N° 4366

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2021.

RAPPORT

 FAIT 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail relative à l’élimination de la violence
et du harcèlement dans le monde du travail,

PAR M. Mustapha LAABID

Député

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir le numéro : 4216.

 


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  SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. L’ampleur de la violence et du harcÈlement dans le monde du travail, et la gravitÉ des consÉquences qui en d֤Écoulent, Exigeaient une rÉponse internationale À la hauteur

A. La violence et le harcÈlement au travail recouvrent un Éventail de comportements prÉjudiciables

B. Si son ampleur est mal connue, ce phénomÈne est massif

1. Au niveau mondial, un manque d’outil statistique auquel l’OIT est en train de remédier

2. Au niveau européen, un phénomène en augmentation malgré des réalités nationales différenciées

3. La pandémie de Covid-19, un facteur multiplicateur des violences

C. Les facteurs de risque de la violence et du harcÈlement au travail sont multiples

D. Les consÉquences dramatiques qui en découlent pour tous justifiaient une mobilisation internationale

II. La convention n° 190 de l’OIT reprÉsente une avancÉe ambitieuse vers un monde exempt de violence et de harcÈlement dans le monde du travail

A. La convention n° 190 est la premiÈre convention adoptÉe à l’OIT depuis prÈs de dix ans

1. Plusieurs conventions existent déjà en matière de droits humains et de santé au travail

2. Aucune convention n’avait été adoptée à l’OIT depuis presque dix ans

B. Engagement de long terme des syndicats, l’adoption d’une norme internationale sur les violences au travail a abouti lors de la confÉrence du centenaire de l’OIT

1. Une revendication syndicale ancienne appuyée par l’évolution des sociétés

2. Les travaux ont duré cinq ans avant d’aboutir lors de la conférence du centenaire de l’OIT

C. Malgr֤É de nÉcessaires compromis, la convention n°190 est un texte ambitieux par ses dispositions

1. La première définition internationale de la violence et du harcèlement au travail

2. L’étendue du champ d’application des dispositions de la convention

3. Une approche inclusive et tenant compte des considérations de genre

4. Une approche intégrée, gage d’efficacité

5. La répartition des rôles entre gouvernements, employeurs et travailleurs

D. La recommandation n° 206 complÈte la convention n°190, notamment sur certains points moins consensuels

E. La ratification par la France est suspendue À un dÉbat sur la nÉcessité d’une autorisation europÉenne

III. Si la France dispose d’une lÉgislation avancÉe dans ce domaine, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 peuvent servir de boussole pour notre pays

A. La France est Également confrontÉe à la violence et au harcÈlement dans le monde du travail

B. La France a une des lÉgislations parmi les plus dÉveloppÉes dans ce domaine

C. Pour les syndicats, les ONG et les associations fÉministes, la France peut encore progresser

1. Généraliser les politiques de prévention

2. Renforcer la formation et la sensibilisation

3. Identifier les facteurs de vulnérabilité

4. Assurer un accompagnement effectif des victimes

5. Protéger les femmes contre la violence

6. Prévenir la violence et le harcèlement dans les entreprises sous-traitantes

D. Pour aller de l’avant, les acteurs sociaux doivent se parler

E. La bonne mise en œuvre de la convention n° 190 sera garantie par un suivi national et international

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe 1 : texte adoptÉ par la commission

ANNEXE 2  LISTE DES PERSONNES entendues PAR LE RAPPORTEUR

ANNEXE 3  Taux de prÉvalence et d’incidence de la violence et du harcÈlement dans divers rÉgions et pays

ANNEXE 4  contre-Étude d’impact de la CGT, de CARE France et d’ActionAid France sur la ratification en France de la convention n° 190 sur la violence et le harcÈlement dans le monde du travail et sa recommandation


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   Introduction

La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi autorisant ratification de la convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail.

La violence et le harcèlement au travail sont un domaine de préoccupation récent à l’échelle internationale. Si l’état des connaissances demeure limité, ce phénomène n’en est pas moins massif. Les femmes en paient un des plus lourds tributs au regard de l’importance des violences sexistes et sexuelles dans le monde du travail. Cette violence a un coût élevé pour les travailleurs et les travailleuses qui en sont victimes mais aussi pour la société et pour les entreprises elles-mêmes.

La convention n° 190 de l’OIT est la première réponse normative à l’international à cette thématique de la violence et du harcèlement au travail. Elle est le résultat d’une revendication syndicale ancienne portée par l’ampleur du mouvement de société contre les violences faites dans femmes dans le sillage de la vague « #MeToo » et par l’attitude volontariste de plusieurs grandes entreprises.

De l’avis de la plupart des personnes rencontrées par votre rapporteur, les dispositions de la convention n° 190 sont tout à la fois ambitieuses et équilibrées. Cette convention apporte une définition universellement admise de la violence et du harcèlement au travail. Elle promeut une réponse globale pour lutter contre ce phénomène, de la formation des managers à l’accompagnement des victimes, en passant par la prévention, la protection et la garantie de moyens de recours et de réparation. Elle appelle par ailleurs à une vigilance renforcée à l’égard des travailleurs les plus exposés à la violence du fait de leur appartenance à certains groupes vulnérables, de leurs conditions de travail ou de leurs secteurs d’activité. Pour obtenir le soutien du plus grand nombre d’États à la convention, les dispositions qui se sont révélées les plus sensibles lors de la négociation ont été renvoyées à la recommandation n° 206, qui en est le complément indissociable mais sans valeur normative.

Votre rapporteur appelle donc la commission à autoriser la ratification de la convention n° 190. La ratification est toutefois subordonnée à l’issue d’un débat à l’échelle de l’Union européenne, qui devrait aboutir d’ici la fin de l’année, sur la nécessité de recueillir une autorisation européenne préalable.

La France a été à l’initiative lors de la négociation à l’OIT et a annoncé vouloir ratifier la convention dans les plus brefs délais, ce qui a été salué par les syndicats, les organisations non gouvernementales (ONG) et les associations féministes. En revanche, l’analyse du Gouvernement selon laquelle la France est déjà au niveau d’ambition de la convention n° 190 a suscité une forte contestation de la part de ces mêmes acteurs, qui ont porté le débat dans l’espace public. Ces derniers avancent que plusieurs mesures nationales sont rendues nécessaires, en partie par la convention n° 190, mais surtout par la recommandation n° 206.

Il ne revient pas à votre rapporteur de trancher ce débat qui doit avant tout faire l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux. Compte tenu du degré de fermeture des organisations patronales sur ce sujet, votre rapporteur estime nécessaire que le Gouvernement cadre et accompagne une négociation paritaire. C’est sur le plan de la sensibilisation et de la formation à la lutte contre les violences et le harcèlement au travail que des avancées paraissent les plus importantes.

 

I.   L’ampleur de la violence et du harcÈlement dans le monde du travail, et la gravitÉ des consÉquences qui en d֤Écoulent, Exigeaient une rÉponse internationale À la hauteur

A.   La violence et le harcÈlement au travail recouvrent un Éventail de comportements prÉjudiciables

Dans le monde du travail comme dans les autres sphères sociales, les notions de harcèlement et de violence recouvrent de nombreux agissements physiques et psychologiques préjudiciables pour les personnes qui en sont victimes. Le contour de ces deux notions pouvant varier sensiblement selon les pays, les définitions retenues par votre rapporteur sont inspirées du cadre juridique français. Comme nous le verrons infra, un des principaux apports de la convention n°190 de l’OIT, dont la ratification est proposée par le présent projet de loi, est de déterminer une définition universellement admise de la violence et du harcèlement au travail.

La notion de « violence » vise toutes les formes d’atteintes, volontaires ou involontaires, à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, sans que ne soit nécessairement exigé un critère de répétition de l’acte. La violence au travail inclut les violences sexistes et sexuelles, dont les agressions sexuelles et les viols.

La nécessité d’une répétition d’actes distingue généralement le harcèlement de la violence. Le harcèlement au travail se manifeste par des actes et propos répétés ayant des conséquences physiques ou psychiques néfastes pour la victime. Même des actes qui, pris isolément, ne sont pas qualifiés de violence, peuvent, à répétition, créer un sentiment d’épuisement, une baisse de l’estime et des conséquences sur la santé mentale de la victime. Le harcèlement se traduit le plus souvent par des attaques verbales, des menaces, des propos obscènes, ou d’autres formes d’agissements portant atteinte aux droits et à la dignité de l’individu visé.

Le harcèlement au travail peut prendre deux formes différentes. D’un côté, le harcèlement moral qui se manifeste fréquemment par des surcharges ou des privations de travail, des intrusions dans la vie privée, des propos calamiteux ou des critiques incessantes ayant pour but d’humilier la victime. De l’autre côté, le harcèlement sexuel qui se distingue par une pression grave, répétée ou non, dans le but d’obtenir un acte de nature sexuel ou par des propos ou comportements à connotation sexuelle, non désirés et répétés. Si, dans les deux cas, la victime est soumise à un climat de travail angoissant qui porte atteinte à sa dignité et à son bien-être au quotidien, ces deux formes de harcèlement doivent être distinguées car leurs causes et la réponse qu’il est nécessaire d’y apporter diffèrent.

La violence et le harcèlement dans le monde du travail se distinguent des agissements de même nature commis dans d’autres sphères sociales. Dans le milieu professionnel, la hiérarchisation crée un climat propice aux abus de pouvoir. Le harcèlement repose sur un rapport de domination instauré par un supérieur, bien qu’il puisse aussi être le fait d’un collègue ou d’un subordonné. La peur de compromettre sa carrière, la honte et la culpabilité mal placée peuvent réduire les victimes au silence et contribuer à l’impunité des responsables. Cette situation est aggravée par les facteurs de discrimination qui visent les femmes, mais également les personnes à raison de leur origine, leur religion ou leur orientation sexuelle.

B.   Si son ampleur est mal connue, ce phénomÈne est massif

1.   Au niveau mondial, un manque d’outil statistique auquel l’OIT est en train de remédier

À l’heure actuelle, au niveau mondial, il n’y a pas d’informations complètes sur l’ampleur du phénomène de la violence et du harcèlement au travail. En dépit de nombreuses études qualitatives, les statistiques sur ce phénomène sont sporadiques et rares. La comparabilité des données est problématique car différents concepts, définitions et méthodes sont utilisés. Par ailleurs, les statistiques sont souvent collectées pour une profession, une industrie ou un groupe spécifique, et peuvent ne pas être ventilées par sexe. La sous-déclaration est également un problème, en raison de la peur de la victimisation, voire des risques de représailles, et du manque de systèmes de contrôle efficaces.

Cependant, un certain nombre d’études et d’enquêtes ont été menées dans divers pays au fil des ans. Au Japon, plus de 45 % des entreprises d’un échantillon représentatif signalaient en 2012 des problèmes liés au « harcèlement hiérarchique ». En 2014, une étude estimait qu’aux États-Unis, 27 % des travailleurs américains avaient été victimes de conduites abusives au travail pendant leur vie. Dans une enquête menée en Tanzanie en 2013, près de 89 % des femmes interrogées dans vingt fermes avaient été témoins d’au moins un incident de harcèlement sexuel. L’annexe 3 du rapport présente un aperçu de la recherche sur les taux de prévalence et d’incidence de la violence et du harcèlement au travail dans différents pays.

L’Organisation internationale du travail (OIT) travaille à l’élaboration de normes statistiques internationales sur la mesure de la violence et du harcèlement au travail. Les futures directives statistiques seront un outil essentiel pour les pays qui cherchent à améliorer leur collecte de données et leur permettront de produire des statistiques fiables, comparables et pertinentes pour l’action publique. L’OIT mène également une enquête mondiale sur les expériences des personnes en matière de violence et de harcèlement, qui fournira des informations importantes sur l’étendue du phénomène et sur les différentes formes de violence et de harcèlement. En appui de l’action de l’OIT, la France finance un projet de recherche sur ce sujet sur la zone d’Afrique subsaharienne porté par un réseau de chercheurs africains.

2.   Au niveau européen, un phénomène en augmentation malgré des réalités nationales différenciées

Dans un rapport de 2015 ([1]), Eurofound, la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, une agence de l’Union européenne, observait une diminution de la violence physique mais la persistance d’autres formes de « comportements sociaux défavorables » (CSD) au travail. Bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions définitives, le rapport montrait une légère augmentation de la violence et du harcèlement dans toute l’Europe, due en grande partie à l’augmentation de la violence de tiers, une proportion croissante de la main d’œuvre étant en contact direct avec des clients, des patients ou des étudiants. 

Dans l’ensemble, 14 % des travailleurs européens déclaraient en 2010 avoir été soumis à au moins un type de CSD. Ce chiffre est certainement sous-estimé dans la mesure où la sous-déclaration est un problème commun à presque tous les pays de l’Union européenne. L’ampleur du phénomène varie cependant à travers l’Europe : les travailleurs du sud de l’Europe sont moins susceptibles de déclarer avoir subi des CSD que ceux des pays d’Europe centrale et de Scandinavie. Le rapport indique aussi que les travailleurs de certains secteurs – la santé et l’action sociale, les transports et l’entreposage et les services d’hébergement et de restauration (tous des secteurs ayant une interaction importante avec des tiers) – sont plus susceptibles d’être confrontés à ce problème. Les femmes, les travailleurs non nationaux, les intérimaires et les apprentis y sont par ailleurs plus exposés que la moyenne.

3.   La pandémie de Covid-19, un facteur multiplicateur des violences

Bien que l’on ne dispose pas, à ce stade, de données chiffrées robustes, la pandémie a accentué les violences et le harcèlement dans le monde du travail.

La généralisation du télétravail, consécutive aux confinements successifs et aux restrictions de déplacement imposés dans un grand nombre de pays, a pu contribuer au développement de plusieurs formes d’harcèlement en ligne, dont le contrôle excessif des heures de connexion, l’envoi de courriels irrespectueux, les appels ou messages en dehors des horaires de travail ou l’exclusion des réunions en ligne. Le harcèlement en ligne est non seulement plus subtil, il est également plus difficile à surveiller et plus difficile à dénoncer, dans un contexte d’inquiétude sur l’emploi lié à la récession économique et sociale. L’isolement induit par le télétravail a représenté une fragilité pour les victimes en rendant difficile le refus d’une surcharge de travail ou en les exposant à des sollicitations incessantes. Ces nouvelles formes d’harcèlement ont rajouté une pression psychologique supplémentaire à des employés déjà éprouvés par les conséquences de la pandémie.

Les employés n’ayant pas l’opportunité de télétravailler étant donné la nature de leur activité ont également été confrontés à des risques accrus de violence et de harcèlement. Les professionnels concernés sont essentiellement les travailleurs dits « de première ligne » pendant la pandémie, à commencer par les professions médicales et les professions liées aux besoins de première nécessité. La crise sanitaire a provoqué un allongement des temps d’attente, la réduction des effectifs, la saturation de certains services et des difficultés de communication qui constituent autant de risques accrus d’exposition à la violence au travail. Majoritaires dans des secteurs tels que les soins, l’accueil ou la vente, les femmes ont été les principales affectées par la multiplication des facteurs de risque de violence au travail.  

C.   Les facteurs de risque de la violence et du harcÈlement au travail sont multiples

Le harcèlement au travail peut être favorisé par certains facteurs organisationnels parmi lesquels l’insuffisance des moyens humains, les formes de travail répétitives, l’intensité de travail ou le manque d’autonomie décisionnelle. La culture de l’entreprise joue également un rôle déterminant : un environnement compétitif, une absence de soutien social, de faibles liens de communication ou un style de management inadéquat forment des facteurs de risque supplémentaires.

En outre, certains secteurs, professions ou modalités de travail sont plus exposés à la violence et au harcèlement. S’agissant des types d’emploi, les personnes occupant un emploi précaire ou temporaire, les travailleurs isolés ou les travailleurs en contact fréquent avec le public sont plus à risque. Les hôtes et hôtesses d’accueil, par exemple, y sont particulièrement exposées. S’agissant des secteurs, les métiers de la santé, les services sociaux, le travail domestique, les transports, l’éducation ou le divertissement sont ceux où les violences sont les plus fréquentes.

Le harcèlement à caractère sexuel présente des facteurs de risque additionnels. De façon générale, il reproduit les rapports de domination et les stéréotypes de genre qui perdurent au sein de la société, et touche donc principalement les femmes. Le risque est plus élevé pour les femmes à statut économique défavorisé, celles issues de minorités ethniques, les femmes LGBTQI+ ou les femmes migrantes. Celles vivant en zone urbaine et/ou ayant moins de trente ans sont aussi plus exposées. Sur un lieu de travail, le manque de mixité et l’absence de voies de recours pour faire remonter les plaintes ou les témoignages génèrent, enfin, un risque accru.

D.   Les consÉquences dramatiques qui en découlent pour tous justifiaient une mobilisation internationale

La violence et le harcèlement dans le monde du travail ont des conséquences multiples pour les personnes qui en sont victimes. La violence porte atteinte non seulement aux droits et à la dignité de la victime, mais également à sa santé mentale et physique. À court terme, le harcèlement provoque un épuisement pour la victime, une perte de confiance en soi, un sentiment de culpabilité ou de honte, qui s’aggravent avec le temps et la violence des agissements de l’harceleur. À moyen terme, la victime peut développer une dépression, de l’anxiété ou de la paranoïa, qui peuvent aller jusqu’à nourrir des conduites addictives et des tendances suicidaires.

Le harcèlement détériore également la qualité de l’environnement de travail de la victime. La souffrance peut contribuer à son isolement, à la dégradation des relations avec les collègues et à un manque d’investissement et de motivation dans le travail. Ces répercussions peuvent entraîner la démission ou le licenciement de la personne et, à long terme, limiter ses perspectives de carrière.

Les situations de harcèlement entraînent aussi des conséquences néfastes pour l’entreprise ou l’administration dans laquelle travaille la victime. Même lorsqu’il n’y a qu’une personne victime, une situation de violence ou de harcèlement génère un climat tendu qui abîme le collectif de travail, avec des répercussions sur les rendements et la productivité des travailleurs. Un roulement du personnel accéléré, une hausse du taux d’absentéisme et des difficultés au recrutement peuvent en résulter. Cette inquiétude est partagée par l’Union des entreprises de proximité (U2P), une organisation patronale représentative, qui estime qu’un climat de violence et de harcèlement est « un aléa important pour la bonne marche de l’entreprise ». L’image de l’entreprise ou de l’administration mise en cause peut également en pâtir, notamment si des poursuites judiciaires sont engagées.

Du fait de ces conséquences lourdes, la lutte contre la violence et le harcèlement au travail est dans l’intérêt de tous, aussi bien des travailleurs, des employeurs que des États.

II.   La convention n° 190 de l’OIT reprÉsente une avancÉe ambitieuse vers un monde exempt de violence et de harcÈlement dans le monde du travail

A.   La convention n° 190 est la premiÈre convention adoptÉe à l’OIT depuis prÈs de dix ans

1.   Plusieurs conventions existent déjà en matière de droits humains et de santé au travail

Créée en 1919, l’Organisation internationale du Travail (OIT) est une agence spécialisée des Nations Unies dont la mission est de protéger et de promouvoir les droits de l’Homme au travail. La caractéristique principale de l’OIT est d’être tripartite : l’ensemble des normes internationales adoptées sont négociées par les acteurs mandatés par les gouvernements, les organisations de travailleurs et les organisations d’employeurs des 187 pays membres de l’Organisation.

La convention n° 190 sur la violence et le harcèlement s’inscrit dans un ensemble d’instruments internationaux adoptés à l’OIT au fil du temps qui se rapportent aux droits humains en même temps qu’à la sécurité et la santé au travail. Le préambule de la convention n° 190 opère d’ailleurs un rappel des instruments internationaux pertinents en matière de violence et de harcèlement au travail.

La Déclaration de Philadelphie de 1944, qui est le texte fondateur de l’OIT et qui définit les objectifs de l’Organisation, affirme notamment que « tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales ».

Sur ce fondement, l’OIT a adopté des conventions qui consacrent des principes et des droits fondamentaux du travail, autour des questions du travail forcé (conventions nos 29 et 105), de liberté syndicale (convention n° 87), d’égalité (convention n° 100), de discrimination (convention n° 111) ou de travail des enfants (convention n° 182). L’OIT a par ailleurs adopté un certain nombre d’instruments qui visent à protéger la sécurité et la santé des travailleurs, y compris contre le risque de violence et de harcèlement, dont la convention n° 155 sur la sécurité et la santé au travail de 1981 (révisée en 2002), la convention n° 161 sur les services de santé au travail de 1985 et la convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, chaque convention étant accompagnée d’une recommandation.

D’autres instruments adoptés hors du cadre de l’OIT, auquel le préambule de la convention n° 190 fait référence, sont également pertinents en matière de violence et de harcèlement au travail. C’est le cas d’instruments anciens et universels comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 ainsi que d’instruments régionaux plus récents à l’image de la convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « convention d’Istanbul », adoptée en 2014.

2.   Aucune convention n’avait été adoptée à l’OIT depuis presque dix ans

Au cours de la dernière décennie, l’OIT a pu adopter plusieurs normes internationales visant à régir le monde du travail. L’OIT a notamment adopté un nouveau protocole en 2013 permettant de moderniser la convention n° 29 sur le travail forcé et de renforcer les moyens de lutte contre les formes d’esclavage moderne et l’accès des victimes à la justice et à une réparation. De même, une importante recommandation (n° 204) a été adoptée au sein de l’OIT en 2015 sur la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, qui constitue un enjeu majeur pour 85 % des travailleurs dans les pays en développement.

Pour autant, et malgré l’ampleur des transformations en cours dans le monde du travail, aucune convention n’avait vu le jour à l’OIT depuis l’adoption, en 2011, de la convention n° 189 sur les travailleurs et travailleuses domestiques. Selon M. Jérémie Petit, chef du pôle affaires économiques et enjeux globaux à la direction des Nations unies et organisations internationales du Quai d’Orsay, cette situation est le reflet de « la crise du système multilatéral et de l’attitude d’États émergents et révisionnistes qui ont un agenda contraire à l’agenda normatif de l’OIT ». Dans ce contexte, l’adoption, le 21 juin 2019, de la convention n° 190 sur la violence et le harcèlement au travail est une première avancée majeure à l’OIT depuis longtemps.

B.   Engagement de long terme des syndicats, l’adoption d’une norme internationale sur les violences au travail a abouti lors de la confÉrence du centenaire de l’OIT

1.   Une revendication syndicale ancienne appuyée par l’évolution des sociétés

Depuis plus d’une décennie avant l’adoption de la convention n° 190, la conférence syndicale internationale appelait à l’adoption à l’OIT d’une convention interdisant la violence sexiste sur le lieu de travail et exigeant la mise en place de politiques, programmes, lois et autres mesures de prévention. D’une réflexion portant initialement sur les violences sexistes et sexuelles, la revendication s’est élargie à toutes les formes de violence et de harcèlement au travail. Les syndicats ont reçu l’appui de nombreuses ONG et organisations féministes dans ce combat.

Ce processus a été engagé avant la vague « #MeToo » qui a tout de même largement contribué à faire évoluer les gouvernements et les organisations patronales sur ce sujet. Pour rappel, l’affaire Harvey Weinstein et les révélations, à partir d’octobre 2017, de plusieurs actrices sur les crimes sexuels commis par le célèbre producteur américain ont initié une vague de dénonciation mondiale sur les réseaux sociaux des violences subies par les femmes. En envahissant l’espace public, la vague #MeToo a conduit à une large prise de conscience de la multiplicité et de la variété des formes de violences sexistes et sexuelles vécues et subies par les femmes pendant leur vie, notamment dans la rue et au travail. Les violences faites aux femmes se sont imposées comme un enjeu important du débat politique.

En parallèle, un certain nombre de grandes entreprises ont soutenu la négociation d’une convention internationale sur ce thème alors qu’elles prenaient des engagements volontaires dans ce domaine. En France, par exemple, un collectif de chefs d’entreprise – à la tête de L’Oréal, BNP, Sodexo et Kering notamment – ont signé en 2019 une tribune « Pour un droit humain universel contre la violence au travail » ([2]). Renault, qui n’a pas signé la tribune, a cependant inscrit la lutte contre la violence et le harcèlement au travail dans un accord-cadre international avec IndustriALL, la fédération syndicale internationale de l’industrie. Cependant, comme le souligne l’U2P sur le sujet spécifique de l’atténuation des conséquences des violences conjugales sur la vie au travail (cf. infra), la plupart de ces actions « sont le fait de grands groupes, qui ont les ressources internes, organisationnelles et financières pour mettre en œuvre des actions sur ce sujet ».

Certaines initiatives publiques sont venues soutenir les engagements volontaires d’une partie du monde patronal, à l’image du projet européen « Compagnies Against Gender Violence » (CARVE) en 2015-2016 dont l’objectif était de lutter contre les violences à l’égard des femmes dans cinq pays européens et de sensibiliser aux pratiques innovantes mises en place par certaines entreprises. Le projet CARVE, auquel votre rapporteur a participé, reposait sur l’échange de bonnes pratiques et a abouti à la publication d’un guide européen destiné aux entreprises. Ce mouvement a contribué à l’engagement des représentants patronaux, réservés sur le sujet, en faveur d’une norme internationale sur les violences au travail. 

2.   Les travaux ont duré cinq ans avant d’aboutir lors de la conférence du centenaire de l’OIT

En octobre 2015, le conseil d’administration de l’OIT, qui fixe l’ordre du jour de la conférence internationale du travail (CIT), organe plénier de l’Organisation qui se réunit en format tripartite une fois par an, a inscrit à l’ordre du jour la décision d’élaborer une norme internationale sur les violences au travail.

Un an plus tard, le conseil d’administration de l’OIT a initié une réunion tripartite d’experts chargée de donner des orientations sur ce sujet. Les experts ont conclu que les normes internationales du travail « ne définissent pas la violence et le harcèlement, ne fournissent pas d’orientation sur la manière de traiter leurs différentes formes et ne couvrent pas tous les travailleurs. En outre, [elles] ne prévoient pas d’approche intégrée, élément crucial pour agir efficacement contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Tout en reconnaissant qu’il est nécessaire d’améliorer l’application des normes internationales du travail existantes et d’adopter une série d’autres mesures, les experts conviennent de la pertinence de l’adoption d’un ou de plusieurs instruments. Cela pourrait permettre de parvenir à une compréhension commune de ce que recouvre l’expression de la violence et du harcèlement et des outils nécessaires pour la combattre. »

En 2017, l’OIT a envoyé aux États membres un questionnaire destiné à préparer le nouvel instrument sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Les réponses fournies par les mandants tripartites de l’OIT ont permis au bureau international du travail d’élaborer un premier projet de texte.

Conformément à une pratique classique, la question de l’élaboration d’une norme sur la violence et le harcèlement a été traitée au cours de deux réunions de la commission de la CIT. Lors de la CIT de juin 2018, la commission a notamment décidé que le projet d’instrument prendrait la forme d’une convention complétée d’une recommandation mais les discussions sur le fond se sont avérées très difficiles du fait de la polarisation entre les groupes Travailleurs et Employeurs. La deuxième discussion, conclusive, sur la base d’un nouveau projet de texte, a eu lieu lors de la CIT de juin 2019, qui marquait la célébration du centenaire de l’OIT.

C.   Malgr֤É de nÉcessaires compromis, la convention n°190 est un texte ambitieux par ses dispositions

Même si certains auraient souhaité l’adoption d’une convention fondamentale, opposable à tous les États sans la condition de la ratification, votre rapporteur estime que l’adoption d’une norme internationale sous la forme d’une convention, et non d’une simple recommandation, représente une première victoire.

Du point de vue de son objet, la convention n° 190 comble par ailleurs un vide important au niveau international. Comme l’indique l’étude d’impact annexé au présent projet de loi, il s’agit de la « première norme internationale qui vise à mettre un terme à la violence et au harcèlement dans le monde du travail », y compris la violence et le harcèlement fondés sur le genre.

Enfin, malgré les réticences du patronat pendant la négociation, la convention n° 190 est sur le fond un instrument de haut niveau, ambitieux, exigeant. L’OIT étant tripartite, les gouvernements et les partenaires sociaux du monde entier ont toutefois dû trouver des compromis sur des sujets complexes, en gardant des termes suffisamment flexibles pour être adaptés à tous les contextes.

1.   La première définition internationale de la violence et du harcèlement au travail

Comme le relève l’étude d’impact, « avant l’adoption de la convention  190, il n’existait pas de définition universellement admise en droit international des notions de violence ou de harcèlement dans le monde du travail ». L’article 1er de la convention vient combler ce vide en définissant la violence et le harcèlement dans le monde du travail comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ».

La convention définit la violence et le harcèlement comme un « éventail » de comportements et de pratiques, qui ne se limitent pas aux seules violences physiques. Elle ne dresse cependant pas de typologie des violences : un certain flou demeure même dans la distinction entre la violence et le harcèlement au sens de la convention n° 190. Cette limite tient tant à la diversité et au caractère multiforme des manifestations de violence et de harcèlement dans le monde du travail qu’à leur évolutivité dans le temps ainsi qu’aux différences de normes et de perceptions des comportements inacceptables selon les contextes et les cultures.

2.   L’étendue du champ d’application des dispositions de la convention

En vertu de l’article 2, personne ne doit être victime de violence et de harcèlement dans le monde du travail. La convention protège « les travailleurs et autres personnes dans le monde du travail », y compris les salariés, les personnes qui travaillent quel que soit leur statut contractuel, les personnes en formation (dont les stagiaires et les apprentis), les bénévoles et les demandeurs d’emploi. Il est précisé qu’elle « s’applique à tous les secteurs, public ou privé, dans l’économie formelle ou informelle, en zone urbaine ou rurale ».

À ce champ personnel et sectoriel étendu s’ajoute un périmètre géographique de protection lui aussi très large. La notion de « monde du travail » retenue par la convention dépasse de loin le lieu de travail physique. L’article 3 de la convention vise en effet la violence qui s’exerce « à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail », ce qui permet d’inclure le lieu de travail, les lieux de repos, les déplacements, les trajets entre le domicile et le travail, les formations, les communications liées au travail et le logement fourni par l’employeur.

3.   Une approche inclusive et tenant compte des considérations de genre

L’article 4 présente le principe fondamental de la convention. Il reconnaît « le droit de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement » et impose aux États le devoir de « respecter, promouvoir et réaliser ce droit ». Afin de respecter ce principe, chaque partie doit adopter « une approche inclusive, intégrée et tenant compte des considérations de genre ».

La convention reconnait que certains groupes sont davantage exposés à la violence et au harcèlement au travail et doivent faire l’objet de mesures spécifiques. Elle est explicite sur la nécessité de lutter contre la violence et le harcèlement fondés sur le genre, défini à l’article 1er, ce qui a conduit certaines délégations, issues des pays qui ne reconnaissent pas la notion de « genre », à s’opposer à la convention.

La convention incarne une ambition forte dans ce domaine en ce qu’elle appelle non seulement à protéger les femmes contre la violence et le harcèlement au travail mais aussi à atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail (article 10). En effet, si les violences conjugales relèvent avant tout de faits de la vie privée, elles peuvent se prolonger dans le cadre de l’entreprise. Dans la mesure où ces violences ont un impact social et économique, il est important que les entreprises puissent se mobiliser, dans la limite de leurs responsabilités.

La convention ne liste pas expressément les autres groupes vulnérables mais invite, à l’article 6, les pays à adopter des mesures spécifiques à l’égard des « travailleurs et autres personnes appartenant à un ou plusieurs groupes vulnérables ou groupes en situation de vulnérabilité qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence et le harcèlement dans le monde du travail ».

4.   Une approche intégrée, gage d’efficacité

La mise en œuvre d’une approche globale est nécessaire pour lutter efficacement contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail.

Aussi l’article 4 appelle-t-il les parties à interdire en droit la violence et le harcèlement, à garantir que des politiques pertinentes traitent de ce phénomène et à adopter une stratégie globale afin de mettre en œuvre des mesures pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement.

Les parties à la convention doivent prendre des mesures pour agir sur toute la chaîne de la réponse à la violence et au harcèlement dans le monde du travail. Les articles 7 à 9 appellent, en lien avec les partenaires sociaux, à adopter des mesures appropriées pour prévenir la violence et le harcèlement et pour protéger les victimes. L’article 10 souligne la nécessité de garantir des voies de recours et de réparation aux victimes, tout en protégeant la vie privée des personnes concernées et la confidentialité, et de prévoir le cas échéant des sanctions à l’encontre des auteurs. L’article 11 met l’accent sur la formation et la sensibilisation à la violence et au harcèlement au travail, en lien avec les acteurs sociaux. Ce dernier point est, pour M. Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT en France, l’une des priorités.

Plus largement, les parties doivent respecter les grands principes du travail. Le recul de la violence et du harcèlement au travail repose sur la garantie de la négociation collective, l’élimination du travail forcé et du travail des enfants (article 5), mais aussi le respect du droit à l’égalité et à la non-discrimination (article 6).

5.   La répartition des rôles entre gouvernements, employeurs et travailleurs

L’article 4 impose aux parties à la convention de « reconnaître les fonctions et rôles différents et complémentaires des gouvernements, et des employeurs et travailleurs et de leurs organisations respectives, en tenant compte de la nature et de l’étendue variables de leurs responsabilités respectives ».

Un des grands enjeux de la négociation a porté sur le périmètre de l’obligation pesant sur l’employeur en matière de violence et de harcèlement dans le monde du travail. Les organisations syndicales appelaient à la définition d’une obligation générale tandis que les employeurs souhaitaient réduire cette obligation à la relation de travail employeur-employés, à l’exclusion donc des relations entre collègues ou avec des tiers à l’entreprise. Le compromis trouvé dans le texte est celui d’un principe de responsabilité générale de l’employeur qui est toutefois tempéré par le fait qu’il s’agit d’une obligation de moyens et non de résultat. L’article 9 appelle les parties à la convention à adopter une législation prescrivant aux employeurs de prendre des mesures appropriées « correspondant à leur degré de contrôle » et « dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable ».

La convention appelle aussi les gouvernements à co-construire la réponse à la violence et au harcèlement dans le monde du travail avec les acteurs sociaux. Les employeurs et les travailleurs doivent être associés à la prévention et à la protection des victimes ainsi qu’aux actions de formation et de sensibilisation. L’article 12 prévoit que les dispositions de la convention « doivent être appliquées par voie de législation nationale ainsi que par des conventions collectives ou d’autres mesures conformes à la pratique nationale, y compris en étendant, ou en adaptant, les mesures existantes de sécurité et de santé au travail à la question de la violence et du harcèlement et en élaboration des mesures spécifiques si nécessaire ».

D.   La recommandation n° 206 complÈte la convention n°190, notamment sur certains points moins consensuels

Les conventions de l’OIT sont généralement complétées par des recommandations qui n’ont pas de valeur juridiquement contraignante. Il en va ainsi pour la convention n°190 qui est accompagnée par la recommandation n° 206 dont les dispositions, comme son préambule l’indique, « complètent celles de la convention sur la violence et le harcèlement […] et devraient être considérées en relation avec elles ».

Souvent, alors que la convention vient énoncer les principes fondamentaux, la recommandation connexe vient la compléter en proposant des principes directeurs sur la façon dont la convention pourrait être appliquée. La recommandation n° 206 doit ainsi être perçue comme un appui à l’interprétation et un appui opérationnel à la mise en œuvre de la convention n° 190. Celle-ci précise ainsi le contenu de la politique du lieu de travail évoqué au a de l’article 9 de la convention, les moyens de recours et de réparation visés au b de l’article 10 ainsi que la forme des programmes de formation et des campagnes de sensibilisation à l’article 11.

De façon plus politique, les recommandations sont aussi un moyen de sortir d’une convention des dispositions qui font l’objet d’un litige entre les parties. Votre rapporteur souhaite donner deux exemples tirés de la négociation en question.

Si la convention n° 190 appelle à atténuer l’impact des violences domestiques dans le monde du travail, son adoption aurait été inenvisageable si la convention avait listé les mesures que les parties devaient prendre en ce sens. C’est donc au sein de la recommandation n° 206 qu’est suggérée la mise en place d’un congé pour les victimes de violence domestique, d’une protection temporaire contre le licenciement et d’un système d’orientation vers les dispositifs publics visant à atténuer la violence domestique, lorsque ces dispositifs existent. Plusieurs délégations, notamment au sein du groupe Employeurs, ont in fine fait part de réserves très fortes quant à l’adoption de ces mesures dans la recommandation.

Un débat s’est par ailleurs noué au cours de la négociation sur la mention des groupes vulnérables et des personnes victimes de discrimination. Un des compromis a donc consisté à faire glisser le détail des secteurs, professions ou modalités de travail particulièrement exposées à la violence au travail vers la recommandation. Cependant, un point de crispation s’est noué sur la mention des personnes LGBTQI+. La France et l’Union européenne soutenaient en effet la proposition de faire référence, a minima dans la recommandation, aux personnes victimes de discrimination en raison de leur orientation sexuelle. Cette proposition a rencontré une opposition très ferme de la part de plusieurs groupes dont la Russie, la Chine et les États-Unis. Plusieurs personnes ont même indiqué à votre rapporteur que certains groupes hostiles à la tournure prise par la négociation ont soutenu la proposition de mentionner la place des personnes LGBTQI+ dans l’unique objectif de faire échouer la négociation. Afin d’éviter une telle issue, l’Union européenne et ses États membres ont réussi, avec le soutien du groupe Travailleurs et des ONG, à aboutir à une solution de compromis incarnée par un amendement à la recommandation précisant que la notion de « groupes vulnérables dont il est fait mention doit être interprétée conformément aux normes internationales du travail applicables et aux instruments internationaux relatifs aux droits humains applicables ».

E.   La ratification par la France est suspendue À un dÉbat sur la nÉcessité d’une autorisation europÉenne

Bien que la négociation ait semblé très compliquée à mener au départ, la convention et la recommandation ont finalement fait l’objet d’un large consensus. La convention et la recommandation ont largement dépassé la barre des deux tiers des suffrages nécessaires à leur adoption : 439 voix pour, 7 contre et 30 abstentions concernant la convention et 397 voix pour, 12 contre et 44 abstentions concernant la recommandation. Au final, comme le rappelle M. Cosme, la convention n° 190 « figure parmi les conventions les mieux adoptées de l’OIT ».

Les dispositions finales de la convention prévoient que l’entrée en vigueur intervient douze mois après l’enregistrement de la seconde ratification et, par la suite, pour chaque État qui la ratifie, douze mois après l’enregistrement de sa ratification (article 14). La dénonciation est quant à elle autorisée après l’expiration d’une période de dix ans à partir de l’entrée en vigueur initiale de la convention (article 15). Ces délais d’entrée en vigueur et de dénonciation de la convention peuvent paraître longs mais sont tout à fait classiques pour l’OIT.

Au 15 juin 2021, six pays avaient déjà ratifié la convention : l’Argentine, l’Équateur, les Fidji, la Namibie, la Somalie et l’Uruguay. La convention est formellement entrée en vigueur le 25 juin 2021 après la ratification de l’Équateur. Si le processus de ratification suit une bonne dynamique en Afrique et en Amérique latine, les pays d’Asie sont plutôt en retard. Au sein de l’Union européenne, seule l’Italie a déjà promulgué la loi autorisant la ratification mais elle n’a pas encore déposé les instruments auprès du directeur général du Bureau international du travail. Six pays européens ont engagé le processus de ratification auprès du Parlement : la France, la Belgique, l’Espagne, la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas.

S’agissant de la France, l’ancienne ministre du travail Mme Muriel Pénicaud annonçait dès le mois de juin 2019 vouloir lancer « sans tarder » la ratification de la convention n° 190. La ratification a été en partie retardée par le contexte sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 qui a fortement mobilisé les administrations françaises mais également l’OIT. L’accélération récente est attribuable au Forum Génération Égalité, dont la seconde partie s’est déroulée à Paris du 30 juin au 2 juillet dernier, en vue duquel la France, co-présidente du Forum, voulait afficher sa volonté de ratifier la convention dans les meilleurs délais.


La ratification de la convention n° 190 suspendue à un débat sur la nécessité d’une autorisation européenne

Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la ratification de certaines conventions internationales est subordonnée à l’adoption d’un instrument communautaire de ratification dès lors que ces dernières recouvrent en tout ou partie une compétence exclusive de l’Union. En l’occurrence, selon la Commission européenne, certaines parties de la convention n° 190 de l’OIT relèvent de la compétence exclusive de l’Union européenne au titre de la lutte contre les discriminations et les inégalités entre les femmes et les hommes.

Dans la mesure où l’Union elle-même ne peut pas adhérer à la convention, qui n’est ouverte qu’aux États, la Commission estime que les États membres, agissant conjointement dans l’intérêt de l’Union, doivent être expressément autorisés, par une décision du Conseil, à ratifier les parties de la convention relevant de la compétence exclusive de l’Union. Dans ce cadre, la Commission européenne a soumis, le 22 janvier 2020, une proposition de décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier, dans l’intérêt de l’Union européenne, la convention n° 190 de l’OIT.

Toutefois, il n’existe pas de consensus au sein du Conseil sur la nature et l’étendue des compétences de l’Union en rapport avec la convention n° 190, en particulier s’agissant de l’éventuelle existence d’une compétence exclusive de l’Union. Un avis écrit du service juridique du Conseil est donc attendu pour clarifier les compétences de l’Union en jeu et les options possibles pour permettre aux États membres de ratifier la convention tout en respectant la répartition des compétences entre l’Union et ses États membres.  

La présidence portugaise du Conseil a cependant suspendu les travaux relatifs à la proposition de décision du Conseil dans l’attente de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire 1/19 relative à l’adhésion de l’Union européenne à la convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique.

L’affaire 1/19 présente en effet une certaine proximité avec les travaux relatifs à la proposition du Conseil autorisant les États membres à ratifier la convention n° 190 de l’OIT. À cet égard, dans la procédure d’avis 1/19, la Cour doit répondre à deux questions relatives aux conditions d’adhésion de l’Union européenne à la convention d’Istanbul, qui relève pour partie de la compétence de l’Union. La première question porte sur les bases juridiques appropriées pour la décision du Conseil portant conclusion de cette convention au nom de l’Union, qui implique également d’examiner la nature et l’étendue des compétences de l’Union du point de vue de cette convention et la possibilité pour le Conseil de limiter l’adhésion de l’Union à l’exercice de certaines de ces compétences. La deuxième question porte sur la nécessité, pour le Conseil, de s’assurer du commun accord de tous les États membres à ratifier la convention à titre national avant d’adopter la décision portant conclusion de la convention au nom de l’Union européenne. L’avis de la Cour devrait être rendu avant la fin 2021, sans que la date exacte ne soit encore connue.

Dès lors que la proposition de décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier la convention n° 190 de l’OIT dans l’intérêt de l’Union a commencé à être examinée par le Conseil en vue d’une approche coordonnée des États membres, la ratification unilatérale de la convention par un État membre pourrait être considérée comme portant atteinte au principe de coopération loyale et l’exposer à un risque contentieux à l’initiative de la Commission. Il semble donc préférable de favoriser une approche partagée et coordonnée au sein du Conseil sur la base du futur avis du service juridique du Conseil.

 

III.   Si la France dispose d’une lÉgislation avancÉe dans ce domaine, la convention n° 190 et la recommandation n° 206 peuvent servir de boussole pour notre pays

A.   La France est Également confrontÉe à la violence et au harcÈlement dans le monde du travail

Plusieurs enquêtes soulignent, malgré une tendance à une plus grande écoute des victimes, la prévalence de la violence et du harcèlement au travail dans le contexte français. Selon une étude du Défenseur des droits de 2014, 20 % des femmes actives déclarent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle ([3]). En 2019, l’Institut national d’études démographiques estimait que 20,1 % des femmes et 15,5 % des hommes ont été victimes de violences au travail ([4]). La même année, un rapport de l’IFOP pour la Fondation Jean Jaurès avançait que 30 % des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail ; 70 % des victimes de violences au travail déclaraient n’en avoir jamais parlé à leur employeur et, lorsqu’elles l’avaient fait, 40 % estimaient que la situation s’était réglée en leur défaveur ([5]).

Le ministère du Travail assure également un suivi de la violence et du harcèlement au travail en France. Selon l’enquête « Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels » (Sumer) de 2017 ([6]), 16 % des salariés ont déclaré, à l’époque de l’enquête, subir au moins un « comportement hostile » dans le milieu de travail (déni de reconnaissance, situation dégradante ou comportement méprisant). Les trois secteurs les plus exposés sont les activités immobilières, la fabrication de textiles, industries de l’habillement, industrie du cuir et de la chaussure et l’hébergement et la restauration. L’exposition aux risques est plus importante pour les femmes et les jeunes de moins de 25 ans. Ces données sont complétées, sur le terrain, par l’action de l’inspection du travail en France. Entre janvier 2018 et juin 2019, les agents de contrôle ont rédigé plus de 4 500 suites à intervention en matière de harcèlement moral, harcèlement sexuel et agissements sexistes, dont une centaine de suites en matière pénale (procès-verbal, signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ou rapport au parquet).

B.   La France a une des lÉgislations parmi les plus dÉveloppÉes dans ce domaine

Selon l’étude d’impact, le cadre juridique français respecte pour l’essentiel les dispositions contenues dans la convention n° 190.

D’abord, tous les comportements et situations visés par la définition de la « violence et du harcèlement » dans le monde du travail au sens de l’article 1er de la convention sont couverts par l’arsenal juridique français. D’une part, le code pénal permet de réprimer tous types de violences, y compris dans le cadre du travail, dont le harcèlement sexuel (article L. 222-33), le harcèlement moral (article L. 222-33‑2) et, depuis 2018, l’outrage sexiste (article L. 621-1) ([7]). Le code du travail définit et réprime, d’autre part, le harcèlement moral (article L. 1152-1), le harcèlement sexuel (article L. 1153-1) et, depuis 2015, les agissements sexistes (article L. 1142-2-1) ([8]). La violence au travail est également définie par l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail ([9]).

S’agissant du champ des personnes protégées, le corpus juridique français permet de couvrir toutes les personnes – « les travailleurs et autres personnes dans le monde du travail » – visées par la convention. Si le code du travail se limite pour l’essentiel à la protection des seuls salariés et travailleurs, ce n’est pas le cas du code pénal qui s’applique à tout citoyen, quel que soit son statut, en présence ou non d’un lien de subordination. De plus, alors que la convention s’applique à la violence et au harcèlement s’exerçant « à l’occasion, en lien avec ou du fait du travail », la jurisprudence française reconnaît bien la responsabilité de l’employeur y compris lorsque l’acte de violence survient en dehors du temps et du lieu de travail mais est en lien avec le travail (Soc., 23 janvier 2013, n° 11‑20.356).

Signe du caractère inclusif du droit français, le code du travail liste 25 critères – le sexe, l’orientation sexuelle, le handicap, etc. – en application desquels nul ne peut faire l’objet d’un licenciement, d’une sanction ou de tout autre mesure discriminatoire. Le code pénal prohibe également ces discriminations.

Concernant l’adoption d’une approche intégrée pour lutter contre les violences et le harcèlement dans le monde du travail, l’employeur est tenu, en droit du travail français, à une obligation de prévention. Cette obligation de prévention repose sur une information renforcée donnée aux salariés, notamment des dispositions du code pénal (articles L. 1152-5 et L. 1153-5), et sur la planification de la prévention, en y intégrant notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel ainsi que ceux liés aux agissements sexistes (article L. 41212). Concrètement, du point de vue de la planification de la prévention, tout employeur est tenu à l’élaboration d’un « document unique d’évaluation des risques » (articles R. 4121-1 et suivants) au sein duquel ces différents risques doivent être pris en compte. Les représentants du personnel au sein du comité social et économique (CSE) de l’entreprise ont certains pouvoirs, dont la possibilité de faire des propositions d’actions de prévention, de procéder à des enquêtes au sein de l’entreprise et d’être consultés annuellement par l’employeur.

Le droit du travail français prévoit également des moyens de recours et de réparation pour les victimes de violence et de harcèlement au travail. Les victimes peuvent agir devant le juge civil, le juge pénal ou le juge des prud’hommes pour faire prévaloir leurs droits. La retentissante « affaire des suicides » chez France Telecom montre que le juge – en l’occurrence le juge pénal – a la capacité de sanctionner les faits de harcèlement au travail. Les représentants du personnel disposent par ailleurs d’un droit d’alerte de l’employeur (article L. 2312-59) et de saisine de l’inspection du travail (article L. 2312-5). Des procédures de médiation existent, notamment en matière de harcèlement moral (article L. 1152‑6).

Conformément aux dispositions de la convention n° 190 destinées à impliquer les acteurs sociaux, le droit français consacre un rôle important aux employeurs et aux travailleurs dans la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. L’ANI du 26 mars 2010, qui définit la violence au travail, prévoit des engagements des employeurs et des actions de prévention à mettre en œuvre. En vertu de l’article L. 2241-1 du code du travail, les branches professionnelles ont l’obligation de négocier tous les quatre ans sur la mise à disposition d’« outils aux entreprises pour prévenir et agir contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ». Dans les entreprises de plus de 250 salariés, deux référents « harcèlement sexuel », chargés d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, doivent être désignés par le CSE (article L. 2314-1) et par l’employeur (article L. 1153-5-1) depuis 2018 ([10]).



Les politiques des pays européens en matière de lutte contre la violence
et le harcèlement au travail

Depuis le début des années 2000, les pays européens, à commencer par les pays d’Europe du Nord (Scandinavie, Benelux, Irlande et Royaume-Uni) où des proportions relativement élevées de travailleurs déclarent avoir été victimes de violence et de harcèlement, ont élaboré diverses politiques pour s’attaquer à ce problème.

Dans la plupart de ces pays, des initiatives tripartites existent et les partenaires sociaux sont en mesure d’influencer, dans une certaine mesure, l’élaboration des politiques de lutte contre la violence et le harcèlement au travail et, surtout, de participer à leur mise en œuvre. Dans les pays d’Europe du Nord, une forte proportion de petites entreprises (moins de 10 employés) ont mis en œuvre des procédures préventives.

Cependant, la mesure dans laquelle les pays intègrent la question dans leur législation varie, tout comme le type de législation dans laquelle elle est traitée, ce qui reflète à la fois les particularités culturelles et les différences dans le droit du travail. Par exemple, en Belgique, la législation sur la violence et le harcèlement est plus développée qu’au Royaume-Uni, bien que les deux pays aient pris des initiatives de longue date pour résoudre le problème. L’observation montre aussi que la plupart des pays traitent la violence et le harcèlement par le biais d’une législation sur l’égalité de traitement ou d’un droit général du travail plutôt que par le biais d’une législation spécifique en matière de sécurité et de santé au travail.

Source : Eurofound, « Violence et harcèlement sur les lieux de travail européens : étendue, impacts et politiques », 2015. 

 

C.   Pour les syndicats, les ONG et les associations fÉministes, la France peut encore progresser

L’analyse des différents dispositifs prévus par le droit français en matière de lutte contre la violence et le harcèlement au travail conduit le Gouvernement à conclure, dans le cadre de l’étude d’impact, que « la législation française est déjà conforme aux dispositions de la convention n° 190 de l’OIT. » Cette appréciation est partagée par le MEDEF qui rappelle que l’employeur est déjà tenu à « une obligation générale de sécurité et est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés ».

Si le Gouvernement propose une ratification « sèche » ou, en d’autres termes, écarte la nécessité d’adopter des mesures juridiques complémentaires, ce dernier reconnaît des insuffisances du point de vue de l’effectivité du droit existant. Le Gouvernement estime ainsi que la priorité réside dans la mise en œuvre opérationnelle du cadre juridique existant ainsi que la mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des employeurs, des salariés ou des organisations syndicales et patronales. Pour le MEDEF, il appartient également « aux partenaires sociaux au niveau de la branche et de l’entreprise de s’approprier le sujet et trouver ensemble les mesures appropriées à mettre en œuvre. » Dans les réponses écrites adressées à votre rapporteur, l’administration précise que « lors des échanges avec les partenaires sociaux, il a été proposé à droit constant, des mesures d’accompagnement et de mobilisation des acteurs, comme par exemple, la valorisation au niveau des branches d’actions de prévention sur le harcèlement notamment avec la mise en place d’un binôme paritaire chargé de conduire les campagnes de prévention tant auprès des employeurs que des salariés. Il a été également proposé de développer les outils à disposition des salariés et employeurs pour lutter contre le harcèlement et les violences avec la rédaction par le ministère du travail d’un guide sur le harcèlement moral. »

Les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG) rencontrés par votre rapporteur estiment cependant que la ratification exige l’adoption de certaines mesures législatives ou réglementaires. Ces acteurs estiment que, en faisant le choix d’une ratification « sèche », la France fait le choix d’ignorer la recommandation n° 206 dont de nombreuses dispositions pourraient inspirer des évolutions du cadre juridique français. Si la recommandation n’a pas de valeur contraignante et ne doit pas être ratifiée contrairement à la convention n° 190, syndicats et ONG font valoir le caractère indissociable de la recommandation par rapport à la convention et rappellent que la France s’est également prononcée en faveur de la recommandation n° 206. Le Gouvernement répond que la recommandation a de l’importance et qu’elle pourra éclairer des débats et des échanges ultérieurement, mais que la priorité est aujourd’hui à la ratification de la convention n° 190.

Syndicats, ONG et associations féministes se sont fortement mobilisés pour infléchir la position française sur les conséquences à tirer de la ratification. Au mois de juin 2020, ces derniers ont adressé au président de la République une lettre ouverte publiée dans le Journal du Dimanche appelant à la fin des violences faites aux femmes au travail ([11]). En février 2021, la Confédération générale du travail (CGT), Human Rights Watch (HRW), Care et ActionAid ont écrit à la ministre du Travail Mme Elisabeth Borne. Trois mois plus tard, dans une logique interprofessionnelle, les syndicats représentatifs (CGT, CFDT, FO et CFE-CGC) ont à leur tour écrit à la ministre du Travail. Au début du mois de juin, une nouvelle tribune était publiée par l’ensemble des acteurs dans le journal Libération ([12]).

Les propositions des syndicats, des ONG et des associations féministes apparaissent de la façon la plus exhaustive dans la contre-étude d’impact réalisée par la CGT, ActionAid et Care, qui est restituée à l’annexe 4 du présent rapport. S’il n’appartient pas à l’auteur de ce rapport, en sa qualité de rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 190 de l’OIT au nom de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, de trancher le débat en cours, il lui est apparu en revanche utile d’en restituer les tenants et les aboutissants au travers des principales propositions portées par les acteurs de la société civile mobilisés contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail en France.

1.   Généraliser les politiques de prévention

Comme indiqué précédemment, le code du travail consacre déjà une obligation de prévention pour l’employeur qui doit notamment établir un plan de prévention des risques liés au harcèlement moral et sexuel dans l’entreprise. En l’absence d’un tel plan de prévention, l’employeur s’expose à des sanctions. Mais, selon le chiffre contenu dans la contre-étude d’impact, 82 % des employeurs n’ont pas rédigé de plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, malgré son caractère obligatoire. Les syndicats et les ONG proposent donc de systématiser l’adoption de plans de prévention des violences sexistes et sexuelles dans les entreprises, sous peine de sanction effective des employeurs.

Ces derniers proposent également de faire de la lutte contre la violence et le harcèlement un sujet obligatoire de la négociation collective au niveau national, de la branche professionnelle et de l’entreprise. Le Gouvernement estime toutefois que le niveau d’association des partenaires sociaux à la prévention de la violence, dont les modalités ont été précisées plus haut, paraît suffisant. Par ailleurs, faire de la prévention contre la violence et le harcèlement un sujet obligatoire de négociation ne répondrait pas à l’objectif de lisibilité et d’efficacité du dialogue social qui était recherché dans le cadre des ordonnances « Travail » de 2017. Le Gouvernement ne souhaite pas non plus faire de la prévention des violences et du harcèlement un sujet obligatoire de la négociation sur la qualité de vie au travail, auquel sont soumis les employeurs tous les quatre ans, afin de ne pas alourdir cette négociation qui comprend déjà plusieurs thèmes. Enfin, le Gouvernement rappelle que la prévention du harcèlement est de la responsabilité de l’employeur de sorte que négocier sur cette thématique pourrait avoir comme effet contre-productif de diluer la responsabilité de l’employeur, voire de l’écarter en l’absence d’accord.

2.   Renforcer la formation et la sensibilisation

Les acteurs mobilisés contre le harcèlement au travail appellent à sensibiliser les travailleurs et à prévoir une formation des managers et des représentants des salariés sur ce thème. Selon M. Éric Freyburger, délégué national confédéral Formation, Égalité Professionnelle de la CFE-CGC, le manager est le plus souvent la personne responsable de la détection de la violence, de la mise en sécurité de la victime ainsi que de son accompagnement. Alors même que les violences au travail sont très complexes à gérer lorsqu’elles surviennent, les moyens engagés pour former les managers à la gestion de ces situations sont insuffisants. L’U2P confirme d’ailleurs que « le volet information-formation est un élément pouvant être intéressant à développer » tout en appelant à « faire attention à ne pas faire peser de contraintes irréalistes sur les petites entreprises ». Le Gouvernement souligne cependant que la formation des managers et des représentants des salariés relève moins de la loi que des conventions collectives, certaines le prévoyant d’ailleurs déjà. Le Gouvernement a par ailleurs rappelé à votre rapporteur qu’un guide sur le harcèlement sexuel a été mis en œuvre par la direction générale du Travail et s’est dit prêt à construire un tutoriel en ligne en lien avec l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT).

3.   Identifier les facteurs de vulnérabilité

Conformément à la recommandation n° 206, les ONG et les syndicats appellent à identifier les facteurs d’exposition renforcée à la violence et au harcèlement au travail afin de prévoir des mesures spécifiques. Les facteurs de vulnérabilité dépendent en premier lieu des conditions de travail, et plus particulièrement de la précarité du contrat de travail et des formes d’organisation de travail atypiques (travail isolé ou travail de nuit, par exemple). Certaines populations spécifiques dont les travailleurs de l’économie informelle, les personnes migrantes ou LGBTQI+, sont par ailleurs plus vulnérables que d’autres. Enfin, si certains secteurs d’activité sont comparativement plus exposés, notamment ceux au contact du public (la santé, l’hôtellerie et la restauration, le travail domestique, etc.), l’ensemble des personnes rencontrées par votre rapporteur ont appelé à ne pas lister ces secteurs – compte tenu du risque d’en omettre, tous les secteurs pouvant être concernés –, les violences et le harcèlement étant inacceptables pour tous, quel que soit le secteur d’activité.

Pour le Gouvernement, au-delà des dispositions du code du travail interdisant les mesures discriminatoires, l’identification des facteurs de vulnérabilité relève des branches professionnelles, qui doivent se cibler elles-mêmes en fonction des critères de risque qui les caractérisent. À titre d’illustration, le syndicat des hôteliers pourrait demander des mécanismes spécifiques pour tenir compte des modalités de travail habituelles dans ce secteur. ONG et syndicats appellent cependant à aller plus loin en imposant une obligation d’identifier les facteurs de risque et de prévoir des protections particulières dans la négociation, le plan de prévention et le document unique d’évaluation des risques (DUER).

4.   Assurer un accompagnement effectif des victimes

Pour les ONG et les syndicats, les moyens consacrés à l’accompagnement des victimes de violences dans le monde du travail sont insuffisants. Aujourd’hui, un tiers des travailleurs n’a pas de représentants du personnel et lorsque ces derniers existent, ils ne sont pas armés pour accompagner les victimes. Selon Mme Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT chargée de l’égalité femmes-hommes, le comité social et économique (CSE), créé par les ordonnances de 2017 pour simplifier les instances représentatives du personnel en entreprise, est débordé par les questions économiques alors que le sujet des violences et du harcèlement était mieux identifié dans les missions de l’ancien comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués du personnel. En dépit de la création récente des référents « harcèlement », ces derniers ne disposeraient pas des moyens permettant d’assurer convenablement leurs missions. Ils ne disposeraient ni de missions et de prérogatives bien définies, ni de moyens humains et techniques (locaux, ligne téléphonique), ni d’heures de formation. Selon les syndicats, de nombreuses personnes ayant exercé les fonctions de référent « harcèlement » ont constaté leur impuissance à répondre aux besoins des victimes, de sorte qu’il existe aujourd’hui une désaffection pour cette fonction.

Afin d’assurer l’effectivité du droit à l’accompagnement des victimes de violences au travail, syndicats et ONG appellent à renforcer les prérogatives et les moyens des conseillers des salariés et des référents « harcèlement ». En plus de voir ses prérogatives et ses moyens renforcés, le dispositif des conseillers des salariés devrait être élargi afin d’éviter que des travailleurs se retrouvent sans protection. Le Gouvernement n’envisage toutefois pas de renforcer les prérogatives du conseiller du salarié. D’après les réponses écrites de l’administration, « il est difficile de circonscrire son activité et sa capacité à répondre dans le cadre de harcèlement et de violence, d’autant plus qu’ils ont aujourd’hui un rôle de conseil uniquement en matière de licenciement pour motif personnel » et « qu’ils sont extérieurs à l’entreprise ». Concernant les référents « harcèlement », « il ne semble pas nécessaire d’octroyer des moyens supplémentaires en plus des éventuelles heures de délégation accordées au titre de cette désignation. Le référent bénéficie en effet des moyens octroyés au CSE, puisqu’il en est nécessairement membre ».

5.   Protéger les femmes contre la violence

La convention n° 190 appelle les parties, à son article 10, à prendre des mesures spécifiques pour atténuer, dans la mesure du possible, l’impact de la violence domestique dans le monde du travail et la recommandation n° 206 énumère, à son article 18, des exemples de mesures pour y parvenir.

Votre rapporteur reconnaît que la prise en compte, dans le monde du travail, des conséquences des violences conjugales, représente un sujet difficile, car elle remet en cause la distinction entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Le Grenelle sur les violences faites aux femmes, organisé en 2019, n’a d’ailleurs pas donné lieu à un grand nombre de propositions dans ce domaine. Les organisations patronales représentatives sont toutes très réservées sur le sujet de la prise en compte de la violence domestique qui, selon le MEDEF, ne « relève pas du mandat de l’OIT qui concerne la relation de travail ». Malgré la démarche interprofessionnelle engagée par les syndicats, la CFE-CGC a elle-même indiqué à votre rapporteur être partagée sur la prise en compte d’un phénomène extérieur à l’entreprise, sur lequel cette dernière n’a pas de prise. Pour M. Freyburger, le manager ne doit pas devenir une « assistance sociale » ; il peut, tout au plus, faire de l’orientation des victimes de violences conjugales. Cependant, il est important de lever une source de malentendus : les instruments de l’OIT n’appellent pas l’entreprise à solutionner les violences conjugales mais à éviter, dans la mesure du possible, que les violences conjugales ne pénalisent la victime au travail.

Bien que limitées, certaines dispositions en droit français vont dans ce sens. Un salarié démissionnaire victime de violences conjugales peut notamment bénéficier des allocations chômage. Un récent décret du 4 juin 2020, issu du « Grenelle », permet également aux victimes de violences conjugales sous ordonnance de protection de débloquer leur épargne salariale de manière anticipée pour leur permettre de faire face aux changements matériels imposés par leur situation, comme un déménagement. Ces mesures interviennent toutefois tardivement, une fois que la situation professionnelle de la victime est déjà très fragilisée, et les entreprises ne sont pas appelées à agir pour atténuer l’impact des violences domestiques sur le travail.

Pour ne pas ajouter de la précarité à la violence, ONG et syndicats proposent d’offrir aux femmes victimes de violence domestique une protection temporaire contre le licenciement comme c’est déjà le cas pour les victimes de violences commises sur le lieu de travail. Le Gouvernement oppose à cette idée que toutes les victimes de violences domestiques ne souhaitent pas nécessairement faire connaître leur situation à leur employeur. Quand bien même tel serait le cas, les salariées concernées ne disposent pas forcément de documents (plaintes, décisions de justice, témoignages, etc.) attestant de leur situation. Il est donc « difficile de faire peser sur l’employeur une obligation ou une limitation de son pouvoir de direction en raison de faits dont il n’a pas forcément connaissance et sur lesquels sa maitrise est faible, voire nulle. »

ONG et syndicats proposent d’aller encore plus loin en créant, pour les femmes victimes de violences au travail ou familiales, un droit à des aménagements d’horaires, de postes, à des congés payés, à la possibilité d’une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie et à l’accès à une prise en charge médico-sociale et psychologique sans frais. Ces derniers invoquent, non seulement les dispositions de la recommandation n° 206, mais aussi l’exemple fourni par certains pays étrangers. En Espagne et au Canada, un droit à la mobilité géographique et fonctionnelle choisie est reconnu pour les victimes. En Nouvelle-Zélande, les victimes bénéficient de dix jours de congés rémunérés et d’une dispense de préavis en cas de démission.

Dans le contexte français, de telles mesures de protection peuvent être prévues par accord d’entreprise. Par exemple, La Poste prévoit, dans son accord social relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, trois journées d’autorisation d’absence rémunérées pour les victimes de violences au travail ou familiales afin de permettre à ces dernières de réaliser les démarches administratives requises. Syndicats et ONG demandent à ne plus subordonner ces mesures à la bonne volonté des entreprises et à en faire un droit pour toutes les travailleuses. Mme Sophie Binet fait valoir que l’interdiction du licenciement comme le droit à la mobilité ne se traduirait par aucune charge financière et, pour les congés payés, qu’un débat sur la prise en charge par l’employeur, la branche ou la sécurité sociale pourrait avoir lieu.

Le Gouvernement estime que le cadre actuel, qui donne à la médecine du travail les moyens de proposer des aménagements du poste et des horaires de travail, est suffisant pour protéger les femmes victimes de violences au travail ou familiales. En effet, l’article L. 4624-3 du code du travail prévoit que « le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l’employeur, des mesures individuelles d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d’aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment […] à l’état de santé physique et mental du travailleur ». La médicine du travail et, le cas échéant l’arrêt maladie, préserverait d’ailleurs mieux le droit à la confidentialité des victimes de violences domestiques. Si le Gouvernement ne se dit pas fermé à une évolution du droit, ce dernier subordonne néanmoins toute avancée législative à une négociation préalable entre partenaires sociaux, étant donné la sensibilité du sujet pour les organisations patronales.

6.   Prévenir la violence et le harcèlement dans les entreprises sous-traitantes

ONG et syndicats font valoir que les violences et le harcèlement au travail ne sont pas considérés à ce jour comme des violations des droits humains au regard du devoir de vigilance sur les conditions de travail dans la chaîne d’approvisionnement des entreprises ([13]). Pour rappel, la loi de 2017 relative au devoir de vigilance prévoit que les entreprises entrant dans son champ d’application mettent en œuvre un plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle comportant « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ». Or, en pratique, les plans de vigilance auxquels sont astreints les entreprises françaises qui ont des sous-traitants à l’étranger n’évoqueraient que rarement la violence et le harcèlement au travail.

Aussi est-il proposé d’inscrire, dans le devoir de vigilance, la prévention des violences et du harcèlement sur le lieu de travail. Les entreprises qui ont des sous-traitants à l’étranger seraient obligés d’inclure ce risque dans leur plan de vigilance. Pour le Gouvernement, la possibilité de refuser l’accès à des marchés publics aux entreprises sanctionnées pour discrimination ou qui n’ont pas engagé de négociation sur l’égalité professionnelle ([14]) semble toutefois suffisante. Sur le sujet de la violence et du harcèlement au travail, la réalisation d’audit dans la chaîne de sous-traitance apparaît par ailleurs comme « une obligation très lourde » et une entreprise auditrice ne peut donner le même résultat qu’une mission de l’inspection du travail.

D.   Pour aller de l’avant, les acteurs sociaux doivent se parler

Votre rapporteur regrette que, malgré l’organisation de quelques séances de travail entre les acteurs sociaux, aucune réelle concertation n’ait eu lieu entre le Gouvernement, le patronat et les syndicats en amont de la présentation du présent projet de loi comme c’est pourtant la règle avant la ratification d’une convention de l’OIT. Dans le cas présent, l’ampleur des désaccords semble avoir rendu toute discussion impossible, générant une forte frustration parmi les ONG et les syndicats.

Les organisations patronales estiment de concert que la violence et le harcèlement dans le monde du travail sont inacceptables et indiquent organiser des activités pour sensibiliser leurs adhérents à cette thématique ([15]). La CPME rappelle à ce titre que la lutte contre la violence au travail sous toutes ses formes est « un sujet important pour les employeurs, au même titre que la prévention des risques physiques, des risques chimiques, des risques liés à la manutention manuelle, etc. » Le patronat, représenté par le MEDEF, a ainsi voté en faveur de la convention n° 190 mais s’est abstenu sur la recommandation n° 206 parce que cette dernière est jugée trop technique et prescriptive au niveau international, en particulier pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME).

Les organisations patronales représentatives s’opposent toutefois à l’adoption de nouvelles mesures contraignantes et rejettent la totalité des propositions évoquées par crainte de rajouter de nouvelles obligations pour les entreprises françaises et du coût que leur mise en œuvre représenterait, notamment pour les TPE et les PME, pour lesquelles certaines propositions paraissent d’ailleurs inapplicables. Plus fondamentalement, s’il y a un consensus sur la nécessité de combattre les violences au travail, ce consensus n’existe pas sur le diagnostic sur l’origine des violences. Certaines organisations patronales estiment en effet que, à l’exception des violences qui découlent d’une situation de subordination, les violences renvoient à une sphère privée dans le monde du travail, sans lien avec l’organisation du travail. Ces dernières estiment donc de ne pas être responsables de la plupart des violences, et a fortiori des répercussions des violences conjugales sur le monde professionnel. Selon la CPME, « il ne saurait être entendable de transférer une grande partie de ce qui relève de la responsabilité quasi exclusive des pouvoirs publics vers les entreprises et surtout vers la personne physique de l’employeur. » Pour l’U2P, il faut prendre garde « à ne pas impliquer les entreprises dans tous les maux de la société, aussi graves soient-ils ». Mme Sophie Binet a indiqué à votre rapporteur avoir été surprise que le conflit avec le monde patronal se soit ainsi noué moins sur le sujet de l’égalité professionnelle, plus difficile, que sur la question de la violence au travail, alors que l’intérêt des employeurs à lutter contre ce phénomène est supérieur compte tenu des risques juridiques, pour l’image de marque, pour le collectif de travail et pour le recrutement.

En l’absence de dialogue, les syndicats et les ONG ont tenté de trouver des véhicules législatifs par lesquels faire passer leurs propositions. Plusieurs amendements reprenant les propositions destinées à atténuer l’impact des violences domestiques dans le monde du travail ont été présentés dans le cadre de la discussion de la proposition de loi sur l’égalité professionnelle avant d’être écartés pour irrecevabilité. Les syndicats et les ONG se sont également mobilisés autour de la proposition de loi relative au renforcement de la prévention en santé au travail, avec les mêmes difficultés de recevabilité des amendements. En cas d’échec, et à moins qu’un projet ou qu’une proposition de loi soit présentée sur ce sujet, il risque de ne pas y avoir d’autres fenêtres d’opportunité avant la fin de la législature.

Pour votre rapporteur, la priorité doit être de restaurer les conditions de la confiance entre les syndicats, le patronat et le Gouvernement. Ainsi qu’il a été dit, le ministère du Travail estime que la plupart des dispositifs proposés sont déjà contenus dans le code du travail et renvoie à une négociation paritaire pour progresser sur l’effectivité du droit et la prise en compte de l’incidence des violences conjugales dans le monde du travail. Dès lors que l’adéquation du code du travail à la lutte contre la violence et le harcèlement au travail fait débat et que le patronat semble peu ouvert à l’idée d’une négociation sur ce sujet, votre rapporteur estime nécessaire que le ministère du Travail mette en œuvre un cadre de concertation tripartite ou rédige, à tout le moins, la note de cadrage d’une négociation paritaire.

Compte tenu de l’importance des sujets en jeu, la ratification de la convention n° 190 ne peut être la fin d’un processus. Le dialogue entre acteurs sociaux doit permettre de réfléchir à d’éventuelles dispositions législatives et faire progresser le droit dans les branches et dans les entreprises. En tout état de cause, même sans mobile juridique, la convention sera mise en œuvre au travers des conventions de branche et des politiques internes des entreprises.

E.   La bonne mise en œuvre de la convention n° 190 sera garantie par un suivi national et international

Au niveau national, le suivi de la mise en œuvre de la convention n° 190 sera assuré à la fois par les acteurs sociaux et par les juridictions. Le suivi par les acteurs sociaux de la mise en œuvre des conventions ratifiées a lieu au sein de la commission consultative pour l’OIT qui permet au Gouvernement d’échanger avec les partenaires sociaux sur l’ensemble des sujets relatifs à l’OIT. Certains demandent toutefois la mise en place d’un comité de suivi tripartite ad hoc pour suivre la mise en œuvre de la convention n° 190 et de la recommandation n° 206 en France compte tenu de l’importance de suivre ce sujet.  Quelle que soit l’enceinte de suivi retenue in fine, les acteurs sociaux doivent pouvoir se retrouver de façon régulière pour faire des points d’étape et partager les bonnes pratiques sur la mise en œuvre de ces instruments internationaux en s’appuyant sur les remontées de terrain. De façon plus classique, les juridictions seront amenées à se prononcer sur la conformité de la législation nationale au regard des dispositions de la convention.

Le suivi réalisé à l’échelon national sera doublé par les mécanismes de contrôle prévus dans le cadre de l’OIT. D’une part, le Gouvernement devra transmettre à l’OIT, à intervalles réguliers, un rapport sur les mesures prises pour donner effet à la convention n° 190. Ce rapport, ainsi que les observations envoyées à ce sujet par les organisations d’employeurs et de travailleurs, sera analysé par une commission d’experts compétente pour identifier des cas suspects de non-conformité et des voies de progrès. L’OIT prévoit, d’autre part, des procédures de réclamation ouvertes aux organisations syndicales et patronales lorsque ces dernières estiment que le Gouvernement ne respecte pas une convention de l’OIT ([16]). La plainte est examinée par un panel tripartite qui rend un avis, qui doit être validé par le conseil d’administration de l’OIT avant l’adoption d’une éventuelle résolution à l’encontre de l’État en question. L’OIT n’ayant pas de pouvoir de police pour mettre en œuvre ses résolutions, son mode d’action repose sur la pression politique.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le mardi 13 juillet 2021, la commission examine, sur le rapport de M. Mustapha Laabid, le projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail (4216).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La Convention n° 190 érige en principe universel le droit à évoluer dans un monde du travail exempt de violence et de harcèlement. Pour la première fois, un accord international définit ces notions et impose aux États signataires une obligation de moyens pour rendre ce droit effectif.

Il est notable que la convention appelle à construire ce droit nouveau de façon collaborative entre les gouvernements, les représentants des employeurs et des salariés et, plus généralement, les acteurs sociaux. Il s’agira d’en définir les modalités d’application aussi bien pour la prévention des atteintes et la protection des personnes que pour la formation et la sensibilisation.

La France dispose déjà d’un corpus législatif et réglementaire substantiel interdisant et réprimant la violence et le harcèlement. Si je voulais être provocateur, je dirais que c’est la convention qui ratifie notre droit interne, et non l’inverse. D’ailleurs, le Gouvernement considère que la mise en œuvre de la Convention n° 190 ne nécessiterait aucune mesure législative visant à modifier le code du travail. Des actions sont néanmoins attendues en matière de prévention et de sensibilisation.

J’aimerais avoir une réponse à une question soulevée par notre rapporteur, et sur laquelle l’étude d’impact du Gouvernement reste silencieuse : pouvons-nous poursuivre jusqu’à son terme la procédure d’autorisation de ratification sans disposer de la décision du Conseil de l’Union européenne autorisant les États membres à ratifier les dispositions de la convention qui relèvent de la compétence exclusive de l’Union, à savoir la lutte contre les discriminations et contre l’inégalité entre les femmes et les hommes ?

La Commission européenne avait en effet proposé qu’il y ait une décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier la convention, mais cela a suscité des divergences d’interprétation quant à la nature et la portée de cette autorisation. Du coup, on a sollicité l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne, que nous attendons. Comme beaucoup, je me demande si le fait de ratifier unilatéralement la convention avant que les procédures européennes soient arrivées à leur terme ne constitue pas un manquement au principe de coopération loyale entre membres de l’Union. Tout cela me semble un sacré sac de nœuds ! J’espère que vous allez nous aider à le dénouer, monsieur le rapporteur.

M. Mustapha Laabid, rapporteur. Je vais essayer, monsieur le président.

Il me revient en effet de vous présenter, chers collègues, la Convention n° 190 de l’OIT relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, dont la ratification est souhaitée par le Gouvernement.

Si nous sommes, à l’échelle nationale, particulièrement impliqués dans la lutte contre les violences et le harcèlement, moral comme sexuel, la prise en compte de ce sujet à l’échelle internationale est beaucoup plus récente. Il me semble d’ailleurs que c’est la première fois que notre commission est appelée à s’en saisir.

La convention définit explicitement, et de manière inédite, la violence et le harcèlement dans le monde du travail comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique » ; il est précisé que l’expression « comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ».

Du fait des fortes disparités existant entre les systèmes juridiques et des enjeux sociétaux spécifiques à chacun des 187 pays membres de l’OIT, les notions de violence et de harcèlement au travail recouvrent des définitions et des périmètres variables suivant les États. Cela, ajouté à l’utilisation de méthodes également diverses, rend difficile la réalisation d’études quantifiant le phénomène de manière globale. Aussi l’OIT travaille-t-elle à l’élaboration d’un outil statistique harmonisé afin de remédier à cette carence méthodologique.

À l’échelle de l’Union européenne, les données sont davantage consolidées. En 2010, on estimait que 14 % des travailleurs européens avaient déjà été soumis à une forme de violence ou de harcèlement. Ce pourcentage était plus faible dans les pays du sud et plus élevé dans les pays du nord et du centre de l’Europe. Il faut toutefois tenir compte de la sous-déclaration des violences par les victimes, à laquelle aucun pays n’échappe.

Indépendamment du pays, certains groupes sont plus exposés que d’autres à la violence et au harcèlement sur le lieu de travail. Les femmes, en particulier, sont plus exposées aux violences sexistes et sexuelles, mais on peut aussi citer les personnes exerçant un emploi précaire, temporaire, isolé ou celles qui, à l’inverse, sont en contact avec le public.

On sait aussi, même si l’on ne dispose pas encore de données chiffrées en nombre suffisant, que partout dans le monde, la pandémie a donné lieu à une hausse des violences et du harcèlement au travail. Les travailleurs dits de première ligne ont subi des pressions et parfois des violences dans un contexte particulièrement éprouvant pour tous. De même, les personnes pouvant télétravailler ont été exposées à diverses formes de harcèlement et de violences en ligne, ainsi qu’à la recrudescence des violences domestiques.

Aussi l’adoption, le 21 juin 2019, de la Convention n° 190 par l’OIT est-elle assez remarquable, d’autant qu’elle est la première à l’être depuis dix ans.

Trois facteurs expliquent ce succès. Il y a d’abord la persévérance de la Confédération syndicale internationale, qui militait depuis longtemps pour l’adoption d’une norme internationale interdisant la violence au travail. Cette revendication syndicale a connu une forte accélération sous l’effet du mouvement MeToo, qui a fait des violences sexistes et sexuelles à l’encontre des femmes un enjeu de société dans de très nombreux pays. Enfin, le processus en cours à l’OIT a trouvé un appui solide auprès de certaines grandes entreprises qui ont pris des engagements volontaristes en faveur d’une telle norme. Ces entreprises ont contribué à l’implication du monde patronal, initialement très réservé.

Sur le fond, que penser de cette convention ? De l’avis des acteurs auditionnés – à l’exception de certaines organisations patronales –, elle a le mérite d’être à la fois ambitieuse et équilibrée.

Ambitieuse, elle l’est d’abord parce qu’elle propose pour la première fois une définition internationale de la violence et du harcèlement au travail. Celle qui a été retenue dépasse amplement les seules violences physiques et s’étend au-delà du lieu de travail, incluant par exemple le trajet domicile-travail ou le logement fourni par l’employeur.

La convention se veut « inclusive », en ce qu’elle tient compte de l’exposition particulière de certains groupes à la violence. Elle accorde une place spécifique à la lutte contre les violences faites aux femmes, appelant non seulement à protéger les femmes contre la violence et le harcèlement au travail, mais aussi à atténuer l’impact des violences conjugales dans le monde du travail.

La convention promeut une approche « intégrée » : reconnaissant que, pour lutter efficacement contre la violence au travail, il ne suffit pas de permettre aux victimes d’aller devant le juge, elle appelle à agir tout au long du processus d’anticipation et de réponse à la violence, de la prévention et la formation jusqu’à la sanction et la réparation.

Enfin, la convention impose aux États de reconnaître le rôle central des organisations syndicales et patronales dans la lutte contre la violence et le harcèlement au travail.

Cette convention est ambitieuse, mais elle est aussi équilibrée, et cela afin de permettre son adoption par un grand nombre d’États. Le pari est réussi puisqu’elle fait partie des conventions les mieux adoptées de l’OIT, avec 439 voix pour, 7 voix contre et 30 abstentions.

Cet équilibre est en partie assuré par la Recommandation 206 qui accompagne la convention sans toutefois disposer de caractère normatif. On y a intégré les dispositions les moins consensuelles, comme l’institution d’un congé afin de permettre aux femmes victimes de violences domestiques de mener à bien leurs procédures judiciaires et de déménager, ou encore la mention des personnes LGBT parmi les populations exposées au risque de violence au travail, qui a suscité l’opposition de nombreux pays, des États-Unis à la Chine en passant par la Russie et le Brésil – une formule de compromis a finalement été trouvée.

Pour les raisons que je viens d’exposer, je vous appelle, chers collègues, à autoriser la ratification de la Convention n° 190 de l’OIT. Notre pays pourra ainsi rejoindre les six pays qui l’ont déjà ratifiée, et cela dans un contexte particulier, puisque le Forum Génération Égalité, coprésidé par la France, vient de s’achever.

À cet égard, je me permets une petite digression pour exprimer mon regret, partagé par certains collègues, que notre commission ne se soit pas investie en amont de ce forum international pour travailler à l’écriture d’une feuille de route mondiale pour l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je ne peux conclure sans évoquer le débat sur la conformité de la législation française à la convention et, conséquemment, sur les mesures nationales que sa ratification pourrait rendre nécessaires.

Selon le Gouvernement, la législation française est l’une des plus avancées dans le domaine de la lutte contre la violence et le harcèlement au travail. Notre législation serait déjà au niveau de la convention et ne requerrait aucune mesure juridique complémentaire. La priorité, pour lui, serait plutôt la mise en œuvre du cadre juridique existant et la mobilisation des partenaires sociaux sur cette thématique.

Cette analyse est contestée par plusieurs syndicats, ONG et associations féministes, qui estiment que la convention et, plus encore, la Recommandation n° 206 pourraient inspirer une évolution du cadre juridique français. Syndicats et ONG formulent une série de propositions visant à renforcer, par voie législative ou réglementaire, la prévention, la formation, l’accompagnement des victimes et la protection des femmes.

Le principal point de blocage, c’est la position des organisations patronales. Ces dernières sont vent debout contre l’instauration de nouvelles obligations et les coûts que cela entraînerait, notamment pour les TPE et les PME. Surtout, les employeurs refusent de porter la responsabilité des violences qui ne résultent pas de l’organisation du travail et, a fortiori, de devoir gérer les répercussions des violences conjugales dans le monde professionnel.

Je ne crois pas qu’il me revienne, en tant que rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères, de trancher un débat qui doit avant tout faire l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux. Les organisations patronales étant peu ouvertes sur le sujet, il faudrait néanmoins que le Gouvernement encadre et accompagne cette négociation. J’en ai formulé explicitement la demande.

La prise de conscience des phénomènes dramatiques que sont les violences et le harcèlement au travail est une première étape. La deuxième sera la volonté collective que le monde du travail soit totalement exempt de violence. La ratification de cette convention permettrait de l’amorcer. Nous devons cet effort à toutes celles et ceux qui subissent dans leur vie les conséquences de la violence et du harcèlement au travail.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je ferai deux observations avant de donner la parole aux représentants des groupes.

S’agissant de la possibilité d’enrichir substantiellement le contenu de la convention à la faveur d’un dialogue entre les partenaires sociaux, il est probable que bien des choses pourraient être faites, mais cela n’entre dans le cadre de la présente discussion. Nous intervenons au terme du processus : il nous reste à adopter ou, si nous estimons qu’il est notoirement insuffisant, à rejeter le texte – il est à prendre ou à laisser.

Quant à la question européenne, je dois dire que je suis perplexe. Nous pouvons toujours autoriser la ratification, mais il me semble que celle-ci ne pourra être effective qu’à partir du moment où la procédure européenne que j’ai décrite sera arrivée à son terme. Nous sommes en droit de nous demander pourquoi l’on nous soumet ce texte dès maintenant : il eût été préférable d’attendre – à moins qu’on ne veuille secouer le cocotier et inciter nos partenaires à avancer. Nous nous trouvons en plein maquis juridique, d’autant qu’il faut tenir aussi compte de la convention d’Istanbul, qui est la référence dans cette matière. Tant que l’écheveau ne sera pas démêlé, il sera à mon avis difficile pour la France de se doter de l’instrument de ratification.

Cela ne nous empêche pas, bien sûr, de nous prononcer sur l’autorisation de ratification qui nous est demandée.

Mme Sonia Krimi (LaREM). Je suis heureuse d’intervenir au nom du groupe La République en Marche sur un sujet aussi important, qui nous concerne toutes et tous. L’exposé de notre rapporteur était très clair, et je ne reviendrai pas sur ce qu’il a dit.

La Convention n° 190 relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est le premier texte international contraignant qui reconnaît « le droit de toute personne à un monde de travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre ». Que demander de plus ? Ce texte a de surcroît été complété par la Recommandation n° 206 sur la violence et le harcèlement, qui, si elle n’est pas juridiquement contraignante, pose des principes directeurs concernant la manière dont la convention pourrait être appliquée. Si, comme je le souhaite, nous adoptons ce projet de loi, notre pays serait le sixième à ratifier cette convention – quitte, comme le soulignait le président, à ce que cela nous conduise à « secouer le cocotier ».

La position de notre pays sur la Convention n° 190 m’inspire néanmoins quelques remarques. Le rapporteur l’a rappelé, depuis 2017, notre majorité a fait beaucoup pour la lutte contre les violences sexuelles et sexistes – premier pilier de la grande cause du quinquennat – et la lutte contre les discriminations. Nous avons œuvré ensemble en faveur de l’égalité économique et professionnelle. Il est indéniable que nous avons une législation avancée dans le domaine.

Or le chemin à parcourir ensemble est encore long : tout est loin d’être résolu dans le monde du travail en France. Il n’est pas réaliste que le Gouvernement déclare l’arsenal législatif conforme à la Convention n° 190 et à la recommandation qui l’accompagne, et refuse toute modification dans la loi française pour intégrer certains dispositifs que les syndicats, les ONG et les associations féministes réclament depuis de longues années. Nous devons travailler pour pousser le Gouvernement à aller encore plus loin même si, depuis quatre ans, notre majorité a rattrapé en grande partie son retard, comme nos prédécesseurs l’avaient fait.

En France, 30 % des femmes sont victimes de harcèlement sexuel au travail et la quasi-totalité des employeurs n’a toujours aucun plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Notre arsenal législatif ne fait apparemment pas peur à grand monde. Par ailleurs, 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur. Et pour cause car, quand elles le font – il s’agit en effet souvent de femmes –, 40 % d’entre elles estiment que la situation s’est aggravée et qu’elle s’est réglée en leur défaveur par une mobilité forcée voire un licenciement.

Le groupe La République en Marche votera en faveur du texte. Je signale à M. Mustapha Laabid que Delphine O a travaillé avec la Délégation aux droits des femmes, dont je suis membre, pour l’intégrer dans le Forum génération égalité. Y exposer les limites de notre arsenal législatif revêt une grande importance.

Mme Maud Gatel (Dem). La ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail était très attendue par les partenaires sociaux et la société civile, qui ont été particulièrement actifs dans son processus d’élaboration. Ils demandaient depuis longtemps la négociation d’une convention internationale contre les violences et le harcèlement au travail. Avant l’adoption de cette convention, il n’existait pas de définition universellement admise en droit international des notions de violence et de harcèlement dans le monde du travail. Pourtant, en 2015, environ 16 % des travailleurs, tout particulièrement des femmes, déclaraient être exposés à des incivilités et aux incidences de violences au travail, un chiffre en hausse de 9,5 % par rapport à 2010.

Définir, réglementer et punir les comportements abusifs dans tous les secteurs d’activité est une nécessité pour protéger nos concitoyens. La Convention n° 190 permet d’établir un cadre international structuré et cohérent. Elle impose aux États d’adopter une approche inclusive, intégrée et coconstruite, tenant compte des considérations de genre, afin de prévenir, de réprimer et, à terme, d’éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail.

Comme vous l’avez rappelé, la France a tenu un rôle de premier plan dans les travaux d’élaboration de la convention ces dernières années, à la demande de l’ensemble des États membres de l’Union européenne, dont elle a été le porte-parole, et en tant que membre du comité de rédaction des conclusions. Elle a notamment participé à l’avancement des travaux, en défendant des solutions de compromis entre les différentes volontés exprimées. Disposant d’un cadre normatif qui a récemment été renforcé par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la France considère que son cadre légal et réglementaire est d’ores et déjà en adéquation avec les exigences posées par la convention. Laissons-nous toujours la possibilité d’aller plus loin, pour protéger les uns et les autres. On le sait, le mal-être au travail est un enjeu majeur. Ces négociations ont abouti à un large consensus, la convention et la recommandation ayant été adoptées à plus des deux tiers des suffrages. Nous nous réjouissons qu’un tel résultat ait pu être obtenu, sur un sujet aussi important. Nous espérons voir le même consensus lors du vote du projet de loi. Naturellement, le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés le soutiendra.

M. Alain David (SOC). Le rapporteur l’a souligné, la Convention n° 190 de l’OIT apparaît à la fois ambitieuse et équilibrée. On doit saluer cette première tentative de réponse internationale aux revendications syndicales anciennes en la matière. Je n’entrerai pas dans le débat juridique sur la nécessité d’une autorisation européenne préalable à notre ratification, puisque je ne doute pas que la présente convention, qui figure parmi les mieux adoptées de l’OIT, fera rapidement l’unanimité au sein du Conseil européen et de la Commission européenne.

Je veux revenir sur les mesures complémentaires réclamées par certains syndicats, ONG et associations féministes, qui souhaitent que la France aille plus loin encore que les dispositions de la convention. Le rapport mentionne avec pertinence les contributions de plusieurs de ces acteurs. J’espère qu’un véhicule législatif pourra rapidement intégrer leurs demandes et leurs recommandations. Pour le premier pas normatif sur le plan international que représente la Convention n° 190, le groupe Socialistes et apparentés votera le texte.

M. Jean-Michel Clément (LT). Monsieur le président, je souscris à votre analyse juridique préalable : il faut saluer la convention comme étant le premier traité international sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Son champ d’application est vaste : la convention vise toutes les conditions et les situations de travail, tant pour les salariés du privé que du public, les stagiaires ou les bénévoles. En ce sens, elle offre une définition large de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Elle définit également la violence et le harcèlement fondés sur le genre. Le cadre est posé.

Le groupe Libertés et Territoires soutient le contenu de la convention. La France doit user de tout son poids diplomatique pour inciter les autres pays à la ratifier. Actuellement, seuls sept pays l’ont fait, ce qui est bien peu pour un sujet aussi important. Si les textes doivent garantir une bonne protection, force est de constater que la pratique en est encore éloignée. Les chiffres cités sont alarmants, pour une société que nous souhaiterions voir civilisée et respectueuse de tous.

Nous pourrions aussi avoir une vision plus large du dispositif. Le préambule de la Convention n° 190 fait référence aux violences domestiques. Elles entraînent inévitablement des répercussions sur la vie professionnelle des femmes. Les entreprises ont un rôle à jouer pour détecter de telles violences. Nous pourrions imaginer des mesures pour aider à les enrayer. Dans certains pays, comme l’Espagne ou le Canada, des dispositifs plus développés que les nôtres existent. Dans ce domaine, nous devons prendre en compte le chemin qu’il reste à accomplir : même si la ratification de la présente convention est un premier pas, il reste beaucoup à faire.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Le rapport de notre collègue, M. Mustapha Laabid, soulève bien des questions. Il faut dire et répéter les chiffres : 30 % des femmes sont victimes de violences ou de harcèlement sexuel au travail ; 70 % déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur, et pour cause, puisque 40 % d’entre elles estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur. Quand les choses sont dites, les femmes qui sont déjà victimes subissent une mobilité forcée voire un licenciement.

Si la France possède un arsenal législatif relativement correct en la matière, les données montrent que nous devons faire plus pour les victimes de violences sur leur lieu de travail. La Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail sur l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est une première étape satisfaisante, mais elle n’est que symbolique car le véritable enjeu se trouve dans la prise en compte des préconisations de la Recommandation n° 206 qui accompagne la convention.

L’application de la recommandation dans notre droit constituerait une véritable avancée. Nous comprenons toutefois que la majorité n’y ait pas donné suite, puisque le MEDEF était contre son adoption. Ses nombreuses propositions nous permettraient pourtant d’éradiquer les violences sexistes et sexuelles au travail et de créer des droits pour les victimes de violences. Instaurer une politique de tolérance zéro pour les entreprises qui ne disposent pas encore de plan de prévention, inscrire l’obligation pour les entreprises d’inclure le risque de violences et de harcèlement dans leurs plans de vigilance – la mesure ne mettrait pourtant pas en péril la vie économique de notre pays ! – et adopter des mesures spécifiques pour protéger les groupes vulnérables seraient autant de mesures qui donneraient à la France un cadre législatif de référence par rapport à d’autres États.

Le monde du travail constitue un vrai levier pour atténuer l’impact de la violence domestique. Pourtant, aucune disposition n’existe à ce jour en France pour sécuriser l’emploi des 230 000 femmes qui en sont victimes. Il y a donc urgence à instaurer une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie et à interdire le licenciement des femmes victimes de violences conjugales, comme en Nouvelle-Zélande, au Canada ou en Espagne.

La réflexion devrait également conduire à créer un processus de discussion pour ratifier la Convention n° 189 sur les travailleuses et travailleurs domestiques le plus rapidement possible. Les deux textes vont en effet de pair, et il conviendrait de préciser pourquoi ils ne sont pas ratifiés ensemble. La France se contente de ratifier la Convention n° 190, sans suivre les recommandations qui forment les mesures concrètes proposées par l’OIT.

Les députés communistes voteront la présente convention – qui pourrait être contre ? Nous regrettons profondément que la France s’arrête à mi-chemin, en ratifiant seulement la partie symbolique et en laissant de côté la partie concrète. Nous appelons donc à travailler sur la suite.

M. Mustapha Laabid, rapporteur. Monsieur le président, il existe en effet un débat sur la nécessité d’obtenir une autorisation européenne, en plus d’une autorisation parlementaire, pour ratifier la convention. Il est opportun que le Parlement donne son autorisation, dans le cadre du Forum génération égalité. La France doit envoyer un signal fort, montrant qu’elle se mobilise sur le sujet. Nous ne faisons qu’autoriser la ratification : l’exécutif la ratifiera. Par-là, nous ne dérogeons donc pas au droit européen. L’exécutif devra en revanche attendre l’issue de ce débat, qui se tiendra à la fin de l’année 2021, pour ratifier la convention. De même, l’Italie a signé la convention. La loi a autorisé la ratification mais l’exécutif n’a pas encore déposé les instruments de ratification auprès du Bureau international du travail.

Je partage le constat de ma collègue, Sonia Krimi : il faut aller plus loin. Selon un proverbe tunisien, « il vaut mieux allumer une chandelle que maudire l’obscurité ». La Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail constitue un premier pas. C’est la possibilité, demain, de s’appuyer sur la convention et la Recommandation n° 206 pour aller plus loin.

La discussion permettra d’améliorer l’application du cadre juridique. Vous l’avez dit, la loi actuelle n’est peut-être pas assez appliquée : de futures mesures législatives ou réglementaires complémentaires seraient nécessaires. Je ne suis que l’humble rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du travail. Les mesures complémentaires devront être l’objet d’une négociation entre les partenaires sociaux.

Il est vrai que l’on peut aller plus loin, notre collègue Maud l’appelle de ses vœux. La ratification est un premier pas. Je souhaite qu’elle soit suivie d’actions très concrètes. Un autre proverbe indique : « Il vaut mieux marcher d’un pas hésitant sur le bon chemin que d’un pas ferme sur le mauvais ». Nous sommes sur le bon chemin.

S’agissant des demandes des syndicats, des ONG et des associations féministes, j’ai reçu des représentants de toutes ces organisations. Par leur contre-expertise de la Recommandation n° 206, ils ont apporté de nombreuses propositions de modification de la loi, du règlement et des conventions collectives. Il ne m’appartient pas de trancher ce sujet, mais j’ai sollicité le Gouvernement pour qu’il orchestre une future concertation entre les partenaires sociaux.

M. Clément a évoqué les violences domestiques. Les conventions de l’OIT sont tripartites, et rassemblent les représentants des États, des organisations syndicales et patronales. Les violences domestiques ont été longuement abordées, dans le passé et récemment. Les organisations patronales françaises ne sont pas prêtes à travailler sur le sujet car elles estiment que les violences ne se situent pas au sein de l’entreprise mais en dehors, et qu’elles n’ont pas à les assumer. D’autres entreprises, sur le fondement de la responsabilité sociale, ont instauré des dispositions pour que les personnes victimes de violences conjugales soient accompagnées par leurs employeurs.

M. Lecoq s’est interrogé sur le nombre de pays, parmi les 187, qui ont ratifié la Convention n° 190. Ils sont au nombre de sept. Les organisations patronales de très nombreux pays ont voté contre ; certains gouvernements, tel le gouvernement russe, se sont abstenus.

Concernant la Convention n° 190 et la Recommandation n° 206, je partage votre constat sur l’interdiction de licenciement, la mobilité géographique ou l’accompagnement des femmes victimes de violences. Demain, il faudra, de façon pressante, que les acteurs s’asseyent autour d’une table pour échanger, et que le législateur, par exemple, M. Lecoq, trouve un véhicule législatif pour introduire les recommandations des organisations syndicales, ONG et associations militantes dans la loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Il faut saluer ce compromis historique, entre un député de La République en Marche et un député communiste, entre l’Ille-et-Vilaine et la Seine-Maritime ! Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir parfaitement instruit la question européenne que je soulevais à partir de votre rapport. Vous n’avez rien dissimulé de la difficulté que nous rencontrons.

Le problème européen est simple : nous votons un projet de loi autorisant une ratification, mais celle-ci appartient au pouvoir exécutif. Une fois que nous l’aurons votée, le Gouvernement pourra la geler le temps qu’il l’estime nécessaire. Le fait que nous la votions est toutefois une marque d’intérêt pour la convention.

Quant à vos appréciations, elles semblent aller de la position de M. Lecoq – c’est bien mais ce n’est pas assez – et celle du rapporteur, selon lequel « mieux vaut allumer une bougie que maudire l’obscurité ».

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification.

 


    

    

   Annexe 1 : texte adoptÉ par la commission

 

Article unique

Est autorisée la ratification de la Convention n° 190 de l’Organisation internationale du Travail relative à l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, adoptée à Genève le 21 juin 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 


    

   ANNEXE 2
LISTE DES PERSONNES entendues PAR LE RAPPORTEUR

Auditions à Paris

—  Audition du représentant de l’Organisation internationale du Travail en France : M. Cyril Cosme, directeur du bureau de l’OIT en France ;

—  Table-ronde « société civile » : Mme Sophie Binet, dirigeante confédérale de la CGT chargée de l’égalité femmes-hommes, Mme Elvire Fondacci, coordinatrice de plaidoyer chez Human Rights Watch, Mme Alice Bordaçarre, chargée de campagne Droits des femmes de ActionAid France, Mme Nina Chaize, stagiaire chargée de campagne Droits des femmes de ActionAid France, et Mme Anna van der Lee, assistante plaidoyer de Care France ;

—  Table-ronde « syndicats » : M. Eric Freyburger, délégué national confédéral Formation, Egalité Professionnelle de la CFE-CGC, Mme Emérance De Baudoin, chargée d’études Secteur Protection Sociale de la CFE-CGC, Mme Béatrice Lestic, secrétaire nationale en charge de la mixité et de l’égalité professionnelle de la CFDT, et Mme Claire Serre Combe, co-pilote du collectif « Femmes-mixité » de la fédération CGT du spectacle.

—  Audition conjointe de représentants du ministère du Travail et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères : Mme Emilie Saussine, cheffe du bureau « relations de travail » à la direction générale du Travail (DGT),
Mme Gaelle Arnal-Burtschy, chargée de mission affaires internationales à la DGT, M. Denis Martin, conseiller auprès de la déléguée du Gouvernement à l’OIT, M. Jérémie Petit, chef du pôle affaires économiques et enjeux globaux à la direction des Nations unies et organisations internationales (NUOI), M. Guillaume Seguela, rédacteur au pôle droits de l’Homme à la direction NUOI, et Mme Charline Thiery, rédactrice à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques ;

—  Rencontre avec le cabinet de la Ministre du Travail : Mme Christelle Akkaoui, conseillère droit du travail, vie et santé au travail, et M. David Miodownick, conseiller parlementaire.

—  Bureau de l’OIT en France ;

—  Organisations patronales : MEDEF, CPME, U2P ;

—  Organisations syndicales : Force Ouvrière, CFE-CGC.


  1  

 

   ANNEXE 3
Taux de prÉvalence et d’incidence de la violence et du harcÈlement dans divers rÉgions et pays
[17] 

 



 

   ANNEXE 4
contre-Étude d’impact de la CGT, de CARE France et d’ActionAid France sur la ratification en France de la convention n° 190 sur la violence et le harcÈlement dans le monde du travail et sa recommandation


 

 

 

 

Etude d’impact de la CGT, de CARE France et d’ActionAid France sur la ratification en France de la convention 190 sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail et sa recommandation

I- Situation de référence et objectifs de la Convention et de sa recommandation

La Conférence de l’OIT, réunie pour sa 108e session, dite session du centenaire, a adopté le 21 juin 2019, la Convention no 190 concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail. Adoptée à une large majorité, elle constitue le premier texte international contraignant visant à lutter contre le harcèlement et les violences au travail consacrant ainsi le droit « de toute personne à un monde du travail exempt de violence et de harcèlement, y compris de violence et de harcèlement fondés sur le genre »[18]

Cette Convention définit explicitement, et pour la première fois, les violences et le harcèlement au travail comme étant « l’ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre

Le texte énumère de manière large les personnes protégées par cette Convention, y compris les travailleuses et travailleurs de l’économie informelle, et ne limite pas son application au seul critère du lieu de travail, mais en se référant plus largement au « monde du travail elle vise également les comportements adoptés « à l’occasion, en lien, avec ou du fait du travail

Enfin, de nombreuses obligations incombent aux États membres de l’OIT ayant ratifié cette Convention, notamment des politiques de prévention, de formation et de sensibilisation visant à interdire et sanctionner les violences et le harcèlement au travail. Des mesures pour assurer le contrôle et le suivi de l’application de la Convention doivent être ainsi mises en place afin de garantir aux victimes « un accès aisé à des moyens de réparations appropriées et efficaces En outre, la Convention reconnaît que les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent contribuer, dans le cadre d’autres mesures, à faire reconnaître les effets de la violence domestique, à y répondre et à y remédier.

Le même jour, la recommandation (no 206) concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail a également été adoptée par la Conférence de l’OIT. Elle vise à compléter les dispositions de la Convention (no 190) et à orienter les politiques des États.

II- Conséquences estimées de la mise en œuvre de la Convention 190 et sa recommandation

En France, 30 % des salariées ont déjà été harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail[2]. 70 % des victimes de violences au travail déclarent n’en avoir jamais parlé à leur employeur[3]. Quand elles l’ont fait, 40 % estiment que la situation s’est réglée en leur défaveur, par une mobilité forcée voire un licenciement. En outre, 82 % des employeurs n’ont pas rédigé de plan de prévention pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, malgré son caractère obligatoire.

Les entreprises françaises ne sont aujourd’hui pas contraintes par la loi d’agir en matière de violences domestiques et de tenir compte de la situation particulière des victimes.

Aussi, il semblerait que la législation française doive être améliorée pour renforcer l’effectivité des mesures existantes et créer de nouveaux dispositifs afin d’être en parfaite conformité avec les obligations résultant de la Convention n° 190 et de sa recommandation n° 206.

Politiques de prévention

Dispositions conventionnelles et recommandations

En vertu de la convention, les Membres sont tenus de définir et d’interdire en droit la violence et le harcèlement dans le monde du travail [art. 4 2) (a) ; art. 7], et d’adopter les mesures appropriées pour les prévenir (art. 8). La convention traite également des responsabilités des employeurs en matière de prévention et de protection contre la violence et le harcèlement (art. 9). 

Les Membres doivent adopter des lois et des règlements prescrivant aux employeurs de prendre des mesures appropriées correspondant à leur degré de contrôle, pour prévenir la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Dans la mesure où cela est raisonnable et pratiquement réalisable, cela comprend : 

Adopter et mettre en œuvre, en consultation avec les travailleurs et leurs représentants, une politique du lieu de travail.

Recommandation : La politique du lieu de travail devrait prévoir: une déclaration de tolérance zéro ; des programmes de prévention ; les droits et responsabilités des travailleurs et de l’employeur ; que toutes les communications relatives aux incidents de violence et de harcèlement seront dûment prises en considération et traitées ; des informations sur les procédures de plainte et d’enquête ; le droit des personnes à la vie privée ; et des mesures de protection contre la victimisation ou les représailles (paragr. 7). 

Des systèmes de gestion de la sécurité et de la santé au travail qui tiennent compte de la violence et du harcèlement, ainsi que des risques psychosociaux qui y sont associés ; 

L’identification de dangers et l’évaluation de risques de violence et de harcèlement, avec la participation des travailleurs et de leurs représentants, et l’adoption de mesures visant à prévenir et à maîtriser ces dangers et ces risques ; 

Recommandation : L’évaluation devrait tenir compte des facteurs d’aggravation des risques de violence et de harcèlement, y compris les dangers et risques psychosociaux (paragr. 8).

Des informations et de la formation, notamment sur les dangers et les risques, les mesures de prévention et de protection associées, ainsi que sur les droits et responsabilités des travailleurs et des autres personnes concernées. 

Modifications législatives et réglementaires à apporter à la législation française

En vertu de ces différentes dispositions, la législation française doit être améliorée sur plusieurs points :

Thème intégré dans les négociations : la violence et le harcèlement doivent être un thème obligatoire intégré dans les négociations sur la qualité de vie au travail de l’entreprise, y compris l’impact des violences conjugales sur le monde du travail (modification de l’article L. 2242-1 du Code du travail)

Effets des violences sexistes, sexuelles et conjugales traités dans la négociation de branche : la question des effets des violences conjugales sur le monde du travail doit être ajoutée dans la négociation de branche. (modification de l’article L. 2241-1 du Code du travail). Il est nécessaire que les rapports de branche annuels intègrent la question de la prévention et lutte contre violences sexistes et sexuelles.

Sanctions : mettre en œuvre des sanctions pour tous les employeurs qui ne disposent pas de plan de prévention et de procédure sécurisée pour les victimes et témoins en donnant aux inspecteurs et inspectrices du travail des prérogatives de sanction (modification des articles L. 1263-1 à L. 1263-7, L. 8112-1 et suivants, R. 8111-1 et suivants du Code du travail), et ajout d’un article sur les sanctions ;

Présentation du plan de prévention : prévoir une présentation annuelle par l’employeur du plan de prévention des violences sexistes et sexuelles et de ses résultats à la commission de l’égalité professionnelle ou à défaut au Comité Social et Économique (CSE).  La disposition d’obligation de prévention générale ne se substitue pas à la mise en place d’un plan de prévention. Le défaut de plan de prévention entraine ainsi une sanction distincte qui peut se cumuler à la sanction en cas de manquement à l’obligation de prévention générale (ajout d’un nouvel article dans le code du travail) ;

Consultation du CSE : étendre l’obligation de consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise sur la politique de l’entreprise sur la prévention du harcèlement et des violences et l’accompagnement des victimes (modifications article L. 2312-26) ;

Préciser la procédure de signalement : un décret doit définir le cadre de la procédure interne de signalement et de traitement de faits de harcèlement (obligation découlant de l’ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail) pour prévoir notamment la confidentialité des informations, la suspension de la personne mise en cause pendant l’enquête, les mesures de protection de la victime et des témoins (ajout d’un nouvel article dans le code du travail) ;

Intégrer les risques de violences conjugales dans le Document unique d'évaluation des risques (DUER) : (Modification de l’article R. 4121-1du Code du travail)

Augmentation des effectifs d’inspecteurs et d’inspectrices du travail

Orientation, sensibilisation et formation

Dispositions conventionnelles et recommandations

La Convention précise que l’orientation, la formation et la sensibilisation au niveau national sont essentielles pour prévenir et éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. C’est pourquoi la convention exige que les Membres, en consultation avec les organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs, doivent s’assurer que la question de la violence et du harcèlement dans le monde du travail est traitée dans les politiques nationales pertinentes ; dans le cadre d’une approche intégrée, ces politiques concernent notamment la sécurité et la santé au travail, l’égalité et la non-discrimination, ainsi que la migration [art. 11 a)]. La convention demande également aux Membres de veiller à ce que des orientations, des ressources, des formations et d’autres outils soient mis à la disposition des employeurs, des travailleurs et de leurs organisations, ainsi que des autres autorités compétentes, dans des formats accessibles [art. 11 b)]. 

La convention exige également que les Membres prennent d’autres initiatives générales, notamment des campagnes de sensibilisation [art. 11 c)].

Recommandation : Cela comprend de campagnes publiques de sensibilisation qui visent à favoriser des lieux de travail sûrs, sains et harmonieux, qui affirment le caractère inacceptable de la violence et du harcèlement, qui s’attaquent aux comportements discriminatoires et préviennent la stigmatisation des victimes, des plaignants, des témoins et des lanceurs d’alerte [paras. 23 d) et 23 g)].

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

En vertu de ces différentes dispositions, la législation française doit être améliorée sur plusieurs points :

Formation des élus prud’hommes: ajouter, dans la formation initiale, une journée supplémentaire sur les violences sexistes et sexuelles. Cette journée interviendra dans la première moitié du mandat. La formation continue est assurée par les organisations syndicales et patronales ;

Formation des Instances Représentatives du Personnel (IRP) : 2 jours de formation supplémentaires obligatoire sur les violences sexistes et sexuelles durant la première moitié du mandat. La formation est assurée par les organisations syndicales, est prise en charge par l’employeur. Pour les élu.es non syndiqué.es la formation est assurée par les pouvoirs publics (modification de l’article L. 2241-1 et L. 23-113-1 du Code du travail)

Formation des managers : formation obligatoire de l’ensemble des managers et des cadres avec responsabilités RH ;

Formation des référent.es violence et harcèlement et membres des CSE : 5 jours de formation obligatoire pour les référents violences et harcèlement et les membres du

Comité Sociale et Economique (modification de l’article L. 2315-18 du Code du travail) ;

Formation supplémentaire des conseiller.ère.s du salarié (ajout d’un nouvel article dans le code du travail) ;

Sensibilisation annuelle obligatoire de tout.e.s les salarié.e.s sur leur temps et lieu de travail, à l’aide d’un support type mis à disposition par les pouvoirs publics (modification de l’article L1153-5 du Code du travail) ;

Sensibilisation des employeurs et des manageurs sur l’impact des violences domestiques ;

Formation obligatoire intégrée dans la formation initiale et continue de l’ensemble des professionnel.le.s, et notamment : inspections du travail, médecins (et notamment médecins du travail, gynécologues, urgentistes) magistrat.e.s, travailleur.euse.s sociaux et sociales, policier.ère.s, conseiller.ère.s pôle emploi ;

Définition du cahier des charges de la formation par les pouvoirs publics, habilitation des organismes de formation par le ministère du travail sur la base de ce cahier des charges.  

Protection des victimes de violence et de harcèlement au travail

Dispositions conventionnelles et recommandations

L’application rigoureuse des lois et des moyens de recours et de réparation est essentielle pour traiter les cas de violence et de harcèlement lorsqu’ils surviennent, et empêcher qu’ils ne se reproduisent. Pour ce faire, la convention dispose que les Membres doivent surveiller et faire respecter ces lois et règlements et garantir un accès aisé à des mécanismes et procédures de signalement et de règlement des différends sûrs, équitables et efficaces, tels que des procédures de plainte et d’enquête, des mécanismes de règlement des différends au lieu de travail et en dehors de celui-ci, et des voies de recours judiciaire. Des mesures doivent être prises pour protéger les plaignants, les victimes, les témoins et les lanceurs d’alerte contre la victimisation ou les représailles [arts. 10 a) et b)]. En outre, des sanctions doivent être prévues, s’il y a lieu, en cas de violence et de harcèlement dans le monde du travail [art. 10 d)]. 

La convention répond à une double nécessité : trouver un équilibre entre le droit des personnes à la vie privée et à la confidentialité, tout en garantissant une application efficace et des voies de recours. Elle impose donc expressément aux Membres le devoir de protéger la vie privée des personnes et la confidentialité, et de veiller à ce que ces exigences ne soient pas utilisées abusivement [art. 10 c)]. Outre les mécanismes de règlement des litiges, un dispositif de réparation complet suppose des mesures de recours et d’assistance. La convention demande aux Membres de garantir un accès aisé à des moyens de recours et de réparation appropriés et efficaces, ainsi qu’à un soutien juridique, social, médical et administratif pour les plaignants et les victimes [art. 10 b)]. 

Recommandation : Les moyens de recours et de réparation pourraient comprendre le droit de démissionner avec indemnisation, la réintégration, une indemnisation appropriée du préjudice, des ordonnances exigeant la prise de mesures immédiatement exécutoires, ainsi que le paiement des frais de justice et des dépens (paragr. 14). 

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

En vertu de ces différentes dispositions, la législation française doit être améliorée sur plusieurs points :

i)                   Prise en charge des frais de justice, médicaux, sanitaires et psychologiques : Prise en charge par l’employeur des frais de justice, médicaux, sanitaire et psychologiques liés aux violences sexistes et sexuelles quand elles ont lieu en lien, à l’occasion ou du fait du travail (modifications des articles L.1153-1 et L. 3253-16 du Code du travail) ;

ii)                ii) Décision d’arrêt temporaire du travail : nouvelle prérogative reconnue à l’inspection du travail permettant aux inspecteur.rice.s d’arrêter le travail en cas de danger imminent de violence ou de harcèlement (modification Article L. 4732-1 du Code du travail) ;

Création de référent.e.s violences/harcèlement dans chaque DIRRECTE ;

Plancher minimum : rétablissement du plancher minimum de 12 mois de salaire en cas de condamnation par les CPH suite au licenciement d’une victime de violences et de harcèlement ;

Accident du travail : reconnaître les violences et le harcèlement comme des accidents de travail elles ont lieu en lien, à l’occasion ou du fait du travail ;

Protection des témoins : la protection accordée aux salariés qui témoignent ou relatent des faits de harcèlement   doit être étendue aux témoins qui témoignent ou relatent ces faits de bonne foi (Pérenniser la jurisprudence dans les articles L.1152-2 et L. 1152-3 du Code du travail.

Garantir un accompagnement adéquat des victimes 

Dispositions conventionnelles et recommandations

La Convention reconnaît un rôle prépondérant aux organisations syndicales et aux représentant·e·s des travailleur·euse·s dans la lutte contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail (articles 4, 9). Selon l’article 11, des orientations, des ressources, des formations ou d’autres outils concernant la violence et le harcèlement dans le monde du travail, y compris la violence et le harcèlement fondés sur le genre, sont mis à la disposition des employeurs et des travailleurs et de leurs organisations et autorités compétentes.

Recommandation : Les Membres devraient prendre des mesures appropriées pour : (…) promouvoir la reconnaissance effective du droit de négociation collective à tous les niveaux comme moyen de prévenir la violence et le harcèlement et d’y remédier et, dans la mesure du possible, d’atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail.

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

En vertu de ces différentes dispositions, la législation française doit être améliorée sur plusieurs points :

Étendre les prérogatives des conseillers du salarié.e à l'accompagnement des victimes de violences et de harcèlement : élargir les prérogatives des conseiller.ère.s du salarié pour leur permettre d’accompagner les salariées victimes de harcèlement sexuel face à l’employeur, et leur permettre de couvrir cette mission en augmentant leurs heures de délégation et de formation (modification de l’article L. 1232-7 du Code du travail) ;

Étendre les prérogatives et moyens pour les référents CSE en charge de la lutte contre le harcèlement : droit d’alerte, droit d’assister la victime dès qu’elle est tenue de rencontrer un membre de la direction ou des ressources humaine, obligation d’informer la ou le référent.e et le CSE sur l’ensemble des étapes et le contenu de la procédure d’enquête diligentée par l’employeur, droit d’accompagner l’inspecteur du travail en cas d’enquête et visite dans l'entreprise, droit de saisine de l’inspection du travail, droit de saisine de la médecine du travail, droit de saisine ou droit d’inscription d’une question à l’ordre du jour du CSE lors des 4 réunions minimum qui portent sur les questions de santé, sécurité et conditions de travail, droit d'assister à la réunion durant laquelle la question est traitée, obligation de respecter la parole des victimes et de protéger leur anonymat si elles le souhaitent, mise à disposition d’un lieu leur permettant de recevoir les salariés en toute discrétion (modifications des articles L. -2314-1 du Code du travail et suivants) ;

iii) Garantir les droits et la formation des référent.es CSE harcèlement et violences : la ou le référent·e doit être un·e salarié·e protégé·e et disposer d’un nombre d’heures de délégation par mois, venant en plus des heures conventionnelles le cas échéant. Les heures nécessaires au suivi d’un signalement ne doivent pas être décomptées des heures de délégation ; 

Création d’unité d’accueil sanitaire, psychologique et sociale accessible dédiée aux victimes de violences sexistes et sexuelles dans les hôpitaux et les commissariats ;

Doublement des places d’accueil d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes et leurs enfants ;

Doublement des moyens dévolus au 3919 et aux associations qui orientent, conseillent et accompagnent les femmes dans leurs démarches. 

Atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail

Dispositions conventionnelles et recommandations

La Convention reconnaît que les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs et les institutions du marché du travail peuvent contribuer, dans le cadre d’autres mesures, à faire reconnaître les effets de la violence domestique, à y répondre et à y remédier (article 10f).

Recommandation : Les mesures appropriées visant à atténuer l’impact de la violence domestique dans le monde du travail mentionnées à l’article 10 f) de la convention pourraient comprendre: un congé pour les victimes de violence domestique, des modalités de travail flexibles et une protection pour les victimes de violence domestique, une protection temporaire des victimes de violence domestique contre le licenciement, selon qu’il convient, sauf pour des motifs sans lien avec la violence domestique et ses conséquences, la prise en compte de la violence domestique dans l’évaluation des risques sur le lieu de travail, un système d’orientation vers les dispositifs publics visant à atténuer la violence domestique, lorsque ces dispositifs existent, la sensibilisation aux effets de la violence domestique.

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

Le Grenelle des violences conjugales de 2019 a initié une réflexion autour de la mobilisation du monde du travail pour participer à l’effort visant à accompagner les victimes mais le droit français ne prévoit actuellement pas de mécanismes visant à accorder des droits sociaux spécifiques pour protéger les victimes de violences conjugales. Il conviendrait donc de le modifier comme ceci :

Octroi de congés payés supplémentaires : accorder 10 jours d’absence rémunérés pour les victimes de violences conjugales pour effectuer les démarches judiciaires, médicales et sociales qui peuvent être nécessaires pour se mettre en sécurité et se reconstruire, sur présentation plainte ou main courante, certificat médical ou avis assistante sociale ou association spécialisée, utilisables de façon fractionnée pendant 6 mois ;

Dispense de préavis en cas de démission, les ruptures conventionnelles, et le droit à indemnités chômage : prévoir une dispense de préavis pour la démission, les ruptures conventionnelles et le droit à indemnités chômage, même en cas de démission dans pour ces victimes de violence ;

Protection contre le licenciement : interdiction du licenciement des victimes de violences conjugales pendant 6 mois sur présentation plainte ou main courante, certificat médical ou avis assistante sociale ou association spécialisée;

Droit à la mobilité géographique, fonctionnelle ou aux aménagements d’horaires : les victimes doivent pouvoir bénéficier d’un droit à la mobilité géographique ou fonctionnelle, et de la possibilité de réduire et réorganiser son temps de travail pour se protéger contre les abus sur présentation de plainte ou main courante, certificat médical ou avis assistante sociale ;

Prise en compte de la violence domestique dans l’évaluation des risques : inclure la prise en compte de la violence domestique dans l’évaluation des risques sur le lieu de travail et la sensibilisation aux liens entre la violence domestique et l'emploi. 

Protection des groupes vulnérables

Dispositions conventionnelles et recommandations

La violence et le harcèlement ne survenant pas uniformément dans le monde du travail, les membres doivent adopter diverses mesures de prévention, identifier les secteurs ou professions et les modalités de travail qui exposent davantage les travailleurs et les autres personnes concernées à la violence et au harcèlement, et prendre des mesures pour les protéger. L’identification de ces secteurs, professions et régimes de travail doit se faire en consultation avec les organisations d’employeurs et de travailleurs concernées et par d’autres moyens [arts. 8 b) et c)]. 

Recommandation : Les secteurs, professions et modalités de travail où les travailleurs sont davantage exposés à la violence et au harcèlement comprennent le travail de nuit, le travail isolé, le secteur de la santé, l’hôtellerie et la restauration, les services sociaux, les services d’urgence, le travail domestique, les transports, l’éducation ou le secteur du divertissement (paragr. 9).

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

Le droit français doit être modifié pour permettre d’identifier les facteurs de risques et développer des stratégies spécifiques pour les groupes considérés comme étant les plus à risque d’être exposés à la violence et au harcèlement sur le lieu de travail, comme les personnes migrant.e.s, les personnes LGBTQI+ ainsi que les travailleur.euse.s précaires. Cela peut également inclure les personnes travaillant de nuit, de manière isolée, les personnes effectuant un travail domestique et les personnes travaillant dans les secteurs de la santé, de l’hôtellerie et la restauration, des services sociaux, des services d’urgence, des transports, de l’éducation ou du divertissement.

Obligation d’identification dans la négociation, le plan de prévention et le DUER des facteurs de risques suivants : travail de nuit, travail isolé, travail précaire, en relation avec du public, LGBTQI+, femmes, migrant.e.s, handicapés, et de prévoir des protections particulières ;

Régularisation : Accès automatique à un titre de séjour pour les migrants victimes de violence sexistes et sexuelles à l’image de ce qui existe pour les violences conjugales (titre VPVF) et les victimes de traite et de prostitution (sur présentation de plainte ou main courante, avis assistante sociale ou médecin, ou attestation employeur suite à enquête interne) ;

Employé.e.s à domicile : Droit pour l’inspection du travail d’entrer dans le domicile du particulier employeur ;

Travail informel : établissement automatique à titre provisoire d’un contrat de travail dès le constat par l’inspection du travail ou la plainte pour travail non déclaré + violences sexistes et sexuelles ;

Sensibilisation et accès aux droits : Diffusion systématique par les préfectures l’OFPRA dans les principales langues parlés par les migrant.e.s d’une brochure définissant les violences, les droits des victimes et témoins, les peines encourues pour les agresseurs et les institutions/organisations de recours ;

Lancer une campagne nationale contre les LGBT+phobies.

7. Réparation

Dispositions conventionnelles et recommandations

La convention précise que les victimes de violence et de harcèlement fondés sur le genre doivent avoir accès à des mécanismes de plainte et de règlement des différends, à un soutien, à des services et à des moyens de recours et de réparation sûrs et efficaces, tenant compte des considérations de genre [art. 10 e)].

Recommandation : Ces mécanismes devraient comprendre des tribunaux possédant une expertise spécifique, un traitement rapide et efficace, des conseils et une assistance juridique, des guides accessibles et le renversement de la charge de la preuve (paragr. 16). L’aide, les services et les moyens de recours devraient comprendre des mesures de soutien pour aider les victimes à se réinsérer sur le marché du travail, des services de conseil et d’information, des lignes téléphoniques d’urgence fonctionnant 24 heures sur 24, des services d’urgence, des soins et traitements médicaux, des centres de crise, y compris des refuges, des unités de police spécialisées ou des agents spécialement formés (paragr. 17).

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

Il convient de modifier la législation française comme ceci :

Renversement de la charge de la preuve dans les procédures disciplinaires au travail ;

Garantie d’une procédure disciplinaire transparente : accorder un statut pour la victime qui lui permette de participer au débat contradictoire si elle le souhaite et d’être assistée par un syndicat ou se faire représenter. La victime devrait également pouvoir contester un niveau de sanction trop bas prononcé par l’employeur ;

Association des CSE et des référent.es violences à la procédure disciplinaire : Le ou la référent.e « violences » participe à la procédure disciplinaire : il est destinataire des pièces du dossier et peut obliger l’employeur à le compléter de pièces complémentaires. À l'issue de la procédure disciplinaire, la décision de sanction est transmise, en plus de son destinataire, au CSE, référent.e « violences sexuelles », aux victimes ;

Limitation de la durée de la procédure à 6 mois entre la plainte et la décision de sanction de façon à éviter des dommages supplémentaires (notamment d'ordre psychologique) à la victime ;

Accompagnement spécifique pour la réinsertion : Accueil spécifique par des associations spécialisées ou des agents formés de pôle emploi des victimes de violence et de harcèlement (y compris domestiques) ;

Accès prioritaire à la formation professionnelle.

8. Applicabilité de la convention dans les chaînes d’approvisionnement 

Dispositions conventionnelles et recommandations

L’article 9 de la Convention impose aux États d’adopter une législation prescrivant aux employeurs de prendre « des mesures appropriées correspondant à leur degré de contrôle » pour identifier, évaluer et prévenir les risques de violence et de harcèlement, notamment lorsqu’ils sont fondés sur le genre, en consultant les travailleur.euse.s et leurs représentant.e.s.

Modifications législatives et réglementaires à apporter en vue de la ratification :

Prévention des risques dans toute la chaîne d’approvisionnement : la législation française doit rendre obligatoire la prévention des risques de violences et de harcèlement sexuel dans toute la chaîne d’approvisionnement des entreprises françaises conformément à la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre ;

Obligation d’inclure ce risque dans le plan de vigilance des entreprises : Cela doit passer par une politique claire dans l’entreprise, l’intégration des standards dans les contrats avec les fournisseurs, la création de mécanismes de plainte accessibles, des programmes de sensibilisation pour les travailleur.euse.s dans les chaînes d’approvisionnement, ainsi que des mécanismes de contrôle et de suivi robustes (modification article L. 225-102-4 du Code de commerce).

9. Mesures de suivi

Pour assurer le suivi du respect de la Convention, il convient de prévoir les mesures suivantes :

Élargissement des missions du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle à la violence et au harcèlement intégrant l’impact de la violence conjugale dans le monde du travail ;

Un bilan annuel de la négociation collective d’entreprise et de branche violence présenté au Haut Conseil à l’Égalité (HCE) et au parlement. Recueil des bonnes pratiques réalisé par l’ANACT ;

Plus largement, bilan annuel au Parlement sur la politique globale de lutte contre la violence dans le monde du travail ;

Intégration dans le cahier des charges du label égalité de tout un volet violence et harcèlement ;

Statistiques annuelles par secteurs professionnel + études sur impact violences conjugales sur le monde du travail + identification des violences fondées sur le genre, LGBTI, migrants, travailleur.euse.s informel.le.s.

 

 


([1])  Eurofound, « Violence et harcèlement sur les lieux de travail européens : étendue, impacts et politiques », 2015. Rapport accessible ici en anglais.  

 

([2]) La tribune, publiée dans le journal Le Monde, est accessible ici.

([3]) Synthèse accessible ici.

([4]) Institut national d’études démographiques, enquête globale « Violences et rapports de genre (Virage) », 2020.

([5]) Étude accessible ici.  

([6]) Les données de l’enquête Sumer de 2017 sont analysées dans l’étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du Travail accessible ici.  

([7])  Créée par la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, l’infraction d’outrage sexiste consiste à imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui, soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

([8])  La loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi définit l’agissement sexiste comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant.

([9]) L’ANI du 26 mars 2010 précise que la violence au travail se produit « lorsqu’un ou plusieurs salariés sont agressés dans des circonstances liées au travail », ce qui permet de couvrir un large champ de comportements, allant du manque de respect à la manifestation de la volonté de nuire, de détruire, de l’incivilité à l’agression physique.  

([10])  Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

([11]) La lettre ouverte est consultable ici.  

([12]) La tribune est accessible ici.  

([13]) Les contours du devoir de vigilance sont déterminés par la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre.  

([14]) Conformément à l’article 16 de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.  

([15]) Le MEDEF explique avoir  signé une charte et rejoint des initiatives contre les violences faites aux femmes, rédigé un guide d’accompagnement et organisé un colloque, des ateliers et des sessions de formation dans les territoires. L’U2P indique aussi avoir mené des actions sur ces thématiques au niveau régional, dans le cadre des commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat (CPRIA) et des commissions paritaires régionales professions libérales (CPR-PL).

([16]) A titre d’exemple, la CGT et FO ont déposé une réclamation visant les ordonnances « Travail » de 2017 au motif que celles-ci ne respecteraient pas les principes de la négociation collective et de réparation du préjudice garantis par les conventions de l’OIT.

[17] OIT, « Des milieux de travail sûrs et sains exempts de violence et de harcèlement », 2020

[18] Convention (no 190) concernant l’élimination de la violence et du harcèlement dans le monde du travail, adoptée le 10 juin 2019, paragraphe 5 du préambule.

[2] https://jean-jaures.org/nos-productions/deux-ans-apres-metoo-les-violences-sexistes-et-sexuelles-au-travail-en-europe

[3] Enquête sur le harcèlement sexuel au travail » réalisée par l’Ifop (en 2014) pour le compte du défenseur des droits www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_etu_20140301_harcelement_sexuel_syn-these.pdf