—  1  —

 

N° 4087

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 avril 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif ( 4013)

PAR M. Jean-Luc MÉLENCHON

Député

——

 

Voir le numéro : 4013

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS.................................................... 5

I. Le mode de scrutin actuel accentue la crise dÉmocratique

A. Un régime ultra-présidentiel renforcé par la nature des majorités parlementaires

A. B. Le scrutin uninominal nourrit une abstention massive

1. Un mode de scrutin particulièrement inégalitaire dont les effets sont décuplés par l’inversion du calendrier électoral

1. 2. L’abstention de plus en plus forte aux élections législatives : une « grève civique »

B. C. La stabilité institutionnelle est en déclin

II. Le mode de scrutin proportionnel est la norme démocratique

A. Les républiques françaises ont déjà connu la proportionnelle comme mode de scrutin

1. 1. Une revendication politique de longue date…

2. 2. …qui s’est déjà traduite dans l’histoire électorale française

B. Scrutin proportionnel et stabilité institutionnelle sont conciliables

C. D’autres démocraties utilisent la proportionnelle

III. cette proposition de loi peut être facilement adoptée par le Parlement

A. Elle reprend l’essentiel des dispositions de la loi du 10 juillet 1985

B. Le recours à la procédure accélérée peut permettre son adoption dans les délais

Examen de l’article unique

Article unique  (art. L. 123, L. 124, L. 125, L. 126, L. 154-1 [nouveau] et L. 156 du code électoral) Instauration d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour les élections législatives

Compte rendu des débats


—  1  —

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

La souveraineté du peuple est le principe fondateur du pouvoir républicain. Sans lui, sa légitimité s’effondre. Le souverain s’exprime pour prendre une décision à travers l’élection de ses représentants ou le référendum. L’usage de ce dernier devrait être renforcé, mais ce n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Les progrès de l’abstention à toutes les élections de représentants et en particulier pour celles des députés sont une alerte. Aux dernières élections législatives, elle était de plus de 50 %. Plus d’un électeur sur deux n’est pas allé voter pour cette assemblée nationale. Les élections suivantes, européennes, municipales et législatives partielles ont confirmé cette tendance.

Il ne s’agit pas d’une mode ou d’un désintérêt passif. L’abstention de masse doit se lire comme un message politique du peuple des citoyens. Une très grande partie d’entre eux sont entrés dans une « grève civique ». Elle est souvent motivée par l’idée d’une rupture entre les aspirations et les intérêts populaires et la vie des institutions dirigées par les gagnants des élections. Cette idée répandue s’appuie sur de solides faits. Comme par exemple, l’épisode du dernier référendum mené dans le cadre de la cinquième République. Victorieux dans les urnes en 2005, le « Non » au Traité établissant une Constitution pour l’Europe a été retourné par le Parlement trois ans plus tard. Dans cet épisode, la monarchie présidentielle s’est clairement opposée à la volonté populaire. Elle l’a fait à travers ses mécanismes principaux : la toute-puissance du Président de la République et le caractère écrasant de sa majorité parlementaire.

La Constitution de la cinquième République a été écrite dès le départ pour que l’exécutif puisse dominer le Parlement. L’euphémisme utilisé pour désigner cette méthode est « le parlementarisme rationalisé ». Depuis, cette disposition a constamment été accentuée. Le passage au quinquennat et l’inversion du calendrier électoral entre élections présidentielle et législatives ont par exemple engendré des majorités encore plus liées qu’avant au Président. Le mode de scrutin a beaucoup à voir avec l’effacement du Parlement. En effet, le scrutin majoritaire élimine ou minore la représentation de nombreuses sensibilités politiques. Celle du pouvoir en sort généralement renforcée. Tout cela culmine dans la période récente avec l’absence de délibérations publiques pour prendre les décisions importantes, le recours abusif aux ordonnances, les nombreuses tentatives pour amoindrir le temps de parole de l’opposition.

Dans son concept même, le scrutin uninominal majoritaire crée une distorsion de la souveraineté populaire. Il aboutit à la surreprésentation des opinions majoritaires et à la sous-représentation des opinions minoritaires. Cette déformation a atteint un tel point qu’il nuit au bon fonctionnement républicain des institutions. Ainsi, lors des dernières élections législatives, La République En Marche a obtenu 28 % des suffrages. Elle occupait pourtant 55 % des sièges de l’Assemblée nationale en 2017. À l’inverse, La France Insoumise avait réuni 11 % des suffrages pour obtenir seulement 3 % des sièges.

Il y a urgence à rétablir la situation. C’est pourquoi la présente proposition de loi reprend des dispositions ayant déjà eu cours dans notre pays. En effet son article unique réécrit le code électoral conformément à la loi de 1985, appliquée lors des élections législatives de 1986. Elle pourrait être votée et appliquée dès le prochain scrutin législatif, en 2022.


I.   Le mode de scrutin actuel accentue la crise dÉmocratique

La Ve République fêtera ses 63 ans le 4 octobre prochain. Sa Constitution a été écrite pour répondre à un moment de crise. Depuis, ses traits les plus monarchiques se sont accentués. Le rôle du Parlement a reculé. Les pratiques du Gouvernement autorisées par la Ve République pour minimiser sa place se sont aggravées et normalisées. L’adoption de l’état d’urgence sanitaire, sa reconduction ainsi que les multiples habilitations à prendre des ordonnances des dispositions de nature législative sont les preuves les plus récentes de cette tendance. Les effets combinés du scrutin majoritaire et de l’inversion du calendrier électoral sont aussi responsables de cette situation. Son résultat, nous l’avons sous les yeux. Ce sont les océans d’abstention qui accompagnent désormais chaque élection.

A.   Un régime ultra-présidentiel renforcé par la nature des majorités parlementaires

L’histoire constitutionnelle française est marquée par le recours aux assemblées constituantes. Les Constitutions des première, deuxième et quatrième Républiques ont été écrites de cette façon. Les lois constitutionnelles de la troisième République ont aussi été écrites par une assemblée, dans d’autres circonstances. Mais la rédaction de la Constitution de la cinquième a été différente. Elle a été le fait d’un petit comité de personnalités non élues, travaillant sous la direction de Michel Debré. La méthode de rédaction se ressent dans le contenu de la Constitution qui consacre un exécutif tout-puissant et un parlement atrophié.

La Constitution de 1958 prévoit d’importantes prérogatives confiées à l’exécutif et au Président de la République.  Ces pouvoirs exorbitants ont conduit à forger l’expression de « monarque présidentiel ».

Le Président de la République n’est pas responsable devant le parlement. Il n’existe pas non plus de mécanisme de référendum révocatoire. Par conséquent, il bénéficie de pouvoirs quasi-absolus. Cette irresponsabilité politique a d’ailleurs conduit à prendre des décisions contraires à l’expression de la souveraineté populaire. Ainsi, malgré la victoire du « non » lors du référendum du 29 mai 2005 sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, la France a ratifié sa copie conforme, le traité de Lisbonne, trois ans plus tard.

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a également illustré ce fonctionnement pyramidal et déséquilibré des pouvoirs publics. La plupart des décisions concernant les confinements, déconfinements, couvre-feux, fermetures de commerces sont prises par le Président de la République, dans un Conseil de défense dont les délibérations sont secrètes. Le Parlement est tout au plus invité en aval du processus de prise de décision pour des débats et des votes sans conséquences. La nature des majorités parlementaires de la cinquième République entretient cette irresponsabilité de l’exécutif.

Les prérogatives du Président de la VE République

Compétences propres

Article 5, 14 et 52

Diplomatie : le Président est garant du respect des traités, qu’il négocie et ratifie. Il accrédite les ambassadeurs étrangers

Article 8

Nomination du Premier ministre et décision de la fin de ses fonctions

Article 9

Présidence du Conseil des ministres

Article 11

Soumission d’un projet de loi au référendum sur proposition du gouvernement ou sur proposition conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat

Article 12

Dissolution de l’Assemblée nationale

Article 16

Pleins pouvoirs « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu »

Article 17

Droit de grâce

Article 18

Communication de messages au Parlement et prise de parole en Congrès

Articles 29 et 30

Convocation du Parlement

Article 56

Nomination de trois membres du Conseil constitutionnel et de son président

Articles 54 et 61

Saisine du Conseil constitutionnel d’un engagement international ou d’une loi

Compétences partagées

Articles 5 et 15

Chef des armées et garant de l’indépendance nationale ([1])

Article 8

Nomination des ministres et décision de la fin de leurs fonctions (sur proposition du Premier ministre)

Article 10

Promulgation des lois et demande d’une seconde délibération (après contreseing du Premier ministre)

Article 13

Nomination aux emplois civils et militaires de l’État, après examen des commissions compétentes de l’Assemblée nationale pour certains emplois précisés dans une loi organique ([2])

A.   B. Le scrutin uninominal nourrit une abstention massive

1.   Un mode de scrutin particulièrement inégalitaire dont les effets sont décuplés par l’inversion du calendrier électoral

La Constitution de 1958 ne prévoit pas les modalités d’élection des députés, qui sont renvoyées à une loi ordinaire. Ces dispositions figurent désormais au sein du code électoral.

Il existe trois principaux modes de scrutin : majoritaire, proportionnel ou mixte. Les gouvernements et les majorités parlementaires successifs de la cinquième République ont, à une exception près, privilégié le scrutin uninominal à deux tours, pourtant le moins égalitaire.

Les trois principaux types de scrutin

Il existe trois grandes familles de scrutin selon qu’ils sont majoritaires, proportionnels ou mixtes.

Les scrutins majoritaires permettent l’élection du candidat ayant obtenu le plus de voix. Il peut s’agir d’une élection à un tour, comme c’est le cas des élections législatives au Royaume-Uni et aux États-Unis, ou d’un scrutin à deux tours, comme c’est le cas des élections législatives françaises.

Les scrutins proportionnels permettent une répartition des sièges se rapprochant le plus possible des résultats électoraux. Ainsi, dans un scrutin proportionnel « pur » où 100 sièges sont à pourvoir, une liste réalisant 30 % des suffrages en obtiendra 30. Afin d’éviter une trop grande dispersion de la représentation, la plupart de ces scrutins prévoit toutefois un seuil électoral à partir duquel la liste est prise en compte dans la répartition des sièges. Le scrutin peut-être organisé à l’échelle d’une seule circonscription. Il s’agit alors d’un scrutin national, comme cela est par exemple le cas des élections législatives en Israël. Il peut aussi être organisé dans plusieurs circonscriptions, par exemple dans le cadre de circonscriptions pluri-régionales ou départementales, à l’instar du scrutin législatif français de 1986.

Les scrutins mixtes associent à la logique majoritaire des éléments du scrutin proportionnel. Leur objectif est de corriger la surreprésentation des listes victorieuses qu’entraîne ce premier type de scrutin et de garantir la représentation des partis minoritaires et d’opposition. Ce type de scrutin est utilisé dans le cadre des élections régionales et municipales des villes de plus de 1               000 habitants. Pour cette dernière élection, la liste arrivée en tête obtient la moitié des sièges à pourvoir tandis que l’autre moitié est répartie proportionnellement aux résultats électoraux.

Le scrutin majoritaire ne traduit pas fidèlement l’équilibre des forces politiques. Ainsi, en 2017, le parti politique présidentiel a obtenu 28,2 % des suffrages exprimés au premier tour, mais 53 % des sièges. La France insoumise a recueilli 11,02 % des suffrages, mais elle ne détient que 17 sièges, soit moins de 3 % du nombre total de députés, et à peine au-dessus du seuil de 15 députés permettant la création d’un groupe parlementaire.

À ces modalités de scrutin particulièrement injustes s’est ajoutée, en 2001, l’inversion du calendrier électoral. Depuis 2002, les élections législatives n’ont plus lieu en mars, mais en juin, c’est-à-dire après la tenue des élections présidentielles. Elles contribuent ainsi à l’obtention d’une majorité en faveur du Président de la République. Comme leur élection découle de celle du Président, les députés de la majorité lui sont souvent subordonnés.

1.   2. L’abstention de plus en plus forte aux élections législatives : une « grève civique »

Le recours au scrutin proportionnel s’était traduit, en 1986, par une augmentation importante de la participation des électeurs. Mais depuis 1988 et le rétablissement du mode de scrutin actuel, l’abstention aux élections législatives augmente à chaque nouveau scrutin, à l’exception d’un léger rebond en 1993. En 2017, pour la première fois pour des élections législatives générales, l’abstention était majoritaire.

Une augmentation STRUCTURELLE inquiétante de l’abstention AUX élEctions législatives

 

1988

1993

1997

2002

2007

2012

2017

Premier tour

34,26

31,07

32,08

35,58

39,58

42,78

51,3

Second tour

30,11

32,44

28,92

39,68

40,02

44,6

57,36

Source : données du ministère de l’Intérieur

Les six élections législatives partielles organisées en septembre 2020 ont atteint des niveaux d’abstention jusqu’alors inégalés, avoisinant voire dépassant 80 % ([3]). Cette abstention massive constitue une « grève civique » des citoyens électeurs. Leur retrait des urnes s’interprète comme une protestation radicale contre la forme des institutions ne permettant plus l’expression de la souveraineté populaire.

B.   C. La stabilité institutionnelle est en déclin

Les détracteurs du scrutin proportionnel mettent souvent en avant la nécessité de garantir la stabilité dans les institutions. Mais aujourd’hui, la stabilité institutionnelle de la Ve République est particulièrement fragile. Rappelons d’abord que la Constitution a été modifiée 24 fois, dont seulement 3 fois par référendum.

L’Assemblée nationale n’a jamais compté autant de groupes parlementaires que sous cette législature. La défiance de l’opposition vis-à-vis de l’action du Gouvernement se traduit par un nombre accru de dépôts de motions de censure. Cinq motions de censure ont été engagées depuis 2017 contre quatre pour la période 2012-2017 et trois pour 2007-2012.

En outre, depuis le début du quinquennat du Président de la République, 17 ministres ont quitté le Gouvernement, dont 13 étaient démissionnaires ([4]).  Cela fait des gouvernements Philippe les plus instables depuis le début de la cinquième République. D’ailleurs, la durée de vie moyenne des gouvernements depuis 1958 ne traduit pas une grande stabilité : elle est seulement de 17 mois.

II.   Le mode de scrutin proportionnel est la norme démocratique

A.   Les républiques françaises ont déjà connu la proportionnelle comme mode de scrutin

1.   1. Une revendication politique de longue date…

La question de l’introduction de la proportionnelle dans les scrutins électoraux s’est posée dès le début du XXe siècle.

En France, plusieurs personnalités républicaines ont créé dès 1901 la Ligue pour la représentation proportionnelle. Dans son étude sur les origines de cette revendication, le politologue Olivier Ihl constate que cette ligue « va accueillir de plus en plus de parlementaires et élargir ses bases partisanes jusqu’à pouvoir déposer en son nom propre un projet de loi en juin 1903 » ([5]). Pour le mathématicien et secrétaire général de la Ligue Émile Macquart, le scrutin proportionnel représente une « exigence logique de l’égalité de tous les citoyens devant l’urne du scrutin, un remède à des maux indéniables et un progrès manifeste » ([6]). À cette époque, l’instabilité était plutôt attribuée au scrutin majoritaire. Avant 1914, la majorité des socialistes et du parti radical militent pour le scrutin proportionnel. Il devient une revendication démocratique centrale.

2.   2. …qui s’est déjà traduite dans l’histoire électorale française

Le recours au scrutin proportionnel a déjà existé dans l’histoire électorale française. Il n’a jamais été la cause des maux qu’on lui attache ou de l’échec des régimes républicains précédant la cinquième république.

Pendant les soixante-dix ans de la IIIe République, la proportionnelle a été expérimentée entre 1919 et 1928, dans le cadre d’un scrutin mixte de liste plurinominal à un tour.

Un scrutin proportionnel dans des circonscriptions départementales était organisé sous la IVe République dès sa promulgation en 1946 et jusqu’en 1951. L’entrée en vigueur de la loi sur les « apparentements » cette année-là ([7]) a renforcé le fait majoritaire, sans pour autant contribuer à la stabilité du pouvoir.

B.   Scrutin proportionnel et stabilité institutionnelle sont conciliables

Les élections législatives de 1986 sont les seules à avoir été organisées dans le cadre d’un scrutin proportionnel. Ce type de scrutin n’a pas entraîné l’instabilité tant redoutée par ses détracteurs. Il s’est au contraire traduit par l’obtention d’une majorité claire.

Si la proportionnelle intégrale avait été le mode de scrutin en 2017, la composition actuelle de l’Assemblée nationale serait bien différente. Le groupe majoritaire aurait conservé sa majorité mais elle aurait été beaucoup moins importante. Ainsi, ignorer les oppositions, leurs amendements et leurs propositions aurait été beaucoup plus difficile. La plus grande pluralité représentée au Parlement aurait rétabli le sens de la délibération parlementaire et aurait annulé l’automaticité entre la volonté personnelle du monarque présidentielle et l’obéissance de la majorité parlementaire.

Répartition des sièges aux dernières élections législatives si la proposition de loi avait été adoptée

Source : Olivier Modez, « À quoi ressemblerait l’Assemblée nationale si les députés étaient élus à la proportionnelle intégrale ou partielle ? », Lemonde.fr, 24 février 2021

C.   D’autres démocraties utilisent la proportionnelle

Le scrutin majoritaire utilisé en France pour élire les députés n’est pas seulement minoritaire en Europe. Il est une exception dans le paysage institutionnel européen.

La plupart des pays ont recours au scrutin proportionnel pour élire leurs députés, de manière partielle ou intégrale.

Ainsi, en Italie, près des deux tiers des parlementaires élus à la Chambre des députés le sont dans le cadre d’un scrutin proportionnel. Pour les parlementaires dont l’élection se fait au scrutin proportionnel, il est fixé un seuil de 3 % des suffrages exprimés (pour les partis) et de 10 % des suffrages exprimés (pour les coalitions).

En Allemagne, les députés sont élus pour quatre ans par un mode de scrutin mixte. Les électeurs ont recours à un système de double vote et disposent de deux bulletins. La chambre est ainsi élue pour moitié à la proportionnelle.

En Espagne, tous les parlementaires sont élus au scrutin proportionnel. Les électeurs votent pour des listes dans les provinces du pays pour élire députés et sénateurs. Un seuil de 3 % est en vigueur.

De très nombreux exemples d’utilisation du scrutin proportionnel convergent tous vers le même résultat : il n’y a aucun lien entre le choix de ce mode de scrutin et l’instabilité gouvernementale.

III.   cette proposition de loi peut être facilement adoptée par le Parlement

A.   Elle reprend l’essentiel des dispositions de la loi du 10 juillet 1985

Le mode d’élection des députés n’est pas inscrit dans la Constitution. C’est un domaine réservé du législateur, dans les limites posées par l’article 24 de la Constitution qui impose la tenue d’un scrutin direct ([8]).

Les modalités d’élection des députés ont été modifiées à plusieurs reprises. Ainsi, l’ordonnance  58-945 du 13 octobre 1958 relative à l’élection des députés à l’Assemblée nationale prévoyait leur élection au scrutin uninominal majoritaire tel qu’il existe aujourd’hui. La loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relative à l’élection des députés a instauré un scrutin proportionnel. Il a été supprimé par la majorité parlementaire de droite en 1986, lors de l’entrée en vigueur de la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le gouvernement à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales.

La présente proposition de loi ne créé pas un régime juridique particulier ou novateur. Ses dispositions reprennent celles de la loi du 10 juillet 1985 et préconisent ainsi le retour à un mode de scrutin qui a déjà prouvé son efficacité.

B.   Le recours à la procédure accélérée peut permettre son adoption dans les délais

Prévue par l’article 45 de la Constitution, la procédure accélérée permet la convocation d’une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque assemblée. Elle est régulièrement utilisée par le Gouvernement : depuis le début de cette législature, il y a eu recours à 170 reprises.

Souvent utilisée comme un moyen d’empêcher le débat au Parlement alors qu’il n’y a pas de réelle urgence à légiférer, cette procédure pourrait être utile ici. Il n’est en effet plus possible de modifier les dispositions relatives à une élection moins d’un an avant le premier tour du scrutin, prévu en juin 2022. C’est la traduction du principe républicain de non-modification de la loi électorale un an avant le scrutin, désormais codifié depuis le 30 juin 2020 ([9]). L’utilisation par le gouvernement de la procédure accélérée suffirait pour que le Parlement vote cette loi dans des délais suffisants pour l’élection législative de 2022.


—  1  —

   Examen de l’article unique

Article unique
(art. L. 123, L. 124, L. 125, L. 126, L. 154-1 [nouveau] et L. 156 du code électoral)
Instauration d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour les élections législatives

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de cette proposition de loi instaure un scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel, pour les élections législatives.

       Dernières modifications législatives intervenues

Les articles L. 123, L. 124, L. 126 et L. 156 du code électoral ont été modifiés pour la dernière fois par la loi n° 86-825 du 11 juillet 1986 relative à l’élection des députés et autorisant le Gouvernement à délimiter par ordonnances les circonscriptions électorales, afin de rétablir le scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

La dernière modification de l’article L. 125 du même code a été introduite par la loi n° 2009-39 du 13 janvier 2009 relative à la commission prévue à l’article 25 de la Constitution et à l’élection des députés pour, d’une part, mentionner dans cet article le nouveau tableau 1 ter indiquant les circonscriptions électorales des Français établis hors de France et, d’autre part, prendre acte des modifications de la méthode de recensement de la population en supprimant une disposition devenue obsolète ([10]).

       Position de la Commission

La Commission a rejeté cet article.

  1. Un scrutin universel, direct et majoritaire organisé dans 577 circonscriptions

L’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 définit le suffrage comme étant « toujours universel, égal et secret ».               L’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 impose également, s’agissant des élections législatives, qu’il soit nécessairement direct.

Cette règle est déclinée au titre Ier du code électoral, l’article L. 1 du code électoral prévoyant que les élections législatives, ainsi que l’ensemble des élections concernées par ce titre ([11]), ont lieu au suffrage direct et universel.

Conséquence du dernier alinéa de l’article 3 de la Constitution, selon lequel « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques », l’article L. 2 précise que « sont électeurs les Françaises et Français âgés de dixhuit ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. »

Les modalités particulières d’organisation des élections législatives sont précisées, au sein du livre Ier du code électoral, dans le titre II relatif aux dispositions spéciales à l’élection des députés.

L’article L. 123 prévoit l’élection des députés au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Deux cas de figure, précisés à l’article L. 126, permettent la désignation du vainqueur de l’élection :

– une victoire au premier tour de scrutin pour le candidat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins un quart des électeurs inscrits ;

– une victoire au second tour de scrutin pour le candidat obtenant la majorité relative des suffrages exprimés.

Les députés sont élus dans des circonscriptions, dont l’article L. 125 du code électoral prévoit qu’elles sont déterminées conformément à trois tableaux, l’un pour les départements, l’autre pour la Nouvelle-Calédonie et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution ([12]) et le troisième pour les Français établis hors de France.

  1. La réforme proposée

L’article unique de la présente proposition de loi reprend plusieurs dispositions de la loi n° 85-690 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relative à l’élection des députés.

Le  réécrit l’article L. 123 afin de prévoir l’élection des députés, dans les départements formant chacun une circonscription, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Il prévoit une circonscription unique pour les députés élus par les Français établis hors de France.

Le  modifie l’article L. 124 pour instaurer une répartition des sièges à la proportionnelle pour les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.

Le propose une nouvelle rédaction de l’article L. 125 qui prévoit la répartition des sièges dans les départements selon plusieurs tableaux annexés au code électoral ([13])

Le abroge l’article L. 126 précisant les règles de majorité dans le cadre du scrutin majoritaire uninominal.

Le créé un nouvel article L. 154-1 prévoyant diverses modalités relatives aux déclarations de candidature et au dépôt des listes.

Enfin, le instaure une interdiction de candidater dans deux circonscriptions électorales ou sur deux listes.

  1. La position de la commission des Lois

L’article unique a été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

 



—  1  —

   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 14 avril 2021, la Commission examine la proposition de loi visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif (n° 4013) (M. Jean-Luc Mélenchon, rapporteur).

Lien vidéo :

http://assnat.fr/y2eVbn

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je rappelle que M. Alexis Corbière supplée M. Jean-Luc Mélenchon dans les fonctions de rapporteur.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Le 6 mai prochain, nous présenterons en séance publique ce texte, qui répond à la même préoccupation que la proposition de loi organique que nous venons d’examiner. À un an de l’élection présidentielle de 2022, il nous a semblé essentiel d’engager le débat sur ces deux textes majeurs, qui ont directement trait à la vie de nos institutions. Ces propositions de loi se veulent des outils au service de la participation populaire, dans un contexte marqué par une abstention massive, symptôme d’une résignation grandissante des citoyens, trop longtemps tenus à l’écart de la vie publique, faute de bénéficier d’une juste représentation de leurs idées. Je regrette que la première d’entre elles, portant sur la procédure des parrainages à l’élection présidentielle, ait été rejetée, alors que son objectif – ouvrir les modalités d’accès à l’élection présidentielle à tous les courants significatifs de la vie politique – aurait pu nous réunir.

Je forme le vœu que le second texte, que j’ai l’honneur de présenter au nom de Jean-Luc Mélenchon, connaîtra un sort différent et recueillera un avis favorable, d’autant plus qu’il s’inspire d’une promesse présidentielle et que cette réforme recueille le soutien de nombreux députés et groupes parlementaires. En effet, la proposition de loi que nous examinons vise à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif. Comme nous le savons – mais peut-être est-il nécessaire de le rappeler, pour ceux qui suivent nos débats d’un peu plus loin –, le code électoral prévoit l’élection des députés, tous les cinq ans, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans l’ensemble du territoire français et dans le monde entier, au sein de 577 circonscriptions. La victoire est acquise dès le premier tour au candidat obtenant la majorité absolue des suffrages. Dans le cas contraire, elle l’est au second tour pour celui qui recueille une majorité, même relative.

Partons d’un constat simple : ce mode de scrutin est particulièrement injuste, en ce qu’il contribue à des logiques d’élimination et de vote utile qui nuisent à une représentation équilibrée de l’ensemble des courants politiques. Il prive des millions de nos concitoyens d’une représentation politique fidèle à leurs idées. Lors des dernières élections législatives, en 2017, le parti majoritaire a obtenu 28 % des suffrages exprimés au premier tour mais détient aujourd’hui plus de la moitié des sièges. À l’inverse, La France insoumise a recueilli 11 % des voix, alors que notre groupe parlementaire ne compte que 17 sièges – soit moins de 3 % du nombre total des députés – à peine au-dessus du seuil des 15 députés permettant la création d’un groupe. Dans le même ordre d’idées, même si je le déplore, en raison du combat idéologique permanent que nous menons contre lui, le Front national – devenu depuis lors le Rassemblement national – avait obtenu, quant à lui, plus de 13 % des suffrages ; pourtant, il ne dispose que de 1,39 % des sièges et n’a même pas assez d’élus pour former un groupe parlementaire.

Depuis 2002, l’inversion du calendrier électoral amplifie l’injustice de ce mode de scrutin en érigeant les élections législatives en voiture-balai, si je puis dire, de l’élection du Président de la République. L’élection des députés conforte une dynamique ultra-présidentielle et, partant, une personnification doublée d’une concentration des pouvoirs. Je voudrais rappeler à ceux de nos collègues qui n’en sont pas convaincus que, pour la plupart d’entre eux, ils ont été élus en apposant la photographie du candidat à l’élection présidentielle à côté de la leur. Cela démontre que l’élection du député est de plus en plus liée à l’élection présidentielle.

Ces failles du scrutin majoritaire ne sont pas nouvelles. Plusieurs pays en ont pris acte dès le XIXe siècle en introduisant la proportionnelle dans les scrutins électoraux. En 1855, le Danemark était le premier pays au monde à imposer ce type de scrutin pour l’élection de sa chambre haute. La Belgique l’a suivi en 1899 pour l’élection des députés. Aujourd’hui, plus de vingt-et-un pays de l’Union européenne recourent au scrutin proportionnel, et cinq autres ont adopté un système mixte, c’est-à-dire associant des éléments du scrutin majoritaire et du scrutin proportionnel. Pour autant, que l’on sache, ces pays ne sont pas gangrenés par ce qu’on appelle l’« instabilité institutionnelle » – ce concept mériterait d’ailleurs d’être discuté, car il est parfois l’expression de la souveraineté. Ils ne sont pas gagnés par un chaos particulier. Du moins, les difficultés qu’ils peuvent rencontrer ne sont pas liées au système institutionnel mais à des problèmes politiques internes. Leur architecture institutionnelle repose sur un équilibre entre le respect du Parlement et une représentation plus fidèle des opinions politiques et de leurs citoyens.

Tel n’est pas le cas en France. Notre pays fait figure d’exception, puisqu’il est le seul à recourir au scrutin uninominal majoritaire quand tous ses voisins, à l’exception du Royaume-Uni, ont fait un choix inverse. En examinant l’histoire des grands débats institutionnels du siècle passé, on constate pourtant que l’idée proportionnaliste est loin d’être un concept neuf dans notre pays. Nos débats sont le fruit d’un long cheminement. Au début du XXe siècle, sous la houlette des républicains, apparaît la Ligue pour la représentation proportionnelle qui militait pour l’instauration de ce mode de scrutin. Quelques années auparavant, en 1875, le député républicain de la Seine Charles Pernolet déposait la première proposition de loi en faveur d’un scrutin proportionnel, défendant « la représentation proportionnelle de toutes les opinions et de tous les intérêts substitués à la représentation exclusive de la moitié des votants plus un, souvent même du tiers seulement ».

Avant la Première guerre mondiale, un large consensus transpartisan s’était formé en faveur de la représentation proportionnelle, qui rassemblait à la fois des socialistes, la gauche du parti radical, mais aussi la droite républicaine et les chrétiens-démocrates. Pourtant, jusqu’en 1986, la France a eu recours seulement à deux reprises à cette modalité d’exception. Pendant les soixante-dix ans de la IIIe République, la représentation proportionnelle a été expérimentée entre 1919 et 1928 dans le cadre d’un scrutin mixte de listes plurinominales à un tour. Sous la IVe République, un scrutin proportionnel dans des circonscriptions départementales était prévu dès sa promulgation, en 1946, mais il a été significativement réformé en 1951.

Dans les deux cas, l’instabilité du régime politique ne peut être sérieusement attribuée à ce mode de scrutin. Pour ne donner qu’un exemple, entre 1928 et 1940, soit en l’espace de douze ans, la France a compté vingt-huit gouvernements successifs et ce, malgré le recours au scrutin majoritaire. La brève expérimentation de la représentation proportionnelle dans notre histoire ne s’est donc pas interrompue du fait des conséquences néfastes qu’elle produirait sur notre système politique. Elle s’est à chaque fois heurtée aux intérêts électoraux des grands partis, qui ont préféré rétablir la logique majoritaire qui leur était favorable au détriment d’une meilleure représentation des électeurs au Parlement.

Sous la Ve République, un scrutin à la représentation proportionnelle intégrale, avec un seuil de 5 % des suffrages exprimés, n’a été instauré qu’une seule fois, pour les élections législatives de 1986. Contrairement à ce que craignaient ses détracteurs – ils étaient nombreux, et se sont fait entendre –, elle n’a pas entraîné d’instabilité. Au contraire, elle a permis à une majorité – de droite, à l’époque – d’arriver au pouvoir dans le cadre d’une coalition de partis. Si la proportionnelle intégrale avait été appliquée en 2017, les résultats des élections législatives auraient été très différents, sans que cela n’occasionne une dispersion trop importante de l’offre électorale. Le groupe majoritaire aurait recueilli une majorité relative et aurait dû travailler à la construction de coalitions pour appliquer sa politique, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens ayant adopté une forme de scrutin proportionnel. Son approche et sa pratique auraient été plus consensuelles et, surtout, la distribution des sièges aurait été plus conforme à la volonté des électeurs, qui est souveraine.

Ces débats ne se sont pas arrêtés en 1988, lorsque la majorité de droite a souhaité mettre un terme à la proportionnelle. Sous la précédente législature, les députés membres du groupe de travail Winock-Bartolone sur l’avenir des institutions ont ainsi recommandé l’instillation d’une dose de proportionnelle, voire l’instauration d’un scrutin mixte. Ils ont en effet estimé que les modalités actuelles de scrutin étaient non seulement injustes mais aussi responsables d’un bipartisme – ou d’un simili-bipartisme – qu’elles ont ancré dans notre vie politique. Dès le début de son mandat, et à peine quelques semaines après les dernières élections législatives, le Président de la République lui-même a partagé ce constat. Devant la représentation nationale, réunie en Congrès à Versailles, vous vous en souvenez peut-être…

M. Sacha Houlié. Vous y étiez ?

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Je n’y étais pas, cher collègue, mais vous, vous y étiez, et vous avez applaudi ! Le Président, disais-je, a déclaré : « La représentativité reste toutefois un combat inachevé dans notre pays. Je souhaite le mener avec vous résolument. Je proposerai ainsi que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle » – applaudissements nourris de M. Sacha Houlié (Sourires) – « pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées » – applaudissements encore plus enthousiastes de M. Sacha Houlié, et de quelques autres…

Cette réflexion a été relancée il y a quelques semaines par plusieurs responsables de formations politiques, dont le président Jean-Luc Mélenchon. Si nous partageons le constat du chef de l’État, nous nous distinguons fondamentalement de la position présidentielle en ce que nous estimons que l’application d’une simple mesure cosmétique, qui consisterait à favoriser l’entrée de deux ou trois élus d’opposition en plus au Parlement, ne permettrait pas de résoudre la profonde crise de confiance qui fragilise l’action publique. Nous considérons qu’il faut aller au-delà d’une simple dose de proportionnelle et en revenir au système électoral de 1986, et donc instaurer un scrutin proportionnel intégral à la plus forte moyenne. Tel est l’objet du texte soumis au débat ce matin.

En votant cette proposition de loi, vous adresseriez un premier signal fort aux électeurs, de plus en plus nombreux – nous venons d’en parler – à se détourner des urnes, alors que le recours au scrutin proportionnel s’est traduit, en 1986, par une forte augmentation de la participation. L’abstention aux élections législatives augmente à chaque nouveau scrutin depuis 1988, à l’exception d’un léger rebond en 1993. Je rappelle qu’en 1988, 30 % des électeurs s’étaient abstenus au second tour des législatives ; ils étaient plus de 57 % en 2017. Au second tour des élections législatives partielles organisées dans cinq circonscriptions, en septembre dernier, ce taux avoisinait, voire dépassait 80 %.

Cette abstention massive, symptôme d’institutions à bout de souffle, appelle une réponse commune du législateur : proposer un scrutin qui garantisse à chaque électeur la juste représentation ou la meilleure représentation de ses idées, et non leur écrasement au profit d’une logique majoritaire que je qualifierais d’anachronique, d’ultra-présidentialiste et dans laquelle nous voyons parfois l’expression de cette monarchie présidentielle que nous combattons. C’est la condition pour que l’expression du peuple souverain soit pleinement respectée.

Nous n’avons plus beaucoup de temps : aux termes de l’article L. 567-1 A du code électoral, cette proposition de loi doit en effet être adoptée au moins un an avant le premier tour des élections législatives de 2022. Alors que le rééquilibrage des pouvoirs publics constitutionnels est un impératif démocratique et que ce texte reprend clés en main le dispositif qui a été adopté en 1985 et appliqué l’année suivante, je m’étonne, avec les autres députés de mon groupe, que le Gouvernement n’ait pas souhaité avoir recours à la procédure accélérée, comme il le fait pourtant si souvent, afin de garantir l’adoption de la proposition de loi dans les meilleurs délais. Le groupe parlementaire La France insoumise reste optimiste : cette proposition de loi peut encore être discutée dans le délai imparti, et ses dispositions peuvent être promulguées dans quelques semaines, si la majorité et le Gouvernement s’en saisissent.

Il s’agit sans doute de la dernière occasion sous cette législature d’appliquer une réforme voulue par de nombreux citoyens et élus et, pour le groupe majoritaire, de garantir le respect de la parole du chef de l’État. Ce cher Sacha Houlié y sera certainement sensible ! (Sourires.) Je ne voudrais pas être le seul à défendre la proposition d’Emmanuel Macron – ce serait fâcheux ! –, qui s’était solennellement engagé devant les parlementaires à réformer ce mode de scrutin. Je vous sais conscients de l’urgence démocratique dans laquelle s’inscrit cette proposition de loi, et des attentes fortes des électeurs. J’espère que vous saisirez cette main tendue et voterez le texte afin d’éviter une nouvelle déception, et pour ne pas transformer nos échanges en une dernière occasion manquée.

Chers collègues, je pense sincèrement qu’il s’agit d’un enjeu fondamental. Ce sujet ne peut demeurer dans l’angle mort de notre réflexion ni de notre action. Nous aimons notre pays et, quels que soient nos programmes, nous ne pouvons pas accepter qu’une grande majorité de nos concitoyens ne se déplacent plus pour voter et ne se sentent pas représentés. C’est l’idée même de la République qui est en jeu.

M. Thomas Rudigoz. Le débat relatif au mode de scrutin – majoritaire ou proportionnel – est ancien, et peut-être aussi vieux que la République, comme l’a rappelé monsieur le rapporteur. Pour notre part, nous en parlons depuis le début de la législature. En 2017, le Président de la République Emmanuel Macron nous a fait part, lors de la réunion du Congrès à Versailles, de sa volonté de garantir une meilleure efficacité et une représentativité accrue du Parlement. Conformément à l’engagement présidentiel, le Premier ministre de l’époque Édouard Philippe a présenté, au début de l’été 2018, un projet de réforme institutionnelle contenant trois mesures fortes, plébiscitées par les Français : la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps, tant pour les parlementaires que pour les élus locaux, et l’élection de 15 % des députés au scrutin proportionnel, sur des listes nationales. L’élection de soixante-et-un députés à la représentation proportionnelle devait assurer une meilleure représentation parlementaire des différentes sensibilités politiques de notre pays. Nous estimons en effet que ce n’est pas en empêchant une formation politique d’extrême-droite de constituer un groupe à l’Assemblée nationale que nous lutterons durablement contre la montée de l’extrémisme et du populisme en France, mais plutôt en déconstruisant son idéologie par la force du débat dans l’hémicycle.

Malheureusement, cette réforme ne put être débattue, et encore moins votée, car, à la suite de ce qu’on a appelé « l’affaire Benalla », l’ensemble des oppositions parlementaires se sont livrées à une obstruction massive et quasiment sans précédent, obligeant le Gouvernement à retirer son projet de loi. En 2019, ce fut au tour du Sénat de refuser d’avancer sur la réforme institutionnelle.

Plus récemment, nous avons évoqué la question de la proportionnelle au sein de notre commission avec M. Jean-Louis Debré, ancien président de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel. Très défavorable à la proportionnelle, Jean-Louis Debré a considéré que l’objet d’un mode de scrutin n’est pas de donner une photographie de l’opinion publique. Si c’était le cas, a-t-il ajouté, la proportionnelle serait tout indiquée, mais il faudrait alors tenir des élections chaque année pour suivre la tendance de l’opinion publique. Il a dénoncé le risque d’instabilité, en prenant pour exemples les crises parlementaires et gouvernementales qui se sont succédé sous la IVe République. En se référant à l’esprit qui a caractérisé l’action de rénovation de nos institutions entreprise par le général de Gaulle en 1958 et consacrée par la promulgation de la Constitution de la Ve République, il a estimé qu’il fallait un scrutin majoritaire pour dégager une majorité stable, qui apporte son soutien à un gouvernement et lui permet de gouverner. Le politologue Maurice Duverger affirmait, lui aussi, qu’un bon système électoral n’est pas un appareil photographique, mais plutôt un transformateur qui doit changer en décisions politiques les préférences énoncées par les bulletins de vote. L’objet d’un mode de scrutin n’est pas d’assurer une stricte représentation des diverses tendances politiques, mais de permettre la constitution d’une majorité capable de s’entendre pour permettre à un gouvernement d’agir.

La proportionnelle intégrale, telle que vous la présentez, monsieur le rapporteur, c’est le scrutin de l’instabilité. Regardons l’Italie, avec son système mixte, où 61 % des députés sont élus au scrutin proportionnel, quand les autres le sont au scrutin uninominal majoritaire à un tour. La constitution d’une majorité forte y est, à chaque scrutin, une gageure. En découle l’instabilité gouvernementale, constante dans ce pays depuis des décennies, illustrée ces dernières années par l’alternance entre gouvernements populistes et techniques. Et encore s’agit-il d’un système mixte, et non de la proportionnelle intégrale telle que la proposent les députés de La France insoumise.

Par ailleurs, le scrutin majoritaire uninominal permet d’avoir des députés ancrés dans un territoire, y vivant, y travaillant et devant rendre compte à leurs administrés. L’électeur est plus enclin à rencontrer, questionner le candidat auquel il accorde son suffrage. Ce n’est pas le cas avec la proportionnelle. La proportionnelle intégrale consacrerait un rôle excessif des partis, et la constitution des listes serait décidée par les états-majors dans les antichambres du pouvoir. Ce serait la prime aux apparatchiks. En 1986, Dominique Strauss-Kahn, imposé par la direction nationale du Parti socialiste (PS) contre l’avis des militants locaux, était élu député de Haute-Savoie à la proportionnelle. Deux ans plus tard, il deviendra député du Val-d’Oise, bien loin des alpages savoyards.

Le scrutin majoritaire permet de dégager une majorité claire, élue dès le soir du second tour, tandis que, dans le cadre de la proportionnelle, si aucun parti n’obtient la majorité des sièges – objectif quasi irréalisable –, le jeu des alliances et des combinazione en tout genre se déploie. Raymond Barre affirmait, en 1977 : « Je ne crois pas qu’il faille faire du mode de scrutin un élément fondamental des institutions de la Ve République » – je le rappelle en particulier à l’attention de nos amis centristes, M. Barre ayant longtemps siégé au sein du groupe UDF, au côté de François Bayrou.

En cette période difficile, les Français ont d’autres préoccupations que la modification du mode de scrutin ; ils attendent autre chose de leurs représentants dans les derniers mois de la législature. Je serais, pour ma part, très mal à l’aise de voter cette réforme alors que nous vivons une crise exceptionnelle, à la fois sanitaire, sociale et économique.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche est défavorable à cette proposition de loi. Cela étant, nous reviendrons devant les Français, comme l’ont indiqué les présidents des groupes de la majorité parlementaire, le 17 mars dernier, avec une réforme institutionnelle prévoyant l’introduction d’une part de proportionnelle, mais aussi la limitation du cumul des mandats dans le temps et le renforcement du poids des parlementaires, grâce au rééquilibrage des pouvoirs exécutif et législatif.

M. Raphaël Schellenberger. Après avoir écouté l’orateur de La République en Marche, je comprends que cette question fera l’objet d’un débat interne au groupe majoritaire. Pour sa part, le groupe Les Républicains a une ligne très claire : que la proposition émane du groupe majoritaire, du MoDem ou de La France insoumise, nous y sommes opposés. En effet, nous tenons aux équilibres construits sous la Ve République de Michel Debré et du général de Gaulle, et à la capacité du député à être un élu de terrain, en prise avec les réalités concrètes. Nous voulons éviter que, par la nature du mode de scrutin proportionnel, il se retrouve complètement déconnecté des réalités vécues par les Français.

Il est vrai que la fonction du député a beaucoup changé sous l’effet de la succession récente des réformes. Je pense notamment à celle qui s’applique à nous pour la première fois, à savoir la fin du cumul des mandats. Cette dernière a profondément modifié la manière dont nous construisons nos relations avec le territoire, avec les réalités quotidiennes, et la perception que nous en avons. Cette décision aura sans doute des conséquences plus fortes que celles qui pourraient résulter de n’importe quel changement du mode de scrutin. Nous avons une réflexion à mener sur la place du député dans son territoire, les outils dont le député dispose pour établir les liens avec sa circonscription et y conduire son action.

Instaurer le scrutin proportionnel irait à l’encontre de l’objectif que nous devons viser, à savoir rapprocher les députés de leur territoire. J’ai été élu dans un département qui compte six députés. Si, demain, nous adoptions le scrutin proportionnel à l’échelle du département, il y a fort à parier que cela renforcerait les jeux d’appareils, l’influence des apparatchiks, et que cela conduirait à des parachutages dans certaines circonscriptions, en particulier celles qui sont favorables électoralement. Par son ADN, mon territoire rejette de telles méthodes. On assisterait forcément à une concentration des candidatures dans les grands pôles urbains, qui représentent beaucoup de voix, plutôt que dans les territoires plus éloignés. Or, ces derniers sont confrontés à des problématiques qui méritent de recueillir l’attention des parlementaires, lesquels doivent intervenir pour porter certains sujets à la connaissance des ministères et des administrations centrales. Les députés sont souvent les élus les mieux placés pour faire avancer ce type de dossiers. Certaines questions pourraient être ignorées ou oubliées par des parlementaires élus au scrutin de liste, même départemental – je pourrais vous dresser une liste longue comme le bras de ce type de sujets dans ma circonscription. On risquerait de ne traiter que deux ou trois grands thèmes, au détriment des dossiers concernant les entreprises, les associations, les infrastructures, l’aménagement, qui nécessitent des interventions législatives.

Nous devons donc travailler, à rebours de l’instauration de la proportionnelle, sur les outils dont disposent les députés pour rester connectés au terrain. La proportionnelle nous éloignerait, nous enfermerait dans l’entre-soi, dans des débats idéologiques très éloignés des préoccupations des Français. Elle accentuerait, contrairement à ce que vous prétendez, monsieur le rapporteur, la dépendance des élus à leur parti politique. Le critère déterminant ne serait pas la capacité à régler les problèmes des Français, mais la fidélité et la loyauté aux groupes et aux partis politiques. C’est l’inverse de ce dont nous avons besoin, à savoir de députés libres, forts, ancrés territorialement, à même d’exprimer clairement la voix de leurs concitoyens, y compris quand ils doivent, pour ce faire, contredire la position de leur groupe parlementaire ou de leur parti.

Le groupe Les Républicains sera, de manière constante, opposé à cette réforme, qu’elle émane de La France insoumise, du MoDem ou de la République en marche.

Mme Blandine Brocard. Le fonctionnement de notre démocratie et de nos institutions est en souffrance : ce constat est largement partagé par les élus et, surtout, par les Français. Nos compatriotes voudraient se sentir vraiment représentés. Or pour instaurer une juste représentation, il faut instaurer la proportionnelle aux élections législatives. C’est un objectif largement partagé par les Français, comme j’ai pu le constater lors du Grand débat national.

Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés souhaite de longue date que soit réintroduite la proportionnelle. Ce mode de scrutin n’a été appliqué qu’aux élections législatives de 1986. Quelques mois plus tard, l’une des premières initiatives du Premier ministre nouvellement nommé, Jacques Chirac, a consisté à rétablir le scrutin majoritaire, toujours en vigueur.

J’avais rejoint le Mouvement démocrate dès 2007, en raison, entre autres, de sa volonté de redonner tout son éclat et toute sa vitalité à notre système démocratique, de son ambition d’œuvrer à l’indispensable modernisation du fonctionnement de nos institutions. Nous en aurions particulièrement besoin en cette période de crise sanitaire, où notre démocratie est mise à rude épreuve.

La proportionnelle semble être un serpent de mer politique. Elle a figuré dans les programmes de plusieurs candidats à l’élection présidentielle, notamment dans ceux de deux candidats élus, Nicolas Sarkozy et François Hollande, qui n’ont pas traduit leur promesse de campagne dans le code électoral. Emmanuel Macron a souhaité, à son tour, « que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées ».

Cette conviction, défendue par mon groupe, vise principalement à assurer une représentation politique des Français la plus juste et la plus fidèle possible. Il s’agit de faire en sorte que notre assemblée soit le miroir de la nation. Sans cela, nos concitoyens ont le sentiment de vivre une sorte de trahison représentative, et je les comprends. Scrutin après scrutin, nous voyons s’amplifier la désaffection des Français pour les consultations électorales et, plus largement, pour nos institutions démocratiques. L’abstention et la défiance sont les fossoyeurs de notre démocratie. Pour ma part, je refuse de rester les bras croisés lorsque je vois mes concitoyens se détourner de nos institutions. Le scrutin proportionnel n’est évidemment pas la seule solution à ce problème, mais il constitue un levier d’une puissance considérable.

Je sais que cette mesure suscite des inquiétudes – certaines ont d’ailleurs déjà été exprimées. La première crainte découle des élections législatives de 1986, qui ont vu l’entrée de l’extrême-droite à l’Assemblée nationale. Cependant, je crois profondément à l’intelligence de nos concitoyens et je leur fais confiance quant aux choix qu’ils seront amenés à faire. Plus encore, je préfère de très loin que le débat se déroule au sein de notre hémicycle, plutôt que de voir certains alimenter le ressentiment des Français en courant sur les plateaux des chaînes d’information en continu sans réaliser le travail sérieux et concret que nous menons à l’Assemblée nationale. La deuxième inquiétude porte sur l’absence de majorité qui découlerait de ce mode de scrutin. Au contraire, le scrutin proportionnel vise aussi à renforcer la légitimité de notre Parlement et à maintenir la stabilité du régime de la Ve République – vous l’avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, en évoquant les législatives de 1986.

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la crise de légitimité de la représentation dont souffre notre assemblée et qui fragilise notre démocratie. Contrairement à ce qu’a expliqué M. Rudigoz, les modes de scrutin pratiqués ailleurs en Europe ont démontré l’efficacité de la proportionnelle, car la formation de coalitions et le travail mené en commun par différents partis ne peuvent que renforcer les régimes politiques. Il est grand temps que notre pays s’engage à son tour dans cette direction – il y est largement prêt.

Certains prétendent que les conditions de la mise en œuvre d’une telle réforme ne seraient pas réunies. Il est évident qu’il n’y aura pas de moment naturellement propice : ce moment viendra lorsque nous l’aurons décidé. La crise sanitaire ne nous dispense pas des exigences démocratiques quant à la représentation de nos concitoyens, bien au contraire.

Le président de notre groupe, Patrick Mignola, a déposé au début de l’année une proposition de loi relative au scrutin législatif à la proportionnelle intégrale, ainsi qu’une autre proposition de loi visant à introduire une dose de proportionnelle lors des élections législatives. Au mois de janvier, le MoDem a également publié un livre blanc dans lequel il recommande le retour du scrutin de liste proportionnel pour les élections législatives. Vous le savez, nous sommes particulièrement mobilisés sur ce sujet, depuis très longtemps. Nous devons en débattre et avancer ; cette proposition de loi nous en donne aujourd’hui l’occasion. Aussi, fidèles aux valeurs que nous défendons depuis tant d’années et à notre volonté de donner à notre assemblée le vrai visage politique de la France et des Français, nous voterons en faveur de ce texte.

Mme Cécile Untermaier. Dans ce monde nouveau, face aux défis majeurs auxquels nous sommes confrontés, comment pouvons-nous œuvrer collectivement ? C’est la question à laquelle le groupe La France insoumise a tenté de répondre dans le cadre des deux propositions de loi que nous examinons ce matin. Nous ne pouvons que partager cette ambition. Pour ma part, je considère que les réformes institutionnelles peuvent contribuer à ce travail collectif. Je remercie donc nos collègues d’avoir inscrit ces deux textes à l’ordre du jour : cela nous permet de débattre de la question des institutions, qui est loin d’être secondaire. On ne peut pas considérer que seuls l’économique et le social sont susceptibles de susciter l’intérêt de nos concitoyens. Les institutions sont notre patrimoine : elles ne doivent pas organiser la confiscation, mais le partage du pouvoir. « L’un des moyens fondamentaux pour que les citoyens s’intéressent à nouveau à un jeu auquel ils ne croient plus, c’est de leur donner la possibilité d’en récrire au moins partiellement les règles », disait Michaël Foessel en novembre 2014, dans le cadre du groupe de travail sur l’avenir des institutions coprésidé par Michel Winock et Claude Bartolone, auquel j’ai également participé.

La volonté de restaurer le lien entre les citoyens et leurs représentants ne peut sans doute pas aller jusqu’à la constitution d’assemblées miroirs, dont la composition refléterait la société. Nous devons certes nous interroger sur certains écarts très profonds, qu’il convient de combler en adoptant des dispositions favorisant la parité ou même en révisant la Constitution. Mais je ne suis pas sûre que les dispositifs proposés permettent d’aller dans ce sens – bien au contraire.

Il faut renouveler les élus et diversifier les profils : c’est aussi votre préoccupation, monsieur le rapporteur, et nous sommes évidemment d’accord avec vous à ce sujet. On aurait d’ailleurs pu imaginer un lien entre la participation citoyenne, que vous entendiez encourager dans votre première proposition de loi, et la proportionnelle intégrale, que vous proposez maintenant d’instaurer, car ces deux réformes poursuivent le même objectif.

Il n’y a pas de corrélation entre l’instabilité gouvernementale et le scrutin proportionnel – il faut le dire, car l’argument a souvent été utilisé pour s’opposer à l’instauration de ce mode de scrutin. Il faut également souligner que le scrutin proportionnel favorise l’élection de députés appartenant à des formations politiques plus extrémistes, alors que l’exclusion de ces partis nourrit la défiance envers le système institutionnel. Le scrutin de liste permet aussi, sans doute, une meilleure représentation des femmes. Cependant, l’idée d’instaurer la proportionnelle intégrale pour répondre à la crise démocratique, à un moment où l’image des partis est très dégradée, nous semble déconcertante. En effet, les listes seraient établies par des partis qui ne bénéficient pas de la confiance des citoyens. Nous pouvons d’ailleurs tous constater que le mode de scrutin utilisé lors des élections régionales ne favorise pas l’ancrage territorial des élus régionaux. Ce souhait d’une meilleure représentation de la société à l’Assemblée nationale, que nous partageons, nous semble pouvoir être réalisé par d’autres voies.

Vous l’avez compris, nous écartons l’idée d’une proportionnelle intégrale, parce que ce n’est plus le moment de l’imaginer. Pour atteindre le même objectif, d’autres réformes nous semblent majeures. Dans le cadre d’un renforcement du statut de l’élu – un autre serpent de mer –, il conviendrait peut-être de réfléchir au devenir de l’élu après son mandat. Je pense aussi au non-cumul des mandats : cette avancée importante favorise la diversité, mais il s’agit, à mon sens, d’une réforme inachevée, puisqu’elle a fait l’impasse sur l’action locale du député et sur son rôle essentiel de lien entre les niveaux national et local. Il faut également valoriser l’action publique dans les associations, car la démocratie ne se joue pas seulement au Parlement et à l’Élysée. Une autre réforme fondamentale serait l’inversion du calendrier électoral ; la prééminence de l’élection présidentielle sur les élections législatives pose problème, et nous faisons amende honorable de cette erreur.

Je vous invite à relire les propositions du groupe de travail sur l’avenir des institutions coprésidé par Michel Winock et Claude Bartolone, dont vous avez bien voulu parler. Si nous sommes favorables à l’introduction d’une dose de proportionnelle, nous insistons sur le fait que cette solution ne serait que partielle et qu’elle ne permettrait pas, à elle seule, de résoudre la crise de la démocratie.

M. Christophe Euzet. Je remercie une nouvelle fois monsieur le rapporteur, qui a ouvert le débat sur un sujet encore plus important que celui dont nous avons discuté précédemment. Je vais immédiatement mettre fin au suspense : le groupe Agir ensemble est globalement opposé à cette proposition de loi, mais il la considère avec beaucoup d’attention.

Nous sommes véritablement confrontés, dans notre pays, à un problème de représentation, lié en tout ou partie à l’ampleur de l’abstention. Ce problème me paraît d’abord psychologique. Nous élisons en effet de nombreux représentants, qui siègent à l’échelle européenne, nationale – je pense aux députés et aux sénateurs –, régionale, départementale ou communale, sans parler des élus présents au sein des établissements publics de coopération intercommunale. Avec près de 620 000 élus, la France est d’ailleurs le pays dont le nombre de représentants par habitant est le plus important au monde. Aux élections européennes, régionales et communales, il existe déjà des mécanismes de scrutin proportionnel, avec un correctif majoritaire. Le problème est aussi sociologique, car la représentation des différentes catégories socio-professionnelles est déséquilibrée, mais cet obstacle est sans doute plus d’ordre éducatif qu’institutionnel. Comme vient de le dire Cécile Untermaier, la proximité de l’élection présidentielle et des élections législatives, la première précédant les secondes, pose un problème structurel. Raphaël Schellenberger a également évoqué un problème touchant au statut du député : la fonction des parlementaires, très mal comprise, mériterait de faire l’objet d’une réflexion plus globale. Enfin, il faut en convenir, il existe un problème lié au mode de scrutin lors des élections législatives, car l’ensemble des sensibilités politiques de notre pays ne sont pas représentées dans notre hémicycle.

La représentation proportionnelle a des vertus incontestables. Elle assure une meilleure représentation des nuances et des sensibilités politiques, ce qui permet une meilleure acceptation du système institutionnel. S’il n’est pas certain que ce mode de scrutin entraîne nécessairement une baisse de l’abstention, il favorise indéniablement la discussion et la construction de coalitions, ce qui peut avoir un certain intérêt. Dans le cadre d’un scrutin de liste, on vote plus pour un parti dont on se sent proche que pour des candidats que l’on veut faire gagner.

Il n’en demeure pas moins que le scrutin proportionnel pose un certain nombre de problèmes. Je ne m’inquiète pas du fait qu’il pourrait favoriser l’arrivée des extrêmes dans notre assemblée : si le vote des électeurs se porte sur les extrêmes, pourquoi ces derniers ne seraient-ils pas représentés ? Je ne crois pas non plus au risque d’émiettement de la représentation, puisque le système de représentation proportionnelle inexacte, par département, que vous proposez, écrase les petits partis. Par ailleurs, compte tenu des mécanismes du parlementarisme rationalisé que nous connaissons, il me semble tout à fait possible de gouverner avec une majorité plus morcelée. En revanche, je déplore la faiblesse du lien qui s’établit entre une liste et le corps électoral ; dans le contexte de défiance entre les partis politiques et les citoyens rappelé par Cécile Untermaier, le recours à des listes établies par des formations politiques très largement rejetées par les Français n’est probablement pas une bonne idée. En outre, ce mode de scrutin entraînerait la disparition des candidats individuels, puisque toute candidature devrait passer par le filtre des partis. Je ne reviens pas sur les effets de la représentation à la plus forte moyenne.

J’aimerais attraper la perche que vous nous tendez, monsieur le rapporteur, et vous proposer une position intermédiaire tenant compte des avantages et des inconvénients que je viens d’exposer. Ma solution, qui s’inspire du système mixte pratiqué notamment en Allemagne, consiste à élire la moitié des députés dans des circonscriptions, au scrutin uninominal majoritaire à deux tours – cela en ferait des élus de terrain, qui se sont présentés personnellement devant les électeurs –, tandis que la seconde moitié des sièges serait pourvue à la représentation proportionnelle, et dans un cadre régional afin de maintenir un rattachement territorial. Je vous invite à réfléchir à un tel dispositif.

M. Pascal Brindeau. Avec cette deuxième proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous continuez de remettre en cause l’équilibre et les principes qui fondent la Ve République – c’est d’ailleurs ce que vous avez expliqué vous-même au début de notre réunion. Vous appelez de vos vœux une nouvelle République, fondée sur une autre logique institutionnelle.

En proposant d’instaurer la proportionnelle intégrale, vous essayez de traiter deux questions.

Tout d’abord, vous tentez d’assurer une représentation plus juste des forces et sensibilités politiques au sein de l’Assemblée nationale. Or le problème n’est pas tant le mode de scrutin que la concordance, depuis l’instauration du quinquennat, entre l’élection présidentielle et les élections législatives : les secondes étant organisées immédiatement après la première, les députés de la majorité procèdent du Président de la République. Il en résulte une extrême faiblesse du Parlement, ou en tout cas une très grande dépendance de l’Assemblée nationale et de sa majorité au Président de la République. Nous voyons tous les jours, à l’occasion de l’examen de chaque projet de loi, que le Premier ministre et les ministres ne sont que les courroies de transmission des choix effectués par le Président de la République. En ajoutant l’hyper-centralisation et l’hyper-personnalisation de l’exercice du pouvoir – la pratique pourrait pourtant être différente, y compris dans notre cadre institutionnel actuel –, on arrive à la catastrophe que nous vivons aujourd’hui : l’Assemblée nationale est réduite à un rôle de bavardage, et non de décision, ce qui aggrave encore la déconnexion entre nos concitoyens et leurs représentants. Nous partageons donc votre constat, mais les mesures à prendre pour remédier au problème dépassent largement la question du mode de scrutin.

La deuxième question à laquelle vous essayez de répondre n’est pas d’ordre politique, mais sociologique : comment pouvons-nous faire en sorte que les élus ressemblent davantage à leurs concitoyens, et que ces derniers se sentent mieux représentés et retrouvent confiance dans la pratique démocratique ainsi que dans le processus électoral, ce qui nous permettrait de mieux lutter contre l’abstention ?

À l’UDI, nous sommes favorables à l’instauration d’une proportionnelle mixte. La proportionnelle intégrale présente en effet plusieurs inconvénients, même lorsqu’elle est appliquée à des circonscriptions départementales, comme cela avait été le cas en 1986, avec les résultats que l’on sait. Rappelez-vous qu’à l’époque, François Mitterrand avait choisi ce mode de scrutin par pur calcul politique – sa réélection en 1988 a montré qu’il avait gagné son pari.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. C’était une promesse électorale…

M. Pascal Brindeau. Il n’aura échappé à personne qu’un candidat pouvait faire une promesse électorale pour des raisons de tactique politique, et que ce genre de calcul pouvait aussi être fait par le candidat que vous soutenez, monsieur le rapporteur. En réalité, la proportionnelle intégrale a deux conséquences. D’une part, elle remet en cause l’attachement des députés à un territoire, en vertu d’un principe appliqué depuis la Révolution. D’autre part, elle entraîne l’élection d’apparatchiks dans une assemblée qui en compte déjà beaucoup trop.

M. Bastien Lachaud. Voilà qu’est enfin organisé un débat parlementaire sur l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. Je dis « enfin » car, comme l’a dit notre excellent rapporteur, cette question est posée dans le débat public depuis longtemps. Avant l’élection présidentielle, on promet toujours de tout changer – on promet même un nouveau monde –, et on promet donc l’instauration de la proportionnelle comme gage de démocratisation de la Ve République, un régime qui s’éloigne, réforme après réforme, de l’idée de souveraineté populaire sur laquelle il est pourtant fondé.

La promesse de la proportionnelle fonctionne comme un piège à mouche pour ceux qui veulent un régime démocratique : oui, mais toujours plus tard. Les promesses des candidats Nicolas Sarkozy et François Hollande n’ont jamais été tenues. Quant au candidat Macron, le 4 octobre 2016, lors de son premier grand meeting à Strasbourg après sa démission du gouvernement, il présentait la réforme de notre mode de scrutin comme une « nécessité » – un « risque », peut-être, mais « il faut aller vers ce risque, parce qu’il est démocratique ». Voilà ce qu’il disait et, pour une fois, je l’approuve totalement. Le candidat Macron avait fait une proposition raisonnable – insuffisante, certes, mais qui allait dans le bon sens –, en promettant d’introduire « une dose de proportionnelle ». Aujourd’hui, nous n’avons plus le temps de redécouper des circonscriptions, et cette dose était, de toute manière, insuffisante : il faut donc instaurer la proportionnelle intégrale. C’est une proposition raisonnable. D’ailleurs, le président du groupe du Mouvement démocrate et Démocrates apparentés a déposé une proposition de loi relative au scrutin législatif à la proportionnelle intégrale, que j’approuve.

Notre système institutionnel est ainsi fait qu’un groupe parlementaire peut obtenir la majorité absolue des sièges en réunissant à peine 30 % des voix. En revanche, comme l’a dit notre rapporteur, le mouvement auquel j’appartiens a obtenu 11 % des voix mais moins de 3 % des sièges. Les majorités hégémoniques nuisent au débat parlementaire. Elles abaissent le Parlement, puisque le Gouvernement ne doit composer avec personne : le groupe majoritaire obéit, et l’Assemblée nationale se transforme en chambre d’enregistrement. L’inversion du calendrier électoral a achevé de subordonner l’Assemblée nationale au pouvoir exécutif. Un tel abaissement est dangereux pour la démocratie, puisque notre contre-pouvoir ne peut plus s’exercer – et comme il n’y en a quasiment pas d’autre dans notre pays, le monarque républicain règne en maître absolu, sinon de droit, du moins de fait.

En conséquence, personne ne croit plus vraiment que les élections législatives changent quelque chose. Plus grand monde ne sait à quoi sert, au juste, un député. Aussi, pourquoi se déplacer pour l’élire ? Le débat est asphyxié par l’injonction de donner une majorité au président tout juste élu. Les électeurs boudent les urnes : on tombe dans des abîmes d’abstention. La légitimité des élus est entamée d’autant. Moins de légitimité, moins de contre-pouvoirs : tout cela arrange fortement le Gouvernement.

Vous n’avez de cesse de vouloir lutter contre l’abstention. Le groupe La France insoumise vous donne une excellente occasion de le faire, en conférant au peuple le pouvoir de décider. Le scrutin proportionnel permettra d’avoir à l’Assemblée nationale une représentation plus fidèle du peuple politique, notre souverain ; cela forcera le Gouvernement à débattre, à convaincre, puisque les propositions qui ne reçoivent pas l’approbation du peuple pourront être rejetées par ses représentants. Notre République est malade de l’éloignement du peuple des décisions qui le concernent. La pratique du pouvoir donne à voir les caractéristiques d’une république bananière qui nous font honte.

Pour permettre le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, et tenir la promesse démocratique, la proportionnelle intégrale ne suffira évidemment pas, car l’équilibre de nos institutions a été rompu. Il faut refonder le peuple politique par la convocation d’une assemblée constituante. Seule la conclusion d’un nouveau contrat social sera à même de ramener véritablement aux urnes le peuple souverain. Sans cela, nous en sommes réduits à proposer d’améliorer des institutions mourantes et sclérosées. Depuis trois ans, le Président de la République contourne le Parlement par le recours aux ordonnances. Cela concerne près de 51 % des textes : jamais nous n’avions connu cela depuis la guerre d’Algérie, a déclaré Gérard Larcher. À lui aussi, je donne raison. C’est un signe qui ne trompe pas. La Ve République est venue de la guerre d’Algérie ; elle finira là où elle a commencé. Le contournement du Parlement par l’exécutif ne peut pas durer. Nous devons reprendre en main la dignité démocratique, en commençant par restaurer un Parlement digne de ce nom grâce à la proportionnelle intégrale. Ensuite, il faudra commencer à écrire une nouvelle Constitution pour une VIe République.

M. Stéphane Peu. L’instauration de la proportionnelle intégrale est une proposition que notre formation politique formule depuis de très nombreuses années. C’est donc en toute cohérence que notre groupe votera des deux mains cette proposition de loi.

Notre pays est confronté à un grand défi démocratique. Tout le monde s’accorde à le reconnaître, puisque cela fait quatre élections présidentielles que de nombreux candidats, de droite comme de gauche, introduisent dans leur programme une réforme de la représentation et du mode de scrutin. C’est un argument que les candidats utilisent pour se faire élire, même s’ils abandonnent toujours leur promesse après leur élection. Nous l’avons vu avec Nicolas Sarkozy comme avec François Hollande : il y a eu la commission Balladur, puis la commission Jospin, mais vous savez bien ce qu’il en est advenu. La même promesse a été faite par Emmanuel Macron, et elle avait encore plus de poids que lors des élections présidentielles précédentes puisque le candidat a fait campagne sur le thème de la rénovation de la vie politique ; il a inscrit noir sur blanc, dans le pacte signé avec François Bayrou, l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives. Vous savez cependant le sort qu’il a réservé à cet engagement.

Je suis très surpris par les arguments du porte-parole du groupe majoritaire. J’aurais pu comprendre, monsieur Rudigoz, que vous expliquiez que vous souhaitiez cette réforme mais que ce n’était pas le moment ; or j’ai été stupéfié de vous entendre appeler à la rescousse tous les grognards de la Ve République – Jean-Louis Debré, Raymond Barre, Maurice Duverger – pour enterrer cette proposition de loi. Je pensais que la proportionnelle faisait toujours partie de votre projet, mais je suis bien obligé de constater que ce n’est plus le cas. Après quelques années d’exercice du pouvoir, vous faites comme tous les autres partis majoritaires.

Bastien Lachaud a rappelé que les promesses faites par les uns et les autres n’ont jamais été tenues. L’inversion du calendrier électoral pose également un certain nombre de problèmes. Raphaël Schellenberger a bien expliqué que le non-cumul des mandats change un peu la nature de la relation qu’un député entretient avec son territoire. Or la proportionnelle présente plusieurs avantages, au premier rang desquels la meilleure représentation de notre peuple. Le fait que 70 % des Français ne se considèrent pas représentés correctement pose un grand problème démocratique. Si cette proposition de loi n’est pas adoptée, nous terminerons la législature sans avoir voté aucune réforme de la vie démocratique de notre pays. Le mouvement des Gilets jaunes, qui a posé haut et fort la question de la représentation, n’aura pas été pris en compte.

Marie-George Buffet et moi avons été élus dans deux circonscriptions différentes de Seine-Saint-Denis, mais nous sommes avant tout députés de la Seine-Saint-Denis. Hier soir, lorsqu’une fillette a été blessée par balle à Pantin, j’ai été sollicité pour réagir à cette actualité, au même titre que les autres députés du département. C’est pourquoi je trouve important que le scrutin proportionnel soit organisé au niveau départemental, surtout à une époque où les régions sont devenues si grandes qu’elles n’ont plus de sens et que nos concitoyens ne s’y reconnaissent plus. Je déplore que ces régions prennent le pas sur les départements, qui restent un échelon territorial pertinent pour l’élection et la représentation démocratique.

J’entends dire que le scrutin proportionnel permettra à l’extrême-droite – ou, demain, à un autre courant de pensée qui nous inquiète – de participer au débat démocratique. Justement, l’expérience des dernières décennies montre que c’est en ostracisant ces formations politiques qu’on leur donne la possibilité de progresser. On ne fait pas baisser la fièvre en cassant le thermomètre !

Je termine en défendant une autre proposition relative à la représentation de notre peuple, à savoir le droit de vote des étrangers aux élections locales. Cette proposition connaît le même sort que la proportionnelle : certains promettent cette réforme lorsqu’ils sont en campagne, mais ils enterrent leur engagement lorsqu’ils sont au pouvoir. Ne vous étonnez pas que, demain, le réveil soit douloureux.

M. Sacha Houlié. J’ai remarqué que le rapporteur avait commis un lapsus : voulant parler d’une modalité d’élection, il a parlé d’une « modalité d’exception ». Cela montre qu’il connaît lui-même le caractère exceptionnel de cette modalité d’élection, et c’est la raison pour laquelle nous n’avons jamais promis d’instaurer la proportionnelle intégrale. L’engagement que nous avons pris le 2 octobre 2016, lors de la campagne présidentielle, est l’introduction d’une dose de proportionnelle, à hauteur de 15 ou 20 %, couplée à la réduction du nombre de parlementaires, qui est très importante. En 1986, lorsqu’on est passé d’un scrutin uninominal à la proportionnelle intégrale, on a aussi augmenté de quatre-vingt-six députés l’effectif de l’Assemblée nationale, porté de 491 à 577 membres. En revanche, lorsqu’on est revenu au scrutin uninominal, on n’a pas réduit le nombre de parlementaires. Dès lors, nous ne pouvons introduire une dose de proportionnelle qu’en réduisant le nombre de parlementaires.

Dans ces conditions, nous pourrions améliorer la représentation des Français, puisque des partis actuellement sous-représentés auraient davantage de députés à l’Assemblée nationale. Dans le même temps, nous garantirions la stabilité politique du système. Par ailleurs, en diminuant le nombre de parlementaires, nous renforcerions leur rôle, leurs pouvoirs et leur importance, tant dans leur territoire qu’au sein de notre assemblée. Ce n’est plus à quarante, cinquante ou soixante que nous auditionnerions un ministre dans ces salles ; c’est à quelques-uns que nous lui demanderions de rendre compte de l’action conduite par le Gouvernement.

Enfin, si je suis tout à fait favorable au non-cumul du mandat de parlementaire avec des mandats exécutifs locaux, je considère qu’un député doit être associé à un territoire. C’est pourquoi je crains que la proportionnelle intégrale finisse par déraciner les parlementaires et ne leur permette pas de connaître précisément le territoire dont ils sont issus.

M. Matthieu Orphelin. Je suis ravi de constater aujourd’hui la quasi-unanimité des groupes, de la majorité comme de l’opposition, sur la nécessité d’introduire enfin une dose de proportionnelle aux élections législatives. Bien que nos opinions divergent quant à la hauteur de cette dose, nous pourrions trouver un accord. C’est le sens de mon amendement CL5, qui vise à instaurer un mécanisme de proportionnelle corrective inspiré du système allemand, dont beaucoup de collègues de la majorité comme de l’opposition ont souligné les nombreux avantages. Concrètement, 50 % des députés seraient élus au scrutin uninominal majoritaire, dans le cadre des circonscriptions actuelles fusionnées deux par deux, tandis que les 50 % restants seraient élus au scrutin de liste, à la proportionnelle, par région, sachant que seules les forces politiques ayant recueilli plus de 5 % des voix seraient admises à la répartition des sièges. Ce mode de scrutin présenterait trois avantages : le maintien de l’ancrage territorial des élus, la représentation fidèle de la diversité politique du pays, et une stabilité plus grande que ne le permettrait la proportionnelle intégrale. Dans la mesure où cet amendement répond à la volonté de presque tous les groupes, je ne doute pas qu’il sera largement adopté.

M. Erwan Balanant. Je concentrerai mon intervention sur le sujet important de l’ancrage territorial des parlementaires, qui suscite quelques interrogations depuis l’interdiction du cumul des mandats – monsieur Schellenberger l’a dit, et je sais que madame Untermaier y est aussi particulièrement sensible.

Je vous invite à regarder l’histoire et à examiner, département par département, les résultats du scrutin de 1986. En cas de proportionnelle intégrale à l’échelle nationale, je craindrais effectivement une déconnexion entre les élus, désignés par les partis, et les territoires. Or, en cas de proportionnelle à l’échelle du département, les citoyens gardent la possibilité d’élire des représentants détachés des partis. Si vous êtes une personnalité de la société civile impliquée dans la vie publique et implantée depuis longtemps dans votre département, vous pouvez parfaitement constituer une liste – dans le département du Finistère, il vous suffit de trouver huit personnes, soit quatre femmes et quatre hommes, représentant l’ensemble du territoire. Ainsi, vous pourrez constater qu’en 1986, un certain nombre de députés ont été élus en dissidence de leur parti.

Par ailleurs, un ancrage territorial sans prise en compte de l’ensemble de la nation française va à l’encontre de l’idée même de représentation nationale. J’ai d’ailleurs pu observer cette tendance lors de certaines législatures, où plusieurs députés étaient des barons locaux, très ancrés dans leur territoire, mais où la représentation nationale était complètement déconnectée de la réalité des partis et autres formations politiques. Or, avec un scrutin proportionnel départementalisé, il sera tout à fait possible d’allier représentativité de tous les courants politiques et ancrage local des députés élus.

Même si la composition actuelle de l’Assemblée nationale est assez diverse, puisqu’il n’y a jamais eu autant de groupes, il n’est pas normal que certains partis ou mouvements politiques n’y soient pas représentés. On a beaucoup parlé des extrêmes et du Rassemblement national, mais je pense aussi aux écologistes, qui ont obtenu 17 % des suffrages exprimés aux dernières élections européennes.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis totalement opposée à la proportionnelle. La proportionnelle, c’est la fin de la liberté d’opinion, c’est une paire de menottes que l’on passe aux poignets des députés, c’est une prime aux partis politiques, puisqu’il faut plaire au chef du parti pour être investi. Il suffit de regarder ce qui se passe aux élections européennes ou régionales : les candidats se battent pour figurer sur les listes, ils s’abstiennent de toute critique envers les dirigeants du parti auquel ils appartiennent, quoi qu’ils en pensent en privé. En outre, la proportionnelle renforce l’anonymat des députés. Or, si ceux-ci sont les élus de la nation, ils doivent aussi être implantés dans une circonscription ; ce sont les porte-parole de leurs électeurs, la courroie de transmission des revendications locales – c’est en tout cas ainsi que je conçois mon rôle de députée et c’est ce qui fait, selon moi, toute la beauté de notre mandat. L’ancrage dans le terrain nous est absolument nécessaire.

D’ailleurs, dans l’hémicycle, lorsqu’on traite de questions pratiques, les contributions les plus pertinentes et les plus intéressantes sont le fait de députés qui ont été maires ou qui ont eu un autre mandat local. Prenez François Pupponi : je suis admirative de ses interventions ; il sait de quoi il parle, on voit qu’il a une vraie connaissance du terrain – d’ailleurs, je suis souvent d’accord avec ce qu’il dit. Cela n’a rien de politique : c’est du concret. Il serait dommage de s’en passer.

M. Philippe Gosselin. Je tiens tout d’abord à féliciter Bastien Lachaud d’être devenu à la fois larchérien et macronien ! Cela ne manque pas de sel.

M. Raphaël Schellenberger. Être les deux en même temps, c’est fort ! (Sourires.)

M. Philippe Gosselin. Je veux aussi saluer l’enterrement de première classe des propositions de François Bayrou : il ne le sait pas encore, mais la réforme électorale qu’il soutenait est aujourd’hui définitivement écartée. De ce point de vue, l’évolution du groupe La République en marche me satisfait, puisque ses représentants en viennent à citer les meilleurs auteurs de la Ve République !

Il faut dire que ces institutions ne sont pas si mal. Nous avons besoin de stabilité. Or qu’est-ce que la proportionnelle intégrale, si ce n’est l’institutionnalisation de l’instabilité ? Si la Ve République a opté pour le scrutin majoritaire uninominal à deux tours, c’est parce que la IVe République avait consacré un régime des partis qui favorisait l’instabilité gouvernementale. L’histoire nous le montre : la proportionnelle intégrale conduit à la mainmise des partis politiques sur les élections. Je n’ai rien contre les partis politiques, qui concourent à l’expression du suffrage en structurant l’offre électorale, mais on ne peut pas tout attendre d’eux. La proportionnelle intégrale, c’est aussi l’autoprotection, l’entre-soi ; on est sûr que tous les apparatchiks seront élus – même si cela peut être le cas avec d’autres modes de scrutin.

S’il est indéniable que nous sommes confrontés à un problème démocratique, la réponse proposée ne me semble pas la bonne. On risque de créer des élus hors sol, alors que l’on a besoin d’un ancrage territorial. Nos concitoyens demandent de la proximité, une identification – une incarnation, pour reprendre un mot à la mode. On doit être à portée d’engueulade ! Comment l’être si l’on est un simple nom sur une liste ? Avec la proportionnelle, personne en réalité ne prend vraiment de risque, hormis la tête de liste – mais les suivants, du coup, ont du mal à trouver leur place et à exprimer leurs sentiments et leurs opinions, car ils craignent de déplaire au prince et de ne plus figurer sur ladite liste lors de l’élection suivante. Bref, ce n’est pas par la proportionnelle que l’on réglera les problèmes actuels – du moins, pas par la proportionnelle intégrale qui nous est proposée.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Je remercie les intervenants pour la franchise de leurs propos, qui révèle la diversité des opinions sur le sujet.

Beaucoup d’entre vous disent craindre un « déracinement » – mais, pardon si je le dis de manière un peu abrupte, un député n’est pas un « supermaire », c’est un représentant de la nation, dont la mission est de discuter des textes de lois, d’effectuer un travail législatif, et qui doit le faire dans l’intérêt général du pays.

Nombre de nos concitoyens nous considèrent comme un relais de la mairie et viennent nous voir pour nous saisir de problèmes locaux – problèmes d’emploi, de logement, demandes d’aide sociale etc. –, pour lesquels ils n’arrivent pas à obtenir satisfaction. Le député en est réduit à une fonction de pseudo-proximité, ce qui correspond à une dégradation de son rôle. Nous y passons l’essentiel de notre temps. Voulez-vous entretenir cette spirale ?

M. Raphaël Schellenberger. Moi, je suis très heureux d’aider mes concitoyens !

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Mais en réalité vous ne les aidez pas ! Concrètement, combien de fois pouvez-vous le faire ? Au Parlement, l’opposition n’a pas de pouvoir ; d’ailleurs, certains collègues se découragent et finissent par rester dans leur circonscription parce qu’ils ont le sentiment de perdre leur temps à Paris. Ils font la tournée des marchés parce qu’ils ont l’impression de ne rien peser. Je ne suis pas d’accord avec cette vision des choses ; nous n’avons pas été élus pour cela. Le travail de maire a sa spécificité, celui de conseiller départemental aussi. Vos arguments, collègues, conduisent à miner la fonction de parlementaire !

Monsieur Schellenberger, vous considérez qu’il faut que vous soyez au plus près du terrain, ce que même une proportionnelle départementale ne permettrait pas, dites-vous. Je me suis permis d’aller regarder vos affiches électorales de 2017. Votre slogan était : « Majorité alsacienne : Pour l’avenir de l’Alsace » : ce n’est pas un département, ce sont deux départements que vous affirmez représenter ! C’est tout à votre honneur, et je ne vous le reproche pas, mais faisons preuve de sincérité et n’utilisons pas des arguments à géométrie variable. Dès lors que vous avez fait le choix – manifestement payant – de présenter votre candidature sous les auspices d’une région, ne nous dites pas que la région est un échelon qui interdit toute relation de proximité !

De même, les membres du groupe La République en Marche condamnent ce qu’ils présentent comme le règne des apparatchiks, mais votre affiche électorale, collègue Rudigoz, vous montrait aux côtés d’Emmanuel Macron. Sans vouloir vous manquer de respect, je pense que vous étiez pour beaucoup de vos électeurs un illustre inconnu – et si l’on veut entrer dans le détail et parler d’apparatchiks ou de combinazioni, on remarquera que vous avez appartenu successivement à différents partis !

Mais revenons au fond. En raison, notamment, de l’inversion du calendrier électoral et de la proximité entre les élections législatives et l’élection présidentielle, les premières sont désormais écrasées par la seconde – les collègues socialistes, qui, s’ils ont depuis fait acte de contrition, sont à l’origine de la situation, le reconnaissent eux-mêmes. Vous aurez beau raconter tout ce que vous voulez, pour la plupart, vous avez été élus parce que, quels que soient vos talents propres, il y avait sur votre affiche, à côté de votre visage, celui d’un candidat ou d’une candidate à l’élection présidentielle. C’est le parti qui a décidé que vous seriez candidat et c’est votre proximité avec un candidat à l’élection présidentielle qui a permis votre élection.

Mme Émilie Chalas. C’est la même chose pour vous !

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Tout à fait, madame : vous allez dans mon sens.

C’est avec cette logique-là que nous souhaiterions rompre. Nous voulons redonner aux élections législatives leur autonomie et éviter qu’elles ne soient qu’un remake de l’élection présidentielle.

De surcroît, le scrutin actuel déforme les résultats de l’élection. Ainsi, le parti majoritaire a obtenu 28 % des voix exprimées au premier tour et 13 % de celles des électeurs inscrits, mais 53 % des sièges de la représentation nationale. N’y a-t-il pas là un problème ? Inversement, alors que le Rassemblement national avait un candidat au second tour de la présidentielle et a fait un score significatif aux législatives, il n’a même pas eu la possibilité de constituer un groupe parlementaire. Cela nous paraît-il satisfaisant d’un point de vue démocratique ? L’Assemblée nationale nous paraît-elle représentative du débat national ? N’y a-t-il pas là quelque chose qui relève de la combinazione ?

Mme Émilie Chalas. Ils n’avaient qu’à gagner !

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Mais enfin ! Une élection n’est pas une partie de poker – the winner takes all, celui qui gagne rafle tout ! C’est une chambre qui comprend 577 personnes à travers lesquelles les différentes sensibilités politiques doivent s’exprimer. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : la représentation nationale est déformée, voire amputée. Le collègue Balanant a raison de souligner que certaines forces politiques n’ont pas un seul député. Tout cela doit nous interpeller. Comment corriger les choses afin que la réalité du terrain soit mieux représentée ? Nombre de nos concitoyens considèrent qu’il est inutile d’aller voter une fois l’élection présidentielle passée parce qu’il n’y a plus d’enjeu.

On dit qu’en Italie, il y a de l’instabilité, mais le taux de participation était de quelque 73 % aux dernières élections, soit presque le double de ce que nous enregistrons en France : cela laisse rêveur ! La chambre des députés italienne est peut-être plus représentative que l’Assemblée nationale française. J’ai bien conscience qu’une telle réforme ne réglerait pas la totalité de nos problèmes, mais elle permettrait que l’Assemblée nationale reflète mieux le débat bouillonnant qui anime le pays ; toutes les forces politiques qui ont une certaine audience pourraient être représentées à l’Assemblée nationale et s’y faire entendre, alors que le système majoritaire actuel écrase les minorités, ce qui conduit les électeurs à s’abstenir.

Et ne me répondez pas qu’un tel mode de scrutin est antirépublicain ou que ce que je dis n’est pas conforme à l’histoire nationale. Savez-vous qu’il y a encore peu de temps, on pouvait se faire élire dans plusieurs circonscriptions à la fois ? Ce fut le cas de Léon Blum en 1936 ; c’était alors la tradition. L’histoire de la République ne plaide pas pour le système actuel.

N’oubliez pas non plus que la Ve République est née d’une crise politique sans précédent, d’une guerre civile qui touchait trois départements français, en Algérie, et d’une incapacité du régime précédent à régler ce conflit, l’un des derniers de notre histoire coloniale. On était sous la menace d’un coup d’État militaire. Connaissez-vous l’opération Résurrection, collègues ? Des régiments parachutistes préparaient un coup de force ; ils avaient établi une tête de pont en Corse. C’est dans ces conditions qu’est née la Ve République !

De grâce, n’utilisons pas des arguments d’autorité pour justifier quelque chose qui ne va pas de soi. Examinons plutôt comment notre pays s’est transformé, comment la société française a évolué, passant du rural à l’urbain, et essayons d’adapter le mode de scrutin à ces modifications.

Adopter un système mixte en introduisant une dose de proportionnelle n’a pas de sens : soit on est partisan de la proportionnelle, parce que cela assure l’expression de toutes les sensibilités, soit on ne l’est pas. Qui plus est, sur le plan technique, que de difficultés ! Qui sera élu au scrutin majoritaire dans une circonscription, qui sera élu à la proportionnelle sur une liste ? Quelles sont les circonscriptions qui vont disparaître ? Pour le coup, ce sont les partis qui décideront ! On va jouer des ciseaux !

Enfin, pourquoi faudrait-il réduire le nombre de députés ? À la grande époque de la Révolution française, il y en avait plus de 650, alors que le pays était deux fois moins peuplé. Le problème, ce n’est pas le nombre de députés, c’est le pouvoir qu’ils détiennent, leur capacité d’intervention.

Ce que nous souhaitons, c’est que la souveraineté s’exprime au mieux. Certes, ce ne sera jamais parfait, mais au moins pouvons-nous essayer de corriger les difficultés que nous rencontrons. Si nous ne faisons rien, il n’y aura eu aucune réforme institutionnelle au cours des cinq années de cette législature, alors qu’une des dynamiques de la candidature d’Emmanuel Macron en 2017 était une promesse de transformation démocratique. Je le dis aux collègues de la majorité : il ne serait pas dans votre intérêt de rompre avec cette ambition.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

Article unique (arts. L. 123, L. 124, L. 125, L. 126, L. 154-1 [nouveau] et L. 156 du code électoral) : Instauration d’un scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour les élections législatives

La commission examine les amendements de suppression CL1 de Mme Marie-France Lorho et CL2 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Marie-France Lorho. La formulation du 2° de l’article unique me semble ambiguë : elle laisse entendre que les députés qui n’appartiennent à aucun groupe politique ne pourraient pas bénéficier d’un siège à l’Assemblée nationale. C’est attentatoire à la pluralité des opinions et porterait un coup à la représentativité de la chambre basse. La portée jacobine d’une telle ambition marque le refus du parti La France insoumise de reconnaître que les Français veulent être représentés par des députés évoluant en dehors des arcanes partisans. Comme plusieurs de mes collègues non inscrits, je suis fière de représenter mon terroir sans être contrainte par les décisions d’un groupe politique ; je suis heureuse de représenter librement les spécificités d’une localité dont j’entends continuer à porter la voix. Dès lors que vous entendez supprimer la liberté de ton à laquelle les députés non inscrits prétendent et de nombreux Français sont attachés – en témoignent les nombreux maires sans étiquette en activité –, je propose de supprimer l’article unique.

Mme Emmanuelle Ménard. Mon opposition au scrutin proportionnel tient en trois points. Premièrement, c’est une prime aux partis politiques. Deuxièmement, il renforce l’anonymat des élus, ce qui ne semble pas opportun vu la défiance actuelle envers les politiques. Troisièmement, il réduit la liberté et l’indépendance de députés de surcroît déconnectés de la réalité du terrain.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Que répondre ?

Les attaques contre le jacobinisme, franchement, cela commence à être lassant. Ce sont les jacobins qui ont donné le plus de pouvoir aux communes et aux départements. Révisons notre histoire !

Madame Ménard n’avez-vous pas été élue grâce au soutien d’un parti politique national – même si vous cherchez à le dissimuler ? Je serais curieux de voir le résultat des prochaines élections si ce parti présentait un candidat contre vous ! Ce ne fut d’ailleurs pas le cas lors des dernières municipales à Béziers…

Sur le fond, je trouve sain d’être lié à des grandes organisations nationales et de soutenir un projet. Je ne suis pas sûr de vouloir pour représentation nationale une mosaïque de personnes qui viendraient défendre telle ou telle ville, diluant ainsi l’intérêt général en une addition de petits intérêts locaux. Ce n’est pas ma conception de la République.

Je le répète, les élections municipales et départementales ont chacune leur spécificité. Quand on est député, on représente la nation ; on n’est pas là pour défendre les intérêts de Béziers ou de Montreuil. Si l’on peut être particulièrement sensible à la situation de la population locale, il faut proposer quelque chose de plus grand, pour l’ensemble du pays ; on ne peut se contenter d’être le dernier recours lorsque la mairie n’a pas su répondre aux difficultés : c’est un aveu d’impuissance ! Je crois pour ma part que le maire et le député ont chacun un rôle à jouer ; je ne suis pas pour les fusionner parce que la Ve République aurait retiré tout pouvoir aux parlementaires.

Quant à l’amour du terroir, ce n’est pas incompatible. Je pense en cet instant aux viticulteurs de Béziers, qui ont besoin d’être défendus, et c’est sans doute ce que vous faites, madame Ménard. De même, en Seine-Saint-Denis, monsieur Peu et moi sommes confrontés aux mêmes problèmes de logement, et nous pouvons fort bien faire entendre une voix commune sur ces sujets d’intérêt général.

M. Erwan Balanant. Je ne vois pas pourquoi le scrutin proportionnel favoriserait nécessairement l’expression des partis politiques, auxquels les députés seraient inféodés. Monsieur Gosselin, vous appartenez bien à un parti politique, et vous en éprouvez une certaine fierté, me semble-t-il. Qui, dans cette législature, n’appartient pas à un parti ? Peut-être vous deux, madame Lorho, madame Ménard – et encore : vous avez été élues avec le soutien d’un parti politique.

Mme Marie-France Lorho. Non. Pas moi !

M. Erwan Balanant. Quoi qu’il en soit, seulement 2 députés sur 577 n’appartiennent pas à un parti politique : je ne vois donc pas où est le problème.

Je vous invite vraiment à regarder la proportionnelle avec un autre prisme. Ne la considérez pas à l’aune des élections européennes, où elle s’applique à l’échelle nationale. Le mode de scrutin qui est ici proposé est le même qu’en 1986, à savoir la proportionnelle départementale. On peut fort bien avoir eu une carrière politique, avoir été élu communal, puis conseiller départemental et, un jour, monter un projet pour être élu député avec des personnes appartenant ou non à un parti. Le fait que le scrutin soit départementalisé change tout.

M. Thomas Rudigoz. Le groupe LaREM votera contre les amendements de suppression, et cela bien qu’il soit en partie d’accord avec l’argumentation de madame Ménard, car il souhaite que le débat aille jusqu’au bout.

Mme Emmanuelle Ménard. Je suis d’accord avec vous, monsieur Corbière : un député ne doit pas être un « supermaire » ; ce n’est pas du tout la façon dont je conçois mon mandat. En revanche, il est aussi une courroie de transmission. Sur certains sujets, j’exprime mes convictions personnelles, mais sur d’autres, je ne fais que refléter ce qui se dit sur le terrain, dans ma circonscription. Par exemple, quand nous avons des textes très techniques à examiner, je ne sais pas comment vous faites, mais, moi, je n’ai pas la science infuse : j’interroge les maires de ma circonscription. Ce fut notamment le cas pour l’examen du projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN). Si l’on n’est rattaché à aucune circonscription, on est complètement déconnecté du terrain et l’on ne peut pas travailler en liaison avec les maires. Or les problèmes que l’on rencontre dans ma circonscription du Sud de la France ne sont pas forcément les mêmes que l’on rencontre dans le Nord, ni même dans une autre circonscription. Tout à l’heure, monsieur Peu disait que quand il y a un problème à Saint-Denis, on l’appelle, lui ou un autre député du département. Eh bien, lorsqu’il y a un problème à Montpellier, il est rare qu’on me sollicite ; en revanche, si c’est Béziers qui est concerné, c’est moi qu’on appelle. Il existe des spécificités sur le terrain, et c’est vous, député, qui êtes le mieux placé pour relayer les demandes locales à l’échelon national, dans l’hémicycle ou auprès du Gouvernement.

M. Christophe Euzet. Ce débat est passionnant, et cela tient, à mon avis, au fait que tout le monde a raison : ceux qui sont favorables au scrutin majoritaire comme ceux qui sont pour la proportionnelle. C’est pourquoi je suggère d’envisager un éventuel mode de scrutin hybride qui associerait les avantages de l’un et de l’autre, en permettant des candidatures isolées tout en assurant la représentation de tous.

Néanmoins, nous pensons qu’une telle réforme ne peut être dissociée d’une réflexion sur le rôle et le statut du député dans notre pays ; c’est pourquoi le groupe Agir ensemble ne votera pas pour cette proposition de loi. Je rejoins monsieur Corbière sur certains points, notamment sur le fait que notre action locale est l’héritage du cumul des mandats, lorsque le député-maire ou le sénateur-maire prenait à bras-le-corps les problèmes locaux – mais cela ne fait pas partie intégrante de notre mission. Cela étant, ce n’est pas parce qu’on est député de la nation qu’on doit perdre complètement de vue le territoire dont on est l’élu. Je vous invite par conséquent à réfléchir à une éventuelle hybridation des modes de scrutin, qui permettrait de dégager une majorité tout en disposant d’élus à la proportionnelle qui ne seraient pas complètement déracinés, par exemple parce qu’elle serait appliquée à l’échelon régional.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Chers collègues, je me permets de vous rappeler que nous avons encore à écouter une communication de la mission flash sur les entraves opposées à l’exercice des pouvoirs de police des élus municipaux. Il est d’usage que les travaux législatifs passent avant une mission d’information, mais le temps passe et il est bientôt treize heures… Soit nous accélérons le rythme, soit je me verrai dans l’obligation de repousser la communication à une date ultérieure. À vous de voir.

M. Raphaël Schellenberger. Il faut dire que nous sommes en train de discuter d’un sujet important… D’ailleurs, si monsieur le rapporteur et d’autres orateurs pouvaient nous épargner les arguments ad hominem, ce serait appréciable ! J’assume complètement mon affiche électorale, et je suis très fier des idées qu’elle véhicule, mais je pense que la question qui nous préoccupe dépasse celle de la qualité d’une affiche. Il serait bon que nous prenions un peu de hauteur et que nous dépassionnions le débat, si nous voulons qu’il soit à la hauteur de notre commission.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Pardon, collègue : je ne voulais égratigner personne, je souhaitais simplement illustrer mon propos en montrant les pratiques des uns et des autres. Ne le prenez pas comme une attaque personnelle.

Je pense, madame la présidente, que, si les collègues en sont d’accord, nous pouvons maintenant aller très vite, car les principaux arguments ont d’ores et déjà été échangés.

La commission rejette les amendements.

Elle examine l’amendement CL6 de M. Matthieu Orphelin.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Il s’agit de l’amendement que M. Orphelin a évoqué tout à l’heure.

M. Alexis Corbière, rapporteur suppléant. Avis défavorable.

M. Erwan Balanant. De tels systèmes hybrides conduiraient à avoir certains députés élus à la proportionnelle, tandis que d’autres le seraient dans des circonscriptions. Imaginez ce que cela donnerait : on aurait, d’un côté, des apparatchiks, qui siégeraient dans les commissions parlementaires les plus nobles, de l’autre, des élus des territoires, qui seraient en quelque sorte des députés de seconde zone ! Je pense que le scrutin proportionnel départemental permettrait d’articuler ancrage sur le terrain et représentativité du corps politique.

M. Thomas Rudigoz. Le groupe LaREM votera contre cet amendement car, même si nous promouvons une dose de proportionnelle, nous ne sommes pas favorables à ce type de scrutin mixte.

D’autre part, je voudrais dire à nos collègues du groupe Dem qu’il serait bon de faire preuve d’un peu de cohérence vu que le président de leur groupe avait déposé une proposition de loi visant à instaurer un tel mode de scrutin mixte.

La commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CL3 de Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Il serait difficilement concevable qu’une seule liste représente l’ensemble des Français établis hors de France.

Suivant l’avis du rapporteur suppléant, la commission rejette l’amendement.

Suivant les avis du rapporteur suppléant, la commission rejette successivement les amendements CL5 de M. Matthieu Orphelin et CL4 de Mme Emmanuelle Ménard.

La commission rejette l’article unique de la proposition de loi.

En conséquence, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à instaurer la proportionnelle intégrale au scrutin législatif (n° 4013).

 


([1]) Cette compétence est partagée avec le Gouvernement, responsable au titre de l’article 20 de la détermination et de la conduite de la politique de la Nation. En outre, l’article 21 dispose que le Premier ministre est responsable de la défense nationale.  

([2]) Loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution. Les membres des commissions concernées à l’Assemblée nationale et au Sénat peuvent s’opposer à la nomination présidentielle à une majorité des trois cinquièmes.

([3])              79,7 % dans la première circonscription du Haut-Rhin, 82,3 % dans la cinquième circonscription de Seine‑Maritime, 82,2 % dans la troisième circonscription de Maine-et-Loire, 84 % dans la première circonscription de La Réunion, 87 % dans la neuvième circonscription du Val-de-Marne et 84,7 % dans la onzième circonscription des Yvelines.

[4]) Dans l’ordre : M. Richard Ferrand, Mme Marielle de Sarnez, M. François Bayrou, Mme Sylvie Goulard, M. Nicolas Hulot, Mme Laura Flessel, M. Gérard Collomb, Mmes Françoise Nyssen et Delphine Gény‑Stephann, MM. Stéphane Travert et Jacques Mézard, Mme Nathalie Loiseau, MM Benjamin Griveaux et Mounir Mahjoubi, MM. Gérard Collomb, François de Rugy et Jean-Paul Delevoye, ainsi que Mme Agnès Buzyn.

([5]) Olivier Ihl, « Sur les origines de la revendication proportionnelle », Revue française d’histoire des idées politiques, 2013/2 n° 38, p. 380.

([6])              Émile Macquart, « Comment opérer la réforme électorale. L’organisation de la représentation proportionnelle », Revue politique et parlementaire, 30 octobre 1901, p. 63.

([7])              Cette modification électorale a consisté en l’introduction d’une prime majoritaire aux listes apparentées.

([8]) Article 24 de la Constitution, alinéa 3 : « Les députés à l'Assemblée nationale, dont le nombre ne peut excéder cinq cent soixante-dix-sept, sont élus au suffrage direct. »

([9])              Cette date correspond à l’entrée en vigueur de l’essentiel des dispositions de la loi n° 2019-1269 du 2 décembre 2019 visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral, dont l’article 13 inscrit le principe de non-modification de la loi électorale un an avant le scrutin au sein de l’article L. 567-1 A du code électoral. Une disposition similaire existait néanmoins déjà, concernant les seuls conseils régionaux et départementaux, à l’article 7 de la loi n° 90-1103 du 11 décembre 1990 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux.

([10]) Cet alinéa faisait référence à une méthode de recensement supprimée par l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité              .

([11])              Les élections des députés, des conseillers départementaux, des conseillers métropolitains de Lyon, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires.

([12])              Il s’agit des collectivités d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, des îles Walis et Futuna, de la Polynésie française et, depuis 2007, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

(1) Le code électoral prévoit un tableau pour les députés de France métropolitaine, un autre pour ceux élus en Outre-mer et un troisième pour les députés élus par les Français établis hors de France. Ils ne sont pas modifiés par la proposition de loi.