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N° 4862

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 janvier 2022.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi relative à la légalisation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de lÉtat,

 

 

 

Par M. Éric COQUEREL,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :  4746.

 


 

 


—  1  —

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Une politique de prohibition et de rÉpression aujourd’hui dans l’impasse

A. une politique RÉPRESSIVE trÈs sTricte nÉgligeant la prÉvention des risques

1. Un cadre législatif commun à l’ensemble des stupéfiants

2. Une politique relevant encore du « tout-répressif »

B. Des rÉsultats trÈs insatisfaisants au regard des MOYENS dÉployÉs par l’État

1. La France championne d’Europe de la consommation de cannabis !

2. Une répression inefficace, vaine et usante pour les forces de l’ordre

3. Un trafic illégal qui gangrène les quartiers populaires

II. LÉGALISONS et RÉGULONS la production, la vente et la consommation de cannabis !

A. un changement de paradigme indispensable

1. Reprendre le contrôle sur les produits mis sur le marché en créant une filière française du cannabis

2. Réorienter l’action des pouvoirs publics en développant une politique de prévention des risques

B. lÉgaliser pour mieux rÉguler

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis

Article 2 Gage financier

EXAMEN EN COMMISSION

Annexe N° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

Annexe 2 : TEXTES SUSCEPTIBLES D’ÊTRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

 

Avant-propos

I. Une politique de prohibition et de rÉpression aujourd’hui dans l’impasse

A. une politique RÉPRESSIVE trÈs sTricte nÉgligeant la prÉvention des risques

1. Un cadre législatif commun à l’ensemble des stupéfiants

2. Une politique relevant encore du « tout-répressif »

B. Des rÉsultats trÈs insatisfaisants au regard des MOYENS dÉployÉs par l’État

1. La France championne d’Europe de la consommation de cannabis !

2. Une répression inefficace, vaine et usante pour les forces de l’ordre

3. Un trafic illégal qui gangrène les quartiers populaires

II. LÉGALISONS et RÉGULONS la production, la vente et la consommation de cannabis !

A. un changement de paradigme indispensable

1. Reprendre le contrôle sur les produits mis sur le marché en créant une filière française du cannabis

2. Réorienter l’action des pouvoirs publics en développant une politique de prévention des risques

B. lÉgaliser pour mieux rÉguler

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis

Article 2 Gage financier

EXAMEN EN COMMISSION

Annexe N° 1 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

Annexe 2 : TEXTES SUSCEPTIBLES D’ÊTRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI


—  1  —

 

Avant-propos

Alors que le discours du ministre de l’intérieur, selon lequel « la drogue, c’est de la merde » ([1]), rappelle l’incapacité de certains responsables politiques à appréhender le sujet du cannabis de manière dépassionnée, le nouveau gouvernement de coalition allemand, alliant les partis écologiste, social-démocrate et libéral, vient de réaliser un grand pas en avant en annonçant son projet de légalisation encadrée du cannabis. Selon le contrat de coalition, le nouveau gouvernement souhaite introduire une « distribution contrôlée de cannabis aux adultes à des fins récréatives dans les magasins agréés, ce qui [permettra] de contrôler la qualité, d’empêcher la distribution de substances contaminées et de protéger la santé publique » ([2]).

Cet accord historique ne sera pas sans conséquences pour la France. À l’instar de ce qui s’est passé dans certaines régions des États‑Unis, notamment le Colorado et ses voisins, la légalisation de la vente de cannabis en Allemagne devrait alimenter le trafic transfrontalier au sein de l’Union européenne. D’autres États européens sont en train de s’engager sur la même voie. Malte est devenu le 14 décembre 2021 le premier pays d’Europe à légaliser l’auto-culture dédiée à la consommation personnelle en usage « récréatif » ([3]). Un autre pays voisin de la France, le Luxembourg, pourrait également faire évoluer sa législation sur le cannabis prochainement en autorisant également l’auto-culture et la consommation dans la sphère privée, à l’instar de l’Espagne où cette situation est tolérée ([4]).

Ces évolutions s’inscrivent dans une dynamique initiée par plusieurs pays – Uruguay (2013), États‑Unis (Colorado, Californie, New York, etc.), Canada (2018), etc. – au cours de ces dix dernières années, qui remet en cause le consensus international forgé au XXe siècle. L’échec des politiques prohibitionnistes et la banalisation de la consommation du cannabis dans de nombreux pays ont conduit un nombre croissant de gouvernants à autoriser et à réguler la production, la vente et l’usage du cannabis, sur le modèle du tabac, plutôt que de maintenir une interdiction stérile, générant de nombreux effets néfastes pour la société.

En France, le débat n’est pas nouveau. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale avait déjà eu l’occasion d’aborder cette question le 31 mars 2021 lors de l’examen d’une proposition de loi similaire de M. François‑Michel Lambert (groupe Libertés et Territoires) ([5]). La présente proposition de loi s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne de nombreux travaux rendus ces dernières années : on citera par exemple le rapport établi en 2011 par le groupe de travail parlementaire présidé par M. Daniel Vaillant ([6]), le rapport publié en 2020 pour le laboratoire d’idées Terra Nova ([7]), la proposition de loi relative à la lutte contre le commerce illégal de drogues déposée par M. Éric Coquerel en mai 2021 ([8]), le rapport de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale rendu le 28 juin 2021 ([9]) ou encore le rapport publié le 7 décembre dernier par la Commission mondiale de politique sur les drogues ([10]).

Très attendues par de nombreux acteurs, les conclusions qui découlent du rapport de la mission d’information sur le cannabis récréatif sont sans appel : la politique de répression menée en France depuis cinquante ans est « un échec total ». La prohibition et les moyens déployés depuis des décennies n’ont pas permis d’atteindre les objectifs fixés de résorption de la consommation de cannabis et de lutte contre les trafics. Les consommateurs sont en effet toujours plus nombreux en France et les chiffres démontrent que la répression, de plus en plus sévère, se concentre essentiellement sur les consommateurs et les « petites mains » du trafic de cannabis, qui se tient bien souvent dans les quartiers populaires. Pire encore, la politique de répression est menée au détriment de la santé publique et des politiques de prévention des risques, parents pauvres de notre politique de lutte contre les substances psychotropes, notamment auprès des jeunes.

Sous ce regard critique, mais néanmoins lucide et objectif, il semble aujourd’hui nécessaire de rompre avec le paradigme punitif global, à la fois inefficace, inadapté et coûteux. La légalisation encadrée de la production, de la vente et de la consommation du cannabis ne relève ni d’un soi-disant « laxisme » ni d’une hypothétique « bien-pensance » ; elle s’impose aujourd’hui comme la solution la plus pertinente.

Elle permettra non seulement d’adapter notre législation à la réalité des dangers du cannabis en France et de transférer le pilotage des politiques en matière de cannabis de la sphère pénale vers la sphère médicale, mais également de réorienter les missions des forces de police afin de lutter plus efficacement contre les trafics illégaux et les réseaux criminels en tout genre.

La présente proposition de loi reprend d’ailleurs les recommandations émises par la rapporteure thématique de la mission d’information précitée, Mme Caroline Janvier (La République en Marche), dont le rapporteur salue la qualité du travail ; la rapporteure thématique estime notamment que « la voie de la légalisation avec un contrôle de l’État est la meilleure façon de protéger les Français » ([11]).

Le cannabis, une substance complexe

Avant d’aborder de manière plus approfondie le sujet de la légalisation du cannabis, il ne semble pas inutile de procéder à quelques rappels de nature lexicale dans la mesure où le cannabis fait régulièrement l’objet de commentaires approximatifs. En effet, le cannabis est souvent renvoyé systématiquement, à tort, à son usage stupéfiant lié à la molécule de THC, le delta-9-tetrahydrocannabinol. Aussi convient-il de rappeler que :

– le cannabis et le chanvre appartiennent à la même espèce, le Cannabis sativa L. Ces deux plantes sont par ailleurs identiques. La seule différence tient à l’usage de la plante et à sa teneur en THC. Ainsi, le chanvre désigne les variétés contenant moins d’un certain pourcentage de THC correspondant au maximum autorisé tandis que le cannabis désigne les variétés contenant un taux de THC supérieur à ce seuil. Celui-ci, qui était fixé à 0,2 % de THC depuis 1990 ([12]), vient d’être relevé à 0,3 % (cf. infra). En définitive, cette différence sémantique a principalement pour but de préciser la légalité ou non du produit ;

– le plant de cannabis est composé de nombreuses substances chimiques, regroupées sous le nom de cannabinoïdes, qui agissent sur le corps humain. Le THC est, à ce titre, le cannabinoïde le plus connu, notamment pour ses effets psychoactifs, addictifs, et est considéré comme stupéfiant au-delà d’un certain taux. Le cannabidiol (CBD) est l’autre cannabinoïde connu du grand public. Contrairement au THC, le CBD est un cannabinoïde aux effets apaisants, non-psychoactifs et non-addictifs ; il est d’ailleurs parfois présenté comme le « cannabis légal » ou « light ». Il convient de préciser que son statut juridique a été renforcé par l’arrêt Kanavape de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 19 novembre 2020. Selon la Cour, la France ne peut, en vertu de « la libre circulation des marchandises », interdire la commercialisation du CBD dès lors que ce produit ne peut pas être considéré comme un stupéfiant, à moins que cette interdiction soit justifiée par un objectif légitime de santé publique ([13]).

 

Faisant suite à cette décision de la CJUE, le Gouvernement vient de préciser, dans un arrêté du 30 décembre 2021 ([14]), le cadre réglementaire régissant le CBD. Sont désormais autorisées « la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de Cannabis sativa L., dont la teneur en delta9tétrahydrocannabinol n’est pas supérieure à 0,30 % ». Ce taux, qui était jusqu’à présent de 0,2 %, a été rehaussé pour anticiper l’entrée en vigueur des nouvelles règles de la politique agricole commune européenne pour la période 2023-2027, qui prévoient de relever le taux autorisé de THC à 0,3 %. En revanche, les fleurs et les feuilles ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre, destinée par exemple à l’alimentation et aux cosmétiques. Il en résulte que « la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d’autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation » sont interdites. Ainsi les produits à fumer, les tisanes ou pots-pourris, qui représentent aujourd’hui la majorité des produits proposés par les commerçants de CBD, sont dorénavant prohibés ;

– le cannabis à usage récréatif peut se consommer non seulement sous forme d’herbe, communément appelée « marijuana », « weed » ou encore « beuh », mais aussi sous forme de résine, également appelée « haschich » ou « shit ». L’herbe et la résine peuvent être fumées, vaporisées ou infusées. Un concentré obtenu par extraction de cannabinoïdes peut être consommé notamment par vaporisation en cigarette électronique.

I.   Une politique de prohibition et de rÉpression aujourd’hui dans l’impasse

Dès 1970, la France s’est dotée d’un arsenal répressif qui n’a jamais cessé de se renforcer au fil des décennies. Le bilan de cette politique du « tout-répressif » menée depuis plus de cinquante ans est à la fois décevant et frustrant au regard des moyens déployés et des résultats obtenus : la mobilisation, au demeurant très coûteuse, des forces de l’ordre et du système judiciaire n’a absolument pas permis d’empêcher la montée en puissance et la pérennisation des trafics, ni de limiter la consommation de cannabis en France. Sur le plan sanitaire, le modèle français est également un échec retentissant.

A.   une politique RÉPRESSIVE trÈs sTricte nÉgligeant la prÉvention des risques

1.   Un cadre législatif commun à l’ensemble des stupéfiants

La loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l’usage illicite des substances vénéneuses a posé le cadre légal de la politique de lutte contre les drogues en France. Ce durcissement législatif est intervenu dans un contexte général de consommation accrue de stupéfiants, à la suite en particulier du décès très médiatisé d’une jeune fille de 17 ans par overdose d’héroïne au casino de Bandol, en août 1969. Cette loi a apporté une réponse harmonisée à la consommation et au trafic de stupéfiants, en plaçant le cannabis sur le même plan que la cocaïne, l’opium, la morphine, la méthadone ou l’héroïne, alors que seule cette dernière substance était impliquée dans le drame de Bandol.

La loi de 1970 se distingue des lois et décrets antérieurs en ce qu’elle vise plus les personnes que les produits. Le rapporteur de la proposition de loi, M. Pierre Mazeaud, déclarait d’ailleurs que « d’une part, il apparaît nécessaire de sanctionner lourdement les trafiquants, d’autre part, il faut amener l’intoxiqué à la guérison. Il s’agit beaucoup plus d’un malade que d’un délinquant. » ([15])

Bien que l’objectif de santé publique soit clairement affiché, la loi de 1970 soulève quelques interrogations légitimes. En consacrant un principe de prohibition et d’abstinence, à laquelle les toxicomanes doivent être contraints, le législateur de 1970 a mis en place un système voué à l’échec dans lequel l’usager est à la fois un délinquant et un malade qu’il convient de traiter.

● L’usage illicite du cannabis est aujourd’hui réprimé par l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique qui prévoit que l’usage de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants par l’arrêté du 22 février 1990 ([16]) est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Depuis le 1er septembre 2020, une amende forfaitaire délictuelle (AFD) pour usage de stupéfiants d’un montant de 200 euros peut être appliquée directement par les forces de l’ordre ([17]). Ce nouveau dispositif d’amende forfaitaire a été mis en place pour renforcer la certitude de la sanction, simplifier les procédures et raccourcir les délais de traitement de cette infraction d’usage par les forces de l’ordre. S’il poursuit des objectifs de célérité et de désengorgement des procédures, le déploiement de cette amende forfaitaire a aussi, et surtout, pour effet de favoriser une politique du chiffre de plus en plus assumée malgré une faible efficacité au regard de l’ampleur du phénomène.

Les dispositions relatives à la répression du trafic des stupéfiants sont, quant à elles, consacrées aux articles 222-34 et suivants du code pénal, le législateur ayant souhaité distinguer les crimes et les délits en lien avec le trafic de stupéfiants. L’article 222-37 prévoit par exemple que les délits de transport, de détention, d’offre, de cession, d’acquisition ou d’emploi illicites de stupéfiants sont punis de dix ans d’emprisonnement et de 7 500 000 euros d’amende.

● La sévérité de la politique répressive française peut surprendre au regard du degré de nocivité du cannabis. Selon le classement des produits les plus létaux établi par la Commission mondiale de politique sur les drogues ([18]), le cannabis se situe à la sixième position alors que l’alcool et le tabac se classent respectivement en troisième et deuxième positions. Le cannabis se hisse également à la huitième position du classement des produits les plus nocifs tandis que l’alcool et le tabac se situent respectivement à la première et sixième positions. Sur ce dernier point, le rapport précise que la nocivité du produit est mesurée à partir de la mortalité et la morbidité pour soi ainsi que pour les autres, l’accoutumance et les conséquences sociales notamment. Le cannabis est par ailleurs beaucoup moins addictif que les autres substances légales (alcool, tabac) ou illégales (cocaïne, héroïne, etc.) ([19]).

Le rapporteur a bien évidemment conscience de la dangerosité du cannabis et il n’est pas question ici de remettre en cause cette réalité. La communauté scientifique rappelle souvent, et de manière unanime, les effets néfastes du THC sur le cerveau des jeunes consommateurs en particulier. Cependant, cette contextualisation vise à replacer la légalisation du cannabis dans le cadre plus large de la régulation des substances psychoactives. Comme l’alcool et le tabac, le cannabis est un produit à risques dont la vente et la consommation doivent faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics.

● Enfin, l’utilisation médicale du cannabis serait même vertueuse pour un certain nombre de pathologies et prometteuse pour d’autres. Depuis récemment, elle fait l’objet d’une expérimentation en France.

L’expérimentation de l’usage médical du cannabis

L’expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis a été introduite par l’article 43 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020. Les conditions de mise en œuvre de l’expérimentation du cannabis thérapeutique ont été définies par le décret n° 2020-1230 du 7 octobre 2020 dont l’article 1er précise que l’usage médical du cannabis est autorisé « pour certaines indications thérapeutiques ou situations cliniques réfractaires aux traitements indiqués et accessibles ». L’expérimentation porte sur un nombre maximal de 3 000 patients traités et suivis. Le décret précise que les produits utilisés pendant l’expérimentation sont soumis au régime des médicaments stupéfiants prévu au code de la santé publique. L’expérimentation a été démarrée le 26 mars 2021 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Clermont-Ferrand avec la première prescription de cannabis thérapeutique.

Cette expérimentation intervient alors qu’un nombre croissant de pays a autorisé l’utilisation médicale du cannabis au cours de ces dernières années. Considéré comme pays pionnier, Israël a mis en place en 2007 un programme de cannabis médical qui bénéficie aujourd’hui à près de 30 000 patients. Au Canada, l’accès au cannabis à des fins médicales a été reconnu comme un droit constitutionnel par plusieurs décisions de la Cour fédérale du Canada en 2000. Enfin, les Pays‑Bas ont été le premier pays en Europe à autoriser l’utilisation médicale du cannabis en 2003.

2.   Une politique relevant encore du « tout-répressif »

La politique répressive menée par la France mobilise fortement les forces de l’ordre. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) évalue d’ailleurs à plus d’un million le nombre d’heures de travail dévolues par les policiers et les gendarmes aux procédures diligentées contre les usagers de stupéfiants, sur la base de six heures par procédure pour usage de stupéfiants, de l’interpellation jusqu’à la destruction des scellés ([20]).

Au total, la dépense publique annuelle engagée pour lutter contre le cannabis a été estimée à 568 millions d’euros. Selon une note du Conseil d’analyse économique de juin 2019 ([21]), ces coûts recouvrent essentiellement les « dépenses liées à la répression, en particulier les actions policières et judiciaires, qui représentent respectivement 70 et 20 % du total ». Les dépenses de soins, de prévention et de promotion de la recherche représentent, quant à elles, uniquement 10 % du budget total de lutte contre le cannabis.

Le rapporteur estime que ces politiques publiques doivent être revues de fond en comble. Il n’est pas normal qu’un pays comme la France consacre si peu de moyens à sa politique de prévention de l’usage du cannabis, notamment auprès des jeunes consommateurs. Il n’est donc pas étonnant que la prévention soit largement présentée comme le parent pauvre de notre politique de lutte contre les substances psychotropes par de nombreux rapports.

B.   Des rÉsultats trÈs insatisfaisants au regard des MOYENS dÉployÉs par l’État

La politique répressive française menée depuis cinquante ans est un véritable fiasco. Guidée par une politique du chiffre qui relève davantage d’une fuite en avant, le régime de prohibition et de répression présente aujourd’hui un bilan peu glorieux. D’une part, la répression n’a atteint aucun des objectifs qui lui étaient assignés et, d’autre part, la situation sanitaire, sociétale et sécuritaire en France s’est dégradée.

1.   La France championne d’Europe de la consommation de cannabis !

Bien que la France soit l’un des pays européens les plus sévères en matière de répression, force est de constater que notre pays reste le champion d’Europe de la consommation de cannabis : près de la moitié des adultes de 18 à 64 ans (44,8 %) ont déjà consommé du cannabis au cours de leur vie alors que la moyenne européenne se situe à 29 % ([22]). À titre de comparaison, aux Pays‑Bas, où le cannabis est légal et en vente libre, le niveau se limite même à 27 %.

Selon les chiffres présentés par M. Julien Morel d’Arleux, directeur de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), lors de son audition organisée par la mission d’information commune de l’Assemblée nationale, 18 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis au cours de leur vie, 5 millions l’ont fait dans l’année, 1,5 million sont des consommateurs réguliers et 900 000 sont des consommateurs quotidiens. Ces chiffres ont d’ailleurs vocation à encore augmenter si l’on en croit la tendance de ces dernières décennies. On constate en effet une hausse constante et généralisée du niveau de consommation de cannabis – qu’il s’agisse d’une expérimentation, d’usage dans l’année ou d’usage régulier ([23]).

évolution des niveaux d’usage de cannabis parmi les 18-64 ans (en %)

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Source : Baromètres santé, Santé publique France, cités par OFDT, Tendances 128, Les niveaux d’usage des drogues illicites en France en 2017.

Selon l’OFDT, la France est le pays dont la prévalence de consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes et les adultes en Europe ([24]). L’entrée des adolescents français dans la consommation est même la plus précoce d’Europe. Le rapporteur s’inquiète d’autant plus que la communauté scientifique a, à de nombreuses reprises, rappelé les effets néfastes du THC sur le cerveau des jeunes consommateurs. Si le cannabis ne présente pas d’effets nocifs sérieux avérés sur la santé des adultes ([25]), dès lors qu’il est consommé modérément, les risques de troubles psychiatriques et de schizophrénie sont avérés lorsque l’usage est précoce et non maîtrisé. Or, les moyens de prévention déployés sont loin d’être à la hauteur des enjeux. Il est donc nécessaire d’agir en allouant de réels moyens en faveur de la prévention des risques de l’usage précoce et non contrôlé du cannabis.

Enfin, la crise sanitaire et les périodes de confinement n’ont absolument pas freiné l’augmentation de la consommation de cannabis. Bien au contraire, la consommation a augmenté malgré les difficultés d’approvisionnement. Les confinements, en particulier le premier qui a eu lieu entre le 17 mars et le 11 mai 2020, ont même entraîné une addiction chez certains usagers.

évolution des usages de cannabis durant le confinement DU PRINTEMPS 2020

Source : OFDT, Cannabis online 2020.

En tout état de cause, l’augmentation constante de la consommation du cannabis en France révèle une certaine forme de banalisation du produit chez les Français, qui entre en contradiction avec le cadre légal répressif décrit plus haut.

2.   Une répression inefficace, vaine et usante pour les forces de l’ordre

La politique de répression à l’égard du trafic et de la consommation de cannabis n’a cessé de s’intensifier au cours des dernières décennies.

Les affaires liées au trafic de stupéfiants ou à leur consommation ont explosé entre 1990 et 2010, passant de 14 000 affaires enregistrées par la police ou la gendarmerie nationale en 1990 à 100 000 affaires en 2010 ([26]). Depuis 2016, ce sont en moyenne 208 000 personnes qui sont mises en cause chaque année pour usage ou trafic de stupéfiants en France : 179 000 pour des infractions d’usage, 44 000 pour des infractions liées au trafic et 2 000 pour d’autres infractions relatives à la législation sur les stupéfiants (ILS), étant précisé que parmi elles, 17 000 sont mises en cause pour des infractions liées à plus d’une de ces catégories. Au total, cela représente 18 % de l’ensemble des personnes mises en cause par la police ou la gendarmerie ([27]).

● De toute évidence, ces chiffres révèlent une politique répressive principalement tournée vers les usagers, favorisée par une politique du chiffre désormais entièrement assumée par le ministre de l’intérieur. L’augmentation importante des ILS relevées depuis la fin de l’année 2021 coïncide d’ailleurs avec le recours massif à l’amende forfaitaire délictuelle. Le rapporteur constate que les moyens et l’énergie déployés par les pouvoirs publics s’inscrivent principalement dans une politique du chiffre menée à l’encontre des consommateurs et des « petites mains » du trafic, et non à l’encontre des têtes de réseaux.

évolution trimestrielle du nombre de mises en cause pour usage et trafic de stupéfiants (2016-2020)

Cette politique se révèle inefficace dans la pratique. Les acteurs de terrain estiment, de manière unanime, avoir l’impression de « vider l’océan avec une petite cuillère » ([28]). Les actions entreprises par les services de police, dont les effectifs ont été compressés par les gouvernements successifs, n’ont que pour effet de déplacer les points de vente. Quand ils ne sont pas relâchés, les dealers sont rapidement remplacés.

En outre, les quantités de produit saisies par les forces de l’ordre ne représentent qu’une goutte d’eau dans ce vaste marché lucratif. Comme le remarquait justement M. François-Michel Lambert, les policiers ressentent une profonde lassitude face à cette politique de répression peu efficace qui ne parvient pas à régler les problèmes de fond ([29]).

S’agissant des réponses pénales apportées aux infractions relatives à la législation sur les stupéfiants, celles-ci varient selon la nature de l’infraction : si les auteurs d’infractions d’usage de stupéfiants font l’objet d’une mesure alternative dans plus de la moitié des cas, les personnes mises en causes pour des infractions liées au trafic sont majoritairement poursuivies devant les tribunaux (59 %) et sont huit fois sur dix condamnées à une peine d’emprisonnement.

● Cette politique ne permet pas pour autant de lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants qui continue de sévir sur l’ensemble du territoire. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le trafic représenterait 21 000 emplois en équivalents temps plein (ETP) ([30]) même si l’immense majorité des acteurs de ce secteur travaille à temps partiel. Au total, le trafic de stupéfiants ferait vivre 240 000 personnes en France. Se fondant sur les chiffres d’un rapport de la MILDECA et de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) pour l’année 2010 ([31]), l’INSEE a évalué en 2018 la consommation de drogues en France à 3,1 milliards d’euros pour l’année 2014. Ce chiffre constitue sans doute une évaluation basse au regard des risques de sous-déclaration par les personnes interrogées ([32]). Enfin, il apparaît que le trafic de stupéfiants est concentré dans certains départements. On estime autour d’un milliard d’euros le chiffre d’affaires de la drogue en SeineSaintDenis, soit l’équivalent de la moitié du budget du conseil départemental ([33]).

3.   Un trafic illégal qui gangrène les quartiers populaires

Le trafic de stupéfiants, et notamment celui du cannabis, obéit aux règles les plus sauvages du capitalisme et de la concurrence, qui pénalisent en premier lieu les quartiers populaires, notamment en Seine‑Saint‑Denis.

● Les victimes de ce trafic, qui en génère d’autres comme le trafic d’armes, sont nombreuses :

– les habitants de ces quartiers qui subissent non seulement une forme de « privatisation » délinquante des lieux de vie communs mais également l’abandon de certains professionnels qui n’osent plus venir s’installer dans ces quartiers ;

– les usagers qui consomment des stupéfiants de qualité toujours plus dégradée et addictive. Cette dégradation augmente le risque de surdoses, d’overdoses ou de dommages sur le psychisme des consommateurs ;

– la collectivité dans son ensemble dans la mesure où celle-ci se retrouve, de fait, privée d’une ressource fiscale importante alors que les conséquences sanitaires de la drogue pèsent sur le budget de l’État et de notre fragile système de sécurité sociale.

● Au milieu de ce sombre tableau, les « petites mains » du trafic demeurent les premières victimes des règlements de compte sur fond de trafics. En 2020, le comité interministériel de lutte contre les stupéfiants a recensé 110 victimes dont 44 décès liés à des règlements de compte ([34]). En février 2020, on dénombrait quasiment un mort par jour lié au trafic de stupéfiants, soit un résultat jamais vu !

À l’opposé des têtes de réseau dont certaines ont pu faire fortune, les « petites mains » du trafic se retrouvent au milieu de ce monde violent et sans pitié. Il s’agit de jeunes, souvent des mineurs, attirés par le mythe de l’argent facile et chargés de faire le guet aux abords des points de vente ou de vendre le produit aux clients. Ils sont pour la plupart issus de quartiers où la précarité, à la fois économique et sociale, irrigue le quotidien des riverains et où le décrochage scolaire est statistiquement le plus important. Ces quartiers vulnérables représentent alors une aubaine pour le trafic qui ne rencontre dès lors aucune difficulté pour recruter de la main d’œuvre bon marché, prête à s’impliquer dans le trafic, voire à se sacrifier, pour subvenir à leurs besoins.

● Enfin, à l’instar des autres secteurs d’activité, le marché du trafic de stupéfiants a lui aussi été affecté par la crise de la covid-19 : la crise a engendré des pressions importantes, liées aux difficultés d’approvisionnement conjuguées à une augmentation notable des prix, qui ont eu pour effet d’attiser ou renforcer certaines rivalités entre groupes de trafiquants que ce soit pour la conquête ou la protection d’un territoire de vente.

II.   LÉGALISONS et RÉGULONS la production, la vente et la consommation de cannabis !

Les Français semblent de plus en plus enclins à légaliser le cannabis. À cet égard, les résultats de la consultation citoyenne organisée par l’Assemblée nationale sur l’usage du cannabis dit « récréatif » dans le cadre de la mission d’information précitée, sont éclairants ([35]).

Près de 81 % des répondants (177 000 personnes) se sont prononcés en faveur de la légalisation de la production et de la consommation du cannabis et 14 % en faveur d’une dépénalisation de la consommation et de la possession de petites quantités de cannabis provenant du marché illégal. Dans le même temps, seuls 1 % des participants (1 800 personnes) se sont exprimés en faveur du statu quo et 5 % en faveur d’un renforcement des sanctions contre le trafic ou l’usage illégal de cannabis.

Ces chiffres, qui confirment une tendance déjà constatée lors de précédentes consultations, mettent en évidence une prise de conscience encore impensable il y a encore dix ou vingt ans : l’échec de la politique de prohibition et de répression française est de plus en plus flagrante aux yeux des Français qui considèrent aujourd’hui que le cadre légal en vigueur doit évoluer. Cette prise de conscience généralisée ne peut et ne doit plus être ignorée par le législateur : il est grand temps de changer de paradigme, en passant de l’interdiction à la régulation du cannabis, et ainsi mettre fin à une hypocrisie qui n’a que trop duré !

A.   un changement de paradigme indispensable

1.   Reprendre le contrôle sur les produits mis sur le marché en créant une filière française du cannabis

● La prohibition du cannabis empêche par nature le contrôle des substances vendues sur le marché noir. Or, celles-ci sont de plus en plus chargées en THC. La teneur en THC des produits vendus a considérablement augmenté ces dernières années. Celle de la résine a presque triplé en quinze ans pour atteindre 26,5 % en 2018 tandis que celle de l’herbe a augmenté de 40 % pour atteindre plus de 11 % en 2018 ([36]). En outre, le cannabis est de plus en plus nocif puisque les trafiquants le coupent avec d’autres produits, dont certains sont impropres à la consommation, pour en renforcer les effets ou le poids et ainsi augmenter leurs profits.

La légalisation de la production et de la vente permettrait de garantir une certaine traçabilité. Non seulement les caractéristiques des substances commercialisées devraient respecter la réglementation qui serait définie, mais celles-ci feraient aussi l’objet de contrôles tout au long de la chaîne d’approvisionnement. La création d’une filière française du cannabis, de la mise en culture à la vente par des débitants agréés, constituerait de ce point de vue un gage de qualité.

● Une telle filière représenterait une nouvelle opportunité pour l’économie française. Il est par définition très difficile d’évaluer le chiffre d’affaires du marché illégal du cannabis en France. À titre de rappel, le chiffre d’affaires s’obtient en multipliant les quantités vendues par le prix hors taxes (HT).

Dans une étude publiée en mars 2020, l’OFDT a estimé, à partir du montant des achats déclarés par les consommateurs, à 1,2 milliard d’euros le chiffre d’affaires du cannabis en France en 2017, soit 0,05 % du PIB ([37]). Selon les auteurs, il s’agirait toutefois d’un niveau plancher. De son côté, le magazine spécialisé Newsweed a estimé, sur la base de 30 tonnes consommées chaque mois (66 % d’herbe, 32 % de résine, 2 % d’autres produits), soit 360 tonnes par an, la dépense des Français en cannabis à 3,24 milliards d’euros en 2020 ([38]). Ce chiffre pourrait atteindre 4,5 milliards d’euros ([39]) si l’on retenait une consommation de 500 tonnes de cannabis par an, comme l’ont fait Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard, auteurs d’une note pour le Conseil d’analyse économique (CAE) ([40]), jugeant cette quantité comme « un ordre de grandeur raisonnable ». Si ces estimations sont à prendre avec précaution, elles donnent une idée de l’ampleur du marché, qui peut ainsi être évalué entre 1,2 et 4,5 milliards d’euros ([41]).

Plusieurs milliers d’emplois pourraient être créés par la production et la vente du cannabis. La légalisation du cannabis pourrait créer entre 27 500 et 57 000 emplois. Rémunérés à 1,2 SMIC en moyenne, ils permettraient à l’État de percevoir 250 à 530 millions d’euros de cotisations sociales supplémentaires selon les auteurs de la note du CAE précitée.

En outre, la légalisation régulée du cannabis générerait de nouvelles recettes fiscales pour l’État. Celles-ci seraient composées comme pour le tabac et l’alcool de droits d’accise et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Au regard du prix du cannabis illégal relevé par l’OFDT (11 euros le gramme), Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard proposent de fixer à 5 euros HT le prix de vente du gramme de cannabis légal, qui atteindrait 9 euros toutes taxes comprises (TTC) en intégrant des droits d’accise de 50 % et une TVA de 20 %. Ce prix d’éviction devrait permettre de réduire le volume du marché noir. Sur la base d’une consommation annuelle de 500 tonnes, la légalisation du cannabis pourrait rapporter 2 milliards d’euros selon les auteurs ([42]). Enfin, le niveau de taxation pourrait être modulé en fonction du type de produit (herbe, résine, produits dérivés, etc.) ou de la teneur en THC, et aller jusqu’à 12 euros TTC le gramme pour les produits à plus forte teneur en THC, à l’instar des droits d’accise différenciés entre la bière, le vin ou les alcools forts.

Ainsi, le développement d’une filière du cannabis devrait conduire à réduire la part du marché illégal et à affaiblir les réseaux criminels dont certains se sont développés grâce aux politiques de dépénalisation (Portugal) ou à la tolérance appliquée dans certains pays (Pays‑Bas) qui ne sont pas allés jusqu’à légaliser la production de cannabis.

La légalisation devrait aussi s’accompagner d’un redéploiement des forces de police : retour à une police de proximité, davantage de moyens donnés aux polices d’investigation pour enquêter, remonter et démanteler les trafics de drogue.

2.   Réorienter l’action des pouvoirs publics en développant une politique de prévention des risques

La légalisation du cannabis doit conduire à renforcer, grâce aux nouvelles recettes fiscales, et à réorienter l’action de l’État vers la prévention des risques, encore aujourd’hui bien trop négligée.

● Les actions de prévention devraient être engagées en priorité vers les jeunes, plus exposés aux effets nocifs du THC. Les nouveaux moyens alloués à la prévention pourraient financer, dans le cadre scolaire et au sein du tissu associatif ou médico-social, des programmes au sein desquels les jeunes seraient impliqués dans la réflexion sur les usages et non plus seulement informés sur les dangers. Si le Fonds de lutte contre les addictions, qui a permis de financer des actions nationales et régionales à hauteur de 114 millions d’euros en 2020, constitue certes un outil intéressant sur lequel il faut miser, les moyens consacrés à la prévention des risques liés à l’usage non maîtrisé du cannabis sont encore loin d’être suffisants ([43]).

Les exemples du Canada et du Portugal sont à ce titre très instructifs. Des investissements supérieurs à 100 millions de dollars sur une période de six ans (2017-2018 à 2023-2024) ont été prévus au Canada rien que pour l’information et la sensibilisation du public en matière de cannabis ([44]). Le Portugal se distingue également par un fort investissement public dans le développement des soins, la prévention, l’éducation et la réinsertion. La prévention globale de la toxicomanie fait d’ailleurs partie des programmes scolaires portugais avec un accent mis sur les aspects des comportements addictifs et des dépendances.

La décriminalisation et la légalisation du cannabis au Portugal et au Canada

Rompant avec un consensus international forgé au XXe siècle, plusieurs pays ont décriminalisé ou légalisé l’usage voire la production et la vente de cannabis au cours de ces dernières années. C’est notamment le cas du Portugal et du Canada, qui constituent deux modèles particulièrement intéressants ([45]).

      Le modèle portugais

Le Portugal a décriminalisé au début des années 2000 toutes les drogues. Même si la consommation de stupéfiants demeure interdite, seules des sanctions administratives peuvent être prononcées en cas de première interpellation et en deçà d’un certain seuil de détention de stupéfiants (1 gramme d’héroïne ou de MDMA, 2 grammes de cocaïne et 25 grammes de cannabis).

La personne interpellée est présentée devant une commission pour la dissuasion de la toxicomanie (CDT), chargée d’évaluer le degré de dépendance du consommateur et de proposer une réponse adaptée pouvant prendre la forme d’un programme de soin ou d’éducation ou d’une sanction (peine avec sursis, obligation de pointer au poste de police, suivi psychologique ou amende).

Le modèle portugais se distingue par sa politique de prévention, d’éducation et de réinsertion menée aussi bien au niveau national que local.

      Le modèle canadien

Le Canada est le deuxième pays, après l’Uruguay (2013), à avoir légalisé la production, la distribution et la détention de cannabis à usage récréatif. La loi du 17 octobre 2018 poursuit plusieurs objectifs principaux : restreindre l’accès des jeunes au cannabis, protéger la santé et la sécurité publiques par l’établissement d’exigences strictes, décourager les activités criminelles par l’imposition d’importantes sanctions pénales aux personnes agissant en dehors du cadre juridique.

La loi fédérale fixe un socle de règles relatives à la légalisation du cannabis, laissant la liberté aux États fédérés d’organiser sa mise en œuvre. Certains États comme le Québec ont mis en place des monopoles d’État tandis que d’autres États ont opté pour un modèle « hybride » articulé autour d’acteurs privés et publics, comme l’Ontario.

À l’instar du Portugal, le Canada investit des sommes très importantes pour l’information, la sensibilisation et la surveillance du public en matière de cannabis. Le marché légal du cannabis représentait, en novembre 2020, environ 0,4 % du produit intérieur brut (PIB) et 25 000 emplois directs depuis 2018.

Le rapporteur est certain qu’une politique de prévention renforcée portera ses fruits, notamment en ce qui concerne l’âge des premiers usages. Au Canada, les jeunes consomment du cannabis pour la première fois plus tard désormais (20 ans en 2020 contre 18,9 ans en 2018), ce qui témoigne de l’efficacité de la politique de prévention et de protection des plus jeunes ([46]). Au Québec, province ayant fait le choix d’établir un monopole d’État tant au niveau de la distribution que de la vente au détail, la proportion de consommateurs chez les 15-17 ans a même diminué d’environ trois points de pourcentage entre 2018, année d’entrée en vigueur de la loi sur le cannabis, et 2021 ([47]). Aux États‑Unis, la légalisation du cannabis dans plusieurs États fédérés n’a pas entraîné de hausse de la consommation des mineurs ([48]). En résumé, la légalisation du cannabis n’entraîne pas une hausse de la consommation chez les plus jeunes ; au contraire, elle tend à retarder son expérimentation dès lors qu’est mise en place une politique de prévention adaptée.

● Enfin, il convient d’ajouter que la légalisation de la vente et de la consommation de cannabis n’entraîne pas nécessairement un surcroît de consommation d’autres drogues, comme le suggèrent les tenants de la « théorie de l’escalade ». Selon ces derniers, le consommateur de cannabis, qui s’habituerait aux effets de ce dernier, serait amené à essayer des drogues plus dures pour découvrir des sensations plus fortes. S’il peut exister un lien de causalité, il est désormais admis que ce lien est ténu voire inexistant. Au contraire, la prohibition du cannabis peut créer les conditions conduisant à essayer de nouvelles drogues. Selon Caroline Janvier, rapporteure thématique de la mission d’information commune précitée, « c’est l’environnement du consommateur de cannabis qui favorise l’accès à d’autres types de drogues plutôt que le cannabis lui-même. En effet, c’est au contact des dealers, conséquence du système de prohibition, que la porte est ouverte vers la consommation d’autres substances » ([49]). Ainsi, la légalisation du cannabis contribuerait à prévenir l’expérimentation d’autres drogues en éloignant les consommateurs des dealers.

B.   lÉgaliser pour mieux rÉguler

Au regard de ces éléments, la présente proposition de loi contient plusieurs mesures visant à légaliser la production, la distribution, la vente et l’usage du cannabis sous le contrôle de l’État. À l’instar de la prohibition de l’alcool aux États‑Unis entre 1920 et 1933, l’interdiction du cannabis est vouée à l’échec tant la consommation de ce produit s’est banalisée. Il est donc proposé de mettre en place un marché légal du cannabis qui fera l’objet d’une stricte régulation par l’État.

L’article 1er prévoit d’autoriser la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’usage, et de manière générale les opérations agricoles, artisanales, commerciales et industrielles du cannabis et de ses produits. Cette disposition permettra de faire sortir le cannabis et le tétrahydrocannabinol (THC) de la liste des stupéfiants.

Cependant, au-delà d’un taux de tétrahydrocannabinol (THC) fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé, les utilisations du cannabis et de ses produits demeureront illégales. Il s’agira ainsi de réguler la teneur en THC des produits commercialisés en France. Ce taux devra être ni trop élevé pour limiter les risques d’addiction, ni trop faible pour éviter que les consommateurs se détournent du marché légal pour se reporter vers des circuits d’approvisionnement illégaux proposant des produits plus dosés.

Une Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis (AEPEC) disposera du monopole des agréments et des contrôles accordés pour la production et la distribution en France, et des licences accordées à des débitants pour la vente au détail de cannabis et des produits de cannabis. Elle fixera les conditions d’exploitation de ces débits de vente.

La vente de cannabis fera ainsi l’objet d’une régulation rigoureuse qui interdira, sur le modèle de la « loi Évin », la publicité du cannabis et de ses produits. À l’image du tabac, la consommation du cannabis sera interdite dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les transports publics.

La production de cannabis sur le territoire national sera également très encadrée. Il s’agira d’instaurer les conditions favorables à l’émergence d’une filière française en s’appuyant notamment sur celle du chanvre, aujourd’hui première au niveau européen avec plus de la moitié des surfaces cultivées, ainsi que sur les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

 

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COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
Légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis

Supprimé par la commission

L’article 1er prévoit la légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis, sous le contrôle de l’État.

I.   L’ÉCHEC DE LA politique de prohibition et de rÉpression

A.   une RÉPRESSION DU trafic de stupÉfiants aux rÉsultats TRÈS limitÉs

La loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie a posé le cadre légal de la politique de lutte contre les drogues en France, qui incluent donc le cannabis, et a consacré une distinction entre, d’une part, les usagers relevant de soins, et, d’autre part, les trafiquants considérés comme méritant des peines plus sévères.

● Les articles 222-34 à 222-43-1 du code pénal déterminent les infractions en lien avec le « trafic de stupéfiants » et distinguent plusieurs crimes et délits.

Sont ainsi considérés comme des crimes :

– le fait de « diriger ou d’organiser un groupement ayant pour objet la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants » (article 222-34, alinéa 1er) ;

– la production ou la fabrication illicites de stupéfiants (article 222-35, alinéa 1er) ;

– l’importation ou l’exportation illicites de stupéfiants commises en bande organisée (article 222-36, alinéa 2) ;

– le blanchiment portant sur des biens ou des fonds provenant de l’un des crimes précédents (article 222-38, alinéa 2).

Ces crimes sont punis de peines d’emprisonnement allant de vingt ans à la perpétuité, et de 7 500 000 euros d’amende.

Constituent un délit relevant du trafic de stupéfiant les infractions suivantes :

– l’importation ou l’exportation illicites (article 222-36, alinéa 1er) ;

– le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants (article 222-37, alinéa 1er) ;

– « le fait de faciliter, par quelque moyen que ce soit, l’usage illicite de stupéfiants, de se faire délivrer des stupéfiants au moyen d’ordonnances fictives ou de complaisance, ou de délivrer des stupéfiants sur la présentation d’une telle ordonnance en connaissant leur caractère fictif ou complaisant » (article 222-37, alinéa 2) ;

– le blanchiment consistant à « faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l’origine des biens ou des revenus de l’auteur » d’un délit de trafic de stupéfiants, ou à « apporter son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit » d’un délit de trafic de stupéfiants (article 222-38, alinéa 1er) ;

– la cession ou l’offre à une personne en vue de sa consommation personnelle (article 222-39, alinéa 1er).

La peine encourue pour ces délits peut aller de cinq à dix ans d’emprisonnement, et de 75 000 à 7 500 000 euros d’amende.

● Malgré cet arsenal juridique très complet, la réponse pénale apparaît de facto plutôt faible. La répression du trafic de stupéfiants ne concernerait qu’une petite part du commerce illégal. Par ailleurs, les sanctions sont souvent peu sévères : beaucoup d’entre elles font l’objet d’alternatives aux poursuites et de peines d’emprisonnement limitées ([50]).

 

Le régime juridique des stupéfiants

La classification actuelle des stupéfiants en France résulte des classifications internationales issues de la convention unique de 1961 sur les stupéfiants, de la convention de Vienne de 1971 sur les psychotropes, et de la convention de Vienne de 1988 sur le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes. Elle a donné lieu à un ensemble de textes en droit interne dont on trouve les dispositions à la fois dans le code pénal et dans celui de la santé publique.

Au sein du code pénal, l’article 222-41 précise ainsi que constituent des stupéfiants, dont le trafic est sanctionné, « les substances ou plantes classées comme stupéfiants en application de l’article L. 5132-7 du code de la santé publique ». Ce dernier mentionne que les plantes, substances ou préparations vénéneuses sont classées comme stupéfiants ou psychotropes, ou sont inscrites sur les listes I et II prévues par arrêté du ministre chargé de la santé pris sur proposition du directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

L’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants, pris en application de cet article, précise que le cannabis et la résine de cannabis sont classés comme stupéfiants (annexe I de l’arrêté correspondant aux tableaux I et IV de la convention internationale sur les stupéfiants de 1961), de même que les tétrahydrocannabinols (THC) (annexe IV qui correspond aux substances psychoactives non classées au plan international et à certains précurseurs).

Il résulte de cet arrêté et de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique que le cannabis, sa plante, sa résine et tous les produits qui en contiennent, ainsi que les tétrahydrocannabinols (THC), sont aujourd’hui classés comme stupéfiants sauf exceptions.

Si cette classification repose sur celle prévue par la convention unique de 1961, il convient de relever que le 2 décembre 2020, la Commission des stupéfiants des Nations Unies (Commission on Narcotic Drugs - CND) a décidé de déclassifier le cannabis et sa résine du tableau IV, la catégorie la plus restrictive où sont répertoriées les substances qui favorisent fortement l’abus et ont un très faible, voire aucun, intérêt médical, eu égard au potentiel thérapeutique du cannabis. Par cette décision historique, les Nations unies ont reconnu l’utilité médicale du cannabis.

B.   UNE banalisation de la consommation du cannabis en dÉpit de son interdiction

● La consommation de cannabis n’a cessé de croître en France au cours de ces dernières années, les Français en étant les premiers consommateurs en Europe. Chaque jour, 900 000 personnes consomment du cannabis, qui constitue la drogue la plus consommée dans notre pays, tandis que 50 % des Français l’ont déjà expérimenté. Cette tendance est d’autant plus inquiétante que la teneur de THC contenu dans l’herbe et la résine vendus est nettement supérieure aujourd’hui à ce qu’elle était il y a quelques années ([51]).

● Ce constat illustre l’échec de la prohibition de la consommation de cannabis, consacrée dans le code de la santé publique. Ce dernier prévoit des dispositions pénales ainsi que des mesures d’accompagnement des usagers dans le cadre de la lutte contre la toxicomanie (articles L. 3421-1 à L. 3425-2).

L’article L. 3421-1 réprime la consommation de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants par l’arrêté du 22 février 1990, notamment du cannabis. Son usage est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Cette peine peut être portée à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en présence de circonstances aggravantes. Une personne condamnée pour usage illicite de stupéfiants se voit confisquer les substances ou plantes saisies (article L. 3425-2) et peut faire l’objet d’une mesure d’injonction thérapeutique (article L. 3423-1).

Toutefois, dans les faits, les injonctions thérapeutiques sont aujourd’hui peu mises en application et les obligations de soins ne permettent pas un suivi continu ni de distinguer les consommateurs occasionnels de ceux présentant des consommations problématiques. Les dispositifs actuels se sont ainsi démarqués de l’esprit de la loi du 31 décembre 1970 qui envisageait une réponse sanitaire forte pour les consommateurs ([52]).

● Depuis la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, il est prévu qu’en cas d’usage illicite d’une substance ou plante classée comme stupéfiant, y compris en cas de récidive, l’action publique peut être éteinte par le versement d’une amende forfaitaire dont le montant s’élève à 200 euros (article L. 3421-1, alinéa 3). Entre le 1er septembre 2020 et le 18 mai 2021, près de 72 000 amendes forfaitaires ont été dressées ([53]).

Le premier bilan de l’amende forfaitaire apparaît contrasté : si elle a permis d’apporter une réponse simple et rapide à la consommation de stupéfiant, elle n’est pas dénuée de risques : des personnes aux moyens limités peuvent être condamnées à payer cette amende à la suite d’une consommation occasionnelle tandis que la contestation d’une amende peut rapidement alourdir la charge de travail des agents de police, réduisant d’autant les gains de temps et d’argent espérés ([54]).

II.   UNE LÉgalisation ENCADRÉE de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis

La proposition de loi crée un nouveau titre dans le code de la santé publique, inséré dans la partie consacrée à la lutte contre les maladies et la dépendance, et plus particulièrement au sein du livre IV relatif à la lutte contre la toxicomanie. Cette position témoigne de l’approche avant tout sanitaire du sujet par les auteurs de la présente proposition de loi, qui souhaitent mettre l’accent sur la nécessité de renforcer la lutte contre les conduites addictives. Les dispositions insérées s’inspirent de celles préexistantes pour d’autres substances psychoactives dont l’usage est légal mais encadré, comme l’alcool (livre III du même code) ou le tabac (livre V).

Le chapitre Ier de ce titre prévoit un nouvel article L. 3431-1 qui autorise la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’usage, et de manière générale les opérations agricoles, artisanales, commerciales et industrielles du cannabis et de ses produits. Cette disposition permettra de faire sortir le cannabis et le tétrahydrocannabinol (THC) de la liste des stupéfiants, ce qui conduira à modifier notamment l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants.

A.   La crÉation d’une autoritÉ chargÉe d’encadrer la production et l’exploitation du cannabis

Le présent article crée au sein du même titre un chapitre II comportant trois sections. La première porte création d’une Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis (AEPEC).

Aux termes du nouvel article L. 3432-1, cette autorité aura le statut d’établissement public administratif ([55]) et sera placée sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Elle disposera du monopole des agréments et des contrôles accordés pour la production et la distribution en France, et des licences accordées pour la vente au détail de cannabis et des produits de cannabis. Ce monopole est étendu au contrôle de la qualité des produits vendus et à la régulation de leur usage. À l’instar des ventes de tabac, le droit de licence sera régi par l’article 568 du code général des impôts : la vente au détail de cannabis sera exercée par l’intermédiaire de débitants autorisés par l’État comme ses préposés.

L’AEPEC fixera en particulier les conditions d’exploitation des débits de vente de cannabis et de ses produits, sans empiéter sur les compétences des ministères en charge de la santé, de la sécurité intérieure, de l’économie et des finances. Elle aura autorité sur le contrôle de la qualité des produits vendus.

L’AEPEC aura vocation à déterminer les règles de conditionnement des produits de cannabis. À l’instar du tabac, les emballages devront être neutres, fournir des informations sur le contenu des produits et alerter sur leur nocivité.

B.   une production soumise À autorisation

L’article L. 3432-2 du code de la santé publique, introduit par une section 2 consacrée à la production du cannabis et des produits du cannabis, soumet celle-ci à autorisation. Cette dernière ne pourra être délivrée qu’à des exploitants agricoles tels que définis à l’article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, c’est‑à‑dire les exploitants ayant la maîtrise et exploitant un cycle biologique de caractère végétal ou animal et constituant une ou plusieurs étapes nécessaires au déroulement de ce cycle et dont les activités exercées se trouvent dans le prolongement de l’acte de production ou qui ont pour support l’exploitation.

Il s’agit ainsi d’encourager la création d’une filière française de production en s’appuyant notamment sur celle du chanvre, aujourd’hui première au niveau européen avec plus de la moitié des surfaces cultivées, ainsi que sur les acteurs de l’économie sociale et solidaire qui seront soutenus par l’État pour qu’ils puissent prendre toute leur part au développement de cette nouvelle filière.

C.   LA vente et l’usage rÉgulÉs du cannabis

La section 3 encadre la vente et l’usage du cannabis et de ses produits. À l’opposé du modèle libéral incarné par les États fédérés américains ayant autorisé la vente de cannabis, il est proposé de faire le choix d’une légalisation très encadrée : les produits contenant du THC ne pourront être vendus que dans des débits de vente de cannabis et des débits à consommer sur place dont les caractéristiques seront définies par un arrêté ministériel (nouvel article L. 3432-3). La France pourrait s’appuyer à cet effet sur son réseau de débitants de tabac, aujourd’hui très étendu puisque l’on en dénombre 24 000.

La vente de cannabis serait interdite aux mineurs. Par conséquent, les débitants seraient habilités à demander aux clients tout document pouvant attester de leur majorité.

Les débits de cannabis ne pourront être localisés à proximité de certains établissements – établissements scolaires, de santé, stades, piscines, etc. – en deçà d’une distance qui sera établie par arrêté par le représentant de l’État dans le département, et après information des maires des communes concernées, conformément à l’article L. 3335-1 du code de la santé publique auquel renvoie le nouvel article L. 3432-4. La distance en deçà de laquelle un débit de cannabis ne pourra être situé sera calculée de manière similaire à ce qu’elle est aujourd’hui pour les débits de tabac.

La présente proposition de loi vise également à lutter contre la consommation entraînant des usages dangereux et en particulier la consommation des mineurs. La publicité du cannabis et de ses produits, qu’elle soit directe ou indirecte, sera encadrée sur le modèle de la « loi Évin » (nouvel article L. 3432-5). Ainsi elle sera interdite en dehors des débits de vente.

À l’image du tabac, la consommation du cannabis et de ses produits sera interdite dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les transports publics (nouvel article L. 3432-6).

 

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Article 2
Gage financier

Supprimé par la commission

Cet article vise à prévoir un mécanisme de compensation de la charge, pour l’État, qui résulterait de l’adoption de la présente proposition de loi dans le souci d’assurer la recevabilité de cette dernière au stade de son dépôt.


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa première réunion du mercredi 5 janvier 2022, la commission a examiné la proposition de loi relative à la légalisation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de l’État (n° 4746) ([56]).

Mme la présidente Fadila Khattabi. Chers collègues, avant de céder la parole au rapporteur, auquel je souhaite la bienvenue dans notre commission, je vous présente, ainsi qu’à ceux qui vous sont chers, tous mes vœux pour l’année 2022.

M. Éric Coquerel, rapporteur. J’adresse à mon tour mes meilleurs vœux à tous mes collègues, en particulier des vœux de santé. Je vous remercie de m’accueillir pour présenter une proposition de loi cosignée par les membres du groupe La France insoumise mais aussi par une dizaine de collègues de cinq autres groupes politiques, dont certains, une fois n’est pas coutume, de La République en Marche ; je ne doute donc pas que la majorité réservera un accueil bienveillant, voire favorable, à la proposition de loi et qu’au moins celle-ci donnera lieu à une discussion argumentée et non pas caricaturale comme le sont parfois les débats sur cette question.

Il y a six mois, à l’issue d’un travail colossal d’un an et demi, la mission d’information commune de l’Assemblée nationale relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis présentait ses conclusions définitives. Le bilan est sans appel : la politique de prohibition du cannabis menée en France depuis cinquante ans est un échec total.

Dans le prolongement de ces travaux, de la proposition de loi défendue au printemps dernier par notre collègue François-Michel Lambert, cosignataire de la présente proposition de loi, et d’une autre que j’ai déposée avec plusieurs signataires du texte qui vous est présenté aujourd’hui, je vous propose de suivre le chemin emprunté ces dernières années par d’autres pays – l’Uruguay, plusieurs États des États‑Unis d’Amérique, le Canada et prochainement l’Allemagne – pour légaliser enfin la production, la distribution, la vente et l’usage du cannabis, sous le contrôle strict de l’État.

Les dégâts dus au trafic de drogue sont à l’origine du présent texte. Ce trafic, qui est à plus de 80 % celui du cannabis, tue. Il tue socialement les populations qui le subissent, notamment dans les quartiers populaires. Il tue les consommateurs qui absorbent un produit de plus en plus toxique. Il tue aussi les « petites mains » de la drogue, quelque 240 000 personnes qui survivent dans des conditions de travail ubérisées, à l’ouvrage jours, nuits et week-ends, sans parler des petits dealers qui connaissent la précarité.

Alors que la France est l’un des pays dont la législation est la plus prohibitive et répressive qui soit en matière de trafic et d’usage, elle est aussi à la première place en Europe pour la consommation de cannabis : 45 % des adultes de 18 à 64 ans ont déjà consommé du cannabis, contre 29 % en moyenne européenne, et l’on dénombre 1 500 000 consommateurs réguliers et 900 000 consommateurs quotidiens. Le risque n’est donc pas de voir la consommation de cannabis exploser dans les années à venir : elle a déjà explosé et reste à un niveau très élevé. Le trafic ne se tarit pas, alors que des moyens humains toujours plus importants sont consacrés à le combattre : on estime que la lutte contre les trafics de stupéfiants équivaut à un million d’heures de travail policier.

Comme pour tous les produits considérés comme stupéfiants, la vente et la consommation de cannabis sont interdites en France. Cette interdiction a été fixée par une loi de 1970, dans un contexte de consommation accrue de drogue et à la suite du décès très médiatisé d’une jeune fille victime d’une overdose d’héroïne au casino de Bandol. Ce texte entendait apporter une réponse harmonisée à la consommation et au trafic de stupéfiants en plaçant le cannabis sur le même plan que des drogues dites dures comme la cocaïne, l’opium et l’héroïne.

Aujourd’hui, le code de la santé publique prévoit que l’usage illicite du cannabis peut être puni, en théorie, d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende. Depuis le 1er septembre 2020, une amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants d’un montant de 200 euros peut être appliquée directement par les forces de l’ordre. Pour les crimes et délits liés au trafic de stupéfiants, le code pénal prévoit des sanctions pouvant atteindre dix ans d’emprisonnement et 7 500 000 euros d’amende.

Quel est le résultat tangible de cette politique et des dispositifs mis en place par le ministère de l’intérieur depuis quelques mois, avec un discours comparable à celui qu’ont tenus ministres de l’intérieur après ministres de l’intérieur, chacun affirmant qu’avec lui la consommation et le trafic de drogue allaient reculer ? Certes, les prises sont plus importantes mais, comme nous l’expliquait un douanier lors d’une audition, c’est surtout la preuve que le flux ne cesse de croître, et non que les prises le diminuent.

Dans ma circonscription de SeineSaintDenis, le commissariat de Saint-Ouen a eu plusieurs fois la visite de hauts représentants de l’État, dont MM. Castex et Darmanin, venus annoncer l’octroi de renforts policiers pour la lutte contre un trafic de cannabis très prégnant. Récemment, un point de deal très connu a été l’objet d’un contrôle policier assidu, si bien que le trafic a diminué à cet endroit – et je saisis cette occasion pour rendre hommage aux policiers de Saint-Ouen, qui mènent une action permanente, pratiquement sur ce seul thème, depuis des années. Seulement, ce lieu étant neutralisé, le trafic a explosé ailleurs. Les policiers se sont évidemment déportés vers les autres points de trafic, mais le commerce a alors repris de plus belle au point de deal initialement neutralisé, règlements de comptes à la clef. Autrement dit, comme nous l’expliquait un syndicaliste policier qui, pour des raisons de principe, n’est pourtant pas favorable à la légalisation, les forces de l’ordre ont souvent l’impression de vider l’océan à la cuillère, et l’amende forfaitaire délictuelle n’a rien changé.

En réalité, la situation en France est celle qu’ont connue les États‑Unis lorsqu’ils ont interdit la consommation d’alcool dans les années 1930. La prohibition n’empêchera pas la demande de cannabis, qui s’explique peut-être par l’attirance qu’éprouvent les humains pour les substances psychotropes, licites ou illicites ; en revanche, elle empêche une politique constante et efficace de réduction des risques et des addictions, et de contrôle des usages.

Il faut replacer la consommation de cannabis dans le cadre général de l’usage des produits addictifs pour aborder la deuxième raison d’être de cette proposition de loi : définir une politique de prévention sanitaire plus efficace. Selon le classement établi par la Commission mondiale de politique sur les drogues, le cannabis se situe en sixième position dans la liste des produits les plus létaux, l’alcool et le tabac se classant respectivement en troisième et en deuxième position. S’agissant des produits les plus nocifs, le cannabis est classé en huitième position, alors que l’alcool et le tabac se situent respectivement à la première et à la sixième place. Le cannabis est d’autre part beaucoup moins addictif que les autres substances légales – alcool et tabac – ou illégales – cocaïne et héroïne.

Je n’entends pas, par ces quelques rappels, minimiser la dangerosité du cannabis – il faut simplement constater les faits et regarder les conclusions des analyses scientifiques – mais replacer le débat sur sa légalisation dans le cadre plus large de la régulation des substances psychoactives, politique sur laquelle nous devrions tous nous accorder. Comme l’alcool et le tabac, le cannabis est un produit à risque, et même à très haut risque puisque sa consommation devient de plus en plus dangereuse à mesure que sa teneur en tétrahydrocannabinol (THC) augmente. Comme pour les produits psychoactifs vendus légalement, l’encadrement de la production, de la vente et de la consommation permettrait de réglementer le taux de substance psychoactive et d’élaborer des politiques de prévention. Pourquoi n’en irait-il pas pour le cannabis comme il en va pour l’alcool et le tabac ?

Force est de constater que la prohibition empêche toute politique de ce type. J’ai indiqué tout à l’heure les chiffres relatifs à la consommation globale. Ce n’est pas la consommation modérée de cannabis chez les adultes qui est la plus inquiétante mais celle des jeunes, en particulier des adolescents, les plus vulnérables. On sait que la consommation de THC a des effets particulièrement néfastes sur le développement cérébral des jeunes, chez qui elle peut entraîner des troubles psychiatriques. Que faisons-nous pour éviter ou retarder l’expérimentation du cannabis par nos enfants ? Trop peu. La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) a mis en place des programmes d’expérimentation sur les comportements psychosociaux intéressants mais, faute d’être systématiques et globaux, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux. Seulement 10 % des quelque 600 millions d’euros dépensés chaque année pour lutter contre le cannabis sont consacrés aux dépenses de santé et de prévention ; tout le reste va à la répression policière et à la réponse judiciaire. Il est anormal que notre pays consacre si peu de moyens à la politique de prévention et de réduction des risques. La légalisation du cannabis permettrait de la développer vraiment, sur le modèle du Canada ou du Portugal.

Le Canada a beaucoup investi dans la formation et la sensibilisation du public ; le Portugal a systématiquement inséré la prévention de la toxicomanie dans les programmes scolaires. Ces politiques fonctionnent : on constate de manière générale que la légalisation du cannabis n’entraîne pas de hausse de la consommation chez les plus jeunes mais tend au contraire à retarder son expérimentation dès lors qu’est instituée une politique de prévention adaptée. Le Portugal montre aussi la voie d’une autre manière : c’est le ministère de la santé qui a la main sur les politiques relatives aux stupéfiants, par le biais du Service d’intervention pour les comportements d’addiction et de dépendance (SICAD), chargé d’assurer une coordination au niveau national mais aussi local. Au Portugal, l’usager n’est pas considéré comme un délinquant mais au pire comme un malade, et des recommandations de traitement lui sont faites, avec des résultats probants en matière de réduction des usages de tous les stupéfiants.

J’observe aussi que la légalisation du cannabis ne provoque pas nécessairement un surcroît de consommation d’autres drogues, contrairement à ce qu’avancent les tenants de la « théorie de l’escalade », souvent entendue. Au contraire, en éloignant les consommateurs de cannabis des dealers susceptibles de leur vendre d’autres stupéfiants, on peut prévenir la consommation de drogues plus dures.

Le texte qui vous est soumis, à l’occasion d’une « niche » parlementaire, se réduit à la question de la légalisation du cannabis mais il s’inscrit dans un cadre plus global incluant une politique ambitieuse en matière de santé et de réinsertion sociale, ainsi qu’un redéploiement des forces de police. Au Québec, en deux ans, le commerce illicite a baissé de 60 % après qu’une police de proximité a été créée et que davantage de moyens ont été donnés aux services d’investigation pour démanteler les trafics.

Je ne saurais conclure sans souligner que notre approche de la légalisation reflète une tendance mondiale – l’Allemagne en est le dernier exemple, et la Suisse suivra dans trois ans – qui nous amènera inévitablement, j’en suis certain, à la dépénalisation et à la légalisation. La question de fond est de savoir sous quelle forme cela se fera. En agissant à temps, en régulant ce commerce sous le contrôle de l’État, nous parviendrons à éviter le développement d’un nouveau marché aussi juteux que dangereux pour la santé, celui du Big Canna, comme on l’a vu aux ÉtatsUnis.

Nous proposons ainsi la légalisation sous un contrôle strict de l’État, dans le cadre d’un monopole de distribution, de licences accordées aux producteurs et aux vendeurs, et de modes d’organisation économique non capitalistiques. Nous pourrions créer une filière française du cannabis s’appuyant, pour la production, sur la filière du chanvre existante et, pour la distribution, sur un réseau de débitants agréés et formés. Cette filière permettrait de reprendre le contrôle sur les produits en circulation, d’avoir une traçabilité, de s’assurer que le cannabis n’est pas coupé avec n’importe quoi, comme c’est le cas aujourd’hui, et de contrôler la teneur en THC, qui a explosé ces dernières années. Ce « commerce » régulé permettrait d’interdire la vente aux mineurs et ne ferait évidemment l’objet d’aucune publicité.

Par ailleurs, la filière du cannabis représenterait une manne financière qui permettrait non seulement de créer des emplois licites mais aussi de financer les dépenses de santé et de prévention des risques que j’ai évoquées, le chiffre d’affaires annuel du commerce illicite du cannabis étant estimé entre 1 et 4 milliards d’euros.

Pour finir, le caractère transpartisan de cette proposition de loi a une explication simple : comme le savent tous les collègues qui ont participé à la mission d’information commune, à partir du moment où vous travaillez sérieusement sur ce sujet avec des addictologues ou des associations de lutte contre les addictions, vous comprenez que la légalisation de la production, de la distribution et de la consommation du cannabis est nécessaire, à condition qu’elle ait lieu sous le contrôle de l’État.

M. Belkhir Belhaddad (LaREM). Je vous remercie de nous offrir l’occasion de débattre d’un sujet sensible et légitime, dont les enjeux sont sanitaires, sécuritaires, économiques et fiscaux. C’est aussi un sujet clivant, passionnel, y compris au sein des groupes politiques ; il doit donc être abordé sans dogmatisme. Dans ce domaine, nous avons déjà avancé, vous le savez, notamment au sujet du cannabis « bien-être », le Gouvernement ayant ouvert la voie de la commercialisation de la plante de chanvre et de l’huile de cannabidiol (CBD). En matière de santé publique, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a organisé une expérimentation du cannabis thérapeutique sous le contrôle de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Sur le fond, vous estimez que la légalisation contrôlée du cannabis répondra aux enjeux sanitaires, sécuritaires et relatifs à la régulation des usages. D’une part, nous manquons de recul pour ce qui est des comparaisons internationales concernant les effets de la légalisation sur la consommation : elles sont insuffisantes ou beaucoup trop récentes. D’autre part, la légalisation entraînera des reports de trafic, l’adaptation des filières et, généralement, de nouveaux défis pour les services de police qu’il conviendra d’anticiper.

Sur la forme, vous présentez un texte constitué d’un article unique. Les enjeux de la légalisation du cannabis sont tels qu’il ne me semble pas que l’on puisse traiter ainsi cette question en fin de législature. Il faudrait au préalable définir le modèle français souhaité, en tenant compte des succès et des échecs des expériences étrangères et aussi des spécificités politiques, historiques et culturelles de notre pays. C’est le sens de l’excellent rapport de la mission d’information commune relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis, qui a dressé la liste des questions auxquelles le débat public doit permettre de répondre avant que cette substance soit légalisée  circuits de production et de distribution, statut de l’autoproduction, modalités de fixation des prix, réinsertion des anciens trafiquants...

Votre proposition de loi n’apporte pas de réponses sur tous ces points ; d’ailleurs, dans l’exposé des motifs, vous renvoyez à une loi ultérieure. Il est préférable de reporter la question, pour l’aborder dans le cadre d’un débat de société incluant l’ensemble des citoyens. C’est pourquoi le groupe La République en Marche votera contre ce texte.

M. Jean-Pierre Door (LR). Monsieur le rapporteur, je ne vous surprendrai pas en déclarant d’emblée que notre vote ne sera pas favorable. Vous arrivez masqué : malgré son titre, la proposition de loi vise purement et simplement à légaliser la production, la vente et la consommation du cannabis, ce qui est contraire à ce que souhaite la majorité des membres de notre groupe, qui était en revanche favorable au cannabis médical.

Rien dans cette proposition de loi n’est prévu pour lutter contre la normalisation de la consommation de stupéfiants, dont l’Académie nationale de médecine a rappelé l’effet désastreux sur la santé psychique des consommateurs, en s’appuyant sur des données scientifiques désormais très solides.

Vous évoquez la voie suivie par des pays étrangers mais sans dire que selon l’étude Cannalex, menée avec l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, la légalisation du cannabis ne règle pas la question de sa consommation par les mineurs.

On ne peut que regretter que ce texte ne vise en réalité qu’à légitimer le commerce du cannabis en le reprenant aux dealers pour le réserver à l’État, avec la création d’un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère chargé de la santé.

Vous tirez un trait sur les drogues beaucoup plus dures et toxiques, comme la cocaïne et l’ecstasy, et surtout sur le trafic démultiplié que ferait naître cette proposition de loi si elle était adoptée, l’imagination des dealers étant sans limites.

Majoritairement, nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte.

Mme Michèle de Vaucouleurs (Dem). Alors que la France est le premier pays européen consommateur de cannabis et que la politique répressive a montré son incapacité à infléchir cette tendance, il est légitime de s’interroger sur la légalisation de la production, de la vente et de la consommation de cette substance, question transpartisane. La consultation citoyenne lancée par la mission d’information commune relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis a d’ailleurs montré que les Français souhaitent une évolution de notre législation en la matière. Il est souhaitable qu’à l’occasion de l’élection présidentielle, les candidats fassent connaître leur ligne politique sur ce point.

Le rapport très complet de la mission d’information commune nous éclaire sur les enjeux sous‑jacents à une évolution législative, en proposant notamment des grilles de lecture fondées sur les expériences menées dans d’autres pays. C’est un outil appréciable pour nourrir la réflexion des parlementaires, mais le travail devra être fait lors de la prochaine législature.

Outre que le temps législatif ne permet plus de mener l’examen de ce texte à son terme, il existe plusieurs options qui produiraient des effets différents en matière sanitaire, économique ou d’évolution des trafics. Bien entendu, une loi relative à la légalisation du cannabis devrait comporter des dispositions garantissant l’indispensable protection des mineurs, pour lesquels on connaît les effets délétères d’une consommation précoce. Une telle loi devrait également s’attacher à définir une politique de prévention, une consommation non maîtrisée entraînant aussi des conséquences graves pour les adultes.

Votre proposition de loi ne méconnaît pas ces enjeux, et c’est à porter à son crédit. Toutefois, étant donné l’importance du choix du modèle qui conviendrait à notre pays et la nécessité de débattre préalablement de cette question lors de la campagne présidentielle, notre groupe ne votera pas en faveur du présent texte.

Mme Michèle Victory (SOC). Avec 1 500 000 consommateurs très réguliers de cannabis, la France se trouve sur le podium des pays les plus touchés en Europe. Cela appelle à la modestie, et aussi, peut-être, à faire preuve de plus d’audace. Le cannabis cristallise les contradictions de notre société : beaucoup d’interdits, beaucoup de transgressions plus ou moins graves et, en réponse, une politique répressive qui ne s’attaque pas aux racines du mal.

Nous avons mené une mission d’information commune qui a remis trois rapports, mais le Gouvernement a largement ignoré ces travaux parlementaires et il poursuit une politique de prohibition qui n’a montré aucun effet depuis de nombreuses années : les prises augmentent, mais les flux également, vous l’avez souligné ; les forces de l’ordre et la justice, trop largement mobilisées au sujet du cannabis, disent leur frustration de devoir passer leur temps à tenter de vider l’océan à la petite cuillère alors qu’une politique de santé publique de grande ampleur visant à lutter réellement contre les dangers du cannabis par la prévention n’a toujours pas été engagée. Le narcobanditisme et la souffrance sociale dans les quartiers se sont aggravés sans qu’aucun dispositif répressif parvienne à aider les habitants à se réapproprier l’espace public.

Vous proposez une légalisation contrôlée du cannabis et la création d’un établissement public administratif chargé d’en encadrer la production et l’exploitation, comme le font des pays de plus en plus nombreux. Vous avez, monsieur le rapporteur, mené un travail approfondi depuis plusieurs mois, dans une démarche transpartisane que je salue, et les exemples des politiques suivies à l’étranger doivent nous éclairer. Aussi, même si nous ne doutons pas que la majorité préférera le statu quo aux solutions concrètes à ce fléau, notre groupe continuera de soutenir la proposition d’encadrement de la consommation et un plan de santé publique d’envergure. Nous voterons ce texte, pour nous engager dans la voie du progrès en sécurité, donner de nouvelles opportunités aux agriculteurs et développer une politique de santé publique ambitieuse et protectrice.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ens). Cette proposition de loi nous est soumise quelques mois après la présentation du rapport de la mission d’information commune de notre assemblée sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Nous avions alors constaté l’échec de la politique répressive menée en France depuis plus de cinquante ans.

Disons‑le sans ambages : l’interdiction et la pénalisation n’ont pas permis de juguler les trafics. Élue d’une ville portuaire à travers laquelle ne transitent malheureusement pas que des marchandises déclarées, je puis en témoigner moi-même. Le tout répressif n’a pas non plus entraîné une baisse de la consommation, bien au contraire : avec plus de 5 millions d’usagers, elle n’a jamais été aussi forte en France et nous occupons en permanence la première place du classement des plus gros consommateurs européens.

Il est donc légitime, et même essentiel, de proposer une évolution de notre stratégie, sans nier les risques de cette consommation pour la santé du corps et de l’esprit, notamment chez les jeunes. La question de la légalisation encadrée et régulée du cannabis doit être au cœur de nos réflexions ; c’était d’ailleurs la principale recommandation formulée par la mission d’information commune. Je remercie donc le groupe La France insoumise d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour.

Toutefois, notre groupe, au sein duquel se manifestent des opinions diverses sur la question de la légalisation du cannabis, ne peut appeler à voter en faveur de ce texte, qui nous apparaît à la fois inopportun, précipité dans la forme et malvenu sur le fond. S’agissant de la forme, la légalisation du cannabis mérite plus qu’une niche parlementaire ; elle exige un travail éclairé et approfondi et la tenue d’un large débat public. Quant au fond, cette proposition de loi est incomplète, ce qui se comprend compte tenu des contraintes de l’exercice, mais il en résulte que rien n’est dit de la prévention, pourtant la meilleure des solutions, des sanctions, d’une fiscalité spécifique, comme pour le tabac, du report possible de la consommation et du modèle français. La proposition de loi se résume à un article unique et beaucoup de questions restent en suspens.

Il s’agit d’un débat de société important, dont nul ne doute qu’il reprendra au cours des mois à venir. Dans l’intervalle, le groupe Agir ensemble votera majoritairement contre ce texte.

Mme Valérie Six (UDI-I). Ce débat exige du pragmatisme et non une diabolisation. Mais si l’on peut s’interroger sur l’efficacité de la lutte contre l’usage des stupéfiants, penser résoudre le problème du cannabis par sa légalisation serait négliger la dangerosité de ce produit, pourtant démontrée par la mission d’information commune de notre assemblée.

La comparaison avec l’alcool et le tabac, substances considérées comme plus létales, n’est pas pertinente, car elle revient à relativiser la dangerosité d’un produit psychotrope qui a ses effets propres sur la santé : risque cardio-vasculaire avéré, maladies respiratoires, risque de schizophrénie et d’autres psychoses, mais aussi conséquences irréversibles sur le développement cérébral des plus jeunes.

J’en appelle à notre responsabilité collective, car il apparaît illusoire d’imaginer faire respecter un âge minimal de consommation que l’on peine déjà à faire appliquer pour la vente de tabac ou d’alcool. Très engagée en ce qui concerne le protoxyde d’azote, je ne connais que trop bien les mécanismes de contournement qui peuvent être employés et les difficultés pratiques que posent les restrictions d’accès à un produit légal. Étant donné les dangers encourus, il apparaît disproportionné d’exposer les adolescents à des risques supplémentaires.

En outre, la prohibition est présentée comme faisant obstacle à toute politique de santé publique pour les consommateurs de cannabis. Or la lutte contre les drogues et la prévention vont de pair. En matière d’addictions, il convient de développer une véritable politique de santé, transversale et pluridisciplinaire, laquelle ne se conçoit pas sans la lutte contre le trafic de cannabis.

Mme Danièle Obono (FI). Comme cela a été rappelé, la France est depuis longtemps le premier pays européen pour la consommation de cannabis, drogue largement répandue dans notre société. La France compte 900 000 usagers quotidiens et près de la moitié des adultes a fumé du cannabis au moins une fois dans sa vie, alors que la moyenne européenne s’établit à 29 % et qu’aux Pays‑Bas, où la consommation du cannabis est légale et où ce produit est en vente libre, la proportion est « seulement » de 27 %.

Pourtant, la législation française est l’une des plus répressives au monde. L’acharnement de ces derniers mois à l’encontre des consommateurs et consommatrices dont s’est prévalu le ministre Darmanin n’a rien changé : au contraire, la consommation a augmenté au cours du confinement malgré les difficultés d’approvisionnement. Il convient de tirer les conclusions de ce constat établi par des spécialistes de la prévention des risques, des juristes et des professionnels des questions de sécurité. La politique répressive menée depuis plus de cinquante ans ayant échoué à faire diminuer la consommation, il faut envisager une autre approche, celle que nous proposons.

Le cannabis est une substance psychoactive dont l’absorption perturbe le système nerveux central. Si sa dangerosité est moindre que celle d’autres produits dont la vente est légale en France, tels que l’alcool et le tabac, sa consommation peut avoir des effets délétères en matière de santé, de sociabilité et de tranquillité publique, d’autant que l’augmentation du taux de THC a rendu le cannabis encore plus nocif.

De notre point de vue et de celui des experts, la légalisation est en premier lieu un impératif de santé publique : elle permettra d’encadrer la qualité des produits et donc de prévenir les risques liés à la consommation. Il y a aussi un enjeu de sécurité et de tranquillité publiques : la légalisation permettra de rediriger les forces de l’ordre vers des missions clefs, comme la lutte contre les trafics. Tel est le sens de cette proposition de loi, dont nous espérons que l’adoption permettra d’avancer, enfin, dans la lignée progressiste d’un certain nombre de pays.

Mme Marie-George Buffet (GDR). Je remercie le groupe La France insoumise de nous permettre d’avoir de nouveau un débat au sujet d’une plaie qui mine l’existence de bien des habitants de nos quartiers et la vie de nos jeunes. Il ne faut jamais oublier que le cannabis est dangereux. Il l’est en raison de ses conséquences psychiques mais aussi parce qu’il provoque des morts lors de règlements de comptes et d’accidents d’automobile.

Il est vrai que le système de répression actuel ne produit pas les résultats escomptés, comme le montre l’augmentation de la consommation de cannabis en France. Les points de deal sont connus ; certains sont installés depuis quinze ans sans que la politique de sécurité donne le sentiment que l’on agisse réellement. Mais ce n’est pas parce que nous n’arrivons pas à lutter contre un trafic qu’il faut légaliser l’objet de ce trafic, et ce n’est pas parce que d’autres substances sont légales qu’il faut légaliser le cannabis.

De plus, la légalisation n’empêchera pas le trafic. Le préfet Lambert, qui fut un grand préfet de la Seine‑Saint‑Denis, le disait souvent : le deal est un commerce extrêmement organisé, avec les patrons, les agents commerciaux, les guetteurs, les petites gens, les ouvriers, aux salaires codifiés. S’il n’y a plus de cannabis, on remplacera ce trafic par un autre. On voit d’ailleurs qu’en Seine‑Saint‑Denis une série de deals se transforment progressivement en prostitution de très jeunes mineurs. Autant dire que l’on ne peut imaginer régler la question du trafic en légalisant le cannabis. On ne peut améliorer le combat contre le trafic, qui a des racines à l’étranger, que par la coopération internationale des forces de sécurité.

Enfin, considérant que la hausse du prix du tabac a provoqué un trafic de cigarettes encore plus nocives que celles qui sont autorisées à la vente – en Seine‑Saint‑Denis, des dizaines et des dizaines de vendeurs de cigarettes clandestins se succèdent tout le long de certaines lignes de tramway –, je suis en désaccord avec l’argument selon lequel la légalisation contribuerait au financement de l’État. Je ne juge pas non plus recevable l’argument selon lequel ce serait une nouvelle opportunité pour les agriculteurs.

Pour ces raisons, notre groupe votera, dans sa majorité, contre la proposition de loi.

M. Bernard Perrut. La menace que fait peser le cannabis sur la santé des Français n’est plus à démontrer. On connaît ses effets délétères, d’autant plus risqués que l’usager est jeune. Le cannabis altère les capacités de perception et d’attention, notamment des conducteurs, ainsi que la mémoire immédiate, provoque des troubles relationnels, scolaires et professionnels, aggrave les troubles mentaux et s’accompagne d’un risque important de dépendance. Votre présentation d’une consommation dite récréative minore les choses alors que le cannabis, substance dangereuse, cause des troubles psychiques potentiellement graves. C’est pourquoi je soutiens l’objectif de développement d’une politique de prévention des risques, priorité avant toute légalisation. Vous avez cité les exemples du Canada et du Portugal, mais leur politique de prévention est-elle transposable à notre pays ? Vous avez aussi évoqué les États‑Unis, où la légalisation n’a pas fait baisser la proportion de consommateurs, ce qui est pourtant l’une de nos priorités absolues.

Comment faire pour progresser, comment nous assurer que la dépénalisation, voire la légalisation, aurait pour contrepartie une meilleure protection de nos jeunes ? Vous ne pouvez évidemment pas l’assurer, mais vous présentez la légalisation comme une solution magique qui permettrait de produire des ressources fiscales, de libérer des moyens pour la police et la justice et de réduire la criminalité. Or les études conduites à l’étranger montrent que les bénéfices, s’ils existent, ne sont ni automatiques ni certains, mais que perdurent la criminalité liée au cannabis et bien sûr le marché noir. Pour toutes ces raisons, la légalisation du cannabis doit faire l’objet d’un travail approfondi, ne se limitant pas au constat de l’échec de l’État ni aux solutions que vous proposez.

Mme Caroline Janvier. Je souhaite rappeler ma position, constante depuis près de trois ans. J’ai soutenu la proposition de loi de François-Michel Lambert, comme je soutiens aujourd’hui celle de notre collègue Éric Coquerel – c’est la preuve que le groupe La République en Marche n’est pas sectaire, que nous pouvons débattre en son sein et soutenir des propositions de loi d’où qu’elles viennent. Je considère qu’une légalisation encadrée permettrait aux pouvoirs publics de reprendre le contrôle d’une situation aujourd’hui aux mains de criminels, et qui provoque des problèmes d’ordre sécuritaire et sanitaire.

Actuellement, la France s’illustre par sa première place en nombre de consommateurs, mais aussi concernant la consommation par les jeunes et la consommation problématique, de produits plus dangereux que le cannabis lorsqu’il fait l’objet d’un marché régulé et d’un usage plus fréquent, avec des répercussions sur la scolarité et sur les apprentissages.

Une légalisation encadrée permettrait de mieux protéger les jeunes, de faire reculer l’âge de la première consommation, d’établir un contrôle sanitaire sur les substances et aussi de durcir les peines infligées à ceux qui ne respectent pas la loi : au Canada, la loi de légalisation a prévu jusqu’à quatorze ans d’emprisonnement pour sanctionner la vente de cannabis à des mineurs ou l’emploi de mineurs dans les circuits de distribution. Légaliser, ce n’est ni être laxiste ni envisager avec naïveté les dangers du cannabis mais reprendre le contrôle d’une situation qui, malheureusement, nous échappe depuis cinquante ans.

M. Cyrille Isaac-Sibille. La consommation de cannabis doit être analysée sous les angles sécuritaire, économique et de santé. Or votre proposition de loi aborde les aspects économique et sécuritaire mais aucunement le volet sanitaire. De plus, ce trafic représente plusieurs milliards d’euros ; si vous les enlevez aux quartiers qui en vivent, que se passera‑t‑il ? Sur le plan sécuritaire, le trafic de stupéfiants est à l’origine de violences ; s’il y est mis un terme, il y aura un report sur d’autres trafics, et que fera-t-on ?

À votre proposition, je préfère le modèle choisi par le Portugal, pays où le consommateur est traité comme un malade, avec l’intervention de travailleurs sociaux et une réponse graduée en fonction de la consommation de drogue. La première fois qu’il est interpellé, l’usager doit se rendre au commissariat, puis passer devant une commission médicale qui examine s’il s’agit d’une consommation modérée occasionnelle ou d’une consommation problématique. En cas de forte dépendance, l’usager est dirigé vers un service de traitement spécialisé. Les consommateurs de stupéfiants étant d’abord des malades, cette approche est plus intéressante que celle, économique, que vous proposez, dans laquelle l’État se substitue aux dealers pour organiser la vente.

M. Didier Martin. Chers collègues, je vous souhaite une bonne année et une bonne santé, et j’observe qu’en guise de vœux, le groupe La France insoumise nous propose de légaliser un produit létal, nocif, toxique, délétère, addictif. Vous avez indiqué vous-même, monsieur Coquerel, que le cannabis arrive en sixième position dans la liste des produits les plus létaux et en huitième position s’agissant des produits les plus nocifs – et vous voulez établir une filière française pour cette substance ? Votre propre constat est qu’il s’agit d’un fléau frappant notre société. Le trafic tue, vous l’avez dit. Pensez‑vous sincèrement qu’en cas de légalisation le trafic cessera ? Non ! Il se dirigera vers d’autres substances, peut-être pires, des drogues plus dures ; il serait naïf de croire que la légalisation du cannabis interrompra tout trafic dans notre pays.

Le cannabis perturbe les études, l’acquisition des connaissances, la pratique sportive. La dangerosité de ce produit pour la santé des jeunes est manifeste, mais la proposition de loi est muette sur ce point et donc incomplète. Il serait dangereux d’aller dans votre sens alors que la consommation de cannabis est à l’origine de graves troubles de santé, en particulier des troubles psychiatriques parfois définitifs quand est atteint un cerveau encore en formation.

Il serait illusoire de penser que la légalisation protégera les jeunes. La légalisation de la consommation d’alcool et de tabac les a bien mal protégés : ils fument et boivent de l’alcool de plus en plus tôt. Pour reprendre votre registre de vocabulaire, cette proposition de loi irresponsable est un texte d’apprentis sorciers ; je ne peux y souscrire.

M. le rapporteur. Je remercie tous les orateurs de nous avoir permis de débattre en évitant les caricatures – la dernière intervention exceptée. Si je vous ai bien compris, monsieur Martin, vous doutez que la légalisation de l’alcool et du tabac ait empêché leur consommation par les plus jeunes ; je vous suppose donc favorable à l’interdiction de ces deux substances.

Je remercie tous les représentants des groupes, particulièrement le groupe Socialistes et apparentés et celui de La France insoumise, qui appuient cette proposition de loi. Je remarque aussi que plusieurs groupes – La République en Marche, Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés (Dem), Agir ensemble –, sans soutenir le texte, ont souligné la nécessité du débat, la porte-parole du groupe Dem indiquant même que la légalisation serait certainement débattue lors de la prochaine législature. En tout état de cause, le sujet est mis sur la table, comme nous le voulions, alors que va débuter la campagne présidentielle, pour accélérer le débat citoyen.

Celui-ci devrait-il être plus large ? Je rappelle que 253 194 personnes ont participé à la consultation organisée par l’Assemblée nationale et que 80,8 % des participants se sont déclarés favorables à la légalisation du cannabis. Par ailleurs, tous les sondages récents montrent qu’une grande majorité de nos concitoyens estiment que la prohibition ne règle pas la question de la dangerosité du cannabis et qu’une majorité croissante se dessine en faveur de la légalisation.

Non, monsieur Door, je n’arrive pas masqué. Nous disons clairement ce que nous voulons mais, parce que notre proposition est faite dans le cadre d’une niche parlementaire, nous sommes inévitablement conduits à réduire le nombre d’articles. C’est pourquoi nous avons pris soin de préciser dans l’exposé des motifs que la légalisation s’entend dans un cadre global associant une politique de prévention ambitieuse et systématique, un redéploiement des forces de police et une réinsertion sociale. Vous considérez, comme certains de vos collègues, que la légalisation ne règle pas la question de la consommation de cannabis par les mineurs ; certes, mais la prohibition non plus. Même si l’on a constaté des progrès depuis quelques années – peut-être dus, malheureusement, à un transfert vers la consommation de substances faciles à trouver dans le commerce et détournées, comme le protoxyde d’azote utilisé pour gonfler des ballons –, la situation actuelle est catastrophique.

Personne ne nie la dangerosité du cannabis, aujourd’hui établie, mais on en consomme en France comme jamais et peut-être faut-il s’interroger sur les raisons de cette consommation. D’autre part, le trafic tue, je l’ai dit, en raison de la dangerosité intrinsèque de la substance mais aussi des conséquences du trafic lui-même, telles que les règlements de comptes qui se multiplient. De plus, de nombreux habitants subissent des nuisances insupportables dues à cette activité. La proposition de loi a été rédigée en pensant d’abord à tous ceux dont l’espace de vie est « privatisé » en permanence par des points de deal. En dépit de tous les efforts des forces de police, auxquelles je rends une nouvelle fois hommage, le problème ne se résout pas.

La principale différence d’analyse entre nous est peut-être que nous considérons que la consommation de cannabis, pas plus que la consommation d’autres produits psychotropes, ne baissera pas réellement de manière définitive. Certains d’entre vous ont récusé les comparaisons avec l’alcool et le tabac...

M. Cyrille Isaac-Sibille. Dont la consommation a baissé !

M. le rapporteur. Précisément parce que l’absence d’interdiction a rendu possible une politique de prévention, qui s’est notamment traduite par la « loi Évin », laquelle a permis de réduire la consommation de tabac. Aussi longtemps qu’il y a prohibition, aucune politique rationnelle de contrôle des usages et de réduction des risques, notamment d’addiction, n’est possible, si bien que la prohibition du cannabis conduit finalement au pire marché capitaliste possible : il se développe sans aucune règle, la demande existe de toute manière et l’on est incapable de contrôler ou de réguler quoi que ce soit. Tel est le constat actuel, auquel je vous demande de réfléchir.

Nous ne cherchons ni à banaliser la consommation de cannabis ni à nier sa dangerosité, puisqu’elle est banalisée et dangereuse, mais nous constatons que la prohibition ne l’empêche pas et que, malheureusement, ce qui est absorbé est le cannabis le plus dangereux, consommé de la manière la plus dangereuse.

L’hypothèse selon laquelle la légalisation du cannabis entraînerait la multiplication des autres trafics n’a rien de rationnel et aucune des expérimentations menées dans le monde ne le montre. C’est que le marché est dicté par la demande : à supposer qu’un trafiquant veuille réorienter son activité vers la cocaïne, rien ne dit que les consommateurs suivront. Cela ne se passe pas ainsi dans les faits. L’argument selon lequel en finir avec un trafic entraînerait inévitablement le développement d’un autre est donc faux, croyez‑en les collègues qui ont vraiment travaillé sur le sujet. En revanche, l’inverse est malheureusement vrai : quand existe un point de deal, par définition illicite, de cannabis et que l’on peut y trouver facilement de la cocaïne et d’autres drogues, le transfert vers d’autres stupéfiants peut se faire beaucoup plus facilement que s’il n’y a pas de point de deal du tout.

Pourquoi l’argument du financement de l’État ne serait-il pas recevable ? Le marché noir des cigarettes s’est développé, c’est exact, mais il se trouve aussi qu’en deux ans, au Québec, le commerce illicite a baissé de 60 %. Je puis vous dire que les habitants de ma circonscription en ressentiraient immédiatement les effets bénéfiques ! Nous proposons de développer une police de proximité et de donner davantage de moyens d’investigation aux forces de l’ordre car nous ne nions pas que le trafic continuera, mais il sera considérablement réduit, comme le montrent de manière incontestable les expériences menées à l’étranger. De plus, la légalisation fera revenir à l’État des ressources qui peuvent être largement utilisées pour financer la politique de prévention que M. Perrut appelle de ses vœux.

J’ai parlé du modèle portugais. À titre personnel, je le juge très intéressant en ce qu’il confie au ministère de la santé la direction de la politique de lutte contre les stupéfiants, menée de la manière qui a été décrite : un usager interpellé en possession d’une certaine dose de produit et qui n’est pas un trafiquant passe dans un « centre de dissuasion », où il n’encourt pas de sanction pénale mais où il reçoit une indication sanitaire plus ou moins obligatoire selon sa situation. J’ajoute qu’au Portugal, la consommation de drogues de toutes catégories fond depuis vingt ans ; en particulier, la consommation d’héroïne, qui était le grand problème, a diminué de moitié. Le directeur du SICAD, que nous avons auditionné hier, a expliqué que le Portugal envisage de légaliser le cannabis sous le contrôle de l’État. Cette évolution devrait nous conduire à nous interroger : manifestement, les pouvoirs publics portugais jugent que la légalisation manque à leur politique sanitaire et sécuritaire de lutte contre les addictions. Il n’y a là rien de contradictoire avec le contenu de la proposition de loi.

Comme l’a souligné Bernard Perrut, il existe des modèles différents. Pour moi, celui des États‑Unis n’en est pas un, puisqu’il se résume à laisser faire Big Canna, avec le risque de voir se développer un marché sans aucune règle aux mains de grands groupes, comme il en va pour Big Tobacco. Ces groupes ont pour seule volonté d’augmenter la consommation sans se préoccuper de la qualité du produit. C’est ce qui nous menace, et plus nous tardons à légaliser, plus cette menace s’aggrave. Le modèle retenu dans cette proposition de loi est tout autre. Nous voulons légaliser sous un contrôle strict de l’État, car il ne s’agit évidemment pas de développer la consommation du cannabis mais au contraire de diminuer le trafic et, en réduisant la fréquence de la consommation et la nocivité de la substance, de la rendre moins dangereuse d’un point de vue sanitaire. C’est un choix de société.

À cet égard, l’audition, hier, de Mme Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération helvétique et aujourd’hui présidente d’une commission internationale qui travaille sur les questions liées aux stupéfiants, était riche d’enseignements. La Suisse, nous a‑t‑elle expliqué, avait libéralisé sous la forme américaine le commerce du cannabis il y a quelques années. Mais, parce que, sur ce marché complètement libre, les trafics augmentent, les pouvoirs publics en viennent progressivement, par des expérimentations, à ce que nous proposons : une commercialisation licite sous un contrôle strict, soit par des associations soit par l’État directement. Cette audition était particulièrement intéressante parce qu’elle dessinait bien les choix que nous devrons faire.

La commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er : Légalisation de la production, de la distribution, de la vente et de l’usage du cannabis

Amendements de suppression AS5 de Mme Valérie Six, AS6 de Thibault Bazin, AS7 de M. Jean-Pierre Door et AS11 de M. Belkhir Belhaddad.

Mme Valérie Six. Les arguments évoqués dans l’exposé des motifs de la proposition de loi paraissent négliger la dangerosité de ce produit, qui n’est plus à démontrer : je pense notamment aux conséquences psychiques et cérébrales irréversibles sur les jeunes.

Par ailleurs, les effets de la légalisation sur la consommation et l’assèchement des trafics illégaux semblent incertains. Le lien de causalité entre prohibition et consommation n’est pas démontré. Les expérimentations étrangères, souvent citées en exemple, relèvent de contextes particuliers et ne permettent pas de conclure à une réduction significative de l’usage du cannabis. Un changement de paradigme ne s’accompagnant d’aucune assurance de réussite pour la santé des consommateurs et les populations des quartiers qui souffrent au quotidien des trafics apparaît risqué.

Je m’inscris également en faux contre l’argument selon lequel l’approche préventive serait contradictoire avec la lutte contre le trafic de cannabis : ces politiques peuvent coexister.

Enfin, je regrette que cette proposition de loi n’aille pas plus loin dans la structuration d’une véritable politique de santé publique, que l’exposé des motifs semble pourtant valoriser.

M. Thibault Bazin. Monsieur le rapporteur, vous voulez légaliser la consommation de cannabis, produit néfaste pour la santé et très dangereux, notamment pour les plus jeunes. Quel effet, incitatif ou dissuasif, un tel changement législatif aura‑t‑il demain ? Nous prenons un vrai risque d’inciter à la consommation d’encore plus de cannabis. Ce n’est pas parce que l’État n’arrive pas à juguler le trafic qu’il convient de légaliser la production, la vente et la consommation.

Certains pays ont déjà légalisé le cannabis, et le bilan n’est guère encourageant : la consommation s’est banalisée et a augmenté, les mineurs se procurent plus facilement du cannabis, d’autres trafics se sont développés et les trafiquants continuent à exercer, car un marché noir persiste, avec parfois des produits de moins bonne qualité et encore plus dangereux.

Le cannabis est un produit nocif, aux effets secondaires non négligeables. Le légaliser donnerait une sorte de caution à son utilisation, ce qu’il convient d’éviter. La légalisation est donc une mauvaise réponse à l’échec de la lutte contre le cannabis.

M. Jean-Pierre Door. L’argument des recettes issues des taxes sur la vente de cannabis est un leurre : une étude menée dans le Colorado a montré que pour 1 dollar de recettes, 5 dollars étaient dépensés pour traiter les conséquences sanitaires imputées à cette drogue. En France, les dépenses sociales et sanitaires liées à l’alcool et à la drogue sont nettement supérieures aux recettes induites. Cela vaut aussi pour le cannabis.

M. Belkhir Belhaddad. Alors que nous avons franchi les premières étapes de l’autorisation des usages du « cannabis bien-être » et de l’expérimentation du cannabis thérapeutique, la légalisation du cannabis récréatif est un choix de société aux fortes implications symboliques, politiques, sanitaires et sécuritaires que le véhicule législatif proposé ne permet pas de couvrir.

De plus, traiter un sujet aussi complexe en fin de législature, au moyen d’un seul article de loi et sans vision globale, a peu de sens et ne sera d’aucune efficacité. L’élaboration d’une législation nécessite un temps d’adaptation important. Ce sujet complexe doit être traité dans le cadre d’un débat de société, afin de consulter l’ensemble des citoyens.

C’est pourquoi le groupe La République en Marche propose de supprimer cet article.

M. le rapporteur. J’ai oublié de remercier Caroline Janvier, cosignataire de la proposition de loi, pour son intervention, qui ne m’a pas étonné vu son rôle au sein de la mission d’information commune.

Mon amendement AS10, qui ne sera pas examiné si les amendements de suppression sont adoptés, vise à interdire la consommation de cannabis par les mineurs.

Je regrette un peu la position du groupe La République en Marche car j’avais cru comprendre qu’il était au moins satisfait que le débat ait lieu et qu’il n’était pas forcément animé par une opposition de principe, même s’il était contre ce texte dans l’immédiat. Le dépôt d’un amendement de suppression, qui constitue une sorte d’arme atomique puisqu’il met fin aux débats, ne correspond pas à ce que j’avais compris concernant l’état d’esprit de ce groupe. J’espère qu’il en sera autrement en séance.

Monsieur Door, le problème de la situation actuelle est qu’elle ne produit aucune recette. L’exemple du Colorado est compliqué : cet État, après avoir totalement libéralisé le marché – les chiffres que vous avez cités correspondent à cette période –, est en train de revenir sur cette politique parce qu’elle a fait des dégâts.

Savez-vous qu’en Seine‑Saint‑Denis le chiffre d’affaires lié au trafic de drogue représenterait la moitié du budget du conseil départemental ?

Notre collègue Cyrille Isaac-Sibille a dit que l’argent du trafic manquerait. Or il part largement ailleurs, les têtes de pont n’étant pas dans les quartiers. Une politique globale devrait également mettre le paquet sur les filières, notamment sur le terrain de la fiscalité et du blanchiment d’argent, et permettre de travailler sur la réinsertion sociale, par la rescolarisation et par l’emploi, en particulier pour les « petites mains » tentées par l’illusion de l’argent facile, malgré les douze heures de présence par jour, week-end compris, et le passage par la case prison un jour ou l’autre.

J’ai déjà relevé que l’État consacre très peu d’argent aux politiques de prévention – je n’y reviens pas.

Monsieur Bazin, les politiques de légalisation comparables à celle que nous souhaitons ne favorisent pas la consommation de cannabis par les mineurs. Au Québec, elle a considérablement baissé en raison des politiques de prévention globales qui sont menées. Ce que vous avez dit est factuellement faux. En France, la situation est actuellement dramatique s’agissant des mineurs.

J’en viens aux exemples étrangers : l’Allemagne va bientôt lancer une expérience, à nos frontières, ce qui soulèvera des questions, et la Suisse devrait faire de même. Par ailleurs, aucun pays ne revient sur la légalisation, non par souhait de favoriser la consommation de cannabis, mais en raison de la comparaison avec la situation antérieure.

Le problème du cannabis et du trafic de drogue n’est pas devant nous, parce qu’on déciderait une légalisation : il se pose dès aujourd’hui. Nous sommes les champions d’Europe en matière de consommation.

Contrairement à ce qu’on suppose parfois, on n’a pas échoué parce que la justice ne serait pas assez sévère avec le trafic de drogue. C’est faux, j’ai entendu des policiers le dire eux-mêmes, il y a quelques jours, à un maire de la Seine‑Saint‑Denis qui prétendait le contraire. À Marseille, 37 % des gens détenus aux Baumettes sont là pour des questions liées au trafic. La justice répond de manière proportionnée.

Le problème concret qui fait qu’il s’agit d’un puits sans fond, est que les « petites mains » de la drogue, dans beaucoup de points de deal en Seine‑Saint‑Denis, sont souvent des mineurs isolés étrangers, qui sont utilisés. La justice pourra toujours envoyer en prison des petits dealers, la main‑d’œuvre est inépuisable et elle rapporte énormément aux trafiquants. C’est la raison pour laquelle la politique menée est un échec. La qualité des policiers n’est pas en cause, pas plus que celle des juges ou la volonté que la justice passe : c’est simplement un marché sans fin.

M. Jean-Pierre Door. La proposition de loi, monsieur le rapporteur, prévoit d’instituer un établissement public administratif qui sera notamment chargé de la vente du cannabis. Il y aura des recettes fiscales, comme pour le tabac et l’alcool. Mais l’étude réalisée dans le Colorado montre que les dépenses sanitaires et sociales liées à la consommation sont supérieures aux recettes fiscales : il y a un déséquilibre.

M. le rapporteur. Les dégâts en matière de santé publique existent déjà, mais nous n’avons pas du tout de recettes fiscales.

La proposition de loi prévoit un contrôle de l’État sur le produit, sa composition, son prix de vente et sa distribution, par l’intermédiaire d’une agence. Elle accordera des licences aux producteurs et aux vendeurs à partir de critères très précis. Ce ne sont pas des fonctionnaires de l’État qui vendront le produit... En revanche, ce commerce générera des recettes fiscales. Cela pourrait sembler choquant, mais je rappelle qu’il en est de même pour la vente de tabac et d’alcool et que, de surcroît, même si on l’ignore souvent, le PIB intègre le chiffre d’affaires du trafic de cannabis.

Je suis, vous l’aurez compris, défavorable à ces amendements.

Mme Danièle Obono. La politique de répression en vigueur depuis plus de cinquante ans est un échec, pas seulement en France ou en Europe mais dans le monde entier. Même s’il est possible de dire que nous n’avons pas suffisamment de recul concernant les expérimentations menées en matière de légalisation et d’encadrement, le bilan de la politique de répression est connu. Il est désastreux en matière de santé, de sécurité et de tranquillité publiques, comme tous les spécialistes le constatent. Le statu quo n’est donc plus possible. Comment les législateurs que nous sommes pourraient-ils camper sur des positions conservatrices faisant fi de ces éléments factuels et objectifs ?

Il n’est pas question de prétendre que cette proposition de loi réglera tous les problèmes. Néanmoins, la légalisation et l’encadrement du commerce de tout ensemble de produits, au-delà de l’alcool et du tabac, seraient utiles. Beaucoup de produits font l’objet d’un trafic et ont des effets nocifs.

Je vous invite à ne pas voter ces amendements.

Mme Michèle Victory. Nous nous opposons également à ces amendements de suppression.

Par principe, tout d’abord, il serait dommage de ne pas pouvoir discuter d’une question aussi importante pour nos compatriotes, comme l’a montré la consultation qui a eu lieu.

En second lieu, vous nous dites que ce n’est pas parce que l’État n’a pas pu juguler le problème qu’il faut chercher une autre solution. Or c’est le cas. Nous sommes tous très conscients des risques liés à la consommation du cannabis, surtout pour notre jeunesse, et c’est pour cette raison qu’il faut changer d’approche. Or que proposez-vous, camarades de la majorité qui vous opposez à ce texte, sinon le statu quo ?

Au collègue de La République en Marche qui a fait valoir les avancées en matière de cannabis thérapeutique et de bien-être – le CBD –, je rappelle que les derniers décrets qui ont été pris ont placé la France dans une position ahurissante puisque nous devrons importer des produits, probablement de mauvaise qualité. Nous n’avons donc en rien avancé.

M. Matthieu Orphelin. Merci à Éric Coquerel d’avoir permis ce débat, apaisé. Je regrette le dépôt de ces amendements de suppression qui pourraient restreindre nos échanges.

J’ai cosigné la proposition de loi, qui tend à légaliser une substance dangereuse, le cannabis, d’une façon très encadrée et régulée par l’État, car je considère qu’il n’est pas possible d’en rester à la situation actuelle pour des raisons de santé et de sécurité dans les quartiers. Que propose donc La République en Marche pour que les choses changent ?

J’ai eu l’occasion de participer à une patrouille de nuit de la brigade anti‑criminalité d’Angers. Les points de deal sont les mêmes depuis quinze ans : à l’arrivée des policiers, les jeunes se replient dans des appartements « nourrices » où les forces de l’ordre n’ont pas le droit de pénétrer ; un quart d’heure après leur départ, ils reprennent leurs postes. La vie des personnes qui habitent dans ces immeubles est impossible !

Mme Marie-Pierre Rixain. La légalisation du cannabis ne saurait être fondée sur un renoncement : il n’est pas imaginable que l’État prenne cette décision faute de parvenir à juguler les trafics. Je mesure d’autant mieux l’ampleur des réseaux qui gangrènent nos quartiers et pourrissent la vie quotidienne de leurs habitants que le chef‑lieu de ma circonscription, Longjumeau, fait partie des communes les plus touchées.

Les constats que vous faites valoir ne doivent pas nous conduire à croire que la légalisation du cannabis serait un remède à tous les maux qu’il engendre. L’économie souterraine continuerait d’être alimentée par du cannabis plus fort, des drogues plus dures et des produits encore plus addictifs. Vous le savez, les réseaux criminels savent s’adapter, comme nous le voyons avec la cigarette puisqu’un marché noir se développe aussi pour ce produit pourtant légal.

Le cannabis est un produit dangereux, notamment pour les jeunes car sa consommation nuit considérablement à leur développement cérébral. Abandonnons l’idée reçue selon laquelle il serait une drogue douce, récréative, et prenons conscience des dégâts irrémédiables qu’il engendre ! Nombre d’infirmiers scolaires de ma circonscription m’ont fait part des effets délétères constatés sur les élèves.

Je m’inquiète également que des jeunes, à Longjumeau ou ailleurs, participent massivement à des réseaux de trafic pour des raisons financières ou par désœuvrement. Pour eux, la légalisation du cannabis serait un symbole de plus de la démission de l’État et la fin de limites pénales qu’ils ont parfois du mal à percevoir. Légaliser le cannabis reviendrait à le banaliser encore plus et je ne crois pas que cette drogue ait besoin d’une publicité supplémentaire. D’après mon expérience auprès des forces de l’ordre, je pense plutôt qu’il convient d’appauvrir la demande, grâce à une meilleure prévention, et de réinventer la réponse répressive en explorant de nouvelles pistes.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Le cannabis est un vrai fléau pour la santé publique dont les conséquences sont particulièrement graves pour nos jeunes. Nous devons être très vigilants quant aux messages que nous leur envoyons. Comme mère de famille, je n’ai aucune envie de dire, demain, à mes trois enfants : « Fumer des pétards, c’est légal ». Comme députée, je n’ai pas envie de contribuer à envoyer un tel message à nos jeunes.

Il n’est pas possible de comparer la lutte contre le cannabis avec celle contre le tabac, dont la consommation est légale. Une loi néozélandaise, en revanche, a interdit la vente de tabac à partir d’une génération donnée afin qu’à l’avenir ce produit disparaisse totalement. Cette démarche, encore plus préventive, me semble préférable.

Je remercie le ministre de l’intérieur et les forces de l’ordre pour leur lutte contre le trafic de drogue. Afin de les soutenir, je voterai en faveur de ces amendements.

Mme Monique Iborra. Le rapporteur soulève de bonnes questions mais il y apporte des réponses très partielles – je n’ose pas dire « partiales », car je respecte son travail – qui ne correspondent pas à la réalité de la situation. Que vous le vouliez ou non, légalisation vaut banalisation et il ne saurait être question de banaliser le cannabis ou les autres substances addictives.

Nous avons besoin d’une loi de santé publique bien plus large que ce texte centré sur le cannabis et susceptible d’apparaître, dans le contexte actuel, comme un peu électoraliste. Nous devons nous rassembler autour de cette question : il faut bien admettre qu’en matière de prévention, dans tous les domaines, nous ne sommes pas à la hauteur.

M. Belkhir Belhaddad. Je ne peux laisser dire que nous n’aurions rien fait puisque c’est notre majorité qui a lancé l’expérimentation du cannabis thérapeutique, laquelle commence à porter ses fruits pour trois mille patients. Nous n’en sommes pas restés au statu quo, et nous ne le souhaitons pas.

Par rapport aux enjeux, cette proposition de loi est incomplète, inachevée. De nombreuses interrogations demeurent, notamment en ce qui concerne la dépénalisation, la légalisation, le cadre de production – nous n’avons pas suffisamment de retours pertinents au sujet d’un monopole étatique –, l’autorisation de l’autoproduction et le commerce en ligne.

La création de richesse dans les quartiers, suite à ces trafics, a été évoquée tout à l’heure, mais il s’agit plutôt d’une économie de subsistance. En cas de légalisation, comment accompagner ces territoires ? Dans certains quartiers de Metz, au sein de ma circonscription, certaines personnes paient leur loyer aux bailleurs sociaux en liquide, avec cet argent-là !

M. le rapporteur. J’ai déjà apporté des réponses sur plusieurs points – je ne les reprends pas.

Mme Parmentier-Lecocq n’a pas envie de dire à ses enfants que fumer des pétards est légal. Cela ne sera pas le cas pour eux : j’ai déposé un amendement afin d’y veiller, mais nous ne l’examinerons pas si ces amendements de suppression sont adoptés.

Certains collègues opposés au texte vont jusqu’au bout de leur raisonnement, puisqu’ils donnent en exemple des pays qui interdisent le tabac. Je suppose que, pour eux, cela devrait valoir aussi pour l’alcool et tous les produits psychotropes, y compris ceux licites à ce jour. Or il est vain de penser qu’on pourrait interdire et éradiquer la consommation de produits psychotropes, qui est quasiment aussi vieille que l’humanité. Nous pouvons faire en sorte de prévenir ou d’atténuer la plupart des risques, dont l’addiction, mais le simple fait d’interdire ces produits n’arrêtera pas leur consommation. Cela ne s’est jamais produit, comme le montre la prohibition de l’alcool aux États‑Unis : on a continué à consommer de l’alcool, sous des formes de plus en plus frelatées, et la mafia s’est développée principalement à cette occasion.

S’agissant des quartiers et de l’« économie de subsistance » qui a été évoquée, cette loi n’a pas pour ambition de résoudre, à elle seule, les problèmes de l’inégalité des richesses, de la déscolarisation et du chômage qui frappent ces territoires. Il faudrait une réponse plus globale, et nous faisons par ailleurs des propositions. La question se pose, en effet : une partie de l’argent va incontestablement dans les quartiers populaires, et il faut être attentif à ce qui s’est passé aux États‑Unis, où une gentrification de ce commerce s’est produite. Il est intégralement parti ailleurs, notamment dans les centres‑villes. Il faut y réfléchir. Nous ne répondons pas à cette question dans la proposition de loi, en partie parce que cela fait débat parmi ses cosignataires, mais aussi parce qu’il ne faut pas trop attendre d’un texte relatif aux stupéfiants. Les problèmes de pauvreté et de déscolarisation sont plus larges.

Vous nous dites que le texte est inachevé, incomplet. Je vous l’accorde, c’est le principe même de la niche parlementaire qui le veut, mais vous auriez pu faire des propositions durant cette législature. J’ai compris que le débat traversait également la majorité. Votre idée, néanmoins, si l’on en juge d’après les initiatives du Gouvernement, a plutôt l’air d’être que, compte tenu de l’échec de la répression depuis cinquante ans, il faut en faire encore plus dans ce domaine... Vous parlez aussi d’une politique de prévention globale et systématique, notamment à l’école : elle existe dans certains pays, mais pas en France. J’aimerais donc savoir quelles sont vos propositions en la matière. Dans ce texte, pour des raisons techniques, nous ne pouvons évoquer que dans l’exposé des motifs ce qu’il faudrait faire d’autre, mais nous soulignons qu’il est nécessaire d’accompagner la politique que nous proposons. Nous avons interrogé hier encore la MILDECA : elle a expérimenté des programmes psychosociaux intéressants ; toutefois, ce ne sont que des expérimentations. Cela n’a rien de systématique, de global, à l’inverse de ce qui existe au Portugal, par exemple.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les amendements AS3 de M. Pierre Cordier, AS9 de M. Éric Coquerel, AS4 de M. Pierre Cordier et AS10 de M. Éric Coquerel tombent.

Article 2 : Gage financier

Amendement de suppression AS8 de M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Il n’existe absolument aucune information, aucune prévention au niveau scolaire ou universitaire. C’est là qu’il faudrait essayer de trouver des solutions, peut-être lors d’une prochaine législature. Je tiens aussi à rappeler que la France a été classée en 2017, dans un rapport, à la septième place en matière de prévention, alors qu’elle est un des premiers pays consommateurs.

M. le rapporteur. Je suis naturellement favorable à la suppression du gage, objet de votre amendement.

M. Didier Martin. Ne nous faites pas dire, monsieur le rapporteur, ce que nous n’avons pas dit au sujet de l’alcool et du tabac. Nous savons, comme vous, que les sociétés humaines, depuis l’origine, se définissent par ce qu’elles tolèrent et ce qu’elles interdisent, dans tous les domaines, y compris celui des substances psychoactives.

Notre pays lutte depuis des décennies contre l’abus de tabac et d’alcool. Tout le monde trouve que c’est une politique utile et même salutaire. Je vous souhaite une bonne santé respiratoire ! À cet égard, n’oubliez pas que la fumette est associée au tabac. La santé respiratoire est un enjeu considérable – il n’y a d’ailleurs pas que la question du tabac inhalé qui se pose, mais aussi celle des particules fines dans l’atmosphère et celle du coronavirus, qui tue principalement par l’intermédiaire de cet organe vital qu’est le poumon. On ne peut pas encourager une pratique d’inhalation de quelque substance que ce soit. Du point de vue de la santé publique, votre proposition de loi ne peut donc pas convenir.

Par ailleurs, légaliser en disant qu’on fera davantage de prévention – d’un côté on dit oui, et de l’autre on déconseille – ne constitue pas un message compréhensible. Il ne faut pas s’engager dans cette voie.

Mme Danièle Obono. S’agissant des injonctions contradictoires, la situation actuelle est pire ! Beaucoup d’interventions se sont focalisées sur les risques pour les mineurs, qui sont reconnus – nous disons d’ailleurs qu’il faut les réduire autant que possible. Mais où est la cohérence quand on fait de la prévention concernant un produit interdit ? L’effet pédagogique du discours est annihilé par la prohibition. On ne devrait pas avoir besoin de faire de la prévention au sujet d’une activité qui n’est pas censée exister. Du point de vue sanitaire, la prohibition est contre-productive. L’expérience des cinquante dernières années le montre : il n’y a pas eu de baisse d’ampleur de la consommation.

Par ailleurs, je répète que des réflexions et des démarches ont été engagées à l’échelon international concernant la régulation des usages et la réduction des risques. À partir du moment où l’on considère que des personnes chercheront, par l’usage de ces produits, un effet récréatif ou en lien avec des pathologies, il faut s’assurer que les conditions dans lesquelles tout cela a lieu soient les moins nocives possible. À moins de se placer dans une logique d’éradication de tous les usages qui peuvent avoir des effets nocifs, c’est la prohibition qui est une impasse sanitaire et sécuritaire.

Mme Valérie Six. La MILDECA, que nous avons auditionnée dans le cadre de l’examen de la proposition de loi concernant le protoxyde d’azote – le texte adopté comporte d’ailleurs un article relatif à la prévention –, a pour mission de lutter contre les addictions et travaille avec les collèges et les lycées. S’agissant du cannabis, les responsables de la MILDECA nous ont dit qu’on avait banalisé la consommation. Il faut insister sur sa dangerosité.

Mme Michèle Victory. Même si comparaison n’est pas raison, et même s’il faut regarder de près les chiffres, le marché noir s’est réduit de 60 % au Canada, ce qui n’est vraiment pas rien. Personne ne dit que la question a été entièrement réglée, mais c’est une avancée qu’il faut étudier de près. Il faut s’inspirer de ce qui se fait ailleurs et avoir un peu d’audace, au lieu d’en rester à la formulation d’un constat et de critiques. Nous sommes tous d’accord sur l’idée que nos enfants font face à quelque chose de dangereux contre quoi il faut agir.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

La commission ayant supprimé tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

M. le rapporteur. Notre objectif était de faire en sorte qu’une proposition de loi – il y en a eu plusieurs, je l’ai dit tout à l’heure – puisse arriver en séance publique : ce sera le cas grâce à notre niche parlementaire.

Je remercie Danièle Obono et les membres du groupe La France insoumise, mais aussi Jean-Félix Acquaviva, Elsa Faucillon, Caroline Janvier, Hubert Julien-Laferrière, François-Michel Lambert, Ludovic Mendes, Jean-Baptiste Moreau, Matthieu Orphelin et Michèle Victory, qui ont cosigné cette proposition de loi, lui donnant ainsi l’aspect transpartisan que nous souhaitions depuis le début.

C’est une préoccupation qui traverse tous les groupes et je pense, comme l’a dit notre collègue du groupe Dem, que la prochaine législature verra la légalisation du cannabis. Nous devrions tous ensemble nous demander non pas si la légalisation verra le jour, mais sous quelle forme. Méfiez‑vous des intérêts financiers qui considèrent avec appétit cette question. Plus vite nous légiférerons, en prévoyant un encadrement très strict, mieux cela vaudra pour la santé de tout le monde.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Merci, monsieur le rapporteur. Nous avons eu un beau débat.

 

*

*     *

 

L’ensemble des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.


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   Annexe N° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

     Table ronde sur la répression des trafics et les usages du cannabis :

– Association ASUD (Autosupport des usagers de drogues) – M. Fabrice Olivet, président

– Collectif Police contre la prohibition – Mme Bénédicte Desforges, porte-parole

– M. Eric Amegan, militant pour une nouvelle politique des drogues

     Table ronde sur la prévention et la réduction des risques :

– Médecins du monde (*) – Mme Marie Debrus, référente « Réduction des risques liés aux usages de drogues »

– Association Oppelia – M. Jean-Pierre Couteron, psychologue

– Mme Marie Jauffret-Roustide, sociologue, chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale

     Commission mondiale de politique sur les drogues – Mme Ruth Dreifuss, ancienne présidente de la Confédération suisse, membre fondatrice de la Commission mondiale, et Mme Isabela Barbosa, Senior Officer et secrétaire exécutive par intérim

     Service portugais d’intervention pour les comportements d’addiction et de dépendance (SICAD) – Dr. João Goulão, président

     Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) – M. Nicolas Prisse, président, et Mme Valérie Saintoyant, déléguée à la mission

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


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   Annexe 2 :
TEXTES SUSCEPTIBLES D’ÊTRE ABROGÉS OU MODIFIÉS À L’OCCASION DE L’EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI

 

 

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1ER

Code de la santé publique

Titre III du livre IV de la troisième partie [art. L. 3431‑1, L. 3432-1 à L. 3432-6 – nouveaux]

 

 

 


([1]) Propos tenus par le ministre de l’intérieur en évoquant entre autres le cannabis, lors d’un entretien sur RTL le 20 avril 2021 notamment.

([2]) « En Allemagne, la nouvelle coalition souhaite légaliser le cannabis », Le Monde, 24 novembre 2021.

([3]) La réforme maltaise autorise la possession de sept grammes de cannabis maximum et la culture de quatre plants de cannabis par usager. Aux Pays‑Bas, l’usage et la revente de cannabis sont réglementés depuis 1976 mais pas légalisés : la loi n’interdit pas la consommation, ni ne l’autorise, mais la tolère dans les lieux privés, en particulier dans les coffee shops dont l’activité est régulée.

([4]) Le gouvernement luxembourgeois, formé depuis 2018 par une coalition rassemblant libéraux, écologistes et socialistes, a annoncé fin octobre dernier son intention de légaliser, à des fins de consommation personnelle dans la sphère privée, l’auto-culture de quatre plants de cannabis. La consommation, la détention et l’achat dans l’espace public seraient en revanche interdits et sanctionnés d’une amende de 145 euros si la personne concernée possède plus de 3 grammes. L’auto-culture et la consommation personnelle dans un espace privé sont déjà tolérées en Espagne où le commerce et la consommation publique du cannabis restent néanmoins interdits.

([5]) Voir rapport n° 4043 de M. François-Michel Lambert, fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, sur la proposition de loi relative à la légalisation contrôle de la production, de la vente et de la consommation du cannabis, avril 2021.

([6]) Rapport du Groupe de travail parlementaire de députés SRC, présidé par M. Daniel Vaillant, « Légalisation du cannabis », 15 juin 2011.

([7]) Rapport de Terra Nova, « Cannabis : pour une autre stratégie policière et pénale », Mathieu Zagrodzki, 9 octobre 2020.

([8]) Proposition de loi n° 4173 de M. Éric Coquerel et plusieurs de ses collègues relative à la lutte contre le commerce illégal de drogues, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2021.

([9]) Rapport n° 4283 de la mission d’information commune relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis, par M. Robin Reda, M. Jean-Baptiste Moreau, Mme Caroline Janvier et M. Ludovic Mendes, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juin 2021.

([10]) Commission mondiale de politique sur les drogues, « En finir avec la prohibition », 7 décembre 2021.

([11]) Rapport de la mission d’information commune précitée.

([12]) Arrêté du 22 août 1990 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique pour le cannabis.

([13]) Arrêt de la CJUE, 19 novembre 2020, aff.. C-663/18, B.S, C.A.

([14]) Arrêté du 30 décembre 2021 portant application de l’article R. 5132-86 du code de la santé publique. Voir aussi : MILDECA, « CBD : le nouvel arrêté est paru », 31 décembre 2021.

([15]) Compte rendu de l’Assemblée nationale, troisième séance publique du vendredi 29 mai 1970.

([16]) Arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. Se reporter au commentaire de l’article 1er pour plus de détails.

([17]) Article L. 3421-1 du code de la santé publique issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([18]) Commission globale de politique en matière de drogues, « Classification des substances psychoactives : lorsque la science n’est pas écoutée », rapport de 2019.

([19]) Bernard Roques, « La dangerosité des drogues. Rapport au secrétariat d’État à la Santé », Odile Jacob, 1999. Pour plus d’informations, voir Étienne Fize, « Le cannabis médical : une évidence ? Aperçu de la situation en France et dans le monde », Conseil d’analyse économique, Focus n° 032‑2019, juin 2019.

([20]) MILDECA : Restitution des travaux du Groupe de travail sur la réponse pénale à l’usage de stupéfiants, 2016.

([21]) Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 52, « Cannabis : comment reprendre le contrôle ? », Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard, juin 2019.

([22]) Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), Rapport européen sur les drogues, Tendances et évolutions, 2019 ; Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Drogues, Chiffres clés, 8e édition, juin 2019.

([23]) Rapport de la mission d’information commune précité.

([24]) Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Drogues, Chiffres clés, 8e édition, juin 2019.

([25]) National Academies of Sciences, Engineering and Medicine (2017) : The Health Effects of Cannabis and Cannabinoids : The Current State of Evidence and Recommendations for Research.

([26]) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, étude n° 38, « Les infractions à la législation sur les stupéfiants entre 1990 et 2010 », mars 2016.

([27]) Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, « Infractions à la législation sur les stupéfiants : premier état des lieux statistique », Interstats Analyse n°38, novembre 2021.

([28]) Expression de M. Mathieu Zagrodzki, auteur du rapport précité « Cannabis pour une autre stratégie policière et pénale » pour Terra Nova, 9 octobre 2020.

([29]) Rapport n° 4043, précité.

([30]) INSEE, « La prise en compte des stupéfiants dans les comptes nationaux en base 2014 », mai 2018.

([31]) MILDECA et INHESJ, « L’argent de la drogue en France ; Estimation des marchés des drogues illicites en France », 2016. Ce rapport a évalué la consommation des principales drogues en 2010 à 2,3 milliards d’euros, dont 1,1 milliard d’euros pour le cannabis, 902 millions d’euros pour la cocaïne, 267 millions d’euros pour l’héroïne, 42 millions d’euros pour l’ecstasy/MDMA et 13 millions d’euros pour les amphétamines.

([32]) INSEE, ibid.

([33]) A. Frayer-Laleix, « Au tribunal de Bobigny, le quotidien de la "chambre du shit" », Le Monde, 21 juin 2016.

([34]) Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, dossier de presse publié le 28 mai 2021.

([35]) Sur les trente‑six consultations citoyennes lancées depuis le début de la législature, la consultation citoyenne sur l’usage du cannabis est la deuxième plus importante en terme de nombre de participations (253 000 réponses reçues entre le 13 janvier et le 28 février 2021), ce qui témoigne de l’importance accordée à cette question par les Français (source : rapport précité de la mission d’information commune).

([36]) OFDT, op. cit.

([37]) S. Spilka et S. Legleye, « Chiffre d’affaires du cannabis en France, en 2017, Une nouvelle estimation directe par la dépense », Tendances n° 137, OFDT, mars 2020.

([38]) Newsweed, « Ventes illégales de cannabis en 2020 en France ». Selon le magazine, « les estimations des revenus illégaux issus de la vente de cannabis sont tirées des rapports de l’INHESJ et de l’OFDT pour les quantités ainsi que pour la décomposition weed/résine/autres. L’autoculture a été intégrée comme un achat potentiel sur un marché. Les prix du marché sont ceux constatés sur différents points de vente physique et en ligne par Newsweed (10 euros/g de beuh, 5 euros/g de résine, 40euros/g de concentrés). »

([39]) Montant obtenu proportionnellement à partir du chiffrage de Newsweed (3,24 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 360 tonnes consommées).

([40]) E. Auriol et P.-Y. Geoffard, « Cannabis : comment reprendre le contrôle ? », Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 52, juin 2019.

([41]) À titre de comparaison, le chiffre d’affaires du marché du tabac a atteint 19,4 milliards d’euros en France en 2019.

([42]) Ibid. Le produit des taxes liées au tabac a été de 15,3 milliards d’euros en 2020.

([43]) Voir bilan des actions financées en 2020 par le Fonds de lutte contre les addictions.

([44]) Rapport d’information n° 4283, précité.

([45]) Pour plus de détails sur les expériences étrangères, on ne pourra qu’inciter le lecteur à se reporter au rapport de la mission d’information commune, qui dresse le bilan des politiques de dépénalisation et de légalisation dans le monde.

([46]) https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/82-003-x/2020002/article/00002-fra.htm.

([47]) Institut de la statistique du Québec, Enquête québécoise sur le cannabis, édition 2021, 15 octobre 2021. La proportion de consommateurs de cannabis, toutes catégories d’âges confondues, a néanmoins augmenté entre 2018 et 2021 au Québec, passant de 14 % à près de 20 %. Cette hausse s’explique notamment par les effets de la pandémie de covid-19.

([48]) « Effets sur la santé publique de la légalisation du cannabis à usage médical et non-médical aux États‑Unis, revue de la littérature (rapport technique) », Adam Darnell, OFDT-DDR Consulting, novembre 2020, p. 28.

([49]) Rapport d’information n° 4283, précité.

([50]) Rapport n° 4043, précité.

([51]) Dossier de presse du comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, 28 mai 2021.

([52]) Rapport précité de M. François-Michel Lambert.

([53]) Dossier de presse précité.

([54]) Rapport précité de M. François-Michel Lambert.

([55])  Les établissements publics administratifs (EPA) sont des établissements publics remplissant une mission traditionnelle de souveraineté ou d’action sociale et soumis au droit public administratif : leur personnel est composé d’agents publics, leurs décisions sont des actes administratifs et les conflits auxquels ils peuvent être parties relèvent en principe de la justice administrative. Ils se distinguent des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), dont l’objet est principalement la production et la commercialisation de biens et services. Ils sont largement régis par le droit privé : leur personnel est soumis en principe au code du travail et les contrats qu’ils passent avec leurs usagers relèvent du droit privé.

([56]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11693995_61d55520a70ba.commission-des-affaires-sociales--legalisation-de-la-production-de-la-vente-et-de-la-consommation--5-janvier-2022