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N° 4494

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2021.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION de loi, adoptée par le Sénat, visant à créer un ticket restaurant étudiant,

 

 

 

 

 

Par Mme Anne-Laure BLIN,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

Voir les numéros :

 Sénat :  422, 656, 657 et T.A. 123 (2020‑2021).

 Assemblée nationale :  4242.


 


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SOMMAIRE

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 Pages

AVANT-PROPOS

Principaux apports de la commission

Commentaires des articles

Article 1er Création d’un titre-restaurant étudiant

Article 1er bis (nouveau) Bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré

Article 2 (supprimé) Détermination des modalités d’application du titre-restaurant étudiant par décret en Conseil d’État

Article 3 Gage de recevabilité financière

COMPTE RENDU DES travaux de la commission

Réunion du mardi 28 septembre 2021 à 21 heures

I. Discussion gÉnÉrale

II. Examen des articles

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

Annexe 2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi


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AVANT-PROPOS

« 57 % des étudiants en France n’ont jamais poussé la porte d’un restaurant universitaire » ([1]), déclarait en audition Monsieur Alain Bui, président de la commission vie étudiante et de campus de la conférence des présidents d’Université (CPU), par ailleurs président de l’université Versailles Saint-Quentin.

Les restaurants et cafétérias universitaires offrent aux étudiants des repas à un tarif social répartis en 801 points de vente sur 701 sites. Pour autant, ce service ne répond pas pleinement aux attentes des étudiants.

Comme tous les Français en raison de la crise de la pandémie de la Covid‑19, les étudiants ont vécu un an et demi d’isolement qui a accru leur fragilité économique. La crise a également impacté de nombreux étudiants privés d’un emploi complémentaire à leurs études. Leur pouvoir d’achat, déjà limité avant la pandémie, s’est effondré.

L’isolement social lié aux confinements, le développement des cours en distanciel et la limitation des interactions sociales ont eu des conséquences établies sur la santé psychologique de nos jeunes adultes.

Or l’insécurité alimentaire, qui se caractérise par des difficultés d’accès économique à une alimentation saine, équilibrée et en quantité suffisante, touche en premier lieu les jeunes et de très nombreux étudiants, boursiers ou non. Une étude Elabe pour le Cercle des économistes publiée le 10 décembre 2020 ([2]) souligne l’impact de la crise sur l’alimentation des jeunes : un jeune sur deux a ainsi réduit ses dépenses alimentaires ou sauté un repas au cours des six derniers mois.

Comme le révèle le rapport d’information du Sénat « Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour L’État et les collectivités » publié en juillet 2021 ([3]), les étudiants viennent grossir les files d’attente de l’aide alimentaire, même si leurs difficultés ne sont pas nées avec la crise. Aujourd’hui, des universités font directement appel à des associations pour aider les étudiants à subvenir à leurs besoins. Des bons d’achats et des coupons alimentaires ont aussi été distribués.

En application du code de l’action sociale et des familles, la politique nationale de lutte contre la précarité alimentaire « vise à favoriser l’accès à une alimentation sûre, diversifiée, de bonne qualité et en quantité suffisante aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ». L’importance du niveau territorial de proximité a été mise en évidence dans le rapport « La lutte contre la précarité alimentaire - Évolution du soutien public à une politique sociale, agricole et de santé publique » publié par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2019 ([4]). Le rapport en appelle à une politique systémique de lutte contre la précarité alimentaire prenant en compte la santé des personnes, l’offre agricole et la nécessité d’adaptation de l’offre alimentaire aux besoins des personnes.

L’adéquation entre l’offre alimentaire et de la demande des étudiants est précisément la faiblesse des politiques jusqu’à présent mises en œuvre. Tout repose en effet sur le réseau des Centre régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) qui propose des repas à un tarif social de 3,30 euros aux étudiants pour un repas complet.

Le repas de « resto U » à 1 euro

Le Gouvernement a mis en place à la rentrée universitaire de 2020 le repas de « resto U » au tarif social de 1 euro pour les étudiants boursiers sur critères sociaux. Le dispositif a été élargi aux étudiants non boursiers du 25 janvier au 31 août 2021 ([5]). Récemment, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, a annoncé que les étudiants non boursiers n’en bénéficieraient plus à compter de la rentrée 2021 alors que l’on compte près de 62,4 % d’étudiants non boursiers (747 739 étudiants boursiers en 2021 pour un total de 2 783 000 étudiants à la rentrée universitaire de 2020) ([6]). L’avenir de cette mesure en 2022 est, à l’heure actuelle, encore inconnu.

Cette mesure devrait se traduire par un manque à gagner de 49,5 millions d’euros pour les CROUS en 2021, intégralement compensé par l’État.

*

Le réseau des CROUS dispose d’une bonne implantation sur les campus et dans certains centres-villes mais nombre d’étudiants en sont isolés.

Le maillage territorial de l’offre ne couvre en effet pas les antennes universitaires délocalisées, les petites écoles, les formations en instituts universitaires de technologie (IUT), les brevets de techniciens supérieurs (BTS) ou les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) isolées des campus. Ces deux dernières catégories dépendent des lycées et donc des régions où des conventionnements existent mais sont encore insuffisamment mis en œuvre.

Une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de février 2021 ([7]) montre que le recours à la restauration collective des actifs et des étudiants (sans distinction) est bien plus important dans l’agglomération parisienne que sur le reste du territoire. Plus l’agglomération de résidence est grande, plus l’accès à un service de restauration collective est aisé. Les zones rurales et les villes de taille moyenne offrent moins de possibilités de restauration, surtout lorsque les lieux d’étude se situent en dehors du centre-ville.

Quand elle existe, l’offre des CROUS est inadaptée aux horaires des étudiants qui disposent parfois de très peu de temps pour se restaurer avec des délais d’attente très élevés, ce qui les invite à privilégier des repas faits maison ou achetés dans des établissements de restauration rapide. L’enquête de satisfaction conduite en février 2020 par le Centre nationale des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) a montré, sur la base de 90 000 réponses, que « les emplois du temps apparaissent comme une contrainte, notamment la pause méridienne car 38 % des étudiants ont moins de 45 minutes, temps de trajet compris, pour déjeuner. 6 % ont même moins de 30 minutes (données stables). »

L’enquête nationale sur les conditions de vie des étudiants réalisée en 2016 par l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) et publiée en 2017 ([8]) montrait que parmi les 48 % des étudiants déclarant sauter des repas pendant une semaine normale de cours, 71 % le font par manque de temps ou du fait d’horaires irréguliers et 16 % pour des raisons financières.

Ce constat a conduit les CROUS à diversifier leur offre avec le développement de cafétérias (« Crous Market », « Crous cafet ») proposant sandwichs, salades et snacks ou l’installation d’unités mobiles de restauration dédiées à la vente à emporter (« Crous Moovy Market »). Ces offres complémentaires se situent toujours dans des zones où une offre de restauration assise est déjà présente (« resto U »). À ce jour, la restauration rapide représente 45 % de l’offre du réseau des CROUS.

Rappelons par ailleurs que 120 000 étudiants ont dû, pendant le premier confinement et au-delà, faire face à la fermeture des CROUS (de la mi-mars à la fin août 2020) et souvent quitter leur résidence universitaire. De façon plus structurelle, l’offre en résidences étudiantes est limitée, ce qui éloigne nombre d’entre eux des campus.

Depuis la rentrée universitaire 2020, rien n’est plus comme avant et la présence des étudiants sur les campus universitaires a de nouveau été bouleversée par les adaptations nécessaires des modalités d’enseignement. La rentrée des étudiants a été décalée, en particulier pour les étudiants internationaux. De façon parfois pérenne, les enseignements à distance se sont développés, entraînant la moindre présence d’étudiants sur les campus et une transformation profonde des habitudes de consommation alimentaire a pu être constatée. Les étudiants se restaurent alors à leur domicile, premier « concurrent » de l’offre des CROUS.

*

Les injonctions à manger mieux, frais et équilibré, doivent s’accompagner de moyens financiers à disposition des étudiants tout en étant respectueux de leur mode de vie. La dégradation de la situation matérielle des étudiants, y compris non boursiers, justifie le maintien d’un dispositif universel et la correction des inégalités qui existent aujourd’hui entre les étudiants.

L’objet de la présente proposition de loi, adoptée par le Sénat en juin 2021 ([9]), est de créer un titre-restaurant étudiant, sur le modèle de ce qui est proposé aux salariés par les entreprises. Ce titre permettrait aux étudiants de pouvoir accéder à une offre alimentaire diversifiée en restauration commerciale comme dans les commerces de distribution alimentaire ou assimilés, dès lors qu’ils sont éloignés de l’offre de restauration universitaire.

L’estimation du nombre d’étudiants concernés oscille entre 200 000 ([10]) et 500 000 ([11]) sur un total de 2 725 300 étudiants ([12]).

Comme aujourd’hui pour le réseau des CROUS, le dispositif serait financé par l’État, en complément de la part étudiante. La subvention pour charges de service public versée par l’État au réseau des œuvres universitaires serait abondée en conséquence.

Ainsi pour un titre de 6,60 euros de valeur faciale, l’étudiant s’acquitterait du tarif de 3,30 euros. Son pouvoir d’achat serait ainsi doublé, sans plus d’avance de trésorerie que les crédits prépayés sur la carte étudiant (à l’instar de ce qui est déjà pratiqué par les étudiants se rendant en restaurants ou en cafétérias universitaires).

Le paiement du repas en restauration universitaire passe en effet déjà par une carte prépayée, disponible sur la carte étudiant ou sur de l’application mobile « IZLY ». Téléchargeable sur l’Appstore, Google Play ou Windows Phone Store, cette application permet de régler différents services universitaires et bientôt, promet le site internet de la carte, de régler des achats chez des partenaires avec le service S‑money.

Alors que le critère de proximité du lieu d’études dans l’enseignement supérieur prime sur les autres et que le choix d’un campus à taille humaine compte, il est important d’offrir les mêmes conditions matérielles d’existence à tous les étudiants.


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   Principaux apports de la commission

Lors de sa réunion du mardi 28 septembre 2021, la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation a adopté la présente proposition de loi en première lecture en opérant les modifications suivantes.

À l’article 1er, la commission a adopté trois amendements identiques présentés par les groupes La République en Marche, Mouvement Démocrate et apparentés et Agir ensemble. Le nouveau dispositif prévoit d’une part d’insérer au code de l’éducation un nouvel article L. 822-1-1 qui offre aux étudiants la possibilité de bénéficier, dans chaque territoire, d’une offre de restauration à tarif modéré, à proximité de leur lieu d’études. Cette offre est proposée par les lieux de restauration gérés par les CROUS ou par des organismes de droit privé ou public conventionnés par les CROUS. D’autre part, il prévoit de substituer à la création d’un ticket restaurant étudiant le versement d’une aide financière aux étudiants n’ayant pas accès à une structure de restauration universitaire.

La commission a également adopté un article 1er bis, issu d’un amendement présenté par le groupe La République en Marche, qui prévoit que le Gouvernement remette annuellement au Parlement un bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré.

La commission a adopté la rédaction issue du Sénat pour le reste des articles de la proposition de loi.


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Commentaires des articles

Article 1er
Création d’un titre-restaurant étudiant

Adopté par la commission avec modifications

L’article 1er crée un titre-restaurant étudiant destiné aux élèves n’ayant pas accès à une structure de restauration universitaire.

I.   Le droit existant

La restauration universitaire a été créée par des associations étudiantes dans les années 1920. Son organisation s’est structurée après la seconde guerre mondiale lorsque le réseau des œuvres universitaires et scolaires s’est vu confier sa gestion par la loi n°55-425 du 16 avril 1955 portant réorganisation des services des œuvres sociales en faveur des étudiants. Ce réseau est aujourd’hui constitué du CNOUS (Centre national des œuvres universitaires et scolaires) à la tête du réseau des 26 CROUS (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires).

La mission d’aide sociale de ce réseau, définie à l’article L. 822-1 du code de l’éducation, est d’améliorer les conditions de vie et de travail des étudiants. Son domaine d’intervention est large : instruction des demandes de bourses et d’aides dont il a la gestion, action sociale et culturelle, hébergement et restauration.

Aujourd’hui, les CROUS gèrent en régie 701 lieux de restauration répartis dans 221 villes du territoire français.

Carte d’implantation des CROUS (France métropolitaine)

hexagone

 

 

Carte d’implantation des CROUS (Guadeloupe et Martinique)

guadeloupemarti

Carte d’implantation des CROUS (GUYANE)

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Carte d’implantation des CROUS (La Réunion)

la réunion zoom

 

En complément de cette offre et en application de l’article R. 822-9 du code de l’éducation, les CROUS peuvent passer des conventions avec des structures de restauration existantes (de droit public ou privé) pour que les étudiants puissent accéder à un service de restauration collective en bénéficiant du même tarif social que celui des restaurants universitaires (3,30 euros pour un repas complet ([13])). Ces structures reçoivent une subvention pour chaque repas servi. 183 organismes sont ainsi agréés par les CROUS et gérés par d’autres opérateurs tels que des collèges, des lycées ou des établissements de santé.

S’agissant des élèves qui suivent une formation dépendante d’un lycée (BTS ou CPGE), le coût d’un repas non conventionné est supérieur au tarif conventionné : entre 4,35 euros et 7,50 euros pour un menu complet ([14]).

L’ordonnance n° 67-830 du 27 septembre 1967 relative à l’aménagement des conditions du travail en ce qui concerne le régime des conventions collectives, le travail des jeunes et les titres-restaurant, a créé le titre-restaurant qui permet à l’employeur de prendre en charge une partie des frais de restauration des salariés ou des agents ne disposant pas d’un restaurant collectif.

En application de l’article L. 3262-1 du code du travail, le titre-restaurant est un titre spécial de paiement remis par l’employeur au salarié et émis soit par l’employeur soit par une entreprise spécialisée qui le cède à l’employeur contre paiement de sa valeur libératoire.

La remise d’un titre-restaurant à des salariés est facultative : l’employeur peut choisir de mettre à la disposition des salariés un service de restauration collective ou de verser une prime de déjeuner.

Le titre-restaurant est utilisable pour régler la consommation d’un repas au restaurant ou l’achat de préparations alimentaires directement consommables et de fruits et légumes dans les commerces de distribution alimentaire ou assimilés. Il s’agit d’un avantage social dont bénéficient 3,5 millions de Français ([15]) grâce à 120 000 établissements (entreprises, collectivités territoriales, etc.).

La commission nationale des titres restaurant (CNTR) fixe les conditions d’attribution des titres-restaurant. Le financement des titres est réparti entre l’employeur (50 à 60 % de la valeur du titre) et le salarié (40 à 50 % de la valeur du titre).

II.   les dispositions ADOPTÉES PAR LE SÉNAT

L’article 1er complète le chapitre premier du titre II du livre VIII du code de l’éducation d’un article L. 821-5. Placé, dans sa version déposée sur le bureau du Sénat, en complément du chapitre relatif aux œuvres universitaires, ce dispositif figure désormais dans le chapitre consacré aux aides aux étudiants.

L’article 1er crée un titre-restaurant étudiant, titre de paiement similaire au titre-restaurant remis par l’employeur au salarié prévu à l’article L. 3262-1 du code du travail.

Les bénéficiaires de ce titre de paiement sont les étudiants qui n’ont pas accès à une structure de restauration universitaire.

L’objet de ce titre de paiement est de permettre à ces étudiants éloignés des structures de restauration universitaire d’acquitter le prix d’un repas (en tout ou partie), consommé ou acheté auprès d’un organisme conventionné. Les organismes éligibles seront ceux qui auront conventionné avec les établissements d’enseignement supérieur, les collectivités territoriales ou le réseau des œuvres universitaires et scolaires.

Comme pour le titre-restaurant qui comprend une part contributive payée par l’employeur et une part réglée par le salarié, le titre-restaurant étudiant serait financé à parts égales par l’État et par l’étudiant.

Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du dispositif.

III.   la position du rapporteur

Le dispositif du repas « resto U » à 1 euro est louable mais il n’est pas pérenne. Les derniers arbitrages budgétaires en témoignent puisque désormais les non‑boursiers en sont exclus.

Surtout, il ne permet pas de rendre accessible la restauration universitaire à tarif social aux étudiants éloignés des grands sites.

De ce fait, il creuse davantage les inégalités entre les étudiants du seul fait de leur choix de lieu d’études, d’ailleurs souvent subi.

Le dispositif proposé a vocation à bénéficier à tous les étudiants, y compris aux classes moyennes souvent exclues des dispositifs sociaux par l’effet des seuils applicables aux bourses sur critères sociaux.

D’une même voix, les associations représentantes des étudiants ont regretté les injustices créées par ces seuils. Avec elles, le rapporteur s’étonne de savoir que le Gouvernement envisage de permettre d’étendre le bénéfice du repas de « resto U » à 1 euro aux étudiants identifiés comme précaires par le service social du CROUS mais non bénéficiaires de bourses…

Son utilisation sera limitée à un territoire qui devra préalablement être identifié.

Les établissements de l’enseignement supérieur sont les plus à mêmes d’identifier l’offre de restauration présente sur leurs sites et, de ce fait, les étudiants qui pourraient bénéficier du titre-restaurant étudiant.

À noter que dans la version de la proposition de loi déposée au Sénat, le dispositif était destiné à tous les étudiants. Le rapporteur souhaite conserver un dispositif territorialisé et ciblé sur les publics isolés, complémentaire à l’offre du réseau des œuvres universitaires.

Techniquement, l’émetteur devrait être le CROUS, éventuellement en partenariat avec des entreprises aujourd’hui émettrices de titres-restaurant plébiscités par les salariés. En effet, ces entreprises disposent de l’ingénierie pour pouvoir émettre des titres et créer des partenariats en quelques mois seulement ([16]).

Plusieurs expériences réussies ont été mises en œuvre depuis le confinement du printemps 2020. Ainsi le CROUS de Montpellier-Occitanie délivre aux étudiants des cartes d’achat dématérialisées d’une valeur unitaire de 50 ou 100 euros, pour leur permettre d’acheter des denrées alimentaires et des produits d’hygiène. Les cartes sont délivrées par le service social après évaluation de la situation de l’élève.

Les syndicats étudiants auditionnés par le rapporteur ont toutefois regretté la stigmatisation induite par ce type de dispositif.

Le dispositif doit être simple d’utilisation et non stigmatisant, d’où l’importance d’en faire bénéficier les étudiants non sur critères sociaux mais sur critères d’accessibilité à l’offre de restauration universitaire. La simplicité d’utilisation viendra par la dématérialisation du titre.

Lors de la discussion au Sénat en première lecture de la présente proposition de loi en juin dernier, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a fait état de l’existence de « zones blanches » dans certains territoires isolés. Les CROUS nouent ainsi des partenariats avec des collectivités et des associations pour fournir une offre de restauration complémentaire aux étudiants.

Malgré ces efforts, entre 200 000 et 500 000 élèves demeurent encore aujourd’hui sans solution de restauration à tarif social ; il est temps de leur garantir un accès véritablement universel à une alimentation de proximité.

Le rapporteur propose d’adopter cet article sans modification.

*

 

Article 1er bis (nouveau)
Bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré

Introduit par la commission

L’article 1er bis prévoit que le Gouvernement remette annuellement au Parlement un bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré.

La commission a adopté un amendement portant article additionnel après l’article 1er, présenté par le groupe La République en Marche, qui prévoit que le Gouvernement remette annuellement au Parlement un bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré.

*

Article 2 (supprimé)
Détermination des modalités d’application du titre-restaurant étudiant par décret en Conseil d’État

Suppression maintenue

L’article 2, supprimé par le Sénat, renvoie à un décret en Conseil d’État les modalités d’application du titre‑restaurant étudiant.

I.   les dispositions ADOPTÉES PAR LE SÉNAT

L’article 2 prévoyait qu’un décret en Conseil d’État détermine les modalités du titre-restaurant étudiant, notamment les mentions qui y figurent, les conditions d’utilisation et de remboursement de ce titre, les règles de fonctionnement des comptes bancaires ou postaux sur lesquels sont versés les fonds perçus en contrepartie de ce titre et les conditions du contrôle de la gestion des fonds.

À l’initiative de son rapporteur et par coordination avec la réécriture de l’article 1er, cet article 2 a été supprimé par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat.

II.   la position du rapporteur

Le rapporteur propose de maintenir la suppression de cet article.

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Article 3
Gage de recevabilité financière

Adopté par la commission sans modification

L’article 3 prévoit la création d’une taxe additionnelle aux droits sur le tabac pour compenser pour l’État et les collectivités territoriales les éventuelles charges financières créées par les dispositions de la présente proposition de loi.

L’initiative parlementaire est conditionnée, au stade du dépôt d’une proposition de loi, à la compensation budgétaire des charges qui pourraient résulter du dispositif. Il est d’usage de « gager » une proposition de loi sans que l’intention de son auteur soit d’augmenter les taxes correspondantes.

À la veille de la discussion budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2022, le rapporteur appelle de ses vœux que l’État prenne à sa charge, à fiscalité constante, le coût budgétaire induit par le dispositif.

Lors de leur audition, les représentants de l’UNEF ont chiffré la mesure à 3,5 milliards d’euros sur la base de 400 repas à 3,30 euros pour les 2,7 millions d’étudiants français. Ce scénario est irréaliste puisqu’il considère que le dispositif de titre-restaurant étudiant se substituerait intégralement à l’offre des CROUS et serait utilisé plus d’une fois par jour pour chaque étudiant.

Or il est ici question d’une offre complémentaire à celle du CROUS. Sur la base de 200 000 étudiants concernés (chiffres du ministère précités), à raison de 5 titres par semaine sur dix mois soit 200 repas, le coût s’élèverait à 132 millions d’euros. Sur la base de 500 000 étudiants concernés, ce coût s’élèverait à 330 millions d’euros.

Le rapporteur propose d’adopter cet article sans modification.

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   COMPTE RENDU DES travaux de la commission

Réunion du mardi 28 septembre 2021 à 21 heures

La commission des Affaires culturelles et de l’Éducation examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à créer un ticket restaurant étudiant ([17]).

I.   Discussion gÉnÉrale

M. le président Bruno Studer. Cette proposition de loi est inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Les Républicains, le 7 octobre.

Mme Anne-Laure Blin, rapporteure. Le système dont bénéficient nos 2,7 millions d’étudiants pour leurs études est très performant. Alors que le coût d’une année d’études est élevé, nombre de formations sont quasiment gratuites et les bourses sur critères sociaux ou au mérite permettent à de nombreux étudiants de réduire certaines de leurs dépenses à zéro.

L’alimentation est le deuxième poste de dépenses le plus important, après le logement. Là encore, le soutien public est de taille, à travers le réseau des centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (CROUS), dont les « restos U » offrent des repas à tous, boursiers ou non, au tarif social de 3,30 euros. Le réseau compte 701 points de vente, sous la forme de restaurants assis et, de plus en plus, de cafétérias ou autres structures de vente à emporter, pour près de la moitié des ventes.

Là où se trouve la majorité des étudiants, l’offre est indéniablement de qualité – les étudiants le disent dans les questionnaires de satisfaction. Cependant, une étude de l’Observatoire national de la vie étudiante révèle que plus de la moitié de la population étudiante saute des repas durant une semaine normale de cours. Force est de constater que l’équité territoriale entre nos étudiants est aussi toute relative.

Les étudiants disposant de peu de facilités pour se rendre au « resto U » sont de plus en plus nombreux à préférer se restaurer à leur domicile, en faisant leurs courses au supermarché – le premier concurrent des CROUS. Le développement des enseignements à distance a renforcé le phénomène : compte tenu de la courte amplitude horaire de leur ouverture, les « restos U » sont vite saturés et les délais d’attente, décourageants. Surtout, de nombreux sites excentrés des campus – pour la plupart établissements préparant au brevet de technicien supérieur (BTS), instituts universitaires de technologie (IUT) ou antennes des grandes écoles – ne disposent tout simplement pas de restaurant ou de cafétéria universitaires. Pour ceux-là, le ministère a fait savoir, et la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation vient de le rappeler, qu’il existe des conventions par lesquelles 190 établissements – lycées, collèges, établissements de santé – ouvrent leurs cantines aux étudiants. La ministre a indiqué qu’elle voulait accroître leur nombre et que les nombreuses zones blanches restantes seraient identifiées. La ministre n’ayant pas entièrement répondu à ma question sur le sujet, nous manquons de précisions.

Le tarif social de 3,30 euros s’applique à la majorité des repas, mais de plus en plus de « restos U » proposent des menus à points. Ainsi, dans neuf CROUS, le repas complet au tarif social vaut 6 points, mais la note s’alourdit dès lors que l’on ajoute des plats à l’unité : de 1 à 3 points supplémentaires pour les entrées, fromages et desserts, de 4 à 6 points pour les plats garnis. Un repas complet revient ainsi entre 4,50 et 4,80 euros, quand il est facturé 3,30 euros dans d’autres « restos U ». Pour les étudiants de BTS ou de classes préparatoires dont l’établissement n’a pas bénéficié d’une convention avec le CROUS, lorsqu’il est pris dans la cantine d’un lycée, le repas coûte entre 4,35 euros et 7,50 euros. Les chiffres m’ont été communiqués par le ministère durant l’audition de la ministre ; les étudiants de vos circonscriptions vous le confirmeront. Le nombre d’étudiants ne bénéficiant pas d’un tarif de restauration sociale se situerait entre 200 000 – chiffres du ministère – et 500 000, selon certaines organisations étudiantes.

La présente proposition de loi issue du Sénat, que je vous propose d’adopter en l’état, a pour objet de restaurer l’équité territoriale là où elle fait défaut, de manière concrète et opérationnelle. Elle consiste à créer un titre-restaurant étudiant fonctionnant sur le modèle de celui qui est proposé aux salariés. Ce ticket permettrait aux étudiants éloignés de l’offre de restauration collective proposée par le réseau des œuvres universitaires d’accéder à une offre alimentaire diversifiée, en restauration commerciale comme dans les commerces de distribution alimentaire ou assimilés.

Le dispositif adopté par le Sénat n’entre pas en concurrence avec les CROUS puisqu’il n’y aura de titres-restaurant que là où il n’y a pas d’offre universitaire. Il sera limité à certains territoires identifiés et viendra compléter l’offre existante. Surtout, il a vocation à profiter à tous les étudiants, y compris à ceux issus des classes moyennes, souvent exclus des dispositifs sociaux, tels que le repas à 1 euro, par l’effet des seuils applicables aux bourses sur critères sociaux.

Il ne s’agit pas d’un chèque en blanc à tous les étudiants. Le système du titre‑restaurant, plébiscité par les salariés français, permet de s’assurer que la dépense va bien à l’alimentation, et pas à celle de la catégorie malbouffe, que la ministre a dit craindre tout à l’heure. Pour éviter la ruée vers les McDo, il suffira de ne pas autoriser le conventionnement avec ces établissements.

Techniquement, la solution est prête à l’emploi ; les auditions ont montré que le texte peut être mis en application dès maintenant. L’émetteur serait le CROUS ; il pourrait s’appuyer sur les grands concepteurs de titres, qui disposent déjà de l’ingénierie pour créer un tel titre de paiement. D’ailleurs, les étudiants ont déjà, avec la carte Izly, un titre de paiement CROUS dans leur poche. Les CROUS eux-mêmes ont su faire preuve de réactivité pendant la crise, en proposant, en quarante-huit à soixante-douze heures, des cartes monétaires créditées pour les achats de première nécessité. Le titre-restaurant ici proposé serait donc tout à fait réalisable dans un temps très court.

Nous, parlementaires, adoptons souvent des PPL satisfaisantes mais qui, une fois parties en navette au Sénat, tombent dans l’oubli. En adoptant conforme le présent texte, nous permettrons au dispositif d’exister avant la fin de l’année ; le pouvoir réglementaire en ajustera les détails pratiques, et le législateur pourra s’assurer de sa bonne application.

Mme Fabienne Colboc. En cette rentrée universitaire, je suis heureuse que nous évoquions le sujet de l’accès des étudiants à une offre de restauration universitaire à tarif modéré et de qualité. Les étudiants parmi les plus fragiles économiquement ont été particulièrement frappés par la crise économique et sanitaire liée à la pandémie de la covid‑19. Au plus fort de la crise, pour lutter contre la précarité alimentaire, le Gouvernement a fait le choix d’étendre le dispositif des repas à 1 euro dans les « restos U » à tous les étudiants, boursiers ou non. De janvier à août 2021, près de 15 millions de repas ont ainsi été servis par les CROUS. Je salue la mobilisation de leurs personnels, qui ont su s’adapter dans l’urgence et proposer de nouveaux services innovants aux étudiants, tels que la vente à emporter, la livraison ou le click and collect.

Toute une variété d’initiatives solidaires se sont déployées pendant la crise. L’association Linkee, notamment, propose des colis alimentaires à moindre coût pour les étudiants ; les épiceries solidaires, soutenues par les CROUS et gérées par les étudiants, se sont multipliées sur les campus.

En cette rentrée, l’accompagnement social renforcé de l’État se poursuit. Les étudiants boursiers et en situation de précarité peuvent continuer à bénéficier d’un repas à 1 euro dans les restaurants universitaires ou dans les 183 restaurants qui ont signé une convention avec le CROUS. Au sein des CROUS, les étudiants ont accès à un repas complet et équilibré, confectionné avec des produits de qualité, dans une démarche de développement durable, conformément aux dispositions de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « EGALIM »).

Déjeuner au CROUS, c’est aussi retrouver du lien social. La crise nous a rappelé l’importance de ces moments d’échange et de convivialité. Avec 801 structures dans plus de 220 villes, la couverture territoriale des CROUS est particulièrement étendue. Sur les 2,8 millions d’étudiants, 2,6 millions ont au moins un restaurant universitaire dans leur environnement immédiat. Ces chiffres montrent la qualité du réseau mais mettent également en lumière l’existence de zones blanches. C’est pour y remédier que le réseau des œuvres universitaires et scolaires développe des politiques de conventionnement avec différents organismes, grâce auxquelles les étudiants peuvent accéder à des structures de restauration, telles que les cantines administratives, scolaires ou hospitalières. C’est la solution à privilégier, car ces structures sont soumises aux mêmes exigences de qualité et de service public. Je me réjouis que la ministre ait annoncé l’agrément de dix nouveaux sites dès le 1er janvier 2022.

Par ailleurs, quel que soit leur lieu d’études, les étudiants peuvent contacter les services sociaux des CROUS et, en cas d’urgence, se voir attribuer une aide pour des dépenses alimentaires. Ces aides ont été fortement mobilisées pendant la crise.

Ce travail pour apporter une solution aux étudiants dans tous les territoires doit être poursuivi en donnant la priorité aux offres gérées ou conventionnées avec les CROUS, à proximité des lieux d’études. Concernant les zones blanches, si le groupe La République en marche partage l’ambition de trouver rapidement une solution praticable par les étudiants, la généralisation d’un ticket restaurant étudiant lui semble trop restrictive. D’autres solutions efficaces existent dans certaines universités, telles que des bons ou cartes d’achat pour se restaurer.

Les réponses peuvent être aussi variées que le sont les besoins des étudiants. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à remplacer le dispositif du ticket restaurant étudiant par une aide financière dont les modalités d’attribution seront précisées par décret. Ce dispositif permettra d’atteindre l’objectif de la proposition de loi d’assurer un traitement équitable entre les étudiants, où qu’ils étudient, tout en gardant de la souplesse, davantage offerte par un panel d’outils que par une solution unique, complexe à concrétiser.

M. Julien Ravier. Je suis fier que le groupe Les Républicains défende un tel texte, et je remercie Anne-Laure Blin pour le travail qu’elle a mené sur le sujet dès son élection. Je félicite aussi nos collègues sénateurs d’avoir largement adopté la proposition de loi du sénateur de l’Union centriste Pierre-Antoine Levi.

La précarité étudiante n’est pas nouvelle : depuis longtemps, elle est le premier frein à la réussite universitaire de nos jeunes. Par manque de moyens, nombreux sont ceux qui renoncent à suivre certaines études ; d’autres occupent un emploi en parallèle pour les financer et faire face au coût de leur logement, des transports, de leurs repas et du matériel essentiel à la poursuite des cours. Dans un pays qui a fait le choix de rendre ses facultés accessibles alors que d’autres vendent à prix d’or les formations universitaires, nous ne pouvons pas accepter que les ressources financières demeurent l’obstacle principal à la réussite universitaire et à l’égalité des chances.

La situation a empiré en raison de la crise sanitaire liée à la covid-19, qui a privé les jeunes de la plupart des emplois étudiants. Au cours de l’épidémie, un tiers des étudiants a révélé avoir eu des difficultés financières ; pour 56 % d’entre eux, les dépenses alimentaires ont été les plus difficiles à assumer. Le Gouvernement s’est engagé en début d’année, en abaissant le tarif des repas en restaurant universitaire de 3,30 euros à 1 euro, pour les étudiants boursiers et les étudiants non boursiers en situation de précarité financière. Ce tarif particulièrement compétitif soulage de nombreux jeunes, mais malheureusement la mesure ne suffit pas. L’offre n’est accessible qu’au sein des restaurants universitaires, dont la couverture du territoire est très inégale et la qualité des prestations, variable. Dans les zones blanches dépourvues d’offre, de nombreux étudiants sont exclus de fait du dispositif, subissant une inégalité d’accès au service public de restauration universitaire.

La stratégie du conventionnement est intéressante pour les zones blanches, mais elle n’apporte pas de réponse immédiate. Par ailleurs, que fera-t-on si, dans une zone, aucun restaurant n’accepte le conventionnement ? En créant le ticket restaurant étudiant, la proposition de loi permet d’apporter une aide alimentaire systématique aux étudiants éloignés des restaurants universitaires. C’est un grand pas, qui concernera tous les jeunes, sans exception.

La Haute Assemblée a travaillé pour faire évoluer la proposition initiale et aboutir à un texte équilibré. Le dispositif reste largement encadré par les CROUS, les établissements d’enseignement supérieur et les collectivités territoriales, de façon à éviter que le nouveau service bénéficie à des offres alimentaires peu satisfaisantes sur les plans nutritionnel et sanitaire. Il se limite, en outre, aux étudiants n’ayant pas accès à un restaurant universitaire. Il ne s’agit pas de venir concurrencer le dispositif existant, déjà largement déficitaire ; c’est bien un complément permettant d’atteindre ceux qui souffrent dans les zones blanches, pour que chacun ait un même accès aux aides alimentaires qui lui sont dues. Cela n’entrave ni le développement des restaurants universitaires ni leur déploiement sur le territoire, non plus que le conventionnement, qui peut être conduit parallèlement et qui doit se poursuivre. Le ticket restaurant étudiant est un complément qui permet une réponse rapide, en attendant l’implantation d’un restaurant universitaire ou d’un conventionnement.

La France ne peut pas se résoudre à la précarité étudiante et laisser ses étudiants souffrir de faim. Nos étudiants sont notre avenir. Quelles que soient nos orientations politiques, il n’y a pas de désaccord à avoir sur ce point. Le Sénat a traité cette question avec sagesse : il apporte des limites raisonnables au dispositif, tout en actant le principe d’étendre la solidarité alimentaire envers tous les étudiants. Notre commission, puis notre assemblée, s’honorerait en suivant sa position, en adoptant conforme la proposition de loi, afin d’obtenir une entrée en application au plus vite – l’amender risquerait de renvoyer aux calendes grecques une aide aux étudiants en grande précarité dans les zones blanches.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera en faveur de la proposition de loi et vous encourage à soutenir nos étudiants en votant favorablement.

Mme Sophie Mette. Au nom du groupe Démocrate, je remercie mes collègues du groupe Les Républicains d’inscrire à l’ordre du jour du temps législatif qui leur est dédié un texte ambitieux visant à améliorer les conditions de vie de nos étudiants. La pandémie de la covid-19 nous a rappelé parfois cruellement l’importance de cette question. Nombre d’étudiants ont rencontré des difficultés du fait du confinement et de l’impossibilité de travailler, qui les a privés de revenus essentiels. Cette précarité financière a parfois été accentuée par la fermeture des restaurants universitaires. Il est urgent de poursuivre notre réflexion afin de garantir un nouvel accompagnement social à nos étudiants

L’examen de cette proposition de loi est l’occasion de rappeler les nombreux dispositifs que le Gouvernement a mis en place : repas à 1 euro pour les étudiants boursiers, puis pour l’ensemble des étudiants, instauration des food trucks, système de click and collect, paniers-repas. Le texte propose de créer un titre-restaurant ouvert à l’ensemble des étudiants. Il aurait vocation à être utilisé pour l’achat de tout ou partie d’un repas pris au restaurant ou acheté dans des organismes conventionnés. Une telle décision ne serait pas sans incidence, tant sur les finances publiques que pour sa mise application.

De nombreuses craintes se sont exprimées en commission quant à une possible concurrence avec le CROUS. Le Sénat a donc préféré cibler le dispositif sur les étudiants les plus éloignés des structures de restauration universitaire, présentant le ticket restaurant étudiant comme un complément permettant d’améliorer le maillage territorial de la restauration étudiante. Nous sommes conscients que celui-ci présente de véritables carences, mais le dispositif de la proposition de loi nous semble comporter certaines limites.

D’une part, la création d’un ticket restaurant ou son éventuelle généralisation pèserait lourdement sur les finances publiques. D’autre part, si les modifications apportées par le Sénat aboutissent à un dispositif ciblé, elles créent le risque que les étudiants ayant accès au CROUS et se voyant de facto exclus de l’offre de titres-restaurant, réclament à terme un élargissement de la mesure, pour davantage d’équité. Surtout, la création d’un tel dispositif viendrait fragiliser et concurrencer frontalement le réseau des CROUS, qui s’est illustré par sa capacité de mutabilité, pour adapter son soutien aux étudiants pendant la crise et mettre en œuvre les mesures gouvernementales, dans des délais particulièrement contraints.

Plutôt qu’un système présentant un risque pour les CROUS, nous proposons de nous attaquer aux inégalités d’accès au service public de la restauration universitaire. L’objectif, à terme, est de restaurer l’offre, afin d’offrir à tous les étudiants une couverture territoriale de restauration pilotée ou agréée par les CROUS. L’aide financière devra être destinée aux étudiants qui, dans leur territoire, n’ont pas accès à un service de restauration universitaire piloté ou agréé par les CROUS. C’est également une de nos propositions.

Les députés du groupe MODEM et démocrates apparentés lieront leur vote au déroulement de la discussion sur ces points.

Mme Josette Manin. La présente proposition de loi a pour objectif de permettre aux étudiants de réduire leurs dépenses alimentaires, de bénéficier d’une restauration à un tarif social et de créer un cercle vertueux avec les acteurs locaux de la restauration.

Pour ne pas déséquilibrer le fonctionnement des CROUS, la version initiale du texte a été modifiée au Sénat par un amendement tendant à cibler celles et ceux qui sont éloignés des structures de restauration universitaire, nonobstant leurs lieux d’études et formation. Si l’objectif de départ est louable, nous ne pouvons que nous interroger sur les effets secondaires d’un tel dispositif, étant entendu que nous partageons la position des organisations étudiantes, qui évoquent une fausse bonne idée.

Le premier point de désaccord réside dans la crainte que la mesure ne bénéficie qu’aux enseignes de restauration rapide et se transforme en soutien au secteur privé, plutôt qu’en aide aux étudiants. Cela risque d’accentuer les difficultés financières des CROUS et, à terme, d’affaiblir ce service public dont la mission de restauration représente 30 % du chiffre d’affaires. Alors que les restaurants universitaires mettent l’accent sur une alimentation mieux équilibrée, l’utilisation de ce ticket dans la restauration rapide privée risquerait d’en faire un vecteur de malbouffe et de renforcer une habitude de consommation guère des plus saines chez nos étudiants.

Par ailleurs, il est à craindre que la perte d’une partie des ressources des CROUS mette à mal des missions telles que le logement, les aides sociales et la culture. Quid des aspects de socialisation et de repérage des étudiants en difficulté ou en décrochage après presque deux ans de cours par visioconférence ? Il faut absolument éviter l’individualisme et le repli de nos étudiants sur la sphère privée. Aussi, restreindre le bénéfice du dispositif aux seuls étudiants éloignés des restaurants universitaires introduit une inégalité et un critère uniquement géographique, et non social.

Un deuxième point de désaccord se trouve dans le financement de la mesure. D’abord, la proposition de loi ne contient pas d’éléments budgétaires. Qui finance la mesure ? Quelles sont les conditions d’entrée ? Quel est le tarif du ticket ? Seul l’exposé des motifs évoque une valeur du ticket restaurant de 6,60 euros, avec une prise en charge de 3,30 euros par les étudiants – un coût encore élevé pour les plus précaires. Ensuite, une inconnue pèse sur la prise en charge du complément : sera-t-il versé par l’État ou les collectivités territoriales ? Le manque de clarté fait craindre un nouvel alourdissement des charges des collectivités. Enfin, le coût de la mesure est estimé à plus d’1 million d’euros alors que la dotation budgétaire annuelle des CROUS s’élève à seulement 367 millions pour 2021, hors les crédits supplémentaires du Plan de relance pour compenser la baisse à 1 euro du prix du ticket de « resto U ».

Le groupe Socialistes et apparentés est favorable à toute mesure permettant d’améliorer les conditions de vie et d’étude de nos étudiants, qui se sont fortement détériorées avec la pandémie. Toutefois, plutôt que d’investir dans le dispositif ici proposé, nous préférons les soutenir directement, à travers une aide financière qu’ils réclament tous.

Les difficultés de nos étudiants ne se limitent pas à l’alimentation. L’urgence commande qu’ils reçoivent une aide financière directe, notamment pour se loger et avoir un emploi. Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur le texte.

M. Benoit Potterie. La proposition de loi du sénateur Pierre‑Antoine Levi tendant à créer un ticket restaurant étudiant reprend une idée défendue par l’Union nationale interuniversitaire (UNI) depuis plusieurs années. Si elle a le mérite de soulever un vrai débat sur le maillage des CROUS, le dispositif qu’elle propose ne répond pas au problème de la majorité de nos étudiants.

Notre système de restauration universitaire compte 801 points de vente à tarif social, gérés par les CROUS. Le modèle, unique en Europe, est plébiscité par les étudiants puisque 80 % d’entre eux le recommandent. Les mesures exceptionnelles décidées pour venir en aide aux nombreux étudiants durement frappés par la crise sanitaire ont été mises en œuvre avec l’appui des CROUS. Ces derniers proposent aujourd’hui des repas à 1 euro pour les étudiants boursiers et les étudiants non boursiers en difficulté financière, et des repas à 3,30 euros pour les autres. De tels tarifs permettent d’assurer l’accès à une alimentation équilibrée, durable et à petit prix, dans un réseau de 220 communes.

Le ticket restaurant étudiant que promeut la proposition de loi comme solution de remplacement au modèle des restaurants universitaires risquerait d’affaiblir le réseau des CROUS. Déjeuner au CROUS, c’est avoir un accès à un repas complet, équilibré et durable. C’est aussi un facteur de lien social : 90 % des étudiants y déjeunent en groupe. Toutefois, la question du maillage de la restauration universitaire est légitime. Les CROUS ne sont pas répartis de manière homogène, et les zones blanches existent. Contrairement à une idée reçue, elles ne concernent pas que la ruralité.

Plutôt que de concurrencer les CROUS en instaurant des tickets restaurant pour l’ensemble des étudiants, nous devons renforcer la couverture globale du réseau et proposer des solutions aux étudiants dans les zones blanches. Un modèle pertinent serait un dispositif de bons d’achats alimentaires pour les étudiants de ces territoires. Un amendement en ce sens, présenté avec l’ensemble des groupes de la majorité, sera défendu par le groupe Agir ensemble, qui réservera son vote à l’adoption de celui-ci.

M. Grégory Labille. Tous ceux qui ont vu les images de ces jeunes que la crise sanitaire et les confinements à répétition avaient réduits à faire la queue devant les banques alimentaires ont reçu un électrochoc. Ces images doivent nous faire prendre conscience de l’importance des restaurants universitaires pour l’accession des étudiants à une nourriture de qualité à un prix raisonnable.

Si les CROUS ont accompli un travail remarquable pour améliorer l’accueil et la qualité des repas servis dans les restaurants universitaires, ils ont également su s’adapter à la demande des étudiants, qui n’ont pas tous les jours la possibilité de partager un long repas avec leurs camarades. Ainsi, prenant acte du fait que près d’un étudiant sur trois considère l’offre de restauration comme moyennement adaptée au regard du temps d’attente et que près d’un étudiant sur quatre juge les horaires d’ouverture inadaptés, les CROUS ont créé une offre de restauration diversifiée, plus rapide et flexible, si bien que la restauration rapide représente désormais plus de 45 % de l’offre proposée.

Je salue la décision de notre collègue rapporteur au Sénat de limiter l’objet de la proposition de loi aux lieux où il n’existe pas d’offre de restauration universitaire : les étudiants sont d’autant plus attachés aux « restos U » que les CROUS ont su s’adapter pour répondre à leurs attentes.

Madame la ministre, que j’ai écoutée avec attention lorsqu’elle s’est exprimée sur cette proposition de loi au Sénat, s’oppose au texte au motif qu’elle préfère développer, dans les zones blanches, une politique de conventionnement et d’agrément afin d’ouvrir aux étudiants l’accès aux cantines administratives, scolaires et hospitalières. Je ne saurais m’opposer à cette solution, qui leur permet de se restaurer dans des établissements respectant les mêmes exigences que les restaurants universitaires, mais elle ne remédie pas entièrement aux inégalités territoriales constatées. On peut, en effet, sans être étudiant dans une grande ville ou une grande université, avoir un emploi du temps serré. Si un certain nombre d’étudiants jugent déjà les horaires de leur restaurant universitaire inadaptés, je n’ose imaginer ce qu’il en est pour ceux qui doivent aller prendre leur repas dans la cantine bondée d’un collège situé à l’autre bout de la ville !

Alors que 65 % des étudiants sautent régulièrement un repas et que 12 % d’entre eux ne font pas de repas supplémentaire pour des raisons économiques, il est de notre devoir de ne pas laisser de jeunes dans cette impasse pour des raisons pratiques ou financières. Faute de pouvoir leur proposer une offre pratique et rapide, le ticket restaurant apparaît comme une solution efficace et, surtout, simple car, si des milliers d’étudiants rechargent quotidiennement leur compte Izly pour payer leur repas au « resto U », je ne vois pas ce qui nous empêcherait de créer un système optimal de ticket restaurant.

Le groupe UDI-I soutiendra donc la proposition de loi, qui contribuerait à l’amélioration de la qualité de vie et de l’autonomie de nos étudiants.

M. Michel Larive. La précarité étudiante a fait la Une des journaux ces derniers mois : dans notre pays, un étudiant sur cinq se situe sous le seuil de pauvreté. Près de la moitié des jeunes gens doivent désormais, quand cela leur est possible, travailler parallèlement à leurs études pour faire face à l’augmentation du coût du logement et de la vie. Cette précarité a été accentuée par la crise de la covid‑19 : face à l’augmentation des dépenses courantes, certains étudiants ont été dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires ; d’autres se sont retrouvés confinés dans des logements parfois insalubres.

La paupérisation des étudiants est le fruit des politiques publiques menées depuis plusieurs années. La refonte de l’enseignement supérieur et celle du marché du travail ont provoqué une montée des inégalités et de la pauvreté. Les gouvernements qui se sont succédé n’ont jamais alloué aux CROUS un budget corrélé à l’augmentation significative du nombre des étudiants. Qui plus est, sous le quinquennat actuel, les aides personnalisées au logement (APL) ont été constamment revues à la baisse. Face à cette situation, l’État doit tout mettre en œuvre pour lutter contre la paupérisation de notre jeunesse.

Le texte que nous examinons a le mérite de mettre en lumière le manque de services de restauration dans les établissements d’enseignement supérieur. Avec 750 implantations dans 221 villes, les restaurants et cafétérias gérés par les CROUS ne sont pas répartis de manière homogène sur le territoire. Le sénateur Pierre‑Antoine Levi, auteur de la proposition de loi, estime ainsi que 600 000 étudiants sans « resto U » ont été particulièrement lésés pendant la crise sanitaire, car ils n’ont pas pu bénéficier du dispositif des repas à 1 euro.

Cela dit, je ne pense pas qu’un ticket restaurant étudiant soit la solution aux situations de précarité que je viens de décrire. Un tel dispositif aurait pour conséquence l’annihilation des CROUS et leur mise en concurrence avec les entreprises privées. L’exposé des motifs l’assume d’ailleurs sans ambages : « Les restaurants universitaires connaissent une baisse de fréquentation due au changement des habitudes des étudiants préférant une restauration rapide dans le public ou le privé. »

Le montant du ticket – 6,60 euros – ne permettant en aucun cas aux restaurateurs de proposer des repas complets et équilibrés, les étudiants n’auront d’autre solution pour se nourrir que de se rendre dans les fast-foods. Or conforter ainsi les enseignes dites de la malbouffe aurait des conséquences dramatiques sur la santé des étudiants et un impact désastreux sur l’environnement, et serait en contradiction directe avec les poncifs délivrés par le Président de la République et sa majorité.

Pour ces différentes raisons, nous ne sommes pas favorables au dispositif proposé, pas plus que l’ensemble des syndicats étudiants d’ailleurs. Si les services de restauration publics sont insuffisants ou défaillants, il est préférable d’en construire de nouveaux ou de les réformer. Plutôt qu’un dispositif infantilisant, mieux vaut proposer à la jeunesse une véritable allocation lui permettant d’avoir les moyens effectifs de son autonomie.

Nous avions déposé deux amendements en ce sens, tous deux jugés irrecevables. Le premier avait pour objet d’expérimenter l’allocation du revenu de solidarité active (RSA) aux moins de 25 ans, sachant que, selon un sondage OpinionWay publié le 15 février 2021 et réalisé pour Les Échos et Radio Classique, 68 % des personnes interrogées sont favorables à l’extension du RSA aux jeunes à partir de 18 ans, dont 79 % des jeunes et 73 % des électeurs d’Emmanuel Macron ! Le second visait à étudier la possibilité de verser une allocation autonomie équivalente à 1 063 euros par mois à chaque jeune détaché du foyer fiscal de ses parents. Le même sondage met en lumière que, selon deux tiers des personnes interrogées, le Gouvernement « ne prend pas suffisamment en compte la situation des jeunes qui ont 20 ans aujourd’hui ». Hélas ! nous ne pourrons pas débattre de ces propositions.

M. Philippe Bolo. Voter une loi est une chose, s’assurer de son application en est une autre. Alors que nous avons adopté le dispositif du repas à 1 euro pour tous les étudiants boursiers, dispositif qui a été reconduit à la rentrée, je constate qu’il est inopérant pour ceux d’entre eux, nombreux, qui n’ont pas accès à un CROUS.

À l’heure où nous débattons d’un texte visant à offrir aux étudiants un repas équilibré et accessible, dont je partage l’objectif, n’oublions pas qu’il serait souhaitable de généraliser l’accès au repas à 1 euro à tous les étudiants boursiers qui en sont actuellement privés, en généralisant les conventionnements entre les restaurations publiques collectives et les CROUS, ce qui peut être réalisé très simplement en supprimant l’obligation de réunion des instances délibératives et en appliquant des conventions types.

Mme Anne-Laure Blin, rapporteure. La proposition de loi a un objectif éminemment pratique. En tant que parlementaires, citoyens, parents, nous avons tous été touchés de voir, au cours de la crise, des étudiants attendre, durant des heures, des aides alimentaires devant les locaux de banques alimentaires, d’associations ou d’épiceries sociales. Le dispositif proposé, même s’il est examiné dans le cadre de la niche parlementaire d’un groupe d’opposition, n’a pas de caractère politique ; il a vocation à s’appliquer rapidement, de la manière la plus opérationnelle possible, pour remédier aux problèmes que nous connaissons tous.

Lors de son audition de rentrée, la ministre n’a pas répondu à toutes mes questions, mais je sais, pour l’avoir interrogé, que le ministère sait parfaitement que l’application sur le territoire de l’offre de restauration étudiante se caractérise par des inégalités. N’étant pas tous élus de grandes métropoles, nous savons que, dans les villes moyennes, les étudiants n’ont pas accès à un CROUS. L’enjeu du texte est de combler cette lacune.

Nous pourrions avoir un grand débat idéologique sur les conditions de vie des étudiants, dont j’ai bien conscience qu’elles ne se limitent pas à la question de la restauration. Mais si nous pouvions au moins donner des clés pour résoudre le problème qui se pose dans ce domaine, nous ferions grandement avancer les choses. Notre mission n’est-elle pas d’améliorer le quotidien de nos concitoyens ? Nous n’avons pas toujours la possibilité de le faire. En l’espèce, nous pouvons adopter un dispositif opérationnel.

Madame Colboc, vous préconisez, comme la ministre et d’autres, le conventionnement. Je n’ai pas encore eu le temps d’analyser en détail la liste, que j’avais réclamée lors des auditions, des 190 établissements conventionnés. Toutefois, il apparaît qu’ils ne couvrent pas l’ensemble des académies. Certes, la ministre a souhaité augmenter leur nombre et donné pour consigne d’accélérer les choses, mais à peine dix conventions supplémentaires ont été signées en six mois, et elles ne sont pas encore effectives… Ainsi, à ce jour, il n’existe aucun conventionnement dans les académies des Antilles et de la Guyane, de Corse, de La Réunion, de Paris, de Nice-Toulon et de Poitiers-La Rochelle.

En outre, les étudiants doivent parfois effectuer un trajet d’une heure trente pour se rendre au restaurant conventionné susceptible de les accueillir, alors que ceux que j’ai interrogés m’ont indiqué que la durée de ce trajet aller-retour ne devait pas excéder vingt minutes, une demi-heure grand maximum ! Certains craignent que les CROUS ne pâtissent de la concurrence des établissements privés, mais leur principale concurrente, c’est la restauration à domicile. On peut toujours invoquer de nouveaux concepts, mais force est de constater qu’ils ne fonctionnent pas.

Quand bien même les 190 établissements conventionnés seraient fonctionnels pour le déjeuner, la plupart sont fermés le soir et le week-end, contrairement aux restaurants et cafétérias universitaires des grandes agglomérations. Qui plus est, sont exclus, de fait, de la liste de ces établissements l’ensemble des lycées, que je n’ai pas dénombrés précisément, qui accueillent des étudiants de BTS ou des classes préparatoires aux grandes écoles. Or, posez la question à ces étudiants, un repas à la cantine d’un lycée, privé ou public, coûte environ 7 euros !

Madame Mette, on ne peut certes pas mener une politique de restauration étudiante ambitieuse sans recourir aux deniers publics. Toutefois, l’État verse actuellement environ 3,30 euros pour chaque étudiant français. Or le fait est que cet argent public n’est pas entièrement utilisé puisque tous ne peuvent pas aller au restaurant universitaire.

Madame Manin, si nous proposons une mesure identique pour tous les étudiants concernés, quel que soit leur statut, boursier ou non-boursier, c’est pour la simple et bonne raison que la restauration universitaire est le seul domaine qui demeure universel : que vous soyez boursier ou non, vous avez droit au tarif social. Le dispositif du repas à 1 euro a été réservé dans un premier temps aux seuls boursiers, puis il a été étendu aux non-boursiers avant d’être à nouveau limité, cette fois aux boursiers et aux non-boursiers précaires. En tout état de cause, ceux des étudiants boursiers qui se trouvent dans une zone géographique non couverte par un CROUS ne peuvent pas en bénéficier ! On peut mener sciemment une telle politique ; ce n’est pas mon choix : le dispositif que nous proposons leur permettrait de bénéficier du tarif social à 1 euro. De fait, les CROUS nous ont indiqué qu’ils avaient la possibilité technique, grâce à la carte Izly – ils l’ont fait pendant la crise –, d’appliquer un tarif différent selon que l’étudiant est boursier ou non. Il suffirait donc de fournir aux étudiants des zones blanches une carte rechargeable conçue sur le même modèle que la carte Izly.

Monsieur Larive, nous pourrions avoir un grand débat sur les conditions de la vie étudiante. Mais vous ne pouvez pas affirmer qu’on ne peut pas se restaurer avec 6,60 euros. À preuve, lorsque le Gouvernement a baissé de 5 euros les aides personnalisées au logement (APL) des étudiants – j’étais, moi aussi, opposée à cette mesure –, M. Mélenchon est arrivé dans l’hémicycle avec un panier de courses qu’il avait rempli en dépensant 5 euros. Encore une fois, le principal concurrent des CROUS, c’est la restauration à domicile. Les étudiants qui n’ont pas les moyens – et je sais que, pour certains, un repas à 3,30 euros, c’est beaucoup – pourraient se restaurer chez eux.

En conclusion, je le répète, le dispositif proposé n’est pas polémique ; il est très pragmatique.


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II.   Examen des articles

Article 1er : Création d’un titre-restaurant étudiant

Amendements identiques AC1 de Mme Fabienne Colboc, AC5 de Mme Sophie Mette et AC10 de M. Benoit Potterie.

Mme Fabienne Colboc. L’existence de zones blanches dans lesquelles les étudiants n’ont pas accès à une offre de restauration universitaire à tarif modéré crée une situation d’inégalité d’accès au service public de la restauration universitaire. Qui plus est, dans ces territoires sous-dotés, ceux qui y ont droit ne peuvent, de fait, bénéficier du repas de « resto U » à 1 euro proposé depuis la crise sanitaire.

Nous proposons d’améliorer l’écriture de l’article 1er adoptée au Sénat sur trois points. Il s’agit, tout d’abord, d’inscrire dans le code de l’éducation que les étudiants peuvent bénéficier d’une offre de restauration à tarif modéré. Il s’agit ensuite de rappeler les deux types d’offres de restauration proposées aux étudiants : en priorité, les restaurants universitaires gérés par le réseau des œuvres universitaires et scolaires, mais aussi des organismes conventionnés par le réseau. L’amendement prévoit enfin que, dans les zones blanches, les étudiants peuvent bénéficier d’une aide financière pour consommer un repas ou l’acheter auprès d’un organisme ayant conventionné avec un établissement d’enseignement supérieur, une collectivité territoriale ou le réseau des œuvres universitaires.

Ce dispositif, qui a reçu le soutien du Gouvernement, permettrait que des initiatives locales soient prises par les CROUS et les collectivités pour aider les étudiants en zone blanche. En ne se limitant pas à un seul outil, il offre plus de souplesse et permet de s’appuyer sur les outils déjà déployés par certaines universités au lieu de proposer une solution unique et compliquée à mettre en place. Je me réjouis que l’amendement soit soutenu par nos collègues du MODEM et d’Agir ensemble.

Mme Sophie Mette. Nous proposons également de réécrire l’article 1er de la proposition de loi afin d’offrir à tous les étudiants une couverture territoriale de restauration pilotée ou agréée par les CROUS. Pourront ainsi passer des conventions avec les CROUS les lycées ou, le cas échéant, les collèges, les centres de ressources, d’expertise et de performance sportive (CREPS) ainsi que les établissements sanitaires et médico-sociaux.

Il est par ailleurs prévu qu’une aide financière soit proposée aux étudiants qui n’ont pas accès à un service de restauration universitaire piloté ou agréé par les CROUS. Les modalités d’attribution de cette aide seront définies par un décret en Conseil d’État ; celle-ci pourrait prendre la forme de bons d’achat alimentaires ou de titres-restaurants, par exemple.

Mme Anne-Laure Blin, rapporteure. J’avoue être un peu étonnée par ces amendements.

La première modification proposée consiste à reprendre une disposition réglementaire du code de l’éducation. Autrement dit, ce que vous proposez – pour éviter une adoption conforme – est faisable à droit constant. Du reste, 190 organismes ne sont-ils pas d’ores et déjà agréés par les CROUS ?

La seconde modification est plus étonnante encore. Alors que certains s’opposent au ticket restaurant étudiant au motif qu’il profiterait à la restauration privée, favoriserait la malbouffe et échapperait à tout contrôle, vous proposez de lui substituer un dispositif flou, qui consiste en la distribution de coupons alimentaires ou de titres-restaurants par le biais d’une aide alimentaire… Pourtant, la mesure que nous proposons est non seulement simple à mettre en œuvre mais aurait, en outre, l’avantage d’être cofinancée par l’étudiant à hauteur du montant qu’il acquitte aujourd’hui dans les CROUS. J’ajoute qu’il ressort de nos auditions que l’aide alimentaire n’est pas toujours sollicitée par les étudiants, qui la jugent stigmatisante et qui, pendant le confinement, n’ont pas tous osé réclamer les coupons auxquels ils avaient droit.

Le dispositif que vous proposez est donc moins opérationnel que le nôtre ; il ne permet pas de cibler la restauration étudiante et il est stigmatisant. Comment pourrait-il, dès lors, remédier aux difficultés actuelles ? Je suis donc, vous l’aurez compris, totalement défavorable à ces amendements dont l’adoption mettrait à bas le travail préparatoire du Sénat et enverrait ce texte aux oubliettes car, vous le savez, nous arrivons au terme de la législature et nous n’aurons pas la possibilité de discuter d’un tel texte.

On peut se faire plaisir en adoptant un dispositif dont on sait qu’il ne sera pas applicable. Après tout, peu importe : il est vrai que les étudiants ne rencontrent aucune difficulté... Circulez, il n’y a rien à voir !

M. Julien Ravier. Je soutiens notre rapporteure, car nous assistons là à un jeu de postures politiques ; je le regrette. On peut très bien faire coexister le système de conventionnement, dont on voit clairement les limites, et le dispositif du ticket restaurant, qui a été étudié, adopté par le Sénat, et qui présente une certaine solidité législative.

Il existe, en matière de restauration universitaire, des inégalités territoriales, et ce sont les étudiants en situation de précarité qui en pâtissent le plus.

Le dispositif que vous proposez ne permet pas de corriger les inégalités entre les étudiants précaires. L’adoption des amendements revient à rejeter la proposition de loi dont l’application directe apporterait pourtant une réponse immédiate aux étudiants dans les zones blanches.

Je regrette votre choix, dans lequel je ne vois qu’une posture politique. Nous aurions pourtant pu nous entendre sur un dispositif pleinement opérationnel. Vous ne répondez pas à la souffrance des étudiants.

Mme Fabienne Colboc. Il n’y a, de notre part, aucune posture politique. La portée de votre proposition de loi est trop limitée. Notre amendement propose une palette d’outils : en premier lieu – c’est une priorité –, le conventionnement avec des établissements publics ou privés, dont le maillage territorial mérite d’être amélioré, qui garantit un repas de qualité à tarif modéré ; en second lieu, dans les zones blanches, une aide financière qui est déjà proposée – les étudiants en difficulté peuvent la solliciter auprès des CROUS. Des bons d’achat ou des cartes ont été distribués pendant la crise sanitaire.

Face à une pluralité de difficultés dans une multitude de territoires, le ticket restaurant ne peut constituer la seule réponse.

Mme Anne-Laure Blin, rapporteure. Depuis le début des auditions, j’ai compris que le Gouvernement m’opposerait l’argument du conventionnement.

Quant à l’aide financière, avez-vous entendu la ministre y faire référence en réponse à un membre de la majorité qui l’interrogeait sur l’extension du repas à 1 euro aux étudiants non boursiers ? Elle ne l’a pas mentionnée. Comment un amendement parlementaire pourrait‑il instaurer une telle aide ? Vous savez parfaitement que cela suppose des crédits et une volonté gouvernementale.

Étonnamment, ces amendements ont passé le cap de la recevabilité alors qu’ils créent une charge publique. Vous le savez, les parlementaires ne peuvent instituer une nouvelle dépense sans la compenser, raison pour laquelle la proposition de loi est gagée. Sans un engagement de la ministre, du Premier ministre voire du Président de la République, l’aide financière que vous envisagez est vouée à rester un vœu pieux ; elle ne sera jamais concrétisée.

Notre responsabilité de parlementaires, élus devant les Français, est d’adopter un dispositif qui pourra s’appliquer dans nos territoires. Votons le texte issu du travail des sénateurs ! Nous avons le pouvoir d’apporter des solutions concrètes aux problèmes. Vous l’avouez à demi-mot mais vous refusez de l’assumer.

L’opposition peut aussi avoir de bonnes idées. C’est toute la beauté du travail parlementaire que d’être capable de partager un diagnostic et des propositions communes.

M. le président Bruno Studer. La ministre fera part de sa position en séance publique lors de la discussion des amendements.

La commission adopte les amendements puis l’article 1er ainsi modifié.

Après l’article 1er

Amendement AC2 de Mme Fabienne Colboc

Mme Fabienne Colboc. Afin d’évaluer les progrès en matière de conventionnement et de maillage du territoire, l’amendement vise à demander au Gouvernement un bilan de l’accès des étudiants à une offre de restauration à tarif modéré. L’accès à un repas de qualité à tarif modéré doit être notre priorité.

Mme Anne-Laure Blin, rapporteure. Dès lors que la proposition de loi a été dénaturée, l’ajout d’un article me semble sans intérêt. En outre, l’opposition est bien placée pour connaître la position de la majorité sur les rapports. Chaque fois qu’elle formule une demande en ce sens, vous lui rétorquez que les parlementaires disposent des pouvoirs de contrôle nécessaires pour obtenir les informations qu’ils recherchent.

Si j’étais ministre, j’aurais dit « sagesse » mais, en tant que rapporteure, je ne peux qu’être défavorable à l’amendement : quelle cohérence y aurait-il à adopter aujourd’hui un amendement que la majorité rejette le plus souvent ?

M. Julien Ravier. J’aimerais croire à votre bonne foi et à votre envie de répondre aux situations dramatiques des étudiants précaires dans les zones blanches. Mais, alors qu’un vote conforme de la proposition de loi adoptée par le Sénat permettrait l’application d’un dispositif qui constitue une partie de la solution pour les zones blanches, vous défendez des amendements. Je vous renvoie à vos responsabilités : abandonnez votre posture politique ou vous aurez à l’assumer devant les étudiants.

Quant à l’amendement demandant un rapport, nous y sommes défavorables.

La commission adopte l’amendement.

Article 3 : Gage de recevabilité financière

La commission adopte l’article 3 non modifié.

La commission adopte ensuite l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

 

En conséquence, la commission de Affaires culturelles et de l’Éducation demande à l’Assemblée nationale d’adapter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

– Texte adopté par la commission :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4494_texte-adopte-commission#

– Texte comparatif :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-cedu/l15b4494-compa_texte-comparatif.pdf

 


—  1  —

   Annexe 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

 

 

     Table ronde :

– Conférence des présidents d’Université (CPU) – M. Alain Bui, président de la commission vie étudiante et de campus de la CPU, président de l’université de Versailles Saint-Quentin

– Conférence des grandes écoles (CGE)  M. Stéphane Fontaine, directeur du campus Arts et Métiers de Metz, et Mme Océane Rousseau, responsable du pôle affaires publiques, partenariats entreprises et formation

– Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (Cedefi) – Mme Dominique Baillargeat, directrice générale de 3iL Ingénieurs et Vice-présidente de la commission formation et société

– Fédération des établissements supérieurs d’intérêt collectif (FESIC)  M. Philippe Choquet, président, et M. Germain Comerre, chargé de relations institutionnelles

– Conférence des directeurs des Écoles françaises de management (CDEFM) – M. Christophe Germain, vice-président

 

     Audition commune :

– CNOUS  Mme Dominique Marchand, présidente du Cnous, et M. Clément Cadoret, directeur des projets

– CROUS M. Jean-Pierre Ferre, président de l’association des DG de Crous, directeur général

 

     Table ronde :

– Edenred  Mme Nathalie Renaudin, directrice des relations institutionnelles du groupe, M. Cédric Leloup, directeur national des ventes secteur public, et Mme Laurene Ferran, consultante du cabinet Rivington

– Commission nationale des titres-restaurant M. Vincent Gallego, secrétaire général

– Syndicat national de la restauration collective  M. Philippe Pont-Nourat, président

– Ministère de l’enseignement supérieur (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle – DGESIP) – Mme Isabelle Prat, cheffe du service de la stratégie des formations et de la vie étudiante et Mme Laurence Lefèvre, sous-directrice à la réussite et à la vie étudiante

 

 

     Table ronde des organisations étudiantes :

 Fédération des associations générales étudiantes (FAGE)  Mme Anniela Lamnaouar, vice-présidente en charge des affaires sociales

 Union nationale inter-universitaire (UNI) – M. Rémy Perrad et M. Jacques Smith, délégués nationaux

 Union nationale des étudiants de France (UNEF)  Mme Mélanie Luce, présidente, et Mme Imane Ouelhadj, vice-présidente

 L’Alternative – Union syndicale et associative  M. Naïm Shili, secrétaire national

 


—  1  —

   Annexe 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1

Code de l’éducation

L. 822-1-1 (nouveau)

 


([1]) Audition du 21 septembre 2019

([2]) « Les Français et la jeunesse Post-Covid » Étude Elabe pour le Cercle des économistes

([3]) Rapport d’information n° 742 (2020-2021) « Accompagnement des étudiants : une priorité et un enjeu d’avenir pour L’État et les collectivités » de M. Laurent Lafon, fait au nom de la mission d’information Conditions de la vie étudiante, 6 juillet 2021

([4]) La lutte contre la précarité alimentaire – Évolution du soutien public à une politique sociale, agricole et de santé publique - 2019-069R - Décembre 2019

([5]) Tous les étudiants pouvaient bénéficier de deux repas par jour au tarif de 1 euro, exclusivement en vente à emporter dans leur restaurant universitaire.

([6]) Source : CNOUS / DGESIP.

([7]) État des lieux des consommations alimentaires et apports nutritionnels dans la restauration hors foyer en France, à partir des données de l’étude INCA3 (2014-2015)- ANSES – Février 2021

([8]) Repères sur la santé des étudiants, 2018

([9]) La proposition de loi déposée au Sénat le 3 mars 2021 (n°422) est identique à la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 9 février 2021 (n°3850) par le rapporteur

([10]) Audition de la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du ministère de l’enseignement supérieur.

([11]) Audition de représentants de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF).

([12]) À la rentrée 2019

([13]) Audition de représentants de l’Union nationale inter-universitaire (UNI)

([14]) Idem

([15]) Source : site internet de l’entreprise Edenred, émettrice de la marque déposée « Ticket restaurant », étude de 2014

([16]) Audition sous forme de table-ronde des représentants de la commission nationale des titres-restaurants, du syndicat national de la restauration collective et d’Edenred.

([17]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11225381_61536446bb4fb.commission-des-affaires-culturelles--ticket-restaurant-etudiant-28-septembre-2021