N° 4859

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 décembre 2021.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE ( 4727) DE MME FRANÇOISE DUMAS, M. JEAN-LOUIS THIÉRIOT
ET PLUSIEURS DE LEURS COLLÈGUES,
visant à protéger la base industrielle et technologique de défense
et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne
de la finance durable,
 

PAR M. Jean-Louis THIÉRIOT

Député

 

 

 

 

 

Voir les numéros : 4727 et 4792.

 


 

 


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SOMMAIRE

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Introduction

I. Les contraintes pesant sur le financement de L’industrie de défense se sont renforcées ces dernières années, tout en restant contenues

A. Les caractéristiques de l’industrie de défense compliquent structurellement son financement

1. L’influence de l’État sur la vie des entreprises

2. Des cycles industriels particulièrement longs

3. Un manque de liquidité des investissements

B. Des difficultés accrues ces dernières années, en particulier pour les PME

1. Le poids croissant de la conformité et de la « sur-conformité »

2. La plus grande prise en compte de critères extra-financiers pour le choix des financements

a. L’image et le risque de réputation

b. L’importance nouvelle des critères « ESG »

C. Des difficultés de financement contenues, malgré des signaux inquiétants venant d’autres pays européens

1. Les difficultés de financement sont pour le moment contenues

2. Des signaux inquiétants en provenance de certains pays européens

II. Les projets européens en matière de finance durable : un risque majeur pour la BITD européenne

A. Les projets de l’Union européenne sur la finance durable

1. Le projet de taxonomie européenne

a. Un projet initialement centré sur la dimension environnementale

b. Un projet en voie d’être étendu à la dimension sociale, laquelle est très différente de la dimension environnementale

2. Le projet d’écolabel européen pour les produits financiers de détail

B. Des conséquences importantes sur la BITD et sur l’autonomie stratégique européenne

1. L’aggravation des difficultés de financement de la BITD européenne

2. Un risque majeur pour l’autonomie stratégique européenne

III. La proposition de résolution européenne

A. Revenir sur la proposition d’exclure l’industrie de défense de l’écolabel européen

B. Promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la BITD européenne

C. Mettre à profit la PFUE pour faire valoir au niveau européen les enjeux d’une BITD européenne forte et durable

IV. Les modifications apportées à la PPRE par la commission des affaires européennes

Travaux de la commission

Proposition de résolution européenne adoptée par la commission de la défense nationale  et des forces armées


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   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

À l’été 2000 un cri d’alarme a été poussé sur le financement de l’industrie de défense par les industriels français de l’armement, qui a conduit la commission de la Défense et des Forces armées de l’Assemblée nationale à lancer une « mission flash » sur ce sujet. Conduite par votre rapporteur et Mme Françoise Ballet-Blu, cette mission a rendu son rapport en février 2021.

Le constat qu’elle a fait était celui d’un financement de plus en plus difficile des entreprises de la BITD française, sur lesquelles les contraintes se sont considérablement accrues ces dernières années, en lien notamment avec les nouvelles exigences de conformité des banques, alors même que la pandémie de COVID-19 les avait, comme les autres, fragilisées.

Or, force est de constater que depuis le rapport de la « mission flash », ces contraintes ont continué à s’aggraver, principalement au niveau européen. En effet, deux projets sont actuellement en cours d’élaboration :

– la taxonomie des activités économiques considérées comme « durables » ;

– l’écolabel européen sur les produits financiers de détail, au bénéfice des seules entreprises considérées comme « durables ».

Ces deux projets, qui visent à identifier les activités économiques et les entreprises considérées comme « durables » sur le plan environnemental et social, sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes pour les entreprises de la BITD européenne. Si celles-ci devaient être exclues de cette taxonomie et/ou de l’écolabel, les contraintes de financement qu’elles subissent d’ores et déjà de la part des banques et des investisseurs s’aggraveraient, menaçant de ce fait l’autonomie stratégique de notre pays et de l’Union européenne, dont la BITD est une composante essentielle.

Face à cette menace, la présente proposition de résolution européenne vise à attirer l’attention du gouvernement français et de la Commission européenne sur la nécessité de mieux prendre en compte, dans les projets européens en cours en matière de développement durable, les spécificités et les enjeux de la BITD européenne, et de favoriser davantage l’investissement dans les entreprises de défense.


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I.   Les contraintes pesant sur le financement de L’industrie de défense se sont renforcées ces dernières années, tout en restant contenues

A.   Les caractéristiques de l’industrie de défense compliquent structurellement son financement

L’industrie de défense est une industrie à part en raison de ses caractéristiques propres, lesquelles sont susceptibles d’effrayer des banques et des investisseurs par ailleurs peu au fait de ses enjeux et de ses pratiques.

1.   L’influence de l’État sur la vie des entreprises

La première caractéristique est celle de l’influence considérable de l’État sur les entreprises de défense française.

En premier lieu, l’activité de celles-ci est fortement encadrée par l’État. L’article L. 2332-1 du code de la défense dispose ainsi que « les entreprises qui se livrent à la fabrication ou au commerce de matériels de guerre [...] ne peuvent fonctionner [...] qu’après autorisation de l’État et sous son contrôle ». Quant à l’article L. 2335-2 du même code, il dispose que « l’exportation sans autorisation préalable de matériels de guerre et matériels assimilés vers des États non-membres de l’Union européenne [...] est prohibée ».

En deuxième lieu, ces entreprises de défense sont largement dépendantes de la commande publique. L’État est en effet leur principal client et ses décisions d’acquisition obéissent à des considérations extra-industrielles ou extra-financières susceptibles d’avoir de lourdes conséquences pour les entreprises concernées. C’est ainsi qu’elles ne sont pas à l’abri d’un revirement politique sur les budgets alloués, qui peuvent conduire l’État à annuler ou à reporter des commandes, ou d’un revirement politique remettant en cause des exportations. C’est ainsi qu’à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, l’État français a bloqué la livraison à ce pays du porte-hélicoptères Sébastopol.

Enfin, en dernier lieu, l’État est, historiquement, via l’agence de participation de l’État (APE), un actionnaire important, voire dominant des entreprises de défense, en mesure donc d’influencer fortement la gouvernance de celles-ci, au détriment des autres investisseurs.

2.   Des cycles industriels particulièrement longs

La deuxième caractéristique est celle de cycles industriels difficilement compatibles avec l’horizon financier du capital-investissement. Les fonds de capital-investissement ont une durée de vie limitée, 10 à 14 ans en moyenne. Les investissements réalisés doivent donc pouvoir être cédés afin que le véhicule génère du rendement. En moyenne, un actif est conservé entre cinq et sept ans.

Or, les cycles de l’industrie de défense peuvent être particulièrement longs, à la fois pour la recherche et le développement et pour la mise en production. Pour les plus grands programmes d’armement (avions de combat, porte-avions, chars lourds…), en particulier, les délais peuvent dépasser une quinzaine d’années pendant laquelle l’entreprise doit supporter les coûts – avec généralement le soutien de l’État – sans avoir de revenus, ni même la garantie d’en avoir, tant les obstacles sont nombreux avant l’achèvement de tels programmes.

3.   Un manque de liquidité des investissements

Le secteur de la défense, ainsi qu’indiqué supra, fait l’objet d’un encadrement très fort de l’État. Celui-ci affecte également la liquidité de l’investissement dans la mesure où la puissance publique est susceptible d’interdire toute vente d’une entreprise à un investisseur étranger.

En effet, l’article L. 151-3 du code monétaire et financier fixe des restrictions pour certains secteurs « touchant à la défense nationale ou susceptibles de mettre en jeu l’ordre public et des activités essentielles à la garantie des intérêts du pays ». Il est ainsi possible au ministère de l’Économie d’interdire l’opération ou de l’encadrer et, dans tous les cas, le candidat acquéreur a l’obligation de se soumettre à une procédure d’autorisation préalable.

Les différents points de crispation autour de la vente, par le fonds d’investissement Ardian, de la société Photonis sont symptomatiques de la distorsion des intérêts entre certains financeurs et la puissance publique. Pour rappel, le 18 décembre 2020, l’État s’est formellement opposé au rachat de ce producteur de lunettes de vision nocturne par la société américaine Teledyne, cette entreprise étant notamment le fournisseur exclusif de tubes intensificateurs de lumière pour le nouveau programme d’acquisition d’armes de précision de l’armée française

Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que l’industrie de Défense ne figure pas parmi les cibles privilégiées des fonds de capital-investissement et que les établissements bancaires soient particulièrement prudents dans leurs relations avec les entreprises du secteur, en particulier les PME.

B.   Des difficultés accrues ces dernières années, en particulier pour les PME

1.   Le poids croissant de la conformité et de la « sur-conformité »

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, plus communément appelée loi Sapin 2, a doté la France d’un cadre juridique renouvelé en matière de lutte contre la corruption au sens large.

Son article 17 dispose que les dirigeants de toute société « employant au moins cinq cents salariés [...], et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros sont tenus de prendre les mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence ». Ces dispositions s’appliquent aux banques – ainsi, du reste, qu’aux grands groupes de défense – et par ricochet à leurs clients, y compris les ETI et les PME qui n’en relèveraient pas en tant que telles.

Dans la foulée de la promulgation de la loi Sapin 2, les banques ont renforcé leurs mécanismes internes de prévention de la corruption, afin de s’assurer de la conformité (« compliance ») de leurs procédures et des projets qu’ils financent aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

La conséquence, c’est la complexification des relations entre les banques et les entreprises de défense, en particulier pour les opérations de financement d’exportations de matériels militaires, qui font l’objet de davantage de demandes de précisions qu’auparavant et que dans d’autres secteurs, compte tenu du risque de corruption qu’elles impliquent. Si les grands groupes sont armés pour répondre aux services chargés de la conformité des banques, malgré la charge administrative que ces réponses impliquent, tel n’est cependant pas le cas des PME, dont les projets d’exportation peuvent se voir stoppés net, faute d’être en mesure de satisfaire aux exigences desdits services.

Au poids de la conformité s’ajoute celui de la « sur-conformité », laquelle est directement liée à l’extraterritorialité du droit américain et à ses incertitudes. Les banques françaises sont en effet très implantées à l’international et ont un besoin vital de l’accès au financement en dollar pour leurs activités. Dans ces conditions, elles sont particulièrement attentives à respecter les embargos américains compte tenu de l’ampleur des risques financiers encourus. Pour rappel, BNP Paribas a été contrainte de payer 9 milliards de dollars pour avoir violé des embargos américains, notamment vis-à-vis de l’Iran.

Or, toute la difficulté découle de l’application jugée très incertaine des règles américaines. Différentes banques européennes et extra-européennes ont ainsi subi le revirement de jurisprudence de l’Office of foreign assets control (OFAC) sur la légalité de certaines opérations en dollars présentant des contreparties iraniennes. Ce changement de jurisprudence quant à la légalité de ces opérations a généré un risque d’autant plus important que la jurisprudence de cette institution a eu un effet rétroactif.

Dans ces conditions, avant d’éviter qu’un nouveau revirement de jurisprudence de l’OFAC ne les mette en difficulté à l’avenir, avec les risques et les conséquences financières qui en découleraient pour elles, les banques sont fortement incitées à une vigilance accrue de type « ceinture et bretelles » qui peut apparaître comme une sur-conformité, au détriment en particulier des entreprises de secteurs sensibles comme la défense.

2.   La plus grande prise en compte de critères extra-financiers pour le choix des financements

a.   L’image et le risque de réputation

Si les ONG ont, ces dernières années, principalement ciblé les investissements dommageables à l’environnement et à la lutte contre le changement climatique, tel que les énergies fossiles, les entreprises de défense sont désormais elles aussi de plus en plus contestées sur le plan éthique.

C’est en particulier le cas pour leurs activités d’exportations, d’autant que parmi les grands clients traditionnels de la BITD se trouvent plusieurs pays en guerre. Les controverses autour de l’emploi d’armements français au Yémen ont ainsi constitué un tournant, et la pression exercée par certaines ONG contribue à créer un « buzz » négatif autour du financement des exportations d’armements. Amnesty international a notamment publié deux rapports mettant en cause les exportations françaises vers l’Égypte, sujet ayant suscité une nouvelle mobilisation de la société civile à l’occasion de la récente visite en France du Président al-Sissi.

Pour plusieurs acteurs du secteur, auditionnés dans le cadre de la « mission flash » précitée, il ne fait guère de doute que la conformité est mise en avant par certains acteurs bancaires pour masquer le poids de la prise en compte du risque de réputation.

Une étape supplémentaire a été récemment franchie dans la mise au ban des entreprises de défense avec la décision très récente du plus grand fonds de pension privé norvégien, KLP, de se désengager de certaines entreprises au motif de leur collaboration directe ou indirecte à la fabrication d’armes servant à porter des bombes atomiques (missiles, sous-marins, avions de combat…). Dassault Systems et Thales figurent dans la liste. Cette décision est d’ailleurs dans la droite ligne de la décision du plus grand fonds de pension du monde, le fonds souverain norvégien, de placer sur sa liste noire le bureau d’études américain AEcom, impliqué dans la construction d’armes nucléaires. Après le financement bancaire, c’est l’investissement en capital dans les entreprises de défense qui est sur la sellette.

b.   L’importance nouvelle des critères « ESG »

C’est un fait désormais avéré que les stratégies d’investissement des institutions financières (banques, fonds d’investissement, fonds de pension, compagnies d’assurance…) sont de plus en plus attentives à privilégier les entreprises et les secteurs les plus « vertueux » au regard des critères dits ESG : environnementaux, sociaux et de gouvernance.

C’est ainsi que le plus grand fonds de pension du monde – le fonds souverain norvégien – s’est désengagé du secteur de charbon, tout plaçant sur sa liste noire d’une série d’entreprises accusées de porter une atteinte grave à l’environnement ou de violer les droits de l’homme ou les droits des travailleurs.

Outre la prise en compte des préoccupations de leurs clients et des investisseurs, les institutions financières ajustent également leur stratégie aux orientations politiques fixées par les autorités publiques. Or, en France comme ailleurs, l’heure est à la bascule vers les financements « verts » ou socialement responsables. La création du label « ISR » est ainsi le fait du Gouvernement, dont l’objectif était de favoriser le développement des investissements socialement responsables.

De telles initiatives, publiques et privées, vont naturellement dans le bon sens tant le changement climatique, la dégradation de notre environnement et les violations des droits fondamentaux appellent une réponse forte et rapide de la part de l’ensemble des parties prenantes.

Toutefois, elles ne sont pas sans effet sur les entreprises de défense. En effet, dans les choix d’allocation des ressources des institutions financières, l’investissement dans les entreprises de défense n’étant pas encouragé, il est de facto défavorisé par rapport à d’autres qui apparaissent plus « vertueux ».

C.   Des difficultés de financement contenues, malgré des signaux inquiétants venant d’autres pays européens

1.   Les difficultés de financement sont pour le moment contenues

Bien que plusieurs cas de « frilosité bancaire », allant jusqu’au refus d’ouverture d’un compte courant, impliquant généralement des PME, aient été remontés à la « mission flash » précitée, les difficultés de financement du secteur de la défense restent pour le moment contenues. Trois facteurs expliquent cette situation.

En premier lieu, le secteur de la défense bénéficie de la robustesse des grands groupes qui le composent. Ceux-ci disposent d’importantes ressources en fonds propres, leur offrant de fortes capacités d’autofinancement. Malgré les effets de la crise sanitaire, plusieurs d’entre eux, notamment Airbus et Thales, ont été en mesure de lever des fonds sur les marchés obligataires, lesquelles levées témoignent de l’intérêt persistant des investisseurs pour les plus grands acteurs de la BITD, y compris ceux fortement exposés à un secteur aérien civil en grandes difficultés.

Bien que la robustesse des grands groupes ne rejaillisse pas forcément sur leur chaîne de fournisseurs, ceux-ci sont attentifs à la pérennité de celle-ci. Les PME ou ETI ayant rencontré des difficultés ont parfois pu compter sur le soutien de leurs principaux clients, intervenant en tant que médiateur.

Les différents plans du ministère des Armées en faveur des PME – Pacte Défense PME ou, plus récemment, le plan Action PME – ont par ailleurs favorisé l’élaboration de chartes entre les donneurs d’ordres et leurs fournisseurs, afin de veiller à ce que les grands groupes titulaires des marchés de défense soient exemplaires dans leurs relations contractuelles avec les PME.

En deuxième lieu, le soutien de l’État à la BITD n’a jamais fait défaut. Non seulement les crédits inscrits en loi de finances augmentent chaque année depuis 2017 – et à nouveau dans la LFI pour 2022 – mais l’État a pris plusieurs initiatives en faveur des entreprises de défense :

la simplification de l’accès aux mécanismes publics de soutien à l’innovation, notamment la mise en place d’un guichet unique pour les PME et les start-ups, sous l’égide de l’Agence de l’innovation de défense ;

la création, par l’État, de ses propres véhicules d’investissement en capital, afin de remédier en partie aux lacunes de la chaîne française du capital-investissement vis-à-vis du secteur de la défense. C’est le cas notamment du fonds Definvest, géré par BPI France et doté de 100 millions d’euros, dont l’objet est de prendre des participations minoritaires dans des entreprises jugées critiques ou innovantes.

Enfin, en dernier lieu, si les banques françaises ont reconnu des difficultés de financement pour quelques entreprises et la contrainte que peuvent représenter les exigences de conformité, notamment pour les PME, elles ont souligné devant la « mission flash » précitée que l’industrie de défense ne faisait pas, dans son ensemble, l’objet d’une exclusion, ce qu’a confirmé la Direction générale du Trésor, affirmant même soutenir la défense dans des proportions bien plus importantes que leurs homologues européennes

2.   Des signaux inquiétants en provenance de certains pays européens

Au contraire des banques françaises, certains établissements européens, comme ING aux Pays-Bas, se montrent bien plus discriminants. Cette banque, en particulier, n’accepte de financer une entreprise intervenant dans le domaine de la défense que si celui-ci représente moins de 50 % de son chiffre d’affaires.

De même, si le label français ISR n’est pas fondé sur une approche sectorielle, il n’en va pas de même de certains labels européens. Ainsi le label belge Towards Sustainability, qui connaît une croissance rapide et représente
580 fonds et 390 milliards d’encours à l’été 2021 – excluait dès l’origine les entreprises dont plus de 10 % du chiffre d’affaires provenait de la production d’armes ou de composants liés, proportion abaissée à 5 % dans la révision entrant en vigueur au 1er janvier 2022.

En Allemagne aussi, la tendance observée n’est pas des plus rassurantes. Les représentants du Bundesverband der Deutschen Sicherheits-und Verteidigungsindustrie (BDSV), le groupement des industries allemandes de sécurité et défense, ont à nouveau fait part à votre rapporteur, lors de leur audition, de la grande difficulté des entreprises de défense allemandes pour accéder à des financements, soit que les banques leur refusent des garanties ou rompent les relations d’affaires, soit que des fonds d’investissement excluent explicitement tout investissement dans des entreprises de défense.

II.   Les projets européens en matière de finance durable : un risque majeur pour la BITD européenne

A.   Les projets de l’Union européenne sur la finance durable

Le 25 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté un nouveau cadre de développement durable pour le monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030. Celui-ci s’articule autour d’objectifs de développement durable (ODD) traduisant les trois dimensions de la durabilité : économique, sociale et environnementale. Dans sa communication du 22 novembre 2016 intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable », la Commission fait le lien entre les ODD et le cadre d’action de l’Union, de sorte que toutes ses actions et initiatives stratégiques intègrent dès le départ les ODD.

Toutefois, en lien avec l’urgence climatique et les engagements pris par l’Union européenne dans le cadre de l’Accord de Paris, c’est la dimension environnementale du développement durable qui a fait l’objet des initiatives les plus fortes. Le 12 décembre 2019, précisant les ambitions du « Green Deal » de la Commission européenne, le Conseil européen a fixé comme objectif à l’Europe de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050, avec une étape intermédiaire en 2030 (réduction de 55 % des émissions de CO2 par rapport à 1990).

Afin de parvenir à cet objectif, de nombreuses initiatives législatives ont été prises, parmi lesquelles le règlement n° 2020/852 du 18 juin 2020 visant à réorienter l’investissement privé vers des activités économiques « durables ».

1.   Le projet de taxonomie européenne

a.   Un projet initialement centré sur la dimension environnementale

Ce règlement vise avant tout à définir ce qu’est une activité économique durable sur le plan environnemental. C’est le cas lorsqu’elle contribue substantiellement à :

– l’atténuation du changement climatique ;

– l’adaptation au changement climatique ;

– l’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines ;

– la transition vers une économie circulaire ;

– la prévention et la réduction de la pollution ;

– la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Toutefois, ces objectifs généraux sont insuffisamment précis pour permettre une classification fine des activités économiques.

Le règlement charge donc la Commission européenne d’établir, par la voie d’actes délégués, une taxonomie des activités économiques afin d’identifier, sur la base de critères d’examen techniques qu’elle définira, lesquelles peuvent être considérées comme « durables ». Une « plateforme sur la finance durable », créée par le même règlement, a pour mission de la conseiller dans l’élaboration desdits critères.

Un premier acte délégué a été rendu public le 4 juin 2021 fixant les critères d’examen techniques permettant de déterminer à quelles conditions une activité économique peut être considérée comme contribuant substantiellement à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci. Le secteur de la défense n’est pas dans la liste des activités figurant en annexe,

Une telle absence n’est toutefois pas surprenante compte tenu de l’objet de cet acte délégué. Par la nature même de leurs activités, il est difficile de soutenir que les entreprises de défense, même si elles sont engagées dans une démarche ESG, peuvent contribuer substantiellement à l’atténuation au changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci, ce qui ne présume en rien de leur contribution aux autres dimensions – toutes aussi importantes – du développement durable. L’absence n’a donc pas à être sur-interprétée et, d’après les informations transmises à votre rapporteur, elle ne révèle pas de tensions entre les États membres, à l’inverse de celle, hautement significative, de la production d’électricité d’origine nucléaire, renvoyée à un autre acte délégué.

b.   Un projet en voie d’être étendu à la dimension sociale, laquelle est très différente de la dimension environnementale

Toutefois, si ce règlement est aujourd’hui centré sur la dimension environnementale du développement durable, il porte en lui la possibilité d’une extension vers les autres dimensions. En effet, son article 26 dispose qu’ « au plus tard le 31 décembre 2021, la Commission publie un rapport décrivant les dispositions qui seraient nécessaires pour étendre le champ d’application du présent règlement au-delà des activités économiques durables sur le plan environnemental et décrivant les dispositions qui seraient nécessaires pour couvrir […] d’autres objectifs de durabilité, tels que des objectifs sociaux ».

C’est sur cette extension que travaille l’un des sous-groupes de la plateforme sur la finance durable précitée, qui a publié le 12 juillet 2021 son rapport sur la taxonomie sociale.

La taxonomie sociale obéit à une logique différente de la taxonomie environnementale. En effet, cette dernière repose sur une classification sectorielle : sur la base de critères prédéfinis directement liés à l’activité économique concernée, elle analyse si telle ou telle activité économique permet d’atteindre l’un des six objectifs environnementaux précités, auquel cas elle sera qualifiée de durable. Comme le montre l’acte délégué du 4 juin 2021, il y a donc autant de critères environnementaux qu’il y a de secteurs économiques.

À l’inverse, la taxonomie sociale repose sur deux dimensions explicitées par le rapport précité :

– ce qu’il appelle la dimension horizontale : le respect des normes et principes tels qu’ils sont définis dans divers instruments internationaux tels que la déclaration universelle des droits de l’homme, les conventions fondamentales de l’OIT, les principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, la charte sociale européenne etc…

– ce qu’il appelle la dimension verticale : la fourniture de biens et services qui contribuent à améliorer le niveau de vie : l’eau et son traitement, la santé, l’accès à Internet, les transports etc

Par conséquent, la taxonomie sociale double le critère de l’activité économique qui, en elle-même, peut être durable, d’un critère lié au comportement particulier de l’entreprise qui peut être ou pas durable. Ainsi, une entreprise de traitement de l’eau ne sera pas considérée comme durable si elle ne respecte pas les droits syndicaux de ses employés, ou si elle n’a pas pris de mesures contre la corruption ou les discriminations, si elle détruit les communautés indigènes etc

En d’autres termes, s’agissant de la dimension sociale du développement durable, il n’est pas possible, comme pour la dimension environnementale, de raisonner uniquement en termes d’activité économique et d’ignorer le comportement particulier de l’entreprise.

Il y a toutefois un point sur lequel la taxonomie sociale rejoint la taxonomie environnementale. Cette dernière considère qu’il y a des activités économiques qui, en tant que telles, ne peuvent être durables. C’est le cas de la production d’électricité à partir de combustibles fossiles solides, c’est-à-dire du charbon qui, quels que soient les efforts fournis par les entreprises concernées, ne pourra jamais être compatible avec l’Accord de Paris. Le rapport du sous-groupe précité suit le même raisonnement et considère qu’une activité peut être par nature « significativement nuisible » dans deux cas :

– lorsque ses effets préjudiciables ont été scientifiquement prouvés ;

– lorsqu’elle est prohibée par des conventions internationales

Si le premier cas vise l’industrie du tabac, le deuxième cas est illustré dans le rapport par le secteur de l’armement et la prohibition, par les conventions internationales, de certains types d’armes. Une entreprise qui produirait des mines antipersonnel, lesquelles sont prohibées par la convention d’Ottawa, ne serait jamais, en aucune circonstance, considérée comme durable. Si une telle exclusion ne semble pas contestable par votre rapporteur, le risque est qu’elle soit par la suite subrepticement étendue à l’ensemble de la production d’armement, ce qui est le cas pour l’écolabel européen pour les produits financiers de détail.

2.   Le projet d’écolabel européen pour les produits financiers de détail

Parallèlement à l’élaboration de la taxonomie européenne des activités durables, qui est encore dans une phase préparatoire, la Commission européenne travaille actuellement à la création d’un écolabel européen pour les produits financiers de détail. Bien que taxonomie et écolabel obéissent à la même logique qui est d’orienter les investissements vers des activités et des entreprises considérées comme durables selon les critères qu’ils définissent, leurs différences sont nombreuses en termes de :

base légale : l’écolabel européen relève du règlement n° 66/2010 du 25 novembre 2009 établissant le label écologique de l’UE ;

procédure : elle repose sur une série de rapports techniques conclus par un rapport final incluant les propositions de critères. Ce rapport est transmis au comité de l’Union européenne pour le label écologique (CUELE), composé notamment de représentants des États membres, puis à la Commission européenne. Une fois validé, il est soumis à consultation du public. Deux mois plus tard et sous réserve d’éventuelles modifications, l’écolabel est adopté par une décision de la Commission européenne ;

calendrier : le quatrième et dernier rapport technique a été examiné par le CUELE en mars dernier. La procédure est donc entrée dans sa dernière ligne droite, avec un rapport final qui sera publié dans les prochaines semaines.

Toutefois, malgré ces différences, le lien entre les deux est très étroit. En effet, pour des raisons évidentes de cohérence, l’écolabel européen s’appuiera sur la taxonomie des activités économiques considérées comme durables. Il serait en effet incompréhensible qu’une activité soit considérée comme telle dans la taxonomie et pas dans l’écolabel, et inversement. La Commission européenne, décisionnaire dans ces deux projets très sensibles, y veillera, sous le regard attentif des États membres et des industries concernées.

Toutefois, pour logique que soit cet alignement, il pourrait ne pas être parfait, pour des raisons tenant au décalage de calendrier entre l’élaboration de la taxonomie sociale et celle de l’écolabel. En effet, l’écolabel européen pour les produits financiers de détail pourrait être adopté formellement dans les prochains mois alors que les travaux sur la taxonomie sociale n’aboutiront pas avant, probablement, plusieurs années. Dans ces conditions, l’écolabel européen est en mesure, pour ses critères autres qu’environnementaux, de définir son propre standard, lequel peut aller au-delà des normes communément admises en matière de durabilité sociale. L’organisme en charge de son élaboration le reconnaît lui-même dans son dernier rapport technique, lequel « suggère des exclusions sociales au-delà de celles de la taxonomie européenne, qui se borne à définir des garanties sociales minimales. […] En agissant de la sorte, l’écolabel européen agirait comme un label d’excellence et apporterait une protection contre les impacts sociaux négatifs et les effets indésirables ».

L’élaboration de l’écolabel repose en effet sur un travail technique réalisé par un organisme dépendant de la Commission européenne : le centre de recherche commun de l’Union européenne (CRC), agissant pour le compte de la DG de l’environnement et de la DG pour la stabilité financière, les services financiers et les marchés de capitaux. Concrètement, les travaux qu’il mène prennent la forme d’un rapport technique, sur la base duquel une consultation des différentes parties prenantes, incluant celle des gouvernements, est organisée, ouvrant la voie à un deuxième rapport technique prenant en compte leurs observations et ainsi de suite. Le quatrième et dernier rapport technique a été publié en mars 2021.

Ce quatrième rapport se caractérise par un durcissement considérable du critère social depuis le troisième rapport technique, en particulier pour les entreprises de défense. En effet, le troisième rapport technique proposait d’exclure, sur la base du critère social, deux types d’entreprises :

– les entreprises dont le chiffre d’affaires provient « de la production ou du commerce d’armes controversées qui relèvent des traités internationaux suivants : convention sur les armes chimiques, convention sur les armes biologiques, convention d’Ottawa (interdisant les mines antipersonnel), convention d’Oslo (interdisant les armes à sous-munitions) et traité de non-prolifération des armes nucléaires » ;

– les entreprises dont les chiffres d’affaires proviennent « de la production ou du commerce des armes ou de produits militaires utilisés pour le combat lorsqu’il y a des preuves de leur vente à des pays faisant l’objet de mesures restrictives de la part de l’Union européenne ».

Par conséquent, l’exclusion auparavant proposée, très encadrée et ciblée sur le respect du droit international et européen, n’aurait affecté qu’une part très limitée des entreprises de défense européenne.

Tout autre est le critère issu du 4e rapport technique. Celui-ci propose désormais d’exclure du futur écolabel européen les entreprises dont le chiffre d’affaires provient de la production ou du commerce d’armes controversées relevant des conventions précitées mais également et surtout toute entreprise dont « plus de 5 % du chiffre d’affaires provient de la production ou de la vente d’armes conventionnelles et/ou d’équipements militaires utilisés pour le combat ». C’est donc désormais la totalité des entreprises de défense qui seraient exclues du futur écolabel européen car ne respectant pas le critère « social » ainsi défini.

La justification donnée à un tel durcissement est pour le moins succincte : « la rigueur de ce seuil [de 5 %] a été définie conformément aux autres labels nationaux ». La référence à l’écolabel belge est transparente mais la justification un peu courte. En réalité, il faut considérer que, pour les auteurs de ce rapport, l’activité de production d’armes est considérée par elle-même et en toutes circonstances comme socialement nuisible, reprenant sans filtre la position des ONG les plus opposées à l’industrie de défense.

B.   Des conséquences importantes sur la BITD et sur l’autonomie stratégique européenne

1.   L’aggravation des difficultés de financement de la BITD européenne

Dans l’hypothèse où le futur écolabel applicable aux produits financiers de détail exclurait les entreprises réalisant plus de 5 % de leur chiffre d’affaires dans la vente ou le commerce des armes et/ou des équipements militaires utilisés au combat, tel que le propose le rapport technique précité, les difficultés de financement de la BITD seraient forcément aggravées, directement et indirectement.

En préalable, il convient de souligner que les produits financiers visés sont très nombreux : actions, obligations, fonds mixtes mêlant actions et obligations, produits d’assurances, incluant les fonds multi-supports de l’assurance-vie… Par conséquent :

les actions des entreprises de défense seraient délaissées par les investisseurs en capital, rendant plus difficile pour elles de se financer via des prises de participation ou des augmentations de capital ;

le placement de la dette des entreprises de défense sur le marché obligataire serait plus difficile. La demande étant moins forte, le taux d’intérêt servi devrait nécessairement être plus élevé, sans garantie de succès mais renchérissant dans tous les cas le coût du financement ;

Dans ces conditions, il restera aux entreprises de défense la possibilité de se tourner vers les banques pour obtenir des financements sans passer par le marché. Toutefois, elles risquent de se heurter à nouveau aux pratiques déjà évoquées de sur-conformité et, surtout, à une réticence accrue des banques au regard du risque de réputation désormais attaché à l’industrie de défense. En effet, les établissements bancaires sont eux aussi engagés dans une démarche de finance durable et portent une attention grandissante à ne financer que des activités elles-mêmes durables. Or, il est plus que probable que les entreprises de défense n’ayant pas ce label, les banques rechignent plus encore qu’aujourd’hui à financer leurs activités, qu’il s’agisse de leur développement ou de leurs exportations, afin de ne pas nuire à leur image, voire à leur propre labellisation, si celle-ci devait être mise en place.

De plus, l’État étant lui-même engagé une démarche de développement durable transformant l’ensemble de l’action publique, il est probable qu’il lui sera de plus en plus difficile de justifier le soutien financier à des activités qui ne sont pas elles-mêmes considérées comme durables.

Enfin, il est évident qu’un écolabel européen excluant les entreprises de défense, s’ajoutant à des écolabels nationaux comportant la même exclusion, influencerait défavorablement les travaux en cours sur la taxonomie sociale des activités économiques.

2.   Un risque majeur pour l’autonomie stratégique européenne

Un BITD européenne faisant face à des difficultés de financement, à la fois en capital et en crédit, pour ses activités de développement et ses activités d’exportation, c’est évidemment une BITD affaiblie, affaiblissement lourd de conséquence pour l’autonomie stratégique européenne.

Si les investisseurs se détournent des actions cotées des entreprises de défense européenne, le cours de celles-ci baissera, diminuant leur capitalisation et faisant d’elles des cibles plus faciles pour leurs concurrentes étrangères, en particulier américaines. Le passage sous pavillon américain des fleurons européens viderait de sa substance l’ambition européenne de l’autonomie stratégique, tour en compliquant la mise en œuvre d’initiatives majeures telles que le Fonds européen de défense.

Pour les entreprises qui ne sont pas cotées, notamment les start-ups, les PME et les ETI, il est évident qu’attirant moins les fonds de capital-risque, elles auraient moins de moyens pour se développer. Or, ces entreprises sont les fers de lance de l’innovation et sans elles, sans les projets audacieux qu’elles portent, c’est la capacité d’innovation de la BITD européenne qui serait amoindrie et, avec elle, la place de l’Union européenne dans la course pour la maîtrise des nouvelles technologies à la base des armements de demain.

Enfin, si les entreprises européennes de défense ne pouvaient plus passer se financer via l’émission d’obligations, c’est le financement des grands projets, pour lesquels des centaines de millions d’euros sont nécessaires, qui pourraient être remis en cause, d’autant que les États européens, de plus en plus endettés, n’auront pas forcément les moyens de pallier leurs difficultés de financement. Moins de grands projets fragiliseraient l’ensemble de la BITD, des plus grands groupes jusqu’aux plus petits fournisseurs. L’alternative d’un financement bancaire apparaît, quant à elle, incertaine pour les raisons évoquées supra.

III.   La proposition de résolution européenne

A.   Revenir sur la proposition d’exclure l’industrie de défense de l’écolabel européen

Les conséquences d’un écolabel européen sur les produits financiers de détail qui exclurait les entreprises européennes de défense auraient un tel impact sur les conditions de financement de celles-ci et sur l’ambition d’une autonomie stratégique européenne qu’il apparaît nécessaire de revenir sur la proposition faite dans le 4e rapport technique du centre de recherche commun de l’Union européenne. En outre, un tel retour aurait le mérite de la cohérence. Comment, en effet, défendre, comme la présidente de la Commission européenne, l’autonomie stratégique de l’Union européenne et, dans le même temps, soutenir l’adoption de mesures qui affaiblissent une composante essentielle de celle-ci ?

En effet, une telle sévérité à l’égard de ces entreprises n’est guère expliquée par les auteurs du rapport technique autrement que par un copier-coller de certains labels nationaux. C’est un peu court et fait fi de l’engagement considérable des groupes européens de défense en faveur du développement durable dans toutes ses dimensions, couronnés le cas échéant par l’octroi des certifications internationales les plus exigeantes :

– environnement : certification ISO 14001 (Naval Group, Nexter), réduction et recyclage des déchets, Stratégie pour un Futur Bas-Carbone (Thales)… ;

– gouvernance : certification ISO 37001 du système de management anticorruption (Thales, Naval Group), part de la rémunération des membres du comité exécutif assise sur les objectifs RSE, code de conduite (MBDA, Airbus)… ;

– social : promotion de la diversité et de l’égalité homme/femme, accessibilité aux handicapés, lutte contre les discriminations, certification ISO 9001 (Naval Group)….

En d’autres termes, les exigences du développement durable guident d’ores et déjà l’action des grands groupes européens de défense, lesquels les répercutent sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Non seulement leurs pratiques internes ont évolué dans le bon sens, mais leur activité industrielle elle-même prend en compte les enjeux du développement durable et, en particulier, les enjeux environnementaux. Ceux-ci sont désormais intégrés dans la conception même des produits (réduction des consommations d’énergie et des émissions de CO2 des produits en phase d’usage, recours à des ressources durables pour la conception et la fabrication des produits, optimisation de la gestion de la fin de vie) afin de limiter l’impact de leur production et de leur utilisation sur l’environnement.

Certes, il n’est pas dans l’intention de votre rapporteur de « repeindre en vert les missiles », pour reprendre l’image parfois utilisée par les ONG. L’industrie de défense ne sera jamais, comme l’industrie de l’énergie ou les transports, au cœur de la lutte contre le réchauffement climatique. Il attire simplement l’attention sur le fait que la proposition du CRC d’exclure les entreprises de défense de l’écolabel européen ne repose pas sur une analyse du caractère durable ou non de leur activité ou de leurs pratiques, mais sur un jugement moral, qui considère l’industrie de défense est aussi nuisible, en tant que telle, pour l’être humain et la société dans son ensemble, que l’industrie du tabac, ou encore que l’entreprise qui produit des gilets pare-balles ou des radars « utilisés au combat » doit être traitée de la même manière que celle qui fabrique des mines antipersonnel ou fournit des armes à des pays sous embargo international.

Un tel simplisme dans l’analyse de l’industrie de défense, qui la réduit à une « industrie de la mort », sans nuance et sans tenir aucun compte de ses autres dimensions, pourtant essentielles, laisse pantois.

C’est pourquoi la proposition de résolution européenne demande, avant tout, à la Commission européenne de revenir sur la proposition du 4e rapport technique du centre commun de recherche, au profit de la proposition issue du 3e rapport technique, bien plus équilibrée et pertinente puisqu’elle n’exclurait de l’écolabel européen que les seules entreprises tirant leur revenu de la fabrication ou de la vente d’armes prohibées par les conventions internationales ou de la vente d’armes conventionnelles aux pays faisant l’objet de sanctions européennes. Pour le reste, il appartiendrait aux entreprises de défense de faire la preuve, comme les autres, de leur engagement dans toutes les dimensions de la durabilité sociale pour, le cas échéant, pouvoir bénéficier de l’écolabel.

B.   Promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la BITD européenne

Cet a priori moral, qui met à l’index l’industrie de défense au même titre que l’industrie du tabac, ignore totalement les spécificités de celles-ci et ce qu’elle apporte aux États, aux peuples européens et au développement durable luimême.

Il est vrai que les armes peuvent tuer mais la BITD, dans l’Union européenne, n’a pas vocation à être au service d’une politique d’agression. Celle-ci et ses membres promeuvent la paix à l’intérieur comme à l’extérieur. Bien au contraire, composante essentielle de la souveraineté des États, elle leur donne les moyens de défendre, en toute autonomie, leurs intérêts sur la scène internationale, là même où ils sont menacés par l’agressivité d’autres États.

En poussant plus loin le raisonnement, non seulement la BITD donne à l’Union européenne les moyens de défendre ses intérêts mais également de protéger ses valeurs, partout où celles-ci sont menacées. En d’autres termes, sans entreprises de défense à même de lui fournir les moyens militaires nécessaires, y compris létaux, l’Europe ne sera pas en mesurer d’intervenir pour, par exemple, sauver une population victime d’une épuration ethnique ou d’un génocide et, d’une manière générale, garantir le respect des droits humains. Bien sûr, il lui serait toujours possible de se fournir « sur étagère » auprès d’entreprises étrangères ; toutefois, si de tels équipements sont à l’évidence utiles et nécessaires, pourquoi se priver, sinon par idéologie, de la possibilité de financer dans les meilleures conditions leur production sur le territoire européen ?

Enfin, au terme de ce raisonnement, votre rapporteur en revient à l’objet de la PPRE : le développement durable. Pour se développer, une société et, en son sein, ses acteurs économiques, ont besoin d’un environnement stable, dans lequel la sécurité des biens et des personnes ainsi que les besoins essentiels de celles-ci sont assurés. Sans stabilité, sans sécurité, aucun développement n’est jamais possible, comme le montre malheureusement la situation de bien des régions du monde. Fournir les moyens de cette sécurité, dans un cadre régulé comme celui de la défense, c’est contribuer au bien-être durable d’une société.

Dans ces conditions, le moins serait la BITD ne soit pas défavorisée par rapport aux autres secteurs économiques pour des raisons essentiellement morales. Bien plus, il serait tout à fait pertinent que les entreprises de défense puissent bénéficier, comme votre rapporteur l’a proposé dans la mission « flash » précitée, d’un label dédié aux industries de souveraineté, intégré le cas échéant dans le référentiel ISR permettant d’attirer les investisseurs souhaitant soutenir l’indépendance nationale et l’autonomie stratégique européenne.

C.   Mettre à profit la PFUE pour faire valoir au niveau européen les enjeux d’une BITD européenne forte et durable

Au 1er semestre 2022, la France va exercer, pour six mois, la présidence tournante du Conseil des ministres de l’Union européenne. Cette fonction n’est pas qu’honorifique. Elle donnera à notre pays, par la maîtrise de l’agenda européen qu’elle apporte, la possibilité de promouvoir les thèmes qui lui sont essentiels mais également un rôle central dans la négociation des compromis nécessaires pour faire avancer les différents dossiers en cours et, le cas échéant, les orienter.

C’est pourquoi cette présidence française de l’Union européenne peut et doit être mise à profit pour faire valoir les enjeux d’une BITDE européenne forte et durable, au service de l’ambition d’une autonomie stratégique qui soit plus qu’un slogan. Plus précisément, il appartient à la France :

– de clôturer les travaux sur la Boussole stratégique, en veillant à ce que celle-ci mette en avant la nécessité de maintenir sur le sol européen une BITD compétitive et innovante, capable d’investir dans les nouvelles technologies et de réduire la dépendance de l’Union européenne ;

– de mettre les enjeux de la BITD à l’ordre du jour des différentes réunions, sommets et conférences qui jalonneront la présidence, afin d’en faire prendre conscience et les institutions européennes, et les États membres ;

– de peser sur les travaux en cours en matière d’écolabel européen et de taxonomie sociale européenne, afin que ceux-ci prennent en compte la contribution de la BITD au développement durable, développement durable qui serait compromis si l’Union européenne n’était pas capable d’assurer elle-même sa sécurité et de défendre ses intérêts et valeurs dans le monde.

IV.   Les modifications apportées à la PPRE par la commission des affaires européennes

Lors de l’examen de la présente PPRE, la commission des Affaires européennes a adopté un amendement présenté par votre rapporteur, visant à clarifier le double objet de la PPRE au regard des menaces pesant sur le financement de la BITD, en insistant, après l’écolabel sur les produits financiers de détail, sur l’enjeu que représente pour cette dernière la future taxonomie sociale européenne.

Désormais, celle-ci demande « à la Commission européenne, dans l’élaboration à venir de la taxonomie sociale des activités économiques, de reconnaître le rôle social positif de l’industrie de défense en tant qu’elle contribue à la fourniture d’un besoin essentiel des citoyens européens qu’est la sécurité, tout en donnant à l’Union européenne les moyens de son autonomie stratégique ».

 


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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 15 décembre 2021, la Commission a examiné l’article unique de la proposition de résolution européenne de Mme Françoise Dumas, M. Jean-Louis Thiériot et plusieurs de leurs collègues visant à protéger la base industrielle et technologique de défense et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne de la finance durable (n° 4727) (M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur).

Mme la présidente Françoise Dumas. Chers collègues, nous sommes réunis afin d’examiner la proposition de résolution européenne visant à protéger la base industrielle et technologique de défense et de sécurité européenne des effets de la taxonomie européenne de la finance durable. J’ai eu le plaisir d’élaborer ce texte avec Jean-Louis Thiériot. Vous avez été nombreux à nous apporter votre soutien ; je vous en remercie vivement. Je m’en réjouis d’autant plus que l’adhésion transpartisane à cette proposition de résolution traduit, une fois encore, notre attention collective à la vitalité de notre industrie de défense et, ce faisant, à notre autonomie stratégique.

 Bien que l’Union européenne semble enfin prête à se préoccuper de sa puissance et de sa place dans un monde menaçant, il est important de surmonter les résistances qui existent ici ou là – et surtout à Bruxelles. J’en veux pour preuve les travaux engagés par la Commission européenne sur l’écolabel pour les produits financiers de détail, comme sur la taxonomie européenne de la finance durable, qui pourraient conduire à considérablement compliquer le financement du secteur de la défense et, in fine, d’affaiblir l’industrie de défense et de sécurité européenne dans sa globalité.

 De telles orientations me paraissent en tout point contrevenir aux objectifs poursuivis par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, comme par la plupart des États membres, lesquels ont bien compris que le renforcement de la défense européenne conditionnait la survie de l’Union dans le concert des nations. C’est d’ailleurs cette prise de conscience qui a conduit à l’élaboration du Fonds européen de la défense, doté de 8 milliards d’euros.

 C’est à ces questions qu’est consacrée la proposition de résolution soumise à notre examen. Je ne peux qu’espérer qu’elle soit reprise à son compte par le Gouvernement dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

 Je vous propose de désigner comme rapporteur naturel Jean-Louis Thiériot, qui a déjà défendu la proposition de résolution mercredi dernier devant la commission des affaires européennes – avec succès, puisqu’elle a été très largement adoptée.

 M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. La proposition de résolution dont nous débattons revêt une importance singulière et mérite d’être marquée d’une pierre blanche. Elle reflète une préoccupation très largement partagée dans cette commission et, je l’espère, dans le pays. Françoise Dumas et moi-même avons eu l’occasion d’en parler et nous avons fait le choix de travailler sur ce sujet d’intérêt national ensemble, avec les différents groupes de la majorité et le principal groupe de l’opposition – Les Républicains. Le texte a été cosigné par de nombreux parlementaires de tous bords, ce qui témoigne de l’importance de la question.

 De fait, la base industrielle et technologique de défense (BITD) revêt une importance considérable, en particulier pour la France, et ce non seulement sur le plan de la politique de sécurité et de défense, mais aussi sur le plan économique : elle rassemble 4 000 entreprises et emploie 200 000 personnes sur tout le territoire. C’est là une singularité française, car dans bien d’autres pays européens, comme l’Allemagne et l’Italie, l’industrie de défense est moins stratégique sur le plan économique.

 Or, la BITD est confrontée à des menaces, parmi lesquelles figurent les modalités de son financement. On se souvient du cri d’alarme lancé par le délégué général pour l’armement (DGA), Joël Barre, concernant la frilosité des banques. Cela avait conduit la commission à lancer une mission flash, confiée à Françoise Ballet-Blu et à moi-même. Nous nous étions efforcés d’effectuer un travail aussi complet que possible et avions œuvré en parfaite harmonie. Nous avions constaté que des menaces pesaient effectivement sur la BITD, et ce pour les deux types de financement possibles, à savoir par les banques et par des fonds propres. Cela s’explique par des problèmes de compliance, voire de sur-compliance, de risque réputationnel et, en ce qui concerne plus spécifiquement les fonds propres, par le rythme particulier de l’investissement de défense, marqué par des cycles beaucoup plus longs que d’autres activités économiques : alors que la durée moyenne de la présence d’un fonds dans un investissement est généralement de cinq à sept ans, l’industrie de défense requiert un temps plus long.

 Dans un monde de plus en plus incertain, marqué par une conflictualité accrue, et alors que nous nous battons pour garantir l’autonomie stratégique de l’Europe, nous avons besoin d’une industrie de défense plus solide et plus résiliente. Pour ce faire, il importe d’éviter de créer de nouveaux freins à l’investissement. Or, de ce point de vue, on observe une schizophrénie des institutions européennes. En effet, d’un côté, la création du Fonds européen de la défense vise à renforcer la BITD européenne, ce qui est une bonne chose et représente un symbole fort, même si le fonds est moins bien doté que prévu – 8 milliards, contre 13 milliards initialement –, mais, de l’autre, la taxonomie de la finance durable et l’écolabel pour les produits financiers de détail sont susceptibles de freiner son développement.

 Alors que notre pays se prépare à prendre la présidence du Conseil de l’Union européenne, la proposition de résolution européenne vise à appeler l’attention sur ce risque et à provoquer une mobilisation générale pour que l’Europe ne se prive pas elle-même des outils dont elle a besoin.

 La taxonomie de la finance durable, issue du règlement 2020/852, s’inscrit dans le projet de Green Deal. Compte tenu de la nécessité d’opérer la transition écologique et de parvenir à la neutralité carbone en 2050, il s’agit de réorienter les flux d’investissements vers les industries contribuant au développement durable. Une distinction sera faite entre les activités qui contribuent au développement durable, celles qui sont neutres et celles qui sont nuisibles. À cela s’ajoutera une taxonomie sociale.

 Le secteur de la défense est exclu de ces deux taxonomies. S’il n’est pas forcément évident que l’industrie de défense relève dans la taxonomie environnementale, il n’en va pas de même pour la taxonomie sociale. En effet, celle-ci comprend toute une série de critères liés à l’investissement socialement responsable (ISR) et à la soutenabilité de notre modèle de société, auquel nous sommes tous très attachés. Or, parmi les éléments constitutifs de ce modèle, figurent la sécurité et la liberté. Un pays qui n’assure pas sa sécurité, sa souveraineté et son autonomie stratégique s’expose à voir son modèle social remis en cause. L’enjeu, pendant la présidence française de l’Union européenne (PFUE) et dans les années futures, est donc d’intégrer la souveraineté et la sécurité parmi les critères définissant les investissements socialement responsables.

 Cela suppose de mener un véritable travail intellectuel. Pour avoir échangé avec des parlementaires et des professionnels d’autres pays, je sais que la réflexion sur la question est en cours ailleurs en Europe. Nous avons beaucoup échangé à ce propos avec le Groupement des industries allemandes de sécurité et de défense (BDSV), qui est l’homologue du Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT), du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et du Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN). La Commission européenne a été saisie d’une demande dans ce sens. Autant la coopération entre la France et l’Allemagne est parfois difficile du fait de la concurrence entre nos deux pays, autant, sur ce point, il convient de saluer la convergence totale entre les industriels français et allemands. Ce n’est pas seulement une question de gros sous : il y a surtout 200 000 emplois en jeu dans nos territoires.

 À court terme, l’écolabel européen pour les produits financiers de détail est encore plus inquiétant. Les labels sont très à la mode : tout le monde labellise tout et n’importe quoi. À côté des labels sérieux, d’autres, conçus par des comités Théodule, le sont beaucoup moins. L’une des ambitions de l’Union européenne, parfaitement légitime, est de se doter d’un écolabel européen en matière de finance durable. Le Centre commun de recherche (CCR) de l’Union européenne, qui dépend de la Commission, s’est vu confier la mission de faire des propositions pour définir les critères ce label. Les résultats de ses travaux témoignent d’une évolution extrêmement inquiétante, qui explique que nous soyons montés au créneau.

 Les premiers rapports du CRC n’avaient pas considéré que le secteur de l’armement posait problème. Plus exactement, le troisième avait simplement demandé que soient exclues de l’écolabel les armes controversées, c’est-à-dire interdites par les traités internationaux – par exemple les mines antipersonnel, prohibées par la convention d’Ottawa –, et les entreprises qui vendent des armes à des pays faisant l’objet de mesures de restriction ou d’embargo de la part de l’Union européenne. Cela pouvait parfaitement s’entendre. Le quatrième rapport du CCR, en revanche, s’inspirant d’un label belge intitulé Towards Sustainability, a restreint les conditions d’obtention : les entreprises qui sollicitent le label ne doivent pas tirer plus de 5 % de leur chiffre d’affaires de la production d’armements. Ce revirement que rien de rationnel n’explique me semble dû uniquement au lobbying intense de certaines ONG et à leurs relais au sein du CRC. En seraient donc exclues non seulement la totalité de l’écosystème de défense mais toutes les entreprises duales, dont notre industrie de défense est largement composée. Alors qu’avec Françoise Ballet-Blu, nous avons pointé la difficulté de lever des fonds ou d’émettre de la dette obligataire sur les marchés, inutile de vous dire que les choses seraient encore plus difficiles si cet écolabel était adopté !

 Celui-ci compliquerait donc la mobilisation de capital auprès de fonds privés et rendrait très difficile le placement de dette bancaire sur les marchés, aucun banquier ne prenant le risque de proposer des produits financiers qui en seraient exclus. Il constitue donc un obstacle pour l’innovation européenne, pour nos start-up d’aujourd’hui et nos licornes de demain.

 Enfin, comme nous l’avons vu avec l’affaire Photonis, la BITD pourrait faire l’objet d’une prise de contrôle par l’étranger car des difficultés de financement impliquent une sous-capitalisation qui fragilise une entreprise et en fait une cible. Sur le plan européen et national, le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) est remarquable pour identifier les menaces qui pèsent sur certaines de nos entreprises mais, ensuite, nous devons trouver des solutions financières pour les recapitaliser ou les restructurer.

 Cet écolabel serait donc une catastrophe pour notre industrie de défense.

 À cela s’ajoute que la plupart de nos entreprises de défense ont accompli de gros efforts en matière environnementale et de lutte contre la corruption ; les politiques de gestion de déchets industriels sont innovantes et les gouvernances encore plus socialement responsables. Ces entreprises s’inscrivent explicitement dans le mouvement de la durabilité. Ce sont là autant d’enjeux fondamentaux de la présidence française de l’Union européenne et des combats européens à venir.

 Cette PPRE vise d’abord à demander à la Commission européenne se revenir sur l’exclusion du secteur de la défense de l’écolabel, qui ne figurait pas dans la troisième version du CCR – il n’y a aucune raison pour qu’elle y soit dans la quatrième. J’espère qu’un consensus parlementaire le plus large possible permettra à la Commission de mesurer à quel point cette question est importante.

 Ensuite, elle tend à promouvoir l’innovation au sein de la BITD et à expliquer combien elle est partie intégrante de notre autonomie stratégique, française ou européenne. Je répète une évidence : cela ne signifie en rien que nous serions opposés à l’OTAN qui, avec l’autonomie stratégique, constitue un pilier de la défense européenne.

 Nous appelons également le Gouvernement à peser de tout son poids pour défendre les dossiers de l’industrie de défense et de l’autonomie stratégique, notamment dans le cadre de la « boussole stratégique », dont une partie importante devra concerner la BITD.

 Enfin, nous demandons à la Commission européenne de reconnaître le rôle positif de la BITD dans la taxonomie sociale européenne, car elle contribue à notre sécurité et à notre liberté. La défense doit être considérée comme l’un des éléments de la durabilité : sans une défense solide, donc, une BITD forte, nos sociétés auront le plus grand mal à être durables. Il convient d’engager un véritable travail sur cette question. Ceux à qui, parmi nous, les électeurs auront renouvelé leur confiance dans quelques mois, auront là un beau sujet de réflexion !

 Cette PPRE a donc deux objectifs.

 Tout d’abord, protéger l’Europe contre elle-même quand, parfois, elle veut se montrer plus vertueuse que certains de ses compétiteurs stratégiques – qui peuvent être aussi nos alliés, mais qui n’ont pas nécessairement de telles pudeurs : assumons sans naïveté notre destin d’Europe puissance !

 Ensuite, alors que la France s’apprête à prendre la présidence de l’Union européenne, la représentation nationale doit se montrer le plus largement possible à la hauteur de ces exigences. Sur la BITD, il est impossible de reculer ou de caler !

 Mme Françoise Ballet-Blu. Il est très agréable de constater que les travaux que l’on a menés, en l’occurrence avec M. le rapporteur, trouvent un prolongement dans une proposition de résolution européenne.

 La mission flash dont nous avons remis le rapport le 17 février 2021 a pointé les nombreuses causes de la frilosité des banques à l’endroit des entreprises de l’industrie de la défense. Difficultés dans les exportations d’armements, poids croissant de la conformité, problèmes d’image, montée en puissance des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les stratégies d’investissement des institutions financières, manque de liquidités : les obstacles au renforcement d’une BITD française et européenne sont légion.

 S’il n’est pas scandaleux que la Commission européenne cherche à faire émerger de nouveaux critères en matière de finance durable, il ne faudrait pas que cette nouvelle taxonomie entrave le secteur de l’armement. Il est inutile de rappeler l’importance capitale des entreprises de défense, garantes de la souveraineté de l’Europe, donc, de la France. Je rappellerai simplement que leur chiffre d’affaires, en Europe, s’élève à 100 milliards d’euros et qu’elles emploient directement ou indirectement 1,4 million de personnes.

 Je ne peux que vous appeler à voter en faveur de cette proposition de résolution dans le contexte d’une présidence française de l’Union européenne qui veillera à ce que le Fonds européen de défense soutienne les investissements dans la recherche en matière de défense et de développement de technologies et d’équipements communs, en vue de la création d’une véritable base industrielle et technologique de défense sur le plan européen.

 M. Philippe Meyer. L’enjeu de cette proposition de résolution est fondamental pour notre industrie de défense. Lorsque nous avons la chance de compter ce type d’entreprise dans nos circonscriptions, nous connaissons les savoir-faire français dans ce domaine.

 Pour l’Union européenne et son autonomie, la maîtrise de ces technologies constitue un intérêt stratégique évident. Compte tenu de la situation internationale, la plupart des États renforce leurs dispositifs de défense et sollicite les entreprises afin de bénéficier des meilleurs matériels. Dans le contexte de pénurie que nous connaissons, trouvent-elles la main-d’œuvre qualifiée dont elles ont besoin ? Les autres grands pays européens partagent-ils votre analyse ?

 Les Républicains, quant à eux, voteront résolument en faveur de cette résolution.

 Mme Josy Poueyto. Sur un plan national et européen, l’enjeu de cette PPRE est évidemment transpartisan. Notre groupe salue cette initiative et le travail accompli.

 Il importe en effet de disposer d’une BITD puissante afin de parvenir à l’autonomie stratégique française et européenne.

 Les acteurs de l’industrie de la défense reconnaissent que la poursuite d’un tel objectif n’est possible que dans le respect de l’environnement. Les efforts qui doivent encore être accomplis s’expliquent davantage par la nécessité, pour l’Union européenne, de consolider l’accompagnement de ces entreprises pendant cette transition écologique que par une absence de volonté ou de possibilité.

 Dès lors, nous aurions plus à gagner en soutenant la BITD qu’en l’excluant de la taxonomie européenne. La spécificité du secteur de la défense, loin d’être un obstacle, est un atout.

 Le ministère des armées est parfaitement conscient de ses responsabilités en matière de biodiversité, de gestion des sols et des eaux polluées ainsi que des déchets industriels. C’est pourquoi il s’engage à prévenir et à accompagner les acteurs de notre industrie de défense face aux risques environnementaux.

 À l’instar de Naval Group, qui s’attelle depuis plus de dix ans à mener un travail de fond sur l’écoconception de ses navires et d’autres infrastructures marines, nos petites entreprises doivent être encouragées à aller dans cette direction. Il serait contre-productif de les pénaliser sans les avoir accompagnées.

 De plus, négliger notre autonomie stratégique constituerait un danger pour notre indépendance industrielle – alors que nous sommes remarquablement positionnés sur la scène internationale – et un risque quant à notre capacité de protéger la population européenne et nos territoires.

 Notre groupe votera en faveur de cette proposition de résolution et vous soutient pleinement.

 M. Thomas Gassilloud. Depuis la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, les turbulences, sur le plan mondial, ne cessent de se confirmer, les crises se multipliant même aux frontières de l’Europe.

 Notre BITD doit donc être performante, innovante et capable de couvrir la totalité du spectre des technologies critiques. Or elle ne sera à même d’offrir des capacités aux armées européennes et, ne l’oublions pas, de tirer vers le haut notre secteur civil qu’à plusieurs conditions.

 La première est de continuer à soutenir la BITD française.

 La seconde est de conforter notre industrie de défense européenne et de continuer à soutenir l’achat de matériels européens entre Européens. De ce point de vue, les signaux envoyés ne sont pas toujours positifs – que l’on songe à l’achat des F-35 par les Finlandais pour leur armée de l’air.

 Au-delà de la grande spécificité de ce marché, où la place de l’État dans la vie des entreprises demeure centrale – qu’il soit autorité, actionnaire, client ou partenaire – et où les cycles industriels sont difficilement compatibles avec l’horizon financier du capital-investissement, les entreprises de défense rencontrent de plus en plus de difficultés à accéder aux financements, notamment, les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui paient déjà un lourd tribut à la crise sanitaire.

 Le poids croissant de la conformité s’explique en partie par la loi Sapin 2 encourageant les financeurs à renforcer leurs mécanismes internes de prévention. Les échanges entre les banques et les industriels sont donc devenus plus compliqués et le risque d’image est bien réel, au point que des entreprises doivent parfois fermer. Dans cette situation déjà difficile, le plan d’action de la Commission européenne pour financer la croissance durable présente un nouveau risque. Dès lors, il est primordial de ne pas pénaliser plus encore nos entreprises de défense. Cela ne constitue en rien un acte d’hostilité au projet de taxonomie de la finance verte, par ailleurs important : cette proposition de résolution est un acte fort pour notre souveraineté nationale, en complément des efforts accomplis dans le cadre de la transition écologique.

 Notre groupe soutiendra bien évidemment ce texte.

 M. Yannick Favennec-Bécot. Merci d’avoir fait preuve de vigilance et de nous avoir alertés à temps sur ce sujet ô combien important pour la France et l’Europe, au regard de notre objectif d’autonomie stratégique. Chacun sait l’importance de notre base industrielle et technologique de défense, mais je voudrais revenir sur l’enjeu de puissance et d’indépendance que cette question soulève.

 L’histoire de la construction européenne a été celle de la paix et de la réconciliation d’un continent qui s’est entre-déchiré pendant de trop nombreuses années. Nous avons appris au fil du temps à construire des décisions et des politiques communes en réglant nos différends autour d’une table, en créant une union si fortement intégrée qu’il serait impossible pour deux États d’envisager toute hostilité de l’un envers l’autre.

 Bien qu’encore imparfaite, l’Europe doit désormais se tourner vers un nouvel objectif : établir une stratégie commune pour son action extérieure. La présidente de la Commission européenne ne s’y est pas trompée en indiquant, au début de son mandat, qu’elle souhaitait établir une « Commission géopolitique ». Deux ans plus tard, nous voilà confrontés à une question qui rappelle la nécessité pour l’Europe d’affirmer son autonomie et sa puissance. Personne ne remet en cause l’importance du développement des investissements environnementaux sur le continent et partout dans le monde, mais de nombreuses priorités coexistent, se recoupent et ne doivent pas être regardées de manière binaire.

 Alors que la France occupera bientôt la présidence du Conseil, je souhaite que nous nous montrions fermes sur un sujet qui nous tient à cœur, et que nous ne le sacrifiions pas sur l’autel des ambitions multiples et grandioses dont la France a le secret. En matière de défense, le fonds européen de défense marque une avancée importante, mais son ambition est bien moindre qu’initialement prévu. De même, si l’enjeu de l’autonomie stratégique fait son nid dans la pensée européenne, notre continent reste divisé sur la stratégie internationale et ne parvient pas à imposer une logique en matière de matériel ou d’équipements, comme le montrent, par exemple, les achats d’avions de combat qui privilégient largement le matériel américain. La France doit donc faire preuve de fermeté sur ce sujet, pour montrer qu’elle sait défendre ses intérêts et les faire passer avant ses rêves et ses ambitions diverses.

 Le groupe UDI et indépendants soutiendra cette proposition de résolution.

 M. André Chassaigne. Je crains d’être le seul, dans cette atmosphère consensuelle, à ne pas apporter ma voix à la proposition de résolution européenne. « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil », écrivait René Char. La lumière que je vais vous apporter me sera aussi douloureuse, puisque j’irai à rebours de l’unanimité qui semble se dégager.

 Je comprends l’enjeu, les objectifs recherchés. J’ai conscience de la nécessité de protéger l’industrie de l’armement des effets de ce qu’on appelle la taxonomie européenne de la finance durable – bien que le terme « taxonomie » soit difficile à saisir au premier abord.

 Toutefois, il me semble une erreur de créer des critères spécifiques aux industries de la défense : telle est la raison principale de mon opposition. Vous écrivez, dans votre rapport qu’il faut éviter une mise à l’index mais, selon moi, c’est le résultat auquel mènera la création de cette exception. Appliquer des critères particuliers aux industries de l’armement par rapport aux exigences de la transition écologique entraînera un mouvement contraire qui risque de se retourner contre les objectifs recherchés.

 De manière générale, toutes les exceptions que l’on tente de définir dans le domaine de la transition écologique sont rejetées. À titre d’exemple, dans la dernière niche de mon groupe parlementaire, j’ai défendu une proposition de résolution européenne relative au financement de la transition écologique. J’ai proposé que l’on extraie certains investissements verts de la base de calcul des 3 % de déficit public. On m’a répondu que c’était absolument impossible, que l’on ne dérogeait pas aux règles. En l’occurrence, vous proposez également de déroger à une règle.

 Contrairement à vous, je n’ai pas complètement confiance dans les industries de la défense. Je suis dubitatif quand je vois que certaines entreprises de défense exportatrices d’armes ne remplissent pas leurs obligations réglementaires, ne font pas preuve de la diligence requise s’agissant des droits humains définis par le droit international. Je ne suis pas sûr que leur positionnement sera très différent s’agissant de la protection de la planète. J’ai d’ailleurs écrit à certaines d’entre elles, qui ne m’ont pas répondu. Elles refusent de fournir les informations sur les conséquences potentielles au regard de l’atteinte aux droits humains de leurs exportations d’armes. Je doute de leur devoir de vigilance sur les aspects tant environnementaux qu’humains.

 Je défends de longue date la création d’un pôle public bancaire. De fait, la question se poserait différemment si l’on avait une BPI (Banque publique d’investissement) beaucoup plus puissante, qui finance véritablement les investissements, par exemple dans les domaines régaliens. On aurait un levier très différent de celui qui est constitué par l’investissement des banques. Ces dernières, on le sait, recherchent leurs intérêts et ont pour objectif la réalisation des gains financiers les plus élevés possible. Craignant d’être mises à l’index, les banques pourraient limiter les crédits aux industries de la défense.

 M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Je m’apprêtais à dire qu’il régnait presque une ambiance d’union sacrée. Précisément, Monsieur Chassaigne, nous demandons que la défense ne fasse pas l’objet d’une exclusion sectorielle, notamment concernant l’écolabel en projet, qui exclurait toute entreprise dont au moins 5 % du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires utilisés pour le combat. Nous considérons qu’à partir du moment où les entreprises respectent les règles en matière de durabilité, elles doivent pouvoir obtenir ce label. Nous ne sollicitons pas un traitement particulier de la défense, bien au contraire !

 S’agissant de la création d’un pôle public bancaire, nous n’en avons pas repoussé l’idée dans les travaux que nous avons conduits avec Françoise Ballet-Blu. Celui-ci pourrait intervenir sous forme d’un fonds souverain pour acquérir des participations au capital des entreprises, que l’on ne peut pas mettre sur le marché au risque que des compétiteurs stratégiques ne mettent la main dessus, ou encore d’un financement bancaire. Cela présenterait toutefois une difficulté vis-à-vis des banques qui parviennent, malgré tout, à drainer de l’argent privé pour l’injecter dans l’écosystème de défense. Si on s’orientait vers ce dispositif, le prétexte serait tout trouvé pour que, demain, les marchés financiers et le système bancaire n’apportent plus un kopeck à notre industrie d’armement. La question mérite d’être examinée, mais la réponse n’est pas évidente. Nous avons entendu des avis très contradictoires – je ne parle pas nécessairement des banquiers, qui ne seraient finalement pas mécontents qu’on leur retire cette épine du pied.

 Monsieur Meyer, la pénurie de main-d’œuvre affecte certains secteurs de niche ; on manque notamment de soudeurs et de techniciens dans le domaine électronucléaire et dans le secteur du câblage. Le GICAN et le Campus des industries navales essaient de combler les trous. L’apprentissage ne suffit pas. Certaines PME ont dû faire appel à des soudeurs polonais – mais pas pour les mêmes motivations que d’autres ont eu recours aux plombiers polonais.               L’ensemble des industriels et la DGA traitent très sérieusement le problème.

 Nous sommes le premier pays concerné en Europe, du fait de l’importance de la BITD dans notre tissu industriel. La force motrice, en la matière, est constituée par le tandem franco-allemand – expression que je préfère à celle de couple franco-allemand, car, dans un tandem, il y a toujours quelqu’un qui tient le guidon. À cet égard, le nouvel accord de coalition n’est pas vraiment rassurant, notamment pour le grand export. Je ne pense pas qu’on puisse obtenir un soutien du gouvernement allemand, mais attendons de voir. Les milieux industriels allemands, quant à eux, sont très clairement à nos côtés.

 Nous avons intérêt, me semble-t-il, à nous appuyer sur d’autres partenaires européens, notamment les Italiens, qui ont une véritable industrie de défense. Compte tenu du délai très rapide avec lequel nous avons élaboré cette proposition de résolution, afin qu’elle soit présentée au début de la PFUE, nous n’avons pas eu le temps de nouer des contacts avec nos homologues italiens, exception faite d’une conversation téléphonique que j’ai eue avec les industriels. Ces derniers sont très demandeurs d’une coopération. Les industriels belges semblent avoir la même position dans le cadre du contrat CAMO. Bref, ne nous laissons pas enfermer dans le tandem, ajoutons-y des remorques.

 Mme la présidente Françoise Dumas. Je parlerais plutôt de partenaires.

 M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Tout à fait d’accord.

 Mme la présidente Françoise Dumas. Nous pourrions également solliciter d’autres pays, comme l’Espagne.

 M. André Chassaigne. J’ai été sensible à la réponse du rapporteur concernant l’écolabel. Dans ma circonscription, une entreprise coutelière produit tous les couteaux de l’armée. Je ne souhaiterais pas qu’elle soit pénalisée si, un jour, elle demandait l’écolabel. Je retiens cet argument, qui me semble pertinent. Je ne m’opposerai donc pas à la proposition de résolution, mais m’abstiendrai.

 M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. On se rapproche donc de l’union sacrée. Cela ne m’étonne pas, car nous étions ensemble dans la Résistance !

 Mme la présidente Françoise Dumas. Je vous remercie pour cette réflexion collective, qui débouche sur une quasi-unanimité. Nous avons bien noté la position nuancée de M. Chassaigne.

 

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble de la proposition de résolution européenne est ainsi adopté.

 

 Mme la présidente Françoise Dumas. La conférence des présidents dispose de quinze jours suivant la mise à disposition de la proposition de résolution par voie électronique pour l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée, faute de quoi le texte que nous venons d’adopter sera considéré comme définitif et transmis aux instances européennes et aux parlements nationaux.


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   Proposition de résolution européenne adoptée par la commission de la défense nationale
et des forces armées

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 14 et 42,

Vu le programme du 25 septembre 2015 adopté par l’Assemblée générale des Nations unies intitulé « Transformer notre monde : le programme de développement durable à l’horizon 2030 »,

Vu la communication du 22 novembre 2016 de la Commission européenne intitulée « Prochaines étapes pour un avenir européen durable – action européenne en faveur de la durabilité : questions et réponses »,

Vu le règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 du Parlement européen et du Conseil sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088,

Vu le rapport technique du 5 mars 2021 du Centre conjoint de recherche de l’Union européenne sur le « Development of EU Ecolabel criteria for Retail financial products »,

Vu la communication de la Commission européenne du 30 novembre 2016 intitulée « Plan d’action européen de défense »,

Vu la déclaration du 17 janvier 2019 de Madame Florence Parly, ministre des Armées, au Bourget sur l’industrie de l’armement française et européenne,

Vu la note d’information n° 13 du 6 juillet 2020 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur « les enjeux de la base industrielle et technologique de défense européenne »,

Vu le rapport du 17 février 2021 de la mission flash de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur « le financement de l’industrie de défense »,

Sur l’importance d’une industrie de la défense forte pour l’autonomie stratégique européenne et française

Considérant la crise des organisations multilatérales de sécurité et de coopération le développement accru de la conflictualité, avec un recours de plus en plus désinhibé à la force par les acteurs étatiques et non-étatiques,

Considérant que par la fourniture d’équipements aux forces armées des États membres et de leurs partenaires, l’industrie de défense permet à l’Union européenne d’assurer sa propre sécurité face aux menaces et favorise l’autonomie stratégique dans ses décisions,

Considérant que Madame Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré au Bourget que « notre autonomie politique et opérationnelle repose d’abord sur une autonomie technologique et industrielle » et par la suite aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence qu’il était choquant de « dire que les activités de défense ne doivent pas être financées par les organisations financières et les banques, au même titre que les activités pornographiques »,

Considérant les importantes retombées économiques, sociales, technologiques et fiscales découlant de l’industrie de défense et des activités associées,

Sur les relations entre les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance et la base industrielle et technologique de défense

Considérant que l’application problématique et inappropriée de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance conduit à terme à priver les entreprises européennes de la défense et de la sécurité du bénéfice de certains services financiers et assurantiels,

Considérant qu’il n’y a aucune raison d’exclure a priori un secteur industriel quel qu’il soit d’une démarche de développement durable,

Considérant que certains travaux techniques de la Commission européenne sur l’établissement d’un écolabel pour les produits financiers de détail qui envisagent d’exclure de ce dernier les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat », ne peuvent qu’aggraver la stigmatisation du secteur par les acteurs de la finance,

Considérant la contribution cruciale du secteur de la défense aux Objectifs de développement durables des Nations unies, définis par le programme à l’horizon 2030 et constituant la base de la taxonomie, et notamment le 16e objectif : « Paix, justice et institutions efficaces »,

Considérant l’effort réalisé par la communauté de la défense en vue de la transition écologique, que ce soit sous l’impulsion des différentes forces armées européennes ou des initiatives prises par les entreprises de la défense et de la sécurité,

Considérant que 80 % du foncier métropolitain des armées fait l’objet d’une protection au titre de la biodiversité et que plus de 20 % est classé Natura 2000,

Considérant que les forces armées participent activement à la surveillance maritime du deuxième espace maritime mondial au titre de l’action de l’État en mer pour y préserver notamment les ressources halieutiques et lutter contre toutes les formes de pollution,

Considérant que le ministère des Armées doit être considéré, grâce notamment aux équipements qu’il met en œuvre, comme l’un des acteurs majeurs de la protection des espaces naturels et du respect des normes environnementales promues par la France et l’Union européenne,

Considérant qu’il ne pourra y avoir de politique sérieuse de réduction de l’empreinte environnementale de l’État sans un accompagnement résolu de la transition écologique des équipements militaires et un développement en écoconception des futurs matériels des armées dont la production est européenne à plus de 90 %,

Considérant enfin qu’une production industrielle localisée en Europe contribue aux objectifs d’un développement réellement durable,

Sur l’inopportunité de l’exclusion de l’industrie de défense de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable

Considérant, ainsi que l’a souligné la ministre des armées, qu’une exclusion de l’industrie de défense et de sécurité de certaines dispositions en lien avec la taxonomie européenne de la finance durable relèguerait l’ensemble du secteur au rang des pratiques commerciales irrégulières ou illégitimes, risquant ainsi de paralyser cet écosystème industriel déjà fragmenté et dont les collaborations européennes sont encore trop insuffisantes,

Considérant l’importance sociale, économique et stratégique d’une industrie européenne regroupant plus de 460 000 travailleurs qualifiés et réalisant un chiffre d’affaires de 180 milliards d’euros par an,

Considérant que les entreprises de la base industrielle et technologique de défense souhaitent s’investir de manière positive dans l’élaboration d’une taxonomie européenne de la finance durable,

Considérant que l’écosystème de défense est fermement ancré dans le système juridique de l’Union européenne et de ses États membres, que ces entreprises respectent strictement les conventions internationales applicables et la réglementation du contrôle à l’exportation,

Considérant l’importance des initiatives volontaires de l’Union européenne dans le domaine de la défense (coopération structurée permanente, fonds européen de défense, initiative européenne pour la paix, etc.),

Considérant en conséquence qu’une exclusion de la taxonomie européenne de la finance durable affaiblit significativement les efforts en cours pour le renforcement d’une base industrielle et technologique de défense européenne,

1. Demande à la Commission européenne de revenir sur le projet, formulé par le centre conjoint de recherche de l’Union européenne, d’exclure l’industrie de défense de la taxonomie européenne de la finance durable et également de revenir sur le projet d’exclure de l’écolabel sur les produits financiers de détail les entreprises dont 5 % ou plus du chiffre d’affaires est constitué par des activités de production ou de vente d’armes conventionnelles ou d’équipements militaires « utilisés pour le combat » ;

2. Demande à la Commission européenne, dans l’élaboration à venir de la taxonomie sociale des activités économiques, de reconnaître le rôle social positif de l’industrie de défense en tant qu’elle contribue à la fourniture d’un besoin essentiel des citoyens européens qu’est la sécurité, tout en donnant à l’Union européenne les moyens de son autonomie stratégique ;

3. Insiste sur la nécessité au contraire de promouvoir l’investissement en faveur des entreprises de la base industrielle et technologique de défense européenne afin de doter l’Union européenne d’une autonomie décisionnelle stratégique et lui permettre ainsi d’assurer la sécurité de ses États membres tout en favorisant une approche de développement durable ;

4. Invite le Gouvernement à peser de tout son poids, et notamment à profiter de la prochaine présidence française du Conseil, pour faire valoir auprès des institutions européennes et des autres États membres de l’Union les enjeux liés à l’existence d’une base industrielle et technologique de défense européenne forte dont l’existence est compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris.