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N° 4695

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 novembre 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT,
 

favorisant l’implantation locale des parlementaires (n° 4560)

 

 

 

PAR M. Jean-Christophe LAGARDE

Député

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 4560.

Sénat : 804, 23, 24 et T.A. 5.

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS.................................................... 5

EXAMEN des articles

Article 1er (art. L.O. 141-1 du code électoral) : Assouplissement du régime des incompatibilités entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales             

Article 2 [suppression maintenue] (art. 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement) : Interdiction pour les parlementaires de percevoir des indemnités pour l’exercice des fonctions de maire ou d’adjoint au maire             

COMPTE RENDU DES DéBATS

annexe n° 1 – liste des personnes entendues

annexe ............................................................n° 2 – Récapitulatif de l’examen de la proposition de loi organique au sénat             


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Mesdames, Messieurs,

Notre démocratie représentative est traversée par un sentiment puissant et croissant de défiance des citoyens vis-à-vis de leurs représentants, qu’ils accusent notamment d’être « déconnectés » et « hors-sol ». Les manifestations de ce phénomène sont plurielles : hausse continue de l’abstention, crise des « Gilets jaunes », etc.

L’étiolement de la confiance des Français en leurs représentants semble toucher en particulier les parlementaires. Seuls 39 % des citoyens déclarent avoir confiance en leurs députés et 37 % en leurs sénateurs, contre 56 % en leurs élus régionaux et départementaux et 64 % en leurs élus municipaux ([1]).

Notre assemblée, parfaitement consciente des défis qui se posent à elle, est en quête de réponses, comme en témoignent notamment la mission d’information de la Conférence des Présidents sur la participation électorale et le groupe de travail conduit au sein de la commission des Lois sur les modalités d’organisation de la vie démocratique.

Les solutions les plus adaptées ne résident pas toujours dans l’innovation, mais exigent parfois au contraire la courageuse humilité de reconnaître que ce qui a été fait doit être, au moins en partie, défait. « Errare humanum est, perseverare diabolicum » ([2]), comme le dit la maxime.

Déposée par le sénateur Hervé Marseille et adoptée au Sénat le 12 octobre dernier, la présente proposition de loi organique a été inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe UDI & Indépendants en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 48 de la Constitution.

Ce texte porte sur le régime des incompatibilités posé entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales. Il relève du niveau organique, conformément à l’article 25 de la Constitution, qui précise qu’« une loi organique fixe […] le régime des […] incompatibilités [des membres de chaque assemblée] ».

Sans remettre en cause le principe d’un encadrement du cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice d’une fonction exécutive locale, qui est dans certains cas justifié, la présente proposition de loi organique propose un élargissement de ces possibilités de cumul, en revenant, en partie, sur la loi organique n° 2014‑125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. Par exemple, elle tend à faire renaître les figures du « sénateur-maire » et du « député‑maire » – à condition qu’ils soient maires d’une petite ville ([3]). Elle a également pour objet de permettre le cumul du mandat de parlementaire avec la fonction, notamment, de président d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont la population totale est inférieure à 10 000 habitants, d’adjoint au maire, quel que soit le nombre d’habitants de la commune, ou encore, de vice‑président de collectivité territoriale (conseil départemental, conseil régional, etc.).

En revanche, les fonctions de maire de grande ville et de président de conseils départementaux et régionaux, notamment, doivent, en raison du niveau d’engagement et de responsabilité qu’elles exigent, rester incompatibles avec le mandat de parlementaire.

Cet assouplissement du régime d’interdiction de cumul permettrait un dialogue plus étroit entre le niveau local et le niveau national et constituerait une réponse appropriée au sentiment de trop nombreux citoyens d’être représentés par des parlementaires « déconnectés du réel ». L’exercice conjoint d’un mandat « représentatif » national et d’une fonction « exécutive » locale constitue un point d’équilibre entre le « dire » et le « faire » précieux pour notre démocratie et pour la qualité de la loi.

Le Président de la République s’interrogeait lors de sa première réunion publique dans le cadre du « Grand débat national », le 15 janvier 2019 ([4]) : « Fautil permettre [aux parlementaires] de ravoir des mandats locaux, du moins dans certaines proportions, sans être dans des exécutifs de premier plan, peutêtre ? ». Le 22 octobre dernier, à l’occasion d’un déplacement à Prades, le Premier Ministre a également souligné qu’« on voit bien que maire d’une grande ville, président de département, ce sont des fonctions à part entière. Mais quand il s’agit de communes de taille modeste, je pense que ce serait fort utile pour l’exercice des mandats nationaux d’avoir les pieds sur terre, ce contact permanent avec la réalité. Il ne faudrait pas qu’il y ait d’un côté les élus locaux, de l’autre les élus nationaux. […]. C’est du bon sens » ([5]).

Le débat sur le cumul des mandats est ancien et les arguments des uns et des autres sont bien connus. Il n’en existe pas de décisif, mais le réajustement proposé dans le cadre de ce texte permettrait de retrouver un certain équilibre et de répondre aux exigences de notre époque.

   EXAMEN des articles

Article 1er
(art. L.O. 141-1 du code électoral)
Assouplissement du régime des incompatibilités entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales

Rejeté par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article modifie l’article L.O. 141-1 du code électoral afin d’assouplir le régime des incompatibilités existant entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales.

       Dernières modifications organiques intervenues

L’article L.O. 141-1 du code électoral a été créé par la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul des fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. Il n’a pas été modifié depuis. 

1.   Un régime d’interdiction de cumul entre le mandat parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales qui doit être assoupli

a.   Le régime d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et les fonctions exécutives locales mis en place par la loi organique de 2014

i.   Les objectifs poursuivis par la loi organique de 2014

La loi organique de 2014 a durci le dispositif de non-cumul des mandats introduit par la loi n° 85-1405 du 30 décembre 1985 et renforcé par la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000, ces dispositions n’ayant « pas entraîné d’inflexion significative de la pratique du cumul du mandat » ([6]).

Inspiré par les recommandations du rapport « Jospin » ([7]) et avant lui, du rapport « Balladur » ([8]), cette loi organique a instauré un régime d’interdiction du cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales.

L’étude d’impact de cette loi justifie cette extension du régime d’incompatibilité par quatre principaux arguments :

– la « profonde évolution du travail parlementaire depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 » qui a étendu les compétences des deux assemblées (rôle accru conféré aux commissions parlementaires dans la procédure législative, place croissante laissée à l’initiative parlementaire et importance renforcée du contrôle de l’action du Gouvernement) et qui justifie que le parlementaire dispose du temps suffisant pour s’y consacrer ;

– en parallèle, le mouvement de décentralisation, qui a fait des fonctions exécutives au sein des collectivités territoriales « des fonctions de responsabilité à part entière [qui] supposent un engagement continu de leur titulaire » ;

– la volonté « réitérée par les Français à de nombreuses reprises de mettre fin à un cumul trop extensif des mandats » ;

– enfin, le souhait de « moderniser la vie publique française », en favorisant l’ouverture de la vie politique et le renouvellement des élus – la fin du cumul augmentant mathématiquement le nombre de titulaires de mandats nationaux et locaux.

ii.   Le régime actuel d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et l’exercice de fonctions électives locales

Une incompatibilité correspond à une interdiction, pour un parlementaire, d’occuper certaines fonctions en même temps que son mandat. L’article L.O. 141‑1 du code électoral pose le régime d’incompatibilité entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales.

La rédaction actuelle de l’article L.O. 141-1 du code électoral, telle qu’issue de la loi organique de 2014

« Le mandat de député est incompatible avec :

1° Les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire ;

2° Les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ;

3° Les fonctions de président et de vice-président de conseil départemental ;

4° Les fonctions de président et de vice-président de conseil régional ;

5° Les fonctions de président et de vice-président d’un syndicat mixte ;

6° Les fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’assemblée de Corse ;

7° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique ; de président et de membre du conseil exécutif de Martinique ;

8° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie ; de président et de vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

9° Les fonctions de président, de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française ; de président et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;

10° Les fonctions de président et de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

11° Les fonctions de président et de vice-président du conseil territorial de Saint‑Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ; de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

12° Les fonctions de président et de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

13° Les fonctions de président de l’Assemblée des Français de l’étranger, de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de vice-président de conseil consulaire.

Tant qu’il n’est pas mis fin, dans les conditions prévues au II de l’article LO 151, à une incompatibilité mentionnée au présent article, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire. »

*

Aux termes de l’article L.O. 297 du code électoral, ces dispositions s’appliquent également aux sénateurs.

En application de l’article L.O. 151 du code électoral, le député qui se trouve dans l’une de ces incompatibilités est tenu de la faire cesser en démissionnant du mandat ou de la fonction qu’il détenait antérieurement, au plus tard le trentième jour qui suit la date de la proclamation des résultats de l’élection qui l’a mis en situation d’incompatibilité ou, en cas de contestation, la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif.

À défaut, le mandat ou la fonction acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit.

b.   La nécessité, aujourd’hui, de rétablir certaines possibilités de cumul

Le cumul des mandats, accusé de maux pluriels, certains bien réels et d’autres fantasmés, a cristallisé les débats du début des années 2000. Selon la formule de l’anthropologue Marc Abélès, « l’opinion [a glissé] sans nuance de l’image du cumulant à celle du cumulard » ([9]).

La loi organique de 2014 a mis en place un régime très strict d’incompatibilité entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales. Guy Geoffroy, représentant de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et maire de Combs-la-Ville, a fait part à votre rapporteur lors de son audition d’un sentiment diffus parmi les maires que la loi organique de 2014 est « allée trop loin ». En l’état du droit, par exemple, « Les membres du conseil municipal exerçant un mandat de député, de sénateur […] ne peuvent recevoir ou conserver de délégation » ([10]) du maire.

Force est de constater, 4 ans après l’entrée en vigueur de la loi organique de 2014, que les effets espérés par les défenseurs de ce texte ne sont pas advenus.

i.   Les arguments ayant motivé l’adoption de la loi organique de 2014 étaient fragiles

S’agissant de l’investissement du parlementaire dans son mandat, il convient en premier lieu de sortir d’une approche purement mathématique : les temps consacrés à l’un ou l’autre des mandats et fonctions ne s’inscrivent pas dans une unique et stricte opposition. Au contraire, les mandats représentatifs et les fonctions exécutives tendent à se nourrir l’un l’autre, donnant à l’élu alternativement le recul et le pouvoir d’agir nationalement et la connaissance fine du niveau local et des problématiques quotidiennes de la population.

Les tentatives de mesure du niveau d’investissement des parlementaires dans leur mandat sont par nature imparfaites. Pour autant, en analysant une série d’indicateurs (le nombre de questions, de propositions de loi personnelles, d’avis, de rapports, d’interventions en séance publique, en commission, de présence dans des délégations, des missions d’information, la présidence ou la vice-présidence de groupes d’études et le nombre d’activités extra parlementaires), Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, a conclu dans une étude de 2012 que « l’analyse ne permet[tait] pas de conclure au fait que le cumul des mandats entraînerait une moindre activité parlementaire » ([11]).

En outre, l’argument de l’insuffisance de temps disponible ne permet pas de justifier le régime mis en place par la loi organique de 2014, dans la mesure où le mandat de parlementaire reste aujourd’hui compatible avec l’exercice de certains emplois. Comment justifier, de ce point de vue, qu’un parlementaire ne puisse pas être maire d’une commune de 500 habitants mais qu’il puisse tout à fait exercer en parallèle de son mandat le métier de professeur de l’enseignement supérieur, de salarié d’une entreprise sans lien avec l’État, de consultant ou encore d’avocat ([12]) ?

Les pourfendeurs du cumul des mandats considèrent que celui‑ci est de nature à faire émerger des situations de conflit d’intérêts. Guy Carcassonne parle, à propos du cumul, d’une « institutionnalisation du conflit d’intérêts » ([13]). Il est vrai que les intérêts d’une collectivité territoriale ne rejoignent pas toujours ceux du pays, et qu’un parlementaire pourrait être tenté de faire primer la défense des intérêts locaux sur les intérêts nationaux. Cette crainte doit être prise au sérieux.

Pour autant, ici aussi, ce risque n’est appuyé par aucun fait. Dans l’étude de 2012 mentionnée supra, Luc Rouban a analysé l’ensemble des propositions de loi déposées par les députés en les rattachant à 11 thèmes distincts, dont un thème « aménagement du territoire et questions locales ». Il a démontré à la fois que les députés « cumulants » ne déposaient pas davantage de propositions de loi en lien avec cette thématique et qu’ils « s’intéress[aient] davantage à la fiscalité, aux droits au fonctionnement de la justice, aux questions de santé publique, à l’international », qui sont des enjeux nationaux et non locaux. L’idée que les députés « cumulants » instrumentaliseraient leur mandat de parlementaire pour défendre les intérêts de leur collectivité d’ancrage n’est ainsi pas démontrée.

ii.   Le bilan de la loi organique de 2014 apparaît aujourd’hui peu concluant

Les démocraties représentatives traversent une crise aiguë. Les causes et les solutions qui doivent y être apportées font l’objet d’intenses débats, mais ce constat initial est unanimement partagé. Le législateur organique espérait y apporter une réponse avec la loi de 2014, en vain. 

La mobilisation électorale constitue un indicateur pertinent de la santé démocratique. Or, lors du premier tour des élections législatives de 2017, plus de 24 millions de Français se sont abstenus, soit 51 % des inscrits ; au second tour, 56 % des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Tel que rappelé par Christine Pina, professeure de sciences politiques, à l’occasion de son audition, c’est un record pour les élections législatives sous la Vème République.

évolution du taux d’abstention au premier tour des élections législatives

(en %)

1993

1997

2002

2007

2012

2017

30,8

32,0

35,6

39,6

42,8

51,3

Source : ministère de l’Intérieur.

Les « baromètres de la confiance » envoient également un signal préoccupant. Seulement 42 % des citoyens français considèrent que la démocratie fonctionne « bien ». En Allemagne, ce chiffre s’élève à 67 %, au Royaume-Uni, à 61 % ([14]). À la phrase, « les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts », 70 % des Français se disent « d’accord » ([15]).

La déconnexion entre les réalités du terrain et la fabrique de la loi semble s’accentuer toujours plus. Un maire ne pouvant plus, en parallèle, disposer d’un mandat de parlementaire, dispose aujourd’hui d’un accès plus difficile au Gouvernement ; avant 2017, il pouvait également être parlementaire et être en mesure de faire remonter au niveau national (par le biais de questions au Gouvernement, de questions écrites, ou à l’occasion du travail législatif et de contrôle) les problématiques concrètes rencontrées par les citoyens. Le maire étant au centre de sollicitations de tous ordres de la part des administrés et confronté à une diversité de situations, le Parlement et le Gouvernement se privent depuis 2017 d’une courroie de transmission très précieuse. La qualité des décisions prises au niveau national et des lois votées s’en trouve directement affectée. 

Il est évident que la fin de la possibilité de cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice d’une fonction exécutive locale n’est pas la seule cause de la fracture entre les citoyens et les parlementaires – la suppression de la réserve parlementaire a pu également jouer un rôle – mais elle a participé de cette évolution.

Le durcissement du régime d’interdiction des cumuls a des conséquences notables sur l’équilibre institutionnel, contribuant à l’affaiblissement du Parlement face à l’exécutif. Patrick Weil, historien et politologue, directeur de recherche au CNRS alertait déjà dans une tribune ([16]) de 2013 que « la principale conséquence de l’interdiction faite aux parlementaires de cumuler des mandats exécutifs locaux serait de renforcer encore les pouvoirs du président de la République. […] [Les députés qui sont également maires] sont un atout pour notre démocratie. Leur statut d’élu ne dépend pas en effet du seul mandat parlementaire. Face au pouvoir exécutif, ils sont donc plus puissants et plus indépendants que ceux de leurs collègues qui ne sont « que » parlementaires ». Le cumul des mandats constituait une « spécificité française » cohérente avec l’exception toute aussi française de la concentration des pouvoirs entre les mains du Président de la République.

Au niveau local, l’existence de députés ou sénateurs disposant également d’une fonction exécutive locale constituait un contrepoids précieux au pouvoir des préfectures.

Il est bien sûr malaisé de se positionner avec certitude sur le fait de savoir quel a été l’effet de la loi organique de 2014 sur le « rapport de force » entre le Parlement et le pouvoir exécutif. Toutefois, pour reprendre les mots du sénateur Stéphane Le Rudulier : « il est manifeste que le quinquennat actuel n’a pas été marqué par un renforcement du Parlement, qui a trop souvent consenti à abandonner au Gouvernement l’exercice du pouvoir législatif » ([17]).

De même, le régime strict d’interdiction du cumul a pour conséquence d’affaiblir le député face aux partis et groupes politiques. Comme l’a souligné Bertrand Mathieu, professeur de droit, dans sa contribution écrite aux travaux du rapporteur, autoriser le cumul permet « aux élus qui le souhaitent de trouver leur légitimité dans la réussite de leur mandat local et dans le lien qu’ils ont su établir avec leurs électeurs », et non plus seulement dans leur appartenance à tel ou tel groupe politique. Or, garantir une forme d’indépendance du parlementaire vis-à-vis des partis politiques est une condition essentielle de la vitalité du débat démocratique.

Enfin, la réforme issue de la loi organique de 2014 a eu pour effet de dévaloriser le mandat de parlementaire. Lors des élections municipales de 2020, 87 parlementaires (67 députés et 20 sénateurs) ([18]) étaient candidats en tant que têtes de liste, conscients que le régime d’incompatibilité leur imposerait de démissionner de leur mandat de parlementaire en cas de succès.

nombre de députés candidats têtes de liste aux élections municipales de 2020 par groupe

LFI

PC

PS

LREM

Modem

UDI Agir

LR

RN

Libertés et territoires

DVD

1

3

6

27

5

3

16

3

3

0

Source : « Un parlementaire sur deux est candidats aux municipales », Le Figaro, 13 mars 2020.

À la suite des élections, pas moins d’une vingtaine de députés ont renoncé à leur mandat de parlementaire pour devenir maire ([19]).

De tels chiffres montrent à eux-seuls le déclin du « prestige » associé au mandat de parlementaire, et par là-même du Parlement dans son ensemble. Cette « dévaluation » du mandat de parlementaire par rapport aux mandats locaux, soulignée également par Bernard Dolez dans Le cumul et la durée des mandats (2 020), est particulièrement préoccupante.

Le renouvellement des élus espéré par le législateur organique de 2014 a bien été observé à l’occasion des élections législatives de 2017.

Le taux de renouvellement des députés a en effet atteint son point le plus haut depuis 1958. Sur les 577 députés sortants de la XIVème législature, 447 n’ont pas été réélus ([20]).

Le taux de féminisation de l’Assemblée est passé quant à lui de 26,9 % en 2012 à 38,7 % en 2017.

Toutefois, ce notable renouvellement tient a priori davantage à l’émergence d’un nouveau parti, la République en marche, qu’au durcissement du régime d’interdiction des cumuls.

c.   L’adoption, par le Sénat, de la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires : un assouplissement proportionné du régime des incompatibilités

i.   Un régime d’incompatibilité assoupli

La proposition de loi organique n° 804 favorisant l’implantation locale des parlementaires a été déposée le 27 juillet 2021 au Sénat, par le sénateur Hervé Marseille et de nombreux cosignataires. Dans sa version initiale, elle tendait à ouvrir la possibilité de cumul entre le mandat de parlementaire et les fonctions de maire et d’adjoint au maire dans les communes de moins de 10 000 habitants.

Le périmètre des cumuls autorisés s’est progressivement élargi au cours de l’examen du texte, à la faveur :

– en commission des Lois, de l’adoption d’un amendement du sénateur Le Rudulier (amendement n° COM-27). Cet amendement a rétabli la possibilité de cumul entre le mandat de parlementaire et la fonction de maire délégué d’une commune de moins de 10 000 habitants ;

– en séance publique, de l’adoption d’un sous-amendement de la sénatrice Gatel (n° 27) et d’un amendement du sénateur Paccaud et de cosignataires (n° 20), qui ont rétabli la possibilité de cumul entre le mandat de parlementaire et les fonctions de maire d’arrondissement, de maire délégué d’une commune, quel qu’en soit le seuil de population, d’adjoint au maire, quel qu’en soit le seuil également, de président d’un EPCI dont la population totale n’excède pas 10 000 habitants, de vice-président d’un EPCI, de vice-président de conseil régional, départemental et de syndicat mixte, de membre du conseil exécutif de Corse et d’un certain nombre de fonctions exécutives au sein des Outre-mer.

Le périmètre du régime des incompatibilités issu de l’adoption du texte en Séance publique est présenté infra (2. Le dispositif proposé). De plus, un tableau annexé au présent rapport détaille le périmètre des incompatibilités retenu à chaque étape de l’examen parlementaire.

ii.   L’enjeu du seuil

Le Sénat a fixé le seuil de population en-deçà duquel un maire et un président d’EPCI peuvent être également parlementaires à 10 000 habitants.

Lors de l’examen de la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il était « loisible à la loi organique de ne comprendre, parmi les mandats de conseiller municipal visés par les règles de limitation de cumul des mandats locaux, que ceux des communes excédant une certaine taille. Il a en outre estimé que le chiffre de 3500 habitants n’était pas arbitraire. En effet, en l’état du titre IV du livre premier du code électoral (cf. art. L. 252), il correspond à un seuil dont le franchissement entraîne un changement de mode de scrutin municipal. » ([21])

L’établissement d’un seuil n’est ainsi pas contraire à la Constitution à condition que celui-ci ne soit « pas arbitraire ». La commission des Lois du Sénat a considéré que le « seuil de 10 000 habitants correspondait à une différence de situation justifiant que les règles d’incompatibilité applicables aux membres des exécutifs municipaux soient plus rigoureuses au-delà de ce seuil » ([22]). Elle a motivé cette position par le fait que le « seuil de 10 000 habitants se rencontre […] fréquemment en droit des collectivités territoriales, comme s’il correspondait à une frontière entre le monde urbain et rural » ([23]). En matière budgétaire par exemple, les articles L. 2312-1 et L. 2312-3 du CGCT prévoient respectivement la présentation d’un rapport d’orientation budgétaire et le vote du budget par nature et par fonction, uniquement pour les communes de plus de 10 000 habitants.

97 % des communes comprennent moins de 10 000 habitants, ce qui pourrait laisser penser que le régime d’encadrement des cumuls serait, à la suite de cette évolution, très permissif. Pour autant, en 2007, plus de la moitié des mandats de maire détenus par les députés concernaient des villes de plus de 9 000 habitants. Plus frappant encore, un quart des députés-maires étaient maires de villes de plus de 30 000 habitants, alors que la proportion des communes de cette taille était de 0,7 % ([24]). Autoriser le cumul du mandat de parlementaire et de maire d’une commune de moins de 10 000 habitants aboutirait ainsi à une réalité bien différente de la situation antérieure à 2017.

2.   Le dispositif adopté par le Sénat

L’article 1er de cette proposition de loi organique, dans sa version adoptée par le Sénat le 12 octobre dernier, tend à modifier l’article L.O. 141-1 du code électoral afin de supprimer les incompatibilités actuellement prévues entre le mandat de parlementaire et les fonctions :

– de maire d’une commune de moins de 10 000 habitants, maire d’arrondissement, maire délégué et adjoint au maire ;

– de président d’un EPCI dont la population totale est inférieure à 10 000 habitants et de vice-président d’un EPCI ;

– de vice-président de conseil départemental ;

– de vice-président de conseil régional ;

– de vice-président d’un syndicat mixte ;

– de membre du conseil exécutif de Corse ;

– de vice-président de l’assemblée de Guyane ou de l’assemblée de Martinique et de membre du conseil exécutif de Martinique ;

– de vice-président et de membre du gouvernement de la Nouvelle‑Calédonie, de vice-président du congrès de la Nouvelle-Calédonie et de vice‑président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie ;

– de vice-président et de membre du gouvernement de la Polynésie française et de vice-président de l’assemblée de la Polynésie française ;

– de vice-président de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ;

– de vice-président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint‑Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon ;

– de vice-président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi ;

– de membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger et de président de conseil consulaire.

Cette nouvelle rédaction de l’article L.O. 141-1 du code électoral est apparue satisfaisante aux sénateurs, fruit d’un équilibre entre la nécessité de permettre aux parlementaires de disposer d’un ancrage territorial fort, tout en laissant interdite la possibilité de cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice de certaines fonctions exécutives locales d’un niveau d’exigence tel qu’il porterait atteinte à l’accomplissement, dans de bonnes conditions, d’un mandat parlementaire (maire de grande ville, président de conseil départemental ou régional, etc.).

Cet article a été rejeté à la suite de son examen par la Commission.

*

*     *

Article 2 (supprimé)
(art. 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement)
Interdiction pour les parlementaires de percevoir des indemnités pour l’exercice des fonctions de maire ou d’adjoint au maire

Suppression maintenue par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

Cet article modifie l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement afin d’interdire aux parlementaires qui exerceraient les fonctions de maire ou d’adjoint au maire de percevoir à ce titre une indemnité.

       Dernières modifications organiques intervenues

L’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement a été modifié par la loi organique n° 2017‑1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, qui a précisé que chaque assemblée doit, notamment, veiller à la mise en œuvre des règles relative aux indemnités et à la sanction de leur violation.

1.   Le cumul des indemnités

a.   L’indemnité parlementaire

La France constitue l’un des premiers pays européens à avoir mis en place une indemnité pour les députés à l’Assemblée nationale constituante, en 1789. Le premier Empire met à un terme à cette indemnité, en transformant le rôle et la situation des membres du corps législatif et du Sénat. La monarchie restaurée affirme à son tour, dans la Charte de 1815, qu’aucune indemnité ne saurait être attachée à la qualité de parlementaire. Ces dispositions sont « profondément imbriquées dans le fonctionnement de la société politique censitaire que connaît la France entre 1815 et 1848 » ([25]). L’indemnité parlementaire est ensuite rétablie par la deuxième République. Ce mouvement d’alternance prend fin au cours de l’année 1852 : le nouveau régime impérial abroge l’indemnité parlementaire et la rétablit quelques mois plus tard. Elle ne sera plus remise en cause ensuite. À partir des années 1870, l’indemnité se trouve confortée par une série d’avantages matériels liés à la charge de député ou de sénateur.

La mise en place d’une rémunération pour les parlementaires répond à un double objectif ([26]) :

– permettre à tout citoyen, quelle que soit sa condition sociale, de pouvoir exercer un mandat s’il est élu. Il s’agit du « prix de l’égalité d’accès aux mandats » ;

– permettre aux parlementaires d’exercer leur mandat en toute indépendance. L’indemnité est à ce titre une « garantie contre les tentatives de corruption » ([27]) .

Les indemnités mensuelles brutes des députés s’élèvent à 7 239,91 euros ([28]) (en incluant l’indemnité de base, de résidence et de fonction).

b.   L’enjeu du cumul des indemnités dans le cadre de l’examen de la proposition de loi organique au Sénat

La version initiale du texte déposé au Sénat comprenait un article 2 rédigé comme suit :

Article 2

Le troisième alinéa de l’article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un parlementaire ne peut toutefois percevoir aucune indemnité pour l’exercice des fonctions de maire ou d’adjoint au maire ».

Cet article était motivé par le fait que « le principal reproche adressé au cumul des mandats [était] la possibilité de cumuler des rémunérations liées à plusieurs mandats » selon l’exposé des motifs de la proposition de loi organique.

Il s’agissait d’un durcissement de la règle qui prévaut actuellement, qui est celle d’un écrêtement des indemnités perçues par les parlementaires au titre de mandats et de fonctions locaux ([29]). Aux termes de l’article 4 de l’ordonnance n° 58‑1210 du 13 décembre 1958, « le parlementaire titulaire d’autres mandats locaux ou qui siège au sein du conseil d’administration d’un établissement public local [...] ne peut cumuler les rémunérations et indemnités afférentes à ces mandats ou fonctions avec son indemnité parlementaire de base que dans la limite d’une fois et demie le montant de cette dernière ».

2.   Un dispositif supprimé par la Sénat

L’article 2 de la proposition de loi organique a été supprimé à l’occasion de l’examen en commission des lois ([30]), au motif que « l’interdiction proposée se heurte au principe d’égalité et encourt, par conséquent, un fort risque d’inconstitutionnalité » ([31]). En effet, dans la pratique, il aurait pu conduire à une rupture d’égalité vis-à-vis des parlementaires détenteurs d’un mandat local non exécutif, pour lesquels la règle d’écrêtement se serait appliquée. Ce risque d’inconstitutionnalité a été confirmé à votre rapporteur par Pauline Türk, professeure de droit public, à l’occasion de son audition. La suppression de cet article a été maintenue lors de l’examen du texte en séance publique.

En raison de la suppression de cet article 2 de la proposition de loi organique, la règle actuelle d’écrêtement s’appliquerait ainsi en cas de cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales.

À l’Assemblée nationale, cet article n’a pas été rétabli lors de l’examen du texte en commission des Lois.

 


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   COMPTE RENDU DES DéBATS

Lors de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la Commission examine la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, favorisant l’implantation locale des parlementaires (n° 4560) (M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/TkMBxV

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Nous sommes très nombreux, dans cette commission et plus largement dans cette assemblée, à nous interroger sur le fonctionnement de notre démocratie et sur les moyens de répondre à la crise que celle-ci traverse. Il y a d’ailleurs des missions d’information en cours sur ce sujet. L’abstention s’accroît, la désaffection vis-à-vis des responsables politiques également. De plus en plus, les élus sont accusés d’être « déconnectés » ou « hors sol ». Cette défiance des citoyens envers leurs représentants concerne en particulier les parlementaires : seuls 39 % des Français déclarent avoir confiance en leurs députés, contre 64 % pour les élus municipaux.

La proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires, adoptée par le Sénat le mois dernier, offre une réponse à cet état de fait préoccupant. Ce texte, présenté par Hervé Marseille, président du groupe Union Centriste du Sénat, a pour objet de revenir partiellement sur la loi organique de 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Le régime mis en place par la loi organique de 2014 est très strict, pour ne pas dire absolu. Ainsi, les membres d’un conseil municipal exerçant un mandat de parlementaire ne peuvent même pas recevoir de délégation du maire, alors même que celle-ci est par nature limitée, dans son objet comme dans son périmètre. La proposition de loi organique vise donc à réajuster le régime d’incompatibilité pour permettre le cumul entre le mandat de parlementaire et l’exercice de certaines fonctions exécutives locales, par exemple celles de maire d’une commune de moins de 10 000 habitants, de président ou vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont la population totale est inférieure à 10 000 habitants, de vice-président de conseil départemental ou de conseil régional. Le texte permet aussi le cumul avec des fonctions exécutives dans divers organismes, dont les syndicats mixtes. Je proposerai, à travers un amendement, de l’autoriser avec la fonction d’adjoint au maire dans les communes de moins de 100 000 habitants seulement.

Le débat sur le cumul des mandats est ancien. Les positions et les arguments des uns et des autres sont bien connus. Il s’agit ici non pas de revenir sur le principe de l’interdiction du cumul mais d’effectuer un rééquilibrage proportionné et modéré du droit, sur la base du bilan des quatre dernières années. En effet, le régime d’interdiction créé par la loi de 2014 a-t-il amélioré le fonctionnement du Parlement et, plus largement, celui de notre démocratie ? Selon moi, la réponse est résolument non, pour deux raisons principales.

Premièrement, la fracture entre les citoyens et les parlementaires n’a fait que s’aggraver. Ainsi, l’abstention a continué de progresser : lors des élections législatives de 2017, elle a dépassé pour la première fois le seuil des 50 %. Par ailleurs, 70 % des Français se disent d’accord avec la phrase suivante : « Les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts ». Il n’en va pas de même lorsqu’il est question des maires.

L’adoption de ce texte permettrait de lutter contre la fracture ressentie par de trop nombreux Français entre le niveau local et les élus nationaux. À l’occasion de la crise des Gilets jaunes – je pense au début du mouvement et non aux événements qui ont suivi, lors desquels nous avons eu à subir des casseurs de tout poil –, nos concitoyens ont réclamé des parlementaires qu’ils soient plus en phase avec leur vie quotidienne. Cela avait d’ailleurs conduit le chef de l’État lui-même à s’interroger publiquement à propos du cumul des mandats des parlementaires. Lors de la première grande réunion organisée dans le cadre du grand débat national, le 15 janvier 2019, il demandait : « Faut-il permettre de ravoir des mandats locaux, du moins dans certaines proportions, sans être dans des exécutifs de premier plan, peut-être ? »

Le maire, en particulier, reçoit de la part de la population des sollicitations beaucoup plus diverses qu’un parlementaire. Cela lui donne une vision plus large des difficultés rencontrées par nos concitoyens – ainsi que par les élus locaux, notamment lorsqu’il s’agit d’appliquer des lois et des textes réglementaires parfois contradictoires ou inadaptés à la réalité du terrain. Il est regrettable pour la qualité de nos travaux que la loi de 2014 ait à ce point appauvri la source d’inspiration des parlementaires : une implantation locale permettrait de prendre des mesures moins idéologiques et plus pragmatiques.

Il me semble indispensable de faire en sorte que les réalités locales aient un meilleur accès à une tribune nationale à travers le mandat parlementaire, de manière à faire remonter au Parlement et au Gouvernement les problèmes rencontrés par nos administrés. Loin de moi l’idée de prétendre que les parlementaires qui ne cumulent pas d’autres mandats n’ont pas tenté de le faire ; ils y sont même parfois parvenus. Force est toutefois de constater que les élus locaux se confient moins que par le passé à nous, députés – mais cela vaut aussi pour les sénateurs –, comme l’a montré l’audition de Guy Geoffroy, représentant de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), car ils ne nous perçoivent plus comme faisant partie de leurs pairs : nous ne gérons plus des réalités similaires.

Je puis en témoigner personnellement, ayant exercé simultanément, pendant dix-sept ans, les fonctions de maire et celles de parlementaire : le maire est destinataire d’une multitude d’informations, circulaires et injonctions de la part des grands services déconcentrés de l’État, qu’il s’agisse des préfectures, de l’éducation nationale, des services de l’équipement, de l’environnement et du logement, ou encore des administrations sociales. Songez par exemple à cette circulaire folle qui visait à encadrer en soixante-dix pages le retour des enfants à l’école après la première vague de la covid-19. Aucun d’entre nous n’en fut destinataire. On voit bien que cela nuit au contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement. Même si nombre d’entre vous se sont efforcés de faire le tour des maires de leur circonscription, vous avez eu bien du mal à embrasser la diversité des situations et à mesurer le décalage existant entre cette circulaire et la réalité locale, alors même que les maires et les associations de maires ne parlaient que de cela.

L’exercice concomitant d’un mandat représentatif national et d’un mandat exécutif local d’une étendue limitée constitue un équilibre entre le « dire » et le « faire » qui serait précieux pour notre vie démocratique et pour le Parlement. Il est faux de dire et de croire que l’exercice d’un mandat délibératif local permet un ancrage local suffisant : la responsabilité opérationnelle de services publics locaux, l’échange permanent avec les services de l’État sont irremplaçables pour saisir au mieux les attentes des citoyens et les difficultés rencontrées. De même, la simple consultation régulière des élus locaux de la circonscription par les parlementaires, que pratiquent d’ailleurs la plupart d’entre nous, n’est pas suffisante pour saisir pleinement les difficultés quotidiennes rencontrées par les Français, car ces derniers ne saisissent pas un maire et un parlementaire des mêmes questions.

Il ne s’agit évidemment pas de considérer qu’un parlementaire n’est pas connecté aux Français ou qu’il ne l’est que s’il dispose de fonctions exécutives locales. L’objectif du texte est simplement de rétablir la possibilité d’exercer ces fonctions, car le Parlement a tout à gagner à disposer dans ses rangs d’élus qui sont aussi en position de responsabilité au niveau local. La qualité du travail législatif et du travail de contrôle s’en trouverait renforcée.

Deuxièmement, les dispositions de la loi organique de 2014 ont eu des conséquences délétères sur l’équilibre institutionnel et sur l’influence du Parlement.

Le durcissement du régime d’interdiction du cumul a contribué à l’affaiblissement du Parlement face au Gouvernement.

Les députés et sénateurs qui étaient aussi maires, présidents ou vice-présidents de conseils départementaux disposaient d’une forme de légitimité supplémentaire et donc d’indépendance à l’égard du Gouvernement. Au niveau local, ils formaient un contrepoids utile au pouvoir des préfectures. À cet égard, je puis témoigner du fait qu’en vingt ans de vie parlementaire, je n’ai jamais vu un tel manque de considération du corps préfectoral envers les parlementaires : dans la mesure où ces derniers n’exercent plus de fonctions exécutives, ils ne sont plus des partenaires avec lesquels l’État doit apprendre à composer pour mettre en œuvre les politiques publiques.

Les parlementaires ayant en parallèle une fonction exécutive locale étaient également plus indépendants vis-à-vis de leur groupe politique et des pressions auxquelles celui-ci les soumet. Bertrand Mathieu, professeur de droit public, a souligné cet aspect dans la contribution écrite qu’il nous a fournie : les parlementaires qui ont pu trouver leur légitimité dans un mandat local et dans le lien qu’ils ont su établir avec leurs électeurs au niveau local osent davantage se confronter à leur groupe politique. Cette indépendance nous semble précieuse.

Enfin, la réforme issue de la loi organique de 2014 a contribué à dévaloriser le mandat de parlementaire par rapport à l’exercice de fonctions exécutives locales, en premier lieu celle de maire. J’en veux pour preuve le fait qu’en 2020, quatre-vingt-sept parlementaires se sont portés candidats en tant que tête de liste aux élections municipales, c’est-à-dire en sachant que le régime d’incompatibilité leur imposerait de démissionner de leur mandat parlementaire en cas de succès. Parmi les députés concernés, vingt-sept étaient issus des groupes de la majorité. À la suite du scrutin, une vingtaine ont renoncé à leur mandat de parlementaire. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Ils doivent nous préoccuper, car ils constituent une sorte de cursus honorum inversé.

Certaines fonctions – celles de président du conseil départemental ou régional et de maire d’une grande ville – doivent rester incompatibles avec le mandat de parlementaire, en raison du niveau de responsabilité et d’engagement qu’elles exigent. Pour les autres, il me paraît indispensable d’assouplir le régime d’interdiction du cumul. L’argument du manque de temps, sans cesse répété, ou encore celui de la nécessité pour un parlementaire de se consacrer entièrement à son mandat, ne tiennent pas. D’une part, les mandats nationaux et locaux ne s’excluent pas ; ils peuvent même se nourrir mutuellement. D’autre part, il est possible de cumuler le mandat de parlementaire avec l’exercice de nombreuses activités professionnelles. Pourquoi pourrait-on être à la fois député et professeur, médecin, avocat ou chef d’entreprise, mais pas député et conseiller municipal délégué ou maire adjoint ?

Je suis bien conscient du fait qu’ouvrir le débat sur le cumul des mandats, à l’initiative de nos collègues du Sénat, n’est pas tout à fait dans l’air du temps, lequel est caractérisé par la démagogie et un éternel procès en culpabilité des parlementaires, mais cela répond aux exigences de l’époque. Même si ce n’est pas populaire, il nous appartient d’y réfléchir, d’examiner les travers et les excès de la loi de 2014 et les difficultés qu’elle pose du point de vue de la qualité et de la pertinence des travaux parlementaires. En nous interdisant de réfléchir à cet enjeu, d’en débattre et de proposer des améliorations, en en faisant un tabou sous prétexte que l’opinion publique n’y est pas favorable – alors même qu’il n’a jamais été démontré que celle-ci exigeait la disparition des députés-maires, notamment –, nous renoncerions à faire notre travail.

Pour reprendre l’expression du Premier ministre lors d’un déplacement, le 22 octobre dernier, les dispositions contenues dans ce texte constituent des mesures de « bon sens », car il est « fort utile pour l’exercice des mandats nationaux d’avoir les pieds sur terre, ce contact permanent avec la réalité ». Je suis certain que notre commission saura se montrer réceptive à ces sages paroles.

M. Jean-René Cazeneuve. Cette proposition de loi vise à remettre en cause l’interdiction pour un parlementaire d’être maire en rendant possible cette situation dans les communes de moins de 10 000 habitants. Elle a aussi pour objectif de permettre à un parlementaire d’exercer la vice-présidence d’organes exécutifs des collectivités, des intercommunalités, ou encore d’être maire délégué, maire adjoint ou maire d’arrondissement, sans limite de seuil, tout en cumulant les indemnités. Il s’agit donc tout simplement de faire machine arrière en autorisant un retour au cumul des mandats.

Pourtant, le non-cumul est issu d’un long processus démocratique : la loi du 3 février 1992 a plafonné les indemnités en cas de cumul et celle du 5 avril 2000 a limité à deux le nombre de fonctions exécutives locales. Le comité présidé par Édouard Balladur, créé en 2007, a réfléchi à la question, de même que la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par Lionel Jospin, en 2012. Enfin, la loi organique de février 2014 a mis fin au cumul de la fonction de maire avec un mandat de parlementaire.

Tout a été dit à propos du cumul des mandats, mais la question revient, comme par hasard, à quelques mois des élections. On n’a pas fini la première législature sans cumul, on n’en a pas tiré les leçons, que l’on veut déjà revenir sur cette interdiction.

Je voudrais vous indiquer les raisons principales pour lesquelles le groupe La République en marche est défavorable à ce texte.

Premièrement, la loi autorise déjà le cumul avec un mandat local non exécutif. Nombre d’entre nous sont conseillers municipaux, départementaux ou régionaux. Pour être précis, 56 % des députés ont un mandat local. Il est donc faux de dire que la loi empêche les parlementaires de s’impliquer dans la vie des collectivités territoriales. Nous pouvons prendre part aux discussions, délibérer et voter lors de ces assemblées. N’est-ce pas là une bonne manière d’agir au niveau local et de se connecter à la réalité des territoires ? Représenter les collectivités territoriales, ce n’est pas nécessairement en diriger une. Penser le contraire, comme le laisse entendre cette proposition de loi, c’est manquer un peu de respect envers le travail des 500 000 élus locaux.

Deuxièmement, le seuil de 10 000 habitants – même si j’ai pris note du fait que des amendements visent à faire évoluer le texte sur ce point – me paraît arbitraire, et présente un vrai risque d’inconstitutionnalité. Surtout, ce seuil est contre-intuitif et traduit une mauvaise connaissance du travail des maires de petites villes ou de villages. Ces derniers ont très peu d’agents, leur conseil municipal est réduit et, souvent, tout repose sur eux dans leur commune : leurs administrés les appellent en cas de problème, ce sont eux qui s’occupent des appels à projets ou de trouver des financements. Comment pourraient-ils exercer en plus un mandat de député ? A contrario, les maires de grandes collectivités ont des directeurs de cabinet, des services pléthoriques et de nombreux adjoints ; pour le coup, ils pourraient facilement passer deux ou trois jours à Paris.

Troisièmement, la charge de travail d’un maire est considérable. D’après le dernier baromètre AMF-CEVIPOF, les maires des communes de 1 000 à 3 500 habitants consacrent 35 heures hebdomadaires à leur mandat. Cette charge de travail s’élève à 45 pour les communes de 3 500 à 10 000 habitants. Maire, c’est un engagement à temps plein. Et qui peut dire ici qu’il n’en va pas de même de celui de député, en particulier avec le développement de la fonction de contrôle ? Nous n’avons besoin ni de demi-députés ni de demi-maires.

Quatrièmement, certains voient dans le cumul des mandats le moyen de faire avancer les dossiers à Paris. Est-ce cela que nous voulons : un député qui pourrait privilégier telle ou telle commune de sa circonscription ? Faudrait-il donc donner un siège de député à tous les maires pour que les dossiers avancent ? Comme le disait Michel Debré en 1955, « le cumul des mandats est un des procédés de la centralisation française ».

Enfin, les députés, quand ils sont dans leur circonscription, sont sur le terrain : au marché, sur le bord d’un terrain de rugby ou dans leur permanence, ils sont en contact continu avec les Français.

S’il est encore trop tôt pour faire le bilan de cette législature, il est d’ores et déjà avéré que la loi limitant le cumul des mandats a entraîné un important renouvellement de la classe politique, son rajeunissement et sa féminisation. La venue massive de députés issus de la société civile a favorisé un travail législatif formidable dans de très nombreux domaines.

Il n’en demeure pas moins que la proposition de loi effleure de vraies questions. Comment réaffirmer le rôle du parlementaire, qui est encore méconnu de nos concitoyens ? Faut-il limiter le cumul horizontal des mandats locaux ? En effet, on peut être simultanément maire, président d’EPCI, conseiller régional, vice-président d’un pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), etc. ? Comment améliorer l’information et le travail des parlementaires sur le terrain avec les services de l’État et avec certains élus ? Comment réduire le processus de technocratisation des charges des exécutifs locaux ? Comment limiter le cumul dans le temps – car c’est aussi un engagement que nous avons pris ? Comment organiser une démocratie plus directe entre le Parlement et les citoyens ? Enfin, quel doit être le statut de l’élu ? Toutes ces questions sont fondamentales. Il faut donc aborder le sujet globalement, de façon sereine, en concertation avec les élus locaux, mais pas simplement sous l’angle du non-cumul.

M. Philippe Gosselin. Merci, monsieur le rapporteur, de mettre sur la table ce sujet qui fait débat chez les parlementaires, chez les élus et assez largement aussi dans la population.

Le non-cumul est paré de toutes les vertus. Il est même souvent fantasmé. En réalité, les résultats de cette disposition, prise sous la présidence Hollande et adoptée par les députés socialistes de l’époque, ne sont pas à la hauteur des espérances. Le système s’est sclérosé. On s’envoie à la figure de nombreux arguments, tels que le temps plein que suppose l’exercice d’un mandat ou le caractère hors sol et la déconnexion des parlementaires ne cumulant pas les mandats.

Qu’est-ce qu’un temps plein ? Cela correspond-il à 35 heures ? La vie d’un élu est-elle comparable à celle d’un salarié ? Je n’en suis pas sûr. Nous n’avons pas tous, non plus, les mêmes envies, la même capacité de travail, ni les mêmes ambitions. Par ailleurs, le cumul avec certaines activités professionnelles, y compris à temps plein, reste possible, et c’est tant mieux : il est possible, pour un parlementaire, d’exercer en tant que médecin, enseignant ou chef d’entreprise. Nous n’allons pas nous en plaindre, car le contact avec la vraie vie nourrit notre réflexion et notre action ; nos interactions nous permettent de constituer des réseaux – sans que le terme soit négatif – et de faire remonter des interrogations.

Nous allons être nombreux à déposer des amendements en vue de l’examen la semaine prochaine, par notre commission, du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS). Or certains d’entre nous n’ont aucune connaissance du fonctionnement d’une collectivité locale. Alors que le texte comporte déjà 200 articles, il y en aura probablement 400 ou 450 à la fin, ce qui complexifiera encore plus les choses. Et ce sont les mêmes qui auront voté ces amendements qui iront dire, au niveau local, qu’on enquiquine tout le monde avec ces règles, que tout cela devient complexe et qu’il faudrait laisser du temps pour digérer les modifications. Il y a un peu de schizophrénie, par moments…

Il y a aussi la crainte de l’opinion publique, censée ne pas accepter le cumul des mandats. En réalité, ce dont l’opinion ne veut pas, ce sont des élus qui ne sont pas présents et qui ne travaillent pas. À partir du moment où nos concitoyens croisent régulièrement sur le terrain leurs parlementaires et les autres élus, ils n’ont pas la même approche. Il faut être « à portée d’engueulade ». C’est vrai pour les élus locaux comme pour les parlementaires. Le travail de terrain nourrit notre réflexion et notre action.

Du reste, il n’est pas question ici de remettre en cause le non-cumul : la loi de 2014 perdurera. Ce que proposent Jean-Christophe Lagarde et son groupe, c’est une modalité d’application du non-cumul. Certains y verront un pied dans la porte, une brèche entrouverte, mais ce n’est qu’une brèche : il n’est pas question de cumuler un mandat de parlementaire avec la présidence d’une grande collectivité comme un département, une région ou une grande agglomération. L’interdiction du cumul se comprend, dans ces cas-là, car l’exercice de ces fonctions requiert de la disponibilité. Mais la modalité d’application qui est proposée permettrait de s’investir dans la gestion du quotidien. Certes, les préoccupations qui nous animent sont évidemment celles du quotidien de nos concitoyens, mais à travers le prisme de la loi et du contrôle, et en aucun cas celui de la vie dans un hameau, un village ou une ville, au plus proche des territoires. C’est pour cela que l’on nous accuse souvent d’être hors sol et que l’on manifeste de la défiance à notre égard.

Cette proposition de loi nous invite aussi à réfléchir à la manière de rendre plus visible le travail des parlementaires. Cela dépend sans aucun doute de chacun d’entre nous – il convient de mieux communiquer, informer et faire participer les citoyens –, mais cela suppose aussi une certaine visibilité dans l’exercice de mandats locaux. Or cela ne peut pas passer par la nomination des parlementaires dans toutes les commissions départementales possibles et imaginables, qui ne sont bien souvent que des organes purement administratifs, où l’on reste entre soi, sans contact avec la population. Qui plus est, elles ne sont pas non plus nécessairement décisionnaires. Siéger dans les commissions d’élus de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), voire au conseil de surveillance des agences régionales de santé (ARS), comme le proposent certains, c’est encore moins de temps sur le terrain, au contact direct de la population.

Les seuils proposés dans le texte peuvent évidemment bouger. Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, il nous semble important de réfléchir au cumul des mandats. La question ne manquera pas d’animer nos discussions et celles de nos concitoyens.

Mme Isabelle Florennes. Dans un contexte marqué par l’abstentionnisme croissant d’une partie de l’électorat, la question de la revitalisation de la démocratie se pose inévitablement à nous. Il est donc légitime de débattre du cumul des mandats, qui permettrait, selon vous, monsieur le rapporteur – et selon les auteurs de ce texte –, une meilleure implantation locale et pourrait ainsi répondre au procès en déconnexion intenté aux parlementaires.

Le groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés s’est toujours mobilisé pour promouvoir un renforcement de notre démocratie. Nous œuvrons sans cesse pour faire du Parlement le miroir de la nation et pour faire en sorte que la démocratie française renoue avec la diversité de notre société, ce qui passe notamment par une représentation des différentes sensibilités, mais aussi par un lien accru avec les territoires dans l’action que nous menons au quotidien.

La proposition de loi organique vise donc à revenir sur l’interdiction du cumul des mandats pour assurer un enracinement dans les territoires. Même si le sujet mérite d’être débattu, il devrait s’inscrire dans le cadre d’une réforme plus vaste, abordant la question du cumul en lien avec d’autres enjeux, par exemple l’organisation du calendrier de travail parlementaire, la maîtrise par les deux chambres de leur ordre du jour, la mise en place d’un véritable travail de contrôle et d’évaluation sur le terrain, ainsi que la proportionnelle, évidemment, que nous défendons avec constance depuis des années.

Si nous voulons revitaliser notre système démocratique, c’est l’ensemble des équilibres qu’il faudrait repenser. Derrière la question du cumul des mandats, se pose une multitude d’autres questions, notamment concernant le rôle des élus, leur statut, leurs pouvoirs, l’organisation de leur travail et leur légitimité. Enfin, la légitimité et la crédibilité des parlementaires dépendent aussi de leur ancrage, de leurs liens avec nos concitoyens et de leur expertise. Plusieurs travaux sont en cours sur ces sujets pour formuler des propositions allant dans le sens d’une refondation de nos institutions et de notre vie démocratique. Je pense bien sûr aux réflexions menées par ma famille politique, mais également à la mission d’information consacrée à la participation électorale, ou encore au groupe de travail de la commission des lois sur les modalités d’organisation de la vie démocratique.

Pour toutes ces raisons, notre groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi. Il faut engager une réforme d’ampleur, qui suscitera un débat plus complet. Cela nous semble nécessaire pour regagner plus largement la confiance de nos concitoyens.

Mme Cécile Untermaier. Je souscris entièrement aux propos du porte-parole de La République en marche et le remercie de les avoir tenus. Je crois que l’enjeu n’est pas tant de regarder dans le rétroviseur et d’essayer de revenir sur le non-cumul que de se projeter vers le Parlement du futur, ce qui suppose sans doute une réforme de l’après-non-cumul.

Il est vrai que la loi organique de 2014 est très stricte. Son premier objectif était de garantir la lisibilité du mécanisme en marquant une séparation entre les fonctions exécutives locales et le mandat de parlementaire.

Le cumul n’est pas la condition de l’ancrage d’un parlementaire dans son territoire. Notre vie professionnelle et personnelle – par exemple quand nous amenons nos enfants à l’école – nous permet de partager la vie de nos concitoyens et nous ancre dans le territoire. Au contraire, le cumul avec un mandat exécutif, très prenant quelle que soit la taille de la commune, ne peut que diminuer la disponibilité du parlementaire pour sa tâche. Or celle-ci n’est pas inutile, lui seul peut l’accomplir et il ne saurait s’agir d’une décoration qu’obtient le maire le plus important de la circonscription, comme cela a très souvent été le cas.

Le député-maire a affaibli le Parlement. En étant peu présent et en faisant passer sa collectivité avant le travail parlementaire, il l’a même en partie vidé de son sens. Ce qui doit primer, c’est le travail sur les textes, et non le cumul des responsabilités. Au-delà du fait qu’il est moins disponible, on ne saurait ignorer les conflits d’intérêts susceptibles d’entacher les décisions prises par un parlementaire qui est aussi élu local. À cela s’ajoutent une illisibilité de l’action du parlementaire et un moindre rayonnement du Parlement.

L’ancrage est une vraie question, dont nous sommes tous très soucieux. Or c’est déjà une réalité : nous avons tous des permanences, nous avons tous mis en place des dispositifs de consultation du type ateliers ou conseils citoyens. J’imagine même, pour ma part, la possibilité de référendums locaux sans valeur décisionnelle qui seraient à la main du parlementaire. En outre, le contrôle, qui est une dimension trop souvent ignorée de notre fonction, devrait s’exercer davantage dans nos circonscriptions. Enfin, il faut reconnaître dans la Constitution le rôle local des députés, à l’image de ce qui y est écrit concernant les sénateurs. Cela pourra faire l’objet d’un engagement dans la campagne présidentielle.

Pour renforcer l’ancrage, comme nous le souhaitons tous, il faudra faciliter le travail local du député par des mesures législatives et réglementaires. Plusieurs missions d’information intéressantes ont été menées sur ces questions au cours de la législature. Je pense notamment à celle portant sur la concrétisation des lois, qui a montré la nécessité pour le parlementaire d’effectuer dans sa circonscription, in situ, le contrôle de l’application des lois qu’il a votées. Cela lui permet de travailler encore plus dans la proximité : de la même manière qu’il a pris en compte en amont les demandes des citoyens, il leur rend compte ensuite du travail effectué et s’assure de l’application et de la concrétisation de la loi sur le territoire. C’est un travail nouveau que nous devons nous préparer à faire.

Il faudra également préciser le rôle du député auprès des assemblées d’élus locaux à travers des textes réglementaires ou législatifs. Quand une assemblée locale débat d’une loi, il faut que le parlementaire puisse venir expliquer lui-même le texte qu’il a voté : c’est aussi sa place.

En ce qui concerne la proposition de loi que vous défendez, nous ne pouvons pas vous suivre : mon groupe votera contre.

M. Christophe Euzet. Merci, monsieur le rapporteur, d’aborder devant nous un sujet que je considère comme central, même si je regrette que nous soyons appelés à en débattre de manière aussi rapide.

Mon groupe n’a pas une position unanime sur la question. L’opinion que j’exprimerai devant vous, même si elle est majoritairement partagée par mes collègues, sera donc avant tout personnelle.

Je ne cherche pas à alimenter des polémiques stériles. Toutefois, je suis globalement très hostile à la proposition que vous nous présentez. Loin d’être seulement un instrument favorisant l’implantation locale des parlementaires, elle prépare un retour au cumul des mandats, que les Français dénoncent et refusent pourtant de longue date. Je regrette que vous envisagiez de faire machine arrière toute : c’est faire fi des demandes des citoyens.

Qui plus est, je vous avoue ne pas comprendre votre argumentaire. Selon vous, les députés seraient hors sol, déconnectés du réel, extérieurs à la société. Pour ma part, à côté de mes fonctions de député, je vis une vie de père de famille : j’amène mes enfants à l’école et à la bibliothèque et je vis avec eux. Je croise des gens sur les marchés, où je ne me rends pas seulement pour serrer des mains, mais également pour faire des commissions en famille. Je n’ai pas du tout le sentiment d’être déconnecté du réel. Mais peut-être cette déconnexion supposée est-elle dénoncée par ceux qui ont eu le sentiment d’être déconnectés du mode de vie dont ils avaient pris l’habitude en cumulant les fonctions…

Vous suggérez le retour au cumul dans les exécutifs locaux. Or, y compris d’un point de vue technique, cela pose des difficultés. D’abord, le rôle des collectivités territoriales se renforce et la complexité des fonctions exercées dans ces exécutifs est sans cesse mise en avant, ce qui suppose d’avoir des élus locaux entièrement voués à leur mission. Je vois mal comment je pourrais m’occuper d’un EPCI, fût-il de moins de 10 000 habitants, à côté de mes fonctions de parlementaire. Ensuite, d’un point de vue déontologique, voire éthique – ne s’agit-il pas de valeurs que l’on poursuit dans cette vénérable assemblée ? –, le non-cumul permet le renouvellement, ce qui peut contribuer à donner un nouveau souffle à la démocratie, dont on regrette souvent la perte de dynamisme.

Cela dit, on peut débattre de tout, et je suis très sensible à l’une des questions que vous soulevez : il existe effectivement une certaine défiance des citoyens, en particulier à l’égard des députés – un peu moins envers les sénateurs, pour des raisons que nous n’aurons pas le temps d’envisager ici. Notre système présente des imperfections persistantes, notamment l’abstentionnisme, contre lequel il faut s’armer. Toutefois, je suis en désaccord avec votre proposition, à la fois sur la forme et sur le fond.

Je suis en désaccord sur la forme, car on ne lance pas un tel débat à six mois d’une élection présidentielle, même si cela présente l’intérêt majeur de nous permettre de donner notre position sur cette question, qui peut être abordée pendant la campagne.

Sur le fond, et sans chercher la polémique stérile, le véritable enjeu me semble être ailleurs : c’est au cumul horizontal qu’il faut s’attaquer, ainsi peut-être qu’au cumul des fonctions électives dans le temps. On pourrait imaginer de limiter le cumul des mandats de parlementaire dans le temps – par exemple à trois mandats – à l’image de ce qui a été fait pour le chef de l’État. En outre, une réflexion sur le statut des parlementaires me paraît inévitable. Un parlementaire a-t-il vraiment vocation à enfoncer des portes à Paris pour faire avancer certains dossiers ? Enfin, le rôle du député dans sa circonscription mériterait sans doute d’être éclairci.

En interdisant le cumul des mandats, nous avons fait la moitié du chemin. Il serait préjudiciable de faire machine arrière ; essayons plutôt d’aller jusqu’au bout. Nous ferions mieux, également, de repenser la démocratie.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la proposition de loi.

M. Pascal Brindeau. Je suis effaré par les arguments de ceux qui s’opposent au texte.

Certains d’entre eux nous contestent le droit de mettre sur la table cette question dans une période préélectorale. Si, à l’occasion d’une élection présidentielle, on ne peut plus parler que d’immigration et d’identité nationale, on se prive de bien des sujets ! Qui plus est, en évoquant l’ancrage des parlementaires dans leur territoire, on est au cœur d’un débat qui non seulement dépasse l’élection présidentielle à venir mais reviendra lors des prochaines législatures.

D’autres nous expliquent que, par construction, un parlementaire ne pourrait pas être maire ou adjoint, même d’une petite commune, par manque de temps. Dans ce cas, il faut aller au bout du raisonnement et décréter le mandat unique : si l’on est maire à temps plein, on ne peut pas être simultanément vice-président d’un département. Dites que le premier vice-président d’une région, également maire d’une commune de 50 000 habitants, ne peut pas présider un pays ou exercer les fonctions d’inspecteur général de l’éducation nationale ou de la culture. Allez jusqu’au bout, et vous aurez achevé de casser ce qui fait la richesse de la démocratie française depuis si longtemps, à savoir la possibilité pour des hommes et des femmes de donner de la cohérence à l’action publique dans un territoire.

Par ailleurs, il n’est pas vrai que, pour un parlementaire, c’est la même chose d’être conseiller municipal ou maire. Et ce n’est pas faire offense aux 500 000 élus municipaux de France : c’est comme cela qu’ils vivent les choses. Un conseiller municipal ne participe pas aux mêmes réunions, il n’a pas le même niveau d’information au même moment et, lorsqu’il pose une question au directeur général des services, celui-ci le renvoie vers le directeur de cabinet ou l’adjoint en charge de cette délégation – en tout cas dans les collectivités qui fonctionnent normalement.

La loi interdisant le cumul a été prise par pure démagogie. Elle résulte d’une erreur d’appréciation : ce que nos concitoyens ne veulent pas, ce sont des élus qui n’exercent pas leur mandat. Ils sont aussi hostiles au cumul des indemnités. À cet égard, des dispositions existent depuis longtemps concernant les parlementaires, puisque leurs indemnités font l’objet d’un écrêtement. Dans la même logique, il faudrait s’interroger sur les indemnités des élus locaux : certains d’entre eux les cumulent en même temps que les fonctions.

L’UDI considère que c’est le bon moment pour ouvrir le débat. Vous disiez qu’il était trop tôt pour faire un bilan de cette législature, la première au cours de laquelle les parlementaires n’ont pas eu la possibilité de gérer des exécutifs locaux. Or il ressort de toutes les études d’opinion que le Parlement n’a jamais été aussi mal considéré par nos concitoyens. C’est à se demander parfois à quoi nous servons, si ce n’est, comme l’a rappelé M. Gosselin, à siéger dans un nombre croissant de commissions Théodule, dépourvues du moindre pouvoir décisionnaire – car, dans des domaines importants, c’est l’État central qui prend les décisions, par exemple, en ce qui concerne la santé, à travers les ARS, et les élus locaux sont contraints de les appliquer.

La proposition de loi que nous défendons est modérée : elle ne vise pas à réinstaurer un cumul total. Il y avait des abus, en effet, et il importe de ne pas les rendre de nouveau possibles. Nous limitons les possibilités de cumul aux collectivités ne dépassant pas une certaine taille et à certaines fonctions exécutives.

Il est important de rouvrir le débat, car il est dans l’esprit de nos concitoyens et des élus locaux. Un parlementaire n’a pas la même relation avec les maires et les élus territoriaux de sa circonscription selon qu’il exerce ou non lui-même un mandat exécutif – sans parler du cas où il ne détient aucun autre mandat.

M. Paul Molac. Cette proposition de loi est-elle en mesure de régler ou de contribuer à régler le problème démocratique auquel nous sommes confrontés, avec l’abstention et la défiance qui est souvent notre lot ? Je ne le pense pas.

Il faut d’abord faire un sort à l’idée selon laquelle les parlementaires cumuleraient les mandats dans le temps : 50 % des députés ne sont pas réélus. Cela veut dire qu’il y a un renouvellement énorme.

Ensuite, tout dépend de la manière dont on conçoit le rôle du député. Selon certains, le député est un bel esprit, qui fait la loi en étant dégagé de toute contingence matérielle, voire de tout territoire. Une loi élaborée de cette manière est peut-être le paradis aux yeux d’un tel député, mais c’est l’enfer pour la majorité des Français, car une loi déconnectée de la réalité n’est jamais un bon texte.

À ce propos, cela m’amuse toujours quand j’entends parler du « Citoyen » : pour ma part, je ne connais que des « citoyens », qui viennent me voir pour que je règle leurs problèmes. Parfois, c’est tout simplement impossible au vu du dossier. Mais il arrive aussi que ce soit l’administration qui bloque, parce qu’elle applique les règles de manière rigide. Peu importe si le service rendu au citoyen et à la collectivité n’est pas bon : l’essentiel est que tout soit bien bordé sur le plan juridique, par crainte du juge. Je pourrais en donner des exemples dans de nombreux domaines, parmi lesquels l’urbanisme et les transports. Je pense ainsi à une jeune fille qui est obligée de faire 5 kilomètres à vélo tous les matins pour aller à l’école alors qu’il aurait été préférable qu’elle prenne le car. Or cela lui a été refusé au motif qu’elle devrait être accompagnée par un adulte entre l’arrêt du car et l’école. Son frère aurait pu le faire, mais c’est impossible aux yeux de l’administration. Que voulez-vous faire quand on en arrive à un tel degré d’imbécillité ?

Les citoyens nous disent que nous sommes bien gentils mais que nous n’avons pas de pouvoir, que c’est l’administration qui dirige tout. À cela s’ajoute la superpuissance de l’exécutif sous la Ve République : les députés ne servent pas à grand-chose. La solution me paraît évidemment de passer à une VIe République, mais pas forcément celle de notre ami Mélenchon. Ce pourrait être une République fédérale, car quand on divise le pouvoir, on introduit de l’équilibre et de la démocratie et on rend les gens intelligents. C’est le cas des Allemands : en l’absence de système majoritaire, ils sont obligés d’être intelligents.

Le renforcement de nos pouvoirs me semble être un minimum, que ce soit par la maîtrise de notre ordre du jour, par l’instauration éventuelle d’une minorité de blocage ou par la possibilité d’exercer un véritable contrôle de l’exécutif. Lorsqu’un ministère nous remet un rapport, il ne nous montre que ce qu’il veut bien nous montrer, de sorte que si nous ne disposons pas de l’assistance nécessaire pour effectuer une analyse complète, nous nous faisons rouler dans la farine ! Pour que le contrôle soit efficace, l’action de chaque ministère doit être suivie par des spécialistes. J’ai conscience de faire ici un peu le procès de la Ve République.

Quant au Sénat, il représente davantage les communes – un sénateur a bien souvent été représentant de l’Association des maires de France dans son département – que les départements et les régions. Aussi les sénateurs pourraient-ils être élus par trois collèges représentant respectivement les régions, les départements et les communes.

Ces différentes mesures seraient beaucoup plus efficaces que le cumul des mandats car nous avons besoin de temps, notamment pour contrôler l’administration et, le cas échéant, lui imposer une décision politique lorsque celle-ci correspond aux besoins de la population.

M. Bastien Lachaud. Nous sommes totalement opposés à la logique de cette proposition de loi organique qui se donne pour objectif de revenir au cumul des mandats. Car, sous le sympathique vocable d’« implantation », qui vise à susciter l’adhésion, se cachent en fait les pratiques de la Ve République que le peuple déteste le plus ; je veux parler des baronnies dignes de l’Ancien Régime, parfois héréditaires, dans lesquelles un notable local, petit roi en son petit pays, décide de tout presque seul, en cumulant les mandats électifs. Nous croyions en avoir fini avec ces pratiques, mais voilà qu’on tente de les rétablir !

Les parlementaires ne sont pas des plantes dont il faudrait faire pousser les racines, ce sont des représentants de la nation. Si le peuple a pu estimer, à juste raison, que certains d’entre eux étaient déconnectés de la vie quotidienne des gens, ce n’est pas parce que lesdits parlementaires ne détiennent pas de mandats locaux mais précisément parce que l’accumulation de mandats contribue à créer peu à peu une petite caste élective qui vit de la politique et ne connaît rien d’autre, parce que le peuple est largement exclu des fonctions électives et que les personnes issues des classes populaires n’accèdent qu’exceptionnellement à la fonction de parlementaire – sous cet aspect, la législature actuelle ne fait pas exception.

Le rôle d’un parlementaire n’est pas de cumuler des mandats, il est de représenter le peuple dans sa diversité politique. Il y aurait, certes, beaucoup à faire en la matière, mais ce n’est certainement pas en autorisant le cumul que l’on favorisera cette représentation.

Si vous êtes favorable au cumul des mandats, monsieur le rapporteur, sans doute est-ce parce que vous pensez que les parlementaires n’ont plus aucun pouvoir. C’est vrai : notre assemblée a été transformée en chambre d’enregistrement des desiderata de l’exécutif. Mais le cumul des mandats aggraverait le problème au lieu de le résoudre. Il faut plutôt rétablir l’Assemblée nationale dans son rôle de contre-pouvoir, de véritable législateur, et lui permettre de contrôler effectivement l’action du Gouvernement.

La France insoumise souhaite que les députés soient élus, comme ce fut le cas en 1986, à la proportionnelle départementale ; c’est du reste l’une des propositions que nous avions présentées l’an passé lors de la journée réservée à notre groupe. Ainsi, nous garantirions la représentation de l’ensemble des forces politiques au sein de l’Assemblée. Les parlementaires, il faut le rappeler, ne représentent pas des territoires : ils représentent les citoyens et le peuple politique. Ils sont élus pour défendre le programme politique qu’ils ont présenté lors de la campagne électorale, les citoyennes et les citoyens se prononçant en fonction de ce qu’ils pensent être l’intérêt général. C’est pourquoi les dix-sept parlementaires du groupe La France insoumise, qui représentent 7 millions d’électeurs, transcrivent leur programme, « L’Avenir en commun », en propositions de loi et en amendements.

De manière générale, nous estimons qu’il faut refonder nos institutions en les repensant de fond en comble. Si notre démocratie est malade, ce n’est pas du non-cumul des mandats mais de l’exclusion du peuple, qui ne se reconnaît pas dans les institutions. L’abstention augmente élection après élection, le peuple boude les urnes et les élections intermédiaires sont ravalées au rang de référendum : pour ou contre le Président de la République. La monarchie présidentielle se manifeste dans toute sa caricature lors des allocutions au cours desquelles ce dernier explique ses décisions sans que celles-ci fassent l’objet d’un débat démocratique.

Nous voulons donc une VIe République démocratique, c’est-à-dire décidée par et pour le peuple. Dès 2022, une assemblée constituante devra être convoquée ; composée de personnes qui n’auront jamais exercé de mandat parlementaire, elle sera chargée exclusivement d’écrire la nouvelle Constitution et pourra éventuellement, dans ce cadre, traiter de la question du cumul des mandats. Il faut repartir sur des bases entièrement neuves !

Mme Marie-George Buffet. La proposition de loi que nous examinons a pour objet de « favoriser l’implantation locale des parlementaires ». Aussi, je veux tout d’abord rappeler que nous sommes des élus de la nation, chargés d’élaborer et de voter la loi de la République pour l’ensemble de nos concitoyens.

Ensuite, chacun d’entre nous a un parcours, s’est engagé pour défendre des idées, un projet, une vision de la société. La plupart ont eu des responsabilités associatives, politiques, syndicales ; certains – c’est mon cas – ont été longtemps des élus locaux. Forts de cette sorte d’éducation populaire, nous avons acquis une expérience et une connaissance particulière de la société qui nous permettent de travailler à des propositions. Nombre d’entre nous sont encore membres d’une assemblée locale et restent ainsi en contact avec les réalités locales. Au demeurant, rien n’empêche un député de travailler avec les maires, quelle que soit leur sensibilité politique.

Le non-cumul permet notamment le renouvellement. Je pense à la présence des femmes en politique. Celles-ci ont déjà deux journées en une : si l’on passe à quatre, il leur sera encore plus difficile d’accéder aux responsabilités.

Il est proposé de rétablir la possibilité de cumuler un mandat parlementaire avec la fonction de maire d’une commune de moins de 10 000 habitants. Mais ce sont précisément les maires de ces communes-là qui ont le moins de disponibilités : ils s’occupent de tous les dossiers ! Ils sont toujours disponibles ! J’insiste, à ce propos, sur la nécessité de créer un statut de l’élu, qui permettrait à beaucoup de maires, contraints d’exercer parallèlement une activité professionnelle, de mieux remplir leur mandat.

Si l’on veut combler le fossé qui s’est creusé entre les citoyens et les citoyennes et leurs représentants, il faut s’attaquer à la source du problème, c’est-à-dire à nos institutions, qui ont vieilli, sont usées et ne correspondent pas à l’appétit de citoyenneté actuel. Nous devons donc les revoir, accroître le rôle du Parlement, notamment en revenant sur l’inversion du calendrier électoral, dont la logique nuit à l’ancrage local du député puisqu’elle vise avant tout à donner une majorité au Président nouvellement élu.

Mettons fin à la Ve République, qui vieillit mal, et remplaçons-la par une nouvelle république : c’est en procédant ainsi, plutôt qu’en ajoutant le cumul au cumul, que nous parviendrons à améliorer les relations entre les citoyens et citoyennes et leurs élus !

Mme Emmanuelle Ménard. Ce qui m’a frappée, lorsque j’ai été élue députée, en 2017, c’est le décalage entre ce qui se passe sur le terrain et les lois que nous votons.

Je ne suis pas défavorable par principe à une certaine souplesse dans l’application de l’interdiction du cumul des mandats. Cela dit, je souhaite interroger le rapporteur sur deux points.

Premièrement, j’ai déposé un amendement visant à fixer à 5 000 habitants le seuil en-deçà duquel le maire d’une commune peut exercer un mandat de député. Il s’agit cependant d’un amendement d’appel : je souhaiterais savoir si le choix du seuil de 10 000 habitants, qui figure dans la proposition de loi, repose sur un critère objectif.

Deuxièmement, il est question dans le texte des EPCI de moins de 10 000 habitants. En existe-t-il ? Dans mon département, les communautés de communes comptent plutôt 100 000 habitants, voire plus.

M. Éric Diard. Je m’en tiendrai à une observation factuelle. J’ai été maire pendant seize ans ; lorsqu’en 2017, j’ai renoncé à le rester en raison de l’interdiction du cumul des mandats, ma majorité s’est divisée. J’ai constaté que beaucoup de collègues députés ont rencontré ce type de problème trois ans plus tard, lorsque, conseillers municipaux de la majorité, ils ont décidé de se présenter contre le maire sortant. Qu’ils aient ou non remporté l’élection, on a assisté à de véritables drames. Il aurait mieux valu laisser les maires sortants aller au terme de leur mandat.

J’estime, pour ma part, que le cumul n’est pas une mauvaise chose – à condition que le député qui exerce également les fonctions de maire ne puisse pas cumuler les indemnités. De fait, il est de plus en plus difficile, dans les petites communes rurales, de trouver une personne qui accepte d’être maire.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. D’abord, je n’ai pas la prétention d’être l’auteur de cette proposition de loi organique : elle émane du Sénat. Parce que nous l’avons jugée intéressante, nous avons souhaité que l’Assemblée en débatte. Ensuite, elle n’apporte pas la solution au problème de la désaffection de nos concitoyens pour la politique, mais elle est une des pistes qui méritent d’être explorées. Il ne s’agit pas, ici, de faire au dispositif actuel un procès en ancrage politique ; nous constatons simplement que la possibilité de cumuler un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, qui est à présent refusée aux députés, n’a détruit l’Assemblée ni sous la IIIe République, ni sous la IVe République, ni sous la Ve République. Il n’y a donc pas lieu d’en faire un tabou ou de la diaboliser. Par ailleurs, notre propos n’est pas de définir ce qu’est un bon député ou un bon sénateur : ce sont les électeurs qui en décident.

Madame Florennes disait que le Parlement doit être le reflet de la société. C’est vrai et, actuellement, une grande diversité de parcours personnels peut être représentée à l’Assemblée ; le seul qui n’ait plus droit de cité, c’est celui d’adjoint au maire, de conseiller municipal délégué ou de maire. Il faut donc parvenir à un équilibre en la matière.

Je n’ai pas la naïveté de croire que la majorité adoptera cette proposition de loi, qui plus est en fin de législature, mais je connais suffisamment le fonctionnement du Parlement et l’opinion publique pour savoir qu’une idée a besoin de temps pour faire son chemin. Notre ambition, en vous soumettant ce texte, est de défendre l’idée qu’en 2014, nous sommes tombés dans l’excès et que des ajustements sont nécessaires.

Je ne citerai qu’un seul exemple. Un parlementaire ne peut pas être président du conseil d’administration d’un office public HLM, alors que cette fonction ne requiert que cinq jours de présence par an, qu’elle ne confère aucun pouvoir exécutif et qu’elle n’est pas indemnisée. Pourtant, lors de l’examen d’un texte tel que la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, il peut être utile de connaître les enjeux du logement social. Certes, on peut auditionner les acteurs concernés, mais cela ne vaut pas l’observation directe et la pratique. Telle est la philosophie de cette proposition de loi organique.

Je souhaiterais que l’on se garde, les uns et les autres, de verser dans la caricature. Monsieur Cazeneuve, vous avez commencé votre intervention par quelques affirmations péremptoires, avant d’admettre que la question devait être examinée de manière globale. Je partage l’idée selon laquelle le cumul de mandats locaux peut faire naître des conflits d’intérêts potentiels – par exemple, lorsqu’un élu est à la fois vice-président d’un conseil départemental ou régional et maire de sa commune ou président d’un EPCI. Tel n’est pas le cas, contrairement à ce qu’ont dit certains d’entre vous, lorsqu’on cumule une fonction exécutive locale et un mandat parlementaire, et ce pour une raison simple : chacun d’entre nous représente un cinq-cent-soixante-dix-septième du pouvoir de cette assemblée, si tant est qu’elle en ait ! La capacité à peser sur la décision est donc – nous le mesurons chaque jour – beaucoup plus faible que lorsqu’on exerce deux mandats exécutifs locaux.

Toutefois, vous le savez, la Constitution de la Ve République et le règlement de notre assemblée sont ainsi faits qu’un groupe parlementaire comme le groupe UDI-I a une seule journée par an pour poser une question. Dès lors, il ne peut pas consacrer l’entièreté de cette journée à l’examen de l’ensemble des problèmes soulevés par le cumul. Notre ambition est de susciter la réflexion. Au reste, on pourrait au moins nous reconnaître le courage d’aborder cette question avant les élections. Contrairement à ce qui a été dit, c’est bien le moment de le faire, car c’est à la fin d’un mandat qu’on en dresse le bilan et qu’on trace des perspectives.

Le seuil de 10 000 habitants retenu dans la proposition de loi organique ne pose pas de problème d’ordre constitutionnel. Le Conseil constitutionnel – je réponds là à Madame Ménard – considère en effet qu’un tel seuil doit être justifié. Il ne le serait pas s’il était fixé à 5 000 habitants, par exemple ; il le serait davantage s’il correspondait à l’un des différents seuils qui figurent déjà dans nos lois. Nous pourrions donc en discuter : pourquoi pas 9 000 habitants plutôt que 10 000 ? J’ai repris le seuil retenu par le Sénat, mais M. Brindeau en proposera d’autres. En tout état de cause, il me semble qu’une limite est souhaitable, y compris, même si le Sénat n’en a pas prévu, pour le mandat d’adjoint au maire – je proposerai donc que nous en fixions une.

Le mandat parlementaire, a-t-on dit, s’exerce à plein-temps. Enfin, soyons sérieux ! Lequel d’entre nous travaille 35 heures par semaine ? Lorsque j’étais député et maire, je devais travailler 110 à 115 heures par semaine. De fait, chacun de ces deux mandats représente à lui seul beaucoup plus qu’un plein-temps. Par ailleurs, je conçois parfaitement, cher collègue Cazeneuve, que le maire d’une petite commune rencontre davantage de difficultés que le maire d’une grande commune, ne serait-ce que parce qu’il a moins de services à sa disposition. Mais j’observe que la plupart de ces maires sont dans l’obligation d’exercer un métier à côté de leur mandat, notamment en raison de la faiblesse des indemnités qu’ils perçoivent. Cependant, on ne peut tout de même pas verser une indemnité correspondant à un plein-temps au maire d’une commune de 1 500 habitants. Il faut donc accepter qu’ils travaillent par ailleurs, à moins qu’ils ne soient tous retraités – ce qui ne serait pas forcément une bonne chose, car ils ne représenteraient pas la diversité de la population. Et, s’ils travaillent par ailleurs, sans doute peuvent-ils exercer des fonctions parlementaires.

Ne pas pouvoir exercer une fonction exécutive locale – celle d’adjoint au maire ou de conseiller délégué, par exemple – appauvrit la capacité que l’on a de percevoir ce qui se passe. Je ne dis pas qu’un parlementaire doit forcément exercer une telle fonction, je dis que le priver de cette possibilité est excessif. J’observe du reste, madame Florennes, qu’au Sénat, les représentants du MODEM ont voté cette proposition de loi organique. Ils ne la jugent sans doute pas parfaite, mais le débat existe : assumons-le !

Madame Untermaier et madame Buffet, en revanche, ont indiqué qu’il n’y avait pas lieu de débattre de cette question. Pourtant, encore une fois, le débat existe. Il y a une seule affirmation que je conteste, c’est celle selon laquelle l’opinion publique se serait prononcée à ce sujet. De fait, jamais il n’a été démontré que les électeurs rejetaient le cumul de la fonction de maire et du mandat de député. J’irai même au-delà : lorsque c’était le cas, ils n’avaient qu’à ne pas choisir leur maire comme député... Ils avaient évidemment tout le loisir de le faire !

Au demeurant, si l’on adoptait le seuil proposé, l’Assemblée nationale ne redeviendrait pas ce qu’elle était avant 2014, puisque les députés qui cumulaient alors étaient les maires des grandes communes. Il y avait d’ailleurs là quelque chose d’anormal car, dans un pays aussi centralisé que le nôtre, le rôle du député peut effectivement être d’ouvrir des portes à Paris – et je réponds là à monsieur Euzet –, notamment celles des administrations. Or si le maire d’une grande commune – Marseille, Toulouse ou Paris – a accès aux ministères, ce n’est pas le cas de l’édile d’une commune de 6 000 ou 7 000 habitants, qui n’a quant à lui accès qu’au préfet – ce n’est pas la même chose.

Monsieur Gosselin s’est dit favorable au texte. Je précise cependant que l’objet de la proposition de loi organique est d’assurer, non pas la visibilité du travail des parlementaires, mais la diversité de leurs profils. Il est arrivé que se succèdent des assemblées où siégeaient majoritairement des membres de la fonction publique, des chefs d’entreprise ou des élus locaux. Ce n’est pas sain : il n’est pas bon de limiter la diversité des profils composant une assemblée. On a dit que le rôle des maires des petites communes était trop complexe, mais qui est responsable de cette situation, sinon le Parlement, qui vote la loi, et le Gouvernement, qui édicte des décrets ? L’AMF a ainsi rapporté que la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, impose aux maires d’augmenter de 50 % la production de logements sociaux dans leur commune quand la loi « climat et résilience » les exhorte à limiter l’artificialisation des sols ! Oui, nous rendons la vie difficile aux maires. C’est pourquoi il serait bon que certains d’entre eux puissent siéger à l’Assemblée et au Sénat pour éviter ce type d’injonctions contradictoires.

Madame Untermaier, l’interdiction actuelle me paraît trop stricte : il est des fonctions que des députés pourraient utilement occuper sans être de mauvais parlementaires. Je ne crois pas que la vie privée, si riche soit-elle, permette de connaître la diversité des difficultés et des aspirations de nos concitoyens qu’un mandat municipal, même d’adjoint au maire, permet d’appréhender. Dans vos permanences, vous ne serez jamais saisis de certains problèmes, qui sont pourtant soumis au maire. Il est dommage que nous soyons privés de cette possibilité d’alimenter notre mandat parlementaire.

Encore une fois, le cumul des mandats ne serait pas une obligation. Limité aux maires des communes de 9 000 ou 10 000 habitants, il ne conférerait pas une position prédominante dans la circonscription, mais permettrait à celui qui est élu député d’avoir une corde de plus à son arc. J’ajoute que, comme vous l’avez dit, madame Buffet, l’élection présidentielle précédant les élections législatives, la volonté de donner une majorité au Président prime, si bien que le fait d’être maire d’une commune de 5 000 habitants ne favoriserait guère votre élection en tant que député.

Enfin, je le répète, nous savons que la proposition de loi ne sera pas adoptée, mais le moment viendra. Il n’est pas logique que l’on puisse être parlementaire sans avoir la possibilité d’acquérir une expérience locale. Les lois que nous votons s’appliquent aux chefs d’entreprise – et un chef d’entreprise peut être député –, aux administrations – et un fonctionnaire, même en exercice, peut être parlementaire –, mais elles s’appliquent également aux collectivités ; or un maire ne peut pas être député…

Pour conclure, je suis d’accord avec ceux qui estiment qu’une réforme plus globale est nécessaire. Cependant, j’appelle votre attention sur la petite musique que l’on entend de plus en plus selon laquelle les sénateurs sont plus proches des élus locaux. On finira donc par admettre, lorsqu’interviendra la révision constitutionnelle, qu’il est légitime que les sénateurs puissent cumuler, mais pas les députés. Du point de vue de l’équilibre des pouvoirs entre les deux assemblées, une telle réforme serait délétère, car elle accroîtrait la capacité des sénateurs à peser sur le processus législatif et à faire remonter des questions dont nous n’aurions toujours pas connaissance – je parle bien entendu d’une prochaine législature.

Madame Ménard, comme moi, vous êtes bien placée pour savoir qu’un maire reçoit des informations dont vous êtes privée en tant que députée et qu’on le sollicite au sujet de problèmes qui ne seront pas abordés dans votre permanence. J’ajoute, pour répondre à votre question, qu’il existe bien entendu des EPCI de moins de 10 000 habitants. Enfin, je ferai des propositions sur le cumul du mandat de parlementaire avec certaines fonctions au sein de sociétés d’économie mixte et de sociétés publiques locales car de telles fonctions, qui ne sont pas chronophages, permettent d’apprendre beaucoup sur la réalité du terrain.

Article 1er (art. L.O. 141-1 du code électoral) : Assouplissement du régime des incompatibilités entre le mandat de parlementaire et l’exercice de fonctions exécutives locales

Amendement CL7 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier. Il s’agit d’un amendement de suppression, et j’en regrette le caractère radical, mais il me semble que le débat a pu aller jusqu’à son terme et que nous n’avons plus aucun doute sur la finalité de votre démarche.

Elle me semble triste, la vie de députée telle que vous la décrivez ! Pour ma part, je n’attends pas d’un mandat supplémentaire un ancrage plus profond ou un surplus d’expérience, tant le temps me manque pour embrasser toute la richesse de celle que m’offre le mandat de député.

On nous a reproché le caractère démagogique du non-cumul. Mais, en 2014, la loi a été très compliquée à faire adopter, car il n’était pas si simple, pour les sénateurs et même pour les députés siégeant dans nos rangs, de rompre avec une tradition qui était chère à beaucoup, d’autant plus que le cumul offrait une sorte de parapluie fort utile, compte tenu de la difficulté des élections législatives. Nous avons donc plutôt fait preuve de courage en remettant en jeu notre mandat sans pouvoir compter sur le secours de ce parapluie. En tout état de cause, cette loi était une manière sincère de prendre en considération le refus du cumul que nous percevions dans nos territoires respectifs, même s’il s’exprime peut-être avec moins d’acuité aujourd’hui.

Enfin, le véritable courage consiste, non pas à revenir en arrière, mais à aller de l’avant en imaginant d’autres moyens de conforter le rôle du député – car, je suis d’accord avec vous sur ce point, monsieur le rapporteur : il doit l’être – que le rétablissement du cumul, qui contribuerait en réalité à l’affaiblir. Du reste, la suppression de la réserve parlementaire a été un facteur d’affaiblissement. Sans doute ne faut-il pas la rétablir, mais nous devons réfléchir à d’autres moyens que les députés pourraient avoir d’aider les associations de leur circonscription.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Notre ambition, Madame Untermaier l’a dit, est de susciter le débat et la réflexion. La suppression de l’article empêcherait cette réflexion ; j’y suis donc défavorable.

M. Jean-René Cazeneuve. Le débat est en effet utile : de vraies questions se posent sur le statut de l’élu, notamment du parlementaire, ou son information. Je ne crois donc pas qu’il faille voter cet amendement.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL8, CL9, CL10, CL11 de M. Pascal Brindeau et CL4 de Mme Emmanuelle Ménard (discussion commune).

M. Pascal Brindeau. Ces amendements, qui sont peut-être perçus par certains de nos collègues comme une provocation, sont en fait des amendements d’appel. Soulever la question des seuils, c’est aborder le fond du débat : le temps et l’implication exigés par un mandat parlementaire interdisent-ils réellement l’exercice d’une fonction exécutive locale ? Nous pouvons entendre – et c’est en cela que notre proposition de loi organique est modérée – que l’implication du maire d’une commune de 3 500 habitants, aussi forte soit-elle, n’est pas de même nature que celle du maire d’une commune de 100 000 habitants. C’est pourquoi nous avons déposé ces amendements, par lesquels nous vous soumettons différents seuils.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Sur cette question, qui doit être débattue au sein de notre assemblée, je m’en remets à la sagesse de la commission. Je remercie monsieur. Cazeneuve d’avoir dit que ce débat devait avoir lieu, même s’il mérite d’être plus large.

M. Jean-René Cazeneuve. Les amendements montrent que le seuil de 10 000 habitants est quelque peu artificiel. Je crois, quant à moi, que, pour cette raison, la proposition de loi organique présente un risque constitutionnel. J’ajoute, monsieur Brindeau, que le texte n’est pas modéré car, en proposant de fixer le seuil à 10 000 habitants – et, à plus forte raison, à 50 000 ou à 80 000 habitants –, vous requalifiez, si je puis dire, des centaines de milliers d’élus locaux en n’en excluant que quelques centaines, notamment les présidents de département, de région et de grandes métropoles. Quel que soit le seuil, c’est une modification profonde de la règle actuelle que vous proposez.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements identiques CL16 du rapporteur et CL12 de M. Pascal Brindeau.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Dans la rédaction issue du Sénat, le texte ne fixe pas de seuil pour le cumul d’un mandat parlementaire avec des fonctions d’adjoint au maire. Nous proposons que celles-ci puissent être exercées par un parlementaire lorsque la commune compte moins de 100 000 habitants.

La commission rejette les amendements.

Elle rejette l’article 1er.

Article 2 (supprimé)

Amendements CL17 du rapporteur, CL14 de M. Pascal Brindeau, CL18 du rapporteur et CL15 de M. Pascal Brindeau (discussion commune).

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Il s’agit de rétablir l’article 2 dans sa version initiale qui, tout en permettant le cumul d’un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, excluait toute possibilité de cumuler les indemnités liées à ces mandats. Le Sénat a cru bon de revenir sur cette interdiction ; je crois que ce n’est ni nécessaire ni utile à la compréhension du texte par nos concitoyens. Je ne vois pas qui reprocherait à des parlementaires de travailler bénévolement.

La commission rejette successivement les amendements.

Elle maintient la suppression de l’article 2.

Après l’article 2

Amendements identiques CL19 du rapporteur et CL13 de M. Pascal Brindeau.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Il est actuellement interdit d’être député et président du conseil d’administration d’un office HLM, d’un établissement public industriel et commercial ou d’un établissement public administratif. Cette interdiction nous paraît excessive : de ce fait, aucun parlementaire ne peut, par exemple, avoir une connaissance pratique de la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations, la GEMAPI. C’est regrettable. Je propose donc qu’un parlementaire puisse exercer une de ces fonctions, qui ne sont ni chronophages ni, pour la plupart d’entre elles, rémunératrices mais qui lui permettraient d’améliorer sa connaissance des dossiers.

Mme Cécile Untermaier. Ces amendements sont représentatifs de ce qui constitue un conflit d’intérêts, puisqu’ils permettraient à un député, qui sollicite les suffrages de ses concitoyens, d’attribuer l’attribution de logements. C’est précisément pour cette raison que nous ne voulions plus de l’ancien dispositif, rejeté dans nos territoires.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Madame Untermaier, je ne peux pas vous laisser dire cela. Votre propos pourrait témoigner d’une méconnaissance du processus d’attribution des logements sociaux. Celui qui exerce le pouvoir au sein d’un office HLM, c’est son directeur général, et non le président de son conseil d’administration. Par ailleurs, les attributaires sont l’État, la caisse d’allocations familiales et les collectivités locales de tutelle. Comme quoi, une connaissance fine du terrain permet de mieux légiférer…

Mme Cécile Untermaier. Je n’ai jamais présidé une telle commission, mais je connais le dispositif. Lorsque l’on vient me demander un logement, je sais qui il faut saisir et le rôle qu’a le président lorsqu’il est saisi d’une telle demande.

M. Jean-Christophe Lagarde, rapporteur. Je ne veux pas croire que vous le saisissez de ces demandes pour avoir des électeurs : c’est ce que vous sembliez dénoncer tout à l’heure.

La commission rejette les amendements.

Elle rejette l’ensemble de la proposition de loi.

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat, favorisant l’implantation locale des parlementaires (n° 4560).

 

 


— 1 —

 

   annexe n° 1 – liste des personnes entendues

   M. Guy Geoffroy, représentant et maire de Combs-la-Ville

 

   Mme Dorothée Reignier, maître de conférences en droit public

   Mme Pauline Türk, professeure de droit public

   Mme Christine Pina, professeure des universités en science politique

 

 

 


   annexe n° 2 – Récapitulatif de l’examen de la proposition de loi organique au sénat

Le tableau ci-après précise le régime de compatibilité entre le mandat de parlementaire et les différentes fonctions exécutives locales énumérées.

 

Fonction

Droit en vigueur (article L.O. 1411 du code électoral)

Texte déposé

Texte issu de la Commission

Texte issu de la Séance publique

Maires et adjoints au maire

Maire d’une commune de plus de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Maire d’une commune de moins de 10 000 habitants

incompatible

compatible

compatible

compatible

Maire d’arrondissement d’une commune de plus de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Maire d’arrondissement d’une commune de moins de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Maire délégué d’une commune de plus de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Maire délégué d’une commune de moins de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

compatible

compatible

Adjoint au maire d’une commune de plus de 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Adjoint au maire d’une commune de moins de 10 000 habitants

incompatible

compatible

compatible

compatible

Établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et autres niveaux de collectivité

Président d’un EPCI dont la population totale excède 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Président d’un EPCI dont la population totale n’excède pas 10 000 habitants

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Vice-Président d’un EPCI

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président et de vice-président de conseil départemental

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-président de conseil départemental

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président de conseil régional

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-président du conseil régional

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président et de vice-président d’un syndicat mixte

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-président de syndicat mixte

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Autres collectivités / outre-mer

Corse

Président du conseil exécutif de Corse

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Membre du conseil exécutif de Corse

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président de l’Assemblée de Corse

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Guyane et Martinique

Président de l’assemblée de Guyane ou de Martinique

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président de l’assemblée de Guyane ou de Martinique

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président du conseil exécutif de Martinique

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Membre du conseil exécutif de Martinique

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Nouvelle-Calédonie

Président de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président de la Nouvelle Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-président d’une assemblée de province de la Nouvelle-Calédonie

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Polynésie française

Président de la Polynésie française

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président de la Polynésie française

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Membre du Gouvernement de la Polynésie française

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président de l’assemblée de Polynésie française

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président de l’assemblée de Polynésie française

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Wallis et Futuna

Président de l’assemble territoriale des îles de Wallis et Futuna

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-président de de l’assemblée territoriale des îles de Wallis et Futuna

incompatible

Incompatible

incompatible

compatible

Les « Saints »

Président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président du conseil territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Membre du conseil exécutif de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi

Président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi 

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Vice-Président de l’organe délibérant de toute autre collectivité territoriale créée par la loi

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Assemblée des Français de l’étranger et conseil consulaire

Président de l’Assemblée des Français de l’étranger

incompatible

incompatible

incompatible

incompatible

Membre du bureau de l’Assemblée des Français de l’étranger

incompatible

incompatible

incompatible

compatible

Président de conseil consulaire *

N/A

incompatible

incompatible

compatible

Vice-Président de conseil consulaire

incompatible

N/A

N/A

N/A

 

* la fonction de président de conseil consulaire n’apparaît pas dans l’article L.O. 141-1 du code électoral actuellement en vigueur. Cela est dû au fait que les conseils consulaires ne sont présidés par un élu que depuis 2019, ils l’étaient auparavant par l’ambassadeur.

 

 


([1]) Baromètre de la confiance politique, CEVIPOF, mai 2021.

([2]) L’erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique.  

([3]) Une ville de moins de 10 000 habitants dans la version du texte adoptée par le Sénat.  

([4]) Débat avec les maires de l’Eure.

([5]) « Non-cumul des mandats : Jean Castex favorable à un « aménagement » de la loi pour les « communes de taille modeste » », Le Monde, 22 octobre 2021.

([6]) Rapports nos 1173 et 1174 faits au nom de la commission des lois sur le projet de loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur et sur le projet de loi interdisant le cumul de fonctions locales avec le mandat de représentant au Parlement européen, M. Christian Borgel, Assemblée nationale, XIVème législature, 26 juin 2013.

([7]) Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, 2012.

([8]) Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République, 2007.

([9]) « Une donnée stable de la culture politique française », Le Débat n° 172, Marc Abélès, 2012.

([10]) Sauf si celle-ci porte sur les attributions exercées au nom de l'État ; article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales.

([11]) Le cumul des mandats et le travail parlementaire, CEVIPOF, août 2012.

([12]) Les activités de consultant et d’avocat sont limitées à la poursuite d’une activité antérieure.

([13]) Guy Carcassonne, « Le temps de la décision », Le Débat 2012/5 n° 172, 2012.

([14]) Baromètre « En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd’hui ? », CEVIPOF, 2021.

([15]) Ibid.

([16]) « Il faut cumuler les mandats politiques ! », Le Monde, 19 février 2013.

([17]) Rapport n° 23 fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires, M. Stéphane Le Rudulier, Sénat, session ordinaire de 2021–2022, 6 octobre 2021.

([18]) « Un parlementaire sur deux est candidats aux municipales », Le Figaro, 13 mars 2020.

([19]) « Non-cumul des mandats : au moins sept législatives partielles cet automne », Le Parisien, 2 août 2020.

([20]) Le renouvellement des députés français entre 1958 et 2017, Fondation pour l’innovation politique, 2017.

([21]) Commentaire des décisions n° 2000-426 DC et n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, Les cahiers du Conseil constitutionnel n° 9.

([22]) Rapport n° 23 fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires, M. Stéphane Le Rudulier, Sénat, session ordinaire de 2021–2022, 6 octobre 2021.

([23]) Ibid.  

([24]) Laurent Bach, Faut-il abolir le cumul des mandats ?, Centre pour la recherche économique et ses applications, 2012.

([25]) Frédéric Monier et Christophe Portalez, Une norme démocratique ? L’indemnité des élus en débats, de la Révolution française à la Grande Guerre.

([26]) Fiche de synthèse n° 3 : La rémunération des députés, site internet de l’Assemblée nationale.

([27]) Ibid.

([28]) Au 1er janvier 2019 ; Fiche de synthèse n° 17 : La situation matérielle du député, site internet de l’Assemblée nationale.

([29]) Cette règle remonte à la loi organique n° 92-175 du 25 février 1992 modifiant l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre 1958 portant loi organique relative à l’indemnité des membres du Parlement.

([30]) Amendements identiques du rapporteur et de M. Olivier Paccaud.

([31]) Rapport n° 23 fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi organique favorisant l’implantation locale des parlementaires, M. Stéphane Le Rudulier, Sénat, session ordinaire de 2021 – 2022, 6 octobre 2021.