N° 4524

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2021.

RAPPORT

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2022 (n° 4482),

 

PAR M. Laurent SAINT-MARTIN,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 28
 

 

JUSTICE

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Patrick HETZEL

 

Député

____


 


SOMMAIRE

___

Pages

Principales analyses du rapporteur spÉcial

DONNÉES CLÉS

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE : LA MISSION JUSTICE

I. Le programme 166 Justice judiciaire

A. LEs moyens des juridictions judiciaires en hausse de 3 %

1. Des créations d’emplois limitées en 2022

2. L’évolution des crédits portée par la dynamique des frais de justice

a. Les frais de justice

b. Les investissements immobiliers

c. Les frais de fonctionnement

B. Des dÉlais de jugement encore extrÊmement ÉlevÉs pour la justice civile

1. Des améliorations pour la justice pénale

2. L’engorgement des juridictions civiles

3. La simplification des procédures civiles et pénales

4. La lente transformation numérique de la justice

II. Le programme 107 Administration pÉnitentiaire

A. Une augmentation du budget dans un contexte de dÉcalage du plan « prisons »

1. Les dépenses de personnel portées par un schéma d’emplois de 599 ETP

2. La hausse des crédits dédiés aux investissements immobiliers et à la sécurité des établissements pénitentiaires

a. Une accélération tardive des investissements immobiliers

b. Le renforcement de la sécurité dans les établissements pénitentiaires

B. une remontÉe rapide de la population carcÉrale qui prÉfigure une dÉgradation des conditions de dÉtention

III. Le Programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse

A. Une augmentation des crÉdits de 4 % en 2022

1. Un schéma d’emplois de 51 ETP en légère progression

2. Le plan de construction de cinq centres éducatifs fermés d’ici 2021 ne sera pas tenu

B. les dÉlais de prise en charge s’amÉliorent

IV. Le Programme 101 AccÈs au droit et à la justice

A. Une augmentation gÉNÉrale des budgets du programme 101

1. Une nouvelle hausse des crédits de l’aide juridictionnelle

2. La progression des dépenses de l’accès au droit et de l’aide aux victimes

B. Les rÉsultats contrastÉs des indicateurs de performance relatifs À l’aide juridictionnelle

1. L’amélioration du délai de traitement des demandes

2. La baisse continue du taux de mise en recouvrement des frais avancés par l’État

3. La lente mise en place du système d’information pour l’aide juridictionnelle

V. Le Programme 310 Conduite et pilotage de la politique de  la justice

A. La poursuite du plan de transformation numÉrique du ministre de la justice

1. Un renforcement des effectifs du secrétariat général

2. La priorité donnée aux investissements informatiques

3. Le budget de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice

4. Le budget de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels

B. MalgrÉ l’augmentation des crÉdits, les outils de suivi et de pilotage demeurent insuffisants

1. Le déploiement progressif des grands projets numériques du ministère

2. Des résultats contrastés

3. La nécessité de renforcer le pilotage de la transformation numérique

SECONDE PARTIE : ARTICLE 44 –  REVALORISATION DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE

I. L’État du droit

1. L’aide juridictionnelle permet la prise en charge par l’État des frais liés à un procès

2. Les critères d’éligibilité de l’aide juridictionnelle ont été modifiés en 2020

3. La rétribution des avocats dépend d’une unité de valeur de référence déterminée par la loi, qui a été revalorisée en 2021

II. Le dispositif proposÉ

III. La position de la commission

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES  PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 68 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances.

 

 


— 1 —

   Principales analyses du rapporteur spÉcial

Le projet de loi de finances pour 2022 porte les crédits de la mission Justice à 12,77 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 10,74 milliards d’euros en crédits de paiement. Le budget de la justice augmentera de 697 millions d’euros (+ 6 %) en AE et de 683 millions d’euros (+ 7 %) en CP par rapport à la loi de finances pour 2021.

Le projet de budget est conforme à la loi de programmation de réforme pour la justice, pour sa dernière année de mise en œuvre. Hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions, les crédits prévus pour 2022 sont de 8,86 milliards d’euros, contre une prévision de 8,3 milliards d’euros. Ils augmentent de 658,8 millions d’euros (+ 8 %) par rapport à 2021.

Le schéma d’emplois de la mission prévoit de créer 720 postes supplémentaires en 2022. Cette évolution est inférieure à la prévision de la loi de programmation et de réforme pour la justice, qui prévoyait 1 220 créations nettes d’emplois. Toutefois, 500 agents supplémentaires ont été recrutés par anticipation en 2021. Si le taux de vacance chez les magistrats s’est réduit (0,58 %), il demeure encore élevé pour les personnels de greffe (6 %) ainsi que pour les surveillants pénitentiaires (4,19 %) et les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation (9 %).

Au-delà des effets d’annonce – oui, la loi de programmation et de réforme pour la justice est respectée et personne ne le nie –, la réalité est un peu plus nuancée. Il y a un décalage croissant entre le discours du Gouvernement et le quotidien des agents du ministère et des justiciables.

L’augmentation du budget prévue en 2022 ne permettra pas à la France de combler son retard sur les autres pays européens. Le dernier rapport d’évaluation de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice montre que la France a dépensé, en 2018, 69,50 euros par habitant pour la justice judiciaire (tribunaux, ministère public, aide juridictionnelle), soit un niveau inférieur à la moyenne des quarantesept États membres de l’organisation (71,50 euros).

Par ailleurs, tout n’est pas qu’une question de moyens budgétaires. La hausse des crédits doit aussi se traduire par des améliorations concrètes pour les personnels du ministère et pour les justiciables. En pratique, la gestion des politiques publiques de la justice reste encore largement perfectible. Il est impératif que la Chancellerie poursuive ses efforts non seulement pour exécuter le budget voté par le Parlement mais aussi et surtout pour renforcer son pilotage des grands projets immobiliers et informatiques en cours.

En ce qui concerne le budget de la justice judiciaire, le manque de maîtrise des frais de justice perdure. En 2022, ils connaîtront une nouvelle hausse de 5 %, pour atteindre 648 millions d’euros, soit 150 millions d’euros de plus qu’en 2017. De surcroît, l’exécution des frais de justice est systématiquement supérieure à la prévision. Le nouveau plan d’actions annoncé par le Gouvernement doit se traduire par des résultats concrets.

Si les délais de jugement tendent à s’améliorer en ce qui concerne les juridictions pénales, ils demeurent encore à des niveaux préoccupants pour la justice civile, avec plus de 1,1 million d’affaires en instance devant les juridictions civiles. En outre, l’amélioration des performances, aussi réelle soit-elle, demeure fragile, dans la mesure où elle n’est pas réalisée avec des recrutements pérennes, mais avec des renforts largement composés d’agents contractuels à durée limitée.

Les retards pris dans l’avancement des grands projets immobiliers du ministère, sur lesquels le rapporteur spécial alerte depuis plusieurs exercices, sont désormais une réalité. Pour l’administration pénitentiaire, le Gouvernement a officiellement annoncé le décalage des livraisons des 15 000 nouvelles place de prison, ce qui va contribuer à la dégradation des conditions de détention, dans un contexte de remontée rapide de la population carcérale. En outre, pour la protection judiciaire de la jeunesse, il est désormais acquis que les cinq centres éducatifs fermés annoncés pour 2022 ne seront pas construits à temps.

S’agissant du plan de transformation numérique du ministère de la justice, les investissements programmés pour 2022 sont en forte hausse par rapport à 2021 (191 millions d’euros en crédits de paiement). Le déploiement des applicatifs en cours de développement se poursuit et tend – enfin – à s’accélérer. Toutefois, le ministère de la justice manque encore d’outils de suivi et de pilotage pour optimiser la dépense et l’avancement réel des projets.

En ce qui concerne l’accès au droit et à la justice, les crédits de l’aide juridictionnelle bénéficient d’une augmentation de 95 millions d’euros, soit une hausse de 16 % par rapport à 2021, qui résulte principalement d’une nouvelle hausse de l’unité de valeur servant de base au calcul de la rétribution des avocats, prévue à l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022. Le rapporteur spécial ne peut qu’approuver cette augmentation, qu’il avait proposée lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. Toutefois, des efforts restent à entreprendre pour améliorer le recouvrement des frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle.


— 1 —

   DONNÉES CLÉS

 

Évolution des crÉdits de paiement par rapport À la trajectoire
dÉfinie dans la loi de programmation 2018-2022

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 

Évolution des frais de justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les données transmises par la direction des services judiciaires.

 


 

 

Évolution de la population carcÉrale

Source : commission des finances d’après les réponses au questionnaire budgétaire prévu à l’article 49 de la LOLF.

 

crÉdits affectÉs au plan de transformation numÉrique
en loi de finances initiale

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 

 


— 1 —

   INTRODUCTION

Le présent rapport spécial analyse les crédits de la mission Justice prévus dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022.

La mission Justice comprend l’ensemble des moyens humains, matériels et financiers dont dispose le ministère de la justice. Elle finance trois programmes « métiers » qui concourent à l’organisation et au fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire (programme 166), de l’administration pénitentiaire (programme 107) ainsi que des services de la protection judiciaire de la jeunesse (programme 182).

Le programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice rassemble les moyens de l’état-major, des directions législatives et des services d’intérêt commun du ministère. Le programme 101 finance la politique de soutien à l’accès au droit et à la justice. Enfin, le programme 335 vise à garantir l’autonomie budgétaire du Conseil supérieur de la magistrature. Près de 80 % des crédits de paiement sont concentrés sur l’administration pénitentiaire et la justice judiciaire.

RÉpartition des crÉdits de paiements de la mission Justice en 2021

Source : commission des finances d’après le projet de loi de finances pour 2021.

Le périmètre de la mission Justice ne comprend pas les juridictions administratives, dont les crédits sont inscrits au programme 165 de la mission Conseil et contrôle de l’État.

Le présent rapport spécial contient également le commentaire de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022, article rattaché à la mission Justice, qui prévoit une revalorisation de la rétribution des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention d’un avocat dans les procédures pénales non juridictionnelles.


—  1  —

   PREMIÈRE PARTIE : LA MISSION JUSTICE

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit de porter les crédits de la mission Justice à 12,77 milliards d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 10,74 milliards d’euros en crédits de paiement. Le budget de la justice augmentera ainsi de 697 millions d’euros (+ 6 %) en AE et de 683 millions d’euros (+ 7 %) en CP par rapport à la loi de finances pour 2021.

Évolution des crÉdits de la mission Justice

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Programme 166 – Justice judiciaire

3 798,3

3 920,8

+ 3 %

3 720,8

3 849,1

+ 3,4 %

Programme 107 – Administration pénitentiaire

6 267,1

6 544,7

+ 4,4 %

4 267,6

4 584,0

+ 7,4 %

Programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse

955,8

992,3

+ 4 %

944,5

984,8

+ 4 %

Programme 101 – Accès au droit et à la justice

585,2

680,0

+ 16 %

585,2

680,0

+ 16 %

Programme 310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

463,3

619,0

+ 34 %

534,8

638,2

+ 19 %

Programme 335 – Conseil supérieur de la magistrature

4,4

13,8

+ 212 %

5,3

5,3

– 0,1 %

Total

12 074,1

12 770,7

+ 6 %

10 058,2

10 741,4

+ 7 %

Source : commission des finances d’après le projet de loi de finances pour 2022.

L’évolution des crédits s’inscrit dans la continuité de la hausse régulière et ininterrompue des moyens de la justice depuis plusieurs exercices. Ainsi, depuis 2014, le montant des CP de la mission a augmenté de 38 %.

Évolution des crÉdits de paiement de la missioN

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 L’évolution des crédits de la mission Justice permet uniquement de rattraper les retards pris en début de législature.

Le projet de budget de la justice pour 2022 est conforme à la loi de programmation de réforme pour la justice ([1]), pour sa dernière année de mise en œuvre. Hors contribution au compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions, les crédits prévus pour 2022 sont de 8,86 milliards d’euros, contre une prévision de 8,3 milliards d’euros. Ils augmentent de 658,8 millions d’euros (+ 8 %) par rapport à la loi de finances pour 2021.

On ne peut évidemment que se réjouir que la programmation votée par le Parlement et inscrite dans la loi soit respectée. La trajectoire n’avait pas été respectée entre 2018 et 2020, ni en loi de finances, ni en exécution (– 139 millions d’euros en exécution 2018, – 112 millions d’euros en exécution 2019 et – 313 millions d’euros en exécution 2020). Le dépassement de l’objectif fixé constitue donc un rattrapage – bienvenu – des retards pris sur les exercices précédents.

Évolution des crÉdits de paiement par rapport À la trajectoire
dÉfinie dans la loi de programmation 2018-2022

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 Hors CAS Pensions, les dépenses de personnel s’élèvent à 4,25 milliards d’euros et progressent de 155 millions d’euros en 2022 soit une hausse de 3,8 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

Une enveloppe de 49 millions d’euros permettra de financer des mesures catégorielles, notamment des mesures indemnitaires au profit des personnels de l’administration pénitentiaire et des revalorisations visant à renforcer l’attractivité des postes de chef de juridiction. Les agents du ministère de la justice bénéficieront aussi du renforcement de la protection sociale complémentaire dans la fonction publique ([2]) à hauteur de 16 millions d’euros.

 Une évolution des emplois en retrait par rapport à la programmation du fait des recrutements anticipés en 2021.

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit la création de 720 postes supplémentaires au ministère de la justice en 2022. Cette évolution est inférieure à la prévision de la loi de programmation et de réforme pour la justice, qui prévoyait 1 220 créations nettes d’emplois. Toutefois, 500 agents supplémentaires ont été recrutés par anticipation en 2021 par la direction des services judiciaires dans le cadre du renforcement de la justice de proximité en matière civile. La trajectoire est donc respectée.

Le schéma d’emplois de 720 équivalents temps plein (ETP) prévu pour 2022 viendra principalement renforcer les moyens de l’administration pénitentiaire, avec 599 emplois créés. Par ailleurs, 40 ETP seront créés dans les services judiciaires, pour la réforme de la justice, le renforcement de l’équipe autour du magistrat et la résorption de la vacance d’emplois dans les greffes. Les services de la protection judiciaire de la jeunesse bénéficieront de 51 emplois supplémentaires. Enfin, 30 ETP seront créés au secrétariat général pour la poursuite du plan de transformation numérique.

Conformément à l’article 24 du projet de loi de finances, le plafond des autorisations d’emplois du ministère de la justice s’établira à 90 970 équivalents temps plein travaillés (ETPT) en 2022, en hausse de 1 088 ETPT (+ 1,2 %) par rapport à 2021. La hausse la plus significative concerne l’administration pénitentiaire (+ 738 ETPT, soit + 1,7 %). Depuis 2014, le plafond d’emplois de la mission Justice a été augmenté de 17 %.

Évolution du plafond d’emplois de la mission Justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 Hors masse salariale, transferts et mesures de périmètre inclus, les crédits atteignent 4,61 milliards d’euros et progressent de 12 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

L’augmentation des crédits du ministère de la justice bénéfice en premier lieu au budget de l’administration pénitentiaire (+ 317 millions d’euros de CP) et à celui des juridictions judiciaires (+ 128 millions d’euros de CP).

Le projet de loi de finances prolonge les moyens affectés au renforcement de la justice de proximité, destinée à mieux lutter contre la délinquance du quotidien au plus près des victimes, et à l’action judiciaire de proximité. Afin de renforcer les moyens d’enquête et d’expertise de la justice, les frais de justice sont ainsi dotés d’un budget de 648 millions d’euros, en hausse de 30 millions d’euros soit une progression de 5 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

Les dépenses de construction et de rénovation de l’immobilier pénitentiaire et de l’immobilier judiciaire atteignent 919 millions d’euros, en hausse de 10 % par rapport à la loi de finances pour 2021. L’accélération de la mise en œuvre du plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici 2027 se traduit par une augmentation de 14 % des crédits immobiliers pénitentiaires pour atteindre 636 millions d’euros. Cette accélération, trop tardive, ne permettra pas de réaliser le plan « prisons » dans les temps et des retards de livraison ont d’ores et déjà été annoncés.

Les dépenses du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice augmentent de 155,8 millions d’euros en AE (+ 34 %) et de 103,4 millions d’euros en CP (+ 19 %). Les dépenses d’investissement relatives à l’informatique sont portées à 191 millions d’euros. Malgré la hausse du budget, le plan peine encore à engendrer des améliorations concrètes.

Les crédits du programme 101 Accès au droit et à la justice progressent de 95 millions d’euros (+ 16 %). Cette hausse résulte principalement de la revalorisation de l’unité de valeur de référence servant au calcul de la rétribution des avocats intervenant au titre de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention d’un avocat dans les procédures pénales non juridictionnelles. Déjà revalorisée de 32 € à 34 € hors taxes au 1er janvier 2021, conformément à l’article 234 de la loi de finances pour 2021, elle sera fixée à 36 € hors taxes au 1er janvier 2022, en application de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022.

● D’après les informations transmises au rapporteur spécial, les charges à payer de la mission Justice, qui avaient fait l’objet d’une alerte du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) en 2020, devraient diminuer en 2021.

Les restes à payer sont quant à eux significatifs, puisqu’ils pourraient représenter 8,06 milliards d’euros fin 2021. Ils constituent naturellement un point de vigilance à surveiller. Toutefois, ils sont inévitables compte tenu des investissements immobiliers et informatiques menés par le ministère de la justice.

Évolution des restes À payer de la mission Justice

(en millions d’euros)

 

Fin 2019

Fin 2020

Fin 2021 (estimation)

Évolution 2021-2022

Programme 166 – Justice judiciaire

1 533,9

1 902,9

2 037,3

+ 7,1 %

Programme 107 – Administration pénitentiaire

4 574,2

5 069,0

5 478,6

+ 8,1 %

Programme 182 – Protection judiciaire de la jeunesse

101,0

122,9

147,2

+ 19,8 %

Programme 101 – Accès au droit et à la justice

1,6

2,5

3,0

+ 18,8 %

Programme 310 – Conduite et pilotage de la politique de la justice

405,1

419,2

392,6

– 6,4 %

Programme 335 – Conseil supérieur de la magistrature

0,4

1,4

0,5

– 61,5 %

Total

6 616,4

7 517,9

8 059,2

+ 7,2 %

Source : commission des finances d’après les rapports annuels de performance de la mission Justice pour 2020.

● L’augmentation du budget prévue en 2022 ne permettra pas à la France de combler son retard sur les autres pays européens. Le dernier rapport d’évaluation de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) ([3]) montre que la France a dépensé, en 2018, 69,50 euros par habitant pour la justice judiciaire (tribunaux, ministère public, aide juridictionnelle). Ce montant est en hausse par rapport aux chiffres communiqués en 2018 (65,90 euros par habitant en 2016) et confirme les ambitions dessinées dans la loi de programmation et de réforme pour la justice. Toutefois, la France demeure en dessous de la moyenne des quarante‑sept États membres de la CEPEJ (71,50 euros) et plus encore si on la compare avec les pays ayant un produit intérieur brut par habitant similaire (131,20 euros par habitant pour l’Allemagne, 92,60 euros pour l’Espagne, 83,70 euros pour le Belgique et 83,17 euros pour l’Italie).

Par ailleurs, tout n’est pas qu’une question de moyens et l’augmentation des crédits et des emplois de la mission Justice n’est pas une fin en soi. L’analyse de l’exécution des derniers exercices budgétaires laisse entrevoir des risques de sous‑consommation des crédits, notamment pour les investissements immobiliers et informatiques. Il est impératif que la Chancellerie poursuive ses efforts non seulement pour exécuter le budget voté par le Parlement mais aussi et surtout pour renforcer son pilotage des grands projets ministériels en cours. Ce point mérite une attention particulière. Des efforts ont été entrepris depuis la création du secrétariat général, dont les moyens ont été renforcés. Toutefois, les marges de progression restent considérables et le pilotage des politiques publiques de la justice très perfectible, notamment si l’on compare avec d’autres ministères.

Au-delà des effets d’annonce – qui peut comprendre le lancement d’états généraux de la justice au cours de la dernière année d’une législature, à quelques mois des élections ? –, on constate un décalage croissant entre le discours du Gouvernement et le quotidien des justiciables, des professionnels du droit, des greffes et de l’ensemble des personnels du ministère de la justice.

I.   Le programme 166 Justice judiciaire

Le programme 166, qui représente 36 % des crédits de la mission Justice, finance les moyens affectés aux juridictions de l’ordre judiciaire. Malgré la hausse régulière des crédits et des emplois, les services judiciaires demeurent confrontés à un problème structurel d’allongement des délais de jugement.

A.   LEs moyens des juridictions judiciaires en hausse de 3 %

En 2022, les crédits du programme 166 Justice judiciaire s’élèveront à 3,92 milliards d’euros en AE et 3,85 milliards d’euros en CP. Les CP augmentent de 128,3 millions d’euros (+ 3 %) par rapport à la loi de finances pour 2021.

Évolution des crÉdits du programme 166 Justice judiciaire

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Action 01 – Traitement et jugement des contentieux civils

1 062,2

1 087,1

+ 2 %

1 062,2

1 087,1

+ 2 %

Action 02 – Conduite de la politique pénale et jugement des affaires pénales

1 362,4

1 408,5

+ 3 %

1 362,4

1 408,5

+ 3 %

Action 03 – Cassation

62,2

65,2

+ 5 %

62,2

65,2

+ 5 %

Action 05 – Enregistrement des décisions judiciaires

13,3

11,5

– 13 %

13,3

11,5

– 13 %

Action 06 – Soutien

1 120,5

1 176,5

+ 5 %

1 042,9

1 104,8

+ 6 %

Action 07 – Formation

159,1

157,3

– 1 %

159,1

157,3

– 1 %

Action 08 – Support à l’accès au droit et à la justice

18,7

14,7

– 22 %

18,7

14,7

– 22 %

Total

3 798,3

3 920,8

+ 3 %

3 720,8

3 849,1

+ 3 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Des créations d’emplois limitées en 2022

Les dépenses de personnel s’élèveront à 2,53 milliards d’euros en 2022. Elles augmentent de 82,7 millions d’euros (+ 3 %) par rapport à la loi de finances pour 2021. Hors CAS Pensions, les crédits de titre 2 atteignent 1,79 milliard d’euros et progressent de 3,5 % par rapport à 2021.

Les crédits de titre 2 financeront en premier lieu le coût en année pleine des 500 ETP recrutés fin 2021, en anticipation de l’exercice 2022, afin de renforcer l’action judiciaire de proximité et la justice de proximité en matière civile. Le rapporteur spécial note que ces 500 emplois créés ne représentent que la moitié des 1 000 emplois annoncés par le Garde des sceaux, ministre de la justice, en avril 2021 ([4]), pour réduire les délais de jugement en matière civile. Ne s’agissait-il que d’une opération de communication ?

Outre les emplois recrutés par anticipation en 2021, le schéma d’emplois du programme 166 prévoit la création de 40 ETP supplémentaires en 2022.

Il est ainsi prévu de créer 50 emplois de magistrats supplémentaires en 2022 (446 sorties prévues contre 496 entrées dont 392 primo-recrutements). Ces recrutements sont nécessaires pour limiter les vacances de postes.

Évolution du nombre de magistrats

 

2018

2019

2020

2021

Nombre de magistrats exerçant au siège

5 838

5 958

6 084

6 182

Taux de vacance des postes du siège

2,94 %

0,95 %

– 0,03 %

0,18 %

Nombre de magistrats exerçant au parquet

1 979

2 036

2 097

2 117

Taux de vacance des postes du parquet

3,75 %

0,97 %

0,47 %

1,72 %

Nombre total de magistrats exerçant en juridictions

7 817

7 994

8 181

8 299

Taux de vacance global

3,15 %

0,95 %

0,10 %

0,58 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Au 1er septembre 2021, le taux de vacance des magistrats du siège s’élève à 0,58 % (0,18 % pour les magistrats du siège et 1,72 % pour le parquet). Le taux de vacance est calculé par rapport à un effectif théorique défini dans une circulaire de localisation des emplois et revalorisé chaque année en fonction. Cela renvoie aux travaux sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats, sur lesquels le ministère doit encore progresser.

Les travaux sur l’évaluation de la charge de travail des magistrats.

À la suite des recommandations formulées par la Cour des comptes, par la Commission européene pour l’efficacité de la justice et par le rapporteur, la direction des services judiciaires a engagé des travaux destinés à mettre en place un système de pondération des affaires judiciaires pour mieux appréhender l’activité des cours et tribunaux.

Il s’agit notamment de mieux évaluer l’activité des juridictions, non seulement au regard du nombre d’affaires entrantes, mais également de la complexité de ces dernières, d’améliorer la répartition des effectifs entre les cours d’appel et tribunaux du territoire national et d’objectiver davantage les demandes budgétaires portées devant la représentation nationale concernant les crédits d’emploi de magistrats.

Un groupe de travail composé de représentants des conférences des chefs de cour et de juridiction, des associations professionnelles de magistrats, des organisations syndicales et du ministère de la justice a été constitué fin 2019. Une expérimentation permettant de confronter la pertinence des tables élaborées par le groupe de travail à l’expérience des praticiens débutera à compter du second semestre 2021. La direction des services judiciaires y travaille avec le soutien de l’Inspection générale de la justice. L’objectif est que les travaux engagés puissent trouver une concrétisation opérationnelle d’ici la fin de l’année 2022.

Le rapporteur spécial tient une nouvelle fois à signaler que ces travaux sont particulièrement attendus.

Le schéma d’emplois du programme 166 prévoit aussi la création 50 postes de juristes assistants afin de poursuivre le renforcement des équipes entourant les magistrats. Ces emplois sont essentiels, notamment pour augmenter les moyens du ministère public. Au 1er janvier 2021, pas moins de 620 juristes assistants étaient en poste au sein des juridictions, contre seulement 319 en 2018 (+ 94 % en trois ans).

En outre, le projet annuel de performance du programme 166 indique la création de 47 emplois supplémentaires dans la catégorie des métiers du greffe et du commandement. Cette augmentation paraît insuffisante par rapport aux tensions qui entourent les personnels de greffe. Au 1er septembre 2021, le taux de vacance est de 6 % toutes catégories confondues, soit 1 335 postes vacants dont 661 greffiers. Les mesures statutaires annoncées au bénéfice des greffiers (0,65 million d’euros) sont elles aussi faibles pour réellement améliorer l’attractivité des greffes.

Sur les personnels administratifs et techniques de catégorie C, le projet de loi de finances prévoit une diminution des postes à hauteur de 107 ETP.

Au total, le plafond d’emplois du programme 166 Justice judiciaire est fixé à 34 917 ETPT pour 2022, en hausse de 0,7 % par rapport à 2021.

L’augmentation des crédits de rémunération permettra aussi de financer des mesures catégorielles à hauteur de 14 millions d’euros en 2022, notamment des revalorisations au titre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engament professionnel (RIFSEEP) des corps communs et des corps spécifiques du ministère, mais aussi des mesures visant à améliorer l’attractivité des fonctions de chef de juridiction et des métiers du greffe.

2.   L’évolution des crédits portée par la dynamique des frais de justice

Hors titre 2, les crédits du programme 166 s’élèvent à 1,31 milliard d’euros, en progression de 3,6 % par rapport à la loi de finances pour 2021. Ce sont les frais de justice qui augmentent le plus.

a.   Les frais de justice

Les crédits consacrés aux frais de justice s’élèvent à 648,4 millions d’euros, en hausse de 30,2 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2021. La dépense demeure donc dynamique, même si la hausse est moins importante en 2022 (+ 5 %) qu’en 2021 (+ 26 %).

Selon le ministère de la justice, l’augmentation doit permettre de :

– financer le renforcement de la justice de proximité et de l’action judiciaire de proximité (notamment l’augmentation du recours aux délégués du procureur) ;

– répondre à la baisse d’attractivité de certains experts dont les tarifs seront revalorisés (revalorisation des expertises psychiatriques et psychologiques, suppression des conditions cumulatives des expertises hors normes, revalorisation de l’indemnité de comparution aux assises ainsi que des enquêtes sociales rapides) ;

– d’accompagner le renforcement des mesures de lutte contre les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes (par exemple, le renforcement du maillage territorial des unités médico-judiciaires) ;

– de couvrir les besoins exceptionnels liés au défraiement des parties civiles des procès des attentats du 13 novembre 2015.

Évolution des frais de justice

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les données transmises par la direction des services judiciaires.

Compte tenu de l’augmentation régulière des crédits affectés aux frais de justice, la maîtrise de la dépense demeure un point de très grande attention. Les crédits consacrés aux frais de justice, qui s’élevaient à 495,5 millions d’euros en exécution 2017, ont beaucoup augmenté durant la législature. En outre, la dépense moyenne de frais de justice par affaire faisant l’objet d’une réponse pénale (indicateur 3.1), qui avait explosé durant la crise sanitaire (439 euros en 2020 contre 374 euros en 2019) continue d’augmenter (461 euros en 2021).

Il est vrai que la dépense est par définition difficile à maîtriser puisqu’elle suit les actes de prescription des magistrats, mais aussi ceux des officiers de police judiciaire, dont l’indépendance et la liberté de prescription doivent être préservées. Néanmoins, la consommation des crédits est d’autant plus difficile à anticiper qu’il n’existe aucun outil permettant de suivre les prescriptions, ni aucun outil statistique pouvant donner lieu à une analyse détaillée des différents postes de dépense.

En 2021, la direction des services judiciaires a mis en place un plan de maîtrise des frais de justice. Il vise à développer des outils de suivi des dépenses à des niveaux plus fins. Il s’agit de mieux sensibiliser les chefs de cours, de permettre la comparaison des niveaux de consommation des crédits entre juridictions, de favoriser le partage de bonnes pratiques, voire de récompenser les meilleurs gestionnaires.

Le rapporteur souligne que de nombreux chefs de juridiction sont demandeurs de ces nouveaux outils de suivi et de pilotage des frais de justice. Il note toutefois que certains éléments du plan (identification de certains segments plus facilement pilotables, rationalisation des dépenses de scellés) sont à l’étude depuis plusieurs années. Il est impératif que les améliorations annoncées se concrétisent.

b.   Les investissements immobiliers

Les dépenses d’investissement immobilier des services judiciaires, inscrites sur l’action 06 Soutien, s’élèvent à 252,6 millions d’euros en AE et 239 millions d’euros en CP, en hausse de 5 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

Ces dépenses comprennent 135 millions d’euros en AE et 70 millions d’euros en CP au titre des opérations confiées à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) destinés à poursuivre la modernisation du parc immobilier, dans le cadre de la nouvelle programmation judiciaire, qui accompagne l’évolution de l’organisation des juridictions et l’augmentation des effectifs. Le rapporteur tient à souligner l’importance de ces projets, qui doivent permettre d’améliorer les conditions de travail des magistrats et des fonctionnaires du ministère de la justice ainsi que l’accueil des justiciables.

Si le ministère de la justice n’entend plus recourir aux contrats de partenariat public-privé (PPP) pour la conduite de nouveaux projets ([5]), le programme 166 continue d’acquitter les coûts liés à la construction des palais de justice de Caen et de Paris, à hauteur de 32,6 millions d’euros en AE et 53 millions d’euros en CP en 2022. D’après la direction des services judiciaires, des renégociations de contrat ont permis de dégager une économie de 3 millions d’euros par an pour le PPP du tribunal de Paris.

c.   Les frais de fonctionnement

Les crédits de fonctionnement des services judiciaires, inscrits sur l’action 06 Soutien, s’élèvent à 441 millions d’euros en AE et 383 millions d’euros en CP. Les CP demeurent à leur niveau de 2021 (+ 0,8 %).

Les dépenses de l’immobilier occupant s’élèvent à 278,5 millions d’euros en AE et 220,3 millions d’euros en CP, en hausse, respectivement, de 23 % et 2 % par rapport à la loi de finances pour 2021. L’augmentation des AE résulte des opérations de restructuration des tribunaux judiciaires de Versailles et Nantes ainsi que de l’avancement des opérations de réhabilitation des palais de justice de Cayenne, de Saint-Laurent-du-Maroni et de Saint-Martin.

Les dépenses de fonctionnement courant des juridictions, qui comprennent toutes les dépenses qui ne relèvent pas de l’immobilier (affranchissement, achat d’équipements et services, frais de déplacement, frais de documentation), s’élèvent à 162,6 millions d’euros en AE et en CP, en légère baisse (– 0,7 %) par rapport à la loi de finances pour 2021.

B.   Des dÉlais de jugement encore extrÊmement ÉlevÉs pour la justice civile

Depuis plusieurs années, l’augmentation du stock des affaires en instance devant les juridictions engendre un allongement préoccupant des délais de jugement. Il s’agit d’un problème structurel, que la crise sanitaire n’a fait qu’aggraver. Le rapporteur spécial se doit, une nouvelle fois, d’alerter sur le sujet, car plus la réponse judiciaire est tardive et moins elle a de sens.

1.   Des améliorations pour la justice pénale

Il convient de reconnaître que la situation tend à s’améliorer pour les juridictions pénales. En effet, le délai de convocation devant le tribunal correctionnel par un officier de police judiciaire (indicateur 1.3), qui avait atteint un niveau inquiétant en 2020 (10,3 mois), pourrait atteindre 9,5 mois en 2021 (prévision actualisée) et 9 mois en 2022 (prévision). De même, la part des convocations traitées dans un délai inférieur à 6 mois pourrait augmenter à 40 % en 2021 et 45 % en 2022 (contre 43 % en 2019).

L’amélioration des délais de jugement des juridictions pénales se vérifie au niveau du stock d’affaires en instance. En juin 2021, un peu plus de 190 000 dossiers étaient encore en instance devant les juridictions correctionnelles ([6]).

Les convocations devant le tribunal correctionnel
par un officier de police judiciaire

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le rapporteur spécial salue ces premières avancées, qu’il espère durables. La direction des services judiciaires indique que l’amélioration des délais de jugement devant les juridictions pénales résulte des recrutements opérés en 2020 et 2021 dans le cadre du renforcement de la justice de proximité. Sur les 914 emplois annoncés, 791 sont effectives au 1er septembre 2021, dont 150 juristes-assistants, 134 contractuels de catégorie A et 507 contractuels de catégorie B, soit 86,5 % de la cible. Le rapporteur spécial a pu lui-même constater que l’augmentation du nombre de délégués du procureur et de juristes-assistants ainsi que les emplois de catégorie B venant renforcer les greffes étaient en effet une aide pour les juridictions. Il regrette toutefois que ces renforts ne soient que temporaires, puisque constitués d’emplois contractuels à durée limitée et donc précaires.

2.   L’engorgement des juridictions civiles

Si la situation semble s’améliorer devant les juridictions pénales, elle demeure encore très tendue pour la justice civile. En juin 2021, plus de 1,1 million de dossiers étaient en instance devant les juridictions civiles ([7]).

L’allongement des délais de traitement est particulièrement fort pour les procédures civiles, notamment pour les affaires familiales, le contentieux des pôles sociaux et le contentieux de la protection. En ce qui concerne les tribunaux judiciaires, l’indicateur 1.1 prévoit un délai moyen de traitement de 13 mois en 2021 et de 11,5 mois en 2022 qui demeure supérieur au délai d’avant crise (11,4 mois en 2019). En ce qui concerne les cours d’appel, le délai prévu est de 16,5 mois en 2021 et 15,5 mois en 2022 contre 15,8 mois en 2019.

Le dÉlai moyen de traitement des procÉdures civiles

(en mois)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le pourcentage des juridictions dépassant d’au moins 15 % le délai moyen de traitement des procédures civiles (indicateur 1.2) ne retrouve pas non plus son niveau d’avant crise. Dans les tribunaux judiciaires, il est prévu à 45 % en 2021 et 35 % en 2022, contre 32 % en 2019. Pour les cours d’appel, le pourcentage est estimé à 50 % en 2021 et 45 % en 2022, contre 44 % en 2019.

Le délai théorique d’écoulement du stock des procédures (indicateur 1.4) retrouverait quant à lui, si les prévisions sont réalisées, des niveaux similaires à ceux de 2019, à la fois pour les tribunaux judiciaires (10,5 mois), pour les cours d’appel en matière civile (14 mois), pour les conseils de prud’hommes (15 mois) et pour les cours d’assises (12 mois).

Le dÉlai moyen de traitement des procÉdures civiles

(en mois)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Pour remédier à l’allongement des délais de traitement, le Gouvernement a annoncé un plan de soutien à la justice civile visant à réduire les stocks de 200 000 dossiers d’ici mi-2022 pour revenir à la situation antérieure à la crise sanitaire et à revenir à un délai moyen de traitement en matière d’affaires familiales et du contentieux des pôles sociaux de 6 mois d’ici 2025.

Il est désormais grand temps que les annonces laissent place aux actes. La justice civile est la justice du quotidien. Elle concerne les affaires familiales, les litiges de voisinage, les contentieux de la succession, les contentieux de la construction… En réalité, elle représente la majeure partie de l’activité judiciaire. Son délaissement a un impact conséquent sur le quotidien de nos concitoyens, mais aussi sur une partie de l’activité économique.

3.   La simplification des procédures civiles et pénales

Outre les recrutements annoncés par le ministère dans le cadre du renforcement de la justice de proximité et de l’action judiciaire en matière civile, des mesures ont été récemment entreprises pour simplifier les procédures civiles et pénales. Le rapporteur spécial se satisfait de ces mesures, qui sont conformes aux recommandations formulées dans son rapport du Printemps de l’évaluation 2021 ([8]).

Ainsi, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en cours d’examen devant le Parlement, devrait permettre de réorienter les ordonnances de renvoi vers des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, mais aussi développement l’usage de la médiation en matière civile. Par ailleurs, le projet de loi prévoit un recours accru aux magistrats exerçant à titre temporaire ainsi qu’aux magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. Ces mesures visent à alléger la charge de travail des magistrats afin de les recentrer sur leur office originel, ce qui doit à terme réduire les délais de jugement.

En parallèle, la loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale ([9]) a permis d’élargir le champ des missions des délégués du procureur et de revaloriser l’indemnisation de ces derniers.

4.   La lente transformation numérique de la justice

Contrairement aux années précédentes, l’ensemble des indicateurs de performance du programme 166 sont remplis. Le rapporteur note que ses alertes au Garde des sceaux, ministre de la justice ont payé et salue cette avancée.

Les résultats de l’indicateur 3.2 relatif à la transformation numérique de la justice ne sont toutefois pas très flatteurs pour la Chancellerie :

– la part des justiciables ayant consenti à échanger par voie dématérialisée avec les juridictions sur l’ensemble des justiciables n’est que de 2,58 % en 2021 ;

– le taux de saisine en ligne s’établit quant à lui à 1,11 %.

Les objectifs prévus pour 2022 (10 % dans les deux cas) ne semblent pas particulièrement ambitieux malgré l’annonce par le ministère « d’une grande opération de communication » ([10]) sur les nouveaux outils numériques. Le plan de transformation numérique, dont l’un des principaux objectifs était précisément de rendre la justice plus accessible aux citoyens, tarde à montrer des résultats concrets.

 

 


II.   Le programme 107 Administration pÉnitentiaire

Le programme 107, qui représente 43 % des crédits de paiement de la mission Justice, finance les moyens affectés à l’administration pénitentiaire. Les crédits sont principalement dirigés vers le financement du plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici 2027, dont le retard a été officiellement acté en 2021.

A.   Une augmentation du budget dans un contexte de dÉcalage du plan « prisons »

Les crédits du programme 107 Administration pénitentiaire s’élèvent à 6,5 milliards d’euros en AE et 4,6 milliards d’euros en CP pour 2022. Ils progressent, respectivement, de 4,4 % et 7,4 % par rapport à la loi de finances pour 2021. Hors CAS Pensions, l’administration pénitentiaire bénéficiera de 3,64 milliards d’euros de CP, soit 308 millions d’euros de plus qu’en 2021 (+ 9 %).

Évolution des crÉdits du programme 107 Administration pÉnitentiaire

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Action 01 – Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice

3 403,4

3 538,3

+ 4 %

2 744,5

3 109,7

+ 13 %

Action 02 – Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice

2 471,7

2 562,5

+ 4 %

1 145,6

1 038,0

– 9 %

Action 04 – Soutien et formation

392,0

443,9

+ 13 %

377,5

436,3

+ 16 %

Total

6 267,1

6 544,7

+ 4,4 %

4 267,6

4 584,0

+ 7,4 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Les dépenses de personnel portées par un schéma d’emplois de 599 ETP

Les dépenses de personnel du programme 107 s’élèvent à 2,82 milliards d’euros pour 2022, en hausse de 73 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2021. Hors contribution au CAS Pensions, leur montant sera de 1,88 milliard d’euros, augmentant ainsi de 3,6 % par rapport à l’exercice précédent.

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit la création de 599 emplois supplémentaires au sein de l’administration pénitentiaire.

Ce schéma d’emplois comprend notamment 419 emplois pour accompagner l'ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires et le développement de nouvelles missions, notamment la reprise des extractions judiciaires ou la mise en place des équipes locales de sécurité pénitentiaire. Si les effectifs réels ont augmenté de 9 % entre 2018 et 2021, le taux de vacance des personnels pénitentiaires était encore de 4,19 % en septembre 2021, soit 1 312 postes vacants.

Le schéma d’emplois intègre aussi la création de 250 emplois pour le renforcement des services d’insertion et de probation (SPIP). Depuis 2021, l’administration pénitentiaire dispose d’effectifs de référence pour l’ensemble des personnels affectés dans les SPIP. Ces effectifs ont vocation à être atteints dans les services en 2024, année de sortie d’école des recrutements de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation réalisés en 2022. Si les effectifs réels ont augmenté de 15 % entre 2018 et 2021, le taux de vacance est encore de 9 % en 2021, ce qui correspond à 580 postes vacants.

Par ailleurs, 70 emplois sont « restitués » en raison des gains permis par le plan de transformation numérique du ministère de la justice.

Le plafond d’emplois du programme 107 Administration pénitentiaire est fixé à 44 083 ETPT pour 2022, en hausse de 1,7 % par rapport à 2021.

Le projet de loi de finances prévoit aussi des mesures catégorielles et indemnitaires pour les personnels de l’administration pénitentiaire à hauteur de 23 millions d’euros en 2022. Le rapporteur tient à souligner combien ces mesures sont importantes dans une perspective de reconnaissance du travail des agents et de renforcement de l’attractivité des métiers de l’administration pénitentiaire. Pour ces raisons, il recommande que ces efforts soient poursuivis dans la durée.

2.   La hausse des crédits dédiés aux investissements immobiliers et à la sécurité des établissements pénitentiaires

Hors masse salariale, le programme 107 Administration pénitentiaire est doté de 3,72 milliards d’euros en AE et 1,76 milliard d’euros en CP, soit une hausse de 205 millions d’euros et de 244 millions d’euros (+ 16 %) par rapport à la loi de finances pour 2021.

L’augmentation des crédits bénéfice en premier lieu aux investissements immobiliers pour la construction de nouveaux établissements pénitentiaires et à la maintenance du parc existant (+ 85 millions d’euros), mais aussi au renouvellement d’un marché de gestion déléguée, au déploiement de moyens supplémentaires destinés à promouvoir la justice de proximité ainsi qu’à la mise en place d’un plan de modernisation des équipements et de sécurisation des sites.

a.   Une accélération tardive des investissements immobiliers

Les investissements immobiliers de l’administration pénitentiaire reposent principalement sur le plan de construction de 15 000 places de prison supplémentaires prévu dans la loi de programmation et de réforme sur la justice. La trajectoire initiale comprenait la construction des 7 000 premières places de prison d’ici 2022 et celle des 8 000 places restantes entre 2022 et 2027.

Le plan « prisons » doit permettre d’élever significativement le nombre de places dans les établissements pénitentiaires afin d’améliorer les conditions de détention, d’atteindre l’objectif d’un encellulement individuel à 80 %, de favoriser la réinsertion des détenus et de renforcer la sécurité des agents pénitentiaires. Il vise aussi à diversifier les modes de réponse carcérale, avec la construction de structures d’accompagnement (accueillant des condamnés à des peines de moins de deux ans ou en fin de peine) ainsi que des quartiers de confiance et des établissements spécifiquement tournés vers la réinsertion et le travail. Sa réalisation dans les délais fixés est donc un impératif, sur lequel le rapporteur spécial ne cesse d’alerter depuis plusieurs exercices.

Après une première augmentation massive de 41,5 % votée en loi de finances pour 2021, le projet de finances pour 2022 prévoit une nouvelle hausse, plus modérée, de 14 % des crédits destinés à la mise en œuvre du plan « prisons », à hauteur de 636 millions d’euros pour 2022. Ces augmentations sont certes significatives, nul ne le nie, mais elles sont bien tardives.

En effet, en annonçant une reprogrammation des livraisons par rapport au calendrier initialement envisagé, le Gouvernement a officiellement acté les retards pris dans l’avancement du plan « prisons ». Il est désormais acquis que les 7 000 premières places ne seront pas livrées en intégralité en 2022, mais pas avant 2023 ou 2024. Quant aux 8 000 places restantes, elles sont à présent annoncées non plus pour 2027 mais pour 2029.

État d’avancement du plan « prisons »

Pour la première tranche de 7 000 places, l’acquisition du foncier a été réalisée pour la quasi-totalité des places, de même que le choix du groupement et la validation du programme (95 % des places).

Près de 2 000 places nettes ont déjà été mises en service et 120 de plus le seront avec l’ouverture à l’automne du centre pénitentiaire de Lutterbach (520 places ouvertes, parallèlement à la fermeture des maisons d’arrêt de Colmar, puis de Mulhouse).

Les travaux débuteront au premier semestre 2022 pour les dernières opérations relevant des 7 000 premières places, qui concernent les centres pénitentiaires de Caen-Ifs, Troyes-Lavau et Bordeaux-Gradignan, le centre de détention de Koné, la maison d’arrêt de Basse-Terre, et les SAS de Caen, Mans-Coulaines, Montpellier, Orléans, Avignon, Valence, Osny et Meaux.

Pour la seconde tranche, 8 000 places doivent être lancées avant 2022. Une première vague de cinq centres pénitentiaires a été lancée en 2020 (Avignon-Comtat Venaissin, Tremblay-en-France, Toulouse-Muret, Saint-Laurent-du-Maroni et Perpignan-Rivesaltes). Une deuxième vague de quatre établissements est prévue en 2021 (Nîmes, Melun-Crisenoy, Vannes, Angers) et une troisième en 2022 pour les opérations restantes (Noiseau, Le Muy, Pau, Val d’Oise, Donchéry et Toul).

La reprogrammation des dates de livraison est regrettable mais elle n’est guère étonnante et le rapporteur l’annonce depuis longtemps. Elle n’est pas due à une contrainte budgétaire : les AE et les CP du programme 107 ont augmenté significativement depuis 2019. Elle résulte surtout d’un manque de pilotage des crédits d’investissement, systématiquement sous-consommés en exécutions.

L’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) a été confrontée aux aléas classiques de l’immobilier (fluctuation des coûts des matériaux, études préalables spécifiques nécessaires), mais aussi à des difficultés propres au domaine pénitentiaire, notamment dans la validation des emprises foncières avec les collectivités territoriales. La crise sanitaire n’a quant à elle fait qu’accentuer les décalages en retardant les chantiers déjà lancés.

On répondra, comme souvent, que les retards du plan « prisons » sont imputables aux élus locaux qui refusent l’implantation de nouveaux établissements pénitentiaires sur leur territoire. Le problème est, parfois, réel. Mais il existe aussi de nombreux territoires sur lesquels les élus étaient prêts à accueillir de tels projets immobiliers, et où pourtant rien n’a été fait. Il y a bien là un important défaut de pilotage.

Le rapporteur spécial tient en outre à alerter sur les conséquences budgétaires des retards pris dans l’avancement du plan « prisons ». De fait, une part non négligeable des crédits destinés à financer le plan n’ont pas été utilisés dans le domaine immobilier mais ont fait l’objet de redéploiements sur d’autres postes de dépense. En conséquence, ils ne sont plus disponibles pour couvrir les coûts que le ministère de la justice devra assumer pour réaliser les opérations prévues. Il est nécessaire que la Chancellerie anticipe cette problématique en amont.

Pour éviter une telle dérive, le rapporteur spécial recommande que la prochaine loi de programmation pour la justice précise de manière plus détaillée le montant des dépenses prévues pour les grands projets d’investissement ministériel. Cela en faciliterait à la fois le pilotage et le suivi ainsi que le contrôle parlementaire.

b.   Le renforcement de la sécurité dans les établissements pénitentiaires

En parallèle du plan « prisons », des efforts financiers importants sont consentis pour l’entretien du parc immobilier existant : la dotation a été relevée de 80 à 100 millions d’euros en 2021 et est maintenue à ce niveau pour 2022.

Les crédits affectés à la sécurisation des établissements pénitentiaires s’élèvent à 115 millions d’euros, en hausse de 51 millions d’euros. Ils permettront de poursuivre déploiement des dispositifs anti-projections, la modernisation des systèmes de radiocommunication, de renforcer la vidéosurveillance et de déployer des portiques de détection. Dans les établissements les plus sensibles, 25 à 35 dispositifs anti-drones devraient venir s’ajouter en 2022 aux 15 dispositifs dont le déploiement est prévu d’ici fin 2021. En outre, 8 à 10 établissements devraient être équipés de systèmes de brouillage des téléphones portables pour empêcher les communications illicites en détention, portant le nombre de prisons équipées à 35 fin 2022.

Les dépenses en faveur de l’amélioration des conditions et du suivi de la détention augmentent de 14 millions d’euros. Il s’agira notamment de mettre en œuvre les mesures prévues dans le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, actuellement en cours d’examen par le Parlement, qui inclut un volet d’amélioration des conditions de la détention en faveur des plus démunis ainsi que la création d’un statut de travailleur détenu.

Par ailleurs, l’augmentation des crédits hors titre 2 permettra de financer l’accélération de la transformation numérique de l’administration pénitentiaire (+ 55 millions d’euros) et le déploiement du portail du numérique en détention. Expérimenté depuis 2020, le portail famille (qui permet aux familles des détenus de réserver leurs dates et horaires de visite en ligne) est supposé être déployé dans l’ensemble des établissements depuis septembre 2021. Le portail détenu (qui vise à permettre aux détenus d’acheter des produits en cantine, de faire des demandes à l’administration pénitentiaire ou de se former directement depuis leur cellule sur un écran mis à disposition) et le portail agent (qui doit permettre aux agents de paramétrer le portail détenu) sont en cours d’expérimentation depuis février 2021, notamment à la maison d’arrêt de Dijon. Les expérimentations doivent se poursuivre à Melun et Strasbourg, en vue d’un déploiement en 2022 et 2023.

Enfin, le Gouvernement prévoit 44 millions d’euros supplémentaires pour la mise en œuvre des peines alternatives à l’incarcération, en particulier la surveillance électronique et les aménagements de peine.

B.   une remontÉe rapide de la population carcÉrale qui prÉfigure une dÉgradation des conditions de dÉtention

Si la surpopulation carcérale est un problème structurel en France, la crise sanitaire avait permis de réduire temporairement le nombre de détenus et de prévenus. Depuis juin 2020, la courbe s’est à nouveau inversée et le nombre de détenus remonte très rapidement au rythme de 200 à 300 unités par mois.

Au 1er juillet 2021, la direction de l’administration pénitentiaire comptabilisait 67 971 détenus en France, dont 48 750 condamnés et 19 221 prévenus (soit 28 % du total). À ce rythme, la population carcérale rattrapera bientôt les niveaux records atteints avant la pandémie (70 651 détenus au 1er janvier 2020).

Évolution de la population carcÉrale

Source : commission des finances d’après les réponses au questionnaire budgétaire prévu à l’article 49 de la LOLF.

Le rattrapage du nombre de détenus affecte mécaniquement le taux d’occupation des établissements pénitentiaires qui s’élève, au 1er juillet 2021, à 113 % tous établissements confondus. Il atteint jusqu’à 131 % en maison d’arrêt ou en quartier maison d’arrêt.

Taux d’occupation des Établissements pÉnitentiaire au 1er juillet 2021

Tous quartiers et établissements confondus

67 971

113,0 %

Centre national d’évaluation

103

60,9 %

Établissement public de santé national

56

66,7 %

Établissement pour mineurs

271

77,2 %

Quartier ou centre de détention

18 273

90,9 %

Quartier ou centre de semi-liberté

974

67,4 %

Quartier ou centre pour peines aménagées

386

63,2 %

Quartier ou maison centrale

1 616

73,8 %

Quartier ou maison d’arrêt

46 292

131,0 %

Source : commission des finances d’après les réponses au questionnaire budgétaire prévu à l’article 49 de la LOLF.

L’augmentation de la population carcérale va nécessairement dégrader les conditions de détention. Certes, le taux de personnes détenues bénéficiant d’une cellule individuelle (indicateur 2.2) retrouvera, en 2022, son niveau de 2019 (40 %), après avoir atteint un pic de 47,9 % en 2020. Toutefois, on est encore loin de l’objectif de 80 % d’encellulement individuel fixé en dans la loi de programmation et de réforme sur la justice.

Compte tenu des retards pris dans l’avancement du plan « prisons », rien n’est prêt pour soulager les établissements pénitentiaires en surnombre. Sur les 7 000 premières places attendues d’ici 2022, seules 2 000 places nettes ont été mises en service. En 2020, aucune livraison n’a été possible. En 2022, un seul établissement pénitentiaire ouvrira ses portes, celui de Koné en Nouvelle-Calédonie. L’administration pénitentiaire peut certes, grâce aux droits de tirage ([11]), tenter de combler les déséquilibres entre les maisons d’arrêt surencombrées et certains centres de détention non encore saturés. Néanmoins, la gestion de la population carcérale demeurera tendue tant que le plan « prisons » n’aura pas pleinement été mis en œuvre.

Si les peines alternatives à la prison et les peines de probation (placement à l’extérieur, travail d’intérêt général, contrôle judiciaire, stage de citoyenneté) se développent, elles ne suffisent pas à combler le besoin de construire de nouvelles places de prison. Selon les informations transmises au rapporteur par la direction de l’administration pénitentiaire, la France est aujourd’hui au deuxième rang européen en matière de peines de probation, derrière l’Angleterre. Cela n’empêche pas la surpopulation carcérale de perdurer. C’est donc bien la mise en œuvre du plan de construction de 15 000 places prison qui doit être la priorité.

Le rapporteur spécial tient également à alerter sur les conséquences humaines de la surpopulation carcérale. Elle est non seulement susceptible de porter atteinte à la dignité des personnes détenues, mais elle engendre aussi des effets négatifs sur l’ensemble du fonctionnement des établissements pénitentiaires, de la cuisine au parloir, en passant par la prise en charge médicale. Dans ces conditions, la construction d’établissements pénitentiaires plus modernes – tels que le centre pénitentiaire de Lutterbach (Haut-Rhin), doté d’un quartier de confiance novateur – sont bien la meilleure solution d’améliorer les conditions de détention.

Les importants retards du plan « prisons » pèsent aussi très fortement sur les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire. Il est illusoire de souhaiter attirer de nouveaux agents si, une fois intégrés, ceux-ci se retrouvent confrontés à une surpopulation carcérale rendant impossible l’exercice de leur métier dans des conditions convenables.

 


III.   Le Programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse

Le programme 182, qui représente 9 % des crédits de la mission Justice, finance les moyens affectés à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, qui assure, directement ou par les associations qu’elle habilite et finance, la prise en charge des mineurs et jeunes majeurs qui lui sont confiés par la justice, et qui contrôle l’ensemble des structures publiques et associatives accueillant les mineurs sous mandat judiciaire.

A.   Une augmentation des crÉdits de 4 % en 2022

Le projet de loi de finances pour 2022 dote le programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse de 992,3 millions d’euros en AE et 984,8 millions d’euros en CP, soit une augmentation de 4 % par rapport à la loi de finances pour 2021. Hors CAS Pensions, les crédits s’élèvent à 831,2 millions d’euros, en hausse de 45 millions soit 6 % par rapport à 2021.

Évolution des crÉdits
du programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Action 01 – Mise en œuvre des décisions judiciaires

802,1

837,4

+ 4 %

792,6

830,5

+ 5 %

Action 02 – Soutien

113,9

115,8

+ 1,7 %

112,5

114,4

+ 1,7 %

Action 04 – Formation

39,8

39,1

– 2 %

39,5

40,0

+ 1,4 %

Total

955,8

992,3

+ 4 %

944,5

984,8

+ 4 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

En 2022, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse devra notamment accompagner la mise en œuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs, dont l’entrée en vigueur initialement prévue le 1er octobre 2020 a été repoussée au 30 septembre 2021.

1.   Un schéma d’emplois de 51 ETP en légère progression

Les dépenses de personnel s’établissent à 567,6 millions d’euros pour 2022. Elles sont en augmentation de 13 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2021. Hors contribution au CAS Pensions, les crédits de rémunération atteignent 413,9 millions d’euros et progressent de 4,4 %.

Les services de la protection judiciaire de la jeunesse bénéficieront de 51 emplois supplémentaires, dont 80 emplois pour les centres éducatifs fermés et 55 emplois pour le renforcement du milieu ouvert. En parallèle, 84 ETP sont « restitués » au titre des redéploiements permis par la restructuration des dispositifs de prise en charge des mineurs.

Le schéma d’emplois prévu pour 2022 prolonge l’augmentation des effectifs des services de la protection judiciaire de la jeunesse. Les créations d’emplois réalisées ont été de 40 ETP en 2018, 63 ETP en 2019 et 154 ETP en 2020 (pour 2021, 40 créations d’emplois sont prévues). Elles ont permis le renforcement des effectifs en milieu ouvert pour préparer la mise en œuvre du nouveau code de justice pénale des mineurs et l’augmentation du volume des promotions de l’École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse en vue de l’ouverture de nouveaux centres éducatifs fermés dans le secteur public.

Le plafond d’emplois du programme 182 Protection judiciaire de la jeunesse est fixé à 9 330 ETPT pour 2022, en hausse de 0,6 % par rapport à 2021.

2.   Le plan de construction de cinq centres éducatifs fermés d’ici 2021 ne sera pas tenu

Les crédits hors masse salariale s’élèvent à 424,7 millions d’euros en AE et 417,3 millions d’euros en CP et progressent de 6 % et 7 % par rapport à 2021.

Les crédits versés au secteur associatif habilité s’élèvent à 268,5 millions d’euros pour 2022 (+ 3 millions d’euros par rapport à 2021) et représentent 64 % de la dépense. Ils correspondent aux prestations réalisées par les établissements et services du secteur associatif habilité à la demande du juge des enfants, des juges d’instruction et des magistrats du parquet. Le coût de ces prestations recouvre pour chaque établissement et service l’ensemble des dépenses de personnel, de fonctionnement, mais également d’investissements, de provisions, de frais de siège et de charges financières.

RÉpartition des crÉdits hors massE salariale

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les dépenses de fonctionnement du secteur public (hors immobilier) s’établissent à 55,7 millions d’euros (+ 2 millions d’euros), soit 13 % des crédits du programme 182. Elles regroupent les dépenses des services d’hébergement et du milieu ouvert et permettent de financer les dépenses liées directement ou indirectement à la prise en charge des jeunes (alimentation, formation, soins médicaux, déplacements, insertion).

Les dépenses de l’immobilier propriétaire s’élèveront à 23,6 millions d’euros et celles de l’immobilier occupant à 41,9 millions d’euros en 2022. Afin d’assurer les conditions matérielles d’une prise en charge des mineurs au pénal, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) mène des opérations de réhabilitation et de restructuration de ses équipements (mise aux normes de sécurité, accessibilité aux personnes handicapées, amélioration de la performance environnementale).

Les principales opÉrations immobiliÈres prÉvues en 2021 et 2022

Livraisons prévues en 2021 :

– restructuration de l’unité éducative d’hébergement collectif d’Évreux (3,1 millions d’euros) ;

– réhabilitation du centre éducatif renforcé d’Évreux (1,8 million d’euros) ;

– la restructuration de l’unité éducative d’hébergement collectif de Lorient (1,8 million d’euros) ;

– l’aménagement du centre éducatif fermé d’Épernay (1,6 million d’euros) ;

– la réhabilitation de l’unité éducative en milieu ouvert (UEMO) de Marseille Chutes-Lavie (1,4 million d’euros) ;

– la réhabilitation de l’unité éducative d’activités de jour (UEAJ) de Lorient (1 million d’euros).

Livraisons prévues en 2022 :

– restructuration de l’unité éducative d’hébergement collectif de Bagneux (4,5 millions d’euros) ;

– l’extension de la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse Sud et le réaménagement du pôle territorial de formation de Toulouse (2,8 millions d’euros) ;

– la restructuration de l’unité éducative d’activités de jour de Perpignan (1,3 million d’euros) ;

– la reconstruction de l’unité éducative d’hébergement collectif de Béthune (3,2 millions d’euros) ;

– réhabilitation des unités éducatives en milieu ouvert et d’hébergement diversifié de Béthune (2,2 millions d’euros) ;

– l’extension et la mise aux normes de l’unité éducative d’hébergement collectif de Dijon (0,9 million d’euros) ;

– l’aménagement et mise aux normes de l’unité éducative d’hébergement collectif de Metz (0,9 million d’euros) ;

– relocalisation de l’unité éducative en milieu ouvert de Mont-de-Marsan (0,8 million d’euros) ;

– travaux de remise à niveau fonctionnelle et technique de l’unité éducative d’hébergement collectif de Clermont-Ferrand (0,8 million d’euros).

Source : commission des finances d’après les réponses au questionnaire transmis en application de l’article 49 LOLF.

En parallèle, dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice, le Gouvernement a prévu la construction de cinq nouveaux centres éducatifs fermés publics entre 2019 et 2022 (auxquels doivent s’ajouter 15 centres éducatifs fermés associatifs). Malgré l’augmentation des dépenses du programme 182, cet engagement ne sera pas atteint. À ce stade, seules deux structures ont ouvert, à Épernay et Saint-Nazaire. Les travaux engagés à Bergerac (Dordogne) et à Rochefort (Charente-Maritime) pourraient être achevés dans le courant de l’année 2022. Toutefois, le cinquième centre ne verra pas le jour à temps. Un site a été retenu à Lure (Haute-Saône) tandis que les prospections en vue de la maîtrise foncière se poursuivent dans l’Hérault et le Pas-de-Calais.

Le rapporteur spécial tient à souligner la nécessité de construire de nouveaux centres éducatifs fermés. En effet, le parc immobilier de la protection judiciaire de la jeunesse est en grande partie composé de locaux anciens et peu fonctionnels, qu’il est difficile d’adapter aux besoins de prise en charge des mineurs délinquants et aux obligations réglementaires applicables aux établissements recevant du public. Le parc locatif n’apporte qu’une réponse limitée, essentiellement pour les locaux de bureau et les services de milieu ouvert. Dans ces conditions, les retards pris par le Gouvernement sont d’autant plus regrettables.

B.   les dÉlais de prise en charge s’amÉliorent

Après la diminution du nombre de jeunes présentés en détention en 2020, le taux d’occupation des établissements de placement de la protection judiciaire de la jeunesse retrouvera en 2022 des niveaux similaires à ceux de 2019 (indicateur 2.1). Le taux d’occupation des établissements de placement éducatif est prévu à hauteur de 70 % pour les unités éducatives d’hébergement collectif du secteur public, 79 % pour les centres éducatifs renforcés des secteurs public et associatif et 74 % pour les centres éducatifs fermés des secteurs public et associatif.

Taux d’occupation des Établissements

 

2018

2019

2020

2021 (prév.)

2022 (prév.)

Taux d’occupation des établissements de placement éducatif EPE-UEHC du secteur public

68 %

70 %

59 %

68 %

70 %

Taux d’occupation des centres éducatifs renforcés (secteurs public et associatif)

84 %

79 %

74 %

78 %

79 %

Taux d’occupation des centres éducatifs fermés (secteurs public et associatif)

74 %

74 %

67 %

70 %

74 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le nombre de mineurs et jeunes majeurs suivis en détention par les personnels éducatifs des unités éducatives de milieu ouvert du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse a retrouvé son niveau de 2018. On comptait 892 jeunes suivis (dont 833 mineurs et 59 jeunes majeurs) en 2018. On en compte 891 (dont 844 mineurs et 47 jeunes majeurs) en 2021.

Nombre de jeunes prÉsents en dÉtention

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Cette stabilité sur la période masque des évolutions annuelles contrastées, avec une hausse de 14 % entre 2018 et 2019 (jusqu’à 1 020 jeunes suivis) puis une diminution de 18 % entre 2019 et 2020, avant une nouvelle augmentation de 7 % entre le 31 décembre 2020 et le 30 juin 2021.

La part des mineurs dans le total des jeunes suivis en détention par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse reste stable, entre 93 % et 95 % du total des personnes suivies. La proportion de jeunes suivis en détention préventive est en moyenne de 88 %. Les condamnés ne représentent que 10 % des mineurs suivis, mais près de 50 % des jeunes majeurs suivis.

Les indicateurs de performance du programme 182 démontrent une bonne maîtrise des délais de prise en charge imputables aux services du secteur public et du secteur associatif habilité (indicateur 1.1). En ce qui concerne les mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE), la prévision actualisée pour 2021 s’élève à 13,2 jours (contre 17,9 jours en 2019). S’agissant des mesures de milieu ouvert hors MJIE, le délai moyen de prise en charge est de 15,9 jours en 2021 (contre 18,5 jours en 2019).

DÉlais moyens de prise en charge imputables aux services
du secteur public et du secteur associatif habilité

(en jours)

 

2018

2019

2020

2021 (prév.)

2022 (prév.)

Mesures de milieu ouvert (hors MJIE) tous fondements juridiques confondus

15,7

18,5

21

15,9

13

MJIE tous fondements juridiques confondus

18,4

17,9

21,9

13,2

13

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Attendu depuis plusieurs exercices, l’applicatif PARCOURS, qui remplace l’ancien logiciel GAME, a commencé à être déployé. Plus ergonomique, il doit faciliter la saisie des données pour permettre un suivi plus précis et exhaustif des mineurs dont la protection judiciaire de la jeunesse a la charge. La première version mise en service le 26 mai 2021 reste centrée sur l’enregistrement des jeunes confiés, des décisions judiciaires, des activités de jour et des suivis en détention. Il faudra attendre au moins la mi-2022 pour que la deuxième version de l’applicatif puisse donner des éléments concernant les parcours scolaires et professionnels.

Les retards pris dans le déploiement de PARCOURS, qui ne sont pas nouveaux, empêchent l’administration de renseigner l’indicateur 1.2 relatif au taux d’inscription des jeunes pris en charge dans un dispositif d’insertion sociale et professionnelle ou de formation. Cela démontre, encore une fois, la nécessité d’accélérer la transformation numérique du ministère de la justice.

 


IV.   Le Programme 101 AccÈs au droit et à la justice

Le programme 101, qui ne représente plus que 6 % du budget de la justice en 2022, finance les moyens affectés à l’accès au droit et à la justice. Il finance principalement des dépenses d’intervention au profit des justiciables bénéficiant de l’aide juridictionnelle, des associations apportant une aide aux victimes d’infraction pénale, des conseils départementaux de l’accès au droit et des associations œuvrant dans ce domaine ainsi que des associations gérant un espace de rencontre entre parents et enfants et de celles intervenant en matière de médiation familiale.

A.   Une augmentation gÉNÉrale des budgets du programme 101

Les crédits du programme 101 Accès au droit et à la justice s’élèvent à 680 millions d’euros en 2022 et progressent de 95 millions d’euros soit 16 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

Évolution des crÉdits du programme 101 AccÈs au droit et à la justice

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Action 01 – Aide juridictionnelle

534,0

615,2

+ 15 %

534,0

615,2

+ 15 %

Action 02 – Développement de l’accès au droit et du réseau judiciaire de proximité

9,5

12,3

+ 30 %

9,5

12,3

+ 30 %

Action 03 – Aide aux victimes

32,1

40,3

+ 26 %

32,1

40,3

+ 26 %

Action 04 – Médiation familiale et espaces de rencontre

9,7

12,3

+ 27 %

9,7

12,3

+ 27 %

Action 05 – Indemnisation des avoués

0,0

0,0

Total

585,2

680,0

+ 16 %

585,2

680,0

+ 16 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Une nouvelle hausse des crédits de l’aide juridictionnelle

L’augmentation des prévisions de dépense du programme 101 s’explique par la hausse significative des crédits de l’aide juridictionnelle, qui représentent 90,5 % du programme. Elles s’élèvent à 615,2 millions d’euros pour 2022, soit une augmentation de 81 millions d’euros par rapport à la loi de finances pour 2021.

Cette augmentation résulte des réformes de l’aide juridictionnelle adoptées les années passées :

– elle inclut la hausse tendancielle de la dépense résultant des relèvements successifs du plafond d’admission à l’aide juridictionnelle intervenus avant 2022 ;

– elle tient compte de la réforme adoptée à l’article 243 de la loi de finances pour 2020 ([12]) qui a révisé les critères d’éligibilité de l’aide juridictionnelle, désormais fondés sur le revenu fiscal de référence ;

– elle intègre les premiers effets de la réforme adoptée à l’article 234 de la loi de finances pour 2021, qui revalorise l’unité de valeur de référence servant de base au calcul de la rétribution des avocats de 32 à 34 euros hors taxe à compter du 1er janvier 2021 (le coût de la mesure est estimé à 11,3 millions d’euros en 2021 mais devrait atteindre environ 25 millions d’euros en année pleine ([13])) ;

 elle résulte de la revalorisation, intervenue en 2021, par voie réglementaire, des coefficients de certaines des procédures éligibles à l’aide juridictionnelle ou à l’aide à l’intervention d’un avocat ;

– l’année 2022 sera également la première année complète durant laquelle sera mise en œuvre la réforme du régime de rétribution des avocats commis d’office, introduite par l’article 234 de la loi de finances pour 2021 : désormais, lorsque l’avocat est commis ou désigné d’office, il peut percevoir la contribution de l’État sans qu’il lui soit nécessaire de déposer une demande d’aide juridictionnelle, l’examen de l’éligibilité du demandeur étant effectué a posteriori.

En outre, l’augmentation des crédits de l’aide juridictionnelle résulte de deux mesures qui entreront en vigueur en 2022 :

– un nouveau relèvement du montant de l’unité de valeur de référence qui sert de base au calcul de la rétribution des avocats, prévu à l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 (voir le commentaire de cet article en seconde partie du présent rapport spécial) ;

– une remise à niveau de la rétribution des autres auxiliaires dont l’intervention est tarifée.

Enfin, l’évolution des crédits de l’aide juridictionnelle permettra de financer l’assistance apportée aux parties civiles des procès d’assises des attentats perpétrés à Paris le 13 novembre 2015 et à Nice en juillet 2016.

 

 

2.   La progression des dépenses de l’accès au droit et de l’aide aux victimes

Le budget de l’accès au droit s’élève à 12,3 millions d’euros en 2022, soit une augmentation de 2,8 millions d’euros (+ 30 %). En 2022, les lieux d’accueil de l’accès au droit, qui comprenait plusieurs appellations (relais d’accès au droit, maisons de justice et du droit, antennes de justice) seront rassemblés sous la dénomination unique « point-justice », qui englobera les 1 979 dispositifs gratuits mis à la disposition des justiciables par le ministère de la justice. En outre, 1,2 million d’euros supplémentaires sont alloués pour que les conseils départementaux financent un plus grand nombre de consultations ou de séances d’information juridique dans les point-justice existants ou bien créent de nouveaux point-justice. Par ailleurs, 1,6 million d’euros supplémentaires sont alloués pour que le ministère de la justice contribue au fonds national France Services.

Les crédits de l’aide aux victimes s’élèvent à 40,3 millions d’euros en 2022, en hausse de 8,2 millions d’euros (+ 26 %). Les crédits consacrés au dispositif de téléassistance des personnes en grave danger (dit « téléphone grave danger ») progressent de 3,8 millions d’euros pour financer l’achat de terminaux et d’abonnements de ligne téléphonique ainsi que le fonctionnement de la plateforme d’appel. Le nombre de téléphones, au nombre de 3 000 à la fin de l’année 2021, devrait augmenter tout au long de l’année 2022. Par ailleurs, les subventions versées aux associations locales d’aide aux victimes progressent de 4,4 millions d’euros par rapport à 2021, en particulier pour développer les dispositifs d’intervention en urgence, équiper de nouvelles unités d’accueil pédiatriques pour les enfants en danger et accompagner un nombre croissant de bénéficiaires de téléphones « grave danger » et de personnes dont le conjoint violent s’est vu imposer un bracelet anti-rapprochement.

Les crédits budgétaires consacrés à l’apaisement des conflits familiaux s’élèvent à 12,3 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2022, soit une progression de 2,6 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en loi de finances pour 2021. Près de 2 millions d’euros supplémentaires sont alloués à la médiation familiale et ouvrent la possibilité d’inclure en 2022 de nouveaux tribunaux dans l’expérimentation que mènent actuellement onze tribunaux judiciaires pour juger de l’intérêt de rendre obligatoire, avant la saisine du juge, une tentative de médiation lors de certains différends familiaux. En outre, 0,6 million d’euros supplémentaires sont alloués aux espaces de rencontre.

 

 

B.   Les rÉsultats contrastÉs des indicateurs de performance relatifs À l’aide juridictionnelle

Si les délais de traitement des demandes d’aide juridictionnelle tendent à s’améliorer, le taux de mise en recouvrement des frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle continue de se dégrader.

1.   L’amélioration du délai de traitement des demandes

Après une hausse sensible du délai moyen de traitement des demandes d’aide juridictionnelle liée aux périodes de confinement, les bureaux d’aide juridictionnelle ont effectué un important travail de rattrapage qui se traduit par un délai moyen en diminution. La prévision actualisée pour 2021 (42,9 jours) est inférieure à la prévision (45 jours) et la part des dossiers dont le délai de traitement est inférieur à 45 jours atteint 68 % (contre une prévision de 65 %).

DÉlai de traitement des demandes d’aide juridictionnelle

 

2018

2019

2020

2021 (prév.)

2022 (prév.)

Délai moyen de traitement des demandes d’aide juridictionnelle (en jours)

37,5

41,1

52,5

42,9

38

Part des dossiers dont le délai de traitement est inférieur à 45 jours (en pourcentage)

71 %

69,8 %

57,6 %

68 %

71 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Par ailleurs, le coût de traitement d’une décision d’aide juridictionnelle est revenu en 2021 (11 euros) à son niveau de 2019 (11,14 euros). Il se situe en deçà de la prévision (12,5 euros), en raison de la hausse du nombre de décisions liée à la résorption du retard accumulé dans les bureaux d’aide juridictionnelle.

2.   La baisse continue du taux de mise en recouvrement des frais avancés par l’État

En 2020, le taux de mise en recouvrement des frais avancés par l’État au titre de l’aide juridictionnelle était de 3 %. Le montant des sommes mises en recouvrement a diminué de 18,4 %. La crise sanitaire ne suffit pas à elle seule à expliquer l’affaiblissement du taux de recouvrement, qui est en recul pour la quatrième année consécutive.

 

 

 

 

Taux de mise en recouvrement des frais avancÉs par l’État
au titre de l’aide juridictionnelle

(en pourcentage)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le caractère structurel de cette diminution est préoccupant. Il s’agit d’un point sur lequel le rapporteur spécial a déjà plusieurs fois donné l’alerte. Il est urgent que les résultats s’améliorent : cela répond au souci d’une bonne gestion des deniers publics et d’un traitement équitable des justiciables.

Les prévisions du secrétariat général du ministère de la justice sont plus optimistes et anticipent une remontée du taux de recouvrement à 4,5 % en 2022 et 5 % en 2023. Elles s’appuient, d’une part, sur le travail pédagogique accompli depuis 2020 par l’administration centrale auprès des juridictions pour améliorer l’efficacité du processus de mise en recouvrement (diffusion de guide, organisation de webinaire, échanges directs entre les acteurs de l’aide juridictionnelle, examen systématique des résultats obtenus lors des dialogues de gestion).

Elles reposent, d’autre part, sur les perspectives ouvertes par l’article 234 de la loi de finances pour 2021 en termes de simplification, d’automatisation et de modernisation du processus de recouvrement. Sur la base des constats ([14]) formulés dans un rapport d’inspection ([15]) et dans le rapport d’information de nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin ([16]), il a été introduit une garantie de rétribution à l’aide juridictionnelle des avocats commis ou désignés d’office dans le cadre de certaines procédures (mentionnées au nouvel article 19-1 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique). Cette garantie de rétribution impose un examen a posteriori de l’éligibilité du demandeur et le remboursement des sommes avancées par l’État s’il s’avère non éligible.

Le décret d’application ([17]) a édicté plusieurs mesures d’application, qui sont entrées en vigueur le 1er juillet 2021. Néanmoins, si ce décret a rendu effectif le premier volet de la disposition inscrite dans la loi de finances pour 2021 (rétribution garantie des avocats), le second volet (vérification de l’éligibilité a posteriori et recouvrement en cas d’inéligibilité) le sera ultérieurement, lorsque le nouveau système d’information pour l’aide juridictionnelle (SIAJ) aura été déployé et doté d’une telle fonctionnalité. Cela nécessitera notamment des adaptations techniques pour permettre aux caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), au SIAJ et à la direction générale des finances publique (DGFiP) d’échanger les données indispensables à un recouvrement rapide et efficient après commission ou désignation d’office.

3.   La lente mise en place du système d’information pour l’aide juridictionnelle

L’article 243 de la loi de finances pour 2020 a ouvert la possibilité de formuler une demande d’aide juridictionnelle par voie électronique afin de faciliter la démarche du justiciable et de réduire le délai d’instruction par le bureau d’aide juridictionnelle.

La dématérialisation de l’aide juridictionnelle s’appuie sur le projet de système d’information pour l’aide juridictionnelle (SIAJ), annoncé en 2018, qui prévoyait que « l’aide juridictionnelle [soit] accessible en ligne dans une version simplifiée au plus tard le 31 décembre 2019. Elle sera numérisée de bout en bout, de la demande initiale à l’instruction et l’attribution, pour les justiciables comme pour les auxiliaires de justice ». Le projet comportait à la fois un chantier réglementaire (par la modification des règles d’éligibilité à l’aide), un chantier de simplification des procédures, tant pour les usagers par la mise en place d’un télé-service, que pour les agents des bureaux d’aide juridictionnelle (facilitation du traitement des demandes dématérialisées) ainsi qu’un chantier informatique de dématérialisation de la demande d’aide.

Le SIAJ a donc été envisagé, dès sa conception, pour permettre le traitement des demandes de bout en bout. L’outil SIAJ permet ainsi, pour les usagers, de déposer une demande en ligne et de communiquer de manière dématérialisée avec les bureaux d’aide juridictionnelle en charge de leur demande et, pour les agents des bureaux d’aide juridictionnelle, d’enregistrer les demandes, de procéder à leur instruction, de prendre une décision et de la notifier par voie électronique.

Le projet SIAJ est expérimenté depuis mars 2021 sur deux juridictions du ressort de la cour d’appel de Rennes. Il sera expérimenté sur deux autres juridictions du même ressort avant d’être progressivement déployé sur une cinquantaine de sites à compter de l’automne 2021.

En parallèle, un nouveau modèle de formulaire de demande d’aide juridictionnelle est expérimenté, afin de simplifier et de clarifier le document rempli par les demandeurs et de fusionner les formulaires destinés aux justiciables et aux avocats. Le formulaire résultant de cette expérimentation sera progressivement déployé à l’automne 2021 et se substituera définitivement aux formulaires actuels à compter du 1er janvier 2022.

L’objectif d’atteindre une part des demandes d’aide juridictionnelle déposée et traitées par voie dématérialisée supérieure ou égale à 10 % des demandes n’a pas été atteint à ce jour, dans la mesure où seuls deux sites sont aujourd’hui déployés. D’après le ministère, le déploiement progressif du SIAJ permettra de voir la part des demandes en ligne augmenter progressivement. La cible est de 50 % de dossiers dématérialisés d’ici 2023.

 


V.   Le Programme 310 Conduite et pilotage de la politique de
la justice

Le programme 310, qui concentre les moyens de l’état-major, des directions législatives et des services d’intérêt commun du ministère, porte également les crédits du plan de transformation numérique du ministère de la justice.

A.   La poursuite du plan de transformation numÉrique du ministre de la justice

Les crédits du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice s’élèvent à 619 millions d’euros en AE et 638,2 millions d’euros en CP. Ils augmentent donc de manière significative (+ 37 % en AE et + 27,5 % en CP) par rapport à la loi de finances pour 2021. Le plan de transformation numérique du ministère de la justice, initié en 2018, aborde en 2022 sa dernière année de mise en œuvre.

Évolution des crÉdits du
programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

LFI 2021

PLF 2022

Évolution

Action 01 – État-major

11,0

10,4

– 7 %

11,0

10,4

– 7 %

Action 02 – Activité normative

27,3

27,8

+ 5 %

27,3

27,8

+ 5 %

Action 03 – Évaluation, contrôle, études et recherche

21,0

22,2

+ 11 %

21,0

22,2

+ 10 %

Action 04 – Gestion de l’administration centrale

156,6

187,1

+ 38 %

156,6

176,9

+ 17,5 %

Action 09 – Action informatique ministérielle

196,6

310,9

+ 46 %

196,6

340,2

+ 38 %

Action 10 – Politiques RH transversales

50,7

60,7

+ 32 %

50,7

60,7

+ 32 %

Total

463,3

619,0

+ 37 %

463,3

638,2

+ 27,5 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Un renforcement des effectifs du secrétariat général

Les crédits de rémunération s’élèvent à 199,8 millions d’euros, en hausse de 11,6 millions d’euros par rapport à 2021. Hors contribution au CAS Pensions, les dépenses de personnel atteignent 159,8 millions d’euros, soit une augmentation de 8 % par rapport à la loi de finances pour 2021.

Ces crédits permettront de créer 30 ETP supplémentaires au secrétariat général pour poursuivre la mise en œuvre du plan de transformation numérique. Le schéma d’emplois se répartit entre 20 ETP dans la catégorie « personnels d’encadrement » (250 arrivées prévues, principalement des contractuels) et 10 ETP au profit des personnels administratifs et techniques de catégorie B. Si le ministère de la justice, en début de programmation, a rencontré des difficultés pour renforcer ses équipes, notamment pour recruter et fidéliser des informaticiens, les choses ont évolué dans le bon sens depuis. Fin 2020, les deux tiers des emplois prévus dans le cadre du plan de transformation numérique avaient été pourvus.

Afin d’accompagner l’augmentation des emplois du secrétariat général du ministère, le plafond d’emplois du programme 310 Conduite et pilotage de la politique de la justice est relevé à 2 615 ETPT pour 2022, en hausse de 2,4 %.

En outre, sont prévues des mesures catégorielles à hauteur de 3 millions d’euros, dont 1,9 million d’euros de mesures statutaires et 1,1 million d’euros de mesures indemnitaires, notamment en faveur des corps communs de catégories B et C. En parallèle, un plan de revalorisation du traitement des agents contractuels, notamment au profit des métiers du numérique en tension, coûtera 1,8 million d’euros.

2.   La priorité donnée aux investissements informatiques

Les crédits hors titre 2 s’élèvent à 419,2 millions d’euros en AE et 438,4 millions d’euros en CP. Ils augmentent fortement (+ 52 % en AE et + 26 % en CP) par rapport à 2021. L’augmentation des crédits résulte principalement d’un accroissement de 45,6 millions d’euros en AE et en CP sur l’informatique ministérielle dans le cadre de l’accélération du plan de transformation numérique.

Hors masse salariale, les crédits affectés à l’action 09 pour l’informatique ministérielle s’élèvent à 268,5 millions d’euros en AE et 297,8 millions d’euros en CP. Ils se décomposent ainsi :

– 106,9 millions d’euros en AE et en CP au titre des dépenses de fonctionnement ;

– 161,5 millions d’euros en AE et 190,9 millions d’euros en CP au titre des dépenses d’investissement du plan de transformation numérique (dont 20,3 millions d’euros en AE et 36,4 millions d’euros en CP pour l’exploitation et le développement de la Plateforme nationale d’interception judiciaire).

En ce qui concerne les dépenses de fonctionnement informatique, le budget 2022 est en hausse de 24 % (+ 20,7 millions d’euros) par rapport à 2021. Cette hausse résulte de la montée en puissance du plan de transition numérique avec la livraison de systèmes d’information et la mise en exploitation de nouvelles fonctionnalités. Elle provient aussi de l’introduction de nouveaux besoins (renouvellement des équipements de stockage et de sécurité des réseaux, mise en place d’une solution d’hébergement et de stratégie d’un cloud de l’État) pour un montant global de 8,5 millions d’euros. Enfin, la hausse s’explique par le redéploiement de crédits initialement prévus en investissement vers le budget de fonctionnement informatique.

Dans le domaine des dépenses d’investissement informatique, le projet de budget pour 2022 présente une hausse significative de 117 % en AE et 31 % en CP par rapport à la loi de finances pour 2021. Cette évolution s’explique notamment par l’actualisation de la trajectoire budgétaire initiale et l’accélération de la mise en œuvre du plan de transformation numérique. Un ensemble de nouveaux besoins a été programmé pour un montant global de 35,5 millions d’euros (télé-audience, refonte de l’application CASSIPEE, remplacement des outils de contentieux dans le domaine de la justice civile).

Les crÉdits du plan de transformation numÉrique
en loi de finances initiale

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

L’année 2022 sera la dernière année de mise en œuvre du plan de transformation numérique. La crise sanitaire a montré l’importance de fusionner les applicatifs et de numériser l’ensemble des procédures. Elle doit – en théorie – permettre de conclure de nombreux programmes et de les rendre pleinement opérationnels.

3.   Le budget de l’Agence publique pour l’immobilier de la justice

Depuis la loi de finances pour 2020, la subvention pour charges de service public allouée à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) est fixée à 13,4 millions d’euros. Elle prend notamment en compte l’augmentation des effectifs de l’APIJ (+ 5 ETPT en 2020) afin de lui permettre d’assurer la prise en charge du programme immobilier de l’administration pénitentiaire et des services judiciaires. Le plafond d’emplois de l’opérateur est de 136 ETPT pour 2021.

Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit une hausse à hauteur de 14,2 millions d’euros (+ 760 000 euros) de la subvention pour charges de service public de l’APIJ pour accompagner la hausse de son activité et des recrutements associés, notamment pour les opérations relatives à l’Île de la Cité ou à la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin, mais également pour l’impact constaté sur l’activité support. En outre, le plafond d’emplois de l’opérateur augmente d’1 ETPT (en provenance du ministère de l’intérieur) dans le cadre de la réalisation de l’opération relative à la cité administrative et judiciaire de Saint-Martin.

Le plan de charge de l’APIJ

Le plan de charge de l'APIJ pour la période 2018-2020 comprend un grand nombre d'opérations :

– la mise en œuvre du programme visant à livrer 15 000 nouvelles places de détention, décidé par le Gouvernement ;

– le démarrage de la nouvelle programmation immobilière judiciaire ;

– la poursuite, en phase d'études ou de travaux, d'opérations judiciaires déjà présentes dans le précédent triennal, certaines ayant été retardées pour des raisons techniques ou budgétaires ;

– le lancement opérationnel des études et travaux de modernisation du palais de justice historique de l'Ile de la cité, opération considérable par ses enjeux, sa complexité et sa taille.

En 2021, l’agence a livré le centre pénitentiaire de Lutterbach, les projets judiciaires de Mont-de-Marsan, Aix-en-Provence et Cayenne ainsi que la salle d’audience « grands procès » sur l’Ile de la Cité. En plus des opérations déjà engagées, la poursuite de la mise en œuvre du plan « prisons » a conduit à lancer les projets de cinq centres pénitentiaires supplémentaires et du premier établissement et tourné vers la réinsertion et le travail. Ont aussi été lancés sept concours pour de nouvelles opérations judiciaires.

En plus des opérations dont elle a la charge au titre des programmes 107, 166 et 182, l’APIJ s’est aussi vue confier le pilotage de trois opérations au titre du plan de relance, financées par le programme 362 Écologie de la mission Plan de relance :

– des travaux d’isolation thermique et de de désamiantage de l’ex. centre des jeunes détenus de Fleury Mérogis ont été retenus pour 5 millions d’euros. Ils ont démarré au premier semestre 2021 pour s’achever fin 2022 ;

– dans le cadre du projet de restructuration du palais de justice de l’île de la Cité, une opération prioritaire de mise aux normes techniques et de réfection de clos et couvert a été retenue pour 63 millions d’euros. Les travaux doivent débuter au second semestre 2022 ;

– à la suite du passage du cyclone Irma à Saint-Martin en septembre 2017, plusieurs services d'État se sont retrouvés sans locaux. Après la phase de relogement transitoire, la préfecture et la Chancellerie ont étudié l’opportunité de réaliser un projet immobilier commun. Le projet de cité administrative et judiciaire de Saint‑Martin a été retenu pour 38,8 millions d’euros. Les études de conception seront réalisées en 2022 pour un démarrage des travaux prévu dès la fin de l’année.

4.   Le budget de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels

L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels (AGRASC), rattachée à la mission Justice en 2021 en tant qu’opérateur du programme 166 Justice judiciaire, sera à compter de 2022 rattachée au programme 310.

L’AGRASC est traditionnellement financée par les intérêts perçus sur le stock des avoirs confisqués et saisis ainsi que par une fraction du produit des avoirs confisqués, dont le montant est plafonné à 1,3 million d’euros. Toutefois, la réalisation par l’AGRASC de ses objectifs d’accélération du traitement des avoirs criminels saisis conduit mécaniquement à réduire le montant des intérêts perçus sur ces avoirs et donc à diminuer les ressources de l’opérateur. En conséquence, en application de l’article 14 du projet de loi de finances pour 2022, les intérêts perçus sur le stock des avoirs saisis sont réaffectés à l’État et, en compensation des bonnes performances de l’AGRASC, le plafond de la fraction du produit des avoirs revenant à l’agence est relevé de 1,3 million d’euros à 9,9 millions d’euros.

En outre, l’AGRASC recevra aussi une subvention pour charges de service public du programme 310 à hauteur de 8,9 millions d’euros en 2022. Comme en 2021, le plafond d’emplois de l’opérateur reste fixé à 45 ETPT.

Enfin, le projet de loi de finances acte la fusion, au 1er janvier 2022, de la mission de recherche « Droit et Justice » avec l’Institut des hautes études sur la justice afin de donner naissance à un nouveau groupement d’intérêt public « pour la recherche et les études prospectives sur la justice ». Les crédits de ce groupement public s’élèveront à 1,37 million en 2022 (contre 770 000 euros pour la mission de recherche en 2021).

B.   MalgrÉ l’augmentation des crÉdits, les outils de suivi et de pilotage demeurent insuffisants

Le rapporteur note que les crédits alloués depuis plusieurs exercices à la transformation numérique du ministère de la justice, attendue tant par les magistrats et l’ensemble des personnels que par les justiciables, commencent à donner quelques résultats. Néanmoins, il tient une nouvelle fois à souligner la nécessité de renforcer le pilotage de cette transformation, qui n’est pas encore achevée.

1.   Le déploiement progressif des grands projets numériques du ministère

Sur l’axe 1 consacré à l’adaptation du socle technique et des outils de travail, les livraisons d’équipements se sont poursuivies en 2021, notamment pour doter l’ensemble des personnels du ministère pouvant télétravailler d’un ordinateur portable. Les efforts liés au développement du débit réseau, des outils de visioconférence et du cloud se poursuivront en 2022.

L’axe 2 dédié aux évolutions applicatives porte les principaux enjeux liés à la modernisation numérique de la justice.

Dans le cadre de la transformation numérique de la justice civile, l’applicatif PORTALIS doit permettre de dématérialiser l’intégralité des procédures civiles et a vocation à devenir l’outil unique et commun à l’ensemble des juridictions civiles. Le portail sur le contentieux devant les conseils de prud’hommes, expérimenté dans deux juridictions (Bordeaux et Dijon) depuis juillet 2021, sera déployé à Nantes en octobre 2021 et pourrait être généralisé aux 208 conseils de prud’hommes de métropole et d’outre-mer au cours de l’année 2022. L’étape suivante concernera le contentieux des juges aux affaires familiales.

S’agissant de la modernisation de la justice pénale, la procédure pénale numérique (PPN) vise à accélérer les procédures grâce à l’abandon du papier et de la signature manuscrite, depuis l’acte d’enquête initial jusqu’à l’exécution de la peine. D’ici mars 2022, toutes les juridictions de métropole et d’outre-mer devraient pouvoir traiter de manière dématérialisée les procédures dites des « petits X » ([18]) et, pour 52 d’entre elles, ce périmètre devrait être étendu aux déferrements et convocations par un officier de police judiciaire.

En outre, à l’instar des tribunaux judiciaires, toutes les cours d’appel devraient être dotées du logiciel CASSIOPÉE. Le déploiement de celui-ci, réalisé au cours de l’année 2021, devrait ainsi s’achever en 2022 à Paris, Versailles et dans les cours d’appel ultramarines. Destiné à l’ensemble de la chaîne pénale, du parquet à l’exécution des peines, ce logiciel unique, interfacé avec les logiciels d’autres services tels que les services enquêteurs, vise à traiter l’ensemble des contraventions de 5ème classe, délits et crimes.

Enfin, le deuxième palier du projet ASTREA de dématérialisation du casier judiciaire devrait être finalisé fin 2021. Les justiciables pourront demander un extrait de casier judiciaire en ligne. Les magistrats et les administrations obtiendront une réponse dématérialisée à leurs demandes de bulletins du casier judiciaire des personnes morales. La prochaine étape visera un élargissement de l’interconnexion avec les casiers judiciaires des ressortissants de l’Union européenne.

L’ensemble des systèmes d’information sont développés selon une méthode dite « agile », qui permet d’adapter les applicatifs en cours de route et d’intégrer de nouvelles fonctionnalités en fonction des évolutions législatives et réglementaires. Ainsi, en 2022, le SIAJ intégrera de nouvelles fonctionnalités à son périmètre tel que le traitement des recours et des retraits, la gestion du recouvrement, l’aide juridictionnelle aux personnes morales mais aussi l’aide à l’intervention de l’avocat et divorce par consentement mutuel. En outre, le SIAJ sera adapté pour prendre en compte les spécificités ultra-marines. Par ailleurs, le logiciel CASSIOPEE sera mis à jour pour être adapté au nouveau code de justice pénal des mineurs.

2.   Des résultats contrastés

L’indicateur de performance 1.4 témoigne de l’accélération du plan de transformation numérique. Pour le taux d’écart budgétaire agrégé ([19]) des grands projets informatiques, la prévision 2021 actualisée s’élève à 6 %, un niveau bien en dessous de la prévision initiale (20 %) et similaire à celui de 2020 (5,8 %). Le taux d’écart calendaire ([20]) agrégé est quant à lui prévu à hauteur de 0 % en 2021 (contre une prévision de 5 % et une réalisation de 1,2 % en 2020). Ces résultats sont positifs et doivent être salués.

Respect des coûts et des dÉlais des grands projets informatiques

(en pourcentage)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Néanmoins, la transformation numérique du ministère de la justice est une entreprise de long terme et la Chancellerie doit maintenir ses efforts dans la durée. À cet égard, le rapporteur note que les prévisions pour 2022 anticipent une forte hausse à la fois du taux d’écart budgétaire agrégé (28,8 %) et du taux d’écart calendaire agrégé (10,8 %). Le projet annuel de performance justifie ces cibles par un changement de périmètre ([21]) et de méthode de calcul (prise en compte des jalons et non de l’intégralité des projets), sans donner davantage de précision.

Les prévisions de l’indicateur pour 2022 montrent des résultats contrastés selon les applicatifs. L’avancement de certains projets est conforme à la programmation initiale. Ainsi, pour la PPN, le coût actualisé est inférieur de 6,55 % au coût initial et les délais sont tenus. Les retards sont toutefois conséquents pour d’autres projets. Le projet ASTREA, par exemple, fait l’objet d’un coût actualisé en hausse de + 255 % et d’une durée actualisée supérieure de 92 % à la durée initiale.

Respect des coûts des grands projets informatiques (prÉvisions 2022)

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les écarts à la prévision sont toutefois plus budgétaires que calendaires. Hormis les projets ASTREA (+ 92 %), CASSIOPÉE (+ 12 %) et PORTALIS (+ 12,5 %), les calendriers envisagés pour 2022 sont conformes à la prévision initiale.

Respect des dÉlais des grands projets informatiques (prÉvisions 2022)

(en mois)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

S’agissant des performances des systèmes d’information et de communication (indicateur 1.5), les résultats sont discordants. La proportion de site dont le débit réseau est optimisé marque une réelle progression, de 49,7 % en 2019 à 67 % en 2020 et 93 % en 2021. Cela traduit les efforts réalisés, dans l’urgence, lors du premier confinement de 2020.

La durée moyenne d’indisponibilité des applicatifs est réduite à 2,5 jours en moyenne en 2021 contre 6,1 jours en 2019 et 2020. Toutefois, la part des sollicitations du support utilisateurs résolues par le centre de services informatiques sans qu’il ne soit besoin de faire appel à un autre intervenant informatique diminue de 50 % en 2019 à 42 % en 2021.

Quant au pourcentage des utilisateurs satisfaits de leur environnement de travail, il demeure en 2021 (32,9 %) plus élevé qu’en 2019 (25,6 %), mais il ne progresse pas par rapport à 2020 (32,8 %).

Performance des systÈmes d’information et de communication

(en pourcentage)

 

2019

2020

2021 (prév.)

2022 (prév.)

Durée moyenne d’indisponibilité d’un lot d’applications (en sortie des centres de production) hors maintenance programmée (en jours)

6,13

6,1

2,5

2,3

Satisfaction utilisateurs sur leur environnement de travail (en pourcentage)

25,6

32,8

32,9

40

Part de sollicitations du support utilisateurs
résolues au niveau 1 (en pourcentage)

50

40

42

50

Proportion de sites dont le débit réseau a été
optimisé (en pourcentage)

49,7

67

93

97

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

3.   La nécessité de renforcer le pilotage de la transformation numérique

En tout état de cause, le secrétariat général du ministère de la justice manque encore d’outils de pilotage lui permettant d’optimiser l’avancement des projets et des dépenses. Ainsi, il ne dispose toujours pas d’un schéma directeur, un outil pourtant indispensable pour suivre l’exécution des crédits et l’avancement en temps réel des projets.

Toutefois, le ministère prend progressivement conscience de ses lacunes et travaille à les corriger. Des outils de comptabilité analytique sont en cours de développement. En outre, le comité stratégique chargé d’organiser le plan a été renforcé en 2021 et certaines des priorités du plan ont été redéfinies et des redéploiements de crédits ont eu lieu en conséquence. Ces mesures, qui font suite aux recommandations de la Cour des comptes ([22]) et à celles du rapporteur spécial, sont bienvenues. Il reste désormais à obtenir des améliorations concrètes pour les personnels du ministère et les justiciables.


—  1  —

   SECONDE PARTIE : ARTICLE 44 –
REVALORISATION DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE

*

*     *

Justice

Article 44

Revalorisation de l’aide juridictionnelle

Dans le prolongement de la réforme de l’aide juridictionnelle prévue à l’article 234 de la loi de finances pour 2021, l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 propose une nouvelle augmentation de la rétribution des avocats qui prêtent leur concours aux justiciables bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Il répond ainsi à l’une des propositions formulées par la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat menée en 2020 et présidée par M. Dominique Perben.

I.   L’État du droit

L’aide juridictionnelle est une aide financière accordée par l’État aux personnes physiques, et très exceptionnellement aux personnes morales, disposant de ressources insuffisantes afin de défendre leurs droits devant les juridictions judiciaires et administratives. Elle vise à permettre l’accès de tous les citoyens, en particulier les personnes les plus démunies, à la justice, droit fondamental garanti par l’État et par les conventions internationales.

1.   L’aide juridictionnelle permet la prise en charge par l’État des frais liés à un procès

L’aide juridictionnelle a été créée par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, qui a été complétée en 1993 afin d’élargir l’usage de l’aide aux cas d’assistance par un avocat dans le cadre de procédures pénales non juridictionnelles (garde à vue, audition libre ou présentation devant le procureur de la République). Son application repose également sur un décret du 28 décembre 2020 ([23]).

L’admission d’un justiciable à l’aide juridictionnelle permet la prise en charge par l’État de tout ou partie des frais engendrés par le procès (rétribution d’avocat ou d’huissier de justice, frais d’expertise) et des frais de procédure pénale (rétribution d’avocat intervenant lors d’une garde à vue, d’une audition libre, d’une présentation devant le procureur de la République).

2.   Les critères d’éligibilité de l’aide juridictionnelle ont été modifiés en 2020

L’aide juridictionnelle est accordée sous conditions de ressources pour toute action en justice qui n’apparaît pas manifestement irrecevable ou dénuée de fondement. Le bénéfice de l’aide juridictionnelle et son montant sont conditionnés à un plafond mensuel de revenus fixé par décret à 1 000 euros pour l’aide juridictionnelle totale et 1 500 euros pour l’aide juridictionnelle partielle.

À la suite du rapport d’information de nos collègues Naïma Moutchou et Philippe Gosselin présenté en conclusion des travaux d’une mission d’information sur l’aide juridictionnelle ([24]), l’article 243 de la loi de finances pour 2020 a révisé les critères d’éligibilité de l’aide juridictionnelle, afin de simplifier, de fiabiliser et d’harmoniser la manière dont les bureaux d’aide juridictionnelle traitent les demandes d’admission formulées par les justiciables.

Désormais, l’appréciation des ressources du demandeur se fonde :

– sur le revenu fiscal de référence et, à défaut ou en l’absence de revenu fiscal de référence, sur les ressources imposables du demandeur ;

– sur la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier non productif de revenus et du patrimoine mobilier productif de revenus ;

– sur la composition du foyer fiscal ;

– dans les situations de litiges intrafamiliaux, l’appréciation des ressources du demandeur est individualisée.

Les plafonds d’admission à l’aide juridictionnelle sont déterminés par voie réglementaire. Ils ont été fixés par un décret du 28 décembre 2020 précité, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021.

Par ailleurs, la loi de finances pour 2020 a également modifié l’organisation et l’implantation des bureaux d’aide juridictionnelle, à présent fixé par un décret du 7 décembre 2020 ([25]).

 

 

3.   La rétribution des avocats dépend d’une unité de valeur de référence déterminée par la loi, qui a été revalorisée en 2021

La loi prévoit que l’avocat qui assiste un justiciable bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a droit à une rétribution. En application de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1991 précitée, le montant de cette rétribution « résulte d’une part, du nombre de missions d’aide juridictionnelle accomplies par les avocats du barreau et, d’autre part, du produit d’un coefficient par type de procédure et d’une unité de valeur de référence ». Il procède notamment des barèmes fixés, pour chaque type de procédure, dans les annexes du décret du 28 décembre 2020 précité.

L’une des principales préconisations de la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, présidée par M. Dominique Perben, et dont le rapport a été remis au ministre de la justice, Garde des sceaux le 26 août 2020, était de revaloriser la rétribution versée à tout avocat qui prête son concours à un justiciable bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention d’un avocat dans les procédures pénales non juridictionnelles, en augmentant l’unité de valeur de référence de 32 à 40 euros hors taxe. Ce rapport proposait également de remédier à certains déséquilibres dans le barème qui récapitule les différentes valeurs prises par le coefficient multiplicateur en fonction du type de mission effectuée.

En conséquence, l’article 234 de la loi de finances pour 2021 – qui résulte d’un amendement du Gouvernement adopté à l’Assemblée nationale en première lecture, avec un avis favorable du rapporteur spécial Patrick Hetzel – procède à une revalorisation de l’unité de valeur de référence de 32 à 34 euros hors taxe à compter du 1er janvier 2021. Le coût de la mesure est estimé à 11,3 millions d’euros en 2021 mais devrait atteindre environ 25 millions d’euros en année pleine ([26]). En parallèle, il a également été procédé à une refonte du régime de rétribution des avocats commis d’office (voir le IV de la première partie du présent rapport spécial) et à une simplification des règles de gestion et les modalités de versement de la dotation annuelle grâce à laquelle les caisses autonomes de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) rétribuent les avocats.

La réforme prévue dans la loi de finances pour 2021 s’est accompagnée, au niveau réglementaire, d’une revalorisation des coefficients de certaines des procédures, notamment des procédures pénales, éligibles à l’aide juridictionnelle ou à l’aide à l’intervention d’un avocat. Ce rééquilibrage des barèmes contenus dans les annexes du décret du 28 décembre 2020 précité s’est fait après consultation du Conseil national de l’aide juridique (CNAJ), qui contient des représentants de la profession d’avocat.

Au total, le coût des mesures législatives et réglementaires prises en 2021 s’élève à 25 millions d’euros, conformément à l’enveloppe budgétaire annoncée par le Gouvernement lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021. En année pleine, son coût sera d’environ 40 millions d’euros par an.

Les premières analyses de l’impact des réformes récentes tendent à montrer que le périmètre d’éligibilité à l’aide juridictionnelle ou à l’aide à l’intervention d’un avocat dans les procédures pénales non juridictionnelles était peu modifié. Ainsi, une étude de la direction interministérielle de la transformation publique ([27]) a montré que seulement 6,4 % des dossiers satisfaisant aux anciens critères d’éligibilité ne répondaient plus aux nouveaux critères et que 4,5 % des dossiers répondant aux nouveaux critères n’auraient pas satisfait aux anciens. Il en a été conclu que la réforme des critères d’éligibilité n’entraînerait pas d’effet budgétaire significatif. Huit mois d’application de la mesure n’ont pas remis en cause cette conclusion.

II.   Le dispositif proposÉ

Dans le prolongement de la réforme de l’aide juridictionnelle menée en 2021, l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 propose une nouvelle augmentation de la rétribution des avocats qui prêtent leur concours aux justiciables bénéficiaires de l’aide juridictionnelle. Il propose une augmentation de l’unité de valeur de référence de 34 à 36 euros hors taxe à compter du 1er janvier 2022.

Aucune modification des barèmes existant au niveau réglementaire n’est prévue. L’augmentation de l’unité de valeur de référence déterminée par la loi permet de rehausser le montant de la rétribution versée à l’avocat quelle que soit la mission d’aide juridictionnelle réalisée. Il s’agit donc, pour le Gouvernement, « d’une mesure plus équitable, dans la mesure où elle bénéficiera à tous les avocats qui exercent au titre de l’aide juridictionnelle, que le contentieux soit judiciaire ou administratif et, en matière de contentieux judiciaire, qu’il soit civil ou pénal ». En outre, le Gouvernement fait valoir que « le barème ayant été revalorisé l’année dernière, les principaux déséquilibres ont déjà été corrigés » ([28]).

La revalorisation de la rétribution des avocats au titre de l’aide juridictionnelle ou de l’aide à l’intervention d’un avocat s’appliquera de plein droit dans les départements et régions d’outre-mer ainsi qu’à Saint-Barthélemy, à Saint‑Martin, à Saint-Pierre-et-Miquelon et dans les Terres australes et antarctiques françaises. La mise à jour de l’article 69-2 de la loi du 10 juillet 1991 précitée, prévue par l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022, permettra également l’application de la réforme en Polynésie française. Enfin, son application sera étendue par décret à Wallis-et-Futuna ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie.

Le coût de la réforme est estimé à 12,2 millions d’euros en 2022, puis 21,6 millions d’euros en 2023 et 25 millions d’euros en 2024 ([29]). Pour 2022, les crédits correspondants sont prévus sur le programme 101 Justice judiciaire de la mission Justice. Le suivi de l’impact budgétaire de la mesure sera assuré par le biais des remontées statistiques de l’Union nationale des caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats.

Le ministère de la justice indique que l’effet combiné des augmentations de l’unité de valeur de référence inscrites dans la loi de finances pour 2021 et dans le projet de loi de finances pour 2022 permettra une hausse de 12,5 % de la rétribution des avocats.

III.   La position de la commission

L’augmentation de l’unité de valeur de référence servant au calcul de la rétribution des avocats est une évolution souhaitable, qui répond à une demande ancienne mais légitime des avocats. Elle avait d’ailleurs été proposée par le rapporteur spécial lui-même ainsi que par d’autres membres de la commission des finances lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2021.

Le rapporteur spécial note que l’augmentation proposée, à hauteur de 36 euros hors taxe, demeure inférieure aux 40 euros évoqués dans le rapport de la mission Perben. Toutefois, il est vrai que le rapport évoquait aussi la possibilité de financer la revalorisation de l’unité de valeur « par la réintroduction d’un timbre fiscal, fixé à 50 euros, pour les contentieux commerciaux, civils, administratifs et familiaux d’un montant supérieur à 5 000 euros », débat que le Gouvernement ne semble pas prêt à ouvrir.

La commission a adopté l’article 44 sans modification.

 

 


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EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion de 18 heures 30, le mardi 19 octobre 2021, la commission des finances a entendu M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial, sur les crédits de la mission Justice.

Après avoir rejeté différents amendements de crédits, la commission a adopté les crédits de la mission.

La vidéo de cette réunion est consultable sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu sera prochainement disponible en ligne.

 

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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR SPÉCIAL

(par ordre chronologique)

 

Secrétariat général du ministère de la justice 

– Mme Catherine Pignon, secrétaire générale 

– M. Philippe Clergeot, secrétaire général adjoint 

– M. Philippe Caillol, chef du service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes 

– M. Jean-Yves Hermoso, chef du service des finances et des achats 

– M. Philippe Monnot, chef du service de l’immobilier ministériel 

– Mme Anne-Florence Canton, cheffe du service du numérique

 

Direction des services judiciaires 

– M. Paul Huber, directeur 

– M. Frédéric Chastenet de Géry, adjoint au directeur 

– M. Lionel Paillon, sous-directeur de la sous-direction des finances, de l’immobilier et de la performance

 

Direction du budget 

– M. Jean-Marc Oléron, sous-directeur de la 8ème sous-direction 

– M. François Deschamps, chef du bureau n° 8 de la justice et des médias

 

Direction de l’administration pénitentiaire 

– M. Laurent Ridel, directeur


([1])  Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([2]) L’ordonnance n° 2021-175 du 17 février 2021 rend l’adhésion des agents de la fonction publique d’État à une couverture complémentaire santé obligatoire entre 2022 et 2024, avec une participation de l’employeur devant couvrir 50 % des cotisations.

([3]) Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), rapport d’évaluation sur les systèmes judiciaires européens, cycle d’évaluation 2020 (données 2018), publié le 22 octobre 2020.

([4]) Les 1 000 emplois annoncés par le ministre se répartissait ainsi : 500 contrats de projet de 3 ans (330 juristes-assistants et 170 emplois de catégorie B pour renforcer les greffes) et 500 contrats saisonniers d’un an.

([5]) Il ressort d’une étude de l’Inspection générale de la justice et de l’Inspection générale des finances sur les opérations immobilières conduites par le ministère de la justice, même si la comparaison des coûts entre le PPP et les autres modes de construction et de gestion est complexe, que les économies n’ont pas été à la hauteur de ce qui était attendu en raison de la rigidité des marchés et des surcoûts souvent très onéreux occasionnés par les prestations qui n’étaient pas prévues dans le contrat.

([6]) Chiffres issus de la sous-direction de la statistique et des études du ministère de la justice.

([7]) Chiffres issus de la sous-direction de la statistique et des études du ministère de la justice.

([8]) Annexe n° 29 Justice de M. Patrick Hetzel au rapport n° 4195 de M. Laurent Saint-Martin fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2020, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 26 mai 2021.

([9]) Loi n° 2021-401 du 8 avril 2021 améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale.

([10]) Projet annuel de performance du programme 166 annexé au projet de loi de finances pour 2022, page 55.

([11]) La procédure dite du « droit de tirage », instaurée en 1990, consiste à octroyer la mise à disposition de places à une direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) au sein d’un ou plusieurs centres de détention situés dans une ou plusieurs DISP voisines. Ce dispositif a pour objectif de corriger les déséquilibres entre directions interrégionales en fonction de leurs capacités d’accueil en centres de détention.

([12]) Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

([13]) Selon les évaluations préalables de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 : « les clefs de paiements constatées en termes de dépense d’aide juridictionnelle démontrent qu’une hausse de l’aide juridictionnelle produit 45 % de ses effets la première année, 80 % de ses effets la deuxième année et presque 100 % la troisième année ».

([14]) Les deux rapports faisaient état d’un décalage entre la règle de droit – en vertu de laquelle les demandes d’aide juridictionnelle formulées par des avocats commis ou désignés d’office devaient répondre aux mêmes critères de recevabilité que les demandes d’aide formulées par les justiciables – et la pratique des bureaux d’aide juridictionnelle qui consistait bien souvent à accorder l’aide sans réellement examiner au préalable les ressources des bénéficiaires lorsque l’avocat est commis ou désigné d’office. Les deux documents recommandaient de définir dans la loi relative à l’aide juridique un périmètre limité de la commission d’office ouvrant droit à l’aide juridictionnelle sans examen préalable de la situation du justiciable.

([15]) Rapport de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de la justice sur l’aide juridictionnelle remis au Gouvernement en mars 2018.

([16]) Rapport d’information n° 2183 de M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou, déposé en conclusion des travaux d’une mission d’information de la commission des lois sur l’aide juridictionnelle, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019.

([17]) Décret n° 2021-810 du 24 juin 2021 portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles.

([18]) D’après les réponses au questionnaire budgétaire transmis en application de l’article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, il s’agit, typiquement, de l’« atteinte aux biens, d’un préjudice faible, et pour lequel le contenu de la plainte et les premiers éléments d’enquête ne laissent aucune chance d’identifier l’auteur ».

([19]) Taux d’écart budgétaire : moyenne pondérée des écarts entre budgets réactualisés et budgets prévus initialement pour chaque grand projet informatique.

([20]) Taux d’écart calendaire : moyenne pondérée des écarts entre délais réactualisés et délais prévus initialement pour chaque grand projet informatique.

([21]) Les valeurs « Prévisions 2022 » sont calculées pour les grands projets informatiques suivants : Astrea, ATIGIP360, SITENJ, Cassiopée V2, NED, Portalis, PPN et SIAJ.

([22]) Cour des comptes, « Le plan de continuité d’activité des juridictions judiciaires pendant la crise sanitaire liée à l’épidémie de covid 19 », communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, mai 2021.

([23]) Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat.

([24])Rapport d’information n° 2183 de M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou, déposé en conclusion des travaux d’une mission d’information de la commission des lois sur l’aide juridictionnelle, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019.

([25]) Décret n° 2020-1535 du 7 décembre 2020 fixant la liste et le ressort des bureaux d'aide juridictionnelle.

([26])  Selon les évaluations préalables de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 : « les clefs de paiements constatées en termes de dépense d’aide juridictionnelle démontrent qu’une hausse de l’aide juridictionnelle produit 45 % de ses effets la première année, 80 % de ses effets la deuxième année et presque 100 % la troisième année ».

([27])  Direction interministérielle de la transformation publique, étude sur l’impact budgétaire de la refonte des critères d’éligibilité à l’aide juridictionnelle, menée à partir d’un échantillon représentatif de dossiers provenant de six juridictions, 2019.

([28]) Voir les évaluations préalables de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022.

([29])  Comme pour 2021, les évaluations préalables de l’article 44 du projet de loi de finances pour 2022 indiquent « qu’une hausse de l’aide juridictionnelle produit 45 % de ses effets la première année, 80 % de ses effets la deuxième année et presque 100 % la troisième année ».