N° 4863

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 janvier 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à instaurer un droit de révocation des élus,

 

 

PAR M. Alexis CORBIÈRE
Député

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Voir le numéro : 4751.

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVant-propos.............................................. 5

I. Sous la 5ème République, l’absence de mécanismes de démocratie directe accentue la crise démocratique

A. Un régime ultra présidentiel fondé sur l’irresponsabilité politique des élus

B. Les limites du régime représentatif et l’absence d’outils de démocratie directe participent d’une abstention de masse

II. La révocation des élus est un nouveau droit démocratique qui donne corps à l’idée de responsabilité des élus devant les électeurs

A. Une revendication démocratique déjà connue de l’histoire institutionnelle française

B. Un nouveau droit démocratique pour favoriser l’implication citoyenne des électeurs et des élus

1. Un mécanisme en faveur de l’implication citoyenne permanente des électeurs et des élus

2. Un mandat révocable conciliable avec le mandat représentatif

III. De nombreuses démocraties prévoient déjà le droit de révoquer les élus

A. En europe

1. Allemagne

2. Autriche

3. Royaume-Uni

B. Ailleurs dans le monde

1. États-Unis

2. Amérique latine

a. Équateur

b. Bolivie

Examen de l’article unique de la proposition de loi constitutionnelle

Article unique (supprimé) (titre XIII bis et article 77-1 [nouveaux] de la Constitution) Création d’un référendum révocatoire des élus

Compte rendu des débats


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Mesdames, Messieurs,

« Nous avons conquis le suffrage universel. Il nous reste à conquérir la souveraineté populaire. » (Jean Jaurès)

La souveraineté du peuple est le principe fondateur du pouvoir républicain. Pourtant, sous le prisme des institutions de la 5ème République, la souveraineté est confisquée des mains du peuple pour n’être confiée qu’à ses seuls représentants comme le dispose, non sans un certain paradoxe, l’article 3 du texte constitutionnel : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. »

En réduisant l’expression du peuple souverain au simple vote et à la participation à de rares procédés référendaires dont l’initiative de la proposition appartient aux représentants, les institutions de la 5ème République ignorent la souveraineté populaire. Entre deux échéances électorales, et hormis le geste du bulletin glissé dans l’urne, les citoyens ne disposent d’aucun moyen de contrôler le mandat qu’ils ont confié à leurs élus.

Dès le départ, la Constitution de la 5ème République a été écrite dans cette perspective, et ce pour concentrer les pouvoirs entre les mains du Président de la République et pour faire prévaloir le pouvoir exécutif sur les droits du Parlement, ce dernier ne se réduisant plus qu’à une simple chambre d’enregistrement. Ce fait majoritaire, caractéristique de la 5ème République, a par la suite été renforcé tant par l’élection au suffrage universel direct du Président de la République à partir de 1962 que par l’inversion du calendrier électoral entre élections présidentielles et législatives depuis 2000. Il en résulte une « majorité présidentielle » adossée à un Président aux pouvoirs considérables et libre de bafouer ou de dévoyer les engagements pris en battant campagne. De fait, une fois élu, le chef de l’État profite d’une irresponsabilité politique et juridique qui alimente le déséquilibre des pouvoirs. Par effet de cascade, la même irresponsabilité s’applique aux autres représentants du peuple, liés par un mandat représentatif dont la traduction s’apparente à un blanc-seing donné à l’élu sans contre-pouvoirs des électeurs.

Dès lors, l’absence de responsabilité des élus vis-à-vis de leurs électeurs peut s’analyser comme un facteur de la montée en masse de l’abstention. Aux dernières élections législatives, elle était de plus de 50 %. Plus d’un électeur sur deux n’est pas allé voter pour cette assemblée nationale. Les élections suivantes, européennes, municipales et législatives partielles ont confirmé cette tendance. Plus récemment, cette « grève civique » a atteint des niveaux extrêmement préoccupants lors des dernières échéances électorales – près de 70 % aux élections départementales et régionales de 2021.

Aussi, les nombreux mouvements sociaux qui se sont succédé depuis le début du quinquennat, ignorés par l’exécutif, ont accentué le rapport distancié entre les électeurs et leurs représentants tout en nourrissant les revendications en faveur de nouveaux droits démocratiques.

Face à ce constat, il est d’urgent d’agir et de tirer les conclusions de la « crise de la représentation » si souvent dénoncée dans le débat public sans qu’aucune solution concrète n’y soit apportée.

C’est pourquoi la présente proposition de loi propose une réponse à cette attente démocratique en instituant le droit pour les citoyens de révoquer leurs élus. Ce droit nouveau donné à nos concitoyens s’applique au Président de la République, aux parlementaires, comme aux élus locaux. Par la méthode du référendum d’initiative citoyenne, cette procédure modifie les rapports entre gouvernants et gouvernés. Elle donne corps à l’idée de responsabilité politique des élus devant les électeurs en organisant un pouvoir de sanction des gouvernants qui se traduit par leur destitution avant le terme normal de leur mandat. Source d’amplification de la participation des citoyens à la vie politique, ce droit modifie également la nature des campagnes électorales en mettant l’accent sur la délibération collective autour des programmes électoraux et non plus sur des catalogues d’engagements destinés à être abandonnés ou dévoyés. À ce titre, il offre donc un avantage préventif, celui de permettre une campagne sur des programmes réfléchis et sérieux et donc, favorise une confrontation idéologique.

Déjà pratiqué à l’étranger, et parfois caricaturé dans les pays qui l’ignorent, ce droit n’est pas synonyme d’instabilité institutionnelle ni d’une remise en cause du mandat représentatif. La méthode du référendum révocatoire, matrice de la révocabilité des élus, s’entoure d’un cadre précis. Le référendum révocatoire ne peut avoir lieu ni au cours du premier tiers du mandat, ni au cours de la dernière année du mandat. Les autres détails pratiques de ce mécanisme seront fixés par la loi organique.

Aux États-Unis d’Amérique, vingt-huit États prévoient cette possibilité dite procédure de recall, dont seize par voie constitutionnelle et douze par voie législative. En Amérique latine, la Bolivie comme l’Équateur ont gravé dans leur constitution ce mécanisme pour toutes les fonctions électives, allant du simple élu local jusqu’au Président de la République. Les exemples étrangers, dont les formes de révocation varient d’un État à l’autre, attestent de la faisabilité d’une mesure jusqu’à présent ignorée par le droit constitutionnel français.

La présente proposition de loi vise à remédier à cette lacune en inscrivant dans la Constitution le droit de révoquer les élus, condition pour remédier à la crise démocratique que connaît notre pays et redonner au peuple souverain le pouvoir qui lui revient de droit.

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Le Rapporteur tient à remercier tout particulièrement les personnes qui ont contribué à nourrir de leurs apports le présent document : M. Charles-Édouard Sénac, Mme Carolina Cerda-Guzman, M. Florian Savonitto, Mme Raquel Garrido, M. Florian Savonitto, M. Tristan Pouthier, Mme Gabrielle Cathala, M. Sylvain Noel, Mme Florence Gauthier ainsi que les services de la commission des Lois.

Professeurs de droit public, maitres de conférences en droit public et en histoire, avocats, collaborateurs parlementaires, toutes et tous ont permis au droit de révoquer les élus de trouver une première matérialisation par la présente proposition de loi en attendant de connaître sa pleine et juste consécration.

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I.   Sous la 5ème République, l’absence de mécanismes de démocratie directe accentue la crise démocratique

A.   Un régime ultra présidentiel fondé sur l’irresponsabilité politique des élus

Dès son écriture, la Constitution de 1958 fut conçue comme un outil organisant la prévalence de l’exécutif sur les droits du Parlement. Construite autour du fait majoritaire, l’architecture de la 5ème République consacre d’importantes prérogatives confiées à l’exécutif et au Président de la République. Par les effets combinés de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et l’inversion du calendrier électoral, les pouvoirs de l’exécutif sont colossaux et ont conduit à forger l’expression de « monarque présidentiel ».

Le Président de la République n’est pas responsable devant le Parlement. Il dispose du droit de dissolution de l’Assemblée nationale. Il détient le pouvoir d’initier un référendum, ou encore de commander à la force armée sans la moindre consultation du Parlement. La présidence actuelle témoigne des traits monarchiques de cette fonction, tant par le recours au conseil de Défense pour la gestion de la crise sanitaire que par le recours répété et incontrôlé à des régimes juridiques d’exception pour tenter de la juguler.

Dégagé de toute responsabilité devant le Parlement, et en l’absence de mécanisme de référendum révocatoire, le Président de la République bénéficie, une fois élu, d’une irresponsabilité politique qui l’amène parfois à renier la volonté populaire ou ses propres engagements. Ainsi, malgré la victoire du « non » lors du référendum du 29 mai 2005 sur le traité établissant une constitution pour l’Europe, la France a ratifié le traité de Lisbonne, trois ans plus tard.

Aussi, bien que la cinquième République ait connu, sous la présidence de Charles de Gaulle, une pratique référendaire de l’engagement de la responsabilité présidentielle devant les citoyens, cet usage « laissé à l’entière discrétion de l’intéressé est en réalité assez éloigné des mécanismes de révocation populaire » ([1]). On soulignera que cette pratique s’est par ailleurs effacée après 1969, période qui a vu le procédé référendaire se raréfier en raison d’une certaine méfiance de l’exécutif vis-à-vis d’un procédé aux contours étrangers au régime purement représentatif.

En outre, le Président de la République est irresponsable des actes qu’il commet en fonction, toute poursuite à son encontre durant son mandat est impossible ([2]) et il « ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat » par le Parlement constitué en Haute Cour ([3]).

En cas de manquement dans l’exercice de ses fonctions ou de faits étrangers mais inconciliables avec celles-ci, un maire ou ses adjoints peuvent être suspendus par arrêté ministériel ou révoqués par décret pris en Conseil des ministres ([4]). Le Conseil d’État a précisé que la révocation peut être prononcée en l’absence de suspension préalable ([5]).

Outre ces cas, seule une peine d’inéligibilité, prononcée par le juge judiciaire, peut forcer un élu à quitter son mandat. L’article L.O. 136 du code électoral prévoit en effet que : « Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assemblée nationale celui […] qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le présent code ». Le juge peut même faire exécuter cette peine de manière provisoire, par exemple si l’élu concerné fait appel ([6]). Le Conseil constitutionnel est revenu sur la systématicité de la peine complémentaire d’inéligibilité pour certaines infractions, considérant que cela portait atteinte à l’individualisation de la peine ([7]).

L’engagement de telles poursuites contre un parlementaire implique la levée de son immunité pénale. En effet, un député ou un sénateur « ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions », ni « faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du bureau de l’assemblée dont il fait partie ». Seul un crime ou un délit flagrant ou une condamnation définitive permettent de contourner la levée de l’immunité. En l’absence de peine d’inéligibilité, le député n’est pas nécessairement destitué puisque la Constitution prévoit que « la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert »

Ainsi, s’il existe des modalités de destitution en cas de faute grave, il n’existe pas de moyens pour les citoyens d’engager en cours de mandat la responsabilité politique d’un élu.

B.   Les limites du régime représentatif et l’absence d’outils de démocratie directe participent d’une abstention de masse

Le droit constitutionnel français érige l’indépendance des élus vis-à-vis des électeurs en pierre angulaire du régime représentatif. Il en résulte qu’entre deux échéances électorales, les citoyens n’ont pas voix au chapitre et ne disposent d’aucun moyen de contrôle sur le mandat des représentants qu’ils ont désignés.

Ce « sentiment d’impuissance dans la conduite des affaires publiques » ([8]) nourrit une défiance des citoyens envers leurs représentants et alimente ce que le débat public qualifie parfois de « crise de la représentation ».

Dès lors, le consentement à l’autorité se délite au fur et à mesure que le personnel politique se confond en incohérence, en non-respect des programmes électoraux défendus ou encore en indifférence vis-à-vis des revendications populaires. Le mouvement des Gilets jaunes l’a illustré. Tout comme l’engagement non tenu du Président de la République de « reprendre sans filtre » les propositions de la convention citoyenne sur le climat, dont les trois quarts ont été abandonnées ou dénaturées de leur esprit initial.

Ces dernières années, les pouvoirs publics ont cherché à apporter des correctifs à cette « crise de la représentation », en vain. Ni la réforme constitutionnelle de 2008 visant à un rééquilibrage des pouvoirs en faveur du Parlement, ni les ponctuelles consultations citoyennes n’ont véritablement changé la donne démocratique. Concernant le référendum d’initiative partagée, instauré le 23 juillet 2008, le Conseil constitutionnel a tiré lui-même un bilan critique de sa procédure en juin 2020 en admettant que les complexités procédurales « aient contribué à altérer la confiance de certains électeurs dans cette procédure » et les « aient dissuadés d’y participer ».

En février 2019, un rapport de la commission des Lois de l’Assemblée nationale ([9]) faisait le constat que « les conditions d’utilisation de ces outils sont trop restrictives » et que « la participation citoyenne à l’échelon local repose avant tout sur la motivation des élus », ces derniers étant déjà les plus attentifs à l’opinion des citoyens.

Les progrès de l’abstention s’expliquent en partie par les défauts de ces procédures, par l’absence de réels mécanismes de démocratie directe ainsi que par la privation de tout moyen de contrôle des électeurs sur leurs élus au cours de leur mandat. Cette abstention est un signal fort dont il faut tenir compte. Elle traduit une forme d’insurrection froide contre les institutions. Aux dernières élections législatives, elle était de plus de 50 %. Plus d’un électeur sur deux n’est pas allé voter pour cette assemblée nationale. Les élections suivantes, européennes, municipales et législatives partielles ont confirmé cette tendance. Plus récemment, cette « grève civique » a atteint de niveaux extrêmement préoccupants lors des dernières échéances électorales – près de 70 % aux élections départementales et régionales de 2021.

II.   La révocation des élus est un nouveau droit démocratique qui donne corps à l’idée de responsabilité des élus devant les électeurs

A.   Une revendication démocratique déjà connue de l’histoire institutionnelle française

Le droit de révoquer les élus, bien qu’inconnu en droit constitutionnel français, n’est pas une idée neuve dans notre histoire institutionnelle. La question de la révocabilité des titulaires d’un mandat s’est posée dès l’Ancien régime à travers le système du « commis de confiance », individu chargé d’une mission ou d’une tâche devant une assemblée communale et devant rendre compte, devant elle, de l’avancée de la mission ou de la tâche confiée. Par ce système, « le mandataire est placé sous le contrôle permanent de ses mandants qu’il doit tenir au courant de ses avancées » ([10]). L’une des matérialisations de ce contrôle apparaît au travers de « lettres aux commettants », forme de bilan de mandat qui trouve encore aujourd’hui une traduction concrète dans le fonctionnement des institutions représentatives.

Par la suite, l’idée de révocabilité des élus a pris un tournant nouveau sous la Révolution française par la proclamation de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen le 26 août 1789 et dont l’article 15 accorde un nouveau droit à la société, celui de pouvoir « demander compte à tout agent public de son administration ».

La théorie constitutionnelle jacobine dessinera des contours plus précis de cette idée en approfondissant la question du contrôle et de la surveillance des élus par leurs électeurs. Dans son discours du 29 juillet 1792, Robespierre met ainsi en avant la question du contrôle des représentants au premier plan, déclarant : « La source de tous nos maux, c’est l’indépendance absolue, où les représentants se sont mis eux-mêmes à l’égard de la nation sans l’avoir consultée. Ils n’étaient, de leur avis même, que des mandataires du peuple, et ils se sont faits souverains, c’est-à-dire, despotes. Car le despotisme n’est autre chose que l’usurpation du pouvoir souverain » ([11]). Par l’idée de révocation, Robespierre entend donc « combattre la conception du "régime représentatif absolu" » en dotant celui-ci de garanties pour « prévenir ou sanctionner l’usurpation de la souveraineté par les représentants » ([12]).

C’est cette idée que défendront les jacobins au cours du débat constituant du printemps 1793. L’article V du projet de Constitution énoncera ainsi : « La souveraineté réside essentiellement dans le peuple français ; tous les fonctionnaires publics sont ses mandataires : il peut les révoquer de la même manière qu’il les a choisis. ». La même idée sera défendue dans les écrits de Louis Blanc pour établir une « prochaine et définitive transformation du pouvoir » ([13]).

Enfin, en 1871, la Commune de Paris s’attachera elle aussi à donner corps à l’idée de responsabilité des élus devant le corps électoral, proclamant que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables » ([14]).

Dans ces contextes historiques particuliers, la révocabilité des élus a rythmé de nombreux débats, politiques et juridiques, sans pouvoir aboutir à une matérialisation concrète.

B.   Un nouveau droit démocratique pour favoriser l’implication citoyenne des électeurs et des élus

1.   Un mécanisme en faveur de l’implication citoyenne permanente des électeurs et des élus

Comme mécanisme de contrôle, le droit de révoquer les élus répond à une situation politique concrète. Comment pointer du doigt une « démocratie de défiance » doublée d’une « crise de la représentation » quand les électeurs ne disposent d’aucun moyen pour contrôler le mandat qu’ils ont confié ?

Face au défaut de mécanismes de responsabilité des élus, ce droit nouveau aurait la double vertu de politiser le débat public et de redonner aux citoyens le pouvoir d’être acteurs permanents de la vie politique, non plus spectateurs la plupart du temps. Par la révocabilité, l’élu est ramené dans le giron de la volonté populaire. Il doit composer, en permanence, avec les citoyens qui l’ont désigné et reste ainsi tributaire de l’action collective de ses administrés. Ce système de contrôle offre une vertu à tous les niveaux, de l’électeur au pouvoir de contrôle renforcé jusqu’à l’élu, amené à tenir compte de l’action de ses administrés et de travailler rigoureusement sur son programme électoral et les actions conduites au cours de son mandat. Par là même, la révocabilité « changerait la nature des campagnes électorales » ([15]) pour devenir des moments de délibération collective autour des programmes électoraux plutôt qu’être parfois réduites à des moments de passions ou de litanie d’engagements parfois démagogiques. Dès lors, le débat d’idées et la confrontation idéologique se verraient renforcés. Chaque potentiel élu, conscient d’avoir à tenir compte de chacune des pistes programmatiques qu’il propose, serait poussé à accorder une plus grande importance à celles-ci.

Enfin, tenu par la volonté de ses électeurs, ce droit aurait pour effet certain « d’introduire une stricte éthique du pouvoir » ([16]). Il obligerait l’élu à observer une certaine indépendance vis-à-vis d’influences particulières, qu’elles soient privées ou publiques, comme la pression des lobbies.

2.   Un mandat révocable conciliable avec le mandat représentatif

L’une des objections courantes au droit de révoquer les élus, et redite au cours des travaux de la commission des lois le 5 janvier 2022, revient à opposer ce nouveau droit démocratique avec le mandat représentatif qui caractérise notre système institutionnel actuel.

Selon certains détracteurs de ce nouveau droit, les décisions des élus devraient parfois s’appliquer envers et contre la volonté populaire. Contre le peuple, ses représentants seraient amenés à prendre les décisions qu’ils jugent bonnes, nécessaires, ou motivées par l’urgence et ce, au détriment de la volonté populaire ou même de la moindre consultation du peuple souverain. Cet argument, fréquent dans les débats sur le sujet, témoigne précisément d’une certaine déviation aristocratique du régime représentatif qu’entend combattre cette proposition de loi. Il témoigne à lui seul du constat grave, et évident, dont part la présente proposition de loi : le peuple est tenu à l’écart des décisions par les institutions de la 5ème République incapables de l’associer dans la conduite des affaires publiques.

Sur le fond, « l’association entre mandat impératif et mandat révocable ne va pas de soi » ([17]). La révocation des élus peut être motivée par d’autres motifs que l’unique sanction d’une désobéissance à des engagements ou instructions pris lors de la campagne électorale de l’élu concerné. Des citoyens peuvent estimer, par exemple, que le comportement de l’élu, ou une affaire survenue au cours de son mandat, justifient le déclenchement d’une procédure de révocation. C’est le cas dans certaines démocraties où prévaut le mandat représentatif et dans lesquelles existe une « procédure de révocation individuelle comprenant des motifs de révocation spécifique, comme au Royaume-Uni, ce qui nuance l’opposition binaire entre mandat révocable et mandat représentatif » ([18]).

L’idée de révocation n’est donc pas contradictoire avec le mandat représentatif. En raison d’événements imprévus qui surviennent au cours du mandat – comme la crise du coronavirus – l’élu doit conserver sa liberté d’impulsion et de décision. Mais cette liberté, dans l’hypothèse du droit de révoquer les élus, doit composer avec la volonté populaire. Pour preuve de la dissociation entre mandat révocable et mandat impératif, plusieurs systèmes ayant institué le droit de révoquer les élus prohibent le mandat impératif. C’est le cas de la constitution de Bavière qui autorise la dissolution de son assemblée parlementaire par une votation révocatoire tout en disposant que les représentants du peuple « n’obéissent qu’à leur conscience et ne sont pas tenus par des instructions ». Enfin, le caractère général du mandat représentatif « ne s’oppose ni à la révocation populaire d’un membre d’un organe unipersonnel, à l’instar du gouverneur d’un État fédéré ou d’un président de la République, ni à la dissolution citoyenne d’une assemblée délibérative » ([19]). Dans tous les cas de figure, c’est le corps électoral dans son intégralité qui est appelé à valider, ou non, le maintien de l’élu ou des élus dans leurs fonctions.

III.   De nombreuses démocraties prévoient déjà le droit de révoquer les élus

Inexistante en France, la révocation des élus est pratiquée dans de nombreux pays, sur tous les continents. La révocation par les électeurs d’au moins une fonction politique élective existe ainsi en Europe ([20]) mais aussi en Amérique du Nord et du Sud ([21]), en Asie ([22]), en Afrique ([23]) et en Océanie ([24]). Ces mécanismes prennent des formes extrêmement variées qui peuvent inspirer la France.

En Europe occidentale, où la conception du mandat représentatif est la plus stricte, la Commission de Venise constate que « dans quelques pays, [la révocation des élus] a été introduite, en particulier depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, comme une réponse possible au besoin de revitalisation de la démocratie par la participation plus directe des citoyens ; les exemples d’application pratique de ces dispositifs se multiplient » ([25]).

A.   En europe

1.   Allemagne

Il existe deux formes de révocation en Allemagne. L’une relève uniquement des électeurs qui votent, à leur propre initiative, sur la révocation moyennant certaines exigences de procédure et de majorité. Selon les Länder, cette révocation peut porter sur les maires (Brandebourg), sur les maires et sur les membres de l’assemblée délibérante du Land (Saxe) ou sur tout élu (Schleswig-Holstein).

Dans tous les autres Länder sauf deux, la procédure doit être déclenchée par le conseil local à la majorité qualifiée. Les électeurs locaux n’interviennent que dans le vote final de la motion de révocation adoptée par le conseil. Cette procédure a été considérée comme un mélange de démocratie représentative et de démocratie directe, le conseil exerçant un certain contrôle de démocratie représentative sur le pouvoir de démocratie directe des électeurs locaux.

2.   Autriche

L’Autriche dispose d’un mécanisme de révocation de son Président de la République, élu au suffrage universel direct uninominal à deux tours, comme en France. Si ses pouvoirs sont moindres, il est néanmoins compétent pour désigner le Chancelier fédéral, dissoudre le Parlement, promulguer les lois et signer les traités.

L’article 60 de la Constitution autrichienne prévoit une procédure d’initiative partagée : les chambres doivent décider à une majorité des deux tiers d’organiser un référendum révocatoire. Si les électeurs s’expriment en faveur de la révocation, le Président autrichien est contraint de démissionner. Si le « non » l’emporte, la chambre basse est automatiquement dissoute et le Président réélu pour 6 ans.

3.   Royaume-Uni

Le Royaume-Uni a instauré tardivement un mécanisme de révocation qui se limite au niveau national puisqu’il concerne les membres du Parlement.

Le recall of members of Parliament Act a été adopté en 2015 à la suite du scandale des notes de frais à la Chambre des Communes. Il permet à une fraction du corps électoral de destituer un membre de la Chambre dans trois hypothèses : s’il a été condamné définitivement à une peine privative de liberté ; s’il a été condamné définitivement pour délit de demande frauduleuse de notes de frais ; s’il a fait l’objet d’une suspension par la Chambre pour une durée d’au moins dix jours de séances ou quatorze jours hors séances. Auparavant, il n’existait qu’une procédure de destitution en cas de faute grave qui n’impliquait pas les citoyens.

Lorsque l’une de ces conditions est remplie, la pétition de révocation est ouverte. Si 10 % des électeurs de la circonscription signent la pétition dans un délai de six semaines, l’élu est révoqué. Il n’est donc pas nécessaire de réunir une majorité sur un vote. L’élu destitué peut participer à l’élection partielle renouvelant son siège laissé vacant.

Après un premier échec en août 2018, cette procédure a abouti une première fois en mars 2019, conduisant à la destitution d’une députée condamnée pour excès de vitesse après avoir menti sur sa culpabilité, puis une seconde fois en juin 2019 pour falsification de documents relatifs à des dépenses parlementaires.

B.   Ailleurs dans le monde

1.   États-Unis

Les États-Unis ont élaboré leur système institutionnel, reposant sur l’équilibre et le contrôle réciproque des différents pouvoirs, dans le but de limiter les risques d’abus pouvant résulter d’un régime représentatif. Au niveau local, ce principe s’est décliné en facilitant l’initiative populaire dans le but de créer ou d’abroger une norme ou de révoquer les élus. Ces mécanismes, notamment en Californie, ont également eu pour objectif de réconcilier le peuple avec ses élus à la suite de plusieurs scandales de corruption qui avaient ébranlé la confiance des citoyens.

Aux États-Unis, vingt-huit États fédérés et 60 % des villes ont adopté des mécanismes dit de « recall » pouvant permettre la révocation d’un élu. Celui-ci se déroule généralement en deux temps. Une pétition – parfois soumise à des critères de recevabilité (commission de certaines infractions, atteinte à l’éthique publique…) – doit réunir un certain nombre de signatures, qui peut varier selon la nature de la fonction exercée ou le taux de participation au scrutin concerné. Si la pétition de révocation obtient le nombre de signatures requis, il est procédé à la consultation du corps électoral. Ce vote prend souvent la forme d’une élection anticipée, car des personnes peuvent se présenter contre l’élu contesté. Ainsi, chaque électeur doit répondre à deux questions : est-il pour ou contre la révocation du gouverneur ? Et si le recall est voté à la majorité des suffrages exprimés, pour quel candidat veut-il voter ?

Par exemple, en Californie, les citoyens à l’origine de la demande de révocation ont cent soixante jours pour réunir le nombre de signatures nécessaire, qui s’établit à 12 % du nombre de suffrages exprimés lors de la dernière élection pour la révocation du gouverneur de l’État. Cet exemple est d’autant plus intéressant qu’il y a eu deux processus révocatoires récents dans cet Etat : le premier en 2003 est allé jusqu’à son terme, conduisant à la révocation du gouverneur Gray Davis ; le second en septembre 2021 n’a pas abouti puisque les électeurs ont choisi de voter en faveur du maintien de Gavin Newsom.

2.   Amérique latine

En Amérique latine, l’Équateur et la Bolivie ont inscrit dans leurs constitutions le droit de révoquer les élus, applicable à toutes les fonctions électives, de l’élu local jusqu’au Président de la République. Ce droit, récemment institué, s’inscrit dans le tournant du « nouveau constitutionnalisme latino-américain » ([26]), lequel a conduit « à l’adoption de constitutions tournées vers un objectif de transformation de l’État et de la société tout entière » ([27]).

a.   Équateur

La Constitution équatorienne, élaborée en 1998 et révisée en 2008, prévoit, comme d’autres pays sud-américains, un processus de révocation de l’ensemble des élus. Le référendum révocatoire peut être convoqué si au moins 10 % des électeurs inscrits sur les listes électorales dans la circonscription de l’élu concerné en font la demande. Les pétitionnaires ont un délai de six mois pour faire parvenir leur signature. Ce seuil s’élève à 15 % au niveau national pour la révocation du Président de la République et il faut qu’une majorité des électeurs (y compris les abstentions et les votes blancs) vote en faveur de la révocation. Un tel référendum ne peut être convoqué qu’une seule fois au cours du mandat de l’élu, entre la fin de la première année et le début de la dernière année de celui-ci.

b.   Bolivie

La Constitution bolivienne connaît ce même seuil de 15 % d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour les demandes de révocation portant sur le mandat présidentiel. En outre, le cas bolivien se distingue des autres systèmes de révocation en prévoyant un système de « filtre parlementaire » ([28]). Une fois le seuil de signatures atteint, le Parlement est amené à voter la convocation au référendum révocatoire, ce qui atténue donc le « caractère direct » ([29]) du mécanisme de révocation des élus. L’exemple bolivien permet aussi de préciser la dissociation entre mandat impératif et système de révocation des élus en ce qu’aucun motif précis n’est exigé pour motiver le déclenchement de la procédure révocatoire. Ainsi, « la révocation n’a pas à être justifiée par le non-accomplissement des promesses de campagne ou d’une profession de foi » ([30]).

 

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Il existe donc de très nombreuses manières de prévoir la révocation des élus. L’objet de cette proposition de loi constitutionnelle est de permettre à la France, elle aussi, de se doter d’un dispositif de révocation des élus comme l’ont déjà fait différents pays démocratiques dans le but d’améliorer le contrôle des citoyens sur leurs élus et la confiance entre représentants et représentés.

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   Examen de l’article unique
de la proposition de loi constitutionnelle

Article unique (supprimé)
(titre XIII bis et article 77-1 [nouveaux] de la Constitution)
Création d’un référendum révocatoire des élus

Rejeté par la Commission

L’article unique de la proposition de loi crée un titre XIII bis dans la Constitution consacré à la révocation des élus (Président de la République, parlementaires et élus locaux) par référendum d’initiative citoyenne.

À l’occasion de la révision de 2008, l’article 11 de la Constitution a été complété pour créer le référendum d’initiative partagé.

1.   Le dispositif proposé

Le dispositif proposé tire les conséquences des constats et des propositions précédemment formulés.

Il crée un nouveau titre XIII bis dans la Constitution consacré à la « révocation des élus » qui contient un article 77-1. Cet article fixe à son premier alinéa un nouveau principe fondamental : le peuple, titulaire de la souveraineté nationale au sens de l’article 3 de la Constitution, a « le droit de révoquer les représentants qu’il a élus ».

S’il est renvoyé à la loi organique et aux débats devant le Parlement, pour définir les modalités précises selon lesquelles cette procédure se déroulera, le présent article définit le cadre général de ce mécanisme qui concernera le Président de la République, les parlementaires et les élus locaux.

a.   Procédure de révocation

Inspirée de plusieurs mécanismes existants dans d’autres pays, la procédure de révocation proposée se déroule en deux temps.

En premier lieu, la convocation du référendum révocatoire est soumise au recueil des signatures d’un certain pourcentage du corps électoral inscrit sur le territoire de l’élu concerné. La loi organique devra définir ce seuil – qui peut également être établi en proportion du taux de participation à l’élection précédente, comme cela existe en Californie – ainsi qu’une éventuelle répartition des demandes sur le territoire concerné.

Tel qu’il est rédigé, l’article 77-1 ne fixe pas de conditions particulières de recevabilité de la demande de référendum révocatoire. En particulier, il n’est pas prévu que celle-ci soit subordonnée à une faute grave ou à une condamnation pénale, comme c’est le cas au Royaume-Uni par exemple.

En revanche, pour éviter qu’elle ne devienne une manière de « faire appel » d’un scrutin ou d’anticiper les élections, le référendum révocatoire ne peut avoir lieu qu’« à l’issue du premier tiers [du] son mandat et avant la dernière année de celui‑ci ».

Une fois le référendum convoqué, il est procédé au vote sur la révocation de l’élu, au niveau national ou à l’échelle de la circonscription ou de la collectivité locale concernée. S’il est classiquement admis que la majorité absolue des suffrages exprimés détermine le résultat d’un scrutin référendaire, il pourrait être prévu d’exiger une majorité qualifiée ou relative, calculé en pourcentage des inscrits ou des votants, permettant ainsi d’inclure l’abstention ou le vote blanc.

b.   Conséquence de la révocation

Il sera nécessaire que la loi organique définisse les conséquences de la révocation : délai pour démissionner et pour organiser une nouvelle élection, remplacement temporaire ou définitif de l’élu par son suppléant ou l’un de ses adjoints, dissolution de l’assemblée délibérante, etc. Certains pays ont même prévu que le vote sur la révocation se fasse conjointement avec l’élection du remplaçant potentiel.

Pour le Président de la République, il est précisé que la révocation est d’effet immédiat. Le deuxième alinéa du nouvel article 77-1 renvoie à l’article 7 de la Constitution qui précise les conditions de remplacement du Président de la République en cas d’empêchement. Cette procédure, notamment mise en œuvre en 1969 après la démission du Général de Gaulle ([31]), prévoit qu’« en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d’empêchement constaté par le Conseil constitutionnel, […] les fonctions du Président de la République, à l’exception de celles prévues aux articles 11 et 12 ci-dessous, sont provisoirement exercées par le président du Sénat et, si celui-ci est à son tour empêché d’exercer ces fonctions, par le Gouvernement ». La révocation étant considérée comme une cause d’empêchement définitif, la Constitution prévoit que « le scrutin pour l’élection du nouveau Président a lieu, sauf cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel, vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l’ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l’empêchement ».

2.   La position de la Commission

La Commission a rejeté l’article unique de la proposition de loi.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 5 janvier 2022, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un droit de révocation des élus (n° 4751) (M. Alexis Corbière, rapporteur)

Lien vidéo : https://assnat.fr/9mnXYG

M. Alexis Corbière, rapporteur. Mes chers collègues, sans doute la proposition de loi constitutionnelle que je m’apprête à vous présenter ne suscite-t-elle guère votre adhésion, mais je vous invite à l’examiner sans a priori. Ayant pour origine un constat simple, celui de la grave détérioration de notre vie civique, qui se manifeste de la façon la plus spectaculaire par une abstention très forte, elle traduit notre volonté d’inciter les citoyens à retourner aux urnes en leur octroyant des droits nouveaux de nature à modifier les rapports qu’ils entretiennent avec leurs représentants.

Cette proposition de loi est simple, forte et conforme aux fondements de notre tradition républicaine.

Je veux insister tout d’abord sur l’abstention, dont on dit parfois qu’elle est une grève civique. De fait, lors des derniers rendez-vous électoraux, le peuple, souverain en république, ne s’est pas présenté. Ce phénomène ne doit pas rester dans l’angle mort de nos débats : nous sommes face à une urgence démocratique. Nous estimons, pour notre part, que si beaucoup ne voient plus l’intérêt d’aller voter, c’est parce que les institutions de la Ve République concentrent l’essentiel des pouvoirs entre les mains du Président de la République, au détriment notamment du Parlement. Aussi voulons-nous que le citoyen dispose de droits non seulement le jour du scrutin, mais aussi entre deux rendez-vous électoraux. Tel est l’objet de notre proposition de loi : le droit de révoquer les élus, nouveau droit démocratique, susciterait l’implication des citoyens, des électeurs. Il s’agit ici de remédier concrètement à une situation politique identifiée.

Bien entendu, pour mon groupe, le droit de révocation s’inscrit dans le projet plus général de modifier radicalement nos institutions. En effet, si nous étions aux responsabilités, nous convoquerions une assemblée constituante afin que le peuple désigne des représentants chargés de débattre, puis d’adopter de nouvelles institutions, qui formeraient la VIe République. Toutefois, il nous a semblé pertinent de profiter de cette journée réservée à notre groupe pour débattre, voire adopter dès à présent le droit de révocation, qui nous semble compatible avec les institutions actuelles. Un tel droit modifierait profondément la nature des relations entre le mandant et le mandataire, entre le peuple et ses représentants, puisqu’il permettrait à nos concitoyens, dans des conditions qui restent à préciser dans une loi organique, de rappeler un élu s’ils le jugent pertinent.

Que les choses soient claires : si cette procédure ne fait pas partie de notre droit constitutionnel, son instauration ne marquerait pas une rupture avec notre histoire. Déjà sous l’Ancien régime, le système dit des commis de confiance permettait à ceux qui désignaient leurs représentants au sein des assemblées communales de les remplacer. Aux termes de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Quant au projet d’article V de la Constitution adoptée en 1793, il proclame sans ambiguïté que « la souveraineté réside essentiellement dans le peuple français ; tous les fonctionnaires publics sont ses mandataires : il peut les révoquer de la même manière qu’il les a choisis ». Enfin – chacun appréciera cette référence comme il l’entend, mais elle appartient à notre patrimoine républicain et politique –, en 1871, lors de la Commune de Paris, il fut proclamé que « les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables ». Le droit de révocation est donc une idée ancienne dans le débat démocratique français ; il a été, sinon mis en application, du moins proclamé dans des textes importants.

Aussi notre proposition de loi constitutionnelle vise-t-elle à mettre en œuvre le référendum révocatoire. Il s’agit d’offrir la possibilité aux électeurs, si un certain nombre d’entre eux en font la demande, de révoquer un élu, cette révocation ne pouvant intervenir qu’à l’issue du premier tiers de son mandat et avant la dernière année de celui-ci.

J’insiste sur le fait que de nombreux pays disposent déjà, dans leur attirail législatif et démocratique, de dispositions s’apparentant au droit de révocation. Ainsi, aux États-Unis, la procédure dite de recall existe dans vingt-huit États ; elle a rang constitutionnel dans seize d’entre eux et rang législatif dans les douze autres. À titre d’exemple, Arnold Schwarzenegger a été élu gouverneur de Californie à la suite de la révocation du gouverneur précédent. Une procédure analogue existe dans certains pays d’Amérique latine, tels que la Bolivie ou l’Équateur, ainsi que dans certains pays d’Europe, notamment en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Autriche, selon des modalités variées qui ne sont pas exactement conformes à la proposition que je vous présente. En tout cas, ces exemples étrangers attestent de la faisabilité d’une mesure jusqu’à présent ignorée par notre droit constitutionnel.

Nombre de nos concitoyens expriment le sentiment que nous ne nous adressons à eux que lors des échéances électorales et ont trop souvent l’impression que les décisions prises ne sont pas conformes à leurs attentes. En créant un lien plus vivant, plus dynamique entre représentés et représentants, ce droit nouveau accordé à nos concitoyens favoriserait une démocratie plus active, en leur permettant d’exercer également leurs droits civiques entre deux échéances électorales. Serait ainsi créé un cercle vertueux : le souverain pourrait garder le contrôle sur ceux qui le représentent.

Il ne s’agit pas d’instituer un système chaotique d’élections permanentes. Ainsi, le droit de révocation pourrait ne s’exercer qu’une seule fois au cours d’un mandat et le seuil requis pour l’organisation de la nouvelle consultation pourrait être suffisamment élevé pour empêcher qu’elle ne soit déclenchée par la seule opposition ou par un noyau d’irréductibles. Si l’on fixait ce seuil à 10 % du corps électoral, par exemple, il ne pourrait être atteint qu’à la suite d’une mobilisation certaine, provoquée par un trouble réel des électeurs. Je vous rappelle que beaucoup d’entre nous n’ont été élus que par 15 % à 20 % des électeurs inscrits...

Enfin, nous proposons que le droit de révoquer les élus soit applicable à tous les mandats, en particulier au mandat présidentiel. De fait, sous la Ve République, le Président de la République n’est pas responsable durant son mandat : il n’a de comptes à rendre à personne – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne peut venir devant l’Assemblée nationale. Or il me semble que si le corps électoral savait qu’il peut, le cas échéant, convoquer une nouvelle élection, cela apaiserait la situation. C’est en effet la confirmation d’un lien direct fort entre représentés et représentants qui apaisera notre vie démocratique et créera les conditions d’une plus forte participation aux scrutins. Sans quoi, nous risquons de laisser s’installer un système de basse intensité démocratique dans lequel les représentants seront élus par un petit nombre d’électeurs mobilisés et où se renforcera le sentiment populaire que les décisions ne sont pas prises au nom des citoyens.

Je vous invite donc à réfléchir à notre proposition. Comprenons-le bien, les tensions sont importantes : nous traversons une véritable crise démocratique. J’y insiste, car nul d’entre nous ne peut demeurer insensible au fait que, lors des derniers scrutins, régionaux et municipaux, les deux tiers de nos concitoyens ne sont pas venus voter – les deux tiers ! En république, le souverain, c’est le peuple. Lorsqu’il ne se présente pas aux urnes, nous ne pouvons pas nous contenter de dire que c’est sa faute, et en rester là. Nos institutions exacerbent la distance entre les représentants et les représentés ; il faut accorder à ces derniers des droits nouveaux.

Parmi les différentes mobilisations sociales qui sont intervenues au cours du quinquennat, celle des gilets jaunes a d’abord été suscitée par une colère fiscale, puis elle a exprimé des exigences sociales, mais aussi démocratiques ; je pense notamment à l’instauration du référendum d’initiative citoyenne. La recherche d’une démocratie plus active, offrant des droits nouveaux aux citoyens, me semble être au cœur des préoccupations de la majorité de nos concitoyens. Du reste, nous avons réalisé une étude d’opinion à l’occasion de cette niche parlementaire : la proposition de créer un droit de révocation recueille l’adhésion de 75 % des personnes interrogées ! L’idée circule, donc ; il s’agit de l’organiser de manière sérieuse. En république, nous devons être attachés à l’idée fondamentale que le souverain, c’est le peuple : c’est lui qui décide et, à ce titre, il doit pouvoir retirer le mandat qu’il a accordé.

Enfin, la révocation est possible dans le mouvement associatif, le mouvement sportif et même dans le monde de l’entreprise, auquel vous êtes, pour certains d’entre vous, particulièrement attachés. Il est en effet possible à celles et ceux qui ont confié des responsabilités à une personne de lui retirer son mandat à l’occasion d’un conseil d’administration ou de l’assemblée générale des membres de l’association. Pourquoi cela ne serait-il pas possible dans notre vie démocratique ?

Pour conclure, le droit de révoquer les élus nous semble renouer avec la promesse républicaine : le souverain doit pouvoir conserver ses droits à tout moment. Il faut l’entendre et lui donner la possibilité de rappeler ceux qu’il a désignés pour nommer d’autres représentants.

M. Guillaume Gouffier-Cha (LaREM). Nous sommes appelés à débattre d’un texte qui a pour ambition de remédier à la crise démocratique que traverse notre pays. À l’évidence, cette crise existe, et nous nous devons de trouver des solutions. Mais l’instauration d’un référendum révocatoire n’en est pas une. Du reste, monsieur le rapporteur, cette proposition, que votre mouvement politique a souvent défendue, n’a jamais été plébiscitée, comme en témoignent les résultats des élections – les sondages ne suffisent pas, en la matière.

Nous ne voterons donc pas en faveur de ce texte, car il est juridiquement inopérant, politiquement irresponsable et philosophiquement contradictoire.

Il est juridiquement inopérant car, lorsque le dogmatisme rencontre le populisme, il passe bien souvent à côté de la règle de droit. Or, voyez-vous, en matière constitutionnelle, c’est problématique. Vous souhaitez constitutionnaliser un principe de révocabilité applicable et opposable à l’ensemble des titulaires d’un mandat électif. Soit, mais donnez-vous les moyens de votre politique : précisez, à l’appui des articles 11 et 68 de la Constitution, le champ matériel de la révocation ; abrogez, en toute logique, la prohibition du mandat impératif, proscrit à l’article 27 ; donnez-vous au moins la peine d’encadrer le mécanisme – à moins que votre inconscient ne soit bonapartiste et rêve de le détourner à des fins plébiscitaires ; enfin, départagez ce qui est révocable et ce qui ne l’est pas. Mais encore eût-il fallu, pour cela, que vous déposiez des amendements, organisiez des auditions...

En bref, monsieur le rapporteur, vous pensez ouvrir le champ des possibles, mais vous fermez la porte au réel, car votre texte est inapplicable.

Il est également politiquement irresponsable. Un illustre professeur mettait en garde : en matière d’ingénierie constitutionnelle, il ne faut pas s’inspirer de l’archer, car la flèche peut manquer la cible. Votre cible est le lien entre gouvernants et gouvernés, et vous la manquez. Empiriquement, ni le recall américain, qui a bombardé Arnold Schwarzenegger gouverneur de Californie, ni le référendum vénézuélien, dont a pu tirer profit Hugo Chavez en 2004, n’ont démontré la vertu du dispositif proposé.

Par ailleurs, pour écrire une bonne Constitution, il faut avoir un esprit de système, autrement dit, être, d’une certaine manière, un bon joueur de billard. Or, sur les bandes de ce billard, votre droit de révoquer les élus se cogne : au mieux, la révocation possible de tous nuira à l’engagement de chacun, mènera à l’institutionnalisation de la défiance et à la polarisation extrême des antagonismes ; au pire, elle conduira à une contestation systématique des résultats des urnes par les mauvais perdants et à une action politique « court-termiste », les élus cherchant à s’adapter au risque d’une révocation pouvant intervenir à tout moment. Voilà qui est peu compatible avec la planification écologique de type mélenchoniste – je dis cela, je ne dis rien !

Enfin, et surtout, ce texte est paradoxal dans ces termes. J’y vois en effet une quadruple négation.

Négation, d’abord, du député en tant qu’élu de la nation, puisque vous renvoyez son mandat aux intérêts catégoriels et géographiques d’une circonscription.

Négation, ensuite, de la souveraineté nationale, par essence indivisible, qui appartient au peuple, lequel l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, sans pouvoir être fragmentée dans l’expression de sa volonté dès lors qu’« aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Négation, par conséquent, du projet national, car vous faites la courte échelle à des coalitions du mécontentement. Voici votre projet : « Le citoyen révoque » ! Son rôle est purement négatif. C’est ainsi que la révocation, loin d’éclairer la volonté générale, l’obscurcit, compte tenu de raisons multiples et variées qui trouvent ainsi un lit commun pour s’exprimer sans convergence possible.

Négation, enfin, des corps intermédiaires, écartés du lien direct et absolu qui serait établi entre représentants et représentés.

Au fond, les termes du problème sont mal posés. Ce qui importe, en effet, c’est moins la confiance dans tel ou tel mandataire que la confiance dans les institutions politiques, que notre majorité s’est évertuée à rétablir depuis 2017, en assainissant l’infrastructure de la vie politique. Nous avons ainsi redonné confiance en interdisant aux parlementaires d’exercer l’activité de représentant d’intérêts, garanti la transparence en imposant à tout candidat à l’élection présidentielle de fournir une déclaration d’intérêts et d’activités en sus de la déclaration de patrimoine, favorisé le pluralisme des idées en renforçant le contrôle des comptes des partis politiques, conforté la démocratie communale – cette petite république dans la grande – grâce au droit à la formation des élus, à une meilleure conciliation entre vie professionnelle et familiale et engagement politique et à la revalorisation historique des indemnités de fonction des élus locaux. Nous avons, enfin, valorisé l’engagement de la jeunesse, en abaissant, par exemple, le seuil requis pour la saisine citoyenne du Conseil économique, social et environnemental à 150 000 pétitionnaires âgés de 16 ans et plus.

Mes chers collègues, élever cette démocratie de la gâchette au rang constitutionnel est, à l’évidence, une fausse promesse de revitalisation, et les élus qui l’adopteraient se rendraient coupables d’un mensonge de plus. Aussi voterons-nous contre cette proposition de loi constitutionnelle.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Dans une démocratie libérale comme la nôtre, le pouvoir appartient au peuple, qui l’exerce de manière libre mais aussi responsable, en assumant ses choix. Lorsqu’on élit un député pour cinq ans, on s’informe avant de prendre la décision de lui confier ce mandat.

Celui-ci n’est pas impératif ; il est bien représentatif – c’est important. Toujours, au cours de l’histoire, face à des événements imprévus, les représentants du peuple ont pris librement les décisions qui leur semblaient nécessaires et utiles. Par ailleurs, les mandats électoraux sont, en France, de cinq ou six ans : c’est une durée tout à fait raisonnable.

Le moment de l’élection est celui où nous sommes supposés construire un sens partagé, un sens collectif. Or, avec votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, on risque de s’éloigner progressivement de cette ambition pour se rapprocher d’un modèle dans lequel prévaut la volonté de choisir un représentant qui répond individuellement à chaque préoccupation. Même si, en tant que députés, nous ne sommes élus que d’une circonscription, ensemble, nous représentons la nation. Si, demain, notre élection pouvait être remise en cause par une révocation, nous nous retrouverions dans une logique de représentation d’intérêts catégoriels, intérêts qui peuvent varier au fil du temps, en fonction des circonstances, qui ne correspondront jamais à la somme des intérêts individuels de chacun des agents électoraux et qui se conjugueront de façon différente selon le moment.

Nous sommes particulièrement attachés à la Ve République. Celle-ci a favorisé la stabilité de nos institutions et des choix politiques, permettant à notre pays de se redresser après la deuxième guerre mondiale et d’affronter les crises et les difficultés. Ainsi, en 2008, Nicolas Sarkozy a pu gérer, dans la stabilité et avec force, parce qu’il disposait de temps, une crise financière majeure que jamais notre pays n’avait connue depuis la dernière guerre.

Bien entendu, il faut des bornes à ces mandats. Ces bornes existent. Ainsi, même si la procédure n’a jamais été utilisée, le Président de la République peut être révoqué par l’Assemblée nationale. De même, le Conseil constitutionnel peut faire appliquer un certain nombre de décisions de justice et révoquer des élus. Quant au Gouvernement, il peut décider de révoquer des maires ; cela est arrivé à plusieurs reprises, notamment au cours de ce quinquennat, lorsque l’intérêt général était dangereusement mis en cause.

Nous serons toujours opposés aux propositions – y compris à certaines de celles relatives au vote blanc – qui tendent à déresponsabiliser l’électeur. En effet, la démocratie fonctionne parce que l’électeur est responsable de ses choix et conscient de leurs conséquences, et parce qu’il se projette dans le temps en prenant des décisions sérieuses.

Nombre de nos concitoyens estiment déjà, alors que les élections ont lieu tous les cinq ou six ans, que les politiques sont en campagne permanente. Il est vrai que, plus que jamais, nous avons eu droit, durant ce quinquennat, à cinq ans de propagande et de coups politiciens, sans qu’à aucun moment un véritable travail de fond ait été engagé. Si, en outre, la révocation est possible, nous n’aurons jamais le temps de travailler en faveur de l’intérêt général. Or, ce que nous souhaitons avant toute chose, c’est nous occuper du quotidien de nos concitoyens.

M. Erwan Balanant (Dem). Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué, et c’est un élément intéressant, la désaffection française – mais elle est commune à une grande partie des démocraties libérales – pour la question électorale, la perte de sens démocratique. Il convient de regarder cette réalité en face, car les chiffres sont alarmants. Selon le baromètre du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, 55 % des Français, soit plus d’un sur deux, estiment que la démocratie fonctionne mal ; c’est considérable ! Autrement dit, l’idée d’une vie en commun régie par des institutions démocratiques n’est pas effective. Plus alarmant encore, pour 77 % de nos concitoyens, la politique évoque des notions négatives telles que la méfiance ou le dégoût.

Il nous faut trouver des solutions à cette crise profonde. C’est pourquoi, depuis le début de la législature, le groupe MODEM travaille sans relâche à l’approfondissement de la participation citoyenne, qui est, selon nous, la condition de la revitalisation de notre démocratie. Nous avons défendu des propositions fortes en ce sens, comme la reconnaissance du vote blanc ou l’instauration de la proportionnelle, et nous continuerons de le faire. Le rapport de la mission d’information créée à la suite des dernières élections régionales pour identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale, rapport qui a été publié le mois dernier, comporte également des propositions intéressantes.

De fait, il convient d’étudier toutes les possibilités techniques de favoriser la participation citoyenne. Cependant, votre texte – reprenant en partie l’article 4 de la proposition de loi tendant à instaurer un référendum d’initiative citoyenne, que vous aviez défendue ici même en janvier 2019 – ne me semble apporter aucune réponse aux enjeux que nous avons évoqués.

Il est, certes, intéressant de réfléchir à ces questions, mais votre proposition de loi est un trompe-l’œil : elle vise à endormir les citoyens sans apporter aucune amélioration concrète à la démocratie française. De fait, les termes employés manquent de clarté ; or, comme M. Gouffier-Cha l’a souligné, lorsque l’on touche à la Constitution, il faut être très précis. Ainsi, la formule « se tiendrait à la demande de toute initiative soutenue par un pourcentage défini des électeurs » me semble floue. La référence à « un pourcentage défini d’électeurs » n’est, à l’évidence, pas à la hauteur d’un texte constitutionnel. Souhaitez-vous maintenir le seuil de 5 % que vous proposiez en 2019 ? Il aurait été utile de nous soumettre la proposition de loi organique dont il est question dans votre texte.

Surtout, celui-ci conduirait à rendre l’élu entièrement dépendant, tout au long de son mandat, des moindres mouvements de l’opinion publique. Cette dernière est, certes, importante ; nous devons l’écouter. Mais ce n’est pas ainsi que l’on fait de la politique. Certaines décisions impopulaires sont parfois très difficiles à prendre, comme l’illustre l’actualité. Pourtant, elles doivent être prises, dans un esprit de responsabilité citoyenne, au titre du mandat d’intérêt général qui nous a été confié.

Ce n’est pas cet outil qui nous permettra de progresser. Nous devons améliorer la démocratie représentative, qui est une force, et les institutions de la Ve République, qui sont stables et permettent une gouvernance puissante, en renforçant les processus de démocratie participative. Nous l’avons fait en partie avec la réforme du Conseil économique, social et environnemental, mais il faudra aller plus loin. Cette articulation entre vie civile, vie civique et vie politique mérite d’être améliorée ; c’est sans doute ainsi que nous réglerons l’importante question que vous soulevez, celle de l’interstice électoral. Comment le citoyen s’exprime-t-il et participe-t-il à la vie citoyenne entre deux élections ? Tel est l’enjeu de notre démocratie moderne. La solution ne consiste certainement pas à permettre la révocation des élus au gré des crises qui peuvent survenir et des décisions, parfois impopulaires, qu’ils doivent prendre.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Monsieur le rapporteur, je vous remercie de nous soumettre cette proposition de loi constitutionnelle. La réflexion sur les institutions est essentielle à un moment où la démocratie représentative est affaiblie et le système politique quasiment à bout de souffle. Toutefois, le remède que vous préconisez pourrait être, me semble-t-il, contre-productif.

Votre texte conduirait, en fait, à instaurer le mandat interactif, ou impératif ; c’est l’une des critiques les plus fortes que l’on puisse lui adresser. L’exercice du pouvoir n’est jamais aisé, en particulier en ce moment, où l’on nous soumet des textes sur lesquels nous devons prendre des positions qui ne sont pas faciles. Ce que les électeurs attendent de nous, c’est que nous fassions des choix, souvent difficiles, et que nous expliquions les arguments sur lesquels ils sont fondés.

Dans le système que vous préconisez, l’élu risquerait d’être dans la main des électeurs. Certes, il doit leur rendre des comptes au cours de son mandat, et de nombreux élus l’ont compris, qui publient des comptes rendus de mandat réguliers ou participent à des discussions et des réunions. Est-ce suffisant ? Sans doute pas : souvent, la forme n’est pas satisfaisante et l’interrogation n’est pas toujours partagée avec les électeurs. Pour autant, nous ne sommes pas favorables à un mandat interactif qui, en outre, accélérerait le temps. Or un mandat de cinq ans, c’est court – on s’étonne d’ailleurs que celui des sénateurs soit de six ans, mais c’est ainsi : le Sénat a toujours su se mettre à l’abri…

Néanmoins, votre constat, sévère, doit nous inciter à agir. Ainsi, le rôle local du député devrait être défini dans la Constitution : la mission de contrôle qui nous incombe – trop souvent caricaturée lors des fameuses semaines de contrôle, qui n’ont guère d’utilité malgré la qualité des intervenants – s’en trouverait renforcée. Qu’il soit élu à la proportionnelle ou pas, le député doit rendre des comptes et contrôler l’application des lois qu’il a votées ainsi que leurs effets dans les territoires. Une telle évolution implique que le pouvoir exécutif accepte d’avoir des interactions avec les parlementaires, qui pourraient se rendre dans les administrations et enquêter sur l’application des lois. Je sais, pour avoir tenté de le faire, que ce n’est pas simple : j’ai ressenti une forte résistance. L’approche constitutionnelle a donc toute son importance en la matière.

D’autres textes auraient été utiles, notamment pour lutter contre l’abstentionnisme, qui est l’un des problèmes de la démocratie représentative. Ainsi, nous avions proposé d’autoriser le vote par voie postale pour l’élection présidentielle : en Allemagne, cette procédure a fait progresser la participation de dix points ! Mais cette mesure a été rejetée, au prétexte, assez effrayant, que nous n’aurions pas la capacité d’endiguer la fraude.

Nous devrions par ailleurs accroître les pouvoirs du Défenseur des droits. Tout ce qui favorise les contre-pouvoirs est utile, tout ce qui affermit le pouvoir du Parlement – car c’est là que le peuple s’exprime – doit être préservé. Il faut renforcer la démocratie parlementaire ; je ne crois pas que ce soit en instaurant le droit de révocation que nous y parviendrons. Le citoyen assume la responsabilité de son vote. Quant à l’élu, s’il se comporte mal, il existe des voies judiciaires pour le rappeler à l’ordre.

M. Dimitri Houbron (Agir ens). L’objectif de la proposition de loi – renforcer la confiance des citoyens dans la vie politique – est louable, et partagé par l’ensemble des sensibilités politiques représentées au sein de notre commission.

Dans un rapport sur la révocation populaire de maires et d’élus locaux publié en juin 2019, la Commission européenne pour la démocratie par le droit, plus connue sous le nom de Commission de Venise, recense les nombreux bienfaits de l’instauration d’un système de révocation, tels que le comblement du déficit démocratique créé par la fréquente baisse du taux de participation aux élections ou la prévention de l’ingérence d’influences ou d’intérêts indus dans les affaires de la collectivité. Mais elle note que la révocation populaire « présente aussi des risques considérables. [...] elle peut être détournée (par les partis dans leur lutte contre leurs rivaux politiques, mais aussi par des élus sortants cherchant à peser artificiellement sur la situation électorale) et devenir une arme politique. Elle peut aussi être distordue par des groupes d’intérêts ou de pression cherchant à déstabiliser la gouvernance et à lui faire perdre son efficacité en empêchant des responsables de prendre certaines mesures ou décisions par peur de la révocation. Cela rend les charges publiques moins attrayantes, et peut induire des comportements irresponsables. »

Compte tenu des enjeux actuels – je pense notamment à la crise environnementale – , il est essentiel que les élus ne soient pas en campagne permanente et qu’ils osent entreprendre des actions qui ne porteraient leurs fruits qu’à long terme. Or la pression permanente que ferait peser la menace de la révocation anesthésierait l’action publique, et même le courage des élus, alors que nous allons être amenés à prendre des décisions de plus en plus difficiles.

Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous citez l’exemple des vingt-huit États fédérés américains qui prévoient une procédure dite de recall. Mais, vous l’admettrez, l’existence cette procédure de révocation s’explique par une histoire et une culture profondément différentes de la nôtre – Tocqueville le dirait mieux que nous. Ainsi, elle permet de révoquer, dans certains États, des fonctionnaires et des juges, dont l’élection participe de la conception de la démocratie américaine. En d’autres termes, il ne semble pas judicieux d’insérer dans notre droit quelques-unes des briques d’un dispositif démocratique étranger sans prendre celui-ci en compte dans sa globalité. Encore une fois, dans ces États américains, la révocation n’a de sens que si elle est également applicable à des fonctionnaires et à des juges.

Par ailleurs, l’article 27 de notre Constitution proclame que « tout mandat impératif est nul ». Concrètement, une élection n’est pas un contrat comportant une obligation de résultat. Du fait de l’héritage démocratique de notre pays, notre mandat ne se traduit pas par un contrat écrit : nos promesses de campagne ne sont pas des devis, notre profession de foi n’est pas une facture, notre bulletin de vote n’est pas un chèque de banque, notre élection ne procède pas d’un appel d’offres. C’est bien plus abstrait, et nous le savons.

J’ajoute que la possibilité de révoquer des maires au cours de leur mandat existe. Cette procédure est méconnue du grand public, car elle ne fut activée par le Conseil des ministres qu’à six reprises depuis 1958. Les maires concernés furent révoqués à la suite d’une condamnation en justice, notamment pour avoir tenu des propos outranciers lors de la cérémonie de commémoration de l’Armistice du 11 novembre, pour attentat à la pudeur sur des mineurs de moins de 15 ans, pour détournement de fonds…

Même si la proposition de loi constitutionnelle se fonde sur un diagnostic avéré et partagé, la solution préconisée risque de créer des problématiques hautement inflammables. Le groupe Agir ensemble ne votera donc pas en faveur de ce texte.

Mme Caroline Fiat (FI). Je remercie Alexis Corbière de présenter, dans le cadre de notre niche parlementaire, cette proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer le droit de révoquer les élus, qu’il s’agisse du Président de la République, des parlementaires ou des élus locaux.

S’inspirant de la méthode du référendum d’initiative citoyenne, cette procédure permettrait de donner corps à l’idée de responsabilité des élus devant les électeurs et d’apporter ainsi un correctif concret à la crise démocratique. Ce nouveau droit permettrait l’expression de la souveraineté populaire en toutes circonstances : la volonté du peuple ne se réduirait plus à un simple bulletin glissé dans l’urne à chaque échéance électorale ou à la participation à de rares référendums dont l’initiative appartient aux représentants.

Comment peut-on déplorer la crise de la représentation et la progression d’une abstention devenue massive quand les électeurs ne disposent d’aucun moyen de contrôler l’exercice du mandat qu’ils ont confié ? C’est précisément en raison de l’absence de responsabilité des élus devant les électeurs que l’abstention progresse d’année en année, sur fond d’engagements non tenus ou dévoyés qui alimentent une résignation toujours plus grande.

Aux dernières élections législatives, le taux d’abstention était de plus de 50 % : plus d’un électeur sur deux n’est pas allé voter pour cette assemblée nationale. Les élections suivantes – européennes, municipales et législatives partielles – ont confirmé cette tendance et, lors des dernières échéances, la grève civique a atteint des niveaux extrêmement préoccupants : le taux d’abstention a été de plus de 70 % aux élections départementales et régionales en 2020.

Face à ce constat, l’instauration d’un droit de révocation des élus favoriserait l’implication citoyenne de ces derniers et des électeurs tout en modifiant la nature des campagnes électorales, car une attention toute particulière serait accordée à la délibération collective autour des programmes électoraux. Vertueux à tous les niveaux, ce droit nouveau s’appliquerait en attendant que le peuple souverain redéfinisse les règles du jeu politique en écrivant la Constitution d’une VIe République, après la convocation d’une assemblée constituante.

Plusieurs pays se sont déjà engagés dans cette voie de progrès démocratique, notamment sur le continent américain. Aux États-Unis d’Amérique, vingt-huit États fédérés prévoient une procédure de révocation. Quant à la Bolivie ou à l’Équateur, ils ont inscrit dans leurs constitutions respectives ce mécanisme applicable à toutes les fonctions électives, du simple élu local jusqu’au Président de la République.

Même si la forme de la révocation varie d’un État à l’autre, ces exemples étrangers attestent de la faisabilité d’une mesure jusqu’à présent ignorée en France. Aussi les députés de la France insoumise proposent-ils d’instaurer un droit de révocation des élus à tous les échelons électifs : maires, conseillers municipaux, présidents et conseillers départementaux ou territoriaux, parlementaires, jusqu’au Président de la République. Le référendum révocatoire pourrait se tenir à l’issue du premier tiers de leur mandat et avant la dernière année de celui-ci si une pétition référendaire réunit un pourcentage suffisant du corps électoral d’origine. L’expression de la souveraineté du peuple, le contrôle populaire des mandataires et la légitimité des élus en sortiraient grandis, grâce à une procédure qui garantirait dans le même temps la stabilité des institutions.

M. Alexis Corbière, rapporteur. Je vous remercie d’avoir nourri la discussion de vos réflexions et arguments – plus ou moins vifs, mais il en est ainsi du débat démocratique – et je forme le vœu qu’elle se poursuive, notamment le 13 janvier dans l’Hémicycle.

Permettez-moi tout d’abord de souligner que vos réflexions sont celles d’élus – ne le prenez pas mal, je m’inclus dans ce constat. Or peut-être le propos d’un élu est-il différent, sur ce sujet, de celui d’un citoyen qui ne détient pas de mandat électif. Certains d’entre vous estiment que le dispositif proposé favoriserait la tyrannie des minorités : soyons attentifs à ce que le cercle restreint des élus n’en devienne pas une. J’ai en effet entendu des propos qui peuvent choquer : on a dit – pardonnez-moi de ne pas me souvenir des termes exacts qui ont été utilisés – que, si le droit de révocation était instauré, les élus seraient entre les mains du peuple. Oui, en toutes circonstances, le souverain, c’est le peuple ! C’est lui qui doit décider de ce qu’il fait de ses élus. Nous n’avons pas à nous méfier d’un peuple insouciant qui, tête folle, pourrait prendre des décisions déraisonnables.

D’aucuns ont dit que certaines décisions étaient difficiles et impopulaires. Parlent-ils de décisions qui seraient minoritaires dans le pays ? Dans ce cas, il ne faut pas les prendre ! Sinon, on acte le fait qu’on exerce un pouvoir autoritaire. Il faut, inlassablement, expliquer, convaincre, se demander pourquoi un argument ne passe pas ou plus, au lieu d’invoquer l’ignorance du peuple. On a forgé le concept de populisme : non seulement il ne faudrait plus parler au peuple, au motif qu’il ne comprend rien – alors que nous, nous serions les « sachants » –, mais nous devrions louer nos institutions de continuer à fonctionner même lorsqu’il ne va plus voter ! C’est précisément là que réside l’instabilité, mes chers collègues : lorsque les deux tiers des électeurs ne viennent plus voter, les institutions ne sont plus stables, en vérité – c’est un problème fondamental.

Il ne faudrait pas, dites-vous – en vous appuyant sur la Constitution, selon laquelle aucune section du peuple ne peut s’attribuer l’exercice de la souveraineté nationale –, qu’une minorité exerce le pouvoir contre la majorité. Mais prenons l’exemple de mon élection : formellement, j’ai été élu, au second tour, par 59 % des électeurs de ma circonscription ; en réalité, seulement 21 % des inscrits sont venus voter. Autrement dit, près de 80 % des électeurs de ma circonscription n’ont pas voté pour moi – et d’autres députés ont été élus dans les mêmes conditions. On peut toujours dire que les électeurs sont des imbéciles désintéressés qui ne comprennent rien ; je n’y crois pas. J’estime, pour ma part, que nous devons donner des droits nouveaux aux citoyens, non pas seulement pour qu’ils puissent remplacer un mauvais élu par un bon, mais aussi pour que change la manière dont le pouvoir s’exerce.

Vous affirmez, monsieur Gouffier-Cha, que nos propositions n’ont pas été validées lors des élections. Pardon, mais lors de la dernière élection présidentielle, le candidat Jean-Luc Mélenchon, qui défendait la proposition que nous vous soumettons, a rassemblé sept millions de voix, soit 19,5 % des suffrages, contre 24 % pour le candidat de la majorité. La différence vous est, certes, favorable, mais l’écart n’est pas si grand que l’on puisse affirmer que notre proposition a été balayée par les électeurs.

Vous dites que le dispositif proposé favoriserait les coalitions d’oppositions. Mais le président Macron n’a-t-il pas été élu précisément par une coalition d’oppositions à la candidate qu’il affrontait au second tour ? Son élection n’a pas été pour autant invalidée. Tout cela n’a pas de sens.

Peut-être n’avez-vous pas bien compris ma proposition : il s’agit, non pas de donner la possibilité à une minorité de désigner un candidat, mais de permettre, si un nombre significatif d’électeurs le souhaitent, qu’un nouveau scrutin soit organisé et que le peuple souverain s’exprime à nouveau.

M. Balanant a soulevé une question pertinente. Peut-être me suis-je mal fait comprendre : mon propos, aujourd’hui, est de discuter avec vous du principe du droit de révocation, ses modalités d’application étant renvoyées à la discussion ultérieure d’une proposition de loi organique. En 2019 – je remercie notre collègue du MODEM de l’avoir rappelé –, nous avions fixé, dans une proposition de loi précédente, à 5 % du corps électoral le seuil à atteindre pour convoquer les électeurs. On peut estimer que ce taux est trop bas et qu’il permettrait aux éternelles oppositions de provoquer l’organisation d’une consultation – encore que convaincre 5 % des électeurs de convoquer une nouvelle élection n’est pas si facile. Aussi pourrions-nous très bien fixer ce seuil à 10 %, voire à 20 %. C’est une discussion d’ordre technique.

Aujourd’hui, encore une fois, il s’agit de discuter avec vous du principe : est-il pertinent de considérer que l’une des raisons de la désaffection de nos concitoyens pour les urnes est liée à leur sentiment qu’une fois leurs représentants désignés, ils ne sont plus des électeurs dotés de droits civiques mais en quelque sorte des mineurs politiques ?

Nos collègues du groupe LaREM répondent que notre proposition manque son but, qu’ils ont déjà agi pour remédier au problème. Soit, mais force est de constater, sans même juger de la pertinence des mesures adoptées, que l’abstention a continué de progresser. Ma proposition n’est peut-être pas pertinente, mais les leurs n’ont pas été efficaces. Poursuivons donc le débat, en nous épargnant les arguments trop faciles.

J’en ai relevé un autre : notre proposition ne serait pas compatible avec la planification écologique. Pour ma part, je suis défavorable au mandat impératif : on est amené, lorsqu’on est aux responsabilités, à prendre des décisions face à des événements imprévus – la crise du covid-19, par exemple, n’a pas fait l’objet, et pour cause, de discussions en 2017. Mais nous devons toujours garder à l’esprit que notre action doit recueillir l’adhésion de la majorité. Or j’affirme que notre système, en raison du confort qu’il donne parfois aux élus et de la faible intensité démocratique qui s’est installée, nous éloigne de cette préoccupation. Je reprends les termes qui ont été utilisés par plusieurs d’entre vous : il faudrait savoir prendre des décisions difficiles, impopulaires... Il y a tout un champ sémantique qu’en tant que républicain, je n’apprécie pas. En république, on ne prend pas de décisions qui ne sont pas approuvées par la majorité de nos concitoyens. Pour le dire crûment, on ne gouverne pas contre le peuple ! Accepter que les électeurs ne se déplacent plus, voire prendre des décisions sur lesquelles ils ne sont pas d’accord, c’est créer les conditions d’une tentation autoritaire dans le pays.

Soyons attentifs à ce qui se passe aujourd’hui. Je n’apprécie pas que beaucoup de nos concitoyens, estimant notre système démocratique bloqué, cèdent à la brutalité, voire envisagent une solution autoritaire. Or nous avons parfois nous-mêmes inoculé un poison dans la vie démocratique en considérant qu’en définitive, on peut se satisfaire d’institutions fortes qui donnent à une personne le pouvoir de prendre des décisions, le cas échéant contre le peuple. Il est là, le bonapartisme, monsieur Gouffier-Cha : dans des institutions autoritaires se passant de la consultation du peuple et créant de grands personnages omniscients qui peuvent gouverner sans chercher à convaincre, voire se permettre, forts de la pompe et de la puissance que leur confère le mandat présidentiel, d’avoir des mots volontairement provocateurs envers une minorité. Cela ne rend pas service à la démocratie : nous devons convaincre en permanence.

Madame Untermaier, nous réalisons tous des comptes rendus de mandat. C’est intéressant et indispensable, mais avouez que l’on ne peut pas s’en contenter. Des mairies cherchent désormais à créer des conseils de citoyens mais, ces organes n’ayant aucun pouvoir, les citoyens n’y participent pas : ils ont le sentiment que cela permet uniquement à l’élu, au sachant, de s’exprimer, de s’expliquer et, en définitive, de ne présenter que ce qu’il a prévu de présenter. Ainsi, seuls ses fidèles et quelques autres personnes sont présents. Pour que les gens soient motivés, pour qu’ils soient pleinement citoyens, il faut que le pouvoir soit en jeu, donc qu’ils aient la possibilité de confirmer ou de révoquer.

Encore une fois, je suis défavorable au mandat impératif : ce n’est pas l’objet de ma proposition. L’élu doit pouvoir prendre sa décision en conscience, en fonction des éléments dont il dispose. En revanche, il faut qu’il ait un rapport plus vivant avec ceux qu’il représente, lesquels doivent pouvoir le révoquer, dans un cadre raisonnable – on peut même envisager que la révocation d’un élu ne puisse être discutée qu’une seule fois au cours du mandat. Un tel dispositif me paraît pertinent et à la hauteur de la crise que nous traversons. Je suis conscient – je ne suis pas naïf – que cela bouleverserait notre vie démocratique, mais nous avons besoin de rompre avec des pratiques que je considère comme antidémocratiques ou tout au moins de faible intensité démocratique.

Ce serait, avez-vous dit, monsieur Gouffier-Cha, la « démocratie de la gâchette ». En ces temps où nous sommes, les uns et les autres, régulièrement menacés – je l’ai moi-même été par des gens d’extrême droite qui ont utilisé un fusil –, je préférerais que l’on évite d’employer ce vocabulaire, même si je comprends l’image. Mais admettons : de quelle arme s’agit-il ? du peuple ? Mais enfin, quand le peuple se mobilise, ce n’est pas une arme à feu !

Quant à nos collègues du groupe LR, ils sont, on le sait, très favorables aux institutions de la Ve République. Pour ma part, je n’adhère pas à la doxa selon laquelle la IVe République est le pire des régimes, coupable de bien des maux auxquels la Ve République aurait remédié. N’oublions pas que cette dernière est née dans un moment de grande crise démocratique, je dirai même, en étant provocateur, de quasi-guerre civile, marquée par un coup d’État militaire. Qui plus est, lors de sa création, le général de Gaulle avait pris l’engagement, notamment auprès de Gaston Monnerville, que le Président de la République ne serait pas élu au suffrage universel direct. Lorsqu’en 1962, il est revenu sur cet engagement – à la suite de l’attentat du Petit-Clamart –, Gaston Monnerville s’en est offusqué et a déclaré qu’il s’agissait d’une forfaiture. Nous ne devons pas oublier ces débats ni les circonstances dans lesquelles sont nées les institutions actuelles. Lorsqu’on évoque leur solidité, je pense au village Potemkine : cette solidité n’est qu’apparente, dès lors que le peuple ne se rend plus aux urnes.

À l’argument selon lequel le Gouvernement peut révoquer des maires, je réponds qu’il est préférable que ce pouvoir soit entre les mains du peuple, car un gouvernement, même paré des meilleures intentions, est de nature politique. Il pourrait donc éventuellement révoquer un maire qui ne lui serait pas favorable, même si, jusqu’à présent, ces révocations ont été fondées sur des raisons objectives.

Enfin, notre collègue d’Agir ensemble – qui a, et je l’en remercie, exprimé, malgré son désaccord sur le fond, la volonté que nous réfléchissions ensemble à ces questions – a évoqué la Commission de Venise. Mais celle-ci n’invalide pas le droit de révocation ; elle constate : « Dans quelques pays […], [la révocation populaire] a été introduite, en particulier depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, comme une réponse possible au besoin de revitalisation de la démocratie par la participation plus directe des citoyens ; les exemples d’application pratique de ces dispositifs se multiplient. » La commission ne propose pas d’instaurer ce droit, mais elle considère que, là où il s’applique, il « participe à la revitalisation du fonctionnement démocratique ». De même, le fait qu’aux États-Unis, la révocation puisse s’appliquer à des fonctions qui, en France, ne sont pas électives n’invalide pas l’éventuelle introduction dans notre droit de ce dispositif ; il atteste que celui-ci contribue, ailleurs, à la vie démocratique.

Mes chers collègues, encore une fois, prenez garde de ne pas apparaître, lorsque vous critiquez ce texte, comme des élus qui rejettent toute contrainte supplémentaire qui leur serait imposée par le corps électoral, car celui-ci pourrait s’étonner que vous vous méfiiez de lui, au point de considérer qu’il userait à mauvais escient des droits nouveaux qui pourraient lui être accordés.

Quant à moi, pour le dire clairement, je préfère me tromper avec la majorité du peuple que d’avoir apparemment raison avec une minorité. J’y insiste, actuellement, une minorité exerce le pouvoir. Observez la sociologie de ceux qui votent : ce sont souvent ceux de nos concitoyens qui ont les revenus les plus élevés et sont les plus éduqués, de sorte que s’installe progressivement – je vais être provocateur – une forme de démocratie censitaire. Ce sont des citoyens au même titre que les autres : je n’institue pas de hiérarchie. Mais prenons garde qu’à terme, ne se mobilisent plus que des intérêts privés, des groupes de pression, au détriment des milieux populaires, majoritaires dans le pays.

Notre proposition est-elle la réponse définitive à la crise démocratique ? Non, elle n’est sans doute pas suffisante, je vous le concède ; du reste, j’ai indiqué qu’elle s’inscrivait dans le cadre plus général de la VIe République que nous appelons de nos vœux. Mais elle en est un des éléments fondamentaux. Le droit de révocation permettrait, en outre, d’en finir avec l’extrême concentration des pouvoirs dans les mains du Président de la République, ce personnage si singulier de notre vie politique au regard des institutions des autres pays démocratiques. Dans aucune autre démocratie libérale, un personnage ne détient autant de pouvoirs en ayant si peu de comptes à rendre à la représentation nationale. Ce système d’irresponsabilité n’est pas sain.

L’instabilité est là, la crise s’aggrave un peu plus à chaque élection et témoigne du dégoût que ressentent nombre de nos citoyens. La situation est dangereuse, en vérité. Or je ne veux pas qu’à cette crise soit apportée une réponse autoritaire, « peuplophobe » en quelque sorte, qui consisterait à gouverner sans le peuple et à renforcer toujours plus les pouvoirs des représentants.

 

Article unique

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer un droit de révocation des élus (n° 4751).


([1])  Charles-Édouard Senac « La révocation populaire des élus : anatomie d’une institution démocratique ».

([2])  Article 67 de la Constitution.

([3])  Article 68 de la Constitution.

([4])  Article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales. Noël Mamère l’avait expérimenté, après avoir célébré un mariage entre deux hommes.

([5])  Conseil d’État, 25 janvier 1928, Maire d’Euvezin

([6])  Conseil d’État, 9ème chambre, 03 octobre 2018.

([7])  Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010.

([8])  Audition de M. Charles Édouard Senac.

([9])  Communication de la mission d’information flash sur la démocratie locale et la participation citoyenne, Mme Emilie Chalas et M. Hervé Saulignac, 6 février 2019, XVème législature.

([10])  Audition de Mme Florence Gauthier.

([11])  Œuvres complètes, t. V, p. 416-417.

([12]) Audition de M. Tristan Pouthier.

([13])  « L’État dans une démocratie » (15 nov. 1849), loc. cit., p. 160.

([14])  Proclamation du 22 mars 1871 (JO, « De la Commune », 25 mars 1871, p. 39)

([15])  Audition de Mme Raquel Garrido.

([16])  Ibidem.

([17])  Audition de M. Charles-Édouard Sénac.

([18])  Audition de M. Florian Savonitto

([19])  Audition de M. Charles-Édouard Sénac.

([20])  Allemagne, Autriche, Biélorussie, Croatie, Islande, Lettonie, Lichtenstein, Moldavie, Pologne, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Suisse, Ukraine.

([21])  Argentine, Belize, Bolivie, Canada (dans la province de la Colombie britannique), Colombie, Costa Rica, Équateur, États-Unis (dans 38 États fédérés, au niveau de l’État et/ou au niveau local), Panama, Pérou, Venezuela.

([22])  Corée du Sud, Japon, Kirghizistan, Myanmar, Philippines, Taiwan.

([23])  Éthiopie, Gambie, Kenya, Libéria, Nigeria, Ouganda.

([24])  Kiribati, République des Palaos, Tuvalu.

([25]) Commission de Venise, Rapport sur la révocation populaire de maires et d’élus locaux, 22 août 2019, p. 7.

([26])  R. Viciano Pastor et R. Martínez Dalmau, « Aspects généraux du nouveau constitutionnalisme latino-américain », in C. M. Herrera (dir.), Le constitutionnalisme latino-américain aujourd’hui : entre renouveau juridique et essor démocratique ?, « Nomos & Normes », Éditions Kimé, 2015, p. 32-33 ; G. Vestri, « La trayectoriaconstitucional boliviana : entre transformación y desafío jurídico. El estado metodológico de la cuestión », Revista Derecho del Estado 2016, p. 215.

([27])  Audition de Mme Carolina Cerda-Guzman.

([28])  Ibidem.

([29])  Ibidem

([30])  Ibidem

([31]) Voir encadré, supra.