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N° 4326

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juillet 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
 

tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française (n° 4277)

PAR Mme Caroline ABADIE,

Députée

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Voir le numéro : 4277

 


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SOMMAIRE

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Pages

examen de recevabilitÉ...................................... 5

compte rendu des débats


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MESDAMES, MESSIEURS,

Le 24 juin 2021, M. Damien Abad a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.

Lors de la Conférence des Présidents du 29 juin 2021 ([1]), M. Damien Abad, président du groupe Les Républicains, a indiqué faire usage, pour cette proposition de résolution, du droit de tirage que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît, une fois par session ordinaire, à chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire ([2]).

Conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement et comme l’a indiqué la Conférence des Présidents, il revient à la commission des Lois, à laquelle a été renvoyée la proposition de résolution, de vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies. Il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité d’une telle initiative.

De même, il n’y aura pas lieu de soumettre au vote de l’Assemblée nationale la proposition de résolution. En effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des Présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que celle-ci répond aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.

Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

● En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion », en application de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

En l’occurrence, les faits sur lesquels la commission d’enquête devra se pencher semblent définis avec une précision suffisante puisque, selon l’article unique de la proposition de résolution, elle serait chargée « de faire la lumière sur les dysfonctionnements et manquements ayant conduit aux échecs de la politique pénitentiaire française ». Les points sur lesquels les travaux devront se concentrer sont également définis par l’article unique qui identifie cinq sujets prioritaires :

‒ l’identification des facteurs de la surpopulation carcérale et de la dégradation progressive des conditions de détention des personnes incarcérées en France ;

‒ l’étude de l’éventuel lien de causalité entre les conditions d’incarcération et le phénomène de la radicalisation religieuse de personnes détenues ;

‒ l’évaluation du risque de la dégradation de la réponse pénale associée à l’insuffisance du nombre de places de prison et l’efficacité des aménagements des peines ;

‒ la mesure de l’incapacité grandissante à garantir l’accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues ;

‒ l’amélioration, le cas échéant, du traitement carcéral des délinquants mineurs.

On peut ainsi considérer satisfaite la première condition de recevabilité.

● En second lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont recevables sauf si, dans l’année qui précède leur discussion, a eu lieu une mission d’information ayant fait usage des pouvoirs dévolus aux rapporteurs des commissions d’enquête demandés dans le cadre de l’article 145-1 du Règlement ou une commission d’enquête ayant le même objet ([3]).

Or, ce n’est pas le cas ici. La proposition de résolution respecte donc le deuxième critère de recevabilité.

● Enfin, en application de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogé par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, M. Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, dans un courrier en date du 5 juillet 2021, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée « est susceptible de recouvrir des procédures liées au contentieux de l’indignité des conditions de détention ». La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

Sous cette réserve, il résulte de l’analyse qui précède le caractère juridiquement recevable de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.

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   compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 7 juillet 2021, la Commission procède à l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française (n°4277) (Mme Caroline Abadie, rapporteure).

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous examinons à présent la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, le groupe Les Républicains faisant usage de son droit de tirage pour la création de cette commission.

Mme Caroline Abadie, rapporteure. Mes chers collègues, M. Damien Abad, président du groupe Les Républicains, a déposé une proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête, et a indiqué lors de la conférence des présidents du 29 juin 2021 son intention de faire usage de son droit de tirage.

Si nous avons à examiner les conditions de recevabilité de cette proposition de résolution, je vous rappelle qu’en revanche il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité d’une telle création.

Première des trois conditions requises : les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête » en application de l’article 137 de notre règlement. En l’occurrence, les faits sur lesquels la commission d’enquête devra se pencher semblent définis avec une précision suffisante puisque, selon l’article unique de la proposition de résolution, elle serait chargée « […] de faire la lumière sur les dysfonctionnements et manquements ayant conduit aux échecs de la politique pénitentiaire française ». Le même article précise cinq sujets prioritaires sur lesquels ses travaux devraient se concentrer. Le premier critère est donc rempli.

Deuxième condition : les propositions de résolution sont recevables sauf si, lors de l’année précédente, d’autres commissions d’enquête ont été constituées sur le même sujet. Ce n’est pas le cas en l’occurrence : cette condition est donc également remplie.

Troisième et dernière condition : en application de l’article 139 de notre règlement, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. En outre, si une information judiciaire relative aux faits étudiés s’ouvrait au cours des travaux de cette commission, elle devrait mettre fin à ceux-ci.

Interrogé par le président de l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux, ministre de la Justice, M. Éric Dupond-Moretti, lui a fait savoir, dans un courrier du 5 juillet, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée était « […] susceptible de recouvrir des procédures liées au contentieux de la dignité et des conditions de détention ». La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

Sous cette réserve, il apparaît que la création d’une commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française est juridiquement recevable.

M. Olivier Marleix. Je note les réserves émises scrupuleusement par le garde des Sceaux, qui relèvent d’une lecture un peu large puisque la commission d’enquête s’intéressera aux conditions de détention en France en général et non aux conditions de détention de tel ou tel détenu.

L’intérêt d’une telle commission d’enquête est d’abord de dresser le bilan quantitatif de l’engagement du Président de la République de créer 15 000 places de prison – réitération d’un engagement pris sous le quinquennat précédent – entre 2017 et 2022. Étudiés par le passé par notre collègue Guillaume Larrivé, les risques de radicalisation en prison sont également un sujet que la commission d’enquête devra prendre en compte.

L’impact sur la politique pénale de ces dysfonctionnements suscite des questions, puisqu’ils entraînent parfois des stratégies d’évitement de la prison, au travers des qualifications pénales retenues ou des peines prononcées par les magistrats qui tiennent compte de cette contrainte sur les places de prison.

Surtout, cette réflexion fera écho aux nombreux travaux menés par la présidente de la commission des Lois elle-même sur la détention en France. Nous espérons prolonger ainsi sa réflexion de grande qualité sur le sujet.

En application de l’article 140 alinéa 2 du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création, demandée par le groupe Les Républicains, de la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française sont réunies.

 


([1]) Les conclusions de la Conférence des Présidents sont consultables sur cette page.

([2]) Aux termes du deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête satisfaisant aux conditions fixées aux articles 137 à 139 ».

([3]) Article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.