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Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

 

Président

M. Cédric VILLANI, député

 

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

 

Vice-présidents

 

M. Didier BAICHÈRE, député

 

Mme Sonia de LA PRÔVOTÉ, sénatrice

M. Jean-Luc FUGIT, député

 

Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice

M. Patrick HETZEL, député

 

Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

Députés

 

Sénateurs

M. Julien AUBERT

M. Philippe BOLO

Mme Émilie CARIOU

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Claude de GANAY

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Jean-Paul LECOQ

M. Gérard LESEUL

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

 

Mme Laure DARCOS

Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Annick JACQUEMET

M. Bernard JOMIER

Mme Florence LASSARADE

M. Ronan Le GLEUT

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Michelle MEUNIER

M. Pierre OUZOULIAS

M. Stéphane PIEDNOIR

M. Bruno SIDO

 


SOMMAIRE

 

Pages

Conclusions de l’audition publique sur la recherche en milieu polaire menée par la France : état des lieux et perspectives

I. Les Pôles, des territoires contrastés et des enjeux majeurs

A. Les pôles sont des territoires très contrastés

B. Les pôles soulèvent des enjeux majeurs

II. La recherche polaire : une recherche dont les enjeux dépassent très largement le cadre polaire

A. La recherche polaire joue un rôle clé pour comprendre
le réchauffement climatique

B. La recherche polaire est à l’origine d’innovations technologiques et biomédicales majeures

C. La recherche polaire contribue de manière décisive à l’obervation et à la defense de la biodiversité

D. La recherche polaire offre des outils précieux d’aide
à la décision politique

III. La France, une grande nation polaire en train de se faire distancer

A. La France a longtemps fait partie des grandes nations polaires scientifiques

B. La France est en train de se faire distancer faute de moyens suffisants et de stratégie globale

IV. Les recommandations : insuffler une nouvelle dynamique à la recherche française en milieu polaire

TRAVAUX DE L’OFFICE

I. Compte rendu de l’audition publique du 6 mai 2021

II. Compte rendu de la réunion du 27 mai 2021 présentant les conclusions de l’audition publique du 6 mai 2021

ANNEXE 1 : TABLEAU COMPARATIF DU CONSEIL DE L’ARCTIQUE ET DE LA RÉUNION CONSULTATIVE DU TRAITÉ SUR L’ANTARCTIQUE

ANNEXE 2 : PRÉSENTATIONS DES INTERVENANTS

 


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Conclusions de l’audition publique sur la recherche en milieu polaire menée par la France : état des lieux et perspectives

 

La France va présider en juin 2021 la 43e Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique (RCTA) et la 23e Réunion du Comité pour la protection de l’environnement antarctique (CPE) mis en place par le Protocole de Madrid de 1991 qui a ajouté, à l’initiative de la France et de l’Australie, un volet environnemental au Traité sur l’Antarctique. Sollicité par la communauté scientifique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a saisi cette opportunité pour organiser le 6 mai 2021 une audition publique consacrée à la recherche en milieu polaire menée par la France, diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Cette audition publique s’est déroulée sous la forme de deux tables rondes.

La première, présidée par Huguette Tiegna, députée, a traité de la logistique mise au service de la recherche en milieu polaire et du rôle de la coopération internationale.

Sont intervenus :

– Jérôme Chappellaz, directeur de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV), directeur de recherche au CNRS ;

– Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises ;

– Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française (Ifremer) ;

– Kim Ellis, directeur de l’Australian Antarctic Division (ADD) ;

– Uwe Nixdorf, sous-directeur de l’Institut Alfred Wegener (AWI) ;

– Roberta Mecozzi, cheffe du service Recherche, Innovation, Technologie et Protection de l’environnement (RIA) à l’Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable (ENEA).

La seconde table ronde, présidée par Angèle Préville, sénatrice, a porté sur le rôle clé de la recherche polaire pour la compréhension des enjeux de la planète.

Sont intervenus :

– Catherine Ritz, directrice de recherche au CNRS, rattachée à l’Institut des géosciences de l’environnement (IGE) ;

– Marie-Noëlle Houssais, directrice de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire d’océanographie et du climat (LOCEAN) ;

– Yan Ropert-Coudert, directeur de recherche au CNRS, rattaché au Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC) ;

– Yvon Le Maho, président du conseil d’administration de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV), membre de l’Académie des sciences ;

– Alexandra Lavrillier, directrice adjointe du laboratoire « cultures, environnements, Arctique, représentations, climat » (CEARC), Université de Versailles Saint‑Quentin‑en‑Yvelines ;

– Sabine Lavorel, maître de conférences habilitée à diriger des recherches en droit public, Université Grenoble Alpes.

L’organisation de cette audition publique se justifiait à plusieurs titres.

Les pôles font l’objet d’un regain d’intérêt compte tenu de leur rôle clé dans le système climatique et la protection de la biodiversité. Le réchauffement climatique ouvre de nouvelles perspectives économiques au pôle nord qui attisent les convoitises tout en créant de nouvelles menaces sur ces écosystèmes particulièrement vulnérables, menaces qui affectent à leur tour l’ensemble de notre planète.

La France a été à la pointe de l’exploration et de l’étude des terres du Grand Nord et du Grand Sud. Elle fait partie des rares nations scientifiques à être présente dans les pôles des deux hémisphères ainsi que dans les territoires subantarctiques et compte parmi les grands acteurs polaires. Néanmoins, son statut est menacé en raison d’un sous‑investissement chronique à la fois dans la recherche et dans les opérations logistiques que cette recherche nécessite, mais également faute d’une stratégie globale à long terme.

L’Office s’est intéressé à ce sujet à plusieurs reprises dans le passé. En 2007, il a publié un rapport sur la place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire[1]. Il a également organisé plusieurs auditions publiques sur cette question en 2007, 2008 et 2011[2].

Dix ans après ses derniers travaux, l’Office a souhaité, à travers cette audition publique, actualiser ses connaissances sur l’état de la recherche française en milieu polaire et évoquer ses perspectives.

 

I.  Les Pôles, des territoires contrastés et des enjeux majeurs

A.  Les pôles sont des territoires très contrastés

Si les milieux polaires se caractérisent par des conditions climatiques extrêmement dures, ils sont néanmoins très différents comme l’a rappelé Marie‑Noëlle Houssais.

L’Antarctique est un continent plus grand que l’Europe entouré d’un océan, l’océan Austral, ouvert sur le large. Une banquise saisonnière se forme en hiver mais disparaît l’été. Il s’agit d’un continent inhabité à l’exception de la présence ponctuelle de quelques centaines à quelques milliers de chercheurs en fonction de la saison, auxquels s’ajoutent plusieurs dizaines de milliers de touristes participant à des croisières.

 

Carte de l’Antarctique

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Source : Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV)

 

Au contraire, l’Arctique est un océan entouré de continents, donc relativement fermé[3]. Cinq États sont riverains de l’océan Arctique : les États‑Unis par le biais de l’Alaska, le Canada, le Danemark par le biais du Groenland, la Norvège et la Fédération de Russie. Il est couvert d’une banquise pérenne et compte 4 millions d’habitants.

Carte de l’Arctique

arctique

Source : Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV)

 

L’Antarctique fait l’objet d’une gouvernance unique au monde : dans le cadre du Traité sur l’Antarctique signé en 1959, les sept pays[4] ayant émis des revendications territoriales avant cette date se sont engagés à les taire provisoirement au profit d’une forme de cogestion. Le traité confie la gestion des activités humaines à la Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique (RCTA) qui regroupe à ce jour 54 États membres. Il opère une distinction entre 29 États « Parties consultatives » qui peuvent prendre part à la prise de décision en raison de l’importance de leurs activités de recherche scientifique en Antarctique et 25 États dits « Parties non consultatives». Le droit d’un État à participer à la prise de décision repose donc sur sa présence et sur son investissement dans la recherche scientifique, qui sont mesurés concrètement à partir du nombre de bases établies et du nombre d’expéditions scientifiques réalisées chaque année.

L’Arctique est géré par le conseil de l’Arctique qui regroupe huit États riverains des régions arctiques : le Canada, le Danemark, les États‑Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède. Participent également à cette instance sept organisations représentant les peuples autochtones, treize États dits observateurs (dont la France) qui peuvent assister aux débats mais n’ont pas de droit de vote, et une vingtaine d’organisations gouvernementales ou non gouvernementales, également observatrices.

B.  Les pôles soulèvent des enjeux majeurs

Les pôles sont au cœur d’enjeux majeurs, souvent difficilement conciliables.

Les activités économiques sont particulièrement développées en Arctique : exploitation minière (pétrole, gaz, minéraux), exploitation forestière, pêche, tourisme. Selon Olivier Poivre d’Arvor, elles représentent 20 % du PIB russe à travers l’exploitation des hydrocarbures, du gaz liquéfié et des terres rares. Elles ont vocation à s’amplifier sous l’effet du réchauffement climatique qui va faciliter l’accès aux zones polaires et à leurs ressources. Ainsi, la Russie s’est lancée dans deux gigantesques chantiers de gaz naturel liquéfié au-delà du cercle polaire, auxquels participe l’entreprise Total. De même, la Russie est fortement engagée dans l’ouverture d’une nouvelle route maritime[5] qui permettrait de relier l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en longeant la côte nord de la Russie. La société Rosatom a été chargée d’armer cette voie de ravitaillement qui devrait être ouverte huit mois sur douze.

En Antarctique, les activités économiques restent pour l’instant très limitées en raison de l’interdiction de l’exploitation des ressources minérales et de l’encadrement de la pêche et du tourisme. Toutefois, Olivier Poivre d’Arvor a indiqué que cette région accueille 70 000 touristes par an, notamment chinois, et que le gouvernement chinois incite les croisiéristes à développer ce marché.  

Les enjeux géostratégiques dans les régions polaires sont nombreux et les nouvelles opportunités économiques et commerciales dans ces territoires tendent à les accentuer.

Comme l’a souligné Olivier Poivre d’Arvor, les enjeux de défense et de sécurité sont majeurs en Arctique. Le retrait de la banquise crée un point de contact direct ‑ et donc potentiellement de confrontation ‑ entre l’OTAN[6] et la Russie et conduit aujourd’hui à une remilitarisation de l’Arctique.

Les revendications territoriales qui opposent certains membres du Conseil de l’Arctique sont également exacerbées, même si les tensions restent jusqu’à présent pacifiques. Enfin, les enjeux de souveraineté sont réels et peuvent même impacter la recherche scientifique. Ainsi, Olivier Lefort a rappelé que dans le cadre de la Convention de Montego Bay, les recherches en Arctique doivent faire au préalable l’objet d’autorisations de travaux auprès des États dans les eaux territoriales dans lesquelles les chercheurs évoluent. Or, ceux-ci rencontrent parfois des difficultés pour les obtenir, notamment auprès de la Russie.

Le Traité sur l’Antarctique a instauré un statu quo sur les revendications territoriales tandis que le Protocole de Madrid (voir infra) a permis jusqu’à présent de freiner les velléités d’exploitation du continent antarctique. Toutefois, comme l’a fait remarquer Jérôme Chappellaz, ce traité a été élaboré à une époque marquée par la domination occidentale sur l’ordre mondial. Depuis, certains États, en premier lieu la Chine, se sont érigés en puissance mondiale et accentuent leur présence en Antarctique afin de peser davantage dans les instances de gouvernance. Ainsi, la Chine dispose déjà de deux brise-glaces (un troisième est en construction) et elle est en train de bâtir sa cinquième station en mer de Ross.

 Selon Charles Giusti, la présence française dans l’océan Austral à travers les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) constitue un atout considérable pour la défense des enjeux stratégiques de la France. Les TAAF accueillent des installations du CEA dans le cadre de l’Organisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE) et une station de suivi satellitaire. Elles jouent également un rôle stratégique dans la sécurisation de l’axe indo-pacifique dans lequel la France a de nombreux intérêts.

 

Les régions polaires constituent des territoires à la fois extrêmes et fragiles, particulièrement affectés par le changement climatique et menacés par les activités humaines, notamment économiques.

En ce qui concerne l’Arctique, Alexandra Lavrillier a expliqué que, comme le confirment les autochtones arctiques et les rapports du GIEC[7], l’industrialisation avait généré deux processus :

– une forte augmentation des activités d’extraction d’hydrocarbures et des activités minières qui entrainent la destruction de la biodiversité et engendrent une pollution de l’eau, de l’air et des sols ;

– une évolution du changement climatique qui se caractérise par des hivers moins froids, une élévation des températures annuelles de + 6°C depuis 1958 (en Sibérie orientale par exemple), une hausse de l’humidité à toutes les saisons et une augmentation impressionnante des événements extrêmes tels que les feux ou les inondations. Le changement climatique entraîne des anomalies inédites telles que des croutes de gel empêchant l’accès aux pâturages, des manteaux neigeux trop épais ou trop fins, un retard important dans la formation de la glace des rivières ou de mer, qui est de plus en plus fine, l’apparition ou la disparition d’espèces animales et végétales, l’effondrement des sols ou la transformation des paysages et des côtes, etc. 

Ces conséquences ont à leur tour une influence très négative sur les climats et l’environnement au niveau planétaire. Néanmoins, ces constats se heurtent à des intérêts économiques internationaux très puissants. Aussi, pour faire face à ces difficultés et au développement à venir des industries minières dans la région, les pays riverains ont créé en 1996 le Conseil de l’Arctique. L’objectif de ce Conseil est de promouvoir le développement durable et la protection de l’environnement en Arctique. Alexandra Lavrillier a évoqué l’existence, en son sein, de groupes de travail consacrés à l’observation des environnements arctiques. Parmi eux figurent l’AMAP (Arctic Monitoring and Assessment Programme) ou la CAFF (Conservation of Arctic Flora and Fauna) qui, entre autres, étudient la pollution et autres atteintes à l’environnement.

L’Antarctique et le Subantarctique sont des territoires sans population permanente, préservés des impacts directs de l’activité humaine. Non seulement ils se caractérisent par des patrimoines naturels exceptionnels, mais ils sont également des lieux privilégiés pour les observations scientifiques, qu’il s’agisse des sciences de la terre ou des sciences du vivant. Leur richesse halieutique fait toutefois l’objet de convoitises et ces régions ‑ de même que l’Arctique ‑ sont affectées par une pollution transportée par les courants océaniques et les voies aériennes (pollution plastique et aux PCB[8] notamment).

En Antarctique, Olivier Poivre d’Arvor a cité l’existence de plusieurs conventions internationales venues renforcer le dispositif de protection des écosystèmes et de l’environnement antarctiques.

La Convention pour la protection de la faune et de la flore marine de l’Antarctique de 1980 a créé une commission[9] chargée d’encadrer l’exploitation des stocks halieutiques (en particulier de krill et de légine) et de protéger l’environnement maritime antarctique.

En 1989, la France et l’Australie, après avoir eu connaissance de projets d’extraction minière, ont pris l’initiative d’inviter les parties consultatives au Traité à ouvrir des négociations qui ont permis d’adopter en 1991 le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement[10]. Il érige l’Antarctique en « réserve naturelle dédiée à la paix et à la science » où l’exploitation des ressources minérales est interdite. Il interdit également toute dégradation de l’environnement et impose que toute activité dans la région ‑ dont l’activité scientifique ‑ soit précédée d’une étude d’impact environnemental. Le Protocole de Madrid a également créé un Comité pour la protection de l’environnement (CPE) où siègent les experts de chacun des États parties, pour apporter à la RCTA une expertise scientifique et environnementale.

Si le dispositif international construit à partir de 1959 pour protéger l’Antarctique fait preuve, depuis cette date, d’une grande efficacité, certaines évolutions soulèvent de réelles inquiétudes, au premier rang desquelles le développement rapide du tourisme qui, s’il n’est pas mieux encadré, pourrait à l’avenir menacer l’équilibre des écosystèmes du continent.

Roberta Mecozzi a également insisté sur la nécessité d’un engagement politique au plus haut niveau pour faire primer les enjeux environnementaux sur les intérêts économiques. Elle a illustré ses propos en prenant l’exemple des aires marines protégées définies par la commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique. Elle a regretté que les représentants de certains États membres de cette Commission défendent les seuls intérêts de la pêche. Elle a rappelé l’implication du président Barack Obama pour convaincre la Russie de soutenir la création de l’aire marine protégée en mer de Ross. Elle a ajouté que la création d’aires marines protégées s’avérait inopérante tant que le plan de gestion n’était pas approuvé, comme c’est le cas pour l’aire marine protégée en mer de Ross[11], en raison des fortes demandes de la Chine et de la Russie.

Charles Giusti a insisté sur l’engagement de la France au sein de la RCTA pour parvenir à un meilleur encadrement des activités touristiques en Antarctique. Deux groupes de travail ont ainsi été constitués. L’un porte sur l’élaboration d’un mécanisme permettant l’embarquement d’observateurs gouvernementaux sur les navires de croisière pour contrôler l’activité de ces navires opérant dans la zone du Traité. Le second vise à élaborer un manuel ayant vocation à regrouper l’intégralité des règles de bonne conduite sur les activités touristiques en Antarctique. Ces deux groupes de travail portés par la France avec des partenaires internationaux présenteront leurs travaux lors de la prochaine RCTA en juin 2021.

Olivier Poivre d’Arvor a annoncé que la France souhaitait profiter de cette Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique qu’elle présidera pour proposer la création d’aires marines protégées en Antarctique Est sur 4 millions de km2, conjointement avec d’autres États européens et avec John Kerry, envoyé spécial du président des États‑Unis sur le climat. Il a toutefois admis qu’il restait à convaincre les Russes et les Chinois, réticents à cette initiative.

 

II.  La recherche polaire : une recherche dont les enjeux dépassent très largement le cadre polaire

Que ce soit dans le domaine des sciences de la terre, des sciences de la vie ou des sciences humaines et sociales, les enjeux de la recherche en milieu polaire dépassent largement le seul cadre polaire.

A.  La recherche polaire joue un rôle clé pour comprendre le réchauffement climatique

Catherine Ritz a insisté sur l’importance des études menées sur les calottes glaciaires pour comprendre le changement climatique.

Les calottes glaciaires sont les mémoires du climat passé. La neige s’accumule et se transforme progressivement en glace. Lors de ce processus, elle emprisonne définitivement quelques bulles d’air environnant et des poussières. Ainsi, des informations précieuses sur le climat et sur l’atmosphère se trouvent scellées sous forme de couches successives, que les carottages glaciaires permettent de reconstituer. Des carottages sur de la glace vieille de plus de 800 000 ans ont ainsi démontré l’alternance de périodes chaudes et froides corrélées à des alternances de valeurs hautes et de valeurs basses de méthane et de CO2. Mais ces enregistrements montrent clairement que les valeurs actuelles de ces gaz à effet de serre sortent de la gamme observée dans le passé : les quantités de CO2 et de méthane dans les glaces les plus récentes représentent respectivement le double et le triple des quantités du passé.

Variations des températures et des quantités de CO2 et de méthane
sur 800 000 ans

Source : Tableau modifié par Catherine Ritz d’après une figure du Centre for Ice and Climate

 

Les calottes glaciaires sont également des éléments actifs du système climatique, notamment à travers leur rôle dans l’élévation du niveau des mers. Catherine Ritz a rappelé que les glaces de l’Antarctique et du Groenland constituent d’énormes réserves d’eau douce représentant respectivement 60 mètres et 6 mètres de niveau des mers. Les modèles montrent qu’à l’échelle des siècles à venir et dans le cadre du changement climatique, les calottes vont perdre une fraction de cette glace, ce qui va entraîner une montée du niveau des mers (jusqu’à plusieurs mètres à l’horizon 2300). Les observations confirment que ce phénomène a déjà débuté et les sociétés humaines vont forcément être impactées. Jérôme Chappellaz a rappelé que les deux-tiers de l’humanité vivent à moins de 100 km des côtes.

En Antarctique, deux processus opposés sont observés : les précipitations augmentent avec la température, entrainant un épaississement de la couche de glace sur les plateaux ; l’instabilité des calottes marines intensifie l’évacuation de la glace vers l’océan et provoque l’affaissement des zones côtières. De manière globale, la perte de masse serait toutefois prédominante et, selon le rapport du GIEC sur la cryosphère et l’océan, l’Antarctique devrait contribuer à l’élévation de la mer de 12 cm d’ici la fin du siècle. Catherine Ritz a souligné les incertitudes qui entouraient ces prévisions et insisté sur la nécessité de poursuivre les recherches en se basant sur les observations satellitaires, les modélisations et les observations du terrain.

MarieNoëlle Houssais a expliqué le rôle majeur des océans, et en particulier de l’océan Austral, dans le système climatique en se focalisant sur trois phénomènes :

– l’absorption de l’énergie solaire : entre 1971 et 2018, les océans ont absorbé 90 % de l’excédent d’énergie de l’atmosphère, avec une contribution majeure de l’océan Austral ;

– l’absorption des émissions de CO2 d’origine anthropique : 20 à 30 % de ces émissions seraient absorbés par les océans, en grande partie par l’océan Austral en marge du continent antarctique ;

– le rôle moteur des pôles dans la circulation océanographique globale (« tapis roulant » de la circulation océanique) qui tend à transformer des eaux de surface chaudes en une circulation profonde beaucoup plus lente et froide : cette circulation est activée aux pôles, qui sont le siège de la transformation de masses d’eau chaude en masses d’eau froide. Les modélisations montrent une amplification du ralentissement de cette circulation dans un scénario qui prend en compte la fonte du Groenland. La fonte des glaces polaires a donc un impact très fort sur les mécanismes de transformation qui entretiennent la circulation océanographique globale.

Le suivi de l’augmentation de la température de l’océan et des autres facteurs susceptibles d’éroder les glaciers constitue donc une priorité afin de caractériser les états de base mal connus[12], d’évaluer les changements et les vulnérabilités en attachant une importance particulière aux interactions entre la côte et le large, les glaciers et les océans, etc.

 

B.  La recherche polaire est à l’origine d’innovations technologiques et biomédicales majeures

Les régions polaires sont des régions hostiles, soumises à des conditions climatiques extrêmes et difficiles d’accès. Comme l’a indiqué Marie-Noëlle Houssais, leur exploration exige la levée de verrous technologiques liés à la disponibilité en énergie, à l’automatisation, à l’autonomie des capteurs ou encore aux technologies de communication. La question de la maîtrise des coûts constitue également un défi à relever afin de pouvoir déployer ces technologies en grand nombre. La recherche polaire est donc un terrain privilégié pour les avancées technologiques et les bénéfices de ces avancées s’étendent bien au-delà des régions polaires.

Par ailleurs, le Protocole de Madrid interdit toute dégradation de l’environnement antarctique et soumet toute activité ‑ dont l’activité scientifique ‑ à une étude d’impact environnemental préalable. Afin de respecter cette contrainte, le développement de technologies est indispensable, que ce soit pour réduire l’empreinte écologique des infrastructures scientifiques (installations de panneaux solaires et d’éoliennes, gestion des eaux usées dans les stations, etc.) et pour limiter les effets nocifs des expérimentations menées dans le cadre de l’observation des animaux. À cet égard, Yan Ropert-Coudert a montré que les enjeux sont doubles : ne pas faire souffrir les animaux et éviter de mesurer des paramètres qui seraient faussés par la démarche scientifique.

Yvon Le Maho a rappelé que les chercheurs français ont été pionniers dans l’utilisation de puces RFID pour la radioidentification des animaux dans leur milieu naturel. Pesant moins d’un gramme, car ne contenant pas de batterie, ces étiquettes électroniques peuvent être implantées sous la peau des manchots, et, contrairement au baguage à l’aileron utilisé jusque-là, n’entraînent pas de gêne hydrodynamique. C’est ainsi qu’ont pu être mis en évidence les effets désastreux de la gêne hydrodynamique provoquée par le baguage sur la reproduction et la survie des adultes et des poussins. Des antennes ont été installées dans le sol afin de pouvoir lire les informations contenues dans les puces sans perturber les animaux.

Yan Ropert-Coudert a présenté la révolution technologique que représente le bio-logging, à la fois pour le suivi des animaux mais également pour d’autres secteurs scientifiques et régaliens.

L’équipement des animaux avec des appareils enregistreurs miniatures (biologging) permet de les suivre dans leurs déplacements, de reconstituer leur activité et d’obtenir des informations sur divers paramètres. Étendu à plusieurs espèces clés, le biologging fournit des informations sur leur localisation et les zones dans lesquelles ils se nourrissent, ce qui permet d’identifier les zones écologiquement riches en proies variées et donc importantes à protéger. Il constitue un outil indispensable pour la définition des aires marines protégées.

Le bio-logging permet d’utiliser certains prédateurs (tels que les éléphants de mer) comme plateformes océanographiques. En effet, compte tenu des immenses distances parcourues par ces animaux et de leur capacité à plonger jusqu’à 2 000 mètres, ils permettent le recueil d’informations sur la température, la salinité de l’eau, la concentration en chlorophylle ou l’état des ressources trophiques intermédiaires (poissons, krill). D’après Yan Ropert‑Coudert, 80 % des profils océanographiques au sud des 60° sont échantillonnés par les phoques austraux.

Il a également évoqué l’équipement d’oiseaux et de mammifères avec des appareils capables de lire et transmettre via satellite les informations des balises AIS[13] des bateaux, ce qui permet de connaître l’identité et la position des navires et ainsi de détecter les activités de pêche illégales dans l’océan Austral.

Enfin, Yvon Le Maho a cité les grandes innovations technologiques qui, depuis 40 ans, ont permis de suivre les animaux sans les perturber, en commençant par le suivi Argos démarré dans les Terres australes et antarctiques françaises en 1990 jusqu’à l’utilisation récente de la robotique[14] et de l’intelligence artificielle pour collecter et traiter les informations stockées par l’animal dans les bio-loggers[15],  en passant par la pesée automatique des animaux.

 

Yvon Le Maho a insisté sur le rôle de la recherche polaire dans le développement d’innovations biomédicales et a cité comme exemple la sphéniscine. Les manchots royaux mâles assurent généralement la dernière phase de l’incubation. À l’éclosion, ils se sont avérés capables de nourrir leur progéniture avec de la nourriture stockée dans leur estomac lorsque la femelle, partie chercher de la nourriture à l’arrivée du mâle après lui avoir transmis l’œuf, n’est pas revenue à temps. La nourriture régurgitée par le mâle n’a pas été digérée et est restée intacte en dépit d’une température interne de 38°C. Sa conservation s’explique au moins en partie par la présence d’un peptide dans l’estomac du manchot qui, après analyse, s’est avéré efficace contre les agents de certaines maladies nosocomiales telles que l’aspergillose et le staphylocoque doré. La sphéniscine pourrait se substituer aux antibiotiques, face à une antibiorésistance croissante des agents des maladies nosocomiales et à la mauvaise efficacité des antibiotiques en milieu salin (c’est le cas notamment pour les infections oculaires et la mucoviscidose). La sphéniscine pourrait être également utilisée pour la conservation des aliments.

Yvon Le Maho a précisé que les milieux polaires constituaient un domaine de recherche privilégié pour le biomimétisme.

C.  La recherche polaire contribue de manière décisive à l’obervation et à la defense de la biodiversité

Charles Giusti a rappelé que l’Antarctique et le Subantarctique sont des territoires sans population permanente, préservés des impacts directs de l’activité humaine et isolés.  Ils constituent des patrimoines naturels exceptionnels qui abritent une biodiversité unique comportant beaucoup d’espèces endémiques qui ont su s’adapter à des conditions extrêmes mais qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique.

Yan Ropert‑Coudert a ajouté que si les régions tropicales concentrent la biodiversité la plus riche, c’est au niveau des pôles que la vitesse d’apparition des espèces est la plus forte. À ce titre, ils constituent des zones particulièrement importantes pour la biodiversité au niveau mondial. À l’occasion de l’année internationale polaire de 2007/2008 a été lancé un programme de recherche[16] sur cinq ans visant à recenser la biodiversité marine dans l’Antarctique. Plusieurs campagnes océanographiques ont permis de collecter des informations inestimables, puisque 9 000 espèces ont été dénombrées dont 600 espèces ignorées jusqu’alors. Ces informations ont été compilées sous forme de cartes dans l’Atlas biogéographique de l’Antarctique, issu d’une collaboration essentiellement franco-australienne.

Charles Giusti a expliqué qu’afin de protéger ces écosystèmes à la fois uniques mais menacés, la réserve naturelle nationale des Terres australes françaises a été créée en 2016. Elle est classée au patrimoine de l’humanité depuis 2019 et sera étendue d’ici 2022 à l’intégralité des zones économiques exclusives des trois districts de Kerguelen, Crozet, Amsterdam : elle représentera alors une superficie de 1,6 million de km2, soit 20 % de tous les espaces maritimes français.

 

D.  La recherche polaire offre des outils précieux d’aide à la décision politique

Comme l’a fait remarquer Sabine Lavorel, la recherche polaire en sciences juridiques et politiques porte sur des thématiques stratégiques telles que les enjeux géopolitiques ou les enjeux liés à la protection de l’environnement. Ces recherches dépassent souvent les seuls enjeux liés aux régions polaires et offrent aux décideurs politiques une base scientifique utile pour la prise de décision.

Sabine Lavorel a décrit plusieurs thèmes abordés par la recherche polaire :

– l’analyse des coopérations internationales, qui s’effectue à travers des organisations régionales, des forums, des comités spécifiques dans lesquels la France est souvent impliquée. Le positionnement des acteurs dans ces coopérations, leur influence et les jeux d’alliance entre les États mais également avec les organisations non gouvernementales font l’objet d’études. La diplomatie polaire, à l’instar d’autres diplomaties sectorielles comme la diplomatie environnementale ou la diplomatie scientifique, est devenue un instrument privilégié par certains États pour influencer les relations internationales en leur faveur par des moyens autres que coercitifs (politique du « soft power ») et pour renforcer la légitimité de leur action internationale ;

– l’analyse de la gouvernance des pôles : à travers cette question se pose le problème plus général de la gestion des biens communs, c’est-à-dire des espaces non appropriés qu’il faut gérer collectivement dans le but de les préserver et de les pérenniser (forêts, rivières, atmosphère). Ces questions rejoignent celles ayant trait à la gouvernance des espaces, comme l’espace extra-atmosphérique, qui vont constituer de nouvelles frontières ;

– l’analyse des enjeux de puissance autour des pôles : l’ouverture de nouvelles voies maritimes dans l’océan Arctique et un accès facilité aux ressources minérales du Grand Nord entraînent la résurgence de tensions internationales. En Antarctique, de nouvelles puissances telles que la Chine émergent, qui n’étaient pas traditionnellement des puissances polaires et qui pourraient chercher à remettre en cause le fonctionnement multilatéral du Traité sur l’Antarctique ;

– l’analyse des enjeux de défense et de coopérations militaires : le Traité sur l’Antarctique interdit toute présence militaire mais cette région devient une zone stratégique pour les intérêts de défense, notamment à travers la résurgence de la rhétorique sur l’axe indo-pacifique[17].

Les recherches sur la protection de l’environnement se sont fortement développées à la fin des années 1980 et au début des années 1990, au moment de l’adoption du Protocole de Madrid. L’apparition de nouveaux risques environnementaux au cours des dernières décennies a entraîné un renouvellement de ces recherches qui concluent à l’insuffisance des dispositifs juridiques actuels face aux nouveaux risques. Ainsi, le risque climatique n’est pas couvert par le Traité sur l’Antarctique, ce qui pose la question de la protection de l’Antarctique contre le réchauffement climatique et du forum pertinent pour soulever ces questions.

Les recherches portent également sur les mécanismes à mettre en place afin de pouvoir engager la responsabilité aussi bien des États que des opérateurs privés à l’origine de graves destructions de l’environnement polaire, sujet particulièrement d’actualité en Arctique. Plus généralement, les juristes s’interrogent sur les possibles voies de régulation des activités humaines en train de se développer dans les pôles et dont l’impact sur l’environnement pourrait être dramatique si elles n’étaient pas réglementées. Les activités touristiques sont particulièrement visées, mais également la bio-prospection ou encore la géo-ingénierie.

Enfin, l’essor des activités d’extraction et le changement climatique ont des répercussions particulièrement néfastes sur des sociétés humaines qui avaient su pendant des millénaires conserver ces environnements fragiles intacts. Alexandra Lavrillier a rappelé qu’environ 100 millions de personnes étaient concernés, en tenant compte de l’Arctique et du Subarctique, dont 110 peuples autochtones. Les chercheurs s’intéressent donc aux mécanismes juridiques nécessaires pour protéger les droits et les modes de vie spécifiques des populations autochtones. Au-delà des peuples de l’Arctique, ces recherches posent la question de principe de la protection des droits des peuples autochtones, quel que soit le continent sur lequel ils vivent.

 

III.  La France, une grande nation polaire en train de se faire distancer

A.  La France a longtemps fait partie des grandes nations polaires scientifiques

La France dispose d’atouts considérables pour faire partie des grandes nations polaires.

Forte d’une tradition d’exploration[18] et d’expédition dans les régions de hautes latitudes, la France s’est affirmée au cours des trois derniers siècles comme une nation polaire guidée par un idéal universaliste de la connaissance scientifique.

Olivier Poivre d’Arvor a rappelé le nom de quelques explorateurs français célèbres : Yves Joseph de Kerguelen, qui découvrit en 1772 ce qui sera appelé plus tard l’archipel des Kerguelen ; Jules Dumont d’Urville, qui fut le premier à aborder le continent antarctique en janvier 1840 et donna le nom de sa femme à la terre qu’il découvre, la Terre Adélie ; Jean-Baptiste Charcot, qui monta la première expédition scientifique française en Antarctique en 1904, mais explora également l’Arctique, notamment la côte orientale du Groenland.

 

Jérôme Chappellaz a rappelé que la France dispose d’implantations scientifiques dans les deux hémisphères, même si ses moyens sont essentiellement concentrés dans l’océan Austral et en Antarctique.

En Arctique, elle partage avec l’Allemagne une station de recherche scientifique dans l’archipel du Svalbard sous souveraineté norvégienne, qui lui permet de participer en tant qu’observateur au Conseil de l’Arctique. Elle dispose également de la station Jean Corbel.

Dans l’océan Austral, la France s’appuie sur les îles subantarctiques australes françaises sous administration des TAAF (archipel Crozet, archipel des Kerguelen, îles Amsterdam et Saint‑Paul). L’IPEV dispose d’une quarantaine de refuges dans lesquels les chercheurs peuvent se déployer, mais également de laboratoires dans les stations de recherche gérées par les TAAF.

En Antarctique, la France dispose de deux stations scientifiques : la station Dumont d’Urville située sur l’île des Pétrels et, depuis 2005, la station Concordia installée à 3233 mètres d’altitude et opérée conjointement avec l’Italie. Comme l’a fait remarquer Roberta Mecozzi, la France et l’Italie font partie des quatre nations, avec la Russie et les États-Unis, à disposer d’une station permanente sur le plateau antarctique.

 

La recherche française se place parmi les premières au niveau mondial, comme en témoignent les chiffres avancés par Charles Giusti : premier rang pour la production d’articles scientifiques sur le Subantarctique, cinquième rang pour la production d’articles scientifiques sur l’Antarctique et deuxième rang pour les index de citation des articles.

Alexandra Lavrillier a expliqué que la recherche française en sciences sociales et humaines subarctiques et arctiques a une très longue tradition en anthropologie, en linguistique, en littérature, en géographie humaine, en histoire, en archéologie, et cela depuis le 19e siècle[19]. Elle a dressé une liste non exhaustive des nombreux domaines de recherche dans lesquels la recherche française se distingue au niveau international :

‑ les aspects socio-culturels de l’urbanisation, des pollutions, des micro/macroéconomies, des paysages, du tourisme, des risques, de la santé ;

‑ les langues, les religions, les sociétés anciennes, les changements culturels, les technologies autochtones, les arts, la littérature, l’éducation, la jeunesse ;

‑ les adaptations au changement climatique, les savoirs écologiques autochtones, la géopolitique, le droit environnemental et les droits autochtones.

Olivier Poivre d’Arvor a rappelé le rôle pionnier de la France dans la recherche sur la cryosphère : dès les années 80, le glaciologue Claude Lorius, en coopération avec des scientifiques à l’époque soviétiques, a mesuré les effets du changement climatique grâce à des opérations de carottage autour de la base soviétique de Vostok.

La recherche française peut s’appuyer sur des bases de données  anciennes inestimables. Comme l’a souligné Yan Ropert-Coudert, la France peut s’enorgueillir de disposer depuis 1952 d’un suivi de la population de manchots empereurs de la Terre Adélie qui permet à la fois de visualiser les changements drastiques qui affectent cette population, mais également de faire des simulations en croisant cette base de données avec les scénarios du GIEC.

Marie-Noëlle Houssais s’est félicitée qu’à travers le programme SURVOSTRAL[20], la France dispose de la plus longue série temporelle des variations saisonnières et interannuelles de certains paramètres physiques dans l’océan Austral.

L’excellence de la recherche française s’exprime également par son implication dans de nombreux partenariats internationaux dont Jérôme Chappellaz a dressé une liste non exhaustive :

– en Arctique : outre la station du Svalbard, unité mixte internationale de recherche TAKUVIK gérée par le CNRS avec le Canada ; accords bilatéraux, essentiellement signés à l’échelle des laboratoires de recherche, impliquant la Fédération de Russie, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Canada et les États-Unis ;

– en Antarctique : partenariats historiques avec l’Italie à travers la station de recherche Concordia et avec l’Agence spatiale européenne ; étroite collaboration avec l’Australie pour des échanges de services.

La coopération internationale scientifique est promue expressément par le Traité sur l’Antarctique. Elle permet également de partager les frais considérables liés à la construction et l’entretien des infrastructures entre plusieurs partenaires (logique de « transnational access »).

B.  La France est en train de se faire distancer faute de moyens suffisants et de stratégie globale

Néanmoins, l’audition publique a clairement montré que la recherche française polaire n’a plus les moyens de ses ambitions.

La recherche en milieu polaire est particulièrement dépendante d’une logistique performante. En effet, les régions polaires sont des territoires isolés géographiquement, difficiles d’accès, soumis à des conditions climatiques extrêmes. L’acheminement des scientifiques et du matériel, leur approvisionnement ainsi que l’entretien des bases exigent des moyens humains spécialisés, des moyens financiers et techniques à la fois considérables, mais également indispensables pour permettre aux chercheurs d’effectuer correctement leur travail.

En France, l’IPEV est en charge des infrastructures et de la logistique en lien avec l’administration des Terres australes et antarctiques françaises[21] et la Flotte océanique française gérée par l’Ifremer. Toutefois, son budget  16 millions d’euros annuels  apparaît complètement sous-évalué. Olivier Poivre d’Arvor l’a comparé au budget de la commune de Perros‑Guirec ‑ qui compte 7 000 habitants ‑ et a rappelé qu’il était l’équivalent d’un peu moins de 1,5 char Leclerc.

Les comparaisons internationales[22] confirment l’inadéquation du budget de l’IPEV à ses missions.

Ainsi, le budget de l’agence italienne ENEA-UTA[23] s’élève à 23 millions d’euros (18 millions si l’on extrait le financement dédié aux laboratoires italiens afin de mieux le comparer au budget de l’IPEV qui ne finance pas la recherche menée au sein des laboratoires en métropole, mais uniquement celle sur le terrain polaire). Toutefois, Roberta Mecozzi a précisé que ce budget ne comprend pas le coût des 40 personnels de l’ENEA‑UTA, tous mis à disposition gratuitement par les organismes de recherche, alors que les dépenses en personnel représentent 4,2 millions d’euros dans le budget de l’IPEV.

La comparaison du budget de l’IPEV avec le budget du service logistique de l’Alfred Wegener Institute (AWI)[24] pour les missions polaires (53 millions d’euros) et le budget de l’Australian Antarctic Division (AAD)[25] (88 millions d’euros) confirme le décrochage de la France qu’Olivier Poivre d’Arvor a résumé avec la formule suivante : « le travail de positionnement relatif de la France en termes de financement et d’investissement doit être précisé. Cependant, je crois pouvoir m’autoriser à dire que nous ne sommes plus dans la cour des moyens mais que nous sommes désormais dans la cour des petits… ».

En outre, il existe un décalage croissant entre le budget de l’IPEV et l’étendue de ses missions. Pour illustrer ce constat, Jérôme Chappellaz a rappelé qu’au cours des 15 dernières années, l’Institut polaire français a dû gérer l’ouverture de la station Concordia et s’impliquer davantage en Arctique à la demande du ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur à la suite de l’année polaire internationale 2007‑2008. De fait, le nombre de scientifiques déployés sur le terrain a été multiplié par quatre. En parallèle, l’IPEV a perdu 10 postes qui, jusque-là, avaient été mis à disposition par le CNRS.

En dépit d’un budget particulièrement contraint, l’IPEV a réussi à déployer 320 scientifiques en 2019, pour un coût qui semble deux à trois fois inférieur à celui de ses partenaires italien et australien[26]. Néanmoins, cette optimisation des moyens atteint ses limites.

D’abord, elle aboutit à une infraction régulière aux règles du droit du travail appliquées aux personnels contractuels sur le terrain[27] qui peuvent accumuler 20 à 30 heures supplémentaires par semaine non rémunérées.

Ensuite, le budget de fonctionnement de l’IPEV n’offre pas assez de marge de manœuvre en cas d’imprévu.

Enfin, avec un budget d’investissement de deux millions d’euros par an, l’IPEV est dans l’incapacité de financer des investissements pourtant indispensables compte tenu de la vétusté de certaines installations, de la nécessité de réduire leur impact environnemental et du développement des technologies[28]. L’exemple de la station Dumont d’Urville est éclairant. Construite en 1956, elle était alors la vitrine internationale de la France. Elle est désormais vieillissante. Charles Giusti a rappelé que le rapport de l’Office de 2007[29] déplorait déjà sa vétusté et plaidait pour « disposer d’une station conforme à notre rang et non une suite désorganisée de bâtiments délabrés ». Quatorze ans plus tard, l’IPEV a certes mené des travaux de maintenance a minima de la station, mais sa rénovation n’a toujours pas été actée. L’IPEV et les TAAF ont chiffré le projet de rénovation à l’horizon 2050[30] de la station Dumont d’Urville : 70 millions d’euros sont nécessaires, dont 40 millions d’euros pour les cinq prochaines années.

À terme, les contraintes budgétaires imposées à l’IPEV pourraient remettre en cause les partenariats historiques noués entre la France et d’autres grandes nations polaires comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Australie. 

Jérôme Chappellaz a indiqué que le 27 février dernier, les ministres français et italien de la recherche avaient signé une déclaration d’intention sur la rénovation de la station Concordia, construite en 1995. Son coût est évalué à 20 millions d’euros, soit une dépense de 10 millions d’euros pour la France que l’IPEV est actuellement incapable d’assurer.

Kim Ellis a souligné l’étroite collaboration entre la France et l’Australie en Antarctique. Facilitée par la proximité géographique des stations Casey et Dumont d’Urville et par la souveraineté partagée sur le plateau des Kerguelen, elle s’est transformée en une coopération politique durable à l’origine du Protocole sur la protection environnementale du Traité sur l’Antarctique, de la mise en place de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique et, plus récemment, de la définition d’aires marines protégées. La coopération franco-australienne est particulièrement développée dans le domaine de la logistique et repose sur un soutien mutuel pour les ravitaillements et l’utilisation par l’IPEV du port d’Hobart pour le ravitaillement des bases Dumont d’Urville et Concordia. Les investissements massifs consentis par les Australiens dans un nouveau brise-glace offrent de nouvelles perspectives de coopération pour la France à travers le montage de campagnes océanographiques dans l’Antarctique. Toutefois, elles ont un coût qui, là encore, dépasse les capacités financières actuelles de l’IPEV.

 

Olivier Lefort a expliqué que la flotte océanographique française fait partie des trois premières flottes océanographiques européennes et des cinq premières flottes mondiales. Composée notamment de quatre navires hauturiers (dont le Marion Dufresne, propriété des TAAF mais qui est sous‑affrété 217 jours par an par l’Ifremer pour réaliser des missions océanographiques principalement au nord de l’océan Austral), elle ne comporte pas de brise-glace permettant de réaliser des campagnes océanographiques dans les zones polaires. En effet, le brise-glace L’Astrolabe, propriété des TAAF, s’il assure 120 jours par an les rotations logistiques entre Hobart et Dumont-d’Urville sous autorité d’emploi de l’IPEV, exerce le reste du temps des missions de souveraineté dans les espaces maritimes des Terres australes (Crozet, Kerguelen et Saint-Paul et Amsterdam) et des îles Éparses. Il n’a pas d’activité de recherche marine en zone polaire.

L’absence de brise-glace de recherche fait de la France une exception par rapport à d’autres nations polaires comparables telles que l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni ou l’Australie.

Olivier Lefort a évoqué les pistes envisagées pour pallier cette difficulté.

En Arctique, il a reconnu que la flotte française ne dispose pas actuellement de moyens océanographiques adaptés et que seules quelques campagnes d’été vers le Groenland et le Spitzberg peuvent être menées. Il a cependant estimé que la diversité de la flotte océanographique française permet d’envisager des échanges de temps de navire avec le Canada. Un partenariat entre l’Ifremer et l’université de Laval est ainsi en cours de finalisation : les Canadiens profiteraient des navires océanographiques français en Atlantique nord et la communauté de recherche française accéderait au brise-glace canadien Amundsen pendant deux ou trois semaines par an maximum.

Il a également évoqué l’Ocean Fleet Exchange Group (OFEG), dispositif d’échange de temps entre la France, l’Allemagne, la Grande‑Bretagne, les Pays-Bas, la Norvège et l’Espagne, qui permettrait en théorie d’accéder aux brise-glaces allemand Maria S Merian et norvégien Kronprins Haakon. Il a toutefois estimé que ce dispositif serait de portée limitée, du fait du faible volume de jours historiquement échangé avec ces deux pays.

En ce qui concerne l’Antarctique, il a estimé qu’il n’existe pas de réelle alternative. Il a expliqué que le brise-glace de croisière Commandant Charcot en train d’être construit par la société Ponant et qu’elle propose de mettre à disposition de scientifiques n’offre pas, en pratique, de possibilité de réaliser des missions scientifiques significatives. Il a également évoqué l’éventualité d’un partenariat avec l’AWI ou l’AAD pour utiliser leurs brise‑glaces mais l’accès à ces navires pour un mois de campagne océanographique par an représente un budget d’affrètement de 2 à 3 millions d’euros, actuellement hors de portée pour l’Ifremer.

Jérôme Chappellaz a également mentionné la possibilité d’utiliser L’Astrolabe à des fins de recherche océanographique. Deux conditions doivent être remplies : l’équiper en apparaux scientifiques, mais surtout accroître le temps d’utilisation de L’Astrolabe dévolu aux missions scientifiques dans l’Antarctique. Cela implique en corollaire, pendant ce laps de temps, de fournir aux TAAF un autre navire pour réaliser les missions de souveraineté dans l’océan Indien.

Plusieurs scientifiques ont jugé les solutions alternatives à court et moyen termes, à budget constant, comme des solutions d’opportunités épisodiques qui ne permettent pas une recherche ambitieuse.

À plus long terme, Olivier Lefort a rappelé que le renouvellement de la flotte océanographique française à l’horizon 2030 pourrait être l’occasion de réfléchir à l’insertion d’un brise-glace de recherche dans la flotte française. Il a souligné la variation du prix des navires en fonction de leurs caractéristiques techniques et de leur instrumentation scientifique : 50 millions d’euros pour L’Astrolabe contre 340 millions d’euros pour le brise-glace australien Nuyina.

 

Le sous-dimensionnement des moyens logistiques attribués à la recherche française polaire est étroitement lié à l’absence d’une stratégie globale arrêtée au plus haut niveau de l’État et qui fixerait les priorités de la France pour les quinze prochaines années.

Jérôme Chappellaz s’est félicité que pour la première fois, un ministre en exercice[31] se soit rendu en Antarctique en novembre 2019. Toutefois, cette visite ne s’est pas traduite par une augmentation  des financements dédiés à la recherche en milieu polaire.

L’audition publique a montré que tous les grands partenaires de la France avaient arrêté un tel plan pluriannuel définissant les objectifs à atteindre et les investissements à réaliser, qu’il s’agisse de la construction d’un nouvel aérodrome pour l’Italie et l’Australie ou de la commande d’un nouveau brise-glace pour l’Australie et l’Allemagne. Olivier Poivre d’Arvor a indiqué que le président de la République lui avait confié l’élaboration d’une stratégie nationale de la recherche en milieu polaire. Il a estimé qu’elle devra s’appuyer sur des moyens renforcés, qu’il a évalués de l’ordre de 15 à 20 millions supplémentaires par an.

L’absence de stratégie nationale a également des répercussions négatives sur le financement de la recherche.

Jérôme Chappellaz a constaté que les financements pour la recherche en milieu polaire étaient assez disparates tout en insistant sur le rôle fondamental des financements européens.

Plusieurs chercheurs ont rappelé que seuls des investissements à long terme s’appuyant sur des postes permanents dans les grands instituts de recherche permettent de financer les longues séries temporelles. Yvon Le Maho a insisté sur le soutien capital des fondations.

La situation semble particulièrement critique dans le domaine des sciences humaines et sociales. Alexandra Lavrillier a constaté un engouement croissant pour ces disciplines de la part des étudiants, qui se heurte à l’absence de postes de chercheur à pourvoir. Le rapprochement unanimement souhaité entre les sciences humaines et sociales et les sciences environnementales nécessite un soutien financier à des réseaux multidisciplinaires.

Sabine Lavorel a regretté le peu de visibilité de la recherche française en droit et en sciences politiques dans les pôles en l’absence de laboratoire de recherche dédié à ces thématiques. Au niveau international, la participation de scientifiques français à des groupes de travail est limitée faute d’un nombre suffisant de chercheurs spécialisés dans ces disciplines, ce qui affaiblit ainsi le poids de la France dans la préparation de décisions stratégiques.

 

IV.  Les recommandations : insuffler une nouvelle dynamique à la recherche française en milieu polaire  

Cette audition publique a rappelé que les pôles sont au cœur d’enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux décisifs pour l’avenir de notre planète. La recherche scientifique en milieu polaire est fondamentale à double titre. Non seulement elle joue un rôle clé dans la compréhension des enjeux mentionnés précédemment, mais elle est la condition nécessaire pour participer à la gouvernance des pôles. Aussi, au‑delà de son impact négatif sur le maintien de l’excellence de la recherche française en milieu polaire, le décrochage de la France par rapport aux autres nations polaires fragilise le rôle que souhaite jouer notre pays à la fois dans la protection environnementale des pôles et dans la défense de ses intérêts stratégiques.

Les propositions avancées, dont certaines ont été exprimées lors de l’audition publique, poursuivent trois objectifs : renforcer les moyens logistiques et financiers de la recherche française en milieu polaire, intensifier les coopérations européennes et internationales, définir une stratégie polaire nationale ambitieuse à la hauteur de l’intérêt de la France pour les pôles.

– augmenter considérablement les moyens humains[32] et doubler les moyens financiers de l’IPEV pour lui permettre de faire face aux frais opérationnels récurrents et de financer les coopérations bilatérales ;

– assurer le financement des investissements structurants (rénovation des stations Dumont d’Urville et Concordia, siège de l’IPEV à Brest, refuges subantarctiques, etc.) avec un haut niveau d’exigence environnementale ;

– renforcer les moyens océanographiques de la recherche française en milieu polaire : à court terme, financer le renforcement des partenariats avec l’Alfred Wegener Institute et l’Australian Antarctic Division afin de pouvoir utiliser leurs brise-glaces, voire s’appuyer sur le navire L’Astrolabe ; à moyen terme, envisager la construction d’un navire à capacité glace[33], le cas échéant en partenariat avec un autre État, afin de pouvoir réaliser des campagnes océanographiques dans l’océan Austral, en Antarctique et en Arctique ;

– accroître les financements accordés à la recherche française polaire en sciences humaines et sociales pour améliorer sa visibilité aussi bien au niveau national qu’international et développer les collaborations avec d’autres disciplines scientifiques ;

– soutenir financièrement la participation d’autochtones arctiques et subarctiques à la recherche française.

 

– inciter l’Union européenne à inscrire certaines infrastructures françaises polaires dans la feuille de route stratégique[34] recensant les priorités d’investissement dans les infrastructures de  recherche européennes pour les 10 à 20 prochaines années. Cette labellisation permettrait de les valoriser en échange de services et d’un ticket modérateur pour leur usage par d’autres nations ;

– renforcer les partenariats bilatéraux et l’échange de services afin de permettre aux chercheurs français d’accéder à des infrastructures importantes (brise-glace, stations en Arctique, etc.) à des coûts raisonnables ;

– porter des projets internationaux ambitieux sur des sujets sociétaux majeurs, tels que l’évaluation de la contribution de l’Arctique et de l’Antarctique de l’Est à l’élévation future du niveau des mers ou la préservation de la biodiversité et la mise en place d’aires marines protégées.

 

– définir les intérêts et la stratégie de la France en Arctique, en Antarctique et dans l’océan Austral ;

– arrêter un plan d’action pour la recherche française en milieu polaire pour les quinze prochaines années ;

– donner un signal fort de l’engagement scientifique de la France en Antarctique lors de la présidence française de la Réunion consultative du Traité sur l’Antarctique en juin 2021 en présentant, à cette occasion, le plan de financement de la rénovation de la station Dumont d’Urville ;

– avoir une stratégie d’influence pour renforcer la protection de l’Arctique et de l’Antarctique.

 


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TRAVAUX DE L’OFFICE

 

I.  Compte rendu de l’audition publique du 6 mai 2021

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Merci à tous d’être présents pour cette rencontre organisée autour de deux tables rondes consacrées à un thème majeur pour notre temps : la recherche en milieu polaire. La recherche et les activités scientifiques en milieu polaire sont des sujets de forte actualité, en particulier dans le contexte actuel de grandes tensions autour des questions climatiques et de biodiversité. Il y a quelques jours, lors d’une réunion parlementaire, nous avons échangé avec Heidi Sevestre, glaciologue, qui nous a parlé de son expédition dans les terres du Grand Nord où il est possible d’observer de façon tangible les dérèglements climatiques, et même plus fortement qu’au moment du montage de son expédition. Quelques mois plus tôt, Yvon Le Maho, spécialiste de la biodiversité à l’Académie des sciences, avait insisté sur l’opportunité d’organiser des travaux sur la biodiversité et le milieu polaire alors que la France s’apprête à présider, en juin 2021, la 43e Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique (RCTA) et la 23e réunion de la Convention sur la protection de l’environnement antarctique mise en place par le Protocole de Madrid de 1991, à l’initiative de la France et de l’Australie, afin d’ajouter un volet environnemental au Traité sur l’Antarctique.

La France a été à la pointe de l’étude et de l’exploration des terres du Grand Nord et du Grand Sud. De grandes expéditions y ont été organisées au début du XIXe siècle par Dumont d’Urville, l’un de nos grands héros nationaux. Cette tradition doit aujourd’hui être soutenue dans l’intérêt de la science mais aussi dans l’intérêt de la France.

C’est un sujet que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a déjà porté dans le passé. En 2007, il a publié un rapport sur la place de la France dans les enjeux internationaux de recherche en milieu polaire. Des auditions publiques ont également été organisées en 2007, 2008 et 2011. Le rapport précité avait été établi par le sénateur Christian Gaudin mais des travaux importants avaient également été conduits par Claude Birraux, parlementaire ayant largement contribué aux travaux et au rayonnement de l’OPECST.

C’est donc avec beaucoup de fierté que j’ouvre cette matinée au cours de laquelle nous aurons l’occasion de revenir sur les enjeux de la recherche polaire au travers de deux tables rondes. Pour animer ces échanges, j’aurai à mes côtés Gérard Longuet, sénateur de la Meuse et premier vice‑président de l’Office, ainsi que nos deux rapporteures, Huguette Tiegna, députée du Lot, et Angèle Préville, sénatrice du Lot.

Pour démarrer nos travaux, je vais céder la parole à Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur des pôles, que je remercie chaleureusement d’avoir accepté notre invitation.

M. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes. – Mesdames et Messieurs les parlementaires, merci à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques de me donner l’occasion de passer cette matinée parmi vous pour évoquer des sujets loin d’être mineurs ou périphériques, alors que les consciences sont sensibilisées par les conséquences de la crise sanitaire qui nous font comprendre la fragilité de ce monde, car c’est bien de la fragilité de ce monde dont nous parlent les pôles.

Lorsque Jules Dumont d’Urville découvre l’Antarctique en 1840, il découvre un continent unique, inexploré. Près de 200 ans après, ces territoires sont encore largement inexplorés. Dans le domaine polaire, la France a joué longtemps dans la cour des grands avec de grandes aventures personnelles au travers des figures de Charcot, de Dumont d’Urville et de Kerguelen. En Antarctique, les Français ont été suffisamment présents pour revendiquer une partie du continent, la Terre Adélie, qui a été une fierté et représenté une forme de souveraineté jusqu’à ce que, dans une période extrêmement critique, en pleine guerre froide, le monde entier se réunisse et décide en 1959 de mettre en place une gouvernance unique au monde. Cette gouvernance consiste à renoncer aux demandes de souveraineté déposées par divers pays (Australie, Argentine, Afrique du Sud, etc.) au profit d’une forme de cogestion ou de copropriété dans laquelle personne ne revendique une part de l’Antarctique.

L’Antarctique est un continent grand comme l’Europe, entouré d’un océan – l’océan Austral – tandis que l’Arctique est un océan entouré de pays, lesquels sont membres du Conseil de l’Arctique. Au‑delà de ces éléments géographiques, d’autres caractéristiques les différencient. En Antarctique, après le traité qui consacre l’idée d’un moratoire sur ces terres, une autre évolution est intervenue. Michel Rocard, qui fut ambassadeur des pôles, claqua la porte d’une réunion des signataires du Traité sur l’Antarctique, en 1989, lorsqu’il y apprit des projets d’extraction minière. Il décide alors, avec le premier ministre australien Robert Hawke, de proposer aux autres parties prenantes la mise en place du Protocole de Madrid dont nous fêterons les 30 ans le 23 juin prochain et qui consacre l’Antarctique comme une terre de paix et de sciences. Au Nord, la gouvernance de l’Arctique est bien différente : il y existe un Conseil de l’Arctique qui fêtera prochainement ses 25 ans et qui réunit les huit grandes nations arctiques (Fédération de Russie, États‑Unis, Canada, Islande, Norvège, Suède, Finlande et Danemark). Au sein de ce conseil, siègent également des observateurs, dont la France. Outre ces différences de gouvernance, d’autres particularités marquent chacun de ces territoires : l’Arctique est peuplé de près de 4 millions d’habitants tandis que l’Antarctique est inhabité, si ce n’est la présence ponctuelle de 700 à 1 000 chercheurs.

Les pôles sont majeurs car ils nous donnent des informations sur l’état du monde. Des Français, dont le glaciologue Claude Lorius, en coopération avec des scientifiques russes, ont mesuré les effets du changement climatique dans les années 1980 grâce à des opérations de carottage. Les pôles nous apportent d’autres témoignages au travers de la désagrégation du pergélisol et de la fonte de la banquise, phénomènes qui entrainent une élévation du niveau de la mer menaçant non seulement des îles fragiles du Pacifique mais au‑delà, l’ensemble des espaces littoraux et des côtes du monde entier.

La France porte un intérêt marqué aux pôles. Elle a ainsi créé une ambassade des pôles en 2009 dont Michel Rocard est devenu le premier ambassadeur, suivi par Ségolène Royal en 2016. J’ai l’honneur de leur succéder avec une mission élargie aux enjeux maritimes. Le monde entier est mobilisé sur le sujet des pôles, notamment l’Australie, le Royaume‑Uni, les pays européens mais aussi la Chine qui se présente aujourd’hui comme une nation quasi arctique. Cependant, la France est passée de la cour des grands à la cour des pays moyens. Je reviens de Russie où j’ai rencontré des représentants de grands centres scientifiques et j’ai pu mesurer à quel point nous avons perdu du terrain au cours des dernières années. Nous devons maintenant le regagner en commençant par définir notre stratégie polaire. Le Président de la République m’a confié cette tâche mais l’élaboration de cette stratégie sera aussi élaborée en concertation avec un groupe d’experts et de scientifiques.

Notre stratégie polaire nationale visera à mettre en avant nos avantages, dont les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et une flotte océanographique importante, afin d’être plus présents en Arctique en intensifiant nos échanges avec des pays comme le Canada, les États‑Unis et la Russie. Cette stratégie doit aussi imaginer ce que représenteront les pôles dans 30 ans, en termes de souveraineté et de gouvernance, car il faudra repenser le Protocole de Madrid à cette échéance. Cette réflexion devra englober les sujets de défense et de sécurité car l’Arctique est habité par de grandes puissances (OTAN, États‑Unis, Russie) qui se font face tandis que la Chine n’est pas loin. Les perspectives seront également économiques car l’Arctique représente 20 % du PIB russe avec les hydrocarbures, le gaz naturel liquéfié et le pétrole, mais aussi les terres rares. Cette stratégie devra par ailleurs embrasser les sujets scientifiques. Notre recherche est certes de grande qualité mais il faut lui donner des moyens supplémentaires, de l’ordre de 15 à 20 millions d’euros, ce qui est peu de choses mais qui fait défaut. J’ai beaucoup d’admiration pour celles et ceux qui prendront la parole dans un instant car je sais qu’ils travaillent finalement avec très peu de moyens. Cette stratégie nationale devra également s’intéresser au changement climatique. Alors que la France est très impliquée sur ces sujets depuis 2015, nous avons la volonté de continuer à nous positionner en tant que pays leader sur un agenda de protection de l’environnement. Lors de la réunion du Traité sur l’Antarctique que la France a l’honneur de présider cette année, nous proposerons la création d’aires marines protégées en Antarctique, en collaboration avec les Européens et avec le représentant américain John Kerry, mais il nous reste à convaincre les Russes et les Chinois, réticents car représentés par leurs agences de pêche. Nous espérons toutefois qu’un accord sera trouvé car l’année 2021 y sera propice avec la COP 15 biodiversité en Chine, la COP 26 climat à Glasgow et une forte mobilisation parlementaire et citoyenne. Dans ce domaine, le soutien des parlementaires sera essentiel et nous espérons que vous accepterez de nous accorder les quelques dizaines de millions d’euros dont nous avons tant besoin pour soutenir notre stratégie et faire en sorte que la France redevienne une grande nation polaire.

 

Première table ronde

La recherche polaire, une recherche fortement dépendante de la qualité de la logistique mise à son service et de la coopération internationale

Présidence de Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure

 

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Les pôles regorgent d’une biodiversité incroyable qui passionne les chercheurs et les observateurs, mais la recherche en milieu polaire est très dépendante d’une logistique performante. En effet, les régions polaires sont des territoires isolés géographiquement, difficiles d’accès, soumis à des conditions climatiques extrêmes. L’acheminement des scientifiques et du matériel mais aussi l’approvisionnement et l’entretien des bases exigent des moyens humains spécialisés ainsi que des moyens financiers et techniques pour permettre aux chercheurs d’effectuer correctement leur travail. En France, plusieurs entités sont responsables des opérations logistiques en milieu polaire : l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor (IPEV), les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et la Flotte océanographique française. Nous avons invité ces différents opérateurs pour comprendre leurs rôles respectifs et leur articulation au service de la recherche. Par ailleurs, si les opérations de logistique relèvent de la souveraineté nationale, leur coût et leur technicité incitent à développer des partenariats avec d’autres pays. Parmi les États avec lesquels la France a noué d’importantes collaborations, figurent l’Australie, l’Allemagne et l’Italie. Nous sommes donc particulièrement heureux que les responsables des opérations logistiques de ces trois pays aient accepté de participer à cette audition publique. Ils nous décriront les coopérations en cours et nous permettront ainsi de comparer les moyens logistiques que leurs États mettent en œuvre au service de la recherche polaire avec ceux dont disposent les chercheurs français.

Je vous propose sans plus tarder d’entrer dans le vif du sujet et j’invite Jérôme Chapellaz, directeur de l’IPEV et directeur de recherche au CNRS, à prendre la parole.

M. Jérôme Chappellaz, directeur de l’Institut polaire français PaulÉmile Victor (IPEV), directeur de recherche au CNRS. – L’Institut polaire français est l’opérateur national au service de la science aux pôles. C’est un groupement d’intérêt public créé en 1992, son siège est à Brest. Son conseil comprend huit administrateurs représentant l’État (ministère de la recherche et de l’innovation, ministère des affaires étrangères), la recherche (CNRS, CEA, CNES, Ifremer et Météo France) et une collectivité (les Terres australes et antarctiques françaises). L’IPEV emploie 40 personnels permanents et 120 contractuels saisonniers. Notre budget annuel est de 16 millions d’euros.

Nos missions consistent à sélectionner des projets de recherche, entre 70 et 80 chaque année. Nous gérons également les infrastructures et la logistique et nous organisons les expéditions. En 2019, nous avons déployé 320 scientifiques sur le terrain pour un total de 36 000 personnes x jour en comptant à la fois les personnels scientifiques et techniques.

En Arctique, notre principal atout est la station de recherche franco‑allemande AWIPEV. Nous opérons également la station Corbel. Par ailleurs, la France est fortement investie dans une unité mixte internationale de recherche appelée Takuvik, gérée par le CNRS avec le Canada. Nous avons un certain nombre d’accords bilatéraux, essentiellement signés à l’échelle des laboratoires de recherche, impliquant la Fédération de Russie, la Norvège, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Canada et les États‑Unis.

Les principaux atouts français se situent néanmoins dans l’hémisphère Sud. L’Institut polaire gère une quarantaine de refuges dans les îles subantarctiques (archipel Crozet, archipel des Kerguelen, îles Amsterdam et Saint‑Paul) où les chercheurs peuvent se déployer, mais également des laboratoires localisés dans les stations de recherche gérées par les Terres australes et antarctiques françaises. En Antarctique, nous gérons la station Dumont d’Urville, située sur l’île des Pétrels à 5 kilomètres de la côte, à proximité du rocher du débarquement où Jules Dumont d’Urville a été le premier homme à mettre le pied sur le continent antarctique en janvier 1840. Nous opérons aussi la station Concordia, créée en 2005, située à 1 100 kilomètres à l’intérieur des terres et à 3 200 mètres d’altitude et gérée à parité de moyens avec l’Italie.

Pour rallier ces stations, trois moyens sont nécessaires : des moyens maritimes, des moyens terrestres et des moyens aériens. Le navire ravitailleur L’Astrolabe est opérationnel depuis 2017. Il présente la particularité d’être la propriété des Terres australes et antarctiques françaises, d’être armé par la Marine nationale mais sous l’autorité d’emploi de l’IPEV 120 jours par an, d’octobre à mars, de manière à assurer des missions de ravitaillement de l’Antarctique. L’Astrolabe part de Hobart en Tasmanie pour rejoindre la station Dumont d’Urville, soit 2 700 kilomètres de navigation dans l’océan le plus agité du monde. Avec ce navire, nous assurons cinq rotations par campagne australe pour transporter le personnel ainsi que le matériel nécessaire aux opérations.

Des convois terrestres lourds, avec tracteurs et caravanes, sont aussi programmés entre les stations Dumont d’Urville et Concordia, au nombre de trois convois par campagne d’été pour apporter du matériel. Pour amener le personnel vers la station Concordia, nous utilisons principalement des avions équipés de skis qui sont gérés, pour l’essentiel, par l’Italie depuis la station côtière Mario Zucchelli ou par l’Australie depuis la station côtière Casey.

Les financements pour la recherche en milieu polaire sont assez disparates. En ce qui concerne la recherche scientifique en Arctique, notre institut contribue à son financement de même que l’Agence nationale de la recherche qui apporte des financements importants aux laboratoires, notamment au travers du Belmont Forum. Des organismes de recherche et des universités financent également des projets. Enfin, les projets européens constituent un atout très important pour la recherche française en milieu arctique.

En Antarctique, nous avons des partenariats historiques avec l’Italie, à travers la station de recherche Concordia, mais aussi avec l’Agence spatiale européenne, également à Concordia, où nous opérons de la recherche en sciences humaines en anticipation des futures missions spatiales habitées à destination de la Lune et de Mars. La recherche française est financée à travers un grand nombre de projets européens. Nous avons noué avec l’Australie des partenariats étroits : nous organisons des échanges de services chaque année et nous œuvrons pour une montée en puissance de nos coopérations, à la fois dans le domaine scientifique et dans le domaine des opérations logistiques.

Les ministres français et italien de la recherche se sont rencontrés le 27 février 2020 à l’occasion du sommet France‑Italie à Naples. À cette occasion, les ministres ont signé une déclaration d’intention sur la station Concordia, visant à la moderniser mais aussi à l’ouvrir davantage à l’Europe dans une logique de transnational access et avec l’objectif d’encourager les échanges de services entre l’Arctique et l’Antarctique.

Quelles sont les ambitions que la France peut afficher en Arctique ? Notre objectif y est de renforcer les partenariats bilatéraux pour ancrer la science française sur les infrastructures des nations possessionnées. Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française, parlera notamment de la possibilité d’utiliser les moyens maritimes du Canada et de son brise‑glace Amundsen. Parallèlement, il est important de ne pas interrompre l’investissement français au Svalbard, qui est protégé par le traité éponyme signé en France en 1920 et qui est un lieu de fortes collaborations internationales. Enfin, il faut s’inscrire dans une démarche européenne, encourager le développement du transnational access et des échanges de services, qui sont des moyens relativement peu coûteux pour permettre à nos chercheurs d’accéder à des infrastructures importantes.

En Antarctique, le contexte est différent puisque nous y avons des moyens importants. Je tiens à souligner que la ministre de la recherche, Frédérique Vidal, s’est rendue à la station Concordia en novembre 2019. Elle a été la première ministre en exercice de la République française à se rendre sur le continent blanc. Alors que la France préside cette année la réunion du Traité sur l’Antarctique, notre ambition est de moderniser nos infrastructures de Dumont d’Urville et de Concordia avec un très haut niveau d’exigence environnementale. Nous souhaitons que la France soit équipée de moyens océanographiques récurrents, peut‑être en rehaussant le nombre de jours de disponibilité de L’Astrolabe pour la science ou en investissant dans un navire de façade dédié. En Antarctique, il conviendra, comme en Arctique, de développer le transnational access et de porter des projets internationaux ambitieux sur des sujets sociétaux majeurs, par exemple sur la contribution de l’Antarctique de l’Est à la montée future du niveau des mers, la biodiversité et la mise en place d’aires marines protégées.

Je terminerai ma présentation avec la question des moyens. Au cours des 15 dernières années, l’Institut polaire français a dû gérer l’ouverture de Concordia et l’augmentation des missions en Arctique à la demande du gouvernement à la suite de l’année polaire internationale 2007‑2008. De fait, le nombre de scientifiques déployés sur le terrain a été multiplié par quatre. En parallèle, nous avons subi une perte de 10 postes mis à disposition par le CNRS. Nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de compenser cette réduction de postes, même si notre budget était suffisant pour recruter du personnel, car nos emplois en propre sont plafonnés par la loi de finances. De plus, l’analyse comparative internationale montre que de nombreuses nations ayant un PIB comparable à celui de la France disposent de moyens beaucoup plus importants et continuent d’investir compte tenu des enjeux.

Je conclurai donc par cette expression d’Hervé Gaymard, ancien ministre des finances : « La France est une puissance polaire à l’épreuve de la réalité opérationnelle ». Nous comptons donc sur le soutien de l’OPECST pour défendre nos ambitions.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci pour cette intervention. Je vais maintenant passer la parole au préfet Charles Giusti, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises. Les TAAF sont une collectivité sui generis représentant l’autorité de l’État sur ces territoires. À ce titre, les TAAF sont responsables de la logistique et des infrastructures des principales stations de recherche dans les îles subantarctiques.

M. Charles Giusti, préfet, administrateur supérieur des TAAF. – Le Traité sur l’Antarctique dédie le continent à la science et le Protocole de Madrid en fait une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. La recherche est donc au cœur du Traité sur l’Antarctique. Ce dernier confie par ailleurs la gestion des activités humaines à la Réunion consultative du traité sur l’Antarctique (RCTA) qui regroupe 54 pays. Il opère une distinction entre les 29 États parties consultatives participant à la prise de décision et les 25 États ayant un statut d’observateur. Plus précisément, les parties consultatives sont les parties au traité dont l’intérêt et l’implication scientifique justifient qu’elles bénéficient de ce pouvoir décisionnel. Le droit d’un État à participer à la prise de décision repose donc sur sa présence et sur son investissement dans la recherche scientifique. Cette présence et cet investissement sont mesurés concrètement à partir du nombre de bases établies et du nombre d’expéditions.

La France se classe au premier rang mondial pour la production d’articles scientifiques sur le Subantarctique, au cinquième rang pour la production d’articles scientifiques sur l’Antarctique et au deuxième rang pour les index de citation des articles. La France peut donc s’enorgueillir de l’excellence de sa recherche, mais la question qui demeure est de savoir comment la France peut continuer à tenir son rang. Plutôt que de la laisser encore croquer son héritage, il convient aujourd’hui d’insuffler une nouvelle dynamique.

Sur le plan international, l’Antarctique compte 76 stations et bientôt 77 avec une station chinoise en cours de construction. Sur ces 76 stations, 16 sont opérées par 11 États européens. Les coopérations scientifiques sont essentiellement bilatérales et l’Union européenne intervient en ordre dispersé. Les membres de la Commission de la convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) ne sont pas tous membres de la RCTA. Il n’existe pas non plus de véritable stratégie de recherche mais l’Europe fournit en revanche des financements importants via les crédits du programme Horizon 2020, devenu Horizon Europe, en particulier à travers le projet EPICA (European Project for Ice Coring in Antarctica).

Dans ce contexte, il semblerait pertinent de mettre en place une stratégie européenne pour renforcer le soutien à la recherche européenne par le biais de leviers financiers mais aussi par le développement et la mutualisation des moyens. Un projet de brise‑glace européen a par exemple été envisagé dans le passé mais n’a jamais été mené à son terme. Il est important de donner à l’Union européenne une place en Antarctique puisque l’Europe est fer de lance dans la lutte contre le changement climatique.

Deux acteurs français interviennent en Antarctique et Subantarctique. Cette double présence avait pu troubler l’OPECST à l’occasion de son premier rapport de 2007 mais ces deux structures sont complémentaires. D’une part, l’Institut polaire français est l’opérateur de recherche. C’est une agence de moyens et de compétences au profit de la recherche. D’autre part, les Terres australes et antarctiques françaises représentent les compétences régaliennes (sécurité, protection des personnes, contrôle administratif des opérateurs) et jouent le rôle d’autorité nationale compétente en Antarctique selon le Protocole de Madrid. À ce titre, les TAAF doivent recueillir les déclarations des activités temporaires ou de faible impact sur l’environnement et délivrer les autorisations pour les activités plus importantes. Elles délivrent aussi des autorisations pour la manipulation des espèces en Antarctique.

La présence française en Antarctique doit relever trois enjeux : le soutien à la recherche, la logistique et l’exemplarité de la présence française sur ce territoire.

L’Antarctique et le Subantarctique sont des territoires sans population permanente, préservés des impacts directs de l’activité humaine. Ce sont aussi des patrimoines naturels exceptionnels. Pour ces raisons, ce sont des lieux privilégiés pour les observations scientifiques réalisées en matière de sciences du vivant et de sciences de la terre et de l’univers, mais ce sont également des observatoires de météorologie, de glaciologie, de chimie de l’atmosphère, et de suivi des populations animales et végétales. Ce sont des lieux décisifs pour améliorer la connaissance du fonctionnement de la planète. En ce qui concerne la France, le soutien à la recherche passe par l’Institut polaire français dans l’Antarctique et par l’Institut polaire français, l’Ifremer et le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) dans l’Arctique.

Au‑delà de la recherche, les Terres australes et antarctiques accueillent des activités stratégiques avec des observatoires du traité d’interdiction complète des essais nucléaires (OTICE), des stations de suivi satellitaire, notamment à Kerguelen, dans le cadre de Galileo.

Quels sont nos moyens maritimes ? Le navire Marion Dufresne se déploie dans le Subantarctique en partant de La Réunion. Ce bateau est utilisé pour un tiers de son temps pour des missions logistiques et pour deux tiers de son temps pour des missions océanographiques sous le contrôle de l’Ifremer. Le Marion Dufresne fait deux fois le tour du monde tous les ans. En Antarctique, L’Astrolabe est à la fois un navire de ravitaillement sous le contrôle de l’IPEV mais aussi un moyen de souveraineté pour le Subantarctique.

Quel rôle exemplaire devons‑nous jouer ? La présence française sur ces territoires se doit d’être exemplaire pour maîtriser l’impact environnemental des implantations et des activités humaines. C’est une vraie question de crédibilité vis‑à‑vis des autres pays compte tenu des engagements pris par la France pour la protection de l’environnement. Le rapport de l’OPECST de 2007 avait été assez sévère sur la station Dumont d’Urville en disant ceci : « située en terre Adélie dans la zone où s’exercent plus particulièrement les activités françaises en Antarctique, la base Dumont d’Urville est le symbole majeur de notre présence. Il est de notre devoir de disposer d’une station conforme à notre rang et non une suite désorganisée de bâtiments délabrés ». Ce propos un peu excessif doit être tempéré. La base Dumont d’Urville est la vitrine de la France, mais c’est une station vieillissante. Une rénovation apparaît donc nécessaire, à la fois en tant que station scientifique à part entière et en tant que base arrière logistique des projections maritimes et terrestres. Un projet de rénovation est lancé par l’IPEV, sur lequel nous avons choisi de conjuguer nos efforts. Ce projet à 2050 vise à répondre de manière concrète aux enjeux de protection de l’environnement tout en répondant aux besoins des chercheurs.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci Monsieur le Préfet pour cette présentation qui nous éclaire. Je vais passer la parole à Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française, pour évoquer les partenariats de la France dans le domaine logistique. En effet, la France ne dispose pas de brise‑glace capable de réaliser des campagnes océanographiques dans nos zones polaires et essaie de trouver des solutions alternatives avec d’autres États et des compagnies privées.

M. Olivier Lefort, directeur de la Flotte océanographique française, Ifremer. – Mon propos portera sur l’activité de la Flotte océanographique française qui intervient en complémentarité de ce que font l’État et l’IPEV. La Flotte océanographique ne réalise pas d’opérations logistiques mais est quasi exclusivement dédiée à la recherche marine.

La Flotte océanographique française est une flotte unifiée depuis 2018. Elle est l’une des trois premières flottes océanographiques en Europe et figure parmi les cinq premières flottes mondiales. Cette flotte est au service de l’ensemble de la communauté scientifique française.

La Flotte océanographique française donne accès à quatre navires hauturiers. Le premier d’entre eux est le Marion Dufresne qui est la propriété des TAAF et que nous sous‑affrétons 217 jours par an. Il permet de réaliser des activités de recherche marine, principalement dans l’océan Indien, mais aussi des activités de paléoclimatologie en mer de Chine ou au large du Brésil. Le deuxième navire de la flotte hauturière est le Pourquoi Pas ?, qui est un navire plurifonctionnel, cofinancé par la Marine nationale mais qui réalise des activités d’hydrographie. Il travaille principalement en Méditerranée et dans l’océan Atlantique, voire dans l’océan Indien. Le troisième navire est L’Atalante, qui est un navire très polyvalent en termes d’activités scientifiques. Il nous permet de déployer des programmes de recherche dans le Pacifique tous les quatre ans. Le dernier navire hauturier est le Thalassa, qui réalise des campagnes de recherche mais aussi d’appui aux politiques publiques, notamment pour l’évaluation des stocks halieutiques.

Deux navires semi‑hauturiers d’une quarantaine de mètres de long sont déployés en outre‑mer : le navire Alis qui se situe en Nouvelle‑Calédonie et qui réalise des missions côtières depuis la Polynésie jusqu’au Vietnam et le navire Antéa qui travaille davantage sur la zone intertropicale et dans les outre‑mer français. Antéa remplacera Alis en Nouvelle‑Calédonie en 2023.

Le dispositif regroupe également cinq navires côtiers et sept navires de station qui offrent des moyens aux équipes de recherche nationale autour de la métropole.

Enfin, la flotte est aussi l’opérateur de l’ensemble des moyens sous‑marins qui permettent d’intervenir sur le fonds, dans la colonne d’eau avec des drones sous‑marins ou des engins d’intervention plus profonds comme le sous‑marin habité Nautile ou le robot Victor qui peuvent descendre à plus de 6 000 mètres de profondeur.

La deuxième particularité de la flotte française est d’être multifonctionnelle. Elle est au service de la recherche scientifique et au service des missions d’intérêt public, mais elle travaille aussi en partenariat avec l’industrie, essentiellement dans le domaine des ressources minérales et énergétiques. Nous répondons aux besoins d’une communauté d’environ 3 000 chercheurs. Tous les ans, nous embarquons 1 500 personnes sur nos navires. Ces moyens permettent la publication de plus de 300 articles scientifiques de rang 1 par an.

Quels sont les moyens dont dispose l’Europe pour accéder aux zones polaires ?

Un rapport de 2019 indique qu’il existe huit brise‑glaces en Europe : trois brise‑glaces majeurs permettant de percer des profondeurs de glace très significatives (le Polarstern pour l’Allemagne, l’Oden pour la Suède et le Kronprins Haakon pour la Norvège), trois brise‑glaces permettant de briser des hauteurs de glace significatives (le Sir David Attenborough pour le Royaume‑Uni, le Laura Bassi pour l’Italie et L’Astrolabe pour la France) et deux autres navires qui peuvent franchir des glaces d’épaisseurs plus faibles. L’Astrolabe, contrairement aux autres navires, n’a pas d’activité de recherche marine en zone polaire.

En Arctique, à part quelques campagnes d’été vers le Groenland et le Spitzberg, la flotte française ne dispose pas de moyens et n’a pas réalisé beaucoup de campagnes. Un partenariat est cependant en cours de finalisation entre l’Ifremer et l’université Laval au Canada sous la forme d’un échange de temps de navire. Les Canadiens étaient à la recherche de grands navires océanographiques en Atlantique Nord et la communauté scientifique française recherchait un accès à des brise‑glaces. Nous espérons que les discussions en cours finiront par la signature d’un accord avec l’université Laval qui opère le brise‑glace Amundsen. Si cet accord est trouvé, la communauté scientifique française pourrait avoir accès à ce navire deux à trois semaines par an. Un autre partenariat – le partenariat OFEG (Ocean Fleet Exchange Group) – repose également sur un échange de temps de navire et nous permet en théorie d’accéder à un navire brise‑glace léger allemand, le Maria Sybilla Mérian et potentiellement au navire norvégien Kronprins Haakon. Cependant, ce dispositif est de portée limitée compte tenu du faible volume de jours historiquement échangé avec ces deux pays.

En Antarctique, la flotte océanographique est présente principalement au nord de l’océan Austral avec la présence du Marion Dufresne. Les solutions pour donner un accès à la recherche marine en Antarctique sont très limitées. La société Ponant construit un brise‑glace de croisière mais il n’offre pas la possibilité de réaliser des missions scientifiques significatives. Par ailleurs, le temps de L’Astrolabe dévolu actuellement à l’IPEV ne permet pas de réaliser des campagnes de recherche marine. Quant au Polar Pod, qui est en projet, il s’agit d’un flotteur dérivant et non d’un navire permettant de répondre à des besoins de recherche marine.

Je terminerai mon intervention par quelques perspectives. À court et moyen termes, en Arctique, une réponse pourra être apportée à travers le partenariat avec l’université Laval. La capacité de réponse soutenable financièrement est limitée à ce jour. En Antarctique, nous pensons que deux partenaires pourraient être approchés : l’Institut allemand Alfred Wegener et l’Australian Antarctic Division. Il existe une réelle proximité opérationnelle entre l’IPEV, l’Ifremer et ces deux organismes, mais accéder à leurs navires, ne serait‑ce qu’un mois par an, représenterait déjà un budget d’affrètement de 2 à 3 millions d’euros, dont ne dispose pas l’Ifremer. À plus long terme, la Flotte océanographique française doit se renouveler à l’horizon 2030. Si un brise‑glace doit s’insérer dans la flotte, cette réflexion devra être menée dans le cadre du Plan Moyen Terme (PMT) dont la réflexion commencera aux alentours de 2025 et qui sera élaboré en concertation avec les TAAF et la Marine nationale.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci pour cette présentation. Je cède à présent la parole à Kim Ellis, directeur de l’Australian Antarctic Division (AAD). L’AAD constitue un partenaire important pour l’IPEV, par le biais d’échanges de services logistiques.

M. Kim Ellis, directeur de l’Australian Antarctic Division (AAD). – Merci beaucoup de me donner l’occasion de prendre la parole et d’évoquer la longue collaboration entre la France et l’Australie ainsi qu’entre l’AAD et l’IPEV.

Au tournant du XIXe et du XXe siècle, l’Australie a entrepris une activité d’exploration très importante en Antarctique, suivie par l’implantation de bases et le développement d’activités de recherche. La stratégie australienne en Antarctique, déclinée dans un plan d’action établi en 2016 pour une période de 20 ans, pose le constat de l’intérêt stratégique de l’Antarctique pour l’Australie et réaffirme qu’il s’agit d’une frontière au sud importante pour notre pays. Il est donc prévu d’augmenter considérablement notre rôle et nos investissements alors même que nous souhaitons renforcer le Traité sur l’Antarctique et son effectivité. Nous voulons également continuer à conduire une recherche scientifique parmi les plus renommées au monde, mais aussi intensifier nos efforts dans la protection de l’environnement de l’Antarctique compte tenu de l’impact direct de toute modification de l’écosystème antarctique sur les activités et la vie en Australie. Il nous faut également développer et protéger nos opportunités économiques à long terme dans l’océan Austral. Cette stratégie nous a conduits à mettre en place un programme de leadership et de modernisation pour renforcer notre rôle au sein du Traité sur l’Antarctique et développer notre recherche scientifique en investissant dans de nouvelles infrastructures et en renforçant la place de Hobart comme l’un des ports majeurs vers l’Antarctique.

Nous maintenons un lien étroit avec le territoire australien antarctique à travers nos bases de Mawson, Casey et Davis ainsi que notre aérodrome à Wilkins. La proximité entre Casey et les bases Dumont d’Urville et Concordia crée un lien fort entre la France et l’Australie en termes de collaborations scientifiques mais aussi en termes de collaborations logistiques. Au‑delà de ces collaborations, l’Australie a été à la tête d’un programme d’inspection très important jusqu’aux recoins les plus reculés de l’Antarctique oriental.

Les engagements financiers de l’Australie sont conséquents, à hauteur de 1,8 milliard d’euros supplémentaires sur vingt ans pour permettre l’entretien de nos installations et infrastructures mais aussi pour conduire de nouvelles missions scientifiques (70 millions d’euros sont prévus) et mener à bien notre projet d’aérodrome à Davis.

C’est du port d’Hobart ‑ où se trouve le siège de l’ADD ‑ que partent toutes nos opérations, qu’il s’agisse des expéditions navales ou aéroportées. Pour l’aérien, nous y opérons un réseau qui part de Hobart pour rejoindre l’aérodrome de Wilkins avec des avions qui peuvent ensuite rejoindre les installations de Casey et Davis mais aussi celles de Mawson. Pour ce qui est des opérations navales, celles‑ci partent de Hobart avant de traverser l’océan Austral pour rallier ensuite nos différentes bases. Dans une année classique, nos opérations commencent en octobre avec le déploiement aéroporté vers l’aérodrome de Wilkins, avant de poursuivre nos expéditions avec nos navires polaires. Sur une campagne annuelle, nous organisons quatre voyages de notre navire de recherche – le Nuyina –, 20 vols d’A319 et 6 vols de C17A pour le fret. Nous déployons environ 500 membres d’expédition vers nos différentes stations de recherche et réalisons une vingtaine de projets de recherche. En termes de logistique, cela représente la livraison de 3 millions de litres de fioul et de plus de 1 500 tonnes de fret. Ce niveau n’a pas pu être atteint en 2020 compte tenu de la pandémie mais nous espérons revenir à ces niveaux dans les années à venir.

Nos programmes de recherche scientifique en Antarctique portent sur trois domaines : la conservation marine, la protection de l’environnement et le climat.

La recherche sur la conservation marine se concentre sur l’océan Austral. Notre objectif est ici de de développer une recherche claire et diversifiée sur la vie sauvage, sur les ressources halieutiques et de cartographier la biologie de l’Antarctique. Nous menons aussi un programme de protection environnementale très robuste qui se décline autour de la conservation de la biodiversité et de l’évaluation des risques écologiques, en particulier liés à l’activité humaine en Antarctique. Il comprend des programmes de remédiation et de restauration environnementale. Enfin, nos recherches sur le climat couvrent la science atmosphérique, l’analyse des glaces et le niveau des mers et des banquises. Dans les années à venir, le carottage sera essentiel pour développer une connaissance du climat et identifier des moyens de résilience et d’adaptation.

Le développement de tous nos projets repose sur notre navire brise‑glace de recherche Nuyina. Actuellement localisé en mer du Nord pour réaliser des tests, nous espérons son arrivée à Hobart en octobre 2021. Ce navire représente un changement d’échelle dans le développement de nos projets scientifiques en Antarctique. Long de 116 mètres, il peut briser des épaisseurs de glace de deux mètres à une vitesse constante de 3 nœuds, ce qui en fait le brise‑glace de recherche et de logistique le plus puissant de l’hémisphère Sud. Il peut accueillir 117 passagers et transporter 1,9 million de tonnes de fioul et 20 000 tonnes de fret pour les besoins des stations. Il sera équipé d’instruments scientifiques particulièrement performants qui permettront de réaliser une recherche ambitieuse.

Nous avons par ailleurs le projet de développer un nouvel aérodrome à Davis. C’est un projet ambitieux puisque nous y envisageons la construction d’une piste en dur à proximité de la station. Cette nouvelle piste nous permettrait un accès permanent à l’Antarctique tout au long de l’année, ce qui facilitera nos opérations. Ainsi, nous pourrons organiser l’évacuation des personnels pendant toute l’année et développer des programmes de recherche supplémentaires. Depuis cette base, il sera aussi possible d’utiliser des drones et des ROV (remotely operated underwater vehicle) pour de nouvelles expéditions. Ce projet de nouvel aérodrome doit faire l’objet d’une approbation officielle en 2022.

Notre plan d’action inclut également de nouveaux moyens terrestres (dameuses, traîneaux). Notre coopération avec l’IPEV nous a permis de développer nos compétences dans la gestion des convois d’expéditions terrestres. Nous espérons pouvoir tester ces nouvelles capacités pour la saison 2021‑2022 avant de les déployer plus largement. Nous sommes en train de développer une route commune avec l’IPEV pour rejoindre le dôme C.

Avant de conclure mon propos, je souhaite insister sur la collaboration de longue date et couronnée de succès qui existe entre la France et l’Australie. Nous devons à nos deux pays la mise en place du Protocole sur la protection environnementale du Traité sur l’Antarctique sous l’impulsion de Michel Rocard et Robert Hawke. Nous devons aussi à nos deux pays la mise en place de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique. Plus récemment, nous avons travaillé sur le développement de zones marines protégées. À la suite des récentes annonces des Américains visant à soutenir cette initiative, nous espérons pouvoir faire aboutir notre projet en octobre prochain. Nous avons aussi mis en place un accord de soutien mutuel en matière de logistique et, depuis deux ans, nous nous entraidons pour ravitailler Dumont d’Urville et l’île Macquarie. Notre collaboration scientifique a également été renforcée, notamment dans le cadre du projet de carottage d’une glace de plus d’un million d’années. Nous avons par ailleurs accueilli un ingénieur français à Kingston et Hobart pendant six mois pour développer nos compétences en matière de carottage. Enfin, nous avons pu faciliter le transit d’expéditions françaises en toute sécurité depuis Hobart, en dépit de la pandémie. Cette collaboration est basée sur des valeurs partagées sur ce que représente l’Antarctique et sur des valeurs culturelles communes. Nous voulons donc continuer à faire prospérer nos collaborations avec l’IPEV pour lequel j’éprouve un profond respect.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci Monsieur Ellis, votre présentation souligne l’importance de la recherche en partenariat avec la France et d’autres pays. Je donne maintenant la parole à Monsieur Uwe Nixdorf, sous‑directeur de l’Institut Alfred Wegener. L’IPEV collabore activement avec cet institut, notamment en cogérant la station de recherche AWIPEV au Svalbard.

M. Uwe Nixdorf, sous-directeur de l’Institut Alfred Wegener (AWI). – Merci beaucoup de me donner l’opportunité de vous parler de l’Institut Alfred Wegener qui a été créé en 1980 à Bremerhaven. L’AWI est une fondation du secteur public qui regroupe 1 175 employés pour un budget de l’ordre de 150 millions d’euros par an. Nos financements sont entièrement publics. L’Institut Alfred Wegener a pour mission de donner une base scientifique robuste à la décision politique. Nous faisons partie de l’association Helmholtz qui regroupe 18 centres de recherche dans toute l’Allemagne. Notre mission est de développer des infrastructures marines, côtières et polaires pour soutenir la recherche. En tant que membre de l’association Helmholtz, nous devons nous assurer que les infrastructures dont nous avons la charge sont utilisées à 50 % par des organismes autres que l’AWI, au niveau national comme au niveau international. Les grandes infrastructures représentent la moitié de notre budget tandis que l’administration, l’informatique et la logistique représentent un tiers de notre personnel.

Notre navire, le Polarstern, a été mis en service en 1982. Nous avons donc besoin d’un nouveau navire brise‑glace. Au printemps 2020 s’est achevée la première étape de la procédure de renouvellement du navire. Désormais, l’AWI pilote le processus d’appel d’offres, sous le contrôle de notre ministère, qui devrait aboutir à ce qu’un nouveau brise‑glace soit opérationnel d’ici 2026.

Nous disposons aussi d’un réseau terre‑air en collaboration avec 10 nations entre Le Cap et la base russe Novo. En utilisant de plus petits aéronefs, nous pouvons rallier différentes stations. La France fait bien entendu partie de nos partenaires, notamment par le biais de la station polaire franco‑allemande au Spitzberg qui est en activité depuis presque 20 ans. Nous travaillons également en étroite collaboration avec la France dans le cadre du projet européen EPICA portant sur le carottage des glaces en Antarctique. L’objectif est de pouvoir identifier et étudier des glaces de plus de 1,5 million d’années. La nouvelle stratégie polaire de l’Allemagne à 2030 sera annoncée en mai 2021.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci. Pour clore cette première table ronde, je donne la parole à Madame Roberta Mecozzi, cheffe du service recherche, innovation, technologie et protection de l’environnement de l’Agence italienne pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable (ENEA). L’IPEV gère la station de recherche Concordia avec l’ENEA à parité de moyens.

Mme Roberta Mecozzi, Cheffe du service Recherche, Innovation, Technologie et Protection de l’environnement (RIA) à l’Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable (ENEA). – Le programme italien de recherche en Antarctique (PNRA) est contrôlé par le ministère de la Recherche qui le finance. Le PNRA fait intervenir trois acteurs : la Commission nationale de la recherche en Antarctique (CSNA) qui est une commission consultative du ministère chargée d’élaborer le plan triennal de stratégie et les priorités de recherche et de préparer les appels d’offres, le Conseil national de recherche (CNR) chargé de la coordination scientifique et l’Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable (ENEA‑UTA) chargée de la mise en œuvre et de la logistique des expéditions polaires en Antarctique.

Notre financement est stable depuis environ dix ans à hauteur de 23 millions d’euros, ce qui n’est pas tout à fait suffisant. Le coût du personnel de mission représente une large partie de ce budget. 20 % de notre budget est consacré au fonctionnement des stations antarctiques. Le soutien à la recherche en représente 7,84 %. La logistique représente 70 à 80 % du budget total. L’unité technique Antarctique chargée de l’organisation des expéditions regroupe 40 personnes de l’ENEA, mais le coût de ce personnel n’est pas compris dans le budget du PNRA. La loi italienne impose aux institutions de mettre leur personnel à disposition du programme. Sur la campagne 2019‑2020, 218 personnes (scientifiques et logisticiens) ont participé aux projets. Le rapport entre la partie scientifique et la partie logistique oscille entre 1 et 1,2.

Nos activités se déploient depuis Christchurch et Hobart avec des transports aériens pris en charge par l’Armée de l’air italienne. Nous pouvons aussi utiliser l’A319 de l’AAD. Nous disposons également d’un navire brise‑glace : le Laura Bassi. Depuis Christchurch, les avions intercontinentaux qui transportent le personnel et le matériel atterrissent sur une piste préparée sur la glace de mer. Cette piste est opérationnelle d’octobre à novembre en fonction des conditions météorologiques et de l’épaisseur de la glace. Nous comptabilisons une quinzaine de vols intercontinentaux vers Mario Zucchelli tous les ans. Nous apportons aussi notre soutien à d’autres programmes, notamment ceux de l’IPEV mais aussi aux programmes coréens et allemands du BGR. Nous échangeons enfin des services aériens avec les Américains.

Le PNRA dispose de deux à trois hélicoptères par saison. Nous sommes responsables des transferts aériens continentaux entre Dumont d’Urville, Concordia et Mario Zucchelli mais aussi entre Casey et Mac Murdo. Pour cela, nous utilisons deux avions.

En Antarctique, le PNRA dispose de deux stations : Mario Zucchelli et Terra Nova en mer de Ross. Cette dernière est uniquement ouverte l’été car elle n’a pas été conçue pour les hivernages. Elle peut héberger jusqu’à 100 personnes. Elle dispose d’une salle d’opération pour la prévision météorologique et fournit un support aux plongeurs avec notamment une chambre hyperbare. Nous y proposons aussi une aide pour les zones lointaines avec des guides alpins. Cette station a 36 ans et des rénovations y sont en cours, notamment pour économiser le fioul et réduire son impact sur l’environnement. 380 m2 de panneaux solaires ont été installés pour une puissance de 62 kW et prochainement de 90 kW. Nous y avons aussi mis en place des installations éoliennes pour une puissance de 34 kW.

Pour le support à la science, le système PAT (plate‑forme automatique télécontrôlée), système de générateur en cascade, permet d’alimenter les connexions Internet et les appareils effectuant les manipulations scientifiques lorsque la station est fermée. Malgré la crise Covid, le renouvellement des laboratoires a été achevé en 2020. Enfin, l’aquarium propose une infrastructure qui permet de maintenir en vie les espèces pêchées et de modifier les conditions de l’eau (température, gaz dissous). Cet aquarium dispose de plusieurs bassins et étuves permettant aux scientifiques de conduire leurs expériences.

Le projet de piste en dur de Boulder Clay a reçu un financement particulier d’un montant de 5,2 millions d’euros. Cette piste sera un atout car elle permettra une plus grande flexibilité et une meilleure fiabilité dans les déplacements. Actuellement, il nous est difficile d’organiser l’évacuation des personnels en milieu de saison lorsque la piste sur glace de mer n’est plus utilisable. Les vols doivent alors atterrir à la station américaine de Mac Murdo ou à Casey, mais l’utilisation de ces aérodromes est également limitée par la fonte des glaces. Avec cette nouvelle piste en dur, le calendrier des opérations ainsi que les possibilités de collaborations logistiques seront élargis.

Le PNRA utilise le brise‑glace Laura Bassi, ancien navire Ernest Shackleton, racheté au British Antarctic Survey en 2019. C’est un navire équipé pour la logistique et pour des campagnes océanographiques à raison de deux ou trois rotations par an. Il est aujourd’hui en bassin pour l’installation d’instruments scientifiques sous la coque.

La station Concordia est gérée par la France et l’Italie. C’est un exemple de coopération internationale. Ce partenariat nous permet d’être l’une des trois nations ayant une station permanente sur le plateau antarctique avec les Russes et les Américains. La France et l’Italie travaillent ensemble sur le dossier du renouvellement des installations logistiques et scientifiques de cette station. Le fonctionnement de Concordia est le symbole d’une coopération internationale basée sur la confiance, nécessaire pour faire de la science de bonne qualité. Trois comités gèrent Concordia : le comité directeur, le comité opérationnel et le conseil scientifique. Nous y avons un projet de rénovation des installations qui datent de 1995 mais aussi plusieurs défis technologiques à relever : la robotisation des installations, la mise à disposition de véhicules propres, le stockage de l’énergie, etc. Dans cette station, nous venons en appui à divers programmes internationaux dont EPICA, Ice Memory et BE‑OI coring. Ces collaborations se traduisent également par des échanges de soutiens logistiques pour le transport de personnels et de fret. Nous avons enfin lancé un appel à projets commun avec l’IPEV et l’ESA sur la biomédecine.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Merci beaucoup pour toutes ces interventions qui nous permettent de mieux comprendre le panorama de la recherche dans ces régions et l’organisation de la logistique dans les pôles. Les questions qui ont été abordées sont extrêmement importantes pour l’OPECST, mais plus globalement pour la France, l’Europe et le monde car les enjeux portent sur la lutte contre le changement climatique. Je retiens de toutes ces interventions qu’il existe des difficultés autour du financement de la recherche polaire et de la logistique. Je retiens également que la collaboration internationale est fructueuse aujourd’hui mais qu’elle doit encore être renforcée au regard des enjeux climatiques et écologiques dans les pôles.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Merci pour vos contributions très riches. Je commencerai par une question très directe sur les moyens mis à disposition par la France sur cette thématique. L’IPEV a un budget de 16 millions d’euros tandis que l’Institut Alfred Wegener évoque un budget de 150 millions d’euros. Je suppose que les périmètres ne sont pas les mêmes, mais cet écart de 1 à 10 peut nous interpeller. De même, notre collègue italienne a évoqué un projet moyen de 5 millions d’euros alors que notre collègue de l’Ifremer indique que certaines dépenses de 1 à 2 millions d’euros apparaissent hors de portée. Ces premiers chiffres doivent nous conduire à nous interroger.

M. Jérôme Chappellaz. – Le budget de l’Institut Alfred Wegener couvre en partie le budget consacré à la recherche scientifique, au‑delà des opérations logistiques. Le budget logistique est, à ma connaissance, de 53 millions d’euros.

M. Uwe Nixdorf. – Les coûts les plus importants sont du côté du navire Polarstern. Ils augmentent année après année, notamment en raison du prix des carburants. Le coût des opérations liées au Polarstern s’élève à 35 millions d’euros environ tandis que le coût des opérations pour les stations est de l’ordre de 14 millions d’euros par an. 50 % de notre budget est consacré à la logistique. 9 personnes restent en hivernage, 6 ingénieurs travaillent sur nos aéronefs polaires et sur leur affrètement pour un coût d’environ 3 millions d’euros par an. Nous avons de plus petits navires côtiers de la mer du Nord au Svalbard pour un coût de 6 millions d’euros tandis que les autres navires représentent un budget autour de 2 millions d’euros. Je pourrai vous fournir des informations plus détaillées si vous le souhaitez.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Nous comprenons bien que ces chiffres couvrent des périmètres différents et il faut donc pondérer ces variations. Cela étant, j’ai le sentiment que la tension autour du financement est plus forte en France que chez nos voisins.

M. Jérôme Chappellaz. – Avec le préfet Giusti, nous avons préparé un tableau comparatif en vue de la rénovation et de la modernisation de la station Dumont d’Urville, dossier que nous allons soumettre au ministère de la Recherche et au ministère des Outre‑mer à la fin du mois. Ce tableau fournit les ordres de grandeur, à la fois sur les opérations et la logistique et sur les investissements d’infrastructures engagés par les principales nations impliquées dans ces recherches. Nous pourrons vous le faire parvenir.

M. Olivier Lefort. – Le budget annuel de la flotte océanographique française pour l’opération de 18 bateaux est d’environ 70 millions d’euros pour couvrir les frais de fonctionnement, les frais de personnel et les investissements courants. J’exclus ici les investissements longs. Nous ne pouvons pas comparer le Pourquoi Pas ? et le Polarstern car ils n’entrent pas dans la même gamme de navire. Le navire Polarstern ou encore le Sir David Attenborough coûtent 400 à 500 millions d’euros à comparer aux 100 millions d’euros du Pourquoi Pas ?. Les coûts journaliers du Pourquoi Pas ? sont de 30 000 à 40 000 euros, en fonction des équipements, au lieu de plus de 100 000 euros pour un grand brise‑glace.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Quel est le facteur moyen entre la flotte océanographique classique et les grands brise‑glaces ?

M. Olivier Lefort. – En coûts journaliers d’exploitation, c’est un facteur 2 et un facteur 4 pour le coût de construction du navire.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Que nous apprennent les comparaisons internationales ?

M. Olivier Lefort. – Les navires comparables à ceux de la Flotte océanographique française, qui ne sont pas des brise‑glaces, ont des coûts comparables, d’environ 30 à 40 000 euros par jour, pour les navires américains comme allemands. Six acteurs majeurs ont aujourd’hui des flottes hauturières en Europe : l’Allemagne, la Grande‑Bretagne, la France, l’Espagne, les Pays‑Bas et la Norvège. Un bateau océanographique a une durée de vie de 40 ans. L’âge moyen des grands navires européens est d’environ 20 ans aujourd’hui. La France figure parmi les premiers pays à avoir renouvelé sa flotte. En 2030, nous renouvellerons trois de nos quatre navires hauturiers. La flotte américaine est beaucoup plus âgée que la flotte européenne. Les Canadiens, par exemple, cherchent à renouveler le navire Amundsen qui a plus de 40 ans.

M. Jérôme Chappellaz. – L’Astrolabe construit en 2016 a coûté 50 millions d’euros. Nous continuons à le rembourser après avoir souscrit un prêt qui court jusqu’en 2036. Pour comparaison, le navire australien Nuyina a coûté 340 millions d’euros et le Sir David Attenborough 180 millions d’euros. Ce ne sont donc pas les mêmes montants mais ce ne sont pas non plus les mêmes capacités puisque ces deux navires, australien et anglais, ont de fortes capacités de pénétration dans la glace et sont équipés d’appareils scientifiques dont L’Astrolabe ne dispose pas.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Merci pour ces précisions chiffrées qui nous donnent à voir une réalité peut‑être cruelle.

M. Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les enjeux maritimes. – Le budget de l’IPEV correspond peu ou prou au budget de la commune de Perros‑Guirec qui compte 7 000 habitants, ou à un peu moins de 1,5 char Leclerc. Ces chiffres montrent que la France est distancée. Si nous additionnons les infrastructures, les équipes, les flottes, la recherche et les investissements, nous ne sommes pas à la hauteur de nos ambitions, d’autant que nous avons des territoires dans les terres antarctiques et australes. Rapportés au domaine sous notre souveraineté, nos coûts sont deux fois moins élevés qu’ils ne devraient l’être. Un rattrapage est donc nécessaire, en Antarctique comme en Arctique. Revenant de Russie, je peux témoigner que la France prend du retard car le gouvernement russe investit lourdement dans la nouvelle station Vostok. Des partenaires privés investissent également massivement, notamment Novatek qui est le partenaire de Total pour l’extraction de gaz naturel liquéfié en Russie. Novatek investit des dizaines de millions de dollars sur cette station.

Le travail de positionnement relatif de la France en termes de financement et d’investissement doit être précisé. Cependant, je crois pouvoir m’autoriser à dire que nous ne sommes plus dans la cour des moyens mais que nous sommes désormais dans la cour des petits…

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Merci Monsieur l’ambassadeur, cela a le mérite de la clarté.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – J’ai beaucoup apprécié cette image de Monsieur Poivre d’Arvor qui parlait d’un continent entouré d’océans pour évoquer l’Antarctique et d’un océan entouré de continents pour parler de l’Arctique. Manifestement, les continents qui entourent l’Arctique ont plus d’intérêts stratégiques sur l’évolution de cette zone que nous pouvons en avoir sur l’Antarctique, même si l’Antarctique est bien entendu passionnant. Cependant, les enjeux y sont moins immédiats. Aussi je souhaite savoir si la pression des pays voisins de l’Arctique (Russie, Canada, États‑Unis et l’Europe nordique) pèse sur la recherche que nous pouvons y conduire par rapport à celle qui est menée en Antarctique.

M. Olivier Poivre d’Arvor. – Nous ne sommes pas concernés par la gouvernance en Arctique mais nous y avons des intérêts économiques. Par exemple, Total est engagé dans un chantier gigantesque avec Novatek, première entreprise russe de gaz naturel liquéfié. Total y investit des dizaines de millions de dollars avec des retours importants sur deux grands chantiers qui sont Yamal LNG et Arctic LNG2.

Se pose également la question de la route maritime du Nord qui constitue un enjeu extrêmement important. Cette route est un grand chantier d’infrastructures. Les Russes ne détiennent pas tous les moyens pour le réaliser, on peut donc s’interroger sur une participation de la France à la construction de cette route, compte tenu des enjeux économiques colossaux en jeu.

En Antarctique, la situation est différente car le Traité sur l’Antarctique et le Protocole de Madrid définissent ce territoire comme une terre de paix et de science. Il faudrait donc tomber sur des dictateurs fous pour que cette gouvernance soit remise en question et que des projets d’extraction y soient conduits. Je pense que ces risques sont minimes. En revanche, 4 millions de personnes vivent en Arctique et les ressources y sont considérables en termes d’hydrocarbures. Par ailleurs, il ne faut pas faire preuve de naïveté. La France est fortement engagée dans la lutte contre le changement climatique, ce qui ne l’empêche pas de défendre ses intérêts économiques. Ainsi, une grande entreprise française comme Total participe au développement économique de l’Arctique tout en prenant des précautions extrêmes pour la préservation de l’environnement.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Quelle est la profondeur moyenne de l’océan Arctique ?

M. Uwe Nixdorf. – La profondeur moyenne est de 3 000 mètres, mais il y a une zone particulièrement riche en hydrocarbures.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Quels sont les enjeux de la route maritime du Nord ?

M. Olivier Poivre d’Arvor. – Cette nouvelle route maritime nécessite la construction d’énormes infrastructures. Les projets commencent à se mettre en place. Le droit de la mer fait que les Russes sont largement maîtres de cette route. Actuellement, elle ne sert pas au transport classique de marchandises avec des porte‑containers, car ce n’est pas la route la plus économique, mais elle peut le devenir en raison des conséquences du réchauffement climatique. Toutefois, elle ne sera pas empruntable complètement sur l’ensemble de l’année. Le gouvernement russe a confié à la société Rosatom le soin d’armer cette route pour que la navigation y soit possible environ 8 mois sur 12. Des infrastructures de ravitaillement seront nécessaires. Au‑delà des aspects économiques, ce projet conduit aussi à une remilitarisation très forte de l’Arctique.

M. Jérôme Chappellaz. – Si vous me le permettez, je souhaiterais réagir aux propos du sénateur Gérard Longuet. L’Antarctique est certes lointain et n’est peut‑être pas un enjeu aussi immédiat que l’Arctique mais le niveau futur des mers se joue en Antarctique. Or le niveau des mers concerne l’ensemble des sociétés. Deux tiers des humains vivent à moins de 100 kilomètres des côtes.

Par ailleurs, si le Traité sur l’Antarctique semble stable, il a été élaboré en 1959 dans un monde dominé par les pays occidentaux. Aujourd’hui, la Chine souhaite faire entendre sa voix.

M. Olivier Lefort. – Les campagnes de recherche en mer se font dans le cadre de la Convention de Montego Bay, c’est‑à‑dire que nous devons demander systématiquement des autorisations de travaux aux pays dans les eaux territoriales desquels nous évoluons. L’Arctique étant entouré de pays ayant des revendications fortes, l’un des problèmes qui se posera dans le futur sera peut‑être celui de l’obtention des autorisations de travaux, qui sont des enjeux géopolitiques majeurs. Nous en faisons déjà l’expérience aujourd’hui dans d’autres zones du monde. Ce sont des sujets sur lesquels nous sommes en contact avec le ministère des Affaires étrangères afin que la science soit appuyée par les autorités lorsqu’il s’agit d’obtenir des autorisations.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Des améliorations sont‑elles souhaitables en matière de coopération entre les pays ? Nous avons très peu parlé de l’Union européenne ce matin. Est‑ce un problème ?

Mme Roberta Mecozzi. – L’une des questions à résoudre concerne les aires marines protégées, notamment l’aire marine protégée de la mer de Ross pour laquelle le plan de gestion n’est pas encore approuvé en raison des fortes demandes de la Chine et de la Russie. Sur ces questions, les débats doivent se tenir au plus haut niveau des États. Dans le cadre de la CCAMLR, seuls les intérêts de la pêche sont défendus. Une action politique à un niveau plus élevé est donc nécessaire pour convaincre les parties prenantes, comme l’avait fait le président Obama qui avait pris position pour convaincre la Russie d’accepter la création d’une aire marine protégée en mer de Ross.

M. Olivier Poivre d’Arvor. – Sur la question qui vient d’être évoquée, nous sommes aujourd’hui au cœur d’une manœuvre diplomatique ambitieuse qui ressemble à celle initiée en 2016 par John Kerry, alors secrétaire d’État auprès de Barack Obama. La demande de classement des deux aires marines protégées, de l’Antarctique Est en face de la Terre Adélie, et de la mer de Weddell, est portée par l’Union européenne, relayée par l’Allemagne pour la mer de Weddell et par la France pour l’Antarctique Est. La chancelière Merkel et le président Macron ont maintes fois rappelé au président chinois, Xi Jinping, l’importance de ce classement, et encore il y a dix jours lors d’un appel téléphonique commun. C’est à la fois une démarche commune franco‑allemande et une démarche européenne. Mercredi dernier, le commissaire européen à l’environnement, à la pêche et aux affaires maritimes, Virginijus Sinkevičius, a organisé une réunion avec les ministres européens influents et John Kerry, qui a annoncé le soutien américain à cette initiative. Dans le contexte de tensions diplomatiques entre les États‑Unis, la Russie et la Chine, ce soutien américain n’est pas si facile à utiliser auprès des Russes et des Chinois, mais il reste néanmoins un élément important. La Nouvelle‑Zélande s’est également manifestée en faveur du projet, de même que l’Australie, soutien, depuis l’origine, du projet. À l’exception de la Russie et de la Chine, tous les pays présents à la CCAMLR ‑ commission qui, cela a été dit, définit les aires marines protégées ‑ sont en faveur du classement de cette zone de 4 millions de km2 en aire marine protégée, ce qui est considérable. Nous sommes en contact avec les Russes afin de pouvoir discuter directement avec le cabinet du président Poutine et non avec l’agence russe de la pêche. Si un accord est trouvé, il pourrait être annoncé en 2021, au moment de la COP 15 sur la biodiversité qui aura lieu en Chine. J’ajoute que les Russes ne pêchent pas dans les aires marines protégées dont il est question. S’ils se rallient à cette initiative, selon les informations que j’ai pu obtenir, les Chinois devraient suivre la position des Russes.

M. Uwe Nixdorf. – Les opérateurs nationaux en Arctique sont responsables de leurs efforts logistiques et scientifiques et doivent s’assurer que leurs opérations n’affectent pas l’environnement. Dans ce domaine, l’Union européenne n’a pas un grand rôle à jouer. En revanche, les États doivent veiller à ce que leurs opérateurs nationaux disposent des moyens suffisants pour mener à bien leurs missions. Kim Ellis a clairement montré que les sujets polaires sont traités au plus haut niveau en Australie et il devrait en être de même en Europe.

M. Kim Ellis. – Je souhaite vous livrer une opinion personnelle. La réussite des aires marines protégées repose sur deux éléments très importants : une surveillance très robuste de l’océan Austral et une volonté politique. Aujourd’hui, ce ne sont pas les décideurs politiques qui participent aux réunions. Or, c’est lorsque des responsables politiques de haut niveau sont présents que des engagements forts sont pris. Il faut donc continuer à soutenir la science pour que les décisions soient prises sur la base de données factuelles. Cela fait maintenant 8 ans que nous essayons de mettre en place ces aires marines protégées et c’est à long terme ce qui assurera la durabilité et la pérennité de la vie marine. C’est aussi ce qui permettra une pêche durable et la protection des ressources. Je recommanderai donc d’entrer activement dans ce débat afin de permettre à ces aires marines de voir le jour.

M. Philippe Bolo, député. – Je constate que les ravitaillements sont nombreux vers les bases de recherche. Cependant, vous n’avez rien précisé concernant le traitement des déchets.

M. Jérôme Chappellaz. – En Antarctique, l’Institut polaire français assure la récupération, le tri et le traitement des déchets, depuis le continent jusqu’en Australie pour le traitement de certains éléments, notamment les métaux. Les autres éléments sont rapatriés jusqu’en métropole pour qu’ils rejoignent les chaînes de traitement des déchets.

Cependant, nous ne traitons pas l’ensemble des déchets ; nous avons en particulier une difficulté majeure sur les eaux usées. À Dumont d’Urville, les eaux usées ne sont pas traitées et c’est un des enjeux du projet de modernisation. À l’inverse, nous sommes très avancés à Concordia avec un système de traitement des eaux usées qui a été développé en partenariat avec l’Agence spatiale européenne et 90 % des eaux grises produites à Concordia sont recyclées sur place.

M. Charles Giusti. – Je confirme ces propos. Il existe une politique générale dans les districts pour rapatrier l’essentiel des 3 000 tonnes de fret que nous acheminons en Subantarctique comme en Antarctique. Le tri des déchets effectué localement est extrêmement fin. Les déchets des TAAF sont ensuite rapatriés pour être pris en charge par des filières de recyclage à La Réunion. Les déchets non recyclables sont gérés sont à La Réunion, soit en métropole. L’un des enjeux est désormais d’aller plus loin en matière de traitement des déchets résiduels, alimentaires ou carton‑papier, avec des incinérations permettant de protéger au mieux l’atmosphère de ces territoires.

Je voudrais par ailleurs rappeler que la réserve naturelle des terres australes sera étendue d’ici 2022 à l’intégralité des zones économiques exclusives des trois districts, ce qui représente une superficie de 1,6 million de km2, soit 20 % de tous les espaces maritimes français.

M. Yan Ropert-Coudert. – Je souhaite rebondir sur la question de M. Bolo à propos de la pollution. Celle qui est acheminée jusqu’à ces terres est traitée, mais il faut aussi parler de la pollution apportée par les courants océaniques et par les courants aériens. C’est un autre enjeu majeur pour l’Antarctique qui est souvent décrit comme un continent vierge mais qui pourtant connaît aussi des problèmes de pollution au plastique et au PCB.

M. Olivier Poivre d’Arvor. – En Antarctique, il existe des acteurs très responsables, y compris d’ailleurs ceux du tourisme. Environ 70 000 visiteurs se rendent en Antarctique chaque année. C’est un domaine sur lequel nous devons cependant faire preuve de vigilance. Le vrai sujet de la pollution ne se situe pas là mais en Arctique où l’on observe une pollution radiologique très importante. En effet, deux anciens sous‑marins nucléaires russes ont été immergés. J’ai proposé une coopération aux Russes afin de trouver une solution à ce risque important de pollution radiologique.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Qui a le monopole de la logistique en matière de recherche dans les pôles ? Par ailleurs, au regard du réchauffement climatique et de la fonte précoce des glaces, comment sera‑t‑il possible de maintenir la vie sur les pôles ?

M. Jérôme Chappellaz. – Dans l’Arctique, ce sont avant tout les pays possessionnés qui sont à la manœuvre car ce sont eux qui disposent des moyens pour travailler dans ces régions, que ces moyens soient terrestres ou maritimes. Les autres pays qui montent dans le contexte arctique sont les pays d’Asie, au premier rang desquels se trouve la Chine, suivie par le Japon et par la Corée du Sud.

En Antarctique, l’idée est de s’affranchir du concept de monopole pour favoriser les collaborations internationales. C’est l’esprit même du Traité sur l’Antarctique. Nous faisons en sorte d’échanger au maximum nos services de manière à éviter les duplications et à gagner en efficacité. Par exemple, l’IPEV a ravitaillé cette année l’île australienne Macquarie pour éviter que les Australiens déploient leurs propres moyens à cette fin.

Cependant, en toile de fond, nous voyons la Chine qui implante des stations en Antarctique et qui est sur le point de construire une nouvelle station en mer de Ross. La Chine possède par ailleurs deux brise‑glaces et en construit un troisième. Ces signaux montrent que le paysage va probablement évoluer dans les prochaines années.

M. Uwe Nixdorf. – Je m’associe pleinement aux propos de Jérôme Chappellaz.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Je remercie l’ensemble des intervenants ayant participé à cette première table ronde.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je me joins à ces remerciements avec des interventions qui ont mis en lumière l’importance des coopérations entre pays.

 

Seconde table ronde

La recherche polaire, un rôle clé pour la compréhension des enjeux
de la planète

Présidence de Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure

 

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. Cette seconde table ronde est consacrée à la science en milieu polaire. Bien sûr, le milieu polaire est associé aux grandes épopées humaines comme celle de Jules Dumont d’Urville qui fut le premier à aborder l’Antarctique en 1840 ou encore celle de Roald Amundsen qui conquit le pôle Sud en 1911. Au‑delà de ce caractère mythique, ces régions mobilisent des scientifiques de toutes les disciplines car la recherche en milieu polaire est indispensable pour comprendre le réchauffement climatique. Les pôles sont des témoins lointains mais essentiels du réchauffement. Ils nous apprennent beaucoup de choses, mais ce sont aussi des acteurs indispensables de l’équilibre planétaire. C’est ce que vont nous montrer Catherine Ritz, spécialiste internationale des glaciers et Marie‑Noëlle Houssais, spécialiste des océans. Dans le domaine des sciences de la vie, les pôles abritent une biodiversité unique avec beaucoup d’espèces endémiques qui ont su s’adapter à des conditions extrêmes mais qui sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Yan Ropert‑Coudert et Yvon Le Maho nous expliqueront l’intérêt d’étudier les écosystèmes polaires et subpolaires, et notamment les retombées de cette recherche pour la médecine et l’industrie ainsi que le rôle pilote de cette recherche dans le développement d’instruments toujours plus sophistiqués pour étudier le comportement et le métabolisme des animaux. Enfin, de nombreuses disciplines liées aux sciences humaines et sociales s’intéressent au monde polaire telles que l’anthropologie et la sociologie, à travers l’étude des populations autochtones, ou encore le droit, compte tenu des enjeux liés au statut juridique de l’Arctique et de l’Antarctique ou du développement du droit des minorités. Alexandra Lavrillier et Sabine Lavorel témoigneront de l’implication des sciences humaines et sociales dans la recherche en milieu polaire.

Sans tarder davantage, je propose à Catherine Ritz, directrice de recherche au CNRS rattachée à l’Institut des Géosciences et de l’environnement (IGE) de Grenoble de prendre la parole. Vous avez obtenu le prix Seligman en 2020, prix international le plus prestigieux en glaciologie. Vous avez également été vice‑présidente du Comité scientifique sur la recherche antarctique (SCAR) et vous faites partie du bureau du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques.

Mme Catherine Ritz, directrice de recherche au CNRS rattachée à l’Institut des Géosciences et de l’environnement (IGE). – Les calottes glaciaires sont essentielles car elles sont des archives du climat mais aussi des éléments actifs du système climatique. Deux calottes glaciaires existent encore sur Terre : le Groenland et l’Antarctique. Dans mon propos, je me concentrerai sur l’Antarctique car c’est là que la science française est la plus impliquée, en particulier grâce à toutes les missions que l’IPEV nous aide à mener.

Chaque année, de la neige tombe sur la calotte glaciaire et ces couches de neige s’empilent, ce qui nous permet de disposer d’archives lorsque l’on fore en profondeur. Ces carottages nous aident à reconstituer le climat passé mais aussi à reconstituer l’atmosphère. Tous les projets de grands forages glaciaires ont été menés grâce à l’Europe.

La France est très réputée dans ce domaine depuis la grande collaboration franco‑russe sur les glaces de Vostok, mais les forages effectués dans le cadre du projet EPICA vont beaucoup plus loin. Sur ce projet, les carottages ont permis d’exploiter une glace vieille de 800 000 ans. Ces travaux sont l’occasion de collecter, entre autres, des informations sur la température car la composition de la glace donne accès à la température du site au cours du temps, mais ils fournissent aussi des informations sur la teneur en CO2 et en méthane car l’atmosphère est piégée dans les bulles de gaz. Nos enregistrements montrent ainsi que se sont succédé des périodes chaudes et froides avec des alternances de hautes valeurs et de basses valeurs pour les concentrations en méthane et en CO2. Ces enregistrements donnent aussi à voir le rôle amplificateur des gaz à effet de serre et montrent clairement que les valeurs actuelles sortent de la gamme observée dans le passé. Les quantités de CO2 dans les glaces les plus récentes représentent le double des quantités du passé et les quantités de méthane représentent le triple de la référence. En outre, les variations sont désormais plus rapides. Ces enregistrements permettent donc de comprendre les variations naturelles mais aussi l’impact de l’homme sur ces paramètres.

Notre nouveau projet vise à obtenir un enregistrement des glaces sur 1,5 million d’années. Cet historique nous est nécessaire car nous savons qu’un changement de rythme des variations a eu lieu il y a 1,2 million d’années et que nous sommes alors passés d’un cycle de 40 000 ans à un cycle de 100 000 ans. Avec ces nouvelles recherches, nous voulons comprendre pourquoi ce changement est intervenu et quel est le rôle des gaz à effet de serre dans ce changement. Pour mener à bien ces recherches, il nous faut trouver un endroit où forer pour accéder à ces archives. C’est le but du programme européen Beyond EPICA Oldest Ice qui vise à trouver un terrain où atteindre ces glaces très anciennes. Le défi est mondial et plusieurs équipes y participent mais le programme européen est peut‑être en avance sur les projets menés par d’autres équipes internationales.

Le programme Beyond EPICA Oldest Ice a conduit à mener une phase de reconnaissance en vue d’identifier le meilleur site. Le choix s’est porté sur un site situé à 35 kilomètres de Concordia. Les premières étapes de la reconnaissance ont été aéroportées et menées grâce à une collaboration avec les Australiens et l’université du Texas. Le site a été choisi en décembre 2019. Le camp est déjà monté mais les opérations de forage ont pris du retard en raison de la pandémie. Les opérations qui seront menées sur ce site devront bénéficier de la logistique et du soutien de la station Concordia.

Les calottes glaciaires jouent également un rôle dans le système climatique. Ces fonctions sont multiples mais je me focaliserai sur l’impact des calottes glaciaires au regard du niveau des mers. Il convient de souligner que l’Antarctique contient l’essentiel de la glace sur terre. À moins d’un changement climatique extrêmement important, mais qui n’est pas envisagé pour l’instant, seulement 20 mètres de niveau des mers sont mobilisables à l’échelle des prochains siècles ou millénaires.

Cela étant, l’observation satellitaire nous montre que le centre de l’Antarctique a fait l’objet d’un léger épaississement, de quelques centimètres de glace par an entre 2003 et 2019, tandis qu’un affaissement a été observé sur les côtes. Toutefois, au niveau global, la balance pèse du côté de l’affaissement et de la perte de masse pour l’équivalent d’un millimètre de niveau des mers par an, alors qu’il est observé globalement une variation de 3,5 millimètres. Ces données montrent que l’Antarctique contribue aujourd’hui à l’augmentation du niveau des mers.

Trois approches peuvent être utilisées pour prévoir les évolutions futures. La première est l’observation. Dans ce domaine, la France est impliquée dans des projets de l’Agence spatiale européenne et dans des projets du CNES. La deuxième approche passe par la modélisation. C’est ainsi que l’on peut estimer les possibilités de pertes de glace de l’Antarctique au cours du siècle. D’après le rapport du GIEC sur la cryosphère et l’océan, le scénario le plus probable est celui d’une contribution de l’Antarctique à l’élévation du niveau de la mer de 12 centimètres à la fin du siècle. Cependant, de grandes incertitudes perdurent et après 2100, le rapport du GIEC évoque une incertitude profonde. Selon le scénario climatique le plus extrême (85 centimètres de montée du niveau des mers en 2100), cette élévation du niveau des mers conduirait à ce que les inondations centennales surviennent tous les ans en Europe. Ces modélisations mettent en évidence que toute évolution en Antarctique pourra avoir des effets en Europe, même si le continent est très éloigné.

En Antarctique, on assiste à deux processus opposés : les précipitations augmentent avec la température, raison pour laquelle il est constaté un épaississement des couches de glace au centre ; les calottes marines sont instables et menacent les régions côtières. Sans entrer dans le détail de ces processus, il faut retenir que des mesures cruciales doivent être faites sur le terrain pour comprendre ces mécanismes adverses. Pour cela, nous devons nous intéresser à la façon dont s’organise l’accumulation de neige. Cependant, l’Antarctique est tellement immense que nos mesures sont éparpillées. De plus, il faut caractériser l’interface entre la glace et le socle rocheux car c’est ce qui gère le glissement de la glace. L’instabilité vient également de la fonte sous les glaciers flottants ainsi que, dans une moindre mesure, de la fonte en surface et de son effet sur les crevasses.

La base Dumont d’Urville est idéalement placée pour étudier une région cruciale dans le futur de l’Antarctique. Il s’agit de la région où le socle rocheux se situe sous le niveau des mers. Toutes ces régions sont évidemment vulnérables. Le grand bassin qui se situe près de Dumont d’Urville pourrait être un contributeur très important pour l’observation du niveau des mers. Les questions posées sont : sous quelles conditions climatiques cette région risque‑t‑elle de devenir instable ? À quelle vitesse est constaté l’effondrement ?

Les différents types de mesures dont nous avons besoin pour comprendre le comportement de cette région sont des mesures aéroportées, qui sont en cours dans le cadre de la mission Icecap 2, en collaboration avec l’Australie et l’université du Texas. D’autres mesures doivent être réalisées sur les glaciers que nous ne pouvons rallier qu’en hélicoptère et dans l’océan via des campagnes océaniques pour comprendre pourquoi la fonte sous les plates‑formes pourrait augmenter. Pour certaines mesures, la France se situe en tête, en particulier concernant les sondeurs sous‑marins.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Merci beaucoup. Nous avons bien compris les enjeux et les besoins nécessaires pour poursuivre ces recherches. Je vais maintenant passer la parole à Marie‑Noëlle Housset, directrice de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire d’océanographie du climat. Vous êtes chargée de mission aux affaires polaires auprès de l’institut CNRS‑INSU et vous êtes la représentante française au sein du réseau de soutien de l’observation arctique. Vous êtes également la représentante du CNRS au sein du projet européen Polarnet 2 qui décline la feuille de route européenne en matière de recherche polaire.

Mme MarieNoëlle Houssais, directrice de recherche CNRS. – Merci beaucoup de me donner la parole dans le cadre de cette audition. Mon intervention portera essentiellement sur les océans polaires et sur leurs effets et impacts sur le changement climatique. Il a déjà été souligné le contraste entre l’océan Arctique et l’océan Austral et ce contraste tient au fait que l’océan Arctique est une quasi‑Méditerranée entourée de terres, ce qui entraîne des enjeux géopolitiques mais aussi des enjeux de recherche, tandis que l’Antarctique est un océan ouvert sur le large qui entoure un continent.

En Arctique, de nombreux travaux sont menés sur l’impact des changements régionaux ‑ la fonte de la banquise ‑ sur le système global du climat. Les mesures effectuées démontrent que, conjointement à un réchauffement en Arctique, nous observons un refroidissement du continent eurasien avec toutes les conséquences qui en découlent sur les sociétés riveraines. Ce débat est encore très ouvert pour ce qui concerne les liens à établir entre la fonte de la banquise en Arctique et le système global, et ce sont des sujets pour lesquels les équipes françaises sont très actives, notamment au travers de projets européens. Pour les équipes de recherche françaises en océanographie, l’Europe constitue l’écosystème privilégié pour les collaborations, en particulier dans le cadre du Polar Cluster qui est le regroupement de tous les projets européens polaires autour d’Horizon Europe. Les équipes françaises sont aussi très actives dans le domaine des inter‑comparaisons de modèles et d’analyse des simulations du GIEC.

L’océan joue aussi un rôle très important en tant que régulateur du climat puisqu’il redistribue l’énergie reçue par le Soleil alors que cette énergie est distribuée inégalement au sommet de l’atmosphère. Ce transport de chaleur peut se trouver perturbé en période de changement climatique. Il est à noter que l’océan a absorbé 90 % de l’excédent d’énergie de l’atmosphère entre 1870 et 1995 mais il est important de suivre ces changements pour en anticiper les effets.

Les rotations de L’Astrolabe entre Dumont d’Urville et Hobart ont aussi pu mettre en évidence un réchauffement important en subsurface de l’océan, réchauffement qu’il n’aurait pas été possible de mettre en évidence sans ces programmes systématiques d’observation in situ.

L’océan joue également un rôle dans l’absorption du dioxyde de carbone contenu dans l’atmosphère. On sait qu’il absorbe une part importante du carbone d’origine anthropique (de 25 à 30 %). Une carte en profondeur de l’océan (à environ 1 000 mètres de profondeur) démontre qu’une grande partie de l’absorption du carbone anthropique par l’océan intervient au niveau de l’océan Austral, en marge du continent antarctique. C’est un rôle qu’il faut évaluer et mieux comprendre. Des équipes françaises suivent depuis de nombreuses années, dans l’océan Indien Sud, l’évolution du bilan du carbone océanique dans le cadre d’un observatoire soutenu par le CNRS et l’IPEV et dans le cadre aussi d’une coordination internationale très active (International Ocean Carbon Coordination Project).

Tous ces efforts de suivi de l’océan en tant que régulateur du climat doivent être poursuivis pour comprendre les processus, évaluer l’amplitude des changements et en prévoir les impacts.

Les océans polaires entretiennent également un lien intime avec la circulation océanique globale. On évoque communément le « tapis roulant » de la circulation océanique, qui est une circulation globale ayant tendance à transformer des eaux de surface chaudes en une circulation profonde beaucoup plus lente et plus froide. Ces circulations ont lieu essentiellement aux pôles, qui sont le siège de la transformation de masses d’eau chaude en masses d’eau froide. Les pôles sont donc considérés comme les moteurs de cette circulation océanique globale. Puisqu’ils en sont les moteurs, la vulnérabilité des pôles aux changements climatiques aura des impacts globaux. Dans le rapport spécial du GIEC sur la cryosphère et l’océan, un scénario montre l’évolution jusqu’en 2300 de l’intensité du « tapis roulant » et indique que le ralentissement de cette circulation serait amplifié dans un scénario qui comprendrait la fonte du Groenland. La fonte des glaces polaires a donc un impact très fort sur les mécanismes de transformation qui entretiennent la circulaire océanique globale.

La Terre Adélie peut nous offrir des opportunités en termes d’observation. En effet, le plateau antarctique au large de la Terre Adélie abrite une des zones de transformation des eaux de fond les plus importantes de la planète, en particulier à l’abri du glacier du Mertz. En 2010, nous avons assisté à un événement exceptionnel : le vêlage du glacier. Ce vêlage a fortement perturbé le paysage glaciaire de cette région. Nous avons cependant pu suivre en temps réel les impacts de ces bouleversements sur la formation des eaux profondes (avec une baisse de la salinité pendant quatre ans) et sur la transformation des écosystèmes. À partir de l’observatoire à ciel ouvert qu’est la Terre Adélie, il est donc possible de tester la vulnérabilité de ces régions à des transformations climatiques, comme la distribution de la banquise et des glaciers à proximité d’un site de formation d’eaux profondes.

À une échelle plus large, nous constatons que l’augmentation de la température de l’Océan est plus importante dans l’ouest de l’Antarctique. Pour l’instant, la Terre Adélie semble relativement épargnée mais nous savons que c’est dans ce secteur de l’Antarctique de l’Est qu’il existe des possibilités futures d’instabilité de la calotte. Il est donc important de savoir s’il existe des effets potentiels de l’océan qui pourraient éroder les glaciers et déstabiliser la calotte en amont. Cependant, il existe très peu d’observations océaniques autour du continent antarctique. Par conséquent, il n’est pas possible de dire que les zones ne se réchauffent pas autour de la Terre Adélie et à l’Est où se trouvent des glaciers majeurs. Il faut donc mettre en place des projets ambitieux dans ce secteur pour mesurer et anticiper les changements.

Pour conclure, nos défis scientifiques sont d’abord de caractériser les états de base largement méconnus. Il nous revient aussi d’évaluer les changements et les vulnérabilités. Enfin, il convient d’étudier les couplages aux interfaces (côte/large, glacier/océan, océan/banquise/atmosphère) car ces interfaces mettent en jeu des processus qui intéressent toutes les disciplines, des sciences de la terre aux sciences de la vie, et nécessitent donc une approche multidisciplinaire.

La stratégie d’observation est réellement un enjeu dans les régions polaires. L’océan est globalement moins bien exploré compte tenu de difficultés d’accès mais c’est encore plus vrai dans les régions polaires. De plus, les observations systématiques sont très récentes. Nous pouvons affirmer qu’il existe un besoin urgent d’observations étendues dans cet espace mais aussi d’observations pérennes pour suivre la variabilité. Ces travaux doivent être multidisciplinaires.

Pour réaliser ces observations, des verrous technologiques restent à lever car ces régions sont difficiles d’accès et le recours à des instrumentations sous‑marines nécessaire. Les principaux verrous sont la disponibilité en énergie, l’automatisation, l’autonomie des capteurs, les technologies de communication (GPS sous‑marin, télécommande d’instruments sous‑marins, collecte de données sous la glace). La question de la maîtrise des coûts est aussi à relever car les technologies doivent rester relativement peu coûteuses afin de pouvoir être déployées en grand nombre.

L’observatoire idéal des années futures pourrait être un système multi‑plates‑formes, pouvant récupérer des informations de différents capteurs et les relayer par satellite à terre ou via des bouées ancrées sur la glace. Il pourrait être équipé d’un hydrophone acoustique permettant d’enregistrer le bruit ambiant et plusieurs paramètres environnementaux.

J’espère vous avoir convaincus que les équipes de recherche polaire françaises en sciences de l’océan ont une notoriété internationale incontestée tant en Arctique qu’en Antarctique. Nous avons de forts leaderships dans des projets européens et des participations très actives dans la coordination d’instances internationales. Je mettrai toutefois un bémol sur l’accès aux zones d’activité russes en Arctique. Par ailleurs, notre potentiel de recherche est freiné par l’accès extrêmement restreint aux brise‑glaces de recherche. Nous avons peu de moyens pour accéder à l’océan côtier comme à l’océan hauturier. Les campagnes océanographiques sont pourtant de formidables catalyseurs d’idées. Elles sont aussi un tremplin efficace au leadership international. Parmi les pays non possessionnés en Arctique, l’Allemagne dispose de capacités logistiques suffisamment fortes pour offrir de nombreuses opportunités de recherche. Il faut donc aller au‑delà de solutions d’opportunités et d’accès transnationaux épisodiques afin de mieux planifier notre participation et avoir une ambition en termes de recherche océanique. Au chapitre des points positifs, rappelons que la base Dumont d’Urville en Antarctique constitue un outil très précieux pour les océanographes pour explorer la partie littorale et côtière du plateau antarctique. Cette base est aussi un atout pour le suivi à long terme des conditions environnementales régionales.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. Merci pour cette présentation très efficace. Je vais maintenant donner la parole à Yan Ropert‑Coudert, directeur de recherche au CNRS, rattaché au centre d’études biologiques de Chizé, coordinateur de la section sciences du vivant au sein du Comité scientifique sur la recherche antarctique et vice‑‑président du Comité national français des recherches arctiques et antarctiques.

M. Yan Ropert-Coudert, directeur de recherche au CNRS. – Les Tropiques sont les lieux où la biodiversité est la plus riche mais c’est au niveau des pôles que la vitesse d’apparition des espèces (ou le taux de spéciation) est la plus forte. Les pôles sont à ce titre une source de biodiversité car c’est là que se créent les nouvelles espèces. Ce sont donc des zones particulièrement importantes pour la biodiversité au niveau mondial.

L’inventaire de la biodiversité est évidemment plus difficile à réaliser en milieu polaire. Le Census of Antarctic Marine Life a conduit à mener plusieurs campagnes océanographiques dédiées à l’étude de la biodiversité. Ces campagnes ont permis de collecter des informations inestimables, soit 9 000 espèces dénombrées dont 600 espèces jamais découvertes jusqu’alors. Ces informations ont été compilées sous forme de carte dans l’Atlas biogéographique de l’océan Austral, qui fait figure de référence dans beaucoup de travaux et qui est une collaboration essentiellement franco‑australienne. Cependant, un atlas ne peut pas été édité tous les ans et il faut d’autres moyens de suivi et de compréhension des écosystèmes pour permettre une actualisation plus régulière. Pour cela nous nous appuyons sur les chaînes alimentaires, en nous focalisant sur les espèces situées au sommet de ces chaînes car ces espèces intègrent tous les changements qui peuvent survenir aux échelons inférieurs. Cette étude se focalise sur les espèces qui reviennent à terre pour se reproduire car elles peuvent être dénombrées et suivies tout en dépendant des ressources en mer.

La France est l’une des nations spécialistes du suivi au long terme des espèces, grâce au soutien de l’IPEV. Nous disposons en effet du plus ancien suivi de populations d’un oiseau marin, le manchot empereur, avec des données annuelles depuis 1952. Il n’existe pas d’autres bases de données aussi complètes. Ces informations ont montré les changements drastiques qui affectent ces populations, avec notamment une chute brutale des manchots de la station Dumont d’Urville dans les années 1970. Cette base de données continue et robuste peut être croisée avec les scénarios du GIEC afin de dessiner des simulations et de les extrapoler au reste du continent. Ces travaux nous permettent de déterminer quelles seront les espèces gagnantes et les espèces perdantes du changement climatique.

Les manchots se déplacent sur des milliers de kilomètres, peuvent rester en mer 2 à 3 semaines, plongent très régulièrement à 300‑400 mètres de profondeur : il est donc impossible de les suivre dans leurs déplacements sans les équiper d’appareils enregistreurs miniaturisés pour reconstituer leur activité et fournir des informations sur divers paramètres. Cette approche est celle du biologging. C’est une technique utilisée à Dumont d’Urville depuis des années, elle permet de voir comment les animaux s’adaptent aux changements environnementaux.

Des équipes françaises ont aussi participé à une analyse rétrospective des données de suivi des oiseaux et mammifères marins autour de l’Antarctique. 80 auteurs différents ont participé à cette publication portant sur 17 espèces d’oiseaux marins. La mise en commun de ces données couvre l’ensemble de l’océan Austral. Ce travail permet de dire que, si plusieurs espèces utilisent la même zone, l’aire est riche en proies mais elle est aussi riche en proies variées, car tous ces animaux ont des besoins nutritionnels différents. Ce sont des indicateurs de zones écologiquement intéressantes et donc importantes à protéger.

Le biologging ne fournit pas uniquement des informations sur la localisation des espèces. Nous utilisons en effet aussi les prédateurs comme plates‑formes océanographiques, ces animaux collectant des informations qui vont servir aux autres disciplines de recherche, notamment les disciplines océanographiques physiques. Ainsi, en Nouvelle‑Aquitaine, le système national d’observation NEMO utilise les éléphants de mer austraux. En une saison, un éléphant de mer va effectuer plusieurs allers‑retours et des plongées jusqu’à 2 000 mètres. Leurs balises nous permettent de collecter des informations sur la température, la salinité de l’eau, la concentration en chlorophylle ou l’état des ressources trophiques intermédiaires (poissons, krill, etc.). Ce sont jusqu’à 80 % des profils océanographiques au sud des 60° qui sont échantillonnés par les phoques austraux.

Nous avons récemment mis au point des appareils qui peuvent lire les balises AIS des bateaux, autrement dit leurs systèmes d’identification automatique, ce qui nous permet de connaître l’identité et la position des navires, et ainsi de détecter les pêches illégales dans l’océan Austral. Ces opérations sont menées en collaboration avec les Terres australes et antarctiques françaises.

Quels sont les enjeux à venir ? Quelques‑uns ont déjà été évoqués. Bien entendu, les suivis doivent être poursuivis. Pour cela, il faut une base comme Dumont d’Urville et obtenir le soutien d’un Institut comme l’IPEV afin que des équipes de recherche puissent se rendre sur place. Il va nous falloir comprendre les écosystèmes qui se développent sous la glace dont on ne connaît encore que très peu de choses. Par exemple, nos connaissances sont limitées sur le krill. En combinant toutes les forces françaises en instrumentation (bouées, balises micro‑sonar, etc.) et des campagnes océanographiques, nous pourrons collecter des informations sur ces zones difficiles d’accès.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Merci beaucoup. Je vais maintenant donner la parole à Yvon Le Maho, président du conseil d’administration de l’Institut polaire français Paul‑Émile Victor, membre de l’Académie des sciences et grand spécialiste de la faune polaire, particulièrement antarctique, à l’origine de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg.

M. Yvon Le Maho, Président du conseil d’administration de l’IPEV. – Pourquoi les nouvelles technologies seraient‑elles réservées à l’exploration de l’espace ou à la recherche de la vie dans l’espace ? Ces technologies peuvent en effet aussi servir à la connaissance de la biodiversité.

Dès 1991, nous avons suivi les déplacements des manchots empereurs sur la banquise. Comme l’a montré Yan Ropert‑Coudert, le succès des recherches françaises sur la biodiversité tient au fait que ce sont des investissements de long terme. Cet effort sur la durée a été possible grâce aux postes CNRS permanents. Ce succès tient aussi au fait que nous n’avons jamais cessé d’investir dans des innovations qui, à chaque fois, ont constitué des premières. Par exemple, le premier suivi Argos, avant d’être généralisé à d’autres espèces, a démarré dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Ces recherches ne se sont pas contentées de suivre les populations à long terme mais nous avons aussi cherché à comprendre ce que nous observions. Pendant très longtemps et jusqu’aux années 1980, nous utilisions des bagues puisque l’étude d’un animal dans son milieu naturel repose d’abord sur le suivi individuel des oiseaux pour connaître leurs succès reproducteurs, leur longévité et l’évolution de leurs traits d’histoire de vie. Il a fallu attendre le début des années 1990 pour adopter l’innovation de la société Texas Instruments, qui a été la première entreprise à proposer la puce RFID pour suivre les populations. Depuis quelques années, nous avions en effet le sentiment que la bague à aileron pouvait produire une gêne dynamique lors des vols en mer. Grâce à un partenariat avec Texas Instruments, nous avons pu tester la RFID sur les manchots et améliorer nos suivis.

La RFID est une étiquette électronique qui pèse moins d’un gramme. Elle ne contient pas de batterie et peut être implantée sous la peau sans gêne hydrodynamique. L’inconvénient réside dans la distance de lecture de la puce puisqu’il faut activer l’étiquette électronique avec une radiofréquence à approcher à courte distance de l’animal (moins de 50 centimètres). Pour lire ces puces, nous avons par conséquent installé des antennes dans le sol, ce qui permet de ne pas perturber l’environnement tout en ayant une distance de lecture très courte compatible avec les étiquettes électroniques implantées sous la peau de ces animaux. Nous avons testé ces technologies grâce au soutien de la Fondation Bettencourt Schueller. Les premiers animaux suivis par RFID, avant commercialisation de cette innovation, ont été les manchots dans les terres australes françaises.

Cette technique permet de suivre les individus qui entrent et sortent de leurs colonies. Nous pouvons donc connaître indirectement leur succès reproducteur mais aussi leur longévité. Cette technologie nous a aussi permis de rendre compte des impacts de la gêne hydrodynamique qui a eu un effet désastreux conduisant à une baisse de 41 % du succès reproducteur, de 16 % de la survie adulte sur 10 ans et de 50 % de la survie du poussin à trois ans. En utilisant la RFID, on évite l’impact des bagues et on peut suivre tout ou partie d’une colonie. Nous suivons actuellement 10 000 manchots royaux. On peut également associer une pesée automatique au suivi individuel des animaux : il suffit alors d’installer une balance sur leur lieu de vie, sans aucune perturbation de leur vie en société, et le simple passage de l’animal sur cet appareil nous permet alors de connaître l’augmentation de son poids lors de son séjour en mer, ce qui est un reflet de la disponibilité des ressources marines.

Grâce au soutien de la Fondation Total, nous avons pu aller plus loin et tester l’utilisation de la robotique. La mise en place d’un robot dans une colonie de manchots royaux n’a pas causé de perturbation. Ce robot peut se déplacer parmi la colonie sans être vu comme une menace ou une gêne. De plus, lorsque le robot est immobile, les manchots l’oublient complètement, ce qui nous permet d’utiliser le robot pour collecter l’information stockée par l’animal dans des loggers. Ces informations nous permettront de savoir ce que les animaux auront fait 15 jours plus tôt en mer, à 500 ou 600 kilomètres de là.

Pour le manchot empereur, il n’y a pas d’entrées et de sorties de la colonie car ces animaux peuvent venir de partout de la glace de mer. Le robot pourrait aussi permettre de les identifier électroniquement comme il le fait pour le manchot royal. Cependant, nous avons ici rencontré davantage de difficultés car les manchots empereurs n’ont pas défense territoriale et ils se serrent les uns contre les autres en hiver. Nous avons toutefois trouvé une solution en équipant le robot d’une petite peluche qui est acceptée par les manchots. On voit d’ailleurs certains manchots essayer de communiquer avec le faux poussin. Celui‑ci peut même s’introduire dans une crèche de vrais poussins.

Dans son milieu naturel, l’animal peut être une extraordinaire source d’innovations biomédicales. Il y a quelques années, nous avons découvert ainsi que les manchots royaux mâles, qui assurent la dernière partie de l’incubation, viennent avec de la nourriture dans leur estomac. Cette nourriture est conservée intacte ‑ ils ne la digèrent pas ‑ malgré la température interne de leur corps qui est de 38°C. Ce qui permet la préservation intacte de ce poisson dans leur estomac est une petite protéine – un peptide – qui augmente au cours de l’incubation et permet la conservation des aliments. Nous en avons identifié la structure et avons demandé à notre partenaire en biotechnologie de le développer. Nous avons ensuite pu tester cette molécule sur les deux principaux agents des maladies nosocomiales : ce peptide s’est révélé efficace sur l’aspergillose ainsi que sur le staphylocoque doré.

Quel est l’intérêt d’une telle molécule ? Alors que l’on manque d’antibiotiques et qu’il existe une résistance des bactéries aux antibiotiques, les peptides sont une classe de molécules rendant beaucoup plus difficile la tolérance des bactéries à une molécule antimicrobienne. Ce peptide que nous avons appelé sphéniscine a été découvert avec le soutien de la Fondation de France. Cette molécule est d’autant plus intéressante que nous manquons d’antibiotiques en milieu salin, par exemple pour les infections oculaires, ou pour la mucoviscidose.

En France, plusieurs équipes sont en avance sur le biomimétisme, mais peinent à trouver des financements. Peut‑être pourrons‑nous en obtenir cette année de la part de l’ANR mais rappelons que cette découverte a été faite il y a 17 ans. Je serai par ailleurs interrogé tout à l’heure par le Conseil stratégique des industries de santé, qui vient d’être créé par le Gouvernement suite au fiasco des vaccins, pour redynamiser l’industrie de la santé en exploitant notamment le biomimétisme.

En conclusion, je souhaite redire que les recherches polaires sur la biodiversité sont une source d’innovations qui constituent autant de premières. Il était malheureusement impossible d’aborder en si peu de temps toutes les recherches de qualité menées en biologie dans le cadre de l’IPEV car elles sont très nombreuses mais ces quelques exemples vous montrent que l’argent investi par l’État dans les recherches françaises constitue un excellent investissement. Cependant, ces innovations n’auraient jamais vu le jour sans le soutien de fondations.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Merci beaucoup pour cette présentation très intéressante. Je laisse maintenant la parole à Alexandra Lavrillier, directrice adjointe du laboratoire « Cultures, environnements, Arctique, représentations, climat » (CEARC) rattaché à l’Université de Versailles Saint‑Quentin‑en‑Yvelines, coordinatrice de plusieurs projets en sciences humaines et sociales déployés dans l’Arctique russe.

Mme Alexandra Lavrillier, directrice adjointe du laboratoire CEARC. – Je commencerai mon intervention par les paroles d’un autochtone, éleveur de rennes en Sibérie : « Nous vivons tous sur la même planète, nous respirons tous le même air : tout le monde et pas seulement les scientifiques et les autochtones doivent comprendre le coût environnemental du développement industriel intensif. Les changements climatiques et environnementaux en Arctique concernent tout le monde sur la planète ».

La recherche française en sciences humaines et sociales subarctiques et arctiques a une très longue tradition en anthropologie, en linguistique, en littérature, en géographie humaine, en histoire, en archéologie, et cela depuis le XIXe siècle avec Joseph Martin. Les sciences humaines et sociales couvrent un foisonnement de thèmes de recherche, de l’urbanisation aux langues, en passant par les religions, les sociétés anciennes ou encore les changements culturels, entre autres. Ces recherches en sciences humaines et sociales couvrent tous les terrains de l’Arctique.

L’Arctique compte 4 millions d’habitants à l’intérieur du cercle arctique mais les enjeux arctiques ne s’arrêtent pas au 66e parallèle. Nous pourrions donc aussi considérer les 98 millions d’habitants de l’Arctique et du Subarctique. Sur ces territoires, on ne dénombre pas moins de 110 peuples autochtones et autant de cultures et de langues. Ces peuples ont des économies traditionnelles soutenables dont l’élevage de rennes, de chevaux, de chiens et de bovins. Ces peuples ont su pendant des millénaires conserver ces environnements fragiles intacts. Cependant, depuis l’ère industrielle, il est observé une augmentation forte des industries (gaz, pétrole, or, uranium, etc.) tandis que les changements environnementaux arctiques impactent les sociétés humaines de la planète. Ainsi, les pays européens notamment, par leur activité industrielle, impactent les populations et les environnements arctiques qui, à leur tour, impactent nos climats et environnements.

En 2010, les autochtones sibériens observaient que le climat était de plus en plus chaud tandis qu’en 2018, ils affirment que le climat et l’environnement ont perdu toute logique. Les populations autochtones de l’Arctique, notamment de Sibérie, ont une connaissance très minutieuse de l’environnement et une vision globale et holiste qui se focalise sur les interactions entre les éléments de la nature et les sociétés humaines. Pour eux, l’industrie mondiale génère deux processus : le changement climatique et le développement minier. En ce qui concerne le changement climatique, ils observent moins de mois de gros hiver à ‑45°C, une augmentation des températures annuelles de +6°C, une augmentation de l’humidité à toutes les saisons et une augmentation impressionnante des événements extrêmes (feux, inondations, etc.). Ceci génère une série d’anomalies inédites dans la neige, la glace, la biodiversité, le permafrost, etc. Par ailleurs, le développement minier, qui va crescendo au cours des dernières années, transforme l’Arctique en plusieurs chantiers qui détruisent des milliers d’hectares de biodiversité détruits pour des siècles entiers et génèrent, par conséquent, une pollution de l’eau, de l’air et des sols.

Ces deux processus combinés ont un impact très lourd sur les sociétés locales et autochtones pour l’accès aux pâturages et l’accès à l’eau potable. Ils provoquent aussi la mise en danger des cultures, l’effondrement des infrastructures urbaines, des feux de méthane en toundra, des épidémies, la renaissance de certaines bactéries, l’apparition d’insectes porteurs de virus, la disparition d’espèces, la déforestation, etc.

Toutes ces conséquences ont in fine un impact très négatif sur les climats et les environnements au niveau planétaire. La pollution a des enjeux sociaux, culturels, géopolitiques puisque les polluants arrivent grâce aux courants en Arctique et impactent ainsi les sociétés humaines et leurs cultures. C’est d’ailleurs un thème proposé par la France au 3e Arctic Science Ministerial (ASM3) en plus de l’indice de nordicité.

Depuis 2009, malgré les efforts nationaux, les chercheurs en sciences sociales font toujours face à un manque cruel de moyens. Pour autant, nous constatons un désir de regroupement des sciences sociales et humaines et des sciences environnementales. Plusieurs réseaux arctiques multidisciplinaires existent mais ils sont peu ou pas du tout financés. Plusieurs colloques internationaux sur l’Arctique sont aussi organisés spontanément par des chercheurs. En 2019, 9 colloques ont eu lieu et ont couvert divers thèmes : les savoirs autochtones, la jeunesse, les sciences politiques, la pollution, le permafrost, pour n’en citer que quelques‑uns. Ces colloques attirent des centaines de chercheurs, étudiants et visiteurs, ce qui montre l’intérêt grandissant du public pour l’Arctique. On dénombre par ailleurs 63 projets de collaborations internationales avec la Russie. Côté enseignement, 24 cours, séminaires ou formations dédiés couvrent tous les terrains arctiques. Le nombre de jeunes chercheurs ou futurs chercheurs français augmente mais nous n’avons rien à leur proposer en termes de postes.

Les interactions entre sciences et décideurs politiques sont exigées dans les projets européens et dans les rapports internationaux. Les décideurs devraient à leur tour soutenir la recherche et l’intégrer dans les décisions politiques. Les responsables politiques pourraient renforcer la présence française dans les groupes de travail, ce qui contribuerait à une meilleure intégration de la France sur le plan stratégique. Ils pourraient lancer des appels à projets fléchés sur l’Arctique et le Subarctique et favoriser les échanges internationaux de chercheurs. Ils pourraient aussi aider les autochtones de l’Arctique et du Subarctique à participer à la recherche française, ce qui répondrait aux recommandations strictement formulées par l’Arctic Science Ministerial 2 et 3 et par le Conseil de l’Arctique.

La France devrait se donner les moyens de son excellence. En outre, chercheurs et politiques peuvent travailler ensemble pour une plus grande sensibilisation du public français à adopter, par exemple, de meilleures habitudes de consommation, et ainsi agir contre le changement climatique, en accord avec le rôle leader de la France lors des accords de Paris.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole à Sabine Lavorel, enseignante chercheuse en droit public à la faculté de droit de Grenoble et coordinatrice d’un ouvrage intitulé L’Antarctique, enjeux et perspectives juridiques. Vous êtes également une spécialiste du droit des changements climatiques et du droit des minorités.

Mme Sabine Lavorel, maître de conférences, université Grenoble Alpes. – Je souhaite pour ma part revenir sur les enjeux qui caractérisent la recherche française sur les pôles en sciences juridiques et en sciences politiques. Rappelons aussi que les recherches stratégiques qui ont émergé au cours des dernières années portent certes sur les pôles mais emportent des enjeux qui dépassent très largement le cadre polaire. En sciences politiques comme en droit, ces recherches revêtent un caractère stratégique, notamment pour analyser et renforcer le positionnement de la France dans les instances décisionnelles et dans les instances normatives multilatérales.

Le nombre de publications dans le domaine des enjeux géopolitiques et de relations internationales connaît une augmentation sensible. Cette augmentation est tirée par deux événements : d’une part, le réchauffement climatique qui facilite l’accès aux pôles et à leurs ressources mais qui fait apparaître aussi les pôles comme des zones vulnérables à protéger ; d’autre part, l’émergence de la rhétorique sur l’axe indopacifique. Cette rhétorique est développée par plusieurs États dont la France et remet l’Antarctique au cœur des préoccupations géostratégiques. Ces deux facteurs ont contribué à placer les pôles dans un contexte nouveau qui lui‑même a suscité un regain d’intérêt de la part des chercheurs.

Quatre grandes questions sont abordées sous l’angle des enjeux géopolitiques. La première couvre les coopérations internationales qui se traduisent par l’existence d’organisations régionales, de conseils, de forums, de comités spécifiques dans lesquels la France est souvent impliquée. L’analyse de ces coopérations internationales se double de l’analyse du positionnement des acteurs dans ces coopérations, de leur influence, des jeux d’alliance entre les États mais aussi avec des acteurs non étatiques comme les ONG. Sur ces questions, les recherches portent sur la manière dont le positionnement diplomatique de tel ou tel acteur va évoluer. Elles portent aussi sur l’analyse des moyens que cet acteur va mettre en œuvre pour faire prévaloir sa position. Ces recherches montrent que les États développent une diplomatie polaire, mais aussi des diplomaties sectorielles que l’on retrouve dans d’autres parties du globe en dehors des pôles. Par exemple, la diplomatie environnementale devient un outil de plus en plus prévalent du soft power. C’est le cas également de la diplomatie scientifique.

La deuxième question abordée dans ces recherches concerne la gouvernance des pôles afin de savoir comment ces espaces, hors souveraineté, sont gérés internationalement. Ces questions rejoignent d’autres préoccupations très actuelles, notamment autour de la gestion des biens communs, c’est‑à‑dire ces espaces non appropriés qu’il faut gérer collectivement dans le but de les préserver et de les pérenniser (forêts, rivières, atmosphère, etc.). Ces questions rejoignent également celles ayant trait à la gouvernance des espaces qui vont constituer de nouvelles frontières, l’espace extra‑atmosphérique notamment. De manière sous‑jacente, la question est de savoir si le régime juridique de l’Antarctique pourrait constituer un modèle de gestion et de gouvernance de l’espace extra‑atmosphérique.

La troisième question concerne les enjeux de puissance. Ces dernières années ont été marquées par une résurgence des tensions internationales autour des pôles. On a beaucoup parlé de coopérations mais il faut malheureusement aussi parler de tensions liées à l’ouverture de nouvelles voies maritimes dans l’océan Arctique et à un accès facilité aux ressources minérales du Grand Nord. Ces tensions sont liées également, en Antarctique, à l’émergence de nouvelles puissances qui n’étaient pas traditionnellement des puissances polaires, comme la Chine. Ces nouvelles puissances renforcent significativement leur présence en Antarctique et vont progressivement remettre en cause le fonctionnement multilatéral des traités sur l’Antarctique. Il existe une opposition dans la doctrine entre les chercheurs qui voient dans ces tensions de nouveaux risques sécuritaires et ceux qui relativisent les risques de conflit car ces tensions restent pour l’instant circonscrites dans le cadre du droit, c’est‑à‑dire que les États essaient de régler leurs litiges par le biais des instruments juridiques existants ou de profiter des vides juridiques pour faire prévaloir leurs intérêts.

La quatrième question géostratégique concerne les enjeux de défense et de coopération militaire. Le traité de 1959 protège la zone antarctique de toute présence militaire mais l’Antarctique redevient une zone d’intérêt de défense et d’intérêt stratégique car la résurgence de la rhétorique sur l’axe indopacifique conduit à mettre en avant l’ensemble de nos territoires ultramarins, et donc aussi les coopérations militaires et de défense. La mise en avant de l’axe indopacifique remet aussi en avant l’intérêt des TAAF.

Le deuxième axe de recherche qui émerge dans les sciences politiques et juridiques est lié à la protection de l’environnement et à la sécurité environnementale. Ces recherches ne sont pas nouvelles. Les juristes se sont déjà intéressés aux mécanismes de protection de l’environnement polaire à la fin des années 1980 et au début des années 1990, au moment de l’adoption du Protocole de Madrid. Cependant, les risques environnementaux qui ont émergé au cours des dernières décennies ont entraîné un renouvellement de ces recherches sur la protection de l’environnement, recherches qui concluent très souvent à l’insuffisance des dispositifs juridiques actuels face aux nouveaux risques. Par exemple, le risque climatique n’est absolument pas couvert par le système du Traité sur l’Antarctique, ce qui pose la question de la protection de l’Antarctique contre le réchauffement climatique et du forum pertinent pour soulever ces questions. Ces questions doivent‑elles être traitées dans le cadre de la RCTA ? Doivent‑elles être traitées dans les COP Climat ?

Ces recherches portent aussi sur l’évolution des régimes de protection des environnements polaires, notamment des mécanismes qui permettraient d’engager la responsabilité des États comme des opérateurs privés qui seraient à l’origine de graves destructions de l’environnement polaire. On se souvient tous de la marée noire qui a eu lieu il y a un an, à la suite de l’accident du réservoir de l’entreprise russe Norilsk Nickel dont les infrastructures n’avaient pas été suffisamment entretenues. Cet accident a soulevé aussi la question du réchauffement climatique et de la responsabilité de l’État russe et de l’entreprise puisque ces infrastructures se trouvaient sur du permafrost devenu fragile sous l’effet du réchauffement. Plus généralement, l’un des enjeux centraux pour les juristes est de s’interroger sur les possibles voies de régulation de toutes les activités humaines qui se développent aux pôles et dont l’impact sur l’environnement pourrait être dramatique si ces activités ne sont pas réglementées. L’exemple que je souhaite mettre en avant ici est celui du tourisme, qui n’est pas réglementé en Antarctique en dépit d’une augmentation significative du nombre de touristes, notamment chinois. Il faut savoir que le gouvernement chinois incite les croisiéristes chinois à développer ce marché. On pourrait citer aussi la bio‑prospection ou encore la géo‑ingénierie, activités qui évoluent dans un vide juridique.

Le troisième axe de recherche est lié à la sécurité humaine et à la protection des peuples de l’Arctique. Les questions qui animent les recherches des juristes résultent notamment de la dégradation des conditions de vie des peuples de l’Arctique du fait des bouleversements environnementaux actuels. Face à ces nouveaux risques, la question est de protéger les droits et les modes de vie spécifiques de ces populations. Ici encore, ces questionnements vont dépasser les seuls peuples de l’Arctique car, au‑delà de leur protection spécifique, c’est la protection des droits de l’ensemble des peuples autochtones qui est au cœur des réflexions.

Cet état des lieux ne serait pas complet sans un point sur la manière dont la recherche française a investi ces thématiques. Sur la part de la recherche française dans l’ensemble des recherches menées en droit et en sciences politiques sur les pôles, le constat que nous pouvons faire est nuancé. Nous avons quelques chercheurs spécialistes dans ces disciplines mais ils sont très peu nombreux. La recherche française sur ces thématiques est donc très peu visible. Les questions polaires sont souvent investies par des chercheurs qui ont développé d’autres thématiques de recherche et qui, à un moment donné de leur carrière, vont s’intéresser aux pôles car il y a, à ce moment‑là, une intersection entre leur thématique de recherche principale et les questions polaires.

Sur le plan des ressources humaines, cette situation se traduit par une absence de chercheurs véritablement spécialisés, à l’exception de quelques‑uns. Cette situation a aussi une traduction sur le plan institutionnel car il n’y a pas, à ma connaissance, de structure de recherche dédiée. Or qui dit absence de structure de recherche, dit absence de financement. La plupart des recherches menées actuellement sont financées par des financements récurrents des laboratoires de recherche et des universités sans lesquels il n’y aurait pas de recherches dans ces disciplines sur les pôles. Quant aux thèses qui ont été récemment soutenues en la matière, elles sont pour la plupart non financées, et donc très rares.

On ne peut que noter le décalage entre les enjeux que représente la recherche sur les pôles en sciences politiques et juridiques et les moyens dont elle dispose actuellement. Une relance de la recherche sur ces thématiques pourrait passer par l’ouverture d’appels à projets biennaux ou triennaux qui permettraient de former de véritables spécialistes, notamment par le financement de thèses, et qui faciliteraient la conduite de projets de recherche collectifs pour structurer la recherche autour de ces thématiques.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Merci beaucoup pour cette présentation très éclairante. Nous pouvons en déduire que le plan stratégique national, qui doit être élaboré, pourrait aussi mieux organiser la recherche. Plusieurs thèmes très intéressants ont été abordés dans les présentations : sur le biomimétisme, sur les vides juridiques existants, sur le développement du tourisme et ses répercussions, etc. À ce sujet, comment pouvons‑nous agir au niveau international pour limiter le tourisme ? Par ailleurs, quel est l’impact des pollutions sur les pôles sachant que l’on retrouve des microfibres textiles dans les fonds marins de l’Arctique et de l’Antarctique ?

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Quel est l’impact des équipements utilisés comme support de recherche sur les animaux observés ? Quelles questions éthiques sont posées par l’utilisation de ces appareils ?

Les propos tenus sur la sphéniscine rejoignent ceux que nous avions eus à l’Office autour des phages, c’est‑à‑dire sur les virus des bactéries qui sont aussi considérés comme des candidats pour prendre la suite des antibiotiques.

Les pôles sont des réservoirs de spéciation. Cette situation est‑elle liée à la pression environnementale ? Comment l’expliquez‑vous ?

M. Charles Giusti. – Sur la question posée par Madame Préville sur le tourisme, j’indique que les TAAF portent des travaux sur l’encadrement des activités touristiques en Antarctique. Deux groupes de travail ont été constitués. L’un porte sur la possibilité que des observateurs gouvernementaux montent à bord des navires de croisière pour contrôler l’activité de ces navires en sus de leurs obligations habituelles de déclaration. Un deuxième groupe de travail se penche sur l’élaboration d’un manuel ayant vocation à regrouper l’intégralité des règles de bonne conduite sur les activités touristiques en Antarctique. Ces deux groupes de travail portés par la France avec des partenaires internationaux présenteront leurs conclusions lors de la prochaine RCTA de juin 2021.

Concernant les équipements de suivi des animaux, il existe un processus qui consiste à valider l’intérêt des programmes scientifiques. Il est conduit par le Comité scientifique de l’IPEV. Ces dossiers doivent ensuite être soumis au Comité de l’environnement polaire qui examine l’impact éventuel des expérimentations sur les espèces.

M. Yan Ropert-Coudert. – En plus de l’autorisation délivrée par les Terres australes et antarctiques françaises sur toutes les manipulations des animaux, nous passons aussi nos travaux de recherche au crible de comités d’éthique régionaux pour évaluer l’impact de nos travaux sur les animaux. Il existe donc toute une chaîne de protection pour s’assurer que l’animal n’ait pas à souffrir de nos expérimentations.

Par ailleurs, les chercheurs sur la biodiversité aiment la biodiversité et ne veulent pas la faire souffrir et ne veulent pas non plus mesurer des choses qui seraient faussées par notre démarche scientifique. Ce n’est pas un sujet que nous prenons à la légère. Notre but est de trouver le juste compromis tout en obtenant des informations valides et utiles pour la protection des espèces.

M. Olivier Poivre d’Arvor. – Grâce à ces différents exposés, nous voyons bien que la recherche scientifique est un véritable outil de gouvernance géopolitique. Les nations du monde entier se jaugent à l’aune de leurs moyens mais les nouvelles nations (Chine, Corée du Sud, Japon) se tournent aussi vers ces territoires car il y existe des espaces économiques et géopolitiques qui sont aussi des lieux de démonstration de leur puissance. Dans ce nouvel environnement, il importe que les Français élaborent leur stratégie polaire. Pour cela, nous aurons besoin de l’appui des parlementaires pour formuler une proposition de montée en gamme en termes de moyens. Cependant, les coopérations resteront nécessaires. Nous pouvons peut‑être imaginer et rêver à un organisme européen pour la recherche scientifique qui mêlerait les ressources venant d’Allemagne, de France, d’Italie. Les enjeux auxquels nous faisons face sont des enjeux globaux et ne sont pas des enjeux de drapeau. Ils mériteraient donc la mise en place d’un grand organisme européen de recherche polaire.

M. Jérôme Chappellaz. – Je souhaite prendre la parole pour insister sur le rôle de la robotique et de l’automatisation en écho à ce qu’Yvon Le Maho a présenté. Les propos de Catherine Ritz, Marie‑Noëlle Houssais et Yan Ropert‑Coudert montrent aussi que les enjeux scientifiques nécessitent de l’observation dans des endroits difficiles d’accès. Je pense que la France peut jouer un rôle particulier dans ce domaine grâce à ses capacités d’innovation et ses capacités de développement en matière de robotique et de microcapteurs. J’appelle donc de mes vœux la mise en place d’outils permettant d’encourager ces développements, qui s’organisent souvent à l’interface public‑privé avec la possibilité de soutien par des mécènes, comme l’a souligné Yvon Le Maho lorsqu’il a évoqué le rôle des fondations. Je crois que c’est un modèle vers lequel il faudrait aller pour mettre en place une science ayant moins d’impact sur le plan environnemental et qui soit performante.

M. Uwe Nixdorf. – L’Arctique et l’Antarctique sont essentiels pour l’espèce humaine. 1,5 million d’années, c’est la durée qui s’est écoulée depuis la dernière grande perturbation du climat. C’est la raison pour laquelle il est essentiel que nous puissions organiser des carottages profonds.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Un lien a été fait entre l’absence de structure de recherche et l’absence de financement mais il me semble que le sujet du biomimétisme est pris en charge par le CEEBIOS. Des travaux sont donc menés mais la France doit monter en puissance. La difficulté est aussi que les financements ne sont pas directement fléchés vers les travaux sur le biomimétisme, mais uniquement dans le cadre du PIA. Selon vous, comment est‑il possible de créer des structures dédiées à la recherche sur les pôles ?

Mme Alexandra Lavrillier. – Je souhaite pour ma part revenir sur la question de la pollution. La pollution est en effet visible en Arctique avec des dépôts sur la neige, des maladies qui n’existaient pas par le passé, etc. Mais la pollution est aussi locale : elle vient des mines ou des accidents industriels. La technologie pourrait sans doute contribuer à limiter ces accidents.

Concernant les financements, il faut rappeler qu’il existe des guichets comme l’ANR ou le Forum Belmont, mais ces guichets ne sont pas suffisants. Il existe aussi des appels à projets spécifiques mais un fléchage pourrait évidemment faciliter le soutien de la recherche.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Des informations ont été données sur la circulation océanique du « tapis roulant ». Des événements témoignent‑ils que des perturbations sont déjà à l’œuvre ?

Mme MarieNoëlle Houssais. – Nous surveillons cette circulation depuis à peine 20 ans, et notre recul est donc insuffisant. En effet, il faut rappeler que cette circulation opère sur des échelles de temps très longues. En revanche, nous voyons déjà une grande variabilité de cette circulation. Selon des données paléo‑climatiques ou paléo‑océanographiques, nous serions dans une période de circulation de retournement relativement faible et donc peut‑être particulièrement vulnérable à un affaiblissement.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Au nom de l’Office et de son premier vice‑président Gérard Longuet, je souhaite vivement remercier tous les participants. Malgré leurs différences, l’Antarctique et l’Arctique sont tous deux des archives mais aussi une clé du climat à venir. Ce sont également des lieux qui emportent des enjeux globaux et non des enjeux de drapeau, comme le rappelait plus tôt Olivier Poivre d’Arvor.

Les thèmes qui ont été abordés lors de cette audition publique ont été riches : climat, biodiversité, géopolitique, etc. Au cours de ces tables rondes, nous avons vu également les liens avec d’autres auditions organisées par l’Office sur la recherche spatiale, sur les questions vaccinales, sur les infections bactériennes, sur le biomimétisme, sujet qui fera d’ailleurs l’objet d’une note scientifique de l’OPECST.

La question de la gouvernance a été aussi au centre des débats. Dans ce domaine, les différences sont importantes entre les pôles avec un pôle Sud préservé et consacré à la recherche et un pôle Nord habité et exploité. En écoutant les exposés sur l’impact de l’exploitation minière dans les terres arctiques, je me suis pris à rêver que l’Arctique soit aussi préservé que l’Antarctique, d’autant que les énergies fossiles ne sont, de toute évidence, pas l’avenir du monde. Cependant, c’est un avis personnel et non celui porté par l’OPECST.

Pour autant, en Antarctique, malgré la gouvernance mise en place et de bons rapports de confiance, nous avons vu à quel point il est important de renforcer la protection des territoires, notamment face aux menaces que représente le tourisme s’il n’est pas régulé. Il convient aussi de les protéger des tourments qui résulteraient de possibles instabilités politiques liées à l’arrivée de nouveaux acteurs. Il est essentiel que toutes les nations puissent s’entendre sur ces enjeux extraordinaires à préserver.

Pour relever ces défis, des moyens importants doivent être mis en œuvre. La France semble être en peine de les mobiliser alors que de nouveaux pays réussissent à les rassembler. Pourtant, la France est un grand pays d’exploration et de sciences et notre pays est présent dans les terres australes. Notre puissance polaire est aujourd’hui fragilisée par une implication insuffisante qui n’est pas à la hauteur de notre grande histoire et de nos ambitions. Les parlementaires ont donc le devoir de s’impliquer davantage pour que la France se dote des moyens nécessaires. Ce sera le rôle du Parlement que de faire influence sur ces sujets et de porter la parole scientifique. Ce sera aussi votre rôle, monsieur l’ambassadeur et monsieur le préfet. Il appartiendra également aux grands organismes de recherche de continuer à faire entendre cette voix car ces enjeux concernent toutes les nations et tous les temps.

Mes chers collègues, mes chers amis, chers invités étrangers, j’ai eu un grand plaisir à vous entendre ce matin. Ce panorama nous a permis de voir tous les enjeux que nous avons à porter pour l’avenir.

 

 


II.  Compte rendu de la réunion du 27 mai 2021 présentant les conclusions de l’audition publique du 6 mai 2021

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Nous examinons les conclusions de l’audition publique sur les enjeux de la recherche française en milieu polaire avec nos deux rapporteures, Huguette Tiegna et Angèle Préville.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – L’audition publique sur la recherche française en milieu polaire s’est tenue le 6 mai 2021, quelques semaines avant la 43e Réunion Consultative du Traité sur l’Antarctique et de la 23e réunion du Comité pour la protection de l’environnement antarctique, mis en place par le Protocole de Madrid de 1991 qui a ajouté, à l’initiative de la France et de l’Australie, un volet environnemental au Traité sur l’Antarctique. Ces réunions seront présidées par la France et auront lieu du 14 au 24 juin 2021.

L’objectif de cette audition était d’actualiser les connaissances de l’OPECST, qui a déjà eu l’occasion de se pencher sur la recherche française en milieu polaire à travers plusieurs rapports publiés entre 2007 et 2011. La première table ronde portait sur la logistique mise au service de la recherche en milieu polaire et sur les enjeux de la coopération internationale. La seconde table ronde traitait du rôle de la recherche polaire pour comprendre les enjeux de notre planète.

Les pôles font l’objet d’un regain d’intérêt, compte tenu de leur rôle clé dans le système climatique et la protection de la biodiversité. Le réchauffement climatique ouvre de nouvelles perspectives économiques au pôle Nord, qui attisent les convoitises, tout en créant de nouvelles menaces sur des écosystèmes particulièrement vulnérables, menaces qui affectent à leur tour l’ensemble de notre planète.

Les pôles sont des territoires contrastés. L’Antarctique est un continent plus grand que l’Europe entouré par l’océan Austral, ouvert sur le large. L’Arctique est un océan entouré de continents, objet de convoitise de plusieurs pays, notamment les États‑Unis, par le biais de l’Alaska, le Canada, le Danemark par le biais du Groenland, la Norvège et la Fédération de Russie. L’Antarctique n’a pas de population permanente, à l’exception de quelques centaines à quelques milliers de chercheurs. En Arctique, les enjeux économiques sont importants, notamment en raison de sa richesse en pétrole, en gaz et en minéraux ainsi qu’en ressources forestières et halieutiques. Le tourisme constitue également une voie de développement économique. Les Chinois sont très présents sur ce secteur en Antarctique.

Au‑delà de cette présence humaine liée aux richesses en ressources naturelles des pôles et au tourisme, il existe d’autres enjeux environnementaux qui ont été décrits au cours de cette audition. Ils sont liés à la fragilité des écosystèmes polaires, particulièrement affectés par le réchauffement climatique ou la pollution transportée par les océans.

C’est la raison pour laquelle la France souhaite profiter de la réunion consultative du traité qu’elle présidera pour proposer la création d’aires marines protégées en Antarctique Est, sur une surface de quatre millions de kilomètres carrés.

Cette initiative se heurte toutefois à des enjeux géopolitiques et certaines parties prenantes, notamment la Russie et la Chine, restent encore à convaincre du bien‑fondé de cette proposition.

Mme Angèle Préville, sénatrice, vice-présidente de l’Office, rapporteure. – Je vais parler de la recherche polaire, dont les enjeux dépassent très largement le cadre polaire. La recherche en milieu polaire joue d’abord un rôle clé pour comprendre le réchauffement climatique, à travers la recherche sur les calottes glaciaires. Dans ce domaine, la France a une expertise reconnue et recherchée. Les calottes glaciaires sont les mémoires du climat passé. Catherine Ritz a expliqué que les carottages permettaient d’analyser des glaces vieilles de plus de 800 000 ans. De cette manière a été démontrée l’existence de cycles de périodes chaudes et de périodes froides, corrélés à des alternances de valeurs hautes et de valeurs basses de méthane et de dioxyde de carbone. Ces recherches ont également permis d’établir que sur 800 000 ans, la variation était quasiment régulière alors que récemment, les quantités de dioxyde de carbone observées sortent complètement du cadre établi jusque‑là. Cela indique que nous nous trouvons dans un moment très particulier en matière de réchauffement climatique.

Les calottes glaciaires sont également des éléments actifs du système climatique, notamment à travers leur rôle dans l’élévation du niveau des mers. Catherine Ritz a rappelé que les glaces de l’Antarctique et du Groenland constituent d’énormes réserves d’eau douce, représentant respectivement 60 mètres et 6 mètres de hausse possible du niveau des mers. D’ici 2300, ces calottes glaciaires vont perdre une fraction de leur glace, ce qui va conduire à une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres. Les observations confirment que ce phénomène a déjà débuté et que les sociétés humaines vont donc être impactées. Jérôme Chappellaz a rappelé que les deux tiers de l’Humanité vivent à moins de 100 kilomètres des côtes. Cela constitue donc un problème important que nous devons regarder en face. Catherine Ritz a néanmoins souligné les incertitudes qui entourent ces prévisions et a insisté sur la nécessaire poursuite des recherches, en se fondant à la fois sur les observations satellitaires, les modélisations et les observations de terrain.

La scientifique Marie‑Noëlle Houssais a évoqué les recherches sur les océans polaires. Elle a expliqué le rôle majeur des océans, en particulier de l’océan Austral, dans le système climatique. Ils interviennent dans l’absorption de l’énergie solaire – entre 1971 et 2018, les océans ont absorbé 90 % de l’excédent d’énergie de l’atmosphère – dans l’absorption des émissions de dioxyde de carbone d’origine anthropique et dans la circulation océanographique globale. On parle du « tapis roulant » de la circulation océanique qui tend à transformer les eaux de surface qui sont chaudes en une circulation profonde, beaucoup plus lente et froide. Cette circulation est activée aux pôles, qui sont le siège de cette transformation. Les modélisations montrent actuellement une amplification du ralentissement de cette circulation, dans un scénario qui prend en compte la fonte du Groenland. La fonte des glaces polaires a donc un impact très fort sur les mécanismes de transformation qui entretiennent cette circulation océanographique globale et elle aura donc des effets probables sur le climat, notamment sur le climat de la France.

La recherche polaire est aussi à l’origine d’innovations technologiques et biomédicales majeures. Parce que les régions polaires sont des régions hostiles, soumises à des conditions climatiques extrêmes et difficiles d’accès, des avancées technologiques ont été mises en place pour s’adapter à ces milieux extrêmes, notamment en termes d’automatisation, d’autonomie de capteurs et de technologies de communication.

Le Protocole de Madrid interdit toute dégradation de l’environnement antarctique et soumet toute activité, dont l’activité scientifique, à une étude d’impact environnementale préalable. Afin de respecter cette contrainte, le développement des technologies est indispensable, que ce soit pour réduire l’empreinte écologique des infrastructures (par l’installation de panneaux solaires, d’éoliennes, ou la gestion des eaux usées), ou pour limiter les effets nocifs des expérimentations qui sont menées, dans le cadre de l’observation des animaux. À cet égard, Yan Ropert‑Coudert a montré que les enjeux sont doubles : ne pas faire souffrir les animaux et éviter de mesurer des paramètres qui seraient faussés par la démarche scientifique.

Yvon Le Maho a rappelé que les chercheurs français ont été pionniers dans l’utilisation de puces RFID pour la radio‑identification des animaux dans leur milieu naturel. Ces puces ne pesant qu’un gramme et ne contenant pas de batteries peuvent être implantées sous la peau des manchots. Contrairement au baguage d’ailerons, qui était utilisé jusque‑là, elles n’entraînent pas de gêne hydrodynamique pour ces animaux. On a en effet pu mettre en évidence les effets désastreux de la gêne hydrodynamique provoquée par le baguage précédemment utilisé.

Yan Ropert‑Coudert a présenté la révolution technologique que représente le biologging pour le suivi des animaux, mais également pour d’autres domaines scientifiques. L’équipement des animaux avec des appareils d’enregistrement miniaturisés permet de suivre leurs déplacements, de reconstituer leurs activités et d’obtenir des informations sur divers paramètres. Étendu à plusieurs espèces clés, le biologging fournit des informations sur leur localisation et les zones dans lesquelles ils se nourrissent, ce qui permet d’identifier les zones écologiquement riches en proies variées et donc importantes à protéger. L’observation des animaux peut donc nous aider à délimiter les futures aires marines protégées. Le biologging permet aussi d’utiliser certains prédateurs pour faire des mesures, par exemple des éléphants de mer qui parcourent des distances très importantes et plongent jusqu’à 2  000 mètres, et recueillir des informations sur la température, la salinité de l’eau, la concentration en chlorophylle, l’état des ressources trophiques, etc. D’après Yan Ropert‑Coudert, 80 % des profils océanographiques, au sud des 60 degrés, sont échantillonnés par les phoques austraux.

J’en viens maintenant à une innovation biomédicale à travers l’exemple de la sphéniscine. Yvon Le Maho a insisté sur le rôle de la recherche polaire dans le développement d’innovations biomédicales et a cité cet exemple emblématique. Les manchots royaux assurent généralement la dernière phase de l’incubation en conservant de la nourriture dans leur estomac qu’ils donnent aux poussins. Cette nourriture n’a pas été digérée et est restée intacte, en dépit d’une température corporelle de 38 degrés Celsius. Cette conservation a donc été observée, et la présence d’un peptide dans l’estomac du manchot a été décelée, la sphéniscine. Cette molécule, antibactérienne avérée et efficace contre les agents de certaines maladies nosocomiales, telles l’aspergillose et le staphylocoque doré, pourrait se substituer aux antibiotiques face à l’antibiorésistance croissante constatée actuellement, mais également en raison de la mauvaise efficacité des antibiotiques en milieu salin. C’est le cas notamment pour les infections oculaires. Par ailleurs, la sphéniscine pourrait être utilisée pour la conservation des aliments.

La recherche en milieu polaire offre également des outils précieux pour la décision politique. Comme l’a fait remarquer Sabine Lavorel, la recherche polaire en sciences juridiques et politiques porte sur des thématiques stratégiques telles que les enjeux géopolitiques ou les enjeux liés à la protection de l’environnement. En matière d’enjeux géopolitiques et de relations internationales, Sabine Lavorel a décrit plusieurs des thèmes abordés par la recherche polaire.

L’un des sujets est celui de l’analyse des coopérations internationales : la diplomatie polaire est devenue un instrument privilégié par certains États pour influencer les relations internationales en leur faveur, par des moyens autres que coercitifs (soft power), et pour renforcer la légitimité de leur action internationale. L’analyse de la gouvernance des pôles à travers cette question pose le problème plus général de la gestion des biens communs, c’est‑à‑dire des espaces non appropriés qu’il faut gérer collectivement, comme c’est le cas pour l’Antarctique, dans le but de les préserver et de les pérenniser. Il s’agit des forêts, des rivières, de l’atmosphère. Ce sujet rejoint celui de la gouvernance de l’espace extra‑atmosphérique, qui va constituer une nouvelle frontière.

L’analyse des enjeux de puissance autour des pôles constitue un autre thème d’investigation. L’ouverture de nouvelles voies maritimes dans l’océan Arctique et un accès facilité aux ressources minérales du Grand Nord entraînent la résurgence de tensions internationales. En Antarctique, de nouvelles puissances, telles que la Chine, émergent, alors qu’elles n’étaient traditionnellement pas des puissances polaires et pourraient chercher à remettre en cause le fonctionnement multilatéral du traité de l’Antarctique.

Enfin, la recherche polaire s’intéresse à l’analyse des enjeux de défense et de coopération militaire : le Traité sur l’Antarctique interdit toute présence militaire, mais cette région devient une zone stratégique pour les intérêts de défense, notamment à travers la rhétorique sur l’axe indopacifique.

En matière d’environnement, les activités touristiques sont un sujet pour les recherches polaires, ainsi que la bio‑prospection ou encore la géo‑ingénierie. L’apparition de nouveaux risques environnementaux, au cours des dernières décennies, a entraîné un renouvellement de ces recherches qui concluent à l’insuffisance les dispositifs juridiques actuels face aux nouveaux risques. L’essor des activités d’extraction a des répercussions particulièrement néfastes sur les sociétés humaines qui avaient su, pendant des millénaires, conserver ces environnements fragiles intacts.

Alexandra Lavrillier a rappelé qu’environ 100 millions de personnes étaient concernées par les recherches en zone arctique, en tenant compte de l’Arctique et du Subarctique, dont 110 peuples autochtones. Les chercheurs s’intéressent aux mécanismes juridiques nécessaires pour protéger les droits et les modes de vie spécifiques des populations autochtones. Au‑delà des peuples de l’Arctique, ces recherches posent la question du principe de la protection des droits des peuples autochtones, quel que soit le continent sur lequel ils vivent.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Le troisième volet de notre rapport concerne la position de la recherche française sur les pôles compte tenu des moyens insuffisants qui lui sont attribués.

Lors de l’audition, il a été insisté sur le fait que la France a été à la pointe de l’exploration et de l’étude des terres du Grand Nord et du Grand Sud. Elle fait partie des rares nations scientifiques à être présente dans les pôles des deux hémisphères, ainsi que dans les territoires subarctiques, et elle compte parmi les grands acteurs polaires. Néanmoins, son statut est menacé aujourd’hui, en raison d’un sous‑investissement chronique, à la fois dans la recherche et dans les opérations de logistique que cette recherche nécessite, mais également faute d’une stratégie globale à long terme.

Lors de l’audition, Olivier Poivre d’Arvor a rappelé les célèbres noms d’explorateurs que nous avons chacun pu connaître à travers nos études. Mais aujourd’hui, l’enjeu majeur concerne la présence française dans les pôles, les moyens humains, financiers et logistiques mis en œuvre. En Arctique, la France partage avec l’Allemagne une station de recherche scientifique, dans l’archipel de Svalbard, ce qui lui permet de participer, en tant qu’observateur, au Conseil de l’Arctique. Cette coopération internationale exige bien sûr des moyens et nous constatons que ceux mis à la disposition de la recherche française ne sont pas toujours à la hauteur de ses ambitions.

Certes, l’excellence de la recherche française est reconnue internationalement. Comme en témoignent les chiffres avancés par Charles Giusti, elle est au premier rang mondial pour la production d’articles scientifiques sur le subantarctique, au cinquième rang pour la production d’articles scientifiques sur l’Antarctique et au deuxième rang pour les index de citations d’articles. La recherche française en sciences sociales et humaines subarctique et arctique a une longue tradition en anthropologie, en linguistique, en littérature, en géographie.

Aujourd’hui, la recherche française peut s’appuyer sur des bases de données anciennes inestimables qui nous permettent d’innover, de mieux connaître l’histoire de notre Terre ainsi que les enjeux futurs afin d’agir pour sauver la biodiversité des pôles.

Concernant la stratégie polaire de la France, notre pays est distancé sur un certain nombre de sujets au regard de l’insuffisance chronique des financements et de moyens logistiques qui atteignent désormais leurs limites. Les personnes auditionnées ont rappelé que l’IPEV est chargée des infrastructures et de la logistique, en lien avec l’administration des Terres australes et antarctiques françaises. Toutefois, son budget annuel de 16 millions d’euros apparaît beaucoup trop faible. Les comparaisons internationales confirment l’inadéquation de ce budget par rapport à ses missions. Ainsi, le budget de l’agence italienne s’élève à 23 millions d’euros, ou, plus précisément à 18 millions d’euros si on extrait les financements dédiés aux laboratoires de recherche situés en Italie, afin de mieux le comparer au budget de l’IPEV. Le budget du service logistique de l’Alfred Wegener Institute, l’Institut allemand, pour les missions polaires, est de 53 millions d’euros et celui de l’Australian Antarctic Division est de 88 millions d’euros. Le budget de fonctionnement de l’IPEV n’apporte pas assez de marges de manœuvre en cas d’imprévus. Enfin, avec un budget d’investissement de 2 millions d’euros par an, l’IPEV est dans l’incapacité de financer ses investissements, pourtant indispensables compte tenu de la vétusté de certaines installations, de la nécessité de réduire leur impact environnemental et du développement des technologies. À terme, les contraintes budgétaires imposées à l’IPEV pourraient remettre en cause les partenariats historiques noués entre la France et d’autres grandes nations polaires comme l’Allemagne, l’Italie et l’Australie.

L’enjeu majeur aujourd’hui concerne l’investissement dans la logistique. Notre recherche est handicapée par l’absence de brise‑glace de recherche. Olivier Lefort a expliqué que la Flotte océanique française fait partie des trois premières flottes océaniques européennes et des cinq premières flottes mondiales. Elle est composée notamment de quatre navires hauturiers, dont le Marion Dufresne, propriété des TAAF, mais qui est sous‑affrété 217 jours par an par l’Ifremer, pour réaliser des missions océanographiques, principalement au sein de l’océan Austral. Toutefois, la Flotte océanographique française ne comporte pas de brise‑glace permettant de réaliser des campagnes océaniques dans les zones polaires. Même si la coopération internationale permet à la France d’utiliser des brise‑glaces pour des périodes limitées, l’absence de brise‑glace de recherche fait de la France une exception par rapport à d’autres nations polaires comparables comme l’Allemagne, l’Italie, le Royaume‑Uni et l’Australie. Les pistes évoquées et envisagées pour pallier cette difficulté sont notamment un partenariat entre l’Ifremer et l’Université de Laval. Les Canadiens profiteraient des navires océanographiques français en Atlantique Nord et la communauté de recherche française accèderait au brise‑glace canadien Amundsen pendant deux ou trois semaines par an environ.

Le sous‑dimensionnement des moyens logistiques attribués à la recherche française polaire est étroitement lié à l’absence de stratégie globale arrêtée au plus haut niveau. Cette absence de stratégie nationale a également des répercussions négatives sur le financement de la recherche. Jérôme Chappellaz a rappelé que les financements pour la recherche en milieu polaire étaient assez disparates, tout en insistant sur le rôle fondamental des financements européens. Sabine Lavorel a regretté le peu de visibilité de la recherche polaire française en droit et en sciences politiques, en l’absence de laboratoire de recherche dédié à ces thématiques. Au niveau international, la participation des scientifiques français à des groupes de travail est limitée, faute d’un nombre suffisant de chercheurs spécialisés dans ces disciplines, ce qui affaiblit le poids de la France dans la préparation des décisions.

Dans ce contexte, avec Angèle Préville, nous formulons des recommandations afin d’insuffler une nouvelle dynamique à la recherche française en milieu polaire. Nous espérons qu’à l’occasion de la présidence française de la RCTA, il sera possible d’obtenir des crédits supplémentaires permettant d’atteindre un niveau de financement équivalent à celui de nos homologues internationaux, voire supérieur.

Cette audition publique a rappelé l’importance des pôles au regard des enjeux économiques, géopolitiques et environnementaux, décisifs pour l’avenir de notre planète. La recherche scientifique en milieu polaire est fondamentale à un double titre. Non seulement elle joue un rôle clé dans la compréhension des enjeux mentionnés précédemment, mais elle est la condition nécessaire pour participer à la gouvernance des pôles. Par conséquent, au‑delà de son impact négatif sur le maintien de l’excellence de la recherche française en milieu polaire, le décrochage de la France par rapport aux autres nations polaires fragilise le rôle qu’elle souhaite jouer, à la fois dans la protection environnementale des pôles et dans la défense de ses intérêts stratégiques.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Les propositions que nous faisons s’inscrivent dans la logique des constats qui viennent d’être détaillés par Huguette Tiegna. Il s’agit d’abord de renforcer les moyens logistiques et financiers de la recherche et d’augmenter les moyens humains et financiers de l’Institut Paul‑Émile Victor afin de lui permettre de faire face aux frais opérationnels récurrents et de financer les coopérations bilatérales.

Les investissements structurants concernent d’abord la rénovation des stations Dumont d’Urville et Concordia, du siège de l’IPEV à Brest et des refuges subantarctiques, avec comme il a été dit précédemment, un haut niveau d’exigence environnementale, ce qui crée des frais supplémentaires.

En ce qui concerne le renforcement des moyens océanographiques de la recherche française en milieu polaire, il faut, à court terme, financer le renforcement des partenariats, avec l’Alfred Wegener Institute et l’Australian Antarctic Division, afin de pouvoir utiliser leurs brise‑glaces ; à moyen terme, il faut envisager la construction d’un navire à capacité glace, c’est‑à‑dire un navire qui serait moins coûteux qu’un brise‑glace, mais qui permettrait aux chercheurs de poursuivre leurs recherches et de ne pas être dépendants d’accords de partenariat.

Un accroissement des financements accordés à la recherche française polaire en sciences humaines et sociales est par ailleurs indispensable pour améliorer sa visibilité, aussi bien au niveau national qu’international, et développer des collaborations avec d’autres disciplines scientifiques. Il est également important de soutenir financièrement la participation d’autochtones arctiques et subarctiques à la recherche française. Voilà pour les recommandations financières.

La deuxième série de recommandations porte sur le renforcement des coopérations européennes et internationales. Il s’agit d’abord d’inciter l’Union européenne à inscrire certaines infrastructures françaises polaires dans la feuille de route stratégique recensant les priorités d’investissement dans les infrastructures de recherche européennes pour les 10 ou 20 prochaines années.

Ensuite, il faudrait renforcer les partenariats bilatéraux qui existent déjà et l’échange des services, afin de permettre aux chercheurs français d’accéder à des infrastructures importantes, notamment les brise‑glaces, à des coûts raisonnables.

Par ailleurs, nous recommandons de soutenir des projets de recherche internationaux ambitieux sur des sujets sociétaux majeurs, tels que l’évaluation de la contribution de l’Arctique et de l’Antarctique de l’Est à l’élévation future du niveau des mers ou la préservation de la biodiversité et la mise en place d’aires marines protégées.

Enfin, notre dernière recommandation vise à définir une stratégie polaire nationale ambitieuse, à la hauteur de l’intérêt de la France pour les pôles. Il convient de déterminer les intérêts et la stratégie de la France en Arctique, en Antarctique et dans l’océan Austral. Il sera ensuite primordial d’arrêter un plan d’action pour la recherche française en milieu polaire, pour les quinze prochaines années.

Il nous semblerait opportun de donner un signal fort de l’engagement scientifique de la France en Antarctique lors de la présidence française de la Réunion consultative du Traité sur l’Antarctique, qui aura lieu au mois de juin 2021, en présentant par exemple, à cette occasion, le plan de financement de la rénovation de la station Dumont d’Urville.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Merci beaucoup pour la présentation de ces conclusions.

Mme Michelle Meunier, sénatrice. – Je n’ai pas de question particulière mais je voulais dire toute ma satisfaction et ma fierté d’appartenir à l’OPECST lorsque j’entends des rapports comme celui‑ci. J’avais déjà beaucoup appris lors de l’audition publique du 6 mai dernier. Merci pour ce rapport.

Mme Laure Darcos, sénatrice. – Je voudrais aussi remercier les deux rapporteures et les services de l’OPECST. Le rapport est absolument passionnant. Olivier Poivre d’Arvor est venu parler avec beaucoup de diplomatie – c’est son rôle sur le sujet – du retard diplomatique accumulé par notre pays, en raison notamment d’une de ses prédécesseurs. Avez‑vous tenu compte aussi de ce sujet dans votre rapport ? Vous en parlez moins, à juste titre, puisque le rapport porte davantage sur l’aspect scientifique. Mais avons‑nous pris un retard diplomatique par rapport aux autres pays parties prenantes dans ces territoires ? Est‑ce encore rattrapable, ne serait‑ce que parce que nous allons prendre maintenant la présidence de la RCTA ?

M. André Guiol, sénateur. – Un grand bravo aux rapporteures pour leur travail qui nous fait prendre conscience, si besoin était, des difficultés auxquelles nous allons être confrontés. Pour ma part, je m’intéresse au volet curatif et poserai deux questions. D’une part, pourquoi ne s’attaque‑t‑on pas aux coupes de bois en général ? Autant le stockage de bois sous forme de poutres, pour stocker du carbone, est une bonne approche, autant continuer aujourd’hui à brûler du bois dans l’atmosphère me semble complètement incohérent. D’autre part, pourquoi observe‑t‑on une augmentation du CO2 et non pas une baisse de l’oxygène dans l’atmosphère ?

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je redis ici la qualité de l’audition et la qualité de cette note de synthèse. Félicitations aux rapporteures. Je vous rappelle que l’audition a été réalisée en partie en traduction simultanée. Les conditions étaient assez complexes et la qualité du rendu est remarquable. Je souhaite juste vérifier que la synthèse cite explicitement tous les intervenants des tables rondes, à un moment ou à un autre. J’attire également votre attention sur une proposition de résolution à venir du Modem, portée par Frédérique Tuffnell, visant à inciter le gouvernement à agir en faveur de la création d’aires marines protégées en Antarctique et dans laquelle Jimmy Pahun s’est largement impliqué. Il sera important de la suivre et, le moment venu, de participer à la discussion afin d’exprimer la position de l’OPECST par la voix d’Huguette Tiegna. Je crois comprendre que l’examen de cette proposition est prévu pour le mois de juin, mais la date n’est pas encore connue. Si le Sénat souhaitait la reprendre, nous en serions bien sûr ravis, tout cela étant en cohérence avec la date de mi‑juin à laquelle la France prendra la présidence de la RCTA.

En ce qui concerne la synthèse des auditions, je ferai les remarques suivantes. D’abord, nous pouvons signaler que les scientifiques eux‑mêmes nous avaient sensibilisés à ce rendez‑vous. C’est bien de le saluer. Nous sommes toujours ravis de répondre aux attentes d’une demande, soit politique, soit scientifique.

Les cartes sont très intéressantes. Dès le début, on parle du Conseil de l’Antarctique, du Conseil de l’Arctique. On comprend qu’il y a des similitudes et des différences importantes. D’un côté, il y a des États consultatifs et non consultatifs, de l’autre, les États du Conseil et les États observateurs. Il serait intéressant d’avoir, même si nous n’en avons pas discuté en détail, soit en note de bas de page, soit en appendice, une comparaison des deux systèmes. Géographiquement, le contraste est très bien expliqué. J’aimerais que l’on en dise un peu plus sur les systèmes de gouvernance. Dans un cas, il y a un moratoire sur l’exploitation ; dans l’autre cas, au contraire, l’exploitation augmente. Il serait intéressant d’avoir, du point de vue politique, une brève comparaison.

Au cours de l’audition publique, plusieurs intervenants ont exprimé leurs inquiétudes sur les évolutions observées aussi bien en Arctique qu’en Antarctique. Même si celles‑ci ont été décrites clairement, il serait bien de les souligner davantage : inquiétudes sur l’impact de l’exploitation minière, des forages, de la course aux hydrocarbures, des conditions dans lesquelles cela se fait, de la pollution qu’elle induit. On nous a parlé de rivières qui prennent feu dans des contextes très pollués, etc. Il faudrait insister également sur l’impact du tourisme en Antarctique, notamment avec le développement du tourisme chinois. Enfin, il faut insister sur la mise en danger des peuples autochtones Il me semble qu’il serait légitime d’ajouter une recommandation supplémentaire pour tenir compte de ces inquiétudes.

Les grands points de la conclusion sont de renforcer les moyens logistiques et financiers de la recherche, de renforcer les coopérations et de définir une stratégie polaire nationale ambitieuse. Il me paraît important d’ajouter que l’un des enjeux est aussi, pour la France, d’avoir une stratégie d’influence pour renforcer la protection de l’Arctique et de l’Antarctique sur les trois sujets que nous avons évoqués. Cet enjeu est évidemment lié au précédent, parce sans une stratégie nationale forte, la France ne sera pas crédible pour influer sur les autres parties prenantes, mais cette stratégie d’influence pourrait être explicitement visée dans les objectifs que la France doit se donner. Il est bien expliqué aussi que la Russie comme la Chine incitent à une exploitation croissante des ressources halieutiques en Antarctique, sachant que la Chine serait peut‑être prête à y renoncer si la Russie abandonnait ses prétentions.

Concernant la biodiversité, je suggère d’insérer un paragraphe spécifique, même s’il est bref, sur ce qu’apporte l’étude de la biodiversité. Il est bien expliqué comment on peut l’étudier sans la perturber. On peut développer le passage sur la robotique, parce que c’est spectaculaire, comme le petit robot qui se déguise en bébé manchot. Il faut aussi insister sur ce que cela peut avoir d’intéressant. Un thème qui est mentionné, mais qui pourrait être davantage abordé, concerne le fait que les pôles sont des réservoirs de spéciation, d’apparition de nouvelles espèces, peut‑être sous l’influence des conditions extrêmes. De façon générale, les conditions extrêmes font que les pôles sont particulièrement intéressants pour les enjeux climatiques, mais aussi pour les enjeux de biodiversité en tant que tels. Comme le dit très bien la note, les pôles sont aussi un laboratoire d’innovations, avec des éléments sur le repérage, le RFID et le GPS.

Sur l’histoire française, dans la lignée de la grande tradition d’exploration, j’aurais aimé que l’on dise quelques mots, bien que ce ne fût pas abordé dans l’audition, sur les motivations de cette exploration. Il me semble qu’il existe en particulier un idéal d’exploration de la France ‑ l’idéal universaliste ‑ et qu’un lien peut être fait entre le passé et le présent, même au plan symbolique, en rappelant par exemple que L’Astrolabe était le nom du navire de Dumont d’Urville, qui portait lui‑même le nom du navire de La Pérouse. La note pourrait encore davantage insister sur le fait qu’aujourd’hui, la France ne rend pas honneur à cette grande tradition d’universalisme et de connaissance qui l’a animée et l’a poussée à faire partie des grandes nations polaires, aussi bien au niveau des moyens accordés à la science qu’au niveau des ambitions et des idéaux qu’elle défend. On pourrait parler de trahison.

La note évoque l’excellence de la recherche française reconnue internationalement. Le terme est trop faible. Les chiffres que vous évoquez prouvent qu’elle n’est pas seulement reconnue internationalement, elle est vraiment l’un des premiers acteurs mondiaux. C’est une raison supplémentaire de donner à la recherche, à nos chercheurs et à nos chercheuses, les moyens de leurs ambitions.

Le lien avec le précédent rapport de l’OPECST est bien fait. Je n’ai rien à redire.

Laure Darcos évoquait tout à l’heure l’excellente intervention d’Olivier Poivre d’Arvor. Nous avons réalisé des comparaisons internationales, mais elles sont assez compliquées parce que les périmètres ne sont pas exactement les mêmes. Il me semble que se dégageait de cette audition l’idée que les ajustements financiers nécessaires ne représentent pas des progressions de 10 ou 15 %, mais de l’ordre d’un facteur 2. Nous sommes la seule grande nation de recherche à ne pas avoir de navire brise‑glace et nos équipements sur place sont délabrés par rapport aux autres. Je pense qu’il faut être plus ambitieux sur les recommandations en termes budgétaires, pour dire clairement que le compte n’y est pas, d’un facteur 2 ou 3. En comparant avec les investissements énormes réalisés dans d’autres secteurs stratégiques, c’est juste incompréhensible. Olivier Poivre d’Arvor fait la comparaison avec les équipements militaires. Il dit que le budget de l’IPEV représente une mini‑fraction de ce qui est dépensé pour la défense. La comparaison est justifiée au sens où les intérêts stratégiques et géostratégiques sont aussi considérables et qu’il y a donc lieu d’investir dans ce domaine.

Vous n’avez pas mentionné la visite de la ministre de la recherche en Antarctique. Nous pouvons la mentionner : c’est une preuve supplémentaire du décalage entre les ambitions affichées et ce qui est réalisé sur le terrain. Une ministre se rend sur place pour la première fois depuis longtemps. Où est ensuite le budget qui va de pair ? Il faut insister sur le fait que la France ne sera pas crédible, dans sa stratégie d’influence géostratégique, si elle ne met pas elle‑même les moyens.

Quand il est dit que « la recherche pourrait jouer un rôle clé pour comprendre le réchauffement climatique », j’aimerais que soit mentionnée aussi l’étude sur la biodiversité et le vivant, soit dans une section supplémentaire, soit dans le titre. À la simple lecture des titres, la biodiversité et le vivant n’apparaissent pas. Il faut insister sur le sujet. Il existe toute une tradition dans ce domaine et il y a des équipes de naturalistes et de biologistes très importantes, dont fait partie Yvon Le Maho.

J’aimerais que ressorte également cette idée que les pôles sont un secteur clé pour la médiation et la culture scientifiques. Certains reportages ont été spectaculaires, par exemple sur ces robots ou sur l’étude des manchots, mais de façon générale, nous pouvons faire le parallèle avec l’espace. L’espace et l’Antarctique sont les deux seuls endroits qui ont une certaine gouvernance internationale, avec un moratoire, mais ils sont aussi deux espaces particulièrement intéressants pour la recherche en conditions extrêmes et pour la vulgarisation. Angèle Préville avait réagi lors de l’audition, en disant que l’évolution des proportions de CO2 à travers les âges était plus frappante que n’importe quel discours. Je pense que nous devrions insister sur ce point. J’avais relevé lors de l’audition que le navire britannique s’appelle le Sir David Attenborough, du nom du plus grand vulgarisateur scientifique britannique, ce qui montre le rôle des pôles dans la médiation scientifique.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – J’ai bien mesuré la chance immense que nous avons d’avoir un ambassadeur des pôles qui s’investit, qui est très volontariste et qui a envie de faire bouger les choses. Je pense que nous pouvons compter sur lui pour mener ce travail diplomatique qui permettra à la France de mieux faire entendre sa voix.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – J’ai été favorablement impressionné par son intervention, la façon dont il a saisi les enjeux à bras‑le‑corps et parlé avec des mots justes de l’importance de la recherche, de la place de la France, de son rayonnement et de cette volonté très ancienne de la France de vouloir influer sur la marche du monde dans son ensemble. Les pôles sont l’un des endroits où cette volonté doit se manifester.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Nous comptons sur lui. Nous l’avons entendu par exemple à la Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat, il n’y a pas si longtemps, je pense que nous l’auditionnerons à nouveau et que nous suivrons le sujet.

Sur la question d’André Guiol sur l’augmentation de dioxyde de carbone et la non‑diminution de l’oxygène, la proportion de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est en réalité faible. Certes, on observe une augmentation, mais elle ne représente pas des quantités importantes. Le diagramme présenté par Catherine Ritz montrait que ces fluctuations, sur 800 000 ans, étaient restées quasiment les mêmes jusqu’à très récemment. Depuis, on constate une augmentation du CO2 qui est peu importante, mais qui suffit à tout perturber. La quantité d’oxygène est bien plus importante. Si elle subit une légère diminution, celle‑ci n’a pas d’impact.

Nous avons d’ailleurs l’intention d’inclure ce diagramme dans notre rapport, parce qu’il est très parlant. Je partage aussi ce qui a été dit sur la biodiversité. Nous insisterons sur ce sujet et en ferons une partie à part. Pour ce qui est de l’histoire française, je crois qu’il est important de mettre en avant la tradition d’exploration et cet idéal universaliste et de connaissance. Nous sentons que nous avons perdu un peu le fil de tout cela. Je pense que ce sont des choses qu’il faudra mettre plus en avant.

Bien que le rapport mentionne le fait que le compte n’y est pas sur les investissements, nous allons développer un peu les aspects quantitatifs.

Enfin, le rapport mentionne les inquiétudes sur l’évolution, notamment géopolitique, mais peut‑être pas suffisamment. Nous ferons les ajouts nécessaires.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Il faudrait inscrire dans les objectifs le fait d’avoir une politique d’influence plus ambitieuse.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – En tant que parlementaires, par divers biais, nous constatons que les Chinois essaient de gagner du terrain et ont des stratégies très fortes que nous ne voyons pas toujours venir. J’ai été frappée par les photos de touristes chinois qui viennent sur les glaces poser en robe de mariée. C’est une pratique qui s’installe et comme les Chinois sont très nombreux, on peut s’attendre à ce que ce genre de tourisme se développe. Nous devons être particulièrement vigilants car ces pratiques auront un impact sur ces milieux très fragiles que sont les pôles.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Il en est de même pour l’exploitation halieutique. Côté chinois, une industrie dévastatrice continue à s’organiser.

Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. – Tout à fait. Ils ont des moyens que nous n’avons pas. Quand ils commencent à s’investir sur un sujet, nous ne les voyons pas venir, mais il ne faudrait pas qu’il soit trop tard pour réagir. Il faut notamment que nous soyons très vigilants sur les aires marines protégées à mettre en place en Antarctique. C’est pourquoi il ne faut pas perdre notre place dans la gouvernance. Or, cette place se justifie par le fait que nos chercheurs viennent réaliser des recherches en Antarctique. C’est une question de proportionnalité. Si nous n’avons quasiment plus personne, nous n’aurons plus d’influence sur la gouvernance de l’Antarctique. Nous avons bien entendu des chercheurs que l’absence de brise‑glace était un frein important. Sans ce matériel, ils ne peuvent pas poursuivre les recherches de manière complète.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Nous avons certes connu un retard en termes de diplomatie puisqu’entre son prédécesseur et Monsieur Poivre d’Arvor, il y a eu un arrêt, mais désormais, nous avons un nouvel ambassadeur qui est dynamique et qui a même demandé le soutien des parlementaires pour inciter l’État à déployer des moyens humains et financiers. Nous avons donc un rôle à jouer pour renforcer la diplomatie et les ambitions de la France dans les pôles.

Notre collègue a demandé pourquoi nous continuons de brûler du bois. Dans la comparaison des sources d’énergie qui sont utilisées par l’humain, nous partons du postulat qu’il faut éviter l’exploitation des énergies fossiles et privilégier l’exploitation des énergies « vertes ». Le bois fait partie des énergies vertes, mais son processus de transformation fait qu’il ne remplit pas toujours sa fonction d’énergie verte. En le comparant toutefois avec les énergies fossiles, on peut dire qu’il est utile. Cela dit, l’exploitation forestière est nocive pour l’environnement. Le bois qui est exploité doit donc être impérativement remplacé, même s’il faut 30 ou 40 ans pour arriver à une biodiversité forestière. C’est un sujet très compliqué, qui soulève de nombreuses divergences d’opinion.

Concernant la proposition de résolution de Frédérique Tuffnel, je verrai avec elle comment l’OPECST peut s’y associer dans la rédaction, mais aussi peut‑être par une prise de parole lors de sa discussion en séance publique.

S’agissant des remarques sur l’exploitation minière, en 2018, nous avions voté la loi qui interdisait l’exploitation des hydrocarbures sur les territoires français.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Le fait d’avoir voté cette loi donne un peu plus de crédibilité à la France pour proposer une évolution à l’international sur le sujet.

Mme Huguette Tiegna, députée, rapporteure. – Tout à fait. Enfin, nous évoquerons dans notre rapport la visite de la ministre en Antarctique. C’est important. Je pense d’ailleurs qu’elle sera intéressée par ce rapport.

Nous ajouterons également un point spécifique dans les recommandations, sur la stratégie d’influence française dans les pôles.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Nous faisons confiance aux deux rapporteures pour prendre en compte les remarques qui ont été formulées. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de représenter formellement ces conclusions à l’Office, dans la mesure où aucune des évolutions demandées n’est polémique ou délicate. Nous vous remercions encore pour ce remarquable travail.

L’Office adopte les conclusions présentées et autorise à l’unanimité la publication du rapport présentant les conclusions et le compte rendu de l’audition publique du 6 mai 2021 sur les enjeux de la recherche française en milieu polaire.

 


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ANNEXE 1 : TABLEAU COMPARATIF DU CONSEIL DE L’ARCTIQUE ET DE LA RÉUNION CONSULTATIVE DU TRAITÉ SUR L’ANTARCTIQUE


 

 


 

 


 


Liste des États parties au Traité sur l’Antarctique

(à jour au 1er juin 2021)

 

 

 

 

 


ANNEXE 2 : PRÉSENTATIONS DES INTERVENANTS

 

 

Les présentations des intervenants à l’audition publique du 6 mai 2021 sont disponibles page 99 à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ots/l15b4202_rapport-information.pdf

 

 


[1] Rapport de Christian Gaudin, sénateur : « La place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire : le cas de l’Antarctique » ‑ Assemblée nationale n° 3702 (12e législature), Sénat n° 230 (2006-2007).

[2] Rapports de Christian Gaudin, sénateur : « Les pôles, témoins pour les hommes (ouverture de l’année polaire) » ‑ Assemblée nationale n° 3814 (12e législature), Sénat n° 362 (2006-2007) et « Faut-il créer un observatoire de l’Arctique ? » ‑ Assemblée nationale n° 1140 (13e législature), Sénat n° 503 (2007-2008) ; rapport de Claude Birraux, député : « L’évaluation de la présence française dans les îles subantarctiques » ‑ Assemblée nationale n° 4101 (13e législature), Sénat n° 208 (2011-2012).

[3] Marie-Noëlle Houssais a parlé d’une « quasi‑Méditerranée ».

[4] L’Argentine, l’Australie, le Chili, la France, la Norvège, la Nouvelle‑Zélande et le Royaume‑Uni.

[5] Route maritime du Nord.

[6] Les États-Unis, le Canada, le Danemark, l’Islande et la Norvège sont membres de l’OTAN.

[7] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

[8] Polychlorobiphényles.

[9] Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR).

[10] Protocole dit « Protocole de Madrid » dont Michel Rocard et Robert Hawke furent les initiateurs et négociateurs.

[11] C’est également le cas pour l’aire marine protégée des Îles Orcades du Sud.

[12] De nombreuses régions des océans polaires restent inexplorées et les observations systématiques sont récentes.

[13] Système d’identification automatique.

[14] Les robots peuvent se déplacer au milieu des manchots royaux sans être perçus comme une menace ni une gêne. Affublés d’une peluche représentant un poussin, les robots peuvent se glisser parmi les manchots empereurs serrés les uns contre les autres et s’introduire dans une crèche de vrais poussins.

[15] Enregistreur de données, qui les stocke et peut même, depuis peu, les transmettre.

[16] The Census of Antarctic Marine Life.

[17] Cf I. B.  sur les enjeux géostratégiques.

[18] Le nom de l’actuel brise-glace français, L’Astrolabe, témoigne de la revendication par la France de cet héritage. Plusieurs navires d’exploration mythiques ont porté le nom « Astrolabe » : l’une des deux frégates du comte de La Pérouse disparues en 1788 dans le Pacifique au cours de la première grande expédition française à but uniquement scientifique ; l’une des deux corvettes de Jules Dumont d’Urville avec laquelle il débarqua en Antarctique en 1840.

[19] Joseph Martin, géologue et explorateur, a été l’un des premiers à traverser la Sibérie orientale et sa chaîne de montagne du sud-est à la fin du 19e siècle. Paul-Émile Victor, explorateur et spécialiste des Inuits, a créé et dirigé pendant près de trente ans les Expéditions polaires françaises. Jean Malaurie, géographe spécialisé dans la géomorphologie, a réalisé plusieurs missions au Groenland entre 1948 et 1950, et a été le premier homme avec l’Inuit Kutsikitsoq à atteindre en 1951 le pôle Nord géomagnétique.

[20] SURVeillance de l’Océan auSTRAL : programme de surveillance depuis 1992 de différents paramètres physiques dans l’océan Austral sur une ligne répétée (6 à 19 fois par an) entre Hobart et la station Dumont d’Urville à l’occasion des rotations de L’Astrolabe.

[21] Les TAAF financent les rotations logistiques du Marion-Dufresne dans les îles australes et l’entretien des bases permanentes dans les îles subantarctiques.

[22] L’audition publique a montré la difficulté de comparer les budgets des opérateurs en raison de périmètres souvent différents. Ainsi, le chercheur allemand Uwe Nixdorf a avancé le chiffre de 150 millions d’euros mais celui-ci correspond à un périmètre qui dépasse largement l’appui logistique à la recherche polaire allemande. Les chiffres mentionnés donnent toutefois un ordre de grandeur et permettent de comprendre le décalage croissant entre le budget de l’IPEV et celui des autres opérateurs logistiques étrangers.

[23] Agence nationale pour les nouvelles technologies, l’énergie et le développement économique durable.

[24] Institut polaire allemand.

[25] Opérateur australien au service de la science en Antarctique.

[26] Le calcul a été établi en divisant le budget de chaque opérateur par le nombre de scientifiques déployés. Le coût par scientifique déployé s’élève à 50 000 euros pour l’IPEV, 105 000 euros pour l’ENEA-UTA et 176 000 euros pour l’AAD. Le nombre de scientifiques envoyés par l’AWI n’a pas été renseigné.

[27] Pendant les raids, les chauffeurs travaillent de 7h du matin à 21h30 tous les jours de la semaine.

[28] Il s’agit par exemple de transformer les refuges subantarctiques en refuges « intelligents », pouvant être instrumentés en permanence.

[29] Rapport de Christian Gaudin, sénateur : « La place de la France dans les enjeux internationaux de la recherche en milieu polaire : le cas de l’Antarctique » ‑ Assemblée nationale n° 3702 (12e législature), Sénat n° 230 (2006-2007).

[30] Date à laquelle la décarbonation totale de la station serait achevée.

[31] Frédérique Vidal, ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur.

[32] Cela passe par un relèvement conséquent du plafond d’emplois de l’IPEV à la fois « sous-plafond » et « hors plafond ».

[33] Moins cher qu’un brise-glace.

[34] Cette feuille de route est élaborée par le Forum stratégique européen sur les infrastructures de recherche (ESFRI).