N° 4708

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 novembre 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe
contre le trafic d’organes humains,

PAR Mme Ramlati ALI

Députée

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 

 

 

 

 Voir le numéro : 4338.

 


 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. le trafic d’organes humains est un phÉnomÈne mondial qui fait l’objet d’une mobilisation À tous les niveaux d’action

A. Un fléau mondial connu malgrÉ une ampleur difficile À estimer

B. UN ARSENAL JURIDIQUE et opÉrationnel mis en place À tous les niveaux pour lutter contre ce fléau mondial

C. le cas de la France : un solide dispositif national et un fort engagement aux plans europÉen et international

II. LA CONVENTION du conseil de l’europe contre le trafic d’organes humains vient parachever le droit existant et combler un vide juridique

A. but, champ d’application et terminologie

B. droit pÉnal matÉriel

C. droit pÉnal procÉdural

D. mesures de protection

E. mesures de prÉvention

F. mÉcanisme de suivi

G. relations avec d’autres instruments internationaux

H. amendements À la convention

I. clauses finales

EXAMEN EN COMMISSION

Annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission

Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure

 


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   introduction

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi n° 4338, autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains du 25 mars 2015, dite convention de Saint-Jacques-de-Compostelle.

Cette convention a pour objectif de contribuer de manière significative à l’éradication du trafic d’organes humains en prévenant et en combattant ce crime, en prévoyant l’incrimination d’une série d’actes, en assurant la protection des victimes des trafics et en visant à faciliter la coopération internationale pour lutter contre le trafic d’organes. S’il ne s’agit pas du premier instrument de droit international abordant cette question, il s’agit du premier accord multilatéral portant spécifiquement sur la lutte contre les trafics d’organes. Élaborée dans le cadre du Conseil de l’Europe, la convention est ouverte à la signature des États non membres de l’organisation. Au gré des signatures et des ratifications, la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle pourra favoriser la consolidation d’un mouvement international résolument engagé contre les trafics d’organes et rassemblant idéalement des États autour d’une même approche juridique du phénomène.

Bien que le cadre national relatif au dispositif national de dons et de transplantation d’organes soit déjà extrêmement rigoureux et solide, l’entrée en vigueur de cette convention viendra manifester l’engagement de la France au plan international pour venir à bout des trafics d’organes, qui constituent une atteinte profonde aux droits humains en même temps qu’ils ternissent la prodigieuse avancée scientifique que représentent les transplantations d’organes.

Si les trafics d’organes sont aujourd’hui un phénomène connu, il reste difficile d’en délimiter les contours et l’ampleur avec exactitude. Malgré cette irréductible part d’incertitude, inhérente aux phénomènes illicites, et bien que la France ne soit pas directement concernée par les conséquences de ces trafics – dont les victimes sont essentiellement des populations très vulnérables en majorité issues de pays en développement et de zones de conflit ou de transit migratoire – il est essentiel que notre pays continue à porter fermement ce sujet aux plans européen et international, dans nos échanges bilatéraux comme multilatéraux.

 

 

 


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I.   le trafic d’organes humains est un phÉnomÈne mondial qui fait l’objet d’une mobilisation À tous les niveaux d’action

A.   Un fléau mondial connu malgrÉ une ampleur difficile À estimer

Le trafic d’organes désigne de façon générale toute transaction d’organe opérée hors des systèmes nationaux de transplantation. Au sens de la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes, le trafic d’organes est le prélèvement d’un organe sans consentement libre et éclairé du donneur en échange d’un profit ou d’un avantage comparable, l’utilisation (transplantation ou autre) d’organes prélevés illicitement, la sollicitation et le recrutement d’un donneur ou d’un receveur d’organes en vue d’un profit ou d’un avantage comparable pour la personne qui sollicite ou recrute ou pour une tierce personne.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 5 à 10 % des greffes d’organes réalisées dans le monde résultent du trafic d’organes, soit environ 15 000 greffes par an. Comme l’a souligné en audition le Dr. Alexis Génin, directeur des applications de la recherche à l’Institut du cerveau, l’ampleur du phénomène reste très difficile à déterminer et les estimations les plus hautes s’élèvent à 4 millions de greffes par an qui seraient liées aux trafics, ce qui suggère une réalité intermédiaire entre ces deux paliers.

Le trafic d’organes est un phénomène mondial, qui s’inscrit aussi dans un contexte de progrès rapide de la médecine de transplantation. Comme l’a rappelé en audition le Pr. Yves Pérel, directeur général adjoint de l’Agence de biomédecine, si la transplantation des organes attire les regards voire les convoitises, c’est qu’elle a permis de sauver des milliers de vies : il s’agit d’un « symbole de la solidarité humaine », terni par l’existence de trafics. Il est dès lors vraisemblable qu’une corrélation existe entre la demande d’organes et l’ampleur des trafics, dans un contexte où il y aurait, selon l’OMS, dix fois plus de besoins que de greffons disponibles dans le monde. Les avancées scientifiques, autour par exemple des xénogreffes ([1]), laissent ainsi espérer une diminution du hiatus entre offre et demande et par là-même un essoufflement des trafics.

Qu’est-ce qu’une transplantation ou greffe d’organe ?

Pour rappel, une greffe ou transplantation est une opération chirurgicale consistant à remplacer un organe malade par un organe sain, appelé « greffon » ou « transplant » et provenant d’un donneur. Plusieurs organes peuvent être greffés : le cœur, le rein, les poumons, le foie, le pancréas et de façon plus rare des associations de ces organes. Les greffes interviennent en général en réponse à des défaillances aiguës et/ou en conséquence d’une maladie chronique. Elles doivent être suivies d’un traitement immuno-dépresseur suivi à vie par le patient, au risque d’une perte du greffon et de complications médicales.

On trouve deux types de donneurs : les donneurs décédés (notamment des suites d’une mort encéphalique, et de façon croissante des personnes décédées des suites d’un arrêt cardiaque) et les donneurs vivants, essentiellement pour le rein et dans certains cas pour le foie lorsqu’il peut être scindé.

À noter qu’au sens strict – et bien qu’en pratique les deux termes soient utilisés indifféremment – il convient de parler de transplantation pour les organes, une greffe étant vasculaire et concernant plutôt les tissus (cornée, peau, etc.) par opposition aux transplantations qui sont réalisées avec une anastomose (soit l’établissement d’une connexion) chirurgicale des vaisseaux sanguins nourriciers ou fonctionnels.

Les trafics d’organes concernent aujourd’hui essentiellement le rein, dans un contexte de développement des insuffisances rénales dans le monde. Comme cela a été indiqué dans les réponses adressées à votre rapporteure par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et le ministère des solidarités et de la santé (MSS), ni le ministère des solidarités et de la santé ni l’Agence de la biomédecine (ABM) n’ont connaissance d’un trafic de tissus ou de cellules.

En termes de cartographie, les pays les plus touchés par les trafics d’organes semblent être des pays dans lesquels le système de transplantation repose essentiellement sur le prélèvement sur donneurs vivants ou des pays dans lesquels le dispositif de prélèvement sur donneurs décédés, même lorsqu’il est prévu, n’est pas suffisamment outillé. On peut ainsi citer l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Bangladesh, l’Égypte, le Mexique, le Cambodge, le Sri Lanka.

La présence d’importants flux migratoires peut aussi être un facteur déterminant, comme on le voit dans le cas de l’Égypte, de l’Irak ou encore de la Syrie. Les victimes du trafic d’organes en Égypte seraient, pour la plupart, d’origine soudanaise, érythréenne et syrienne. Les gains espérés de la cession d’un organe sont souvent destinés à la poursuite de la trajectoire migratoire. Le rapport 2020 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) sur les trafics d’êtres humains indique ainsi qu’une majorité des personnes victimes de prélèvement illicite d’organes sont des hommes, principalement migrants ([2]). Dans ce même rapport, l’ONUDC précise que le trafic a été exacerbé par la crise migratoire actuelle.

Le rapport de l’ONUDC sur le trafic d’êtres humains concernant l’année 2016 avait également fait état d’une détection croissante de victimes originaires de pays touchés par des conflits tels que la Syrie, l’Irak et la Somalie dans des pays d’Europe, d’Asie et du Moyen-Orient.

Par ailleurs, de nombreux abus de transplantation ont été dénoncés en Chine au cours des dernières années. Le manque de données fragilise l’évaluation du phénomène mais la Chine pourrait être le premier pays concerné par les trafics d’organes au plan quantitatif. Selon les travaux du professeur Wendy Roger, cités en audition par Alexis Génin, la majorité des victimes de ces trafics seraient des prisonniers de conscience ([3]). Les enquêtes menées ont notamment mis en évidence le cas des adeptes du Falun Gong, mouvement spirituel syncrétiste fondé en 1992 et interdit en Chine depuis 1999. Selon le rapport publié en 2006 par les Canadiens David Kilgour, ancien secrétaire d’État pour la région Asie‑Pacifique, et David Matas, avocat international des droits de l’homme, cité par notre collègue Frédérique Dumas dans son rapport sur la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ([4]), l’emprisonnement et la disparition de membres du mouvement auraient coïncidé avec la hausse significative du nombre de transplantations en Chine. D’autres groupes, tels que les Ouïgours ou les Tibétains, pourraient aussi être concernés par un phénomène qui a pour particularité de ne pas être clandestin, à la différence de la majorité des trafics de ce type.

Ainsi, les trafics d’organes reposent en majorité sur des réseaux mafieux, qui ciblent des personnes particulièrement vulnérables.

À noter que le trafic d’organes et le trafic d’êtres humains (à des fins de prélèvement d’organes) sont deux notions connexes mais distinctes : certains cas de trafic d’organes résultent du trafic d’êtres humains ([5]), mais tous les cas de trafic d’organes ne résultent pas du trafic d’êtres humains. En outre, la traite aux fins de trafic d’organes représente une faible part de la traite des êtres humains. Enfin, la notion de trafic d’organes couvre un spectre plus large, intégrant par exemple le cas d’organes prélevés sur des personnes décédées. Il convient ainsi de distinguer ces deux notions, comme cela a été fait dans la Déclaration d’Istanbul de 2008 sur le trafic d’organes et le tourisme de transplantation ([6]) et comme l’ont fait l’Organisation des Nations Unies et le Conseil de l’Europe dans leur étude conjointe de 2009 sur le sujet (voir infra). De même, des liens peuvent être établis entre trafics d’organes et filières migratoires (voir exemples supra) sans que les deux notions ne se confondent.

Les voies de redistribution d’organes illicitement prélevés suivent les voies de la criminalité organisée transfrontalière et notamment celles de la traite des êtres humains. Néanmoins, on constate, depuis les années 1980, la prégnance d’un phénomène de redistribution via les touristes appelé tourisme de transplantation. Celui-ci consiste pour une personne malade, généralement en provenance d’un pays développé, à se rendre dans un pays étranger – en général un pays au PIB moins élevé et dans lequel le trafic d’organes a cours – pour acheter un organe et recevoir une greffe. Ce phénomène, dénoncé en 2004 par l’OMS ([7]) puis en 2008 par les États participant au sommet d’Istanbul, a fait l’objet d’une définition dans la Déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation ([8]).

Toutes voies confondues, le trafic d’organes générerait entre 600 millions et 1,2 milliard de dollars de profits par an, ce qui est en fait une activité particulièrement lucrative et par-là même difficile à juguler ([9]).

Les « tarifs » varient selon les pays, les données disponibles concernant au premier chef les prélèvements et transplantations de reins. Ainsi, pour un rein, le prix peut varier de 20 000 à 160 000 dollars selon le pays. Selon l’OMS, en Colombie, la transplantation d’un rein est, par exemple, proposée à 80 000 dollars. Selon un article du journal Le Monde, un site chinois proposait de vendre, en 2006, un rein pour 62 000 dollars, un foie pour une centaine de milliers de dollars, un pancréas pour une somme comprise entre 150 000 et 170 000 dollars, un cœur pour 160 000 dollars ou encore une cornée pour 30 000 dollars ([10]).

 

 

 

B.   UN ARSENAL JURIDIQUE et opÉrationnel mis en place À tous les niveaux pour lutter contre ce fléau mondial

La convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, premier instrument international spécifiquement dédié à la lutte contre le trafic d’organes humains, vient compléter un édifice juridique et opérationnel préexistant.

L’élaboration de la présente convention a été précédée par l’adoption d’autres outils juridiques internationaux qui contiennent des dispositions relatives à l’incrimination contre le trafic d’organes, notamment des instruments axés sur la lutte contre la traite des êtres humains, tels que le protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (2000) et la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (2005). La Convention sur les droits de l’Homme et la biomédecine de 1997, dite convention d’Oviedo, et son protocole de 2007 relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine contiennent aussi des dispositions interdisant le trafic d’organes.

Le préambule de la présente convention récapitule ainsi les textes juridiques de l’ONU et du Conseil de l’Europe dans la continuité desquels elle s’inscrit, parmi lesquels on trouve aussi la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (1950).

Avant d’élaborer la présente convention, le Conseil de l’Europe avait par ailleurs adopté de nombreuses recommandations sur la transplantation, les dons d’organes et le trafic d’organes, via le Comité des ministres ou l’Assemblée parlementaire. Le Conseil de l’Europe joue un rôle de premier plan dans la coopération internationale en matière de lutte contre le trafic d’organes. Une enquête est ainsi menée chaque année en vue de collecter les données sur les patients qui reviennent dans leur pays d’origine après avoir été greffés à l’étranger (voir infra).  Des groupes de travail spécifiques sur la question du trafic d’organes et du tourisme de transplantation sont également mis en place et sont le lieu d’échanges de données réguliers.

Plusieurs initiatives ont également été mises en œuvre par l’OMS et l’ONU : ainsi, après une large concertation, à laquelle l’Agence de la biomédecine avait participé, l’assemblée générale de l’OMS a approuvé, en 2010, les « Principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains », soulignant le fait que les gouvernements sont responsables du développement de l’accès à la greffe dans des conditions éthiques satisfaisantes et suivie en 2018 par une résolution (73/189) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies et portant sur l’adoption de mesures efficaces, le renforcement et la promotion de la coopération internationale en matière de don et de transplantation d’organes afin de prévenir et combattre la traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes et de trafic d’organes humains.

L’Union européenne a aussi développé des outils juridiques et opérationnels contribuant à la lutte contre les trafics d’organes. La question du trafic d’organes est d’abord appréhendée à travers celle de la lutte contre la traite des êtres humains. On peut notamment mentionner la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes ([11]), qui établit des règles communes en vue de déterminer les infractions liées à la traite des êtres humains et de punir les responsables, ou encore les différentes règlementations adoptées par l’UE en matière de don et de transplantation d’organes, sur la base de l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ([12]). L’Union européenne a également adopté en 2010 une directive relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation, qui fait l’objet de réunions régulières des autorités compétentes en vue de rendre compte de sa bonne application par les États membres. Cette directive a également permis la création d’identifiants uniques européens pour les demandeurs d’organes.

Au plan opérationnel, il faut également mentionner le lancement en 2015 de la plateforme Fœdus, créée dans le cadre d’un projet mené entre 2013 et 2016 et qui comptait 25 partenaires européens sous la coordination du Centre national des transplantations italien. Ce projet visait à identifier une méthodologie commune pour les échanges d’organes excédentaires entre pays de l’UE, développer un portail informatique pour l’échange d’organes et créer des stratégies communes de communication au public sur le don d’organes en général et les échanges d’organes entre pays en particulier. Concrètement, l’existence de cette plateforme permet de mettre en relation plusieurs États européens – en particulier les États partageant des frontières – afin que les organes n’ayant pas trouvé de receveurs dans leur pays d’origine soient réorientés vers d’autres pays européens.

C.   le cas de la France : un solide dispositif national et un fort engagement aux plans europÉen et international

Si l’on s’intéresse plus spécifiquement à la France, il convient tout d’abord de rappeler que le trafic d’organes s’oppose à plusieurs principes juridiques fondamentaux, tels que la dignité humaine – qui a depuis 1994 le rang de principe à valeur constitutionnelle ([13]) – la liberté individuelle ou la non-patrimonialité du corps humain. Le dispositif juridique en vigueur permet à la fois d’interdire et de sanctionner le trafic d’organes et d’encadrer les dons, transplantations et greffes d’organes. La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, dite « loi bioéthique », consacre plusieurs principes sur le don d’organes : gratuité, anonymat et libre consentement du donneur ([14]).

Le dispositif juridique national encadrant les dons, transplantations
et greffes d’organes 

Le dispositif national repose, d’un point de vue juridique, sur le code civil, le code de la santé publique, le code pénal et divers arrêtés portant homologation de règles de bonnes pratiques, élaborées par l’Agence de la biomédecine (ABM) après avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Le code civil ([15]) et la partie législative du code de la santé publique ([16])  (CSP) fixent les principes généraux afférents au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, au premier rang desquels la dignité, la non-patrimonialité du corps humain, le consentement au don, le bénévolat et l’anonymat du don.

Le titre III du livre II de la première partie du CSP est consacré aux organes. Il consacre le principe de l’équité d’accès aux greffons (article L. 1231-1 B), fixe les principes afférents au prélèvement sur donneurs vivants (articles L. 1231-1 à L. 1231-4 : intérêt thérapeutique direct du receveur, don intrafamilial, possibilité de don croisé, intervention d’un comité d’experts, interdiction du prélèvement sur une personne vivante mineure ou sur une personne vivante majeure faisant l’objet d’une mesure de protection légale) et sur personnes décédées (articles L. 1232-1 à L. 1232-6 : fins thérapeutiques ou scientifiques, absence d’opposition du vivant de la personne) ([17]). Il prévoit l’autorisation des établissements de santé pour le prélèvement et la greffe.

Le titre VII est consacré aux dispositions pénales et le chapitre II de ce dernier aux organes, tissus, cellules et produits du corps humain. Il renvoie aux dispositions du code pénal (articles L. 511-2 et suivants) pour la pénalisation des actes afférents au trafic d’organes.

La partie réglementaire du CSP aborde les règles de sécurité sanitaire et la biovigilance. Les bonnes pratiques fixent notamment les règles relatives au prélèvement d’organes sur une personne décédée ([18])  et à l’entretien avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus ([19]) . Depuis 2011, le donneur vivant peut être n’importe quelle personne en mesure de prouver une vie commune d’au moins deux ans avec le receveur. Le donneur doit être préalablement informé par un comité d’experts indépendants qui l’informeront des conséquences éventuelles, physiques comme psychologiques, que pourrait avoir la démarche. Ce comité constitue un élément clé dans la sécurisation du parcours du donneur et sa protection, sa mission consiste à vérifier que le donneur est libre de sa décision et qu’il est informé des risques et conséquences éventuelles, sans pour autant porter d’appréciation médicale. Une autorisation doit être in fine délivrée par le comité d’experts, dont les décisions ne sont pas motivées.

Concernant les modalités de l’indemnisation des donneurs, l’article L. 1211-4 du CSP dispose : « Aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de ses produits. Les frais afférents au prélèvement ou à la collecte sont intégralement pris en charge par l’établissement de santé chargé d’effectuer le prélèvement ou la collecte. »

Les articles R. 1211-2 et suivants prévoient le remboursement des frais de transport et d’hébergement par l’établissement de santé qui réalise le prélèvement, la prise en charge, par ce même établissement, de la perte de rémunération subie par le donneur, ainsi que des frais d’examens et de traitement prescrits en vue du prélèvement, des frais d’hospitalisation et des frais de suivi ou de soins. Il n’y a donc pas d’indemnisation des donneurs mais une prise en charge ou un remboursement des frais afférents au don. Par ailleurs, aucune rémunération à l’acte n’est possible pour les praticiens réalisant les prélèvements.

Le dispositif français repose, comme la majorité des dispositifs européens, sur le principe dit « opt out » : toute personne est considérée comme donneur par défaut, par inverse au principe de « l’opt-in » en vertu duquel une démarche active doit être engagée. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 1976 dite loi Caillavet, chacun est présumé donneur, sauf en cas de refus exprimé de son vivant. Ce principe a été réaffirmé à plusieurs reprises par le législateur, notamment dans la loi de modernisation du système de santé du 26 janvier 2016, qui a apporté des précisions sur le rôle des proches et sur la marche à suivre pour refuser de donner ses organes.

En France, l’activité de greffe d’organes est passée de 4 709 greffes en 2010 à 5 901 en 2019, dont 533 à partir de donneurs vivants, selon les informations actualisées communiquées à votre rapporteure par l’Agence de biomédecine (ABM). On comptait ainsi 384 greffes de cœur, 425 greffes de poumon, 1 356 greffes de foie, 3 643 greffes de rein, soit des chiffres par million d’habitants parmi les plus élevés au monde.

Malgré cette tendance à la hausse des greffes pratiquées, les progrès de la médecine de transplantation ont entraîné une pénurie d’organes disponibles, créant de nouveaux défis en matière de sécurité et de qualité. À titre indicatif, les données relatives à la France, transmises par l’Agence de biomédecine, faisaient état de 8 576 nouvelles inscriptions de patients sur liste d’attente en 2019, pour 5 901 greffes réalisées.

L’Agence de biomédecine, agence nationale créée par la loi de bioéthique de 2004 et placée sous la tutelle du ministère des solidarités et de la santé, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du dispositif national encadrant le prélèvement et les greffes d’organes, de tissus et de cellules. Elle est chargée de la gestion de la liste nationale d’attente de greffe et du registre national des refus, de la coordination des prélèvements d’organes, de la répartition et de l’attribution des greffons, elle doit garantir que les greffons prélevés sont attribués aux malades en attente de greffe dans le respect des critères médicaux et des principes d’équité, assurer l’évaluation des activités médicales qu’elle encadre et promouvoir et développer l’information sur le don, le prélèvement et la greffe.

L’Agence de biomédecine doit de façon générale faire vivre les principes et règles encadrant les dons et transplantations d’organes, en entretenant des liens étroits avec les équipes de greffe et les associations de patients.

L’Agence nationale de biomédecine (ABM) joue par là-même un rôle de premier plan dans la lutte contre le trafic d’organes au plan national. Elle est notamment chargée, en vertu de l’article L. 1418-1-1 du code de la santé publique, de suivre l’évolution de la situation internationale en matière de trafics d’organes et les mesures de lutte contre ces trafics, suivi dont elle doit rendre compte dans son rapport d’activité annuel. L’ABM réalise une enquête annuelle anonyme auprès des centres de dialyse et des services de greffe pour évaluer le recours, par des patients résidant en France, à des greffes rénales à l’étranger à partir de donneurs vivants rémunérés. Il ressort de ces enquêtes que le nombre de personnes résidant en France et greffées à l’étranger est très faible. En effet, 24 personnes seraient entrées dans ce cas de figure en 2018. Au total, entre 2000 et 2019, 81 cas ont été rapportés. Il s’agit le plus souvent d’une greffe réalisée à partir de donneurs vivants apparentés aux receveurs, dans les pays d’origine des personnes concernées et en conformité avec les lois de ces pays. Selon les données dont dispose l’ABM à ce jour et pour l’année 2020, ont été répertoriés :

-         5 patients résidant en France greffés à l’étranger (3 patients de nationalité française, 1 patient de nationalité russe, 1 patient de nationalité algérienne) ;

-         Se décomposant en : 4 greffes rénales (Maroc, Liban, Algérie, Israël) et 1 greffe hépatique (Turquie).

Il s’agit donc de données très modestes, qui doivent être remises dans le contexte d’une offre thérapeutique française de très grande qualité, qui offre des garanties qui ne peuvent pas être retrouvées dans les pays ouverts au tourisme de transplantation ([20]). Ainsi, bien que les besoins en organes enregistrés en France soient supérieurs aux quantités disponibles pour des transplantations, les patients français ont dans l’ensemble une très faible incitation à s’inscrire dans ces circuits « touristiques ».

À noter qu’au niveau européen, les données collectées chaque année par le Conseil de l’Europe - dans le cadre du Comité sur la transplantation d’organes, de tissus et de cellules (CDPTO) – sur les patients qui reviennent dans leur pays d’origine après avoir été greffés à l’étranger suggèrent également une participation très limitée des Européens au tourisme de transplantation. Pour l’année 2017 (dernières données disponibles), 22 pays ont participé à l’enquête et ont rapporté 70 patients greffés à l’étranger. Pour la période 2015–2017, 231 patients ont été recensés. Il s’agissait majoritairement de patients provenant de Bulgarie (70 patients) et de Russie (29 patients). Parmi les 231 greffes recensées, 113 avaient été réalisées à partir de donneurs vivants (94 greffes rénales et 19 greffes hépatiques).

Néanmoins, votre rapporteure a été alertée en audition sur la perfectibilité du dispositif de suivi et de traçabilité des personnes en attente d’organes au niveau national, concernant notamment les personnes sortant du registre des demandeurs sans qu’une greffe n’ait été réalisée en France. Une évolution possible pourrait porter sur les modalités de l’enquête biannuelle réalisée par l’Agence de biomédecine, qui n’est pas contraignante. Si les soupçons de trafics d’organes sont très limités concernant la France, une telle évolution permettrait néanmoins d’affiner la mesure et l’objectivation du problème.

La lutte contre le trafic d’organes humains correspond aussi à un engagement international de la France, porté au niveau multilatéral et au plan bilatéral.

La lutte contre le trafic d’organes humains s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains. À cet égard, la France est partie à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, et à son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (ouverts à la signature en 2000 et entrés en vigueur en 2003).

Pour rappel, la définition internationalement agréée de la traite des êtres humains, telle que mentionnée dans le protocole additionnel, invite explicitement les États parties à réprimer le prélèvement d’organes. À l’occasion de la 10ème Conférence des États parties à la Convention de Palerme, qui s’est tenue à Vienne du 12 au 16 octobre 2020, la France a lancé un appel au renforcement de la coopération internationale pour combattre la traite et soutenir les victimes.

La France avait aussi coparrainé en 2018, lors de la 73e session de l’Assemblée générale des Nations unies la résolution (73/189) susmentionnée, portée par l’Espagne et le Guatemala. En 2019, la France a rejoint la campagne « Cœur bleu », lancée par l’ONUDC, visant à sensibiliser les populations civiles à la traite des personnes.

Au plan bilatéral, des partenariats scientifiques spécifiques ont été développés, en association directe avec l’Agence de biomédecine dont le pôle international est chargé des missions d’évaluation préalables à tout projet de coopération. Plusieurs partenariats sont actuellement en cours (Maroc, Algérie, Tunisie, Sénégal, etc.), dans le but de favoriser le développement des prélèvements et transplantations d’organes éthiquement encadrés. L’Agence de biomédecine travaille en coopération avec le ministère des solidarités et de la santé (délégation aux affaires européennes et internationales), les postes diplomatiques et les professionnels mobilisés sur le terrain. À noter que les grands instituts de recherche tournés vers l’international, tels que l’INSERM ou l’Institut Pasteur, disposent en leur sein de comités éthiques chargés de veiller à ce que les principes consacrés par le droit français soient respectés dans le cadre de coopérations scientifiques.

Ce sujet, qui a notamment fait l’objet de la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ([21]) présentée par Mme Frédérique Dumas et plusieurs de ses collègues, mérite une vigilance particulière. Si ces partenariats sont encadrés juridiquement par l’article L. 6134-1 du code de la santé publique ([22]), qui prévoit « pour les actions de coopération internationale, les établissements de santé publics ou privés à but non lucratif peuvent également signer des conventions avec des personnes de droit public et privé, dans le respect des engagements internationaux souscrits par l'État français », il est indispensable que les autorités et organismes français concernés aient une ligne ferme en la matière, afin de se prémunir contre tout risque de contribuer à la formation de personnels ou au développement d’infrastructures susceptibles d’être intégrés dans une quelconque forme de trafic d’organes.

On peut également mentionner le rôle du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dont l’action permet de sensibiliser les institutions françaises comme internationales aux principes éthiques défendus par la France, particulièrement en matière de coopération internationale de santé.

Enfin, la coopération judiciaire en matière pénale – explicitement mentionnée à l’article 17 de la convention (voir infra) – peut également être mobilisée pour lutter contre les trafics d’organes humains. En effet, ceux-ci revêtant souvent en pratique une dimension transfrontalière, la coopération judiciaire pénale est fondamentale pour lutter contre les trafics d’organes humains, à la fois pour permettre d’appréhender judiciairement la réalité et l’ampleur des faits, de recueillir, par le biais de demandes d’entraides pénales internationales, les éléments de preuves utiles et d’identifier l’ensemble des acteurs de la chaîne contribuant à l’exploitation des victimes. Cette coopération est également nécessaire pour permettre l’interpellation de ces auteurs, co-auteurs ou complices, puis le cas échéant leur extradition. Enfin, elle permet de faciliter l’identification, la saisie et la confiscation des avoirs qui peuvent avoir été générés par le trafic.

On peut également mentionner le rôle indirect que peut avoir l’aide publique au développement (APD) dans l’action de la France pour la lutte contre les trafics d’organes. L’aide publique au développement de la France, bilatérale et multilatérale, comporte un important volet sanitaire, qui représentait à titre indicatif en 2018 plus de 900 millions d’euros ([23]). La lutte contre les trafics d’organes ne représente pas un objectif en tant que tel de l’APD mais les actions menées en faveur de l’accès aux soins et de la transparence peuvent contribuer à réduire l’attrait et l’ampleur de ces pratiques illicites dans certains pays.

Au niveau européen, la France a porté, avec constance et détermination, ces mêmes priorités au sein de l’Union européenne, depuis 2014 en veillant à ce que la question de la traite aux fins du prélèvement d’organes figure dans tous les documents clefs ainsi que parmi les priorités du cycle politique européen de lutte contre la criminalité organisée identifiées par l’agence européenne de police criminelle EUROPOL. La France accorde une grande importance à l’adoption de cette convention, et à sa ratification par le plus grand nombre possible d’États membres de l’Union européenne.

II.   LA CONVENTION du conseil de l’europe contre le trafic d’organes humains vient parachever le droit existant et combler un vide juridique

La convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains a été signée à Saint-Jacques-de-Compostelle le 25 mars 2015. Elle est entrée en vigueur le 1er mars 2018, une fois la condition de cinq ratifications incluant au moins trois États membres du Conseil de l’Europe remplie. À ce jour, 26 pays ont signé la Convention (dont un pays non membre du Conseil de l’Europe, le Costa Rica) et onze pays l’ont ratifiée ([24]).

Comme l’a souligné en audition le professeur Mahmoud Zani, directeur du Centre de droit international et européen de Tunisie, si des instruments juridiques internationaux préexistants permettaient déjà d’aborder la problématique des trafics d’organes, la convention du Conseil de l’Europe, en tant que premier instrument dédié spécifiquement à ce sujet, est venue combler un vide juridique. Si l’on peut regretter que cet instrument n’ait pas été adopté dans le cadre de l’ONU, qui compte pour rappel 193 États membres, il faut noter que la présente convention est ouverte à la signature des États membres du Conseil de l’Europe mais aussi des États non membres ayant le statut d’observateur auprès du Conseil de l’Europe et des autres États non membres, auxquels s’ajoute l’Union européenne.

A.   but, champ d’application et terminologie

La convention repose sur trois axes principaux, énumérés dans son article 1er : incrimination d’une série d’actes, protection des victimes et facilitation de la coopération internationale pour lutter contre le trafic d’organes.

Elle comprend un préambule, neuf chapitres et trente-trois articles. Le préambule indique la visée de la convention, qui est de contribuer de manière significative à l’éradication du trafic d’organes humains en prévenant et en combattant ce crime. Le premier chapitre définit l’objectif, le champ d’application et les termes employés. Le deuxième chapitre impose d’incriminer ou d’envisager l’incrimination d’une série de comportements, à commencer par le prélèvement illicite d’organes humains. Le troisième chapitre porte sur le droit pénal procédural, le quatrième chapitre prévoit des mesures de protection et d’assistance aux victimes d’infraction, le cinquième prévoit des mesures de prévention devant être mises en œuvre au niveau national et au niveau international. Le sixième chapitre contient des dispositions qui visent à garantir la mise en œuvre efficace de la convention. Les trois derniers chapitres (VII à IX) portent sur diverses questions juridiques (relations de la convention avec d’autres instruments internationaux, procédure relative aux amendements, clauses finales).

L’élaboration de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle a été précédée d’une étude conjointe du Conseil de l’Europe et de l’ONU sur le « trafic d’organes, de tissus et de cellules et la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes », publiée en 2009 et dont l’une des recommandations portait sur l’élaboration d’un instrument juridique international sur le sujet, à la fois pour définir ces trafics, les prévenir, les réprimer et en protéger les victimes. Cette étude mettait également en évidence différentes questions nécessitant un examen plus approfondi, telles que la nécessité d’établir une distinction claire entre la traite des êtres humains aux fins de prélèvement d’organes et le trafic d’organes humains en soi, ou la nécessité de collecter des données fiables sur le trafic d’organes, de tissus et de cellules ainsi que la nécessité de promouvoir le don d’organes.

Plusieurs organes du Conseil de l’Europe, à savoir le Comité européen pour les problèmes criminels, le Comité directeur pour la bioéthique et le Comité européen sur la transplantation d’organes se sont réunis pour un premier travail préparatoire, avant la création entre 2011 et 2012 d’un Comité d’experts sur le trafic d’organes, de tissus et de cellules humains (PC-TO), chargé d’élaborer un projet de convention de droit pénal contre le trafic d’organes humains. Ce Comité s’est réuni à quatre reprises, avant d’aboutir à un projet de convention approuvé en décembre 2012 et adopté par le Comité des ministres en juillet 2014.

À noter que le comité d’experts n’a pas jugé nécessaire l’élaboration d’un protocole additionnel relatif à la lutte contre le trafic de tissus et de cellules humains, tout en recommandant de réexaminer cette possibilité à l’avenir. Selon les informations transmises à votre rapporteure, de nouvelles discussions doivent être engagées sur le sujet dans le cadre du comité européen sur la transplantation d’organes.

L’article 2, paragraphe 1, de la Convention définit son champ d’application comme englobant le trafic d’organes humains aux fins de transplantation ou autres, ainsi que les autres formes de prélèvement et d’implantation illicites. Le deuxième paragraphe fournit les définitions du trafic d’organes humains et de la notion d’organe humain. La première définition, par renvoi aux articles 4 et 5 et 7 à 9 de la convention, est la première définition du trafic d’organes humains à figurer dans un texte juridique international. Le libellé « autres formes de prélèvement illicite et d’implantation illicite » se réfère uniquement aux actes visés par l’article 4, paragraphe 4 et l’article 6. Enfin, la définition de l’organe humain n’inclut pas les tissus et les cellules.

L’article 3 énonce l’un des principes essentiels de la convention, la non‑discrimination dans l’application des dispositions de la convention – tout particulièrement des mesures visant à protéger le droit des victimes – qu’il s’agisse du sexe, de la race, de la couleur, de la langue, de l’âge, de la religion, des opinions politiques ou d’un autre ordre ou encore de l’origine nationale ou sociale et de l’état de santé.

B.   droit pÉnal matÉriel

Le chapitre II (droit pénal matériel) va de l’article 4 à l’article 14. Pour la France, il s’agit de dispositions pour l’essentiel déjà présentes dans le droit français. Certaines dispositions ont toutefois fait à ce stade l’objet de réserves émises par le Gouvernement.

En vertu des articles 4, 5, 7, 8 et 9 chaque partie doit prendre « les mesures législatives et autres nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne », les actes suivants, lorsqu’ils ont été commis intentionnellement :

-         Prélèvements d’organes humains de donneurs vivants ou décédés, si le prélèvement a été réalisé sans le « consentement libre, éclairé et spécifique du donneur », ou, dans le cas d’un donneur décédé, « sans que le prélèvement soit autorisé en vertu du droit interne », si en échange du prélèvement, le donneur vivant ou une tierce personne s’est vu offrir ou a obtenu « un profit ou un avantage comparable ([25]) » (article 4) ;

-         L’utilisation d’organes prélevés de manière illicite telle que décrite à l’article 4, à des fins d’implantation ou à d’autres fins que l’implantation (article 5) ;

-         La sollicitation et le recrutement d’un donneur ou d’un receveur d’organes en vue d’un profit ou d’un avantage comparable pour la personne qui sollicite ou recrute ou pour une tierce personne, la promesse, l’offre ou le don, direct ou indirect, par toute personne, d’un avantage indu à des professionnels de santé, des fonctionnaires ou à toute personne dirigeant ou travaillant pour une entité du secteur privé, afin que ces personnes procèdent à un prélèvement ou à une implantation d’un organe humain ou facilitent un tel acte, quand ces actes sont effectués dans les circonstances décrites aux articles 4, 5 ou 6, de même que le fait pour ces professionnels de recevoir un avantage indu dans le but de procéder à un prélèvement ou à une implantation dans ces mêmes circonstances (article 7) ;

-         La préparation, la préservation et le stockage des organes humains prélevés de manière illicite, ainsi que leur transport, transfert, réception et leur importation et exportation (article 8) ;

-         Toute complicité intentionnelle ou « tentative intentionnelle » de commettre une des infractions pénales établies conformément à la présente convention (article 9).

L’article 4 connaît une traduction dans le droit interne aux articles 511‑2, 511‑3 et 511‑5‑1 du code pénal :

-         l’article 511‑3 punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l’article L. 1231‑1 du code de la santé publique (information préalable par un comité d’experts des risques encourus, des conséquences éventuelles du prélèvement et, le cas échéant, des modalités du don croisé ([26]), expression du consentement devant le président du tribunal judiciaire ou du magistrat désigné par lui qui s’assure au préalable que le consentement est libre et éclairé) ;

-         l’article 511‑2 punit des mêmes peines le fait d’obtenir d’une personne l’un de ses organes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme ainsi que le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe contre le paiement de celui-ci, ou de céder à titre onéreux un tel organe du corps d’autrui ;

-         l’article 511‑5‑1 punit de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu à l’article L. 1232‑3 du code de la santé publique.

Les articles 5 et 8 trouvent une correspondance à l’article 321‑1 du code pénal ([27]), portant sur le recel, puni en France de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende. Les infractions définies à l’article 7 sont condamnées dans le droit interne par les articles du code pénal relatifs à la corruption active (433‑1, 433‑2, 435‑3, 445‑1) et à la corruption passive (432‑11, 433‑2, 445‑2, 435‑1). Enfin, l’article 9 trouve une correspondance aux articles 121‑6 (complicité) et 121‑4 (tentative) du code pénal.

En vertu de l’article 6, chaque partie « doit envisager de prendre les mesures législatives ou autres nécessaires pour ériger en infraction pénale » l’implantation d’organes humains de donneurs vivants ou décédés, « si cette implantation est réalisée hors du cadre du système interne de transplantation ou lorsque l’implantation est effectuée en violation des principes essentiels des lois et règlementations nationales » en la matière et que l’acte a été commis intentionnellement.

L’article 10 porte sur les règles de compétence, chaque partie devant prendre les mesures nécessaires pour « établir sa compétence à l’égard de toute infraction établie conformément à la présente convention », lorsque cette infraction est commise sur son territoire, à bord d’un navire battant son pavillon, à bord d’un aéronef immatriculé selon ses lois, par l’un de ses ressortissants ou par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire. Dans les deux derniers cas, le paragraphe 4 de l’article 10 enjoint les parties à prendre les mesures nécessaires pour que l’exercice de sa compétence ne soit pas subordonné à une plainte préalable de la victime ni à une dénonciation de l’État où l’infraction a été commise, selon un principe également affirmé de façon générale à l’article 15 pour « les enquêtes ou les poursuites pénales concernant les infractions établies conformément à la présente convention ». Du point de vue du code de procédure pénale, la plainte n’est pas de façon générale une condition nécessaire de la poursuite des infractions mentionnées par la présente convention et son retrait n’entraîne aucun effet sur l’action publique.

Chaque partie doit aussi s’efforcer de prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence lorsque ces infractions sont commises « à l’encontre » de l’un de ses ressortissants ou d’une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire.

Conformément aux possibilités ouvertes par les articles 9 et 10 de la convention, la France a émis des réserves sur plusieurs points, du fait d’incompatibilité avec plusieurs règles et principes du droit pénal national.

Tout d’abord, des réserves ont été émises sur les règles relatives à la tentative prévues au paragraphe 2 de l’article 9 en ce qui concerne les délits établis conformément aux articles 7 et 8. En effet, la tentative de commettre les infractions mentionnées aux articles 7 et 8 de la convention n’est pas incriminée par le droit pénal français. Toutefois, le délit de corruption, tel qu’il est défini par les articles 432‑11 et 433‑1 du code pénal, s’applique de façon très large, y compris à des comportements qui s’apparentent à une tentative. En effet, la seule proposition acceptée par un agent public ou émise par lui suffit à consommer l’infraction, ce qui ne rend pas nécessaire d’incriminer de façon spécifique la tentative de corruption. La France se réserve donc le droit de ne pas appliquer les règles relatives à la tentative prévues à l’article 9 paragraphe 2 de la convention en ce qui concerne les délits établis conformément aux articles 7 et 8.

Les autres réserves émises portent sur les règles de compétence.

En premier lieu, s’agissant des délits établis conformément à la convention et commis hors du territoire national par l’un de ses ressortissants, la France a déclaré qu’elle n’exercerait sa compétence qu’à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis – en vertu du principe dit de la double incrimination – et que ceux-ci aient donné lieu, soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays où ils ont été commis. En effet, l’article 113‑6 du code pénal prévoit que la loi française est applicable aux délits commis par des Français hors du territoire de la République si les faits sont punis par la législation du pays où il a été commis. L’article 113‑8 du code pénal complète cette disposition en précisant que dans les cas prévus à l’article 113‑6 du même code, la poursuite des délits ne peut être exercée qu’en cas de plainte de la victime ou de ses ayants droits ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis.

La France n’entend pas revenir sur la condition de double incrimination qui constitue une garantie au regard du principe de légalité des délits ainsi que sur la condition de plainte ou de dénonciation préalable qui permet de s’assurer du respect de la souveraineté de l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis.

Le Gouvernement a également déclaré qu’il n’appliquerait pas les règles de compétence définies à l’alinéa e du paragraphe 1 de l’article 10 de la Convention relatives à la compétence d’un État lorsque l’infraction est commise par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire. En effet, aucune disposition générale ne prévoit la compétence des juridictions françaises pour une infraction commise par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire. Une telle compétence n’est prévue qu’en cas de crimes ou délits particulièrement graves énumérés aux articles 113-13 et 113-14 du code pénal, tels que les actes de terrorisme. La France souhaite conserver une approche restrictive de ce critère de compétence, qui, s’il était étendu à de nombreuses grandes infractions, serait susceptible de porter atteinte à la souveraineté des États sur le territoire desquels les faits ont été commis.

Enfin, la France n’appliquera pas le paragraphe 4 de l’article 10 de la convention imposant aux États parties de ne pas subordonner leur compétence, lorsque l’infraction est commise hors de leur territoire par l’un de leurs ressortissants ou par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire, à la condition que la poursuite soit précédée d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation de l’État du lieu où l’infraction a été commise. Comme précisé précédemment, l’article 113-8 du code pénal impose une telle condition.

Si ces réserves peuvent être perçues en première analyse comme limitant la portée de la convention et par là-même de la lutte internationale contre les trafics d’organes humains, il importe de rappeler que pour un État comme la France, dont le dispositif de lutte contre les trafics d’organe est déjà robuste, ces réserves ne viendront en rien fragiliser les outils et l’engagement existants. De façon générale, sans la possibilité d’émettre des réserves, la présente convention – à l’instar d’autres textes internationaux ([28]) – aurait probablement engrangé un nombre moins important de signatures et de ratifications. Or, l’un des atouts majeurs de ce tout premier accord international spécifiquement consacré à la lutte contre les trafics d’organes humains est d’envoyer un signal fort à même d’avoir une force d’entraînement mondiale, en dépit de l’absence d’engagement contraignant de la part des États identifiés comme les principaux points névralgiques du trafic international d’organes humains.

Par ailleurs, les réserves émises peuvent être, en vertu de l’article 30, retirées en tout ou partie à tout moment en adressant une notification au secrétaire général du Conseil de l’Europe. Dès lors, dans le cas théoriquement possible d’une évolution du code pénal français, le Gouvernement pourrait tout à fait lever les réserves émises.

En vertu de l’article 11, chaque partie doit prendre les mesures nécessaires pour que les personnes morales puissent être tenues pour responsables des infractions énumérées par la convention, lorsqu’elles ont été commises pour leur compte par toute personne physique, agissant individuellement ou en tant que membre d’un organe de la personne morale exerçant un pouvoir de direction en son sein.

À ce titre, une personne morale pourrait par exemple voir sa responsabilité pénale engagée pour avoir cédé à titre onéreux un organe humain ou apporté son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe, en vertu de l’article 511-2 du code pénal ([29]). Une entreprise qui proposerait, sur un site internet, de vendre des organes tomberait sous le coup de la répression. La responsabilité pénale des personnes morales peut également être envisagée lorsque celles-ci sont complices de l’infraction principale ([30]). Ainsi, une personne morale pourra être considérée comme complice de l’une des infractions prévues par les articles 511-2 et suivants du code pénal dès lors qu’elle aura apporté une assistance technique, un support logistique ou même des moyens financiers à une opération de trafic illégal d’organes humains. Tel serait par exemple le cas d’une clinique ou d’un hôpital qui mettrait à disposition du matériel ou des salles d’opération en vue d’un prélèvement d’organe.

L’article 12 porte sur les sanctions que les parties doivent établir en réponse aux infractions établies conformément à la convention. Ces sanctions doivent être « effectives, proportionnées et dissuasives ». Il peut s’agir de sanctions privatives de liberté et, pour les personnes morales, de sanctions pécuniaires pénales ou non pénales ainsi que d’autres mesures comme le placement sous surveillance judiciaire. Les parties doivent également prendre les mesures nécessaires pour permettre la saisie et la confiscation du produit des infractions pénales commises ou de biens équivalents et pour permettre la fermeture temporaire ou définitive de tout établissement utilisé pour commettre ces infractions ainsi que l’interdiction aux auteurs des infractions de l’exercice d’une activité professionnelle liée à la commission de l’infraction.

L’article 13 énumère une série de circonstances devant être considérées comme des circonstances aggravantes dans la détermination des peines relatives aux infractions établies en vertu de la présente convention. Parmi ces circonstances, on trouve notamment le cas des infractions commises dans le cadre d’une organisation criminelle ou de condamnations antérieures pour ces mêmes infractions. Sur ce point, l’article 14 enjoint aussi les parties à « prévoir la possibilité » de prendre en compte dans l’appréciation des peines d’éventuelles condamnations définitives prononcées dans un autre État partie pour des infractions établies conformément à la présente convention. En droit pénal français, l’article 225‑4‑2 définit les circonstances aggravantes pour le délit de traite d’êtres humains, tandis que les articles 132‑8 et 132‑16‑5 portent sur la récidive et permettent dans ce cas d’augmenter la peine encourue.

C.   droit pÉnal procÉdural

Le chapitre III (articles 15 à 17) porte sur l’aspect procédural du droit pénal.

En vertu de l’article 15, chaque partie prend les mesures nécessaires pour que les enquêtes ou poursuites relatives aux infractions établies conformément à la présente convention ne soient pas subordonnées à une plainte et que la procédure puisse se poursuivre y compris en cas de retrait de la plainte.

L’article 16 de la convention prévoit que les États prennent les mesures nécessaires pour garantir, conformément aux principes de leur droit interne, des enquêtes et des poursuites pénales efficaces concernant les infractions établies conformément à la convention. Cet article porte une exigence relativement générale d’efficacité des enquêtes et des poursuites pénales s’agissant des infractions prévues par la Convention.

Les dispositions du code de procédure pénale permettent notamment, au cours des enquêtes de flagrance ou préliminaire, de procéder à des perquisitions et saisies, de requérir tout personne susceptible de détenir des informations intéressant l’enquête ou encore de procéder à des auditions et gardes-à-vue. En outre, les officiers de police judiciaire peuvent pour certaines infractions, et notamment pour les crimes et délits aggravés de traite des êtres humains, faire usage de techniques spéciales d’enquête telles que la surveillance, l’infiltration ou l’accès aux communications électroniques.

L’article 17 porte sur la coopération internationale, il enjoint les parties à coopérer sur les enquêtes et les procédures concernant les infractions énumérées dans la convention, au besoin en mobilisant les traités applicables et pertinents relatifs à l’extradition et à l’entraide judiciaire en matière pénale. Plus encore, la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle peut servir de « base légale » à l’extradition ou à l’entraide judiciaire en matière pénale pour les infractions qu’elle établit, dans les cas où il n’existe pas d’accord spécifique entre deux parties à la présente convention et où une telle condition est exigée par une ou deux des parties concernées.

Le fait de pouvoir viser, au soutien de cette coopération, une convention multilatérale témoignant de l’engagement des États signataires à lutter contre cette forme de criminalité est de nature à renforcer l’efficacité de cette coopération. Surtout, elle peut permettre de la fluidifier en limitant les échanges liés aux questions de double incrimination, la convention listant les principaux agissements criminels liés au trafic d’organes humains que les parties s’engagent à incriminer.

Au regard de la liste des signataires actuels du texte, les situations dans lesquelles la France pourrait être conduite à utiliser les possibilités ouvertes par l’article 17 permettant de coopérer sur le fondement du traité sont limitées, la France disposant d’accord d’entraide et d’extradition avec tous ces États à l’exception du Costa Rica, avec lequel la France n’a pas conclu d’accord en matière d’extradition. Le devenir de cette convention, qui pourrait par la suite être signée et ratifiée par d’autres États non membres du Conseil de l’Europe, pourrait cependant multiplier à l’avenir les situations dans lesquelles une telle coopération pourrait être envisagée. À cet égard, il peut être relevé que les Conventions des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (Convention de Palerme signée en décembre 2000) et contre la corruption (Convention de Mérida signée le 9 décembre 2003) qui comportent, dans leurs champs d’application thématique respectifs, des stipulations similaires, sont régulièrement utilisées comme support à l’entraide en matière d’enquête ou d’extradition avec des États avec lesquels la France n’a pas signé de convention.

D.   mesures de protection

Le chapitre IV (articles 18 à 20) est consacré à la protection des victimes et des témoins.

L’article 18 prévoit la protection des droits et des intérêts des victimes, qui pour rappel compte parmi les principaux objectifs de la convention. L’article 18 enjoint ainsi les parties de veiller à ce que les victimes aient accès aux informations qui concernent leur cas et qui sont nécessaires à la protection de leur santé et d’autres droits concernés, d’assister les victimes dans leur rétablissement physique, psychologique et social, et de s’assurer que leur droit interne prévoit un droit des victimes à une indemnisation par les auteurs d’infractions.

L’article 19 porte plus spécifiquement sur la protection des droits et des intérêts des victimes « à tous les stades des enquêtes et procédures pénales », notamment en les informant de leurs droits et des services étant à leur disposition, en mettant à leur disposition les services de soutien appropriés pour que leurs droits et intérêts soient présentés et pris en compte ou encore en prenant des mesures effectives pour assurer leur protection et celle de leur famille contre l’intimidation et les représailles.

En France, il n’existe pas de dispositifs spécifiques de protection des victimes de trafic d’organes. Ces victimes ont accès aux prises en charge gratuites et holistiques offertes à l’ensemble des victimes d’infractions pénales, assurées par les associations d’aide aux victimes financées par le ministère de la justice. Ces prises en charges permettent un accompagnement juridique, psychologique et social comprenant notamment :

-         Un droit d’information prévu à l’article 10-2 du code de procédure pénale (information de leur droit d’obtenir la réparation de leur préjudice, de se constituer partie civile, d’être assisté par un avocat, d’être aidé par un service relevant d’une ou plusieurs collectivités publiques ou par une association d’aide aux victimes agréée, de saisir le cas échéant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, de bénéficier d’un interprète, etc.) ;

-         Un droit à l’assistance d’un interprète et à la traduction des informations indispensables à l’exercice de ses droits ;

-         Un droit d’être accompagné par un représentant légal à tous les stades de l’enquête ;

-         La possibilité de bénéficier de mesures de protection ;

-         Le droit de se constituer partie civile ;

-         Le droit d’obtenir réparation de son préjudice ;

-         Le droit d’être assisté par un avocat ;

-         Le droit de saisir, le cas échéant, la commission d’indemnisation des victimes d’infractions.

Par ailleurs, le service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes du ministère de la justice ne dispose d’aucune donnée chiffrée sur les victimes de trafic d’organes. Il s’agit en effet d’une infraction qui ne fait pas l’objet d’un traitement spécifique et dont la volumétrie est inconnue ([31]).

L’article 20 porte sur la protection des témoins dans des procédures pénales et le cas échéant de leur famille, contre d’éventuels actes de représailles ou d’intimidation.

E.   mesures de prÉvention

Le chapitre V, qui comprend les articles 21 et 22, porte sur les mesures de prévention.

L’article 21 porte sur les mesures de prévention devant être prises au niveau national.

Le paragraphe 1 prévoit que les parties assurent l’existence d’un système interne transparent pour la transplantation d’organes, la garantie apportée aux patients d’un accès équitable aux services de transplantation et la mise en place d’une coopération entre toutes les autorités pertinentes pour la collecte, l’analyse et l’échange d’informations relatives aux infractions visées par la présente convention.

Le paragraphe 2 prévoit le renforcement de la formation des professionnels de santé sur la prévention du trafic d’organes humains et la lutte contre celui-ci et la mise en place de campagnes de sensibilisation du public à l’illégalité et aux dangers du trafic d’organes humains.

En France, l’Agence de la biomédecine effectue des campagnes annuelles de sensibilisation sur le don et la greffe d’organes. L’objectif est d’ancrer le sujet du don d’organes dans une autre perspective afin de valoriser davantage tous les acteurs mobilisés au quotidien sur ce sujet. Cette campagne est aussi l’occasion de faire mieux connaitre la loi auprès de la population.

Les campagnes de communication et les cursus de formation professionnelle visent particulièrement à :

-         accroître le nombre de donneurs décédés et de donneurs vivants ;

-         permettre l’amélioration continue de la qualité et la sécurité des différentes étapes de recensement, prélèvement et greffe et d’inspirer la confiance et informer le public sur ces caractéristiques.

Les campagnes de communication suivent les principes suivants :

-         sensibiliser à la loi (notamment du consentement présumé) ;

-         authentifier le bien-fondé et l’utilité de la loi ;

-         faire appel aux valeurs de solidarité (dans les situations différentes du donneur décédé et du donneur vivant).

L’existence de trafic international ne fait pas l’objet de communication spécifique. En outre, compte tenu du nombre très limité de ressortissants français directement concernés par le trafic d’organes humains, une attention doit être portée à la nécessité de ne pas transmettre de message contre-productif, instillant un doute parmi la population française ou suggérant cette possibilité. En revanche, de façon positive et en contre-point, l’aspect légal, éthique, solidaire, respectueux des dons est très présent dans ces campagnes de communication.

Les cursus de formation professionnelle (coordinations hospitalières de prélèvement), de formation des experts des comités d’experts intègrent systématiquement l’approche éthique du recensement, du prélèvement et de la greffe, particulièrement en ce qui concerne l’abord des proches, le caractère libre et éclairé du consentement au don et la possibilité pour chaque personne d’exprimer son désaccord pour un prélèvement d’organes.

Enfin, le paragraphe 3 enjoint les parties à prendre les mesures nécessaires pour interdire la publicité sur le besoin ou la disponibilité d’organes humains en vue d’obtenir un profit ou un avantage comparable.

L’article 22 porte sur les mesures de prévention au niveau international et enjoint les parties à coopérer le plus largement possible en ce sens. Cela peut notamment se traduire par un rapport au Comité des parties de la convention sur le nombre de cas de trafics d’organes recensés sur leur territoire respectif et par la désignation d’un point de contact national responsable de l’échange d’informations sur le sujet.

F.   mÉcanisme de suivi

Le chapitre VI (articles 23 à 25), intitulé « mécanismes de suivi », porte sur le Comité des parties, organe auquel une fonction de suivi est dévolue par la convention. Ce Comité, qui réunira les représentants de tous les États parties, devra être convoqué par le secrétaire général du Conseil de l’Europe. Comme le précise l’article 23, sa première réunion devra avoir lieu dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la convention pour le dixième signataire l’ayant ratifié. Cette condition ayant été remplie au 1er février 2021 avec la ratification de la convention par la Suisse, la première réunion du Comité des parties devrait avoir lieu d’ici au 1er février 2022. Seuls les États déjà parties à la convention seront convoqués à cette réunion – ce qui n’inclut donc pas les États signataires mais n’ayant pas achevé leur processus interne de ratification, dont la France – qui permettra de dégager les premiers éléments sur la base desquels le Secrétariat sera en mesure de travailler à la rédaction du règlement intérieur du comité. Si la France ne sera pas en mesure de participer à cette première réunion, il est très probable, comme cela a été précisé à votre rapporteure, que le règlement final ne soit pas adopté à cette occasion et que les représentants de la France puissent participer dans un second temps à son élaboration.

L’article 24 prévoit la désignation par d’autres organes d’un représentant pour siéger au Comité des parties : l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) ainsi que les autres comités intergouvernementaux ou scientifiques compétents du Conseil de l’Europe, dans le but de contribuer à une « approche plurisectorielle et pluridisciplinaire ». Le Comité des ministres peut inviter d’autres organes du Conseil de l’Europe à désigner un représentant, après consultation du Comité des parties, qui peut également admettre d’autres représentants en tant qu’observateurs, issus notamment d’organes internationaux « pertinents » ou de la société civile. Tous les représentants visés par l’article 24 sont toutefois dépourvus du droit de vote.

Enfin, l’article 25 précise les fonctions allouées au Comité des parties, au premier rang desquelles le suivi de l’application de la convention ainsi que la facilitation de la collecte, de l’analyse et de l’échange d’informations, d’expériences et de bonnes pratiques entre les États. Il peut aussi être amené à formuler des propositions concrètes garantissant l’application effective de la convention, y compris en identifiant les effets des déclarations ou réserves faites au titre de l’instrument en question, donner un avis consultatif sur toute question ayant trait à l’application de la convention et adresser des recommandations aux États parties au sujet de l’application de la convention.

Ces articles appellent plusieurs commentaires.

D’une part, l’instauration d’un Comité de parties chargé du suivi de l’application du droit renvoie à un mécanisme assez fréquent dans les conventions du Conseil de l’Europe. D’autre part, il s’agit d’un mécanisme de suivi politique, par opposition à un organe qui serait composé d’experts indépendants. À titre d’exemple, la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains ([32]) prévoit la mise en place d’un mécanisme de suivi « efficace et indépendant », le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains – GRETA, qui doit être apte à contrôler la mise en œuvre des obligations qu’elle impose.

G.   relations avec d’autres instruments internationaux

Le chapitre VII, constitué du seul article 26, aborde la question des relations de la convention avec les autres instruments internationaux et précise que la présente convention ne porte en aucun cas atteinte aux droits et obligations découlant des autres engagements internationaux pris par les parties et ne les empêche en aucun cas de conclure des accords bilatéraux ou multilatéraux entre elles sur des questions abordées par la présente convention, dans le but de la compléter ou de la renforcer.

H.   amendements À la convention

Le chapitre VIII, également composé d’un seul article, l’article 27, porte sur les amendements éventuels à la convention et précise la procédure applicable pour les États parties souhaitant proposer des modifications.

I.   clauses finales

De facture assez classique, le huitième et dernier chapitre porte sur les clauses finales de la convention. Il est ainsi prévu que la convention entre en vigueur le premier jour du mois suivant l’expiration d’une période de trois mois après la date à laquelle cinq signataires, dont au moins trois États membres du Conseil de l’Europe, ont ratifié, accepté ou approuvé la convention (article 28). L’article 29 prévoit que tout État peut désigner l’étendue territoriale d’application de la convention au moment de sa signature ou du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation d’approbation. La France n’a pas entendu, au moment de la signature de la Convention, limiter l’application territoriale de celle-ci. Dès lors, la Convention a vocation à s’appliquer sur l’ensemble du territoire de la République française. À noter que préalablement à la signature, le ministère des Outre-mer a été consulté et a donné son accord à la signature. De même, la Convention relevant du domaine de la santé, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie ont dû être consultées car ce domaine relève de leurs champs de compétences respectifs, en vertu de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie française et de la loi organique de 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. La Polynésie française et la Nouvelle Calédonie ont ainsi émis un avis favorable à la signature et à la ratification de la Convention.

En vertu de l’article 30, tout État peut, au moment de sa signature ou du dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation d’approbation, faire usage des réserves prévues aux articles 4, 5 et 7 et peut à tout moment manifester auprès du secrétaire général du Conseil de l’Europe son souhait de retirer une réserve formulée en tout ou en partie.

Les articles 31, 32 et 33 portent respectivement sur le règlement des différends, la dénonciation de la convention et les cas justifiant une notification du secrétaire général aux États membres du Conseil de l’Europe, aux États observateurs, à l’Union européenne et aux États ayant été invités à signer la convention conformément aux dispositions de l’article 28.

 

 

 

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mardi 23 novembre 2021, la commission examine, sur le rapport de Mme Ramlati Ali, le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains (n° 4338).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre commission est saisie du projet de loi autorisant la ratification d’une convention élaborée par le Conseil de l’Europe, signée à Saint-Jacques-de-Compostelle le 25 mars 2015 et entrée en vigueur le 1er mars 2018.

Le trafic d’organes humains est un phénomène d’une extrême gravité. La volonté de l’éradiquer fait l’objet d’un consensus très large parmi les quarante‑sept États membres du Conseil de l’Europe et, bien au-delà, sur les autres continents. On touche là à une matière qui est au cœur de la protection des droits humains et de la préservation de la dignité des femmes et des hommes.

La convention du Conseil de l’Europe revêt une importance particulière dans la mesure où elle constitue le premier instrument juridique dédié à cette question. Elle tend à combler un vide juridique international. L’adoption d’un tel texte par les 193 membres de l’Assemblée générale des Nations unies aurait été souhaitable mais l’Europe a fait le premier pas et cette convention est de toute façon ouverte à la signature des États qui ne sont pas membres du Conseil de l’Europe ainsi qu’à l’Union européenne. On peut cependant regretter qu’à ce jour, seuls onze États aient ratifié la convention, quinze autres l’ayant signée mais pas encore ratifiée.

La France s’est dotée d’un dispositif complet encadrant les dons et les transplantations d’organes humains et réprimant tout commerce en la matière. Notre pays se doit cependant d’être exemplaire et de ratifier solennellement cette convention, enclenchant ainsi un mouvement dont nous espérons qu’il sera suivi.

Mme Ramlati Ali, rapporteure. Comme son nom l’indique, la convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, signée par la France en novembre 2019, a pour objectif principal de contribuer à l’éradication du trafic d’organes humains en prévenant et en combattant ce crime. Au sens de la convention, le trafic d’organes désigne le prélèvement d’un organe sans consentement libre et éclairé du donneur en échange d’un profit ou d’un avantage comparable, l’utilisation d’organes prélevés illicitement et la sollicitation et le recrutement d’un donneur ou d’un receveur d’organes en vue d’un profit ou d’un avantage comparable pour la personne qui sollicite ou recrute ou pour une tierce personne. Je précise que le trafic d’organes peut résulter du trafic d’êtres humains mais que ce lien n’est pas systématique, notamment parce que les prélèvements illicites d’organes peuvent se faire sur des personnes décédées.

Sur cette base, la convention du Conseil de l’Europe prévoit l’incrimination d’une série d’actes. Elle comporte aussi un volet important consacré à la protection des victimes des trafics. Enfin, elle tend à faciliter la coopération internationale pour lutter contre ce fléau mondial.

Si l’ampleur et la portée exactes des trafics d’organes sont difficiles à estimer, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) évalue à entre 5 % et 10 % la part des greffes d’organes réalisées dans le monde résultant de trafics, soit environ 15 000 greffes par an. Les estimations les plus hautes évoquent 4 millions de greffes par an. Il est vraisemblable que la réalité se situe quelque part entre les deux. Dans la majorité des cas, les trafics concernent le rein. Toutes voies confondues, le trafic d’organes dégagerait entre 600 millions et 1,2 milliard de dollars de profits par an, ce qui en fait une activité particulièrement lucrative et par là même difficile à combattre.

Les pays les plus touchés semblent être ceux dans lesquels le système de transplantation repose essentiellement sur un prélèvement sur donneurs vivants ou dans lesquels le dispositif de prélèvement sur donneurs décédés n’est pas suffisamment élaboré. On peut citer l’Inde, le Pakistan, les Philippines, le Bangladesh, l’Égypte, le Mexique, le Cambodge ou encore le Sri Lanka.

La présence d’importants flux migratoires peut être un autre facteur déterminant, comme en Égypte, en Irak ou en Syrie. Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la majorité des personnes victimes des trafics d’organes seraient des migrants de sexe masculin. Selon ce même organisme, un nombre croissant de victimes proviennent de pays marqués par des conflits, tels que la Syrie, l’Irak ou la Somalie.

Le trafic d’organes est un fléau d’autant plus répréhensible qu’il s’attaque à des personnes particulièrement vulnérables. Comme l’a souligné notre collègue Frédérique Dumas dans son rapport sur la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens, de nombreux abus, concernant des prélèvements illicites visant plus particulièrement des minorités ou des prisonniers politiques, ont été relevés en Chine ces dernières années.

La redistribution des organes illicitement prélevés suit les voies de la criminalité organisée transfrontalière, notamment celles de la traite des êtres humains. Depuis les années 1980 se développe ainsi un tourisme dit de transplantation, qui concerne surtout des ressortissants de pays développés qui se rendent dans un pays étranger pour acheter un organe et bénéficier d’une greffe. Ce phénomène a été condamné par l’OMS au début des années 2000, ainsi que par la déclaration d’Istanbul contre le trafic d’organes et le tourisme de transplantation, adoptée en 2008.

La déclaration d’Istanbul fait partie de l’arsenal juridique progressivement mis en place par la communauté internationale pour lutter contre les trafics d’organes. Si la convention qui nous intéresse aujourd’hui est le tout premier instrument juridique international spécifiquement consacré aux trafics d’organes, elle vient compléter un édifice existant, qui comprend notamment la convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale organisée et son protocole additionnel visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, ou encore la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine de 1997 et son protocole additionnel de 2007 relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine. En 2010, l’Assemblée générale de l’OMS a en outre adopté des principes directeurs sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains et souligné le fait que les gouvernements étaient responsables du développement de l’accès à la greffe dans des conditions éthiques satisfaisantes.

Au sein de l’Union européenne, la question peut être abordée dans le cadre non seulement de la lutte contre la traite des êtres humains, mais aussi de l’élaboration d’une réglementation commune sur les transplantations d’organes. Une directive relative aux normes de qualité et de sécurité des organes humains destinés à la transplantation a ainsi été adoptée en 2010. En 2015 a été lancée la plateforme Fœdus, qui permet de mettre en relations les États européens afin que les organes qui n’ont pas trouvé de receveurs dans leur pays d’origine soient orientés vers d’autres pays européens – ce qui souligne que le développement des greffes et transplantations non seulement constitue une prouesse scientifique et médicale, mais est aussi un magnifique symbole de la solidarité humaine.

En France, un dispositif juridique et opérationnel a été élaboré il y a plusieurs années déjà afin d’encadrer les dons, transplantations et greffes d’organes et par là même d’interdire et de sanctionner les trafics, qui contreviennent à plusieurs principes juridiques fondamentaux de notre droit, tels que la dignité humaine – principe à valeur constitutionnelle –, la liberté individuelle ou la non-patrimonialité du corps humain. La loi du 29 juillet 1994, dite loi bioéthique, a consacré les principes fondamentaux du don d’organes : gratuité, anonymat et libre consentement du donneur.

L’Agence de la biomédecine, créée par la loi de bioéthique de 2004, joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre du dispositif national encadrant le prélèvement et les greffes d’organes, de tissus et de cellules. Elle est notamment chargée de gérer la liste nationale d’attente de greffe et le registre national des refus, ainsi que de suivre l’évolution de la situation internationale en matière de trafics d’organes et les mesures de lutte contre ces trafics, dont elle doit rendre compte dans son rapport d’activité annuel. L’agence réalise aussi une enquête annuelle anonyme auprès des centres de dialyse et des services de greffe pour évaluer le recours, par des patients résidant en France, à des greffes rénales à l’étranger à partir de donneurs vivants rémunérés.

Il ressort de ces enquêtes que le nombre de personnes résidant en France et greffées à l’étranger est très faible. Il s’agit le plus souvent de personnes d’origine étrangère qui bénéficient dans leur pays d’origine d’une greffe réalisée à partir d’une personne leur étant apparentée, en conformité avec les lois du pays en question. Même si les besoins d’organes enregistrés en France restent supérieurs aux quantités disponibles, les ressortissants français sont très peu incités à recourir au tourisme de transplantation, tant les garanties apportées par notre système de santé sont élevées. Au niveau européen, le Conseil de l’Europe réalise chaque année une enquête similaire, qui atteste qu’un nombre très faible de ressortissants européens sont greffés à l’étranger.

Dans l’ensemble, le droit français est déjà conforme aux stipulations de la convention. Le code pénal punit de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait de prélever un organe sur une personne vivante majeure, y compris dans une finalité thérapeutique, sans que le consentement de celle-ci ait été recueilli dans les conditions prévues par le code de la santé publique, ainsi que le fait d’obtenir d’une personne l’un de ses organes contre un paiement, quelle qu’en soit la forme ; il punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait de procéder à des prélèvements à des fins scientifiques sur une personne décédée sans avoir transmis le protocole prévu par le code de la santé publique.

Comme le permet la convention et selon une procédure classique du droit international, la France a toutefois choisi d’émettre des réserves sur certains points. En première analyse, on pourrait redouter que cela n’affaiblisse la portée de la convention, mais ce risque me semble pouvoir être relativisé.

Il s’agit en effet d’éviter une incompatibilité avec certaines dispositions fondamentales de notre droit pénal, à savoir le principe de la double incrimination et les règles de compétence des juridictions françaises pour les personnes ayant leur résidence habituelle en France mais ayant commis un crime à l’étranger. Dans le premier cas, la France a déclaré qu’elle n’exercerait sa compétence qu’à la condition que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis et que ceux-ci aient donné lieu soit à une plainte de la victime ou de ses ayants droit, soit à une dénonciation officielle de la part des autorités du pays en question. Concernant le critère de la résidence habituelle, la compétence des juridictions françaises n’est prévue qu’en cas de crimes ou délits particulièrement graves, tels que les actes de terrorisme. Dans les deux cas, il s’agit de garantir le respect de la souveraineté de l’État sur le territoire duquel les faits ont été commis.

Ces réserves, qui ne viendront en rien fragiliser le dispositif national très solide qui existe déjà dans notre pays pour lutter contre les trafics d’organes, seront en revanche de nature à favoriser l’adhésion d’un nombre important d’États à la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, laquelle, étant ouverte à la signature des États non membres du Conseil de l’Europe, est susceptible de constituer une force d’entraînement mondial, en dépit de l’absence parmi les États signataires ou susceptibles de l’être des points névralgiques du trafic international d’êtres humains.

J’ajoute que l’engagement de notre pays en matière de lutte contre les trafics d’organes passe aussi par la coopération judiciaire bilatérale en matière pénale, que la présente convention encourage, et par l’encadrement des partenariats scientifiques et universitaires, qui doivent se faire, comme le prévoit le code de la santé publique, dans le respect des engagements internationaux souscrits par la France. L’Agence de la biomédecine travaille ainsi en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé et les postes diplomatiques pour favoriser le développement des prélèvements et transplantations d’organes éthiquement encadrés. Il s’agit d’un point sur lequel nous devons rester extrêmement vigilants, comme l’a souligné Frédérique Dumas dans sa proposition de loi. Les auditions que j’ai menées m’ont permis de vérifier qu’il existait un cadre juridique satisfaisant, dont il est essentiel d’assurer le respect.

J’espère vous avoir convaincus de voter en faveur de la ratification de cette convention, qui atteste de la capacité des États à unir leurs forces pour lutter contre un fléau mondial particulièrement répréhensible.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame la rapporteure, vous avez été très convaincante. Merci pour ce rapport extrêmement important.

M. Jean-François Mbaye (LaREM). Je félicite à mon tour Mme la rapporteure pour son travail et m’associe aux éloges qu’elle a adressés à Frédérique Dumas. Celle-ci nous a incités à nous intéresser au phénomène et a sans doute contribué à accélérer l’examen du projet de loi de ratification par notre commission, que j’appelais moi aussi de mes vœux le 30 mars dans une question au Gouvernement. La convention enrichit notre arsenal juridique en matière de lutte contre le trafic d’organes humains ; il est indispensable que l’Assemblée en soit saisie au plus vite.

La France est profondément attachée au respect de la dignité et de l’intégrité de la personne humaine. Elle n’a jamais transigé avec ses principes en la matière, comme en témoignent aussi bien son droit interne – en particulier les articles 16-1 à 16-7 du code civil – que ses engagements internationaux, notamment la convention d’Oviedo d’avril 1997, qu’elle a ratifiée. Cette position, fondée sur les valeurs humanistes chères à notre pays et sur le souci constant d’appliquer et de promouvoir les droits de l’homme, n’est pas universellement partagée : de nombreux réseaux criminels ont fait du trafic d’organes leur fonds de commerce et commettent les pires atrocités pour assurer la pérennité de ce négoce inhumain.

Soyons clairs quant au degré de violence qui est en jeu : nous parlons de femmes, d’hommes et parfois même d’enfants qui sont victimes de prélèvements d’organes forcés, dans des conditions telles qu’au mieux ils seront à jamais meurtris dans leur chair, au pire ils perdront la vie durant leur supplice. Aucun mot n’existe pour décrire les sentiments que nous inspirent de telles pratiques : la colère et la révolte le disputent à l’écœurement. Ces infamies se poursuivent également sous la forme de tractations entre les trafiquants et les patients en attente de greffe. En effet, ces derniers sont poussés par la nécessité et le désespoir à financer ces activités abominables.

Nous parlons donc ici d’entités qui répondent à une logique systémique propre au crime organisé et dont chaque rouage contribue à faire perdurer des exactions faisant bien souvent fi des frontières. La seule réponse pertinente consiste à adopter une approche globale, à développer la coopération en matière de lutte contre la criminalité transnationale. À cet égard, il revient à notre assemblée de prendre ses responsabilités en autorisant la ratification de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le groupe La République en Marche, qui exprime avec force son indignation et condamne avec la plus grande fermeté ces actes portant atteinte aux droits humains les plus fondamentaux, où qu’ils soient commis dans le monde, votera évidemment en faveur du projet de loi.

M. Bruno Fuchs (Dem). Merci, madame la rapporteure, pour votre travail ainsi que pour la clarté, la sincérité et la conviction avec lesquelles vous avez présenté ce rapport. Vous parlez d’un fléau mondial ; nous partageons évidemment ce point de vue.

La question est d’une importance majeure, alors même que la greffe d’organes reste le traitement le plus efficace pour les cas d’insuffisance rénale et le seul disponible pour les cas d’insuffisance terminale du foie, du cœur ou des poumons. Au cours des vingt dernières années, les progrès accomplis en France en matière de transplantation ont été considérables, ce qui a permis d’accroître le nombre de greffes réalisées depuis 2010. Cependant, ces progrès entraînent une pénurie d’organes, et cette tendance, que l’on observe également à l’échelle mondiale, risque, si elle se poursuit, de contribuer à une augmentation des transactions d’organes en dehors des systèmes nationaux de transplantation. Or ces pratiques, qui constituent une atteinte aux principes de dignité de la personne humaine et de non-patrimonialité du corps humain, représentent un risque réel en matière de santé publique et individuelle.

Conscient des lacunes juridiques qui subsistaient en la matière et de la nécessité pour y répondre d’élaborer un instrument international contraignant, le Conseil de l’Europe a créé en 2012 le comité d’experts sur le trafic d’organes, de tissus et de cellules humains. La convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, signée en 2015, est issue des travaux de ce comité.

Le texte vise à renforcer le cadre juridique international permettant de lutter contre le trafic d’organes. Ce faisant, il sécurisera également à l’échelle mondiale les processus de transplantation. La convention consacre la pénalisation des actes illicites de trafic d’organes humains. Elle prévoit des mesures de protection et de dédommagement des victimes ainsi que des mécanismes de prévention destinés à garantir la transparence et un accès équitable aux services de transplantation.

L’OMS estime que plus de 10 000 transplantations illicites sont effectuées chaque année, dont les migrants et les enfants sont les principales victimes. Il importe de protéger les personnes les plus vulnérables face à ces pratiques inhumaines. Mon groupe votera donc en faveur de l’adoption du projet de loi de ratification.

M. Alain David (SOC). Merci à Mme la rapporteure pour son exposé très éclairant sur un sujet sensible. Les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire semblent avoir amplifié le phénomène dans certains pays particulièrement touchés par la pauvreté. C’est le cas notamment dans certaines régions de l’Inde, où le nombre de dons d’organes ayant pour but de payer les dettes explose. Cela avait été également le cas au Népal après le tremblement de terre de 2015. Certains camps de réfugiés du sous-continent indien sont aussi touchés. De la même manière, les excès terribles qui ont cours en Chine ont été plusieurs fois dénoncés.

Il ne peut être que positif que ce chantier, ouvert en 2009 par le Conseil de l’Europe et les Nations unies, connaisse un aboutissement législatif. La convention de Saint-Jacques-de-Compostelle, signée il y a plus de six ans, est entrée en application il y a près de trois ans. Notre diplomatie a eu amplement le temps de formuler des réserves.

Pour toutes ces raisons, mon groupe votera en faveur de la ratification de cette convention.

Mme Frédérique Dumas (LT). Merci à Mme la rapporteure, qui s’est investie avec beaucoup d’humanité sur ce sujet. Je remercie également Jean François Mbaye pour ses propos à mon endroit.

Si nous ne pouvons que nous réjouir de la ratification de la convention, celle-ci est une réponse incomplète à un problème grave et clairement identifié. Sur les vingt-six pays qui ont signé la convention, cinq seulement ont émis des réserves, dont la France, qui a d’ailleurs émis les plus fortes. Notre pays justifie une partie de ces réserves par la non-adéquation des dispositions en question avec le droit pénal français. D’autres pays – notamment l’Espagne – se sont pourtant fait un devoir moral de modifier leur droit interne.

Vous écrivez, madame la rapporteure, que l’un des atouts majeurs de ce tout premier accord international spécifiquement consacré à la lutte contre le trafic d’organes humains est d’envoyer un signal fort, à même d’avoir une force d’entraînement mondiale – en dépit, ajoutez-vous, de l’absence d’engagements contraignants de la part des États identifiés comme les principaux points névralgiques du trafic international d’organes humains. Autrement dit, l’inefficience de cet outil est assumée.

De fait, les mots sont totalement déconnectés de ce qui se passe sur le terrain. Il existe effectivement des réseaux criminels dans les pays qui ont été cités. Mais, surtout, les preuves s’accumulent, concernant la République populaire de Chine, de l’existence depuis des années d’un système institutionnalisé par l’État de prélèvements d’organes sans consentement sur les prisonniers de conscience et d’opinion. Ce système touche désormais les minorités du Xinjiang, comme les Ouïgours et les Kazakhs. Le 31 janvier 2020, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a voté une résolution recommandant notamment aux États parties de faire preuve « d’une grande prudence en ce qui concerne la coopération avec le “China Organ Transplant Response System” […] et la Croix-Rouge chinoise ». Le 14 juin, des experts de l’ONU ont reconnu être très alarmés par des rapports, qu’ils jugeaient crédibles, faisant état de prélèvements forcés d’organes en Chine sur des prisonniers issus de minorités ethniques, linguistiques et religieuses.

Il est donc urgent d’aller plus loin que la simple ratification de la convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. De nombreuses conventions de coopération scientifique et médicale ont été conclues par des établissements français de santé avec la Chine. Or si ces conventions prévoient bien des évaluations et des contrôles, il n’existe aucun outil concret et effectif pour les réaliser, ni de remise en cause de ces accords en cas de refus de la Chine. Le Gouvernement, le plus souvent, invoque le fameux principe de non-ingérence pour se dispenser d’intervenir dans ce domaine. C’est un peu comme si, pour contrôler le non-enrichissement de l’uranium et la non-prolifération des centrifugeuses, qui étaient prévus dans l’accord de Vienne sur le nucléaire avec l’Iran, l’Agence internationale de l’énergie atomique n’avait pu exercer aucun contrôle, au nom du principe de non-ingérence… Qu’aurait-on dit de cela à l’époque, et à juste titre ? En 2020, dans son bilan de l’appel à projets de coopération hospitalière internationale, la direction générale de l’offre de soins du ministère de la santé a estimé que ces coopérations souffraient d’un manque de suivi et d’évaluation et qu’elles reposaient en pratique sur des décisions personnelles, prises en conscience.

En ratifiant cette convention, nous nous donnons bonne conscience, mais, sans action supplémentaire, nous n’influerons aucunement sur la réalité. Nous risquons même de nous rendre indirectement complices du pire. Le groupe Libertés et Territoires votera bien sûr en faveur de cette ratification, mais aura d’autres occasions de revenir sur cette question brûlante et de demander que la France soit à la hauteur de l’enjeu.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Cette mise en garde aura été entendue par chacun.

Mme Aina Kuric (Agir ens). Nous savons gré à notre collègue Ramlati Ali d’avoir mis en lumière cette question qui doit tous nous mobiliser et nous alerter.

La convention soumise à notre ratification résulte d’un long travail, qui a commencé par un rapport conjoint du Conseil de l’Europe et de l’ONU en 2009, s’est poursuivi dans le cadre du comité d’experts sur le trafic d’organes, de tissus et de cellules humains et a abouti à Saint-Jacques-de-Compostelle en mars 2015.

Le texte entérine une définition claire et explicite du trafic d’organes et des infractions pénales afférentes et impose des sanctions adaptées pour punir ces dernières. Plus encore, il prévoit des dispositions procédurales visant à renforcer l’efficacité et l’effectivité des poursuites et à encourager la coopération internationale dans ce domaine. Son ambition est de portée globale. Il vise à renforcer les sanctions et à améliorer la prévention du trafic ainsi que la protection des victimes et des témoins. Cet accord international garantit ainsi le respect des principes inscrits dans la convention pour la protection des droits de l’homme et la biomédecine, dite convention d’Oviedo, ratifiée par la France en 2011.

Cette convention, déjà entrée en vigueur, n’emportera pas de conséquences normatives pour la France, dont la législation est déjà à l’avant-garde de la lutte contre le trafic d’organes. Néanmoins, elle permettra à notre pays de s’inscrire dans un environnement international favorable à la prévention de cette violation grave des droits humains. Elle renforce également nos engagements en la matière. Dès lors, nous ne pouvons pas nous dispenser d’adopter ce projet de loi de ratification à une large majorité. Fort de cette conviction, le groupe Agir ensemble soutiendra ce texte.

M. Christian Hutin. Bien entendu, le groupe Socialistes et apparentés se prononcera en faveur de ce projet de loi ; nous devons, du reste, tous le voter et soutenir l’action de Frédérique Dumas.

En France, nous avons une éthique formidable, peut-être même un peu excessive : le sang ne s’y achète pas et notre législation en matière de don d’organes, si elle est encore un peu trop restrictive, est globalement satisfaisante : nous avons bien progressé dans ce domaine, et le système fonctionne correctement. Toutefois, nous sommes ici – et c’est terrible, car il s’agit d’organes humains – face à une problématique de l’offre et de la demande. Cette dernière émane de personnes honnêtes, civilisées, cultivées, qui ont néanmoins la volonté absolue de s’en sortir, pour eux-mêmes ou pour leurs enfants. Ils recherchent donc une offre, qui peut être faite dans un cadre légal – auquel cas tout se passe bien – ou, à défaut, procurée par des organisations criminelles. C’est là qu’est le drame.

Il faut être très sévère. Or, si des pays – que les choses y soient organisées de manière institutionnelle, on les a évoqués, ou mafieuse – parviennent à proposer une offre alléchante, quoique humainement terrible, la convention dont nous discutons ne suffira pas. Frédérique Dumas a raison : il nous faut passer à un stade supérieur, en étant plus agressifs envers les pays fournisseurs. S’ils ne signent pas la convention, la situation ne sera, hélas ! pas satisfaisante.

Bien entendu, nous voterons pour le texte, car il nous permet de gravir un barreau de l’échelle, mais, tout en haut, se posent encore des problèmes majeurs, auxquels il nous faudra réfléchir dans les années qui viennent.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez raison : ce qui est tragique, abominable, dans cette affaire, c’est que la détresse des uns alimente la souffrance des autres.

Tous les groupes ont manifesté la volonté non seulement de voter en faveur de la ratification de cette convention, mais aussi d’aller plus loin.

Mme Ramlati Ali, rapporteure. Je constate que mon rapport est plutôt consensuel. Je comprends les inquiétudes exprimées par Frédérique Dumas, qui a beaucoup travaillé sur le sujet. La ratification de cette convention doit être vue comme un moyen supplémentaire à notre disposition dans les négociations que nous menons, notamment avec la Chine. Et nous devrions inciter ceux des autres pays qui ne l’ont pas fait à la signer.

Si l’on en croit les personnes que nous avons auditionnées, la France a un rôle central à jouer dans ce domaine. Certes, l’Espagne a adapté sa législation à la convention. Mais notre pays œuvre également d’une autre manière contre le trafic d’organes ; elle le fait dans le cadre de coopérations judiciaires et de partenariats scientifiques, qui permettent de diffuser des principes éthiques, via l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, et l’Institut Pasteur. Nous devons concentrer tous nos efforts sur la lutte contre ce trafic dans nos négociations avec la Chine. Nous pouvons également contribuer à cette lutte dans le cadre de l’aide publique au développement. Il est vrai que certaines des personnes auditionnées ont regretté les réserves émises par notre pays, mais d’autres nous ont expliqué que, pour pouvoir s’abstenir d’émettre de telles réserves, la France devait modifier son droit pénal. Si tel devait être le cas, alors nous pourrions changer d’attitude.

Pour le reste, vous vous êtes exprimés en faveur de la ratification, et je ne peux que m’en réjouir.

Mme Frédérique Dumas. Permettez-moi de faire une fois encore la promotion de la proposition de loi visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens. Nous disposons, dans ce domaine, d’un levier souverain : les coopérations bilatérales, que nous sommes libres de conclure ou non, selon que certains principes sont ou non respectés. Or, comme l’admet le ministère lui-même, nous nous abstenons de l’utiliser. Des hôpitaux renoncent à travailler avec certains pays ou établissements, faute de savoir ce qu’il s’y passe ; d’autres acceptent. La France devrait donc se doter d’une réglementation aux termes de laquelle un accord de coopération ne pourrait pas être signé – notamment dans le cadre de la formation à la transplantation – s’il est impossible de se rendre sur place, notamment lorsque l’on a des raisons de croire que les choses se passent très mal. Nous avons un outil ; il est dommage de ne pas s’en servir.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Votre propos est conforme à l’esprit de la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, que nous avons adoptée récemment. C’est la prise en compte de réalités de cet ordre que nous avons visée tout au long de nos débats. Nous avons souhaité condamner l’ensemble des comportements criminels, cette condamnation nous paraissant liée à notre effort de coopération.

M. Jean-François Mbaye. Comme je l’ai dit à Frédérique Dumas lors de l’examen de sa proposition de loi – que j’ai, et j’en suis désolé, sinon contribué à torpiller, du moins appelé à rejeter, car j’estimais que notre arsenal devait être complété par le texte que nous discutons aujourd’hui –, ses propositions sont, dans leur philosophie, tout à fait légitimes.

En matière de coopération médicale et de recherche scientifique, la question qui se pose est celle de savoir s’il faut sanctionner tout le monde ou uniquement la cible. Dans ce domaine, notre pays est attentif aux protocoles signés avec certaines entités scientifiques étrangères. Il s’agit plutôt, en ce qui concerne les transplantations, d’identifier le détournement qui peut être fait d’une coopération au demeurant parfaitement légitime. Nous avons probablement des efforts à réaliser mais, si nous acceptons de franchir un pas supplémentaire en adoptant ce projet de loi de ratification, nous pourrons alors réfléchir à l’utilisation d’autres leviers qui permettent de faire valoir le respect viscéral qu’a la France du corps humain, de ses éléments et de ses produits – car c’est de cela qu’il s’agit.

Ce principe a, du reste, été consacré dans les trois lois de bioéthique de 1994 – celle du 1er juillet et, surtout, celles du 29 juillet, dont la conformité à notre Constitution a été confirmée par le Conseil constitutionnel. Ces lois soulignent combien notre pays est attentif à ces questions ; il suffit d’ailleurs d’ouvrir le code civil pour le constater. Il nous faut désormais les prolonger au niveau international, et ce texte est un excellent véhicule pour le faire.

La commission adopte, à l’unanimité, l’article unique du projet de loi sans modification.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

 


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   Annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission

 

Article unique

Est autorisée la ratification de la convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, adoptée le 25 mars 2015, signée par la France à Strasbourg le 25 novembre 2019 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 


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   Annexe n° 2 : liste des personnes auditionnÉes
par la rapporteure

 

 Agence de biomédecine

–  M. le Professeur Yves Pérel, directeur général adjoint, chargé de la politique médicale et scientifique ;

–  M. Samuel Arrabal, chef du pôle recherche et affaires européennes ;

–  Mme Emilie Besegai, membre de la direction juridique.

 

 ICM Institute

–  M. Alexis Genin, directeur.

 

 Conseil de l’Europe

–  M. Oscar Alarcón Jiménez, secrétaire exécutif du comité des parties de la convention Medicrime

 

 Centre de droit international et européen (CDIE), Tunisie

–  M. Mahmoud Zani, Professeur de droit public et directeur du CDIE.

 

 Ministère de la santé et des solidarités

–  Mme Muriel Cohen, adjointe au chef du bureau de la bioéthique, des éléments et des produits du corps humain ;

–  Mme Alix Lemarie, chargée de mission au sein du bureau de la bioéthique, des éléments et des produits du corps humain ;

–  Mme Lucie Bozec, chargée de mission au sein du bureau de la bioéthique, des éléments et des produits du corps humain ;

 

 Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

–  M. Kamyar Assari, rédacteur à la sous-direction des droits de l’homme, direction des affaires juridiques ;

–  Mme Charline Thiery, rédactrice, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.

 

 


([1])  La xenogreffe désigne la transplantation d’un greffon où le donneur est d’une espèce biologique différente de celle du receveur, par opposition aux allogreffes.

([2])  https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/tip/2021/GLOTiP_2020_15jan_web.pdf

([3])  https://www.healtheuropa.eu/im-going-to-china-theyre-shooting-my-donor/97063/

([4])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b4037_rapport-fond#

([5]) L’Union européenne, à l’article 2 de la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil, intègre le prélèvement d’organes dans la définition de l’exploitation.

([6]) https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/declaration_istanbul_fr.pdf

([7])  Voir la résolution WHA57.18 de l’Assemblée mondiale de la santé intitulée « Transplantation d’organes et de tissus humains », adoptée le 22 mai 2004, à l’occasion de sa 57e session (point 12.14 de l’ordre du jour). En vertu de l’article 1, alinéa 5, de la résolution, les États membres sont invités à « prendre des mesures pour protéger les plus pauvres et les groupes vulnérables du “tourisme de la transplantation” et de la vente de tissus et d’organes, en s’intéressant notamment au problème plus vaste du trafic international de tissus et d’organes humains ».

([8])  « Le voyage pour transplantation se définit par le déplacement d’organes, de donneurs, de receveurs ou de professionnels de la transplantation au-delà de frontières juridictionnelles, dans un objectif de transplantation. Ce voyage pour transplantation devient du tourisme de transplantation s’il implique du trafic d’organes et/ou du commerce de transplantation, ou si les ressources utilisées pour la transplantation de patients venant de l’extérieur d’un pays (qu’il s’agisse d’organes, de professionnels ou de centres de transplantation) réduisent les capacités de ce pays à répondre aux besoins de transplantation de sa propre population. »

([9]) United Nations Office on Drugs and Crime, 2015, Trafficking in Persons for the Purpose of Organ Removal,https://www.unodc.org/documents/humantrafficking/2015/UNODC_Assessment_Toolkit_TIP_for_the_Purpose_of_Organ_Removal.pdf

([10]) « Au cœur du trafic d’organes en Chine », Le Monde, 24 avril 2006.  

([11]) Voir l’article 2 qui intègre le prélèvement d’organes dans la définition de l’exploitation des êtres humains

([12])  En vertu duquel l’Union européenne adopte notamment des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d’origine humaine, du sang et des dérivés du sang ; ces mesures ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d’établir des mesures de protection plus strictes.

([13]) https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1994/94343_344DC.htm  

([14])  https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000549618

([15])  Livre Ier, titre Ier, chapitre II « du respect du corps humain », articles 16 à 16-9

([16]) Première partie, livre II, titre I, chapitre unique, articles L. 1211-1 à L. 1211-9

([17])  À noter que la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique modifie l’article L. 1231-1 du code de la santé publique pour étendre le don croisé d’organes, en augmentant le nombre de paires donneurs/receveurs autorisées à six.

([18])  Arrêté du 29 octobre 2015 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives au prélèvement d’organes à finalité thérapeutique sur personne décédée.

([19])  Arrêté du 16 août 2016 portant homologation des règles de bonnes pratiques relatives à l’entretien avec les proches en matière de prélèvement d’organes et de tissus.

([20])  Ces garanties concernent notamment la qualité du greffon (qualités intrinsèques, fonction, contamination potentielle par VIH, virus hépatite, SARS-Cov2, agents pathogènes…), la recherche de compatibilité, l’expertise des équipes de prélèvement et de greffe (connue, documentée et surveillée en France), la mise en place d’un suivi, à vie, avec une prise en charge par la sécurité sociale à 100 %, en vue de la détection d’un éventuel rejet et, le cas échéant, la réalisation d’une retransplantation.

([21])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3316_proposition-loi#

([22])  https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031929995/

([23])  Exercice 2021 – politique française en faveur du développement

([24])  Les États signataires sont l’Albanie, l’Arménie, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, l’Espagne, la Fédération de Russie, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, le Luxembourg, Malte, le Monténégro, la Norvège, la Pologne, le Portugal, la Moldavie, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovénie, la Suisse, la Turquie, l’Ukraine et le Costa Rica. Parmi eux, l’Albanie, la Croatie, l’Espagne, la Lettonie, Malte, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, la Moldavie, la République tchèque et la Suisse l’ont ratifiée.

([25]) Ce qui n’inclut pas « l’indemnisation du manque à gagner et toutes autres dépenses justifiables causées par le prélèvement ou par les examens médicaux connexes, ni l’indemnisation en cas de dommage non inhérent au prélèvement d’organes ».

([26])  Le don croisé est une organisation particulière de greffe rénale avec donneur vivant, autorisé par la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 et son décret d’application paru en septembre 2012. Ce don est régi par trois principes : l’information du donneur, l’anonymat entre les deux paires et la simultanéité des interventions chirurgicales.

([27])Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit.

Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit.

 

([28]) La notion de réserve en droit international est notamment définie à la section 2 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités

([29]) Voir aussi l’article 121-2, en vertu duquel « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

([30])  L’article 121-7 du code pénal définit le complice comme la personne qui sciemment, par aide ou assistance, a facilité la préparation ou la consommation de celle-ci.

 

([31]) Au demeurant, les chiffres du rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la traite des êtres humains montrent qu’entre 2012 et 2015, un seul cas de trafic d’organe a été comptabilisé, en 2012.

 

([32]) La Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE N° 197) a été adoptée par le Comité des Ministres le 3 mai 2005 et ouverte à la signature à Varsovie le 16 mai 2005 à l’occasion du 3e Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement du Conseil de l’Europe.