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N° 4036

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI, relative à la prise en compte des objectifs de développement durable (n° 3575).

PAR Mme Jennifer De Temmerman

Députée

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 Voir le numéro :

 Assemblée nationale : 3575.

 


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   SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION

I. les objectifs de dÉveloppement durable et leur portÉe opÉrationnelle

1. Un engagement international qui couvre de multiples champs d’activité et se décline en indicateurs précis

2. Le positionnement juridique et opérationnel des ODD dans la conduite des politiques publiques

II. la nÉcessitÉ d’inscrire dans la loi de nouveaux ÉlÉments de concrétisation des odd

1. Conforter la référence aux ODD dans le rapportage extra-financier des entreprises

2. Le renforcement des institutions chargées de prendre en compte les résultats obtenus dans les politiques publiques pour le développement durable

COMMENTAIRES DES ARTICLES de la proposition DE LOI

Chapitre Ier

Article 1er (article L. 225-102-1 du code de commerce) Prise en compte des ODD dans le rapportage extra-financier des entreprises

Article 2 (article L. 111-13 du code des juridictions financières) Contrôle par la Cour des comptes du respect des ODD dans les politiques publiques

Article 3 (article L. 110-1 du code de l’environnement) Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

Article 4 (article L. 110-1 du code de l’environnement) Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

Chapitre II

Article 5 (article 6 octies [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) Création d’une délégation parlementaire de suivi  des objectifs du développement durable

Chapitre III

Article 6 (articles L. 133-1, L. 133-2, L. 133-3 et L.133-4 du code de l’environnement) Remplacement du Conseil national de la transition écologique par un Conseil national du développement durable

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. discussion générale

II. examen des articles

liste des personnes auditionnées


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   INTRODUCTION

Mme Jennifer De Temmerman et plusieurs de ses collègues (Mme Martine Wonner, M. FrançoisMichel Lambert, Mmes Valérie Petit, Annie Chapelier, M. Frédéric Reiss, Mmes Sandrine Josso, Cathy RaconBouzon, Nathalie Sarles et Frédérique Dumas) ont déposé, le 17 novembre 2020, une proposition de loi relative à la prise en compte dans la loi des objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015 dans le cadre du programme « Transformer le monde : Programme de développement durable à l’horizon 2030 », plus connu sous le nom de « Agenda 2030 ».

Ces ODD prennent la forme de 17 objectifs généraux, déclinés en 169 cibles et 244 indicateurs associés. Ils ne concernent pas que la lutte contre le changement climatique (objectif 13) mais également le recours aux énergies renouvelables (objectif 7), l’accès à des emplois décents (objectif 8), la promotion d’infrastructures résilientes et d’une industrialisation durable (objectif 9), la réduction des inégalités (objectif 10), la consommation et la production responsables (objectif 12) ou encore la vie aquatique et terrestre (objectifs 14 et 15). La diversité des ODD constitue leur richesse. Les ODD constituent ainsi une base référentielle, un « langage commun », dans laquelle les acteurs publics et privés peuvent trouver des orientations susceptibles de guider leurs initiatives législatives, sociales, économiques et environnementales. Les ODD permettent ainsi aux États, aux entreprises et aux acteurs de la société civile à travers le monde de se regrouper autour d’objectifs précis et de mesurer les progrès accomplis sur la base d’indicateurs associés à chaque objectif.

Il est ainsi essentiel de travailler à faire connaître à la fois l’Agenda 2030 mais aussi tout simplement le concept de développement durable tel qu’il est formulé et décliné dans les ODD. C’est tout l’objectif de cette proposition de loi qui s’inscrit notamment dans la continuité des discussions ouvertes par la proposition de résolution nº 3477 relative à l’évolution de la Constitution afin de permettre l’intégration des objectifs de développement durable dans le processus législatif. Cela se traduit par la formulation de six articles visant une meilleure prise en compte des ODD dans les déclarations de performance extra-financière et dans les politiques de responsabilité sociétale (RSE) des entreprises (article 1er), un meilleur contrôle des politiques publiques à l’aune des ODD par des acteurs centraux du contrôle et de l’évaluation comme la Cour des comptes (article 2), un alignement du vocabulaire législatif sur la notion d’objectifs de développement durable au lieu de la seule mention du développement durable (article 3 et 4) ainsi que la création de nouvelles instances dédiées au suivi et au contrôle étroit de ce dispositif tant au Parlement (article 5) qu’au niveau de l’exécutif, avec la création d’un Conseil national du développement durable placé auprès du Premier ministre (article 6).

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a rejeté la proposition de loi lors de son examen en commission en date du 31 mars 2021.

I.   les objectifs de dÉveloppement durable et leur portÉe opÉrationnelle

1.   Un engagement international qui couvre de multiples champs d’activité et se décline en indicateurs précis

Parfois éclipsé par l’accord de Paris sur le climat adopté en décembre 2015, l’Agenda 2030 adopté dans le cadre de l’ONU en septembre 2015 constitue l’aboutissement d’un travail de négociations intense entre Gouvernements et acteurs de la société civile qui s’est étalé sur près de deux ans. 193 États ont signé cet accord et décidé de se donner quinze ans pour mener une transition juste en luttant contre toutes les discriminations ou inégalités et en garantissant les mêmes droits, chances et libertés à toutes et à tous. Cette ambition dépend des 17 objectifs de développement durable suivants :

1. Pas de pauvreté

2. Faim « zéro »

3. Bonne santé et bien-être

4. Éducation de qualité

5. Égalité entre les sexes

6. Eau propre et assainissement

7. Énergie propre et d’un coût abordable

8. Travail décent et croissance économique

9. Industrie, innovation et infrastructure

10. Inégalités réduites

11. Villes et communes durables

12. Consommation et production responsables

13. Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques

14. Vie aquatique

15. Vie terrestre

16. Paix, justice et institutions efficaces

17. Partenariat pour la réalisation des objectifs

Ces 17 ODD, leurs 169 cibles et les 244 indicateurs associés forment le cœur de l’Agenda 2030. Ce dernier se caractérise par la reconnaissance des liens intrinsèques entre les différentes thématiques ainsi que la nécessaire mobilisation de l’ensemble des acteurs, institutionnels comme ceux de la société civile. Le but des ODD, qui est également celui poursuivi par cette proposition de loi, est ainsi de créer une dynamique d’appropriation des objectifs de développement durable par les territoires, la société civile, le secteur privé et les citoyens. Tous les pays doivent ainsi mettre en œuvre l’intégralité de l’agenda, avec le même degré d’ambition, tout en tenant compte de la variété des situations. Ils sont invités à rendre compte annuellement de leurs progrès devant le forum politique de haut niveau des Nations Unies.

Source : https://www.agenda-2030.fr

Chaque année, les ministres concernés se retrouvent pour dresser un bilan des progrès accomplis et, tous les quatre ans, cette réunion se tient au niveau des chefs d’État et de gouvernement lors du forum politique de haut niveau (FPHN) pour faire le point sur l’avancée de la mise en œuvre de l'Agenda 2030 et des objectifs de développement durable qui le composent.

La France veille à informer et mobiliser l’ensemble des acteurs et à associer les organisations de la société civile à chaque étape de la démarche de mise en œuvre, à travers des consultations, des ateliers collaboratifs et la production de documents qui font systématiquement l’objet d’une consultation du Conseil national de la transition écologique (CNTE) et du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI). La France fournit également les données nécessaires pour le calcul de l’ensemble des indicateurs mais elle a procédé à une sélection de 98 indicateurs (sur les 244) les plus adaptés aux enjeux de notre pays. Ce travail de sélection a été confié au Conseil national de l’information statistique (CNIS) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a la charge du suivi et du renseignement de ces indicateurs.

Toutefois, selon le bilan 2019 publié par le réseau SDSN (Sustainable Development Solutions Network), pour l’ONU ([1]), « aucun pays ne suit actuellement une trajectoire alignée avec l’atteinte des 17 ODD. Même les États les mieux notés éprouvent de sévères difficultés, notamment en ce qui concerne les ODD 12 (Consommation et Production Responsables), 13 (Lutte contre les changements climatiques), 14 (Vie maritime) et 15 (Biodiversité) ». La France est notamment en retard sur les ODD 8, 12 et 13, ce qui appelle à renforcer les actions prises pour un développement plus juste et plus vertueux sur le plan écologique et de la lutte contre les inégalités.

2.   Le positionnement juridique et opérationnel des ODD dans la conduite des politiques publiques

Les ODD n’ont pas de valeur contraignante directe dans l’ordre juridique. Le développement durable a cependant déjà une valeur constitutionnelle puisque la notion a été intégrée en 2004 dans la Charte de l’environnement, composante du bloc de constitutionnalité. Le développement durable repose ainsi sur le principe fondamental selon lequel « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

La Charte proclame également que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». L’article L. 110-1 du code de l’environnement décline, au niveau législatif, une série de principes et d’objectifs qui sont ceux de la Charte, notamment le principe du pollueur-payeur ou le principe de précaution. Toutefois, pour davantage de clarté, la présente proposition de loi propose de substituer dans la loi le terme « objectifs de développement durable » au « développement durable » (écrit au singulier) afin d’insister sur les dimensions sociale et économique, en même temps qu’environnementale, des ODD. La substitution ne pourra toutefois pas être transposée dans la Charte puisque cela nécessiterait une révision constitutionnelle.

La France s’est également engagée, dans le cadre du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement du 8 février 2018, à se doter d’une feuille de route pour la mise en œuvre des ODD. Cette feuille de route, adoptée le 20 septembre 2019, a défini six enjeux que la société française doit relever :

 agir pour une transition juste, en luttant contre toutes les discriminations et inégalités et en garantissant les mêmes droits, opportunités et libertés à toutes et à tous ;

 transformer les modèles de sociétés par la sobriété carbone et l’économie des ressources naturelles, pour agir en faveur du climat, de la planète et de sa biodiversité ;

 s’appuyer sur l’éducation et la formation tout au long de la vie, pour permettre une évolution des comportements et modes de vie adaptés au monde à construire et aux défis du développement durable ;

 agir pour la santé et le bien-être de toutes et tous, notamment via une alimentation et une agriculture saines et durables ;

 rendre effective la participation citoyenne à l’atteinte des objectifs de développement durable, et concrétiser la transformation des pratiques à travers le renforcement de l’expérimentation et de l’innovation territoriale ;

 œuvrer au plan européen et international en faveur de la transformation durable des sociétés, de la paix et de la solidarité.

Le ministère de la transition écologique a également créé une « boîte à outils » qui s’adresse à toutes les structures et à tous les individus qui souhaitent sensibiliser à l’Agenda 2030 et intégrer les ODD dans une action précise. Elle est composée de deux livrets. Le livret « Boîte à outils des ODD » explique la démarche et les outils à utiliser pour intégrer les ODD dans une action. Le deuxième livret « Boîte à outils pour élaborer un rapport développement durable » accompagne les acteurs tout au long de l’élaboration de leur rapport de développement durable. Ces outils sont le fruit d’ateliers collaboratifs qui ont réuni des collectivités, élus et techniciens, des accompagnants des territoires, des services de l’État et des établissements et entreprises publics. Le Comité 21, premier réseau français multiacteurs du développement durable, a également imaginé un « Tour de France des ODD » pour promouvoir l’Agenda 2030 dans les territoires.

II.   la nÉcessitÉ d’inscrire dans la loi de nouveaux ÉlÉments de concrétisation des odd

Malgré de nombreux progrès et initiatives publiques comme privées, la prise en compte des ODD nécessite encore une appropriation d’ensemble par les acteurs publics et privés. Celle-ci pourrait se traduire, comme la proposition de loi y invite, par l’introduction dans la loi de nouveaux objectifs et le renforcement des institutions chargées de contrôler la conformité de l’action publique aux ODD.

1.   Conforter la référence aux ODD dans le rapportage extra-financier des entreprises

De nombreuses entreprises font aujourd’hui référence aux ODD dans la conduite de leur stratégie et les prennent en compte dans les obligations de rapportage extra-financier qui s’imposent à elles. Certaines entreprises vont même construire des stratégies et des produits directement liés au respect des ODD. Les ODD représentent ainsi une opportunité pour les entreprises, ainsi que l’a confirmé à la rapporteure la directrice de la branche française du Pacte mondial (Global Compact en anglais) ([2]), précisant que des études chiffrent à près de 12 000 milliards d’euros les opportunités économiques offertes par l’atteinte des ODD. 5 000 à 7 000 milliards d’euros d’investissements sont requis pour cela.

Source : Global compact France

Cependant, les entreprises se sentent parfois perdues devant la multiplicité des référentiels, guides et normes (obligatoires ou reposant sur le volontariat) en matière de rapportage extra-financier des entreprises. Depuis 2010, il existe ainsi une norme ISO 26000 intitulée « Lignes directrices sur la responsabilité sociale des organisations » qui sert de référence internationale en matière de RSE. Mais il existe de nombreux autres référentiels possibles. Global reporting initiative (GRI) et Global Compact produisent par exemple une étude annuelle synthétique qui met en avant plus de 800 indicateurs possibles, dont certains, initialement destinés aux États dans le cadre des ODD, sont adaptés pour les entreprises. En France, le rapport sur les labels de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) de Jean-Paul Chapron, Coralie Dubost et Fella Imalhayene, remis le 30 novembre 2020 à la secrétaire d’État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable Mme Olivia Grégoire, recensait plus d’une cinquantaine de labels généralistes, thématiques ou sectoriels. Aucun d’entre eux ne certifie cependant plus de quelques centaines d’entreprises ni ne connaît une notoriété évidente auprès de nos concitoyens.

Cette inflation des labels devient problématique lorsque ceux-ci n’adoptent pas le même mode de fonctionnement, que ce soit pour le développement du référentiel d’évaluation, l’évaluation elle-même ou la gouvernance de l’organisme. Cette diversité crée de la confusion et un doute sur les qualités et finalités respectives des différents dispositifs. D’autant plus que tous ces labels reposent sur une base volontaire qui permet aux entreprises de choisir les indicateurs qui les intéressent le plus ou qu’elles satisfont le plus facilement.

Du côté des normes obligatoires, la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes prévoit un rapportage sur la politique environnementale, sociale et de gouvernance de la société et son résultat sous forme d’indicateurs clés de performance, ainsi qu’une description des principaux risques environnementaux, sociaux et de gouvernance, et de la manière dont la société les gère.

En France, cette directive a été transposée et matérialisée par la « déclaration de performance extra-financière des entreprises », codifiée dans les articles L. 225-102-1, et R. 225-104 à R. 225-105-2 du code de commerce. En vertu de cette réglementation, les entreprises qui dépassent certains seuils doivent élaborer, chaque année, une déclaration annuelle de performance extra-financière (DPEF) (voir infra, commentaire de l’article 1er).

La déclaration de performance extra-financière est avant tout conçue comme un outil de pilotage de la stratégie de l’entreprise. Elle permet à cette dernière de promouvoir ses actions en matière de RSE et répond à une demande de transparence des parties prenantes (pouvoirs publics, employés, clients, fournisseurs, sous-traitants, investisseurs, ONG et citoyens).

Votre rapporteure pense que l’universalité des objectifs de développement durable (ODD) pourrait également entrer dans le champ des informations extra-financières renseignées par les entreprises. Néanmoins, cette intégration devrait être opérée de manière non contraignante, laissant le choix aux entreprises de sélectionner les indicateurs associés aux ODD les plus pertinents pour juger de leur activité.

2.   Le renforcement des institutions chargées de prendre en compte les résultats obtenus dans les politiques publiques pour le développement durable

La proposition de loi prévoit également un renforcement des institutions publiques chargées d’évaluer les politiques publiques à l’aune des ODD. Plusieurs institutions sont visées par la proposition : la Cour des comptes, le Parlement et le Gouvernement.

En premier lieu, l’article 2 de la proposition de loi prévoit que la Cour des comptes pourrait recevoir la mission de contrôler la conformité des politiques publiques aux ODD dans le cadre de sa mission d’évaluation des politiques publiques. Il convient toutefois de rappeler que les missions de la Cour des comptes sont définies constitutionnellement et par une loi organique. Ainsi, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 modifiant l’article 47‑2 de la Constitution indique que « la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques ». La question soulevée ici est celle du contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD signés par la France, ce qui consiste à contrôler un vaste ensemble d’objectifs et de cibles déclinés dans différentes politiques publiques. Néanmoins, les ODD pourraient utilement compléter, selon votre rapporteure, les avancées obtenues dans le cadre de la budgétisation verte opérée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021.

Une autre manière de procéder pourrait résider dans la création d’une nouvelle délégation parlementaire consacrée au suivi des objectifs de développement durable à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Cette nouvelle délégation aurait un fonctionnement classique reposant sur une représentation proportionnelle de l’ensemble des groupes parlementaires et des commissions permanentes. En complément du travail des commissions permanentes, les délégations parlementaires de suivi des objectifs de développement durable auraient pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les engagements de la France dans les objectifs de développement durable. Créées par la loi, les délégations parlementaires sont en effet des organes de réflexion et d’expertise propres à chaque assemblée. De prime abord, le caractère transversal, pour les politiques publiques, de l’atteinte des ODD pourrait rendre l’objet de cette délégation plus difficile à définir que pour certaines délégations plus spécialisées, comme la délégation parlementaire au renseignement. Toutefois, des délégations aussi importantes que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ont également un caractère transversal qui ne les empêche pas de mener à bien leur mission. Selon la rapporteure, l’absence d’avancée dans l’atteinte des ODD, voire les reculs parfois opérés, peut notamment s’expliquer par cette incapacité structurelle à travailler en transversalité. Il peut donc sembler nécessaire d’opérer un changement dans la manière de fonctionner des instances parlementaires et les ODD peuvent offrir ce cadre de réflexion.

Enfin, la présente proposition de loi propose d’instaurer un Conseil national du développement durable présidé par le Premier ministre ou son représentant. En confiant ainsi la responsabilité de la présidence du Conseil au Premier ministre et non plus au ministre chargé de l’écologie, comme dans le cas du CNTE, cet article place au plus haut niveau de l’État la responsabilité de donner un avis sur les projets de loi et stratégies gouvernementales ayant un impact sur l’environnement ou le développement durable. Il cherche également à alerter sur la multiplicité des acteurs concourant désormais à la production d’avis et de connaissances concernant les objectifs de développement durable, notamment en matière environnementale. Bien que cela ne soit pas explicitement prévu par l’article 6 de la proposition de loi, la mise en place de cette instance pourrait ainsi s’accompagner d’une rationalisation des différentes structures existantes.

 

 


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   COMMENTAIRES DES ARTICLES de la proposition DE LOI

Chapitre Ier

Mesures économiques et financières

Article 1er
(article L. 225-102-1 du code de commerce)
Prise en compte des ODD dans le rapportage extra-financier des entreprises

Rejeté par la commission

Le présent article vise à intégrer les objectifs de développement durable (ODD) dans le champ des informations extra-financières obligatoirement renseignées par les entreprises, tel qu’il résulte de l’article L. 225-102-1 du code de commerce.

I.   Le droit en vigueur

Le rapportage extra-financier consiste pour une entreprise à communiquer sur les implications sociales, environnementales et sociétales de ses activités ainsi que sur son mode de gouvernance. Il constitue un fondement important de la politique de responsabilité sociétale de l’entreprise vis-à-vis des parties prenantes, des citoyens et de l’État.

La volonté de développer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises a connu de nombreuses évolutions législatives au cours des dernières années. Les entreprises peuvent librement choisir de s’inspirer ou d’appliquer des référentiels de rapportage extra-financier, comme ceux développées par la Global Reporting Initiative (GRI), le Sustainability Accounting Standards Board (SASB) ou encore le Climate Disclosure Standards Board (CDSB). Ces référentiels proposent notamment des indicateurs à renseigner par l’entreprise pour faire état de ses impacts sociaux et environnementaux et des mesures mises en place pour réduire ou améliorer ces impacts et pour assurer le suivi de ces données dans le temps. Ces indicateurs peuvent varier en fonction du public ciblé par les informations publiées (investisseurs ou autres parties prenantes) et du secteur d’activité de l’entreprise et donc des enjeux sociaux et environnementaux considérés comme les plus « matériels » pour ce secteur. Parmi les indicateurs environnementaux proposés dans ces référentiels, on peut citer par exemple :

– les émissions de gaz à effet de serre (scopes 1, 2 et 3) en tonnes équivalent en CO2 ;

– la part de la surface des sites opérationnels détenus (loués ou gérés) situés dans (ou à proximité) d’aires protégées ;

– la quantité de déchets produits ;

– la consommation d’eau par marchandise produite ou chiffre d’affaires ;

– le nombre d’incidents de non-conformité sur la qualité de l’eau ;

– la consommation d’énergie à partir de sources renouvelables.

Du côté des normes obligatoires de rapportage extra-financier, la loi n° 2019‑486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi PACTE) a notamment conduit à une modification de l’article 1833 du code civil qui dispose désormais qu'une société doit prendre « en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Auparavant, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte avait instauré, dans son article 173, une obligation d’information pour les investisseurs institutionnels sur leur gestion des risques liés au climat, et plus largement l’intégration de paramètres environnementaux et sociaux dans leur politique d’investissement.

Le principal pilier législatif en matière de rapportage extra-financier repose toutefois sur la directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 concernant la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes. Elle prévoit un rapportage sur la politique environnementale, sociale et de gouvernance de la société et son résultat sous forme d’indicateurs clés de performance, ainsi qu’une description des principaux risques environnementaux sociaux et de gouvernance, et la manière dont la société les gère.

En France, cette directive a été transposée et matérialisée par la « déclaration de performance extra-financière des entreprises », codifiée dans les articles L. 225-102-1, et R. 225-104 à R. 225-105-2 du code de commerce. En vertu de cette réglementation, les entreprises qui dépassent certains seuils doivent élaborer, chaque année, une déclaration annuelle de performance extra-financière (DPEF). Dans ce cadre, la déclaration de performance extra-financière doit présenter, pour les risques sociaux, environnementaux et sociétaux les plus pertinents (principe de matérialité) :

– une description des principaux risques liés à l'activité de la société ;

– une description des politiques appliquées par la société incluant, le cas échéant, les procédures de diligence raisonnable mises en œuvre pour prévenir, identifier et atténuer la survenance de ces risques ;

– les résultats de ces politiques, incluant des indicateurs clés de performance (ICP).

En matière environnementale, les risques concernent les risques engendrés par l’entreprise sur son environnement (émissions de polluants atmosphériques, surexploitation des sols...), mais aussi les risques qu’elle peut subir (prix en hausse des matières premières ou difficultés d’approvisionnement, épuisement des ressources naturelles, changement climatique, risque naturels ou technologiques...). Conformément aux articles R. 225-104 et R. 22-10-29 du code de commerce, une déclaration de performance extra-financière doit être élaborée par une entreprise lorsque son total du bilan ou son chiffre d'affaires et son nombre de salariés dépassent les seuils suivants :

– pour toute société cotée : 20 millions d'euros pour le total du bilan ou 40 millions d'euros pour le montant net du chiffre d'affaires et 500 pour le nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice ;

– pour toute société non cotée : 100 millions d'euros pour le total du bilan ou le montant net du chiffre d'affaires et 500 pour le nombre moyen de salariés.

Le nombre d’entreprises concernées par ces obligations de rapportage serait d’environ 3 800.

La Commission européenne souhaite actuellement réviser la directive de 2014 sur le rapportage extra-financier des entreprises, avec le soutien de pays comme la France. En effet, il est nécessaire de renforcer l’efficacité et la lisibilité du dispositif de rapportage, notamment sur l’harmonisation des cadres de rapportage et des indicateurs de performance extra-financière.

II.   LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

De nombreuses entreprises demandent également une harmonisation du cadre de rapportage extra-financier car elles peinent à s’y retrouver. Votre rapporteure pense que l’universalité des objectifs de développement durable (ODD), et les indicateurs associés, pourrait utilement entrer dans le champ des informations extra-financières renseignées par les entreprises et servir de référentiel. Néanmoins, cette intégration devrait être opérée, dans un premier temps au moins, de manière non contraignante, laissant le choix aux entreprises de sélectionner les indicateurs associés aux ODD les plus pertinents pour juger de leur activité. En outre, un certain nombre d’indicateurs, initialement destinés aux États, doivent être adaptés pour une utilisation par les entreprises. Le présent article vise ainsi uniquement à fournir un cadre référentiel large, sans préjuger du détail de l’appropriation qui pourra être fait par les acteurs.

Il propose ainsi de compléter le deuxième alinéa du III de l’article L. 225‑102-1 du code de commerce par une phrase indiquant que les informations obligatoires relatives au rapportage extra-financier des entreprises doivent mentionner l’apport des activités de la société pour l’atteinte des objectifs de développement durable tels qu’adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le 25 septembre 2015.

Concrètement, un certain nombre d’indicateurs pourraient ainsi être visés, tels que les indicateurs suivants (différents en fonction des secteurs et pouvant être adaptés le cas échéant) :

– 5.5.2 Proportion de femmes occupant des postes de direction ;

– 5.b Renforcer l’utilisation des technologies clefs, en particulier de l’informatique et des communications, pour favoriser l’autonomisation des femmes ;

– 6.1 D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable ;

– 6.3.1 Proportion des eaux usées d’origine ménagère et industrielle traitées sans danger ;

– 6.3.2 Proportion des masses d’eau dont la qualité de l’eau ambiante est bonne ;

– 7.1 D’ici à 2030, garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables et modernes, à un coût abordable ;

– 7.1.2 Proportion de la population utilisant principalement des carburants et technologies propres ;

– 7.2.1 Part de l’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie ;

– 7.3 D’ici à 2030, multiplier par deux le taux mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique ;

– 8.5.1 Rémunération horaire moyenne des salariés, par sexe, profession, âge et situation au regard du handicap ;

– 8.8 Défendre les droits des travailleurs, promouvoir la sécurité sur le lieu de travail et assurer la protection de tous les travailleurs, y compris les migrants, en particulier les femmes, et ceux qui ont un emploi précaire.

Il est à noter que certaines entreprises intègrent déjà ces paramètres dans leur déclaration. Cette bonne pratique permettra, en se généralisant, de mieux informer les citoyens et les partenaires de chaque entreprise des actions menées, de reconnaître l’engagement des entreprises concernées et de sécuriser leurs pratiques. L’article vise ainsi moins à imposer des indicateurs précis parmi les 244 indicateurs des ODD qu’à pousser à leur appropriation par les entreprises.

III.   LES travaux de votre commission

La commission a rejeté l’article 1er.

Article 2
(article L. 111-13 du code des juridictions financières)
Contrôle par la Cour des comptes du respect des ODD dans les politiques publiques

Rejeté par la commission

Le présent article prévoit que la Cour des comptes pourrait avoir pour mission de contrôler la conformité des politiques publiques aux ODD dans le cadre de sa mission d’évaluation des politiques publiques.

I.   Le droit en vigueur

Les missions de la Cour des comptes sont définies constitutionnellement. La mission d’évaluation des politiques publiques confiée à la Cour est ainsi issue de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 modifiant l’article 47‑2 de la Constitution, qui indique désormais que « la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale ainsi que dans l’évaluation des politiques publiques ».

La loi n° 2011‑140 du 3 février 2011 précise les conditions de cette assistance au Parlement : la Cour doit être saisie par les Présidents des assemblées parlementaires et est invitée à produire son rapport écrit dans les douze mois de sa saisine. L’adoption de l’ordonnance n° 2016-1360 du 13 octobre 2016 modifiant la partie législative du code des juridictions financières a permis d’introduire un nouvel article L. 111-13 au sein du code des juridictions financières qui dispose que « la Cour des comptes contribue à l'évaluation des politiques publiques ». Depuis ces dispositions, les missions de la Cour se déclinent sous quatre formes : le contrôle juridictionnel, le contrôle ou l’examen de gestion, la certification des comptes et l’évaluation.

Dans ce cadre, l’évaluation représente une ambition plus soutenue que celle d’un contrôle de gestion classique. Il s’agit désormais d’apprécier la pertinence des politiques publiques par rapport aux objectifs qui leur sont assignés, ce qui ne veut pas dire leur opportunité. La Cour demeure cependant cantonnée à l’évaluation a posteriori de ces politiques et ne peut s’engager dans la réalisation d’évaluations ex ante ou d’études d’impact. L’existence d’un débat animé sur la différence entre évaluation et audit de performance témoigne de l’affinement encore nécessaire des concepts.

La Cour estime ainsi qu’une politique évaluable doit respecter certains critères : elle doit produire des effets mesurables, être de taille intermédiaire, correspondre à une ancienneté moyenne, présenter des enjeux significatifs et être d’une complexité raisonnable. Cette approche n’est pas sans rappeler les analyses du rapport commun réalisé par l’Inspection générale de l’administration, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale des finances en décembre 2012 sur le cadrage méthodologique des évaluations de politiques publiques. Ce cadre repose sur une méthodologie : la note de faisabilité préalable est systématisée ; la posture est délibérément distinguée de celle du contrôle en privilégiant la désignation de rapporteurs distincts de ceux qui contrôlent les organismes publics concernés ; les parties prenantes sont clairement identifiées ; la publication des travaux est systématique.

La Cour des comptes réalise cependant des évaluations ciblées, soit à la demande du Parlement, soit de sa propre initiative, et ne produit pas d’évaluations exhaustives, régulières et systématiques des politiques publiques, autrement que sous l’angle particulier et précis du contrôle de gestion des comptes publics, notamment à travers les notes d’exécution budgétaires (NEB) qu’elle produit pour chaque ministère.

II.   LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi vise à modifier l’article L. 111-13 du code des juridictions financières qui dispose que « la Cour des comptes contribue à l'évaluation des politiques publiques » pour introduire la vérification de la compatibilité avec les objectifs de développement durable de ces mêmes politiques publiques. Une telle intégration, votre rapporteure en est consciente, pourrait nécessiter une révision constitutionnelle qu’il n’est pas possible de présenter dans le cadre de cette proposition de loi. En tout état de cause, la question soulevée ici est celle du contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD signés par la France.

Une autre question porte sur la capacité opérationnelle des magistrats de la Cour à contrôler un ensemble si vaste d’objectifs et de cibles pour toutes les politiques publiques. Néanmoins, les ODD pourraient utilement compléter, selon votre rapporteure, les avancées obtenues dans le cadre de la budgétisation verte opérée dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. Par ailleurs, l’évaluation des politiques publiques étant au cœur de leur acceptabilité, il s’avère nécessaire de repenser les critères et indicateurs actuellement utilisés pour renforcer l’accessibilité de tous aux documents d’évaluation et, en cela, les ODD peuvent constituer un référentiel facilement appropriable par tous, à condition de définir les indicateurs pertinents.

III.   LES travaux de votre commission

La commission a rejeté l’article 2.

Article 3
(article L. 110-1 du code de l’environnement)
Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

Rejeté par la commission

Le présent article prévoit de substituer dans le code de l’environnement le terme « objectifs de développement durable » au « développement durable » (écrit au singulier) afin d’insister sur les dimensions sociale et économique, en même temps qu’environnementale, des ODD.

I.   Le droit en vigueur

Les ODD n’ont pas de valeur contraignante directe dans l’ordre juridique. Le développement durable a cependant déjà une valeur constitutionnelle puisque la notion a été intégrée en 2004 dans la Charte de l’environnement, composante du bloc de constitutionnalité.

Cet objectif de développement durable fait référence à la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement qui indique, dans son septième considérant, « qu’afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». La Charte de l’environnement décline ensuite cet objectif en impératif dans son article 6 en indiquant que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ».

L’article L.110-1 du code de l’environnement dispose ainsi que la connaissance des milieux naturels, leur protection, leur gestion, leur restauration concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Ce même article décline ensuite une série de principes et d’objectifs qui sont également ceux de la Charte, notamment le principe du pollueur-payeur ou le principe de précaution. L’acception du terme développement durable au sein du code de l’environnement est ainsi essentiellement orientée sur les enjeux écologiques et climatiques.

II.   LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

Le présent article propose de substituer dans la loi le terme « objectifs de développement durable » au « développement durable » (écrit au singulier) afin d’insister sur les dimensions sociale et économique, en même temps qu’environnementale, des ODD. La substitution ne pourra toutefois pas être transposée dans la Charte de l’environnement puisque cela nécessiterait une révision constitutionnelle. Cette modification contribuerait à une meilleure prise en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions sociales, économiques et politiques, en complément de leur nécessaire dimension environnementale.

III.   LES travaux de votre commission

La commission a rejeté l’article 3.

Article 4
(article L. 110-1 du code de l’environnement)
Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

Rejeté par la commission

Le présent article prévoit, comme l’article 3 de la proposition de loi, de substituer au même article de principe L. 110-1 du code de l’environnement le terme « objectifs de développement durable » au « développement durable » (écrit au singulier) afin d’insister sur les dimensions sociale et économique, en même temps qu’environnementale, des ODD (voir supra, commentaire de l’article 3).

La commission a rejeté l’article 4.

Chapitre II

Renforcer le rôle du Parlement par la création d’une délégation de suivi des objectifs de développement durable

Article 5
(article 6 octies [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires)
Création d’une délégation parlementaire de suivi
des objectifs du développement durable

Rejeté par la commission

Le présent article prévoit la création d’une nouvelle délégation parlementaire consacrée au suivi des objectifs de développement durable à l’Assemblée nationale comme au Sénat.

I.   Le droit en vigueur

Créées par la loi, les délégations parlementaires sont des organes de réflexion et d’expertise propres à chaque assemblée. Entre 1979 et 2007, le législateur a procédé à la création de six délégations :

– la délégation parlementaire pour les problèmes démographiques (1979) ;

– la délégation parlementaire pour les Communautés européennes (1979), transformée en 1994 en délégation parlementaire pour l’Union européenne ;

– la délégation parlementaire pour la planification (1982) ;

– la délégation parlementaire aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (1999) ;

– la délégation parlementaire à l’aménagement et au développement durable du territoire (1999) ;

– la délégation parlementaire au renseignement (2007).

La loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le code de justice administrative a procédé à une réduction du nombre des délégations parlementaires dont certaines n’avaient plus lieu d’être ou n’avaient plus d’activité régulière, notamment celles liées aux problèmes démographiques et à l’aménagement du territoire (du fait de la création d’une commission permanente traitant de ce thème).

Enfin, la Conférence des présidents a créé, le 17 juillet 2012, la délégation aux Outre-mer qui a été consacrée par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, puis le 28 novembre 2017, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Les délégations se distinguent des offices parlementaires (notamment de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ‑ OPECST), qui bénéficient de moyens d’expertise spécialisés, et des groupes d’études ou de travail, plus informels. Il existe ainsi un groupe d’études sur les objectifs de développement durable coprésidé par votre rapporteure et son collègue M. Dominique Potier.

II.   LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

Le présent article propose d’introduire un nouvel article 6 octies dans l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Cet article consacrerait la formation d’une nouvelle délégation parlementaire de suivi des objectifs de développement durable à l’Assemblée nationale comme au Sénat, composée de trente-six membres. Cette nouvelle délégation aurait un fonctionnement calqué sur celui de la délégation aux droits des femmes, reposant sur les principes suivants :

– une représentation proportionnelle de l’ensemble des groupes parlementaires et des commissions permanentes ;

– une composition équilibrée entre hommes et femmes ;

– une désignation des membres pour l’ensemble de la durée de la législature à l’Assemblée nationale et modifiée après chaque renouvellement partiel au Sénat.

En complément du travail des commissions permanentes, les délégations parlementaires de suivi des objectifs de développement durable auraient pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les engagements de la France dans les objectifs de développement durable. Elles pourraient également être saisies sur les projets ou propositions de loi par :

– le Bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ;

– une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation ;

– sur décision de son propre bureau, soit à son initiative, soit à la demande d’un membre de la délégation.

Le Gouvernement devrait leur communiquer les informations utiles et les documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission. Les délégations seraient ainsi chargées d’établir, sur les questions dont elles seraient saisies, des rapports comportant des recommandations et qui seraient rendus publics. Elles auraient également la charge d’établir un rapport public annuel dressant le bilan de leur activité et comportant, le cas échéant, des propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation dans leurs domaines de compétence. Ce rapport permettrait d’évaluer, au regard des indicateurs définis par l’Institution nationale de la statistique et des études économiques, les politiques publiques de la France et leurs contributions à l’atteinte des objectifs de développement durable.

Le caractère transversal, pour les politiques publiques, de l’atteinte des ODD pourrait rendre l’objet de cette délégation plus difficile à définir que pour certaines délégations plus spécialisées, comme la délégation parlementaire au renseignement. Toutefois, comme indiqué en introduction, des délégations aussi importantes que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes ont également un caractère transversal qui ne les empêche pas de mener à bien leur mission. Selon la rapporteure, l’absence d’avancée dans l’atteinte des ODD, voire les reculs parfois opérés, peut notamment s’expliquer par cette incapacité structurelle à travailler en transversalité. Il peut donc sembler nécessaire d’opérer un changement dans la manière de fonctionner des instances parlementaires et les ODD peuvent offrir ce cadre de réflexion.

Le fonctionnement actuel en commissions permanentes empêche sur certains textes d’avoir une vision globale des impacts qu’une décision législative peut entraîner. L’avantage d’une délégation dédiée serait justement de dépasser ces problématiques puisque la méthode de travail qui s’imposerait en permanence grâce aux ODD permettra d’obtenir à chaque étude de textes une vision synthétique de l’ensemble de ces impacts. C’est en réalité un changement complet de l’évaluation des politiques publiques qui pourrait s’amorcer, à l’heure où les fonctions de contrôle et d’évaluation des parlementaires sont de plus en plus remises en cause.

III.   LES travaux de votre commission

La commission a rejeté l’article 5.

Chapitre III

Le Conseil national du développement durable

Article 6
(articles L. 133-1, L. 133-2, L. 133-3 et L.133-4 du code de l’environnement)
Remplacement du Conseil national de la transition écologique par un Conseil national du développement durable

Rejeté par la commission

L’article 6 de la proposition de loi prévoit la création d’un Conseil national du développement durable rattaché au Premier ministre, en remplacement du Conseil national de la transition écologique (CNTE).

I.   Le droit en vigueur

L’évaluation des politiques publiques, et notamment des politiques environnementales, fait intervenir plusieurs institutions. Au-delà des corps de contrôle et des inspections ministérielles, des institutions spécialisées comme le Haut Conseil pour le climat, le Commissariat général au développement durable et le Conseil national de la transition écologique participent à l’évaluation de l’action gouvernementale en matière de développement durable. Aucune instance d’évaluation n’est toutefois spécifiquement consacrée au suivi et au contrôle des objectifs de développement durable (ODD) adoptés par l’ONU.

Le délégué interministériel au développement durable et Commissaire général au développement durable, mandaté par le Premier ministre, pilote la rédaction de « points d’étape » annuels sur la mise en œuvre des objectifs de développement durable. Ce document est construit de manière collaborative avec les acteurs de la société civile française et met en avant les initiatives privées ou publiques qui concourent à la réalisation des ODD. Il s’agit ainsi bien de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 par la société française et non par le Gouvernement.

Le délégué interministériel au développement durable préside également le Conseil national de la transition écologique, constitué en 2013 en complément du Conseil national du développement durable (CNDD). Il prenait alors le relais du Conseil national du développement durable et du Grenelle de l'environnement (CNDDGE), qui avait lui-même remplacé le Comité français pour le sommet mondial du développement durable, qui avait suivi le sommet de la terre de Johannesburg en 2002.

Au fil de ces différentes évolutions, la composition du conseil chargé du développement durable a peu évolué, l’objectif ayant toujours été d’associer le plus largement possible les représentants de la société civile et des collectivités territoriales afin de les associer à l’élaboration des politiques de développement durable et à leur mise en œuvre.

À l’heure actuelle, le CNTE est consulté, comme ses prédécesseurs, sur les projets de loi dont le sujet principal est l’environnement, l’énergie, les stratégies nationales relatives au développement durable, à la biodiversité et au développement de la responsabilité sociétale et environnementale des entreprises. Le conseil peut être saisi par le Premier ministre et le ministre chargé de l'écologie, ou s’autosaisir de « toute question d’intérêt national concernant la transition écologique et le développement durable ou ayant un impact sur ceux-ci ». Le Gouvernement informe annuellement le CNTE de l'évolution des indicateurs de développement durable au regard de l’avancement de la transition écologique.

II.   LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

L’article 6 de la présente proposition de loi réécrit le chapitre III du titre III du livre premier du code de l’environnement, actuellement relatif au CNTE, pour le consacrer à la création d’un Conseil national du développement durable qui le remplacerait donc. Ce chapitre est composé de quatre articles : L. 133-1 à L. 133-4.

L’article L. 133-1 prévoit la création d’un Conseil national du développement durable présidé par le Premier ministre ou son représentant. Ce Conseil peut décider de la création de formations spécialisées permanentes en son sein. En confiant ainsi la responsabilité de la présidence du Conseil au premier ministre et non plus au ministre chargé de l’écologie, comme dans le cas du CNTE, cet article place au plus haut niveau de l’État la responsabilité de donner un avis sur les projets de loi et stratégies gouvernementales ayant un impact sur l’environnement ou le développement durable. Les articles suivants reprennent les dispositions existantes du CNTE quant à la publicité des travaux, la composition du Conseil et les modalités de fonctionnement de celui-ci.

III.   LES travaux de votre commission

La commission a rejeté l’article 6.

 


  1  

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 31 mars 2021 au matin, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen, sur le rapport de Mme Jennifer De Temmerman, de la proposition de loi relative à la prise en compte des objectifs de développement durable (n° 3575).

I.   discussion générale

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Chers collègues, nous examinons ce matin la proposition de loi relative à la prise en compte des objectifs de développement durable. Monsieur Sermier, vous souhaitiez intervenir ?

M. Jean-Marie Sermier. Madame la présidente, je m’adresse à vous en tant que présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Nos collaborateurs ne peuvent plus entrer à l’Assemblée nationale qu’une fois par semaine, ce qui nous empêche de travailler dans de bonnes conditions. Pourriez-vous faire part de cette situation ubuesque au Président de l’Assemblée ?

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Je lui transmettrai votre remarque.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Madame la présidente, chers collègues, je suis heureuse de vous présenter le fruit d’un long travail sur les objectifs de développement durable. Les objectifs de développement durable, couramment appelés ODD, sont au nombre de dix-sept : dix-sept propositions pour un avenir plus durable, solidaire, démocratique et responsable, un avenir où l’on cesserait d’opposer écologie, économie et social. Adoptés le 25 septembre 2015 par les cent quatre-vingt-treize États de l’Organisation des Nations Unies (ONU), ils ne sont pas une construction abstraite mais une matrice opérationnelle pour repenser notre société et nos politiques. Il suffit pour s’en rendre compte d’aller voir les cibles et les indicateurs proposés.

Parfois éclipsé par l’accord de Paris sur le climat, l’agenda 2030 constitue un formidable travail, résultat de négociations intenses entre gouvernements et acteurs de la société civile. Les ODD ne concernent pas que la lutte contre le changement climatique, mais également l’accès à des emplois décents (objectif 8), la promotion d’infrastructures résilientes et d’une industrialisation durable (objectif 9), la réduction des inégalités (objectif 10), la consommation et la production responsables (objectif 12) ou encore la vie aquatique et terrestre (objectifs 14 et 15).

Les ODD constituent ainsi une base référentielle, un langage commun, dans lequel les acteurs publics et privés peuvent trouver des orientations susceptibles de guider leurs initiatives législatives, sociales, économiques et environnementales. Malheureusement, selon le bilan 2019 publié par le réseau Sustainable Development Solutions Network (SDSN) pour l’ONU, aucun pays ne suit actuellement une trajectoire alignée avec l’atteinte des 17 ODD et même les États les mieux notés éprouvent de sévères difficultés. La France est notamment en retard sur les ODD 8, 12 et 13, relatif à la lutte contre le changement climatique, ce qui appelle à renforcer les actions en faveur d’un développement plus juste et plus vertueux sur le plan écologique et de la lutte contre les inégalités. Aujourd’hui plus que jamais, alors qu’il nous reste moins de dix ans, le sujet est d’une actualité brûlante.

La pandémie ne les fait pas passer au second plan, bien au contraire. Comment ne pas être frappé par les cibles de l’objectif 3 « bonne santé et bien-être » : mettre fin aux grandes épidémies, renforcer la résilience des systèmes sanitaires, développer l’accès aux médicaments et aux vaccins, renforcer les moyens dont disposent les pays en matière d’alerte rapide, de réduction des risques et de gestion des risques sanitaires nationaux et mondiaux ?

À ce jour, les ODD n’ont pas de valeur contraignante directe dans l’ordre juridique. Certes, le développement durable a déjà une valeur constitutionnelle puisque cette notion a été intégrée en 2004 dans la Charte de l’environnement, composante du bloc de constitutionnalité. La loi décline même une série de principes et d’objectifs qui sont ceux de la Charte, notamment le principe du pollueur-payeur ou le principe de précaution. Il est temps de mettre en œuvre des dispositifs concrets. Ces ODD, cet agenda 2030, certains d’entre vous le savent, je les ai défendus, en me sentant parfois seule, au départ, avant la création d’un groupe d’études dédié – certains m’appelaient même « Madame ODD ». Sans doute en ai-je ennuyé plus d’un parmi vous…

Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus nombreux à nous emparer du sujet. C’est une bonne chose, et l’exposition de janvier est un symbole magnifique que nous avons adressé collectivement à la nation. Je tiens encore à remercier ceux qui, dans le groupe d’études, m’ont aidée et accompagnée dans ce projet. Je remercie également ceux qui ont cosigné le texte de la proposition de loi que nous étudions aujourd’hui. Nous avons appelé de nos vœux la prise en compte des ODD dans les entreprises, les politiques publiques et nos travaux à l’Assemblée, que ce soit avec la proposition de résolution de notre collègue Aina Kuric, adoptée cet hiver, ou lors de l’exposition et de la conférence, hélas en comité restreint du fait de la crise sanitaire. Hier, Mme la ministre Barbara Pompili a déclaré dans l’hémicycle qu’il fallait donner plus d’importance aux ODD. C’est ce que propose ce texte, en toute humilité : concrétiser une partie des engagements pris dans la résolution et réaliser le vœu de la ministre.

La proposition de loi répond à trois objectifs principaux : encourager les acteurs privés à s’approprier encore plus formellement les ODD ; renforcer le contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD ; se doter de nouveaux outils parlementaires et administratifs permettant un suivi plus efficace des ODD. Bien sûr, pour satisfaire ces ambitions, il faudrait aller plus loin. C’est pour cela que la proposition de loi ordinaire que nous examinons ce matin appartient en réalité à un triptyque comportant une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique.

L’article 1er vise à intégrer les objectifs de développement durable dans le champ des informations extra-financières défini à l’article L. 225-102-1 du code de commerce. En effet, l’inflation des labels volontaires est problématique, lorsqu’ils n’adoptent pas le même mode de fonctionnement ou d’évaluation. Il faut donc rationaliser et définir un langage commun. Néanmoins, cette intégration des ODD devra se faire de manière non contraignante, en laissant le choix aux entreprises de sélectionner les indicateurs les plus pertinents pour juger de leur activité propre.

Par amendement, je vous proposerai d’aller plus loin, en ajoutant un article. De nombreux amendements ont été déposés à ce sujet sur le projet de loi « climat et résilience » actuellement examiné en séance. Or ils n’y auraient, paraît-il, pas toute leur place. Ma proposition de loi arrive ainsi à point nommé pour donner corps à ces ambitions et satisfaire les demandes des associations et des entreprises engagées pour le développement durable, comme celles du Global Compact, qui réunit près de 12 000 entreprises à travers le monde, dont Roquette ou Danone sur mon territoire, Pernod Ricard, Suez, Veolia ou des PME comme les cafés Méo ou Acteos.

L’article 2 prévoit que la Cour des comptes peut, dans le cadre de sa mission d’évaluation, contrôler la conformité des politiques publiques aux ODD. Je suis cependant consciente que les missions de la Cour sont définies constitutionnellement et que la modification que je propose pourrait nécessiter une révision constitutionnelle. En tout état de cause, la question soulevée ici est celle du contrôle de la conformité des politiques publiques aux ODD signés par la France. Il faut des organes capables d’assurer la transversalité du contrôle. Je sais que notre collègue Erwan Balanant a proposé une disposition proche de la mienne dans le cadre du projet de loi « climat et résilience ».

Les articles 3 et 4 prévoient un alignement du vocabulaire législatif sur la notion d’objectifs de développement durable au lieu de la seule mention du développement durable, afin d’insister sur le caractère économique et social des ODD.

L’article 5 propose la création d’une nouvelle délégation parlementaire consacrée au suivi des objectifs de développement durable à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Son fonctionnement et sa composition seraient classiques puisque l’ensemble des groupes parlementaires et des commissions permanentes seraient représentés proportionnellement. En complément des commissions permanentes, elle permettrait de mieux appréhender le caractère transversal et le suivi des ODD. Lors de la discussion générale sur le projet de loi « climat et résilience », hier, j’ai entendu soulever à plusieurs reprises, y compris dans la majorité, la question de l’évaluation des politiques publiques et des textes de loi sous l’angle de la lutte contre le changement climatique, l’acceptation sociale ou encore la biodiversité. Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est une évaluation qui permette de prendre en compte tous ces aspects.

Enfin, l’article 6 vise à instaurer un Conseil national du développement durable, présidé par le Premier ministre ou son représentant, en remplacement du Conseil national de la transition écologique (CNTE). En confiant ainsi la responsabilité de la présidence du Conseil au Premier ministre et non plus au seul ministre chargé de l’écologie, cet article place au plus haut niveau de l’État la responsabilité de donner un avis sur les projets de loi et les stratégies gouvernementales ayant un impact sur l’environnement ou le développement durable. Il cherche également à alerter sur la multiplicité des acteurs concourant désormais à la production d’avis et de connaissances concernant les objectifs de développement durable.

Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour les ODD et je vous remercie de votre attention.

Mme Stéphanie Kerbarh (LaREM). Les dix-sept ODD, déclinés en cent soixante-neuf sous-objectifs, ne relèvent pas du domaine législatif. Nous portons au niveau européen une vision de la responsabilité sociétale. Le 25 mars, le ministère chargé de l’économie et des finances a lancé une plateforme avec la place de Paris pour développer la finance à impact et peser sur les normes internationales. L’ambition est de faire de Paris le premier centre financier mondial de la finance à impact. Les entreprises et l’industrie françaises sont bonnes élèves en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), comme le rappelle régulièrement Novethic. Toutes les entreprises et les organisations peuvent répondre aux ODD. Ce qui m’intéresse, c’est que l’entreprise soit responsable des impacts environnementaux et sociétaux qu’elle a sur son cœur de métier. C’est sur ce point qu’elle doit rendre des comptes et être évaluée, non pas sur des éléments, certes bénéfiques à la société, mais pas en lien direct avec son activité. Vous appelez également à remplacer le CNTE par le Conseil national du développement durable. Rappelons l’existence de la plateforme RSE au sein de France Stratégie, placée auprès du Premier ministre, où siègent l’ensemble des parties prenantes, ainsi que le prévoit la norme ISO 26000.

M. Emmanuel Maquet (LR). Au nom du groupe Les Républicains, je m’interroge sur le but réel de cette proposition de loi, qui ne fait que favoriser l’encombrement législatif, puisque c’est, en peu de temps, le troisième texte qui vise à inscrire davantage le développement durable dans notre droit. Le papier ne refusant pas l’encre, cela donne bonne conscience à des groupes qui veulent surfer sur l’intérêt de nos concitoyens pour le sujet.

Trois grandes remarques me viennent à sa lecture. En premier lieu, elle est, je crois, de l’ordre du cosmétique et repose principalement sur du rédactionnel. Je ne pense pas que mettre au pluriel l’expression « objectifs de développement durable » soit décisif, pas plus que transformer le Conseil national de la transition écologique en Conseil national du développement durable : c’est jouer sur les mots.

En second lieu, je m’interroge sur l’article 2 relatif à la Cour des comptes, créée par l’empereur Napoléon Ier en 1807, afin de contrôler le bon usage de nos subsides. On peut se demander ce qu’il en est deux siècles plus tard. Cette cour ne semble être qu’une simple chambre de rapports. Votre texte contribuera à l’affaiblir dans ses fonctions et sa lisibilité, en lui donnant des attributions relatives au développement durable.

Enfin, nous n’arriverons pas à définir pleinement les politiques en faveur du développement durable sans indicateurs précis et chiffrés. Il manque une grille de lecture qui serait pourtant primordiale pour s’assurer de la bonne conduite des objectifs de développement durable et de leur atteinte. La multiplication de conseils et de délégations est inutile sans la création d’indicateurs échelonnés sur plusieurs années : taux de CO2, consommation énergétique, jour du dépassement, artificialisation des sols, qualité de l’eau ou taux d’acidité des océans.

En résumé, Madame la rapporteure, votre texte a dû être contaminé par le Covid : il est en effet sans odeur ni saveur !

M. Fabien Lainé (Dem). Le groupe Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés partage votre volonté, Madame la rapporteure, de mieux prendre en compte les différents aspects du développement durable au sein de notre société, aussi bien dans les activités des entreprises que dans l’action gouvernementale et nos politiques publiques. Néanmoins, les dispositions de la proposition de loi ne nous semblent pas suffisamment efficaces pour permettre de réels changements. L’intégration d’objectifs de développement durable au sein de la déclaration extra-financière des entreprises est une piste intéressante, même s’il est à craindre que cela ajoute de la complexité. Il faudrait prévoir d’en évaluer l’impact réel. De même, la modification du code de l’environnement pour y intégrer des critères écologiques ne nous paraît pas indispensable, ces critères étant d’ores et déjà inscrits dans notre droit. Il ne nous semble pas non plus opportun de transformer le Conseil national de la transition écologique en Conseil national du développement durable. Même si ces débats sémantiques peuvent sembler un peu obscurs à nos concitoyens, il est préférable de conserver l’expression « transition écologique » qui fait consensus et de maintenir le fonctionnement de cette institution en l’état.

Enfin, pour mieux intégrer ces critères, le groupe Dem défend l’évaluation thématique et environnementale des lois. Nous proposons dans le cadre du projet de loi « climat et résilience » plusieurs dispositions telles que la création d’un observatoire des actions et des engagements des collectivités territoriales en lien avec la stratégie nationale bas‑carbone ou la création d’une feuille de route établie conjointement par les filières économiques, le Gouvernement et les collectivités territoriales, afin de coordonner les actions et les engagements de chacune des parties pour atteindre des objectifs fixés dans la stratégie nationale bas‑carbone. Il nous semble plus pertinent d’agir dans un tel cadre plutôt que dans celui d’une proposition de loi dont la portée normative est restreinte. C’est pourquoi notre groupe votera contre.

Mme Chantal Jourdan (SOC). Les dix-sept objectifs de développement durable adoptés en septembre 2015 par les cent quatre-vingt-treize États membres de l’ONU visent à lutter contre la pauvreté, la faim, les inégalités ou le réchauffement climatique, mais aussi à développer les énergies renouvelables, à protéger la biodiversité et à améliorer les conditions de travail et de vie. Comme l’a dit notre rapporteure, la pluralité de ces objectifs démontre que le développement durable ne concerne pas uniquement l’environnement mais l’ensemble des domaines, notamment économiques et sociaux, ayant un impact sur la population. Pour nous, les trois dimensions – économique, sociale et environnementale – sont indissociables et doivent traduire l’action humaine dans son milieu de vie. Bien sûr, nous nous retrouvons tous dans ces dix-sept objectifs visant à répondre aux besoins des habitants de la planète, sans compromettre l’avenir des générations futures. Toutes les améliorations que vous proposez sont louables et nous en adoptons le principe.

Mais nous tenons à mettre en lumière plusieurs points qui nous semblent problématiques dans la traduction de cette ambition. Tout d’abord, comme l’a rappelé la rapporteure, ces dix-sept objectifs de l’agenda 2030 sont déclinés en cent soixante-neuf cibles. À y regarder de plus près, on observe des contradictions. Vous mentionnez l’objectif 8 « travail décent et croissance économique », auquel nous sommes favorables. Mais, sur le site du gouvernement français consacré aux ODD, il est indiqué que « ce huitième objectif reconnaît l’importance d’une croissance économique soutenue ». Alors que nous discutons du projet de loi « climat et résilience » et que les scientifiques nous rappellent les limites d’une croissance sans fin dans un monde fini, cela doit nous interroger.

Il en va de même pour l’objectif 9 « industrie, innovation et infrastructures », où il est proposé d’accroître l’accès des entreprises aux services financiers – tout dépend du type d’instruments financiers dont nous parlons ! Quant à l’objectif 2 « faim ‘‘zéro’’ », il propose d’assurer la viabilité de systèmes de production alimentaire et de mettre en œuvre des pratiques agricoles résilientes qui permettent d’accroître la productivité et la production. Si cela ne se fait pas dans un cadre contraignant s’éloignant des logiques productivistes et concurrentielles actuelles, cet objectif entrera en contradiction avec d’autres relatifs au climat, à la biodiversité ou à la protection des populations.

La crise que nous vivons exacerbe les inégalités, démontrant les travers d’un système fondé sur un modèle productiviste complètement détaché de l’économie réelle, qui est pour nous émancipatrice et liée aux préoccupations sociales et environnementales.

Enfin, il nous semble essentiel d’aborder la question des indicateurs. Le PIB, pris comme un outil de mesure écrasant toute autre considération, ne permet pas d’apprécier l’atteinte des ODD. Modifier la façon dont nous mesurons notre développement permettra de disposer de données concrètes, susceptibles d’orienter nos politiques publiques. Citons notamment le PIB vert, l’indicateur de développement humain (IDH) et le bonheur national brut (BNB). Nous devons mettre au point des critères plus fins pour évaluer un nouveau modèle de développement durable.

Si nous approuvons les grands objectifs poursuivis par le texte, nous émettons quelques réserves sur les chemins qu’il emprunte pour y parvenir. Si le but est de parvenir à des fins différentes avec des logiques et des outils inchangés, nous n’atteindrons pas l’équilibre entre les trois piliers du développement durable.

Mme Aina Kuric (Agir ens). C’est avec beaucoup d’enthousiasme que je rejoins, de façon éphémère, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Je ne vous cache pas que je suis assez surprise que ce texte visant à mettre en avant une nouvelle approche ait pu susciter des réactions hostiles. Le sujet du développement durable n’induit ni loi bavarde ni complexité législative ; il offre une nouvelle grille de lecture et de suivi de la société que nous voulons. Il ne s’agit pas uniquement d’aborder le sujet de la transition écologique, mais de développer une vision globale, allant du développement économique à la souveraineté alimentaire en passant par l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de mettre à plat divers éléments de notre société que nous devons faire évoluer. Pour ce faire, nous disposons de dix-sept ODD, pour la création desquels la France et de nombreux pays se sont particulièrement engagés en 2015, et surtout de 232 indicateurs de développement durable, qui sont précieux, car ils nous permettent de légiférer en tenant compte de ces éléments.

Je remercie ceux qui ont soutenu, au mois de novembre, la proposition de résolution relative à l’évolution de la Constitution afin de permettre l’intégration des objectifs de développement durable dans le processus législatif. Il s’agit de disséminer encore les ODD dans nos politiques publiques, afin d’identifier et d’évaluer de façon sérieuse les progrès en la matière. Je remercie la rapporteure de nous offrir la possibilité de donner un peu plus de durabilité à notre économie, en prévoyant une meilleure prise en compte des ODD dans les déclarations de performance extra-financière (DPEF). Je suis favorable à l’article 1er tel qu’il est rédigé, dans l’attente de l’examen de l’amendement visant à le compléter.

Cette période de crise et la prise de conscience de certains aspects environnementaux montrent à quel point tout est lié. En intégrant réellement les ODD dans le fonctionnement de nos institutions, notamment grâce à la création d’une délégation de suivi des objectifs de développement durable au sein du Parlement et à leur prise en compte par la Cour des comptes, nous rendons possibles les avancées, nous dessinons les contours de la société que nous voulons.

M. François-Michel Lambert (LT). Quel plaisir de prendre la parole après une oratrice favorable au texte ! Les propos tendant à minimiser la portée de la proposition de loi de notre collègue Mme De Temmerman, voire à la ridiculiser, me heurtent. Nous pouvons améliorer les initiatives qui nous sont présentées, pas les balayer d’un revers de la main. Il y a quelques mois, nous avons su adopter la proposition de résolution relative à l’évolution de la Constitution afin de permettre l’intégration des objectifs de développement durable dans le processus législatif, présentée par le groupe Agir ensemble.

J’aimerais dire avec mon cœur, mes sentiments, mon engagement, pourquoi nous ne devons pas adopter des postures politiciennes mais nous inscrire dans la noblesse de la politique et entretenir les dynamiques nées en 2015, lorsque les États se sont engagés, au bénéfice de l’humanité, à atteindre les ODD d’ici 2030. Il s’agit bien de réconcilier la croissance et le développement de l’humanité avec les équilibres de notre planète. Pourtant, et si l’on me permet cette digression, nous éprouvons de grandes difficultés à enrichir le projet de loi « climat et résilience ».

Nous avons présenté des amendements visant à introduire de nouvelles formes de comptabilité, considérant que la comptabilité purement financière ne peut plus être la seule mesure de la performance d’une structure économique ou associative, ni le PIB l’unique indicateur de la richesse nationale. Certains diront que cette approche est technocratique, d’autres qu’il existe d’ores et déjà des dispositions. Je leur réponds qu’il n’y a là rien de technocratique. Si une entreprise dispose de bons indicateurs, si elle sait où elle va, sa performance s’en trouve accrue. Tel est l’objectif de la mise en œuvre des ODD et de la transformation de notre projet de développement. D’autres encore disent que le CNTE se suffit à lui-même. Je leur réponds que la notion de développement durable est universelle, tandis que celle de transition écologique ne l’est pas. Par ailleurs, je rappelle à nos collègues de droite que c’est l’un des leurs, Jean-Louis Borloo, qui a fait voter un texte comportant des objectifs de performance en matière environnementale.

L’agenda 2030 et l’accord de Paris sur le climat permettront de mettre en œuvre le changement systémique nécessaire, afin de garantir, pour les générations actuelles et futures, un environnement résilient et apaisé, ainsi qu’une croissance positive. Je me souviens de belles photos prises devant les grilles de l’Assemblée nationale, qui nous montrent réunis autour du Président M. Richard Ferrand. La planète et l’humanité nous espèrent réunis dans l’action, à laquelle invite la proposition de loi de notre collègue Mme De Temmerman. Montrons-nous à la hauteur des enjeux et votons-la ! Il n’y a pas d’autre perspective.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. J’aimerais répondre à certains propos un peu glaçants, qu’explique sans doute une méconnaissance des ODD et de mon engagement.

Monsieur Maquet, vous m’accusez de « surfer sur une vague ». Je vous invite à vous pencher sur mon profil : je suis engagée en faveur du développement durable depuis le début de mon mandat, et je l’étais dans les fonctions que j’ai exercées auparavant. Je suis rapporteure chargée du développement durable au sein de la délégation française à l’Assemblée parlementaire au Conseil de l’Europe (APCE). Je me suis battue pour la création à l’Assemblée nationale d’un groupe d’études sur les ODD. Je ne surfe pas sur une vague, je poursuis le travail entamé au début de mon mandat !

Plusieurs orateurs ont soulevé la question des indicateurs. Ils existent : l’INSEE a développé quatre-vingt-dix-huit indicateurs pour le suivi national des ODD. J’invite chacun d’entre vous à les découvrir. Le présent texte de loi n’a pas vocation à les fixer explicitement. J’invite le Gouvernement à le faire par décret. Par ailleurs, la présente proposition de loi ne vise pas à affaiblir le pouvoir de la Cour des comptes, auquel je crois beaucoup.

En réalité, je ne propose pas d’introduire une strate supplémentaire. Lorsque nous avons débattu de la révision de l’article 1er de la Constitution, chacun y est allé de son petit ajout. En matière de développement durable, il y a assez de strates. Ma proposition de loi vise à favoriser un travail pertinent et cohérent en la matière, en utilisant les indicateurs dont nous disposons.

Je rappelle que le Mexique, le Danemark et la Finlande sont capables d’adopter des budgets alignés sur les ODD, et que l’Allemagne ainsi que l’Espagne évaluent leurs propositions de loi respectives à cette aune. Serions-nous moins compétents en la matière, au point d’être incapables de produire les mêmes outils ? Quoi qu’il en soit, il n’appartient pas à la loi de les élaborer.

Madame Kerbahr, je suis un peu surprise que vous ayez été choisie par le groupe majoritaire pour donner sa position sur le texte. Permettez-moi de vous faire observer que plusieurs de ses membres sont plus investis que vous dans les sujets relatifs aux ODD. Ils auraient peut-être été davantage en mesure de comprendre l’objet de la présente proposition de loi que vous ne l’êtes. (Protestations.)

La Commission européenne utilise des indicateurs alignés sur les ODD. Sa présidente, Mme Ursula von der Leyen, y a fait plusieurs fois référence, ainsi qu’à l’agenda 2030, et ce dès son premier discours. Les indicateurs figurent sur le site internet de la Commission.

Nous avons consacré plusieurs auditions aux entreprises. Je travaille depuis longtemps avec le Global Compact, très favorable aux dispositions du présent texte. Certes, les entreprises françaises sont très avancées en matière de suivi des ODD et mènent des politiques de RSE ambitieuses. Toutefois, la représentante que nous avons auditionnée a exprimé le besoin de disposer d’un cadre inscrit dans la loi, pour mettre davantage en avant les efforts des entreprises engagées dans cette démarche et inciter les autres à s’y inscrire. Madame Kerbarh, la plateforme RSE que vous évoquez est un beau dispositif, mais ce n’est pas un organe pérenne. Elle peut donc être contestée un jour ou l’autre.

Monsieur Lainé, vous admettez que la mise en évidence de la contribution des entreprises aux ODD par le biais de la DPEF constitue une piste intéressante. Je présenterai deux amendements visant à aller encore plus loin.

Sur le CNTE, les avis divergent. Les instances sont multiples – Haut Conseil pour le climat, CNTE, Convention citoyenne pour le climat –, mon objectif est de tendre vers l’unification de ces structures.

Les propositions du MoDem concernant les ODD me semblent très orientées vers le climat et l’économie bas-carbone, ce qui n’a rien de surprenant puisqu’elles ont pour cadre le projet de loi « climat et résilience ». Ma proposition de loi offre l’occasion d’aller plus loin.

Madame Jourdan, vous avez évoqué la présentation de l’objectif 8 sur le site internet du Gouvernement. Il ne s’agit là que d’une interprétation. J’ai participé aux ateliers d’élaboration de la feuille de route des ODD, qui ont réuni acteurs de la vie civile et élus, parmi lesquels beaucoup siégeaient dans des collectivités locales. Celles-ci sont très engagées en matière de développement durable. Les régions ne sont pas les seules collectivités capables de produire des rapports sur leurs politiques publiques à l’aune des ODD. Certaines petites municipalités y parviennent, alors même qu’elles connaissent parfois, nul ici ne l’ignore, des difficultés en matière d’ingénierie. Si elles en sont capables, pourquoi ne le serions-nous pas, avec les moyens dont nous disposons ? Mais bien entendu, même en disposant des outils nécessaires, l’interprétation des ODD dépendra toujours des politiques menées.

La loi du 13 avril 2015, dite loi « Sas », vise à prendre en compte les nouveaux indicateurs de richesse (NIR) dans la définition des politiques publiques. Je considère ces NIR très pertinents et totalement compatibles avec les ODD. Mais je déplore chaque année que le rapport, dont la loi Sas prévoit la parution le premier mardi du mois d’octobre, ne nous parvienne pas à temps pour l’examen du projet de loi de finances.

Je remercie Aina Kuric de ses propos, qui m’ont réconfortée. Chère collègue, vous avez eu raison de rappeler que des gens sont engagés en faveur des ODD, que ces objectifs invitent à une vision globale du développement, ainsi qu’à une autre façon de travailler.

La présente proposition de loi n’est pas sans imperfections, j’en ai conscience. Toutefois, elle n’a pas vocation à être bavarde et à fixer des indicateurs, mais à donner les grandes lignes, que notre travail consiste à nous approprier.

Je remercie également François-Michel Lambert de ses propos. Il a rappelé, à raison, plusieurs pistes qui méritent d’être explorées, notamment l’évolution de la comptabilité financière. Comme le démontrent mes interventions lors de l’examen des projets de loi de finances, je suis favorable à l’évolution de la structure du budget et de ses indicateurs, en vue de les aligner sur les ODD. La façon dont nous présentons le budget du pays est aussi celle dont nous parlons des politiques publiques à ses citoyens. La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) avait pour ambition originelle de simplifier ce dialogue, en rendant nos finances publiques plus lisibles et plus transparentes. Je considère que nous nous sommes un peu éloignés de cet objectif. Il est temps d’en prendre acte, d’adopter de nouveaux indicateurs et de revoir nos façons de travailler, donc de parler à nos concitoyens.

M. Jean-Luc Fugit. Parmi les propos tenus jusqu’à présent, certains me gênent un peu. Les intentions qui animent Mme la rapporteure sont louables et partagées. Les ODD, tout le monde s’en prévaut, et tant mieux. Je porte un pin’s où figure leur logo depuis deux ans, mais je ne passe pas mon temps à en parler. En revanche, j’essaie d’agir, et il m’est pénible d’entendre dire que certains groupes s’en dispensent. J’ai mené des recherches sur les questions environnementales pendant vingt ans, mais je ne passe pas mon temps à le dire. J’essaie simplement d’utiliser cet acquis à bon escient, au moment opportun, pour faire évoluer nos textes de loi.

Personne n’a le monopole des ODD, ni des questions environnementales en général. Il faut être très clair sur ce point. Nous avons, les uns et les autres, des visions distinctes, parfois complémentaires, parfois opposées ; nous les confrontons. Je ne voudrais pas que l’on puisse considérer que, dès lors que l’on ne soutient pas la présente proposition de loi, on est contre les ODD ou la prise en compte des questions environnementales. Une telle caricature me gêne.

J’aimerais appeler l’attention de nos collègues sur les articles 2, 5 et 6. L’article 2 prévoit la vérification, par la Cour des comptes, de la compatibilité des politiques publiques avec les ODD. Nous avons adopté un budget vert. Attendons qu’il soit exécuté et évalué, au lieu de complexifier les choses ! Par ailleurs, les dispositions de l’article 5 me semblent relever du travail parlementaire classique, qui inclut des missions de suivi, de contrôle et d’évaluation des politiques publiques.

Quant à l’article 6, il modifie les dispositions du code de l’environnement relatives au CNTE, où je siège avec plusieurs autres membres de la commission. Je regrette qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée à ce sujet, et qu’aucun de nous n’ait été auditionné dans le cadre de l’élaboration de la présente proposition de loi. Madame la rapporteure, si le CNTE vous intéresse, lisez les neuf pages fort intéressantes de l’avis qu’il a rendu sur le projet de loi « climat et résilience » ! Le CNTE est composé de représentants des associations environnementales, des syndicats et des associations d’élus, ainsi que de parlementaires. Il incarne la diversité des acteurs concernés à l’échelle nationale. Il me semble dommage de le mettre à l’écart sans autre forme de procès.

Je voterai contre la proposition de loi.

M. Jean-Marie Sermier. Chère collègue rapporteure, personne ici ne doute de vos qualités professionnelles en matière d’environnement, que vous avez largement détaillées. Certains d’entre nous en ont d’autres, sur d’autres sujets, tout en étant également investis dans la recherche de solutions aux problèmes environnementaux.

En la matière, le groupe Les Républicains n’a de leçon à recevoir de personne. Je rappelle que nous avons été à l’origine, sous un autre nom et dans d’autres majorités, de l’inscription dans la Constitution de la Charte de l’environnement, dont l’élaboration a commencé dès 2004. Sur ce sujet, nous sommes mobilisés. Au demeurant, je constate le développement d’une boulimie de textes relatifs à l’environnement ; je me demande si cette agitation ne masque pas la minceur du travail réalisé à ce sujet depuis quatre ans.

Je constate que deux de vos amendements réécrivent complètement le texte. Cette façon de faire nous interroge toujours. Enfin, nous pourrions discuter à l’infini des objectifs du développement durable – nous en avons parlé cette nuit. Le travail des enfants ne fait-il pas partie à vos yeux des ODD ? Certes, le climat et l’environnement sont des préoccupations, mais il faut aussi se poser des questions sur la vie des gens sur cette planète !

II.   examen des articles

CHAPITRE IER

Mesures économiques et financières

Article 1er (article L. 225-102-1 du code de commerce) : Prise en compte des ODD dans le rapportage extra-financier des entreprises.

Amendement CD1 de Mme la rapporteure.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. J’ai continué de travailler avec les représentants des entreprises et diverses associations après le dépôt du texte en octobre, encore récemment dans le cadre de l’examen du projet de loi « climat et résilience » et ma position a évolué. C’est la raison pour laquelle je propose de modifier ce dispositif.

M. Jean-Marc Zulesi. Je rappelle que les déclarations extra-financières des entreprises sont encadrées par la directive européenne de 2014 sur la publication d’informations non financières. En outre, les entreprises prennent déjà part à la feuille de route agenda 2030, élaborée par Mme Élisabeth Borne et qui fixe le cap pour une France entreprenante, solidaire et écologique.

Mme Stéphanie Kerbarh. Certaines entreprises, notamment celles du réseau Global Compact, incluent déjà les ODD. Cela procède d’une démarche volontaire.

M. François-Michel Lambert. Sans vouloir faire montre de suffisance à l’égard de collègues qui maîtrisent tout autant que moi la question – Jean-Luc Fugit vient de le rappeler –, je voudrais remettre les ODD dans leur contexte. Comme son nom l’indique, l’agenda 2030, c’est dans dix ans. Faut-il attendre que les entreprises bougent pour atteindre ces objectifs ? La rapporteure, estimant qu’il faut revenir sur une partie de ses travaux antérieurs, propose un amendement. Certains d’entre vous estiment les articles insuffisants ou improprement rédigés. Il n’appartient qu’à vous d’enrichir ce texte en l’amendant !

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Monsieur Zulesi, j’entends votre remarque sur le cadre européen ; rien ne nous empêche de traduire cette directive au niveau législatif français. L’Europe ne doit pas être un paravent derrière lequel on se cache lorsqu’on ne peut pas avancer sur un sujet. Au contraire, nous devons travailler de concert.

Madame Kerbarh, vous avez assisté à l’audition de la représentante de Global Compact : elle a accueilli très favorablement cet amendement, expliquant que les nombreuses entreprises qui ont entamé cette démarche volontaire ont besoin de voir, avec cette inscription dans le texte, leur investissement reconnu.

La commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 1er.

Après l’article 1er

Amendement CD2 de la rapporteure

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Cet article additionnel pose un cadre et détaille le contenu du rapport développement durable.

Mme Stéphanie Kerbarh. Je tiens à rappeler que la mission de la Cour des comptes est fixée par la Constitution et la LOLF, ce qui garantit son indépendance. On ne peut introduire dans une loi ordinaire une mission supplémentaire.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Ce n’est pas le sujet de l’amendement, mais celui de l’article 2 ; nous pouvons accélérer la discussion si vous le souhaitez !

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. C’est moi qui préside cette réunion, madame la rapporteure !

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Je vous présente mes excuses, madame la présidente.

Mme Véronique Riotton. Le ton de cette discussion m’étonne un peu. Les membres de la commission sont tous engagés en faveur des objectifs de développement durable. Nous pourrions peut-être prendre de la hauteur et cesser ces tacles permanents qui ne rendent pas justice au travail de fond que nous menons ici.

Je salue l’implication de Mme De Temmerman. Toutefois, cet amendement me semble un peu en avance par rapport aux travaux en cours au niveau européen sur l’évolution de la norme financière.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 (article L. 111-13 du code des juridictions financières) : Contrôle par la Cour des comptes du respect des ODD dans les politiques publiques

La commission rejette l’article 2.

Article 3 (article L. 110-1 du code de l’environnement) : Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

La commission rejette l’article 3.

Article 4 (article L. 110-1 du code de l’environnement) : Référence aux ODD en remplacement de la notion de développement durable

La commission rejette l’article 4.

CHAPITRE II

Renforcer le rôle du Parlement par la création d’une délégation de suivi des objectifs de développement durable

Article 5 (article 6 octies [nouveau] de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires) : Création d’une délégation parlementaire de suivi des objectifs du développement durable

La commission rejette l’article 5.

CHAPITRE III

Le Conseil national du développement durable

Article 6 (articles L. 133-1, L. 133-2, L. 133-3 et L.133-4 du code de l’environnement) : Remplacement du Conseil national de la transition écologique par un Conseil national du développement durable

Mme Stéphanie Kerbarh. Il existe déjà un comité interministériel du développement durable, un conseil de défense écologique, organe davantage utilisé, ainsi qu’une délégation au développement durable, qui assure la coordination du volet national de mise en œuvre des ODD en France, en concertation étroite avec l’ensemble des ministères, notamment celui de l’Europe et des affaires étrangères. Le Haut Conseil pour le climat est un organisme indépendant chargé d’émettre des recommandations sur la mise en œuvre des politiques publiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, en cohérence avec nos engagements internationaux. Enfin, le projet de loi « climat et résilience » devrait dédier à la gouvernance un titre VII qui prévoira, outre un renforcement des missions d’évaluation du Haut Conseil, la tenue de débats réguliers au Parlement sur le développement durable et la lutte contre le changement climatique.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Chacun de ces organismes est doté de moyens financiers et humains. Peut-être faudrait-il s’interroger sur la possibilité de les fusionner pour en rationaliser les moyens ?

Je signale à M. Fugit que nous avons auditionné M. Thomas Le Sueur, qui préside le CNTE en l’absence du ministre.

M. Jean-Luc Fugit. Vous n’avez pas auditionné les membres du conseil !

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Nous ne disposions que d’une semaine et nous avons fait au mieux. Je regrette de ne pas avoir eu plus de temps. Mais auditionner M. Le Sueur nous permettait d’entendre aussi le Commissaire général au développement durable.

M. Jean-Luc Fugit. Certes, mais les organisations environnementales, les syndicats, les représentants des collectivités, les parlementaires, tout ce qui fait la substantifique moelle du CNTE n’ont pas été auditionnés. Proposer une modification sans avoir pris le temps de l’évaluer en profondeur est une méthode qui me dérange.

Mme Jennifer De Temmerman, rapporteure. Je regrette comme vous de ne pas avoir pu mener autant d’auditions. Mais sachez que cette proposition de loi a fait des allers‑retours avec les associations engagées dans le développement durable. Je n’y ai pas travaillé toute seule dans mon coin.

M. François-Michel Lambert. Je veux remercier Véronique Riotton, qui a rappelé l’enjeu dans lequel s’inscrivent ces débats, et Stéphanie Kerbarh, qui a démontré comment nous devons aller de l’avant et co-construire. Les ODD ne seront pas rattachés au nom de l’un ou de l’autre ; ils ne permettront pas la réélection des députés qui les défendent. Ils concrétisent un engagement, celui de chacun des membres de cette commission. Je regrette simplement que personne n’ait proposé d’enrichir ce texte par des amendements et que nous ne puissions ainsi mettre notre « biodiversité » au service de cette proposition de loi.

Il est arrivé que la majorité réécrive la totalité d’un texte défendu par un groupe minoritaire ou d’opposition : je pense à la proposition de loi du groupe socialiste renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, qui est sortie très enrichie de nos débats et qui ne portera pas le nom de Mme Isabelle Santiago. Je pense que nous aurions pu agir ainsi avec la proposition de loi de Mme De Temmerman au lieu de la balayer. Nous aurons d’autres débats et nous irons de l’avant, afin d’atteindre ces ODD – je rappelle qu’il nous reste moins de dix ans pour tenir l’agenda 2030.

Mme Aina Kuric. À titre personnel, je regrette, Madame la rapporteure, que votre proposition de loi ne trouve pas d’écho favorable et que tous les articles soient rejetés sans avoir été amendés. J’ai envie de dire que l’envie d’avancer et d’agir ensemble a manqué aujourd’hui.

Mais nous gardons tout de même espoir car il y a eu des prises de conscience. Je me dis que des choses sont en train de se passer lorsque je vois mentionné, dans le décret relatif aux attributions du ministre chargé de la transition écologique, que celui-ci veille à l’intégration des ODD dans les politiques conduites par le Gouvernement. Mais tout est lié et il faudrait que chaque ministre soit responsable du suivi des ODD.

Nous avons examiné récemment le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dans lequel les ODD occupent une place centrale. Les ministres MM. Jean-Baptiste Lemoyne et Jean-Yves Le Drian l’ont dit clairement, ces indicateurs sont indispensables pour mesurer le développement d’un pays émergent. Pourquoi la France s’en exonèrerait-elle ? N’est-il pas encore nécessaire de se battre dans notre pays pour l’égalité entre les femmes et les hommes, la souveraineté alimentaire, le développement économique, la réindustrialisation ?

Nous avançons, mais beaucoup reste encore à faire. Il faut aller voir les autres ministères, ce travail de plaidoyer n’est pas inutile. Votre texte aura au moins servi à mettre en lumière les ODD. Il faudra que d’autres commissions, à l’image de celle des affaires étrangères, s’en saisissent.

Plusieurs députés du groupe Agir ensemble ont cosigné cette proposition de loi. Nous la soutiendrons. Madame la rapporteure, je vous félicite encore pour le travail que vous avez accompli.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. En effet, les ODD ne concernent pas seulement la commission du développement durable.

La commission rejette l’article 6.

L’ensemble des articles ayant été rejetés, la proposition de loi est considérée comme rejetée.

 


—  1  —

   liste des personnes auditionnées

(par ordre chronologique)

 

Association Global compact France

Mme Fella Imalhayene, déléguée générale

 

Commissariat général au développement durable

M. Thomas Lesueur, commissaire général

 


([1]) https://unstats.un.org/sdgs/report/2019/The-Sustainable-Development-Goals-Report-2019_French.pdf

([2]) Le pacte mondial est une initiative des Nations Unies lancée en 2000 visant à inciter les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable en s'engageant à intégrer et à promouvoir plusieurs principes relatifs aux droits de l'Homme, aux normes internationales du travail, à l'environnement et à la lutte contre la corruption. Il rassemble aujourd’hui plus de 12 000 entreprises.