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N° 4151

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LA PROPOSITION DE LOI portant mesures d’urgence pour assurer la régulation
de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (n° 3853).

PAR M. Jean-Bernard SEMPASTOUS

Député

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AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU D֥ÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

PAR M. Patrice Perrot

Député

 

 Voir le numéro : 3853.


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. Le foncier agricole, une ressource rare et convoitÉe

A. Des terres agricoles sous pression

1. Le foncier se raréfie

2. La taille des exploitations augmente

B. Le dÉfi du renouvellement des gÉnÉrations

C. le socle incontournable de la souverainetÉ alimentaire

II. Des mÉcanismes de rÉgulation de l’accÈs au foncier bÂtis sur le modÈle de l’exploitation familiale

A. La rÉgulation de la propriÉtÉ agricole

B. La rÉgulation de l’exploitation agricole

III. Une rÉgulation devenue insuffisante face au dÉveloppement des formes sociÉtaires de dÉtention et d’exploitation du foncier

A. Le phÉnomène sociÉtaire, « angle mort » de la rÉgulation

1. De l’utilité des sociétés…

2. … à leurs dérives

B. Plusieurs tentatives de rÉgulation tenues en Échec

1. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014

2. La loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 et la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle du 20 mars 2017

3. La loi du 22 mai 2019 dite « PACTE »

IV. Des mesures d’urgence appelant une loi fonciÈre ambitieuse

A. Un troisiÈme outil de contrÔle pour limiter la concentration excessive des terres en installant des agriculteurs

B. Un dispositif À la main de l’État qui s’appuie sur les usagers des territoires ruraux

C. Un dispositif proportionnÉ, avec des seuils adaptÉs aux territoires

D. Une simulation en cours

E. L’agriculture française aura nÉanmoins besoin d’une rÉforme fonciÈre ambitieuse

COMMENTAIRE DES ARTICLES

TITRE Ier  Contrôle du marchÉ sociÉtaire

Article 1er Articles L. 333-1, L. 333-2, L. 333-3, L. 333-4 et L. 333-5 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime Contrôle de la concentration excessive et de l’accaparement des terres agricoles

Article 2 Article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime Actualisation des moyens d’action des SAFER

Article 3 Article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime  Notification des opérations aux SAFER

Article 4 Article L. 561-46 du code monétaire et financier Liste des agents ayant accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés et entités

Article 5 Article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime  Adaptation des motifs de refus d’autorisation d’exploiter

Article 6 Gage

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉveloppement durable et de l’amÉnagement dU territoire

I. Analyse de l’article 1er de la proposition de loi

A. les outils de rÉgulation existants : le rÉseau des sAFER et le contrÔle des structures

1. Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER)

2. Le contrôle des structures

3. Les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles

B. le dispositif proposÉ : l’autorisation prÉalable des prises de contrÔle au-delÀ d’un seuil d’agrandissement excessif

1. Les transactions concernées

2. La procédure d’autorisation

3. La possibilité de « remédier aux effets de l’opération » pour éviter un refus d’autorisation

4. Les sanctions

II. LA position DE LA COMMISSION du dÉveloppement durable et de l’amÉnagement du territoire

COMPTE RENDU de l’EXAMEN EN COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

COMPTE RENDU de l’EXAMEN EN COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur de la commission des affaires Économiques


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   Introduction

Dans son référé en date du 28 juillet 2020 sur les leviers de la politique foncière agricole, la Cour des comptes recommandait la mise en place d’une véritable politique foncière agricole aux fins de mieux maîtriser et réguler son évolution : « l’importance des enjeux ne s’accommode plus du statu quo ».

Le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) nous a mis en garde depuis plusieurs années : « La transmission des entreprises agricoles conditionne autant la pérennité de l’activité que la nature des structures dans lesquelles elle s’exerce. Alors que 50 % des agriculteurs français prendront leur retraite dans les dix années à venir, la question de la transmission revêt une importance stratégique » ([1]). Dans son rapport, il examine les répercussions sur la transmission de quatre scénarios, ainsi que les stratégies et leviers pouvant être mobilisés par les acteurs pour la faciliter. Nous savons aujourd’hui quel modèle se profile puisque le monde agricole connaît depuis plusieurs années un changement de paradigme. La doctrine dominante l’identifie à travers l’évolution des fermes : « on souligne de plus en plus nettement la diversité des exploitations, et la pénétration du capitalisme dans la sphère agricole est relevée. Mais le caractère familial de l’activité elle-même demeure un référent constant : les statistiques le confirment, le discours syndical le revendique et les politiques publiques le consacrent ([2]) ». C’est un nouveau visage de l’agriculture française qui se dessine, dont l’État doit encadrer l’évolution, en réponse aux craintes exprimées par la profession agricole et dans la continuité de la régulation qu’il exerce depuis 1960. C’est précisément avec la majorité du syndicalisme agricole qu’a été bâtie la présente proposition de loi en réponse à une attente forte de la profession.

Cette attente résulte du défi immense que constitue le départ massif à la retraite d’une génération d’agriculteurs dans les années à venir. D’ici dix ans, 37 % des chefs d’exploitation  ([3]) seront en âge de partir à la retraite et l’enjeu, pour le législateur, est que ces départs se traduisent par une installation de jeunes agriculteurs et non une concentration excessive entre les mains de propriétaires ou d’exploitants en place du foncier agricole ainsi libéré. Le scénario actuellement à l’œuvre est bien celui d’un accaparement ([4]) des terres au détriment de candidats à l’installation.

Le développement de l’accaparement introduit en effet une forme de concurrence déséquilibrée pour l’accès à la terre. La concentration excessive des exploitations conduit souvent à la monoculture et à des pratiques agricoles qui appauvrissent les sols. La diversité des productions et in fine la souveraineté alimentaire en pâtissent, avec des conséquences non négligeables sur la biodiversité.

Se saisissant du sujet, le Parlement européen a évoqué une menace pour le modèle agricole européen qui est fondé sur une agriculture multifonctionnelle, reposant en priorité sur des exploitations familiales. Il a adopté une résolution le 27 avril 2017 sur « L’état des lieux de la concentration agricole dans l’Union européenne : comment faciliter l’accès des agriculteurs aux terres ? ». Il y « réaffirme les conclusions de la Commission selon lesquelles la terre est une ressource limitée, déjà mise à mal par le changement climatique, l’érosion des sols et une utilisation excessive ou le changement d’affectation, et soutient par conséquent les mesures éco-sociales de protection de la terre tout en soulignant que la politique foncière est une compétence exclusive des États membres ». De plus, il « demande que les surfaces agricoles bénéficient d’une protection particulière afin que les États membres, en coordination avec les autorités locales et les organisations d’agriculteurs, puissent réglementer la vente, l’utilisation et la location des terres agricoles afin de garantir la sécurité alimentaire dans le respect des traités ».

Le rapport du 5 décembre 2018 (n° 1460) de la mission d’information sur le foncier agricole, remis par les députés Anne-Laurence Petel et Dominique Potier, fait également le constat de la nécessité de mieux protéger et partager le foncier face aux défis décrits supra. Votre rapporteur, qui fut président de cette mission d’information, a toujours plaidé la nécessité d’une réforme foncière ambitieuse.

En France, les craintes quant à un accaparement des terres ont été révélées par l’achat de 1 700 hectares de terres arables en 2016 dans le département de l’Indre par un consortium chinois ([5]). Cet achat n’est pas isolé : d’autres acquisitions ont eu lieu sur des terres céréalières et, depuis plusieurs années, plusieurs centaines de vignobles dans le Bordelais et récemment en Bourgogne sont devenus la propriété d’investisseurs, souvent étrangers.


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Ces acquisitions contribuent aussi à l’attractivité de la France.

On note cependant, selon les chiffres de la Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’aménagement rural (FNSAFER) de mai 2020 portant sur l’année 2019 que 81 des 7 380 transactions notifiées avaient été réalisées par des étrangers pour un montant de 43 millions d’euros sur un montant total de 1,2 milliard d’euros.

Si, entre 2010 et 2016, le nombre d’exploitations agricoles individuelles a diminué de 19 %, le nombre d’exploitations sociétaires n’a cessé de croître, parallèlement à l’agrandissement des exploitations.

Les sociétés agricoles ont des vertus mais elles alimentent aussi une opacité sur les conditions de détention du foncier agricole et échappent à la plupart des outils de régulation de la puissance publique.

En effet, les outils de régulation du contrôle des structures et du contrôle des sociétés d’aménagement et d’établissement rural (SAFER) sont souvent impuissants face aux opérations permettant d’exploiter ou de devenir propriétaire d’une terre agricole à la suite d’une participation, directe ou indirecte, dans une société. Le droit de préemption des SAFER est limité à la cession à titre onéreux de la totalité des titres d’une société et uniquement dans l’objectif d’installer un agriculteur. Le contrôle des structures qui organise la délivrance des autorisations d’exploiter ne permet pas d’appréhender la prise de participation financière dans une société si elle ne conduit pas à la participation aux travaux de l’exploitation. Se trouvent ainsi exclues la prise de participation réalisée dans une société foncière ainsi que celle réalisée à titre d’associé « non exploitant » dans une société d’exploitation.

La régulation telle qu’elle existe aujourd’hui crée une différence de traitement entre les agriculteurs exploitant sous un format individuel, soumis à toutes les contraintes, tandis que le format sociétaire échappe à tout regard. Cette difficulté est identifiée depuis longtemps.

Les réformes législatives initiées ces dernières années se sont heurtées aux principes constitutionnels ([6]) du droit de propriété (article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et de la liberté d’entreprendre (article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Le législateur peut en effet prévoir des restrictions à ces exigences constitutionnelles à condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Le rapporteur est conscient de ces exigences et considère que sa proposition de loi propose un mécanisme proportionné, grâce aux seuils et critères insérés, au regard de son double objectif : limiter la concentration excessive des terres et installer des agriculteurs qui seront bénéficiaires de mesures de compensation. Ces deux objectifs répondent aujourd’hui à un besoin d’intérêt général.

La détention ou l’exploitation de terres par des sociétés inspire la défiance, pour autant, votre rapporteur souhaite un dispositif qui respecte ce choix de gestion, conformément aux exigences constitutionnelles, tout en instaurant une régulation de ce marché, au même titre que celui du foncier détenu par des personnes physiques.

La présente proposition de loi entend créer un outil adapté, à la main de l’État dans les territoires, au service d’un double objectif :

– lutter contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles, en contrôlant les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés à l’origine de ces deux situations, mais uniquement si l’opération confère au cessionnaire le contrôle de ladite société ;

– agir pour l’installation et la consolidation des exploitations existantes grâce à un mécanisme d’incitation à vendre ou à donner à bail rural long terme une surface compensatoire au profit d’un agriculteur.

Le cœur du dispositif, créé à l’article 1er, est inspiré de celui mis en place pour l’Autorité de la concurrence dans le cadre du « contrôle des concentrations économiques ». Il instaure un contrôle administratif des prises de participations sociétaires au profit d’un bénéficiaire (exploitant ou propriétaire ; personne physique ou personne morale) qui dépasse un seuil d’agrandissement considéré comme excessif, renommé « seuil d’agrandissement significatif ».

La situation d’excès (accaparement ou concentration excessive) peut conduire à un refus d’autorisation opposé par l’autorité préfectorale, pris après avis de la SAFER. Néanmoins, malgré cet excès et, au cas par cas :

 la demande peut être autorisée si l’opération ne porte pas une atteinte caractérisée à l’installation d’agriculteurs, à la consolidation d’exploitation et à la vitalité du territoire ;

– le cessionnaire peut consentir à libérer une surface compensatoire, par vente ou bail rural long terme soumis au statut du fermage, au profit d’un agriculteur en phase d’installation ou de consolidation.

Soucieux de sécuriser le dispositif de la proposition de loi, votre rapporteur a demandé au Président de l’Assemblée nationale de saisir le Conseil d’État sur la proposition de loi. Lors de sa séance du 6 mai 2021, le Conseil d’État a estimé que « les atteintes portées par les dispositions de l’article 1er de la proposition de loi aux principes constitutionnels de la liberté d’entreprendre et de respect du droit de propriété non seulement sont justifiées par des motifs d’intérêt général suffisants, mais encore ne revêtent pas un caractère disproportionné ». Il a également suggéré plusieurs modifications rédactionnelles que votre rapporteur soumettra par amendements au vote de la commission.

I.   Le foncier agricole, une ressource rare et convoitÉe

A.   Des terres agricoles sous pression

1.   Le foncier se raréfie

Selon l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe), 88 hectares de terres agricoles disparaissent chaque jour en France sous la pression de l’artificialisation des terres et de l’abandon de l’usage agricole au profit de terres boisées et naturelles.

● Deux tiers environ des surfaces artificialisées le sont au détriment des terres agricoles, en particulier dans les zones périurbaines. Les terres agricoles sont facilement artificialisables et le processus est irréversible. Sur ce sujet, le projet de loi de lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 4 mai 2021 (texte adopté n° 602), comprend une série de mesures visant à prendre en compte de la protection du foncier dans les documents d’urbanisme afin de permettre à la France d’atteindre, en 2050, l’objectif d’absence de toute artificialisation nette des sols.

● Une politique de mise en valeur du foncier inculte serait souhaitable car ces situations résultent aussi des réticences de certains propriétaires à s’engager dans un bail rural dans lequel le preneur bénéficiera de la protection du statut du fermage ; la faible rente foncière conduit également les propriétaires à conserver le bien dans l’optique d’une plus-value future.

2.   La taille des exploitations augmente

Les exploitations agricoles ne cessent de s’agrandir : la taille des surfaces exploitées a augmenté passant de 28 hectares en moyenne en 1988 à 62 hectares en moyenne en 2016. Entre 2010 et 2016, l’augmentation de la taille des exploitations (+ 11 %) a été inversement proportionnelle à la diminution de leur nombre (‑ 12 %).

Cette moyenne masque cependant de grands écarts, les grandes exploitations cultivant 74 % de la surface agricole et utilisant en moyenne 111 hectares, contre 11 hectares en moyenne pour les petites exploitations. De plus, la part des exploitations moyennes et grandes dans l’ensemble des exploitations est passée de 53 % en 1988 à 64 % en 2010. Elles représentent aujourd’hui plus de 97 % du potentiel de production de l’agriculture.

L’augmentation de la taille des exploitations répond avant tout à l’objectif d’atteindre des seuils de rentabilité économique. Le capital a augmenté de 74 % par exploitation entre 1990 et 2013 mais, en parallèle, on assiste à une baisse du revenu agricole et à une stagnation du capital d’exploitation de la ferme France. ([7])

Les exploitations sociétaires utilisent en moyenne 111 hectares, soit trois fois plus de surface que les exploitations individuelles. Un écart d’autant plus important lorsque l’on se place en viticulture où les formes sociétaires utilisent quatre fois plus de surface que les exploitations individuelles.

B.   Le dÉfi du renouvellement des gÉnÉrations

La France comptait 2,3 millions d’exploitations en 1955 contre 437 000 en 2016 d’après la dernière enquête de structure des exploitations agricoles du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ([8]). C’est 11 % de moins qu’en 2010 lors du dernier recensement.

Évolution de la dÉmographie agricole

Source : « Transmission en agriculture. 4 scénarios prospectifs à 2025 » Rapport du Conseil général de l’alimentation, de               l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), janvier 2016

S’agissant des perspectives de départ à la retraite, la pyramide des âges des cotisants non salariés des moyennes et grandes exploitations agricoles ramenés au périmètre du recensement agricole (RA) (voir page suivante) montre la concentration des effectifs entre 52 et 62 ans, classe d’âge constituant approximativement les départs à la retraite dans les dix prochaines années. Il ressort de l’analyse des effectifs par classes d’âge, et en référence à l’âge légal actuel de départ à la retraite, que 18 % des effectifs seraient éligibles à la retraite dans les cinq prochaines années et 37 % dans les dix prochaines années ([9]).

Selon la Mutualité sociale agricole, en 2019, 13 406 chefs d’exploitation se sont installés. Ils sont 519 de moins qu’en 2018, soit une baisse de 3,7 %. Elle succède à une baisse de 2,8 % en 2018.

De plus, en 2019, l’effectif des jeunes chefs d’exploitation installés âgés de 40 ans et moins – ceux qui sont éligibles au dispositif d’aides à l’installation – était de 9 155 personnes, en baisse de 4,4 %. Ces jeunes installés représentaient 68,3 % des nouveaux installés.

Pour le syndicat Jeunes agriculteurs auditionné par votre rapporteur, il ne pourra y avoir de renouvellement des générations sans régulation du foncier agricole puisqu’il est le support de l’installation.

C.   le socle incontournable de la souverainetÉ alimentaire

Accaparement et concentration sont souvent associés et employés indistinctement. Au cours des travaux menés avec la profession agricole, il est apparu que l’articulation entre les deux vocables s’effectue autour de la notion d’exploitation de la terre. Est qualifié de concentration excessive le fait pour une personne, physique ou morale, de mettre en valeur directement ou indirectement des immeubles agricoles au-delà d’une certaine mesure. L’accaparement définit également ce cumul mais dans la possession. À nouveau, le point commun à cette terminologie reste avant tout le cumul de surfaces, faisant ressortir la légitimité d’un seuil déclencheur de contrôle.

La mission du CGAAER « Foncier agricole : accaparement ou investissement ? » d’avril 2017 propose de définir l’accaparement comme « un agrandissement (par location ou achat de terres ou prise de parts de sociétés) dépassant fortement les pratiques observées sur le territoire concerné ».

« La tendance à l’agglomération de grandes surfaces au sein d’un nombre limité d’exploitations agricoles se développe » déplore la FNSAFER : la concentration des terres conduit bien à l’accaparement.

La vitalité des territoires ruraux est mise à mal par cet accaparement, moins pourvoyeur d’emplois et d’installations familiales.

L’agriculture constitue un élément clé de la souveraineté qui justifie sa régulation par l’État. La gouvernance de l’accès au foncier nécessite le déploiement du rôle de la puissance publique et donc l’exercice de prérogatives exorbitantes du droit commun.

II.   Des mÉcanismes de rÉgulation de l’accÈs au foncier bÂtis sur le modÈle de l’exploitation familiale

Les mécanismes de régulation du foncier agricole et de son exploitation, bâtis dans les années 1960, résultent de l’idée selon laquelle la terre est à la fois un bien privé et un bien commun, un patrimoine qu’il convient de protéger pour les générations futures.

Plus précisément, les outils de protection et de régulation du foncier agricole ont été élaborés avec pour finalité la préservation des exploitations agricoles. La protection de l’exploitant a toujours été prioritaire, dans le respect du droit de propriété.

Mais les outils de régulation sans cesse consolidés sont aujourd’hui fragilisés par la progression des formes sociétaires d’exploitations qui échappent au contrôle de la puissance publique au risque d’un accaparement des terres qui conduit à l’éviction des agriculteurs exploitants eux‑mêmes et à l’appauvrissement collectif. Certains interprètent ces changements comme appelant une remise à plat des outils de la puissance publique qui sont singuliers mais qui ont su démontrer leur efficacité et assurer la compétitivité des exploitations françaises. C’est un dispositif complémentaire que vous propose votre rapporteur.

A.   La rÉgulation de la propriÉtÉ agricole

Créées par la loi n° 60-808 d’orientation agricole du 5 août 1960 afin « d’acquérir des terres ou des exploitations agricoles librement mises en vente par leurs propriétaires, ainsi que des terres incultes, destinées à être rétrocédées après aménagement éventuel », les SAFER ont vu leurs missions se diversifier depuis lors.

Une priorité dans l’acquisition de terres leur a été reconnue par la loi n° 62-933 du 8 août 1962 complémentaire à la loi d’orientation agricole, qui leur a octroyé un droit de préemption ayant un caractère d’ordre public.

Au fil des lois agricoles les objectifs assignés aux SAFER ont été redéfinis et leur droit de préemption élargi (voir supra, commentaire des articles).

B.   La rÉgulation de l’exploitation agricole

Il existe en France un contrôle administratif du fait d’exploiter qui a pour origine l’ancienne réglementation des cumuls et des réunions d’exploitations mise en place par la loi du 8 août 1962 précitée. Déjà à cette époque, les mots du ministre de l’agriculture étaient forts : la législation sur les cumuls doit « freiner et même stopper au maximum la croissance de ceux qui sont déjà suffisamment nantis, d’aider au maximum les plus démunis à atteindre le niveau d’une exploitation viable, c’est-à-dire qui permette de vivre et pas seulement de mourir » ([10]).

La mise en valeur de terres, de bâtiments, d’ateliers hors sol peut être subordonnée à l’obtention d’une autorisation administrative d’exploiter des biens fonciers ruraux au sein d’une exploitation agricole (installation, agrandissement ou réunion d’exploitations agricoles).

● L’objectif « principal » (et non plus « prioritaire » depuis la loi
n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, au regret de votre rapporteur) est l’installation des agriculteurs. Cet objectif s’accompagne d’une politique d’installation et de transmission des exploitations.

● Les trois autres objectifs se situent sur un même plan : consolider ou maintenir des exploitations agricoles viables (en rémunérant le travail réalisé par l’exploitant et le capital investi), promouvoir le développement des systèmes de production agro-écologiques et maintenir une agriculture diversifiée à forte valeur ajoutée.

Le contrôle s’appuie sur deux outils :

– la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM) : elle fixe un seuil déclencheur du régime, au-delà duquel l’autorisation d’exploiter est nécessaire et en deçà duquel aucune formalité n’a à être accomplie (sauf cas de contrôle systématique ([11]) ;

– le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) mis en place pour tenir compte des réalités régionales, tout en respectant les objectifs généraux de la politique agricole. Il organise les conditions de mise en œuvre du contrôle en prenant en compte les enjeux économiques, sociaux et environnementaux définis dans le plan régional de l’agriculture durable.

L’article 30 du projet de loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance proposait toutefois de supprimer, à titre expérimental, dans certaines régions ou départements, le contrôle des structures. L’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi faisait valoir trois critiques majeures à l’égard de ce contrôle : sa lourdeur administrative (90 % des demandes recevraient un avis favorable), son inefficacité (l’activité agricole tend à se concentrer dans des exploitations de moins en moins nombreuses dont la superficie moyenne s’accroît) et le traitement inégalitaire des assujettis en fonction des départements. Ce dispositif est largement décrié comme n’ayant pas évolué avec la structuration des exploitations agricoles. Son approche partielle du problème, de même que le fait qu’il ne soit pas mis en œuvre et que des manquements ne soient pas sanctionnés accusent l’usure reconnue du contrôle des structures, présenté comme usé et actuellement inadapté.

III.   Une rÉgulation devenue insuffisante face au dÉveloppement des formes sociÉtaires de dÉtention et d’exploitation du foncier

A.   Le phÉnomène sociÉtaire, « angle mort » de la rÉgulation

1.   De l’utilité des sociétés…

Les exploitations individuelles sont majoritaires en nombre, mais pas en surface agricole utile. Selon les statistiques agricoles du ministère de l’agriculture et de l’alimentation (Agreste), les formes sociétaires d’exploitation représentaient 36 % du nombre d’exploitations en 2016, pour 64 % de la surface agricole utile.

Entre 2010 et 2016, le nombre d’exploitations individuelles a diminué de 19 % alors que les exploitations sous forme sociétaire étaient en augmentation.

Les sociétés d’exploitation agricole ont l’avantage de protéger le patrimoine personnel en le séparant du patrimoine professionnel. Elles permettent aussi de regrouper des moyens matériels, financiers et humains. Les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) sont les formes sociétaires privilégiées, notamment pour les grandes exploitations. Les motivations sont fiscales ou liées à la transmission de ces exploitations.

La Fédération nationale des SAFER ([12]) elle-même a rappelé que « l’exploitation individuelle d’une terre est celle qui, historiquement, était la plus répandue. Le regroupement en sociétés s’est développé progressivement car les compétences peuvent s’associer, les responsabilités se partager et l’organisation du travail peut être rendue plus flexible. Cela permet aussi de dissocier les patrimoines personnel et professionnel et le type d’imposition (impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés). De plus, la transmission progressive des parts, qui rend plus facile la reprise de ces exploitations dont le capital augmente régulièrement, bénéficie d’avantages fiscaux. Le développement d’exploitations agricoles sous la forme de sociétés a de nombreux avantages mais n’est pas dépourvu de conséquences négatives. »

2.   … à leurs dérives

L’investissement dans le foncier agricole est relativement sécurisé. Des investisseurs privés, tels que des grands groupes industriels agroalimentaires et des fonds d’investissement, « recherchent pour la plupart des placements sécurisés au travers soit de l’achat de foncier agricole, soit de la prise de participations dans le capital d’entreprises agricoles à forte valeur ajoutée, comme les entreprises viticoles et de production hors-sol » ([13]).

En France, c’est le faible prix des terres et leur qualité (ainsi que celle de leurs productions) qui peuvent expliquer l’intérêt des investisseurs.

Même si, en vingt ans, le prix d’un hectare de terre a doublé en France passant de 3 000 € l’hectare en 1997 à 6 000 € environ aujourd’hui, il se situe entre 10 000 € et 20 000 € en Italie, en Angleterre, au Danemark et en Allemagne et dépasse 50 000 euros en Belgique, justifiant l’investissement massif de ces derniers dans le Nord-Est de la France.

Les dispositifs nationaux de régulation sont parvenus à maintenir les prix des terres relativement bas, ce qui a joué en faveur de la compétitivité économique des fermes françaises. Pour autant, nombre de transactions échappent à tout contrôle.

Les investissements étrangers en France concernent un peu plus de 1 % des transactions mais nous manquons de données sur l’identité des propriétaires des terres et sur leurs intentions de long terme. Les mutations dont fait l’objet le foncier agricole français manquent de transparence.

L’outil sociétaire a été identifié lors de plusieurs débats parlementaires comme l’instrument privilégié d’accaparement des terres. La concentration des terres par les formes sociétaires d’exploitation concerne les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL), les sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA) ou les sociétés commerciales de types sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) qui autorisent l’entrée à leur capital d’associés non exploitants. Surtout, les SCEA et les sociétés commerciales peuvent accueillir des personnes morales associéesLa puissance d’achat de ces sociétés est (et d’ailleurs tel est souvent leur objet) bien plus importante que celle des personnes physiques. D’après la Fédération nationale des SAFER, les lots acquis par les sociétés sont en général 27 % plus grands et 5,2 fois plus onéreux (chiffres de 2017) que ceux acquis par des personnes physiques.

Une agriculture laissée aux seules mains d’investisseurs risque de conduire à l’éviction des exploitants des processus de décision avec un risque non moindre de substitution des agriculteurs de métier par des salariés.

Dans son référé du 28 juillet 2020 sur les leviers de la politique foncière agricole précitée, la Cour des comptes faisait elle aussi le constat de la poursuite d’une concentration des terres et de la nécessité de réguler plus efficacement le marché foncier agricole. Elle recommandait notamment de : « définir un cadre d’intervention des SAFER sur les parts sociales leur permettant d’agir en sécurité et de rendre compte précisément de ces opérations, sous le contrôle renforcé des commissaires du Gouvernement ». Le 2 novembre 2020, le Gouvernement répondait au référé par la seule mise en place « d’un sous-groupe de travail […] sur la thématique "des parts sociales de sociétés agricoles et viticoles" afin de déterminer une méthode d’évaluation des parts la plus adéquate au regard des transactions constatées sur le marché, d’une part, et, d’autre part, au suivi de ces cessions de parts ». En complément : « la complexité de certains montages financiers nécessite une analyse plus approfondie de l’ensemble des éléments constitutifs de ces parts sociales. Les conclusions de ce groupe de travail permettront de mieux encadrer la sécurité des transactions des SAFER sur le marché sociétaire et de faciliter leur analyse par les commissaires du Gouvernement. »

La Fédération nationale des SAFER pointe l’opacité des holdings et les difficultés à déterminer les personnes physiques impliquées dans ces exploitations, avec potentiellement l’entrée au capital d’investisseurs qui accaparent les terres. La rémunération du capital primerait sur la rémunération du travail et la pérennité des exploitations.

Dans cette configuration, la transmission des exploitations est plus difficile. Avec le renchérissement de l’installation le renouvellement des générations est compromis : l’augmentation des surfaces des exploitations et donc de leur coût entraînent un coût de reprise pour les jeunes agriculteurs plus élevé.

B.   Plusieurs tentatives de rÉgulation tenues en Échec

1.   La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt
du 13 octobre 2014

La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a étendu le pouvoir d’acquisition amiable de droits sociaux des SAFER mais également leur droit de préemption. Elle a créé un nouveau droit de préemption en faveur des SAFER en cas d’aliénation à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole.

Ce droit est encadré : il ne peut s’exercer que lorsqu’il a pour objet l’installation d’un agriculteur ([14]).

Un an à peine après la promulgation de la loi, des stratégies de contournement portant sur la cession partielle de parts sociales étaient opérées.

D’après le ministère de l’agriculture et de l’alimentation auditionné par votre rapporteur, « dans 97 % des cas, les cessions de parts sont partielles ; dans 90 % des cas, les cessions portent sur moins de 50 % des parts de la société, voire sur 20 % ou moins dans 57 % des cas ».

2.   La loi « Sapin 2 » du 9 décembre 2016 et la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle du 20 mars 2017

À l’initiative de M. Dominique Potier, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », puis la loi n° 2017-348 du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle ont tenté d’endiguer le contournement du droit de préemption des SAFER.

Par deux fois le Conseil constitutionnel a rejeté ces tentatives législatives.

La première fois, le dispositif adopté dans le projet de loi dit « Sapin 2 » a été censuré au motif qu’il s’agissait d’une disposition dépourvue de tout lien avec le texte initial (cavalier législatif) ([15]).

Dans sa décision DC n° 2017-748 du 16 mars 2017 sur la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle précitée, le Conseil constitutionnel a censuré la disposition qui attribuait aux SAFER la possibilité de préempter des terres en cas de cession partielle des parts ou d’actions d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. Le Conseil a estimé que, par ce dispositif, « la durée de détention, par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, des parts ou actions préemptées est susceptible d’affecter la valorisation de la société. Or, si les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural sont tenues de rétrocéder les biens préemptés, aucune garantie légale ne fait obstacle à ce qu’elles conservent ceux-ci au-delà du délai légal ». Dès lors, le juge constitutionnel en a déduit une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre. L’exercice d’un droit de préemption lorsque la cession des parts ou actions confère la majorité ou une minorité de blocage à l’acquéreur n’aurait pas garanti à la SAFER d’être majoritaire dans la société détentrice de biens immobiliers et, par conséquent, la rétrocession n’était pas de nature à permettre l’installation ou même le maintien de la consolidation d’exploitations. En d’autres termes, la détention d’actions préemptées par les SAFER ne doit pas avoir pour effet de modifier la valeur économique de la société. Le dispositif légal doit être conçu de telle sorte que les SAFER soient placées dans l’impossibilité de conserver ces parts sociales à l’expiration du délai fixé par le législateur.

Ce raisonnement s’inscrit dans une démarche d’ouverture de la part du juge constitutionnel, témoignant ainsi de la volonté du Conseil d’encadrer l’étendue du champ d’action capitalistique des SAFER.

La loi précitée a également créé un dispositif tendant à renforcer la transparence des acquisitions de foncier agricole par les sociétés, en les obligeant à s’appuyer sur une société dédiée au portage du foncier, pour toute nouvelle acquisition ou apport de foncier.

Ainsi en application de l’article L. 143-15-1 du code rural et de la pêche maritime, les biens ou droits visés par l’article L. 143-1 du même code (biens soumis au droit de préemption de la SAFER) acquis ou apportés au profit d’une personne morale doivent être rétrocédés par voie d’apport au profit d’une autre personne morale dont l’objet est la propriété agricole. Cette obligation s’applique uniquement lorsque, à la suite de l’acquisition ou de l’apport, la surface détenue en propriété par la société bénéficiaire ou par la société au sein de laquelle les biens ou droits sont apportés excède le seuil fixé par le SDREA. En pratique, ce seuil est celui au-delà duquel une demande d’autorisation d’exploiter doit être déposée. L’objectif initial du législateur était d’isoler lesdits immeubles au sein d’une société à objet principal de propriété agricole et de permettre à la SAFER de préempter les parts de cette société foncière en cas de vente, même partielle, des parts de la société d’exploitation. Le paragraphe relatif au droit de préemption a été censuré par le Conseil Constitutionnel ; le dispositif, vidé de sa substance, fait office à ce jour de lettre morte.

3.   La loi du 22 mai 2019 dite « PACTE »

La loi  2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE), complétée par le décret
n° 2019-1590 du 31 décembre 2019, a durci le contrôle des investissements étrangers en France en élargissant le type d’activités soumises à contrôle et en renforçant les pouvoirs de police administrative du ministre. Les investissements dans la production, la transformation ou la distribution de produits agricoles lorsque celles-ci contribuent aux objectifs de sécurité alimentaire nationale sont soumis à autorisation préalable. Sont concernés l’acquisition du contrôle d’une entité de droit français ou d’une branche de cette entité ainsi que le franchissement, seul ou de concert, du seuil de 25 % de détention des droits de vote d’une telle entité.

Votre rapporteur a interrogé le ministère de l’agriculture et de l’alimentation aux fins de savoir si ce dispositif avait déjà trouvé à s’appliquer, un an après son entrée en vigueur le 1er avril 2020. Des réponses sont attendues pour l’examen de la présente proposition de loi en séance publique.

IV.   Des mesures d’urgence appelant une loi fonciÈre ambitieuse

L’action du législateur dans le secteur agricole se trouve confrontée à trois défis, dont trois particulièrement importants.

● Premièrement, la raréfaction du foncier agricole sous la pression de l’artificialisation des terres ;

● Deuxièmement, le développement du travail délégué ;

● Troisièmement, le phénomène d’abstraction du capital, matérialisé par le développement des formes sociétaires qui répondent autant à la recherche de croissance des exploitants qu’à l’attrait de la valeur refuge que constitue la terre pour les investisseurs, en particulier dans le contexte français de faible coût du foncier agricole. C’est ce troisième défi que la présente proposition de loi entend relever en bloquant la spirale de la concentration pour permettre à la jeune génération de s’installer.

A.   Un troisiÈme outil de contrÔle pour limiter la concentration excessive des terres en installant des agriculteurs

Faire porter le foncier dans une société permet de le transmettre via une simple cession de titres ne fait l’objet d’aucune régulation, passant sous les radars de la SAFER et du contrôle des structures. Ce nouvel outil répare cet angle mort, de façon ciblée.

Aux termes du dispositif proposé par l’article 1er, la cession de titres sociaux portant sur des sociétés agricoles ou à vocation agricole détenant ou exploitant du foncier agricole sera soumise à autorisation préfectorale si l’opération confère le contrôle de ladite société au cessionnaire et le place en situation de concentration excessive ou d’accaparement foncier selon un seuil de surface défini régionalement mais qui tiendra compte des équivalences selon les cultures telles que fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricole.

Le dépassement de ce seuil déclenchera le contrôle mais l’appréciation de son caractère excessif résultera, en combinaison avec les autres critères posés, de la décision de l’autorité administrative après instruction de la SAFER qui permettra de déterminer si l’opération notifiée est susceptible de contribuer au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard notamment des emplois créés et des performances économique, sociale et environnementale qu’elle présente ou a contrario, de porter atteinte aux objectifs du dispositif (l’installation d’agriculteurs, la consolidation d’exploitations et le renouvellement des générations agricoles), au regard notamment des caractéristiques des exploitations présentes et de l’agriculture développée, ainsi que des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des agriculteurs en place. En d’autres termes, « l’excès » pourra être autorisé si le projet est vertueux pour le territoire.

Si la concentration excessive et l’accaparement sont caractérisés, le demandeur pourra choisir, pour obtenir l’autorisation, de s’engager à vendre ou à donner à bail rural de long terme une surface compensatoire à un agriculteur qui s’installe ou qui souhaite consolider son exploitation. Priorité sera donnée aux agriculteurs bénéficiant des aides à l’installation des jeunes agriculteurs. Autrement dit, « l’excès » résultant d’un projet non vertueux pour le territoire ne sera autorisé que si par ailleurs le demandeur s’engage à libérer une « surface compensatoire ».

B.   Un dispositif À la main de l’État qui s’appuie sur les usagers des territoires ruraux

Le dispositif proposé s’appuiera sur les comités techniques des SAFER qui représentent tous les usagers des territoires ruraux, garants de l’intérêt général avec une tutelle de l’État en la présence de ses représentants. Y sont en effet rassemblés des représentants des organisations agricoles (chambres d’agriculture, banques et assurances mutuelles agricoles, syndicats agricoles représentatifs) et des collectivités territoriales (conseil départemental et associations de maires). Dans certaines SAFER sont également représentés le conseil régional, les notaires, les associations ou organismes de protection de l’environnement, les syndicats de propriétaires forestiers et les syndicats de la propriété rurale. Les décisions y sont souvent prises à l’unanimité.

La décision revient in fine à l’autorité administrative avec toutes les garanties procédurales et de recours habituelles.

C.   Un dispositif proportionnÉ, avec des seuils adaptÉs aux territoires

Afin d’éviter le contournement du dispositif, ce sont autant les personnes physiques que les personnes morales qui sont concernées (sociétés, y compris holdings, quelle que soit leur forme juridique).

Outre les biens immobiliers à usage agricole, seront également concernés les biens immobiliers à vocation agricole (situés en zone agricole, naturelle ou forestière).

Seules les opérations résultant d’une prise de contrôle effective d’une société sont concernées, avec des seuils pour les personnes physiques et morales.

Selon les mots de M. Maxime Buizard Blondeau, membre du conseil d’administration de Jeunes agriculteurs, « le seuil n’est ni national, ni arbitraire, c’est une fourchette qui laisse la liberté et la responsabilité au représentant de l’État de déclencher le dispositif ».

Des coefficients de pondération des surfaces sont appliqués aux différentes cultures. En présence de parcelles de natures de cultures différentes pour lesquelles des équivalences sont prévues dans le SDREA, il en sera tenu compte pour le calcul du seuil de déclenchement du contrôle.

Ce seuil d’« agrandissement significatif », tel que votre rapporteur souhaite le qualifier, déclenchera le contrôle, sans préjuger du sens de l’autorisation.

D.   Une simulation en cours

Au moment du dépôt de la présente proposition de loi, votre rapporteur, auteur de celle-ci, a proposé au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de simuler l’application du dispositif en conditions réelles.

A ainsi été initiée, à la demande du rapporteur, une simulation sur trois départements de la région Bourgogne-Franche-Comté : le Doubs pour l’élevage, la Côte d’Or pour la viticulture et l’Yonne pour les grandes cultures.

L’objectif est de faire un état des lieux des dossiers qui auraient pu être concernés ces dernières années, vérifier la sensibilité du seuil de déclenchement prévu par la proposition de loi (entre une fois et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le SDREA) et clarifier les flux d’information nécessaires à la mise en œuvre de cette procédure entre la SAFER et les services de l’État, les délais estimés et les moyens à déployer pour ce faire.

Un déplacement du rapporteur à Dijon le 20 mai 2021 permettra d’en rendre compte lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique.

E.   L’agriculture française aura nÉanmoins besoin d’une rÉforme fonciÈre ambitieuse

Il s’avère que le consensus est difficile à trouver pour une réforme d’ampleur qui porterait sur une refonte des autorisations d’exploiter, une modernisation du statut du fermage, un ajustement de l’action des SAFER, une meilleure mise en valeur des terres incultes et l’encadrement du travail agricole délégué. Ce dernier point méritera d’être traité à court terme.

La prestation de services consiste, pour un exploitant ou un propriétaire, à faire réaliser par un tiers prestataire de services tout ou partie de ses travaux agricoles.

Aujourd’hui, des entreprises de travaux agricoles spécialisées peuvent réaliser la totalité des tâches d’une exploitation agricole grâce à des moyens humains, matériels et administratifs. Cela concerne l’itinéraire technique des tâches agricoles (du labour à la vente de la récolte) et les tâches administratives associées (comptabilité, information, gestion fiscale). Jusqu’à une période récente cette prestation de services mettait en relations essentiellement deux exploitants proches pour réaliser des tâches ponctuelles en fonction de leurs nécessités et de leurs équipements, dans l’esprit des coopératives utilisatrices de matériel agricole.

De facto, le travail délégué peut permettre à l’exploitant de conserver son statut et les droits y afférents tout en abandonnant son métier et en vivant dans un lieu complètement excentré de son exploitation. Lorsque les prestations sont réalisées au profit d’un preneur à bail, elles peuvent contrevenir à l’obligation faite au preneur d’exploiter personnellement le bien loué pourtant sans résiliation possible de son bail. Le travail à façon intégral est susceptible d’entraîner la perte de la direction effective de l’exploitation. Il pose aussi problème lorsqu’il est utilisé pour contourner le contrôle des structures et éviter le statut du fermage.

Au-delà de la perte sèche de ce foncier pour les candidats à l’installation, cette situation consacre une agriculture sans agriculteurs.

 


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COMMENTAIRE DES ARTICLES

TITRE Ier
Contrôle du marchÉ sociÉtaire

Article 1er
Articles L. 333-1, L. 333-2, L. 333-3, L. 333-4 et L. 333-5 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime
Contrôle de la concentration excessive et de l’accaparement des terres agricoles

Article modifié par la commission.

1.   L’état du droit

a.   Une politique d’installation et de transmission en agriculture prévue par le code rural et de la pêche maritime

Le soutien à l’installation de nouveaux agriculteurs constitue un enjeu majeur pour le maintien d’une agriculture performante et durable, créatrice d’emplois et de valeur ajoutée dans tous les territoires.

La politique d’installation en agriculture fait, depuis la loi n° 95-95 du 1er février 1995 de modernisation de l’agriculture, l’objet de dispositions législatives codifiées aux articles L. 330-1 à L. 330-5 du code rural et de la pêche maritime (regroupés au chapitre préliminaire : « La politique d’installation et de transmission en agriculture » du titre III du livre III de ce code).

La politique d’installation favorise la transmission des exploitations dans un cadre familial et hors cadre familial. Elle constitue un objectif qui irrigue le code rural et de la pêche maritime dès l’article L.1.

Extrait de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime

« IV.- La politique d’installation et de transmission en agriculture a pour objectifs :

« 1° De contribuer au renouvellement des générations en agriculture ;

« 2° De favoriser la création, l’adaptation et la transmission des exploitations agricoles dans un cadre familial et hors cadre familial ;

« 3° De promouvoir la diversité des systèmes de production sur les territoires, en particulier ceux générateurs d’emplois et de valeur ajoutée et ceux permettant de combiner performance économique, sociale, notamment à travers un haut niveau de protection sociale, environnementale et sanitaire, notamment ceux relevant de l’agro-écologie ;

« 4° De maintenir sur l’ensemble des territoires un nombre d’exploitants agricoles permettant de répondre aux enjeux d’accessibilité, d’entretien des paysages, de biodiversité et de gestion foncière ;

« 5° D’accompagner l’ensemble des projets d’installation ;

« 6° D’encourager des formes d’installation progressive permettant d’accéder aux responsabilités de chef d’exploitation tout en développant un projet d’exploitation, et de favoriser l’individualisation des parcours professionnels.

« Dans le cadre de cette politique, l’État facilite l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables. Il assure la formation aux métiers de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture, de la transformation et de la commercialisation des produits agricoles et aux métiers qui leur sont liés, de façon adaptée aux évolutions économiques, sociales, environnementales et sanitaires ainsi qu’au développement des territoires. »

L’article L. 330-5 fait obligation aux exploitants entendant partir en retraite de faire « connaître à l’autorité administrative leur intention de cesser leur exploitation et les caractéristiques de celle-ci et indiquer si elle va devenir disponible » au moins trois ans avant leur départ en retraite. L’article prescrit la création d’un répertoire à l’installation, dans chaque département, « chargé de faciliter les mises en relation entre cédants et repreneurs, particulièrement pour les installations hors cadre familial ». Ces répertoires n’ont pas été créés dans tous les départements ou peinent à fonctionner lorsque l’agriculteur en fin de carrière ne prévoit pas de se défaire des terres au profit d’un jeune. Cette absence d’offre rend peu attrayant l’enregistrement d’une demande. Le nouveau dispositif ici créé devrait relancer l’intérêt et l’attrait des répertoires, avec pour perspective de s’appuyer sur les demandes en attente d’être satisfaites qu’ils contiendront.

Pour bénéficier du dispositif financier de la dotation jeunes agriculteurs ([16]) co-financée par les aides de la politique agricole commune, les candidats doivent justifier de leur capacité à réaliser un projet viable par la détention d’une capacité professionnelle. Les candidats élaborent un projet global d’installation couvrant les aspects économiques et environnementaux.

b.   Un contrôle des structures qui ne concerne pas les sociétés

La réglementation des structures a été créée pour répartir la terre entre les agriculteurs et assurer la viabilité économique des exploitations. Le contrôle des structures s’applique au regard de critères prévus pour éviter autant la concentration excessive des exploitations entre les mêmes mains que le démantèlement de l’unité de production dont les biens cédés sont extraits.

En application de l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, l’objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l’installation des agriculteurs. Ceux qui y sont soumis doivent solliciter une autorisation préalable d’exploiter auprès de l’autorité administrative. La décision est prise par le préfet de région. À l’origine créé sur le modèle de l’exploitant personne physique, le contrôle des structures s’est vite trouvé dépassé en présence d’exploitants personnes morales. Aussi a-t-il été remanié au gré de chaque loi agricole, dans l’espoir d’être mis en concordance avec cette évolution mais sans succès ([17]).

Le contrôle des structures porte en effet exclusivement sur le droit d’exploiter : la simple prise de participation financière dans une société d’exploitation ou de portage de foncier n’est pas soumise au dispositif, ni les prises de participation multiples dans des exploitations, dès lors qu’il n’y a pas de participation aux travaux au stade de la demande.

Le contrôle des structures s’appuie sur le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA). Il organise les conditions de mise en œuvre du contrôle en prenant en compte les enjeux économiques, sociaux et environnementaux définis dans le plan régional de l’agriculture durable. À ce titre, il fixe les seuils de contrôle et établit l’ordre des priorités entre les différents types d’opérations concernées par une demande d’autorisation. Il fixe les critères d’appréciation de la dimension économique et de la viabilité des exploitations concernées par la demande d’autorisation. Enfin, il précise les critères au regard desquels une opération conduit à un agrandissement excessif ou à une concentration d’exploitations excessive de nature à diminuer la diversité des productions et le nombre d’emplois.

c.   Un contrôle limité des cessions des sociétés

Pour l’exercice de leurs missions détaillées à l’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime, les SAFER sont préalablement informées par le notaire ou le cédant de toute cession conclue à titre onéreux ou gratuit portant sur des biens ou droits immobiliers, y compris en cas de cession de parts ou d’actions de sociétés (article L. 141-1-1 du même code).

Leur principal moyen d’action est d’acquérir pour les rétrocéder des biens ruraux, des terres, des exploitations agricoles ou forestières. Cependant, en application de l’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime elles ne sont en capacité d’intervenir par leur droit de préemption qu’en cas de cession à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole et uniquement avec pour objectif d’installer un agriculteur.

Leur pouvoir d’action est donc contourné dans l’hypothèse d’une aliénation d’une partie seulement des parts ou actions d’une société agricole (jusqu’à 99 %).

2.   L’article 1er de la proposition de loi

L’article 1er de la proposition de loi, qui constitue le cœur du dispositif de « contrôle du marché sociétaire » suivant l’intitulé du titre Ier, complète le titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime par un chapitre III intitulé « Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole » et comportant les articles L. 333-1 à L. 333-5.

a.   Les objectifs du dispositif de contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole et son seuil de déclenchement

Le nouvel article L. 333-1 (alinéas 4 et 5) présente les objectifs du dispositif de contrôle du marché sociétaire et décrit les modalités de fixation du seuil d’agrandissement excessif déclenchant un contrôle de l’autorité administrative.

Conformément à l’article L.1 et au titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime, le nouvel outil de régulation vise à favoriser l’installation d’agriculteurs, la consolidation d’exploitations et le renouvellement des générations agricoles. Il contribue également à la souveraineté alimentaire de la France et tend à faciliter l’accès au foncier notamment en contrôlant le respect des prix du marché foncier local. Pour ce faire, l’outil proposé lutte contre la concentration excessive des terres (entendu comme la concentration entre les mains d’un faible nombre de propriétaires) et l’accaparement (défini comme l’accaparement de l’outil de production par un faible nombre d’exploitants au détriment de candidats à l’installation ou à la consolidation d’exploitations de taille inférieure). La caractérisation de l’excès résulte de l’exploitation ou de la possession de terres au-delà du seuil d’agrandissement excessif.

Ce nouveau seuil de déclenchement du contrôle, que votre rapporteur proposera de renommer seuil d’agrandissement significatif suivant l’avis du Conseil d’État, est, comme la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM) à partir de laquelle est calculé le seuil déclenchant le contrôle des structures, fixé par le préfet de région en hectares, par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole, dans des conditions prévues par décret. Après une longue concertation avec les organisations professionnelles agricoles, votre rapporteur a choisi d’établir ce seuil entre une fois et trois fois la SAURM fixée dans le SDREA au titre du II de l’article L. 312-1.

À titre d’illustration, le SDREA de Bourgogne fixe :

     la SAURM à 73 hectares en Bresse Louhannaise ou dans le Mâconnais, à 120 hectares en Val de Saône ou dans le Nivernais central et à 187 hectares en Pays Langrois Montagne ;

     le seuil de déclenchement de l’autorisation d’exploiter à 0,84 SAURM ;

     la dimension des agrandissements ou concentrations excessives d’exploitations agricoles à 141 hectares en Bresse Louhannaise ou dans le Mâconnais, à 196 hectares en Val de Saône ou dans le Nivernais central et à 224 hectares en Pays Langrois Montagne.

b.   Le déclenchement du contrôle (I de l’article L. 333-2)

Le nouvel article L. 333-2 (alinéas 6 à 20) définit les conditions dans lesquelles la prise de contrôle d’une société est soumise à une autorisation préalable de l’autorité administrative.

C’est la prise de contrôle d’une société possédant ou exploitant des immeubles à usage ou à vocation agricole au sens de l’article L. 143‑1 qui est ici l’élément déclencheur du dispositif. La vocation agricole des immeubles couvre les terrains situés dans une zone agricole protégée, à l’intérieur d’un espace protégé ou dans une zone agricole ou une zone naturelle et forestière.

Cependant, la prise de contrôle doit être réalisée par une personne physique ou une personne morale :

     qui excède déjà le seuil d’agrandissement excessif précité avant son projet de prise de contrôle du fait de sa détention, en propriété ou en jouissance de superficies d’immeubles de même nature ;

     ou qui, si elle réalisait la prise de contrôle, détiendrait une superficie excédant ce seuil.

Ledit seuil est apprécié en additionnant toutes les superficies à usage ou à vocation agricole, quelle que soit la production agricole concernée dont il est tenu compte par les équivalences de parcelles de natures de cultures différentes fixées par le SDREA. Il est en effet important de conserver la spécificité des superficies des parcelles agricoles de différentes cultures prise en compte dans le SDREA dans le calcul qui sera réalisé. Par exemple, les parcelles de vigne et les parcelles céréalières bénéficient de coefficients d’équivalence distincts, compte tenu de leur valeur et de la taille moyenne de ces exploitations.

Le fait que le bénéficiaire exploite ou possède indirectement par une ou plusieurs personnes morales interposées dont il a le contrôle lesdites superficies ne les exempte pas du calcul.

Le régime matrimonial du bénéficiaire de l’opération ou le fait qu’il détienne des droits indivis ou démembrés sur les immeubles ne modifie par le décompte des superficies.

c.   La définition de la prise de contrôle de la société (II de l’article L. 333‑2)

Élément déterminant de la « maille » du dispositif, la prise de contrôle par l’acquisition de titres sociaux constitue une prise de contrôle effective au sens du présent chapitre lorsqu’elle confère :

1° Au cessionnaire personne physique le statut de bénéficiaire effectif de la société. En application du 1° de l’article L. 561-2-2 du code monétaire et financier, le statut de bénéficiaire effectif est conféré à la ou les personnes physiques qui « contrôlent en dernier lieu, directement ou indirectement, le client » ou « pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée ». L’article D. 561-1 du même code définit « la ou les personnes physiques qui soit détiennent, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote de la société, soit exercent, par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur la société au sens des 3° et 4° du I de l’article L. 233-3 du code de commerce ». Ce dispositif a été créé dans un objectif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’ordonnance n° 2016-1235 du 1er décembre 2016 impose à toutes les sociétés de déposer au greffe du tribunal de commerce le nom de leurs bénéficiaires effectifs. Cette obligation a pour but d’identifier les personnes physiques contrôlant réellement la société ;

2° À une personne physique ou morale, agissant directement ou par l’interposition d’une personne morale acquéreur, le contrôle de la société au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce c’est-à-dire lorsqu’elle y dispose d’une majorité des droits de vote. Le II de ce même article précise que la personne physique ou morale est « présumée exercer ce contrôle [lorsqu’elle] dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne » ;

Ces deux seuils ont pour finalité d’identifier la personne physique ou morale qui exerce le contrôle effectif de la société.

Le Conseil d’État a cependant estimé que « le seuil de 25 % pourrait être regardé comme soumettant de manière excessive à contrôle administratif les investissements dans le marché sociétaire et portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et au principe de liberté de circulation des capitaux dans l’Union européenne ». Il recommande donc que soit appliquée aux personnes physiques et morales cessionnaires la même définition de la prise de contrôle, qui serait celle issue de l’article L. 233-3 du code de commerce. » Votre rapporteur en tiendra compte en proposant en commission un amendement ne conservant que cette dernière définition de la prise de contrôle.

En complément, en forme de dispositif de sauvegarde, afin de couvrir l’ensemble des montages sociétaires possibles et de facto anticiper d’éventuels contournements, le dispositif décrit précisément toutes les mutations de titres sociaux couvertes :

1° Toute modification de la répartition du capital social aboutissant à transférer le contrôle de la société au profit d’un nouveau bénéficiaire, associé ou non, remplissant les conditions du contrôle ;

2° Toute prise de participation complémentaire réalisée par un cessionnaire ayant déjà le statut de bénéficiaire effectif dans la société ou détenant déjà le contrôle de celle‑ci ;

3° Toute prise de participation complémentaire réalisée par un cessionnaire personne morale ayant pour effet de renforcer les droits d’un tiers agissant par son interposition et qui exerce déjà le contrôle de la société ;

4° La prise de contrôle d’une société qui détient, directement ou indirectement, des titres sociaux dans une autre société réunissant les critères de contrôle, cas des holdings.

d.   Les opérations exemptées du dispositif (III de l’article L. 333-2)

Le III de l’article L. 333-2 prévoit deux cas d’exemption du dispositif.

● Les SAFER qui, pour l’exercice de leurs missions, effectuent des opérations d’acquisition et de rétrocession, par cession ou substitution, à l’amiable ou par l’exercice de leur droit de préemption. Elles remplissent des missions d’intérêt général et disposent pour ce faire de prérogatives exorbitantes du droit commun. Ces prérogatives les conduisent à mener des opérations d’acquisition de titres sociaux justifiées par les motifs de leurs interventions mentionnés au 1° de l’article L. 141-1 (favoriser l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable au regard des critères du SDREA ainsi que l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations). Ces interventions concourent aux objectifs du présent chapitre et ne sauraient alimenter la concentration excessive des terres ou l’accaparement sous peine de nullité. Les opérations ici citées sont réalisées avec l’accord préalable des commissaires du Gouvernement, donc soumises à un contrôle de l’autorité administrative.

● Les opérations réalisées à titre gratuit.

e.   La méconnaissance du dispositif (IV de l’article L. 333-2)

En l’absence de dépôt de demande d’autorisation, une action en nullité de l’opération peut être exercée par l’autorité administrative ou par la SAFER qui aurait dû recevoir notification. Elle se prescrit par cinq ans à compter du jour où cette opération est portée à la connaissance de l’auteur de l’action (autorité administrative ou SAFER).

f.   La procédure de délivrance de l’autorisation (article L. 333-3)

L’article L. 333-3 décrit la procédure de demande et de délivrance de l’autorisation. La demande est présentée à la SAFER qui est chargée de l’instruire au nom et pour le compte de l’autorité administrative dans un délai qui sera fixé par décret. L’autorité administrative est seule compétente pour délivrer l’autorisation.

L’instruction diligentée par la SAFER doit permettre de déterminer si les contributions positives de l’opération sont susceptibles de compenser les atteintes aux objectifs du dispositif. Plus précisément, la SAFER examine si l’opération notifiée est susceptible :

1° De contribuer au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard notamment des emplois créés et des performances économique, sociale et environnementale qu’elle présente ;

2° À l’inverse, de porter atteinte aux objectifs du dispositif, appréciés à l’échelle du territoire agricole pertinent, au regard notamment des caractéristiques des exploitations présentes et de l’agriculture développée, ainsi que des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des agriculteurs en place.

Si, aux termes de l’instruction, la SAFER détermine que l’opération est positive au sens du 1° ou si sa contribution au sens du 1° l’emporte sur l’atteinte au sens du 2°, elle en informe l’autorité administrative pour que l’autorisation puisse être délivrée. À défaut d’autorisation expresse, l’opération est réputée autorisée dans le silence de l’autorité administrative au terme d’un délai qui devra être fixé par décret.

À l’inverse si, aux termes de l’instruction, la SAFER détermine que l’opération est néfaste au sens du 2° ou si l’atteinte au sens du 2° l’emporte sur la contribution au sens du 1°, c’est le demandeur qui en est informé dans un délai qui sera fixé par décret. La SAFER lui fait connaître les motifs qui s’opposent à la réalisation de l’opération telle que notifiée.

g.   La possibilité de libérer des surfaces compensatoires

En cas d’opposition de la SAFER la procédure ne s’arrête par là. La société objet de la prise de contrôle ou le bénéficiaire de cette prise de contrôle peut proposer, dans un délai qui sera fixé par décret, des mesures de nature à remédier aux effets de l’opération notifiée et qui se matérialisent par une libération compensatoire de superficies agricoles. Ces mesures doivent prendre la forme d’un engagement à conclure au bénéfice de la SAFER une promesse de vente ou de location, avec faculté de substitution de celle-ci, assortie d’un cahier des charges destiné à sécuriser l’opération dans le temps. Le demandeur s’engage à libérer des superficies agricoles :

1° Soit, s’il est propriétaire, en vendant ou en donnant à bail rural à long terme prioritairement à un agriculteur réalisant une installation en bénéficiant des aides à l’installation des jeunes agriculteurs ou, à défaut, à un agriculteur réalisant une installation ou ayant besoin de se consolider, une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique tel que fixé par le SDREA ;

2° Soit, s’il dispose d’un bail rural, en libérant prioritairement des surfaces au profit des mêmes agriculteurs que ceux mentionnés au 1°. Cette libération de superficies agricoles passe par la résiliation, à due concurrence, du titre de jouissance dont le demandeur disposait à condition que le propriétaire des immeubles en question s’engage à les vendre ou à les donner à bail rural à long terme à l’agriculteur qui sera choisi.

h.   L’autorisation et le contrôle des engagements pris

L’autorité administrative, après avoir pris connaissance des engagements proposés par le demandeur et de l’avis de la SAFER a alors trois possibilités :

– autoriser sans conditions l’opération notifiée ;

– autoriser l’opération notifiée en la subordonnant à la réalisation effective des engagements pris par les parties. Celles-ci disposent alors d’un délai de six mois (renouvelables sous conditions) pour les réaliser à compter de la date de ladite autorisation ;

– refuser l’autorisation.

À défaut d’autorisation expresse, l’opération est réputée autorisée dans le silence de l’autorité administrative au terme d’un délai fixé par décret.

i.   Les voies de recours

Le non-respect d’engagements du titulaire de l’autorisation conditionnelle entraîne sa nullité de plein droit. La remise en cause de la prise de participations s’exercera plus vraisemblablement devant la juridiction judiciaire.

Sauf force majeure, absence de faute du souscripteur ou dérogation accordée par la SAFER en cas de non‑respect du cahier des charges, l’autorité administrative peut, d’office ou à la demande de toute personne y ayant intérêt, infliger une amende administrative, égale au moins au montant fixé à l’article 131‑13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe (1 500 euros) et au plus à 2 % du montant de la transaction concernée. Les frais résultant éventuellement des mesures nécessaires à l’exécution des sanctions sont à la charge du contrevenant.

La décision de refus d’autorisation peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative (le tribunal administratif).

j.   L’articulation du dispositif avec la demande d’autorisation d’exploiter

Dans un souci de simplification pour les demandeurs, l’article L. 333-4 procède à une coordination avec la délivrance des autorisations d’exploiter dans le cadre du contrôle des structures. Si l’opération objet du dispositif prévu au présent chapitre exigeait une autorisation d’exploiter, l’autorisation délivrée en tiendra lieu. Le demandeur n’aura pas à formuler deux demandes distinctes.

En toute logique, toutes les autres opérations demeurent soumises en tant que de besoin à une autorisation d’exploiter dans les conditions prévues aux articles L. 331-1 à L. 331-11 relatifs au contrôle des structures.

L’article L. 333-5 prévoit qu’un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application de l’ensemble du chapitre.

3.   La position de votre commission

La commission a adopté cet article modifié par de nombreux amendements.

Votre rapporteur est à l’initiative de plusieurs amendements de clarification du dispositif qui tirent toutes les conséquences rédactionnelles de l’avis précieux du Conseil d’État.

● Le début du chapitre III créé par le présent article 1er au sein du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime (alinéas 4 à 6) est réécrit (amendements CE89 et CE91 de votre rapporteur) : l’objectif dudit chapitre III, précisé à l’article L. 333-1 du même code, est clarifié en supprimant le lien direct entre la concentration excessive des terres et l’accaparement, d’une part, et l’exploitation ou la possession de terres au-delà du seuil d’agrandissement excessif, d’autre part. Cette notion de seuil d’agrandissement « excessif » disparait du chapitre III au profit de la notion de seuil d’agrandissement « significatif ». Le début de l’article L. 333-2 dudit code est réorganisé afin de prévoir en son I la définition de ce seuil et en son II la manière dont il sera fixé par le représentant de l’État dans la région selon des modalités fixées par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 333-5 du même code. Le III de l’article L. 3332 décrit la manière dont s’apprécie le seuil à l’échelle de chaque personne physique propriétaire ou exploitante en tenant compte d’éventuelles personnes morales qui pourraient intervenir dans le projet d’acquisition. Cette rédaction tient compte du point 20. de l’avis du Conseil d’État :

« 20. Le premier alinéa du nouvel article L. 333-1 du code rural et de la pêche maritime définit les objectifs du dispositif de contrôle du marché sociétaire, en énonçant qu’il " vise à favoriser l’installation d’agriculteurs, la consolidation d’exploitations et le renouvellement des générations agricoles, en luttant contre la concentration excessive des terres et l’accaparement, qui se traduisent par l’exploitation ou la possession de terres au-delà du seuil d’agrandissement excessif tel que défini au deuxième alinéa ".

« Le Conseil d’État relève que la formulation retenue par cette première phrase du premier alinéa se trouve en décalage avec la logique du dispositif dans la mesure où elle donne à penser que la concentration excessive des terres et leur accaparement résulte du seul franchissement d’un seuil d’agrandissement de surface agricole, qualifié de " seuil d’agrandissement excessif ", alors que le franchissement de ce seuil ne constitue que la condition d’entrée dans le dispositif d’autorisation administrative et ne préjuge pas de la nature de la décision de l’autorité compétente. Il recommande de ne pas préciser, dans ce premier alinéa, que la concentration excessive des terres et l’accaparement " se traduisent par l’exploitation ou la possession de terres au-delà du seuil d’agrandissement excessif ". Il suggère également, selon la même logique, de ne pas recourir à l’adjectif " excessif " pour qualifier le seuil d’agrandissement dans l’alinéa et dans l’article suivants, et de le remplacer par l’adjectif " significatif ". »

La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire (CDDAT), qui s’est saisie pour avis du présent article 1er a permis l’adoption d’un amendement (CE126) qui précise que le calcul du seuil d’agrandissement significatif tient compte des équivalences prévues dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles lorsqu’il existe des parcelles de natures de culture différentes. Par ailleurs, la CDDAT est également à l’origine de l’adoption d’un amendement (CE127) qui prévoit que plusieurs modalités d’application du chapitre seront précisées par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 333-5.

Le Conseil d’État a insisté sur l’importance du seuil au-delà duquel l’acquisition de titres est considérée comme une prise de contrôle (alinéa 9 à 11 du présent article) :

« 21. Le Conseil d’État relève que le II du nouvel article L. 333-2 du code rural et de la pêche maritime fait appel, pour les personnes physiques cessionnaires, à une définition de la prise de contrôle, créée dans le cadre particulier de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, plus englobante que celle donnée par le code de commerce. Cette définition fixe en effet à 25 % de la détention du capital ou des droits de vote de la société le seuil de prise de contrôle, alors que l’article L. 233-3 du code de commerce fixe ce seuil à la détention de la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de la société.

« Le Conseil d’État estime que le seuil de 25 % pourrait être regardé comme soumettant de manière excessive à contrôle administratif les investissements dans le marché sociétaire et portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et au principe de liberté de circulation des capitaux dans l’Union européenne. Il recommande donc que soit appliquée aux personnes physiques et morales cessionnaires la même définition de la prise de contrôle, qui serait celle issue de l’article L. 233-3 du code de commerce. »

Votre rapporteur, soucieux de la proportionnalité et de l’efficacité du dispositif, est ainsi à l’origine d’un amendement (CE50) qui ne conserve qu’une seule définition de la prise de contrôle qui est celle prévue à l’article L. 233-3 du code de commerce, soit un seuil de prise de contrôle à la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de la société ou une présomption de contrôle lorsque la personne physique ou morale « dispose directement ou indirectement, d’une fraction des droits de vote supérieure à 40 % et qu’aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne ». Ce faisant, le seuil renvoyant à la notion de bénéficiaire effectif d’un contrat est supprimé.

En complément, le seuil tient compte du contrôle des holdings des sociétés, qui est défini à l’article L. 233‑4 du code de commerce.

En conséquence l’article 4 de la proposition de loi relatif à l’accès au registre des bénéficiaires effectifs est supprimé.

● La commission a également adopté un amendement (CE34) de M. Yves Daniel, du groupe La République en Marche, qui soumet à un accord préalable exprès des commissaires du Gouvernement rattachés aux SAFER toutes les opérations d’acquisition et de rétrocession, par cession ou substitution, réalisées par les SAFER à l’amiable dans le cadre de leurs missions légales ou par l’exercice de leur droit de préemption. Cet amendement permet de renforcer la conformité légale de ces opérations exemptées du dispositif de contrôle créé au chapitre III.

Un amendement (CE104) de votre rapporteur a clarifié les conditions de l’exercice de l’action en nullité : c’est bien l’autorité administrative qui exerce cette action, d’office ou à la demande de la SAFER à laquelle la demande doit être adressée.

Répondant à une demande du monde agricole relative à la transparence sur les cessions de parts sociales tout comme sur l’action des SAFER, la commission a adopté un amendement de M. Philippe Huppé (CE84), du groupe Agir ensemble, qui prévoit que l’autorité administrative publie les demandes notifiées aux SAFER, selon des modalités qui seront prévues par décret en Conseil d’État. Cette publication permettra, le cas échéant, aux filières agricoles concernées et à toute personne ou organisation non représentée dans les comités techniques des SAFER de donner son avis sur la cession au regard des critères positifs (développement du territoire, diversité des systèmes de production au regard notamment des emplois créés et des performances économique, sociale et environnementale du projet) et négatifs (concentration excessive des terres et accaparement au regard des caractéristiques des exploitations présentes et de l’agriculture développée, ainsi que des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des agriculteurs en place) prévus au nouveau chapitre III.

Les deux critères pris en compte par la SAFER lors de son instruction et par l’autorité administrative pour délivrer son autorisation, ont été inversés par un amendement du rapporteur (CE105). Plus précisément, le critère qui porte sur les conséquences négatives de l’opération mentionné au 2° de la proposition de loi devient le premier critère d’examen de la demande (1° dans le texte adopté par la commission) de sorte que le critère qui porte sur les conséquences positives de l’opération mentionné au 1° de la proposition de loi devient le 2° dans le texte adopté par la commission. Ce deuxième critère est précédé des mots « le cas échéant » afin de clarifier son caractère secondaire. Cette importante réécriture du dispositif tire les conséquences des commentaires du Conseil d’État sur ce point :

« 22.  S’agissant des deux critères mentionnés au I de l’article L. 3333 du code rural et de la pêche maritime, le Conseil d’État estime indispensable que la rédaction des dispositions en cause fasse apparaître que le critère principal pour déterminer si l’opération envisagée peut ou non être autorisée est celui mentionné dans le texte de la proposition de loi sous le 2°, et que dans tous les cas l’opération en cause doit commencer par être appréciée au regard de ce critère. Ce n’est que dans un second temps que l’autre critère, mentionné sous le 1° pourrait venir compléter l’appréciation de l’opération et conduire dans certains cas à une décision d’autorisation là où l’application du critère principal entrainerait une réponse négative. Il y a donc deux appréciations successives à porter et pour tirer les conséquences de ce qui précède le Conseil d’État recommande d’inverser l’ordre de présentation de ces deux critères et de faire précéder l’énoncé du critère actuellement mentionné au 1° des mots " Le cas échéant, ". »

Deux amendements du rapporteur (CE124 et CE125) clarifient les conséquences du non-respect des engagements pris dans le délai imparti, dû à la défaillance du titulaire de l’autorisation administrative conditionnelle, suivant l’avis du Conseil d’État :

« 24. […] Le Conseil d’État suggère de modifier les deuxième et troisième paragraphes de ce V pour mieux distinguer les dispositions relatives aux conditions de retrait de l’autorisation, d’infliction d’une éventuelle amende administrative et le cas échéant de saisine du juge par une action en nullité. Cette réorganisation du contenu des paragraphes pourrait ainsi faire apparaître le déroulement suivant. S’il est constaté que les engagement pris par le cessionnaire ne sont pas respectés par lui, l’autorité administrative le met en demeure de se conformer à ses engagements. Si la mise en demeure reste sans effet, l’autorisation peut être retirée et l’autorité administrative peut assortir ce retrait d’une sanction administrative. Il est nécessaire de préciser à ce sujet que le prononcé de cette amende ne peut intervenir qu’au terme d’une procédure contradictoire.

« Par ailleurs, le Conseil d’État considère qu’à la suite du retrait de l’autorisation administrative, il est possible de prévoir que l’opération de prise de participation soit remise en cause, mais seulement dans le cadre d’une action en nullité engagée devant la juridiction judiciaire.

« Enfin il recommande la suppression de la disposition qui prévoit que les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution de cette sanction sont à la charge du contrevenant, ne voyant pas l’utilité d’une telle disposition dans le cas d’une procédure conduisant à une amende administrative. »

Ce dispositif s’inspire de la procédure et des sanctions applicables en cas de refus d’autorisation d’exploiter (article L. 331‑7 du code rural et de la pêche maritime).

Le rapporteur a souhaité supprimer la mention de la possibilité d’un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative (CE122). Le Conseil d’État a en effet estimé qu’un recours pour excès de pouvoir de droit commun serait plus approprié :

« 25. Le VI de l’article L. 3333 du code rural et de la pêche maritime prévoit que la décision de refus d’autorisation peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative. Le Conseil d’État fait observer à ce sujet que le recours de pleine juridiction, généralement mis en œuvre pour contrôler le pouvoir de sanction de l’administration, n’est pas approprié s’agissant du contentieux d’un régime d’autorisation administrative. Il estime que le recours en excès de pouvoir s’impose dans ce cas, mais s’agissant d’un recours de droit commun ouvert en toute hypothèse, la mention de la possibilité d’un tel recours n’est pas utile. Il suggère dont de retirer le VI de l’article L. 3333 nouveau. »

● Enfin, 21 amendements rédactionnels du rapporteur et 8 amendements identiques de Mme Anne-Laurence Petel du groupe La République en Marche ont été adoptés.

 

Article 2
Article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime
Actualisation des moyens d’action des SAFER

Article modifié par la commission.

1.   L’état du droit

L’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime décrit les missions des SAFER (I), leurs moyens d’action (II) et les modalités de rétrocession des biens acquis (III).

a.   Les missions des SAFER

La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 précitée a dévolu aux SAFER quatre missions principales décrites au I de l’article L. 141-1 :

« 1° Elles œuvrent prioritairement à la protection des espaces agricoles, naturels et forestiers. Leurs interventions visent à favoriser l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles ainsi que l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations. Ces interventions concourent à la diversité des systèmes de production, notamment ceux permettant de combiner les performances économique, sociale et environnementale et ceux relevant de l’agriculture biologique […] ;

« 2° Elles concourent à la diversité des paysages, à la protection des ressources naturelles et au maintien de la diversité biologique ;

« 3° Elles contribuent au développement durable des territoires ruraux [...] ;

« 4° Elles assurent la transparence du marché foncier rural. »

Elles assurent également d’autres missions sans lien direct avec la restructuration des exploitations agricoles (études, opération de développement rural, concours techniques).

b.   Leurs moyens d’action

Pour la réalisation de leurs missions les SAFER peuvent, en application du II de l’article L. 141-1 précité :

Acquérir, dans le but de les rétrocéder, des biens ruraux, des terres, des exploitations agricoles ou forestières. Ainsi les SAFER ont pour principales prérogatives d’intervenir en tant qu’acheteur et vendeur de propriétés agricoles ou forestières ;

2° Au lieu de mener elles-mêmes ces opérations, les SAFER ont la possibilité de se substituer un ou plusieurs attributaires pour réaliser la cession de tout ou partie des droits conférés par une promesse de vente s’agissant des bien mentionnés au 1°. La substitution doit intervenir dans un délai maximal de six mois à compter du jour où ladite promesse a acquis date certaine et, au plus tard, au jour de l’acte authentique réalisant ou constatant la vente ;

3° Les SAFER disposent également de possibilités d’acquisition de parts sociales de sociétés ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole, notamment de la totalité ou une partie des parts de groupements fonciers agricoles ou de groupements fonciers ruraux. Jusqu’à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 précitée elles ne pouvaient qu’acquérir des parts de sociétés civiles à objet agricole donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance de biens agricoles ou forestiers ou l’intégralité des parts ou actions de sociétés ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole.

La substitution est un outil spécifique au droit rural qui permet de transmettre un bien immobilier en supprimant un deuxième acte de mutation, c’est-à-dire en évitant de « titrer » la SAFER avant que celle-ci ne procède à la rétrocession du bien. L’attributaire devient propriétaire du bien sans que celui-ci soit entré dans le stock foncier de la SAFER ;

Se livrer ou prêter leur concours à des opérations immobilières portant sur les biens d’autrui et relatives au louage régi par le statut des baux ruraux.

Les SAFER ne peuvent conserver la propriété des biens qu’elles ont acquis pendant plus de cinq ans. Elles doivent les rétrocéder par cession ou par substitution selon un ordre de priorité, en particulier en vue de l’installation d’un agriculteur. Les biens sont attribués à des candidats capables d’en assurer la gestion, la mise en valeur ou la préservation. Elles peuvent également les céder à des personnes qui s’engagent à les louer sous plusieurs conditions.

En application du III de l’article L. 141-1 précité, les SAFER peuvent imposer aux candidats un cahier des charges comportant l’engagement du maintien pendant un délai minimal de dix ans de l’usage agricole ou forestier des biens attribués et soumettant, pendant ce même délai, toute opération de cession à titre onéreux en propriété ou en jouissance du bien attribué à son accord préalable. En cas de non-respect de ces engagements pris dans le cadre d’un cahier des charges, l’attributaire est tenu de délaisser le bien, si la SAFER le demande, au prix fixé par le cahier des charges ou, à défaut, par le juge de l’expropriation.

c.   L’exonération fiscale dont les opérations menées par les SAFER font l’objet

Les opérations immobilières réalisées par les SAFER sont exonérées des droits d’enregistrement en vertu de l’article 1028 du code général des impôts.

En application des articles 1028 bis et 1028 ter du même code, toutes les acquisitions effectuées par les SAFER et toutes les cessions qu’elles effectuent au titre de l’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime dont la destination répond aux dispositions dudit article et qui sont assorties d’un engagement de l’acquéreur pris pour lui et ses ayants cause de conserver cette destination pendant un délai de dix ans à compter du transfert de propriété ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.

Ce régime fiscal de faveur est contrebalancé pour le bénéficiaire par le paiement de frais d’intervention de la SAFER, dont le barème est fixé par son conseil d’administration.

2.   L’article 2 de la proposition de loi

L’article 2 modifie sous deux aspects l’article L. 141-1 précité.

Le du présent article modifie le II dudit article L. 141-1 pour étendre la possibilité pour les SAFER d’utiliser le mécanisme de la substitution pour les opérations portant sur l’acquisition d’actions ou de parts de sociétés détenant en propriété ou en jouissance des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole ou détenant des droits sur de telles sociétés.

Cette modification titre les conséquences de l’article 1er de la présente loi : la SAFER pourra utiliser le mécanisme de la substitution non seulement pour les ventes d’immeubles mais également pour les cessions d’actions ou de titres de sociétés.

Ce faisant, la rédaction proposée fait disparaître la mention de l’objet « principal » de la société qui devait être l’exploitation ou la propriété agricole et qui était source de difficultés d’interprétations.

Le renvoie à un décret le contenu des engagements du cahier des charges imposé par les SAFER au titre du nouveau champ de substitution tel qu’il résulte du 1° du présent article. Il est précisé que ces engagements de l’attributaire constituent la contrepartie des exonérations fiscales prévues aux articles 1028 à 1028 ter du code général des impôts.

3.   La position de votre commission

La commission a adopté cet article modifié d’un amendement rédactionnel du rapporteur.

Article 3
Article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime
Notification des opérations aux SAFER

Article modifié par la commission.

1.   L’état de droit

L’article L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que pour l’exercice de leurs missions et la réalisation de leurs interventions, les SAFER sont préalablement informées par le notaire, ou, dans le cas d’une cession de parts ou d’actions de sociétés, par le cédant, de toute cession entre vifs conclue à titre onéreux ou gratuit portant sur des biens ou droits mobiliers ou immobiliers qu’elles peuvent acquérir. L’obligation d’information vaut également pour les cessions d’usufruit ou de nue-propriété, pour lesquelles sont notamment précisées la consistance et la valeur des biens concernés.

À noter que cette obligation porte sur des cessions qu’elles ne sont pas nécessairement en mesure les préempter.

Le notaire ou le cédant (éventuellement par l’intermédiaire de son avocat) fait connaître à la SAFER deux mois avant la date envisagée pour la cession, les éléments y afférents.  En cas de cession de biens immobiliers ou de parts sociales ou actions, le cédant doit faire connaître à la SAFER :

– la nature et la consistance des biens ou des parts sociales cédées ;

– l’existence éventuelle d’un obstacle à la préemption ;

– le prix ou la valeur et les conditions demandées ainsi que les modalités de l’aliénation projetée ;

– la désignation cadastrale des parcelles cédées ou de celles dont la société dont les parts sont cédées est propriétaire ou qu’elle exploite, leur localisation, le cas échéant la mention de leur classification dans un document d’urbanisme ou l’existence d’un mode de production biologique ;

– les noms, prénoms, date de naissance, domicile et profession des parties à l’acte de cession (sauf certaines cessions d’actions).

Des informations complémentaires sont communiquées en cas de cession de la totalité des parts ou actions de la société et en cas de cession de droits à paiement.

2.   L’article 3 de la proposition de loi

L’article 3 tire également les conséquences de l’article 1er de la présente loi en modifiant l’article L. 141-1-1 précité.

Le du présent article complète l’obligation déclarative à réaliser auprès des SAFER : celle-ci vaut aussi pour toutes opérations emportant augmentation ou réduction de capital d’une société comme la rédaction de l’article 2 de la présente loi le prévoit. La formalité doit être réalisée par le gérant de la société. Pour les opérations sociétaires, la formalité doit être satisfaite auprès de la SAFER du lieu du siège social de la société concernée. Si le siège est situé hors de France, c’est auprès de la SAFER du lieu du siège d’exploitation ou du lieu où se trouve la plus grande superficie de terres détenues ou exploitées par la société que la formalité doit être satisfaite.

Le du présent article complète l’article L. 141-1-1 d’un IV qui généralise le traitement dématérialisé de cette obligation déclarative.

Si l’opération intervient par le concours d’un notaire, il est chargé de transmettre les informations sous forme électronique, dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 du code civil qui encadrent l’écrit électronique (garanties de signature, d’authenticité et d’intégrité). La modalité technique de cette transmission devra faire l’objet d’une convention entre le conseil supérieur du notariat (CSN) et la Fédération nationale des SAFER (FNSAFER). De tels échanges existent déjà depuis 2016 pour les obligations déclaratives existantes.

Si l’opération intervient sans le concours d’un notaire, la transmission est télédéclarée sur le site internet de la SAFER.

Le II du présent article prévoit que la dématérialisation des obligations déclaratives entrera en vigueur à une date fixée par décret au plus tard douze mois suivant la publication de la présente loi.

3.   La position de votre commission

La commission a adopté cet article modifié d’un amendement (CE102) du rapporteur qui prévoit que le décret fixant la date d’entrée en vigueur de la dématérialisation des obligations déclaratives soit publié après avis du Conseil d’État. Un amendement rédactionnel de votre rapporteur a également été adopté.

Article 4
Article L. 561-46 du code monétaire et financier
Liste des agents ayant accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés et entités

Article supprimé par la commission.

1.   L’état du droit

En application du 1° de l’article L. 561-2-2 du code monétaire et financier, le statut de bénéficiaire effectif est conféré à la ou les personnes physiques qui possède, directement ou indirectement, plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou, la personne exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion d’une société ou d’une entité (voir supra, commentaire de l’article 1er).

L’article L. 561-46 décrit les entités assujetties à cette déclaration au registre du commerce et des sociétés : les sociétés commerciales, les sociétés civiles, les groupements d’intérêt économique Ces entités ont l’obligation de déclarer au registre du commerce et des sociétés les informations relatives au bénéficiaire effectif. Ces informations portent sur les éléments d’identification et le domicile personnel de ces bénéficiaires ainsi que sur les modalités du contrôle que ces derniers exercent sur la société ou l’entité.

Le 2° de ce même article L. 561-46 liste les autorités et agents qui ont accès, sans restriction, à l’intégralité des informations relatives aux bénéficiaires effectifs :

– les autorités judiciaires ;

– la cellule de renseignement financier nationale ;

– les agents de l’administration des douanes agissant sur le fondement des prérogatives conférées par le code des douanes ;

– les agents habilités de l’administration des finances publiques chargés du contrôle et du recouvrement en matière fiscale ;

– les officiers habilités de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, ainsi que les agents des douanes et des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires pour certaines procédures pénales ;

– les autorités de contrôle mentionnées à l’article L. 561-36 s’agissant de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

2.   L’article 4 de la proposition de loi

Pour mettre en œuvre le 1° du II de l’article L. 333-2 du code rural et de la pêche maritime créé par l’article 1er de la présente loi, l’article 4 complète le 2° de l’article L. 561-46 précité qui dresse la liste les autorités et agents qui ont accès, sans restriction, à l’intégralité des informations relatives aux bénéficiaires effectifs.

Sont ainsi ajoutés :

– les agents de l’autorité administrative chargée du contrôle des mouvements de parts de sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole au titre du chapitre III du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime créé par l’article 1er de la présente loi ;

– les commissaires du Gouvernement auprès des SAFER chargées d’instruire les notifications et de donner un avis à l’autorité administrative dans le cadre de ce même contrôle des mouvements de parts de sociétés.

3.   La position de votre commission

La question des seuils au-delà desquels l’acquisition de titres est considérée comme une prise de contrôle d’une société ou d’une entité est déterminante pour établir la proportionnalité et l’efficacité du dispositif par rapport à son objectif de contrôle des mouvements sociétaires. Afin que le dispositif ne soumette pas à un contrôle excessif les investissements, l’article 1er a été modifié afin de ne retenir qu’une seule définition de la prise de contrôle, qui est celle du seuil de majorité prévue au code de commerce. La référence au bénéficiaire effectif ayant été supprimée, l’article 4 devient sans objet. À l’initiative d’un amendement (CE87) de votre rapporteur, la commission a donc supprimé cet article.

Cette suppression est d’autant plus justifiée que l’accès aux principales données du registre des bénéficiaires effectifs est public.

Article 5
Article L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime
Adaptation des motifs de refus d’autorisation d’exploiter

Article modifié par la commission.

1.   L’état du droit

L’objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l’installation d’agriculteurs. L’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime précise qu’il poursuit également trois autres objectifs :

« 1° Consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du SDREA ;

« 2° Promouvoir le développement des systèmes de production permettant de combiner performance économique et performance environnementale, dont ceux relevant du mode de production biologique […] ;

« 3° Maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d’exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d’une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le [SDREA]. »

Le préfet de région assure l’instruction et la publicité des demandes d’autorisation d’exploiter dont il est saisi. Il vérifie les conditions de l’opération compte tenu des motifs de refus détaillés à l’article L. 331-3-1 :

– lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du SDREA ;

– lorsque l’opération compromet la viabilité de l’exploitation du preneur en place ;

– si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations au bénéfice d’une même personne excessifs au regard des critères définis au 3° de l’article L. 331-1 précité. L’article L. 331-3-1 précise que ce refus ne peut pas être opposé s’il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place ;

– dans le cas d’une mise à disposition de terres à une société, lorsque celle-ci entraîne une réduction du nombre d’emplois salariés ou non salariés, permanents ou saisonniers, sur les exploitations concernées ;

– en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Mayotte et à La Réunion, à défaut de candidature concurrente lorsque la demande ne répond pas aux orientations fixées au SDREA, tout particulièrement en termes de viabilité économique et de capacité professionnelle.

2.   L’article 5 de la proposition de loi

L’article 5 modifie les motifs de refus d’autorisation d’exploiter en complétant le 3° de l’article L. 331-3-1. L’opération pourra être refusée si elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations de ce schéma, dans un souci d’égalité de traitement entre celui qui dépose une demande d’autorisation d’exploiter en dehors de toute opération de prise de contrôle sociétaire et celui dont l’opération est instruite dans le cadre d’une demande d’autorisation de prise de contrôle sociétaire, pour lequel la SAFER va prendre en compte l’intérêt économique, social et environnemental du projet.

Cet ajout pour conséquence de supprimer le refus de l’autorisation d’exploiter dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place.

4.   La position de votre commission

La commission a adopté cet article modifié d’un amendement de votre rapporteur (CE103), qui précise le motif de refus d’autorisation d’exploiter. La demande peut être refusée si « elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations de ce schéma et notamment en ce qui concerne l’objectif principal de favoriser d’installation d’agriculteurs prévu par l’article L. 3311 ».

Votre rapporteur a tenu compte de l’avis du Conseil d’État : « 31. Le Conseil d’État relève que la rédaction retenue par l’article 5 aboutit à supprimer la disposition de l’article L. 3313-1 du CRPM qui interdit à l’autorité administrative de refuser l’autorisation dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place. Or l’insertion de cette disposition est de nature à garantir que la mise en œuvre du dispositif de contrôle des structures des exploitations agricoles, dans le cas précis visé par cette disposition, ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de propriété. Le Conseil d’État considère que la modification de rédaction proposée par l’article 5 porte le risque de ne pas encadrer suffisamment le pouvoir d’appréciation de l’autorité administrative. Il relève toutefois que la condition supplémentaire ajoutée par l’article 5, consistant à préciser que l’autorisation peut être refusée si " elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations de ce schéma ", est de nature à atténuer ce risque. Le Conseil d’État suggère néanmoins de compléter cette ajout en précisant : " et notamment en ce qui concerne l’objectif principal de favoriser d’installation d’agriculteurs prévu par l’article L. 331‑1 ". »

Cet amendement permet aussi de rapprocher les motifs de refus d’autorisation d’exploiter et les motifs de refus de l’autorisation créée au présent chapitre III.

Article 6
Gage

Article adopté sans modification par la commission.

1.   L’article 6 de la proposition de loi

L’article 6 de la proposition de loi crée un gage classique sur la dotation globale de fonctionnement et sur les droits à tabac (articles 575 et 575 A du code général des impôts), respectivement destinés à compenser la charge pour les collectivités territoriales et pour l’État résultant de la proposition de loi, afin que soit respecté l’article 40 de la Constitution.

2.   La position de votre commission

La commission a adopté cet article de gage sans modification.


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AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉveloppement durable et de l’amÉnagement dU territoire

 

Le présent rapport pour avis porte sur l’article 1er de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

Nous le savons toutes et tous dans notre commission pour avoir travaillé sur ces problématiques depuis 2017 : la préservation de notre foncier agricole est un enjeu de politique publique majeur au regard de la pérennité de notre modèle agricole, de la préservation de l’environnement et de la vitalité des territoires et emplois ruraux.

Souveraineté alimentaire, agro-écologie, aménagement du territoire, notamment rural, emplois : cette proposition de loi tant attendue s’attaque à des défis majeurs pour notre Nation.

De concert, nous devons faire face à la raréfaction du foncier disponible, entravant l’installation de jeunes agriculteurs et aboutissant à un monopole de grandes exploitations ; nous devons lutter contre le développement de monocultures et la simplification des itinéraires culturaux qui contribuent à appauvrir les sols et à déstabiliser la biodiversité ; nous devons réguler la standardisation des productions qui conduit à la disparition de productions locales et du métier d’agriculteur ; enfin nous devons préserver et maximiser la diversité de notre production agricole qui est l’un des conditions majeures de l’indépendance alimentaire de la France.

Quel est l’état des lieux aujourd’hui ?

Un foncier agricole aujourd’hui sous haute tension avec chaque année, environ 25 000 chefs d’exploitations agricoles qui quittent leur profession, cédant en moyenne une exploitation de 55 hectares.

Une imperméabilisation des sols qui se poursuit à un rythme avancé, et une compétition autour des usages du foncier augmentant la pression sur les surfaces agricoles et les prix des terres. Notons que ces derniers ont ainsi connu une hausse de 35 % en dix ans. Face aux prix croissants, se pose la question du repreneur et de la capacité de nouveaux exploitants à s’installer. Cela devient de plus en plus impossible.

Une prévision de départ en retraite du tiers des exploitants agricoles d’ici 2023 induit à la fois un risque d’abandon des terres agricoles et un volume élevé de transactions sur le marché du foncier rural sans un contrôle global efficient.

Alors que les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) jouent un rôle majeur dans le contrôle du foncier agricole, grâce à leur droit de préemption, pourquoi pointer une absence de contrôle global efficient ? De par la progression des formes sociétaires d’exploitation.

J’attire votre attention sur le fait que la forme sociétaire n’est pas condamnable en soi et que ce n’est pas du tout l’objectif du présent texte de loi : plus de 60 % des terres agricoles françaises sont exploitées sous cette forme juridique. Leur constitution présente des avantages pour regrouper des moyens et des compétences, pour distinguer les patrimoines personnel et professionnel et sur un plan fiscal.

Cependant, ces formes sociétaires d’exploitation permettent d’échapper aux instruments classiques de régulation alors qu’historiquement notre régulation a été bâtie sur le modèle de l’exploitation familiale détenue par des personnes physiques.

Concrètement, en l’absence formelle d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations, le contrôle des structures n’est plus applicable.

Dans les faits : à moins que la cession porte sur la totalité des parts d’une société mise en vente, les SAFER se trouvent ainsi privées de tout moyen de négociation ou d’intervention.

Sans régulation, le démantèlement d’exploitation se fait de manière sauvage, en l’absence de toute vision globale autre que pécuniaire.

Il nous faut donc, par la loi, permettre une adaptation rapide du droit aux évolutions des marchés fonciers, à travers la rénovation des outils existants pour lutter contre la concentration des exploitations.

L’article 1er de la proposition de loi vise donc à créer une procédure de régulation des transmissions de parts sociales qui permettent de prendre le contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole, lorsque ces transmissions ne portent pas sur la totalité des parts d’une telle société, cela nous permettant enfin de réguler cette « zone grise » précédemment exposée.

Gardons à l’esprit que les outils de régulation existants ont pour mission commune de permettre de contrôler qui achète et qui exploite les terres agricoles et, si besoin, d’orienter cette ressource vers des projets sélectionnés en fonction des objectifs de la réglementation. Cela fait partie intégrante de notre stratégie de sauvegarde de notre souveraineté agricole, de notre transition agro-écologique et de notre aménagement du territoire rural.

Défini par l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, le contrôle des structures des exploitations agricoles s’applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d’une exploitation agricole avec, comme objectif principal, de favoriser l’installation d’agriculteurs par une gestion « macro » et non « micro » prenant en considération l’ensemble des facteurs exposés dans ce rapport. C’est ainsi que nous assurons la revitalisation de nos campagnes.

Afin que ce système soit véritablement efficace, une architecture entre autorisation et sanction est proposée pour plus de transparence grâce à une alliance efficace entre l’autorité préfectorale et les SAFER.

Il s’agit d’être vigilant et régulateur sur les prises de contrôle au-delà d’un seuil d’agrandissement excessif et d’appliquer des sanctions en cas de manquement afin d’assurer une bonne articulation entre le régime existant de contrôle des structures et le nouveau dispositif.

À la lumière des différents constats exposés plus haut, votre rapporteur pour avis s’est penché sur le dispositif législatif à même d’apporter une réponse rapide et efficace en adéquation avec nos particularités agricoles territoriales.

En conclusion de cette présentation, votre rapporteur pour avis propose à la commission d’émettre un avis favorable sur l’article 1er de la proposition de loi.

I.   Analyse de l’article 1er de la proposition de loi

L’article 1er de la proposition de loi vise à créer une procédure de régulation des transmissions de parts sociales qui permettent de prendre le contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole, lorsque ces transmissions ne portent pas sur la totalité des parts d’une telle société.

A.   les outils de rÉgulation existants : le rÉseau des sAFER et le contrÔle des structures

Les deux outils existants ont pour mission commune de permettre de contrôler qui achète et qui exploite les terres agricoles et, en tant que besoin, d’orienter cette ressource vers des projets sélectionnés en fonction des objectifs de la réglementation. Toutefois, ils ont, historiquement, été bâtis sur le modèle de l’exploitation familiale détenue par des personnes physiques. La proposition de loi vise à les compléter pour mieux prendre en considération le développement considérable du modèle sociétaire.

1.   Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER)

L’article L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime crée la possibilité de constituer des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER). Cette possibilité a été instituée par la loi n° 60-808 du 5 août 1960 d’orientation agricole, qui confiait à ces sociétés un rôle d’acquisition de terres ou d’exploitations agricoles mises en vente par leurs propriétaires, destinées à être rétrocédées après aménagement éventuel. La loi du 5 août 1960 a imposé aux SAFER d’être agréées par l’État et de ne pas avoir de but lucratif. Une SAFER peut être constituée à l’échelon d’une région ou à l’échelon interrégional (article L. 141‑6 du code rural et de la pêche maritime).

Les lois ultérieures ont développé considérablement les missions dévolues aux SAFER ainsi que les outils juridiques dont elles disposent. L’article L. 141-1 dans sa rédaction en vigueur les charge notamment de « favoriser l’installation, le maintien et la consolidation d’exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles ainsi que l’amélioration de la répartition parcellaire des exploitations ». Il prévoit également que les interventions des SAFER doivent concourir « à la diversité des productions », « à la diversité des paysages » et au « maintien de la diversité biologique ». Une mission particulièrement importante pour la régulation des marchés est leur obligation d’assurer « la transparence du marché foncier rural ».

 

En vertu de l’article L. 141-1, les SAFER peuvent non seulement acquérir des biens ruraux, des terres et des exploitations agricoles, en vue de les rétrocéder, mais aussi « des actions ou parts de sociétés ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole ».

L’article L. 141-1-1 du même code prévoit que, pour permettre l’exercice de leurs missions par les SAFER, elles soient « préalablement informées par le notaire ou, dans le cas d’une cession de parts ou d’actions de sociétés, par le cédant, (…) de toute cession entre vifs conclue à titre onéreux ou gratuit portant sur des biens ou droits (…) situés dans leur ressort ». Les SAFER sont elles-mêmes obligées, en vertu de l’article L. 141-1-2 du même code, de transmettre aux services de l’État toutes les informations qu’elles reçoivent sur ces cessions de parts ou d’actions, ainsi que les informations qu’elles détiennent sur l’évolution des prix et l’ampleur des changements de destination des terres agricoles. Les SAFER ont également l’obligation de transmettre aux conseils départementaux et aux maires des informations sur les déclarations d’intention d’aliéner.

L’article L. 143-1 du même code confère aux SAFER un droit de préemption « en cas d’aliénation à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole ». Elles peuvent aussi exercer ce droit « en cas d’aliénation à titre onéreux de la totalité des parts ou actions d’une société ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole, lorsque l’exercice de ce droit a pour objet l’installation d’un agriculteur ». L’exercice de ce droit de préemption est possible pour atteindre l’un des objectifs définis à l’article L. 143-2, parmi lesquels figurent « l’installation, la réinstallation ou le maintien des agriculteurs », « la lutte contre la spéculation foncière », la « consolidation d’exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre une dimension économique viable » ou encore « la sauvegarde du caractère familial » d’une exploitation. Toutefois, certaines cessions sont exclues du champ du droit de préemption, notamment les cessions consenties à des parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus (article L. 143-4).

2.   Le contrôle des structures

Défini par l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, le contrôle des structures des exploitations agricoles s’applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d’une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d’organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée. L’objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l’installation d’agriculteurs.

Ce contrôle a aussi pour objectifs de « consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles », de « promouvoir le développement des systèmes de production permettant de combiner performance économique et performance environnementale, dont ceux relevant du mode de production biologique (…) ainsi que leur pérennisation », et de « maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d’exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d’une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles ».

Dans le cadre du contrôle des structures, les catégories d’activités dont la liste figure à l’article L. 331-2 du même code sont soumises à autorisation préalable. Il s’agit principalement des installations, agrandissements ou réunions d’exploitations agricoles au bénéfice d’une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu’il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

L’autorisation peut être refusée dans certains cas, dont la liste figure à l’article L. 331-3, notamment lorsqu’il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles, ou si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations au bénéfice d’une même personne excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional, sauf dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat à la reprise de l’exploitation ou du bien considéré, ni de preneur en place.

Le régime d’autorisation préalable est remplacé par une simple déclaration préalable lorsque le bien agricole à mettre en valeur est reçu par donation, location, vente ou succession d’un parent ou allié jusqu’au troisième degré inclus.

3.   Les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles

Le schéma directeur régional des exploitations agricoles, prévu à l’article L. 312-1 du code rural et de la pêche maritime, est élaboré par le préfet de région, sur la base d’un modèle défini par arrêté ministériel, et révisé au plus tard tous les cinq ans. Il définit les orientations de la politique d’adaptation des structures des exploitations agricoles, en tenant compte « des spécificités des différents territoires ». Il fixe le seuil au-delà duquel une autorisation est obligatoire, ce seuil devant être « compris entre le tiers et une fois la surface agricole utile régionale moyenne » (SAURM), établie dans des conditions fixées par décret. Le schéma directeur régional doit également définir « des équivalences à la surface agricole utile régionale moyenne, par type de production (…). S’il y a lieu, ces équivalences peuvent être fixées par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole, en tenant compte de la surface agricole utile moyenne des espaces concernés ».

Enfin, le schéma directeur régional doit fixer un ordre de priorité entre les différents types d’opérations soumises à autorisation préalable, basé sur les huit critères définis à l’article L. 312-1. Ces critères incluent par exemple le nombre d’emplois sur les exploitations agricoles concernées, l’impact environnemental de l’opération envisagée et la contribution de l’opération envisagée au développement des « circuits de proximité ». Le schéma doit aussi préciser « les critères au regard desquels une opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations excessifs de nature à diminuer la diversité des productions et le nombre d’emplois des exploitations concernées ».

B.   le dispositif proposÉ : l’autorisation prÉalable des prises de contrÔle au-delÀ d’un seuil d’agrandissement excessif

L’article 1er de la proposition de loi vise à créer dans le code rural et de la pêche maritime un régime de régulation des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole, distinct du régime de contrôle des structures défini par les articles L. 331-1 et suivants. Ce nouveau régime d’autorisation préalable repose sur deux notions, définies par la proposition de loi :

– des seuils d’agrandissement excessif qui seront fixés par l’État mais différenciés, non seulement par région, mais aussi à l’intérieur de chaque région ;

– la notion de « prise de contrôle », par une personne physique ou morale, d’une société possédant ou exploitant des immeubles à usage ou à vocation agricole.

La bonne articulation entre le régime existant de contrôle des structures et le nouveau dispositif est assurée par le nouvel article L. 333-4 introduit dans le code, qui dispose que, si une opération entre simultanément dans les champs respectifs des deux régimes, l’autorisation au titre du contrôle des sociétés tiendra lieu d’autorisation d’exploiter au titre du contrôle des structures.

Le nouvel article L. 333-1 créé par l’article 1er définit les objectifs visés par le dispositif et dispose que celui-ci se base sur un « seuil d’agrandissement excessif » en hectares, fixé par chaque préfet de région, par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole. Ce seuil devra être compris entre une fois et trois fois la SAURM fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

1.   Les transactions concernées

Le nouvel article L. 333-2 instaure un régime d’autorisation préalable par l’État pour certaines prises de contrôle de sociétés possédant ou exploitant des immeubles à usage ou à vocation agricole. Les sociétés visées sont donc à la fois les sociétés d’exploitation agricole et les sociétés de portage de foncier agricole.

La prise de contrôle correspond à l’acquisition de titres sociaux qui confère à l’acquéreur soit la position de bénéficiaire effectif de la société au sens du code monétaire et financier, soit le contrôle de la société au sens du code de commerce, ou à des opérations d’acquisition assimilées à ces deux catégories principales et définies au II de l’article L. 333-2. Ainsi, les acquisitions ne portant pas sur la totalité des participations à une société mais suffisamment importantes pour conférer à l’acquéreur le contrôle de celle-ci se trouveront soumises à un contrôle.

Une prise de contrôle sera soumise à autorisation si elle amène un acquéreur qui détient déjà des immeubles agricoles à détenir une superficie totale excédant le seuil d’agrandissement excessif applicable. Le calcul de la superficie totale qu’il détient s’effectue en additionnant toutes les superficies à usage ou à vocation agricole que le bénéficiaire exploite ou possède directement ou indirectement par une ou plusieurs personnes morales dont il a le contrôle. Aucune distinction n’est faite en fonction des productions de ces surfaces, et le régime matrimonial du bénéficiaire de l’opération n’est pas pris en considération, ni le fait qu’il ne détienne que des droits indivis ou démembrés sur les immeubles.

Le III du nouvel article L. 333-2 exempte du dispositif d’autorisation deux catégories d’opérations : même lorsqu’elles conduisent à dépasser un seuil d’agrandissement excessif, les acquisitions et rétrocessions réalisées par les SAFER et les opérations réalisées à titre gratuit (c’est-à-dire les donations) ne seront pas soumises à autorisation.

2.   La procédure d’autorisation

Le nouvel article L. 333-3 introduit dans le code rural et de la pêche maritime charge la SAFER d’instruire la demande d’autorisation au nom et pour le compte de l’autorité administrative, qui est seule compétente pour statuer sur la demande. La SAFER est ainsi chargée de « peser le pour et le contre » de la mutation envisagée, puisqu’elle doit déterminer, d’une part, si l’opération est susceptible d’avoir un impact positif en termes de développement du territoire ou de diversité des systèmes de production, et d’autre part, si cette opération est susceptible de nuire à l’installation d’agriculteurs, à la consolidation d’exploitations, au renouvellement des générations agricoles, ou encore à la souveraineté alimentaire de la France. Ces objectifs à préserver doivent être appréciés « à l’échelle du territoire agricole pertinent ».

Si la SAFER considère que le « bilan coût-avantage » du projet d’opération est positif, elle en informe l’autorité administrative, et c’est celle-ci qui prend la décision d’autorisation ou de refus d’autoriser. Le texte précise que le silence de l’administration vaudra autorisation.

Si l’analyse de la SAFER la conduit à une appréciation négative, ou si l’administration considère que le bilan est négatif, la SAFER informe le demandeur en indiquant quels motifs s’opposent à l’autorisation de l’opération. Est alors ouvert au demandeur un choix : soit il renonce à son projet, soit il décide de renouveler sa demande d’autorisation en l’assortissant d’engagements visant à « remédier aux effets de l’opération ».

3.   La possibilité de « remédier aux effets de l’opération » pour éviter un refus d’autorisation

La société faisant l’objet du projet de prise de contrôle ou le bénéficiaire de celle-ci ont la possibilité de proposer, pour obtenir l’autorisation qui leur est refusée, un dispositif de « compensation » des effets négatifs de l’opération. Cette compensation passe obligatoirement par une action de la SAFER : le demandeur ou la société doit s’engager à signer une promesse de vente ou de location au bénéfice de la SAFER, cette promesse devant être assortie d’un cahier des charges. L’engagement peut avoir pour objet :

– de vendre ou de louer (par un bail de longue durée) une surface à un agriculteur pour lui permettre d’atteindre le seuil de viabilité économique défini par le schéma directeur régional ; l’agriculteur bénéficiant de cette compensation doit être bénéficiaire des aides à l’installation des jeunes agriculteurs ; à défaut de trouver un preneur satisfaisant à ce critère, il doit s’agir soit d’un agriculteur qui s’installe, soit d’un agriculteur qui a besoin de consolider son exploitation ;

– de libérer une surface dans le même but et au profit des mêmes catégories d’agriculteurs, par la résiliation d’un titre de jouissance dont dispose le demandeur de l’autorisation, et si le propriétaire s’engage à vendre ou à louer à long terme à l’agriculteur.

La SAFER rend un avis sur les propositions d’engagements. Au vu de ces engagements et de l’avis de la SAFER, l’autorité administrative peut alors décider :

– d’autoriser sans condition l’opération,

– d’autoriser l’opération sous condition de réalisation effective des engagements,

– ou de refuser l’autorisation s’il n’y a pas eu d’engagements ou si ceux-ci sont « manifestement insuffisants ou inadaptés » aux objectifs poursuivis.

Si la décision est une autorisation conditionnelle, le demandeur doit tenir ses engagements dans les six mois, ce délai pouvant être renouvelé une fois à condition que la SAFER fasse état de « circonstances particulières » le justifiant.

4.   Les sanctions

Une prise de contrôle entrant dans le champ couvert par le dispositif et opérée sans autorisation est nulle. L’action en nullité peut être exercée par l’autorité administrative ou par la SAFER.

Le non-respect des engagements pris pour compenser les impacts négatifs de l’opération dans le délai imparti entraîne également la nullité de la prise de participation puisqu’elle entraîne la nullité de l’autorisation.

Le non-respect du cahier des charges qui accompagne l’engagement de compensation fait encourir une amende administrative dont le montant est compris entre 1 500 euros et 2 % du montant de la transaction concernée.

II.   LA position DE LA COMMISSION du dÉveloppement durable et de l’amÉnagement du territoire

Au cours de sa réunion du 11 mai 2021, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a émis un avis favorable à l’adoption de l’article 1er de la proposition de loi, après avoir adopté deux amendements :

– un amendement rédactionnel de Mme Véronique Riotton (LaREM) ;

– un amendement de votre rapporteur pour avis, relatif au mode de calcul du seuil d’agrandissement excessif dont le franchissement déclenchera le nouveau dispositif de contrôle. Le texte de la proposition de loi prévoit déjà qu’il est tenu compte, pour ce calcul, des équivalences fixées par chaque schéma directeur régional des exploitations agricoles pour certaines activités agricoles. L’amendement adopté par la commission précise que cette prise en compte inclue le cas des parcelles comportant des natures de culture différentes.

Les deux amendements adoptés ont ensuite été adoptés par la commission des affaires économiques lors de son examen de la proposition de loi.


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COMPTE RENDU de l’EXAMEN
EN COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

Au cours de sa séance du mercredi 12 mai 2021, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (n° 3853) (M. JeanBernard Sempastous, rapporteur).

M. le président Roland Lescure. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin afin d’examiner la proposition de loi de M. Jean-Bernard Sempastous, portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires. Elle a été cosignée par les membres des groupes La République en Marche, Mouvement démocrate et démocrates apparentés, et Agir ensemble.

Ce n’est probablement pas la grande loi foncière que certains d’entre vous appellent de leurs vœux. Le rapporteur en convient lui-même dans son rapport, en observant que le consensus est difficile à trouver pour une réforme d’ampleur, qui porterait sur une refonte des autorisations d’exploiter, une modernisation du statut du fermage, une meilleure mise en valeur des terres incultes et l’encadrement du travail agricole délégué.

Néanmoins, la proposition de loi s’attaque à un problème majeur, bien souvent vécu comme une atteinte au modèle familial de l’agriculture à la française, qui devient d’autant plus sensible que plus d’un tiers des agriculteurs sont susceptibles de prendre leur retraite dans les dix prochaines années. Sous la précédente législature – M. Dominique Potier le redira certainement –, pas moins de trois textes de loi ont tenté de réguler le phénomène de la concentration des terres. Ils se sont heurtés soit à des stratégies de contournement, soit aux règles constitutionnelles relatives au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre.

Je tiens à saluer le volontarisme, voire la pugnacité, de M. Jean-Bernard Sempastous, qui travaille sur ce sujet depuis le début de la législature. Il a présidé notamment la mission d’information commune sur le foncier agricole, dont les rapporteurs Mme Anne-Laurence Petel et M. Dominique Potier ont présenté les conclusions en décembre 2018. Par la suite, il a creusé patiemment son sillon et élaboré cette proposition de loi, en veillant à l’assortir de meilleures garanties juridiques et en réunissant tous les acteurs.

Sur les 127 amendements déposés, dont certains ont été retirés ou déclarés irrecevables, 100 amendements restent à examiner. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire s’étant saisie pour avis de ce texte, nous avons le plaisir d’accueillir M. Patrice Perrot, son rapporteur pour avis.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Un travail passionnant, mené durant des mois en bonne intelligence, dans un esprit constructif, avec les acteurs du monde agricole et les praticiens du droit rural, a permis d’aboutir à un dispositif juridiquement solide, efficace et adapté aux territoires. Le Conseil d’État, saisi par le Président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, a apporté son expertise précieuse et rassurante, confirmant que le texte respectait la Constitution et le droit européen ; il nous a guidés pour améliorer sa rédaction. Je ne doute pas que les parlementaires enrichiront eux aussi ce texte collaboratif.

Comme son titre l’indique, la proposition de loi répond à une urgence, identifiée par le rapport de la mission d’information commune sur le foncier agricole, et rappelée l’été dernier par le référé de la Cour des comptes sur les leviers de la politique foncière agricole. La Cour des comptes recommande d’instituer une véritable politique foncière agricole aux fins de mieux maîtriser et réguler son évolution, soulignant que « l’importance des enjeux ne s’accommode plus du statu quo ». La loi foncière n’a pas vu le jour mais nous ne sommes pas restés immobiles : il fallait agir pour soutenir la profession, qui était en demande et en attente.

Les chiffres sont alarmants : entre 1955 et 2013, le nombre d’exploitations a été divisé par cinq, s’établissant à près de 452 000. Entre 1988 et 2013, la surface moyenne d’une exploitation a doublé en France. D’ici dix ans, 37 % des chefs d’exploitation seront en âge de partir à la retraite. Pour le législateur, l’enjeu est que ces départs se traduisent par une installation de jeunes agriculteurs, non par une concentration excessive du foncier entre les mains de propriétaires ou d’exploitants en place.

Or les outils de régulation que sont le contrôle des structures et les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) sont majoritairement impuissants face aux opérations sociétaires, qui permettent un accès direct à la terre agricole, par personne morale interposée. Je propose donc un troisième outil, non par volonté d’innovation mais parce que le législateur, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas réussi à s’appuyer sur les outils existants, en les perfectionnant, pour appréhender les contournements. Le nouveau dispositif s’articulera avec les autorisations d’exploiter et l’outil des SAFER, pour servir deux objectifs.

Le premier objectif est de lutter contre la concentration excessive et l’accaparement des terres. Ces phénomènes affectent le modèle agricole traditionnel, l’environnement – par le développement de monocultures qui appauvrissent les sols et déstabilisent la biodiversité –, la vitalité des territoires et les emplois ruraux – par la standardisation des productions – et l’indépendance alimentaire du pays. L’absence de régulation des cessions de parts de sociétés agricoles crée une aubaine qui favorise ces phénomènes. Il ne s’agit pas de stigmatiser les sociétés, qui peuvent constituer des outils entrepreneuriaux pour les agriculteurs, mais il faut en contrôler les excès.

Le second objectif est de favoriser l’installation et la consolidation des exploitations existantes en incitant les auteurs d’opérations jugées excessives à vendre ou à donner à bail rural de long terme une surface compensatoire à des agriculteurs qui s’installent ou souhaitent consolider leur installation.

L’article 1er, qui constitue le cœur du dispositif, est inspiré du contrôle des concentrations économiques mis en place par l’Autorité de la concurrence. Il instaure un contrôle administratif des prises de participations dans une société qui possède ou exploite des terres, au profit d’un bénéficiaire – exploitant ou propriétaire ; personne physique ou personne morale – en mesure d’exercer le contrôle effectif de la société. Ce bénéficiaire doit dépasser un seuil d’agrandissement considéré comme « excessif ». Le seuil initial ayant été abaissé, je proposerai de le renommer seuil d’agrandissement « significatif », suivant l’avis du Conseil d’État et en concertation avec la profession agricole. Il vous est proposé d’établir ce seuil entre une fois et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM). C’est une fourchette adaptable et équilibrée au regard des objets contrôlés – l’exploitation mais aussi la détention de terres à usage ou à vocation agricole.

Le seuil sera fixé localement. Pour les terres déjà cultivées, il sera tenu compte des équivalences fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles (SDREA) par nature de culture. Il n’est pas question de comparer un hectare de vignes avec un hectare de plaine céréalière. Nous nous appuyons sur ces schémas adaptés et coconstruits dans les territoires : autant que faire se peut, le dispositif veut coller aux enjeux locaux.

Si un bénéficiaire dépasse le seuil, il pourra se voir opposer un refus d’autorisation par l’autorité préfectorale, qui pourra s’appuyer sur l’avis du comité technique de la SAFER, le « parlement » du foncier agricole tel que devrait le préciser le décret d’application. Néanmoins, la demande pourra être autorisée au cas par cas, si l’opération ne porte pas atteinte à l’installation d’agriculteurs, à la consolidation d’exploitations et à la vitalité du territoire ; ou si le cessionnaire consent à libérer une surface compensatoire, par vente ou bail rural de long terme soumis au statut du fermage, au profit d’un agriculteur en phase d’installation ou de consolidation – un moyen efficace de libérer des terres. En résumé, seule la prise de contrôle d’une société provoquant un agrandissement significatif, c’est-à-dire au-delà d’un certain seuil, déclenchera la procédure de contrôle. Si l’atteinte est avérée, elle sera accompagnée d’une installation.

Cette régulation était nécessaire et attendue depuis des années par le monde agricole. Les travaux menés depuis 2014 n’ont pas abouti et il n’existe à ce jour aucun contrôle : les concentrations s’opèrent en toute liberté. Le présent texte ne favorisera pas l’agrandissement, pas plus qu’il ne met en place un système opaque. Il est prévu que les SAFER donnent un avis simple à la préfecture, lequel pourra être assorti d’avis complémentaires. Je m’assurerai de la transparence de la procédure, qui sera explicitée dans le décret que le Gouvernement soumettra au Conseil d’État.

Je suis fier de ce travail collectif. Il était urgent de trouver un moyen d’agir, quand les échecs se succèdent depuis dix ans. La moitié des agriculteurs ont 50 ans passés ; leurs exploitations seront bientôt transmises ou iront alimenter la spirale de la concentration.

La France serait le premier pays européen à établir ce type d’outil de régulation et, au regard des dernières communications du Parlement européen sur le sujet, elle en inspirera d’autres. Réjouissons-nous d’avoir su nous réinventer pour protéger nos agriculteurs et nos terres !

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. La préservation du foncier agricole est un enjeu de politique publique majeur, au regard de la pérennité du modèle agricole, de la préservation de l’environnement, de la vitalité des territoires et des emplois ruraux. Cette proposition de loi est l’aboutissement d’un travail parlementaire et de terrain d’une grande qualité, mené par M. Jean-Bernard Sempastous. La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a toutefois émis certaines critiques, auxquelles je répondrai succinctement et clairement ; nous ne pouvons en effet, au regard de l’enjeu, entamer le débat sur des approximations préjudiciables.

Je rappelle que les SAFER n’ont pas de but lucratif et que leurs interventions sont encadrées par la loi, qui leur assigne des objectifs d’intérêt général. S’agissant de la répartition des rôles entre les SAFER et l’État, le dispositif proposé est pragmatique : les SAFER, qui ont une vision très concrète de chaque territoire, instruiront efficacement les demandes ; les préfets auront le pouvoir de décision, qu’ils doivent impérativement exercer pour que les SAFER ne soient pas accusées d’être juge et partie.

Le dispositif de compensation permet de conjuguer les critères de surface importante cumulée avec la réalisation d’objectifs fondamentaux tels la contribution des projets au développement du territoire, la diversité des systèmes de production ou les besoins d’installation ou de consolidation des agriculteurs déjà installés. L’intervention des SAFER dans la procédure répond à un souci de pragmatisme et d’efficacité : étant informées des transactions sur le marché sociétaire et compétentes pour observer le marché, il est logique qu’elles instruisent les dossiers.

La proposition de loi ne vise pas à stigmatiser toute prise de contrôle de société dans le domaine agricole. Le nouvel outil de régulation est destiné à lutter contre les dévoiements de l’utilisation des formes sociétaires. Il ne s’agit pas de condamner tous les agrandissements, dans toutes les régions et pour toutes les activités agricoles, mais de détecter et de contrôler les prises de contrôle remplissant une pluralité de critères – la surface étant le premier d’entre eux, mais pas le seul. Le caractère problématique s’appréciera selon les caractéristiques de chaque territoire, au sein d’une même région, ce qui peut être qualifié d’abusif sur un territoire ne l’étant pas forcément sur le territoire voisin.

Ce texte, qui s’inscrit dans le combat que mène depuis 2017 notre majorité pour la souveraineté alimentaire, l’agroécologie, l’aménagement du territoire et le dynamisme économique, apporte une réponse rapide et efficace, en adéquation avec nos particularités agricoles territoriales.

Mme Anne-Laurence Petel (LaREM). En 2018, dans le cadre de la mission d’information commune sur le foncier agricole, MM. Dominique Potier, Jean-Bernard Sempastous et moi-même avions souligné l’urgence de faire évoluer notre modèle pour protéger et partager, davantage et mieux, les terres agricoles. Les outils qui régulent l’exploitation et la détention des terres agricoles depuis les années 1960 ont permis de faire de la France une grande nation agricole, avec plus de 2 millions d’exploitations au début de la Ve République. Ils ne sont plus adaptés au monde actuel, qui voit l’essor d’une agriculture de firmes et d’une financiarisation des terres, au détriment du modèle agricole.

À cela s’ajoute le défi du renouvellement : un tiers de la profession, soit 150 000 exploitants partiront à la retraite d’ici trois ans et si rien n’est fait, nombre d’entre eux ne trouveront pas de successeur. Cette situation démographique accélérera la déprise agricole et la spéculation foncière, ainsi que la concentration excessive des exploitations. Des changements de grande ampleur sont nécessaires. La grande loi foncière que la profession attend doit voir le jour.

Ce texte n’a pas la prétention de révolutionner les outils de régulation, mais vise à les adapter afin de freiner la concentration des terres organisée par quelques sociétés, françaises ou étrangères, parfois familiales. Ce n’est pas la première fois que notre assemblée examine un texte portant réforme du foncier agricole. Je salue l’engagement de notre collègue Dominique Potier qui, lors de la précédente législature, avait défendu un texte, malheureusement censuré par le Conseil constitutionnel.

Nous devons aujourd’hui répondre efficacement et rapidement à une urgence. Des changements au texte initial devront être opérés pour que le dispositif soit conforme au cadre constitutionnel, dès la première lecture. Sur cet aspect, nous ne devons prendre aucun risque, sous peine de perdre encore du temps. Il s’agit de poser des bases solides et sûres, pour entamer ensuite une grande réforme, comme nous n’en avons pas connu depuis Edgard Pisani.

Avec l’inscription de l’objectif de zéro artificialisation nette dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, nous avons œuvré au renforcement de la protection des terres agricoles, préalable nécessaire à un meilleur partage. La terre est un bien commun mais elle est aussi une propriété privée convoitée. Pour un accès équitable à la terre, nous devons mieux partager le foncier agricole et lutter contre les concentrations sociétaires. De ce meilleur partage dépend l’installation d’une nouvelle génération d’agriculteurs et, au-delà, le développement d’un modèle agricole qui doit continuer à se transformer, élever la qualité de sa production, diversifier les possibilités de consommer local, promouvoir des pratiques agricoles plus respectueuses de la biodiversité et de l’environnement. Car c’est bien de souveraineté alimentaire et de développement durable qu’il est question.

Je me réjouis que le rapporteur ait obtenu que la proposition de loi soit soumise au Conseil d’État. Cet avis nous permettra de trancher certains sujets comme la définition de la prise de contrôle de la société, en revoyant nos ambitions eu égard aux réalités constitutionnelles.

Il est devenu indispensable d’adapter le droit aux évolutions du marché du foncier agricole et de moderniser les outils de régulation. Leur utilité n’est plus à prouver depuis les années 1960 mais ils sont aujourd’hui dépassés par l’ampleur du phénomène sociétaire. Cette proposition de loi permet d’atteindre cet objectif par la création d’un dispositif multicritères, appuyé sur le contrôle de seuils dans l’acquisition de parts sociales, et d’un seuil maximum de surface d’exploitation.

Notre rapporteur a organisé le consensus et rencontré l’ensemble des parties concernées. Autour du contrôle des parts sociales, un large consensus émerge, qui légitime le dispositif – même s’il y aura toujours pour certains quelque chose à ajouter et, pour d’autres, quelque chose à enlever.

M. Jérôme Nury (LR). Je remercie vivement M. Jean-Bernard Sempastous pour son implication et sa détermination à faire avancer ce texte, cosigné par nombre d’entre nous, sur un sujet aussi crucial. Au-delà de nos sensibilités, de nos territoires, de notre proximité ou non avec l’agriculture, la question devrait intéresser et rassembler tous les citoyens soucieux de souveraineté, de notre patrimoine foncier, de son utilisation et des acteurs clés, les agriculteurs.

La proposition de loi, même si elle reste à parfaire, a le mérite d’ouvrir le débat sur l’utilisation des terres agricoles, menacées, à certains endroits et dans certaines situations, de concentration et d’accaparement, notamment par des acteurs extra-nationaux. Ces phénomènes, en augmentation constante, mettent en péril le modèle traditionnel d’agriculture familiale et risquent d’avoir des effets durables sur l’attractivité des régions, l’emploi agricole, le renouvellement des générations et, à terme, la souveraineté alimentaire à laquelle nous sommes tous attachés.

Les nouveaux articles L. 333-1 à L. 333-5 du code rural et de la pêche maritime organisent le contrôle des transferts de foncier pour les structures sociétaires. Ils corrigent un angle mort de la législation actuelle, en mettant fin à une rupture d’égalité entre les propriétaires physiques et les propriétaires en société.

L’établissement d’un seuil d’agrandissement excessif accompagne ces mesures. Nous devons toutefois veiller à ce qu’elles ne portent pas atteinte brutalement au droit de propriété. Pour cela, il paraît important de préciser quatre points.

Pour promouvoir la spécificité de notre agriculture, qui se transmet souvent de génération en génération, le contrôle administratif devrait être allégé ou supprimé lorsqu’il concerne les opérations de transfert intrafamilial.

Le terme « excessif » paraît peu juridique et subjectif, puisque nous n’avons sans doute pas tous la même définition de l’excès. L’établissement du seuil entre une fois et trois fois la SAURM donne une marge importante à l’administration. Un seuil minimum, par exemple à partir de quatre fois la SAURM, pourrait être fixé. Il convient aussi de se demander pourquoi confier ce pouvoir au préfet de région : les régions issues des fusions sont devenues des territoires immenses et le contrôle serait réalisé de façon plus fine et sur mesure à l’échelon départemental.

Le texte indique un seuil de déclenchement du contrôle à partir de mouvements de capitaux à hauteur de 25 %, ce qui paraît bien peu. Le Conseil d’État préconise d’ailleurs un alignement sur le code de commerce, à 40 %.

Enfin, nous pourrions nous interroger sur le déclenchement du contrôle et l’intervention de la SAFER lorsqu’il n’y a pas d’autre acquéreur. Si personne n’est intéressé par l’acquisition de parts de société, une procédure administrative lourde ne s’impose pas.

La proposition de loi a la vertu de mettre sur le devant de la scène législative la problématique du foncier. Cette question technique des sociétés foncières doit nous encourager à travailler à un texte plus ambitieux, afin d’introduire plus de transparence dans la gestion du foncier par les SAFER, l’administration et les différents acteurs.

M. Nicolas Turquois (Dem). Le groupe du Mouvement démocrate et démocrates apparentés salue le travail du rapporteur. Le foncier agricole est un enjeu pour les jeunes agriculteurs. Ceux-ci ont de plus en plus de mal à s’installer, alors que nos concitoyens aspirent au retour du localisme qu’incarne le modèle de la ferme familiale.

Les chiffres sont clairs : selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le nombre d’exploitations a baissé de plus de la moitié en trente ans et le nombre d’agriculteurs exploitants a été divisé par quatre en quarante ans. Entre 2010 et 2016, les effectifs diminuent d’environ 4 % par an pour les petites et moyennes exploitations, tandis qu’ils progressent de 2 % pour les grandes. La régulation apparaît comme le seul moyen d’endiguer la concentration et l’accaparement excessifs des terres agricoles.

Dès les années 1960, la France a su se munir d’instruments efficaces, par la création des SAFER et le contrôle des exploitations agricoles, au moment de l’installation, de l’agrandissement ou de la transmission. Les pratiques ont évolué depuis et la loi est désormais insuffisante pour limiter les dérives. L’efficacité des outils est affaiblie par la transformation du modèle agricole vers des exploitations sous forme sociétaire, où les terres sont devenues des parts sociales. En 2019, ces parts représentent 7 % des transactions du secteur ; 17 % du marché en valeur échappe à toute régulation. La proposition de loi entend répondre à de telles insuffisances en promouvant un meilleur contrôle du marché sociétaire. Il s’agit de rééquilibrer les rapports de force entre les acteurs, sans pour autant freiner la compétitivité des agriculteurs.

Un tel équilibre n’est pas facile à trouver, les uns dénonçant une atteinte à la liberté d’entreprendre, les autres refusant de se soumettre à de nouvelles contraintes déclaratives. Or il apparaît essentiel de mettre fin à cette rupture d’égalité entre les personnes physiques, qui tombent sous le coup de la régulation, et les cessionnaires de titres sociaux, qui y échappent.

Le texte n’aborde qu’un aspect, quoique majeur, de la question du foncier. D’autres questions devront être abordées dans les mois et années à venir, comme le statut de l’agriculteur actif ou l’agriculture déléguée. Le renforcement du rôle des SAFER, notamment dans des situations qui ne créent pas de tensions pour l’agriculture, fait naître aussi des craintes.

Il faut entendre ces arguments et préciser certains points lors de nos travaux. À l’avenir, nous devrons nous interroger sur la gouvernance des SAFER. L’intérêt général, au nom duquel nous légiférons, implique toutefois de hiérarchiser les enjeux. Notre groupe fait le choix d’un meilleur partage des terres, fondamental pour préserver une agriculture familiale, l’environnement et la richesse des territoires : nous sommes donc favorables à ce que les opérations dépassant le seuil d’agrandissement excessif soient soumises à une autorisation administrative préalable et nous voterons en faveur de la proposition de loi.

M. Dominique Potier (SOC). Sur tous les continents, depuis des siècles, le partage de la terre est le gage d’une prospérité agricole concourant à la sécurité alimentaire collective. Il va partout de pair avec des sociétés démocratiques et est le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté : plus on partage, plus l’agriculture et les sociétés sont prospères. Cette règle quasiment universelle est décrite dans le livre que j’ai publié avec MM. Benoît Grimonprez et Pierre Blanc, à partir des travaux législatifs entamés en 2012.

C’est dire l’enjeu d’une richesse économique, sociale et écologique liée au partage. L’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et tous les instituts scientifiques montrent que les mosaïques paysagères et la diversité des exploitants sont non seulement un gage de recherche de valeur ajoutée économique mais qu’elles garantissent aussi, sur le plan écologique, la biodiversité – ce que nous pouvons considérer comme une assurance vie. Le débat est capital.

C’est dire aussi mon dépit. Dès 2012, en tant que député, j’ai apporté au débat public cette question qui bruissait dans les campagnes. Dans le collectif que j’ai formé avec mes collègues de tous horizons politiques, je n’ai eu de cesse de défendre des propositions, souvent de manière transpartisane – en 2014, dans la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ; en 2016, dans la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique (« Sapin 2 ») ; puis dans la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du bio contrôle 2017, issue d’une proposition de loi – et de lutter contre l’accaparement des terres et l’absence de transparence des sociétés. Maîtriser, réguler le marché foncier au service de la prospérité est le combat que je mène, avec les socialistes et d’autres collègues, depuis longtemps.

La mission d’information en 2017 a permis d’élargir le champ et d’envisager une grande loi foncière. Malgré nos nombreuses interpellations des ministres de l’agriculture, elle n’a pu aboutir. Nous avons donc pensé une loi d’urgence. Alors qu’avec MM. Jean-Paul Dufrègne, Jean-Michel Clément, Jean-Bernard Sempastous, Yves Daniel et tant d’autres, un collectif était en veille et demandait des rendez-vous au ministre, la proposition de loi a jailli. En réaction, j’ai écrit ce qui me semblait être l’esprit d’une telle loi d’urgence : la contre-proposition inspirera mes amendements. Dans le même temps, je tente de dépasser l’énorme blessure personnelle, le sentiment d’une trahison du travail collectif et d’un dévoiement de l’intention qui était la nôtre.

Le pire serait de faire illusion avec un instrument législatif qui ne concourrait pas à nos visées. Au nom du combat pour le monde paysan, pour la planète, pour le bien commun, je soutiendrai des amendements à ce texte dont je crains – les expertises le montrent – qu’il ne réponde pas aux objectifs que nous nous sommes fixés.

M. André Villiers (UDI-I). Les dispositions de la loi « Sapin 2 » de 2016 et de la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle de 2017, tentatives pour réguler les mouvements du foncier agricole, ont en partie été censurées par le Conseil constitutionnel. Gageons que le dispositif créé par la présente proposition de loi est suffisamment solide d’un point de vue juridique – il a été soumis au Conseil d’État. Je salue à ce titre le travail du rapporteur.

Ces dispositions avaient notamment été motivées par l’achat de 1 700 hectares de terres agricoles par des investisseurs chinois dans le département de l’Indre. Il faut nous défendre face à des stratégies agressives et concertées visant à mettre la main sur nos ressources naturelles – elles ne sont toutefois le fait que d’une minorité d’investisseurs étrangers. D’ailleurs, des sociétés françaises rachètent des surfaces équivalentes en Ukraine, en Roumanie ou ailleurs, contribuant à la modernisation de leurs exploitations.

L’agriculture française est insuffisamment valorisée et en perte de vitesse face à la concurrence internationale. L’excédent agricole français tend même à disparaître. Avec le départ à la retraite de plus de 30 % des exploitants agricoles dans les dix prochaines années, l’augmentation de la taille des exploitations et de la circulation du foncier ne pourra que s’accentuer. La location de terres constitue le mode de faire-valoir le plus répandu en France métropolitaine. Elle concerne 60 % de la surface agricole utile, dont 35 % de terres louées par des exploitants individuels et 65 % par des exploitations en forme sociétaire. Près de 40 % des exploitations individuelles sont propriétaires de la totalité de leurs terres. C’est dire l’attachement du monde paysan à ce modèle, celui de la propriété agricole.

De plus en plus d’opérations sur le foncier visent la cession partielle des titres des sociétés, permettant ainsi le contrôle, sans possibilité pour les SAFER d’exercer leur droit de préemption. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014 a renforcé les missions et les moyens d’intervention des SAFER et élargi le droit de préemption aux cas de vente des parts sociales en totalité. La présente proposition de loi prévoit que la prise de contrôle d’une société peut déclencher l’intervention de l’administration.

Un tel renforcement du pouvoir des SAFER suscite des inquiétudes légitimes. De quels moyens de contrôle disposeront-elles ? Nous souhaiterions aussi être rassurés quant à la prise en compte, dans le dispositif, des caractéristiques propres à l’élevage.

La concentration et l’accaparement des surfaces agricoles posent question, car notre souveraineté alimentaire et l’autonomie des agriculteurs dépendent de la maîtrise des terres agricoles. Si le texte ne résout pas tout, il comble, après plusieurs échecs, une lacune juridique. Nous regrettons que le Gouvernement n’ait pas privilégié un grand texte sur le foncier agricole, avec un peu plus d’audace et d’imagination. L’accumulation de petites réformes crée un manque de cohérence, de clarté, donc de vision sur la thématique.

Pour tenir son rang, la France doit préserver et revaloriser le monde agricole en relevant les revenus et en rééquilibrant les relations commerciales ; en simplifiant les démarches administratives et en garantissant la stabilité réglementaire ; en modernisant et en faisant connaître les formations agricoles à tous les jeunes, pas seulement les ruraux. Nous regrettons que la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (« EGALIM ») n’ait pas été l’occasion de s’attaquer à la concentration des opérateurs dans certaines filières, qu’elles soient coopératives ou privées.

M. Philippe Huppé (Agir ens). La proposition de loi rappelle un combat millénaire, puisque la concentration des terres existait déjà dans l’Antiquité, avec le système latifundiaire : comment parvenir à équilibrer le monde agricole entre un tel système, dont on sait qu’il appauvrira à terme le pays, et une agriculture familiale, moderne, qui doit se développer ?

Ne nous trompons pas de cible, ce texte n’est pas l’alpha et l’oméga d’une grande loi agricole. À force de rechercher des compromis, notamment sur la propriété, on ne répond pas entièrement au problème agricole. D’autres députés reviendront sur le sujet avec de nouvelles idées. Cette proposition de loi ne traite que d’une question, celle des structures sociétaires. Elle atteint son but, qui est d’encadrer les pratiques tendant à la concentration des terres. Le groupe Agir ensemble accompagnera donc positivement le texte et défendra des amendements.

Mme Sylvia Pinel (LT). Je salue le travail et l’engagement du rapporteur, ainsi que ceux de nombreux collègues, investis depuis des années. La terre, outil de travail de nos agriculteurs et instrument de notre souveraineté alimentaire, ne saurait être un bien marchand comme les autres. Voilà plusieurs années, pourtant, qu’elle subit la loi de l’offre et de la demande. La raréfaction du foncier agricole, la concentration des exploitations et l’accaparement des terres par certains acteurs – parfois étrangers au monde agricole – ont provoqué des tensions sur le marché du foncier.

Résultat, le prix des terres a subi une sévère inflation et avoisine les 6 000 euros l’hectare en moyenne, soit une progression de plus de 50 % en vingt ans. Les agriculteurs en sont les premières victimes. En raison des coûts d’installation qui explosent, ils sont de moins en moins nombreux à pouvoir s’installer. Dans ces conditions, il est difficile d’assurer le renouvellement des générations, pourtant indispensable à l’agriculture.

Les causes de la hausse des prix des terres agricoles sont multiples. Y faire face impose une réforme en profondeur du foncier agricole, afin de moderniser le statut du fermage, de réviser les droits de mutation ou encore d’encadrer le travail agricole délégué.

La proposition de loi que nous examinons n’a pas cette ambition. Elle s’attaque, avant tout, au plus urgent : réguler les structures sociétaires. Depuis une dizaine d’années, le modèle traditionnel de l’exploitation familiale cède le pas devant des formes sociétaires plus opaques. Ces dernières, de plus en plus souvent propriétés d’investisseurs étrangers, accaparent les terres tout en échappant aux deux outils de régulation que sont le contrôle des structures et les SAFER.

La proposition de loi défend la création d’un troisième mécanisme pour y remédier. Il permettrait de soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux sur des sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles. Cette initiative, qui pare au plus pressé, constitue une piste intéressante. Certains choix, toutefois, m’interrogent : pourquoi cantonner l’autorisation administrative à l’agrandissement excessif, alors que les personnes physiques sont exposées au contrôle des exploitations à un seuil bien plus bas ? Pourquoi exempter de contrôle l’ensemble des donations, alors que le droit de préemption des SAFER s’exerce pour les personnes physiques, à compter du sixième degré ? Plus globalement, pourquoi ne pas profiter de cette initiative pour établir une égalité de traitement entre entreprises individuelles et formes sociétaires ?

Je veux également dire un mot de l’article 5, qui ouvre au préfet la possibilité de refuser une autorisation d’exploiter, dès lors qu’elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations du SDREA. Cela permettra, je l’espère, de défendre avec une plus grande efficacité un modèle auquel nous sommes tous attachés, celui des exploitations à caractère familial.

Afin de préserver l’avenir des campagnes et de la ferme France, l’urgence est à l’encadrement de l’outil sociétaire. Nous ne pourrons faire l’économie d’une réforme plus globale du foncier agricole, mais ce premier pas est intéressant.

Mme Bénédicte Taurine (FI). Nous attendions une grande loi foncière, promesse de M. Emmanuel Macron en 2017. L’accès aux terres agricoles est problématique, il faut les protéger et lutter contre l’artificialisation des sols. Mais, comme d’habitude – nous l’avons vu avec le projet de loi « climat et résilience » –, les paroles sont bien éloignées des actes et la proposition de loi se limite à contrôler l’acquisition de terrains par l’intermédiaire de sociétés agricoles ou de portage financier. Il sera nécessaire d’amender le texte afin de ne pas passer à côté des objectifs poursuivis.

Les sociétés exploitent 60 % de la surface agricole utile, une part en augmentation. Le marché sociétaire n’est pas transparent et a souvent vocation à permettre l’agrandissement. En outre, il entre en concurrence et peut bloquer les installations, les acquisitions et les structures individuelles, ce modèle paysan résilient face au changement climatique auquel je suis particulièrement attachée.

Il est temps de réformer : les mécanismes d’acquisition par les sociétés présentent des inégalités par rapport aux autres modes d’accès au foncier, qu’il s’agisse des seuils, des autorisations, des obligations de publicité ou de transparence, ce qui pose problème au moment de la transmission.

Alors qu’elle vise à préserver l’installation des jeunes ou des nouveaux agriculteurs, il est incompréhensible que la proposition de loi valide la possibilité de dépasser un seuil d’agrandissement qualifié d’« excessif ». Cette notion n’est pas claire. Monsieur le rapporteur, vous proposez une compensation mais, telle que vous l’imaginez, elle n’est pas à la hauteur des enjeux. L’intervention est possible, mais seulement au-delà du seuil précité, ce qui n’est pas conforme à l’objectif que la proposition de loi se fixe – remédier à l’inégalité de traitement avec les autres modes d’accès au foncier agricole.

Le texte ne s’attaque pas davantage à différencier les achats de parts sociales ou d’actions par des sociétés qui exploitent du foncier et les sociétés qui le détiennent en propriété sans l’exploiter. Le mode de faire-valoir choisi par le sociétaire, par la propriété ou par la location devrait entrer dans les critères de décision, afin de favoriser l’installation des plus jeunes.

En outre, nous déplorons qu’un refus du préfet ouvre droit à un recours, alors que son autorisation n’en ouvre aucun, sa décision étant alors totalement discrétionnaire.

Les SAFER ont pour mission de diversifier les paysages, de protéger les ressources naturelles et de maintenir la diversité biologique. Il semblerait logique que, de la même manière, la proposition de loi encadre la décision du préfet par le biais de critères de diversification des modes de culture. En effet, la monoculture appauvrit les sols et la diversité de la production est nécessaire à l’indépendance alimentaire. Où retrouve-t-on ces aspects dans votre proposition de loi ?

Le texte devrait aussi viser à préserver l’environnement et la biodiversité et se conformer à la loi EGALIM en matière de sécurité alimentaire. Il faudrait mettre en œuvre une politique publique beaucoup plus volontariste, notamment en termes de contrôle des structures. Si les objectifs sont annoncés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, on cherche désespérément les moyens de les atteindre dans le dispositif !

M. Jean-Paul Dufrègne (GDR). Et la montagne accoucha d’une souris… J’avais mis beaucoup d’espoir dans cette proposition de loi et je suis déçu que le groupe de travail, auquel Dominique Potier faisait allusion, n’ait pas abouti à un consensus.

Notre philosophie n’est décidément pas la même : si nous souscrivons aux objectifs déclinés par le rapporteur – l’installation des jeunes agriculteurs, le renouvellement des générations, la souveraineté alimentaire – nous estimons que la proposition de loi ne fait qu’effleurer les problèmes.

On peut même se demander si le fameux seuil « d’agrandissement excessif » n’aura pas un effet contraire à celui recherché en instaurant une procédure parallèle à l’existant, et inégalitaire en comparaison des procédures utilisées pour le contrôle des structures. Certains se serviront de ce nouvel outil pour constituer des sociétés qui permettront de contourner le contrôle des structures.

Certes, c’est un texte d’urgence, mais il est regrettable que la question du travail délégué n’y soit pas abordée : ce phénomène, en forte croissance, est devenu une méthode de contournement de plus en plus visible et nuisible.

La terre n’est pas un bien comme les autres et il faut beaucoup plus d’ambition pour la préserver et la sortir de ce circuit libéral, qui la mutile de plus en plus. L’accaparement croissant de ce bien commun pour des raisons mercantiles est devenu intolérable. Comment préserver la souveraineté alimentaire et la biodiversité dont tout le monde parle tant, alors que nous validons des processus qui les mettent en péril ?

Contrairement à ce que vous affirmez, je doute que votre proposition de loi concoure à l’installation de jeunes agriculteurs. Ceux-ci doivent réunir ou racheter un capital d’exploitation de plus en plus important – dans ma région, il faut 3 000 à 4 000 euros par hectare pour le constituer, hors foncier –, ce qui éloigne de nombreux jeunes de leur vocation.

La proposition de loi traitera certaines situations particulières et met un pied dans la porte. On peut s’en réjouir, mais elle ne répond pas aux questions essentielles pour l’avenir de l’agriculture.

M. Yves Daniel. L’accès au foncier agricole est un enjeu majeur pour les agriculteurs et la vitalité de nos territoires. Les surfaces agricoles s’échangent majoritairement, et de plus en plus souvent, sur le marché sociétaire et rien ne permet de contrôler ces opérations.

Cet angle mort de la régulation est maintenant bien connu ; il est nécessaire de le combler pour éviter la fuite irrattrapable des terres agricoles. La proposition de loi apporte une réponse exigeante, équilibrée et adaptée. Elle est exigeante car elle renforce la transparence sur les cessions de parts de sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole et contrôle toute cession menant à une concentration excessive de terres dans les mains d’un bénéficiaire.

Elle est équilibrée car elle ne vise que les excès, permettant la poursuite des opérations sociétaires modestes, et prévoit des compromis pour les concessionnaires en situation de concentration. Le texte respecte ainsi les principes constitutionnels de droit de la propriété et de liberté d’entreprendre, tout en permettant la libération rapide de surfaces compensatoires pour des agriculteurs.

Elle est adaptée car le seuil de déclenchement du contrôle sera défini localement et s’appuiera sur le SDREA, en cohérence avec la commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA). L’instruction des dossiers sera effectuée par le comité technique de la SAFER, représentant le monde agricole et au fait des enjeux territoriaux.

Comme vous le soulignez dans l’exposé des motifs, Monsieur le rapporteur, la France a été précurseur dans la régulation de l’accès au foncier agricole en créant les SAFER et en contrôlant les structures dès 1960. Soyons désormais précurseurs dans la régulation de l’accès au foncier via le marché sociétaire !

Le président Lescure l’a rappelé, le statut du fermage ou le travail délégué devront être traités ultérieurement. Cela fait-il de la proposition de loi Sempastous une petite loi ? Je ne le pense pas, car il est ambitieux de vouloir régler prioritairement l’angle mort du foncier sociétaire et de faciliter le renouvellement des générations !

M. Jean-Pierre Vigier. La proposition de loi crée un nouveau système de contrôle administratif des cessions de parts sociales des sociétés agricoles et des sociétés foncières d’exploitation agricole, visant à réguler les prises de contrôle dans ces sociétés. Elle répond à une absence problématique de réglementation alors que ces opérations sont en pleine expansion. C’est une bonne chose.

Il est cependant important de veiller à la proportionnalité de la mesure. En effet, dans sa nouvelle version, le contrôle sera bien plus rigoureux : si le préfet – seul – refuse l’autorisation administrative sollicitée, l’opération ne pourra aboutir. Cela empêchera par exemple un associé exploitant souhaitant faire valoir ses droits à la retraite de céder ses parts sociales à son successeur et de se retirer de la société. Le fait que le préfet prenne, seul, la décision ne porte-t-il pas atteinte au droit de propriété ?

M. Cédric Villani. Je salue à mon tour l’excellent travail de Jean-Bernard Sempastous, à la suite de la mission d’information menée par Mme Anne-Laurence Petel et m ; Dominique Potier, dont on sait le combat de long terme, passionné et acharné, sur ce sujet. Dans notre grande nation d’agriculture, le partage de la terre agricole est un sujet capital. Il est capital pour favoriser le renouvellement des agriculteurs et agricultrices, la diversité des cultures, la richesse du sol, la proximité entre l’exploitant et la terre, dans un contexte de raréfaction des terres, de concentration des exploitations, de départs en retraite, de développement du travail délégué et de montages financiers abstraits.

Il est grand temps de lutter contre le détournement de l’esprit de la loi de 1960 par le biais de montages sociétaires parfois complexes. Les cris d’alerte de la Cour des comptes ou du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) justifient pleinement « l’urgence » que l’on retrouve dans l’intitulé de la proposition de loi.

Le texte appelle deux remarques majeures. Sur un sujet technique et multiforme, il est loin d’épuiser le sujet. MM. Dominique Potier et André Villiers l’ont dit, le rapporteur l’a écrit : « l’agriculture française aura besoin d’une réforme foncière ambitieuse. » Trouver les justes mécanismes peut demander du temps, d’étude et de débat. La proposition de loi a le grand mérite de pouvoir être votée et appliquée rapidement, quitte à être ensuite complétée et améliorée. À court terme, veillons à ce que les objectifs, les seuils, les dérogations proposées ne conduisent pas à légitimer un phénomène sociétaire que nous tentons de réguler.

Si la saisine du Conseil d’État a permis d’éclairer et de faire progresser le texte, il manque toujours une simulation pour comprendre quels pourraient être les effets du dispositif. Elle permettrait aussi d’apprécier l’effet potentiel des différents seuils, comme cette fourchette d’une à trois fois la SAURM déclenchant l’action de la SAFER, ou l’impact pratique des exceptions. Je vous avais fait part de ce besoin, monsieur le rapporteur, et constate avec enthousiasme qu’une simulation est en cours. Il est dommage que nous ne disposions pas de ses résultats pour le débat en commission ; mais, au moins, nous aurons davantage d’éléments pour le débat dans l’hémicycle.

M. Fabien Di Filippo. Avec d’autres collègues, M. Jean-Pierre Vigier a soulevé beaucoup de questions sur le rôle des préfets. Je souhaite revenir sur les iniquités qui pourraient se développer dans les régions frontalières. Si votre texte vise à limiter la concentration et les grosses exploitations, il ne prend en compte que les terres possédées en France. Pourtant, dans mon territoire, de très gros propriétaires allemands investissent – le foncier est encore plus cher en Allemagne –, sans subir les mêmes entraves que les jeunes agriculteurs français. Ne risque-t-on pas de mettre en place des dispositifs au détriment de l’agriculture française ? Dans certains territoires, c’est particulièrement problématique !

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je remercie le rapporteur pour avis, M. Patrice Perrot, pour ses propos, mais aussi son investissement. Avec quelques collègues de la majorité, nous travaillons ensemble depuis quelques semaines. Je remercie Mme Anne-Laurence Petel, qui connaît bien le dossier puisqu’elle a été corapporteure de la mission d’information commune sur le foncier agricole, et M. Jérôme Nury, qui a accepté de cosigner le texte et tenté de rassembler nos collègues autour de la proposition de loi. Il est vrai que des questions restent en débat, mais c’est l’intérêt du travail en commission ; nous aurons le temps de trouver des réponses d’ici le 25 mai.

Le Conseil d’État a répondu à certains des points que vous avez soulevés. Lors de l’examen des articles, j’aurai à cœur de répondre à vos remarques et de satisfaire, je l’espère, vos demandes.

Monsieur Turquois, vous connaissez bien la problématique foncière et agricole, vous êtes très impliqué et avez à cœur d’avancer. Vous avez raison, il faut hiérarchiser les enjeux. S’agissant de l’agriculture déléguée et du travail à façon, les organisations professionnelles se sont montrées prudentes et ont préféré attendre. S’agissant des SAFER et de leur gouvernance, nous nous sommes interrogés, comme vous. Mon texte se veut équilibré et répondra, je l’espère à vos questions.

Monsieur Potier, je suis d’accord, le sujet est capital, et je salue le travail que vous avez effectué dans ce domaine. La grande loi foncière n’a pas abouti, j’en suis conscient. Nous en avons pris notre parti et tenté de répondre, avec ce texte, à certaines problématiques. Vous avez expliqué que des « expertises » montraient que ces dispositions ne permettraient pas d’atteindre leur objet. De quelles études s’agit-il ? J’ai moi-même travaillé sur ce texte avec les représentants des organisations professionnelles, des experts dans ce domaine.

Monsieur Villiers, vous plaidez pour le renforcement du rôle des SAFER. La Cour des comptes doit bientôt publier un rapport, qui s’annonce très positif sur l’action de ces sociétés, contrairement au précédent. J’espère que nous disposerons bientôt de ces éléments.

Monsieur Huppé, je vous remercie pour ce petit cours d’histoire ! Vous avez raison, la proposition de loi ne sera pas l’alpha et l’oméga d’une grande loi agricole. Nous cherchons simplement à viser correctement la cible, c’est vrai, et donc à encadrer le développement des structures sociétaires.

Madame Pinel, je vous remercie pour vos propos. Effectivement, nous sommes sensibles à ces sujets en Occitanie, où le phénomène de concentration excessive et d’accaparement est important – sans doute plus chez vous que chez moi, d’ailleurs. Vous avez évoqué le fermage et le travail délégué, sujets sur lesquels nous devrons revenir dans les prochains mois. L’urgence, pour le moment, c’est de contrôler le marché sociétaire. C’est ce à quoi nous nous sommes attelés avec ce texte.

Madame Taurine, je connais votre investissement sur un territoire voisin du mien ; nous affrontons les mêmes problématiques et je comprends vos interrogations. Parmi les dispositions, la compensation est primordiale. Ainsi, nous pourrions parler durant des heures du seuil, ce qui est plus important encore, c’est de rendre le mécanisme de compensation le plus transparent possible.

Monsieur Dufrègne, votre métaphore sur la montagne accouchant d’une souris m’a rappelé mes origines montagnardes. Je vous en remercie car je suis très fier de venir des Hautes‑Pyrénées ! Pourquoi dites-vous que la proposition de loi supprime le contrôle des structures ? Ce n’est pas le cas pour les exploitants agricoles.

Monsieur Daniel, merci pour vos propos, votre soutien et votre travail. Merci également pour votre rappel concernant la constitutionnalité du texte, c’est important. Bien sûr, il y aura toujours des angles morts – c’est un travail sans fin – et j’espère que nous continuerons à travailler ensemble.

Monsieur Vigier, vous évoquez la proportionnalité des dispositions. Nous avons discuté du rôle du préfet avec les autorités administratives et le ministère. Le dispositif me semble juste, mais nous pourrons en débattre.

Monsieur Villani, je vous remercie pour vos propos. Nous avons souvent échangé et je n’ai peut-être pas pu répondre à toutes vos interrogations – le sujet est très complexe, vous l’avez constaté, mais nous pourrons en discuter d’ici l’examen en séance. Avec l’accord du ministre, j’ai souhaité que l’application du dispositif soit simulée en conditions réelles. Une simulation est donc en cours en Bourgogne-Franche-Comté mais elle s’avère complexe, je l’avoue. Le déplacement que j’effectuerai le 20 mai à Dijon me permettra de vous en rendre compte.

Monsieur Di Filippo, je ne connais pas votre région, mais l’Oise, par exemple, subit la même situation avec l’achat de terres par de grands propriétaires belges. La proposition de loi ne vise en effet que les superficies situées sur le territoire et la situation des sociétés ne pourra s’apprécier que sur la base des immeubles à usage ou à vocation agricole qu’elles possèdent en France. Je crois savoir qu’un amendement propose un rapport sur ce sujet.

Article 1er : (Articles L. 333-1, L. 333-2, L. 333-3, L. 333-4 et L. 333-5 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime) : Contrôle de la concentration excessive et de l’accaparement des terres agricoles

Amendements identiques CE10 de M. Dominique Potier et CE85 de M. JeanPaul Dufrègne, amendement CE89 du rapporteur (discussion commune).

M. Dominique Potier. Ce serait une illusion de penser que nous n’avons le choix qu’entre la situation actuelle, non régulée, et le dispositif proposé par ce texte : en vérité, il existe d’autres solutions.

J’essaierai de le démontrer en exposant, point par point, le contenu d’une proposition de loi que j’avais patiemment élaborée avec des experts universitaires du droit foncier, indépendants de tout intérêt. Plusieurs groupes en partageaient la philosophie et les objectifs. Nous devions en discuter avec le ministre. J’avoue qu’après avoir couru tout un marathon, il est fort désagréable de subir un croche-pied dans les cent derniers mètres…

Je crains, comme beaucoup de connaisseurs du domaine, que le remède proposé à l’article 1er ne soit pire que le mal. Vous risquez, Monsieur le rapporteur, de goudronner ce qui était jusque-là un chemin de traverse, emprunté pour contourner la loi.

Nous proposons pour notre part d’établir un contrôle du phénomène sociétaire sous l’autorité de l’État, avec possibilité de délégation au préfet. Le contrôle serait fondé sur les principes de partage énoncés à l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime et qui avaient été établis dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014. Les seuils retenus seraient ceux du contrôle des structures, qui ont été concertés avec la profession. Cela permettrait, plutôt que d’offrir un passe-droit, de traiter équitablement tous les requérants et de garantir une liberté d’entreprendre authentique.

M. Jean-Paul Dufrègne. Le seuil d’agrandissement « excessif » ne peut être la référence pour le traitement des demandes d’autorisation de ventes des actions. Il faut un même seuil de contrôle pour tous et des arbitrages qui reposent sur une législation commune. Un droit commun permettrait d’éviter les règles dérogatoires subjectives, inévitables lorsque l’on fixe les choses par décret et que l’on renvoie à l’autorité administrative. Les valeurs d’égalité et d’universalité, que nous chérissons et qui sont notre boussole, nous conduisent à rejeter ces mesures réglementaires qui pourraient aboutir à un traitement à plusieurs vitesses.

Contrairement à ce que vous avez affirmé, Monsieur le rapporteur, je n’ai en aucune façon remis en cause le contrôle des structures, mais souligné que votre proposition de loi pouvait offrir la possibilité de le contourner.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. L’amendement CE89 clarifie la rédaction de l’article 1er et précise les conditions de déclenchement du contrôle. Le seuil d’agrandissement « significatif » au-delà duquel l’opération envisagée sera soumise à contrôle de l’autorité administrative ne préjuge pas du caractère « excessif » de l’opération.

Le franchissement de ce seuil, fixé par le représentant de l’État dans la région, ne constitue que le déclenchement de la procédure de contrôle. L’autorisation administrative pourra être accordée, même en cas de dépassement de ce seuil. Le dispositif proposé clarifie également l’ordonnancement des alinéas et leur rédaction. La rédaction tient compte du point 20 de l’avis du Conseil d’État.

Permettez-moi de revenir sur la genèse du texte. Le dispositif a été travaillé en concertation avec la profession agricole et bâti pour répondre à ses attentes, avec un objectif : cibler la concentration excessive et l’accaparement pour favoriser l’installation. La profession a validé ce seuil, considérant qu’il respectait cet objectif.

Le dispositif est lourd, système et fonctionnement sociétaires obligent. Il ne doit pas peser sur les opérations portant sur de faibles surfaces – c’est un gage de proportionnalité qu’a souligné le Conseil d’État – et respecter les principes constitutionnels du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et de la libre circulation des capitaux.

Un nouvel outil doit avoir son champ d’application propre. Le mécanisme que nous proposons vise à contrôler le cumul des surfaces autant en exploitation qu’en propriété, même si les terres n’ont, eu égard au zonage d’urbanisme, qu’une vocation agricole. Nous avons dû nous affranchir du contrôle des structures, qui ne concerne que l’exploitation et comporte des faiblesses. Il aurait été dénué de sens de s’aligner sur le seuil du contrôle des structures, puisqu’il ne s’applique qu’aux terres mises en valeur à des fins agricoles, pas aux terres détenues en propriété et non exploitées, qu’il faut pourtant comptabiliser.

Notre dispositif contrôle l’excès. Celui-ci est caractérisé par trois critères cumulatifs : le dépassement du seuil n’est soumis à autorisation que si la prise de participation aboutit à conférer à l’acquéreur le contrôle d’une société qui détient ou exploite des terres.

Pour la définition du contrôle d’une société, nous avons initialement tenté une approche basse – à 25 % – mais le statut de bénéficiaire effectif n’étant réservé qu’aux personnes physiques, nous avons dû chercher dans le code de commerce un dispositif adapté aux personnes morales. Ce dernier ne caractérise la prise de contrôle qu’au-delà de 40 % de prise de participation.

Le Conseil d’État a balayé cette différence de traitement, le principe d’égalité exigeant un seuil unique. Seul le seuil de 40 % peut être retenu puisqu’il s’applique autant aux personnes physiques qu’aux personnes morales. En outre, le seuil de 25 % a été créé aux fins de lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme ; une telle rigueur ne se justifie pas en l’espèce. Cet amendement tire les conséquences de l’avis du Conseil d’État.

M. Jérôme Nury. Il est plus adéquat de renommer le seuil d’agrandissement en le qualifiant de « significatif ». Mais pourquoi charger le préfet de région de le fixer ? Pourquoi ne pas attribuer cette compétence au préfet de département, autorité administrative de proximité, plus au fait de la diversité des territoires agricoles ? Par ailleurs, le seuil d’agrandissement, qui serait compris entre une fois et trois fois la SAURM, ne semble pas adapté aux régions très agricoles. Ainsi, en Basse‑Normandie – puisque ce sont les moyennes des ex-régions qui sont prises en compte –, la SAURM est de 70 hectares : cela place le seuil de déclenchement à 210 hectares, ce qui est très bas. Ne risque-t-on pas de technocratiser une grande partie des demandes ?

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué plusieurs fois le soutien de la profession. J’ai travaillé pendant des années avec l’ensemble des syndicats, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) ou les SAFER, j’ai été un compagnon de route de leurs combats et j’avoue ne pas comprendre comment ce renversement a pu s’opérer. Quel jeu d’acteurs a permis de faire émerger cette proposition susceptible de légitimer les logiques sociétaires d’agrandissement ? Comment les jeunes agriculteurs et tous ceux qui se battent pour l’installation des agriculteurs ont-ils été amenés à soutenir cette initiative, de toute évidence contraire à l’objectif affiché ?

Il ne faut pas confondre la définition de la prise de contrôle d’une société – point sur lequel le Conseil d’État s’est exprimé, proposant de retenir les 40 % du code de commerce plutôt que les 25 % du code monétaire et financier – et le seuil de déclenchement du contrôle. Je rappelle à l’attention des non-initiés que, dans le cadre de la politique des structures, le contrôle s’exerce en deçà d’un seuil – minimal – de dimension économique viable et au-delà d’un seuil – excessif – de superficie. Or vous proposez de fixer un seuil quantitatif supérieur, assorti de coefficients d’augmentation.

Je rappelle qu’il y a deux mois, nous avons écrit avec MM. Julien Dive, Jean‑Paul Dufrègne et Jean-Michel Clément au ministre de l’agriculture, lui demandant de saisir le Conseil d’État pour vérifier si le seuil sur lequel est fondé le contrôle des structures est un seuil admissible au regard de notre objectif. De fait, le Conseil d’État n’a pas été sollicité sur ce point, mais je ne doute pas qu’il aurait répondu par l’affirmative !

Si je suis agriculteur, propriétaire d’une centaine d’hectares. Si M. Nicolas Turquois transforme son exploitation en société dont je rachète 99 % des parts, je deviens exploitant en doublant ma surface. Celle-ci, inférieure au seuil de déclenchement, est hors radar. Aucun contrôle ne s’exercera sur cette opération qui pourrait compromettre une installation. D’un point de vue républicain, il est inadmissible de favoriser ainsi la voie sociétaire et de discriminer les requérants individuels. Vous instituez l’agrandissement par la voie sociétaire !

M. Cédric Villani. Quelque chose me gêne dans ce débat car j’ai l’impression que nous n’avons pas tous les éléments. La question n’est pas de savoir si le seuil est trop bas ou trop élevé, mais si ce dispositif favorise la mise en place d’exploitations de forme sociétaire au détriment d’exploitations de forme familiale. Vous proposez un seuil compris entre une fois et trois fois la SAURM. Or je lis, à la page 10 du rapport, que les exploitations sociétaires utilisent en moyenne trois fois plus de surface que les exploitations individuelles : doit-on y voir une coïncidence ? Ou doit-on comprendre qu’avec ce seuil, vous entendez donner plus de facilités et de surfaces aux exploitations de forme sociétaire ?

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Monsieur Nury, il est préférable, pour jouir d’une vision globale, de retenir l’échelon régional, étant entendu que les seuils pourront être différents en fonction des zones géographiques. En Aquitaine, le SDREA, document très fourni, publié le 1er avril, détermine les seuils presque vallée par vallée. En revanche, l’avis du préfet de région s’appuiera sur l’expertise des services départementaux.

Monsieur Potier, je ne comprends pas ce que vous entendez par « jeu d’acteurs », car j’ai travaillé à l’élaboration de ce texte avec le concours de l’ensemble des organisations professionnelles agricoles (OPA).

J’ai expliqué à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas confondre le seuil d’agrandissement avec le seuil retenu pour le contrôle des structures car ce ne sont pas les mêmes choses que l’on comptabilise – je peux recommencer mais nous devrons alors poursuivre nos débats cet après-midi.

J’ai souhaité que le Conseil d’État soit consulté. Je vous invite à lire l’avis du Conseil d’État : il y est expliqué que la fourchette, entre une et trois fois la SAURM, est constitutionnelle. J’ai travaillé avec les OPA, les SAFER et la Fédération nationale des SAFER (FNSAFER) et nous avons effectué des simulations sur cette base. Certaines chambres d’agriculture souhaiteraient que l’on porte le seuil à quatre fois la SAURM, mais j’estime que cela pourrait comporter des dangers dans certains endroits.

M. Nicolas Turquois. Les propos de M. Potier m’ont perturbé car je ne pense pas que le rapporteur ait eu une quelconque intention de se livrer à un jeu d’acteurs. Il y a urgence, la concentration s’accélère. Dans mon département, la Vienne, on est passé en quelques années au Far-West : certaines fermes s’étendent sur plus de 2 000 hectares ! On peut toujours considérer que les seuils ne sont pas à la hauteur, les dispositions insuffisamment restrictives, il n’en reste pas moins que le droit des sociétés continue d’échapper à tout contrôle et que les OPA s’accordent à dire qu’il faut agir, et vite.

L’échelon régional permet de prendre des décisions cohérentes. Ce choix me semble pertinent car certains ont pu jouer jusqu’ici sur les critères différents retenus pour le contrôle des structures d’un département à l’autre. Ce sont des effets de bord similaires à ceux qui pourraient se produire, comme l’a expliqué M. Fabien Di Filippo, dans les départements frontaliers.

M. Thierry Benoit. Je comprends les propos de M. Potier car cette proposition de loi a été accueillie par les acteurs du monde agricole avec un certain scepticisme. Je ne l’ai pas cosignée car je continue moi-même de m’interroger sur les effets que pourront avoir ces dispositions.

Avec la non-régulation des acquisitions, l’introduction des parts sociales, la financiarisation du foncier, nous sommes en train de consacrer une forme sociétaire de l’agriculture. Les agriculteurs ne sont plus souverains : non seulement ils ne tirent plus les fruits de leur travail – certaines filières doivent leur survie aux primes de la politique agricole commune (PAC) –, mais le lien direct avec le sol est en train de se distendre.

Cette proposition de loi empêchera-t-elle la grande distribution, les banques, les coopératives, les grands financiers tels M. Xavier Niel, les investisseurs étrangers comme les Chinois dans l’Indre, de se porter acquéreurs ? J’espère me tromper, mais je crains que non.

M. Dominique Potier. Comme vient de le dire M. Benoit, par manque de vigilance, et aussi une certaine complaisance, des pratiques qui sont aujourd’hui dans un angle mort pourraient bien être légitimées et institutionnalisées. Les effets de cette proposition de loi seraient alors pires que le mal auquel on entend remédier.

Permettez-moi d’expliquer, en homme libre, ce que j’entends par « jeu d’acteurs ». Le général De Gaulle avait dit à Edgar Pisani qu’il ne serait pas le ministre des agriculteurs, mais le ministre de l’agriculture ; je crois que le travail parlementaire exige qu’on parle à la Nation, à l’intérêt général et pas aux clientèles. Or le revirement de certaines positions m’a surpris.

Je me bats pour la politique de l’installation depuis des années. J’ai commencé à militer à l’âge de 17 ans pour l’installation des jeunes hors cadre familial et pendant le quart de siècle où j’ai été paysan, j’ai eu le bonheur de travailler en coopérative avec quatre associés dont aucun n’aurait pu s’installer sans cette politique. C’est l’un des combats de ma vie, que j’ai mené comme élu et que je poursuis aujourd’hui à l’Assemblée nationale.

Je suis donc en mesure de dire que certains n’avaient pas du tout intérêt à ce que les choses changent. Si j’ai parlé de jeu d’acteurs c’est que, tenant compte d’une limite que le ministre de l’agriculture – soucieux de faire semblant plutôt que de faire vraiment – aurait fixée, la profession – y compris ses composantes les plus progressistes et les plus solidaires – a fini par se ranger à l’idée d’une voie minimale. Celle-ci pourrait pourtant se révéler la pire de toutes.

Nous proposions pour notre part une discussion avec le ministre et la profession. Cette triangulation aurait évité la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

M. André Villiers. Thierry Benoit est le premier, dans ce débat, à évoquer la PAC. Or la politique agricole commune est au cœur du problème ; tant que l’hectare servira de coefficient multiplicateur aux aides apportées par l’Union européenne, les grandes exploitations seront des machines à cash. Pour lutter contre l’accaparement, il faudrait plafonner les droits à paiement, que l’exploitation soit individuelle ou sociétaire. C’est à mon sens la seule façon de s’attaquer à ce problème !

M. le président Roland Lescure. Nous organisons la semaine prochaine un séminaire sur la PAC, qui réunira des invités exceptionnels. Je vous engage à y participer.

M. Jean Terlier. J’ai eu un instant l’impression de me retrouver au XIXe siècle en écoutant M. Benoit opposer les exploitations individuelles et les exploitations sociétaires.

Lorsqu’un père et son fils, des conjoints, des voisins ne peuvent plus exploiter sous forme individuelle, ils créent une structure commune – groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) ou société civile d’exploitation agricole (SCEA). Vous le savez tous pertinemment. Il est quelque peu compliqué d’expliquer que ces exploitations sociétaires sont le diable et qu’il convient de privilégier l’exploitation individuelle. Vous rencontrez vous aussi dans votre circonscription des agriculteurs qui exploitent des petites structures de 100 hectares, des laitiers par exemple, qui décident de se regrouper pour mettre en commun le matériel et faciliter le travail. Pourquoi les montrer du doigt ? Cela ne fait pas avancer le débat.

M. Yves Daniel. On pourrait passer la journée à chercher des réponses à des questions qui ne sont pas abordées par cette proposition de loi. Soyons concrets, tenons-nous en aux objectifs énoncés !

Certes, c’est le préfet qui fixera le seuil de déclenchement, mais il n’en décidera pas tout seul puisqu’il s’appuiera sur la commission structures, le comité technique de la SAFER et l’ensemble des acteurs de l’agriculture. En outre, ce seuil devra tenir compte de différents critères liés à l’activité, des coefficients d’équivalence. C’est en tout cas ce que j’ai retenu des discussions que nous avons eues en amont. Je regrette que nous ne puissions pas disposer des simulations, qui auraient éclairé nos débats.

M. Jean-Paul Dufrègne. À aucun moment je n’ai entendu remettre en cause les GAEC, les SCEA ou toute autre forme sociétaire, des outils essentiels pour partager les charges et transmettre le patrimoine. Ce qui est critiqué ici, c’est le mode sociétaire d’opportunité.

M ; Nicolas Turquois a parlé de cohérence territoriale pour justifier l’échelon régional, mais encore faut-il qu’il y ait cohérence au sein même de la région. J’habite la région Auvergne-Rhône-Alpes et je n’en vois pas entre les éleveurs de bovins allaitants des plaines, les laitiers de montagne, les maraîchers ou arboriculteurs de la Drôme ou de l’Ardèche et les viticulteurs du Beaujolais ou des Côtes-du-Rhône !

M. Jacques Cattin. Encore une fois, on cherche la complexité : tout irait beaucoup mieux en France si on commençait par appliquer les lois existantes. Permettez-moi d’expliquer les choses, puisque je suis viticulteur et que je maîtrise bien le sujet. Il convient de distinguer la propriété de l’exploitation. Si vous détenez la propriété à titre privé, au-delà d’un certain seuil, la transaction passe par la SAFER. Si vous êtes titulaire d’un bail, vous pouvez bénéficier d’une dérogation ou vous retrouver en compétition avec d’autres. Le problème porte sur la cession des parts de société : si vous possédez 100 % des parts, la SAFER peut préempter ; ce n’est pas le cas si l’opération ne concerne que 80 % des parts. Ensuite, il faut pouvoir s’aligner : on ne peut rien faire contre des Chinois qui se portent acquéreurs de grands domaines ! Rappelons aussi que s’il existe des tensions sur le foncier, dans certaines régions, la SAFER cherche des exploitants et des propriétaires !

Je voudrais ajouter que le fait que vous soyez propriétaire d’un terrain ou d’une vigne ne vous garantit pas que vous puissiez l’exploiter. Au-delà d’un certain seuil – 14 hectares en Alsace –, il vous faut une autorisation administrative d’exploitation, instruite par la CDOA. Un bail rural qui n’a pas été examiné en CDOA peut être attaqué, sans délai de prescription.

Je l’ai dit, si on appliquait les textes, cela irait beaucoup mieux. Mais je suis comme vous, je trouve ces pratiques anormales et ce que font les Chinois chez nous, des Français le font ailleurs, en Ukraine par exemple. Il faut qu’elles soient encadrées.

Mme Anne-Laurence Petel. Je l’ai dit en discussion générale, cette proposition de loi crée des divergences, mais ces débats sont souhaitables. Nous savons bien qu’elle n’apporte pas à elle seule la solution aux problèmes de transmission et d’installation, mais elle fournit une part de la solution. Elle agit aussi comme un signal en direction de ceux qui jouent au Monopoly avec le foncier agricole. Nous sifflons la fin de la partie, avec la ferme intention de nous attaquer à ce problème et de faire cesser l’hémorragie. N’oublions pas non plus qu’un texte ne sert à rien s’il ne passe pas le filtre du Conseil constitutionnel. Le rapporteur s’attache à nous présenter des dispositions opérationnelles, en conformité avec la norme supérieure.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Monsieur Benoit, je sais que vous êtes un spécialiste de ces questions et j’espère vous convaincre au cours de la discussion. Monsieur Terlier, je vous remercie pour vos propos, que je partage. Monsieur Potier, vous avez prononcé le mot de « complaisance » et parlé à nouveau de jeu d’acteurs. Cela m’attriste pour les OPA, avec qui j’ai travaillé et qui se voient ainsi accusées de complaisance envers le petit député des Hautes-Pyrénées que je suis.

La commission rejette les amendements CE10 et CE85 puis adopte l’amendement CE89 du rapporteur.

En conséquence, les amendements se rapportant aux alinéas 4 à 6 tombent.

Amendement CE126 de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Il convient de conserver dans le futur calcul la spécificité des superficies des surfaces agricoles prise en compte dans le SDREA. Les parcelles de vignes et les parcelles céréalières bénéficient de coefficients d’équivalence distincts, compte tenu de leur valeur et de la taille moyenne des exploitations.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Cela permettra de rassurer ceux qui craignent un seuil unique, qui ne prendrait pas en compte la diversité des territoires, des cultures et des élevages. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de conséquence CE91 du rapporteur.

L’amendement CE45 de M. Terlier est retiré.

La commission adopte les amendements rédactionnels identiques CE96 du rapporteur et CE2 de Mme Anne-Laurence Petel.

Elle adopte l’amendement rédactionnel CE114 du rapporteur.

Amendement CE50 du rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. La question du seuil au-delà duquel l’acquisition de titres est considérée comme une prise de contrôle est déterminante pour établir la proportionnalité et l’efficacité du dispositif par rapport à ses objectifs de contrôle des mouvements sociétaires.

Tirant les conséquences de l’avis du Conseil d’État, je propose de ne retenir qu’une seule définition de la prise de contrôle, qui est celle du seuil de majorité. En complément, il convient de prévoir un contrôle des holdings des sociétés, contrôle défini à l’article L. 233-4 du code de commerce – « Toute participation au capital même inférieure à 10 % détenue par une société contrôlée est considérée comme détenue indirectement par la société qui contrôle cette société ». En conséquence, il conviendra de supprimer l’article 4, relatif à l’accès au registre des bénéficiaires effectifs.

M. Dominique Potier. J’aurais pu défendre des amendements sur cette question, mais ils sont tombés du fait de l’adoption de l’amendement CE89 – on peut le regretter, mais c’est la règle.

Il peut être utile de rappeler qu’il existe deux formes de contrôle, le contrôle politique via le conseil d’administration – cela suppose un examen précis des statuts pour chaque société – et le contrôle capitalistique. La proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés visait à additionner, à croiser les deux modes de contrôle.

Le Conseil d’État a considéré que le seuil de 25 % n’était pas pertinent car il faisait référence à des affaires plus graves que celles dont nous discutons aujourd’hui. Sur le fond, cela peut se discuter : au regard de la sécurité alimentaire et de la sauvegarde de la biodiversité, on peut prendre au nom de l’intérêt général des mesures puissantes à l’encontre des prises de contrôle des sociétés par la voie capitalistique.

Une rédaction plus performante permettrait au texte de passer le filtre constitutionnel. Ma première question sera donc technique : l’avis du Conseil d’État est-il ou non rédhibitoire ?

Si l’avis du Conseil d’État devait s’imposer à nous, la mise en œuvre de la loi poserait problème car le contrôle des statuts des sociétés est un travail de fourmi, très complexe à mener. Que proposez-vous pour rendre cette disposition opérationnelle ? Je crains que, devant de tels obstacles, la situation actuelle ne se perpétue.

M. le président Roland Lescure. Sur la forme, monsieur Potier, vous savez bien que les amendements se rapportant aux alinéas réécrits tombent ; vous pourrez les déposer à nouveau afin qu’ils soient examinés séance. Ne passons pas la matinée à discuter du Règlement !

Par ailleurs, vous n’ignorez pas que l’avis du Conseil d’État est consultatif. Cependant, il a été formulé par des personnes qui connaissent un peu leur métier et constitue, de fait, un avertissement important. Il convient d’en tenir compte ; c’est ce qui a justifié des réunions d’une durée totale de plus de sept heures avec le rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je n’ai pas compris votre question, Monsieur Potier. Les changements de parts de société sont déclarés dans le cadre de la déclaration d’intention d’aliéner (DIA). C’est bien du déclaratif.

M. Dominique Potier. Le transfert des parts sociales est automatiquement renseigné et le contrôle peut s’exercer. Même si le seuil de 25 % était insatisfaisant, ces modalités permettaient de capter des procédures d’agrandissement. Il n’existe pas d’équivalent pour les prises de contrôle politique au sein des conseils d’administration, qui échappent ainsi au radar de l’administration. Comment obliger les sociétés à déclarer leur agrandissement ? Comment les SAFER pourront-elles exercer leur contrôle ? S’agissant du coût de ce contrôle, je vous invite à amender ce texte afin qu’il prévoie que les sociétés en assurent elles-mêmes le financement – c’est pour moi une évidence.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Le dispositif prévoit bien un contrôle a posteriori, en cas de doute sur un dossier. Les changements de vote sont enregistrés au greffe du tribunal de commerce, ce qui fournit déjà des informations. Je comprends que des questions puissent se poser mais le dispositif me semble assez clair.

La commission adopte l’amendement.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels identiques CE94 du rapporteur et CE8 de Mme Anne-Laurence Petel, l’amendement de coordination CE117 du rapporteur, les amendements rédactionnels identiques CE97 du rapporteur et CE3 de Mme Anne-Laurence Petel, les amendements rédactionnels identiques CE98 du rapporteur et CE4 de Mme Anne-Laurence Petel, les amendements rédactionnels identiques CE99 du rapporteur et CE5 de Mme Anne-Laurence Petel, les amendements de clarification identiques CE92 du rapporteur et CE6 de Mme Anne-Laurence Petel, l’amendement rédactionnel CE118 du rapporteur et les amendements rédactionnels identiques CE93 du rapporteur et CE7 de Mme Anne-Laurence Petel.

Amendement CE34 de M. Yves Daniel.

M. Yves Daniel.  Les opérations d’acquisition et de rétrocession, par cession ou substitution, réalisées à l’amiable par les SAFER dans le cadre de leur mission légale ou par l’exercice de leur droit de préemption sont exemptées de contrôle. Nous proposons de les soumettre à un accord préalable exprès des commissaires du Gouvernement rattachés aux SAFER.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Ce serait de nature à sécuriser le dispositif et à rassurer ceux qui ont encore des doutes sur les SAFER. Avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Amendements CE54 de M. Loïc Prud’homme et CE27 de M. Dominique Potier (discussion commune).

Mme Bénédicte Taurine. Les SAFER détiennent le droit de préemption sur les donations au-delà du sixième degré. Afin d’éviter le contournement du droit de préemption sur les ventes de biens agricoles, nous proposons de prévoir un contrôle sur les donations de parts sociales au-delà du troisième degré. Si les contraintes légistiques nous empêchent de restreindre le degré de parenté pour les autres types d’opération, nous estimons que le contrôle au-delà du troisième degré, qui permet de limiter les montages frauduleux, devrait devenir la norme.

M. Dominique Potier. Les politiques de structures, notamment les politiques d’installation hors cadre familial, ont pour règle de ne privilégier les relations familiales que jusqu’à un certain degré de parenté. On peut discuter ici du degré de parenté au-delà duquel le contrôle doit s’exercer – certaines organisations syndicales souhaitent que les opérations jusqu’au sixième degré soient exemptées, d’autres jusqu’au troisième – ; le principe est de limiter les possibilités de manipulation des tiers par leur lien familial – nous évoquions hier, en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, les cousins à la mode bretonne. Dans tous les cas, Monsieur le rapporteur, on ne peut prévoir d’exempter l’ensemble de ces opérations, au motif qu’elles sont familiales.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Une difficulté juridique se niche dans ces amendements : quel que soit le degré de parenté, les mutations que vous visez sont par essence gratuites, motivées par l’intention libérale – l’animus donandi. Les faire entrer dans le champ d’application du texte générerait les compensations – vente ou dation à bail – prévues par le dispositif ; ces charges feraient alors tomber la gratuité, ce qui changerait la nature du contrat. Vos demandes ne sont donc pas recevables juridiquement.

M. Dominique Potier. Admettez qu’exonérer de contrôle toutes les sociétés familiales, quel que soit le degré, serait une nouvelle porte ouverte à l’agrandissement. ! Notre ligne est la même depuis le début : le phénomène sociétaire doit être un objet juridique contrôlé, comme l’ensemble des marchés fonciers, sinon il deviendra la voie privilégiée de l’agrandissement.

S’il existe un problème juridique, nous sommes là pour le surmonter. Avez‑vous l’intention de pousser vos travaux pour aboutir à une solution adaptée, correcte d’un point de vue juridique ? Si vous y renoncez, cela constituera un point de rupture important, dont nous reparlerons dans l’hémicycle.

M. Jean-Bernard Sempastous. Il y a une confusion. Votre amendement porte sur l’alinéa 19, qui vise à exempter du dispositif de contrôle les opérations à titre gratuit, pas les opérations intrafamiliales – celles-ci feront l’objet des amendements suivants.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CE24 de M. Christophe Naegelen, CE46 de M. Jean Terlier, CE25 de M. Christophe Naegelen et CE30 de Mme Lise Magnier (discussion commune).

M. André Villiers. Nous proposons d’exempter les transmissions familiales jusqu’au troisième degré.

M. Jean Terlier. Plus que d’une réflexion, l’amendement CE46 est le fruit d’une expérience de terrain. Dans mon cabinet d’avocat en droit rural, j’ai souvent fait face à l’incompréhension de propriétaires exploitants, qui, lorsqu’ils voulaient transmettre, à la retraite, une petite surface à leur fils agriculteur, se retrouvaient soumis au contrôle des structures car ils dépassaient le seuil. Dans le cas de terres familiales, cela peut être vécu comme une atteinte forte au droit de propriété et à la transmission entre parents et enfants.

M. Thierry Benoit. Cet amendement vise à privilégier l’une des formes de l’agriculture, la forme familiale, mais loin de moi l’idée d’opposer ce modèle aux formes associatives – groupements agricoles et d’exploitation en commun (GAEC), groupements fonciers agricoles (GFA) et autres. Je précise ma pensée, parce que M. Terlier a tenté tout à l’heure de tourner en dérision ma vision de l’agriculture, prétendument du XIXe siècle.

J’espère que l’objet de la proposition de loi de M. Sempastous est bien de réguler le gigantisme financier en matière de foncier agricole – un coup ce sont les Chinois, un coup la grande distribution, un coup une banque. Sans cela, les professionnels ne pourront bientôt plus, que ce soit sous forme individuelle ou sociétaire, préserver cette souveraineté agricole que j’appelle de mes vœux.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. L’exemption des transmissions familiales a fait l’objet de nombreuses discussions. Je me suis appuyé sur les avis du ministère, mais aussi sur ceux des personnes que j’ai rencontrées. Rien n’était tranché, les positions variaient selon les organisations professionnelles. Alors que je l’avais d’abord inscrite dans le texte, j’ai fini par la supprimer définitivement. En effet, la nouvelle définition de la prise de contrôle d’une société à partir de 40 % de détention du capital – et non plus 25 % comme prévu initialement – va diminuer le nombre de dossiers de contrôle. Si l’opération familiale est vertueuse, une autorisation lui sera accordée, comme pour toute opération positive au titre de ce chapitre.

M. Dominique Potier. Mine de rien, et en prenant appui sur des histoires familiales très sympathiques – le père, le fils, la tradition… –, on est en train de dynamiter le troisième pilier de la régulation Pisani des années 1960, avec les SAFER et le contrôle des structures : le statut du fermage. Le fils reprendrait de fait les terres sans même bénéficier d’une autorisation d’exploitation, quand bien même un fermier serait en place ! Votre disposition, sous ses allures innocentes, dynamite le fermage ! Non seulement il faut la combattre, mais férocement encore. Elle est totalement contraire aux contrats qui régissent l’agriculture. Bien essayé, Monsieur Terlier ! Mais ce serait dramatique, dans la mesure où c’est une remise en cause fondamentale et une voie de fragilisation du statut du fermage. Nous le défendrons bec et ongles, avec une très grande majorité, je l’espère, de républicains et d’humanistes.

M. André Villiers. Le modèle agricole français est fondé sur une transmission familiale séculaire des exploitations. Il faut conserver ce maillon, tout en étant attentif aux cas où des propriétaires fonciers, qui n’étaient pas exploitants depuis plusieurs générations, ont envie, à un moment donné, de faire valoir leur bien. Je suis très attaché à ce modèle dont on a hérité et dont on a la charge. Il combine toutes les vertus de l’agriculture française.

Mme Martine Leguille-Balloy. Je suis un peu étonnée par tout ce que j’entends, même si je comprends bien votre envie de lutter contre les excès. S’agissant du seuil, qui sera compris entre une et trois fois la surface agricole utile, rappelons que le seuil minimal garantit la viabilité de l’exploitation.

M. Dominique Potier. Ça n’a rien à voir !

Mme Martine Leguille-Balloy. Il faut préserver la possibilité pour la famille d’acquérir. On favorise le bail, mais il y a d’autres situations, notamment les licitations qui sont très fréquentes, dans lesquelles il faut préserver la famille. Vous oubliez tous ces détails, à force de penser que tout est malhonnête et que l’on va vers l’excès. Il faut que les agriculteurs puissent vivre ; si la famille peut continuer à exploiter, elle doit être privilégiée. Les situations que vous décrivez ne sont pas celles que nous vivons sur le terrain. Oui, il y a des excès. Oui, il faut les faire cesser. Mais il faut aussi que les agriculteurs puissent vivre et transmettre leur exploitation à leurs enfants !

M. Jean Terlier. Ma collègue a parfaitement décrit la situation. Il ne faut pas caricaturer, Monsieur Potier. On ne peut pas vouloir promouvoir une agriculture familiale et imposer des contraintes inacceptables pour les propriétaires partant à la retraite qui veulent transmettre leurs terres à leur fils. Sous prétexte que ce fils s’est installé quelques années auparavant, il devra demander une autorisation d’exploiter : il risquera de se la voir refuser et de se retrouver dans l’impossibilité d’exploiter les terres de ses parents. Ces situations sont malheureusement plus courantes que les phénomènes de concentration excessive que vous décrivez. Si l’on veut une agriculture familiale, il faut faire des choix et arrêter d’imposer des contraintes.

M. Jérôme Nury. Notre agriculture est en effet souvent portée par plusieurs générations et, parce qu’il n’est pas rare que l’on transmette l’exploitation et les terres à ses enfants, nous avons intérêt à sanctuariser cet état de fait dans le texte. Je suis un peu plus réservé sur le niveau du degré de parenté. Le troisième degré ne fait remonter qu’aux oncles et tantes, aux neveux et nièces ou aux arrière‑grands‑parents. Or on se rend compte qu’un partage progressif se fait au fil des générations et qu’il n’est pas rare de voir des cousins germains exploiter des fermes ensemble. Ne faudrait-il pas en réalité remonter jusqu’au quatrième degré ? Cela permettrait de sécuriser encore un peu plus la ferme familiale à la française.

M. Nicolas Turquois. C’est l’agriculteur qui exploite des terres depuis la cinquième génération qui vous parle : je ne me sens en aucun cas mis en danger par le texte dans ma capacité de transmettre ma ferme à mes enfants. Dans certaines situations, la transmission d’un père à son fils se fait à l’excès – j’ai vu, par exemple, un père et son fils s’installer dans deux structures différentes pour récupérer de nouvelles terres, ce qu’ils n’auraient pas pu faire ensemble. Que de telles situations soient examinées de plus près ne me choque pas. Cela ne menace en rien ma propre situation, et pas davantage votre version de la ferme familiale idéalisée, qui est de moins en moins présente sur le terrain. Il me semble légitime de pouvoir jeter un œil sur certaines cessions intrafamiliales.

M. Dominique Potier. On se raconte des histoires ! Les enfants de paysans ont toujours pu s’installer sur la terre familiale. Nous disons simplement qu’un fermier doit pouvoir aller jusqu’au bout de son bail, sans se retrouver expulsé par le fils du propriétaire, avocat dans le VIIe arrondissement parisien, qui se déclare tout à coup paysan et souhaite reprendre les terres pour les confier à une entreprise de travaux agricoles. Le bail doit aller à son terme et si le fils veut vraiment devenir paysan, il sera évidemment prioritaire ! Il s’agit d’une atteinte au droit du travail, aux fondamentaux mêmes de la loi du fermage.

L’une des innovations de la loi de Stéphane Le Foll de 2014 était de prévoir que dans les cas de fusion de fermes entre un père et son fils, l’autorisation d’exploiter pouvait être subordonnée au fait que le fils rende une partie des terres qu’il avait utilisées dans sa phase d’installation. Sans quoi, c’était le fusil à deux coups : dans un premier temps, le fils s’installait en toute indépendance ; puis, il reprenait la ferme de mon père et doublait son exploitation sans que personne ne trouve à redire. Cette disposition avait été soutenue à l’époque par le syndicat Jeunes agriculteurs. Elle ne saurait être remise en cause aujourd’hui, sous peine de régresser.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Lors de notre déplacement la semaine dernière dans la Marne, nous avons pu voir des terres excessivement chères, dont les gens héritent sans même résider sur le territoire. Un maire nous a expliqué que sur les sept agriculteurs en exercice dans sa commune il y a vingt ans, il n’en reste plus qu’un aujourd’hui. La Champagne est certes un cas particulier, mais on peut extrapoler sa situation à d’autres territoires. Je rappelle également que, dès lors que vous êtes propriétaires de vos terrains et de vos fermes, vous pouvez effectuer des donations familiales. Avis défavorable.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CE64 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Il peut y avoir des disputes au sein des familles. Aussi, pour que la transmission se fasse correctement, l’amendement vise à ce que les acquisitions effectuées par des cohéritiers sur licitation amiable ou judiciaire et les cessions consenties à des parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus ou à des cohéritiers ou à leur conjoint survivant, ainsi que les actes conclus entre indivisaires en application des articles 815‑14, 815‑15 et 883 du code civil soient réalisés à titre gratuit, afin d’éviter la déstructuration d’entreprises familiales.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais si l’opération familiale est vertueuse, l’autorisation sera accordée sans problème. Avis défavorable.

Mme Martine Leguille-Balloy. Dans le cas d’une licitation, la famille n’est plus prioritaire. Cela change un peu la donne… Mais pas votre avis ?

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE65 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Il vise à exempter les GAEC des dispositions de l’article 1er. Ce sont des sociétés transparentes soumises à une réglementation particulière. Leur objet est uniquement agricole. Leurs associés, qui ne sont pas plus de dix, doivent avoir le statut de chef d’exploitation et travailler en commun. Elles sont soumises à un agrément préfectoral.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Les GAEC sont en effet des sociétés agricoles transparentes, dont la forme est intéressante puisque chaque membre peut toucher les aides de la PAC. En contrepartie, la CDOA les contrôle régulièrement. Un associé ne peut exercer une activité professionnelle à l’extérieur, sauf dans des cas très particuliers. Mais un GAEC, ce peut aussi être 1 000 hectares, qui pourraient échapper au contrôle dans la mesure où les associés, avec 10 % des parts, se situent sous le seuil des 40 %. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE69 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Il vise à exempter du dispositif les retraits d’associés. Ce départ peut prendre la forme d’une reprise partielle d’éléments d’actifs de la société en remboursement de la valeur des droits ou de la vente de parts sociales aux autres associés ou à la société. Le droit au retrait d’un associé est institué dans toutes les sociétés civiles par le code civil, notamment pour les sociétés civiles professionnelles. Quand des associés ne souhaitent plus travailler ensemble, il faut pouvoir trouver rapidement une solution et ne pas empêcher les associés de reprendre des parts. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé que le retrait pour justes motifs d’un associé autorisé par le tribunal constitue un droit fondamental. Si le régime empêche cette sortie ou le règlement d’un conflit, cela peut conduire à des situations humaines dangereuses.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Ce sujet nécessite la plus grande vigilance, parce que le retrait d’associés aboutit à augmenter le capital de ceux qui restent. Une telle exonération créerait un risque de détournement. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE75 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Il vise à exempter du dispositif les exclusions d’associés.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

La commission adopte l’amendement de clarification CE104 du rapporteur.

Elle adopte les amendements rédactionnels identiques CE95 du rapporteur et CE1 de Mme Anne-Laurence Petel.

Amendement CE66 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Il vise à faire passer à six mois au lieu de cinq ans le délai de prescription de l’action en nullité en cas de fraude.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Le délai de cinq ans est le délai de droit commun qu’il n’y a pas lieu d’abréger au profit d’un contrevenant qui s’affranchirait totalement du dispositif en ne déposant pas la demande obligatoire. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CE37 de M. Jean-Michel Clément et CE55 de Mme Bénédicte Taurine (discussion commune).

Mme Sylvia Pinel. Nous proposons de considérer que le silence de l’État dans le délai imparti signifie le refus de l’opération.

Mme Bénédicte Taurine. L’amendement vise à simplifier le dispositif sous la responsabilité de l’État. Dans un délai de deux mois, avec le concours éventuel de la SAFER, le préfet prononce l’autorisation ou le refus de l’opération envisagée au regard des objectifs du SDREA. Le silence de l’État vaut refus. Dans ce cas, le cédant, avec ou sans l’appui de la SAFER, revoit son projet, qui est à nouveau examiné. Cet amendement est issu d’échanges avec le monde agricole, notamment la Confédération paysanne.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Avis défavorable. Votre rédaction est imprécise. Pourquoi remplacer tous les alinéas, alors que vous vous inspirez en grande partie de notre dispositif ? Les engagements compensatoires répondent au deuxième objectif de la proposition de loi : favoriser l’installation ou la consolidation d’exploitations. Cette disposition permet aussi une flexibilité indispensable pour se conformer aux principes constitutionnels et européens.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CE84 de M. Philippe Huppé.

M. Philippe Huppé. Nous proposons que la demande d’autorisation transférée par la SAFER à l’autorité administrative soit communiquée et publiée, afin de favoriser une plus grande transparence et de permettre aux organismes ou aux personnes qui n’étaient pas dans les comités techniques de s’en saisir et d’émettre des avis. Si de jeunes agriculteurs veulent s’installer, cela leur permettra de se faire connaître.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.

Amendements CE127 de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. L’amendement, proposé par Mme Véronique Riotton et adopté en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, vise à renvoyer au décret en Conseil d’État prévu pour l’application de plusieurs dispositions de l’article 1er.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CE14 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Le groupe Socialistes et apparentés avait déposé une proposition de loi beaucoup plus efficace et plus juste ; la vôtre prévoit un contrôle au-delà de tous les seuils admis par la profession en matière de contrôle des structures, et en deçà des règles fixées à l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime.

Cet article, qui régit le partage des sols, dispose que la priorité va à l’agrandissement pour atteindre ou conserver la surface minimale viable, à l’installation et aux modèles vertueux. Un système de points permet à l’administration territoriale d’accorder en priorité les terres à ceux qui en ont besoin, plutôt qu’à ceux qui en ont les moyens.

Nous seulement vous faites exploser tous les seuils, mais vos critères de sélection font l’objet de dérogations sur des bases extrêmement floues. Je vous prédis que cela donnera, au minimum, un enfer de contentieux et une grande place à l’arbitraire. Pourriez-vous, Monsieur le rapporteur, me donner un seul exemple d’un système de prise de contrôle de société qui ne concourrait pas à l’un des objectifs énoncés dans votre proposition de loi ?

Plus les opérateurs seront puissants économiquement, plus ils seront en mesure de démontrer qu’ils font, socialement ou écologiquement, le bien de l’humanité. Je suis favorable à des critères républicains très clairs, qui doivent être les mêmes pour les sociétés que pour les autres requérants. Ils sont ceux de la priorité sociale, qui est la garantie de la prospérité économique et écologique.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je le répète, nous avons créé un nouvel outil, différent du contrôle des structures, destiné à régir l’exploitation des terres. Notre dispositif est plus large car il contrôle également la possession immobilière par le biais sociétaire.

La compensation est importante, dans la mesure où elle permettra de favoriser l’installation. Il faut faire confiance aux comités techniques des SAFER, aux OPA et aux agriculteurs pour trouver de vraies compensations. Je ne doute pas que le ministre saura vous apporter des éléments pour vous prouver que le dispositif sera transparent et en adéquation avec ce que souhaitent les territoires. Cette proposition de loi ne facilitera en rien les accaparements.

M. Dominique Potier. Au contraire, ce système de dérogation et de compensation revient à créer une voie royale pour l’agrandissement et le phénomène sociétaire. Tous les observateurs universitaires et désintéressés qui se sont penchés sur le sujet le disent. Il n’y a pas un seul projet de prise de contrôle de société qui n’ait pas, dans son énoncé de principe, une dimension écologique ou de création d’emplois. Vous pouvez prendre 1 000 hectares sur un territoire et justifier que vous allez embaucher trois salariés agricoles ; jamais on ne fera la démonstration contraire que vous tuerez en dix ans une dizaine de fermes de polyculture-élevage dont le seuil de viabilité était tout à fait acceptable. Cette démonstration par la dérogation ne tient absolument pas la route. Elle ne fait pas l’objet d’un contradictoire. Elle n’ouvre pas la possibilité d’un recours, comme pour le contrôle des structures. Il y a une dissymétrie de droit qui mène tout droit – je parlais d’une voie goudronnée, certains ont parlé hier d’autoroute – à l’agrandissement.

Si l’on adopte cette proposition de loi, tous ceux dont le métier est de vendre du droit transformeront bientôt des sociétés agricoles traditionnelles transparentes, opérationnelles et à taille humaine en sociétés, non seulement afin d’atteindre les seuils excessifs que vous avez prévus, mais en plus d’y déroger par des systèmes de compensation iniques qui contreviennent à tous les principes républicains de régulation du foncier.

Je suis totalement hostile à votre système de dérogation, qui équivaut à un passe-droit. Qu’est-ce qu’un projet de territoire, en droit, Monsieur Sempastous ? Qu’est-ce qu’un projet qui pourrait être refusé parce qu’il ne créerait pas d’emplois, d’écologie et de sécurité alimentaire ? Cela n’a aucun sens. Dans sa sagesse, le législateur a, depuis les années 1960, conforté la priorité à l’installation et à la consolidation des fermes. Il faut ensuite laisser le marché produire de l’écologie et de l’économie. La propagande, l’instrumentalisation d’une commission ne doit pas conduire à créer une voie dérogatoire.

M. le président Roland Lescure. Monsieur Potier, cela va cinq minutes ! Je voudrais que le débat sur ce texte concerne le fond. Je n’accepte pas que vous parliez de l’instrumentalisation d’une commission, qui est par ailleurs celle que je préside.

M. Dominique Potier. Je ne parle pas de votre commission !

M. le président Roland Lescure. Pardon, je me suis emporté à tort, parce que je trouvais que cela commençait à faire beaucoup…

M. Dominique Potier. Monsieur le président, je parle des comités techniques des SAFER.

M. le président Roland Lescure. J’aurais dû mieux écouter !

M. Dominique Potier. J’ai trop de respect pour cette commission pour tenir de tels propos.

M. le président Roland Lescure. Je dois en avoir trop également, pour avoir été ainsi piqué au vif. Veuillez m’excuser !

M. Dominique Potier. Je vous excuse, bien sûr.

M. Nicolas Turquois. Monsieur le président, j’avais fait la même confusion que vous… Je connais l’engagement dans le temps de M. Potier pour les questions foncières. Mais la suspicion permanente jetée sur les intentions du rapporteur, dont je pense connaître la valeur humaine, finit par me blesser. Le rapporteur a une proposition de loi pragmatique et modeste. Je préfère une petite cabane dans les Hautes-Pyrénées, ou dans la Vienne, plutôt que des châteaux en Espagne. Monsieur Potier, utilisez votre compétence pour améliorer la proposition de loi ! Ces attaques permanentes desservent votre cause.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE105 du rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Il vise à clarifier les critères pris en compte par l’autorité administrative pour délivrer son autorisation, en tirant les conséquences des commentaires du Conseil d’État sur le point 22.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements CE49 de Mme Aina Kuric et CE62 de M. Loïc Prud’homme tombent.

La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CE106, CE107 et CE108, l’amendement de coordination CE115, l’amendement de précision CE120 et les amendements rédactionnels CE121 et CE119 du rapporteur.

Amendement CE124 du rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Il tire les conséquences de l’avis du Conseil d’État sur le droit de recours.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CE111 et CE110 du rapporteur.

Amendement CE125 du rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Le non-respect des engagements entraînait la nullité de l’autorisation administrative et la nullité de la cession des parts. Suivant l’avis du Conseil d’État, nous proposons de distinguer les deux procédures : l’opération de prise de participation ne pourra être remise en cause que dans le cadre d’une action en nullité engagée devant la juridiction judiciaire.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement de coordination CE122 du rapporteur.

En conséquence, l’amendement CE68 de Mme Martine Leguille-Balloy tombe. L’amendement CE15 de M. Dominique Potier tombe également.

La commission adopte l’amendement de précision CE101 du rapporteur.

Amendement CE74 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Nombreux sont ceux qui pensent que les opérations de la SAFER ne sont pas gratuites, parce que l’instruction est payante. C’est pourquoi l’amendement vise à préciser que : « L’autorisation délivrée au titre du présent chapitre est délivrée gratuitement. Son instruction préalable par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural peut toutefois faire l’objet d’une redevance forfaitaire à la charge du demandeur ».

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Ce sujet a été largement discuté au cours de nos consultations et de nos travaux. Certains souhaitaient en effet fixer une redevance, un droit d’entrée, sans faire l’unanimité. Je vous propose que nous en reparlions en séance et que M. le ministre nous donne des éléments complémentaires. Je ne suis pas fermé par principe à votre proposition.

L’amendement est retiré.

Amendement CE16 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Pourquoi le CE15 est-il tombé ? Le sujet est très important !

M. le président Roland Lescure. L’alinéa 34 ayant été modifié par un amendement rédactionnel adopté précédemment, il ne peut plus être supprimé.

M. Dominique Potier. Je suis stupéfait que l’adoption d’un amendement rédactionnel m’empêche de défendre cet amendement, qui est l’un des plus importants. Il visait en effet – je le précise pour l’information de la commission – à supprimer l’alinéa 34, lequel implique qu’en cas d’entrée d’un associé non-exploitant avec apport de terre, le contrôle des structures ne s’appliquera plus. Je doute que cette conséquence ait été prévue. Aussi souhaiterais-je savoir, Monsieur le rapporteur, si vous envisagez, à un moment ou à un autre, de supprimer cette disposition.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Dès lors que deux autorisations administratives seront délivrées par la même autorité, il convient de simplifier la procédure, conformément à la volonté que le Gouvernement a exprimée dans divers textes, notamment la loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), de décembre 2020.

La fusion envisagée a pour but, non pas d’écraser le contrôle des structures, mais d’apprécier son régime dans le cadre d’une cohérence d’ensemble avec le nouvel outil. Seront concernées par la double autorisation les cessions de parts sociales réalisées au profit d’associés exploitants. En l’état actuel du droit, le préfet peut refuser l’autorisation d’exploiter au titre du contrôle des structures dans les quatre cas suivants.

Premièrement, lorsqu’il existe une candidature prioritaire selon le SDREA. Un refus pour ce motif peut difficilement être opposé à une société.

Deuxièmement, lorsqu’un preneur est en place. Ce motif de refus est, là encore, difficilement applicable car, en général, l’achat de parts sociales ne sort pas le preneur.

Troisièmement, si l’opération conduit à un agrandissement ou à une concentration d’exploitations au bénéfice d’une même personne, excessifs au regard des critères définis dans le code rural et de la pêche maritime et précisés par le SDREA, sauf dans le cas où il n’y a pas d’autre candidat pour reprendre le bien ni de preneur en place. Ce motif est le plus pertinent s’agissant des sociétés, mais il ne peut aboutir à un refus en l’absence de candidature concurrente. Or, en pratique, on constate une absence cruelle de candidatures déposées au titre du contrôle des structures, les éventuels candidats sachant que, même s’ils emportent l’autorisation, ils ne pourront forcer le propriétaire des terres à conclure un bail ou à leur vendre les terres. Notre dispositif offre des solutions à ces problèmes ; d’où la pertinence d’une étude unique et globale du dossier.

Quatrièmement, dans le cas très précis de terres mises à la disposition d’une société, qui n’est pas pertinent en l’espèce puisque nous ciblons les cessions de parts.

Bref, à ce jour, le contrôle des structures ne permet que très difficilement de refuser une autorisation d’exploiter lorsque l’opération est une cession de parts ; il n’est pas efficace dans ce cas de figure. Ainsi, une étude du dossier sous les deux angles ne devrait pas aboutir à délivrer une autorisation d’exploiter qui ne l’aurait pas été si le contrôle des structures avait été traité isolément.

La différence réside dans la publicité de la demande et l’appel à candidatures. Notre dispositif intégrera une publicité assurée par la préfecture dès que le dossier y sera déposé. La transparence sera ainsi garantie. La SAFER rendra un avis au préfet. La composition des comités techniques des SAFER et des CDOA chargés du contrôle des structures, est à peu près comparable. Les mêmes personnes seront ainsi sollicitées lors de l’instruction du dossier.

Le fonctionnement du nouvel outil implique de rechercher des candidats à l’installation et à la consolidation pour les faire bénéficier des surfaces libérées au titre de la compensation. Ceux-ci bénéficieront ainsi d’une vente ou d’un bail que le contrôle des structures ne leur offre pas actuellement.

M. le président Roland Lescure. Nous pouvons poursuivre la discussion, mais elle aura lieu en séance publique. Je rappelle que cet amendement est tombé, Monsieur Potier...

M. Dominique Potier. Certes, mais nous pouvons tous nous étonner, me semble-t-il, que l’adoption d’un amendement rédactionnel nous prive d’un débat important.

M. le président Roland Lescure. Écoutez, l’alinéa que votre amendement visait à supprimer a été modifié avant l’examen de celui-ci ; il ne peut donc plus être supprimé ! Cependant, vous pourrez proposer à nouveau sa suppression en séance publique.

M. Dominique Potier. Il s’agit d’une question fondamentale : l’alinéa 34 peut ouvrir la voie à un contournement du contrôle des structures. Puisque tel n’est pas l’esprit du texte, si j’en crois le rapporteur, je vous mets en garde, chers collègues. Il faudra donc que nous y revenions en séance publique.

M. le président Roland Lescure. Venons-en à l’amendement CE16.

M. Dominique Potier. Il est une situation qui n’a pas été prévue dans la proposition de loi, et pour cause : elle n’est pas apparue sur les radars des organisations agricoles et du législateur. Je veux parler de la capacité pour un propriétaire-exploitant de transformer son entreprise en société et de contourner ainsi le contrôle des structures.

En effet, si une exploitation individuelle se transforme en société civile d’exploitation agricole (SCEA) ayant pour unique associé exploitant l’agriculteur qui exerçait sous statut individuel, l’opération ne sera pas soumise au contrôle des structures, et ce même si l’opération fait entrer des associés non exploitants qui prennent le contrôle de la structure en acquérant la majorité du capital. Si nous voulons combattre le phénomène sociétaire, nous devons prendre en compte cette possibilité. Tel est l’objet de cet amendement, qui vise à étendre le contrôle du marché sociétaire aux cas non couverts par le contrôle des structures.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Vous proposez que le dispositif s’applique lors de la création d’une société ou de la réunion d’exploitations sous forme sociétaire avec entrée au capital d’un associé non-exploitant. Toutefois, ces opérations sont analysées comme des structurations dans lesquelles on n’observe aucun mouvement de parts – l’apport de terres, ou de numéraire, est rémunéré par des titres sociaux. Il convient de respecter la liberté d’entreprendre.

Pour aller plus loin, ces opérations nécessitent soit l’apport des immeubles à la société – étant une aliénation à titre onéreux, l’apport entre dans le champ d’application du droit de préemption de la SAFER –, soit une mise à disposition – bail, prêt à usage, mise à disposition précaire – des terres au profit de la société. Faire entrer la location ou le prêt de terres dans le dispositif serait lourd et disproportionné. Avis défavorable, donc.

M. Dominique Potier. Prenons un exemple concret : exploitant individuel, en tant que propriétaire et pour partie en fermage, je crée une société. Si M. Nicolas Turquois prend 99 % des parts de cette société, il double son exploitation sans que personne, aux termes de la proposition de loi, n’ait rien à y redire ! Si nous ne créons pas un barrage parfaitement étanche en matière de contrôle des structures, toute brèche sera exploitée par ceux qui veulent contourner ce contrôle. En l’espèce, la brèche est béante, et je ne vois pas en quoi on porterait atteinte à la liberté d’entreprendre en prévoyant de contrôler – et non d’interdire – une SCEA constituée pour une exploitation individuelle.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Si des parts de sociétés sont transférées, la SCEA sera contrôlée, au même titre que les autres types de sociétés.

M. Nicolas Turquois. Pour accélérer la discussion, je propose un sous-amendement qui exclut explicitement que je puisse prendre des parts dans la société de M. Potier. (Sourires.)

M. Dominique Potier. Je ne fais de procès d’intention ni au rapporteur, ni au groupe LaREM, mais certains ont pu introduire dans le texte quelques biais susceptibles de se transformer, demain, en brèches béantes. Nous devons donc être vigilants. Le fait est que, selon les experts juridiques que nous avons consultés, il s’agit là d’une voie royale pour l’agrandissement. Vous affirmez, Monsieur le rapporteur, que tel n’est pas le cas. Nous en discuterons en séance publique.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE17 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Cet amendement, qui reprend l’article 1er de notre propre proposition de loi, vise à intégrer la prise de participation sociétaire d’investisseur étranger dans le foncier agricole dans le champ des intérêts stratégiques pour lesquels une autorisation préalable du ministre chargé de l’économie est nécessaire.

Compte tenu de la rédaction de la proposition de loi, deux modes d’accaparement pourraient échapper aux mailles du filet, qui sont trop lâches : le travail délégué, qui n’est pas pris en compte, mais aussi les investissements étrangers. Pour remédier à ce second problème, nous proposons de renforcer le peu de dispositions que nous avons adoptées dans le cadre de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) de 2019, en considérant le foncier comme un actif stratégique – au même titre que les industries de défense ou la recherche de haut niveau – nécessitant d’être protégé en tant qu’élément de notre souveraineté.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Votre amendement a pour objet de modifier indirectement le champ d’application de la loi PACTE, qui a déjà été étendu fin 2019 pour durcir le contrôle des investissements étrangers en France.

Dans sa partie agricole, ce dispositif, qui recourt au pouvoir de police administrative du ministre, cible les opérations dont l’enjeu est la sécurité alimentaire nationale. Vous proposez de soumettre à ce régime de contrainte toute société à usage ou à vocation agricole. Or, si l’usage agricole peut mettre en jeu la notion de sécurité alimentaire, tel n’est pas le cas de la vocation agricole. L’amendement apparaît donc disproportionné au regard des objectifs de la loi PACTE, dont le champ d’application ne saurait, en tout état de cause, être modifié par notre proposition de loi. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Le risque est que les processus d’accaparement s’accélèrent via des opérateurs étrangers. Cet amendement n’est donc pas hors sujet. Il vous paraît disproportionné, soit. Nous en rediscuterons dans l’hémicycle.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CE19 et CE18 de M. Dominique Potier (discussion commune).

M. Dominique Potier. Les dispositions de la loi de 2017 contre l’accaparement des terres agricoles relatives à la préemption des parts sociales par les SAFER ont été censurées en partie par le Conseil constitutionnel à la suite d’un recours du groupe Les Républicains. Subsiste néanmoins celle qui vise à imposer à une holding intervenant dans différents secteurs – numérique, industrie… – et détenant des actifs fonciers agricoles de regrouper ceux-ci, au-delà d’un certain seuil, dans une société ad hoc. Il s’agit de ne pas mélanger les choux et les carottes, le foncier n’étant pas un actif économique comme les autres.

Si cette disposition, qui concourt à la transparence de l’économie, a été votée à l’unanimité en 2017, elle n’est cependant pas opérante, pour des raisons légistiques. L’amendement a donc pour objet de la réécrire, de sorte qu’elle concoure à l’objectif de la proposition de loi et qu’elle devienne, en outre, un instrument de contrôle de la PAC en permettant de mieux identifier, comme l’a demandé la Commission, les bénéficiaires finaux des aides communautaires.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Vous reproduisez quasiment mot pour mot le dispositif que vous avez créé en 2017 et qui a été invalidé pour moitié par le Conseil constitutionnel, en y ajoutant un délai de trente jours et la possibilité de recourir à un bail à long terme. La moitié restante est aujourd’hui logée dans l’article L. 143-15-1 du code rural et de la pêche maritime. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Lors des travaux préparatoires, vous n’avez eu de cesse de vouloir supprimer cette disposition. Elle est à présent réécrite correctement. En quoi vous gêne-t-elle, sur le fond ?

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Elle existe déjà ! L’amendement est quasiment un copier-coller : vous ajoutez uniquement le délai de trente jours.

M. Dominique Potier. Telle qu’elle est écrite actuellement, cette mesure est inopérante, comme vous nous l’avez vous-même démontré. Nous pourrons avoir un débat technique d’ici à la séance publique, mais elle doit absolument être consolidée. Car, sur le fond, nous sommes d’accord, n’est-ce pas ?

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Oui.

M. le président Roland Lescure. Retirez-vous les amendements, Monsieur Potier ?

M. Dominique Potier. S’il s’agit uniquement d’un problème technique, j’accepte de les retirer.

Les amendements sont retirés.

Amendement CE20 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier. Il s’agit de préciser, au-delà de la notion de prise de contrôle, les règles de calcul du niveau de contrôle indirect conféré par la part du capital détenue au sein d’une société à objectif agricole, en créant une équivalence entre la part de capital et le nombre d’hectares contrôlés. Cette astuce permettrait d’identifier immédiatement les excès et de nous soustraire à la contrainte du code de commerce et du code monétaire et financier invoquée par le Conseil d’État.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je comprends l’esprit du dispositif proposé, mais je ne vois pas comment on pourrait aligner la détention de parts sur le nombre d’hectares par une simple proratisation. Ce mode de calcul serait totalement fictif et il ne correspond en rien au mode de fonctionnement sociétaire. Ce serait un non-sens juridique qui serait facilement remis en cause par le Conseil constitutionnel. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CE52 de Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Cet amendement, qui est le fruit d’échanges avec le syndicat Jeunes agriculteurs de ma circonscription, tend à remédier à la situation dans laquelle un nouveau sociétaire arrive avec des terres et se retire très rapidement du GAEC, de la SCEA ou de l’exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). Afin d’éviter ces entrées fictives dans des groupements, qui masquent une stratégie d’accaparement des terres ou d’agrandissement, nous proposons d’imposer un contrôle des mouvements de parts sociales des structures des exploitations agricoles pendant une durée de cinq ans après toute modification de la répartition du capital social de ces exploitations. Sans doute la rédaction de l’amendement peut-elle être améliorée.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. En effet, la rédaction proposée suscite des interrogations. Ainsi, la SAFER que vous évoquez dans l’exposé des motifs ne figure pas dans le texte de l’amendement.

Par ailleurs, les mouvements de parts de société qui aboutissent à un transfert du contrôle de la société sont déjà soumis au dispositif. Un contrôle supplémentaire a posteriori pendant cinq ans ne semble pas justifié, car tout mouvement réalisé au profit d’un cessionnaire en situation d’excès tomberait automatiquement sous le coup du dispositif. Avis défavorable, donc. Mais je vous propose que nous en rediscutions d’ici à la séance publique.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : (art. L. 141-1 du code rural et de la pêche maritime) : Actualisation des opérations notifiées aux SAFER et adaptation de leurs moyens d’action

La commission adopte l’amendement de précision CE86 du rapporteur.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 : (art. L. 141-1-1 du code rural et de la pêche maritime) : Notification des opérations aux SAFER

La commission adopte successivement l’amendement de clarification CE123 et l’amendement de précision CE102, tous deux du rapporteur.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 : (Article L. 561-46 du code monétaire et financier) : Liste des agents ayant accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés et entités

Amendement de suppression CE87 du rapporteur.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. La référence au bénéficiaire effectif ayant été supprimée, il convient de supprimer l’article 4 de la proposition de loi, relatif à l’accès au registre de ces bénéficiaires.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article est supprimé et les amendements CE56 de M. Loïc Prud’homme et CE38 de M. Jean-Michel Clément tombent.

Article 5 : (art. L. 331-1-1 du code rural et de la pêche maritime) : Adaptation des motifs de refus d’autorisation d’exploiter

Amendement de suppression CE67 de Mme Martine Leguille-Balloy.

Mme Martine Leguille-Balloy. Tout d’abord, je crois que vous envisagez, Monsieur le Rapporteur, de modifier la rédaction de l’article mais, en l’état, je ne suis pas certaine qu’il ait un rapport direct avec l’objet de la proposition de loi.

Ensuite, le contrôle des structures étant fondé sur une logique de comparaison des candidatures, il ne semble pas cohérent d’envisager un refus d’autorisation d’exploiter en l’absence de dossiers concurrents. Par ailleurs, les objectifs légaux du contrôle des structures et les orientations des SDREA étant formulées de manière très générale, de nombreux projets peuvent entrer en contradiction avec certaines de ces finalités tout en étant conformes à d’autres. Nous proposons donc de supprimer l’article 5.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. L’amendement suivant, le CE103, a en effet pour objet de compléter l’article par les mots : « et notamment en ce qui concerne l’objectif principal de favoriser d’installation d’agriculteurs prévu par l’article L. 331-1 ».

Par ailleurs, le ministère de l’agriculture nous a demandé d’insérer cet article afin d’améliorer l’efficacité du contrôle des structures et son adéquation avec le dispositif de contrôle. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. La demande du ministère est bienvenue, car elle nous replace – et il était temps ! – dans l’axe du code rural et de la pêche maritime.

J’appelle votre attention sur le caractère paradoxal de l’architecture du texte. La personne qui sera déboutée de sa demande de prise de contrôle d’une société se tournera vers l’État, lequel devra justifier cette décision alors même qu’il n’a pas instruit le dossier, et ce en se fondant sur des règles floues qui ne sont pas celles du code rural et de la pêche maritime en matière d’organisation du foncier…

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’amendement CE103 du rapporteur.

Elle adopte l’article 5 modifié.

Après l’article 5

Amendement CE60 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Par cet amendement d’appel, nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur la manière dont peut être assurée une égalité de traitement entre les différentes parties concernées par des cessions de parts sociales, conformément à l’esprit de la proposition de loi tel que décrit dans son exposé des motifs. En effet, la possibilité de déposer un recours n’est prévue qu’en cas de refus de l’opération. Or il est nécessaire de permettre tant aux organisations représentatives qu’aux associations citoyennes d’interroger le bien‑fondé des décisions ou de l’absence de décision lorsque les autorités compétentes gardent le silence.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Le décret en Conseil d’État permettra de clarifier le droit au recours et, au besoin, le rapport d’application de la loi pourra l’évoquer. Je ne vois pas ce qu’un rapport apporterait en la matière. L’heure est à l’action ! Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CE58 de M. Loïc Prud’homme et CE21 de M. Dominique Potier (discussion commune).

Mme Bénédicte Taurine. Il s’agit de demander au Gouvernement un rapport qui porte, dans un souci de réciprocité, sur le contrôle par des entités françaises de terres situées à l’étranger.

M. Dominique Potier. Dans notre proposition de loi, qui ne pourra pas, hélas ! être examinée, nous proposions que le Gouvernement remette au Parlement un rapport portant sur l’amélioration du contrôle non seulement des investissements étrangers en France, mais aussi, dans un souci de réciprocité, des investissements français à l’étranger. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’accaparement des terres est un facteur de misère et de violence plus important que les guerres. Or la France contribue massivement – elle est classée parmi les vingt principaux investisseurs – à la financiarisation des terres.

Lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, j’ai eu l’honneur de participer à la réécriture d’une grande partie du contrat de l’Agence française de développement (AFD), afin qu’elle concoure au renforcement des droits des paysanneries du Sud contre l’accaparement des terres. Il convient, ne serait-ce que sur un plan symbolique, que la France, pionnière des droits humains et de l’environnement, garantisse qu’elle contribue, par réciprocité, à des dispositifs internationaux luttant contre l’accaparement des terres agricoles dans les pays du Sud. Cette question pourrait même être inscrite à l’agenda européen du Président de la République.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Je comprends votre préoccupation, mais nous sortons du champ des mesures urgentes de la proposition de loi. Au reste, la question qui se pose est davantage celle des actifs étrangers en France que celle des actifs français à l’étranger, dont pourrait se saisir la commission des affaires étrangères.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CE61 de Mme Bénédicte Taurine.

Mme Bénédicte Taurine. Par cet amendement d’appel, nous proposons que le Gouvernement remette un rapport sur les opérations d’acquisition de parts sociales par les SAFER et leur revente, dans un esprit d’égalité de traitement, puisque les opérations de cessions sont généralement exemptées.

Les SAFER ont été reconnues, par le Conseil d’État, comme un organisme chargé, sous le contrôle de l’administration, de la gestion d’un service public administratif en vue de l’amélioration des structures agricoles et, par la Cour de cassation, comme un organisme auquel l’État a confié une mission d’intérêt public ou d’intérêt général. Or les rapports de 2013 et de 2014 de la Cour des comptes soulignent des dysfonctionnements, estimant que les SAFER ont perdu de vue les missions d’intérêt général dont elles sont investies. Cette demande de rapport est loin d’être accessoire, compte tenu des statuts et des objectifs des SAFER.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. Les SAFER assurent la transparence du marché foncier. Nous disposerons, en conséquence, de données sur les transactions relevant du champ de la proposition de loi. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas évoqué la question du financement du contrôle exercé par les SAFER. J’estime, au nom du groupe Socialistes et apparentés, et comme de nombreux collègues, que c’est aux formes sociétaires d’en financer le coût. En tout état de cause, il faut absolument garantir aux SAFER le financement du contrôle et, surtout, éviter que, par un effet pervers, elles ne soient amenées à devenir des marchands de biens pour financer des charges afférentes au contrôle du phénomène sociétaire. Dans une logique d’assainissement et pour le bien des SAFER, dont je suis un défenseur irréductible, les exploitations sociétaires doivent financer leur contrôle.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur. J’ai évoqué cette question, Monsieur Potier, en suggérant qu’elle soit discutée en séance publique, avec le ministre. Je défendrai ma position personnelle qui, pour l’heure, n’est pas définitivement arrêtée. J’entends les grandes théories selon lesquelles il faut faire payer les sociétés mais, sur le terrain, les organisations professionnelles, en particulier certains jeunes, plaident pour la gratuité. J’attends donc de connaître l’avis du ministre sur ce point.

La commission rejette l’amendement.

Article 6 : Gage

La commission adopte l’article sans modification.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée. (Applaudissements.)

 


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COMPTE RENDU de l’EXAMEN
EN COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Lors de sa réunion du mardi 11 mai 2021, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis, l’article 1er de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires.

Mme la présidente Laurence Maillart-Méhaignerie. Nous abordons l’examen pour avis de l’article 1er de la proposition de loi portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, qui sera examinée demain matin au fond par la commission des affaires économiques.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Nous le savons tous pour avoir travaillé sur ces problématiques depuis 2017, la préservation de notre foncier agricole est un enjeu de politique publique primordial pour la pérennité de notre modèle agricole, la préservation de l’environnement et la vitalité des territoires et des emplois ruraux.

Souveraineté alimentaire, agroécologie, aménagement du territoire – notamment rural –, emplois : cette proposition de loi tant attendue relève des défis majeurs pour notre nation.

Nous devons faire face à la raréfaction du foncier disponible, entravant l’installation de jeunes agriculteurs et aboutissant à un monopole de grandes exploitations. Nous devons également lutter contre le développement de monocultures et la simplification des itinéraires culturaux, qui contribuent à appauvrir les sols et à déstabiliser la biodiversité. Nous devons réguler la standardisation des productions qui conduit à la disparition de productions locales et du métier d’agriculteur. Enfin, nous devons préserver et maximiser la diversité de notre production agricole, qui est l’une des conditions essentielles de l’indépendance alimentaire de la France.

L’état des lieux révèle un foncier agricole sous haute tension : chaque année, environ 25 000 chefs d’exploitation agricole quittent leur profession, cédant en moyenne 55 hectares. L’imperméabilisation des sols se poursuit à un rythme avancé et la compétition autour des usages du foncier fait croître la pression sur les surfaces agricoles : les prix des terres ont augmenté de 35 % en dix ans. Cette hausse pèse sur les repreneurs ; pour les nouveaux exploitants, il devient de plus en plus difficile, voire impossible, de s’installer.

Le départ en retraite du tiers des exploitants agricoles d’ici à 2023 induit un risque d’abandon des terres agricoles et va entraîner un volume élevé de transactions sur le marché du foncier rural, alors qu’il n’existe pas de contrôle global efficient. Certes, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) jouent un rôle majeur dans le contrôle du foncier agricole, grâce à leur droit de préemption. Mais la progression des formes sociétaires d’exploitation fait obstacle à leur contrôle.

La forme sociétaire n’est pas condamnable en soi, et ce n’est pas du tout l’objectif de cette proposition de loi. Plus de 60 % des terres agricoles françaises sont exploitées sous cette forme juridique. La constitution de sociétés présente des avantages : elle permet de regrouper des moyens et des compétences, de distinguer les patrimoines personnel et professionnel et de bénéficier d’avantages fiscaux.

Cependant, ces formes sociétaires d’exploitation permettent d’échapper aux instruments classiques de régulation, qui ont été bâtis en référence au modèle de l’exploitation familiale détenue par des personnes physiques.

Concrètement, en l’absence formelle d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations, le contrôle des structures n’est plus applicable. À moins que la cession ne porte sur la totalité des parts d’une société mise en vente, les SAFER se trouvent privées de tout moyen de négociation ou d’intervention. Sans régulation, le démantèlement d’exploitation se fait de manière sauvage, en l’absence de toute vision globale autre que pécuniaire.

Il faut donc, par la loi, prévoir une adaptation rapide du droit aux évolutions des marchés fonciers, en rénovant les outils existants pour lutter contre la concentration des exploitations.

L’article 1er de la proposition de loi vise à créer une procédure de régulation des transmissions de parts sociales qui permettent de prendre le contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole, lorsque ces transmissions ne portent pas sur la totalité des parts. Cette mesure permettrait enfin de réguler la zone grise dont je faisais état.

Les outils de régulation existants ont pour mission de contrôler qui achète et qui exploite les terres agricoles et, si besoin, d’orienter cette ressource vers des projets sélectionnés en fonction des objectifs de la réglementation. Ils font partie intégrante de notre stratégie de sauvegarde de la souveraineté agricole, de notre transition agroécologique et de notre aménagement du territoire rural. Défini par l’article L. 331-1 du code rural et de la pêche maritime, le contrôle des structures des exploitations agricoles s’applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors-sol au sein d’une exploitation agricole. Son objectif principal est de favoriser l’installation d’agriculteurs par une gestion « macro » et non « micro » prenant en considération l’ensemble des facteurs exposés dans mon rapport. C’est ainsi que nous assurerons la revitalisation de nos campagnes.

Afin que ce système soit véritablement efficace, l’architecture proposée combine autorisation et sanction, pour plus de transparence, grâce à une alliance efficace entre l’autorité préfectorale et les SAFER. Il s’agit d’être vigilant pour réguler les prises de contrôle au-delà d’un seuil d’agrandissement excessif, et d’appliquer des sanctions en cas de manquement afin d’assurer une bonne articulation entre le régime existant de contrôle des structures et le nouveau dispositif.

À la lumière de ces constats, je me suis penché sur les différents dispositifs législatifs à même d’apporter une réponse rapide et efficace, en adéquation avec nos particularités agricoles territoriales. Je proposerai à la commission d’émettre un avis favorable sur l’article 1er de cette proposition de loi.

M. Jean-Bernard Sempastous, rapporteur de la commission des affaires économiques. Je vous remercie de vous être saisis de cette proposition de loi, dont je suis l’auteur, afin de formuler un avis fondé sur vos compétences, et de me donner la possibilité de m’exprimer devant vous.

J’ai élaboré ce texte à la suite d’une large concertation avec la profession agricole et les praticiens du droit rural. Nous avons demandé la saisine du Conseil d’État pour sécuriser son dispositif ; c’est l’objet des amendements dont nous discuterons aujourd’hui et demain.

Ces consultations sont importantes en raison des attentes du monde agricole et de la sensibilité du sujet du foncier, qui appellerait une réforme de grande envergure. Comme son nom l’indique, la proposition de loi répond à une urgence identifiée dans le rapport de la mission d’information sur le foncier agricole – commune à la commission des affaires économiques et à la commission du développement durable – et réitérée plus solennellement l’été dernier par le référé de la Cour des comptes sur les leviers de la politique foncière agricole. La Cour des comptes recommandait la mise en place d’une véritable politique afin de mieux maîtriser et réguler l’évolution du foncier agricole.

L’importance des enjeux ne s’accommode plus du statu quo. D’ici à dix ans, 37 % des chefs d’exploitation seront en âge de partir à la retraite, et à ces départs doivent répondre des installations de jeunes agriculteurs, et non une concentration excessive. Les outils de régulation et de contrôle des structures des SAFER sont souvent impuissants face aux opérations permettant d’exploiter ou de devenir propriétaire d’une terre agricole par le truchement d’une participation directe ou indirecte dans une société.

Je propose un troisième outil de régulation, au service de deux objectifs : lutter contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles en contrôlant les cessions de titres sociaux portant sur les sociétés, mais uniquement si l’opération confère au cessionnaire le contrôle de ladite société ; et agir pour l’installation et la consolidation des exploitations existantes grâce à un mécanisme d’incitation à vendre ou à donner à bail rural à long terme une surface compensatoire au profit d’un agriculteur.

Le seuil de déclenchement de ce dispositif sera fixé localement, en prévoyant des équivalences selon les types de culture, comme c’est le cas dans les schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA). Il n’est pas question de considérer un hectare de vigne comme un hectare de plaine céréalière, sans appliquer un coefficient d’équivalence.

Si la décision d’autorisation est entre les mains de l’État, le préfet prendra en compte les usages des territoires, grâce à l’avis des comités techniques des SAFER.

M. Jean-Marc Zulesi (LaREM). Chers collègues, permettez-moi d’excuser notre collègue Adrien Morenas, retenu en Avignon pour l’hommage à Éric Masson.

La préservation du foncier agricole est un enjeu majeur pour la pérennité de notre modèle agricole, mais aussi pour la préservation de l’environnement et la vitalité des territoires. Le foncier agricole est aujourd’hui sous tension. Chaque année, environ 25 000 chefs d’exploitation agricole quittent leur profession. En même temps, l’imperméabilisation des terres se poursuit à un rythme avancé : 55 000 hectares de terres sont artificialisés chaque année, ce qui représente la superficie du département de la Loire-Atlantique tous les dix ans. La compétition autour des usages du foncier augmente la pression sur les surfaces agricoles et les prix des terres, qui ont progressé de 35 % en dix ans.

Le départ en retraite du tiers des exploitants agricoles d’ici à 2023 fait courir le risque d’un abandon des terres agricoles et d’une multiplication des transactions non maîtrisées sur le marché du foncier rural. Les SAFER jouent un rôle majeur de contrôle du foncier agricole, grâce à leur droit de préemption. Cependant, l’exercice de leur mission est aujourd’hui contourné par la progression des formes sociétaires d’exploitation, des mouvements de capitaux intersociétaires et des holdings souvent opaques.

Ce détournement du droit n’est pas acceptable ; il nous oblige à agir pour un meilleur contrôle du foncier agricole et des procédures plus transparentes, pour soutenir l’installation des agriculteurs et le renouvellement des générations.

Ces défis sont considérables, et le texte que nous examinons apporte des réponses concrètes. Cette proposition de loi est l’aboutissement du travail remarquable mené par notre collègue Jean-Bernard Sempastous, fruit de la mission d’information constituée à l’Assemblée nationale le 8 février 2018, et auquel a contribué notre rapporteur pour avis, dont je salue l’expertise.

Les six articles de cette proposition permettront d’adapter le droit aux évolutions des marchés fonciers grâce à la rénovation des outils existants pour lutter contre la concentration des exploitations et veiller au respect des prix du marché foncier local. Les députés du groupe La République en Marche la soutiendront.

M. Jean-Marie Sermier (LR). Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur pour avis, dont les propos ont été extrêmement clairs et précis, et l’action de Jean-Bernard Sempastous qui a pris ce problème à bras-le-corps. Il a réussi, grâce à son acharnement et à son travail avec l’ensemble des acteurs, à élaborer un texte qui convient à beaucoup.

Le foncier est un bien rare, fini, dont la surface diminue chaque année par l’effet de l’artificialisation des sols. Quant au nombre des agriculteurs, il se réduit de manière drastique depuis des décennies, et cette évolution va se poursuivre dans les années à venir compte tenu de la pyramide des âges. La taille des exploitations s’est donc naturellement accrue. Nous ne sommes pas par principe opposés à un agrandissement des exploitations. Grâce au matériel, on peut être plus efficace, et les parcelles doivent donc être un peu plus grandes.

Je tiens également à saluer l’action remarquable de la profession agricole : peu de professions sont capables de cogérer un bien qui leur permet de travailler, et avec les SAFER, beaucoup a déjà été fait. Il n’est jamais simple, pour des professionnels, de choisir qui va bénéficier de quelques arpents de terre. La demande est parfois forte, et peu sont servis. Nous entendons toujours dans nos permanences les plaintes de ceux qui n’ont pas été satisfaits, mais jamais ceux qui ont bénéficié des services des SAFER.

Ce texte respecte la propriété foncière, dont les représentants ont été auditionnés. Il est important à nos yeux d’être attentif à cet acquis de la Révolution. Il respecte également l’agriculture familiale, tout en soulignant l’importance de structures telles que les exploitations agricoles à responsabilité limitée (EARL) et les groupements agricoles d’exploitation en commun (GAEC), qui permettent de s’associer pour être plus efficace. Il faut toujours être attentif, lorsque l’on met en exergue une exploitation de quelques centaines d’hectares ou de milliers de têtes de bovins, au nombre d’agriculteurs qui y travaillent. Nous avons besoin des agriculteurs, qui produisent une alimentation de grande qualité, notamment au sein des appellations d’origine contrôlée, et qui protègent nos paysages et notre environnement. Un hectare de maïs, c’est aussi un puits à carbone, puisque le maïs se construit à partir du carbone.

Cette proposition est un bon texte, que nous voterons avec plaisir, tout en soulignant que le véritable obstacle à l’installation reste la capacité des agriculteurs à dégager un revenu suffisant et que nous sommes malheureusement loin de l’avoir levé.

M. Patrick Loiseau (Dem). Chers collègues, je vous remercie pour les mesures contenues dans cette proposition de loi. Les terres agricoles doivent être préservées. Premières victimes de l’artificialisation des sols, elles sont aussi la clé de nombreux investissements et projets agricoles. C’est une ressource rare, non reproductible, et garante de la souveraineté alimentaire de notre pays.

La préservation de l’agriculture, des agriculteurs et des territoires est indispensable. Le développement de la monoculture et la simplification des itinéraires culturaux contribuent à appauvrir les sols et à déstabiliser la biodiversité. Il faut adopter une gestion responsable et des modes d’exploitation durables, alliant les problématiques économiques, sociales et environnementales, la forme et la taille d’une exploitation agricole influant directement sur la qualité du sol. Les échanges de terres par transactions de parts sociales ne cessent d’augmenter, souvent en contournant les autorités de contrôle. Pour y remédier, la réforme de 2014 a rendu obligatoire la déclaration des cessions de parts, mais les SAFER ne peuvent utiliser leur droit de préemption que pour les cessions totales ; il est donc facile de détourner le mécanisme en procédant à des cessions partielles, en plusieurs étapes.

Votre proposition de loi encadre ces transactions pour éviter les agrandissements excessifs. Le modèle traditionnel de l’exploitation familiale s’efface au profit de formes sociétaires plus opaques, et les SAFER assistent impuissantes à l’accaparement des terres par un nombre de plus en plus restreint de grandes firmes.

Les SAFER n’ayant qu’un rôle consultatif, un tout autre système est envisagé : l’agrément préalable par le préfet. Les demandes pourront être acceptées si elles ne portent pas une atteinte caractérisée à l’installation des cultures et à la vitalité du territoire. En clair, c’est la situation locale qui sera privilégiée. Les chambres d’agriculture et la Fédération nationale des SAFER ont apporté leur soutien à ce dispositif. Vous prévoyez de confier aux SAFER l’instruction des demandes d’autorisation des mouvements de parts, tout en laissant le préfet seul décisionnaire final. Le groupe MoDem et Démocrates apparentés soutient cette proposition de loi, en souhaitant qu’elle prenne en considération la protection de la biodiversité et de l’environnement.

M. Dominique Potier (Soc). Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je suis heureux de m’exprimer pour rétablir quelques vérités, à contre-courant des interventions précédentes, afin peut-être de dessiller les yeux des collègues de la commission du développement durable sur le foncier agricole.

Ce sujet n’est pas nouveau, et il a connu une évolution singulière dans notre pays après la deuxième guerre mondiale, grâce à des personnalités telles que François Tanguy-Prigent et Edgar Pisani, qui restent des maîtres. Je me demande toujours si nous aurions le courage politique de faire les réformes qu’ils ont engagées après-guerre pour la prospérité de notre agriculture. Je n’en suis pas sûr, et cette proposition de loi ne me prouve pas le contraire.

Le foncier agricole est pour nous un long combat. Nous l’avons repris en 2013, après les premiers signalements témoignant qu’une dérive libérale s’était emparée de notre pays. Nous avons documenté ce sujet et présenté plusieurs propositions de loi qui se sont toutes heurtées aux limites posées par la protection de la propriété privée et de la liberté d’entreprendre, reconnues par la Constitution. Nous n’avons cessé de chercher des solutions au phénomène d’accaparement, qui se traduit systématiquement par un appauvrissement social, économique et écologique. L’enrichissement de quelques-uns entraîne l’appauvrissement de tous les autres, dans une planète aux ressources limitées. C’est un sujet local, européen et mondial, puisque l’accaparement des terres s’opère à cette échelle, et c’est une cause de misère supérieure à celle qu’engendrent les guerres, comme l’a établi la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Localement, cette dérive libérale constatée depuis une dizaine d’années prend deux voies : le travail délégué intégral et le phénomène sociétaire. Depuis 2012, je n’ai eu de cesse de chercher des solutions avec toutes les parties prenantes et les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale. En 2018, j’ai conduit une mission d’information commune sur le foncier agricole avec Anne-Laurence Petel, sous la présidence de Jean-Bernard Sempastous. Depuis que cette mission a rendu ses conclusions, nous n’avons cessé de demander au Gouvernement le dépôt d’un projet de loi foncière.

Le premier échec qui nous réunit, c’est qu’il n’y a pas eu de loi foncière à la hauteur des enjeux capitaux liés à l’urgence d’un renouvellement des générations. Le Gouvernement est resté silencieux pendant quatre ans. Dans la dernière ligne droite, alors que nous étions convenus avec le ministre M. Julien Denormandie de voter une proposition minimale pour poser un garrot sur les dérives que nous avons signalées, un texte est né autour d’un parti, d’une personne, et d’organisations qui se sont unies pour avancer cette solution.

Pour porter ce combat depuis près de dix ans, je vous avoue que c’est une blessure sur le plan personnel. Je m’exprimerai en commission des affaires économiques et je soumettrai des contre-propositions précises pour combler les lacunes de cette proposition de loi. Elle prévoit des aménagements positifs en apparence, mais je crains que le remède ne soit pire que le mal dénoncé. J’aurai l’occasion de revenir sur la philosophie de cette proposition de loi qui porte sur un sujet très technique, mais qui concerne très directement la vie des paysans, la vie de notre pays et la vie de la planète entière.

M. Paul-André Colombani (LT). Je salue à mon tour la qualité du travail et l’effort de concertation de Jean-Bernard Sempastous.

Dans les dix prochaines années, la moitié des agriculteurs devrait partir à la retraite. Un impératif se fait donc de plus en plus pressant : assurer la transmission des exploitations et le renouvellement des générations. Afin d’y parvenir, deux problèmes doivent être traités en priorité : garantir un revenu décent aux agriculteurs, à la hauteur des efforts consentis, et limiter les coûts d’installation de plus en plus élevés, notamment en raison de l’évolution du prix des terres.

Cette proposition de loi entend se pencher sur ce second volet. Reconnaissons-le d’emblée, ce texte n’est pas la grande proposition de loi sur le foncier agricole promise depuis le début du quinquennat. Elle contient des mesures d’urgence, nécessaires pour réguler le marché sociétaire d’accès au foncier agricole, mais laisse de côté des problèmes essentiels tels que les droits de mutation ou le recours croissant au travail à façon.

Par ailleurs, ce texte aura un impact limité dans certains territoires, en particulier en Corse, ou le marché sociétaire est résiduel. Le problème y est plutôt le démembrement de propriétés et les baux de complaisance qui permettent de contourner le droit de préemption des SAFER.

Sur le fond, je partage la volonté de mieux contrôler les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles. Un nombre croissant de structures recourent à la forme sociale et échappent aux règles de régulation du foncier agricole. Ces dernières, bâties sur le modèle d’exploitation familiale détenue par des sociétés physiques, ne permettent plus aux SAFER et aux instruments de contrôle des structures des exploitations agricoles d’intervenir pour limiter l’accaparement.

La création d’un troisième mécanisme permettant de soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux sur les sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles pourrait corriger ces failles. Cependant, selon la rédaction de l’article 1er, seules les structures dépassant le seuil d’agrandissement excessif seront soumises à ce mécanisme. Le groupe Libertés et Territoires attend des garanties pour éviter qu’un nombre important de structures échappent au contrôle. Nous craignons également que ce texte pérennise la rupture d’égalité entre les exploitations agricoles sociétaires et les exploitations traditionnelles, pour lesquelles le seuil de contrôle des structures est bien plus bas.

Enfin, vous prévoyez d’exempter l’ensemble des donations de ces nouvelles obligations. Comment garantir que cette disposition ne favorisera pas des contournements, comme ce fut le cas lorsque toutes les donations de terres sortaient du champ de préemption des SAFER ?

Cette proposition de loi est un premier pas pour la sauvegarde du modèle français d’agriculture familiale. Il faudra aller plus loin pour lutter vraiment contre l’agrandissement des exploitations, la diminution du nombre d’agriculteurs et l’arrivée d’investisseurs financiers.

M. Loïc Prud’homme (FI). La question du foncier agricole soulève des enjeux énormes, notamment du fait des structures sociétaires. Si les transactions les concernant sont faibles en nombre, elles représentent 616 000 hectares de surface agricole utile (SAU), soit 60 % du total des transactions.

Si nous pouvons être d’accord avec l’exposé des motifs de la proposition de loi, nous avons de nombreux désaccords sur les solutions proposées. Certaines dispositions nous semblent en effet faire obstacle à une partie des intentions affichées dans l’exposé des motifs.

Vous introduisez la notion de seuil d’agrandissement excessif au lieu de préserver le seuil de déclenchement existant, qui est la référence pour les transactions de foncier agricole et permet un réel contrôle des structures.

Un autre point très important concerne ces mesures que vous appelez compensatoires et que je qualifie, pour ma part, de dérogatoires, lorsque vous conditionnez la possibilité d’agrandissement au fait d’aider de nouveaux agriculteurs à s’installer. Je pense que s’opère là une confusion au moins dommageable, sinon grave, entre les deux sujets. Il faut bien sûr légiférer sur le contrôle du foncier, et c’est ce qu’aurait dû proposer votre texte. Mais la question de l’installation des nouveaux agriculteurs, même si elle lui est liée, doit être traitée à part. Dans les dix ans qui viennent, 200 000 agriculteurs vont partir en retraite. Cela mériterait que l’on se penche sur la question d’une manière plus complète que ce que vous proposez dans vos mesures compensatoires.

La proposition de loi n’introduit aucun des progrès attendus : rendre transparente la propriété foncière, comme c’est le cas pour le cadastre ; dissocier, au sein des sociétés, le foncier du matériel et des bâtiments. Le fait qu’elles portent du foncier, du matériel et des bâtiments est un artifice pour échapper au contrôle des structures. Il faudrait absolument dissocier le foncier du reste, pour exercer un réel contrôle sur ces sociétés. J’espère que vous adopterez nos amendements.

Mme Chantal Jourdan. Le texte doit répondre à une menace croissante : l’accaparement des terres dans une logique de profitabilité contraire au bien commun. Ne pas lutter contre ce phénomène, c’est laisser se développer une exploitation totalement détournée de l’objectif agro‑écologique autour duquel une majorité de Français se retrouvent. Agriculture familiale, production liée au territoire, montée en gamme de la qualité, circuits courts sont des objectifs partagés. Or, pour développer un tel modèle, le contrôle de l’agrandissement est indispensable.

Même si la cession du foncier paraît plus encadrée grâce à votre proposition de loi, les facilités d’agrandissement demeurent. Un contrôle n’aurait lieu qu’en cas de dépassement d’un seuil jugé excessif, seuil que certaines chambres d’agriculture nous ont dit souhaiter relever. Autre point : l’examen des demandes et la conduite des dossiers seraient confiés aux SAFER, des instances dont la composition mériterait d’être plus diversifiée pour qu’elles soient plus efficientes. Enfin, les intervenants lors de notre audition de la semaine dernière n’ont pas été rassurants en faisant passer les critères de rentabilité avant les critères de qualité des productions, en relation avec la transformation des pratiques agricoles. En l’état, cette réforme foncière ne répond pas aux problématiques dénoncées. Dominique Potier essaiera d’en limiter les effets négatifs.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Nous sommes dans un contexte de renouvellement des générations, de préservation de nos terres et de la biodiversité. L’histoire des professions agricoles a évolué, passant de structures familiales à de plus en plus d’activités sociétaires, comme l’a souligné Jean-Marie Sermier. L’un des enjeux est de trouver des outils de régulation. Ces mesures d’urgence ne visent nullement à freiner la transmission, mais à tenter de contrôler au mieux ce que l’on pourrait qualifier d’accaparements pour éviter des phénomènes bien connus, notamment l’évolution des prix, et à recenser ceux qui pourraient accéder au foncier en le destinant à autre chose qu’à de la production agricole.

L’outil proposé dans le texte a été élaboré, dans un esprit qui a été salué, par Jean-Bernard Sempastous qui a consulté des acteurs de l’ensemble du territoire, grâce notamment à la mission d’information sur le foncier agricole. L’article 1er de la proposition de loi nous permet ainsi d’aller vers une régulation efficace qui doit favoriser l’accès au renouvellement de la profession agricole sans priver nos exploitants de possibilités d’agrandissement, l’une des clés de l’attractivité du métier étant leur capacité à en vivre, et à bien en vivre.

Trouver la proposition de loi libérale, c’est avoir une vision un peu étroite de ce qu’est la profession d’agriculteur aujourd’hui. Le monde a évolué dans un contexte économique parfois très compliqué.

La commission en vient à l’examen des dispositions sur lesquelles elle est saisie pour avis.

Article 1er (articles L. 333-1, L. 333-2, L. 333-3, L. 333-4 et L. 333-5 [nouveaux] du code rural et de la pêche maritime) : Contrôle de la concentration excessive et de l’accaparement des terres agricoles

Amendements CD17 de Mme Bénédicte Taurine et CD10 de Mme Sandrine Le Feur (discussion commune).

M. Loïc Prud’homme. Le seuil d’agrandissement excessif défini par les SDREA ne peut être la référence pour le traitement des demandes d’autorisation de ventes des parts sociales. Le texte actuel, contrairement au contrôle des structures, situerait la limite au seuil d’agrandissement excessif plutôt qu’au seuil de surface, dit seuil de déclenchement. Cela permettrait tout de même de nombreux agrandissements d’exploitations qui ne respectent pas les objectifs des SDREA. Contrôler les demandes d’autorisation de vente de parts sociales au‑delà du seuil d’agrandissement excessif, c’est laisser la possibilité d’agrandir les exploitations jusqu’à ce seuil.

L’abaissement du seuil de la demande à celui dit de déclenchement des SDREA est un premier pas dans la reconquête du foncier agricole pour l’installation de jeunes agriculteurs et agricultrices et la lutte contre l’accaparement des terres par des sociétés. En effet, dans certaines zones de grandes cultures, en l’état, le texte contribuerait à accélérer la concentration foncière, diminuant de fait le nombre d’emplois et la valeur ajoutée.

L’amendement permettrait aussi de respecter l’égalité de traitement dans les modes d’accès au foncier. Le système proposé instaure une différence de traitement entre les personnes physiques et morales, entre les personnes participant aux travaux agricoles et les autres. Notre amendement est issu d’échanges avec la Confédération paysanne, Acter, France Nature Environnement, Terre de liens et la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB).

Mme Sandrine Le Feur. L’amendement CD10 vise à uniformiser le seuil de déclenchement de la procédure d’autorisation de cessions de parts de société avec le seuil actuel de déclenchement de la procédure d’autorisation appliqué aux surfaces, qui correspond au seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles, alors que vous proposez un seuil d’une à trois fois la surface agricole utile régionale moyenne (SAURM). Cela permettrait de prévenir d’éventuelles ruptures d’égalité.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. La proposition de loi crée un outil de régulation destiné à lutter contre les dévoiements de l’utilisation des formes sociétaires. Il ne s’agit pas de condamner tous les agrandissements, dans toutes les régions et pour toutes les activités agricoles, mais de détecter et de contrôler les acquisitions de sociétés qui réunissent une pluralité de critères, la surface étant le premier d’entre eux. Le caractère problématique s’appréciera en tenant pleinement compte des caractéristiques de chaque territoire agricole, y compris à l’intérieur d’une même région, car ce qui peut être qualifié d’abusif dans un territoire ne le sera pas forcément dans le territoire voisin dont le marché foncier rural présente des caractéristiques différentes. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Ces dispositions nous laissent assez perplexes. Pourquoi des statuts différents selon les exploitants ? Pourquoi créer un nouveau seuil ? Pourquoi le seuil ne sera-t-il pas le même pour tout le monde ? Le risque, dès lors que l’on crée une voie privilégiée pour un seuil plus important, est d’inciter tous ceux qui veulent s’agrandir à l’utiliser. La seule solution est républicaine : que le jeune paysan, à titre unipersonnel, ne soit pas handicapé par un accaparement sociétaire des terres à ses dépens. Qu’est-ce qui vous gêne dans le fait de mettre tout le monde au même niveau ?

M. Jean-Bernard Sempastous. On ne contrôle pas la même chose. Dans le contrôle des structures, c’est une exploitation qui est contrôlée. Là, on va contrôler les usages agricoles en propriété, même si les terres ont seulement une vocation agricole. Dans la mesure où il s’agit d’un zonage d’urbanisme, nous avons dû les affranchir du contrôle des structures qui ne permettrait pas de répondre aux besoins. Ce dispositif contrôle l’ensemble des terres et pas seulement, je le répète, celles qui sont en exploitation. C’est pour cela que les deux seuils ne sont pas comparables.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CD27 du rapporteur pour avis.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Il est important de conserver, dans le futur calcul, la spécificité des superficies des surfaces agricoles prise en compte dans le SDREA. Par exemple, les parcelles de vignes et les parcelles céréalières bénéficient de coefficients d’équivalence distincts, compte tenu de leur valeur et de la taille moyenne des exploitations.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CD11 de Mme Sandrine Le Feur.

Mme Sandrine Le Feur. Il vise à limiter l’exemption accordée aux SAFER à un agrandissement maximal, équivalent à 1,5 fois l’agrandissement autorisé.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. L’alinéa 18 de l’article 1er exclut toutes les acquisitions de parts sociales par les SAFER du champ du nouvel outil de régulation. Je rappelle que les SAFER n’ont pas de but lucratif et que leurs interventions sont encadrées par la loi, qui leur assigne des objectifs d’intérêt général. Il ne me semble donc pas logique de n’exempter qu’une partie de leurs opérations. Avis défavorable.

M. Dominique Potier. Encore une fois, votre réponse me laisse un peu circonspect… Qu’est-ce qui justifie une telle exemption, sinon le désir déguisé de favoriser un nouveau seuil d’agrandissement et de changer la configuration de la « ferme France » pourtant définie au cours d’un processus démocratique ?

La commission rejette l’amendement.

Amendements CD18 de M. Loïc Prud’homme et CD12 de Mme Sandrine Le Feur (discussion commune).

M. Loïc Prud’homme. Mon amendement vise à prévoir un contrôle sur les donations de parts sociales au-delà du troisième degré pour les cessions à titre gratuit.

Les SAFER détiennent le droit de préemption sur les donations au-delà du sixième degré, afin d’éviter tout contournement du droit de préemption sur les ventes de biens agricoles. Par exemple, dans un premier temps, les actions ne donnant pas lieu à un contrôle de la société pourraient être vendues à titre onéreux sans contrôle ; dans un second temps, la cession d’actions permettant de devenir bénéficiaire effectif se ferait à titre gracieux et échapperait au dispositif de contrôle. Ainsi, il convient de prévoir un filet de sécurité strict et un contrôle sur les donations de parts sociales. Si nous ne pouvons pas restreindre par des contraintes légistiques le degré de parenté pour les autres types d’opération, nous estimons que le plafond du troisième degré permet de limiter les montages frauduleux et devrait devenir la norme pour l’ensemble des opérations.

Le groupe parlementaire de La France insoumise propose de prendre le taureau par les cornes, en faisant du contrôle des transmissions de parts sociales la norme la plus exigeante vers laquelle les autres opérations doivent tendre.

Mme Sandrine Le Feur. Mon amendement est dans le même état d’esprit, si ce n’est que je propose de rester en deçà du sixième degré.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Selon les informations dont je dispose, les organisations professionnelles agricoles ne demandent pas, ou ne demandent plus, une telle exemption, qu’il s’agisse du troisième ou du sixième degré. Il ne faut pas refuser de reconnaître que des faits d’accaparement peuvent prendre la forme de transmissions familiales et que ces prises de contrôle ne sont pas toujours faites par de grosses sociétés. Je suis très réservé sur la justification d’une exclusion de certaines donations. Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.

M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur pour avis, nous ne devons pas avoir les mêmes interlocuteurs. Cette demande est bien formulée par certaines organisations professionnelles, sans doute pas celles que vous avez consultées ou qui ont tenu le crayon pour rédiger ce passage de la proposition de loi. Il me semble indispensable de limiter les degrés de parenté. On ne peut pas écarter cette question d’un revers de la main. L’un des deux amendements devrait être adopté pour encadrer ces transmissions.

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur pour avis, voulez-vous libéraliser ces opérations à tous les degrés de liaisons familiales, du cousin au petit-petit-arrière-cousin à la mode bretonne, ou, au contraire, que les familles soient totalement contrôlées, quel que soit le degré de parenté ?

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. En l’occurrence, aucune ne sera contrôlée dans le cadre des exemptions.

M. Dominique Potier. Autrement dit, à partir de liens de parenté extrêmement distendus, un accaparement des terres peut s’organiser. Il y a un véritable danger.

M. Jean-Bernard Sempastous. Je crois que nous ne parlons pas de la même chose – je ne sais si c’est une incompréhension véritable ou l’envie de ne pas comprendre. Les exemptions familiales pour les parts de société ne sont pas autorisées. En réalité, vous parlez des exemptions d’opérations réalisées à titre gratuit en deçà du sixième degré pour les SAFER. Il y a deux sujets. Les mutations sans contrepartie sont motivées par l’intention libérale. Faire entrer de tels actes dans le champ d’application du texte aboutirait à générer des compensations prévues par le dispositif. Ce sont deux sujets complètement différents. J’ai l’impression que M. Prud’homme parle d’un sujet et Mme Sandrine Le Feur d’un autre.

M. Loïc Prud’homme. Je parle bien de la même chose. On peut avoir, dans un premier temps, des actions vendues à titre onéreux sans contrôle puis, dans un second temps, la cession d’actions permettant de devenir bénéficiaire effectif à titre gracieux, en échappant ainsi au dispositif de contrôle. Quand on supprime tout lien de parenté, c’est sans limite. Même si cela ne ferait pas plaisir à Dominique Potier, pour peu que l’on examine nos arbres généalogiques, on y trouverait sûrement un aïeul commun au XIIe ou au XIIIe siècle, grâce auquel il pourrait me céder son exploitation à titre gracieux. Il faut des limites, sans quoi cela n’a aucun sens et n’aura aucune prise sur ce que l’on compte réguler. Mme Le Feur également a peut-être un lien de parenté avec vous, Monsieur Potier !

Mme Sandrine Le Feur. Je retire mon amendement, afin de le clarifier pour la séance.

L’amendement CD12 est retiré.

La commission rejette l’amendement CD18.

Amendement CD19 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Loïc Prud’homme. Il vise à ne pas autoriser les agrandissements excessifs et à considérer que le silence de l’État dans le délai imparti signifie le refus de l’opération.

La proposition de loi prévoit des mesures compensatoires négociées entre le vendeur et l’acquéreur des actions et la SAFER. Ces ventes ou ces nouvelles locations abritées par la SAFER n’aboutiraient pas nécessairement à des exploitations inférieures à la taille des agrandissements excessifs. Ces autorisations de ventes de parts sociales peuvent être sources de contentieux, puisqu’elles pourraient être autorisées avec des engagements à tenir dans les six ou douze mois après la vente. Par ailleurs, la Commission européenne précise que des annulations de vente compromettraient la sécurité juridique, laquelle revêt une importance fondamentale dans tout régime de transfert de terre. La pénalité prévue n’étant que de 2 % sur la valeur des actions transférées, elle n’est pas de nature à faire effet. Les droits de mutation sur les terres étant de 5 % à 6 % selon les départements, le choix est vite fait et le conseil vite donné.

Cet amendement vise à simplifier le dispositif sous la responsabilité de l’État. Dans un délai de deux mois, avec le concours éventuel de la SAFER, il prononce l’autorisation ou le refus de l’opération envisagée au regard des objectifs des SDREA. Le silence de l’État dans le délai prévu vaut refus. En cas de refus, le cédant, avec ou sans l’appui de la SAFER, revoit son projet qui est à nouveau examiné au regard des objectifs du SDREA.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Votre amendement a un double objet : faire reposer sur les services déconcentrés de l’État toute la charge de la procédure, et pas seulement l’analyse précédant la décision finale ; supprimer le dispositif de compensation.

S’agissant de la répartition des rôles entre la SAFER et l’État, le dispositif proposé par le texte est pragmatique. Les SAFER ont une vision très concrète des situations spécifiques de chaque territoire et instruiront efficacement les demandes, tandis que les préfets auront le pouvoir de décision, ce qui est indispensable pour éviter que les SAFER soient accusées d’être juges et parties.

S’agissant du dispositif de compensation, il permet de conjuguer le critère de surface importante cumulée avec la mise en œuvre d’objectifs fondamentaux : contribution des projets au développement du territoire, à la diversité des systèmes de production, à l’installation d’agriculteurs ou à la consolidation de ceux déjà installés. Avis défavorable.

M. Loïc Prud’homme. L’amendement réaffirme le rôle des SAFER dans le dispositif. Cela signifie qu’il faudra également leur donner les moyens de remplir leur mission. En fait, vous êtes en train de contourner l’outil de contrôle qu’elles sont. Le principe du silence vaut acceptation, c’est la porte ouverte à tout et n’importe quoi. On ne peut pas se satisfaire d’une acceptation par défaut, sans même que les dossiers soient examinés. C’est trop important. Il faut ouvrir tous les dossiers. Il faut donner des moyens pour contrôler, que ce soit aux SAFER ou à un établissement national du foncier, que j’appelle de mes vœux, sans quoi le texte sera sans effet.

M. Dominique Potier. Nous discuterons plus précisément en commission des affaires économiques. Pour l’instant, nous essayons de saisir l’état d’esprit des auteurs de la proposition de loi, pour comprendre leurs motivations. Rien n’est prévu pour financer le travail de contrôle. Ce n’est pas à l’État ni aux SAFER, dont l’équilibre budgétaire est toujours fragile, de financer le contrôle de sociétés qui se sont constituées pour des questions d’optimisation fiscale. Ce serait un scandale ! Comme le pointent nos collègues, elles bénéficient d’une sorte d’exonération dans leurs mutations de parts sociales, ce qui n’est pas le cas pour les actifs immobiliers. Même si l’on ne peut pas traiter ce sujet dans le texte, j’aimerais que le ministre s’engage à corriger cette injustice totale dans le prochain projet de loi de finances. Non seulement ces sociétés peuvent rouler à n’importe quelle vitesse sans être flashées, mais en plus elles ne paient pas aux péages… J’attends un engagement du Gouvernement.

Par ailleurs, un régime de compensation est créé. Au nom de quoi et sur quel principe ? Toutes les lois foncières reposent sur un juste partage de la terre. Pourquoi un nouveau code ? Au nom de quels privilèges ? Je pensais que tout notre combat visait à réguler de la même manière, républicaine, juste, au nom de la liberté d’entreprise, l’ensemble des requérants, et à rendre transparents et justes les marchés fonciers. Pourquoi créer un nouveau régime, monsieur le rapporteur pour avis ?

M. Jean-Bernard Sempastous. Vous parlez d’« injustice », d’« optimisation fiscale » : avez-vous regardé le texte en détail ? En tout cas, nous n’en avons pas la même lecture.

Dans son rapport, la Cour des comptes a montré que les SAFER fonctionnaient correctement, que leurs finances étaient saines ; elles pourront absorber cette nouvelle charge. Une simulation est en cours dans une région pour évaluer cette charge et établir les passerelles entre les services de l’État et la SAFER. Tout porte à croire qu’aucun grain de sable ne viendra perturber ce fonctionnement. Les SAFER sont sur le terrain et elles ont une maîtrise technique de ces dossiers puisqu’elles instruisent déjà les déclarations d’intention d’aliéner (DIA).

Quant aux compensations, elles sont au cœur du projet de loi : en cas de dépassement du seuil d’agrandissement excessif, la société pourra procéder à une libération compensatoire de superficies agricoles au bénéfice de jeunes agriculteurs souhaitant s’installer ou d’agriculteurs voisins souhaitant s’agrandir. Ces mesures seront déterminées au sein du comité technique, en toute transparence, et validées, je l’espère, par le préfet.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD13 de Mme Sandrine Le Feur.

Mme Sandrine Le Feur. Cet amendement vise à charger l’autorité administrative de la procédure, tout en lui laissant la possibilité de déléguer tout ou partie de l’instruction à la SAFER. Les comités techniques des SAFER sont aujourd’hui soumis à des dynamiques partisanes qui pourraient entraver l’impartialité du traitement des dossiers et limiter la portée de la loi. De surcroît, il est peu probable que les SAFER puissent endosser cette nouvelle charge tout en effectuant un contrôle de qualité dans la mesure où elles ne parviennent déjà pas à assurer le contrôle de toutes les structures existantes.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Je rappelle que la Fédération nationale des SAFER soutient ce texte. L’intervention des SAFER dans cette procédure répond avant tout à un souci de pragmatisme et d’efficacité : elles sont déjà informées des transactions sur le marché sociétaire et disposent d’une compétence en matière d’observation du marché. La proposition de loi prévoit bien que c’est l’autorité administrative qui prend la décision. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Suivant l’avis favorable du rapporteur pour avis, la commission adopte l’amendement rédactionnel CD7 de Mme Véronique Riotton.

Amendement CD26 de M. Loïc Prud’homme.

M. Loïc Prud’homme. En recourant à une logique de compensation dérogatoire, ou de dérogation compensatoire, le texte prévoit que la société peut prendre « des mesures de nature à remédier aux effets de l’opération notifiée ».

Vous entretenez – à dessein ? – la confusion entre le contrôle du foncier et l’installation de nouveaux agriculteurs. Cette dernière question est certes majeure, et il convient de s’y atteler de manière urgente et résolue, mais elle ne peut apparaître au détour d’une phrase comme une condition dérogatoire au contrôle des structures.

Ainsi, une société pourra accaparer 1 200 hectares de foncier, du moment qu’elle aura libéré 2,5 hectares pour un maraîcher. Elle aura permis l’installation d’un nouvel agriculteur, mais vous aurez une concentration de plusieurs centaines d’hectares de foncier. De surcroît, vous n’aurez aucune garantie sur la pérennité de l’installation.

L’amendement vise à supprimer explicitement ces possibilités de dérogation au seuil d’agrandissement excessif.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Ce dispositif permet de conjuguer le critère de surface importante cumulée avec la mise en œuvre des objectifs fondamentaux que sont le développement du territoire, la diversité des systèmes de production, l’installation d’agriculteurs ou la consolidation des installations existantes. Cette proposition de loi ne vise pas à stigmatiser toute prise de contrôle de sociétés dans le domaine agricole.

M. Dominique Potier. Favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs tout en laissant les fermes s’agrandir, c’est un non-sens à la Raymond Devos ! La loi prévoit déjà que l’installation est prioritaire ; pourquoi créer ce circuit privilégié ? J’ai l’impression que votre proposition de loi vise à goudronner ce qui n’était qu’un chemin de traverse, utilisé par les structures pour contourner la loi.

Vous légitimez des pratiques contraires à l’installation en expliquant qu’elles peuvent la favoriser. C’est absolument incompréhensible ! En matière de propriété, de droit d’exploiter, il existe des règles : faisons-les fonctionner ! Les sociétés étaient un angle mort ; soumettons-les aux mêmes contrôles ! Pourquoi bénéficieraient-elles de dérogations compensatoires ? À ce compte-là, tout le monde choisira la voie sociétaire !

Si vous êtes pour l’agrandissement des structures et la concentration de la propriété, assumez-le politiquement et idéologiquement, mais ne vous saisissez pas de l’installation des jeunes comme d’un prétexte ! C’est une usurpation !

Les structures de la propriété et de l’usage interagissent dans le temps long et le lien entre concentration des terres et usage peut être destructeur pour la planète. Pour installer les jeunes, il faut réguler et veiller au partage de la propriété, comme de l’usage.

M. Loïc Prud’homme. Ne faites pas prendre des vessies pour des lanternes, nous ne sommes pas dupes. Ce n’est pas une voie goudronnée que vous construisez avec ce texte, mais une autoroute pour les formes sociétaires. Très peu d’agriculteurs, loin des 200 000 dont nous avons besoin, s’installeront grâce à ces dispositions, et de manière non pérenne. Dominique Potier a raison : assumez ce choix, mais ne nous prenez pas pour des lapins de six semaines !

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Il ne s’agit pas d’être libéral ou conservateur, mais de répondre aux enjeux qui se posent à l’agriculture française, et qui sont historiques : renouvellement insuffisant de la profession et souveraineté alimentaire. Ce texte assure un équilibre entre le besoin d’agrandissement des exploitants agricoles et la nécessité d’aider l’installation des nouveaux agriculteurs.

M. Jean-Bernard Sempastous. Ces mesures compensatoires ne sont pas une autoroute pour la concentration et l’accaparement, bien au contraire : elles seront discutées avec les acteurs du territoire et validées par le comité technique de la SAFER. Eh oui, il faut lire le texte et consulter toutes les organisations professionnelles ! Contrairement à ce que vous dites, deux hectares laissés au maraîchage ne permettront pas de compenser cent hectares de céréales ; cela sera discuté au cas par cas et validé par le comité technique. La libération des superficies agricoles pourra prendre la forme d’une vente ou d’un bail rural, mais à long terme.

M. Dominique Potier. Monsieur le rapporteur, pourriez-vous préciser à quelle partie du code rural vous faites référence lorsque vous évoquez les baux de dix à trente ans ? Je connais les baux de neuf ans, de dix-huit ans, le bail de carrière qui peut atteindre trente-cinq ans, mais pas les baux de dix à trente ans.

M. Jean-Bernard Sempastous. Je parle, depuis le début, du bail de dix-huit ans, qui peut être transféré aux enfants ou au conjoint et est renouvelable de droit. Il s’agit donc bien d’un bail à long terme.

M. Dominique Potier. Le bail n’est pas renouvelé lorsque le propriétaire des terres redevient exploitant. Or on sait combien il est facile aujourd’hui de se prétendre exploitant. Ne faites donc pas croire que c’est automatique : l’installation peut ne durer que dix-huit ans.

La commission rejette l’amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’article 1er ainsi modifié.

Après l’article 1er

Amendement CD2 de Mme Véronique Riotton.

Mme Véronique Riotton. Le « gel » des terres, à la suite d’un héritage, est une pratique susceptible d’entraîner une perte massive de la surface agricole, notamment en Haute-Savoie.

Suivant la suggestion formulée par M. François Beaupère, vice-président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) lors de son audition devant notre commission, je propose par cet amendement que le bénéfice imposable des exploitants qui cèdent leur exploitation ou des parts sociales à un ou plusieurs nouveaux installés soit déterminé après déduction d’un abattement de 100 %. Je proposerai ultérieurement que les cédants bénéficient d’une exonération totale de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB)

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Le sujet est intéressant mais cet amendement, dont l’adoption aurait des conséquences sur les ressources fiscales des collectivités locales, trouvera davantage sa place dans nos débats sur le prochain projet de loi de finances. Je vous suggère donc de le retirer.

Mme Véronique Riotton. J’ai voulu m’y prendre suffisamment tôt !

L’amendement est retiré.

Amendement CD9 de M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Nous proposons que le Gouvernement remette un rapport évaluant l’opportunité d’un renforcement du droit de préemption exercé par la SAFER. Le droit de préemption, outil indispensable pour lutter contre l’accaparement et favoriser l’installation de jeunes agriculteurs, est trop souvent contourné. Dans le cas des démembrements de propriété, la SAFER ne peut exercer son droit de préemption sur les acquisitions de la nue-propriété d’un bien par ses usufruitiers et sur celles de l’usufruit d’un bien par ses nus propriétaires. En Corse, la multiplication des baux de complaisance est un autre obstacle à la régulation exercée par la SAFER.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Les SAFER ne nous ont pas fait part de leur souhait d’étendre leur droit de préemption. La proposition de loi renforce leurs prérogatives en leur confiant une nouvelle mission mais elle ne prévoit pas de modifier le régime du contrôle des structures. Je vous propose de retirer cet amendement et de travailler sur cette piste en prévision de la séance.

M. Paul-André Colombani. Le sujet est important. Je m’en suis tenu à la proposition d’un rapport pour éviter que l’amendement ne soit considéré comme irrecevable.

L’amendement est retiré.

Amendements CD22 de M. Loïc Prud’homme et CD14 de Mme Sandrine Le Feur (discussion commune).

M. Loïc Prud’homme. Dans un souci de réciprocité, nous proposons que le Gouvernement rende un rapport sur le contrôle des terres par des entités françaises à l’étranger.

La libéralisation menée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les accords de libre-échange mettent en concurrence les agriculteurs des différentes régions du monde, alors que les différences de productivité et de subventions agricoles sont gigantesques. Dans un souci d’équilibre, il est nécessaire d’étudier les pistes de régulation des marchés fonciers et notamment des marchés des parts de sociétés agricoles à l’échelle européenne. La concentration des terres agricoles n’est pas un phénomène seulement national et il est en croissance. On ne peut ignorer cette question, qui a trait à la souveraineté alimentaire.

Mme Sandrine Le Feur. Un rapport sur ce sujet serait le bienvenu. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, nous alerte sur la menace que l’accaparement représente pour la souveraineté alimentaire, voire pour la sécurité alimentaire lorsque le foncier est alloué à la production non alimentaire. Il est urgent d’agir !

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Nous aurions tous souhaité une grande loi foncière. Ce n’est pas le cas. Il convient de nous en tenir à ce texte dont l’objet est précis, urgent et bien circonscrit. Je vous suggère de retirer ces amendements car la question très compliquée qu’ils soulèvent n’est pas couverte par la proposition de loi.

L’accaparement de terres agricoles et l’ensemble des spéculations foncières peuvent prendre des proportions dramatiques dans certains pays. Je crois déceler dans vos propos une confusion avec l’accaparement des terres françaises par les sociétés étrangères.

M. Dominique Potier. Afin de lever cette confusion, je me permets de préciser que je défendrai devant la commission des affaires économiques un amendement qui vise à intégrer, dans le champ des intérêts stratégiques pour lesquels une autorisation préalable du ministre de l’économie est nécessaire, la prise de participation sociétaire d’investisseurs étrangers dans le foncier agricole.

Il convient une nouvelle fois de rappeler que les étrangers – Chinois, Luxembourgeois ou Belges – sont l’arbre qui cache la forêt de l’accaparement en France, puisqu’ils représentent une part tout à fait minime du marché. En revanche, la présence d’investisseurs français à l’étranger fait de la France l’un des tout premiers pays d’accaparement des terres à l’échelle mondiale.

Il me semble que nous pourrions traiter ces sujets dignement, dans une logique de réciprocité : à la fois protéger notre souveraineté et garantir celle des autres pays. Le principe de « souveraineté solidaire » semble s’appliquer à dessein. Ce sera l’objet d’un autre amendement que je défendrai demain devant la commission saisie au fond.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CD24 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Loïc Prud’homme. Nous demandons qu’un rapport présente l’éventail complet des possibilités de recours. En effet, la proposition de loi prévoit qu’il sera possible d’exercer un recours seulement en cas de refus de l’opération. Afin de garantir l’égalité de traitement des parties concernées, tel que décrit dans l’exposé des motifs, les organisations représentatives ou les associations citoyennes doivent pouvoir interroger le bien-fondé aussi bien des décisions que des absences de décision de l’autorité administrative.

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Votre amendement ne se rapportant pas à l’article 1er, sa rédaction laisse entendre que le rapport concernera les possibilités de recours dans toutes les matières juridiques, bien au-delà du foncier agricole !

Dans le cadre du dispositif visé par l’article 1er, la décision du préfet, qu’il s’agisse d’un refus ou d’une autorisation, qu’elle soit implicite ou explicite, est un acte administratif contre lequel un recours contentieux peut être engagé devant le tribunal administratif par toute personne ayant un intérêt à agir.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD25 de Mme Bénédicte Taurine.

M. Loïc Prud’homme. Nous demandons que le Gouvernement remette un rapport sur les procédures concernant l’ensemble des opérations d’acquisition de parts sociales par les SAFER et la mise en place d’un contrôle sur la revente de ces mêmes parts sociales, pour laquelle les SAFER bénéficient d’une exemption.

Cette demande est loin d’être accessoire : le Conseil d’État a rappelé que les SAFER étaient des organismes chargés, sous le contrôle de l’administration, de la « gestion d’un service public » en vue de l’amélioration des structures agricoles et que la Cour de cassation a considéré que l’État leur confiait une « mission d’intérêt public » ou « une mission d’intérêt général ». Par ailleurs, les rapports de la Cour des comptes, en 2013 et en 2014, ont pointé des dysfonctionnements, soulignant que les SAFER avaient « perdu de vue les missions d’intérêt général dont elles étaient investies ».

M. Patrice Perrot, rapporteur pour avis. Il est vrai que les opérations des SAFER concernant des prises de contrôle par acquisition de parts sociales seront exclues du champ du nouveau contrôle. Mais l’ensemble de l’action des SAFER est sous le contrôle de l’administration et il n’y a pas lieu de créer un contrôle spécifique sur cette catégorie d’opérations. D’ailleurs, la formulation de votre demande de rapport manque de clarté : pourquoi un rapport sur les procédures et non sur les acquisitions ?

La commission rejette l’amendement.

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble de la proposition de loi, ainsi modifiée.

 


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Liste des personnes auditionnÉes
par le rapporteur de la commission
des affaires Économiques

Table ronde Coalition foncière :

Terre de lien

M. Tanguy Martin, médiateur foncier

Association pour contribuer à améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des ressources naturelles (aGter)

M. Robert Levesque, président

France Nature Environnement (FNE) *

Mme Cécile Claveirolle, pilote du réseau agriculture

Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) *

M. Alan Testard, secrétaire national FNAB Futurs Bio

Mme Sophie Rigondaud, chargée de mission Futurs bio

Confédération paysanne *

Mme Cécile Muret, co-responsable de la commission foncier

Mme Aurélie Bouton, co-animatrice du Pôle social

Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF) *

Mme Sophie Bezeau, directrice du MODEF national

M. Christian Reigue, secrétaire national du MODEF

M. Christophe Baugmarten

M. Clément Tardy, animateur du MODEF Nouvelle-Aquitaine

Fédération nationale de la propriété privée rurale (FNPPR)

M. Hugues de La Celle, président

Coordination rurale *

M. Christian Convers, en charge des questions du foncier

 

Conseil supérieur du notariat (CSN) *

MM. François Devos et Emmanuel Clerget

Audition commune :

Association française de droit rural (AFDR)

M. François Robbe, président, avocat à la cour, maître de conférences en droit public

Mme Christine Lebel, vice-présidente

AgriDées

M. Jean-Baptiste Millard, délégué général du think tank

M. Samuel Crevel, docteur en droit, avocat associé au cabinet Racine

Cour des comptes

Mme Catherine Perin, présidente de section

M. Jacques Basset, conseiller maître

Mme Nathalie Reuland, conseillère référendaire

Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

MM. Benjamin Balique et Nicolas Mazières, conseillers au cabinet de M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

M. Baptiste Meunier, chef du bureau foncier au ministère

Table ronde :

Chambres d’agriculture France (APCA)

M. François Beaupère, vice-président, président de la chambre régionale des Pays de Loire

M. Enzo Reulet, chargé de missions affaires publiques, France, Europe, International

Mme Carole Robert, collaboratrice

FNSEA commission gestion des territoires *

M. Bertrand Lapalus, président

Mme Laurence Fournier, vice-présidente

M. Guillaume Lidon, responsable des affaires publiques

M. Michel Thomas, chef de service « Territoires »

Fédération nationale des Safer (FNSafer)

M. Emmanuel Hyest, président

Mme Muriel Gozal, directrice générale

M. Gilles Flandin, secrétaire général

M. Michael Rivier, responsable du service juridique

Jeunes agriculteurs *

M. Maxime Buizard Blondeau, membre du conseil d’administration

M. Pierre Meyer, membre du conseil d’administration

Mme Mathilde Roby, conseillère juridique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.


([1]) « Transmission en agriculture. 4 scénarios prospectifs à 2025 » Rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), janvier 2016

([2]) Bertrand Hervieu, « Préface », in François Purseigle et al., Le nouveau capitalisme agricole, Presses de Sciences Po, « Académique », 2017, pp. 9-12

([3]) Audition du ministère de l’agriculture

([4]) La signification ancienne de l’accaparement « renvoie à l’idée d’appropriation excessive d’un bien de consommation afin de renchérir le prix de celui-ci » (guide de l’agriculture et de la forêt 2018-2019 sous la direction d’Hubert Bosse-Platière et de Benoît Grimonprez, Litec Lexisnexis)

([5]) L’objectif du président-directeur général du groupe Reward est de bâtir une filière intégrée de production de farine « à la française » à partir de blé en partie importé de France via la coopérative Axcéréales pour aboutir à l’ouverture de boulangeries en Chine.

([6]) Décisions n° 2014-701 DC, 9 octobre 2014, sur la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et DC n° 2017-748 du 16 mars 2017 sur la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle

([7]) Chiffres fournis par la Fédération nationale des SAFER

([8]) Agreste, statistiques agricoles

([9]) Source : audition du ministère de l’agriculture et de l’alimentation

([10]) Bulletin du ministère de l’agriculture de février 1963

([11]) Art. L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime

([12]) « Menaces sur la vitalité des territoires », FNSAFER, 2020

([13]) Geneviève Nguyen et al., « L’entrée de capitaux externes dans les exploitations agricoles. Une facette méconnue des agricultures de firme en France », in François Purseigle et al., Le nouveau capitalisme agricole, Presses de Sciences Po, « Académique », 2017, pp. 65-96

([14]) Pour le détail des dispositifs de régulation du foncier et d’installation des agriculteurs, voir le rapport d’information n° 4328  sur la mise en application de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre le 20 décembre 2016.

([15]) Décision DC n° 2016-741 du 8 décembre 2016.

([16]) En 2020, le montant moyen de la dotation jeunes agriculteurs est d’environ 32 700 euros.

([17]) Exemple avec la loi n° 2005-157 du 25 février 2005 qui avait instauré un cas de contrôle spécifique en cas de prise de participation par un associé exploitant : « Hormis la seule participation financière au capital d’une exploitation, toute participation dans une exploitation agricole, soit directe, en tant que membre, associé ou usufruitier de droits sociaux, soit par personne morale interposée, de toute personne physique ou morale, dès lors qu’elle participe déjà en qualité d’exploitant à une autre exploitation agricole, ainsi que toute modification dans la répartition des parts ou actions d’une telle personne morale qui a pour effet de faire franchir à l’un des membres, seul ou avec son conjoint et ses ayants droit, le seuil de 50 % du capital » (code rural et de la pêche maritime., article L 331-2, 4°). Ce cas de contrôle fut aussitôt supprimé par la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006.