—  1  —

 

N° 4715

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 novembre 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

garantissant le librechoix des communes en matière de gestion
des compétences « eau » et « assainissement » (n° 4592)

 

 

PAR M. Jean‑Paul DUFRÈGNE
Député

——

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 4592


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

avant-propos.............................................. 5

Examen de l’article unique DE la proposition de loi

Article unique (art. L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales) Suppression du transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes

Compte rendu des débats

PERSONNES ENTENDUES


—  1  —

Mesdames, Messieurs,

La gestion publique de l’eau et de l’assainissement soulève des enjeux écologiques, économiques, sociaux et territoriaux au cœur des débats démocratiques. Elle touche à des préoccupations fondamentales inhérentes à la libre administration des collectivités locales ainsi qu’à la qualité et au prix du service dont bénéficient quotidiennement nos concitoyens.

L’objet de la présente proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée du groupe de la Gauche démocratique et républicaine vise à supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences « eau » et « assainissement » prévu au plus tard le 1er janvier 2026.

Créé précipitamment par la loi NOTRe du 7 août 2015, ce transfert obligatoire suscite depuis plus de six ans de fortes et légitimes oppositions, qui se manifestent de façon répétée et transpartisane. Au cours de cette législature, de nombreuses initiatives législatives ont ainsi été entreprises par des différents groupes politiques afin de supprimer le caractère obligatoire du transfert de ces compétences à l’échelon intercommunal. Dans cette perspective, le Sénat a adopté un article 5 bis au projet de loi dit « 3 DS » ([1]) que la commission des Lois a décidé de supprimer lors de son examen en première lecture.

Cette obligation de transfert présente depuis 2015 des difficultés majeures qui ont contraint le Gouvernement à plusieurs reculades, certes bienvenues, mais cependant insuffisantes. En effet, la loi du 3 août 2018 a repoussé pour les seules communautés de communes la date butoir du transfert au 1er janvier 2026, alors qu’elle était initialement fixée au 1er janvier 2020, grâce à l’activation d’un dispositif de minorité de blocage. La loi du 27 décembre 2019 dite « Engagement et proximité » a également ouvert la possibilité aux intercommunalités exerçant déjà les compétences « eau » et « assainissement » de les déléguer aux communes par convention. Ces assouplissements progressifs étaient utiles. Néanmoins, ils ne corrigent en rien la rigidité, la brutalité et l’inopportunité profonde que représente l’obligation faite aux communes d’abandonner in fine leurs compétences à la communauté de communes à laquelle elles appartiennent.

 

Six ans après la loi NOTRe, une large majorité des communes membres d’une communauté de communes ne souhaitent toujours pas renoncer à leurs prérogatives en la matière : seules 33 % des communautés de communes exercent à ce jour la compétence « eau », et 41 % la compétence « assainissement collectif ». Ces chiffres démontrent que le transfert obligatoire ne satisfait aucun besoin général exprimé par les communes et les communautés de communes, ce qui a été confirmé lors des auditions conduites par votre rapporteur. Il apparaît inutile et dangereux de prétendre savoir à la place des communes ce qui serait le mieux pour elles. Malgré les pressions dont elles peuvent faire l’objet, la plupart d’entre elles assument encore aujourd’hui, et de façon satisfaisante, les compétences « eau » et « assainissement » car leur exercice dépend en premier lieu des spécificités propres à chaque territoire.

Ce constat, maintes fois renouvelé, pose une question clef : pourquoi détruire ce qui fonctionne bien aujourd’hui ? L’intercommunalisation à marche forcée ne constitue pas une solution d’avenir. Il s’agit d’un mouvement méconnaissant les principes de différenciation territoriale et de libre administration des collectivités locales que le Gouvernement et sa majorité prétendent défendre. En outre, cette obligation généralisée de transfert des compétences aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP) ne se justifie pas.

Premièrement, le périmètre géographique des communautés de communes n’est pas forcément adapté au périmètre naturel des services d’eau et d’assainissement, qui doivent être organisés autour des zones de prélèvements et dimensionnés selon la ressource disponible, au regard de la localisation des bassins versants. Une grille de lecture uniformément intercommunale ne saurait donc se calquer sur ces enjeux topographiques propres à chaque territoire.

Deuxièmement, le transfert obligatoire aux communautés de communes ne va pas automatiquement provoquer des économies d’échelle ni une amélioration de la qualité du service ou une diminution du prix. Au contraire, la gestion administrative n’en sera que plus éloignée, au risque de provoquer une perte de compétence et de connaissance fine des réseaux d’eau et d’assainissement. Cette évolution peut ainsi ouvrir la voie à des tentations alors compréhensibles de confier à des entreprises privées la gestion de ces missions par le biais de délégations de service public, dont les défaillances en la matière se sont multipliées au cours de la dernière décennie.

Pour l’ensemble de ces raisons, la présente proposition de loi supprime le caractère obligatoire du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes, en réinsérant ces compétences parmi celles pouvant être exercées par les communautés de communes à titre optionnel. Si les communes membres de ces intercommunalités souhaitent malgré tout transférer ces compétences à l’EPCI-FP, elles conserveront bien sûr la possibilité de le faire. En aucun cas elles ne doivent y être contraintes de façon brutale et rigide, au mépris des réalités territoriales auxquelles elles sont confrontées de longue date.


—  1  —

   Examen de l’article unique DE la proposition de loi

Article unique
(art. L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales)
Suppression du transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes

Rejeté par la Commission

  Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi supprime le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences « eau » et « assainissement » prévu au plus tard le 1er janvier 2026.

  Dernières modifications législatives intervenues

L’article 14 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a, d’une part, assoupli les conditions dans lesquelles les communes membres d’une communauté de communes peuvent s’opposer au transfert à l’échelle intercommunale des compétences « eau » et « assainissement » avant le 1er janvier 2026 et, d’autre part, instauré un mécanisme de délégation de ces compétences exercées par les communautés de communes à leurs communes membres.

  Position de la Commission

La Commission a rejeté la proposition de loi.

1.   L’état du droit

Créée par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dite loi NOTRe, l’obligation de transférer les compétences de gestion de l’eau et de l’assainissement aux communautés de communes et communautés d’agglomération avant le 1er janvier 2020 a suscité de vives inquiétudes dans l’ensemble des territoires. Face à ces oppositions, plusieurs évolutions législatives ont permis d’assouplir les conditions de mise en œuvre de ce transfert obligatoire, sans toutefois remettre en cause son principe qui demeure inopportun et préjudiciable à la libre administration des communes.

a.   Un transfert obligatoire des compétences à l’échelle intercommunale initialement prévu par la loi NOTRe

Issu d’un amendement dépourvu, par nature, de toute étude d’impact et d’avis du Conseil d’État, le transfert obligatoire au 1er janvier 2020 des compétences « eau » ([2]) et « assainissement » ([3]) aux communautés de communes et communautés d’agglomération est prévu par les articles 64 et 66 de la loi NOTRe. Avant l’entrée en vigueur de cette loi, seules les communautés urbaines et les métropoles exerçaient ces compétences à titre obligatoire ([4]).

Cette évolution supprime donc le caractère optionnel de l’exercice de ces compétences par les communautés de communes et communautés d’agglomération. En lieu et place des communes qui les composent, ces établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP) ont donc vocation à exercer automatiquement les compétences « eau » et « assainissement » jusqu’alors gérées, dans la très grande majorité des cas, par les communes elles-mêmes ou par le biais de syndicats intercommunaux ou groupements de syndicats depuis plusieurs décennies.

Dans le but de préserver la pérennité de certaines de ces structures syndicales, l’article 67 de la loi NOTRe a institué un mécanisme dit de « représentation – substitution » ([5]) au sein des syndicats de gestion de l’eau potable et d’assainissement comprenant dans leur périmètre des communes appartenant à au moins trois EPCI-FP. Ainsi, les EPCI-FP concernés se substituent à leurs communes membres au sein des syndicats qui prennent, en conséquence, la forme de syndicats mixtes au sens de l’article L. 5711-1 du code général des collectivités territoriales. Ce mécanisme a pour objet de ne pas remettre en cause les attributions des syndicats, ni leur périmètre d’intervention, et de garantir le maintien de structures de taille suffisante ayant déjà fait leurs preuves.

Cependant, la rigidité de ce mécanisme ne pouvait empêcher la disparition de syndicats intercommunaux à la date butoir fixée au 1er janvier 2020. En effet, dès lors que le syndicat regroupe moins de trois communautés de communes, le transfert de compétence implique le retrait des communes membres de la communauté de communes du syndicat exerçant la compétence transférée.

Destinée à rationaliser les structures de coopération, l’application de cette disposition pouvait malencontreusement conduire à la disparition de nombreux syndicats exerçant pourtant convenablement les compétences « eau » et « assainissement ».

De manière plus large, ces dispositions soulignent la complexité et la brutalité des transferts de compétences ainsi envisagés. En l’absence de concertations approfondies, cette évolution a suscité des craintes légitimes émanant de nombreux acteurs locaux qui se sont mobilisés avec vigueur afin de revenir sur « l’intercommunalisation à marche forcée » des compétences « eau » et « assainissement » impulsée par la loi NOTRe.

Dès le mois d’octobre 2017, votre rapporteur s’est ému de la situation et a interpellé le Gouvernement en ce sens ([6]). À titre illustratif, la quinzaine de syndicats regroupés au sein d’un syndicat mixte dans le département de l’Allier représentent un modèle d’interconnexion efficace et efficiente permettant la réussite de la distribution d’eau, selon une échelle géographique cohérente. Il apparaît ainsi incongru voire contre-productif de remettre en cause le succès de cette organisation collective en imposant un transfert indifférencié des compétences « eau » et « assainissement » à l’échelon intercommunal.

La réponse ministérielle à la question écrite de votre rapporteur invoque « la nécessité d’assurer la réduction du morcellement des compétences exercées dans ces deux domaines, tout en générant des économies d’échelle ». Pour autant, l’effet cliquet provoqué par la loi NOTRe ne se fonde sur aucune démonstration objective de la plus-value qu’induirait l’intercommunalisation systématique de ces compétences. À l’inverse, la déstabilisation des structures existantes représentait un risque réel quant à la qualité du service rendu à l’usager et au prix des prestations dont il devait s’acquitter.

Relayés par de nombreux élus locaux, ces griefs ont motivé plusieurs initiatives législatives tendant à assouplir les contraintes posées par la loi NOTRe.

b.   Des assouplissements progressifs mais insuffisants

Le 23 février 2017, le Sénat a adopté à une large majorité une proposition de loi visant à maintenir les compétences « eau » et « assainissement » parmi les compétences optionnelles des communautés de communes et des communautés d’agglomération. Lors de l’examen en séance publique à l’Assemblée nationale au mois d’octobre 2017, le renvoi en commission de cette proposition de loi a débouché sur la formation d’un groupe de travail composé de seize parlementaires réunis auprès de la ministre Jacqueline Gourault.

Ces concertations ont abouti à l’adoption de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes. S’agissant de ces seuls EPCI-FP, la loi a repoussé le transfert obligatoire des compétences initialement fixé au 1er janvier 2020 au 1er janvier 2026, grâce à la création d’un dispositif de minorité de blocage actionné sur la base d’une délibération, intervenant avant le 1er juillet 2019, des conseils municipaux d’au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population.


Article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018

Les communes membres d’une communauté de communes qui n’exerce pas, à la date de la publication de la présente loi, à titre optionnel ou facultatif, les compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement peuvent s’opposer au transfert obligatoire, résultant du IV de l’article 64 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, de ces deux compétences, ou de l’une d’entre elles, à la communauté de communes si, avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens. En ce cas, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.

Le premier alinéa du présent article peut également s’appliquer aux communes membres d’une communauté de communes qui exerce de manière facultative à la date de publication de la présente loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif, tel que défini au III de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales. En cas d’application de ces dispositions, le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article.

Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois, dans les conditions prévues au premier alinéa.

Ce premier recul a été présenté par le Gouvernement comme une « clause de sauvegarde des libertés communales », ce qui suggère maladroitement que ces mêmes libertés communales, qu’il convenait visiblement de préserver jusqu’à 2026, n’auraient plus nécessairement vocation à être défendues au-delà de cette date. Rejetant ce pis-aller, le Sénat a considéré que le dispositif de minorité de blocage s’apparentait à « un cautère sur une jambe de bois » ([7]). En effet, ce simple report de six ans de la date butoir ne supprimait en aucun cas le caractère obligatoire de ce transfert, se contentant en l’espèce de repousser le problème sans daigner le résoudre : les inévitables dysfonctionnements qu’entraînera le transfert systématique de ces compétences à l’échelon intercommunal ne disparaîtront pas en 2026.

En outre, interpellé par notre collègue Mireille Robert en octobre 2019 ([8]), le Gouvernement a admis que les dispositions de l’article 1er de la loi du 3 août 2018 peuvent être contournées, ce qui rend le cas échéant le mécanisme de minorité de blocage inopérant :

« Toutefois, la possibilité accordée aux communes membres d’une communauté de communes de s’opposer au transfert obligatoire des compétences « eau » et/ou « assainissement » par le biais de la minorité de blocage n’empêche pas en effet celles-ci de délibérer en faveur du transfert volontaire de l’une ou de ces deux compétences, transfert qui peut alors s’opérer sur le fondement de l’article L. 5211-17 du CGCT.

« L’instruction ministérielle INTB1822718J du 28 août 2018 précise ainsi que les communes peuvent délibérer dans les conditions de majorité qualifiée de droit commun pour transférer librement les compétences « eau » et/ou « assainissement », sans que la minorité de blocage puisse y faire obstacle. Le pouvoir d’opposition introduit par la loi du 3 août 2018 précitée aux communes membres d’une communauté de communes n’obère donc pas la possibilité d’un transfert facultatif en tout ou partie de la ou des compétences sur le fondement des dispositions de l’article L. 5211-17 du CGCT, dès lors que les conditions de quorum requises entre les deux procédures sont différentes. » ([9])

L’article 3 de la loi du 3 août 2018 a également assoupli les règles applicables au mécanisme de « représentation – substitution » institué par la loi NOTRe afin de favoriser la pérennité des syndicats de gestion de l’eau et de l’assainissement. Les communautés de communes sont ainsi autorisées à se substituer à leurs communes membres au sein d’un syndicat d’eau ou d’assainissement dont le périmètre inclut ou chevauche le leur, y compris lorsque celui-ci ne regroupe que des communes appartenant seulement à deux EPCI-FP, et non plus trois selon l’exigence posée par la loi NOTRe ([10]).

Si ces dispositions favorisent la stabilité des structures existantes, elles témoignent implicitement de la prise de conscience, hélas tardive, des inconvénients liés à l’obligation généralisée du transfert de compétences vers l’intercommunalité, indépendamment des réalités géographiques nécessairement différentes entre les territoires.

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique s’est inscrite dans cette perspective. Son article 14 permet aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération de déléguer tout ou partie de leurs compétences en matière d’eau, d’assainissement ou de gestion des eaux pluviales urbaines à l’une de leurs communes membres ou à un syndicat existant et inclus en totalité dans le périmètre de l’EPCI-FP. Ce mécanisme de subdélégation ne correspond pas formellement à un transfert de compétences. Il consiste en leur délégation temporaire par le biais d’une convention. Le cas échéant, ces compétences sont exercées au nom et pour le compte de la communauté d’agglomération ou de la communauté de communes délégante, celle-ci conservant in fine la maîtrise juridique et financière de ces missions. Près de deux ans après son entrée en vigueur, le succès de ce mécanisme apparaît néanmoins contrasté. Auditionnée par votre rapporteur, la direction générale des collectivités locales (DGCL) souligne que des EPCI-FP ont eu recours à la subdélégation dans seulement 40 % des départements. Imprécise, cette statistique ne permet pas de cerner avec acuité l’utilisation de ce dispositif que notre collègue sénateur Mathieu Darnaud, rapporteur du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification, dit « 3 DS », juge insuffisamment exploité :

« [il] fonctionne manifestement mal, soit parce qu’il est méconnu, soit parce qu’il est volontairement ignoré par les présidents d’intercommunalité, qui ne souhaitent pas qu’une partie de la compétence soit déléguée aux communes, comme par l’État, qui cherche à harmoniser ce type de gestion à l’échelon intercommunal. » ([11])

Bienvenues, ces récentes évolutions législatives visaient à desserrer l’étau imposé par la loi NOTRe. Cependant, votre rapporteur estime qu’elles sont restées « au milieu du gué », refusant obstinément de traiter le cœur du problème : le caractère obligatoire du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes.

c.   Une rigidité profondément inopportune

Si les communautés d’agglomération exercent obligatoirement les compétences « eau » et « assainissement » depuis le 1er janvier 2020, les communautés de communes devront assumer cette responsabilité au plus tard le 1er janvier 2026. Pour autant, s’agissant de celles-ci, force est de constater que l’exercice de ces compétences à leur échelle demeure encore aujourd’hui nettement minoritaire en ce qui concerne la gestion de l’eau et de l’assainissement collectif, plus de six ans après l’entrée en vigueur de la loi NOTRe.

ÉVOLUTION DE LA Proportion de communautés de communes exerçant les compétences « eau » et « assainissement » ENTRE 2015 ET 2021

 

 

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

Compétence « eau »

12 %

12 %

17 %

25 %

27 %

31 %

33 %

Compétence « assainissement collectif »

27 %

28 %

33 %

37 %

38 %

40 %

41 %

Compétence « assainissement non-collectif »

57 %

58 %

65 %

68 %

69 %

71 %

72 %

Source : données transmises par la direction générale des collectivités locales (DGCL), au 1er juillet 2021.

Lors de son audition, la DGCL a indiqué que 61 % des communautés de communes avait eu recours au dispositif de minorité de blocage en juillet 2019. Dans l’hypothèse où le mouvement de transfert vers l’intercommunalité se poursuivrait au même rythme d’ici à 2026, seule la moitié des communautés de communes exerceraient à cette date la compétence « eau ». Cette prévision illustre la réticence persistante d’un très grand nombre de communes membres de communautés de communes à déléguer cette compétence à l’échelle intercommunale. Plusieurs raisons expliquent cette situation.

Premièrement, le périmètre géographique des communautés de communes n’est pas nécessairement adapté à celui des services d’eau. Ces derniers sont organisés autour des zones de prélèvement et dimensionnés selon la ressource disponible, au regard des bassins versants. Cette difficulté concerne également la gestion des réseaux d’assainissement, les stations d’épuration devant notamment être installées au point de convergence des effluents. Ces contraintes topographiques spécifiques, propres à chaque territoire, s’opposent à une logique strictement intercommunale.

Deuxièmement, le transfert à l’échelle intercommunale n’entraînera pas automatiquement des économies d’échelle ni une amélioration de la qualité du service ou un prix ([12]) moins élevé au profit des usagers. À l’inverse, l’éloignement de la gestion administrative, à rebours des objectifs de proximité de l’action publique, peut ainsi se conjuguer à une perte de connaissances relatives à la nature des réseaux et donc de compétences quant à leur exploitation et à leur renouvellement. Lors de l’examen du projet de loi dit « 3 DS », notre collègue sénateur Alain Joyandet a alerté le Gouvernement sur les conséquences néfastes qu’un transfert « coûte que coûte » à la communauté de communes est susceptible d’engendrer :

« Contraindre des communautés de communes qui comptent trente, quarante, voire cinquante petites communes, soit 13 000 ou 15 000 habitants, à transférer obligatoirement leurs compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement est une véritable catastrophe ! Voulant anticiper le projet de loi, quelques communes de mon département s’y sont essayées et le résultat est sans appel : il n’y a aucune augmentation de la qualité du service public et les prix s’envolent. 

« Dans une communauté de communes composée de trente-trois communes, ce qui représente 12 500 habitants, dix personnes ont déjà été recrutées à temps plein pour assurer le service. Or elles n’arrivent même pas à envoyer les factures aux adhérents !

« Une autre communauté de communes, constituée de cinquante-sept communes, vient de réaliser une étude démontrant que, si les compétences relatives à l’eau ou à l’assainissement sont transférées à l’intercommunalité, le prix moyen s’envole de trois à six euros par commune. » ([13])

Bien que l’échelle administrative à laquelle s’exercent les compétences ne soit pas corrélée à un mode de gestion particulier ([14]), une perte de proximité peut provoquer une moindre maîtrise des savoir-faire. Suivant une spirale négative, la perte de compétence peut alors favoriser une forme de désintérêt des EPCI-FP à gérer en régie ces missions, justifiant progressivement le recours à des délégations de service public au profit de prestataires privés. En outre, l’échelle intercommunale pourrait favoriser un recours accru à la délégation de service public au regard de la taille des marchés susceptibles d’attirer davantage les sociétés privées que la gestion de petits réseaux circonscrits à l’échelle communale.

Les contraintes économiques inhérentes à la délégation de service public, s’agissant aussi bien du prix des prestations facturées aux usagers que des investissements réalisés par les entreprises afin de sécuriser et de renouveler les réseaux, ne semblent pas a priori satisfaire les objectifs tarifaires et de qualité du service revendiqués par le Gouvernement.

Troisièmement, il apparaît inutile voire dangereux de remettre en cause un modèle de gestion par les services communaux ou par le truchement de syndicats mixtes adaptés aux réalités topographiques de chaque territoire, dès lors que ce modèle présente des résultats satisfaisants. Le transfert uniforme et obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes constitue un « irritant » de la loi NOTRe et ne répond à aucun besoin général. Auditionné par votre rapporteur, Alain Chervier, vice-président du syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) Rive gauche de l’Allier, a par exemple souligné que les communautés de communes du département de l’Allier n’éprouvent pas à ce jour de réel intérêt à exercer elles-mêmes les compétences « eau » et « assainissement » au 1er janvier 2026. L’action menée par les actuels syndicats intercommunaux créés au milieu du XXè siècle est en l’espèce un motif de satisfaction que l’on ne saurait occulter, ce qui témoigne de la vitalité économique de ce mode de gestion éprouvé de longue date.

En outre, votre rapporteur exprime une vive inquiétude quant à l’émergence de pratiques susceptibles de contraindre, sur le plan financier, les communes récalcitrantes à se résigner au transfert des compétences « eau » et « assainissement » à l’échelle intercommunale. En effet, le fléchage des subventions versées par les agences de l’eau ne saurait être dicté par des considérations d’opportunité quant à l’échelle administrative à laquelle ces compétences devraient être exercées. Récemment alerté sur ce sujet par notre ancienne collègue sénatrice Marie-Thérèse Bruguière ([15]), le Gouvernement a semblé confirmer le recours à un moyen de pression insidieux à l’encontre des communes, reconnaissant qu’« il est […] cohérent que les modalités d’attribution des aides publiques accompagnent cette nouvelle structuration des compétences eau potable et assainissement » ([16]). Si elles étaient avérées, ces pratiques constitueraient des dérives inadmissibles qui porteraient directement atteinte à la libre administration des collectivités territoriales garantie par l’article 72 de la Constitution.

2.   Le dispositif de la proposition de loi

L’article unique de la présente proposition de loi vise à supprimer le caractère obligatoire de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » par les communautés de communes à partir du 1er janvier 2026.

Il modifie en ce sens l’article L. 5214-16 du code général des collectivités territoriales en réinsérant ces deux compétences parmi les compétences optionnelles susceptibles d’être exercées par les communautés de communes, ouvrant ainsi la possibilité à leurs communes membres de conserver, si elles le souhaitent, la maîtrise de ces compétences, y compris après le 1er janvier 2026.

Conformément à la position exprimée par l’Association des maires ruraux de France (AMRF) auditionnée par votre rapporteur, l’intercommunalité doit demeurer libre et consentie, et non imposée ou subie.

Sans empêcher un éventuel transfert à l’échelle intercommunale, cette proposition de loi garantit aux communes membres d’une communauté de communes la possibilité de choisir le mode de gestion le plus pertinent selon la spécificité de leurs besoins et les réalités territoriales auxquelles chacune d’entre elles est confrontée.

Cette souplesse s’avère indispensable afin de concrétiser le droit à la différenciation évoquée dans le titre du projet de loi dit « 3 DS ». Dans le cadre de son examen en première lecture, le Sénat a notamment adopté l’article 5 bis qui partage le même objectif que la présente proposition de loi ([17]).

Ce consensus transpartisan se heurte hélas à l’opposition répétée du Gouvernement ([18]), alors même que le président de la République admet que « dans la très grande majorité des cas, les territoires, en réalité, savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux » ([19]). Réaffirmant le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, cette proposition de loi vise à protéger la gestion publique locale de l’eau, au bénéfice de tous les usagers.

3.   La position de la Commission

La Commission a rejeté la présente proposition de loi.


—  1  —

   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 24 novembre 2021, la Commission examine la proposition de loi garantissant le libre‑choix des communes en matière de gestion des compétences « eau » et « assainissement » (n° 4592) (M. Jean-Paul Dufrègne, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/FZRKk4

M. Jean-Paul Dufrègne, rapporteur. Je remercie la commission des Lois de m’accueillir. L’objet de la proposition de loi que j’ai déposée avec mon collègue André Chassaigne pour le groupe GDR est simple : supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences eau et assainissement, prévu au plus tard pour le 1er janvier 2026.

Cette obligation de transfert, actée à la va-vite et en l’absence de concertation avec les élus locaux par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, suscite depuis plus de six ans des oppositions fortes, légitimes, répétées et transpartisanes. De nombreuses initiatives législatives ont été prises par des groupes politiques de tous horizons afin de revenir sur le caractère obligatoire de ce transfert de compétences à l’échelon intercommunal. Ainsi nos collègues sénateurs ont-ils adopté un article 5 bis au projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit 3DS, que la commission des lois, à l’initiative du groupe La République en marche, a hélas décidé de supprimer hier après-midi.

L’obligation de transfert soulève pourtant, depuis 2015, des difficultés majeures, qui ont d’ailleurs contraint le Gouvernement à plusieurs reculades, certes bienvenues mais insuffisantes. La loi du 3 août 2018 a repoussé, pour les seules communautés de communes, la date butoir du transfert au 1er janvier 2026 – alors qu’elle était initialement fixée au 1er janvier 2020 – grâce à l’activation d’une minorité de blocage. Déjà, 61 % des communautés de communes ont décidé d’activer ce mécanisme. La loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a ouvert la possibilité aux intercommunalités exerçant déjà les compétences eau et assainissement de les déléguer aux communes par convention.

S’ils vont dans le bon sens, ces assouplissements progressifs ne s’attaquent pas au fond du problème, c’est-à-dire la rigidité, la brutalité et l’inopportunité profonde de l’obligation faite aux communes d’abandonner leurs compétences à la communauté de communes à laquelle elles appartiennent. Six ans après la loi NOTRe, une large majorité des communes membres d’une communauté de communes ne souhaitent toujours pas abandonner leurs prérogatives en la matière. Seules 33 % des communautés de communes exercent à ce jour la compétence eau et 41 % la compétence assainissement collectif : de tels chiffres démontrent que le transfert obligatoire ne satisfait aucun besoin général exprimé par les communes et par les communautés de communes – les auditions que j’ai conduites l’ont confirmé.

Il est inutile et même dangereux de prétendre savoir à la place des communes ce qui serait le mieux pour elles. Si la plupart exercent encore aujourd’hui les compétences eau et assainissement, alors que tout pousse à en confier l’exercice aux communautés de communes, notamment la politique de subventions très critiquable de certaines agences de l’eau, c’est parce que la gestion actuelle de l’eau et de l’assainissement dépend des spécificités propres à chaque territoire. Ainsi, l’exercice de ces compétences par des communes ou par des syndicats auxquels elles adhèrent est tout à fait satisfaisant s’agissant tant de la qualité du service que du prix facturé à l’usager.

Pourquoi donc détruire ce qui fonctionne bien aujourd’hui ? L’intercommunalisation à marche forcée ne constitue pas une solution d’avenir. C’est un mouvement profondément incompatible avec les principes de différenciation territoriale et de libre administration des collectivités locales, que le Gouvernement et sa majorité prétendent d’ailleurs défendre. Deux points me semblent essentiels.

Premièrement, le périmètre géographique des communautés de communes n’est pas forcément adapté au périmètre naturel des services d’eau et d’assainissement, qui doivent être organisés autour des zones de prélèvement et dimensionnés en fonction de la ressource disponible, ce qui dépend de la localisation des bassins versants. Cette dimension topographique propre à chaque territoire ne plaide pas en faveur d’une grille de lecture uniformément intercommunale.

Deuxièmement, le transfert obligatoire aux communautés de communes ne va pas automatiquement conduire à des économies d’échelle, pas plus qu’à une amélioration de la qualité du service ou à une baisse du prix. Au contraire, la gestion administrative n’en sera que plus éloignée, au risque de provoquer une perte de compétences et de connaissance fine des réseaux d’eau et d’assainissement. Cette évolution peut ainsi ouvrir la voie à des tentations compréhensibles de confier à des entreprises privées la gestion de ces missions par le biais de délégations de service public (DSP), dont on a déjà vu les défaillances en la matière, au cours de la dernière décennie. In fine, ce n’est donc pas dans l’intérêt de nos concitoyens, alors même que la gestion en régie a déjà fait ses preuves. La question de la proximité est également fondamentale.

Pour l’ensemble de ces raisons, la proposition de loi a pour objet de supprimer le caractère obligatoire du transfert par les communes aux communautés de communes des compétences eau et assainissement, en réinsérant ces compétences parmi celles pouvant être exercées par ces mêmes communautés à titre optionnel. Si les communes membres de ces intercommunalités souhaitent malgré tout transférer ces compétences à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), elles en conserveront la possibilité, mais elles ne doivent en aucun cas y être contraintes, au mépris des réalités territoriales auxquelles elles sont confrontées de longue date.

Alexis de Tocqueville, philosophe dont je ne partage pas nécessairement les idées politiques, défendait dès le milieu du XIXe siècle et avec justesse le rôle des communes dans notre pays : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple, elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. »

Tâchons collectivement de rester fidèles à ces principes qui demeurent plus que jamais d’actualité.

M. Sacha Houlié. Le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux EPCI est un marronnier : pas une année ne passe depuis 2017 sans que nous ne l’abordions.

Vous avez éludé les causes profondes qui ont présidé à ce transfert – justifié de mon point de vue – par la loi NOTRe : l’émiettement de la gestion des compétences eau et assainissement et les questions d’échelle.

Vous avez indiqué que des aménagements à cette loi avaient été réalisés. Dès 2018, en effet, nous avons permis un report du transfert jusqu’au 1er janvier 2026 par une minorité de blocage, tout en pérennisant les syndicats d’eau et d’assainissement existants grâce à une modification des règles de représentation et de substitution.

Une deuxième avancée a été obtenue par la loi de 2019 : la compétence transférée obligatoirement peut cependant faire l’objet d’une délégation à une commune ou à un syndicat intercommunal, à la condition que les investissements nécessaires soient réalisés. Le fait est qu’un litre d’eau sur cinq n’arrive pas au consommateur ou à l’usager, et c’est là le véritable problème que nous avons souhaité traiter.

Nous sommes ce matin à fronts renversés. Vous avez choisi de citer Tocqueville pour justifier qu’il revenait aux communes de disposer de cette compétence ; je constate sur le terrain que lorsqu’un groupement de communes existe, qu’il s’agisse d’un EPCI ou d’un syndicat, le service public de l’eau et de l’assainissement est autrement plus performant, s’agissant notamment de la qualité de l’eau, et utile. Le retour des compétences eau et assainissement aux communes déstabiliserait profondément ce modèle, et mettrait en danger la gestion de l’eau dans une période où l’eau devient un bien extrêmement disputé, donc absolument précieux.

C’est la raison pour laquelle, au regard de ce que nous avons construit, les membres du groupe LaREM s’opposeront à l’adoption de votre texte sur lequel nous n’avons déposé aucun amendement.

M. Guillaume Larrivé. J’approuve la proposition de loi pour deux raisons. La première est qu’il n’est pas si courant d’entendre un député du groupe communiste se référer à la pensée du libéralisme politique, famille de pensée à laquelle j’appartiens. Je suis très heureux de ce quasi-ralliement. La seconde est que, député rural comme le rapporteur, je me suis rendu compte au fil des années que les organisations trop rigides des intercommunalités, avec des transferts de compétences « à l’arrache », fonctionnent moyennement.

Dès que l’on a l’occasion de réintroduire de la souplesse, on doit le faire. La proposition de loi est plutôt utile. De manière générale, on aurait intérêt à s’en inspirer : plus je gagne en ancienneté dans mon mandat de député rural, plus je me dis que les intercommunalités à la carte sont ce qu’il y a de mieux, s’agissant des compétences comme des périmètres.

Il faut faire confiance aux choix des maires et des majorités municipales qui, mieux que nous au Parlement et mieux que les préfets dans les départements, sont les plus compétents pour faire leurs choix en la matière.

En réalité, l’affaire n’est pas réglée, et c’est bien pourquoi elle revient chaque année. Que risquerait-on à redonner aux maires le pouvoir de décider ? Pas grand-chose. En quoi ce sujet revêt-il un intérêt national ? L’eau et l’assainissement sont des sujets qui doivent être réglés par les élus locaux entre eux en fonction de leur réalité et de leurs compétences, y compris techniques.

Pour finir, comment ne pas approuver une proposition tenant du libéralisme politique venant d’un député communiste ?

M. Vincent Bru. En 2015, la précédente majorité a, par la loi NOTRe, rendu obligatoire le transfert, jusque-là optionnel, des compétences eau et assainissement aux agglomérations et aux communautés de communes, avant le 1er janvier 2020. Ce transfert répondait au morcellement des compétences exercées dans ces deux domaines et traduisait la volonté de réaliser des économies d’échelle, puisque l’un des objectifs était de mutualiser efficacement les moyens techniques et financiers afin d’assurer une meilleure maîtrise des réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement.

La loi NOTRe visait également à ce que les services d’eau et d’assainissement disposent d’une meilleure assise financière, tout en ouvrant la voie à une approche globale de la gestion de la ressource en eau à travers une meilleure connaissance des réseaux, favorisant ainsi une amélioration du niveau des services rendus aux usagers.

Les élus locaux s’inquiétant de ce transfert automatique, les députés de la majorité ont, dès l’été 2018, adopté la proposition de loi relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement, qui fixe la date butoir en janvier 2026 et crée un dispositif de minorité de blocage pouvant être utilisé jusqu’à cette date. Nous avons également assoupli le mécanisme de représentation-substitution, qui permet de maintenir la compétence dans les syndicats de gestion de l’eau potable et de l’assainissement de grande taille qui ont fait leurs preuves.

Plus de trois ans après l’adoption de cette loi, et alors qu’existe un relatif consensus parlementaire, notre groupe ne pense pas que vouloir à nouveau supprimer le caractère obligatoire de l’exercice des compétences eau et assainissement par les EPCI soit pertinent. D’autant que la loi « engagement et proximité » adoptée en 2019 a prévu un assouplissement supplémentaire en laissant aux EPCI la possibilité de déléguer ces deux compétences à l’une de leurs communes ou à un syndicat infracommunautaire existant.

Le groupe Démocrates craint que cette proposition de loi n’ajoute de la complexité là où il faut de la simplification et de la rationalisation. Cessons de modifier sans cesse ce qui a été voté. Des assouplissements et des ajustements ont déjà été apportés : laissons les élus locaux s’emparer de ces mesures afin de leur permettre de produire tous leurs effets.

C’est la raison pour laquelle le groupe Démocrates votera contre cette proposition de loi.

M. Christophe Euzet. La question de l’eau est aujourd’hui importante ; elle deviendra essentielle dans les années à venir : sous la pression démographique internationale, la rareté et la cherté de la ressource susciteront des conflits internationaux, ce qui nous conduira peut-être à envisager la protection de notre réseau.

La France dispose d’un réseau de grande qualité, même s’il est marqué par des disparités territoriales, au regard du rendement, de la conformité aux normes et du prix, qui dépendent à la fois de la disponibilité de la ressource, des niveaux de pollution et de la qualité des réseaux.

La loi NOTRe, qui a rendu le transfert aux EPCI obligatoire au 1er janvier 2020, a fait l’objet, au cours de la législature, de deux aménagements significatifs : d’une part, la possibilité pour une minorité de blocage représentant 25 % des membres de l’EPCI ou 20 % de la population de reporter le transfert en janvier 2026 ; d’autre part, la possibilité de déléguer la compétence à des communes, mais également à des syndicats mixtes, par convention, à condition que les investissements soient réalisés.

Le groupe Agir ensemble est très majoritairement défavorable à cette proposition de loi par choix raisonné, reposant sur des raisons techniques, juridiques et politiques.

Raisons techniques, tout d’abord : les services d’eau potable et d’assainissement collectif – et même de contrôle de l’assainissement non collectif – sont très émiettés dans notre pays. La cohérence de la gestion ne nous apparaît pas bonne, avec 20 % d’eau perdue, des défaillances d’approvisionnement, de distribution et d’investissement, et l’augmentation des risques sanitaires induite par la réduction de la structure de traitement. On sait que la qualité de la performance augmente avec la taille du responsable.

Raisons juridiques, ensuite : à la suite des difficultés survenues en montagne et dans les zones rurales, le droit a considérablement été assoupli. Le cadre actuel est donc suffisamment permissif pour ne pas justifier une urgence juridique.

Raisons politiques, enfin : certaines communes refusent parfois d’accéder à l’intercommunalité pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général. Le choix de réduire le nombre de services compétents pour améliorer le niveau de performances nous semble le bon, l’émiettement n’allant pas dans le bon sens. Cela ne change d’ailleurs rien au choix d’œuvrer en régie ou en DSP. La mutualisation des études techniques, des coûts de fonctionnement, des investissements et de la vision stratégique sont autant d’éléments positifs.

La solution actuelle peut être perfectible, mais la souplesse qu’elle offre nous semble satisfaisante. C’est la raison pour laquelle nous nous opposerons à cette proposition de loi.

M. Jean-Luc Warsmann. Je partage la motivation des auteurs de la proposition de loi. Les régimes de l’eau se sont organisés sur le terrain, et en tout cas en zone rurale, de manière intelligente, avec la mise en place de normes et avec les agences de bassin, dont le rôle incitatif est extrêmement positif.

Pour beaucoup d’élus, la volonté de ramener la compétence aux intercommunalités entraîne une augmentation importante des coûts de fonctionnement, alors que les actuels syndicats, qui regroupent deux, trois ou quatre communes, reposent sur beaucoup de bénévolat et de proximité.

La démarche des auteurs de la proposition de loi correspond à la réalité du terrain dans mon département.

M. Pierre Dharréville. Évidemment, nous soutenons cette proposition de loi qui vise à garantir le libre choix des communes en matière de gestion des compétences eau et assainissement.

Si le sujet revient si souvent, ce n’est pas un hasard ; que la loi NOTRe ait été quelque peu assouplie à deux reprises, non plus. Cela reste toutefois insuffisant, puisqu’aujourd’hui, nombre d’élus locaux critiquent la rigidité avec laquelle est conduite cette réforme.

L’eau n’est effectivement pas une ressource comme les autres, mais un bien commun mondial qui doit demeurer accessible à tous et à toutes, à un tarif abordable. La question se pose de savoir comment la gérer et la préserver au mieux.

Nous défendons le choix de la libre administration des collectivités dans la gestion de l’eau potable et de l’assainissement, ce qui ne remet pas en cause d’éventuels transferts de compétences à partir du moment où ils seraient librement consentis. La situation actuelle pose des problèmes aux territoires qui ont opté pour d’autres modes de gestion vertueuse et pérenne. La solution que nous proposons d’apporter à travers cette proposition de loi ne remettra pas en cause l’existant et semble ajustée aux situations aussi bien rurales qu’urbaines.

Les démonstrations faites à l’encontre de cette proposition ont un point aveugle : la libéralisation, bien souvent servie par ces démarches. Les dividendes sont tirés, sur ce bien commun, au détriment des citoyennes et des citoyens de notre pays et de cette gestion vertueuse que nous appelons de nos vœux.

Contrairement à l’idée selon laquelle ce qui serait géré de loin fonctionnerait mieux, nous pensons qu’il faut se garder de tout affaiblissement démocratique. La gestion de l’eau nécessite, par nature, des coopérations choisies.

Lors du congrès des maires, le Président de la République a souhaité « trouver la bonne souplesse et le bon équilibre dans la décentralisation ». Nous pensons que cette proposition de loi peut l’apporter.

M. Rémy Rebeyrotte. En 1910, Lénine disait : « Le communisme, c’est les soviets et l’électricité », voulant signifier qu’il fallait adapter la doctrine à l’air du temps. Je ne sais pas ce qu’Alexis de Tocqueville pensait de l’eau – à son époque, on la tirait du puits ou à la source, et l’assainissement se réduisait à l’évacuation dans la rue ou dans le champ voisin. De nos jours, en tout cas, l’eau est bien un enjeu national, et même un enjeu mondial qui dépasse nos organisations territoriales.

Les 20 % de pertes en eau sur les réseaux sont une moyenne. Dans certains endroits de ma circonscription, elles représentent 35 %, et même 70 % dans une commune, dont la dette grise est considérable parce qu’elle a peu investi.

Évidemment, les collègues maires qui ont investi vivent parfois mal le transfert à l’intercommunalité. Ceux qui ont peu fait ne se sentent pas très concernés. Mais il y a aussi ceux qui ont conscience de cette dette grise et souhaitent travailler en commun : 61 % des organisations intercommunales ont déjà travaillé sur la question.

Il ne faut plus perdre de temps. Sans attendre 2026, il faut que les collègues s’y mettent ensemble le plus rapidement possible. Il faut surtout cesser de déstabiliser les organisations en changeant les dates, car au bout d’un moment, c’est nous qui perdons du crédit. Nous avons déjà vécu cela avec la question des déchets.

M. Raphaël Schellenberger. Je ne peux pas ne pas réagir à cette dialectique manichéenne qui oppose, d’un côté, les bons – qui auraient transféré la compétence à l’intercommunalité –, de l’autre, les méchants, ceux qui, forcément dans une petite commune, n’auraient pas investi et auraient laissé cette compétence dépérir. C’est archifaux ! Ce sont les communes qui ont été les fers de lance de la construction des réseaux d’eau et d’assainissement ; elles sont les garantes de leur fonctionnement et, la plupart du temps, des investissements à y réaliser.

Évidemment, tous les territoires ne se ressemblent pas, et c’est tout un effort intellectuel d’accepter que le territoire de l’autre soit différent et nécessite des règles d’organisation différentes. C’est cela, la libre administration des collectivités territoriales, que vous ne comprenez pas. Vous pensez que ce qui se passe sur votre territoire doit se passer sur les autres. Or la décentralisation, c’est exactement l’inverse.

M. Jean-Paul Dufrègne, rapporteur. Je me retrouve totalement dans cette dernière intervention. J’ai eu le même sentiment en entendant cette déclaration selon laquelle il y aurait les conscients, et, par sous-entendu, les inconscients.

Puisque chacun fait référence à la situation de son territoire, c’est donc qu’il y en a de fort différentes – si on a mal travaillé en Saône-et-Loire, ce n’est pas le cas partout. Ma commune est intégrée avec vingt-six autres dans un syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) ayant notamment les compétences eau et assainissement. Cela fonctionne très bien : 90 % d’efficacité au niveau des réseaux. Ces vingt-sept communes sont réparties sur trois intercommunalités différentes. Que va-t-il se passer ? Une seule va peut-être redéléguer les compétences, les autres vont les garder, et on va totalement déstabiliser un système qui fonctionne bien. Pourquoi vouloir remettre en cause ce qui fonctionne ?

Vous sortez les grandes phrases : « c’est un enjeu mondial, qui dépasse nos organisations territoriales ». Nous sommes tous conscients que l’eau est un enjeu fondamental ! Et il peut tout aussi bien être traité par le local, par l’implication des collectivités, des élus. Dans de nombreux territoires où cela fonctionne mal, en raison d’un trop grand morcellement et de difficultés pour réinvestir, ma proposition de loi n’empêche en rien d’intervenir ; ce que nous remettons en cause, c’est le caractère obligatoire du transfert. Partout où le système est défaillant, allons-y, et rapidement ! Mais là où il fonctionne, pourquoi vouloir le remettre en cause ? J’ai auditionné l’Association des maires ruraux de France : ils sont encore vent debout. Pour eux, l’intercommunalité ne doit pas être subie, elle doit être consentie et intervenir là où c’est nécessaire.

Quant à l’argument de la perte moyenne d’un litre d’eau sur cinq, je l’attendais – déjà, « en moyenne », cela veut dire que certains font bien et d’autres moins bien. Les besoins d’investissement pour renouveler les réseaux, dont les plus anciens ont 60 ans, sont énormes. On brandit l’intercommunalité comme le moyen d’y répondre, comme à tous les autres problèmes. Or les syndicats intercommunaux – que j’englobe dans le terme générique de « communes » –, très présents en zone rurale, n’ont pas attendu qu’on leur en donne le signal pour commencer le renouvellement des réseaux. C’est particulièrement coûteux dans les territoires ruraux en raison des distances entre les habitations et de la desserte en eau des pâturages.

Nous sommes donc autant que vous convaincus que la ressource en eau est fondamentale. Nous voulons la protéger, et la préserver aussi des tentations d’en faire un enjeu financier, mercantile. C’est pourquoi nous souhaitons favoriser la gestion publique, car on sait bien que de nombreuses intercommunalités choisiront de recourir à des DSP, ce qui aura ensuite un impact sur la gestion de l’eau.

Ne voyez pas cette proposition de loi comme un moyen d’empêcher de tourner en rond ; considérez-la comme une offre de souplesse. J’ai, moi aussi, une citation du président Macron en réserve : « Dans la très grande majorité des cas, les territoires, en réalité, savent mieux l’organisation qui est la plus pertinente pour eux. » Je ne lui accorde pas toujours ce crédit mais, en l’occurrence, il a raison ! Les références que je fais ce matin montrent bien que, sur certains enjeux fondamentaux, nous pouvons nous retrouver.

Or, comme trop fréquemment, vous vous accrochez à vos certitudes, vous vous croyez plus malins que tout le monde. Je pense que vous vous trompez. Se tromper n’est pas un problème – d’ailleurs, vous n’êtes pas responsables de la loi NOTRe, puisqu’elle date de 2015 ; vous n’avez fait qu’y apporter des aménagements. Aujourd’hui, je suis d’accord avec vous, il faut clarifier les choses. C’est en donnant de la souplesse, en envoyant aux territoires un message positif pour l’avenir qu’on y arrivera – ne soyez donc pas gênés de voter différemment de ce que vous aviez annoncé…

L’enjeu, finalement, de cette organisation, c’est le financement du renouvellement des réseaux. On veut tout faire faire aux intercommunalités, en présupposant qu’elles en ont les moyens. Or elles ont aussi des contraintes financières et des choix d’investissement à faire. Ce n’est pas parce qu’on leur confie la gestion de l’eau qu’elles vont l’assurer. Si vous voulez faire de l’eau un enjeu supérieur, prenez vos responsabilités en permettant la mise en œuvre de programmes spéciaux qui aideront les communes, les syndicats intercommunaux et les intercommunalités à relever ce défi. Il faut laisser un peu de liberté, ce qui revient, avant tout, à offrir un choix.

Article unique (art. 5214-16 du code général des collectivités territoriales) : Suppression du transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

 

*

*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi garantissant le libre‑choix des communes en matière de gestion des compétences « eau » et « assainissement » (n° 4592).


—  1  —

   PERSONNES ENTENDUES

 

   M. Alain Chervier, vice-président

   M. Stanislas Bourron, directeur

   M. Jacques Margalef, président

   M. Gaby Charroux, maire

   M. Denis Durand, président des maires ruraux du Cher, maire de Bengy-sur-Craon

   M. Claude Riboulet, président

 

 


([1]) Projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale adopté par le Sénat le 21 juillet 2021.

([2]) Le service d’eau potable, défini à l’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales, vise à assurer tout ou partie de la production par captage ou pompage, de la protection du point de prélèvement, du traitement, du transport, du stockage et de la distribution d’eau destinée à la consommation humaine.

([3]) En application de l’article L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales, le service d’assainissement se répartit selon sa dimension collective ou non collective. Au titre de l’assainissement collectif, il s’agit de prévoir l’établissement d’un schéma d’assainissement collectif et le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, la collecte, le transport et l’épuration des eaux usées, ainsi que l’élimination des boues produites. Au titre de l’assainissement non collectif, le service consiste en un contrôle des installations de traitement des eaux usées domestiques.

([4]) Conformément à l’article 4 de la loi n° 66-1069 du 31 décembre 1966 relative aux communautés urbaines et à l’article 43 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

([5]) Articles L. 5214-21 et L. 5216-7 du code général des collectivités territoriales.

([6]) Question écrite n° 1567 du 3 octobre 2017.

([7]) Rapport de M. François Bonhomme au nom de la commission des Lois du Sénat, 18 juillet 2018, p. 19.

([8]) Question écrite n° 23422 du 8 octobre 2019.

([9]) Réponse ministérielle du 14 janvier 2020.

([10]) Ce dispositif a été étendu aux communautés d’agglomération par une modification similaire apportée à l’article L. 5216-7 du code général des collectivités territoriales.

([11]) Sénat, compte rendu des débats, séance du 8 juillet 2021.

([12]) Selon les données communiquées par la DGCL à votre rapporteur, le prix moyen du m3 d’eau s’élève aujourd’hui à 4,14 euros contre 4,08 euros en 2019. Ce prix moyen dissimule de très fortes disparités selon les communes. Auditionné par votre rapporteur, le maire de Martigues, Gaby Charroux, a par exemple fait état d’un prix moyen du m3 s’élevant à 2,60 euros pour les usagers résidant sur le territoire de sa commune.

([13]) Sénat, compte rendu des débats, séance du 8 juillet 2021.

([14]) En régie ou par une délégation de service public à un prestataire privé.

([15]) Question écrite n° 9896 du 11 avril 2019.

([16]) Réponse ministérielle du 20 juin 2019.

([17]) L’article 5 bis ajouté par le Sénat lors de l’adoption en première lecture du projet de loi dit « 3 DS » supprime également le caractère obligatoire de l’exercice des compétences « eau » et « assainissement » par les communautés d’agglomération mis en œuvre depuis le 1er janvier 2020.

([18]) Lors de l’examen en séance publique du projet de loi dit « 3 DS », le Gouvernement a déposé un amendement de suppression de l’article 5 bis qui a été rejeté par le Sénat.

([19]) Discours du président de la République Emmanuel Macron lors de la conférence nationale des territoires le 18 juillet 2017.