N° 4792

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 décembre 2021.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE :

(N° 4727), DE MME FRANÇOISE DUMAS, M. JEAN-LOUIS THIÉRIOT
ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES,
visant à protéger la base industrielle et technologique de défense
et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne
de la finance durable,
 

PAR M. Jean-Louis THIÉRIOT

Député

 

 

 

 

 

(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

 


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Patrice ANATO, Philippe BENASSAYA, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Julien DIVE, Mmes Coralie DUBOST, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Jean-Marie FIEVET, Alexandre FRESCHI, Mmes Maud GATEL, Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Jean-Claude LECLABART, Mmes Constance Le GRIP, Martine LEGUILLE-BALOY, Nicole Le PEIH, MM.  Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Dominique POTIER, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, M. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT, M. Jean-Louis THIERIOT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. LES contraintes pesant sur le FINANCEMENT DE L’industrie de défense se sont renforcées ces dernières années, tout en restant contenues

A. les caractéristiques de l’industrie de défense compliqueNT structurellement son financement

1. L’influence de l’État sur la vie des entreprises

2. Des cycles industriels particulièrement longs

3. Un manque de liquidité des investissements

B. des difficultés accrues ces dernières années, en particulier pour les pmE

1. Le poids croissant de la conformité et de la « sur-conformité »

2. La plus grande prise en compte de critères extra-financiers pour le choix des financements

a. L’image et le risque de réputation

b. L’importance nouvelle des critères « ESG »

C. des difficultés de financement contenues, malgré des signaux inquiétants venant d’autres pays européens

1. Les difficultés de financement sont pour le moment contenues

2. Des signaux inquiétants en provenance de certains pays européens

II. les projets européens en matière de finance durable : un risque majeur pour la bitd européenne

A. Les projets de l’Union européenne sur la finance durable

1. Le projet de taxonomie européenne

a. Un projet initialement centré sur la dimension environnementale

b. Un projet en voie d’être étendu à la dimension sociale, laquelle est très différente de la dimension environnementale

2. Le projet d’écolabel européen pour les produits financiers de détail

B. des conséquences importantes sur la BITD et sur l’autonomie stratégique européenne

1. L’aggravation des difficultés de financement de la BITD européenne

2. Un risque majeur pour l’autonomie stratégique européenne

III. La proposition de résolution européenne

A. revenir sur la proposition d’exclure l’industrie de défense de l’écolabel européen

B. promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la BITD européenne

C. mettre à profit la pfue pour faire valoir au niveau européen les enjeux d’une bitd européenne forte et durable

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Proposition de résolution européenne initiale

Amendement examiné par la commission

Proposition de résolution européenne


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

À l’été 2000 un cri d’alarme a été poussé sur le financement de l’industrie de défense par les industriels français de l’armement, qui a conduit la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale à lancer une « mission flash » sur ce sujet. Conduite par votre rapporteur et Mme Françoise Ballet-Blu, cette mission a rendu son rapport en février 2021.

Le constat qu’elle a fait était celui d’un financement de plus en plus difficile des entreprises de la BITD française, sur lesquelles les contraintes se sont considérablement accrues ces dernières années, en lien notamment avec les nouvelles exigences de conformité des banques, alors même que la pandémie de COVID-19 les avait, comme les autres, fragilisées.

Or, force est de constater que depuis le rapport de la « mission flash », ces contraintes ont continué à s’aggraver, principalement au niveau européen. En effet, deux projets sont actuellement en cours d’élaboration :

– la taxonomie des activités économiques considérées comme « durables » ;

– l’écolabel européen sur les produits financiers de détail, au bénéfice des seules entreprises considérées comme « durables ».

Ces deux projets, qui visent à identifier les activités économiques et les entreprises considérées comme « durables » sur le plan environnemental et social, sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes pour les entreprises de la BITD européenne. Si celles-ci devaient être exclues de cette taxonomie et/ou de l’écolabel, les contraintes de financement qu’elles subissent d’ores et déjà de la part des banques et des investisseurs s’aggraveraient, menaçant de ce fait l’autonomie stratégique de notre pays et de l’Union européenne, dont la BITD est une composante essentielle.

Face à cette menace, la présente proposition de résolution européenne vise à attirer l’attention du gouvernement français et de la Commission européenne sur la nécessité de mieux prendre en compte, dans les projets européens en cours en matière de développement durable, les spécificités et les enjeux de la BITD européenne, et de favoriser davantage l’investissement dans les entreprises de défense.    


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I.   LES contraintes pesant sur le FINANCEMENT DE L’industrie de défense se sont renforcées ces dernières années, tout en restant contenues

A.   les caractéristiques de l’industrie de défense compliqueNT structurellement son financement

L’industrie de défense est une industrie à part en raison de ses caractéristiques propres, lesquelles sont susceptibles d’effrayer des banques et des investisseurs par ailleurs peu au fait de ses enjeux et de ses pratiques.

1.   L’influence de l’État sur la vie des entreprises

La première caractéristique est celle de l’influence considérable de l’État sur les entreprises de défense française.

En premier lieu, l’activité de celles-ci est fortement encadrée par l’État. L’article L. 2332-1 du code de la défense dispose ainsi que « les entreprises qui se livrent à la fabrication ou au commerce de matériels de guerre [...] ne peuvent fonctionner [...] qu’après autorisation de l’État et sous son contrôle ». Quant à l’article L. 2335-2 du même code, il dispose que « l’exportation sans autorisation préalable de matériels de guerre et matériels assimilés vers des États non-membres de l’Union européenne [...] est prohibée ».

En deuxième lieu, ces entreprises de défense sont largement dépendantes de la commande publique. L’État est en effet leur principal client et ses décisions d’acquisition obéissent à des considérations extra-industrielles ou extra-financières susceptibles d’avoir de lourdes conséquences pour les entreprises concernées. C’est ainsi qu’elles ne sont pas à l’abri d’un revirement politique sur les budgets alloués, qui peuvent conduire l’État à annuler ou à reporter des commandes, ou d’un revirement politique remettant en cause des exportations. C’est ainsi qu’à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’État français a bloqué la livraison à ce pays du porte-hélicoptères Sébastopol.

Enfin, en dernier lieu, l’État est, historiquement, via l’agence de participation de l’État (APE), un actionnaire important, voire dominant des entreprises de défense, en mesure donc d’influencer fortement la gouvernance de celles-ci, au détriment des autres investisseurs.

2.   Des cycles industriels particulièrement longs

La deuxième caractéristique est celle de cycles industriels difficilement compatibles avec l’horizon financier du capital-investissement. Les fonds de capital-investissement ont une durée de vie limitée, 10 à 14 ans en moyenne. Les investissements réalisés doivent donc pouvoir être cédés afin que le véhicule génère du rendement. En moyenne, un actif est conservé entre cinq et sept ans.

Or, les cycles de l’industrie de défense peuvent être particulièrement longs, à la fois pour la recherche et le développement et pour la mise en production. Pour les plus grands programmes d’armement (avions de combat, porte-avions, chars lourds…), en particulier, les délais peuvent dépasser une quinzaine d’années pendant laquelle l’entreprise doit supporter les coûts – avec généralement le soutien de l’État – sans avoir de revenus, ni même la garantie d’en avoir, tant les obstacles sont nombreux avant l’achèvement de tels programmes.

3.   Un manque de liquidité des investissements

Le secteur de la défense, ainsi qu’indiqué supra, fait l’objet d’un encadrement très fort de l’État. Celui-ci affecte également la liquidité de l’investissement dans la mesure où la puissance publique est susceptible d’interdire toute vente d’une entreprise à un investisseur étranger.

En effet, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier fixe des restrictions pour certains secteurs « touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays ». Il est ainsi possible au ministère de l’Économie d’interdire l’opération ou de l’encadrer et, dans tous les cas, le candidat acquéreur a l’obligation de se soumettre à une procédure d’autorisation préalable.

Les différents points de crispation autour de la vente, par le fonds d’investissement Ardian, de la société Photonis sont symptomatiques de la distorsion des intérêts entre certains financeurs et la puissance publique. Pour rappel, le 18 décembre 2020, l’État s’est formellement opposé au rachat de ce producteur de lunettes de vision nocturne par la société américaine Teledyne, cette entreprise étant notamment le fournisseur exclusif de tubes intensificateurs de lumière pour le nouveau programme d'acquisition d'armes de précision de l'armée française

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que l’industrie de Défense ne figure pas parmi les cibles privilégiées des fonds de capital-investissement et que les établissements bancaires soient particulièrement prudents dans leurs relations avec les entreprises du secteur, en particulier les PME.

B.   des difficultés accrues ces dernières années, en particulier pour les pmE

1.   Le poids croissant de la conformité et de la « sur-conformité »

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus communément appelée loi Sapin 2, a doté la France d’un cadre juridique renouvelé en matière de lutte contre la corruption au sens large.

Son article 17 dispose que les dirigeants de toute société « employant au moins cinq cents salariés [...], et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros sont tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence ». Ces dispositions s’appliquent aux banques – ainsi, du reste, qu’aux grands groupes de défense – et par ricochet à leurs clients, y compris les ETI et les PME qui n’en relèveraient pas en tant que telles.

Dans la foulée de la promulgation de la loi Sapin 2, les banques ont renforcé leurs mécanismes internes de prévention de la corruption, afin de s’assurer de la conformité (« compliance ») de leurs procédures et des projets qu’ils financent aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

La conséquence, c’est la complexification des relations entre les banques et les entreprises de défense, en particulier pour les opérations de financement d’exportations de matériels militaires, qui font l’objet de davantage de demandes de précisions qu’auparavant et que dans d’autres secteurs, compte tenu du risque de corruption qu’elles impliquent. Si les grands groupes sont armés pour répondre aux services chargés de la conformité des banques, malgré la charge administrative que ces réponses impliquent, tel n’est cependant pas le cas des PME, dont les projets d’exportation peuvent se voir stoppés net, faute d’être en mesure de satisfaire aux exigences desdits services.

Au poids de la conformité s’ajoute celui de la « sur-conformité », laquelle est directement liée à l’extraterritorialité du droit américain et à ses incertitudes. Les banques françaises sont en effet très implantées à l’international et ont un besoin vital de l’accès au financement en dollar pour leurs activités. Dans ces conditions, elles sont particulièrement attentives à respecter les embargos américains compte tenu de l’ampleur des risques financiers encourus. Pour rappel, BNP Paribas a été contrainte de payer 9 milliards de dollars pour avoir violé des embargos américains, notamment vis-à-vis de l’Iran.

Or, toute la difficulté découle de l’application jugée très incertaine des règles américaines. Différentes banques européennes et extra-européennes ont ainsi subi le revirement de jurisprudence de l’Office of foreign assets control (OFAC) sur la légalité de certaines opérations en dollars présentant des contreparties iraniennes. Ce changement de jurisprudence quant à la légalité de ces opérations a généré un risque d’autant plus important que la jurisprudence de cette institution a eu un effet rétroactif.

Dans ces conditions, avant d’éviter qu’un nouveau revirement de jurisprudence de l’OFAC ne les mette en difficulté à l’avenir, avec les risques et les conséquences financières qui en découleraient pour elles, les banques sont fortement incitées à une vigilance accrue de type « ceinture et bretelles » qui peut apparaître comme une sur-conformité, au détriment en particulier des entreprises de secteurs sensibles comme la défense.

2.   La plus grande prise en compte de critères extra-financiers pour le choix des financements

a.   L’image et le risque de réputation

Si les ONG ont, ces dernières années, principalement ciblé les investissements dommageables à l’environnement et à la lutte contre le changement climatique, tel que les énergies fossiles, les entreprises de défense sont désormais elles aussi de plus en plus contestées sur le plan éthique.

C’est en particulier le cas pour leurs activités d’exportations, d’autant que parmi les grands clients traditionnels de la BITD se trouvent plusieurs pays en guerre. Les controverses autour de l’emploi d’armements français au Yémen ont ainsi constitué un tournant, et la pression exercée par certaines ONG contribue à créer un « buzz » négatif autour du financement des exportations d’armements. Amnesty international a notamment publié deux rapports mettant en cause les exportations françaises vers l’Égypte, sujet ayant suscité une nouvelle mobilisation de la société civile à l’occasion de la récente visite en France du Président al-Sissi.

Pour plusieurs acteurs du secteur, auditionnés dans le cadre de la « mission flash » précitée, il ne fait guère de doute que la conformité est mise en avant par certains acteurs bancaires pour masquer le poids de la prise en compte du risque de réputation.

Une étape supplémentaire a été récemment franchie dans la mise au ban des entreprises de défense avec la décision très récente du plus grand fonds de pension privé norvégien, KLP, de se désengager de certaines entreprises au motif de leur collaboration directe ou indirecte à la fabrication d'armes servant à porter des bombes atomiques (missiles, sous-marins, avions de combat…). Dassault Systems et Thales figurent dans la liste. Cette décision est d’ailleurs dans la droite ligne de la décision du plus grand fonds de pension du monde, le fonds souverain norvégien, de placer sur sa liste noire le bureau d’études américain AEcom, impliqué dans la construction d’armes nucléaires. Après le financement bancaire, c’est l’investissement en capital dans les entreprises de défense qui est sur la sellette.

b.   L’importance nouvelle des critères « ESG »

C’est un fait désormais avéré que les stratégies d’investissement des institutions financières (banques, fonds d’investissement, fonds de pension, compagnies d’assurance…) sont de plus en plus attentives à privilégier les entreprises et les secteurs les plus « vertueux » au regard des critères dits ESG : environnementaux, sociaux et de gouvernance.

C’est ainsi que le plus grand fonds de pension du monde – le fonds souverain norvégien – s’est désengagé du secteur de charbon, tout plaçant sur sa liste noire d’une série d’entreprises accusées de porter une atteinte grave à l’environnement ou de violer les droits de l’homme ou les droits des travailleurs.

Outre la prise en compte des préoccupations de leurs clients et des investisseurs, les institutions financières ajustent également leur stratégie aux orientations politiques fixées par les autorités publiques. Or, en France comme ailleurs, l’heure est à la bascule vers les financements « verts » ou socialement responsables. La création du label « ISR » est ainsi le fait du Gouvernement, dont l’objectif était de favoriser le développement des investissements socialement responsables.

De telles initiatives, publiques et privées, vont naturellement dans le bon sens tant le changement climatique, la dégradation de notre environnement et les violations des droits fondamentaux appellent une réponse forte et rapide de la part de l’ensemble des parties prenantes.

Toutefois, elles ne sont pas sans effet sur les entreprises de défense. En effet, dans les choix d’allocation des ressources des institutions financières, l’investissement dans les entreprises de défense n’étant pas encouragé, il est de facto défavorisé par rapport à d’autres qui apparaissent plus « vertueux »

C.   des difficultés de financement contenues, malgré des signaux inquiétants venant d’autres pays européens

1.   Les difficultés de financement sont pour le moment contenues

Bien que plusieurs cas de « frilosité bancaire », allant jusqu’au refus d’ouverture d’un compte courant, impliquant généralement des PME, aient été remontés à la « mission flash » précitée, les difficultés de financement du secteur de la défense restent pour le moment contenues. Trois facteurs expliquent cette situation.

En premier lieu, le secteur de la défense bénéficie de la robustesse des grands groupes qui le composent. Ceux-ci disposent d’importantes ressources en fonds propres, leur offrant de fortes capacités d’autofinancement. Malgré les effets de la crise sanitaire, plusieurs d’entre eux, notamment Airbus et Thales, ont été en mesure de lever des fonds sur les marchés obligataires, lesquelles levées témoignent de l’intérêt persistant des investisseurs pour les plus grands acteurs de la BITD, y compris ceux fortement exposés à un secteur aérien civil en grandes difficultés.

Bien que la robustesse des grands groupes ne rejaillisse pas forcément sur leur chaîne de fournisseurs, ceux-ci sont attentifs à la pérennité de celle-ci. Les PME ou ETI ayant rencontré des difficultés ont parfois pu compter sur le soutien de leurs principaux clients, intervenant en tant que médiateur.

Les différents plans du ministère des Armées en faveur des PME – Pacte Défense PME ou, plus récemment, le plan Action PME – ont par ailleurs favorisé l’élaboration de chartes entre les donneurs d’ordres et leurs fournisseurs, afin de veiller à ce que les grands groupes titulaires des marchés de défense soient exemplaires dans leurs relations contractuelles avec les PME.

En deuxième lieu, le soutien de l’État à la BITD n’a jamais fait défaut. Non seulement les crédits inscrits en loi de finances augmentent chaque année depuis 2017 – et à nouveau dans la LFI pour 2022 – mais l’État a pris plusieurs initiatives en faveur des entreprises de défense :

– la simplification de l’accès aux mécanismes publics de soutien à l’innovation, notamment la mise en place d’un guichet unique pour les PME et les start-ups, sous l’égide de l’Agence de l’innovation de défense ;

– la création, par l’État, de ses propres véhicules d’investissement en capital, afin de remédier en partie aux lacunes de la chaîne française du capital-investissement vis-à-vis du secteur de la défense. C’est le cas notamment du fonds Definvest, géré par BPI France et doté de 100 millions d’euros, dont l’objet est de prendre des participations minoritaires dans des entreprises jugées critiques ou innovantes.

Enfin, en dernier lieu, si les banques françaises ont reconnu des difficultés de financement pour quelques entreprises et la contrainte que peuvent représenter les exigences de conformité, notamment pour les PME, elles ont souligné devant la « mission flash » précitée que l’industrie de défense ne faisait pas, dans son ensemble, l’objet d’une exclusion, ce qu’a confirmé la Direction générale du Trésor, affirmant même soutenir la défense dans des proportions bien plus importantes que leurs homologues européennes

2.   Des signaux inquiétants en provenance de certains pays européens

Au contraire des banques françaises, certains établissements européens, comme ING aux Pays-Bas, se montrent bien plus discriminants. Cette banque, en particulier, n’accepte de financer une entreprise intervenant dans le domaine de la défense que si celui-ci représente moins de 50 % de son chiffre d’affaires.

De même, si le label français ISR n’est pas fondé sur une approche sectorielle, il n’en va pas de même de certains labels européens. Ainsi le label belge Towards Sustainability, qui connaît une croissance rapide et représente
580 fonds et 390 milliards d’encours à l’été 2021 – excluait dès l’origine les entreprises dont plus de 10 % du chiffre d’affaires provenait de la production d’armes ou de composants liés, proportion abaissée à 5 % dans la révision entrant en vigueur au 1er janvier 2022.

En Allemagne aussi, la tendance observée n’est pas des plus rassurantes. Les représentants du Bundesverband der Deutschen Sicherheits-und Verteidigungsindustrie (BDSV), le groupement des industries allemandes de sécurité et défense, ont à nouveau fait part à votre rapporteur, lors de leur audition, de la grande difficulté des entreprises de défense allemandes pour accéder à des financements, soit que les banques leur refusent des garanties ou rompent les relations d’affaires, soit que des fonds d’investissement excluent explicitement tout investissement dans des entreprises de défense.

II.   les projets européens en matière de finance durable : un risque majeur pour la bitd européenne

A.   Les projets de l’Union européenne sur la finance durable

Le 25 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté un nouveau cadre de développement durable pour le monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030. Celui-ci s’articule autour d’objectifs de développement durable (ODD) traduisant les trois dimensions de la durabilité : économique, sociale et environnementale. Dans sa communication du 22 novembre 2016 intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable », la Commission fait le lien entre les ODD et le cadre d’action de l’Union, de sorte que toutes ses actions et initiatives stratégiques intègrent dès le départ les ODD. 

Toutefois, en lien avec l’urgence climatique et les engagements pris par l’Union européenne dans le cadre de l’Accord de Paris, c’est la dimension environnementale du développement durable qui a fait l’objet des initiatives les plus fortes. Le 12 décembre 2019, précisant les ambitions du « Green Deal » de la Commission européenne, le Conseil européen a fixé comme objectif à l’Europe de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050, avec une étape intermédiaire en 2030 (réduction de 55 % des émissions de CO2 par rapport à 1990).

Afin de parvenir à cet objectif, de nombreuses initiatives législatives ont été prises, parmi lesquelles le règlement n° 2020/852 du 18 juin 2020 visant à réorienter l’investissement privé vers des activités économiques « durables ».

1.   Le projet de taxonomie européenne

a.   Un projet initialement centré sur la dimension environnementale

Ce règlement vise avant tout à définir ce qu’est une activité économique durable sur le plan environnemental. C’est le cas lorsqu’elle contribue substantiellement à :

– l’atténuation du changement climatique ;

– l’adaptation au changement climatique ;

– l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ;

– la transition vers une économie circulaire ;

– la prévention et la réduction de la pollution ;

– la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Toutefois, ces objectifs généraux sont insuffisamment précis pour permettre une classification fine des activités économiques.

Le règlement charge donc la Commission européenne d’établir, par la voie d’actes délégués, une taxonomie des activités économiques afin d’identifier, sur la base de critères d’examen techniques qu’elle définira, lesquelles peuvent être considérées comme « durables ». Une « plateforme sur la finance durable », créée par le même règlement, a pour mission de la conseiller dans l’élaboration desdits critères.

Un premier acte délégué a été rendu public le 4 juin 2021 fixant les critères d’examen techniques permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci. Le secteur de la défense n’est pas dans la liste des activités figurant en annexe,

Une telle absence n’est toutefois pas surprenante compte tenu de l’objet de cet acte délégué. Par la nature même de leurs activités, il est difficile de soutenir que les entreprises de défense, même si elles sont engagées dans une démarche ESG, peuvent contribuer substantiellement à l’atténuation au changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci, ce qui ne présume en rien de leur contribution aux autres dimensions – toutes aussi importantes – du développement durable. L’absence n’a donc pas à être sur-interprétée et, d’après les informations transmises à votre rapporteur, elle ne révèle pas de tensions entre les États-membres, à l’inverse de celle, hautement significative, de la production d’électricité d’origine nucléaire, renvoyée à un autre acte délégué.

b.   Un projet en voie d’être étendu à la dimension sociale, laquelle est très différente de la dimension environnementale 

Toutefois, si ce règlement est aujourd’hui centré sur la dimension environnementale du développement durable, il porte en lui la possibilité d’une extension vers les autres dimensions. En effet, son article 26 dispose qu’ « au plus tard le 31 décembre 2021, la Commission publie un rapport décrivant les dispositions qui seraient nécessaires pour étendre le champ d’application du présent règlement au-delà des activités économiques durables sur le plan environnemental et décrivant les dispositions qui seraient nécessaires pour couvrir […] d’autres objectifs de durabilité, tels que des objectifs sociaux ».

C’est sur cette extension que travaille l’un des sous-groupes de la plateforme sur la finance durable précitée, qui a publié le 12 juillet 2021 son rapport sur la taxonomie sociale.

La taxonomie sociale obéit à une logique différente de la taxonomie environnementale. En effet, cette dernière repose sur une classification sectorielle : sur la base de critères prédéfinis directement liés à l’activité économique concernée, elle analyse si telle ou telle activité économique permet d’atteindre l’un des six objectifs environnementaux précités, auquel cas elle sera qualifiée de durable. Comme le montre l’acte délégué du 4 juin 2021, il y a donc autant de critères environnementaux qu’il y a de secteurs économiques.

À l’inverse, la taxonomie sociale repose sur deux dimensions explicitées par le rapport précité :

– ce qu’il appelle la dimension horizontale : le respect des normes et principes tels qu’ils sont définis dans divers instruments internationaux tels que la déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions fondamentales de l’OIT, les principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, la charte sociale européenne etc…

– ce qu’il appelle la dimension verticale : la fourniture de biens et services qui contribuent à améliorer le niveau de vie : l’eau et son traitement, la santé, l’accès à Internet, les transports etc

Par conséquent, la taxonomie sociale double le critère de l’activité économique qui, en elle-même, peut être durable, d’un critère lié au comportement particulier de l’entreprise qui peut être ou pas durable. Ainsi, une entreprise de traitement de l’eau ne sera pas considérée comme durable si elle ne respecte pas les droits syndicaux de ses employés, ou si elle n’a pas pris de mesures contre la corruption ou les discriminations, si elle détruit les communautés indigènes etc

En d’autres termes, s’agissant de la dimension sociale du développement durable, il n’est pas possible, comme pour la dimension environnementale, de raisonner uniquement en termes d’activité économique et d’ignorer le comportement particulier de l’entreprise.

Il y a toutefois un point sur lequel la taxonomie sociale rejoint la taxonomie environnementale. Cette dernière considère qu’il y a des activités économiques qui, en tant que telles, ne peuvent être durables. C’est le cas de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles solides, c’est-à-dire du charbon qui, quels que soient les efforts fournis par les entreprises concernées, ne pourra jamais être compatible avec l’Accord de Paris. Le rapport du sous-groupe précité suit le même raisonnement et considère qu’une activité peut être par nature « significativement nuisible » dans deux cas :

– lorsque ses effets préjudiciables ont été scientifiquement prouvés ;

– lorsqu’elle est prohibée par des conventions internationales

Si le premier cas vise l’industrie du tabac, le deuxième cas est illustré dans le rapport par le secteur de l’armement et la prohibition, par les conventions internationales, de certains types d’armes. Une entreprise qui produirait des mines antipersonnel, lesquelles sont prohibées par la convention d’Ottawa, ne serait jamais, en aucune circonstance, considérée comme durable. Si une telle exclusion ne semble pas contestable par votre rapporteur, le risque est qu’elle soit par la suite subrepticement étendue à l’ensemble de la production d’armement, ce qui est le cas pour l’écolabel européen pour les produits financiers de détail.

2.   Le projet d’écolabel européen pour les produits financiers de détail

Parallèlement à l’élaboration de la taxonomie européenne des activités durables, qui est encore dans une phase préparatoire, la Commission européenne travaille actuellement à la création d’un écolabel européen pour les produits financiers de détail. Bien que taxonomie et écolabel obéissent à la même logique qui est d’orienter les investissements vers des activités et des entreprises considérées comme durables selon les critères qu’ils définissent, leurs différences sont nombreuses en termes de :

– base légale : l’écolabel européen relève du règlement n° 66/2010 du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE ;

– procédure : elle repose sur une série de rapports techniques conclus par un rapport final incluant les propositions de critères. Ce rapport est transmis au comité de l’Union européenne pour le label écologique (CUELE), composé notamment de représentants des Etats-membres, puis à la Commission européenne. Une fois validé, il est soumis à consultation du public. Deux mois plus tard et sous réserve d’éventuelles modifications, l’écolabel est adopté par une décision de la Commission européenne ;

– calendrier : le quatrième et dernier rapport technique a été examiné par le CUELE en mars dernier. La procédure est donc entrée dans sa dernière ligne droite, avec un rapport final qui sera publié dans les prochaines semaines.

Toutefois, malgré ces différences, le lien entre les deux est très étroit. En effet, pour des raisons évidentes de cohérence, l’écolabel européen s’appuiera sur la taxonomie des activités économiques considérées comme durables. Il serait en effet incompréhensible qu’une activité soit considérée comme telle dans la taxonomie et pas dans l’écolabel, et inversement. La Commission européenne, décisionnaire dans ces deux projets très sensibles, y veillera, sous le regard attentif des Etats-membres et des industries concernées.

Toutefois, pour logique que soit cet alignement, il pourrait ne pas être parfait, pour des raisons tenant au décalage de calendrier entre l’élaboration de la taxonomie sociale et celle de l’écolabel. En effet, l’écolabel européen pour les produits financiers de détail pourrait être adopté formellement dans les prochains mois alors que les travaux sur la taxonomie sociale n’aboutiront pas avant, probablement, plusieurs années. Dans ces conditions, l’écolabel européen est en mesure, pour ses critères autres qu’environnementaux, de définir son propre standard, lequel peut aller au-delà des normes communément admises en matière de durabilité sociale. L’organisme en charge de son élaboration le reconnaît lui-même dans son dernier rapport technique, lequel « suggère des exclusions sociales au-delà de celles de la taxonomie européenne, qui se borne à définir des garanties sociales minimales. […] En agissant de la sorte, l’écolabel européen agirait comme un label d’excellence et apporterait une protection contre les impacts sociaux négatifs et les effets indésirables ».

L’élaboration de l’écolabel repose en effet sur un travail technique réalisé par un organisme dépendant de la Commission européenne : le centre de recherche commun de l’Union européenne (CRC), agissant pour le compte de la DG de l’environnement et de la DG pour la stabilité financière, les services financiers et les marchés de capitaux. Concrètement, les travaux qu’il mène prennent la forme d’un rapport technique, sur la base duquel une consultation des différentes parties prenantes, incluant celle des gouvernements, est organisée, ouvrant la voie à un deuxième rapport technique prenant en compte leurs observations et ainsi de suite. Le quatrième et dernier rapport technique a été publié en mars 2021.

Ce quatrième rapport se caractérise par un durcissement considérable du critère social depuis le troisième rapport technique, en particulier pour les entreprises de défense. En effet, le troisième rapport technique proposait d’exclure, sur la base du critère social, deux types d’entreprises :

– les entreprises dont le chiffre d’affaires provient « de la production ou du commerce d’armes controversées qui relèvent des traités internationaux suivants : convention sur les armes chimiques, convention sur les armes biologiques, convention d’Ottawa (interdisant les mines antipersonnel), convention d’Oslo (interdisant les armes à sous-munitions) et traité de non-prolifération des armes nucléaires » ;

– les entreprises dont les chiffres d’affaires proviennent « de la production ou du commerce des armes ou de produits militaires utilisés pour le combat lorsqu’il y a des preuves de leur vente à des pays faisant l’objet de mesures restrictives de la part de l’Union européenne ».

Par conséquent, l’exclusion auparavant proposée, très encadrée et ciblée sur le respect du droit international et européen, n’aurait affecté qu’une part très limitée des entreprises de défense européenne.

Tout autre est le critère issu du 4e rapport technique. Celui-ci propose désormais d’exclure du futur écolabel européen les entreprises dont le chiffre d’affaires provient de la production ou du commerce d’armes controversées relevant des conventions précitées mais également et surtout toute entreprise dont « plus de 5 % du chiffre d’affaires provient de la production ou de la vente d’armes conventionnelles et/ou d’équipements militaires utilisés pour le combat ». C’est donc désormais la totalité des entreprises de défense qui seraient exclues du futur écolabel européen car ne respectant pas le critère « social » ainsi défini.

La justification donnée à un tel durcissement est pour le moins succincte : « la rigueur de ce seuil [de 5 %] a été définie conformément aux autres labels nationaux ». La référence à l’écolabel belge est transparente mais la justification un peu courte. En réalité, il faut considérer que, pour les auteurs de ce rapport, l’activité de production d’armes est considérée par elle-même et en toutes circonstances comme socialement nuisible, reprenant sans filtre la position des ONG les plus opposées à l’industrie de défense.

B.   des conséquences importantes sur la BITD et sur l’autonomie stratégique européenne

1.   L’aggravation des difficultés de financement de la BITD européenne

Dans l’hypothèse où le futur écolabel applicable aux produits financiers de détail exclurait les entreprises réalisant plus de 5 % de leur chiffre d’affaires dans la vente ou le commerce des armes et/ou des équipements militaires utilisés au combat, tel que le propose le rapport technique précité, les difficultés de financement de la BITD seraient forcément aggravées, directement et indirectement.

En préalable, il convient de souligner que les produits financiers visés sont très nombreux : actions, obligations, fonds mixtes mêlant actions et obligations, produits d’assurances, incluant les fonds multi-supports de l’assurance-vie… Par conséquent :

– les actions des entreprises de défense seraient délaissées par les investisseurs en capital, rendant plus difficile pour elles de se financer via des prises de participation ou des augmentations de capital ;

– le placement de la dette des entreprises de défense sur le marché obligataire serait plus difficile. La demande étant moins forte, le taux d’intérêt servi devrait nécessairement être plus élevé, sans garantie de succès mais renchérissant dans tous les cas le coût du financement ;

Dans ces conditions, il restera aux entreprises de défense la possibilité de se tourner vers les banques pour obtenir des financements sans passer par le marché. Toutefois, elles risquent de se heurter à nouveau aux pratiques déjà évoquées de sur-conformité et, surtout, à une réticence accrue des banques au regard du risque de réputation désormais attaché à l’industrie de défense. En effet, les établissements bancaires sont eux aussi engagés dans une démarche de finance durable et portent une attention grandissante à ne financer que des activités elles-mêmes durables. Or, il est plus que probable que les entreprises de défense n’ayant pas ce label, les banques rechignent plus encore qu’aujourd’hui à financer leurs activités, qu’il s’agisse de leur développement ou de leurs exportations, afin de ne pas nuire à leur image, voire à leur propre labellisation, si celle-ci devait être mise en place.

De plus, l’État étant lui-même engagé une démarche de développement durable transformant l’ensemble de l’action publique, il est probable qu’il lui sera de plus en plus difficile de justifier le soutien financier à des activités qui ne sont pas elles-mêmes considérées comme durables.

Enfin, il est évident qu’un écolabel européen excluant les entreprises de défense, s’ajoutant à des écolabels nationaux comportant la même exclusion, influencerait défavorablement les travaux en cours sur la taxonomie sociale des activités économiques.

2.   Un risque majeur pour l’autonomie stratégique européenne

Un BITD européenne faisant face à des difficultés de financement, à la fois en capital et en crédit, pour ses activités de développement et ses activités d’exportation, c’est évidemment une BITD affaiblie, affaiblissement lourd de conséquence pour l’autonomie stratégique européenne.

Si les investisseurs se détournent des actions cotées des entreprises de défense européenne, le cours de celles-ci baissera, diminuant leur capitalisation et faisant d’elles des cibles plus faciles pour leurs concurrentes étrangères, en particulier américaines. Le passage sous pavillon américain des fleurons européens viderait de sa substance l’ambition européenne de l’autonomie stratégique, tour en compliquant la mise en œuvre d’initiatives majeures telles que le Fonds européen de défense.

Pour les entreprises qui ne sont pas cotées, notamment les start-ups, les PME et les ETI, il est évident qu’attirant moins les fonds de capital-risque, elles auraient moins de moyens pour se développer. Or, ces entreprises sont les fers de lance de l’innovation et sans elles, sans les projets audacieux qu’elles portent, c’est la capacité d’innovation de la BITD européenne qui serait amoindrie et, avec elle, la place de l’Union européenne dans la course pour la maîtrise des nouvelles technologies à la base des armements de demain.   

Enfin, si les entreprises européennes de défense ne pouvaient plus passer se financer via l’émission d’obligations, c’est le financement des grands projets, pour lesquels des centaines de millions d’euros sont nécessaires, qui pourraient être remis en cause, d’autant que les États européens, de plus en plus endettés, n’auront pas forcément les moyens de pallier leurs difficultés de financement. Moins de grands projets fragiliserait l’ensemble de la BITD, des plus grands groupes jusqu’aux plus petits fournisseurs. L’alternative d’un financement bancaire apparaît, quant à elle, incertaine pour les raisons évoquées supra.

III.   La proposition de résolution européenne

A.   revenir sur la proposition d’exclure l’industrie de défense de l’écolabel européen

Les conséquences d’un écolabel européen sur les produits financiers de détail qui exclurait les entreprises européennes de défense aurait un tel impact sur les conditions de financement de celles-ci et sur l’ambition d’une autonomie stratégique européenne qu’il apparaît nécessaire de revenir sur la proposition faite dans le 4e rapport technique du centre de recherche commun de l’Union européenne. En outre, un tel retour aurait le mérite de la cohérence. Comment, en effet, défendre, comme la présidente de la Commission européenne, l’autonomie stratégique de l’Union européenne et, dans le même temps, soutenir l’adoption de mesures qui affaiblissent une composante essentielle de celle-ci ?

En effet, une telle sévérité à l’égard de ces entreprises n’est guère expliquée par les auteurs du rapport technique autrement que par un copier-coller de certains labels nationaux. C’est un peu court et fait fi de l’engagement considérable des groupes européens de défense en faveur du développement durable dans toutes ses dimensions, couronnés le cas échéant par l’octroi des certifications internationales les plus exigeantes :

– environnement : certification ISO 14001 (Naval Group, Nexter), réduction et recyclage des déchets, Stratégie pour un Futur Bas-Carbone (Thales)… ;

– gouvernance : certification ISO 37001 du système de management anticorruption (Thales, Naval Group), part de la rémunération des membres du comité exécutif assise sur les objectifs RSE, code de conduite (MBDA, Airbus)… ;

– social : promotion de la diversité et de l’égalité homme/femme, accessibilité aux handicapés, lutte contre les discriminations, certification ISO 9001 (Naval Group)….

En d’autres termes, les exigences du développement durable guident d’ores et déjà l’action des grands groupes européens de défense, lesquels les répercutent sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Non seulement leurs pratiques internes ont évolué dans le bon sens, mais leur activité industrielle elle-même prend en compte les enjeux du développement durable et, en particulier, les enjeux environnementaux. Ceux-ci sont désormais intégrés dans la conception même des produits (réduction des consommations d’énergie et des émissions de CO2 des produits en phase d’usage, recours à des ressources durables pour la conception et la fabrication des produits, optimisation de la gestion de la fin de vie) afin de limiter l’impact de leur production et de leur utilisation sur l’environnement.

Certes, il n’est pas dans l’intention de votre rapporteur de « repeindre en vert les missiles », pour reprendre l’image parfois utilisée par les ONG. L’industrie de défense ne sera jamais, comme l’industrie de l’énergie ou les transports, au cœur de la lutte contre le réchauffement climatique. Il attire simplement l’attention sur le fait que la proposition du CRC d’exclure les entreprises de défense de l’écolabel européen ne repose pas sur une analyse du caractère durable ou non de leur activité ou de leurs pratiques, mais sur un jugement moral, qui considère l’industrie de défense est aussi nuisible, en tant que telle, pour l’être humain et la société dans son ensemble, que l’industrie du tabac, ou encore que l’entreprise qui produit des gilets pare-balles ou des radars « utilisés au combat » doit être traitée de la même manière que celle qui fabrique des mines antipersonnel ou fournit des armes à des pays sous embargo international. 

Un tel simplisme dans l’analyse de l’industrie de défense, qui la réduit à une « industrie de la mort », sans nuance et sans tenir aucun compte de ses autres dimensions, pourtant essentielles, laisse pantois.

C’est pourquoi la proposition de résolution européenne demande, avant tout, à la Commission européenne de revenir sur la proposition du 4e rapport technique du centre commun de recherche, au profit de la proposition issue du 3e rapport technique, bien plus équilibrée et pertinente puisqu’elle n’exclurait de l’écolabel européen que les seules entreprises tirant leur revenu de la fabrication ou de la vente d’armes prohibées par les conventions internationales ou de la vente d’armes conventionnelles aux pays faisant l’objet de sanctions européennes. Pour le reste, il appartiendrait aux entreprises de défense de faire la preuve, comme les autres, de leur engagement dans toutes les dimensions de la durabilité sociale pour, le cas échéant, pouvoir bénéficier de l’écolabel.

B.   promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la BITD européenne

Cet a priori moral, qui met à l’index l’industrie de défense au même titre que l’industrie du tabac, ignore totalement les spécificités de celles-ci et ce qu’elle apporte aux États, aux peuples européens et au développement durable luimême.

Il est vrai que les armes peuvent tuer mais la BITD, dans l’Union européenne, n’a pas vocation à être au service d’une politique d’agression. Celle-ci et ses membres promeuvent la paix à l’intérieur comme à l’extérieur. Bien au contraire, composante essentielle de la souveraineté des États, elle leur donne les moyens de défendre, en toute autonomie, leurs intérêts sur la scène internationale, là même où ils sont menacés par l’agressivité d’autres États.

En poussant plus loin le raisonnement, non seulement la BITD donne à l’Union européenne les moyens de défendre ses intérêts mais également de protéger ses valeurs, partout où celles-ci sont menacées. En d’autres termes, sans entreprises de défense à même de lui fournir les moyens militaires nécessaires, y compris létaux, l’Europe ne sera pas en mesurer d’intervenir pour, par exemple, sauver une population victime d’une épuration ethnique ou d’un génocide et, d’une manière générale, garantir le respect des droits humains. Bien sûr, il lui serait toujours possible de se fournir « sur étagère » auprès d’entreprises étrangères ; toutefois, si de tels équipements sont à l’évidence utiles et nécessaires, pourquoi se priver, sinon par idéologie, de la possibilité de financer dans les meilleures conditions leur production sur le territoire européen ? 

Enfin, au terme de ce raisonnement, votre rapporteur en revient à l’objet de la PPRE : le développement durable. Pour se développer, une société et, en son sein, ses acteurs économiques, ont besoin d’un environnement stable, dans lequel la sécurité des biens et des personnes ainsi que les besoins essentiels de celles-ci sont assurés. Sans stabilité, sans sécurité, aucun développement n’est jamais possible, comme le montre malheureusement la situation de bien des régions du monde. Fournir les moyens de cette sécurité, dans un cadre régulé comme celui de la défense, c’est contribuer au bien-être durable d’une société. 

Dans ces conditions, le moins serait la BITD ne soit pas défavorisée par rapport aux autres secteurs économiques pour des raisons essentiellement morales. Bien plus, il serait tout à fait pertinent que les entreprises de défense puissent bénéficier, comme votre rapporteur l’a proposé dans la mission « flash » précitée, d’un label dédié aux industries de souveraineté, intégré le cas échéant dans le référentiel ISR permettant d’attirer les investisseurs souhaitant soutenir l’indépendance nationale et l’autonomie stratégique européenne.

C.   mettre à profit la pfue pour faire valoir au niveau européen les enjeux d’une bitd européenne forte et durable

Au 1er semestre 2022, la France va exercer, pour six mois, la présidence tournante du Conseil des ministres de l’Union européenne. Cette fonction n’est pas qu’honorifique. Elle donnera à notre pays, par la maîtrise de l’agenda européen qu’elle apporte, la possibilité de promouvoir les thèmes qui lui sont essentiels mais également un rôle central dans la négociation des compromis nécessaires pour faire avancer les différents dossiers en cours et, le cas échéant, les orienter.

C’est pourquoi cette présidence française de l’Union européenne peut et doit être mise à profit pour faire valoir les enjeux d’une BITDE européenne forte et durable, au service de l’ambition d’une autonomie stratégique qui soit plus qu’un slogan. Plus précisément, il appartient à la France :

– de clôturer les travaux sur la Boussole stratégique, en veillant à ce que celle-ci mette en avant la nécessité de maintenir sur le sol européen une BITD compétitive et innovante, capable d’investir dans les nouvelles technologies et de réduire la dépendance de l’Union européenne ;

– de mettre les enjeux de la BITD à l’ordre du jour des différentes réunions, sommets et conférences qui jalonneront la présidence, afin d’en faire prendre conscience et les institutions européennes, et les États-membres ;

– de peser sur les travaux en cours en matière d’écolabel européen et de taxonomie sociale européenne, afin que ceux-ci prennent en compte la contribution de la BITD au développement durable, développement durable qui serait compromis si l’Union européenne n’était pas capable d’assurer elle-même sa sécurité et de défendre ses intérêts et valeurs dans le monde.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission s’est réunion le mercredi 8 décembre 2021, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner la présente proposition de résolution.

 

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Je suis très heureux de prendre la parole, pour la première fois, devant la commission des affaires européennes.

Cette proposition de résolution européenne est singulière, car elle est cosignée par de nombreux parlementaires de la majorité, du groupe UDI et indépendants et de celui des Républicains. Françoise Dumas, à qui j’ai proposé que l’on travaille ensemble sur cette question, a considéré, comme moi, que le sujet de la base industrielle et technologique de défense (BITD) présentait un intérêt national et européen, qui justifiait d’y réfléchir sans parti pris partisan, main dans la main avec les autres députés. En effet, la BITD n’est pas seulement une composante essentielle de l’autonomie stratégique européenne ; elle occupe une place particulière dans notre pays. Dans une France marquée par une forte désindustrialisation, l’industrie de défense représente un acteur économique majeur : 4 000 entreprises emploient 200 000 salariés et permettent de financer à un coût raisonnable, grâce à un modèle mixte de production destinée à la défense nationale et à l’exportation, notre effort de défense.

Les industriels de la défense rencontrent des difficultés croissantes pour financer leur activité. La commission de la défense nationale et des forces armées m’a par conséquent confié, ainsi qu’à Mme Françoise Ballet-Blu, une mission flash sur le financement de la BITD, qui a permis d’identifier des problèmes de financement par les banques et les garanties à l’export ainsi qu’à travers les fonds propres, par le financement en capital ou les fonds d’investissement.

Ces difficultés sont connues. Certaines, spécifiques, sont liées à la nature de l’investissement dans la défense, qui nécessite un engagement beaucoup plus long que les opérations de type private equity ou les fonds d’investissement classiques, pour lesquels les investisseurs n’ont pas besoin de rester plus de cinq ou sept ans en moyenne. D’autres difficultés, sectorielles, proviennent d’une surinterprétation des règles de compliance, des risques d’atteinte à la réputation des établissements ou des prêteurs ou de l’émergence de labels en matière de finance durable, qui aboutissent à l’exclusion de l’armement des secteurs d’investissement. Le délégué général pour l’armement, M. Joël Barre, avait dressé le même constat au début de l’année 2019.

En la matière, l’Union européenne semble relativement schizophrène. D’un côté, elle a la volonté, fort légitime, de développer une BITD européenne et une industrie européenne de la défense, comme en témoigne la création du Fonds européen de la défense. De l’autre, elle soutient des projets qui favorisent la finance durable mais, du même coup, menacent le financement de la BITD : la taxonomie européenne et l’écolabel pour les produits financiers.

La taxonomie européenne de la finance durable, issue du règlement 2020/852, visait initialement à favoriser les projets de développement durable sur le plan environnemental. Il a été décidé d’y ajouter une taxonomie sociale, qui est en cours d’élaboration. Si l’on peut comprendre que l’activité de défense soit exclue de la taxonomie environnementale, il faudra être vigilant pour qu’elle ne le soit pas également de la taxonomie sociale. Une telle exclusion nous semblerait extrêmement dangereuse, car la sécurité et la liberté sont les bases d’une société socialement équilibrée.

J’en viens à l’écolabel européen pour les produits financiers durables. Les labels, qui sont devenus un outil majeur de placement des produits financiers, s’appuient sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Vu le désordre généralisé, chacun pouvant produire son propre label, la Commission européenne a conçu un projet d’écolabel européen – ce que nous saluons – et a confié au Centre de recherche commun (CCR) le soin de formuler des propositions.

Dans son troisième rapport – nous en sommes au quatrième –, le CRC recommandait d’exclure les producteurs d’armes controversées, c’est-à-dire celles interdites par les traités internationaux, comme les mines antipersonnel prohibées par la convention d’Ottawa, ainsi que les entreprises qui vendent des matériels d’armement à des pays à l’encontre desquels l’Union européenne a pris des sanctions. Nous n’avons rien à y redire.

En revanche, dans son quatrième rapport de mars 2021, il propose d’exclure de l’écolabel européen toute entreprise dont la part d’activités de production et de vente d’armes conventionnelles et d’équipements militaires utilisés pour le combat dépasserait les 5 % de leur chiffre d’affaires, ce qui vise toutes les entreprises d’armement et de nombreuses entreprises duales. Il semble que le seuil de 5 % soit inspiré de plusieurs labels internationaux, en particulier le fameux label belge Towards Sustainability.

Vous imaginez aisément les conséquences d’une telle décision. Les investissements dans les activités de défense seront délaissés, les placements de dette rendus plus difficiles. Les entreprises d’armement n’arrivant plus à se financer, elles deviendront des cibles faciles à atteindre alors que nous voulons contrôler les investissements étrangers dans les secteurs stratégiques en France et en Europe. Il leur sera plus difficile d’être financées à travers des obligations à un taux avantageux. Enfin, il deviendra compliqué de développer l’innovation dans les secteurs de la défense. Or l’Europe nourrit de grandes ambitions dans des secteurs qui peuvent être duals, comme l’espace, qui est vital pour les applications civiles aussi bien que militaires.

Pourtant, les industriels de la défense ont réalisé des efforts importants en matière de compliance. Il serait d’autant plus injuste de les pénaliser que, soit dit sans langue de bois, ni fausse naïveté, certains de nos compétiteurs dans les ventes d’armements n’ont pas nos pudeurs. Non seulement nous devrions redoubler d’efforts, mais nous en serions récompensés par une aggravation du déséquilibre financier de nos entreprises !

Par la présente proposition de résolution, l’Assemblée nationale prévoit de demander à la Commission européenne de revenir sur le projet d’exclure les entreprises de défense de l’écolabel pour les produits financiers de détail et de promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la BITD afin de doter l’Union européenne d’une autonomie décisionnelle stratégique – nous y sommes tous attachés, même si certains de nos partenaires européens ne partagent pas notre analyse. Nous proposons enfin, à la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, d’inviter le Gouvernement à peser de tout son poids pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l’Union les enjeux liés à l’existence d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte, notamment dans le cadre de la boussole stratégique.

Les cosignataires de cette proposition de résolution visent deux objectifs : protéger l’Europe contre elle-même quand, par désir de vertu, elle oublie de prendre en considération ses propres intérêts, et inviter le Gouvernement à défendre ceux de la France.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

 

Mme la Présidente Sabine Thillaye. J’ai bien conscience que l’industrie de défense doit être soutenue car c’est un secteur d’activité très important – 100 milliards d’euros par an. Surtout, la pandémie a révélé la fragilité de ce secteur stratégique qu’est l’industrie spatiale.

Cependant, pour avoir déjà présenté une proposition de résolution européenne sur la BITD avec Françoise Dumas, je me demande s’il s’agit du bon véhicule pour régler le problème posé par la taxinomie. Nous avions demandé à l’époque que le plan de relance prenne davantage en considération l’industrie de défense. En l’espèce, l’armement est un secteur à part pour lequel on a besoin de trouver des financements privés, mais la taxinomie est une classification. Du reste, les discussions ne sont pas achevées et l’on attend encore des propositions d’actes délégués de la part de la Commission. Vous avez raison, il faut agir, mais avez-vous choisi la bonne approche ?

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Il convient de distinguer l’écolabel et la taxonomie. Nous avons cité le règlement de 2020, dit taxonomie, qui vise à favoriser les investissements durables mais je suis bien d’accord avec vous : on ne repeindra pas les missiles en vert et ce n’est pas directement à ce titre que l’objectif pourra être atteint. Néanmoins, j’ai aussi évoqué la taxonomie sociale, dont les objectifs sont beaucoup plus larges. Nous voulons éviter que l’exclusion sectorielle – et non par mission – du secteur de la défense dans ce domaine ne crée un précédent qui pénalise ce secteur dans d’autres.

J’en suis d’accord : la priorité est l’écolabel, non la taxonomie. Cela étant, le groupe de travail chargé de dessiner les contours de la taxinomie sociale est censé s’appuyer sur les normes et principes tels qu’ils sont définis dans divers instruments internationaux. Par conséquent, la vente d’armes non controversées à des pays qui n’ont pas été sanctionnés par l’Union européenne ne devrait pas poser de problème. La fourniture de biens et de services en ce qu’ils contribuent à améliorer le niveau de vie est également mentionnée. Or, sans sécurité, le niveau de vie s’effondre – demandez à ceux qui vivent dans des pays en guerre ce qu’ils en pensent.

Nous pourrions raisonnablement considérer le secteur de la BITD comme une composante du développement durable, dans la mesure où elle est censée garantir la souveraineté européenne et la protection des citoyens. C’est à ce titre que je l’évoque – mais le cœur du problème reste l’écolabel.

Mme Aude Bono-Vandorme. Monsieur le rapporteur, je vous félicite d’avoir déposé cette proposition de résolution européenne. À la lecture de votre rapport, on ne peut que s’interroger sur la cohérence de la politique de défense de l’Union européenne alors que celle-ci lance une série de projets relatifs à la taxonomie de la finance durable. Cette dissonance – pour ne pas reprendre le terme « schizophrénie » employé par certains spécialistes des questions de défense – ne peut qu’inquiéter les entreprises de la BITD et nous amène à nous interroger sur la sincérité de l’investissement envisagé à travers le Fonds européen de défense. L’Union européenne s’apprête en effet à adresser un message très fort au secteur bancaire : au mieux, l’industrie de défense ne serait pas ou plus un secteur d’avenir durable ; au pire, elle deviendrait un secteur nocif et socialement toxique. Or, quel que soit le montant octroyé au Fonds européen de défense, celui-ci ne pourra jamais se substituer aux acteurs bancaires et financiers.

À l’occasion des dernières Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, la ministre des armées s’est exprimée fermement à ce sujet : « On a potentiellement de quoi faire, mais à une condition : c’est que l’Europe ne s’attaque pas, par le biais de la loi et de la jurisprudence, à des politiques sur lesquelles nous voulions investir en tant qu’Européens. Et je pense par exemple à la taxinomie. Dire que le nucléaire est mal, c’est se tirer une balle dans le pied. Dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques, c’est choquant. »

On peut également s’interroger sur la volonté de certains États membres d’abandonner définitivement leur défense à des pays tiers ou, dit autrement, sur le risque de renoncement à une souveraineté et à une indépendance stratégique de l’Europe, alors que le contexte international devient chaque jour plus dur. Quelle est votre analyse sur ces questions ?

M. Didier Quentin. Le groupe Les Républicains est favorable à l’adoption de cette proposition de résolution européenne, que j’ai cosignée et que Jean-Louis Thiériot vient de présenter brillamment. Il appartient effectivement à notre pays, notamment dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2022, premièrement, de clore les travaux sur la boussole stratégique, en veillant à ce que celle-ci mette en avant la nécessité de maintenir sur le sol européen une BITD compétitive et innovante, capable d’investir dans les nouvelles technologies et de réduire la dépendance de l’Union ; deuxièmement, d’inscrire les enjeux de la BITD à l’ordre du jour des différents sommets, conférences et réunions qui jalonneront ce semestre de présidence, afin que les institutions européennes et les États membres en prennent pleinement conscience ; troisièmement, de peser sur les travaux en cours concernant l’écolabel européen et la taxonomie sociale européenne, afin que soit prise en compte la contribution de la BITD au développement durable, lequel serait compromis si l’Union européenne n’était pas capable d’assurer elle-même sa sécurité et de défendre ses intérêts et valeurs dans le monde.

M. Thierry Michels. Vous l’avez souligné avec justesse, Monsieur le rapporteur, l’Europe doit pouvoir disposer des moyens d’assurer sa défense, dans un monde rendu plus dangereux par la compétition géopolitique entre les grands blocs que sont les États-Unis, la Chine, la Russie et les puissances régionales émergentes. L’Union européenne, porteuse de nos valeurs humanistes et de progrès, doit s’assurer des moyens d’affirmer sa souveraineté et son indépendance. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » : c’est ce que fait l’Union à travers le Fonds européen de défense et les efforts de construction d’une défense européenne commune.

Il ne faut pas opposer l’avancement de la transition énergétique et écologique, dont l’Union a fait son objectif, et le développement de l’industrie de défense européenne ; l’un et l’autre sont nécessaires. C’est pourquoi je soutiens la présente proposition de résolution européenne, qui préconise de donner aux entreprises de la BITD la possibilité d’être financées par des obligations vertes.

Votre objectif, Monsieur le rapporteur, est de revenir sur le règlement européen du 18 juin 2020 relatif à la taxonomie de la finance durable. Quel est l’état des négociations à ce sujet ? Quelle est la position des différents ministres de la défense européens ? Qui sont nos alliés dans ce combat nécessaire ?

M. Damien Pichereau. Je salue votre travail, Monsieur le rapporteur, et je voterai pour cette proposition de résolution européenne, qui vise à inclure l’industrie de défense dans la taxonomie de la finance durable. Je suis plutôt favorable à celle-ci, mais, pour le dire de manière gentille, on a commis plusieurs oublis. L’un concerne la défense. Un autre a trait au secteur automobile : les constructeurs sont inclus, mais tel n’est pas le cas des équipementiers et des sous-traitants, alors même que ce sont eux qui investissent dans la transition énergétique, notamment dans la gestion des batteries, dans les pneumatiques – responsables d’une partie des émissions polluantes – ou dans les technologies de l’hydrogène, thème cher à Christophe Grudler. Profitons de la présidence française du Conseil de l’Union européenne pour revoir la copie. Il est nécessaire de le faire, y compris pour notre industrie automobile, soumise à une pression extracommunautaire qui n’a jamais été aussi forte.

M. Christophe Grudler, député européen. Je partage votre volonté, Monsieur le rapporteur, de revenir sur l’exclusion de l’écolabel prévue pour le secteur de la défense. N’oublions pas néanmoins qu’il s’agit d’une proposition de la Commission européenne et que celle-ci n’est pas le législateur. Si jamais un acte délégué émanant de la Commission pose un problème important, le Parlement européen peut émettre des objections, voire corriger le tir.

Le Pacte vert pour l’Europe – European Green Deal – fixe un objectif de neutralité climatique en 2050. L’inclusion du secteur de la défense dans ce pacte fait partie des débats qui animent le Parlement européen. En effet, il n’y a pas de raison que l’on impose à tous des efforts, notamment en ce qui concerne les véhicules, tout en laissant les armées polluer, que ce soit avec ses véhicules ou avec le chauffage des casernes. Et, s’il y a des dispositifs d’aides européennes, il n’y a pas de raison que les armées en soient exclues.

Nous travaillons dans le même sens que vous le faites à l’échelon national. Dans la sous-commission sécurité et défense, dont je suis membre, un député vert a présenté un rapport d’initiative tendant à inclure la défense dans les mécanismes de développement durable. Nous sommes presque unanimes à ce sujet. Le texte aboutira d’ici au mois prochain, ouvrant la voie à des réalisations plus concrètes. Au sein de la commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie, je suis rapporteur pour mon groupe politique des travaux de révision de la directive relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, ainsi appelée à devenir « RED 3 ». Nous allons y écrire que le secteur de la défense est bel et bien partie prenante.

Rappelons en outre que le Fonds européen de la défense est doté de 8 milliards d’euros d’argent public et que le programme Horizon Europe finance des projets de recherche et d’innovation dans le domaine de la défense.

J’en viens à la taxonomie. Le terme lui-même est très mal connu. Quand on parle de taxonomie, on pense presque toujours à la taxonomie de la finance durable, autrement dit au classement de l’ensemble des activités économiques en vue d’atteindre l’objectif de décarbonation en 2050. Le premier acte délégué en la matière a été pris au printemps dernier. Au cours de l’été, la Commission a publié par ailleurs un premier texte relatif à la taxonomie sociale, qui fixe d’autres objectifs. Il y a parfois une confusion entre les deux taxonomies. Pour ce qui concerne le volet durable, la plupart des secteurs industriels ayant recours à des financements privés pour investir, y compris l’automobile, devraient être considérés comme éligibles.

Deux sujets divisent fortement au niveau européen : la défense et le nucléaire. Certains pays considèrent que ce sont des questions spécifiques à la France, et que cela ne les concerne pas. Nous nous efforçons, étape par étape, de convaincre que la défense intéresse tout le monde et qu’une majorité de pays veulent du nucléaire car ils en ont besoin pour réussir leur transition écologique. Il faut permettre à ces pays d’agir dans ce sens, ce qui ne signifie pas que tout le monde doit le faire, ni que c’est l’unique solution.

Pour information, l’acte délégué complémentaire relatif à la taxonomie de la finance durable, dont la publication est prévue le 22 décembre, devrait en principe inclure le nucléaire en tant qu’énergie durable et le gaz naturel en tant qu’énergie de transition. Il s’agit notamment d’aider la Pologne à sortir du charbon : en passant au gaz naturel, elle diviserait ses émissions par deux, sachant qu’il lui faudrait ensuite réaliser des investissements plus durables pour parvenir à la neutralité carbone en 2050.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Je vous remercie, chers collègues, du soutien que vous apportez à cette proposition de résolution européenne.

Vous me demandez, Monsieur Michels, quels acteurs soutiennent notre position. Pour ce qui est des gouvernements, le paysage est assez partagé. Chez notre principal partenaire, l’Allemagne, la question de l’industrie d’armement divise la nouvelle coalition. Nos amis allemands réclament un contrôle des exportations d’armement au niveau européen, ce qui serait, selon moi, très dangereux. Dans le cadre des travaux que je mène pour la commission de la défense, j’ai auditionné à plusieurs reprises le Bundesverband der Sicherheitswirtschaft (BDSW), qui regroupe les industriels allemands du secteur. Il en ressort que le projet d’écolabel les inquiète beaucoup. J’ajoute qu’ils ont été soumis à une menace plus importante, pour ne pas dire inouïe : en septembre dernier, il y a eu une tentative d’exclure de l’indice DAX les entreprises réalisant plus de 10 % de leur chiffre d’affaires dans le domaine de la défense. L’attaque contre la BITD est donc puissante dans un certain nombre de pays. Je crois que pour la contrer, une solidarité européenne peut véritablement s’exercer.

 

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution européenne.

Article unique

Amendement  1 de M. Jean-Louis Thiériot.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Mon amendement vise à demander à la Commission européenne d’inclure l’industrie de la défense dans la taxonomie sociale à venir.

Plus généralement, il importe que la défense soit considérée comme l’un des éléments de la durabilité. Sans une défense solide, ce qui nécessite une BITD solide, nos sociétés auront du mal à être durables.

Il convient d’engager un véritable travail intellectuel sur cette question : à ce stade, lorsqu’il est question des critères ESG, l’idée que la défense puisse être un critère de durabilité et de soutenabilité reste en dehors du spectre. Je commence à l’évoquer avec un certain nombre d’acteurs, et le sujet intéresse beaucoup.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

La proposition de résolution européenne est donc ainsi adoptée modifiée.

 

 


—  1  —

 

   Proposition de résolution européenne initiale

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 14 et 42,

Vu le programme du 25 septembre 2015 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies intitulé « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 »,

Vu la communication du 22 novembre 2016 de la Commission européenne intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable – action européenne en faveur de la durabilité : questions et réponses »,

Vu le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu le rapport technique du 5 mars 2021 du Centre conjoint de recherche de l’Union européenne sur le « Development of EU Ecolabel criteria for Retail financial products »,

Vu la communication de la Commission européenne du 30 novembre 2016 intitulée « Plan d’action européen de défense »,

Vu la déclaration du 17 janvier 2019 de Madame Florence Parly, ministre des Armées, au Bourget sur l’industrie de l’armement française et européenne,

Vu la note d’information n° 13 du 6 juillet 2020 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur « les enjeux de la base industrielle et technologique de défense européenne »,

Vu le rapport du 17 février 2021 de la mission flash de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur « le financement de l’industrie de défense »,

Sur l’importance d’une industrie de la défense forte pour l’autonomie stratégique européenne et française

Considérant la crise des organisations multilatérales de sécurité et de coopération le développement accru de la conflictualité, avec un recours de plus en plus désinhibé à la force par les acteurs étatiques et non‑étatiques,

Considérant que par la fourniture d’équipements aux forces armées des États membres et de leurs partenaires, l’industrie de défense permet à l’Union européenne d’assurer sa propre sécurité face aux menaces et favorise l’autonomie stratégique dans ses décisions,

Considérant que Madame Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré au Bourget que « notre autonomie politique et opérationnelle repose d’abord sur une autonomie technologique et industrielle » et par la suite aux Rencontres économiques d’Aix‑en‑Provence qu’il était choquant de « dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques »,

Considérant les importantes retombées économiques, sociales, technologiques et fiscales découlant de l’industrie de défense et des activités associées,

Sur les relations entre les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et la base industrielle et technologique de défense

Considérant que l’application problématique et inappropriée de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance conduit à terme à priver les entreprises européennes de la défense et de la sécurité du bénéfice de certains services financiers et assurantiels,

Considérant qu’il n’y a aucune raison d’exclure a priori un secteur industriel quel qu’il soit d’une démarche de développement durable,

Considérant que certains travaux techniques de la Commission européenne sur l’établissement d’un écolabel pour les produits financiers de détail qui envisagent d’exclure de ce dernier les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat », ne peuvent qu’aggraver la stigmatisation du secteur par les acteurs de la finance,

Considérant la contribution cruciale du secteur de la défense aux Objectifs de développement durables des Nations unies, définis par le programme à l’horizon 2030 et constituant la base de la taxonomie, et notamment le 16e objectif : « Paix, justice et institutions efficaces »,

Considérant l’effort réalisé par la communauté de la défense en vue de la transition écologique, que ce soit sous l’impulsion des différentes forces armées européennes ou des initiatives prises par les entreprises de la défense et de la sécurité,

Considérant que 80 % du foncier métropolitain des armées fait l’objet d’une protection au titre de la biodiversité et que plus de 20 % est classé Natura 2000,

Considérant que les forces armées participent activement à la surveillance maritime du deuxième espace maritime mondial au titre de l’action de l’État en mer pour y préserver notamment les ressources halieutiques et lutter contre toutes les formes de pollution,

Considérant que le ministère des Armées doit être considéré, grâce notamment aux équipements qu’il met en œuvre, comme l’un des acteurs majeurs de la protection des espaces naturels et du respect des normes environnementales promues par la France et l’Union européenne,

Considérant qu’il ne pourra y avoir de politique sérieuse de réduction de l’empreinte environnementale de l’État sans un accompagnement résolu de la transition écologique des équipements militaires et un développement en écoconception des futurs matériels des armées dont la production est européenne à plus de 90 %,

Considérant enfin qu’une production industrielle localisée en Europe contribue aux objectifs d’un développement réellement durable,

Sur l’inopportunité de l’exclusion de l’industrie de défense de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable

Considérant, ainsi que l’a souligné la ministre des armées, qu’une exclusion de l’industrie de défense et de sécurité de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable relèguerait l’ensemble du secteur au rang des pratiques commerciales irrégulières ou illégitimes, risquant ainsi de paralyser cet écosystème industriel déjà fragmenté et dont les collaborations européennes sont encore trop insuffisantes,

Considérant l’importance sociale, économique et stratégique d’une industrie européenne regroupant plus de 460 000 travailleurs qualifiés et réalisant un chiffre d’affaires de 180 milliards d’euros par an,

Considérant que les entreprises de la base industrielle et technologique de défense souhaitent s’investir de manière positive dans l’élaboration d’une taxonomie européenne de la finance durable,

Considérant que l’écosystème de défense est fermement ancré dans le système juridique de l’Union européenne et de ses États membres, que ces entreprises respectent strictement les conventions internationales applicables et la réglementation du contrôle à l’exportation,

Considérant l’importance des initiatives volontaires de l’Union européenne dans le domaine de la défense (coopération structurée permanente, fonds européen de défense, initiative européenne pour la paix, etc.),

Considérant en conséquence qu’une exclusion de la taxonomie européenne de la finance durable affaiblit significativement les efforts en cours pour le renforcement d’une base industrielle et technologique de défense européenne,

1. Demande à la Commission européenne de revenir sur le projet, formulé par le centre conjoint de recherche de l’Union européenne, d’exclure l’industrie de défense de la taxonomie européenne de la finance durable et également de revenir sur le projet d’exclure de l’écolabel sur les produits financiers de détail les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat » ;

2. Insiste sur la nécessité au contraire de promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne afin de doter l’Union européenne d’une autonomie décisionnelle stratégique et lui permettre ainsi d’assurer la sécurité de ses États membres tout en favorisant une approche de développement durable ;

3. Invite le Gouvernement à peser de tout son poids, et notamment à profiter de la prochaine présidence française du Conseil, pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l’Union les enjeux liés à l’existence d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte dont l’existence est compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.

 

 

 


—  1  —

 

   Amendement examiné par la commission

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 8 décembre 2021


Proposition de résolution européenne
taxonomie européenne de la finance durable (n° 4727)

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 36, ajouter un alinéa ainsi rédigé :

« Demande à la Commission européenne, dans l’élaboration à venir de la taxonomie sociale des activités économiques, de reconnaître le rôle social positif de l’industrie de défense en tant qu’elle contribue à la fourniture d’un besoin essentiel des citoyens européens qu’est la sécurité, tout en donnant à l’Union européenne les moyens de son autonomie stratégique »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Le présent amendement vise à clarifier le double objet de la PPRE au regard des menaces pesant sur le financement de la BITD, en insistant, après l’écolabel sur les produits financiers de détail, sur l’enjeu que représente pour cette dernière la future taxonomie sociale européenne.

 

 

 

Cet amendement est adopté.

 


—  1  —

 

   Proposition de résolution européenne

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 14 et 42,

Vu le programme du 25 septembre 2015 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies intitulé « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 »,

Vu la communication du 22 novembre 2016 de la Commission européenne intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable – action européenne en faveur de la durabilité : questions et réponses »,

Vu le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu le rapport technique du 5 mars 2021 du Centre conjoint de recherche de l’Union européenne sur le « Development of EU Ecolabel criteria for Retail financial products »,

Vu la communication de la Commission européenne du 30 novembre 2016 intitulée « Plan d’action européen de défense »,

Vu la déclaration du 17 janvier 2019 de Madame Florence Parly, ministre des Armées, au Bourget sur l’industrie de l’armement française et européenne,

Vu la note d’information n° 13 du 6 juillet 2020 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur « les enjeux de la base industrielle et technologique de défense européenne »,

Vu le rapport du 17 février 2021 de la mission flash de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur « le financement de l’industrie de défense »,

Sur l’importance d’une industrie de la défense forte pour l’autonomie stratégique européenne et française

Considérant la crise des organisations multilatérales de sécurité et de coopération le développement accru de la conflictualité, avec un recours de plus en plus désinhibé à la force par les acteurs étatiques et non‑étatiques,

Considérant que par la fourniture d’équipements aux forces armées des États membres et de leurs partenaires, l’industrie de défense permet à l’Union européenne d’assurer sa propre sécurité face aux menaces et favorise l’autonomie stratégique dans ses décisions,

Considérant que Madame Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré au Bourget que « notre autonomie politique et opérationnelle repose d’abord sur une autonomie technologique et industrielle » et par la suite aux Rencontres économiques d’Aix‑en‑Provence qu’il était choquant de « dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques »,

Considérant les importantes retombées économiques, sociales, technologiques et fiscales découlant de l’industrie de défense et des activités associées,

Sur les relations entre les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et la base industrielle et technologique de défense

Considérant que l’application problématique et inappropriée de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance conduit à terme à priver les entreprises européennes de la défense et de la sécurité du bénéfice de certains services financiers et assurantiels,

Considérant qu’il n’y a aucune raison d’exclure a priori un secteur industriel quel qu’il soit d’une démarche de développement durable,

Considérant que certains travaux techniques de la Commission européenne sur l’établissement d’un écolabel pour les produits financiers de détail qui envisagent d’exclure de ce dernier les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat », ne peuvent qu’aggraver la stigmatisation du secteur par les acteurs de la finance,

Considérant la contribution cruciale du secteur de la défense aux Objectifs de développement durables des Nations unies, définis par le programme à l’horizon 2030 et constituant la base de la taxonomie, et notamment le 16e objectif : « Paix, justice et institutions efficaces »,

Considérant l’effort réalisé par la communauté de la défense en vue de la transition écologique, que ce soit sous l’impulsion des différentes forces armées européennes ou des initiatives prises par les entreprises de la défense et de la sécurité,

Considérant que 80 % du foncier métropolitain des armées fait l’objet d’une protection au titre de la biodiversité et que plus de 20 % est classé Natura 2000,

Considérant que les forces armées participent activement à la surveillance maritime du deuxième espace maritime mondial au titre de l’action de l’État en mer pour y préserver notamment les ressources halieutiques et lutter contre toutes les formes de pollution,

Considérant que le ministère des Armées doit être considéré, grâce notamment aux équipements qu’il met en œuvre, comme l’un des acteurs majeurs de la protection des espaces naturels et du respect des normes environnementales promues par la France et l’Union européenne,

Considérant qu’il ne pourra y avoir de politique sérieuse de réduction de l’empreinte environnementale de l’État sans un accompagnement résolu de la transition écologique des équipements militaires et un développement en écoconception des futurs matériels des armées dont la production est européenne à plus de 90 %,

Considérant enfin qu’une production industrielle localisée en Europe contribue aux objectifs d’un développement réellement durable,

Sur l’inopportunité de l’exclusion de l’industrie de défense de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable

Considérant, ainsi que l’a souligné la ministre des armées, qu’une exclusion de l’industrie de défense et de sécurité de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable relèguerait l’ensemble du secteur au rang des pratiques commerciales irrégulières ou illégitimes, risquant ainsi de paralyser cet écosystème industriel déjà fragmenté et dont les collaborations européennes sont encore trop insuffisantes,

Considérant l’importance sociale, économique et stratégique d’une industrie européenne regroupant plus de 460 000 travailleurs qualifiés et réalisant un chiffre d’affaires de 180 milliards d’euros par an,

Considérant que les entreprises de la base industrielle et technologique de défense souhaitent s’investir de manière positive dans l’élaboration d’une taxonomie européenne de la finance durable,

Considérant que l’écosystème de défense est fermement ancré dans le système juridique de l’Union européenne et de ses États membres, que ces entreprises respectent strictement les conventions internationales applicables et la réglementation du contrôle à l’exportation,

Considérant l’importance des initiatives volontaires de l’Union européenne dans le domaine de la défense (coopération structurée permanente, fonds européen de défense, initiative européenne pour la paix, etc.),

Considérant en conséquence qu’une exclusion de la taxonomie européenne de la finance durable affaiblit significativement les efforts en cours pour le renforcement d’une base industrielle et technologique de défense européenne,

1. Demande à la Commission européenne de revenir sur le projet, formulé par le centre conjoint de recherche de l’Union européenne, d’exclure l’industrie de défense de la taxonomie européenne de la finance durable et également de revenir sur le projet d’exclure de l’écolabel sur les produits financiers de détail les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat » ;

2. Demande à la Commission européenne, dans l’élaboration à venir de la taxonomie sociale des activités économiques, de reconnaître le rôle social positif de l’industrie de défense en tant qu’elle contribue à la fourniture d’un besoin essentiel des citoyens européens qu’est la sécurité, tout en donnant à l’Union européenne les moyens de son autonomie stratégique

3. Insiste sur la nécessité au contraire de promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne afin de doter l’Union européenne d’une autonomie décisionnelle stratégique et lui permettre ainsi d’assurer la sécurité de ses États membres tout en favorisant une approche de développement durable ;

4. Invite le Gouvernement à peser de tout son poids, et notamment à profiter de la prochaine présidence française du Conseil, pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l’Union les enjeux liés à l’existence d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte dont l’existence est compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.