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No 4048

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,

DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE AVEC MODIFICATIONS PAR LE SÉNAT, EN DEUXIÈME LECTURE
 

 

visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (n° 4029)

 

 

PAR Mme Alexandra LOUIS

Députée

 

 

 

Voir les numéros :

  Sénat : 1re lecture : 158, 271, 272 et T.A. 46 (2020-2021).

   2e lecture : 447, 467, 468 et TA 85 (2020-2021).

Assemblée nationale : 1re lecture : 3796, 3939 et T.A. 576.

    2e lecture : 4029.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS............................................ 5

Examen des articles de la proposition de loi

Article 1er (art. 22222, 222223 [nouveau], 222231 à 222233 [nouveaux], 222291, 222292 et 222293 [nouveaux], et 222311 [supprimé] du code pénal) Création de nouvelles infractions sexuelles sur mineur

Article 1er bis BA (art. 22722 et 227231 [nouveau] du code pénal) Délit d’extorsion d’images pédopornographiques

Article 1er bis B (art. 227211 [nouveau], 22725, 22726, 22727 et 2272721 du code pénal) Coordinations et délits d’atteinte sexuelle sur mineur

Article 1er bis C (art. 222222 et 227222 [nouveau] du code pénal) Répression des atteintes sexuelles que la victime est contrainte de s’infliger à elle-même

Article 1er bis E (art. 225121 et 225122 du code pénal) Aggravation de la peine encourue en cas de sollicitation de prostitué mineur

Compte rendu des débats

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

Pour la troisième fois en l’espace de deux mois, l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur une proposition de loi réprimant comme elles doivent l’être les infractions sexuelles commises par des adultes sur des mineurs.

Accompagnées par les parties prenantes et le monde associatif, quatre propositions de loi avaient été déposées devant le Parlement – deux au Sénat ([1]) et deux à l’Assemblée nationale ([2]). Ces initiatives avaient reçu, sur le principe, le soutien du Gouvernement. Pour sa part, le groupe majoritaire à l’Assemblée nationale avait pris la décision, au regard de l’importance du sujet, de privilégier le texte le plus avancé dans la procédure parlementaire, le plus susceptible d’être promulgué dans les meilleurs délais. Ainsi, c’est la proposition de loi de Mme la sénatrice Annick Billon, adoptée par le Sénat dès le 21 janvier 2021, que l’Assemblée nationale avait inscrite à son ordre du jour.

Tel était l’engagement qui avait été pris, lors de l’examen en première lecture de la présente proposition de loi. Cet engagement a été tenu. Après un vote unanime par les députés en première lecture le 15 mars dernier ([3]), le Gouvernement a soumis le texte à une seconde lecture au Sénat dès le 25 mars.

Le Sénat a été saisi d’un texte de vingt articles très différent de celui qu’il avait adopté en première lecture : un seul article avait été voté en termes identiques (1er bis A) ; cinq articles avaient été supprimés (1er bis, 2, 4, 4 ter et 8) ; six articles avaient été ajoutés (1er bis BA, 1er bis C, 1er bis D, 1er bis E, 5 bis et 9) ; huit articles avaient été modifiés dont certains très profondément (1er, 1er bis B, 3, 4 bis, 4 quater, 5, 6 et 7).

Les sénateurs ont constaté que l’Assemblée nationale avait profondément modifié les dispositions de la proposition de loi, y compris sur la question fondamentale de l’âge du consentement désormais fixée à quinze ans et non à treize ans comme le prévoyait le texte initial. Toutefois, ils ont estimé que ces évolutions répondaient pleinement à l’intérêt général. Ainsi que l’écrit la rapporteure, Mme Marie Mercier, « le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale renforce considérablement la protection des mineurs contre les violences sexuelles dans le respect de nos principes constitutionnels. Il répond aux préoccupations exprimées tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, la commission [des Lois du Sénat] estime qu’un équilibre a été atteint et elle ne souhaite pas affaiblir ce compromis » ([4]).

Plusieurs dispositions ont donc été votées en termes identiques par les deux assemblées, de sorte que l’Assemblée nationale n’a pas à les examiner au cours de sa deuxième lecture. Outre l’article 1er bis A déjà mentionné portant harmonisation rédactionnelle, il s’agit de :

– l’article 1er bis D portant coordination des dispositions de la loi avec le crime de proxénétisme et le délit d’achat d’acte sexuel, introduit par les députés en première lecture ;

– les article 1er bis, 2 et 4, qui portaient des coordinations nécessaires à la proposition de loi dans sa rédaction initiale et qui, devenus sans objet, ont été supprimés par les deux assemblées ;

– l’article 3 dans lequel l’Assemblée nationale avait inscrit les circonstances aggravantes applicables aux crimes de viol sur mineur de quinze ans et de viol incestueux créés à l’article 1er ;

– l’article 4 bis étendant la définition du viol aux actes bucco-génitaux, adopté par les sénateurs en première lecture et qui avait fait l’objet de modifications rédactionnelles à l’Assemblée nationale ;

– l’article 4 ter dont le dispositif a été déplacé au sein de l’article 4 quater et qui a été, en conséquence, supprimé par les deux assemblées ;

– l’article 4 quater relatif à la prescription des infractions sexuelles sur mineur, introduit par le Sénat en première lecture et intégralement réécrit par l’Assemblée nationale selon des principes que les sénateurs ont adopté en termes identiques en deuxième lecture ;

– les articles 5, 6 et 7 relatifs au fichier judiciaire des auteurs d’infraction sexuelle (FIJAIS) et à la peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité au contact des mineurs, introduits par le Sénat en première lecture et auxquels l’Assemblée nationale avait apporté des modifications rédactionnelles ;

– l’article 5 bis réformant le régime de l’exhibition sexuelle et prévoyant une circonstance aggravante lorsque l’infraction est commise au préjudice d’un mineur de quinze ans, introduit à l’Assemblée nationale à l’initiative de votre rapporteure et adopté en termes identiques par le Sénat ;

– et l’article 9 relatif aux modalités d’application de la loi dans les collectivités d’outre-mer jouissant d’une autonomie normative étendue.

Cinq dispositions demeurent en discussion : l’article 1er créant les nouvelles infractions sexuelles sur mineur et l’article 1er bis B portant coordination avec les délits d’atteinte sexuelle, la répression de la « sextorsion » prévue aux articles 1er bis BA et 1er bis C, ainsi qu’une coordination relative à la prostitution de mineur à l’article 1er bis E.

Sur chacun de ces articles, le Sénat s’est attaché à améliorer les rédactions adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture, sans remettre en cause leurs lignes directrices. Aucune opposition de principe ne semble donc devoir être constatée entre les deux assemblées.

Sur un tel sujet, relatif à la protection des enfants, il est important que le Parlement s’exprime d’une voix forte. Le consensus des assemblées vient s’ajouter à l’unanimité des députés recueillie en première lecture. C’est un symbole qu’on ne saurait déprécier : la représentation nationale parvient à s’accorder sur cette proposition de loi dont les enjeux sont compris et partagés sur tous les bancs.

La France inscrira bientôt dans son code pénal des principes intangibles : en-dessous de quinze ans, c’est non ; l’inceste, c’est non. Ce non ne sera pas celui des enfants et des adolescents, qui ne peuvent pas toujours comprendre de tels actes : il sera, en leur nom et pour leur compte, celui d’une société tout entière qui commande à chaque adulte de se comporter comme tel.

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   Examen des articles de la proposition de loi

Article 1er
(art. 22222, 222223 [nouveau], 222231 à 222233 [nouveaux], 222291, 222292 et 222293 [nouveaux], et 222311 [supprimé] du code pénal)
Création de nouvelles infractions sexuelles sur mineur

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er de la proposition de loi qualifie de crime tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur un mineur de treize ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes comportait des dispositions interprétatives destinées aux juridictions pénales, afin que celles-ci prennent en compte la différence d’âge entre la victime et l’auteur des faits, l’autorité de droit ou de fait dont celui-ci dispose sur sa victime et la vulnérabilité du mineur ne disposant pas du discernement nécessaire pour l’accomplissement d’un acte sexuel.

       Modifications apportées par le Sénat en première lecture

En commission des Lois, un amendement de la rapporteure a précisé que le crime était constitué que la pénétration soit prodiguée ou reçue par le majeur de façon à réprimer, comme en matière de viol, les fellations imposées. En séance publique, un amendement de Mme Esther Benbassa, soutenu par la commission en dépit de l’opposition du Gouvernement, a intégré à l’infraction les actes bucco-génitaux.

  Modifications apportées par l’Assemblée nationale en première lecture

L’Assemblée nationale a procédé à une réécriture globale de l’article 1er en adoptant en commission des Lois un amendement du Gouvernement ainsi que dix-neuf sous-amendements, puis vingt-trois amendements en séance publique. Le dispositif adopté institue quatre nouvelles infractions dont la constatation ne nécessite pas d’établir une violence, une contrainte, une menace ou une surprise : un crime de viol sur mineur de quinze ans, un crime de viol incestueux sur mineur, une agression sexuelle sur mineur de quinze ans et une agression sexuelle incestueuse sur mineur. Les infractions supposent une différence d’âge de cinq ans au moins entre le majeur et le mineur, sauf lorsqu’une rémunération a été versée en contrepartie de l’acte sexuel. Les infractions criminelles sont définies par un acte bucco-génital ou une pénétration, que le mineur subisse cet acte ou soit amené à le commettre. Le périmètre de l’inceste se trouve redéfini.

       Modifications apportées par le Sénat en deuxième lecture

Deux amendements de la rapporteure ont été adoptés en commission des Lois : l’un pour mieux définir la rémunération dont le versement entraîne automatiquement l’absence de consentement d’un mineur de quinze ans, l’autre pour ne pas qualifier d’inceste le viol incestueux pour des raisons d’intelligibilité. L’article 1er n’a ensuite fait l’objet d’aucune modification en séance publique.

       Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er sans modification.

1.   Des dispositions totalement réécrites par l’Assemblée nationale en première lecture

Dans sa rédaction initiale et dans la version adoptée par le Sénat en première lecture, l’article 1er de la proposition de loi créait dans la section du code pénal réprimant « la mise en péril des mineurs » un nouvel article 227-24-2 relatif à l’infraction de crime sexuel sur mineur. Cette infraction réprimait tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’elle soit, commis sur un mineur de treize ans par un auteur majeur.

En accord avec le Gouvernement, l’Assemblée nationale a privilégié d’autres options dans le même objectif de mieux protéger les mineurs des initiatives sexuelles des majeurs. Ces lignes directrices ont donné lieu, commission et séance publique confondues, à l’adoption de vingt-quatre amendements et dix-neuf sous-amendements.

Il résulte de ces aménagements un régime répressif complet et précis, qui s’attache à répondre avec rigueur aux différents cas particuliers envisagés. Toutefois, comme l’avait souligné votre rapporteure en première lecture, la complexité de la nouvelle architecture pourrait apparaître excessive. Les nouvelles infractions s’ajoutent au viol et à l’agression sexuelle déjà présentes dans le code pénal et qui requièrent toujours violence, contrainte, menace ou surprise. Elles coexistent également avec le délit d’atteinte sexuelle, modifié à la marge à l’article 1er bis B de la présente proposition de loi. Cette accumulation d’incriminations est néanmoins impérative pour éviter la remise en cause de poursuites en cours.

a.   Un âge de consentement fixé à quinze ans

Les députés ont considéré que le seuil d’âge fixé par le Sénat à treize ans ne correspondait ni aux attentes de la société, ni aux capacités de discernement d’un mineur en matière sexuelle. Dans ce domaine, le législateur a retenu, depuis l’ordonnance précitée du 2 juillet 1945, un seuil de quinze ans en deçà duquel l’atteinte sexuelle par un majeur constitue une infraction délictuelle. Il est donc cohérent de conserver cet âge pour limite en deçà de laquelle il n’y a pas lieu de rechercher une violence, une contrainte, une menace ou une surprise pour caractériser un comportement répréhensible.

Est ainsi créé au sein du code pénal un nouvel article 222‑23‑1 réprimant tout acte de pénétration sexuelle commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, sans référence à une quelconque violence, contrainte, menace ou surprise. Ce crime, puni de vingt ans de réclusion criminelle, ne nécessite donc aucun adminicule. L’élément moral de l’infraction résulte uniquement de la volonté de commettre une pénétration sexuelle et de la connaissance de l’âge inférieur à quinze ans de la victime.

Les députés ont souhaité élargir l’élément matériel de l’infraction, en sus d’une pénétration sexuelle, à tout acte bucco-génital. Cette modification est cohérente avec un élargissement similaire de la définition du viol souhaité par le Sénat en première lecture ([5]). Comme dans la définition du viol, l’infraction est également constituée lorsque le mineur est amené à pratiquer l’un des actes susmentionnés sur la personne du majeur.

L’Assemblée nationale a également rallié le Gouvernement pour préciser que l’infraction n’est pas constituée lorsque la différence d’âge entre l’auteur et le mineur est inférieure à cinq ans, de façon à ne pas criminaliser les histoires sincères que peuvent vivre de très jeunes majeurs et des mineurs proches de l’âge de quinze ans. Toutefois, le versement d’une rémunération en échange de l’acte sexuel entraîne la qualification pénale sans considération de l’écart d’âge, dans la mesure où le consentement du mineur ne saurait être considéré libre et éclairé dès lors qu’il est en réalité acheté.

Par ailleurs, un nouvel article 222‑29‑2 qualifie d’agression sexuelle toute atteinte sexuelle autre qu’un viol commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans, toujours en l’absence d’adminicule. Cette infraction recouvre les situations dépourvues de pénétration et d’acte bucco-génital. Les peines encourues sont de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Enfin, une mesure de coordination est prévue à l’article 222-22 du code pénal pour définir l’agression sexuelle – viol ou autre agression sexuelle – comme une atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ou, dans les cas prévus par la loi en une atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur.

b.   Une protection de tous les mineurs contre l’inceste

Les députés ont également considéré que les faits commis à l’encontre d’enfants et présentant une dimension incestueuse devaient constituer des infractions autonomes pour lesquelles, par exception au droit commun, la protection accordée aux mineurs est étendue jusqu’à leurs dix-huit ans.

Est ainsi créé au sein du code pénal un nouvel article 222-23-2 punissant, là encore de vingt ans de réclusion criminelle, tout acte de pénétration sexuelle et tout acte bucco-génital commis par un majeur sur un mineur ou reçu par ce dernier dans une relation incestueuse. Le crime est constitué en l’absence d’adminicule et, pour des raisons évidentes, quelle que soit la différence d’âge entre la victime et l’auteur.

Les députés ont souhaité nommer cette infraction viol incestueux en commission des Lois et, en séance publique et à l’initiative de la rapporteure, le qualifier d’inceste.

En cohérence avec l’agression sexuelle sur mineur de quinze ans, les députés ont également créé dans un nouvel article 222‑29‑3 du code pénal une agression sexuelle incestueuse réprimant toute atteinte incestueuse autre qu’une pénétration ou un acte bucco-génital commis sur un mineur. Les peines encourues sont de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

L’Assemblée nationale a également souhaité mieux définir l’élément incestueux. Un nouvel article 222‑22‑3 du code pénal vient se substituer à l’actuel article 222‑31‑1 définissant le périmètre de l’inceste, de façon à le placer en tête de la section du code pénal relative aux agressions sexuelles pour une meilleure visibilité. Cet article prévoit que les viols et les autres agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis par :

– un ascendant ;

– un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu, une nièce, et désormais par un grand-oncle ou une grand-tante ;

– le conjoint, le concubin ou le partenaire de pacte civil de solidarité de l’une des personnes précitées, s’il a sur la victime une autorité de droit ou de fait.

Par ailleurs et au-delà de cette surqualification pénale, les nouvelles infractions de viol incestueux et d’agression sexuelle incestueuse seront constituées à la condition d’impliquer un ascendant ou toute personne mentionnée à l’article 222-22-3 du code pénal ayant sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Cette dernière précision est nécessaire dès lors que le Parlement fait le choix d’objectiver l’infraction pénale, qui ne saurait totalement résulter de la combinaison d’un acte sexuel et de l’âge respectif des personnes en cause. En effet, dans le cas d’un rapport sexuel entre un père et son enfant, ou entre un adulte significativement plus âgé et un enfant, il ne fait guère de doute que la responsabilité des faits incombe au majeur. En revanche, dans les cas d’inceste collatéraux réunissant des personnes d’âge proche, il serait excessivement délicat – et sans doute contraire à la Constitution – d’imputer légalement des faits criminels à la sœur plutôt qu’au frère, voire à la tante plutôt qu’au neveu, au seul motif des quelques mois qui les séparent. Comme l’a souligné votre rapporteure en séance publique, « dans les affaires qui impliquent des collatéraux, on ne peut pas se dispenser de regarder les faits pour voir qui a forcé l’autre. Il n’y a que dans les cas où il y a une autorité, c’est-à-dire chez un père, un oncle, un beau-père, que la responsabilité de dire non est clairement préétablie » ([6]) .

2.   Des dispositions peu modifiées par le Sénat

La rapporteure du Sénat, Mme Marie Mercier, a jugé que « l’Assemblée nationale a fait preuve de créativité en retenant le seuil de quinze ans et en l’assortissant d’un écart d’âge, ce qui répond aux préoccupations exprimées par le Sénat ». Faisant siennes les positions des députés sur les deux questions fondamentales de la différence d’âge de cinq ans et de l’exigence d’une autorité de droit ou de fait dans les incriminations incestueuses, elle a estimé que « la solution retenue par l’Assemblée nationale constitue donc la base d’un accord politique entre les deux assemblées et elle mérite d’être conservée ».

La commission des Lois du Sénat a amendé à deux reprises l’article 1er à l’initiative de la rapporteure :

– pour harmoniser la rédaction des deux nouveaux articles 222‑23‑1 et 222‑29‑2 du code pénal avec celle figurant à l’article 225‑12‑1 sur l’achat d’acte sexuel, rédaction dans laquelle la notion de rémunération inclut la promesse d’une rémunération, la fourniture d’un avantage en nature ou la promesse d’un tel avantage ;

– pour supprimer la précision, jugée redondante et source d’incompréhension, selon laquelle le viol incestueux est « qualifié d’inceste ».

Aucun amendement n’a ensuite été adopté par le Sénat à l’occasion de l’examen en séance publique.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission des Lois a salué l’accueil favorable réservé par le Sénat aux équilibres retenus par l’Assemblée nationale en première lecture. L’âge du consentement fixé à quinze ans, les dispositions spécifiques de répression de l’inceste et le choix de créer des infractions autonomes ont suscité un consensus parlementaire qui illustre le changement de regard de la société sur l’impérative protection des mineurs.

 Les modifications rédactionnelles apportées par les sénateurs permettent une meilleure insertion des dispositions de l’article 1er au sein du code pénal. En outre, votre rapporteure convient que la dénomination de « viol incestueux » exprime suffisamment la criminalisation de l’inceste, de sorte qu’il n’est pas nécessaire à la loi de prévoir une surqualification en ce sens.

La commission des Lois a adopté l’article 1er sans modification.

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Article 1er bis BA
(art. 22722 et 227231 [nouveau] du code pénal)
Délit d’extorsion d’images pédopornographiques

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis BA de la proposition de loi est issu d’un amendement de M. Ludovic Mendes adopté en séance publique par l’Assemblée nationale en première lecture, sous-amendé à l’initiative de la rapporteure. Il réprime le fait, pour un majeur, de solliciter auprès d’un mineur de quinze ans la diffusion ou la transmission d’images, de vidéos ou de représentations à caractère pornographique dudit mineur.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a porté à cinq d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende les peines réprimant le fait, en vue de sa diffusion, de fixer, d’enregistrer ou de transmettre l’image ou la représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique.

       Modifications apportées par le Sénat en deuxième lecture

À l’initiative de la rapporteure, le Sénat a souhaité que l’ensemble des mineurs, et non les seuls mineurs de quinze ans, soient couverts par l’infraction créée.

       Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er bis BA sans modification.

1.   Les dispositions adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture

Introduit en première lecture par l’Assemblée nationale à l’initiative de M. Ludovic Mendes en séance publique, l’article 1er bis BA punit le fait, pour un majeur, de solliciter auprès d’un mineur de quinze ans la diffusion ou la transmission d’images, de vidéos ou de représentations à caractère pornographique dudit mineur. Il avait alors reçu le soutien du Gouvernement et de la commission des Lois, sous réserve d’un sous-amendement de la rapporteure fixant les peines réprimant cette infraction de dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende.

De tels comportements peuvent aujourd’hui être poursuivis sur le fondement de la corruption de mineur ([7]). Toutefois, la rédaction peu précise de cette infraction conduit à des hésitations quant à l’opportunité d’y recourir. De surcroît, sa constitution exige un dol spécial : outre l’accomplissement d’un acte obscène, la conscience de son obscénité et la connaissance de l’âge de la victime, la jurisprudence exige que soit établie la volonté de corrompre cette victime. Si les faits avaient seulement pour but de permettre à leur auteur d’assouvir ses propres instincts sur la personne d’un mineur, le délit n’est pas constitué ([8]).

L’Assemblée nationale a donc résolu de mieux sanctionner les auteurs de tels comportements mortifères pour les mineurs qui en sont victimes, d’autant que les images ainsi extorquées ne pourront en pratique jamais être totalement retirées d’internet. Quant aux peines, elles sont strictement alignées sur celles prévues aujourd’hui en répression de la corruption de mineur.

2.   Des dispositions modifiées par le Sénat

La rapporteure du Sénat, Mme Marie Mercier, a indiqué dans son rapport ne pas être opposée « à cette innovation qui exprime une volonté de lutter plus énergiquement contre des pratiques inacceptables traumatisantes pour les victimes ».

Toutefois, elle s’est interrogée sur le montant inhabituellement élevé de l’amende prévue au dernier alinéa de l’article 227-22 du code pénal relatif à la corruption de mineur. Initialement conçue en répression de faits commis en bande organisée, cette aggravation a été étendue par la suite à l’hypothèse où la victime est un mineur de quinze ans. Or, si une amende d’un tel montant est d’évidence justifiée pour la sanction d’un trafic de grande envergure, elle est apparue disproportionnée pour sanctionner un auteur isolé.

En conséquence, la commission des Lois du Sénat a adopté un amendement de la rapporteure faisant évoluer le dispositif :

– en l’appliquant à l’ensemble des mineurs, et non les seuls mineurs de quinze ans, sur le modèle du régime de la corruption de mineur. Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ;

– en prévoyant deux circonstances aggravantes si la victime est un mineur de quinze ans (dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende) ou si les faits sont commis en bande organisée (dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 d’euros d’amende).

Par coordination, les sanctions associées à la corruption de mineur sont modifiées de la même façon : dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende si la victime a moins de quinze ans, dix ans d’emprisonnement et 1 000 000 d’euros d’amende si les fait sont commis en bande organisée.

Aucun amendement n’a été adopté par le Sénat à l’occasion de l’examen en séance publique.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission des Lois estime bienvenue la dissociation effectuée par le Sénat des circonstances aggravantes de commission en bande organisée et sur la personne d’un mineur de quinze ans. Il va de soi que l’individu qui commet une infraction sexuelle sur un mineur agit selon des motivations très différentes de celles du réseau international. Les capacités financières sont également très dissemblables, liées au produit financier de l’infraction. L’adaptation des amendes encourues rend à la loi sa cohérence ainsi que son respect des principes de proportionnalité et de nécessité des peines, qu’il s’agisse de la nouvelle infraction d’extorsion d’images pédopornographiques ou du délit de corruption de mineur modifié en conséquence.

La décision du Sénat d’élargir le périmètre du délit d’extorsion d’images pédopornographiques à l’ensemble des mineurs soulève davantage d’interrogations de la pat de votre rapporteure. L’un des axes forts de la proposition de loi, qui a réuni un consensus dans les deux assemblées, a consisté à établir un âge de quinze ans en deçà duquel le mineur ne peut valablement consentir à un acte sexuel en compagnie d’un majeur. Il en découle, a contrario, la pleine liberté sexuelle du mineur âgé de plus de quinze ans en l’absence d’éléments de coercition tels que l’abus d’autorité, la promesse de rémunération ou l’ascendance familiale.

 Dans cette perspective, alors qu’il incombe à l’adulte d’assumer seul la responsabilité d’un acte sexuel illégal avec un mineur de quinze ans et d’y renoncer en conséquence au risque d’une condamnation criminelle, il apparaissait pleinement cohérent de lui interdire de collecter des images pornographiques du même mineur.

L’élargissement du périmètre de l’article 1er bis BA aux mineurs âgés de plus de quinze ans vient ébranler cette cohérence. Alors qu’il est loisible à un majeur et à un mineur d’entretenir une relation sexuelle, la communication d’une photographie ou d’une vidéo des actes en question audit majeur pourrait constituer un délit puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.

Votre rapporteure interprète cependant la rédaction adoptée par le Sénat comme un démembrement de l’article 22722 du code pénal relatif à la corruption de mineur, dans la mesure où il en explicite une qualification des faits déjà retenue par la jurisprudence et où il édicte des peines strictement identiques. Il reviendra donc au procureur de la République, comme dans son usage de la corruption de mineur, d’apprécier l’opportunité des poursuites en fonction des circonstances de l’espèce.

Partageant cette interprétation, la commission des Lois a adopté l’article 1er bis BA sans modification.

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Article 1er bis B
(art. 227211 [nouveau], 22725, 22726, 22727 et 2272721 du code pénal)
Coordinations et délits d’atteinte sexuelle sur mineur

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis B de la proposition de loi est issu d’un amendement de Mme Marie-Pierre de La Gontrie et de plusieurs de ses collègues, adopté en séance publique par le Sénat avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement. Il porte à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende les peines encourues en cas d’atteinte sexuelle incestueuse sur mineur de quinze ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a porté la sanction de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

  Modifications apportées par l’Assemblée nationale en première lecture

La commission des Lois a adopté un amendement du Gouvernement coordonnant le régime de l’atteinte sexuelle avec le dispositif adopté à l’article 1er. En séance publique, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de la rapporteure précisant l’architecture de la section du code pénal relative à la mise en péril des mineurs, ainsi qu’un amendement de Mme Laetitia Avia soumettant à la condition d’une pression sur le mineur de quinze ans l’application du délit d’atteinte sexuelle à un majeur âgé de moins de cinq années de plus.

  Modifications apportées le Sénat en deuxième lecture

La commission des Lois a notamment adopté deux amendements de la rapporteure supprimant la condition de différence d’âge pour l’application du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans, étendant par coordination avec l’article 1er le périmètre de l’inceste. En séance publique, deux amendements de la rapporteure de portée rédactionnelle ont également été adoptés.

       Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er bis B sans modification.

1.   Les dispositions adoptées par le Sénat en première lecture

Adopté en séance publique par le Sénat avec le soutien de la commission et un avis de sagesse du Gouvernement, l’article 1er bis B de la proposition de loi poursuit l’alourdissement des peines prévues en répression de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Fixées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende avant la loi du 3 août 2018 précitée, elles sont ainsi portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende. Ces sanctions sont identiques à celles que le législateur attache à l’agression sexuelle sur mineur de quinze ans ([9]).

2.   Des dispositions intégralement réécrites par l’Assemblée nationale en première lecture

a.   Une réécriture globale en commission des Lois

L’adoption d’un nouveau dispositif à l’article 1er de la proposition de loi a réduit l’intérêt de l’aggravation de la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans, prévue par le Sénat à l’article 1er bis B. Par ailleurs, l’aggravation souhaitée par le Sénat apparaît le plus souvent déjà possible en pratique, l’article 227-26 du code pénal portant les peines à dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas de pluralité d’auteurs, d’abus d’autorité, de consommation de stupéfiants, et surtout en cas de mise en contact au moyen d’un réseau de communication électronique, ce qui est devenu très fréquent.

Cependant, la création d’infractions autonomes de viol et d’agression sexuelle sur mineur dans un cadre incestueux imposait un certain nombre de coordinations, la qualification d’atteinte sexuelle par l’un des auteurs visés par ces dispositifs se trouvant de fait évincée. En conséquence, la commission des Lois a adopté une rédaction globale de l’article 1er bis B proposée par le Gouvernement et sous-amendée par Mme Laetitia Avia.

Cette réécriture prévoit que l’atteinte sexuelle par un majeur sur mineur de quinze ans, prévue à l’article 227‑25 du code pénal, s’applique hors les cas de viol et d’agression sexuelle. Elle a vocation à n’être sollicitée que dans les hypothèses dans lesquelles l’auteur majeur et la victime mineure sont séparés par une différence d’âge inférieure à cinq ans. Cette option rédactionnelle laisse subsister l’incrimination délictuelle : les faits commis avant la publication de la présente loi pourront toujours être poursuivis et condamnés.

La commission de l’atteinte par un ascendant est retirée des circonstances aggravantes de l’article 227‑26, cette hypothèse étant intégralement absorbée par les incriminations de viol incestueux et d’agression sexuelle incestueuse créées à l’article 1er.

Enfin, l’atteinte sexuelle sur mineur de plus de quinze ans, prévue à l’article 227‑27, fonctionne également de façon subsidiaire aux incriminations réprimant l’inceste. Le délit est désormais commis par toute personne extérieure au cercle familial ayant autorité sur le mineur ou abusant de l’autorité conférée par des fonctions. Il se trouve sanctionné de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, contre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende aujourd’hui.

b.   Un équilibre précisé en séance publique

En séance publique, l’Assemblée nationale a amélioré le plan du code pénal à l’initiative de la rapporteure. Elle a créé deux nouvelles subdivisions au sein de la section relative à la « mise en péril des mineurs » :

– un premier paragraphe, intitulé « de la mise en péril de la santé et de la moralité des mineurs », regroupe les articles 227-15 à 227-21 qui répriment les privations infligées à un mineur, la provocation à des comportements dangereux pour le mineur ou encore la provocation à commettre un crime ou un délit ;

– un second paragraphe relatif à « des infractions commises contre les mineurs », comprend les articles 227-22 à 227-28-3 qui ont notamment trait à la corruption de mineurs, à la diffusion d’images pédopornographiques et à l’atteinte sexuelle. Il s’ouvre sur un nouvel article 227-21-1 précisant que ces dispositions doivent être associées à celles réprimant les viols, les agressions sexuelles, l’inceste, l’exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel, qui peuvent également être commis au préjudice de mineurs et qui figurent dans une autre subdivision du code pénal.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a adopté un amendement de Mme Laetitia Avia introduisant dans l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans, comme pour le viol et l’agression sexuelle, une condition d’écart d’âge : le délit ne serait pas constitué si la différence d’âge entre le mineur et le majeur est inférieure ou égale à cinq ans, sauf à démontrer l’existence d’une « pression » exercée par l’auteur des faits.

3.   Des dispositions peu modifiées par le Sénat en deuxième lecture

Le Sénat s’est interrogé sur l’opportunité de conserver le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans au sein de la nouvelle architecture des infractions sexuelles sur mineur qu’érige la présente proposition de loi. Si les nouvelles infractions de viol et d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans ne sont constituées qu’en présence d’un écart d’âge de plus de cinq ans entre l’auteur majeur et la victime mineure, il pourrait être tentant d’en déduire une complète liberté sexuelle à l’intérieur de cette tranche d’âge – sous la seule réserve d’une violence, contrainte, menace ou surprise.

Le Sénat s’est toutefois rangé à la décision de l’Assemblée nationale en faveur du maintien de cette infraction :

– pour éviter d’interrompre les poursuites visant des auteurs de dix-huit ou dix-neuf ans ayant commis des faits sur des mineurs de treize ou quatorze ans, et pour que les personnes déjà condamnées ne puissent bénéficier d’une levée d’écrou et d’une mainlevée des interdictions professionnelles auxquelles elles auraient été soumises, aux termes du deuxième alinéa de l’article 112-4 du code pénal ([10]) ;

– parce que, comme l’écrit la rapporteure du Sénat, « si l’enquête établit que les rapports entre les deux partenaires ne s’inscrivent pas dans une relation véritablement consentie entre deux personnes pleinement maîtresses de leurs actes, alors le délit d’atteinte sexuelle pourrait être mobilisé pour sanctionner le jeune majeur ». Cette approche est cohérente avec la fixation de l’âge du consentement à quinze ans et la pénalisation des comportements contraires, au rang criminel pour les agresseurs les plus âgés et au rang délictuel lorsque la différence d’âge laisse entrevoir une relation acceptée.

Le Sénat a cependant modifié l’article 1er bis B à l’initiative de la rapporteure, Mme Marie Mercier :

– quatre amendements rédactionnels ont été adoptés, un premier en commission des Lois et les trois autres en séance publique ;

– en commission des Lois, un amendement de coordination a ajouté les grands-oncles et grands-tantes à la liste inscrite à l’article 227-27-1 du code pénal pour définir le périmètre de l’atteinte sexuelle incestueuse, en cohérence avec l’extension similaire opérée à l’article 1er pour les agressions sexuelles et les viols incestueux ;

– un amendement adopté en commission des Lois a supprimé l’exigence d’une différence d’âge de cinq ans entre le majeur et le mineur pour la constitution du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. S’opposant sur ce point aux positions des députés, les sénateurs ont jugé qu’il appartenait au procureur de la République d’apprécier l’opportunité des poursuites pour atteinte sexuelle. Les sénateurs ont également critiqué la notion de « pression » retenue comme critère par l’Assemblée nationale, qui risquerait « à la fois d’apparaitre trop floue (qu’est-ce qui distingue une forte pression d’une contrainte légère ?) et incomplète (comment sanctionner le jeune majeur qui tire profit du manque de maturité du mineur pour obtenir des faveurs sexuelles sans que le mineur ait fait l’objet de pressions particulières ?) ».

Hormis en ce qui concerne la structuration de la section correspondante du code pénal en paragraphes, la rédaction de l’article 1er bis B adoptée par le Sénat en deuxième lecture est donc très proche de celle adoptée par la commission des Lois de l’Assemblée nationale en première lecture.

4.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission des Lois a fait sienne la position du Sénat confiant au procureur de la République le soin de juger de l’opportunité des poursuites sur le fondement de l’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. Cette option correspond au maintien du droit en vigueur : elle ne posera donc aucune difficulté sur le terrain.

Par ailleurs, la décision de supprimer l’exigence d’une différence d’âge de cinq ans entre le majeur et le mineur pour la constitution du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans a également été accueillie favorablement. Cette rédaction, qui correspond aussi au maintien du droit en vigueur, s’impose dans la mesure où le maintien inchangé du périmètre de l’infraction d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans présente l’avantage de ne remettre en cause aucune décision de justice acquise, alors que l’exigence d’un critère supplémentaire de « pression » de la part des auteurs dont la différence d’âge avec la victime reste inférieure à cinq ans aurait pu conduire, en l’absence d’élément relevé par la juridiction de jugement permettant de satisfaire cette nouvelle exigence, à la suspension de l’exécution de la condamnation et de ses effets.

La commission des Lois a donc adopté l’article 1er bis B sans modification.

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Article 1er bis C
(art. 222222 et 227222 [nouveau] du code pénal)
Répression des atteintes sexuelles que la victime est contrainte de s’infliger à elle-même

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis C de la proposition de loi est issu de quatre amendements identiques adoptés en séance publique par l’Assemblée nationale en première lecture et présentés par la rapporteure, M. Jean Terlier, Mme Isabelle Florennes et M. Dimitri Houbron. Il réprime les manœuvres employées par des prédateurs utilisant les réseaux sociaux pour conduire des mineurs à pratiquer sur eux-mêmes des actes sexuels dégradants et à leur en communiquer les images.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2013-711 du 5 août 2013, portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, a créé au sein du code pénal un article 222‑22‑2 précisant que le fait de contraindre une personne à subir une atteinte sexuelle de la part d’un tiers constitue une agression sexuelle et, le cas échéant, un viol dont l’auteur de la contrainte endosse la responsabilité pénale.

       Modifications apportées par le Sénat en deuxième lecture

Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale visait principalement à protéger les mineurs de quinze ans. Le Sénat a étendu cette protection à l’ensemble des mineurs.

       Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er bis C sans modification.

1.   La sanction des atteintes que la victime est contrainte de commettre sur elle-même

a.   Les dispositions adoptées l’Assemblée nationale en première lecture

L’article 222‑22‑2 du code pénal prévoit que le fait de contraindre une personne par la violence, la menace ou la surprise à subir une atteinte sexuelle de la part d’un tiers constitue une agression sexuelle punie des peines prévues en répression du viol ou d’une agression sexuelle autre ([11]). Cette disposition vise l’hypothèse dans laquelle l’auteur des faits oblige la victime à avoir une relation sexuelle avec un tiers de bonne foi ignorant tout de la situation de contrainte dont il bénéficie ([12]). Ce tiers est alors considéré comme un instrument de l’agression sexuelle dont la responsabilité pénale ne saurait être mise en cause.

Le 1° de l’article 1er bis C de la proposition de loi complète le dispositif de l’article 222‑22‑2 pour en étendre la logique aux situations dans lesquelles l’individu qui exerce la contrainte exige de sa victime qu’elle subisse une atteinte sexuelle non de la part d’un tiers, mais par ses propres actions.

En incriminant le fait de forcer une personne à commettre sur elle-même une atteinte sexuelle qualifiable d’agression sexuelle ou de viol, cette disposition permet d’accéder à la demande formulée par les enquêteurs de la brigade des mineurs lors de la visite effectuée, en 2020, par la commission des Lois de l’Assemblée nationale à la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris. Les policiers avaient notamment indiqué que des prédateurs utilisaient les réseaux sociaux pour manipuler des victimes vulnérables, gagner progressivement leur confiance pour obtenir des éléments compromettants pour leur vie sociale, et finalement révéler leur véritable objectif en menaçant de publier lesdites informations pour que la victime se filme accomplissant des actes de plus en plus dégradants. Pourtant, ces comportements donnaient lieu à des poursuites pour corruption de mineur, voire pour violences volontaires : les atteintes sexuelles étant réalisées par la victime elle-même, les incriminations d’agression sexuelle et de viol ne pouvaient être sollicitées.

Le 1° de l’article 1er bis C offre ainsi aux magistrats la possibilité de donner une qualification criminelle aux actes d’auto-pénétration que des victimes sont contraintes de s’imposer à elles-mêmes à la suite de menaces formulées en ligne. Cette précision est en cohérence avec la volonté du législateur de mieux réprimer le viol. Elle aurait pu être valablement déduite des dispositions actuelles sans pervertir la lettre ni l’esprit de la loi : dès lors que l’introduction d’un objet dans le corps de la victime sous la menace est d’ores et déjà réprimé, peu importe que cette menace soit le fait d’un auteur physiquement présent ou agissant à distance.

Enfin, il convient de préciser que la rédaction retenue permet de sanctionner les atteintes que subissent toutes les victimes, mineures comme majeures. Si les faits sont souvent commis au préjudice d’enfants ou d’adolescents, ils peuvent également frapper tout aussi bien de jeunes adultes, voire des personnes plus âgées.

b.   Des dispositions non modifiées par le Sénat en deuxième lecture

Le Sénat n’a apporté aucune modification au 1° de l’article 1er bis C, ni en commission ni en séance publique.

2.   La sanction de l’incitation à commettre tout acte de nature sexuelle

a.   Les dispositions adoptées l’Assemblée nationale en première lecture

Le 2° de l’article 1er bis C de la proposition de loi insère dans le code pénal un nouvel article 227-22-2 pour punir, hors le cas de viol ou d’agression sexuelle, le fait pour un majeur d’inciter un mineur de quinze ans, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle, soit sur lui-même, soit sur ou avec un tiers, y compris si cette provocation n’est pas suivie d’effet. Ces faits sont réprimés de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

De tels comportements peuvent aujourd’hui être poursuivis sur le fondement de la corruption de mineur ([13]). Toutefois, la rédaction peu précise de cette infraction conduit à des hésitations quant à l’opportunité d’y recourir. De surcroît, sa constitution exige un dol spécial : outre l’accomplissement d’un acte obscène, la conscience de son obscénité et la connaissance de l’âge de la victime, la jurisprudence exige que soit établie la volonté de corrompre cette victime. Si les faits avaient seulement pour but de permettre à leur auteur d’assouvir ses propres instincts sur la personne d’un mineur, le délit n’est pas constitué ([14]).

L’Assemblée nationale a jugé nécessaire de combattre plus efficacement de telles pratiques. Le 2° de l’article 1er bis C offre à la fois une rédaction explicite et une objectivation de l’infraction, désormais établie par le seul fait pour un majeur de solliciter un acte de nature sexuelle de la part d’un mineur de quinze ans. Cette infraction vient compléter le 1° du même article puisque, suivant leur nature, les faits pourront être poursuivis sous l’incrimination de viol ou d’agression sexuelle sur mineur de quinze ans.

b.   Des dispositions élargies par le Sénat en deuxième lecture

La rapporteure du Sénat, Mme Marie Mercier, a convenu dans son rapport que « de tels actes sont aujourd’hui poursuivis sous l’infraction de corruption de mineur, ce qui n’est pas satisfaisant dans la mesure où ce délit souffre d’une rédaction surannée qui en rend son utilisation par les autorités de poursuite délicate ».

Elle a cependant présenté un amendement, adopté par la commission des lois du Sénat, prévoyant que l’infraction puisse être commise sur tous les mineurs. Les peines prévues sont alors de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Elles sont portées à :

– dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans ;

– dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende si les faits sont commis en bande organisée.

Le Sénat n’a pas modifié l’article 1er bis C en séance publique.

3.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

La commission des Lois s’est félicitée de l’adoption en termes identiques par le Sénat du 1° de l’article 1er bis C. Cette disposition permettra, dans un contexte dans lequel la preuve du recours à la contrainte et à la menace par l’auteur des faits apparaît facile à rapporter, de réprimer efficacement au titre du viol ou de l’agression sexuelle les prédateurs malheureusement parvenus à leurs fins. Conçue pour protéger toutes les victimes quel que soit leur âge, cette évolution législative donne aux enquêteurs et aux magistrats la base légale dont ils avaient besoin pour sanctionner durement ces comportements odieux.

Les modifications adoptées par le Sénat au 2° de l’article 1er bis C sont similaires à celles apportées à l’article 1er bis BA. Elles appellent donc un même raisonnement de la part de votre rapporteure. La rédaction votée par l’Assemblée nationale en première lecture s’inscrivait en cohérence avec un âge de consentement fixé à quinze ans, en deçà duquel un adulte ne pouvait engager l’enfant à commettre un acte de nature sexuelle sur lui‑même ou avec un tiers, mais au-delà duquel la liberté sexuelle devait prévaloir. La formulation adoptée par le Sénat en deuxième lecture, qui élargit le périmètre de l’infraction à l’ensemble des mineurs et qui édicte une circonstance aggravante lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans, vient poser la question du couple légalement formé par un majeur et un mineur de plus de quinze ans : il y aurait une liberté sexuelle dans le monde réel mais une répression de l’incitation adressée dans le monde virtuel.

Votre rapporteure interprète à nouveau les dispositions en cause comme un démembrement de l’article 227-22 du code pénal réprimant la corruption de mineur, dans la mesure où il en explicite une qualification des faits déjà retenue par la jurisprudence et où il édicte des peines strictement identiques. Par ailleurs, l’adoption du 1° du présent article vient encadrer l’application du 2° : si l’action de l’adulte repose sur un recours à la contrainte ou à la menace, ce qui est facile à rapporter puisque les échanges sont écrits ou du moins enregistrables, elle pourra donner lieu à des poursuites pour viol ou agression sexuelle ou, en cas de résistance de la part de la victime, pour tentative de viol ou d’agression sexuelle.

Partageant cette interprétation, la commission des Lois a adopté l’article 1er bis C sans modification.

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Article 1er bis E
(art. 225121 et 225122 du code pénal)
Aggravation de la peine encourue en cas de sollicitation de prostitué mineur

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er bis E de la proposition de loi est issu de l’adoption par l’Assemblée nationale, en première lecture, d’un amendement présenté par M. Ludovic Mendes. Il accroît les sanctions auxquelles s’expose le client de prostitué mineur âgé de plus de quinze ans.

       Dernières modifications législatives intervenues

Le délit de sollicitation de prostitué mineur et ses circonstances aggravantes ont été créés par la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale.

       Modifications apportées par le Sénat en deuxième lecture

Le Sénat a accru les peines prévues en répression de la sollicitation de prostitué mineur lorsque cette infraction fait l’objet de circonstances aggravantes.

       Modifications apportées par la commission

La commission des Lois a adopté l’article 1er bis E sans modification.

1.   L’état du droit

L’article 225-12-1 du code pénal réprime le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

Le premier alinéa sanctionne de 3 750 euros d’amende cette infraction commise en récidive au détriment d’un majeur.

Le second alinéa réprime plus durement l’infraction lorsque la personne prostituée est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de l’auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. Les peines encourues sont alors de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Le client d’un prostitué mineur s’expose en outre à des sanctions plus strictes en cas de circonstances aggravantes prévues à l’article 225‑12‑2 du code pénal :

– elles sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende si l’infraction est commise de façon habituelle ou à l’égard de plusieurs personnes, si l’auteur a utilisé un réseau de communication pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, si les faits sont commis par une personne qui abuse de l’autorité de ses fonctions, ou si l’auteur a mis la vie de la victime en danger ou commis contre elle des violences ;

– elles s’établissent à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans.

2.   Une disposition adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture

L’article 1er bis E de la proposition de loi résulte de l’adoption en première lecture par l’Assemblée nationale, en séance publique, d’un amendement de M. Ludovic Mendes et de plusieurs de ses collègues du groupe La République en marche. Il modifie le second alinéa de l’article 225‑12‑1 du code pénal en portant à cinq ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende les peines encourues par le client de prostitué mineur.

Cette évolution doublement cohérente avec les dispositions de la proposition de loi.

D’une part, elle fixe un quantum de peine similaire à celui prévu à l’article 1er bis B pour punir les atteintes sexuelles commises sur les mineurs de quinze à dix-huit ans par une personne extérieure au cercle familial ayant autorité – cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. L’acte sexuel acheté ne saurait, en effet, être considéré librement consenti, et l’argent de la transaction peut être regardé comme l’autorité dont il est fait abus ;

D’autre part et surtout, l’article 1er de la proposition de loi a assimilé à une agression sexuelle sur mineur de quinze ans, et le cas échéant à un viol sur mineur de quinze ans, le rapport sexuel commis par un majeur sur un mineur de quinze ans en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage. De tels faits sont donc passibles de vingt ans de réclusion criminelle en cas de pénétration ou d’acte bucco-génital, et de dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende dans le cas contraire.

Une conséquence a été tirée avec l’adoption, à l’initiative de votre rapporteure notamment, de l’article 1er bis D supprimant la circonstance aggravante de sollicitation de prostitué mineur de quinze ans qui, au dernier alinéa de l’article 222‑12‑2 du code pénal, réprimait cet acte de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Cette disposition a été votée conforme en deuxième lecture par le Sénat.

3.   Une disposition complétée par le Sénat en deuxième lecture

En commission des Lois, les sénateurs ont approuvé cette disposition. Ils ont cependant constaté qu’elle entraînait une incohérence avec l’article 225-12-2 du code pénal prévoyant des circonstances aggravantes ayant pour effet de porter les peines encourues pour la sollicitation de prostitué mineur – notamment – à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. L’infraction simple aurait été punie plus sévèrement (cinq ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende) que l’infraction aggravée (cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende).

La commission des Lois a donc adopté un amendement de la rapporteure, Mme Marie Mercier, pour punir de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende l’infraction prévue au second alinéa de l’article 225-12-1 du code pénal, et de sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende l’infraction aggravée de l’article 225‑12‑2 du même code.

Ces dispositions n’ont pas été modifiées en séance publique.

4.   Des dispositions approuvées par la commission des Lois

Considérant judicieux les amendements de conséquence retenus par le Sénat, la commission des Lois a adopté l’article 1er bis E sans modification.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 7 avril 2021, la Commission examine la proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (n° 4029) (Mme Alexandra Louis, rapporteure).

Lien vidéo : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10617488_606d64473ab95.commission-des-lois--proteger-les-mineurs-des-crimes-et-delits-sexuels-et-de-l-inceste-deuxieme-le-7-avril-2021

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons ce matin, en deuxième lecture, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Il y a à peine plus d’un mois, nous examinions la proposition de loi de la sénatrice Annick Billon visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Le groupe La République en Marche avait choisi ce véhicule législatif pour permettre une promulgation dans les délais les plus brefs. Le Gouvernement s’était engagé à l’inscrire au plus tôt à l’ordre du jour des deux chambres. La promesse a été tenue puisque nous délibérerons en deuxième lecture dans l’hémicycle le 15 avril.

Nous avons travaillé dans un esprit constructif avec le Sénat mais également avec la Chancellerie. Nous avons revu en profondeur les dispositions votées initialement par les sénateurs. Notre travail, quoique très différent, a convaincu sur les bancs du Sénat. Mon homologue Marie Mercier, qui a réalisé un travail remarquable, écrit ainsi dans son rapport en deuxième lecture : « Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale renforce considérablement la protection des mineurs contre les violences sexuelles dans le respect de nos principes constitutionnels. Il répond aux préoccupations exprimées tant par le Sénat que par l’Assemblée nationale. Dans ce contexte, la commission estime qu’un équilibre a été atteint et elle ne souhaite pas affaiblir ce compromis. »

Le Sénat a adopté un grand nombre de dispositions en des termes identiques aux nôtres, ce qui explique que nous ne soyons plus saisis des questions de la prescription, de la définition du viol, du délit d’exhibitionnisme, du fonctionnement du fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles.

Concernant l’âge du consentement à quinze ans et la disposition dérogatoire l’établissant à dix-huit ans en cas d’inceste, le Sénat s’est également rangé à nos positions. À l’article 1er, il s’est attaché à rédiger au mieux la sanction, que nous avions aggravée, de la sollicitation de prostitués mineurs de quinze ans. Je soutiendrai cette reformulation. Les sénateurs ont aussi considéré, comme les députés, qu’une différence d’âge de cinq ans confortait la constitutionnalité du dispositif.

Enfin, le Sénat a admis notre rédaction du viol incestueux et notre exigence d’une autorité de droit ou de fait pour distinguer l’auteur de la victime. Ce point a été mal compris par le groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat. Je ne désespère pas de convaincre en réexpliquant pourquoi toute autre position serait intenable.

Notre seule divergence de fond se trouve à l’article 1er bis B, relatif au délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans. En séance publique, nous avions modifié cette infraction en intégrant un écart d’âge et la prise en compte d’éventuelles pressions subies par le mineur afin d’éviter que de jeunes adultes soient poursuivis pour une relation pleinement consentie. Le Sénat s’y est opposé, préférant la rédaction en vigueur et la pleine capacité d’appréciation du procureur de la République. Après réflexion, je vous propose de faire nôtre cette option. Les parquets useront de façon appropriée de cette infraction subsidiaire.

Quant aux incriminations dites de « sextorsion », nous avions décidé de compléter le droit en vigueur, particulièrement lacunaire, en donnant aux enquêteurs et aux magistrats les armes dont ils ont besoin pour poursuivre les prédateurs qui sévissent en ligne. À cette fin, nous avions prévu de pénaliser le fait objectif de solliciter d’un mineur de quinze ans, sur les réseaux, des images sexuelles ou la commission d’un acte sexuel. Nous avions considéré que cet acte était, par nature, constitutif d’une infraction. Le Sénat a voulu aller plus loin en appliquant notre dispositif à tous les mineurs, en prévoyant une circonstance aggravante pour les mineurs de quinze ans. Je ne vous cacherai pas un certain doute car la proposition de loi consacre la liberté sexuelle des plus de quinze ans : il serait étrange d’interdire dans le monde virtuel des pratiques autorisées dans la vie réelle. Nous poursuivrons nos travaux à ce sujet.

N’ayant aucune objection ferme aux propositions du Sénat, je n’ai déposé aucun amendement.

M. Jean Terlier. Ce texte concrétise l’engagement des deux chambres envers les victimes d’écouter ceux qui ont osé hier, qui oseront demain, dénoncer les blessures de leur enfance volée. Avant tout, je salue la qualité des travaux et l’opiniâtreté de notre rapporteure Alexandra Louis, mais aussi de nos collègues parlementaires Annick Billon et Isabelle Santiago. Nous pouvons lever le voile sur un tabou qui tient à une réalité difficile à accepter : les violences sexuelles, souvent confidentielles, subies par des mineurs mutiques. Plus d’un Français sur dix en auraient été victimes et plus de trois sur dix en auraient eu connaissance.

Je me réjouis de nos échanges constructifs, en commission et en séance publique, et je remercie le garde des sceaux qui a contribué au débat dans la confiance pour aboutir à un texte historique. Pour la première fois, il sera inscrit de manière claire et intelligible dans la loi que plus aucun répit ne sera accordé à quiconque porte atteinte physiquement et moralement à un enfant. Le fait, pour un majeur, d’avoir une relation sexuelle, de quelque nature que ce soit, par quelque moyen que ce soit, avec un mineur de quinze ans n’est plus simplement un facteur aggravant : c’est un crime en soi.

Ces incriminations autonomes et indépendantes devraient permettre de briser les dernières chaînes de la crainte et de la honte qui empêchent les victimes, trop souvent encore, de parler des faits. L’incrimination d’inceste permet de poser des mots sur les maux les plus intimes d’une minorité abîmée par un auteur familier. Sans seuil ni écart d’âge, cette incrimination permet de reconnaître la gravité de l’atteinte à l’aune de la violence et de la rupture du lien de confiance donné à ce parent, cet allié qui aurait dû protéger. L’incrimination du viol sur mineur de quinze ans et l’agression sexuelle sur mineur de quinze ans, ce crime et ce délit déliés des infractions de droit commun, réaffirment la particulière vulnérabilité du mineur. Aujourd’hui circonstance aggravante, la minorité de quinze ans, demain, qualifiera à elle seule le crime ou le délit.

Il était tout aussi important que cette proposition de loi protège les amours adolescentes. L’équilibre me semble avoir été trouvé grâce aux débats par l’introduction de l’écart d’âge de cinq ans. Les relations qui ne seraient pas poursuivies sous le chef de ces nouvelles incriminations sur mineur de quinze ans pourront toujours l’être au titre du viol ou de l’agression de droit commun.

Ce texte permet des avancées essentielles, notamment contre la prostitution de mineurs. Soulignons l’engagement de nos collègues Mustapha Laabid et Ludovic Mendes sur ce sujet ! Les sénateurs ont apporté des précisions essentielles pour exclure tout écart d’âge quand l’acte sexuel est commis en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage.

Concernant les infractions de « sextorsion », qui sont l’aboutissement du travail remarquable de Mme Laetitia Avia, le Sénat souhaite qu’elles soient élargies à tous les mineurs et non réservées aux seuls mineurs de quinze ans, quitte à graduer les peines encourues.

Quant aux dispositions relatives à la prescription dite glissante, qui n’ont pas été modifiées, elles répondent à une attente majeure des associations et des victimes, qui pourront bénéficier d’un délai de prescription rallongé.

S’il me reste le regret de la suppression par le Sénat de l’écart d’âge, introduit en séance publique en première lecture, dans les cas d’atteinte sexuelle et de notre impuissance à trouver une rédaction qui convienne, je me réjouis que ce texte historique permette de lever les craintes des victimes de ne pas être entendues, comprises et crues, qui sont autant de freins à la dénonciation d’une blessure infligée à leur intimité d’enfant.

M. Antoine Savignat. Lors de son passage au Sénat, ce texte a été légèrement modifié sans que ses équilibres soient remis en cause. Un accord politique entre les deux assemblées, nécessaire pour que le texte soit rapidement adopté, a été trouvé. Nous saluons cet accord d’une grande majorité d’entre nous, voire, espérons-le, de l’unanimité d’entre nous. Mais plusieurs sujets méritent encore notre attention.

La rédaction de cette proposition de loi reste complexe. Il faudra dorénavant distinguer viol, viol sur mineur de quinze ans, viol incestueux, agression sexuelle, atteinte sexuelle, circonstances aggravantes. Toutes ces qualifications pourront s’avérer difficiles à appliquer et il aurait été souhaitable de retenir une rédaction plus précise pour rendre ces mesures effectives. Je pense en particulier à la disposition relative à la différence d’âge, peu claire. Il eut été préférable de considérer que toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de quinze ans doit être punie de vingt ans de réclusion criminelle. L’exception prévue revient à fixer l’interdit en dessous du seuil de treize ans, ce qui est insuffisant. Il est nécessaire de tenir compte de la particulière vulnérabilité des enfants dans l’appréciation des violences sexuelles et des difficultés à établir au cas par cas ce qu’est une relation sexuelle d’un mineur avec un jeune majeur. La rapporteure du texte au Sénat a approuvé ce dispositif en jugeant que l’Assemblée nationale avait fait preuve de créativité en retenant le seuil de quinze ans et en l’assortissant d’un écart d’âge, ce qui répond aux préoccupations du Sénat. Elle a estimé que la solution retenue par l’Assemblée nationale constituait la base d’un accord politique entre les deux assemblées et méritait d’être conservée. Dont acte, même si nous pensons que cela n’arrangera pas tout et que cette mesure soulèvera nombre de questions, tout en ne répondant que partiellement à l’avis délibéré par le Conseil d’État en 2018.

Le Sénat a corrigé quelques scories qui subsistaient dans le texte de l’Assemblée nationale, par exemple pour garantir la cohérence de l’échelle des peines après la création de nouvelles circonstances aggravantes ou pour procéder à des coordinations. Il a également souhaité élargir le champ d’application des nouveaux délits de « sextorsion » afin qu’ils protègent tous les mineurs et non les seuls mineurs de quinze ans, comme c’est le cas aujourd’hui pour le délit de corruption de mineur ou pour la répression de la pédopornographie. Il a, enfin, simplifié la rédaction proposée de l’article 227-25 du code pénal relatif à l’atteinte sexuelle en supprimant la référence à une pression sur le mineur, préférant laisser au parquet le soin d’apprécier au cas par cas s’il convient d’engager des poursuites dans ces affaires.

Si nous approuvons ces modifications, nous regrettons cependant que le Sénat ne soit pas revenu sur l’article 4 quater relatif à la prescription glissante des crimes sexuels sur mineur. Il a été adopté conforme et nous ne pouvons le modifier désormais. Or, le régime des prescriptions assure la stabilité de notre système juridique et, par conséquent, la paix sociale. Il faut le modifier la main tremblante. La rédaction confuse de cet article nous entraîne vers une quasi-imprescriptibilité, créant une instabilité qui permettrait que des poursuites soient engagées jusqu’aux cinquante-huit ans de la victime, avec tous les risques d’altération des preuves, de la mémoire et des éléments constitutifs que cela emporte.

Malgré ces quelques remarques, notre groupe soutiendra ce texte.

M. Vincent Bru. Les échanges autour de la proposition de loi de Mme Isabelle Santiago comme de celle de la sénatrice Annick Billon témoignent de notre volonté de renforcer la protection des mineurs. Nous avons une responsabilité importante : poser un cadre juridique protecteur et dissuasif, clair et applicable par le juge. C’est ainsi que nous pourrons aider les victimes à se reconstruire et à se réparer un peu, même si cela ne pourra jamais se faire totalement. C’est également ainsi que nous pourrons prévenir et empêcher de tels actes. Notre groupe se réjouit de l’occasion qui lui est ainsi donnée de poursuivre le travail engagé dès la loi du 3 août 2018.

La proposition de loi est parvenue à un équilibre qui nous permettra de disposer, enfin, d’un cadre juridique opérationnel. Ce texte, enrichi par le Sénat et l’Assemblée nationale, a évolué dans le sens que nous souhaitions, notamment en fixant un seuil de consentement à quinze ans et un écart d’âge de cinq ans, ce qui renforce la constitutionnalité du dispositif. Il préserve les amours adolescentes. Il protège les mineurs jusqu’à dix-huit ans contre l’inceste en élargissant le périmètre familial qui comprend désormais les grands-oncles et grand-tantes. Il instaure un mécanisme repoussant la prescription des crimes et des délits sexuels sur mineur. Il introduit d’autres dispositions relatives aux infractions commises sur internet, en particulier la « sextorsion ». Nous avons pu obtenir ces avancées grâce à la concertation qui a eu lieu avec la Chancellerie, au travail de la rapporteure Alexandra Louis et aux échanges en commission des lois.

« Nommer, c’est dévoiler. Et dévoiler, c’est déjà agir », écrivait Simone de Beauvoir. De plus en plus, les victimes parlent, mettent publiquement des mots sur des actes de déshumanisation. Leur action est un premier pas qui doit s’inscrire dans un continuum au sein duquel nous avons un rôle à jouer. À nous d’agir maintenant, et vite. C’est pourquoi notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi.

Mme Isabelle Santiago. Je commencerai par saluer la célérité de cette navette parlementaire qui prouve qu’il est possible, lorsque nous partageons l’intérêt supérieur de l’enfant, de légiférer dans des délais contraints. La proposition de loi de Mme Annick Billon s’est retrouvée au cœur de nombreuses controverses, depuis sa première lecture au Sénat, en janvier dernier. Je le regrette car je ne doute pas du sérieux du travail de Mme Marie Mercier et de mes amis sénateurs dont de nombreux amendements ont été repris.

Cette proposition de loi, soutenue par le Gouvernement désormais, reprend largement le texte que j’avais déposé en février dernier, y compris les amendements qui avaient été adoptés. La principale différence réside dans le fait que la proposition de loi que j’ai rapportée, qui a marqué l’histoire en fixant, conformément aux attentes de la société, un seuil d’âge à quinze ans et à dix-huit ans en cas d’inceste, a envoyé un message clair et intelligible pour tous : un enfant ne consent jamais à l’inceste ni à une relation avec un adulte. En mêlant la proposition de loi de Mme Annick Billon et la philosophie de ma proposition de loi, vous avez modifié le texte du Sénat. Ce qui en ressort est porteur de progrès mais nous regrettons divers reculs dans la protection des mineurs.

Il convient, tout d’abord, de supprimer la condition de l’écart d’âge. Les associations de la protection de l’enfance sont vent debout contre ce qu’elles qualifient, à juste titre, d’un grave recul qui fragilise la protection des mineurs de treize et quatorze ans. La loi doit être claire : à quinze ans, c’est interdit ! La France n’avait pas fixé de seuil d’âge et nous faisions partie des rares pays à ne pas avoir légiféré. Désormais, nous aurions un seuil d’âge mais nous serions le seul pays à avoir prévu cet écart de cinq ans.

Faisons un peu de droit comparé. En Autriche, le seuil est fixé à quatorze ans et l’écart d’âge est de trois ans. En Espagne, le seuil est à seize ans et il n’y a pas d’écart d’âge mais l’âge de l’auteur est pris en compte s’il est proche de celui du plaignant. En Italie, le seuil d’âge est à quatorze ans et l’écart d’âge est de deux ans. En Suède, le seuil d’âge est de quinze ans et la faible différence d’âge peut être prise en compte. En Suisse, le seuil d’âge est de seize ans et l’écart d’âge est de trois ans maximum. En Belgique, avant quatorze ans, toute relation sexuelle est interdite. En Tunisie, avant seize ans, toute relation sexuelle est interdite. En Allemagne, est puni tout acte de nature sexuelle commis à l’encontre d’un mineur de quatorze ans. Au Portugal, c’est interdit avant quatorze ans. Au Royaume-Uni, tout acte de caractère sexuel avec un mineur de seize ans constitue une infraction pénale.

Vous le voyez, les amours adolescentes ne sont pas, en Europe et ailleurs, une situation qui a retenu l’attention des législateurs alors qu’elles doivent bien exister là-bas aussi ! Aucun pays n’autorise une relation entre un mineur de treize ou quatorze ans et un adulte. Dans cet esprit, la France ne peut en aucun cas faire figure d’exception et moins bien protéger les mineurs de treize et quatorze ans. Je vous le demande une nouvelle fois : nous avons encore le temps de modifier l’écart d’âge pour le rendre compatible avec nos attentes, à savoir la protection de nos mineurs, en interdisant clairement toute relation entre un majeur et un mineur en dessous du seuil d’âge fixé. Si un écart d’âge existe dans plusieurs législations étrangères, il ne dépasse pas les trois ans. Si l’on s’en tient à la rédaction actuelle, la France serait le pays le moins protecteur pour les mineurs victimes de violences sexuelles. C’est tout le contraire de ce que nous espérions.

J’en viens à la condition absurde et incohérente qui impose que l’inceste ne soit constitué que lorsque l’auteur a une autorité de droit ou de fait sur la victime. Quand un frère de vingt-et-un ans viole sa sœur de seize ans, il ne s’agirait donc pas d’un viol incestueux ! Soyons sérieux : il n’existe pas d’inceste consenti ou heureux. Il s’agit toujours d’un calvaire qui hante les victimes, parfois tout au long de leur vie.

Enfin, il faut, au-delà de l’inceste, porter le seuil d’âge à dix-huit ans pour les victimes de la prostitution, qui reste un fléau en France car le mineur, qu’il ait quinze ou seize ans, doit être protégé. Il le faut aussi pour les enfants porteurs d’une vulnérabilité particulière, notamment d’un handicap.

L’actualité récente nous oblige à faire preuve d’humilité mais aussi de célérité. Comment un homme de vingt-sept ans peut-il être jugé en appel pour atteintes sexuelles lorsque la victime est une enfant de douze ans, qui est tombée enceinte ! Je m’interroge quant au message envoyé à la société et je suis révoltée, car j’ai vu trop d’enfants dans des situations comparables durant toutes les années où j’ai travaillé pour la protection de l’enfance. Il reste beaucoup de chemin. J’ai confiance en nous pour faire évoluer la législation. Il est encore temps.

M. Dimitri Houbron. Je ne compte plus le nombre d’heures passées sur ce sujet. Déjà, en 2018, nous avions légiféré, sans doute avec moins d’audace qu’aujourd’hui. La proposition de loi de Mme Isabelle Santiago a permis d’enrichir la réflexion et de renforcer la protection des enfants. À présent, cette deuxième lecture démontre que, lorsque le Sénat et l’Assemblée nationale travaillent main dans la main, les gains sont indéniables pour nos concitoyens, en l’espèce pour les enfants.

Cependant, je vous ferai part d’une légère déception. Le texte que nous examinons est loin d’être banal car nous nous apprêtons à opérer une révolution légale. Pourtant, elle reste invisible dans les médias. L’actualité sanitaire occulte totalement ces évolutions législatives, pourtant essentielles et attendues depuis des années. Ce texte est l’aboutissement d’un long parcours mais il ne semble pas intéresser la presse. C’est regrettable car nous voulons que les victimes comprennent que leur parole est libérée. Si les médias ne jouent pas leur rôle, cette proposition de loi pourrait ne pas avoir l’effet escompté.

Je rappellerai un seul chiffre : en France, un enfant est violé toutes les heures. Nous avions besoin du texte audacieux que nous examinons aujourd’hui. Il prévoit de réelles avancées : le crime de viol sur mineur de quinze ans, le crime de viol incestueux assorti du seuil d’âge de dix-huit ans, et l’allongement de prescription de l’action publique pour le délit de non-dénonciation. Nous saluons la rédaction qui a porté ce délai à vingt ans après la majorité de la victime, mais nous aurions voulu qu’il soit calqué sur celui de l’infraction principale qui n’a pas été dénoncée, car ceci nous semble particulièrement grave.

Je salue l’ensemble des groupes parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, qui ont contribué à ce texte. Je suis d’autant plus déçu que les médias ne traitent pas le sujet car nous sommes parvenus à un consensus aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Le délit de « sextorsion », qui répond, là encore, aux attentes des acteurs du terrain pour lutter contre la cybercriminalité, passe inaperçu.

Au-delà, M. Adrien Taquet a engagé un immense travail pour sensibiliser et former, car cette loi ne suffira pas à tout régler. Je sais la rapporteure attachée à la prévention et je suis convaincu que nous continuerons ce travail pour que l’ensemble des acteurs puissent reconnaître plus facilement les victimes mineures dont il faut libérer la parole.

M. Pascal Brindeau. Cette proposition de loi apparaît comme une conclusion, qui ne sera probablement que temporaire, des travaux entrepris depuis 2018. Elle comporte des avancées importantes mais également des fragilités, constitutionnelles et opérationnelles, même si les débats entre le Sénat et l’Assemblée nationale ont permis de l’améliorer.

Évidemment, le groupe UDI-I soutiendra la proposition de loi dont il espère qu’elle sera votée conforme et à l’unanimité.

Parmi les apports les plus importants, la fixation à quinze ans du seuil d’âge énonce que la question d’un éventuel consentement ne se pose même pas – avant quinze ans, c’est non. Également, l’inceste sur mineur est reconnu comme une infraction autonome, et non plus comme une simple surqualification.

Un dispositif permettra aux victimes de conserver leur statut et non de basculer dans celui de témoin, lorsqu’elles sont restées longtemps silencieuses et que les faits sont prescrits, si l’auteur commet des faits connexes. M. Antoine Savignat l’a rappelé : une telle solution, par prescription glissante, semble constitutionnellement fragile et opérationnellement complexe. Les échanges entre le Sénat, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont pas permis de trouver une rédaction qui supprimerait totalement le risque constitutionnel lié à l’imprescriptibilité et qui permettrait aux victimes qui n’auraient pu parler avant la prescription des faits de le faire.

Nous en avons longuement débattu et les propositions alternatives n’ont pas été retenues : la multiplication des infractions de viol constitue une autre fragilité, du fait de qualifications différentes et des éléments constitutifs qui les caractérisent. Viol « commun », viol sur mineur, viol incestueux : tous sont intégrés à la même section du code pénal, mais chacun recouvre des éléments différents, ce qui pose question en termes d’intelligibilité.

Enfin, nous comprenons l’objectif de la clause d’écart d’âge, qui vise à préserver les amours adolescentes et à éviter que tout jeune majeur qui poursuit une relation commencée quand il était mineur ne soit pénalisé si la question du consentement ne se pose pas. Mais, d’autres l’ont rappelé avant moi, cet écart de cinq ans n’existe nulle part ailleurs et il contrevient au principe établi par le texte puisqu’avant quinze ans, c’est non… Une telle disposition est contradictoire avec la philosophie de la proposition de loi.

Au regard de ces interrogations, il sera fondamental d’évaluer la mise en œuvre de la législation, qui sera sans doute encore amenée à évoluer.

M. Paul Molac. Nous saluons l’important travail transpartisan mené à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous notons un accord sur le fond quant à la nécessité de combler cette zone grise de notre droit et de l’adapter aux violences particulièrement pernicieuses, qui se déroulent parfois au sein de la famille. Nous soutenons la mise en place d’un seuil de consentement à quinze ans, en dessous duquel tout rapport sexuel entre majeur et mineur sera considéré un viol. Nous saluons également le seuil de dix-huit ans en cas d’inceste.

Nous entendons les débats sur la pertinence d’une clause d’écart d’âge de cinq ans. Nous comprenons les arguments de ceux qui insistent sur la nécessité d’éviter de criminaliser des amours adolescentes afin, par exemple, qu’un majeur de dix-huit ans ayant une relation consentie avec une adolescente de quatorze ans n’encoure pas une peine de vingt ans de prison. Cependant, nous entendons aussi les arguments de ceux qui alertent sur des situations de mineurs de treize ou quatorze ans sous l’emprise psychologique de jeunes majeurs qui les manipulent et qui, parfois, les prostituent. Ils doivent être protégés. Cette disposition fait l’objet de débats, y compris au sein de notre groupe. Cela nous paraît tout à fait légitime.

Sur la question de l’inceste, nous entendons les revendications demandant l’imprescriptibilité, mais elle est réservée aux crimes contre l’humanité.

En matière de proportionnalité des peines, il est raisonnable d’agir avec précaution : nous saluons la prescription glissante proposée par le Gouvernement, qui permet de prolonger les délais de prescription du premier crime à ceux du second ou de toute nouvelle récidive.

Les ajouts concernant la lutte contre les extorsions et contre la prostitution des mineurs, effectués en séance publique à l’Assemblée nationale, traitent de problèmes graves et réels. Le chantage sexuel en ligne et la pornodivulgation causent des torts importants.

Nous voterons cette proposition de loi.

M. Stéphane Peu. Nous partageons l’analyse de Mme Isabelle Santiago. Nous saluons le travail transpartisan et la recherche d’un consensus, même s’il reste du chemin à parcourir. La concurrence entre différentes propositions de loi ne me paraît pas la bonne méthode.

Sur le fond, cette proposition de loi comporte des avancées attendues. La France est en retard, ce que l’actualité est venue rappeler. Elle a mis en lumière non seulement les carences de la loi, mais aussi celles de la société quant au regard qu’elle porte sur elle-même.

La requalification de l’inceste et le non-consentement en dessous de quinze ans constituent des avancées. Cependant, deux points déçoivent beaucoup, notamment dans les milieux associatifs : la notion d’autorité de droit ou de fait pour la qualification d’inceste et la clause d’écart d’âge de cinq ans. La notion d’autorité de droit ou de fait écarte beaucoup d’auteurs qui pourraient être incriminés alors qu’ils ne disposent d’aucune autorité sur la victime. Il peut s’agir de membres de la famille proche ou éloignée, de la fratrie, etc. Nous souhaitons que le texte évolue sur ce sujet et nous y œuvrons. S’agissant des cinq ans d’écart d’âge, je ne comprends pas la crispation. La question est de savoir s’il est interdit pour un majeur d’avoir une relation avec un mineur de moins de quinze ans. Dans l’affirmative, il faut remplacer ces cinq ans par trois ans, comme dans d’autres pays.

Dans mon département, le parquet de Bobigny a engagé une bataille contre la prostitution des mineurs – c’était le thème de la rentrée solennelle du tribunal judiciaire l’an dernier. Tous ceux qui sont confrontés de près ou de loin à la prostitution des mineurs le disent : elle se développe, sous des formes et des modalités différentes du passé, et la clause d’écart d’âge est un outil indispensable pour lutter efficacement contre cette prostitution, notamment celle dite des cités. En ramenant l’écart à trois ans, on n’interdit pas les amours adolescentes ; on protège simplement les mineurs de quinze ans. La règle devrait être simple : en dessous de quinze ans, pour un majeur, c’est non ! Une telle disposition serait utile pour les associations, qui le réclament toutes sur le terrain.

M. Arnaud Viala. Je suis également satisfait que nous avancions sur ce sujet difficile, qui défraie régulièrement la chronique. Si nous avons atteint un équilibre, je regrette que nous n’ayons pu revenir sur la prescription glissante : nous laissons planer une grande incertitude sur la manière dont les dossiers seront traités. Nous le savons : très souvent, la révélation des faits prend beaucoup de temps. Il faut d’abord que les victimes prennent conscience de ce qu’elles ont subi, et cela intervient régulièrement après le délai de prescription. Cela posera un véritable problème.

M. Philippe Gosselin. Toutes les propositions de loi ne sont pas nécessairement polémiques. La méthode a son importance pour ne pas heurter ou alerter maladroitement. On ne peut que se réjouir de ce rapprochement entre le Sénat et l’Assemblée nationale. Cette navette est assez rapide ; les avancées législatives et les prises de position sont claires. Le message est simple : on ne touche pas aux enfants, on ne touche pas aux mineurs.

Certaines interrogations demeurent concernant la clause d’écart d’âge ou les difficultés de mise en œuvre des incriminations, soulignées par M. Antoine Savignat. Il ne s’agit pas de dire que le texte est mal ficelé ou que nous prenons nos distances, mais d’avoir conscience de ces difficultés.

Dernier point délicat : la prescription. Le sujet n’est pas épuisé et il y a encore des voix discordantes. J’entends les arguments juridiques et constitutionnels ; ils sont importants et ils relèvent d’une tradition juridique et sociale d’apaisement. Toutefois, l’apaisement est difficile à admettre sur certains sujets, surtout plaidé par quelqu’un qui n’est pas victime.

Les quelques difficultés annoncées pourraient faire apparaître le verre à moitié vide. Mais je le vois à moitié plein car, au-delà de nos sensibilités, ensemble, nous avons abouti à une réponse qui n’est peut-être pas parfaite, mais qui va vraiment dans le bon sens.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Beaucoup d’entre vous l’ont souligné : ce texte s’est enrichi des réflexions des uns et des autres. Nous avons réalisé un travail de qualité avec les sénateurs, que je remercie pour leur esprit constructif. À plusieurs reprises depuis 2018, nos travaux sur ce sujet en ont montré la complexité.

La proposition de loi comporte des avancées historiques. L’âge seuil de quinze ans existe déjà dans la loi mais il qualifie l’atteinte sexuelle ; désormais, il qualifiera le viol et c’est une révolution. La complexité du dispositif tient à la nécessité de faire coexister deux régimes : celui qui s’applique aujourd’hui pour des procédures engagées avant la promulgation de la loi ou pour des faits commis avant celle-ci, et celui qui s’appliquera demain.

Il me semble utile de lever d’éventuelles confusions à propos de l’inceste. Nous avons enrichi, sans la modifier, la définition de la surqualification, en y ajoutant les grands-oncles et grand-tantes. En revanche, nous avons créé une nouvelle infraction de viol incestueux sur mineur, qui concerne tous les mineurs jusqu’à dix-huit ans, sans écart d’âge. L’établissement de l’autorité de droit ou de fait vise, non pas à qualifier l’inceste, mais à ne plus avoir à rechercher l’existence d’un consentement. Pour autant, même si un frère n’a pas autorité sur sa sœur, s’il commet un viol sur elle, bien évidemment, ce dernier sera qualifié comme tel. Pour des raisons sur lesquelles je reviendrai, après en avoir longuement discuté avec des juristes et des magistrats, nous n’avions pas d’autre choix que de nous appuyer sur une telle disposition pour ne pas sanctionner la victime au lieu de l’auteur des faits.

L’écart d’âge a fait l’objet de longues discussions. Ma conviction profonde est qu’il est impossible d’adopter un seuil d’âge sans exception. Les exemples étrangers relèvent de régimes juridiques très différents. On ne peut pas comparer les seuils d’âge sans comparer les échelles des peines, qui ne sont pas du tout les mêmes. Le régime français est particulièrement répressif en matière d’infractions sexuelles. Même si nous souhaitons tous mieux protéger les victimes, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’enfants, il faut faire preuve de beaucoup de prudence. Le risque d’inconstitutionnalité n’est pas anodin. Notre système pénalise les adultes par rapport aux mineurs, ce qui n’est pas toujours le cas à l’étranger. Tous les juristes que nous avons auditionnés, comme le Conseil d’État à plusieurs reprises, nous ont alertés sur cette ligne de crête. Le Conseil d’État n’a d’ailleurs pas simplement émis des réserves, mais des objections, soulignant comme motif d’inconstitutionnalité la disproportion que constituerait le fait pour celui des deux mineurs entamant une relation qui atteindrait ses dix-huit ans avant l’autre de devenir passible de la cour d’assises.

Il faut, en effet, légiférer la main tremblante pour ne pas fragiliser ce texte d’un point de vue constitutionnel. Contrairement à ceux qui considèrent qu’on ne légifère pas pour des exceptions, j’assume de le faire : la vie judiciaire n’est faite que d’exceptions. Aucune affaire ne ressemble à une autre ; chaque dossier est particulier et toutes les personnes sont uniques. C’est le juge qui applique la loi et nous ne pouvons pas voter des dispositions en espérant que les magistrats ne les appliquent pas. Ce serait un non-sens ! Notre responsabilité, en tant que législateur, est d’adopter des textes clairs, précis, qui tiennent compte de la multiplicité des situations, même exceptionnelles.

La proposition de loi prévoit des évolutions dans le champ pénal mais, M. Dimitri Houbron l’a rappelé et je l’en remercie, le plus important des combats reste celui de la prévention et le chemin est encore long. Nous aurons besoin de toutes les forces. Je sais que tous les membres de la commission, sur tous les bancs, sont particulièrement concernés.

Je vous remercie de vos contributions à nos travaux, d’une richesse extraordinaire.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Avant d’aborder la discussion des articles, j’indique que, puisque nous siégeons en configuration de demi-jauge, les amendements dont les auteurs sont absents seront considérés défendus.

Article 1er (art. 222‑22, 222‑22‑3 [nouveau], 222‑23‑1 à 222‑23‑3 [nouveaux], 222‑29‑1, 222‑29‑2 et 222‑29‑3 [nouveaux], et 222‑31‑1 [supprimé] du code pénal) : Création de nouvelles infractions sexuelles sur mineur

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette successivement les amendements CL1 de Mme Marie-France Lorho et CL28 de Mme Emmanuelle Ménard.

Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL2, CL12 et CL24 de Mmes MarieFrance Lorho, Isabelle Santiago et Emmanuelle Ménard.

Mme Isabelle Santiago. L’amendement CL12 supprime la condition d’écart d’âge pour les agressions sexuelles sur mineur de quinze ans. Dans son communiqué du 25 mars dernier, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes le recommandait, en application du principe « avant quinze ans, c’est non ».

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Ce point, très discuté, est aussi, comme l’a précisé la rapporteure du Sénat Marie Mercier, la clef du compromis entre les deux assemblées. Je le répète : il n’est pas possible de prévoir une disposition sans exception. Nous avons cherché la rédaction la plus adéquate pour éviter de pénaliser les amours adolescentes, mais aussi d’encourir une inconstitutionnalité.

Vous citez le Haut Conseil. Je rappelle qu’il préconisait encore récemment un seuil d’âge à treize ans – sa position me semble donc quelque peu évolutive.

Le dispositif d’écart d’âge est simple : si l’écart est supérieur à cinq ans, le consentement n’est même pas recherché ; s’il est inférieur, cela ne signifie pas l’impuissance de la justice. Elle va rechercher s’il y a eu violence contrainte, menace ou surprise. La contrainte psychologique relèvera bien de l’infraction de viol revue par la loi du 3 août 2018. La protection existe donc ; ce n’est pas tout ou rien.

La Commission rejette successivement les amendements.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette l’amendement CL29 de Mme Emmanuelle Ménard.

La Commission examine ensuite l’amendement CL13 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago. Mme Karine Lebon et moi avions déposé cet amendement en première lecture afin d’insister sur la nécessité absolue de prendre en compte le handicap dans le traitement des violences sexuelles sur les mineurs. Nous le redéposerons en séance publique car il est important d’avancer sur cette question.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Là encore, il s’agit d’un sujet dont nous avons abondamment débattu en première lecture et sur lequel le secrétaire d’État Adrien Taquet a apporté, en séance publique, une réponse très argumentée.

Vous souhaitez utiliser la notion de particulière vulnérabilité pour mieux protéger les mineurs handicapés. Si l’intention est louable, le moyen n’est pas judicieux. Comme nous le disions le mois dernier, le handicap est déjà qualifié par la jurisprudence comme un élément de surprise permettant de caractériser un viol ou une agression sexuelle. C’est ce handicap qu’il faut avoir en tête : l’âge n’est pas, ici, un marqueur pertinent.

J’ajoute un élément de logique qui devrait vous amener à retirer votre amendement. Vous écrivez que la particulière vulnérabilité doit conduire à porter l’âge du consentement de quinze à dix-huit ans et qu’elle résulte notamment d’un état de grossesse. On aurait donc des situations dans lesquelles deux personnes de dix-huit et seize ans sont en couple tout à fait légalement, font un enfant très naturellement, et la poursuite de leur relation deviendrait automatiquement de ce fait un viol passible de vingt ans de réclusion ? Ce n’est pas possible.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle en vient à l’amendement CL14 de Mme Isabelle Santiago.

Mme Isabelle Santiago. Il convient de criminaliser le recours à la prostitution de tous les mineurs de moins de dix-huit ans. Selon plusieurs études réalisées par l’Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, entre 6 000 et 10 000 mineurs, en majorité des filles entre treize et seize ans, se prostitueraient en France. La grande majorité a subi dans l’enfance des violences physiques ou sexuelles, voire des relations incestueuses. Nombre d’entre elles relèvent de la protection de l’enfance.

Il importe de renforcer ce texte, qui écarte déjà toute recherche du consentement d’un mineur de quinze ans sans considération de la différence d’âge en cas de relation tarifée avec un majeur. L’âge que je propose – dix-huit ans – apporte une sécurité juridique d’autant plus précieuse qu’il n’est pas facile de régler cette question de la prostitution et du michetonnage, les jeunes filles invoquant souvent des amours adolescentes.

Mme Alexandra Louis, rapporteure. Avis défavorable ou demande de retrait. Essayons de faire preuve de cohérence. Nous avons posé comme principe un âge de consentement aux relations sexuelles de quinze ans. Au-dessous de quinze ans, c’est non et c’est un crime. Seul l’inceste fait exception, nous savons tous pourquoi. Nous avons aussi posé comme règle qu’au-dessus de quinze ans, certaines relations sont interdites car déséquilibrées : tel est le cas quand il y a un abus d’autorité, hors inceste, et bien sûr en l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise.

Je ne crois pas que, dans le cas de la prostitution, il soit opportun de supprimer le seuil de quinze ans et de mettre tous les mineurs dans le même sac. Le client n’a pas la même responsabilité ni, souvent, les moyens juridiques de vérifier les âges. Dans un cas, on parle de pédophilie ; dans l’autre, non. Bien sûr, solliciter un prostitué de quinze à dix-huit ans reste un délit dont nous avons, d’ailleurs, durci les peines en les portant de trois à cinq ans d’emprisonnement. Mais ce ne peut être décemment considéré comme un crime.

En outre, je ne suis pas sûre que la sévérité de la peine soit l’unique solution pour punir les auteurs – déjà passibles du tribunal correctionnel – et accompagner les victimes. Enfin, la question de la proportionnalité se pose. Il faut rester cohérent dans l’échelle des peines.

La Commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, elle rejette successivement les amendements CL3 de Mme Marie-France Lorho, CL18, CL22 et CL19 de Mme Emmanuelle Ménard, les amendements en discussion commune CL15 de Mme Isabelle Santiago et CL4 de Mme Marie-France Lorho, les amendements CL5, CL6, CL7 et CL9 de Mme Marie-France Lorho, CL30 et CL31 de Mme Emmanuelle Ménard, les amendements en discussion commune CL8 de Mme Marie-France Lorho et CL27 de Mme Emmanuelle Ménard, les amendements CL16 de Mme Isabelle Santiago, CL20, CL23, CL21 de Mme Emmanuelle Ménard et CL11 de Mme Emmanuelle Anthoine. 

La Commission adopte l’article 1er sans modification.

Article 1er bis BA (art. 227‑22 et 227‑23‑1 [nouveau] du code pénal) : Délit d’extorsion d’images pédopornographiques

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL10 de Mme Marie-France Lorho.

Puis elle adopte l’article 1er bis BA sans modification.

Article 1er bis B (art. 227‑21‑1 [nouveau], 227‑25, 227‑26, 227‑27 et 227‑27‑2‑1 du code pénal) : Coordinations et délits d’atteinte sexuelle sur mineur

Suivant l’avis de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement CL17 de Mme Isabelle Santiago.

Puis elle adopte l’article 1er bis B sans modification.

Article 1er bis C (art. 222‑22‑2 et 227‑22‑2 [nouveau] du code pénal) : Répression des atteintes sexuelles que la victime est contrainte de s’infliger à elle-même

La Commission adopte l’article 1er bis C sans modification.

Article 1er bis E (art. 225‑12‑1 et 225‑12‑2 du code pénal) : Aggravation de la peine encourue en cas de sollicitation de prostitué mineur

La Commission adopte l’article 1er bis E sans modification.

Enfin, la Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée avec modifications par le Sénat, en deuxième lecture, visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (n° 4029) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


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   Personnes entendues

– M. Arnaud de Saint Remy, commission Libertés et droits de l’Homme

– M. Charles Renard, chargé de mission affaires publiques

– Mme Katia Dubreuil, présidente

– Mme Lucille Rouet, secrétaire nationale

– Mme Cécile Mamelin, vice-présidente

– M. Ludovic Friat, secrétaire général


([1]) Proposition de loi de Mme Annick Billon visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels (n° 158), déposée le 26 novembre 2020, et proposition de loi de Mme Laurence Rossignol visant à créer le crime de violence sexuelle sur enfant et à lutter contre les violences sexuelles (n° 201), déposée le 8 décembre 2020.

([2]) Proposition de loi de Mme Isabelle Santiago renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles (n° 3721), déposée le 5 janvier 2021, et proposition de loi de votre rapporteure visant à lutter contre les violences sexuelles et sexistes (n° 3854), déposée le 9 février 2021.

([3]) T.A. n° 576.

([4]) Rapport n° 467 (2020-2021) de Mme Marie Mercier, fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la présente proposition de loi en deuxième lecture, 23 mars 2021.

([5])  Cette disposition figure à l’article 4 bis de la proposition de loi, voté conforme par les sénateurs en deuxième lecture.

([6]) Assemblée nationale, deuxième séance du lundi 15 mars 2021.

([7]) Art. 227‑22 du code pénal : « Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. (…) Les mêmes peines sont notamment applicables au fait, commis par un majeur, d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ou d’assister en connaissance de cause à de telles réunions. »

([8]) Cass. crim, 14 novembre 1990, n° 90‑80.152 : la corruption de mineur « n’est pénalement punissable que si l’auteur des faits a eu en vue la perversion de la jeunesse, et non pas seulement la satisfaction de ses propres passions » ; s’il n’est pas établi que l’auteur « ait cherché dans ces pratiques la satisfaction d’autres passions que les siennes et soit devenu un agent intermédiaire de débauche et de corruption », les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis.

([9]) Art. 222‑29‑1 du code pénal.

([10]) « Toutefois, la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale. »

([11]) Art. 222-23 à 222-30 du code pénal.

([12]) Si le tiers est conscient de la contrainte exercée, il est plus simplement coupable des faits d’agression sexuelle alors que celui qui exerce la contrainte sur la victime est son complice.

([13]) Art. 227‑22 du code pénal : « Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. (…) Les mêmes peines sont notamment applicables au fait, commis par un majeur, d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ou d’assister en connaissance de cause à de telles réunions. »

([14]) Cass. Crim, 14 novembre 1990, n° 90‑80.152 : la corruption de mineur « n’est pénalement punissable que si l’auteur des faits a eu en vue la perversion de la jeunesse, et non pas seulement la satisfaction de ses propres passions » ; s’il n’est pas établi que l’auteur « ait cherché dans ces pratiques la satisfaction d’autres passions que les siennes et soit devenu un agent intermédiaire de débauche et de corruption », les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis.