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N° 4080

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à étendre le revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans,

 

 

 

Par M. François Ruffin,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :

Assemblée nationale :  4014.

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS du rapporteur

exposé général

I. Une jeunesse reléguée au dernier rang des priorités politiques malgré les discours

A. Une crise paroxystique pour la jeunesse qui en prolonge beaucoup d’autres

1. Une jeunesse, victime de plusieurs crises, avant, pendant et après le covid

a. Une crise des ressources

b. Une crise de l’accès au logement

c. Une crise de l’accès matériel aux études supérieures

d. Une crise de l’accès à la santé

e. Une crise de l’accès au travail non précaire

f. Une crise de la mobilité

g. Une crise environnementale

h. Une crise de l’accès aux loisirs

B. Un choix politique fait par une société vieillissante

1. Un choix français

2. Les jeunes, une population reléguée politiquement

3. La persistance de stéréotypes que tout dément

II. Ce choix n’est pas une fatalité

A. égaliser les droits sociaux au RSA, comme première marche...

1. Une mesure « à portée de main » et largement soutenue

2. Des effets potentiellement considérables pour réduire la pauvreté et envoyer un signal clair à la jeunesse

B. ... sans préjudice de l’engagement de chantiers plus vastes

commentaires d’articles

Article 1er Créer un RSA ouvert aux 18-25 ans

Article 2 Supprimer le RSA « jeunes actifs »

Article 3 Gage

examen en commission

I. discussion générale

II. examen des articles

ANNEXE 1 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

ANNEXE 2 : LISTE DES TEXTES SUSCEPTIBLES D’êtRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE l’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

REMERCIEMENTS


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   AVANT-PROPOS du rapporteur

JEUNESSE :

LE CHOIX DE L’ABANDON

 

 

 

« Nous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse. »

Emmanuel Macron, 21 novembre 2019.

« J’ai vécu, quand j’étais adolescent, avec environ 1 000 euros par mois. Je sais ce que c’est que de boucler une fin de mois difficile. »

Emmanuel Macron, Explicit, 21 mars 2017.

« Je ne vais pas interdire Uber et les VTC. Ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains. »

Mediapart, 2 novembre 2016.


C’est aux parents et aux grands-parents que je m’adresse,

C’est à vous, pour vos enfants, pour vos petits-enfants, que je lance un appel.

Et j’irai droit à l’essentiel.

Ce n’est pas une « guerre des générations » que je viens allumer ici, pas un cri contre les « boomers » que je viens pousser, mais au contraire, c’est un pont entre les âges que je veux construire, un pont solidaire que j’espère : je vous demande de faire pour la jeunesse ce que d’autres, avant vous, avant nous, ont fait pour la vieillesse.

Après la Seconde Guerre mondiale, dans une France exsangue, qu’ont décidé nos anciens ? De mettre en place « un vaste plan de sécurité sociale », avec notamment les retraites, avec le minimum vieillesse. Et ce fut un miracle : depuis des millénaires, vieillesse signifiait pauvreté dans les milieux populaires. On vieillissait, quand on avait la chance de vieillir, au crochet de ses enfants, et subsistant de la charité. C’était la norme, qui appartenait au paysage. Et voilà qu’en trente ans, cette malédiction séculaire était brisée : dès les années 1970, le taux de pauvreté chez les personnes âgées glisse sous la moyenne nationale. Et pourquoi, comment ? Parce qu’on est passé d’une solidarité familiale à une solidarité nationale, à une solidarité sociale.

C’est le même mouvement qu’il nous faut poursuivre, aujourd’hui, pour la jeunesse. Car les statistiques se sont inversées : c’est chez les jeunes, désormais, que la pauvreté est massive, quatre fois plus élevée que chez les retraités. C’est chez les jeunes, désormais, que cette pauvreté est devenue la norme, qui ne choque plus, qui appartient au paysage. Et ce sont les jeunes, désormais, qui vivent au crochet de leurs familles, qui sont aidés par vous, un peu ou beaucoup, selon les fortunes : les uns ont leur loyer payé, les autres sont dépannés d’un sac de courses. Cette solidarité familiale, inégale, ne suffit pas : là encore, il nous faut aller vers une solidarité sociale, une solidarité nationale. Il nous faut un « minimum jeunesse », un socle, pour se former, pour essayer, pour échouer même, pour découvrir notre pays, pour s’envoler du nid, sans une aile cassée, sans un plomb à la patte.

Nous vivons des temps sinistres.

Mais dans notre histoire, les pires épreuves sont aussi des occasions de s’élever, de se grandir, comme à la sortie de la nuit nazie. Alors, c’est le moment de rouvrir une espérance pour la jeunesse, c’est le moment d’en tirer, pour toute la patrie, une fierté, une respiration vers le futur, plutôt qu’une résignation.

Voilà l’élan auquel j’aspire, l’effort national que j’attends.

En vain, je crains.

Car à quoi assiste-t-on, à l’inverse, depuis un an ?

Au spectacle d’une jeunesse maltraitée.

Les images ont frappé, glacé : ces files de jeunes gens, des queues infinies, des centaines de mètres, pour aller quérir un colis alimentaire, le soir, dans la rue ou dans un gymnase, à l’occasion d’une distribution caritative… Qui n’est pas stupéfait par cette vision ? Qui n’est pas choqué lorsque la presse étrangère titre : « Faim en France » ? Qui ne retrouve pas, comme en un écho visuel, le souvenir de ces clichés en noir et blanc aperçus dans les manuels d’histoire, au chapitre de la grande dépression, pris aux États-Unis lors des soupes populaires ? Mais il ne s’agit pas des années 30, là, ni de la lointaine Amérique. Il s’agit de notre pays, aujourd’hui, au XXIe siècle, et c’est l’avenir de notre Nation qui est réduit à la mendicité.

Comment y répond-on ?

L’État se met à la bienfaisance, avec des aumônes, 200 € en juin, 150 € en octobre et le Restau U à 1 €. Et partout, pour les jeunes, ce sont des appels à dons, des cagnottes sur Leetchi, des collectes dans les supermarchés, des caddies remplis de raviolis, de conserves, de sachets de purée. Chacun y va de sa bonne action, « RTL lance une opération de solidarité pour les étudiants précaires », « La cagnotte #Onremplitlefrigo a déjà recueilli 10 000 € », « Le groupe Pasteur Mutualité et les Bouffons de la Cuisine mettent un peu de douceur dans les assiettes des étudiants ». J’y ai participé, à Amiens, avec le restaurateur Thierry Martin et ses copains qui préparent des repas quotidiens, avec ma permanence de député submergée, de la cave à l’entrée, jusqu’au canapé, par les cartons de tampons hygiéniques, gels douches, tubes de dentifrice, rouleaux de papier toilettes… C’est formidable, non, cette générosité ?

Eh bien non.

Car à qui accorde-t-on notre charité ? Ce n’est plus à des continents lointains, après une famine, un tremblement de terre, un tsunami. Ce n’est même plus aux pauvres de chez nous, aux découragés, aux relégués de l’emploi. Non, c’est à nos étudiants, à nos jeunes, et il faudrait s’applaudir, applaudir ce scandale ?

Et bien sûr, cette misère, visible, n’est que la partie émergée, visible, d’une désespérance, dans le silence, dans l’indifférence : des estomacs ont faim, certes. Mais combien de cœurs, affamés eux aussi, qui se replient, qui se résignent, qui se rétractent, faute d’un espoir à nourrir ?

Le Covid agit ainsi comme un révélateur, comme le révélateur d’une France qui maltraite sa jeunesse. Qui choisit de la maltraiter.

C’est un choix.

C’est un choix du Gouvernement.

Mais c’est un choix, au-delà, de société, un choix de notre société.

C’est un choix qui dure en fait depuis quarante ans, écraser la jeunesse.

Et voilà pourquoi j’en appelle à vous, parents, grands-parents, pour un sursaut. Vous êtes entendus, vous êtes écoutés, vous votez : prenez le parti, faites le pari de la jeunesse. Réclamez, avec eux, pour eux, des mesures de justice. Exigez une solidarité, une véritable solidarité, une solidarité sociale, une solidarité nationale, comme on l’a bâtie hier pour les plus âgés.

Au miroir de la crise

 

Depuis un an, pourquoi confine-t-on les jeunes ? Pourquoi a-t-on fermé leurs universités ? Pourquoi les a-t-on renvoyés « en distanciel » ? Pourquoi leur a-t-on imposé enfermement et couvre-feu ? Pour protéger les plus âgés, notamment.

Avec une souffrance à la clé : « On a fait passer des questionnaires auprès de nos étudiants, nous racontait le Président de l’Université Jules Verne à Amiens. Sur les 3 450 réponses qui nous sont remontées, 20 % ont scénarisé leur suicide. » 20 %, une donnée confirmée par Santé Publique France. Qui ajoute qu’un tiers des jeunes se déclarent « en dépression », et la moitié « inquiets pour leur santé mentale ».

 

« J’étais vraiment au fond du trou »

Thomas, diplômé d’un DUT Info-com à Nancy

 

Thomas : Le printemps dernier, c’était un peu l’enfer. La faculté a décidé d’annuler tous les stages. J’avais une belle opportunité en communication, à la mairie de ma ville, et on m’a finalement refusé à cause de la crise sanitaire.

J’aurais bien voulu faire un master, mais le premier confinement a été assez violent. J’étais vraiment au fond du trou. J’aime vraiment être entouré de mes amis, de ma famille. Et là, d’un coup, il n’y avait plus rien. Avant, je bougeais régulièrement à travers toute la région, tous les jours, quotidiennement. Et là, c’était bloqué dans l’appartement et fini !

Le rapporteur : Vous vous êtes senti en dépression ?

Thomas : Alors oui, plus sur des questions de folie : tourner en rond, ne plus pouvoir être inspiré par la vie. Donc oui, j’ai dû faire une dépression. Et là, ce qui me dérange un peu, c’est que j’entame une thérapie chez un psy, mais les psychologues ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. C’est 35 € par semaine. C’est de nouveau ma mère qui m’aide, et qui me fait suivre cette thérapie pour que je puisse enfin aller de l’avant.

 

C’est une épreuve que les jeunes endurent. À laquelle ils ont consenti, non pour eux, mais pour autrui, pour leurs aînés. Mais comment les récompense-t-on ? En leur imposant une double peine : en plus du tourment moral, psychologique, affectif, on les punit par une sanction financière, non-compensée, par une sanction sociale, sur leur présent, sur leur avenir.

« On les voit de plus en plus... » C’est Patrice Blanc, le président des Restos du Cœur, qui témoigne ainsi : « Une image qui m’a bouleversé, c’est de les voir, ces jeunes, arriver chez nous avec leur tenue d’Uber Eats. C’est-à-dire qu’eux-mêmes apportent à manger, mais ils n’ont pas de quoi manger pour eux ! Ça m’a scié. »

Quand les restaurants, les bars, les cinémas ferment, avec leur cortège de « petits boulots », serveurs, ouvreurs, extras de l’hôtellerie, veilleurs de nuit… qui est derrière ? Des jeunes, bien souvent. Quand, dans l’aérospatiale, un syndicaliste confie : « Le lendemain du confinement, les intérimaires étaient tous partis. Ce sont les premiers dégagés », quand à Roissy un salarié décrit : « D’habitude c’est une ruche, avec des milliers d’intérimaires. Mais depuis mars, c’est zéro. Zéro », quand Le Courrier Picard titre : « Emploi. Valeo débraie par l’intérim », qui est derrière ces intérimaires ? Des jeunes, pour beaucoup, derniers entrés et premiers sortis.

Parmi eux, 40 % ont connu une baisse de leurs revenus, déjà modestes. 74 % ont rencontré des difficultés financières. Et 50 % auraient peiné à se nourrir. « La moitié de nos bénéficiaires a moins de 25 ans » confirme Patrick Blanc. Une impression que partagent la Fondation Abbé Pierre et le Secours Catholique, mais aussi avec la Fage, l’Unef ou la FSE.

 

« En ce moment, plus rien ! »

Jonathan, intérimaire, Amiens

« J’ai tout fait, téléconseiller à Médiamétrie, animateur à la ville d’Amiens, deux emplois en même temps. Ça, pendant des mois et des mois. Faut vivre. J’ai une voiture, j’ai une assurance. Je vis tout seul, tout seul. Et après, du coup, j’ai trouvé un travail à Amazon. Donc là, nickel : je commençais à bien vivre. Ça faisait 1 600, c’était bien, mais pareil : c’est quoi ? C’est trois mois, quatre mois d’intérim, c’est précaire. Et une fois qu’Amazon, c’est fini, alors là, on va livrer des pizzas. Enfin, faut se débrouiller. Mais en ce moment, plus rien ! En intérim, nulle part, plus rien ! C’est précaire ! On vous donne pas de chances. »

 

« Au black dans un café »

Gabrielle, sortie de l’ASE, Paris

Gabrielle : Jusqu’au printemps dernier, je travaillais au black dans un café. Dès mes 14 ans j’ai fait du black, je mettais des petites sommes de côté. J’ai bien fait ! Mais bien sûr, tout s’est arrêté.

Le rapporteur : Donc il te reste quoi, comme ressources ?

Gabrielle : Les APL, et le baby-sitting à côté, 400 € par mois. Je travaille du lundi au jeudi, de 16h à 21h. Alors que, à Paris, j’ai quand même 800 € de loyer…

Le rapporteur : Et donc, tu cumules ça avec ton bac ?

Gabrielle : Oui. C’est très dur, mais je n’ai pas le choix.

« Elle avait droit à zéro aide, rien »

Dorothée, mère de Emma, Cévennes

« Juste avant le confinement, l’année dernière, ma fille était au Grau du Roi. Elle allait faire une saison, dans un petit resto au bord de la mer. Et finalement, rien… Elle avait droit à zéro aide, rien, pas le RSA, et elle n’avait pas assez cumulé d’heures pour le chômage non plus. En ce moment, elle est hébergée chez un ami à moi, ça fait un an. Il la loge, il la nourrit. Et moi j’aide un peu aussi, comme je peux, un complément : je suis lingère dans un Ehpad, à temps partiel, à 80 %. »

 

« Dans toute ma classe, une seule a trouvé… »

Sabrina, en attente d’un BTS en alternance, Flixecourt

 

Sabrina : Je cherche une alternance. J’ai une place à la maison rurale, pour un BTS management, mais il me manque l’entreprise.

Sa mère : Elle a obtenu son bac avec mention, mention bien. Jamais elle n’a voulu se reposer sur son handicap, elle l’effaçait plutôt. Par exemple, jamais elle n’a dit qu’elle était sourde, on ne le savait pas. Pendant des années, elle lisait sur les lèvres, elle se débrouillait toute seule. Jusqu’à faire un malaise, un jour, et alors nous, ses professeurs, on a compris. Elle est maintenant appareillée des deux côtés.

Elle a son projet : c’est le BTS management, et ensuite, de partir un an en Espagne, à Ténérife, pour compléter avec une formation en commerce international. Elle a déjà fait un stage là-bas, ça lui a énormément plus, des gens sont prêts à l’accueillir… Mais là, c’est la galère, y a aucune entreprise pour la prendre.

Le rapporteur : Tu fais beaucoup de démarches ?

Sabrina : Ah oui ! Ce printemps, avant le confinement, j’étais allée chez Jennyfer, chez H et M, pour me proposer comme vendeuse en alternance. C’était plutôt d’accord, ils m’avaient dit : « Reviens après ton bac. » Mais là, j’ai rappelé, et tous les magasins, c’est : ‘On attend, avec ce qui se passe…’ J’appelle des entreprises toutes les semaines, j’ai envoyé au moins cinquante CV, partout c’est : « On attend. » Mais pour moi, si ça ne se débloque pas rapidement, je perds ma place en formation. Dans toute ma classe, y en a qu’une seule qui a trouvé une alternance, et c’est en partant dans le sud.

 

« Ils ont renoncé à me recruter »

Cassandre, diplômée d’un master en journalisme culturel, Paris

 

Cassandre : Après mon dernier stage, j’avais une promesse d’embauche, dans un site que j’adorais en plus. C’était bon, j’étais lancée. Mais le Covid est passé par là, et ils ont renoncé à me recruter. J’enchaîne les réponses négatives depuis.

En septembre, comme je ne trouvais pas de travail dans le journalisme, je me suis inscrite pour des missions par Staffme, une boîte d’intérim pour les étudiants et les jeunes de moins de trente ans. Enfin, c’est même pas de l’intérim, on doit se mettre en autoentrepreneur. J’ai beaucoup travaillé pour Jacadi, où j’ai fait de la vente dans plusieurs boutiques à Paris.

Le rapporteur : Ça veut dire que tu es dans le magasin, aux côtés des autres salariés, mais que toi, tu n’es même pas intérimaire, tu es supposée être auto-entrepreneure là-dedans ?

Cassandre : Ça se passait très bien jusqu’à ce que les magasins ferment. En janvier, j’avais fait 978 €, en octobre 1 314 €, ça allait. En février, j’ai fait pour 362 euros de mission. En mars, 316 euros, ce qui est absolument rien pour pouvoir payer un loyer et se nourrir. C’est juste pas possible. D’autant que j’ai 11 % de cotisation à payer. Au bout d’un an, ce sera 20 %.

 

« Tout a été annulé »

Maxime, en master de psychologie à Amiens

 

Maxime : Avant, je travaillais en juillet août, comme animateur pour personnes en situation de handicap. Ça me rapportait 50 € par jour, environ 2 000 € sur deux mois. Mais l’an dernier, tout a été annulé, tous les séjours, depuis le début du Covid. Ça me fait 200 € par mois de budget en moins. Pour moi, c’est énorme : avec 100 € de bourse, rien de mes parents, c’est ma principale ressource qui disparaît.

On fournit des statistiques, ici, des euros et des zéros, on tente d’objectiver avec des revenus et des statuts. Mais au long de toutes nos rencontres, ou presque, nous avons entendu une angoisse, sourde, souterraine. L’angoisse, évidemment, d’un avenir incertain, « trouverai-je ma place ? »

 

« La porte s’est refermée »

Ilyes, étudiant en musique, conservatoire de Grenoble

 

Ilyes : Quand j’étais à la fac, j’avais les bourses du CROUS, environ 500 €, l’échelon maximum. C’était assez, je m’en sortais sans travailler. Pour les soins, j’étais sur la CMU de ma mère, bref, je me débrouillais. Mais je me suis lancé dans un diplôme d’études musicales, au conservatoire, et là, la bourse d’études est beaucoup moins élevée, 2 900 euros par an, versés en une seule fois. La première année, ça ne posait pas de souci : comme je suis batteur, je suis devenu professeur de batterie, et les cours, plus quelques concerts, ça me permettait de vivre. J’entrais dans le métier. Avec mon groupe, on avait même un planning de tournée. Mais la pandémie est arrivée. Plus de cours, plus de concert. Et donc, plus d’argent, plus de revenus complémentaires. J’étais habitué à la galère, mais c’est devenu encore pire. J’ai commencé à travailler « au black », caissier dans un Carrefour, parce qu’il n’y a que ça, et qu’il faut absolument que je gagne un minimum d’argent.

Le rapporteur : Vous travaillez combien d’heures par semaine ?

Ilyes : En cumulé, ça fait une quinzaine d’heures à peu près. Mais ça ne suffit pas. Je demande des sous à droite, à gauche, à ma copine, à ma mère, quand elle peut m’en donner parce qu’elle est au RSA. Et voilà, quoi, on fait comme on peut.

Le loyer est payé, mais après il ne me reste plus rien. Pour la nourriture, des amis m’en donnent parfois, ou je cherche des magasins discount. C’est vraiment de la survie. Je ne suis plus dans la vie, là, depuis un an. Ne serait-ce qu’acheter de la viande, acheter du poisson, essayer d’acheter des légumes frais au marché, ou des choses comme ça. Ça, maintenant, c’est plus du tout possible.

Le rapporteur : Pour les déplacements, ça vous restreint ?

Ilyes : Oui, complètement. J’ai passé le permis, un petit peu avant la pandémie, et je me suis acheté une voiture. J’arrive à peu près à payer l’assurance. Mais l’essence, j’en mets très rarement. À Grenoble, ça va, je marche. Mais ma mère habite en Ardèche, je n’y vais pas, je ne l’ai pas vue depuis décembre, à cause du coût. Avant, j’y allais une fois par mois, à peu près. C’est difficile de ne pas se voir.

Le rapporteur : Tout ça touche votre moral ?

Ilyes : Franchement, je ne pensais pas, à mon âge, retomber dans la précarité que j’ai connue avant. Je viens d’une famille modeste. Je n’ai pas du tout grandi dans le luxe. J’ai toujours connu la précarité. Je pensais m’en être échappé et là, c’est revenu dix fois plus fort que quand j’étais plus petit. C’est simple, ça fait six mois que je me dis tous les jours : « Bon, c’est vraiment dur ! ». Mais en fait, au bout de six mois, huit mois, douze mois à se dire « C’est vraiment dur », on ne peut plus après ! C’est plus possible ! Là, je suis vraiment au bout, quoi. Alors oui, je garde le sourire parce qu’il faut bien. Mais c’est assez désespérant quand même.

Tout ça, au moment où je pensais m’en sortir. Parce qu’en 2020, j’allais passer intermittent du spectacle. On m’appelait pour rejoindre des formations, très prometteuses, avec des gens d’expérience, qui savent vendre des projets, j’avais assez de dates prévues, assez de concerts. J’aurais pu faire mes 507 heures, mais avec l’annulation de tous les événements… La porte s’est refermée. Je ne sais pas quand elle se ré-ouvrira, mais elle s’est refermée.

Et mon souci, aujourd’hui, c’est que les collègues, déjà intermittents, ils continuent les répétitions, les résidences, des choses comme ça, et ils attendent de moi la même disponibilité. Que je me comporte comme un intermittent, ce qui n’est pas mon cas, je dois me nourrir. Du coup, ça met un peu en péril ces relations, mes projets. C’est un cercle vicieux.

Le rapporteur : Vous avez été remplacé par des gens déjà intermittents ?

Ilyes : Pas encore. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. J’espère que ça n’arrivera pas. Je touche du bois, mais pour l’instant, non. J’ai réussi à négocier.

 

 

Cette angoisse, presque existentielle, « que vais-je devenir ? mon destin est-il brisé, ou seulement retardé ? », cette angoisse se conjugue avec une autre, matérielle, plus immédiate, du toit sur la tête : « Pourrai-je payer mon loyer ? »


 

« Comment je vais faire cet été ? »

Loudmila, étudiante en licence de science politique, en rupture familiale

 

Loudmila : Quand j’ai emménagé, j’ai reçu zéro aide. J’ai dû tout payer de ma poche : vaisselle, linge de maison, des vêtements, mon matériel pour travailler, mes livres, mes cahiers. Vraiment tout, tout, tout. Du coup, tous ces achats-là m’ont mis à découvert, en rajoutant aussi la caution que je devais payer de 390 euros, plus trois mois de loyer, donc trois fois 171 euros, ça, ça m’a vraiment pris beaucoup d’argent. J’ai vraiment dû me débrouiller toute seule.

Bref, je me suis retrouvée avec trois cents euros de découvert, que je me suis traînée les mois suivants. C’était assez galère, avec les agios. Une fois, la banque m’a mis 28 euros d’agios. Ça paraît pas des gros agios, mais dans mon budget, c’est quand même quelque chose. Bref, j’ai remonté la pente.

Mais là, pour moi, le plus stressant, ça va être l’été prochain. Parce que la bourse s’arrête en été. L’an dernier, ils m’ont accordé une petite aide exceptionnelle, mais je viens d’apprendre, en allant au Crous, que le gouvernement ne l’a pas renouvelée. Si je n’ai pas de boulot, clairement, je vais perdre mon logement et je ne pourrai pas me nourrir…

« Comment je vais faire cet été ? » C’est vraiment la question qui me stresse beaucoup, au point que j’en fais du psoriasis, de l’eczéma au cou. C’est difficile.

 

« Je suis perdu »

Lucas, étudiant en histoire et en arabe, Paris

 

Lucas : Là, j’ai trois mois de retard et j’ai dû envoyer un message qui fait très pitié, « mais cet été comment je vais payer mon loyer ? » Je suis complètement dans le flou. Ça me fait stresser, parce qu’il n’y a pas de travail, j’essaie d’en parler autour de moi, pour du babysitting, pour n’importe quoi, pour Lidl, du « bouche à oreille », mais comme on a du mal à créer du lien... Je suis perdu. Je n’ai pas envie de prendre l’argent de mes grands-parents comme ça, avec leur petite retraite. C’est pas à eux, enfin, c’est pas aux pauvres de s’entraider comme ça. Je trouve pas ça normal.

 

Cette crise a révélé, avant tout, notre tolérance aux souffrances de cette jeunesse. Durant des mois, son sort n’a suscité que silence et indifférence.

Ainsi, que l’on compare : dès le premier confinement, le jour même, on mettait en œuvre – et tant mieux, et nous ne le contestons pas ici – deux mesures, deux mesures d’ampleur, pour secourir les entreprises et leurs salariés : le chômage partiel et le prêt garanti par l’État. Ceci, sans trier entre les grosses et les petites, entre l’industrie et les services, entre les cotées en bourse et la boîte familiale. Mais pour les plus précaires, pour les intérimaires, pour les étudiants privés de revenus complémentaires ? Rien, ou si peu : 200 € en juin, 150 en octobre, des aumônes.

Au déconfinement, les jeunes sont finalement entrés dans l’actualité... mais comme accusés ! « Sans doute que les personnes vulnérables et âgées ont conservé un niveau de prudence élevé alors que les jeunes, eux, font moins attention », déclarait Olivier Véran, le 24 juillet 2020. Puis, dans la foulée, la presse se défoulait : « Fêtes, manque de précaution... Les jeunes en première ligne face au coronavirus » (26 juillet 2020), Sud-Ouest : « Covid-19 : le péril jeune ? » (3 août 2020), « Comment les jeunes accélèrent la transmission du Covid-19 ? » (Le Figaro, 12 août 2020). Le ministre de la Santé en remettait une couche : « Si la circulation du virus s’accélère encore chez les plus jeunes, ils pourraient contaminer les personnes âgées, qui contractent plus souvent des formes plus graves de la maladie » (Olivier Véran, 23 août 2020). Sur les bancs des universités, à l’automne, ils étaient encore pointés : « Alors que la France est en pleine deuxième vague de l’épidémie, de plus en plus de questions se tournent vers les jeunes et leur responsabilité à transmettre le virus » (RTL, 15 octobre 2020), « Coronavirus : les jeunes sont-ils à l’origine des chaînes de contamination ? » (LCI, 16 octobre 2020). Par prophylaxie, les facultés furent donc fermées les premières. Mais le soupçon, pour autant, ne cessa pas : « ’Le Nouvel an, c’est sacré » : ces jeunes qui ne veulent pas renoncer à la fête malgré l’interdiction » (Le Figaro, 17 décembre 2020), « Confinement. Ils faisaient la fête en forêt : une dizaine de jeunes verbalisés dans le Tarn-et-Garonne » (Actu.fr, 19 avril 2021) …

Il a fallu des suicides.

Il a fallu les images, surtout, déjà évoquées, de ces queues aux distributions alimentaires.

Il a fallu attendre, attendre presqu’un an, pour que des mesures soient prises, et avec quelle pingrerie ! L’« aide à la recherche du premier emploi », supprimée en 2019, signa ainsi son retour en février 2021 : elle est destinée aux ex-boursiers, désormais diplômés, qui peineraient, durant quatre mois, à trouver du boulot. Mais il n’y a pas de petits profits : l’allocation s’élève, désormais, à 70 % de la bourse, contre 100 % auparavant… L’« aide à l’installation », instaurée en février également... et annulée le même mois ! Avec le site qui indique : « Le nombre de dossiers enregistrés dépasse la limite de notre enveloppe financière. Nous ne pouvons plus accepter de nouvelles demandes… » C’en est farcesque, presque : l’« enveloppe » des prêts aux entreprises, elle, ne connaît pas les mêmes limites. Le « doublement de la garantie jeunes », enfin, vantée comme « universelle », alors que des critères demeurent, des conditions, à commencer par les étudiants exclus...

Des dispositifs, très partiels, illisibles, qui n’assurent pas, loin de là, dans la période, le minimum : un filet de sécurité assuré.

 « Ça m’aurait fait une bouée de secours »

Cassandre, diplômée d’un master en journalisme culturel

 

Cassandre : Pôle emploi a remis en place l’aide pour les jeunes diplômés anciennement boursiers. J’ai fait la demande, mais j’ai reçu la réponse hier : refus car je suis déclarée en tant qu’autoentrepreneur. Donc, même si je déclare un revenu de 0 euro, pour Pôle emploi, je ne suis pas immédiatement disponible pour occuper un emploi ! Alors que c’était vraiment une bouée de secours, la création de cette aide-là. Ça m’aurait fait 177 euros par mois. Ce n’est pas une grosse somme, mais ça permet quand même, comme l’expression dit, de mettre du beurre dans les épinards.

Le rapporteur : En six mois de suivi par Pôle emploi, qu’est ce qui s’est passé ?

Cassandre : Absolument rien, absolument rien. J’avais un entretien téléphonique une fois par mois. Lors de mon premier entretien on m’a dit « Le plus important, ce n’est pas de déprimer, vu que vous vous êtes chômeuse, vous pouvez profiter de la gratuité des musées et la gratuité de la piscine ». J’ai juste touché 150 € de l’État.

« L’aide a été complètement retirée »

Ilyes, étudiant en musique, conservatoire de Grenoble

 

Ilyes : Les seules aides que j’ai touchées, c’est deux fois 150 €. Je m’étais renseigné, parce que je vais déménager et le Gouvernement a mis en place une aide pour les jeunes travailleurs qui déménagent. Je voulais la toucher, c’est quand même mille euros. C’est une somme, quoi ! J’ai commencé à faire les papiers, tout ça, sauf que l’aide a été complètement retirée. Il y a eu trop de demandes. J’aurais pu toucher ces mille euros, et ma copine aussi, mais au final, non. Au total, j’ai touché deux fois 150 euros de l’État.

 

 

Cette crise du Covid est alors un miroir grossissant.

Car la quête des petits boulots, l’assiette à remplir, et le frigo, l’angoisse de perdre son toit, l’indifférence de l’État, le soutien des parents, des grands-parents… les « dispositifs » qui disparaissent, réapparaissent… Tout était déjà là avant, avant la crise du Covid. Qui pourrait avoir cette vertu, au moins : mettre en lumière, rendre visible une maltraitance installée dans la durée, une misère – souvent euphémisée en « galère », presque rendue sympathique par ce vocable.


La famille au secours

 

Le recours à la famille. Le secours de la famille. Ou, au contraire, l’absence de famille. C’est le thème, toujours présent, en toile de fond, en filigrane, qui traverse tous nos entretiens : la famille. Et j
e voudrais partir d’un graphique, un graphique fourni par le ministère des Solidarités et de la Santé, et qui m’a stupéfait :

 

Que nous dit-il ?

La courbe en bleu, c’est le « taux d’effort » des familles (échelle de droite) : il s’élève à 13 % dans le premier décile, tandis qu’il est de 8 % pour le dernier. En clair : malgré leur pauvreté, leur faible marge de manœuvre, les parents les plus modestes consacrent une forte proportion de leurs revenus à leurs jeunes adultes. Nettement plus, 1,6 fois plus, que les foyers les plus aisés.

Malgré cet effort, voilà qui ne suffit pas à combler le fossé des ressources : les plus modestes donnent à leurs enfants, en moyenne, 1 308 € par an, contre 7 053 € pour les plus riches. Ce sont les diagrammes, qui grimpent cinq fois plus haut pour le dernier décile.

Voilà qui renverse tous les a priori : les pauvres font de leur mieux pour aider leurs enfants, leurs jeunes adultes. Mais l’inégalité de départ n’est pas compensée, loin de là : 100 € par mois, à peine, en moyenne – un plein de frigo. Contre 600 € pour les autres – de quoi payer un loyer, « décohabiter », assez largement avec les APL.

Ce graphique dit tout, alors, de l’injustice de notre système, l’injustice de la solidarité familiale, quand les familles sont à ce point inégales. Nulle « méritocratie », ici : à cet âge de la vie, à cet âge où se dessinent les chemins, où se tracent les destins, les parents et leurs revenus sont le facteur clé.

Un facteur clé pour poursuivre ses études :

 

« Mes parents sont présents »

Cassandre, diplômée d’un master en journalisme culturel

 

Cassandre : À Nancy, mes parents payaient mon loyer. J’avais droit à 100 euros de bourse par mois, échelon 0 bis. Je suis issue d’une famille nombreuse, j’ai quatre frères. Je voulais m’en sortir par moi-même, et donc je faisais des petits jobs à côté pour m’en sortir. Depuis deux ans et demi, je suis sur Paris. Mes parents continuent à me payer le loyer, mais c’est une somme beaucoup plus élevée : on paye 575 euros chacun avec mon compagnon. À part les APL, je n’ai droit à rien du tout.

Il faut faire attention à tout, à la nourriture, aux rations etc. Ce n’est pas normal qu’autant d’étudiants ne mangent pas à leur faim. Je n’en suis jamais arrivée là, parce que mes parents sont présents, et j’en ai vraiment conscience. J’ai de la chance, mais ça ne peut plus durer.

Depuis Noël, je ne suis pas retournée chez eux, en Franche Comté, parce que les trains c’est cher. Je vais essayer d’y aller à la mi-avril. Mais je pense que mes parents vont nous payer le billet, parce que je ne vais pas pouvoir me le permettre.

Et moi, je culpabilise, parce que mon père est à la retraite maintenant, mais il a besoin de travailler, pour financer mon loyer, pour financer ensuite les études du petit dernier. Et ça, ça devient dur.

 

« On les nourrit, bien sûr »

M. Dupressoir, agent SNCF, Normandie

 

M. Dupressoir : J’ai deux filles, l’une en terminale et l’autre en licence de sciences de l’éducation. La plus jeune, sur Parcours Sup, voulait faire langues étrangères, mais avec des options liées au développement informatique du web. Il fallait partir à Reims. Ça implique de payer un logement, des charges, des transports, etc. Avec ma femme, on a fait les comptes, ça ne rentre pas dans le budget. Il faut qu’elle reste à Rouen. Et donc, pour elle, ça a été une frustration. Même pour les parents, c’est un peu humiliant : ne pas pouvoir offrir le meilleur à ses enfants… Même si elle peut poursuivre à l’Université quand même...

Son meilleur ami, en revanche, il est en rupture familiale, parce que sa famille a du mal à accepter ses choix sentimentaux. Le gamin, qui est en droit à la fac, il a un job étudiant à mi-temps, dans une chaîne de vêtements. Sauf que ça ne lui permet que de payer son loyer, et pourtant on lui refuse les bourses étudiantes. On le sait, nous : il fait un seul et unique repas quotidien, le midi. Il s’éloigne des soins médicaux parce qu’il n’a pas un rond.

Le rapporteur : La rupture familiale fait qu’il n’a plus de filet de sécurité, contrairement à vous qui pouvez subvenir aux besoins de vos filles.

M. Dupressoir : Oui, mes filles sont sur ma mutuelle, on les nourrit bien sûr, on les héberge. Lui, il n’a pas de parachute et c’est une survie quotidienne. En ce moment, en plus, son boulot s’est arrêté, il ne travaille plus. Il bénéficie d’un petit montant de la CAF sauf que ce montant varie d’un mois à l’autre, il ne sait jamais combien il va toucher, parfois il touche un mois puis il se fait radier…

 

« Ça dépend des parents qu’on a »

Léa, en Service civique, à Dieppe

 

Léa : Je n’ai jamais fait d’études supérieures, pour des problèmes financiers, clairement. Le Crous ne me permettait pas de vivre avec 100 euros par mois, et mes parents ne pouvaient pas m’aider. À la base, je voulais partir dans la sociologie. Il fallait que je fasse 1h15 de route pour aller à Rouen, 2h30 par jour, et donc je devais prendre un appartement. C’était pas possible, j’ai dû abandonner.

Le rapporteur : Tu as des amis qui n’ont pas fait d’études à cause des revenus ?

Léa : Non, parce qu’en fait, les parents aidaient les enfants. Ça dépend aussi des parents qu’on a.

 

 

Un facteur clé, parfois, pour subvenir à ses besoins fondamentaux – tous réduisant au mieux le budget « nourriture » :

 

« Un sac de courses »

Maxime, en master de psychologie à Amiens

 

Maxime : Je ne sais pas comment sont comptés les échelons de la bourse, mais je ne touche que cent euros. Pourtant, mes parents ne peuvent pas m’aider. Mon père est chef d’équipe en maintenance dans un lycée, et ma mère est femme de ménage.

Le rapporteur : Tu reçois zéro euro de tes parents ?

Maxime : Zéro euro. De temps en temps, une petite aide au niveau de la nourriture, quand je rentre chez eux, quand je peux rentrer chez eux.

Le rapporteur : C’est-à-dire ? Ils donnent un sac de courses ?

Maxime : Oui, c’est ça. Un sac de courses.

Le rapporteur : Sinon, il te reste 100 € pour la nourriture ?

Maxime : C’est ça. Le RU, avant les 1 €, c’était trop cher pour moi. C’était mieux de prendre des paquets de pâtes au Leclerc, ou des choses comme ça. Depuis que je suis à la fac, je ne mange plus de viande. Au départ, parce que je ne pouvais pas. Et puis finalement, maintenant, je me dis : « C’est pas plus mal d’en manger que de temps en temps, finalement. »

 

Même les dépenses de santé sont comptées, le coup de pouce – ou la mutuelle - des parents fait la différence :

 

« Y a qu’une fois, le dentiste... »

Amanda, licence d’anglais et de chinois, Lyon.

 

« On ne va pas chez le médecin. Il faut avancer 25 €, c’est une semaine de courses. Une fois, j’avais une énorme gastro, j’étais vraiment très malade. Je suis quand même allée à la fac, sinon ils peuvent signaler mes absences au Crous, et comme je n’ai pas de certificat médical, ils auraient peut-être suspendu ma bourse…

Y a qu’une fois, le dentiste, je ne pouvais plus éviter. J’avais une carie qui tournait à la rage de dents. Ça m’a coûté 120 €. Quand il m’a annoncé le prix, j’ai cru que j’allais mourir. Y avait que 60 € de remboursés. Heureusement, ma mère a pu me dépanner. »

 

« Ils ont renoncé à me recruter »

Cassandre, diplômée d’un master en journalisme culturel, Paris

 

Le rapporteur : Sur les soins, vous vous limitez ?

Cassandre : Pour moi, c’est un impératif. J’ai des petits soucis de santé, donc je dois faire vraiment attention. Je suis sur la mutuelle de mes parents, mais là y a plus de 300 euros que j’ai avancés et je n’ai toujours pas les remboursements. Je préfère moins acheter de nourriture pendant un mois mais faire ces examens médicaux là puisque c’est bon pour ma santé. Ça passe avant tout.

« Quand il s’agit d’acheter de la lessive… »

Thomas Ross, diplômé d’un DUT info-com, Nancy

Thomas : Je me suis fait opérer de l’estomac, heureusement j’avais la famille derrière. Sans ma mère et sans mes grands-parents, j’aurais jamais pu m’en sortir, pour être honnête.

Le rapporteur : Vos parents vous aident encore ?

Thomas : Ma mère essaie tant bien que mal. Mes parents ont divorcé, je n’ai plus de nouvelles de mon père. Donc là, je peux compter que sur ma mère, et mon beau-père aussi un peu. Quand il s’agit d’acheter de la lessive, quand il y a des promotions, ma mère en profite pour acheter de la nourriture, pour nous en donner aussi. Ouais, là, ça fait un peu Secours populaire, je suis désolé [il rit]. Mes grands-parents réfléchissent à vendre leur appartement, pour justement nous aider. Parce que mon petit frère, en fac de lettres au Havre, veut partir au Japon pour du commerce international. On n’est pas aisés, mais on essaie de faire le maximum. Ça devient vraiment compliqué au niveau des finances parce qu’on n’avance pas.

 

« Je ne vois rien »

Loudmila, étudiante en licence de Science-politique, en rupture familiale

 

Loudmila : J’ai des problèmes de vue très conséquents. Je ne vois rien. Je serais incapable de lire tout ce qui m’entoure, là. En principe, j’ai des lunettes, mais elles sont cassées et je ne peux pas les faire réparer parce que ça me coûte très cher. Et ma mère, mes parents, pour l’instant, j’ai zéro aide de mes parents. Et ces démarches-là me coûtent cher.

Le rapporteur : Comment tu fais pour étudier si tu n’arrives pas à voir ?

Loudmila : Je devine. Souvent je demande à Roman : « Qu’est-ce que c’est écrit ? » Quand c’est sur la télé, il me dit. Quand c’est des sous-titres, il me lit ça. Quand on est en amphithéâtre, je me mets tout devant. Je ne peux pas me mettre derrière.

 

 

Sans famille, ou en rupture, ou avec un maigre soutien, c’est aussitôt la rue qui se profile – avec la peur, avec l’angoisse :

 

« On est sans cesse guidé par la peur »

Alix, intérimaire-chômeur, Nord

 

Alix : J’ai arrêté l’école en 1ère. J’étais lassé, je n’avais plus envie, alors, comme je n’y allais plus, on m’a renvoyé. J’étais en rupture familiale à cette époque. Ma marraine m’a un peu aidé, elle m’a retrouvé un nouveau lycée, comme interne, mais ça n’a pas collé.

Pour vivre, j’ai trouvé des petits boulots dans la restauration. J’ai fait onze mois en tout. C’était très précaire, des contrats à la semaine, ou pas de contrat du tout… Je suis retourné à l’usine, des intérims. Du coup, pour trouver un logement, c’était compliqué. En plus, à ce moment-là, je me suis séparé de ma copine, je me suis retrouvé SDF pendant environ six mois. Je n’avais pas d’argent et surtout, pas de famille pour être cautionnaire. Ensuite, j’ai trouvé une place ici, dans un foyer de jeunes travailleurs, puisque ce sont les seuls qui acceptent les gens sans garant.

Sans toit, tout est impossible : de se former, de travailler. C’est très corrosif pour l’individu de se retrouver sans rien. On est sans cesse guidé par la peur, la peur de ne plus avoir, la peur de ne pas manger.

Le rapporteur : Pendant toutes ces années, de quoi vous êtes-vous privé ?

Alix : Déjà, le style vestimentaire. Moi, j’ai des habits, depuis des années j’ai les mêmes. Aussi, je ne suis pas véhiculé, j’allais à l’usine en train et en trottinette électrique. J’ai des soins dentaires à faire, c’est en projet. J’ai passé quatre ans sans fréquenter le milieu médical.

 

« Je ne faisais pas »

Arnaud, étudiant en licence de droit, Tours

 

Arnaud : Je suis arrivé dans ce foyer il y a un mois. Mon père est mort, et je suis fâché avec ma mère, alors je suis parti de chez moi… J’habitais dans l’Est, mais comme j’ai demandé droit et langues, Parcours’Sup m’a proposé Tours.

Le rapporteur : C’est pas tout près…

Arnaud : Non, mais ça me va.

Le rapporteur : Et tu touches une bourse ?

Arnaud : Pas encore, il me faut l’avis fiscal de ma mère, mais vu nos relations, ça traine.

Le rapporteur : Tu as combien alors ?

Arnaud : Zéro. Zéro.

Le rapporteur : Et comment vous faites ?

Arnaud : J’ai dormi dehors, la rue. Maintenant, le foyer me donne un coup de pouce. Je ne paie pas de loyer, je verse juste mes APL…

Le rapporteur : Mais pour les livres, par exemple ?

Arnaud : Le Code civil ? Je ne l’ai pas acheté.

Le rapporteur : Et les transports ?

Arnaud : Je marche.

Le rapporteur : Et pour manger ?

Arnaud : Le soir, ici, on m’offre le repas.

Le rapporteur : Et le midi ?

Arnaud : Je ne mange pas. Le Crous m’a dépanné deux ou trois repas.

Le rapporteur : Le petit-déjeuner ?

Arnaud : Ah non, je ne connais pas. Avant que le FJT [foyer jeunes travailleurs] m’aide, ça faisait une semaine ou deux que je n’avais pas mangé.

Le rapporteur : Comment tu faisais ?

Arnaud : Eh bien, je ne faisais pas.

 

 

Même pour les jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance (ASE), se retrouver une famille, au moins un bout, ça fait la différence :

 

« Sans ma grand-mère, je ne suis rien. »

Lucas, étudiant en histoire et en arabe, Paris

 

Lucas : Je loge au CROUS. J’en ai pour 200 euros de loyer grâce aux APL.

Le rapporteur : Il te reste donc 360 euros ?

Lucas : Ouais environ. Moi, j’ai toujours un loyer d’avance, au cas où, s’il y a un souci avec les APL, c’est une de mes peurs, ne plus pouvoir subvenir à mon loyer… Mais il faut ajouter l’aide de mes grands-parents, qui n’auraient jamais dû m’aider à ce point-là.

Le rapporteur : Pourquoi tu dis ça ?

Lucas : Parce que je ne les connais pas depuis longtemps. On est parti à leur recherche quand j’allais avoir 18 ans, pour qu’ils m’accueillent quand on m’aurait viré, et au final, l’État et l’ASE se sont complètement dédouanés sur eux. Du coup, ma grand-mère m’a aidé à payer pas mal de choses, l’électricité au début, elle me donne un petit billet chaque mois… Alors qu’elle a une retraite complètement dérisoire.

Chercher le logement, je l’ai fait tout seul à mes 17 ans. Heureusement, j’avais ma grand-mère derrière moi, elle m’a donné l’argent pour démarrer. Sans ma grand-mère, j’avais rien. Pendant ces jours où j’avais vraiment très peur, c’était moins pire que d’avoir vraiment rien. Au final, plus tard, ma bourse est tombée et j’étais beaucoup plus serein. Quand on ne peut pas compter sur des parents, c’est énorme.

Le rapporteur : Avec ces 560 euros, tu es dans le rouge ?

Lucas : Je suis dans le orange foncé si vous voulez. Parce que ma grand-mère, chaque fois que je vais la voir, me dit « si t’as besoin… », et parfois elle me fait même un virement parce qu’elle s’inquiète, un virement de 100 euros. Sans ma grand-mère, je ne suis rien.

 

 

Parfois, c’est la copine, et sa famille, qui offrent un radeau de sauvetage :

« Je dormais à la gendarmerie en garde à vue »

Marc, en garantie jeunes, Abbeville

 

Marc : À mes 18 ans, après l’ASE, dans le Sud, je suis allé à l’hôtel. Je payais en faisant des conneries : je ravitaillais les gens pour qu’ils viennent chercher du shit au quartier.

C’était la galère de faire ça, c’est long. Avant minuit, vous ne rentrez pas chez vous. J’arrive à 11 heures du matin, 11 heures pétantes sinon vous vous faites casser le nez. Je prends mes papiers. Il me dit mes horaires, ce que j’ai à faire. Et puis moi, je fais. Donc le plus souvent, je prends un vélo et je tourne dans toute la rue. Et puis dès que je vois quelqu’un, je vais le voir, je lui dis : « Si tu veux quelque chose, c’est là-bas. »

Après, ma mère m’a appelé parce qu’elle était malade. Du coup, je suis remonté dans le Nord et deux mois après, elle est morte. Et après, c’était la merde. J’avais plus rien. Mes économies, c’était fini, je les avais cramées depuis longtemps là. J’avais rien. Je me suis débrouillé.

Le rapporteur : Mais donc tu dormais où ?

Marc : Parfois c’était bien, il faisait chaud dehors. Et parfois, je faisais une connerie comme ça je dormais à la gendarmerie en garde à vue.

Le rapporteur : Et comment tu mangeais ?

Marc : J’allais dans les magasins et je prenais des trucs à manger. Jusqu’à ma rencontre avec ma copine, juste avant le confinement. Son père m’a dit que je pouvais rester donc je suis resté. J’y suis encore.

 

Les jeunes vivent assez largement, et assez longuement, aux crochets de leurs parents. Et avec une culpabilité, qui rôde, qui semble partagée – de la jeunesse des quartiers aux mieux dotés :

 

« Jamais ils ne m’ont dit : ‘Tu me déranges’ »

Malik, sans emploi, Amiens-Nord

Malik : J’ai 23 ans. Je suis allé jusqu’au BTS. Après, j’ai travaillé pendant quatre ans, à droite, à gauche, à l’usine, mais sans assez d’heures pour débloquer mon chômage.

Le rapporteur : Là, vous vivez chez vos parents ? Vous avez le sentiment de peser financièrement ?

Malik : J’aurais aimé avoir ma situation, un petit appartement. Je ne veux pas porter d’injures à mes parents, mais vous avez compris. Ils ne me le diront pas clairement, parce que je suis leur fils. Jamais ils ne m’ont dit : « Tu me déranges. » Je sais que ça se voit, quand même : à 23 ans, sans situation encore.

 

« C’est un sacrifice, oui »

Emilien, Clément, Justine, Florian, membres du Mouvement rural des jeunesses chrétiennes (MRJC), Amiens.

 

Émilien, prépare un concours de policier : Recevoir de l’argent tous les mois, ça me fait culpabiliser énormément. Je pense à mon père qui est ouvrier, qui a commencé le travail assez tôt, qui était dans un domaine assez manuel. Mais il s’est émancipé très vite. Et je me dis : « Ben, mince, à son âge, je me cherche encore. J’ai un boulot étudiant. » Pour moi, je sais que ça m’a pesé un moment, et je suis bien content d’avoir trouvé mon boulot cette année. Ça me fait souffler un peu, je culpabilise moins.

Le rapporteur : Vous aviez le sentiment que vos parents faisaient un sacrifice pour vous et votre frère ?

Émilien : Sacrifice, ouais ! C’est quand même une dépense, une grosse dépense, un gros projet.

 

Clément, en master de science du langage : Moi, j’ai de la chance d’avoir des parents qui me disent : « Tout ce qui concerne tes études, on paye ». Sauf que là, ce sentiment apparaît un peu fort. Ça me gêne qu’eux payent tout, tout ça, même si je me rends compte de ma chance, que mes parents ne soient pas regardants. Par exemple, je voudrais une formation à la langue des signes, parce que je m’intéresse à cette langue, sauf que ça a un certain prix. Ça me gêne aussi qu’ils payent tout ça, plus déjà l’argent qu’ils me versent par mois...

 

Justine, responsable du MRJC 80 : Pour rebondir, mes parents m’ont aidée pendant mes études, et puis, surtout, j’ai mis un an avant de trouver du travail. Et avec le confinement, je suis retournée chez mes parents. Ça fait un peu échec de ne pas pouvoir trouver du boulot direct. Maintenant que je suis salariée du MRJC, ça va mieux ! Évidemment ! C’est quand même un poids en moins. Un poids en moins, oui.

 

Cette dépendance de la jeunesse est la marque, pour tous les sociologues, d’un « familialisme français ».

Cécile Van de Velde a comparé les politiques européennes, danoises, anglaises, italiennes, espagnoles, etc. « Au nord, dans les pays scandinaves, protestants, l’autonomie est plus précoce, les aides sont socialisées, versées à l’individu jeune, dès sa majorité. Au sud, dans les pays latins, catholiques, on quitte le domicile parental plus tard, et c’est légitimé par une tradition. En France, on partait plus tôt. Mais comme, côté emploi, l’entrée dans le travail s’est compliquée, comme il faut obtenir le bon diplôme, les familles acceptent une dépendance prolongée, mais qui n’est pas si bien vécue que ça. On voit que la solidarité familiale est en train d’atteindre ses limites. Même pour des jeunes de milieux aisés, aller solliciter la famille au-delà de 23, 24, 25 ans… Mais comme, pour l’instant, on ne construit pas de solidarité sociale…

Une spécificité française, c’est l’ampleur de l’aide financière des parents, notamment des milieux aisés, de ceux qui peuvent se le permettre. La famille, le milieu d’origine pèsent énormément sur les parcours, doublement. D’abord, à cause du poids du diplôme, de la compétition scolaire, de la reproduction culturelle. Et s’y ajoutent, en plus, des politiques qui dé-familialisent peu : c’est-à-dire que même pour les revenus, les aides sont liées à la famille. On verse beaucoup d’aides, soit par les allocations, soit par la défiscalisation, mais ça passer par le foyer, par la famille.

Pour faire bref, la jeunesse française souffre de politiques qui sont très paternalistes. Et pourtant, si on les écoute, dans les entretiens, les sondages, ce serait de plutôt le « modèle du nord », une aspiration forte à l’autonomie individuelle. Et donc, effectivement, il y a un décalage croissant. »

Au-delà du « décalage », c’est une injustice immense : toute jeunesse populaire est abandonnée.

Car la « solidarité familiale », louable, souhaitable, noble, c’est avant tout une « inégalité familiale ». Qui trace comme un fossé, comme une fracture : entre ceux qui sont aidés et ceux qui ne le sont pas. Entre ceux qui sont soutenus beaucoup et ceux qui le sont peu. Entre ceux qui, dans leur envol, sont accompagnés, et ceux qui doivent se débrouiller…

 


Face à l’emploi

C’est l’autre pilier pour les ressources, après la famille, avec la famille : l’emploi.

 

« Tous les parents souhaitent que leur enfant trouve un travail. »

Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’insertion, 18/04/21.

« À 18 ans ce qu’on veut c’est un travail. »

Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, le 15/01/2021.

 « Nous disons oui à l’accompagnement vers l’emploi. »

Élisabeth Borne, ministre du Travail, le 24/02/2021.

 

Sans emploi, point de salut.

Les jeunes doivent en trouver, se débrouiller, s’insérer. S’insérer sur un marché du travail devenu un champ de bataille, et féroce notamment avec les « entrants ». S’insérer par la porte étroite de l’intérim, passage obligé pour les peu qualifiés : 60 % des intérimaires ont moins de 35 ans.

Il faut avoir mené cette expérience : accompagner un jeune dans sa tournée des agences. Il faut l’avoir fait une fois, pour saisir cette paisible violence.

 

« Mon CV, j’ai honte... »

Ryad, en quête d’une mission, Amiens

Ryad tripote sa pochette. Pleine de CV, sa pochette. Plutôt vierges, ses CV : un « stage en mer », un « baccalauréat STI », « 3 jours chez Citroën dans le cadre du BEPC », un « DEUG d’Espagnol » avorté, et des « travaux saisonniers en castration du maïs ». Le tout tient sur sept lignes, artistiquement espacées.

Devant l’entrée de CAPAC, sur la zone industrielle, on attend qu’une secrétaire nous reçoive. Aucun triomphe en vue, mais bon : qui ne tente rien n’a rien. « Ne fume pas là, lui conseille un gars. Le grand chef vient de passer, il n’aime pas l’odeur. Et c’est lui qui trie… » Il écrase son mégot dehors. « J’ai choppé la crève, poursuit l’autre, à cause de la surcharge : des samedis matins, des week-ends, des nuits entières, on n’arrête pas avec l’inventaire. » Cette surcharge ranime, chez nous, une lueur d’espoir. Vite éteinte : la dame nous « accueille » entre le seuil et le couloir. Ryad avance dans son bureau, d’un pas, mais non, on ne s’assied même pas, il lui tend un CV, « j’aimerais bien… » qu’il bredouille, « je me propose pour… », il tripote sa casquette Roland Garros. Elle attrape la feuille, de la négligence plein le poignet. Un coup d’œil rapide, seul le vide retient son attention. Elle dépose le papier sur un siège : « On verra. Maintenant, ils reprennent les mêmes. » Échec. Moins d’une minute montre en main.

« Mon CV, j’ai honte, lâche Ryad entre ses dents. Je leur amènerais un papier blanc, c’est pareil. » Ses vingt-trois ans approchent, et il voudrait quelques économies pour une voiture, s’installer avec sa copine qui sait, avancer dans la vie quoi. Mais ça patine côté boulot. Juste une fois, une boîte d’intérim l’a contacté, un dimanche soir, à dix heures : « Fallait que je sois, le lendemain matin, à la déchetterie. J’étais trop content. Je courais voir si je retrouvais mes chaussures de sécurité, et un quart d’heure après ils m’ont rappelé : ‘C’est mort. On a quelqu’un.’ » Il a glandouillé l’an dernier à la fac, boursier sans illusion, n’assistant guère aux cours et encore moins aux examens. Ses copains, les casés, sont rentrés dans les usines grâce aux pères. Le sien a terminé sa carrière au chômage : un bon piston pour rien du tout…

Arrêt suivant : ADIA-Valéo. « On n’a rien pour l’instant, mais vous pouvez nous laisser ça. ». Dans un coin, Ryad remplit un formulaire, rend sa copie. La tournée continue, Crit, Supplay, Manpower. Les devantures promettent beaucoup, on recherche des agents de ligne, il paraît, de maintenance, de production, etc. À l’intérieur, c’est chaque fois la même scène : un homme, ou une femme, scrute le papier, à la recherche d’une ligne probante. Ryad se gratte la nuque, de la gêne. Il ne vaut rien. Zéro. Il le sait. Voilà sa valeur, aujourd’hui. C’est limpide. Et pourtant, il a obtenu son baccalauréat, sans brio, non, mais c’est un bout de chemin, déjà : ses parents ne savaient ni lire ni écrire. L’homme, ou la femme, relève la tête, dubitatif. Ensuite, ça dépend des employés. Certains, gentiment, tendent un dossier : « On vous appellera, au cas où. » Ils n’appelleront pas. Ils n’ont pas appelé. Chez ONEPI, on l’interroge après le survol d’un CV guère éloquent : « Et vous voulez travailler dans quoi ? » Ce que vous voulez, ce que vous avez. Mais ils n’ont pas grand-chose, et rien pour lui. Chez Adecco, la responsable ne prend même pas le CV. Mince, c’est le minimum de politesse.

Ces agences ont poussé comme des champignons : en 1985, Amiens en comptait sept, onze en 1990, trente-six aujourd’hui. C’est un point de passage obligé pour les jeunes peu qualifiés, la porte d’entrée dans le monde du travail, bien avant l’ANPE. Étroite, la porte, et froide : les refus ne sont accompagnés, ici, d’aucune offre de formation, projet professionnel, plan de financement, etc. qui relanceraient le candidat éconduit sur de nouveaux chemins.

Juste un marché aux bras.

Le taux de chômage des jeunes, en France, s’élève à 25 % (quand ils se signalent à Pole Emploi...). Avant la crise, 1,5 million d’entre eux étaient considérés comme « NEETS » - ni en emploi, ni en formation. Pour ceux employés, 26,8 % sont en CDD (trois fois plus que la population active), 19,4 % en intérim (dix fois plus…). Et sans même évoquer les non-qualifiés : chez les jeunes diplômés du supérieur, le taux de travailleurs précaires est trois moins plus élevé que chez les sans diplôme. Qui constitue encore une protection.

Il faut ces chiffres en tête, je pense, et cette séquence dans les agences, l’humiliation cachée sous ces données, pour saisir les découragements et renoncements, dits à demi-mot, sans s’étendre, par ces jeunes d’Amiens-Nord. Ils savent, ils savent d’expérience, ils savent d’avance les échecs à subir, les rejets.

« Jamais ils ne m’ont dit : ‘Tu me déranges’ »

Lounès, Hamid, Mérouane, jeunes d’Amiens-Nord au chômage

Lounès : J’ai arrêté l’école il y a deux ans. Je cherche du travail, mais j’y arrive pas.

Le rapporteur : Et vous êtes allés à la mission locale ou pas ? Vous avez vu des éducateurs qui vous diraient vous devriez essayer ça ?

Lounès : Non. Je n’ai jamais vu personne.

Hamid : Je suis à la recherche d’un emploi mais ça n’aboutit à rien, c’est tout. J’avais fait un BEP de logistique, j’ai arrêté à 17 ans.

Le rapporteur : Et tu es déjà allé à la mission locale ou pas ?

Hamid : Ouais, j’y suis parti, mais ils ne m’ont jamais rappelé. Je suis allé à Pôle Emploi aussi, mais c’est pareil, y a rien. Mission locale, ils ne m’ont jamais rappelé et puis j’ai rien.

Mérouane : J’ai fait un peu de missions à droite à gauche, d’intérim, de logistique à l’usine Amazon, manutention, tout ça. C’est des missions d’une semaine, quand une semaine une fois ils appellent pour deux jours, c’est du remplacement. En fait, ils appellent quand ils veulent. Ce n’est pas quelque chose sur du long terme. C’est toujours quelque chose qui dure pas très longtemps quoi. Oh, on nous a dit à droite, à gauche, des trois jours par-là, une semaine par-là. Mais derrière, y a pas le chômage. Et c’est pas ce qui nous permet d’avancer non plus.

 

Ces jeunes, de quartier populaire, ne sont pas « sans diplôme » : Ryad est titulaire d’un baccalauréat, Mérouane a entamé un BTS, Hamid a un BEP logistique. Mais sans emploi – on y reviendra – c’est toute leur vie qui est à l’arrêt : logement, sport, vacances, copines, c’est toute leur vie qui dépend de cette étape : l’insertion sur le marché du travail.

Le contrat à durée indéterminée apparaît alors comme un Graal, inatteignable, comme un mirage. Ainsi de Jonathan, passé chez Amazon, Médiamétrie, Mario’s Pizza, etc. et pour qui le « CDI » revient telle une obsession – au point de nous faire rire.

 

« Moi, je vois que le CDI ! »

Jonathan, intérimaire, Amiens

Jonathan : J’ai déménagé, mais sans CDI... Pour moi, c’est un CDI. Sans CDI, on n’a rien. Sans CDI, on peut pas avoir d’appartement. Là, je me retrouve à payer une maison à 700 euros parce que le propriétaire accepte. Mais toutes les aides, je me suis vu refusé parce qu’on me demande un CDI. Là, on me donne des vacations, des intérims… Mais c’est trop dur ! C’est précaire ! C’est rien ! On vous donne pas de chances. Et qu’on ne me dise pas que je ne vais pas chercher du boulot, que faut faire des études ! J’ai tout fait : le boulot, études, chercher tout seul. Personne peut me faire la morale. J’ai tout fait ! Et jusqu’au jour d’aujourd’hui, j’ai pas de CDI, rien ! J’ai fait tout ce qu’il faut pour avoir un CDI et rien. Et je sais que sans ça, c’est trop galère. Là, je me retrouve en fait avec plus rien, par exemple. Fin mai, j’ai plus rien.

Le rapporteur : Qu’est-ce que vous pensez qu’il faudrait faire ?

Jonathan : La révolution.

Le rapporteur : Oui mais pour faire quoi ? Qu’est-ce que vous voudriez ?

Jonathan : Moi je vois que le CDI. Un CDI, un truc indéterminé. Quelque chose qui nous permette d’avoir du travail. Parce que si on nous donne un travail pour nous dire au bout de cinq mois « bah voilà, c’est fini. Tiens, tes papiers, assedics », ça c’est rien.

Le rapporteur : Tu penses par exemple qu’il faudrait surtaxer les contrats précaires type intérim, CDD. Tout ça, tout...

Jonathan : Faut les enlever.

Le rapporteur : Faut les enlever ?

Jonathan : On ne fait que dépanner. Il faudrait les enlever.

 

Étudiant, brièvement, en BTS, Jonathan cumulait déjà les cours et les petits boulots : animateur le mercredi, Médiamétrie le soir. Et c’est toute une jeunesse populaire qui, sans soutien parental, ou alors maigre, même durant ses études, doit s’adonner à la course aux jobs.

 

« J’ai renoncé »

Zoé et Alexandre, étudiants, Amiens

Zoé : L’année dernière, j’étais boursière. J’avais les transports gratuits, 100 € par mois, les APL. Et puis, ma sœur a arrêté les études. J’ai perdu un point dans leur classement, et du coup, ils m’ont tout coupé. Je galère.

Le rapporteur : Comment tu t’en sors ?

Zoé: Je fais hôtesse, dans des supermarchés, ou à Mégacité, dans les vestiaires. Comme je rame dur, je me suis rendue au Crous, je leur ai expliqué : mes parents ne me donnent pas d’argent, faut que je paie le loyer, que je fasse des courses. J’avais besoin. Tu sais ce qu’elle m’a répondu ? « Vous avez l’air à bout. » Allez voir une psychologue.’ Mais il me faut des sous! Pas une psychothérapie! Je lui ai renvoyé un mail, pas un SOS, mais genre. Devinez sa réponse ? « Vous êtes allé voir un psychologue ? » Comme si, le souci, il était dans ma tête, et pas sur mon compte en banque.

Alexandre: J’étais en licence d’histoire et là, je me suis rendu compte que j’avais un rêve de gosse à portée de main: l’archéologie. Y avait un Master pro là-dessus, et j’hésitais.

Le rapporteur : Pourquoi tu hésitais ?

Alexandre: Parce qu’il y avait deux stages de trois mois, non rémunérés. C’était compliqué. J’avais déjà un prêt de 6 000 € sur le dos. Je bossais à Brico-Dépôt, au Gaumont, à la fac, dix à quinze heures par semaine, pour surnager. Et ces jobs-là, une fois en stage, éloigné d’Amiens, je devrais les lâcher. L’alternative, c’était de prendre un nouveau crédit, mais pour moi c’était hors de question. Donc, j’ai renoncé, et à la place, je suis entré chez Médiamétrie. Téléconseiller, je n’ai vraiment pas envie de faire ça longtemps...

Le rapporteur : Y en a d’autres qui se sont pris des crédits, comme ça ?

Zoé, qui lève son bras : Ma sœur est en entrée à Paris, dans une école, et mes parents ont payé pour. Après ça, ils m’ont dit: ‘On ne peut plus, débrouille-toi.’ J’ai pris un crédit de 25 000 €, pour toute la durée de ma formation.

 

« Ma difficulté, c’est qu’on a un stage »

Maxime, en master de psychologie à Amiens

 

Maxime : Ma difficulté, c’est qu’on a un stage de cinq cents heures à faire, mais il est non rémunéré, puisque « psychologie », c’est pas considéré comme « personnel essentiel ». Et dans mon centre pédopsychiatrique, on travaille parfois le samedi. Donc, ça me bloque dans mes recherches d’emploi, soit le week-end ou soit pendant les vacances aussi.

 

À l’Université de Picardie Jules-Verne, avec 54 % de boursiers, et une large majorité de primo-étudiants : c’est-à-dire que leurs parents ne sont jamais entrés à l’Université, que la plupart ne sont pas titulaires d’un baccalauréat. C’est déjà un saut d’obstacles, dès lors, que d’être arrivé là, c’est un univers nouveau à appréhender, et qui est source d’appréhension, c’est une épreuve que les épreuves. Mais voilà que, plutôt que de consacrer toute leur énergie, tout leur temps, toute leur volonté à leurs études, ils doivent gagner leur pain à côté. On leur rajoute un boulet au pied.

 

« Il y a des amphis que je ratais »

Florian, en master d’urbanisme, Amiens puis Rennes.

 

Florian : J’ai dû travailler pour payer mon loyer. Cette indépendance a un prix, qui se ressent aussi pendant les études. Il fallait parfois que je quitte un cours ou les travaux de groupe. Travailler en même temps que les études, ça a un poids, quand même qu’il faut assumer.

Le rapporteur : Vous faisiez quoi comme travail ?

Florian : Je donnais des cours de musique et j’étais serveur dans un restaurant, les deux en même temps. J’avais droit à la bourse, échelon 3, à Amiens 160 €, 360 € à Rennes, car la bourse est majorée selon la distance avec le foyer des parents. Avec les APL, la bourse, les deux salaires... j’étais à 700-800 euros grosso modo.

Finalement, j’ai réussi à valider mes diplômes. Alors que, voilà, quand on travaille dans un restaurant, à midi il faut être prêt, et parfois à 14 h le service n’est pas terminé. Donc, il y a des amphis que je ratais quasiment en entier, d’autres fois je ratais la fin d’un cours et le début du suivant. Mais je m’organisais avec mes camarades pour rester à flots.

 

Les emplois du temps, avec les temps de l’emploi, relèvent parfois de l’exploit :

 

« Je suis chez la personne à 6 h 50 »

Amanda, étudiante en anglais et chinois, Lyon.

 

Amanda : Pendant l’année, normalement, j’ai deux boulots de baby-sitter. Un le matin, à 7 h, il faut que je me lève à 5 h 30, que je prenne le bus à 6 h 20, et je suis chez la personne vers 6 h 50. Je dépose le petit garçon à l’école à 8 h 30 et ensuite, soit je vais en cours, soit je reviens ici. Et le soir, entre 16 h 45 et 18 h 45, parfois plus tard.

On a des groupes Facebook, un groupe LEA, un groupe Anglais-Chinois, un groupe par année… Et ça discute beaucoup des boulots, les bars le soir, les boîtes de nuit, les caissiers, les boulangeries le week-end…

Le rapporteur : Deliveroo et Uber Eats ?

Amanda : Non, ça, ça ne paie pas assez. Il faudrait y passer ces journées. C’est surtout des personnes en situation irrégulière, je crois.

Sur notre groupe Facebook on cause beaucoup des dispenses d’assiduité : à partir de combien d’heures on peut les obtenir ? Si on a plusieurs contrats, est-ce que ça se cumule ? Pourquoi les étudiants étrangers n’y ont pas droit ?

 

 

Dans Le Destin des générations, Louis Chauvel alertait sur des « générations sacrifiées », avec un « déclassement systémique » : « Un nombre croissant de diplômés se partagent un nombre stagnant de positions sociales confortables, dont le niveau de rétribution nette décline. » Pour Cécile Van de Velde, une autre étape est depuis franchie : « Ce qu’on est en train d’atteindre est plus existentiel. Le déclassement, il est relativement intériorisé, on ne se compare même plus à ses parents. Ce qui est en train de monter, c’est le vol de vie, l’idée qu’on ne peut plus à la fois vivre sa vie et gagner sa vie. Avec le sentiment que ‘même construire sa famille, ça devient un luxe’. »

Ce déclassement vaut dès les « petits boulots », de plus en plus petits, passant au « mini job » : « La proportion d’étudiants qui, à côté de la fac, travaillent demeure à peu près constante depuis deux décennies, analyse la sociologue Vanessa Pinto. En revanche, ce qui a changé, c’est le contenu de leurs emplois : auparavant, c’était lié à leur cursus, comme pion dans un collège, animateur, ouvreur dans un théâtre, ou donnant des cours particuliers. Désormais, il n’y a plus de lien avec le monde de l’éducation, de la culture : c’est livreur, caissier au supermarché, téléconseiller en centre d’appels… »

Avec une hausse, mesurée, documentée, des taux d’échecs.

On mesure l’injustice. Alors que les familles bourgeoises, ou simplement aisées, font de leur mieux – et on les comprend – pour que leurs enfants se consacrent pleinement à leurs études, alors qu’elles ont déjà légué un immense capital culturel, la jeunesse populaire, entrée à l’université par la petite porte, doit, elle, se débrouiller. Et souvent abandonner.

C’est un gâchis, me semble-t-il, pas seulement individuel, pas seulement pour ces jeunes, mais pour la France : en ajoutant « études + emploi », on les disqualifie, et on déqualifie le pays. Ils auraient pu atteindre un niveau de compétences, gagner en savoir et en savoir-faire, apporter davantage dans leur carrière, et pour des raisons pécuniaires, financières, ce ne sera pas le cas. C’est un investissement humain gâché.

Et je vois un autre gâchis : ces étudiants-salariés occupent, évidemment, des emplois, des emplois souvent peu qualifiés, pas forcément formidables, mais qui pourraient revenir aux « NEETS » pour mettre le pied à l’étrier.


La vie serrée

 

Cette expression, d’abord, je veux la prendre au sens propre : une vie à l’étroit, dans un espace rétréci.

 

Amanda : J’ai passé les deux mois de confinement ici, dans cette chambre.

Le rapporteur : Dans ces 18 mètres carrés ?

Amanda : Oui, j’étais déprimée, mais j’avais trop peur de ramener le virus chez moi. J’ai des proches asthmatiques…

 

Sans un lieu à soi, quand on prolonge son existence chez ses parents : 65 % des 18‑24 ans vivent chez leurs parents, et un million de jeunes aimeraient en partir, des « Tanguys » mais malgré eux et pas bienheureux. Dans un appartement bien petit, quand l’indépendance immobilière est conquise, mais que le loyer engloutit toutes les ressources : « En 1985, compare la sociologue Fanny Bugeja-Bloch, les moins de 25 ans consacraient déjà un budget deux fois plus élevé que les plus de 75 ans à se loger. Ce ratio est passé à trois fois plus aujourd’hui, un fait typiquement français. »

Vu ce poids dans les dépenses, c’est sur le logement, et sur des calculs, que s’ouvrent bien souvent nos entretiens :

Maxime : Et je n’arrive pas à subvenir à tous les besoins. Par exemple, j’ai 150 euros d’APL, j’ai 100 euros de bourses aussi. Et ça me fait 250 euros. Le logement, déjà, à lui seul, coûte 350 euros. Donc, c’est 100 euros que je dois débourser de ma poche chaque mois, du coup, finalement, 100 euros que je dois trouver, rien que pour le loyer, sans compter l’alimentation et le reste.

Loudmila : Déjà, j’ai un appartement d’un loyer de 390 euros et des APL. Donc, par soustraction, je paye mon loyer que 171 euros. Et je veux vraiment le garder parce que, pour l’obtenir, j’ai vraiment dû me débrouiller toute seule.

 

C’est qu’un « fossé intergénérationnel », là aussi, s’est creusé : « En trente ans, poursuit Fanny Bugeja-Bloch, la part des moins de 25 ans logés dans le parc locatif social a été divisée par deux. C’est un phénomène énorme : on est passés de 26 % dans les années 80 à 13 % aujourd’hui. Et seuls 2 % des étudiants sont hébergés dans des résidences universitaires. » Les jeunes, déjà plus pauvres pourtant, doivent massivement se tourner vers le locatif privé, et vers le plus coûteux du privé, dans les métropoles, à proximité des emplois ou des études. C’est un flux financier colossal : des pauvres locataires jeunes vers de riches bailleurs plus âgés (70 % des bailleurs ont plus de 50 ans).

« Dans les années 80, le coût pour disposer d’une pièce d’habitation par personne était identique chez les ménages modestes ou aisés. Mais depuis, un écart considérable s’est creusé : les plus pauvres payent aujourd’hui 2,5 fois plus que les riches pour disposer d’une pièce d’habitation par personne. Et parmi ces pauvres, bien sûr, les jeunes. C’est un phénomène nouveau, et qu’on ne retrouve nulle part en Europe. Donc ça pèse très lourd dans leur budget, ils vont devoir rogner sur d’autres dépenses de première nécessité. Et ils s’adonnent moins aux loisirs qu’il y a trente ans. Ces inégalités de classes d’âge, face au coût du logement, c’est typiquement français. »

Et de fait, une fois payé le loyer, c’est sur tout le reste qu’il faut « serrer ». Sur les besoins essentiels, comme déjà évoqué, sur l’alimentation :

 

Ilyes : Une fois que le loyer est payé, 155 euros avec les APL, il ne me reste plus rien. Pour la nourriture, des amis m’en donnent parfois, ou je cherche des magasins discount. C’est vraiment de la survie. Je ne suis plus dans la vie, là, depuis un an. Ne serait-ce qu’acheter de la viande, acheter du poisson, acheter des légumes frais au marché, ça, maintenant, c’est plus du tout possible.

Gabrielle : Mon loyer est de 850 euros, j’ai 400 euros d’APL. C’est cher, mais je me sens en sécurité, là, je me repose. Je me prive sur la nourriture. Je ne mange qu’un repas par jour, soit le matin, soit le soir. Je suis allée deux fois aux Restos du Cœur, mais comme il y avait une queue monstre, là-bas je suis partie. Je demande souvent à mes amis pour manger chez eux, et ça ne les gêne pas trop...

Sébastien : Pour la nourriture, j’ai toujours su faire avec un moindre budget, et c’est vrai qu’il y a des moments on mange pas à sa faim, ou on mange pas tout simplement. Donc quand le frigo est vide, il est vide.

Le rapporteur : Ça, ça vous est arrivé dernièrement ?

Sébastien : Ouais. Il arrive même que mon corps se soit tellement tellement épuisé à ne manger qu’une seule fois par jour que parfois je n’ai pas faim et je ne mange pas parce que l’organisme s’est habitué à pas boire ou manger à des intervalles très espacés.

 

 

Sur la santé :

 

 

Gabrielle, qui souffre d’une hémiplégie : Bien sûr que je me prive sur mes soins. Surtout de la kiné. Normalement, je dois faire de la kiné toutes les semaines... Je n’en fais presque jamais. Et là, on m’a découvert un kyste au sein qui n’était pas bénin, malheureusement. Je dois voir un gynécologue tous les deux mois, pour savoir s’il grossit ou pas, si on doit l’opérer ou pas. Je vais au planning familial, pour ne pas payer.

Loudmila : Je n’ai pas les moyens d’aller chez le médecin généraliste, ni chez un gynécologue. C’est très cher, ça monte toute de suite à quarante euros. Du coup, je vais à l’hôpital quand j’ai un problème de fille, genre une cystite, un truc comme ça. Ma pilule contraceptive me coûte 30 euros. D’ailleurs, j’ai dû prendre rendez-vous chez le dermatologue parce que là, ça devenait obligatoire, et j’ai payé 50 euros. Elle m’a prescrit des médicaments. Je n’ai pas pu tous les acheter. Y avait sept médicaments. J’en ai acheté que deux, dont un qui était remboursé par la Sécu.

 

 

Faute d’argent, le handicap n’est plus atténué :

 

« Mais il est sourd, celui-là ? »

Maxime, en master de psychologie, Amiens.

Maxime : C’est le pire, la santé. J’ai mes appareils ici, mais je suis malentendant. Là, vous parlez audiblement, donc ça me va. Mais pareil, ça a un coût. C’est 100 € par mois d’entretien, les appareils auditifs, et je ne peux plus les mettre. Ils sont là, je les ai.

Avant, c’était à demi-remboursé. Maintenant, ce n’est plus du tout remboursé par la Sécu. Ils estiment que mon handicap n’est pas assez grand pour nécessiter une prise en charge. Du coup, je ne peux pas porter mes appareils. Et ça fait douze ans que je les ai. Je ne peux pas les changer non plus puisque mes parents les ont payés. Ils coûtaient 4 000 euros et ils ont payé de leur poche 2 000 euros. Donc, je ne peux pas les changer non plus. Sinon, j’ai l’habitude de lire sur les lèvres. Mais avec le contexte de crise sanitaire, je ne peux plus. Donc d’un handicap qui devrait être personnel, je suis obligé de le dire aux gens finalement... Ça arrive plein de fois. Je me rends compte de mon handicap maintenant, depuis que je suis obligé de demander aux gens de répéter. Y avait une caissière l’autre fois qui m’a dit : « C’est bon ? Vous m’entendez ? » J’ai dit : « Oui, oui. - Vous êtes sûr, hein ? », en appuyant sur le fait que j’entendais pas, quoi. Et plein de choses comme ça, finalement : des soupirs, des « il est sourd, celui-là » aussi. Et puis sans compter des profs qui ne parlent pas fort, c’est tout de suite infernal. En stage, on est là pour prendre en charge des personnes, je leur fais répéter tout le temps. C’est pas le must, quoi.

 

 


Se loger, se nourrir, se soigner : dans cette jeunesse populaire, étudiante ou non, ces besoins de base ne vont déjà pas de soi. Alors, pour les « extras » …

 

« Sauf le dernier Avenger… »

Amanda, en master d’anglais et chinois, Lyon

Amanda : J’ai passé les deux mois de confinement ici.

Le rapporteur : Dans ces 18 mètres carrés ?

Amanda : Oui, j’étais déprimée, mais j’avais trop peur de ramener le virus chez moi. J’ai des proches asthmatiques…

Avant, je rentrais chez mes parents tous les week-ends. C’était quand ils m’aidaient, mais là ils ne peuvent plus, vraiment plus, ils ont eux aussi des galères. Donc, j’y retourne une fois tous les deux mois. Déjà, j’ai mon abonnement au TCL, les bus de Lyon, à payer, c’est 32,50 euros par mois. Mais l’aller-retour chez moi, à Tarare, 11 euros et 20 centimes avec les réductions, je ne peux pas.

Le rapporteur : Et pour la culture ?

Amanda : Le cinéma, le théâtre, je n’y vais pas… Sauf le dernier Avenger, je voulais vraiment pas le rater, j’ai mangé sur mon budget.

Le rapporteur : Mais le Crous, ils vous proposent des spectacles ?

Amanda : Non, je ne crois pas. Moi, du Crous, je reçois juste un mail en janvier : ‘faites votre dossier’, je le remplis et voilà. Peut-être qu’en allant à leur bureau physique, mais je ne les vois jamais.

Le rapporteur : Y a pas d’agents qui passent ?

Amanda : Non, et ici, il n’y a pas de parties communes, on n’a pas d’interlocuteur. Les autres étudiants, on les croise juste dans l’ascenseur. Quand je suis arrivée à l’Université, je ne connaissais rien du tout. Je ne savais pas où il fallait aller, à qui il fallait parler, j’étais lâchée dans la nature. Il faudrait des journées d’orientation spécifiques.

 

Se payer les livres pour les cours, tout simplement, relève du montage financier :

« J’ai encore plus peur pour le mois d’après »

Lucas, étudiant en histoire et en arabe, Paris

Lucas : La nourriture, je me suis restreint dessus à un moment, mais j’ai arrêté, pour ma santé. Maintenant, c’est sur les bouquins. À la fac, les profs vous disent “vous achetez ces quatre livres” et puis vous devez les étudier, et en plus, avec le confinement, on ne pouvait pas aller à la bibliothèque.

Le rapporteur : Donc, c’est sur le budget formation études, finalement, que tu as réduit ?

Lucas : Oui. Et par rapport aux livres, je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas de prêt de livres à la fac. On est tous embêtés. On est tous obligés de s’envoyer des manuels, je fais des scans pour mes camarades, que je leur envoie. On est beaucoup à être dans ce cas-là, à se débrouiller.

Le rapporteur : Tu penses que ça pèse sur la réussite de tes études de ne pas voir les manuels ?

Lucas : C’est pas seulement une question de ça, c’est une question d’avoir peur. Je perds l’argent que j’ai de côté, j’ai encore plus peur pour le mois d’après. De ne pas y arriver, de ne pas payer mon loyer

Sébastien : Les livres, j’ai souvent demandé à mes camarades de me les prêter pour pas avoir à les acheter. Je ne suis pas en Droit, encore heureux ! Mais même en Histoire, vous voyez, en 1ère année chaque prof fait la pub de son livre qu’il vient d’écrire, sachant que c’est 25-30 euros le livre, vous avez quatre livres par semestre... Voilà le compte est rapidement fait !

Maxime : Plus on monte dans les spécialisations, plus les livres sont chers, plus ça réclame des formations. J’en ai regardé un sur l’EMDR, et il coûte 50 euros. Tous les livres coûtent 50 euros. Et les spécialisés ne sont pas en bibliothèque.

 

Sans compter – et ça compte, en fait – l’ordinateur, devenu un impératif :

« Comment je vais faire cet été ? »

Loudmila, étudiante en licence de Science-politique, en rupture familiale

 

Loudmila : Peu de temps après, on a été mis en distanciel, et il fallait tout faire sur ordinateur. Sauf que moi, je n’avais pas d’ordinateur. L’ordinateur, c’est un certain coût, et je n’avais vraiment pas les moyens de me l’acheter. Donc, je faisais des allers-retours chez des amis qui me prêtaient leur ordinateur, sachant que moi, je n’ai pas d’Internet en dehors du Wi-Fi de ma propriétaire. Sur mon téléphone, je n’ai pas d’Internet. Jamais. Donc je ne pouvais pas faire de partage de connexion ou quoi.

Il me fallait un ordinateur.

Du coup, j’en ai acheté un à 390 euros, avec des paiements différés, en quatre fois. Chaque mois, je me suis retrouvée à être prise environ de 90 euros. Plus le loyer de 171 euros, plus le découvert, ça faisait une fin de mois très, très difficile.

 

 

C’est la vie, dans toutes ses dimensions, qui se trouve réduite :

Le rapporteur : Sur la culture : l’achat de livres, le cinéma, le théâtre ?

Maxime : Euh, non, rien du tout de tout ça.

Le rapporteur : Parce que ça t’intéresse pas ?

Maxime : Ah nan, pas du tout !

Le rapporteur : Des concerts ?

Maxime : Non, pas de concerts. Je viens de penser à autre chose, c’est le sport. À mon arrivée à Amiens, j’étais rattaché au club d’athlétisme. J’étais sauteur en longueur, avec un certain niveau, et donc ma licence était prise en charge. Quand je me suis blessé, j’ai perdu cette attache au pôle espoir, et j’ai dû arrêter l’athlétisme puisque, du coup, ma licence n’était plus payée. C’est 200 euros par an.

Le rapporteur : Donc du coup tu ne fais plus de sport ?

Maxime : Ben, chez moi, du coup.

Le rapporteur : Je peux te poser une question encore plus personnelle ? Est-ce, ne pas avoir d’argent, ça limite tes relations amoureuses ?

Maxime : Alors j’y ai pensé, il n’y a pas longtemps, en plus ! Et je me suis dit que ça pouvait nuire... On a toujours cette idée, on va rencontrer quelqu’un et finalement on va faire quoi ? On va manger où ? On va aller où ? Tout ça, quoi.

Le rapporteur : Tu n’auras juste à lui offrir qu’un plat de pâtes chez toi, quoi ?

Maxime : Voilà.

Le rapporteur : Et partir à l’étranger... parce que du coup tu pars jamais en vacances ?

Maxime : Non, non. Ça, pareil, c’est un rêve, mais j’y pense pas trop. Je me dis que c’est inaccessible pour l’instant.

 

 

« Les voyages forment la jeunesse », dit-on.

Sans même évoquer le bout du monde, à l’intérieur de nos régions, « voyager », ou se déplacer, n’est donné :

 

Cassandre : Depuis Noël je ne suis pas retournée chez mes parents, en Franche Comté, parce que les trains c’est cher. Je vais essayer d’y aller à la mi-avril. Je pense clairement que mes parents vont nous payer le billet de train, parce que je ne vais pas pouvoir me le permettre.

 

Là encore, c’est la famille qui subvient. Mais quand elle n’est pas là…

 

Loudmila : J’ai un stage qui arrive en mai, c’est vraiment pour moi une belle opportunité. Sauf qu’il est à Paris. Le problème, c’est comment je vais payer les transports, l’aller-retour, ou alors me loger là-bas...

 

D’autres optent pour la fraude.

 

« La seule solution, c’est de faire des gosses »

Laurelyne, en recherche d’emploi, Pas-de-Calais

 

Sur une route de campagne, à la sortie de Mamers, dans le Pas-de-Calais, j’avais pris Laurelyne en auto-stop. Je la déposerais à la gare de Lillers, où elle remonterait sur Béthune : « Je ne paie jamais mes billets. Le dimanche, souvent, le contrôleur ferme les yeux. »

Mais c’est un autre souci de mobilité qui la taraudait :

« On m’a proposé un CDI, à Metz, dans un hôtel. J’étais prête à partir là-bas, mais j’avais pas d’argent pour déménager. Pour emporter mes affaires en Lorraine, il fallait que je loue une camionnette, 250 €, et que quelqu’un me conduise. Je n’ai pas le permis.

Le conducteur : Mais ton copain, il ne pouvait pas ?

Laurelyne : Lui non plus, il n’a pas le permis. Et on vient de se rencontrer, c’est trop tôt pour demander ça à sa famille.

Le conducteur : Pôle emploi, ils ont pas une « aide à la mobilité », un truc comme ça ?

Laurelyne : Je suis allée voir. Ils ont supprimé cette aide. La dame elle m’a expliqué qu’avec tous les chômeurs, ils faisaient des économies, et donc que ça n’existait plus. Je me suis dit : « C’est pas possible, y a bien quelque chose pour moi », mais non : y a rien. Il faut que j’aie 25 ans. Avant ça, ils comptent sur les parents, sauf que moi, mes parents, il faut pas que je compte dessus…

 

Le conducteur : Tu fais comment ?

Laurelyne : J’ai reçu 50 € de la commune.

Le conducteur : 50 € !

Laurelyne : La seule solution, c’est de faire des gosses. Ma sœur, elle a 19 ans, elle vient de faire un gosse. Je lui ai dit, « c’est bon, maintenant t’auras droit aux allocs… »

J’ai pris de ses nouvelles, plus tard.

Le conducteur : Ça va ? Tu as pris des vacances ?

Laurelyne : Je voudrais bien mais j’ai pas d’argent. Je suis allée une fois à la mer, avec le train à 1 €, mais il a plu toute la journée ! Sinon, le reste du temps, j’ai cherché du travail.

Le conducteur : Et tu en as trouvé ?

Laurelyne : Je viens de terminer ma période d’essai chez Cora, c’est la mission locale qui m’a proposé ça. Ils m’ont payé 230 € les six semaines, alors que je faisais les 35 heures et tout ! C’est affolant.

Le conducteur : Et c’est terminé, là ?

Laurelyne : Oui, mais ils vont m’embaucher pendant six mois en contrat pro.

Le conducteur : Contrat pro, ça veut dire que tu as une formation ?

Laurelyne : Nan, enfin oui, mais c’est à l’intérieur de l’entreprise, pour tenir la caisse, mais j’ai déjà fait ça chez Match pendant toutes mes études. C’est pour qu’ils puissent toucher les aides, ils sont exonérés je crois.

Le conducteur : Tu seras payée combien, là ?

Laurelyne : 50 % du Smic. Et dans six mois, rebelote.

 

Dans Les Dérouilleurs, Azouz Bégag montrait l’importance de cette expérience : partir. Quitter son quartier, sa ville, se « dérouiller » de ses habitudes. Mais à un âge où le monde devrait s’ouvrir, c’est l’inverse qui se produit, que l’on produit. La vie se rétracte, se rétrécit, se réduit à la survie.

Encore, les étudiants avancent, intellectuellement, vers un diplôme, qui offre une issue sociale, une lumière à l’horizon : leurs années de privation sont un investissement. Pour les autres, l’existence fait juste du sur-place, à l’arrêt, avec des découragés, des désespérés d’avance.

 

« Jamais ils ne m’ont dit : “Tu me déranges” »

Lounès, Hamid, Rachid, Malik, jeunes d’Amiens-Nord au chômage

 

Lounès : J’ai 19 ans, je suis encore chez mes parents, j’ai pas de sous, rien.

(Je souligne le « encore », qui même court en dit long.)

Hamid : J’ai 20 ans, sans emploi je vis encore chez ma mère, je n’ai aucun revenu.

Le rapporteur : Sur les déplacements, vous avez une voiture ?

Lounès : Non même pas, rien.

Le rapporteur : Et si je puis me permettre, psychologiquement, vous vivez comment ? Vous faites quoi du coup pendant vos journées ?

Lounès : Je suis découragé. La journée je reste posé au quartier.

Le rapporteur : Est-ce que vous faites du sport ? Vous êtes inscrit dans un club ?

Lounès : Non, ça coûte cher. Si j’avais la chance, j’irais à la boxe, peut-être à la piscine, la natation, mais payer une licence tous les ans...Ça aurait été gratuit, j’y serais allé direct.

Mérouane : De la boxe, j’en faisais, plus petit. Mais maintenant, plein tarif, c’est 250 €.

Le rapporteur : Et là, vous n’avez croisé aucun animateur de rue, qui vous dit il a tel ou tel truc qui peuvent exister pour toi ?

Mérouane : Avant si, quand j’étais petit, maintenant il y a plus rien. On ne les voit plus.

Rachid : J’ai 21 ans. Chez moi, je ne fais rien, j’ai rien. Je n’ai pas de permis, je n’ai pas de voiture. Je vis chez mes parents. Mon père ne travaille pas, et ma mère elle n’a pas un salaire de ministre. Du coup, c’est dur à la maison après on s’adapte, on n’a pas le choix.

Le rapporteur : Est-ce que vous vous privez sur des choses ?

Rachid : Bah moi, je ne suis jamais parti en vacances de ma vie. C’est un exemple bête, mais je ne connais rien à part Amiens-Nord, rien du tout. La mer, des fois j’y vais avec les copains, parce qu’ils ont le permis, mais moi-même, demain, si je veux aller de moi-même, je ne peux pas. Pourtant, je vais avoir 21 ans, mais je ne peux pas.

Le rapporteur : T’as l’impression de rien faire de ta vie ?

Rachid : Moi, c’est quoi ? Je me réveille le matin, je sors, je passe la journée dehors, je rentre. Je gagne rien, y a rien qui rentre, y a rien qui sort. J’ai l’impression que je n’avance pas, j’ai l’impression que j’ai encore 14 ans. Je suis là, avec mes copains, on s’amuse, mais on grandit à côté. J’ai l’impression qu’on n’évolue pas en fait. Et ça c’est triste.

 

 

C’est un abandon qui est énoncé ici, sans envolée, sans logorrhée.

C’est tout un pan de la jeunesse qui est délaissé, parce que leurs familles ne peuvent leur offrir que le gîte et le couvert. Parce que le sport, le permis, le logement, les amours, voir la France, toute leur existence, dépend de l’emploi, l’emploi, l’emploi, et qu’ils s’y heurtent comme à une paroi.


L’État bricolage

Le PACEA, « parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie », l’AIJ, « accompagnement intensif des jeunes », l’ARPE, « aide à la recherche du premier emploi », le RSA-Jeunes actifs, le CJM, « contrat jeune majeur », l’EPIDE, « établissement pour l’insertion des jeunes dans l’emploi », les missions locales cela va de soi, le fonds départemental d’aide aux jeunes en difficulté, sans oublier le dervice civique, et bien sûr les bourses du CROUS, plus les aides d’urgence du CROUS, sans compter les aides spécifiques, au logement, à la prépa-apprentissage, au permis, à l’installation… Et tout cela, avec des durées d’engagement variables, avec des critères d’entrée fluctuants, évoluant selon les statuts et les revenus, visant des publics divers, et parfois différent selon les départements !

Pour son entrée sociale, c’est dans un « labyrinthe » que le jeune adulte doit se mouvoir. Un « maquis » admis par tous nos auditionnés :

Cécile Van de Velde : « Il y a un millefeuille d’aides qui est très complexe. On ne s’en sort pas : même des travailleurs sociaux, avec qui je discute, dont c’est le métier, trouvent que c’est difficile pour eux d’avoir en tête tous les plans jeunes qui se sont accumulés. Parce que, comme on n’a jamais voulu agir structurellement, en fait il y a un gruyère à trous. »

Karine Bugeja-Bloch, directrice d’une mission locale, Lille : « C’est très compliqué pour les jeunes, la multiplication des aides. Car ces aides varient aussi selon les départements, ça dépend du milieu associatif, etc. Et la plateforme de service civique crée aussi une complexité, au niveau des statuts, des entrées, des soutiens, des organismes référents. Et il faut ajouter la problématique des limites d’âge. »

Stéphanie, conseillère dans une Mission locale, 93 : « Des fois, on se renvoie la balle. Des jeunes vont voir l’assistante sociale, l’assistante sociale leur dit : « C’est pas nous, c’est la mission locale ». Nous, la mission locale, on n’a pas forcément tous les outils. Après, ça dépend vraiment des endroits, de la commune, du département où ils sont. Les dotations ne sont pas forcément les mêmes, les projets non plus. Par exemple, il existe une aide pour la formation, d’un montant de 500 euros. Mais on ne sait pas qui décide et pourquoi, on ne sait pas comment c’est attribué.

Le rapporteur : Ça, c’est une aide de la Région ou du Département, sur la formation ?

Stéphanie : Là, c’est du département. Alors que oui, c’est la Région qui, normalement, a la compétence. »

Nicolas Duvoux : « Vous touchez là à un point bien diagnostiqué : le degré de complexité du système des aides sociales, qui amène même à ce que les travailleurs sociaux soient eux-mêmes dépassés face à cette illisibilité. D’autant plus que les aides peuvent changer en fonction des structures, des mairies etc. On peine à apporter des aides, simplement parce que l’offre est trop éclatée et qu’elle renvoie à des niveaux administratifs, différents maillons, plusieurs acteurs… »

Cet « imbroglio » produit, forcément, du découragement chez les jeunes. L’entrée dans l’âge adulte, dans leurs droits, même réduits, se fait par un dédale administratif, par une incertitude pour leurs papiers.

 

« C’était très très très compliqué »

 

Sébastien : Alors moi, j’ai oublié de préciser : ma première année dans le supérieur, je n’ai pas eu ma bourse parce que j’ai déménagé en cours d’année... C’est là qu’on se rend compte des difficultés de l’administration.

Loudmila : En septembre dernier, à la rentrée, les problèmes sont revenus. Parce qu’en fait, j’étais au rattrapage. Avec tous mes soucis, j’avais vraiment des difficultés à me concentrer, donc, rattrapage. Et du coup mon dossier d’inscription, je l’ai fait lors de la deuxième session. Sauf que le Crous n’a pas travaillé avec l’université, et du coup, ils ont laissé en ballotage toutes les personnes de la deuxième session…

Gabrielle : Mon tuteur n’a pas fait des choses correctement. Du coup, je me retrouve sans carte vitale, sans mutuelle. Depuis mes 18 ans.

Le rapporteur : Tu n’as pas essayé de refaire ces papiers ?

Gabrielle : Si, j’ai essayé plusieurs fois, mais... enfin, c’est très compliqué. Mon tuteur était chez des indépendants, au RSI. J’étais sur le même régime, il faut que je change…

Le rapporteur : Et on ne t’a pas accompagnée pour tes droits à la Sécu ?

Gabrielle : Non. J’ai vu trois assistantes sociales qui m’ont dit que c’était très très très compliqué. Je suis en train de refaire le dossier. Ça fait quatre fois. Et là, j’ai enfin une réponse de la MDPH, donc maintenant j’essaye d’avoir la mutuelle.

 

 

Pour les jeunes en rupture familiale, notamment, ou sortant de l’aide sociale à l’enfance, on s’attendrait à un accompagnement sans faille, uniforme sur le territoire. C’est tout l’inverse : le contrat jeune majeur n’est accordé qu’à 36 % des ex-ASE. Dans certains départements, ce taux s’élève à plus de 60 %, dans d’autres c’est moins de 20 %, et cette aide se mérite.

 

« Je me suis dit : “Bon, bah, j’abandonne” »

Lucas, en licence d’histoire et d’arabe, Paris

Lucas : Chercher le logement, je l’ai fait tout seul à mes 17 ans. Normalement, l’ASE doit nous accompagner, mais moi, en Bretagne, les personnels administratifs n’ont pas voulu faire. On m’a dit: « Dans un an, tu as 18 ans, tu dois être autonome, donc tu te débrouilles. » Ma chance, c’est qu’une résidence sur Paris m’a accepté. Comme je changeais de région, normalement, j’avais droit à un « contrat jeune majeur », un accompagnement, avec une allocation, jusqu’à mes 21 ans. Il faut faire une grande lettre de motivation. Il faut se vendre, il faut dire « oh bah je suis très bon à l’école et puis mes profs sont contents et puis je veux aller dans cette ville, etc. » Ensuite, c’est vraiment à l’appréciation de l’inspecteur. Moi, ma référente m’a fait comprendre que je ne l’aurais pas, elle m’a dit: « Tu choisiras ta précarité si tu fais des études supérieures. »

Le rapporteur : « Tu choisiras ta précarité » ?

Lucas : Voilà, c’est ce qu’on m’a dit. Ma démarche de contrat jeune majeur allait juste emmerder l’administration, et pour avoir un non. Ça m’a tellement dégoûté, je me suis dit « bon bah j’abandonne » …

À la place, j’ai perçu la bourse, mais ça a tardé un peu, et je la touche seulement pendant dix mois. Parce que l’ASE n’a pas fait son travail, ni pour demander ma bourse, ni pour faire en sorte que je la touche aussi l’été. Et la personne du Crous ignorait que, comme sortant de l’ASE, j’avais droit à douze mois.

Le rapporteur : Cet été, tu ne vas pas avoir de bourse ? Comment tu vas payer ton loyer ?

Lucas : J’ai demandé une aide d’urgence au Crous et encore une fois, le Crous, qui savait que j’étais ancien ASE, ne m’a pas prévenu qu’il y avait une date limite pour poser candidature. Là, j’ai trois mois de retard et j’ai dû envoyer un message qui fait très pitié, « mais cet été comment je vais payer mon loyer ? » Je suis complètement dans le flou.

 

Ballotté de centres en foyers d’accueil, entre « sans famille » et « cent familles », ces jeunes ont connu des enfances traumatisantes. Lorsqu’ils arrivent à 18 ans, s’ils ont obtenu leur baccalauréat (pour 20 % d’entre eux, contre 53 % dans la moyenne nationale), ce sont des rescapés, des « guerriers » qui ont traversé mille épreuves. Mais sont-ils armés pour ce labyrinthe ? Voilà qui rappelle le Colonel Chabert de Balzac, rentré fourbu des guerres napoléoniennes, mais qui allait affronter sa plus longue bataille dans les couloirs des ministères…

« En apercevant le dédale de difficultés où il fallait s’engager, en voyant combien il fallait d’argent pour y voyager, le pauvre soldat reçut un coup mortel dans cette puissance particulière à l’homme que l’on nomme la volonté. Il lui parut impossible de vivre en plaidant, il fut pour lui mille fois plus simple de rester pauvre, mendiant, de s’engager comme cavalier si quelque régiment voulait de lui. Ses souffrances physiques et morales lui avaient déjà vicié le corps dans quelques-uns des organes les plus importants. Il touchait à l’une de ces maladies pour lesquelles la médecine n’a pas de nom, dont le siège est en quelque sorte mobile comme l’appareil nerveux qui paraît le plus attaqué parmi tous ceux de notre machine, affection qu’il faudrait nommer le spleen du malheur. »

 

 

Ce « dédale », ce « millefeuille », c’est un choix politique, idéologique, dans la durée.

Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la pauvreté – nommée par le Premier ministre – constate :

Marine Jeantet : Ce qui remonte, c’est que les jeunes en difficulté ont un vrai sujet d’articulation de nos dispositifs : non seulement ils ont du mal à montrer patte blanche à un organisme, quel qu’il soit, que ce soit la mission locale ou autre, ils n’ont plus confiance en personne. […] On est très fort dans l’administration pour fermer des dispositifs très segmentés, ou pour changer de référent à chaque fois et à vous de vous débrouiller.

Comme si cet empilage de « dispositifs » était le fruit, naturel, de « l’administration ». Non, le Gouvernement sait être clair, simple, pour baisser les cotisations à toutes les entreprises, pour instaurer la « flat tax » pour tous les actionnaires, etc. Ce « maquis », il est choisi, voulu, inscrit dans la durée.

Tom Chevalier : Ce problème de lisibilité est complètement lié à une logique de citoyenneté refusée. Comme, à l’inverse des pays nordiques, on ne reconnaît pas le jeune comme pleinement adulte, comme on repousse sa majorité sociale, il y a un trou. Il n’y a pas l’accès au droit commun en dessous de 25 ans. Et donc, l’État ne fait pas rien, mais l’État met en place, à chaque fois, des dispositifs ad hoc, dérogatoires au droit commun, pour telle ou telle situation précisément, ça change en fonction des gouvernements, des prestations différentes selon les différents profils… L’absence d’accès au droit crée cette superposition, cette accumulation des dispositifs, complètement illisible pour les jeunes, avec beaucoup de non-recours.

C’est que l’État est pris dans une contradiction : le jeune est suspect de paresse, c’est par l’emploi qu’il s’en sortira, à sa famille de s’en charger… autant de bonnes raisons de ne pas l’aider. Mais l’évidence embarrasse : la moitié des pauvres ont moins de trente ans. D’où le besoin de combler, à la place d’une couverture universelle, par des dispositifs, spécifiques, circonscrits, pour ne pas « installer dans l’assistanat », et comme ces dispositifs comptent des trous… on ajoute d’autres dispositifs !

Le RSA à 25 ans, l’exclusion, choisie, maintenue, des 18-24 ans, est la marque, évidente, de cette « citoyenneté refusée ».

À la place, est donc instauré le « RSA jeune actif », mais à condition d’être parent isolé, ou d’ « avoir exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans à temps plein (au moins 3 214 heures) au cours des trois ans précédant la date de votre demande », mais bien sûr « les périodes de stage ne sont pas assimilées à des périodes d’activité », même si sont valables « les heures d’activité accomplies dans le cadre d’un contrat de volontariat dans les armées, sauf les heures de formation »… Bref, avec tant de critères et de conditions, à l’arrivée ce RSA jeune actif compte... 734 bénéficiaires ! 734 ! Pour une mesure nationale !

La crise du Covid, c’est bien sûr l’occasion d’inventer de nouveaux « dispositifs » ! Ou d’en ressusciter.

Ainsi de l’ARPE, l’aide à la recherche du premier emploi. Le Gouvernement l’avait supprimée en 2019, il la remet sur pied en février 2021 : réservée aux anciens boursiers, elle leur octroie, durant quatre mois après leurs études, 70 % de leur bourse. Avant 2019, c’était 100 %… y a pas de petites économies.

 

 

Cassandre : J’ai fait la demande [de l’ARPE], mais j’ai eu la réponse hier : refus car je suis déclarée en tant qu’auto-entrepreneure. Donc, même si je déclare un revenu de 0 euro, pour Pôle emploi, je ne suis pas immédiatement disponible pour occuper un emploi. Ça m’aurait fait 177 euros par mois. C’était vraiment une bouée de secours quand j’ai vu la création de cette aide-là. Mais en fait, je n’ai toujours pas le droit à ce qu’on m’aide.

 

Ainsi, également, de l’« aide à l’installation » : à peine lancée, en février aussi, elle fut… annulée le même mois !

 

 

Ilyes : Je m’étais renseigné, parce que je vais déménager et le gouvernement a mis en place une aide pour les jeunes travailleurs qui déménagent. Je voulais la toucher, c’est quand même mille euros. C’est une somme, quoi ! J’ai commencé à faire les papiers, tout ça, sauf que l’aide a été complètement retirée. Il y a eu trop de demandes. J’aurais pu toucher ces mille euros, et ma copine aussi, mais au final, non.

 

Et enfin, et surtout : la « Garantie jeunes », dont les effectifs ont doublé (et tant mieux), étendue de 12 à 18 mois (et tant mieux), mais que le Gouvernement présente comme un remède quasi-miracle, qu’il qualifie volontiers d’« universelle » ! Comment cette aide serait-elle « universelle », alors que le nombre de places en est limité – à 200 000 pour 2021 ? Alors que les étudiants en sont exclus ? Alors que le pays compterait 1 380 000 NEETS, des jeunes « ni étudiants, ni employés, ni stagiaires », dont un tiers en grande précarité ? Alors que tout travail à côté, toute formation, sont interdits, y compris des heures d’autoentrepreneur ? Alors qu’il faut ne viser qu’un but l’emploi, l’emploi, l’emploi, avec des jeunes qui ont parfois, d’abord, des soucis de famille, de logement, de santé à résoudre ?

Car bien sûr, ici encore, on a maintenu nombre de critères. Comme l’indique le site :

« Pour avoir droit à la garantie jeunes, vous devez remplir des conditions d’âge, d’indépendance, d’activité et de ressources. Vous pouvez tester votre situation, et savoir si vous êtes éligible à la garantie jeunes : » Et d’offrir l’accès à un « simulateur ».

Je l’ai testé pour vous.

« Vos parents paient des impôts ? », si vous répondez « oui » un message s’affiche : « D’après les informations que vous avez complétées, vous ne remplissez pas les conditions pour bénéficier de la Garantie Jeunes », et sans s’informer sur ses liens familiaux, sur le versement ou non d’une aide. « Êtes-vous inscrit dans un établissement scolaire (collège, lycée, université...) ? », si oui, le même message, sans savoir si le jeune a décroché, ou quelles sont ses ressources. « Suivez-vous une formation ? », si c’est « oui », c’est encore non, quand bien même cette formation n’est pas rémunérée. « Avez-vous un emploi ? », un « oui » et vous voilà rejeté, et même pour quelques heures d’auto-entrepreneur ou d’Über-Eats, semble-t-il. « Vous recevez l’indemnité de service civique ? », alors le même sort vous est réservé…

Cette garantie jeunes est, par ailleurs, limitée dans le temps. Et ne permet donc pas de mener, dans la continuité, un projet.

 

« On est sans cesse guidé par la peur »

Alix, intérimaire-chômeur, Nord

 

Alix : Pour vivre, j’ai trouvé des petits boulots dans la restauration. J’ai fait onze mois en tout. C’était très précaire, des contrats à la semaine, ou pas de contrat du tout… Du coup, pour trouver un logement, c’était compliqué. Alors, j’ai décidé d’arrêter. Je me suis retrouvé sans rien, sans allocations ni rien. Quand j’ai demandé le chômage, on m’a dit non, que je n’y avais pas droit, et on m’a réorienté vers la garantie jeune.

Le rapporteur : Et vous avez essayé cette garantie jeune ?

Alix : Oui, je l’ai commencée en 2016. Mon projet, c’était de faire valider un DEAU, une équivalence du baccalauréat. Derrière, je voulais, je veux toujours, faire une alternance en HSE, « Hygiène, sécurité et environnement ». En gros, c’est pour faire cadre dans l’industrie, s’assurer que les mesures sont bien respectées. Depuis que je suis jeune, je travaille dans des usines, on est dans une région d’usines, et ce poste m’a toujours intéressé.

Avec la garantie jeune, je devais toucher 500 € par mois et en même temps me former, valider ce diplôme. Sans le bac, je ne pouvais pas faire d’alternance en HSE.

Le rapporteur : Vous avez pu valider votre DEAU, donc ?

Alix : Non, pourtant tout se passait plutôt bien, j’étais à l’université de Lille 1. Le problème, c’est que ma garantie jeune, elle commençait au printemps, et elle ne durait qu’un an. Mon DEAU, ça a débuté en septembre, et il fallait un an et demi pour l’obtenir. Donc, je n’ai pu valider que la première partie : six mois. Et je suis reparti bosser à l’usine.

Le rapporteur : Vous n’avez demandé une extension de la garantie jeunes ?

Alix : On m’a dit non, et je suis retourné travailler. Pourtant, quelque mois après la fin de ma garantie jeunes, la même conseillère de la mission locale m’appelle : « Dans 3 mois, si vous voulez, vous pouvez recommencer une garantie jeune ». Si elle me l’avait proposée tout de suite après l’ancienne, j’aurais pu valider mon DEAU. J’ai quand même accepté, parce que ça me faisait un petit revenu.

Le rapporteur : Tu as finalement passé ton DEAU ?

Alix : Non, je me heurtais au même souci : je ne pouvais pas le valider, puisque les dates ne collaient pas avec la garantie jeunes. J’ai donc fait de l’industrie et de l’intérim.

Le rapporteur : Le DAEU, tu as abandonné l’idée ?

Alix : Non, mais j’attends encore quatre mois, d’avoir 25 ans, de pouvoir enfin être au RSA. Une fois que j’aurai le RSA, je pourrai me remettre au DEAU. Ça me fera une sécurité.

 

Cette multiplication des « dispositifs », avec des critères et des conditions, le gouvernement s’en fait une fierté : il s’agit de faire du « cousu main », du « sur mesure », du « cas par cas ». La secrétaire d’État chargé de la jeunesse et de l’engagement concède, certes :

Sarah El Haïry : « Il y a effectivement beaucoup de dispositifs, y a beaucoup de parcours et parfois, il faut un doctorat politique jeunesse pour trouver son chemin. Mais c’est pour ça qu’il ne faut pas aller vers la simplicité : au contraire, il faut donner les moyens humains aux conseillers qui accompagnent ces dispositifs, de les faire vivre, d’y répondre. À chaque fois qu’on crée un dispositif, c’est au contraire pour permettre à chacun d’avoir la meilleure réponse pour lui. Moi, je ne veux pas d’un nivellement par la généralisation et par le bas, mais au contraire, d’outiller et doter l’information jeunesse, le réseau d’information jeunesse, ceux qui aident dans le fléchage.

C’est extrêmement assumé de dire que chaque jeune n’a pas les mêmes besoins. Je suis obligée de le rappeler, mais un jeune qui aujourd’hui est étudiant n’a pas les mêmes besoins qu’un jeune qui veut entrer sur le marché du travail. Tu ne vis pas de la même manière la crise quand tu as des parents qui t’aident et qui peuvent t’aider, quand tu es en situation de précarité économique parce que tu es en galère à cause des jobs d’été ou des jobs étudiants qu’il n’y a plus. Et c’est là où le fait d’individualiser l’accompagnement, c’est personnaliser la réponse. »

« Tous les jeunes, nous répète-t-on, ne se ressemblent pas, chacun a ses problématiques, spécifiques… »

Certes, certes.

Mais toutes les entreprises ne se ressemblent pas, loin de là, le bistro du coin n’est pas Total. Voilà qui n’a pas empêché, et en urgence, et pour toutes, de dresser des mesures de sauvetage : le prêt garanti par l’État et le chômage partiel.

Tous les malades ne se ressemblent pas, un diabétique n’est pas un asthmatique, une naissance n’est pas une fin de vie. Voilà qui n’a pas empêché de créer la Sécurité sociale, pour toutes les Françaises, tous les Français.

Toutes les personnes âgées ne se ressemblent pas. Voilà qui n’a pas empêché de mettre en œuvre, et pour toutes, dans leur diversité, les retraites et le minimum vieillesse.

Tous les salariés ne se ressemblent pas. Voilà qui n’a pas empêché d’instaurer les congés payés.

Etc. Etc.

Et parce que « tous les jeunes ne se ressemblent pas », voilà qui empêcherait un filet de sécurité commun ?

C’est que, pour ne pas agir, le Gouvernement, et je dirais « les gouvernements » - car ce n’est pas une nouveauté – les gouvernements jouent sur une confusion : certes, la jeunesse, les jeunesses, que chaque jeune, avec ses « problématiques spécifiques », réclame un accompagnement personnalisé, « sur mesure », « cousu main » : cela va de soi. Mais ça n’est pas aujourd’hui le cas, loin de là.

Les secours, en revanche, l’assistance contre la pauvreté, ce n’est plus de la broderie au cas par cas : c’est un gros drap tendu, qui doit recevoir chacun, en cas de besoin.

Et le « cousu main » ressemble surtout à du bricolage :

Le rapporteur : Pour la garantie jeunes, alors, par exemple, qu’est-ce que vous entendez par « universelle » ? Parce qu’il y en avait cent mille en théorie l’année dernière, seulement 67 000 obtenues. Pour l’année prochaine, vous en visez 200 000. Mais 200 000, sur cinq millions de 18-25 ans, sur 1,5 million de Neets, sur de 500 000 en grande précarité, c’est pas « universelle » …

Sarah El Haïry : À chaque fois qu’on a identifié des jeunes qui ne seraient pas éligibles, eh bien on a élargi les champs et les critères et les réponses.

Ainsi va-t-on modifier « les champs, les critères, les réponses », et charge aux travailleurs sociaux, si ce n’est aux jeunes eux-mêmes, de suivre le dernier bidouillage…

Nous avons soumis à la secrétaire d’État une poignée de cas, rencontrés nos auditions, et elle s’est prêtée au jeu, en conseillère d’insertion gouvernementale. Mais voilà qui donne lieu, on va le voir, à un grand rafistolage, à un jonglage entre les « dispositifs ».

On lui rappelle le cas de Cassandre, sortie d’un master de journalisme culturel, son embauche dans un site annulée après le Covid, StaffMe qui l’envoie comme auto‑entrepreneure chez Jakadi, des missions réduites à néant par le reconfinement, et l’aide finalement refusée.

Sarah El Hairy : Si elle est autoentrepreneur, elle a dû déclarer les revenus qu’elle touchait. Et donc, Cassandre, elle peut bénéficier du droit commun. Et donc, là, ce n’est plus Pôle emploi qui va l’accompagner, mais c’est la prise en compte des contrats et du chiffre d’affaires qu’elle a, elle, eu dans son activité d’autoentrepreneur qui a du coup été bousculée et percutée par la crise. Je vous apporte la réponse.

Le rapporteur : C’est hyper-marginal...

Sarah El Hairy : Son chiffre d’affaires ? Ben oui, mais c’était quoi la perte ? Avant elle était boursière ?

Le rapporteur : Oui.

Sarah El Hairy : Cassandre, elle sort des études, elle trouve pas son premier job. À la base, c’est l’allocation au retour à l’emploi qui a été élargi pour les boursiers pendant les 6 mois dont elle devrait bénéficier. Il se trouve qu’elle était autoentrepreneur. Donc de ce que vous me rapportez, Pôle emploi considère que ce n’est pas…. Du coup, ça ne la rend plus éligible à cette aide. Et on lui dit : bon ben, vous n’avez pas droit à ça.

Le rapporteur : C’est bien résumé.

Sarah El Hairy : Cassandre, deux possibilités. Soit c’est les revenus qu’elle avait avant, en tant qu’autoentrepreneur, qui sont pris en considération, comme tous les travailleurs indépendants et donc, c’est le droit commun qui s’applique. Et donc, à ce moment–là, c’est via le site d’impôt, puisque que c’est sur le site d’impôt personnel où on déclare ses revenus. Mais le sujet de Cassandre, en réalité, c’est quelle est la pérennité de son emploi ? Comment elle va rentrer sur le marché du travail ? Comment créer ? Comment lutter contre cette précarité ? Parce que c’est ça. Donc, finalement, il y a une inadéquation.

La seule option, pour la secrétaire d’État, c’était que Cassandre obtienne des droits, non pas comme jeune, non pas comme ancienne boursière, non pas comme diplômée d’un master au chômage, mais comme auto-entrepreneure qui a perdu du chiffre d’affaires.

Nous avons rapporté ces conseils à Cassandre, qui s’est donc renseignée auprès de l’URSSAF, qui a effectué un dossier de demande d’aide via la sécurité sociale des indépendants, sur un site dédié. « Ces démarches, je n’en avais pas connaissance, et je reste très sceptique sur le fait que ça aboutisse : et quand ? » Heureusement qu’elle dispose d’un bac +5, parce qu’on l’envoie dans un tunnel, sinon de paperasseries (c’est has been), du moins de « numériqueries » …

Maxime, lui, on s’en souvient, en Master de psychologie, perçoit 100 € de bourse, rien de ses parents, ne mange pas toujours à sa faim, est en stage (gratuit) dans un centre-pédopsychiatrique, du lundi au samedi, et son boulot d’été, comme animateur, a été annulé.

Sarah El Hairy : Alors, le cas de Maxime, c’est super intéressant. Aujourd’hui, il est boursier, mais il est boursier avec un petit versement 100 euros. Maxime, moi j’ai deux conseils à lui donner. D’un côté, c’est de demander le fonds d’urgence auprès du Crous. Parce que plein de jeunes, en effet, mettaient un peu d’argent de côté pendant les vacances. Donc, ça ferait le versement de 100 euros en plus. Et de l’autre côté, parce qu’il fait des études hyper-utiles, humainement et socialement dans notre pays, il pourrait aujourd’hui, Maxime, faire une mission de service civique qui peut s’adapter à ses études. Et c’est là que c’est une sorte d’accélérateur de sens aussi. C’est 680 euros par mois sur les 12 prochains mois, ce qui lui permet de finir son M2 avant de rentrer sur le marché du travail. Il peut y accéder.

On s’est, là encore, retourné vers le principal intéressé.

Maxime : « L’aide exceptionnelle, je l’ai demandée et obtenue… mais c’est 100 € par an, et non par mois ! Autrement dit, une aumône, qui ne comble absolument pas mes dépenses. Et en plus, le Crous refuse d’augmenter ma bourse car ils considèrent que je suis apte à travailler. Alors que mon stage, vraiment, me prend énormément de temps.

Et pour le service civique, qu’il faudrait donc que je mène en parallèle de mon stage, de mes études, j’ai déjà fait plusieurs demandes, mais qui sont toujours refusées. Les administrations, ou les associations, qui pourraient me recruter, quand je les contacte, elles privilégient les jeunes ayant davantage de temps libre. Moi, je suis scolarisé avec un gros emploi du temps, donc je n’ai pas le bon profil pour les services civiques.

Mais surtout, je voudrais ajouter une chose : la ministre me paraît à côté de la plaque. Elle ne connaît pas la réalité, elle pense que les dispositifs existants sont magiques, universels… »

Et c’est ce qui manque, bien sûr : de l’universel.

Tandis que cet éternel raccommodage masque mal la vérité : notre indifférence. L’indifférence de la société à cette jeunesse, à ses jeunesses, maltraitées.

 


Un contrat de générations

Il aura fallu un an, quasiment, un an de souffrance et de silence, pour qu’on apprenne, par sa femme Brigitte, que « le président est excessivement sensibilisé sur la question étudiante » (20/01/21). Un an, et à l’arrivée, des mesurettes, du rafistolage, des « dispositifs » qui s’empilent, et certains avec des enveloppes vides. Qui d’autre traiterait-on ainsi ? Qui d’autre ? Cette négligence du président, d’un président qui déclarait : « Nous n’avons pas de politique à avoir pour la jeunesse » (et qui a tenu promesse), un président qui compatissait : « J’ai vécu, quand j’étais adolescent, avec environ mille euros par mois. Je sais ce que c’est que de boucler une fin de mois difficile » (mille euros, un rêve pour presque tous…), un président qui délivrait cette offre d’emploi : « Je ne vais pas interdire Uber et les VTC. Ce serait les renvoyer vendre de la drogue à Stains » (rieuse alternative), la négligence de ce président, de notre gouvernement, traduit, je le crains, une négligence plus large, de la société.

Comment l’expliquer ?

Par un écrasement démographique, d’abord. C’est un fait absolument majeur, une inversion historique : la France compte, aujourd’hui, moins de 15‑30 ans (17 %) que de plus de 65 ans (20 %). C’est l’élément fondamental, cette nouvelle pyramide des âges : en l’occurrence, ce qui est rare n’est pas cher. Côté démographie, ce qui est rare est dominé.

D’autant que s’y ajoute un écrasement politique. Non seulement les jeunes sont moins nombreux, mais en plus ils votent peu. L’abstention y est deux fois plus importante, en moyenne, que chez les plus âgés : 73 % aux Européennes (contre 33 % chez les plus de 60 ans), 70 % aux municipales (contre 38 % chez les plus de 60 ans), 64 % aux législatives. Et même les Présidentielles ne font plus recette : 34 % d’abstention (contre 19 % chez les plus de 60 ans). Quel intérêt électoral d’engager un plan d’action, coûteux, ambitieux, pour une jeunesse qui ne se rendra pas aux urnes ? Quand le troisième et quatrième âge, eux, continuent de voter malgré le risque Covid…

On peut ainsi, à l’orée du mandat d’Emmanuel Macron, comparer deux réformes, toutes deux socialement injustes : la diminution de 5 € sur les APL qui, de facto, visait massivement les jeunes, fut validée, bien que dénoncée. La hausse de la CSG, qui frappait elle les retraités modestes, fut abandonnée face à la gronde.

Mais il y a pire, sans doute, plus profond encore, que ces écrasements démographique, politique : dans l’inconscient de la société, la pauvreté des jeunes est vécue comme normale, et peut-être même comme souhaitable. Selon l’expression populaire, « il leur faut un bon coup de pied au cul ». Ce serait comme un rite de passage : les privations, à cet âge, formeraient la jeunesse plus sûrement que les voyages, leur serviraient d’aiguillon contre la paresse, face à une jeunesse populaire toujours suspecte, à faire rentrer dans le rang. Euphémisée, la misère est alors rebaptisée « galères », qui fabrique des souvenirs, qui promet un avenir, souvent héroïsée :

« La bohème, la bohème,

Ça voulait dire

On est heureux

La bohème, la bohème,

Nous ne mangions qu’un jour sur deux. »

Aznavour et ses camarades oubliaient leur « ventre creux » par une transcendance, par une espérance, d’art et de gloire. Il faut rétablir ici la pauvreté dans sa réalité, dans sa crudité : c’est une « angoisse » qui tenaille, répétée par presque tous nos témoins, le « stress », la « peur », de ne pas payer son loyer, de perdre son logement, une « inquiétude » qui ronge constamment. C’est la nullité, ressentie, éprouvée, de ceux qui, n’ayant rien, ne valent rien, ne sont rien. C’est une traversée du désert, qui dure, sans oasis à l’horizon, sans horizon d’ailleurs, il se rétrécit – et c’est le plus frappant, peut-être, dans l’auto-récit de ces vies : à l’heure où elles devraient s’ouvrir, par des rencontres, par la culture, elles se rétractent sur la survie, elles se contractent sur l’immédiat. Ce mépris ressenti, qui conduit au mépris de soi – et je vois là une erreur, une erreur psychologique, fondamentale : comme si ces sentiments, ces ressentiments, feraient un tremplin vers l’emploi…

« Un palier est franchi », d’après Cécile Van de Velde. « Il y a dix ans, dans Le Destin des générations, Louis Chauvel alertait sur des « générations sacrifiées », avec un « déclassement systémique ». C’est-à-dire, la frustration, d’avoir investi dans sa jeunesse, et de ne pas – entre guillemets – « rentabiliser son diplôme », en termes de statut, de revenus, de carrière, de niveau de vie. Ce qu’on est en train d’atteindre, aujourd’hui, est plus existentiel. Le déclassement, il est relativement intériorisé. Donc, on ne se compare même plus à ses parents. Mais ce qui est en train de monter, c’est l’idée du vol de vie, de vol existentiel. « Même construire ma famille, ça devient un luxe ». Cette incertitude-là est vécue de façon douloureuse, d’autant plus, bien sûr, chez les jeunes écologistes, avec la crise climatique.

Et comment le Covid arrive là-dessus ? Comme un sacrifice de plus, avec une jeunesse confisquée. Avec une perte affective, de ressources, d’autonomie, et un prix en santé mentale. Toutes les enquêtes le montrent, avec un taux de dépression assez élevé, des jeunes qui payent un lourd, très lourd tribut mental aussi, face à cette crise.

Ça ne donne pas forcément une « guerre des générations », les enfants n’ont rien contre les parents qui, dans leur famille, les secourent. C’est plus l’idée d’une scission d’avec la société, parfois d’une haine envers elle, d’une colère un peu larvée.

Pour renouveler le contrat social, avec eux, il faut que la dette s’inverse. Pour moi, effectivement, on doit des choses aux jeunes générations, au moins sécuriser leurs parcours, ouvrir des perspectives, face aux chocs d’incertitude qu’ils vivent. »

Dans la même lignée, le démographe Emmanuel Todd en appelle à un « deal intergénérationnel » :

« Le virus cible largement les vieux, constate-t-il dans Marianne. L’âge moyen de décès est de 81 ans, l’âge moyen du placement en réanimation de 68 ans. La société se trouve alors confrontée à un dilemme moral insoluble. D’un côté, cesser de protéger les troisième et quatrième âges constituerait une position criminelle – et donc inacceptable. De l’autre, continuer à sacrifier les jeunes générations, isolées, en butte à la précarité, cassées avant même leur entrée dans la vie active, est tout aussi criminel.

La vérité de cette épidémie, c’est qu’elle dramatise une tendance de fond commencée depuis le début des années 1980 dans les sociétés avancées. Les choix économiques depuis quarante ans se sont faits toujours au détriment des jeunes. Les économistes qui vantent le libre-échange connaissent le théorème de HeckscherOhlin-Samuelson : l’ouverture des frontières favorise dans chaque pays le facteur de production le plus abondant relativement aux autres pays, et défavorise le facteur relativement le moins abondant. Or, en Europe ou aux États-Unis, comparé aux pays émergents, le facteur le moins abondant, c’est le travail – donc les jeunes –, et le plus abondant, le capital – détenu par les vieux. Les perdants se recrutent par conséquent chez les jeunes Européens ou Américains et les gagnants chez leurs aînés.

Et avec le Covid, l’impossible est hystérisé : à la répartition gérontocratique des richesses, le pouvoir politique ajoute pour les jeunes un enfermement sans fin. Pour l’instant, ils semblent se résigner. Ils s’accommodent d’un vélo, d’un smartphone, d’un ordinateur… et bientôt d’un mobile-home ou d’une tente, peut-être.

Aussi faut-il une négociation intergénérationnelle. Aujourd’hui, c’est entendu, les jeunes prennent à leur charge la sauvegarde des vieux, ils font un sacrifice, un de plus, héroïque au fond. Mais ils y consentent. En « échange », les vieux qui sont au pouvoir, par leur poids électoral comme par leur possession du capital, s’engagent enfin à leur préparer un monde vivable. Une révolution économique et sociale devra suivre la crise sanitaire. La dette contractée envers les jeunes devra être payée. Il faudra rembourser leur sacrifice, les libérer pour le long terme et donc tourner le dos à la politique économique qui a durant quarante ans rétréci la vie des salariés et des nouveaux entrants sur le marché du travail. Il faut asseoir la reconquête économique sur la production, l’industrie avec des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers, sur du tangible. Cela suppose de récréer des secteurs protégés par l’État, d’investir massivement dans la recherche sur la base d’une souveraineté monétaire recouvrée, autrement dit sans l’euro. Je doute que les gens qui nous gouvernent aient les ressources intellectuelles et morales pour s’engager dans cette voie. Reste que si un tel « deal » générationnel, moralement juste et économiquement efficace, n’est pas réalisé, ce que nous avons devant nous est une catastrophe historique et anthropologique qui engloutira, sans faire le tri, jeunes et vieux. »

D’où mon appel à vous, les parents, les grands-parents, vous qui êtes au pouvoir, vous qui détenez le poids électoral, vous qui possédez le capital : prenez le parti de vos enfants, de vos petits-enfants, acceptez un « contrat de génération », défendez leurs intérêts à eux, devant les vôtres.

Mais on commence par quoi ?

À coup sûr, les accords de libre-échange sont à réviser – pour les jeunes également. Et toutes les politiques structurelles, de monnaie, de logement, d’environnement, d’éducation évidemment, tous ces choix devraient être repensées pour eux.

Voilà qui est vaste.

Alors, comme premier pas, comme suggéré déjà : que l’on construise un troisième pied, plus solide, à leur entrée dans l’âge adulte.

Jusqu’ici, il y a deux piliers : la famille – avec les immenses injustices décrites.

L’emploi – mais qui, à vingt ans, ne se trouve pas en traversant la rue.

Il faut donc en ajouter un troisième, l’assumer, pleinement : la solidarité sociale, la solidarité nationale.

Et d’abord, en priorité, miser sur l’accompagnement – vraiment, pas que dans des discours ronflants. C’était une promesse, contenue à la fois dans le « I » de RMI et dans le « A » du RSA, mais une promesse vite abandonnée, ou du moins très variable, très fluctuante, très incertaine selon les départements, jugée secondaire. En témoigne, d’ailleurs, une projection officielle, effectuée par la DREES, une évaluation du coût de l’extension du RSA aux moins de 25 ans (hors étudiants) : dedans, pas une ligne ne concernait l’accompagnement, un accompagnement négligé, oublié. Un accompagnement qui nous semble nécessaire, à tout âge, pour aider les plus démunis vers les soins, vers les formations, vers le sport, vers le dehors. Mais un accompagnement qui nous paraît impératif à 18 ans, à l’âge des possibles mais aussi des incertitudes, des inquiétudes, à l’âge de se choisir un chemin.

Marie-Hélène Grard, présidente d’ATD-Quart Monde : « Sur l’accompagnement, voilà notre proposition : chacun de nous peut choisir son médecin référent, eh bien le jeune pourrait choisir la personne qui va l’accompagner. Dans les missions locales, dans les services sociaux, mais aussi dans des associations, des personnes habilitées. Et puis, on a le droit à l’erreur, c’est-à-dire que comme pour le médecin, si ça ne nous convient pas, si ça ne se passe pas bien, on peut en prendre un autre. Mais qu’il soit choisi, cet accompagnant, ça change complètement les choses. »

C’est une idée qui me paraît très stimulante : qu’à ses dix-huit ans, ou peut-être même à ses seize ans, pour préparer la sortie, chaque jeune ait un « accompagnant-référent », qui le guide dans son émancipation, qui le conseille dans son parcours de santé, de formation, de logement, de sexualité, qui l’oriente vers des structures plus spécialisées, plus compétentes, qui lui indique ses droits dans le labyrinthe...

Marine Jeantet : Ils n’ont plus confiance en personne. Donc, ils revendiquent d’avoir un « grand frère », une sorte de père en qui ils auraient confiance, qui ne bouge pas non plus.

Karine Bugeja-Bloch : C’est très compliqué pour les jeunes, la multiplication des aides. On aurait pu réfléchir à une porte d’entrée identifiée et unique.

Tom Chevalier : C’est très important, cet enjeu d’une espèce de référent pour les jeunes. C’est l’idée du guichet unique aussi, quelque part.

Sarah El Haïry : L’idée du référent de suivi des jeunes, c’est une très bonne idée et je pense que sur ce point-là, je vais vous rejoindre.

L’autre pas, plus matériel, c’est évidemment le RSA à partir de 18 ans.

Tellement évidemment.

Il est même aberrant qu’on doive le demander.

La majorité politique est à dix-huit ans : un Français peut voter.

La majorité pénale est à dix-huit ans : un Français peut être emprisonné.

Pourquoi la majorité sociale n’est-elle pas à dix-huit ans ?

Pourquoi, jusqu’à vingt-cinq ans, les jeunes sont-ils exclus du RSA ?

Pourquoi cette discrimination par l’âge ? Quelle décision politique étrange, tout de même, et qui dure : une mesure supposée lutter contre la pauvreté écarte… les plus frappés par cette pauvreté ! Elle évite ce qui devrait être sa première cible !

« Mon ambition pour les jeunes, pour nos enfants, réplique Brigitte Klinkert, ministre déléguée à l’insertion, ce n’est pas d’être allocataires. » Mais qui nourrirait cette ambition ? « Tous les parents souhaitent que leur enfant trouve un travail. » Certes, et comme si l’un s’opposait à l’autre.

Et la députée En Marche ! Sandrine Mörch rebondit : « Ce n’est pas rendre service à nos jeunes, critique de leur inculquer l’idée qu’ils formeraient une génération sinistrée, attendant la becquée. »

Et la ministre du Travail Elisabeth Borne d’insister : « En disant non au RSA jeune, nous disons oui à l’accompagnement vers l’emploi ! », comme si tel était le choix.

Mais qu’ont-elles fait, toutes ces ministres, ces députées – j’en suis convaincu – qu’ont-elles fait avec leurs enfants à elles ? Ils volaient de leurs propres ailes, à dix‑huit ans ? Que vais-je faire, moi qui en ai les moyens, plus tard, avec les miens ? Je vais leur « donner la becquée », je vais les assister, je vais les soutenir, pendant leurs études, des études que - comme tous les parents - j’espère longues. Et s’ils dépriment, avant leur premier emploi, si on les fait ramer d’un stage à un CDD en passant par un service civique, s’ils peinent à payer leur loyer, je serai encore là. S’ils ont l’envie, l’envie d’avoir envie, l’envie de mener un projet, un projet professionnel, qui les épanouisse, je serai toujours là … Mais pourquoi, ce que nous faisons pour les nôtres, nous le refusons pour les autres ? Pourquoi, quand nous le faisons-nous, c’est noble, c’est généreux, et pour les enfants des pauvres, ou des modestes, c’est tout de suite dégradant, humiliant ? La « becquée », l’« allocation » comme ambition, l’opposition au « travail »… Comme si, avec 497 € par mois, leur « ambition » dans l’existence serait atteinte ! Comme s’ils allaient se reposer sur leurs lauriers d’« assistés » !

Aucune enquête, aucune, ne montre un lien entre RSA et assistanat, abandon dans la recherche d’emploi. Et la prime d’activité a, très efficacement, chassé les « trappes à inactivité » : même un temps très très partiel, même une heure par semaine, c’est un gain. Surtout, surtout, où l’inverse est-il démontré ? Où est-il prouvé que, avec des ressources de misère, peinant pour juste se loger, se nourrir, les besoins essentiels, sans de quoi faire du sport, passer le permis, boire un verre en terrasse, traverser la France, avec une existence rétrécie, à sa chambre, à son quartier, où est-il prouvé qu’on œuvrait ainsi pour l’insertion dans notre pays ? Où est-il établi que, avec cette confiance affaiblie, en miettes, à l’orée de l’âge adulte, avec des humiliations, avec du découragement, avec des renoncements, où est-il établi que c’était le meilleur moteur vers un métier ?

Ou alors est-ce bien un calcul, rationnel, raisonnable, du capital, et de ses émissaires dans les ministères : que la jeunesse courbe l’échine à son entrée sur le marché du travail, qu’elles soient prêtes à toutes les tâches, taillable et corvéable Uber et autres Deliveroo.

Tel n’est pas mon idéal.

Mon idéal, c’est que Léa puisse essayer, et même se planter.

Léa qui, avec une mère aide-ménagère, un père ouvrier, n’a pu entrer à l’université. Mais Léa à qui est venue une idée :

Léa : On essaye de monter un projet d’éco-village avec un ami. C’est en cours, on a trouvé le terrain, on voit pour le modèle économique, on voudrait faire plein de choses dessus… Mais on reçoit aucune aide.

Le rapporteur : Là, par exemple, si tu présentes ton projet à la mission locale, ils ne t’aideraient pas ?

Léa : Non, pas du tout. C’est vraiment accès à l’emploi directement. Ses projets professionnels, on les laisse de côté dans la garantie jeunes. J’en ai fait deux fois, déjà, mais mon éco-village, ça ne les intéresse pas. On parle que de l’emploi, en fait. Y a rien du tout à côté. On est vraiment centré là-dessus. Et parler du projet ça n’a pas d’intérêt dans ce genre de dispositif.

Le rapporteur : Et t’as peur, du coup, de devoir geler l’éco-village pour chercher un vrai travail ? Pour survivre, quoi ?

Léa : Entièrement.

Ça ne marchera pas, peut-être, cet éco-village.

C’est fumeux, si ça se trouve.

Et alors ? Je suis certain que, sur cette voie, même avec l’échec au bout, même avec plein d’obstacles, Léa va apprendre plein de choses, en route : de comptabilité, de droit des entreprises, de rencontres avec des élus locaux, de jardinage, de bricolage… Et si elle est habitée par cette flamme, je ne veux pas qu’on l’éteigne, je veux qu’elle puisse briller, même modestement, même petitement. Je veux qu’on lui accorde ce temps, ce moment, pour se chercher un chemin, pour se trouver. Même avec une mère aide-ménagère, même avec un père ouvrier, elle a droit à ce temps.

Tout comme Ilyes et sa batterie.

Alexandre et son archéologie.

Alix et sa reconversion « Hygiène, Sécurité, Environnement » dans l’industrie.

Si je regarde mon parcours.

À vingt ans, j’ai vécu chichement.

Les sorties, le soir, n’étaient pas mon truc.

Mais si j’avais eu, dans les reins, la baïonnette de la misère, l’impératif économique, je n’aurais pu ni lancer ni tenir Fakir, ni faire une école de journalisme, ni publier un premier essai. Mes parents étaient là, modestement, mais constamment, pour mon loyer, pour les frais de scolarité, pour mon permis – et mes petites économies pour le reste. Et c’est ce choix, non rentable à court terme qui, sans doute, s’est révélé payant, pour que je m’émancipe, que je m’épanouisse, que je trouve mon chemin.

« L’âge des possibles ». C’est le titre d’un film de Pascale Ferran, qui m’avait plu, il y a longtemps. Ce moment où l’existence se dessine, bascule, un peu, pour le couple, pour la profession. Ça serait logique d’investir un peu sur ce moment-là, que le sentiment d’une liberté, d’un destin à esquisser, ne soit pas réservé à une élite, à des privilégiés. Comme disait Saint-Exupéry : « Faites que votre rêve dévore votre vie, afin que votre vie ne dévore pas votre rêve. »

 


—  1  —

exposé général

La présente proposition de loi entend tirer les conséquences politiques d’un constat fort et de plus en plus largement partagé : la jeunesse subit la précarité en première ligne, depuis des années, voire des décennies, et de façon encore accrue avec la crise sanitaire aujourd’hui. Et pourtant, loin d’être traitée de façon prioritaire, elle est exclue de la principale mesure de lutte contre la pauvreté : le revenu de solidarité active. Cette discrimination par l’âge doit cesser. Un revenu de solidarité active (RSA) qui suppose un véritable accompagnement, vers l’emploi, mais aussi vers la santé, la mobilité, les formations.

I.   Une jeunesse reléguée au dernier rang des priorités politiques malgré les discours

Souvent mise en avant dans les discours, rarement dans les actes, la jeunesse est victime de plusieurs crises simultanées, et ce depuis des années. Le rapporteur souhaite en souligner la gravité, pour bien faire mesurer la dette que tant d’iniquités ont fait naître.

A.   Une crise paroxystique pour la jeunesse qui en prolonge beaucoup d’autres

Le constat est malheureusement connu, faute d’être toujours pris au sérieux : « le plus bel âge de la vie », associé par certains à une forme d’insouciance et d’oisiveté, se résume pour beaucoup de nos jeunes concitoyens à une succession de « galères » multifactorielles et auxquelles peu de réponses satisfaisantes ont été réellement apportées.

1.   Une jeunesse, victime de plusieurs crises, avant, pendant et après le covid

Le rapporteur demeure frappé par le fait que si la crise actuelle touche particulièrement la jeunesse, première victime des confinements, de la fermeture des écoles et des universités, de la disparition des « jobs étudiants » et des contrats précaires, ne fait que prolonger de multiples crises pour lesquelles elle était déjà structurellement en première ligne.

a.   Une crise des ressources

Premier paradoxe saisissant, et non des moindres : la jeunesse est exclue du principal dispositif de lutte contre la pauvreté, alors qu’elle est la première victime de la pauvreté.

Le constat est, hélas, bien connu mais il mérite d’être rappelé. La première crise de la jeunesse, c’est celle de ses ressources.

Les ressources de la jeunesse : l’apport de la DREES

Les ressources des jeunes adultes sont souvent difficiles à identifier statistiquement, notamment à l’intérieur d’un foyer à l’échelle duquel les revenus sont comptabilisés dans les données de l’INSEE notamment.

C’est à partir d’une enquête beaucoup précise sur des données 2014 que la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a réussi à mieux cerner les revenus de la jeunesse, en observant deux faits saillants :

– premièrement, les ressources évoluent fortement dans cet âge « charnière », à la fois en montant et en origine ; ainsi le revenu moyen à 24 ans est quasiment trois fois supérieur à celui à 18 ans, les revenus du travail sont multipliés par huit. Et la part de l’aide familiale passe progressivement de la moitié à moins d’un dixième du revenu en moyenne sur cette même période ;

– deuxièmement, ces ressources sont extrêmement variables en fonction du statut d’activité, avec des revenus très faibles – et très similaires – chez les chômeurs et chez les étudiants, comme le montre l’histogramme suivant :

Source : DREES, 2016, « Les principales ressources des 18-24 ans ».

De l’avis des chercheurs et des statisticiens auditionnés, le phénomène de pauvreté est sous-estimé chez les moins de 25 ans car beaucoup d’entre eux dépendent encore du foyer de leurs parents, sans que l’on puisse parfaitement identifier les ressources affectées à chaque unité de consommation prise isolément. Et pourtant, même en omettant ces biais, les statistiques sont sans appel :

– les jeunes âgés de 18 à 29 ans présentent en 2018, dernières données disponibles, un taux de pauvreté monétaire ([1]) quatre fois supérieur à celui des personnes âgées de plus de 65 ans : 12,5 % pour les premiers, contre 3 % pour les seconds selon l’INSEE (8,3 % pour l’ensemble de la population) ; cet écart important est une quasi-constante en France puisqu’on le retrouvait quasiment à l’identique déjà en 1998, date de début de la série disponible ;

– les séries longues de l’INSEE permettent également de constater une tendance à la dégradation sur la longue période : située aux alentours de 10 points entre 1998 et 2006, la pauvreté des 18-25 ans n’est jamais redescendue en dessous de ce seuil, comme si la crise de 2008 avait fini par « enraciner » un nouveau surcroît de pauvreté.

Lecture : la courbe supérieure (bleue) représente l’évolution du taux de pauvreté des 18-29 ans et la courbe inférieure (rouge) celle des 65-74 ans. Les années 2010 et 2012 sont présentées deux fois dans la série en raison d’un changement de base pour le calcul des revenus.

Source : commission des affaires sociales à partir des données de l’INSEE.

 

La situation s’accentue encore en regardant, comme l’a fait l’INSEE dans une étude moins récurrente mais plus fouillée en 2018, le niveau de vie des 18‑24 ans non-étudiants. Un quart de ces jeunes sont en situation de pauvreté, chiffre qui a été repris par la déléguée interministérielle lors de son audition.

 

Le tableau suivant, initialement produit lors de la consultation sur le revenu universel d’activité (RUA) ([2]) résume bien les quatre cases dans lesquelles vivent les jeunes adultes, avec chacune son lot important de pauvres.

Les « quatre cases » des jeunes adultes

Source : délégation interministérielle à la lutte contre la pauvreté, sur la base des ressources de la concertation sur le RUA.

Ces statistiques montrent bien que la pauvreté existe dans toutes les configurations et qu’elle est particulièrement importante chez les étudiants décohabitants et, dans une moindre mesure, chez les enfants sortis d’études qui cohabitent toujours avec leurs parents (la cohabitation est alors vraisemblablement subie à cause de revenus trop faibles). Cela s’explique en partie de manière mécanique : les revenus des parents n’étant pas pris en compte, cela diminue les ressources. En ramenant les effectifs présentés à des ratios, on observe que part de la pauvreté entre ces cases oscille entre 15 % et 38 %.

Bien identifié par de nombreux chercheurs, le caractère familialiste ([3]) du système de protection sociale français s’illustre parfaitement par l’analyse plus précise de l’origine, et non du seul niveau, des ressources des 18-24 ans, comme l’ont fait Laura Castell de l’INSEE ainsi que Mickaël Portela et Raphaëlle Rivalin de la DREES.

70 % des jeunes bénéficient d’aides familiales. Les difficultés ne sont donc globalement pas liées à un manque d’entraide familiale mais au contraire à un surinvestissement de ces solidarités au détriment des aides publiques, comme en témoigne ce graphique stupéfiant produit lors de l’audition de M. Portela par le rapporteur.

 

Si le montant moyen de l’aide versée croît avec les revenus, ce qui est assez aisément compréhensible, plus surprenante est la conclusion que ce sont les parents les plus pauvres qui font les plus gros efforts par rapport au montant de leurs revenus pour aider leurs enfants (13 % du revenu pour les 10 % les plus pauvres alors que cet effort est plutôt de 8 % pour les autres déciles). Dit autrement, faute de revenu de solidarité pour les jeunes adultes, ce sont les ressources des parents, même très faibles, qui doivent être partagées avec les enfants.

Chez les étudiants, la situation est un peu différente du fait de l’existence d’aides publiques (bourses et aides au logement) qui relativisent, voire marginalisent, ces aides faibles des parents modestes. C’est ce qu’illustre le graphique ci-dessous issu, du rapport de l’Observatoire de la vie étudiante en 2016.

 

Source : Observatoire de la vie étudiante, 2016.

b.   Une crise de l’accès au logement

Bien connue dans ses effets sur le pouvoir d’achat des Français en général, la crise du logement l’est un peu moins dans sa dimension intergénérationnelle. La hausse des prix du logement et des loyers dans le parc privé, d’une part, la pénurie et l’inadaptation du parc social, d’autre part, ont participé à construire une société particulièrement injuste pour les jeunes adultes.

Ces difficultés ont été bien identifiées et documentées tant par des sociologues que par des économistes.

En 2010, Louis Chauvel faisait déjà le constat d’une régression générationnelle de l’accès au logement : « alors que les taux de propriété du logement s’étaient élevés à tout âge durant les Trente Glorieuses, l’heure est au retrait pour les moins de 45 ans » ([4]). En comparant de manière très précise l’évolution entre les années 1970 et 1990, il notait que si les taux de propriété continuaient de monter chez les plus de 50 ans, comme une prolongation des Trente Glorieuses après qu’elles se furent terminées pour ces générations, tel n’était pas le cas pour les générations suivantes, notamment les plus jeunes.

Taux de propriétaires par âge

41

Source : Louis Chauvel, op. cit.

La mécanique à l’œuvre était implacable :

– d’un côté, une hausse des prix considérable sur cette période 1973‑1995 (hausse de 136 % pour les loyers) pendant que celle des salaires n’était que de 23 % ; avec diminution des salaires pour les plus jeunes, due à la multiplication du temps partiel ;

– de l’autre, une génération qui avait accédé à la propriété auparavant et qui se trouvait épargnée par la hausse des prix, voire rentière avec des biens à louer.

Dépense annuelle pour disposer d’une pièce d’habitation
par âge du « chef de ménage » ([5])

40

Source : Louis Chauvel, ouvrage précité.

Non seulement la mécanique identifiée par Louis Chauvel ne s’est pas inversée mais elle s’est maintenue, voire amplifiée, avec l’évolution des prix du logement ces dernières années, moins sur la location, cette fois, que sur l’achat de logement.

La déconnexion avec les revenus s’est ainsi accentuée comme le montrent les statistiques de longue période du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) et de l’INSEE sur le « pouvoir d’achat immobilier » (« courbe de Friggit »). L’évolution des prix à l’achat de logements anciens n’a cessé, quasiment sans discontinuer, de monter plus vite que le revenu des ménages. Les prix à la location par rapport à ces mêmes revenus connaissaient quant à eux des soubresauts dans un « couloir » plus étroit, même si le ratio a été globalement moins favorable ces vingt dernières années que dans la période 1975‑1990.

Source : CGEDD, INSEE.

Auditionnée longuement par le rapporteur et inspirée par les travaux de Louis Chauvel, Fanny Bugeja‑Bloch a décrit ce que constituent les trois tendances lourdes qui continuent d’être à l’œuvre aujourd’hui :

– en premier lieu, un accroissement de la propriété chez les plus de 65 ans, avec une part importante de ces catégories qui sont complètement dégagées de leur crédit ;

– en deuxième lieu, une hausse continue du taux d’effort chez les jeunes, associée à une division par deux de la part des jeunes logés dans le parc social (13 % contre 25 % dans les années 1980) ; cette situation les a mécaniquement conduits, faute de pouvoir accéder à la propriété ou aux HLM, à se tourner vers le parc locatif privé ; cet afflux face à une offre limitée se traduit corrélativement par des exigences rehaussées des bailleurs, que seuls les jeunes fortement soutenus par des parents aisés peuvent surmonter ([6]) ;

– enfin, une divergence accentuée du taux d’effort des jeunes par rapport au reste de la population ; deux fois plus élevé que les autres en 1985, il serait à présent trois fois plus élevé, ce qui constitue une spécificité française.

La question est par ailleurs d’autant plus saillante pour les étudiants qui cherchent à se loger dans des centres urbains, souvent au cœur de la hausse du coût du logement.

Dans ses recherches, Fanny Bugeja-Bloch, a décrit, au-delà du caractère circulaire de cette évolution, l’incapacité des politiques publiques à mettre un terme aux inégalités que la hausse continue du prix du logement a installées.

Ainsi, contrairement à une idée reçue, elle relevait, à partir de données pour l’année 2005, que l’impact des aides personnelles au logement était deux fois plus important au Royaume-Uni qu’en France, si bien que la contrainte budgétaire des Britanniques avait diminué entre 1985 et 2005, malgré une hausse plus considérable des prix qu’en France.

Au niveau de l’ensemble de la population, la DREES rappelle également que si les aides au logement visent à 83 % les 25 % des foyers les plus pauvres et diminuent mécaniquement les dépenses nettes de logement des allocataires de 200 euros en moyenne, le taux d’effort des ménages allocataires, après versement des aides, demeure le même que celui des autres ménages : 23 % dans le parc social (24 % pour l’ensemble des ménages) et 30 % dans le parc privé (28 % pour l’ensemble des ménages) ([7]). Dit autrement, les aides ramènent les plus pauvres à la situation – difficile – du reste de la population.

Chez les jeunes adultes, les aides publiques aboutissent à un soutien paradoxal aux plus favorisés, dû à la combinaison de deux effets :

– le premier tient à la faible décohabitation des plus défavorisés (trois quarts de jeunes chômeurs ou inactifs vivent chez leurs parents) ; aider à se loger « seul » revient donc à se concentrer les moyens sur ceux qui le peuvent ([8]) ;

– le second tient aux facilités qu’offre le mode de calcul pour les étudiants dépendant financièrement de leurs parents, les revenus de ces derniers n’étant pas pris en compte dans le calcul de l’aide (voir encadré infra).

Les aides personnelles au logement en France

Certaines aides publiques au logement permettent de financer une partie du loyer et des charges pour les locataires et, dans une bien moindre mesure, les charges des accédants à la propriété. Les dépenses totales de ces différentes aides représentaient en 2018 16,9 milliards d’euros, soit un niveau très proche de celui d’il y a onze ans (16,4 milliards d’euros), pour 6,6 millions de foyers allocataires.

L’aide personnelle au logement (APL), créée en 1977, est l’aide la plus commune à la fois en nombre d’allocataires (2,9 millions fin 2018, dont 8 % de moins de 25 ans) et de montants engagés (7,6 milliards d’euros à la même date). Elle concerne les logements conventionnés avec l’État. Le propriétaire se voit alors verser directement par les caisses d’allocations familiales le montant de l’APL, limitant ainsi les risques d’impayés, en échange d’accueillir un public ciblé pour un loyer plafonné.

L’allocation de logement familial (ALF), créée en 1948, est davantage tournée vers les familles et les jeunes couples. Elle concerne 1,2 million d’allocataires pour un coût de 4,2 milliards d’euros.

L’allocation de logement sociale (ALS), créée en 1971, fonctionne sur le même principe que les APL et est versée à tous ceux qui ne peuvent prétendre ni aux APL, ni aux ALF, et donc aux logements non conventionnés. Elle concernait 2,4 millions d’allocataires en 2018 pour un coût de 5,1 milliards d’euros.

L’ALS est l’aide au logement la plus concentrée sur les ménages plus jeunes (42 % des allocataires ont moins de 25 ans), même si l’acronyme « APL » au pluriel est souvent utilisé pour qualifier l’ensemble formé par les trois aides. Parmi les différentes « APL », les jeunes touchent donc le plus souvent l’ALS et non l’APL.

Ces aides ne sont pas cumulables et ont donc chacune un public particulier, tout en partageant le même objet et certaines caractéristiques, dont leur mode de calcul.

Celui-ci est relativement complexe puisqu’il prend en compte plusieurs facteurs : le lieu du logement (il existe ainsi trois zones), la composition du foyer (l’aide est d’autant plus grande que le foyer l’est aussi), les ressources du foyer (l’aide décroît avec les moyens du foyer, qui, dans le cas des étudiants, ne comprennent pas les ressources des parents,d’où leur relative universalité ([9])) et le montant du loyer (l’aide est dégressive pour les loyers très élevés).

Depuis octobre 2017, il est déduit du montant de ces différentes aides un montant de 5 euros, sans lien avec les ressources de l’allocataire. Ce choix du Gouvernement a donc constitué une « perte sèche » pour ces dispositifs à la générosité déjà modérée.

Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2021, les différentes aides au logement sont calculées sur les douze derniers mois glissants, et non sur les revenus perçus il y a deux ans. Initialement conçue pour faire d’importantes économies budgétaires dans un contexte de hausse des revenus significative depuis 2019, pronostic démenti depuis par la crise, cette évolution devrait tout de même conduire à faire des perdants en 2021.

Source : commission des affaires sociales, à partir de la fiche n° 37 de la DREES dans Minima sociaux et prestations sociales – Édition 2020, https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications-documents-de-reference/panoramas-de-la-drees/minima-sociaux-et-prestations-sociales

Au plan des âges, ce poids plus important des aides publiques au Royaume-Uni a permis de beaucoup moins dégrader la situation des jeunes qu’en France. Fanny Bugeja‑Bloch estimait ainsi que « les inégalités d’âge françaises devant la contrainte du logement s’expliquent par l’opposition entre jeunesse locataire et seniors propriétaires non endettés » ([10]).

Alors que ces jeunes générations devraient se retourner en principe vers le parc social, la faible mobilité des occupants de ce dernier, associée à des logements familiaux inadaptés pour une grande partie des ménages de moins de 30 ans, conduit à un résultat pour le moins paradoxal : très en difficulté dans leur accès à la propriété, les jeunes sont aussi sous-représentés dans le parc social. Et doivent se retourner vers du locatif privé, coûteux... d’autant plus coûteux que plus un logement est petit, plus le prix d’une pièce est élevé.

Faisant également face à une offre très limitée, les étudiants sont au final rarement abrités par les résidences universitaires (7,3 % ([11])), ce qui conduit les plus pauvres d’entre eux à se rabattre sur des chambres chez l’habitant ou des foyers jeunes travailleurs, quand la décohabitation est envisageable.

La DREES a récemment rappelé que 64 % des 18-24 ans vivaient chez autrui, et parmi ceux-là, à 94 % chez leurs parents et à 3 % chez une autre personne de leur famille ([12]). Ces publics ne bénéficient donc des aides au logement que via leurs parents, le cas échéant. Ces chiffres devraient augmenter avec la crise qui a amplifié le phénomène de retour chez les parents (« génération boomerang »), désormais identifié par des sociologues.

Ces obstacles rencontrés par la jeunesse sur la voie du logement produisent des effets en matière de formation et d’emploi. Les coûts du logement, ou de l’incapacité à trouver à logement, partiellement pris en charge par les aides impliquent un important travail étudiant, pas nécessairement propice à la réussite universitaire, ou pour les jeunes qui sont dans des parcours d’insertion professionnelle, le renoncement à des formations ou à des emplois dont les coûts de transport sont trop élevés.

Corollairement, une amélioration de l’accès au logement pourrait déverrouiller un certain nombre de freins aux parcours d’accès à la formation et à l’emploi. Jean-Benoît Eyméoud et Étienne Wasmer ont ainsi montré que les villes où les loyers sont les plus élevés sont aussi celles où les plus jeunes peuvent le plus facilement sortir du chômage vers l’emploi privé ([13]), car ce sont les endroits où se concentrent une grande quantité d’emplois pour lesquels la demande de jeunes travailleurs est forte. On peut donc en déduire a contrario que fermer l’accès à ces zones, par un prix du logement prohibitif, est néfaste à l’emploi et à l’activité économique de ces villes (emplois vacants).

c.   Une crise de l’accès matériel aux études supérieures

Dans une société qui, plus que beaucoup d’autres, valorise les diplômes, la question de l’accès aux études supérieures est devenue cruciale. Pourtant, la question des conditions matérielles qui rendent possible cet accès semble parfois occultée, comme si l’existence même de bourses – aux montants en réalité relativement faibles – ou de la gratuité dans certains établissements d’enseignement supérieur – certains, seulement – permettait de se dispenser de cette interrogation fondamentale.

La hausse globale du niveau d’accès aux études supérieures depuis l’après-guerre ne doit pas masquer que, si progrès il y a eu, celui-ci a été très inégal et n’a pas, en tout état de cause, véritablement résorbé les inégalités qui la précédaient. C’est un cercle négatif qui semble s’être insidieusement installé : les inégalités qui précèdent l’accès aux diplômes conduisent à des inégalités de diplômes, qui à leur tour provoquent d’importantes inégalités sociales.

La première partie du constat est abondamment documentée, y compris d’ailleurs par le ministère de l’enseignement supérieur lui-même à partir d’une publication d’avril 2020 portant sur la trajectoire des bacheliers 2014. Trois ans après, soit en 2017, « la réussite universitaire en licence est fortement conditionnée par le profil scolaire et l’origine sociale de l’étudiant ». L’étude constate que, parmi les groupes qui ont obtenu un diplôme inférieur à la licence ou qui sont « en retard » par rapport au cursus normal, la part des boursiers est plus importante et que « l’origine sociale des étudiants est ainsi plus modeste » ([14]) que dans le groupe qui a réussi à valider sa licence « dans les temps ».

Les sociologues ont quant à eux identifié les difficultés de ce qu’ils appellent « l’étudiant de première génération » (EPG), c’est-à-dire celui dont les parents n’ont pas fait d’études. Ces étudiants ont aujourd’hui 1,3 fois moins de chances d’accéder en seconde année universitaire que les enfants de parents ayant fait des études, et la situation ne s’améliore pas (c’était 1,2 fois en 2006) ([15]).

Si une partie de ces inégalités peut s’expliquer par un manque de conseils et de soutien parental, il est également très intéressant d’observer le lien possible avec le travail étudiant. Celui-ci est tout d’abord extrêmement répandu comme le rappelle l’Observatoire de la vie étudiante en 2020 ([16]) :

Source : Observatoire de la vie étudiante, 2020.

Le poids de ces activités réalisées par 40 % des étudiants interrogés n’est pas neutre sur leur emploi du temps hebdomadaire, comme l’indique le graphique infra, avec une moyenne de 11 heures de travail rémunéré en plus pour les étudiants qui travaillent, compensée partiellement par 1 heure de cours et 3 heures de travail personnel en moins. Une interprétation optimiste peut consister à penser que les étudiants qui travaillent choisissent fort logiquement des filières moins prenantes, mais la ventilation par type d’études laisse aussi à penser que ce cumul, impossible dans certains parcours, ferme des portes aux étudiants qui doivent travailler pour vivre.

Au demeurant, très peu de ces activités sont en lien avec les études poursuivies – et c’est une transformation qu’a documentée la sociologue Vanessa Pinto ([17]) : la part d’étudiants travaillant n’a pas explosé depuis vingt ans, en revanche la nature de ces emplois a varié. Hier, il s’agissait de « petits boulots » dans l’éducation, dans la culture, dans des associations, c’est désormais massivement dans les services. Voilà qui n’améliore donc pas l’employabilité future des étudiants concernés, qui est peu valorisable sur un CV.

Source : Observatoire de la vie étudiante, 2020

Sondés par l’étude (cf. supra), près de la moitié des étudiants qui travaillent en font une question vitale, très au-delà d’un simple complément de ressources.

Cette intuition statistique d’un cercle vicieux « nécessité vitale – travail parallèle – échec universitaire » est corroborée par des études plus poussées, qui montrent un lien de causalité négatif entre l’exercice d’un travail salarié et la réussite en première année de licence ([18]).

D’après les organisations étudiantes auditionnées par le rapporteur, une mission a été lancée par le ministère de l’enseignement supérieur sur le salariat étudiant, qui n’aurait malheureusement pas pour objet de résoudre durablement ces problèmes.

Cette situation est d’autant plus dommageable que, seconde partie du constat : l’accès à des qualifications est hautement prédictif du futur niveau de revenus du jeune adulte, comme l’a montré abondamment l’INSEE en faisant le lien avec le taux de pauvreté (ci-dessous avec des données 2016).

taux de pauvreté en fonction du diplôme obtenu

 

Taux de pauvreté
à 60 %
(en %)

Taux de pauvreté
à 50 %
(en %)

Diplôme le plus élevé obtenu regroupé

 

 

Ensemble

12,8

7,4

Diplôme supérieur

6,6

4,3

Diplôme bac+2 (DEUG, DUT, BTS...)

6,1

3,6

Baccalauréat ou brevet professionnel ou autre diplôme de ce niveau

12,8

8,0

CAP, BEP ou autre diplôme de ce niveau

12,3

6,7

Brevet des collèges

14,8

8,5

Aucun diplôme ou CEP

20,1

11,0

Sources : Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2016.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une stimulante comparaison avec le modèle danois

Contrairement à la France, le Danemark apporte à toute personne âgée de plus de 18 ans un revenu minimum et à tout étudiant un revenu spécifique et supérieur.

Mis en place dans les années 1950, ce statens uddannelsesstøtte a pour objectif de garantir aux étudiants issus de milieux sociaux défavorisés ou de familles ayant de faibles revenus un enseignement dans des conditions égales à celles des familles plus aisées.

Ce programme ambitieux coûte au Danemark environ 3 milliards d’euros par an ([19]), et permet à ses bénéficiaires d’obtenir une aide pouvant atteindre 850 euros par mois (6 321 couronnes).

Le système est universel et indiivduel, sauf pour les lycéens de 18 ou 19 ans – qui peuvent être considérés comme des étudiants à leur majorité, pour lesquels l’aide est calculée en fonction des revenus des parents.

L’aide correspond à 70 « tranches » d’un mois, ce qui revient au financement de six ans d’études supérieures. Les « tranches » peuvent être utilisées de manière très modulable ce qui facilite les va-et-vient entre une activité professionnelle et les études, dans la limite du respect des règles sur le redoublement et l’assiduité.

Le montant de l’aide est calculé en fonction de nombreux critères, pour correspondre au mieux aux besoins. Cette aide dépend ainsi de la formation choisie par l’étudiant concerné, du moment où il commence ses études, de son âge, et de sa situation en termes de logement.

L’allocation est complétée, de droit, par un prêt (« SU-lån ») s’élevant à environ 400 euros par mois auprès de l’État. Ce prêt et l’aide se cumulent, sous le plafond global de 1 200 euros. Quelques exceptions permettent néanmoins d’obtenir une majoration, notamment le fait d’être parent ou handicapé.

Cette aide est associée à des obligations, celle-ci devant permettre aux jeunes de terminer les études et d’entrer relativement rapidement dans la vie active. L’étudiant doit suivre de manière assidue ses études et les terminer : il doit respecter les conditions d’activité posées par son école, et ne peut prendre un retard de plus de six mois sur ses cours.

Une activité professionnelle est cumulable avec l’allocation dans la limite d’un revenu maximum de 9 069 couronnes, équivalant à 1 200 euros par mois, pour les lycéens et de 13 711 couronnes, soit 1 800 euros mensuels, pour les étudiants.

Ce dispositif globalement généreux, et perçu comme tel au Danemark, incite à la fois à faire des études, tout en conservant un filet de sécurité en toutes circonstances. Il permet aux jeunes étudiants danois de chercher des stages professionnalisants, en lien avec leurs études, d’éviter ces files devant les banques alimentaires qu’a connues la France et d’avoir une des mains-d’œuvre les plus qualifiées au monde.

Source : commission des affaires sociales à partir des auditions de chercheurs et d’informations recueillies auprès de l’ambassade du Danemark.

Les revenus des étudiants demeurent fortement familialisés comme le montrent les chiffres de la DREES, y compris au regard d’une activité travaillée ou des aides sociales. Les étudiants qui travaillent retirent en moyenne de leur activité 358 euros par mois mais dans la très grande majorité des cas, l’aide parentale reste prédominante (entre 300 et 541 euros en moyenne).

Les inégalités d’accès s’accompagnent d’un renchérissement du coût des études, que les bourses sur critères sociaux prennent peu ou pas en compte. Sans prétendre à l’exhaustivité sur ce sujet complexe et multidimensionnel, le rapporteur souhaite alerter sur quelques signes avant-coureurs.

Cette augmentation concerne tout d’abord, de manière assez spectaculaire, les frais de scolarité de certaines filières privées, et singulièrement les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs. Entre 2009 et 2019, les frais dans ces écoles ont augmenté de 77 %, avec en première ligne, les frais de scolarité de HEC Paris qui ont augmenté de 98,22 %. Si on peut estimer que ces filières sont d’ores et déjà très peu diversifiées socialement, ce rythme d’évolution peut laisser craindre des barrières toujours plus fortes à l’entrée de ces écoles qui forment les futurs cadres des entreprises.

Certaines augmentations sont par ailleurs souhaitées par le Gouvernement lui-même. Ainsi, pour les étudiants étrangers non-européens, le Gouvernement a décidé de multiplier par dix les frais de scolarité à l’université en 2019 qui atteignent désormais 2 770 euros par an en licence et 3 770 euros en master. Le rapporteur espère qu’une telle évolution ne préfigure pas une réforme d’ampleur des frais de scolarité pour l’ensemble des étudiants. Et regrette que la France ne se fasse pas une fierté de former des jeunes du monde entier, mais cherche plutôt à les repousser.

De manière plus générale, les organisations étudiantes font le constat d’un coût global de la vie étudiante qui croîtrait plus vite que l’inflation (logement, complémentaires santé, frais divers) ([20]).

Face à ces évolutions, on peut rappeler que les bourses, ainsi que les plafonds de ressources qui servent à leur calcul, sont revalorisés chaque année selon des modalités définies par le ministre chargé de l’enseignement supérieur, et non « indexés » de manière automatique. Force est de constater que cette évolution est heurtée, et fondamentalement assez faible.

Ainsi, dans le tableau ci-dessous, on peut observer qu’en 15 ans, le taux de bourse de l’échelon 2 a augmenté en moyenne d’1,9 % par an, quand l’inflation était d’1,4 % en moyenne, et l’augmentation des loyers de 2,3 %.

Source : IGESR, 2020.

Alerté par l’économiste Louis Maurin ainsi que par les organisations étudiantes, le rapporteur a systématisé un peu l’analyse des plafonds de ressources pour recevoir certaines bourses. Les revenus augmentant chaque année, la (non‑) revalorisation des plafonds peut être un moyen commode d’éviter de nouveaux bénéficiaires ou favoriser des diminutions d’échelon. Or, ces plafonds fixés chaque année par arrêté n’ont pas évolué depuis 2011, alors que dans la même période, le niveau de vie médian a augmenté de près de 10 points et le SMIC de près de 14 points.

De la même manière, une comparaison entre le niveau des bourses de l’échelon 6 et le niveau de vie médian montre qu’après les hausses des années 2011‑2012, les montants « décrochent » depuis d’à peu près 2 points.

Source : commission des affaires sociales.

Les montants des bourses demeurent ainsi insuffisants pour faire face aux dépenses. En 2019, 710 000 boursiers percevaient 2,07 milliards d’euros, soit un montant moyen de 290 euros par mois sur 10 mois. Presque un tiers des boursiers (31,8 %) percevait une bourse à l’échelon 0 bis, soit un niveau de 1 009 euros par an, tandis que seuls 6,7 % des boursiers étaient à l’échelon maximal ([21]).

Dans ce contexte, la tentation de la dette étudiante est forte, alors qu’elle comporte de nombreux risques :

– celui d’aggraver encore les inégalités entre ceux qui démarreront la vie professionnelle avec des études payées par leurs parents et ceux qui devront l’engager avec de lourds remboursements ;

– celui de réserver certaines filières à certains profils sociaux ;

– celui de faire peser sur la jeunesse le coût de ses études, sans certitude sur l’accès à un emploi susceptible d’en permettre le remboursement.

Pour l’heure, le phénomène semble limité (2 % des ressources, d’après l’observatoire de la vie étudiante en 2020 ([22])) mais lorsque le prêt constitue une ressource, celle-ci est relativement importante (479 euros par mois).

Cette inégalité de l’accès aux études est à la fois explicative des inégalités de destins, et un facteur de doute et d’anxiété pour une jeunesse qui n’est pas certaine que ses efforts matériels et intellectuels pour « s’en sortir » seront payés de succès.

Dans son « portrait social » de la France en 2019, l’INSEE rappelait ainsi la grande stabilité – on pourrait aussi dire « stagnation » – de la mobilité sociale ([23]) depuis les années 1970, et plus particulièrement depuis les années 1990, avec un fort biais de genre ([24]). C’est particulièrement vrai dans les milieux sociaux les moins favorisés : la proportion d’employés et d’ouvriers non qualifiés originaires du même milieu social (« autorecrutement ») s’est ainsi maintenue à un niveau élevé (51 % en 2015, contre 45 % en 1977).

mobilité sociale entre 1977 et 2015

Source : INSEE, 2019 sur des données 1977-2016.

L’INSEE constate qu’après un prolongement de la réduction des inégalités sociales entre la fin des années 1970 et 1990, « les frontières entre les groupes sociaux demeurent relativement étanches », confirmant les analysés qualitatives et quantitatives du sociologue Camille Peugny sur le « destin au berceau », « le mirage des sociétés moyennes » ou encore « la dualisation des emplois » ([25]).

d.   Une crise de l’accès à la santé

Souvent oubliée, au prétexte que la jeunesse serait par construction un moment caractérisé par la vigueur, la santé demeure en réalité une forte préoccupation notamment pour les plus précaires.

C’est ce que rappelle la DREES dans son étude de novembre 2019 ([26]) sur l’état de santé des jeunes adultes. Si neuf jeunes sur dix se perçoivent en bonne santé, c’est moins le cas chez les chômeurs (84 %) et les inactifs (86 %), qui sont également moins couverts par une couverture santé complémentaire (85 % contre 92 % pour l’ensemble des jeunes adultes).

L’accès à une complémentaire santé est désormais facilité pour les autres âges par l’attribution automatique depuis le 1er avril 2019 de la complémentaire santé solidaire (C2S), ex-CMU-c, aux allocataires du RSA. Il demeure difficile et inégalitaire pour les jeunes de 18 à 24 ans, certains étant parfois couverts via leurs parents, d’autres n’engageant pas les démarches. On manque encore de recul statistique sur la C2S, mais une étude commandée en 2016 par le Fonds CMU montrait que les jeunes étaient surreprésentés dans les publics touchés par le non-recours, en raison de la « moindre habitude des démarches administratives » et de l’ignorance ce qu’est une complémentaire santé (56,3 % contre 48,2 % pour les autres publics) ([27]).

L’étude de la DREES pointe aussi l’importance du renoncement aux soins pour des raisons financières chez les plus précaires (cf. graphique infra), ce qui est d’autant plus inquiétant que ces derniers se perçoivent bien comme plus malades.

Dans son étude de 2016, l’observatoire de la vie étudiante a essayé d’élargir l’interrogation, pour le public spécifique des étudiants. Il identifie, sur la base de sa propre enquête ([28]), un non-recours beaucoup plus large que l’INSEE, tous motifs confondus :

En sondant les étudiants sur les motifs qui les poussent à renoncer à des soins, l’observatoire constate que la question financière revient de manière très conséquente, les motifs pouvant parfois être multiples :

Toujours, selon la même source, le renoncement aux soins est par ailleurs, comme beaucoup des autres difficultés abordées, sensible à l’origine sociale :

Une autre piste d’explication proposée par la Fondation santé des étudiants de France (FSEF) lors de son audition par le rapporteur tiendrait à ce que les assistants sociaux seraient moins formés sur l’accompagnement à la santé que sur les autres enjeux.

Les problématiques de santé mentale dans la jeunesse étaient déjà très prégnantes avant la crise, et le sont devenus encore plus, avec des problématiques de détection et de prévention particulièrement difficiles.

L’organisation mondiale de la santé rappelle régulièrement que la moitié des troubles de la santé mentale identifiés à l’âge adulte se manifestent dès 14 ans.

Auditionnée par le rapporteur et très spécialisée sur la prise en charge psychiatrique, la FSEF a rappelé quant à elle que la situation psychiatrique pouvait avoir, chez les jeunes, des incidences particulièrement graves sur les parcours d’études (97 % des publics qui arrivent en psychiatrie dans les établissements de la fondation sont ainsi déscolarisés depuis au moins deux ans).

Cette situation préexistante n’a pu que s’aggraver avec les confinements successifs, l’impossibilité de se rendre physiquement à l’école ou en cours, ou encore l’anxiété engendrée par le contexte.

C’est ce que confirme la DREES, qui a publié très récemment un premier bilan de l’effet du confinement du printemps 2020 ([29]). L’étude montre une hausse très importante des syndromes dépressifs chez les 15-24 ans. En mai 2020, la France comptait ainsi 22 % de personnes âgées de 15 à 24 ans ou plus en dépression, contre 10,1 % à la même date en 2019.

L’histogramme suivant, tiré de la publication, montre bien l’augmentation sur le moyen terme de cette prévalence entre 2014 et 2019, mais aussi l’explosion spectaculaire qu’a permis d’identifier l’enquête EpiCov sur les effets du confinement.

Source : DREES

Dans une récente étude de l’institut IPSOS ([30]), étaient pointés des chiffres tout aussi édifiants :

– 4 jeunes de 18 à 24 ans sur 10 sont dans un état de trouble anxieux généralisé, soit 9 points de plus que l’ensemble des Français ;

– 1 jeune sur 5 a présenté des troubles dépressifs sévères ou modérément sévères ; c’est 1 jeune sur 4 chez les 22-24 ans ;

– 3 jeunes sur 10 pensent qu’il vaudrait mieux qu’ils soient morts ou songent à se blesser.

Or, face à des enjeux pareils, la réponse publique ne semble pas à la hauteur. Comme le rappelait Marie-George Buffet dans un récent rapport : « les services de santé universitaires [SSU] ne sont pas dimensionnés pour faire face aux besoins des étudiants, particulièrement en matière de santé mentale » ([31]). Ce constat ne s’arrête malheureusement pas aux étudiants, pour le rapporteur, qui rappelle que la consultation chez un psychologue n’est pas remboursée pour un coût compris entre 60 et 90 euros par séance, ce qui pose un grave problème d’accès à tous les publics fragiles, pourtant tout aussi voire plus exposés.

Les efforts récents de certaines mutuelles qui souhaitent prendre en charge les séances, par construction limités à leurs adhérents peu nombreux chez les jeunes, de même que la création par le Gouvernement d’un « chèque d’accompagnement psychologique » dit « santé psy étudiants » via les SSU pour trois séances, sur prescription médicale et uniquement auprès de psychologues partenaires, ne semblent pas à la hauteur des enjeux.

e.   Une crise de l’accès au travail non précaire

Le refus d’accorder une allocation à la jeunesse est souvent fondé sur l’idée qu’un jeune devrait « d’abord » chercher un emploi au préalable. Or, les jeunes adultes sont les premières victimes du chômage de masse et, lorsqu’ils accèdent au marché du travail, ils sont surexposés à des formes d’emploi plus précaires.

Sur longue période, le taux de chômage des 15-24 ans a considérablement augmenté entre la fin des années 1970, où il était d’environ 7 % pour atteindre 20 % au milieu des années 1980 avant d’osciller entre 20 et 25 % après la crise de 2008-2010 (cf. graphique infra).

Une analyse conduite en 2017 par France Stratégie ([32]) montrait le caractère singulier de la situation française de ce point de vue. Certes dans tous les pays, le taux de chômage des jeunes adultes est plus élevé que celui du reste de la population mais ce taux est particulièrement élevé en France, qui se situe dans la « moyenne haute » des pays de l’Union européenne sur ce plan (cf. histogramme infra).

 

Cette situation s’explique d’abord par la prévalence des « jeunes sans emploi ni formation », souvent appelés à partir du terme anglais « NEETS » ([33]) dans le jargon économique et social, plus importante en France qu’ailleurs en Europe, et par des problèmes d’accès aux qualifications qui jouent un rôle déterminant dans l’accès à l’emploi. France stratégie rappelle ainsi qu’être peu ou pas diplômé multiplie par trois le taux de chômage et par quatre le temps nécessaire entre le premier emploi et un CDI.

 

Les « NEETS » : les derniers chiffres

L’INSEE a publié en mars dernier les derniers chiffres pour 2019 sur les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études.

On comptait, avant la crise donc, 1,5 million de 15-29 ans dans cette situation, dont 47 % étaient au chômage, 20 % inactifs mais souhaitant travailler et 33 % inactifs et ne souhaitant pas travailler.

Le pourcentage de jeunes ni en emploi, ni en formation évolue selon l’âge, mais semble atteindre un plateau vers l’âge de 20 ans, comme si certains jeunes, après avoir tenté de travailler ou de se former, étaient projetés « hors du système », avec de fortes difficultés à y revenir (cf. histogramme par âge ci-dessous).

Sur moyenne période, cette catégorie est en augmentation puisqu’elle représentait 12,8 % des 15-29 ans en 2003 et 13,5 % en 2020, après avoir connu un « pic » entre 2009 et 2012 à près de 15 %. De même que cette population n’avait pas retrouvé son niveau d’avant crise de 2008-2010 malgré les années, il est à craindre qu’elle augmente à nouveau avec une part structurelle après la crise sanitaire que nous connaissons.

La France fait partie des « mauvais élèves » de l’Union européenne avec une moyenne supérieure à celle des vingt-huit États membres, du même ordre que celle de la Hongrie ([34]).

Dans une étude plus précise de février 2020, la DARES ([35]) rappelait que la moitié d’entre eux était dans cette situation depuis plus d’un an. Ce sont ces « NEETs de longue durée » qui sont les moins en contact avec le service public de l’emploi, qui vivent le plus sans leurs parents, qui sont le plus souvent nés à l’étranger ou qui élèvent un enfant, ce qui permettait de discerner dans ces 500 000 jeunes ([36]) une forte concentration des difficultés socio-économiques.

Sources : INSEE, DARES.

Des facteurs externes jouent aussi de manière significative dans l’accès au marché du travail, comme la maîtrise des compétences de base, qui exclut environ 10 % des 16-29 ans et l’accès au permis de conduire (45 % des titulaires de CAP dotés d’un permis ont un emploi sept mois après la fin de ses études, contre 19 % pour ceux qui n’ont pas le permis).

Si l’accès à l’emploi est souvent difficile, il se fait aussi souvent par des voies précaires. Ainsi, l’INSEE estimait qu’en 2020, les 15-24 ans ayant un emploi étaient à 26,8 % en CDD et à 19,4 % en intérim, soit trois fois plus que le reste de la population (respectivement 8,5 % et 2,1 %), ce qui illustre bien la difficulté à se faire une place sur le marché du travail.

Les moins de 25 ans sont également surreprésentés dans l’emploi à temps partiel (10,9 % des emplois, alors qu’ils représentent 7,6 % de l’ensemble des salariés).

Ces chiffres ([37]) montrent que le besoin de flexibilité des entreprises n’est absolument pas également réparti en fonction des âges, et que les jeunes adultes y apportent une très large contribution, qui se paye aussi dans l’accès au logement ou, plus généralement au crédit.

La littérature économique a identifié de longue date un effet de persistance du chômage, particulièrement chez les jeunes, qui pourrait être amplifié quand l’entrée (ou la tentative d’entrée) sur le marché du travail se fait en temps de crise économique. Les économistes évaluent des durées de rattrapage nécessaires pour que les jeunes concernés retrouvent le taux d’emploi ou le niveau de salaire qu’ils auraient pu avoir sans ces difficultés conjoncturelles.

Cet effet, dont la durabilité est parfois discutée, semble poursuivre les « générations sacrifiées » pendant des années comme le montre cette étude très fouillée du Céreq qui comparait les générations 1998, 2004 et 2010.

Sept années après l’entrée sur le marché du travail de la génération 2010, son « mauvais départ » fait encore peser sur elle certaines conséquences. Elle aura passé 61 mois au travail contre 67 pour la génération 1998, 17 % de la génération 2010 aura connu du chômage persistant ou récurrent contre seulement 11 % pour la génération 1998 et les salaires auront augmenté de 19 % en sept ans contre 38 % pour la génération 1998 sur une période comparable.


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L’étude montre que c’est évidemment « les non-diplômés qui ont vu leur situation se dégrader le plus fortement », avec 21 % seulement d’entre eux qui parviennent à atteindre un emploi à durée indéterminée contre 41 % pour la génération 1998.

Évolution du taux de chômage sur les 7 premières années de vie active pour les trois Générations de sortant·es

Source : Céreq, 2017.

Un mécanisme du même ordre est non seulement à craindre, mais très probable compte tenu de l’ampleur de cette nouvelle crise.

f.   Une crise de la mobilité

Pouvoir se déplacer pour travailler, se former, voyager, pratiquer une passion ou un autre loisir, faire ses courses alimentaires, etc., ce sont autant de libertés précieuses auxquelles chacun a droit et qui peuvent fortement déterminer certaines trajectoires.

Or, cela est loin d’être évident pour de nombreux jeunes, comme le démontre l’enquête de l’institut de sondages Elabe, « La mobilité et l’accès des Français aux services de la vie quotidienne », publiée en mai 2018. Cette dernière démontre que 34 % à 53 % des 18‑24 ans éprouvent des difficultés pour se déplacer. Ces difficultés les contraignent à repousser, voire à renoncer à des loisirs ou sorties culturelles, à pratiquer un sport, à effectuer leurs achats alimentaires ou des démarches administratives, ou à se rendre à un rendez-vous médical ([38]).

Ces difficultés sont fortement liées aux moyens de locomotion dont les jeunes disposent, et parmi eux, le permis de conduire, qui demeure le moyen de déplacement le plus important aux yeux des jeunes. En 2014, 65 % de ces derniers disposaient d’un permis de conduire, d’après l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire ([39]). Dans l’enquête Elabe précitée, 42 % des 18‑24 ans affirmaient avoir besoin d’un véhicule afin d’améliorer leur mobilité au quotidien, et 28 % de cette même tranche d’âge percevaient le permis de conduire comme moyen d’amélioration de leur mobilité quotidienne ([40]).

Seulement, il est pour de nombreux jeunes difficile d’obtenir ce « Graal » et de vivre sans. En 2014, 85 % des jeunes étaient aidés financièrement afin de préparer l’examen d’obtention du permis de conduire. Un quart des jeunes de la même année ont dû renoncer à un emploi faute de disposer d’un permis de conduire ([41]).

Par ailleurs, 37 % des 18-24 ans ont déjà envisagé de déménager afin de se rapprocher de leurs centres d’activité, quand près d’un jeune sur deux a dû restreindre sa vie sociale faute de moyens de transports adaptés ([42]).

Ce constat a conduit l’État à mettre en place le Fonds d’expérimentation pour la jeunesse (FEJ), afin de permettre la réussite scolaire des élèves et l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de moins de 25 ans. C’est dans ce cadre qu’a été conduite l’expérimentation « 10 000 permis pour réussir », en juin 2009 et concernant 10 000 jeunes en difficulté d’insertion. Ces derniers ont ainsi bénéficié d’une aide financière pouvant atteindre 10 000 euros, ainsi que d’un accompagnement dans le cadre de la préparation à l’examen d’obtention du permis de conduire ([43]). Bien que l’expérimentation ait été évaluée de manière positive par quatre économistes dans le cadre d’une étude extrêmement sérieuse en 2012, elle n’a jamais été généralisée ([44]).

Là encore, les jeunes sont inégaux sur la question du tourisme et départs en vacances. L’enquête « Génération 2013 », du Centre d’études et de recherche sur les qualifications (Céreq) publiée le 23 août 2019 par l’INJEP, montre qu’ « au sein de la "Génération 2013", 324 000 jeunes, soit 47 % de la cohorte tous niveaux de diplômes confondus, déclarent avoir effectué au moins un séjour à l’étranger, dans et hors du cadre de leurs études, durant leur formation initiale, et 34 % affirment même en avoir effectué plusieurs. Parmi les jeunes partis à l’étranger pendant leur scolarité, 34 % ont réalisé au moins un séjour dans le cadre d’un stage encadré par une convention ou d’une période d’études dans un établissement de formation. » ([45])

La possibilité des jeunes de pouvoir partir en vacances ou de partir à l’étranger dépend fortement de la situation sociale propre à chaque individu. L’enquête « Génération 2013 », mais également l’étude de l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès de juillet 2019, intitulée « Les Français et les vacances » démontrent l’impact des origines sociales des jeunes sur leurs vacances et séjours à l’étranger.

Si 68 % des Français issus de la catégorie aisée n’ont jamais renoncé à leurs vacances pour des raisons financières, 59 % de ceux originaires des milieux défavorisés renoncent souvent à leurs vacances pour ces mêmes raisons ([46]).

EFFETS DE L’ORIGINE SOCIALE SUR LA PROBABILITÉ DE PARTIR À L’ÉTRANGER (ESTIMATION)

Ces inégalités produisent des effets néfastes sur les conditions d’emploi et l’acquisition de compétences à la fois multiculturelles et linguistiques, comme le souligne l’enquête « Génération 2013 » :

« Ainsi, les jeunes partis dans le cadre d’un séjour d’études long diplômant financé ou d’un stage financé ont significativement plus de chances d’accéder à un emploi de cadre trois années après leur sortie du système éducatif que ceux qui ne sont pas partis. C’est sur l’accès à ces positions les plus élevées sur le marché du travail que la plus-value est la plus importante. Plusieurs types de séjours permettent d’obtenir un gain salarial trois années après la sortie du système éducatif. » Il s’agit des catégories « où les jeunes issus des milieux les plus défavorisés sont relativement absents ».

ORIGINES SOCIALES DES JEUNES SELON LE TYPE DE SÉJOUR EFFECTUÉ

Cet avantage de ceux qui voyagent sur ceux qui ne voyagent pas n’est évidemment pas uniquement professionnel comme le rappelle l’étude en citant la littérature disponible sur ce sujet :

« Le gain des séjours à l’étranger pendant les études ne se résume pas aux seuls effets sur l’insertion professionnelle des jeunes en début de vie active. Leur bénéfice s’exprime notamment par l’acquisition de compétences multiculturelles ou linguistiques (Schomburg et Teichler 2008). D’autres aspects plus subjectifs sont mis en avant par les jeunes issus de la "Génération 2013" qui sont partis à l’étranger pendant leurs études. Ainsi, les jeunes ayant effectué des séjours d’études courts et/ou non diplômants sont ceux qui déclarent le moins souvent que leur séjour a été bénéfique pour trouver un emploi à la fin de leurs études (moins de 40 % contre plus de 60 % pour les autres séjours). On retrouve à nouveau avec ces éléments subjectifs le résultat obtenu précédemment : les jeunes d’origines sociales les plus modestes sont plus concernés par des séjours dont les bénéfices sur l’insertion professionnelle sont limités. »

Et l’étude de conclure qu’« au final, ces jeunes pâtissent d’un triple effet cumulatif : ils partent moins souvent à l’étranger et, lorsqu’ils partent, ils reçoivent moins souvent une aide financière et leurs séjours sont moins valorisables sur le marché du travail » ([47]).

C’est donc bien d’une inégalité dans la construction du parcours de chacun que participe le manque de mobilité des jeunes précaires, les obligeant à vivre dans un univers rétréci d’horizons contraints.

g.   Une crise environnementale

En évoquant l’injustice générationnelle structurelle, le rapporteur ne saurait mettre de côté cette « crise des crises » qui se profile à l’échelle de la planète. Ni l’ampleur de ce choc « métahistorique », ni son caractère nécessairement mondial ne doivent masquer sa forte dimension asymétrique : la crise environnementale qui se prépare frappera durement les générations à venir.

Nos enfants, petits-enfants et toutes les générations qui leur succéderont devront malgré eux subir les conséquences désastreuses des choix que nous et les générations qui nous ont précédé avons fait jusqu’à aujourd’hui. Des conséquences déjà visibles dans notre quotidien et qui in fine impacteront irrémédiablement les conditions de vie des jeunes d’aujourd’hui.

Depuis plusieurs années, de nombreux collectifs, chercheurs, partis politiques tirent la sonnette d’alarme. En 2021, d’après le collectif « l’affaire du siècle » ([48]), la France a émis en seulement 77 jours la quantité de dioxyde de carbone (CO2) qu’elle devrait émettre en une année afin d’obtenir la neutralité carbone. Si le « jour de dérèglement » était tombé le 5 mars en 2020, soit douze jours plus tôt qu’en 2021, cela est seulement dû à la crise sanitaire et aux mesures prises afin de l’endiguer.

Ainsi, si la France a réduit ses émissions de 12 % depuis 2020, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) avance que ces dernières sont reparties à la hausse ([49]).

Cela contraste fortement avec les engagements environnementaux de la France. Au regard de l’accord de Paris ([50]) et la loi dite « Énergie climat » de 2019 ([51]), celle-ci s’est fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone en l’an 2050. Or, force est de constater que beaucoup reste à faire : la hausse des émissions de CO2 en France amène le collectif « l’affaire du siècle » à estimer qu’à ce rythme l’objectif fixé pour 2050 ne pourrait être atteint qu’en 2084 seulement. Le Haut Conseil pour le climat a également pointé du doigt de nombreuses lacunes dans la stratégie de la France pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans son rapport annuel de 2020, celui-ci indique que « Le réchauffement climatique induit par les activités humaines continue de s’aggraver, alors que les actions climatiques de la France ne sont pas à la hauteur des enjeux ni des objectifs qu’elle s’est donnés. Le gouvernement doit reprendre le cap vers la neutralité carbone. » ([52]) Le Haut Conseil précise également que « La réduction des émissions de gaz à effet de serre continue à être trop lente et insuffisante pour permettre d’atteindre les budgets carbone actuels et futurs. Avec un recul de 0,9 % en 2019, elle est similaire à la moyenne des années précédentes et encore très loin des – 3 % attendus à partir de 2025. » ([53])

L’inactivité de la France a été démontrée par la justice administrative de Paris, le 3 février 2021 pour donner suite à « l’affaire du siècle ». L’État y a été jugé coupable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique ([54]).

Malgré la gravité de la chose, il a fallu attendre toujours plus longtemps pour voir une vraie réponse du Gouvernement concernant le défi climatique auquel notre pays est confronté, via le projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». Un retard qui pèsera inexorablement de tout son poids sur les jeunes.

En effet, les pronostics sont loin d’être optimistes. Le rapport de la direction générale de l’énergie et du climat, du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, publié en août 2014, se montre alarmiste concernant l’avenir de notre pays. Celui-ci décrit, pour l’horizon 2021-2050, une hausse des températures moyennes allant de 0,6° C à 1,3° C, « toutes saisons confondues, par rapport à la moyenne de référence calculée sur la période 1976-2005, selon les scénarios et les modèles. Cette hausse devrait être plus importante dans le Sud-Est de la France en été, avec des écarts à la référence pouvant atteindre 1,5° C à 2° C. » ([55]) D’autre part, il faudrait s’attendre à une « augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été, comprise entre 0 et 5 jours sur l’ensemble du territoire, voire de 5 à 10 jours dans des régions du quart Sud-Est » ([56]).

Ce réchauffement climatique aura de nombreuses conséquences, notamment une intensification des phénomènes climatiques et une montée en puissance du stress hydrique sur notre territoire, qui impacteront durement le quotidien de chacun.

En plus de devoir supporter les conséquences directes de nos choix, les jeunes auront également à en payer le prix. Il est en effet estimé par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) que la dette climatique française, liée aux efforts nécessaires concédés lors de l’accord de Paris afin d’atteindre la neutralité carbone pourrait s’élever à 38 % du produit intérieur brut (PIB) pour un scénario que l’on pourrait considérer comme étant optimiste. Cette dette pourrait cependant atteindre 80 % du PIB français dans un scénario où les températures moyennes augmenteraient de 1,5 à 2° C d’ici 2050 ([57]).

Le fardeau climatique que nous léguons aux jeunes, par son poids toujours plus significatif engendre un stress au sein de la population, et particulièrement chez dans cette population. L’ampleur de la catastrophe climatique et ses traductions économiques ont engendré il y a quelques années un nouveau phénomène psychologique : l’éco-anxiété.

L’importance du niveau de préoccupation pour le changement climatique chez les jeunes a été clairement démontrée par l’Ifop, dans une étude de 2018 intitulée « Les Français et le réchauffement climatique ». Si 85 % des Français s’inquiètent du réchauffement climatique, cette inquiétude est présente chez 93 % des 18-24 ans. 38 % d’entre eux se disent même extrêmement préoccupés par l’avenir de leur planète ([58]).

Cette inquiétude pour l’avenir, mêlée à une impression d’insécurité, a un réel impact sur les jeunes les plus sensibles à la question environnementale. Chez ces derniers peut se développer une éco-anxiété, ou solastalgie, se traduisant par des troubles anxieux – crises de panique, pensée obsessive, perte d’appétit, insomnie – voire une dépression.

S’il s’agit là d’un phénomène nouveau et non inclus dans le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (DSM-5), il est de plus en plus visible, et tend à s’aggraver lorsqu’une catastrophe ou autre événement majeur lié au réchauffement climatique survient ([59]). L’American Psychological Association a consacré un rapport entier en 2017 aux liens entre la santé mentale et le changement climatique et fait quelques constats inquiétants à cet égard, sur les effets du changement climatique ainsi que sur les populations les plus vulnérables (sans surprise, les moins diplômées, les plus pauvres et les plus jeunes) ([60]).

Cette crise supplémentaire à laquelle les jeunes sont confrontés renforce l’urgence d’un soutien de la part de l’État. Car c’est bien cette génération qui devra répondre demain aux conséquences des (mauvais) choix d’aujourd’hui.

h.   Une crise de l’accès aux loisirs

Loin de l’image idéalisée que véhiculent certaines caricatures, la jeunesse n’est plus depuis déjà des années cette période d’oisiveté agréable pour beaucoup. Deux exemples illustrent parfaitement ces entraves : l’accès au sport et l’accès à la culture.

Le sujet préoccupe depuis longtemps le rapporteur ainsi que les meilleurs spécialistes de la question sportive à l’Assemblée nationale. Ainsi, dès novembre 2017, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les inégalités d’accès à la pratique sportive dans notre pays était cosignée par des députés des groupes La France insoumise (Sabine Rubin, Caroline Fiat et votre rapporteur), de la Gauche démocrate et républicaine, dont l’ancienne ministre Marie-George Buffet, et deux députés du groupe Socialistes (Régis Juanico et Christian Hutin). Celle-ci n’a malheureusement pas reçu l’intérêt qu’elle méritait, notamment au regard du manque d’information sur le sujet.

Malgré ces lacunes, nous savons cependant qu’un problème existe bel et bien.

Ce problème est d’abord géographique, comme le rappelait récemment l’INJEP dans une étude sur « les lieux de la pratique sportive » en mai 2020 : si le facteur « densité de l’urbanisation » est écarté ([61]), on observe d’autres inégalités hélas prévisibles. Les départements et régions d’outre-mer sont ainsi sous-dotés avec 12 équipements pour 10 000 habitants à Mayotte et 33 à la Réunion contre 46 en moyenne sur le territoire. La comparaison est également désavantageuse pour les zones urbaines sensibles qui ne disposaient en 2013 que de 3 % de l’offre d’équipements alors qu’elles représentaient 7 % de la population. Le taux d’équipement y est ainsi deux fois moindre que la moyenne nationale, mais aussi 1,5 fois moindre que dans les aires urbaines comparables qui les entourent.

Dans une étude de 2018 (cf. infra), l’INJEP rappelait déjà l’importance du lieu d’habitation, comme explication de la pratique : « Les personnes résidant en zone urbaine sensible (ZUS) ont une probabilité de pratiquer un sport inférieure à 5 points à celles habitant hors ZUS. »

L’inégalité de l’offre est par ailleurs relativement décorrélée avec la pratique. Certains territoires cumulent ainsi faible équipement et faible pratique, d’autres ne connaissent qu’une des deux facettes de la problématique. Ainsi, l’INJEP, examinant le baromètre des pratiques sportives réalisé en partenariat avec le CREDOC ([62]), notait que les écarts en fonction de la région de résidence étaient extrêmement forts (de 20 % de non-pratiquants à La Réunion à 41 % dans les Hauts‑de‑France). On retrouve ainsi parmi les régions les plus « touchées » par la non-pratique des régions relativement bien équipées, comme les Hauts-de-France, et inversement, comme La Réunion, la Martinique, la Guyane et la Guadeloupe.

Cette situation n’a pas pu s’améliorer depuis avec la baisse des financements du Centre national pour le développement du sport (CNDS) entre 2017 et 2018 puis sa disparition en 2019 au profit de l’Agence nationale du sport ([63]).

Une autre facette du problème tient à la pratique très inégale et à une dynamique désormais inversée. S’agissant des inégalités, on constate depuis des années une sous-représentation des femmes entre 15 et 25 ans et des jeunes avec un parcours scolaire court dans les activités sportives.

Les logiques territoriales rencontrent ainsi des logiques sociales et générationnelles, comme le rappelle l’INJEP dans une autre étude publiée en 2018 et consacrée à la pratique sportive proprement dite ([64]) : ainsi, les 20 % des plus aisés pratiquent à 60 % une activité physique ou sportive, contre un tiers chez les 20 % les moins aisés. On retrouve ces inégalités en termes de diplôme : la pratique ne concerne qu’un quart des sans-diplômes, contre deux tiers de ceux qui sont titulaires d’un diplôme bac +2. Si la moitié de ce phénomène est imputable à un effet « âge », les diplômés étant en moyenne plus âgés que les non-qualifiés, l’autre moitié est totalement imputable à un « pur effet diplôme ». Seuls les étudiants semblent conserver une pratique importante toutefois plus faible que celle des cadres et à nuancer au regard du bais « âge » d’une telle catégorie.

Sur un plan dynamique, si la pratique semble tendanciellement augmenter, la vraie progression de 2,7 millions de pratiquants depuis 2009 concerne en réalité, outre celle des femmes « à âge comparable » que le rapporteur salue bien évidemment, celle des séniors, avec l’effet combiné d’une hausse de la pratique (4 individus sur 10 contre plus de 3 sur 10 chez les 70-74 ans par exemple) et des effectifs.

Les contraintes financières, globalement mal documentées et particulièrement au regard de leurs effets sur la non-pratique, sont néanmoins perceptibles dans l’intensité de la pratique sportive. Parmi les motifs invoqués dans le baromètre des pratiques sportives précité pour une pratique plus fréquente, les contraintes financières sont ainsi plus souvent évoquées par les jeunes de moins de 25 ans (20 %) que pour le reste de la population (17 %) et les personnes âgées de plus de 70 ans (15 %).

En matière culturelle, là aussi, la situation est pleine de paradoxes : bien identifiées et théoriquement combattues, les inégalités sont en réalité peu documentées et vraisemblablement très persistantes.

Le sociologue Pierre Bruno rappelait ainsi en 2013 ([65]) « la difficulté, en l’état actuel des savoirs, de mesure – pour mieux les combattre – les inégalités potentielles des jeunes face à la culture ». L’apparente harmonisation consécutive à une certaine démocratisation de certaines pratiques culturelles (télévision, musique...) ne doit pas dissimuler l’évolution très différenciée entre catégories socioprofessionnelles. Ainsi, « sur les 25 dernières années les différences de budget consacré aux loisirs et à la culture n’ont cessé d’augmenter entre les cadres et des ouvriers dont les revenus, déjà inférieurs, ont été progressivement grevés par le poids croissant des dépenses liées au logement » et les pratiques « distinctives » (musées, théâtres, concerts...) demeurent fortement clivées.

Or, selon le sociologue Philippe Coulangeon, la véritable « distinction » entre les classes procède aujourd’hui de « la propension à transgresser les frontières entre les répertoires savants et populaires, entre la culture académique et la culture de masse, mais aussi entre des registres rattachés à des aires culturelles différentes ». Dans les classes aisées, « éclectisme et exotisme font ainsi bon ménage » ([66]). C’est ce qui explique que si beaucoup de pratiques culturelles « de masse » sont désormais partagées, davantage probablement que par le passé, cela ne signifie pas pour autant que les « distinctions » en seraient pour autant abolies.

L’enjeu depuis les premiers textes de Bourdieu est donc demeuré donc le même : l’accès à certaines pratiques culturelles réellement distinctives demeure limité, ce qui engendre, dans une société qui continue discrètement à les valoriser, la reproduction des inégalités.

Cet accès a peu évolué, voire régressé, à la fois sur longue période et dans la période récente.

Sur longue période, une étude portant l’évolution des pratiques culturelles entre 1973 et 2008 montrait la persistance de « pesanteurs sociales » avec une stratification maintenue dans tous les domaines, à l’exception de la consommation de télévision ([67]). C’est le cas de pratiques généralement considérées comme coûteuses (activité musicale encadrée, concerts de musique classique, voire cinéma...), mais aussi des pratiques jugées – peut-être à tort – comme plus accessibles (lecture, bibliothèques publiques).

Si l’on constate quelques progrès très mineurs – entendus ici comme une diminution des écarts socio-professionnels et non comme leur abolition – dans certaines niches ([68]), un terrain souvent décrit comme propice à un effort particulier de l’État ([69]) demeure particulièrement illustratif, celui des musées et expositions. Ainsi, en trente‑cinq ans, l’écart relatif entre cadres-professions libérales et les autres catégories s’est creusé...

... en même temps que ce public vieillissait considérablement.

L’étude plus récente réalisée par le ministère sur des données 2018 présente elle-aussi quoique de manière moins claire visuellement cette stratification persistante, voire aggravée, à travers des écarts mesurés pratique par pratique ([70]).

Comme pour l’étude précédente, les graphiques reproduits ci-dessous concernent les musées, la lecture et les bibliothèques.

Dans le graphique, l’échelle représente l’écart entre la catégorie de droite et celle de gauche (et non l’inverse). Ainsi, en 2018, la fréquentation des musées était quatre fois plus importante que celle des personnes n’ayant qu’un BEP ou « moins » alors que cet écart était de moins de trois en 1973 (histogrammes oranges). Le diplôme demeure donc, plus que jamais, le critère d’accès au musée et l’avantage relatif des 15-19 ans (fortement porté par les visites scolaires) se réduit toujours au profit des 60 ans et plus. Seules les inégalités territoriales semblent se réduire grâce à une offre plus diversifiée.

 


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Cette situation est d’autant plus regrettable qu’un très grand nombre de ces activités culturelles sont financées par la collectivité, même si on constate une évolution globalement très contenue ces dernières années ([71]). Une explication possible tient peut-être à la part qui demeure très limitée dans le budget fixé pour l’État à la « transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture » (578,85 millions d’euros prévus en 2021 sur 3 209,18 millions d’euros de crédits) ([72]).

Autre piste : sous cette législature, les annexes budgétaires ont par ailleurs renseigné systématiquement une réalisation inférieure aux objectifs fixés en matière d’action d’éducation artistique et culturelle en direction des enfants ([73]).

Certes, le Gouvernement mise beaucoup depuis 2017 sur le « Pass culture », un montant de 500 euros alloué à 18 ans pour acheter des biens culturels, mais celui‑ci n’a été véritablement mis en place qu’en 2019 après une phase de tests en 2018 et sur une base expérimentale (mise en œuvre en deux vagues dans certains départements). Le « Pass » n’est donc toujours pas un dispositif de droit commun, et son bilan est, sinon clairement mitigé, au moins soumis à caution : les difficultés liées à la crise n’ont pas permis d’éprouver son utilisation dans les musées et salles de concert, les crédits ont été régulièrement sous-consommés – si bien qu’il est désormais envisagé de diminuer le montant alloué à 300 euros – et de l’avis même de la société chargée de la gestion du « Pass » la catégorie des inactifs ou des demandeurs d’emplois jeunes « constitue une cible plus complexe à conquérir » ([74]).

Il est donc à craindre que cette situation de forte stratification et de saturation par les personnes les plus aisées et les plus âgées de l’offre culturelle subventionnée perdure, faute d’une réponse plus systémique.

B.   Un choix politique fait par une société vieillissante

1.   Un choix français

Comme l’ont montré de nombreux chercheurs, la France se caractérise par une combinaison rare d’élitisme et de familialisme qui souvent s’ignore, et concentre ses effets néfastes sur les classes les moins favorisées ([75]).

L’élitisme passe par une « tyrannie des diplômes » tandis que le familialisme conduit à ce que l’accès à cette éducation dépende fortement du soutien familial apporté. Par exception, certaines grandes écoles, et elles seules, proposent à leurs élèves, très majoritairement issus de milieux favorisés, des conditions matérielles d’études particulièrement favorables.

Rémunérés pour étudier : une chance pour certains, un objectif pour tous

Certains élèves sont payés décemment pour étudier. Mais ils sont peu nombreux et appartiennent aux cursus privilégiés par des élèves des classes les plus aisées.

Les écoles de la haute fonction publique

École nationale d’administration : 1 682,28 euros bruts.

École nationale de la magistrature : 1 672,24 euros bruts.

École normale supérieure : 1 500 euros bruts.

Les écoles militaires

École spéciale militaire de Saint-Cyr, École navale de Brest et École de l’air de Salon-de-Provence : 1 395 euros par mois en première année, 1 433 euros en deuxième année, 1 683 euros en troisième année.

Les écoles d’ingénieurs

École Polytechnique : 898 euros bruts.

Si certains de ces établissements sont des « écoles d’application », plusieurs sont accessibles après deux années de classe préparatoire, soit à l’âge de 20 ans dans le cas le plus courant. Quant à l’engagement décennal qui est en principe la contrepartie de cette rémunération, il n’est pas toujours respecté. La rémunération vient souvent s’ajouter à une gratuité totale des frais de scolarité.

Le rapporteur n’a rien contre ce modèle, surtout si les conditions de service public afférentes sont véritablement respectées, mais s’interroge sur les raisons qui poussent une société à considérer cette situation comme normale pour les uns, souvent parmi les plus favorisés, et à refuser de verser la moitié ou le tiers des sommes concernées à d’autres.

Sources : Observatoire des inégalités, sites internet des écoles mentionnées.

La France est pourtant particulièrement isolée dans ce choix, comme le rappelait en 2016 le rapport de Christophe Sirugue : « la condition d’âge constitue une particularité française ».

Et ce même rapport, complété plus récemment par une étude comparée de la Caisse nationale des allocations familiales ([76]), de rappeler qu’« une très large majorité des États de l’Union européenne (24 sur 28) ouvre leurs dispositifs nationaux dès l’âge de la majorité ».

Parmi les quatre pays restants, dont la France :

– l’Espagne a ouvert le minimum vital à 23 ans, avec la réforme du minimum vital intervenue en mai dernier, avec quelques exceptions nouvelles ;

Le revenu minimum vital en Espagne

Le gouvernement espagnol a mis en place fin mai 2020 un revenu minimum vital garantissant de 462 à 1 015 euros en fonction de leur composition à tous les foyers dont les membres sont âgés de 23 à 65 ans qui résident en Espagne depuis moins d’un an.

L’âge d’ouverture est fixé à 18 ans pour les femmes victimes de violence de genre ou de traite des êtres humains, pour les chargés de famille (article 5 du décret-loi du 29 mai 2020).

On peut également rappeler que préexistaient par ailleurs à ce revenu fixé au niveau national un certain nombre d’allocations à l’échelon régional qui devraient perdurer.

Source : note de la direction générale du Trésor, disponible ici : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/ES/le-nouveau-revenu-minimum-vital-en-espagne#:~:text=Le%20D%C3%A9cret%2DLoi%20%C3%A9tablit%20un,enfants%20pr%C3%A9sents%20dans%20chaque%20foyer.

– Chypre, qui ouvre par ailleurs son minimum social à 28 ans, autorise les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance à l’obtenir dès 18 ans ;

– le Luxembourg l’ouvre aux jeunes adultes qui sont en couple ou qui aident une personne dépendante.

Cette remise en perspective interroge au regard d’un modèle qui se prétend universaliste, et alors que des pays habituellement considérés comme plus « familialistes » que la France, sans atteindre des standards totalement satisfaisants, ont davantage avancé ces dernières années vers plus d’universalité (Italie en 2019, Espagne en 2020).

Le revenu de citoyenneté en Italie

Mis en place par le décret-loi du 28 janvier 2019, le revenu de citoyenneté est ouvert de 18 à 65 ans sous conditions de ressources, de patrimoine et d’attitude de consommation ([77]).

Le dispositif est fortement critiqué (barème de ressources insuffisamment généreux pour les familles nombreuses, condition de résidence très stricte – dix ans –, non‑recours, complexité) et ne constitue en aucune manière un modèle pour le rapporteur, qui constate cependant que l’Italie n’a pas cherché à dissocier majorité politique et majorité sociale.

Source : Andrea di Ruzza, « Revenu de citoyenneté : la montagne accouche d’une souris », Chronique internationale de l’IRES, 2020/1-2 (N° 169‑170), pp. 41‑51, disponible ici : https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2020-1-page-41.html.

2.   Les jeunes, une population reléguée politiquement

La violence des crises que subissent depuis des années les jeunes adultes sans qu’à aucun moment un consensus politique ne soit né pour accorder à la jeunesse un minimum vital met au jour certaines mécaniques politiques à l’œuvre.

Sans revenir aux sources culturelles d’une telle indifférence, telles qu’elles sont par exemple exposées dans les travaux de Tom Chevalier sur les facteurs religieux (catholiques du sud familialistes, contre protestants du nord) ou la part de jeunes dans les mouvements syndicaux ([78]), le rapporteur souhaitait mettre quelques éléments objectifs en débat.

Le vieillissement de la population conduit mécaniquement à limiter le poids relatif des jeunes, et singulièrement d’une catégorie aussi précise que celles des jeunes adultes de 18 à 24 ans.

L’INED ([79]) rappelle ainsi que les plus de 75 ans représentent 9,6 % de la population et 6,3 millions d’individus en 2021, tandis que les plus de 65 ans représenteraient 20,9 % de la population et 13,7 millions d’individus. Dans le même temps, la pyramide des âges 2021 de l’INSEE ([80]) nous indique que les 18‑24 ans représentaient 5,5 millions d’individus.

Ces chiffres, qui ont évidemment une importance électorale considérable ([81]), doivent être mis dans une perspective historique. Il y a dix ans, les plus de 65 ans n’étaient que 10,5 millions et les plus de 75 ans 5,5 millions pour une population jeune équivalente à celle que nous connaissons aujourd’hui ([82]). La concentration de la hausse de la population sur les catégories les plus âgées a fait passer pour la première fois dans l’histoire d’un pays avancé comme la France les plus de 75 ans devant les jeunes adultes. La dimension anthropologique d’un tel changement semble aussi considérable que sous-estimée aux yeux du rapporteur.

L’abstention de la jeunesse ne cesse de croître d’élections en élections, ce qui pourrait conduire très cyniquement, mais d’un cynisme bien souvent inconscient, les dirigeants à négliger toujours davantage leurs difficultés.

Le problème est diagnostiqué avec une étude de l’INSEE ([83]) sur la participation aux élections nationales (présidentielles et législatives entre 2002 et 2017). En quinze ans, la part de jeunes votant aux deux élections et aux deux tours (vote systématique) est passée d’un tiers à moins d’un cinquième.

Vote systématique aux élections nationaleS (2002-2017)

(en %)

Tranche d’âge

Vote systématique

2017

2012

2007

2002

18-24 ans

18,0

25,9

31,3

32,4

Ensemble de la population

47,6

50,9

47,8

35,9

Source : INSEE.

Parallèlement, l’abstention aux deux tours et aux deux élections (abstention systématique) qui était proche de celle de l’ensemble de la population générale en 2002 et en 2007 s’élève désormais presque au double.

absentention systématique aux élections nationaleS (2002-2017)

(en %)

Tranche d’âge

Abstention systématique

2017

2012

2007

2002

18-24

19,4

16,6

10,8

13,9

Ensemble de la population

12,2

8,6

10,9

13,4

Source : INSEE

Une « expérience naturelle » du poids relatif de ces deux populations a pu être observée quand le Gouvernement a été amené à renoncer – à juste titre – à la hausse d’1,7 point de la CSG pour les pensions de moins de 2 000 euros nets mensuels ([84]) (1,5 milliard d’euros) alors que la baisse unilatérale des APL de 5 euros intervenue le 1er octobre 2017 n’a jamais été retirée alors qu’elle représentait un coût dix fois moindre (144 millions d’euros d’économies).

Or, comme le rappelait en 2012 la politiste spécialiste de l’engagement de la jeunesse, Anne Muxel ([85]) : « si les jeunes sont critiques et plutôt défiants à l’égard du personnel politique, des partis et de la politique politicienne, ils sont aussi en demande de politique ». Craignant le « grand malentendu » avec la jeunesse qui conduit à cette situation d’abstention électorale, elle appelait à l’action : « les liens intergénérationnels et les solidarités existent bien dans la sphère privée, il faut les relayer dans la sphère publique ». Le rapporteur s’accorde avec elle pour considérer que ce relais doit passer « par des moyens, par des mesures concrètes, mais aussi par des marques symboliques, par des repères, permettant de redonner aux jeunes le sentiment qu’ils ont une utilité sociale ». Il estime qu’accorder à cette population un minimum social relève, justement, du minimum, du premier pas – et non pas l’exclure explicitement.

Public oublié, réponses tardives : la preuve par la crise

Pour appuyer son propos, le rapporteur souhaite remettre en perspective quelques éléments de calendrier et de chiffrage qui lui semblent particulièrement signifiants sur un plan politique :

– mise en place du premier confinement le 17 mars 2020 ; s’il était évident qu’il aurait des répercussions sur les entreprises, il l’était tout autant qu’il en aurait sur les 18‑24 ans en raison de leur précarité structurelle ;

– les reports d’échéances fiscales et sociales ont été mises en place lors de ce même mois de mars, ainsi que le fonds de solidarité en direction des entreprises (21 milliards d’euros à ce jour) ; le chômage partiel (27 milliards d’euros en 2020) permet de préserver les revenus des salariés en contrats stables, mais pas les fins de contrats courts ni les intérimaires ;

– une aide exceptionnelle a été versée au 15 mai pour les foyers modestes (900 millions d’euros);

– cette même aide exceptionnelle en direction des plus jeunes a été versée en juin 2020 (80 millions d’euros).

Cette comparaison des dates et des chiffres est malheureusement symptomatique d’une indifférence plus profonde, dont les exemples peuvent être multipliés à l’envi sur d’autres séquences : combien de temps a-t-il fallu au Gouvernement pour réagir aux files devant les banques alimentaires, qui suivaient le deuxième confinement décidé le 29 octobre 2020 ? Le 25 janvier 2021, avec une mesure de repas à 1 euro sur critères sociaux à 49,5 millions d’euros, à comparer là encore avec un coût estimé du fonds de solidarité en direction des entreprises de 4,5 milliards d’euros.

Le rapporteur ne conteste pas la nécessité de soutenir les entreprises dans cette crise, mais il souligne l’importance symbolique et pratique des priorités gouvernementales.

Source : commission des affaires sociales.

3.   La persistance de stéréotypes que tout dément

Si la jeunesse est ainsi maltraitée, maltraitée politiquement, c’est que des stéréotypes sont véhiculés sur son compte, que les faits démentent pourtant.

Les jeunes n’auraient pas « spontanément » envie de travailler, ce qui justifierait la construction de dispositifs d’incitations plus marqués pour les pousser à s’insérer professionnellement.

Interrogés sur l’importance du travail par une enquête en 2013 ([86]) menée par Camille Peugny et Cécile Van de Velde, la réponse est pourtant unanime : 81 % des jeunes de 18 à 25 ans répondaient favorablement.

Parmi les statistiques déjà citées et qui vont dans le même sens, on pourrait évidemment rappeler la très faible part d’inactifs ne cherchant pas du tout d’emploi, et en général pour une raison familiale (un tiers environ), ou encore la très forte proportion d’étudiants qui travaillent en même temps que leurs études.

Et si le taux de chômage des jeunes est effectivement élevé, on peut rappeler qu’il correspond à un manque structurel d’emplois qu’aucune volonté, même la meilleure, ne pourrait créer à l’échelle individuelle. Trouver une place est évidemment plus difficile pour les « entrants ».

L’idée que la jeunesse préférerait la flexibilité, qui correspondrait à son mode de vie ou à sa vision du monde, pour justifier cette situation précaire, est malheureusement banale.

S’agissant du temps partiel, sa prévalence dans les catégories les plus fragiles sur le marché du travail est très largement subie, comme le rappelle le graphique ci-dessous, présenté par l’observatoire des inégalités :

 

Il en va de même de l’intérim : dans l’enquête de 2013 précitée, à la question de l’épanouissement dans le travail, seuls 43 % des réponses étaient favorables chez les intérimaires, soit 20 points de différence avec les autres jeunes ([87]).

Enfin, le statut d’indépendant est lui aussi bien souvent choisi par défaut. Certains indices ne trompent pas : l’INSEE rappelle que les jeunes sont surreprésentés chez les micro-entrepreneurs (18 % alors qu’ils ne représentent que 6 % des indépendants « classiques ») ([88]) mais aussi que les indépendants de moins de trente ans sont légèrement surreprésentés chez les indépendants dépendants économiquement d’un seul client (9 % contre 8 % pour l’ensemble) ([89]).

Ces statistiques dessinent peut-être les contours d’une réalité bien identifiée autour de ces faux « indépendants » passant souvent par des plateformes dont ils dépendent sans bénéficier de la protection sociale offerte par le statut de salarié.

Enfin, la jeunesse serait cette période de cohabitation heureuse avec sa famille avant un véritable âge adulte qui se situerait davantage autour de 25-30 ans au moment d’une insertion plus nette sur le marché de l’emploi.

Cette idéalisation, qui justifie la familialisation de notre système, est loin de correspondre à toutes les réalités, à commencer par celles des jeunes de l’aide sociale à l’enfance (ASE), qui n’ont pour certains pas le moindre soutien familial une fois arrivé à l’âge adulte.

Ensuite, la cohabitation lorsqu’elle existe est largement subie comme le montrent l’étude de la DREES « Vivre chez ses parents » déjà citée ou encore l’étude de l’INSEE menée en 2018 sur les 18-29 ans habitant chez leurs parents ([90]). C’est vrai dans l’ensemble de la population hébergée chez ses parents (les trois quarts estiment ne pas avoir les moyens d’avoir un logement indépendant).

Enfin, si l’entraide familiale peut exister, elle n’est pas toujours facile à instaurer en cas de conflit ou de rupture, et en tout état de cause, pas suffisante.

II.   Ce choix n’est pas une fatalité

A.   égaliser les droits sociaux au RSA, comme première marche...

1.   Une mesure « à portée de main » et largement soutenue

L’extension du RSA aux 18-24 ans a un double mérite :

– le premier et non le moindre, c’est qu’elle repose sur une allocation existante ne nécessitant pas de travaux techniques particuliers, contrairement à un revenu de base ou un revenu universel d’activité entendant fusionner plusieurs prestations ; l’échec du Gouvernement à mettre en œuvre ce dernier dans les délais impartis est d’ailleurs symptomatique de ce point de vue ;

Où est passé le revenu universel d’activité ?

Le 13 septembre 2018, à l’occasion du lancement de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, le Président de la République annonçait sa volonté de mettre en place un « revenu universel d’activité ».

Des travaux techniques ont été lancés, auxquels il est parfois fait référence dans le présent rapport, en même temps qu’une consultation et des ateliers citoyens de début 2019 à avril 2020, la proposition devant aboutir courant 2020. Entre‑temps des débats forts ont émergé comme sur l’inclusion de l’allocation adulte handicapée qui a causé le départ de certaines associations de la concertation ([91]). Ces questions de périmètre étaient d’autant plus sensibles que le Gouvernement avait annoncé son intention de faire cette réforme, potentiellement massive compte tenu des quinze minima sociaux qui cohabitent aujourd’hui, à budget constant, ce qui ne pouvait manquer d’inquiéter (qui seraient les perdants ? qui seraient les gagnants ?) et d’intriguer (quels apports pouvaient avoir une réforme de cette ampleur si elle n’était pas l’occasion d’améliorer le filet de protection existant ?).

La crise sanitaire a interrompu les travaux qui n’ont depuis repris que dans l’optique de remettre un rapport technique avec des scénarios avant la fin de la législature.

– la seconde est que la proposition a réussi à faire converger autour d’elle toutes les bonnes volontés en direction de la jeunesse ; sont ainsi favorables à l’extension du RSA aux 18-25 ans, sans prétendre ici à l’exhaustivité tant le consensus s’élargit chaque jour :

Les Français dans leur ensemble évoluent sur la question. En 2018, le baromètre de la DREES montrait que 46 % étaient favorables à l’extension du RSA aux 18-25 ans, dont 68 % des étudiants, 63 % des chercheurs d’emploi, 36 % des intermittents et 58 % pour ceux qui n’ont pas d’activité professionnelle, soit les plus concernés ([92]).

La crise semble avoir fait basculer, et de manière extrêmement nette, ce « quasi-50-50 » puisqu’un récent sondage indiquait que la mesure recueillait désormais l’approbation de 68 % des Français dont 75 % des moins de 25 ans, ce qui a fait dire au vice-président de l’institut qui l’a produit, Bruno Jeanbart, peu suspect de sympathies gauchisantes, que le sujet « fait polémique sur la scène politique, mais pas dans l’opinion, où le sentiment d’urgence et celui qu’il y a un trou dans la raquette, dominent » ([93]). Cette analyse du « décalage » (Cécile Van de Velde) rejoint les observations de nombre de personnes auditionnées.

2.   Des effets potentiellement considérables pour réduire la pauvreté et envoyer un signal clair à la jeunesse

L’instauration d’un revenu de solidarité active pour les 18-24 ans aurait des effets considérables sur les niveaux de revenu de cette population, et même très probablement de l’ensemble des ménages modestes puisqu’aujourd’hui c’est la solidarité familiale, y compris dans les ménages les plus pauvres qui est sollicitée.

Si la mesure est jugée parfois coûteuse ([94]), c’est bien parce qu’elle constitue une mesure de transfert massif vers les ménages, avec de très nombreux gagnants nets. Les chiffrages réalisés au moment du revenu universel d’activité montraient un champ potentiel de bénéficiaires à 4,5 millions de jeunes adultes ([95]), sur 5,5 millions de jeunes adultes. En 2016, Christophe Sirugue estimait déjà qu’une extension sur les 21-24 ans non étudiants, donc une mesure plus partielle que celle proposée dans la présente proposition de loi, « diminuerait le taux de pauvreté de la tranche d’âge considérée de 3,8 points ». Une mesure similaire comprenant les étudiants n’est malheureusement pas disponible, mais ce point de comparaison donne une idée de l’ampleur possible d’un tel changement.

Le gain serait massif bien évidemment pour l’ensemble des jeunes qui sont privés de toute allocation, mais aussi pour une grande partie des étudiants pour lesquels elle remplacerait de faibles bourses, et ferait disparaître les effets de seuils massifs entre les échelons.

Accorder le RSA comme un véritable droit pourrait aussi, ainsi que l’a relevé Tom Chevalier lors des auditions, faire progresser la reconnaissance de la jeunesse en réconciliant majorité politique et majorité sociale, avec une véritable égalité autour d’un dispositif de droit commun.

Gains symboliques et gains matériels, ou « logique de compensation rapide » et « logique de représentation politique » pour reprendre une typologie exposée en audition par Cécile Van de Velde, se joindraient ici en direction d’une jeunesse qui pourrait se réconcilier avec les institutions.

Agir pour la jeunesse et confiance institutionnelle

Dans un article particulièrement éclairant publié en 2019 où il mobilisait les données de l’Europen social survey, Tom Chevalier a montré qu’une citoyenneté économique plus inclusive, d’une part, et qu’une citoyenneté sociale plus individualisée, d’autre part, augmentaient significativement la confiance des jeunes dans les institutions. La citoyenneté économique s’entend dans l’étude des moyens mis en œuvre par l’État pour aider l’individu à accéder au marché du travail et la citoyenneté sociale des conditions d’accès à des ressources directes (prestations).

Tom Chevalier crée à partir de cette typologie des modèles-types des différents pays européens puis compare les niveaux de confiance des jeunes dans leurs institutions publiques respectives.

Pour le rapporteur, cet « effet-retour » de l’ouverture de droits généreux et individualisés pourrait clairement trouver à s’appliquer en cas d’ouverture du RSA aux 18-24 ans. De telles conséquences « politiques » ne seraient pas le moindre des impacts d’un tel dispositif, surtout si à un effet de la prestation (« citoyenneté sociale ») s’ajoute rapidement un solide volet d’insertion (« citoyenneté économique »).

Cette logique politique globale se vérifie aussi très probablement à sa manière à l’échelle « micro » : instaurer un revenu minimal dès 18 ans peut être aussi, selon une formule entendue lors d’un entretien avec une professionnelle travaillant dans une mission locale, une bonne occasion pour l’ « institution » de « faire ses preuves ». Les premiers retours de l’expérience conduite par la métropole lyonnaise d’un revenu minimum de 400 euros par mois semblent d’ailleurs aller dans ce sens.

Source : Chevalier, Tom. « La confiance institutionnelle des jeunes en Europe. Quel effet de l’action publique ? », Revue française de sociologie, vol. 60, no. 1, 2019, pp. 13-42.

B.   ... sans préjudice de l’engagement de chantiers plus vastes

Pour le rapporteur, l’extension du RSA aux jeunes adultes ne saurait être perçu comme une solution ‑ ni comme une fin en soi. Comme l’a rappelé avec justesse le chercheur Nicolas Duvoux, qui défend avec ferveur l’extension du RSA depuis 2012 : « Personne ne vous dira jamais que le RMI ou le RSA, c’est génial ». Avec 500 euros par mois, et à n’importe quel âge de la vie, on ne vit pas, on survit.

Sur le plan étudiant, une telle réforme n’a pas vocation à occulter le sujet du montant des bourses, même s’il changerait nécessairement les termes du débat : il serait ainsi envisageable d’aller vers un modèle danois extrêmement généreux de soutien aux études, mais en attendant, le RSA resterait l’allocation de référence pour la plupart des étudiants.

Dans le champ de l’insertion, la réforme ne s’entend pas sans une réflexion extrêmement approfondie sur ce que pourrait être l’accompagnement des allocataires. Pour le rapporteur, l’allocation, ouverte très largement à 18 ans, pourrait devenir la clef d’accès à un suivi beaucoup plus complet et beaucoup plus constant des besoins en termes d’autres droits sociaux, d’accès au logement, à la santé, de formation, etc.

Parmi les pistes intéressantes nées des auditions, celle consistant à permettre un référent unique, potentiellement choisi sur le modèle d’un médecin traitant, semble particulièrement prometteuse.

Dans cette nouvelle architecture, ce serait bien sûr une bonne articulation entre les services départementaux, les missions locales et les caisses d’allocations familiales qui devrait être trouvée. S’agissant de l’interaction entre ces dernières, le rapporteur est convaincu que le fait de décharger les missions locales de leur mission de versement de l’allocation serait particulièrement propice à améliorer les relations avec les jeunes suivis, et à se recentrer encore davantage sur le conseil et l’orientation, en libérant des moyens pour le véritable « cœur de métier » des missions locales.


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   commentaires d’articles

Article 1er
Créer un RSA ouvert aux 18-25 ans

Rejeté par la commission

L’article 1er propose d’ouvrir le revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, contre 25 ans aujourd’hui, y compris pour les étudiants aujourd’hui cantonnés au système de bourses.

I.   Une exclusion des 18-25 ans toujours renouvelée, jamais justifiée

A.   Une exclusion qui remonte au revenu minimum d’insertion

La « frontière » à 25 ans entre un âge adulte « mineur » et un âge « responsable », pour lequel on serait digne de recevoir des minima sociaux lorsque l’on est dans le besoin, remonte à la création du revenu minimum d’insertion en 1988. Or, il est frappant de constater, en reprenant les travaux préparatoires à la loi du 1er décembre 1988 ([96]) que cette question cruciale a été aussi peu débattue que justifiée à l’époque.

Ainsi, le rapporteur à l’Assemblée nationale, M. Jean-Michel Belorgey semble prendre la limite retenue par le Gouvernement pour acquise, tout en en pointant – déjà ! – les limites :

« S’agissant des jeunes, on comprend que l’intention du Gouvernement est de ne pas leur permettre d’accéder au minimum d’insertion avant l’âge de 25 ans et ceci repose a priori sur des raisons assez convaincantes :

«  l’existence, pour les jeunes n’ayant pas atteint cet âge, de dispositifs spécifiques d’insertion professionnelle ;

«  la nécessité de ne pas favoriser la décohabitation des jeunes adultes d’avec leurs familles, singulièrement quand celles-ci ont les moyens de pourvoir à leurs besoins, hypothèse dans laquelle le revenu d’insertion servi aux jeunes isolés ne constituerait qu’une ressource d’appoint pour des personnes déjà pourvues.

« Reste que ce jugement tend à s’effriter au moins partiellement à l’analyse :

«  le dispositif d’insertion prévu en faveur des jeunes couvre en fait ceux-ci jusqu’à ce qu’ils aient atteint l’âge de 26 ans ([97]) ;

«  nombre de jeunes de milieu modeste ou démunis ont, sous l’effet de la crise, été rejetés par leurs familles et sont en situation particulièrement difficile ;

«  les dispositifs d’insertion sont loin de déjouer à coup sûr et de procurer à ceux qui en ont bénéficié des débouchés professionnels stables ou des suppléments de débouchés, d’où il résulte qu’après avoir touché pendant un certain temps une allocation d’insertion, le jeune adulte peut se trouver à nouveau sans emploi et socialement à découvert ;

«  aussi bien nombre de compléments locaux de ressources ont-ils été conçus pour être accordés aux jeunes ;

«  le problème des jeunes chargés de famille mérite, quant à lui, une attention singulière, pour au moins deux motifs :

« 1°on sait que si l’on veut encourager la natalité, ce qui reste, en principe au moins, toujours à l’ordre du jour, il faut encourager la natalité dans les jeunes ménages ; aussi serait-il paradoxal qu’on laisse à découvert des jeunes couples chargés d’enfants, sachant de surcroît, d’une part qu’on ne laisserait à découvert que les jeunes couples de type classique, puisque les familles monoparentales bénéficient pour leur part de l’allocation de parent isolé, dans les conditions qu’on connaît, d’autre part que l’absence des prestations familiales pour les ménages classiques d’un enfant met ce type de ménage dans une situation singulièrement difficile alors que, s’il est un âge où il risque de s’en rencontrer, c’est bien celui où un jeune couple est amené à avoir son premier enfant ;

« 2°pour un motif de cohérence pure tenant à ce que le choix retenu conduirait à la prise en charge, dans le cadre du revenu minimum d’insertion, d’un couple composé d’un parent de 25 ans et deux jours et d’un autre de 16 ans, mais déboucherait sur le rejet de la candidature d’un couple composé de deux parents de 24 ans et 6 mois...!

« Il convient, par conséquent, pour le moins, d’admettre que sont susceptibles de bénéficier du revenu minimum d’insertion les personnes de moins de 25 ans en charge de famille, ce qui ne conduit en fait, à accepter comme charge supplémentaire, puisqu’une bonne partie des ménages monoparentaux sont déjà couverts par une autre voie, celle de l’API, que les ménages classiques. De même, de manière à ne pas courir le risque d’alourdir la situation des intéressés, jusqu’à ce qu’ils aient franchi l’âge de 25 ans, et de ne pas différer jusqu’au même âge la conduite d’efforts d’insertion complémentaires à ceux dont ils ont déjà bénéficié, on pourrait songer à prendre en charge les jeunes de moins de 25 ans ayant déjà bénéficié sans succès d’une action d’insertion et épuisé leurs droits à ce titre. »

Cette « explication de texte » appelle quelques observations :

– les motifs conduisant à fixer une frontière sont restés au stade des débats assez flous ([98]), de même que le choix des 25 ans lui-même ;

– la « décohabitation », qu’il faut ici comprendre comme le fait de quitter le foyer fiscal de ses parents, est présentée comme un risque, et non comme une chance ou comme un souhait ; la question des foyers les plus aisés est par ailleurs clairement posée ;

– les limites du dispositif n’étaient pas inconnues à l’époque, mais elles ont simplement été jugées moins fondamentales que les considérations familialistes ;

– le rapporteur de l’Assemblée nationale n’a été suivi au cours des débats dans ses légitimes interrogations que sur la situation des 18-25 ans qui assument la charge d’un ou plusieurs enfants, et non sur la question des jeunes en échec d’insertion.

La frontière des 25 ans est donc demeurée le principe jusqu’à aujourd’hui, si l’on excepte la tentative ratée – et totalement contradictoire avec la préoccupation du rapporteur Belorgey – d’instaurer en 2010 un RSA « jeunes actifs » effectif en direction des jeunes travailleurs les mieux insérés.

Aussi, le RMI tel qu’il est adopté en 1988 n’est-il ouvert avant 25 ans que pour les chargés de famille, mesure dont l’ampleur est qualifiée par le rapporteur pour avis de la commission des finances du Sénat d’alors comme « d’ampleur relativement limitée » ([99]). Corollairement, la loi prévoit qu’un enfant à charge pour le calcul de l’allocation peut avoir jusqu’à 25 ans.

Des motifs ont été cherchés a posteriori par les spécialistes de la question, sans succès. Ainsi, Claire Magord, spécialiste de l’aide sociale, pose l’hypothèse en 2016 que « parfois, et plutôt indirectement, les décideurs peuvent légitimer cette exclusion en référence à l’obligation civile d’entretien » ([100]) et conclut plutôt que cette limite à 25 ans « a été fixé[e] au regard de certains critères d’âge pour la fin des études universitaires et l’accès à des dispositifs d’insertion et de formation professionnelle existant à la fin des années quatre-vingt » ([101]).

Cette configuration sera globalement confirmée ([102]) avec :

– la loi d’adaptation du RMI en 1992 ([103]), avec l’appui de la commission nationale d’évaluation du RMI, sans véritable désaccord sur ce point entre les deux chambres ; les arguments ont peu évolué depuis 1988 comme l’indique le fait que rapporteur du Sénat estime qu’ « il convient de ne pas désinciter les jeunes au travail en les faisant entrer dans le système du RMI et [qu’]il faut laisser jouer à leur profit les mécanismes d’insertion professionnelle et sociale » ([104]) ;

– en 2008, lors de la discussion sur le projet de loi instaurant le RSA ([105]), la question est à nouveau contournée : le sujet est rapidement abordé durant le Grenelle de l’insertion, puis lors de l’examen du texte par le biais d’amendements rejetés ; l’enjeu semble secondaire à lire le rapporteur de l’Assemblée nationale qui estime à titre rétrospectif que le « RMI a en revanche une vocation quasi-universelle, puisque n’en sont guère écartés que les jeunes de moins de vingt-cinq ans (s’ils n’ont pas d’enfant), les étudiants et certaines catégories d’étrangers » et que les conditions d’éligibilité au RSA en matière d’âge « sont alignées sur celles en vigueur pour le RMI » ; interpelé sur ce même sujet par un amendement du député communiste Roland Muzeau souhaitant expérimenter le RSA pour les moins de 25 ans, le rapporteur invoque « les distorsions qui seraient créées selon que les jeunes travaillent ou non » et le président de la commission les « situations très différentes » dans lesquelles peuvent être les jeunes de moins de 25 ans ([106]) ;

– la loi de finances pour 2010 ([107]) crée le RSA « jeunes actifs », sans que celui-ci ne touche jamais un public très large (cf. commentaire de l’article 2).

Depuis, si le cadre juridique a peu changé, les travaux institutionnels convergent en faveur d’un RSA pour les moins de 25 ans. On peut citer parmi elles :

– le rapport rendu en 2016 par Christophe Sirugue propose plusieurs scénarios, qui tous impliquent d’ouvrir à terme le RSA aux moins de 25 ans ([108]) ;

– le Conseil économique, social et environnemental s’est prononcé en avril 2017 en faveur d’une allocation minimale ouverte dès 18 ans ([109]) ;

– les travaux autour du revenu universel d’activité (RUA) semblaient converger vers une ouverture de l’allocation unique dès 18 ans, selon des modalités pratiques qui restaient toutefois à définir ([110]) ;

– plus récemment encore, le comité d’évaluation de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, placé auprès du Premier ministre, s’est très clairement prononcé en faveur de l’expérimentation du RSA pour 18-24 ans.

B.   Une situation d’inégalité totale en droits

La question de l’âge d’accès à 25 ans n’est pas (seulement) une question philosophique mais une question d’égalité des droits entre des citoyens dont on voit mal sur quelles différences objectives de situation elle serait fondée.

On se contentera ici d’énumérer une partie des effets pervers de cette dissociation entre la citoyenneté politique et la citoyenne civile, parfaitement artificielle :

– en fixant l’âge d’entrée dans le RSA à 25 ans, on pose le principe que la solidarité familiale s’exercerait toujours avant et plus du tout ensuite ; or, tout dément ce constat :

– cette frontière des 25 ans crée un vide total pour les jeunes qui n’ont aucune attache familiale, au premier rang desquels les jeunes en sortie de l’ASE, qui ne bénéficient du soutien du département via le contrat jeunes majeurs, lorsqu’il est effectivement proposé ([111]), que jusqu’à 21 ans ;

– l’âge de 25 ans est parfois associé, comme on l’a vu dans les débats autour de la mise en place du RMI et du RSA, à des enjeux d’insertion ; le jeune adulte jusqu’à 25 ans serait un être à part, naviguant entre sa formation initiale et des tentations de tomber dans la « paresse », tout en pouvant trouver facilement du travail, s’il le souhaite ; or, malgré son recul, l’âge moyen d’entrée dans la vie active reste de 21-22 ans, et seuls 36 % des jeunes de 20 à 24 ans sont encore en études ; on voit mal dans ces conditions ce qui justifie qu’un jeune en difficulté d’insertion de 25 ans peut obtenir une aide, faible mais vitale, de 500 euros tandis qu’un jeune en difficulté d’insertion depuis ses 18 ans ou depuis la sortie de ses études supérieures n’aurait droit à rien ou à des dispositifs dérogatoires, lorsqu’ils existent ; on pourrait même inverser le raisonnement totalement : un jeune adulte entre 18 et 24 a mécaniquement moins de chance d’avoir d’autres revenus de remplacement, notamment en termes d’assurance chômage, ce qui rend d’autant plus indispensable l’extension du « filet de sécurité » que constitue le revenu de solidarité active.

C.   Des mesures de contournement du problème qui demeurent insuffisantes

1.   Les jeunes sont renvoyés vers un « catalogue » de dispositifs fragmentés et incomplets

a.   Les dispositions qui préexistaient à la crise

i.   Les dispositifs d’insertion professionnelle

Créé par l’article 46 de la loi du 8 août 2016, le parcours contractualisé d’accompagnement à l’emploi vers l’emploi et l’autonomie (PACEA) est le mode d’action « normal » de la mission locale envers les jeunes.

Elle combine un accompagnement humain et une aide financière à la main du conseiller de la mission locale, qui est attribuée sous une forme contractuelle dans le cadre d’engagements réciproques avec le jeune concerné. L’accompagnement peut durer vingt‑quatre mois consécutifs. Le montant maximum de l’allocation versée est de 497,01 euros par mois, soit le montant du RSA, mais les montants sont, en réalité, beaucoup, beaucoup plus faibles.

Le Gouvernement a fixé un objectif relativement ambitieux de passer de 340 000 PACEA en 2020 à 420 000 en 2021, dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » financé par le plan de relance. Or, ce dispositif représente, d’après le projet annuel de performances annexé au PLF pour 2021 ([112]), un montant de 104 millions d’euros ([113]), ce qui ramène mécaniquement le montant moyen versé à 250 euros... par an !

Le PACEA n’a certes jamais été conçu comme un véritable « filet de sécurité » et constitue d’abord une offre d’accompagnement, mais c’est pourtant le dispositif qui, par son ampleur, constitue la réponse principale pour les jeunes en recherche d’insertion.

La garantie jeunes constitue une modalité renforcée du PACEA qui offre un meilleur encadrement et, surtout, de meilleures conditions financières, proches de celles que propose le revenu de solidarité active.

Créé en 2014 sous un format expérimental et évalué très positivement, y compris par des institutions aussi exigeantes que la Cour des comptes ([114]), le dispositif est entré dans le droit commun en 2016. Si le nombre d’entrants croît progressivement, l’on demeure très loin d’une « généralisation ».

Le Gouvernement souhaite encore faire monter en charge le dispositif qui avait connu 99 911 bénéficiaires en 2019 en fixant un objectif de 100 000 jeunes en 2020, difficile à atteindre en raison de la crise (67 000, semble-t-il, réalisés), et de 200 000 pour l’année 2021. Ce nouvel objectif pourrait là encore se révéler difficile à atteindre, en raison des conditions sanitaires, des besoins de locaux mais aussi des garanties de financement tardives et encore incertaines sur certains aspects. Les conditions relatives aux financements indexés sur des objectifs qu’offre le Gouvernement aux missions locales semblent encore imprécises alors qu’on entre dans le 2ème trimestre de l’exercice concerné. La visibilité sur 2022 est quant à elle totalement inexistante.

Le dispositif demeure, de l’avis général des associations et chercheurs auditionnés par le rapporteur, fortement conditionné, ce qui ne lui permet pas d’être regardé comme un véritable « filet de sécurité » pour la jeunesse.

Le fonctionnement de la garantie jeunes la conduit mécaniquement à éliminer « par le haut », en écartant par principe les étudiants même pauvres, et « par le bas », ses conditions pouvant être extrêmement dissuasives pour les publics les plus fragiles et les plus isolés. À titre simplement d’illustration, il est par exemple très difficile pour une personne souffrant de troubles psychiques substantiels d’entrer dans la garantie jeunes, en raison de la phase collective initiale qui est peu adaptée à ce type de profil. De même, l’insertion visée par la garantie jeunes est directement l’emploi, mais paraît peu atteignable pour des jeunes souffrant, dans l’immédiat, de difficultés de logement. Cela ne signifie pas pour autant que ce jeune n’a pas besoin d’un accompagnement et d’une allocation minimale.

Les conditions pour entrer dans la garantie « jeunes »

Critères relatifs à l’état de la personne

 Âge : 16-25 ans

 Indépendance : vivre en dehors du foyer de ses parents OU vivre chez ses parents sans aide financière (foyer fiscal distinct, ou rupture familiale) ; si le jeune est rattaché pour l’année en cours, il doit se déclarer autonome à la prochaine campagne de déclaration des revenus ([115]).

 Être un « vrai » NEET :

o ne pas être étudiant

o ne pas suivre une formation

o ne pas avoir d’emploi (y compris une activité d’indépendant-autoentrepreneur, d’après ce qu’on nous disait ce matin)

Critères relatifs au parcours préalable et à la contractualisation

Être dans le PACEA, donc :

o Avoir fait un diagnostic approfondi avec le conseiller de la mission locale ;

o Avoir signé un contrat d’engagements réciproques, c’est-à-dire un formulaire Cerfa, complété d’une annexe qui comprend des engagements plus précis et un plan d’actions)

Critères de ressources pour l’allocation

• Ne pas avoir de ressources (= revenus d’activité, bourses, indemnités de stage, RSA jeunes actifs) supérieures à 497 euros dans les trois derniers mois.

Toutes ces conditions nécessitent de présenter des justificatifs : le CERFA, l’avis d’imposition, attestation sur l’honneur des ressources des trois derniers mois.

Source : commission des affaires sociales.

Outre les difficultés liées aux conditions d’entrée, ses modalités concrètes d’organisation ne conviennent pas à tous, qu’il s’agisse de la phase collective durant un mois, parfois perçue comme proche d’une obligation scolaire par certains jeunes, ou encore de la question, fondamentale, de la durée de la garantie jeunes.

Cette durée est fixée par l’article R. 5131-16 du code du travail à « douze mois ». Le même article permet sa prolongation de six mois sur décision de la commission locale, après quoi elle est financée sur les crédits de la mission locale, ce qui explique qu’elle ait été jusqu’ici rarement proposée. Cette durée constitue aujourd’hui une véritable limite, notamment pour des publics qui ont besoin de réaliser des formations plus longues dans des conditions matérielles satisfaisantes.

Logique dès lors que la garantie jeunes a été pensée et conçue comme un dispositif d’intensification et d’accélération de l’insertion professionnelle, cette durée devient un véritable frein à une sortie durable de la pauvreté pour des publics qui vont connaître, par construction, des hauts et des bas, au moins jusqu’à leurs 25 ans. Sur un plan matériel, la garantie jeunes ne peut donc qu’être qu’un bref répit dans les sept longues années qui séparent la majorité politique de la majorité sociale.

L’introuvable « garantie jeunes universelle »

Après avoir porté au pinacle le revenu universel d’activité (RUA) annoncé par le Président de la République au moment de l’annonce de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, le Gouvernement promeut désormais une garantie jeunes « universelle » dont les contours demeurent difficilement perceptibles, alors que les perspectives de la garantie jeunes post-crise sont déjà floues.

Comme l’a très bien montré le conseil d’orientation des politiques de jeunesse dans son rapport de décembre dernier ([116]), faire de la garantie jeunes un véritable droit à l’accompagnement de tous les jeunes suppose des changements majeurs dans sa mise en œuvre :

– lutter contre le non-recours, nécessairement très élevé pour la garantie jeunes dont le contingent n’a rien à voir avec les besoins ;

– assouplir les démarches administratives, notamment pour prouver la situation de précarité ;

– favoriser un cumul des ressources d’activité avec l’allocation de la garantie jeunes ;

– assouplir les critères de ressources des trois derniers mois ;

– lever le critère de rattachement au foyer fiscal ;

– confier aux caisses d’allocations familiales le versement de l’allocation ;

– élargir le droit à la garantie jeunes à l’ensemble des publics en difficulté (ex-enfants de l’ASE ou de la PJJ, mineurs non-accompagnés...) ;

– supprimer le critère d’être NEET pour la garantie jeunes ;

– diversifier les propositions d’accompagnement, pour ne pas se limiter au « work first » ;

– supprimer la condition de durée ;

– harmoniser tous les montants des autres aides à l’insertion avec le RSA.

Si le rapporteur ne peut qu’appuyer une grande partie de ces propositions, force est de constater qu’aucune garantie apportée par le Gouvernement ne permet de penser que celui-ci ira vers cette définition exigeante, la seule, de l’universalité pour la garantie jeunes.

Dans ces conditions, le rapporteur estime que les propositions du conseil d’orientation étayent bien davantage sa proposition que celles du Gouvernement qui ne semble pas prêt à franchir beaucoup des pas proposés pour faire de la garantie jeunes un véritable droit. Le président de la commission « insertion » du conseil d’orientation, qui est à l’origine de ce rapport, Antoine Dulin, ne s’y est d’ailleurs pas trompé en prenant personnellement position en faveur de l’extension du RSA aux 18-24 ans.

À l’inverse, pour le rapporteur, le risque ne peut être totalement écarté à ce stade que le projet, terminologiquement grandiose du Gouvernement autour de la « garantie jeunes universelle », ne s’achève par une évolution minimaliste. Celle-ci pourrait prendre la forme d’une vaste labellisation des dispositifs existants, dont le contingent serait un peu élargi (PACEA, garanties jeunes et AIJ de Pôle emploi).

Source : commission des affaires sociales, à partir du rapport du conseil d’orientation des politiques de jeunesse.

Créé en 2014 ([117]) par Pôle emploi, avec l’appui du Fonds social européen, pour compléter son offre de services, l’accompagnement intensif pour les jeunes (AIJ) vise les jeunes ayant des difficultés d’insertion sur le marché du travail et pour lesquels les conseillers de Pôle emploi, ou de l’APEC pour les jeunes chômeurs cadres, craignent qu’ils rentrent dans du chômage de longue durée.

Le dispositif est ouvert jusqu’à l’âge de 26 ans aux jeunes inscrits à Pôle emploi, qui perçoivent moins de 300 euros de revenus mensuels. Le montant de l’aide financière versée est fixé par Pôle emploi conseillé par la mission locale, et ne peut dépasser le montant du RSA chaque mois dans la limite de 1 491,03 euros sur six mois (la formation n’est donc plus rémunérée au-delà de trois mois). Il peut durer trois ou six mois, et se rapproche par son intensité de la garantie jeunes, dont il partage globalement les qualités mais aussi les défauts (durée limitée, contingentement, ciblage sur une catégorie particulière...).

Comme pour les autres dispositifs, le Gouvernement a intégré une hausse des publics accompagnés (135 000 en 2020, 240 000 en 2021). Ces chiffres, pour pouvoir être comparés avec les autres dispositifs, doivent être rapportés à la relative brièveté de l’accompagnement.

Lorsqu’ils suivent une formation professionnelle agréée, les demandeurs d’emploi non indemnisés perçoivent une indemnisation fixée par décret (article L. 6341-7 du code du travail).

Le Gouvernement avait annoncé leur revalorisation « dans le courant du 1er trimestre 2021 » de 70 euros pour les mineurs (130 à 200 euros) et de 200 euros pour les 18-25 ans (300 à 500 euros). Au moment de la parution de ce rapport, le décret n’était toujours pas publié.

En tout état de cause, un tel dispositif ne saurait constituer un filet de sécurité satisfaisant, d’autant qu’il n’est pas propre aux jeunes de 18 à 25 ans mais ouvert à l’ensemble des adultes, avec une grille très favorable aux personnes âgées de 26 ans et plus.

Comme à la naissance du RMI, les jeunes sont encore très largement renvoyés vers des emplois aidés, qu’il s’agisse des parcours emploi compétences ou des services civiques.

Pour mémoire :

– les « parcours emploi compétences » (PEC), et leurs homologues dans le secteur marchand les contrats initiative emploi (CIE), sont les nouveau-nés de la longue série de noms qu’ont reçus les contrats aidés en direction des personnes très éloignées de l’emploi ; remplaçant notamment les « emplois d’avenir », les parcours durent en principe douze mois et sont très fortement subventionnés par l’État (de 30 % à 80 % pour une salarié au SMIC) ; d’après la documentation budgétaire, on compterait en 2021 130 000 contrats dédiés au public « jeune » financés par la mission Plan de relance et 100 000 PEC non ciblés financés par la mission Travail et emploi ([118]) ;

– les « services civiques » est un engagement qui peut être réalisé auprès d’un organisme à but non lucratif, d’une personne morale de droit public ou d’une organisation internationale pendant six à douze mois pour assurer certaines missions ; le jeune volontaire perçoit alors 473 euros par mois ; le plan de relance a prévu 20 000 services civiques en 2020 et 80 000 en 2021, en plus des 145 000 financés « habituellement ».

Pour utiles qu’ils puissent être, ces dispositifs constituent du travail dont il est normal qu’il soit rémunéré, sans qu’ils n’affaiblissent la pertinence d’un véritable « filet de sécurité » pour ceux qui n’en ont pas.

En outre et comme pour les autres dispositifs, les durées proposées ne permettent d’envisager, dans la période de chômage massive qui se prépare, que d’enchaîner les différents dispositifs, sans réelle perspective d’insertion.

Quant aux annonces du Gouvernement, elles supposent de pouvoir trouver des recruteurs intéressés, avec des missions réellement « professionnalisantes », ce que ces dispositifs dans leur dimensionnement habituel ne parvenaient pas toujours à faire.

ii.   Les dispositifs étudiants ou mixtes

Réponse en principe « automatique » à la pauvreté étudiante, les bourses d’enseignement supérieur en France sont en réalité très faibles et ont décroché par rapport au niveau de vie de l’ensemble de la population et par rapport au public touché (cf. graphique supra).

S’agissant des montants, ils s’échelonnent pour l’année universitaire 2020/2021 de 1 032 euros à 5 679 euros par an, soit 103,20 euros à 567,90 euros sur les dix mois pendant lesquelles elles sont effectivement versées. Ce versement sur dix mois est fortement critiqué par les organisations étudiantes, auditionnées par le rapporteur, qui pointent à très juste titre le fait que les coûts, notamment du logement mais aussi du transport, ne s’arrêtent pas nécessairement pendant l’été. Cette « éclipse » des aides suscite une forte angoisse chez les jeunes, la crainte de perdre son logement, lorsque les « jobs d’été » se font rares. Il est possible de demander une prolongation des droits sur douze mois, mais cette faculté semble mal connue et difficilement prévisible, y compris pour les publics qui devraient être prioritaires comme les jeunes issus de l’aide sociale à l’enfance.

Quant aux montants, ils sont au mieux équivalents à celui du RSA, 567,10 euros à l’échelon 7 si le montant est prolongé sur douze mois, et doivent par ailleurs être rapportés au coût de la vie étudiante (voir supra) mais aussi à la mécanique de calcul des échelons.

Les statistiques du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) rappellent ainsi que la répartition en fonction des échelons n’est pas du tout linéaire :

Effectifs et répartition des boursiers
sur critères sociaux

 

Montant annuel en euros

Effectifs

%

% cumulé

Echelon 0

1 020

230 931

32,2

32

Echelon 1

1 687

102 604

14,3

47

Echelon 2

2 541

53 248

7,4

54

Echelon 3

3 253

53 504

7,5

61

Echelon 4

3 967

51 185

7,1

69

Echelon 5

4 555

93 688

13,1

82

Echelon 6

4 831

83 614

11,7

93

Echelon 7

5 612

49 181

6,9

100

Total

 

717 955

100

 

Aide au mérite

900

38 757

5,4

 

Source : commission des affaires sociales à partir de MESRI, note flash n°18, octobre 2020.

En outre, les associations étudiantes indiquent à juste titre que les écarts entre les échelons sont souvent minimes, avec des effets de seuil considérables. Ainsi, l’écart entre l’échelon 4 et l’échelon 5 qui permet de gagner 600 euros de plus chaque année est en moyenne, toutes choses égales par ailleurs, de 2 000 à 2 500 euros. Dit autrement, un foyer qui gagne 190 euros de plus par mois, peut perdre 50 euros par mois de bourses par enfant étudiant.

Le tableau ci-dessus montre donc bien le cynisme qu’il peut y avoir à renvoyer les étudiants aux bourses sur critères sociaux pour les exclure du revenu de solidarité active.

La moitié des étudiants relèvent des échelons 0 et 1 et touchent donc moins de 200 euros par mois, hors aides au logement. À l’inverse, à peine 7 % des boursiers touchent effectivement l’échelon maximal.

Cette réalité doit être mise en regard d’un barème particulièrement « raide » : rappelons ici que l’étudiant ayant deux parents rémunérés au SMIC, un frère ou une sœur non étudiant et vivant à 200 km du lieu d’études relève de l’échelon 1 ([119]) et que ce même étudiant ayant deux parents touchant en revenus d’activité l’équivalent du RSA couple ([120]) (12 000 euros annuels) n’est qu’à l’échelon 5. L’échelon 7 est lui quasiment inaccessible - hors RSA ou autres minima sociaux - avec un barème qui fixe le seuil de ressources entre 250 euros (annuels !) pour un étudiant dont la famille vit à moins de 30 km du lieu d’étude et n’ayant pas de frère et sœur et 4 500 euros par an pour une famille ayant, pour prendre deux cas extrêmes, trois frères ou sœurs faisant des études supérieures ou six enfants ne faisant pas d’études.

Normalement calculées sur le revenu de l’année n-2, les bourses pourront durant la crise voir leurs demandes de bourse réévaluée au regard de la perte de revenus familiaux en 2020, ce qui constitue un progrès réel mais bien modeste au regard des enjeux qui viennent d’être exposés.

Le dispositif des APL a été présenté supra et il correspond à un vrai enjeu, que le rapporteur estime distinct de celui du RSA. Il constate par ailleurs que sa relative universalité l’a jusqu’ici plutôt protégé politiquement.

Il n’en reste pas moins qu’il peut difficilement être comparé à un revenu, tant il est lié à un loyer à payer, ce qui conduit d’ailleurs à un sujet de ciblage de ces dispositifs : les aides au logement n’aident par construction que les jeunes qui parviennent à décohabiter. Or, pour décohabiter, il faut la plupart du temps pouvoir être soutenu par ses parents...

Le visa pour le logement et l’emploi (VISALE) est une caution gratuite créée en 2016 pour remplacer la garantie universelle des loyers (GUL). Ses conditions sont fixées par une convention entre l’État et l’union des entreprises et des salariés pour le logement (UESL). En cas d’impayés, c’est Action Logement qui paye le propriétaire avant de se retourner contre le locataire. Le dispositif vise à rassurer les propriétaires vis-à-vis de locataires n’ayant pas de garants suffisants dans leur entourage.

Elle est ouverte de 19 à 30 ans sans conditions, et au-delà de 30 ans durant les 6 mois qui suivent une prise de fonction ou une mutation professionnelle, dans la limite d’un loyer de 1 500 euros à Paris et de 1 300 euros dans le reste de la France. Depuis sa création, la garantie VISALE aurait couvert 300 000 locataires. Cela semble à la fois beaucoup et peu. La Cour des comptes relevait en janvier 2020 que « les résultats atteints demeurent toutefois insuffisants par rapport aux enjeux et à une demande forte », après que le dispositif a connu « des débuts hésitants et difficiles » ([121]).

De l’avis général confirmé lors des auditions, le dispositif est en effet aussi utile que méconnu et donc sous-employé.

b.   Les dispositifs créés à l’occasion de la crise

Durant la crise, le Gouvernement a procédé à plusieurs versements d’aides exceptionnelles. Toutes n’ont pas concerné les jeunes adultes (versement aux foyers bénéficiaires d’APL, du RSA ou de l’ASS en avril 2020, majoration de l’allocation de rentrée scolaire...).

Initialement oubliés en avril, les jeunes de 18 à 25 ans bénéficiaires des aides au logement en avril ou en mai, ce qui excluait de fait les jeunes vivant chez leurs parents, ont bénéficié d’une aide de 200 euros en juin puis de 150 euros en novembre.

De manière plus sectorielle, depuis le 25 janvier, des repas à 1 euro sont disponibles dans les restaurants universitaires pour le déjeuner et pour le dîner et une aide de 1 000 euros à l’installation est disponible pour les moins de 25 ans dont le salaire est inférieur à 1 400 euros. Ces dispositifs récents, pour ne pas dire tardifs, ne sont sans doute pas encore suffisamment montés en puissance, mais leur mise en œuvre fait déjà débat et les conditions d’accès ne semblent pas toujours assurées ([122]).

Par ailleurs, ces aides « en pointillé » – pour ne pas évoquer les « miettes » comme l’a fait la chercheuse Cécile Van de Velde lors de son audition – s’inscrivant dans le cadre d’une politique plus générale beaucoup moins favorable (baisse des APL, gel des plafonds et faible revalorisation des bourses, suppression de l’ARPE, etc.), il est permis de suspecter que ce type de mesures n’augurent pas nécessairement une volonté de changer structurellement la situation.

Parmi les effets surprenants de la crise, on peut relever la résurrection – probablement temporaire – d’une prestation que le Gouvernement avait supprimée en... 2019 ([123]).

L’aide à la recherche du premier emploi (ARPE) permettait à un jeune diplômé anciennement boursier ou à un ancien apprenti ayant peu de ressources, à la recherche d’un premier emploi, de toucher une aide équivalente à la bourse perçue ou à 300 euros pour les anciens apprentis. Cette aide était perçue en 2017, année plutôt favorable à l’emploi, par 25 800 étudiants et 2 000 apprentis.

L’aide était accusée de grever le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de créer des « effets d’aubaine » pour les étudiants qui différaient leur entrée sur le marché du travail ([124]). Le dispositif était pourtant dans une phase de décélération (sur les 92 millions d’euros programmés en 2017, seuls 29,2 millions d’euros avaient été consommés).

Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », le Gouvernement a ouvert jusqu’au 3 juin 2021 aux anciens étudiants boursiers une aide versée pendant quatre mois de 100 euros plus 70 % de l’ancien montant de la bourse, qui rappelle curieusement le principe de l’ARPE.

Le « changement de pied » est louable mais le rapporteur reste frappé :

– par le fait que l’aide est plus favorable aux boursiers échelon 0 (170 euros au lieu de 100 euros) qu’aux boursiers échelon 7 (500 euros au lieu de 567) ;

– que le dispositif ne soit reconduit que jusqu’en juin 2021 alors que tous les économistes s’accordent à considérer que la vague de chômage va s’étaler sur l’ensemble de l’année ;

– que les anciens apprentis ne soient plus concernés par le dispositif ;

– que, d’après certains cas rencontrés, la condition de disponibilité pour occuper un emploi le jour de la demande soit parfois utilisée pour écarter des jeunes qui ont créé leur autoentreprise pour survivre dans des conditions difficiles.

2.   Au total, un paysage qui combine complexité et insuffisances

Ce long détour par les principaux dispositifs – il est difficile de prétendre à l’exhaustivité sur ce sujet – montre encore, s’il était besoin, le « maquis » des aides. Comme l’a très bien expliqué devant le rapporteur lors de son audition le chercheur Tom Chevalier, cette agrégation est directement la conséquence du refus de considérer les jeunes adultes comme des adultes à part entière, digne de bénéficier des dispositifs de droit commun et insoupçonnés de paresse.

Cette multiplication est d’autant plus dommageable qu’elle a des effets globalement négatifs sur la connaissance des dispositifs et, lorsqu’ils sont connus, sur leur perception, tant la diversité des conditions demandées et la multiplication des démarches successives – qu’implique nécessairement leur caractère insuffisant ou temporaire – ne peuvent que conduire à multiplier les demandes erratiques et les refus.

Dès lors, ce système dont il est parfois concédé par le Gouvernement qu’il aurait des « trous dans la raquette » ressemble plutôt, pour le rapporteur, à une passoire, qui oublie très volontairement des publics entiers, et massifs. Le non‑recours, le ciblage voire l’hyper-ciblage de chaque dispositif, l’absence de couverture décente capable de durer plus d’un an expliquent malheureusement beaucoup. On comprend ainsi mieux que nombreux soient ceux laissés de côté, surtout parmi ceux qui étaient très isolés. On ne peut que compatir au découragement de ceux – jeunes ou professionnels cherchant à l’accompagner – qui s’essayent à optimiser un système qui défie les capacités de compréhension d’un individu, même très diligent.

tableau récapitulatif des mesures existantes en comparaison du RSA

Aide

Public

Montant de l’aide (personne seule)

Autres conditions/spécificités

Mesure pérenne ?

Opérateur

Aides qui préexistaient à la crise

Allocation aux adultes handicapés

Personnes en situation de handicap

903,60 euros

Oui

MDPH

Garantie jeunes

NEETS, dans la limite d’un contingent de 200 000 personnes en 2021

497 euros (allocation différentielle)

Durée d’un an

Indépendance financière des parents

Oui, mais le contingent est fixé pour une année donnée

Missions locales

Bourses

Étudiants

103,2 à 567,9 euros sur dix mois

Conditions d’assiduité, variables selon les établissements

Oui

CROUS

RSA « jeunes actifs »

Jeunes adultes qui ont travaillé deux ans sur les trois dernières années

497 euros, 564 euros avec le forfait logement

Oui

CAF

Aides personnelles au logement

Locataires

241,73 à 295,93 euros

Pour les étudiants, seules les ressources personnelles sont prises en compte

Oui

CAF

Aides créées à l’occasion de la crise

Aides exceptionnelles

Bénéficiaires des APL

200 euros en juin puis 150 euros en novembre

Non

CAF

Nouvelle ARPE

Anciens boursiers disponibles pour travailler

400 euros

Durée de quatre mois

Non

Pôle Emploi

Doublement des aides du CROUS

Boursiers

Montant variable

Appréciation du CROUS

Non

CROUS

Restaurant universitaire à 1 euro

Boursiers

Subvention du repas

Non

CROUS

Proposition de loi

RSA 18-24 ans

Tous les résidents français du foyer fiscal

497 euros (564 euros avec le forfait logement)

Allocation différentielle

Oui

CAF

Source : commission des affaires sociales.

II.   L’article 1er propose d’ouvrir le revenu de solidarité active aux 18-25 ans, y compris les étudiants

Pour amorcer la résolution de cette situation inique par une solution immédiatement disponible, l’article 1er propose de lever les deux barrières d’accès de la jeunesse aux minima sociaux : l’âge d’ouverture possible des droits au revenu de solidarité active est ainsi supprimé, de même que l’exclusion des étudiants qui étaient écartés de droit, quel que soit leur âge.

A.   Un dispositif ouvert aux 18-25 ans sans exclusive

L’article 1er « déverrouille » ainsi l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles, qui pose les principales conditions de versement du revenu de solidarité active.

1.   Une ouverture à la majorité

En abaissant de 25 à 18 ans la condition d’entrée posée au 1° de cet article, la proposition de loi assure enfin la cohérence des âges de la majorité civique et sociale.

Concrètement, l’éligibilité sera donc atteignable à compter de son dix-huitième anniversaire. Si les modalités actuelles de calcul du RSA sont maintenues par le pouvoir règlementaire, sur la base d’un calcul trimestriel, le droit pourra être ouvert effectivement après avoir constaté que les ressources des trois derniers mois de la personne seront inférieures au montant forfaitaire actuel.

Deux possibilités s’offrent au pouvoir règlementaire :

– indexer ces trois premiers mois sur les revenus des parents, ce qui reviendra à priver nombre de jeunes de l’allocation pendant les trois premiers mois ;

– présumer de l’absence de ressources pour le trimestre qui précède les 18 ans, solution plus généreuse et plus cohérente avec la conception du « RSA » comme le nouveau point d’entrée des autres dispositifs.

La logique intrinsèque à la mesure veut que, pour obtenir le RSA, nombre de jeunes seront amenés, comme le prévoit déjà par principe l’article 6 du code général des impôts, à quitter à 18 ans le foyer fiscal de leurs parents.

La dérogation prévoyant le rattachement des enfants majeurs jusqu’à 21 ans ou 25 ans, s’ils poursuivent des études, restera possible, mais les ressources de l’ensemble du foyer étant prises en compte pour le calcul du RSA, cela reviendra dans l’immense majorité des cas à ne pas le toucher.

Comme l’a fait remarquer ATD Quart Monde lors de son audition par le rapporteur, le sujet risque de se poser surtout pour les jeunes qui s’émancipent d’un foyer lui-même bénéficiaire du RSA.

La perte d’un enfant à charge peut faire perdre selon les configurations entre 150 et 200 euros aux parents, ce qui peut entraîner une transition difficile. Toutefois :

– le jeune adulte émancipé touchera quant à lui de 497 à 564 euros, ce qui est bien supérieur à la perte des parents – qui servait en principe au moins en partie à des transferts vers ce jeune adulte au sein du foyer ; de nombreux sociologues comme Cécile Van de Velde ou Nicolas Duvoux ont utilement rappelé lors des auditions que le versement d’un tel revenu conduit bien souvent à de la redistribution vers les parents ;

– rien n’empêche le pouvoir réglementaire, maître en la matière, d’assouplir les transitions entre les deux systèmes, voire de revoir la définition d’enfant à charge.

Dans cette perspective, il n’est pas exclu que des jeunes issus des classes moyennes et aisées sortent du foyer fiscal de leurs parents pour toucher le revenu de solidarité active, la distinction se faisant au niveau du foyer « émancipé », comme pour les aides personnelles au logement, et non au regard des revenus des parents, comme pour les bourses sur critères sociaux.

Là encore, les effets resteront globalement bénéfiques en mettant les jeunes sur un relatif pied d’égalité en termes de moyens et d’autonomie, d’autant que l’issue n’est pas forcément évidente pour des enfants qui bénéficient de confortables transferts :

– si ces enfants quittent les foyers de leurs parents en n’étant plus à leur charge, le montant d’impôt sur le revenu supérieur acquitté par les parents aisés augmentera à concurrence de la demi-part ou de la part fiscale disparue ;

– si ces enfants touchent des pensions de leurs parents, qui doivent en principe être déclarées ([125]), celles-ci seront déduites, d’une part, de leur revenu de solidarité active, ce qui ramènera automatiquement l’équité entre les foyers ;

– enfin, si certains parents choisissent de donner moins, alors tous les foyers de 18-25 ans vivront avec des sommes similaires, éventuellement majorées par des bourses dans les conditions précisées ci-dessous.

Extension du RSA, décohabitation fiscale et effets-retours : un système plus favorable pour beaucoup et qui reste globalement juste

Les effets d’une telle réforme doivent être bien comparés aux caractéristiques du système actuel, à savoir :

– un système de calcul de RSA qui tient compte de la composition du foyer, si bien que la « décohabitation » d’un enfant peut conduire à une diminution du montant de celui versé aux parents ([126]) ;

– un système de quotient familial plafonné à 1 570 euros par part fiscale ; un enfant représente une demi-part et peut rester rattacher à son foyer, à condition d’être étudiant, jusqu’à 25 ans ; pour les foyers aisés, il est souvent préférable de recourir à la déductibilité de l’aide alimentaire comme décrit ci-dessous ([127]) ;

– un mécanisme de déductibilité de l’aide alimentaire apportée à ses enfants majeurs, dans la limite de 3 542 euros ([128]) lorsque l’enfant vit chez ses parents et de 5 959 euros lorsque l’enfant vit ailleurs ([129]) ;

– des aides personnelles au logement qui ne tiennent de toute façon pas compte des revenus des parents et pour lesquels le fait de quitter le foyer fiscal ne change rien, à situation de logement égale ;

– des bourses qui tiennent compte du revenu des parents ; ici, on part du principe qu’elles ne sont pas cumulables avec le RSA ;

– des allocations familiales qui continuent d’être versées jusqu’à 20 ans, sans lien avec le rattachement fiscal, et qui ne doivent pas changer non plus de par la seule extension ([130]).

L’effet de la proposition de loi est donc relativement simple à analyser :

 

Deux cas extrêmes peuvent ne pas avoir intérêt à recourir au RSA :

– le jeune étudiant venant d’une famille touchant uniquement le RSA car il peut actuellement cumuler une bourse échelon maximal et une majoration du RSA de ses parents ([131]) ;

– le jeune appartenant à un foyer aisé (étudiant ou non) car le rattachement permet de cumuler deux avantages fiscaux substantiels, plus favorables que le RSA.

Tous les autres cas de figures entre ces « pôles » extrêmes sont gagnants : les jeunes seuls sans ressources (c’est la raison d’être du RSA), les jeunes non-étudiants dans un foyer au RSA (le gain individuel du jeune surpasse la perte de majoration familiale des parents), les foyers qui touchaient des bourses limitées que le RSA complète, et dans une mesure plus faible un jeune étudiant sans ressources qui bénéficie d’une bourse (les montants de sa bourse et du RSA étant proches, il ne gagne « que » les deux mois d’été).

En élargissant la base des bénéficiaires, la réforme proposée « brasse large » mais renforce aussi la pérennité de la mesure, grâce au « paradoxe de la redistribution » ([132]). En ne fermant par principe la mesure à aucun jeune adulte, même si certains n’y ont objectivement pas intérêt, la mesure suscite davantage d’adhésion, contrairement à une prestation très ciblée qui peut susciter la défiance.

L’articulation est plus complexe en intégrant les effets de décohabitation effective, qui conduiraient à comparer les niveaux d’APL au sein ou en dehors de la famille, sans changer fondamentalement la conclusion précédente : le RSA cumulé avec les APL permettra peut-être à certains jeunes adultes de quitter le domicile de leurs parents, lesquels peuvent alors perdre du RSA et des APL, mais au total, l’ensemble est toujours plus élevé que dans la situation précédente.

Source : commission des affaires sociales, à partir des sites officiels de simulation du Gouvernement

Une telle mesure n’a donc certes pas pour effet de supprimer totalement les inégalités mais a nécessairement pour conséquence de les atténuer.

Les effets redistributifs certains du RSA pour les 18-24 ans

Il n’existe pas d’études approfondies testant précisément l’hypothèse d’une ouverture du RSA aux jeunes adultes sur la pauvreté et la redistribution mais de nombreux indices totalement concordants permettent d’avancer sans trop se tromper un effet potentiellement massif :

– l’effet des minima sociaux sur les conditions d’existence est désormais parfaitement documenté en prenant l’ensemble de la population : les minima sociaux (prime d’activité comprise) constituent une part très importante du niveau de vie du premier décile (un tiers environ) et même du premier quartile de la population (un quart environ) ; en prenant en compte le fait que les jeunes adultes sont globalement moins bénéficiaires des prestations familiales et touchent de moindres revenus d’activité que cette part de la population générale, on peut estimer que l’effet de l’instauration du RSA devrait être nettement supérieur encore, avec un public important pour lequel le RSA constituera à certains moments de leur vie 100 % de leurs revenus ; pour rappel, les minima sociaux comptent pour 26,4 % de la réduction des inégalités et constituent les prestations les plus progessives avec les aides au logement ([133]) ;

– de manière plus précise, il est possible d’extrapoler raisonnablement autour des calculs très sérieux réalisés dans le cadre du rapport Sirugue avec l’appui de la direction générale du Trésor que l’ouverture du RSA aux 21-24 ans pourrait faire baisser de 3,8 points le taux de pauvreté de cette tranche d’âge, ce qui est déjà « considérable » ; le rapport n’avait cependant pas eu le temps d’examiner les effets d’une ouverture à 18 ans, d’une part, et aux étudiants, d’autre part ; les modalités de ciblage ont évidemment une certaine importance ([134]) mais il semble logique de considérer :

     d’une part, qu’en élargissant le public une baisse de cet ordre de grandeur se produirait sur des effectifs beaucoup plus large, amplifiant les effets de redistribution décrits par le rapport Sirugue, ce qui semble hautement souhaitable ;

     d’autre part, que les publics « ajoutés » par rapport aux 21-24 ans non-étudiants n’ont pas des caractéristiques en termes de pauvreté nettement distinctes et sont potentiellement plus nombreux : pour rappel, on comptait environ 725 000 étudiants sous le seuil de pauvreté (ce qui correspond plus ou moins aux boursiers sur critères sociaux) contre 445 000 non-étudiants et toutes les études précitées montraient plutôt des niveaux de revenus plus faibles chez les 18-21 ans que chez les 21-24 ans, effet logique de la montée progressive des revenus d’activité avec la carrière ([135]) ;

     enfin, sur un plan plus conjoncturel, il est à craindre que la pauvreté en 2021 soit plus forte qu’en 2016, date de publication du rapport Sirugue, ce qui plaiderait pour un effet plus fort de la mesure qu’alors.

– il est enfin possible de raisonner par public :

     les anciens boursiers percevront tous un revenu social plus important (on passerait logiquement d’une moyenne de 220 euros de bourses à une moyenne de 500 euros, pour 700 000 boursiers, soit un transfert net des bourses antérieures de 2,3 milliards d’euros vers cette population – soit 18 % du coût total) ; ce transfert rétroagira probablement à court terme sur l’argent donné par leurs parents ou sur leurs activités professionnelles ; il faut bien noter que ces efferts seront en réalité toujours positifs, puisque l’argent non transmis par les parents permettra à des foyers éligibles à des bourses sur critères sociaux de conserver cet argent et aux étudiants de travailler moins pour mieux s’investir dans leurs études ; s’y ajouterait un public important de non-bénéficiaires de bourses actuellement mais qui ne donnent pas plus de 500 euros par mois à chacun de leurs enfants (dans le cas contraire, l’aide alimentaire pourrait être déduite soit du RSA, soit de la déduction fiscale des parents) ;

     pour le public en emploi ou en recherche d’emploi, selon les données fournies par la DREES dans l’étude précitée sur les ressources des 18-24 ans, la mesure – qui vise à assurer un revenu minimum de 500 euros aux jeunes concernés – toucherait beaucoup des jeunes femmes du premier quartile de revenus du travail, comme le montre le graphique ci-dessous ([136]) ;

     à l’inverse, les publics qui perçoivent une aide de leurs parents supérieure à 500 euros par mois, soit 6 000 euros par an, seraient « naturellement » exclus du dispositif ce qui correspondrait pour l’essentiel au décile supérieur ; pour les autres déciles, le RSA viendrait compléter ([137]) l’aide versée de manière inversement proportionnelle à ce que versent aujourd’hui les parents (cf. graphique ci-dessous déjà commenté dans l’exposé général), ce qui devrait contribuer à une « progressivité intrinsèque » du dispositif.

Source : commission des affaires sociales à partir des documents précités.

En disposant de ressources pérennes, les jeunes adultes qui n’en avaient pas pourront se projeter plus facilement dans des projets de formation, de création d’entreprise, de recherche d’emploi et de mobilité (transports en commun, permis de conduire, acquisition d’un véhicule modeste).

Le rapporteur est persuadé qu’une telle mesure, si modeste soit-elle dans le montant versé, est de nature à rouvrir un horizon, à offrir un socle, à des jeunes condamnés par le système actuel à une vie de subsistance, souvent aliénante.

Une mesure qui répond à des difficultés concrètes

Le rapporteur souhaite saluer les personnes qui ont répondu à son appel à témoins – leurs cas ont tous été présentés à la secrétaire d’État à la jeunesse lors de son audition – et souhaite en retour signaler comment le RSA aurait pu répondre aux difficultés rencontrées par beaucoup d’entre eux :

– Sébastien, dont la fille peut étudier convenablement mais sans quitter le domicile des parents ; mais aussi et peut-être surtout un ami de sa fille, étudiant également, qui n’a absolument aucun soutien familial d’aucune sorte ;

– Cassandre, qui vient d’être diplômée et qui n’a pas réussi à trouver un emploi ; elle enchaîne les « micro-jobs » qui l’empêchent par ailleurs de toucher les aides pour les anciens boursiers du Gouvernement ;

– Ilyes, dont la mère est au RSA et qui a engagé une carrière dans la musique, brutalement interrompue par le Covid sans qu’il ait pu acquérir les droits pour être intermittent du spectacle ; la bourse de son école de musique est versée en une fois à la fin de l’année et ne représente, malgré ses faibles ressources, que 3 000 euros pour toute l’année ;

– Antonin, qui a un prêt à rembourser après quelques années d’études et pas d’emploi ; il a besoin d’un petit pécule pour amorcer une petite entreprise qu’il souhaite développer ;

– Dorothée a une fille qui, après une parcours scolaire compliqué, enchaîne les petits boulots, avec des phases « sans », compte pour toutes ses dépenses, y compris celles qu’elle engage pour trouver un nouvel emploi, et vit chez un ami de la famille ;

– Alix, en rupture avec sa famille, qui cherche un peu d’argent pour pouvoir suivre son diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) pendant dix-huit mois, ce que la garantie jeunes n’a pas permis jusqu’ici ;

– Stéphanie, qui travaille en mission locale et qui veut repenser son action auprès des jeunes qu’elle accompagne ; elle ne voit pas le RSA comme un frein à l’accompagnement mais au contraire comme le possible déclencheur d’un changement bénéfique pour son travail et pour les jeunes qu’elle rencontre.

En abrogeant le 3° de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles, l’article 1er de la proposition de loi met fin au principe qu’être « élève, étudiant ou stagiaire au sens de l’article L. 124-1 du code de l’éducation » interdit d’obtenir le revenu de solidarité active.

Cette exclusion, fondée sur la possibilité d’avoir des bourses, n’est pas opportune, ni justifiable.

L’articulation avec les bourses sera déterminée par le pouvoir règlementaire comme le prévoit l’article L. 262-3, puisque celui-ci prévoit qu’un décret en Conseil d’État prévoit la manière dont les ressources du foyer sont prises en compte.

L’effet de ce changement législatif sera en tout état de cause massif : si le pouvoir règlementaire choisit de rendre les bourses déductibles du RSA, les étudiants éligibles les complèteront jusqu’à atteindre le montant forfaitaire (amélioration-égalisation « par le haut ») ; si à l’inverse, il choisit de les rendre totalement cumulatives, la situation des étudiants boursiers en sera d’autant plus améliorée (amélioration de toutes les situations). À terme, la logique voudrait que ce RSA remplace les bourses quitte à en aménager certaines modalités de versement ou le montant pour les étudiants, à moins qu’une réforme complète des bourses permette de créer un système ultra-généreux de soutien aux études et à la formation, comme au Danemark.

S’agissant des engagements contractuels qui conditionneraient le versement du RSA en application des règles de droit commun, le rapporteur ne peut que souligner la nécessité de les adapter concrètement au parcours des étudiants, par exemple en posant comme engagement réciproque la poursuite des études avec un degré de précision à définir.

B.   un dispositif immÉdiatement oPÉrationnel

1.   Un dispositif sans désincitation au travail grâce à la prime d’activité

La mise en œuvre du RSA pour les 18-24 ans se fera dans les conditions de droit commun prévues par le code de l’action sociale et des familles. Or, le RSA, contrairement à une idée reçue, n’est pas une allocation inconditionnelle. Ainsi, les articles L. 262-27 à L. 262-39 du code de l’action sociale et des familles qui fixent les « droits et devoirs du bénéficiaires » s’appliqueront tout naturellement à ces nouveaux allocataires.

Ceux-ci auront :

– droit à un accompagnement social et professionnel, organisé par un référent unique (article L. 262-27) ; ce droit est malheureusement théorique aujourd’hui mais il n’a pas vocation à le rester (cf. infra) ; pour le rapporteur, l’accompagnement tel qu’il pourrait résulter de la proposition de loi devrait être global et approfondi, ce qu’il n’est absolument pas aujourd’hui : études, logement, santé...

– l’obligation de « rechercher un emploi, d’entreprendre les démarches nécessaires à la création de sa propre activité ou d’entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle » ([138]) (article L. 262‑28) ; pour cela, le département fixe une orientation adaptée, soit vers Pôle emploi, soit vers d’autres organismes adaptés ; lorsque l’organisme n’est pas Pôle emploi, qui a son propre dispositif de contractualisation, un contrat d’engagements réciproques doit être conclu.

Un poncif voudrait que la mise en place d’une telle allocation désincite ses bénéficiaires à travailler.

La littérature la plus sérieuse montre qu’il n’en est rien. En 2014, deux économistes, Olivier Bargain et Augustin Vicard, ont examiné ce qui se passait à la frontière de 25 ans qui constitue une formidable expérience naturelle pour tester la validité de ces préjugés. Or, ils n’ont observé aucune rupture dans le taux d’emploi à 25 ans, montrant ainsi que l’existence même du RSA ne décourageait pas à travailler ([139]).

En outre, depuis, la création puis l’extension de la prime d’activité garantissent qu’un euro de revenu d’activité supplémentaire ne soit pas entièrement « absorbé » par la baisse d’un euro du RSA « différentiel ». Comme le montre le graphique ci-dessous, qui intègre bien les effets simultanés RSA et prime d’activité, travailler « rapporte » désormais à chaque niveau de revenu, mettant ainsi fin aux « trappes à pauvreté ».

Le mécanisme de la prime d’activité est d’ailleurs un dispositif bien connu des jeunes adultes, qui sont d’ailleurs surreprésentés dans son recours (720 000 foyers de 18-24 ans la touchent déjà).

2.   Un circuit de versement bien établi

Contrairement à des revenus « nouveaux » fusionnant des prestations multiples, l’extension du RSA aux 18-24 ans revient à étendre le champ d’une prestation qui existe déjà. Cette extension n’est certes pas mince (4,5 millions de bénéficiaires pourraient ainsi s’ajouter aux 2 millions de bénéficiaires actuels) mais elle passerait par un circuit bien connu, qui dispose déjà de son personnel formé, de ses locaux et ses logiciels, à savoir le réseau des caisses d’allocations familiales, ou la mutualité sociale agricole s’agissant de ressortissants de régimes agricoles.

Ces dernières gèrent déjà :

– des publics du même ordre (5 millions de foyers bénéficiaires des allocations familiales, 4,32 millions de foyers...) ;

– des prestations qui sont perçues par une part non négligeable de ces jeunes adultes que sont les aides au logement.

La transition, sans sous-estimer la difficulté du changement d’échelle, semble donc à portée de main.

3.   La fausse barrière du « coût » de l’allocation

La question budgétaire, pas toujours assumée sur ce sujet, semble pourtant centrale dans les motifs de refus.

Le dispositif avait été chiffré une première fois par la DREES pour le rapport de Christophe Sirugue à hauteur de 5,8 milliards d’euros, sans y intégrer les étudiants. Le détail était présenté dans le tableau suivant :

Source : DREES pour le rapport « Sirugue », 2016.

Le groupe de travail autour du RUA avait chiffré une nouvelle hypothèse intégrant les étudiants avec un périmètre assez large un « coût net » qui pourrait s’élever à « 13 milliards d’euros » pour « 4,5 millions de jeunes adultes ». L’écart relativement grand qui le sépare d’une application stricte d’un montant de 497 euros par mois à une population d’environ 5,5 millions de personnes s’explique par plusieurs facteurs, sans que le rapporteur ait pu accéder aux détails du calcul réalisé ([140]) :

– beaucoup de 18-24 ans ont des revenus professionnels ; or, s’ils sont supérieurs à 497 euros, aucun RSA n’a à leur être versé et s’ils ont un revenu compris entre 0 et 497 euros, celui-ci sera déduit de l’allocation (effet « allocation différentielle ») ;

– le système est susceptible de substituer aux bourses (ou de le compléter, selon les modalités de calcul règlementaires retenues) ; il en résulte dans ces conditions un moindre coût de l’ordre de 2,2 milliards d’euros qui représente le coût actuel des bourses sur critères sociaux ;

– le détachement du foyer fiscal et/ou la décohabitation effective des jeunes peuvent modifier mécaniquement la composition du foyer, qu’il s’agisse du calcul de l’impôt sur le revenu (quotient familial : perte d’une demi-part ou d’une part) ou du calcul des prestations sociales familialisées, (RSA, aides au logement...) dont une part sera transférée du « grand foyer » vers l’individu émancipé.

Ce montant est loin d’être négligeable, mais il doit être relativisé à plusieurs titres :

– le coût doit être rapporté à l’ambition du projet qui « boucle » la construction d’un véritable filet social de protection qui était « troué » depuis trente ans ;

– la mesure toucherait 4,5 millions d’individus, ce qui n’est pas si courant même à cette échelle de coût ;

– en se concentrant sur une population jeune qui épargne peu, la mesure aura des effets économiques immédiats extrêmement bénéfiques sur la consommation, qui aura elle-même d’importantes répercussions fiscales rarement prises en compte dans les calculs ;

– des mesures de cette ampleur sont régulièrement prises en faveur des entreprises ou pour les plus riches sans que des garanties équivalentes d’un retour macro-économiques soient établies ; depuis 2017, baisse de 10 milliards par an des impôts de production, transformation de l’impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière et création du prélèvement forfaitaire unique (4,2 milliards d’euros), 3,7 milliards pour la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés ([141]), élargissement des exonérations de cotisations (6 milliards d’euros), la transformation du CICE en baisses de cotisations (22 milliards d’euros) ([142])...

4.   Une nécessaire montée en puissance de l’accompagnement, conforme à l’esprit du RMI puis du RSA

Lors de l’ensemble des auditions, un besoin de renforcement de l’accompagnement s’est fait jour, besoin qui irait très au-delà des ambitions gouvernementales sur le service public de l’insertion et de l’emploi. Ce besoin procède d’une carence aujourd’hui, avec de véritables inégalités entre départements, une contractualisation très tardive dans beaucoup de situations et un véritable abandon des publics jeunes les plus isolés et les plus précaires, pour qui la démarche d’aller vers les missions locales n’a rien de naturel.

Ce lien entre aide financière et « reconquête » de l’autonomie sociale était au cœur de la conception que se faisaient les pères fondateurs du RMI et du RSA. Ainsi, Bertrand Fragonard ([143]) en 1989 : « l’ambition du RMI est de lier intimement une aide financière et une démarche d’insertion. Il s’agit de prendre appui sur une prestation pour aider ses bénéficiaires à conquérir, autant qu’il est possible, leur autonomie sociale et économique. L’allocation n’est que la base d’un droit plus global : le droit à l’insertion, qui a d’ailleurs pour corollaire un devoir d’insertion pour la collectivité nationale » ([144]). Ou Martin Hirsch en 2008, présentant le RSA à l’Assemblée nationale : « Ne laisser personne sans un accompagnement adapté à ses besoins est possible. À ces possibles-là, si vous votez ce texte, nous serons collectivement tenus. » ([145])

Le service public de l’insertion et de l’emploi – un dispositif « work first » encore balbutiant

Annoncée dans le discours du Président de la République du 13 septembre 2018, la création d’un service public de l’insertion et de l’emploi garanti par l’État a donné lieu à une concertation dont la synthèse a été remise au Gouvernement en décembre 2020.

Ses objectifs de « garantir un socle d’accompagnement commun à l’ensemble des territoires » et « permettre une adaptation et une souplesse » de cet accompagnement sont assurément louables, mais force est de constater que deux ans et demi après l’annonce du dispositif, le Gouvernement en est encore à lancer un appel à manifestation d’intérêt pour élargir une phase qui demeure fondamentalement expérimentale, au moins jusqu’en 2022.

Le rapport récent du comité d’évaluation rattaché à France Stratégie rappelle la méthode du Gouvernement qui repose sur un « déploiement séquentiel et expérimental vise à tester différentes modalités d’accompagnement et à édifier une offre de service universelle en direction des bénéficiaires du SPIE ». Ce même rapport montre aussi le chemin qui reste à parcourir en faisant un bilan très mitigé de l’objectif d’un contrat d’engagement pour 100 % des allocataires du RSA un mois après l’orientation. En 2019, seule année pour laquelle des données sont disponibles, cette orientation n’existait encore que pour 40 % des entrants et le contrat d’engagement réciproque, pourtant rendu obligatoire par la loi, n’est signé que dans 31 % des cas.

Ce service public demeure par ailleurs très concentré sur des missions conçues de manière trop strictement autour de la recherche d’emploi, alors que l’accompagnement, notamment pour les jeunes adultes, nécessite de prendre en compte d’autres dimensions.

Pourtant, la question demeure totalement sous-investie, comme le montre de manière topique le fait que le chiffrage de la DREES en 2016 sur l’extension du RSA ne le prenait pas du tout en compte. Or, ce volet « humain » de l’aide, précisément parce qu’il est fondamental, a un coût significatif qui doit être totalement assumé.

Pour mémoire, le coût de l’accompagnement, hors allocation, en garantie jeunes représente environ 1 600 euros et de celui en PACEA « simple » environ 500 euros par jeune et par an ([146]). Faire entrer 4,5 millions de jeunes dans le dispositif, avec un accompagnement de type « PACEA simple », et 10 % de NEETS nécessitant un accompagnement de type « garantie jeunes » pourrait représenter un coût approximatif de 2,7 milliards d’euros, dont il faudrait déduire l’ensemble des dispositifs d’accompagnement existants pour ce public (environ 200 millions d’euros en 2020 déjà versés aux missions locales au titre du PACEA et de la garantie jeunes).

Il s’agit toutefois d’un chiffrage ambitieux, qui correspond à un souhait du rapporteur de voir l’ensemble du dispositif évoluer. Si les départements maintenaient leurs dépenses actuelles d’accompagnement par bénéficiaire (environ 500 millions d’euros en 2019 pour 1,6 million de bénéficiaires ([147])), le surcoût serait deux fois moindre, autour d’1,3 milliard d’euros – nets des dépenses d’accompagnement PACEA et garanties jeunes qui existent déjà. Chacun s’accordant cependant à considérer que cette forme d’accompagnement est insuffisante, l’écart entre les deux chiffres (1,2 milliard d’euros) représente le prix d’un service public de meilleure qualité.

La recentralisation du financement de l’allocation : une question qui mérite réflexion

À sa création, le revenu minimum d’insertion était financé par l’État jusqu’à sa décentralisation en 2003. Depuis, la question du RSA a « pourri » les relations entre l’État et les départements, le premier observant des investissements très différents d’un département à l’autre, notamment sur l’accompagnement, les seconds subissant la hausse continue du coût du dispositif monter tandis que les modalités de compensation financière fixée en 2003 stagnent.

Le choix d’une éventuelle recentralisation dépassait le cadre de la présente proposition de loi mais le rapporteur souligne que plusieurs éléments plaident en faveur de cette option :

– tout d’abord, elle est déjà à l’œuvre pour certains départements d’outre-mer, depuis la loi de finances pour 2019 ([148]), et maintenant pour le département de la Seine-Saint-Denis ([149]) ;

– ensuite, elle permettrait de lever un obstacle possible à l’extension, tenant à la situation financière des conseils départementaux ;

– enfin, sur un plan technique, elle concentrerait sur les comptes de l’État les effets retours sur les bourses d’enseignement supérieur, sur l’impôt sur le revenu ou sur la suppression du RSA « jeunes actifs ».

Source : commission des affaires sociales.

 

 


Article 2
Supprimer le RSA « jeunes actifs »

 

Rejeté par la commission

L’article 2 supprime le RSA « jeunes actifs » en raison de l’extension du RSA à l’ensemble des 18-24 ans à l’article 1er

L’article 2 a pour objet la suppression du dispositif RSA « jeunes actifs », rendu caduc par l’extension du RSA aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, prévue par l’article 1er de la présente proposition de loi.

1.   Un dispositif conçu pour être restrictif

a.   Un dispositif mis en place peu de temps après la création du RSA

Tandis que le RSA a été testé en 2007, puis généralisé à l’ensemble du territoire national le 1er juin 2009 en tant que successeur du revenu minimum d’insertion (RMI), le RSA « jeunes actifs » a quant à lui été créé par la loi de finances pour l’année 2010.

Entré en vigueur le 1er septembre 2010 et intégré dans la loi de finances pour la même année, ce dispositif représentait alors un compromis entre le Gouvernement d’alors et des élus et représentants de jeunes. En effet, la commission des affaires sociales du Sénat a été interpellée durant l’automne de la même année par plusieurs représentants des jeunes, appelant à une extension du RSA aux jeunes âgés d’entre 18 et 25 ans.

Le RSA « jeunes actifs » a donc été le compromis avancé par le Gouvernement, qui ne souhaitait pas une extension réelle du RSA aux moins de 25 ans, mais devait répondre à la détresse exprimée, déjà à l’époque.

Ce nouveau dispositif avait vocation à répondre à plusieurs situations critiques : celles de jeunes ayant déjà eu des emplois et qui, après s’être retrouvés au chômage ont épuisé leurs droits et ne disposent plus d’aucune ressource ; et celles d’autres jeunes ayant travaillé très tôt, percevant des revenus modestes mais sans avoir la possibilité de bénéficier du RSA, à l’instar de leurs aînés.

b.   Un financement spécifique, des conditions très contraignantes

Depuis sa création, le RSA « jeunes actifs » dispose d’un financement qui se distingue du RSA. Si ce dernier est financé par les départements, exceptions faites de La Réunion, de la Guyane et de Mayotte, le dispositif en faveur des jeunes est quant à lui pris en charge dans son intégralité par l’État. Pour cette année, il est prévu que le RSA « jeunes actifs » coûte environ 3,8 millions d’euros, une valeur en baisse de 16 % par rapport à l’année précédente – 4,5 millions d’euros pour l’année 2020.

S’il est possible d’expliquer cette baisse, qui s’opère depuis 2016, par la création de la prime d’activité, qui concerne tous les travailleurs aux revenus modestes ayant au moins 18 ans, l’aspect contraignant des conditions d’éligibilité au RSA « jeunes actifs » peut également y jouer un rôle.

Aujourd’hui, si un jeune souhaite bénéficier du RSA ou du RSA « jeunes actifs », il doit satisfaire plusieurs exigences :

– avoir un ou plusieurs enfants à charge, ou être enceinte, ce qui correspond à la reprise de l’ouverture historique du RMI pendant les débats de 1988 ;

– ou avoir exercé une activité professionnelle équivalente à deux ans de travail à temps plein au cours des trois années précédant la demande. Les périodes de chômage sont prises en compte dans la limite de six mois. Cela signifie que l’examen des conditions d’activité peut couvrir une période de trois ans et six mois.

Ce second cas d’ouverture n’en demeure pas moins restrictif et en partie théorique, dans le sens où, en conditionnant l’allocation à avoir travaillé deux ans à temps plein, il est plus que probable que le jeune adulte s’est vraisemblablement constitué en parallèle des droits au chômage au moins aussi avantageux que le RSA ([150]).

En effet, les conditions d’éligibilité à l’allocation chômage d’aide au retour à l’emploi (ARE) sont bien moins contraignantes. Pour les moins de 53 ans, il suffit de subir une privation involontaire d’emploi – licenciement pour motif personnel ou économique, révocation, rupture conventionnelle, non-renouvellement d’un CDD, démission considérée comme légitime – et d’avoir travaillé six mois – soit 130 jours ou 930 heures – au cours des 24 derniers mois afin d’être éligible à l’ARE.

D’autre part, si l’ARE est dégressive et soumise à des cotisations – un prélèvement de 3 % du salaire journalier de référence (SJR) est destiné aux retraites complémentaires des bénéficiaires de l’assurance chômage, contribution sociale généralisée (CSG) et contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) – et aux mêmes obligations de recherche d’emploi que le RSA et le RSA « jeunes actifs », le montant de ces aides n’est pas le même. Si un jeune vivant seul peut bénéficier d’une aide s’élevant à 565,34 euros par mois via le RSA « jeunes actifs », un chômeur de plus de 18 ans peut bénéficier d’une ARE pouvant atteindre jusqu’à 256,96 euros par jour, aide durant entre 4 et 36 mois selon la durée du dernier emploi. L’allocation chômage se substitue ainsi dans bien des cas, par le mécanisme du calcul différentiel, au RSA « ’jeunes actifs ».

c.   Un dispositif sans public

L’aspect contraignant du RSA « jeunes actifs » démontre le caractère inadapté de ce dispositif. Loin d’apporter un soutien à tous les jeunes en situation de précarité, la dureté des conditions d’accès à cette aide ne peut que décourager toujours plus de jeunes dans le besoin hors de ce dispositif qui leur est pourtant dédié.

Les faits sont là. Si 9 172 jeunes bénéficiaient de cette aide au cours de l’année 2011, le RSA « jeunes actifs » ne concernait plus que 734 en 2019 [151]), soit une baisse d’environ 92 % du nombre de bénéficiaires en huit ans. Une tendance qui, selon la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), devrait se poursuivre durant l’année 2021. Pour cette nouvelle année, seuls 260 jeunes bénéficieront de cette aide ([152]).

2.   L’article 2 propose de supprimer le RSA « jeunes actifs », rendu superflu par l’ouverture du RSA à tous les 18-25 ans

Du fait des multiples défaillances dont souffre le RSA « jeunes actifs », et de son échec qui, année après année se confirme davantage, il devient urgent de le remplacer. L’élargissement du RSA constitue la solution idéale aux multiples difficultés dont souffrent de très nombreux jeunes, à l’inverse du RSA « jeunes », qui a aujourd’hui démontré son inefficacité.

Le précédent article ayant pour objet l’extension du RSA à tous les jeunes âgés d’entre 18 et 25 ans, le RSA « jeunes actifs » deviendrait obsolète.

C’est pourquoi le présent article prévoit de supprimer ce dispositif.


Article 3
Gage

Rejeté par la commission

L’article 3 est un article « de gage » pour assurer la recevabilité financière de la proposition de loi.

Cet article a pour objet d’assurer la recevabilité financière de la proposition de loi devant le Bureau de l’Assemblée nationale au regard de l’article 40 de la Constitution.

 

 


—  1  —

examen en commission

Au cours de sa première réunion du mercredi 14 avril 2021, la commission procède à l’examen de la proposition de loi visant à étendre le revenu de solidarité active pour les jeunes de 18 à 25 ans (n° 4014) (M. François Ruffin, rapporteur) ([153]).

I.   discussion générale

M. François Ruffin, rapporteur. Je voudrais commencer par un mot de remerciement pour mon équipe parlementaire, pour les bénévoles qui m’entourent et pour l’administrateur de l’Assemblée. Le rapport est dense, complet, et nous avons mené des dizaines d’auditions de jeunes, d’économistes, de sociologues, de syndicats, d’associations et de membres du Gouvernement. Merci à tous pour ce travail invisible. Il faut le savoir, quand nous prenons la parole, quand nous sommes dans la lumière, des gens, dans l’ombre, ont effectué en amont un gros boulot !

Les images ont frappé : des files de jeunes gens, des queues infinies, des centaines de mètres pour aller quérir un colis alimentaire, le soir, dans la rue ou dans un gymnase, à l’occasion d’une distribution caritative. Ces images nous ont tous stupéfaits ; elles ont choqué la presse étrangère, qui a titré « Faim en France ». Qui ne retrouve pas, comme en écho visuel, le souvenir de ces clichés en noir et blanc des soupes populaires aux États-Unis aperçus dans les manuels d’histoire, au chapitre de la grande dépression ? Or il ne s’agit pas des années trente, ni des États-Unis ; il s’agit de la France d’aujourd’hui, et c’est l’avenir de notre nation, sa jeunesse, qui est réduit à la mendicité.

La crise du covid a agi comme un révélateur de la double peine qu’endure la jeunesse, la première étant le confinement. Depuis un an, on la prive de sa vie sociale en fermant les bars, les restaurants ; on la renvoie en distanciel pour ses cours. Pourquoi ? Essentiellement pour protéger les plus anciens. C’est un choix que les jeunes ont accepté. Ils se sont résignés à sacrifier une année de leur jeunesse par solidarité avec le reste du pays. Mais le prix est élevé. D’après l’université de Picardie, 20 % des jeunes ont scénarisé leur suicide. Santé publique France le confirme : un tiers des jeunes se trouve en dépression, la moitié est inquiète pour sa santé mentale, mais aussi sa vie affective.

La double peine, c’est que les jeunes endurent aussi la crise économique, et en payent le prix social : 74 % ont rencontré des difficultés financières ; 40 % ont connu une baisse de leurs revenus ; 50 % auraient peiné à se nourrir. Les statistiques sont incertaines, car la crise est en cours et il est encore difficile d’en tirer un bilan. Ce qui est certain, en revanche, derrière ces chiffres et ces images, ce sont des vies sinon brisées, du moins mal engagées.

Gabrielle, 20 ans, est sortie de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans rien et s’est débrouillée en travaillant, essentiellement au noir, dans les restaurants comme serveuse, malgré une hémiplégie et un bras paralysé. Avec la crise du covid, elle se retrouve sans revenu, vivant sur ses petites économies, avec l’angoisse de perdre son logement, son seul îlot de sécurité dans une vie bien mouvementée.

Maxime, lui, étudie à l’université d’Amiens, en master de psychologie. Ses stages ne lui laissent pas le temps de prendre un petit boulot pendant l’année ; il compte donc sur son job d’été pour compléter sa bourse de 100 euros, alors qu’il n’est pas aidé par ses parents. Il se prive constamment de nourriture, ne sait pas ce que sont les sorties, n’achète pas de manuels car il n’en a pas les moyens. Pour payer son gîte et son maigre couvert, il compte sur son job d’été comme animateur accompagnant des enfants en situation de handicap. Mais, l’été dernier, tout s’arrête et il n’a plus ce petit revenu complémentaire. Malentendant, il ne peut plus entretenir ses appareils auditifs, non pris en charge par la sécurité sociale du fait de son niveau de surdité, alors qu’il en a d’autant plus besoin que tout le monde porte un masque et qu’il ne peut lire sur les lèvres.

Mehdi est logé et nourri par ses parents. Les petites missions avec La Poste, qui lui avaient permis de mettre le pied à l’étrier, se sont arrêtées l’an dernier. Il passe ses journées avec ses copains en bas des immeubles. Le foot, la boxe, c’est fini pour lui – il n’a pas de quoi payer la licence. Il ne prendra pas de vacances ; il n’en a jamais pris. L’ennui s’installe, le découragement aussi.

Cassandre, qui était étudiante boursière issue d’une famille nombreuse, est diplômée en journalisme culturel. Lors de son dernier stage, on lui avait proposé une embauche, qui est tombée à l’eau pour cause de covid. Elle s’est inscrite sur StaffMe, qui propose des missions d’intérim sous forme d’auto-entreprenariat. Elle a été recrutée pour mettre en rayon des vêtements pour Jacadi. Mais même ce petit boulot a disparu. Elle ne touche plus rien. Heureusement, ses parents peuvent payer son loyer.

Ce ne sont que quelques exemples de destins mal engagés. Et depuis un an, le Gouvernement n’a pas fait le minimum pour eux, c’est-à-dire leur assurer un filet de sécurité : le revenu de solidarité active (RSA) à partir de 18 ans.

Ce n’est pas seulement le Gouvernement, ni les gouvernements depuis trente ans, qui n’ont pas fait ce qu’il faut pour la jeunesse, c’est la société qui choisit de la maltraiter, de l’écraser dans la durée. Il y a quatre fois plus de pauvres chez les jeunes que chez les plus de 65 ans. L’écrasement est également professionnel : galère des stages, des intérims, des contrats à durée déterminée qu’il faut accumuler, même pour les diplômés. À même niveau de qualification, voire à meilleur niveau qu’il y a trente ans, on a de moins bonnes places et de moins bonnes paies.

Un écrasement immobilier s’est également instauré dans la durée : les prix ont explosé et les entrants sur le marché de l’immobilier sont exclus du parc social. Dans les années 1980, il y avait deux fois plus de places dans le parc social pour les jeunes – 25 % contre 13 %. Étant donné que 2 % seulement des étudiants sont logés en résidence universitaire, les autres sont condamnés à se tourner vers le privé, beaucoup plus cher : pour un appartement d’une pièce, le taux d’effort d’un jeune était deux fois plus important que celui d’une personne âgée dans les années 1980 ; il est aujourd’hui le triple.

Pourquoi ce choix ? L’explication est à la fois démographique et politique : pour la première fois dans notre histoire, les plus de 65 ans sont plus nombreux que les jeunes de 18-30 ans, parmi lesquels l’abstention est bien plus forte. L’attention se porte sur la masse et le politique regarde là où on vote... Cela se traduit par le RSA à partir de 25 ans. On peine à comprendre pourquoi, dans ce pays, la majorité politique et pénale est fixée à 18 ans, alors que la majorité sociale demeure à 25 ans. C’est d’autant plus incompréhensible que le RSA est la principale mesure de lutte contre la pauvreté, et que celle-ci se trouve massivement chez les jeunes de 18 à 25 ans. Pourquoi ne pas arroser là où c’est le plus sec ? Je vois là une vision romantique et sadique de la jeunesse, un mélange du principe « il faut en suer » et de La Bohème d’Aznavour. Mais cette misère n’est pas aussi plaisante et les privations sont multiples – nourriture, soins, sport. Au lieu de s’épanouir, la vie de ces jeunes se rétrécit.

Ma proposition n’a rien d’extraordinaire, ce n’est pas un bouleversement. Ce n’est ni un revenu universel, ni un salaire étudiant ; c’est le minimum que réclament les associations et les syndicats, et que recommande France Stratégie. Ce minimum n’a rien d’un idéal : personne ne rêve de vivre avec 497 euros par mois, ni à 18 ans, ni à 25 ou 40 ans. Avec une telle somme, on ne vit pas, on survit. Mais après le confinement, après le distanciel, c’est le minimum que nous devons à la jeunesse.

Je suis de ceux qui pensent qu’on construit sa vie par le travail, par son métier, par un statut et des revenus. Mais quand il n’y a pas encore le travail, ni le statut, ni les revenus, il faut assurer un filet de sécurité. Le versement du RSA à partir de 18 ans permettra d’améliorer des existences comme celle d’Alix, qui a quitté l’école en première et a ensuite enchaîné les petits boulots, dans la restauration ou en intérim dans les usines. Il veut désormais obtenir l’équivalence du baccalauréat, le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU), pour ensuite se former en alternance en hygiène, sécurité, environnement. Mais la garantie jeunes qui lui est proposée ne dure que douze mois, quand le DAEU en réclame dix-huit. Il attend donc ses 25 ans pour reprendre son projet afin de disposer du RSA comme filet de sécurité et payer son foyer. Anaïs, que j’ai reçue dans ma permanence, m’a fait part de sa perplexité. Elle est en couple et ne comprend pas pourquoi, pour toucher le RSA, elle doit attendre d’avoir 25 ans ou un enfant, selon ce que lui a dit la caisse d’allocations familiales. Comme elle le dit, on ne fait pas un enfant juste pour avoir droit à une allocation minimale !

À l’écoute de tous ces témoignages, j’ai été frappé par le stress et l’inquiétude permanente de cette jeunesse, qui se demande si elle ne va pas tout perdre. Il s’agit de soulager son angoisse, mais aussi de lui adresser un message – quel symbole que cette discrimination à l’entrée dans la majorité ! Je propose donc de faire pour la jeunesse ce que la France a fait pour la vieillesse au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Avant 1945, dans les classes populaires, vieillir était synonyme de misère. On vieillissait aux crochets de ses enfants ou à l’hôpital. Par l’instauration du minimum vieillesse et des retraites, en une génération, on est venu à bout de la fatalité millénaire du vieillissement dans la pauvreté. Le taux de pauvreté des personnes âgées a été divisé par quatre en vingt-cinq ans. Grâce à ces mesures politiques, ce qui apparaissait comme une norme est battu en brèche et on passe d’une solidarité familiale, injuste, à une solidarité sociale nationale.

Nous devons construire le même mouvement de solidarité intergénérationnelle pour sortir de l’épreuve actuelle. La solidarité familiale perdure puisque les familles aident souvent leurs enfants, mais certaines peuvent aider beaucoup et d’autres ne peuvent aider qu’un peu. C’est injuste et il s’agit d’ajouter la solidarité sociale nationale à cette solidarité familiale, afin de sortir d’une maltraitance de la jeunesse installée dans la durée.

Mme Clémentine Autain. Nous portons la proposition d’un RSA pour les moins de 25 ans depuis très longtemps, car ces jeunes vivent dans un no man’s land juridique, alors que rien, dans la Constitution ou dans la Déclaration des droits de l’Homme, n’empêche d’ouvrir les minima sociaux au moins de 25 ans. Au contraire, le Préambule de la Constitution de 1946 vise à garantir des moyens convenables d’existence pour tous les Français. En outre, la France est l’un des seuls pays de l’Union européenne qui exclut les jeunes de ces minima sociaux.

Depuis un an, cette mesure est devenue d’une urgence implacable. Ces images d’une jeunesse qui défile dans les banques alimentaires font froid dans le dos. La jeunesse paie un très lourd tribut, alors que, basculant entre l’enfance et l’âge adulte, elle est privée de liens sociaux, d’autonomie, de tout ce qui permet d’entrer dans cette période qui devrait être celle de l’ouverture au monde. C’est d’une extrême violence. Et, parmi ces jeunes, ceux qui basculent dans la pauvreté, chaque jour plus nombreux, paient un tribut encore plus lourd.

Les pouvoirs publics doivent sécuriser et protéger cette jeunesse en grande souffrance. Comme les images, les chiffres font froid dans le dos : un jeune Français de 18 à 29 ans sur dix est en situation de pauvreté, alors que notre pays est une puissance économique internationale forte et qu’il dispose des moyens de partager les richesses. Aux Restos du cœur, plus de la moitié des bénéficiaires sont des jeunes !

La République en Marche a fait le choix de proposer des prêts de 10 000 euros aux jeunes et de faciliter la transmission de patrimoine. Nous demandons tout simplement la solidarité et la justice. Je termine avec une citation d’Esther Duflo, prix Nobel d’économie : « plus on aide les gens, plus ils sont aptes à sortir de la trappe à pauvreté ».

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Vous avez de la suite dans les idées, monsieur le rapporteur, mais nous aussi. Si notre groupe partage vos objectifs de lutte contre la précarité des jeunes, nous considérons qu’il faut privilégier l’accompagnement et l’insertion. Il existe déjà un grand nombre de dispositifs d’accompagnement et une multiplicité d’acteurs sur lesquels nous pouvons nous appuyer et qui répondent à la diversité des besoins et des profils de jeunes.

Dans le contexte de crise que nous connaissons, le Gouvernement a décidé de renforcer ces dispositifs en mettant en œuvre le plan 1 jeune, 1 solution, doté de 9 milliards d’euros. Cette stratégie semble porter ses fruits malgré la crise. Nous ne pouvons pas laisser dire que ce sont des « mesures sparadrap », ni que nous sommes indifférents à la jeunesse de ce pays.

Le RSA jeune existe déjà, mais il est versé en contrepartie d’études ou dans le cadre d’un contrat d’insertion. Il serait irréaliste de penser offrir un accompagnement personnalisé de qualité pour les jeunes qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires, en anglais les NEET (Not in education, employment or training), et pour les jeunes précaires dont le nombre est estimé à 1 380 000 en 2020. Ce sont les départements qui ont la charge de l’accompagnement des jeunes touchant le RSA – jeunes actifs, jeunes parents ou en passe de l’être –, or force est de constater que ces jeunes sont souvent peu et mal accompagnés. Le RSA ne joue donc pas son rôle initial d’insertion vers l’emploi.

La mesure que vous proposez est injuste, car elle permettrait aux étudiants des classes supérieures de bénéficier d’une aide de l’État doublée de celle de leurs parents, tandis que d’autres, privés de solidarité familiale, se verraient lésés par ce calcul.

Aider les jeunes financièrement est une évidence, il s’agit de savoir comment les aider au-delà de l’allocation ; comment permettre à chaque jeune d’accéder à la formation, à l’emploi durable et à l’autonomie ; comment éviter les ruptures et les renoncements. Le Gouvernement a proposé de généraliser la garantie jeunes, qui a fait ses preuves, pour en faire une garantie jeunes universelle. La ministre du travail consulte en ce moment même les acteurs, en particulier le réseau des missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes. Contrat d’engagement réciproque, accompagnement global, renforcement du suivi, parcours sans couture et allocation accordée aux jeunes en situation de privation, telles sont nos propositions, plus efficaces qu’un RSA jeunes. Notre groupe ne soutiendra pas votre proposition de loi.

Mme Josiane Corneloup. La crise du covid-19 a largement frappé les personnes en situation de fragilité, les personnes âgées, les demandeurs d’emploi, mais aussi les jeunes. Ceux âgés de 18 à 29 ans constituent la majorité des personnes en situation de pauvreté et de précarité en France. Dans les territoires, les élus locaux et les associations caritatives tirent la sonnette d’alarme : les jeunes représentent presque la moitié des personnes ayant recours aux banques alimentaires et aux services sociaux, et les demandes de RSA explosent. Leur sentiment de mal-être est particulièrement préoccupant. Les étudiants, coupés de liens sociaux, de cours en présentiel et, pour la plupart d’entre eux, de travail, sont dans un état psychologique grave. Comme chaque année, 700 000 jeunes vont arriver sur le marché du travail, et beaucoup d’entre eux ne trouveront pas de premier emploi.

Oui, les jeunes ont besoin d’aide. Mais est-ce en permettant aux 18-25 ans d’avoir accès au RSA sans condition que nous lutterons efficacement contre la pauvreté des jeunes ? Nous ne le croyons pas. Plutôt que de créer de nouveaux droits dès 18 ans, nous devons nous attacher à créer de nouvelles chances. Nous sommes convaincus qu’il faut créer les conditions d’une meilleure insertion sociale et professionnelle, mais aussi mieux les considérer et les accompagner, dans leurs études ou vers l’emploi et la formation.

Il nous semble plus pertinent de renforcer les dispositifs qui ont fait leurs preuves et d’en faciliter l’accès aux jeunes. Ainsi la garantie jeunes fonctionne-t-elle bien : il faut amplifier son déploiement. La logique de contractualisation sur laquelle elle repose est adaptée aux enjeux actuels. Il est important de proposer aux jeunes un accompagnement de proximité. En retour, ils doivent s’engager à retrouver un parcours de formation ou un emploi. De même, l’apprentissage doit être intensifié.

Le travail, l’insertion professionnelle, l’apprentissage et le maintien des liens sociaux sont fondamentaux ; nous ne pouvons transiger sur ces points. C’est pourquoi nous voterons contre la proposition de loi.

M. Philippe Vigier. François Ruffin dresse le constat que nous faisons tous, de façon transpartisane : dans nos circonscriptions, dans nos entourages, les jeunes souffrent. Mais ils ne sont pas les seuls et il ne faut pas opposer les uns aux autres.

L’ouverture d’un nouveau droit social à 18 ans est un débat ancien. Pour nous, le RSA jeunes n’est pas la bonne réponse. Jeune élu local, je m’étais beaucoup occupé des permanences d’accueil d’insertion et d’orientation puis, plus récemment, d’une mission locale. L’essentiel, c’est l’accompagnement. Je ne suis pas persuadé que recevoir un peu moins de 500 euros par mois est ce que les jeunes veulent. Ils veulent surtout une chance pour se construire dans un parcours, c’est vrai, difficile – mais qui n’a pas eu dans sa jeunesse des moments difficiles ?

La garantie jeunes offre tout de même quelques motifs de satisfaction, surtout lorsqu’elle est contractualisée en lien avec le tissu local. Elle doit être cousue main, mais pas décidée depuis Paris – chaque parcours est différent et les réponses doivent donc être différentes. Il peut s’agir d’un problème de mobilité – c’est le cas chez moi – ou de l’accès à un centre de formation ou à un logement. Ce dernier souci est majeur. J’espère que les élections départementales et régionales prévues en juin nous permettront d’y apporter une réponse vigoureuse. Dans ma région du Centre-Val de Loire, il manque 10 000 logements pour les jeunes !

Les petits boulots ont disparu, c’est vrai. Mais, par exemple, la semaine prochaine, la commune dont j’ai eu la chance d’être le maire pendant quelques années va aider à financer le permis de conduire, le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur ou le brevet d’aptitude aux fonctions de directeur de vingt et un jeunes. Il faut leur offrir cette chance et cet accompagnement.

Un système qui permet de disposer d’un revenu à 18 ans, quoi qu’il arrive, n’est pas une bonne solution, d’autant qu’il n’est pas décent de vivre avec 500 euros par mois.

M. Boris Vallaud. Je remercie François Ruffin pour ce « droit de suite » puisqu’il y a quelques semaines, la majorité avait balayé d’un revers de main notre proposition de loi relative à la création d’une aide individuelle à l’émancipation solidaire, instaurant un minimum jeunesse.

En France, on peut aller en prison à 16 ans, on peut se présenter aux élections et voter à 18 ans, mais on devient socialement majeur seulement à 25 ans. C’est un truisme largement partagé, que la majorité fait sien, que la jeunesse doit être un rite initiatique : on doit en baver un peu pour faire des études, pour trouver un premier emploi et un logement. Mais, la réalité est toute autre : la jeunesse s’abîme et son taux de pauvreté est trois fois supérieur à celui des Français de 60 ans. C’est, en outre, une singularité française puisque vingt-trois des vingt-sept pays de l’Union européenne ouvrent des droits sociaux à 18 ans. Nous avons tendance à nous considérer comme plus intelligents que les autres mais, à en croire la chanson de Renaud, un certain roi sur son trône est français, c’est sûr...

Depuis la présentation de notre proposition de loi en séance, nous avons entamé un tour de France, et nous constatons que la misère de la jeunesse vient grossir les files des banques alimentaires. Le plan et la plateforme 1 jeune, 1 solution sont intéressants, mais beaucoup de jeunes restent sans solution ; votre ambition est de porter le nombre de garanties jeunes à 200 000 en 2021, mais plus d’un million de personnes ne sont ni en emploi ni en formation et dans des difficultés criantes.

Vous vous offusquez qu’on puisse le dire, mais le minimum jeunesse existe déjà : il y en a un pour les riches et un pour les pauvres. Ceux d’entre nous qui aident leurs enfants le font sans se poser la question de la désincitation ! Lorsque Bruno Le Maire propose une franchise d’impôt pour transmettre, vous ne vous posez pas non plus de question : cet héritage, entre les mains de quelques-uns, va-t-il désinciter les enfants privilégiés à poursuivre des études ou à trouver un emploi ?

Bien sûr, l’accompagnement est indispensable, et c’était notre proposition, car l’un ne s’oppose pas à l’autre. Bien sûr, la dignité par le travail est préférable, à chaque fois que c’est possible. Si vous faisiez suffisamment confiance à votre plan pour employer ou former les jeunes, vous ne vous inquiéteriez pas du nombre d’allocataires du RSA...

Nous soutiendrons la proposition de loi, car nous sommes convaincus que tout citoyen accompli est parfaitement conscient de ses devoirs sans qu’il soit besoin de les lui faire comprendre à coups de pied dans les fesses. Esther Duflo et d’autres ont montré qu’il n’y a jamais d’effet désincitatif, tout comme les expériences finlandaise ou californienne. Mais vous êtes ce que vous reprochez aux autres, des idéologues. Je vous renvoie à Jaurès : « une fois émancipé, tout homme cherchera lui-même son chemin ».

Mme Valérie Petit. Depuis un an que sévit la crise du covid, elle frappe particulièrement et dramatiquement les plus jeunes. Chaque groupe parlementaire, de l’opposition comme de la majorité, a fait des propositions pour lutter contre la pauvreté et en faveur de la jeunesse, même si les approches sont différentes. Vous n’avez donc pas le monopole en la matière, monsieur le rapporteur. En réalité, vous arrivez même presque en dernier !

À titre personnel, je rejoins mon collègue Vallaud : par fidélité à la Déclaration des droits de l’Homme, au principe républicain et au modèle universaliste d’égalité des droits, nous devrions ouvrir le débat des droits sociaux à 18 ans. À cet âge, on devrait pleinement bénéficier de tous ses droits.

Pour sa part, le groupe Agir ensemble a proposé une version inédite du revenu universel : le socle citoyen, qui répond à cet impératif de garantir à chacun un filet de sécurité dès 18 ans. C’est une proposition extrêmement étayée, issue d’années de travail et de recherches, notamment au sujet du financement. Celle de nos collègues socialistes sur le revenu de base repose également sur une analyse approfondie du financement. Or la vôtre, monsieur Ruffin, étend, en quelques lignes, le RSA aux moins de 25 ans pour un coût de 5 milliards d’euros. Où les trouvez-vous ? Sur tous les bancs de l’Assemblée, des parlementaires ont sérieusement réfléchi à la question, et vous y consacrez une ligne. Cela me gêne un peu ! Encore un effort pour faire des propositions soutenables, y compris sur le plan budgétaire !

J’ai voté l’extension du RSA proposée par notre collègue Boris Vallaud, car elle était bornée dans le temps : elle visait à faire face à l’urgence et c’était un premier pas vers le revenu universel. Ce n’est pas du tout ce que vous proposez.

Enfin, je préfère un mécanisme universel, car je n’aime pas trop l’idée d’opposer les vieux et les jeunes. Ce n’est pas conforme à notre idéal républicain de solidarité nationale. C’est aussi pour cette raison que nous voterons contre la proposition de loi.

Mme Martine Wonner. La crise socio-économique que nous traversons depuis près d’un an est brutale et violente, mais elle a aussi exacerbé une précarité qui s’était développée depuis trop longtemps. Alors qu’ils sont particulièrement concernés, les jeunes restent exclus de certaines prestations. L’urgence est donc d’abord de répondre à l’explosion de la pauvreté et de la précarité pour ces publics fragiles. Depuis le début de la crise, notre groupe ne cesse d’interpeller le Gouvernement pour éviter à tout prix une génération sacrifiée. À maintes reprises, nous avons soutenu l’extension du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans, refusée par le Gouvernement. En situation d’urgence, il nous paraît plus aisé de mobiliser un dispositif efficace et connu de tous, plutôt que de créer un nouveau mécanisme.

Certes, la garantie jeunes que le Gouvernement souhaite mobiliser est un outil intéressant, mais elle ne répond pas à toutes les situations d’urgence, loin de là. Surtout, la méconnaissance du dispositif et le non-recours qui en résulte montrent la nécessité d’aller vers les jeunes. En 2019, alors que plus de 900 000 jeunes hors études, sans emploi, ni formation luttaient au quotidien pour survivre, ils étaient seulement 93 000 à bénéficier de la garantie jeunes. Même si le Gouvernement met en avant son projet de l’universaliser, l’élargissement des conditions d’accès est loin d’être à la hauteur de l’ambition affichée et de l’urgence de la situation dégradée d’une partie des 18-25 ans.

Par ailleurs, agir sur le seul terrain de l’emploi et de l’insertion ne suffit pas. C’est maintenant qu’il faut agir. Il est urgent de repenser nos politiques de lutte contre la pauvreté pour qu’elles deviennent vecteurs d’égalité des chances. Même le comité d’experts de France Stratégie, chargé d’évaluer la stratégie de lutte contre la pauvreté, a fait part de son incompréhension quant à l’exclusion des moins de 25 ans du dispositif d’aides sociales, et plaide pour la mise en place d’un revenu garanti pour eux.

Notre groupe soutiendra cette proposition de loi.

M. Pierre Dharréville. L’épidémie a passé notre société au révélateur, mettant au jour les vulnérabilités sociales préexistantes ; durant la crise, les inégalités continuent de se creuser. Dans le contexte économique morose, la jeunesse est particulièrement affectée, prise dans une situation insupportable, invivable parfois, ne voyant pas bien par quelle porte entrer dans la vie sociale – à quelle place, pour quel projet, quel bonheur ?

La crise a pesé deux fois plus sur le revenu des jeunes de 20 à 25 ans que sur la moyenne des Français et, à ces difficultés matérielles, s’ajoute une déprime psychologique croissante. Tels sont les constats qui ressortent de la commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, dont la rapporteure était notre collègue Marie-George Buffet. Dans les conclusions rendues en décembre 2020, soixante-cinq propositions, votées à l’unanimité de la commission, ont été formulées. L’une d’entre elles concernait l’ouverture du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans. Considérons-les comme des citoyens majeurs à part entière !

Depuis un an, force est de constater que le Gouvernement n’a pas pris la mesure du choc, se contentant d’aides ponctuelles de 150 euros et d’un plan jeunes insuffisant. Les jeunes sont trop largement hors des radars, souvent inéligibles à l’assurance chômage faute d’avoir suffisamment travaillé – et cela ne va pas s’arranger avec la réforme – et exclus du RSA en raison de leur âge. En outre, la jeunesse se trouve face à une crise économique majeure qui lui ferme les portes du marché du travail. Nous devons donc agir, et c’est pourquoi nous abordons avec grand intérêt la proposition de loi portée par François Ruffin sur l’extension du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans.

Nous devons inventer des dispositifs pérennes de soutien à la jeunesse pour lui assurer un revenu garanti et une continuité des droits sociaux. Non, il n’est pas utile de galérer pour construire sa vie, notamment quand on est issu d’un milieu populaire – c’est même tout l’inverse. Nous prônons, depuis de nombreuses années, l’instauration d’un revenu étudiant ou d’une allocation d’autonomie permettant de garantir l’autonomie financière durant la formation. Il faut également réfléchir à l’élargissement de l’assurance chômage, tout en renforçant les moyens des structures d’accompagnement dédiées à la jeunesse. Toutes les associations de jeunesse le réclament et la situation sociale l’impose. C’est notre responsabilité si nous ne voulons pas que la « génération covid » soit sacrifiée.

La jeunesse est particulièrement délaissée dans notre pays : protégeons-la !

M. Bernard Perrut. Les jeunes de 18 à 29 ans constituent la plus grande partie des personnes en situation de pauvreté en France. La crise du covid-19, qui les fragilise encore plus, fait peser sur la nation le risque d’une génération sacrifiée. Plus de 700 000 jeunes risquent de ne pas trouver un emploi lorsqu’ils arriveront pour la première fois sur le marché du travail. La crise actuelle est la cause d’une nouvelle précarité chez les étudiants : on parle de mal-être, de privation de liens sociaux, d’état psychologique préoccupant, de dépendance accrue à une aide financière attribuée par les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS). Je ne peux que partager le constat que vous avez dressé, monsieur le rapporteur : les jeunes ont besoin de notre aide.

Néanmoins, le dispositif que vous proposez m’interpelle. Le nombre de bénéficiaires du RSA a déjà augmenté fortement en 2020, ce qui pose évidemment la question du coût. Des évaluations ont été faites, notamment par le groupe de travail sur le revenu universel d’activité, qui avait chiffré une hypothèse intégrant les étudiants, dans un périmètre assez large : le coût, pour 4,5 millions de jeunes adultes, pourrait s’élever à 13 milliards d’euros par an. D’autres évaluations faisaient état de 16 milliards d’euros annuels. Comment expliquer ces écarts ? Vous proposez de remplacer les bourses. Quelles estimations avez-vous faites ?

Par ailleurs, comment s’assurer que le dispositif ne produira pas des effets d’aubaine ? Le RSA jeunes, introduit par la loi de finances pour 2010, a au moins l’avantage d’accompagner concrètement les bénéficiaires dans la recherche d’un travail et d’une insertion professionnelle, du fait de ses conditions d’attribution – il faut avoir travaillé pendant deux ans au cours des trois années précédentes.

Nous sommes très attachés à la notion de travail, qui est une valeur cardinale. Nous considérons qu’il faut aider les jeunes grâce à l’insertion dans le marché du travail. C’est dans cet état d’esprit que le groupe Les Républicains a formulé des propositions visant à lutter contre la pauvreté dont toute une partie est centrée sur les jeunes. Je pense en particulier à la création des « jobs pour la nation » qui seraient financés par l’État sur le modèle du chômage partiel, d’une manière limitée dans le temps, le but étant d’insérer les jeunes, de les conduire vers le travail, et non pas simplement de leur donner des moyens chaque mois, sans qu’il y ait un engagement de leur part.

Mme Monique Iborra. Si le RSA sortait de la pauvreté, cela se saurait depuis longtemps ! Ceux qui entrent dans ce dispositif sont souvent dans la même situation quatre ou cinq ans plus tard.

S’agissant de la crise liée à la covid, le RSA ne suffirait pas, de toute façon. Le Gouvernement a déployé plus de 6 milliards d’euros pour aider les jeunes dans la période particulière que nous traversons.

Je suis un peu étonnée : j’avais cru comprendre, quand il a été question du revenu de base, que La France insoumise était très sceptique. L’argument alors avancé était que les entreprises ne s’investiraient plus dans la question des salaires. Tout le monde a le droit de changer d’avis, mais je veux tout de même rappeler quelle était votre position.

M. Didier Martin. Nous partageons le constat de la pauvreté des jeunes. La différence entre nous est que vous souhaitez traiter ce problème par une allocation alors que nous voulons apporter des solutions adaptées. C’est un choix. Par ailleurs, nous espérons voir l’activité reprendre et la relance sociale se faire en même que la relance économique et la transition écologique.

S’agissant des jeunes étudiants, nous ne sommes pas restés les bras croisés. Des mesures ont été prises pour ceux qui en avaient le plus besoin, en particulier les étudiants boursiers. Il y a eu le gel des loyers universitaires, les repas à 1 euro pour tous, depuis le mois de janvier, des aides exceptionnelles pour ceux qui travaillent en plus de leurs études pour pouvoir vivre – des mesures adaptées ont été adoptées en cas de perte d’emploi ou de stage rémunéré –, des aides d’urgence et, pour ceux qui le souhaitent, un renforcement des prêts étudiants garantis par l’État, sous un plafond de 15 000 euros : cela permet d’envisager l’avenir pendant cette période difficile.

Il y a également d’autres catégories de jeunes, en dehors des étudiants, dont il faut s’occuper. C’est l’objet du grand plan 1 jeune, 1 solution qui a été rappelé par notre porte‑parole : 9 milliards d’euros sont sur la table, ce n’est pas rien.

Voilà les raisons pour lesquelles nous ne soutiendrons pas cette proposition de loi.

M. le rapporteur. Il y a un élément qui manque dans les propos tenus par la majorité et par ceux qui rejettent cette proposition de loi : personne n’a expliqué pourquoi le RSA commence à 25 ans et non à 18 ans.

Je ne prétends pas être le précurseur de quoi que ce soit. Je ne dirai pas depuis quand je défends cette mesure, qui me paraît de bon sens et que le groupe Socialistes avait déjà proposée... Elle est très largement partagée, depuis longtemps, par pas mal d’acteurs. Ce n’est absolument pas original et cela devrait même aller de soi.

Nous ne proposons pas de bornage dans le temps puisqu’il s’agit d’un principe : à 18 ans, on a la majorité politique et pénale ; on doit aussi avoir la majorité sociale.

Si je n’ai pas souhaité poser la question du financement, c’est pour que le débat ne s’écarte pas du principe selon lequel on doit avoir, à 18 ans, les mêmes droits que tout le monde. J’aurais pu proposer, par exemple, de rétablir un véritable impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ou de revenir en arrière s’agissant du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi. En une année, les milliardaires de notre pays ont vu leur fortune augmenter de 130 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 55 %. Des idées pour assurer une redistribution en faveur de la jeunesse pauvre, il y en aurait beaucoup à développer !

La majorité avance que cette proposition de loi serait injuste parce que les étudiants riches ou les enfants de personnes aisées auraient le droit d’en bénéficier. Il faudrait donc ne pas aider les pauvres par crainte d’aider les riches ? En réponse à cette critique, de gauche, nous avons réalisé une projection : les 10 % les plus riches, le dernier décile, y perdraient, puisqu’ils n’auraient plus de demi-part fiscale supplémentaire et les aides alimentaires seraient déduites. Les autres, grosso modo, seraient gagnants. Du reste, dans notre société, les grands progrès se produisent quand on adopte quelque chose d’universel. La sécurité sociale ne dépend pas du fait qu’on est riche ou pauvre, alors qu’on a les moyens de payer si on est riche. Il en est de même pour la retraite. Une protection pour les pauvres devient vite une pauvre protection – il faut l’éviter.

Ce que nous proposons n’éliminera pas la pauvreté, j’en suis bien d’accord, mais elle la tempérera. C’est démontré par des rapports. Chez les jeunes, la vraie frontière, la ligne de partage, le clivage se trouve entre ceux qui sont aidés par leur famille et ceux qui ne le sont pas : cela ressort de tous nos entretiens. Il y a une immense injustice sur laquelle je tiens à vous alerter. Je sais bien que vous n’adopterez pas cette proposition de loi, je ne me fais pas d’illusions, mais il faut prendre conscience du fait que ce que certains chercheurs appellent la familialisation produit, à ce moment-là de la vie, une injustice éclatante.

Je vous épargnerai les témoignages, qui sont très clairs, mais je veux vous montrer un graphique qui nous a été fourni par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). C’est dans le premier décile que le taux d’effort des familles, c’est-à-dire la part des revenus consacrés aux jeunes adultes dont l’âge est compris entre 18 et 24 ans, est le plus élevé : il est de 13 %. Bien qu’ils aient peu de revenus, les plus pauvres acceptent d’en donner 13 % à leurs enfants. Dans le dernier décile, le taux d’effort est de 8 %. Bien qu’ils aient davantage de marge de manœuvre, les plus riches donnent un moindre pourcentage de leurs revenus. Néanmoins, la différence est telle qu’on donne à peine 1 000 euros par an dans le premier décile et plus de 7 000 dans le dernier. Cela montre bien l’injustice de la familialisation des aides à la jeunesse. Il faut que la société agisse pour rééquilibrer la balance, en passant d’une stricte solidarité familiale à une solidarité sociale.

Les mesures du Gouvernement s’inscrivent dans une tradition à l’égard de la jeunesse qui est la multiplication des dispositifs : la garantie jeunes, le parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie, l’accompagnement intensif des jeunes, le parcours emploi compétences, l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi, la prépa apprentissage, etc. Rien n’est universel. On voit qu’un problème de pauvreté se pose entre 18 et 25 ans, mais que fait-on depuis des années ? On ajoute par-ci par-là des petits bouts supplémentaires de mesures, en fonction de tas de critères concernant l’âge, le statut ou les revenus. Cela produit un maquis qui rend la situation complètement illisible pour les spécialistes qu’on a consultés, pour les travailleurs sociaux – ils sont parfois incapables de dire aux jeunes en face d’eux quels sont leurs droits – et plus encore pour les jeunes eux‑mêmes, en particulier les plus éloignés de ces dispositifs.

L’idée, derrière « 1 jeune, 1 solution » – ou plutôt des jeunes, des solutions –, qui est de faire du sur-mesure, s’inscrit dans une continuité : on multiplie encore les dispositifs, au lieu de se dire qu’il faudrait créer un filet de sécurité universel tout en faisant de la dentelle en matière d’accompagnement, du sur-mesure. Cette mesure de protection sociale dont chacun doit pouvoir bénéficier, simplement, doit être distinguée des mille et un dispositifs actuels, qui sont incompréhensibles.

La garantie jeunes universelle n’aura rien d’universel, les associations nous alertent sur ce point : des critères d’attribution demeureront et il y aura toujours un quota. Certes, il doublera, de 100 000 à 200 000 jeunes, mais il y a 1,5 million de NEET en France, dont 500 000 en situation de grande précarité, selon la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Deux catégories sont, par ailleurs, laissées de côté : ceux qui sont très éloignés des dispositifs, à qui on demande un retour très rapide à l’emploi alors que ce n’est pas possible, car il faut commencer par le logement et les problèmes de santé, et tous les étudiants. Cela revient à oublier le haut et le bas du tableau. Ensuite, le dispositif ne sera pas compris par tout le monde. On n’aura donc pas un « bouclier », comme l’a dit la secrétaire d’État Sarah El Haïry, mais une passoire.

Je crois, moi aussi, en la valeur travail, mais il y a un mythe de la désincitation : des études et des enquêtes prouvent qu’elle n’existe pas à 25 ans, à l’entrée dans le RSA. Par ailleurs, votre majorité a contribué à faire monter en puissance la prime d’activité, qui avait été créée par le Gouvernement précédent et qui a été efficace, puisqu’elle a supprimé les trappes à inactivité. Quand on se met à travailler et qu’on touche le RSA dès la première heure, on gagne un peu plus qu’avant et il y a une augmentation constante du revenu. Enfin, vous demandez un retour à l’emploi immédiat, sans permettre aux jeunes de se construire et de se demander par où ils veulent commencer, par exemple s’ils doivent passer leur permis de conduire. Ce n’est pas toujours par l’emploi que les parcours doivent débuter.

Il faudrait évidemment que le « A » de RSA désigne aussi l’accompagnement. On sait à quel point il y a des défaillances dans les départements. L’accompagnement est parfois inexistant, parce que cela coûte de l’argent. Un accompagnement est encore plus nécessaire pour les jeunes, qui entrent dans un temps d’incertitude, marqué par l’ouverture de droits, par exemple en matière de santé et de logement, mais c’est considéré comme secondaire.

J’en veux pour preuve l’évaluation du coût que nous avons récupérée auprès de la DREES – il serait d’environ 16 milliards d’euros et de 13 milliards sans les bourses. Il manque dans le tableau une ligne concernant l’accompagnement, qui n’est pas pensé. Or un véritable accompagnement se chiffrerait en milliards d’euros. On pourrait prévoir un accompagnant pour cinquante jeunes, comme dans les missions locales. Ce serait un véritable investissement. ATD Quart Monde propose des référents traitants en la matière, comme il existe des médecins traitants. Ces référents, dont on pourrait changer, ne seraient pas uniquement placés auprès des missions locales mais aussi auprès d’associations. Je crois qu’on pourrait faire du « sur-mesure » dans ce cadre.

Je redis que je suis favorable à un filet de protection général pour les jeunes comme pour tout le monde, mais qu’il faudrait faire de la dentelle, du sur-mesure en matière d’accompagnement. Ce qui est réalisé depuis un an contribue à maintenir une multiplicité de dispositifs qui rend les choses illisibles pour les jeunes eux-mêmes.

Mme Christine Cloarec-Le Nabour. Ce qui nous sépare vraiment, c’est que vous voulez un filet de sécurité financier alors que nous prévoyons un chapeau qui est le droit à l’accompagnement : c’est lui qui doit être universel, et il doit être global. Il y a des jeunes qui ne sont pas prêts à l’emploi et que nous avons besoin d’accompagner, plus ou moins longtemps. Il faut lever des freins périphériques qui peuvent être liés au logement, à la santé, à la mobilité ou à l’accès au droit. L’enjeu, c’est l’information sur les droits – je vous rejoins sur ce point – et le repérage des « invisibles ».

L’accompagnement doit être universel. Peu importe que les dispositifs ne soient pas lisibles pour les jeunes à partir du moment où ils savent qu’ils peuvent frapper à la bonne porte. Ce sont les conseillers en insertion professionnelle qui doivent être informés. Il leur revient d’établir les diagnostics, de suivre les jeunes, de coconstruire avec eux les parcours, de sécuriser ces derniers et de proposer des dispositifs d’intensité et de durée différentes.

Ce qui nous différencie également, c’est que nous demandons des contreparties. Il existe, depuis un certain nombre d’années, des parcours contractualisé d’accompagnement adapté vers l’emploi et l’autonomie – tout est dit.

M. Boris Vallaud. Nous attendons toujours la concrétisation des annonces du Président de la République : le revenu universel d’activité et le service public de l’accompagnement devaient voir le jour en 2020, mais cela n’a pas été le cas. Merci pour les promesses et les engagements, mais la crise économique a lieu maintenant.

Je rappelle que nous avions proposé en février dernier de réaliser une expérimentation concernant le RSA. Philippe Vigier a regretté que le Premier ministre n’ait pas accepté de le faire pendant la durée de la crise : nous aurions pu en tirer des conclusions utiles pour la suite.

Il ne s’agit pas de mettre en vis-à-vis l’emploi et l’existence d’un filet de sécurité, ou alors, par cohérence, il faudrait supprimer le RSA pour tout le monde, quel que soit l’âge.

L’accompagnement est une nécessité. Il faut prendre exemple sur ce que font les missions locales dans le cadre de la garantie jeunes, avec un accompagnement à 360 degrés.

S’agissant des contreparties, vous en demandez aux uns et pas aux autres. Je pense à l’augmentation de la franchise de droits de succession et à la suppression de l’ISF : vous n’avez pas demandé de contreparties à ceux qui en bénéficient. Il y a une vérité pour les riches et une autre pour les pauvres.

M. Philippe Vigier. Je revendique aussi le droit à l’accompagnement. Là, on se retrouve, monsieur Ruffin : l’accompagnement est insuffisamment réalisé sur le terrain. Il faudrait voir comment on pourrait récupérer celles et ceux qui restent parfois sur le carreau.

S’agissant du critère de l’âge, vous savez dans quelles conditions le revenu minimum d’insertion a été créé. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler son histoire.

J’ai été boursier : cela m’a permis de me bâtir un avenir. J’aimerais bien qu’on soit capable d’aborder également ce sujet. Les bourses ne sont pas un gros mot. Il y a une vraie question concernant notamment les restes à charge pour les jeunes, toujours plus nombreux à renoncer à se soigner.

Je comprends ce que vous voulez, mais la réponse, pour moi, n’est pas un filet consistant à donner de l’argent : c’est l’émancipation et l’accompagnement. Il faut montrer qu’on peut avancer, qu’on peut continuer même si on a mal démarré. Il doit y avoir une main qui se tend et quelqu’un qui guide.

M. Thibault Bazin. Le débat sur la jeunesse est fondamental. C’est l’avenir de notre nation qui est en jeu. Néanmoins, on ne peut pas résumer dans une proposition de loi tous les enjeux. Les jeunes que je rencontre n’attendent pas une aide tout de suite : ils veulent avoir enfin des perspectives. Quand pourront-ils de nouveau étudier normalement, accéder normalement à des jobs étudiants, construire un parcours, un projet de vie ? La liberté de construire sa vie, d’entreprendre est essentielle, car c’est un moteur.

Nos jeunes veulent un avenir. Ils sont déprimés par la situation actuelle : ils ne savent pas quand ils pourront être vaccinés et retrouver une vie normale. Ce sont vraiment les réponses qu’on attend du Gouvernement. J’espère qu’il pourra les apporter lorsque cette proposition de loi sera examinée dans l’hémicycle : les jeunes espèrent être libérés et ne pas être éternellement confinés.

M. le rapporteur. Je ne prétends pas que l’ouverture du RSA dès 18 ans permettrait d’atteindre un idéal. Cela ne réglerait pas tout, loin de là. Pour moi, je le répète, ce serait une espèce de minimum.

On nous dit, du côté de la majorité, qu’il faut penser à un accompagnement, que c’est ce qui doit primer. Mais où se trouve, dans le budget que nous avons adopté l’an dernier, la montée en puissance de l’accompagnement ? Combien de centaines de milliers de postes comptez-vous créer pour que ce soit possible ? Rien ne prévoit, dans la loi, qu’il y ait un accompagnement et un référent à partir de 18 ans.

Les travailleurs sociaux eux-mêmes ne s’y retrouvent pas dans les dispositifs existants. Il faudrait simplifier la situation en créant un droit universel, au lieu d’épaissir encore le millefeuille. J’ai cité tout à l’heure le cas de Cassandre. Cette jeune étudiante, qui s’est retrouvée auto-entrepreneure en utilisant StaffMe, voulait bénéficier de l’aide aux anciens boursiers qui a été rétablie l’an dernier, mais on lui a dit que ce n’était pas possible à cause de son statut. Voilà ce qui se passe quand on multiplie les dispositifs assortis de différents critères. Quant à Lucas, qui a bénéficié d’une bourse versée dix mois par an quand il était à l’université, il a appris des années plus tard qu’il avait le droit de l’obtenir sur douze mois parce qu’il était passé par l’ASE, mais il aurait fallu que le CROUS, lui-même perdu, soit au courant de la situation. Il n’y a pas d’interlocuteur unique : les acteurs sont multiples, du côté des départements, des missions locales et ainsi de suite.

Boris Vallaud a parlé de ce qui a été fait pour les riches. S’agissant des entreprises, on a tissé immédiatement, au début de la crise, un filet de sécurité universel – les prêts garantis par l’État et le chômage partiel, pour les entreprises et les salariés. C’était, grosso modo, une bonne chose, mais on crée un filet de protection pour toutes les entreprises et on s’y prend au cas par cas pour les jeunes. Pourquoi ne l’a-t-on pas fait pour les entreprises et pourquoi demande-t-on des contreparties aux uns mais pas aux autres ?

Je vous rejoins, monsieur Vigier, en ce qui concerne les bourses. Deux solutions sont possibles : soit on universalise, et il n’y a plus de bourses mais un droit nouveau pour tous, soit on fait un vrai travail – qui n’est pas réalisé par la majorité – pour revaloriser les bourses et pour regarder qui doit les avoir ou non. Une très faible part des étudiants parvient à en bénéficier à l’heure actuelle. Si on généralise, comme je le préconise, un filet de protection qui vaudrait pour toute la jeunesse, cela produirait une redistribution entre les générations mais aussi entre les classes. Si on utilise les deux leviers que sont les aides aux jeunes en recherche d’emploi, en galère, et les bourses pour les étudiants, pour l’instant, il n’y a rien.

II.   examen des articles

La commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

Article 1er : Créer un RSA ouvert aux 18-25 ans

La commission rejette l’article 1er.

Article 2 : Supprimer le RSA « jeunes actifs »

La commission rejette l’article 2.

Après l’article 2

La commission est saisie de l’amendement AS2 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la création d’un revenu de base, disponible dès 18 ans.

M. le rapporteur. C’est une position de repli au carré, mais pourquoi pas un rapport...

J’insiste sur les situations d’urgence que j’ai rencontrées. On a créé du jour au lendemain, pour les entreprises, des prêts garantis par l’État et on a mis en place le chômage partiel mais, un an plus tard, il n’y a toujours pas de droit sécurisant Safia, qui se demande si elle perdra son logement du CROUS cet été parce qu’elle n’a pas de boulot permettant de le payer pendant ces deux mois. Il y a une angoisse qui monte dans le pays !

Je pense que le temps n’est pas à la remise de rapports. Il faut créer un filet de protection généralisé, au moins de manière temporaire mais je préconise qu’on le fasse durablement.

Mme Valérie Petit. Nous avons voté, le 26 novembre dernier, dans l’hémicycle, pour le lancement d’un débat public et citoyen sur un mécanisme de revenu universel. L’amendement, de bon sens, qui nous est proposé serait utile : nous avons besoin d’évaluations et d’éléments factuels pour débattre d’une façon démocratique.

Pardon d’être un peu redondante, mais nous allons le créer, le revenu universel. C’est le sens de l’histoire – on le voit aux États-Unis.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 : Gage

La commission rejette l’article 3.

Titre

La commission est saisie de l’amendement AS1 de M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. C’est un amendement rédactionnel : le texte concernerait, en réalité, les jeunes entre 18 et 24 ans. On peut déjà obtenir le RSA à partir de 25 ans.

M. le rapporteur. Sagesse. Il s’agit d’étendre ce droit jusqu’à l’âge de l’âge de 24 ans, 364 jours, 23 heures et 59 secondes. Vous voyez l’ampleur de notre divergence, monsieur Vallaud !

Nous nous sommes plongés dans le débat qui a précédé la création du RMI. Rien n’indiquait, dans les travaux préparatoires, qu’il fallait qu’il débute à 25 ans plutôt qu’à 18, d’autant que les dispositifs d’insertion allaient jusqu’à 26 ans. Rien ne correspondait à ce seuil qui semble, depuis, être une frontière infranchissable.

Je rappelle aussi que la France fait partie des quatre derniers pays de l’Union européenne qui prévoient un âge différent pour la majorité sociale et pour la majorité politique.

J’ai présenté, il y a quelque temps, une proposition de loi concernant les vols aériens. On m’a alors traité, en gros, de « khmer vert ». On m’a dit que c’était insensé, impensable, impossible, alors qu’il s’agissait d’une proposition de bon sens, qui vient d’être reprise par la majorité, sous une forme atténuée, dans le projet de loi relatif au climat.

Reste que je n’ai toujours pas entendu la moindre explication, dans cette salle, de la divergence entre la majorité politique et la majorité sociale, l’une étant fixée à 18 ans et l’autre à 25. L’idée que c’est incompréhensible va monter de plus en plus dans notre pays, et vous finirez par porter un regard différent sur cette question – j’espère que cela arrivera très vite.

La commission rejette l’amendement.

L’ensemble des articles et l’amendement portant article additionnel ayant été rejetés, la proposition de loi est considérée comme rejetée par la commission.

M. le rapporteur. Je laisserai la conclusion à ATD Quart Monde : « Nous ne voulons plus répondre aux demandes du Gouvernement. Nous lui avons tout dit, redit, et reredit. Nous en avons parlé avec Véronique Fayet, la présidente du Secours catholique, qui partage notre attitude. Cela ne m’est jamais arrivé en quinze ans d’exercice au sein d’ATD. Ils savent tout ce qu’il faut faire. Maintenant, c’est à eux d’agir. » Ce matin, vous choisissez de nouveau de ne pas agir.

*

L’ensemble des articles de la proposition de loi et des amendements portant articles additionnels ayant été rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 


—  1  —

ANNEXE 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

 

            Jeunes de la mission locale d’Abbeville – Logan, Mathieu, James, Kévin, Lucie, Axel, Gaëtan, Killian, Justin, Manon, Valéiran, Yanis, Noat, Ainy et Sofia.

            Jeunes de la maison famille rurale de Flixecourt – Mélissa, Nicolas, Laura, Maxence, Dylan et Maeva

            Observatoire des inégalités – M. Louis Maurin, président

            M. Nicolas Duvoux, sociologue, professeur à l’université Paris VIII

            Mme Fanny Bugeja Bloch, sociologue, maîtresse de conférences à l’université Paris Nanterre

     Table ronde :

– Fondation Santé des Étudiants de France (FSEF) – M. Vincent Beaugrand, directeur général, et Mme Perrine Ramé-Mathieu, directrice de la stratégie

– Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) – M. Mickaël Portela, co-auteur du rapport sur les montants des ressources disponibles pour les jeunes adultes pour la DREES, et Mme Emmanuelle Nauze-Fichet, cheffe du bureau « Jeunesse – Famille »

     Table ronde :

 Fédération des associations générales étudiantes (FAGE)  M. Yanis Limame, premier vice-président en charge des politiques de jeunesse et de la stratégie d’influence

 Union nationale des étudiants de France (UNEF) – Mme Maryam Pougetoux, vice-présidente en charge des questions universitaires et de jeunesse

     Table ronde :

 ATD Quart-MondeMme Marie Aleth Grard, présidente, et M. Yves Ravot, membre du département jeunesse

– Les Restos du cœur – M. Patrice Douret, président, et M. Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles

 Fédération des acteurs de la solidarité (FNARS)  M. Florent Gueguen, directeur général

– Fondation Abbé Pierre – M. Manuel Domergue, directeur des études

       Mme Cécile Van de Velde, sociologue, spécialiste des politiques publiques pour la jeunesse en Europe

       Mme Sarah El Haïry, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, chargée de la Jeunesse et de l’Engagement

            Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, Ministère des solidarités et de la santé

            M. Tom Chevalier, chargé de recherche CNRS au laboratoire Arènes, Sciences Po Rennes & chercheur associé au centre d’études européennes et de politique comparée

 


—  1  —

   ANNEXE 2 :
LISTE DES TEXTES SUSCEPTIBLES D’êtRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE l’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de l’action sociale et des familles

L. 262-4

2

Code de l’action sociale et des familles

L. 262-7-1


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   REMERCIEMENTS

 

Toute œuvre résulte d’un travail collectif.

Je remercie tout d’abord Thomas Ramilijaona, administrateur aux Affaires sociales à l’Assemblée nationale pour son aide et son travail de très grande qualité pour la constitution du rapport et l’organisation des auditions.

Mes remerciements vont également à mon équipe parlementaire : Paul Bernardet, Dimitri Bourrié, Sylvain Laporte, Mélanie Vasselin et Damien Maudet.

Merci aux bénévoles pour leur aide dans la recherche et surtout pour la retranscription de plus de 300 pages d’auditions : Mag, Robin, Alice, Mathias, Florent, Esther, Jezabel, Renaud.

Merci à toutes les personnes qui ont accepté d’apporter leur témoignage :

Loudmila et Maxime rencontrés grâce à l’UNEF Amiens Picardie.

Félix, Paul et Valentin de la FAGE Picardie – FAEP.

Emilien, Clément, Florian et Justine du MRJC de la Somme.

Léa, rencontrée à Abbeville.

Amanda de Lyon et Arnaud de Tours.

Les témoins de Facebook : Alix, Stéphanie, M. Dupressoir, Cassandre, Ilyes, Antonin, Dorothée.

Les jeunes de la Mission locale d’Abbeville : Marc, Logan, Mathieu, Kevin, James, Lucie, Axel, Justine, Manu, Léo, Noat, Gaëtan, Killian, Anaïg, Sofia.

Les jeunes de la MFR de Flixecourt : Mélissa, Nicolas, Laura, Maxence, Dylan, Maëva.

Lounès, Hamid, Rachid, Malik d’Amiens Nord.

Gaëtan, Bakri et Rami du Sud-Est d’Amiens

Les animateurs en galère Florent, Yasmine et Robin et les travailleurs précaires Boris et Vanessa.

Lucas, Gabrielle et Sébastien exs de l’Aide sociale à l’enfance. Merci aussi à Lyès Louffok et à l’association Repair.

Mohamed Benlahsen, président de l’UPJV de nous avoir alerté sur la situation des étudiants.

Merci à ceux qui nous ont permis d’organiser ces rencontres :

Louisette Régnier, directrice de la MFR de Flixecourt, Wojciech Kondrat, directeur de la Mission locale d’Abbeville, Justine Coussement, animatrice du MRJC de la Somme, Paul Grégoire, président de la FAGE Picardie – FAEP, Roman Laniel, président de l’UNEF Amiens Picardie. Et aussi Mohamed Hamzi, Malika Berraihi, Lynda Idriss, Ismaël Barra et Vincent Picard.

Merci à ceux qui ont apporté leur expertise :

Cécile Van de Velde, Louis Maurin, Karine Bugeja, Fanny Bugeja-Bloch, Nicolas Duvoux, Tom Chevalier, Vincent Beaugrand de la FSEF, Camille Peugny, Vanessa Pinto, Mickaël Portela et Emmanuelle Nauze-Fichet de la DREES.

Merci à ceux qui défendent chaque jour « ceux qui ne sont rien » :

Yanis Limame de la FAGE, Maryame Pougetoux de l’UNEF, Marie Aleth Grard et Yves Ravot (ATD Quart Monde), Patrice Douret et Louis Cantuel (Restos du cœur), Florent Gueguen de la FNARS et Manuel Domergue de la Fondation Abbé Pierre.

 

 


([1]) La mesure du taux de pauvreté s’appuie sur deux taux : 50 ou 60 % du revenu médian. Ici, il s’agit de la mesure, plus modeste, de 50 % du revenu médian.

([2]) Le document source se trouve ici : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/3_-_fiche_thematique_jeunes_principes_et_objectifs.pdf

([3]) Les travaux de concertation sur le RUA estimaient que sur les 20 milliards d’euros d’aides versées aux jeunes, la moitié transitait par les parents. Le document de cadrage est le même que celui cité précédemment.

([4]) Chauvel, Louis. « 6. Les genres de vie : jeunes en retrait », Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France du XXe siècle aux années 2010, sous la direction de Chauvel, Louis. Presses Universitaires de France, 2010, pp. 270-283.

([5]) L’expression est celle de l’auteur, couramment utilisée dans les analyses statistiques.

([6]) Sur le (récent) mécanisme de garantie VISALE, on pourra utilement se reporter aux développements qui lui sont consacrés infra.

([7]) DREES, Minima sociaux et prestations sociales, édition 2020, disponible ici : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-01/Fiche%2037%20-%20Les%20aides%20au%20logement.pdf.

([8]) Même lorsque les aides sont majorées du fait du nombre de gens vivant dans le logement, la majoration est moindre que ce qui serait versé à une personne qui chercherait à se loger seule.

([9]) Relative seulement, car les enfants rattachés un foyer fiscal soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en sont exclus.

([10]) Chauvel, Louis, op. cit.

([11]) Résultat de l’enquête de l’OVE en 2013 sur le logement des étudiants.

([12]) DREES, juin 2020, « Vivre chez ses parents ou chez une autre personne à l’âge adulte » https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-07/dd58%20-%20Vivre%20chez%20ses%20parents%20ou%20chez%20une%20autre%20personne%20%C3%A0%20l%E2%80%99%C3%A2ge%20adulte%20-%20Profil%20des%20adultes%20ne%20figurant%20ni%20sur%20le%20titre%20de%20propri%C3%A9t%C3%A9%2C%20ni%20sur%20le%20bail%20de%20location%20du%20logement.pdf

([13]) Eyméoud, Jean-Benoît, et Wasmer, Étienne. Vers une société de mobilité. Les jeunes, l’emploi et le logement. Presses de Sciences Po, 2016.

([14]) Note d’information du service d’information de l’enseignement supérieur, « Parcours et réussite des étudiants au cours des trois années universitaires suivant l’obtention de leur baccalauréat en 2014 », disponible ici :

https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2020/90/3/Gouv_Note_91_07_1278903.pdf

([15]) Kasatkina, Olga, Laurent Lima, et Nadia Nakhili. « La réussite académique à l’université dépend-elle des études supérieures de ses parents ? », Vie sociale, vol. 29-30, no. 1-2, 2020, pp. 55-71.

([16]) Observatoire national de la vie étudiante, « Repères 2020 ». L’étude, réalisée à partir d’un sondage réalisé auprès de près de 100 000 étudiants est une véritable « mine » d’informations sur la condition étudiante. On ne sera donc pas surpris qu’il soit abondamment cité ici.

([17]) Voir par exemple : Pinto, Vanessa. À l’école du salariat. Les étudiants et leurs « petits boulots ». Presses universitaires de France, 2014.

([18]) Voir par exemple, Sorho-Body, Kady Marie-Danielle. « Le travail salarié a-t-il un impact sur la réussite en première année de licence ? », Formation emploi, vol. 142, no. 2, 2018, pp. 211-230. L’auteur rappelle que la simple corrélation négative aurait pu passer par un lien de causalité inverse : le manque d’intérêt pour les études pourrait expliquer l’échec en licence, hypothèse qu’elle écarte au moyen de méthodes statistiques.‬‬‬‬‬‬

([19]) Pour faciliter la comparaison, on peut rappeler que le système de bourses français coûte 2,2 milliards d’euros, que la France est un pays onze fois plus peuplé que le Danemark et que le PIB de la France est sept fois plus élevé.

([20]) En septembre dernier, l’UNEF et la FAGE ont ainsi chiffré à 3,9 % à l’échelle nationale le renchérissement de la rentrée 2020 par rapport à la rentrée 2019. Leurs calculs font apparaître d’importantes disparités sur le territoire, liées notamment au coût du logement mais aussi dans une moindre mesure des transports. Les calculs sont disponibles dans le dossier de presse : https://unef.fr/wp-content/uploads/2020/11/24aout2020_Classement-ville-selon-cout-de-la-vie-etudiante.pdf.

([21]) Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, « Cartographie des bourses publiques de l’enseignement supérieur », février 2020, disponible ici : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2020/06/5/IGESR_Rapport_2020_cartographie_bourses_publiques_enseignement_superieur_1337065.pdf

([22]) Ces propositions sont plus importantes dans les filières « grandes écoles » précitées. En 2016, l’Observatoire de la vie étudiante constatait que 11 % des élèves en école de commerce et 6 % des élèves en école d’ingénieur y avaient eu recours.

([23]) La mobilité sociale s’entend pour l’INSEE du changement de catégories professionnelles. Cette mobilité peut être ascendante ou descendante.

([24]) Devenir cadre pour une femme fille de cadres demeure beaucoup plus difficile pour les hommes (50 % pour les hommes et 40 % pour les femmes).

([25]) Camille Peugny, Le destin au berceau. Inégalités et reproduction sociale, Seuil, coll. « La République des idées », 2013.

([26]) https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/neuf-jeunes-de-18-24-ans-sur-dix-sont-en-bonne-sante-malgre-des#:~:text=L’%C3%A9tat%20de%20sant%C3%A9%20des,d’activit%C3%A9s%20(8%20%25).

([27]) Chauveaud, Catherine, et Warin, Philippe. « Le non-recours à la couverture maladie universelle complémentaire », novembre 2016, disponible ici : https://www.complementaire-sante-solidaire.gouv.fr/fichier-utilisateur/fichiers/ODENORE_Non-recours_CMUC_2016.pdf.

([28]) Y compris sur la renonciation aux soins pour des raisons financières, l’OVE identifie un chiffre un peu plus élevé de 13,5 % en 2016.

([29]) L’étude est disponible ici : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2021-03/ER1185.pdf.

([30]) IPSOS pour la fondation Fondamental, janvier 2021, présentation disponible ici : https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2021-01/ipsos_rapport_fondamental_focus_jeunes_0.pdf.

([31]) Marie-George Buffet, rapport d’enquête « Mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse », disponible ici :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cecovidj/l15b3703_rapport-enquete.

([32]) Il s’agissait alors de dresser un diagnostic préalable à une concertation en faveur de l’insertion professionnelle des jeunes. Le rapport est disponible ici :

https://www.strategie.gouv.fr/publications/linsertion-professionnelle-jeunes.

([33]) L’anglicisme désigne les « neither in employment nor in education or training », donc les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études.

([34]) La situation dans d’autres pays est cependant nettement plus dégradée dans d’autres pays comme l’Italie avec 22,2 % des jeunes de 15 à 29 ans.

([35]) https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/2020-006_da__les_neet_profils_parcours.pdf

([36]) La DARES retient un périmètre plus étroit que l’INSEE, ce qui la conduisait à identifier 963 000 NEET.

([37])  Issus de la très récente « photographie du marché du travail en 2020 » de l’INSEE, disponible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5233929#:~:text=activit%C3%A9%20se%20replie-,En%202020%2C%20le%20taux%20d’emploi%20des%2015%2D64,BIT)%20(figure%201).

 

([38]) Analyse études Elabe pour le Laboratoire de la mobilité inclusive, 23 mai 2018, disponible ici : https://elabe.fr/wp-content/uploads/2018/05/elabe_lmi_services-de-la-vie-quotidienne_analyse_23052018.pdf

([39]) INJEP, « Les chiffres clés de la jeunesse 2019 », disponible ici : https://injep.fr/wp-content/uploads/2019/03/Chiffres-cles-Jeunesse-2019.pdf. Chiffres repris d’une étude de l’INJEP à partir des données 2014 de l’enquête nationale sur les ressources des jeunes (ENRJ), disponible ici : https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/08/IAS13-permis-de-conduire.pdf.

([40]) Source ELABE précitée.

([41]) Source INJEP précitée.

([42]) Source Elabe précitée.

([43]) Source : https://jeunes.gouv.fr/Le-Fonds-d-Experimentation-pour-la?recommander=oui

([44]) Yannick l’Horty, Emmanuel Duguet, Sophie Kaltenmark, Pascal Petit, « 10 000 permis pour réussir : évaluation quantitative », rapport de recherche du CNRS, 2011, disponible ici : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00746026/document.

([45])https://injep.fr/publication/effets-des-sejours-a-letranger-sur-linsertion-des-jeunes-des-benefices-inegaux-selon-lorigine-sociale/

([46])https://jean-jaures.org/sites/default/files/redac/commun/productions/2019/0714/enquete.pdf

([47]) Source : https://injep.fr/publication/effets-des-sejours-a-letranger-sur-linsertion-des-jeunes-des-benefices-inegaux-selon-lorigine-sociale/

([48]) Le collectif « l’affaire du siècle » comprend les organisations non gouvernementales Notre affaire à tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace et Oxfam.

([49]) L’Agence, qui réalise désormais des tendances mensuelles des besoins d’énergie, constatait que malgré une baisse globale en 2020 les émissions mondiales étaient 2 % plus élevés en décembre 2020 qu’un an plus tôt à la même période. AIE, « Revue mondiale de l’énergie : émissions de CO2 en 2020 », 2 mars 2021, disponible ici : https://www.iea.org/articles/global-energy-review-co2-emissions-in-2020.

([50]) Convention-cadre sur les changements climatiques adoptée le 29 janvier 2016 par les Nations Unies.

([51]) Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat.

(5) https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/07/20210330_hcc_rapports_annuel-2020.pdf

([53]) Idem.

([54]) Tribunal administratif de Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968, 1904972 et 1904976.

(1) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/ONERC_Climat_France_XXI_Volume_4_VF.pdf

(2) Idem.

([57]) Malliet, Paul, et Timbeau, Xavier. « VII / La dette climatique en Europe », OFCE éd., L’économie européenne 2020. La Découverte, 2020, pp. 82-94.

([58]) Source : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2018/10/115209-Rapport-CN-SR-42.pdf

([59]) Source : https://www.euronews.com/living/2019/06/06/you-gov-climate-change-new-levels-of-concern-eco-anxiety-britons

([60]) APA, Climate for health, Eco America, « Mental health and our changing climate : impacts, implications and guidance », mars 2017, disponible ici : https://www.apa.org/news/press/releases/2017/03/mental-health-climate.pdf.

([61]) Sans isoler ce facteur, on pourrait avoir l’impression que l’Île-de-France et les grandes métropoles sont les moins équipées, mais c’est lié à un enjeu d’urbanisation davantage que de moyens.

([62]) Le baromètre publié en 2019 portait sur des données pour l’année 2018. Il est disponible ici : https://injep.fr/wp-content/uploads/2019/01/Rapport_2019-01Barometre_sport_2018.pdf

([63]) Le périmètre CNDS-ANS aurait ainsi perdu 63,8 millions d’euros entre les lois de finances pour 2018 et 2020. Pour plus de précisions, le rapporteur renvoie aux travaux de Régis Juanico, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles de la mission Sports : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b2302-tvi_rapport-avis#_Toc256000005.

([64]) https://injep.fr/publication/pratiques-sportives-une-hausse-portee-par-les-femmes-et-les-seniors/

([65]) Bruno, Pierre. « Jeunes et cultures : nature et dynamique des inégalités », Le français aujourd’hui, vol. 181, n° 2, 2013, pp. 167-174.

([66]) Philippe Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction : inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, 2011.

([67]) Olivier Donnat, « Pratiques culturelles 1973-2008 : dynamiques générationnelles et pesanteurs sociales », 2011, disponible ici : http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr/doc/evolution73-08/CE-2011-7.pdf. En la matière, la stratification est totalement inversée : les ouvriers sont ceux dont la consommation de télévision est la plus forte (plus de 20 heures par semaine), les cadres supérieurs et professions libérales la plus faible.

([68]) L’étude pointe notamment la diversification sociale de la pratique musicale amateur ainsi que le rajeunissement du public du théâtre et de la danse mais sans diversification sociale.

([69]) On pense par exemple à la gratuité des musées et monuments nationaux pour les 18‑25 ans mais aussi aux tarifs adaptés mis en place dans de nombreux établissements locaux.

([70]) Philippe Lombardo et Loud Wolff, « Cinquante an de pratiques culturelles en France », étude pour le ministère de la culture, 2020, disponible ici :

([71]) D’après l’INSEE, la France consacrait en 2018 33,5 milliards d’euros de dépenses publiques à la finalité « loisirs, culture et culte ». Si le budget du ministère de la culture en 2021 devrait être en croissance en raison de la réponse à la crise et de la mise en œuvre du plan de relance (+ 8,4 %) par rapport à 2020, il fait suite à deux années de hausse très limitée (+1,1 % entre 2018 et 2019 et + 0,5 % entre 2019 et 2020).

([72]) Ce nouveau programme comprend une part très importante, au titre de la « transmission des savoirs », de subventions pour charges de service public (139,76 millions d’euros) à des écoles dont l’ouverture sociale est loin d’être totalement assurée.

([73]) Ainsi, l’objectif en 2018 de 80 % a été suivi par une réalisation de 70 %, de même que les objectifs rehaussés à 88 % en 2019 et 2020. La cible « 2020 à 100 % » fixée au début de la législature n’a donc pas été atteinte, et reportée dans le PLF pour 2021 à... 2023.

([74]) Communiqué de presse du 30 septembre 2020 de la SAS Pass culture, cité dans plusieurs articles (voir par exemple : https://www.banquedesterritoires.fr/le-pass-culture-generalise-en-2021-mais-peut-etre-ramene-300-euros), et depuis indisponible.

([75]) Cette thèse historiquement bien identifiée par les sociologues a été défendue récemment par Tom Chevalier, auditionné par le rapporteur, dans son ouvrage La Jeunesse dans tous ses états.

([76]) La caisse a réalisé une étude comparée des minima sociaux au sein de l’Union européenne en décembre 2020, disponible ici : https://www.caf.fr/sites/default/files/cnaf/Documents/international/Doc%2012.2020/Minima%20sociaux%20et%20UE17.12.2020.pdf.

([77]) Il ne doit pas avoir acheté de voiture ou de moto dans les deux dernières années.

([78]) Par exemple, dans Chevalier, Tom, La Jeunesse dans tous ses États. Sous la direction de Chevalier, Tom. Presses Universitaires de France, 2018.

([79]) Données disponibles sur le site de l’Institut national d’études démographiques et partagées avec l’INSEE, https://www.ined.fr/en/everything_about_population/data/france/population-structure/population-age//

([80]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381472

([81]) Réserve faite des adultes qui n’ont pas le droit de vote comme les résidents étrangers, qui ne sont toutefois pas suffisamment nombreux pour déformer la pyramide.

([82]) Les catégories de l’INED ne permettent pas de réaliser une comparaison parfaite mais la population des moins de 20 ans est la même entre 2010 et 2020 (15,4 millions) et celle des 20-59 ans est en diminution (32,1 millions au lieu de 33 millions), tandis que les données précises pour les 18-24 ans de l’INSEE en ne sont plus disponibles pour 2010.

([83]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/3138704

([84]) Article 2 de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales.

([85])  Muxel, Anne. « De nouveaux usages de la citoyenneté », Valérie Becquet éd., Politiques de jeunesse : le grand malentendu. Champ social, 2012, pp. 187-201.

([86]) Étude « génération quoi » lancée à l’initiative de France Télévisions, Le Monde et Europe 1, sur 210 000 répondants. L’étude n’est plus disponible, mais on peut retrouver ses principales conclusions dans des articles de presse de l’époque. Par exemple :

https://www.lemonde.fr/emploi/article/2014/02/25/frustree-la-jeunesse-francaise-reve-d-en-decoudre_4372879_1698637.html.

([87]) Les intérimaires, particulièrement bien représentés dans l’échantillon (8 000 répondants sur les 210 000 interrogés) étaient également légèrement surreprésentés parmi les jeunes qui souhaiteraient participer un mouvement de révolte « type mai 68 » (66 % contre 61 % dans l’ensemble de la population).

([88]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/4470754?sommaire=4470890#consulter

([89]) https://www.insee.fr/fr/statistiques/3974828

([90]) 74 % des jeunes interrogés partiraient s’ils en avaient les moyens. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3315412#titre-bloc-20

([91]) On peut retrouver ici la tribune signée par les quatre organisations du secteur du handicap qui ont décidé, selon leur expression, de « quitter le simulacre de concertation organisé par le Gouvernement » : https://www.unapei.org/presse/tribune-4-associations-quittent-la-concertation-institutionnelle-sur-le-revenu-universel-dactivite-rua/-

([92]) Baromètre d’opinion DREES 2018, disponible ici : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/dd35.pdf

([93]) Sondage EcoScope OpinionWay-Square, 10-11 février 2021. Les résultats, ainsi que la citation de Bruno Jeanbart, sont accessibles dans l’article des Échos, ici : https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-exclusif-deux-tiers-des-francais-pour-lextension-du-rsa-aux-moins-de-25-ans-1290388

([94]) Sur les calculs, on pourra utilement se reporter aux développements afférents dans le commentaire de l’article 1er.

([95]) Chiffres transmis à la suite de son audition par Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté, et qui correspondent aux travaux techniques sur le RUA.

([96]) Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et professionnelle.

([97]) À l’époque, déjà, il s’agit pourtant de dispositifs très différents d’un « filet de sécurité » comme des stages d’insertion ou réinsertion pour les jeunes adultes touchés par le chômage depuis deux ans au moins.

([98]) L’âge était même dans le projet initial renvoyé au pouvoir réglementaire.

([99]) Rapport de Philippe Adnot pour la commission des finances du Sénat, p. 71. https://www.senat.fr/rap/1991-1992/i1991_1992_0448.pdf

([100]) La même auteur relève par ailleurs le caractère aussi peu objectif de cette ligne que de ceux qui portent sur la « paresse » puisque « la consultation des décisions rendues par la Cour de cassation à propos de cette obligation ne permet pas de constater la détermination par le juge judiciaire d’une limitation d’âge à 25 ans – ou à n’importe quel autre âge d’ailleurs ».

([101]) Magord, Claire. « Du RMI jeunes à la Garantie jeunes : les débats sur le soutien à l’autonomie des jeunes adultes », Informations sociales, vol. 195, no. 4, 2016, pp. 66-75.

([102]) La loi d’adaptation a ouvert le RMI aux parents d’enfants à naître.

([103]) Loi n° 92-722 du 29 juillet 1992 portant adaptation de la loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988 relative au revenu minimum d’insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et professionnelle.

([104]) Rapport n° 440 (1991-1992) de MM. Pierre Louvot et Louis Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 24 juin 1992.

([105]) Il donnera la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion.

([106]) L’ensemble de ces citations peuvent être retrouvées dans le rapport n° 1113 déposé le 18 septembre 2008 par M. Marc-Philippe Daubresse au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

([107]) Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

([108]) Christophe Sirugue, Repenser les minima sociaux, rapport remis au Premier ministre, avril 2016 https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/04/18.04.2016_rapport_de_christophe_sirugue_-_repenser_les_minima_sociaux_-_vers_une_couverture_socle_commune.pdf

([109]) Grard, Marie‑Aleth, et Vignau, Martine, Revenu minimum social garanti, avril 2017, saisine du Président de l’Assemblée nationale https://www.lecese.fr/travaux-publies/revenu-minimum-social-garanti

([110]) C’est ce qui ressort de l’audition de Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.

([111]) Pour mémoire, l’obligation départementale de prise en charge s’arrête à la majorité et le contrat jeunes majeurs qui permet de prolonger celle-ci jusqu’à 21 ans est totalement facultatif dans le droit actuel.

([112])https://www.budget.gouv.fr/files/uploads/extract/2021/PLF/BG/PGM/102/FR_2021_PLF_BG_PGM_102_JPE.html

([113]) 82 millions d’euros inscrits dans la mission Travail et emploi et 22 millions dans la mission Plan de relance.

([114]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20161005-acces-jeunes-emploi.pdf. Pour une évaluation positive plus récente, on peut observer celle de la DARES : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/la-garantie-jeunes-quels-jeunes-et-quel-bilan-apres-cinq-ans.

([115]) Ce critère, de même que celui des ressources et de la durée, a été assoupli par le Gouvernement pendant la crise, bien que tous continuent à figurer tels quels à l’article L. 5131-5 du code du travail. Le conseiller pourrait ainsi attester, à titre exceptionnel, de la situation de précarité et rupture du jeune concerné.

([116]) Commission de l’insertion des jeunes : https://jeunes.gouv.fr/IMG/pdf/coj_-_rapport_gj_final.pdf

([117]) Créé initialement pour durer jusqu’au 31 décembre 2016, le dispositif s’est pérennisé.

([118]) Programme annuel de performances de la mission Travail et emploi annexé au projet de loi de finances pour 2021.

([119]) Calcul réalisé à partir du simulateur du Gouvernement, en retenant un revenu brut global de 30 000 euros.

([120]) Si les parents ne vivent qu’avec le RSA, ils n’ont pas à le déclarer à l’impôt sur le revenu et le jeune se retrouve automatiquement à l’échelon 7.

([121]) Référé de la Cour des comptes, « La contribution de la politique du logement à l’amélioration de la situation de l’emploi », janvier 2020, disponible ici :

https://www.unafo.org/app/uploads/2020/04/R%C3%A9f%C3%A9r%C3%A9-Cour-des-comptes.pdf

([122]) Un jeune rencontré par le rapporteur n’a pas pu obtenir l’aide à l’installation alors qu’il était clairement éligible. Quant aux repas à 1 euro, les quantités font malheureusement débat et les CROUS avaient auparavant augmenté les tickets d’entrée au-delà de l’augmentation des bourses en 2019, comme l’ont rappelé les organisations étudiantes.

([123]) Loi de finances pour 2019.

([124]) Voir par exemple le rapport de Philippe Adnot, rapporteur spécial du Sénat, sur la loi de finances pour 2019, disponible ici : http://www.senat.fr/rap/l18-147-323/l18-147-32321.html.

([125]) Ce point peut être assez crucial car les parents pourraient souhaiter cumuler aides monétaires non déclarées et RSA. Sans être idéal, une telle situation a sa justice interne : en « dissimulant » ces sommes, les contribuables concernés ne pourra pas déduire son aide alimentaire de son impôt sur le revenu.

([126]) Ici, il est testé l’hypothèse, maximale, d’une perte de

([127]) C’est cette hypothèse qui est testée, le seul effet du quotient serait vraisemblablement moindre compte tenu de son plafonnement.

([128]) Même lorsque l’enfant vit chez ses parents, peuvent s’ajouter par ailleurs d’autres frais déductibles dans la limite de 5 959 euros par enfant. Cet avantage n’est pas cumulable avec

([129]) Cette déductibilité, pas toujours connue de ses bénéficiaires potentiels, est loin d’être anecdotique. D’après les informations recueillies par le rapporteur auprès du ministère de l’Économie et des finances, 803 710 foyers fiscaux ont déclaré une pension alimentaire versée à des enfants majeurs, soit au titre d’une décision de justice définitive avant 2006 (65 177) soit à un autre titre (738 533), pour un montant total non-négligeable de 3,8 milliards d’euros.

([130]) Le calcul fait au moment du rapport « Sirugue » semble intégrer une suppression de ces allocations familiales entre 18 et 20 ans, ce qui optimise le coût de la mesure mais n’a rien d’« automatique » ; car décorrélée de l’extension en tant que telle.

([131]) Cet effet surprenant est dû au fait que pour le calcul des bourses, seuls les revenus imposables sont pris en compte. Or, le RSA n’en fait pas partie.

([132]) Le paradoxe de la redistribution a été popularisé en 1998 par Walter Korpi et Joakim Palme, qui ont montré que la générosité des systèmes de redistribution dépendait du degré de ciblage de ces systèmes sur les bas revenus.

([133]) Ces chiffres sont issus de la dernière enquête INSEE sur la redistribution monétaire de décembre 2020 sur des données 2019, parue dans le portrait social de la France, disponible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797610?sommaire=4928952.

([134]) Rapport précité. Le rapport estimait que la limitation aux jeunes décohabitant avec leurs parents permettrait de concentrer la mesure à 80 % de la masse financière sur les ménages modestes du premier décile tandis qu’une ouverture aux décohabitants conduirait à placer 50 % de la dépense sur les trois premiers déciles. Cette affirmation, au demeurant pas aussi défavorable à la mesure que ces auteurs semblaient le penser, doit être prise avec précaution : il est difficile d’établir ces effets distributifs en l’absence de méthodologie claire sur les modalités de prise en compte des rétroactions fiscales et en prestations ou encore de clarification de la distinction entre décohabitation et départ du foyer fiscal.

([135]) Cf. « Quatre cases » présentées dans l’exposé général. Ce sont les chiffres des travaux préparatoires au RUA.

([136]) Il ne faut pas se tromper de lecture sur ce graphique, qui représente des moyennes, des médianes et des quartiles. Il y a par construction 25 % des personnes qui ont des revenus inférieurs au bas de la bande rouge, et qui sont donc hautement concernés par la mise en place d’un RSA complémentaire de l’assurance chômage.

([137]) S’il y avait un enjeu, ce serait probablement celui d’une substitution du RSA à l’aide parentale dans les déciles moyens-élevés (5 à 8), mais cela supposerait : 1° que les parents ne financent pas du tout le logement de leurs enfants par exemple, ce qui semble peu probable à ces niveaux de revenus ; 2° une perte d’allocations familiales et de quotient familial concomitante si l’enfant quitte le foyer de ses parents, ce qui serait alors indispensable pour percevoir le RSA, sans parler des effets de la fin de la déduction des aides alimentaires versées précédemment de ces foyers soumis à l’impôt sur le revenu ; et 3° une substitution aux bourses pour les déciles qui en perçoivent. Dit autrement, « l’égalisation » des revenus avec les 500 euros versés potentiellement à tous les jeunes des déciles 1 à 9 émancipés du foyer fiscal de leurs parents serait fortement compensée sur les déciles 6 à 9 par des contreparties fiscales et sociales qui devraient dissuader ces foyers d’optimiser de manière excessive le système.

([138]) Pour le rapporteur, c’est clairement dans cette dernière catégorie que se situe la poursuite des études.

([139])  Olivier Bargain et Augustin Vicard, « Le RMI et son successeur le RSA découragent-ils certains jeunes à travailler ? Une analyse sur les jeunes autour de 25 ans », 2014, disponible ici : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1377946?sommaire=1377956.

([140]) En l’absence du détail du calcul, le rapporteur part du principe que ces effets « évidents » ont été intégrés par les auteurs du calcul. Si tel n’est pas le cas, le dispositif est moins coûteux qu’il ne le croyait, ce qui ne peut être qu’une bonne nouvelle.

([141]) Le coût devrait être moindre finalement en raison de la crise, mais c’était le chiffrage initial prévu en loi de finances pour 2020 à échéance 2022.

([142]) Ce chiffre est bien le coût du dispositif « maintenu », et non celui de la transformation du CICE en baisse de charges qui s’est faite à budget globalement constant.

([143]) Directeur de la Caisse nationale des allocations familiales puis commissaire général au Plan, Bertrand Fragonard a été délégué interministériel au revenu minimum d’insertion-RMI de 1988 à 2006.

([144]) Cité par Nicolas Duvoux, « Trente ans de RMI – la réforme perpétuelle de l’assistance sociale », 2018, disponible ici : https://laviedesidees.fr/Trente-ans-de-RMI.html.

([145]) Discours du 25 septembre 2008 du Haut-commissaire aux solidarités actives.

([146]) Chiffre obtenu en rapportant les budgets « accompagnement » actuels au nombre de personnes suivis. Le rapporteur n’exclut pas que ce chiffrage soit un peu limité.

([147]) Ces chiffres sont issus du rapport de l’Observatoire départemental de l’action sociale, qui réalise chaque année une remontée par enquête des dépenses agrégées des départements. Ici, ce sont les chiffres 2019 remontés dans la dernière enquête de décembre 2020 :

https://odas.net/sites/default/files/documents/odas/2020-12/lettre-finances-odas-2019_0.pdf.

([148]) Départements de Guyane et Mayotte en 2019, La Réunion en 2020.

([149]) Le Gouvernement s’est déclaré prêt à ouvrir une expérimentation de recentralisation au 1er janvier 2022.

([150]) Pour en faire la démonstration, le rapporteur s’est essayé à quelques calculs réalisés avec l’aide du simulateur disponible sur le site de Pôle emploi ; un jeune ayant travaillé à temps plein pendant deux ans au SMIC peut percevoir quasiment deux ans d’allocations chômage à haute de 932,70 euros nets par mois, soit bien plus que le RSA. Il en va de même pour le jeune qui aurait travaillé à temps partiel (24 heures par semaine) pendant trois ans, qui percevrait 671,10 euros nets par mois pendant 730 jours. Il peut même, s’il a travaillé cinq ans durant les dix dernières années, obtenir au-delà des 730 jours, l’allocation de solidarité spécifique.

(1) http://www.senat.fr/rap/l20-267/l20-2674.html

(2)http://www.senat.fr/rap/a20-141-7/a20-141-76.html#:~:text=Pour%202021%2C%20les%20cr%C3%A9dits%20pr%C3%A9vus,soit%20une%20baisse%20de%2016%20%25

([153]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.10655733_607697d0de9a2.commission-des-affaires-sociales--revenu-de-solidarite-active-pour-les-jeunes-de-18-a-25-ans--gara-14-avril-2021