N° 4755

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er décembre 2021

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut de leurs forces,

PAR M. Didier QUENTIN

Député

——

AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR Mme Natalia POUZYREFF

Députée

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir le numéro : 4324.


 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. le qatar, partenaire de la France dans une rÉgion sous tension

A. le qatar : un acteur indÉpendant dans une rÉgion en proie aux tensions

1. Une crise régionale en voie d’apaisement

2. Des relations partenariales avec la Turquie et l’Iran

3. L’aspiration du Qatar à un rôle de médiateur

B. des relations anciennes avec la France

C. Une coopÉration approfondie face aux enjeux de sÉcuritÉ

1. D’importantes exportations de matériels français

2. Une coopération militaire sur plusieurs plans

II. un texte donnant une sÉcuritÉ juridique aux forces rÉciproquement dÉployÉes dans chaque État

A. Les articles relatifs au statut juridique des forces

B. Les clauses relatives À la discipline et aux poursuites pÉnales

III. Une approbation indispensable, mais un dialogue politique À poursuivre

A. Une approbation nÉcessaire

1. Une coopération essentielle pour répondre à des enjeux partagés

2. Une plus grande sécurité juridique pour le personnel militaire

B. Un dialogue politique À poursuivre

1. Des avancées incontestables

2. Des progrès à accomplir

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

Annexe  1 : texte adoptÉ par la commission des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

Annexe  3 : Liste des personnes auditionnÉes par la rapporteure pour avis

 


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   introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie d’un projet de loi autorisant l’approbation d’un accord conclu entre la France et l’État du Qatar, relatif au statut de leurs forces.

Cet accord a été signé, le 24 novembre 2019, à l’occasion de la visite de la ministre des armées Florence Parly à Doha. Il contient des stipulations particulièrement utiles, de nature à apporter toute la sécurité juridique requise à la présence de notre personnel militaire au Qatar, ainsi qu’à renforcer notre coopération de défense avec cet acteur stratégique dans une région en proie aux tensions.

 

 

 

 


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I.   le qatar, partenaire de la France dans une rÉgion sous tension

Le Qatar est un acteur qui s’efforce de conduire une politique autonome dans la région du Golfe arabo‑persique. Cette volonté d’indépendance a provoqué une grave crise régionale avec ses voisins en 2017, crise aujourd’hui en voie de résorption. Cette politique se traduit, aujourd’hui, par de bonnes relations entretenues à la fois avec la Turquie, l’Iran et les États-Unis. La France, de son côté, a su nouer des partenariats avec le Qatar, aussi bien dans le domaine économique et culturel que dans celui de la défense.

A.   le qatar : un acteur indÉpendant dans une rÉgion en proie aux tensions

1.   Une crise régionale en voie d’apaisement

Des tensions liées à la politique étrangère de Doha ont abouti en juin 2017 à la rupture des relations entre le Qatar et ses principaux voisins. La politique extérieure du Qatar, délibérément indépendante de celles de ses voisins du Golfe, suscitait le mécontentement saoudien et émirien, depuis les années 1990 (création de la chaîne de télévision Al Jazeera, soutien aux mouvements issus de l’islam politique durant les Printemps arabes, etc.) et elle avait déjà conduit à une première crise régionale en 2014.

La crise qui a opposé le Qatar à l’Arabie saoudite, à Bahreïn, aux Émirats arabes unis et à l’Égypte a perduré jusqu’au mois de janvier 2021, époque à laquelle le blocus mis en place par ces États a été levé. La déclaration d’Al-Ula, adoptée le 5 janvier 2021, en marge du 41ème Sommet des chefs d’État du Conseil de Coopération des États Arabes du Golfe (CCEAG), a en effet acté la fin de l’embargo et la réouverture des frontières ; elle a ouvert la voie à une normalisation progressive des relations. Celle avec Riyad a pris un nouvel essor, avec de nombreux échanges entre autorités et des perspectives de reprise des investissements croisés. Les relations avec Le Caire se sont aussi nettement améliorées, avec des perspectives d’investissements du Qatar en Égypte. Les relations avec Bahreïn demeurent, en revanche, compliquées, comme le montre la survenue fréquente d’incidents aériens et maritimes. Quant à la reprise du dialogue avec les Émirats arabes unis, elle demeure timide et prendra du temps. De récents contacts à haut niveau entre les deux États augurent, toutefois, d’un rapprochement réel, conformément au tournant pragmatique de la politique émirienne ([1]).

La levée du blocus en janvier 2021 a été obtenue sans que le Qatar n’ait fait de concessions sur l’une des treize exigences fondamentales mises en avant par ses voisins ([2]). Le Sommet d’Al-Ula peut donc être vu comme une victoire pour le Qatar, qui ne s’est pas plié aux demandes du Quartet arabe (Arabie Saoudite, EAU, Bahreïn et Égypte). La perception d’un retrait américain de la région, lié à un pivot de Washington vers l’Asie, est de nature à consolider la dynamique de réconciliation engagée au début de l’année, le Qatar et ses voisins ressentant la nécessité de mettre fin à leurs divisions sous peine d’être durablement affaiblis.

2.   Des relations partenariales avec la Turquie et l’Iran

La relation turco-qatarienne s’est renforcée du fait de l’isolement du Qatar provoqué par le blocus. La Turquie lui a envoyé une aide matérielle (y compris alimentaire) et a déployé sur son sol entre 300 et 500 personnels militaires. Le Qatar a donc bénéficié d’un appui turc significatif, matérialisé par la signature d’accords de défense et de coopération et par la construction d’une base turque pouvant accueillir jusqu’à 1 500 militaires. Le Qatar s’est efforcé, de son côté, de soutenir l’économie turque.

Le Qatar entretient des relations de bon voisinage et de commerce avec l’Iran, avec lequel il partage le champ gazier North Field/South Pars. Il a pu compter sur son aide (y compris alimentaire) lors de l’instauration du blocus. L’Iran lui a donné accès à son espace aérien et maritime alors que les pays du Quartet arabe lui avaient fermé le leur en juin 2017. Il n’y a toutefois pas eu de nouveaux développements de grande ampleur en termes de coopération entre les deux États.

Envers la Syrie, en revanche, le Qatar ne s’inscrit pas dans un mouvement de normalisation, contrairement à son voisin émirati, et continue de soutenir politiquement l’opposition au régime du président Bachar el‑Assad.

3.   L’aspiration du Qatar à un rôle de médiateur

Sorti grandi de la crise régionale, le Qatar aspire plus que jamais à peser de façon autonome dans la politique internationale. Depuis 2010, il s’efforce de jouer le rôle de facilitateur dans les discussions entre les Talibans et la communauté internationale, en particulier les États-Unis. Il a autorisé en 2014, à la demande américaine, l’implantation d’une représentation du mouvement taliban à Doha. Il s’est imposé comme un médiateur de premier plan depuis la prise de Kaboul tant sur le plan des négociations politiques que sur les volets de l’aide humanitaire et de l’aide au développement.

Avec les États-Unis, le Qatar entretient traditionnellement une relation bilatérale étroite, marquée par une forte collaboration dans le domaine de la défense et de la sécurité, en particulier en matière de lutte contre le terrorisme. Le Qatar est, par ailleurs, le deuxième client de l’industrie américaine de défense. Il constitue aujourd’hui le socle de la présence militaire américaine dans le Golfe arabo-persique. Il accueille à Al‑Udeid la plus grande base militaire américaine au monde, abritant le Commandement central américain pour le Moyen-Orient et l’Asie centrale (CENTCOM) et environ 8 000 soldats américains. L’accord (classifié) de coopération de défense, signé par les deux pays en 1992, a été révisé en 2013 ; il inclut des stipulations relatives au statut des forces.

B.   des relations anciennes avec la France

Le Qatar et la France entretiennent des relations depuis la déclaration d’indépendance du pays en 1971 et l’ouverture croisée de représentations diplomatiques, l’année suivante. La relation bilatérale s’est développée au début des années 1990, en particulier dans le domaine de la sécurité et des hydrocarbures.

La volonté du Qatar de diversifier son économie et de réduire sa dépendance à la rente gazière a permis d’élargir le spectre des coopérations franco-qatariennes à de nombreux secteurs, dans le domaine économique (infrastructures ([3]), aéronautique, etc.), mais aussi dans les champs de la culture (avec Qatar Museums ([4]), année culturelle croisée en 2020 ([5])) et de l’éducation. La France et le Qatar ont, par ailleurs, noué un partenariat dans le domaine du sport, avec l’accompagnement apporté par la France, lors des 15èmes Jeux asiatiques organisés à Doha en 2006. La visite du président Emmanuel Macron, le 7 décembre 2017, s’est accompagnée de la signature d’accords et de contrats importants dans le domaine de l’économie, de l’éducation, de la défense et de la lutte contre le terrorisme.

Plus récemment, lors de la visite du ministre Jean-Yves Le Drian à Doha le 11 février 2019, la France et le Qatar ont signé une déclaration d’intention relative à la mise en place d’un dialogue stratégique, en vue de renforcer la relation bilatérale dans de nombreux domaines et d’assurer un suivi technique des principaux projets.

C.   Une coopÉration approfondie face aux enjeux de sÉcuritÉ

1.   D’importantes exportations de matériels français

Le Qatar est l’un des principaux importateurs d’armement français. Ces dernières années ont été marquées par l’acquisition de 36 avions Rafale, via un contrat initial de 24 avions signé en 2015 et un contrat complémentaire de 12 avions signé en 2017. Les 23 appareils du premier lot ont été livrés en 2019 et 2020. Quatre appareils du deuxième lot ont été livrés en juillet 2021. Trois appareils ont été livrés le 9 novembre 2021. Les six derniers appareils seront livrés avant avril 2022. Le Qatar a également acheté 28 hélicoptères NH-90 auprès de la société italienne Leonardo, dont 16 sont fabriqués en France par Airbus Hélicoptères. Les premiers hélicoptères font leurs essais en vol et devraient être livrés à partir de la fin d’année 2021. Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de juin 2020 indique qu’entre 2010 et 2019, le montant cumulé des prises de commandes auprès des industriels français de la défense s’est élevé à 11,05 milliards d’euros, faisant du Qatar le deuxième client de la France sur cette période (derrière l’Inde et devant l’Arabie saoudite et l’Égypte) ([6]).

Des négociations sont aussi en voie d’achèvement pour la vente au Qatar de deux satellites d’observation Pléiades-Néo. D’autres négociations sont en cours pour la vente de cinq radars GM200 MMA de Thales destinés aux forces aériennes du Qatar.

2.   Une coopération militaire sur plusieurs plans

La relation de défense franco-qatarienne s’est beaucoup renforcée au lendemain de la 2nde Guerre du Golfe (2003-2011). Même si le Qatar s’est efforcé, depuis 2015 et plus encore après 2017, de diversifier ses partenariats (avec notamment l’Italie et la Turquie), il continue à accorder une place de référence à la France dont il reconnaît le savoir-faire. La coopération militaire entre la France et le Qatar se traduit aujourd’hui par la présence de quatre officiers français insérés dans les états‑majors qatariens. Elle prend aussi la forme d’activités de formation au profit des forces qatariennes (formation sur Rafale d’environ 230 personnels qatariens à Mont-de-Marsan et d’environ 40 personnels dans les écoles militaires françaises). Le Qatar est également un client de la société Défense Conseil International (DCI), opérateur du ministère des Armées, qui réalise pour l’émirat de nombreuses prestations de formations (accueil de cadets au Cours pour officiers étrangers de l’École navale à Brest, appui à l’instruction au sein de l’académie de l’armée de l’air du Qatar, formations spécialisées).

La coopération se concrétise aussi par des exercices conjoints, tels que l’exercice quadriennal interarmées conjoint Gulf Falcon. Cet exercice, dont la dernière édition remonte à 2013, vise à renforcer les capacités de commandement et de contrôle de l’armée qatarienne. Le rythme de ces exercices conjoints a été ralenti du fait de la forte sollicitation opérationnelle des forces armées françaises depuis 2013 (Sahel, Levant) et, depuis 2015, de la concentration des forces qatariennes sur leur montée en puissance, après des acquisitions importantes d’équipements. L’accent est mis désormais sur la réalisation d’exercices moins ambitieux en termes de déploiement de forces, mais plus réguliers (interactions avec les avions de la base française aux Émirats arabes unis ou avec les bâtiments français présents dans le Golfe arabo-persique). La version 2021 de l’exercice Gulf Falcon consiste en une formation et un entraînement de la structure de commandement militaire dévolue à la sécurisation de la Coupe du monde de football de 2022 ([7]).

Le Qatar participe à des opérations communes avec la France, notamment sur le théâtre sahélo-saharien (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) dans le cadre de l’opération Barkhane. 25 militaires français sont, par ailleurs, déployés sur la base américaine d’Al‑Udeid, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Levant. Ce détachement constitue la représentation française au sein des structures de commandement des opérations aériennes de la Coalition contre Daech en Irak et en Syrie, dont le volet français est l’opération Chammal. Il permet l’intégration des forces aériennes françaises dans le dispositif allié et assure leur contrôle, en particulier lors des frappes au sol. Ce détachement est également en mesure de coordonner les autres activités des forces aériennes françaises dans la région : surveillance maritime dans le Golfe (opération Agénor ([8])), évacuations d’Afghanistan en août 2021, entraînements avec les forces aériennes, etc.

Le 28 mars 2019, à Doha, la France et le Qatar ont signé un accord relatif à l’échange et à la protection d’informations classifiées dans le domaine de la défense. Cet accord couvre les échanges d’informations opérés dans le seul domaine de la défense, soit un périmètre correspondant à celui du ministère des Armées et d’une partie de celui du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). Il vise à apporter une protection renforcée des informations, dans le cadre de l’augmentation des échanges liés à l’acquisition par le Qatar de nouvelles capacités militaires.

En plus de la coopération militaire, il existe une coopération ancienne entre la France et le Qatar en matière de sécurité intérieure, en particulier pour la planification et la conduite de grands événements. Elle s’appuie historiquement sur un partenariat édifié entre la gendarmerie nationale et la force qatarienne de sécurité intérieure.

II.   un texte donnant une sÉcuritÉ juridique aux forces rÉciproquement dÉployÉes dans chaque État

En septembre 2015, la France a communiqué aux autorités qatariennes un projet d’accord relatif au statut des forces. Plusieurs comités juridiques ont été organisés. Après deux cycles infructueux de négociations en 2015 et en 2016, une troisième session, en novembre 2017, a vu un rapprochement des deux parties sur un grand nombre de clauses. Une dernière session, organisée en avril 2019 à Paris, a permis de parvenir à un accord. Celui‑ci a finalement été signé le 25 novembre 2019. Conclu pour une durée de dix ans, il est renouvelable par tacite reconduction pour des périodes de cinq ans ; il peut être dénoncé à tout moment, cette dénonciation prenant effet six mois plus tard (article 20). Les différends éventuels portant sur son interprétation ou son application seront réglés par voie de consultations diplomatiques (article 19).

A.   Les articles relatifs au statut juridique des forces

Consacré à des définitions, l’article 1er précise que la « partie d’envoi » est celle dont relève le personnel militaire et civil qui se trouve sur le territoire de l’autre partie et que la « partie d’accueil » désigne celle sur le territoire de laquelle se trouve le personnel militaire et civil de la partie d’envoi.

L’article 2 énonce l’objet de l’accord. Celui‑ci vise à définir « le cadre juridique de la présence des membres du personnel relevant de la Partie d’envoi en séjour ou en transit sur le territoire de la Partie d’accueil au titre de la coopération de défense », qu’il s’agisse de la coopération opérationnelle, de la coopération structurelle ou de celle conduite dans le domaine de l’armement et du soutien matériel.

L’article 3 pose trois obligations fondamentales. Tout d’abord, la partie d’accueil ne peut pas faire participer un membre du personnel de la partie d’envoi à une activité ayant lieu en dehors du territoire de la partie d’accueil (sauf accord écrit préalable de la partie d’envoi). Ensuite, les membres du personnel, ainsi que les personnes à leur charge, sont tenus au respect de la législation de la partie d’accueil. Enfin, celle-ci doit accorder à la partie d’envoi les facilités nécessaires à l’accomplissement des activités découlant de l’accord.

L’article 4 autorise les membres du personnel de la partie d’envoi, ainsi que les personnes à leur charge, à pénétrer sur le territoire de la partie d’accueil et à quitter celui-ci, sous réserve de détenir un passeport et un visa et moyennant la communication préalable de leur identité aux autorités de la partie d’accueil.

Les membres du personnel de la partie d’envoi revêtent l’uniforme et les insignes militaires de leur force (article 5). Ils peuvent, pour les besoins du service, détenir, porter et utiliser une arme de dotation, mais sont tenus de se conformer à la législation de la partie d’accueil sur ce point.

En application de l’article 6, les personnes titulaires d’un permis de conduire, délivré par les autorités de la partie d’envoi, les autorisant à conduire les véhicules militaires, sont autorisées à les conduire aussi sur le territoire de la partie d’accueil.

Les articles 8 et 9 comportent des précisions en matière d’accès aux services de santé et de décès. Aux termes de l’article 10, la domiciliation fiscale des membres du personnel est fixée dans leur État d’origine ; il en va de même pour les personnes à leur charge, à moins qu’elles n’exercent une activité professionnelle propre sur le territoire de la partie d’accueil.

L’article 12 rappelle que les informations classifiées qui seront échangées entre les parties seront protégées conformément à l’« accord relatif à l’échange et à la protection d’informations classifiées et protégées dans le domaine de la défense », signé le 28 mars 2019.

Les forces de la partie d’envoi sont autorisées à entrer sur le territoire de la partie d’accueil, y compris dans ses eaux territoriales et dans son espace aérien, avec le consentement préalable de celle-ci (article 13). Il appartient à la partie d’envoi de formuler les demandes d’autorisation de survol et d’atterrissage de ses aéronefs militaires sur le territoire de la partie d’accueil.

L’article 14 contient des précisions sur la prise en charge des frais liés à la coopération et sur les facilités de stockage et les moyens matériels que la partie d’accueil met à la disposition de la partie d’envoi. L’article 16 régit les conditions de sécurité des matériels placés dans des locaux mis à disposition par la partie d’accueil. Toute installation de systèmes de communication des forces est soumise à autorisation de la partie d’accueil (article 17).

La partie d’envoi peut importer sur le territoire de la partie d’accueil, sous le régime dit de l’ « admission temporaire », en exonération de droits et de taxes et pour une période de vingt-quatre mois prorogeable, des matériels destinés à son usage exclusif, moyennant le dépôt d’un certificat auprès des autorités douanières de la partie d’accueil (article 15).

L’article 18 pose le principe de la renonciation de chaque partie à tout recours contre l’autre partie pour des dommages causés à ses biens ou à un membre de son personnel, en raison d’actes ou de négligences commis dans l’exercice des fonctions officielles qui découlent de l’accord, sauf en cas de faute lourde ou de faute intentionnelle.

B.   Les clauses relatives À la discipline et aux poursuites pÉnales

Les autorités de la partie d’envoi disposent d’une compétence disciplinaire exclusive sur leurs forces et sur les membres de leur personnel (article 7).

En matière pénale, l’article 11 prévoit un partage de juridiction. Les infractions commises par un membre du personnel de la partie d’envoi ou par une personne à sa charge relèvent en principe de la compétence des juridictions de la partie d’accueil. Cette compétence est toutefois dévolue prioritairement aux autorités compétentes de la partie d’envoi, lorsque le comportement reproché a été accompli dans le cadre du service ou lorsqu’il a été porté atteinte aux biens ou à la sécurité de la seule partie d’envoi ou du personnel de celle-ci.

En cas de poursuites devant les juridictions de la partie d’accueil, la personne concernée bénéficie des garanties du droit à un procès équitable ([9]), et en particulier du droit à être jugée dans un délai raisonnable, à être représentée ou assistée, à bénéficier d’un interprète, à communiquer avec un représentant de son ambassade, à être informée des accusations portées contre elle et à ne pas se voir appliquer de rétroactivité de la loi pénale. Si les poursuites intentées aboutissent à une condamnation dans l’État d’accueil, l’accord prévoit que ce dernier examinera avec bienveillance les demandes tendant à permettre à la personne condamnée de purger sa peine dans l’État d’envoi.

Si dans un État une infraction est punie de la peine de mort ou d’une peine contraire aux engagements résultant des conventions internationales auxquelles adhère l’autre État (c’est-à-dire une peine susceptible d’être qualifiée de traitement inhumain ou dégradant), ce dernier ne remettra au premier État une personne faisant l’objet de poursuites que contre l’assurance que ces peines ne seront ni requises ni prononcées ou, si elles sont prononcées, qu’elles ne seront pas exécutées.

On sait en effet que la peine de mort est toujours en vigueur au Qatar ([10]). Les exécutions font certes, en principe, l’objet d’un moratoire depuis 2003, mais ce moratoire a connu une exception en mai 2020, avec l’exécution d’un ressortissant népalais condamné pour meurtre. C’est pourquoi la France a tenu à l’insertion dans l’accord d’une clause de juridiction ainsi rédigée, conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles, résultant notamment de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il était essentiel pour la France que l’accord écartât toute possibilité d’application de la peine de mort ou d’un traitement inhumain ou dégradant, aussi bien pour un Français ayant commis une infraction au Qatar que pour un Qatarien ayant commis une infraction en France et dont le Qatar demanderait la remise.

III.   Une approbation indispensable, mais un dialogue politique À poursuivre

L’approbation du présent accord apparaît indispensable non seulement pour approfondir la contribution franco-qatarienne à la sécurité du Qatar et à celle de la région, mais aussi pour apporter toute la sécurité juridique souhaitable aux militaires des deux parties, appelés à se rendre sur le territoire de l’autre État. Cette approbation doit s’accompagner d’un dialogue politique lucide et exigeant avec le Qatar, afin que les progrès déjà accomplis par celui‑ci en matière de droits de l’homme se poursuivent et se renforcent.

A.   Une approbation nÉcessaire

1.   Une coopération essentielle pour répondre à des enjeux partagés

Le Qatar constitue aujourd’hui pour la France un partenaire stratégique, non seulement du fait de sa position géographique et de sa contribution à la lutte contre le terrorisme au Levant, mais aussi en raison de ses relations désormais plus apaisées avec ses voisins, de son rôle de médiateur avec les Talibans et des partenariats qu’il a tissés avec des acteurs aussi différents que les États-Unis, la Turquie et l’Iran. Le présent accord, compte tenu de l’encadrement juridique qu’il apporte, est aujourd’hui de nature à consolider la coopération de défense et de sécurité entre la France et le Qatar.

Cette consolidation apparaît, aujourd’hui, d’autant plus nécessaire que la coopération franco-qatarienne est appelée à trouver au cours des prochains mois un nouveau champ d’action, avec l’organisation par le Qatar de la Coupe du monde de football de 2022. Lors de la visite du Premier ministre Édouard Philippe à Doha, les 27 et 28 mars 2019, la France a, en effet, pris l’engagement, en réponse à la demande des autorités du Qatar, d’accompagner celui-ci dans l’organisation de cet événement, en particulier pour contribuer à en garantir la sécurité.

La Coupe du monde de football constitue une étape majeure dans la stratégie globale de développement du Qatar, baptisée « Qatar National Vision 2030 », qui vise à la modernisation et au développement de ses infrastructures. Sur le plan régional, l’organisation de cet événement constitue pour le Qatar un élément‑clé de sa politique d’influence et de rayonnement, l’émirat étant le premier pays du monde arabe à accueillir cette compétition. La France, de son côté, y voit l’occasion de renforcer son expérience en matière de sécurisation dans la perspective de l’organisation sur son sol de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques d’été en 2024.

Concrètement, il s’agit pour les armées françaises d’assister les forces de sécurité qatariennes en amont de la compétition et au cours de celle-ci, en s’appuyant sur l’expertise de la France et sur des échanges croisés. Des discussions sont conduites à cette fin depuis janvier 2020, en liaison avec le comité compétent du ministère qatarien de la défense. Le ministère français de l’Intérieur, de son côté, propose également une aide ([11]) qui ne rentre pas dans le cadre du présent accord.

Les évaluations opérées à ce stade ne font pas redouter d’événement majeur, de nature à menacer les joueurs et leurs équipes, les organisateurs ou les spectateurs. À l’exception d’actes terroristes isolés, par nature très difficiles à détecter, les menaces identifiées concernent le champ cyber (piratage des retransmissions télévisées, attaques contre les opérateurs d’électricité, d’eau ou de téléphonie) et l’intrusion d’aéronefs ou de drones dans l’espace aérien du Qatar. Les contrôles aux frontières, facilités par le nombre restreint de points d’entrée, et les contrôles en amont de l’embarquement, devraient permettre d’écarter les individus défavorablement connus pour des faits de hooliganisme ou d’extrémisme. Seule une brutale dégradation de l’environnement sécuritaire régional pourrait aboutir au report ou à l’annulation de la Coupe du monde.

L’assistance française passe par le déploiement de personnels et de matériels sur le territoire qatarien. Un officier de liaison interarmées est déjà détaché auprès du chef du comité qatarien, depuis septembre 2021 (pour une mission s’achevant en décembre 2022). La France prête, par ailleurs, son assistance à l’organisation de la Coupe arabe de football de 2021 qui se déroule au Qatar du 30 novembre au 18 décembre, par l’envoi d’une équipe de conseillers du CPOIA (Commandement pour les opérations interarmées) et le déploiement d’un système de lutte anti-drones BASSALT (arrivé sur le territoire qatarien à la mi‑novembre 2021). Pendant le déroulement de la Coupe du monde (du 21 novembre au 18 décembre 2022), les armées françaises fourniront une mission « Advise and Assist » du CPOIA et un système BASSALT. Elles offriront aussi les services d’un avion radar AWACS, pendant une quinzaine de jours. Le système de lutte contre les drones et l’avion de surveillance aérienne AWACS sont destinés à la protection des stades.

2.   Une plus grande sécurité juridique pour le personnel militaire

Le présent accord constitue ce qu’il est convenu d’appeler un « SOFA » (Status of Forces Agreement). Il définit les conditions d’entrée et de séjour, de conduite de véhicule, ainsi que de port d’arme et d’uniforme, les règles en matière de discipline, l’accès aux services de santé ou encore les règles juridictionnelles applicables en cas de commission d’une infraction. Faute d’un tel accord, ces questions doivent se régler par la voie de consultations diplomatiques, ce qui crée une forte insécurité juridique.

La ratification et l’entrée en vigueur du présent accord assureront une pleine protection à nos forces, mais aussi aux militaires qatariens appelés à se rendre sur notre territoire. La mise en place de ce cadre juridique pérenne facilitera le déploiement de militaires français sur le territoire qatarien, notamment en vue de la contribution de la France au bon déroulement de la Coupe du monde de football de 2022. Elle fixera un cadre clair pour les actions de formation et de coopération conduites alternativement sur les sols qatarien et français et elle dynamisera plus généralement la coopération bilatérale, en facilitant la préparation des exercices conjoints entre nos forces.

B.   Un dialogue politique À poursuivre

1.   Des avancées incontestables

Au cours des dernières années, la situation des droits de l’homme au Qatar a connu des avancées indéniables. Le Qatar a ainsi été le premier pays de la région à abroger, en septembre 2020, le système dit de la « kafala » (système de « parrainage » qui impose aux travailleurs étrangers de remettre temporairement leur passeport à leur employeur). Il a aussi été le premier à instaurer un salaire minimum obligatoire, à supprimer l’exigence d’un visa de sortie pour quitter le territoire, à autoriser les travailleurs à changer d’emploi sans avoir à obtenir au préalable le consentement de leur employeur (suppression du « no objection certificate » ou « certificat de non-objection ») et à apporter un suivi médical gratuit pour l’ensemble des salariés qui travaillent au Qatar.

En ce qui concerne les droits des femmes, le Qatar est le pays du Golfe où le taux d’emploi féminin est le plus élevé. Les femmes sont présentes en nombre dans le système éducatif et, pour certaines, diplômées d’universités réputées (comme le campus de l’université de Georgetown ou celui de « HEC Paris au Qatar ([12]) »). On trouve des femmes à des postes de responsabilité dans de nombreux secteurs. À titre d’exemple, l’équipe en charge des évacuations d’Afghanistan ou encore la chaîne décisionnelle de réponse à la crise sanitaire sont presque entièrement féminines. Dans le domaine politique, trois ministres sont des femmes. Le Conseil de la Choura (parlement monocaméral composé de 45 membres) comprend deux femmes, dont l’une est vice-présidente du Conseil. La mère de l’actuel émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, est très présente sur la scène politique ; elle a eu une influence positive sur les politiques publiques relatives aux droits des femmes. Si les valeurs familiales et sociétales sont encore clairement conservatrices, les femmes qataries peuvent, plus que dans d’autres pays, librement s’habiller « à l’occidentale », étudier, travailler et voyager.

Sur le plan international, le Qatar est partie à plusieurs conventions, parmi lesquelles la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes et la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Qatar a également ratifié le 3 avril 1995 la Convention internationale relative aux droits de l’enfant.

S’agissant de l’islam politique, le Qatar ne soutient, d’après les autorités françaises, aucun mouvement lié au terrorisme. S’il s’efforce de jouer un rôle de médiateur avec les Talibans, cela n’implique pas de sa part un soutien politique envers ceux-ci. De même, si le Qatar apporte un soutien financier à la population de Gaza et accueille sur son sol certains cadres du Hamas, il ne soutient pas ce mouvement en lui-même. Il représente, au contraire, un partenaire important dans la lutte contre le terrorisme, comme le prouve sa participation à la coalition internationale en Irak et en Syrie et à des opérations communes avec la France sur le théâtre sahélo-saharien. Il est significatif, à cet égard, que Doha accueille une représentation du Bureau onusien de lutte contre le terrorisme et qu’il ait adopté récemment, en liaison avec les États-Unis, des sanctions contre des membres du Hezbollah libanais ([13]).

2.   Des progrès à accomplir

Il est certain que le Qatar a encore du chemin à parcourir pour atteindre les standards que la France défend en matière de droits de l’homme. Lorsque le Qatar a été soumis à l’ « Examen périodique universel ([14]) » des Nations Unies en mai 2019, la France lui a recommandé d’amender sa législation en matière de liberté d’expression et d’opinion, de liberté d’association et de liberté de la presse, en supprimant en particulier certaines dispositions de sa loi sur la lutte contre la cybercriminalité, ainsi que les dispositions de son code pénal, contraires aux normes internationales. La France a également appelé le Qatar à abolir officiellement la peine de mort.

Les conditions de travail sur les chantiers de la Coupe du monde de football posent également question. Les standards qatariens ne sont manifestement pas à la hauteur des normes internationales. L’Organisation internationale du travail (OIT) a publié, le 19 novembre 2021, un rapport sur les décès et les blessures liés au travail au Qatar, rapport dont le champ déborde le seul cas de la Coupe du Monde ([15]). Selon l’OIT, 50 travailleurs ont perdu la vie au Qatar en 2020, un peu plus de 500 ont été gravement blessés et 37 600 ont subi des blessures légères à modérées dans le cadre de leur travail. La plupart des victimes sont des travailleurs migrants du Bangladesh, de l’Inde et du Népal, principalement dans le secteur de la construction. Les chutes de hauteur et les accidents de la route sont les principales causes de blessures graves, suivies des chutes d’objets sur les chantiers. Il faut noter que l’OIT a travaillé en collaboration avec des institutions‑clés du Qatar pour collecter et analyser ces données. Le Qatar est, d’ailleurs, ouvert à la discussion et accueille sans difficultés des représentants d’ONG comme Amnesty international.

La France juge qu’il serait contre-productif de refuser toute coopération avec le Qatar en raison des insuffisances constatées en matière de droits fondamentaux. C’est bien parce que la France et d’autres pays ont maintenu un dialogue étroit et régulier avec le Qatar que les progrès rappelés plus haut ont pu être accomplis. En ce qui concerne le présent accord relatif au statut des forces, votre rapporteur estime que le refus d’autoriser son approbation n’apporterait aucune plus-value en matière de droits de l’homme au Qatar, tout en fragilisant le statut juridique de nos personnels militaires sur place et en entravant les efforts de la France pour contribuer à la sécurité de la région. Votre rapporteur invite donc à adopter le projet de loi autorisant son approbation, ce qui n’implique en aucun cas de renoncer à poursuivre un dialogue lucide et exigeant avec le Qatar sur la situation des droits de l’homme, et en particulier sur le respect des droits des travailleurs et des migrants.

 


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut de leurs forces.

La relation bilatérale de défense avec le Qatar repose historiquement sur des partenariats structurants. Le Qatar est le deuxième client de la France en termes de prise de commandes sur les dix dernières années dans le domaine de l’armement, derrière l’Inde.

Si le Qatar a cherché à diversifier ses partenariats depuis 2015 et plus encore après 2017, il accorde une place de référence à la France et à ses savoir-faire militaires auquel il fait appel pour la formation académique de ses officiers ou pour l’organisation de ses forces.

Signé à Doha le 25 novembre 2019 par Mme Florence Parly, ministre des Armées, et M. Khalid Bin Mohammed Al-Attiyah, vice-Premier ministre et ministre d’État chargé de la Défense, cet accord a pour objet de renforcer le cadre juridique de la relation bilatérale de défense entre la France et le Qatar.

Régime classique mais néanmoins indispensable pour garantir la sécurité juridique de nos forces à l’étranger, l’accord relatif au statut des forces représente un jalon essentiel dans la coopération bilatérale franco-qatarienne. La conclusion de l’accord sur le statut des forces est d’abord destinée à fournir un cadre juridique protecteur pour les militaires déployés sur place. Le privilège de juridiction qu’il accorde à la partie d’envoi est une avancée notable, alors que ce point empêche généralement la conclusion de tels accords avec de nombreux pays appliquant la peine de mort.

 


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I.   Un partenariat d'équilibre entre la France et le qatar dans une région sous tensions

A.   Le qatar évolue dans un environnement caractérisé par une Affirmation des rivalités régionales

Avec une superficie de 11 571 km2 et une population de 2,7 millions d’habitants, dont environ 300 000 nationaux, le Qatar est un petit État, néanmoins doté d’une forte volonté de reconnaissance à l’international. Fer-de-lance de sa stratégie d’influence communicationnelle, la chaine d’information Al Jazeera a soutenu et stimulé les révolutions durant les Printemps arabes, en prenant notamment le parti de l’islam politique et des courants des Frères musulmans en particulier, ce qui n’a pas manqué de faire réagir ses voisins.

Une crise régionale a opposé le Qatar à l’Arabie Saoudite, à Bahreïn et aux Émirats arabes unis (EAU), ainsi qu’à l’Égypte, entre 2017 et 2021. Si dès 2014, les EAU ont demandé au Qatar de cesser l’animation des réseaux de Frères musulmans, en 2017, l’Arabie saoudite, l’Égypte, les EAU et Bahreïn ont décidé la mise en place d’un blocus terrestre et aérien. Le « groupe des Quatre » accusait Doha de soutenir le terrorisme, critiquait sa proximité avec l’Iran et la Turquie et exigeait la cessation des activités de propagande d’Al Jazeera. Isolé, le Qatar a passé ou approfondi différentes alliances d’opportunité avec la Turquie ou l’Iran, mais a surtout accentué sa politique auprès des États-Unis, de la France et poursuivi plus généralement sa diplomatie globale de rayonnement international et d’implication sur les enjeux mondiaux (développement, climat, santé, éducation et sport).

Le Qatar poursuit une politique de bon voisinage vis-à-vis de l’Iran, avec lequel il partage le plus grand gisement gazier de la planète (South Pars / North Dome-Field) et lui donne accès à son espace aérien et maritime suite au blocus, malgré une certaine méfiance envers le régime.

La relation turco-qatarienne, est quant à elle, bien plus développée. Le Qatar entretient en effet une relation de proximité avec la Turquie qui a construit une base militaire sur son sol, bien que la réalité des effectifs (environ 500) demeure largement en deçà des annonces politiques (3 000). La Turquie est devenue à cette occasion un partenaire important. La Turquie et le Qatar participent à des exercices conjoints.

Cependant, la proximité relative de la Turquie et du Qatar doit être nuancée, eu égard aux relations fortes que ce dernier entretient avec les États-Unis, son partenaire incontournable, auprès duquel il a acheté un grand nombre d’avions de combat. Le Qatar accueille une des plus grandes bases américaines du monde et a d’ailleurs joué le rôle d’intermédiaire entre les États-Unis et les Talibans en 2020 (cf. infra).

Le 5 janvier 2021, le blocus a été levé lors de la signature des accords d’Al-Ula, sans que le Qatar n’ait à faire de concession. La dynamique de réconciliation entre le Qatar et ses voisins perdure, renforcée par la perception d’un retrait américain de la région qui contribue à resserrer les rangs. Dans ce nouvel équilibre régional, les relations du Qatar avec ses voisins se réchauffent à divers degrés. Si les relations se sont considérablement améliorées avec l’Arabie Saoudite (nombreux échanges entre autorités et perspectives de reprise des investissements croisés) et avec l’Égypte (perspectives d’investissements du Qatar en Égypte), les relations demeurent compliquées avec les EAU et, malgré la participation de Bahreïn au Sommet d’Al-Ula, les relations demeurent très tendues. Mais, dans l’ensemble, la dynamique initiée par le Sommet d’Al-Ula est très positive et renforce la stabilité et la sécurité régionales.

En outre, l’actualité en Afghanistan a placé le Qatar au centre de l’activité internationale. Déjà présent comme facilitateur des discussions entre les Talibans et les États-Unis, il s’est placé au centre du jeu diplomatique lors de la reprise du pays par les Talibans. Le Qatar constitue donc un partenaire géopolitique pour la stabilisation de la région.

Le rôle du Qatar dans les négociations avec les Talibans
et l’opération Apagan

L’une des spécificités de la politique étrangère du Qatar est sa capacité et sa volonté de jouer un rôle de médiateur ou d’intermédiaire. En effet, le Qatar parle à de nombreux acteurs (étatiques et non-étatiques), a les moyens financiers de favoriser la négociation et s’efforce de se rendre utile à ses alliés occidentaux et de rayonner sur la scène internationale en contribuant à la sécurité régionale.

Dans le cas de l’Afghanistan, le Qatar a autorisé en 2014, à la demande des États-Unis, l’implantation d’une représentation du mouvement taliban à Doha, aboutissant à la signature de l’accord de Doha en février 2020. Ces canaux de discussion ont permis à Doha de jouer un rôle utile lors de l’évacuation de Kaboul à l’été 2021 dans le cadre de l’opération Apagan et dans la perspective de la sécurisation de l’aéroport de Kaboul après le retrait américain. Le Qatar est donc l’un des rares acteurs en mesure de parler à l’ensemble des parties prenantes en Afghanistan.

En parallèle, le Qatar a apporté un soutien opérationnel à ses alliés pour l’évacuation de leurs ressortissants. Depuis le 1er septembre, les derniers ressortissants français et des Afghans à protéger ont été évacués par les moyens civils du Qatar via la compagnie Qatar Airways. Les vols d’évacuation entre Kaboul et Doha ont permis d’évacuer 250 personnes à l’occasion de cinq vols, dont 59 Français et leurs 40 ayants droit, et près de 140 Afghans en besoin de protection. Tout récemment, 258 personnes ont été évacuées.

B.   Le Qatar : un partenaire de confiance pour la France

1.   Des relations bilatérales anciennes, fondées sur de nombreux partenariats

Le Qatar et la France entretiennent des relations depuis la déclaration d’indépendance du pays en 1971 et l’ouverture croisée de représentations diplomatiques dès l’année suivante. Mais la relation bilatérale franco-qatarienne s’est développée au début des années 1990 dans les domaines de la sécurité et des hydrocarbures. La volonté qatarienne de diversifier l’économie du pays et de réduire sa dépendance à la rente gazière a permis d’élargir le spectre des coopérations à de nombreux secteurs, dans le domaine économique (infrastructures avec le métro de Doha, aéronautique) mais aussi dans les secteurs de la culture (avec Qatar Museums) et de l’éducation. Lors de la visite du ministre Jean-Yves Le Drian à Doha le 11 février 2019, la France et le Qatar ont signé une déclaration d’intention relative à la mise en place d’un dialogue stratégique, afin de renforcer la relation bilatérale dans tous les domaines et de permettre un suivi technique des principaux projets de notre relation. Cette coopération a été renforcée par la signature d’un accord de sécurité le 28 mars 2019 relatif aux informations classifiées échangées ou produites. D’après le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), 63 accords lient ou ont lié la France et le Qatar depuis 1974. Parmi eux, 15 accords seraient en vigueur, dans les domaines de la culture et de la jeunesse, de la formation des professionnels de santé, de la protection des investissements, du tourisme ou encore de la coopération diplomatique.

Les droits civiques et humains et les droits des femmes au Qatar

Le sujet des droits humains fait l’objet d’un suivi de la part des autorités qatariennes, qui sont, de plus, particulièrement conscientes des enjeux en termes de respectabilité et d’image à l’international. Le Qatar a pleinement conscience de l’impact de ce sujet sur son image, surtout à l’approche de la Coupe du monde de football de 2022.

En ce qui concerne les droits des travailleurs, le Qatar a ainsi fait le choix de travailler avec l’Organisation internationale du travail (OIT). Un bureau a été ouvert à Doha en 2018 dans la perspective de la Coupe du monde de football de 2022, dont le renouvellement a été décidé récemment, et plusieurs mesures ont concrétisé cet accompagnement :

– le Qatar est devenu le premier pays de la région du Golfe à mettre en place un salaire minimum pour les travailleurs ;

– l’obligation d’autorisation de sortie du territoire pour les travailleurs migrants a été supprimée ;

– et l’obligation d’autorisation pour changer de fonction et de métier a été supprimée.

Le Qatar a été le premier pays de la région à mettre en place ces réformes et a été suivi récemment par l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis.

Par ailleurs, dans le domaine des droits des droits civiques et des droits des femmes, des progrès méritent être soulignés, notamment à l’échelle politique. Le Conseil consultatif est le Parlement monocaméral du Qatar, dont les attributions sont législatives et consultatives. Le 2 octobre 2021, le pays a organisé la première élection nationale au suffrage universel direct de son histoire, renouvelant ainsi les deux tiers de la chambre – le tiers restant étant nommé par l’émir –, et ce processus se veut progressif. Si aucune femme n’a été élue au suffrage universel direct, deux ont été désignées par l’émir, dont la vice-présidente du Conseil. De plus, trois ministres sont des femmes, parmi lesquelles les ministres chargées de l’éducation et de l’enseignement supérieur d’une part, et des droits et de la famille d’autre part. En outre, le port du voile n’est pas une obligation pour les citoyennes qatariennes et il n’existe pas de police des mœurs. Parmi les non-citoyens – qui représentent près de 90 % de la population qatarienne – les femmes ne sont pas tenues de le porter. Les femmes ont le droit de vote et le droit de conduire. Ainsi, le conservatisme continue de prévaloir mais les choses sont plus ouvertes que dans d’autres États voisins.

2.   Une coopération bilatérale riche et fructueuse en matière de défense

La coopération entre la France et le Qatar dans le domaine de l’armement est significative : entre 2010 et 2019, le montant cumulé des prises de commande auprès des industriels s’est élevé à 11,05 milliards d’euros, faisant du Qatar le deuxième client de la France sur la même période, derrière l’Inde.

 

 

Source : édition 2021 du rapport au Parlement sur les exportations d’armement

Le partenariat franco-qatarien est structuré autour des différentes acquisitions d’armement français. Des accords de coopération classifiés encadrent cette relation. Depuis 2015, le Qatar bouleverse son modèle de force et monte en gamme très significativement. Avec l’appui des forces françaises présentes dans la région, des exercices conjoints ont lieu régulièrement. Emblématique de cette relation, le programme Rafale satisfait pleinement les parties. 30 des 36 avions commandés – 24 en 2015 et 12 en 2017 – ont d’ores et déjà été livrés ; les six derniers appareils devant être livrés avant avril 2022. La société italienne Leonardo fournit également 28 hélicoptères NH90 au Qatar, dont 16 sont fabriqués en France par Airbus Helicopters et 12 par l’Italie. Les livraisons devraient commencer en fin d’année 2021 ou au début de l’année 2022.

Par ailleurs, la coopération militaire prend la forme d’activités de formation au profit des forces armées qatariennes. Les formations délivrées dans le cadre du programme Rafale sont emblématiques : 229 pilotes et techniciens ont été formés en France entre 2016 et 2019 et, en 2017, un escadron de formation Rafale a été créé à Mont-de-Marsan, en préfiguration de l’escadron opérationnel qatarien activé à Doha en 2020. Depuis 1978, 15 Qatariens ont été formés à Saint-Cyr dont le frère de l’actuel Émir du Qatar. Un élève est actuellement à Saint-Cyr et deux préparent le concours (pour 2022 et 2023). Dans le cadre très spécifique de la Coupe du monde de football de 2022, des officiers qatariens ont suivi des formations de planification opérationnelle réalisées en France par le commandement pour les opérations interarmées (CPOIA), aux mois de janvier et septembre 2021. Le bénéfice global de ces formations est positif : le chef de l’autorité de coopération militaire et le chef d’état-major de l’armée de terre qatariens ont été formés en France au sein de ces écoles. Ces formations ont également concerné les élèves officiers de la Marine qatarienne au sein du Cours de l’École navale pour officiers étrangers (CENOE) à Brest.

Des exercices conjoints sont également menés, tel l’exercice quadriennal interarmées conjoint Gulf Falcon, visant à renforcer les capacités de commandement et de contrôle de l’armée qatarienne, et dont la dernière édition remonte à 2013. L’édition 2021 aura pour thème la sécurisation de la Coupe du monde de football de 2022.

Le Qatar est un allié incontournable de la France dans la lutte contre le terrorisme. La présence du bureau de lutte contre le terrorisme de l’Organisation des Nations unies (ONU) à Doha témoigne de l’engagement du pays pour le multilatéralisme. En sus, le Qatar participe activement à l’opération Inherent Resolve – coalition luttant contre le terrorisme en Syrie et en Irak – et son volet français Chammal, en fournissant d’une part des moyens aériens et en accueillant d’autre part le centre de commandement des opérations aériennes Combined Air Operations Centre (CAOC) sur la base d’Al Udeid. Environ 25 militaires français y sont déployés, sur les 8 000 militaires qui s’y trouvent (6 000 militaires étrangers, dont 95 % de militaires américains et de militaires opérant dans le cadre de la coalition internationale de lutte contre le terrorisme, et 2 000 militaires qataris). Le Qatar participe également à des opérations communes sur le théâtre sahélo-saharien (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) dans le cadre de l’opération Barkhane. En outre, le Qatar s’implique pour respecter les normes du Groupe d’action financière (GAFI) relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive.

le détachement français au sein de La base al Udeid

Le détachement français sur la base Al Udeid est la représentation française au sein des structures de commandement des opérations aériennes de la coalition contre Daech en Irak et en Syrie, dont le volet français est l’opération Chammal. Il permet l’intégration des forces aériennes françaises dans le dispositif allié et assure le contrôle national sur leurs activités, en particulier lors des frappes au sol.

Ce détachement est également en mesure d’assurer, si nécessaire, la coordination de l’activité des forces aériennes françaises dans la région : surveillance maritime dans le Golfe persique dans le cadre de l’opération Agénor, évacuations depuis l’Afghanistan en août 2021 dans le cadre de l’opération Apagan, voire des entrainements avec les forces aériennes stationnées dans la région.

II.   Un accord sur le statut des forces abouti pour conforter la relation bilatérale de défense, dans l’intérêt de nos soldats déployés sur place

A.   Un accord classique aux stipulations conformes aux exigences de respect des droits humains

1.   Le régime des accords de statut des forces

À la faveur de la crise du Golfe et de l’isolement régional du Qatar, ce dernier a adopté une stratégie de fidélisation de ses alliés. La plus grande ouverture de Doha aux négociations a permis d’accepter des clauses très protectrices pour les forces françaises, contrairement à la plupart des pays du Golfe et du Moyen-Orient appliquant la peine de mort.

Les accords relatifs au statut des forces, le plus souvent désignés par leur acronyme anglais SOFA (Status of Forces Agreement) fixent le droit applicable à nos personnels à l’étranger et aux personnels étrangers sur notre sol. Ils permettent de développer la coopération internationale dans le domaine de la défense et de sécuriser le cadre juridique de nos activités de coopération et de nos opérations, car en l’absence de tout accord, le droit commun de l’État hôte s’applique à nos ressortissants. La conclusion de ce type d’accord est relativement classique puisque la France est liée par environ 80 SOFA bilatéraux, ainsi que par trois SOFA multilatéraux. L’aboutissement de cet accord pourrait permettre de faciliter leur duplication auprès d’autres États du golfe.

Le présent SOFA poursuit un double objectif :

garantir un statut juridique clair aux membres du personnel des deux forces et à leurs personnes à charge d’une part ;

et faciliter le déroulement des exercices et des activités de coopération d’autre part.

2.   Les principales stipulations de l’accord

Dans le cadre de cet accord, trois points en particulier méritent d’être évoqués, le reste des clauses traitant de l’exonération des droits de douane ou encore des modalités de stockage étant tout à fait classiques et détaillées dans l’exposé des motifs du projet de loi.

a.   Des stipulations protectrices contre le risque de traitements inhumains ou dégradants et contre la peine de mort

Ce SOFA est le premier accord relatif au statut des forces contenant une clause de juridiction conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles françaises signé avec un État du Golfe. Il s’agit d’une première, ce dont on ne peut que se féliciter.

En particulier, les paragraphes 8 et 9 de l’article 11 comprennent des clauses relatives à la garantie de non-application de la peine de mort et des traitements inhumains et dégradants. Les divergences sur les stipulations fixant les garanties de non-application ont persisté plusieurs années et expliquent la durée des négociations (5 ans). En effet, bien que le risque paraisse réduit, la peine de mort est toujours en vigueur au Qatar. Une forme de moratoire était en place depuis 2003 mais a subi une exception en 2020, avec l’exécution d’un ressortissant népalais pour crime de sang. Par ailleurs, les châtiments corporels figurent toujours dans le droit qatarien.

Aussi, l’article 11 régit le partage des compétences juridictionnelles, sous respect de garanties relatives à un procès équitable. Il stipule que la peine de mort ne peut être ni requise ni prononcée et que, si elle est prononcée, qu’elle ne peut être exécutée. Ce triptyque issu de la jurisprudence du Conseil d’État met en place un filet de sécurité sur l’exécution de la peine de mort.

La négociation relative à ces deux paragraphes a néanmoins été longue et délicate. En effet, le Qatar a proposé différentes versions de l’article lors des négociations. Le Qatar avait notamment proposé de rédiger le paragraphe 11.8 sous forme de clause d’effort et de supprimer le paragraphe 11.9. Cette proposition, contraire aux obligations constitutionnelles et conventionnelles de la France, n’a pu être agréée. Il a notamment été indiqué aux autorités qatariennes que si le texte ne répondait pas aux exigences rédactionnelles imposées par la position constante du Conseil d’État, il ne pourrait pas être approuvé par ce dernier et donc entrer en vigueur en France. Le Qatar a finalement accepté la rédaction initiale française.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’aboutissement des négociations sur ces points précis. Dans cette perspective, ces clauses sont une première pour un État du Golfe ou du Moyen-Orient et l’approbation de l’accord pourrait faciliter les négociations de futurs SOFA avec d’autres pays de la région.

b.   La clause de purgation de peine sur le territoire de l’État d’envoi

À l’alinéa 10 de l’article 11 de l’accord, il est indiqué que « la Partie d’accueil examine avec bienveillance la demande de purger sa peine sur le territoire de la Partie d’envoi ». Le caractère non-contraignant de cet examen « avec bienveillance » pouvait susciter des inquiétudes.

Or, il est nécessaire de conserver cette stipulation sous la forme d’une clause de meilleurs efforts. En effet, en l’absence de cadre juridique régissant les conditions et modalités du transfèrement des prisonniers, il semble plus pertinent de se limiter à une disposition normative sous cette forme. Dans le cas de figure d’un Qatarien condamné en France, sa remise au Qatar resterait conditionnée à l’engagement des autorités qatariennes de ne pas le soumettre à des traitements inhumains et dégradants.

c.   L’accord du 28 mars 2019 relatif à l’échange et à la protection d’informations classifiées et protégées dans le domaine de la défense

Dans le cadre du renforcement de la relation franco-qatarienne en matière de défense, des démarches ont été engagées dès mai 2016 pour lancer la négociation d’un accord général de sécurité avec cet État. L’accord relatif à l’échange et à la protection d’informations classifiées et protégées dans le domaine de la défense, mentionné à l’article 12 du SOFA, a été signé le 28 mars 2019. Les formalités relatives à son entrée en vigueur sont en cours.

Cet accord a été élaboré sur le modèle des accords de sécurité dits « détaillés », c’est-à-dire qu’il décrit pour chaque niveau de classification des mesures minimales de protection, équivalentes à celles qui sont applicables en France. Ce modèle a été mis en place pour permettre la signature d’accords relatifs à l’échange d’informations classifiées avec les États dont la législation en matière de protection du secret n’est pas disponible. La protection des données sensibles partagées avec le partenaire qatarien est essentielle, eu égard à la profondeur du partenariat bilatéral en matière de défense, et en particulier dans le cadre du programme Rafale et de la lutte contre le terrorisme.

B.   Une coopération de long terme, au-delà de la sécurisation de la coupe du monde de football de 2022

La France et le Qatar ont noué un partenariat de confiance dans le domaine du sport. Ainsi, la France avait accompagné le Qatar dans la sécurisation des 15e Jeux asiatiques, en 2006. Lors de la visite officielle du Premier ministre Édouard Philippe, les 27 et 28 mars 2019, la France a pris l’engagement d’accompagner le Qatar dans l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, notamment dans le domaine de la sécurité.

Concrètement, l’intervention française dans le cadre de la Coupe du monde de football de 2022 devrait mobiliser plusieurs dizaines de militaires pour environ un mois et couvrira plusieurs volets. Premièrement, elle s’inscrira dans une politique de conseil et d’assistance aux autorités qatariennes. Deuxièmement, le déploiement de moyens de défense aérienne par l’armée de l’Air et de l’Espace contribuera à la surveillance de l’espace aérien par le recours à un AWACS. Enfin, des dispositifs de lutte contre les petits drones de type « basse altitude » (BASSALT) seront également positionnés sur les stades. Ces systèmes d’avant-garde permettront également l’expérimentation et la promotion des savoir-faire et des équipements français, en particulier dans la perspective de la Coupe du monde de rugby de 2023 et des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.

Les militaires seront en retrait et en conseil des forces armées qatariennes. Les forces du ministère de l’Intérieur ne sont, de fait, pas concernées par le présent accord. Leur statut sera encadré par un futur accord intergouvernemental qui sera examiné par le Parlement. Enfin, certains personnels font l’objet d’un déploiement plus permanent, au titre du dispositif classique de conseil des différents corps d’armées qatariens, et cet accord garantira leur sécurité juridique sur la durée.

À plus long terme, bien que le Qatar ne soit pas engagé dans des opérations extérieures (OPEX), il est déterminé à améliorer ses capacités opérationnelles et à développer son outil de défense. Un accompagnement de ce processus par la France permettrait de renforcer notre partenariat stratégique avec le Qatar.

En définitive, cet accord a vocation à renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et le Qatar. Il constitue une référence pour la négociation de futurs accords sur le statut des forces avec d’autres États du Moyen-Orient. Son approbation présente donc un intérêt tant pour le renforcement de la relation franco-qatarie et des relations de la France avec l’ensemble des États du Moyen-Orient que pour les militaires français déployés au Qatar. Le Qatar est un allié incontournable pour la France, eu égard au rôle fondamental de ce pays pour la stabilité dans la région. La rapporteure pour avis a donc recommandé d’émettre un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord.

 

 

 


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   Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

Lors de sa séance du mercredi 1er décembre 2021, la commission examine, sur le rapport de M. Didier Quentin, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut de leurs forces (n° 4324).

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Ce projet de loi vise à fournir un cadre juridique adapté à l’importance des forces militaires et des personnels liés à l’industrie de l’armement et aux échelons de soutien qui sont envoyés par la France et le Qatar sur chacun de nos deux territoires, y compris en transit. Il évite ainsi de résoudre diverses questions comme l’entrée et le séjour, la conduite de véhicules, le port d’arme ou d’uniforme par des consultations réalisées par voie diplomatique au cas par cas.

Le Qatar est un partenaire de première importance pour la France. Une coopération militaire étendue et diverse a été instaurée depuis une dizaine d’années et se traduit de façon opérationnelle aussi bien sur les théâtres de l’Irak et de la Syrie qu’au Sahel.

Nos rapporteurs vous présenteront la présence militaire française au Qatar, au travers de notre base mais aussi dans les états-majors qatariens. La présence de militaires qatariens en France pour leur formation doit également être relevée.

En matière d’armement, la France est le deuxième client du Qatar sur les dix dernières années.

La coopération s’étend aux échanges d’information et à la sécurité intérieure notamment pour de grands événements. Notre commission sera d’ailleurs saisie, dans le courant de l’année 2022, d’un projet de loi portant approbation d’un accord établissant un partenariat relatif à la sécurité de la Coupe du monde de football de 2022, qui a été signé en mars dernier à Doha.

L’accord nous donne l’occasion de discuter de la place du Qatar dans la région du Golfe et dans le monde, et des progrès qu’il a accomplis, notamment en matière sociale, depuis l’obtention de l’organisation de la Coupe du monde de football. Des évolutions législatives substantielles ont été adoptées, au point d’éveiller des craintes parmi les voisins du Qatar, sans toutefois apaiser complètement nos propres inquiétudes.

M. Didier Quentin, rapporteur. L’accord entre la France et le Qatar, contrairement au précédent, concerne exclusivement le statut des forces.

Je commencerai par un point sur le positionnement géopolitique actuel du Qatar, notamment à l’égard de ses voisins, ainsi que sur l’état de nos relations avec lui, en particulier dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Ce qui caractérise avant tout la politique extérieure qatarienne, et ce depuis plusieurs années, c’est une volonté assumée d’indépendance, notamment par rapport aux autres monarchies du Golfe. Ce désir d’autonomie, qui s’est traduit, par exemple, par la création de la chaîne Al Jazeera et par le soutien aux mouvements issus de l’islam politique durant les printemps arabes, a provoqué une grave crise régionale de juin 2017 à janvier 2021. L’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte ont, en effet, rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar et organisé le blocus du pays. Pendant cette crise, le Qatar a pu compter sur le soutien de la Turquie, mais aussi de l’Iran, pays avec lesquels il continue aujourd’hui d’entretenir des relations de bon voisinage.

Cette crise régionale est désormais en voie d’apaisement : l’embargo a été levé à la suite du sommet des chefs d’État du Conseil de coopération des États arabes du Golfe, organisé à Al‑Ula, en janvier 2021 ; les frontières ont été rouvertes ; les relations se sont nettement améliorées avec Riyad et Le Caire mais elles demeurent compliquées avec Bahreïn et les Émirats arabes unis. Le Qatar sort incontestablement vainqueur de cette période de tensions, puisqu’il n’a pas cédé face aux exigences qui avaient été posées par ses voisins.

Le Qatar continue à tracer sa voie propre. Il se pose en médiateur avec les Talibans dont il accueille, avec l’autorisation des États-Unis, une représentation à Doha depuis 2014. Il a noué des partenariats militaires avec la Turquie et l’Italie. Il a aussi, bien sûr, une relation de défense très étroite avec les États-Unis. La plus grande base militaire américaine au monde se trouve, en effet, au Qatar, à Al-Udeid.

Qu’en est-il de la France ? Nos deux pays entretiennent des relations, depuis la déclaration d’indépendance du Qatar en 1971 et l’ouverture croisée de représentations diplomatiques en 1972. Notre coopération bilatérale s’est renforcée au cours des dernières années, tant sur le plan économique que culturel et même sportif. On pourrait citer ici de nombreux exemples : le contrat de maintenance et d’exploitation du métro de Doha, remporté notamment par deux opérateurs français, l’accompagnement lors des quinzièmes Jeux asiatiques organisés à Doha en 2006, l’année culturelle France-Qatar de 2020, etc.

Dans le domaine de la défense, le Qatar est l’un des principaux importateurs d’armement français. Il s’est porté acquéreur de trente-six avions Rafale et de vingt-huit hélicoptères NH-90, dont plus de la moitié sont fabriqués en France par Airbus Helicopters. Des négociations sont en cours pour l’achat de satellites d’observation et de radars. Au total, entre 2010 et 2019, le montant cumulé des prises de commandes auprès des industriels français de la défense s’est élevé à 11,05 milliards d’euros, faisant du Qatar le deuxième client de la France sur cette période. Ces achats d’équipement s’accompagnent d’activités de formation, en particulier pour le Rafale.

La coopération militaire entre la France et le Qatar se traduit par la présence de quatre officiers français au sein des états-majors qatariens, ainsi que par des exercices conjoints, tels que l’exercice quadriennal interarmées Gulf Falcon. Le Qatar participe, en outre, à des opérations communes avec la France, notamment sur le théâtre sahélo-saharien dans le cadre de l’opération Barkhane. Au titre de la coalition contre Daech en Irak et en Syrie, vingt-cinq militaires français sont, par ailleurs, déployés sur la base américaine d’Al-Udeid.

Quel est, dans ce contexte, l’intérêt de l’accord qui nous est soumis aujourd’hui ? Conclu pour une durée de dix ans et renouvelable par tacite reconduction, il apporte surtout une sécurité juridique pour l’envoi de personnel militaire par la France au Qatar, et inversement.

Deux obligations fondamentales sont posées par l’accord. Tout d’abord, la partie d’accueil ne peut pas faire participer un membre du personnel de la partie d’envoi à une activité ayant lieu en dehors du territoire de la partie d’accueil, sauf accord préalable de la partie d’envoi. Ensuite, les membres du personnel, ainsi que les personnes à leur charge, sont tenus au respect de la législation de la partie d’accueil. L’accord apporte des précisions en matière d’entrée et de séjour, de port d’arme, de permis de conduire, d’accès aux services de santé ou de domiciliation fiscale. Il est stipulé que la compétence, en matière de discipline, revient exclusivement aux autorités de la partie d’envoi.

En matière pénale, il est prévu, comme pour l’accord avec Maurice, un partage de juridiction. Une infraction commise par un militaire français au Qatar relèvera, en principe, de la compétence des juridictions qatariennes. Cette compétence sera, toutefois, dévolue en priorité aux autorités françaises lorsque l’acte délictueux aura été accompli dans le cadre du service ou lorsqu’il aura été porté atteinte aux biens ou à la sécurité de la France ou du personnel français. En cas de poursuites devant les juridictions de la partie d’accueil, la personne concernée bénéficiera de toutes les garanties associées au droit à un procès équitable.

Je vous signale une spécificité par rapport à l’accord conclu avec Maurice. La peine de mort est toujours en vigueur au Qatar. Les exécutions font certes, en principe, l’objet d’un moratoire depuis 2003, mais celui-ci a connu une exception en mai 2020, avec l’exécution d’un ressortissant népalais, condamné pour meurtre. C’est pourquoi la France a tenu à l’insertion d’une clause de juridiction, rédigée en conformité avec nos exigences constitutionnelles, ainsi qu’avec celles qui découlent de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il était essentiel pour la France que l’accord écartât toute possibilité d’application de la peine de mort – d’autant plus après les déclarations du Président de la République à l’occasion du quarantième anniversaire de l’abolition de la peine de mort – ou d’un traitement inhumain ou dégradant, aussi bien pour un Français ayant commis une infraction au Qatar, que pour un Qatarien ayant commis une infraction en France et dont le Qatar demanderait la remise. L’accord prévoit donc que si, dans un État, une infraction est punie de la peine de mort ou d’une peine susceptible d’être qualifiée de traitement inhumain ou dégradant, ce dernier État ne remettra au premier une personne faisant l’objet de poursuites que contre l’assurance que ces peines ne seront ni requises, ni prononcées ou, si elles sont prononcées, qu’elles ne seront pas exécutées.

L’entrée en vigueur de l’accord assurera une pleine protection à nos forces, mais aussi aux militaires qatariens appelés à se rendre sur notre territoire. L’absence d’un tel accord, au contraire, serait une source de contentieux et d’insécurité juridique, les problèmes devant alors être résolus, au cas par cas, par le biais de consultations diplomatiques.

Au-delà du renforcement de la sécurité juridique pour les militaires des deux parties et leurs familles, l’accord offre un cadre juridique à la coopération de défense franco-qatarienne pour répondre aux défis communs auxquels les deux pays sont confrontés, notamment en matière de lutte contre le terrorisme. Le Qatar est, en effet, un partenaire stratégique, non seulement du fait de sa position géographique, mais aussi en raison de ses relations désormais plus apaisées avec ses voisins, de son rôle de médiateur avec les talibans ainsi que des partenariats qu’il a su nouer avec des acteurs aussi différents que les États-Unis, la Turquie et l’Iran.

Une consolidation apparaît, aujourd’hui, d’autant plus nécessaire que la coopération franco-qatarienne est appelée à trouver, au cours des prochains mois, un nouveau champ d’application, avec l’organisation par le Qatar de la Coupe du monde de football de 2022. La France a, en effet, accepté d’apporter son aide au Qatar pour contribuer à garantir la sécurité de l’événement. Rappelons que le Qatar est le premier pays du monde arabe à accueillir cette compétition. La France, de son côté, y voit l’occasion d’étoffer son expérience, dans la perspective de l’organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des Jeux olympiques d’été, en 2024. À ce stade, à l’exception d’actes terroristes isolés, par nature très difficiles à détecter, les menaces identifiées concernent la cybersécurité et l’intrusion d’aéronefs ou de drones dans l’espace aérien.

L’assistance de la France passera par la présence de personnels, en particulier un officier de liaison interarmées et une équipe de conseillers du commandement pour les opérations interarmées, ainsi que par le déploiement de matériels, notamment un système de lutte anti-drones et un avion radar AWACS, destinés à la protection des stades.

L’approbation de l’accord apparaît donc indispensable, non seulement pour approfondir la coopération franco-qatarienne à la sécurité du Qatar et à celle de la région, mais aussi pour assurer toute la sécurité juridique souhaitable, en particulier aux militaires français appelés à séjourner au Qatar.

Elle devra toutefois s’accompagner de la poursuite d’un dialogue politique exigeant avec le Qatar en ce qui concerne la situation des droits de l’homme. Non pas que celle-ci se dégrade, au contraire ; des avancées indéniables ont eu lieu au cours des années récentes. Le Qatar a été le premier pays de la région à abroger le système dit de la kafala, qui impose aux travailleurs étrangers de remettre temporairement leur passeport à leur employeur ; à instaurer un salaire minimum obligatoire ; à supprimer l’exigence d’un visa de sortie pour quitter le territoire ; à autoriser les travailleurs à changer d’emploi sans avoir à obtenir, au préalable, le consentement de leur employeur ; à offrir un suivi médical gratuit pour l’ensemble des salariés qui travaillent au Qatar. S’agissant des droits des femmes, le Qatar est le pays du Golfe, où le taux d’emploi féminin est le plus élevé. Les femmes occupent des postes de responsabilité dans de nombreux secteurs. À titre d’exemple, l’équipe en charge des évacuations d’Afghanistan ou encore la chaîne décisionnelle de réponse à la crise sanitaire sont presque entièrement féminines. Trois ministres dans un gouvernement qui compte une quarantaine de membres sont des femmes. Le Qatar a donc encore du chemin à parcourir pour atteindre les standards que la France défend en matière de droits de l’homme, notamment au regard de la liberté d’expression et d’opinion, de la liberté d’association, de la liberté de la presse, et bien sûr du droit pénal.

Les conditions de travail sur les chantiers de la Coupe du monde de football posent également question. L’Organisation internationale du travail (OIT) a publié, en novembre dernier, un rapport sur les décès et les blessures liés au travail au Qatar, rapport dont le champ dépasse la seule Coupe du monde. Selon l’OIT, 50 travailleurs ont perdu la vie au Qatar en 2020, un peu plus de 500 ont été gravement blessés et 37 600 ont subi des blessures légères à modérées dans le cadre de leur travail. La plupart des victimes sont des travailleurs migrants venus du Bangladesh, de l’Inde et du Népal. Les chutes de hauteur et les accidents de la route sont les principales causes de blessures graves, suivies des chutes d’objets sur les chantiers. L’OIT a travaillé en collaboration avec des institutions clés du Qatar pour collecter et analyser ces données. Le Qatar est, d’ailleurs, ouvert à la discussion et accueille sans difficulté des représentants d’ONG, comme Amnesty international.

La France a fait le choix – à juste titre, je le crois – de coopérer et de dialoguer avec le Qatar. C’est bien parce que la France et d’autres pays ont maintenu un dialogue étroit et régulier avec le Qatar que les progrès rappelés précédemment ont pu être accomplis. Le refus d’autoriser l’approbation de l’accord n’apporterait aucune plus-value en matière de droits de l’homme au Qatar, tout en fragilisant le statut juridique de nos personnels militaires sur place et en entravant les efforts de la France pour contribuer à la sécurité de la région.

C’est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi, ce qui n’implique en aucun cas de renoncer à un dialogue approfondi sur la situation des droits de l’homme, et en particulier sur le respect des droits des travailleurs et des migrants.

Le Président de la République doit se rendre aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite les 3 et 4 décembre. Je sais que le Président se déploie sur de multiples théâtres, extérieurs et intérieurs, mais je suis étonné que personne jusqu’à présent n’ait commenté ce voyage imminent.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Notre réunion étant ouverte à la presse, votre appel sera certainement entendu.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. Eu égard à l’exposé exhaustif de mon collègue, mon propos se limitera essentiellement aux aspects de défense.

S’agissant de la forme tout d’abord, il s’agit d’un accord relatif au statut des forces, plus souvent désigné par l’acronyme anglais SOFA – Status of Forces Agreement. Ces accords génériques définissent le droit applicable à nos personnels militaires sur le sol étranger d’un État partie, et réciproquement. Ils sont parfaitement intégrés dans les usages du ministère des armées et sont coutumiers puisque la France est liée par quatre-vingts SOFA bilatéraux et trois multilatéraux.

L’accord offre un cadre juridique particulièrement protecteur pour les membres du personnel français déployés sur le territoire qatarien, qui sont jusqu’à présent soumis aux lois qatariennes, donc potentiellement exposés à des risques importants puisque la peine de mort y est toujours en vigueur.

Quant au fond, ce SOFA est le premier accord relatif au statut des forces contenant une clause de juridiction conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles, signé avec un État du Golfe – je m’en réjouis. L’article 11 prévoit des clauses relatives à la garantie de non-application de la peine de mort et des traitements inhumains et dégradants, tels que définis par la Convention européenne des droits de l’homme. Plus précisément, ces peines ne pourront être ni requises ni prononcées, et, si elles devaient être prononcées, ne seraient pas appliquées. Ce triptyque issu de la jurisprudence du Conseil d’État assure une sécurité optimale à nos militaires.

Dans le domaine de la défense, nos relations avec le Qatar sont importantes. Au-delà de ventes d’armement et des activités de formation, il s’agit d’un allié qui a su prouver sa valeur en facilitant les négociations avec les talibans – depuis le 12 septembre, dans le cadre de l’opération Apagan, les vols entre Kaboul et Doha ont permis d’évacuer 124 Français et ayants droit – ainsi que dans la lutte contre le terrorisme.

Environ vingt-cinq militaires français sont déployés sur la base américaine d’Al-Udeid au Qatar, qui compte au total entre 8 000 et 11 000 personnes dans le cadre de l’opération de lutte contre le terrorisme au Levant Inherent Resolve, dont le volet français est désigné sous le nom d’opération Chammal.

Enfin, la participation française à l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022 devrait mobiliser plusieurs dizaines de militaires pour environ un mois.

Je voudrais élargir mon propos à une préoccupation que nous partageons tous : le respect des droits civiques et le droit des femmes au Qatar

Malgré un retard considérable en la matière, des progrès notables doivent être soulignés, notamment dans le domaine politique. Le 2 octobre 2021, le pays a organisé la première élection nationale au suffrage universel direct de son histoire, renouvelant les deux tiers du Conseil consultatif, parlement monocaméral dont les attributions sont législatives et consultatives, le tiers restant étant nommé par l’émir. Si aucune femme n’a été élue, deux ont été désignées par l’émir, dont la vice-présidente du Conseil. De plus, trois femmes sont ministres. En outre, le port du voile n’est pas une obligation et il n’existe pas de police des mœurs. Les femmes ont le droit de vote et le droit de conduire. Les autorités ont engagé la réforme de la kafala. Le conservatisme continue de prévaloir mais l’ouverture est plus grande que dans d’autres États voisins.

Comme l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées, l’accord constitue une référence pour la négociation de futurs accords sur le statut des forces avec d’autres États du Moyen‑Orient. Son approbation présente donc un intérêt pour le renforcement tant de la relation franco-qatarienne que des liens de la France avec l’ensemble des États du Moyen-Orient, mais surtout pour nos militaires sur place. C’est pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi, conformément à l’avis favorable émis par la commission de la défense nationale et des forces armées.

Mme Amélia Lakrafi (LaREM). L’accord, qui est le fruit de cinq années de négociation, précise le cadre juridique applicable aux militaires déployés sur les territoires des deux États. Il vise notamment à sécuriser le statut de nos forces armées stationnées au Qatar, en particulier sur la base d’Al-Udeid.

Le Qatar est un partenaire de longue date au Moyen-Orient, qui, après avoir connu une passe difficile en raison de relations dégradées avec ses voisins, retrouve un rôle éminemment stratégique dans la région.

Si l’organisation de la Coupe du monde de football, qui transforme Doha en chantier à ciel ouvert, place le Qatar sur le devant de la scène, je préfère évoquer le rôle majeur qu’a joué ce petit pays dans l’évacuation de nos ressortissants et de nombreux Afghans après l’arrivée des talibans. J’ai eu la chance de visiter les infrastructures où sont accueillis les Afghans qui seront celles où seront logés les sportifs lors de la Coupe du monde. Je tiens à souligner le travail extraordinaire grâce auquel plus de 70 000 personnes ont pu être évacuées depuis cet été. Le Qatar continue d’assumer une lourde responsabilité dans l’accueil des réfugiés en provenance d’Afghanistan.

Le Qatar s’est libéralisé à bien des égards. Vous avez mentionné les progrès pour les droits des femmes – j’ai pu discuter avec la vice-présidente du Conseil consultatif lors de ma visite il y a deux semaines – et pour les travailleurs étrangers.

Outre nos liens commerciaux et culturels, l’accord vient compléter de nombreux rapprochements entre nos deux pays dans les domaines de la sécurité, de la défense, et de la lutte contre le terrorisme qui ont débouché sur la signature de plusieurs contrats d’armement au plus grand bénéfice de notre industrie. Il constitue une véritable avancée dans le domaine militaire, d’abord au profit de nos forces sur place. Il serait particulièrement bienvenu que notre assemblée autorise son approbation à deux jours d’une visite du Président de la République à Doha.

M. Michel Fanget (Dem). L’accord arrive à point nommé puisqu’il répond à la nécessité urgente d’offrir un cadre juridique à nos soldats déployés sur le territoire qatarien, à l’heure où les relations entre nos deux pays tendent à se développer rapidement, en particulier dans le domaine de la défense.

Alors que la coopération s’était déjà fortement renforcée depuis quelques années, la crise du Golfe de juin 2017 a contribué à accélérer ce processus. La rupture des relations diplomatiques entre le Qatar, d’une part, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, d’autre part, s’est soldée par une intensification de nos relations avec Doha qu’illustrent de multiples rencontres, dont la visite du Président de la République en 2017 et dans quelques jours, ainsi que l’accentuation d’une coopération militaire déjà bien établie. Le Qatar est l’un des principaux importateurs d’armement français, position stable si l’on en croit les contrats conclus en 2015 et 2017, aux termes desquels il a acquis pas moins de trente-six avions Rafale.

La coopération militaire se traduit par des activités de formation des militaires qatariens mais également par des exercices conjoints. Elle devrait être renforcée prochainement avec la Coupe du monde de football de 2022 et la participation qatarienne à des opérations communes, notamment, dans le cadre de l’opération Barkhane.

Dès septembre 2015, des négociations ont été entreprises afin de donner un cadre juridique à la relation de défense liant nos deux pays. Cet accord devait avoir un caractère impérieux afin de garantir la sécurité des personnels français déployés au Qatar, faute de quoi ils seraient soumis à la juridiction du territoire, où la peine de mort est toujours en vigueur. Malgré des divergences sur les dispositions relatives aux garanties de non-application de la peine de mort et de traitements inhumains et dégradants, les négociations ont finalement abouti en novembre 2019 à la signature d’un accord relatif au statut des forces. Considérant qu’il permet de sécuriser le déploiement de nos militaires sur le sol qatarien, notre groupe est favorable à son adoption.

M. Christian Hutin (SOC). Notre groupe votera en faveur de cet accord puisqu’il apporte une sécurité juridique à nos personnels présents au Qatar et qu’il contribue à conforter les intérêts géopolitiques et économiques de la France dans cette région.

Les rapporteurs se sont montrés exhaustifs et n’ont pas caché les vœux que nous formulons. À ce propos, je pourrais dire avec Verlaine que « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant » d’un développement de la démocratie au Qatar et que notre présence, l’organisation de la Coupe du monde de football, en soient peut-être l’occasion. La construction des stades, dans ce pays, a montré, en effet, combien les rapports sociaux y sont durs. Pour le coup, c’est moins à Verlaine qu’au Germinal de Zola que je ferai référence. Nous ne pouvons ni être dupes ni nous taire : la fête du football est légitime, certes – le Qatar nous fait l’honneur de considérer que nous savons à peu près gérer de telles manifestations – mais il ne faut pas oublier les travailleurs qui ont perdu la vie.

Notre groupe votera néanmoins le projet de loi.

M. Pascal Brindeau (UDI-I). Les rapporteurs ont su, en effet, se montrer exhaustifs en présentant un accord qui intervient dans le contexte d’un renforcement des relations entre nos deux pays.

Vous avez évoqué un dialogue exigeant avec le Qatar ainsi que le standard démocratique occidental – droits de l’homme, condition des femmes – tout en rappelant les avancées qatariennes dans ces domaines. Même si nous pouvons regretter qu’aucune des vingt-huit candidates n’ait été élue en 2021, nous espérons que ces premières élections entraîneront une évolution de la société qatarienne qui se traduira à l’avenir au sein du Conseil de la Choura, le parlement du Qatar.

La presse internationale a été le lieu de beaucoup de polémiques à la suite des décès de travailleurs sur les chantiers des dix-huit stades où se déroulera la Coupe du monde. Les chiffres de l’Organisation internationale du travail contredisent un certain nombre de rumeurs colportées par les médias, y compris français, faisant état de plusieurs milliers de morts alors que ces chiffres se rapportent en fait au nombre total de décès de ressortissants étrangers de 2012 à 2022.

Oui, les conditions sociales des travailleurs étrangers ont pu être difficiles, comme le Qatar l’a lui-même reconnu, mais des progrès ont été accomplis en matière de droits sociaux, de salaire minimum et de protection médicale. Nous appelons collectivement à une stricte vigilance et à un dialogue exigeant avec ce pays sur les droits de l’homme, la condition de la femme et la démocratie, mais je ne doute pas qu’il en est de même avec nos autres partenaires du Golfe, qui ne se sont pas nécessairement engagés sur la voie des réformes.

Notre groupe votera en faveur de ce projet de loi.

M. Guy Teissier (LR). Nos rapporteurs ont effectivement accompli un travail d’orfèvre, très détaillé.

Selon le rapport de M. Quentin, les relations entre nos deux pays sont plutôt bonnes. La famille royale manifeste d’ailleurs à notre endroit une particulière inclination puisque l’un de ses membres a été saint-cyrien et que ses parents étaient présents lors de la cérémonie du Triomphe. Les relations économiques avec le Qatar sont également très développées, notamment s’agissant des ventes d’armes, essentielles à notre industrie de défense.

Il n’en reste pas moins que ce pays est très à la traîne dans l’application des droits de l’homme et des droits du travail. Lorsque je présidais la commission de la défense nationale et des forces armées, je me suis rendu dans des pays comparables et j’ai pu constater combien les conditions de vie des immigrés – la plupart, d’ailleurs, musulmans – sont difficiles, sous des chaleurs intenses, dans des baraquements non climatisés et avec des horaires impossibles… Des pelouses poussent certes au cœur du désert, mais il faut savoir à quel prix.

Vous avez rappelé que la peine de mort est toujours en vigueur au Qatar, même si elle ne semble guère appliquée, mais je rappelle qu’elle peut aussi être exportée à travers le financement d’organismes qui eux, l’appliquent : je ne veux pas déplaire au Qatar mais nous savons tous qu’il finance des mouvements terroristes ! Je veux croire que notre coopération avec ce pays, comme avec les Émirats arabes unis, est l’occasion d’avancées démocratiques, quoique le chemin vers une démocratie comparable aux nôtres est encore long et que je ne veuille donner de leçons à quiconque.

Je voterai néanmoins ce texte.

M. Jean-Michel Clément (LT). Si cet accord et ses objectifs sont intéressants, ils ne nous permettent pas toutefois de donner un blanc-seing au Gouvernement.

Notre groupe est en effet très réservé. Les violations des droits de l’homme au Qatar devraient nous conduire à encadrer strictement nos relations. Outre que nos relations militaires ne sont pas anodines, cet État continue de pratiquer des traitements différents en fonction des catégories de la population, notamment, à l’endroit des femmes, et les pouvoirs judiciaire et exécutif continuent d’infliger des châtiments et des traitements inhumains. Voilà avec qui nous traitons !

Au-delà des accusations de corruption qui entourent l’organisation de la Coupe du monde de football, je rappelle que plus de 6 000 ouvriers étrangers seraient déjà morts sur les chantiers. Notre pays ne s’honore donc pas à appuyer militairement un tel événement.

De plus, en dépit des avancées que présente cet accord, des risques juridiques demeurent quant à la protection de nos soldats, et le compromis auquel nous sommes parvenus me semble peu satisfaisant.

Sur le fond, notre principale réserve concerne la protection de nos soldats et des personnes qu’ils ont à charge. Certes, cet accord dispose d’une clause de juridiction conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles, mais c’est une clause de style inhérente à tous les accords que nous passons – même si c’est la première que nous signons avec un État du Golfe depuis 2009, et pas n’importe lequel.

La question de la peine de mort, quant à elle, ne doit pas être reléguée au second plan : un moratoire est en vigueur mais une entorse y a été faite récemment. Que la peine de mort soit peu appliquée ne suffit pas et devrait, au contraire, suffire à nous alerter.

Notre groupe s’interroge également sur les termes de l’article 11. En commission de la défense, la rapporteure pour avis a en effet indiqué qu’en droit, des peines de mort « pourraient être prononcées à l’encontre des personnels français et de leurs personnes à charge, même si le Qatar garantit qu’elles ne seraient pas, le cas échéant, exécutées ». Comment jugez-vous une telle situation ? Il n’est pas acceptable qu’un pays que nous nous apprêtons à soutenir militairement se réserve le droit de prononcer des peines de mort à l’encontre de l’un de nos concitoyens !

Par ailleurs, cet accord ne règle pas des questions essentielles liées à nos relations de défense et de sécurité. Alors que l’étude d’impact mentionne la vente de trente-six avions Rafale, elle passe sous silence le fait que certains d’entre eux ont été mobilisés en Turquie alors que, dans le même temps, la France cédait des Rafales à la Grèce. Cette situation, ambiguë, soulève également la question de la protection de notre savoir-faire industriel.

Enfin, cet accord n’évoque que la protection des soldats alors que des gendarmes sont également mobilisés. En commission de la défense, il a été précisé que l’accord relatif à cette coopération en matière de sécurité, qui concerne donc le ministère de l’intérieur et non celui de la défense, ne serait soumis à approbation qu’en mai 2022, date à laquelle l’Assemblée nationale ne siègera pas. Notre groupe regrette un tel procédé et ne comprend pas pourquoi ces deux accords de sécurité et de défense n’ont pas été présentés ensemble.

En dépit de ses lacunes, cet accord apporte une protection minimale à nos soldats, ce qui est bien évidemment préférable à la situation actuelle, mais ses termes ne sont pas pour autant satisfaisants. Dans ce contexte, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Jamais aussi peu de temps ne s’est écoulé entre la signature d’un accord et sa présentation devant notre commission : un an, c’est un record ! Avec le voyage à venir du Président de la République, nous comprenons mieux ce calendrier et le report du débat en séance publique – bien entendu, pour des raisons qui tiennent à l’ordre du jour et pas aux 11 milliards de montants cumulés de commandes auprès de nos industriels de défense…

Pour tout autre pays – Chine, Russie, Vietnam… –…

M. Guy Teissier. Corée du Nord…

M. Jean-Paul Lecoq. …ce qui vient d’être dit suffirait à justifier l’absence de toute relation ou leur statu quo. Tel n’est pas le cas avec le Qatar, sans que nous puissions en l’état savoir pourquoi, sauf à considérer que la France est prête à s’asseoir sur ses valeurs pour 11 milliards.

Notre commission s’honorerait en faisant en sorte que le débat en séance publique soit inscrit à l’ordre du jour avant la fin de la session.

Les dispositions des articles 12, 13 et 17 de l’accord s’appliquent au Qatar comme à l’Égypte : autorisation des échanges d’informations classifiées, des survols des territoires respectifs et des installations de système de communication chez l’un et l’autre. Or les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets militaires.

Les questions liées à l’organisation de la Coupe du monde sont importantes et nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) nous demandent de ne pas y aller pour ne pas soutenir n’importe quoi, n’importe qui et n’importe quand.

J’ajoute que le Qatar n’a pas déclaré ses émissions de CO2 depuis 2007. Imaginez-vous ce qu’elles seront lors d’une Coupe du monde dans des stades climatisés en plein désert ? Comment soutenir à la fois l’accord de Paris, disposer de son respect dans tous les traités internationaux que nous signons et ne pas en faire cas ici ? Ce n’est pas possible !

Nous ne pouvons pas soutenir ce que cet accord symbolise et nous espérons qu’un débat dans l’hémicycle permettra d’apporter à l’exécutif des arguments complémentaires lorsqu’il rencontrera les autorités qatariennes.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Pour des raisons qui tiennent à un ordre du jour surchargé, l’examen en séance publique de ces textes a été ajourné. J’ai fait valoir qu’il y avait urgence sur celui-ci tant il est essentiel pour la sécurisation des manifestations sportives des prochains mois. En conférence des présidents, comme auprès des ministères des affaires étrangères et des relations avec le Parlement, j’ai indiqué que nous voulions qu’il soit discuté en séance publique avant la fin janvier. Si le Gouvernement devait ne pas l’inscrire à l’ordre du jour, je protesterai vigoureusement et vous en informerai afin que nos groupes puissent intervenir politiquement. Cependant, nos interlocuteurs, dont M. Fesneau, ont bien compris notre préoccupation et je pense que vos craintes peuvent être apaisées.

M. Sébastien Nadot. Je rappelle que l’une des missions du Parlement est de contrôler l’action du Gouvernement. Or il ne joue pas son rôle pour ce qui concerne les accords que nous avons examinés et la désastreuse opération militaire Sirli. Dans la mesure où tous les représentants de groupes ont soulevé des questions sur le respect des valeurs fondamentales de notre pays, il conviendrait d’anticiper l’examen en séance et de prévoir un contrôle parlementaire a posteriori de cet accord.

M. Didier Quentin, rapporteur. Mme Lakrafi a bien fait de rappeler le rôle qu’a joué le Qatar dans l’organisation des évacuations d’Afghanistan. La rapporteure pour avis et moi-même partageons les réserves émises par MM. Fanget et Hutin, mais nous devons insister, comme M. Brindeau, sur la nécessité de poursuivre ce dialogue exigeant. Objectivement, des progrès ont été réalisés. Je suis tenté de reprendre la formule un brin cynique, mais pragmatique, d’Hubert Védrine : on ne fera jamais de ces pays des démocraties scandinaves.

M. Guy Teissier. Nous n’en demandons pas tant !

M. Jean-Paul Lecoq. Ils viennent de mettre en prison deux journalistes norvégiens pendant trente-deux heures !

M. Didier Quentin, rapporteur. J’ai précisément devant moi une dépêche : « Deux journalistes norvégiens ont été détenus temporairement au Qatar alors qu’ils enquêtaient sur les préparatifs de la prochaine Coupe du monde de football. Ils ont été relâchés…

M. Jean-Paul Lecoq. Sans leurs caméras !

M. Didier Quentin, rapporteur. …sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux après plus de trente heures de détention. Leurs images, les interviews qu’ils ont réalisées ont été examinées à la loupe par la police. [Ils sont] repartis aussitôt à Oslo avec des bagages plus légers : ils ont été privés de leur matériel ». Tout cela n’est pas totalement satisfaisant, d’où la vigilance permanente dont nous devons faire preuve.

À l’occasion d’une audition du ministre ou dans le cadre du débat qui, nous l’espérons, aura lieu avant la fin du mois de janvier, nous pourrons soulever, monsieur Nadot, la question du contrôle parlementaire.

M. Teissier nous a fourni un témoignage intéressant sur l’ancienneté de ses relations avec le fils de l’ancien émir, qui a été élève de l’école spéciale militaire et qui à ce titre a participé au triomphe de Saint-Cyr – s’il y était encore élève, il participerait demain au « 2S » qui célèbre la victoire d’Austerlitz. Je n’ai pas de réponse s’agissant de l’« exportation » de la peine de mort. Des discussions avec notre ambassadeur, je retiens que des cadres du Hamas ont été reçus à Doha mais que le Qatar affirme ne pas financer cette organisation. Cela reste à vérifier.

M. Clément a été très précis dans ses observations et a adressé un carton jaune au Qatar. Il convient tout de même de souligner que les exigences de la partie française figurant dans cet accord ne constituent pas une clause de style : si la négociation a duré, c’est bien parce que les Qataris ont mis du temps à céder à nos demandes. Le problème traditionnel – et débattu à l’occasion de la pré-campagne présidentielle – de la primauté du droit international sur le droit interne est posé.

M. Lecoq sort, lui, un carton rouge, ce qui n’est pas pour nous étonner. Il relève un seul point positif – in cauda venenum : la rapidité de la procédure de ratification, qui bat des records. Le président Bourlanges a répondu de manière circonstanciée à sa question sur l’inscription à l’ordre du jour d’un débat en séance publique. Nous avons également bien enregistré l’appel d’ONG à ne pas participer à la Coupe du monde de football. L’observation relative à l’absence de déclaration par le Qatar de ses émissions de CO2 depuis vingt ans est intéressante ; il est certain que la réfrigération des stades ne doit pas contribuer à les alléger.

Il convient de relever la densité des échanges diplomatiques avec le Qatar, puisque le ministre Jean-Yves Le Drian s’y rend pratiquement chaque année.

M. Jean-Paul Lecoq. Normal : c’est un VRP.

M. Didier Quentin, rapporteur. Il était en visite à Doha le 11 février 2019, suivi par la ministre des armées la même année – ce que l’on peut comprendre. Il y est retourné les 9 et 10 décembre 2020, puis encore une fois le 13 septembre 2021 pour rencontrer l’émir du Qatar et son ministre des affaires étrangères. C’est donc une relation très suivie.

Je souhaite souligner la présence française au Qatar, avec une communauté de 5 500 Français. Peut-être les Qataris ont-ils été un peu jaloux du Louvre Abou Dhabi ? Je relève que le Musée national du Qatar, conçu par les Ateliers Jean Nouvel, a été inauguré le 27 mars 2019 en présence de l’émir et du Premier ministre français de l’époque, à l’occasion d’une visite officielle. Il y a 200 000 francophones au Qatar. Le lycée franco-qatarien de Doha s’appuie sur des manuels scolaires français et fonctionne avec des classes mixtes, ce qui est unique dans le paysage éducatif local. On n’a d’ailleurs pas été d’une grande prudence diplomatique en baptisant cet établissement du nom de Voltaire, dont les écrits sur les « mahométans » étaient très durs, si je ne m’abuse…

M. le président Jean-Louis Bourlanges. « Mahométans » était un nom de code pour désigner les catholiques.

M. Didier Quentin, rapporteur. Sans que cela constitue une pique à l’encontre de M. Lecoq, le bilan est globalement positif, même si les choses peuvent encore être améliorées à la marge.

M. Guy Teissier. C’est mieux que la Corée du Nord.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. Je ne parlerai pas de Zadig, même s’il peut être intéressant de noter que les critiques, on doit d’abord se les adresser à soi-même. Je remercie Mme Lakrafi ainsi que MM. Fanget, Hutin et Brindeau d’avoir souligné combien il était urgent d’instaurer un cadre juridique qui permet avant tout de sécuriser nos propres militaires.

Des progrès ont été réalisés par le Qatar, et plus rapidement que dans les pays voisins. C’est indéniable, qu’il s’agisse des droits humains, des droits des femmes et du processus démocratique. Bien entendu, des progrès supplémentaires sont attendus. Nous sommes vigilants, comme l’a rappelé le rapporteur.

Je constate que le groupe GDR appelle au boycott de la Coupe du monde de football.

M. Jean-Paul Lecoq. C’est une interprétation de ce que j’ai dit ! Jamais je n’ai appelé au boycott ; j’ai mentionné que les ONG appelaient à ce boycott. Monsieur le président, pouvez-vous rectifier ?

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. J’ai peut-être mal interprété vos propos, monsieur Lecoq. Il faut être réaliste et saisir l’occasion fournie par la Coupe du monde pour exercer une pression positive, afin de faire évoluer les choses dans le bon sens.

À l’occasion des auditions, je me suis enquise des pratiques coutumières concernant les châtiments corporels. J’ai reçu des réponses rassurantes sur ce point : il n’y a pas de châtiments corporels institutionnalisés au Qatar.

Quant aux femmes, elles sont vues comme une ressource précieuse, intellectuelle, et comme une force vive. Faut-il rappeler qu’elles ne représentent que la moitié des 300 000 Qataris, sur une population de 2,7 millions d’habitants ?

M. Clément a indiqué que la peine de mort continuerait à pouvoir être prononcée. L’un des points de l’accord vise justement à éviter qu’elle soit exécutée en cas de condamnation d’un militaire français.

Un prochain accord traitera du statut juridique des gendarmes déployés au Qatar. Le projet de loi devrait être déposé en mai 2022. Lors de l’examen pour avis par la commission de la défense, j’ai souligné combien il était important d’assurer leur protection juridique lors de la Coupe du monde de football.

M. Guy Teissier. Ce sont des militaires.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. En effet, mais ils relèveront d’un accord distinct.

Le Qatar s’inscrit dans une démarche de progrès s’agissant des émissions de gaz à effet de serre ; il a défini des objectifs à l’occasion de sa participation à la COP26. Selon des informations qui méritent d’être confirmées, le Qatar s’apprêterait à contribuer à hauteur de 2 milliards de dollars aux 100 milliards que les pays développés se sont engagés à lever pour aider les pays en développement à atteindre leurs objectifs et à effectuer les investissements nécessaires à la transition climatique.

Monsieur Nadot, le Parlement doit contrôler l’action du Gouvernement et c’est la raison pour laquelle j’ai insisté, lors des auditions de responsables du ministère des armées, pour connaître les matériels qui seront déployés lors de la Coupe du monde de football, ainsi que leur finalité. Il s’agit d’un avion AWACS (système de détection et de commandement aéroporté) et de systèmes de lutte antidrones, destinés à la surveillance de l’espace aérien.

Pour conclure, j’insiste sur le fait que cet accord vise surtout à offrir un cadre juridique protecteur aux militaires que la France déploiera au Qatar.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. M. Nadot a raison de dire qu’il ne s’agit pas simplement de ratifier des accords et de se désintéresser ensuite de la façon dont ils sont appliqués. Il est très facile d’exercer ce contrôle si nous le souhaitons ou si nous avons connaissance de manquements : nous pouvons interpeller le Gouvernement à tout moment, soit au sein de cette commission, soit en séance publique avec une forme plus solennelle. Devons‑nous pour autant prévoir une organisation institutionnalisée pour ce contrôle ? Cela serait excessivement lourd au vu du nombre d’accords que nous ratifions et si l’on considère que notre vigilance collective n’a jamais été prise en défaut.

Ce débat, fort intéressant, illustre bien le problème qui se pose à nos consciences : si chacun s’accorde à dire que ces accords sont positifs, certains, avec des arguments solides, estiment qu’il n’est pas possible de les signer avec des États qui ne respectent pas pleinement nos valeurs tandis que d’autres considèrent qu’il est essentiel d’établir une relation effective avec des États dont le rôle est important.

On rappellera l’action très positive du Qatar, qui a fait sortir d’Afghanistan les victimes potentielles des talibans, qui contribue à apaiser la tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite – l’un de nos objectifs au Moyen-Orient – et participe à la recherche d’une solution au Yémen.

Comme le disait mon maître Raymond Aron, la politique est essentiellement dangereuse. Il revient à chacun de choisir son vote mais on ne peut considérer que ceux qui voteront en faveur de la ratification de cet accord ignorent, par complaisance, les manquements à nos principes fondamentaux. Ils pensent simplement que la diplomatie consiste à avoir des relations avec les États qui exercent un pouvoir effectif, pas seulement avec ceux qui appartiennent à notre petit club des démocraties un peu moins imparfaites. Je comprends très bien à la fois l’indignation des uns et la volonté des autres de faire prévaloir une éthique de responsabilité, comme le disait Max Weber.

M. Jean-Paul Lecoq. Je ne me permettrai jamais de juger mes collègues. Être député, c’est choisir en son âme et conscience, selon la formule consacrée. Et ce n’est pas toujours simple, car aucun sujet ne l’est. Tout est également compliqué en matière de diplomatie, donc j’entends bien les arguments selon lesquels il faudrait accompagner les évolutions positives dans la durée.

Comme vous l’avez compris, mon interpellation portait davantage sur le fait que ces arguments sont à géométrie variable. Pour certains États, on nous invite à considérer favorablement les petits pas utiles à la paix ; pour d’autres, on nous explique qu’il n’est même pas possible de rechercher ces petits pas, au motif que le dialogue est rompu ou compliqué – le plus souvent en fonction de ce que nous disent les États-Unis.

En diplomatie, il faut assumer ses propos – ce que je fais – mais réagir lorsqu’ils sont interprétés. J’ai mentionné, car c’est mon rôle de faire état de ce qu’on me dit, l’interpellation d’ONG au sujet de la Coupe du monde de football ; je n’ai jamais appelé au boycott de la Coupe du monde de football. Du reste, je ne m’autoriserai pas à le faire puisque je représente ici un groupe politique et qu’à ma connaissance, ni les députés communistes ni le parti communiste n’ont pris position en faveur d’un tel boycott. Je me suis donc permis de réagir en coupant la parole, ce dont je n’ai pas l’habitude – sauf lorsqu’il s’agit d’un ministre. Il est important de respecter les mots utilisés par chacun dans cette commission – en matière de diplomatie, c’est essentiel.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Dont acte. Vous avez exprimé la position d’ONG, sans la faire vôtre, et vous avez signalé des problèmes, réels, au Qatar.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. Tout à fait.

M. Jean-Michel Clément. Je suis trop attaché aux libertés pour ne pas reconnaître aux autres leur liberté d’expression et celle d’exercer leur droit de vote. Mais, comme le disait Christiane Taubira, il y a des situations où l’on chemine toujours mieux en paisible compagnie de sa conscience. En l’occurrence, ma conscience m’enjoint de m’abstenir.

Mme Amélia Lakrafi. Tout n’est pas parfait dans ce petit pays, loin de là, mais il faut saluer les avancées de ce pays qui n’a que 50 ans – certains ont mentionné le modèle scandinave ; rappelons qu’il a été fondé sur le « grand compromis » dans les années 1930…

Le lycée français de Doha s’appelle Bonaparte ; le lycée franco-qatarien Voltaire a été créé par l’ancien procureur général, désormais député.

En ce qui concerne les trois journalistes norvégiens, deux sont entrés illégalement dans une propriété privée et un, en état d’ébriété, a agressé une personne. Ils ont été relâchés.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. Il y a donc de l’alcool au Qatar !

M. Didier Quentin, rapporteur. Je tiens à signaler que ni la rapporteure pour avis ni moi-même n’avons été invités par l’ambassade à l’occasion de la fête nationale du Qatar, le 18 décembre. On ne peut guère nous soupçonner de complaisance !

M. Jean-Paul Lecoq. J’ai reçu une invitation !

M. Didier Quentin, rapporteur. Cela prouve que les cartons rouges sont efficaces.

La diplomatie est forcément à géométrie variable : un État fait la politique de sa géographie. Comme le disait le général De Gaulle, entre la géographie et l’histoire, c’est toujours la géographie qui l’emporte.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mais comme l’écrivait Daniel Pennac, écrire l’histoire, c’est mettre la pagaille dans la géographie.

Article unique

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

La commission examine, pour avis, sur le rapport de Mme Natalia Pouzyreff, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut des forces (n° 4324).

Mme Isabelle Santiago, présidente. Mes chers collègues, je voudrais tout d’abord vous prier de bien vouloir excuser la présidente de notre commission, Françoise Dumas, qui a été retenue par des obligations liées à sa fonction, ce qui me vaut l’honneur et le plaisir de présider cette réunion.

Notre ordre du jour appelle l’examen de deux conventions internationales ayant trait au statut des forces et concernant respectivement Maurice et le Qatar. Le Règlement de l’Assemblée nationale prévoit la saisine au fond de la commission des affaires étrangères pour toutes les conventions internationales, quel que soit leur domaine, mais le bureau de notre commission a pris la décision que nous nous saisirions pour avis de toutes celles ayant trait à la défense. Cette saisine présente un double avantage : compléter le point de vue de la commission des affaires étrangères, qui a essentiellement une vision diplomatique de ces conventions, et faire un bilan de notre relation de défense avec les pays considérés pour, le cas échéant, attirer l’attention sur certains points de vigilance.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. Mon propos liminaire comprend trois parties : une présentation succincte de la relation bilatérale franco-qatarie, focalisée sur notre relation bilatérale en matière de défense ; une présentation générale des principales stipulations de l’accord ; enfin, les points d’attention relatifs à l’accord qui, de mon point de vue, méritent d’être portés à votre connaissance.

Le Qatar est une péninsule enclavée entre le golfe Persique et l’Arabie saoudite. Le pays compte 2,7 millions d’habitants, dont environ 300 000 nationaux. Riche en hydrocarbures, c’est le deuxième exportateur mondial de gaz.

En juin 2017, la rupture brutale des relations avec ses voisins saoudiens et émiriens a conduit les autorités qatariennes à rechercher d’autres soutiens, dont celui de la France. Cependant, depuis le 5 janvier 2021, le blocus est levé et la normalisation des relations est en cours. Les États-Unis restent le principal allié militaire du Qatar, qui abrite la plus grande base militaire américaine au monde, Al Udeid, et contribue à l’opération Inherent Resolve. La puissance de la politique étrangère du Qatar surpasse sa petite taille géographique. Le Qatar est notablement impliqué dans le dialogue inter-afghan, mais aussi en Irak, et son influence s’exprime à travers la chaîne Al-Jazeera.

Le Qatar et la France entretiennent des relations depuis la déclaration d’indépendance du pays en 1971 et l’ouverture croisée de représentations diplomatiques dès l’année suivante. Mais la relation bilatérale s’est surtout développée au début des années 1990, dans le domaine de la sécurité et des hydrocarbures. La volonté qatarienne de diversifier l’économie du pays et de réduire sa dépendance à la rente gazière a permis d’élargir le spectre de nos coopérations à de nombreux domaines : domaine économique, dans le secteur des infrastructures avec le métro de Doha ou dans celui de l’aéronautique, domaine culturel, avec Qatar Museums, et domaine de l’éducation. La visite du Président de la République le 7 décembre 2017 s’est accompagnée de la signature d’accords et de contrats importants en matière d’économie, d’éducation, de défense et de lutte contre le terrorisme. Lors de la visite du ministre Jean-Yves Le Drian à Doha, le 11 février 2019, la France et le Qatar ont signé une déclaration d’intention relative à la mise en place d’un dialogue stratégique, afin de renforcer la relation bilatérale dans tous les domaines et de permettre un suivi technique des principaux projets de notre relation. En mars 2019, la visite du Premier ministre, Édouard Philippe, s’est également inscrite dans cette dynamique de partenariat.

Dans la perspective de la Coupe du monde de football, qui se tiendra du 21 novembre au 18 décembre 2022, les filiales des groupes français d’infrastructures et de services sont très présentes. Nos échanges commerciaux avec le Qatar se sont élevés à 4,5 milliards d’euros en 2019, un montant en hausse de 28 % par rapport à 2018, faisant du Qatar le deuxième client de la France au Proche et Moyen-Orient. Avec 3,2 milliards d’euros d’excédent commercial, l’émirat constitue le cinquième excédent commercial de la France. C’est dire combien le Qatar est un partenaire économique important. À ce jour, plus de 120 implantations françaises sont recensées au Qatar, dont une grande partie des entreprises du CAC 40 et des grands groupes français.

Dans un contexte de tensions croissantes, les enjeux de la région du Golfe arabo-persique sont stratégiques : enjeux énergétiques, présence de nos ressortissants, sécurité et stabilité de la région. La coopération entre la France et le Qatar dans le domaine de l’armement est significative, car le Qatar est l’un des principaux importateurs d’armement français. Entre 2010 et 2019, le montant cumulé des prises de commande auprès des industriels de défense français s’est élevé à 11,05 milliards d’euros, faisant du Qatar le deuxième client de la France sur la même période, derrière l’Inde. Ces dernières années ont été marquées par l’acquisition par le Qatar, d’une part, de trente-six avions Rafale, via un contrat initial de vingt-quatre avions signés en 2015 et un contrat complémentaire de douze avions signé en 2017 – dont les premiers appareils ont été livrés en juin 2019 – et, d’autre part, de vingt-huit hélicoptères NH90 en 2018 – dont les livraisons devraient débuter à la fin de l’année 2021 ou au début de l’année 2022. Comme me l’a indiqué l’ambassadeur de France au Qatar lors de son audition, le programme Rafale satisfait pleinement le Qatar. Vingt-sept des trente-six appareils ont d’ores et déjà été livrés. Trois autres ont été livrés la semaine dernière, à l’occasion de la visite à Bordeaux du ministre de la Défense du Qatar, qui est lui-même pilote de Rafale.

La coopération militaire prend également la forme d’activités de formation au profit des forces armées qatariennes, qui en apprécient l’excellence. Ainsi, environ 230 personnels qatariens ont été formés au pilotage des Rafale à Mont-de-Marsan et environ quarante personnels ont bénéficié d’une formation dans les écoles militaires françaises. La coopération militaire prend également la forme d’exercices conjoints, tel l’exercice quadriennal interarmées conjoint Gulf Falcon, dont la première édition remonte à 2013. Cet exercice vise à renforcer les capacités de commandement et de contrôle de l’armée qatarienne. Le prochain exercice conjoint aura pour thème la sécurisation de la Coupe du monde de football de 2022. Cette coopération devrait se consolider avec la participation qatarienne à des opérations communes, notamment sur le théâtre sahélo-saharien dans le cadre de l’opération Barkhane. En outre, environ vingt-cinq personnels français sont déployés sur la base américaine d’Al Udeid au Qatar, dans le cadre de l’opération Chammal.

Des démarches ont été engagées dès mai 2016 dans le cadre du renforcement de la relation franco-qatarienne en matière d’armement. Cet accord s’inscrit à la suite de deux accords de coopération dont le contenu est classifié. Il fait également référence à un accord relatif à l’échange et à la protection réciproque d’informations classifiées et protégées dans le domaine de la défense, signé le 28 mars 2019 et dont les formalités relatives à son entrée en vigueur sont en cours. Cet accord de type Status of Forces Agreement (SOFA) est le premier accord relatif au statut des forces contenant une clause de juridiction conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles signé avec un État du Golfe. Sur une base réciproque, il offre un cadre juridique protecteur à nos militaires. En l’absence jusqu’alors d’accord relatif au statut des forces, nos personnels étaient soumis aux lois en vigueur au sein de l’État du Qatar, et donc potentiellement exposés à des risques importants, la peine de mort y étant toujours en vigueur. L’accord que nous examinons aujourd’hui se justifie pour les militaires déployés sur la base d’Al Udeid, pour ceux faisant l’objet d’un déploiement permanent en tant que conseillers et pour ceux qui seront déployés pour une durée limitée dans le cadre de la Coupe du monde de football.

L’intervention française dans le cadre de la Coupe du monde de football devrait mobiliser plusieurs dizaines de militaires pour environ un mois et couvrira plusieurs volets. Premièrement, elle s’inscrira dans une politique de conseil et d’assistance aux autorités qatariennes. Deuxièmement, le déploiement de moyens de défense aérienne, qui contribueront à la surveillance aérienne du territoire qatarien, est prévu. Enfin, des systèmes de lutte anti-drone seront également déployés pour protéger les stades. Ces systèmes d’avant-garde permettront également l’expérimentation et la promotion des savoir-faire et des équipements français.

L’objectif est que l’accord entre en vigueur dans des délais permettant aux personnels du ministère des Armées qui seront déployés dans le cadre du soutien de la France au Qatar pour l’organisation de la Coupe du monde d’être juridiquement couverts.

Je n’ignore pas les critiques dont le Qatar fait l’objet. Sur le plan intérieur, j’ai accordé une attention toute particulière lors de mes travaux aux questions du respect des droits humains et du traitement des travailleurs immigrés.

Le Qatar fait régulièrement l’objet de vives critiques dans la presse internationale à propos des conditions de vie et de travail des travailleurs immigrés, notamment sur les chantiers de construction liés à la Coupe du monde de football. Les autorités qatariennes ont pris conscience de la nécessité d’un changement réel du système dit de kafala, qui oblige les travailleurs expatriés à être parrainés par des nationaux. Ce système est décrié par les organisations non-gouvernementales (ONG) et par les médias internationaux pour les atteintes aux droits humains qu’il implique. L’émir a ainsi signé, le 27 octobre 2015, une loi régulant les conditions d’entrée, de sortie et de séjour des expatriés et portant réforme de fait du système de la kafala. Après les annonces du mois d’octobre 2019, les autorités qatariennes ont adopté en août 2020 des mesures majeures : instauration d’un salaire minimum non-discriminatoire de 250 euros et abolition du visa de sortie du territoire et du certificat de non-objection (CNO), qui était auparavant nécessaire aux travailleurs étrangers souhaitant changer d’emploi. Ces décisions démantèlent formellement, pour la première fois dans le Golfe, le système de la kafala.

En outre, le sujet des droits humains fait l’objet d’un suivi très sérieux de la part des autorités qatariennes qui sont particulièrement conscientes des enjeux internationaux de respectabilité et d’image. Le Qatar a ainsi fait le choix de travailler avec l’Organisation internationale du travail (OIT), dont un bureau a été ouvert à Doha en 2018 dans la perspective des chantiers de la Coupe du monde de football. L’accord avec l’OIT a récemment été renouvelé. Si plusieurs médias, notamment The Guardian, ont alerté sur le nombre de travailleurs morts sur les chantiers de construction des stades, il appartient à la Fédération internationale de football association (FIFA) ainsi qu’à l’OIT d’exercer une vigilance quant au respect des droits et à la dignité des travailleurs. L’OIT doit prochainement publier un rapport détaillé sur ce sujet afin d’éclaircir la situation.

Les droits des femmes ont également fait l’objet d’une attention toute particulière. Des progrès notables doivent être soulignés, notamment à l’échelle politique. Le Conseil consultatif est le Parlement monocaméral du Qatar, dont les attributions sont législatives et consultatives. Le 2 octobre 2021, le pays a organisé la première élection nationale au suffrage universel direct de son histoire, renouvelant ainsi les deux tiers de la chambre – le tiers restant étant nommé par l’émir –, et ce processus se veut progressif. Si aucune femme n’a été élue au suffrage universel direct, deux ont été désignées par l’émir, dont la vice-présidente du Conseil. De plus, les ministres chargés de l’éducation et de l’enseignement supérieur d’une part, et des droits et de la famille d’autre part, sont des femmes. En outre, le port du voile n’est pas une obligation pour les citoyennes qatariennes et il n’existe pas de police des mœurs. Parmi les non-citoyens – qui représentent près de 90 % de la population qatarienne – les femmes ne sont pas tenues de le porter. Les femmes ont le droit de vote et le droit de conduire. Ainsi, le conservatisme continue de prévaloir mais les choses sont plus ouvertes que dans d’autres États voisins.

Concernant l’accord, après deux séquences de négociations infructueuses en 2015 et 2016, une troisième session, tenue à Paris en novembre 2017, a permis de converger sur une grande majorité de clauses. La quatrième session de négociations, organisée en avril 2019 à Paris, a permis de parvenir à un accord. Les points les plus âprement négociés portent notamment sur la notion de personne à charge, définie à l’article premier. Les accords sur le statut des forces prévoient en général une définition de la personne à charge assez large pour couvrir tout type de situation : concubin, majeur protégé, etc. Eu égard aux divergences entre les législations française et qatarienne dans ce domaine, cette dernière reconnaissant la polygamie, mais pas le mariage homosexuel ni le concubinage, la définition de compromis retenue dans l’accord avec le Qatar vise seulement « le conjoint d’un membre du personnel, ainsi que ses enfants âgés de moins de vingt et un ans, conformément à la législation respective des parties ». Cette dernière expression, « conformément à la législation respective des parties », permet de ne pas aller à l’encontre de nos principes.

Par ailleurs, dans la mesure où le Qatar n’a pas aboli la peine capitale et où il pourrait pratiquer, en application de la loi en vigueur, des châtiments corporels en punition de certaines infractions, l’accord devait écarter toute possibilité d’application de la peine de mort ou de traitement inhumain ou dégradant, aussi bien pour un Français ayant commis une infraction au Qatar, que pour un Qatarien ayant commis une infraction en France et dont le Qatar demanderait la remise aux autorités françaises. Après échange de plusieurs contre-propositions, la quatrième session de négociations a permis de parvenir à un accord, les autorités qatariennes ayant accepté la proposition française de rédaction de la clause de juridiction conforme aux exigences constitutionnelles et conventionnelles françaises. Ainsi, les alinéas 8 et suivants de l’article 11 de l’accord stipulent qu’en cas d’exercice de sa juridiction sur un membre de notre personnel ou d’une personne à sa charge, les autorités qatariennes s’engagent à ce que la peine de mort ou une peine contraire aux engagements résultant des conventions internationales ne soient ni requises ni prononcées et qu’en cas de prononciation, elles ne soient pas exécutées. Ainsi, si un compromis a été trouvé, en conformité avec la jurisprudence du Conseil d’État, il n’en demeure pas moins qu’en droit, la peine de mort pourra être prononcée, même si elle n’est pas exécutée. Dans les faits, le Qatar a adopté un moratoire officieux sur la peine de mort depuis 2003, avec une seule entorse lors de la condamnation à mort d’un travailleur étranger pour crime de sang en 2020.

Je salue les efforts faits par le ministère des Armées pour trouver une rédaction de compromis, mais je relève que la France n’a pas conclu d’accord d’extradition avec le Qatar. Il m’a été indiqué que la conclusion de tels accords n’est pas dans la pratique avec les États du Golfe et qu’aucune perspective en ce sens n’était à l’ordre du jour. Dans un sens, propre et figuré, je le regrette.

L’accord ne contient pas de dispositions expresses concernant le règlement général pour la protection des données (RGPD), car l’accord n’a pas vocation à permettre la réalisation de transferts de données à caractère personnel entre les deux parties. Néanmoins, il est conforme au RGPD et aucune donnée sensible ne sera transférée au Qatar.

Par ailleurs, les forces de sécurité intérieure françaises, et en particulier la Gendarmerie nationale, seront impliquées dans la protection de la Coupe du monde de football de 2022. Or les gendarmes ne sont pas couverts par le présent accord. La coopération entre la France et le Qatar en matière de sécurité intérieure est ancienne, notamment en matière de planification et de conduite de grands événements. Elle s’appuie historiquement sur le partenariat édifié entre la Gendarmerie nationale et la « force de sécurité intérieure », pivot sécuritaire du Qatar. Dans la continuité des actions conduites par le passé, le ministère de l’Intérieur propose donc une offre de service pour la Coupe du monde de football de 2022, reposant sur le déploiement de 200 experts de haut niveau de la Gendarmerie nationale, de la Police et de la Sécurité civile. L’offre combine, avant l’événement, la conduite d’actions de formation et d’échange de bonnes pratiques et, pendant la compétition, un appui opérationnel aux côtés des forces de sécurité. À l’exclusion du sujet relatif à la lutte anti-drones, qui nécessite une coordination interministérielle avec le ministère des Armées, les missions assignées seront complémentaires entre forces de sécurité intérieure et forces armées, les champs de compétence étant bien définis. Or cet engagement est encadré par deux accords : une déclaration d’intention signée en mars 2019, lors de la visite au Qatar du Premier ministre, et un accord intergouvernemental, signé en marge du salon Milipol de 2021. Ce dernier accord n’a toujours pas été présenté à la Représentation nationale pour approbation. Cela devrait être le cas dans le courant du mois de mai 2022, c’est-à-dire quelques mois avant le début de la Coupe du monde et à un moment où l’Assemblée nationale aura cessé ses travaux. Je regrette que cet accord n’ait pas été soumis au Parlement en même temps que le présent accord, tout comme je regrette qu’il ne couvre pas la Gendarmerie nationale.

Chers collègues, je vous ai présenté tout l’intérêt que représente pour la France la conclusion de cet accord, mais également, en toute transparence, mes interrogations. C’est néanmoins en les ayant parfaitement à l’esprit que je vous invite à émettre un avis favorable à ce projet de loi autorisant l’approbation de l’accord. Comme l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées, ce dernier constitue une référence pour la négociation de futurs accords sur le statut des forces avec d’autres États du Moyen-Orient. Son approbation présente donc un intérêt tant pour le renforcement de la relation franco-qatarie et des relations de la France avec l’ensemble des États du Moyen-Orient que pour les militaires français déployés au Qatar.

Mme Séverine Gipson. Outre les exercices militaires conjoints organisés régulièrement, les liens franco-qatariens devraient notamment se renforcer dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, avec le déploiement possible de personnels et de matériel français. Les événements sportifs sont donc au cœur de la coopération. Qu’en est-il des prochains événements sportifs en France ? Seront-ils l’occasion d’une telle coopération ?

Le groupe La République en marche est favorable à cet accord.

M. Thomas Gassilloud. Les relations entre la France et le Qatar sont anciennes. Un an après son indépendance en 1971, le Qatar a ainsi ouvert une de ses premières ambassades en France et la collaboration, notamment dans le domaine militaire, n’a fait que s’accroître depuis et s’est formalisée par deux accords de défense en 1994 et 1998.

La coopération entre le Qatar et la Turquie se développe. Pour la première fois depuis sa création, l’exercice Aigle d’Anatolie, dont l’édition 2021 vient de se terminer, a impliqué des avions Rafale des forces armées du Qatar. L’Assemblée nationale turque s’est prononcée favorablement pour donner aux avions des forces qatariennes l’accès aux bases turques. La Turquie serait donc potentiellement en mesure de se renseigner sur les capacités du Rafale, ce qui peut inquiéter nos forces, mais également celles de la Grèce. L’accord prévoit-il des dispositions de protection des secrets industriels, et donc de notre souveraineté ?

Vous avez par ailleurs fait part d’interrogations relatives à la situation intérieure au Qatar, sur la peine de mort, les droits des femmes ou sur la situation des travailleurs étrangers. Cette réunion est l’occasion d’aborder la question de notre collaboration avec le Qatar dans nos opérations extérieures. On se souvient ainsi de la participation du Qatar à l’intervention en Libye en 2011 ou aux frappes aériennes de la coalition internationale en Syrie. Toutefois, le Qatar a parfois été mentionné pour son rôle ambigu, concernant notamment des groupes armés au Sahel. Mais il semble que des clarifications aient eu lieu en 2017. Cet accord peut-il contribuer à faire converger durablement nos objectifs en matière d’opérations extérieures ?

M. Yannick Favennec-Bécot. Pourriez-vous revenir sur le rôle et les missions des vingt-cinq personnels français déployés sur la base américaine d’Al Udeid, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme au Levant ?

L’étude d’impact précise que la coopération militaire entre la France et le Qatar devrait se consolider dans la perspective de l’organisation de la Coupe du monde de football de 2022, avec le déploiement possible de personnels et de matériel français sur le territoire qatarien. Avez-vous une idée du nombre de personnels français qui pourraient être envoyés et du type de matériel qui pourrait être utilisé ?

M. Jean Lassalle. Je remercie ma collègue de s’être collée à la présentation de la relation que la France entretient actuellement avec le Qatar. J’ai toute confiance en la commission de la Défense, tant pour l’équité de traitement et l’équilibre de la parole qu’elle pratique que pour les sujets que nous avons eu le courage d’aborder.

Cela dit, je ne peux donner un avis favorable à l’adoption de cet accord, c’est au-dessus de mes forces. Tout ce qui est excessif est dérisoire et je me suis juré de ne pas aller trop loin dans mes propos, mais je ne comprends pas que la France, pays dont le peuple s’est déclaré souverain, qui a écrit la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et qui a tant fait pour le progrès de l’humanité, accepte de signer le moindre accord avec un tel pays. La France a toujours été trompée lorsqu’elle a été à l’encontre de ses sentiments. Aider activement le Qatar à préparer la Coupe du monde de football est une abjuration de nos idéaux et jette un discrédit très grave sur notre pays. Nous risquons de le payer cher sur la scène internationale.

Mme Carole Bureau-Bonnard. Ce rapport nous a éclairés sur les partenariats avec le Qatar dans le domaine militaire ou dans le cadre de l’organisation de la Coupe du monde de football sans faire l’impasse sur les problèmes, notamment relatifs aux droits humains.

Pourriez-vous nous apporter des précisions sur d’éventuels accords dans le domaine de la cybersécurité et de la cyberdéfense ?

Mme Monica Michel-Brassart. La France et le Qatar entretiennent des liens étroits en matière d’éducation. Un campus HEC a ainsi ouvert ses portes au Qatar et une réflexion portant sur l’ouverture d’une antenne de l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) est en cours. Cette réflexion a-t-elle abouti ? Quel serait l’objectif principal d’un tel partenariat ?

Mme Sereine Mauborgne. J’ai visité les structures d’Aérocampus Aquitaine, qui sont un exemple des capacités d’adaptation des entreprises françaises participant aux contrats Rafale. J’ai pu y voir notamment que l’anglais est utilisé comme langue courante, ce qui favorise l’intégration des mécaniciens et des instructeurs. Ces capacités d’adaptation contribuent à la réussite des accords et des exercices multilatéraux.

Je voudrais dire ici toute la reconnaissance que nous pouvons avoir pour l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Cuers-Pierrefeu, qui est en charge de la fabrication, de l’entretien et de la réparation des radômes des Rafale. Les compétences de l’AIA sont rares et précieuses.

Est-il possible d’amender le texte de l’accord ? Le soutien apporté par les gendarmes en matière cyber ne me paraît en effet pas compatible avec le RGPD.

M. Jean-Louis Thiériot. Ce rapport très clair suscite une certaine hésitation.

L’intérêt d’un tel accord pour la France est évident et je suis de ceux qui croient qu’en matière de politique étrangère, comme le disait le général de Gaulle, une nation n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts.

Toutefois, je me suis rendu avec des membres de cette commission en Grèce au mois de juillet, au moment où les Rafale qatariens stationnaient en Turquie en vertu de l’accord évoqué par M. Gassilloud, pour faire face aux Rafale que nous avons vendus à la Grèce.

Il existe donc une véritable ambiguïté, mais nous ne disposons pas de tous les éléments pour pouvoir l’évaluer. Il s’agit du respect des règles de protection du secret de la défense nationale et je n’en fais donc grief à personne.

Le groupe Les Républicains s’abstiendra donc, ne voulant ni nuire aux intérêts de la France ni donner un blanc-seing en ce qui concerne cet accord.

Mme Isabelle Santiago, présidente. Madame Mauborgne, les amendements ne sont pas autorisés lors de l’examen d’un projet de loi de ratification d’une convention internationale.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. L’objectif principal de cet accord est de sécuriser le statut des militaires français déployés au Qatar.

Mme Gipson m’a interrogé sur le type d’actions que nos forces armées pourraient mener dans le cadre de la sécurisation de la Coupe du monde. Il s’agit d’abord d’une action de conseil au sein de la chaîne de commandement, dans le cadre des opérations de surveillance aérienne. Il s’agit également du déploiement d’un dispositif de lutte contre les drones. Pour la France, l’intérêt est également de pouvoir expérimenter ces dispositifs et ces méthodes dans la perspective de la Coupe du monde de rugby, qui se tiendra en France en 2023, et des Jeux olympiques de 2024.

Monsieur Favennec-Bécot, ce sont quelques dizaines de militaires français qui seront envoyés au Qatar pour une durée d’environ un mois. Ils seront répartis en fonction des missions : les conseillers travailleront dans les états-majors, alors que les opérateurs de systèmes de lutte anti-drones seront déployés dans ou à proximité des stades concernés. Leur localisation précise sera définie en accord avec les autorités qatariennes. Les militaires stationnés sur la base d’Al sUdeid le sont dans le cadre de l’opération Chammal, volet français de l’opération interalliée Inherent Resolve, en lien avec la base aérienne projetée (BAP) H5 et les forces françaises stationnées aux Émirats arabes unis (FFEAU).

Monsieur Gassilloud, les relations entre la Turquie et le Qatar doivent être analysées dans le cadre de la rupture des relations entre le Qatar et l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ce qui a entraîné un blocus. Ce blocus exercé sur les voies terrestres et aériennes était très dommageable pour le Qatar, du fait de sa position géographique. Il l’a conduit à rechercher de nouveaux partenariats. Il s’est donc tourné vers la France et vers la Turquie. Toutefois, d’après les informations dont je dispose, même s’il existe une base turque installée au Qatar, les relations entre ces deux pays ne semblent pas très développées. Il s’agit donc davantage d’orientations politiques prises en fonction de la conjoncture. J’ajoute que les informations divulguées dans le cadre du programme Rafale sont protégées par un accord de sécurité.

Je n’ai pas de réponse précise sur le rôle du Qatar au Sahel, mais tous mes interlocuteurs sur ce sujet ont affirmé que le Qatar n’avait pas apporté de soutien financier actif à des groupes terroristes au Sahel, ni joué de rôle en Syrie.

Madame Bureau-Bonnard, il n’existe pas d’accord spécifique dans le domaine de la cybersécurité, mais une coopération existe depuis les années quatre-vingt-dix et elle se poursuivra à l’occasion de la Coupe du monde grâce à un échange d’expériences.

Madame Michel-Brassart, l’accord ne porte pas sur les formations délivrées par Saint-Cyr, mais Saint-Cyr, l’École navale et l’École de l’air et de l’espace forment régulièrement les usagers étrangers de nos matériels militaires.

Madame Mauborgne, j’ai bien noté que vous aviez souligné l’excellence des compétences des industriels français et des formations qu’ils fournissent à des forces armées étrangères. C’est une des raisons pour lesquelles le Rafale est très apprécié par les Qatariens.

Il n’est pas possible d’intégrer à cet accord des dispositions concernant les gendarmes, mais un cadre pour sécuriser leur présence au moment de la Coupe du monde sera défini par un futur accord intergouvernemental. J’ajoute que la coopération prévue dans le domaine cyber militaire n’est pas incompatible avec le RGPD.

Monsieur Lassalle, je regrette de ne pas avoir réussi à vous convaincre. Je rappelle toutefois que l’objectif principal de cet accord est d’assurer la protection des militaires français déployés en sol qatarien. La Coupe du monde de football a été décidée par des instances internationales en 2010. C’est une décision que vous pouvez contester, mais il nous appartient de protéger nos militaires par des accords de type SOFA. Je rappelle qu’il s’agit d’accords portant sur le statut de forces nationales déployées dans un pays étranger afin de les protéger par rapport à la juridiction locale. Imaginez qu’un militaire cause un accident de voiture hors de la base. Il sera soumis à la loi en vigueur dans le pays. En signant de tels accords, nous ne nous déshonorons pas. C’est d’ailleurs une pratique courante : la France en a signé plus de quatre-vingts avec des pays amis en bilatéral et trois en multilatéral.

J’ajoute que cet accord est le premier à être signé avec un État du Golfe. Il permet la nécessaire protection de nos forces, tout en respectant les conventions internationales et constitue donc un progrès.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble du projet de loi.

 


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   Annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission
des affaires ÉtrangÈres

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État du Qatar relatif au statut de leurs forces, signé à Doha le 24 novembre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 4324)

 

 


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  ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnÉes
par le rapporteur

 

        M. Emmanuel Suquet, directeur adjoint Afrique du Nord et Moyen-Orient

        Mme Pauline Bonnet de Paillerets, rédactrice

        Lieutenant-colonel Sébastien Giordano, officier géographique en charge du Moyen-Orient

        Enseigne de vaisseau Romain Couvert, conseiller au pôle rayonnement

        Mme Anne-Sophie Canihac, sous-directrice du droit international et européen

        Mme Audrey Strochlic, chef du bureau du droit international public général

 


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   Annexe n° 3 : Liste des personnes auditionnÉes
par la rapporteure pour avis

         M. l’ambassadeur Jean-Baptiste Faivre

         M. le colonel Jérôme Lurat, attaché de défense

         M. le colonel Luc Dario, chef du département « Afrique du Nord – Moyen Orient »

         Mme Selma Lotfi, chargée de mission « Pays du Golfe »

         M. le colonel Fabrice Chapelle, chef du bureau « Proche et Moyen-Orient » au sein du pôle « Relations internationales militaires »

 

 

 


([1]) Pragmatisme manifesté par le rapprochement des Émirats arabes unis avec la République arabe syrienne (réouverture de l’ambassade à Damas en décembre 2018 et visite du ministre émirati des affaires étrangères dans la capitale syrienne en novembre 2021) et avec la Turquie (visite du prince héritier Mohammed ben Zayed à Ankara le 24 novembre 2021).

([2]) L’Arabie saoudite et les trois autres pays arabes concernés avaient initialement posé treize conditions pour mettre fin au blocus (fermeture d’Al Jazeera, fermeture de la base militaire turque, etc.).

([3]) Avec notamment l’exploitation et la maintenance du métro de Doha.

([4]Qatar Museums est l’organisme chargé de la gestion et du développement des musées qataris : musée d’art islamique, Mathaf (musée arabe d’art moderne), musée national du Qatar, etc.

([5]) En 2020, la France et le Qatar ont organisé une année culturelle croisée, avec une programmation incluant des expositions, des concerts, des débats ou encore des conférences scientifiques dans les deux pays.

([6]) Ministère des Armées, Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, p. 65 et 110.

([7]) Cf. infra.

([8]) L’opération Agénor a pour objet d’apaiser les tensions et de protéger les intérêts économiques européens en garantissant la liberté de circulation dans le Golfe arabo-persique et le détroit d’Ormuz.

([9]) La notion de « procès équitable » renvoie aux garanties prévues par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Conseil de l’Europe, 1950) et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Assemblée générale des Nations unies, 1966).

([10]) Les châtiments corporels ne sont, à la connaissance des autorités françaises, pas appliqués.

([11]) Dans la continuité des actions conduites par le passé (Jeux asiatiques en 2006, championnats du monde de handball en 2015, de cyclisme en 2016, d’athlétisme en 2019, etc.).

([12]) HEC Doha est un campus délocalisé de HEC Paris, inauguré en 2010. Il propose notamment des programmes de MBA et de mastère spécialisé.

([13]) Le Qatar a également participé aux deux éditions de la conférence internationale « No Money For Terror », à Paris les 25 et 26 avril 2018, puis à Melbourne les 7 et 8 novembre 2019.

([14]) Instauré par la résolution 60/51 de l’Assemblée générale des Nations unies du 15 mars 2066, l’Examen périodique universel (EPU) est un processus qui consiste à passer en revue les réalisations de l’ensemble des États membres de l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. Mené sous les auspices du Conseil des droits de l’homme, il fournit à chaque État la possibilité de présenter les mesures qu’il a prises en ce domaine.

([15]) Organisation Internationale du Travail, One is too many, The collection and analysis of data on occupational injuries in Qatar, novembre 2021.