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N° 4084

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

  QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021.

 RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
relative à l’interdiction des fermes-usines (n° 4018)

PAR Mme Bénédicte TAURINE

Députée

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 Voir le numéro : 4018.

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. le modèle des « fermes-usines » : une menace écologique, un scandale éthique et un risque sanitaire

A. Les « fermes-usines » : un modèle qui tend à se développer dans de nombreux pays

1. Les « fermes-usines » : une proposition de définition

2. Des élevages disproportionnés qui tendent à devenir la norme dans de nombreux pays

B. L’élevage industriel : gaz à effet de serre, pollutions et déforestation

1. La pollution de l’air

2. La pollution des eaux

3. Les émissions d’ammoniac

4. La déforestation

C. Les conditions d’élevage des animaux dans les « fermesusines » : un enjeu éthique et politique

D. Santé des hommes et santé des bêtes : deux enjeux liés à l’ère des pandémies mondiales

1. Un système agro-industriel qui favorise la survenue des épidémies

2. Des santés animales et humaines indissociablement liées

II. La France face à un choix : le maintien d’une agriculture paysanne à taille humaine ou l’industrialisation croissante de son modèle

1. La France est sur une trajectoire d’industrialisation croissante de son élevage

a. Les « fermes-usines » en France à l’aune des exploitations agricoles relevant des régimes de l’autorisation et de l’exploitation de la nomenclature des installations pour la protection de l’environnement (ICPE)

b. Une agriculture française orientée vers l’industrialisation par les politiques publiques

c. Les politiques publiques, en dépit du bon sens, tendent à renforcer ce phénomène

2. Un rejet massif des riverains et une attention croissante de la société à la question du bien-être animal

a. Un rejet massif des riverains

b. Une attention croissante de la société à la question du bien-être animal

3. L’avenir de l’élevage en France : sauver le modèle agricole paysan ou céder aux sirènes de l’industrialisation

a. Des « fermes-usines » destructrices d’emplois

b. Des éleveurs atteints moralement par des conditions d’élevage qui déshumanisent

c. L’avenir du modèle agricole français : montée en gamme, garantie du revenu paysan et sortie de l’agriculture des accords internationaux et sécurité sociale de l’alimentation pour garantir l’accès de tous à une alimentation de qualité

Commentaire des articles

Article 1er (article L. 331-2-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) Moratoire de trois ans sur les installations, agrandissements et réunions d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories A et E de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Article 2 (article L. 331-2-2 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) Renforcement des contrôles des exploitations agricoles bénéficiant d’une autorisation correspondant à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Article 3 Gage

travaux de la commission

discussion générale

examen des articles

Liste des personnes auditionnÉes


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   introduction

Près de 900 000 porcs élevés dans des immeubles de sept à treize étages, entièrement fermés, en Chine ; 825 000 poulets de chair bientôt installés dans une exploitation industrielle d’un petit village du Pas-de-Calais ; un millier de vaches sans accès au pâturage à Drucat-le-Plessiel dans la Somme : jusqu’où ira l’aberration ? Peut-on encore parler de « fermes » face à ce qui constitue de véritables « usines », au sein desquelles la notion d’élevage s’est effacée au profit de celles de « production » et, surtout, de « productivité » ?

C’est sur cette distinction entre productions animales et élevage qu’il faut d’emblée s’arrêter pour souligner l’opposition entre ces deux notions. Mme Jocelyne Porcher rappelle cette distinction dans un article paru en 2005 : « Car les productions animales ne sont pas l’élevage. Ce sont les productions animales, et non l’élevage, qui sont dépourvues des règles du travail permettant de percevoir la différence entre le bon et le mauvais boulot, entre ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas, entre ce qui est moral et ce qui est amoral, entre ce qui a du sens et ce qui est « insensé », pour reprendre le terme de Sébastien Mouret ([1]). Sans revenir sur l’histoire de l’élevage et sur le développement de son avatar industriel depuis le milieu du XIXe siècle ([2]), rappelons que les systèmes industriels – qui fournissent actuellement l’écrasante majorité des produits animaux – sont le résultat d’une histoire très récente qui s’articule avec l’industrialisation de nos sociétés. L’élevage, au contraire, a dix mille ans et débute avec les processus de domestication. Depuis 10 000 ans, des êtres humains et des animaux vivent ensemble et surtout travaillent ensemble. Notre relation avec les animaux a construit les sociétés paysannes dont nous sommes issus. Dans ces sociétés, les animaux ne sont pas une ressource à exploiter, mais les partenaires d’un rapport de survie à la nature » ([3]).

La définition des « fermes-usines » fait l’objet de débat : certaines associations mettent en avant un critère de claustration des animaux ([4]) ; la Confédération paysanne insiste sur la financiarisation des structures et la perte de souveraineté des agriculteurs ; l’organisation non gouvernementale (ONG) Greenpeace met l’accent sur le grand nombre d’animaux élevés sur une exploitation qui ne dispose pas d’une surface suffisante pour produire leur nourriture ou pour épandre sans risque le lisier ou fumier qu’ils ont produit ([5]).

La diversité de ces définitions épouse les contours de la problématique complexe des fermes-usines qui constitue, aux yeux de votre Rapporteure, un enjeu tant social et économique, qu’environnemental et éthique.

Social et économique car c’est l’avenir du modèle français d’agriculture familial, structurant pour les territoires ruraux, qui se joue. La financiarisation des structures rend ces « fermes » difficilement transmissibles et contribue à déposséder les paysans de leur outil de travail. Cette dimension sociale recouvre également la question citoyenne de la vie commune puisque de nombreux collectifs de riverains refusent aujourd’hui l’installation de telles exploitations sur les territoires dans lesquels ils vivent. Enfin, en aval de la « chaîne alimentaire », la moindre qualité des produits issus de ces élevages dans lesquels la « croissance rapide » et les antibiotiques sont de mise, pose la question de l’accès de tous à une alimentation de qualité. La défense de « tous les modèles agricoles » prônés par certains syndicats agricoles contribue, en effet, à favoriser le développement d’une « alimentation à deux vitesses » au sein de laquelle la montée en gamme constitue une niche destinée aux plus riches.

Environnemental car les « fermes-usines » sont responsables, dans le monde et en France, de graves nuisances : émissions massives de polluants atmosphériques et de gaz à effets de serre ; pollutions des eaux souterraines et de surface ; déforestation.

Éthique, enfin, car la question du bien-être animal ne saurait être considérée comme secondaire. Pouvons-nous accepter de nous nourrir d’animaux sélectionnés génétiquement pour grandir si rapidement que leur capacité de locomotion en est entravée – tel est le cas de certains poulets de chair – ou qui sont incapables de vêler naturellement du fait d’une hypertrophie musculaire des cuisses – l’exemple de la vache Blanc bleu belge est à cet égard parlant – ? Pouvons-nous prétendre dissocier le bien-être des femmes et des hommes qui travaillent au sein de ces exploitations de celui des bêtes qu’ils y côtoient, alors même que de nombreux témoignages soulignent l’horreur suscitée par de telles conditions de travail ?

À ces trois problématiques majeures s’ajoute une quatrième : la question sanitaire que l’actuelle pandémie de la covid-19 rend particulièrement brûlante. Peut-on, dans ce contexte, continuer à fermer les yeux sur le fait que les épidémies animales ont été multipliées par trois au cours des quinze dernières années, en lien direct avec l’industrialisation de l’élevage et la destruction de l’habitat naturel de la faune sauvage ? Peut-on ignorer le risque de multiplication des zoonoses que les politiques de biosécurité, très ironiquement, contribuent aujourd’hui à accentuer ?

La présente proposition de loi constitue une première étape dans la réponse que nous devons collectivement apporter à l’ensemble de ces questions. Elle s’inscrit dans un cadre plus large de propositions portées par le groupe La France Insoumise et qui porte un modèle cohérent de renouvellement de notre modèle agricole et alimentaire. Elle ne peut être dissociée d’une réflexion sur la sécurité sociale de l’alimentation ([6]) et de la sortie des accords internationaux de libre-échange qui placent aujourd’hui nos agriculteurs dans une situation de concurrence déloyale incompatible avec la transition exigée d’eux ([7]).

Parmi les critères permettant de définir la notion de « fermes-usines », c’est la question d’un nombre d’animaux détenus dans une même exploitation qui a été retenue par votre Rapporteure. Cette proposition de loi crée ainsi un moratoire de trois ans sur l’installation, l’agrandissement ou la réunion d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux régimes d’autorisation (A) et d’enregistrement (E) de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Ce critère permet d’inclure dans le champ du moratoire les exploitations dont le nombre d’animaux est très significativement supérieur à la moyenne nationale. Ces mêmes exploitations correspondent presque systématiquement aux différents critères avancés pour définir les « fermes-usines » – financiarisation des structures ; risques environnementaux ; conditions de détention incompatibles avec les impératifs biologiques des animaux.

L’article 2 de la présente proposition prévoit, en outre, le renforcement des contrôles de ces installations, aujourd’hui très insuffisant.

La question de l’élevage a trop souvent été éludée au sein de notre Assemblée nationale ([8]). Votre Rapporteure salue, à cet égard, le travail mené par M. Cédric Villani, dans le cadre de la proposition de loi n° 3293 relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers ([9]). Elle souligne combien la question des « fermes-usines » est centrale dans la définition du modèle agricole et alimentaire français de demain et combien le maintien des exploitations « à taille humaine » est essentiel à la vitalité des territoires ruraux.

I.   le modèle des « fermes-usines » : une menace écologique, un scandale éthique et un risque sanitaire

Largement développé au niveau international, le modèle des « fermesusines » contribue à la dégradation de l’environnement, crée des conditions de détention des animaux incompatibles avec leurs impératifs biologiques et favorise la survenue de pandémies majeures.

A.   Les « fermes-usines » : un modèle qui tend à se développer dans de nombreux pays

1.   Les « fermes-usines » : une proposition de définition

La notion de « fermes-usines » fait débat. Elle est plus spécifiquement utilisée par votre Rapporteure dans le cadre de l’élevage ([10]) pour désigner un mode de production calqué sur celui de l’industrie et caractérisé par :

– la forte concentration d’animaux dans un espace limité ;

– la claustration des animaux ;

– la standardisation génétique destinée à permettre un accroissement de la productivité ([11]) ;

– la spécialisation des élevages, non seulement en termes de races et d’espèces mais aussi en terme d’étape de l’élevage ([12]) ;

– la financiarisation des structures, devenues difficilement transmissibles et contribuant à la dépossession des paysans de leur autonomie financière et technique, ainsi que de leur possibilité de prendre part aux décisions concernant l’exploitation ([13]).

2.   Des élevages disproportionnés qui tendent à devenir la norme dans de nombreux pays

Ce modèle industriel d’élevage tend à se développer au niveau international. Il est notamment incarné par les « feedlots » (parcs d’engraissement) américain – particulièrement présents dans les États américains du Texas, du Kansas ou de l’Oklahoma – qui se sont également diffusés dans d’autres pays parmi les grands producteurs de viande mondiaux, notamment l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie et le Brésil. Certains de ces espaces d’engraissement peuvent concentrer jusqu’à 150 000 bovins aux États-Unis.

L’exemple de certains élevages illustre avec force cette dérive productiviste : ainsi, si la production porcine chinoise demeure dominée par des exploitations de taille modeste, plusieurs grandes entreprises tendent à accroître fortement leur cheptel et à renforcer la concentration ([14]). La « Guifei Mountain Sow Farm », bâtie sur la montagne Yaji, dans le Guanxi, est une méga-ferme exploitée par la « Guanxi Yangxiang co. » qui abrite 30 000 truies sur un site de 11 hectares et voit naître en son sein jusqu’à 840 000 porcelets par an.

B.   L’élevage industriel : gaz à effet de serre, pollutions et déforestation

L’élevage intensif contribue à la dégradation de l’environnement tout au long de ce qui constitue bel et bien une « chaîne de production ». Si la digestion des aliments est source d’émissions, la déforestation résultant de la nécessité de dégager des espaces pour nourrir les animaux et les parquer contribue également au dérèglement climatique tout comme les déjections, en l’absence de surfaces d’épandage adaptées, créent de graves pollutions du sol et des eaux.

1.   La pollution de l’air

Un rapport publié en 2006 par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que : « Le secteur de l’élevage joue un rôle majeur, car il est responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre mesurés en équivalent CO2. C’est plus que ne polluent les transports » ([15]).

L’élevage bovin est responsable de cinq gigatonnes d’équivalent CO2, ce qui représente 62 % des émissions du secteur agricole au niveau mondial. La production porcine, l’aviculture et les petits ruminants génèrent des émissions plus modestes, entre 7 et 11 pour cent du total du secteur (voir illustration ci-dessous).

http://www.fao.org/fileadmin/user_upload/gleam/images/fig2_fr.png

Au niveau national, l’inventaire des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES) attribue à l’agriculture 19 % des émissions françaises de gaz à effet de serre en 2018, soit 85,3 Mt équivalent CO2e. Le secteur agricole constitue ainsi, comme au niveau mondial, l’un des principaux contributeurs des émissions de gaz à effet de serre français. 45 % du total est constitué de méthane (CH4) résultant de l’élevage de ruminants ([16]).

2.   La pollution des eaux

L’élevage industriel exige des quantités d’eau importantes non seulement pour subvenir aux besoins des animaux, mais aussi, indirectement, pour les cultures destinées à leur alimentation – maïs et soja, notamment.

Les élevages industriels rejettent dans l’environnement d’importantes quantités de nitrates, de phosphores mais aussi d’antibiotiques et autres polluants.

La directive 91/676/CEE du Conseil, du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, dite « directive nitrates » souligne le lien entre agriculture intensive et pollution des eaux aux nitrates, indiquant « que l’utilisation excessive d’engrais constitue un danger pour l’environnement ; qu’il est nécessaire de prendre des mesures communes pour résoudre les problèmes découlant de l’élevage intensif de bétail et que la politique agricole doit prendre davantage en considération la politique en matière d’environnement », d’une part, et « que les nitrates d’origine agricole sont la cause principale de la pollution provenant de sources diffuses, qui affecte les eaux de la Communauté », d’autre part.

La carte ci-dessus ([17]) illustre la superposition entre les zones principalement consacrées à l’élevage (Ouest, avec notamment la Bretagne et le nord de la France) et les pollutions préoccupantes résultant du nitrate.

La pollution aux algues vertes en Bretagne

Un rapport de l’organisation non gouvernementale Greenpeace paru en 2019 ([18]), souligne que les nitrates issus des activités agricoles entraînent une eutrophisation des milieux aquatiques, responsable des « marées d’algues vertes » constatées en Bretagne, mais aussi en Normandie, dans les Pays de la Loire et la Charente maritime. Cette prolifération d’algues vertes conduit au déséquilibre des écosystèmes et dégrade la qualité de l’eau. Elle a des conséquences tant sur les poissons, que les oiseaux et les coquillages. La décomposition des algues entraîne, en outre, la production d’un gaz toxique s’il est inhalé à forte concentration, l’hydrogène sulfuré.

Le cas de la Bretagne illustre parfaitement les effets différentiés sur l’environnement des élevages classiques et des élevages intensifs. Y cohabitent, en effet, ces deux types d’organisations :

– les élevages associés à la culture de terres agricoles pour nourrir les animaux disposent, le plus souvent, de surfaces suffisantes pour épandre les effluents d’élevage, sans excéder le besoin des cultures et donc sans générer un excès de nitrates dans le sol, qui polluent ensuite les cours d’eau ;

 les élevages hors-sol ou semi hors-sol importent majoritairement la nourriture des animaux et ne disposent pas de surfaces cultivées suffisantes pour épandre l’ensemble de ses effluents. Le risque de pollution est alors accru.

3.   Les émissions d’ammoniac

La concentration des animaux dans des espaces restreints entraîne une forte production de déjections responsables d’émissions d’ammoniac, qui résultent d’un processus de volatilisation.

L’ammoniac est un pollueur atmosphérique, précurseur de particules secondaires : il réagit avec les composés acides tels que les oxydes d’azote ou de soufre pour former par nucléation des particules très fines (PM2,5) de nitrate ou de sulfate d’ammonium.

Publiée dans la revue Nature en 2018, la première cartographie mondiale de l’ammoniac atmosphérique (NH3), établie par des chercheurs du CNRS et de l’Université libre de Bruxelles à partir de mesures par satellite réalisées entre 2008 et 2016, souligne que ces sources proviennent essentiellement de l’élevage intensif et de l’industrie.

Carte mondiale des émissions de NH3 dues à l’agriculture

Source : Clarisse, L., Van Damme, M., Clerbaux, C., Coheur, P.-F. Tracking down global NH3 point sources with wind-adjusted superresolution. Atmospheric Measurement Techniques 12, 5457-5473, doi : 10.5194/amt-12-5457-2019, 2019

En France, 94 % des émissions nationales d’ammoniac sont issues du secteur agricole, dont 42 % sont liées à la gestion des déjections animales – 61 % sont à imputer au cheptel bovin et respectivement 17 % et 16 % aux cheptels porcins et aux volailles ([19]).

4.   La déforestation

L’intensification de l’élevage entraîne une déforestation accrue : au cours des années 1980 et 1990, une zone équivalant à onze fois la surface de la France a été transformée en terres agricoles dans les pays en développement
– dont 10 % ont résulté de la destruction de forêts tropicales – au bénéfice principalement de l’agriculture intensive, plutôt que des fermes familiales ([20]).

L’Union européenne, y compris la France, participe indirectement à cette déforestation et à la destruction de la biodiversité en résultant, via ses importations, notamment de soja latino-américain qui constitue la principale source de protéines pour l’alimentation animale. Avec 33 millions de tonnes de soja importées chaque année (contre seulement 2,5 millions de tonnes produites localement), l’Union européenne (UE) est le deuxième importateur mondial – 87 % du soja est destiné à l’alimentation animale, dont près de 50 % pour la volaille, 24 % pour les porcs, 16 % pour les vaches laitières, et 7 % pour les bovins ([21]).

Jusque dans les années 1980, les importations françaises de soja provenaient en grande partie des États-Unis. Le Brésil est désormais le premier fournisseur de la France, aux côtés d’autres pays d’Amérique latine. La France importe près d’un quart des protéines végétales destinées aux aliments d’élevage, et près de la moitié des matières riches en protéines, essentiellement sous forme de tourteaux de soja issus de pays tiers ([22]).

C.   Les conditions d’élevage des animaux dans les « fermes‑usines » : un enjeu éthique et politique

Les scènes rapportées par Jonathan Safran Foer dans son ouvrage Faut-il manger les animaux ?, paru en 2011, offrent une description glaçante des conditions industrielles d’élevage aux États-Unis. Citant les propos d’une jeune militante, l’auteur souligne le caractère insupportable de cette forme de production : « La première ferme dans laquelle je suis entrée de nuit était un élevage de poules pondeuses qui abritait peut-être un million de bêtes. Elles étaient entassées dans des cages empilées sur plusieurs niveaux. J’ai ressenti des brûlures aux yeux et aux poumons pendant plusieurs jours après ça (…). Me rendre compte qu’une vie épouvantable était pire qu’une mort épouvantable m’a profondément transformée ».

Sébastien Mouret, dans un article consacré à son expérience d’immersion dans un élevage industriel français de porcs, raconte des scènes de violence particulièrement injustifiables : « Chaque mercredi, une centaine de porcs « charcutiers » est chargée sur le quai d’embarquement afin d’être acheminée par le transporteur à l’abattoir. Ce jour de la semaine suscite en moi de l’angoisse, mais également de l’incompréhension à l’égard du comportement de Claude et de Bruno envers les animaux (…) Bruno m’explique qu’il faut taper sur les animaux et les bloquer à l’aide de la « garde » pour les obliger à sortir de leur case. Une telle violence engendre une véritable panique chez les animaux qui cherchent à se réfugier au fond de leur case, entassés les uns sur les autres. Dans ces conditions, il devient de plus en plus difficile de distinguer les animaux à charger et de les trier. La panique des animaux engendre à son tour un comportement encore plus violent de la part de Bruno qui crie et s’acharne sur ces derniers. Bruno me demande également de charger les porcs charcutiers handicapés par des blessures et des traumatismes au niveau des pattes et des articulations. Ces animaux sont dans l’incapacité d’atteindre le quai d’embarquement (…) Ces animaux sont battus, poussés à coups de genoux, soulevés par la queue pour les forcer à se déplacer. Lorsqu’ils sont à bout de force, ils sont tirés par les pattes et traînés jusqu’au quai sur plusieurs dizaines de mètres » ([23]).

L’élevage industriel, qui implique la très forte concentration des animaux dans un espace limité, entraîne, en outre, de nombreuses formes de mutilations destinées à permettre cette cohabitation. C’est le cas de l’épointage des becs dans la filière poule pondeuse ; de la coupe des queues des cochons et du rognage des dents pour éviter les morsures ; ainsi que de l’écornage des veaux. Certaines de ces pratiques sont contraires au droit européen en matière de bien-être animal : la caudectomie ([24]) est proscrite par une directive du Conseil du 19 novembre 1991 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs (91/630/CEE) alors qu’un rapport récent de la Commission européenne souligne que cette pratique est mise en œuvre en France dans plus de 99 % des cas et qu’il s’agit ainsi d’une pratique de routine.

Par-delà les conditions de vie des animaux, incompatibles avec les impératifs biologiques de leurs espèces ([25]), l’élevage industriel se caractérise par une sélection génétique motivée par la recherche d’une productivité accrue qui entraîne un appauvrissement génétique préjudiciable et des caractéristiques physiques potentiellement sources de souffrance pour l’animal. L’enquête de Jonathan Safran Foer précitée est, à cet égard, éclairante : « (…) le code génétique même des volailles était désormais manipulé de façon intense afin de produire soit une très grosse quantité d’œufs (poules pondeuses), soit beaucoup de viande, notamment des filets (poulets de chair). Entre 1935 et 1995, le poids moyen des poulets de chair a augmenté de 65 %, tandis que la durée de leur croissance maximale chutait de 60 % et leurs besoins en nourriture de 57 %. Pour se faire une idée du caractère radical de ce changement, il faut imaginer des enfants atteignant 150 kg à l’âge de dix ans tout en ne mangeant que des barres de céréales et des gélules de compléments vitaminés (…) Pire encore, ces volatiles génétiquement grotesques ne représentaient plus un simple segment de la filière – ils étaient désormais quasiment la seule espèce de poulet élevée pour la consommation humaine. On trouvait autrefois aux États-Unis plusieurs dizaines d’espèces de poulets différentes (comme le Jersey Giant, le New Hampshire, le Plymouth Rock), chacune adaptée à l’environnement particulier de sa région. Aujourd’hui il n’y a plus que des poulets industriels ».

Lors de son audition par votre Rapporteure ([26]), Mme Brigitte Gothière, fondatrice de l’association L214, rappelait que la France connaissait un phénomène similaire avec des poulets appartenant à des souches dites « à croissance rapide », grandissant quatre fois plus vite qu’en 1950 et souffrant de diverses pathologies – boiteries, problèmes respiratoires et cardiaques. Elle soulignait que ces animaux, dont la durée de vie est comprise entre trente et quarante-deux jours, représentaient 83 % de la production de volaille de chair en France.

L’exemple de la vache à viande Blanc bleu belge est également parlant : sélectionnée pour le grand format de sa carcasse, elle se caractérise par une hypertrophie musculaire de l’arrière-train qui rend la mise-bas difficile et entraîne, dans 95 % des cas, des vêlages par césarienne.

D.   Santé des hommes et santé des bêtes : deux enjeux liés à l’ère des pandémies mondiales

1.   Un système agro-industriel qui favorise la survenue des épidémies

Mme Lucile Leclair, journaliste et auteure de Pandémies, une production industrielle ([27]), se fondant sur les chiffres publiés par l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), indiquait à votre Rapporteure que le nombre d’épidémies dans l’élevage avait été multiplié par trois au cours des quinze dernières années. Les plus marquantes sont connues de tous : vache folle, H5N1, H1N1, peste porcine. Si les épidémies ont toujours existé au sein des élevages et si la survenue de telles maladies est multifactorielle, il faut constater que le développement des fermes-usines contribue fortement à aggraver ce risque. Mme Lucile Leclair identifie ainsi trois caractéristiques de l’élevage industriel contribuant à favoriser l’apparition de ces maladies et leur propagation :

– le confinement des animaux, élevés dans des espaces restreints en nombre trop important ;

– la spécialisation des élevages qui affecte une fonction à chaque ferme
– Mme Lucile Leclair soulignait ainsi que, dans le cadre de la production de foie gras, les animaux connaissaient quatre lieux différents d’élevage : le premier pour leur naissance, le deuxième pour le début de leur croissance, le troisième pour leur engraissement et le quatrième pour leur abattage ;

– la standardisation, enfin, déjà évoquée, se caractérisant par une absence de diversité dans les espèces et les races élevées, avec le développement d’une uniformité qui rend les animaux plus vulnérables.

Ces conditions d’élevage industrielles, que tendent à renforcer les politiques de biosécurité – précisément destinées à limiter les risques sanitaires – ont pour conséquence de créer, à rebours de l’objectif poursuivi, un terrain favorable à la diffusion de ces maladies.

2.   Des santés animales et humaines indissociablement liées

La pandémie de la covid-19 éclaire d’un jour nouveau l’approche « One Health » (« Une seule santé ») développée dès le début des années 2000 par l’Organisation mondiale de la santé. Celle-ci met en évidence le lien entre la santé humaine, la santé animale et la santé de l’environnement et promeut une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires.

L’Agence nationale de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) rappelle qu’au moins 60 % des maladies humaines infectieuses ont une origine animale – les cas de la covid-19, des virus Zika et Ebola, de la grippe aviaire ou encore du Sida l’illustrent avec force.

La question de l’élevage industriel est ainsi fortement liée à celle de l’apparition de zoonoses, même si elle n’épuise pas cette problématique. L’hypothèse de la responsabilité des élevages industriels chinois de vison ou de chiens viverrins élevés pour leur fourrure dans le cadre de la pandémie de la covid‑19 souligne les enjeux de santé publique qui s’attachent à ce type d’élevages et ne peuvent plus être ignorés.

Enfin, l’autre problème préoccupant est le développement de l’antibiorésistance. Améliorer les systèmes d’élevage, en diminuant les densités et en utilisant des souches plus adaptées par exemple, est une étape cruciale pour réduire significativement le besoin d’antibiotiques. Une étude récente menée aux Pays-Bas (2016) a montré que les systèmes utilisant des souches de poulet de chair à croissance plus lente administraient trois fois moins d’antibiotiques que les systèmes avec des souches à croissance rapide ([28]).

II.   La France face à un choix : le maintien d’une agriculture paysanne à taille humaine ou l’industrialisation croissante de son modèle

1.   La France est sur une trajectoire d’industrialisation croissante de son élevage

Il convient de rappeler que l’industrie de la viande qui englobe les activités d’abattage et de transformation des viandes de boucherie et de volaille, mais aussi la préparation industrielle des produits à base de viande, est le plus gros pourvoyeur d’emplois dans l’agroalimentaire : 2 600 entreprises ([29]) employant plus de 106 000 personnes ETP, selon le ministère de l’Agriculture. Le chiffre d’affaires, majoritairement réalisé auprès de la grande distribution selon l’Insee, s’élève à 33 milliards d’euros, soit le quart du total de toute l’industrie agroalimentaire. Les enjeux sont donc importants, autant pour la grande distribution que pour l’ensemble des secteurs qui en découle.

La France, contrairement à une idée reçue, n’est pas épargnée par ce mouvement d’industrialisation de l’agriculture qui touche également la plupart de ses grands concurrents européens. La préservation d’un modèle agricole familial, caractérisé par des exploitations « à taille humaine » exige une évolution profonde des politiques publiques.

a.   Les « fermes-usines » en France à l’aune des exploitations agricoles relevant des régimes de l’autorisation et de l’exploitation de la nomenclature des installations pour la protection de l’environnement (ICPE)

La présente proposition de loi, suivant en cela l’approche de l’organisation non gouvernementale (ONG) Greenpeace dans un rapport récent ([30]), aborde la question des « fermes-usines » via la nomenclature des installations pour la protection de l’environnement.

Toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains constitue une installation classée pour la protection de l’environnement. En fonction du degré de dangerosité qu’elle représente, elle est soumise à un régime plus ou moins contraignant :

– le régime de déclaration (D) s’applique aux installations dont les activités sont les moins polluantes ou les moins dangereuses, qui ne présentent pas de graves dangers ou de nuisances, mais qui doivent néanmoins respecter des prescriptions générales en matière d’environnement. Il nécessite une simple déclaration en préfecture ;

– le régime de déclaration avec contrôle périodique (DC) s’applique à certaines catégories d’installations relevant du régime de déclaration. Il permet de soumettre les installations à des contrôles périodiques effectués par des organismes agréés dans l’objectif d’informer les exploitants de la conformité de leurs installations avec les prescriptions réglementaires ;

– le régime d’enregistrement (E) s’applique aux installations telles que les élevages, les stations-service, les entrepôts de produits combustibles (bois, papier, plastiques, polymères, pneumatiques), les entrepôts frigorifiques pour lesquelles les mesures techniques de prévention des inconvénients sont bien connues et standardisées. Il correspond à un régime d’autorisation simplifiée. Sous ce régime, l’exploitant doit faire une demande d’autorisation avant toute mise en service, en justifiant qu’il respecte les mesures techniques de prévention des risques et des nuisances définies dans un arrêté de prescriptions générales. Un avis de consultation du public doit être affiché en mairie et sur le site même de l’installation, pendant au moins quatre semaines et publié dans deux journaux diffusés dans le ou les départements concernés et sur le site internet de la préfecture. Après consultation du public, le préfet peut autoriser ou refuser le fonctionnement par arrêté préfectoral ;

– le régime d’autorisation (A) s’applique aux installations qui présentent de graves risques ou nuisances pour l’environnement. Sous ce régime, l’exploitant doit faire une demande d’autorisation avant toute mise en service, démontrant l’acceptabilité du risque : étude d’impact et de dangers. Après enquête publique, le préfet peut autoriser ou refuser le fonctionnement. L’autorisation n’est définitivement délivrée qu’après la mise en place de mesures spécifiées dans l’arrêté préfectoral d’autorisation ;

– le régime d’autorisation avec servitudes (S) s’applique aux installations soumises à autorisation qui nécessitent l’institution de servitudes d’utilité publiques car elles sont susceptibles de créer, par danger d’explosion ou d’émanation de produits nocifs, des risques importants pour la santé ou la sécurité des populations voisines et pour l’environnement.

Les exploitations soumises aux régimes d’autorisation (A) constituent un bon indicateur pour identifier les exploitations les plus démesurées, qui peuvent être qualifiées de « fermes-usines ». Le tableau ci-dessous, issu du rapport de Greenpeace précité, souligne le caractère très significativement supérieur des effectifs d’animaux de ces exploitations par rapport aux moyennes pour les différents types d’élevage.

b.   Une agriculture française orientée vers l’industrialisation par les politiques publiques

Votre Rapporteure tient à mettre en garde contre le discours consistant à affirmer que l’agriculture française n’est pas menacée par le phénomène d’industrialisation de l’élevage qui touche certains autres États européens – le Danemark pour l’élevage de porcs et les Pays-Bas concernant l’élevage de vaches laitières, notamment.

Le rapport de Greenpeace précité souligne ainsi que le nombre d’exploitations de vaches laitières a baissé de 80 % entre 1983 et 2016, de 87 % pour les porcs entre 1988 et 2010 ([31]), de 43 % pour les vaches allaitantes de 1983 à 2016 ([32]), de 86 % pour les poulets de chair entre 1988 et 2010 et de 87 % pour les poules pondeuses sur la même période ([33]). Au total, désormais, 1 % des exploitations françaises produisent deux tiers des porcs, poulets et œufs produits sur le territoire. M. Damien Houdebine, secrétaire national de la Confédération paysanne, rappelait que la France était passée de 1,6 million de fermes en 1982 à 400 000 aujourd’hui ([34]).

Ces chiffres témoignent d’un phénomène préoccupant de concentration des élevages, résultant d’une industrialisation croissante du secteur que confirment les travaux de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) consacrés aux exploitations agricoles et parus en 2020. Le graphique ci-dessous, souligne le développement des grandes exploitations concomitant avec le recul des petites structures (voir graphique).

2000-2016 :
recul des fermes de petite taille au profit des grandes exploitations

Source : INSEE, 2020 ([35])

Les chiffres relatifs aux élevages soumis au régime d’enregistrement et d’autorisation communiqués à votre Rapporteure par le ministère de la transition écologique permettent de prendre la mesure du phénomène :

– 4 982 élevages sont soumis à autorisation, représentant 20 % du total des installations soumises à ce régime. 8 493 élevages sont soumis à enregistrement, représentant 50 % des installations soumises à ce régime ;

Source : MTE, données 2019

– En ce qui concerne l’élevage bovin : 95 fermes sont soumises à autorisation et environ un millier à enregistrement ;

Source : MTE, données 2019

– En ce qui concerne l’élevage porcin : environ 700 élevages sont soumis à la directive IED et près de 7 000 à enregistrement ;

– En ce qui concerne l’élevage de volailles : 2 383 sont soumis à la directive IED et 736 à enregistrement.

Source : MTE, données 2019

L’ampleur du phénomène d’industrialisation est ainsi très variable en fonction des filières. Si l’élevage de vaches laitières tend à connaître un accroissement des effectifs, la moyenne des troupeaux laitiers par exploitation demeure à environ 45 vaches. En revanche, l’industrialisation est nettement plus avancée en ce qui concerne l’élevage porcin – on notera que 95 % des porcs en France sont élevés sur caillebotis sans aucun accès à l’extérieur – et l’élevage de volaille – poulets de chair comme poules pondeuses.

c.   Les politiques publiques, en dépit du bon sens, tendent à renforcer ce phénomène

De nombreux acteurs entendus par votre Rapporteure ont souligné la tendance des politiques publiques – nationales et européennes – à renforcer le phénomène d’industrialisation de l’élevage, notamment au travers :

 du « détricotage » de la réglementation encadrant les ICPE en élevage ([36]) avec notamment, en 2011 l’introduction du régime d’enregistrement pour les élevages laitiers de moins de 200 vaches afin de sortir 2 000 élevages du régime de l’autorisation ; en 2014 l’extension de ce régime aux élevages porcins de moins de 2 000 animaux-équivalents et, en 2015, aux élevages avicoles de 30 000 à 40 000 emplacements ;

 des aides de la politique agricole commune (PAC) qui bénéficient directement aux élevages industriels mais aussi aux cultures destinées à leur alimentation. Le tableau ci-dessous, extrait du rapport de Greenpeace précité, permet de prendre la mesure de ce phénomène concernant les fermes industrielles bretonnes :

Source : Greenpeace, rapport de 2020 précité (p. 26)

 de la mise en œuvre de politiques de biosécurité qui tendent à encourager la mise en bâtiment et le confinement (voir D du I du présent rapport).

2.   Un rejet massif des riverains et une attention croissante de la société à la question du bien-être animal

a.   Un rejet massif des riverains

Le rejet des « fermes-usines » par les riverains est le premier signe d’un refus citoyen de ce type d’élevage – au-delà des enjeux environnementaux et de bien-être animal, les citoyens ne souhaitent pas le développement de ce type de structure sur les territoires dans lesquels ils vivent. Cet enjeu a été particulièrement mis en évidence, lors des auditions de votre Rapporteure, par les associations Welfarm et Compassion World Farming (CIWF) ([37]).

De nombreux collectifs citoyens se sont ainsi structurés pour empêcher le développement d’élevages industriels : c’est ainsi le cas des habitants de Coussay‑les‑Bois, dans la Vienne, qui se sont opposés à un projet de ferme-usine d’engraissement de 1 200 taurillons ou de l’opposition au projet de ferme-usine de Houlbec-Cocherel en Normandie.

b.   Une attention croissante de la société à la question du bien-être animal

En outre, le rejet citoyen des fermes-usines est alimenté par une attention croissante de la société à la question du bien-être animal. Au cours des auditions menées par votre Rapporteure, certains syndicats ont souhaité indiquer qu’il fallait dissocier la taille des exploitations et les modes de production. Cette remarque, partiellement juste, appelle deux précisions :

– Il ne doit pas être créé de confusion entre la santé et le bien-être animal : un animal en bonne santé physique peut être placé dans une situation de détresse liée à ses conditions d’élevage ;

– Les associations telles que CIWF soulignent que les conditions d’élevage au sein des « fermes-usines » ne permettent en aucun cas d’atteindre un optimum en matière de bien-être animal, alors que celles ayant cours dans les élevages extensifs avec un accès au plein air adapté aux impératifs biologiques des différentes espèces permettent de maximiser ce bien-être.

La sensibilité croissante des citoyens, y compris dans leurs actes d’achat, aux conditions d’élevage et au bien-être animal correspond à des avancées scientifiques effectuées au cours des dernières décennies. En France, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) a ainsi mené une première expertise scientifique collective à la demande des ministères chargés de l’agriculture et de la recherche sur les douleurs animales en élevage ([38]). Appuyée sur une revue large de la littérature scientifique, ce rapport identifie, pour les différentes espèces concernées, les sources de douleur et des pistes destinées à les limiter. En mai 2017, à la demande de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), l’INRAe a publié une nouvelle expertise scientifique collective pluridisciplinaire visant à effectuer une revue critique de la littérature scientifique sur la conscience animale ([39]). Les conclusions de cette expertise sont sans appel : « Des animaux d’espèces diverses ont montré des aptitudes variées en termes de consciences. Cette expertise scientifique collective ne conclut pas à l’équivalence des contenus de la conscience tels que décrits chez l’homme avec ceux existants chez les animaux. Cependant, la vision d’ensemble donnée par ce corpus d’études comportementales, cognitives et neurobiologiques tend à montrer l’existence de contenus élaborés de conscience chez des espèces étudiées jusqu’à présent ».

Les sondages d’opinion permettent de mesurer cette sensibilité croissante des citoyens à la question du bien-être des animaux en élevage : le sondage Ifop-Fondation Brigitte Bardot de 2020 ([40]) indique ainsi que 82 % des Français sont favorables à l’interdiction de l’élevage en cage d’ici cinq ans et que 91 % souhaitent que, dans un délai de dix ans, l’ensemble des animaux d’élevage puissent avoir un accès à l’extérieur.

3.   L’avenir de l’élevage en France : sauver le modèle agricole paysan ou céder aux sirènes de l’industrialisation

a.   Des « fermes-usines » destructrices d’emplois

Le modèle des « fermes-usines » s’oppose très directement au maintien d’un modèle d’agriculture familiale, structurante pour les territoires et pourvoyeuse d’emplois.

Le coût d’acquisition de ces structures les rend, par nature, difficilement transmissibles. Mme Aurélie Trouvé, auditionnée par votre Rapporteure, rappelait ainsi que la reprise d’un élevage porcin exigeait, en moyenne, un investissement d’un million d’euros ([41]).

Elles conduisent ainsi à des situations économiques aberrantes pour les agriculteurs. L’association L214 a ainsi alerté récemment sur l’extension d’un élevage à Pihem dans le Pas-de-Calais destinée à faire passer la production annuelle de 150 000 à 825 000 poulets. Outre les conditions d’élevage très préjudiciables aux animaux, l’association met en lumière l’aberration économique que représente cette extension : l’éleveur se trouve contraint d’emprunter près de 1,4 million d’euros sur une période de douze ans et de rembourser 10 500 euros par mois, en se versant un salaire de 9 600 euros par an, soit 800 euros par mois.

Enfin, le modèle des « fermes-usines », qui cherche à maximiser la productivité du travail, est destructeur d’emplois dans les territoires. Mme Aurélie Trouvé a ainsi illustré ce constat, lors de son audition, en invoquant l’exemple de la ferme dite « des mille vaches » dans la Somme ([42]), estimant que la production de 8 millions de litres de lait y exigeait le travail de 18 salariés et était ainsi trois fois moins créateur d’emplois que les exploitations françaises en moyenne.

b.   Des éleveurs atteints moralement par des conditions d’élevage qui déshumanisent

Certaines personnes entendues par votre Rapporteure dans le cadre de ses auditions ont souligné que l’extension des fermes résultait, dans certains cas, d’une association entre agriculteurs destinés à permettre une mutualisation des moyens et du travail, afin d’alléger la charge pesant sur les agriculteurs.

La réflexion sur un moratoire sur les fermes-usines ne peut pas être dissociée de la question du bien-être des éleveurs eux-mêmes.

Il apparaît, en effet, difficile de séparer la question du bien-être animal de celle des hommes chargés de les élever : Mme Jocelyne Porcher, sociologue et zootechnicienne française, directrice de recherche à l’INRAe le souligne avec force : « La répression de l’affectivité et la déconstruction des relations entre hommes et animaux dans le travail se sont appuyées sur des changements radicaux de modèles de représentations des animaux et du métier d’éleveur et sur des transformations profondes des systèmes de production et de l’organisation collective du travail. Cette répression, qui perdure aujourd’hui sous des formes moins visibles, est cause d’une souffrance au travail, d’autant plus forte qu’elle est niée par les structures professionnelles et rendue inexprimable pour les éleveurs » ([43]). Le métier d’éleveur implique certains gestes, une relation particulière nouée avec l’animal, qui ne peuvent avoir cours dans des structures aux effectifs trop élevés. Celles-ci privent les animaux d’une relation qui contribue à leur bien-être mais créent également des conditions de travail qui sont source de souffrance pour les éleveurs, alimentant une forme de « perte de sens ».

c.   L’avenir du modèle agricole français : montée en gamme, garantie du revenu paysan et sortie de l’agriculture des accords internationaux et sécurité sociale de l’alimentation pour garantir l’accès de tous à une alimentation de qualité

i.   Manger moins de viande mais de meilleure qualité

Le refus des « fermes-usines » et la revalorisation d’un modèle d’élevage familial s’inscrivent dans une logique de montée en gamme. Il accompagne, pour ce qui concerne la consommation de viande, un mouvement déjà initié de moindre consommation afin de privilégier une viande de meilleure qualité. La réduction des quantités de viande dans l’alimentation des Français est un enjeu tant environnemental que sanitaire. La viande et la charcuterie font ainsi l’objet de recommandations spécifiques de Santé publique France qui indiquent, pour les adultes, que la consommation de viande (porc, bœuf, veau, mouton, agneau et abats) doit être limitée à 500 grammes par semaine et celle de charcuterie à 150 grammes par semaine (soit l’équivalent de trois tranches de jambon blanc). Ces prescriptions sont largement dépassées, aux dépens de la santé des Français. La loi dite « ÉGALIM » a instauré, à titre expérimental pour une durée de deux ans, un menu végétarien dans la restauration scolaire au moins une fois par semaine. Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, actuellement en débat à l’Assemblée nationale, prolonge ces efforts, témoignant d’une forme de consensus politique et sociétal sur la nécessité de réduire notre alimentation carnée.

Cette réduction des quantités de viande consommées doit permettre une montée en gamme de la production qui n’est pas dissociable de conditions d’élevage plus respectueuses de l’animal et de l’environnement.

Elle doit s’accompagner d’une valorisation des circuits courts, qui sont gages de qualité et de fraîcheur et permettent de limiter les transports, source d’émission de gaz à effet de serre.

ii.   Garantir les revenus des agriculteurs

La loi dite « Egalim » avait pour objectif de permettre une répartition plus équilibrée de la valeur dans la chaîne alimentaire, au bénéfice des agriculteurs. L’échec est aujourd’hui patent : l’inversion de la construction du prix n’est pas effective et le « ruissellement » de la valeur de l’amont vers l’aval inexistant.

Aucune évolution de notre modèle agricole ne sera possible sans une action politique forte et la mise en œuvre de mesures permettant de garantir un revenu digne aux paysans.

iii.   Sortir l’agriculture des accords de libre-échange

Ce modèle a suscité, de la part de certaines personnes auditionnées par votre Rapporteure, deux catégories de critique, intrinsèquement liées puisque découlant toutes deux de la question du faible pouvoir d’achat des consommateurs :

– la première consiste à affirmer que cette montée en gamme conduirait à un report de la consommation sur des produits importés, produits dans des conditions environnementales et de bien-être animal plus déplorables encore ;

– la deuxième souligne qu’une hausse des prix mettrait en difficulté les ménages les plus humbles qui ne pourraient plus accéder à certains aliments.

Ces remarques sont légitimes et exigent des réponses à la hauteur des enjeux. Sur la question des accords de libre-échange, votre Rapporteure tient à indiquer qu’il n’est pas acceptable de placer les agriculteurs français dans une situation de concurrence déloyale et d’exposer les consommateurs français à des substances non admises pour les productions françaises. L’article 44 de la loi dite « ÉGALIM » proscrit de « proposer à la vente ou de distribuer à titre gratuit, en vue de la consommation humaine ou animale, des denrées alimentaires ou produits agricoles pour lesquels il a été fait usage de produits phytopharmaceutiques ou vétérinaires, ou d’aliments pour animaux non autorisés par la réglementation européenne, ou ne respectant pas les exigences d’identification et de traçabilité imposées par la réglementation. L’autorité administrative prend toutes mesures de nature à faire respecter l’interdiction prévue au premier alinéa. » mais demeure de lettre morte. La transition de notre modèle agricole vers un modèle plus vertueux sur le plan humain, environnemental, éthique et sanitaire ne pourra avoir lieu qu’en excluant l’agriculture de ces accords.

iv.   Vers une sécurité sociale de l’alimentation

La question du pouvoir d’achat des Français, en particulier en cette période de crise économique, appelle également une réponse politique forte. Votre Rapporteure avait, au sortir du premier confinement, porté devant la commission des affaires économiques une proposition de loi pour parer à la crise alimentaire et agricole ([44]) qui comportait des mesures relatives à la mise en œuvre de prix planchers pour les produits agricoles et de chèques alimentaires. Votre Rapporteure est désormais convaincue de la nécessité d’aller encore plus loin et de créer une véritable sécurité sociale de l’alimentation, comme le suggère un collectif d’associations.

La sécurité sociale de l’alimentation

La sécurité sociale de l’alimentation correspond à une réflexion menée par plusieurs associations : Ingénieurs sans frontières Agrista, Réseau Salariat, Réseau Civam, la Confédération paysanne, le Collectif Démocratie Alimentaire, l’Ardeur, l’Ufal, Mutuale, l’Atelier Paysan. Le Miramap, les Amis de la Confédération paysanne et le Secours Catholique contribuent également à cette réflexion.

Elle se fonde sur la notion de démocratie dans l’alimentation ([45]).

Le principe de la sécurité sociale de l’alimentation repose sur l’intégration de l’alimentation dans le régime général de la sécurité sociale et l’application des grands principes instaurés en 1946 : universalité de l’accès, conventionnement des professionnels réalisé par des caisses gérées démocratiquement, financé par la création d’une cotisation sociale sur la production de valeur ajoutée.

L’objectif est de créer un droit à l’alimentation, de garantir la rémunération des producteurs et de préserver l’environnement, rejoignant ainsi la définition du droit à une alimentation durable.

La démocratie dans l’alimentation suppose une éducation populaire qui permette à chaque assuré social de contribuer à la définition du système de l’alimentation et de ses conditions de production, ainsi que la mise en œuvre effective du droit de l’ensemble des habitants à une alimentation choisie en connaissance de cause.

 

    


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   Commentaire des articles

Article 1er
(article L. 331-2-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime)
Moratoire de trois ans sur les installations, agrandissements et réunions d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories A et E de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Article supprimé par la commission.

1.   L’état du droit

Toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains est potentiellement une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ([46]).

En fonction de la dangerosité de l’installation, ces installations sont soumises à différents régimes :

– le régime de déclaration (D) s’applique aux installations dont les activités sont les moins polluantes ou les moins dangereuses, qui ne présentent pas de graves dangers ou nuisances, mais qui doivent néanmoins respecter des prescriptions générales en matière d’environnement. Il nécessite une simple déclaration en préfecture ;

– le régime de déclaration avec contrôle périodique (DC) s’applique à certaines catégories d’installations relevant du régime de déclaration. Il permet de soumettre les installations à des contrôles périodiques effectués par des organismes agréés dans l’objectif d’informer les exploitants de la conformité de leurs installations avec les prescriptions réglementaires ;

 le régime d’enregistrement (E) s’applique aux installations telles que les élevages, les stations-service, les entrepôts de produits combustibles (bois, papier, plastiques, polymères, pneumatiques), les entrepôts frigorifiques pour lesquelles les mesures techniques de prévention des inconvénients sont bien connues et standardisées. Il correspond à un régime d’autorisation simplifiée. Sous ce régime, l’exploitant doit faire une demande d’autorisation avant toute mise en service, en justifiant qu’il respecte les mesures techniques de prévention des risques et des nuisances définies dans un arrêté de prescriptions générales. Un avis de consultation du public doit être affiché en mairie et sur le site même de l’installation, pendant au moins quatre semaines et publié dans deux journaux diffusés dans le ou les départements concernés et sur le site internet de la préfecture. Après consultation du public, le préfet peut autoriser ou refuser le fonctionnement par arrêté préfectoral ;

 le régime d’autorisation (A) s’applique aux installations qui présentent de graves risques ou nuisances pour l’environnement. Sous ce régime, l’exploitant doit faire une demande d’autorisation avant toute mise en service, démontrant l’acceptabilité du risque via notamment une étude d’impact. Après enquête publique, le préfet peut autoriser ou refuser le fonctionnement de ces installations. L’autorisation n’est définitivement délivrée qu’après la mise en place de mesures spécifiées dans l’arrêté préfectoral d’autorisation ;

– le régime d’autorisation avec servitude (S) s’applique aux installations soumises à autorisation qui nécessitent l’institution de servitudes d’utilité publiques car elles sont susceptibles de créer, par danger d’explosion ou d’émanation de produits nocifs, des risques importants pour la santé ou la sécurité des populations voisines et pour l’environnement.

Le livre V « prévention des pollutions, des risques et nuisances » de la partie réglementaire du code de l’environnement, créé par le décret n° 2007-1467 du 12 octobre 2007 comporte la nomenclature des installations classées qui est constituée par la colonne A de l’annexe à l’article R. 511-9 dudit code.

Cette nomenclature comprend de nombreuses rubriques dont la rubrique désignée sous le code « 21xx » qui recouvre les activités agricoles et animaux.

Le tableau ci-dessous rappelle, de manière synthétique, les principaux seuils fixés pour les régimes d’autorisation et d’enregistrement.

Tableau des seuils pour les catégories ICPE « E » et « A »

Catégories

E Enregistrement

A Autorisation

Caprins, ovins, équins

/

/

Veaux de boucherie, bovins à l’engrais

401/800 ([47])

+ de 800

Vaches laitières

151 à 400

+ de 400

Vaches allaitantes

/

/

Transit, vente de bovins, centre d’allaitement

/

/

Porcs en animaux‑ équivalents ([48])

+ de 450 animaux équivalents ou ‑ de 2 000 places de PC (porcs à l’engrais) ([49])

+ de 2 000 places de PC ou + de 750 truies

Lapins sevrés

+ de 20 000

Volailles, gibier à plumes en animaux‑ équivalents ([2])

30 001 à 40 000

+ de 40 000 places

Chiens de plus de 4 mois

101 à 250

+ de 250 animaux

Piscicultures d’eau douce

+ de 20 t/an

L’article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime liste les opérations concernant des exploitations agricoles qui sont soumises à autorisation préalable. Sont ainsi soumises à autorisation notamment les opérations d’installation, l’agrandissement ou la réunion d’exploitations agricoles, mais sous réserve de leur portée (surface dépassant un seuil, démembrement ou suppression d’une exploitation existante, agrandissement ou réunion avec dépassement d’une distance du siège d’exploitation et des parcelles si celle-ci a été prévue par le schéma directeur régional des exploitations agricoles).

2.   Les dispositions de l’article 1er

L’article 1er prévoit un moratoire de trois ans sur la délivrance des autorisations prévues dans le cadre de l’article L. 331-2 lorsque l’installation, l’agrandissement ou la réunion d’exploitation agricoles correspond à des élevages dont les effectifs sont supérieurs aux seuils correspondant aux catégories A et E de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement telle que définie à l’article R. 511-9 du code de l’environnement.

Article 2
(article L. 331-2-2 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime)
Renforcement des contrôles des exploitations agricoles bénéficiant d’une autorisation correspondant à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Article supprimé par la commission.

1.   L’état du droit

L’article L. 512-11 du code de l’environnement prévoit que certaines catégories d’installations classées pour la protection de l’environnement définies par décret en Conseil d’État en fonction des risques qu’elles présentent, peuvent être soumises à des contrôles périodiques permettant à l’exploitant de s’assurer que ses installations fonctionnent dans les conditions requises par la réglementation. Ces contrôles sont effectués aux frais de l’exploitant par des organismes agréés.

Cependant, comme l’ont indiqué les représentants du ministère de la transition écologique à votre Rapporteure ([50]), les élevages soumis aux régimes de l’enregistrement comme de l’autorisation font l’objet d’un contrôle tous les sept ans en moyenne, dans le cadre d’un plan pluriannuel de contrôle. Les contrôles sont confiés aux inspecteurs des installations classées, dont les effectifs sont estimés à 200 emplois équivalents temps pleins (ETP) ([51]) sur l’ensemble du territoire, qui sont également chargés de l’instruction des dossiers d’enregistrement et d’autorisation. Leur répartition est, en outre, très variable en fonction des territoires. Ils sont placés au sein des directions départementales de la protection des populations (DDPP). Les contrôles peuvent être plus fréquents lorsqu’une exploitation fait l’objet de plainte ou si l’élevage s’inscrit dans le cadre de la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles (« directive IED »). Dans ce dernier cas, l’exploitation doit faire l’objet d’un contrôle tous les trois ans.

2.   Les dispositions de l’article 2

L’article 2 de la proposition de loi prévoit que les exploitations agricoles bénéficiant d’une autorisation correspondant à la nomenclature des installations classées définies à l’article R. 511-9 du code de l’environnement fassent l’objet d’un contrôle annuel, afin de prévenir l’apparition de nuisances pour l’environnement. Ces nuisances sont définies dans le cadre d’une liste établie par décret.

Article 3
Gage

Article adopté par la commission.

L’article 3 de la proposition de loi crée un gage classique sur les droits à tabac (articles 575 et 575 A du code général des impôts) destiné à compenser la charge pour l’État résultant de la proposition de loi – et plus particulièrement de l’article 2 de celle-ci – afin de respecter l’article 40 de la Constitution.

 

 


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   travaux de la commission

discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 14 avril 2021, la commission des affaires économiques a examiné la présente proposition de loi.

M. Mickaël Nogal, président. Mes chers collègues, nous examinons, sur le rapport de Mme Bénédicte Taurine, la proposition de loi relative à l’interdiction des « fermes-usines » (n° 4018), inscrite à l’ordre du jour des séances réservées, le jeudi 6 mai, au groupe La France insoumise.

J’observe que ce groupe a prévu l’examen de pas moins de neuf propositions de loi, et que le présent texte doit être examiné en dernier. Il y a quelques semaines, lors de la conférence des présidents au cours de laquelle a été arrêtée la liste des propositions de loi retenues par le groupe Socialistes et apparentés, le président Lescure s’est élevé contre la nouvelle pratique consistant à inscrire à l’ordre du jour d’une niche parlementaire un nombre de textes manifestement inadapté au temps disponible pour les examiner en séance publique. Notre bureau se saisira prochainement de cette question.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. La réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole, la transition de notre modèle alimentaire vers une alimentation moins carnée, le bien-être animal, le renouvellement des générations dans le monde agricole, la montée en gamme des productions et l’amélioration de la rémunération des producteurs sont des enjeux qui sont au cœur de l’élevage industriel. Pourtant, au sein de notre commission et plus généralement de notre assemblée, ce sujet semble tabou.

Ainsi, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets l’élude. Quant à la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, adoptée au mois de janvier dernier, elle fait l’impasse sur la question des animaux d’élevage. Les amendements portant sur ce sujet que nous avons déposés sur ces deux textes ont été systématiquement déclarés irrecevables. Seule la proposition de loi relative à de premières mesures d’interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrances chez les animaux et d’amélioration des conditions de vie de ces derniers, présentée par M. Cédric Villani en septembre dernier, nous a permis d’aborder la question, mais dans le cadre d’un ordre du jour contraint, et sans nous offrir la possibilité de débattre des articles consacrés à l’élevage dans l’hémicycle.

La proposition de loi que je présente devant vous est brève ; elle porte exclusivement sur l’élevage. Elle prévoit un moratoire de trois ans pour les projets d’installation, de transformation et de réunion d’exploitations agricoles relevant, au sein de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), de la procédure de l’autorisation environnementale (A) ou de l’enregistrement (E), selon le nombre d’animaux par exploitation.

Il s’agit des élevages qui nous semblent les plus disproportionnés, et dont les effectifs sont deux fois plus élevés que la moyenne nationale, s’agissant des élevages de poules pondeuses et de poulets de chair, et neuf fois plus élevés s’agissant des vaches laitières. Ces installations sont des aberrations, comme l’illustrent avec force certains exemples d’élevages à l’étranger. Citons notamment les presque 900 000 porcs élevés en Chine dans un immeuble de plusieurs étages, dans un environnement complètement fermé, et les 30 000 truies qui, sur onze hectares, produisent jusqu’à 840 000 porcelets par an. Peut-on vraiment considérer que ces exemples incarnent l’avenir de l’élevage dans l’objectif de nourrir la population mondiale ?

Chez nous, de tels projets n’existent pas encore. Toutefois, nous n’oublions pas la ferme dite des « mille vaches », située dans la Somme, dont les animaux n’avaient pas accès aux pâturages. Dans un petit village du Pas-de-Calais, une exploitation industrielle hébergera bientôt 825 000 poulets de chair.

Je considère que ces fermes-usines ont plusieurs points communs qui permettent d’en proposer une définition. Leur modèle repose sur un mode de production calqué sur celui de l’industrie, caractérisé par la forte concentration d’animaux dans un espace limité, leur claustration, la standardisation génétique visant à accroître la productivité, la spécialisation des élevages et la financiarisation des structures.

L’article 2 de la présente proposition de loi vise à renforcer les contrôles des exploitations placées sous le régime de l’autorisation environnementale. À l’heure actuelle, ils n’ont lieu qu’une fois tous les sept ans, alors même que les accidents se multiplient.

Au sein des fermes-usines, on ne peut pas dire que l’on pratique l’élevage ; il s’agit plutôt de production animale. En 2005, Mme Jocelyne Porcher écrivait : « Depuis 10 000 ans, des êtres humains et des animaux vivent ensemble et surtout travaillent ensemble. Notre relation avec les animaux a construit les sociétés paysannes dont nous sommes issus. Dans ces sociétés, les animaux ne sont pas une ressource à exploiter, mais les partenaires d’un rapport de survie à la nature ». L’objectif n’est pas de stigmatiser l’élevage, moins encore les éleveurs, mais de préserver un modèle paysan permettant d’être éleveur au plein sens du terme.

La question des fermes-usines est avant tout sociale et économique. L’avenir du modèle français de l’agriculture familiale, structurant pour nos territoires ruraux, est en jeu. Nous ne devons pas, me semble-t-il, nous laisser berner par ceux qui affirment que l’industrialisation de l’agriculture n’est pas une réalité en France. Le fait est qu’elle progresse, comme le démontre l’évolution de la taille des exploitations. Elle affecte toutes les filières, de façon différenciée, avec une puissance accrue pour les filières porcine et avicole.

Il en résulte des conséquences sociales et économiques graves, à plusieurs niveaux.

La financiarisation des structures dépossède les paysans de leur outil de travail et rend très difficile sa transmission, ce qui aggrave les difficultés en matière de renouvellement des générations. Ces exploitations sont bien moins pourvoyeuses d’emplois que les autres. Ainsi, la ferme « des mille vaches » nécessitait trois fois moins de main-d’œuvre qu’une exploitation laitière classique. Or la vitalité économique de nos territoires doit beaucoup à l’emploi agricole. Par ailleurs, les citoyens s’opposent de plus en plus à ces installations. Il s’agit donc d’un enjeu sociétal fort.

En aval, pour le consommateur, se pose la question de la moindre qualité de l’alimentation proposée. Certains syndicats agricoles affirment défendre tous les modèles de production pour satisfaire tous les marchés, sous-entendant que nous acceptons de développer une alimentation à deux vitesses. En forçant un peu le trait, on propose une alimentation produite dans de bonnes conditions aux plus riches et des poulets à croissance rapide aux plus pauvres.

À la prétendue nécessité d’assurer, en France, une production industrielle pour les uns et une production haut de gamme pour les autres, nous répondons que les plus pauvres ne choisissent pas l’alimentation bas de gamme par plaisir. Nous plaidons, en matière alimentaire, pour des politiques sociales dignes de ce nom. Nous estimons qu’il faut aller plus loin, par exemple en faisant avancer le projet de sécurité sociale de l’alimentation, qui semble être le seul moyen de remédier efficacement aux problèmes d’accès de certaines populations à l’alimentation et aux difficultés de nos paysans.

La question de la rémunération des agriculteurs doit être posée. Pour l’heure, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « EGALIM », n’a pas atteint ses objectifs. La situation semble cependant évoluer, notamment en ce qui concerne l’instauration d’un prix plancher des produits agricoles.

Pour sortir de l’agriculture pratiquée à l’heure actuelle, il faut sortir des accords de libre-échange, qui soumettent nos agriculteurs à une concurrence déloyale. Comment peut-on continuer de penser qu’une montée en gamme est possible si le marché national est inondé de produits étrangers à moindres coûts, produits dans des conditions que nous ne pouvons pas accepter ? Je suis donc favorable à l’instauration d’un prix minimum d’entrée sur le marché national pour les produits agricoles, ce qui permettrait de rectifier les situations de concurrence déloyale.

Les fermes-usines constituent une menace environnementale, comme en témoigne leur classement ICPE. Elles sont responsables d’émissions massives de polluants dans l’atmosphère, ainsi que dans les eaux souterraines et de surface. Elles encouragent la déforestation, dont l’Europe, d’après le WWF-le Fonds mondial pour la nature, est le deuxième responsable mondial.

La question du bien-être animal ne peut pas être considérée comme secondaire. Les conditions de vie des animaux, en élevage industriel, sont source de stress. Elles affectent leur comportement et amènent les exploitants, en réaction, à recourir à des méthodes qui ne sont pas acceptables, telles que la caudectomie, consistant à couper la queue des cochons, réprouvée par l’Union européenne et pourtant pratiquée dans 99 % des élevages français. Plus généralement, la sélection génétique des animaux induit des caractéristiques morphologiques susceptibles de provoquer de la souffrance. Par exemple, certains poulets de chair grossissent si vite que leurs pattes ne peuvent plus supporter leur poids.

Par ailleurs, la question du bien-être animal ne peut pas être dissociée de celle du bien-être des hommes qui travaillent dans de telles exploitations. Ils sont nombreux à témoigner de l’horreur et de la lassitude qu’ils éprouvent à travailler dans ces conditions.

Enfin, la question de l’élevage industriel présente un enjeu sanitaire. Le nombre d’épidémies animales a été multiplié par trois au cours des quinze dernières années. Or la concentration et la claustration des animaux favorisent l’émergence de ces maladies, dont certaines sont des zoonoses.

La présente proposition de loi constitue une première étape dans la réponse que nous devons collectivement apporter à ces questions. Elle ne peut pas être dissociée d’une réflexion sur la sécurité sociale de l’alimentation, la juste rémunération des agriculteurs et la sortie du secteur agricole des accords internationaux de libre-échange.

M. Mickaël Nogal, président. Nous allons entendre à présent les orateurs des groupes.

M. Jean-Baptiste Moreau (LaREM). Nous voici une fois de plus – en tant qu’éleveur, je le regrette – saisis d’une proposition de loi dont le vocabulaire témoigne d’une triste méconnaissance de notre modèle agricole, et qui trouve ses fondements dans un modèle bien éloigné de celui prévalant dans nos campagnes. Madame la rapporteure, votre conception de l’agriculture française est plus proche de Martine à la ferme et de Oui-Oui au pays des agriculteurs que de la réalité complexe de l’agriculture et de l’élevage français. Une fois de plus, nous examinons une proposition de loi qui les stigmatise et jette l’opprobre sur eux, en premier lieu sur ces femmes et ces hommes dont les pratiques figurent pourtant parmi les plus strictes et les plus contrôlées du monde et dont les produits sont reconnus dans le monde entier pour leur excellence.

La proposition de loi que nous examinons vise à imposer un moratoire de trois ans aux demandes d’autorisation environnementale des exploitations agricoles qui sont considérées comme des usines, en raison du nombre d’animaux qu’on y dénombre. Les installations d’élevage sont strictement encadrées par le régime des ICPE, en fonction de leur taille et du risque qu’elles font peser sur l’environnement.

Pour rappel, les ICPE classent les exploitations en trois catégories : déclaration, enregistrement et autorisation. À titre d’exemple, un éleveur de bovins est soumis au régime de la déclaration s’il possède plus de cinquante bêtes, au régime de l’enregistrement s’il en possède entre 400 et 800, et au régime de l’autorisation s’il en possède plus de 800. Ces seuils varient selon le type d’élevage – bovins, caprins, porcins, volailles. Les exploitations relevant des deux dernières catégories font l’objet, lors de leur installation, d’une consultation publique et toutes celles qui relèvent du régime de l’ICPE sont soumises à des contrôles très stricts, menés par les directions départementales des services vétérinaires et par les préfectures.

Madame la rapporteure, votre proposition de loi omet certains aspects de la question, me semble-t-il. Parler de fermes-usines, c’est oublier que la taille des exploitations est radicalement plus petite en France que dans les pays voisins, et bien éloignée du modèle appliqué ailleurs dans le monde, qui présente des externalités négatives pour l’environnement. Nos élevages sont bien éloignés des feedlots nord-américains et sud-américains, ce dont nous devons nous réjouir.

Parler de fermes-usines et motiver votre proposition de loi par une nécessaire évolution en matière de bien-être animal n’a guère de sens. Le régime des ICPE, fondé sur le nombre d’animaux par exploitation, ne prend pas en considération le mode d’élevage. Par exemple, le moratoire que vous proposez vise à interdire les exploitations de plus de 30 000 volailles. Dans l’élevage bio, les exploitations comptent en moyenne 25 000 poulets. Demain, si cette proposition de loi était adoptée, la plupart des élevages de volailles en agriculture biologique seraient interdits.

S’agissant de l’objectif d’augmentation du nombre de contrôles, sachez que le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a mené plus de 4 000 inspections des ICPE en 2018. Chaque année, les exploitations agricoles françaises dans leur ensemble font l’objet de plus de 23 000 inspections, relatives au respect de la réglementation environnementale, des normes de production, du bien-être animal et de la protection animale. Connaissez-vous un autre secteur où les contrôles sont si réguliers et si nombreux ? Par ailleurs, le moratoire proposé constitue une limitation à la liberté d’entreprendre, dont la décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2000 a rappelé qu’elle doit être justifiée par l’intérêt général ou liée à des exigences constitutionnelles.

Le groupe La République en Marche souhaite accompagner les agriculteurs dans l’évolution de leurs pratiques, plutôt que les accabler une fois encore, comme vous tentez de le faire. En tant que député paysan, je rappelle que les agriculteurs ne constituent ces exploitations agrandies qu’en mutualisant leurs moyens, pour alléger les contraintes liées à ce métier, tout en travaillant sur les coûts de production et en continuant à respecter les normes de production demandées par les consommateurs, notamment en matière de bien-être animal. Pas un éleveur ne maltraite sciemment ses animaux ! Le bien-être des animaux est au cœur des préoccupations du métier de passion qu’est le métier d’éleveur. Certes, les cas de maltraitance existent, et il faut les condamner. Bien souvent, ils résultent d’une situation de mal-être de l’éleveur. Telle est la réalité du terrain. Ce n’est pas parce que c’est petit que c’est bien – on relève des cas de maltraitance animale dans des élevages de petite taille –, et ce n’est pas parce que c’est naturel que c’est sans danger.

Bien loin des dogmes et des idées toutes faites, nous souhaitons maintenir nos fermes à taille humaine et familiale, bien loin des modèles de l’agriculture mondiale. Nous le ferons avec les agriculteurs, en les aidant et en les accompagnant, et non contre eux. Nous présenterons donc des amendements de suppression des articles de votre proposition de loi.

M. Fabien Di Filippo (LR). Madame la rapporteure, vous dites ne pas vouloir stigmatiser les agriculteurs ; je ne vous ferai aucun procès d’intention. Toutefois, entre ne pas les stigmatiser et les aider, il y a un monde.

Pour notre part, nous avons toujours été attachés au modèle agricole familial et qualitatif que nous connaissons en France. Le modèle que vous décrivez dans l’exposé des motifs de la proposition de loi fait davantage penser aux grands feedlots que l’on trouve en Amérique du Nord et en Amérique du Sud. Je souscris aux propos de l’orateur précédent sur la réglementation et le contrôle des ICPE, ainsi que sur les élevages de volailles bio.

S’agissant du modèle agricole français, la question que nous devons nous poser collectivement est la suivante : comment vivre de ce métier et développer des exploitations ?

Dans ce domaine, force est de constater l’échec de la loi EGALIM, que nous annoncions dès le mois de septembre 2017, comme en atteste le compte rendu de nos débats. Partout, le prix des produits agricoles a augmenté, en raison du relèvement du seuil de revente à perte. À l’autre bout de la chaîne, les producteurs n’ont pas bénéficié de la moindre hausse de revenu, car les indicateurs de référence introduits par la loi n’ont jamais été vraiment calibrés, faute de pouvoir contrôler les négociations.

Le deuxième problème posé par la présente proposition de loi est l’imposition de contraintes à nos agriculteurs. Les distorsions de concurrence avec le reste du monde, et même avec les pays de l’Union européenne, ne font qu’augmenter, non seulement en matière de taxes, de charges et de contrôle des intrants, mais aussi, avec cette proposition de loi, en matière de taille des exploitations. Tout cela risque d’avoir un effet contre-productif et de nous amener à vivre de plus en plus des importations de produits étrangers et de moins en moins des produits du sol national.

Troisième remarque : lorsque nous envisageons de contrôler davantage la façon dont on produit sur le sol national, afin d’inciter le consommateur à acheter la production française au motif que sa qualité est supérieure à celle des autres, la justice européenne rend des décisions défavorables, telle l’annulation de l’obligation d’afficher l’origine et la composition des produits laitiers dans un souci de transparence. Tant que nous n’avons pas résolu ce problème, s’imposer davantage de contraintes que les autres ne présente aucune valeur ajoutée pour le producteur français.

Quatrième remarque : il convient de se demander pourquoi la taille des exploitations augmente. Il s’agit d’abord de remédier au problème des revenus : il faut une exploitation de plus en plus grande pour retirer de son activité le minimum de subsistance. Il s’agit ensuite de remédier au problème du recrutement. Dans les dix années à venir, nous devrions perdre un tiers de nos agriculteurs. Mathématiquement, si nous voulons continuer à nourrir la population alors même que nous dissuadons les jeunes de devenir agriculteurs, nous devrons accepter une augmentation de la taille des exploitations. Celle-ci résulte enfin du progrès technique. Nous disposons d’outils assez remarquables – le dire n’est ni une insulte, ni un plaidoyer pour une baisse de la qualité des productions – permettant d’exploiter davantage de terres qu’auparavant, ce qui est heureux, compte tenu de la diminution du nombre de paysans.

Cinquième remarque : de nombreux agriculteurs s’organisent pour écouler leurs produits directement auprès des consommateurs, dans le cadre de réseaux de proximité, en toute transparence et en toute connaissance de cause, ce qui marche très bien. Toutefois, dans une période de crise comme celle que nous connaissons, accumulant les confinements, les processus d’achat se concentrent sur les services drive offerts par les enseignes de la grande distribution. Les circuits courts souffrent beaucoup de la restriction de la liberté d’aller et venir.

Avant de débattre de cette proposition de loi, penchons-nous sur ces différentes questions pour aider nos agriculteurs, qui font un travail remarquable et de qualité.

Mme Marguerite Deprez-Audebert (MODEM). La proposition de loi que nous examinons vise à interdire les exploitations agricoles classées A et E par la nomenclature ICPE. Madame la rapporteure, la notion de ferme-usine que vous employez pour les décrire ne fait l’objet d’aucune définition. Vous faites le choix de retenir uniquement le critère du nombre d’animaux pour mettre en œuvre cette interdiction. Tel est le premier point sur lequel le groupe MODEM est en désaccord avec vous. Si le respect du bien-être animal au sein des exploitations agricoles est une réelle nécessité à laquelle nous devons veiller, nous ne considérons pas qu’il peut être mesuré exclusivement sous l’angle du nombre d’animaux présents sur un même site. Il faut tenir compte de plusieurs autres critères.

Par ailleurs, vous connaissez nos convictions en ce qui concerne la manière dont les transformations écologiques doivent être menées. Ce type d’interdiction stricte ne permet pas d’atteindre nos objectifs. En interdisant ces exploitations agricoles françaises, nous ouvrons nos portes à la viande importée, écologiquement et qualitativement moins contrôlable.

Le modèle agricole français doit relever un double défi : notre production agricole doit être respectueuse de l’environnement tout en restant accessible au plus grand nombre de Français. De surcroît, cet équilibre délicat s’inscrit dans un contexte de concurrence internationale et européenne. Il est donc nécessaire d’accompagner et d’inciter nos producteurs, au lieu de les punir.

À titre de comparaison, la taille des exploitations françaises est plus petite que celle des exploitations de nos concurrents européens et extra-européens. Par exemple, le taux de chargement moyen des exploitations avicoles françaises est de 10,1 unités de gros bétail par hectare, contre 14,4 en Pologne, 15,3 en Allemagne, 33,9 en Belgique et 51 en Espagne. Il faut donc trouver des solutions pragmatiques et constructives, afin de ne pas sanctionner inutilement les agriculteurs français.

Au sein du groupe MODEM et apparentés, nous pensons, comme nos collègues des groupes La République en Marche et Les Républicains, qu’il faut accompagner nos éleveurs dans leur transition écologique et réfléchir à un cadre réglementaire européen plus ambitieux, en vue d’obtenir des solutions équitables et efficaces à grande échelle.

M. Dominique Potier (SOC). Tout en assumant de prendre la parole dans ce débat, je dois avouer que ce n’est pas facile. J’apprécie Mme Bénédicte Taurine et ne doute pas de l’authenticité de ses convictions. Si je souscris en partie aux finalités de sa proposition de loi, je ne suis pas d’accord avec elle sur les moyens proposés. Il est difficile, quand on est de gauche et qu’on s’adresse à une autre force de gauche, de dire cela ; j’essaierai de m’exprimer avec le plus de vérité et de simplicité possible.

La présente proposition de loi soulève une question récemment posée par notre collègue Cédric Villani : celle du statut de l’animal et de la définition du bien-être animal. Tout en étant divisé sur ce sujet – comme sur d’autres, car certains débats ne recouvrent pas la partition gauche-droite et divisent au sein des groupes politiques –, le groupe Socialistes et apparentés considère que cette question ne peut être ignorée.

Pour ma part, j’estime que l’animal n’est ni une chose, ni une personne, et que, comme notre rapport à la machine, notre rapport à l’animal doit être redéfini. Je suis persuadé qu’il faut faire progresser le bien-être animal, tout en m’inscrivant très clairement dans une démarche d’opposition à l’antispécisme, dont je tiens à dire qu’il constitue une rupture. Je ne voudrais pas – tel n’est pas le cas de la proposition de loi – que ce débat nous amène à une sorte de sacralisation de l’animal, qui serait contraire à notre définition de l’humanité.

S’agissant des modèles agricoles, je rejoins les orateurs qui m’ont précédé. Madame la rapporteure, vous mettez en lumière une situation très marginale et très encadrée. La loi n’est pas uniquement normative, elle est également expressive, porteuse d’un message. Comme nos collègues, j’aurais tendance à condamner, sans excès, le vôtre : vous dénoncez une situation qui n’existe quasiment pas en France, en tout cas bien moins que dans d’autres pays.

Mais il y a tout de même un problème. Personne ne souhaite, pour notre pays, le développement de ce que vous appelez des fermes-usines. Si nous connaissions une dérive vers ce type de production animale, il faudrait ouvrir un débat avec les parties prenantes, afin de fixer des limites plus justes et plus adaptées. Jeter l’opprobre a priori et imposer un moratoire sans ouvrir une discussion plus fine sur la réalité de tels modèles de production me semble inadapté.

Si nous prévoyons, pour l’heure, de nous abstenir sur la présente proposition de loi, nous défendrons des amendements lors de son examen en séance publique, si tant est qu’il ait lieu. Trois pistes me semblent dignes d’être explorées, chère Bénédicte Taurine.

La première consiste à mobiliser le levier du marché et de l’opinion publique. Si le label bio inclut des dispositions relatives au bien-être animal, tel n’est pas le cas du label Haute qualité environnementale (HVE). Plus généralement, comme le rappelle souvent M. Antoine Herth, il dit peu de choses de la production animale. Il faut donc ouvrir, avec le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, le chantier du troisième niveau d’exigence environnementale, afin d’y inclure la notion de bien-être animal, ce qui permettrait de trier la qualité de la nourriture en fonction du secteur où elle est produite.

La deuxième piste a été ouverte par la loi EGALIM. Si nous produisons des animaux dans des conditions qui ne sont ni aimables, ni souhaitables, c’est aussi en raison d’une compétition des prix déloyale et du pouvoir d’achat inique dont disposent une partie de nos concitoyens.

Enfin, il faut utiliser le levier du futur programme stratégique national (PSN), qui fera l’objet d’un grand débat démocratique au cours des semaines à venir ainsi qu’à la rentrée, à la demande de plusieurs groupes parlementaires. Le PSN peut être un puissant levier d’orientation des productions animales et de valorisation de nos territoires. Certaines méthodes – je pense, par exemple, à la production « à l’herbe » – sont de nature à rehausser la qualité de nos productions et la dignité des travailleurs, car l’une ne va pas sans l’autre. De nos territoires à la planète, il y a une voie : l’Europe. Dans les semaines et les mois à venir, elle devra faire des choix radicaux, qui l’orienteront vers tel ou tel mode d’élevage.

M. Thierry Benoit (UDI-I). Madame la rapporteure, chère Bénédicte Taurine, vos convictions vous portent à déposer une proposition de loi au titre clinquant. Interdire les fermes-usines : je partage cet objectif, car l’animal – et la loi le reconnaît comme tel – est un être sensible. Il nous est donc difficile de l’imaginer dans une ferme-usine.

En réalité, vous soulevez la question du modèle français d’élevage. Comme les orateurs qui m’ont précédé, je suis convaincu que nous n’avons pas à en rougir. Même si des améliorations sont envisageables, la situation en 2021 n’est pas comparable à celle qui prévalait dans les années 1950 ou 1960, qui ont vu l’avènement de l’élevage hors-sol. Celui-ci pose la question du lien de cette activité avec la terre : que prélève-t-on du sol pour nourrir les animaux enfermés dans des bâtiments ? Quelle est la quantité d’effluents et d’émissions carbonées ? Telles sont les questions que vous posez. Ce sujet m’intéresse, car je suis élu d’une région d’élevage, la Bretagne, où l’on trouvait, jusqu’à une période récente, de nombreux élevages hors-sol et où la concentration observée dans certaines filières provoque des difficultés.

Par ailleurs, l’exposé des motifs démontre, à l’unisson d’un débat qui traverse la société française depuis plusieurs années, que l’on ne peut plus parler d’élevage français sans considérer que la consommation de viande est excessive. Ce faisant, on jette l’opprobre sur les éleveurs, qui se sentent agressés, quelle que soit leur pratique. Aujourd’hui plus qu’hier, les éleveurs français doivent être défendus.

Je défends moi aussi un modèle d’agriculture à taille humaine et familial. Toutefois, il faut bien constater qu’on se livre, notamment en France, depuis quelques décennies, à une course à l’agrandissement, encouragée par les pouvoirs publics, soi-disant pour que les agriculteurs, particulièrement les éleveurs, soient plus heureux et perçoivent de meilleurs revenus. Dans la région où je suis élu, les agriculteurs et les éleveurs ont régulièrement été encouragés à s’installer seuls, afin que leur conjoint travaille hors de l’exploitation pour faire vivre la famille. L’outil de travail permet en effet à l’agriculteur de rembourser les annuités de l’emprunt pendant vingt ou vingt-cinq ans. Mais, arrivé en fin de carrière, plus ou moins usé, il s’interroge sur le modèle qu’il a fait tourner pendant toutes ces années.

De fait, en France, la question du revenu agricole se pose. Nous l’avons abordée lors de l’examen de la loi EGALIM, ainsi que dans le cadre des travaux de la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, que j’ai présidée et dont M. Grégory Besson-Moreau était le rapporteur. Nous l’aborderons prochainement dans le cadre de l’examen d’une proposition de loi cosignée par plusieurs d’entre nous.

Nous devons également nous interroger sur le rôle de l’agriculture française en France, en Europe et dans le monde. Il s’agit en effet d’assurer non seulement l’autosuffisance alimentaire de la France, mais aussi ses exportations, car les agriculteurs et les éleveurs français s’inscrivent dans la filière agroalimentaire.

S’agissant plus spécifiquement de l’élevage, qui consiste à faire naître des animaux pour en faire le sacrifice, nous devrions parler bien davantage des conditions d’abattage. Les animaux doivent être élevés, mais aussi abattus, dans les meilleures conditions. Des améliorations sont possibles.

Au nom du groupe UDI et Indépendants, je voterai contre la proposition de loi.

M. Antoine Herth (Agir ens). Madame la rapporteure, le mot qui m’est venu à l’esprit, à la lecture de votre proposition de loi, est « hologramme ». Comme l’a dit notre collègue Dominique Potier, vous vous battez contre quelque chose qui n’existe pas. Votre proposition de loi est avant tout un plaidoyer. Au demeurant, vous ne masquez pas vos sources d’inspiration, au premier rang desquelles Greenpeace et L214, qui ont pour habitude de mettre l’accent sur des données souvent sorties de leur contexte, en passant sous silence les politiques développées par les gouvernements successifs. Il s’agit d’une forme de vérité alternative, à tel point que je me demande si Steve Bannon n’est pas devenu l’inspirateur de La France insoumise pour son travail de rédaction !

S’agissant de la taille des élevages, vous remettez en cause les ICPE, qui constituent un outil de protection. Ils sont le fruit d’un travail de réflexion visant à encadrer le développement des élevages français. Du reste, les éleveurs, lorsqu’ils investissent, intègrent de plus en plus les réglementations relatives au bien-être animal, et c’est tant mieux.

S’agissant des races bovines, vous parlez de Blanc bleu belge, que je ne connais pas. J’ai cru qu’il s’agissait du croisement d’une vache flamande et d’un café liégeois, mais non. Cette race est essentiellement élevée en Belgique. En France, nous avons des Charolaises, des Limousines, des Salers et autres races à viande. Dans l’Ariège, j’ai le plaisir de vous informer que la Limousine représente 40 % du cheptel, suivie de près par la Gasconne des Pyrénées.

S’agissant de l’impact sanitaire, pas un mot sur le plan Écoantibio, qui a permis de réduire de 40 % l’utilisation des antibiotiques dans les élevages. Je rappelle que les antibiotiques sont consommés aux deux tiers par les humains.

S’agissant de la protection de l’environnement, on découvre – ce qui est vrai – que les vaches ruminent et émettent du méthane. Toutefois, vous oubliez de dire que 300 méthaniseurs sont installés en France. Ils permettent de traiter les effluents et de transformer déchets et déjections en source prometteuse d’énergie renouvelable. Concernant les nitrates, pas un mot sur les efforts réalisés en Bretagne depuis de nombreuses années, qui ont permis de réduire de 16 % leur présence dans le sol. Sur les algues vertes, scénario catastrophe de votre côté ! Vous oubliez de dire que les échouages d’algues vertes ont diminué de 20 % à 30 % en 2020, d’après une publication du magazine Sciences et avenir, que vous auriez pu consulter. Cherchez l’erreur : en 2020, il y avait en Bretagne autant de cochons qu’avant, mais moins de touristes. Peut-être faut-il chercher la réponse de ce côté ! Vous oubliez également de parler des efforts que déploie le ministre de l’agriculture et de l’alimentation en faveur du plan de structuration des filières de protéines végétales. Ce sujet occupera une place importante dans la future politique agricole commune (PAC).

En somme, je vous recommande la lecture de la dernière note de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), numérotée 26, relative aux enjeux sanitaires et environnementaux de la viande rouge ; vous y trouverez quelques pistes alternatives de réflexion.

Parvenu à la fin du rapport, j’étais rassuré. En fin de compte, ce que vous proposez, c’est l’économie administrée. Je retrouve les habituels repères du groupe La France insoumise, dont l’inspiration est à chercher du côté de Hugo Chavez ! Nous allons faire une belle expérimentation en France en fermant les frontières, et en faisant du même coup une croix sur les 8 milliards d’euros d’excédent commercial de nos exportations ! Nous allons aussi généraliser les circuits courts ! Je vous signale – peut-être cela vous intéresse-t-il – que l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) a publié une excellente étude, intitulée Enjeux économiques et sociaux des espaces ruraux français et rédigée par Mme Cécile Detang-Dessendre, de l’antenne de Dijon. Elle rappelle que l’alimentation se fait essentiellement en ville, où vivent 77 % de nos concitoyens, ce qui rend très difficile la généralisation des circuits courts, à moins de déplacer une partie des populations des villes vers la campagne, et apprendre à beaucoup de gens comment cultiver leur propre champ.

Vous appelez de vos vœux une montée en gamme de l’agriculture française. Soit, mais à quel prix ? Les études de l’INRAe établissent que les consommateurs ne consacrent que 10 % de leurs revenus à la satisfaction de leurs besoins alimentaires. Cette proportion augmenterait. Mais vous semblez avoir trouvé la solution : la sécurité sociale de l’alimentation. Je retrouve mes marques, je suis rassuré, mais je ne voterai pas la proposition de loi. Dommage que vous n’ayez pas eu un mot sur la filière agricole et alimentaire française, qui a tenu le coup face à la crise de la covid-19 et a permis à chacun de manger à sa faim !

Mme Sylvia Pinel (LT). En décembre dernier, la ferme dite des mille vaches a définitivement cessé son activité laitière, mettant un terme à dix ans de controverses et à six ans d’exploitation. Sa fermeture ne clôt pas le débat entre partisans d’une production intensive et opposants à l’industrialisation de l’agriculture.

La proposition de loi que nous examinons ce matin nous invite à remettre ce sujet sur la table. Elle soulève des questions importantes : quelle agriculture voulons-nous ? Que signifie être éleveur de nos jours ?

Fille d’agriculteurs, j’ai grandi dans une exploitation à taille humaine. Je sais que l’agriculture de proximité et l’organisation des filières en circuit court contribuent à la richesse des territoires et façonne leur identité. Je suis également convaincue qu’elle est meilleure pour l’environnement, comme pour la santé. Ce modèle agricole respectueux et responsable, qualitatif et citoyen, je le défends, à rebours des fermes-usines, dont vous relevez à juste titre les défauts et les limites, Madame la rapporteure.

Toutefois, nous devons être attentifs aux conséquences que certains de vos arguments ou certains aspects de votre proposition de loi pourraient avoir sur les éleveurs et sur l’élevage dans notre pays. L’une des principales tares de l’élevage industriel est son impact environnemental. Il a pour conséquence des émissions de gaz à effet de serre accrues, une importation massive de fourrage et davantage de pollution du sol et des eaux, en l’absence de surfaces d’épandage adaptées. En outre, les conditions d’élevage ont des conséquences sur la qualité de la viande. Le recours aux antibiotiques et à une alimentation de piètre qualité pour le bétail constitue une menace pour notre santé et dégrade la qualité gustative de la viande.

Quant à la concentration et à la financiarisation de certaines exploitations, on ne peut nier l’existence du phénomène, même si, heureusement, il est encore peu développé. Cela rend ces structures difficilement transmissibles et contribue à déposséder les agriculteurs de leur outil de travail. Nous devons d’ailleurs être collectivement vigilants à la question de l’attribution des terres agricoles : les grandes exploitations se trouvent souvent renforcées lorsque des terrains agricoles sont libérés et cédés, au détriment des jeunes agriculteurs. Je regrette que cet aspect soit absent du texte.

Ces impacts sociaux, économiques et environnementaux de l’agriculture industrielle me semblent justifier un travail approfondi, nous permettant d’aboutir à un changement du droit. Or je doute que le texte, à ce stade, y parvienne. Toutefois, il a le mérite de soulever la question. La mise en œuvre d’un moratoire sur les installations les plus importantes, par exemple celles qui sont soumises au régime de l’autorisation et abritent plus de 800 veaux, plus de 200 porcs ou encore plus de 40 000 poules, n’est peut-être pas la meilleure solution, mais ces exploitations me paraissent effectivement bien éloignées des normes de qualité et du modèle agricole et alimentaire que nous souhaitons promouvoir. Les exploitations soumises à enregistrement sont, quant à elles, de taille plus restreinte ; elles me semblent plus à même de garantir des conditions de vie décentes pour les animaux, tout en permettant l’accès à une viande à un prix abordable.

En revanche, je comprends votre volonté d’améliorer les contrôles exercés sur les exploitations agricoles soumises au régime d’autorisation. Cet objectif rejoint d’ailleurs celui affiché par le Gouvernement, qui consiste à augmenter de 50 % d’ici à la fin du quinquennat le nombre annuel d’installations classées pour la protection de l’environnement, même si je redoute que les quelques équivalents temps plein supplémentaires créés ne permettent pas d’atteindre ce but.

Pour l’ensemble de ces raisons, je m’abstiendrai.

Mme Muriel Ressiguier (FI). Le terme « fermes-usines » désigne un système industriel et intensif visant à produire de la matière animale. Cependant, cette appellation n’a pas de définition dans la loi et doit être différenciée de l’élevage en tant que tel. Les exploitations de ce type, fondées sur une forte concentration d’animaux dans un espace réduit, présentent un taux de mortalité plus important que les autres et engendrent de nombreux risques tant sur le plan environnemental que sur ceux de la santé humaine et du bien-être animal.

Selon Greenpeace – organisation que certains de nos collègues aiment tant –, 1 % des fermes françaises produisent plus de la moitié des porcs, poulets et œufs dans notre pays. Le temps d’élevage y est beaucoup plus court : un poulet à chair, par exemple, atteint la maturité en six semaines, soit deux fois plus vite qu’il y a trente ans. Pour tenter de pallier les effets engendrés par une croissance trop rapide, à savoir la vulnérabilité des animaux et le risque sanitaire, le recours aux antibiotiques est massif : en 2020, les poulets élevés en batterie ont été exposés à 73,7 tonnes de ces produits et les porcs élevés industriellement à 140,6 tonnes, ce qui entraîne une baisse des défenses naturelles chez les animaux et contribue à renforcer l’antibiorésistance chez l’être humain.

C’est la raison pour laquelle nous demandons un moratoire de trois ans sur tous les nouveaux projets d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories E et A de la nomenclature ICPE.

Partout, ce modèle a également des conséquences sur l’environnement : diminution de la diversité des espèces par la sélection, déforestation pour l’implantation d’usines et de champs, recours à des quantités d’eau importantes pour les animaux et les champs, rejet d’importantes quantités de nitrates, de phosphore et d’antibiotiques, sans oublier les émissions d’ammoniac. En Bretagne, où sont installées 1 720 des 4 413 fermes-usines que compte la France, on observe une forte concentration de nitrates dans les eaux souterraines. En outre, les risques épidémiques sont plus élevés dans ce genre de structures. Selon l’Organisation mondiale de la santé animale, les épizooties ont quasiment triplé au cours des quinze dernières années. Nous proposons donc, à l’article 2 de la proposition de loi, un renforcement des contrôles des services d’inspection des exploitations d’élevage classées A dans la nomenclature ICPE.

Par ailleurs, lors de son audition, Mme Aurélie Trouvé, maître de conférences à AgroParisTech, prenant l’exemple de la ferme dite des mille vaches, dans la Somme, a évalué que la production de 8 millions de litres de lait nécessitait, dans cette exploitation, le travail de dix-huit salariés, ce qui signifie qu’elle créait trois fois moins d’emplois que ne le font en moyenne les exploitations françaises. Il y a donc un fossé entre le monde des éleveurs industriels et celui des agriculteurs paysans. Ce système productiviste met sous pression les paysans, leurs élevages et leurs terres ; il pousse à s’agrandir et à surinvestir dans du matériel, accentuant la dépendance des éleveurs à l’égard des banques.

Enfin, la maltraitance animale dans les fermes-usines a changé la relation particulière que l’éleveur établit avec l’animal, ce qui crée des conditions de travail déshumanisantes, qui sont sources de souffrance, et ce qui conduit à une perte de sens. Ce système est à l’opposé des modèles d’agriculture paysanne, structurants pour les territoires et créateurs d’emplois. Face à ce modèle productiviste passéiste, nous défendons un modèle d’élevage à taille humaine, respectueux des animaux et de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à adopter la proposition de loi.

M. Mickaël Nogal, président. Nous allons entendre à présent les inscrits.

M. Jean-Pierre Vigier. Madame la rapporteure, votre texte rate sa cible. Pire encore, son titre me choque ; il est très dangereux, car il pourrait laisser à penser que toute l’agriculture française est fondée sur les fermes-usines, ce qui n’est pas le cas. Je le dis haut et fort : nous avons un modèle agricole exceptionnel, vertueux, qui crée des emplois et fournit des produits de grande qualité. Nos agriculteurs respectent non seulement les normes en vigueur, mais surtout l’environnement. Nous avons des exploitations familiales, par exemple dans l’agriculture de montagne. Or tous ces agriculteurs souffrent. Il vaudrait donc mieux les aider et les accompagner plutôt que les critiquer et les stigmatiser. N’oublions pas que ce sont les agriculteurs qui nourrissent la planète.

Vous feriez mieux de demander le contrôle des produits importés, notamment dans le cadre des accords de libre-échange : ils ne respectent pas les normes françaises, ce qui peut poser des problèmes sur le plan sanitaire. En outre, ils tirent les prix vers le bas. L’agriculture française souffre ; elle a besoin d’être soutenue. Il faut lui garantir des prix rémunérateurs, et non la stigmatiser.

M. Cédric Villani. « L’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà », disait Victor Hugo, bien avant l’industrialisation de l’élevage. M. Yann Arthus-Bertrand, quant à lui, a parlé récemment d’« enfer sur terre » à propos des fermes-usines – modèle de production qui n’a d’ailleurs rien de marginal dans notre pays. Certains de nos collègues ont parlé du modèle français, mais il y a dans notre pays des systèmes très différents les uns des autres. Par exemple, 80 % des poulets de chair sont produits en élevage intensif. On nous parle d’élevages à taille humaine et familiale, de paysans, mais telle n’est pas la réalité : il s’agit d’un système dans lequel les humains ont une place inhumaine. Ils travaillent dur, sont mal rémunérés, n’ont pas de vacances. Sur le plan économique aussi la situation est terrible. J’en veux pour preuve l’affaire de Pihem, dans le Pas-de-Calais. L’objectif du projet était de produire 825 000 poulets par an. Pour cela, l’éleveur devait emprunter 1 million d’euros et rembourser 10 000 euros chaque mois, ce qui lui laissait un salaire inacceptablement bas de 800 euros mensuels. Est-ce un tel modèle que nous voulons pour nos éleveurs ?

Les fermes-usines réservent le moins de place possible à l’humain : dans certains élevages, y compris en Europe, la proportion est d’une personne pour 50 000 poulets. Quant aux conditions dans lesquelles ces derniers sont élevés, quelles sont-elles ? La surface d’une feuille A4 : voilà ce dont dispose chaque poulet, voilà où il passera toute sa misérable vie, en étant soumis à une croissance ultrarapide. Comme l’indique le rapport, si l’on ramenait à l’être humain – ce qu’à Dieu ne plaise – les performances que la sélection génétique ont permis d’accomplir avec les poulets, cela voudrait dire qu’un enfant atteindrait 150 kilos à l’âge de 10 ans, et ce sans jamais voir la lumière du jour. Est-ce là le modèle dont nous sommes fiers ? Ce n’est pourtant pas le modèle bleu-blanc-cœur, cher à M. Thierry Benoit et à d’autres : nous parlons d’élevages où s’entassent 21 poulets par mètre carré.

Ce modèle profite-t-il à la société ? Il est très mal accepté : 90 % de nos concitoyens le rejettent. Les gens n’en peuvent plus de ce système industriel. Profite-t-il au consommateur ? Nous consommons trop de viande. La consommation de volailles, par exemple, a plus que doublé en cinquante ans. Sur ce point, la note de l’OPECST, évoquée par Antoine Herth, est d’ailleurs équilibrée.

La ferme-usine, c’est produire plus, produire bas de gamme et sans humanité. Ce qu’il nous faut pour l’avenir, c’est le contraire : produire moins, produire mieux, rémunérer davantage et redonner de la fierté à l’éleveur.

M. Yves Hemedinger. Il faut arrêter de stigmatiser la profession agricole en mettant en avant des exemples certes inacceptables mais parfaitement minoritaires, qui plus est en sortant souvent les faits de leur contexte. C’est vraiment examiner le problème par le petit bout de la lorgnette. Cette démarche vise systématiquement à dénigrer les agriculteurs.

Il faut aller voir ces derniers et discuter avec eux. Si vous le faisiez, vous constateriez que la situation est totalement différente de celle que vous décrivez. Il faut aider les agriculteurs – en particulier les éleveurs – et les accompagner, plutôt que de chercher systématiquement à les accabler et à les punir. Ils souffrent : ne les enfonçons pas davantage. D’ores et déjà, ils n’arrivent pas à vivre de leur activité.

Les éleveurs aiment leurs bêtes et nous aimons les éleveurs. Plus que quiconque, ils sont attachés à la préservation de la nature et du bien-être animal, parce que c’est leur métier, qu’ils en vivent – et nous permettent de vivre grâce à leur activité. Le vrai risque réside plutôt dans leur disparition : c’est cela qui doit prioritairement nous mobiliser. D’ailleurs, les discussions autour de la politique agricole commune (PAC) les inquiètent, ce que l’on peut comprendre. Nous serons vigilants sur ce point.

Je le constate particulièrement dans la zone frontalière où je vis : chaque fois que l’on ajoute des contraintes – alors même que celles-ci sont déjà nombreuses –, on porte atteinte à la consommation de produits locaux, aux circuits courts, qu’il convient au contraire de développer.

Nous devrions réfléchir ensemble au modèle agricole, aux besoins actuels et futurs, ou encore aux revenus des agriculteurs. Les enjeux sont majeurs car la population mondiale augmentera fortement au cours des prochaines années et il faudra être en mesure de la nourrir. Ne détruisons donc pas ce qui fonctionne. Le labeur de nos agriculteurs fait la fierté de notre pays depuis de nombreuses générations. Cela fait partie de notre ADN.

Pour toutes ces raisons, je m’oppose à cette proposition de loi.

Mme Jennifer De Temmerman. À titre personnel, je suis totalement favorable à la proposition qui nous est présentée. Dans mon territoire, cela fait des mois que l’on se heurte aux pouvoirs publics à propos de certains projets, d’ailleurs de plus en plus nombreux.

Plusieurs collègues ont dit que nous stigmatisions l’agriculture. Tel n’est pas le cas : nous nous opposons à un certain type d’agriculteurs, ceux qui concentrent entre leurs mains à la fois les terres et les revenus, favorisant ainsi un mode d’agriculture qui ne permet pas à d’autres de trouver leur place. On nous accuse de dissuader les agriculteurs de s’installer ou de reprendre des exploitations. Or, en Flandre, dans mon territoire, j’observe que ceux qui veulent s’installer et adopter un autre modèle de production ne le peuvent pas, car les terres sont entre les mains de quelques-uns.

J’entends dire également que le phénomène que vise à combattre la proposition de loi est marginal. En 2019, à Looberghe, l’installation d’un couvoir destiné à recevoir 600 000 poussins par semaine a été autorisée. À la suite de cela, les projets de poulaillers industriels se sont multipliés tout autour : près de 850 000 poussins à Pihem, comme l’évoquait M. Cédric Villani, 61 600 à Noordpeene, 117 000 à Steenwerck. Le phénomène n’a donc rien de marginal, et si nous ne posons pas tout de suite des bornes, il continuera à se développer : dès que l’on autorise une exploitation, d’autres se créent.

Certains collègues ont vanté la viande française. Or, dans le Nord – je pense notamment au projet de Looberghe –, la réalité est que ce sont les Belges qui viennent prendre nos terres et y installent des poulaillers fonctionnant selon leur propre modèle. Non, ce n’est pas de la viande française qui est produite dans ces conditions. S’agissant du projet de Steenwerck, le résultat de la consultation publique a été négatif, et le conseil municipal s’est opposé au projet. Pourtant, l’autorisation a été accordée. Ne nous parlez donc pas de garde-fous : s’il y en a, ils sont insuffisants. Nous devons couper court au mouvement qui s’amorce dans les territoires. La vérité est que nous ne voulons pas des agriculteurs industriels : nous voulons de vrais paysans, des gens qui ont un lien avec leur terre et leurs animaux ; c’est cela qui fait la force de la France et de son agriculture.

M. Yves Daniel. J’ai décidé d’apporter quelques réflexions au débat après avoir entendu certaines interventions.

Tout d’abord, il faut faire attention à ce que nous disons et aux sources sur lesquelles nous nous appuyons. Je partage largement les propos de M. Jean-Baptiste Moreau : le terme « fermes-usines » n’est pas le meilleur si l’on veut être pédagogue et faire vraiment avancer les choses. En effet, il est de nature à diviser plutôt qu’à rassembler. Malgré l’excellent travail que vous avez réalisé, Madame la rapporteure, vous n’avez pas vraiment proposé de définition de ces fermes-usines. Prenons l’exemple d’un atelier où se trouvent 50 truies et 2 000 porcs au total. Si l’on vous dit que c’est un élevage de 50 truies, vous penserez qu’il est petit, mais si l’on vous parle de 2 000 porcs, vous aurez tendance à considérer qu’il s’agit d’une ferme-usine. Or il y a de nombreux élevages comptant quelques centaines de truies, ce qui représente en réalité des milliers de porcs. Il importe donc de mettre les choses en perspective, de façon à ne pas tromper nos concitoyens.

Ensuite, il faut répondre à trois questions. Pourquoi les exploitations sont-elles toujours plus grandes ? Parce que les paysans n’ont pas de revenus : ils sont tout simplement obligés d’augmenter leur volume. Comment faire face au problème que vous soulevez, Madame la rapporteure ? À cet égard, vous auriez pu traiter de la formation, car elle contribuera à faire avancer les choses. Enfin, combien y aura-t-il de paysans demain, et combien de temps faudra-t-il encore pour que la politique agricole permette de les rémunérer, justement afin d’éviter qu’ils ne s’engagent dans le cercle infernal qui est dénoncé ?

Pour toutes raisons, je voterai les amendements de suppression des articles.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. L’objectif de cette proposition de loi, qui est très courte, est justement de réfléchir au modèle agricole. Contrairement à ce que certains ont laissé entendre, nous n’avons pas auditionné seulement Greenpeace : nous avons reçu également les syndicats agricoles. Ces derniers nous ont fait des remarques concernant la taille des exploitations, notamment celles où l’on élève des vaches laitières. Dans un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), par exemple, 150 vaches, ce n’est peut-être pas suffisant.

Il s’agit de réfléchir ensemble, pas forcément de dire ce qui est bien et ce qui est mal. Force est toutefois de constater que notre modèle est en voie d’industrialisation – Mme De Temmerman a bien expliqué ce qui se passe. Du reste, ce n’est pas parce que la situation est pire ailleurs que tout va bien chez nous.

Les consommateurs doivent avoir la possibilité d’acheter des produits de qualité. Cela suppose aussi que leur pouvoir d’achat s’améliore. D’où l’idée d’une sécurité sociale de l’alimentation, d’ailleurs défendue par certains députés de la majorité. La réflexion doit être globale. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas pour nous de stigmatiser l’élevage ni de le détruire.

Il était question tout à l’heure d’une diminution de la consommation de viande. De fait, il est préférable de manger moins de viande mais de faire en sorte que celle-ci soit de meilleure qualité. Pour ma part, je préfère la viande produite en Ariège, de race gasconne plutôt que limousine, et j’évite la viande issue des vaches de réforme. À cet égard, la proposition de M. Denormandie relative aux unités de gros bétail (UGB) me semble aller dans le bon sens. Nous verrons s’il tient cette position plutôt que de subventionner des vaches allaitantes, dont les produits sont destinés à l’exportation.

Des solutions existent, sur lesquelles nous ne nous opposons pas forcément. En revanche, il y a bien deux modèles : l’un est respectueux des gens, de l’environnement et des animaux, et l’autre est à l’opposé de ces valeurs. Trouvez-vous vraiment naturel de couper la queue des cochons et de leur limer les dents au motif qu’ils sont tellement serrés dans leur box qu’ils se mordent entre eux ? Pour ma part, je ne trouve pas cela normal. On est quand même en droit de s’interroger sur ce modèle sans que vous vous braquiez aussitôt, nous accusant de stigmatiser les éleveurs. C’est hallucinant !

Monsieur Herth, en dehors de vos effets de manche, vous n’avez rien apporté au débat. Vous vous êtes fait plaisir, mais c’est absolument sans intérêt pour ce qui est de faire avancer la réflexion sur notre modèle agricole. En outre, je vous ai trouvé très irrespectueux. La même remarque vaut pour votre référence à Martine à la ferme, Monsieur Moreau : ce n’est pas digne de vous. Peut-être la proposition de loi, en l’état, ne correspond-elle pas à vos propres orientations, mais elle permet d’engager un débat qui me semble important. Il n’est pas nécessaire de s’invectiver et de se mépriser. À cet égard, je remercie M. Benoit et M. Villani, qui ont participé aux auditions et ont abordé le débat de manière constructive.

Je connais personnellement des éleveurs, même s’il est vrai que le modèle agricole d’un territoire comme l’Ariège n’est pas le même que celui de la Bretagne. La question de l’abattage est très importante à mes yeux. Je considère d’ailleurs qu’il est important de développer l’abattage à la ferme. Je me suis rendue dans des abattoirs ; j’ai vu comment on y tue des agneaux. Je n’ai pas fermé les yeux. On dirait que, selon vous, si on n’est pas éleveur, on n’a pas le droit de s’intéresser au sujet et on ne peut pas le comprendre. Quand on est député, on peut quand même prendre un peu de recul !

M. Antoine Herth. Comme j’ai été mis en cause par Mme la rapporteure, je voudrais lui répondre en deux mots. Pour ce qui est du ton dont j’ai usé, ne soyez pas surprise, Madame : j’ai délibérément choisi celui de La France insoumise, que nous entendons jour et nuit dans l’hémicycle. Je vous renvoie simplement l’image que vous nous donnez.

Sur le fond, vous avez dit que je n’avais rien apporté au débat. Je vous invite à lire le compte rendu de notre débat : vous verrez que j’ai cité un certain nombre de sources, notamment un rapport de l’OPECST et une étude de l’INRAe, que je vous recommande.


examen des articles

Article 1er (article L. 331-2-1 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Moratoire de trois ans sur les installations, agrandissements et réunions d’exploitations agricoles dont les productions sont supérieures aux seuils correspondant aux catégories A et E de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Amendement de suppression CE5 de M. Jean-Baptiste Moreau.

M. Jean-Baptiste Moreau. Il n’y avait aucune condescendance ni aucun mépris dans mes propos, Madame la rapporteure, et d’autres personnes que des agriculteurs peuvent parler d’agriculture, bien entendu. Ce que je dénonce, c’est le fait que cette proposition de loi se trompe complètement de cible, puisqu’elle vise à interdire l’installation de toute nouvelle exploitation soumise à autorisation ou à enregistrement, selon la nomenclature des ICPE. Cela conduirait à interdire des exploitations de 150 vaches laitières, alors qu’un éleveur tenant une ferme avec ses deux fils atteint facilement ce seuil, sans qu’il s’agisse d’une ferme-usine, évidemment.

Je suis là pour débattre du fond. Or, de ce point de vue, le texte n’est ni fait, ni à faire. Disons-le clairement : il conduirait à interdire la moitié des installations d’élevages de poulets bio et Label rouge. En effet, il fixe le seuil à 30 000 animaux, ce qui correspond au nombre moyen de volailles dans des exploitations en Label rouge. Je conteste une telle vision de l’agriculture.

S’agissant de l’usage des antibiotiques, comme l’a souligné M. Antoine Herth, il a diminué de 37 % en dix ans en médecine vétérinaire. J’aimerais qu’on le souligne davantage. De combien l’usage de ces produits a-t-il diminué dans le même temps en médecine humaine ? L’antibiorésistance est un problème, effectivement. Pendant des années, un certain nombre de pratiques totalement inadaptées, notamment dans l’élevage, ont développé l’antibiorésistance. L’ensemble de la profession a travaillé sur ce problème, y compris avec le ministère – le plan Ecoantibio, lancé par M. Stéphane Le Foll, était une grande idée, et il a fonctionné. On ne peut donc pas dire que rien n’a été fait en la matière.

Nous aussi, à La République en Marche, nous sommes attachés aux exploitations familiales à taille humaine, et nous non plus nous ne voulons pas d’une agriculture mondialisée, mais l’agribashing, en particulier à travers des critiques systématiques adressées aux éleveurs de races à viande, cela ne fait pas bouger un sourcil des tenants de feedlots nord-américains ou d’immeubles de plusieurs étages servant à l’élevage des porcs en Chine ; en revanche, cela conduira à la disparition de notre agriculture.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. En ce qui concerne les antibiotiques, nous avons demandé au ministère de l’agriculture les chiffres par type d’élevage, pour savoir, par exemple, si les exploitations soumises à autorisation en utilisent davantage que les autres. Nous n’avons pas encore reçu de réponse.

Vous dites sans arrêt que vous défendez les éleveurs. Or, défendre les éleveurs, selon moi, suppose aussi de défendre le modèle qui leur permettra de continuer à être de véritables éleveurs, car dans les grosses structures, on n’élève plus rien du tout : on produit de la viande. Dire cela, ce n’est pas stigmatiser les éleveurs. Force est de constater que certains modèles ne relèvent pas de l’élevage. Il y a des éleveurs qui travaillent extrêmement bien. Or les petits élevages – je pense notamment aux élevages de porcs laineux en plein air, dans les zones de montagne – sont voués à la disparition du fait de l’industrialisation.

Il existe bel et bien plusieurs modèles agricoles ; la question est de savoir lequel on souhaite voir se développer. Prendra-t-on exemple sur les exploitations du nord de l’Europe ? Ce n’est pas possible. Tout à l’heure, j’entendais dire, que comme il y avait de moins en moins d’agriculteurs, c’était une bonne chose d’agrandir les structures. Or, tout au contraire, il faut faire en sorte que davantage de jeunes s’installent. Dans mon département, ceux qui souhaitent le faire n’arrivent pas à trouver des terres, car c’est l’agrandissement qui est privilégié.

En ce qui concerne votre amendement, au lieu d’essayer d’améliorer l’article, vous vous contentez d’en demander la suppression. Je ne vois pas l’intérêt de cette démarche. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Bénédicte Taurine a raison de dire qu’il faut verser des éléments au débat. En voici un, qui a trait aux États généraux de l’alimentation (EGA), organisés sur l’initiative du Gouvernement et dont les conclusions n’ont rien à voir avec la loi EGALIM – il y a un rapport de un à dix entre ce qui s’est passé lors des EGA et ce qui a été produit dans la loi ÉGALIM et ses décrets d’application. J’avais eu l’honneur d’animer l’atelier no 11 des États généraux, consacré à l’alimentation durable, laquelle suppose de promouvoir une agriculture écologique et solidaire – « de la fourche à la fourchette ». Il y avait autour de la table des représentants de la phytopharmacie, de l’industrie, des abatteurs et de la FNSEA, aussi bien que de Greenpeace. Or, sur les questions de condition animale, de repositionnement de la viande dans l’alimentation, ou encore de rapport au sol, nous avons obtenu des votes unanimes. Cela montre qu’il existe des voies de réconciliation, qui ont été indiquées lors des EGA. Je verse cet élément au débat en tant que socialiste, mais dans une perspective transpartisane.

J’ai appris deux choses lors de notre débat. D’une part, comme l’a souligné Mme Sylvia Pinel, il y a un problème d’autorisations d’urbanisme et de réglementation agricole. Ni elle, au ministère dont elle avait la charge, ni M. Stéphane Le Foll, n’étaient en mesure de contraindre. D’autre part, l’argumentaire le plus fort que j’ai entendu ce matin – j’en rends hommage à mon collègue et ami Thierry Benoit – soulignait la question du rapport au sol, à la terre. La réglementation française – et non européenne – en matière d’agriculture biologique résout le problème : dans ce cadre, ce type de concentration hors sol – car c’est bien de cela qu’il s’agit – n’est pas possible. Il y a là une source d’inspiration pour les certifications et réglementations futures : le rapport au sol reflète un équilibre des cycles minéraux – phosphore, azote, etc. – et nous dit quelque chose qui renvoie à la démarche « Une seule santé », pour la Terre et pour les hommes.

M. Guillaume Kasbarian. En ce qui concerne le modèle agricole, nous avons des points de convergence : moi aussi je préfère manger de la viande produite en circuit court, dans un élevage familial de ma circonscription. Je ne me lancerai donc pas dans une opposition entre les modèles qui, en réalité, n’existe pas vraiment.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec M. Potier quand il évoque un problème de réglementation. Lorsque l’on dépasse un certain nombre d’animaux – 800 pour les bovins, 40 000 pour les volailles, 2 000 pour les porcs, 250 chiens dans les élevages canins –, la création d’une exploitation agricole est soumise à un régime très complexe, dans le cadre de la nomenclature des ICPE. On vous demande une description du projet, une analyse de l’état initial de l’économie agricole du territoire concerné, une étude des effets du projet sur cet état, les mesures envisagées pour réduire les effets négatifs notables du projet, ou encore les mesures de compensation collective visant à consolider l’économie. Il ne faudrait donc pas laisser croire à ceux qui nous écoutent que l’on part de zéro : une réglementation existe bel et bien, elle est déjà très complexe et fonctionne bien. Elle permet à l’État d’effectuer tous les contrôles nécessaires au moment de la création d’une exploitation.

M. Cédric Villani. À force de parler de l’élevage, on finit par connaître par cœur la rhétorique qui est opposée chaque fois qu’une initiative vise à faire progresser les choses. On la retrouve d’ailleurs dans l’exposé des motifs de cet amendement de suppression. Premièrement, le concept est mal défini : qu’est-ce qu’une « ferme-usine » ? Deuxièmement, on nous reproche d’attaquer toute la filière : c’est une humiliation pour les paysans, dont on est si fier. Troisièmement, c’est pire ailleurs. On est fier des élevages familiaux français, et si la production n’est pas organisée selon ce système, il faudra importer des produits encore pires. Tout cela vise à empêcher que quoi que ce soit ne bouge.

Selon M. Kasbarian, il y a des modèles différents, mais il ne faut pas les opposer. Or l’enjeu est bien là, justement : les modèles en question sont très différents, il n’y a pas un modèle à la française, et le terme « fermes-usines » désigne certains modes d’élevage bien précis. Il convient de faire la différence entre les techniques d’élevage qui sont respectueuses du sol et qui l’enrichissent, comme le disait si éloquemment M. Thierry Benoit, les modes d’élevage qui relèvent d’une tradition millénaire et ceux qui sont apparus il y a quelques décennies avec l’industrialisation à tout-va. La chercheuse Jocelyne Porcher, directrice de recherches à l’INRAe, que cite Mme Bénédicte Taurine dans son rapport, et qui a passé sa vie à étudier les modes d’élevage, dit clairement que, même quand on aime l’élevage, il faut faire la différence entre ces différents systèmes. Soit dit en passant, elle devrait être sympathique à certains de nos collègues car elle pourfend inlassablement les végans et les antispécistes, entre autres.

Monsieur Moreau, vous reprochez à Mme la rapporteure de mal définir les fermes-usines. Eh bien, suggérez une autre définition ! Puisque vous dites vouloir favoriser l’élevage à taille humaine, respectueux des animaux, et non les exploitations où des dizaines de milliers de poulets sont entassés, disposant chacun d’une surface équivalente à celle d’une feuille A4, faites vous-même la distinction. Quoi qu’il en soit, cessez d’entretenir le mythe selon lequel il existerait un seul mode d’élevage à la française.

Mme Muriel Ressiguier. Il n’est pas question, dans cet article, d’éradiquer l’élevage industriel : il s’agit d’instaurer un moratoire de trois ans, car il y a bel et bien un problème. Doit-on continuer comme cela ? Les agriculteurs – en tout cas une majorité d’entre eux – sont en train de crever. Le taux de suicide est très alarmant. Nombreux sont ceux qui doivent vivre avec 400 à 450 euros par mois. Il n’est donc pas étonnant qu’il n’y ait pas beaucoup de candidats pour se lancer dans l’aventure. En supprimant cet article, vous ne réglez pas le problème des revenus. Vous ne proposez rien.

Nous sommes en désaccord et nous essayons d’avancer en réfléchissant ensemble. Des idéologies différentes sont en présence. Certains, qui sont productivistes, constatent que d’autres pays ont adopté le système d’exploitation dont nous parlons. Ferons-nous donc comme le Brésil ou les États-Unis, où il y a des élevages industriels absolument délirants ? On estime que 59 % des céréales produites dans le monde servent à nourrir les animaux, et 24 % des humains. Jusqu’où ce délire ira-t-il ? Quant aux conditions de travail, il faut payer les gens toujours moins, tandis que l’on abîme toujours plus la planète. Qu’allons-nous donc laisser à nos enfants ? Quel aura été notre rôle ? Il faut se poser ces questions.

L’enjeu n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre les agriculteurs, mais de choisir le modèle que nous voulons. Vous avez parlé d’aider les agriculteurs : nous attendons vos propositions. En l’occurrence, la question est de savoir qui est passéiste et qui est moderne. Détruire la planète, laisser mourir les animaux dans des conditions absolument abominables, est-ce être moderne ? Pour ma part, j’ai toujours pensé que l’on traite les animaux de la même manière que l’on se traite entre nous. Quoi qu’il en soit, de grâce, faites autre chose que supprimer tous les articles du texte !

Mme Sylvia Pinel. Je voudrais revenir sur les propos de M. Potier et de M. Kasbarian, et prendre l’exemple de la ferme des mille vaches. Lors de son installation, j’étais membre du Gouvernement. Je me souviens de l’émotion et de la forte opposition que le projet a suscitées, sur place et au-delà. Il ne se passait pas une semaine sans qu’une question d’actualité porte sur le sujet. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas demander l’autorisation de créer une telle exploitation, mais les règles d’urbanisme et le régime d’autorisation en vigueur n’ont pas permis au Gouvernement et aux autorités administratives, en dépit de l’opposition locale de l’ensemble des élus et de la profession, de refuser cette installation.

Je ne suis pas sûre que la ferme des mille vaches corresponde au modèle que nous souhaitons pour l’agriculture française – je me tourne, en disant cela, vers ceux d’entre nous qui exercent ou ont exercé une profession agricole. En tout cas, ce n’est pas celui que je souhaite.

Je me suis contentée de dire qu’une réflexion pourrait être menée pour améliorer et conforter le régime d’autorisation : il n’y a pas lieu de sur-interpréter mes propos. Par ailleurs, Monsieur Kasbarian, il est un peu caricatural de dire que nous avons laissé entendre qu’il n’était pas nécessaire de demander une autorisation.

Peut-être la proposition de loi ne répond-elle pas exactement au problème, mais on ne peut pas dire que celui-ci n’existe pas.

M. Thierry Benoit. Je rejoins totalement Mme Sylvia Pinel. Je suis convaincu qu’il y a un problème s’agissant de l’élevage industriel ou de l’industrialisation de l’élevage, même si je ne l’aborde pas de la même manière que Mme Taurine – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne peux pas soutenir sa proposition de loi.

J’ai eu la chance de visiter la ferme des mille vaches. L’une des questions que posent les élevages industriels de ce type – quels que soient les animaux concernés – est celle de leur acceptabilité. Il y a aussi la question du sens, celle du lien au sol. Je connais un peu la filière du veau de boucherie, par exemple. Eh bien, un veau de boucherie, en principe, est élevé avec du lait et non pas avec des substituts tels que de la poudre de lait. Des pratiques comme celles qui sont dénoncées ici posent donc question – en tout cas, elles me posent question. Cela n’a rien à voir, d’ailleurs, avec le modèle d’élevage que défend notre collègue Jean-Baptiste Moreau. Celui-ci est éleveur, et l’on aimerait voir de nombreux éleveurs comme lui, dont les animaux parcourent les pâturages. L’enjeu est que les éleveurs tirent un revenu de leur métier, ce qui pose également problème.

Pour en revenir à la ferme des mille vaches, les animaux y étaient élevés dans de bonnes conditions. Il n’en demeure pas moins qu’au terme de ma visite, qui avait duré une demi-journée, je m’étais dit que j’avais raison de ne pas soutenir ce modèle… J’avais d’ailleurs demandé à l’un des co-concepteurs du projet – qui avait mis dix ans à voir le jour, au terme d’un combat acharné ; l’un de ses auteurs était d’ailleurs décédé peu de temps après le début de l’exploitation – s’il était heureux de diriger cet établissement. Dans sa réponse, j’avais perçu beaucoup d’états d’âme. Entre-temps, la ferme s’est arrêtée et ce directeur s’est lancé dans une autre activité.

On voit bien qu’un tel système pose de multiples questions ; on ne peut pas les balayer d’un revers de main. Ce qui est sûr, c’est que nos débats doivent faire sourire nos amis Américains, qui, eux, ne s’embarrassent pas de tant de questions : il s’agit de têtes de bétail, élevées par milliers aux farines animales – si l’on prend l’exemple de la filière bovine – et placées dans des parcs, tandis que, chez nous, l’élevage dit « industriel » est limité et extrêmement réglementé.

J’ai effectivement assisté, ainsi que M. Cédric Villani, à l’une des auditions que vous aviez organisées, Madame la rapporteure, car elle me paraissait essentielle : je voulais savoir comment, au ministère de l’agriculture, on percevait les choses. J’ai été rassuré : nous avons vu des femmes et des hommes qui abordent la question avec la plus grande conscience et le plus grand sérieux.

Il faut que nous discutions de ces enjeux et que nous arrivions à définir un modèle. Il faut aussi continuer à rappeler que nos agriculteurs sont les acteurs de notre autosuffisance alimentaire, mais qu’ils doivent également – c’est en tout cas ma conviction – exporter et, ce faisant, contribuer à nourrir d’autres populations de la planète. C’est aussi là le rôle des 28 millions d’hectares de surface agricole utile que compte la France, et que nous voulons préserver, dans des conditions humaines et responsables à l’égard des êtres vivants que sont les animaux.

M. Philippe Bolo. À écouter nos collègues, il se confirme que le sujet nous fait réagir comme humains et comme animaux, si j’ose dire. Mais le moratoire tel qu’il est proposé, applicable aux exploitations relevant des catégories A et E du régime des ICPE, est problématique. Car si l’on considère les effectifs plancher pour appartenir à la catégorie E, comme je l’ai fait en ce qui concerne les vaches laitières, les porcs et les volailles, on constate – c’est le cas dans ma circonscription – que cette catégorie compte des exploitations à taille humaine, familiales, respectant des labels, où les exploitants font quotidiennement des efforts pour préserver leur environnement, assurer le bien-être de leurs animaux, rester fiers, mais où ils ne touchent pas des revenus à la hauteur de ce travail et de ces efforts. Il y a donc dans la mesure quelque chose qui ne va pas.

M. Yves Daniel. La proposition de loi a le mérite de nous permettre de nous poser ces questions. Je voterai l’amendement de suppression, mais n’en restons pas là : nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut trouver des réponses à ces questions. Voilà des décennies que l’on tient les mêmes discours sur l’agriculture et le besoin de la réconcilier avec la société – ce que l’on appelle aujourd’hui l’agribashing. À un moment donné, il faut passer des paroles aux actes. Le présent débat est l’occasion de le souligner.

Mais, pour poursuivre le travail ainsi entamé grâce à ce texte, peut-être faut-il commencer par cesser de parler de fermes-usines comme le fait son titre. Quand une usine ou une entreprise artisanale ou commerciale veut s’agrandir, on ne lui en conteste pas la possibilité. L’agriculture a sa particularité : un produit agricole ou alimentaire n’est comparable à aucun autre type de produit. Notre alimentation est un bien commun au même titre que l’air ou que l’eau. Par elle, l’agriculture doit assurer la santé de la planète et du vivant, dont nous autres humains.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. En ce qui concerne le nombre de vaches laitières par exploitation, nous en avons débattu avec les syndicats agricoles lors des auditions : il faut déterminer le nombre d’animaux nécessaire eu égard au revenu des éleveurs et à la structure, notamment. Ce n’est pas dans le cadre d’une « niche » parlementaire que l’on peut aborder une aussi grande variété de sujets. Nous avons donc choisi un aspect en particulier, et il peut paraître polémique. Mais l’objectif, qui semble atteint, était de soulever les bonnes questions et de permettre à chacun de proposer ses solutions ; on voit ainsi que ce n’est pas parce que l’on parle d’élevage que l’on verse dans l’agribashing, qu’il est possible de débattre sereinement d’un sujet qui est important, comme vos interventions le confirment. En ce sens, je suis satisfaite du rôle que joue notre proposition de loi.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé.

Article 2 (article L. 331-2-2 [nouveau] du code rural et de la pêche maritime) : Renforcement des contrôles des exploitations agricoles bénéficiant d’une autorisation correspondant à la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE)

Amendement de suppression CE6 de M. Jean-Baptiste Moreau

M. Jean-Baptiste Moreau. Les exploitations soumises au régime des ICPE sont déjà contrôlées. Nous ne refusons pas de changer quoi que ce soit au système d’autorisation et d’enregistrement, mais c’est la proposition de loi telle qu’elle est rédigée dont nous débattons ; or elle définit mal les fermes-usines. Nous aussi, nous sommes attachés aux exploitations familiales. Mais la « ferme des mille veaux », dans ma circonscription, qui a elle aussi beaucoup fait polémique, c’étaient cinquante agriculteurs qui se sont réunis pour engraisser ensemble leurs animaux, sur un terrain montagneux où, ne pouvant cultiver la nourriture des bêtes, ils ont fait construire un bâtiment éclairé par des lampes destinées au bien-être animal, au top, plutôt que d’envoyer leurs broutards par camion en Italie se faire engraisser dans des conditions non maîtrisées. Selon le texte, il s’agit d’une ferme-usine. Faut-il donc l’interdire ? Vaut-il mieux envoyer les broutards en Italie que les engraisser sur place, quitte à en regrouper 1000 sur un an ? Il s’agit d’un modèle vertueux de coopération entre agriculteurs pour acheter l’alimentation à moindre coût et réduire les coûts de production. Ce type d’élevage est parfaitement compatible avec l’objectif de développer les fermes familiales.

De plus, il n’est pas aberrant de se mettre à trois ou quatre pour traire les bêtes, de manière à pouvoir se relayer et accroître le nombre de vaches laitières. Le problème n’est pas le nombre, mais le type d’élevage. Je ne trouve donc pas condamnable en soi d’avoir, à quatre ou cinq associés, 200 vaches laitières sur 300 ou 400 hectares. Ce que je condamne, c’est le dogmatisme de votre approche.

Vous parlez de taxes à l’importation, mais les poulets brésiliens, produits dans des conditions catastrophiques, arrivent déjà en France alors même que l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur n’est pas signé. En instituant une taxe à l’importation, on créera une France à deux vitesses où les uns achèteront une viande de bonne qualité quand les autres n’auront pas les moyens de se procurer de la viande – c’est d’ailleurs le but des associations qui soutiennent un texte comme le vôtre : réduire la consommation de viande et l’élevage en France et dans le monde.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. L’article 2 concerne les contrôles, et votre amendement était motivé par le sentiment que leur périodicité annuelle serait excessive. Pourtant, les inspections ont lieu tous les sept ans en moyenne : c’est loin d’être suffisant. De plus, l’article ne porte que sur le contrôle des fermes-usines bénéficiant d’une autorisation. Ce ne sont donc pas 1 200 agents de la direction générale de la prévention des risques qui seraient concernés, contrairement à ce que vous écrivez dans l’exposé sommaire. Il faut contrôler davantage, mais aussi mieux former et accompagner les éleveurs pour qu’ils puissent changer de modèle.

Quant au nombre d’animaux, il est exact que la situation n’est pas la même selon que l’éleveur est seul ou intégré à un GAEC ou à une autre structure. De là à parler de bien-être animal « au top » à propos d’un bâtiment réunissant mille veaux… Le bien-être animal ne dépend pas seulement du type de structure.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé.

Après l’article 2

Amendements CE3, CE4, CE1 et CE2 de Mme Jennifer De Temmerman

Mme Jennifer De Temmerman. Je suis heureuse d’avoir entendu beaucoup d’entre vous dire qu’il fallait aborder le sujet des exploitations de type industriel en agriculture, sans caricature – un principe auquel je n’ai pas l’impression que nous nous soyons toujours tenus depuis le début de la discussion. J’ai aussi entendu dire qu’il ne fallait pas en rester là ; mais on répète cela depuis 2018 et la loi EGALIM, laquelle a été suivie d’autres textes, par exemple sur le bien-être animal, qui n’ont pas davantage fourni l’occasion d’un tel débat alors qu’ils l’auraient pu. « On en parlera plus tard » – mais quand ? Au prochain mandat ? Je ne sais pas si nous serons encore nombreux entre ces murs après 2022.

Parlons des bénéfices économiques. Le projet de Steenwerck, par exemple, ne crée qu’un emploi – et encore : en réalité, l’épouse de l’exploitant abandonne son autre activité professionnelle pour se consacrer à l’exploitation. Quant aux revenus des agriculteurs, ce n’est pas la concentration des exploitations qui leur permet d’augmenter, mais, au contraire, la conversion à l’agriculture plus raisonnée ou biologique, qui améliore aussi leurs conditions de vie.

Des critiques adressées au texte, il ressort qu’il était possible de procéder autrement que par des amendements de suppression : en amendant le titre pour modifier le terme de ferme-usine qui vous gênait tellement, en supprimant la catégorie E, bref en travaillant sur le texte pour commencer de poser des pierres à l’édifice. Il le faut car, malgré ce que vous dites, le système actuel comporte des failles qui permettent d’autoriser des projets inacceptables.

Mes amendements ont pour objet d’intégrer aux schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles des critères d’appréciation liés au bien-être animal et à la préservation de l’environnement. Voilà la pierre que j’apporte au débat, pour ne pas me contenter de rejeter ce qui vient des autres, mais contribuer à l’améliorer et à faire progresser la discussion. On ne peut pas attendre indéfiniment pendant que, sur le terrain, malgré l’opposition du public et des commissaires-enquêteurs qui relèvent des manquements graves en matière de bien-être animal et de respect de l’environnement, les projets sont autorisés, se poursuivent, se multiplient ; bientôt, ils ne seront plus marginaux.

Mme Muriel Ressiguier. Je suis favorable à ces amendements et je remercie leur auteur de sa contribution au débat. Je regrette moi aussi que d’autres amendements, sur le libellé du titre par exemple, n’aient pas été défendus. Certes, les mots que nous employons sont importants, mais on ne peut pas repousser sans arrêt un débat qui porte sur des sujets de fond : notre rapport au monde, à l’animal, à la terre et à l’homme. Je le répète, il ne s’agit absolument pas d’éradiquer un type d’élevage, ni la consommation de viande. Simplement, dans notre société, l’homme est pressurisé, les animaux sont maltraités, la santé humaine se dégrade ; il y va à la fois de la santé publique et de l’environnement. Nous aurons manqué ce rendez-vous ; c’est dommage. Mais je ne doute pas que le sujet resurgira.

M. Cédric Villani. Nous avons eu un bon débat : après un premier tour de parole un peu caricatural, le second a été beaucoup plus constructif, et nombre de ceux qui s’opposent au texte ont cependant admis qu’il fallait parler et reparler du sujet. Je salue donc l’initiative de Mme Bénédicte Taurine.

Si nous ne faisons rien, la situation ne va pas s’améliorer : les conditions très inquiétantes, et même inacceptables, dans lesquelles se trouvent nos éleveurs et notre élevage ne changeront pas d’elles-mêmes.

M. Jean-Baptiste Moreau a évoqué les poulets importés du Brésil. Ce n’est pas un modèle pour la France que d’essayer de rester en compétition avec JBS et autres gigantesques producteurs internationaux. Produire toujours plus à un coût toujours plus bas n’est pas un projet de société valable ; ce n’est pas ce qui fera la fierté de notre pays, ce n’est pas un domaine où la France pourra être compétitive.

En la matière, les évolutions sont lentes ; si nous attendons tranquillement qu’elles viennent à la faveur des changements d’habitudes des consommateurs, nous aurons peut-être des résultats dans un siècle ! Voyez le retard pris par les décrets d’application de la loi relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires, sujet évoqué au début de notre réunion, et il ne s’agit encore que de la loi : le temps que le consommateur dispose d’une information éclairée et que les comportements d’achat s’adaptent à celle-ci peut être très long.

Enfin, Mme De Temmerman a raison d’insister pour inscrire explicitement dans la loi l’expression « bien-être animal », s’agissant d’un domaine où, depuis des siècles, on s’autorise de l’intérêt suprême de la consommation pour s’affranchir de toute règle de respect du vivant.

M. Jean-Baptiste Moreau. Concernant le bien-être animal, il existe déjà des normes dont le respect est régulièrement contrôlé dans les nouveaux élevages.

Quant à l’angle du revenu, il est particulièrement inapproprié ici : les ateliers hors-sol d’élevage de volailles ou de porcs sont fréquemment créés par de jeunes agriculteurs qui s’installent, n’ont pas accès à des surfaces suffisantes du fait du prix élevé de l’hectare et y voient le moyen d’un revenu garanti, bien souvent supérieur à celui que leur procurerait une exploitation plus « vertueuse » ou extensive. L’enjeu est précisément de permettre aux fermes familiales, extensives, aux élevages de bovins de produire du revenu. C’est tout l’objet de la proposition de loi que M. Grégory Besson-Moreau va déposer dans les jours qui viennent. Car avant d’orienter les agriculteurs vers un nouveau modèle, il faut leur donner les moyens de vivre.

Vous voyez que nous ne faisons pas rien. Nous avons tiré les leçons de la loi EGALIM, qui n’est pas entièrement satisfaisante. Mais nous ne sommes pas favorables à des textes hyper-répressifs, allant contre les agriculteurs. Il faut les accompagner et leur permettre de vivre dignement de leur métier, le plus beau du monde selon moi.

Mme Bénédicte Taurine, rapporteure. Je suis favorable aux quatre amendements. Dans la situation où nous sommes, il faut réagir rapidement. Pourquoi donc avoir soustrait le sujet de l’élevage à la discussion de la proposition de loi sur la maltraitance animale ou du projet de loi climat ? Vous critiquez notre texte, mais vous avez manqué les occasions de poser les questions qu’il soulève. On a aussi laissé de côté le sujet des pandémies liées à l’élevage industriel et à la déforestation dont l’Europe est en grande partie responsable. Nous espérons que de futurs textes permettront de l’aborder, car il faudra bien finir par le faire.

La commission rejette successivement les amendements.

Article 3 : Gage

M. Mickaël Nogal, président. Seul le Gouvernement étant habilité à lever un gage, je propose que nous adoptions l’article.

La commission adopte l’article.

Elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

M. Mickaël Nogal, président. C’est donc le texte initial de la proposition de loi qui sera soumis à l’Assemblée lors de l’examen en séance publique – s’il peut avoir lieu, car il s’agit du neuvième point de l’ordre du jour du groupe La France insoumise pour sa journée de niche parlementaire.

 

 


—  1  —

 

Liste des personnes auditionnÉes

– Mme Lucile Leclair, journaliste, auteure de « Pandémies, une production industrielle »

Greenpeace

Mme Suzanne Dalle, chargée de campagne agriculture

– L214

Mme Brigitte Gothière, cofondatrice

– Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) *

M. Étienne Gangneron, vice-président

Mme Emma André, chargée de mission filières animales

M. Guillaume Lidon, responsable des affaires publiques

– Confédération paysanne *

M. Damien Houdebine, secrétaire national.

– Ministère de la transition écologique

M. Philippe Bodenez, chef du service des risques sanitaires liés à l’environnement des déchets et des pollutions diffuses

Mme Karine Boquet, sous-directrice « santé environnement, produits chimiques, agriculture »

Mme Alianore Descours, cheffe du bureau des biotechnologiques et de l’agriculture

– Audition commune :

WELFARM Protection mondiale des animaux de ferme

Mme Pauline di Nicolantonio, chargée de campagne

Compassion in World Farming (CIWF)

Mme Agathe Gignoux, chargée d’affaires publiques

– Jeunes Agriculteurs*

M. Basile Faucheux, vice-président en charge des affaires publiques

M. Jérôme Simon, directeur adjoint

– Mme Aurélie Trouvé, ingénieur agronome, maître de conférences en économie

– Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

M. Serge Lhermitte, chef du service « compétitivité et performance environnementale » au sein de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE)

Mme Urwana Querec, conseillère filières animales, santé et bien-être animal au sein du cabinet de M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

M. Jean-Luc Angot, inspecteur général de santé publique vétérinaire, chef du corps des inspecteurs de santé publique vétérinaire, président de la section « Prospective, société, international » du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


([1]) Mouret, Sébastien. « Travailler en élevage industriel de porcs : « On s’y fait, de toute façon c’est comme ça. » », Travailler, vol. 14, no. 2, 2005, pp. 21-46

([2]) Jocelyne Porcher, 2002

([3]) Porcher, Jocelyne. « Élevage/industriel : penser l’impensable ? », Travailler, vol. 14, no. 2, 2005, pp. 9-20

([4]) Compassion in World Farming (CIWF), par exemple

([5]) Greenpeace, Industrialisation de l’élevage en France. Le rôle des pouvoirs publics dans l’essor des fermes-usines, juin 2020, consultable en ligne : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2020/06/Rapport-industrialisation-de-l%C3%A9levage-en-France.pdf?_ga=2.164658102.807074784.1617810071-1400594506.1614242656 

([6]) Voir 3 du II du présent rapport

([7]) Idem

([8]) Votre Rapporteure regrette, en particulier, l’irrecevabilité de nombreux amendements du groupe France Insoumise sur différents textes traitant de la question agricole ou du bien-être animal.

([9]) Consultable en ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/conditions_de_vie_des_animaux

([10]) La Confédération paysanne utilise l’expression « fermes-usines » pour désigner des exploitations en élevage comme en cultures.

([11]) Ces trois premiers critères ont été plus particulièrement mis en évidence par les associations CIWF et Welfarm lors de leur audition par votre Rapporteure le 7 avril 2021

([12]) Ainsi que le soulignait Mme Lucile Leclair lors de son audition par votre Rapporteure le 2 avril 2021,

([13]) Ce critère est plus particulièrement celui mis en avant par la Confédération paysanne.

([14]) Jan Peter Van Ferneij, « Chine. Vers une plus grande concentration », IFIP 2017, consultable en ligne : https://www.ifip.asso.fr/sites/default/files/pdf-documentations/bpn2017-475-vanferneij.pdf

([15]) Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), L’Ombre portée de l’élevage, impacts environnementaux et options pour leur atténuation, 2006, consultable en ligne : http://www.fao.org/3/a0701f/a0701f.pdf

([16]) Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA), rapport au format Secten, juin 2020, consultable en ligne : https://www.citepa.org/wp-content/uploads/Citepa_Rapport-Secten_ed2020_v1_09072020.pdf

([17]) https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-36061-dossier-concertation.pdf

([18]) Greenpeace, De l’élevage industriel aux algues vertes en Bretagne, les errements de la politique agricole, juillet 2019, consultable en ligne : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2019/07/Etat-des-lieux_Greenpeace_Algues_vertes_VF.pdf?_ga=2.210065181.985105743.1617358747-1400594506.1614242656

([19]) Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA), rapport au format Secten, juin 2020

([20]) H. K. Gibbs et al., « Tropical forests were the primary sources of new agricultural land in the 1980s and 1990s », Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), vol. 107, no. 38, sept. 2010

([21]) Greenpeace, Mordue de viande. L’Europe alimente la crise climatique par son addiction au soja, juin 2019, consultable en ligne : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2019/06/hooked_on_meat_FR_web.pdf?_ga=2.221478810.36937936.1560344208-579628398.1560344208

([22]) Source : Ministère de l’agriculture

([23]) Sébastien Mouret, article précité

([24]) Coupe de la queue des cochons

([25]) La directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages disposait, au sein de son article 3, que « les États membres prennent les dispositions pour que les propriétaires ou détenteurs prennent toutes les mesures appropriées en vue de garantir le bien-être de leurs animaux et afin d’assurer que lesdits animaux ne subissent aucune douleur, souffrance ou  dommage inutile ». L’article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime dispose que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ».

([26]) Audition du vendredi 2 avril 2021

([27]) Lucile Leclair, Pandémies, une production industrielle, éditions du Seuil, octobre 2020

([28]) https://www.agrociwf.fr/actualites/2018/10/lunion-europeenne-interdit-lutilisation-prophylactique-dantibiotiques-pour-lagriculture#:~:text=Une%20%C3%A9tude%20r%C3%A9cente%20men%C3%A9e%20aux,des%20souches%20%C3%A0%20croissance%20rapide.

([29]) Magali Julé et Yohann Rivillon, « l’Industrie de la viande : premier secteur des industries alimentaires, touché par des crises répétées », Insee, 29 octobre 2018

([30]) Greenpeace, Industrialisation de l’élevage en France. Le rôle des pouvoirs publics dans l’essor des fermes-usines, juin 2020, consultable en ligne : https://cdn.greenpeace.fr/site/uploads/2020/06/Rapport-industrialisation-de-l%C3%A9levage-en-France.pdf?_ga=2.224040344.2019636188.1617722949-1400594506.1614242656

([31]) Pour ces deux premières productions, le nombre d’animaux est en diminution sur la période.

([32]) Le nombre de vaches allaitantes a, en revanche, augmenté sur la période.

([33]) Le nombre de poulets de chair et de poules pondeuses est, également, en forte augmentation sur la période.

([34]) Audition du 7 avril 2021. Les chiffres évoqués par M. Damien Houdebine sont ceux établis par l’INSEE en 2020 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717  

([35]) Consultable en ligne :  https://www.insee.fr/fr/statistiques/4277860?sommaire=4318291

([36]) L’expression est empruntée au rapport de Greenpeace précité

([37]) Audition du 7 avril 2021

([38]) Ce document est consultable en ligne : https://www6.paris.inrae.fr/depe/content/download/3390/33172/version/1/file/douleur-animale-rapport%5B1%5D.pdf

([39]) Le résumé de cette expertise collective est consultable en ligne : https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/esco-conscience-animale-resume-francais-8-pages.doc.pdf

([40]) Les Français et la condition animale, consultable en ligne : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2020/08/117511-Rapport-FBB-08.2020.pdf  

([41]) Audition du 7 avril 2021

([42]) Qui a définitivement cessé son activité laitière le 31 décembre 2020.

([43]) Jocelyne Porcher, « ̏Tu fais trop de sentiment̋, bien-être animal, répression de l’affectivité, souffrance des éleveurs », Travailler, 2002/2 n° 8, pages 111 à 134

([44]) Le dossier législatif est consultable en ligne :
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/parer_crise_alimentaire_agricole

([45]) Voir, par exemple, Jean-Claude Balbot et al., « La démocratie dans l’alimentation, seule réponse possible aux enjeux agricoles et alimentaires », Raison présente, 2020/2-3, pp. 163 à 172.

([46]) Sous-section 2 de la section 6 du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l’environnement ; art. L. 181-1 à 181-32, L. 512-1 et L. 511-1 du même code

([47]) Le décret n° 2016-1661 du 5 décembre 2016 modifiant le code de l’environnement et la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement a rehaussé ces seuils, dans le cadre du plan de soutien à l’élevage (juin 2015), faisant passer le seuil d’autorisation de 400 à 800 animaux pour ce qui concerne les élevages de veaux de boucherie ou de bovins à l’engraissement et de 200 à 400 vaches pour ce qui concerne les élevages de vaches laitières.

([48])  Les porcs à l’engrais, jeunes femelles avant la première saillie et animaux en élevage de multiplication ou sélection comptent pour un animal-équivalent. Les reproducteurs, truies (femelle saillie ou ayant mis bas) et verrats (mâles utilisés pour la reproduction) comptent pour trois animaux-équivalents. Les porcelets sevrés de moins de trente kilogrammes avant mise en engraissement ou sélection comptent pour 0,2 animal‑équivalent.

([49]) Décret n° 2013-1301 du 27 décembre 2013 modifiant la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement. Le seuil de l’autorisation a été harmonisé avec celui fixé dans la directive européenne sur les émissions industrielles (dite IED).

([50]) Audition du 6 avril 2021

([51]) 310 inspecteurs au total, représentant environ 200 ETP, selon les informations concordantes transmises par le ministère de la transition écologique et le ministère de l’agriculture et de l’alimentation