble du personnel de l’établissement. Je tiens à rassurer certains d’entre vous : ce n’est pas cette forme d’immersion que nous voulons développer dans l’enseignement public.

On pourrait penser que certains enfants scolarisés dans ces filières ne parlent pas bien français ; or les résultats des évaluations prouvent le contraire. Lorsque j’étais président d’une association de parents d’élèves pour l’enseignement du breton à l’école publique, le ministère de l’éducation nationale organisait des évaluations de français et de mathématiques en CM2 et en sixième. Nous avons constaté que les élèves scolarisés dans des écoles bilingues ou des écoles associatives immersives obtenaient, en français, des résultats meilleurs que la moyenne départementale.

Une expérimentation d’immersion à l’école maternelle publique est actuellement menée au Pays basque : là encore, contrairement aux idées reçues, on ne déplore aucun retard en français chez ces enfants à la fin de l’école maternelle. Comment expliquer de tels résultats ? Au cours d’une journée, un enfant est actif environ 50 % du temps, les 50 % restants étant consacrés au sommeil. Au sein de ces 50 % de temps d’activité, le temps passé à l’école représente 17 %. Le reste du temps, l’enfant vit dans son milieu familial, où le français est la seule langue employée – Mme Anthoine a d’ailleurs évoqué la situation dans les médias. Si nous faisons un peu d’immersion en langue régionale à l’école maternelle, c’est bien pour contrecarrer la position ultradominante du français.

Au cours des dix dernières années, le taux de réussite au bac dans les écoles associatives Diwan a été, au pire, de 94 %, et au mieux, de 100 %, comme en 2020. Là encore, ces résultats sont supérieurs à la moyenne bretonne, qui est pourtant l’une des plus élevées de notre pays.

N’ayons donc aucune crainte, d’autant que ma proposition de loi ne vise qu’à permettre que l’enseignement dans une langue régionale représente plus de 50 % du temps scolaire – ce sera alors à l’éducation nationale de déterminer les modalités précises de cette immersion, en liaison avec les acteurs de terrain. L’expérimentation au Pays basque dont je parlais tout à l’heure a fait l’objet d’une concertation avec l’Office public de la langue basque, les syndicats d’enseignants, les parents et les élus locaux. L’enseignement immersif est un enseignement bilingue, et l’on n’accepterait évidemment pas que les enfants qui en bénéficient ne parlent pas français.

Le versement d’un forfait scolaire par les communes de résidence des élèves est demandé depuis très longtemps. Du reste, cette pratique existe déjà dans l’enseignement public. Vous avez expliqué, madame Bannier, que la loi pour une école de la confiance avait permis aux écoles dispensant un enseignement en langue régionale de conclure un accord avec les communes de résidence des élèves, mais c’était déjà le cas auparavant. La loi de 2019 n’a fait qu’introduire la médiation du préfet, qui est d’ailleurs insuffisante, puisque ce sujet fait actuellement l’objet de 150 contentieux en Bretagne. Quand les maires entendent parler d’une contribution volontaire, ils n’ont pas l’intention de la payer ! Le Sénat l’a très bien compris.

Je rejoins vos propos, madame Anthoine. Cependant, je ne pouvais pas inclure beaucoup d’articles dans ma proposition de loi : je me suis donc concentré sur ce que je connaissais le mieux, à savoir l’enseignement. J’avais déjà rédigé une proposition de loi contenant quelques dispositions relatives aux médias, mais les choses sont un peu plus compliquées. La promotion des langues régionales dans les médias est effectivement un angle mort de la présente proposition de loi, et nous pouvons faire beaucoup mieux en la matière. Plusieurs régions subventionnent un certain nombre de médias, qui restent tout de même assez confidentiels – c’est en tout cas ce que fait la région Bretagne, qui encourage aussi l’édition de livres en langues régionales, que ce soit en breton ou en gallo.

M. le président Bruno Studer. Nous passons maintenant à l’examen des articles restant en discussion.


II.   examen des articles

Article 2 ter (nouveau) : Enseignement immersif

Amendements de suppression AC3 de Mme Géraldine Bannier, AC5 de M. Christophe Euzet et AC7 de Mme Stéphanie Atger.

Mme Géraldine Bannier. À mon sens, l’article 2 ter pose un problème constitutionnel, puisque l’article 2 de la Constitution dispose : « La langue de la République est le français. »

Vous venez de rappeler, monsieur le rapporteur, qu’un enseignement immersif est un enseignement bilingue. Or l’article L. 312-10 du code de l’éducation prévoit déjà la possibilité d’un enseignement bilingue, assuré en langue française et dans une langue régionale. J’ai donc du mal à comprendre l’intérêt d’ajouter dans la loi une référence à un enseignement immersif que, du reste, de nombreuses écoles dispensent déjà.

M. Christophe Euzet. Je souscris plutôt aux arguments développés par le rapporteur, s’agissant notamment de la réussite des écoles Diwan, mais peut-être faudrait-il tout de même regarder quelle est l’origine sociale des élèves qui y sont scolarisés.

M. Molac nous a expliqué que les enfants bénéficiant d’un enseignement immersif connaîtront le français aussi bien que les autres, puisqu’ils baignent dans une atmosphère francophone chez eux, tout au long de la journée. C’est vrai, mais ce sera peut-être beaucoup moins le cas à l’avenir : si ces enfants regardent des programmes de télévision en langue régionale ou si leurs parents font l’effort de parler une langue régionale à la maison, on peut craindre, à terme, une déconnexion avec la langue de la République. Par ailleurs, l’argument selon lequel l’introduction d’un enseignement immersif à l’école publique permettra aux populations les plus précaires d’y accéder pose justement la question de la limitation de cette immersion.

Je l’ai dit, le groupe Agir ensemble est tout à fait favorable au principe de l’enseignement immersif, mais cette immersion, qui peut prendre des formes multiples – des heures d’enseignement, des heures de cantine, des heures de garderie, l’accueil des élèves par l’administration –, ne saurait être illimitée. Sur les vingt-quatre heures d’enseignement hebdomadaires dispensées à l’école primaire, on compte dix heures d’enseignement du français, soit 40 % des heures de cours, et je ne crois pas que l’on puisse aller en deçà de ce volume. On peut envisager de porter l’immersion dans une langue régionale au-delà du plafond de 50 % du temps scolaire en vigueur, mais je ne vois pas comment on pourrait priver des enfants scolarisés à l’école publique des dix heures d’enseignement de la langue française qui s’imposent à tous les élèves.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 2 ter, mais je vous invite encore une fois à considérer notre amendement comme un appel à introduire dans cet article une limitation de l’enseignement immersif.

Mme Stéphanie Atger. Nous ne remettons pas en cause le bien-fondé de l’enseignement immersif, mais nous déplorons le flou que la rédaction de l’article 2 ter induit quant à la délimitation temporelle de l’immersion.

M. Paul Molac, rapporteur. Je suis d’accord avec vous, madame Bannier, la différence entre un enseignement bilingue et un enseignement immersif est ténue. Cependant, le ministère de l’éducation nationale a tracé une ligne rouge, en considérant que, dansl’enseignement bilingue, l’enseignement en langue régionale ne peut pas représenter plus de 50 % du temps scolaire ; l’article 2 ter vise simplement à dire qu’il est possible d’aller au‑delà. Cette limite de 50 % n’est évidemment écrite nulle part : rien n’empêche, en théorie, un établissement scolaire de la dépasser, si ce n’est la volonté affichée par le ministère depuis trente ans. Lors d’une discussion que j’ai eue un jour avec des hauts fonctionnaires, ces derniers ont d’ailleurs fini par reconnaître que ce plafond n’avait pas de fondement constitutionnel mais qu’il procédait d’une vision militante de leur part : ils craignent en effet que les gens ne parlent plus français. Or, si cette inquiétude était compréhensible à une certaine époque, les évaluations dont nous disposons aujourd’hui montrent bien que ce problème ne se pose pas.

Le Conseil constitutionnel a déduit de l’article 2 de la Constitution que l’usage d’une langue autre que le français ne pouvait être imposé aux élèves d’un établissement de l’enseignement public : c’est pourquoi les enseignements bilingues y sont toujours optionnels. Mais il n’interdit pas la création, à côté de l’enseignement classique, de filières immersives proposées au choix des élèves, dans la mesure où l’enseignement immersif n’aurait pas pour effet de soustraire les enfants à l’obligation de maîtrise du français. Ce raisonnement a été clairement exprimé par le Conseil constitutionnel et nous le validons. Pour résumer, à chaque fois que le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur ces sujets, y compris sur la question de l’immersion, il a énoncé deux principes : un enseignement dans une langue régionale ne peut avoir de caractère obligatoire – autrement dit, les parents peuvent le refuser –, et les enfants qui en bénéficient doivent être soumis aux mêmes attentes que les autres en termes de maîtrise du français.

C’est évidemment à l’éducation nationale de faire en sorte que les élèves maîtrisent à la fois le français et la langue régionale. Si nous introduisions dans la loi une limitation temporelle de l’enseignement immersif, nous figerions les choses. Imaginons qu’il existe, demain, un plus grand nombre de médias en langue régionale : il faudra alors peut-être réformer les modalités de l’immersion, qui vient aujourd’hui contrebalancer le faible usage de ces langues dans l’espace public. M. Euzet redoutait tout à l’heure que les parents se mettent à parler la langue régionale à la maison et que cela ait des effets négatifs sur l’apprentissage du français par les enfants. Or la transmission familiale est aujourd’hui réduite à la portion congrue : même dans le milieu familial, les gens parlent français. Les langues régionales n’existent plus : plus personne ne les entend, plus personne ne les parle. C’est pourquoi elles sont en grand danger d’extinction. Nous devons rester réactifs, car nous ne voulons pas d’un monolinguisme, quel qu’il soit : nous voulons du bilinguisme et du plurilinguisme.

Si la proposition de loi est votée, un justiciable soulèvera peut-être une question prioritaire de constitutionnalité, mais il n’y a pas, à mon sens, de contre‑indication à cet article émanant du Conseil constitutionnel.

Monsieur Euzet, les écoles associatives sont ouvertes à tous. Pour y avoir scolarisé certains de mes enfants, je peux vous dire qu’elles accueillent aussi des enfants à problèmes. L’école Diwan de Bohalgo, à Vannes, était appelée « l’école des Turcs », car elle était située près d’un immeuble habité par de nombreuses personnes d’origine turque qui y inscrivaient leurs enfants. Le fait que les enfants scolarisés dans ces écoles soient de cultures différentes ne pose pas de problème.

Mon but n’est absolument pas de promouvoir tel ou tel type d’immersion : je souhaite simplement que l’éducation nationale abandonne son plafond de 50 % et accepte de consacrer 60 %, 70 % ou 80 % du temps scolaire à l’immersion dans une langue régionale. Ce n’est pas une vision idéologique de ma part : il existe une réelle demande venant du terrain. Par exemple, l’Office public de la langue basque a défendu la demande de quatre écoles d’organiser un enseignement en immersion en maternelle. Les enseignants étaient volontaires – on ne peut pas les obliger à parler la langue régionale –, de même que les parents et les maires. Au début, l’éducation nationale ne voulait ouvrir qu’une seule classe. Après moult discussions et sans doute quelques frictions, les quatre classes ont pu ouvrir. De même, une école immersive a été intégrée dans l’enseignement public, en Catalogne, dès les années quatre-vingt-dix. J’attends que les conseillers pédagogiques, les inspecteurs de l’éducation nationale et les enseignants déterminent ensemble ce qu’il faut mettre en place.

Tout à l’heure, nous avons parlé du bac. Les effectifs des candidats aux épreuves optionnelles de langue régionale ont été réduits de moitié. S’agissant plus spécifiquement du gallo, une langue romane de l’est de la Bretagne, la baisse est même de deux tiers. Quand les pratiques de l’éducation nationale visent à limiter l’enseignement des langues régionales, celui-ci régresse très rapidement. Certes, la maîtrise de ces langues est considérée comme un atout, mais quand un élève a le choix entre une langue régionale et une langue étrangère, il opte généralement pour la seconde. De même, quand il s’agit de choisir une option, la langue régionale ne pèse pas lourd face aux sciences de l’ingénieur ou à l’enseignement du numérique. Voilà pourquoi la réforme du bac pose problème dans nos territoires.

M. Raphaël Gérard. Nous avons beaucoup parlé de la langue bretonne et de la langue corse, mais nous devrions prêter également attention aux territoires ultramarins. Or, dans ces territoires, la lutte contre l’illettrisme passe souvent par un enseignement dans la langue maternelle, que ce soit le créole, le shimaoré ou les langues amérindiennes. À cet égard, l’enseignement immersif peut être un très bon outil d’intégration.

Par ailleurs, dans l’intitulé de la proposition de loi, il est question de « protection patrimoniale des langues régionales ». De fait, il ne faut pas oublier la dimension patrimoniale des langues régionales. Le débat autour du projet de loi confortant les principes de la République peut nous conduire à simplifier les choses en considérant que le français est la seule langue de référence. Certes, le français est la langue de la République, comme le précise la Constitution, mais la richesse de notre diversité culturelle passe aussi par la sédimentation des langues régionales : même après Villers-Cotterêts, celles-ci ont continué à être pratiquées, et elles font partie de l’identité de la France.

M. Yannick Kerlogot. Je voudrais abonder dans le sens de M. Molac : aucune décision du Conseil constitutionnel n’a considéré, de manière directe ou indirecte, que l’enseignement immersif était inconstitutionnel. J’aimerais donc que l’on m’indique les obstacles d’ordre constitutionnel qui pourraient s’opposer à son développement.

Je souhaite également rassurer nos collègues en les invitant à regarder ce qui se passe dans d’autres pays européens, aussi bien en Allemagne qu’en Autriche, en Espagne ou encore en Italie.

Les langues régionales ont été inscrites dans la Constitution en 2008, avec la création de l’article 75-1, car le Sénat s’était opposé à ce qu’elles soient reconnues dès l’article 2.

Par ailleurs, l’enseignement immersif existe depuis des décennies dans notre pays, non seulement dans les établissements privés sous contrat, mais aussi dans le public. On ne saurait donc le considérer comme inconstitutionnel. Je comprends que l’on puisse s’interroger en constatant que certains enfants, en maternelle, n’utilisent pas la langue de la République. Mais la méthode immersive doit être considérée dans sa globalité, c’est-à-dire sur le temps long, de la maternelle au lycée. M.  Molac a rappelé que l’apprentissage du français est introduit à partir du CE1. Or les résultats au bac n’en sont pas moins probants. C’est donc une méthode qui existe déjà sur le terrain et qui s’est révélée efficace.

N’oublions pas que l’objectif est de préserver des langues régionales qui ont été mises à mal et sont en train de disparaître. Il doit être possible d’encourager la méthode immersive, sur la base du volontariat des familles, et de la reconnaître dans le code de l’éducation, au même titre que l’enseignement bilingue paritaire et l’initiation.

M. Frédéric Reiss. Je voudrais tout simplement rappeler le contenu de l’article 2 ter à ceux qui en demandent la suppression en invoquant l’article 2 de la Constitution et la censure éventuelle par le Conseil constitutionnel. Il s’agit de modifier l’article L. 312-10 du code de l’éducation. Celui-ci dispose : « L’enseignement facultatif de langue et culture régionales est proposé dans l’une des deux formes suivantes », en l’occurrence un « enseignement de la langue de la culture régionales », soit quelques heures par semaine, et un « enseignement bilingue en langue française et en langue régionale », ce qui correspond à l’enseignement à 50 % en langue régionale, à raison de douze ou treize heures par semaine. L’article 2 ter a pour objet de créer une troisième forme : un « enseignement immersif en langue régionale », permettant d’aller au-delà de 50 % mais « sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française ». Cet article ne comporte donc aucun risque ; il faut le conserver.

M. Paul-André Colombani. D’abord, en ce qui concerne l’origine sociale des élèves fréquentant les écoles immersives en Bretagne, ces écoles émanent d’un tissu associatif surtout présent dans les territoires ruraux, au-delà des zones périurbaines.

Ensuite, j’observe que certains opposent une fois encore l’apprentissage du français à celui des langues régionales, alors même que l’on sait désormais que les élèves des filières bilingues apprennent mieux que les autres la langue nationale : ce constat fait l’objet d’un consensus dans le monde entier.

Enfin, s’agissant du problème de constitutionnalité, nos collègues sénateurs l’ont purgé – à moins que vous ne considériez que le texte a pu être adopté par le Sénat sans que la question y soit posée. Mais peut-être n’est-ce là, une fois encore, qu’un prétexte pour refuser d’aller plus loin.

Mme Sandrine Mörch. Lorsque j’étais journaliste, j’ai travaillé au Pays basque et en Corse. Je puis donc en témoigner : alors que, pendant longtemps, les langues régionales faisaient partie du folklore, que l’on essayait désespérément de les transmettre – elles n’étaient plus pratiquées que par des personnes très âgées qui les parlaient entre elles –, un renouveau s’est opéré, en réponse au déracinement culturel et géographique, sans que cela ait quoi que ce soit à voir avec le retour du nationalisme.

Les langues régionales sont perçues par un certain nombre de jeunes comme un instrument d’émancipation : ils veulent vivre au pays, y construire en s’appuyant sur leur patrimoine. Celui-ci est visuel – d’où la défense du paysage –, gastronomique – ce que personne ne remet jamais en question –, mais aussi sonore – et la langue en est évidemment l’un des piliers. C’est tout l’inverse d’un repli : un enfant à l’aise avec ses racines sera un adulte bien plus riche et équilibré. Les langues régionales sont l’une des clés du réenracinement que, partout dans la société, les Français appellent de leurs vœux.

M. Christophe Euzet. En ce qui concerne le risque d’inconstitutionnalité, je suis toujours réticent devant cette forme d’autocensure perpétuelle de l’institution parlementaire. Le Parlement adopte des lois dont le Conseil constitutionnel vérifie ensuite la conformité à la Constitution : il n’y a pas lieu de nous autocensurer a priori. Du reste, le débat est moins constitutionnel que politique.

Le groupe Agir ensemble est-il favorable à l’enseignement immersif, c’est‑à-dire à la possibilité de véhiculer l’enseignement par la langue régionale ? Encore une fois, la réponse est oui. Est-il favorable à ce que l’on dépasse le seuil de 50 % d’enseignement en langue régionale ? La réponse est oui. Considère-t-il, pour autant, qu’il ne doit y avoir aucune limitation, ce qui serait au détriment du nombre d’heures dévolues à l’enseignement en français et risquerait de porter préjudice à l’enseignement de la langue française dans le dispositif scolaire ? La réponse est non. Nous invitons donc le rapporteur à réfléchir à une disposition permettant de développer l’enseignement immersif sans porter atteinte à l’enseignement de la langue française : on ne saurait descendre au-dessous de dix heures par semaine tout au long du cursus, soit environ 40 % du temps d’enseignement, ce qui laisse tout de même une certaine marge pour des évolutions.

M. Yannick Kerlogot. La méthode immersive est efficace à condition d’être envisagée sur le temps long. Elle permet de sauvegarder les langues régionales sans porter le moindre préjudice à la maîtrise de la langue française, comme en témoignent les résultats au bac.

M. Paul Molac, rapporteur. Cela va peut-être vous surprendre, monsieur Euzet, mais je fais confiance à l’éducation nationale pour déterminer les modalités de mise en œuvre du dispositif. Ma vision est politique et non pédagogique, même si j’ai enseigné l’histoire en breton dans le secondaire. Il est bien inscrit dans le texte que cet enseignement doit être dispensé « sans préjudice de l’objectif d’une bonne connaissance de la langue française », et j’ai rappelé la position du Conseil constitutionnel. Pour le reste, je laisse faire les pédagogues, car je ne sais pas apprendre à lire ou à écrire à un enfant, par exemple. Au demeurant, cela relève du domaine réglementaire. On ne peut avancer sans étude, sans évaluation et surtout sans un consensus dans la population – car toute évolution sera impossible si les parents y sont opposés.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’article 2 ter sans modification.

Article 2 quater (nouveau) : Application de l’article L. 312-10 du code de l’éducation à Mayotte

Amendements AC2 et AC1 de M. Raphaël Gérard.

M. Raphaël Gérard. L’amendement AC2 vise à remplacer la notion de « langues régionales » par la notion de « langues de France » au sein de l’article L. 312-11 du code de l’éducation.

D’une part, il s’agit, en introduisant cette notion, de veiller à une égale reconnaissance de l’ensemble des langues régionales et des langues ultramarines en faisant référence à la liste établie par la délégation générale à la langue française et aux langues de France du ministère de la culture. Les dispositions réglementaires et législatives du code de l’éducation maintiennent une hiérarchie entre les différentes langues appartenant au patrimoine immatériel de la France. Ainsi, les langues mahoraises sont exclues de la circulaire du 12 avril 2017 relative à l’enseignement des langues et cultures régionales. Or, comme l’a rapporté notre collègue Ramlati Ali dans son avis rendu au nom de la délégation aux outre‑mer sur le projet de loi pour une école de la confiance, il existe un véritable enjeu de transmission du shibushi, menacé de disparition à Mayotte au profit du shimaoré, qui est la langue vernaculaire la plus répandue.

D’autre part, à l’heure où nous souhaitons lutter contre les séparatismes, cet amendement revêt une forte dimension symbolique en rappelant que l’enseignement et la transmission des langues régionales, qui sont les langues maternelles d’une partie de nos concitoyens, ne font pas obstacle à la cohésion nationale.

Nous avons déjà eu à plusieurs reprises, au sein de la commission, des débats sur la nécessité de mettre en accord le code de l’éducation, qui parle des « langues régionales », et la terminologie utilisée par le ministère de la culture, qui a établi une liste des « langues de France » : il serait bon de remédier à cette discordance.

L’amendement AC1, pour l’essentiel rédactionnel, procède du même esprit. Il vise à consacrer, au sein de l’article L. 312-4 du code de l’éducation, l’ensemble des réalités linguistiques présentes dans les territoires ultramarins. L’article en question, introduit par voie d’amendement parlementaire à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, en 2013, avait pour objet de prévoir le déploiement des méthodes pédagogiques adaptées que j’évoquais tout à l’heure dans les académies d’outre-mer, notamment aux Antilles et à La Réunion, pour favoriser l’apprentissage du français par les élèves créolophones. Sa rédaction avait été modifiée au Sénat afin de prendre en compte le contexte singulier de la Guyane, où il existe d’importantes communautés amérindiennes parlant des langues spécifiques. Or cette modification exclut de fait les deux langues principales de Mayotte
– devenue il y a tout juste dix ans le cent unième département français –, à savoir le shimaoré et le shibushi, parlés respectivement par 71 % et 25 % de la population. Pour l’ensemble de ces raisons et dans le but de consacrer une égale reconnaissance de toutes les langues ultramarines, je vous propose d’adopter une formulation plus générale, de nature à sécuriser les expérimentations en cours dans les territoires ultramarins.

M. Paul Molac, rapporteur. Je vous demanderai de bien vouloir retirer vos amendements. Effectivement, le ministère de la culture parle de « langues de France », et le ministère de l’éducation nationale de « langues régionales » – qu’il n’enseigne d’ailleurs pas toutes, mais, comme je vous le disais, il faut qu’il y ait une demande sociale.

Sur le principe, je ne suis pas opposé à ce que l’on remplace les termes « langues régionales » par les termes « langues de France », mais il faudrait le faire dans l’ensemble du code de l’éducation, ce qui suppose un travail considérable. Du reste, comme il s’agit d’un article consacré à l’enseignement, il vaut mieux conserver la dénomination utilisée par l’éducation nationale.

M. Raphaël Gérard. J’entends vos arguments et retire donc mes amendements. Cela étant, j’ai déjà soulevé le problème à plusieurs reprises : il faut vraiment le résoudre. Je nous invite donc à engager collectivement ce travail de mise en cohérence des différents textes.

Les amendements sont retirés.

La commission adopte l’article 2 quater sans modification.

Article 2 quinquies (nouveau) : Participation financière des communes à la scolarisation d’enfants résidant sur leur territoire dans un établissement privé du premier degré sous contrat d’association dispensant un enseignement de langue régionale situé sur le territoire d’une autre commune

Amendement de suppression AC4 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Comme tout à l’heure, mon interrogation concernant cette disposition découle de mon expérience d’ancienne maire d’une petite commune rurale. La proposition de loi prévoit que la participation financière à la scolarisation fait l’objet d’un accord entre la commune de résidence et l’établissement d’enseignement situé sur le territoire d’une autre commune. On passe donc, de fait, d’une contribution volontaire de la commune à une contribution obligatoire.

Imaginons une petite commune rurale ayant une seule école publique avec deux classes, tandis qu’il existe, à proximité, des communes plus importantes où l’on trouve des établissements privés proposant l’enseignement d’une langue régionale. Si des enfants habitant dans la commune rurale veulent apprendre cette langue dans l’un de ces établissements, le maire ne peut pas s’y opposer : le souhait des élèves est tout à fait légitime, et c’est même bon pour eux. Il n’en demeure pas moins que l’école de la commune rurale se trouve menacée, car elle perd des effectifs. De plus, c’est la double peine pour la commune : non seulement elle perd des élèves, mais en plus elle est obligée de contribuer au financement de leur scolarisation dans un autre établissement ! Qui plus est, c’est une forme de financement du privé par le public. Je m’interroge donc sur le dispositif, y compris sur sa constitutionnalité. Je serais plutôt favorable, à titre personnel, à une contribution respectant le principe de libre administration des conseils municipaux.

M. Paul Molac, rapporteur. Le mécanisme proposé existe déjà pour l’enseignement public : quand une famille scolarise son enfant dans une autre commune, la commune de résidence participe aux frais de scolarité. Cela vaut même pour les petites communes. Par ailleurs, l’enseignement des langues régionales suppose une capacité d’accueil adaptée.

L’article 2 quinquies vise en réalité à concrétiser une promesse faite par Édouard Philippe lorsqu’il était Premier ministre. Nous avions largement débattu de la question à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi de Jean‑Michel Blanquer. Le ministre nous avait dit qu’il réglerait le problème. Effectivement, il l’a été, au Sénat, avec l’adoption d’un amendement de Maryvonne Blondin, alors sénatrice du Finistère. Le texte précisait que la participation financière à la scolarisation faisait « l’objet d’un accord entre la commune d’accueil et la commune de résidence ». Nous avions été très attentifs à la rédaction. Or, lors des travaux de la CMP, il a été ajouté dans le texte que cette participation financière était « une contribution volontaire ». En l’absence d’accord, le préfet intervient. Ce mécanisme n’est pas satisfaisant : il y a de nombreux contentieux.

Il arrive effectivement que des personnes résidant dans une petite commune scolarisent leurs enfants ailleurs car l’enseignement de la langue régionale n’est pas proposé. Notre but n’est évidemment pas de dépeupler les petites communes rurales : nous voulons qu’elles fournissent le même service que les villes. Pour cela, nous proposons d’accompagner les maires de ces communes afin qu’ils offrent un enseignement bilingue ou un enseignement de la langue régionale sous forme optionnelle. Quand je leur présente le dispositif, certains maires me disent : « Puisque c’est comme ça, je vais ouvrir une classe bilingue ! » Fort bien : c’est ce que nous voulons !

Enfin, je rappelle que le mécanisme ne joue que si aucune forme d’enseignement bilingue – initiation, enseignement paritaire, immersion – n’existe dans la commune de résidence.

M. Yannick Kerlogot. Je voudrais rappeler, afin de rassurer encore une fois nos collègues, que seuls 103 000 élèves, en France métropolitaine, sont concernés par l’enseignement d’une langue régionale, et que celui-ci est public à 75 %. Je trouve donc dangereux de laisser croire que certaines communes rurales pourraient voir des classes fermer au motif que quelques élèves auront fait le choix, avec leur famille, d’apprendre une langue régionale. Paul Molac a raison : nous devons encourager les élus à faire la promotion des langues régionales, mais aussi à valoriser la ruralité – car, dans la crise que nous traversons, plusieurs d’entre vous, je pense, partagent le constat que je fais à propos de ma circonscription, à savoir que l’on observe un regain d’énergie, un rebond des acquisitions de maisons dans la ruralité liés au fait que des familles font le choix de ce cadre de vie. Certains indices conduisent donc à penser qu’il faut rester confiant quant à l’arrivée d’enfants dans les territoires ruraux, et qu’il convient de promouvoir l’enseignement des langues régionales.

Le maire d’une commune ne proposant pas cet enseignement doit comprendre et accepter sereinement qu’une famille fasse le choix de scolariser ses enfants dans une autre commune où ils peuvent apprendre la langue régionale.

M. Frédéric Reiss. J’abonde moi aussi dans le sens de notre rapporteur : il faut qu’un accord soit trouvé entre les communes de résidence et les communes où des écoles privées proposent l’enseignement de la langue régionale. Le même problème existait, il y a fort longtemps, entre les écoles publiques elles-mêmes. Désormais, c’est une question de solidarité. D’ailleurs, les associations de maires se saisissent du problème.

Il convient de faire en sorte que n’importe quelle commune puisse ouvrir des sections d’enseignement en langue régionale. Le dispositif incitera peut-être certains conseils municipaux à prendre les bonnes décisions dans ce sens, même si, évidemment, se pose aussi la question de la formation des enseignants.

Mme Stéphanie Atger. Je partage quant à moi l’inquiétude de Mme Bannier : si un maire ne peut empêcher une famille d’inscrire son enfant à l’école dans une commune voisine, il n’est pas contraint pour l’instant de participer financièrement à la scolarité de cet enfant – ce que prévoit l’article 2 quinquies. Or l’article 72-2 de la Constitution dispose : « Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi. » J’appelle donc à voter l’amendement de suppression.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 quinquies est supprimé.

Article 3 (rétabli) : Enseignement des langues régionales dans le cadre de l’horaire normal des écoles et établissements d’enseignement

Amendement AC6 de M. Christophe Euzet.

M. Christophe Euzet. Sur le fond, l’article 3 ne nous pose pas de difficulté particulière, mais le dispositif juridique nous semble imparfait. En effet, il importe de préciser que l’enseignement de la langue régionale dans le cadre de l’horaire normal est facultatif.

M. Paul Molac, rapporteur. Vous avez dû remarquer qu’il était question, à la fin de l’article, de « proposer » l’enseignement de la langue régionale. Il ne s’agit donc pas d’une obligation.

Il n’est pas dans mon intention de rendre cet enseignement obligatoire : je vous ai expliqué pourquoi et je le redirai en séance pour que les choses soient bien claires et afin d’éviter les contentieux. Selon moi, il faut partir de la demande sociale. Du reste, le Conseil constitutionnel a indiqué clairement, à propos d’une disposition concernant la Corse, que l’enseignement d’une langue régionale ne pouvait pas être obligatoire.

Votre demande est donc largement satisfaite ; je demande le retrait de l’amendement.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 3 sans modification.

Puis elle adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

M. Paul Molac, rapporteur. Je vous remercie, mes chers collègues, pour la qualité de nos débats, que nous poursuivrons le 8 avril dans l’hémicycle. Je persiste à penser que nous devrions adopter conforme le texte issu du Sénat. Je sais que certains confondent la ténacité avec l’obstination – qualités bien bretonnes, paraît-il… Quoi qu’il en soit, je vous remercie : je crois vraiment que nous allons dans le sens d’une réconciliation nationale avec notre propre patrimoine.

 

*

*     *

 

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 

– Texte adopté par la commission :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4035_texte-adopte-commission#

– Texte comparatif :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4035-compa_texte-comparatif.pdf

 

 

 


([1])  Rapport n° 176 (2020-2021) de Mme Monique de MARCO, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 2 décembre 2020

([2])  « La collectivité détermine les activités éducatives complémentaires qu’elle organise, après consultation du conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement. Elle peut proposer, dans les mêmes conditions, un plan de renforcement de l’apprentissage du français et de développement de l’enseignement des langues et de la culture mahoraises. Les modalités d’application de ce plan font l’objet d’une convention conclue entre la collectivité départementale et l’État. »

([3]) Compte rendu des débats au Sénat, séance publique, 10 décembre 2020 : http://www.senat.fr/interventions/crisom_ppl19-321_1.html  

([4])  Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 : « Considérant que l’article 53 prévoit l’insertion dans le temps scolaire de l’enseignement de la langue et de la culture corses ; que cet enseignement n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors qu’il ne revêt pas un caractère obligatoire ; qu’il n’a pas davantage pour objet de soustraire les élèves scolarisés dans les établissements de la collectivité territoriale de Corse aux droits et obligations applicables à l’ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci ; que, par suite, le fait pour le législateur d’autoriser la collectivité territoriale de Corse à promouvoir l’enseignement de la langue et de la culture corses, ne saurait être regardé comme portant atteinte à aucun principe de valeur constitutionnelle ».

([5])  Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10586145_60642380be932.commission-des-affaires-culturelles--protection-patrimoniale-et-promotion-des-langues-regionales-31-mars-2021