—  1  —

N° 4865

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 janvier 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
SUR LA PROPOSITION DE LOI visant au blocage des prix (n° 4743)

PAR M. Ugo Bernalicis

Député

——

 

 

 Voir le numéro : 4743.


—  1  —

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Introduction

I. Une explosion de la pauvretÉ sous le quinquennat macron qui rend nÉcessaire un « blocage des prix » des produits de premiÈre nÉcessitÉ

A. LEs prix des produits de premiÈre nÉcessitÉ ont fortement crû ce qui met en difficultÉ nombre de foyers prÉcaires

B. DEs mesures gouvernementales insuffisantes pour faire face À cet enjeu

II. Le blocage des prix : une solution efficace pour soutenir le pouvoir d’achat des plus fragiles

A. les dispositifs existants doivent Être complÉtÉs et Étendus À la mÉtropole

B. une ambition portÉe au sein de la proposition de loi

EXAMEn des articles

Article 1er (article L. 410-2 du code de commerce) Ajout du motif « urgence sociale » au sein du dispositif d’encadrement  des prix

Article 2 (articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce) Extension du « bouclier qualité prix » ultramarin à la France métropolitaine

travaux de la commission

Liste des personnes auditionnÉes

 

Introduction

I. Une explosion de la pauvretÉ sous le quinquennat macron qui rend nÉcessaire un « blocage des prix » des produits de premiÈre nÉcessitÉ

A. LEs prix des produits de premiÈre nÉcessitÉ ont fortement crû ce qui met en difficultÉ nombre de foyers prÉcaires

B. DEs mesures gouvernementales insuffisantes pour faire face À cet enjeu

II. Le blocage des prix : une solution efficace pour soutenir le pouvoir d’achat des plus fragiles

A. les dispositifs existants doivent Être complÉtÉs et Étendus À la mÉtropole

B. une ambition portÉe au sein de la proposition de loi

EXAMEn des articles

Article 1er (article L. 410-2 du code de commerce) Ajout du motif « urgence sociale » au sein du dispositif d’encadrement  des prix

Article 2 (articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce) Extension du « bouclier qualité prix » ultramarin à la France métropolitaine

travaux de la commission

Liste des personnes auditionnÉes


—  1  —

 

   Introduction

I.   Une explosion de la pauvretÉ sous le quinquennat macron qui rend nÉcessaire un « blocage des prix » des produits de premiÈre nÉcessitÉ

A.   LEs prix des produits de premiÈre nÉcessitÉ ont fortement crû ce qui met en difficultÉ nombre de foyers prÉcaires

Les prix des produits de première nécessité que sont l’énergie ou les fruits et légumes sont devenus inabordables et pèsent lourdement sur des millions de personnes, laissant un nombre croissant de foyers dans la précarité énergétique et l’insécurité alimentaire.

Ces derniers mois, la précarité énergétique s’est en effet fortement accentuée avec les hausses vertigineuses des prix de l’énergie.

Le prix du gaz a augmenté de + 57 % de janvier à octobre 2021, avec des hausses spectaculaires depuis l’été 2021, +10 % en juillet 2021, + 5 % en août, + 8,7 % en septembre et +12,6 % en octobre.

En septembre 2021, une hausse du prix réglementé de l’électricité de 12 % était également anticipée pour la réévaluation de février 2022. Concernant les carburants, le prix de l’essence était de 1,65 € en juillet et août 2021, soit un prix supérieur à octobre 2018 (1,63 €), avant le mouvement des Gilets Jaunes.

Autre exemple marquant celui du prix du beurre, qui depuis des mois n’a cessé d’augmenter jusqu’à menacer d’atteindre le prix de 10 euros le kilo, comme l’a récemment précisé M. Dominique Anract, président de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française.

Ces difficultés démontrent une urgence sociale indéniable dans un contexte marqué, de surcroît, par une explosion de la pauvreté sous le quinquennat d’Emmanuel Macron. En effet, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le taux de pauvreté est passé de 14,1 % de la population en 2017 à 14,6 % en 2019. En deux ans, 300 000 personnes ont donc basculé dans la pauvreté. En 2020, la France comptait dix millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté.

Plusieurs autres chiffres viennent étayer ce constat.

Huit millions de personnes ont, par ailleurs, eu besoin de l’aide alimentaire pour vivre, contre cinq millions en 2018. Les longues files d’attente des jeunes devant l’aide alimentaire ont repris à la rentrée de septembre 2021, alors que le gouvernement a supprimé les repas à 1 euro pour les non-boursiers dans les restaurants universitaires.

Un Français sur quatre a rencontré en 2021 des difficultés à payer les factures de gaz ou d’électricité soit 25 % d’entre nous, contre 18 % en 2020.

Douze millions de personnes sont, enfin, actuellement en situation de précarité énergétique, car elles vivent dans des passoires thermiques et/ou n’ont pas les moyens de se chauffer correctement. L’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) anticipe d’ailleurs une aggravation de la situation à cause de la crise sanitaire et sociale. Ce phénomène est amplifié pour les ménages qui vivent dans les 4,8 millions de passoires thermiques que la France comptait encore en 2020.

B.   DEs mesures gouvernementales insuffisantes pour faire face À cet enjeu

Les mesures prises par le Gouvernement pour répondre à cette hausse ne permettront pas aux consommateurs de faire face à la hausse des prix alors même que ces mesures seront payées par le contribuable.

Le chèque énergie supplémentaire de 100 euros ne permet même pas de compenser la hausse des prix de l’énergie et sera en partie financé par la hausse des recettes de TVA liés à l’augmentation des prix de l’énergie.

Le gel des prix du gaz à partir du 1er novembre 2021 entérine les hausses successives des derniers mois et sera reporté sur la facture des consommateurs après la fin du gel. Aucune mesure n’a été annoncée pour le prix des carburants lors de la présentation de ce « bouclier tarifaire ».

Par ailleurs, le Gouvernement refuse toujours de remettre en cause la libéralisation du marché de l’énergie, qui a pourtant conduit à une hausse des prix de l’énergie ‒ de l’ordre de 70 % en 20 ans pour l’électricité ‒ bien loin de la baisse des prix maintes fois promise par les chantres de la libéralisation du marché mais jamais advenue. Pendant ce temps, les entreprises énergétiques privatisées comme Total ou Engie n’ont pas été mises à contribution alors que leurs bénéfices et leurs profits continuent de grimper. Au 1er semestre 2021, Engie, Total et EDF ont réalisé 13 milliards d’euros de profits. Le 28 octobre 2021, TotalEnergies a indiqué que son bénéfice net a été multiplié par 23 sur un an, pour atteindre 4,6 milliards de dollars au troisième trimestre 2021.

La dernière annonce du Premier ministre, M. Castex, relative à « l’indemnité-inflation », arrive bien tardivement, et n’est qu’une mesure conjoncturelle de très faible ampleur qui pose question en termes de justice sociale. Elle vient s’ajouter à un ensemble de mesures dont le contenu est davantage déterminé par des choix électoraux que par leur efficacité économique ou sociale.

Une fois de plus, le Gouvernement n’a donc pas mis en œuvre les mesures nécessaires.

Les politiques de rénovation thermique mises en place par le Gouvernement, comme MaPrimeRenov’, ne mobilisent pas assez de fonds et s’avèrent inefficaces pour diverses raisons : pas de ciblage en priorité vers les plus modestes alors que ces ménages sont les plus sensibles à la variation des prix ; pas de promotion des rénovations globales et aucun gain de consommation énergétique nécessaire (dispositif majoritairement utilisé pour des travaux simples comme le changement de chaudière).

Concernant l’alimentation, huit millions de personnes ont eu besoin de l’aide alimentaire au cours de cette même année 2020, contre cinq millions en 2018. Dans son rapport du 18 novembre 2021, le Secours Catholique indique que cinq à sept millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire en 2020, sans parler de celles et ceux qui ne sollicitent pas l’aide. Les femmes et les jeunes sont les premiers concernés par cette précarité. Un jeune sur deux a réduit ses dépenses alimentaires ou sauté un repas au second semestre 2020. La précarité alimentaire est également une affaire de qualité : seul un adulte sur trois mangeait cinq fruits et légumes par jour en 2019.

Malgré cette situation, M. Macron et son Gouvernement ont mis fin au restaurant universitaire à un euro pour les non-boursiers à la rentrée 2021. Ils ont rejeté les propositions de loi déposées par les députés et députées de La France insoumise.es pour limiter les additifs, réduire les taux de sel et de sucre des aliments transformés, ou encore interdire la publicité alimentaire à destination des enfants. Lutter contre la malbouffe est pourtant un enjeu sanitaire et social de premier plan : 17 % de la population française était en situation d’obésité en 2021 (ce nombre a doublé en 25 ans), avec une surreprésentation des pauvres.

II.   Le blocage des prix : une solution efficace pour soutenir le pouvoir d’achat des plus fragiles

A.   les dispositifs existants doivent Être complÉtÉs et Étendus À la mÉtropole

Pour maintenir le pouvoir d’achat des citoyennes et citoyens et lutter contre la précarité, les députés de la France insoumise proposent de bloquer le prix de l’énergie (gaz, électricité, carburants) et de 5 fruits et légumes de saison.

Il est d’ores et déjà possible dans le droit  en vigueur de bloquer les prix de biens, en application de l’article L. 410-2 du code de commerce. Le Gouvernement a d’ailleurs utilisé cet article lorsqu’il a décidé d’encadrer le prix des masques et du gel hydroalcoolique en pleine crise sanitaire, en 2020 et 2021.

Cet article L. 410-2 du code de commerce indique en effet que « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.

« Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence.

« Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois ».

Toutefois, la rédaction actuelle de cet article est insuffisante. Il n’est pas acceptable que le marché dicte le prix de biens de première nécessité. Il est nécessaire d’aller plus loin pour que tous les Français et les Françaises puissent avoir accès aux biens de première nécessité à un prix abordable, pour pouvoir vivre dignement.

Concernant l’énergie, les députés et les députées de La France insoumise souhaitent bloquer les prix de l’énergie, c’est-à-dire le gaz, l’électricité ou les carburants. Il faudra mettre fin à la libéralisation du marché de l’énergie, en créant un pôle public de l’énergie, en nationalisant des entreprises comme EDF ou Engie.

Pour l’alimentation, les députés et les députées de La France insoumise souhaitent bloquer, de manière pérenne, le prix de cinq fruits et légumes de saison. La fixation du prix de ces fruits et légumes se fera en coopération avec les organisations syndicales et les paysans et paysannes. Ces prix bloqués ne pourront pas être inférieurs aux coûts des produits et seront calculés en fonction d’un coefficient multiplicateur, afin d’assurer un revenu décent aux paysans et paysannes et empêcher les marges considérables de la grande distribution.

B.   une ambition portÉe au sein de la proposition de loi

La présente proposition de loi contient deux articles visant à modifier le cadre juridique en vigueur en faveur des objectifs évoqués ci-dessus.

L’article 1er prévoit d’étendre les situations dans lesquelles il est possible de bloquer les prix. Actuellement, le blocage des prix est possible dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». L’article 1er modifie la rédaction de l’article L. 410-2 du code de commerce, afin d’ajouter la possibilité de bloquer les prix dans une « situation d’urgence sociale ». Cet ajout permettra au Gouvernement de bloquer les prix de tous les biens si ces prix augmentent trop et compromettent la sécurité matérielle et des moyens dignes d’existence de tous les citoyens et toutes les citoyennes. Cet article permet donc de répondre à l’urgence sociale dans laquelle la France se trouve, en donnant la possibilité au Gouvernement de sortir tous les biens de la logique du marché si nécessaire et ainsi de répondre aux besoins essentiels de tous nos compatriotes. De plus, cet article prévoit également que le blocage des prix ne soit pas limité à une période de six mois, comme l’article L. 410-2 du code de commerce le prévoit actuellement.

L’article 2 prévoit d’étendre à l’Hexagone l’application de dispositions actuellement en vigueur dans les Outre-mer. Il permet ainsi d’appliquer les mesures prévues à l’article L. 410-3 du code de commerce, qui donnent la possibilité au Gouvernement de prendre des mesures pour « remédier aux dysfonctionnements des marches de gros de biens et de services », par un décret en Conseil d’État. Les modifications apportées par cette proposition de loi permettront de bloquer les prix des produits de première nécessité sur l’ensemble du territoire national, notamment ceux des produits pétroliers. En effet, c’est sur la base de ces deux articles, L. 410‑2 et L. 410-3 du code de commerce, que les arrêtés régulant le prix des carburants en Outre-mer sont pris. Par exemple, l’arrêté n° 1502 modifiant l’arrêté préfectoral n° 1393 du 31 juillet 2015 portant réglementation des prix des produits pétroliers et du gaz de pétrole liquéfié dans le département de La Réunion, fait référence à ces deux articles du code de commerce.

L’article 2 modifie également l’article L. 410-4, qui prévoit le blocage des prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité, par un décret en Conseil d’État, afin qu’il soit applicable sur l’ensemble du territoire national.

Enfin, cet article 2 modifie l’article L. 410-5 du code de commerce qui prévoit la négociation, notamment entre le représentant de l’État et les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs (producteurs, grossistes, importateurs), d’un « accord de modération du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante ». La négociation d’un tel accord a lieu chaque année. La liste de produits de consommations devra a minima comprendre le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison.

 


—  1  —

   EXAMEn des articles

Article 1er
(article L. 410-2 du code de commerce)
Ajout du motif « urgence sociale » au sein du dispositif d’encadrement
des prix

1.   État actuel du droit

L’article L. 410-2 du code de commerce pose le principe de la libre fixation des prix « des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 » par le jeu de la concurrence, « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement ».

Son contenu est issu de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui avait elle-même abrogé l’article 1er de l’ordonnance du 30 juin 1945 instaurant le blocage des prix, dans un contexte d’inflation élevée au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Cet article du code de commerce définit, en outre, les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics peuvent intervenir et réglementer directement les prix. Il prévoit ainsi que la fixation des prix par la réglementation peut intervenir, par voie réglementaire, « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires ». Le Gouvernement peut alors prendre à cet effet un décret en Conseil d’État après avis de l’Autorité de la concurrence. Il précise également qu’il est toujours loisible au Gouvernement d’arrêter, par décret en Conseil d’État, des mesures temporaires de contrôle des prix contre des hausses ou des baisses excessives de prix, face à « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». Cette intervention nécessite la prise d’un décret, après consultation du Conseil national de la consommation, qui doit préciser la durée de validité de cette mesure, qui ne peut excéder six mois.

2.   Les dispositions de la proposition de loi

L’article 1er de la proposition de loi procède à une nouvelle rédaction de l’article L. 410-2 du code de commerce.

Il supprime l’actuel premier alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce, qui fixe le principe de libre détermination des prix par la concurrence pour les biens, produits, et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945. La nouvelle rédaction revient donc à mettre en place une économie de prix administrés.

Il supprime également la consultation de l’Autorité de la concurrence lors de la prise d’un décret réglementant les prix, prévue au deuxième alinéa de l’actuel article L. 410-2 du code de commerce.

Il complète, en outre, le dernier alinéa de l’article L 410-2 du code de commerce en ajoutant à la liste des conditions dans lesquelles le Gouvernement peut arrêter, par décret en Conseil d’État, des mesures temporaires visant à lutter « contre des hausses ou des baisses excessives de prix » et à « assurer à tout citoyen la sécurité matérielle et des moyens dignes d’existence », le motif « d’urgence sociale ». Ce concept embrasse en effet utilement, dans sa généralité, des situations multiples, dont le point commun est la difficulté, pour les populations, de subvenir à leurs besoins face aux prix des produits et services indispensables à la sécurité matérielle des citoyens.

Il supprime enfin la durée maximum de validité desdites mesures, qui est actuellement fixée à 6 mois, pour offrir davantage de souplesse aux pouvoirs publics.

3.   Position de la commission

La commission n’a pas adopté l’article 1er.

Article 2
(articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce)
Extension du « bouclier qualité prix » ultramarin à la France métropolitaine

1.   État actuel du droit

Les économies des collectivités territoriales d’Outre-mer possèdent des caractéristiques spécifiques qui rendent nécessaire une intervention plus forte des pouvoirs publics, dans un contexte marqué par un taux de pauvreté supérieur à celui de la métropole. Leurs marchés locaux prennent en effet souvent la forme de monopoles ou d’oligopoles liés à l’étroitesse du marché (grande distribution, transport aérien, carburant, oxygène médical…) ou de monopoles ou oligopoles liés aux réseaux d’acheminement (fret, port, grossistes et importateurs).

La loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer est venue offrir des outils supplémentaires en ce sens aux pouvoirs publics, tout en respectant les contraintes du droit européen.

Son article 1er crée à cette fin un nouvel article, numéroté L. 410-3, au sein du code de commerce. Ce dernier prévoit la possibilité pour le Gouvernement de prendre « les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros de biens et de services concernés, notamment les marchés de vente à l’exportation vers ces collectivités, d’acheminement, de stockage et de distribution ». Son champ d’application concerne actuellement les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution (départements et régions d’Outre-mer, c’est-à-dire la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, la Guyane et Mayotte), ainsi que les collectivités d’Outre-mer que sont Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint‑Pierre-et-Miquelon et les îles Wallis et Futuna, mais exclut la France métropolitaine.

Ainsi que le relève l’étude d’impact de la loi précitée, ce nouvel article concrétise le passage « d’une régulation des marchés de détail par contrôle des prix à une régulation des marchés de gros par la levée des obstacles à la concurrence ».

La loi du 20 novembre 2012 a également créé, en son article 15, deux nouveaux articles du code de commerce, numérotés L. 410-4 et L. 410-5.

L’article L. 410-4 du code de commerce prévoit, sur un périmètre identique, et en conformité avec l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), que le Gouvernement peut réglementer par décret pris en Conseil d’État le prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité.

L’article L. 410-5 du code de commerce prévoit, pour sa part, sur un champ d’application territorial identique, que « le représentant de l’État négocie chaque année avec les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs, ainsi qu’avec les entreprises de fret maritime et les transitaires un accord de modération du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante ». Cet accord est rendu public, le cas échéant, par arrêté préfectoral.

Enfin, deux lois sont intervenues pour modifier à nouveau le cadre juridique existant, afin d’améliorer son efficacité.

La loi du 14 octobre 2015 d’actualisation du droit des outre-mer a d’abord actualisé le cadre décrit ci-dessus en créant un observatoire des prix, des marges et des revenus - (article L. 910-1-A du code de commerce), et en étendant le dispositif de bouclier « qualité-prix » à Saint-Martin via une modification de l’article L. 410‑5 du code de commerce.

La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique a ensuite élargi la liste des opérateurs économiques participant à la négociation des accords annuels de modération des prix aux transporteurs maritimes et aux transitaires, en modifiant le même article.

2.   Les dispositions de la proposition de loi

L’article 2 de la proposition de loi procède à plusieurs modifications au sein des articles L. 410-3 à L. 410-5 du code de commerce afin d’élargir à la France métropolitaine le périmètre des mesures qu’il est possible de prendre actuellement en outre-mer en matière d’administration des prix.

Il élargit, d’abord, la portée de l’article L. 410-3 du code de commerce (bouclier qualité-prix) au territoire métropolitain en supprimant la référence aux « collectivités d’outre-mer » au début dudit article. Il procède également à une modification identique au sein des articles L. 410-4 et L 410-5 du même code.

Il réécrit, en outre, le premier alinéa de l’article L. 410-5 du code de commerce, sans modifier, sur le fond, la portée de cet article au-delà de l’inclusion de la Polynésie française au sein du périmètre dudit article.

Il précise enfin que le bouclier qualité-prix comprend « le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, qui ne peuvent être inférieurs aux coûts de production ».

3.   Position de la commission

La commission n’a pas adopté l’article 2.


—  1  —

   travaux de la commission

 

Au cours de sa réunion du mercredi 5 janvier 2022, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à interdire le glyphosate (n° 4745) (M. Loïc Prud’homme, rapporteur).

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Le taux de pauvreté en France est passé de 14,1 % en 2017 à 14,6 % en 2019. En deux ans, 300 000 personnes ont basculé dans la pauvreté et, en 2020, notre pays comptait 10 millions d’habitants vivant sous le seuil de pauvreté. En 2020 et 2021, plus de 8 millions de personnes ont eu recours à l’aide alimentaire, contre 5 millions en 2018.

Cette situation a eu pour corollaire l’augmentation des prix de nombreux produits de première nécessité, en particulier l’énergie. Le prix du gaz a augmenté de 57 % de janvier à octobre 2021, accusant des hausses spectaculaires depuis l’été 2021 – 10 % en juillet puis 5 % en août. Le tarif réglementé de l’électricité s’est accru de 12 % au 1er octobre 2021. Par voie de conséquence, un Français sur quatre a rencontré, en 2021, des difficultés à payer ses factures de gaz ou d’électricité, contre 18 % en 2020. En vingt ans, du fait de leur libéralisation, les prix du marché de l’électricité ont augmenté de 70 %.

Dans ces conditions, la question du prix des carburants continue d’occuper sinon l’esprit, du moins le portefeuille des Français. Le prix moyen du litre d’essence était de 1,65 euro en juillet et août 2021, soit un niveau supérieur à celui en vigueur lors de la mobilisation des gilets jaunes, en 2019.

En cette période de fêtes où le beurre est un peu plus consommé qu’à l’accoutumée, notamment pour la confection des galettes, le prix de cette denrée atteint presque 10 euros le kilo.

Ajoutons qu’en matière énergétique, notre pays compte 4,8 millions de passoires thermiques.

Comment répondre à cette situation ? On ne peut manifestement pas compter sur le marché, où les prix sont fixés en fonction de l’offre et de la demande. L’augmentation du prix du beurre doit d’ailleurs bien davantage à un effet de marché qu’à des difficultés de production, puisque nous produisons cette année, bon an, mal an, la même quantité de lait que nous en avons produit l’année dernière et que nous en produirons sans doute l’année prochaine.

Nous avons regardé ce qu’il était déjà possible de faire en l’état actuel de la loi. L’article L. 410-2 du code de commerce permet de bloquer les prix, mais à titre temporaire, notamment face à des situations de monopole. Nous proposons de le modifier en introduisant un critère d’urgence sociale.

Plutôt que de blocage, nous devrions parler d’administration des prix. L’article 2 de notre proposition de loi vise à modifier les articles L. 410-3,
L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce, actuellement applicables aux seuls outre-mer et permettant aux pouvoirs publics – en l’occurrence, aux préfets – de fixer les prix d’un certain nombre de produits. À La Réunion, 153 produits sont placés sous le bouclier qualité-prix, et il est question de porter leur nombre à 250. Une fois n’est pas coutume, au lieu de prévoir des dispositions spécifiques aux outre-mer, nous proposons d’étendre celles qui y existent déjà à la France entière.

Nous demandons ainsi que les prix de cinq fruits et légumes de saison locaux – et, pourquoi pas, bio – soient administrés ou bloqués. Nous rejoignons ainsi la proposition de loi relative à l’interdiction du glyphosate précédemment examinée, mais je laisse ceux qui nous regardent faire le lien entre les deux textes et se forger leur propre avis.

Cette proposition de loi peut être mise en œuvre, puisqu’elle l’est déjà dans plusieurs territoires de la République. Il est souhaitable de le faire dans des périodes de turbulences telles que celles que nous connaissons, lesquelles créent des effets de marché de nature à déstabiliser du jour au lendemain non seulement le portefeuille des consommateurs, mais aussi celui des producteurs.

Au cours de nos auditions, le Médiateur national de l’énergie a indiqué que 200 000 à 300 000 foyers voyaient chaque année leur électricité coupée, alors que cette ressource est considérée, non seulement par La France insoumise, mais aussi par la loi, comme un produit de première nécessité. Des représentants de l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) nous ont expliqué que les interconnexions des marchés de l’électricité et du gaz pouvaient entraîner les hausses que nous connaissons aujourd’hui, sans corrélation avec la capacité productive du pays. Des membres de la Confédération paysanne ont eux-mêmes jugé souhaitable le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, en précisant qu’il conviendrait parallèlement d’évoquer la rémunération des producteurs.

Le dispositif en vigueur à La Réunion comporte deux aspects. L’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) est une instance de discussions, de réflexions et d’échanges permettant d’observer, produit par produit, le coût de production, les marges et la rémunération des uns et des autres ainsi que le coût final pour le consommateur. Quant au bouclier qualité-prix, il résulte de décisions prises les pouvoirs publics et s’accompagne d’un affichage particulier dans les commerces concernés.

De nombreux Réunionnais ont exprimé leur mécontentement après la mise en place du dispositif, qui ne date que de la fin de l’année 2012. Il n’est évidemment pas exempt de reproches, mais il a au moins le mérite d’exister. La mobilisation des gilets jaunes a entraîné une évolution majeure : le nombre et la qualité des produits concernés ont augmenté, et il a été demandé aux citoyens de faire irruption dans le dispositif. On a décidé de tirer au sort quelques dizaines de citoyens qui, au sein de l’OPMR, s’assoient autour de la table aux côtés des producteurs, des intermédiaires et des représentants de l’État, ce qui leur a permis de faire passer directement des messages à ces différents acteurs.

Les 153 produits présents dans le panier, qui en comptera bientôt 250, ne doivent pas dépasser un montant global de 348 euros. Il peut y avoir un peu de souplesse ou de liberté de marché dans le dispositif, les uns facturant, par exemple, le beurre un peu plus cher, en contrepartie d’une réduction du prix d’un autre produit. Quoi qu’il en soit, on a constaté une baisse des prix ainsi encadrés par le bouclier qualité-prix.

Ce qui était bon et faisable à La Réunion, en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane peut être reproduit dans l’Hexagone, en essayant de ne pas retomber dans les mêmes travers. Le tirage au sort des citoyens effectué La Réunion n’est pas prévu par la loi : il s’agit d’une initiative locale, consécutive à la mobilisation des gilets jaunes, qu’on ne retrouve pas en Guyane mais qu’il est souhaitable d’élargir. D’où les quelques amendements que je vous propose.

Le marché ne peut pas tout – encore heureux ! – et il n’est pas toujours conforme à l’intérêt général. La nécessité du dispositif apparaît clairement pour les territoires insulaires, en raison de leurs caractéristiques particulières, mais il est duplicable dans l’Hexagone.

J’aurai un mot particulier pour les citoyennes de notre pays. Le bilan des Restaurants du cœur montre que les personnes ayant bénéficié de l’aide alimentaire lors des campagnes d’été et d’hiver 2020-2021 sont majoritairement des femmes responsables de familles monoparentales. S’il est bien un enjeu, c’est celui de l’égalité et de la dignité de toutes celles dont le Président de la République a découvert l’existence et la grande difficulté à l’occasion de la mobilisation des gilets jaunes. Elles méritent que l’on porte un regard particulier sur leurs conditions matérielles.

Notre proposition de loi vise à contribuer à faire en sorte que la vie digne soit une réalité en République et que la devise Liberté, égalité, fraternité – j’ajouterai « solidarité » – soit incarnée.

M. André Chassaigne (GDR). Pour nous, communistes, le marché libre ne saurait être la norme : aussi nous paraît-il nécessaire de sortir de la logique de marché un ensemble de biens et des services. Dans cette perspective, cette proposition de loi visant à une administration des prix, dans certaines conditions, est bienvenue. Je rappelle cependant que les services publics constituent déjà la principale possibilité de fournir un ensemble de biens ou de services en dehors de la logique de marché.

Jusqu’en 1987, l’administration des prix était une modalité très fréquente, mais la libre fixation des prix s’est progressivement développée. Ces dernières années, l’ouverture à la concurrence des marchés du gaz, de l’électricité et de l’eau a représenté un pas supplémentaire, puisque ces produits étaient les derniers administrés par l’État et que les tarifs dits réglementés s’éteindront prochainement et ne seront plus qu’indicatifs.

La France se caractérise aujourd’hui par une économie de marché où la libre fixation des prix est la norme, comme le prévoit l’article L. 410-2 du code de commerce. Il y a quelques exceptions : je pense notamment au coefficient multiplicateur entre le prix d’achat et le prix de vente des fruits et légumes, qui n’est d’ailleurs jamais mis en œuvre mais qui pourrait l’être, et à l’encadrement des produits en promotion, très limité, sauf dans
les outre-mer où existent des dispositifs liés aux spécificités économiques de ces collectivités.

L’article 1er de cette proposition de loi nous satisfait, puisqu’il prévoit de supprimer l’alinéa faisant de la libre fixation des prix la norme et d’ajouter aux cas dans lesquels le Gouvernement peut agir sur les prix une situation d’urgence sociale.

L’article 2, beaucoup plus opérationnel, vise à étendre les mesures précédemment citées relatives à l’administration des prix en outre-mer à l’ensemble du territoire national, au moyen de dispositions prises par décret ou par arrêté.

Les produits énergétiques se prêtent parfaitement à l’administration des prix. La fixation des prix peut être considérée comme temporaire puisqu’elle est, pour nous, un préalable à la nationalisation de ces secteurs en vue de la création d’un pôle public de l’énergie.

Pour les autres biens et services de première nécessité, l’administration des prix peut constituer une mesure temporaire en cas de fortes tensions, même si la fixation de ces prix peut se révéler fastidieuse. Si nous considérons qu’il faut commencer par donner des moyens aux consommateurs, la question du prix des biens alimentaires ne peut être séparée de celle des conditions matérielles des ménages et des salaires – le pouvoir d’achat reste avant tout une question de salaires et de partage des valeurs. Toutefois, ces perspectives de long terme n’excluent pas le recours plus fréquent à une administration des prix dans des conditions précises, c’est-à-dire pour un nombre limité de produits en cas de flambée des prix. Tel est l’objectif de cette proposition de loi, que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera.

M. Guillaume Kasbarian (LaREM). Cette proposition de loi comporte deux articles. Le premier vise à élargir la possibilité donnée au Gouvernement de réglementer les prix en supprimant le principe de la libre détermination de ces derniers par le jeu de la concurrence ainsi que la nécessité de consulter l’Autorité de la concurrence et le Conseil national de la consommation (CNC), et en autorisant le Gouvernement à bloquer les prix en cas d’urgence sociale, sans aucune limitation législative de durée. Le second article vise à étendre à la métropole la réglementation des prix de vente en vigueur dans les outre-mer.

Vous avez choisi de consacrer la moitié de votre rapport à un réquisitoire dénonçant « une explosion de la pauvreté durant le quinquennat Macron ». En réalité, la majorité a répondu aux attentes des Français en matière de pouvoir d’achat. Pas avec vos solutions, pas par le blocage des prix, mais en favorisant le travail, en baissant de façon inédite la fiscalité – 50 milliards d’euros d’impôts en moins sur cinq ans –, en revalorisant les salaires de nombreuses professions – je pense au Ségur de la santé – et en aidant ceux qui en ont le plus besoin par la revalorisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) et du minimum vieillesse. Je ne ferai pas la liste de tout ce que nous avons fait en faveur du pouvoir d’achat au cours du quinquennat.

Nous nous opposerons à votre proposition de loi, d’abord parce que la législation permet déjà au Gouvernement de réglementer certains marchés. Il existe des autorités régulatrices de marchés spécifiques, telles que l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) et la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Le Gouvernement dispose aussi d’outils pour agir en cas d’urgence. C’est ainsi qu’il a temporairement régulé le prix de vente des gels hydroalcooliques et des masques, au début de la crise, et mis en place un bouclier tarifaire pour bloquer les tarifs réglementés de vente du gaz naturel.

La législation existe, fonctionne et s’applique en harmonie avec les règles européennes. Mais vous souhaitez aller plus moins en autorisant tout gouvernement à bloquer tous les prix dans tous les secteurs, sans consultation ni limite dans le temps. Vous affirmez que c’est une solution efficace, alors que les économistes ont bien documenté au cours de notre histoire tous les effets pervers d’un blocage prolongé et généralisé des prix à tous secteurs.

Un tel blocage comporte toujours cinq étapes. À la première, l’État bloque les prix sur un marché en inflation et prétend protéger les consommateurs. À la deuxième, nombre de producteurs qui vendent ou produisent à perte arrêtent de produire. À la troisième, la pénurie sur le marché provoque soit des files d’attente à rallonge, soit un rationnement de la consommation. À la quatrième, on assiste au développement d’un marché noir où l’on vend sous le manteau des biens et services à des prix exorbitants. À la cinquième étape, qui finit toujours par arriver, on arrête le contrôle des prix, ce qui entraîne un violent effet de rattrapage.

Sous cette idée en apparence séduisante se cache toujours une perversité qui, in fine, ne répond jamais à la détresse des consommateurs. Je pourrais citer l’exemple du Venezuela, pays qui ne vous est pas inconnu, où le blocage des prix dans un contexte d’inflation s’est traduit par des files d’attente monstrueuses devant les supermarchés, où les rayons étaient quasiment vides. Au marché noir, le litre de lait coûtait 3,90 dollars à Caracas, beaucoup plus cher qu’à côté.

M. Jean-Luc Mélenchon. Et l’embargo, ça n’a rien coûté ?

M. Guillaume Kasbarian. La douzaine d’œufs valait 3 dollars et le litre d’huile 17 dollars. Voilà l’effet du blocage des prix ! Je pourrais citer d’autres exemples de blocage des prix dans des économies de marché européennes, qui ont eu exactement les mêmes effets.

M. Jérôme Nury (LR). Ce texte présente un volet positif, qui est la mise en lumière de la pauvreté encore trop présente dans notre pays. Les chiffres avancés dans le rapport sont terribles : 8 millions de Français ont besoin d’une aide alimentaire quotidienne. C’est l’occasion de souligner le rôle essentiel des associations et des bénévoles qui, dans nos territoires, soutiennent à bout de bras nombre de familles. Je pense à la Croix-Rouge, au Secours populaire, au Secours catholique, aux Restos du cœur et aux centres communaux d’action sociale (CCAS).

La pauvreté, la vraie, ne se voit pas toujours. Je ne suis pas certain que tout le monde prenne la mesure de sa progression en France, notamment au cours des deux dernières années, durant lesquelles plus de 300 000 personnes sont tombées sous ce seuil fatidique.

Ce texte a pour autre vertu de mettre en avant les difficultés rencontrées non seulement par les Français dits pauvres, mais également par ceux des classes moyennes, à cause de la montée en flèche des prix de produits et de services indispensables au quotidien. Cette augmentation du coût de la vie et cette perte de pouvoir d’achat frappent nombre de nos concitoyens qui travaillent et ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Ils subissent la hausse du prix des courses quotidiennes, mais aussi et surtout celle des carburants et des énergies, le diesel atteignant près de 1,60 euro et le fioul plus de 1 euro le litre. Ces augmentations touchent particulièrement les habitants des territoires ruraux, qui n’ont souvent pas le choix de leur mode de chauffage domestique et sont obligés d’avoir des véhicules personnels pour leur mobilité quotidienne.

J’en viens aux solutions. Nous ne croyons pas au blocage des prix proposé dans ce texte. L’histoire du XXe siècle enseigne que ces solutions, expérimentées par les Soviétiques et leurs alliés, se sont soldées par des échecs cuisants qui ont plongé une grande partie de la population dans la pauvreté et le marasme. De plus, nous sommes dans une économie de marché, certes encadrée par l’État, mais qui reste une économie libre. Par le biais de la fiscalité et d’un taux de TVA différencié sur les produits de première nécessité, l’État accompagne déjà les Français les plus modestes.

Un blocage des prix ne manquerait pas de paralyser celles et ceux qui travaillent dans toute la chaîne, du producteur au consommateur, du transporteur au vendeur. Plutôt qu’un tel système démagogique et passéiste, mieux vaudrait envisager la mise en place d’une fiscalité encore plus différenciée sur des produits de consommation courante. Je pense notamment aux énergies, aujourd’hui doublement imposées par la TVA et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Cela est profondément injuste pour nombre de nos concitoyens, notamment dans les campagnes, à l’heure où ces énergies voient leur prix augmenter terriblement, ce que le Gouvernement compense par un petit chèque de 100 euros qui ne permet nullement de faire face aux surcoûts.

Vous comprendrez donc que nous ne pouvons pas soutenir ce texte.

Mme Michèle Crouzet (Dem). J’indiquerai d’emblée l’opposition du groupe Mouvement démocrate et démocrates apparentés à cette proposition de loi. Aux maux de la pauvreté, vous proposez de remédier par une superpuissance de l’État via un blocage des prix, alors que vous ne cessez de dénoncer cette superpuissance depuis le début de la crise sanitaire. Vous pointez du doigt la pauvreté en France, mais nous la combattons également. Vous n’êtes pas sans savoir qu’une pandémie frappe notre pays et le monde depuis maintenant deux ans. Vous ne pouvez nier les efforts massifs déployés par le Gouvernement pour préserver le niveau de vie des Français.

Je tiens à rappeler que le pouvoir d’achat des Français a progressé de 8 % depuis 2017. Toutefois, tenant compte du sentiment de hausse du coût de la vie exprimé par certaines parties de la population, nous avons mis en place un bouclier tarifaire énergétique, une indemnisation face à l’inflation et le chèque énergie.

À aucun moment votre proposition de loi ne mentionne la conjoncture internationale qui s’est imposée à la France. À vous croire, tout aurait pu être évité par la remise en cause de la libéralisation du marché de l’énergie ainsi que de celui des fruits et légumes.

L’article 2 prévoit de donner une portée très générale à des dispositions conçues comme exceptionnelles et particulières. Ces dispositifs se reporteraient, in fine, automatiquement sur le consommateur, soit par un mécanisme de rattrapage du manque à gagner des producteurs, soit par une indemnisation des producteurs par l’État et une hausse de la dette laissée à nos enfants. Si les maux que vous identifiez sont réels, le remède envisagé ne ferait que les empirer.

Je m’exprime au conditionnel car, même si la commission adoptait ce texte, je ne crois pas qu’il serait appliqué. Que ce soit en matière économique ou juridique, la France n’est pas seule sur Terre. Au sein de l’Union européenne, la mise en œuvre de l’obligation de service public sur un marché en cours d’ouverture à la concurrence peut conduire à l’application d’un tarif régulé si – et seulement si – cela est temporaire et proportionnel à l’objectif d’intérêt général poursuivi. Or vous prévoyez le blocage des prix du gaz pour une durée indéterminée. De même, bloquer le prix de cinq fruits et légumes de saison entraînerait une distorsion des règles de la concurrence, ce qui est radicalement contraire aux traités européens.

En conclusion, cette proposition de loi veut donner à l’État des pouvoirs trop étendus et dangereux, et elle est inapplicable. Vous affirmez que c’est pour des raisons électorales que le Gouvernement vient en aide aux Français en instaurant l’indemnité inflation. Ces Français jugeront dans quelques mois si les aides créées par la majorité visaient à les séduire malhonnêtement ou s’il s’agissait de nouveaux soutiens solidaires face à une situation globale difficile. Quoi qu’il en soit, ils peuvent aujourd’hui voir la nature des propositions émises par votre courant politique.

M. Luc Lamirault (Agir ens). Nous débattons d’un sujet qui inquiète de nombreux Français car il affecte leur vie quotidienne, à savoir la hausse des prix des matières premières, de l’énergie et des produits du quotidien. La crise sanitaire que notre pays traverse depuis deux ans a entraîné une crise économique dont certains pensaient que nos concitoyens et nos entreprises seraient incapables de se relever. Or nous attendons une croissance record de 6 % pour 2021 et un chômage en forte baisse. Ces chiffres sont le résultat de la politique menée depuis le début du quinquennat.

Face à la hausse des prix provoquée notamment par la surchauffe de l’appareil de production, des décisions conjoncturelles ont été prises. Le gel temporaire du prix du gaz et le tarif réglementé de l’électricité pallieront l’augmentation de la consommation de ces énergies durant la période hivernale. En outre, une indemnité inflation de 100 euros a été accordée à 39 millions de nos concitoyens gagnant moins de 2 000 euros net par mois. En s’adressant aux Français peinant à faire face à la hausse des prix, cette mesure répond à un impératif social.

Nous ne pensons pas que la solution réside purement et simplement dans le blocage des prix, sans tenir compte des conséquences à long terme qui en résulteraient pour les consommateurs et les entreprises. Cette politique favoriserait le développement d’un marché noir pour que, d’une façon ou d’une autre, les entreprises retrouvent le prix réel du marché, et porterait atteinte à l’indispensable politique de régulation des activités assurée depuis des années par l’Autorité de la concurrence.

La majorité a fait beaucoup pour le pouvoir d’achat des Français depuis le début du quinquennat, qu’il s’agisse de la suppression de la taxe d’habitation, de la baisse des cotisations sociales sur les revenus des travailleurs, de la défiscalisation des heures supplémentaires ou de la revalorisation du SMIC.

Si le blocage des prix des fruits, des légumes et de l’énergie peut paraître intéressant de prime abord, tous les exemples récents montrent l’inefficacité de cette méthode. C’est pourquoi le groupe Agir ensemble votera contre cette proposition de loi.

M. Dominique Potier (SOC). Je remercie notre collègue Ugo Bernalicis de nous aider à réfléchir sur l’économie de marché et les possibilités offertes par une économie plus administrée dans des situations de crise. Cela nous a plongés dans de profondes réflexions historiques, qui ne sont pas totalement abouties. Par prudence, nous nous abstiendrons en commission en attendant de décider ce que nous ferons en séance.

Votre texte suscite chez nous un étonnement. Comme l’ont souligné plusieurs orateurs, la loi prévoit déjà certaines possibilités et vous ne proposez pas de véritable innovation législative. L’exécutif ne partageant visiblement pas vos convictions, il y a peu de chances qu’il explore cette voie. Il s’agit donc d’une proposition de loi d’appel, qui n’en est pas moins légitime – nous proposerons d’autres textes de ce genre dans le cadre de la niche parlementaire de notre groupe.

Par ailleurs, il y a dans votre démarche une certaine ambiguïté qui nous laisse dubitatifs. Tantôt vous parlez d’une procédure d’urgence, tantôt vous évoquez le besoin d’administrer et de contrôler certains prix sur le long cours.

Enfin, nous voulons souligner, dans une logique idéologique différente de celle des autres groupes mais avec pragmatisme, des risques objectifs et factuels de dérives. Lorsque les flux d’approvisionnement ne sont pas maîtrisés de façon souveraine, ce qui est le cas s’agissant du pétrole, les risques de saturation et de pénurie sont réels.

Rappelons les pistes que nous avons défendues tout au long du quinquennat et que nous défendrons encore dans le cadre de notre prochaine niche.

Nous militons pour un facteur 12 d’écart maximal entre les revenus au sein de chaque entreprise. À coût et compétitivité égaux pour l’entreprise, ce plafonnement permettrait de redistribuer près de 10 % des bénéfices aux salariés au revenu inférieur au niveau médian. Toutes les marges autour de la TVA, notamment sur les produits de première nécessité, n’ont pas été explorées. Des mesures de partage de la valeur et de transition permettraient de nous affranchir de la dépendance à ces produits et d’éviter leur pénurie en période de crise.

Nous pensons que c’est de manière systémique qu’il faut nous affranchir de la dépendance énergétique et qu’il convient de prendre des mesures d’urgence de manière ciblée. Il m’importe moins de garantir un prix du gazole ou de l’essence à des personnes gagnant une fortune que d’adopter des mesures ciblées, à court terme, au bénéfice de ceux qui rencontrent des difficultés de pouvoir d’achat. Nous avons critiqué les mesures prises par le Gouvernement non sur leur principe mais pour leur manque de puissance et leur absence de ciblage. Notre proposition nous semble plus adaptée qu’une baisse générale des prix profitant indifféremment aux ultrariches et aux très pauvres.

Plus que jamais, la crise nous invite à favoriser le développement d’une économie sociale permettant un véritable partage de la valeur et promouvant des valeurs coopératives. Avec ATD Quart Monde, nous expérimentons une nouvelle voie d’accès au droit à l’alimentation. Ce n’est pas la piste ouverte par l’un de nos collègues qui voulait instaurer un chèque « bonne alimentation » – une initiative qui me fait penser à celles des dames patronnesses et que j’ai critiquée en son temps. En revanche, nous réfléchissons à la création d’un chèque déjeuner universel permettant à chacun d’accéder à une meilleure alimentation, qu’il soit salarié d’une grande ou petite entreprise ou non salarié.

M. Jean-Luc Mélenchon (FI). Je suis heureux de constater que chacun convient de la situation exceptionnelle de la France. À rebours des soixante-dix dernières années, notre pays vit un enfoncement progressif dans la pauvreté. Le gouvernement actuel n’est certainement pas le seul responsable : la volonté de faire entrer toute l’économie française dans un régime de concurrence libre et non faussée avec le reste de la planète, en détruisant les outils de production et les moyens de répartition de la richesse au profit de son accumulation dans quelques poches, a totalement déséquilibré notre pays.

La croissance des inégalités est si violente que beaucoup de nos concitoyens qui bénéficient d’une situation matérielle plus favorable ont du mal à admettre cette pauvreté. Beaucoup de gens n’arrivent pas à croire que 8 millions de personnes relèvent de l’aide alimentaire. Encore récemment, dans un débat à la télévision, quelqu’un censé rectifier mes chiffres disait que cela n’en concernait que 2 millions, parce qu’il se référait aux seules prestations des banques alimentaires. Mais si l’on tient compte de l’ensemble des intervenants, et le Secours catholique et le Secours populaire l’ont d’ailleurs rectifié, on arrive bien à 8 millions de personnes.

De manière tout aussi affligeante, beaucoup ne croient pas qu’entre 300 000 et 600 000 personnes subissent des coupures d’électricité. Le phénomène a atteint une telle ampleur qu’EDF a décidé d’y renoncer, après avoir constaté que ceux à qui l’on avait coupé l’électricité ne payaient pas mieux leurs factures après son rétablissement.

De même, beaucoup n’arrivent pas à croire que 12 millions de personnes ont froid dans leur appartement ou qu’un adulte sur quatre se prive de certains repas au profit de ses enfants ou faute de moyens de se procurer de la nourriture.

Bien que ces situations résultent de mécanismes structurels, nous ne pouvons nous réfugier derrière cette vision globale pour ne rien faire. La situation est celle d’un état d’urgence sociale. J’insiste sur ce mot car l’article 1er de notre proposition de loi vise à ajouter le critère d’urgence sociale, évalué par le législateur et non plus seulement par le gouvernant, à l’article L. 410-2 du code de commerce qui ouvre actuellement la possibilité de décider un blocage des prix par décret, c’est-à-dire par le seul exécutif. Dès lors que l’on serait en situation d’urgence sociale, le législateur aurait la possibilité d’intervenir.

Aujourd’hui, le blocage des prix est possible dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». Nous y sommes – c’est le cas, notamment, pour les carburants. À supposer même qu’un mécanisme de marché pur et parfait existe, il n’est pas opérant dans le secteur de l’énergie puisque le prix de marché y est établi à partir d’un prix de gros évalué sur le plus coûtant des producteurs. C’est le marché qui crée l’inflation, et non la réalité de la marchandise disponible. Vous redoutez la nouveauté, mais n’avons-nous pas vécu dans une économie administrée jusqu’en 1986, lorsqu’il y avait un contrôle des prix ? Dans l’histoire, ce mécanisme a toujours été lié à des circonstances exceptionnelles, puisqu’il a été décidé pendant la Révolution en 1789, par Léon Blum en 1936, par Michel Rocard en 1991 pour le carburant, et par Emmanuel Macron récemment pour les masques et les gels hydroalcooliques.

Entendez que cette proposition de loi s’inscrit dans un projet global incluant l’urgence sociale, lequel sera appliqué, je l’espère, dans trois mois. Le contrôle des prix de certains biens et services sera défini grâce à la participation populaire, comme c’est le cas à La Réunion où des citoyens sont tirés au sort.

M. Richard Ramos. J’ai été davantage gêné par le plaidoyer politique contenu dans le rapport que par le texte lui-même, qui me semble intéressant. Je suis fier d’appartenir à une majorité qui a donné du pouvoir d’achat aux Français.

Monsieur le rapporteur, merci de vos propos qui témoignent de votre souci de protéger les plus humbles. Quand vous proposez de défendre les plus pauvres, on ne peut que chercher avec vous des solutions.

En intervenant sur les prix de produits de première nécessité, vous voulez garantir que les gens ordinaires aient accès à des prix corrects pour se nourrir normalement. On ne peut pas laisser à la grande distribution, notamment à M. Michel-Édouard Leclerc, la possibilité de faire des prix bas en écrasant les marges de négociation avec nos paysans et nos PME. Cela signifierait que nous ne jouons pas notre rôle de parlementaires, qui consiste à protéger les Français.

Si un Français sur dix croisés dans la rue a besoin d’aide alimentaire, c’est qu’il y a un problème. Un classement scientifique international qui fait consensus répartit les produits alimentaires en quatre catégories : les produits de base, les produits non transformés, les produits légèrement transformés et les produits ultratransformés. Je pense qu’il faut appliquer une TVA très élevée aux produits ultratransformés et une TVA nulle aux produits de base. C’est le combat que je mène depuis des années.

M. Jean-Luc Mélenchon. En accord avec l’Europe ?

M. Richard Ramos. Vous avez raison, mais si on n’agit pas en France, on ne peut être l’aiguillon de l’Europe.

J’étudierai votre proposition de loi et je verrai si je peux la voter. Que ce soit dans l’hémicycle ou en commission des affaires économiques, si un texte nous convient, nous devons pouvoir le voter, même s’il n’émane pas de notre bord politique.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Vous avez raison, Monsieur Chassaigne, la question des services publics mérite d’être soulevée à nouveau. Ces services publics doivent être une garantie d’accès à des droits fondamentaux. D’ailleurs, à l’article 1er, nous proposons de supprimer de l’article L. 410-2 du code de commerce la nécessité de demander l’avis de l’Autorité de la concurrence, considérant qu’elle ne répond pas à toutes les situations. La concurrence elle-même n’a pas abouti à une diminution des prix des produits de première nécessité garantissant l’accès à des droits fondamentaux, comme celui d’être fourni en électricité.

Je comprends que nos collègues de la majorité emploient, notamment sur les plateaux de télévision, des éléments de langage pour expliquer que le pouvoir d’achat augmente. J’espérais cependant que vous feriez preuve, dans notre discussion, d’une plus grande finesse d’analyse. Votre raisonnement procède de moyennes nationales, mais un examen des revenus par strate révèle que le pouvoir d’achat des 5 % des Français les plus pauvres a diminué ces cinq dernières années. C’est peut-être la raison pour laquelle il y a plus de gens ayant recours à l’aide alimentaire, plus de coupures d’électricité et plus de gens à la rue. Je ne vous ferai pas l’injure de rappeler la promesse faite par le Président de la République, au début du quinquennat, de ne plus voir personne dans la rue. Nous en sommes très loin. On ne peut se satisfaire de la situation actuelle en utilisant des éléments de langage visant à faire croire que le pouvoir d’achat a augmenté dans notre pays. La réalité nous oblige, et nous voulons y répondre par ce texte.

Monsieur Kasbarian, vous dites que la législation permet déjà d’agir – si rien n’est fait, c’est sans doute de votre responsabilité. Vous affirmez que cela se fait sans consultation. Or le dispositif mis en œuvre dans les outre-mer est tout sauf sans consultation ! Il fait appel aux OPMR, que vous pouvez évidemment critiquer mais qui réunissent tout le monde autour de la table. D’ailleurs, la loi n’est pas suffisamment précise sur ce point : on pourrait indiquer quels acteurs doivent se retrouver autour de la table, et c’est ce que nous faisons en proposant la participation de citoyens, comme cela se pratique à La Réunion. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, notre objectif n’est pas de contraindre les producteurs à vendre à perte ou de spolier certaines personnes, mais de trouver un point d’équilibre où les taux de rémunération des producteurs et des intermédiaires n’aboutissent pas à un prix explosif et inconsidérément fluctuant, comme nous le constatons actuellement pour le beurre.

Pour avoir échangé avec des représentants de la Guyane au sujet des prix du carburant, je comprends pourquoi notre collègue Dominique Potier fait état d’un risque de carence. On m’a rapporté les discussions intervenues entre septembre et novembre 2012 et décrit le rapport de force qui s’était instauré entre les pétroliers et les responsables de la collectivité de Guyane, les premiers menaçant les seconds de ne plus fournir de pétrole en cas de réglementation des prix – il serait temps d’être souverain dans ce domaine et d’opérer la transition écologique et énergétique nécessaire ! Pourquoi cette menace n’a-t-elle pas été mise à exécution ? Parce que les OPMR demandent aux producteurs pétroliers de leur fournir leur comptabilité analytique, ce qui permet de garantir la transparence des prix ; or, une fois la lumière jaillie, il devient difficile de justifier les taux de marge qui étaient appliqués. Les socio-démocrates pourraient se rallier à cette idée, qui n’est pas la plus révolutionnaire du siècle.

M. le président Roland Lescure. Visiblement, ils hésitent !

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. C’est une loi de 2012 ! Les prix des carburants fixés pour la Guyane garantissent 9 % de rémunération des capitaux propres, ce qui représente une avancée pour les pétroliers. Avant, ils se gavaient davantage, mais dans l’Hexagone, c’est une situation que nous ne pourrions accepter. Si on me propose une rémunération de 9 % des capitaux propres, j’investis tout de suite !

La question n’est pas de savoir si on va spolier un opérateur ou obliger un producteur à vendre à perte, mais comment on organise, par un débat démocratique, la distribution de produits d’intérêt général et de première nécessité qui concernent tout le monde. Nous n’avons pas dressé de liste exhaustive. En cas de pandémie, par exemple, il faudrait bien nous laisser la possibilité de réglementer les prix des masques et des gels hydroalcooliques dont nous n’avions pas besoin auparavant.

La loi actuelle fixe à six mois la durée de validité d’un blocage des prix en situation d’urgence. Auriez-vous prédit que la pandémie ne durerait que six mois ? Nous proposons bien de prévoir une durée de validité, qui peut être renouvelée – tout cela pourra être contesté devant le Conseil d’État ou une autre instance –, car nous ne sommes pas favorables à un blocage permanent et illimité. Dans les outre-mer, d’ailleurs, le blocage des prix administrés est renégocié régulièrement. Comme tout le monde, nous savons que les prix et les conditions de production peuvent fluctuer, notamment dans le secteur agricole, et que la discussion doit toujours être remise sur le métier.

Il est vrai que les traités européens représentent une difficulté pour mettre en œuvre notre proposition de loi. Des exceptions sont probablement possibles, comme il en existe déjà dans les outre-mer. Nous en rediscuterons certainement au cours des mois à venir.

Sans doute certains produits sont-ils trop taxés. Cependant, je ne voudrais pas que la question des prix soit réglée prioritairement par une diminution des taxes, au risque d’amoindrir les recettes dans le budget de l’État. Si vous donnez un chèque de 100 euros à tous après avoir taxé tout le monde, c’est avec leur propre argent que vous redonnez aux gens du pouvoir d’achat. Les impôts et les taxes doivent être redistributifs, ce qui n’est pas le cas. C’est pourquoi nous proposons par ailleurs l’instauration de quatorze tranches d’impôt sur le revenu et une taxation à 90 % au-delà de 400 000 euros – je ne vous réciterai pas tout le programme de La France insoumise, que je connais par cœur. Nous n’avons pas voulu déposer une proposition de loi contenant soixante-dix articles, mais notre texte est substantiellement novateur. Il s’agit d’appliquer à la France entière des dispositions dont bénéficient déjà les outre-mer.

 

 

 

Article 1er (article L. 410-2 du code de commerce) : Ajout du motif « urgence sociale » au sein du dispositif d’encadrement des prix

 

M. Guillaume Kasbarian. Il est exact, Monsieur le rapporteur, que le Gouvernement n’utilise pas tous les outils à sa disposition pour contrôler les prix des biens et services sur l’ensemble des marchés. Il les emploie avec discernement. Nous avons fait le choix d’augmenter le pouvoir d’achat par d’autres canaux, tels que la baisse des impôts, la revalorisation des salaires, ainsi que le versement d’allocations et l’institution de services au profit des personnes qui en ont le plus besoin. C’est un choix assumé et un débat idéologique entre nous. Nous n’avons pas déposé d’amendement de suppression de l’article 1er car il nous a semblé intéressant d’avoir cette discussion avec vous.

La Suède a décidé de réguler les prix du marché immobilier locatif, ce qui a porté à vingt ans le délai d’attente pour louer un bien et entraîné une explosion des modes de location en dehors du cadre réglementaire. Lorsqu’on bloque un prix, quel que soit le secteur concerné, on provoque des phénomènes de pénurie, d’explosion du marché noir et d’hyperinflation sur ce dernier. Cette réaction a été vérifiée, dans notre histoire économique, aussi bien dans des économies fermées, soviétiques ou marxistes, que dans des systèmes ouverts et libéraux. Il convient donc d’agir secteur par secteur, avec discernement.

C’est ce que nous avons fait, par exemple, en matière agricole. Dans la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM) puis dans la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, nous avons agi sur la formation des prix, non pas en instituant un contrôle d’inspiration marxiste, arbitraire, de l’État sur les prix des denrées alimentaires, mais en concourant à la formation de prix justes, qui permettent de répondre aux attentes des consommateurs, d’améliorer la qualité des biens et des services et de mieux rémunérer les producteurs. La formation des prix est un sujet complexe qui ne se traite pas au travers d’un article modifiant de façon générale les outils de réglementation des prix, mais – ce qui est beaucoup plus efficace – par des législations sectorielles qui traitent les vrais problèmes, en allant au fond des choses.

Pour ces raisons, nous ne voterons pas l’article 1er.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Si la Suède rencontre des problèmes de logement, peut-être pourrait-elle investir dans la construction de logements sociaux, et si la France commence à subir ce genre de difficultés, c’est peut-être pour les mêmes raisons. On ne peut, j’en conviens avec vous, se reposer sur le marché et se contenter d’encadrer ce dernier. M. Chassaigne, pour sa part, a raison de rappeler que les services publics ont leur rôle à jouer pour garantir des droits. Les mécanismes de gestion du marché ont également leur importance. S’agissant du glyphosate, par exemple, on a soulevé, au cours du débat, la question du protectionnisme aux frontières et de la concurrence déloyale exercée par des pays qui n’appliquent pas les mêmes normes que nous. Nous proposons également une augmentation du SMIC pour que les gens puissent s’acheter une nourriture de bonne qualité, à un prix suffisamment élevé pour que les agriculteurs s’y retrouvent.

Contrairement à ce que vous avez dit, vous n’avez pas augmenté les salaires mais les compléments de salaires, dans le contexte de la mobilisation des gilets jaunes. Cet argent a été prélevé sur les cotisations des travailleurs pour leur être redonné. Les écarts de richesse se sont aggravés. Le pouvoir d’achat est inégalement réparti entre les catégories sociales : les 5 % les plus pauvres ont perdu du pouvoir d’achat. Cela explique qu’un plus grand nombre de personnes recourent à l’aide alimentaire, que le nombre de coupures d’eau et d’électricité s’accroisse, que les familles monoparentales et les femmes soient en butte à davantage de difficultés.

Non, l’article 1er ne prévoit pas de bloquer tous les prix du marché et de tout organiser. Il vise à répondre à des situations d’urgence bien définies, dont la réalité peut être contestée en justice. Il n’empêche en rien la tenue d’un marché libre, bien que ce soit, dans certains cas, difficile à admettre.

 

La commission rejette l’article 1er.

 

Après l’article 1er

 

Amendement CE1 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Cet amendement vise à étendre aux marchés de détail le champ d’application de l’article L. 410-3 du code de commerce, lequel prévoit la possibilité d’administrer les prix sur les marchés de gros. La disposition proposée, qui est le fruit de l’audition des représentants de la collectivité de Guyane, permettrait d’encadrer les prix d’un certain nombre de produits de première nécessité sur les marchés de détail, notamment lorsque la marge pratiquée par le revendeur qui s’approvisionne auprès de grossistes est excessive.

La commission rejette l’amendement.

 

 

 

 

Article 2 (articles L. 410-3, L. 410-4 et L. 410-5 du code de commerce) : Extension du « bouclier qualité prix » ultramarin à la France métropolitaine

 

M. Guillaume Kasbarian. Vous proposez d’étendre à la métropole une législation qui s’applique, depuis 2012, à l’outre-mer. Ces dispositions avaient été imaginées pour tenir compte des spécificités des marchés ultramarins, qui se distinguent structurellement de ceux de la métropole. L’accès des marchés, outre-mer, est souvent limité aux voies maritime et aérienne, ce qui gonfle les coûts de transport et peut avoir un effet sur le prix de vente des biens et des services. En outre, ce sont des économies de petite taille : les marchés n’atteignent souvent pas le seuil critique de rentabilité. Le faible nombre d’opérateurs économiques favorise les concentrations, les monopoles et la vie chère. Cela explique le vote d’une loi spécifique, en 2012, qui n’a certes pas résolu le problème de la vie chère outre-mer mais a tout de même fait du bien, comme l’ont montré Mme Bareigts et M. Fasquelle dans leur rapport d’application. À mon sens, l’extension de cette législation à la métropole n’est pas la bonne solution, car elle ne répondra pas à ses problèmes économiques structurels. Dans la mesure où ce dispositif n’a pas résolu tous les problèmes outre-mer, il y a peu de chances qu’on arrive à régler la question de la vie chère et à améliorer le pouvoir d’achat des Français, dans leur ensemble, par ce canal.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Tous les marchés ont leurs spécificités – le jeu de l’offre et de la demande fluctue en fonction d’un ensemble de paramètres –, mais
l’outre-mer présente encore des particularités supplémentaires. Vous avez convenu que, si ce mode d’administration des prix n’avait pas tout réglé outre-mer, il avait néanmoins fait du bien. Je ne vous ai pas entendu dire qu’il avait eu des effets négatifs, qu’il avait entraîné la création de marchés parallèles. De fait, ce n’est pas le cas. Si cette législation est bénéfique, quelle raison justifierait qu’on ne l’applique pas à la France entière ? Je n’en vois aucune.

Peut-être la mesure est-elle limitée et conviendra-t-il d’aller plus loin. On a critiqué le fait que l’application de ce dispositif était entièrement à la main de l’exécutif, plus précisément des préfectures. Les gilets jaunes ont souhaité qu’il soit mis en œuvre différemment. À la suite de cela, des discussions ont eu lieu et des citoyens ont été tirés au sort. Par ailleurs, les modalités de calcul du bouclier qualité-prix ont été modifiées. Un panier global a été défini, qui permet tout de même la réalisation de marges. Des critères de qualité, contrôlables par les administrations, ont été ajoutés, à l’issue d’une contractualisation avec les producteurs et les distributeurs.

Si l’on relève des situations de concentration et de monopole en outre-mer, c’est également le cas, de manière croissante, dans l’Hexagone. Cela correspond à la tendance du marché.

 

Amendements CE2 et CE4 de M. Ugo Bernalicis.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. L’amendement CE2 vise à ajouter les dispositions suivantes à l’article L. 410‑5 du code de commerce : « Cette liste comprend a minima le blocage des prix de cinq fruits et légumes de saison, qui ne peuvent être inférieurs aux coûts de production. Le résultat des négociations peut être soumis, pour avis, par le représentant de l’État, à un organe consultatif représentatif des intérêts des citoyens. La composition de cet organe est définie par arrêté préfectoral. » Cette structure serait constituée de citoyens tirés au sort, dont le nombre devrait être précisé ; par ailleurs, il faut tenir compte des modalités particulières de défraiement. Le représentant de l’État à La Réunion nous a confié que l’association des citoyens constituait un plus dans les discussions au sein des OPMR. Il a participé à des discussions avec les producteurs, les intermédiaires et les représentants des consommateurs, au cours desquelles les modalités concrètes du dispositif ont été examinées. Cela a permis d’ouvrir le débat et d’atteindre l’objectif assigné au dispositif.

L’amendement CE4 vise à sanctionner l’inapplication des règles d’encadrement des prix. Les représentants de la Guyane ont en effet relevé que l’absence de sanction était préjudiciable à la bonne application du bouclier qualité-prix. La sanction proposée demeure toutefois assez symbolique et proportionnée.

M. Guillaume Kasbarian. Par l’article 1er, vous souhaitez étendre le champ d’application d’une disposition en vigueur pour conférer au pouvoir exécutif des pouvoirs que nous jugeons démesurés et qui produiront un certain nombre d’effets pervers. En effet, ces attributions pourraient être utilisées par un gouvernement pour réglementer les prix de tous les biens et services, dans tous les secteurs. Par ailleurs, cela pourrait être fait sans limitation de durée, puisque vous faites sauter le verrou des six mois et renvoyez la fixation de la durée au décret.

L’article 2, quant à lui, ne résoudra pas tous les problèmes et ne pourra pas s’appliquer à un marché très différent des marchés ultramarins.

J’ai le sentiment que vous ne savez pas comment concrétiser, d’un point de vue législatif, votre idéologie sur le contrôle des prix et l’économie administrée. Vous vous raccrochez à des textes existants. Dans l’article 1er, vous octroyez à l’exécutif des pouvoirs étendus en termes de régulation des prix, mais sans aller au bout de votre logique. Dans l’article 2, vous étendez un dispositif applicable aux outre-mer, considérant que, puisqu’il a marché dans ces collectivités particulières, il fonctionnera aussi en métropole. C’est en contradiction totale avec les propos que vous tenez habituellement sur l’inflation et le pouvoir d’achat en outre-mer. Par ailleurs, vous entendez révolutionner le système tout en vous appuyant sur des dispositifs existants. De deux choses l’une : soit vous reconnaissez que ces mécanismes ont bien fonctionné dans le passé, soit vous révolutionnez les choses, ce qui implique de créer de nouveaux articles au lieu de vous fonder sur des textes en vigueur.

M. Ugo Bernalicis, rapporteur. Le dispositif actuel n’a pas réglé les problèmes outre-mer ; pour autant, personne ne demande l’abrogation des OPMR ni ne revendique la suppression du bouclier qualité-prix. C’est même plutôt le contraire. La dernière mobilisation contre la vie chère dans les outre-mer a abouti, selon des modalités différentes, à des modifications substantielles des dispositifs existants. C’est à la main de l’exécutif. Si l’application des mesures ne donne pas pleine satisfaction et que personne ne conteste l’organisation du dispositif, la marge de progression réside peut-être dans le changement d’exécutif.

La loi n’impose pas l’encadrement des prix de cinq fruits et légumes de saison, mais cela a été intégré dans le bouclier qualité-prix à La Réunion, avec un seul distributeur – les autres se sont entendus et n’ont pas souhaité le faire. De ce fait, les producteurs locaux, qui étaient jusqu’à présent évincés de ce type de marchés, ont pu y revenir. Par ailleurs, comme la loi impose l’affichage relatif au bouclier qualité-prix, les produits locaux ont gagné en visibilité. Cela fonctionne ! Que voulez-vous de plus ?

La commission rejette successivement les amendements.

 

Elle rejette l’article 2.

 

M. le président Roland Lescure. Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée. Le texte qui sera soumis à l’Assemblée lors de l’examen en séance publique sera donc le texte initial de la proposition de loi du groupe La France insoumise.

 

 


—  1  —

   Liste des personnes auditionnÉes

 

Préfecture de la région La Réunion

M. Pascal Gauci, secrétaire général des affaires régionales

Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) *

Mme Naïma Idir, directrice des affaires réglementaires et du développement commercial

Médiateur national de l’énergie

M. Pierre-Laurent Holleville, chargé de mission

M. Olivier Challan Belval, Médiateur national

Confédération paysanne (CP)

M. Emmanuel Marie, secrétaire national

M. Fabien Champion, animateur « Filières »

Collectivité territoriale de Guyane (CTG)

M. Thibault Lechat-Vega, 3ème vice-président

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.