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N° 4692
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 novembre 2021
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT,
visant à nommer les enfants nés sans vie (n° 4241)
PAR Mme Béatrice DESCAMPS
Députée
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 4241.
Sénat : 189, 654, 655, et T.A. 124.
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SOMMAIRE
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Pages
AVANT-PROPOS............................................ 5
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La présente proposition de loi aborde un sujet difficile, celui de l’identification des enfants nés sans vie ou non viables.
Lorsqu’elles sont confrontées à cette expérience extrêmement douloureuse et traumatisante, au cours de laquelle la mort survient alors qu’on attendait la vie, les familles peuvent solliciter, auprès de l’officier de l’état civil, un « acte d’enfant sans vie ». Cela leur permet d’inscrire dans le livret de famille, et donc dans l’histoire familiale, la perte de cet enfant. Cette faculté est souvent perçue comme une étape nécessaire dans le travail de deuil, en ce qu’elle permet d’individualiser l’enfant perdu. Ainsi, en France, chaque année, plus de 8 700 familles sollicitent un tel acte, preuve de l’importance de cette reconnaissance sociale.
L’acte d’enfant sans vie a été inscrit à l’article 79-1 du code civil par la loi du 8 janvier 1993. Cet article distingue le cas des enfants nés vivants et viables, qui feront l’objet de l’émission d’un acte de naissance et d’un acte de décès, des enfants nés sans vie ou non viables, dont les parents pourront demander la délivrance d’un acte d’enfant sans vie.
Celui-ci est établi par l’officier de l’état civil, à la demande des parents, et sur présentation d’un certificat médical d’accouchement. Cet acte est inscrit sur les registres de décès et peut également l’être sur le livret de famille. Depuis 2008, le livret de famille peut d’ailleurs être délivré aux parents non mariés dont le premier enfant est né sans vie ou non viable.
Si l’article 79-1 du code civil a amorcé la reconnaissance sociale de l’enfant sans vie, il ne l’envisage que de manière limitée, sans permettre une réelle individualisation de l’enfant. En effet, il ne prévoit pas la possibilité de donner un prénom et un nom à cet enfant, mais seulement de mentionner les dates, heure et lieu de l’accouchement ainsi que l’identité des parents.
S’agissant de l’attribution d’un prénom à l’enfant sans vie, la pratique a évolué. Cette possibilité a été ouverte par l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999. Mais cette faculté restait peu utilisée, sans doute en raison de sa méconnaissance tant par les officiers de l’état civil que par les familles.
Puis, en 2009, une circulaire interministérielle a confirmé cette faculté, auxquelles les familles ont désormais massivement recours : 94 % des actes d’enfant sans vie délivrés chaque année comprennent la mention d’un prénom pour l’enfant disparu.
L’un des premiers effets de cette proposition de loi est d’inscrire dans la loi cette possibilité, afin d’apporter de la sécurité juridique au dispositif.
S’agissant de l’attribution d’un nom de famille, la circulaire de 2009 l’avait expressément exclue, en raison du risque de confusion que cela pouvait susciter quant à l’attribution de la personnalité juridique, dont la filiation et le nom de famille constituent des attributs. Or, en droit français, l’attribution de la personnalité résulte du fait d’être né vivant et viable.
Il en résultait une situation paradoxale et incomprise des parents, désignés par leur nom dans l’acte d’enfant sans vie, mais privés de la possibilité de désigner l’enfant disparu en lui donnant un nom.
La présente proposition de loi, déposée par la sénatrice Anne‑Catherine Loisier, propose de mettre un terme à ce paradoxe et d’aller au bout de la logique d’individualisation de l’enfant sans vie en permettant aux parents de lui attribuer un nom.
À l’initiative de sa rapporteure Marie Mercier, la commission des lois du Sénat a, tout en respectant l’intention initiale de l’auteure, apporté plusieurs précisions importantes au dispositif.
D’abord, elle a précisé que les parents ont la possibilité, mais non l’obligation, de donner des prénoms et nom à l’enfant sans vie. Laisser ce choix à la libre appréciation des parents est particulièrement important, tant les réactions face à la perte d’un enfant avant la naissance peuvent être différentes. La demande d’un acte d’enfant sans vie n’étant de surcroît soumise à aucun délai, cela permet aux familles d’intégrer cette étape dans leur cheminement de deuil au moment où cela leur paraît important.
Ensuite, elle a indiqué les modalités de choix du nom de famille qui sera attribué à l’enfant sans vie, qui pourra être celui du père, de la mère, ou les deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux, dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux.
Enfin, et surtout, elle a précisé, afin de sécuriser juridiquement le dispositif, que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ». Cette mention, qui permet d’éviter toute équivoque sur l’absence d’attribution de la personnalité juridique à l’enfant sans vie, conduit également à écarter l’application du troisième alinéa de l’article 311‑21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille. Cet article, qui dispose que « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs », ne s’appliquera donc pas.
Cette proposition de loi, examinée au Sénat dans le cadre d’une journée réservée au groupe Union centriste, et qui sera examinée en séance publique à l’Assemblée nationale dans le cadre de la journée réservée du groupe UDI, est un bel exemple d’initiative parlementaire qui peut prospérer au terme d’une coopération entre les deux assemblées.
Votre rapporteure le sait : quelques améliorations auraient pu être envisagées, notamment pour substituer aux termes « père » et « mère » le mot « parents ». Mais l’occasion est unique de faire de ce dispositif une loi, et cela commande que le texte soit adopté conforme par les deux assemblées. Il reste utile de réaffirmer qu’il n’existe aucune équivoque quant à l’intention du législateur : ce dispositif s’appliquera à toutes les familles, indépendamment de leur composition.
Cette proposition de loi propose un accompagnement des familles endeuillées par l’inscription mémorielle de l’enfant sans vie à l’état civil. Bien que dépourvue de conséquences juridiques sur la filiation ou encore l’attribution de la personnalité juridique, la valeur du symbole ainsi porté par le législateur n’en sera pas moins important pour les destinataires de cette loi que sont les familles.
Bien sûr, cette loi n’effacera pas la peine des parents. Mais sans doute le législateur aura-t-il fait œuvre utile en évitant d’ajouter à leur malheur par un refus d’individualisation inaudible pour les parents confrontés à l’indicible.
Si elle est adoptée, cette proposition de loi sera d’application immédiate. Cela signifie que les familles ayant vécu le drame de la perte d’un enfant sans vie avant la promulgation de la présente loi, et n’ayant pas encore sollicité un acte d’enfant sans vie, pourront le faire, sur présentation d’un certificat médical d’accouchement. Elles pourront dans ce cas apposer la mention d’un prénom et d’un nom sur l’acte.
S’agissant des familles ayant déjà sollicité un acte d’enfant sans vie, il conviendra de solliciter la rectification du livret de famille aux fins d’ajouter la mention du nom de l’enfant. Il appartiendra au Gouvernement de préciser les modalités concrètes de cette procédure de rectification, par exemple en adaptant le décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille.
La commission des Lois de l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité cette proposition de loi. L’examen en séance publique sera l’occasion de confirmer l’union des représentants de la nation dans leur volonté d’apporter une réponse humaine aux parents confrontés à une douloureuse épreuve.
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Article unique
(art. 79-1 du code civil)
Permettre aux parents d’un enfant né sans vie ou non viable d’inscrire symboliquement ses prénoms et nom à l’état civil
Adopté par la commission sans modification
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique de la proposition de loi découle de l’adoption d’un amendement de rédaction globale de la rapporteure par la commission des Lois du Sénat. Il ouvre aux parents la possibilité d’inscrire dans l’acte d’enfant sans vie établi par l’officier de l’état civil les prénoms et nom de l’enfant, mais précise que cela n’emporte aucun effet juridique. Il définit également les modalités de choix du nom de famille.
Dernières modifications intervenues
L’article 79-1 du code civil a fait l’objet d’une seule modification, issue de l’ordonnance n° 2019‑964 du 18 septembre 2019, qui tire les conséquences de la substitution du tribunal judiciaire au tribunal de grande instance, inscrite dans la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice. Le dernier alinéa de l’article 79-1 du code civil dispose désormais que c’est le tribunal judiciaire qui peut être saisi de la question de savoir si l’enfant qui a fait l’objet de l’acte d’enfant sans vie a vécu ou non.
1. L’état du droit
a. L’article 79-1 du code civil : la reconnaissance sociale symbolique de l’enfant sans vie
Issu de l’article 6 de la loi n°93-22 du 8 janvier 1993 ([1]), l’article 79-1 du code civil modifie les modalités de déclaration à l’état civil des enfants sans vie, auparavant inscrites dans le décret du 4 juillet 1806 ([2]) qui commandait la présentation du corps de l’enfant à l’officier de l’état civil.
Le premier alinéa de l’article 79-1 du code civil appréhende le cas de l’enfant né vivant et viable, mais décédé avant que sa naissance ait pu être déclarée. Dans cette situation, la remise à l’officier de l’état civil d’un certificat médical indiquant que l’enfant est né vivant et viable permettra l’établissement d’un acte de naissance et d’un acte de décès.
Le second alinéa prévoit que pour les enfants nés sans vie ou non viables, l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie, inscrit sur les registres de décès, et énonçant le moment de l’accouchement et l’identité des parents.
Cet acte d’enfant sans vie peut être demandé par les parents. Cette faculté, qui n’emporte pas d’effet juridique, permet aux parents d’inscrire symboliquement cette naissance dans l’histoire familiale et facilite leur travail de deuil.
C’est donc sur le plan des symboles que se situe le second alinéa de l’article 79-1 du code civil. Ainsi que le souligne le professeur Pierre Murat, « si le droit n’a pas le pouvoir de consoler, au moins a-t-il le devoir de ne pas ajouter à la souffrance, ce qu’il peut faire en ne refusant pas inutilement une individualisation juridique lors de la venue au monde du fœtus : celle-ci peut légitimement apparaître aux parents comme un élément symbolique de reconnaissance sociale, un point d’appui nécessaire au cheminement de leur deuil et la garantie d’un traitement compatible avec la qualité d’être humain » ([3]).
b. Les évolutions du cadre réglementaire relatif à la délivrance de l’acte d’enfant sans vie
La question de savoir à partir de quel terme de gestation ou de développement du fœtus peut être obtenu l’acte d’enfant sans vie a reçu une réponse évolutive.
i. La remise en cause par la Cour de cassation de la référence au seuil de viabilité de l’Organisation mondiale de la santé
La circulaire n° 50 de la direction générale de la santé du 22 juillet 1993 relative à la déclaration des nouveau-nés décédés à l’état civil préconisait de se référer aux seuils, fixés par l’Organisation mondiale de la santé, relatifs à la limite basse pour l’établissement d’un acte de naissance pour des enfants nés vivants. Ces critères alternatifs s’attachent à une durée minimale de grossesse de 22 semaines d’aménorrhée, ou à un poids minimal de 500 grammes.
Toutefois, l’instruction générale relative à l’état civil en date du 11 mai 1999 précisait quant à elle qu’un acte d’enfant sans vie « ne doit pas être dressé lorsque l’enfant est mort-né, après une gestation inférieure à 180 jours ».
Une circulaire ([4]) conjointe des ministères de la Solidarité, de la Justice et de l’Intérieur du 30 novembre 2001, intégrée à l’instruction générale relative à l’état civil, a ensuite consacré la solution retenue dans la circulaire de 1993 en indiquant que l’officier de l’état civil établit un acte d’enfant sans vie lorsque l’enfant est né vivant mais non viable, « ou lorsque l’enfant est mort-né après un terme de vingt-deux semaines d’aménorrhée ou ayant un poids de 500 grammes », précisant que « ces critères plus protecteurs et plus adaptés scientifiquement, ont vocation à se substituer au délai de 180 jours de gestation pour l’enregistrement à l’état civil des enfants mort-nés prévu dans l’instruction générale relative à l’état civil ».
Ces différentes interprétations n’ont pas résisté à l’analyse de la Cour de cassation qui, par trois arrêts du 6 février 2008 ([5]), a décidé qu’il n’y avait pas lieu de soumettre la délivrance de l’acte à l’atteinte d’un seuil de viabilité, soulignant que « l’article 79-1, alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte d’enfant sans vie ni au poids du fœtus, ni à la durée de la grossesse ».
Le cadre réglementaire d’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil a donc évolué : il a substitué à la référence au seuil de viabilité la condition de production d’un certificat d’accouchement.
ii. La subordination de la délivrance de l’acte d’enfant sans vie à la production d’un certificat d’accouchement
Le décret du 20 août 2008 relatif à l’application du second alinéa de l’article 79-1 du code civil tire les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation et précise que l’acte d’enfant sans vie est dressé par l’officier de l’état civil « sur production d’un certificat médical établi dans des conditions définies par arrêté du ministre chargé de la santé et mentionnant les heure, jour et lieu de l’accouchement ».
Depuis 2008, la délivrance de l’acte d’enfant sans vie n’est plus subordonnée à la justification d’un seuil de maturité fœtale ou d’avancement de grossesse, mais à la production d’un certificat médical d’accouchement, signé par le praticien qui a effectué l’accouchement ou par celui qui dispose des éléments cliniques permettant d’en affirmer l’existence.
Ceci conduit à confier une grande responsabilité au praticien lors de l’appréciation de la réalité de l’accouchement, puisque seule la délivrance du certificat d’accouchement permettra d’obtenir l’acte d’enfant sans vie. Plusieurs textes ont donc précisé les conditions de délivrance d’un tel certificat.
D’abord, le modèle de certificat d’accouchement qui figure en annexe de l’arrêté du 20 août 2008 ([6]) a identifié les situations ouvrant la possibilité d’un certificat d’accouchement et celles qui ne l’ouvrent pas :
● ne sont pas des situations permettant l’établissement d’un certificat d’accouchement :
– l’interruption volontaire de grossesse ;
– l’interruption spontanée précoce de grossesse (qui correspond à la fausse couche précoce).
● sont des situations ouvrant la possibilité d’un certificat d’accouchement :
– l’accouchement spontané ;
– l’accouchement provoqué pour raison médicale (interruption médicale de grossesse).
Reste que la distinction entre la fausse couche précoce et la fausse couche tardive reste délicate à appréhender. Sur ce point, une circulaire interministérielle du 19 juin 2009 ([7]) précise que l’établissement d’un certificat médical d’accouchement implique « le recueil d’un corps formé (…) et sexué, quand bien même le processus de maturation demeure inachevé ». Il en est déduit que « les situations d’interruption spontanée précoce de grossesse survenant en deçà de la quinzième semaine d’aménorrhée ne répondent pas, en principe, aux conditions permettant l’établissement d’un certificat médical d’accouchement ».
Le seuil d’un terme minimal de grossesse autour de 15 semaines semble faire consensus dans le monde médical, sans que ce seuil ne s’impose toutefois mathématiquement au praticien : la circulaire précitée insiste sur le fait que « la réalité d’un accouchement relève de l’appréciation des praticiens ».
c. L’inscription de l’enfant sans vie sur le livret de famille
L’acte d’enfant sans vie peut être apposé dans la rubrique « décès » du livret de famille à la demande des parents. Avant 2008, cette faculté supposait néanmoins pour ce faire qu’ils disposent déjà d’un tel livret, remis à l’occasion de leur mariage, de la naissance d’un premier enfant, ou d’une adoption.
Les parents non mariés dont l’enfant sans vie était le premier enfant ne pouvaient espérer procéder à son inscription qu’à l’occasion de la naissance d’un enfant vivant et viable ou d’un mariage, qui leur donnerait droit à la délivrance d’un livret de famille.
En 2005, le médiateur de la République ([8]) avait critiqué la discrimination qui en résultait, et soulignait que le fait pour ces parents de devoir attendre la naissance d’un autre enfant pour pouvoir rétroactivement inscrire le premier enfant décédé apparaissait contraire « aux règles de base de la psychologie qui requièrent d’éviter que l’enfant vivant, né après l’enfant décédé, devienne un enfant de remplacement ».
Cette situation a été résolue en 2008 : le décret du 20 août 2008 ([9]) a rétabli l’article 4 du décret ([10]) du 15 mai 1974 relatif au livret de famille afin d’y préciser qu’un livret de famille est remis, à leur demande, aux parents qui en sont dépourvus par l’officier de l’état civil qui a établi l’acte d’enfant sans vie.
d. L’ouverture de la possibilité d’apposer un prénom sur l’acte d’enfant sans vie
Dans sa rédaction actuelle, l’article 79-1 du code civil n’envisage l’inscription, sur l’acte d’enfant sans vie, que des informations relatives à l’identité des parents et aux dates et lieu de l’accouchement, à l’exclusion de toute identification de l’enfant par l’attribution de prénoms et nom.
L’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 ouvre pourtant cette possibilité en indiquant que « l’enfant sans vie peut recevoir un ou des prénoms si les parents en expriment le désir ». En pratique, cette possibilité était très peu appliquée, sans doute en raison de sa méconnaissance tant par les officiers de l’état civil que par les familles.
Puis, en 2009, la circulaire interministérielle du 19 juin ([11]) a réitéré cette possibilité en précisant qu’ « un ou des prénoms peuvent être donnés à l’enfant sans vie, si les parents en expriment le désir. En revanche, aucun nom de famille ne peut lui être conféré et aucun lien de filiation ne peut être établi à son égard. »
La publication de cette circulaire semble avoir eu d’avantage d’effet sur l’utilisation de cette possibilité puisque Mme Catherine Raynouard, sous-directrice du droit civil au ministère de la Justice a indiqué que sur la moyenne des 8 750 actes d’enfant sans vie délivrés chaque année ([12]) , 94 % comportent désormais mention du prénom de l’enfant.
Cette première étape vers l’individualisation de l’enfant sans vie ne semble pourtant pas suffisante, tant en raison de sa base légale incertaine, qu’en raison de l’impossibilité persistante d’attribuer un nom de famille à l’enfant. C’est à ces difficultés que la présente proposition de loi entend remédier.
2. Les dispositions adoptées par le Sénat
L’article unique de la proposition de loi est issu d’un amendement de rédaction globale de la rapporteure adopté par la commission des Lois du Sénat.
a. Nommer l’enfant sans vie : un choix laissé à l’appréciation des parents
Le dispositif initial de la proposition de loi se bornait à ajouter, parmi les mentions figurant sur l’acte d’enfant sans vie, celles des prénoms et nom de l’enfant.
Une telle rédaction pouvait laisser penser que la mention de ces prénoms et nom était désormais obligatoire, alors même que l’intention de la sénatrice Anne-Catherine Loisier, auteure de la proposition de loi entendue par votre rapporteure, était bien de laisser ce choix aux parents.
La commission des lois du Sénat a modifié le dispositif qui précise désormais que les prénoms et nom « peuvent figurer, à la demande des père et mère », sur l’acte d’enfant sans vie.
Il convient de souligner la pertinence de cette nouvelle rédaction, saluée par les différentes personnes entendues par votre rapporteure.
Mme Élodie Lorio, cheffe du pôle gynécologique du Centre hospitalier de Valenciennes, a expliqué que les personnes touchées par le deuil périnatal pouvaient réagir de façon très différente à la perte d’un enfant avant la naissance, et qu’il était primordial de laisser à chaque parent la liberté de choix quant à l’inscription ou non de l’enfant né sans vie sur le livret de famille avec le nom de ses parents.
Les associations ont confirmé cette analyse, ajoutant qu’il arrive que des parents aient besoin de plusieurs années pour réaliser l’importance de l’inscription de l’enfant sans vie dans le livret de famille, d’où la nécessité d’ouvrir cette possibilité sans condition de délai.
b. La consécration par la loi de la possibilité d’attribuer un ou des prénoms à l’enfant sans vie
La circulaire interministérielle du 19 juin 2009 ([13]) avait déjà confirmé la possibilité, ouverte par instruction générale de l’état civil de 1999, de répondre favorablement à la demande exprimée par les parents d’apposer sur l’acte d’enfant sans vie un ou des prénoms.
Toutefois, cette reconnaissance reposait sur une base légale fragile, l’article 79-1 du code civil n’envisageant pas le prénom de l’enfant comme une mention possible sur l’acte d’enfant sans vie.
L’inscription dans la loi de cette possibilité permet d’apporter de la sécurité juridique, et sera de nature à éviter les difficultés pouvant éventuellement survenir en pratique, notamment quant à l’application différenciée de cette faculté sur le territoire.
Le dispositif ouvre également le choix du nombre de prénoms qu’il est possible d’attribuer à l’enfant : tandis que le dispositif initial envisageait « les prénoms » au pluriel, le dispositif adopté par la commission des lois du Sénat mentionne désormais « le ou les prénoms de l’enfant ».
c. Une novation symbolique : l’ouverture du droit d’attribuer un nom à l’enfant sans vie
La véritable innovation de la proposition de loi réside dans la consécration du droit d’attribuer un nom de famille à l’enfant sans vie.
Il s’agit là d’une évolution importante pour l’accompagnement des familles endeuillées, qui peinaient à comprendre qu’il soit impossible de conférer leur nom à cet enfant mort à qui elles pouvaient pourtant donner un prénom. En ce sens, la proposition de loi permet d’aller au bout d’une certaine logique et apporte de la cohérence à la reconnaissance symbolique de l’enfant sans vie.
Sur ce point, Mme Anne-Catherine Loisier soulignait d’ailleurs dans l’exposé des motifs de la proposition de loi ([14]) le caractère paradoxal de la situation actuelle puisque « si le lien de filiation n’est pas reconnu, l’acte d’enfant sans vie doit énoncer l’identité des père et mère ».
Votre rapporteure considère que la proposition de loi permettra une individualisation plus complète de l’enfant sans vie, et à une meilleure reconnaissance du lien qui le relie à ses parents.
Elle sera également de nature à soulager les soignants d’une certaine pression à laquelle peuvent être soumis les praticiens de santé, parfois conduits à contourner le cadre légal et à délivrer une déclaration d’enfant né viable aux parents d’un enfant né sans vie afin de rendre possible l’inscription d’un nom et d’un prénom à l’enfant dans le livret de famille, ainsi que l’a souligné Mme Isabelle de Mézerac, présidente-fondatrice de l’association SPAMA.
Votre rapporteure rappelle néanmoins que si cette possibilité était jusqu’à présent refusée, c’était en raison du risque de confusion qui pouvait en résulter sur le plan juridique. En effet, en droit français, la filiation et le nom de famille constituent des attributs de la personnalité juridique. Or, la personnalité juridique résulte du fait d’être né vivant et viable, ce qui exclut qu’elle soit conférée à un enfant sans vie.
Pour éviter toute équivoque sur ce point, la proposition de loi initiale disposait que l’acte d’enfant sans vie « emporte uniquement modification de l’état civil de l’enfant ».
La Commission des lois du Sénat a jugé préférable de ne pas se référer à un « état civil », dont l’enfant sans vie est dépourvu dans la mesure où il ne possède pas la personnalité juridique, et a ajouté une phrase précisant que « cette inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique ».
Cette formulation négative a suscité la formulation de réserves de la part des représentantes de la Fédération « Naître et vivre », qui ont fait part de leur crainte d’un retour en arrière notamment sur les droits sociaux ([15]) reconnus aux familles endeuillées par la perte d’un enfant sans vie.
Votre rapporteure tient à rassurer les associations, et souligne que cette formulation n’a pas pour conséquence de revenir sur la réalité des droits actuellement existants, mais a pour objet de rendre possible cette avancée relative à l’attribution du nom de famille en la sécurisant juridiquement. Il importe en effet d’éviter tout risque de confusion sur l’attribution de la personnalité juridique, qui, dans la mesure où elle intervient rétroactivement au moment de la conception de l’enfant, pourrait, si elle était appliquée à la situation de l’enfant sans vie, occasionner des conséquences d’ordre patrimonial ou successoral ([16]).
Comme le souligne M. Guillaume Rousset, maître de conférences à l’université Jean Moulin Lyon 3, cette référence à l’absence d’effet juridique met en lumière l’aspect purement symbolique de l’attribution des nom et prénoms à l’enfant sans vie. Il ne faut donc rien en déduire, ni sur le plan de l’attribution de la personnalité juridique, ni sur celui de la filiation, ni d’ailleurs sur le plan de la dévolution du nom de famille au reste de la famille.
Le rapport de la sénatrice Marie Mercier fait au nom de la commission des lois du Sénat précise en effet que cette mention « vise également à écarter l’application du troisième alinéa de l’article 311‑21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille ». Cet article, qui dispose que « le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs », ne s’appliquera donc pas obligatoirement lors de l’attribution du nom au premier enfant né vivant et viable d’une famille ayant préalablement été confrontée à la perte d’un enfant sans vie, ce qui n’empêchera évidemment pas les parents de choisir le même nom pour tous les enfants si telle est leur volonté. De la même façon, les parents ne souhaitant pas donner le même nom de famille à l’enfant sans vie qu’à ses aînés ne seraient pas tenus de le faire.
Enfin, votre rapporteure souhaite relayer une attente, portée par les associations, s’agissant de l’application du dispositif aux familles ayant perdu un enfant avant l’entrée en vigueur de la loi, qu’elles aient, ou non, déjà demandé un acte d’enfant sans vie faisant éventuellement mention du prénom de l’enfant.
S’agissant d’une situation juridique non contractuelle, la loi sera d’application immédiate aux situations existantes, quand bien même le fait générateur se serait déroulé avant la promulgation de la loi. Les parents ne l’ayant pas encore fait pourront donc solliciter un acte d’enfant sans vie avec la mention du nom et du prénom de l’enfant.
Pour les familles disposant déjà d’un acte d’enfant sans vie et d’une mention au livret de famille d’un enfant sans vie, votre rapporteure ne voit pas de difficulté juridique à ce que l’officier de l’état civil procède à la rectification de l’acte et du livret de famille pour y inscrire le nom : il ne s’agit aucunement de revenir sur les informations inscrites, mais seulement d’ajouter un nom. Sur le plan de l’opportunité, il apparaît tout à fait conforme à l’objectif de cette proposition de loi, qui est d’accompagner les familles dans leur travail de deuil, de ne pas priver celles qui souhaiteraient se saisir de ce nouveau dispositif de la possibilité de le faire.
Votre rapporteure observe d’ailleurs que lors de l’ouverture de la possibilité de conférer un prénom à l’enfant sans vie, l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 avait organisé l’application rétroactive de la circulaire de 1999 en précisant « qu’à défaut d’indication de prénom dans l’acte, et à la demande des parents, le parquet peut aussi, par voie de rectification, faire figurer ces prénoms sur l’acte déjà dressé ».
Sans doute serait-il utile que le Gouvernement précise les modalités concrètes de la procédure à suivre en pareille hypothèse, par exemple en adaptant le décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille.
La publication d’une nouvelle circulaire rappelant les différentes règles en la matière permettrait également l’application uniforme des règles de délivrance de l’acte d’enfant sans vie sur tout le territoire. Lors de ses auditions, votre rapporteure a en effet pu constater que faute de formation suffisante, il arrivait encore que les familles soient confrontées à des refus administratifs injustifiés, ajoutant encore à leur douleur.
Au-delà de la réponse qu’apporte cette proposition de loi à une demande légitime des familles quant à l’individualisation de l’enfant sans vie, votre rapporteure espère que la discussion de cette proposition de loi suscitera de la part du Gouvernement un effort de communication et de formation à destination des personnels chargés de mettre en œuvre la loi. Une application facilitée et uniforme de ce dispositif sera ainsi le gage d’un meilleur accompagnement des familles endeuillées à un moment douloureux de leur existence.
3. La position de la Commission
La Commission a adopté cet article sans modification.
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Lors de la réunion du mercredi 17 novembre 2021, la Commission examine la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie (n° 4241) (Mme Béatrice Descamps, rapporteure).
Lien vidéo :
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Cette proposition de loi traite du sujet difficile de l’identification des enfants nés sans vie ou non viables. Lorsqu’elles sont confrontées à cette expérience extrêmement douloureuse et traumatisante, au cours de laquelle la mort survient alors que l’on attendait la vie, les familles peuvent solliciter, auprès de l’officier de l’état civil, un acte d’enfant sans vie. Chaque année, plus de 8 700 familles le font afin d’inscrire dans le livret de famille, et dans l’histoire familiale, la perte d’un enfant. Cette faculté est parfois conçue comme une étape nécessaire dans le travail de deuil, en ce qu’elle permet d’individualiser l’enfant perdu.
L’acte d’enfant sans vie a été inscrit à l’article 79-1 du code civil par la loi du 8 janvier 1993. Cet article distingue le cas des enfants nés vivants et viables, qui feront l’objet de l’émission d’un acte de naissance et d’un acte de décès, des enfants nés sans vie ou non viables.
Pour ces derniers, l’officier de l’état civil établit, à la demande des parents et sur présentation d’un certificat médical d’accouchement, un acte d’enfant sans vie, inscrit sur les registres de décès. L’enfant peut également être inscrit sur le livret de famille. Depuis 2008, ce dernier peut d’ailleurs être délivré aux parents non mariés dont le premier enfant est né sans vie ou non viable.
L’article 79-1 du code civil dispose que l’acte d’enfant sans vie énonce les jour, heure et lieu de l’accouchement ainsi que l’identité des parents, mais pas le prénom et le nom de l’enfant. C’est l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 qui a ouvert la possibilité d’attribuer un prénom à l’enfant sans vie. Méconnue, elle fut peu appliquée jusqu’à la circulaire interministérielle de 2009. Depuis, et d’après les données transmises par le ministère de la justice, 94 % des actes d’enfant sans vie énoncent le prénom de l’enfant. L’un des premiers effets de la proposition qui vous est soumise est d’inscrire dans la loi cette possibilité, afin d’apporter de la sécurité juridique au dispositif.
La circulaire de 2009 a expressément exclu la possibilité de donner à l’enfant un nom, en raison du risque de confusion possible avec l’attribution de la personnalité juridique, qui nécessite d’être né vivant et viable. Il en résulte une situation paradoxale et incomprise des parents, désignés par leur nom dans l’acte mais empêchés d’en donner un à leur enfant.
L’apport principal de cette proposition de loi est de leur offrir cette possibilité.
Afin de sécuriser le dispositif, le Sénat a réécrit l’article unique pour préciser que l’inscription du prénom et du nom n’emporte aucun effet juridique. Guillaume Rousset, maître de conférences à l’université Jean-Moulin de Lyon 3, l’a souligné : cette mention met en lumière l’aspect purement symbolique du dispositif. Que les associations se rassurent : il n’est pas question de revenir sur les droits sociaux accordés aux parents.
J’apporterai trois précisions. Tout d’abord, les parents ne sont pas contraints de donner des prénoms et nom à l’enfant né sans vie ; il s’agit là d’une possibilité. Il est primordial de leur laisser le choix, tant les réactions face à la perte d’un enfant avant la naissance peuvent être différentes.
Ensuite, les modalités de choix pour le nom de famille sont précisées afin d’écarter l’application de l’alinéa 3 de l’article 311-21 du code civil, qui dispose que le nom précédemment dévolu ou choisi vaut pour les autres enfants communs.
Enfin, je tiens à rassurer les familles qui ont vécu ce drame et qui souhaiteraient bénéficier du dispositif : les parents n’ayant pas encore sollicité un acte d’enfant sans vie pourront le faire sur présentation d’un certificat médical d’accouchement et demander la mention des prénoms et nom. Pour les familles qui disposent déjà d’un tel acte et souhaitent qu’il énonce le nom de famille de l’enfant, je ne vois pas d’obstacle juridique à ce que l’officier d’état civil procède à sa rectification. Sans doute serait-il utile que le Gouvernement précise les modalités de la procédure, par exemple en adaptant le décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille.
Je voudrais encore souligner combien un nouvel effort de communication et de formation à destination des personnels impliqués dans les démarches administratives auxquelles doivent faire face les parents endeuillés serait bénéfique pour favoriser une application correcte et uniforme des dispositifs sur tout le territoire.
Ce texte apporte une réponse humaine aux parents confrontés à cette épreuve douloureuse. Sa rédaction, améliorée en commission des Lois du Sénat, permet une individualisation symbolique des enfants nés sans vie. Je vous invite à voter cette proposition de loi.
Mme Coralie Dubost. La plupart des faits de notre existence ont, en miroir, des actes administratifs. Dès lors que certains moments de la vie sont empreints de souffrance, il est du devoir de la puissance publique de faire en sorte que les procédures afférentes n’accentuent pas la douleur et apportent une forme de réconfort. Je salue l’initiative d’Anne-Catherine Loisier et le travail mené par les sénateurs sur cette proposition de loi. Mon propos se fonde sur le travail préparatoire au positionnement du groupe La République en marche, mené par Guillaume Vuilletet, dont je ne suis que le porte-voix.
La Haute autorité de santé (HAS) a défini des orientations générales concernant la prise en charge du deuil périnatal. Plusieurs réseaux de santé périnatale ont travaillé à la définition de recommandations régionales pour harmoniser l’accompagnement du parcours de deuil, afin de proposer aux familles un accompagnement individualisé et de leur transmettre les informations nécessaires en matière d’investigation clinique complémentaire, de procédures administratives, de droit aux prestations sociales ou aux congés parentaux et d’inscription sur les registres d’état civil et de décès.
Lorsqu’un enfant naît sans vie, un acte d’enfant sans vie peut être établi et enregistré sur le registre de décès. En outre, l’enfant peut recevoir un prénom et être inscrit sur le livret de famille, avec indication du nom des père et mère. En 2020, 8 747 actes d’enfant sans vie ont été dressés.
La présente proposition de loi vise à compléter ces dispositions en permettant de donner un nom de famille aux enfants nés sans vie pour accompagner le deuil au sein de la structure familiale. Le Sénat a adopté des modifications utiles : il a précisé les modalités de choix du nom par les parents et a mentionné que l’inscription de l’enfant sur les registres n’emporte aucun effet juridique, afin de s’assurer que le texte ne va pas au-delà de sa portée mémorielle, ce qui aurait pour effet de déséquilibrer notre ordre juridique.
Notre groupe votera la proposition de loi telle qu’elle a été adoptée par le Sénat.
M. Philippe Gosselin. La mort périnatale est assez rarement abordée dans nos débats. Les sujets de législation funéraire sont toujours délicats, d’autant que, dans notre société, Éros est plus sexy que Thanatos. De nombreuses familles vivent ce deuil : les parents, le cercle familial et, le cas échéant, la fratrie en subissent les conséquences psychologiques. Jusqu’à une époque qui n’est pas si lointaine, il existait une habitude de la mort ; on vivait davantage avec. Depuis quelques dizaines d’années, nous assistons à une « révolution de la mort », selon le titre d’un livre de François Michaud Nérard.
Sous la XIIIe législature, nous avons mené un travail sur le deuil périnatal. En tant que rapporteur de la proposition de loi relative à la législation funéraire, j’avais déploré l’insuffisante prise en compte du traitement de la mort périnatale, ce qui avait abouti aux décrets du 8 août 2008 et à la circulaire du 19 juin 2009.
Madame la rapporteure, vos travaux s’inscrivent dans la continuité des nôtres et sécurisent les dispositions que nous avions adoptées. Même si aucune contestation juridique n’a jamais eu lieu, il importe d’élever – au sens fort du terme – ces dispositions au rang législatif et, ce faisant, au rang symbolique.
Une interrogation demeure au sujet du risque d’attribution de la personnalité juridique à l’enfant né sans vie. Déjà, en 2008, d’aucuns craignaient l’introduction de recours faisant courir un risque en matière de prestations familiales et de succession. Vous avez bien fait de rappeler que la présente proposition de loi n’emporte pas de conséquences juridiques. Pouvoir nommer son enfant est une étape supplémentaire de l’acceptation de la souffrance et du travail de deuil.
Dans ces conditions, notre groupe, de façon unanime s’associe à vos travaux et apportera son soutien à cette proposition de loi. Elle ne résout pas tout – car on ne peut pas tout attendre de la loi ou d’un acte juridique portant reconnaissance d’un nom et d’un prénom –, mais elle permet de reconnaître que l’être perdu a existé.
Mme Aude Luquet. Attendre un enfant pendant neuf mois, c’est préparer son arrivée et imaginer sa vie avec lui. Mais il arrive que l’innommable, l’indicible enferme dans le voile du deuil le bonheur des futurs parents. Perdre un enfant à la naissance est un drame absolu, auquel la loi, en refusant de lui donner un nom, ajoute une forme de rejet institutionnalisé, occultant la réalité de son existence dans une histoire familiale.
Ces dernières décennies, des avancées ont été réalisées : depuis 1993, le droit distingue les enfants nés sans vie des enfants nés vivants et viables. En dépit de leur absence de personnalité juridique, les enfants nés sans vie peuvent être inscrits sur les registres d’état civil et sur le livret de famille. Cette disposition permet aux parents de s’enregistrer comme père et mère de l’enfant, ce qui les aide à faire leur deuil. Toutefois, elle relève du champ normatif et non de la loi.
Inscrire dans la loi la possibilité de donner à l’enfant un nom permet d’amorcer sa reconnaissance sociale et d’accompagner le deuil des parents et de leur entourage. La présente proposition de loi est une avancée supplémentaire, qui ne créera ni personnalité juridique ni lien de filiation. Notre groupe la soutient. Elle est attendue par les familles et les professionnels qui les accompagnent dans ces moments douloureux.
Si rien ne peut faire disparaître la souffrance des parents, ce texte d’Anne-Catherine Loisier peut alléger le poids du deuil. L’enfant né sans vie n’est pas l’enfant de personne. Ses parents l’ont aimé avant même sa naissance et il fait partie intégrante d’une famille. Le groupe MODEM votera le texte.
Mme Lamia El Aaraje. Nous poursuivons un travail entamé en 1993 pour prendre en compte la douleur des parents et les aider à faire leur deuil. Si la circulaire de 2009 a ouvert la possibilité de donner un ou plusieurs prénoms à un enfant né sans vie, l’attribution d’un nom a été écartée, de crainte qu’elle n’induise un lien de filiation, donc une personnalité juridique.
L’article unique de la présente proposition de loi apporte une dimension humaine aux démarches puisqu’en permettant de donner un nom à l’enfant né sans vie, il reconnaît symboliquement sa filiation. Le Sénat a eu un débat sur la personnalité juridique et a fait le choix de préciser que l’inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique.
À l’Assemblée nationale comme au Sénat, notre groupe est favorable à cette avancée en matière d’accompagnement du deuil d’un enfant. Elle permet d’inscrire officiellement sa naissance dans l’histoire et la mémoire familiales. J’espère profondément que nous parviendrons à un consensus pour faire aboutir cette proposition de loi. Il importe de respecter le droit de chaque famille et de chaque parent à vivre ce deuil comme ils le souhaitent. Il faut que chacun puisse trouver une forme de repos.
Le texte adopté par le Sénat emploie les mots « père » et « mère ». Nous regrettons cette rédaction, qui ne tient pas compte de la diversité des familles, et exclut notamment les familles homoparentales. Le mot « parents », plus neutre, permettrait d’inclure toutes les familles touchées par ces deuils. Il est, au demeurant, employé dans le code civil en lieu et place des mots « père » et « mère », dont l’emploi contrevient au principe d’égalité et de non-discrimination. Il serait opportun que nous réussissions à dépasser cette formulation : nous reprendrons donc en séance l’amendement que le groupe socialiste, écologiste et républicain a défendu au Sénat.
Notre groupe votera cette proposition de loi. J’ai une pensée pour les parents et les familles qui ont eu à vivre ce drame épouvantable ; puissent-ils trouver la paix et voir dans l’avancée permise par le Parlement le soutien des représentants de la nation.
Mme Alexandra Louis. Le deuil périnatal est un drame, traversé par de nombreuses familles. C’est un traumatisme, un déchirement pour les parents et leurs proches, qui nécessitent un accompagnement et de la bienveillance.
Il est toujours délicat de confronter de telles tragédies à la froide réalité juridique. Historiquement, notre droit civil n’a pas vocation à accompagner le deuil, mais plutôt à assurer la pérennité des règles de succession et de filiation, pour garantir l’ordre social. Bien heureusement, le droit a évolué pour mieux tenir compte de la douleur des familles. En 1806, un décret dispose que l’enfant mort-né est présenté à l’officier d’état civil avant son enregistrement au registre des naissances. Depuis 1993, les familles peuvent solliciter un acte d’enfant né sans vie, lequel est inscrit au registre de décès, ce qui offre la possibilité d’organiser des funérailles. Depuis 2009, les parents ont également la possibilité de choisir un ou plusieurs prénoms pour l’enfant.
La présente proposition de loi nous invite à aller plus loin, en inscrivant dans le code civil la possibilité de lui attribuer un nom. Il s’agit d’une simple faculté, car chacun vit son deuil à sa façon : certains parents ne sollicitent pas de certificat, tandis que d’autres y voient le symbole d’un lien affectif. Comme l’a dit la rapporteure au Sénat, Marie Mercier, il s’agit là d’un accompagnement du deuil par le droit. La vertu du texte est uniquement symbolique et mémorielle, mais ce n’est pas rien.
Le statut juridique de l’enfant né sans vie n’est nullement modifié par le texte. Les sénateurs ont eu la sagesse de préciser que l’inscription de prénoms et nom n’emporte aucun effet juridique. Seuls les enfants nés vivants et viables ont une personnalité juridique.
J’espère que ce texte contribuera, à sa très humble mesure, à accompagner le deuil des familles et de leurs proches, et qu’il permettra de prolonger notre réflexion sur le soutien aux familles, trop souvent seules et démunies. Je partage l’avis de la rapporteure sur le besoin de formation en la matière : quand le destin bascule, et avec lui une vie rêvée pendant de longs mois, nous devons être au rendez-vous. Il est de notre devoir d’offrir un cadre bienveillant et humain au deuil des parents. Dans cet esprit, le groupe Agir ensemble votera la proposition de loi et salue l’unanimité qui semble se dessiner.
Mme Nicole Sanquer. Le sujet que nous abordons dans le cadre de la niche parlementaire du groupe UDI et indépendants est douloureux. Chacun vit son deuil et tente de se reconstruire à sa façon, surtout lorsqu’il s’agit de celui d’un enfant né sans vie.
Ces considérations semblent fort éloignées d’un débat juridique. Pourtant, le droit doit se saisir de cette question, plus complexe qu’il n’y paraît. Son cadre juridique date de 1993, il a évolué grâce à des décrets, à une circulaire et aux interventions du Médiateur de la République, devenu le Défenseur des droits. Les enfants nés sans vie sont distingués des enfants nés vivants et viables, dotés d’une personnalité juridique. Le droit positif permet de donner à l’enfant né sans vie un ou plusieurs prénoms, de l’inscrire à l’état civil, de le faire figurer dans le livret de famille et d’organiser des funérailles, mais pas de lui attribuer un nom. Pour certaines familles, cela n’est pas suffisant. Le statut de l’enfant né sans vie oscille entre la volonté de reconnaître son existence et l’impossibilité de lui accorder la personnalité juridique.
Nous apportons sans hésitation notre soutien à la proposition de loi. La portée de la modification proposée en matière successorale, sociale et fiscale ne fait pas débat. Ainsi, le texte ne ménage aucune ouverture permettant la reconnaissance d’une personnalité juridique. En outre, cette reconnaissance mémorielle demeure facultative.
La transmission du nom soulève une question symbolique. Pour les parents qui le souhaitent, la filiation doit pouvoir être pleinement établie. Par ailleurs, plusieurs associations rappellent que cela permet de matérialiser symboliquement le lien entre l’enfant et le père. Dans certains deuils, le processus d’identification est une étape primordiale. Nous devons entendre ces familles qui, dans leur douleur, ne demandent pas grand-chose. Je salue cette avancée initiée par le Sénat et remercie vivement la rapporteure pour son travail, dont j’espère qu’il permettra une adoption rapide du texte.
M. Paul Molac. L’an dernier, on a dénombré 8 747 enfants mort-nés, ce qui est considérable. Votre proposition de loi est de bon sens puisqu’en donnant aux parents qui le souhaitent la faculté d’attribuer un nom à l’enfant né sans vie, elle aidera les familles à faire leur deuil.
Une question demeure : à partir de combien de semaines considère-t-on l’enfant viable ? Où placez-vous le curseur ? Pour certains, l’enfant existe dès sa conception. Un enfant né prématuré mais vivant qui décède est normalement inscrit à l’état civil. Qu’en est-il des enfants morts in utero, dont le corps est formé et dont la mère accouche à six mois de grossesse ?
Mme Marie-George Buffet. La proposition de loi vise à répondre aux besoins des familles et des parents d’un enfant né sans vie. Il me semble important d’employer le mot « parents » et de modifier le texte en ce sens, afin de tenir compte de la douleur de tous ceux qui sont victimes de ce drame.
J’ignore comment une loi peut être symbolique mais je dirai que la portée mémorielle et la dimension humaine de ce texte sont importantes puisqu’il ouvre aux parents qui le souhaitent la possibilité de donner un nom à l’enfant né sans vie.
J’aurai deux questions. La circulaire de 2009 soumet l’obtention d’un acte d’enfant sans vie à la production d’un certificat médical d’accouchement ; les critères de l’OMS, de durée de gestation, 22 semaines d’aménorrhée, et de poids, 500 grammes sont-ils toujours pris en compte ? En aucun cas les discours que nous prononcerons dans le cadre de l’examen de ce texte ne doivent remettre en cause le droit des femmes à interrompre une grossesse si elles le souhaitent. Il faut être très clair à ce sujet.
Par ailleurs, le Sénat a adopté un amendement, que je soutiens, garantissant que les dispositions du texte n’accordent pas la personnalité juridique à l’enfant né sans vie. Le texte est-il suffisamment sécurisé sur ce point ? Quel est l’avis des juristes à ce sujet ? Le groupe GDR votera la proposition de loi.
M. Stéphane Mazars. Je salue l’initiative de la sénatrice Anne-Catherine Loisier et remercie le groupe UDI et indépendants d’avoir présenté ce texte dans le cadre de sa niche parlementaire.
Je pense à ce couple que j’ai reçu dans ma permanence en début de semaine, en état de choc après la perte de leur enfant au cours de la grossesse. Ils connaissaient l’existence de cette proposition de loi, mais ne savaient pas qu’elle serait examinée, hasard du calendrier, cette semaine en commission. Pourront-ils, madame la rapporteure, inscrire le nom de cet enfant sur leur livret de famille une fois la loi promulguée ?
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. L’acte d’enfant né sans vie est délivré sur présentation d’un certificat d’accouchement. La circulaire de 2009 précise que celui-ci implique le recueil d’un corps formé et sexué. Le modèle de certificat d’accouchement exclut clairement deux cas : les situations d’interruption volontaire de grossesse (IVG) et les situations d’interruption spontanée précoce de grossesse (la fausse couche précoce). Il est donc parfaitement clair que cette proposition de loi ne menace pas le droit à l’IVG, qui ne peut donner lieu à un certificat d’accouchement. S’agissant de l’appréciation de la limite entre fausse couche précoce, exclue du dispositif, et fausse couche tardive, il y a un consensus médical pour considérer qu’un corps sexué et formé ne peut exister en deçà de la quinzième semaine d’aménorrhée.
En revanche, le modèle de certificat d’accouchement prévoit explicitement que les interruptions médicales de grossesse, qui peuvent intervenir très tardivement au cours de la grossesse, peuvent donner lieu à l’établissement d’un certificat d’accouchement. Un acte d’enfant né sans vie peut donc être établi à la suite d’une interruption médicale de grossesse.
S’agissant de l’emploi des mots « père » et « mère », je suis moi aussi attachée à l’égalité entre les familles. La proposition de loi s’appliquera à toutes les familles, qu’elles soient monoparentales, hétéroparentales ou homoparentales. Je comprends que la rédaction du texte suscite une insatisfaction, mais nous nous inscrivons dans un agenda contraint, et l’adoption d’un seul amendement empêcherait d’adopter conforme la proposition de loi.
Monsieur Mazars, dans la mesure où il s’agit d’une situation juridique non contractuelle, il est évident que la loi pourra être rétroactive.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Nous devons faire preuve de pragmatisme parlementaire. Si nous adoptons le texte dans les mêmes termes que ceux adoptés au Sénat, la navette parlementaire s’arrêtera et il pourra être promulgué. Nous aurons ainsi ajouté une pierre à l’édifice.
M. Raphaël Schellenberger. J’aimerais être certain d’avoir bien compris ce que vient de dire Madame la rapporteure : dès lors que le texte est relatif à des naissances, il ne s’agit pas de situations contractuelles. Toutefois, l’absence de contrat suffit-elle à conférer un caractère rétroactif à la loi ? J’en doute.
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Peut-être aurais-je dû parler d’application immédiate : tous les parents concernés, ou qui l’ont été, pourront demander l’inscription.
M. Philippe Gosselin. Quelque chose m’échappe. La loi est d’application immédiate et vaut pour l’avenir, mais elle n’est pas rétroactive par principe. Il ne faudrait pas laisser penser que des parents ayant connu un deuil il y a quelques mois ou quelques années peuvent solliciter cette inscription. Madame la rapporteure, il me semble que vous vous méprenez.
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. À vrai dire, cette question a été soulevée durant les auditions, car l’attente des familles est réelle. Nous avons interrogé la chancellerie, qui a répondu que la loi serait bien d’application immédiate. Mais nous pourrons vous répondre plus précisément d’ici l’examen du texte en séance publique, afin d’assurer la sécurité juridique de cette question de l’application de la loi.
M. Stéphane Mazars. Si la rétroactivité de la loi n’est pas envisageable, il faut déterminer s’il sera possible de modifier le livret de famille, en ajoutant le nom de l’enfant, une fois la loi entrée en vigueur.
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. L’adoption d’un décret ou d’une circulaire sera sans doute nécessaire pour faire modifier le livret de famille. Cela me semble important et logique. Il semblerait qu’aucune difficulté ne s’oppose à cette évolution pour les familles, qui pourront donner un nom à l’enfant.
Mme Coralie Dubost. Compte tenu de l’indisponibilité de l’état des personnes, il est nécessaire, pour modifier l’état civil, de conférer à la loi, de façon expresse, un caractère rétroactif. Tel a été le cas lors de la révision des lois de bioéthique, parfois en adoptant des dispositions transitoires.
Toutefois, la présente proposition de loi, dont l’adoption semble faire consensus sous réserve de ces interrogations, n’a aucun effet juridique sur l’état des personnes. Nous pouvons donc nous fonder sur son caractère strictement déclaratif.
Madame la rapporteure, si vos auditions ont fait apparaître un point de doute ou de débat à ce sujet, je vous propose un amendement sur table, susceptible d’être adopté à l’unanimité, prévoyant une clarification par un décret ou une circulaire. À défaut, vous devrez adopter une position très ferme au banc. En tout état de cause, nous ne pouvons pas laisser planer le doute sur ce point.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Mes chers collègues, je vous propose que nous interrogions la Chancellerie, d’ici l’examen en séance publique, sur l’application du texte aux familles ayant perdu un enfant sans vie avant l’entrée en vigueur de la loi. Madame la rapporteure, vous pourrez décider de déposer un amendement, ce qui empêcherait son adoption conforme. Une expertise juridique, à laquelle nous ne pouvons manifestement pas procéder dès à présent, est nécessaire.
M. Philippe Gosselin. Entendons-nous bien : sur le fond, il n’y a aucune contestation de la proposition de loi. Les propos liminaires des orateurs de tous les groupes ont été très clairs. Toutefois, nous sommes ici pour faire la loi. Même si le sujet est douloureux et complexe, même s’il exige de l’empathie, nous devons être carrés. Nous ne pouvons pas nous permettre la moindre approximation. Or, sur ce point précis, le texte n’est pas clair. Sur d’autres sujets, honnêtement, nous monterions sans doute un peu rapidement au créneau pour dire « C’est bancal ».
Le doute doit absolument être levé d’ici l’examen du texte en séance publique. Il est même un peu surprenant qu’il ne l’ait pas été avant. Il faut absolument revoir la copie d’ici la semaine prochaine, sous peine de laisser subsister une réelle insécurité juridique. Quant à la circulaire proposée pour préciser les choses, elle est d’emblée contra legem. Tout cela soulève plusieurs questions juridiques que nous ne pouvons pas éluder.
Mme Alexandra Louis. Je me demande si nous pouvons parler d’effet rétroactif de la proposition de loi, dans la mesure où il s’agit d’une disposition symbolique dépourvue d’effet juridique, donc de tout enjeu de sécurité juridique. Il s’agit de permettre aux parents de déclarer un enfant porteur d’un ou plusieurs prénoms et d’un nom. Il n’existe aucun enjeu de filiation ou de succession, ce qui me semble de nature à apaiser un peu nos inquiétudes.
Une circulaire n’a pas vocation à réécrire le droit, mais elle peut en préciser certains aspects, qui en l’espèce me semblent évidents. Quoi qu’il en soit, il est intéressant de se poser la question. Un éclairage de la Chancellerie peut aussi être utile. En tout état de cause, je ne nourris aucune inquiétude.
M. Jean-Christophe Lagarde. Le sujet, me semble-t-il, a été abordé au Sénat. Le débat qui a eu lieu à cette occasion peut utilement nous éclairer.
Le texte est à la fois une nécessité symbolique et de nul effet juridique. Toutefois, que se passera-t-il si un citoyen demande son application rétroactive ? L’inscription au registre d’état civil est une prérogative exclusive du maire, agissant en tant qu’officier d’état civil, donc en tant qu’agent de l’État et non librement. Le procureur de la République devra donc nécessairement élaborer un texte destiné à dire aux maires comment appliquer la loi que nous aurons adoptée.
Si un citoyen souhaite faire appliquer le texte de façon rétroactive, alors même que la circulaire publiée par la Chancellerie et distribuée aux élus locaux par le procureur de la République le proscrit, c’est au tribunal administratif que les choses seront tranchées. Or la juridiction administrative est souvent très attentive au débat parlementaire. Si nous affirmons clairement que le texte n’a aucun caractère rétroactif, la jurisprudence ne devrait pas contrarier la volonté de la représentation nationale.
L’éclairage de la Chancellerie, que vous suggérez de demander, madame la présidente, est une bonne chose. L’éclairage par nos débats, en l’espèce l’affirmation claire que nous ne visons pas la rétroactivité de la proposition de loi mais l’accompagnement du deuil d’une famille et du traumatisme qu’elle subit, permet de sécuriser les députés qui souhaitent voter ce texte tout en garantissant un éclairage par les procureurs de la République qui devront, si la Chancellerie s’y engage, tenir compte de la volonté du législateur.
Mme Béatrice Descamps, rapporteure. Ce sujet important a été abordé, lors de nos auditions, avec la Chancellerie, qui a mené une réflexion avant de nous adresser une réponse écrite. Il est important de clarifier un point : il s’agit d’une question d’application immédiate de la loi, et non pas de la question de sa rétroactivité.
La délivrance de l’acte d’enfant né sans vie n’est pas soumise à un délai. Les parents d’un enfant né sans vie il y a vingt ans peuvent demander et obtenir l’établissement d’un certificat d’accouchement – plusieurs services de maternité me l’ont confirmé. Une fois la loi promulguée, les parents pourront donc demander à l’officier d’état civil, sur production de ce certificat d’accouchement, d’établir un acte d’enfant sans vie qui portera mention des prénoms et nom de l’enfant.
Si un tel acte a d’ores et déjà été rédigé avec mention d’un ou plusieurs prénoms, comme la circulaire le permet, les parents pourront, une fois la loi promulguée, obtenir la modification de l’acte d’enfant sans vie pour lui attribuer le nom de famille.
Telle est la réponse qui nous a été adressée par la direction des affaires civiles et du sceau, qui envisage également une modification du décret du 15 mai 1974 relatif au livret de famille et à l’information des futurs époux sur le droit de la famille.
Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Madame la rapporteure, je vous remercie de ces précisions et de cette clarification. Nous demanderons à la Chancellerie de bien préciser les choses. En vue de l’examen du texte en séance publique, je vous adresserai, chers collègues, la note qu’elle m’enverra, afin que chacun puisse se forger un avis éclairé. Il ne faut pas que des familles imaginent bénéficier des dispositions du texte si tel n’est pas le cas ou que, dans le cas contraire, elles ignorent cette possibilité. Il importe que chacun soit fixé sur ce point, qu’il faut préciser de façon certaine.
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté
*
* *
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie (n° 4241) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
— 1 —
Mme Catherine Raynouard, sous-directrice du droit civil
M. Pierre-Calendal Fabre, adjoint au bureau du droit des personnes et de la famille
Universitaires
Mme Adeline Gouttenoire, professeure des universités en droit privé et sciences criminelles à l’université de Bordeaux
M. Guillaume Rousset, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Jean Moulin Lyon 3
Associations
Mme Victoire de Tonquedec, membre
Mme Marie-Hélène Lebrun, administratrice et trésorière
Mme Martine Roffi, administratrice et chargée des comptes rendus
Mme Isabelle de Mézerac, présidente-fondatrice
([1]) loi n°93-22 du 8 janvier 1993 modifiant le code civil relative à l’état civil, à la famille et aux droits de l’enfant et instituant le juge aux affaires familiales
([2]) décret du 4 juillet 1806 contenant le mode de rédaction de l’acte par lequel l’officier de l’état civil constate qu’il lui a été présenté un enfant sans vie
([3]) Pierre Murat, « Décès périnatal et individualisation juridique de l’être humain », RDSS, 1995, p. 451.
([4]) Circulaire DHOS/E 4/DGS/DACS/DGCL n° 2001-576 du 30 novembre 2001 relative à l'enregistrement à l'état civil et à la prise en charge des corps des enfants décédés avant la déclaration de naissance
([5]) Cass civ. 1re, 6 févr. 2008, n° 06-16.498, 06-16.499 et 06-16.500.
([6]) arrêté du 20 août 2008 relatif au modèle de certificat médical d’accouchement en vue d’une demande d’établissement d’un acte d’enfant sans vie
([7])Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009 relative à l’enregistrement à l’état civil des enfants décédés avant la déclaration de naissance et de ceux pouvant donner lieu à un acte d’enfant sans vie, à la délivrance du livret de famille, à la prise en charge des corps des enfants décédés, des enfants sans vie et des fœtus
([8]) « Humaniser le régime juridique des enfants sans vie », Médiateur actualités, Juillet/août 2005, n° 10, p. 5.
([9]) Décret n° 2008-798 du 20 août 2008 modifiant le décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille
([10]) Décret n° 74-449 du 15 mai 1974 relatif au livret de famille et à l’information des futures époux sur le droit de la famille
([11]) Voir supra, Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009.
([12]) D’après les chiffres transmis par la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice, sur les cinq dernières années 8 738 actes d’enfants sans vie ont été dressés en 2016, 8 783 en 2017, 8 747 en 2018, 8 489 en 2019 et 8 747 en 2020.
([13]) Voir supra, Circulaire interministérielle DGCL/DACS/DHOS/DGS du 19 juin 2009.
([14]) Proposition de loi n° 189 visant à nommer les enfants nés sans vie, déposée au Sénat le 7 décembre 2020.
([15]) Les parents d’un enfant sans vie né après 22 semaines d’aménorrhée ou pesant plus de 500 grammes bénéficient des congés de maternité et de paternité. Avant l’atteinte de ce seuil, un arrêt maladie peut être demandé. Les parents peuvent également solliciter un congé de deuil indemnisé par l’assurance maladie dans l’année qui suit le décès d’un enfant lorsque l’enfant sans vie avait atteint l’un des deux seuils de viabilité fixés par l’Organisation mondiale de la santé. Les familles peuvent encore bénéficier, sous condition de ressources, d’une allocation spécifique délivrée par les caisses d’allocation familiales lorsque l’enfant est né après la 22ème semaine d’aménorrhée. Le certificat d’accouchement permet aussi aux familles d’organiser des funérailles. Elles disposent d’un délai de 10 jours pour demander le corps à cette fin.
([16]) L’enfant à naître peut acquérir des biens par donation ou par succession en raison d’une fiction juridique qui consiste à considérer que si le sujet de droit n’acquiert la personnalité juridique qu’à la naissance – à condition de naître vivant et viable, cette personnalité juridique agit rétroactivement jusqu’au moment de la conception. Toutefois, ces droits ne pourront bénéficier qu’à l’enfant né vivant et viable : dans le cas de l’enfant sans vie, ces droits sont considérés comme n’ayant jamais été attribués, faute pour leur destinataire d’avoir reçu la personnalité juridique.