N° 4180

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 mai 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,
ADOPTÉ PAR LE SENAT, autorisant la ratification de l’accord portant extension des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne,

 

PAR M. Sylvain WASERMAN

Député

——

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir les numéros 

 Sénat : 273, 359 et 360 et T.A. 63 (20202021).

 Assemblée nationale : 3899.

 


 


—  1  —

SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. L’extinction des traités bilatéraux d’investissement, conséquence de la jurisprudence récente de la cour de JUSTICE DE l’union européenne

A. L’adhésion à l’union européenne des pays d’europe centrale et orientale a mis en question la compatibilité des traités bilatéraux d’investissement avec le droit de l’union

1. Les accords bilatéraux de protection des investissements

2. Des traités contestés par la Commission européenne et par les États membres issus des derniers élargissements de l’Union

3. La clause d’arbitrage entre investisseur et État des traités bilatéraux d’investissement jugée non conforme au droit européen par l’arrêt « Achmea » du 6 mars 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne

B. La réponse politique et juridique des États membres À « l’arrêt achmea »

1. Les trois déclarations politiques de janvier 2019

2. L’accord plurilatéral du 5 mai 2020

C. Les conséquences de l’accord

1. Les conséquences économiques

2. Les conséquences pour les entreprises françaises

3. Les conséquences juridiques et administratives

4. Les conséquences politiques

II. Les dispositions de l’accord plurilatéral portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne

A. Les objectifs de l’accord

B. Les stipulations de l’accord

1. Le préambule

2. L’extinction des traités bilatéraux d’investissement et l’annulation des effets éventuels des clauses de survie (articles 2 à 4)

3. Les recours entre les investisseurs et les États exercés sur le fondement des traités bilatéraux d’investissement

a. Les procédures d’arbitrage nouvelles et achevées

b. Les procédures d’arbitrage pendantes

i. Le dialogue structuré

ii. La saisine des juridictions nationales

4. Les dispositions finales de l’accord

Conclusion

EXAMEN en commission

Texte adopté par la commission

 


—  1  —

 

   introduction

 

L’Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne.

Les accords de protection des investissements visent à fournir une protection renforcée aux investissements contre les risques de nature politique. La France a commencé à en conclure à partir des années 1970, et elle est actuellement liée par une centaine d’accords de ce type. Dans les années 1990, les États membres de l’Union européenne, encouragés par la Commission européenne, en ont signé de nombreux avec les États de l’Europe centrale et orientale, afin de soutenir la transition en cours dans ces pays tout en protégeant leurs investisseurs. Au total, la France a conclu douze traités bilatéraux d’investissements (TBI) avec des États devenus ensuite membres de l’Union.

L’adhésion de ces pays à l’Union européenne à partir de 2004 a soulevé la question de la compatibilité de ces accords avec le droit de l’Union : soutenus par la Commission européenne, ces nouveaux États membres ont notamment souligné l’incompatibilité de ces derniers avec les principes cardinaux de primauté du droit de l’Union et de confiance mutuelle. Dans un arrêt rendu le 6 mars 2018 ([1]) , dit arrêt « Achmea », la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) leur a donné raison en jugeant que les clauses d’arbitrage entre États et investisseurs prévues par ces traités n’étaient pas conformes au droit de l’Union.

Le présent accord, signé par vingt-trois États membres de l’Union, tire donc les conséquences de cet arrêt en mettant un terme de façon coordonnée aux traités bilatéraux d’investissements intra-européens, les quelques États membres non signataires ayant entamé des démarches bilatérales à cette fin. Il prévoit également des dispositions pour les procédures d’arbitrage entre investisseurs et États intentées sur le fondement de ces traités.

À la faveur de ces remarques, votre rapporteur est favorable à l’adoption de ce projet de loi, adopté en première lecture par le Sénat le 18 février 2021.

 

 


—  1  —

I.   L’extinction des traités bilatéraux d’investissement, conséquence de la jurisprudence récente de la cour de JUSTICE DE l’union européenne

A.   L’adhésion à l’union européenne des pays d’europe centrale et orientale a mis en question la compatibilité des traités bilatéraux d’investissement avec le droit de l’union

1.   Les accords bilatéraux de protection des investissements

Pour favoriser les investissements à l’étranger et protéger les investisseurs contre les risques politiques, les États ont conclu, à partir des années soixante, des accords bilatéraux de protection des investissements, le plus souvent avec des pays en développement. En Europe, encouragés par la Commission européenne, ces accords se sont multipliés dans les années quatre-vingt-dix entre les États membres de l’Union et les pays d’Europe centrale et orientale, au moment de conclure des accords d’association avec certains de ces pays candidats à l’adhésion. Environ deux cents accords bilatéraux d’investissement ont au total été répertoriés dans ce contexte, dont douze signés par la France.

Ces accords comprennent deux types de dispositifs :

– des garanties juridiques destinées à sécuriser les opérations d’investissement (l’obligation de traitement national et de traitement de la nation la plus favorisée ; le standard de traitement juste et équitable ; le standard de protection et sécurité pleines et entières ; la garantie d’une compensation prompte, adéquate et préalable en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique ; le principe du libre transfert des revenus générés par les investissements) ;

– un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, le plus souvent sous l’égide du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou du règlement d’arbitrage de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI).

Outre ces accords bilatéraux, certains accords régionaux ou plurilatéraux et sectoriels, tel le traité sur la Charte de l’énergie (TCE), comportent des dispositions relatives à la protection des investissements et au règlement des différends entre les investisseurs et les États.

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, l’Union européenne est compétente pour négocier, pour le compte des États membres, des accords commerciaux prévoyant des dispositions sur la protection des investissements.

accords bilatéraux de protection des investissements intra-européens conclus par la france

 

État membre

Titre de l’accord

Date de signature

Malte

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Malte sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

11/08/1976

Hongrie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire hongroise sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

06/11/1986

Bulgarie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Bulgarie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

05/04/1989

République

tchèque

Accord entre la République française et la République fédérative tchèque et slovaque sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

13/09/1990

Slovaquie

Accord entre la République française et la République fédérative tchèque et slovaque sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

13/09/1990

Lettonie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lettonie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

15/05/1992

Lituanie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Lituanie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

23/04/1992

Estonie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Estonie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

17/05/1992

Roumanie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de Roumanie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

21/03/1995

Croatie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Croatie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

03/06/1996

Slovénie

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Slovénie sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

11/02/1998

Pologne

Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Pologne sur l’encouragement et la protection réciproques des investissements

14/02/1989

Source : étude d’impact du projet de loi

2.   Des traités contestés par la Commission européenne et par les États membres issus des derniers élargissements de l’Union

À partir de 2004, l’adhésion à l’Union européenne de certains des États avec lesquels les pays de « l’Europe des quinze » avaient signé des traités bilatéraux d’investissement a soulevé la question de la compatibilité de ces derniers avec le droit de l’Union. La République tchèque est le premier État à avoir souligné cette incompatibilité, à l’occasion d’une procédure d’arbitrage intentée à son encontre par l’entreprise néerlandaise Eastern Sugar B.V. Sa démarche a été suivie par plusieurs autres États membres issus pour la plupart d’Europe orientale, les plus fréquemment mis en cause par les investisseurs.

Dès 2006, la Commission européenne a pris position en faveur de ces États membres, en faisant valoir que ces accords n’avaient plus lieu d’être au sein du marché intérieur et qu’ils n’étaient pas compatibles avec le droit de l’Union. Elle est par la suite intervenue en tant qu’amicus curiae dans plusieurs procédures d’arbitrage pour défendre son point de vue et a proposé des solutions alternatives au mécanisme de règlement des différends des accords bilatéraux d’investissement intra-européens afin d’obtenir leur dénonciation. Elle a enfin décidé d’initier des démarches précontentieuses avec plusieurs États membres.

En raison de la division des États membres sur la question, ces démarches n’ont pas abouti, moins d’une dizaine d’accords bilatéraux d’investissement ayant été dénoncés. En outre, aucun tribunal d’arbitrage n’a jamais fait droit aux arguments invoqués par les États membres défendeurs et la Commission en se déclarant incompétent.

Ainsi, le nombre de litiges entre investisseurs et État au sein de l’Union européenne a progressivement augmenté pour atteindre, fin 2019, un total d’environ 150 contentieux, dont plus de la moitié ont été engagés sur le fondement des traités bilatéraux d’investissement. Ces litiges opposent, le plus souvent, des États membres issus des derniers élargissements de l’Union européenne (République tchèque, Pologne, Hongrie, Slovaquie, etc.) à des investisseurs originaires des pays de l’« Europe des 15 » (en particulier les Pays-Bas, le Luxembourg et la France).

Selon l’étude d’impact, la France n’a à ce jour jamais agi en qualité de partie défenderesse dans le cadre d’un contentieux engagé sur le fondement de ces accords, qui ont été invoqués par des investisseurs français à environ quarante reprises contre des pays tiers à l’Union, et à quinze reprise contre des États européens (dont sept sur le fondement du traité sur la Charte de l’énergie).

3.   La clause d’arbitrage entre investisseur et État des traités bilatéraux d’investissement jugée non conforme au droit européen par l’arrêt « Achmea » du 6 mars 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne

Saisie d’une question préjudicielle l’interrogeant sur la compatibilité au regard du droit de l’Union des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre États membres ([2]), la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans l’arrêt « Achmea » du 6 mars 2018, que les clauses d’arbitrage entre État et investisseur prévues par ces accords étaient contraires au droit européen. Elle a ainsi consacré le principe de primauté du droit de l’Union, qui empêche notamment que des dispositions d’un accord international conclu entre deux États membres s’appliquent dans les relations entre ces deux États si elles se révèlent contraires aux traités de l’Union européenne.

La CJUE a en effet jugé que « les articles 267 et 344 TFUE [traité sur le fonctionnement de l’Union européenne] […] s’opposent à une disposition contenue dans un accord international conclu entre les États membres [...] aux termes de laquelle un investisseur de l’un de ces États membres peut, en cas de litige concernant des investissements dans l’autre État membre, introduire une procédure contre ce dernier État membre devant un tribunal arbitral, dont cet État membre s’est obligé à accepter la compétence ».

La Cour a fondé son arrêt sur un raisonnement en trois temps :

- Premièrement, examinant le droit applicable, elle a relevé que la clause d’arbitrage de l’accord litigieux prévoyait, de manière explicite, l’application au différend soumis au tribunal arbitral du droit national de l’État membre partie au litige, ce qui incluait nécessairement le droit de l’Union européenne ;

- Deuxièmement, elle a considéré que le tribunal arbitral devant régler le différend se situait en dehors du système juridictionnel de l’Union et que, n’étant pas une juridiction d’un État membre ou une juridiction commune à plusieurs d’entre eux, il n’avait pas la capacité de saisir la CJUE à titre préjudiciel ;

- Troisièmement, elle a estimé que le contrôle des sentences arbitrales rendues par un tel tribunal était restreint et n’était pas de nature à garantir le respect du droit européen. L’insuffisance du contrôle des sentences s’explique par plusieurs éléments : d’abord, le fait que le tribunal choisisse son siège et donc l’étendue du contrôle sur la sentence à venir (le contrôle dans les États de l’Union portant essentiellement sur la validité de la convention d’arbitrage et le respect de l’ordre public) ; ensuite, le nombre de cas très réduit d’annulations de sentences arbitrales en Allemagne, qui est réputée favorable à l’arbitrage.

Pour l’ensemble de ces raisons, la Cour a jugé que l’autonomie et la pleine efficacité du droit de l’Union n’étaient, dans ce contexte, pas pleinement garanties et que la clause d’arbitrage de l’accord en cause dans le différend remettait en cause le principe de confiance mutuelle.

Aussi, pour tirer les conséquences juridiques de cet arrêt, les États membres et la Commission européenne ont entamé des négociations visant à mettre fin à tous les TBI conclus entre eux, et à prendre des dispositions s’agissant des procédures d’arbitrage entre investisseurs et États intentées sur le fondement de ces traités.

B.   La réponse politique et juridique des États membres À « l’arrêt achmea »

La réponse de la Commission européenne et des États membres à l’arrêt « Achmea » s’est faite en deux temps :

- une déclaration politique devant signaler dès que possible les conséquences juridiques de cet arrêt aux investisseurs et aux tribunaux arbitraux saisis de litiges intra-européens ;

-  un accord plurilatéral conclu entre les États membres pour organiser le démantèlement des accords d’investissement intra-européens encore en vigueur.

1.   Les trois déclarations politiques de janvier 2019

Les négociations entre les États membres ont achoppé sur trois points : la volonté de certains d’entre eux, dont la France, de ne pas remettre en cause les litiges définitivement réglés avant l’arrêt Achmea ; la description des effets juridiques de l’arrêt du point de vue du droit international public ; l’application de la jurisprudence « Achmea » au traité sur la Charte de l’énergie, qui comprend une clause d’arbitrage entre les investisseurs et les États similaire à celle prévue par les TBI.

Seul le principe de non-réouverture des affaires conclues a finalement pu être acté : les États membres sont restés divisés sur les deux autres questions, et notamment sur le sort devant être réservé au traité sur la Charte de l’énergie. Pour de nombreux États membres, dont la France, les conclusions de l’arrêt Achmea sont transposables mutatis mutandis à la clause de règlement des différends investisseurs-État du TCE : cette dernière ne devrait pas être applicable dans un litige opposant deux États membres de l’Union. Plusieurs États membres n’ont cependant pas souhaité se prononcer sur le TCE avant que la CJUE ne se prononce, une réponse étant attendue en 2022 ([3]).

En raison de ces divergences, trois déclarations politiques ont été rendues publiques à l’issue de négociations.

Le 15 janvier 2019, 22 États membres ([4]), dont la France, ont adopté une déclaration politique relative aux conséquences juridiques de l’arrêt Achmea, dans laquelle les États signataires :

– s’engagent à informer les tribunaux arbitraux saisis de litiges intra-européens fondés sur des accords bilatéraux ou sur le traité sur la Charte de l’énergie (TCE) des conséquences de l’arrêt ;

– enjoignent aux investisseurs de ne plus engager de nouvelles procédures d’arbitrage sur la base de ces accords ;

– s’engagent à garantir une protection juridictionnelle effective aux investisseurs, sous le contrôle de la CJUE ;

– soulignent que les sentences arbitrales définitives et déjà exécutées à la date de l’arrêt Achmea – soit au 6 mars 2018 – ne peuvent être remises en cause ;

– affirment leur engagement à finaliser, si possible avant le 6 décembre 2019, les modalités de dénonciation des accords d’investissement intra-européens, via un accord plurilatéral ou des dénonciations bilatérales ;

– s’engagent à examiner au plus vite les conséquences de l’arrêt Achmea sur l’application intra-européenne du TCE.

Parallèlement, deux déclarations séparées ont été adoptées par les États membres ne souhaitant pas se prononcer sur l’application de la jurisprudence Achmea au TCE :

– le 16 janvier 2019, la Finlande, le Luxembourg, Malte, la Slovénie et la Suède ont adopté une déclaration présentant une analyse alternative des conséquences de l’arrêt Achmea du point de vue du droit international et sur les procédures fondées sur le TCE. Ces États s’engagent à dénoncer les accords bilatéraux d’investissement et à assurer les interventions nécessaires devant les tribunaux arbitraux.

– à la même date, la Hongrie s’est également publiquement opposée, dans une déclaration séparée, à l’application de l’arrêt Achmea au mécanisme d’arbitrage investisseur-État du traité sur la Charte de l’énergie, tout en rejoignant les États membres majoritaires s’agissant de la description des effets de l’arrêt sous l’angle du droit international public et les autres engagements relatifs aux accords bilatéraux d’investissement intra-européens.

2.   L’accord plurilatéral du 5 mai 2020

Parallèlement aux déclarations politiques, les États membres ont poursuivi les négociations sur un projet d’accord plurilatéral visant à assurer le démantèlement coordonné des TBI et à éviter qu’il soit procédé à des dénonciations bilatérales en ordre dispersé.

Afin de parvenir à un consensus, et compte tenu des divergences sur le traité sur la Charte de l’énergie, les États membres sont convenus que ce dernier ne couvrirait que les accords bilatéraux de protection des investissements intra-européens et les procédures d’arbitrage, achevées, pendantes ou postérieures à l’arrêt Achmea, intentées sur leur fondement. L’accord a été signé le 5 mai 2020 à Bruxelles par vingt-trois États membres de l’Union.

En dépit de l’exclusion du champ de l’accord plurilatéral du traité sur la Charte de l’énergie, la Suède et la Finlande n’ont pas signé l’accord, que le Royaume-Uni n’a pas non plus approuvé, dans le contexte du Brexit. L’Autriche, la Suède et la Finlande ont néanmoins décidé d’engager des démarches bilatérales pour dénoncer individuellement les traités bilatéraux d’investissement conclus avec d’autres États membres de l’Union européenne. Quant à l’Irlande, la signature de l’accord ne revêtait pour elle aucun intérêt pratique, puisqu’elle ne disposait déjà plus d’aucun traité bilatéral d’investissement intra-européen. 

C.   Les conséquences de l’accord

1.   Les conséquences économiques

Depuis l’arrêt Achmea, les investisseurs ne peuvent plus se prévaloir des dispositions prévues par les traités bilatéraux d’investissement, auxquelles le présent accord met un terme. Si l’accord ne prévoit pas de dispositions substantielles équivalentes à celles contenues dans les traités bilatéraux, les investissements transfrontaliers réalisés au sein du marché intérieur continueront de bénéficier des garanties juridiques offertes par le droit national des États membres et par les libertés fondamentales (libre circulation des personnes et des capitaux, liberté d’établissement) et les principes généraux du droit européen (proportionnalité, confiance légitime, sécurité juridique).

Le respect et la mise en œuvre de ces garanties juridiques sont, en outre, assurés par les juridictions des États membres et par la Cour de justice de l’Union européenne, par le biais de la procédure de renvoi préjudiciel ou des recours en manquement, dans le cadre des procédures d’infraction pouvant être diligentées par la Commission européenne. Selon les informations transmises au Sénat par le gouvernement français en vue de l’examen du présent projet de loi, il n’est, par ailleurs, pas exclu que les investisseurs opérant au sein du marché intérieur puissent, le cas échéant, se prévaloir des dispositions pertinentes de la Convention européenne des droits de l’homme devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Compte tenu de cet environnement juridique européen favorable aux investissements, les conséquences économiques de cet accord, quoique difficilement prévisibles, semblent devoir être limitées. D’après la direction générale du Trésor, les entreprises françaises n’ont pas tenté d’investir dans des États membres via des filiales immatriculées dans des pays tiers ayant conclu un traité bilatéral d’investissement avec ces derniers.

Enfin, comme le rappelle l’étude d’impact, le volume des investissements directs à l’étranger affectés par l’extinction des accords d’investissements intra-européens conclus par la France est, en tout état de cause, limité : depuis 2004, les stocks d’IDE français sortant vers les États membres concernés n’ont jamais représenté plus de 9 % du stock total des IDE français au sein du marché intérieur, alors que les stocks d’IDE entrant en France depuis ces pays, parfois négatifs, sont restés marginaux sur cette période.

2.   Les conséquences pour les entreprises françaises

Au plan microéconomique, un faible nombre d’entreprises françaises sera concerné par les dispositions de l’accord, puisque la plupart des procédures ont été définitivement conclues, et que les sentences arbitrales ou les transactions amiables les ayant réglées ne seront pas remises en cause. Au total, les accords d’investissement ont été actionnés par des investisseurs français dans le cadre de quatorze litiges intra-européens, dont sept au titre du traité sur la Charte de l’énergie, qui n’est pas couvert par le présent accord. La France n’a, pour l’heure, jamais été mise en cause dans le cadre de procédures d’arbitrage investisseur-État.

 Pour résoudre définitivement les affaires pendantes relevant des traités bilatéraux d’investissement, les entreprises françaises pourraient avoir recours aux mesures transitoires instaurées par l’accord. Les affaires concernées sont les suivantes :

– Up & Chèque Déjeuner Holding c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l’investisseur rendue en octobre 2018) ;

– Sodexo Pass International SAS c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l’investisseur rendue en janvier 2019) ;

– Véolia Baltics & Eastern Europe S.A.S., Veolia Environnement S.A. & autres c/ Lituanie (procédure engagée en 2016).

D’après la direction générale du Trésor, certains investisseurs français impliqués dans des procédures d’arbitrage actuellement pendantes souhaiteraient, compte tenu du risque d’annulation des sentences et des difficultés liées à leur exécution, régler leur différend à l’amiable, éventuellement par le biais du mécanisme de dialogue structuré établi par l’accord.

Deux autres affaires, l’une opposant la Société générale à la Croatie et l’autre JC Decaux à la République tchèque, sont des procédures d’arbitrage nouvelles au sens de l’article 1er de l’accord, dans la mesure où elles ont été engagées après le 6 mars 2018, aucun tribunal d’arbitrage ne s’étant pour l’heure déclaré incompétent ([5]). Les investisseurs impliqués dans ces affaires ne pourront donc pas invoquer le bénéfice des mesures transitoires susmentionnées. Les autorités françaises les ont avertis des risques d’annulation ou de non-exécution des sentences et les encouragent donc à clore la procédure d’arbitrage en cours, afin de régler leur différend à l’amiable.

procédures intra-européennes initiées par des investisseurs français sur le fondement d’un accord de protection des investissements

Affaire

Dépôt

Fondement

Statut

Vivendi c/ Pologne

2006

TBI France-

Pologne

Conclu (accord amiable agréé en

avril 2011)

Les Laboratoires Servier S.A.S, Biofarma S.A.S, Arts et Techniques du Progrès S.A.S c/ Pologne

2009

TBI France-

Pologne

Conclu (sentence favorable à l’investisseur rendue le 14 février 2012)

EDF International S.A. c/ Hongrie

2009

Traité sur la Charte de l’énergie (TCE)

Conclu (sentence favorable à l’investisseur rendue le 3 décembre 2014)

GDF International SAS & autres c/Slovaquie

2012

TCE

Conclu (accord amiable agréé en

décembre 2012)

Edenred S.A. c/ Hongrie

2013

TBI France-

Hongrie

Conclu (sentence favorable à l’investisseur rendue en décembre 2016 et confirmée en annulation en mars 2020)

Up & Chèque Déjeuner Holding c/Hongrie

2013

TBI France-

Hongrie

En cours (recours en annulation contre la sentence favorable à l’investisseur rendue en octobre 2018)

Sodexo Pass International SAS c/Hongrie

2014

TBI France-

Hongrie

En cours (recours en annulation contre la sentence favorable à l’investisseur rendue en janvier 2019)

Jean-Pierre Lecorcier & autres c/Italie

2014

TCE

Conclu (sentence favorable à l’État rendue en décembre 2016 et confirmée en annulation en avril 2020)

Demeter 2 FPCI, Demeter Partners S.A. & autres c/ Espagne

2015

TCE

En cours (recours en annulation contre la sentence favorable à l’investisseur rendue en 2019)

Veolia Baltics & Eastern Europe S.A.S., Veolia Environnement S.A. & autres c/ Lituanie

2016

TBI France-

Lituanie

En cours

ENGIE SA, ENGIE International Holdings BV & GDF International SAS c/ Hongrie

2016

TCE

Conclu (règlement amiable et désistement agréés en février 2018)

EDF Energies Renouvelables c/ Espagne

2016

TCE

En cours

Veolia Propreté c/ Italie

2018

TCE

En cours

Société Générale c/ Croatie

2019

TBI France-

Croatie

En cours

JC Decaux c/ République tchèque

2020

TBI France-

Rép. tchèque

En cours

Source : étude d’impact du projet de loi

 

3.   Les conséquences juridiques et administratives

Le respect des garanties juridiques offertes par le droit des États membres et celui de l’Union est assuré par les juridictions des États membres et par la Cour de justice de l’Union européenne, à travers la procédure de renvoi préjudiciel ou par le biais des recours en manquement, dans le cadre des procédures d’infraction pouvant être diligentées par la Commission européenne.

Les juridictions des États membres doivent assurer en toute indépendance et impartialité la pleine application du droit de l’Union et la protection juridictionnelle des droits des personnes dans tous les États membres.  L’indépendance du système judiciaire est un principe commun aux traditions constitutionnelles des États membres et au droit de l’Union.

Compte tenu de l’évolution du système judiciaire en Hongrie et en Pologne, pays soumis à la procédure exceptionnelle de l’article 7 du traité de l’Union européenne relatif au respect des valeurs fondamentales de l’Union, il conviendra de s’assurer de la bonne application dans ces pays des principes fondamentaux garantissant aux entreprises la protection de leur investissement.

Par ailleurs, s’il est difficile d’anticiper les conséquences de l’accord sur les délais de procédure, il semblerait qu’elles soient limitées : les données disponibles montrent que la durée moyenne des procédures d’arbitrage est comparable à celle des contentieux administratifs.

4.   Les conséquences politiques

Si cet accord apporte une solution juridique au débat qui oppose, depuis de nombreuses années, l’Europe des quinze à la Commission et aux États ayant adhéré à l’Union lors des derniers élargissements, elle ne règle pas la question sensible de l’application intra-européenne du traité sur la Charte de l’énergie. La Cour de justice de l’Union européenne, saisie pour avis par la Belgique, devrait se prononcer spécifiquement sur cette question dans le courant de l’année 2022.

Par ailleurs, l’accord intervient dans un contexte de remise en question globale des mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États, dans le cadre de la politique commerciale européenne. Comme le rappelle l’étude d’impact, si le présent accord, qui a exclusivement pour objet de tirer les conséquences juridiques de l’arrêt Achmea, ne comporte pas de dispositions, substantielles ou procédurales, destinées à remplacer les accords bilatéraux d’investissement dont il organise la dénonciation coordonnée, il ne remet pas en cause la volonté de l’Union européenne de réformer en profondeur la protection des investissements et les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États dans leurs relations avec les pays tiers. Les États membres, notamment la France, soutenus par de nombreux acteurs de la société civile, continueront d’œuvrer pour le remplacement des mécanismes traditionnels d’arbitrage ad hoc par de véritables mécanismes juridictionnels publics et transparents.

II.   Les dispositions de l’accord plurilatéral portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne

A.   Les objectifs de l’accord

Afin de tirer les conséquences de la jurisprudence de la CJUE, l’accord comporte deux volets principaux :

– la dénonciation coordonnée des accords bilatéraux de protection des investissements conclus entre les États membres signataires et toujours en vigueur (annexe A), ainsi que le démantèlement des accords déjà dénoncés par le passé mais toujours applicables au titre de leurs clauses de survie, que l’accord prive désormais d’effet (annexe B) ;

– l’établissement d’un cadre précis concernant les procédures arbitrales intentées sur le fondement d’accords bilatéraux d’investissement intra-européens. À cet égard, l’accord prévoit les dispositions suivantes :

     les procédures déjà achevées et définitivement réglées avant le 6 mars 2018, y compris à l’amiable, ne seront pas affectées ;

     les clauses d’arbitrage contenues dans les TBI ne pourront servir de fondement à de nouvelles procédures arbitrales ;

     des mesures transitoires seront mises en place pour les différends faisant l’objet de procédures d’arbitrage en cours qui pourront, sous conditions, être réglés à l’amiable dans le cadre d’un mécanisme ad hoc de dialogue structuré, ou être tranchés par les juridictions des États membres agissant en qualité de partie défenderesse dans le cadre de ces procédures.

En raison de l’opposition de certains États membres, l’accord ne règle pas les questions de l’application intra-européenne du TCE et du statut des procédures d’arbitrage intentées sur son fondement. Comme l’indique le considérant 10 de l’accord, cette question sera traitée ultérieurement, selon des modalités juridiques et institutionnelles qui restent à définir.

L’arrêt Achmea n’imposait pas la dénonciation formelle de l’ensemble des dispositions substantielles des traités bilatéraux d’investissement : seules les clauses d’arbitrage entre les investisseurs et les États avaient été jugées non conformes au droit européen. Cependant, le maintien en vigueur des dispositions substantielles ne semblait pas présenter d’intérêt, puisque, comme le rappelle les considérants 11 et 12 de l’accord, les entreprises bénéficieront des garanties juridiques offertes par le droit de l’Union, sans préjudice des actions annoncées ou envisagées aux considérants 15 et 16 « en vue de mieux assurer une protection complète, solide et efficace des investissements au sein de l’Union européenne » et « pour assurer un niveau accru de protection des investissements transfrontières au sein de l’Union européenne et pour créer un environnement réglementaire plus prévisible, plus stable et plus clair afin d’encourager les investissements dans le marché intérieur ». À cet égard, la Commission européenne a publié, en juillet 2018, une communication relative à la protection des investissements intra-européens et lancé, en mai 2020, une consultation publique sur la protection des investissements au sein de l’Union européenne, afin d’alimenter une étude d’impact préalable à d’éventuelles initiatives complémentaires, y compris législatives, dans ce domaine.

Les États membres signataires ont, en outre, considéré qu’il était opportun de mettre un terme au débat juridique sur la conformité des dispositions substantielles des TBI au droit européen, qui est contestée par la Commission européenne depuis 2006. Les États membres non signataires partagent cette analyse, puisqu’ils ont entrepris de dénoncer l’ensemble de leurs traités d’investissement intra-européens, dans le cadre de démarches diplomatiques bilatérales.

B.   Les stipulations de l’accord

L’accord est constitué d’un préambule, de dix-huit articles répartis dans quatre sections, et de quatre annexes.

1.   Le préambule

Le préambule rappelle le contexte ayant présidé à la conclusion de l’accord.

Les premiers considérants sont consacrés aux conséquences juridiques devant être tirées de l’arrêt Achmea de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a jugé qu’un accord international conclu entre deux États membres ne peuvent s’appliquer dans les relations entre ceux-ci si elles s’avèrent contraires aux traités. En conséquence, les parties contractantes conviennent de l’inapplicabilité des clauses d’arbitrage entre les investisseurs et les États prévues par les traités bilatéraux d’investissement.

Les considérants 7 à 10 précisent la portée de l’accord à l’égard des règlements de procédure applicables aux arbitrages, qui ne concerne que les traités bilatéraux, à l’exclusion du traité sur la Charte de l’énergie, dont l’application entre États membres sera traitée ultérieurement, selon des modalités juridiques et institutionnelles restant à définir.

La dernière série de considérants rappelle le régime applicable à la protection des investissements au sein du marché intérieur, notamment au titre des libertés fondamentales garanties par les traités, et à la protection juridictionnelle effective des droits des investisseurs dans le cadre du droit de l’Union européenne.

2.   L’extinction des traités bilatéraux d’investissement et l’annulation des effets éventuels des clauses de survie (articles 2 à 4)

L’article 2 vise à mettre fin aux traités bilatéraux d’investissement non dénoncés avant la signature de l’accord (annexe A), parmi lesquels figurent onze des douze traités conclus par la France avec des pays aujourd’hui membres de l’Union européenne.

L’article 3 met fin à l’application des clauses de survie qui avaient été déclenchées par la dénonciation de certains traités bilatéraux d’investissement, listés en annexe B, avant la conclusion de l’accord. Parmi les traités bilatéraux d’investissement listés dans l’annexe B figure le traité conclu par la France avec la Pologne, dont la dénonciation, sollicitée par les autorités polonaises, est effective depuis le 19 juillet 2019.

L’article 4 comprend des dispositions communes aux deux cas de figure distingués dans les articles 2 et 3. D’abord, il confirme le caractère inapplicable des clauses d’arbitrage contenues dans les TBI et contraires au droit de l’Union. Ensuite, il précise que l’extinction des traités bilatéraux d’investissement et des clauses de survie prennent effet dès l’entrée en vigueur de l’accord pour les deux États contractants parties au TBI concerné.

3.   Les recours entre les investisseurs et les États exercés sur le fondement des traités bilatéraux d’investissement

a.   Les procédures d’arbitrage nouvelles et achevées

En vertu de l’article 5, les procédures d’arbitrage nouvelles sont définies comme les procédures ouvertes à compter du 6 mars 2018, date de l’arrêt Achmea. Aucune procédure d’arbitrage nouvelle ne saurait être introduite par des investisseurs en application des clauses d’arbitrage des traités bilatéraux d’investissement listés en annexe A ou B.

Aux termes de l’article 6, les procédures d’arbitrage achevées sont définies comme les procédures ayant donné lieu à un règlement transactionnel ou à une sentence finale qui serait définitivement exécutée avant le 6 mars 2018, et ne ferait plus l’objet d’aucun recours ou contestation à cette date, ou qui serait annulée avant l’entrée en vigueur de l’accord. Ces procédures ne sauraient être rouvertes par l’investisseur ou par l’État partie à l’instance. Enfin, l’article 6 prévoit que les accords conclus en vue du règlement à l’amiable de procédures d’arbitrage ouvertes avant le 6 mars 2018 ne sauraient être remis en cause par l’une ou l’autre des parties au litige.

b.   Les procédures d’arbitrage pendantes

Les articles 7 à 10 concernent les procédures d’arbitrage pendantes, définies comme les procédures ouvertes avant le 6 mars 2018 qui ne peuvent pas être considérées comme des procédures d’arbitrage achevées au sens de l’article 1er, paragraphe 4.

L’article 7 prévoit que les parties contractantes informeront les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l’arrêt Achmea dans le cadre des procédures d’arbitrage en cours, intentées sur le fondement de traités bilatéraux d’investissement.

Les parties contractantes sont par ailleurs tenues de solliciter l’annulation ou de s’opposer à l’exécution des sentences arbitrales dans le cadre des procédures judiciaires en cours devant les juridictions nationales compétentes, y compris dans des pays tiers à l’Union européenne. Les dispositions de l’article 7 sont également applicables mutatis mutandis aux procédures d’arbitrage nouvelles.

À l’article 8 sont détaillées les conditions permettant de bénéficier de mesures transitoires prévues aux articles 9 et 10 aux fins du règlement des différends entre investisseurs et États faisant l’objet de procédures d’arbitrage pendantes. Ces voies de recours alternatives, qui renvoient à une procédure ad hoc de médiation (article 9) ou aux juridictions nationales de la partie contractante concernée (article 10), ne pourront pas être invoquées par un investisseur lorsqu’il a déjà contesté les mesures mises en cause dans une procédure d’arbitrage en cours devant les juridictions nationales de l’État membre défendeur. Dans le cadre d’une procédure d’arbitrage pendante, un investisseur ne pourra pas non plus se prévaloir des mesures transitoires établies par l’accord lorsqu’il a été débouté par une sentence finale rendue avant l’entrée en vigueur de l’accord.

L’article 8 précise en outre que les voies de recours alternatives offertes par les articles 9 et 10 concerneront également les éventuelles demandes reconventionnelles formées par les États membres défendeurs dans le cadre de procédures d’arbitrage pendante, et sont sans préjudice de tout autre mode alternatif de règlement du différend, y compris à l’amiable, dans le respect du droit de l’Union européenne.

i.   Le dialogue structuré

L’article 9 prévoit une procédure ad hoc de médiation, le « dialogue structuré », afin de régler les différends entres les investisseurs et les États faisant l’objet de procédures d’arbitrage en cours. Il est subordonné à la suspension de la procédure d’arbitrage en cours, ou, le cas échéant, des procédures relatives à la reconnaissance et à l’exécution de la sentence arbitrale, et il doit être actionné dans un délai de six mois, au plus tard, après l’extinction du traité bilatéral d’investissement en cause dans le différend.

L’État membre concerné aura l’obligation de participer au dialogue structuré lorsqu’il portera sur une mesure ayant été jugée contraire au droit de l’Union par la CJUE ou une juridiction nationale. En revanche, si la mesure a été jugée conforme au droit de l’Union européenne, la procédure ne pourra pas être mise en œuvre ; elle restera d’ailleurs facultative en cas de violation alléguée du droit de l’Union. Enfin, l’ouverture du dialogue structuré sera suspendue lorsqu’une procédure d’examen de la mesure étatique en cause est pendante devant la CJUE ou devant une juridiction nationale.

Le mécanisme de médiation sera supervisé par un facilitateur impartial et indépendant, qui devra être désigné d’un commun accord entre les parties. Le facilitateur devra organiser une procédure contradictoire, dans laquelle les observations de la Commission européenne pourront être sollicitées, et accompagner les parties dans la recherche d’un règlement transactionnel amiable de leur différend et conforme au droit de l’Union.

Les parties disposeront d’un délai de six mois pour trouver une solution à leur litige, ce délai pouvant être cependant prolongé d’un commun accord. À défaut, il reviendra au facilitateur d’organiser des échanges de vues complémentaires pour parvenir à une solution transactionnelle, à l’issue desquels il présentera une proposition écrite finale de règlement à l’amiable sur laquelle les parties se prononceront dans un délai d’un mois à compter de sa communication. Si elles n’acceptent pas la proposition finale, les parties devront motiver leur refus.  En cas d’accord, elles en accepteront les conditions d’une manière juridiquement contraignante, avec notamment l’obligation de clôturer la procédure d’arbitrage pendante et l’interdiction d’en engager une nouvelle à l’avenir.

ii.   La saisine des juridictions nationales

En vertu de l’article 10, les investisseurs pourront saisir les juridictions nationales de l’État membre défendeur dans le cadre d’une procédure d’arbitrage en cours, même lorsque les délais pour agir contre la mesure litigieuse sont prescrits en vertu du droit interne. La saisine des juridictions nationales, qui pourra intervenir après l’utilisation infructueuse du mécanisme de dialogue structuré prévu à l’article 9, suppose notamment que la procédure d’arbitrage pendante soit préalablement clôturée, ou que l’investisseur renonce à l’exécution de la sentence arbitrale. L’accès aux juridictions nationales de l’État membre défendeur ne sera pas imprescriptible et restera soumis aux délais pour agir prescrits en droit interne.

L’article 10 n’aura pas pour effet de créer des nouvelles voies de recours internes au bénéfice des investisseurs : les juridictions nationales statueront en application du droit interne ou du droit de l’Union, et tiendront compte des éventuels dommages et intérêts déjà versés aux investisseurs afin d’éviter une double indemnisation de leur préjudice économique.

4.   Les dispositions finales de l’accord

La dernière section de l’accord concerne les dispositions transversales présentes dans tout traité international : règlement des différends, ratification, entrée en vigueur et application provisoire.

La France n’a pas appliqué le présent accord à titre provisoire. En effet, conformément à la circulaire du 30 mai 1997 relative à l’élaboration et à la conclusion des accords internationaux, l’application provisoire d’un accord international « est à proscrire en toute hypothèse, d’une part, lorsque l’accord peut affecter les droits ou obligations des particuliers, d’autre part, lorsque son entrée en vigueur nécessite une autorisation du parlement », ce qui est le cas du présent accord.

Enfin, outre l’annexe A et l’annexe B déjà mentionnés, l’accord comporte deux autres annexes : l’annexe C, qui présente un modèle de déclaration visant à informer les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l’arrêt Achmea, et l’annexe D, qui fixe un barème indicatif pour les honoraires du facilitateur prévu à l’article 9.

 


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   Conclusion

 

Votre rapporteur est favorable à l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne.

Cet accord est en effet le fruit d’un accord entre vingt-trois États membres de l’Union européenne, qui mettent fin de façon coordonnée à leurs traités bilatéraux d’investissement pour se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Ces traités, héritage d’une période où l’Union n’avait que quinze États membres et les relations avec les pays d’Europe centrale et orientale relevaient de la politique de voisinage, pouvaient sembler anachroniques dans le marché intérieur européen, qui dispose de solides garanties juridiques protégeant les investissements.

Il importera cependant de veiller à la bonne application des garanties offertes par le droit européen dans tous les États membres de l’Union, et d’encourager toutes les initiatives tendant à améliorer la protection des investissements et la stabilité de l’environnement réglementaire.

 


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   EXAMEN en commission

Le mercredi 19 mai 2021, la commission examine, sur le rapport de M. Sylvain Waserman, le projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne (n° 3899).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le texte que nous abordons est complexe et d’une grande importance. Il a trait à la façon dont les investissements des entreprises européennes sont protégés du risque politique quand ils sont réalisés dans un État membre de l’Union européenne. Cette protection, classique, vise les événements ou les décisions d’ordre politique ou administratif entraînant des pertes directes pour l’investisseur étranger – ce que l’on appelle habituellement le risque pays.

Depuis cinquante ans, les États européens ont conclu des traités bilatéraux avec des États extérieurs à l’Union européenne afin de définir les procédures de règlement des litiges entre investisseurs et États nés de la réalisation du risque politique. La plupart des États avec lesquels ces traités ont été signés sont devenus ensuite membres de l’Union.

Le 16 mars 2018, dans l’important arrêt Achmea, la Cour de justice de l’Union européenne a consacré la primauté du droit de l’Union sur tout autre accord international conclu par un État membre. Cette décision était logique, mais n’est pas sans poser problème. En effet, l’arrêt considère que les traités bilatéraux d’investissement entre les États membres ne sont pas compatibles avec le droit européen en ce qu’ils instaurent des procédures arbitrales autonomes s’imposant aux États membres, c’est-à-dire non soumises au contrôle d’une juridiction nationale, donc au principe de suprématie du droit de l’Union, et ne permettant pas, de ce fait, de saisir les juridictions européennes.

L’accord dont il nous est demandé d’autoriser la ratification vise donc à mettre un terme, de façon coordonnée, aux voies de recours ouvertes par ces traités bilatéraux d’investissement, tout en organisant une procédure de médiation permettant de régler les procédures d’arbitrage en cours. Une possibilité de saisine des juridictions nationales est également ouverte en cas d’échec de la médiation.

La matière est donc politiquement et économiquement essentielle, juridiquement délicate et complexe. Heureusement, nous avons le bon rapporteur pour la traiter : je le laisse exposer plus en détail ce nouvel instrument de régulation des relations économiques en Europe.

M. Sylvain Waserman, rapporteur. Pourquoi ai-je souhaité être rapporteur pour ce texte ? D’abord parce que le sujet, apparemment abstrus, me rappelle de très bons souvenirs : la première fois que j’ai entendu parler des TBI, les traités bilatéraux d’investissement, je travaillais au cabinet de Peter Mandelson, alors commissaire européen au commerce. Ensuite, parce qu’il est hautement symbolique d’une étape de la construction de l’Union.

Dans les années 1990, alors que l’élargissement de l’Union se faisait pressentir, la Commission a fortement insisté sur l’importance de développer les investissements des États membres dans les pays en cours d’adhésion. Se sont alors multipliés les accords bilatéraux destinés à sécuriser de tels investissements, en particulier ceux consentis dans les pays d’Europe de l’Est. Ces pays n’étant pas soumis aux règles de l’Union, cette sécurisation était nécessaire, ainsi que la définition des règles d’arbitrage en cas de litige : après la chute du rideau de fer, les droits nationaux des pays en question n’étaient pas assez sécurisants pour les investisseurs d’Europe de l’Ouest. Deux cents accords ont ainsi été signés, dont douze impliquant la France.

Les choses se sont corsées en 2004, lorsqu’une entreprise néerlandaise, Eastern Sugar BV, a attaqué la République tchèque, à propos d’un sujet mineur. Les États se sont alors demandé si les accords bilatéraux avaient un sens eu égard au droit européen, et quelle place leur donner du point de vue juridique. À l’époque, la Commission européenne, à chaque affaire de ce genre, jouait le rôle d’amicus curiae, intervenant dans les arbitrages et dans l’ensemble de la réflexion juridique comme témoin et pour donner son avis, selon lequel il fallait que le droit européen se substitue à tous ces accords bilatéraux.

Le moment déterminant se situe en 2018, à propos d’une affaire engagée plusieurs années auparavant – la fameuse affaire Achmea, du nom d’une entreprise qui avait investi 70 millions d’euros en République slovaque lors de la libéralisation de l’assurance maladie. Deux ans après, la République slovaque avait fait marche arrière et ne souhaitait plus cette privatisation, d’où le litige. En 2018, la Cour de justice européenne a tranché en considérant que les accords bilatéraux, notamment parce qu’ils font appel à l’arbitrage privé, n’ont plus de sens dans l’édifice juridique européen et que l’on doit y mettre un terme.

À la suite de cette décision, les États européens ont souhaité sortir de manière coordonnée de l’ensemble de ces accords dès lors qu’ils concernent l’échelon intra-européen. C’est ce qu’il est proposé aujourd’hui de faire pour les douze accords engageant la France. Cette démarche, je le répète, s’opère en coordination avec la plupart des pays européens – vingt-trois en tout – ce qui est heureux. Elle est le symbole de la fin d’un modèle d’arbitrage privé, affranchi du droit national et du droit européen, au profit d’un modèle intra-européen qui relève pleinement du droit des États membres – empreint des règles européennes – et, le cas échéant, de l’arbitrage de la Cour de justice de l’Union.

Pour toutes ces raisons, je suis très favorable à la ratification de l’accord.

Plusieurs questions se posent. D’abord, qu’en est-il des affaires en cours – une trentaine, dont plusieurs concernant des entreprises françaises ? Le texte propose un système destiné à permettre un accord à l’amiable grâce à un dispositif spécifique de dialogue.

Ensuite, et je réponds là à une question que M. Lecoq n’aurait pas manqué de poser, l’arrêt Achmea s’applique-t-il au Traité sur la charte de l’énergie ? À ce sujet, deux écoles de pensée s’affrontent. Pour l’une, toutes choses égales par ailleurs, c’est bien le cas, de sorte que l’arrêt Achmea aboutira à mettre un terme au Traité sur la charte de l’énergie. Pour l’autre, il faudrait au contraire une démarche spécifique. Dans leur grande sagesse, les pays européens et leurs juristes ont décidé de ne pas traiter le sujet dans l’accord que nous examinons, de crainte de fragiliser le texte en créant de la division alors que la question de l’arbitrage privé fait l’unanimité. On a donc choisi d’interroger la Cour de justice de l’Union européenne sur l’application de l’arrêt Achmea au Traité sur la charte de l’énergie. La décision de la Cour permettra au législateur de trancher ce point dans les mois à venir.

Ce texte est important : c’est le symbole de la fin des traités bilatéraux, le moment où l’on dit enfin qu’il n’y a pas lieu, au sein de l’Union européenne, de recourir à l’arbitrage privé puisque nos institutions peuvent traiter les litiges. En remerciant vivement les services de leur aide, je vous invite à voter ce projet de loi.

Mme Sonia Krimi (LaREM). On peut percevoir l’histoire sous plusieurs angles : certains se focalisent sur les guerres et les révolutions, d’autres sur les grandes femmes et les grands hommes qui ont fait notre histoire, d’autres enfin, comme moi, étudient les gens ordinaires et tentent de les comprendre. S’intéresser aux aspects économiques de leur vie, de leur travail, de leur retraite, voilà ce qui sous-tend des textes comme celui que nous examinons. J’en remercie le rapporteur.

L’extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne, conséquence de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 6 mars 2018, motive l’accord plurilatéral signé par vingt-trois membres de l’Union pour se mettre en conformité avec le droit européen et supprimer un anachronisme. Le groupe La République en Marche est favorable à l’adoption du projet de loi, car il permet de démanteler des accords ayant subsisté du fait de leur clause de survie, mais aussi d’établir enfin un cadre pour les gens ordinaires s’agissant des procédures d’arbitrage entre investisseurs et États membres. Merci de nous montrer leur visage derrière des indicateurs parfois rebutants.

M. Michel Fanget (Dem). Je remercie le rapporteur d’avoir clarifié un sujet qui pouvait sembler obscur. Les élargissements de 2004, 2007 et 2013 ont intégré à l’Union européenne des États qui avaient conclu des traités bilatéraux d’investissement avec la plupart des États membres de l’Union. Environ 200 accords, dont douze avec la France, ont été répertoriés dans ce contexte. Ces TBI se sont rapidement révélés difficiles à appliquer en conformité avec le droit de l’Union européenne, en particulier dans le cadre des procédures d’arbitrage. Ils ont par conséquent été dénoncés par la Commission européenne, mais sans que ces démarches aboutissent à leur extinction, ce qui a entraîné la multiplication des litiges entre investisseurs et États membres.

Dans sa décision Achmea du 6 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé la position de la Commission et jugé contraire au droit de l’Union les clauses d’arbitrage entre États membres et investisseurs dans le cadre de tels accords. Pour appliquer cet arrêt, deux étapes ont été nécessaires : d’abord, la négociation d’une déclaration politique destinée à exposer les conséquences juridiques de l’arrêt ; ensuite, la conclusion d’un accord plurilatéral ayant pour but d’organiser le démantèlement des traités restant en vigueur.

Cet accord, signé par vingt-trois États membres le 5 mai 2020, comporte deux grands volets. D’abord, il dénonce de manière collective et coordonnée les accords bilatéraux de protection des investissements. Ensuite, il fournit un cadre précis concernant les procédures arbitrales intentées sur leur fondement : il laisse intactes celles réglées avant le 6 mars 2018 et instaure des procédures transitoires pour les différends faisant l’objet d’arbitrages en cours de règlement. L’accord ne comprend pas de dispositions substantielles ou procédurales destinées à remplacer les traités bilatéraux d’investissement. Cela étant, les garanties juridiques offertes par les droits des États membres, les libertés fondamentales et les principes généraux du droit de l’Union sont rappelés, ce qui devrait rassurer les opérateurs économiques inquiets de l’extinction des traités.

Mon groupe se réjouit de cette simplification et de cette clarification bienvenues, et nous voterons en faveur de ce projet de loi.

M. Alain David (SOC). Nous sommes bien sûr favorables à l’approbation de l’accord. Bravo à Sylvain Waserman pour l’enthousiasme et la passion grâce auxquels il a su rendre digeste, et même limpide, un dossier de prime abord très complexe.

M. Sébastien Nadot (LT). Je remercie à mon tour le rapporteur d’avoir éclairci un sujet complexe et de l’avoir rendu vivant en lui donnant une épaisseur humaine.

Ce projet de loi nous renvoie à l’époque de l’Europe des Quinze, lorsque les traités bilatéraux d’investissement avec les États d’Europe de l’Est se multipliaient. Cela a été dit, près de deux cents accords de ce type ont alors été conclus pour sécuriser les investissements, dont douze par la France, principalement avec ces pays d’Europe de l’Est.

Avec l’adhésion de ces derniers à l’Union européenne, à partir de 2004, s’est posée la question de la compatibilité des accords avec le droit de l’Union. L’arrêt du 6 mars 2018 a estimé que les clauses d’arbitrage entre États et investisseurs prévues dans les traités bilatéraux d’investissement sont contraires au droit de l’Union.

Si la construction européenne s’est fondée sur des intérêts économiques, l’Europe doit aussi être appréhendée comme une communauté de valeurs et, plus largement, comme une communauté politique où la confiance mutuelle entre États membres tient une place centrale. Dans ce contexte, la conclusion de traités bilatéraux d’investissement entre États membres ne se justifie plus.

Vingt-trois États membres ont pris parti en ce sens en signant en 2019 une déclaration, avant un accord qui tire les conséquences de l’arrêt Achmea certes, mais qui va plus loin encore. En effet, au-delà de son aspect technique qui permet de mettre un terme de façon coordonnée à une kyrielle d’accords bilatéraux intra-européens en les remplaçant par un cadre commun, l’accord procède à un nouvel approfondissement de notre cadre européen. Voilà pourquoi nous voterons le texte.

Puisque l’Union européenne est une communauté de valeurs, de peuples et d’individus que traduit une communauté de droit, nous aimerions que cette dynamique de création d’un cadre commun se poursuive, au-delà du domaine financier, jusqu’à toucher au cœur de l’enjeu démocratique et de l’État de droit.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Monsieur le rapporteur, ne prenez pas l’habitude de faire les questions et les réponses, ou je n’aurai plus rien à dire ! Cela étant, j’apprécie à sa juste valeur le soin que vous avez mis à répondre à la question concernant le Traité sur la charte de l’énergie, que je m’apprêtais évidemment à vous poser. J’aurais aimé que le ministre dispose hier des arguments que vous avez exposés aujourd’hui ; même s’il a donné la position du Gouvernement, je ne l’ai pas senti très à l’aise sur le sujet.

Chacun sait que je fais partie de ceux qui n’ont pas voté le traité de Maastricht, qui n’ont pas approuvé la construction européenne et la forme d’union européenne qu’il implique, bien que je sois européen dans l’âme. Mais je fais aussi partie de ceux qui combattent les tribunaux d’exception et qui défendent les tribunaux publics, notamment dans le cadre des traités de libre-échange. Compte tenu de ce double point de vue et de l’évolution du droit européen, il me semble que le texte va dans le bon sens, même si je n’en partage pas le fondement. Mon groupe le votera donc.

Comme mes collègues, je salue la façon dont vous avez su nous donner envie de voter avec enthousiasme. Vous ne m’avez pas encore convaincu s’agissant de votre version de l’idée européenne, mais nous avons beaucoup apprécié votre travail sur le texte et nous vous en remercions à nouveau.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. C’est le privilège des meilleurs des Alsaciens que de nous aider à aimer l’Europe ! Je me joins aux félicitations qui vous ont été adressées, monsieur le rapporteur. Vous avez su mettre en scène le vote d’aujourd’hui de façon saisissante. Ceux qui sont particulièrement attachés à la construction européenne, comme je le suis à titre personnel, y voient deux progrès considérables : une étape de l’unification juridique – des décisions éparses seront désormais soumises à l’unité du droit européen – d’une part, et d’autre part le remplacement d’arbitrages, exposés à de nombreux aléas, par l’action de juridictions institutionnalisées.

Toutefois, comment cette modification est-elle accueillie par les entreprises concernées ? Qu’est-il d’ailleurs arrivé à Achmea : n’y a-t-il pas eu un vide juridique dans cette affaire, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice ? Les professionnels pourraient voir dans l’évolution dont nous parlons un développement de la bureaucratie communautaire, source de bien des fantasmes.

Nous ferons bien, en tout cas, de soutenir ce texte très important.

M. Sylvain Waserman, rapporteur. Concernant tout d’abord la sécurisation des investissements et l’harmonisation du droit, Christine Lagarde avait dit lorsqu’elle était à la tête du Fonds monétaire international, évoquant les priorités de l’Europe, qu’il fallait harmoniser le droit des faillites pour sécuriser l’investissement. Un Allemand qui investit en Italie, par exemple, a besoin de pouvoir calculer son risque maximum et de sécuriser son plan d’affaires. Voilà en somme ce que nous faisons.

L’enjeu est aussi de mettre un terme à l’arbitrage privé au profit des juridictions nationales, qui s’appuient sur le droit de l’Union et disposent d’un échelon de recours européen. Monsieur Lecoq, le CETA, auquel vous êtes opposé, est le premier accord de nouvelle génération qui rompt avec les arbitrages privés et crée des juridictions professionnelles dont les juges sont nommés par les États. Il s’agit d’une tendance lourde dans l’Union, pour les accords de commerce international comme en droit intra-européen.

Du point de vue symbolique, enfin, nous sommes appelés à voter rien de moins qu’une unification européenne du droit en matière de sécurisation des investissements. C’est une étape supplémentaire et importante de la construction naturelle d’un édifice juridique européen. Une fois la décision Achmea prise, les parties des nouveaux litiges ne pouvaient plus invoquer le tribunal de règlement des litiges privés, ce qui a créé une tension entre la jurisprudence et des accords législativement approuvés. Nous y mettons bon ordre.

En ce qui concerne la réaction des protagonistes, les entreprises françaises en cours de litige ont été contactées. S’agissant d’Achmea, la justice arbitrale privée a été dessaisie de l’affaire au profit d’un processus juridique national et européen qui n’a pas encore abouti, mais cette évolution me semble en elle-même un véritable progrès.

Elle contribue du reste à la stabilisation des modèles juridiques. Même un pays traditionnellement aussi favorable à l’arbitrage privé que l’Allemagne s’oriente résolument vers l’extinction des traités bilatéraux : cela confirme qu’il s’agit d’une tendance lourde.

En votant le texte, nous franchirons, je le répète, une étape supplémentaire de la construction juridique de l’Union européenne, importante pour nos entreprises, en particulier les PME, pour nos investisseurs et pour le développement économique, et qui substitue le primat d’un droit européen sécurisé à celui du droit international privé. Je soutiens cette démarche avec détermination.

 

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification.


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   Texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée la ratification de l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement entre États membres de l’Union européenne (ensemble quatre annexes), signé à Bruxelles le 5 mai 2020, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 


([1]) Cour de justice de l’Union européenne, 6 mars 2018, affaire C-284/16, République slovaque c/ Achmea.

([2]) La question préjudicielle a été posée par la Cour fédérale de justice allemande, qui avait été saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale faisant droit aux prétentions de l’entreprise néerlandaise Achmea B.V. et condamnant la Slovaquie sur le fondement d’un accord bilatéral d’investissement conclu avec les Pays-Bas.  

([3]) Dans le contexte des négociations en cours sur la modernisation du TCE, la Belgique a en outre récemment saisi pour avis la Cour de justice de l’UE pour qu’elle se prononce spécifiquement sur cette question, ce qu’elle devrait a priori faire dans le courant de l’année 2022.

([4]) Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Grèce, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie.

([5]) Selon l’étude d’impact, « les autorités françaises feront le nécessaire, comme elles l’ont déjà fait dans certains contentieux intentés sur le fondement des accords bilatéraux d’investissement conclus par la France, conformément aux engagements pris dans le cadre de la déclaration politique du 15 janvier 2019, pour informer les tribunaux arbitraux saisis de litiges pendants ou nouveaux des conséquences juridiques de l’arrêt Achmea, conformément à l’article 7 et à l’annexe C de l’accord.