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N° 4042

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er avril 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie,

 

 

 

Par M. Olivier FALORNI,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  288.

 


 

 

 

 


— 1 —

SOMMAIRE

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Pages

aVANT-propos

introduction

I. mettons un terme À l’hypocrisie sur la fin de vie en France !

A. le choix du « Laisser mourir » : une réponse insatisfaISante

1. Le bilan mitigé des dernières évolutions législatives

a. Les lois sur la fin de vie

b. Un bilan mitigé

2. Un cadre juridique qui demeure insatisfaisant

B. Face À La PERSISTANCE DU « MAL MOURIR », Un statu quo INTENABLE

1. Des appels de détresse toujours plus nombreux

2. L’exil pour mourir et les euthanasies clandestines, symptômes de l’hypocrisie française

II. DONNONS ET GARANTISSONS LE DROIT À UNE FIN DE VIE LIBRE ET CHOISIE

A. uN CONTEXTE propice À une avancÉe historique

1. Une population française très majoritairement favorable depuis plusieurs années

2. Une liberté de choisir sa fin de vie de plus en plus répandue à l’étranger

a. Le Benelux et la Suisse : des pays précurseurs ()

b. L’Espagne et le Portugal : des évolutions en cours

c. Italie, Allemagne, Irlande : des changements à venir

B. un dispositif permettant un accÈs encadrÉ À UNE assistance mÉdicalisÉe ACTIVE À mourir

commentaire des articles

Article 1er Conditions pour l’accès à l’assistance médicalisée active à mourir, définition de cette assistance et clause de conscience

Article 2 Conditions d’accès, mise en œuvre et contrôle de l’assistance médicalisée active à mourir

Article 3 Accès à l’assistance médicalisée active à mourir pour les personnes devenues incapables d’exprimer leur demande

Article 4 Création d’une commission nationale de contrôle et protection des garanties contractuelles des ayants droit de la personne décédée

Article 5 Instauration d’une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir

Article 5 bis (nouveau) Réaffirmer la nécessité de rendre les soins palliatifs accessibles sur l’ensemble du territoire

Article 5 ter (nouveau) Hiérarchisation des témoignages relatifs à la volonté d’une personne inconsciente en cas de consultation de ses proches par un médecin

Article 5 quater (nouveau) Demande d’un rapport évaluant l’application de la loi et les mesures de développement des soins palliatifs

Article 6 Gage financier

EXAMEN EN COMMISSION

I. Discussion générale

II. Examen des articles

ANNEXE 1 : CARTE - LA FIN DE VIE EN EUROPE

ANNEXE 2 : L’aide active À mourir hors d’europe

ANNEXE 3 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

annexe 4 : liste des textes susceptibles d’ÊTRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

 

 


— 1 —

   aVANT-propos

 

              « J’aime trop la vie pour me laisser mourir. »

Anne Bert, Le tout dernier été (2017)

 

 

Le 4 mars dernier, Paulette Guinchard, secrétaire d’État aux personnes âgées de 2001 à 2002, a décidé de mettre fin à ses jours à l’âge de 71 ans en recourant au suicide assisté en Suisse. Atteinte d’une maladie neurodégénérative, sa pathologie l’a conduite à prendre une décision qu’elle n’aurait sans doute pas imaginée quelques années plus tôt. En avril 2005, elle signait une tribune dans Le Monde pour défendre le choix de la France d’écarter la légalisation de l’euthanasie, à la différence des Pays-Bas ou de la Belgique ([1]).

Cette décision a sans aucun doute été le fruit d’une longue réflexion personnelle sur le sens de la vie. Pourquoi vouloir rester jusqu’au bout quand vous savez que vous êtes condamné à court terme, que vos souffrances, physiques ou psychiques, seront, malgré les progrès de la médecine et le dévouement des soignants, réfractaires à tout traitement thérapeutique ? Pourquoi endurer une cruelle agonie quand la mort peut vous délivrer d’une vie qui n’est devenue qu’une survie douloureuse et sans espoir de guérison ?

Ces questions existentielles, universelles, nous sommes tous amenés à nous les poser un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches. La crise sanitaire que nous traversons malheureusement depuis plus d’un an a encore accentué cette réflexion profonde chez une grande partie de nos concitoyens. En quoi ne serait-il pas opportun pour les responsables politiques de s’interroger maintenant sur les conditions et les modalités de la fin de vie des Français ? Bien au contraire, c’est plus que jamais nécessaire.

Depuis une vingtaine d’années, des évolutions législatives ont eu lieu, comme l’interdiction de l’acharnement thérapeutique en 2005 avec la loi Leonetti ou la possibilité de recourir, sous certaines conditions, à la sédation profonde et continue jusqu’au décès depuis la loi Claeys-Leonetti de 2016.

Le bilan de ces lois dévoile aujourd’hui toutes ses failles et ses insuffisances. On peut évidemment saluer certaines avancées : les directives anticipées sont mieux prises en compte tandis que la place de l’entourage et en particulier de la personne de confiance que peut désigner le patient a été revalorisée, bien que ce soit toujours l’équipe médicale qui ait le dernier mot. Le cadre juridique, complexe, fait toutefois l’objet d’interprétations divergentes et de difficultés d’application. Les moyens alloués, financiers et humains, n’ont par ailleurs jamais été à la hauteur de l’ambition affichée : seuls 20 à 25 % des mourants ont accès à des soins palliatifs ! Un quart des départements ne compte aucune unité de soins palliatifs ! On ne peut donc être que dans l’expectative à l’annonce d’un énième plan national pour le développement de soins palliatifs.

Le contraste avec la Belgique qui, en 2002, a adopté simultanément trois lois pour garantir les droits des patients, pour développer – avec succès – les soins palliatifs et pour légaliser l’euthanasie, est particulièrement saisissant. Car, contrairement à la France, la Belgique n’a pas fait le choix d’opposer les soins palliatifs et l’aide active à mourir pour accompagner les patients atteints d’une pathologie grave et incurable. Le législateur belge les a conçus comme deux solutions complémentaires : d’un côté, des moyens pour soulager les patients qui souhaitent laisser arriver la mort et, de l’autre côté, une solution permettant aux patients qui le demandent de déclencher l’arrivée de leur propre mort. La Belgique a choisi de placer le patient au centre du débat public, à rebours d’une vision purement médicale, religieuse voire moralisatrice des questions de fin de vie.

La Belgique, qui accueille chaque année plusieurs dizaines de nos ressortissants pour qu’ils terminent leurs jours, affirme clairement qu’elle ne pourra plus faire face à la montée des demandes venues de notre pays. Les Français, du moins ceux qui en ont les moyens, ne souhaitent plus devoir s’exiler chez nos voisins européens, que ce soit en Belgique, en Suisse, au Luxembourg et dorénavant en Espagne : le départ à l’étranger est vécu comme une souffrance supplémentaire qui pourrait être évitée. Ils ne souhaitent pas passer par des « euthanasies clandestines », symptômes de l’hypocrisie de la situation française.

Les résultats d’enquêtes d’opinion montrent avec constance et de manière très claire que l’immense majorité des Français (96 % en 2019), toutes sensibilités politiques, catégories d’âge ou socio-professionnelles confondues, sont favorables à la légalisation de l’euthanasie. Ce mot, qui pouvait faire peur auparavant, malgré son étymologie méliorative ([2]), n’est plus tabou.

Aussi cette proposition de loi entend-elle répondre aux appels de détresse poussés par un nombre croissant de nos concitoyens qui, comme Vincent Humbert au début des années 2000, réclament le « droit de mourir ». Ce droit, c’est le droit à notre ultime liberté. C’est le sens du combat qu’a mené l’écrivaine Anne Bert, atteinte de la maladie de Charcot, qui a participé à l’écriture de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, déposée symboliquement le 2 octobre 2017, jour de son décès en Belgique.

Plus de trois ans après, l’Assemblée nationale s’apprête à examiner ce texte dans le cadre de la journée réservée aux textes inscrits à l’ordre du jour par le groupe Libertés et Territoires. Néanmoins, il n’est pas l’apanage d’un groupe politique. Il rejoint d’autres propositions de loi similaires issues de tous les bancs : Jean-Louis Touraine (La République en Marche), Caroline Fiat (La France insoumise), Marine Brenier (Les Républicains) ou encore Marie-Pierre de la Gontrie (groupe Socialiste, Écologiste et Républicain) au Sénat, pour ne citer qu’eux, portent cette cause avec tout autant de conviction et de détermination ([3]).

Ce texte fait également écho aux nombreux travaux, cités dans ce rapport, qui ont été menés au cours de ces dernières années pour évaluer la législation actuelle par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE), par le Conseil économique, social et environnemental (CESE), par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) ou encore par l’Assemblée nationale dans le cadre du groupe d’études sur la fin de vie. Au regard de ces éléments, de l’attente très forte des Français et des évolutions qui sont actuellement à l’œuvre de l’autre côté de nos frontières, l’heure n’est plus à la procrastination, mais bien à l’action.

 

 


 

 

 

 

 

    

 


— 1 —

   introduction

Le débat sur la fin de vie n’est pas nouveau. Depuis une vingtaine d’années, la France a adopté plusieurs lois pour accompagner la fin de vie au gré d’affaires médiatisées et des appels pour « le droit de mourir dans la dignité ». Contrairement à plusieurs de ses voisins européens, de plus en plus nombreux, elle continue d’interdire la possibilité pour le corps médical de proposer des solutions qui auraient pour effet principal de déclencher une arrivée rapide de la mort, alors même que celle-ci pourrait constituer une délivrance pour des patients destinés à mourir dans de grandes souffrances. La présente proposition de loi entend répondre à ces situations qui s’avèrent loin d’être exceptionnelles.

I.   mettons un terme À l’hypocrisie sur la fin de vie en France !

En faisant le choix du « laisser mourir », la France n’a pas réussi à apporter une réponse satisfaisante. Le statu quo apparaît aujourd’hui de plus en plus intenable au regard de la situation des personnes connaissant une fin de vie très difficile, dont une partie croissante est amenée à quitter le pays pour pouvoir accéder à une assistance médicalisée active à mourir.

A.   le choix du « Laisser mourir » : une réponse insatisfaISante

1.   Le bilan mitigé des dernières évolutions législatives

Plusieurs lois ont été adoptées depuis deux décennies pour accompagner la fin de vie, dont le bilan s’avère mitigé.

a.   Les lois sur la fin de vie

● La loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs a consacré le droit de toute personne dont l’état de santé le requiert, d’accéder à des soins palliatifs, alors que la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », a reconnu le droit, pour une personne malade, de prendre, avec un professionnel de santé, les décisions concernant sa propre santé et son droit de refuser un traitement.

● Mais c’est surtout la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », qui a marqué une évolution notable. Cette loi interdit « l’obstination déraisonnable » dans la délivrance des soins aux personnes en fin de vie en vue d’éviter tout acharnement thérapeutique ([4]). Le traitement peut être arrêté ou limité dans trois hypothèses non cumulables :

– Le traitement est inutile : aucun bénéfice n’est apporté au patient ;

– Le traitement est disproportionné : il retarde seulement la survenue du décès mais avec de telles complications ou nocivité dues aux effets secondaires que les conditions sont peu compatibles avec le confort et le respect de la dignité du patient ;

– Le traitement n’a pas d’autre effet que le maintien artificiel de la vie dans sa dimension purement biologique (nutrition et hydratation artificielles, ventilation assistée, dialyse…).

Cette loi a autorisé l’administration de traitements antidouleurs aux patients atteints d’une maladie grave et incurable à un stade avancé ou terminal avec leur accord, des soins palliatifs tendant à soulager la douleur et ayant pour effet secondaire d’abréger la vie ([5]). Elle a également reconnu le droit de toute personne en fin de vie de décider d’arrêter ou de limiter ses traitements. Si cette personne est inconsciente, une procédure collégiale est instituée : après consultation de la personne de confiance choisie par le patient, dont l’avis prévaut sur tout autre avis non médical, l’équipe médicale prend une décision d’arrêt ou de limitation des soins. La loi renforce enfin la prise en compte des directives anticipées formulées par le patient.

● La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti », a posé le principe suivant lequel « toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » ([6]).

Afin d’éviter toute souffrance et de ne pas imposer au patient une obstination déraisonnable des soins, elle reconnaît le droit à « une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie » ([7]). Le recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès (SPCJD) est possible à la demande d’un patient « atteint d’une affection grave et incurable » dans deux hypothèses :

– le patient « dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements » ;

– l’arrêt du traitement à la demande du patient « engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable ».

Le caractère grave et incurable de la maladie, l’imminence du décès et la persistance de souffrances sont donc nécessaires pour pouvoir procéder à une SPCJD. Par ailleurs, si le patient ne peut pas exprimer sa volonté, la mise en œuvre de la SPCJD est conditionnée à la décision du médecin de cesser tout traitement au titre du refus de l’obstination déraisonnable.

La SPCJD est mise en œuvre selon une procédure collégiale et peut intervenir, à la demande du patient, à son domicile, dans un établissement de santé ou dans un établissement médico-social accueillant des personnes âgées.

L’opposabilité aux médecins des directives anticipées du patient est renforcée. La non-application de celles-ci par le médecin ne peut intervenir qu’à l’issue d’une procédure collégiale et si elles apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient ([8]). Le statut de la personne de confiance, qui rend compte de la volonté du patient, a aussi été conforté. En l’absence de directives anticipées, le médecin a l’obligation de recueillir le témoignage de la personne de confiance ou, à défaut, de la famille ou des proches ([9]).

b.   Un bilan mitigé

Le cadre législatif actuel semble répondre à la plupart des situations de fin de vie en France. C’est le constat dressé par l’Inspection générale des affaires sanitaires (IGAS) dans un rapport publié en 2018, qui note que « la loi offre une réponse adaptée à la prise en charge de l’immense majorité des parcours de fin de vie et [que] son appropriation progresse sur le terrain » ([10]). C’est aussi celui du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui souligne, dans sa contribution à la révision des lois de bioéthique, que les dispositions « permettent de répondre à la très grande majorité des situations complexes de fin de vie » ([11]).

● Néanmoins, il est difficile voire impossible de dresser un bilan exhaustif des lois sur la fin de vie ou d’avoir une vision consolidée sur la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Alors que l’article 14 de la loi Claeys-Leonetti prévoit que le Gouvernement remet chaque année au Parlement, au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, un rapport évaluant les conditions d’application de cette loi ainsi que la politique de développement des soins palliatifs dans les établissements de santé et les établissements médico-sociaux, force est de constater que l’Assemblée nationale n’en a reçu aucun, cinq ans après la promulgation de la loi ([12]).

De plus, les informations quantitatives relatives à la pratique des SPCJD demeurent aujourd’hui parcellaires. Il n’existe aucun système de traçabilité de ces sédations, ces actes médicaux n’étant pas spécifiquement codés dans le cadre du programme de médicalisation des systèmes d’information ([13]). Une étude de 2019 estime néanmoins la prévalence de la SPCJD à 0,5 % au sein des pratiques palliatives sédatives ([14]).

● Enfin, les lois en vigueur ne semblent pas suffisamment connues des praticiens et sont insuffisamment appliquées. Selon l’avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2018, le faible niveau d’information des praticiens conduit à des lacunes dans l’application des lois sur la fin de vie ([15]). L’IGAS signale le manque de rigueur dans la mise en œuvre des dispositions législatives et la diversité des situations sur le terrain ([16]). Par exemple, les situations d’obstination déraisonnable des soins sont difficiles à qualifier et ne font pas consensus entre les professionnels, les patients et leur entourage.

Qui plus est, les citoyens ne se sont pas encore entièrement approprié les lois Leonetti et Claeys-Leonetti, selon un sondage réalisé début 2021 ([17]). Certes, la majorité des Français (59 %) déclare connaître les dispositifs liés à la fin de vie. Mais seules 10 % des personnes interrogées ont rédigé des directives anticipées tandis que plus de la moitié ne souhaitent pas en rédiger. En revanche, le dispositif de la personne de confiance et les discussions avec les proches sont davantage plébiscités.

2.   Un cadre juridique qui demeure insatisfaisant

Si la France s’est progressivement dotée d’un dispositif légal pour accompagner la fin de vie et limiter autant que possible les souffrances des patients, le droit actuel souffre de plusieurs lacunes.

Tout d’abord, il soulève un certain nombre de difficultés d’application. En 2018, le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a mis en lumière les ambiguïtés de la loi, qui fait l’objet d’une interprétation hétérogène par les équipes médicales ([18]). Les patients n’utilisant pas ce vocabulaire juridique et médical, les soignants peinent à comprendre leur volonté et à la traduire en acte médical. Le CNSPFV a identifié différentes sources de divergence dans l’interprétation du cadre légal, selon que l’on se place du point de vue du patient, de ses proches ou des soignants ([19]).

Par ailleurs, la technique de la sédation profonde et continue jusqu’au décès soulève des difficultés intrinsèques. D’une part, la souffrance existentielle du patient est souvent mal appréhendée car les médecins prennent seulement en compte une souffrance objective mesurable sur la base des symptômes cliniques. D’autre part, le principe même de la SPCJD est discutable dans la mesure où il s’agit d’arrêter la nutrition et l’hydratation du patient jusqu’à une défaillance mortelle des organes. La pratique est donc à l’origine d’une agonie prolongée et inutile du malade, parfois durant plusieurs semaines. Enfin, il n’est pas établi à ce jour que la SPCJD permette d’éviter toute souffrance au patient.

Les soins palliatifs en France : un sous-développement structurel

Lors de l’examen au Sénat de la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité de Marie-Pierre de la Gontrie et de plusieurs de ses collègues, le ministre des Solidarités et de la santé a annoncé le 11 mars dernier le lancement d’un cinquième plan national de développement des soins palliatifs. À la différence de la Belgique, qui a su développer un système de soins palliatifs performant en même temps qu’elle légalisait l’euthanasie, la France enchaîne depuis 1999 les plans nationaux sans succès, faute de moyens financiers et humains.

Les soins palliatifs sont très inégalement répartis sur le territoire. On compte ainsi 26 départements sans aucune unité de soins palliatifs et trois départements disposant de moins d’un lit d’unité de soins palliatifs pour 100 000 habitants ([20]). Les territoires ruraux sont particulièrement délaissés alors que la région parisienne concentre 48 % des lits de soins palliatifs. On estime ainsi que seules 20 à 25 % des personnes éligibles ont accès aux soins palliatifs.

La prise en charge palliative en ville est particulièrement en retard. Alors que celle-ci concernera de plus en plus de patients en raison du vieillissement de la population et de l’augmentation de la prévalence des polypathologies, les enjeux de cette prise en charge complexe sont encore mal appréhendés. Malgré la publication de recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) en février 2020, la médecine de ville peine à s’approvisionner en molécules indispensables à la sédation palliative. Le Gouvernement a annoncé vouloir faciliter la mise à disposition du midazolam, utilisé pour la SPCJD, d’ici la fin de l’année 2021 pour développer la prise en charge en dehors de l’hôpital.


B.   Face À La PERSISTANCE DU « MAL MOURIR », Un statu quo INTENABLE

1.   Des appels de détresse toujours plus nombreux

En France, comme ailleurs, le débat sur la fin de vie est marqué par des affaires individuelles médiatisées qui rappellent à chaque fois la détresse dans laquelle se trouvent les personnes concernées et leurs proches. L’affaire Vincent Humbert au début des années 2000 demeure sans doute l’une des plus emblématiques de ces dernières décennies.

Depuis, d’autres affaires, tristement célèbres, ont alimenté le débat public. L’adoption de la loi Claeys-Leonetti en 2016 n’a pas mis fin à cette succession de tragédies. Vincent Lambert, Anne Bert, Alain Cocq ou Paulette Guinchard ont chacun démontré les limites de la législation actuelle. Malheureusement, ces situations sont loin d’être isolées.

De nombreux Français, atteints de maladies neurodégénératives graves, telles que la sclérose en plaques ([21]) ou la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Charcot) ([22]), ou d’un cancer généralisé ([23]), souhaiteraient pouvoir accéder à une aide active pour mourir afin d’abréger leurs souffrances. Selon l’Institut national d’études démographiques (INED), avant leur décès, 16 % des personnes ont exprimé le souhait d’accélérer leur mort à un moment ou à un autre et presque 2 % d’entre elles ont explicitement demandé une euthanasie ([24]).

Des affaires médiatisées qui relancent régulièrement le débat sur la fin de vie

 Vincent Humbert : jeune homme devenu tétraplégique, aveugle et muet après un accident de la route, Vincent Humbert fut au cœur de l’affaire la plus médiatisée du début des années 2000. Sans aucun espoir de rémission mais toujours lucide, il demanda au président de la République « le droit de mourir ». Sa mère et son médecin accédèrent finalement à sa demande afin d’abréger sa souffrance, trois ans après son accident. Ces derniers furent poursuivis en justice avant de bénéficier d’un non-lieu.

● Chantal Sébire : ancienne professeure des écoles, Chantal Sébire était atteinte d’un esthésioneuroblastome, qui a progressivement causé une perte de la vue, du goût et de l’odorat ainsi qu’une déformation de son visage. Cette tumeur évolutive et incurable était à l’origine de douleurs insupportables. Après avoir demandé le droit de mourir à la justice et au président de la République, Chantal Sébire mit fin à ses jours en 2008.

● Vincent Lambert : à la suite d’un accident de voiture en 2008, Vincent Lambert a été plongé dans un état pauci-relationnel sans amélioration possible et demeura dans l’incapacité de parler et de réagir. Le médecin prit la décision, en accord avec la compagne de Vincent Lambert, d’arrêter les soins afin d’éviter tout acharnement thérapeutique. Un long combat juridique s’engagea jusqu’au Conseil d’État et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme. L’arrêt des traitements et le décès de Vincent Lambert, au bout de plusieurs jours d’agonie, interviendront en juillet 2019.

● Anne Bert : atteinte de la « maladie de Charcot », l’écrivaine Anne Bert s’est engagée dans le débat sur la fin de vie, notamment en interpellant tous les candidats à l’élection présidentielle de 2017. Elle décida de partir en Belgique pour y être euthanasiée en octobre 2017.

● Alain Cocq : souffrant d’une maladie orpheline à l’origine d’un lourd handicap et de souffrances continues, Alain Cocq a médiatisé son combat pour une fin de vie choisie notamment en voulant se laisser mourir en direct sur les réseaux sociaux. Il a récemment annoncé son intention de recourir au suicide assisté en Suisse.

2.   L’exil pour mourir et les euthanasies clandestines, symptômes de l’hypocrisie française

En refusant de légaliser toute aide active à mourir, la France a jusqu’à présent fait preuve d’une grande hypocrisie. Face à l’absence de solutions institutionnelles, deux sortes de réponses ont vu le jour : l’exil pour mourir vers les pays frontaliers et la pratique d’euthanasies clandestines dans notre pays.

● De plus en plus de malades décident de se tourner vers la Belgique ou la Suisse pour mettre un terme à leur vie, comme en témoignent les exemples d’Anne Bert, partie en Belgique, ou de Paulette Guinchard, partie en Suisse. Ces départs à l’étranger constituent indéniablement un obstacle et une souffrance supplémentaires pour ces personnes et leur entourage.

Selon la commission fédérale belge de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, quarante-cinq patients résidant à l’étranger se sont rendus en 2018 et 2019 en Belgique « afin d’obtenir une réponse favorable à leur demande d’euthanasie » ([25]). D’après un article du Monde, quarante à cinquante euthanasies de patients français se seraient déroulées en Belgique en 2019 ([26]). Lors de son audition par le rapporteur, le docteur belge Yves de Locht a indiqué recevoir quotidiennement des patients français demandant une euthanasie. Toutefois, selon ce dernier, face à l’afflux de patients étrangers, de plus en plus de médecins et d’établissements belges refuseraient les demandes d’euthanasie de patients résidant à l’étranger.

● Afin d’abréger les souffrances des patients et de soulager leurs proches, il n’est pas rare que des médecins procèdent à des « euthanasies clandestines » pour mettre fin aux souffrances de leurs patients, parfois à l’insu de ces derniers et de leurs proches.

Selon l’avis du CESE de 2018, qui se réfère à l’étude précitée de l’INED, « l’euthanasie active serait pratiquée de façon relativement régulière en dépit de son interdiction par la loi » ([27]). La part des décès provoqués par l’administration d’un médicament létal est estimée à environ 0,8 %, soit entre 2 000 et 4 000 décès par an ([28]). Certains médecins semblent s’affranchir du consentement des patients : l’INED estime ainsi que seulement un tiers des euthanasies clandestines a été réalisé à la demande du patient. Pour reprendre les mots du CESE, il s’agit « d’une pratique totalement inacceptable ».

Loin de pousser les personnes atteintes d’affections graves et incurables à se résigner à la mort en l’anticipant à l’excès, les législations autorisant l’aide active à mourir peuvent leur apporter un surplus d’apaisement psychologique dans l’appréhension de leur fin de vie, sans pour autant les conduire à systématiquement « passer à l’acte » et tout en garantissant la traçabilité et le contrôle de ces situations.

● Enfin, il convient de rappeler que la France se distingue tristement des autres pays européens par un taux de suicide parmi les plus élevés chez les personnes âgées. En 2016, ce taux s’établissait ainsi à 73,4 pour 100 000 habitants pour les plus de 80 ans, soit un taux quasiment deux fois supérieur à celui de l’Allemagne (39,2) et cinq fois supérieur à celui du Royaume-Uni (15,4) ([29]).

II.   DONNONS ET GARANTISSONS LE DROIT À UNE FIN DE VIE LIBRE ET CHOISIE

Alors que des pays comme la Belgique ont décidé depuis vingt ans d’ouvrir l’accès à l’euthanasie tout en développant un système de soins palliatifs de qualité, la France n’a pas véritablement réussi à avancer sur ces deux questions. Avec la présente proposition de loi, il est proposé, comme l’Espagne et demain le Portugal, de faire un pas historique et de répondre à une attente très largement partagée par les Français.

A.   uN CONTEXTE propice À une avancÉe historique

1.   Une population française très majoritairement favorable depuis plusieurs années

● Les sondages démontrent avec constance que les Français sont très majoritairement favorables à la légalisation de l’euthanasie.

Le CESE rappelle ainsi que « les résultats des sondages montrent depuis plus de quinze ans que la grande majorité des Français est favorable à une évolution de la législation consistant à autoriser le médecin à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes qui en feraient la demande. Située entre 80 et 90 % jusque vers 2012, cette part représente depuis 2013 près de 95 % de la population avec plus de la moitié de celle-ci qui exprime un fort souhait en ce sens. Cette demande de légalisation concerne en 2017 aussi bien l’euthanasie (95 %) que le suicide assisté (90 %) et transcende les clivages partisans ou confessionnels : en 2012, 59 % des catholiques pratiquants et 91 % des catholiques non pratiquants y étaient favorables [selon les sondages IFOP de 2001 à 2017]. » ([30])

En effet, en 2013, 92 % des Français étaient favorables à l’ouverture du droit à l’euthanasie pour les personnes atteintes de maladies insupportables et incurables, contre 88 % en 2001 ([31]). En 2017, 89 % des Français se sont déclarés favorables à ce que la législation aille plus loin que la législation actuelle en matière de fin de vie. Derrière ce chiffre, on retrouve la majorité des catholiques pratiquants (72 %) et des musulmans (51 %) ainsi que 91 % des électeurs du Front national et 92 % des électeurs de la République en Marche ([32]).

Enfin, en 2019, 96 % des Français étaient favorables à la légalisation de l’euthanasie. L’analyse de ce sondage démontre un large consensus sur cette question, quels que soient l’âge, la catégorie socio-professionnelle ou la sensibilité politique des Français. On relève qu’il existe très peu de différences entre les sympathisants de La République en Marche (99 % d’opinions favorables), des Républicains (95 %), du Rassemblement national (98 %), du Parti socialiste (96 %) ou de la France insoumise (94 %) ([33]).

LES Français ET l’euthanasie

Question : « À propos de l’euthanasie, de laquelle des opinions suivantes vous sentez-vous le plus proche ? »

Source : Ipsos, La situation des libertés en France : sondage préparé pour la 28ème journée du Livre politique, mars 2019, p.23.

● Par ailleurs, même si les discours des représentants du corps médical sont généralement plus nuancés sur la question de la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté, la majorité des médecins semble y être favorable : 60 % des médecins interrogés se déclaraient favorables à « l’euthanasie active » en 2013 dans une étude conduite par IPSOS pour le Conseil national de l’ordre des médecins ([34]).

2.   Une liberté de choisir sa fin de vie de plus en plus répandue à l’étranger

Les pays ayant légalisé l’aide active à mourir se multiplient en Europe et dans le monde entier :

– Certains pays autorisent l’euthanasie : la Belgique (2002), la Colombie (2015) ;

– D’autres, plus nombreux, ont fait le choix de légaliser le suicide assisté et l’euthanasie : les Pays-Bas (2001), le Luxembourg (2009), le Canada (2016), l’Australie (État de Victoria en 2017, État de l’Australie Occidentale en 2019, État de la Tasmanie en 2021), la Nouvelle-Zélande (2020) et l’Espagne (2021) ;

– Des États autorisent le suicide assisté : la Suisse et plusieurs États américains :  Oregon (1997), Washington (2008), Montana (2008), Vermont (2013), Californie (2015), Colorado (2016), District de Columbia (2016), Hawaï (2018), New Jersey (2019), Maine (2019).

Si la forme et les modalités ne sont pas identiques, cette évolution s’inscrit dans la volonté de respecter l’autonomie de la personne et son souhait de mourir dans les meilleures conditions.

Un changement majeur est même fortement engagé dans des pays ayant une forte tradition catholique, comme le Portugal, l’Italie et l’Irlande. La France pourrait à court terme être entourée de pays ayant légalisé une ou plusieurs formes d’aide active à mourir, conduisant une partie de nos compatriotes, dont l’état de santé le nécessite, à partir à l’étranger pour en bénéficier.

a.   Le Benelux et la Suisse : des pays précurseurs ([35]) 

● Depuis plusieurs années, les pays du Benelux ont mis en place des dispositifs similaires pour permettre l’aide active à mourir : euthanasie et suicide assisté aux Pays-Bas (depuis 2001) et au Luxembourg (depuis 2009), euthanasie en Belgique (depuis 2002).

Dans ces pays, l’accès à l’aide active à mourir est conditionné à l’existence de souffrances physiques ou psychiques insupportables et d’une situation médicale sans issue.

Alors que le Luxembourg limite aux personnes majeures l’accès à l’aide active à mourir, les mineurs dotés de discernement peuvent eux aussi demander une euthanasie aux Pays-Bas (mineurs de plus de 12 ans) et, depuis 2014, en Belgique, l’accord des parents étant requis. Les demandes émanant de la part de personnes mineures restent, fort heureusement, exceptionnelles (quatre cas en sept ans en Belgique).

Les procédures en vigueur dans ces pays prévoient l’information complète du patient et la concertation avec le médecin qui le suit, au travers de plusieurs entretiens pour s’assurer que le patient remplit les conditions médicales et que sa volonté est bien réelle. Un second médecin doit être consulté pour s’assurer que le patient remplit les conditions légales, parmi lesquelles le fait que l’affection ait un caractère grave et incurable. L’ensemble des demandes et des démarches doit être consigné dans le dossier médical du patient. Sauf si le patient s’y oppose, le médecin traitant s’entretient également avec l’équipe médicale en contact régulier avec le patient et avec la personne de confiance qui a été désignée.

En ce qui concerne les personnes hors d’état d’exprimer leur volonté, les législations de ces pays considèrent que la demande de la personne est valable si elle résulte de directives anticipées rédigées par le patient lorsqu’il était encore conscient. Des conditions médicales et procédurales particulières s’appliquent alors.

La pratique de l’aide active à mourir fait aussi l’objet d’un contrôle a posteriori par une commission de contrôle et d’évaluation ([36]). Le médecin qui pratique l’aide active à mourir doit compléter et adresser à cette commission un document devant permettre de s’assurer que les exigences légales ont bien été respectées. Ces commissions, qui sont composées notamment de juristes et de médecins, sont en outre chargées d’établir des rapports statistiques et d’évaluation de la loi.

Enfin, une clause de conscience spécifique permet aux médecins de refuser de concourir à la mise en œuvre d’une aide active à mourir.

● La Suisse incarne un modèle différent. En effet, en application des dispositions du code pénal, l’euthanasie et l’assistance au suicide dans un mobile égoïste sont interdites depuis 1937. Par une lecture en creux, l’assistance au suicide dans un mobile altruiste est autorisée. Elle est prise en charge par des associations selon des modalités propres à chaque canton.

b.   L’Espagne et le Portugal : des évolutions en cours

Ces deux pays à forte tradition catholique sont en train d’ouvrir l’aide active à mourir aux personnes en fin de vie, selon des conditions et des procédures souvent proches de celles existantes dans les pays du Benelux.

● L’Espagne a définitivement approuvé le 18 mars dernier une proposition de loi autorisant l’euthanasie et le suicide assisté. Leur accès sera réservé aux personnes majeures, capables et conscientes ressentant une souffrance grave, chronique et incapacitante ou une maladie grave et incurable, certifiée par un médecin. Celles-ci devront formuler deux demandes volontaires consécutives par écrit à quinze jours d’intervalle. Les volontés anticipées seront consignées dans un document à valeur légale et pourront désigner un représentant, si la personne n’est pas physiquement capable de formuler le désir d’abréger sa vie.

Une commission réalisera un contrôle préalable de tous les dossiers transmis par le médecin principal – contrôle réalisé par un médecin et un juriste – et traitera les recours si l’avis du second médecin consulté est négatif. Toute décision défavorable pourra faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative. Les médecins espagnols bénéficieront aussi d’une clause de conscience.

● Le Portugal a adopté à une large majorité le 29 janvier 2021 une loi dépénalisant pour les personnes majeures l’aide active à mourir, définie comme « l’anticipation de la mort médicalement assistée », pratiquée ou aidée par un professionnel de santé. Même si cette loi a été annulée par le Tribunal constitutionnel le 15 mars 2021, les juges ont explicitement considéré que « le droit de vivre [reconnu dans la Constitution] ne peut pas se transformer en un devoir de vivre dans n’importe quelle circonstance ». Le Parlement a désormais la possibilité d’amender le texte pour mieux encadrer la pratique ou de se dessaisir de celui-ci. Le texte prévoit comme en Espagne un contrôle a priori des demandes, validées préalablement par au moins deux médecins et par une commission de vérification et de validation de la procédure clinique.

c. Italie, Allemagne, Irlande : des changements à venir

En Italie, la Cour constitutionnelle a rendu une décision historique le 25 septembre 2019 en dépénalisant l’aide au suicide. Dans l’attente d’une loi, les juges ont instauré un régime juridique pour éviter les abus contre les personnes vulnérables et ont mis en place une procédure de contrôle. De même, en Allemagne, le tribunal constitutionnel fédéral a considéré, dans une décision du 9 juillet 2019, que le droit à l’auto-détermination du patient prime sur le devoir du médecin de lui apporter assistance.

Par ailleurs, en Irlande, l’assemblée a adopté le 7 octobre 2020 un projet de loi légalisant le suicide assisté (le processus législatif est toujours en cours). Pourraient en bénéficier les patients majeurs, juridiquement capables, qui en feraient explicitement la demande. Le patient devra alors être en phase terminale d’une maladie incurable, progressive, ne pouvant être inversée par un traitement et qui conduira probablement au décès du patient.

Ce panorama international souligne à quel point les mentalités évoluent et comment les législateurs ou les juges nationaux sont amenés à construire des dispositifs respectueux de la liberté de choisir sa mort tout en érigeant des garde-fous indispensables, afin de prévenir des dérives pouvant résulter de toutes formes de pression sociale ou économique.

Les données statistiques disponibles sur le recours à l’euthanasie ou au suicide assisté doivent enfin être rappelées pour sortir des fantasmes. Ainsi, en Belgique, la part des décès dus à une euthanasie (2 % de l’ensemble des décès) est restée stable au cours de ces dernières années ([37]). Cette proportion est similaire aux Pays-Bas (3,5 %) ([38]). Ces chiffres montrent parfaitement qu’une légalisation de l’aide active à mourir n’entraine absolument pas de « prolifération » des actes d’euthanasie et de suicide assisté.

B.   un dispositif permettant un accÈs encadrÉ À UNE assistance mÉdicalisÉe ACTIVE À mourir

Afin d’éviter à une personne de subir une longue et pénible agonie en cas d’affection en phase avancée ou terminale, la présente proposition de loi vise à ouvrir le droit d’accéder à une assistance médicalisée active à mourir. Cette notion renvoie à la possibilité pour un médecin de prescrire à une personne, qui en ferait librement et expressément la demande, un produit létal et de l’assister dans l’administration de ce produit.

L’article premier reconnaît le droit à une assistance médicalisée active à mourir à toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne pourrait être apaisée ou qu’elle jugerait insupportable.

L’article 2 définit les conditions dans lesquelles l’assistance médicalisée active à mourir peut être demandée par une personne malade. Il prévoit une instruction des demandes par un collège de médecins, ces derniers devant s’assurer du respect de plusieurs critères. L’article précise les modalités de mise en œuvre de cette assistance médicalisée. Celle-ci doit faire l’objet d’un contrôle a posteriori par une commission nationale de contrôle des pratiques relatives à l’assistance médicalisée active à mourir.

L’article 3 ouvre le recours à l’assistance médicalisée précitée à toute personne qui se trouve définitivement dans l’incapacité d’exprimer sa demande. Cette demande pourra être adressée au médecin par la personne de confiance sous réserve qu’elle ait été expressément formulée dans les directives anticipées de la personne malade.

L’article 4 prévoit l’instauration d’une commission nationale chargée de contrôler a posteriori le respect des conditions d’accès à l’assistance médicalisée active à mourir. Il contient également une disposition tendant à préserver les garanties dont pourraient bénéficier les ayants droit de la personne décédée, au titre de contrats de prévoyance ou d’assurance décès notamment, en assimilant à une mort naturelle un décès résultant d’une assistance médicalisée active à mourir.

L’article 5 instaure une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir. Elle renforce les garanties apportées aux professionnels de santé qui ne souhaiteraient pas concourir à cet acte. Le patient devra alors être orienté vers un autre praticien susceptible d’accepter sa demande.


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   commentaire des articles

Article 1er
Conditions pour l’accès à l’assistance médicalisée active à mourir, définition de cette assistance et clause de conscience

Adopté par la commission avec modifications

Cet article reconnaît le droit à une assistance médicalisée active à mourir à toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne pourrait être apaisée ou qu’elle jugerait insupportable. En commission, cet article a été complété afin d’y définir cette assistance médicalisée et insérer la clause de conscience figurant initialement à l’article 5.

Cet article précise les conditions à remplir pour avoir accès à cette assistance médicalisée en vue d’entraîner, par une aide active, une mort rapide et sans douleur.

Il complète l’article L. 1110-9 du code de la santé publique qui prévoit actuellement que « toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ».

Pourrait accéder à une telle assistance toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne pourrait être apaisée ou qu’elle jugerait insupportable. Plusieurs éléments tenant au statut de la personne et à son état de santé conditionnent la possibilité d’accès à cette assistance médicalisée.

I.   Le statut de la personne

La personne doit être « capable », c’est-à-dire jouir de la capacité au sens du code civil, et être majeure, donc avoir au moins dix-huit ans. Par conséquent, les mineurs, y compris les mineurs émancipés, sont exclus du dispositif, à la différence des législations belge et néerlandaise.

Les modalités d’accès à l’assistance médicalisée active à mourir des majeurs protégés, faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, ne sont pas précisées. Toutefois, il est possible de considérer que ceux-ci pourront y accéder à condition que leur état le leur permette, dès lors qu’ils peuvent aujourd’hui accéder à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Dans sa recommandation relative à la mise en œuvre de la SPCJD ([39]), la Haute Autorité de santé (HAS) rappelle qu’« une personne majeure protégée prend elle-même les décisions touchant à sa personne, dans la mesure où son état le permet », conformément à l’article 459 du code civil.

II.   L’État de santÉ de la personne

 La personne doit être « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », quelle qu’en soit la cause (pathologique, accidentelle...). Doit s’ajouter une souffrance, soit physique soit psychique, qui ne pourrait être apaisée ou que le patient jugerait insupportable.

Par conséquent, l’accès à l’assistance médicalisée active à mourir est strictement encadré. Celle-ci est destinée à abréger les souffrances de personnes en fin de vie confrontées à une situation d’impasse thérapeutique.

En Belgique, les personnes demandant à être euthanasiées sont très souvent atteintes d’un cancer (63 % des cas en 2019) et dans une moindre mesure de polypathologies (17 %) ou d’une maladie du système nerveux (9 %).

III.   les modifications apportÉes par la commission

La commission des affaires sociales a adopté plusieurs amendements rédactionnels du rapporteur ainsi que deux séries d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean-Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise) – pour le premier amendement uniquement –, Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues. Ces amendements consistent à :

– définir l’assistance médicalisée active à mourir, comme « la prescription à une personne par un médecin, à la demande expresse de celle-ci, d’un produit létal et l’assistance à l’administration de ce produit par un médecin » ;

– insérer à l’article 1er la clause de conscience spécifique à cette assistance médicalisée, applicable aux professionnels de santé. Cette clause de conscience figurait initialement à l’article 5 de la présente proposition de loi.

 

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Article 2
Conditions d’accès, mise en œuvre et contrôle de l’assistance médicalisée active à mourir

Adopté par la commission avec modifications

Cet article définit les conditions dans lesquelles l’assistance médicalisée active à mourir peut être demandée par une personne malade. Il prévoit une instruction des demandes par un collège de médecins, ces derniers devant s’assurer du respect de plusieurs critères. L’article précise les modalités de mise en œuvre de cette assistance médicalisée. Celle-ci doit faire l’objet d’un contrôle a posteriori par une commission nationale dont les missions sont détaillées à l’article 4.

Le présent article insère un nouvel article L. 1111-10-1 dans le code de la santé publique afin de définir les conditions dans lesquelles pourra avoir lieu l’assistance médicalisée active à mourir.

I.   L’instruction de la demande

A.   La COLLÉGIALITÉ de la procÉdure

S’inspirant de la législation en vigueur à l’étranger, notamment en Belgique, le présent article prévoit que plusieurs médecins examinent chaque demande d’assistance médicalisée active à mourir.

Le médecin traitant ayant reçu la demande d’assistance médicalisée active à mourir devra saisir « sans délai deux autres praticiens » et pourra faire appel à « tout autre membre du corps médical susceptible d’apporter des informations complémentaires ». Un entretien avec le patient devra permettre de vérifier que sa demande est « libre, éclairée et réfléchie ».

Le patient doit également être informé sur les solutions palliatives adaptées à sa situation, dont il doit pouvoir bénéficier s’il le souhaite. Cette disposition rappelle que l’euthanasie ou le suicide assisté constituent une option possible en dernier recours.

À l’issue d’un délai maximal de quatre jours suivant l’entretien avec les médecins, ces derniers remettent au patient, en présence de sa personne de confiance, un rapport comportant leurs conclusions sur son état de santé.

La personne de confiance

Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Il peut s’agir d’un parent, d’un proche ou du médecin traitant. La personne de confiance rend compte de la volonté de la personne, son témoignage prévaut sur tout autre témoignage non médical. Sa désignation, qui doit être faite par écrit, est révisable et révocable à tout moment.

Si le patient le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions. Lorsqu’il est hospitalisé, le patient a la possibilité de désigner une personne de confiance pour la durée de l’hospitalisation.

Source : article L. 1111-6 du code de la santé publique.

B.   un accÈs conditionnÉ au respect de plusieurs critÈres

L’assistance médicalisée active à mourir doit être apportée au patient lorsque plusieurs critères sont réunis.

● Le premier type de critères est relatif à l’état de santé de la personne malade. Les conclusions du rapport doivent attester, « au regard des données acquises de la science », que la personne est atteinte d’une maladie incurable et de l’une des deux situations suivantes : soit sa souffrance physique ou psychique ne peut être apaisée, soit elle juge cette souffrance insupportable.

● Le deuxième type de critères porte sur les conditions de la demande, qui doit être à la fois :

– « libre » : la décision du patient doit être prise sans qu’aucune obligation ou contrainte ne pèse sur lui ;

– « éclairée » : le patient devra être pleinement informé sur son état de santé et son évolution possible ;

– « réfléchie » : les praticiens devront s’assurer que la décision du patient a fait l’objet d’une réflexion et qu’elle n’est pas prise sur un « coup de tête ».

● Enfin, le troisième critère consiste à ce que la personne réitère sa demande.

II.   UN acte mÉdical STRICTEMENT CONTRÔLÉ

A.   La mise en œuvre de l’acte mÉdical

L’article précise les conditions dans lesquelles l’acte d’assistance médicalisée active à mourir est effectué.

L’acte intervient « en présence et sous le contrôle du médecin traitant qui a reçu la demande et a accepté d’accompagner la personne malade dans sa démarche ou du médecin vers lequel elle a été orientée ». Il est prévu par défaut un délai minimal de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande par la personne malade avant que cet acte ne puisse être réalisé.

« Si la personne malade le demande, et avec l’accord du médecin qui apportera l’assistance, ce délai peut être abrégé » ; par conséquent, l’acte pourrait intervenir très rapidement après la confirmation de la demande. Le patient pourra néanmoins bien évidemment se rétracter jusqu’au dernier moment.

B.   UN contrÔle a posteriori

Sur le modèle du droit en vigueur dans les pays du Benelux, le présent article prévoit aussi un dispositif de contrôle a posteriori des actes d’assistance médicalisée active à mourir.

Ainsi, dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté l’assistance médicalisée active à mourir adresse à la commission nationale de contrôle, instaurée par l’article 4 de la présente proposition de loi, un rapport exposant les conditions du décès.

Ce rapport comporte en annexe les documents versés au dossier médical du patient, en particulier les conclusions médicales du collège de praticiens sur l’état de santé du patient et la confirmation des demandes de ce dernier pour obtenir l’assistance médicale active à mourir.

III.   les modifications apportÉes par la commission

La commission des affaires sociales a adopté plusieurs amendements rédactionnels du rapporteur ainsi que cinq séries d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean-Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues. Ces amendements précisent que :

– l’un des membres du collège de médecins chargé d’examiner la situation médicale de la personne malade est spécialiste de l’affection dont elle souffre ;

– la demande d’assistance médicalisée active à mourir formulée par la personne doit avoir un caractère explicite ;

– les médecins chargés d’évaluer la demande de la personne malade vérifient que celle-ci se trouve bien dans une impasse thérapeutique ;

– l’assistance médicalisée active à mourir peut être mise en œuvre au domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312‑1 du code de l’action sociale et des familles, c’est-à-dire un établissement accueillant des personnes âgées.

L’adoption d’une autre série d’amendements identiques des mêmes auteurs a permis de réécrire les sixième et septième alinéas, pour ramener le délai minimal pour la réalisation de l’acte médical à vingt-quatre heures après la confirmation de la demande et supprimer en conséquence la possibilité pour la personne d’abréger le délai. Cet amendement vise à simplifier le dispositif tout en conservant des garanties suffisantes.

 

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Article 3
Accès à l’assistance médicalisée active à mourir pour les personnes devenues incapables d’exprimer leur demande

Adopté par la commission avec modifications

Cet article ouvre le recours à l’assistance médicalisée active à mourir à toute personne qui se trouve définitivement dans l’incapacité d’exprimer sa demande. Cette demande pourra être adressée au médecin par la personne de confiance, sous réserve qu’elle ait été expressément formulée dans les directives anticipées de la personne malade.

I.   La demande d’ASSISTANCE MÉDICALISÉE active À MOURIR

A.   la recevabilitÉ de la demande

Le présent article introduit un nouvel article L. 1111-12-1 dans le code de la santé publique portant sur les demandes d’assistance médicalisée active à mourir pour le compte des personnes étant dans l’incapacité « définitive » d’exprimer une « demande libre et éclairée ».

Si cette personne est « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable », une telle assistance pourra être mise en œuvre sous réserve que la demande « figure expressément dans ses directives anticipées ». En Belgique, les euthanasies de personnes devenues inconscientes, réalisées à partir de déclarations anticipées, représentent 1 % de l’ensemble des euthanasies (27 cas sur 2 656 euthanasies en 2019).

B.   L’instruction de la demande

La demande du patient est adressée à son médecin traitant par sa personne de confiance. Le médecin traitant doit alors la transmettre au moins aux deux autres praticiens.

Ils doivent alors consulter « l’équipe médicale, les personnes qui assistent au quotidien la personne malade et tout autre membre du corps soignant susceptible de les éclairer ».

À l’issue d’un délai de huit jours, les médecins établissent un rapport déterminant si la personne malade remplit les conditions pour bénéficier d’une assistance médicalisée active à mourir. Les conditions à remplir sont celles mentionnées à l’article 2 : les conclusions du rapport doivent attester, « au regard des données acquises de la science », que la personne est atteinte d’une maladie incurable, que sa souffrance physique ou psychique ne peut être apaisée ou qu’elle la juge insupportable. On peut relever que le délai applicable dans ce cas de figure est deux fois supérieur au délai applicable lorsque la demande émane directement du patient (voir article 2).

Si ces conditions sont remplies, la personne de confiance doit confirmer le « caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade en présence de deux témoins n’ayant aucun intérêt matériel ou moral à son décès ».

Les directives anticipées

Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Celles-ci indiquent la volonté de la personne relative à sa fin de vie, plus précisément les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’actes médicaux. Ces directives sont révisables et révocables à tout moment et par tout moyen. Les directives anticipées s’imposent au médecin sauf en cas d’urgence vitale ou lorsqu’elles apparaissent « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

Les directives anticipées sont notamment conservées sur un registre national. La personne qui les a rédigées peut aussi les conserver, les confier à sa personne de confiance, à un membre de la famille ou à un proche. Elles peuvent être déposées dans le dossier médical partagé.

Une personne faisant l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne (tutelle, curatelle...) peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation d’un juge ou du conseil de famille le cas échéant. Elle ne peut être ni assistée ni représentée par la personne chargée de sa protection.

La possibilité de rédiger des directives anticipées est encore trop peu connue. Seuls 18 % des Français de plus de 50 ans ont rédigé leurs directives anticipées à ce jour. Par ailleurs, selon un sondage réalisé à la demande du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) en février 2021, plus de la moitié des Français ne souhaite pas rédiger de directives anticipées. Enfin, la conservation, la traçabilité et l’actualisation des directives anticipées sont complexes pour les professionnels de santé et complexifient la prise en compte des volontés anticipées du patient.

Sources : article L. 1111-11 du code de la santé publique, IGAS, CNSPFV.

II.   La mise en œuvre de l’acte mÉdical et son contrÔle

● L’assistance médicalisée active à mourir ne pourra être apportée qu’au terme d’un délai incompressible de deux jours à compter de la date de confirmation de la demande. Contrairement à l’article 2, cet article ne prévoit pas la possibilité de raccourcir ce délai. L’acte médical est alors réalisé dans les conditions mentionnées à l’article 2. Le rapport des médecins est ensuite versé au dossier médical du patient.

● Un contrôle de l’acte médical est prévu a posteriori, selon des modalités similaires à celles prévues à l’article 2. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’assistance médicalisée active à mourir adresse à la commission nationale de contrôle un rapport exposant les conditions dans lesquelles le décès est intervenu. Ce rapport comporte en annexe les documents versés au dossier médical du patient, en particulier le rapport des médecins et les directives anticipées de la personne.

III.   les modifications apportÉes par la commission

La commission des affaires sociales a adopté plusieurs amendements rédactionnels du rapporteur ainsi que quatre séries d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean-Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues. Ces amendements précisent que :

– la demande d’assistance médicalisée active à mourir formulée par la personne, avant qu’elle ne devienne hors d’état de l’exprimer, doit avoir un caractère explicite ;

– la personne de confiance peut témoigner de la volonté de la personne devenue inconsciente afin de permettre à cette dernière d’accéder, si elle le souhaitait, à une assistance médicalisée active à mourir ;

– le médecin traitant transmet la demande de la personne hors d’état d’exprimer sa volonté à deux autres praticiens au minimum, dont au moins un spécialiste de l’affection dont elle souffre ;

– l’assistance médicalisée active à mourir de la personne hors d’état d’exprimer sa volonté peut être mise en œuvre au domicile, dans un établissement de santé ou un établissement mentionné au 6° du I de l’article L. 312‑1 du code de l’action sociale et des familles, c’est-à-dire un établissement accueillant des personnes âgées.

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Article 4
Création d’une commission nationale de contrôle et protection des garanties contractuelles des ayants droit de la personne décédée

Adopté par la commission avec modifications

Cet article prévoit l’instauration d’une commission nationale chargée de contrôler a posteriori le respect des conditions d’accès à l’assistance médicalisée active à mourir. Il contient également une disposition tendant à préserver les garanties dont pourraient bénéficier les ayants droit de la personne décédée, au titre de contrats de prévoyance ou d’assurance décès notamment, en assimilant à une mort naturelle un décès résultant d’une assistance médicalisée active à mourir.

I.   LA crÉation d’une instance de contrÔle

Le présent article prévoit d’instituer auprès du ministre de la justice et du ministre chargé de la santé une commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit à mourir dans la dignité (nouvel article L. 1111-12-2 du code de la santé publique).

Cette commission serait chargée de vérifier que les « exigences légales » ont été respectées. Elle devrait ainsi s’assurer du respect des conditions ouvrant l’accès à l’assistance médicalisée active à mourir, mentionnées aux articles 2 et 3 de la présente proposition de loi.

Si ces conditions ont été respectées, les auteurs d’une assistance médicalisée active à mourir ne pourront être poursuivis pour :

– assassinat, c’est-à-dire pour « meurtre commis avec préméditation ou guet-apens » selon l’article 221-3 du code pénal ;

– meurtre (« fait de donner volontairement la mort à autrui » selon l’article 221-1) puni de la réclusion criminelle à perpétuité dès lors qu’il est commis « sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur » (3° de l’article 221-4) ;

– empoisonnement, défini comme le « fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort » selon l’article 221-5.

En revanche, lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, la commission précitée peut saisir le procureur de la République.

Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement de cette commission sont renvoyées à un décret en Conseil d’État.

 

La Commission fédérale belge d’évaluation et de contrôle de la loi relative à l’euthanasie

La loi belge du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie a instauré une commission fédérale d’évaluation et de contrôle de la loi relative à l’euthanasie, composée de seize membres (huit médecins, quatre juristes et quatre membres s’occupant de la problématique des patients incurables).

Elle est chargée d’examiner les déclarations d’euthanasie (volet anonyme) transmises par les médecins, dans les quatre jours ouvrables suivant le décès de la personne. En cas de doute, elle peut décider, à la majorité simple, de consulter le volet scellé des déclarations qui contient les noms de toutes les personnes en cause et peut demander au médecin communication des pièces du dossier médical. En cas de violation des conditions essentielles, elle doit, après un vote à la majorité des deux tiers, transmettre le dossier au Procureur du Roi.

Tous les deux ans, la commission établit un rapport destiné au Parlement belge comportant une partie statistique, la description de la pratique de l’euthanasie et des recommandations portant sur l’application de la loi.

Source : Commission fédérale belge d’évaluation et de contrôle de la loi relative à l’euthanasie.

II.   LE rÉgime juridique de l’assistance mÉdicalisÉe active À mourir VIS-À-vis des ayants droit

Le présent article introduit un nouvel article L. 1111-12-3 dans le code de la santé publique tendant à considérer comme naturelle la mort de la personne ayant bénéficié d’une euthanasie pour l’application des contrats où elle est partie. Pour cela, l’assistance médicalisée active à mourir doit être mise en œuvre dans les conditions et procédures prescrites aux articles L. 1111-10 et L. 1111-11 précités. Ce nouvel article est opposable à toute clause qui prévoirait des dispositions contraires puisque « toute clause contraire est réputée non écrite. »

Cette disposition est nécessaire pour préserver les garanties dont pourraient bénéficier les ayants droit de la personne dans le cadre de contrats de prévoyance ou d’assurance décès tout particulièrement. Dans la mesure où l’article L. 132-7 du code des assurances prévoit que l’assurance en cas de décès est de nul effet si l’assuré se donne volontairement la mort au cours de la première année du contrat, il est en effet nécessaire de distinguer le cas d’une personne qui demande une assistance médicalisée active à mourir parce qu’elle est gravement malade de celui d’une personne qui met volontairement fin à ces jours.

III.   les modifications apportÉes par la commission

La commission des affaires sociales a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur ainsi qu’une série d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean-Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues.

Ces amendements prévoient tout d’abord de changer le nom de la commission pour qu’elle soit chargée du « contrôle et de l’évaluation des pratiques relatives à l’assistance médicalisée active à mourir ». Il est précisé ensuite que la commission produira chaque année un rapport sur la mise en œuvre de l’assistance médicalisée active à mourir. L’amendement apporte enfin des précisions concernant la composition de la commission nationale de contrôle : elle serait ainsi composée de juristes, de professionnels de santé, de représentants associatifs et de personnalités qualifiées.

 

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Article 5
Instauration d’une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir

Article supprimé par la commission

Cet article prévoit une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir. Cette clause ayant été déplacée à l’article 1er par voie d’amendements, le présent article a été supprimé par la commission.

Le présent article prévoit une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir, qui vient s’ajouter aux clauses générales de conscience.

I.   LEs CLAUSEs DE CONSCIENCE existantes

Il existe actuellement deux types de clauses de conscience : d’une part, des clauses générales s’appliquant à l’ensemble des actes médicaux pratiqués par une catégorie de professionnels de santé et, d’autre part, des clauses spécifiques à certains actes médicaux d’une particulière importance.

A.   les clauses de conscience gÉnÉrales

Si les professionnels de santé sont tenus d’assurer la continuité des soins aux malades, ils jouissent d’un droit général, appelé clause de conscience, de refuser des soins à un patient pour des raisons professionnelles ou personnelles. Ce refus ne peut constituer en aucune manière une discrimination à l’égard d’un ou plusieurs patients. Il existe des clauses de conscience générales de niveau réglementaire pour les médecins, les infirmiers et les sages-femmes ([40]).

Ces clauses connaissent toutefois deux exceptions : la clause de conscience générale ne peut être invoquée en « cas d’urgence » et ne doit pas conduire le professionnel à « manquer à ses devoirs d’humanité » ([41]). En outre, le professionnel de santé qui se dégage de sa mission est tenu d’en informer le patient, de l’orienter vers un confrère et transmettre à ce dernier les informations utiles à la poursuite des soins.

B.   les clauses de conscience spÉcifiques

Il existe également des clauses de conscience spécifiques à des actes portant atteinte de manière irréversible à la vie humaine ou à l’intégrité du corps humain en supprimant la capacité de concevoir. Ces clauses concernent :

– l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : « un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens ou de sages-femmes susceptibles de réaliser cette intervention » (article L. 2212-8 du code de la santé publique) ;

– la stérilisation : « un médecin n’est jamais tenu de pratiquer cet acte à visée contraceptive mais il doit informer [la personne] intéressée de son refus dès la première consultation » (article L. 2123-1) ;

– la recherche sur des embryons humains ou sur des cellules souches : « aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu’il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires » (article L. 2151-7-1).

Contrairement aux clauses générales, ces clauses spécifiques ont été consacrées par le législateur : elles protègent donc davantage la liberté de conscience des professionnels visés. En outre, elles ne concernent pas nécessairement une catégorie de professionnels spécifique : toutes les professions susceptibles d’intervenir peuvent être couvertes. Ainsi, s’agissant de l’IVG, « aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu’il soit, n’est tenu de concourir à une interruption de grossesse » (article L. 2212‑8 précité).

II.   Une clause de conscience propre À l’assistance mÉdicalisÉe active À mourir

Le présent article prévoit de compléter le dernier alinéa de l’article L. 1110‑5 du code de la santé afin d’instaurer une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir.

La rédaction proposée est calquée sur celle des clauses spécifiques existantes. Elles concerneraient tous les professionnels de santé susceptibles d’intervenir : « [ils] ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une assistance médicalisée pour mourir ».

Le demandeur serait alors informé du « refus du médecin ou de tout membre de l’équipe soignante » de prendre part à la procédure d’assistance médicalisée active à mourir. Le médecin sera alors « tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien » susceptible d’accepter sa demande.

III.   les modifications apportÉes par la commission

La commission ayant adopté un amendement insérant la clause de conscience à l’article 1er, elle a supprimé cet article par cohérence, en adoptant plusieurs amendements identiques.

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Article 5 bis (nouveau)
Réaffirmer la nécessité de rendre les soins palliatifs accessibles sur l’ensemble du territoire

Introduit par la commission

Cet article vise à préciser dans le code de la santé publique que les soins palliatifs doivent être accessibles « sur l’ensemble du territoire ».

La commission des affaires sociales a adopté une série d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean‑Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues.

Ces amendements portant article additionnel complètent l’article L. 1110‑9 du code de la santé publique afin de préciser que toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement « sur l’ensemble du territoire ». Il s’agit ainsi de réaffirmer la nécessité d’améliorer l’accessibilité aux soins palliatifs.

 

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Article 5 ter (nouveau)
Hiérarchisation des témoignages relatifs à la volonté d’une personne inconsciente en cas de consultation de ses proches par un médecin

Introduit par la commission

Cet article vise à hiérarchiser le recueil des témoignages relatifs à la volonté d’une personne inconsciente en cas de consultation de ses proches par un médecin, notamment lorsqu’il est envisagé de limiter ou d’arrêter ses traitements, ce qui est susceptible d’entraîner son décès.

La commission des affaires sociales a adopté deux séries d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean‑Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues.

La première et la seconde séries d’amendements clarifient les dispositions de deux articles du code de la santé publique relatifs à la consultation par un médecin de la famille ou des proches d’un patient incapable d’exprimer sa volonté (article L. 1111‑12), lorsqu’il est envisagé de limiter ou d’arrêter ses traitements, ce qui est susceptible d’entraîner son décès (article L. 1111-4).

En l’absence de directives anticipées du patient et d’une personne de confiance, désignée par le patient avant d’être hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin devra recueillir non plus le témoignage « de la famille ou des proches », mais plus précisément le témoignage de l’époux, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin ou, à défaut, des enfants majeurs ou, à défaut, des parents ou, à défaut, des frères et sœurs majeurs.

Ces amendements ont vocation à apporter une solution aux tragédies humaines qui peuvent naître de l’imprécision du code de la santé publique, comme ce fut le cas avec l’affaire Vincent Lambert.

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Article 5 quater (nouveau)
Demande d’un rapport évaluant l’application de la loi et les mesures de développement des soins palliatifs

Introduit par la commission

Cet article prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque année avant le 30 septembre un rapport évaluant l’application des dispositions de la présente proposition de loi et les mesures de développement des soins palliatifs.

La commission des affaires sociales a adopté une série d’amendements identiques du rapporteur et de Mme Marine Brenier (Les Républicains), M. Jean‑Louis Touraine (La République en Marche), Mme Marie-Noëlle Battistel (Socialistes et apparentés), M. Guillaume Chiche (non inscrit), Mme Caroline Fiat (La France insoumise), Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ensemble), M. Philippe Vigier (Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés) et plusieurs de leurs collègues.

Cet article dispose que le Gouvernement devra remettre au Parlement, chaque année avant le 30 septembre, un rapport évaluant l’application des dispositions de la présente proposition de loi et les mesures de développement des soins palliatifs. Ce rapport pourra notamment s’intéresser à la problématique de la formation initiale et continue des professionnels de santé en matière d’accompagnement et de mise en œuvre des procédures en fin de vie.

 

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Article 6
Gage financier

Supprimé par la commission

Cet article prévoit un gage financier pour compenser les charges qui pourraient résulter de l’application de la loi.

 

L’article 6 prévoit de gager à due concurrence les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application du dispositif de la présente proposition de loi par la création d’une taxe additionnelle aux droits perçus sur les produits du tabac, visés par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La commission a supprimé cet article.

 

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   EXAMEN EN COMMISSION

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 15 heures

I.   Discussion générale

La commission des affaires sociales examine la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie (n° 288) (M. Olivier Falorni, rapporteur) ([42]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, cet après-midi, nous consacrerons nos travaux à l’examen de deux des textes dont le groupe Libertés et Territoires a proposé l’inscription à l’ordre du jour des séances publiques du jeudi 8 avril, qui lui sont réservées : la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie et la proposition de loi relative à la légalisation contrôlée de la production, de la vente et de la consommation de cannabis.

Avant de donner la parole au rapporteur de la première, j’aimerais préciser l’état d’esprit dans lequel j’aborde nos travaux sur ce sujet, dont nous convenons tous qu’il est éminemment grave et sensible. Chacun s’exprimera et se prononcera à l’aune de ce qu’il a de plus personnel, et même de plus intime. Je sais pouvoir compter sur vous pour que chaque propos soit accueilli et écouté avec tout le respect et l’attention requis.

Ce débat est attendu et observé par de nombreux citoyens. Je ne doute pas que nous aurons tous à cœur de nous montrer à la hauteur de ce moment. Pour ma part, je m’efforcerai de distribuer la parole aussi largement que possible, s’agissant d’un texte à propos duquel la représentation des groupes politiques ne coïncide pas aussi clairement que d’habitude avec les prises de position individuelles.

Par ailleurs, je rappelle que nos débats ne peuvent faire abstraction de la situation sanitaire, qui nous impose la prudence dans nos comportements et dans la façon dont ils sont perçus. Le Président Ferrand ne s’est pas opposé à ce que nous délaissions notre salle habituelle pour nous réunir en salle Lamartine, même si son agencement est moins propice au travail législatif. Compte tenu de sa capacité d’accueil et des sollicitations qui me sont parvenues, j’ai saisi cette opportunité, désireuse de ne pas laisser penser que tout n’a pas été fait pour permettre à autant de commissaires que possibles de prendre part au débat.

En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous affranchir des règles désormais bien connues – hélas ! – de distanciation physique. Vous conviendrez avec moi qu’il ne serait pas opportun, dans la période actuelle, que nos concitoyens constatent que la commission des affaires sociales s’autorise un relâchement dans l’application des mesures sanitaires.

La capacité de cette salle, qui est moins importante qu’on ne le croit, ne nous exonère pas des limitations propres à ces temps de covid-19 et ne permet pas d’assurer la présence de tous les membres de la commission. Il m’a donc fallu ajuster à sa taille la demi-jauge en vigueur depuis près d’un an. Je vous remercie de respecter les emplacements prévus pour les différents groupes.

Je précise que seuls les membres de la commission pourront participer au vote, dans la limite du contingent attribué à chaque groupe, qui a été calculé proportionnellement à l’effectif total de notre commission. Les whips de chaque groupe, que je remercie par avance, feront en sorte que tout se passe correctement.

M. Olivier Falorni, rapporteur. Le 4 mars dernier, Paulette Guinchard, qui fut secrétaire d’État chargée des personnes âgées du 28 mars 2001 au 6 mai 2002, a décidé de mettre fin à ses jours, à l’âge de 71 ans, en recourant au suicide assisté en Suisse. Elle était atteinte d’une maladie neurodégénérative. Sa pathologie l’a amenée à prendre une décision qu’elle n’aurait sans doute pas imaginée quelques années plus tôt. Ainsi, en avril 2005, elle signait une tribune dans Le Monde pour défendre le choix de la France d’écarter la légalisation de l’euthanasie, contrairement aux Pays-Bas et à la Belgique. Cette décision a sans aucun doute été le fruit d’une longue réflexion personnelle sur le sens de la vie.

Pourquoi vouloir rester jusqu’au bout quand vous savez que vous êtes condamné à court terme, et que vos souffrances physiques et psychiques seront, en dépit des progrès de la médecine et du dévouement des soignants, réfractaires à tout traitement thérapeutique ? Pourquoi endurer une cruelle agonie quand la mort peut vous délivrer d’une vie qui n’est plus qu’une survie douloureuse sans espoir de guérison ? Ces questions existentielles, nous sommes tous amenés à nous les poser un jour, pour nous-mêmes ou pour nos proches.

La crise sanitaire que nous traversons, malheureusement, depuis plus d’un an, a encore accentué cette réflexion de fond parmi une large majorité de nos concitoyens. Dès lors, en quoi ne serait-il pas opportun pour nous, représentants de la nation, de nous interroger sur les conditions et les modalités de la fin de vie des Français ? Bien au contraire, cela me semble plus que jamais nécessaire. Une réponse ici et maintenant s’impose comme une impérieuse nécessité.

Depuis une vingtaine d’années, plusieurs évolutions législatives ont eu lieu. La loi Leonetti du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie, a interdit l’obstination déraisonnable, afin d’éviter tout acharnement thérapeutique. Elle a aussi reconnu le droit de toute personne en fin de vie de décider d’arrêter ou de limiter ses traitements. La loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite « loi Claeys-Leonetti », a reconnu la possibilité de recourir, dans certaines conditions, à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, par le biais de l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation.

Contrairement à ce que l’on entend dire çà et là, ces lois ont fait l’objet d’un suivi ou d’une évaluation par divers organismes, tels que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le Comité consultatif national d’éthique et des sciences de la vie (CCNE), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), ainsi que par l’Assemblée nationale, dans le cadre du groupe d’études sur la fin de vie, qui réalise depuis trois ans un travail remarquable.

Certes, on peut saluer certaines avancées permises par ces lois. La prise en compte de la volonté des patients par les équipes médicales a été améliorée, tout comme celle de la parole de l’entourage, notamment de la personne de confiance s’il s’agit d’un patient inconscient.

Toutefois, notre droit souffre toujours de plusieurs failles et insuffisances majeures. Certaines notions, telles que l’obstination déraisonnable, ne sont pas toujours appréhendées à l’identique par les équipes soignantes. Il en va de même de certains critères déterminant la mise en œuvre de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Surtout, cette technique soulève des questions. Dès lors que l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation du patient peut le placer dans une situation susceptible de durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, peut-on sincèrement considérer cela comme humainement tolérable ? Dans ces conditions, comment ne pas comprendre que certains de nos concitoyens, parce qu’ils sont atteints d’un cancer généralisé, d’une sclérose en plaques ou de la maladie de Charcot en phase avancée, souhaitent abréger leur vie ? Pourquoi leur refuser le droit de mourir sereinement de façon apaisée ?

En refusant jusqu’à présent de légaliser toute aide active à mourir, la France a fait preuve d’une grande hypocrisie. Face à l’absence de solution institutionnelle, deux types de réponse ont vu le jour : l’exil dans les pays frontaliers pour y mourir et la pratique d’euthanasies clandestines dans notre pays.

Tout d’abord, de plus en plus de malades décident de se tourner vers la Belgique ou la Suisse pour mettre un terme à leur vie. Ces départs à l’étranger constituent indéniablement une souffrance supplémentaire pour ces personnes et pour leur entourage. Il s’agit en quelque sorte d’une double peine. J’ai auditionné la semaine dernière le docteur belge Yves de Locht, qui reçoit quotidiennement des patients français demandant une euthanasie. En raison de l’afflux de patients étrangers, de plus en plus de médecins et d’établissements belges refusent les demandes d’euthanasie de patients français.

Ensuite, il n’est pas rare que des médecins français procèdent à des euthanasies clandestines pour mettre fin aux souffrances de leurs patients, parfois à l’insu de ces derniers et de leurs proches. Selon une étude de l’Institut national d’études démographiques, on en compterait entre 2 000 et 4 000 par an. Pire : les deux tiers de ces euthanasies clandestines seraient réalisés à l’insu des patients et de leurs proches. Pour reprendre les mots du CESE, cette pratique est totalement inacceptable.

Les législations relatives à l’aide à mourir en vigueur dans des pays étrangers n’incitent pas les personnes atteintes d’affections graves et incurables à se résigner à la mort en l’anticipant à l’excès. Ainsi, la légalisation de l’euthanasie en Belgique n’a pas entraîné sa prolifération. En revanche, elle a permis d’en améliorer le suivi et le contrôle, car elle avait déjà cours, là-bas aussi, de façon illégale.

En matière d’accompagnement des patients en fin de vie, la Belgique, contrairement à la France, n’a pas fait le choix d’opposer les soins palliatifs et l’aide active à mourir. En 2002, elle a adopté successivement trois lois : une première pour légaliser l’euthanasie, une deuxième pour développer les soins palliatifs et une troisième pour préciser les relations entre les patients et le corps médical. Vingt ans après, on ne peut que constater que la légalisation de l’euthanasie n’a pas empêché l’instauration d’un système de soins palliatifs performant en Belgique. Le législateur belge a conçu les soins palliatifs et l’euthanasie comme deux solutions complémentaires : d’un côté, des moyens pour soulager les patients souhaitant laisser arriver la mort ; de l’autre, une solution permettant aux patients qui le demandent d’en déclencher l’arrivée.

En France, nous n’avons guère avancé sur les soins palliatifs. Les moyens financiers et humains qui leur ont été alloués n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition affichée. Entre 20 % et 25 % des mourants seulement y ont accès ; un département sur quatre ne compte aucune unité de soins palliatifs. On ne peut qu’être dans l’expectative à l’annonce d’un nouveau plan national d’accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs.

Que devons-nous faire ? Développer les soins palliatifs, à l’évidence. Le Gouvernement aura sans doute l’occasion de dire, en séance publique, ce qu’il compte faire à cette fin. Toutefois, tel n’est pas l’objet du présent texte, qui vise à répondre à une très forte attente des Français : choisir librement sa fin de vie.

Depuis plusieurs années, les enquêtes d’opinion montrent avec constance, et de façon claire, que l’immense majorité des Français – 96 % d’après un sondage publié par Ipsos en 2019 – qu’ils sont favorables à la légalisation de l’euthanasie, toutes sensibilités politiques et catégorie d’âge ou socioprofessionnelles confondues. Sur cette question, il existe très peu de différences entre les sympathisants de La République en Marche – 99 % d’opinions favorables –, ceux des Républicains – 95 % –, ceux du Rassemblement national – 98 % –, ceux du Parti socialiste – 96 % – et ceux de La France insoumise – 94 %. Cela ne signifie pas que neuf Français sur dix veulent être euthanasiés, mais qu’ils souhaitent, dans leur écrasante majorité, maîtriser leur destin jusqu’au bout.

Cette aspiration, on la retrouve également de l’autre côté de nos frontières, y compris dans des pays à forte tradition catholique. Il ne vous a pas échappé que l’Espagne vient de légaliser l’euthanasie et le suicide assisté. Demain, ce sera au tour du Portugal, qui est dans la même démarche. L’Irlande a engagé un processus législatif pour légaliser le suicide assisté. Là où le législateur ne prend pas les devants, la justice s’en charge. Ainsi, la Cour constitutionnelle italienne a dépénalisé l’aide au suicide en 2019. Au même moment, en Allemagne, le Tribunal constitutionnel fédéral a considéré que le droit à l’autodétermination du patient prime sur le devoir du médecin de lui porter assistance. Plus loin de chez nous, plusieurs pays anglo-saxons, tels que le Canada en 2016 et la Nouvelle-Zélande en 2020, ainsi que des États fédérés australiens – la Tasmanie au début de l’année – et américains – onze en tout, dont le Nouveau‑Mexique – ont légalisé l’aide active à mourir ou sont sur le point de le faire.

Ce qui se passe à nos frontières ne peut nous laisser indifférents. Demain, les Français pourront se rendre toujours plus nombreux dans plusieurs pays voisins pour mettre fin à leurs jours en étant accompagnés sur le plan médical. Pourquoi ne pourrions-nous pas accorder à nos concitoyens ce droit de mourir que demandait Vincent Humbert au Président de la République il y a déjà vingt ans ? Plus récemment, l’écrivaine Anne Bert, qui était atteinte de la maladie de Charcot et qui a rédigé avec moi l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, décédée en Belgique le 2 octobre 2017, s’est battue pendant les dernières années de sa vie pour obtenir cette ultime liberté.

Plus de trois ans après, nous nous apprêtons à examiner ce texte, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Libertés et Territoires. Je remercie mes collègues du groupe d’avoir accepté qu’il soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Ce texte n’est pas l’apanage d’un groupe politique. Il rejoint d’autres propositions de loi similaires, issues de tous les bancs de cette assemblée, déposées notamment par Jean‑Louis Touraine, Caroline Fiat, Marine Brenier et, au Sénat, Marie-Pierre de La Gontrie, pour ne citer que leurs auteurs. Tous portent cette cause avec autant de conviction et de détermination que moi.

Compte tenu de ces observations, de l’attente très forte des Français et des évolutions en cours à l’étranger, j’affirme que l’heure n’est plus à la procrastination, mais à l’action. Mes chers collègues, ce texte n’est déjà plus le mien. Il sera le nôtre, si vous le voulez. Il sera celui de tous les députés qui l’enrichiront, le soutiendront et le voteront. Ce texte, s’il est adopté, sera la loi de tous les parlementaires qui auront permis, par leur vote, que les Français obtiennent le droit à une fin de vie libre et choisie, et puissent enfin accéder à leur ultime liberté.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Le sujet de la fin de vie renvoie chacun d’entre nous à l’intimité de sa propre expérience. Il nous oblige à une profonde humilité s’agissant du vécu tout aussi singulier de chacun de nos concitoyens.

Sur les sujets éthiques et sociétaux qui ne font pas consensus, nous avons adopté, au sein du groupe La République en Marche, un principe de liberté de conscience et de vote empêchant toute certitude et toute orientation a priori. Au sujet de la fin de vie, compte tenu du contexte que nous connaissons, les discours sont particulièrement riches, ce qui nous amène à l’appliquer.

Certains considèrent qu’il est urgent et nécessaire de donner aux Français la possibilité de choisir les modalités de leur fin de vie, en y incluant l’aide active à mourir, qui constitue à leurs yeux un dernier soin, complémentaire des soins palliatifs, ayant pour objet d’humaniser l’agonie, comme le dit souvent notre collègue Jean-Louis Touraine. Il s’agirait d’une ultime liberté permettant de garantir le principe d’autonomie de la personne et de placer le patient au cœur des décisions médicales qui le concernent.

D’autres considèrent au contraire que l’aide active à mourir est une ligne rouge que les médecins, les patients et leurs familles ne doivent pas franchir, en raison de la vision de la société qu’elle sous-tend et des dérives qui pourraient en résulter. Ils craignent aussi que les demandes d’euthanasie résultent d’un manque d’appropriation et d’application de la législation relative à la sédation profonde, ainsi que des carences de notre offre de soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. Dans cette hypothèse, il serait de notre devoir de ne pas nous y résoudre et d’offrir à nos concitoyens les moyens de soulager les souffrances les amenant à demander une aide à mourir uniquement par peur, désinformation ou dépit.

D’autres encore ont une position intermédiaire ou indéterminée. Ils s’interrogent sur l’opportunité d’une telle mesure dans le contexte que nous connaissons, et sur la nécessité d’ouvrir un débat plus large dans la société.

Je souscris donc aux propos de notre présidente au sujet de l’importance d’entendre et de respecter toutes les nuances exprimées. À l’invitation du groupe Libertés et Territoires, notre groupe débattra très librement de ce sujet essentiel.

M. Alain Ramadier. S’il est un sujet qui convoque l’attention de tous et le respect du point de vue d’autrui, c’est bien celui dont nous débattons cet après-midi en commission des affaires sociales. Avant toute chose, de la prudence : telle est la ligne de conduite qui doit nous guider dans l’examen du texte, assortie de modération dans nos positions et nos propos. Je suis de ceux qui sont convaincus qu’il existe autant de positions sur le sujet que d’individus.

La présente proposition de loi vise à créer un droit à obtenir une aide médicale à mourir. Nous l’examinons dans un contexte particulier, provoqué par l’épidémie qui bouleverse nos vies depuis plus d’un an. Du confinement au tri des patients, de la fin de vie à la liberté vaccinale, les dilemmes éthiques se sont succédé sans relâche ni répit. Notre rapport au grand âge et à la mort a tout particulièrement été interrogé par l’isolement et la solitude imposés aux personnes âgées, ainsi que par la suspension des rites funéraires.

Comme l’a rappelé avec justesse et pertinence Jean Leonetti, il ne s’agit pas d’un conflit entre le bien et le mal, mais d’un conflit entre deux aspects du bien, qui prend la forme d’une tension entre l’éthique de l’autonomie et l’éthique de la vulnérabilité. Les questions dont nous traitons ici relèvent de l’intime et de l’histoire personnelle, ainsi que des valeurs philosophiques et des convictions, religieuses ou non, de chacun.

En l’état actuel du droit, la loi permet de répondre à l’essentiel des demandes sociales relatives à la fin de vie, dans la mesure où elle donne la possibilité aux malades de bénéficier de soins palliatifs. Toutefois, comme l’indique l’objet du texte que nous allons examiner, la loi française ne permet pas de répondre aux demandes d’aide à mourir formulées par des patients qui ne sont pas en situation de fin de vie, dès lors que leur pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais auxquels leur maladie ne laisse aucun espoir.

Le groupe Les Républicains est attaché à la liberté de vote sur ce sujet. À l’issue de nos débats, chacun adoptera une position, qui ne saurait être dictée par personne.

M. Patrick Mignola. Pour le groupe que j’ai l’honneur de présider, s’agissant d’un sujet si profond et si intime, qui ressortit à notre émotion, à nos projections, à nos expériences personnelles souvent, la règle sera la liberté de vote – il ne peut pas en être autrement. Tout en reconnaissant la légitimité individuelle à se forger une position sur un tel sujet, je reconnais aussi la légitimité parlementaire à le faire, et salue le travail réalisé par notre collègue Falorni. Il est légitime que le Parlement s’exprime sur des sujets comme celui‑ci, même si on peut contester les formes et les conditions dans lesquelles il le fait.

Il existe une forme de singularité parlementaire, malheureusement récurrente au sein de notre assemblée, qui consiste à légiférer alors même que la loi est imparfaitement appliquée. Depuis l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, les gouvernements successifs ont péché par insuffisance du développement des soins palliatifs, inexistants dans une bonne vingtaine de départements, et ont laissé les Français dans l’ignorance de leur droit à rédiger une directive anticipée.

À ce sujet, nous examinerons plusieurs amendements visant à étendre le champ d’application des dispositions proposées par le rapporteur Falorni, notamment en modifiant les modalités de désignation de la personne de confiance. Nous pouvons avoir des opinions distinctes sur le suicide assisté, mais sommes-nous prêts à ouvrir un droit à choisir la mort d’autrui, susceptible de surcroît de se transformer en devoir sous l’effet de la pression sociale ? Débattre du droit à choisir librement sa fin de vie est légitime ; ouvrir un droit à choisir la mort d’un proche soulève des questions éthiques susceptibles de modifier la nature même des relations au sein de notre société.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Le 11 mars dernier, le Sénat a débattu de la proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Malheureusement, la majorité sénatoriale a adopté un amendement vidant le texte de sa substance, ce qui a contraint ses auteurs à le retirer.

Il est urgent de garantir le choix de sa fin de vie. Nous nous réjouissons donc de poursuivre le débat et remercions M. le rapporteur de nous en offrir l’occasion. Bénéficier d’une fin de vie apaisée et digne est un souhait partagé par la quasi-totalité de nos concitoyens. D’après un sondage publié par IPSOS en avril 2019, 96 % des Français y sont favorables. Le dépôt de plusieurs propositions de loi en ce sens démontre qu’il existe un consensus social et transpartisan sur ce point. La récente disparition de Paulette Guinchard, qui a dû s’exiler pour décider de sa fin de vie, rappelle qu’il est nécessaire d’avancer sur ce sujet.

L’évolution de la législation en la matière a commencé dans d’autres pays d’Europe, notamment les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, la Suisse. L’Espagne et le Portugal sont sur le point de les rejoindre. Certes, depuis le début des années 2000, la législation française a connu des évolutions législatives à plusieurs reprises. Pourtant, les questions soulevées par la fin de vie n’ont pas toutes trouvé des réponses. De nombreuses personnes en fin de vie décèdent à l’hôpital dans des conditions souvent très éloignées de ce qu’elles avaient espéré. La dernière loi adoptée demeure insuffisante.

La législation encadrant la fin de vie est mal connue des patients et des soignants, et la rédaction de directives anticipées demeure rare. Cette triste réalité est complétée chaque année, dans le plus grand secret, par les 2 000 à 4 000 injections de cocktail létal réalisées pour abréger les souffrances et la vie, parfois sans que les malades concernés ne l’aient expressément souhaité.

Dans l’état actuel du droit, de nombreuses personnes sont amenées à partir à l’étranger, si elles en ont les moyens, pour y finir leur vie conformément à leurs souhaits. D’autres parviennent à obtenir d’un médecin une assistance active à mourir, ce qui induit des inégalités considérables en matière de fin de vie. Nous proposerons donc, en concertation avec plusieurs de nos collègues ici présents, plusieurs amendements visant à préciser le texte et à rendre effectif le droit à mourir dans la dignité.

Le groupe Socialistes et apparentés, dans sa très grande majorité, votera le texte.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Respect de la vie et de la mort : il s’agit toujours de notre humanité. Le sujet de société qui nous réunit relève de l’intime, ce qui explique qu’il transcende les clivages politiques. Le travail transpartisan que nous avons réalisé est aussi un beau symbole de ce que notre assemblée est capable de faire lorsqu’il le faut.

Le droit à une fin de vie libre et choisie est la dernière de nos libertés à conquérir. Plus de 96 % des Français sont favorables à la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie. Je remercie notre collègue Olivier Falorni d’avoir inscrit la présente proposition de loi à notre ordre du jour. Nous avons la possibilité de légiférer en faveur de ce nouveau droit et, ce faisant, de mettre notre pays au niveau de nombreux autres pays européens, donc de permettre à nos concitoyens de ne pas fuir à l’étranger pour y mourir. Il s’agit aussi d’une question d’égalité.

La présente proposition de loi est une loi de liberté et d’humanité. Elle ne retire rien aux personnes en fin de vie. Elle ne fait pas obstacle aux soins palliatifs, dont M. Falorni a rappelé qu’ils devront continuer à se développer dans tous les territoires. Le groupe Agir ensemble en aborde l’examen avec humilité, prudence, modération et respect des opinions de chacun.

Mme Valérie Six. Le sujet de la fin de vie relève de questionnements individuels et essentiels pour chacun d’entre nous. Il place aussi la société face à des choix aux larges enjeux éthiques et d’une importance considérable pour celles et ceux dont les demandes ne trouvent pas encore satisfaction. C’est pourquoi je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour la qualité de vos travaux. Mais le cadre de la proposition de loi nous paraît un peu étroit pour examiner une telle question. C’est pourquoi le vote du groupe UDI et Indépendants sera nécessairement partagé et lié aux évolutions de nos débats.

Toutefois, une chose nous rassemble : la nécessité d’améliorer la prise en charge de la fin de vie en France. Les lois sur la fin de vie ont beaucoup évolué ces dernières années. La loi Claeys-Leonetti de 2016 a conduit à d’importants progrès dans l’amélioration de la prise en charge palliative des personnes en fin de vie. Elle a en effet apporté des clarifications importantes sur l’évolution de l’obstination déraisonnable, introduit le droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès et consacré l’opposabilité des directives anticipées rédigées par le patient qui se retrouve hors d’état d’exprimer sa volonté. Cependant, en réalité, trop de patients qui en auraient besoin n’ont pas accès à une équipe de soins palliatifs et à un accompagnement adapté – vingt-six départements n’ont aucune unité de soins palliatifs.

Ainsi, je suis, à titre personnel, opposée à une évolution de la législation sur la fin de vie, alors que les droits ouverts aujourd’hui ne sont pas garantis sur l’ensemble de notre territoire et que les différents plans de développement des soins palliatifs rencontrent des limites par manque de moyens humains et financiers. Sur ce point, ma position rejoint celle issue de la contribution de septembre 2018 à la révision de la loi de bioéthique du Comité consultatif national d’éthique, qui a indiqué ne pas être en faveur d’une modification de la loi existante et a insisté sur l’impérieuse nécessité que la loi actuelle soit mieux connue, mieux appliquée et mieux respectée.

Mme Frédérique Dumas. « Il me reste une ultime liberté : celle de choisir la façon dont je vais mourir. » Ces mots sont ceux de l’écrivaine Anne Bert avec qui notre collègue a coécrit l’exposé des motifs de sa proposition de loi. Elle les a écrits se sachant condamnée, avant de rejoindre la Belgique pour mourir dignement. Cette impuissance dans la souffrance et la neurodégénérescence, elle est loin d’être la seule à l’avoir vécue. À chaque fois, nous déplorons l’insuffisance de nos infrastructures de soins palliatifs et les lacunes de notre législation sur la fin de vie. La plupart du temps, celles et ceux qui s’opposent à une telle proposition invoquent le fait que nous n’aurions pas encore pleinement pu appliquer la loi Claeys-Leonetti et qu’il faut se donner les moyens humains et financiers de le faire correctement.

Si cette loi est insuffisante, ce n’est pas seulement pour cette raison. Opposer soins palliatifs et aide active à mourir n’est non seulement pas juste, mais ne sert qu’à éluder la question et à la repousser toujours plus loin. L’annonce par le Gouvernement d’un nouveau plan de développement de soins palliatifs est une très bonne chose, s’il est effectif et de qualité. Mais le choix de laisser mourir n’est en rien le choix actif de mourir dignement, lorsque le diagnostic vital n’est pas engagé à court terme. Mes chers collègues, j’entends des arguments : ce texte n’est pas le bon véhicule législatif ; il faut lancer une nouvelle concertation. Et pourtant que de textes du Gouvernement qui n’étaient ni le bon véhicule législatif ni l’aboutissement d’une véritable concertation !

Notre groupe pense, au contraire, que le temps de légiférer est venu et nous soutenons l’initiative de notre collègue. Pour ma part, j’ai cosigné toutes les initiatives qui ont été prises dans ce sens depuis le début de la législature. Il est plus que temps d’avancer et de mettre fin à l’hypocrisie. La société est prête à conquérir cette ultime liberté, celle de choisir sa fin de vie. Nous savons que cette conviction est majoritaire, comme elle l’est parmi nous et au sein de l’Assemblée. J’avais pris l’engagement moral auprès d’Anne Bert que cette question fasse l’objet d’un débat dans l’hémicycle avant la fin de la législature. Je remercie donc Olivier Falorni et mon groupe, qui vous donnent, chers collègues, l’occasion d’exercer votre mandat en toute conscience.

Mme Caroline Fiat. Je remercie Olivier Falorni de proposer ce texte qui nous tient à cœur. Le 1er février 2018, pour notre première niche, nous avions présenté une proposition de loi relative à l’euthanasie et au suicide assisté pour une fin de vie digne. À l’époque, les députés de la majorité nous avaient expliqué que notre texte était très bien mais qu’il arrivait beaucoup trop tôt, puisque nous parlerions de l’euthanasie lors de la révision des lois de bioéthique. Peu après la suspension de notre proposition de loi, cent cinquante‑six députés de la majorité avaient signé une tribune en faveur de l’euthanasie. Il faut avoir le cœur bien accroché à l’Assemblée ! Ces cent cinquante-six parlementaires doivent être ravis de votre proposition de loi, monsieur Falorni...

Chacun a sa propre conception de ce qu’est une fin de vie digne. Il y en a sans doute autant de définitions que d’individus. Je vous remercie vraiment de nous permettre d’en parler enfin, parce que les Français attendent ce débat. J’espère qu’ils ne seront pas trop passionnés et que nous pourrons discuter dignement et simplement. On entend souvent opposer euthanasie et soins palliatifs. Or les deux sont indispensables. Ils sont complémentaires. J’espère que votre proposition de loi sera votée.

M. Pierre Dharréville. Chacun dans notre groupe se prononcera personnellement avec humilité. La question qui nous occupe, politique et sensible, est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. Depuis 1999, la législation a évolué à quatre reprises pour mieux garantir le droit des malades. Si un droit au suicide assisté n’y a jamais été intégré, il existe un cadre méconnu à la prise en charge de la douleur et de la fin de vie. Entouré de garde-fous, le droit à la sédation profonde et continue, institué en 2016, mérite d’être évalué dans sa mise en œuvre. Nous pointions déjà, à l’époque, la question des moyens effectivement consacrés à ces soins qui permettent d’être accompagnés dans une fin de vie apaisée. La tendance générale à la réduction des moyens hospitaliers n’a sans doute pas permis de produire les efforts nécessaires que la société doit à chacune et chacun : la lutte résolue contre la douleur et l’accompagnement humain. La sédation profonde n’est pas faite pour donner la mort mais les substances injectées l’entraînent à une certaine dose.

Faut-il aller au-delà ? Faut-il produire cette rupture symbolique ? C’est la question posée par le texte qui appelle un débat éthique approfondi, car l’autorisation de donner la mort n’est pas une décision qui va de soi. Le fait que cela existe ailleurs n’est pas suffisant, sans quoi nous nous rendrions vulnérables à de possibles dumpings éthiques. Si l’on peut discuter la justesse de certaines règles, ce sont aussi elles qui fondent les droits et les protections. Les interrogations auxquelles nous devons faire face sont plus profondes. Elles touchent au sens, à la fragilité de l’existence, à la conception de la dignité humaine, qui n’est pas liée à un état physique ou psychique. Il est toujours dur de se voir diminuer et partir ou de voir un proche affronter cette épreuve. Il existe parfois une forme de pression sociale, de culpabilisation, que nous devons aussi interroger et qui renvoie la responsabilité sur l’individu. Enfin, une telle perspective engage toute une conception de la médecine et requiert l’engagement de la société par l’entremise de tiers. La persistance de cette question, qui mérite le débat, est aussi le témoignage d’une société qui peine à être au rendez-vous de ses responsabilités.

M. le rapporteur. Je tenais à saluer la grande force et la grande dignité des interventions des orateurs de groupe. Dignité, c’est un mot qui sera souvent employé dans notre débat. À titre personnel, concernant la fin de vie, j’utilise plus le mot de liberté, parce que la définition de la dignité, comme l’a dit Caroline Fiat, appartient à chacun d’entre nous. En revanche, la liberté, c’est permettre à chacune et à chacun de disposer de sa vie et de sa fin de vie. Le combat que je mène et que nous sommes beaucoup ici à mener, c’est le droit de choisir, dans certaines conditions définies par la loi, son destin. C’est un combat de vie. Autant la dignité dans la fin de vie appartient à chacun, autant la dignité du débat public nous appartient. Les diverses interventions ont bien montré l’importance d’un débat apaisé. C’est évidemment mon souhait au commencement de l’examen du texte.

M. Jean-Louis Touraine. Nous sommes nombreux à nous réjouir que cette question de la fin de vie et du droit des malades arrive enfin dans notre commission, après les multiples évaluations des lois précédentes, après les tergiversations des mandats passés, après plus de trois ans d’un groupe d’études très suivi et ayant effectué beaucoup d’auditions afin de combler quelques lacunes dans les textes antérieurs. En ce moment, il est plus impérieux que jamais de développer en même temps les soins palliatifs et l’aide active à mourir, et surtout l’écoute attentive des malades en fin de vie. La pandémie de covid‑19 a révélé à tous les Français les problèmes non résolus des conditions de fin de vie, en dépit d’un dévouement exceptionnel et sans faille des professionnels en charge des patients.

C’est une loi visant à garantir le droit des malades : droit à attendre la fin naturelle plutôt que de subir des euthanasies clandestines, sans avoir été consultés ; droit à être dispensé d’agonie pour ceux qui récusent les souffrances de cette phase ultime. Je précise que ce droit n’impose à aucun malade ni à aucun médecin un choix qui n’est pas le sien. Au contraire, il offre la liberté de choix à tous. Chacun sait bien qu’avec l’aide active à mourir aucun médecin ne tue un malade. Comme l’écrivaient Anne Bert et Chantal Sébire, c’est la maladie qui nous tue, pas le médecin, pas le juste qui apporte un geste d’amour, de compassion qui humanise l’agonie.

J’ai conscience que certains d’entre nous, hostiles à ce progrès, proposent une fois encore de s’adonner à la procrastination, invoquant la nécessité d’évaluer les textes antérieurs. Je respecte parfaitement la diversité des opinions, surtout sur un tel sujet, éminemment personnel et relevant de convictions intimes, mais cet argument ne peut pas être entendu. Jamais loi n’a été autant évaluée que la loi Claeys‑Leonetti, qui confortait le décret Fillon de janvier 2010. L’IGAS l’a évaluée, le CESE a effectué une évaluation très complète et poussée, suivie d’un excellent rapport. Plusieurs études ont été conduites par le CNSPFV. Une loi peu appliquée est habituellement une loi peu applicable. Tout va dans le sens de l’urgence de la compléter.

Surtout, les Français l’ont évaluée. Nombreux sont ceux qui se rendent chaque année dans les divers pays limitrophes qui nous ont précédés dans ce progrès. Inversement, aucun habitant de ces pays ne vient terminer sa vie en France, où les insuffisances n’ont pas encore été corrigées. Mes chers collègues, entendons la demande des Français. Ne nommons pas encore une commission pour enterrer le problème, comme le disait Clemenceau. Le général de Gaulle rappelait en 1963 que l’essentiel n’était pas ce que pensaient le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, mais ce qui était utile au peuple français.

M. Bernard Perrut. C’est un sujet lourd de sens qui nous réunit, car il touche à notre approche de la condition humaine, à l’idée que nous nous faisons de la vie. Cela relève du profondément intime. C’est parce que l’homme est en tant que tel un être digne que notre devoir est de penser à sa fin de vie et d’accompagner du mieux possible les personnes les plus vulnérables. Il faut bien admettre que les conditions dans lesquelles on meurt aujourd’hui en France ne sont pas bonnes. La crise du covid nous l’a durement prouvé et nous appelle à l’humilité. Mais faut-il aujourd’hui créer un droit pour obtenir une aide médicale à mourir, ce qui revient en d’autres termes à légaliser l’euthanasie, le suicide assisté ?

Si certaines personnes épuisées réclament parfois que tout s’arrête, quelques jours passés avec une équipe de soins palliatifs suffisent à voir ces demandes disparaître dans la grande majorité des cas. Pour certains cas extrêmes, qui ont ému l’opinion ces dernières années, nous savons que d’autres solutions ont été élaborées et inscrites dans la loi Claeys‑Leonetti, qui prévoit une sédation profonde et continue pour soulager le patient et la mise en œuvre à cette fin de directives anticipées. Mais moins de cinq ans après le vote de cette loi, les retours du terrain font état d’obstacles pratiques et éthiques à sa bonne application : 20 % seulement des personnes ayant besoin d’un accompagnement en soins palliatifs en bénéficient ; les deux tiers des Français ignorent l’existence de la loi ; plus grave encore, la majorité des soignants la méconnaissent également. Incontestablement, la culture palliative reste à développer.

Je ne pense pas que c’est une loi sur l’euthanasie qui permettra de s’atteler à ce problème de fond. Ne serait-il pas possible de faire un bilan approfondi des conditions dans lesquelles on meurt en France ? Alors que certains demandent une nouvelle loi, il conviendrait de mieux appréhender comment les Français meurent. Isolés ou entourés ? À leur domicile ou en institution ? Avec ou sans souffrance ? Subitement ou d’une longue maladie ? Avec ou sans assistance médicale ? De même importe-t-il d’évaluer l’action des pouvoirs publics pour accompagner la mort de nos concitoyens et faire en sorte que celle-ci advienne dans les meilleures conditions pour le défunt comme pour son entourage. Ne faut-il pas finaliser en priorité une loi grand âge et autonomie qui irait jusqu’à évoquer cette fin de vie et mettre très rapidement en œuvre le nouveau plan pluriannuel de développement des soins palliatifs pour la période 2021-2024 ?

Je proposerai pour ma part que nous en restions à la loi Claeys-Leonetti, qui a été longuement discutée au sein de notre assemblée. Cet après-midi, nous discutons cette proposition de loi dans des conditions trop rapides pour en tirer un enseignement.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le point positif de la proposition de loi est de nous permettre de débattre de nos conditions de mortels et des conditions dans lesquelles nous accompagnons les personnes en fin de vie. Toutes les expressions sont légitimes et méritent d’être entendues. À titre personnel, je ne peux me satisfaire d’une telle proposition de loi. Avec la loi Claeys-Leonetti, mûrement concertée, notre pays s’est engagé sur une voie hautement éthique : interdiction de l’acharnement thérapeutique, recueil et respect des directives anticipées, prise en charge de la douleur, sédation profonde et continue. Cette loi, si les moyens lui étaient alloués, permettrait de régler 99 % des situations de fin de vie, alors qu’actuellement un tiers à peine des personnes ont accès aux soins palliatifs.

Faudrait-il légiférer pour le 1 % restant ? Oui, sûrement, car toutes les personnes méritent une réponse appropriée à leurs douleurs physiques ou psychologiques. Faut-il le faire aujourd’hui et dans les termes proposés ? Je ne le pense pas. J’aurai la possibilité de m’exprimer au fil des amendements étudiés. Mais je veux pointer ici quelques inconvénients majeurs. Le premier, sur le fond, c’est le risque de marginaliser l’accompagnement proposé par les soins palliatifs au profit d’une réponse plus aisée. Le deuxième, c’est la vulnérabilité de la personne souffrante face à la situation dont elle voudrait parfois soulager ses proches. Sur la forme, si nous devions, après avoir évalué la loi Claeys‑Leonetti, nous pencher sur la situation des personnes dont la loi ne règle pas la situation, les mieux placées pour mettre en pratique une extension du domaine de la loi seraient sans doute les équipes pluridisciplinaires dans la collégialité en vigueur actuellement.

M. Stéphane Viry. Sur un tel sujet, ne pas avoir de certitudes est légitime. Il faut admettre le doute, la réflexion et l’évolution de notre système juridique. Un député ne doit pas être sensible à l’opinion publique, dont nous ne sommes pas les greffiers. Je fais donc fi des enquêtes qui montrent que notre pays devrait évoluer. Un député ne doit pas davantage réagir à l’émotion. Nous devons raisonner et faire des propositions en fonction de ce que l’on considère comme bon pour la population. La France a déjà une réponse à la question de la fin de vie. Faut-il en apporter d’autres, notamment celle de l’aide à mourir ? Faut-il ouvrir un nouveau droit ?

J’ai cosigné, avec conviction, la proposition de loi de notre collègue Marine Brenier en décembre 2020, car elle apportait une réponse à la nécessité d’un accès universel aux soins palliatifs tout en allant directement et clairement vers la reconnaissance de l’aide active à mourir. Le groupe d’études sur la fin de vie a beaucoup travaillé pendant trois ans. J’aurais préféré que ce soit la majorité qui nous propose un projet de loi, avec toutes les études d’impact et les avis nécessaires. Cela aurait permis à notre assemblée de délibérer avec plus de sérénité encore sur un sujet aussi sensible. Je regrette que le parcours législatif soit celui d’une initiative parlementaire, même si je me félicite que le sujet soit porté à nos débats. Pour ma part, je suis partisan de la liberté, de la liberté de choisir de mourir sereinement, de rendre effective l’aide active à mourir dans des conditions bien précises, selon des règles claires. Je suis favorable à la création de ce droit et je souscris à la réponse proposée par le texte.

M. Philippe Vigier. C’est une question grave qui nous est posée. Je voudrais témoigner de mon cheminement sur ce sujet. Pour être dans cette maison depuis quelques années, j’ai suivi de nombreux travaux, notamment ceux sur la loi Claeys-Leonetti. Chacun doit voir que le texte ouvre l’accès à une nouvelle liberté. N’opposez pas les soins palliatifs et l’euthanasie, car ce n’est pas du tout la même chose. Pensez une seconde à tous ces personnels soignants qui accompagnent nos aînés et ceux qui malheureusement souffrent d’une maladie incurable au moment où nous parlons. La dignité est-elle au rendez-vous ? Ce n’est pas la sensibilité d’un seul député qui s’exprime : nous avons tous été confrontés à ces situations pour savoir qu’elle ne l’est pas. Est-ce que l’humanité est au rendez-vous ? Je ne le crois pas. Savoir que nos concitoyens vont à l’étranger... Cela me rappelle le combat de Simone Veil pour la légalisation de l’avortement. Cela me rappelle également ceux qui vont à l’étranger pour réaliser une procréation médicalement assistée.

C’est un droit, certes, mais il s’accompagne de tant de contraintes. Il faut un avis médical, un collège de médecins, un contrôle qui n’existe pas à l’heure actuelle. Lorsqu’une personne n’est plus en capacité physique de s’exprimer, elle a un tiers de confiance. Mais ce tiers ne décide pas pour elle. Il soumet son cas à un examen médical approfondi. Enfin, les médecins ont le même droit de retrait que pour l’avortement. Le serment d’Hippocrate est respecté. Réfléchissons ensemble.

Mme Isabelle Valentin. La manière dont nous est présenté ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux éthiques, moraux et sociétaux relatifs à la liberté de sa fin de vie. Cette question aussi délicate que cruciale aurait mérité de faire partie de l’examen d’un projet de loi relatif à la bioéthique et non pas d’une niche parlementaire. Ce texte touche à l’intime. C’est l’histoire personnelle de chacun d’entre nous. Le débat sur la fin de vie nécessite une approche d’écoute, de prudence et demande beaucoup d’humilité. Il est particulièrement revenu sur le devant de la scène politique et médiatique depuis le début de la crise sanitaire. De nombreux questionnements éthiques ont émergé : notre rapport à la mort, le tri des patients, le grand âge, l’autonomie, l’isolement, la solitude, le choix de se faire vacciner ou non, la suspension des rites funéraires. La question de l’acharnement thérapeutique est au cœur des débats. C’est une souffrance pour le patient et sa famille.

Beaucoup de patients ont une fin de vie qu’ils n’ont pas choisie. Nous ne pouvons pas opposer soins palliatifs, sédation profonde et euthanasie : ce sont des moyens différents pour accompagner la fin de vie. Le soin palliatif est très inégalement réparti sur le territoire. Ne faudrait-il pas envisager de lui allouer plus de moyens ? Comment envisager que l’ensemble des Français ne sont pas ou ne seront pas égaux face à la mort et face à la fin de vie ? Comment pouvons-nous fermer les yeux sur le souhait d’une grande majorité de Français favorables à l’euthanasie ? Comment vouloir ignorer que certains de nos compatriotes partent en Suisse ou en Belgique pour avoir une fin de vie plus digne ? Pour ma part, je suis favorable à ce que chacun puisse choisir.

M. Guillaume Chiche. La question de la fin de vie fait débat de longue date. Elle a été l’objet de nombreux travaux successifs, de l’IGAS, du CCNE ou encore de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Je veux remercier à mon tour Olivier Falorni et les collègues qui ont œuvré avec lui pour nous permettre de discuter de ce sujet attendu par la société. Le droit d’accéder aux soins palliatifs n’est pas respecté, comme l’a montré le CCNE. Cela est inacceptable. Mais c’est une question différente de l’aide active à mourir. Je veux saluer les professionnels des unités de soins palliatifs pour leur travail et leur dire que l’euthanasie n’est pas un substitut ou une solution par manque d’accès aux soins palliatifs. C’est une option.

L’assistance médicale active à mourir représente une liberté à laquelle chacune et chacun dans des situations de détresse et de souffrance sans issue doit pouvoir accéder. Nous ne pouvons plus accepter le cynisme avec lequel nous abandonnons une partie de nos professionnels de santé, en les conduisant à pratiquer, hors de tout cadre légal, des euthanasies. Cela représente plusieurs milliers de décès chaque année. Il faut pouvoir offrir un encadrement légal aux professionnels de santé. Il y va de la liberté de tout un chacun. Jamais je n’aurai la prétention de dire à telle ou telle personne quelle est la meilleure option pour elle. Jamais je n’aurai la prétention d’expliquer à tel ou tel en souffrance qu’il ne devrait pas recourir à ce droit. La seule chose que je peux faire, c’est lui donner la liberté de faire son choix sur le territoire national.

Mme Marine Brenier. Nous avons une occasion historique d’offrir l’ultime liberté de choisir sa mort à des malades en extrême souffrance. Simone Veil disait qu’aucune femme ne recourait de gaieté de cœur à l’avortement. Pensez-vous qu’un seul malade demande à recourir à l’aide active à mourir de gaieté de cœur ? La proposition de loi est soutenue de manière transpartisane, tant le sujet touche à des convictions personnelles profondes. D’ailleurs, 96 % des Français y sont favorables selon un sondage Ipsos. La Croix reconnaissait que 89 % des Français y étaient favorables. Certains diront que le moment est mal choisi. L’argument n’est pas audible pour ceux qui, malades, attendent désespérément ce droit dans le pays des droits de l’homme.

Les lois Leonetti et Claeys-Leonetti ont été de réelles avancées. Mais la fin de l’acharnement thérapeutique, les directives anticipées, les soins palliatifs restent trop peu fréquents. La sédation profonde et continue répond à de nombreuses situations. Mais pourquoi opposer ces solutions ? Pourquoi ne rien permettre à ceux qui, comme Paulette Guinchard, ont dû partir mourir à l’étranger ? Sur ce sujet, il n’y a ni sachants ni non-sachants. Il n’y a que des malades et des citoyens. La proposition de loi nous engage et entraîne dans son sillage des questions fortes qui seront débattues, je l’espère, dans le respect des convictions de chacun, en encadrant un dispositif clair et protecteur des malades. Mes chers collègues, légiférer sur l’aide active à mourir, c’est offrir un ultime geste d’humanité à ceux de nos concitoyens qui le réclament.

Mme Emmanuelle Ménard. Les lois d’avril 2005 et février 2016 relatives aux droits des malades et à la fin de vie ont fixé un cadre dont l’objet est d’éviter le recours à l’euthanasie, tout en faisant en sorte d’empêcher l’acharnement thérapeutique jugé déraisonnable. À la demande du patient, mais dans le cadre de directives anticipées et avec le concours de personnes de confiance, elles permettent l’arrêt d’un traitement médical trop lourd et, depuis 2016, la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Il est toujours possible d’évoquer des situations dramatiques qui sortent du champ de ces deux lois pour demander d’aller jusqu’à la légalisation de l’euthanasie et l’assistance au suicide. Les drames dont rendent largement compte les médias, et qui nous bouleversent, expliquent probablement en partie les sondages favorables à l’euthanasie dont vous faites état.

Nous les prenons en considération, mais certaines dispositions de cette proposition de loi sont problématiques. Les hommes et les femmes qui s’occupent des soins palliatifs expliquent que la loi actuelle est peu ou mal appliquée parce qu’ils n’ont pas les moyens requis. On estime que seulement 20 à 30 % des personnes qui pourraient avoir recours aux soins palliatifs y ont effectivement accès.

Je pense également que l’État n’a pas à se mêler de tout. Il est des domaines – celui-ci plus que tout autre – pour lesquels il faut savoir se contenter de fixer un cadre sans prétendre résoudre tous les cas de figure. Ce cadre existe, il est précieux, même s’il n’est sûrement pas parfait. N’y touchons qu’avec la plus grande prudence.

Ne vous méprenez pas, si je suis partisane de la retenue en la matière, ce n’est pas en me drapant dans de grands principes, mais en gardant en mémoire les déchirements qui sont les nôtres quand un pareil drame vient frapper nos familles. Je me garderai bien de donner des leçons de morale, je serai plus modeste. Un cadre est fixé, faisons confiance à la conscience des médecins et à l’amour des proches et renforçons les soins palliatifs pour soulager les personnes en fin de vie.

M. Maxime Minot. Chers collègues, je suis fier de pouvoir débattre avec vous de cette proposition de loi. Ce débat honore la France, pays des droits de l’homme. Notre assemblée, et votre groupe politique en particulier, monsieur le rapporteur, fait preuve de courage pour aborder un sujet si délicat et douloureux.

Nous avons tous évoqué cette réalité : chaque année, de nombreux Français sont obligés de s’exiler pour connaître une mort digne et sans souffrance. Il est de notre devoir, en tant qu’élus de la nation, de mettre fin à ces situations grotesques en permettant enfin à nos compatriotes de bénéficier de cette option de fin de vie. Il est grand temps que la France avance sur ce sujet afin de répondre à une attente forte et légitime de nos concitoyens.

La position que je défends ne fera pas l’unanimité au sein de ma famille politique, mais je l’assume, comme je l’ai déjà fait lors d’autres débats, pour d’autres combats, notamment au sujet de la bioéthique. J’ai pris des coups, nous en recevrons certainement aujourd’hui, mais soyons fiers de ne pas renier nos convictions afin de plaire à l’un ou l’autre.

Mme Caroline Janvier. Le sujet que nous abordons fait écho à des expériences individuelles intimes, mais elles ne doivent pas justifier des choix aussi lourds, qui engagent l’ensemble de la société. Nous devons faire fi de nos expériences personnelles et nous placer derrière le voile d’ignorance suggéré par John Rawls pour déterminer l’intérêt général lorsque nous légiférons.

Si la société doit garantir le droit de chacun à la dignité, à l’autonomie et à la liberté, il ne faut pas oublier qu’elle n’est pas qu’une somme d’individus sans lien les uns avec les autres. Nos choix individuels ont un impact collectif et la société ne peut rester silencieuse sur la façon dont elle accompagne cette période qui rapprochera chacun de nous de la mort, et les situations qu’elle considère comme supportables ou insupportables, et finalement dignes ou non d’être vécues.

Monsieur le rapporteur, vous avez parlé de survie douloureuse. Je m’inquiète d’imaginer que la société puisse déterminer, même de façon implicite, que certaines situations ne méritent pas d’être vécues, et que la mort soit collectivement pensée comme la seule issue digne dans ces cas. C’est pourquoi je considère que le cadre fixé par la loi Claeys-Leonetti permet de répondre à un certain nombre de situations que nous savons incurables, et qu’aller plus loin serait faire un choix collectif dangereux.

Mme Monique Iborra. Je rappelle que la loi Claeys‑Leonetti est issue d’une proposition de loi, ce n’était pas un projet de loi du Gouvernement, contrairement à ce que certains ont avancé.

Ce n’est pas la première fois que l’avis des citoyens s’impose à leurs représentants et qu’une loi de société divise la représentation nationale. C’est la marque de nos sociétés démocratiques évoluées. La volonté de disposer de son libre arbitre est ancrée dans la grande majorité des Français. Nous devrions nous réjouir de cette évolution, c’est le sens de l’histoire.

Nous créons un droit dont l’exercice est encadré par l’intervention de médecins, il ne relève pas du seul désir de l’individu. Nous devons faire confiance aux médecins, créer un droit n’enlève rien à personne et permet d’exercer un choix. Nous répondons à une demande des Français, conformément à notre vocation d’élus chargés de représenter les citoyens.

M. Adrien Quatennens. Notre débat évoque pour beaucoup d’entre nous des situations personnelles, intimes, qui suscitent l’émotion. En tant que parlementaires, nous devons nous hisser au-delà de ces situations pour prendre collectivement une décision qui nous engage.

Pour notre part, ce sujet nous tient à cœur depuis longtemps puisque ma camarade Martine Billard avait signé en 2009 une proposition de loi pour le droit à mourir dans la dignité. Je me réjouis que des années plus tard, Caroline Fiat ait pris le relais. Nous devons éviter les postures, la question n’est pas de savoir qui propose cette réforme, et par quelle procédure parlementaire.

Dans son histoire, l’humanité a franchi de nombreuses frontières. Elle a franchi la frontière du temps quand la transmission orale a été supplantée par l’écrit. Des aptitudes ont cessé d’être des destins quand nous avons conquis le droit à la contraception et à l’avortement.

La mort, c’est d’abord l’idée que l’on s’en fait. Il nous reste une ultime liberté à conquérir : décider de notre propre fin de vie. C’est l’aboutissement de l’émancipation : je décide par moi-même, d’un bout à l’autre de mon existence, et dans tous ses aspects. De plus en plus de Français choisissent chaque année de franchir les frontières pour décider de leur fin de vie. Pour moi, pour chacun d’entre nous et pour chacun des Français, je forme le vœu que nous puissions disposer de ce droit en France.

Mme Michèle Victory. Le droit que nous proposons de créer n’enlève absolument rien à ceux qui existent déjà. S’il nous faut tout mettre en œuvre pour que l’exercice des droits existants soit facilité pour l’ensemble de nos compatriotes, cela n’empêche pas de réfléchir à des solutions novatrices, car nous ne sommes pas à la hauteur des exigences en ce domaine. Nous respectons les différentes opinions de chacun de nous, mais il nous faut franchir le gué au milieu duquel nous nous trouvons et avancer vers quelque chose de beaucoup plus ambitieux.

M. le rapporteur. La diversité des interventions, suscitant un certain nombre de remarques et de réponses, me facilite la tâche.

Madame Janvier, je me refuse à jeter un voile d’ignorance sur les situations individuelles. Notre devoir est de ne pas ignorer la réalité de ce qui se passe dans notre pays, et d’offrir un droit à l’aide active à mourir, qui ne s’oppose en rien aux soins palliatifs, je le dis et le répète.

La France n’est pas seule au monde : à nos frontières, la Belgique a adopté il y a vingt ans une législation dont le texte que je vous propose s’inspire largement. Après vingt années d’expérience, plus personne ne veut remettre cette loi en cause. Elle a permis de développer les soins palliatifs tout en apportant une réponse à certaines demandes d’aide active à mourir.

Certains estiment que la responsabilité de la décision qui serait laissée à la personne de confiance serait écrasante. Dans la majorité des cas, le malade sera capable d’exprimer sa volonté de façon explicite et réfléchie jusqu’au dernier moment. Et comme Philippe Vigier l’a souligné, dans les cas où la personne de confiance aura été désignée, elle ne décidera pas mais sera uniquement la porte-parole d’une volonté. Et cette parole sera confrontée à la décision collégiale de trois médecins. Je ne peux donc pas laisser dire que l’on donne à la personne de confiance la responsabilité de décider de la vie ou de la mort.

S’agissant de la nécessité d’étudier encore la loi Claeys-Leonetti, Jean-Louis Touraine est bien placé pour nous rappeler qu’elle l’a été abondamment, sous tous les angles. Mes armoires débordent de bilans, d’études, d’analyses et de commentaires. Cette loi a été évaluée par les experts, mais aussi par les Français.

Quant à l’argument selon lequel il ne s’agirait pas du bon véhicule législatif, je suis toujours gêné de l’entendre de la part de députés. Si une volonté commune doit nous unir, c’est celle de défendre notre rôle et notre droit à l’initiative parlementaire. Nous ne sommes pas que des contrôleurs du Gouvernement. Certes, nos institutions donnent une importante primauté à l’exécutif, mais nous gardons notre capacité de nous exprimer, et les interventions précédentes ont montré que chacun en ferait usage selon sa conscience.

Nous avons la faculté de proposer des lois sur de grands enjeux. Monique Iborra l’a rappelé : la loi Claeys-Leonetti est issue d’une proposition de loi, ainsi que la loi Leonetti de 2005. L’histoire a montré que le Gouvernement n’était pas seul à pouvoir défendre de tels textes. D’ailleurs, en 2018, lors des débats sur la loi de bioéthique, beaucoup d’entre nous ont demandé à aborder la question de la fin de vie. On nous avait alors répondu que le sujet relevait d’une proposition de loi. Chers collègues, nous y voici.


II.   Examen des articles

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Personnes pouvant accéder à l’assistance médicalisée active à mourir

La commission est saisie des amendements de suppression AS1 de M. Marc Delatte, AS8 de Mme Caroline Janvier, AS13 de M. Thomas Mesnier, AS95 de Mme Emmanuelle Ménard, AS107 de Mme Bénédicte Pételle, AS127 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, AS146 de M. Thibault Bazin et AS194 de M. Didier Martin.

M. Marc Delatte. En 2018, le CCNE a décidé de ne pas remettre sur le métier le sujet de la fin de vie, et il a rappelé que certaines situations de fin de vie posent la question du sens de la vie.

Cette proposition de loi met en exergue les carences dans l’accompagnement en soins palliatifs et souligne les inégalités géographiques. Si la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs – qui regroupe 10 000 soignants en soins palliatifs et 5 000 bénévoles de l’accompagnement – se prononce de manière très défavorable contre cette proposition et la légalisation de l’euthanasie, il faut nous interroger.

J’ai été pendant trente ans médecin de famille, j’ai accompagné des patients en fin de vie avec des services mobiles de soins palliatifs, et je peux témoigner que ces fins de vie sont des instants précieux. Alors que le patient est en situation de souffrance, donc de dépendance, est-il libre de choisir ? Les patients traversent des moments d’ambivalence, de labilité. Cette proposition de loi impose aux personnes de faire un choix alors qu’ils ne sont pas en situation de le faire, c’est une restriction de liberté.

Quant à l’exemple de la Belgique, la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie commence à rétropédaler sur la définition large de la maladie grave et incurable, qui inclut les symptômes liés au vieillissement. Vous comprenez les nombreuses dérives éthiques possibles.

C’est pourquoi je propose la suppression de cet article. La loi Claeys-Leonetti nous fournit les outils nécessaires, nous avons l’impérieuse nécessité de mieux l’appliquer. Le plan pour diffuser la culture des soins palliatifs en France doit être déployé.

Mme Caroline Janvier. En effet, la loi Claeys-Leonetti permet non seulement de soulager la douleur, mais aussi de répondre aux situations incurables par une sédation profonde et continue. Elle est mal appliquée, mal connue, et les moyens pour sa mise en œuvre sont insuffisants.

L’un des intérêts de notre débat est de partager ce constat, si le Gouvernement y répondait en consacrant aux soins palliatifs les moyens dont ils ont manqué jusqu’à présent, nous aurions obtenu une avancée significative.

M. Thomas Mesnier, rapporteur général. Permettez-moi de saluer le travail et l’engagement du rapporteur, ainsi que la mesure dans ses propos. Nous ne devons pas entrer dans ce débat pétris de certitudes, tant il s’avère complexe.

La loi Claeys-Leonetti, votée à l’unanimité en 2016, a trouvé un équilibre absolument remarquable. Le droit de choisir la fin de sa vie, invoqué par plusieurs intervenants, existe déjà par l’effet des directives anticipées. Le droit d’être accompagné en fin de vie dans la dignité existe aussi, et l’accompagnement final est apporté par la sédation profonde et continue.

Cette loi n’est pas appliquée, car insuffisamment connue de la population et des soignants. Les recommandations de bonnes pratiques pour les soignants à l’hôpital datent seulement de 2018, et pour la sédation à domicile, elles ont été publiées l’année dernière. Et nous devrions légiférer à nouveau ?

L’urgence est de fournir les moyens d’appliquer la loi. Avec cette proposition de loi, nous n’allons pas plus loin, nous allons ailleurs. Cela doit nous amener à interroger notre idée individuelle de la dignité, et de la place du projet individuel et de ses implications pour la société, aussi bien d’un point de vue éthique, moral que culturel.

Mme Emmanuelle Ménard. En 2012, Bernard Debré écrivait : « On invoque toujours le droit de mourir dans la dignité, mais on est digne quand ceux qui nous entourent, nous soignent, nous aident et nous accueillent décident que vous êtes digne par le regard qu’ils posent sur vous ou l’amour qu’ils vous portent. Au contraire, comment une loi sur l’euthanasie active ne serait pas ambiguë quand on connaît l’ambivalence même du mot dignité, ce sésame servi à tout va pour justifier qu’un jour ou l’autre, on puisse le plus légalement du monde pousser vers la sortie ceux qui ne s’y rendent pas assez vite. C’est une barrière invisible entre le fait de combattre la souffrance et le risque de mourir qui fait la grandeur et l’effroyable complexité de l’acte médical. La définition de cette barrière ne peut pas être confiée à la loi. »

J’ai été très troublée par ces propos, de l’homme politique et du médecin, mais finalement assez d’accord. À l’heure où notre pays consent d’immenses sacrifices pour sauver des vies, il me semble que les nouvelles dispositions que vous proposez bousculent tous les équilibres, notamment ceux qui ont été trouvés dans la loi Claeys-Leonetti. Cela ne me semble pas une bonne chose.

Mme Bénédicte Pételle. Cet article ouvre la possibilité d’une aide médicale à la mort dans le cas d’une affection grave et incurable infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée, ou jugée insupportable.

Les conditions évoquées – une douleur insupportable ne pouvant être apaisée – ne se justifient pas car les soins palliatifs offrent aujourd’hui un moyen d’apaiser cette douleur. Dans les cas d’agonie, en France, la loi Claeys-Leonetti autorise depuis 2016 la sédation profonde et continue. Celle-ci plonge le mourant dans un état non conscient dans lequel il ne ressent plus la douleur jusqu’au décès. Lorsque la mort est plus lointaine mais la douleur insupportable et incurable, les soins palliatifs non curatifs viennent apporter au patient un soulagement par des sédatifs.

J’ai recueilli le témoignage de proches qui ont connu une mort douloureuse, j’ai entendu la peur face à des maladies neurodégénératives. Il faut reconnaître le problème d’accès aux soins palliatifs, dû au déficit de médecins formés et aux inégalités territoriales. Si la formation professionnelle en soins palliatifs a pris une place importante, on peut regretter l’insuffisance de la formation initiale et la rareté des stages pratiques.

Le constat de l’insuffisance du développement des soins palliatifs en France est partagé, même si les produits, les médicaments et toutes les méthodes nécessaires existent pour soulager les souffrances. Proposer l’euthanasie comme solution parce que les moyens sont insuffisants soulève des questions. La réponse apportée par l’euthanasie à la souffrance des patients pose également une question sociale et éthique. Ce n’est pas seulement une question de liberté individuelle, elle intéresse notre rapport à la vulnérabilité : les soins du corps malade ou dégradé ; la dépendance vis-à-vis des autres ; l’acceptation d’être aidé, soigné, lavé, nourri ; la rencontre entre faibles et moins faibles, malades et soignants, proches et accompagnés. Avec l’euthanasie, c’est la fraternité, valeur fondamentale de notre République, qui est fragilisée. Je ne suis pas sûre que les soins palliatifs et l’euthanasie soient complémentaires.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Ce sujet éminemment difficile et sensible nous mobilise tous.

L’argument selon lequel l’opinion publique est déterminée est souvent avancé par nos collègues. Mais la loi Claeys-Leonetti de 2016 a été examinée après un long parcours de réflexion, engagé en 2012 par le Président François Hollande. Commissions de réflexions, conférences de citoyens, avis du CCNE et rapports ont alimenté un long débat. La proposition de loi a été rédigée ensuite, et pas seulement après quelques heures de débat.

La quasi-unanimité qui semble exister ne doit pas occulter les débats en cours dans les sociétés qui ont légalisé l’euthanasie, par exemple à propos de l’euthanasie des mineurs aux Pays-Bas. Ces mesures ne figurent pas dans ce texte, mais qu’en est-il de son potentiel élargissement dans les années futures ? À propos des souffrances psychiques, d’importants débats se tiennent en Belgique au sujet d’euthanasies de personnes souffrant de dépressions sévères.

La loi en la matière doit être rédigée à la suite d’un débat instruit, dans toute sa complexité, et en portant une attention aux plus vulnérables.

M. Alain Ramadier. L’amendement AS146 est défendu.

M. Didier Martin. La gravité et l’émotion qui règnent dans cette enceinte nous invitent à la prudence et à l’humilité. Que veulent les Français au moment de mourir ? En majorité, ils veulent ne pas souffrir, ils ne veulent pas faire l’objet d’un acharnement thérapeutique, ils veulent être accompagnés par des proches, par des soignants, éventuellement socialement et spirituellement. Et environ un quart des Français souhaite pouvoir bénéficier de l’euthanasie. Est-ce suffisant ?

Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit avec solennité que nous avions l’impérieuse nécessité de légiférer en ce domaine et, pour le dire clairement, de légaliser l’euthanasie. Est-ce vraiment notre priorité à quelques heures d’une intervention du Président de la République, alors que la France est engagée dans un combat pour la vie, et qu’elle a fait le choix délibéré des soins palliatifs dans un passé récent ?

Cette proposition ne me semble adaptée ni aux lieux, ni aux circonstances. Je reviendrai sur différents éléments signalés précédemment, en particulier l’opposition entre une liberté individuelle et l’engagement de toute une société. L’euthanasie engage toute la société, ce n’est pas seulement un nouveau droit à conquérir. Nous devrons y revenir, en particulier au sujet du suicide médicalement assisté.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Nos soignants se battent pour sauver des vies, mais aucun ne dirait qu’il le ferait à n’importe quel prix. À cet égard, les dispositions votées à l’initiative de Jean Leonetti ont marqué une avancée, que je salue, dans la mesure où elles ont mis fin à l’acharnement thérapeutique. Dans la période terrible que nous vivons, la question de la vie et de la mort se pose plus que jamais. Emmanuel Hirsch a écrit qu’en laissant des personnes mourir seules, loin de leurs proches, et en ne permettant pas l’accomplissement des rites funéraires élémentaires, nous avons perdu une part de notre humanité. On peut toujours trouver de bonnes raisons pour procrastiner, mais les arguments qui ont été avancés ne résistent pas à l’examen.

Aucun médecin honnête ne peut dire que la sédation profonde et continue permet de mourir sans douleur. On ne sait pas ce que ressent une personne qui y est plongée pendant plusieurs jours, sans être hydratée ni alimentée. Le législateur a autorisé cette procédure en raison des limites auxquelles se heurtent les soins palliatifs, malgré la qualité de l’accompagnement assuré par les soignants, que je salue : je me bats depuis des années, en tant que député de La Rochelle, pour que mon hôpital abrite une unité de soins palliatifs. Monsieur Martin, vous affirmez que la France a fait le choix des soins palliatifs. Pourtant, seules 20 à 25 % des personnes éligibles peuvent en bénéficier. Les moyens sont loin d’être suffisants.

L’exemple belge montre que les soins palliatifs et l’aide active à mourir ne s’opposent pas. On sait bien que certaines douleurs ne peuvent être traitées par les soins palliatifs. La sédation profonde et continue n’est pas une réponse : c’est le choix du laisser-mourir, qui ne satisfait pas les médecins. Quand ils recourent à cette pratique, ceux-ci savent qu’ils engagent la personne dans un aller sans retour, parfois très long.

Les dispositions de la proposition de loi sont strictement encadrées et définissent des critères très précis.

M. Adrien Quatennens. Je peux comprendre, chers collègues, que vous vous opposiez à la proposition de loi si vous avez la conviction profonde qu’il ne faut pas adopter ces dispositions mais, par pitié, ne le faites pas simplement parce que le texte n’est pas estampillé du sceau « Emmanuel Macron ». (Vives protestations). La loi Claeys-Leonetti, qui a constitué un véritable progrès, dispose – c’est le cœur du texte – que « toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». Les professionnels de santé emploient tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. On est bien loin de l’aide active à mourir, qui est défendue – pour ne citer qu’elle – par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, et qui existe dans de nombreux pays européens, comme la Suisse et le Danemark.

M. Philippe Vigier. Je ne voterai pas ces amendements. On connaît les limites des soins palliatifs. J’ajoute, monsieur Martin, que 48 % des lits de soins palliatifs se trouvent en Île-de-France. J’imagine que Thomas Mesnier, en sa qualité de rapporteur général de la commission des affaires sociales, appelle de ses vœux un accroissement du financement des soins palliatifs dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2022.

Le Gouvernement devait soumettre au Parlement, chaque année, une évaluation de l’application de la loi Claeys-Leonetti, ce qui n’a pas été fait depuis cinq ans. Cela explique que tant de travaux aient été réalisés en dehors de notre enceinte.

Nul ne peut se mettre à la place des personnes en fin de vie. Il nous revient d’encadrer les pratiques illégales qui se déroulent sous nos yeux pour responsabiliser les acteurs. Il n’est pas acceptable de détourner le regard.

M. Guillaume Chiche. Je m’opposerai naturellement aux amendements de suppression. Monsieur le rapporteur général, vous avez émis le vœu que les unités de soins palliatifs reçoivent davantage de moyens : on ne peut qu’aller dans votre sens. J’espère que le prochain PLFSS leur affectera des crédits en nette hausse.

Marc Delatte a déposé, sur chaque article, un amendement de suppression dont l’exposé sommaire indique que « l’orientation » de la proposition de loi est « équivoque et intrinsèquement pourrait conduire à une dérive éthique ». Je considère, pour ma part, que le texte offre un droit supplémentaire aux patients se trouvant en situation de détresse et de souffrance, et dont la maladie est incurable. Il leur permet d’accéder, de manière très encadrée, à la fin de vie qu’ils souhaitent. Il a donc un objet profondément éthique. Je ne comprends pas le jugement moral exprimé dans ces amendements.

Mme Caroline Fiat. Je voudrais vous faire part de mon expérience personnelle. J’ai indiqué, dans mes directives anticipées – j’en ai parlé à mes enfants et à ma personne de confiance – que je ne souhaitais pas faire l’objet d’une sédation profonde ni de soins palliatifs ; j’ai fait le choix de l’euthanasie. J’estime – c’est un jugement très personnel – que, si j’étais placée plusieurs jours durant en sédation profonde, avec ma famille à mes côtés, je n’aurais pas une fin de vie digne. Cela étant, je défends chaque année des amendements visant à accroître les moyens destinés aux soins palliatifs, car je considère que les personnes désirant bénéficier de ces soins ou de la sédation profonde y ont parfaitement droit. C’est pourquoi je répète qu’il ne faut pas opposer ces soins à l’aide active à mourir. Chacun a sa conception d’une fin de vie digne. La proposition de loi a pour objet d’offrir une liberté supplémentaire, mais il faut en parallèle améliorer les soins palliatifs.

M. Jean-Louis Touraine. J’invite à repousser les amendements de suppression. Il n’a jamais paru plus nécessaire qu’aujourd’hui de corriger, par des dispositions législatives, le mal‑mourir français. Les soins palliatifs et la sédation profonde sont essentiels, en ce qu’ils répondent à certains besoins. Ils ne s’opposent aucunement à l’aide active à mourir mais constituent des dispositifs complémentaires. Nous demandons simplement que l’on entende les demandes des malades. Une étude du docteur Édouard Ferrand, portant sur un grand nombre de patients, montre qu’après avoir bénéficié pendant plusieurs jours des meilleures conditions possibles de fin de vie – soins palliatifs, traitements antalgiques, accompagnement, visites de leur famille –, 61% d’entre eux réitéraient leur demande d’aide active à mourir. Dans la plupart des pays, cette aide est considérée comme un soin palliatif – le soin ultime.

La sédation profonde et continue, quant à elle, est moins employée depuis le vote de la loi Claeys-Leonetti. Son utilisation décroît chaque année, car elle est moins demandée par les malades et n’est pas non plus plébiscitée par les équipes soignantes. Le professeur Régis Aubry, qui est un des spécialistes des soins palliatifs, a affirmé qu’elle ne calmait peut‑être pas la perception de la douleur. On n’a pas de connaissances suffisantes. Comme l’a dit le docteur Corinne Van Oost, « celui qui va mourir en appelle parfois à la mort mais presque jamais au sommeil ».

M. Didier Martin. Il règne une certaine confusion dans ce débat. Il faut distinguer la sédation profonde et continue, le suicide médicalement assisté et l’euthanasie – laquelle semble être l’objet de la proposition de loi. La confusion vient aussi du fait que l’on n’a pas communiqué les résultats de l’évaluation de la loi Leonetti‑Claeys qui, contrairement à ce qui a été dit, a bien été réalisée. Les études de l’IGAS et du Conseil national d’évaluation des normes montrent que la loi du 2 février 2016 suffit à régler la très grande majorité des cas de fin de vie. Ces conclusions, écrites noir sur blanc, remontent à plus de deux ans.

La loi Leonetti‑Claeys permet de mourir mais non de faire mourir. En application de ce texte, on peut proposer une sédation profonde et continue, qui conduit au décès. La question est de savoir si on doit légiférer pour reconnaître le droit d’euthanasier un être humain. Lorsque le patient est conscient, il peut exprimer la volonté de mourir. Dans le cas contraire, les choses se compliquent. Les premières évaluations faites en Belgique montrent que, dans bon nombre de cas, la volonté du patient n’est pas prise en considération. (Exclamations.) C’est la pression de l’entourage qui est déterminante. Il y a un risque manifeste de dérive vers une euthanasie extensive, qui dépassera largement la volonté du patient.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Les amendements de suppression partent du principe que la loi Claeys-Leonetti répond aux attentes de nos concitoyens. Or, il me semble que tel n’est pas le cas. La proposition de loi a pour objet d’instituer un droit nouveau : celui de choisir librement sa fin de vie et de mourir dans la dignité. Le débat est mûr. Le groupe d’études – transpartisan – de l’Assemblée nationale sur la fin de vie a effectué, depuis le début de la législature, un certain nombre de travaux. Dans ma circonscription, j’ai été interpellée dès 2017 sur ce sujet. Un groupe de travail citoyen a été constitué. Jean-Louis Touraine et moi-même avons organisé une conférence-débat. Le texte comblera une lacune de notre législation et conférera à nos concitoyens l’exercice d’un droit qu’ils attendent. Je voterai contre les amendements de suppression.

Mme Catherine Fabre. Je m’opposerai également aux amendements pour l’ensemble des raisons qui ont été exposées. Je voudrais revenir sur les réflexions d’Emmanuel Hirsch relatives à la souffrance des malades mourant seuls, loin de leurs proches, sans que les rites funéraires puissent être accomplis. Nous devons avoir cette préoccupation à l’esprit dans le cadre de notre réflexion sur l’aide active à mourir. Beaucoup de Français souhaitent mourir chez eux, auprès de leurs proches. Madame Pételle, vous craignez qu’en autorisant l’aide active à mourir, on fragilise la fraternité. La légalisation de cette pratique témoignerait, à mes yeux, d’une prise de conscience collective. Elle permettrait de prendre de la hauteur, d’accompagner nos proches à un moment fondamental. Ce geste me paraît profondément humain et me semble ainsi relever de l’exigence de fraternité. Bien que ce ne soit pas facile pour les proches, le moment est venu d’entendre les personnes qui souhaitent recevoir une aide active à mourir. Nous devons être capables, collectivement, de les écouter.

M. Philippe Chalumeau. La distinction entre la sédation profonde et continue et l’aide active à mourir est au cœur de notre débat. La loi Claeys-Leonetti a permis une avancée extraordinaire mais conduit à jeter un voile pudique sur la fin de vie : lorsqu’on prescrit du midazolam ou de la morphine, on sait que le malade ne se réveillera pas. Par ailleurs, la prise en charge des patients est profondément inéquitable car elle ne s’exerce pas de la même manière sur l’ensemble du territoire. Enfin et surtout, ce n’est jamais le malade qui décide : c’est soit l’équipe, soit le médecin, soit la famille. Cette proposition de loi crée un droit, sans rien enlever à qui que ce soit. La disposition est encadrée : elle est réservée au contexte agonique. Elle ne s’oppose pas aux soins palliatifs. La décision sera prise par le malade ; s’il n’est pas en état de le faire, elle incombera à la personne de confiance. Cet ultime geste d’humanité nous élève. Je voterai contre les amendements de suppression.

Mme Bénédicte Pételle. Je ne peux pas laisser dire que le malade ne décide jamais en matière de soins palliatifs. Lors de mes visites dans les unités de soins palliatifs, j’ai constaté que le temps était suspendu. Les médecins prennent le temps nécessaire à l’écoute et à la compréhension. La décision, collégiale, est prise avec le malade ; la parole de chacun – aide-soignante, infirmière ou médecin – a autant de poids.

Les soins palliatifs et l’euthanasie ne sont pas complémentaires. L’article 1er introduit un profond changement philosophique et éthique dans la mission du médecin. Pour la première fois, celui-ci ne devra plus soigner ou alléger les souffrances, mais mettre fin à la vie. Cela contredit frontalement les termes du serment d’Hippocrate – « Je ne provoquerai jamais la mort délibérément » – et de l’article 38 du code de déontologie de l’Ordre national des médecins, retranscrit à l’article R. 4127-38 du code de la santé publique, selon lequel « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriés la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je voterai contre les amendements de suppression. Est-ce le bon moment pour aborder ce sujet ? Il est toujours difficile de parler de la mort, mais j’ai la conviction que le temps est venu. Il nous faut saisir l’occasion qu’offre la proposition de loi. Si la loi Claeys-Leonetti permet à une très grande majorité de personnes de choisir la manière dont elles souhaitent mourir, cela n’est pas le cas pour l’ensemble des malades en fin de vie. La proposition de loi offre une liberté supplémentaire, tout en l’encadrant.

M. le rapporteur général. Le ministre des solidarités et de la santé a exprimé il y a quelques jours, au Sénat, la volonté de développer les soins palliatifs et de leur affecter des crédits supplémentaires dans le PLFSS 2022. Je soutiens fortement cette ambition, qui devrait être appuyée par une large majorité.

Une étude belge récente montre, avec près de vingt ans de recul, que les organisations médicales professionnelles n’ont pas établi, dans ce pays, d’outil standardisé pour juger du caractère volontaire et réfléchi de la demande d’euthanasie. L’interprétation de ce critère peut donc se révéler très subjective.

Mme Frédérique Dumas. Je voterai également contre les amendements de suppression. À l’heure où nous parlons, l’hôpital opère un tri entre les patients et la qualité des soins se dégrade. Nous ne sommes donc pas toujours à la hauteur des principes éthiques que d’aucuns invoquent.

Le sujet dont nous débattons renvoie à des cas individuels de plus en plus nombreux. Dans sa lettre d’adieu, Anne Bert écrivait : « Forte de mon expérience de fin de vie en France et de mon choix de trouver une terre plus hospitalière, je déjoue les arguments fallacieux et les fantasmes serinés un peu partout. Non, la loi française n’assure pas au malade son autodétermination et elle n’est pas garante d’équité. Chaque équipe médicale agit, in fine, selon ses propres convictions et non selon les vôtres. » Elle ajoutait : « J’ai tenu à écrire un livre [...] pour dire autrement, sous le prisme du goût de la vie, comment je me suis réapproprié ma vision de la mort, bien au-delà du tabou de la fin de vie. » Cette lettre révèle une angoisse de la mort. Ceux qui croient en une vie après la mort sont souvent les plus réticents à appréhender ce passage.

Dans le film de Stéphane Brizé Quelques heures de printemps, le personnage joué par Vincent Lindon se réconcilie, à sa sortie de prison, avec sa mère, qui a pris la décision de mourir. C’est le moment où on peut parler et se réconcilier avec sa famille : on n’est pas surpris par la mort de la personne.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. On a eu parfois le sentiment que certains dressaient le constat des difficultés rencontrées par les soins palliatifs pour justifier la nécessité de l’euthanasie. Il faut être très prudent.

Le terme de procrastination qui a été employé laisse entendre que l’on voudrait éviter d’aborder le sujet. Il s’agit plus, à mes yeux, d’une question de maturation. Il faut assurer une consultation organisée, au moyen d’une méthode claire, qui reste à définir.

À l’appui de telle ou telle thèse, on cite diverses évaluations. Celles relatives à la Belgique ne sont pas tout à fait probantes ; elles ne permettent pas d’avoir une vision objective de ce qui s’y passe. Des dérives ont été signalées, qui doivent appeler notre attention.

Enfin, le terme de dignité soulève des interrogations : que recouvre cette notion ? Qu’est-ce que l’on entend par ne pas mourir dignement ? Nous sommes tous dignes.

Mme Monique Iborra. Puisque tout le monde fait référence à la loi Claeys‑Leonetti, je voudrais simplement rappeler le contexte dans lequel elle a été votée. François Hollande s’était engagé, pendant sa campagne pour la présidentielle, à légiférer sur la fin de vie. Or, ce texte est arrivé après le mariage pour tous, qui a provoqué un tohu-bohu à l’Assemblée nationale et en France dont vous devez vous souvenir. La loi Claeys‑Leonetti, d’une certaine manière, a fait figure de loi d’apaisement. Cependant, si elle a permis de calmer la représentation nationale, à droite comme à gauche, elle n’a convaincu ni les citoyens ni les médecins et c’est l’une des raisons pour lesquelles elle n’est pas appliquée. C’est pourquoi nous devons impérativement aller plus loin.

Mme Marine Brenier. La philosophie qui sous-tend la sédation n’est pas la même que celle de l’aide active à mourir mais pour un sujet aussi important que la mort, ne devrions-nous pas faire preuve d’un peu de pragmatisme ? C’est, en tout cas, ce qu’attendent certains de nos concitoyens.

Par ailleurs, beaucoup d’entre vous évoquent la Belgique. En janvier, j’ai organisé dans ce pays un voyage auquel ont participé, notamment, Jean-Louis Touraine et Maxime Minot. Je regrette que ceux qui décrient aujourd’hui le système belge n’aient pas été présents car ils se seraient rendu compte que les dérives qu’ils dénoncent n’existent pas. Le système, qui a vingt ans, est très encadré. Le dispositif législatif est clair et une commission est chargée de contrôler la pratique des euthanasies. Les procès sont très rares. Le pays des droits de l’homme devrait faire preuve d’humilité, écouter les médecins, les associations de patients, les juristes et les législateurs de Belgique pour apprendre de leur expérience plutôt que de se livrer à des réflexions très insultantes pour eux. N’oublions pas que nombre de nos concitoyens partent dans ce pays pour mourir.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Tout le monde ici fait preuve d’humilité.

Mme Michèle Victory. Les mots sont d’une chose, la réalité en est une autre. Nous avons sans doute tous vécu, dans nos familles, l’expérience d’un proche plongé en sédation profonde et continue et nous ne pouvons qu’avoir été émus par ce qui n’est rien d’autre qu’une lente agonie. La plupart du temps, la décision est prise par l’équipe et non par la personne elle-même. Il est assez hypocrite de ne pas reconnaître que cette décision est prise en vue d’un objectif que tout le monde admet : le décès de la personne. Il faudra bien, un jour, mettre en cohérence nos actes et nos mots. C’est pourquoi nous sommes contre ces amendements de suppression.

Mme Annie Vidal. Depuis la loi Kouchner du 4 mars 2002, les droits individuels du patient sont reconnus, à commencer par le droit à l’information. Le patient peut connaître le traitement et le diagnostic. Il peut refuser un traitement et choisir le type d’hospitalisation, à domicile ou conventionnelle. Nous proposons, aujourd’hui, d’ouvrir une sorte de droit ultime, de droit fondamental, afin qu’au moment le plus important de notre vie, nous ayons un autre choix que celui de la sédation profonde et continue ou de celui de vivre ses souffrances jusqu’au décès. Comment respecter le choix d’une personne si on n’élargit pas l’éventail des possibilités ? C’est pourquoi je ne voterai pas pour ces amendements de suppression.

Mme Annie Chapelier. Je voterai contre ces amendements de suppression. Sur les 660 000 personnes qui meurent chaque année en France, entre 150 000 et 200 000 ont besoin de soins palliatifs, en raison, par exemple, de la découverte d’une maladie qui peut entraîner de profondes souffrances et une fin rapide. Un tiers d’entre elles n’auront pas accès à ces soins. Environ 2 000 personnes meurent de la main de personnels de santé qui pratiqueraient l’euthanasie de manière plus ou moins illicite et quelques centaines de personnes choisiraient, parce qu’elles en ont les moyens, de partir en Belgique, en Suisse ou au Pays-Bas pour se faire euthanasier. Doit-on légiférer en France pour ces quelques centaines, voire milliers de personnes, sachant que la mort, qui nous attend tous, interviendra, pour la plupart d’entre nous, dans des conditions plutôt déplorables parce que l’accompagnement vers la fin de la vie n’est pas en digne en France et que l’on y meurt mal ? Je vous le dis avec force et conviction : nous devons légiférer pour ces personnes qui souffrent terriblement et se voient dans une telle situation de déchéance qu’elles demandent, par dignité pour elles, à mourir. Notre pays doit ouvrir le droit à ce choix, pas seulement pour les personnes en fin de vie, mais pour tous les vivants, afin d’apaiser l’anxiété de chacun d’entre nous qui pourrait se retrouver un jour en très grande dépendance, dans une situation de déchéance, dépossédé de son autonomie et incapable de prendre cette ultime décision.

Mme Nicole Trisse. Madame Dumas, vous considérez que la crise sanitaire que nous traversons justifie que nous abordions à nouveau ce sujet. Je ne suis pas d’accord. Ne confondons pas tout et ne cherchons pas des prétextes. Chaque personne doit pouvoir choisir sa fin de vie. Qui sommes-nous pour décider de permettre ou d’interdire à ceux qui refuseraient les soins palliatifs de choisir la manière dont ils veulent mourir ? Pourquoi, par exemple, leur refuser la possibilité d’être entourés de leur famille lorsqu’ils décideront de partir, ce qui est rarement le cas en soins palliatifs ? Savez-vous que la sédation profonde et continue peut durer quelques minutes comme plusieurs jours ? Je ne sais pas ce qui est le plus cruel. Cessons l’hypocrisie et ne jetons plus un voile sur la manière dont se déroule la fin de vie en France. Offrir le choix ne signifie pas qu’on remplacera un dispositif par un autre. Chacun restera libre de choisir la manière de mourir.

M. Nicolas Turquois. Je vous l’avoue, j’ai abordé ce texte avec réserve, pour des raisons de fond qui tiennent à mes convictions personnelles, comme de forme puisqu’il s’agit d’une simple proposition de loi. Aujourd’hui, je suis frappé par la qualité de nos débats et l’écoute dont nous faisons preuve les uns envers les autres. La forme même de la proposition de loi ne me dérange plus car le cheminement parlementaire devrait nous permettre d’être pleinement éclairés.

Quant au fond, j’ai écouté avec attention les témoignages et je me suis rendu compte des nombreuses inégalités qui subsistaient dans l’accès aux soins palliatifs. Ainsi, dans la Vienne, les soins palliatifs proposés aux patients du centre hospitalier universitaire restent fermés aux personnes extérieures au territoire. J’en conviens, l’octroi d’un droit à une assistance médicalisée n’enlèverait rien à personne. Je voterai donc contre ces amendements de suppression.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Nous ne voterons pas ces amendements. Ce texte n’a pas vocation à opposer les soins palliatifs à cette assistance médicalisée, ni même à les réduire. Au contraire, nous sommes nombreux, ici, à vouloir renforcer les moyens qui leur sont affectés pour les développer. Ce texte n’a pas été proposé parce que les soins palliatifs ne seraient pas efficaces mais parce qu’ils ne permettent pas de répondre à certaines situations. Des malades, aujourd’hui, n’ont pas la liberté de choisir et restent face à leur détresse et leur souffrance. Je le sais d’autant plus que j’ai organisé de nombreuses réunions publiques autour de ce thème. Permettez-moi ainsi de vous livrer le témoignage de cet homme de 45 ans, qui avait accompagné en Belgique son épouse de 43 ans, atteinte de la maladie de Charcot, qui, même si elle n’était pas en fin de vie, a choisi de ne pas vivre les souffrances inéluctablement liées à cette maladie.

Nous ne pouvons plus accepter que des Français soient contraints de se rendre en Belgique parce que notre pays n’est pas capable de leur offrir ce choix. Ce texte ne vise pas à opposer plusieurs manières de finir sa vie mais à créer un nouveau droit.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS263 et AS264 du rapporteur.

Elle en vient ensuite, en présentation commune, aux amendements AS189 et AS191 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. La Belgique dépénalise l’acte d’euthanasie en cas de souffrance psychique insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable. Des voix s’élèvent contre cette formulation car elle permettrait d’assister une personne qui voudrait mourir pour mettre fin à des souffrances psychiques intolérables. Durant ces dix dernières années, il est arrivé que des malades très jeunes, souffrant de dépression chronique, demandent à mourir après avoir tenté à plusieurs reprises de se suicider mais se rétractent au dernier moment. Il s’est alors avéré qu’un autre diagnostic posé sur leur maladie révélait une pathologie soignable, mais qui n’avait pas été détectée suffisamment tôt. Je propose par conséquent de retirer le terme « psychique » ou de l’associer au caractère physique en remplaçant « ou » par « et », afin que la cause psychique ne puisse être la seule invoquée.

Le rapporteur présentera un amendement, que nous avons été plusieurs à cosigner, pour qu’un médecin spécialiste de l’affection dont souffre le demandeur participe au collège de médecins chargé d’examiner la situation médicale de la personne. Cependant, même en présence d’un collège de psychiatres, ces cas-là pourraient être largement discutés, d’autant plus que personne n’a pu prouver, jusqu’à présent, qu’une maladie psychique était incurable.

M. le rapporteur. Le cadre de la loi est extrêmement précis. Il faut être atteint d’une affection grave, incurable, en phase avancée ou terminale pour pouvoir demander une assistance médicalisée active au décès. Les termes sont clairs. Vous soulevez à juste titre le cas de la dépression. Si le nombre de personnes qui en souffrent a, malheureusement, considérablement augmenté dernièrement, cette maladie n’est, en aucun cas, incurable. Le texte ne permet pas d’accéder à une demande d’assistance médicalisée active au décès dans le cas d’une maladie psychique, comme la dépression. J’espère vous avoir rassurée.

Avis défavorable.

Mme Annie Chapelier. Je ne retire pas mes amendements car le rapporteur ne m’a pas totalement rassurée. J’ai bien compris ses explications mais n’a-t-il pas lui-même reconnu s’être largement inspiré de la rédaction de la loi belge, laquelle n’a pas empêché de retenir, dans certains cas de profonde dépression, la seule cause psychiatrique ? Et pourtant, les mêmes arguments que les siens avaient été avancés pour tenter de rassurer ceux qui pointaient ce risque.

En France, 9 000 personnes se suicident en moyenne chaque année et 90 000 sont hospitalisées pour tentative de suicide. Je me doute bien que votre proposition de loi n’ouvrira pas la voie à l’organisation de suicides en masse mais on n’est jamais à l’abri de quelques dérives. C’est pourquoi je vous proposais de lier physique et psychique. Je ne nie pas la douleur psychique mais je reste convaincue que l’on peut la soigner.

Mme Emmanuelle Ménard. Le débat est extrêmement intéressant. La notion de détresse psycho-sociale a été soulevée lors du dernier débat autour des lois de bioéthique. En l’espèce, le cas de la souffrance psychique insupportable pose question. Vous affirmez, monsieur le rapporteur, qu’une dépression nerveuse ne pourrait en aucun cas justifier la demande d’euthanasie parce qu’elle n’est pas une maladie incurable. Mais que se passe-t-il si une personne, atteinte d’une maladie durable et incurable, développe une dépression nerveuse qui lui fait voir « la vie en noir » et lui donne l’impression d’être en proie à une souffrance psychique insupportable ? Où placer le curseur ? Que faut-il prendre en compte ? La frontière est si ténue qu’il me semble délicat d’intégrer dès le premier article la notion de souffrance psychique insupportable. Je suis d’accord avec Mme Chapelier qui propose de lier le psychique au physique.

M. Didier Martin. À vous entendre, il serait toujours possible de soulager la souffrance psychique mais pas toujours la souffrance physique. C’est une contradiction et c’est pourquoi je m’oppose à ce texte. Il est toujours possible de soulager la souffrance psychique et la souffrance physique. Mme Chapelier a rappelé les chiffres du suicide, en France. Les personnes qui souhaitent mettre fin à leurs jours pourront-elles, demain, demander l’euthanasie ? Que leur répondrez-vous ? Ce texte pourrait grandement menacer l’équilibre de la société et, en particulier, la santé mentale des uns et des autres.

M. le rapporteur. Une souffrance physique entraîne, en général, une souffrance psychique. Il est d’ailleurs assez difficile de les distinguer car la souffrance est commandée par le cerveau. Je le répète, ce texte propose de n’accorder l’assistance médicale au décès qu’en cas de maladie grave, incurable. Il arrive tous les jours, hélas, que les médecins soient confrontés à une impasse thérapeutique et proposent des soins palliatifs. La dépression est une maladie grave mais pas incurable, bien au contraire. Par ailleurs, il est prévu qu’un collège de trois médecins entoure le malade. La maladie psychique n’entre pas dans ce dispositif.

Mme Chapelier a rappelé que je m’étais largement inspiré de la loi belge : c’est vrai, je ne m’en suis pas inspiré totalement. De toute manière, si ce texte était adopté, toute évolution ultérieure ne pourrait relever que du législateur qui, dans sa sagesse, prendra les dispositions qu’il estime nécessaires. Pour l’heure, il n’est pas question que des personnes dépressives aient accès à l’aide médicalisée au décès. Les médecins s’assureront de la bonne application de ce texte et il est prévu d’instituer une commission nationale de contrôle des pratiques.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle est saisie, en présentation commune, des amendements AS70 et AS68 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Avis défavorable. Je comprends les motivations des signataires mais l’adoption de ces amendements romprait l’équilibre du texte.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS265 du rapporteur. En conséquence, l’amendement AS147 de M. Thibault Bazin tombe.

La commission en vient à l’amendement CS231 de Mme Annie Vidal.

Mme Annie Vidal. Il s’agit de compléter l’article par l’alinéa suivant : « Les polypathologies chroniques liées à l’âge ne constituent pas à elles seules un motif justifiant une demande d’une assistance médicalisée pour mourir. » La vieillesse implique nécessairement un affaiblissement de la santé des personnes mais les problématiques médicales qu’elle engendre naturellement ne devraient pas conduire à une assistance médicalisée à mourir. Nous souhaitons lutter contre l’âgisme et toute forme d’influence sociale à laquelle certaines personnes âgées particulièrement vulnérables pourraient être soumises.

M. le rapporteur. Nous connaissons tous l’engagement de Mme Vidal auprès des personnes âgées. Bien évidemment, ce texte n’a pas pour objectif d’inviter les personnes âgées à demander l’euthanasie. La notion de « polypathologies chroniques liées à l’âge » me semble assez floue et ne saurait constituer un critère légal. Je vous propose de retirer l’amendement afin que nous puissions y travailler d’ici la séance. Sinon, avis défavorable.

Mme Annie Vidal. D’accord. Il me semble en effet important de protéger les plus vulnérables contre les pressions sociales.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques AS201 du rapporteur, AS19 de Mme Marine Brenier, AS44 de M. Jean-Louis Touraine, AS55 de M. Guillaume Chiche, AS77 de M. Philippe Vigier, AS129 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS154 de Mme Agnès Firmin Le Bodo.

M. le rapporteur. Il s’agit d’insérer à l’article 1er la clause de conscience des médecins.

Mme Marine Brenier. Comme pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), il est fondamental d’accorder une clause de conscience particulière aux médecins car un tel acte relève des convictions personnelles, philosophiques ou religieuses.

M. Jean-Louis Touraine. L’amendement vise à préciser que le médecin refusant de pratiquer l’acte est tenu d’orienter immédiatement le malade vers un autre praticien susceptible d’accepter sa demande.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Il nous paraît important d’insérer la clause de conscience dans cette loi de liberté, afin de donner aux praticiens la liberté de faire ou de ne pas faire.

M. Didier Martin. Si vous n’avez pas songé à obliger un médecin à pratiquer l’euthanasie – ce serait une monstruosité ! –, vous exercez sur lui une pression excessive en l’obligeant à trouver un autre praticien qui se chargera de l’acte d’euthanasie. Je crains que se développe petit à petit une spécialité médicale qui consisterait à accepter les patients des confrères ne souhaitant pas pratiquer l’euthanasie.

Mme Emmanuelle Ménard. Lorsque nous avons examiné la proposition de loi sur l’allongement des délais de l’IVG, certains d’entre vous estimaient qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter une clause de conscience spécifique à l’IVG au motif qu’il existait déjà une clause générale. Or ces amendements visent justement à créer une clause spécifique à l’euthanasie. Les deux démarches me paraissent contradictoires et incohérentes.

Mme Marie-Noëlle Battistel. De nombreux professionnels de santé sont confrontés à la fin de vie sans être couverts par la clause de conscience générale. Il est donc important d’en élargir les bénéficiaires. C’est la raison pour laquelle j’ai cosigné cet amendement, même si cela fait des années que je me bats pour la suppression de la double clause de conscience dans l’IVG, qui ne me paraît plus utile.

Il est nécessaire de prévoir également une information et une réorientation immédiate : cela est prévu dans la double clause de conscience.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Alors que le serment d’Hippocrate place les médecins dans une culture de vie, la présente proposition de loi confie aux professionnels la mission de donner la mort : culturellement, la confrontation est difficile. On leur laisse la possibilité d’y déroger en trouvant rapidement un autre confrère acceptant de le faire à leur place. J’aimerais savoir si le corps des professionnels concernés peut être consulté : qu’en disent ceux à qui la loi demandera de procéder à un acte qui pose problème au regard de l’éthique professionnelle et du serment d’Hippocrate ?

Mme Caroline Fiat. Si cela posait un problème d’éthique, il faudrait alors supprimer la loi Claeys-Leonetti ou encore la phase d’arrêt des soins en réanimation. Les médecins appliquent des protocoles : quand on passe en sédation profonde, on donne la mort. Il en va de même lorsqu’on arrête la nutrition et l’hydratation, et les médecins le savent. Il faut raison garder : ce n’est pas parce que le processus est accéléré par l’administration d’une solution létale que l’éthique change. N’allons pas sur ce terrain car cela relèverait de la mauvaise foi.

M. Jean-Louis Touraine. Le serment d’Hippocrate n’autorise pas la pratique d’avortements, ni le traitement de la lithiase de la vessie, ni d’être rétribué quand on enseigne la médecine aux enfants de ses confrères. Ces règles, établies il y a 2 500 ans, s’appliquaient à la médecine de cette époque. La médecine que l’on enseigne et que l’on pratique aujourd’hui est différente. Le serment d’Hippocrate doit être adapté au XXIe siècle. Rappelons que l’on n’est même pas sûr du contenu de ce serment car la version la plus ancienne que l’on connaisse date de plus de cinq siècles après Hippocrate.

M. le rapporteur général. Je suis gêné quand j’entends ma collègue Caroline Fiat dire que la sédation profonde et continue serait un acte létal. Il n’en est rien : on soulage les souffrances et, si les drogues utilisées peuvent accélérer le processus, elles ne peuvent activer un processus qui n’a pas commencé.

Le serment d’Hippocrate a été revu par l’Ordre des médecins en 2012 et prend largement en considération l’éthique de notre temps : « Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » La proposition de loi va donc à l’encontre du serment d’Hippocrate.

Mme Frédérique Dumas. Selon M. Martin, il serait tout à fait possible d’abréger les souffrances physiques. Parfois, on ne peut pas le faire : chez les personnes très âgées, la morphine va induire la mort et non pas simplement réduire la souffrance. Par ailleurs, la sédation profonde et continue s’accompagne d’un arrêt de la nutrition et de l’hydratation : cela entraîne la mort, avec des souffrances. Je l’ai vécu personnellement, avec des personnes qui hurlaient pendant la sédation profonde et continue. Rappelez-vous le film Amour, de Michael Haneke, avec Jean-Louis Trintignant : c’est la réalité que vivent certaines personnes.

M. Philippe Vigier. Ces amendements sont de nature à rassurer tous ceux qui pensent que les professionnels de santé sont contraints d’apporter leur concours. Des garde‑fous sont mis en place. Je voudrais dire à Thomas Mesnier qu’il ne faut pas jouer sur les mots : lorsque l’hydratation et la nutrition s’arrêtent, les organes vitaux ne fonctionnent plus et la mort est au bout du chemin, très rapidement.

Mme Caroline Fiat. Un médecin exerçant en soins palliatifs m’a expliqué qu’en sédation profonde, le décès était dû à l’arrêt de la nutrition et de l’hydratation, prévu dans la loi Claeys-Leonetti. J’ai beau n’être qu’une aide-soignante et ne pas avoir prêté le serment d’Hippocrate, je maintiens mes propos : c’est bien l’arrêt de l’hydratation et de la nutrition qui provoque la mort. Le médecin sait pertinemment qu’il donne la mort en prenant cette décision.

La commission adopte les amendements.

Elle en vient aux amendements identiques AS200 du rapporteur, AS18 de Mme Marine Brenier, AS36 de M. Jean-Louis Touraine, AS54 de M. Guillaume Chiche, AS76 de M. Philippe Vigier, AS128 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS153 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS172 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de définir dans le code de la santé publique l’assistance médicalisée active à mourir réalisée par un médecin.

Mme Marine Brenier. Pour rassurer ceux qui craignent des dérives, l’amendement définit très précisément l’acte en question.

M. Jean-Louis Touraine. Je remercie Marine Brenier, qui a insisté pour que l’on dispose d’une définition sans aucune ambiguïté.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cette précision est nécessaire car la définition concrète des modalités de cet acte assurera une plus grande effectivité du droit et garantira qu’il ne s’agit pas d’une ouverture au suicide assisté, hors cadre et sans condition.

M. Didier Martin. Il aurait été plus clair et plus honnête de parler directement d’euthanasie plutôt que d’assistance médicalisée active à mourir : il n’y aurait pas d’ambiguïté !

La commission adopte les amendements.

Puis elle adopte l’article 1er, modifié.

Article 2 : Conditions d’accès, mise en œuvre et contrôle de l’assistance médicalisée active à mourir

La commission est saisie des amendements de suppression AS2 de M. Marc Delatte, AS9 de Mme Caroline Janvier, AS14 de M. Thomas Mesnier, AS108 de Mme Bénédicte Pételle, AS126 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, AS148 de M. Thibault Bazin et AS195 de M. Didier Martin.

M. Marc Delatte. Je rappelle ce que j’ai dit en préambule : 10 000 soignants de soins palliatifs et 5 000 bénévoles de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs ont émis un avis largement négatif sur cette proposition de loi de légalisation de l’euthanasie – il faut appeler un chat un chat. La vie est bien plus complexe que cela, et la sédation profonde est l’un des moyens existant en soins palliatifs pour accompagner le patient. La fin de vie doit être décente ; la dignité concerne la personne, et non la fin de vie.

Par ailleurs, il faut parler des risques de dérive éthique, en Belgique mais aussi au Canada. Les clauses de conscience sont facilement contournées puisque les établissements canadiens sont soumis à des pressions financières s’ils ne respectent pas la volonté d’euthanasie d’un patient. Quant à la personne de confiance, elle n’a qu’un rôle de témoignage, pas de décision.

La loi Claeys-Leonetti répond à plus de 90 % des situations : il faut la laisser vivre !

M. le rapporteur général. Je vous propose de rejeter cet article parce qu’il pose des problèmes d’application. Une étude parue en début d’année sur la situation en Belgique montre qu’aucun outil standardisé n’est fourni par les organisations médicales pour juger du caractère volontaire et réfléchi de la demande, faisant courir le risque d’une interprétation hautement subjective. La Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie semble retenir une acception assez large du terme « maladie », incluant notamment des malformations congénitales. Or, chez les patients âgés, l’euthanasie intervient le plus souvent dans un contexte de polypathologies. Dans ces conditions, lorsque la maladie est incurable et que la souffrance ne peut être soulagée, ou bien lorsqu’elle est jugée insupportable par le patient, celui-ci peut-il refuser un traitement pouvant le soulager et demander une aide médicalisée à mourir, autrement dit une euthanasie ? Plus nous creusons, plus nous mesurons la difficulté de ce sujet. Il n’est pas opportun de prendre ce chemin.

Mme Bénédicte Pételle. L’article 2 ne permet pas de se prémunir du risque de commettre des erreurs. La mention du médecin traitant à l’alinéa 2 reste trop vague pour définir auprès de quel médecin cette demande peut être faite. Un médecin généraliste de famille, non spécialiste de la maladie incurable dont souffre la personne, peut ainsi être impliqué dans cette procédure sans pour autant connaître les différentes solutions.

À l’alinéa 3, la saisie par le médecin traitant de deux autres praticiens sans aucune mention de leur spécialité, laquelle devrait être en rapport avec la pathologie du patient, peut amener à une prise de décision non appropriée. Ceux-ci devront, de plus, vérifier le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande, alors qu’ils ne connaissent pas la personne. Enfin, à l’alinéa 4, le délai maximum de quatre jours pour remettre un rapport comportant les conclusions sur l’état de santé du malade et la pertinence ou non de l’euthanasie est insuffisant. C’est un délai très rapide, alors que le rapport au temps est très diffus en soins palliatifs.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. L’aide médicalisée active à mourir sous‑entend le concept médical de soins et de vie, alors qu’il s’agit d’une aide à mourir. Ce titre est à la fois paradoxal et contourne le fait qu’il s’agit de donner la mort de façon anticipée. Pourquoi n’osez-vous pas utiliser les mots qui désignent l’acte demandé au médecin ?

L’euthanasie remet en cause le rôle de la médecine, non seulement sur un plan déontologique, mais aussi dans la relation de confiance entre le patient et le soignant. De plus, elle rompt avec le principe fondamental qu’aucun homme n’a le droit de disposer de la vie d’un autre, même dans une situation d’exception. Cette proposition de loi, radicalement différente des lois de 2005 et de 2016, soulève donc nombre de questions quant à son application.

Enfin, le choix du mot « dignité » me paraît très préoccupant. Il interroge le regard que nous portons sur la vieillesse, sur les personnes en fin de vie, dont on pourrait décider que celle-ci n’est plus digne ou plus utile. N’y a-t-il pas un risque que le patient, même inconscient, subisse la pression d’une société qui considère sa vie comme inutile ou indigne ? La dignité ne peut pas se rapporter à l’état physique ou psychique d’une personne : toute personne est digne, quelle que soit sa condition physique, psychique, sociale ou médicale.

M. Alain Ramadier. L’article 2 définit la procédure pour les personnes en capacité d’exprimer leur volonté. Alors que la fonction médicale est de prendre soin, cet article opère une mutation : il ne s’agit plus de respecter la liberté du patient, de refuser un traitement et de l’accompagner dans cette décision, mais d’exiger du médecin un acte qui contrevient à l’un des engagements du serment de l’Ordre des médecins. C’est pourquoi l’amendement AS148 propose de supprimer cet article.

M. Didier Martin. L’article 2 est en quelque sorte un protocole d’euthanasie. De même que nous nous sommes opposés à la légalisation de l’euthanasie, je m’oppose à ce protocole. Il concerne les malades conscients, qui peuvent encore exprimer leur volonté. La mention d’une « souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée » ou que la personne « juge insupportable » est ambiguë et subjective. Légiférer dans ces conditions me paraît franchement imprudent. Des solutions existent, comme les soins palliatifs et la sédation profonde et continue.

L’IGAS, je le rappelle même si vous ne souhaitez pas l’entendre, s’est penchée sur la loi Leonetti‑Claeys et a fait des préconisations pour l’améliorer. Elle constate que le nombre de personnes qui connaissent la législation est encore très insuffisant. Le droit au recours à la sédation profonde et continue jusqu’au décès est en train de s’instaurer peu à peu. Nous sommes encore loin des objectifs mais nous progressons. Les études sur la fin de vie, la conscience et la subconscience font largement défaut et la recherche dans ce domaine est encore trop pauvre. Il existe des pistes d’amélioration, y compris sur la formation initiale et continue du corps médical dans son ensemble.

M. le rapporteur. Les arguments avancés sont les mêmes que ceux qui ont été présentés pour la suppression de l’article 1er. Avis défavorable.

Mme Monique Iborra. Personne ne s’oppose à ce que l’on améliore la fin de vie via la loi Claeys-Leonetti. Celle-ci ne fait en aucune manière concurrence au texte que nous voulons voter : les malades auront un choix réel. Dans l’immédiat, la loi Claeys-Leonetti n’est pas appliquée et doit même être améliorée – fort bien ! Cela ne nous empêche pas de voter la proposition de loi.

M. le rapporteur général. Monsieur le rapporteur, si un malade, qui juge sa souffrance insupportable, se voit proposer un traitement qui pourrait le soulager et le refuse, et s’il remplit par ailleurs les autres critères fixés par la proposition de loi pour demander l’assistance médicalisée, quels sont les garde-fous ? Je ne les vois pas et mon exemple est symptomatique d’une série de questions qui s’accumulent, soulignant les risques liés à ces dispositions.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Je regrette que notre commission ait adopté l’article 1er. Et je comprends encore moins qu’on adopte le dispositif de l’article 2 alors que les équipes de soins palliatifs sont formées à la collégialité et au respect du temps nécessaire aux décisions. Si l’article 2 devait être adopté, il faudrait s’appuyer sur l’expérience acquise par ces équipes depuis le vote de la loi Claeys-Leonetti.

M. Philippe Vigier. Monsieur Mesnier, l’article 2 définit bien les conditions dans lesquelles une assistance médicalisée peut être demandée et il prévoit l’instruction des dossiers par un collège de médecins, en plus d’un contrôle a posteriori, qui n’existe pas à l’heure actuelle.

En outre, dans l’exposé des motifs, nous ne disons pas autre chose que vous : bien sûr, il faut développer les soins palliatifs partout, bien sûr, les citoyens doivent être mieux informés des dispositions de la loi Claeys-Leonetti, mais ce n’est pas contradictoire avec les dispositions de la présente proposition de loi. Notre constat est donc identique cet après-midi : nous serons tous unis pour obtenir un plan à la hauteur de nos ambitions dans le PLFSS 2022.

Enfin, si Olivier Falorni propose un encadrement, c’est bien que nous savons ce qui se passe. Manifestement, le législateur n’a pas fait son travail jusqu’à présent. Il nous appartient désormais de le faire pour éviter ces « dérives », parce qu’il y en a et vous le savez comme moi, cher Thomas Mesnier.

Mme Véronique Hammerer. Il ne s’agit pas d’une appréciation subjective mais d’un patient atteint d’une maladie incurable diagnostiquée par des médecins – on part donc de faits, réels, dont on connaît l’issue. La procédure débute certes par l’expression d’un souhait : celui de la personne atteinte de bénéficier d’une aide active à mourir. Mais elle est ensuite extrêmement bien encadrée puisque ce sont trois médecins, incluant le médecin traitant, qui vont étudier le dossier. Madame de Vaucouleurs, il y a donc bien collégialité et le médecin n’est pas seul pour prendre sa décision. Le protocole est parfaitement structuré et encadré.

En outre, seules les personnes adultes sont concernées, je tiens à le préciser.

Mme Caroline Fiat. Vous parlez de subjectivité, mais rappelez-vous la loi Kouchner de 2002, qui visait à remettre le patient au cœur du système de soins : avant, on cherchait d’abord ce qu’avait le patient, puis on le soignait ; désormais, la première chose qu’on lui demande, c’est d’évaluer sa douleur, sur une échelle de un à dix. Qu’y a-t-il de plus subjectif que la douleur, et cette échelle ? Pourtant, on fait confiance au patient – même lorsqu’il s’agit d’un enfant – pour soulager sa douleur et je n’entends personne s’en offusquer. C’est seulement ensuite qu’on recherche à déterminer ce qu’a le patient.

Nos débats sont particulièrement écoutés et l’euthanasie ne concerne pas que les personnes âgées. Pas d’âgisme, s’il vous plaît ! Certaines personnes âgées vivent parfois beaucoup mieux que des personnes plus jeunes qui ont subi un accident de la vie. On peut avoir 18 ou 21 ans et souhaiter bénéficier de ce dispositif...

M. Philippe Chalumeau. L’exercice est bien collégial – ce sont trois médecins qui évaluent. En outre, la collégialité est aussi présente par le biais de l’équipe soignante qui assiste le patient agonique – infirmière ou équipe des services de soins infirmiers à domicile. Ces malades ne sont pas seuls chez eux avec leur conjoint. Vous avez raison, les soins palliatifs ne sont pas des actes isolés ; c’est toujours un travail d’équipe et les décisions y sont collégiales, associant soignants, non soignants et entourage. Le dispositif ici proposé réunit ces conditions.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Monsieur le rapporteur, on évoque beaucoup l’accompagnement médical, la collégialité médicale, la prise en charge médicale, etc. La profession médicale est donc visée de façon itérative dans la proposition de loi.

Comment les médecins ont-ils été associés et comment ont-ils réagi à ce nouveau dispositif ? Qu’en disent ces professionnels à qui on demande – ou on impose, je ne sais pas – d’effectuer ce geste ? Parmi nos collègues, certains sont médecins et défendent le dispositif. Mais qu’en pense l’Ordre des médecins ? Qu’en pensent les fédérations médicales hospitalières ? Comment appréhendent-ils cette façon de légiférer ? Il s’agit de sujets fondamentaux, en lien avec la vie et la mort, qui peuvent entrer en conflit avec les convictions médicales des professionnels de santé, et en particulier des médecins, mandatés pour donner cette mort anticipée.

M. Didier Martin. Je n’ai pas entendu d’explication très claire sur les personnes très vulnérables, au risque de dérives. Vous avez évoqué les personnes présentant des polypathologies. J’ai entendu le mot « mineur ».

Mme Monique Iborra. Nous n’avons pas parlé de mineurs !

M. Didier Martin. On a aussi parlé des personnes atteintes d’Alzheimer, des polyhandicapés et des personnes en exclusion sociale (Protestations).

Vous indiquez qu’il s’agira de la décision collégiale d’une équipe soignante. C’est parfait ! C’est exactement ce qu’il faut, en coordination avec les directives anticipées contraignantes, la famille, les proches et avec la personne de confiance. Mais à partir du moment où vous instituez un droit à mourir par l’euthanasie, qui va pouvoir s’y opposer ? L’équipe soignante n’aura pas cette possibilité...

M. le rapporteur. Mes collègues ont répondu à certaines des questions. J’ajouterai qu’à entretenir le flou, on engendre la peur. Il suffit de lire la proposition de loi pour être rassuré : monsieur Mesnier, tout médecin sait ce qu’est une maladie incurable. On ne peut être plus précis, ni plus clair. Le voilà, le garde-fou.

Ensuite, les médecins doivent se prononcer de manière collégiale et ils ne sont évidemment pas tenus de répondre favorablement à la demande. Enfin, si elle est acceptée, sur le modèle belge, une commission de contrôle, composée de juristes et de médecins, contrôlera ces actes. N’entretenons donc pas le flou !

J’étais surpris – presque déçu – que vous ne parliez pas des mineurs. C’est chose faite mais, là encore, il faut savoir lire le texte : l’article 1er vise uniquement les personnes capables majeures.

Mme Caroline Janvier. Vous le savez comme moi, la maladie et la santé sont des notions évolutives – ainsi l’OMS englobe-t-elle la santé mentale dans la notion de santé.

À partir du moment où vous légalisez l’aide active à mourir en cas de maladie incurable – vous faites bien de le préciser – et confiez cette mission aux médecins, en donnant la possibilité à un malade de choisir sa fin de vie, la façon dont la décision va être prise et les critères d’accès peuvent parfaitement évoluer ultérieurement.

Il s’agit d’un changement fondamental et les dispositions que vous nous proposez de voter ne sont donc pas anodines : elles portent en elles des possibilités d’évolution futures, même si elles sont aujourd’hui circonscrites.

La commission rejette les amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS242 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement AS109 de Mme Bénédicte Pételle.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je propose de rester sur la notion de médecin traitant car celle de médecin référent n’est pas définie par la loi. L’article L. 162-5-3 du code de la sécurité sociale dispose que le médecin traitant peut être un généraliste ou un spécialiste – par exemple, celui qui suit l’infection incurable de la personne faisant la demande – ou qu’il peut être un médecin hospitalier. Je vous invite donc à retirer votre amendement.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS266 du rapporteur.

 

Elle en vient ensuite à l’amendement AS232 de Mme Annie Vidal.

Mme Annie Vidal. Suite à une demande d’assistance médicalisée, il s’agit d’instaurer un délai maximal de sept jours pour la saisine de deux autres praticiens par le médecin traitant. Cette disposition vise à s’assurer que les médecins chargés d’évaluer la situation du patient sont convoqués dans un délai précis. En effet, l’absence de précisions sur le délai risque d’aboutir à une évaluation tardive de la demande du patient, dont l’état de santé et la situation pourraient, entre-temps, avoir évolué.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

En l’état, l’article 2 dispose que le médecin traitant saisit sans délai deux autres praticiens. Votre proposition me semble moins-disante et risque d’allonger singulièrement le traitement de la demande, ce qui pourrait être dommageable dans beaucoup de cas. Je vous propose de retirer l’amendement.

Mme Annie Vidal. Je vais le retirer puisque nous avons le même objectif et que votre rédaction me satisfait : la demande doit être examinée rapidement. Vous avez raison, « sans délai » peut s’interpréter de deux manières : immédiatement ou dans un délai qui n’est pas contraint.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques AS202 du rapporteur, AS20 de Mme Marine Brenier, AS37 de M. Jean-Louis Touraine, AS56 de M. Guillaume Chiche, AS78 de M. Philippe Vigier, AS130 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS155 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS173 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de préciser qu’au moins un des membres du collège de médecins chargé d’examiner la situation médicale de la personne est spécialiste de l’affection dont souffre le malade demandeur de l’assistance médicalisée.

Mme Marine Brenier. La demande d’aide active à mourir émane du malade, mais la décision est prise de manière collégiale, avec l’équipe médicale qui la soutient. Nous souhaitons que le collège comprenne un spécialiste de la pathologie à l’origine de la demande. C’est un garde-fou supplémentaire, et une garantie pour éviter les abus.

M. Guillaume Chiche. L’amendement vise à rassurer : certains ont émis des doutes et fait part de leurs craintes quant à de possibles dérives.

M. Philippe Vigier. Qui est mieux placé qu’un spécialiste de la pathologie pour dire que le mal est vraiment incurable ?

Mme Michèle Victory. L’amendement AS130 prévoit la présence d’un spécialiste de l’affection, qui permettra de disposer de l’éclairage le plus complet possible sur la pathologie et sur cette fin de vie.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. L’amendement, comme ceux qui vont suivre, vise à encadrer au maximum cette liberté que nous allons voter.

M. Didier Martin. Il s’agit d’une fausse sécurité. Les patients en fin de vie souffrent de multiples pathologies – cardiaque, hépatique, rénale, etc. L’affection dont souffre le patient, c’est qu’il ne veut plus vivre ! Il n’existe pas de spécialiste d’une telle maladie.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’amendement AS116 de Mme Bénédicte Pételle tombe.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS243 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS233 de Mme Annie Vidal.

Mme Annie Vidal. Il s’agit de préciser qu’un des médecins chargés d’évaluer la situation du patient doit être un psychiatre ou un psychologue.

M. le rapporteur. J’entends votre demande, mais elle me semble satisfaite par l’adoption de l’amendement que nous venons de voter. Je vous propose de le retirer.

Mme Annie Vidal. Effectivement. Un tel encadrement est important pour les douleurs psychiques.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques AS203 du rapporteur, AS21 de Mme Marine Brenier, AS38 de M. Jean-Louis Touraine, AS57 de M. Guillaume Chiche, AS79 de M. Philippe Vigier, AS131 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS156 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS174 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de préciser que la demande doit avoir un caractère explicite.

La commission adopte les amendements.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS110 de Mme Bénédicte Pételle.

M. le rapporteur. Mon avis sera le même que pour le précédent amendement de la même auteure. Je vous propose de rester sur la notion de médecin traitant.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS244, AS245 et AS246 du rapporteur.

 

Elle est ensuite saisie des amendements identiques AS204 du rapporteur, AS22 de Mme Marine Brenier, AS39 de M. Jean-Louis Touraine, AS58 de M. Guillaume Chiche, AS80 de M. Philippe Vigier, AS132 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS157 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS175 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de préciser que les médecins chargés d’évaluer la demande de la personne malade vérifient qu’elle se trouve bien dans une « impasse thérapeutique ». L’ajout de cette expression est important. Malheureusement, chaque médecin la connaît dans sa pratique quotidienne.

M. Jean-Louis Touraine. L’impasse thérapeutique a été définie dans un avis rendu par le CCNE en 1996 sur les nouveaux traitements du sida. Il s’agit d’une situation qui survient chez un patient lorsque tous les traitements envisageables de sa maladie se sont révélés inefficaces ou présentent des effets secondaires intolérables.

Avec la présence du spécialiste, qui va pouvoir déterminer l’impasse thérapeutique, cet amendement apporte toutes les garanties souhaitables.

M. Guillaume Chiche. Le collège de médecins devra attester que le patient souffre d’une maladie grave et incurable, lui infligeant une souffrance qui ne peut être apaisée. Monsieur Martin, il ne s’agit donc pas pour ces patients de ne plus vivre, mais de mettre fin à des souffrances qui n’ont aucune issue thérapeutique. La différence est absolument fondamentale ! Sans cette pathologie, sans ces souffrances, bien sûr qu’ils voudraient continuer de vivre. Mais ils sont engagés dans une voie sans issue. C’est pourquoi il faut leur donner la liberté de recourir à une aide médicale active à mourir.

M. Philippe Vigier. L’expression « impasse thérapeutique » est claire, elle signifie qu’on a tout essayé. Cette garantie complémentaire est une bonne chose.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Cela fait écho à l’exemple que je citais dans une précédente intervention.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Dans la lignée des modifications déjà adoptées, il s’agit d’améliorer l’encadrement du dispositif, afin d’empêcher toute dérive.

M. Didier Martin. La définition de l’impasse thérapeutique ne me convient pas : quand on ne peut plus guérir, il faut soulager. Mais les soins palliatifs, c’est encore de la thérapeutique ; l’hydratation et l’alimentation, c’est encore de la thérapeutique.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Le polyhandicap est-il considéré comme une situation d’impasse thérapeutique ? Comment le traite-t-on ? J’ai bien compris que les mineurs n’ont pas accès à cette aide active à mourir. Mais doit-on signifier à un mineur en situation de polyhandicap devenu majeur qu’il peut demander à recourir à cette aide ?

M. Jean-Louis Touraine. Je veux rassurer Mme de Vaucouleurs : l’aide active à mourir concerne non pas des patients handicapés, mais des patients atteints d’une maladie incurable, qui va donc les tuer. D’ailleurs, c’est la maladie qui tue, et non le médecin qui pratique le geste, contrairement à ce qui a été dit. Le médecin ne fait que répondre à leur demande en les soulageant : c’est un geste de compassion.

La commission adopte les amendements.

Puis elle adopte les amendements rédactionnels AS247 et AS248 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement AS113 de Mme Bénédicte Pételle

Mme Bénédicte Pételle. Il vise à ménager un délai raisonnable entre l’entretien et la remise du rapport comportant les conclusions sur l’état de santé du malade.

D’après les équipes soignantes rencontrées en centre de soins palliatifs, le délai de quatre jours est trop court pour explorer toutes les pistes susceptibles d’alléger les souffrances de la personne en fin de vie.

Aucun délai ne semble idéal pour permettre de prendre en compte tous les éléments, d’analyser précisément la situation du patient et de rechercher les différentes options qui peuvent lui être proposées pour mettre fin à sa douleur, dont des soins palliatifs à domicile. Cependant, un délai raisonnable est demandé par de nombreux soignants.

M. le rapporteur. Le texte prévoit un délai de quatre jours pour les patients conscients et de huit jours pour les patients inconscients, dont le cas impose aux médecins de consulter l’équipe médicale et l’entourage du patient, notamment sa personne de confiance.

J’estime – et je ne suis pas le seul – que le délai de quatre jours prévu dans le premier cas est amplement suffisant pour statuer sur la recevabilité de la demande eu égard aux critères très précis définis dans la proposition de loi.

Pour ces raisons, avis défavorable à cet amendement comme aux deux suivants.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie, en discussion commune, des amendements AS114 de Mme Bénédicte Pételle et AS234 de Mme Annie Vidal.

Mme Bénédicte Pételle. Mon amendement de repli propose un délai de huit jours, par souci de cohérence avec le délai prévu pour les personnes incapables d’exprimer une demande libre et éclairée.

Mme Annie Vidal. Je propose pour ma part sept jours, notamment pour tenir compte du cas des patients soignés à domicile.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS249 du rapporteur.

Elle en vient ensuite à l’amendement AS235 de Mme Annie Vidal

Mme Annie Vidal. Il vise à ce que le rapport inclue des propositions d’autres solutions destinées à soulager, dans la mesure du possible, les douleurs du patient, et dont celui-ci puisse prendre connaissance avant de réitérer sa demande d’aide médicalisée à mourir.

M. le rapporteur. Cette demande légitime est satisfaite : l’alinéa 3 de l’article prévoit que, lors de l’entretien, les médecins informent le patient des possibilités de soins palliatifs. Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS250 du rapporteur.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS190 de Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier. Il reprend mon amendement à l’article 1er sur la notion de souffrance psychique, car je continue d’avoir un doute à ce sujet après mes échanges avec le rapporteur. Avec son accord, je me permettrai de revenir vers lui munie de nouveaux arguments afin d’écarter l’éventualité, si faible soit-elle, d’une dérive due à la mention du mot « psychique ».

M. le rapporteur. Je suis à votre disposition pour en parler d’ici à la séance et vous rassurer si besoin. Mais je maintiens, et je le dis solennellement, qu’il ne s’agit pas de traiter de cas de dépression. Je le répète, si la loi belge nous a inspirés, nous n’en avons pas repris cet aspect. Je ne défendrai jamais une telle démarche.

Mme Caroline Janvier. Dans ce cas, pourquoi ne pas être favorable à l’amendement, qui rassurerait beaucoup d’opposants à la proposition de loi ? J’insiste sur la question de la santé mentale et sur les risques que le texte pourrait entraîner à l’avenir.

M. Didier Martin. Qu’est-ce que la définition de la dépression ? Une « douleur morale profonde ». Si vous écrivez qu’il s’agit de soulager une profonde douleur morale, ou psychique, vous incluez les dépressifs dans le champ de votre proposition de loi. Ce n’est pas ce que vous venez de dire, mais c’est ce que vous écrivez. La contradiction est totale.

M. le rapporteur. On entretient le flou, on agite les peurs. Je répète ce que dit le texte, et je ne me lasserai jamais, dans un combat comme celui-là, de le répéter : il parle d’une affection grave, incurable, en phase avancée ou terminale. Je ne sais pas comment le dire autrement, je manque de synonymes, je suis à court d’arguments. Mon argumentation s’appuie simplement sur une définition très précise, à laquelle nous avons ajouté la notion d’impasse thérapeutique, dont M. Touraine nous a rappelé la définition également très précise par les autorités médicales. Il n’y a aucun doute possible. Je le répète, n’entretenez pas le flou, car le texte est tout sauf flou : il encadre très rigoureusement la démarche – trop, estimeront peut-être même certains de nos concitoyens.

M. Didier Martin. Puisque vous en appelez aux autorités médicales, pourquoi ne pas respecter le code de déontologie médicale ? J’ai évidemment une confiance absolue dans les propos de notre collègue Touraine sur les notions d’impasse thérapeutique ou de maladie incurable ; mais pourquoi n’interrogez-vous pas les autorités médicales pour savoir si vous êtes dans le vrai ou non ?

Nous le disons depuis le début de la discussion, la proposition de loi n’est pas assortie de la démarche normale en matière de loi de bioéthique ; or il s’agit d’une loi sociétale, mais aussi, fondamentalement, d’une loi éthique, puisqu’elle parle de la vie et de la mort. Vous n’avez pas choisi cette voie ; je le regrette. En refusant votre proposition de loi, je demande que l’on ouvre la voie de la loi de bioéthique, car c’est la bonne, celle que la France a choisie pour réglementer les questions de vie et de mort.

Mme Caroline Janvier. Je peux entendre que vous ne compreniez pas nos doutes et que vous ayez le sentiment qu’en en faisant part, nous cherchons à agiter des peurs. Constatez cependant avec moi que les conditions d’examen du texte ne sont pas idéales : pas d’étude d’impact, pas assez d’auditions. Dans ce contexte, nos questions sont tout à fait légitimes. Par exemple, Thomas Mesnier a demandé si un patient qui refuserait un traitement auquel il est éligible aurait accès à l’aide médicale à mourir. Pour répondre à des questions aussi fondamentales, nous ne pouvons nous fonder que sur la confiance que nous plaçons en vous ; avec tout le respect dû à votre travail et à votre engagement à ce sujet, cela ne me semble pas suffisant s’agissant d’une matière aussi essentielle.

M. Philippe Vigier. En ce qui concerne la loi de bioéthique, je laisserai répondre Mme Firmin Le Bodo, qui préside la commission spéciale chargée de son examen.

Pour répondre à Caroline Janvier, d’abord, c’est aussi une proposition de loi qui a débouché sur la loi Claeys-Leonetti. Ensuite, vous qui êtes une jeune parlementaire, chère collègue – je le dis avec affection –, sachez que la part d’intervention laissée aux parlementaires n’a justement cessé de se réduire au fil des ans. Nous envions tous le fonctionnement du Parlement allemand, la capacité d’initiative de ses membres, les moyens dont ils disposent. Enfin, n’allez pas imaginer que les textes gouvernementaux sont toujours assortis d’études d’impact formidables – je vous renvoie aux derniers textes que nous avons votés, mais le problème se pose depuis au moins trois quinquennats.

En outre, le texte ne vient pas de nulle part : un travail considérable a été accompli en la matière depuis vingt ans. Jean-Louis Touraine a rappelé fort justement qu’en dehors du Parlement, beaucoup d’instances y ont œuvré très sérieusement.

La voie choisie est la bonne, d’autant qu’elle est de nature à transcender les clivages politiques, sur un sujet qui en appelle précisément à la conscience de chacun.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Monsieur Martin, le Gouvernement a justement choisi de ne pas inclure la question qui nous occupe dans le projet de loi relatif à la bioéthique ; Mme Fiat, qui avait déposé nombre d’amendements en sens contraire, peut en témoigner. Nous pouvons tous, quelle que soit notre position, être fiers de la possibilité que nous avons aujourd’hui de débattre et de légiférer sur un tel sujet ; c’est notre rôle de parlementaires et de législateur.

Mme Annie Chapelier. Je soutiens entièrement la proposition de loi, dont le contenu est essentiel et qui permet de franchir une étape majeure en matière d’éthique.

J’entends en permanence comparer soins palliatifs et aide médicalisée, et non pas médicale, à mourir – il ne s’agit pas d’euthanasie, car celle-ci peut être pratiquée par n’importe qui et non par les seuls membres du corps médical. Mais l’aide médicalisée à mourir sera demandée par une personne atteinte de sclérose en plaques ou de la maladie de Charcot, qui se voit jour après jour diminuer, devenir totalement dépendante, et ne veut pas être une charge pour sa famille ni subir des souffrances qu’elle sait inéluctables ; alors que les soins palliatifs seront demandés et accordés à une personne à qui on vient de diagnostiquer un cancer évoluant très vite, ayant déjà créé des métastases, et qui souffre beaucoup mais n’a pas été préparée à la situation par une longue maladie – elle pourra ainsi vivre ses derniers moments, très courts, avec sa famille. Ce sont deux situations tout à fait différentes.

Malgré mon soutien au texte, je persiste à penser que le fait d’avoir repris presque mot pour mot la loi belge de 2002 risque de créer une difficulté. J’espère que nous en reparlerons, pour éviter le débordement que l’on peut observer en Belgique.

M. Jean-Louis Touraine. Il n’est pas exact de dire que nous n’avons pas pris le temps nécessaire. Une proposition de loi similaire a été déposée il y a quarante-trois ans par le sénateur Caillavet et la question a été débattue à chaque mandat depuis. Les états généraux de la bioéthique se sont saisis du sujet, auquel énormément de réunions ont été consacrées, ce qui a abouti à la proposition de compléter la loi. Une conférence de citoyens tirés au sort avait auparavant plaidé pour la légalisation du suicide médicalement assisté et la création de l’exception d’euthanasie, comme l’a fait plus récemment un autre comité citoyen, également réuni à la demande du CCNE. En la matière, l’éthique a donc été évaluée à de nombreuses reprises par les différentes instances compétentes.

Pourquoi utiliser le terme non d’euthanasie, mais d’assistance médicalisée ? Parce que l’euthanasie est administrée indépendamment du consentement : on peut euthanasier un animal domestique ou, comme on le fait malheureusement 2 000 à 4 000 fois par an, par l’administration de produits à effet létal à une personne qui n’a pas toujours été consultée. Une assistance est une réponse à une demande du malade : l’équipe médicale l’assiste afin d’humaniser son agonie et de la rendre moins pénible.

Chaque mot, ici, a été choisi à bon escient. Il faut admettre qu’une personne qui va entrer en phase agonique éprouve toujours une souffrance psychique. Cela ne veut pas dire qu’elle présente une maladie psychiatrique. Il est naturel, et ce sera le cas pour chacun d’entre nous, que l’approche de l’échéance terminale suscite cette réaction à laquelle on n’a pour l’instant trouvé de solution par aucun moyen thérapeutique. Nous voulons entendre cette souffrance, qui s’ajoute éventuellement à des douleurs physiques calmées ou non par les traitements.

Mme Caroline Janvier. Je suis d’accord avec mon collègue Vigier pour considérer que le Parlement doit retrouver davantage de capacité d’initiative et que les propositions de loi doivent occuper une plus grande place dans son ordre du jour. Toutefois, s’agissant d’un sujet aussi grave que la fin de vie, je regrette tout de même que nous légiférions de façon quasi subreptice et que les Français doivent découvrir, au lendemain des annonces à venir ce soir, que nous avons voté sans leur avoir permis de participer. Que nous soyons une minorité à défendre cette position ne doit pas nous empêcher de nous faire entendre. Je regrette l’absence de débat public et médiatique sur la proposition de loi, peu connue et peu anticipée dans l’opinion publique. En outre, le contexte sanitaire ne nous autorise pas à siéger tous, de sorte que la discussion n’aura pu être approfondie et que le vote de la commission ne reflétera pas le point de vue de chacun.

Mme Pascale Fontenel-Personne. C’est pour faire de telles lois que j’ai quitté la société civile pour devenir parlementaire, pour libérer et protéger – c’est bien de cela qu’il s’agit ici : on libère, mais on protège en encadrant. Si la loi Claeys‑Leonetti n’est pas totalement appliquée, c’est peut-être parce qu’elle n’est pas totalement applicable. Il n’y aurait pas eu de débat, dit-on ? Mais 97 % des Français veulent que nous ayons cette discussion. À ceux qui nous regardent, nous devons redire pourquoi nous sommes là : beaucoup de députés de la majorité ont quitté la société civile pour s’occuper des citoyens, y compris dans un tel domaine, en défendant un projet présidentiel mais aussi des lois, quelle qu’en soit l’origine et les initiateurs, du moment qu’elles ont du sens pour les Français.

La commission rejette l’amendement AS190.

Puis, suivant l’avis défavorable du rapporteur, elle rejette l’amendement AS192.

Elle adopte ensuite l’amendement rédactionnel AS251 du rapporteur.

 

Elle en vient alors à l’amendement AS236 de Mme Annie Vidal

Mme Annie Vidal. L’amendement vise à préciser l’alinéa 5 afin que la personne malade ayant demandé une assistance médicalisée à mourir puisse à tout moment révoquer sa demande auprès de l’équipe médicale, de la manière dont elle le souhaite, écrite ou orale. Il s’agit de garantir jusqu’au dernier moment la possibilité de revenir sur son choix.

M. le rapporteur. Je suis favorable à votre idée. Je vous propose que nous retravaillions ensemble à la formulation de l’amendement pour le simplifier, puis de le redéposer en séance ; je pourrai alors émettre un avis favorable. En attendant, je vous demande de le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission est saisie des amendements identiques AS205 du rapporteur, AS23 de Mme Marine Brenier, AS40 de M. Jean-Louis Touraine, AS75 de M. Guillaume Chiche, AS81 de M. Philippe Vigier, AS133 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS158 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS176 de Mme Caroline Fiat

M. le rapporteur. Il s’agit de simplifier les alinéas 6 et 7. Je laisse les auteurs d’amendements identiques préciser en quel sens.

M. Maxime Minot. Visant un équilibre adapté aux situations de fin de vie en matière d’assistance médicalisée active à mourir, l’amendement AS23 tend à réécrire les alinéas 6 et 7 pour en simplifier la rédaction, notamment en ramenant le délai minimal précédant la réalisation de l’acte à vingt-quatre heures après la confirmation de la demande, et en supprimant en conséquence la possibilité de l’abréger.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mon amendement vise pareillement à simplifier le dispositif tout en conservant des garanties suffisantes.

Mme Caroline Fiat. Je profite de l’occasion pour répondre aux personnes qui m’envoient des demandes d’explication à propos des directives anticipées : il s’agit d’un document officiel où l’on dit ce qu’on souhaite pour la fin de vie, et elles trouveront une page très bien faite et un modèle sur le site internet du ministère des solidarités et de la santé.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements AS111 de Mme Bénédicte Pételle, AS222 de Mme Véronique Hammerer, AS237 de Mme Annie Vidal, AS220 de M. Philippe Chalumeau et AS223 de Mme Véronique Hammerer ainsi que les amendements identiques AS112 de Mme Bénédicte Pételle et AS238 de Mme Annie Vidal et l’amendement AS149 de M. Thibault Bazin tombent.

 

La commission en vient aux amendements identiques AS206 du rapporteur, AS24 de Mme Marine Brenier, AS41 de M. Jean-Louis Touraine, AS60 de M. Guillaume Chiche, AS82 de M. Philippe Vigier, AS134 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS159 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS177 de Mme Caroline Fiat

M. le rapporteur. Il s’agit d’apporter une précision importante : l’acte d’assistance médicalisée active à mourir peut être réalisé au domicile de la personne, dans un établissement de santé ou dans un établissement ou service accueillant des personnes âgées.

Mme Marine Brenier. En effet, la précision est très importante. Il existe des équipes de soins palliatifs mobiles qui peuvent prendre en charge la sédation profonde et continue. Lors de notre voyage en Belgique, nous nous sommes rendu compte que des personnes ayant reçu une aide médicalisée active à mourir décédaient chez elles, entourées de leurs proches. Or on souhaite être accompagné par ses proches dans ses derniers moments. Voilà pourquoi nous proposons d’ajouter la mention du domicile et de la faire figurer avant les autres.

M. Jean-Louis Touraine. C’est tout aussi délibérément que la mention du domicile figure en premier dans notre amendement. Beaucoup de patients voudraient décéder chez eux, mais très peu le peuvent en France, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d’autres pays. Pourtant, c’est possible ; il faut simplement l’organiser, pour satisfaire la demande des personnes en fin de vie.

Mme Michèle Victory. De plus en plus de personnes, lorsqu’elles vieillissent, disent déjà vouloir mourir chez elles. On peut imaginer que la souffrance de la maladie et de la fin de vie, y compris psychique, ne fait que rendre plus nécessaire la satisfaction de cette demande.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Tous les amendements permettant d’expliciter le texte sont importants. On sait que 85 % de nos concitoyens souhaitent que leur fin de vie puisse se passer à domicile. Il est essentiel de leur donner le choix.

Mme Véronique Hammerer. J’ai compris pourquoi mon amendement AS223 est tombé mais je trouve que c’est dommage : je souhaitais aborder la question de l’intervention des infirmiers en pratique avancée (IPA) – je le ferai en séance. Il aurait été intéressant de pouvoir échanger sur la possibilité, pour les IPA, de participer à l’aide active à mourir. À domicile, ce sont souvent les infirmiers qui se trouvent en première ligne.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Il est question de se rendre au domicile d’une personne qui a émis le souhait qu’on l’assiste médicalement à mourir : une autre personne viendra gentiment lui administrer la potion magique...

Cela ne réglera pas le cas des 300 000 personnes qui vivent, en France, dans la plus grande solitude. Si elles sont confrontées, en fin de vie, à une souffrance, elles seront bien mieux accompagnées dans un service de soins palliatifs, où elles pourront prendre le temps de réactiver un peu une vie sociale.

C’est là qu’on est dans une forme d’humanité, et non lorsque quelqu’un vient cinq minutes en disant : « coucou, c’est moi, vous avez de la chance, vous n’allez pas mourir toute seule ». C’est bien, si jamais on adopte ce texte, que cela puisse aussi avoir lieu au domicile, mais cela ne remplacera jamais les journées ou les semaines passées aux côtés de la personne.

M. Philippe Chalumeau. Par mon amendement AS220, je voulais proposer une procédure d’agrément. On pourrait identifier, grâce à l’élaboration d’une liste, les médecins volontaires et disponibles dans les territoires pour appliquer la loi. Cela permettrait d’améliorer le maillage territorial et de développer la culture palliative, et cela présenterait aussi un intérêt pour la formation, la collégialité, la constitution d’associations et les échanges de pratiques. L’agrément serait délivré par l’agence régionale de santé sur simple demande. On obtiendrait automatiquement l’agrément, comme dans d’autres cas.

Par ailleurs, cela apporterait une réponse à la question de Didier Martin sur la clause de conscience. J’espère donc que nous pourrons en discuter par la suite.

M. Didier Martin. Les explications de mon confrère Chalumeau ne me rassurent pas du tout : elles m’effraient. Avec un tel agrément, on serait au bord du permis d’euthanasier médicalement à domicile. Je répète qu’il existe des équipes mobiles de soins palliatifs qui se rendent au domicile des personnes pour les accompagner et les soulager jusqu’au bout. Il me semble qu’il y a une antinomie entre l’agrément que vous proposez d’instaurer et un accompagnement humain à domicile, même dans les conditions les plus difficiles.

Quant à l’idée que des infirmiers pourraient délivrer le poison (Protestations), je pense que ce serait franchir encore un autre palier. La prescription et la délivrance sont des actes médicaux : seule une profession médicale pourrait être en charge de l’euthanasie médicale – c’est cette expression qui doit figurer dans le texte et non un euphémisme.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je rappelle, chers collègues, que ces amendements sont tombés.

M. Nicolas Turquois. On ne sait pas, dans la rédaction qui nous est proposée, qui pourra choisir le lieu. Ne serait-il pas pertinent de préciser que ce sera en fonction de la demande de la personne concernée ?

Mme Caroline Fiat. Des équipes mobiles de soins palliatifs vont déjà au domicile des gens. Que notre collègue soit rassurée : elles ne passent pas cinq minutes auprès des patients, même si on n’a pas beaucoup de temps pour s’occuper d’eux – je vous suggère de relire le très bon rapport Iborra-Fiat, qui devrait être appliqué très rapidement... Il faut raison garder et peser ses mots.

Ce sont des personnes en fin de vie et en souffrance qui recevront l’aide médicalisée à mourir. Elles ne sont pas toutes seules : elles ont au minimum une aide à domicile, elles sont accompagnées et entourées. Il y a au moins un médecin, une infirmière et des aides-soignantes qui vont les voir. Ne vous mettez pas en colère : tout va bien se passer.

La commission adopte les amendements.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS262 et AS252 du rapporteur.

Enfin, elle adopte l’article 2, modifié.

Article 3 : Accès à l’assistance médicalisée active à mourir pour les personnes devenues incapables d’exprimer leur demande

La commission est saisie des amendements de suppression AS3 de M. Marc Delatte, AS11 de Mme Caroline Janvier, AS15 de M. Thomas Mesnier, AS115 de Mme Bénédicte Pételle, AS125 de Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, AS150 de M. Thibault Bazin et AS196 de M. Didier Martin.

M. Marc Delatte. Si l’on demandait à nos concitoyens, dans le cadre d’un sondage, s’ils désirent une fin de vie décente, je crois qu’on aurait 100 % de réponses positives, mais il ne faut pas biaiser les questions.

Vous dites que cette proposition de loi instaurant un droit à l’euthanasie est un progrès et vous faites une comparaison avec la Belgique et le Canada, alors qu’on connaît les dérives éthiques possibles. Il y a loin de la coupe aux lèvres. La France, quant à elle, a choisi la voie de la solidarité...

Ce texte prive nos concitoyens d’un débat sur un sujet profondément sociétal et éthique, alors que nous sommes en train d’examiner, à la suite des travaux de la Convention citoyenne, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Je rappelle aussi que des concertations dans les régions, les villages et les villes ont eu lieu pendant deux ans à propos de la révision de la loi de bioéthique. S’agissant d’un sujet aussi important que l’aide active à mourir, l’euthanasie, il ne faut pas priver nos concitoyens d’un débat. C’est une question de démocratie.

Je reviens également sur ce que le CCNE a dit : la responsabilité de la décision est clairement imputable aux acteurs – les acteurs de santé et les patients. Or les soignants ont prêté le serment d’Hippocrate. Faut-il aussi légiférer sur ce point ?

Mme Caroline Janvier. Je trouve que les conditions dans lesquelles nous travaillons sur ce sujet sont très inadaptées et, sur le fond, je n’ai pas le sentiment que le rapporteur ou nos collègues qui ont déposé des amendements apportent les réponses nécessaires à certaines craintes. Je regrette qu’il n’y ait pas eu suffisamment de débat public sur cette question, même si j’entends ce qui a été dit à propos des sondages et sur le fait que ce sujet s’est invité lors des états généraux – il aurait fallu s’organiser d’une façon plus sereine et mieux anticiper.

Mme Bénédicte Pételle. Nous demandons la suppression de cet article qui établit une procédure pour les personnes dans l’incapacité d’exprimer une demande d’une manière libre et éclairée, car il n’offre pas une sécurité suffisante – des erreurs sont possibles.

L’article 3 ne précise pas la procédure pour les personnes seules – dont le nombre est en augmentation – qui n’ont pas désigné des personnes de confiance. Par ailleurs, il faudra recourir à deux témoins n’ayant pas d’intérêt matériel et moral au décès, mais le présent article n’indique pas par qui ces témoins doivent être sélectionnés, et il sera difficile de prouver l’absence d’intérêt matériel avant l’ouverture du testament.

Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe. Je voudrais insister sur la position des professionnels des soins palliatifs, qui sont confrontés au quotidien à des personnes en fin de vie dont ils doivent prendre en charge les difficultés et les souffrances. Ils disent explicitement qu’il est hors de question que des décisions de ce type leur reviennent.

S’agissant des sondages, la part des Français se disant pour l’euthanasie passe de 97 % à 24 % selon la forme que prend la question posée. Au fond, les attentes sont liées à la souffrance en fin de vie. La question est-elle veut-on mourir ou simplement ne plus vivre l’extrême souffrance dans laquelle on peut être ?

C’est, me semble-t-il, à cette dernière question que nous devons répondre, d’une manière plus pertinente. L’absence d’accès à des soins palliatifs qui prennent bien en charge les souffrances n’a-t-elle pas un rôle déterminant dans le souhait d’une euthanasie ? On ne peut pas ne pas se poser cette question. L’accompagnement est-il suffisant, permet-il de bien prendre en compte la souffrance, pour que cela ne conditionne pas la demande d’une mort prématurée ?

M. Alain Ramadier. L’amendement AS150 est défendu.

M. Didier Martin. Nous sommes évidemment opposés à un protocole d’euthanasie médicale pour les malades inconscients. Le CCNE, qui a fait part de réserves majeures à cet égard, a recommandé de ne pas modifier la loi Leonetti-Claeys parce qu’elle « opère une distinction essentielle et utile entre “laisser mourir” et “faire mourir”, même si cette distinction peut, dans certaines circonstances, apparaître floue ». Le CCNE a considéré que « le maintien de l’interdiction faite aux médecins de “provoquer délibérément la mort” protège les personnes en fin de vie, et qu’il serait dangereux pour la société que des médecins puissent participer à “donner la mort” ».

M. le rapporteur. J’émets un avis défavorable à ces amendements.

M. Guillaume Chiche. J’ai l’impression que certains font semblant de découvrir ce sujet alors qu’il fait l’objet de travaux depuis des années et des années au sein de la communauté médicale mais aussi du côté des usagers, des associations de patients, de la société civile et de nos institutions. Des rapports ont été remis, des préconisations ont été faites, des témoignages ont été fournis, et beaucoup ont une expérience en la matière. Nos échanges ont lieu après des années de débat. Le législateur est en retard par rapport à ce qui se passe dans la société.

Je ne me résous pas à accepter l’argument selon lequel le serment d’Hippocrate serait transgressé. Chaque année, des professionnels de santé sont amenés à apporter une assistance médicale à mourir en dehors du champ légal. Allez donc leur dire qu’ils sont des clandestins qui trahissent leur engagement moral ! Pour ma part, je ne crois pas que ce soit le cas. Je trouve, en revanche, qu’il est insupportable de les abandonner et de fermer les yeux sur ce qui se passe. On doit offrir un cadre légal.

Le CESE, qui a été cité par M. Martin, relate des études d’opinion. Le CCNE le fait aussi depuis plus de quinze ans.

Enfin, on peut organiser des évaluations et renforcer les moyens mais cela n’enlève rien à la nécessité de traiter des situations qui durent depuis bien longtemps.

Mme Monique Iborra. Si des députés n’ont pas entendu parler de cette question, c’est peut-être parce qu’ils n’étaient pas députés... Dire qu’il n’y a pas eu de débat dans notre pays – et dans d’autres pays européens, qui viennent de se prononcer –, ce n’est pas sérieux, c’est même honteux. Je trouve également qu’il est scandaleux de dire que les conditions nécessaires pour avoir un débat dans cette commission ne sont pas réunies. Il y a une majorité et une minorité, c’est la démocratie.

M. Jean-Louis Touraine. Je voudrais rassurer Mme Janvier et M. Delatte sur l’existence d’un débat public – abondant – sur ce thème.

J’ai assisté à quelques centaines de débats rien qu’au cours des cinq dernières années. Il y en a eu notamment, avec beaucoup de participants et d’une manière très apaisée, dans le cadre des états généraux de la bioéthique. La majorité a toujours été favorable au droit de choisir sa fin de vie, mais des points de vue contraires ont pu s’exprimer. Ce sujet s’est également imposé dans le cadre du Grand débat : c’est une préoccupation prioritaire pour nos concitoyens, qui exigent que l’on n’attende pas davantage pour répondre à leur demande.

Oui, les débats ont eu lieu et chacun a pu s’exprimer. Il est temps, maintenant, d’en tirer les conclusions.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Ce sujet n’était pas inscrit à l’ordre du jour du Grand débat mais il a été abordé par 8 % des contributions. Cela veut bien dire que c’est une préoccupation pour nos concitoyens. Nous allons apporter une réponse. J’ajoute que 350 000 personnes ont contribué au rapport du CESE. Des travaux, bien réels, existent.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Selon l’alinéa 4 du présent article, « la ou les personnes de confiance doivent confirmer le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande anticipée de la personne malade ». J’ai vraiment besoin de précisions sur ce point.

Il est évident, pour moi, que la demande doit avoir été formulée clairement dans le cadre d’une directive anticipée lorsque la personne était vraiment en état de le faire : il ne doit pas s’agir d’une simple demande. Ce n’est pas du recours à une personne de confiance pour une sédation profonde et continue qu’il est question : il s’agit d’une décision de mettre fin à une vie. La demande doit, au moins, émaner d’une personne capable de dire ce qu’elle veut ou qui l’a écrit très clairement.

M. Philippe Vigier. Le Pr Delfraissy a fait référence, lorsque nous l’avons auditionné la semaine dernière, à tous les débats qui ont eu lieu sur cette question. Je vous renvoie au compte rendu de la réunion.

Mme Caroline Fiat. Je vais continuer mes explications sur les directives anticipées – j’ai déjà parlé du site internet. Il ne faut pas attendre d’être malade. J’invite tous les députés à donner l’exemple en rédigeant des directives anticipées. Il ne faudrait pas que nos débats induisent nos concitoyens en erreur.

Ce n’est pas un sujet tabou. On peut en parler avec sa personne de confiance ou avec ses enfants, on peut dire ce qu’on souhaite si quoi que ce soit arrive. Les accidents de la vie ne concernent pas que les personnes âgées : ils peuvent se produire n’importe quand.

Remplissez, s’il vous plaît, vos directives anticipées et choisissez une personne de confiance. Il n’y a pas assez de personnes qui le font. Cela ne porte pas la poisse... Allez sur le site internet du ministère des solidarités et de la santé. Le document proposé est très bien fait.

M. Nicolas Turquois. Je remercie Caroline Fiat. Ce qu’elle a dit est évidemment ce qu’il y a de mieux à faire.

J’ai été assez convaincu, jusqu’à présent, par les explications qui nous ont été données. S’agissant de l’article 3, en revanche, j’ai des doutes.

Si on s’y prend bien à l’avance, en conscience, il n’y a pas de problème mais certaines situations seront dans une zone grise. Des personnes qui ont des maladies dégénératives peuvent commencer à se poser des questions. Néanmoins, je ne suis pas totalement sûr que la décision soit absolument libre, éclairée et indépendante dans certains contextes familiaux ou de proximité.

Je crois que je m’abstiendrai sur cet article.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Après cette discussion et ces interrogations – je comprends qu’il y a notamment des doutes et c’est la raison pour laquelle le Pr Delfraissy, auquel M. Vigier a fait référence, a conseillé de faire preuve d’humilité –, nous allons passer au vote.

La commission rejette les amendements.

Elle est ensuite saisie des amendements identiques AS208 du rapporteur, AS26 de Mme Marine Brenier, AS43 de M. Jean-Louis Touraine, AS63 de M. Guillaume Chiche, AS84 de M. Philippe Vigier, AS136 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS161 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS179 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de préciser que la volonté doit être exprimée d’une manière libre, éclairée et réfléchie mais aussi explicite : nous avons ajouté ce dernier terme à l’article 2 et il est normal de le faire aussi à l’article 3.

La commission adopte les amendements.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS253 et AS255 du rapporteur.

Elle en vient ensuite aux amendements identiques AS207 du rapporteur, AS25 de Mme Marine Brenier, AS42 de M. Jean-Louis Touraine, AS62 de M. Guillaume Chiche, AS83 de M. Philippe Vigier, AS135 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS160 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS178 de Mme Caroline Fiat.

M. Didier Martin. Il est bien dommage que nous travaillions au galop en cette fin de séance. Nous avons fait fi de la question posée par le président Mignola : le droit d’obtenir la mort d’un proche ne vous inquiète-t-il pas ?

M. le rapporteur. Notre débat a été jusqu’ici digne et de qualité. Je ne peux pas laisser dire que nous travaillerions au galop : bien au contraire, la France est « au grand ralenti ». De grâce, défendez vos légitimes convictions mais ne nous accusez pas de tronquer un débat qui infuse dans la société depuis des années, comme l’a dit Mme Iborra ! Nous avons auditionné la semaine dernière un certain nombre d’acteurs, chez lesquels j’ai d’ailleurs perçu une certaine lassitude : en « off », ils m’ont confié qu’ils en ont un peu assez d’avoir à répéter la même chose et de tourner en rond. Les seuls à ne pas avoir délibéré à ce propos, nous confiaient-ils, ce sont les législateurs !

Tous les points de vue ont pu être exprimés, les positions des uns et des autres sont connues par cœur. Nous en venons à organiser des auditions dont tous les arguments ont d’ores et déjà été entendus... Dire que ce débat est mené au galop, ce n’est pas très respectueux pour le travail que nous menons.

Mme la présidente Fadila Khattabi. En tant que présidente, je considère que le débat a bien lieu et que nous pouvons être fiers de la qualité et de la sérénité de nos échanges. Les Français nous regardent : poursuivons dans ce sens !

M. Jean-Louis Touraine. Comme nous le rappelons dans ces amendements, la personne de confiance ne donne pas son avis mais fait part de la volonté du malade. Elle est son porte-parole mais elle ne décide rien.

Mme Caroline Fiat. Je rappelle tout de même que nous avons discuté le 1er février 2018 dans l’hémicycle d’une proposition de loi relative à l’euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne, dont j’étais la rapporteure. Cette discussion est un peu vexante ! C’était une intervention « Calimero ».

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mais non, ne le prenez pas ainsi ! Cela montre surtout combien il est nécessaire de prendre le temps de la réflexion et de la maturation.

Mme Monique Iborra. Monsieur Martin, accepter la décision d’un proche de partir, c’est aussi l’aimer.

La commission adopte les amendements.

 

Réunion du mercredi 31 mars 2021 à 21 heures

La commission des affaires sociales poursuit l’examen de la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie (n° 288) (M. Olivier Falorni, rapporteur) ([43]) .

Article 3 (suite) : Accès à l’assistance médicalisée active à mourir pour les personnes devenues incapables d’exprimer leur demande

La commission est saisie des amendements identiques AS209 du rapporteur, AS27 de Mme Marine Brenier, AS45 de M. Jean-Louis Touraine, AS64 de M. Guillaume Chiche, AS85 de M. Philippe Vigier, AS137 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS180 de Mme Caroline Fiat.

M. Olivier Falorni, rapporteur. L’article 3 prévoit que la personne de confiance relaie la demande du patient devenu inconscient au médecin traitant. Cette disposition pourrait s’avérer bloquante si le patient n’a pas désigné de personne de confiance, même s’il a rédigé des directives anticipées. Il convient de modifier le dispositif, en indiquant que le médecin traitant transmettra la demande à deux autres praticiens au minimum, dont au moins un est spécialiste de l’affection dont souffre le patient, en cohérence avec la précision apportée à l’article 2.

Mme Marine Brenier. Envisager la décision de manière collégiale est tout à fait positif.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements AS121 et AS117 de Mme Bénédicte Pételle tombent.

Puis la commission adopte les amendements rédactionnels AS256 et AS254 du rapporteur.

Elle en vient à l’amendement AS219 de M. Philippe Chalumeau.

M. Philippe Chalumeau. Il serait bon que les deux médecins sollicités pour donner un avis, même s’ils n’accompagnent pas nécessairement le patient jusqu’à la fin de vie, soient agréés, l’agrément ayant pour intérêt de structurer le dispositif dans les territoires, car il est compliqué d’appliquer une loi sans praticien. Ainsi le médecin traitant pourrait-il identifier des collègues disponibles, ce qui n’est pas toujours aisé du fait de la démographie médicale. Il y aurait également des avantages en matière de formation, de collégialité et d’échanges de pratiques.

L’agrément serait consenti sur simple demande, par exemple par un praticien en soins palliatifs. Il ne s’agit pas d’une spécialité.

J’ai également déposé un amendement de repli, qui prévoit une simple expérimentation.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Bien que je comprenne parfaitement l’argumentation, instituer un régime d’agrément des médecins et de contrôle par les agences régionales de santé (ARS) reviendrait à introduire des contraintes supplémentaires pénalisantes. Il faut certes former les médecins, mais cela ne relève pas du domaine de la loi.

M. Philippe Chalumeau. Je retire l’amendement. Nous pourrons peut-être en discuter avant la séance.

L’amendement est retiré.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS257, AS258 et AS259 du rapporteur.

Puis elle examine les amendements identiques AS210 du rapporteur, AS28 de Mme Marine Brenier, AS46 de M. Jean-Louis Touraine, AS65 de M. Guillaume Chiche, AS86 de M. Philippe Vigier, AS138 de Mme Marie-Noëlle Battistel et AS181 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Dans la logique des amendements AS206 et identiques, adoptés à l’article 2, il s’agit de préciser que l’acte d’assistance médicalisée active à mourir peut être mis en œuvre au domicile de la personne, dans un établissement de santé ou dans un établissement ou service accueillant des personnes âgées.

M. Maxime Minot. Sur le modèle de ce qui est déjà prévu pour la sédation profonde et continue jusqu’au décès, l’amendement AS28 vise à s’assurer de l’effectivité de ce droit afin de garantir l’égalité entre tous les patients atteints de maladie incurable. L’extension de la possibilité de mise en œuvre effective de l’aide active à mourir entend lutter contre les inégalités considérables qui peuvent exister face à la fin de vie. Il serait très malvenu de refuser à des malades atteints de maladie incurable l’accès à ce dispositif à domicile, mais de l’autoriser par exemple en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). L’égalité des droits est un pilier fondamental de nos idéaux républicains ; elle doit être garantie.

J’estime, en tant qu’ancien soignant, que toute personne en proie à d’intenses souffrances lorsque la mort approche doit avoir le droit de bénéficier de l’assistance médicalisée active à mourir, quel que soit l’endroit où elle se trouve, en ville ou à la campagne. C’est une façon de réduire les fractures territoriales.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Mêmes arguments. Il est capital que les malades puissent choisir le lieu de leur fin de vie.

La commission adopte les amendements.

Puis elle adopte successivement les amendements rédactionnels AS260 et AS261 du rapporteur.

Enfin, elle adopte l’article 3, modifié.

Après l’article 3

La commission est saisie de l’amendement AS221 de M. Philippe Chalumeau.

M. Philippe Chalumeau. Je retire l’amendement, qui suit la même logique que l’amendement AS219. Nous rediscuterons de l’agrément avant la séance pour trouver une formulation satisfaisante.

L’amendement est retiré.

Article 4 : Création d’une commission nationale de contrôle et protection des garanties contractuelles des ayants droit de la personne décédée

La commission est saisie des amendements de suppression AS4 de M. Marc Delatte, AS10 de Mme Caroline Janvier, AS16 de M. Thomas Mesnier, AS151 de M. Thibault Bazin et AS197 de M. Didier Martin.

M. Marc Delatte. Vous aurez fini par le comprendre, je ne suis pas pour cette proposition de loi, qui porte sur un sujet éminemment sociétal et éthique. L’éthique, c’est aussi savoir jusqu’où ne pas aller.

Il y a vraiment une différence d’approche sociétale entre la sédation profonde et l’euthanasie. La proposition de loi prétend combler un manque et donner une réponse que la loi Claeys-Leonetti n’aurait pas fournie. Plutôt que de dire que celle-ci n’est pas appliquée ou applicable, mieux vaut s’appliquer à donner les moyens politiques de la faire vivre. Précisément, le rapporteur général l’a dit, le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) comprendra des moyens pour le plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement de la fin de vie. C’est la réponse que nos concitoyens attendent, car ils n’ont pas trouvé la réponse à des problèmes très douloureux dans les territoires.

À ce stade, je veux souligner la tonalité très respectueuse des débats. Nous sommes confrontés à des tensions entre l’intime et le collectif. Or la loi est précisément faite pour le collectif.

M. Thomas Mesnier, rapporteur général. On touche là à un véritable droit ouvert par cette proposition de loi, et on voit qu’il est fait mention du code pénal et donc à l’acte létal. Pour les raisons déjà évoquées dans nos débats sur les précédents articles et parce que, même quand on regarde rétrospectivement l’expérience des pays voisins, certaines questions semblent se poser, comme le fait de pouvoir dire d’une personne euthanasiée qu’elle est réputée décédée de mort naturelle.

M. Alain Ramadier. L’amendement AS 151 est défendu.

M. Didier Martin. L’article 4 institue une commission nationale de contrôle des pratiques relatives au droit de mourir dans la dignité ainsi qu’un contrôle a posteriori, avec la possibilité de saisir le procureur de la République. C’est donc qu’on envisage que tout ne se passe pas pour le mieux et que des dérapages puissent nécessiter l’intervention de celui-ci.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder. L’euthanasie est un homicide, et l’homicide est interdit par la loi. Si vous voulez rendre légale l’euthanasie médicale, mieux vaut se prémunir contre une éventuelle procédure judiciaire dès l’amont.

Quant à qualifier de mort naturelle celle qui résulte d’une assistance médicalisée pour mourir par injection létale, c’est le comble !

Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette les amendements.

Puis elle examine les amendements identiques AS212 du rapporteur, AS30 de Mme Marine Brenier, AS48 de M. Jean-Louis Touraine, AS67 de M. Guillaume Chiche, AS88 de M. Philippe Vigier, AS140 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS165 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS183 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de modifier le nom de la commission créée.

M. Jean-Louis Touraine. Je suis favorable à la modification de cet intitulé.

M. Philippe Vigier. Je soutiens cette proposition, d’abord, d’instituer une commission nationale, ensuite, de changer son intitulé en soulignant la nécessité d’en garder la composition originale, qui est un gage d’efficacité et de représentativité, et qui montre la solidité de cette loi.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements AS211 du rapporteur, AS29 de Mme Marine Brenier, AS47 de M. JeanLouis Touraine, AS66 de M. Guillaume Chiche, AS87 de M. Philippe Vigier, AS139 de Mme MarieNoëlle Battistel, AS164 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, AS 182 de Mme Caroline Fiat et AS118 de Mme Bénédicte Pételle tombent.

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS241 du rapporteur.

Puis elle adopte l’article 4, modifié.

Article 5 : Instauration d’une clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir

La commission est saisie des amendements de suppression AS213 du rapporteur, AS5 de M. Marc Delatte, AS12 de Mme Caroline Janvier, AS17 de M. Thomas Mesnier, AS31 de Mme Marine Brenier, AS49 de M. Jean-Louis Touraine, AS69 de M. Guillaume Chiche, AS89 de M. Philippe Vigier, AS119 de Mme Bénédicte Pételle, AS141 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS152 de M. Thibault Bazin, AS166 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS198 de M. Didier Martin.

M. le rapporteur. La clause de conscience spécifique à l’assistance médicalisée active à mourir a été intégrée à l’article 1er par voie d’amendement. Il convient donc de supprimer l’article 5, qui n’a plus lieu d’être.

M. Marc Delatte. Voilà au moins un amendement que je partage avec M. le rapporteur ! S’il veut faire plus et supprimer l’ensemble des articles, j’en serai très satisfait.

M. le rapporteur général. Pour les raisons évoquées, notamment lors de la discussion sur le serment d’Hippocrate, je défends la suppression de l’article 5.

M. Jean-Louis Touraine. Nous sommes tous d’accord pour supprimer cet article, même si c’est pour des raisons différentes. En réalité, ses dispositions ont été déplacées à l’article 1er, qui indiquera que, tout comme les malades, les médecins ont le choix.

M. Guillaume Chiche. L’amendement est défendu, en cohérence avec l’article 1er.

Mme Bénédicte Pételle. Je redis mon malaise vis-à-vis de cette proposition de loi. L’Ordre des médecins n’y est pas favorable. Légiférer sur un acte que la majorité des médecins ne veut pas faire pose un problème de conscience.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Il s’agit d’une suppression de cohérence.

M. Didier Martin. Suppression d’incohérence pour ce qui me concerne, puisque j’ai voté contre l’article 1er. Ce ne sont donc pas les mêmes motivations qui me poussent à supprimer l’article 5. Je conteste l’obligation faite à un médecin qui refuse de pratiquer l’acte d’euthanasie médicale, de trouver un remplaçant.

M. le rapporteur. Que mes collègues Didier Martin et Marc Delatte ne prennent pas goût à ma volonté de supprimer des articles !

M. Jean-Louis Touraine. Certains médecins ne sont certes pas favorables à cette évolution, mais il ressort d’un sondage effectué sous l’égide de l’Ordre des médecins que 71 % d’entre eux approuvent ce progrès législatif. La majorité des médecins, comme des parlementaires présents ce soir, y est donc favorable.

M. Thibault Bazin. Je n’ai pu suivre le débat qu’à distance, du fait de la difficulté de trouver un train.

Je me demande quel texte représente le progrès législatif dont parle M. Touraine : la proposition de loi initiale ou le texte amendé ? Il m’étonnerait que ce sondage ait porté sur la nouvelle rédaction du texte, qui a beaucoup évolué.

Il est tout de même surprenant que nous nous retrouvions tous sur la suppression d’un article alors même que nous ne défendons pas les mêmes points de vue. Il y aura peut‑être une question de fond à examiner d’ici à la séance.

M. le rapporteur. M. Bazin a raté son train et une partie du débat. Nous supprimons l’article 5, car la clause de conscience a été déplacée à l’article 1er. Le texte a en effet été enrichi mais il garde toute sa cohérence. Il est même plus solide maintenant, et le sera plus encore dans les prochaines minutes, s’il est adopté. C’est pourquoi j’ai dit de ce texte qu’il était le mien au début de la réunion mais qu’il est désormais celui de ceux qui le soutiennent.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 5 est supprimé et l’amendement AS120 de Mme Bénédicte Pételle tombe.

Article 5 bis (nouveau) : Réaffirmer la nécessité de rendre les soins palliatifs accessibles sur l’ensemble du territoire

La commission est saisie des amendements identiques AS215 du rapporteur, AS33 de Mme Marine Brenier, AS52 de M. Jean-Louis Touraine, AS72 de M. Guillaume Chiche, AS91 de M. Philippe Vigier, AS143 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS168 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS186 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit de compléter l’article L. 1110-9 du code de la santé publique de façon à préciser que toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des points palliatifs et à un accompagnement « sur l’ensemble du territoire ». La précision est nécessaire pour rappeler l’impérieuse nécessité de développer les soins palliatifs partout. Je l’ai dit, il y a urgence à tout point de vue, notamment s’agissant des soins palliatifs : seules 20 % à 25 % des personnes éligibles aux soins palliatifs en France y ont effectivement accès. Les territoires ruraux sont particulièrement délaissés, sinon abandonnés, en ce domaine.

Mme Marine Brenier. Cette série d’amendements pourra être adoptée à l’unanimité car, depuis le début, que nous soyons favorables ou non à une législation sur l’aide médicalisée active à mourir, nous avons tous relevé les insuffisances en matière de soins palliatifs. M. le rapporteur l’a rappelé, seulement 25 % du territoire national sont couverts. J’espère que nous aurons ensemble la capacité de défendre ces amendements, en attendant le plan soins palliatifs annoncé par le ministre des solidarités et de la santé, auquel ces amendements ne s’opposent pas puisque nous intégrons l’aide active à mourir dans ces soins palliatifs. De la sorte, nous créons un outil global pour la fin de vie des malades.

M. Jean-Louis Touraine. En effet, il faut que les soins palliatifs soient accessibles de façon équitable sur l’ensemble du territoire national, y compris en outre-mer.

M. Guillaume Chiche. J’espère que ces amendements pourront recueillir l’unanimité des suffrages, puisque nous sommes tous attachés à améliorer l’accès aux soins palliatifs. Dans les territoires ruraux, c’est la croix et la bannière pour accéder à ces soins, les études l’ont relevé. L’une d’entre elles soulignait le fait que 57 % des personnes habitant en zone rurale n’avaient pas accès aux unités de soins palliatifs. Il faut impérativement que cet accès devienne un droit réel.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Ces amendements, qui peuvent en effet recueillir l’assentiment de toute l’Assemblée, sont extrêmement importants pour rendre effectif le droit à l’accès aux soins palliatifs et à un accompagnement adapté à la volonté de chacun sur l’ensemble du territoire. Vingt-six départements ne possèdent toujours pas d’unité de soins palliatifs ; il faut que chaque département et chaque collectivité d’outre-mer en soient équipés proportionnellement au nombre d’habitants. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. J’espère que la série d’amendements identiques sera adoptée à l’unanimité.

M. Philippe Vigier. Il faut traiter les citoyens de tout le territoire de la même façon. Or 48 % de l’offre de soins palliatifs se trouvent en Île-de-France. À la fracture territoriale d’accès aux soins que connaît bien Thomas Mesnier, il ne faudrait pas en ajouter une seconde. En souhaitant que les soins puissent être réalisés à domicile, le rapporteur a commencé à apporter une réponse.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Par ces amendements, cette loi de liberté devient une loi d’égalité, puisque c’est bien sur l’ensemble du territoire que nous souhaitons permettre à l’ensemble de nos concitoyens d’accéder aux soins palliatifs. Cela montre aussi que l’aide active à mourir n’est pas incompatible avec leur développement, bien au contraire.

Mme Caroline Fiat. Nous sommes tous favorables au renforcement des moyens des soins palliatifs. Ces amendements, qui seront certainement votés à l’unanimité, sont un bon moyen d’y parvenir.

Mme Véronique Hammerer. Le sous-développement des unités de soins palliatifs est une réalité en France. On en parle depuis des années. Les unités d’hospitalisation à domicile (HAD) pratiquent-elles les soins palliatifs pour les personnes qui souhaiteraient une sédation profonde ?

M. Didier Martin. Nous qui nous opposons à cette proposition de loi, nous plaidons pour le développement des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. L’Inspection générale des affaires sociales, qui a émis un avis défavorable à l’extension de l’euthanasie médicale, a dit aussi qu’il fallait former davantage les personnels médicaux aux soins palliatifs, informer le grand public et financer le déploiement d’unités spécialisées.

Lorsque les soins palliatifs seront effectivement déployés sur l’ensemble du territoire, votre proposition de loi perdra de son intérêt. En effet, au terme de son examen, j’ai le sentiment que vous proposez l’euthanasie médicale comme un pis-aller, un substitut qui doit compenser l’absence de soins palliatifs, et cela me choque profondément. Je vais voter ces amendements, qui prévoient l’extension des soins palliatifs, mais je crains hélas que cette disposition ne soit un cavalier législatif – et cela montre toute l’ambiguïté de votre texte. Nous verrons si elle est sanctionnée mais, en tout cas, les soins palliatifs méritaient mieux qu’un article additionnel.

M. Thibault Bazin. Faut-il changer les politiques publiques qui sont menées actuellement pour que les soins palliatifs soient accessibles sur tout le territoire ? La réponse est évidemment oui – chacun reconnaîtra que ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Cet amendement va-t-il changer les choses ? Désolé de vous refroidir, mais la réponse est non ! Tout le problème, c’est de mettre des moyens pour y arriver. On a eu la liberté, l’égalité et j’attends qu’on nous parle de la fraternité. Mais la loi s’applique déjà sur tout le territoire et, d’une certaine façon, ces amendements sont un peu superfétatoires. Il faudrait d’ailleurs les préciser : s’appliquent-ils aux seuls soins palliatifs ou bien à l’ensemble de la culture palliative ou de la culture de fin de vie ? La question des moyens est essentielle : quels moyens est-on prêt à mettre, non seulement dans les établissements de santé, mais aussi dans la médecine de ville, pour valoriser davantage cet accompagnement respectueux de la fin de vie, notamment à travers les soins palliatifs ?

M. Philippe Chalumeau. Pour répondre à notre collègue Véronique Hammerer, les HAD peuvent effectivement pratiquer la sédation longue et prolongée ; il suffit de le demander à la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile ; des prescriptions anticipées peuvent même être faites. On ne peut pas imaginer le développement de l’approche domiciliaire nécessaire pour faire face au défi démographique qui est devant nous sans un accompagnement palliatif, et les HAD sont armées pour le faire. Il importe d’augmenter leurs moyens, leurs capacités et leur diffusion sur le territoire, mais elles ont l’expérience nécessaire pour prodiguer des soins techniques et contrôlés au cœur du domicile : c’est leur mission, c’est leur métier, et elles le font très bien, selon des critères définis par les ARS.

Mme Bénédicte Pételle. Je voterai ces amendements, car vous avez compris que je suis très favorable aux soins palliatifs. J’appellerai toutefois votre attention sur la formation, professionnelle, et surtout initiale : il importe que les internes fassent des stages dans les services de soins palliatifs pour s’imprégner de leur atmosphère. Pour ma part, elle m’a vraiment marquée. J’ai vu des lieux où l’intelligence collective est primordiale ; j’ai rencontré des soignants motivés. J’ai vu des lieux de vie où les malades et les familles lisent, se reposent, font de l’art-thérapie, jouent du piano, profitent d’un rayon de soleil sur une terrasse ou dans un jardin ; des lieux où les soignants et les bénévoles prennent soin aussi bien des personnes malades que de leur famille, comme en témoignent les lettres de gratitude qu’ils reçoivent après les décès.

Mme Jeanine Dubié. Pour répondre à notre collègue Véronique Hammerer, les réseaux de soins palliatifs existent et ils accompagnent effectivement des fins de vie à domicile. Cet amendement a le mérite de rappeler qu’il doit y avoir des unités de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire. En garantir le développement n’est pas antinomique avec l’objet de cette proposition de loi : nous avons besoin de soins palliatifs et le ministre Véran a d’ailleurs annoncé un nouveau plan en ce sens. J’espère que nous aurons les financements nécessaires pour que les unités de soins palliatifs soient bien réparties sur l’ensemble du territoire français et que chaque citoyen puisse y avoir accès, où qu’il réside.

N’opposons pas soins palliatifs et aide médicale à mourir, car ils répondent à la même logique : il s’agit, dans les deux cas, d’accompagner la fin de vie dans le respect de la parole et du souhait de la personne. Nous créons un nouveau droit, celui de laisser à chacun la liberté de choisir sa mort. Il nous faut à la fois des soins palliatifs et l’aide médicale à mourir : nous aurons ainsi un arsenal complet qui permettra à chacun de choisir en toute conscience.

M. Ludovic Mendes. J’aimerais évoquer des initiatives qui fonctionnent localement : des structures privées ou solidaires accompagnent des personnes en fin de vie, au-delà des soins palliatifs classiques et du soin à domicile. Je pense, par exemple, à la Fondation Bompard, à Metz, qui aide les personnes en fin de vie à réaliser les rêves qu’elles n’ont pas réalisés plus tôt. La dignité, en fin de vie, c’est aussi accompagner les personnes au quotidien, leur permettre de faire une dernière visite à un proche, accompagnées par des soignants. Ces initiatives, qui fonctionnent très bien, sont très peu valorisées. On parle beaucoup des soins palliatifs, mais il y a beaucoup de choses à faire avant les soins palliatifs. Nous pourrions y insister lors de l’examen en séance publique : c’est un petit message pour le rapporteur.

M. le rapporteur. Le message a bien été reçu, monsieur Mendes.

Philippe Chalumeau et Jeanine Dubié ont répondu brillamment aux interrogations de Véronique Hammerer. Je pense que ces amendements vont être adoptés à l’unanimité, mais je suis absolument d’accord avec ce qu’a dit notre collègue Thibault Bazin : ils ne suffiront pas, si nous n’avons pas de moyens financiers et humains. J’espère que le plan annoncé par le ministre des solidarités et de la santé aura de vrais effets et que ce ne sera pas juste un énième plan.

La commission adopte les amendements.

Article 5 ter (nouveau) : Hiérarchisation des témoignages relatifs à la volonté d’une personne inconsciente en cas de consultation de ses proches par un médecin

La commission est saisie des amendements identiques AS214 du rapporteur, AS32 de Mme Marine Brenier, AS50 de M. Jean-Louis Touraine, AS71 de M. Guillaume Chiche, AS90 de M. Philippe Vigier, AS142 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS167 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS185 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Il s’agit d’insérer un nouvel article, afin de hiérarchiser le recueil des témoignages par le médecin en l’absence de directives anticipées du patient et de désignation d’une personne de confiance. Je vais laisser à mes collègues le soin de détailler cette disposition.

Mme Marine Brenier. La hiérarchisation des proches nous est apparue comme une évidence lors de notre voyage en Belgique. Certaines affaires médiatiques, comme l’affaire Vincent Lambert, nous a également convaincus qu’il fallait inscrire dans la loi une hiérarchie de la parole des proches qui se prononcent au nom du malade, lorsque celui-ci est dans l’incapacité d’exprimer sa volonté.

M. Jean-Louis Touraine. Dans le groupe d’études sur la fin de vie, l’affaire Vincent Lambert a été évoquée à de multiples reprises, et ses protagonistes ont été auditionnés. Cela nous a montré qu’il fallait préciser notre arsenal législatif et que la consultation de la famille était trop vague. La famille est une addition de personnes qui peuvent avoir des points de vue différents : si elles ne sont pas d’accord, c’est aux médecins, voire aux tribunaux, qu’il revient de trancher.

En nous inspirant de ce qui se fait dans d’autres pays, notamment en Belgique, nous avons décidé de hiérarchiser ces personnes en fonction du niveau de proximité qu’elles ont pu avoir avec le malade juste avant qu’il perde conscience. Nous avons considéré que le conjoint était la personne la plus proche, celle à laquelle on se confie le plus volontiers ; en l’absence de conjoint, ce sont généralement les enfants adultes qui recueillent le désir, la philosophie de la personne concernée. Je rappelle que les personnes dont nous parlons n’ont pas vocation à donner leur avis mais à rapporter le point de vue du malade, s’il n’est plus en état de le faire. En l’absence d’enfants majeurs, ce sont enfin les parents qui seraient consultés. Nous avons estimé qu’un adulte avait moins tendance à se confier à ses parents, lesquels pourraient par ailleurs avoir la tentation de substituer leur propre volonté à celle de leur enfant adulte. Cet ordre de priorité tient compte de la proximité que chaque personne peut avoir avec le malade. Les personnes seront auditionnées comme porte-parole du malade lui‑même.

M. Philippe Vigier. Cette précision est essentielle et sécurisera la proposition de loi. Une fois encore, nous enrichissons le texte initial, tout en limitant les risques de dérives, que d’aucuns redoutaient.

Mme Marie-Noëlle Battistel. La hiérarchisation des proches devrait permettre d’éviter, à l’avenir, les conflits entre témoignages familiaux. Cette précision était indispensable.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Clarifier et encadrer, tel est le sens des amendements que nous avons déposés de manière transpartisane, et c’est encore le sens de cet amendement.

M. le rapporteur général. Ces amendements visent, d’après leurs auteurs, à clarifier certaines situations et à apporter une solution à des tragédies humaines – dont certaines, particulièrement médiatisées, ont suscité une émotion tout à fait légitime.

Je ne vois pas au nom de quoi nous devrions entrer dans l’intime des familles. Mettons que je réfléchisse à ma fin de vie, mais que je n’aille pas jusqu’à rédiger des directives anticipées. Il me sera peut-être plus facile d’en parler à mon enfant qu’à mon conjoint, ou à mon frère plutôt qu’à mon enfant. Les situations sont variées et extrêmement complexes et la hiérarchie que vous introduisez pose davantage de questions qu’elle n’en résout.

M. Thibault Bazin. Instaurer une hiérarchie au sein de la famille ou parmi les proches me semble poser un certain nombre de problèmes. On décortique la famille, mais chacun a la sienne, et on entre dans l’intimité des gens. Je ne suis pas sûr que le législateur ait jamais défini la famille ; il s’est toujours borné, me semble-t-il, à régir les rapports entre ses membres, à travers la parenté, la filiation, le mariage, le divorce, etc. Est-ce bien au législateur de hiérarchiser in abstracto les relations entre les membres d’une famille ? Pourquoi les enfants de la personne concernée auraient-ils la priorité sur ses parents ? Pourquoi son conjoint devrait-il avoir la priorité sur ses enfants ? Tout cela mérite un débat approfondi. Selon les situations, selon l’histoire de chaque famille, et selon le moment où la question se pose, les réactions de chacun peuvent ne pas être les mêmes.

On a voulu rechercher une collégialité entre les médecins ; ne devrait-on pas rechercher une collégialité entre les membres d’une famille ? Les situations dont nous parlons sont très complexes et difficiles à vivre. En tant que législateur, ne devrions-nous pas rechercher, non seulement la paix sociale, mais aussi une forme de paix familiale ? Je me demande, par ailleurs, si cette hiérarchie des différents liens familiaux ne pourrait pas créer un précédent pour d’autres questions que la fin de vie. Vous voulez donner la priorité au conjoint sur les enfants, et aux enfants sur les parents : qui sommes-nous pour dire ce qui doit primer, dans ces liens intergénérationnels ?

M. Didier Martin. Pour moi, c’est typiquement une fausse bonne idée que de hiérarchiser les proches. Cela rappelle un peu les parts d’héritage : selon le degré de parenté, on a plus ou moins de parts. Lorsqu’une personne au bord de la mort dépose une confidence dans l’oreille d’un proche – ce peut être une nièce, un neveu, un ami –, c’est à l’équipe médicale qu’il revient d’apprécier la qualité de cette confidence et de cette volonté. Avec cette mesure très artificielle de hiérarchisation des proches, vous essayez, une fois encore, de légitimer l’euthanasie médicale, mais cette caution n’en est pas une.

Mme Pascale Fontenel-Personne. J’estime pour ma part que c’est une vraie bonne idée. Le législateur tente enfin de régler un problème qui se pose dans les familles, notamment dans les familles recomposées. Si tout le monde est d’accord et s’entend bien, c’est parfait et on n’aura pas besoin de cette disposition. Mais en cas de problème ou de conflit, on aura désormais une solution. J’ai une fille qui travaille dans un service d’urgences : elle voit régulièrement des familles qui ne s’entendent pas et qui, dans le malheur, se déchirent encore plus. Je suis absolument favorable à cette disposition. On ne pourra que nous remercier d’avoir inscrit dans la loi une solution, là où il y avait un vide.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Il existe déjà une manière simple de régler les problèmes dans les familles : ce sont les directives anticipées et la désignation d’une personne de confiance. La rédaction proposée ne peut que créer des ennuis. On donne la priorité au conjoint : pourquoi pas ? On en vient ensuite à l’enfant ou aux enfants majeurs. Que se passera-t-il si les enfants ont entendu des choses différentes ? Le même problème se pose, au troisième niveau, avec les parents : qui, du père ou de la mère, faudra-t-il écouter s’ils ne sont pas d’accord ? Cette disposition ne règle rien du tout.

Mme Caroline Janvier. Si j’ai bien compris, cette hiérarchisation concerne les personnes ayant connaissance du désir du patient, et non celles qui sont censées prendre une décision à sa place. Si nous parlons bien de porte-parole – pour reprendre le mot de Jean‑Louis Touraine –, je trouve assez curieux de définir a priori un ordre de priorité entre des personnes qui auraient dû ou pu recueillir le souhait du malade. Soit cette volonté a été exprimée clairement, et elle peut très bien l’avoir été à un parent plus éloigné, voire à une personne étrangère à la famille ; soit elle n’a pas été exprimée clairement et on ne voit pas en quoi la construction que vous proposez simplifie les choses. Elle me semble assez artificielle et éloignée des cas de figure qui pourraient se présenter.

Mme Jeanine Dubié. Que dit exactement le sixième alinéa de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique ? Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible d’entraîner son décès ne peut être décidé que si cette personne a formulé des directives anticipées, si elle a désigné une personne de confiance et, à défaut, si elle a confié son souhait à sa famille ou à ses proches. Cet amendement est important, parce qu’il va obliger les familles à se poser cette question et à parler de la mort, sans renvoyer la question à plus tard. Quand on veut vraiment choisir sa fin de vie, il faut rédiger des directives anticipées ou désigner une personne de confiance : c’est le meilleur moyen de ne pas faire peser un poids sur sa famille.

Mme Catherine Fabre. Cet amendement apporte beaucoup de clarté et lève une ambiguïté. Aujourd’hui, en l’absence de directives anticipées et lorsqu’aucune personne de confiance n’a été désignée, on ne sait pas quelle parole on doit recueillir et qui, dans la famille, doit être le référent.

Désormais, lorsqu’il n’y aura ni directives anticipées, ni personne de confiance désignée, on considérera, par défaut, que le conjoint – c’est-à-dire la personne que le malade a choisie pour partager sa vie – est plus légitime qu’un membre de la famille « naturelle », enfant ou parent, pour faire part de sa volonté. Les personnes qui ne seront pas satisfaites de cette règle auront tout à fait le droit de désigner une personne de confiance, et on encourage d’ailleurs tout le monde à le faire.

Je suis d’accord avec vous, monsieur Bazin : toutes les familles sont différentes et certaines personnes peuvent préférer se confier à leurs enfants, plutôt qu’à leur conjoint, mais il est tout à fait possible de le faire, en désignant ses enfants comme personnes de confiance. Cet amendement clarifie les choses et il permettra aux médecins de sortir de cette zone d’ambiguïté qui est tout à fait néfaste, comme l’ont montré plusieurs affaires médiatisées. J’ajoute, enfin, que cette règle vaut uniquement pour l’arrêt des traitements et que cette hiérarchie ne concernera pas l’aide active à mourir, pour laquelle seules comptent les directives anticipées et la personne de confiance.

M. Guillaume Chiche. Ces amendements contribueront à clarifier et à simplifier des situations souvent très complexes et très douloureuses. La rédaction proposée suit une logique toute simple, celle de notre code civil, avec les ascendants et les descendants. Monsieur Bazin, j’espère que vous ferez preuve du même esprit libéral sur ces questions lorsque nous examinerons d’autres textes, relatifs par exemple à la filiation.

Mme Caroline Fiat. Ces amendements clarifient vraiment les choses. Cette disposition doit rassurer ceux qui, depuis le début de nos débats, expriment des doutes ou des craintes. Comme l’a dit notre collègue Catherine Fabre, elle ne s’appliquera que dans certains cas.

S’il y en a une qui saoule tout le monde avec les directives anticipées, même sa famille, c’est bien moi. Si tout le monde rédigeait des directives anticipées, on ne serait pas confronté à de tels cas de figure. Je rappelle que la personne de confiance n’est pas forcément une personne de la famille et que les directives anticipées peuvent être modifiées au fil du temps.

Si nous arrivions, comme c’est le cas dans d’autres pays, à ce que 75 % à 85 % des personnes formulent des directives anticipées, nous n’aurions pas à débattre de ce genre d’amendement. Parce que nous n’en sommes pas encore là, il faut le voter, mais je ne désespère pas que ce soit bientôt le cas : il faudrait que tout plein de Caroline Fiat appellent leurs proches à rédiger des directives anticipées. Cela nous éviterait les drames que chacun connaît.

M. Thibault Bazin. L’intervention de M. Chiche, dont je respecte l’opinion, m’a fait beaucoup réfléchir. Notre collègue prétend que ces amendements permettront de clarifier et simplifier les choses ; or les notions de famille et de proches sont très générales. Imaginons qu’une personne en fin de vie ait perdu ses parents, et qu’elle n’ait ni conjoint, ni enfant, ni frère, ni sœur. Cela existe ! Certaines personnes sont très seules : dans un EHPAD que je connais bien, trente résidents ne reçoivent pas une seule visite par an. Il arrive que des personnes en fin de vie soient accompagnées par d’autres personnes, très proches, qui peuvent comprendre leur volonté. Il faut aussi prendre en compte cette situation, qui est tout à fait respectable.

M. Chiche s’est demandé si je n’allais pas évoluer sur d’autres sujets. Je me pose en effet une question relative à la levée de l’anonymat du don de gamètes : si un individu issu d’un tel don contacte son géniteur dix-huit ans après sa conception, pourra-t-il l’inclure dans la liste des personnes mentionnées dans ces amendements ?

Mme Bénédicte Pételle. Ces amendements instituant une hiérarchie entre les personnes me mettent mal à l’aise. En se mêlant de l’histoire familiale, le législateur devient intrusif. Par ailleurs, ce ne sont pas des faits médiatisés qui doivent nous conduire à légiférer.

M. le rapporteur général. Depuis le début de nos débats cet après-midi, plusieurs sondages ont été évoqués. Par principe, je m’en méfie toujours, d’autant que les réponses dépendent souvent de la façon dont la question a été posée. Si 95 % des Français adhèrent au principe du « droit à mourir dans la dignité », ils ne sont plus que 25 % à y être favorables lorsque l’on parle d’« euthanasie ».

Par ailleurs, selon un sondage réalisé en février dernier, 41 % des Français ne connaissent absolument pas la loi Claeys-Leonetti ; cinq ans après le vote de ce texte, seuls 18 % ont déjà rédigé des directives anticipées. Nous devons donc rester humbles : ce n’est pas en votant de tels amendements que nous ferons progresser la rédaction de directives anticipées, et je le regrette.

Je réitère ma réserve quant à l’intrusion du législateur dans l’intimité de chaque famille.

M. le rapporteur. Je vous lis, monsieur Mesnier, la question posée par l’institut Ipsos, en 2019 : « Êtes-vous favorable à un droit à l’euthanasie en France ? ». À 96 %, les Français s’y sont dits favorables, cette proportion s’élevant à 99 % chez les électeurs de La République en Marche. Seuls 4 % des Français et 1 % des électeurs de La République en Marche pensent qu’il ne devrait pas y avoir de droit à l’euthanasie en France. Vous constaterez que le terme « euthanasie » a été utilisé très clairement dans la question.

M. Bazin a évoqué la situation dramatique des individus en fin de vie qui n’ont vraiment plus personne autour d’eux. Cela arrive, en effet. Tout au long de ce débat, nous avons justement montré, grâce notamment aux interventions de Mme Fiat, qu’il était essentiel que ces personnes seules rédigent des directives anticipées et désignent une personne de confiance.

La commission adopte les amendements.

La commission est saisie des amendements identiques AS216 du rapporteur, AS34 de Mme Marine Brenier, AS51 de M. Jean-Louis Touraine, AS73 de M. Guillaume Chiche, AS92 de M. Philippe Vigier, AS144 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS169 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS187 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Ces amendements procèdent de la même logique que les précédents : ils visent à hiérarchiser le recueil des témoignages des membres de la famille.

M. Jean-Louis Touraine. Comme l’a très bien expliqué Mme Fabre, ces dispositions ne seront appliquées qu’en l’absence de directives anticipées et de personne de confiance. Elles sont tellement concrètes et bénéfiques que, si elles avaient été en vigueur il y a quelques années, il n’y aurait pas eu d’affaire Vincent Lambert. Le malade n’aurait pas dû subir onze années très pénibles de survie végétative, marquées par les conflits entre, d’un côté, sa femme et son neveu, et, de l’autre, sa mère qui ne partageait pas les mêmes convictions. Pendant ce temps, des dizaines d’avocats ont intenté des recours devant les juridictions françaises et la Cour européenne des droits de l’homme, des équipes médicales se sont disputées... Ces onze ans ont été des années de souffrance pour tout le monde, et d’abord pour le malade.

M. Philippe Vigier. Ces amendements contribueront, effectivement, à l’apaisement des familles et éviteront le spectacle auquel nous avons assisté pendant de longues années.

Mme Caroline Fiat. Je vous rassure, monsieur Bazin : quand une personne entre en EHPAD et qu’elle n’a, hélas, pas de famille ni de proches, on cherche avec elle une personne de confiance pour éviter qu’elle soit seule lorsqu’il faudra prendre certaines décisions. Par ailleurs, si elle a toute sa tête, elle rédige des directives anticipées, avec l’aide du personnel soignant, afin que ce dernier ne se retrouve pas dans une situation qu’il ne souhaite pas vivre. Aussi, la situation dont vous avez parlé n’existe pas dans les EHPAD, où s’appliquent aussi des procédures bénéfiques visant à protéger au moins les soignants et les directeurs de ces établissements.

La commission adopte les amendements.

Après l’article 5

La commission est saisie de l’amendement AS100 de M. Guillaume Chiche.

M. Guillaume Chiche. Pour échapper aux fourches caudines de la recevabilité financière, cet amendement se borne à proposer une expérimentation visant à insérer dans la formation des étudiants en médecine un cours relatif aux soins palliatifs. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale a révélé les lacunes des personnels de santé français en matière de formation aux soins palliatifs, ce qui diminue les chances des patients d’accéder à ces soins.

M. le rapporteur. La question de la formation des étudiants en médecine aux soins palliatifs est effectivement très importante. Sans vouloir jouer un rôle de censeur, je vous invite à retirer votre amendement pour que nous ayons, en séance, un échange avec le ministre des solidarités et de la santé, qui sera beaucoup plus à même que moi de vous donner des éléments d’information sur ce sujet absolument majeur.

L’amendement est retiré.

La commission examine ensuite l’amendement AS230 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Lors des auditions que nous avons menées pour préparer l’examen de cette proposition de loi, la question de la formation est revenue avec insistance. Certains professionnels sont déjà formés, depuis de nombreuses années, aux enjeux de la fin de vie, mais la loi a évolué, de même que les connaissances scientifiques. Il est donc nécessaire d’assurer une telle formation, notamment en matière de soins palliatifs, mais cela relève davantage du domaine réglementaire. Aussi, je souhaite que le Gouvernement nous remette, avant la fin de l’année 2022, un rapport sur le développement de la formation professionnelle et continue sur la fin de vie. Dans le cadre de notre mission d’évaluation et de contrôle, nous avons besoin de savoir exactement ce qui existe déjà et ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour améliorer vraiment la situation.

M. le rapporteur. Vous avez déposé cinq amendements visant à demander des rapports sur le thème des soins palliatifs. Comme je l’ai dit à M. Chiche, il va de soi que cette question nécessite un échange ou un débat avec le ministre chargé de ces sujets. Il est légitime de chercher à enrichir le texte en renforçant ce type de soins, mais la proposition de loi ne porte pas sur les soins palliatifs, même si nous déplorons qu’ils ne soient pas suffisamment développés alors même qu’ils existent depuis de nombreuses années. Je vous invite à retirer vos cinq amendements visant à demander des rapports sur ce sujet ; à défaut, je leur donnerai un avis défavorable.

M. Thibault Bazin. Je comprends que vous souhaitiez aller vite, mais ces demandes de rapports portent sur des sujets différents. Nos amendements s’appuient sur des remarques exprimées par la Haute Autorité de santé et l’Académie nationale de médecine lors des auditions, que vous avez organisées avec beaucoup de sérieux et qui ont été très enrichissantes. Peut-être peuvent-ils être considérés comme des amendements d’appel. Pour autant, toutes ces questions liées à la fin de vie sont essentielles, et il est vraiment nécessaire d’améliorer les soins palliatifs dans notre pays. Il faut absolument que le Gouvernement nous réponde, sans nous renvoyer au prochain plan national de développement des soins palliatifs et d’accompagnement à la fin de vie – l’élaboration de ce document a peut-être d’ailleurs été décidée en vue de la discussion de votre proposition de loi, dont nous ne savons pas quel sera le sort final. À travers ces amendements, je propose différents axes de progression ; nous aurons bien besoin d’une journée entière pour en débattre.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle est saisie, en présentation commune, des amendements AS224 de Mme Véronique Hammerer et AS239 de Mme Annie Vidal.

Mme Véronique Hammerer. Mon amendement AS224 va dans le même sens que celui de M. Bazin. Il vise à demander un rapport sur la formation initiale et continue à la pratique de l’assistance médicale à mourir qui revêt deux aspects : l’acte technique et l’accompagnement de la personne. En matière d’accompagnement, la formation des médecins et des autres professionnels de santé est urgente, en effet.

L’amendement AS239 de Mme Vidal évoque également les aides à domicile, qui sont sur le front tous les jours. J’aimerais aussi souligner le rôle joué par les infirmiers en pratique avancée, qui sont parfois davantage sur le terrain que certains médecins. Il serait important de répertorier tous ces professionnels, et peut-être aussi de créer une spécialité « fin de vie ». Bien que cette question ait déjà été abordée à plusieurs reprises, nous devons profiter de la présente proposition de loi pour améliorer la formation des professionnels de santé. La formation à l’accompagnement en fin de vie devrait même, à mon sens, faire partie de tous les cursus.

En outre, il convient de contrôler et d’évaluer la qualité de la formation à l’aide médicale à mourir en tant qu’acte technique. On nous a expliqué, lors des auditions, que l’acte de sédation profonde pouvait être mal réalisé du fait d’un manque de formation de certains médecins.

M. le rapporteur. Vous soulevez, vous aussi, un véritable sujet. Je vous renvoie également au débat que nous aurons en séance avec le ministre des solidarités et de la santé, qui est évidemment le plus compétent en la matière. Il doit entendre ce message, et j’espère qu’il nous apportera des réponses suffisantes.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 5 quater (nouveau) : Demande de rapport d’application de la loi évaluant aussi les mesures de développement des soins palliatifs

La commission est saisie des amendements identiques AS217 du rapporteur, AS35 de Mme Marine Brenier, AS53 de M. Jean-Louis Touraine, AS74 de M. Guillaume Chiche, AS93 de M. Philippe Vigier, AS145 de Mme Marie-Noëlle Battistel, AS170 de Mme Agnès Firmin Le Bodo et AS188 de Mme Caroline Fiat.

M. le rapporteur. Nous souhaitons que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport évaluant l’application des dispositions de la présente loi et les mesures de développement des soins palliatifs. Ce rapport pourra notamment s’intéresser à la problématique de la formation initiale et continue des professionnels de santé en matière d’accompagnement et de mise en œuvre des procédures en fin de vie. L’évaluation régulière des dispositions votées dans ce texte ainsi que des mesures visant le développement des soins palliatifs permettra d’informer le Parlement sur des questions majeures touchant à la vie quotidienne de nos concitoyens.

Je le répète, cette proposition de loi n’est pas tombée du ciel. Elle s’inspire notamment de ce qui se passe en Belgique depuis vingt ans. Si nous ne reprenons pas in extenso la législation belge, nous pouvons néanmoins en tirer de nombreux enseignements. Nous avons en particulier constaté que les rapports publiés tous les deux ans par la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, dont nous avons auditionné des représentants, apportent un éclairage précieux sur la pratique de l’aide médicalisée active à mourir et les évolutions nécessaires à moyen ou long terme.

Mme Marine Brenier. L’intérêt du rapport demandé au Gouvernement est surtout de montrer, une fois de plus, notre volonté de transparence dans la mise en place de l’aide médicalisée active à mourir. Nos amis belges ont effectivement décidé de publier de tels rapports, qui donnent beaucoup d’indications sur les pratiques mises en œuvre dans leur pays. Cette démarche va dans le bon sens. J’appelle à voter ces amendements à l’unanimité.

M. Jean-Louis Touraine. L’expérience montre qu’en matière d’accompagnement des malades en fin de vie, nous nous heurtons toujours, en France, à une relative inertie ou à une certaine lenteur dans la mise en œuvre des mesures appropriées. Malgré quatre plans successifs de développement des soins palliatifs, les trois quarts des malades qui, de droit, devraient y avoir accès ne peuvent en bénéficier. Il est donc très important que le prochain plan aille au-delà des vœux pieux. Nous devons nous donner les moyens d’évaluer effectivement, année après année, la progression des dispositifs qui se mettront en place, à la suite de la promulgation de cette loi, sur tout le territoire national, y compris dans les outre‑mer, mais également l’amélioration de l’accès aux soins palliatifs. Nous avons le devoir de nous assurer que l’offre globale proposée dans notre pays sera de plus en plus accessible, et qu’elle le sera partout.

M. Philippe Vigier. Ces amendements très importants visent à ce que soient évalués tant l’application de cette loi que le développement des soins palliatifs. Ils devraient faire l’unanimité car, sur ce dernier point, nous sommes tous d’accord. J’en profite pour demander au rapporteur général de notre commission s’il défendra cette ambition dans le cadre du PLFSS 2022.

Nous ne devons pas légiférer sans nous soucier de ce qui se passera plus tard. Au contraire, c’est notre rôle de législateur que de vérifier la bonne application de la loi « au dernier kilomètre ». Si nous arrivons à faire adopter ce texte, nous devrons contrôler sa mise en œuvre et examiner les difficultés qu’elle pourrait rencontrer. Tout à l’heure, nous avons évoqué la situation des médecins qui refuseront d’aider à mourir une personne en fin de vie, puisque nous leur avons garanti une clause de conscience – ce qui est bien normal –, et nous nous sommes demandé s’il serait possible de saisir d’autres médecins dans un bref délai. Sur cette question comme sur d’autres, il est essentiel que nous jouions notre rôle d’évaluation : c’est ce que permettront ces amendements.

Plusieurs collègues ont posé la question de la formation, et le rapporteur a fort justement répondu qu’il reviendrait au Gouvernement d’apporter des réponses. Cependant, nous savons déjà que le développement des soins palliatifs se heurte à un problème de formation ; pour l’aide active à mourir, ce sera exactement la même chose. Le rapport que nous demandons s’avérera essentiel : il nous permettra de vérifier que la volonté politique est bien au rendez-vous.

La commission adopte les amendements.

Après l’article 5

La commission est saisie, en présentation commune, des amendements AS225, AS228 et AS229 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Chacun convient que l’offre de soins palliatifs est insuffisamment développée et, surtout, mal répartie sur le territoire. Comme pour la vaccination, les métropoles et les grandes villes sont mieux dotées que les territoires ruraux : le nombre de lits identifiés de soins palliatifs varierait de 12 pour 1 000 décès dans les départements les mieux dotés à moins de 4 pour 1 000 décès dans d’autres départements, le plus souvent ruraux.

L’amendement AS225 vise donc à demander au Gouvernement de remettre au Parlement, avant la fin de l’année 2022, un rapport sur la répartition territoriale de l’accès aux soins palliatifs dans notre pays. Il s’agit, en réalité, de poser la question des moyens consacrés à ce type de soins, non seulement en milieu hospitalier ou en établissement, mais également en médecine de ville. On voit bien que la prise en charge de la fin de vie, de la douleur même, nécessite parfois une approche pluridisciplinaire. Or on a du mal à mettre en place des équipes mobiles, d’autant que les délais sont longs à l’hôpital. C’est pourquoi il convient de mener un travail prospectif d’analyse des freins, qui ne sont pas forcément législatifs, mais peuvent tenir à l’organisation ou aux moyens.

S’agissant du financement, les délégations territoriales des ARS doivent notamment faire preuve de plus de souplesse lorsque des médecins et des infirmiers sont prêts à travailler ensemble sur la prise en charge de la douleur ou sur l’organisation des soins palliatifs. Les réseaux de soins que nous connaissons aujourd’hui vont disparaître ; il est donc nécessaire d’inventer de nouveaux modes de fonctionnement pour ne pas perdre les équipes pluridisciplinaires mobiles déjà constituées.

L’amendement AS228 vise à demander au Gouvernement un rapport sur le déploiement des soins palliatifs à domicile pour accompagner les personnes en fin de vie. En effet, un certain nombre de nos concitoyens souhaitent pouvoir mourir à domicile, tout en étant entourés.

Quant à l’amendement AS229, il s’agit d’une demande de rapport portant plus spécifiquement sur la valorisation à accorder à l’accompagnement en soins palliatifs. Lors des auditions, le rapporteur a entendu, comme moi, que des établissements très performants réorientaient les patients en fin de vie vers d’autres établissements. Il convient donc de mieux valoriser, pour les établissements comme pour les professionnels de santé, la prise en charge des malades en soins palliatifs. Il faut encourager toutes les personnes qui exercent ce dur métier consistant à accompagner les patients dans ce moment très important qu’est le passage de la vie à la mort.

M. le rapporteur. Comme pour les précédentes demandes de rapport, je pense que le ministre des solidarités et de la santé pourra vous répondre en séance. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements AS193 de M. Patrick Mignola et AS226 de M. Thibault Bazin.

M. Nicolas Turquois. Monsieur le rapporteur, votre réflexion et vos travaux de qualité s’inscrivent dans une évolution, aussi lente soit-elle, dont l’étape la plus récente a été l’adoption de la loi Claeys-Leonetti. Vous nous proposez ici de franchir une étape supplémentaire et, comme je l’ai déjà dit tout à l’heure, vous m’avez convaincu.

Cependant, nous légiférons parfois avant même que les dernières lois adoptées aient pleinement produit leurs effets sur l’ensemble du territoire. J’aimerais donc, à travers l’amendement AS193, que le Gouvernement remette au Parlement, avant le mois de septembre, un rapport évaluant l’application de la loi Claeys-Leonetti, qui est tout de même très limitée dans certains territoires. Même dans la Vienne, l’offre proposée par le centre hospitalier universitaire de Poitiers ne permet pas de couvrir les besoins de l’ensemble du département. Un tel rapport permettrait sans doute de proposer les adaptations nécessaires.

M. Thibault Bazin. La meilleure connaissance de ces nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie est un sujet important. Nous l’avons constaté durant les auditions, les professionnels doivent être mieux formés et les citoyens plus éclairés sur les possibilités qui leur sont ouvertes. S’appuyer sur cette connaissance est une façon de sortir d’un débat primaire et d’élargir la réflexion.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Philippe Vigier. La loi Claeys-Leonetti prévoit que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport. Nous pourrions demander au ministre à quelle date il compte le remettre, ce qui permettra de répondre à Nicolas Turquois.

M. Thibault Bazin. Je vous remercie pour cette précision. C’est mon premier mandat de député et je n’ai pas votre expertise sur les lois adoptées avant 2017. Il est regrettable qu’il n’y ait pas de campagne d’information sur ce sujet, comme il en existe en faveur du don d’organes, avec la mise à disposition de dépliants dans les pharmacies ou les études notariales. Il faut que nous puissions débattre sur la base de ce rapport. Pouvez-vous confirmer que vous ne l’avez pas reçu, madame la présidente ?

M. le rapporteur. La loi prévoyait la remise de plusieurs rapports : nous les attendons toujours.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Et c’est pour cette raison, monsieur le rapporteur, que vous proposez des rapports annuels sur l’évaluation du présent texte ?

M. le rapporteur. Que le rapport annuel ne soit pas remis constitue un problème démocratique. Je souhaite que la loi Claeys-Leonetti, telle que nous l’avons adoptée, soit appliquée dans tous ses aspects. Il en va de même pour le présent texte.

La commission rejette successivement les amendements.

Puis elle en vient à l’amendement AS227 de M. Thibault Bazin.

M. Thibault Bazin. Nous avons tous entendu les témoignages de personnes qui n’ont pu accompagner leurs proches emportés par le covid. Je devine l’avis que vous émettrez sur cette nouvelle demande de rapport, monsieur le rapporteur, mais cet amendement d’appel permet de poser la question des moyens mis en œuvre par les établissements pour permettre ce geste d’humanité qu’est la présence des proches, jour et nuit, auprès des personnes en fin de vie.

M. le rapporteur. Ce que vous avez dit est fort juste, mais l’avis sera, là encore, défavorable.

Mme Bénédicte Pételle. L’idée est très noble mais, pour avoir visité beaucoup d’unités de soins palliatifs, je crains qu’elle ne soit pas réalisable et qu’elle ne conduise même à réduire la capacité d’accueil de ces unités.

La commission rejette l’amendement.

Article 6 : Gage financier

La commission est saisie des amendements de suppression AS6 de M. Marc Delatte, AS7 de Mme Caroline Janvier, AS171 de M. Thibault Bazin et AS199 de M. Didier Martin.

M. Marc Delatte. Au terme de nos débats sur le « droit à une fin de vie libre et choisie » – on pourrait, d’ailleurs, s’interroger sur la liberté d’une fin de vie dans un océan de souffrances –, je voudrais rappeler la position de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « La médecine ne pourra jamais éradiquer toutes les souffrances, elles font partie de la vie. Elle a pour objectif de les soulager afin de les rendre acceptables et n’a pas vocation à supprimer la personne quand elle ne peut supprimer la souffrance, ce qui fait que l’aide active à mourir n’appartient pas au monde des soignants et que le médecin ne doit pas devenir l’arbitre des vies de chacun et le juge de ce qu’est une vie acceptable. »

Cela nous éclaire sur les limites de cette proposition de loi et les risques de dérives éthiques qu’elle comporte. Il est essentiel que nous développions une culture palliative, alors que notre rapport à la mort a changé et qu’on ne dit plus « je veux mourir chez moi » mais « je veux vieillir chez moi ». Cette réflexion entre en résonance avec la solidarité à laquelle le Président de la République vient de nous appeler.

Mme Caroline Janvier. Je veux remercier chacun d’entre vous pour la qualité de nos débats. J’espère que le 8 avril, dans l’hémicycle, nous saurons retrouver cet état d’esprit et écouter les positions personnelles divergentes, que parfois nous ne comprenons pas.

M. Thibault Bazin. À ce sujet, madame la présidente, pourrons-nous disposer suffisamment tôt du texte issu de la commission afin de rédiger sereinement nos amendements ?

Mme la présidente Fadila Khattabi. Il sera diffusé dans la journée de demain.

M. Didier Martin. La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs a exprimé clairement son opposition à ce texte : « Le débat est récurrent sur la fin de vie, deux conceptions s’affrontent : les uns invoquent la liberté – je décide ce qui est bon pour moi et cela ne regarde personne d’autre  ; d’autres évoquent la fraternité et l’accompagnement jusqu’au bout de la vie. [Le médecin dit] à ses patients : “vous n’êtes pas seul, quoi qu’il arrive, nous serons avec vous et nous ferons ce qu’il faut pour vous soulager”. Demander la mort parce qu’on souffre n’est pas un choix libre. Une loi autorisant l’euthanasie médicale est une loi pour les forts, qui ne protège pas les faibles. »

M. le rapporteur. Il est tout à fait légitime que les collègues opposés à ce texte aient déposé des amendements de suppression à chaque article. L’article 6 permet d’assurer la recevabilité du texte mais sa suppression n’emporterait aucune conséquence. C’est donc bien volontiers que j’émets un avis favorable.

Mme Jeanine Dubié. Je veux, comme Caroline Janvier, saluer la sérénité de nos débats et la qualité de l’écoute mutuelle. Cette discussion, qui relève de l’intime, est vieille comme le monde. Déjà, Sénèque écrivait : « Pour sa vie, on a des comptes à rendre aux autres, pour la mort, à soi-même. La meilleure mort ? Celle qui nous plaît. » C’est ce que rend possible ce texte : choisir sa mort.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 6 est supprimé.

Titre

La commission est saisie de l’amendement AS240 du rapporteur.

M. le rapporteur. Le titre d’une proposition de loi, c’est le sens ou l’objet que l’on souhaite lui donner. Je propose d’y insérer le terme « garantissant » : nous l’avons constaté durant ces débats, lorsque l’on donne un droit, il faut garantir son effectivité.

Cela fait presque dix ans que je suis député, j’ai déposé des centaines d’amendements, mais c’est la première fois que j’en défends un signé par des représentants de la quasi-totalité des groupes – le temps nous a manqué pour rassembler davantage de parlementaires. Je savoure donc ce moment qui me voit vous présenter un amendement transpartisan, signé par deux cent vingt‑cinq députés !

Je salue la qualité de nos débats et l’engagement de collègues de tous bords en faveur de ce droit fondamental.

M. Didier Martin. Sans vouloir gâcher la joie du rapporteur, je peux lui prédire qu’il risque de rencontrer une opposition tout aussi transpartisane à son texte !

Il aurait été plus clair et plus sincère de parler de la proposition de loi « légalisant l’euthanasie médicale ». Notre objectif est différent, nous préférerions que la loi Claeys-Leonetti soit appliquée, dans toutes ses dimensions, et que les soins palliatifs, en établissement ou mobiles, soient renforcés.

M. Jean-Louis Touraine. Le terme « garantissant » figurait aussi dans le titre de la proposition de loi que j’ai rédigée. Trop souvent dans notre pays, des droits, quelle que soit leur nature, existent en théorie mais ne trouvent pas à s’appliquer, parce que méconnus ou peu accessibles. Il est plus efficace de donner des garanties que de créer un droit puis de se demander dans quels départements il est en vigueur.

Je crois que M. Martin se trompe lorsqu’il parle d’euthanasie. Une euthanasie est décidée et pratiquée, que la personne en ait fait la demande ou pas – elle est illicite dans la plupart des cas. Ici, nous ne sommes pas dans la même logique : c’est une demande formulée par le malade et ce qui est réalisé, c’est une assistance médicalisée à la fin de vie. Dans le passé, la décision n’appartenait pas au malade ; aujourd’hui, elle est sienne ; elle doit être ensuite validée par l’équipe médicale, qui s’assure que la personne est bien en fin de vie et qu’elle est en pleine possession de ses moyens. Les conditions dans lesquelles cette assistance est réalisée sont bien différentes de celles, regrettables, dans lesquelles l’euthanasie est aujourd’hui pratiquée.

M. Philippe Vigier. Je salue Olivier Falorni, qui a réalisé ce travail d’écoute et de construction sur un sujet extrêmement difficile. Celui-ci concerne la personne humaine et c’est notre honneur et notre rôle de parlementaire que de l’aborder. Nous pouvons être fiers, collectivement, d’en avoir débattu dans le respect des sensibilités individuelles.

Lorsque nous avons inventé le Printemps de l’évaluation, c’était pour mesurer justement l’application des lois, le « dernier kilomètre » comme dirait Jean-Noël Barrot. La première loi sur les soins palliatifs, la loi Kouchner, a été votée en 1999. Cela fait plus de vingt ans et 30 % des Français ont désormais accès à ce droit – c’est dire le chemin qu’il reste à parcourir. Dans un autre domaine, celui du logement, j’ai eu l’honneur de faire un rapport sur l’application du droit au logement opposable et constaté – hélas ! – l’abîme qui existe entre le droit et sa réalisation effective. Dans ce texte, et depuis le début, nous apportons une garantie à la fois médicale et juridique.

Mme Marie-Noëlle Battistel. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je veux remercier Olivier Falorni d’avoir accepté que ce texte devienne transpartisan et, toujours dans une démarche collective, de l’avoir inscrit dans la niche parlementaire du groupe Libertés et Territoires. Nous avons eu un débat riche et respectueux, qui nous a permis d’accomplir ce soir un grand pas pour le droit de chacun à choisir sa fin de vie. Il est de notre responsabilité de législateur de nous emparer de ces sujets difficiles qui touchent à l’intime. Nous devons le faire pour répondre aux évolutions de la société et à la demande de nos concitoyens.

Mme Marine Brenier. Pouvoir légiférer sur l’aide médicalisée active à mourir et créer un droit nouveau est une chance historique. Nous allons le faire grâce à une initiative transpartisane. Des amendements identiques sont venus enrichir le texte, afin d’encadrer le dispositif. Nous pouvons nous en féliciter. Sous ce quinquennat, il n’y aura pas eu beaucoup d’occasions où la représentation nationale a joué pleinement son rôle de législateur. Je me réjouis que nous ayons pu le faire en toute intelligence, en respectant les convictions de chacun. J’espère très sincèrement que le débat en séance publique, le 8 avril, se déroulera dans les mêmes conditions. Notre rôle est de représenter nos concitoyens : 96 % d’entre eux étant favorables à ce texte, nous ne serons plus en décalage ce jour-là. Merci, monsieur le rapporteur, de nous avoir donné l’occasion de légiférer sur ce sujet. C’est pour moi un grand moment d’émotion et de fierté.

M. le rapporteur général. La loi donnant et garantissant le droit à une fin de vie libre et choisie existe déjà : c’est la loi Claeys-Leonetti, votée à l’unanimité, je crois, en 2016, après plus d’un an de travaux. Elle autorise, par les directives anticipées – dont on a vu qu’elles étaient méconnues et très peu rédigées – la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Tous les outils existent. Plutôt que de procéder aux modifications qui vous sont proposées aujourd’hui, l’urgence voudrait que l’on donne à cette loi les moyens d’être appliquée.

Cette proposition de loi consacre un droit nouveau, celui d’ôter la vie à autrui – à sa demande, certes. Modifiée et augmentée de plusieurs articles additionnels, elle entrera un peu plus dans l’intimité des familles, en introduisant, par exemple, une hiérarchisation des parents. Je le regrette et m’interroge sur cette société qui peut pousser ainsi l’individualisme à son paroxysme. J’espère que nous nous poserons collectivement cette question en séance et que le débat aura la même tenue.

Mme Caroline Fiat. Monsieur le rapporteur, vous avez précisé en introduction que ce n’était plus votre texte, mais notre texte. Vous n’avez rien lâché, vous avez réussi à convaincre les collègues de votre groupe d’inscrire ce texte dans la niche parlementaire, ce qui n’est pas toujours chose facile. À l’occasion de nos nombreux échanges, je vous ai expliqué comment en une même journée je m’étais sentie la pire soignante au monde et la plus piètre des députés. Grâce à vous, ce soir, je me sens la plus honorable des parlementaires et je reprends confiance.

Monsieur Martin, il y aura le 8 avril une opposition à ce texte et c’est bien normal. Pour une fois, je serai fière d’appartenir à la majorité et je vous témoignerai beaucoup de gentillesse, car je sais combien la position est compliquée et la place difficile ! Je ne vous cacherai pas ma joie ce soir, car c’est la première fois, depuis le 18 juin 2017, que je remporte un combat.

M. Guillaume Chiche. Je veux vous féliciter, madame la présidente, pour le déroulement et la tenue de nos travaux. Des convictions divergentes ont pu s’exprimer et cela nous a permis d’enrichir un texte que je me ferai une joie de voter.

Ce texte, dans sa version amendée, est absolument fondamental. C’est un texte de liberté, de sécurité pour les professionnels de santé, et d’égalité pour l’ensemble de nos concitoyens. Je salue ce travail collectif et je remercie le rapporteur pour sa pugnacité, sa détermination et son engagement.

Mme Véronique Hammerer. Je veux saluer le travail de Jean-Louis Touraine, président du groupe d’études sur la fin de vie, aux côtés duquel nous avons travaillé durant trois ans et qui a humblement apporté sa participation sur ce texte. On a beaucoup parlé des malades et des médecins ; je veux aussi saluer les équipes pluridisciplinaires qui les entourent. Je veux évoquer les familles, les personnes qui restent et doivent se reconstruire après la mort, dans de grandes souffrances, de leur proche – surtout lorsqu’il a sollicité, en vain, une aide à mourir. Je me suis engagée dans la politique pour faire de la politique autrement. Je suis particulièrement fière aujourd’hui, car c’est ce que nous avons tous fait aujourd’hui. Merci pour ce moment historique !

Mme Monique Iborra. Nous avons, en tant que députés, fait preuve d’indépendance : nous n’avons obéi à aucun ordre. Je veux, à ce propos, remercier le président de mon groupe, qui a permis à chacun de s’exprimer à titre personnel, ce qui n’est pas si fréquent.

Je tiens également à remercier Olivier Falorni et le groupe Libertés et Territoires, qui ont eu le courage de nous soumettre cette proposition de loi, dont l’adoption n’était pas certaine. Ce soir, il doit être satisfait que des députés issus de tous les groupes l’aient soutenue tout en l’amendant.

Enfin, je veux saluer Jean-Louis Touraine, avec qui je travaille sur cette question depuis de longues années : non seulement il nous a apporté son expérience et a témoigné de son engagement, mais il a été suivi, en toute indépendance, par des députés de notre groupe. Certes, il y aura des oppositions – quoi de plus normal dans une assemblée démocratique ? Mais chacun aura pu exprimer sa pensée, et c’est important, car les citoyens nous jugeront sur ce que nous pouvons faire ensemble et pas seulement sur ce que nous faisons au sein de nos groupes politiques respectifs.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Achever la discussion du texte par l’examen d’un amendement cosigné par deux cent vingt‑cinq députés traduit bien, cher Olivier, l’esprit dans lequel vous avez voulu que la discussion se déroule, offrant à des membres de chaque groupe politique la possibilité de contribuer à un travail transpartisan – j’insiste sur ce terme. De fait, plusieurs d’entre nous – je pense à Caroline Fiat, à Jean-Louis Touraine ou à Marine Brenier – avaient déposé auparavant des propositions de loi sur ce sujet. Un tel débat honore notre assemblée. Nul doute que nous retrouverons le 8 avril, en séance publique, l’esprit constructif et respectueux qui les a animés. J’espère que le texte sera adopté, pour que nos concitoyens puissent bénéficier d’une nouvelle loi de liberté.

Mme Michèle de Vaucouleurs. Tout d’abord, je tiens à saluer la qualité de nos débats. Parmi les membres du groupe Dem, certains seront satisfaits du vote de ce soir ; d’autres, comme moi, seront très déçus que nous n’ayons pas su, au cours de cette législature, évaluer véritablement la loi Claeys-Leonetti, ni imposer un renforcement des moyens alloués aux soins palliatifs de manière qu’ils soient accessibles dans l’ensemble du territoire. Pour moi, c’est un échec.

J’ai une pensée pour les personnels et les bénévoles qui interviennent dans les unités de soins palliatifs et qui doivent être très déçus que nous ayons manqué l’occasion de reconnaître leur travail, de leur donner les moyens d’exister et d’imposer les directives anticipées ainsi que la désignation d’une personne de confiance. Certes, quelques souffrances, minoritaires, ne sont pas prises en charge : elles ne doivent pas être oubliées. Mais traiter la question de cette manière, c’est omettre de prendre en considération le fait que 70 % des personnes qui ont besoin de soins palliatifs n’y ont pas accès.

Mme Bénédicte Pételle. Merci à tous pour ces échanges mesurés, profonds, humains.

Ce soir, je suis triste, car si les soins palliatifs étaient plus développés, nous n’en serions peut-être pas arrivés là. Je suis triste, car je ne suis pas certaine que la proposition de loi marque, comme on l’a dit, une avancée de la liberté, qu’elle soit un pas vers un droit individuel. L’adoption de ce texte ne sera pas sans conséquences. J’ai peur que les personnes malades aient le sentiment d’être un poids. J’ai peur de l’évolution de notre société vers davantage d’individualisme, peur pour notre capacité à prendre soin les uns des autres et à accepter notre vulnérabilité.

J’ai été frappée, lorsque je me suis rendue dans des unités de soins palliatifs, du soin que l’on y prend des familles ; elles peuvent, comme les patients, se ressourcer dans des pièces chaleureuses, vivantes, aménagées à cet effet. Qu’en est-il de ceux qui restent lorsque la mort se donne en quelques minutes ?

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Avant l’examen du texte, je me classais dans la catégorie de ceux qui n’ont pas pris de décision. Cependant, au cours des dernières semaines, j’ai beaucoup écouté les personnes de mon entourage, j’ai surtout suivi les débats, qui ont été d’une grande qualité et très intéressants – nous avions la volonté de les laisser se dérouler dans le respect des convictions de chacun. Ce soir, je regrette presque de ne pas faire partie des deux cent vingt‑cinq signataires de l’amendement. Vous êtes parvenus à me convaincre et je vous en remercie.

M. Pierre Dharréville. Dans ce débat qui nous place face à la violence de la mort et de la souffrance, les mots pèsent lourd, peuvent blesser, et il est difficile de trouver ceux qui exprimeraient le mieux sa pensée.

Pour ma part, je crains que nous n’engagions une rupture éthique – certains, du reste, l’ont revendiquée comme telle, en tout cas comme un changement important. D’aucuns ont tiré argument de la récurrence de ce débat pour affirmer que tel était le sens de l’histoire. Je me demande, au contraire, si le fait qu’à cette question, dont nous avons déjà beaucoup discuté, d’autres réponses aient été apportées jusqu’ici n’indique pas une autre direction.

Ne devrions-nous pas accorder davantage d’attention à la fin de vie, la regarder autrement que comme un moment à éviter, tant il est vrai que nous ne sommes pas tout‑puissants et que nous devons affronter des épreuves difficiles ? Je souhaite, en tout cas, que notre société sache accompagner, prendre soin et qu’elle accorde du prix à la vie humaine. C’est là l’important, selon moi. J’espère donc que ce débat se poursuivra afin que nous puissions prendre la meilleure décision.

M. Nicolas Turquois. Ce débat fut, pour moi, une révélation. C’est la qualité de nos discussions, sur le fond et la forme – et je vous en remercie, madame la présidente, monsieur le rapporteur – qui m’a permis de me forger ma conviction. Je n’avais pas réfléchi plus que cela à la question. J’avais même indiqué à ceux qui, dans ma circonscription, m’ont interpellé que je ne me prononcerais pas sur la forme de la proposition de loi. À présent, je vais devoir leur expliquer pourquoi je l’ai votée ! Mais je ne regrette pas cette marche arrière. Cela doit nous amener à réfléchir, me semble-t-il, à la manière dont nous débattons : il est si agréable de s’écouter ! À ce propos, je remercie Caroline Fiat pour ses interventions, colorées mais sensibles.

Ces moments resteront comme des souvenirs très forts de mon mandat de député, et je vous en remercie tous.

Mme Frédérique Dumas. Nos débats ont été riches, et je tiens à remercier, au nom du groupe Libertés et Territoires, Olivier Falorni de nous avoir proposé d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre niche.

Désormais, le droit aux soins palliatifs, créé par la loi Claeys-Leonetti et dont nous espérons qu’il sera effectif dans l’ensemble du territoire, est complété par un nouveau droit, qui ne s’y oppose pas, celui de choisir sa fin de vie, de manière très encadrée, lorsque la mort est inéluctable.

Merci à tous, donc. J’avais fait à Anne Bert la promesse – qui n’engageait que moi – que nous aurions ce débat au cours de la législature. Je suis donc très heureuse non seulement que nous y soyons parvenus mais que nous adoptions ce texte, souhaité par 96 % des Français.

La commission adopte l’amendement.

Enfin, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi, modifiée.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Mes chers collègues, sous vos applaudissements, je tiens à saluer notre rapporteur pour la qualité de ses travaux, auxquels vous avez toutes et tous contribué. Nous avons débattu durant plus de six heures, dans la sérénité et le respect mutuel, d’un sujet sensible, intime. Je compte sur vous pour que, le 8 avril, la discussion se déroule dans le même état d’esprit, car de tels débats honorent l’Assemblée nationale.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4042_texte-adopte-commission#

 

 

 

 


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   ANNEXE 1 : CARTE - LA FIN DE VIE EN EUROPE

état des lÉgislations sur la fin de vie dans l’union européenne
au 18 mars 2021

 

Légende :

-          En rose clair : euthanasie légale ou assistance médicale autorisée (Belgique, Espagne et Pays-Bas) ;

-          En rose foncé : arrêt des traitements autorisé (Allemagne, France, Suède, etc.) ;

-          En rouge : euthanasie interdite (Grèce, Italie, Pologne, etc.).

 

Source : Radio France - Rédaction internationale, à partir des données de Toute l’Europe


 

 


— 1 —

 

   ANNEXE 2 : L’aide active À mourir hors d’europe

1.   Les États-Unis

L’assistance au suicide est licite dans huit États fédérés (Oregon, Washington ([44]), Californie ([45]) , Colorado ([46]) , Hawaï ([47]) , New Jersey ([48]) , Vermont ([49]), Maine ([50]) ) et dans le district de Columbia ([51]). L’État du Montana n’encadre pas l’aide active à mourir mais, en 2009, la Cour suprême de cet État a estimé qu’il n’y avait pas d’interdiction législative à ce qu’un médecin réponde à la demande d’un patient en phase terminale qui souhaite abréger sa vie. Dans l’État du Nouveau-Mexique, une proposition de loi relative à l’aide à mourir a été adoptée par les députés en février 2021, elle doit maintenant être discutée au Sénat.

La réglementation de l’Oregon est la mieux connue à l’étranger ([52]). Les malades souffrant d’une pathologie évaluée comme incurable peuvent se faire prescrire par un médecin un produit létal qu’ils doivent être capables de s’auto-administrer. Cette prescription est notamment conditionnée à une demande sérieuse faite par une personne mentalement apte.

2.   Le Canada

Par une décision du 6 février 2015, Carter vs Canada, la cour suprême a considéré que les dispositions actuelles du code criminel prohibant l’aide médicale à mourir privent les « adultes capables affectés de problèmes de santé graves et irrémédiables qui leur causent des souffrances persistantes et intolérables […] du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne », notamment en « for[çant] certaines personnes à s’enlever prématurément la vie, par crainte d’être incapables de le faire lorsque leurs souffrances deviendraient insupportables ».

Sous l’impulsion du Québec ([53]), l’aide médicale à mourir a été dépénalisée à l’échelle du pays en 2016 ([54]). Le modèle québécois est le suivant : une personne majeure et capable souffrant de problèmes de santé graves et irrémédiables formule une demande volontairement et sans pressions extérieures. La mort doit être raisonnablement prévisible. La personne est informée des moyens disponibles pour soulager sa souffrance et le médecin ou infirmier sollicité doit obtenir un avis indépendant d’un second médecin ou infirmier. La pratique est contrôlée par les gouvernements locaux depuis 2018.

Un projet de loi, déposé en 2020 et encore en discussion, adapte les conditions du suicide assisté et de l’euthanasie. En particulier, l’exigence d’une mort naturelle raisonnablement prévisible serait abrogée et l’aide active à mourir serait interdite lorsque la maladie mentale est la seule souffrance invoquée.

3.   La Colombie

Depuis une décision du 20 mai 1997 de la Cour suprême, l’euthanasie est légale sous conditions. Le cadre a récemment évolué. Le 20 avril 2015, des lignes directrices ont été publiées pour encadrer l’euthanasie par injection létale ([55]) et, le 9 mars 2018, l’euthanasie des mineurs a été autorisée sous conditions.

4.   L’Australie

L’aide active à mourir ne se décide pas au niveau fédéral. En 2017, l’État de Victoria a légalisé le suicide assisté par un médecin et l’euthanasie, seulement si la personne est incapable physiquement de s’administrer ou d’ingérer la substance ([56]). La personne doit être majeure et atteinte d’une maladie incurable lui causant des souffrances intolérables et qui causera sa mort dans un délai de six mois ou de douze mois (pathologie neurodégénérative). Une loi autorisant le suicide assisté devrait entrer en vigueur dans l’État d’Australie occidentale au cours de l’année 2021.

5.   La Nouvelle-Zélande 

L’assistance à mourir est autorisée en Nouvelle-Zélande ([57]) pour les personnes majeures en phase terminale d’une maladie qui entraînera leur mort dans un délai de six mois. Ces personnes doivent subir une souffrance insupportable dont les possibilités de soulagement ne sont pas considérées comme tolérables par elles. Les actes exécutés sont notifiés dans un registre national par le professionnel de santé ayant procédé à l’acte et un dossier est transmis à un comité de contrôle. Ces dispositions ont été approuvées par référendum avec 66 % de votes favorables en octobre 2020 et entreront en vigueur en novembre 2021.


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   ANNEXE 3 :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

            Table ronde

 M. Pierre-Antoine Gailly, rapporteur de l’avis « Fin de vie : la France à l’heure des choix » (avril 2018) du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

 Pr Emmanuel Hirsch, professeur d’éthique médicale, directeur de l’Espace de réflexion éthique Ile-de-France

            Table ronde du groupe d’études sur la fin de vie

 Commission fédérale belge de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie – Me Gilles Genicot, président francophone, et Me Jacqueline Herremans, Dr Didier Giet et Dr Corinne Van Oost, membres titulaires

            Première table ronde avec les associations

 Alliance Vita (*) – M. Tugdual Derville, fondateur du service SOS Fin de vie, Dr Xavier Mirabel, conseiller médical et ancien président de l’association, et Mme Caroline Roux, déléguée générale adjointe

 Fondation Jérôme LejeuneM. Jean-Marie Le Méné, président, Dr Xavier Ducrocq, chef du service de neurologie du CHR Metz-Thionville et membre du Conseil d’administration de la Fondation, et Mme Lucie Pacherie, juriste à la Fondation

            Deuxième table ronde avec les associations

 Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) (*) – M. Jean-Luc Romero-Michel, président

 Association Le Choix (Citoyens pour une mort choisie) – Dr Denis Labayle, coprésident, Mme Annie Vallet, membre du conseil d’administration, responsable de la communication et des relations extérieures, et Dr Yves de Locht, membre du comité d’honneur, docteur en médecine exerçant en Belgique

            Table ronde

 Haute Autorité de santé (HAS) – Dr Pierre Gabach, chef du service des bonnes pratiques professionnelles

 Académie de médecine – Dr Claudine Bergoignan-Esper, présidente du comité de déontologie, vice-présidente du comité d’éthique, et Pr Jean-Roger Le Gall, membre du comité d’éthique

            Audition commune

 Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV)- M. Brahim Bouselmi, directeur, et Mme Sarah Dauchy, présidente du comité d’orientation stratégique (COS)

 Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) – Dr Claire Fourcade, présidente, et Mme Christine de Gouvion Saint Cyr, bénévole d’accompagnement

            Table ronde avec les ordres

 Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) – Dr Anne-Marie Trarieux, présidente de la section « Éthique et déontologie », et Dr Claire Siret, présidente de la commission des relations avec les usagers du CNOM

 Conseil national de l’ordre des infirmiers (CNOI)  M. Patrick Chamboredon, président

            Table ronde avec les administrations centrales

 Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de l’offre de soins (DGOS) – Mme Sylvie Escalon, sous-directrice de la régulation de l’offre de soins, et Mme Marie-Laure Sarafinof, chargée de mission au bureau prises en charge post-aigües, pathologies chroniques et santé mentale

 Ministère des solidarités et de la santé – Direction générale de la santé (DGS) – M. Jimmy Robbe, chef de la division des droits des usagers et des affaires juridiques et éthiques

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale

   annexe 4 : liste des textes susceptibles d’ÊTRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1

Code de la santé publique

L. 1110‑9

2

Code de la santé publique

L. 1111‑10 [nouveau]

3

Code de la santé publique

L. 1111‑12‑1 [nouveau]

4

Code de la santé publique

L. 1111‑12‑2 et L. 1111‑12‑3 [nouveaux]

5

Code de la santé publique

L. 1110‑5

5 bis

Code de la santé publique

L. 1110-9

5 ter

Code de la santé publique

L. 1111-4 et L. 1111-12

 


([1]) R. Aubry, C. Evin, P. Guinchard-Kunstler, L. Puybasset, « Accompagner la fin de vie », Le Monde, 28 avril 2005.

([2]) Euthanasie signifie « bonne mort » en grec (eû, « bonne », et thánatos, « mort »).

([3]) Voir les propositions de loi n° 185 et n° 3806 de Jean-Louis Touraine portant sur la fin de vie dans la dignité (27 septembre 2017) et visant à garantir et renforcer les droits des personnes en fin de vie (26 janvier 2021), n° 517 de Caroline Fiat relative à l’euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne (20 décembre 2017), n° 3755 de Marine Brenier visant à affirmer le libre choix de la fin de vie et à assurer un accès universel aux soins palliatifs en France (19 janvier 2021) et n° 131 de Marie-Pierre de la Gontrie (Sénat) visant à établir le droit de mourir dans la dignité (17 novembre 2020).

([4])  Actuel article L. 1110-5-1 du code de la santé publique.

([5])  Actuel article L. 1110-5-3 du code de la santé publique.

([6])  Article L. 1110-5 du code de la santé publique.

([7])  Article L. 1110-5-2 du code de la santé publique.

([8])  Article L. 1111-11 du code de la santé publique.

([9])  Article L. 1111-6 du code de la santé publique.

([10])  IGAS, Évaluation de l’application de la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie, avril 2018, p. 3.

([11])  CCNE, avis n°129, 18 septembre 2019.

([12]) A ce jour, seul un rapport a été publié sur l’application de la loi Claeys-Leonetti, il s’agit du rapport de l’IGAS de 2018.

([13])  IGAS, op. cit.

([14]) Serey A, Tricou C, Phan-Hoang N, et al., Deep continuous patient-requested sedation until death: a multicentric study, BMJ Supportive & Palliative Care, 20 avril 2019. Cette étude a été réalisée auprès de 8 500 patients décédés entre août 2016 et août 2017 et pris en charge en unité de soins palliatifs ou par une équipe mobile de soins palliatifs en Rhône-Alpes. Cette proportion représente donc environ quarante-deux patients.

([15])  Pierre-Antoine Gailly, Fin de vie : la France à l’heure des choix, Les avis du CESE, avril 2018.

([16]) IGAS, ibid.

([17]) Institut BVA, étude pour le Centre national des soins palliatifs et la fin de vie, 5 février 2021.

([18]) CNSPFV, La sédation profonde et continue jusqu’au décès en France, deux ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, novembre 2018.

([19]) Michelle Meunier, rapport sur la proposition de loi pour le droit à mourir dans la dignité au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 3 mars 2021, n° 402.

([20]) CNSPFV, Atlas des soins palliatifs et de la fin de vie en France, octobre 2020.

([21])  Selon l’Inserm, 4 000 à 6 000 nouveaux cas sont déclarés chaque année. L’évolution de la maladie est très hétérogène selon les patients.

([22])  1 200 décès seraient causés chaque année par la maladie de Charcot, qui touche aujourd’hui environ 6 000 personnes en France.

([23]) En 2018, 157 400 personnes sont décédées d’un cancer en France, selon la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer.

([24]INED, Les décisions médicales en fin de vie en France, Population et sociétés, novembre 2012.

([25])  Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, Neuvième rapport aux chambres législatives, 2018-2019.

([26])  « De plus en plus de Français demandent l’euthanasie en Belgique », Le Monde, 18 février 2020.

([27]) CESE, op. cit.

([28]INED, op. cit., 2012.

([29])  Organisation mondiale de la santé, Suicide rate estimates, crude, 10-year age groups – Estimates by country, cité par Michelle Meunier dans son rapport précité sur la proposition de loi pour le droit à mourir dans la dignité.

([30]) CESE, op. cit., p. 46.

([31]) IFOP, Les Français et l’euthanasie, sondage réalisé pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), octobre 2013.

([32]) IFOP, Les Français et les questions liées à la bioéthique, décembre 2017, p. 16-17.

([33]Ipsos, La situation des libertés en France : sondage préparé pour la 28ème journée du Livre politique, mars 2019. Sondage réalisé auprès de 1 004 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, entre le 14 et le 19 mars 2019.

([34]) Ipsos, Enquête auprès des médecins sur la fin de vie pour le Conseil national de l’ordre des médecins, janvier 2013, p. 7.

([35])  Pour plus d’information : Annexe du rapport de Caroline Fiat sur la proposition de loi relative à l’euthanasie et au suicide assisté, pour une fin de vie digne, déposé le 24 janvier 2018, n° 582.

([36]) Il existe cinq commissions régionales aux Pays-Bas mais une seule commission dans les deux autres pays, fédérale en Belgique et nationale au Luxembourg.

([37]) Ainsi que l’a indiqué le Dr. Corinne Van Oost lors de son audition par le groupe d’études de l’Assemblée nationale sur la fin de vie le 9 juillet 2019, la part des euthanasies est restée stable en Belgique après leur légalisation. La loi de 2002 a permis de mieux encadrer une pratique qui existait déjà.

([38]) Caroline Fiat, op. cit.

([39]) Haute Autorité de santé, Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ?, février 2018, actualisée en janvier 2020.

([40]) Voir respectivement les articles R. 4127-47 (article 47 du code de déontologie médicale), R. 4312-12 et R. 4127-328 du code de la santé publique.

([41]) Les sages-femmes ne peuvent manquer à leurs « obligations d’assistance » par ailleurs.

([42])  http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10591922_60646fec741bd.commission-des-affaires-sociales--droit-a-une-fin-de-vie-libre-et-choisie--legalisation-controlee--31-mars-2021

([43])  http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10595901_6064c454d35de.commission-des-affaires-sociales--droit-a-une-fin-de-vie-libre-et-choisie-suite--legalisation-co-31-mars-2021

([44]) Washington Death With Dignity Act, adoptée le 4 novembre 2008.

([45]) End of Life Option Act, ratifiée en octobre 2015.

([46]) End of Life Options Act, adoptée en novembre 2016.

([47]) Our Care Our Choice Act, ratifiée le 5 avril 2018.

([48]) Medical Aid in Dying for the Terminally Ill Act, ratifiée le 12 avril 2019.

([49]) Choice and Control at End of Life Act adoptée en mai 2013.

([50]) Maine Death with Dignity Act, adoptée en juin 2019.

([51]) Death with Dignity Act of 2016.

([52]) Oregon Death With Dignity Act, adoptée en novembre 1994 et entrée en vigueur le 27 octobre 1997.

([53]) Loi du 10 juin 2014 concernant les soins de fin de vie.

([54]) Loi modifiant le Code criminel et apportant des modifications connexes à d’autres lois (aide médicale à mourir), adoptée le 17 juillet 2016.

([55]) Protocole d’application de la procédure d’euthanasie en Colombie, mai 2015.

([56]) Volountary Assisted Dying Act 2017, entrée en vigueur le 19 juin.

([57]) Loi du 16 novembre 2019 relative au choix de la fin de vie.