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N° 4300

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 juin 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
 

tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement (n° 4109)

PAR M. Didier PARIS,

Député

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Voir le numéro : 4109

 


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos............................................... 5

compte rendu des débats


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MESDAMES, MESSIEURS,

Le 3 mai 2021, M. Meyer Habib, Mme Constance Le Grip et plusieurs de leurs collègues ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement.

Lors de la Conférence des Présidents du 15 juin 2021 ([1]), M. Jean-Christophe Lagarde, président du groupe UDI & Indépendants, a indiqué faire usage, pour cette proposition de résolution, du droit de tirage que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît, une fois par session ordinaire, à chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire ([2]).

Conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement et comme l’a indiqué la Conférence des Présidents, il revient à la commission des Lois, à laquelle a été renvoyée la proposition de résolution, de vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité d’une telle initiative.

De même, il n’y aura pas lieu de soumettre au vote de l’Assemblée nationale la proposition de résolution. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des Présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que celle-ci répond aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.

Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

● Tout d’abord, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion », en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

Selon l’article unique de la proposition de résolution, la commission aura pour objet « de rechercher les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement le cas échéant ».

L’exposé des motifs précise les points sur lesquels les travaux devront se concentrer. Pour ce qui concerne le fonctionnement des services de police, les interrogations portent sur l’intervention des premiers personnels parvenus sur les lieux et sur les investigations que les enquêteurs n’auraient pas accomplies. Dans le domaine judiciaire, il s’agit de l’application de l’article 122‑1 du code pénal qui prévoit l’irresponsabilité pénale de « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Le déroulement des expertises psychiatriques est notamment mis en question.

On peut ainsi considérer satisfaite la première condition de recevabilité.

● Ensuite, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, a eu lieu une mission d’information ayant fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d’enquête demandés dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement ou une commission d’enquête ayant le même objet ([3]).

Il convient de rappeler que, le 4 mai dernier, la commission des Lois a confié à nos collègues Naïma Moutchou et Antoine Savignat la charge de procéder à une mission flash sur l’application de l’article 122-1 du code pénal. Cette réflexion sur les mécanismes de l’irresponsabilité pénale, qui a eu également pour point de départ les arrêts rendus dans l’affaire Sarah Halimi, voit ses conclusions présentées au jour même de l’examen de la recevabilité de la présente proposition de résolution.

Toutefois, nos collègues ont mené leurs travaux dans le cadre réglementaire d’une mission d’information, et ils n’ont pas fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs d’une commission d’enquête. Par ailleurs, le champ de leurs investigations était plus restreint, se concentrant sur les règles de droit en vigueur, non sur les aspects opérationnels de l’affaire précitée.

La proposition de résolution remplit donc le deuxième critère de recevabilité.

● Enfin, en application de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Comme le soulignent toutefois les auteurs de la présente proposition de résolution, cette prescription légale vaut pour les investigations en cours. Elle ne saurait constituer un obstacle « une fois la procédure achevée ». Or, dans l’affaire dite Sarah Halimi, la Cour de cassation a mis un terme définitif à l’action publique à l’encontre de l’auteur des faits le 14 avril dernier ([4]).

Interrogé par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, a confirmé dans un courrier en date du 7 juin 2021 que le périmètre de la commission d’enquête envisagée « ne recouvre pas d’enquêtes en cours ».

Il résulte de l’analyse qui précède le caractère juridiquement recevable de la création d’une commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement.

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   compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 30 juin 2021, la Commission procède à l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d'enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement (n° 4109) (M. Didier Paris, rapporteur).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Chers collègues, l’ordre du jouer appelle l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement (no 4109). Cette initiative émane du groupe UDI et indépendants qui a fait usage, à cette fin, du « droit de tirage » que lui confère l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale. Nous avons donc à nous prononcer exclusivement sur la recevabilité de la demande, et non sur son opportunité.

M. Didier Paris, rapporteur. Le contrôle que j’ai été amené à effectuer est effectivement de pure forme. Je ne me prononcerai donc pas sur l’opportunité d’une telle commission d’enquête.

En premier lieu, pour que la demande soit recevable, les faits donnant lieu à enquête doivent être déterminés avec précision. Est-ce le cas ici ? Oui, indubitablement : la commission d’enquête vérifiera le travail de la police, abordera la question de l’irresponsabilité pénale – largement évoquée à l’instant par les rapporteurs de la mission flash sur l’application de l’article 122-1 du code pénal – et examinera le processus judiciaire qui a suivi les faits.

Ensuite, il ne faut pas qu’une autre commission d’enquête ait travaillé sur le même objet dans l’année qui précède la demande. Nous considérons que, dans la mesure où la mission flash que j’évoquais ne bénéficiait pas des prérogatives attachées à une commission d’enquête, elle ne fait pas obstacle à la demande de nos collègues du groupe UDI‑I.

Enfin, il ne faut pas que des poursuites judiciaires soient en cours sur les faits investigués. En l’espèce, la justice s’est saisie des faits évoqués, mais la procédure s’est achevée avec l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 avril dernier.

En conséquence, la demande de création d’une commission d’enquête m’apparaît recevable.

Je voudrais ajouter à notre réflexion un point qui me semble important. Le président de l’Assemblée nationale a reçu des deux coprésidents du Conseil supérieur de la magistrature, Mme Chantal Arens et M. François Molins, un courrier dans lequel ils s’émeuvent de la perspective de cette commission d’enquête. Ils insistent notamment sur le fait qu’elle ne saurait, en aucune façon, porter une appréciation sur la décision de justice en elle-même, en raison de la séparation des pouvoirs. Pour ma part et même si j’ignore, à ce stade, qui sera rapporteur et qui sera président de cette commission d’enquête, je fais pleinement miennes ces préventions : il ne serait pas admissible que la commission d’enquête ait pour objet ou pour effet de jeter le discrédit sur une décision de justice devenue définitive.

M. Michel Zumkeller. Je vous prie d’excuser l’absence de notre collègue Meyer Habib qui a dû retourner dans sa circonscription – laquelle est assez éloignée.

Le groupe UDI-I se félicite des conclusions du rapporteur sur la recevabilité de la commission d’enquête qu’il a demandée. Les interrogations autour de l’affaire dite Sarah Halimi ne sont pas nouvelles : M. Meyer Habib a posé la première question au Gouvernement sur le sujet dès le 26 juillet 2017. Il a ensuite proposé la création d’une commission d’enquête à travers cette proposition de résolution cosignée par plus de soixante-dix députés. Le traitement des faits laisse penser que des dysfonctionnements ont eu lieu, sur lesquels il est essentiel que l’Assemblée nationale fasse la lumière. Elle pourra, par exemple, lever les doutes sur l’intervention tardive des policiers rapportée par la presse, alors qu’ils étaient arrivés rapidement sur les lieux. Elle pourra apprécier les questions posées par les avocats de la partie civile sur les zones d’ombre de l’enquête judiciaire. Elle pourra s’interroger sur la place prise par les experts judiciaires. Elle pourra enfin chercher à comprendre pourquoi certains actes essentiels et habituellement effectués dans une enquête criminelle ne l’ont pas été : aucune reconstitution n’a eu lieu, certains voisins n’ont pas été interrogés, les avocats de la partie civile n’ont pas été reçus malgré leurs demandes en ce sens, le téléphone de l’assassin n’a pas été examiné.

Cette affaire suscite émotion et incompréhension. Pour ne pas laisser planer ce doute qui mine la confiance dans l’institution judiciaire, il faut apporter des réponses. Dans ce contexte, il appartient à la Représentation nationale de faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements afin de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, et ce dans le strict respect de l’indépendance de la magistrature. Il ne s’agit pas de constituer un degré de juridiction supplémentaire remettant en cause telle ou telle décision.

Je tiens une nouvelle fois à le souligner au nom de mon groupe : nous ne cherchons en aucun cas à juger le jugement ; nous souhaitons comprendre ce qui a conduit à de telles conclusions.

Enfin, le travail d’une commission d’enquête sera utile en complément de celui qui vient d’être présenté sur l’article 122-1 du code pénal. Il contribuera à éclairer les débats prochains sur le projet de loi annoncé par le Gouvernement.

Mme Cécile Untermaier. Autant je considère que la mission flash sur l’application de l’article 122-1 du code pénal participe de la mission qui est la nôtre en nous éclairant sur une disposition juridique, autant j’ai des doutes sur cette commission d’enquête. Si elle est centrée sur des dysfonctionnements de la police et de la justice, elle peut être appropriée ; si elle conduit, sur une affaire particulière, à mener des investigations et à refaire le même chemin que les juges, je ne suis pas sûr que vous répondiez de manière sereine à la préoccupation exprimée par M. François Molins et Mme Chantal Arens.

Je mets donc en garde : il faut veiller au respect de la séparation des pouvoirs. Personnellement, je ne me suis jamais autorisée à commenter une décision de justice. Or, je crains, après avoir entendu notre collègue, que les travaux ne conduisent à mettre en cause l’institution même.

La question des dysfonctionnements de la justice et de la police devra être abordée sous l’angle de la personnalité de l’auteur du crime et des éléments caractérisant sa santé mentale. S’intéresser aux investigations et aux démarches des avocats serait, en revanche, une manière d’empiéter sur la décision de justice.

Je ne suis pas opposée à cette commission d’enquête. Mais ses orientations, telles qu’elles viennent d’être décrites, me posent quelques problèmes.

M. Erwan Balanant. Je souscris aux propos de Mme Cécile Untermaier. Je suis surpris par la différence entre la présentation du rapporteur et l’exposé de M. Michel Zumkeller. J’ai frémi en entendant celui-ci car j’ai eu l’impression qu’il comptait « refaire le match ». Or, l’objectif d’une commission d’enquête doit être de tirer les leçons de ce qui s’est produit, comme l’ont fait à l’instant les rapporteurs de la mission flash, de façon pragmatique et sérieuse. Ce que nous devons faire, c’est préciser l’état du droit, rechercher ce que l’on peut améliorer et formuler des propositions. En entreprenant de refaire le procès, ou plutôt l’absence de procès, et de revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation, nous ne serions pas tout à fait dans notre rôle. Il faudra donc être vigilants à bien respecter ce qu’est l’esprit d’une commission d’enquête : il ne s’agit jamais de revoir une décision de justice.

M. Didier Paris, rapporteur. Mon rapport, je le redis, n’est pas une appréciation en opportunité. Je n’ai pas le pouvoir, en tant que rapporteur, de formuler un avis sur cet aspect. Mon analyse porte sur la recevabilité formelle. À cet égard, la proposition de résolution ne présente pas de difficulté.

Néanmoins, à titre personnel, je partage les inquiétudes qui viennent d’être exprimées. La commission d’enquête devra être particulièrement vigilante. En effet, je ne vois pas comment elle pourrait s’intéresser aux faits et aux moyens de preuve établis dans l’affaire en cause sans porter d’appréciation sur la manière dont les magistrats ont appliqué le droit. La frontière entre les deux est extrêmement tenue. Le strict respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire devra être une constante dans ce dossier. Ce ne sera sans doute pas simple.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je compte sur le groupe UDI-I pour veiller scrupuleusement au respect de l’indépendance de la justice et pour ne pas remettre en cause une décision définitive. Il est difficile de rendre un arrêt ; les magistrats le font avec le plus grand professionnalisme et la plus grande conscience. Je sais pouvoir compter sur vous, chers collègues.

La commission, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, constate que sont réunies les conditions requises pour la création, demandée par le groupe UDI et indépendants, de la commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement.

 


([1]) Les conclusions de la Conférence des Présidents sont consultables sur cette page.

([2]) Aux termes du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête satisfaisant aux conditions fixées aux articles 137 à 139 ».

([3]) Article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.

([4]) Cass. crim., arrêt n° 404 du 14 avril 2021, n° 20-80.135.