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N° 4039

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mars 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

relative à la reconnaissance du vote blanc pour l’élection présidentielle ( 3896)

PAR M. Jean-Félix ACQUAVIVA

Député

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Voir les numéros : 3896

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVant-Propos.............................................. 5

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. 7 de la Constitution) Comptabilisation des bulletins blancs dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle

1. L’état du droit

a. Le vote blanc : un comportement électoral progressivement pris en compte par le droit

• Les bulletins blancs longtemps non distingués des bulletins nuls

• Une avancée avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections

b. Une reconnaissance du vote blanc qui demeure insuffisante

• Une reconnaissance qui reste symbolique

• Un comportement électoral qui semble pourtant être en augmentation constante

2. Le dispositif proposé

Article 2 (art. 7 de la Constitution) Mise en place d’un dispositif permettant au Conseil constitutionnel de déclarer qu’il doit être procédé à une nouvelle élection présidentielle si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés lors du second tour du scrutin

1. L’état du droit

a. Un mode d’élection du Président de la République qui a évolué depuis 1958

b. Le rôle du Conseil constitutionnel dans l’élection présidentielle

2. Le dispositif proposé

Compte rendu des débats

Liste des personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Sous la Vème République, le Président de la République française a été pensé par le Général de Gaulle comme étant la « clé de voûte [du] régime » ([1]). Dans ce cadre constitutionnel, et depuis l’élection au suffrage universel direct du Président de la République en 1962, il a pour mission de veiller au respect de la Constitution, et assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’État ([2]).

« À mi-chemin entre l’abstention et la participation électorale » ([3]), le vote blanc est un acte permettant à l’électeur de manifester son refus d’exercer un choix parmi l’offre politique donnée. Voter blanc consiste à déposer dans l’urne une enveloppe contenant un bulletin blanc ou, aux termes de l’article L. 65 du code électoral ([4]), une enveloppe vide.

Déposée le 17 février dernier, la présente proposition de loi constitutionnelle a été inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Libertés et Territoires en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution. Elle vise à mieux prendre en compte le vote blanc dans le cadre de l’élection présidentielle.

Reconnaître, pour l’élection présidentielle, le vote blanc comme appartenant à la catégorie des « suffrages exprimés » constitue le principal objet de son article 1er.

Une telle évolution ne serait néanmoins pas sans conséquence. Elle pourrait avoir comme effet que, au second tour du scrutin, aucun candidat n’obtienne la majorité absolue des suffrages exprimés. Il est dès lors proposé de prévoir un dispositif permettant au Conseil constitutionnel de déclarer, le cas échéant, qu’il doit être procédé de nouveau à l’ensemble des opérations électorales. L’article 2 de la présente proposition de loi constitutionnelle institue ce mécanisme.

Le texte poursuit deux principaux objectifs.

D’une part, il vise à lutter contre l’abstention aux élections présidentielles, qui a atteint 22,23 % des inscrits au premier tour de l’élection de 2017, et 25,44 % au second tour. Le dispositif permettrait de reconnaître que le bulletin blanc revêt une véritable signification politique et assurerait à ceux qui souhaitent exprimer leur insatisfaction à l’égard de l’offre politique par ce biais que leur voix sera entendue, et pleinement prise en compte. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu’ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue ([5]).

D’autre part, il tend à renforcer la légitimité du Président de la République. La proposition de loi constitutionnelle trouve en effet son origine dans la conviction que, « pour que le Président de la République puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation » ([6]). Or, cette « confiance explicite » suppose qu’il soit élu avec une véritable majorité absolue des suffrages, incluant le vote blanc.

Dans le débat public, cette question n’est pas nouvelle. À l’Assemblée nationale, la reconnaissance du vote blanc a par exemple fait l’objet de trente-cinq propositions de loi depuis 1993. Elle figurait dans le programme de sept des onze candidats à l’élection présidentielle de 2017 ([7]). De même, le 10 décembre 2018, le Président de la République Emmanuel Macron annonçait être favorable à ce que l’enjeu de la prise en compte du vote blanc soit étudié, en réponse au mouvement des « gilets jaunes » ([8]).

Cette mesure fait de surcroît l’objet d’une adhésion très forte de la part des Français. En 2017, 86 % d’entre eux se disaient favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle, y compris si cela avait pour effet d’empêcher les candidats d’obtenir la majorité absolue et de mener à l’invalidation de l’élection ([9]).

Alors que le pays traverse une période particulièrement difficile (mouvement des « gilets jaunes », état d’urgence sanitaire, etc.) et que la légitimité des élus est de plus en plus contestée, l’évolution portée par la présente proposition de loi constitutionnelle constituerait ainsi un progrès démocratique majeur.

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   EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art. 7 de la Constitution)
Comptabilisation des bulletins blancs dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article inscrit dans la Constitution que, lors de l’élection présidentielle, les bulletins blancs sont décomptés séparément, qu’il en est fait mention dans le résultat du scrutin et qu’ils entrent en compte dans la comptabilisation des suffrages exprimés.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 7 de la Constitution a été amendé par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui a modifié la précision de la date de tenue du second tour du scrutin de l’élection présidentielle pour tenir compte du décalage horaire dans les collectivités d’outre‑mer.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

a.   Le vote blanc : un comportement électoral progressivement pris en compte par le droit

Les bulletins blancs longtemps non distingués des bulletins nuls

Le vote blanc est apparu dans l’histoire politique française avec la loi du 18 Ventôse an VI, lorsque que fut systématisé le vote par bulletin. Avant cette loi, seule l’abstention était possible puisque les votes étaient réalisés à main levée. Par un avis rendu le 16 décembre 1806, le Conseil d’État a précisé que les « billets blancs » devaient être retranchés des votes émis, et ne pas être comptabilisés dans le calcul de la majorité absolue ([10]).

Le double principe d’exclusion des bulletins blancs des suffrages exprimés et d’assimilation des bulletins blancs et nuls a été réglementairement posé par un décret de 1852 qui prévoyait que « les bulletins blancs, ceux ne contenant pas une désignation suffisante, ou dans lesquels les votants se font connaître, n’entrent point en compte dans le résultat du dépouillement, mais ils sont annexés au procès-verbal » ([11]).

L’assimilation des votes blancs et nuls ainsi que leur exclusion de la catégorie des suffrages exprimés ont été ensuite confirmées par la loi du 29 juillet 1913 ([12]).

Une avancée avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections

L’assimilation des votes blancs à des « voix perdues » ([13]), comptabilisées dans les votes invalides, a été progressivement remise en cause.

La loi du 21 février 2014 ([14]) a permis un progrès en la matière. Le législateur a en effet entendu distinguer le vote nul du vote blanc pour que, conformément aux propos du professeur Carcassonne, « les électeurs assez sophistiqués qui font [le choix du vote blanc] ne soient plus comptabilisés en vrac avec les distraits et les imbéciles » ([15]).

En conséquence, cette loi a introduit à l’article L. 65 du code électoral une disposition selon laquelle « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal. (…) Une enveloppe ne contenant aucun bulletin est assimilée à un vote blanc. » Deux nouveautés sont ainsi apparues : le décompte spécifique des bulletins blancs, séparément des bulletins nuls, et la précision relative à la définition d’un bulletin blanc, puisqu’avant cela, aucune disposition législative ne précisait si une enveloppe vide était assimilée à un bulletin blanc ou à un bulletin nul.

Depuis la loi organique du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle ([16]), l’article L. 65 du code électoral ainsi modifié s’applique aux élections présidentielles. Pour la première fois lors de l’élection présidentielle de 2017, le vote blanc a ainsi été comptabilisé à part.

b.   Une reconnaissance du vote blanc qui demeure insuffisante

Une reconnaissance qui reste symbolique

L’évolution permise par la loi du 21 février 2014 peut être perçue comme avant tout symbolique. Cette loi est d’ailleurs qualifiée par une partie de la doctrine de « couteau sans manche ni lame, [d’]instrument décoratif destiné à communiquer plus qu’à gouverner » ([17]).

Dans sa version initiale, telle que déposée par le député François Sauvadet, la proposition de loi prévoyait de donner plein effet à la reconnaissance des bulletins blancs en précisant que « les bulletins blancs (…) entrent en compte pour la détermination des suffrages exprimés ». Cependant, le dispositif a été modifié au cours de la navette parlementaire ([18]).

En effet, bien que le législateur ait reconnu le vote blanc, en prévoyant un décompte séparé et sa mention dans les résultats du scrutin, il a choisi de l’exclure des suffrages exprimés, le privant ainsi de toute incidence potentiellement bloquante sur le résultat du scrutin.

Un comportement électoral qui semble pourtant être en augmentation constante

Avant la loi du 21 février 2014 précitée, le vote blanc et le vote nul étaient agrégés au sein d’une catégorie unique. Il n’existe ainsi pas de statistique sur l’évolution de la proportion des votes blancs qui soit isolée de celle des votes nuls.

Une augmentation significative du vote blanc et nul est observée depuis le début des années 1990. Avant 1992 et toutes élections confondues, le vote blanc et nul se situait à un niveau compris entre 2 et 4,5 % des votants. À partir de 1993, il se situe en moyenne autour de 5 % des votants ([19]). S’agissant de l’élection présidentielle en particulier, le taux moyen de vote blanc et nul s’établissait entre 1965 et 1981 à 1 % ; il a atteint 2,1 % sur la période allant de 1988 à 2002 ([20]).

évolution du taux de vote blanc et nul au second tour de l’élection présidentielle

Source : Rapport n° 400 fait au nom de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections, F. Sauvadet, XIVème législature, 14 novembre 2012.

Lors de l’élection présidentielle de 2017, premier scrutin permettant de distinguer le vote blanc du vote nul, « l’explosion du vote blanc ou nul est spectaculaire » ([21]). Au second tour, les votes blancs représentaient 6,35 % des inscrits et 8,52 % des votants. Numériquement, cela équivaut à plus de 3 millions de bulletins blancs. L’addition des votes blancs et des votes nuls représentait 8,59 % des inscrits et 11,52 % des votants.

2.   Le dispositif proposé

L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle tend à modifier l’article 7 de la Constitution, afin, pour les élections présidentielles, :

– d’inscrire dans la Constitution les dispositions d’ores et déjà prévues par l’article L. 65 du code électoral, qui précisent que les bulletins blancs sont décomptés séparément et qu’il en est fait mention dans le résultat du scrutin ;

– de prévoir que les votes blancs entrent en compte dans la détermination des suffrages exprimés lors du premier et du second tour.

Si le dispositif ne concerne en l’état de sa rédaction que les élections présidentielles, une telle évolution aurait vocation, dans un second temps, à s’étendre à l’ensemble des élections.

Cet article a toutefois été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

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Article 2
(art. 7 de la Constitution)
Mise en place d’un dispositif permettant au Conseil constitutionnel de déclarer qu’il doit être procédé à une nouvelle élection présidentielle si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés lors du second tour du scrutin

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article prévoit que le Conseil constitutionnel prononce l’invalidation de l’élection présidentielle si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés lors du second tour, et qu’il est alors procédé à une nouvelle élection.

       Dernières modifications constitutionnelles intervenues

L’article 7 de la Constitution a été amendé par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui a modifié la précision de la date de tenue du second tour du scrutin de l’élection présidentielle pour tenir compte du décalage horaire dans les collectivités d’outre‑mer.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a rejeté cet article.

1.   L’état du droit

a.   Un mode d’élection du Président de la République qui a évolué depuis 1958

Le droit électoral qui régit l’élection présidentielle est spécifique. Il est précisé aux articles 6 et 7 de la Constitution, ainsi que dans la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, qui a valeur organique.

L’application du code électoral à l’élection présidentielle n’est pas intégrale. Elle fait l’objet d’une transposition partielle par le II. de l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 précitée.

Dans sa version initiale, l’article 6 de la Constitution prévoyait que le Président de la République était « élu pour sept ans par un collège électoral comprenant les membres du Parlement, des conseils généraux et des assemblées des territoires d’outre-mer, ainsi que les représentants élus des conseils municipaux ».

Le 28 octobre 1962, par référendum, 62,25 % des électeurs s’étant exprimés se sont déclarés favorables à ce que le Président de la République soit élu au suffrage universel direct. L’article 6 de la Constitution, tel que modifié par la loi du 6 novembre 1962 précitée, précise désormais que « le Président de la République est élu (…) au suffrage universel direct ».

Aux termes de l’article 7 de la Constitution, le Président de la République est élu « à la majorité absolue des suffrages exprimés ». Si la majorité absolue n’est pas obtenue au premier tour de scrutin, un second tour est organisé le quatorzième jour suivant. Seuls peuvent se présenter à ce second tour les deux candidats qui ont recueilli le plus grand nombre de suffrages au premier tour.

Le même article fixe les dates du scrutin : l’élection doit avoir lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant l’expiration des pouvoirs du Président en exercice.

b.    Le rôle du Conseil constitutionnel dans l’élection présidentielle

En matière d’élection présidentielle, le Conseil constitutionnel intervient à trois moments ([22]) :

– dans la préparation de l’élection : il donne des avis, prend des décisions et exerce une activité juridictionnelle ;

– lors de la campagne électorale et dans le contrôle des opérations de vote : il détermine les conditions de campagne radio-télévisée et veille au déroulement des opérations de vote, par l’intermédiaire de ses délégués qui ont accès aux bureaux de vote ;

– lors de la proclamation des résultats du scrutin : il centralise les procès‑verbaux et examine les rapports de ses délégués, il arrête les résultats du premier tour et la liste des deux concurrents pour le second tour. Au terme de ce dernier, il proclame les résultats.

De surcroît, il ressort de l’article 7 ([23]) de la Constitution que le Conseil constitutionnel peut déclarer qu’il doit être procédé de nouveau à l’ensemble des opérations électorales en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats les plus favorisés au premier tour avant les retraits éventuels, ou en cas de décès ou d’empêchement de l’un des deux candidats restés en présence en vue du second tour.

2.   Le dispositif proposé

Se borner à décompter les votes blancs dans les suffrages exprimés, tel que proposé dans l’article 1er de la présente proposition de loi constitutionnelle, n’est pas suffisant dans la mesure où, au second tour de l’élection présidentielle, il devient possible qu’aucun des deux candidats n’obtienne la majorité absolue des suffrages.

Lors de l’élection présidentielle de 2017, le candidat Emmanuel Macron aurait bien obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés si ces derniers avaient inclus le vote blanc.

Résultat Effectif du second tour de l’élection présidentielle de 2017 et simulation du résultat si le vote blanc avait été comptabilisé dans les suffrages exprimés

Source : commission des Lois à partir des chiffres du ministère de l’Intérieur

Néanmoins, lors de l’élection présidentielle de 2012, aucun des deux candidats présents au second tour ne serait vraisemblablement parvenu à obtenir la majorité absolue des suffrages dans une telle hypothèse. Les données isolées du vote blanc ne sont pas disponibles, mais en considérant qu’elles représentent les trois quarts de la catégorie du « vote blanc et nul » ([24]), le candidat François Hollande n’aurait en effet obtenu qu’une majorité relative des suffrages exprimés (49,45 %).

Résultat effectif du second tour de l’élection présidentielle de 2012 et simulation du résultat si le vote blanc avait été comptabilisé dans les suffrages exprimés

    

Source : commission des Lois à partir des chiffres du ministère de l’Intérieur

Ces proportions pourraient de surcroît évoluer puisqu’un sondage de l’IFOP de 2017 précisait que si le vote blanc avait été comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle de la même année, 40 % des Français auraient été tentés par le vote blanc ([25]).

Il convient, en conséquence, de prévoir un mécanisme permettant de faire face à l’hypothèse dans laquelle aucun des deux candidats n’obtient la majorité absolue des suffrages au second tour.

L’article 2 de la présente proposition de loi constitutionnelle a pour objet de prévoir l’invalidation de l’opération électorale et l’organisation d’une nouvelle élection si aucun des deux candidats n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés. Cette invalidation serait prononcée par le Conseil constitutionnel.

Une telle évolution s’inscrirait pleinement dans la continuité du rôle actuel du Conseil constitutionnel en matière d’élection présidentielle.

La nouvelle élection devrait se tenir au plus tard trente-cinq jours après l’invalidation de la première.

Cet article a été rejeté à la suite de son examen par la Commission.


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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 31 mars 2021, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle relative à la reconnaissance du vote blanc pour l'élection présidentielle (n° 3896) (M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur).

 

Lien vidéo :

http://videos.assembleenationale.fr/video.10586090_606422e283c78.commissiondesloisevolutionstatutairedelacollectivitedecorserecoursauxdispositions-fi-31-mars-2021

M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur. Les crises protéiformes que les démocraties occidentales traversent depuis plusieurs années constituent autant de défis qui lui sont posés. De ce point de vue, l’augmentation constante du taux d’abstention nous préoccupe tous, car elle constitue un bon indicateur de la désaffectation des citoyens à l’égard des élus. Elle doit nous inciter à nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie, en particulier sur celui du suffrage universel.

La proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen a été déposée par notre collègue, que chacun reconnaîtra à la passion qu’il met à défendre ses combats, Jean Lassalle. Elle a pour ambition d’apporter une réponse forte à la crise démocratique que nous connaissons, en prenant en compte le vote blanc lors des élections présidentielles.

En droit électoral, le vote blanc a longtemps été rendu invisible. Le Conseil d’État a précisé dès 1806 dans un avis public que les bulletins blancs devaient être retranchés des votes émis et assimilés aux votes nuls. Ce double principe d’exclusion des votes blancs des suffrages exprimés et d’assimilation du vote blanc et du vote nul a été confirmé par un décret de 1852, puis par une loi électorale du 29 juillet 1913.

Ces dispositions s’inscrivent dans une tradition historique : celle d’une conception utilitariste du droit de vote. Dans ce cadre, le suffrage a pour unique finalité d’arrêter une désignation en cas d’élection, ou une décision en cas de référendum. Dans cette optique, la prise en compte du vote blanc est perçue comme dangereuse.

Une première rupture avec cette tradition historique est apparue avec la loi du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, qui avait pour objet de distinguer le vote blanc du vote nul. Désormais, les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés aux procès-verbaux des élections. Une précision a également été apportée à la définition du vote blanc : constitue dorénavant un vote blanc, en plus d’une enveloppe contenant un bulletin blanc, une enveloppe ne contenant aucun bulletin.

Cette évolution législative a créé un premier degré de reconnaissance juridique du vote blanc, en permettant de le mesurer et en accroissant sa visibilité. Par exemple, lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017, nous savons désormais que plus de 3 millions d’électeurs ont fait le choix d’un bulletin blanc, soit 6,4 % des inscrits et 8,5 % des votants.

L’avancée permise par la loi de 2014 est toutefois avant tout symbolique : le vote blanc est mieux reconnu, mais il reste sans incidence sur le scrutin.

La présente proposition de loi constitutionnelle suggère en conséquence d’aller plus loin. En rupture avec la conception strictement utilitariste du droit de vote, elle trouve son origine dans la conviction que le suffrage universel peut, et doit, permettre aux citoyens d’exprimer leurs opinions, fussent-elles contestataires.

Son premier article a pour objet d’intégrer les votes blancs dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle. Il s’agit d’une avancée importante. Cette question est en effet un serpent de mer de notre vie politique. Dans notre assemblée, elle a fait l’objet de pas moins de 35 propositions de loi déposées depuis 1993. Elle figurait également dans le programme des trois quarts des candidats à l’élection présidentielle de 2017. Enfin, et surtout, elle bénéficie d’une adhésion très forte de la part des Français : en 2017, ils étaient 86 % à se dire favorables à ce que le vote blanc soit comptabilisé dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle, y compris si cela pouvait mener à une invalidation de l’élection dans l’hypothèse où aucun candidat ne parviendrait à obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés.

En plus de correspondre à une volonté des Français, l’évolution ici proposée permettra de lutter contre l’abstention. Au premier tour de l’élection présidentielle, celle-ci représentait 16,2 % des inscrits en 2007, 20,5 % en 2012 et 22,2 % en 2017. Au second tour, elle s’élevait à 16 % des inscrits en 2007, 19,7 % en 2012 et 25,4 % en 2017. Ces chiffres doivent nous alerter.

Reconnaître que le vote blanc a une véritable signification politique et donner à ce type de bulletin le pouvoir de changer le cours de l’élection constitue le plus sûr moyen de réconcilier les citoyens avec la démocratie représentative. En 2017, 78 % des abstentionnistes déclaraient qu’ils auraient voté blanc si cette option avait été officiellement reconnue.

Intégrer les bulletins blancs dans les suffrages exprimés n’est pas sans conséquence sur le scrutin présidentiel. Le second article de la proposition de loi constitutionnelle anticipe donc la situation dans laquelle aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au second tour. Il instaure un dispositif permettant d’éviter tout blocage institutionnel.

Selon le dispositif de la proposition de loi, le Conseil constitutionnel invalide l’élection si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés et il est procédé à un second scrutin. Par amendement, je propose de préciser que, lors de ce second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour est élu. Soutenu par Jean Lassalle, auteur de la proposition de loi constitutionnelle, ce dispositif amendé permettrait de trouver un juste équilibre entre, d’une part, la nécessité démocratique de permettre d’avoir une incidence sur le scrutin à ceux qui souhaitent manifester leur refus de faire un choix parmi l’offre politique, et, d’autre part, l’impératif de stabilité institutionnelle, en limitant à deux le nombre maximal de scrutins.

Cette proposition de loi constitutionnelle est circonscrite par son objet, mais ambitieuse par la vision de notre démocratie et du suffrage universel dont elle est porteuse. J’espère qu’elle bénéficiera de votre soutien.

M. Pacôme Rupin. La reconnaissance du vote blanc est une demande dont nos concitoyens nous font régulièrement part et constitue à mes yeux un impératif démocratique.

Pour un citoyen, la démarche consistant à aller voter, mais en choisissant de voter blanc, est lourde de sens. Ce vote doit donc être distingué d’une abstention ou d’un vote nul. En effet, par son vote blanc, le citoyen témoigne non d’un désintérêt pour la chose publique ou pour les enjeux de l’élection concernée, mais d’un mécontentement, d’un désaccord, d’un rejet des candidats et programmes présentés ou, tout simplement, de son absence de préférence entre deux ou plusieurs candidats. Il s’agit donc d’un vote au même titre qu’un autre, qu’il faut prendre en compte et reconnaître comme tel.

Depuis 2014, la loi dispose d’ailleurs que les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal de l’élection, et qu’il en est fait spécialement mention dans les résultats du scrutin. C’est un progrès : le vote blanc est reconnu et distingué des bulletins nuls comme de l’abstention. Toutefois, les bulletins blancs n’entrent pas en compte dans la détermination des suffrages exprimés.

Faut-il donc aller plus loin ? Personnellement, je le crois : décompter les bulletins blancs séparément, sans que ce décompte n’ait d’impact sur les suffrages exprimés, n’est pas suffisant. Dans cette situation, le poids effectif d’un vote blanc restera toujours marginal. Peu de nos concitoyens ont en tête le nombre de bulletins blancs ou le pourcentage des suffrages que ceux-ci représentaient lors des dernières élections présidentielles, alors que ces chiffres sont en hausse. M. le rapporteur l’a relevé, le vote blanc a occupé une place importante lors de ces élections. S’il avait été reconnu de la façon dont le texte qui nous est soumis le propose, en 2012, François Hollande n’aurait obtenu qu’une majorité relative des suffrages exprimés et l’élection aurait été annulée. En 2017, au second tour, plus de 3 millions de votes blancs, soit 8,52 % des votants, ont été officiellement comptabilisés, ce qui est considérable.

Toutefois, sans une réelle reconnaissance du vote blanc et s’il continue de n’être suivi d’aucun effet, les électeurs seront toujours plus tentés par l’abstention et une partie d’entre eux risque de se détourner du processus démocratique, ce que nous devons à tout prix éviter. À moins qu’ils ne votent pour un candidat aux idées duquel ils n’adhèrent pas nécessairement, pour signifier un vote de rejet, ce qui n’est pas préférable.

Comment aller plus loin ? Tout l’enjeu est de déterminer le bon niveau de reconnaissance qu’il convient d’accorder au vote blanc et les effets à lui attribuer. Sur ce dernier point, nous ne pouvons pas nous satisfaire des dispositions contenues dans la proposition de loi constitutionnelle. En effet, le cas de figure où aucun des candidats présents au second tour de l’élection présidentielle ne remporterait une majorité absolue des suffrages est un scénario assez probable s’agissant d’une élection où les scores des candidats présents au second tour sont souvent très serrés. Un tel résultat ne devrait pas avoir pour effet d’obliger à recommencer l’élection, pour les raisons suivantes.

En premier lieu, il ne me semble pas démocratique d’annuler l’élection d’un candidat arrivé en tête au motif qu’il n’aurait pas la majorité absolue si trois options sont en réalité proposées au suffrage des électeurs – deux candidats et le vote blanc.

En deuxième lieu, le dispositif ne ferait que créer de l’instabilité, quand le système actuel a précisément pour principal avantage de stabiliser le pouvoir et d’éviter des crises politiques à répétition.

Enfin, répéter l’élection jusqu’à ce que l’un des candidats obtienne la majorité absolue ne satisferait personne : soit le processus serait sans fin, soit les électeurs, pour mettre fin à l’instabilité, se résoudraient à voter pour l’un des deux candidats, ce qui reviendrait peu ou prou à la situation actuelle que critiquent les auteurs du texte. Ce n’est donc pas une solution.

Nous devons par conséquent réfléchir collectivement à la manière de donner davantage de poids au vote blanc et de le reconnaître. Cette question complexe ne peut être tranchée par une proposition de loi constitutionnelle un an avant l’élection présidentielle, structurante pour notre démocratie et dont nous modifierions ainsi profondément les règles. Cela nous serait d’ailleurs reproché, comme lors de récentes tentatives de modification importante des règles électorales, notamment dans le cadre du projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République – la proposition du Gouvernement au Sénat avait fait polémique, on s’en souvient.

Dans un premier temps, il nous paraîtrait essentiel de mener de premières expérimentations tendant à une meilleure reconnaissance du vote blanc à l’occasion d’autres scrutins que l’élection présidentielle.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe La République en Marche votera contre la proposition de loi constitutionnelle, tout en reconnaissant son intérêt.

M. Xavier Breton. Je remercie le rapporteur et le groupe Libertés et Territoires de nous donner l’occasion de débattre de la reconnaissance complète du vote blanc. Il s’agit d’une question importante sur laquelle nous avons besoin d’avancer : j’avais d’ailleurs proposé au bureau de la commission la création d’une mission d’information, qu’il avait malheureusement refusée.

Traditionnellement, le groupe Les Républicains est plutôt contre une telle reconnaissance complète mais, comme sur toutes les questions de société, de nombreuses sensibilités s’expriment, chacun ayant sa lecture de la Constitution de la Ve République. À titre personnel, j’ai évolué sur ce sujet. Au départ, j’étais plutôt contre, considérant qu’il était nécessaire de conserver le symbole des 50 % – cette frontière qui donne la légitimité –, le dimanche soir du second tour de l’élection présidentielle, lorsqu’apparaît à l’écran le visage du candidat élu.

Mais on assiste à une montée de l'abstention, dont les chiffres doivent nous interroger, et même nous inquiéter. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à ne pas être satisfaits par l’offre politique, la meilleure preuve étant que 80 % d’entre eux ne souhaitent pas assister en 2022 à un remake du duel de 2017 entre le président sortant et Marine Le Pen. La dissémination de cette offre entre différents courants et partis, à l’image des nombreux groupes de notre assemblée, interroge également.

Ayant, donc, évolué, je suis aujourd’hui plutôt favorable à cette reconnaissance du vote blanc. L’article 1er de la proposition de loi me convient donc. Je suis en revanche opposé à l’article 2, qui conduirait à une invalidation et serait dangereux pour les institutions.

Enfin, il faut, selon moi, lier le vote blanc au vote obligatoire, puisqu’on ne pourra plus dire qu’on ne se reconnaît pas dans l’offre politique proposée.

Même si une telle réforme engendrerait de nombreux changements dans nos institutions, elle est sans aucun doute opportune. La question mérite en tout cas d’être posée.

M. Erwan Balanant. Notre groupe est de longue date engagé en faveur de la reconnaissance pleine et entière du vote blanc. Nous venons d’ailleurs de publier un petit livre blanc intitulé Agir contre l’abstention, dans lequel figure cette proposition.

Un sondage de 2017 a révélé que 86 % des Français – soit une large majorité – sont favorables à ce que ce vote soit considéré comme un suffrage exprimé.

La loi du 21 février 2014, issue de l’adoption d’une proposition de loi du groupe UDI, n’a pas été le grand pas espéré s’agissant de la reconnaissance de ce vote : au cours des débats, on avait ainsi parlé d’un vote blanc inoffensif. Certes, par son décompte, on peut constater le désaveu des électeurs pour les candidats en lice mais c’est une reconnaissance platonique, puisque l’on ne peut en tirer aucune conclusion pratique, les bulletins blancs ne pesant pas sur le résultat du scrutin et n’empêchant pas une élection. Voter blanc reste nul, en quelque sorte, même si depuis 2014 voter blanc ou voter nul n’est pas censé avoir la même signification.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés considère qu’il faut en finir avec cette politique des petits pas, qui favorise l’abstention, et ne pas craindre la prise en compte des bulletins blancs dans les suffrages exprimés, une telle évolution ne compliquant en rien le processus de désignation des élus et ne modifiant pas l’équilibre de nos institutions. Il est donc favorable à cette proposition de loi constitutionnelle.

Si l’élection présidentielle demeure le scrutin le plus mobilisateur, le taux d’abstention augmente néanmoins depuis quelques années : au second tour de 2017, il a ainsi battu un record depuis 1969 et le duel Pompidou-Poher.

Nous croyons que la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé sera un signe fort en faveur de la vitalité démocratique de notre pays.  Le prendre en compte est tout à fait légitime alors que certains Français ne se retrouvent pas dans le choix électoral qui leur est proposé. Ils pourront ainsi faire leur devoir de citoyen même s’ils ne reconnaissent aucun des candidats en lice comme porteur de leurs idées et de leur conviction. Peut-être une telle évolution encouragera-t-elle également de nouvelles candidatures et un nouvel investissement politique ?

Nous devons donner envie aux Français de retourner aux urnes et pensons que la reconnaissance pleine et entière du vote blanc serait une bonne voie pour y parvenir.

Mme Marietta Karamanli. Notre groupe juge intéressante cette proposition de loi qui vise à reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé à partir de la prochaine élection présidentielle.

Le vote blanc consiste à déposer dans l’urne une enveloppe vide ou contenant un bulletin dépourvu de tout nom de candidat ou, dans le cas d’un référendum, de toute indication : un tel type de vote implique donc une volonté de se démarquer du choix proposé.

Nous le savons, l’offre politique est considérée par une partie importante et croissante de nos concitoyens comme insuffisante en termes de diversité. Dans ces conditions, une telle réforme constituerait une avancée démocratique.

Appliquée à l’élection présidentielle, sa pertinence serait cependant interrogée par l’article 7 de la Constitution qui dispose que « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés. […] » Or le second tour de 2022 pourrait ne pas être décisif si une telle majorité n’était pas atteinte. Imaginons en effet qu’un candidat ou qu’une candidate l’emporte alors par 45 % des voix contre 35 % pour son adversaire, avec 20 % de votes blancs : il – ou elle – serait élue à la majorité relative, ce qui n’est pas conforme avec l’article 7.

Le vote blanc risque donc d’avoir de graves effets indésirables et non évalués. Sa reconnaissance pourrait entraîner son succès électoral mais fragiliserait l’ensemble du système politique français.

Par ailleurs, si l’incidence des votes blancs sur le résultat du scrutin variait selon la nature de celui-ci, elle serait de nature à rendre moins clair encore le choix du vote blanc pour une part non négligeable des électrices et des électeurs. Le groupe Socialistes et apparentés ne pourra donc pas soutenir la proposition de loi, malgré l’intérêt que présente le vote blanc, notamment en raison du risque induit par son article 2.

M. Christophe Euzet. Je précise tout d’abord que les propos que je vais tenir reflètent l’opinion de la majorité du groupe Agir ensemble, qui n’est pas unanime sur ce sujet.

Je remercie les initiateurs du texte, et en particulier M. le rapporteur, de nous permettre d’aborder cette question récurrente dans le cadre des institutions de la Ve République. Ce serpent de mer représente, pour le constitutionnaliste que je suis, le prototype du faux ami.

On nous explique que prendre en considération le vote blanc pour déterminer les suffrages exprimés ferait reculer l’abstention et réconcilierait nos concitoyens avec la démocratie : personnellement, je ne vois pas du tout le lien entre la proposition juridique et une telle affirmation.

Le mode de scrutin est un ensemble de règles et de modalités de calcul qui permettent de déterminer, en fonction des voix émises, les personnes élues. Comment ces règles pourraient-elles aboutir au fait qu’il n’y ait pas d’élu ? Le vote blanc constitue déjà une expression politique à laquelle il m’est arrivé, plus jeune, de recourir de même qu’au vote nul, manifestant ainsi mon mécontentement de ne pas trouver chaussure à mon pied. Il est d’ailleurs déjà pris en compte au titre de la participation.

J’ai le sentiment qu’une telle disposition aurait pour effet d’affaiblir de façon démesurée la personne finalement élue à la magistrature suprême.

Petite remarque de forme : en vertu de l’article 89 de la Constitution, cette proposition de loi constitutionnelle aurait vocation à être soumise au peuple par la voie du référendum. On solliciterait ainsi les Français pour savoir s’ils veulent que désormais, lors de l’élection présidentielle, les votes blancs soient enfin pris en considération comme des suffrages exprimés. La dernière fois que l’on a procédé de la sorte à propos du quinquennat, le taux d’abstention s’était élevée à 72 %. En l’occurrence, on devrait battre des records et atteindre 85 % ou 90 % d’abstention. Je ne suis pas sûr en effet que la population reviendrait aux urnes à cette occasion.

Sur le fond, nous nous heurtons à une difficulté : au terme du second tour, dans les conditions actuelles de la répartition des votes, il n’y aurait pas d’élu. Doit-on vraiment se réjouir d’aboutir à un système qui aurait un tel résultat ?

Je ne comprends pas l’objet de cette proposition de loi. S’il s’agit de prouver que le système constitutionnel est actuellement défaillant, peut-être aurait-il fallu y introduire le vote obligatoire ou l’élection au second tour à la majorité relative. Je ne comprends pas ces mesures isolées et exclusives, à l’instar de celle, également, relative à la proportionnelle. Toutes ces thématiques méritent des réflexions d’ensemble.

Cela me fait penser à l’Internationale situationniste incarnée par Guy Debord. Pour ne pas contraindre les spectateurs, il avait imaginé, dans la seconde moitié des années soixante‑dix, un théâtre sans décor, puis sans scénario, sans texte, puis, en définitive, sans comédiens. Je ne sais pas quel aurait été l’avenir du théâtre si nous avions été exposés pendant des décennies à des scènes vierges.

La politique n’est pas le choix de la table rase mais au contraire celui de ceux qui sont appelés à gouverner. Le groupe Agir ensemble sera donc, comme je le suis à titre personnel, opposé à la proposition de loi.

M. Jean Lassalle. Ayant suivi vos travaux à la télévision, je peux dire, madame la présidente, que vous présidez très bien, avec une once d’humour, ce qui n’est jamais préjudiciable – à condition de ne pas en abuser. Ayant en quatre ans de mandat plutôt siégé aux finances, puis fait un tout petit tour aux affaires étrangères avant d’être désormais à la défense, je constate aussi que la commission des Lois est très attentive.

Je remercie mon ami Jean-Félix Acquaviva qui a bien voulu rapporter, avec beaucoup de sérieux et de travail en commun avec mon équipe, la proposition de loi dont je suis l’auteur, ainsi que le groupe Libertés et Territoires pour son expertise. J’ai bien entendu les arguments échangés : leur caractère tantôt solennel, tantôt passionné montre qu’elle ne laisse personne totalement indifférent. Cela ne m’étonne pas compte tenu du caractère de notre pays, très attaché à la politique, et de celui de ses représentants, qui ne le sont pas moins.

On peut tourner le problème dans tous les sens : nous avons atteint un taux d’abstention tel que bientôt il y aura forcément du rejet à l’égard de notre système. Étant très attaché à la Ve République, je ne tiens nullement à la voir partir en vrille ; je voudrais au contraire contribuer, passionnément, à la faire perdurer. Or la défiance à l’égard des élus, et plus encore à l’égard des partis politiques, illustre le fossé qui existe entre les représentants et le peuple. La démocratie représentative, à laquelle nous sommes tous si attachés, n’a pas fini d’en voir.

Pendant des décennies, la République a pu s’appuyer sur un socle électoral solide, marqué par une forte participation des électeurs qui assurait la stabilité et la légitimité de nos institutions. Cette puissante dynamique reposait sur la conviction des électeurs citoyens que le peuple était souverain. Deux courants de pensée, deux projets, deux visions au moins leur étaient proposés. La gauche incarnait le progressisme, un message fort de partage et d’égalité des chances, et plusieurs familles – socialistes, communistes, radicaux de gauche, Verts, France insoumise – présentaient la plupart du temps des offres différentes à l’occasion du premier tour. La droite et le centre incarnaient, avec des nuances tout aussi marquées – si ce n’est plus –la liberté d’entreprendre et le sentiment de sécurité.

Les bouleversements intervenus dans le monde, ainsi que les changements opérés dans le mode d’organisation des scrutins en France – remplacement du septennat par le quinquennat, concomitance des élections présidentielles et législatives – ont totalement changé la donne. Ainsi, un référendum auquel le peuple avait fortement participé, et sur lequel il s’était prononcé pratiquement à 55 % en faveur du non s’est vu ratifier quelques mois plus tard à Versailles par les représentants du peuple.

Ce matin, je propose un texte qui je le sais n’est pas définitif, peut-être pour le construire et pour y réfléchir ensemble. Les différents arguments échangés me renforcent dans cette idée. Je préfère que nous le fassions de notre propre initiative avant d’y être contraints, ce qui serait très différent des habitudes de la Ve République.

M. Pascal Brindeau. La rédaction actuelle de cette proposition de loi constitutionnelle constitue une réponse inadaptée à une vraie question posée à notre démocratie. Personne ne se satisfait du fait que d’élection en élection – le phénomène touchant cependant moins l’élection présidentielle, peut-être aurait-il fallu un texte de portée plus globale –, un nombre grandissant de nos concitoyens rejette le processus électoral et choisisse de ne pas se rendre aux urnes. L’expression de ce non-choix, qui affaiblit effectivement la légitimité démocratique des élus, nous conduit à nous interroger sur cette distance de plus en plus importante entre nos concitoyens et leurs représentants politiques, qu’ils soient locaux ou nationaux.

On réfléchit donc depuis longtemps à distinguer l’abstention, le vote nul et le vote blanc, ce dernier étant l’expression d’un non-choix entre deux candidats présents au second tour.

Proposer de reconnaître le vote blanc pour faire progresser la démocratie peut s'entendre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle une proposition de loi émanant de notre groupe et visant à distinguer vote nul et vote blanc et à comptabiliser celui-ci avait été adoptée en 2014. Nous n’avions pas été à l’époque jusqu’à intégrer ce vote blanc dans le calcul de la majorité absolue.

Si ce pas supplémentaire devait être franchi demain, il ne le serait qu’à certaines conditions. Or la rédaction actuelle, notamment de l’article 2, n’est pas acceptable pour nous dans la mesure où elle remet en cause non seulement le second tour de l’élection présidentielle –  le président n’étant pas élu à la majorité absolue, selon la règle constitutionnelle, une nouvelle élection doit être organisée –  mais également les résultats du premier. Nous en rediscuterons puisque des amendements ont été déposés sur cet article.

La solution préconisée me paraît contraire aux valeurs démocratiques puisque l’expression de 3 %, 4 %, 6 % ou peut-être 8 % d’électeurs remettrait en question l’équilibre issu du choix de 50 %, 60 % ou 70 % du corps électoral, ce qui n’est pas acceptable du point de vue de l’équilibre démocratique et donc de nos institutions.

Certes, on peut imaginer que le second tour de l’élection présidentielle doive être réorganisé – il faut en débattre. Pour ma part, je préconise plutôt de déclarer élu à la majorité relative le candidat arrivé en tête, qui aura donc besoin de conquérir au cours de son mandat une légitimité dans l’opinion publique. Se poserait alors la question de l’exercice du pouvoir. En tout cas, remettre en question la totalité du processus électoral ne nous semble pas en l’état conforme aux valeurs démocratiques.

Nous nous prononcerons sur ce texte à l’issue du débat en commission et dans l’hémicycle. En l’état, nous ne pouvons nous y rallier, bien que nous soyons favorables à la prise en compte du vote blanc de manière plus importante qu’aujourd’hui.

M. Bastien Lachaud. Enfin le vote blanc, qui signifie que l’offre présentée par les candidats ne convient pas à l’électeur et qu’il refuse de trancher entre différentes options qu’il considère –  et c’est son droit –  comme mauvaises, pourrait être véritablement comptabilisé comme un vote exprimé !

Pour qu’il soit réellement pris en compte, il faut que l’accumulation de votes blancs ait une conséquence sur l’élection et qu’à partir d’un certain seuil, ils entraînent l’annulation de l’élection, les autres suffrages cumulés n’étant pas considérés comme suffisamment représentatifs de l’expression de la volonté générale pour emporter la décision. Actuellement, les votes blancs sont comptés mais ne servent à rien : même dans l’hypothèse où il y aurait 50 % de votes blancs, ils ne produiraient aucune conséquence particulière.

Ainsi, pour être entendus, les citoyens se réfugient dans l’abstention, car ils ont compris qu’elle était la seule façon de s’exprimer qui intéresse un peu. Ils n’ont cependant guère droit qu’aux débuts des soirées électorales où l’on se lamente en cadence sur les plateaux télévisés à propos de la faiblesse de la participation, sans jamais se demander pourquoi les citoyennes et les citoyens ne se rendent plus aux urnes. On y roucoule en cadence de bons sentiments pour dire qu’il est important de voter, comme si faire la morale avait déjà ramené quelqu’un aux urnes.

L’abstention est haute. D’innombrables citoyens sont dégoûtés du système politique de la Ve et refusent de participer à ce qu’ils savent être une mascarade. La véritable reconnaissance du vote blanc, qui est l’objet de cette proposition de loi que j’ai cosignée et que je soutiens, est un outil du dégagisme populaire.

La réforme de 2014 est un couteau sans lame ni manche : elle ne sert à rien. Beaucoup plus ambitieux, le texte proposé aujourd’hui répond à une demande populaire : selon un sondage, 86 % des Français se déclarent en effet favorables à ce que le vote blanc soit considéré comme un suffrage exprimé et qu’il soit pris en compte lors du calcul du résultat des élections présidentielles. En ayant conscience que cela pourrait invalider l’élection faute de majorité absolue, les Français sont même à 60 % tout à fait favorables à la mesure.

Nous proposons, en complément de la reconnaissance du vote blanc, d’instaurer le vote obligatoire. En effet, les élections permettent de faire un choix grâce à l’expression de la volonté générale. Si le vote blanc était considéré comme un suffrage exprimé et pouvait entraîner l’annulation de l’élection, il faudrait donc rendre le vote obligatoire pour permettre une telle expression.

Nous proposons également un élargissement du corps électoral en accordant le droit de vote dès l’âge de seize ans, la jeunesse devant pouvoir participer aux décisions qui l’engagent. Il s’agit d’une mise en cohérence : si à cet âge l’on peut voter aux élections professionnelles, exercer l’autorité parentale et payer des cotisations sociales, pourquoi ne pourrait-on participer à l’élection du Président de la République, choix ô combien fondamental ? Le dérèglement climatique le montre clairement : ce sont les jeunes générations qui, plus que les autres, auront à vivre avec les conséquences des décisions qui sont prises maintenant. Elles doivent donc pouvoir y prendre part.

Nous ne pouvons toutefois en rester là. Si cette proposition de loi va dans le bon sens, elle ne peut suffire à résoudre la crise démocratique que connaît notre pays. Tel serait le cas de toute réforme partielle : il ne s’agirait que d’arrangements avec un système mauvais, autrement dit un pansement, certes nécessaire, mais sur une jambe de bois. Par le moyen d’une assemblée constituante, il faut que le peuple reprenne le pouvoir qui est le sien et décide d’une nouvelle constitution pour une VIe République. Il faut une refonte totale de nos institutions par et pour le peuple.

Cette crise démocratique avait été parfaitement exprimée par le mouvement des gilets jaunes en 2018 puisqu’ils avaient exigé l’instauration de référendums d’initiative citoyenne pour que le peuple décide. La seule véritable manière de changer la Constitution est précisément de réunir une telle constituante.

La crise sanitaire advenue depuis n’a rien changé à cette exigence. Elle l’a simplement rendue plus aiguë et plus impérieuse, car si elle nous frappe si durement, c’est aussi parce que le peuple n’a pas eu les moyens de s’opposer à la destruction des services publics, notamment hospitaliers. On ne lui a pas demandé son avis, celui qu’il a pu donner n’a pas été entendu et c’est lui qui en paye le prix aujourd’hui.

Il faut opérer une bifurcation écologique, régler la crise sociale et construire un avenir pour nos enfants. Seul le peuple peut en décider ; lui seul est légitime pour le faire car l’avenir doit être que ce qu’il décidera. Pour cela, il faut qu’il reprenne en main ses institutions : nous avons donc besoin d’une assemblée constituante pour une VIe République.

M. Stéphane Peu. Nous sommes également satisfaits d’examiner cette proposition de loi, conscients que l’avancée de 2014 était insuffisante puisque si les bulletins blancs sont désormais reconnus et comptés, ils ne sont pas comptabilisés dans les suffrages exprimés.

Or le vote blanc est une expression, puisqu’on se déplace pour exercer son droit de vote, au moyen d’une enveloppe vide ou d’un bulletin blanc. Il doit donc à ce titre être compté dans les suffrages exprimés. Nous sommes favorables à la disposition proposée à ce titre.

L’article 2, qui pose plus de problèmes, nous fait toucher du doigt le paradoxe de la Ve République, à savoir l’hypertrophie du Président de la République, clé de voûte des institutions, et la dérive monarchique de la présidence de la République constatée depuis plusieurs mandats et qui a été renforcée par l’inversion du calendrier électoral. On ne peut pas à la fois se satisfaire d’une constitution et d’une Ve République à l’origine d’une telle hypertrophie et ne pas souhaiter à tout prix que la légitimité du chef de l’État soit indiscutable.

Notre groupe avait, par l’intermédiaire d’Alain Bocquet, déposé au cours de la précédente mandature une proposition de loi visant à ce que le second tour de l’élection présidentielle n’oppose pas forcément les deux premiers candidats, mais plutôt tous ceux ayant atteint un certain seuil, de façon à ouvrir le choix.

La logique selon laquelle au premier tour, on choisit, et au second, on élimine, est en effet de moins en moins vraie. Attention aux réveils douloureux ! Nous risquons de plus en plus de connaître des seconds tours où les gens auront envie d’éliminer les deux candidats. Or, affaiblir la représentativité, et donc la légitimité du président élu dans le cadre de la Ve République, est dangereux pour la démocratie elle-même. Par conséquent, balayer d’un revers de main des propositions de loi comme celle-ci peut signifier fabriquer la délégitimation du Président de la République, avec tous les risques démocratiques que cela suppose.

Ce mercredi illustre parfaitement cette hypertrophie présidentielle, source d’affaiblissement démocratique : nous avons appris en entrant dans cette salle que le Président de la République s’exprimerait ce soir à la télévision et que l’Assemblée nationale était convoquée demain matin pour se prononcer – en réalité pour entériner – sur les mesures qu’il présentera à cette occasion. Il n’y aura donc pas de débat, même si chacun pourra alors s’exprimer. Or ces dérives monarchiques pèsent négativement tant sur l’acceptation des mesures sanitaires que sur le fonctionnement démocratique.

Nous sommes favorables à cette proposition de loi avec une alternative pour l’article 2, qui reprendrait la mesure prévue dans celle d’Alain Bocquet visant à disposer d’une offre politique plus large lors du second tour. Veillons à ne pas tourner la proposition de loi et l’article 2 en ridicule, car il s’agit d’un sujet majeur pour le fonctionnement démocratique de notre pays.

M. Rémy Rebeyrotte. Le mot légitimité n’a été prononcé qu’une ou deux fois, alors qu’il s’agit de la question majeure que pose en filigrane la proposition de loi. Je m’inquiète moi aussi du fait qu’un certain nombre de nos concitoyens choisissent aujourd’hui soit l’abstention, soit le vote blanc, soit la non-participation, qui sont difficiles à interpréter.

Je m’inquiète également beaucoup du fait que l’un des groupes politiques de notre assemblée parle, en évoquant un processus électoral, de mascarade. Considérer que l’expression de citoyens dans une démocratie est une mascarade revient en effet à délégitimer les élus que nous sommes. Faisons un peu de politique-fiction : je ne suis pas sûr que, si M. Mélenchon avait été élu Président de la République lors de la dernière élection présidentielle, on aurait fait son procès en illégitimité.

Il se trouve cependant que certains ici, depuis le processus électoral de 2017, passent leur temps à faire un tel procès à ceux qui sont sortis victorieux des urnes. Oui, un processus politique est toujours relatif. Comme le disait Winston Churchill, la démocratie est sans doute le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres.

Alors qu’au sein même de la vie politique, des gens s’amusent à remettre en cause la légitimité des élus du peuple, le moment n’est vraiment pas le bon – hélas ! – pour examiner ce texte. Je souhaiterais que cela puisse l’être, mais dans le cadre d’un débat apaisé où l’on réfléchirait également au vote obligatoire et à la participation aux scrutins. Du fait de tels comportements, l’urgence est au contraire de consolider la légitimité de nos élus.

M. Jean Lassalle. Je constate, chers collègues, que vos esprits sont autant en recherche que le mien. Nous avons voulu que ce texte soit ouvert pour qu’il puisse évoluer et permettre peut-être une transformation salutaire de notre République.

Je suis opposé au vote obligatoire pour la simple raison que nous sommes des Gaulois – un peu réfractaires. Une obligation risquerait de le disqualifier encore davantage. Il pourrait en outre engendrer des injustices, certains ayant de quoi payer l’amende, d’autres pas.

Bien sûr, c’est l’ensemble des scrutins, et pas la seule élection présidentielle, qu’il faudrait considérer. J’ai choisi de partir d’un symbole très fort qui nous interpelle tous dès le premier instant.

Enfin, il pourrait y avoir un réveil plus douloureux que de constater un jour, très prochain peut-être, que « M. Blanc » est arrivé en tête. Les Républiques sont mortes de n’avoir pas su se réformer ou s’adapter quand il le fallait. Celle-ci, la Ve, était basée sur l’honneur, que je pense essentiel en politique car c’est un art, certainement l’un des plus sublimes, ainsi que sur une certaine idée de la France, du monde, de l’humanité et de la civilisation. Hélas, nos aînés se sont permis de la changer beaucoup sans d’ailleurs jamais y associer, hormis pour la fin du septennat, nos concitoyens. Si nous avions la force de proposer ensemble un texte sur lequel nous puissions nous accorder, ce serait un très grand et beau signe à l’égard du peuple. C’est l’une des dernières chances que nous avons de le faire.

M. Bastien Lachaud. Je suis désolé si le mot « mascarade » a choqué mais une élection législative, au cours de laquelle plus de 40 % des électeurs se sont abstenus, qui offre une majorité absolue à un Président de la République élu avec 23 % des suffrages exprimés au premier tour de la présidentielle, donne bel et bien l’impression d’une mascarade. Les gens sont découragés d’aller voter car ils ont bien compris qu’une seule élection compte, celle de la présidentielle, et que toutes les autres ne servent à rien. Quant aux calendrier des réformes institutionnelles, je voudrais que l’on me cite une seule Constitution qui n’ait pas été rédigée dans une période de crise car c’est justement dans ces moments-là que des régimes s’effondrent pour laisser place à d’autres. Nous sommes en crise aujourd’hui et c’est pour cette raison que nous avons besoin d’une VIe République.

M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur. Je m’associe aux remerciements de Jean Lassalle car ce débat fort nourri nous permet d’explorer toutes les pistes pour répondre à un problème qui n’est pas nouveau puisqu’il revient à intervalles réguliers comme un serpent de mer : la crise de confiance dans nos institutions politiques. Nous sommes au moins d’accord sur ce point. L’écart se creuse entre nos concitoyens et les groupes politiques, envers lesquels la défiance s’accentue, toutes tendances confondues. La montée de l’abstention, du vote blanc, du populisme, est une réalité. Selon un proverbe corse, les honneurs donnent plus de charges et de devoirs que de droits. L’un des devoirs des élus est, précisément, de reconnaître cet écart et cette défiance, et d’accepter de prendre en compte, d’une manière ou d’une autre, le vote blanc. Si l’on considère que le vote blanc est un choix conscient et non par défaut, oubli ou erreur, il est alors un choix démocratique que l’on doit prendre en compte. Nous ne pouvons pas, surtout en période de crise, nous récrier « Cachez ce sein que je ne saurais voir ! ». Il y aurait une contradiction majeure, voire mortelle pour la stabilité institutionnelle en temps de crise, à ne pas reconnaître le choix conscient du peuple. En démocratie, le peuple a toujours raison. Si ses choix nous conduisent dans certaines situations difficiles, c’est parce que ses représentants ont eu tort. Cette logique imparable s’impose à nous tous. La question du sens est essentielle. Sinon, nous resterons dans l’alibi ou le leurre.

En l’espèce, cette proposition de loi concerne l’élection présidentielle. Elle pose le problème de la place du Président de la République dans le contexte actuel. La question, au second tour du scrutin, de la légitimité, au sens de la majorité absolue, ou non en raison de la reconnaissance du vote blanc, n’est pas neutre, bien au contraire. C’est un homme ou une femme qui rencontre le peuple et la Nation. Nous parlons de l’élection présidentielle et non d’autres types d’élections pour lesquelles la question du seuil pourrait se poser, par exemple des scrutins de listes ou des élections à la représentation proportionnelle pour lesquels il faudrait franchir une barre afin d’accéder au second tour. C’est pour cette raison que l’article 2 a du sens.

Quel niveau de contrainte veut-on imposer à la représentation démocratique pour l’obliger à trouver des solutions face à la crise politique que nous traversons ? On peut, en effet, considérer que l’abstention témoigne d’une crise importante qui pourrait nous conduire à une crise profonde. La reconnaissance du vote blanc n’est sans doute pas la seule réponse possible. Je suis, à titre personnel, très décentralisateur et autonomiste pour la Corse car il me semble que c’est en élaborant des règles au plus près du terrain, avec les élus locaux, que l’on restaure la confiance dans les politiques publiques. Quoi qu’il en soit, nous sommes favorables à ce que la contrainte soit telle qu’elle puisse entraîner l’annulation de l’élection. Cette rupture permettra sans doute d’avancer, en favorisant le consensus, en affinant les projets de société, en témoignant de la volonté de se rapprocher du peuple, quitte à ce que, lors du second scrutin, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages au second tour soit élu si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés au premier tour – c’est l’objet de mon amendement. Ainsi, la reconnaissance du vote blanc aura servi l’intérêt général alors qu’aujourd’hui, l’écart grandissant entre les citoyens et les élus sert d’abord l’intérêt des extrêmes. C’est tout le sens de notre débat. L’amendement CL5 permettrait de garantir la stabilité institutionnelle du système.

La Commission en vient à l'examen des articles de la proposition de loi.

Avant l’article 1er

La Commission examine les amendements CL2 et CL1 de M. Bastien Lachaud. 

M. Bastien Lachaud. Le premier de ces amendements tend à insérer le mot « obligatoire » après « universel », afin de réaffirmer le caractère obligatoire du vote. Cette proposition n’est pas aussi exotique que certains pourraient le penser puisqu’elle a déjà été adoptée en Belgique, au Luxembourg, en Grèce, en Australie, en Argentine, au Brésil. En Argentine, cette disposition aurait permis d’augmenter la participation de près de 18 points. Le vote obligatoire n’a de sens que s’il est couplé à la reconnaissance du vote blanc pour que les gens puissent s’exprimer en conscience, choisir un candidat ou faire comprendre qu’aucun n’est digne de leur suffrage.

Le second amendement vise à abaisser l’âge légal du droit de vote à seize ans. L’Autriche, l’Écosse, le Brésil, l’Équateur et certains Länder allemands appliquent cette mesure. C’est un amendement de cohérence. Si, à seize ans, on peut travailler, saisir les prud’hommes, détenir l’autorité parentale, être émancipé, pourquoi ne pourrait-on pas choisir celui qui fixe les règles pour la nation ?

M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur. Avis défavorable à ces amendements, même si nous reconnaissons que le débat doit faire son chemin.

Voter est un droit et un devoir mais nous ne sommes pas favorables à une obligation pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle attenterait trop à la liberté de chacun, que la reconnaissance du vote blanc, en revanche, accroît – certains voteraient uniquement pour éviter une amende. Les représentants du Parti du vote blanc, lors de leur audition, ont d’ailleurs dit qu’ils étaient opposés à une telle obligation. J’ajoute que, compte tenu des différences de revenus, la sanction financière accentuerait les inégalités. Enfin, la légitimité des élus pourrait en pâtir : l’absence d’abstention laisserait accroire que « tout va bien, madame la marquise ! ».

Une proposition de loi instaurant le vote dès seize ans a été examinée et rejetée à l’automne dernier. Nous considérons en effet que le vote doit rester corrélé à la majorité. Il va de soi que les jeunes de quinze ou seize ans ont des idées pertinentes et que certains d’entre eux s’engagent de bonne heure en politique mais cette question ne saurait être traitée isolément puisque la majorité civile et pénale devrait être dès lors abaissée, ce qui emporterait des conséquences possiblement terribles. De plus, selon certains pédopsychiatres, les jeunes ont besoin de rites de passage dans la vie adulte – entrée au collège, baccalauréat, permis de conduire. Il nous paraît donc nécessaire d’en rester là. J’ajoute que, selon certains sondages, les jeunes ne sont pas forcément favorables à une telle mesure.

M. Christophe Euzet. Je partage l’avis du rapporteur. Il s’agit d’une fausse bonne idée, d’un remède qui pourrait être pire que le mal.

La reconnaissance du vote blanc est plébiscitée parce que les électeurs ont le sentiment qu’ils pourraient manifester ainsi leur mécontentement mais je ne suis pas du tout certain de leur enthousiasme à propos du vote obligatoire pour deux raisons. Tout d’abord, la France a choisi depuis longtemps l’« électorat-droit » et non l’« électorat-fonction ». Ensuite, la sanction pénaliserait au premier chef les plus précaires de nos concitoyens et les plus fortunés pourraient s’offrir le luxe de ne pas voter.

M. Xavier Breton. Il est vrai que l’abstention peut être considérée comme la manifestation d’un choix parmi d’autres et que le vote obligatoire serait difficile à appliquer. Néanmoins, comme je l’ai dit, la reconnaissance du vote blanc implique logiquement le vote obligatoire puisque l’argument selon lequel l’électeur ne se reconnaîtrait pas dans l’offre politique ne serait plus valable. Cela impliquerait aussi de passer du « droit » au « devoir » de vote, ce qui me paraît envisageable dans notre démocratie, où la cohésion est menacée – et les devoirs me semblent plus propices pour remédier à cette situation que l’octroi de nouveaux droits.

Je suis donc assez ouvert sur le premier amendement de notre collègue, dont je constate qu’il profite du second, contre lequel je voterai, pour supprimer de notre Constitution les mots « majeurs des deux sexes » !

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Quelle sagacité (Sourires) !

Je rappelle que nous avons abaissé le seuil à seize ans pour pouvoir signer des pétitions adressées au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Nous nous inscrivons dans une logique de promotion de l’engagement des jeunes et nous ne sommes pas « binaires » !

La Commission rejette successivement les amendements.

Article 1er (art. 7 de la Constitution) : Comptabilisation des bulletins blancs dans les suffrages exprimés lors de l’élection présidentielle

La Commission rejette l’article 1er.

Article 2 (art. 7 de la Constitution) : Mise en place d’un dispositif permettant au Conseil constitutionnel de déclarer qu’il doit être procédé à une nouvelle élection présidentielle si aucun candidat n’obtient la majorité absolue des suffrages exprimés lors du second tour du scrutin

La Commission examine m’amendement CL4 de Mme Emmanuelle Ménard

M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur. Avis défavorable à cet amendement qui ne correspond pas à l’esprit de la proposition de loi. Il nous importe en effet de maintenir la règle de la majorité absolue dans un premier temps : dans l’esprit de nos institutions, de notre histoire et de notre vie politique, le Président de la République doit rassembler l’ensemble des Français et, donc, disposer d’un socle électoral large et solide. Dans le cas contraire, le vote blanc serait reconnu comme suffrage exprimé mais sans effet réel, or, le changement doit être à la hauteur de l’urgence et de la crise de défiance que nous traversons.

La nécessité d’obtenir la majorité absolue lors du premier tour de scrutin avec la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé rendrait nécessaire l’évolution de nos partis, de nos pratiques politiques, de la recherche du consensus et ouvrirait la voie vers davantage d’alliances et de débats pour un projet de société cohérent.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission est saisie de l’amendement CL5 du rapporteur.

M. Pascal Brindeau. Pour que cet amendement soit opérationnel, il conviendrait de supprimer la mention du premier tour de l’élection à l’alinéa 2 de cet article. Selon votre amendement, lors de la deuxième organisation d’un second tour, c’est en effet la majorité relative qui s’applique. Pourquoi, dès lors, maintenir une telle mention ?

M. Christophe Euzet. C’est le serpent qui se mord la queue ! Un garde-fou est en effet nécessaire car la disposition initiale bloquera le fonctionnement des institutions. Les candidats du premier tour auront été délégitimés, on reviendra sur ce dernier alors qu’il aura été entériné pour tout recommencer avec des seconds couteaux qui ne seront pas en mesure d’obtenir une majorité absolue. Tout cela me semble contre-productif.

M. Jean-Félix Acquaviva, rapporteur. J’admire la faculté de M. Euzet à voir des problèmes où il n’y en a pas ! Les deux tours seront réorganisés et, à l’issue du second, c’est le candidat qui remporte le plus de suffrages qui est élu. Il n’y a là aucune usine à gaz : c’est un choix politique.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette l’article 2.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Tous les articles de la proposition de loi ayant été rejetés, le débat aura lieu en séance publique sur le texte initial.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle relative à la reconnaissance du vote blanc pour l'élection présidentielle (n° 3896).

 


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   Liste des personnes entendues

 

   M. Stéphane Guyot, président

   M. Florian Demmel, porte-parole

 

 

 


([1]) Selon les termes de Michel Debré à l’occasion de son discours devant le Conseil d’État le 27 août 1958.

([2]) Article 5 de la Constitution.

([3]) Le vote blanc : abstention civique ou expression politique ?, Revue française de science politique, n° 2001/1‑2, volume 51, Adélaïde Zulfikarpasic, février – avril 2001, pp. 247-268.

([4]) Dans sa rédaction modifiée par la loi n° 2014-172 du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections ; avant cette loi, une enveloppe vide était qualifiée par la jurisprudence de bulletin nul (voir par exemple la décision CE, 24 octobre 2008, Élection municipale de Chambon-sur-Cissé, n° 317548).

([5]) Le vote blanc lors de l’élection présidentielle de 2017, Opinionway, 8 mai 2017. 

([6]) Allocution télévisée de Charles de Gaulle, 20 septembre 1962.

([7]) « Que changerait la reconnaissance du vote blanc ? », Le Monde, Anne-Aël Durand, 15 juin 2018.

([8]) Adresse du Président de la République Emmanuel Macron à la Nation, 10 décembre 2018.

([9]) Sondage « Les Français et le vote blanc », IFOP pour Synopia, 28 mars 2017.

([10]) Avis du Conseil d’État sur la manière de compter les votes pour établir la majorité absolue dans un collège électoral, séance du 16 décembre 1806, publié dans les bulletins n° 2178 des lois du 1er semestre 1807,  extrait des Minutes de la secrétairerie d’État du 25 janvier 1807.

([11]) Article 30 du décret du 2 février 1852.

([12]) Article 9 de la loi du 29 juillet 1913 ayant pour objet d’assurer le secret et la liberté du vote ainsi que la sincérité des opérations électorales, modifiant les articles 14 et 27 de la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale.

([13]) Le vote blanc : le nombre et le sens, Note de veille n° 52, Centre d’analyse stratégique, 2 avril 2007.  

([14]) Loi n° 2014-172 du 21 février 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections.

([15]) Rapport n° 400 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections, F. Sauvadet, XIVème législature, 14 novembre 2012.

([16]) Loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle, article 12.  

([17]) Voter blanc : avancée démocratique ou non-sens électoral ? Recueil Dalloz, P. Blachèr et B. Daugeron, 2014, p. 673.

([18]) Dès l’examen en première lecture par l’Assemblée nationale.

([19]) Le vote blanc : abstention civique ou expression politique ?, Revue française de science politique, n° 2001/1‑2, volume 51, Adélaïde Zulfikarpasic, février – avril 2001, pp. 247-268.

([20]) Le vote blanc : le nombre et le sens, La note de veille n° 52, Centre d’analyse stratégique, 2 avril 2007.  

([21]) « Présidentielle 2017 : ‘L’explosion du vote blanc ou nul est spectaculaire’ », Le Monde, Frédéric Lemaître, 9 mai 2017.

([22]) Le rôle du Conseil constitutionnel dans le contrôle des élections présidentielles et des opérations de référendum, Discours de Renaud Denoix de Saint Marc, avril 2013.

([23]) Huitième alinéa.

([24]) Cette proportion du vote blanc dans la catégorie des votes blancs et nuls est celle constatée lors du second tour de l’élection présidentielle de 2017.

([25]) Sondage « Les Français et le vote blanc », IFOP pour Synopia, 28 mars 2017.