N° 4367

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005) Annexe VI
au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection
de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques
pour l’environnement

PAR M. Jacques MAIRE

Député

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir le numéro : 4265.


—  1  —

  SOMMAIRE

___

Pages

introduction

I. l’Antarctique, un continent dédiÉ à la paix et À la science faisant l’objet d’une coopÉration internationale exceptionnelle

A. Le systÈme du traitÉ de l’antarctique, un arsenal juridique d’ampleur assurant un haut niveau de protection

1. Le Traité sur l’Antarctique

2. Le protocole de Madrid et ses annexes

3. Les autres instruments internationaux complémentaires

B. l’annexe VI sur la responsabilitÉ dÉcoulant de situations critiques pour l’environnement, un nouvel instrument participant au renforcement de la protection de l’antarctique

1. Négociations et processus d’approbation de l’annexe VI

a. L’historique des négociations

b. Le processus d’approbation

2. Le cadre juridique en vigueur s’agissant des activités menées par les opérateurs en Antarctique

a. Les procédures et obligations qui s’imposent en droit français aux opérateurs opérant dans la zone du Traité

b. Une autorégulation en faveur de la préservation de l’environnement promue par l’association internationale des voyagistes antarctiques

3. L’établissement de nouvelles règles relatives à la responsabilité pour les dommages résultant d’activités se déroulant dans la zone du Traité sur l’Antarctique

a. Une annexe qui vise à renforcer la préservation de l’environnement

b. Une annexe qui impose de nouvelles obligations aux opérateurs

i. En matière de prévention

ii. En matière de responsabilité

iii. En matière d’assurance

c. Une annexe qui ne constitue en revanche qu’une étape vers l’instauration d’un véritable régime de responsabilité

II. les stipulations de l’annexe VI relative À la responsabilitÉ dÉcoulant de situations critiques pour l’environnement

1. Champ d’application et définition

2. Prévenir la survenance d’une situation critique pour l’environnement et y faire face lorsqu’elles surviennent

3. Définir les responsabilités des acteurs dans la gestion d’un incident

4. Ouvrir les voies de recours en indemnisation et des actions judiciaires pour assurer l’effectivité de la responsabilité des opérateurs

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission

annexe n° 2 LISTE des personnes entendues par le rapporteur


—  1  —

    

   introduction

L’Assemblée nationale est saisie du projet de loi n° 4265 autorisant l’approbation de la mesure 1 (2005) annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement (dit « Protocole de Madrid »). Cette annexe VI porte spécifiquement sur la responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement.

Le Traité sur l’Antarctique, signé à Washington le 1er décembre 1959, a notamment entériné le gel des revendications territoriales au sud du 60e parallèle sud et autorisé la poursuite des seules activités pacifiques en Antarctique. Sur cette pierre angulaire, s’est par la suite progressivement constitué un « système » faisant, à maints égards, de l’Antarctique la région du monde où le degré d’internationalisation institutionnelle a été poussé le plus loin. Ce « système » comprend plusieurs instruments juridiques internationaux qui ont permis le déploiement d’une gouvernance internationale australe essentiellement tournée vers la recherche scientifique et la préservation de l’environnement.

Le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, signé à Madrid en 1991, constitue une des autres pierres essentielles de cet édifice. Le Protocole de Madrid vient ainsi compléter le Traité pour faire de l’Antarctique une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » (article 2). En outre, il instaure un régime de protection environnementale spécifique interdisant l’exploitation des ressources minérales dans la zone du Traité et soumettant à une autorisation préalable les activités susceptibles d’affecter l’environnement antarctique.

Le Protocole est accompagné de six annexes portant sur l’évaluation d’impact sur l’environnement (annexe I), sur la conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique (annexe II), sur l’élimination et gestion des déchets (annexe III), sur la prévention de la pollution marine (annexes IV), sur la protection et la gestion des zones (annexe V) et enfin sur la responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (annexe VI). Les annexes I à IV ont été adoptées conjointement avec le Protocole de Madrid lui‑même en 1991 et sont entrées en vigueur en 1998. L’annexe V a été adoptée séparément la même année et est entrée en vigueur en 2002. Enfin l’annexe VI, qui est l’objet du présent projet de loi, a été adoptée au cours de la XXVIIIe Réunion consultative du Traité sur l’Antarctique (RCTA) à Stockholm en 2005. Elle entrera en vigueur une fois que toutes les Parties consultatives l’auront approuvée.

Le présent projet de loi vise à permettre l’approbation par la France de l’annexe VI au Protocole de Madrid. Ce texte poursuit les objectifs du Protocole de Madrid en matière de protection de l’environnement en Antarctique en instaurant des mesures de prévention et des règles en matière de responsabilité pour les dommages résultant d’activités se déroulant dans la zone du Traité sur l’Antarctique. L’objectif de l’annexe VI consiste à prévenir au mieux et à traiter, si elles surviennent, les situations critiques pour l’environnement antarctique imputables à certaines activités.

Ce projet de loi offre l’occasion à notre pays de remplir ses engagements internationaux vis-à-vis du système du Traité sur l’Antarctique et d’œuvrer avec une grande partie de la communauté internationale en faveur d’un renforcement de la protection de l’environnement dans la zone australe. L’approbation de l’annexe VI constituerait – en plus de la portée normative de ce texte – un geste symbolique fort démontrant l’engagement de la République française en faveur de la préservation de l’Antarctique quelques semaines seulement après la dernière RCTA réunie organisée par la France à Paris du 14 au 24 juin 2021.

 


—  1  —

 

I.   l’Antarctique, un continent dédiÉ à la paix et À la science faisant l’objet d’une coopÉration internationale exceptionnelle

L’Antarctique, dernière terre découverte par l’Homme au début du XIXe siècle, est longtemps resté une zone hostile à la périphérie du monde. Elle s’est par la suite transformée, au début du siècle suivant en un espace de concurrence entre les explorateurs soutenus par leurs nations respectives avant de devenir au mi-temps du XXe siècle un continent particulièrement protégé par un arsenal juridique international d’ampleur exceptionnelle ayant permis de consacrer son statut de « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » ([1]).

L’Antarctique fait ainsi l’objet d’une gouvernance internationale efficace qui garantit, entre autres, le gel des revendications territoriales ainsi qu’une très stricte protection de l’environnement du continent et des écosystèmes dépendants et associés. Cette gouvernance multilatérale du continent austral est essentiellement tournée vers la recherche scientifique et a fait de l’Antarctique une zone dans laquelle tout usage militaire est proscrit et au sein de laquelle les activités économiques se trouvent fortement limitées et encadrées.

A.   Le systÈme du traitÉ de l’antarctique, un arsenal juridique d’ampleur assurant un haut niveau de protection

1.   Le Traité sur l’Antarctique

C’est l’année géophysique internationale (1957‑1958), particulièrement fertile en expéditions scientifiques, qui est à l’origine de la signature, le 1er décembre 1959 du Traité sur l’Antarctique ou Traité de Washington, entré en vigueur en 1961. Ce texte entérine, entre autres, le gel des revendications territoriales au sud du 60e parallèle sud et consacre la poursuite des seules activités pacifiques dans la zone du Traité.

Initialement, les douze États signataires du Traité étaient ceux dont les scientifiques étaient les plus actifs sur le continent austral (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Belgique, Chili, États‑Unis, France, Japon, Norvège, Nouvelle‑Zélande, Royaume‑Uni, Russie). Parmi ceux-ci, se trouvent les sept États que l’on dit « possessionnés » que sont l’Argentine, l’Australie, le Chili, la France, la Norvège, la Nouvelle‑Zélande, et le Royaume-Uni. Ce sont là les États ayant émis des prétentions territoriales sur le continent à l’instar de la France sur la Terre Adélie. Certaines de ces revendications peuvent se chevaucher au niveau de la péninsule Antarctique (Argentine, Chili, Royaume‑Uni) tandis qu’une région entière du continent austral – la terre Marie Byrd – n’est revendiquée par aucune puissance. En sens inverse, certains pays ne reconnaissent aucune prétention territoriale sur l’Antarctique. Les États‑Unis et la Russie maintiennent pour leur part une « base de revendication ».

Carte de l’Antarctique indiquant le dÉcoupage des États possessionnÉs

C:\Users\fxcarabelli\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\3FFF123B.tmp

Source : encyclopédie de l’environnement, 2018.

Les Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique – celles qui participent à la prise de décision au sein des RCTA sont actuellement au nombre de 29 : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, le Chili, la Chine, la Corée du Sud, l’Équateur, l’Espagne, les ÉtatsUnis, la Finlande, la France, l’Inde, l’Italie, le Japon, la Norvège, la NouvelleZélande, les PaysBas, le Pérou, la Pologne, le Royaume-Uni, la Russie, la Suède, la République tchèque, l’Ukraine et l’Uruguay.

Aux 29 Parties consultatives s’ajoutent 25 Parties non consultatives – qui ont un statut proche de celui d’observateur – que sont l’Autriche, la Biélorussie, le Canada, la Colombie, Cuba, le Danemark, l’Estonie, la Grèce, le Guatemala, la Hongrie, l’Islande, le Kazakhstan, la Malaisie, Monaco, la Mongolie, le Pakistan, la PapouasieNouvelle-Guinée, le Portugal, la Corée du Nord, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suisse, la Turquie, le Vénézuéla.

Les considérants du Traité sur l’Antarctique sont très éloquents, les Parties y affirmant solennellement : « qu’il est de l’intérêt de l’humanité tout entière que l’Antarctique soit à jamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l’enjeu de différends internationaux » ([2]). Il est également précisé « qu’il est conforme aux intérêts de la science et au progrès de l’humanité d’établir une construction solide permettant de poursuivre et de développer [la] coopération [scientifique] » ([3]) dans cette région du monde.

L’article premier du traité stipule que « seules les activités pacifiques sont autorisées dans l’Antarctique » ([4]). Cet article précise, par ailleurs, que sont interdits « toutes mesures de caractère militaire telles que l’établissement de bases, la construction de fortifications, les manœuvres, ainsi que les essais d’armes de toutes sortes » ([5]) . Toutefois le Traité « ne s’oppose pas à l’emploi de personnel ou d’équipement militaires pour la recherche scientifique ou pour toute autre fin pacifique » ([6]).

S’agissant des revendications territoriales le Traité constitue un accord sur un non‑accord. L’édifice repose ainsi sur un principe fondamental : le gel des prétentions territoriales qui permet aujourd’hui de maintenir une coopération internationale fructueuse en Antarctique. Le Traité veille, en effet, à préserver très subtilement le statut quo en protégeant explicitement toutes les positions en son article IV en précisant : « aucun acte ou activité intervenant pendant la durée du présent Traité ne constituera une base permettant de faire valoir, de soutenir ou de contester une revendication de souveraineté territoriale dans l’Antarctique, ni ne créera des droits de souveraineté dans cette région. Aucune revendication nouvelle, ni aucune extension d’une revendication de souveraineté territoriale précédemment affirmée, ne devra être présentée pendant la durée du présent Traité » ([7]).

2.   Le protocole de Madrid et ses annexes

Le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement a été signé à Madrid le 4 octobre 1991 par 26 pays avant d’être rejoints par 11 nouveaux États. Il est entré en vigueur en 1998.

C’est ce texte qui a désigné l’Antarctique comme une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science » ([8]) et qui stipule que « toute activité relative aux ressources minérales, autre que la recherche scientifique, est interdite »  ([9]).

Cet instrument juridique définit les principes fondamentaux qui régissent les activités humaines dans l’Antarctique (article 3). Celles‑ci devant notamment être menées de façon « à limiter leurs incidences négatives sur l’environnement en Antarctique » ([10]). Le Protocole offre à l’Antarctique un cadre de protection résolument global et exigeant, puisque toutes les activités menées dans la région se doivent d’être organisées et conduites de façon à éviter des « effets négatifs sur le climat ou les systèmes météorologiques » et « sur la qualité de l’air ou de l’eau », des « modifications significatives de l’environnement atmosphérique, terrestre (y compris aquatique), glaciaire ou marin », des « changements préjudiciables à la répartition, à la quantité ou à la capacité de reproduction d’espèces ou de populations d’espèces animales ou végétales », ou encore « une dégradation, ou le risque sérieux d’une telle dégradation, de zones ayant une importance biologique, scientifique, historique, esthétique ou naturelle » ([11]). Afin de garantir l’atteinte de ces objectifs, le Protocole instaure, par ailleurs, une « surveillance régulière et efficace » ([12]) pour permettre une bonne évaluation de l’incidence des activités menées dans la zone du Traité.

Jusqu’en 2048, le Protocole de Madrid ne peut être modifié qu’avec l’accord unanime de toutes les Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique. Par ailleurs, l’interdiction des activités relatives aux ressources minérales en Antarctique ne peut être remise en cause qu’à la condition qu’un régime juridique obligatoire soit élaboré pour les encadrer. Le Protocole, tout comme le Traité sur l’Antarctique, n’a pas de terme déterminé. Il a vocation à perdurer dans le temps. Le Protocole aménage simplement des possibilités de modification ou d’amendement très strictes. Ainsi, grâce aux précautions prises par les rédacteurs du Protocole de Madrid et en raison du contexte géopolitique actuel, ces conditions semblent très difficiles à satisfaire ([13]). Contrairement à une idée répandue, la remise en cause de l’interdiction des activités minière à partir de 2048 paraît très peu probable.

Le Protocole de Madrid est complété par six annexes portant sur l’évaluation d’impact sur l’environnement (annexe I), sur la conservation de la faune et de la flore de l’Antarctique (annexe II), sur l’élimination et gestion des déchets (annexe III), sur la prévention de la pollution marine (annexes IV), sur la protection et la gestion des zones (annexe V) et enfin sur la responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (annexe VI). C’est cette dernière annexe, non encore entrée en vigueur, qui est soumise à notre Assemblée pour approbation.

Toutes les Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique (cf. supra) sont Parties au Protocole de Madrid et ont signé et approuvé l’ensemble des annexes I à V à ce Protocole. Parmi les Parties non consultatives au Traité sur l’Antarctique (cf. supra), seules 12 d’entre elles sont également Parties au Protocole de Madrid : la Biélorussie, le Canada, la Colombie, la Grèce, la Malaisie, Monaco, le Pakistan, le Portugal, la Roumanie, la Suisse, la Turquie et le Vénézuéla. Parmi les Parties non consultatives, seules la Biélorussie, la Colombie, la Roumanie et la Suisse ont approuvé l’annexe V et seule la Colombie a approuvé l’annexe VI.

3.   Les autres instruments internationaux complémentaires

Le système du Traité sur l’Antarctique qui repose sur les trois piliers que sont le maintien de la paix, la recherche scientifique et la protection de l’environnement est complété par deux autres instruments internationaux que sont la convention pour la protection des phoques de l’Antarctique et la convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique.

La convention pour la protection des phoques de l’Antarctique, souvent désignée par son acronyme anglais CCAS (pour Convention for the Conservation of Antarctic Seals) a été signée à Londres le 1er juin 1972 et est entrée en vigueur en 1978. Ce texte vise à protéger les phoques de l’Antarctique, à permettre la recherche scientifique sur ces populations et à contribuer à maintenir un équilibre satisfaisant dans l’écosystème de l’Antarctique. Les populations de phoques de la région se sont, depuis son entrée en vigueur, reconstituées, attestant de la pertinence d’un tel accord international.

La convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique, désignée par son acronyme anglais CCAMLR (pour Convention on the Conservation of Antarctic Marine Living Resources), a été signée à Canberra le 20 mai 1980 et est entrée en vigueur en 1982. L’adoption de ce texte a constitué une réponse multilatérale aux vives préoccupations provoquées par les dégâts occasionnés sur les écosystèmes marins de l’Antarctique suite à la hausse des captures de krill non réglementées dans l’océan Austral, susceptible de menacer toute la chaîne alimentaire.

B.   l’annexe VI sur la responsabilitÉ dÉcoulant de situations critiques pour l’environnement, un nouvel instrument participant au renforcement de la protection de l’antarctique

1.   Négociations et processus d’approbation de l’annexe VI

a.   L’historique des négociations

Les négociations relatives à la présente annexe VI ont duré près de 13 ans, de novembre 1992 à juin 2005. Les négociations relatives à ce texte trouvent leur origine dans l’adoption du Protocole de Madrid par la 11e Réunion consultative extraordinaire du Traité sur l’Antarctique (RCETA), le 4 octobre 1991. L’acte final de cette réunion a, en effet, rappelé l’engagement des États – affirmé par les articles 15 et 16 du Protocole – d’établir un régime de responsabilité en lien avec une situation critique pour l’environnement dans une annexe au Protocole.

La 17e RCTA (1992) a lancé les premiers travaux sur le sujet en créant un Groupe d’experts juridiques sous présidence allemande, chargé de réfléchir à l’élaboration du texte de l’annexe à partir des contributions des différentes Parties au Protocole de Madrid. Dans une première phase, à l’occasion de ses réunions intersession annuelles ainsi que des 18e, 19e et 20e RCTA (1993‑1996), le Groupe d’experts a identifié les éléments juridiques et techniques nécessaires à l’établissement d’un tel régime de responsabilité ainsi que les points faisant débat entre délégations. Ce travail préliminaire a permis d’identifier les principales difficultés soulevées lors de la 21e RCTA (1997), puis de présenter un rapport complet sur le sujet lors d’une réunion l’année suivante.

À partir de ces conclusions, la 22e RCTA a chargé un groupe de travail n°1 (« GT1 ») d’engager les négociations entre les délégations afin d’élaborer un projet d’annexe. Dès lors, les Parties au Protocole de Madrid ont déposé de très nombreux documents de travail à chaque RCTA sur les points les plus débattus : champ d’application de l’annexe, définition des opérateurs et des dommages, règles de responsabilité des opérateurs, règles et plafonds d’indemnisation, obligation d’assurance, création du Fonds, etc. Ces débats se sont révélés particulièrement difficiles et se sont poursuivis de 1999 à 2005, durant six RCTA. Pendant ces longues et difficiles négociations, la France a cherché avant tout à parvenir à un texte susceptible d’être accepté par l’ensemble des délégations. Un consensus sur le texte de l’annexe VI a finalement été obtenu le 14 juin 2005 durant la 28e RCTA. Il a été adopté par les délégations trois jours plus tard par la Mesure 1 (2005) qui est désormais soumise pour approbation devant la représentation nationale.

b.   Le processus d’approbation

À ce jour, 11 Parties consultatives au Traité sur l’Antarctique doivent encore approuver l’annexe VI, laquelle ne pourra entrer en vigueur que lorsque ces 11 États auront effectué cette démarche. Ces 11 États sont : l’Argentine, la Belgique, le Brésil, la Bulgarie, le Chili, la Chine, la France, la Corée du Sud, les États‑Unis, l’Inde et le Japon. Selon des informations transmises à votre rapporteur au cours de ses travaux, la Belgique et le Chili auraient récemment entrepris les démarches nécessaires visant à approuver la présente annexe.

Votre rapporteur s’est interrogé au cours de ses travaux sur la lenteur du processus d’approbation par la France – l’annexe en question ayant été signée il y a désormais plus de 16 ans. Les services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ont précisé que le processus d’approbation par la France avait, dans un premier temps, débuté en mars 2006, lorsque la sous‑direction du droit de la mer, des pêches et de l’Antarctique du Quai d’Orsay avait initié une consultation interministérielle en vue du dépôt d’un projet de loi autorisant l’approbation de l’annexe VI. Une réunion s’était par la suite tenue au Conseil d’État en février 2007, au cours de laquelle il avait été relevé, qu’en l’état de l’instruction du projet de loi, il paraissait nécessaire de surseoir à la procédure de son approbation. Il avait été alors relevé que devaient être identifiées les modalités nécessaires à la mise en œuvre des obligations définies par cette annexe. En outre, certaines des dispositions de l’annexe concernant notamment les mécanismes financiers justifiaient un développement plus approfondi. Les services du ministère ont donc par la suite œuvré en ce sens.

Après ce premier contretemps, la lenteur de la procédure d’approbation s’explique très certainement pour les services du ministère de l’Europe et des affaires étrangères par la technicité du dossier et les mouvements de personnels, qui ont induit un ralentissement dans son traitement au cours des années 2010.

2.   Le cadre juridique en vigueur s’agissant des activités menées par les opérateurs en Antarctique

a.   Les procédures et obligations qui s’imposent en droit français aux opérateurs opérant dans la zone du Traité

Le livre VII du code de l’environnement prévoit le régime applicable aux opérateurs antarctiques en matière de protection de l’environnement. Le régime est le même que ceux‑ci soient étatiques ou privés. Une distinction s’opère néanmoins selon le niveau d’impact prévu sur l’environnement. Les activités ayant sur l’environnement un impact moindre que mineur ou transitoire sont soumises à simple déclaration auprès du préfet, administrateur supérieur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), autorité nationale compétente ([14]). Les autres activités sont soumises à autorisation du préfet. Le comité de l’environnement polaire (CEP) créé par le décret n°93‑740 ([15]) se prononce sur chaque demande d’autorisation.

En France, les TAAF s’assurent ainsi lors de l’instruction des dossiers de demande que chaque pétitionnaire dispose des procédures et moyens de sécurité et prévention permettant de parer à la survenance d’une situation critique. Faute de personnel sur place, il est néanmoins impossible pour les TAAF de suivre le déroulement effectif des activités, et de constater le cas échéant des atteintes portées à l’environnement. En matière de responsabilité, le droit applicable en haute mer, notamment l’applicabilité du droit du pavillon, est de rigueur. Les articles L. 713‑1 et suivants du code de l’environnement prévoient en outre des mécanismes de sanctions administratives et pénales en cas d’infractions aux dispositions du livre VII ([16]). En matière civile, actuellement, aucune obligation de réparation autre que les dispositions de droit commun – c’est‑à‑dire l’article 1246 du code civil ([17]) – en matière de responsabilité civile n’est applicable.

b.   Une autorégulation en faveur de la préservation de l’environnement promue par l’association internationale des voyagistes antarctiques

Le développement du tourisme dans la zone du Traité sur l’Antarctique avec un accroissement exponentiel du nombre de visiteurs depuis deux décennies et une diversification des activités constitue l’une des préoccupations majeures du moment s’agissant de l’Antarctique.

Comme MM. Éric Girardin et Meyer Habib, rapporteurs de la mission d’information sur les pôles Arctique et Antarctique de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, l’ont relevé dans leurs travaux : « la fréquentation touristique en Antarctique qui croît de manière importante en fait désormais une activité à échelle industrielle qui concerne plusieurs dizaines de milliers touristes par an pendant une saison d’une durée de cinq mois environ. En 19951996, environ 9 000 touristes étaient recensés contre environ 56 000 pour la saison en 20182019 et 74 400 en 20192020 » ([18]). Si l’impact environnemental des activités de tourisme n’est à ce jour pas démontré, il convient de mettre en place des mécanismes permettant de concilier tourisme et préservation de l’environnement.


L’essentiel du tourisme de croisière en Antarctique se concentre sur quelques dizaines de sites essentiellement situés dans le nord de la péninsule Antarctique ([19]). Plus de 80 % du tourisme de croisière part ou fait escale au port d’Ushuaïa, situé en Argentine.

Les principaux circuits de croisière en Antarctique

C:\Users\fxcarabelli\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\42BA247F.tmp

Source : Le Cercle Polaire

L’association internationale des voyagistes antarctiques (International association of Antarctica tour operators – IAATO en anglais) – qui compte 115 membres, 48 opérateurs et 64 associés – veille depuis sa création à défendre et promouvoir la pratique de voyages privés sûrs et écologiquement responsables en Antarctique. L’association a ainsi mis en place une autorégulation des activités de tourisme en Antarctique en imposant à ses membres un cahier des charges conséquent en matière de respect de l’environnement. L’IAATO a indiqué à votre rapporteur dans le cadre de ses travaux ne pas « promouvoir le tourisme, mais défendre la manière dont il doit être pratiqué, c’est-à-dire de manière sûre et écologiquement responsable ». L’association vise ainsi à conférer à ses membres un gage de sérieux ainsi qu’un label de qualité.

De la sorte, les règles internes à l’IAATO vont généralement au-delà de la réglementation édictée par la RCTA. L’association a précisé à votre rapporteur accepter toutes « toutes les mesures [dérivées] du Traité comme loi, indépendamment de leur ratification par une autorité nationale ». Elle a précisé, en outre, attendre de ses membres qu’ils se conduisent en conformité avec les différents mécanismes prévus par le système du Traité sur l’Antarctique. Dans cette logique, il a été souligné par l’IAATO que ses membres œuvraient d’ores et déjà en conformité avec les règles de l’annexe VI depuis son adoption en 2005.

Par ailleurs, de nombreux outils de gestion mis en place par l’IAATO ont été par la suite adoptés par les Parties au Traité. Ainsi, l’encadrement du débarquement des touristes sur le sol antarctique par la mesure 15 (2009) ([20]) en constitue une bonne illustration. L’IAATO avait fixé, dès les années 1990, une limite de 100 personnes pouvant débarquer sur le sol antarctique. Cette mesure, bénéfique pour la préservation de l’environnement antarctique, a ensuite été entérinée en 2009 par les Parties au Traité. De surcroît, l’IAATO a élaboré à l’intention de ses membres des lignes directrices ([21]) – qui ne font pas encore partie du système du Traité – s’agissant notamment des sites visités, du suivi des activités sur le terrain et des comportements à adopter vis-à-vis de la faune antarctique. Mme Anne Choquet a relevé au cours de son audition que l’IAATO  pouvait « être force de proposition comme on le voit avec les discussions autour des risques de collisions avec les baleines et de la volonté de limiter la vitesse » des navires Il a, par ailleurs, été rapporté au cours de son audition, par M. Bruno Joubert, conseiller spécial relations institutionnelles et internationales de la compagnie Ponant, que la réglementation imposée par l’association à ses membres permettait in fine de rendre « beaucoup plus concrètes les annexes du Protocole ».

Selon les informations recueillies par votre rapporteur auprès du ministère de l’Europe et des affaires étrangères concernant cette autorégulation des activités de tourisme par l’IAATO, aucune lacune importante n’a été identifiée. Il faut néanmoins noter que l’actuel système d’observation embarquée sur les navires de l’IAATO ne prévoit qu’une inspection tous les cinq ans par bâtiment, ou lors de l’arrivée d’un nouveau bateau. Sur ce point, la France œuvre à un renforcement des règles en partenariat avec les Parties mobilisées sur le sujet (Argentine, Allemagne, Australie, etc.), afin de mettre en place un mécanisme commun permettant l’embarquement d’observateurs sur les navires de croisière opérant dans la zone du Traité sur l’Antarctique. Par ailleurs, Mme Anne Choquet, enseignant-chercheur spécialiste des questions antarctiques, a tenu à préciser au cours de son audition que l’IAATO « était une fédération d’entreprises responsable de sa propre organisation et de sa propre réglementation, si l’IAATO va plus loin [que la réglementation adoptée par les Parties] c’est très intéressant mais ce n’est pas suffisant, du moment que l’on ne peut pas obliger un opérateur à adhérer à l’IAATO ».

3.   L’établissement de nouvelles règles relatives à la responsabilité pour les dommages résultant d’activités se déroulant dans la zone du Traité sur l’Antarctique

a.   Une annexe qui vise à renforcer la préservation de l’environnement

Comme indiqué à votre rapporteur par M. Guillaume Cottarel du service des affaires juridiques et internationales des TAAF lors de son audition, la mise en œuvre de l’annexe VI fournira aux autorités nationales compétentes – à l’instar de l’administration des TAAF pour la France – des leviers d’action renforcés pour s’assurer que les opérateurs disposent des équipements et mettent en œuvre les procédures adéquates permettant de prévenir la survenance de situations critiques pour l’environnement ou d’y faire face si nécessaire. La présente annexe devrait ainsi permettre de renforcer et d’homogénéiser le niveau d’équipement et de préparation des opérateurs, quelle que soit l’autorité nationale compétente saisie. Pour M. Guillaume Cottarel, grâce à l’annexe VI, « les autorités compétentes auront le devoir de vérifier que les opérateurs sont équipés » permettant ainsi d’améliorer significativement la protection de l’environnement en anticipant la survenance des situations critiques. C’est pour lui là « le principal intérêt concret de l’annexe ».

Pour Mme Anne Choquet, la protection globale de l’environnement en Antarctique est de fait renforcée par la présente annexe puisqu’en cas d’incident, l’opérateur à l’origine du dommage, s’il n’intervient pas pour y mettre un terme, pourra voir sa responsabilité engagée.

Par ailleurs, en cas de survenance d’une situation critique, les mécanismes de coopération prévus par l’annexe VI pourront également contribuer à la mise en place d’une réponse plus efficace. Néanmoins, en cas d’incident, comme par exemple une pollution aux hydrocarbures, il n’est pas certain que les mécanismes d’intervention prévus par la présente annexe – comme l’intervention d’un État en lieu et place d’un opérateur défaillant – permettent d’y répondre efficacement. En effet, la relative rareté des navires dans la région ne semble pas compatible avec le niveau de réactivité et la rapidité nécessaires à une action efficace en cas de survenance d’un tel dommage.

En d’autres termes, l’annexe VI renforcera les moyens de prévention des risques mais son efficacité en termes de réponse opérationnelle en cas de pollution paraît plus incertaine. Sur ce dernier point, l’annexe VI apparaît comme assez virtuelle aux yeux de votre rapporteur et rappelle la nécessité d’une plus forte coordination entre les États dans la zone antarctique afin de renforcer au mieux leur capacité d’intervention. Dans cette optique, votre rapporteur estime qu’un rapprochement entre la France et l’Australie devrait être encouragé en vue d’une mutualisation des moyens maritimes.

b.   Une annexe qui impose de nouvelles obligations aux opérateurs

i.   En matière de prévention

L’annexe VI instaure un régime de prévention spécifique, en imposant aux Parties de mettre à la charge des opérateurs des mesures de prévention, des plans d’urgence, des souscriptions d’assurances et en instaurant une chaîne d’intervention censée garantir la mobilisation d’un acteur afin de mettre un terme à la menace environnementale.

La présente annexe impose à tout opérateur – qu’il soit étatique ou privé – ayant une activité en Antarctique de réduire le risque d’atteinte à l’environnement que génère son activité, en prenant les mesures techniques adaptées et « raisonnables », c’estàdire proportionnées au risque réel. La vérification du respect de cette exigence est assurée par « la Partie de l’opérateur », qui s’entend comme l’État qui autorise l’activité en Antarctique ou sur le territoire duquel ledit opérateur organise en amont cette activité.

En outre, la présente annexe stipule que les Parties doivent exiger des opérateurs qui préparent une activité à partir de leur territoire ou qu’elles autorisent à avoir une telle activité en Antarctique qu’ils établissent des plans d’urgence « pour faire face aux incidents susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’environnement en Antarctique ». Les Parties sont également tenues de définir des procédures nationales ou internationales permettant de notifier rapidement la survenance d’un incident et d’organiser une coopération – avec le ou les opérateurs concernés, d’autres opérateurs ou d’autres Parties – pour y faire face.

L’annexe VI prévoit, par ailleurs, la mise en place d’une chaîne d’intervention qui offre la plus grande garantie possible qu’un acteur – l’opérateur, sa Partie ou une autre Partie – interviendra pour mettre fin à la menace pesant sur l’environnement en Antarctique.

Enfin, la présente annexe exige que les opérateurs souscrivent à une assurance ou qu’ils aient une sécurité financière adéquate – comme par exemple, la garantie d’une banque – pour les sommes qu’ils pourraient être amenés à payer à un État en cas d’inaction de leur part. L’annexe VI donne cependant la possibilité à la puissance publique d’assurer ellemême ses opérateurs étatiques pour les frais susceptibles d’être engagés.

ii.   En matière de responsabilité

Comme beaucoup d’instruments internationaux de cette nature, qui sont l’aboutissement d’un consensus international, la présente annexe tente de transcender les oppositions pouvant exister entre les régimes de responsabilités nationaux qui voient souvent se confronter les modèles juridiques latins ou romanogermaniques et ceux qui sont issus des pays de common law. Ce faisant, la présente annexe, de façon volontaire, ne qualifie pas la nature du régime de responsabilité applicable.

Néanmoins, il faut relever que le régime juridique de ce texte est plutôt orienté vers une forme d’objectivisation de la responsabilité environnementale des opérateurs étatiques ou non étatiques, proche du régime de la responsabilité civile « objective » ou sans faute telle que nous l’entendons en droit français.

Ce régime juridique est également fortement empreint d’une forme de socialisation des risques par l’introduction d’un régime d’assurance obligatoire avec des plafonds de garantie et la création d’un fond d’indemnisation.

En revanche la notion de « situation critique environnementale » est une déclinaison particulière du préjudice écologique au sens de l’article 1246 du code civil ([22]) (« toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ») qui reste spécifique à l’Antarctique.

Les mécanismes de substitution rappellent aussi certains aspects des règles de subrogation propres au droit civil ou au droit des assurances.

Cela étant l’annexe VI ne repose pas exclusivement sur un régime de responsabilité « objective » car il prévoit l’existence de « plafonds » dits de responsabilité – qu’il faut entendre par plafonds de garantie dans notre système juridique – qui ne s’appliquent pas s’il est prouvé que la situation critique pour l’environnement résulte d’un fait ou d’une omission de l’opérateur commis délibérément avec l’intention de causer une telle situation ou témérairement et avec la conscience qu’une telle situation critique en résulterait probablement.

Enfin, l’originalité de la présente annexe réside dans le fait d’instaurer une forme de responsabilité sous forme de mesures préventives ou conservatoires :

-         l’annexe VI définit la responsabilité des opérateurs et des Parties. Si un opérateur n’est pas intervenu pour mettre fin à un dommage environnemental causé par son activité, il doit payer à la Partie qui est intervenue à sa place les coûts qu’elle a engagés, sans préjudice d’éventuelles poursuites engagées par cette Partie ;

-         dans le cas où toutes les Parties resteraient inactives alors que l’opérateur à l’origine du dommage n’a rien fait pour y mettre un terme :

L’annexe VI précise que la responsabilité est « absolue ». Cependant, le texte prévoit certaines limites et exonérations de responsabilité si le dommage a été causé suite à une activité ayant pour but de sauver des vies humaines ou d’assurer leur sécurité, ou si le dommage résulte d’une catastrophe naturelle imprévisible, d’un événement terroriste ou d’un acte de belligérance. De même, la responsabilité d’une Partie ne peut être engagée à la place de celle d’un de ses opérateurs non étatiques qui serait resté inactif face à un dommage qu’il a causé, si cette Partie avait préalablement adopté les mesures internes nécessaires à l’application de l’annexe VI.

iii.   En matière d’assurance

L’annexe VI prévoit que les opérateurs doivent souscrire une assurance ou disposer d’une garantie financière adéquate pour couvrir leur responsabilité et obligations ou honorer les sommes qu’ils seraient amenés à payer à un État qui interviendrait à leur place pour mettre fin à une situation critique pour l’environnement résultant de leur activité.

Les travaux préparatoires de l’annexe VI ont néanmoins mis en évidence qu’il existe peu d’assureurs traditionnels et spécialisés susceptibles de présenter une offre de couverture d’un tel risque.

Il existe cependant des assureurs spécialisés dans les risques maritimes qui pourraient à terme développer des produits adaptés. Ainsi, les opérateurs privés, propriétaires de navires pourraient se couvrir auprès des Protection and Indemnity Clubs (P&I) qui sont une émanation des armateurs, sous forme de mutuelles fédérées, davantage spécialisés dans de tels risques. Il existe treize clubs à l’échelle mondiale regroupés au sein du International Group of P&I Clubs. Ces organismes ont pour mission d’assurer la responsabilité des armateurs envers les tiers. Environ 90 % des navires (porte‑conteneurs, transbordeurs, remorqueurs…) sillonnant les océans du globe sont assurés par les clubs P&I. La couverture qu’ils fournissent concerne essentiellement les dommages à la cargaison, les incidents liés à une collision ou encore les dommages portés à l’environnement ([23]). En revanche, ils ne prennent pas en charge les dommages concernant les navires eux‑mêmes qui relèvent de leur assurance coque.

Néanmoins il semble que des produits d’assurance spécifiques devront être élaborés pour prendre en compte les multiples risques et couvrir le large périmètre de l’annexe VI qui peut inclure des activités qui ne seront pas exclusivement maritimes mais aussi terrestres. En l’état il n’y a donc pas encore de produits de référence sur le marché car la présente annexe n’est pas entrée en vigueur.

S’agissant spécifiquement du marché français de l’assurance, les échanges avec le ministère des finances mettent en évidence qu’il n’y aurait pas de compagnies françaises positionnées dans ce domaine qui ne concernera in fine qu’un petit nombre de navires (il s’agit chaque année d’une dizaine de rotations régulières d’opérateurs touristiques privés, notamment les navires de croisière de la compagnie Ponant) à laquelle s’ajoute une dizaine d’expéditions privées ponctuelles (voiliers de particuliers).

Pour pallier cette difficulté liée au caractère très marginal des expéditions et opérations menées en Antarctique et à l’absence d’un marché significativement développé en ce domaine, la présente annexe a institué une option alternative aux assurances « traditionnelles » en prévoyant que les opérateurs pourront souscrire des garanties financières adéquates émanant d’une banque ou d’une institution financière autre qu’une compagnie d’assurances. Tout comme la souscription de police d’assurances spécifiques, ces garanties financières auront nécessairement un coût pour ces opérateurs.

S’agissant de l’IPEV, opérateur étatique français, sa couverture en matière de responsabilité civile générale tout dommage confondu s’élève à 7,5 millions d’euros par sinistre et à 750 000 euros pour les atteintes accidentelles à l’environnement tout dommage confondu par sinistre et par année d’assurance. Ce qui apparaît au final comme très faible et fait écho pour votre rapporteur à la nécessité de renforcer les moyens de l’IPEV. Cependant, l’annexe VI donne la possibilité aux États d’assurer leurs propres opérateurs euxmêmes.

c.   Une annexe qui ne constitue en revanche qu’une étape vers l’instauration d’un véritable régime de responsabilité

Il doit être relevé que le présent texte ne permet pas d’atteindre pleinement l’objectif fixé par l’article 16 du Protocole de Madrid, l’annexe VI précisant dans son préambule que cet instrument constitue « une étape vers l’instauration d’un régime de responsabilité ». L’annexe VI ne met, en effet, que partiellement en œuvre les stipulations de l’article 16 du Protocole, qui imposent aux Parties de définir des régimes de responsabilité pour dommage à l’environnement.

L’annexe VI prévoit pour sa part des régimes de responsabilité pour la non‑adoption de mesures permettant de mettre fin à un dommage environnemental, mais elle n’épuise pas la totalité des obligations de l’article 16 du Protocole car elle ne crée pas de régime de responsabilité générale qui permettrait d’obliger l’opérateur à l’origine d’un sinistre à compenser les dommages subis par l’environnement, après que ceux-ci ont été évalués puis chiffrés. Autrement dit, l’annexe VI permet de créer une obligation pour l’opérateur d’engager des moyens pour mettre fin au dommage environnemental dont il est la cause mais elle ne prévoit pas d’obligation de dédommagement financier a posteriori. Si un chiffrage du dommage à l’environnement constaté était réalisé, alors l’opérateur à l’origine du dommage ne serait pas tenu en vertu de l’annexe VI de le rembourser. Il lui incombe seulement de financer les actions pour mettre un terme à l’activité qui entraîne le dommage. Comme précisé par M. Guillaume Cottarel au cours de son audition « le régime de responsabilité créé par l’annexe VI n’est pas complet puisque ce texte vise simplement à ce que l’opérateur qui n’agit pas en réponse à une situation critique qu’il a créée, s’acquitte des frais des actions qu’il aurait dû prendre. Nous ne sommes pas sur un régime général qui viserait à faire payer à l’opérateur les coûts environnementaux qu’il a généré du fait de la pollution ».

Afin de mettre pleinement en œuvre les objectifs de l’article 16 du Protocole de Madrid, il conviendrait de compléter les dispositifs de l’annexe VI par un mécanisme de règles et procédures de réparation et de réhabilitation suite aux dommages subis par l’environnement résultant d’activités humaines en Antarctique. Ce mécanisme additionnel pourrait être introduit par le biais de l’adoption d’une nouvelle annexe au Protocole de Madrid. La RCTA a adopté en 2015 une décision indiquant qu’une décision devrait être prise en 2020 « sur la mise en place d’un calendrier pour la reprise des négociations relatives à la responsabilité ». À ce jour, une telle négociation n’a toutefois pas été initiée à la RCTA, la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 ayant entraîné l’annulation de la RCTA en 2020 et la décision de tenir une RCTA virtuelle en 2021, ce qui a eu pour conséquence de reporter certains débats, notamment celui portant sur la responsabilité.

II.   les stipulations de l’annexe VI relative À la responsabilitÉ dÉcoulant de situations critiques pour l’environnement

1.   Champ d’application et définition

L’article 1 (« champ d’application ») fixe le champ d’application de l’annexe VI qui se révèle très large. Il vise ainsi toutes les activités susceptibles de causer une « situation critique pour l’environnement » dans la zone du Traité sur l’Antarctique que cellesci soient conduites par des opérateurs étatiques ou des opérateurs privés.

Le champ d’application de l’annexe concerne toutes les activités gouvernementales et non gouvernementales pour lesquelles une notification préalable est requise en vertu du paragraphe 5 de l’article VII du Traité sur l’Antarctique ([24]), soit l’ensemble des expéditions se dirigeant en Antarctique ou s’y déplaçant, mais également les activités liées au fonctionnement des stations ou liées au personnel et aux moyens militaires. Le périmètre de la présente annexe couvre donc des activités se déroulant dans la zone du Traité et qui peuvent tout autant être liées à des programmes de recherche scientifique qu’à des activités touristiques ou encore à des opérations de soutien logistique. Sur ce dernier point l’opérateur étatique français qu’est l’IPEV se trouve concerné au premier chef. Son directeur, M. Jérôme Chappellaz, a indiqué à votre rapporteur au cours de son audition que l’un des principaux risques de survenance d’une situation critique pour l’environnement les concernant était lié à des problèmes de fuite d’hydrocarbure. Un tel incident pouvant se produire sur l’Astrolabe – navire ravitailleur de l’IPEV – ou depuis les cuves de stockage du fioul situées à proximité de la station Concordia ainsi que sur la petite base annexe de Cap Prud’homme, face à l’île des Pétrels sur le continent antarctique, point de départ des traversées terrestres se rendant au Dôme C. Le point critique s’agissant de l’Astrolabe réside dans le fait que ce bâtiment n’est pas équipé de système de barrage flottant permettant de circonscrire une éventuelle marée noire en train de se former. Concernant les cuves de stockage du fioul des bases françaises, celles-ci disposent bien d’une double paroi mais ne sont pas équipées d’un système d’alarme permettant de détecter un début de fuite. Un tel équipement permettrait de renforcer significativement la sécurité environnementale des infrastructures françaises sur le continent Antarctique que votre rapporteur appelle de ses vœux.

L’article 2 (« définitions ») traite de la définition des différents termes utilisés dans la présente annexe notamment les notions de :

-         « situation critique pour l’environnement », qui concerne tous les événements accidentels qui se produiront après l’entrée en vigueur de la présente annexe et qui se traduiront ou menaceront de se traduire de manière imminente par un impact significatif et nuisible sur l’environnement en Antarctique ([25]) ;

-         « opérateurs », terme qui concerne une personne physique ou morale, qu’elle soit gouvernementale ou non gouvernementale, qui organise des activités devant être conduites dans la zone du Traité sur l’Antarctique ;

-         « opérateur de la Partie » termes qui renvoient à un opérateur qui organise, sur le territoire de cette Partie, des activités devant être conduites dans la zone du Traité ou qui a été autorisé par la Partie concernée à mener des activités en Antarctique ;

-         « raisonnable », terme qui renvoie lorsqu’il est appliqué aux mesures de prévention ainsi qu’aux actions menées en cas d’urgence, à des « mesures ou actions qui sont appropriées, possibles, proportionnées et fondées sur la disponibilité de critères objectifs et d’informations » que celles-ci concernent les risques pour l’environnement en Antarctique et le taux de sa résilience, les risques pour la vie et la sécurité humaines ou encore la faisabilité économique et technologique ;

-         « actions en cas d’urgence », termes qui renvoient à des mesures raisonnables prises après qu’une situation critique pour l’environnement se soit produite pour « éviter, réduire au minimum ou contenir l’impact de cette situation critique pour l’environnement qui, à cette fin, peuvent inclure des opérations de nettoyage dans des circonstances appropriées, et notamment la détermination de la gravité de cette situation critique et de son impact ».

2.   Prévenir la survenance d’une situation critique pour l’environnement et y faire face lorsqu’elles surviennent

La présente annexe vise spécifiquement à mettre en application les stipulations de l’article 15 du Protocole de Madrid qui précise notamment que pour « réagir aux situations critiques pour l’environnement (…) chaque Partie convient :

a)     de mettre en place des mesures en vue de réagir de manière rapide et efficace aux cas d’urgence qui pourraient survenir dans le déroulement des programmes de recherche scientifique, des activités touristiques et de toute autre activité gouvernementale ou non gouvernementale (…) y compris les activités associées de soutien logistique ;

b)     et d’établir des plans d’urgence pour faire face aux incidents susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’environnement en Antarctique ou sur les écosystèmes dépendants et associés. »

L’annexe VI impose ainsi aux opérateurs ayant une activité en Antarctique de prendre les mesures nécessaires pour prévenir la survenance d’un accident ou d’une situation critique pour l’environnement dans le cadre de leurs opérations. La présente annexe leur impose également d’adopter des plans d’urgence leur permettant d’anticiper ces situations.

Ainsi l’article 3 (« mesures de prévention ») oblige tous les opérateurs ayant une activité en Antarctique à œuvrer pour réduire le risque d’atteinte à l’environnement qu’engendre leur activité, en prenant des mesures techniques adaptées et « raisonnables », c’est-à-dire proportionnées au risque réel. Le contrôle du respect de cette exigence est assuré par « la Partie de l’opérateur », qui correspond donc à l’État autorisant l’activité en Antarctique en question ou au territoire depuis lequel ledit opérateur organise en amont son activité (cf. supra article 2 de la présente annexe).

L’article 4 plans d’urgence ») précise que les Parties doivent exiger des opérateurs qu’elles autorisent à mener une activité en Antarctique ou qui préparent ces mêmes activités à partir de leur territoire, qu’ils établissent des plans d’urgence « pour faire face aux incidents susceptibles d’avoir des effets négatifs sur l’environnement en Antarctique ou sur les écosystèmes dépendants et associés » et « coopèrent pour élaborer et mettre en œuvre ces plans ». Ces plans d’urgence peuvent notamment comprendre des procédures permettant d’évaluer la nature de l’incident, des éléments d’identification et de mobilisation des ressources mais aussi des plans d’intervention. Cet article précise également que les Parties sont tenues de définir des procédures permettant de notifier dans les plus brefs délais la survenance d’une situation critique pour l’environnement et d’encourager les coopérations pour y faire face.

L’article 5 (« actions en cas d’urgence ») porte sur les actions « rapides et efficaces » que les opérateurs doivent mener en cas de survenance d’une situation critique pour l’environnement résultant de leurs activités. Cet article prévoit également la procédure à suivre en cas d’inaction des opérateurs. Il envisage ainsi une chaîne d’intervention permettant d’offrir la plus grande garantie possible qu’un acteur – l’opérateur à l’origine de l’incident, sa Partie ou une autre Partie – interviendra pour mettre fin à la menace pesant sur l’environnement antarctique. L’article prévoit, en outre, plusieurs procédures de notification auprès du secrétariat du Traité sur l’Antarctique pour l’informer de la situation.

3.   Définir les responsabilités des acteurs dans la gestion d’un incident

L’article 6 (« Responsabilité ») définit la responsabilité des opérateurs et des Parties. Si un opérateur n’est pas intervenu pour mettre fin à un dommage environnemental causé par son activité, il doit rembourser aux Parties qui sont intervenues à sa place les coûts engagés – sans préjudice d’éventuelles poursuites engagées par cette Partie (cf. infra article 7 de la présente annexe).

La présente annexe distingue deux mécanismes en fonction de la nature de l’opérateur :

– si l’opérateur est étatique et qu’aucune Partie n’a pris de mesure d’urgence face à la situation critique, celui-ci doit payer au Fonds du secrétariat du Traité sur l’Antarctique (cf. infra article 12 de la présente annexe) le coût des mesures qui auraient dû être prises ;

– si l’opérateur est non étatique et qu’aucune Partie n’a pris des actions rapides et efficaces pour faire face à la situation critique, il doit payer une somme qui reflète, dans la mesure du possible, les coûts des actions qui auraient dû être prises soit au Fonds du secrétariat du Traité sur l’Antarctique, soit à sa Partie, soit à la Partie qui a utilisé la voie de recours en indemnisation prévu par l’article 7 de la présente annexe.

4.   Ouvrir les voies de recours en indemnisation et des actions judiciaires pour assurer l’effectivité de la responsabilité des opérateurs

L’article 7 (« Recours ») de la présente annexe établit différents recours en indemnisation et actions judiciaires pour garantir l’effectivité de la responsabilité des opérateurs. Les mécanismes prévus se révèlent différents en fonction de la nature de l’opérateur considéré.

S’agissant d’un opérateur non étatique demeuré inactif face à un incident lié à ses activités, un recours en indemnisation est institué pour permettre, à la Partie qui a pris des mesures visant à mettre un terme à la situation critique pour l’environnement, de demander à un tribunal qu’il contraigne ledit opérateur à lui rembourser les frais engagés. Le recours en question est porté soit devant une juridiction de la Partie où l’opérateur s’est constitué en société, a ses bureaux principaux ou sa résidence habituelle ; soit, si l’opérateur s’est constitué en société, a ses bureaux principaux ou sa résidence habituelle dans un État tiers, devant une juridiction de la Partie sur le territoire de laquelle l’opérateur a préparé son activité ou dont il a reçu l’autorisation de la conduire. Un tel recours peut être engagé au maximum trois ans après le début de l’action entreprise par l’État pour mettre fin au sinistre ou trois ans après la date à laquelle l’État a eu connaissance de l’identité de l’opérateur fautif. Si ces deux dates sont connues, le délai de trois ans court à compter de la plus tardive. Dans tous les cas, le recours en indemnisation ne peut intervenir plus de quinze ans après le début de l’action d’urgence prise par l’État. L’article 7 précise que chaque Partie doit s’assurer que son droit interne donne compétence à ses juridictions pour connaître de tels recours.

S’agissant d’un opérateur étatique demeuré inactif face à un incident lié à ses activités, une procédure administrative spécifique est prévue. La responsabilité de la Partie de l’opérateur étatique ne peut être établie que par la RCTA, selon que de besoin, sur le fondement d’une enquête. Une fois cette responsabilité établie, la RCTA fixe, par une décision, le montant correspondant au coût des mesures qui auraient dû être prises pour lutter contre le sinistre. Il appartient ensuite à l’opérateur étatique de verser cette somme au Fonds du secrétariat du Traité sur l’Antarctique (cf. infra article 12 la de la présente annexe).

Les articles 8 (« Exonérations de responsabilité »), 9 (« Plafonds de responsabilité ») à 10 (« Responsabilité de l’État ») prévoient des limites et des exonérations de responsabilité pour les opérateurs menant des activités en Antarctique. Ainsi, un opérateur ne peut se voir imputer la responsabilité d’une atteinte à l’environnement s’il a agi pour sauver des vies humaines ou assurer leur sécurité, ou si le dommage en question résulte d’une catastrophe naturelle imprévisible, d’un événement terroriste ou d’un acte de belligérance. De la même manière, la responsabilité d’une Partie ne peut être engagée à la place de celle d’un de ses opérateurs non étatiques qui serait resté inactif face à une situation critique pour l’environnement liée à ses activités, si cette Partie avait préalablement adopté les mesures internes nécessaires à l’application de l’annexe VI.

L’article 9 instaure des plafonds forfaitaires de responsabilité pour les dommages causés par un navire de moins de 2 000 tonneaux ou pour les dommages qui ne font pas intervenir de navire. Pour les dommages causés par des navires d’un tonnage supérieur à 2 000 tonneaux, les plafonds de responsabilité sont fixés par tranches de tonnage, de manière dégressive, chaque tranche s’appliquant au nombre de tonneaux au-dessus de la limite de la tranche précédente. Cependant, ces plafonds de responsabilité ne trouvent pas à s’appliquer s’il est prouvé que le dommage à l’environnement a été causé de manière délibérée par l’opérateur, dans l’intention de causer une telle situation ou « témérairement » avec la conscience que la survenance du sinistre était probable.

Les articles 11 (« Assurance et autre sécurité financière ») et 12 Le Fonds ») fixent, les aspects financiers du dispositif prévus par la présente annexe.

Selon l’article 11 paragraphe 1, les Parties doivent ainsi exiger de leurs opérateurs qu’ils s’assurent pour faire face aux frais qu’ils seraient tenus d’engager pour mettre fin à une situation critique pour l’environnement qu’ils auraient causée.

Selon l’article 11 paragraphe 2, les Parties peuvent exiger que leurs opérateurs souscrivent une assurance ou une autre garantie financière pour faire face aux sommes qu’ils seraient obligés de verser aux Parties ou au Fonds du secrétariat du Traité sur l’Antarctique (cf. infra article 12 la de la présente annexe) en cas d’inaction de leur part face à un dommage à l’environnement qu’ils auraient causé.

L’obligation d’assurance imposée et celle laissée à l’appréciation des Parties par l’annexe VI visent les opérateurs non étatiques comme les opérateurs étatiques. Cependant, l’annexe laisse la possibilité aux Parties d’assurer elles-mêmes leurs opérateurs étatiques.

L’article 12 (« Le Fonds ») instaure un fonds, qui sera administré par le secrétariat du Traité sur l’Antarctique, et qui devra assurer le remboursement des coûts raisonnables et justifiés encourus par une ou plusieurs Parties lorsqu’elles prennent des actions en cas d’urgence, conformément aux stipulations de la présente annexe. Ses fonds ne pourront être utilisés que conformément à une décision de la RCTA, adoptée en vertu du présent texte. Enfin on peut noter que le Fonds peut être abondé par une Partie ayant été indemnisée par un opérateur, cette dernière devant « faire de son mieux » pour verser une contribution au Fonds au moins égale à la somme d’argent reçue de l’opérateur. Par ailleurs, l’article 12 permet aussi à « tout État ou toute personne » de « faire des contributions volontaires au Fonds ».

L’article 13 (« Amendement ou modification ») précise les modalités selon lesquelles la présente annexe peut être amendée ou modifiée. Ainsi, l’annexe VI peut être révisée par une mesure adoptée conformément au paragraphe 1 de l’article IX du Traité sur l’Antarctique ([26]).


—  1  —

 

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Le mardi 13 juillet 2021, la commission examine, sur le rapport de M. Jacques Maire, le projet de loi autorisant l’approbation de la Mesure 1 (2005) - Annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (n° 4265).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous passons à l’examen du deuxième projet de loi. Si ce protocole a été adopté il y a déjà seize ans, la France est cependant loin d’être la seule partie à accuser un retard considérable dans le processus d’approbation. La technicité de la matière semble justifier la longueur du délai. La mise en œuvre des obligations prévues soulève en effet des questions assez complexes quant à la définition des modalités par lesquelles, en droit interne mais également en articulation avec le droit européen et le droit international privé, la protection de l’environnement en Antarctique sera assurée en cas d’événement accidentel menaçant gravement l’environnement, des mesures de prévention touchant tous les opérateurs publics et privés intervenant dans cet espace seront arrêtées et contrôlées, la mise en œuvre des responsabilités prévue par le protocole sera engagée, et les mécanismes financiers actionnés. Jacques Maire, en virtuose du droit international, va assurément nous éclairer sur ce protocole très important.

M. Jacques Maire, rapporteur. Je suis surtout engagé depuis mes jeunes années en faveur de l’Antarctique et de l’Arctique ! C’est pourquoi j’étais particulièrement motivé par ce rapport, d’autant que nous avons très peu d’occasions de parler de ces continents, alors même que l’Antarctique, en particulier, conditionne la vie de milliards de personnes. La fonte de la frange de la banquise du côté est de la péninsule antarctique ferait augmenter le niveau des eaux de 6 mètres ; celle de la frange antarctique du côté ouest, de 9 mètres ; et le début du dégorgement de la calotte, de 50 mètres. La menace est totale, surtout que, même si l’on pense connaître cet environnement, en réalité, on le connaît peu. L’enjeu de la présence scientifique française en Antarctique est important.

L’Antarctique ne dépend pas des Nations unies ; il est géré de façon spécifique par un traité, signé le 1er décembre 1959 à Washington. Cet accord avait été une forme de divine surprise en pleine guerre froide, en entraînant le gel des revendications territoriales, alors que beaucoup de puissances commençaient à s’y intéresser de près. Il a permis de consolider la notion d’un continent voué à la recherche et devant être protégé sur le plan de l’environnement.

Mais c’est le Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à l’environnement signé en 1991, qui est le pilier de sa protection. À cette époque, Michel Rocard était Premier ministre, ce qui lui a permis d’accéder ensuite à la grande fonction d’ambassadeur des pôles. Ce texte a consacré l’Antarctique comme une réserve naturelle dédiée à la paix et à la science. En outre, il a instauré un régime interdisant toute activité liée à la défense, ainsi qu’à l’exploitation des ressources minérales. Toute activité susceptible d’affecter l’environnement doit être soumise à autorisation préalable.

Ce protocole est accompagné de six annexes. Les annexes I à IV ont été adoptées conjointement avec le Protocole de Madrid en 1991. L’annexe V, relative aux déchets notamment, a été adoptée séparément la même année. Enfin, l’annexe VI est celle qui a posé le plus de difficultés aux États, dans la mesure où elle constitue le point de départ d’un principe de responsabilité environnementale. Si ce sujet ne paraissait pas forcément très urgent en 1991, ce que l’on voit aujourd’hui en matière d’impact du réchauffement climatique, d’atteintes à la biodiversité, d’invasion de nouvelles espèces, de fonte des glaces, de glissement de certains glaciers, d’appauvrissement de la faune sous-marine autour de l’Antarctique montre que le danger est bien réel.

L’annexe VI, signée en 2005, vise à prévenir au mieux et à traiter les situations critiques pour l’environnement en Antarctique imputables à certaines activités. Le texte instaure un régime de responsabilité spécifique et impose aux États parties de mettre à la charge des opérateurs, privés ou étatiques, des mesures de prévention, des plans d’urgence et des souscriptions d’assurances.

Comme nos collègues Éric Girardin et Meyer Habib, rapporteurs de la mission d’information sur la problématique des pôles, l’ont récemment relevé dans leurs travaux, le développement du tourisme dans la zone du Traité, qui voit un accroissement exponentiel du nombre de visiteurs depuis deux décennies et une diversification des activités, constitue l’une des préoccupations majeures du moment en Antarctique. Si le nombre de 50 000 touristes est en soi ridiculement petit, la fréquentation se concentre sur très peu d’endroits. Ainsi, 95 % des visites ont lieu sur quelques sites de la péninsule. J’ai rejoint cette terre plusieurs fois en voilier et l’on se rend compte que, sur une surface de littoral grande comme la Bretagne, il n’y a pas plus de quatre ou cinq zones de mouillage, forcément vulnérables, dans la mesure où il y a de la terre et, partant, de la faune.

L’impact du tourisme est aujourd’hui très limité, du fait d’un coût d’entrée très important – seize à dix-huit jours de mer entre la Nouvelle-Zélande et Ross Ice Shelf, trois à quatre jours entre la péninsule Antarctique et Ushuaïa – et d’un nombre de gens potentiellement intéressés peu important. Mais dès lors que l’on pourra développer des bases aériennes et diminuer le coût d’accès, il peut prendre de l’ampleur. Il faut anticiper, pour éviter les problèmes le jour où l’accès à l’Antarctique ne sera plus réservé à quelques très riches ou très sportifs, et mettre en place des mécanismes permettant de concilier tourisme et préservation des écosystèmes. Notons que l’annexe VI est déjà, en réalité, la référence pour les opérateurs de tourisme qui se sont regroupés au sein d’une association professionnelle.

Tout opérateur, privé ou étatique, ayant une activité en Antarctique, se doit de réduire le risque d’atteinte à l’environnement que génère son activité. La vérification du respect de cette exigence est assurée par « la Partie de l’opérateur » – la collectivité des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) pour notre pays. Cette vérification est assez efficace pour ce qui est des plans d’action, des matériels de sauvetage ou de la lutte contre la pollution.

En revanche, s’agissant des réponses opérationnelles en cas de pollution, l’efficacité de l’annexe VI paraît plus incertaine, et le texte me semble sur ce point plus virtuel. On sait à peu près gérer une petite fuite de carburant, mais pas l’échouage d’un mini-cargo avec une réserve de pétrole prévue pour deux stations. Imaginer qu’il serait possible d’envoyer à 5 000 kilomètres de toute terre des équipes pour récupérer le pétrole en temps réel est assez illusoire. La terre Adélie est loin de tout, en particulier de toute terre touristique, et nous n’avons qu’un seul bateau, L’Astrolabe, qui est déjà à la limite de la saturation, puisqu’il doit être prêt cent vingt jours par an pour les TAAF et le reste du temps pour surveiller les pêches. Je ne veux pas penser au jour où nous aurons un problème avec ce bateau... L’Institut polaire français (IPF) a appelé à mutualiser les démarches avec ceux qui sont présents sur le terrain. On pourrait ainsi concevoir de partager un brise-glace avec nos amis australiens.

L’annexe VI impose, en outre, aux opérateurs de souscrire une assurance ou de disposer d’une garantie financière adéquate leur permettant de couvrir leur responsabilité. Ces opérateurs peuvent trouver des assureurs pour leur cargaison et les dommages causés aux tiers, les protection and indemnity clubs, qui ne sont pas spécifiques à l’Antarctique. Cela étant, l’assurance ne couvre pas les activités terrestres. Que l’on pense au jet-ski, à la randonnée ou au parapente, qui peuvent avoir des conséquences négatives sur l’environnement, y aura-t-il un marché pour les assurer ?

S’agissant du régime de responsabilité, l’annexe VI précise, dès son préambule, qu’elle constitue seulement « une étape vers l’instauration d’un régime de responsabilité ». Cette responsabilité est en réalité très limitée, puisque ce qui compte ce sont simplement les coûts que les opérateurs auraient dû engager pour limiter l’impact environnemental – coûts de sauvetage ou d’assurances –, non le coût environnemental. Il ne s’agit en rien d’un régime général de responsabilité sur les impacts environnementaux. Le coût ne concerne que l’organisation des secours.

Le dispositif prévoit un fonds. Mais il ne vise pas tant à protéger l’environnement qu’à imposer à un opérateur étatique, qui aurait causé un dommage environnemental et n’aurait pas engagé l’argent nécessaire à l’intervention, de donner au fonds qui permettra d’agir, selon des modalités encore floues. L’opérateur privé peut, quant à lui, soit rembourser l’État, soit financer le fonds constitué. C’est donc un fonds un peu bâtard, pas très opérationnel, qui intervient ex post et ne signifie en rien qu’il sera possible de réparer les atteintes à l’environnement. Le fonds est plafonné, tout comme la responsabilité, sauf si la faute a été intentionnelle. Cela emporte des conséquences pratiques : il faudra probablement organiser des capacités de rétention supplémentaires autour des réservoirs de Dumont d’Urville, avec un système de double coque et des signaux en cas de fuite, et prévoir de nouveaux équipements pour encadrer en périphérie une fuite de L’Astrolabe. Mais cela ne révolutionnera pas l’environnement.

À ce jour, onze parties consultatives au Traité sur l’Antarctique doivent encore approuver l’annexe VI. La Belgique et le Chili auraient, comme la France, récemment entrepris les démarches nécessaires, contrairement aux États-Unis, à la Chine, au Japon ou à l’Inde. Cela est assez inquiétant, d’autant que commence cette année la négociation sur la fameuse protection complémentaire et le régime général de responsabilité. Dans la mesure où l’on a mis douze ans à instaurer le régime restreint lié aux interventions d’urgence, on peut imaginer qu’il faudra attendre un moment avant un régime général, d’autant plus au vu du comportement moins coopératif de la Chine et de la Russie.

Il est important d’envoyer un signal positif aujourd’hui, pour lancer la dynamique, alors que la France vient de présider la Conférence des parties au Traité sur l’Antarctique. Je vous invite à voter sans réserve en faveur de l’approbation de cet accord.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour cet exposé passionnant. J’ai remarqué que tout ce qui touche à l’Antarctique passionnait cette commission, à juste titre.

M. Jean-François Mbaye (LaREM). Le qualificatif de « virtuose » a pris tout son sens, après cet exposé passionnant et engagé ! Je suis très impressionné, monsieur le rapporteur, par votre démonstration : réussir, à partir d’un sujet aussi technique, à faire montre d’un tel engagement me laisse sans voix.

Si le texte définit un premier cadre protecteur, il reste possible d’y prévoir d’autres missions, notamment consacrées à la recherche scientifique. Par ailleurs, la croissance du tourisme impose un cadre d’intervention strict, pour limiter au maximum les risques de dommages et prévoir des modalités de réparation. Le dispositif semble assez équilibré. Selon le principe du pollueur‑payeur, il impose que soient prises toutes les mesures de prévention et de gestion d’un événement exceptionnel qui viendrait mettre en danger l’environnement. Plusieurs obligations l’accompagnent pour en assurer l’efficacité : nécessité de souscrire à une assurance ou de disposer d’une garantie financière suffisante afin que la réparation de toute catastrophe puisse être honorée. C’est une vraie sécurité, directement liée à l’obligation de prévoir une action de réparation rapide et efficace, en cas de dommage. Ces nouvelles protections internationales sont importantes. Il nous appartiendra de les appliquer d’une manière exemplaire. Il nous faut, nous Européens, être leaders sur la question du climat et nous fixer un cap clair. Le groupe La République en Marche accompagnera l’élan d’engagement et de passion que vous avez su incarner, monsieur le rapporteur.

M. Bruno Joncour (Dem). Je vous remercie pour votre présentation éclairante et votre rapport, intéressant. Compte tenu de la singularité de l’Antarctique, sa protection pour des raisons environnementales va de soi. Mais elle est également importante d’un point de vue stratégique, pour ses ressources minérales et biologiques. Ainsi la perspective d’une renégociation du protocole en 2048 fait-elle déjà émerger des tensions diplomatiques.

Je rappellerai deux constats du rapport d’information relatif à la problématique des pôles, rendu en avril dernier par nos collègues Habib et Girardin. Le premier, c’est que la communauté internationale a su élaborer pour l’Antarctique l’une des gouvernances internationales les plus ambitieuses, coopératives et protectrices de l’environnement grâce au traité. L’exposé du rapporteur le souligne également. Rarement on aura aussi largement responsabilisé la communauté internationale et le fait que cette entente vise l’étude et la préservation de l’environnement devrait être un signe encourageant et un modèle pour l’avenir des négociations internationales. En outre, la présence française en Antarctique est importante puisqu’elle fait partie des sept pays possessionnés et que ses chercheurs sont parmi les meilleurs de la zone, avec l’Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV).

Je constate également qu’à l’inverse, tous les États n’ont pas facilité le dialogue et certains entravent même les travaux de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR). Je pense évidemment à la Chine et à la Russie, qui se sont opposées en 2020 à la mise en œuvre de pêcheries scientifiques et à la création de nouvelles aires marines protégées, sans oublier la protection russe accordée à un bateau violant manifestement le traité puisqu’il pêchait dans la zone. La Russie faisait partie des douze États signataires du traité de Washington et l’arrêt des négociations de bonne foi avec la Russie n’est évidemment pas un bon signe. De même, l’intérêt croissant de la Chine pour la région doit nous inciter à la vigilance.

L’annexe dont la ratification est soumise à notre vote implique davantage de responsabilités et d’investissement dans la protection du continent antarctique, davantage de respect et de coopération entre les États parties. Son approbation est une étape encourageante vers la préservation du patrimoine planétaire. C’est la raison pour laquelle le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés votera pour le projet de loi.

M. Jean-Michel Clément (LT). Monsieur Maire, la passion qui vous anime n’a d’égal que la qualité de votre travail. Lorsqu’on est attaché à des contrées comme celle-ci, on ne peut qu’être enthousiaste. Je connais plus l’Arctique que l’Antarctique, mais lorsqu’on a goûté à ces espaces naturels, on a une seule envie : les sauvegarder.

C’est pourquoi, à la lecture du protocole – que nous approuverons –, je m’interroge. Un dommage irréversible n’est ni quantifiable ni assurable ; il est définitif. N’est-il pas urgent d’empêcher toute activité qui pourrait aboutir à des dommages irréversibles ? Le tourisme n’est pas une nécessité vitale, alors que la recherche est essentielle et doit être préservée. Quand on voit qu’il faut plus de vingt ans pour arriver à se mettre d’accord, je me dis qu’en vingt ans, le pire peut arriver… Ne faut-il donc pas aller plus loin que les termes de l’accord ?

En outre, en droit international, quelle qualification pourrait-on donner à un acte de cette nature, aux conséquences irréversibles, sur le modèle du crime contre l’humanité ? En effet, sans ce bouclier protecteur, c’est toute l’humanité qui est en danger. C’est notre responsabilité et cela donnera encore plus de force au travail que vous avez réalisé.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je salue l’exposé remarquable de Jacques Maire, empreint d’enthousiasme et de connaissances. Il s’agit d’un de ces bons rapports de notre commission, technique, passionné, mais également sensible aux enjeux de la diplomatie internationale. Pourquoi nous a-t-il fallu seize ans pour approuver cette annexe ? Cela m’interpelle quand on connaît l’urgence de la problématique environnementale. Le rapporteur a évoqué des forces étrangères hostiles aux dispositions, mais certains acteurs internes à notre pays ont-ils contribué à freiner la ratification ?

Les députés communistes sont très favorables à la mise en œuvre des mesures de l’annexe, qui permettront de protéger l’Antarctique. Je partage l’analyse de Jean-Michel Clément concernant l’impact du tourisme. Le rapporteur le décrit également dans son rapport. Bien sûr, pour le moment, c’est une activité marginale, mais je crois me souvenir que Jean-Yves Le Drian avait souligné que le tourisme a augmenté de 450 % en Antarctique. Certes, on part de très bas, mais c’est une augmentation exponentielle.

Ces espaces que les gens veulent préserver, ils veulent aussi les voir car ils sont magnifiques. C’est le paradoxe Plutôt que de développer le tourisme, il faudrait multiplier les émissions pédagogiques, comme C’est pas sorcier, afin de vulgariser et de faire mieux connaître la réalité de cet environnement. Au niveau international, la France devrait plaider pour la sanctuarisation totale de l’Antarctique. Dans la continuité de ce rapport, ce serait une démarche très intéressante pour la commission. La France présidant actuellement le Conseil de sécurité des Nations unies, peut-être le président de la commission ou le rapporteur pourrait-il plaider en ce sens auprès de l’exécutif ?

Lors des débats sur le projet de loi de programmation militaire, par ma voix, le groupe communiste a exprimé le vœu que tous les territoires français disposent de forces suffisantes pour agir en matière de protection de l’environnement – l’exemple récent de la pollution pétrolière en Corse illustre cette nécessité. La France est la deuxième puissance maritime du monde. Il ne s’agit pas seulement d’opportunités d’exploitation, mais aussi d’une responsabilité environnementale.

La loi de programmation militaire pourrait intégrer des outils et mettre des moyens à disposition de l’armée car, en cas de pollution ou d’autres atteintes à l’environnement, cette dernière est capable de se transporter rapidement partout dans le monde. Renforçons le budget alloué à l’armée pour la protection de l’environnement plutôt que de financer la bombe atomique, arme de destruction, qui coûte 14 millions et demi d’euros par jour pendant encore quatre à cinq ans. C’est un budget conséquent, qui permettrait de protéger l’Antarctique.

Nous voterons pour le projet de loi de ratification et nous souhaitons qu’une démarche soit engagée par notre commission, par la voix de son président ou de notre rapporteur.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Monsieur le rapporteur, toute la commission salue la qualité technique de votre rapport, votre talent et votre passion ! Je me joins bien volontiers à ce concert de louanges et je conclurai en rappelant une des définitions du tourisme de masse : il consiste à transporter des gens qui seraient mieux chez eux dans des lieux qui seraient mieux sans eux.

M. Jacques Maire, rapporteur. Je vous remercie et suis heureux que l’énergie polaire vous ait touchés, d’autant que la mission de l’ambassadeur des pôles est beaucoup moins visible depuis qu’il doit travailler derrière un écran.

L’annexe ne reprend pas le principe pollueur-payeur, mais prévoit que le pollueur doit limiter son impact et, s’il ne fait rien, indemniser l’État pour le coût des secours. Elle ne prévoit donc pas de dédommagement pour les atteintes à l’environnement. La réparation du préjudice écologique relève d’une autre annexe, qui sera négociée dans les prochaines années. Cela risque malheureusement de prendre du temps.

Vous m’avez interrogé sur les raisons du délai très long entre l’adoption de l’annexe et sa ratification. L’administration en charge de la ratification, que je connais bien, a ses propres turpitudes et le reconnaît. Mais, en outre, il s’agit de sujets techniques, assez virtuels, sans enjeux immédiats, et il faut malgré tout constituer une étude d’impact. Enfin, le Trésor, omniprésent en France, est en l’espèce comme une poule face à un couteau : il n’y a ni marché ni opérateur, et il existe déjà des obligations en vertu du droit européen ou du droit commercial. Pourquoi inventer de nouvelles responsabilités ? Quels nouveaux mécanismes de financement imaginer ?

Une illustration de ce particularisme : l’assurance dommages à l’environnement d’un bateau de tourisme d’environ cent mètres de long lui permet de couvrir des dommages de plusieurs centaines de millions, voire d’un milliard d’euros, toutes causes confondues. À l’inverse, l’État est son propre assureur pour l’Astrolabe mais en réalité, il ne s’assure pas et, sur son budget propre, l’IPEV n’est pas capable de se protéger comme le ferait la Compagnie du Ponant. Le marché est donc à la fois en avance et à côté de ce qu’est le besoin. C’est toute la difficulté pour les acteurs administratifs.

Le traité risque-t-il d’être remis en cause, notamment en 2048 ? Il s’agit d’un traité permanent et les possibilités de révision sont donc très encadrées. Si des ajustements ou des modifications marginales sont possibles, la probabilité de changements majeurs – comme l’autorisation de l’exploitation minière – est très faible.

En revanche, le traité n’engage que ceux qui l’ont signé. C’est pourquoi le consensus de 1959 est fondamental – on aurait du mal à l’atteindre aujourd’hui… Pourquoi alors ne pas aller vers la sanctuarisation, pour laquelle certains d’entre vous plaident ? On n’en est pas très loin en l’état actuel du droit puisque toute nouvelle activité doit faire l’objet d’une autorisation préalable de la part des parties, si on exclut le cas du tourisme, sur lequel je vais revenir. En outre, il s’agit d’un sujet particulièrement sensible à l’heure où, au sein de la CCAMLR, la Russie et la Chine empêchent la création de nouvelles réserves marines, malgré les efforts très importants de la France. En plaidant pour la sanctuarisation, il ne faudrait pas fragiliser le consensus et contribuer à la sortie de la Chine.

Cela dit, les parlementaires peuvent agir. Marielle de Sarnez était d’ailleurs particulièrement intéressée par le sujet puisqu’elle a coprésidé le groupe d’études arctique, antarctique et terres australes et antarctiques françaises – droit des grands fonds. Elle m’avait demandé de la représenter à la première conférence interparlementaire des parlements parties au traité à Londres en 2019. Il s’agissait alors pour les parlements de commencer à s’approprier le sujet. Il est fondamental que la discussion sur l’Antarctique entre scientifiques, parlementaires et politiques au sens large ne soit pas le monopole des Anglo-saxons comme c’est le cas actuellement. La recherche française est sur la défensive du fait de son manque de moyens. Dans les années qui viennent, nous pourrions utilement accueillir une conférence interparlementaire antarctique, comme les Anglais l’ont fait en 2019.

Comment réguler le tourisme ? Il en existe trois catégories en Antarctique. La première, et la plus ancienne, concerne dix bateaux deux fois par an. À chaque fois, une dizaine de personnes embarquent pour six à huit semaines dans des conditions très difficiles. L’impact environnemental est nul et le marché, très majoritairement français, sans perspectives de développement.

Un deuxième marché, plus récent, se développe vite. C’est celui dont on parle le plus. Il concerne de petits paquebots de moins de deux cents personnes. L’Association internationale des voyagistes antarctiques (ou International Association of Antarctica Tour Operators – IAATO), très inquiète à l’idée que l’on pourrait remettre en cause cette activité, a développé une très forte autorégulation, durable, dont je peux donner des exemples précis. Dans les endroits les plus sensibles, comme l’île de la Déception – île de débarquement quand on vient d’Ushuaia –, il ne peut y avoir plus d’un bateau toutes les trente-six heures. En outre, les bateaux avancent à moins de dix nœuds dans la zone antarctique pour préserver les baleines et ils ne peuvent pas débarquer plus de cent personnes au même endroit. Enfin, les parcours à terre sont balisés, afin que les touristes ne dérangent pas les manchots. De nouveaux acteurs, chinois ou russes, commencent à montrer le bout de leur nez. Si l’autorégulation de l’IAATO ne suffit plus et si de gros paquebots polluants commencent à défiler, comme à Venise, il faudra alors peut-être réguler.

Le plus gros danger est lié au réchauffement climatique qui pourrait permettre le développement d’une troisième forme de tourisme. Actuellement, les terres ne sont accessibles que deux ou trois mois par an et, durant l’hiver antarctique, on n’accède pas au continent, la mer de glace mesurant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de kilomètres, quand les animaux sont en hibernation. Mais, d’ici à dix à quinze ans, les touristes pourront débarquer sur une période plus importante, en beaucoup plus d’endroits, et en avion. Va-t-on anticiper ou agir après coup ?

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour ce passionnant exposé, sur les traces de Shackleton !

La commission adopte l’article unique du projet de loi sans modification à l’unanimité.

 

 

 

 


—  1  —

 

    

   annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission

 

Article unique

 

Est autorisée l’approbation de la Mesure 1 (2005) annexe VI au Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement, responsabilité découlant de situations critiques pour l’environnement (ensemble une annexe), adoptée à Stockholm le 14 juin 2005 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 1226)

 


—  1  —

 

   annexe n° 2
LISTE des personnes entendues par le rapporteur

—  M. David Baker, conseiller principal, Protection and Indemnity Clubs (P&I) ;

—  M. Jérôme Chappellaz, directeur de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) ;

—  Mme Anne Choquet, enseignant-chercheur, spécialiste des questions antarctiques ;

—  M. Guillaume Cottarel, membre du service juridique de l’administration des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ;

—  M. Bruno Joubert, conseiller spécial relations institutionnelles et internationales de l’entreprise Ponant ;

—  M. Julien Rabeux, chef d’équipe (réclamations Singapour), gestionnaire principal des réclamations, West P&I Club.

 

Contributions écrites :

—  Association internationale des voyagistes antarctiques (International association of Antarctica tour operators – IAATO en anglais) ;

—  Ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

 

 


([1])  Article 2 du Protocole de Madrid.

([2])Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959 : https://documents.ats.aq/ats/treaty_original.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([3]) Ibid.

([4]) Article 1er du Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959 : https://documents.ats.aq/ats/treaty_original.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([5]) Ibid.

([6]) Ibid.

([7]) Article IV du Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959 : https://documents.ats.aq/ats/treaty_original.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([8]) Article 2 du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement du 4 octobre 1991 : https://documents.ats.aq/recatt/Att006_f.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([9]) Article 7 du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement du 4 octobre 1991 : https://documents.ats.aq/recatt/Att006_f.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([10]) Article 4 du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement du 4 octobre 1991 : https://documents.ats.aq/recatt/Att006_f.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([11]) Article 3 du Protocole au Traité sur l’Antarctique relatif à la protection de l’environnement du 4 octobre 1991 : https://documents.ats.aq/recatt/Att006_f.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([12]) Ibid.

([13]) Éric Girardin et Meyer Habib, rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique (14 avril 2021), https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b4082_rapport-information.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([14]) Arrêté du 29 janvier 2009 définissant la liste des activités relevant de l’article R. 712-3 du code de l’environnement, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000020314783 (page consultée en ligne le 6 juillet 2021).

([15]) Décret n° 93-740 du 29 mars 1993 portant création d’un comité de l’environnement polaire, https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000727758 (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([16]) Articles L.7131 et suivants du code de l’environnement https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006834921/ (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([17])  « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».

([18]) Éric Girardin et Meyer Habib, rapport d’information de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur la problématique des pôles : Arctique et Antarctique (14 avril 2021), https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion_afetr/l15b4082_rapport-information.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([19]) Ricardo Roura, Vers un surtourisme sur le continent blanc ?, Le Cercle Polaire http://lecerclepolaire.com/fr/documentation/articles/1009-vers-un-surtourisme-sur-le-continent-blanc (page consultée en ligne le 5 avril 2021).  

([20]) Mesure 15 (2009) - RCTA XXXII - CPE XII, Baltimore, débarquement de personnes de navires à passagers dans la zone du Traité sur l’Antarctique, https://ats.aq/devAS/Meetings/Measure/432?lang=f&id=432 (page consultée en ligne le 1er juillet 2021).

([21]) IAATO, Guide du visiteur, https://iaato.org/visiting-antarctica/visitor-guidelines-library/ (page consultée en ligne le 1er juillet 2021).

([22]) La création d’un régime de responsabilité environnementale en droit français a été réalisée par la loi n°2008‑757 du 1er août 2008, qui a transposé la directive 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Cette dernière définit ainsi un « cadre de responsabilité environnementale fondé sur le principe du pollueur-payeur, en vue de prévenir et réparer les dommages environnementaux » (article 1er). Elle impose aux États et aux exploitants de prévenir les dommages qu’ils sont susceptibles de causer (article 5) et de prendre des actions de réparation s’ils se réalisent (article 6). En 2016, la notion de préjudice écologique réparable a été consacrée à l’article 1246 du code civil.

([23]) Mutual P&I cover, https://www.westpandi.com/products/standard-covers/mutual, (page consultée en ligne le 7 juillet 2021).

([24])  Article Ier du Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959 : https://documents.ats.aq/ats/treaty_original.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).

([25]) Une des particularités de l’annexe VI, qui constitue également une de ses difficultés, réside dans le fait qu’on ne retrouve pas dans son texte les classifications traditionnelles des impacts à l’environnement. Dans l’article 8 du Protocole de Madrid sont ainsi évoqués un impact « moindre que mineur ou transitoire », un impact « mineur ou transitoire » ou encore un impact « supérieur à un impact mineur ou transitoire » quand dans l’annexe VI est évoqué un impact « significatif et nuisible ».

([26]) Article IX du Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959 : https://documents.ats.aq/ats/treaty_original.pdf (page consultée en ligne le 29 juin 2021).