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N° 4864

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 janvier 2022.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI
 

visant à restaurer l’État de droit par l’abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire

 

 

PAR Mme Mathilde PANOT
Députée

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Voir le numéro : 4744.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS.................................................... 3

I. face À la menace sanitaire, la construction d’une hydre juridique essentiellement sÉcuritaire

II. La gestion de la crise est-elle seulement efficace d’un point de vue sanitaire ?

III. la dÉmocratIe prise au piÈge de la banalisation de l’État d’urgence

IV. contre la rÉsignation, l’indispensable sursaut dÉmocratique

EXAMEN DE L’article unique de la proposition de loi

Article unique (supprimé) (chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie et art. L. 3136-1 du code de la santé publique, art. 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et art. 1er à 4 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire) Abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire

Compte rendu des débats

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

« La résignation, modalité de l’habitude, permet à certaines forces de s’accroître indéfiniment » ([1]).

Du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017 et depuis le 23 mars 2020, les états d’exception – sécuritaire, sanitaire ou les deux à la fois –, poursuivent de manière quasi continue leur travail de sape démocratique. Une stratégie implacable est ici à l’œuvre : à l’état de sidération initial, qui justifie aux yeux du plus grand nombre le déploiement de mesures exorbitantes du droit commun, succède un état de résignation, forgé par l’habitude, qui fait le lit de l’accoutumance de la France aux régimes d’exception et le jeu de ceux qui se délectent de l’instauration d’un état d’urgence permanent ([2]). 

De la même manière que la France n’est, en définitive, jamais sortie de l’état d’urgence sécuritaire ([3]), le pays est toujours plongé dans un état d’urgence sanitaire qui n’ose plus dire son nom ([4]) mais qui produit toujours des effets juridiques comparables. Il permet, aujourd’hui encore et sans preuve de leur pertinence, de fonder des mesures telles que le passe sanitaire généralisé aux activités de la vie quotidienne ou la nouvelle fermeture des discothèques. Et lorsque le caractère exorbitant de ce régime n’est pas suffisant, le Gouvernement continue de fonder certaines de ses décisions, hâtives et inefficaces, sur la théorie des circonstances exceptionnelles ([5]), et ce malgré l’installation dans la durée de l’épidémie.

Dès lors, comment s’étonner que le Gouvernement, accumulant coups de forces et échecs patents, continue d’improviser en imposant un nouvel instrument liberticide, le passe « vaccinal », désormais décorrélé de tout fondement sanitaire ? Comme si l’adoption, dans la précipitation, d’un énième projet de loi allait permettre de repousser miraculeusement la vague Omicron aux frontières du pays.

Pourtant, le professeur Paul Cassia dressait récemment ce constat cruel mais juste : « L’expérience montre que l’acceptation sociale et la régularité juridique des mesures de police sanitaire prises au nom de la lutte contre la pandémie sont toujours acquises. Davantage que des gestes barrières globalement respectés ailleurs que dans les ministères, c’est notre vigilance citoyenne qui semble s’être considérablement relâchée. » ([6])

Face à cette situation, le groupe parlementaire de La France insoumise, fidèle à ses valeurs et à ses engagements, a fait le choix de porter haut et de manière distincte un discours de combat et d’espérance. Il exprime son refus du carcan sécuritaire imposé par le régime de gestion de la crise sanitaire et lutte contre le discours éculé qui voudrait faire croire aux Françaises et aux Français qu’il n’existe pas d’alternative.


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I.   face À la menace sanitaire, la construction d’une hydre juridique essentiellement sÉcuritaire

Pendant que les Français subissaient, en 2020, les deux premiers confinements imposés pour faire face à la saturation des capacités hospitalières causée par l’épidémie de Covid-19, la politique de casse de l’hôpital public poursuivait méthodiquement son œuvre : 5 700 lits d’hospitalisation complète ont été fermés la même année. Depuis le début du quinquennat, 17 900 lits ont été fermés. Selon une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), vingt-cinq établissements publics et privés ont fermé l’an dernier, sous l’effet des restructurations ([7]). Lors de son audition par votre rapporteure, le professeur Paul Cassia expliquait comment les pouvoirs de police administrative sont utilisés pour compenser les insuffisances des politiques publiques. Cette solution de facilité, exacerbée par le système institutionnel de la Vème République ([8]) , a le mérite de produire des effets qui sont certes immédiats et visibles mais qui restent avant tout liberticides et infantilisants.

Le régime d’urgence sanitaire mis en œuvre par la loi du 23 mars 2020 ([9]) devait, sur le fondement de son article 7, prendre fin le 1er avril 2021 au plus tard. Si l’on ne peut que se réjouir que le projet de loi ([10]) qui devait inscrire définitivement ses dispositions dans le droit commun n’ait jamais été inscrit à l’ordre du jour du Parlement, il n’en demeure pas moins critiquable qu’un tel régime, bâti à la hâte et sans aucun recul sur l’épidémie, ait été sans cesse renouvelé depuis son instauration, sous diverses formes, souvent de manière illisible voire contradictoire.

S’y retrouver parmi les douze projets de loi relatifs à la gestion de la crise sanitaire

1. Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 : l’état d’urgence sanitaire est déclaré directement par la loi pour une durée de deux mois.

2. Loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 : l’état d’urgence sanitaire est prorogé pour deux mois supplémentaires.

3. Loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 : à l’état d’urgence sanitaire succède, le 11 juillet 2020, un régime qualifié de transitoire dont l’échéance est fixée au 30 octobre.

4. Projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire : le 16 septembre 2020, le Parlement est saisi d’un projet de loi visant à proroger le régime transitoire jusqu’au 1er avril 2021. Sa discussion est interrompue à la suite de la nouvelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire le 17 octobre 2020.

5. Loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 : l’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 16 février 2021 et l’application hypothétique du régime transitoire est permise jusqu’au 1er avril 2021.

6. Projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires : au lendemain de son dépôt, le 16 décembre 2020, par le Gouvernement, la discussion de ce texte impréparé et confus est reportée sine die.

7. Loi n° 2021-160 du 15 février 2021 : l’échéance du cadre législatif de l’état d’urgence sanitaire est repoussée du 1er avril au 31 décembre 2021 et son application prorogée jusqu’au 1er juin 2021.

8. Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 : à l’état d’urgence sanitaire succède, le 2 juin 2021, sauf en Guyane, un régime de sortie, notamment fondé sur le passe sanitaire applicable aux grands évènements et rassemblement, dont l’échéance est fixée au 30 septembre 2021.

9. Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 : l’échéance du régime de sortie est repoussée au 15 novembre 2021 et le passe sanitaire est étendu aux activités de la vie quotidienne, contrairement aux engagements formulés par le Gouvernement et par la majorité lors de la discussion de la loi du 31 mai. L’état d’urgence est rendu applicable jusqu’au 30 septembre 2021 en Guyane, à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.

10. Loi n° 2021-1172 du 11 septembre 2021 : l’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 15 novembre 2021 en Guyane, à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

11. Loi n° 2021-1465 du 10 novembre 2021 : le cadre législatif de l’état d’urgence sanitaire est repoussé du 31 décembre 2021 au 31 juillet 2022 et son application prorogée en Guyane et en Martinique jusqu’au 31 décembre 2021. Le régime de sortie, applicable sur le reste du territoire, est prolongé jusqu’au 31 juillet 2022.

12. Projet de loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire : déposé le 27 décembre 2021, le texte transforme le passe sanitaire en passe vaccinal.

Sans surprise, ce régime construit à la va-vite a été essentiellement inspiré par une loi d’un autre temps, celle du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence instaurée dans le contexte algérien, à la fois dans ses critères de déclenchement et de prorogation par le Parlement ([11]) – avec néanmoins un pouvoir de contrôle moindre puisque l’état d’urgence de 1955 ne peut être renouvelé au-delà de sept jours que par la loi, contre trente jours pour l’état d’urgence sanitaire – et des pouvoirs de police administrative exorbitants qu’il confère au pouvoir exécutif ([12]).

On observe par ailleurs que les régimes dits « transitoire » ou « de sortie » mis en œuvre à l’issue de l’état d’urgence sanitaire recouvrent la quasi-totalité de son périmètre. Le rapporteur de la loi du 31 mai 2021 écrit ainsi que les dispositions de l’article 1er de cette loi ([13]), ainsi que le droit commun ([14]), « permettent de couvrir, en matière de police sanitaire, l’ensemble du champ des mesures permises par l’état d’urgence sanitaire, à l’exception des dispositions interdisant aux personnes de sortir de leur domicile et limitant de manière générale la liberté d’entreprendre » ([15]). Et pour continuer de brouiller les frontières entre l’état d’urgence sanitaire et sa vitrine qui se veut respectable, l’exécutif ne s’est pas privé d’introduire des mesures d’interdiction de sortie du domicile hors du régime de l’état d’urgence sanitaire ([16]) ou de maintenir son application dans les outre-mer, et notamment pendant plus d’un an en Guyane où il a été appliqué, sans discontinuité, du 17 octobre 2020 au 31 décembre 2021.

Enfin, la mise en œuvre du passe sanitaire, son extension illégale au début de l’été aux activités de la vie quotidienne et enfin son resserrement annoncé en passe vaccinal illustrent, là aussi, à quel point l’exécutif a manié la dissimulation pour parvenir à ses fins, celles d’un renforcement systématiques des mesures de contrôle de la population :

● Le 4 mai 2021, M. Olivier Véran déclare que le passe sanitaire ([17]) « exclut de fait les activités de la vie courante » et indique : « J’ai déjà eu l’occasion de vous indiquer qu’à titre personnel, je n’étais pas favorable à un passe sanitaire pour aller au restaurant, au cinéma ou pour pratiquer des activités de la vie quotidienne, et je vous confirme que c’est également la position du Gouvernement. Cela concerne donc des activités exceptionnelles. » ([18])

● Le 19 juillet 2021, le Gouvernement étend de manière illégale, par voie réglementaire ([19]), et sans mandat parlementaire l’application du passe sanitaire à de nombreuses activités de la vie courante alors même que le législateur avait clairement exprimé, lors de la discussion de la loi du 31 mai 2021, son intention de ne pas permettre une telle application ([20]). Saisi en référé, le Conseil d’État est venu couvrir cette manœuvre en ressuscitant la théorie des circonstances exceptionnelles – un an et demi après le début de l’épidémie – et en conférant à un projet de loi non encore déposé au 19 juillet 2021 ([21]) la valeur juridique d’une loi promulguée :

 « Le moyen tiré de ce que le décret serait illégal car il méconnaîtrait les dispositions de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021 en ce qu’il a abaissé le seuil d’application du passe sanitaire à 50 personnes alors que la loi n’a prévu la possibilité de subordonner l’accès à certains lieux, établissements ou évènements à la présentation du passe sanitaire que s’ils accueillent de grands rassemblements de personnes, n’est pas de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux sur sa légalité, le décret attaqué ayant été pris au vu des circonstances exceptionnelles liées à la reprise de l’épidémie. » ([22]) 

– « Doit intervenir à très court terme une modification de la loi du 31 mai 2021 afin notamment de redéfinir le périmètre des lieux, établissements, services ou évènements dont l’accès est subordonné à la présentation d’un passe sanitaire et de supprimer la limitation de l’utilisation du passe sanitaire aux seuls grands rassemblements ayant lieu dans ces lieux, établissements ou évènements. Il en résulte que, comme le reconnaissent eux-mêmes les requérants, les mesures prévues par le décret n’auront qu’une application brève, au maximum d’une douzaine de jours après la date de l’audience. » ([23])

II.   La gestion de la crise est-elle seulement efficace d’un point de vue sanitaire ?

À l’occasion de l’extension du passe sanitaire, validée a posteriori par la loi du 5 août 2021, l’avocat Raphaël Kempf s’est interrogé : « à quel moment la contradiction entre les mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 et le respect des libertés fondamentales éclate-t-elle ? » Il esquisse néanmoins un début de réponse : « Avec le passe sanitaire, nous nous approchons peut-être de ce point de non-retour. » ([24])

Plus de six mois après son introduction, le bilan sanitaire du passe est inexistant. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) n’a pourtant eu de cesse de demander au Gouvernement des éléments étayés pour apprécier l’efficacité du dispositif, ainsi que celle de l’ensemble des outils numériques mis en œuvre pour lutter contre l’épidémie : « Afin de permettre à la Commission d’apprécier pleinement la nécessité et la proportionnalité de ces dispositifs, déployés dans le cadre de la politique sanitaire actuelle du Gouvernement, il apparaît primordial que, plus de dix-huit mois après le début de la crise sanitaire et comme elle l’a rappelé dans ses trois premiers avis, des éléments concrets d’évaluation de leur efficacité dans la lutte contre l’épidémie de Covid-19 soient portés à sa connaissance. Elle ne peut donc que vivement regretter que malgré ses demandes répétées, notamment dans ses précédents avis, aucun élément ne lui ait été transmis à cette fin par le Gouvernement. » ([25])

Votre rapporteure n’a pas trouvé plus d’éléments de réponses dans les rapports transmis par le Gouvernement en application de l’article 11 de la loi du 5 août 2021. Celui-ci dispose pourtant que le Gouvernement remet au Parlement une évaluation des résultats en matière de lutte contre la propagation de l’épidémie de covid-19 de l’application du passe sanitaire. Les rapports publiés sur la page internet de la commission des Lois ([26]) présentent, en matière épidémique, un simple suivi des indicateurs sans analyser l’impact du passe sanitaire sur ces derniers.

À défaut d’une évaluation correcte du dispositif, des questions continuent donc de se poser : le passe sanitaire a-t-il eu un effet contre-productif en entraînant un relâchement des gestes barrières parce qu’il a fait croire qu’il permettait d’instaurer une « bulle sanitaire » ([27]) dans les établissements où il s’applique ? Quelle a été l’ampleur des clusters qui se sont développés dans ces lieux ? Ce passe peut-il réellement être qualifié de sanitaire ?

Surtout, la fuite en avant dans laquelle est engagé le Gouvernement continue d’interroger, bien que la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal apporte certains éléments d’éclaircissements sur les intentions réelles de l’exécutif. Alors que l’efficacité des premiers vaccins a, depuis l’adoption de la loi du 5 août 2021, été en partie remise en cause par l’émergence des variants et par le constat que les capacités immunitaires s’amenuisent dans le temps, un test de dépistage négatif récent apparaît comme un moyen sûr – bien que le risque zéro n’existe pas – de s’assurer qu’une personne n’est pas porteuse du virus. Or, le Gouvernement, après avoir fait le choix de dérembourser les tests de dépistage pour les personnes non-vaccinées, entend désormais les exclure du passe vaccinal. Il s’agit là de la preuve que l’objet sanitaire du passe n’est pas direct, immédiat et identifié – créer des bulles de protection au sein des lieux qui y sont soumis – mais indirect, différé et général – inciter la population à la vaccination.

Cette rupture majeure appelle deux remarques de la part de votre rapporteure.

● Tout d’abord, l’effet indirect du passe sur la situation sanitaire pourrait constituer une rupture injustifiée du principe d’égalité. Si le Conseil constitutionnel admet, selon une jurisprudence constante, que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, il estime que la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser cette condition : il faut que « le critère choisi pour différencier apparaisse en rapport direct avec le but poursuivi » ([28]). Or, l’impact sanitaire du passe vaccinal n’étant qu’indirect, la différence de traitement qu’il introduit entre personnes vaccinées et personnes non vaccinées, pourrait apparaître comme dénué de rapport avec l’objet de la loi qui l’établit dans la mesure où le Gouvernement assume sans complexe que l’objectif réel du texte est déguisé ([29])

● De plus, l’atteinte aux libertés fondamentales qu’entraîne le passe sanitaire est telle que la question de sa proportionnalité, au regard de son impact sanitaire direct, pourrait être à nouveau posée. À ce titre, le Conseil constitutionnel avait mis en avant, dans sa décision du 5 août 2021, deux éléments justifiant l’instauration du passe sanitaire qui sont devenus potentiellement obsolètes dans le cadre du passe vaccinal :

– « Le législateur a estimé que, en l’état des connaissances scientifiques dont il disposait, les risques de circulation du virus de la covid-19 sont fortement réduits entre des personnes vaccinées, rétablies ou venant de réaliser un test de dépistage dont le résultat est négatif. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à limiter la propagation de l’épidémie de covid-19. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. » ([30])

– « Les dispositions contestées prévoient que les obligations imposées au public peuvent être satisfaites par la présentation aussi bien d’un justificatif de statut vaccinal, du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination. Ainsi, ces dispositions n’instaurent, en tout état de cause, ni obligation de soin ni obligation de vaccination. » ([31])

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Alors que l’exécutif mise sur le tout-sécuritaire en martelant qu’il n’y a de toute façon pas d’alternative, la mise en œuvre d’une véritable politique sanitaire se fait toujours attendre. Votre rapporteure souhaite rappeler avec force la définition de la santé inscrite dans la Constitution de l’Organisation mondiale de la santé : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

Quel est l’impact de ces mesures liberticides sur les suicides, sur la santé mentale des jeunes et des adultes, sur les dépistages du VIH, sur l’éduction des enfants, sur la situation des personnes en EHPAD, sur la prise en charge et le suivi des personnes malades ? Par ailleurs, comment expliquer que les vrais sujets sanitaires, comme le taux de vaccination anormalement bas en Europe des plus de 80 ans ([32]), ne sont pas posés ? Pourquoi une véritable politique d’« aller vers » et de ciblage n’est-elle pas mise en œuvre ?

Votre rapporteure garde néanmoins espoir. Dans son avis du 16 décembre 2021, le Conseil scientifique écrit que « l’objectif n’est plus l’élimination du virus, qui continuera de circuler, mais celle des formes graves, qui fera que l’impact sociétal du virus deviendra moins important avec le temps ». En effet, cette prise de conscience suppose la mise en œuvre d’une véritable politique sanitaire où n’a pas sa place l’obsession sécuritaire actuelle, inefficace et inadaptée à la situation épidémique. Cela passera nécessairement par l’abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire.

III.   la dÉmocratIe prise au piÈge de la banalisation de l’État d’urgence

Les oppositions unanimes, les organisations de défense des droits de l’homme ou encore la Défenseure des droits n’ont de cesse de dénoncer le centralisme et l’absence de transparence qui caractérisent l’action du pouvoir exécutif. Deux ans après l’apparition de l’épidémie, la mise sous cloche de la démocratie sanitaire n’est pas justifiée.

Dans son avis du 3 décembre 2020, la Défenseure des droits appelait de ses vœux l’organisation d’un débat démocratique public de fond en soulignant qu’il « devrait permettre de discuter la nécessité de protéger les droits et libertés et de renforcer les services publics, le caractère adapté, nécessaire et proportionné des mesures sanitaires, afin de préserver le juste équilibre entre les objectifs recherchés » Elle insiste pour cela sur le fait que « l’adhésion des citoyens à une mesure repose sur une série d’éléments : la clarté de la mesure envisagée, son caractère exceptionnel et temporaire, le fait qu’elle ait fait l’objet d’un débat démocratique et qu’elle soit le résultat d’un consensus fort (ce qui réduirait la perception du caractère autoritaire ou arbitraire de la mesure que certains pourraient avoir), la conviction que la mesure est justifiée et efficace au regard de la situation sanitaire (cela passerait par la démonstration de sa légitimité, de sa nécessité et de sa proportionnalité), une communication adaptée auprès du public, des contrôles renforcés ». À l’occasion de l’extension du passe sanitaire, la Défenseure des droits appuyait une nouvelle fois sa demande : « le débat semble même d’autant plus nécessaire en l’espèce que le gouvernement propose un durcissement extrêmement rapide des règles, pourtant édictées il y a peu de temps. » ([33])

En l’absence de débat public de fond, celui qui se tient au Parlement au bon vouloir du Gouvernement, la plupart du temps dans la précipitation pour avaliser les décisions prises dans le secret du Conseil de défense et de la sécurité nationale, ne remplit pas ses fonctions démocratiques. Alors que l’état d’exception entraîne une dépossession durable du Parlement de ses prérogatives, la question du renforcement des moyens de contrôle de l’action du Gouvernement n’a jamais été sérieusement posée.

On constate ainsi que les maigres prérogatives offertes par le régime juridique de l’état d’urgence sanitaire et par la loi du 31 mai 2021 – « l’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement [et] peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures » ([34]) – n’apportent aucune prérogative supplémentaire par rapport à celles que le Parlement tire de l’article 24 de la Constitution. Elles ne permettent pas un contrôle parlementaire de l’état d’urgence sanitaire à la hauteur de l’enjeu et des pouvoirs octroyés au Gouvernement. Pire, on observe que les maigres dispositifs de contrôle mis en place au début de la crise, telle que la mission d’information décidée par la Conférence des présidents, n’ont pas perduré alors que, dans le même temps, l’exécutif s’est vu accorder une prolongation des pouvoirs exorbitants dont il pourra disposer, sans aucune clause de revoyure, jusqu’au 31 juillet 2022.

Le déséquilibre des pouvoirs causé par le régime de gestion de la crise sanitaire au profit du pouvoir exécutif se manifeste également devant l’autorité judiciaire. À ce titre, les auditions conduites par votre rapporteure ont permis de mettre en lumière les difficultés que rencontrent les opposants aux mesures d’urgence prises par le Gouvernement pour les contester effectivement devant le juge administratif. Si l’état d’urgence sanitaire et la loi du 31 mai prévoient que les différentes mesures peuvent faire l’objet de recours en référé ([35]), cette voie de recours est apparue inadéquate et insuffisante face au rouleau compresseur normatif déployé par le Gouvernement. Celui-ci joue bien souvent avec un coup d’avance sur les procédures contentieuses. Ainsi, le bilan des contestations devant le Conseil d’État s’avère particulièrement maigre pour les défenseurs des libertés publiques.

Face à ce constat, il est plus que jamais urgent de rééquilibrer les pouvoirs pour jeter les bases d’une gestion plus démocratique de la crise. Or, en la matière, tout reste à construire. Dans son avis du 20 juillet 2021, la Défenseure des droits constatait en effet « que, depuis le début de cette pandémie, les garde-fous et garanties mises en œuvre à chaque étape sont régulièrement contournés voire annihilés à la suivante sans que les raisons n’en soient toujours clairement établies ».

IV.   contre la rÉsignation, l’indispensable sursaut dÉmocratique

L’article unique de la proposition de loi vise à réponse à la triple urgence juridique, sanitaire et démocratique précédemment décrite en abrogeant les régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire.

● Les I et II ont pour objet de mettre fin à l’état d’urgence sanitaire dont la menace du déclenchement continue de peser jusqu’au 31 juillet 2022. Le 1° du I abroge son régime juridique codifié au chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie du code de la santé publique et son supprime le régime de sanctions qui lui est associé. Le II supprime l’échéance du régime fixée au 31 juillet 2022 : l’abrogation est donc d’effet immédiat.

● Le III abroge, également sans délai, le régime de gestion de la crise sanitaire institué par la loi du 31 mai 2021. Il met fin aux mesures exorbitantes du droit commun octroyées au pouvoir exécutif pour gérer la crise et supprime définitivement le passe sanitaire.

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Les états d’exception, loin d’avoir fait leur preuve, sont d’autant plus dispensables que des alternatives existent : le groupe de la France insoumise les porte sans relâche depuis deux ans.

À court terme, il existe une série de mesures qui permettraient d’affronter l’épidémie sans porter une atteinte disproportionnée aux droits et libertés fondamentaux :

– développer des alternatives au confinement général par la maîtrise collective du temps, à travers l’instauration d’une « société du roulement », notamment dans les établissements scolaires ;

– restaurer la gratuité des tests de dépistage qui sont indispensables pour suivre et pour maîtriser l’épidémie ;

– inscrire dans la loi et massifier la politique du « aller vers » en fondant la campagne vaccinale sur l’incitation et non la contrainte ;

– mettre fin à la brutalité et l’indifférence avec laquelle les outre-mer sont traités en déployant, de manière concertée, une politique sanitaire à la hauteur des difficultés et des souffrances auxquelles ces territoires font face ;

– garantir à chaque citoyen un accès effectif et équitable à l’eau, condition indispensable pour le respect des gestes barrières ;

– garantir la présence, dans les salles de classe ou les lieux de culture, de capteurs à même de mesurer la quantité de dioxyde de carbone contenue dans l’air et de purificateurs d’air.

À plus long terme, il sera nécessaire de bâtir un cadre global de lutte contre les pandémies du XXIème siècle qui sont causées par la catastrophe écologique en cours. À ce titre, il convient :

– de reconnaître les épidémies et les pandémies au titre des catastrophes naturelles ;

– de créer un pôle public du médicament, établissement public scientifique et technique qui aura vocation à s’assurer de l’approvisionnement de la France en matière de dispositifs médicaux ;

– de nationaliser Sanofi ;

– d’œuvrer, à l’échelle internationale, en cas de catastrophe sanitaire, à la levée des brevets ou à leur soumission au régime de licence obligatoire, dès lors que ces brevets feraient obstacles à l’accès au soin.


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   EXAMEN DE L’article unique de la proposition de loi

Article unique (supprimé)
(chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie et art. L. 3136-1 du code de la santé publique, art. 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et art. 1er à 4 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021
relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire)
Abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi abroge :

– l’état d’urgence sanitaire instauré par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ;

– et son régime dit « de sortie » institué par la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, neuvième texte adopté depuis le 23 mars 2020, avait prorogé :

– jusqu’au 31 juillet 2022, la date de caducité du régime juridique de l’état d’urgence sanitaire ainsi que son application en Guyane et en Martinique jusqu’au 31 décembre 2021 ;

– jusqu’au 31 juillet 2022, le régime de gestion de la crise sanitaire, dont le passe sanitaire, issu de la loi du 31 mai 2021 modifiée par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

       Position de la Commission

La Commission a supprimé cet article.

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   Compte rendu des débats

Lors de sa réunion du mercredi 5 janvier 2022, la Commission examine la proposition de loi visant à restaurer l’État de droit par l’abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire (n° 4744) (Mme Mathilde Panot, rapporteure).

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Mme Mathilde Panot, rapporteure. Cette proposition de loi vise à abroger les régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire : elle implique donc l’abrogation du passe sanitaire et du passe vaccinal, dont nous débattons actuellement, précisément parce que notre ambition n’est pas « d’emmerder les Français » ni de transiger avec les exigences de santé publique.

J’imagine que certains seront tentés de nous traiter d’irresponsables, d’obscurantistes et même d’assimiler cette proposition à une politique digne de Trump ou de Bolsonaro, comme je l’ai entendu de la bouche du ministre des solidarités et de la santé lundi soir, en séance publique. C’est dire la difficulté que vous avez à distinguer la vaccination du passe sanitaire ou vaccinal – et de la critique qu’on peut en faire. Rassurez-vous, nous voudrions remplacer cela par tout autre chose – tout ce que vous ne faites pas aujourd’hui.

Je suis fière de faire partie du camp des réfractaires qui réunit la Défenseure des droits, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui appelle à convaincre plutôt qu’à contraindre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui a demandé, en vain, le bilan sanitaire des instruments liberticides mis en œuvre par le Gouvernement et même, à certains égards, le Conseil scientifique, qui appelle à un changement de cap dans la stratégie de lutte contre le virus.

Commençons par votre premier argument : le passe sanitaire permet de lutter contre l’épidémie. Depuis sept mois qu’il est appliqué, il n’en est rien : les contaminations au variant omicron s’élèvent aujourd’hui à 300 000 cas par jour.

Le vaccin, nous en sommes tous ici convaincus, permet de lutter contre les formes graves. Nous savons aussi que nous pouvons contracter le virus et le transmettre, même avec trois doses. Munies d’un passe vaccinal, des personnes vaccinées pourront se rendre dans n’importe quel lieu fermé, se croire immunisées et contaminer une personne non vaccinée ou vaccinée quelques jours plus tard. Cette illusion de sécurité est contre-productive, voire dangereuse.

Le plus surprenant, c’est que depuis juillet 2021, date à laquelle le passe sanitaire a été déployé, nous n’avons aucune donnée qui permette d’étayer son efficacité. Rien ! Depuis sept mois, vous imposez à la population un dispositif sans fondement scientifique, sans évaluation aucune. Les Français s’interrogent sur ces mesures inintelligibles et arbitraires.

Le 27 décembre, Jean Castex a annoncé l’interdiction formelle d’enlever son masque dans un TGV pour manger un sandwich. On nous annonce que, finalement, on pourra manger en cas de besoin physiologique. Grand seigneur ! Comment définit-on un besoin physiologique ? Est-ce avoir un peu faim ou être à la limite du malaise vagal ? Dans le même temps, on a le droit de s’entasser dans les rames de métro ou dans des salles de classe, dépourvues de purificateurs d’air ; on peut boire un verre, assis, mais pas debout ; on peut enlever son masque chez soi mais on doit le porter en extérieur, bien que la contamination par aérosol soit, en toute logique, plus faible à l’air libre. L’absurdie généralisée, le non-sens permanent !

Prenons le second argument : les passes sont une obligation vaccinale déguisée. Le 29 décembre 2021, en commission des Lois, le ministre Olivier Véran a livré une fine analyse ethnographique du profil des personnes non vaccinées, distinguant trois catégories que je pourrais résumer ainsi : les personnes éloignées du système de santé, les flemmards et les timbrés. Ceux-là, le Président veut les emmerder jusqu’au bout ! De tels propos sont indignes et révèlent la seule ambition de cette mesure qui n’a rien de sanitaire : créer un ennemi de toutes pièces.

Qui pensez-vous convaincre quand Emmanuel Macron stigmatise et insulte de la sorte une partie de nos concitoyens ? Ajouter qu’« un irresponsable n’est plus un citoyen » est un comble de la part d’un président de la Ve République, irresponsable par nature. Après la déchéance de citoyenneté, bientôt l’exclusion des soins des personnes non vaccinées ? Voilà à quel genre de folie ces propos peuvent conduire !

Jeter en pâture une partie des Français permet au Gouvernement d’évacuer sa responsabilité dans le chaos. La vaccination est un fait social : il s’agit d’un acte dont les conditions de mise en œuvre sont produites politiquement ; elles le sont par la confiance. Si des personnes ne sont pas convaincues, c’est aux non-convaincants de rendre des comptes.

Le refus de certaines personnes d’aller se faire vacciner n’est pas étranger aux mensonges obstinés du Gouvernement, sans aucun mea culpa depuis le début de la crise sanitaire : Agnès Buzyn a parlé d’un risque modéré d’importation des cas depuis Wuhan, Sibeth Ndiaye a expliqué que le port du masque n’était pas nécessaire, le Président de la République a nié l’existence d’une pénurie de masques. Et je ne compte pas les méthodes brutales, les récentes déclarations du Président qui hystérisent le débat, l’écrasement du Parlement et l’état délabré de l’hôpital public, dont nos concitoyens sont les spectateurs affligés.

Cette politique sourde et brutale s’est abattue sans discernement dans les outre-mer où l’état d’urgence sanitaire a sans cesse été prorogé, ou redéclaré, par pure commodité. L’obligation vaccinale déguisée y a été imposée à coups de matraque et de gaz lacrymogènes, dans une confusion totale entre persuasion et répression. La santé publique y est abandonnée depuis des années et la population n’a toujours pas accès à l’eau courante pour se laver les mains.

Le Gouvernement cherche à nous rassurer en expliquant qu’il applique, en parallèle, une politique d’« aller vers ». Or le taux de vaccination des personnes de plus de 80 ans est d’à peine 87 %, soit l’un des plus bas sur le plan européen. La politique d’« aller vers » existe-t-elle vraiment ? Où sont les chiffres ? Dans l’hémicycle, on nous parle de porte-à-porte : combien de personnes, avec quels moyens, avec quels arguments ? Jamais la représentation nationale n’a été informée des modalités ou de l’avancement de la campagne vaccinale, comme de bien d’autres choses, tant le Parlement a été piétiné ces derniers mois !

C’est aux régimes d’exception que nous devons cette situation absurde et dangereuse pour notre démocratie. Du 13 novembre 2015 au 1er novembre 2017, et depuis le 23 mars 2020, les états d’exception sécuritaire, sanitaire, ou les deux à la fois, poursuivent de manière quasi continue leur travail de sape démocratique.

Depuis mars 2020, dix lois se sont succédé pour créer et prolonger ces états d’exception, à raison d’une loi tous les deux, trois ou quatre mois, examinées dans des conditions déplorables et dans la précipitation, afin d’avaliser des décisions prises dans l’obscurité du Conseil de défense.

Cette situation nous pose une question fondamentale : à quoi nous habituons-nous ? Une stratégie implacable est à l’œuvre : à l’état de sidération initiale, qui justifiait, aux yeux du plus grand nombre, le déploiement de mesures extraordinaires a succédé un état de lassitude et de résignation. Ces régimes d’exception produisent un effet cliquet redoutable : lorsqu’une mesure est mise en place, elle est comme irréversible. L’accoutumance de notre République aux régimes d’exception présente un véritable danger. De nombreux juristes et défenseurs des droits humains nous alertent – de la Défenseure des droits à la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).

Car ces régimes d’exception donnent lieu à une extension accrue du pouvoir exécutif, réduisent les libertés et produisent un déséquilibre des pouvoirs. Depuis mars 2020, l’exécutif donne ordres et contre-ordres, parle et se renie aussitôt. C’est ainsi qu’Olivier Véran a pu expliquer : « à titre personnel, je ne suis pas favorable à un passe sanitaire pour aller au restaurant, au cinéma ou pour pratiquer des activités de la vie quotidienne. » Comme il est savoureux que vous nous traitiez d’irresponsables quand vous étiez vous-même opposés à cette discrimination !

La culture du contrôle permanent n’est pas la nôtre. Avec le passe vaccinal, partout sur le territoire, des professionnels du transport, de la culture, des commerçants, des restaurateurs, des serveurs et des agents de sécurité contrôleront de manière systématique une autre partie de la population et devront désormais procéder à des vérifications d’identité. Et pour quels résultats? Non, les états d’exception ne garantissent pas la protection vis-à-vis du virus. Une véritable politique sanitaire exige de prendre en compte l’impact des mesures liberticides sur les suicides, la santé mentale des jeunes et des enfants : chez les 11-14 ans, on a relevé en 2021 une augmentation de 61 % des gestes suicidaires, de 140 % des idées suicidaires et de 93 % des troubles de l’humeur. De même, n’existe-t-il pas des conséquences dramatiques en matière de dépistage du VIH, de traitement du cancer, d’accueil en EHPAD, de prise en charge des autres pathologies et, au-delà, de décrochage scolaire et universitaire ?

Mais le Gouvernement persiste et signe, au nom de la théorie des circonstances exceptionnelles. Or, cela fera bientôt deux ans que nous connaissons une pandémie. Je crains que nous n’en soyons qu’aux débuts d’une nouvelle ère, si nous ne nous attaquons pas aux racines du phénomène. Cette crise sanitaire préfigure le type de restriction des libertés publiques que nous pourrions connaître avec le dérèglement climatique.

S’il faut nous habituer, nous devons procéder autrement. Une autre gestion sanitaire est possible. Dans les années 1980, on n’a pas attendu de trouver un vaccin pour lutter contre le VIH : on a privilégié les gestes barrières – le port du préservatif – et le dépistage. Vous, vous déremboursez les tests et vous faites du passe l’alpha et l’oméga de votre politique de santé.

Cette idée fixe n’a d’autre objet que de dissimuler la casse méthodique de l’hôpital public. Depuis le début du quinquennat, 17 900 lits ont été fermés. En 2020, ce sont 5 700 lits d’hospitalisation complète qui ont disparu, alors que la population endurait les deux premiers confinements – confinements justifiés par la saturation des capacités hospitalières dont vous êtes tributaire. Aujourd’hui, des personnes atteintes de maladies chroniques subissent des déprogrammations d’opérations et des retards de diagnostic, des enfants ne peuvent être admis aux urgences pédiatriques, faute de lits et de soignants.

Il est temps de mettre en place une véritable démocratie sanitaire où le Parlement et les citoyens pourront décider collectivement de la stratégie à adopter face au covid et aux futures épidémies.

Les alternatives existent : restauration d’un service public hospitalier gratuit et de qualité, avec formation, embauche et augmentation des salaires des personnels ; tests gratuits ; généralisation des purificateurs d’air ; instauration de roulements pour le travail, les transports et les écoles ; création d’un pôle public du médicament.

Où en est-on de la distribution gratuite des masques FFP2, notamment aux enseignants et aux personnels de l’éducation ? Des chaînes de production pour en produire ? Des capteurs de CO2 ? Où en est-on du plaidoyer de la France en faveur de la levée des brevets sur les vaccins, afin de faire du vaccin un bien public mondial ? Car nous ne sortirons pas seuls de cette épidémie. Garantir un accès universel au vaccin relève de l’intérêt général humain. Toutes ces mesures correspondent à des amendements ou à des propositions de loi que vous avez refusés.

Une réelle politique de santé publique, pensée sur le long terme, doit se substituer au chantage permanent qui consiste à opposer protection de la santé et sauvegarde des libertés. Couvre-feux intempestifs, confinements à répétition, applications téléphoniques, QR code, passe sanitaire, passe vaccinal, il est temps d’en finir avec cette fuite en avant autoritaire. Collègues, il est temps de retrouver le goût de la liberté !

M. Guillaume Gouffier-Cha (LaREM). Le 16 mars 2020, à 20 heures, le Président de la République annonce la mise en place d’un confinement. Deux mois plus tôt, le gouvernement chinois avait placé progressivement sous quarantaine plusieurs villes, avant l’Italie, le 9 mars, et l’Espagne, le 15 mars.

Le monde entier découvre alors les courbes exponentielles des contagions et des morts. Quels que soient les systèmes de santé, tous les pays doivent prendre des mesures importantes pour enrayer une épidémie dont on ne connaît que le nom et à peine quelques symptômes. En France, les premières mesures sont prises par la combinaison d’un article du code de la santé publique relatif aux menaces et crises sanitaires graves et de la théorie des circonstances exceptionnelles, si rarement utilisée dans notre histoire récente.

Le 18 mars 2020, un projet de loi est présenté en Conseil des ministres : il vise à encadrer juridiquement l’état d’urgence sanitaire afin de sécuriser les mesures qui ont été prises et de prévoir, compte tenu de leur ampleur, le contrôle du Parlement. Nous accordons alors au Gouvernement des pouvoirs exceptionnels et temporaires, extrêmement encadrés : les décrets de mise en œuvre feront l’objet de recours devant les juridictions administratives, seule une loi pourra proroger le régime de l’état d’urgence sanitaire – ce sera le cas de la loi du 11 mai 2020 – et le Gouvernement devra remettre des rapports très réguliers, faisant état des mesures prises. La loi du 9 juillet 2020 prévoit que dès lors que les pouvoirs octroyés au Gouvernement ne seront plus nécessaires, ils ne seront plus utilisés.

C’est cela un État de droit. C’est cela, agir en responsabilité.

Parce que nous savons la situation fragile – l’été suivant en attestera –, nous mettons alors en place un régime de sortie de la crise sanitaire. Des pouvoirs sont accordés au Gouvernement, là encore, mais dans une moindre mesure. Plus de confinement, plus de couvre-feu, mais le contrôle du Parlement se poursuit et le Gouvernement doit continuer de lui remettre des rapports et les deux chambres peuvent, dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures, requérir toute information complémentaire.

C’est cela un État de droit. C’est cela, agir en responsabilité.

Depuis le début de l’épidémie, plus de 55 heures ont été consacrées à ces travaux en commission, plus de 135 heures en séance publique, sans compter les débats en cours. À cela, s’ajoute l’important travail de contrôle, avec la remise de rapports et des auditions régulières du ministre de la santé et du président du comité scientifique.

Le Conseil constitutionnel exerce aussi son contrôle : à l’été 2021, il a censuré une disposition concernant l’isolement obligatoire, que nous pensions utile. Nous en avons pris acte, sans jamais remettre en question son contrôle.

C’est cela un État de droit. C’est cela, agir en responsabilité.

Au printemps 2021, après deux périodes d’état d’urgence sanitaire, le pays regagne progressivement les libertés qui ont été restreintes par nécessité. Il faut alors trouver des outils qui permettent de retourner à la vie normale sans compromettre une situation encore fragile. Nous découvrons ce qu’est un variant.

Le Parlement prévoit, avec la loi du 31 mai 2021, la mise en place d’un passe sanitaire, d’abord pour les grands rassemblements. Le dispositif est élargi aux lieux ayant une certaine capacité d’accueil, mais la jauge est écartée. Alors que le rebond épidémique menace d’être particulièrement fort, la loi du 5 août 2021 prévoit l’application du passe aux bars et aux restaurants. Le dispositif est proportionné, s’agissant du recueil de données. Le fait de conserver l’une de ces informations constitue un délit, tout comme celui de demander l’un des justificatifs hors les cas prévus par la loi.

C’est cela un État de droit. C’est cela, agir en responsabilité.

La situation sanitaire s’améliore, malgré l’apparition de variants bien plus contagieux, delta puis omicron. Pourtant, le pays tient, la vie est presque normale, grâce à une vaccination massive, à l’esprit exemplaire d’une grande majorité des citoyens et aux mesures de freinage.

Voilà l’histoire du régime de l’état d’urgence sanitaire et du régime de gestion de la sortie de crise sanitaire, deux régimes qui ont permis depuis mars 2020 de protéger la santé des Français et que le groupe FI propose ce matin de supprimer, purement et simplement.

Que proposez-vous, face à une crise sanitaire d’une telle ampleur ? De ne rien faire, si j’en juge vos interventions dans le cadre de l’examen du nouveau projet de loi ? De créer des lits d’hôpitaux supplémentaires, alors même que, sans mesures de freinage, aucun pays n’aurait pu encaisser le nombre d’hospitalisations que prédisaient les scénarios, pourtant optimistes, au début de la crise.

Cette proposition de loi est dangereuse. Vous omettez volontairement ce qu’ont permis les régimes de gestion de la crise sanitaire : un équilibre constant entre la protection de la santé des Français et les libertés constitutionnellement garanties. Grâce à ces outils, cela fait un an et demi que nous tenons, dans la tempête épidémique. Nous avons toujours eu la conviction que l’esprit de responsabilité devait l’emporter sur les vaines querelles politiciennes.

C’est cela, un État de droit. C’est cela, agir en responsabilité. Nous voterons contre cette proposition de loi.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Le groupe Les Républicains ne s’est jamais opposé au principe même d’un état d’exception. Au regard de la situation que nous avons connue et des problèmes qu’il nous reste à traiter, recourir à un état d’exception est plutôt bon signe. Heureusement que les règles de privation de liberté, que certaines règles sanitaires, que des règles de restriction de nos interactions sociales ont été construites dans le cadre d’un état d’exception et non dans le cadre du droit classique. Autrement, cela supposerait que ces règles survivent à la crise sanitaire.

Depuis le début de la crise, nous avons toujours été attentifs à la façon dont cet état d’exception était reconduit. Nous ne nous sommes jamais opposés à sa reconduction, mais nous avons toujours été particulièrement vigilants et exigeants – ce qui a souvent conduit à nous opposer – quant à sa temporalité.

De mémoire d’homme, nous sommes confrontés à une crise inédite. Nous sommes face à une menace que nous ne connaissions plus ou que nous n’avions plus l’habitude de gérer. Il fallait que nos outils juridiques s’adaptent aux tâtonnements naturels, évidents et nécessaires des politiques publiques. Oui, nous tâtonnons dans la gestion de cette crise, car nous ne savons pas nécessairement où nous allons.

Nous nous sommes battus et mobilisés pour que les outils juridiques que nous déployions pour gérer cette crise s’adaptent à l’évolution de la découverte technique et scientifique. Nous n’avons pas toujours été entendus. Ce fut le cas lors de la dernière prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui va bien au-delà d’un délai qui nous semble raisonnable et respectueux du débat parlementaire, et donc de la souveraineté nationale. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous sommes opposés au dernier texte d’urgence sanitaire. L’actualité nous a donné raison puisque nous revoilà en train de discuter d’un nouveau texte, dont l’appellation « adaptation des outils de la gestion de crise », certes, est différente, mais qui n’est, en fait, que la poursuite de ce tâtonnement progressif et de cette découverte d’éventuels nouveaux outils utiles pour juguler la crise.

Telle a toujours été la position du groupe Les Républicains. Si nous ne sommes pas opposés aux outils de gestion de la crise, nous avons toujours demandé qu’ils soient monitorés, contrôlés au plus près par la représentation nationale au regard de l’impact qu’ils ont sur le quotidien des Français.

Nous ne pouvons donc pas soutenir la suppression pure et simple de l’état d’urgence sanitaire. Nous pensons que le contrôle doit toujours en être renforcé, que la surveillance et le questionnement du Gouvernement par la représentation nationale doivent être accrus ; nous pensons aussi qu’il est nécessaire de laisser au Gouvernement les moyens de gérer cette crise sanitaire afin d’en sortir au plus vite.

Alors que des échéances électorales majeures se profilent dans quelques semaines, la gestion de la crise sanitaire est devenue plus politique et plus électoraliste que sanitaire. Nous le regrettons. Votre proposition de loi arrive à un moment où, malheureusement, elle contribue à la politisation de la crise sanitaire et sert, in fine, les intentions du Président Emmanuel Macron, candidat à sa succession.

M. Erwan Balanant (DEM). Depuis 2020, la France, comme le reste du monde, vit une situation hors norme causée par une pandémie que nul pays en Europe n’a durablement réussi à endiguer. Depuis 2020, la vie de nos concitoyens, la vie même de notre démocratie sont rythmées par des vagues épidémiques successives que nous affrontons collectivement. Depuis 2020, nous avons toujours, me semble-t-il, agi avec réalisme, en tenant compte non pas de considérations politiciennes mais de la science et de l’intérêt général. Depuis deux ans, les Français ont fait preuve d’une résilience formidable qu’il faut remarquer et saluer. C’est aussi cette force qui nous a permis de tenir.

Pour protéger les Français, nous avons adopté des mesures exceptionnelles, des mesures parfois difficiles, mais toujours guidées par la nécessité. Dès mars 2020, notre groupe a soutenu la création d’un état d’urgence sanitaire qui a doté le Gouvernement d’outils permettant de réagir rapidement et efficacement à la situation. Les confinements et les couvre-feux ont mis à l’épreuve nos concitoyens, mais ont permis d’endiguer l’épidémie et de maintenir à flot notre système de santé.

Par la suite, le développement du vaccin nous a ouvert une porte de sortie à long terme ; le groupe démocrate a alors plaidé avec force pour la mise en place d’un régime transitoire permettant de sortir de l’état d’urgence, sans pour autant baisser la garde. Nous avons souligné l’importance d’imposer des garde-fous démocratiques et de ne maintenir des restrictions qu’à condition qu’elles soient proportionnées aux risques. C’est le fil conducteur de notre action depuis le début de cette crise.

Toutefois, nous avons toujours mis en garde contre l’erreur qui consisterait, sous la pression des médias ou du vœu légitime de nos concitoyens d’en finir avec cette crise, à se précipiter, en jetant à l’eau les outils qui sont nécessaires pour nous protéger.

Cet été, nous avons fait face à l’émergence du variant delta, inédit par sa contagiosité et sa dangerosité. Alors que nous disposions du vaccin, il aurait été intolérable de laisser la situation hors de contrôle. Nous avons donc adopté le régime transitoire, afin d’inclure le passe sanitaire. Celui-ci n’est finalement rien d’autre qu’un passe pour la liberté. Il a permis de laisser ouverts les établissements que nous aimons fréquenter, les lieux de culture, les bars, les restaurants, les écoles. Il me semble que le passe sanitaire est tout le contraire d’un outil de contrainte. Il nous a permis de traverser la quatrième vague cet été, en évitant une masse considérable d’hospitalisations et de décès, malgré des taux de contamination élevés.

Que préconisaient les oppositions ? Je m’en souviens parfaitement : détruire des dizaines de milliers d’emplois, détruire des entreprises, attaquer le moral des Français, notamment des plus jeunes, en reconfinant le pays et en arrêtant la vie sociale. Je suis sensible aux chiffres que vous avez donnés, madame la rapporteure, concernant la jeunesse : elle est abîmée et il faudra la soutenir davantage encore.

Le Conseil scientifique, autorité indépendante, a souligné toute l’utilité du passe pour atteindre un des taux de vaccination les plus élevés du monde. Vous avez critiqué l’absence chiffres. Ils existent pourtant : 10 millions de personnes supplémentaires se sont fait vacciner après l’instauration du passe sanitaire. On peut se poser la question : êtes-vous vraiment pour la vaccination ? Ma remarque n’est nullement polémique.

Sur la recommandation du Conseil scientifique, qui nous alertait notamment sur le risque d’émergence d’un nouveau variant – tiens, tiens ! –, nous avons voté la prolongation du passe sanitaire. Celle-ci s’est accompagnée de la mise en œuvre d’un état de vigilance sanitaire, en faveur duquel le groupe démocrate avait plaidé avec force, ce qui a permis de maintenir des outils à la disposition du Gouvernement, tout en associant étroitement le Parlement à leur utilisation. Nous continuons d’assumer cette ligne avec l’instauration du passe vaccinal.

Madame la rapporteure, à l’heure où les menaces à l’encontre de députés prolifèrent, sous l’effet de la désinformation, du scepticisme et de l’antiparlementarisme ambiant, il est particulièrement irresponsable – utiliser ce terme me peine – d’affirmer que les mesures que nous avons adoptées violent l’État de droit. C’est tout le contraire. L’Assemblée a été saisie de douze textes, ce qui signifie qu’elle a été consultée bien plus que douze fois. À chaque fois, nous avons voté ces textes en toute indépendance et en pleine connaissance de cause. Nous avons prévu de nombreux dispositifs assurant le contrôle régulier plein et entier du Parlement sur l’action gouvernementale.

Il est tout aussi irresponsable, en plein milieu d’une cinquième vague épidémique où le taux de contamination bat tous les records, de proposer au Parlement de renoncer à ces outils, à la fois nécessaires et entourés de garanties démocratiques fortes. Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés votera contre ce texte.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Les sujets extrêmement complexes dont nous débattons embrassent toute l’organisation de nos institutions. Aussi est-il difficile, en seulement quelques instants, d’échanger et de construire de façon positive.

Derrière l’excès de la proposition de loi, qui explique que les pleins pouvoirs sanitaires sont donnés à l’exécutif, le seul fait d’évoquer les régimes d’exception revient à oublier une réalité objective : la France est dotée d’un Conseil constitutionnel – que nous avons saisi – et d’un juge administratif – qui n’a pas non plus failli en appliquant, dans un État de droit, les dispositions prises sous ce régime d’exception. Il ne faudrait pas qu’on puisse laisser nos concitoyens penser que nous sommes dans un régime où le Parlement ne fait rien, que l’exécutif a la main sur tout. Ce serait nier notre travail parlementaire qui reste, j’en conviens, très insuffisant. Comme vous, je déplore que le Parlement, dans son ensemble, soit insuffisamment entendu. Nous l’avons ressenti au cours du précédent quinquennat, comme nous le ressentons à l’heure actuelle. Je pense qu’il arrive que la majorité le vive tout aussi mal. À titre personnel, travailler, animée de mes convictions, dans une concertation plus construite avec les divers groupes, est ce vers quoi je tends.

L’état d’exception figure dans notre Constitution, et c’est une bonne chose. Qu’on puisse le mettre en mouvement à l’occasion de la crise sanitaire me semble important. Je vous rejoins sur la nécessité d’encadrer fortement sa temporalité, car s’installer dans un état d’urgence peut se révéler dangereux. C’est une situation que nous avons vécue en 2015, et que nous vivons à nouveau aujourd’hui. Nous restons donc extrêmement vigilants.

Les clauses de revoyure que nous proposons dans le texte actuellement en examen sont essentielles, même si l’élection présidentielle nous empêchera probablement de nous retrouver dans deux mois. Elles ne sont pas une clause de style. Il est essentiel que le Parlement rappelle qu’il est là, non pour débattre, mais pour évaluer, au regard de données, notamment statistiques – dont nous ne disposons pas toujours – l’importance de cette exception, qui doit demeurer sous son contrôle. Je vous rejoins sur ce volet relatif au contrôle du Parlement. Nous avons agi en responsabilité en votant des textes, parce que nous pensions que la situation l’exigeait, tout en regrettant, en effet, que des garde-fous ne soient pas instaurés.

Nous devons nous interroger moins sur la suppression de l’outil que sur la façon dont il est utilisé. Nous partageons nombre de vos constats sur l’hôpital et sur la désertification médicale, qui est dramatique : 10 millions de personnes n’ont plus de médecin référent, c’est dire qu’elles ont renoncé à l’accès aux soins depuis longtemps ; les jeunes ne consultent plus car ils n’ont pas de médecin ou craignent que le prix de la consultation soit trop élevé.

Il est nécessaire d’encadrer fortement cet outil. Le Parlement aurait dû faire en sorte que les décisions prises dans le domaine réglementaire soient discutées en même temps que les décisions prises au niveau législatif, et qu’elles soient partagées. Car la lassitude de nos concitoyens est extrême : ils ne savent pas très bien ce que les parlementaires décident en ce moment, ce sur quoi ils ont la main, tandis que les décisions prises par l’exécutif ont de fortes répercussions sur leur vie quotidienne. Il convient donc de clarifier le rôle des parlementaires et d’imposer, dans un état d’exception, un partage plus resserré du travail réglementaire, au travers, par exemple, de la mise en place d’un groupe de travail.

M. Dimitri Houbron (Agir ens). Je pensais qu’il était inutile de rappeler les raisons pour lesquelles nous avons été amenés à prendre des décisions douloureuses depuis presque deux ans, des décisions acceptées par nos concitoyens, bien conscients qu’aucun pays n’échapperait à cette pandémie, qu’importent les dirigeants. Et pourtant, nous voilà réunis pour examiner une proposition de loi qui vise tout simplement à supprimer, à défaut du virus, les règles sanitaires !

L’exposé des motifs met en lumière les fondements erronés de cette proposition de loi et ne fait que révéler les positions du groupe FI. La covid-19 ? Une aubaine pour le pouvoir macronien, qui l’utiliserait pour museler le pays et s’assurer une réélection. Le passe sanitaire ? Une mesure inefficace – comme toutes les autres d’ailleurs – prise dans le secret du Conseil de défense.

Vous expliquez que, grâce au régime de l’état d’urgence sanitaire, l’exécutif aura tous les pouvoirs pour bâillonner le débat démocratique à l’aube des élections présidentielle et législatives. C’est oublier que nous avons connu, pendant la pandémie, trois scrutins électoraux dont les résultats, pardonnez l’euphémisme, n’ont pas été très favorables à la majorité. Mais il a été aussi reproché au Gouvernement d’avoir maintenu ces élections, comme il lui a été reproché d’avoir pensé à les reporter de quelques semaines.

Aucune mesure sanitaire ne peut entraver l’expression de la démocratie. D’ailleurs, La France insoumise pourra prochainement en témoigner car, en vertu de notre Constitution, et comme toutes les formations politiques, elle ne sera pas concernée par les jauges établies pour les événements, en intérieur et en extérieur.

Vous déplorez le fait que le Parlement ne pourra pas débattre avant le mois de juillet en raison des élections, mais vous regrettez aussi la « continuité d’une valse de textes de loi votés par la majorité présidentielle depuis le 23 mars 2020 et leurs décrets d’application. » Parfois nous ne votons pas assez, parfois nous votons trop. Il faut choisir !

Dans le même paragraphe, vous indiquez que l’état d’urgence sanitaire a été « désactivé, réactivé, prolongé, puis re‑prolongé, selon le bon vouloir du Gouvernement, en particulier dans les territoires d’outre‑mer. » Le Gouvernement est responsable de ne pas connaître à l’avance l’évolution d’une épidémie mondiale, de ne pas prédire l’apparition des variants, de ne pas contrôler ses formes, dans des pays étrangers comme le Brésil, l’Afrique du Sud ou encore l’Inde, qui affectent les territoires ultramarins.

S’agissant du Conseil de défense, vous expliquez que « tout ce qui s’y dit est couvert par le secret‑défense. Ainsi, les participants s’exposent à des poursuites pénales s’ils révèlent tout ou partie des discussions ou des propos tenus par Emmanuel Macron. » Cette phrase, qui laisserait croire au retour des lettres de cachet, dissimule le fait que la France est le seul pays au monde où des perquisitions ont été effectuées au domicile d’un Premier ministre et de deux ministres à la suite de plaintes. C’est bien la preuve que rien n’est bâillonné. Il est irresponsable de laisser croire à l’existence d’un clan autocratique, enfermé dans un bureau, qui dicterait le quotidien de 67 millions de personnes.

S’agissant de la prétendue inefficacité du passe sanitaire, je relève que les pays qui s’y étaient refusés ont dû revoir leur copie et prendre des décisions beaucoup plus strictes. En Allemagne, le passe sanitaire est désormais obligatoire dans les entreprises et les transports ; les Néerlandais ont passé les fêtes de fin d’année confinés et le resteront jusqu’au 14 janvier ; l’Espagne a réinstauré l’obligation du port du masque à l’extérieur.

Vous proposez de rendre à nouveau les tests gratuits en oubliant que, depuis le 15 octobre, ils ne sont payants que pour les majeurs non-vaccinés. Ceux-ci peuvent bénéficier de la gratuité si leur état de santé le justifie, s’ils sont cas contact, lorsqu’ils présentent une prescription médicale ou qu’ils ont besoin d’un test négatif pour recevoir des soins en établissement de santé. Loin d’être froide et inhumaine, la règle est juste et proportionnée.

Bien que vous ayez concédé que le vaccin évite les formes graves de la maladie, il est permis de croire que vous n’en ferez jamais une arme contre le virus.

Nous voterons contre cette proposition de loi visant à abroger tout l’arsenal juridique relatif à la crise sanitaire.

Mme Caroline Fiat (FI). L’histoire est souvent réécrite. Nous allons donc remonter dans le passé. Au mois de janvier 2020, Agnès Buzyn – que nous félicitons d’avoir été décorée de la légion d’honneur – nous annonçait que nous disposions d’un stock de masques en cas de pandémie, mais qu’il ne fallait pas s’inquiéter car le virus n’arriverait pas en France et que tout était sous contrôle. Nous voyons où nous en sommes !

Notre collègue du groupe MODEM a déclaré, en substance, que nous avions agi avec réalisme et science. Le stock de masques était tel que les soignants sont allés travailler sans masque ni gants. Je remercie d’ailleurs les entreprises de sacs-poubelles, dont celles de Ludres en Meurthe-et-Moselle, qui ont stoppé leurs chaînes pour fabriquer des tenues en sacs-poubelles pour les soignants, et qu’ils ont vendues sans réaliser de marge.

S’agissant de la vaccination, la position de La France insoumise est de convaincre plutôt que contraindre – nous ne le rappellerons jamais assez. J’ai été moi-même menacée, comme beaucoup d’entre vous, pour avoir remercié dans un tweet du 5 janvier 2021 le directeur du CHU de Nancy, où je travaillais en réanimation covid, d’avoir retiré la contrainte d’âge qui permettait aux seuls soignants de plus de 50 ans travaillant dans les services à risques de se faire vacciner. Cela m’a valu d’être accusée d’avoir incité à la vaccination, et d’avoir conduit à la mort les personnes concernées. Je rappelle donc qu’inciter à la vaccination n’a été simple pour personne. Notre position sur ce sujet a été claire dès le 5 janvier 2021.

Lorsqu’Olivier Véran expliquait que, quand 90 % de la population serait vaccinée, le Gouvernement retirerait le passe sanitaire et qu’alors la crise serait derrière nous, nous répondions que ce n’était certainement pas la seule position à adopter, que la vaccination ne réglerait pas tout, et que la stratégie « tester, tracer, isoler » s’imposait.

Lors de l’examen du texte en commission, la semaine dernière, je n’ai cessé de répéter qu’il était ubuesque de vouloir à la fois diminuer le nombre de jours d’isolement et imposer le passe vaccinal, car cela conduirait à une augmentation du taux de contamination. Le rapporteur m’a répondu que le délai d’isolement pouvait être raccourci car il était probable que la contagiosité des personnes contaminées diminuait au bout de cinq jours. Est-ce cela, agir avec réalisme et science ? À force de répéter la même chose, nous avons obtenu que le nombre de jours d’isolement soit réduit, mais seulement en cas de test négatif.

Il faut tester, mais on constate l’insuffisance du nombre de tests dans notre pays. Par ailleurs, même si nous ne cessons de le répéter, vous ne voulez pas entendre qu’il faut produire des tests pour pouvoir les proposer en nombre suffisant.

Enfin, il faut tracer. Les employés des caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) n’ont cessé de le dire, jusque dans la presse : ils ne sont pas assez nombreux pour rappeler toutes les personnes contaminées, repérer les cas contact et les prévenir. Sans traçage, on ne peut pas protéger nos concitoyens. Tout miser sur la vaccination ne permet pas de protéger nos concitoyens.

Cela passe aussi par la société du roulement. Lundi soir, dans l’hémicycle, le ministre Véran a repris, sans le savoir, l’ensemble de notre argumentaire lorsqu’il a évoqué les stades de football. Il a expliqué que l’on ne pouvait pas accepter plus de 5 000 personnes dans un stade, car cela supposait qu’elles prennent toutes le métro en même temps pour s’y rendre. Le même raisonnement pourrait s’appliquer au travail ! Or cela ne semble pas poser de problème au Gouvernement : contaminez-vous dans le métro en allant travailler !

Chers collègues, il va falloir réfléchir à ce que vous faites et répondre quand on vous propose des solutions. Vous avez voté contre un amendement d’un député du groupe MODEM encourageant les purificateurs d’air. S’agissant des moyens que nous vous proposons d’octroyer aux établissements de santé, le Ségur ne suffit pas et on constate que les démissions continuent de progresser. Et non, n’en déplaise à ceux qui avaient peut-être lu l’article du Parisien avant l’heure, elles ne sont pas dues aux non-vaccinés. Nous vous proposons d’auditionner les représentants des 180 000 infirmiers diplômés d’État qui pourraient revenir si des propositions leur étaient faites.

Une précision d’importance, sur le tri. Le tri signifie qu’une personne arrive aux urgences et qu’on ne la prend pas. C’est, pour moi, une ligne rouge à ne pas franchir. Des pays ont vécu le tri, lorsque, au début de la crise, des parents, des enfants se sont entendu dire : on n’admet pas votre proche, on ne lui donne pas sa chance. En France, nous n’avons jamais été confrontés à de telles situations. Aujourd’hui, il n’y a pas de tri.

Je suis informée constamment par des capteurs, sur le terrain. Des personnes ayant refusé de se faire vacciner arrivent aux urgences, obligeant le transfert d’autres patients. Mais nous ne sommes pas dans une situation où les services ne seraient pas en mesure d’accueillir tous les patients. Dans la mesure où vous justifiez votre politique – passe vaccinal, urgence sanitaire – par les déprogrammations et le tri dans les hôpitaux, il faudra expliquer que les soignants mentent. Ou alors, le Président de la République et Olivier Véran mentent.

M. Jean-Pierre Pont. Vous vous trompez !

Mme Caroline Fiat. Je viens de citer les propos du Président de la République, repris dans Le Parisien.

Enfin, vous dites avoir suspendu les soignants non-vaccinés par altruisme, pour protéger les patients. Comment alors expliquer à un patient contaminé à l’hôpital que vous avez employé, aujourd’hui comme en novembre 2020, des soignants vaccinés mais positifs, qui risquaient de l’infecter ?

Vous me dites que l’urgence sanitaire ne piétine pas la démocratie ; je vous réponds qu’il y a bien des choses à revoir !

Mme Caroline Abadie. Madame la rapporteure, nous vous avons écoutée réécrire l’histoire. Que chacun assume la responsabilité des termes qu’il emploie. Vous avez indiqué que les non-vaccinés étaient timbrés et flemmards ; j’espère que vous garderez ces termes pour vous, personne ne les a jamais prononcés avant vous ! Vous avez indiqué que le Président de la République avait déclaré vouloir « emmerder les Français ». Cela non plus, il ne l’a pas dit, il parlait des non-vaccinés. Je rappelle, en outre, qu’il s’agissait d’une expression spontanée, prononcée devant un public de soignants qui venaient d’exprimer leur grande fatigue.

À vous écouter, il n’aurait fallu que quelques incantations pour que les Français se fassent vacciner. Mais, madame la rapporteure, si nous n’avions pas embêté les non-vaccinés dès le mois de juillet, combien de morts supplémentaires aurions-nous connues en France ? Certains les chiffrent à plus de 4 000 par mois.

Alors, oui, embêter les non-vaccinés, c’est les sauver. Embêter les non-vaccinés c’est éviter des décès. Parmi les 342 personnes mortes hier – cent fois plus nombreuses qu’il y a quelques semaines –, 80 % d’entre elles n’étaient pas vaccinées.

Enfin, embêter les non-vaccinés, c’est permettre aussi à nos soignants de traiter des pathologies pour lesquelles, malheureusement, il n’existe pas de vaccin ! Gardez cela en tête, je vous prie !

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Madame Abadie, vous dites « embêter » plutôt qu’« emmerder », je constate que vous êtes plus polie que le Président de la République ! Lorsque j’évoquais les trois catégories de non-vaccinés, les personnes éloignées des soins, les flemmards et les timbrés, je ne faisais que traduire les propos tenus par Olivier Véran en commission, lors de l’examen du texte dont nous débattons aujourd’hui en séance publique.

Je ne vois pas en quoi – et personne ici n’a avancé les arguments qui le prouveraient – un passe, sanitaire ou vaccinal, pourrait aider, dans la situation où nous sommes. M. Balanant m’a opposé un chiffre : 10 millions de Français sont allés se faire vacciner. Oui, mais à quel prix ? Alors que l’OMS explique qu’il est préférable de convaincre que de contraindre, la politique que vous conduisez a radicalisé, dans sa défiance, tout une partie de nos concitoyens. Vous nous décrédibilisez en expliquant que nous sommes peut-être contre les vaccins. Nous l’avons répété 25 000 fois, je le redirai encore une fois : nous sommes pour la vaccination, nous croyons qu’elle empêche les formes graves. Seulement, nous pensons qu’elle n’est qu’un outil, parmi d’autres, pour lutter contre l’épidémie.

Vous ne pouvez pas, dans le même temps fermer des lits et supprimer 7 900 postes dans l’enseignement. C’est ainsi que, dans vos circonscriptions, faute de remplaçants, des enfants n’ont pas cours ou se retrouvent dans des classes bondées. Deux ans après le début de l’épidémie, les salles ne sont toujours pas équipées de purificateurs d’air et les enseignants, comme l’ensemble des personnels éducatifs, ne disposent pas de masques FFP2, censés diviser par cent les risques de contamination. C’est cela qui est insupportable !

En Guadeloupe, les gens n’ont pas accès à l’eau pour le lavage des mains, premier des gestes barrières. À quoi sert-il d’envoyer le GIGN et le RAID ? À quoi sert-il d’appliquer une politique de contrainte ? À quoi sert-il que le Président de la République ait des mots aussi insultants quand, dans certains territoires, 65 % des personnes ne sont pas vaccinées ? Croyez-vous vraiment que vous allez les convaincre ?

Interrogez-vous sur l’un des chiffres que je vous ai livrés : 13 % des plus de 80 ans ne sont pas vaccinés. Ce ne sont pas des antivaccin, ce sont des personnes qui vivent en zone rurale, dans des déserts médicaux, éloignées des systèmes de soins, qui n’ont pas accès aux sites Vite Ma Dose ou Doctolib, lesquels ne sont pas des dispositifs publics de santé. Pourquoi la France est-elle l’un des derniers pays d’Europe où les plus fragiles, les personnes de plus de 80 ans, ne sont pas vaccinés ? Parce que, précisément, les outils utilisés sont inefficaces.

Tout le monde comprend que, pour se rendre dans un établissement recevant du public, un test négatif, pratiqué la veille ou le jour même, est plus fiable qu’un passe sanitaire ou vaccinal. Alors pourquoi les tests sont-ils aujourd’hui payants ?

Certains d’entre vous se sont essayés à retracer l’histoire du covid, vue du côté politique. Mais il faudra, un jour, écrire l’histoire du covid, vue du côté du peuple, et rappeler que le premier Conseil des ministres extraordinaire sur le covid a été l’occasion de décider de l’emploi de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire passer la réforme des retraites. Ce n’était pas prendre la situation au sérieux que d’agir ainsi !

Oui, avec cette proposition de loi, nous voulons réaffirmer que les passes ne sont pas des outils scientifiques, que nous devrions utiliser d’autres politiques d’« aller vers » et d’autres façons de convaincre, accorder plus de moyens à l’hôpital et procéder à la levée des brevets sur les vaccins.

Collègues, vous avez tous souligné que nous découvrions un variant. Si nous ne levons pas les brevets, ce que la France a refusé à deux reprises, nous en découvrirons beaucoup d’autres. L’OMS – dont, je l’espère, vous respectez les avis – nous a alertés encore récemment sur le risque de prolonger l’épidémie en procédant à des rappels de vaccination à tout-va, sans distinction.

M. Schellenberger a déclaré que se priver de régimes d’exception serait accepter que ces règles persistent. Telle est, en effet, notre plus grande crainte. D’ailleurs, certains juristes vous alertent sur le fait que des glissements de l’État de droit pourraient se produire et s’inscrire dans le droit commun, comme nous l’avons déjà vu à la suite d’états d’urgence sécuritaire.

Cela est d’autant plus inquiétant que l’épidémie de covid-19 ne sera sans doute pas la seule à laquelle nous devrons faire face. Les zoonoses ont été multipliées par dix en cinquante ans et nous connaîtrons des événements climatiques extrêmes dus au dérèglement climatique. Dès lors, la solution ne peut résider, périodiquement, dans l’établissement de régimes d’exception. Elle doit passer par la démocratie. Prendre des décisions en Conseil de défense n’est pas seulement nuisible pour notre démocratie, mais s’avère contre-productif, car les décisions– qu’elles soient effectivement dénuées de sens ou qu’elles changent constamment – ne sont pas comprises.

Le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire court jusqu’au 31 juillet 2022. Nous ne disons pas qu’Emmanuel Macron sera réélu, mais enjamber les élections présidentielle et législatives est déjà extrêmement problématique. La question de la temporalité a été soulevée. Il n’est pas vrai que le Parlement garde un pouvoir de contrôle face aux pouvoirs exceptionnels qui sont confiés à l’exécutif. Si le Gouvernement décide de mettre en place un couvre-feu ou un confinement, il dispose d’un délai d’un mois pour consulter le Parlement ! Si vous voulez conserver des régimes d’exception, ce que nous trouvons dangereux et inefficace, il convient, au minimum, que le Parlement ait, lui aussi, un pouvoir de contrôle exceptionnel.

Quant à l’élection présidentielle, l’instauration, ou la prolongation, de l’état d’urgence sanitaire à La Réunion et à la Martinique, aura des répercussions. Le Conseil constitutionnel a demandé que le passe vaccinal ne s’impose pas pour l’accès aux meetings politiques. Dans moins de cent jours, les citoyens devront décider du projet qu’ils veulent pour les cinq prochaines années et je ne vois pas comment nous pourrions exclure des meetings ceux qui souhaitent se forger une idée ni empêcher des candidats de faire campagne dans certains territoires.

Oui, trois élections se sont déjà déroulées en période covid. Que s’est-il passé ? Lors des dernières élections régionales, 85 % des jeunes se sont abstenus. Voulez-vous que le Président de la République soit choisi en dépit d’un tel taux d’abstention ?

Notre premier défi, c’est de faire en sorte de restaurer la démocratie sanitaire, que les enseignants, les syndicats, les travailleurs de certaines unités de production définissent la façon dont la démocratie sanitaire doit s’insérer, à leur échelle. Ne sont-ils pas les mieux à même de savoir comment se protéger ?

Sans un système de santé restauré, un écran de fumée obscurcira toute discussion sur la conduite des politiques de santé. Le maître-mot devrait être celui de la confiance, or les états d’exception et les passes la détruisent méthodiquement, instaurant la défiance. Nous pourrions faire bien mieux dans notre pays, d’autant que la France fera face à de nouveaux défis, qui soulèveront les mêmes questions.

 

 

Article unique (chapitre Ier bis du titre III du livre Ier de la troisième partie et art. L. 3136-1 du code de la santé publique, art. 7 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et art. 1er à 4 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire) : Abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire

 

La commission rejette l’article unique.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi rejeté.

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*     *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à restaurer l’État de droit par l’abrogation des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire (n° 4744).


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   Personnes entendues

 


([1]) Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleur, deuxième partie.

([2])              Sur le lien entre « mégaprofits et mégadésastres », voir Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, 2008.  

([3]) La loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, a intégré les dispositions de la loi du 3 avril 1955  relatives aux mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ou de visites et saisies au sein du code de la sécurité intérieure.

([4])              Loi du 31 mai 2021, qui a prétendu instaurer un régime de « sortie » de l’état d’urgence sanitaire, est désormais applicable jusqu’au 31 juillet 2022.

([5]) Décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

([6])              « Relâchement », 26 novembre 2021.

([7])              Le Monde, 29 septembre 2021 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/29/plus-de-5-700-lits-d-hospitalisation-complete-ont-ete-fermes-en-2020_6096416_3224.html

([8])              La Constitution organise, à l’article 16, les pouvoirs exceptionnels du Président de la République et, à l’article 36, l’état de siège. La loi du 3 avril 1955 a quant à elle été utilisée à sept reprises : pendant la crise de mai 1958 ; en plus de l’article 16 face au putsch des généraux en 1961-1962 ; en 1985 en Nouvelle-Calédonie ; en 1986 à Wallis-et-Futuna ; en 1987 en Polynésie Française ; pendant la révolte des banlieues du 9 novembre 2005 au 4 janvier 2006 et entre 2015 et 2017 dans le contexte terroriste.

([9])              Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

([10])              Projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires.

([11])              Article L. 3131-12 du code de la santé publique.

([12])              Article L. 3131-15 du code de la santé publique.

([13])              Elles concernent le contrôle de la circulation des personnes, de l’ouverture au public des établissements et des rassemblements de personnes.

([14])              Il s’agit des dispositions relatives à la mise en quarantaine et au placement en isolement (art. L. 3131‑1 du code de la santé publique), aux réquisitions (art. L. 3131‑8 et L. 3131‑9 du même code) et au contrôle des prix (art. L. 410‑2 du code de commerce).

([15])              Rapport n° 4141 du 5 mai 2021 de M. Jean-Pierre Pont.

([16])              Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 de gestion de la sortie de crise sanitaire.

([17])              Le dispositif adopté dans le cadre de la loi du 31 mai 2021 concernait l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels.

([18])              Audition par la commission des Lois.

([19])              Décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 précité.

([20])              Lors de la réunion de la commission des Lois du mardi 4 mai 2021, Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission a ainsi déclaré : « J’entends bien que la volonté du Gouvernement est de réserver le passe sanitaire aux grands événements, mais certains de nos concitoyens pourraient souhaiter limiter l’accès à leur restaurant ou à certains lieux comme les cinémas ou les théâtres à la possession d’un passe sanitaire. La loi doit préciser très clairement que cela n’est pas possible et qu’ils ne pourront pas le faire. » Pour M. Jean‑Pierre Pont, rapporteur, « le dispositif […] proposé est entouré de garanties suffisantes, notamment parce qu’il ne s’appliquera pas aux activités de la vie quotidienne mais bien aux grands événements ou rassemblements. » 

([21])              Alors que le décret a été publié le 19 juillet 2021, le projet de loi a été déposé le 20 juillet 2021 et la loi promulguée le 5 août 2021.

([22]) Conseil d’État, n° 454754, ordonnance du 26 juillet 2021, par. 9.

([23]) Conseil d’État, n°s 454792 et 454818, ordonnance du 26 juillet 2021, par. 9.

([24]) « Passe sanitaire et impasse des libertés », Raphaël Kempf, Le Monde diplomatique, septembre 2021.

([25])              Délibération n° 2021-139 du 21 octobre 2021 portant avis public sur les conditions de mise en œuvre des systèmes d'information développés aux fins de lutter contre la propagation de l'épidémie de COVID-19 (mai à septembre 2021).

([26])              https://www2.assemblee-nationale.fr/15/commissions-permanentes/commission-des-lois/suivi-de-la-crise-sanitaire/rapports-sur-l-impact-du-passe-sanitaire

([27])              https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/cfiles/tac_faq_pro_v9_1.pdf

([28])  https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/pdf/Conseil/princeg2.pdf

([29])              Le 18 décembre 2021, M. Olivier Véran a déclaré au média Brut que « le passe vaccinal est une forme déguisée d’obligation vaccinale ».

([30])              Décision n° 2021-824 DC du 5 août 2021, par. 38.

([31])              Idem, par. 44.

([32])              12 % des personnes de plus de 80 ans ne disposent pas d’un schéma vaccinal complet en France.

([33])              Avis n° 21-11 du 20 juillet 2021.

([34])              Article L. 3131-13 du code de la santé publique et VI de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021.

([35])              Article L. 3131-18 du code de la santé publique et V de l’article 1er de la loi du 31 mai 2021.