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N° 4875

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 janvier 2022

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement

 

 

 

Président

M. meyer HABIB

 

Rapporteure

Mme florence MORLIGHEM

Députés

 

——

 

 

 

 

 Voir les numéros : 4109 et 4300.


 

 

La commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement, est composée de : M. Meyer Habib, président ; Mme Florence Morlighem, rapporteure ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Laetitia Avia ; Mme Aurore Bergé ; M. Ugo Bernalicis ; Mme Sandra Boëlle ; Mme Aude Bono-Vandorme ; Mme Blandine Brocard ; M. Jean-Michel Clément ; Mme Coralie Dubost ; Mme Lamia El Aaraje ; Mme Camille Galliard-Minier ; M. Victor Habert-Dassault ; M. Brahim Hammouche ; M. Sacha Houlié ; M. François Jolivet ; Mme Constance Le Grip ; M. Gérard Leseul ; M. Richard Lioger ; Mme Alexandra Louis ; M. Sylvain Maillard ; M. Didier Martin ; M. Stéphane Mazars ; Mme Naïma Moutchou ; M. Didier Paris ; M. François Pupponi ; M. Julien Ravier ; M. Aurélien Taché 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT PROPOS du président et du groupe UDI

Introduction générale

I. L’intervention de la police et des services de secours

A. Une arrivée rapide sur place des primo-intervenants

1. Le déploiement sans difficulté des équipes de la brigade anti-criminalité

2. L’impossibilité d’entrer dans les immeubles, un obstacle fréquent aux interventions des services de police et de secours

B. La méconnaissance des lieux et l’enchaÎnement des faits ont rendu impossible d’intervenir à temps chez la victime

1. La difficulté de s’adapter à la configuration des lieux

2. Un enchaînement rapide des faits

3. Des informations partielles et imprécises

4. L’impossibilité pour les sapeurs-pompiers de sauver la victime

C. Un respect strict de la doctrine d’intervention ayant conduit à un échec de l’opération

1. Les policiers ont respecté la doctrine applicable en matière de séquestration mais ont insuffisamment sécurisé les lieux

2. L’inapplicabilité de la circulaire du 19 avril 2016 sur les interventions en cas de tueries de masse

3. Faire évoluer la doctrine en matière de séquestration ?

II. L’enquête et l’instruction judiciaires

A. L’impact sur le processus judiciaire de la prise en compte des troubles psychiatriques de l’auteur des faits

1. Une procédure de garde à vue interrompue en raison de l’état mental de l’auteur des faits

a. Les règles applicables en cas de troubles rendant la garde à vue et l’interrogatoire de l’auteur des faits impossibles

b. La réalisation de plusieurs examens médicaux et psychiatriques prévus par le code de la santé publique et le code de procédure pénale a conduit à l’hospitalisation de l’auteur des faits pris en charge pour des troubles psychiatriques

2. La réalisation de plusieurs expertises successives a nécessité du temps

a. Les obligations, les conditions de saisine et les missions des psychiatres experts dans les dossiers criminels

b. Une instruction qui a conduit à la réalisation de plusieurs expertises

B. un respect strict de la procédure pénale mais une conduite de l’instruction ayant laissé planer un doute sur l’importance accordée à cette affaire par la justice

1. La qualification des faits

a. Un réquisitoire introductif pour des faits de séquestration et d’homicide volontaire

b. La reconnaissance du caractère antisémite

c. Une absence de qualification terroriste cohérente avec la pratique du parquet national antiterroriste

2. La conduite de l’instruction

a. Un usage normal des commissions rogatoires pour pallier la surcharge des juges d’instruction

b. Un dialogue tendu avec les avocats

c. Un refus contestable de procéder à une reconstitution

d. Une surprenante absence d’exploitation du téléphone

III. La déclaration d’irresponsabilité et la prise en charge des personnes déclarées irresponsables

A. la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

1. La clôture de l’instruction a conduit à la saisine de la chambre de l’instruction dans les conditions prévues par le code pénal

2. La discussion et l’audience devant la chambre ont conduit à la déclaration d’irresponsabilité

3. Des avis psychiatriques ayant laissé penser à une divergence des experts

a. Une première expertise qui n’a pas les mêmes implications que les deux suivantes

b. Des discussions devant la chambre de l’instruction qui ont finalement abouti à un consensus médical

B. La prise en charge des personnes déclarées irresponsables

1. Les conditions de l’hospitalisation et le contrôle des mesures

2. Les enjeux liés à la fin des mesures de prise en charge médicale et de suivi

Synthèse des propositions

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES

contribution des groupes et des députés

 

AVANT PROPOS du président et du groupe UDI

Introduction générale

I. L’intervention de la police et des services de secours

A. Une arrivée rapide sur place des primo-intervenants

1. Le déploiement sans difficulté des équipes de la brigade anti-criminalité

2. L’impossibilité d’entrer dans les immeubles, un obstacle fréquent aux interventions des services de police et de secours

B. La méconnaissance des lieux et l’enchaÎnement des faits ont rendu impossible d’intervenir à temps chez la victime

1. La difficulté de s’adapter à la configuration des lieux

2. Un enchaînement rapide des faits

3. Des informations partielles et imprécises

4. L’impossibilité pour les sapeurs-pompiers de sauver la victime

C. Un respect strict de la doctrine d’intervention ayant conduit à un échec de l’opération

1. Les policiers ont respecté la doctrine applicable en matière de séquestration mais ont insuffisamment sécurisé les lieux

2. L’inapplicabilité de la circulaire du 19 avril 2016 sur les interventions en cas de tueries de masse

3. Faire évoluer la doctrine en matière de séquestration ?

II. L’enquête et l’instruction judiciaires

A. L’impact sur le processus judiciaire de la prise en compte des troubles psychiatriques de l’auteur des faits

1. Une procédure de garde à vue interrompue en raison de l’état mental de l’auteur des faits

a. Les règles applicables en cas de troubles rendant la garde à vue et l’interrogatoire de l’auteur des faits impossibles

b. La réalisation de plusieurs examens médicaux et psychiatriques prévus par le code de la santé publique et le code de procédure pénale a conduit à l’hospitalisation de l’auteur des faits pris en charge pour des troubles psychiatriques

2. La réalisation de plusieurs expertises successives a nécessité du temps

a. Les obligations, les conditions de saisine et les missions des psychiatres experts dans les dossiers criminels

b. Une instruction qui a conduit à la réalisation de plusieurs expertises

B. un respect strict de la procédure pénale mais une conduite de l’instruction ayant laissé planer un doute sur l’importance accordée à cette affaire par la justice

1. La qualification des faits

a. Un réquisitoire introductif pour des faits de séquestration et d’homicide volontaire

b. La reconnaissance du caractère antisémite

c. Une absence de qualification terroriste cohérente avec la pratique du parquet national antiterroriste

2. La conduite de l’instruction

a. Un usage normal des commissions rogatoires pour pallier la surcharge des juges d’instruction

b. Un dialogue tendu avec les avocats

c. Un refus contestable de procéder à une reconstitution

d. Une surprenante absence d’exploitation du téléphone

III. La déclaration d’irresponsabilité et la prise en charge des personnes déclarées irresponsables

A. la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

1. La clôture de l’instruction a conduit à la saisine de la chambre de l’instruction dans les conditions prévues par le code pénal

2. La discussion et l’audience devant la chambre ont conduit à la déclaration d’irresponsabilité

3. Des avis psychiatriques ayant laissé penser à une divergence des experts

a. Une première expertise qui n’a pas les mêmes implications que les deux suivantes

b. Des discussions devant la chambre de l’instruction qui ont finalement abouti à un consensus médical

B. La prise en charge des personnes déclarées irresponsables

1. Les conditions de l’hospitalisation et le contrôle des mesures

2. Les enjeux liés à la fin des mesures de prise en charge médicale et de suivi

Synthèse des propositions

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES

contribution des groupes et des députés


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   AVANT PROPOS du président et du groupe UDI

Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, la Dr Sarah HALIMI était massacrée chez elle, à poings nus pendant presque quinze minutes, avant d’être défenestrée par son meurtrier parce qu’elle avait le malheur d’être juive, à Paris, en 2017. Encore une fois, soixante-quinze ans après la Shoah, après Ilan HALIMI, après le DJ Sellam, après les victimes de l’école de Toulouse et de l’Hypercasher et avant Mireille KNOLL, l’antisémitisme a tué en France.

Ce meurtre antisémite, odieux et barbare, d’une violence inouïe, a d’abord étrangement été couvert par un silence médiatique étonnant, comme nous l’a lui-même confié le procureur de la République de Paris au moment des faits M. François Molins lors de son audition par notre commission. Il a fallu notamment attendre ma question au gouvernement en juillet 2017 – soit trois mois après le meurtre – et la reprise des travaux parlementaires, pour que l’opinion commence à s’intéresser et à se saisir de cet énième drame.

À l’horreur de ce meurtre, au déni politique et à la détresse d’une famille face à ce nouvel affront qu’est l’indifférence, s’est ajoutée l’incompréhension de la décision de justice de la Cour d’appel de Paris de retenir l’irresponsabilité pénale du meurtrier, en raison de l’abolition d’abord supposée partielle puis totale de son discernement par son intoxication au cannabis.

Chacun peut saisir les conséquences juridiques mais aussi morales d’une telle décision, et l’effroi qu’elle répand sur une famille dont le deuil, déjà douloureux, devient dès lors insupportable.

Appelé très vite par le frère de la victime trois jours après le meurtre, je me suis longuement intéressé au dossier et il m’a rapidement semblé évident que cette décision fût prise sur la base d’une enquête lacunaire, voire d’un excès de compréhension du meurtrier par la juge d’instruction, au détriment à la fois de la victime et de la vérité.

L’absence initiale de la circonstance aggravante de l’antisémitisme du meurtre pourtant flagrant par la juge d’instruction - finalement retenue à l’issue de dix longs mois et grâce à l’insistance des parties civiles et du parquet - accroît à la fois notre sentiment de bâclage et d’aberration.

Comment la famille d’une femme, martyrisée à mains nues pendant près de quinze minutes puis défenestrée par un bourreau qu’elle craignait et qui la harcelait d’insultes antisémites, peut-elle subir cette nouvelle offense ?

Il a fallu attendre l’indignation d’une partie de la société civile pour entrevoir enfin l’espoir depuis l’abîme. Le Président de la République lui-même, sorti exceptionnellement de sa réserve en janvier 2020 devant les Français d’Israël à Jérusalem, a manifesté le besoin de procès face à une décision dont l’inanité nous frappe encore.

Hélas, le procès en assises du meurtrier n’aura jamais lieu, comme l’a confirmé la Cour de Cassation dans une décision tristement célèbre rendue définitivement le 14 avril 2021.

Le soulèvement, l’émotion, les manifestations qui suivirent cette décision dans le monde entier jusqu’à la décision des avocats de la famille de saisir une juridiction étrangère – israélienne en l’occurrence –, m’ont convaincu qu’il était nécessaire de poursuivre ce combat en France. J’ai donc entamé le long processus d’initiation d’une commission parlementaire afin de savoir, à l’image de l’affaire d’Outreau, si oui ou non il y a eu des dysfonctionnements de la part des services de l’État dans cette affaire, et si c’était hélas le cas, quels étaient ces dysfonctionnements.

À mon initiative, à laquelle s’est rapidement jointe la Députée Constance LE GRIP, notre Assemblée a donc adopté la proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête chargée de rechercher « les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah HALIMI ».

L’objectif de la commission d’enquête était notamment de comprendre :

Pourquoi les forces de l’ordre ne sont pas intervenues alors qu’elles étaient très rapidement et en grand nombre sur place, que l’assassin n’était pas armé et qu’il a martyrisé à mains nues pendant près de quinze minutes une femme qui hurlait devant tout un immeuble de voisins réveillés qui n’arrêtaient pas d’appeler ;

Pourquoi les policiers ont caché qu’ils avaient le trousseau de clés de l’appartement des Diarra et pourquoi il n’a pas été utilisé ;

Pourquoi la préméditation a été écartée par la juge alors qu’il s’agissait d’un individu manifestement radicalisé et profondément antisémite, que la victime craignait depuis des années à cause de ses insultes et menaces et que l’assassin avait déclaré dans la matinée du meurtre à un ami que « ce soir, tout sera réglé » ;

Pourquoi il n’y a jamais eu de reconstitution, pourquoi la téléphonie n’a pas été investiguée, pourquoi les voyous que fréquentait le meurtrier juste avant cet acte odieux et chez qui il a dormi n’ont jamais été entendus ;

Pourquoi la juge a refusé la première expertise qui validait l’abolition partielle (et aurait donc renvoyé le meurtrier en Cour d’assises), exigeant une deuxième expertise que la défense ne demandait pas, et tant d’autres questions encore…

La demande de commission d’enquête a été cosignée par près de quatre-vingts députés des partis LR, RN, UDI, quelques-uns de LREM et du MODEM mais aucun de partis de gauche. Je joins en annexe la liste de ces députés que je tiens à remercier.

Je tiens d’ailleurs à remercier mes collègues du groupe UDI & Indépendants et en particulier son Président Jean-Christophe Lagarde d’avoir accepté d’utiliser notre droit de tirage annuel pour cette commission.

J’ai constaté avec regret qu’une fois que la commission s’est constituée, aucun député de gauche (ni du Parti socialiste, ni de la France insoumise et ni du Parti communiste) n’ait jamais assisté à la moindre minute de nos travaux.

La recherche de vérité et la lutte contre toutes formes de racisme et d’antisémitisme sont des impératifs dans lesquels chacun se doit d’être investi et ce quelle que soit sa sensibilité politique.

Comment comprendre également que La Chaîne parlementaire n’ait jamais consacré la moindre minute sur cette commission d’enquête, le moindre reportage, le moindre débat, et n’y ait même jamais diffusé les moindres travaux au contraire d’autres affaires plus dérisoires, dont l’affaire Benalla pour ne citer qu’elle ? Le meurtre d’une femme juive en plein Paris est-il si anodin pour mériter cette indifférence médiatique ?

Très rapidement la commission constituée, je me suis rendu compte de la difficulté que j’aurai à pouvoir auditionner librement un très grand nombre de personnes dont l’audition me paraissait nécessaire. Alors qu’à peine un tiers des auditions ont initialement été validées par l’ex-rapporteur Didier PARIS, ce dernier m’a reproché d’en avoir commentées pour leur supposée confidentialité. Dans la réunion constitutive, il avait pourtant été convenu que toutes les auditions se tiennent en audition publique, à l’exception notoire de celle du meurtrier qui n’a finalement jamais eu lieu.

La démission regrettable de l’ex-rapporteur qui s’ensuivit portait en germe le manque de coopération de la part de certains membres de la commission, qu’ils ont ensuite confirmé tout au long de ces mois de commission d’enquête.

Je joins en annexe le courrier que l’ex-rapporteur m’a envoyé ainsi que ma réponse circonstanciée pour que chacun puisse se faire une idée de l’opportunité de cette démission.

Tous ces blocages peuvent laisser penser que la volonté d’une partie des membres – cela transparaît clairement dans ce rapport – était toujours de continuer à masquer une partie de la vérité, de protéger quoiqu’il advienne les services de l’État et de dissiper les doutes légitimes que nous exprimions et les dysfonctionnements que nous révélions. L’ex-rapporteur, qui accessoirement n’avait pas cosigné la demande de commission d’enquête, m’avait bien fait comprendre qu’il avait la majorité parlementaire au sein de la commission et qu’aucune audition ne se ferait sans son accord explicite.

Les moyens légaux dont je disposais se sont donc heurtés au refus et à l’habillage politicien d’une partie de la commission dont la tournure n’honore pas notre devoir de parlementaire. Je regrette à cet égard la réticence initiale du Président de l’Assemblée nationale lui-même qui m’a été rapportée par plusieurs témoins.

Le refus absolu et incompréhensible, malgré mes appels personnels et insistants, des membres du bureau LREM de la commission de nous accompagner lors de notre deuxième déplacement chez la victime en présence d’un expert judiciaire – un des moments cardinaux de l’enquête parlementaire – témoigne également de l’insuffisance et de la négligence dont ils ont fait preuve.

Cette visite nocturne avait pour seul intérêt de se mettre dans les conditions du soir du drame et de vérifier la cohérence des témoignages des policiers et des éléments retenus par la juge d’instruction. Elle était parfaitement en accord avec l’objet de notre commission d’enquête puisqu’elle suivait ce double objectif :

– Vérifier si les policiers ont dit la vérité ou ont menti sous serment en déclarant ne pas avoir entendu les cris d’une femme en train de hurler avant d’agoniser et donc ne pas intervenir, hurlements que tous les témoins nous ont affirmé avoir entendu

– Vérifier si les éléments retenus par l’enquête judiciaire étaient semblables à nos observations et à l’expertise réalisée. Cette visite était donc à la fois nécessaire et conforme à notre mission, ce pour quoi j’avais tellement insisté à la présence de l’ensemble des membres du bureau.

En réalité, ils ne voulaient voir une vérité si évidente en face de leurs yeux et qui aurait pu de façon certaine attester ces dysfonctionnements.

Plus encore, ils ont refusé de joindre l’expertise judiciaire essentielle qui a été réalisée au moment de cette visite pour vérifier la version des policiers concernant les cris de la victime (qu’ils n’auraient pas entendu) et la supposée théorie, suggérée par la juge, de la porte-fenêtre ouverte au moment de l’introduction du meurtrier (un des éléments retenus pour justifier la thèse de la bouffée délirante aiguë du meurtrier).

Je joins à cet effet la lettre que j’ai adressée à tous les membres de la commission après la visite, les exhortant à valider les auditions que je souhaitais encore faire.

Je joindrai donc également mais cette fois à ma contribution les conclusions du rapport incontestable réalisé par l’expert judiciaire près la Cour d’Appel de Chambéry – expert en intrusion et en technologies du renseignement travaillant régulièrement avec la police, la gendarmerie et les services de défense de notre pays –, qui confirme l’incohérence de la version retenue par la juge d’instruction et par les policiers.

À mon grand étonnement, je me suis également vu refuser de manière exceptionnelle et incompréhensible les auditions pourtant si importantes de certains témoins-clés de l’affaire.

Je déplore d’abord qu’aucun des proches du meurtrier l’ayant fréquenté et accompagné les jours et les minutes avant les faits n’aient été entendus ni par la juge d’instruction ni par notre commission. La famille du meurtrier (en particulier les sœurs dont l’antisémitisme est avéré) n’a également jamais été entendue par la commission malgré mes innombrables demandes. Ces derniers auraient dû nous être d’une aide cruciale dans l’appréhension de l’idéologie du meurtrier, dans l’évolution de ses motivations et donc dans l’appréciation de la préméditation du meurtre. Les motifs évoqués, l’impossibilité supposée de les localiser, est invraisemblable pour une commission d’enquête et dans un État de droit, d’autant plus que nous avons appris qu’ils continuent régulièrement à dealer dans le quartier, et surtout rencontrent l’assassin qui sort régulièrement de l’Unité pour malades difficiles.

Par ailleurs, je regrette de n’avoir jamais pu auditionner un des commandants de police judiciaire BJ en charge de l’enquête – acteur pourtant incontournable de la chaîne pénale – car supposé dispensé par un certificat médical produit en septembre dernier.

Une voisine de la victime, également policière et à qui Sarah HALIMI avait confié seulement deux jours avant le meurtre sa crainte du meurtrier, témoin des insultes qu’il lui assénait pendant des années, était elle-aussi dispensée par un arrêt de travail. Elle a pu être finalement auditionnée par la commission, uniquement grâce à ma persévérance et à mon appel personnel. Elle a été briefée et a subi des pressions exercées par sa hiérarchie avant de se présenter en audition. Cet épisode laisse penser que le commandant en question aurait pu lui aussi subir des pressions pour ne pas se présenter en audition. Nous avons aussi des témoignages qui montrent que les policiers ont été briefés longuement avant de se présenter en commission de façon tout à fait inadmissible.

De surcroît, j’exprime le regret de n’avoir pu disposer de certains documents essentiels à la meilleure compréhension de l’intervention de police et qui nous auraient été extrêmement utiles à la reconstitution de la chronologie des faits, elle-même sujette à de vives contradictions. Ces documents audio, retraçant les échanges entre policiers, ont profondément manqué à la bonne conduite de notre enquête et à l’exhaustivité du travail parlementaire.

Comment le rapport de la commission peut-il ne pas inclure les témoignages des témoins qui ont assisté à la scène du drame ? Serait-ce parce qu’ils sont accablants pour la police ?

Le rapport ne mentionne pas non plus l’audition remarquable et éclairante de Georges FENECH, ancien magistrat et président de la commission d’enquête sur les attentats de 2015 à Paris, à laquelle le rapporteur Didier PARIS s’était farouchement opposé, ni aucune des recommandations pourtant très pertinentes qu’il a suggérées.

En réalité, depuis le premier jour et jusqu’au dernier, tout laisse penser que l’objectif de certains a été de faire de cette commission un pur exercice de forme, donnant l’impression de vouloir préserver à tout prix l’irresponsabilité des services de l’État et ce malgré les éléments flagrants de dysfonctionnements révélés par la commission. Nous avons aujourd’hui pourtant la certitude et la preuve que certains policiers ont menti sous serment durant nos auditions.

Si une phrase doit résumer l’esprit de ce rapport, rédigé par les administrateurs de l’Assemblée nationale, je relèverai les conclusions de la rapporteure en page 24 :

« Aux yeux de votre rapporteure, cette opération ne présente pas de dysfonctionnement des services de police » !!

Un député, membre de LREM et approuvé par l’un de ses collègues, a dit lui-même lors du vote du rapport que si oui ou non il y a eu des dysfonctionnements dans cette affaire, il répondrait évidemment et naturellement oui.

L’adoption du rapport n’a d’ailleurs été votée que par le seul groupe parlementaire LREM, alors que les trois autres groupes représentés lors du vote (LR, UDI&I, MODEM) et de la commission ne l’ont pas voté.

Je préfère ne pas m’étendre sur la méconnaissance du dossier de la rapporteure, que je regrette, quant à ses collaborateurs, on ne les a jamais vus !

J’ai eu la naïveté de croire que l’évidence des faits et que la force des preuves feraient que ces dysfonctionnements allaient être constatés sereinement et unanimement. J’ai vu beaucoup de dénis, de blocages, de démissions, de refus et de couvertures dans ce rapport. J’invite chacun, en son âme et conscience, à visionner à nouveau celles de nos auditions filmées et rendues publiques et à se faire une idée des incohérences et des dysfonctionnements de cette affaire.

Vous trouverez dans ma contribution la liste factuelle mais non exhaustive des dysfonctionnements que j’ai établie, cosignée par le député François PUPPONI, secrétaire de cette commission.

Nous reviendrons sur :

– l’intervention de police : il apparaît que les policiers ont doublement menti, en expliquant n’avoir pas entendu les cris de la victime en train d’être battue et en faisant croire qu’ils ne pouvaient intervenir à défaut de pouvoir forcer la porte d’entrée des Diarra chez qui le meurtrier se trouvait avant de s’introduire chez Sarah HALIMI. Or, il apparaît qu’ils entendaient évidemment ces cris, comme tous les témoins, et qu’ils avaient les clefs de la porte d’entrée des Diarra. Il est étonnant que la hiérarchie policière ait trouvé naturel de couvrir ces mensonges au lieu de tout faire pour tirer au clair la situation.

– l’enquête judiciaire : L’enquête judiciaire s’est épargnée des actes de vérification comme l’exploitation des téléphones des auteurs et de l’entourage familial et amical. On ne sait pas qui le meurtrier Kobili TRAORE appelait les jours qui ont précédé son acte, pendant son acte ni même immédiatement après. Les amis de Kobili TRAORE ont été traités comme des témoins étrangers aux faits alors qu’ils sont des voyous notoires et qu’ils l’accompagnaient à la mosquée la veille des faits à trois reprises.

– la préméditation : il semble curieux que tout en ayant pris le soin de relever que des vêtements et une serviette appartenant à Kobili TRAORE avaient été laissés chez les DIARRA, le parquet n’ait pas ordonné d’interroger les protagonistes sur l’origine et le moment où ces vêtements avaient été introduits. Aucune question à ce sujet. C’est d’autant plus frappant qu’ils ont pu servir à un rituel religieux et à des ablutions, ce qui témoignerait d’une lucidité et d’une forme de préparation de l’acte chez Kobili TRAORE qui semblent à l’inverse des observations des psychiatres. De là à penser que ces négligences ont été volontaires, il n’y a qu’un pas. On ne peut pas induire le soupçon dans l’opinion publique en omettant des vérifications élémentaires.

– l’examen psychiatrique : On constate à cet égard un fait massif. C’est la thèse selon laquelle la bouffée délirante aiguë aurait été le marqueur d’une entrée dans une maladie mentale chronique qui a été relevée après avoir été avancée par le second collège d’experts. Or, la suite de l’hospitalisation de Kobili TRAORE a démenti ce diagnostic : aucune maladie mentale ne s’est jamais installée et il parait aujourd’hui au seuil de sortir d’hospitalisation, ce que tous les intervenants ont confirmé, dont son avocat. Une telle erreur est anormale, d’autant qu’elle s’inscrit dans une rivalité entre experts qui a été habilement utilisée par le juge d’instruction. Le meurtrier se déplace d’ailleurs très régulièrement à l’extérieur.

Au regard des dysfonctionnements, des incohérences et des lacunes avérés par les auditions et investigations, j’ai une triple conviction :

Sarah HALIMI aurait pu être sauvée ! Sarah HALIMI aurait dû être sauvée le soir du meurtre ! L’instruction a été menée avec négligence et à décharge, avec un manque flagrant d’objectivité.

La thèse de la préméditation évidente et prouvée a été sciemment écartée au profit de celle de l’abolition totale du discernement d’un individu sans aucun antécédent psychiatrique. Je rappelle encore une fois l’antisémitisme et la radicalisation du meurtrier, sa fréquentation de la mosquée salafiste Omar avant les faits ainsi que le rituel, lui aussi salafiste, qu’il a réalisé juste avant de passer à l’acte.

Aujourd’hui, je sors de cette commission avec ces certitudes mais aussi ébranlé et troublé. Nous avons répondu et élucidé beaucoup de questions, mais ma confiance dans la police et la justice et encore plus en la classe politique de mon pays a été fissurée. Ce qui était pendant des années une intime conviction semble aujourd’hui confirmée avec certitude par notre commission d’enquête parlementaire : les conclusions de l’affaire Sarah HALIMI reposent sur de graves erreurs policières et judiciaires couvertes par l’ensemble des acteurs précités.

Je tiens tout de même à rappeler que j’aime et respecte notre police, qui travaille souvent dans des conditions très difficiles avec parfois un manque de soutien de leur hiérarchie.

Je tiens aussi à dire que les auditions des ministres actuels de l’intérieur et de la Justice ont été très importantes, sans langue de bois et qu’elles ont aidé les travaux de la commission.

Par ailleurs, bien sûr il est normal dans une grande démocratie de ne pas juger les fous, mais le meurtrier l’était-il vraiment ? Trop d’éléments laissent à constater que l’assassin, par antisémitisme compulsif, avait prémédité son acte, préparé et organisé soigneusement son périple et avait sciemment choisi sa victime. Qu’il soit possible à la fois dans notre pays de commettre un meurtre reconnu comme antisémite et d’en être irresponsable pénalement me subjugue encore.

La République porte en étendard les principes de vérité et de justice. Je veux continuer à croire, naïvement peut-être, qu’ils triompheront, comme ce fut le cas il y a plus d’un siècle lorsqu’un capitaine juif accusé à tort de haute trahison fut, après avoir été dégradé et humilié, finalement libéré des chaînes de la honte et du déshonneur. À l’inverse de Dreyfus, on disculpe aujourd’hui un meurtrier antisémite. À l’inverse de Dreyfus, Sarah HALIMI ne reviendra pas du bagne puisque hélas elle est morte. Mais comme dans l’Affaire Dreyfus, rien ne pourra s’opposer définitivement à ce que la vérité éclate totalement un jour, très vite je l’espère. À défaut de pouvoir la faire ressusciter, je continuerai toujours, député ou non, à me battre pour son honneur et contre cet antisémitisme qui massacre, tue et endeuille trop de familles en France. J’ai pris cet engagement ce lundi 3 janvier 2022 devant sa tombe à Jérusalem aux côtés de son fils et de son frère.

Le masque islamiste de cet antisémitisme ne doit pas nous tétaniser et nous priver d’actions par déni, faiblesse, ou pire encore, par indifférence. Il est tout à fait inconcevable, si ce n’est insupportable, que nos compatriotes juifs soient menacés dans le pays qu’ils chérissent, dans leur pays, dans notre pays, sans même que le glaive de la justice ne vienne punir leurs pourfendeurs les plus cruels.

La justice est humaine, et en cela faillible. La création de la commission et ses travaux ont déjà permis à la famille de Sarah HALIMI mais aussi à tous les Français épris de justice de trouver une consolation dans son drame. Je ne désespère pas face à l’idée qu’un jour, elle puisse réellement faire le deuil d’une femme dont la dignité et la bonté, que ses proches me témoignent tous les jours, renforcent mon engagement.

 

Meyer HABIB

Président

 

ANNEXES

 

 

1.   Liste des députés cosignataires de la demande de commission d’enquête :

 


2.   Correspondance avec l’ex-rapporteur Didier PARIS

 

  1. Mail de Didier PARIS :

Paris, le 22 octobre 2021

 

Monsieur Meyer HABIB

       Député

Président de la Commission d’enquête sur les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah HALIMI

       

126, rue de l’Université

75355 PARIS 07 SP

 

 

 

 

Monsieur le Président,

 

 

Dans le cadre de la commission d’enquête sur « l’affaire Sarah Halimi » que vous présidez et dont je suis le rapporteur, nous avons, ensemble et avec un certain nombre de nos collègues, auditionné, le mardi 19 octobre dernier, Me Szpiner, avocat de la famille de la victime ainsi que les voisins de celle-ci, Mr Diarra et sa fille, eux-mêmes parties civiles dans le dossier pénal. 

 

L’audition de la famille Diarra s’est faite, avec notre accord, à huis clos, tout comme nous l’avions acceptée pour Monsieur William Attal, le frère de la victime.

 

Je tiens à vous faire part, Monsieur le Président, de ma vive inquiétude à la lecture des posts Facebook que vous avez publiés à la suite de ces auditions. 

 

S’agissant de celle de Me Szpiner, je ne suis pas certain que votre rôle de Président puisse consister à commenter et interpréter publiquement, au fil des travaux de la commission d’enquête, les propos des personnes auditionnées.

 

Plus gravement, je conteste formellement les commentaires, en 14 points, que vous avez cru devoir formuler à la suite de l’audition de la famille Diarra, pourtant faite à huis clos. 

 

En substance, vous y relevez les éléments qui constituent, à vos yeux et hors de toute appréciation des membres de la commission, des manquements dans les déclarations, des contre-vérités ou des incohérences entre leur déposition et le dossier pénal.

 

 

Non seulement, cette attitude, strictement personnelle, ne répond pas, selon moi, à l’objectivité nécessaire à nos travaux mais, par la rupture du huis clos, se trouve contraire aux bonnes pratiques des commissions d’enquêtes, tout autant qu’elle nuit à l’image de notre institution. 

 

J’y rajouterai que le huis clos est une mesure élémentaire de protection des personnes auditionnées, disposition qui me parait loin d’être théorique pour ce qui concerne la famille Diarra. 

 

Je n’ignore pas, Monsieur le Président, votre particulière sensibilité sur cette affaire et je partage pleinement votre volonté de rechercher les éventuels dysfonctionnements qui lui ont donnés lieu.

 

Je vous demande néanmoins, en tant que rapporteur de cette commission d’enquête, d’en respecter les règles et de veiller à ce que ses travaux puissent, par leur qualité et leur objectivité, faire l’œuvre utile que nous nous sommes assignée. 

 

Je vous prie d’accepter, Monsieur le Président, l’expression de ma respectueuse considération.

 


 

  1. Ma réponse au rapporteur Didier PARIS :

 

 

 

 

 

 

 

 

  1. Lettre adressée à tous les commissaires à la suite de la deuxième visite du domicile de Sarah HALIMI

 

Mesdames et Messieurs les membres de la Commission,

 

Permettez-moi tout d’abord, en ce 1er janvier, de vous souhaiter à toutes et à tous mes meilleurs vœux pour 2022. Beaucoup de santé et de bonheur pour cette nouvelle année pour vous et vos proches, qui je l’espère sera pour nous tous et pour la France meilleure que celle que nous avons connue en 2021 !

 

A quelques jours de la fin de nos travaux, je tenais encore une fois à vous faire part par écrit de mon regret de n’avoir pu auditionner, malgré mes innombrables demandes, aucun des proches ou amis de la famille de Kobili TRAORE (M. Abdelkader RAHBI, M. Sofiane DI-BACHIR, M. Nabil BENHAMIDA, Mme Koumba TRAORE et Mme Hinda TRAORE).

 

Ces auditions avaient, j’en ai la conviction, une importance cruciale ! 

 

J’avais pourtant demandé expressément que tous les moyens légaux dont je disposais soient mobilisés pour les convoquer, et ce conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958.

 

Pour exemple, je sais aujourd’hui de façon certaine qu’Abdelkader RAHBI, avec qui K. TRAORE a passé ses dernières heures avant le meurtre, n’a jamais déménagé du 27 rue des Vaucouleurs et qu’il rencontre encore très régulièrement Kobili TRAORÉ dans le quartier, parce que ce dernier sort très régulièrement de l’hôpital, et ceci selon plusieurs témoignages concordants que j’ai en ma possession.

 

Je tenais également à auditionner le commandant Bruno JACQUEL -officier de police judiciaire ayant pris les premières dépositions- car je sais qu’il avait des éléments importants à nous transmettre sur la tenue des auditions, ce qui nous a été rendu impossible par sa hiérarchie. Il semble que certaines personnes au sein de cette même hiérarchie de police ont tout fait pour que nous ne l’auditionnions pas, comme cela avait été au début le cas pour Mme Amal KADDA que la police n’arrivait pas à joindre mais que j’ai eu directement au téléphone et qui était tout à fait prête à venir déposer. J’ai là aussi des témoignages en ce sens qui l’affirment.

 

De la même manière, la commission a voté contre l’audition extrêmement importante de la vice-présidente chargée de l’instruction, la juge Mme. Virginie VAN GEYTE. C’est incompréhensible, je le regrette fortement.

 

La volonté de chacun d’entre nous doit être de mettre en lumière la vérité et les dysfonctionnements. Je n’arrive donc pas à comprendre pourquoi les membres de LREM ont unanimement refusé ces auditions si importantes ! Je le répète s’il le fallait, cette commission d’enquête n’est pas politique !

 

Enfin, un des moments les plus forts de la commission d’enquête a été la visite de l’appartement de Sarah HALIMI dans le but de se mettre dans les conditions du soir du drame. J’avais convié tous les membres du bureau par mail par l’intermédiaire des administrateurs. A ma grande surprise, aucun membre du bureau du groupe LAREM n’a souhaité venir, malgré mes appels personnels adressés à certains.

 

J’ai mandaté expressément un expert judiciaire dont je vous joins les conclusions du rapport en pièce jointe, et que je demande d’être intégré au rapport final de la commission. J’ai aussi demandé à une équipe de télévision de nous accompagner pour que tout soit filmé, et ce en présence de trois autres membres du bureau, Constance LE GRIP, François PUPPONI et Sandra BOELLE.

 

Les conclusions sont formelles : on ne pouvait pas ne pas entendre Sarah HALIMI (ni depuis la cour, ni même porte fermée depuis les couloirs de l’immeuble ni derrière la porte des DIARRA) d’une part, et la porte fenêtre a été forcée d’autre part.

 

Je ne reviendrai pas sur la non-audition de Kobili TRAORE, alors que la rapporteure Florence MORLIGHEM et même initialement son prédécesseur Didier PARIS étaient d’accord pour l’auditionner, tout a été fait pour retarder mes demandes, en expliquant notamment que son avocat n’était pas d’accord : comme si c’était à son avocat de donner des instructions à la commission d’enquête parlementaire ! 

 

Nous n’avons pas encore lu le rapport, mais il semble légitime de penser que certains membres me mettent des bâtons dans les roues depuis le début et qu’ils ne veulent pas aller au bout de cette affaire, alors qu’une femme est morte massacrée, martyrisée et défenestrée en plein Paris parce qu’elle était juive, et ce dans un silence médiatique assourdissant, comme s’était étonné le Procureur François MOLINS lui-même.

 

Non, nous n’avons pas voulu refaire l’instruction, mais seulement mettre la lumière sur les dysfonctionnements de la police et la justice, notamment avec ma collègue Constance LE GRIP, co-initiatrice de cette commission d’enquête et vice-présidente, et François PUPPONI, secrétaire de la commission très impliqué depuis le premier jour dans cette affaire.

 

Nous attendons avec impatience le rapport pour savoir si nous le voterons ou non.

 

Me trouvant actuellement en Israël, je me rendrai lundi, avant de rentrer à Paris, sur la tombe de Sarah HALIMI à Jérusalem.

 

Je vous renouvelle encore une fois, mes chers collègues, tous mes vœux pour cette nouvelle année, en espérant qu’ils soient tous exaucés en 2022.

 

PS : J’enverrai l’intégralité du rapport judiciaire aux administrateurs.

 

Bien cordialement,

 

Meyer HABIB

 

Président

 

 

 

 

 

IV/ Lettre de l’expert judiciaire présent à l’issue du deuxième déplacement chez Sarah HALIMI

 

 


– 1 –

 

   Introduction générale

Le meurtre de Sarah Halimi, frappée à mort puis défenestrée dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 au 30 rue de Vaucouleurs, parce qu’elle était juive, est un drame terrible qui a suscité l’émotion et la colère de l’ensemble de la communauté juive de notre pays, déjà victime de si nombreuses agressions au cours des dernières années, mais aussi de la société française tout entière.

La justice a rendu une décision dans cette affaire : le meurtrier de Sarah Halimi, Kobili Traoré ne pouvait être jugé pour ses actes car son discernement était aboli au moment des faits. Cette décision, confirmée en appel puis en cassation, est définitive et nous oblige ; votre rapporteure ne la remettra nullement en cause dans son rapport.

L’absence de procès est évidemment une frustration, en premier lieu pour les parties civiles, qui ont le sentiment que la justice n’a pas été rendue, mais aussi pour les citoyens et leurs élus qui se sont sentis démunis face à l’horreur du crime commis. Elle est cependant la mise en œuvre d’un principe fondamental de notre état de droit selon lequel « on ne juge pas les fous ».

Face à l’émotion, à l’incompréhension et aux critiques que le traitement de cette affaire a causées dans l’opinion publique, une commission d’enquête a été créée pour faire la lumière sur les évènements et « rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police » ([1]), à la demande du groupe UDI & Indépendants, en la personne de M. Meyer Habib, président de la commission, mais aussi de députés d’autres groupes politiques qui se sont distingués par leur participation active tout au long de la commission, qu’ils en soient très vivement remerciés.

Apprécier le bon déroulement d’une procédure judiciaire, replacée dans son contexte, sans remettre en cause l’indépendance de notre justice, ni l’autorité de la chose jugée, voici la mission qui a été confiée à votre rapporteure. Elle est difficile car on pourrait être tenté d’analyser le déroulement des faits à la lumière de ce qui n’a été su qu’après, de refaire chaque étape du procès, de se fier à son intime conviction pour estimer que les experts et les juges – dont c’est la profession – ont fait les mauvais choix et ont retenu de mauvaises interprétations. Ce n’est pas le rôle du Parlement. Notre rôle est de voir s’il y a eu de la part des autorités policières ou judiciaires des erreurs manifestes, des fautes, des violations des règles de procédure pénale et, le cas échéant, s’il en ressort la nécessité de faire évoluer le droit existant.

Le présent rapport s’appuie donc sur les faits relatés par les différents acteurs et non sur les opinions extérieures ayant pu être formulées, y compris dans le cadre d’auditions de la commission d’enquête, par certains juristes ou psychiatres sans lien avec l’affaire. Il se veut le plus objectif possible et n’écarte aucune question. Pourquoi la police, pourtant en effectifs nombreux sur les lieux, n’est pas intervenue ? Pourquoi les enquêteurs n’ont-ils pas exploité le téléphone de l’auteur des faits ? Pourquoi la juge d’instruction a-t-elle refusé de procéder à une reconstitution ? Pourquoi le parquet a-t-il mis aussi longtemps à reconnaître la circonstance aggravante d’antisémitisme ? etc.

Si, de manière générale, les règles de procédure ont été scrupuleusement respectées, le rapport pointe, sans complaisance, les failles qui ont conduit à des incompréhensions et propose, au-delà des modifications du droit qui ont déjà pu être apportées ces derniers mois, des pistes de réforme pour éviter qu’elles ne se répètent car elles ont fragilisé la confiance de nos concitoyens dans les institutions.

La majorité et le Gouvernement n’ont d’ailleurs pas attendu cette commission d’enquête pour agir puisque, dès cet automne, le Parlement a adopté un projet de loi sur la responsabilité pénale ([2]).

1.   Une commission d’enquête particulière par son objet et son déroulement

a.   Une demande de commission d’enquête jugée recevable à des conditions strictes

Il n’est pas commun qu’une commission d’enquête porte sur une affaire judiciaire particulière. En effet, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires prévoit qu’ « il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Lorsqu’une commission d’enquête comprend un volet pouvant concerner le traitement judiciaire d’une ou plusieurs infractions, il ne lui est pas possible d’exercer les pouvoir qui sont les siens sur des affaires en cours.

Si la demande de création de cette commission d’enquête a pu être jugée recevable, c’est parce que la procédure concernant le meurtre de Mme Sarah Halimi est désormais achevée, la Cour de cassation s’étant prononcée définitivement le 14 avril 2021. Il n’en demeure pas moins que la commission d’enquête, si elle peut porter sur le fonctionnement de la police et de la justice, ne peut porter atteinte au « respect du principe de la séparation de l’autorité judiciaire et des autres pouvoirs » ([3]).

Le rapporteur de la proposition de résolution tendant à la création de la commission d’enquête, M. Didier Paris, a constaté que cette demande de commission d’enquête était recevable. Il a toutefois rappelé que « le président de l’Assemblée nationale a reçu des deux coprésidents du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), Mme Chantal Arens et M. François Molins, un courrier dans lequel ils s’émeuvent de la perspective de cette commission d’enquête. Ils insistent notamment sur le fait qu’elle ne saurait, en aucune façon, porter une appréciation sur la décision de justice en elle-même, en raison de la séparation des pouvoirs. Pour ma part et même si j’ignore, à ce stade, qui sera rapporteur et qui sera président de cette commission d’enquête, je fais pleinement miennes ces préventions : il ne serait pas admissible que la commission d’enquête ait pour objet ou pour effet de jeter le discrédit sur une décision de justice devenue définitive » ([4]).

Les auteurs de cette résolution avaient conscience de cette contrainte et la proposition de résolution s’y soumettait puisqu’elle indiquait qu’« il appartient aujourd’hui à la Représentation nationale de faire la lumière sur les éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi, afin de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement le cas échéant, et ce, dans le strict respect de l’indépendance de la magistrature et sans constituer en aucune manière un troisième degré de juridiction procédant à une remise en cause de telle ou telle décision juridictionnelle ».

La proposition de résolution énumérait ainsi des dysfonctionnements potentiels sur lesquels il était légitime que la commission d’enquête mène ses investigations, en ce qu’ils relèvent du fonctionnement des pouvoirs publics : « Pas d’investigations quant à l’absence d’intervention des neuf policiers présents très vite sur les lieux, pas de questions posées par les avocats de la partie civile sur les zones d’ombre de l’enquête judiciaire, pas d’interrogations sur la place laissée aux appréciations des experts judiciaires… Des actes essentiels et habituellement effectués dans le déroulé d’enquêtes criminelles n’auront pas été réalisés durant l’instruction : aucune reconstitution du crime n’a eu lieu, certains voisins n’ont pas été interrogés, les avocats de la partie civile n’ont pas été reçus malgré leurs innombrables demandes, le téléphone de l’assassin n’a pas été investigué, etc. ».

C’est donc sur ces différents points que votre rapporteure se prononcera dans le présent rapport – puisqu’il a été fait le choix, de la part du groupe ayant exercé son droit de tirage, d’organiser cette commission d’enquête sans en réaliser le rapport ([5]).

b.   Une grande difficulté à éviter de « refaire le procès »

Force est de constater que la crainte des co-présidents du CSM s’est en partie matérialisée. Si votre rapporteure n’en fera pas état dans ses conclusions, puisque cela excédait la compétence de la commission d’enquête, elle regrette qu’une grande partie des travaux aient porté sur la décision même des magistrats en charge du dossier, conduisant à remettre régulièrement en cause l’autorité de la chose jugée et les conclusions des experts, pourtant spécialistes depuis de nombreuses années du diagnostic des personnes dangereuses.

Comme l’a rappelé le procureur général près la Cour de cassation, M. François Molins, trois principes s’imposent à la commission : « Le premier est la séparation des pouvoirs. Le deuxième est l’autorité de la chose jugée. Le troisième est le respect de l’office juridictionnel du juge : il est possible de chercher des dysfonctionnements, mais l’appréciation de la circonstance aggravante de préméditation, d’antisémitisme ou de terrorisme rentre dans l’office juridictionnel du juge. Peu de procès font l’unanimité, et aucun procès ne ressemble à aucun autre. Les points de vue de l’autorité de poursuite, de la défense, des avocats de la partie civile sont différents, et le juge joue un rôle d’arbitre. Certaines décisions sont prises rapidement, d’autres sont plus complexes. C’est le cas de ce dossier. Il ne s’agit en rien d’un dysfonctionnement : c’est l’essence du procès pénal, qui se traduit par des décisions soumises au contrôle des juridictions supérieures qui les apprécient » ([6]).

La justice doit bien sûr pouvoir faire l’objet d’un contrôle du Parlement quant à son fonctionnement général. Ce contrôle ne peut toutefois se convertir en un ultime recours pour une personne condamnée ou une partie civile. Il ne doit pas davantage remettre en question l’autorité de la chose jugée, comme l’impose la séparation des pouvoirs.

L’encadrement de l’objet des commissions d’enquête pourrait à ce titre être précisé pour exclure la possibilité de porter une appréciation sur la décision d’une affaire définitivement jugée, c’est-à-dire qui a permis l’exercice de toutes les voies de recours et, partant, un réexamen de l’affaire jusqu’à la décision ultime. Une telle règle aurait permis, au cours de la présente commission d’enquête, aux personnes auditionnées de refuser de répondre à des questions qui excédaient manifestement le champ de la commission d’enquête, en particulier celles portant sur la préméditation ou l’irresponsabilité de l’auteur des faits. Une exception pourrait être prévue dans le cas d’erreur judiciaire manifeste et reconnue, comme cela avait été le cas pour l’affaire Outreau en 2006 ([7]).

Proposition  1 : Réviser l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour encadrer les commissions d’enquête portant sur des affaires jugées, sauf en cas d’erreur judiciaire manifeste.

c.   Un rapport strictement limité à l’objet de la commission d’enquête

Votre rapporteure a donc écarté volontairement la possibilité de s’exprimer sur les décisions, définitives, de la chambre de l’instruction et de la Cour de cassation, ayant confirmé l’irresponsabilité pénale de l’auteur du crime. Elle ne se prononcera ni sur le caractère prémédité des actes commis, ni sur la nature des troubles psychologiques de M. Traoré. Les magistrats et les experts psychiatriques ayant traité de ce dossier étaient les mieux à même d’apprécier, en fait et en droit, la situation qui leur était soumise.

Le rapport s’astreint donc au respect du périmètre de la commission d’enquête tel qu’il est défini dans la proposition de résolution. Même si certaines auditions ont excédé ce champ et la prérogative reconnue aux commissions d’enquête, l’analyse de votre rapporteure se limite volontairement au fonctionnement de la justice et de la police au cours des faits et de la procédure.

Il sera donc question du déroulement de l’intervention des forces de police (I), de la conduite de l’enquête et de l’information judiciaire, en particulier les conditions de saisine du juge d’instruction, le recours aux expertises et le choix des actes d’instruction réalisés, et des suites données à la décision d’irresponsabilité (II). L’objectif des constats et des propositions formulées est de décrire comment cette affaire s’est déroulée, en s’appuyant sur les textes juridiques en vigueur et les témoignages recueillis, de soulever les difficultés auxquelles cette affaire très particulière a exposé notre police et notre justice, et d’ouvrir des pistes de réflexion pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise.

2.   Plusieurs incidents ont émaillé le déroulement de la commission d’enquête

Outre la difficulté inhérente à l’objet de la commission d’enquête, votre rapporteure ne peut passer sous silence certains dysfonctionnements internes à la commission d’enquête.

Votre rapporteure, son prédécesseur M. Didier Paris, et les membres du groupe La République en Marche, ont souhaité respecter les principes inhérents au droit de tirage. Même si le groupe UDI & Indépendants a souhaité prendre la présidence, laissant ainsi le soin à la majorité d’exercer les pouvoirs particuliers des commissions d’enquête parlementaires, votre rapporteure ne s’est jamais opposée aux propositions d’auditions effectuées par le Président. Elle a également accepté de procéder à des contrôles sur place et de demander l’ensemble des pièces souhaitées par les membres de la commission. Elle s’est en revanche opposée à la réalisation d’une « reconstitution » de nuit initiée par le Président en méconnaissance du rôle d’une commission d’enquête parlementaire et des prérogatives appartenant à sa rapporteure.

Il s’est avéré, a posteriori, qu’un certain nombre d’auditions étaient problématiques, eu égard aux positionnements et aux propos tenus devant les commissaires. Il est manifeste que plusieurs des personnes ont été invitées parce qu’elles s’étaient faites connaître pour leur prise de position sur l’affaire Sarah Halimi, sans avoir participé à son processus administratif ou judiciaire. Or, les affirmations relevant de la conviction personnelle, prononcées sous serment, n’ont pas leur place dans une commission d’enquête. La commission a ainsi entendu des propos inacceptables alimentant l’idée d’un complot de la part des autorités policières et judiciaires pour étouffer cette affaire. Les propos de M. Sammy Ghozlan indiquant qu’il avait « entendu dire que [la juge d’instruction] vivait beaucoup en Afrique, qu’elle aimait beaucoup les gens de couleur » ([8]) ont choqué votre rapporteure, tout comme ceux d’un psychiatre affirmant son diagnostic sur l’état mental de l’auteur des faits, qu’il n’a jamais rencontré : « Bien que je ne l’aie jamais rencontré, les éléments présentés par Kobili Traoré me sont parfaitement familiers. Le délire de possession, le sentiment d’être saisi par une forme malfaisante, et que d’aucuns ont qualifié de bouffées délirantes – mais peu importe – est une manifestation fréquente dans les milieux africains. Ces malades sont parfaitement tolérés dans les villages de la brousse africaine » ([9]).

Les auditions de témoins de l’affaire ont également été multipliées. Ces auditions n’ont pourtant pas porté sur le fonctionnement de la police ou de la justice et n’ont servi qu’à procéder à nouveau aux questions qui leur avaient été posées au cours de l’enquête. Ces personnes avaient fait part de leur inquiétude et de leur volonté d’être entendues à huis clos. Votre rapporteure a insisté pour qu’il soit fait droit à ces demandes. La divulgation du contenu d’une audition sur les réseaux sociaux, sans l’accord de la commission, pour remettre en cause publiquement les propos d’une partie civile a d’ailleurs conduit à la démission du rapporteur Didier Paris.

Votre rapporteure a accepté d’interpréter au plus large les prérogatives dont elle disposait à la fois en matière d’auditions et de contrôles sur pièce et sur place. Cela n’a pas été sans susciter des difficultés. Une réflexion d’ensemble sur les pouvoirs des commissions d’enquête est nécessaire pour les encadrer plus précisément, notamment à l’heure d’internet et des réseaux sociaux.

Proposition  2 : Réviser l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour préciser les règles en matière de publicité et d’obligation de se présenter, pour les personnes auditionnées comme simple « témoins privés » sans responsabilité administrative ou publique.

___

Malgré ces quelques incidents, qui résultent pour beaucoup de l’imprécision des textes en vigueur, votre rapporteure souhaite remercier le président et les membres de la commission qui ont été particulièrement actifs tout au long des travaux d’avoir permis d’éclairer un certain nombre de zones d’ombre dans cette affaire qui a profondément touché les Français. Le groupe majoritaire a participé activement, de bout en bout, aux travaux de la commission car il était nécessaire de répondre à des interrogations légitimes. Il aurait été indécent, pour les victimes et vis-à-vis de nos concitoyens, de ne pas étudier cette affaire qui a conduit à mettre violemment en cause notre justice et notre police.

L’exercice était difficile car il faut analyser la procédure sans remettre en question l’autorité de la chose jugée. Toutes les affaires judiciaires font appel à l’interprétation des enquêteurs, des magistrats, des experts, c’est le fonctionnement de la justice et il faut le respecter. Les éclaircissements apportés par le rapport n’ignorent pas un certain nombre de difficultés mais ils démontrent également que dans cette affaire les règles que suivent nos forces de sécurité et celles de notre état de droit ont été respectées. L’absence de dysfonctionnement grave n’exclut toutefois pas que de meilleures décisions auraient pu être prises, ni que certaines de ces règles ne devraient pas évoluer pour mieux répondre à des situations similaires à celles-ci. Un premier pas a déjà été fait en ce sens avec l’adoption du projet de loi sur la responsabilité pénale et la sécurité intérieure.

 

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*     *


– 1 –

 

 

I.   L’intervention de la police et des services de secours

La commission s’est intéressée au déroulement de l’intervention des forces de l’ordre tout au long de la nuit du 4 avril 2017. Le constat est en effet terrible : alors que les policiers sont arrivés rapidement sur les lieux, avant que le meurtrier ne se rende dans l’appartement de Sarah Halimi, ils n’ont pu empêcher son agression et sa défenestration, qui a duré plusieurs minutes, sous les yeux de nombreux témoins.

La commission s’est donc d’abord concentrée sur l’arrivée rapide des policiers et sur leur travail de sécurisation des lieux (A). Votre rapporteure a ensuite étudié les raisons qui expliquent que la police n’ait pas pu intervenir à temps pour interpeller le forcené (B) puis elle s’est demandée si la doctrine d’intervention mise en application était bien celle applicable dans ce cas précis et, le cas échéant, si elle doit évoluer (C).

Chronologie des faits

3h30 : M. Traoré quitte l’appartement d’un ami chez qui il a passé la soirée et le début de la nuit.

4h22 : premier appel à police secours d’une des filles de la famille Diarra qui indique que la famille est séquestrée par M. Traoré au 3e étage du 26 rue Vaucouleurs.

4h25 à 4h30 : arrivée du premier équipage de la BAC 11N qui entre dans l’immeuble et se place derrière la porte des Diarra. Ils entendent des hurlements et/ou des prières en arabe et demandent des renforts.

Entre 4h30 et 4h35 : M. Traoré passe par le balcon pour atteindre l’appartement de Mme Halimi, au 3e étage du 30 rue Vaucouleurs (mitoyen du 26 mais appartenant à un autre immeuble).

Entre 4h40 et 4h45 : défenestration de Mme Halimi.

Entre 4h40 et 4h50 : arrivées respectives sur les lieux de la BAC 52 (police secours) et de la BAC 75N (colonne d’assaut).

4h51 : arrivée des sapeurs-pompiers.

5h05 (environ) : constat du décès de Mme Halimi.

5h30 : interpellation de M. Traoré dans l’appartement de la famille Diarra.


A.   Une arrivée rapide sur place des primo-intervenants

1.   Le déploiement sans difficulté des équipes de la brigade anti-criminalité

La plateforme de police secours a reçu, le 4 avril 2017 à 4 heures 22, l’appel d’une personne signalant être séquestrée par un individu. Elle indique être retranchée avec sa famille, dont un enfant, dans une chambre donnant sur la rue, pour échapper à un individu qu’elle connaît et qui s’est introduit chez eux.

La brigade anti-criminalité de nuit du commissariat du 11e arrondissement (« BAC 11N »), immédiatement envoyée sur place, est arrivée trois minutes plus tard, à 4 heures 25. Votre rapporteure souligne le niveau exceptionnel de réactivité des forces de l’ordre au début de cette intervention.

La brigade prend alors un contact visuel avec la famille séquestrée qui lui jette, depuis la fenêtre, un moyen d’entrer dans l’immeuble. Ils peuvent donc entrer rapidement dans les parties communes pour sécuriser le bâtiment et se placer derrière la porte d’entrée vers 4 heures 30.

La commission s’est demandé si les policiers disposaient ou non des clefs de l’appartement. Sur ce point, les auditions divergent. Au cours des auditions de la commission d’enquête, un membre de la famille Diarra a indiqué qu’il avait jeté un pass et des clefs par la fenêtre. Les policiers en charge de l’intervention n’ont pas écarté la possibilité d’avoir eu les clefs en leur possession mais ont indiqué ne pas en avoir souvenir. Quant au dossier, il n’évoque que la remise d’un pass Vigik® pour accéder aux parties communes – y compris au moment de sa restitution à la famille Diarra.

Sur ce point, il est donc impossible d’affirmer que les policiers avaient la clef de l’appartement. En tout état de cause, il n’est pas certain que cela aurait changé le déroulement de l’opération puisque les forces présentes sur place attendaient l’arrivée d’une colonne d’assaut pour intervenir, conformément à la doctrine en vigueur ([10]).

2.   L’impossibilité d’entrer dans les immeubles, un obstacle fréquent aux interventions des services de police et de secours

À l’occasion des échanges ayant porté sur la question de la mise à disposition ou non des clefs, il est apparu à la commission que les difficultés rencontrées par les forces de police et de gendarmerie et les services de secours pour accéder aux immeubles entravaient régulièrement leurs interventions. Si cela n’a pas été le cas dans la présente affaire, puisque les policiers ont pu entrer immédiatement, il arrive régulièrement qu’une opération soit rendue impossible par la fermeture d’un immeuble. Comme l’a indiqué l’un des policiers intervenus le 4 avril : « Trop souvent lorsque nous intervenons, nous sommes bloqués devant les immeubles en attendant un hypothétique code d’accès. Quand le requérant habite dans l’immeuble il nous communique le code, mais quand nous sommes appelés par un habitant d’un autre immeuble ou par un passant dans la rue, nous n’en disposons pas. Nous sommes très souvent bloqués. Nous ne sommes pas en possession de ce Vigik® universel » ([11]).

En l’état du droit, les copropriétés peuvent décider, par décision en assemblée générale, d’autoriser les secours et la police à accéder aux parties communes ([12]). Selon le ministre de l’intérieur, cette option n’est pas suffisamment contraignante : « La détention de clés universelles permettant d’entrer dans les immeubles est un sujet essentiel. Je me suis beaucoup battu, lorsque j’étais maire, et je continue à le faire dans mes fonctions actuelles, pour que les bailleurs sociaux – même si cela ne résout pas tout, car il y a aussi les propriétés individuelles et les copropriétés – fournissent aux policiers, aux gendarmes et aux pompiers, leurs clés informatisées ou sui generis. Ils ne le font quasiment jamais. De plus, les clés informatisées sont parfois mises à jour tous les x mois pour éviter les intrusions. Mmes et MM. les députés, vous accordez des réductions d’impôt aux bailleurs, qui doivent, en contrepartie, respecter des obligations de sécurité, notamment installer des caméras de vidéoprotection et soutenir l’action des forces de sécurité. La contrainte exercée sur les bailleurs ne me semble pas assez forte. Ils doivent à tout le moins fournir les pass universels » ([13]).

La loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile pallie cette difficulté. Elle a modifié l’article L. 272-1 du code de la sécurité intérieure pour prévoir que : « Les propriétaires ou les exploitants d’immeubles à usage d’habitation ou leurs représentants s’assurent que les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les services d’incendie et de secours sont en mesure d’accéder aux parties communes de ces immeubles aux fins d’intervention. Ils peuvent accorder à la police municipale une autorisation permanente de pénétrer dans ces mêmes parties communes » ([14]).

Cette mesure sera prochainement effective, compte tenu du délai requis pour prendre les textes réglementaires et rendre le dispositif opérationnel. Lors de son audition, le ministre de l’intérieur a indiqué que « les mesures réglementaires prises en application de la loi Matras devraient être prises au cours du premier trimestre 2022 – nous y travaillons déjà. La distribution de pass universels à l’ensemble des forces de police devrait se faire – s’il n’y a pas de problème industriel – dans le courant de l’année prochaine. Fin 2022, tous les services de police devraient y avoir accès » ([15]). Votre rapporteure sera attentive à la mise en œuvre effective de cette réforme.

Proposition  3 : Veiller à la mise en œuvre effective de l’équipement des services de police et de secours en « pass universels » pour l’accès aux immeubles prévu par l’article 20 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

B.   La méconnaissance des lieux et l’enchaÎnement des faits ont rendu impossible d’intervenir à temps chez la victime

1.   La difficulté de s’adapter à la configuration des lieux

Une fois positionnées sur les lieux, aux alentours de 4 heures 30, les forces de l’ordre ont attendu des renforts. Ils entendent des cris dans l’appartement, surtout en arabe, mais pas d’appel à l’aide, ni d’agression. La situation leur semble alors stabilisée et ils décident d’attendre une équipe spécialisée et de s’équiper « en lourd » au cas où ils devraient finalement intervenir précipitamment.

Le brigadier-chef a raconté à la commission la manière dont les évènements se sont déroulés de son point de vue : « J’ai décidé de faire équiper mes effectifs en équipement lourd. Ils ont été rapidement équipés dans les véhicules, et j’ai mis des effectifs devant la porte avant de redescendre. Cela a été très rapide, le temps de me rendre compte de la situation. J’ai placé ces effectifs en attente. J’entendais encore la voix d’un monsieur dans l’appartement visé, ce qui m’a laissé supposer qu’il était toujours là. Je suis resté très peu de temps, avant de redescendre pour sécuriser le reste des lieux et rendre compte à la station directrice et à l’état-major. Je me suis ensuite rendu dans la cour intérieure pour sécuriser le périmètre complet. Puis je suis revenu sur la voie publique » ([16]).

On peut en déduire qu’à ce moment-là, il n’y a pas encore de bruits dans la cour, raison pour laquelle aucun policier n’est laissé en faction. A posteriori, ce choix est regrettable car il s’avère qu’une telle faction aurait pu permettre de sécuriser le balcon et d’empêcher le meurtrier de s’échapper. En ce sens, à la lumière du déroulement ultérieur des faits, il apparaît que la sécurisation du bâtiment a été imparfaite.

Une autre policière passe dans la cour un peu plus tard. Elle entend des bruits mais aucun cri humain. Le meurtrier s’apprête à passer (ou vient de passer) par le balcon dans l’appartement de Mme Sarah Halimi. Les policiers placés derrière la porte ne peuvent avoir cette information et la méconnaissance des lieux ne leur permet pas de savoir que l’immeuble voisin est accessible aussi facilement. La famille séquestrée ne pouvait pas non plus en être informée puisqu’elle s’était réfugiée dans une chambre donnant sur la rue.

Plan du quartier où se sont déroulés les faits
(11e arrondissement de Paris)


En outre, comme le rappelle le préfet de police de Paris au moment des faits, Michel Cadot : « Lorsque les policiers arrivent dans l’immeuble, ils ne le connaissent pas et ils ne disposent pas des plans de l’appartement. Ils ne savent pas si M. Kobili Traoré est violent ou armé. Vous m’informez que cela leur a été précisé. Or cela n’a jamais été mentionné dans les documents dont je dispose. Je considère que cette BAC a appliqué les consignes » ([17]). En effet, les policiers – souvent victimes de guet-apens – ne pouvaient se fonder sur les seules informations fournies par les personnes séquestrées pour considérer que l’intervention ne présentait aucun danger. Comme l’a indiqué une policière présente pendant l’intervention : « Même si mes collègues m’avaient communiqué cette information, tant que je n’ai pas l’individu face à moi, j’ignore s’il n’a pas trouvé une arme dans le domicile » ([18]).

2.   Un enchaînement rapide des faits

Une fois M. Traoré rendu dans l’appartement de Mme Halimi, une partie de l’agression se déroule à l’intérieur. Les horaires varient selon les témoignages mais il semblerait que ce soit à 4 heures 39 que Police secours reçoit le premier appel évoquant des cris et des violences sur le balcon (l’agression a commencé plusieurs minutes avant dans l’appartement). À 4 heures 41, un autre appel signale la défenestration. Un autre appel, passé à 4 heures 45, fait encore état des violences sur le balcon. Il est donc difficile d’évaluer précisément la durée de l’agression. Ces horaires concordent avec les informations transmises par les pompiers qui sont arrivés à 4 heures 51 – environ huit minutes après avoir été appelés pour défenestration.

Selon le préfet Michel Cadot, l’enchainement des faits a été encore plus rapide : « À partir de 4 heures 39, un premier appel a été adressé à police secours par une voisine située à l’arrière du bâtiment, qui signalait qu’une femme se faisait frapper sur le balcon. Puis, à 4 heures 40, un appel a été adressé aux pompiers signalant la chute d’une femme depuis un balcon. La chute est intervenue quelques minutes après le premier appel signalant un autre fait à une autre adresse. Les policiers primo-arrivants sur les lieux n’ont pas eu connaissance de la fuite de M. Kobili Traoré par le balcon, de son attaque rapide à l’encontre de Mme Sarah Halimi dans son sommeil et de son meurtre » ([19]).

Aucun policier n’avait été placé dans l’immeuble voisin (celui de Mme Halimi), ni dans la cour dès le début de l’intervention, ce qui aurait pu permettre de voir M. Traoré passer dans l’autre appartement. Toutefois, la rapidité de l’enchaînement des faits et le temps qu’il aurait fallu pour accéder au palier du bon immeuble n’auraient vraisemblablement pas permis de sauver la victime.

Il n’aurait pas non plus été possible de tirer à l’arme à feu depuis la cour : « Même si nous avions vu qu’il était en train de lui porter des coups sur son balcon, nous n’aurions pas pu faire usage de notre arme, car il était certainement au corps à corps avec la victime » ([20]).

Le déplacement de la commission sur les lieux, le lundi 15 novembre 2021 au matin, a permis de mieux comprendre la difficulté de l’intervention pour les policiers. Ceux-ci se sont trouvés dans une cage d’escalier exiguë et très isolée phoniquement, d’autant que, dans l’appartement de la famille Diarra, la porte du balcon est à l’opposé de la porte d’entrée. Il est donc tout à fait plausible, conformément à leur témoignage, qu’ils n’aient pas pu entendre les cris qu’ont pu entendre les témoins donnant directement sur la cour.

3.   Des informations partielles et imprécises

S’ils ne pouvaient entendre les cris depuis l’immeuble, ni voir l’agression depuis la cour qui n’était pas surveillée, les policiers auraient pu être informés par des témoins directs de la scène. Or, les informations recueillies et transmises au cours du déroulement des faits n’ont pas permis d’ajuster l’intervention en temps réel.

La préfecture de police de Paris avait mis en œuvre des plateformes de réception commune au 17 (police secours) et au 18 (sapeurs-pompiers). Comme l’a indiqué le préfet Michel Cadot : « Les appels au centre de commandement correspondent aux numéros d’urgence 17 ou 18. Il s’agit d’un point central du dispositif où les appels sont régulés et où les demandes peuvent faire que les forces spéciales soient conduites à intervenir. C’est un lieu stratégique et crucial. Deux équipes ont été contactées au 17, les forces de police, et au 18, les sapeurs-pompiers, qui relèvent également de l’autorité opérationnelle du préfet de police. Il s’agissait de deux équipes avec des officiers communs au centre d’appels, mais ces équipes n’étaient pas fondues. Avec le général qui commandait la brigade et le directeur de la sécurité publique qui coordonne les BAC pour les brigades de nuit, nous avons modifié le système et avons instauré des binômes. Tous les appels étaient pris par deux personnes : un policier et un pompier afin de mutualiser le maximum d’informations » ([21]).

Toutefois, les appels des témoins, adressés depuis la rue du Moulin Joly (parallèle à celle de Vaucouleurs et partageant la même cour), n’ont pas permis de relier immédiatement les signalements à la séquestration de la rue de Vaucouleurs. Le déplacement sur les lieux a permis à la commission de s’apercevoir qu’il est en effet impossible de distinguer, depuis la cour, les deux immeubles du 26 et du 30 rue de Vaucouleurs. Les policiers disposaient donc d’informations approximatives qui ne les ont pas aidés à intervenir plus rapidement.

Les échanges entre le centre d’appels, le commissariat, la brigade sur place, couplés à l’usage des radios et à la prise en compte des évènements sur place ne permettaient pas d’informer en temps réel les policiers sur place du déroulement des faits.

Lors de son audition, le commissaire de police présent sur les lieux rappelle le contexte de l’intervention : « Nous sommes appelés, au début, pour la « séquestration » de cette famille. Les policiers se concentrent sur cet appartement à propos duquel ils sont appelés. Les témoins voient se dérouler des choses et appellent la police, mais malheureusement il ne s’agit pas d’un numéro de téléphone direct vers les policiers que vous avez auditionnés avant moi. Ces derniers se trouvent derrière la porte, ont les moyens d’intervenir, sous réserve qu’ils puissent le faire rapidement. C’est encore autre chose » ([22]).

Les moyens de communication des forces de police ont fait l’objet d’une réflexion approfondie au cours des dernières années et figurent parmi les investissements prioritaires du ministère de l’intérieur. Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur : « Il faut également améliorer nos outils pour corriger les défauts de communication une fois l’intervention commencée. Nous avons à cette fin lancé le programme réseau radio du futur pour faciliter les télécommunications entre les centres opérationnels, les centres de supervision urbains (CSU) lorsqu’ils existent, et les centres de crise ainsi qu’entre policiers. […] Le matériel radio n’est pas toujours adéquat. Il est parfois vieux. Dans certains endroits, il ne fonctionne pas aussi bien qu’on le souhaiterait. Quand les policiers sont en filature, notamment dans un immeuble, ils hésitent à le prendre avec eux car, s’il est visible, on les identifie immédiatement comme des policiers. Avec le réseau radio du futur (RRF), la radio sera sur le téléphone du policier, à savoir un téléphone NEO – nouvel équipement opérationnel –, qui permettra aussi de faire des vérifications dans les fichiers, de recevoir les instructions de la police nationale, de dresser des procès-verbaux électroniques. Autrement dit, deux outils seront remplacés par un seul, discret et aisément transportable en intervention. Ce téléphone sera individualisé : aujourd’hui, il y a un téléphone ou une radio pour un équipage ; demain, il y aura un téléphone faisant radio pour chacun des policiers et des gendarmes » ([23]).

En parallèle de cette amélioration de l’équipement radio, il semble également nécessaire d’engager une réflexion pour améliorer les modalités de transmission des informations entre les différents niveaux de commandement et d’intervention (réception des appels, salle opérationnelle, intervenants) pour s’assurer qu’elles arrivent rapidement aux personnes sur place. Cela pourrait notamment passer par une meilleure sectorisation des appels.

Proposition  4 : Améliorer les modalités de transmission des informations entre les différents niveaux de commandement et d’intervention (réception des appels, salle opérationnelle, intervenants) afin de s’assurer qu’elles arrivent rapidement aux personnes sur place.

Concernant l’équipement des équipes des BAC, la commission s’est interrogée sur l’absence du matériel nécessaire pour enfoncer la porte. Outre le fait qu’elles n’en auraient peut-être pas fait usage, puisqu’elles attendaient des effectifs spécialisés, le ministre de l’intérieur a indiqué que le suréquipement des BAC n’est pas forcément souhaitable : « Le door raider n’est pas un simple bélier : l’outil est coûteux, donc seuls les pompiers, la BRI, le RAID et le GIGN en disposent. Il ne serait pas utile qu’il soit mis à disposition de Police secours ou des BAC car il requiert une formation particulière. Il est normal qu’il soit dans une unité spécialisée, avec des gens capables de l’utiliser » ([24]). Les BAC disposent déjà dans leurs véhicules d’équipements lourds (fusils, gilets pare-balle, casques) qui ont été utilisés dans le cadre de cette opération.

4.   L’impossibilité pour les sapeurs-pompiers de sauver la victime

Les policiers présents sur place n’avaient pas déplacé la victime ni réalisé les soins de secours, notamment en raison de la difficulté de sécuriser la cour (risque de tir, de chute d’objet, etc.). Comme l’a détaillé l’une des policières sur place : « J’ai demandé à mes collègues ce que nous devions faire. Personne n’a pris d’initiative, car nous pensions qu’elle était sans vie, et il ne faut toucher à rien sur les scènes de crime. […] Je suis déjà intervenue dans des cas de défenestration. Même si je n’ai pas vérifié, la façon dont elle était positionnée au sol et le sang me laissaient, peut-être à tort, penser qu’elle était sans vie. Je sentais que je ne pouvais rien faire pour elle » ([25]).

Avertis de la défenestration, les sapeurs-pompiers envoient un véhicule pour intervenir : « Le mardi 4 avril 2017, vers 4 heures du matin, nous sommes sonnés pour une intervention, au 30 rue de Vaucouleurs dans le 11e arrondissement de Paris. Le motif de notre intervention portait sur une personne tombée avec notion de hauteur » ([26]) . Environ huit minutes plus tard, à 4 heures 51, ils arrivent dans la cour. Plusieurs policiers sont alors en train de sécuriser la façade. Mme Sarah Halimi est en arrêt cardio-respiratoire. Comme l’a indiqué le sapeur-pompier auditionné : « Si nous avons prodigué un massage cardiaque et des insufflations, c’est qu’elle ne respirait pas ». Son corps est mis à l’abri et les gestes de premiers secours sont réalisés, en vain. À 5 heures 05, le médecin présent sur place demande l’arrêt des soins.

Selon le sapeur-pompier auditionné par la commission, il arrive que la police procède elle-même aux premiers soins dans l’attente des pompiers, à condition qu’ils y aient été formés. Pour votre rapporteure, il pourrait être utile de renforcer la formation des policiers en la matière pour qu’ils soient toujours en mesure de procéder aux premiers soins de secours en cas d’urgence (massage cardiaque, insufflations…) dans l’attente du SAMU ou des sapeurs-pompiers et sous la supervision, à distance, de ces derniers.

Proposition  5 : Améliorer la formation des forces de police et de gendarmerie aux premiers secours afin qu’elles puissent intervenir en cas d’extrême urgence sous la supervision du SAMU ou des sapeurs-pompiers.

C.   Un respect strict de la doctrine d’intervention ayant conduit à un échec de l’opération

1.   Les policiers ont respecté la doctrine applicable en matière de séquestration mais ont insuffisamment sécurisé les lieux

La commission s’est longuement interrogée sur les raisons de l’absence d’intervention de la police dans l’appartement de la famille Diarra, dès lors que l’individu était seul et que la famille était retranchée dans une pièce. Elle s’est renseignée en détail sur la doctrine en vigueur.

C’est l’appel initial de la famille Diarra, signalant une séquestration en présence d’un enfant, qui a conditionné la marche suivie par les forces de police. Les policiers sur place ont donc mis en œuvre les consignes applicables en matière de séquestration. Ils n’avaient l’autorisation d’intervenir qu’en cas de nécessité.

Ainsi que l’a précisé le préfet Michel Cadot : « Les règles prévues par les procédures en cas de prise d’otage ou de séquestration ont été mises en œuvre. Il s’agit d’opérer un repérage rapide des lieux, de sécuriser, de demander des renforts au besoin, de rendre compte et d’apprécier l’urgence d’une intervention. Les policiers conduits par le brigadier-chef se sont rendus au troisième étage sur le palier de l’appartement de la famille Diarra. Ils ont entendu les vociférations de M. Kobili Traoré. La famille Diarra était enfermée et barricadée dans une chambre avec l’enfant. Il a été considéré que la situation était momentanément figée. Aux yeux des policiers, il n’y avait pas de menace imminente ou avérée qui aurait justifié une intervention immédiate. Ils avaient demandé des moyens pour procéder à une intervention (un vérin) et des renforts. Ils ont effectué le tour des lieux et, à 4 heures 35, le brigadier-chef de la BAC s’est rendu dans la cour. Il n’a rien constaté sur les balcons. C’était sans doute quelques minutes avant que Mme Sarah Halimi ait été projetée du balcon par son agresseur » ([27]).

L’absence de menace imminente, puisque la famille était retranchée dans la chambre côté rue et que le preneur d’otage criait depuis le salon, a conduit les policiers sur place à estimer qu’il n’y avait pas besoin d’intervenir au risque d’aggraver la situation. Comme l’indique le brigadier-chef : « Je ne sais pas ce qui s’y passe. J’entends juste ces voix d’homme, mais je n’ai pas d’autres informations ayant pu me pousser à défoncer la porte : état d’urgence, état de nécessité. Je n’ai pas ce type d’informations » ([28]).

Le commissaire présent sur les lieux a précisé à la commission la portée de l’autorisation donnée aux policiers par leurs supérieurs d’intervenir en cas de nécessité : « L’important dans cette instruction donnée par radio est la mention « en cas de nécessité ». J’ai l’expérience d’une situation dans laquelle les policiers sont entrés dans un appartement où se déroulait un différend violent. Un homme menaçait de jeter sa compagne par la fenêtre. Les policiers se sont procuré les clés par l’intermédiaire du gardien et ont appelé le Raid, qui a mis le temps de la route pour arriver. Dans cette attente, les policiers locaux ont pris la décision d’entrer. Malheureusement, cette intervention a déclenché la défenestration de la dame, qui est morte. Par conséquent, l’appréciation « en cas de nécessité » est très importante. Lorsque l’autorisation est donnée aux policiers présents derrière la porte d’intervenir en urgence, ces derniers restent néanmoins ceux qui apprécieront la situation. S’ils n’ont pas de bélier leur permettant de casser la porte rapidement, si par exemple ils sont contraints de donner de nombreux coups dans la porte, ils prennent le risque que l’individu ne s’affole. […] Il se trouve au troisième étage. Mes collègues ont appris après coup, que cette personne avait déjà commis une défenestration. Le risque du déclenchement d’une intervention pas assez foudroyante est qu’il ne se retourne contre la famille. Un enfant de dix ans était présent dans la pièce dans laquelle était réfugiée la famille. L’appartement se trouvant au troisième étage, les conséquences auraient été redoutables. Il est donc possible que la salle radio ait demandé aux policiers d’intervenir en cas de nécessité, car cela ne leur est pas interdit. Néanmoins il n’est pas envisageable de leur commander d’intervenir immédiatement alors qu’on n’est pas soi-même derrière la porte. Les policiers sont très expérimentés, et se trouvent à même d’apprécier quasiment seconde par seconde le déroulement de la situation » ([29]).

Les policiers ont perçu trop tard la nécessité d’intervenir. Une policière a en effet entendu du bruit dans la cour et a demandé que plusieurs de ses collègues s’y rendent : « Quand je suis redescendue au rez-de-chaussée, j’ai entendu de gros bruits, mais je n’arrivais pas à comprendre leur origine. Ils ne provenaient pas de la porte de l’appartement puisque je venais d’y aller, ni de la rue. Je suis donc retournée dans le hall de l’immeuble et j’ai vu une porte qui menait à un jardin. Je l’ai ouverte, et j’ai constaté que le bruit venait de là […] Un témoin me criait d’appeler la police. Il ne comprenait pas que j’étais fonctionnaire de police, car j’étais en civil. J’entendais des bruits, comme si quelqu’un cassait des meubles. Je ne suis pas rentrée dans la cour, car j’étais seule à ce moment. Une petite avancée au-dessus de ma tête me protégeait, mais si je m’avançais, je m’exposais à recevoir quelque chose sur la tête. J’ignorais si l’individu était armé. […] À ce moment, je suis sortie chercher des collègues, car je comprenais qu’il fallait que nous intervenions dans cette cour et que nous devions nous équiper pour nous protéger » ([30]). Les policiers sont hélas revenus trop tard et Mme Sarah Halimi avait été défenestrée.

2.   L’inapplicabilité de la circulaire du 19 avril 2016 sur les interventions en cas de tueries de masse

Les faits se sont déroulés dans un contexte de menace terroriste élevée ne laissant pas de place à l’erreur pour ce type d’intervention. À ce titre, l’évolution de la doctrine en cas d’attaque terroriste, incitant à intervenir plus rapidement, aurait-elle pu être appliquée au cas présent ? Votre rapporteur constate que non, dès lors que cette circulaire, prise le 19 avril 2016, concerne les tueries de masse.

Le préfet Michel Cadot a présenté à la commission son interprétation de cette doctrine : « Vous faites référence à la circulaire du 19 avril 2016 concernant les tueries de masse et non les prises d’otages. L’enjeu, lors d’une prise d’otage, consiste dans un premier temps à négocier avec le preneur d’otage. L’état de démence de M. Kobili Traoré ne le permettait pas. La situation était figée, la famille n’était pas menacée, elle était barricadée. […] La circulaire à laquelle vous faites référence et à la rédaction de laquelle j’ai participé prévoit, si possible, l’attaque de la police lors d’une tuerie de masse. Si la situation est en action, il est préférable d’intervenir même si cela constitue un risque pour les personnes concernées. Il ne s’agit pas d’une intervention complète, ni de se substituer aux services spécialisés qui mettent à l’abri les otages. Le soir des attentats du Bataclan, le commissaire a pris ce risque. Il a été admirable. Il a agi en fonction de son approche de la situation sur le terrain. Dans le cas de la famille Diarra, les policiers ont appliqué les circulaires en vigueur pour une situation où il n’existe pas de menace immédiate, c’est-à-dire la maîtrise de l’environnement, la prise de renseignements et l’appel de renforts » ([31]).

Votre rapporteure regrette que certains propos, tenus notamment lors des auditions, aient pu mettre directement en cause l’honneur des forces de police et de secours étant intervenues sur place ce soir-là. Malgré des affirmations répétées, rien ne démontre que les forces de l’ordre ont eu « peur » d’intervenir, ni qu’elles ont menti sous serment devant la commission. Ces accusations sans fondement insinuent que nos forces de police manqueraient de courage alors qu’elles nous protègent sans répit au péril de leur vie. Comme l’a rappelé un des policiers intervenus ce soir-là : « Vous me demandez si j’ai eu peur. J’étais responsable, je parle en mon nom. Sur le coup, on ne peut pas dire que la peur soit présente. En revanche, l’appréhension, la concentration et l’adrénaline le sont. La peur ne peut venir que rétrospectivement, en se rappelant les évènements. En tant que pompier et policier, j’ai vécu des situations difficiles à l’issue desquelles je ne pensais pas rentrer à la maison. La peur n’est pas présente tout de suite. Ce n’est pas possible. Vous supposez que la peur aurait pu m’handicaper dans ma prise de décision. Je vous réponds que non car je suis trop concentré sur ce qu’il y avait lieu de faire. Il fallait avant tout préserver la sécurité des gens et de mes collègues. C’était ma seule priorité ».

3.   Faire évoluer la doctrine en matière de séquestration ?

L’appréciation de la situation par les policiers sur place est certainement le meilleur moyen de s’assurer que la meilleure décision possible soit prise. Toutefois, en l’espèce, l’apparente absence de « nécessité d’intervenir » a conduit à laisser le drame se dérouler, ce qui est regrettable. Il est compréhensible qu’une grande précaution soit prise vis-à-vis d’un forcené présentant une attitude laissant penser à un attentat terroriste. Votre rapporteure constate toutefois un certain flou dans l’interprétation de la notion de « nécessité d’intervenir » qui a pu conduire à repousser une intervention pourtant nécessaire.

Cette doctrine pourrait être précisée, notamment pour renforcer la sécurisation des lieux en cas d’attente d’effectifs spécialisés, notamment en plaçant quelqu’un dans la cour ou en s’introduisant dans un appartement voisin pour mieux cerner le preneur d’otage.

Proposition  6 : Préciser la doctrine d’intervention en cas de séquestration pour lister précisément les cas où une intervention immédiate est nécessaire et mieux sécuriser les lieux afin d’éviter que la prise d’otage se déplace ou conduise à la commission d’autres délits ou crimes.

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Il est extrêmement difficile d’apprécier, à froid et avec le recul qui est celui de la commission, la qualité d’une opération d’extrême urgence et de grande confusion. Aux yeux de votre rapporteure, cette opération ne présente pas de dysfonctionnement des services de police. Ils sont intervenus rapidement, dans le respect de la doctrine et sous les contraintes qui ont été rappelés. Seules une meilleure sécurisation des lieux ou la prise de risques élevés pour les policiers et pour la famille séquestrée auraient pu conduire à une intervention plus rapide et rien n’indique que cela aurait permis de sauver Sarah Halimi, tant les faits se sont déroulés rapidement.

Une meilleure communication et un croisement plus efficace des informations recueillies au cours des évènements auraient également pu permettre à la police de réagir plus rapidement. Des réformes en ce sens sont en cours et doivent être poursuivies.

Enfin, compte tenu de la complexité de l’intervention, que le rapport a tenté de décrire exhaustivement, et de sa conclusion – la réalisation d’un crime en présence des forces de police – votre rapporteure a été surprise par l’absence d’investigation interne de la part de la police nationale.

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II.   L’enquête et l’instruction judiciaires

Dès la fin de l’intervention, l’enquête judiciaire a pris le relais. L’instruction s’est poursuivie jusqu’à conclure à l’irresponsabilité de M. Traoré.

Dans la proposition de résolution figure l’assertion suivante : « Pas d’investigations quant à l’absence d’intervention des neuf policiers présents très vite sur les lieux, pas de questions posées par les avocats de la partie civile sur les zones d’ombre de l’enquête judiciaire, pas d’interrogations sur la place laissée aux appréciations des experts judiciaires… Des actes essentiels et habituellement effectués dans le déroulé d’enquêtes criminelles n’auront pas été réalisés durant l’instruction : aucune reconstitution du crime n’a eu lieu, certains voisins n’ont pas été interrogés, les avocats de la partie civile n’ont pas été reçus malgré leurs innombrables demandes, le téléphone de l’assassin n’a pas été investigué, etc. ». La commission a examiné attentivement ces différents points et votre rapporteure y répondra sans remettre en cause le jugement final.

La proposition de résolution affirme également que « depuis les premières heures du crime, de multiples manquements au respect des règles de la procédure pénale, du contradictoire et des formes ont été dénoncés ». Pour votre rapporteure, les travaux de la commission infirment ce constat. Les décisions prises étaient légales et relevaient de l’appréciation des magistrats et des enquêteurs en charge du dossier, qui sont des professionnels du droit. Elles ont toutes été validées en appel et en cassation. Le fait qu’elles ne fassent pas l’unanimité ne remet pas en cause leur autorité.

En revanche, il est vrai que certaines décisions et comportements ont laissé planer un doute sur l’impartialité et la volonté de la justice de faire toute la lumière sur l’affaire Sarah Halimi, ce qui est dommageable pour l’institution, même si l’enquête et l’instruction se sont déroulées dans le respect du droit en vigueur.

Au terme des auditions, il apparaît que la spécificité de cette enquête réside avant tout dans la santé mentale de l’auteur des faits (A) qui a ralenti considérablement la procédure judiciaire et a conduit à limiter certaines investigations (B) pour aboutir à une décision d’irresponsabilité du mis en cause (C).


Chronologie de la procédure judiciaire

4 avril 2017 (5h30) : interpellation calme de M. Traoré dans l’appartement de la famille Diarra.

4 avril 2017 (10h30) : épisode violent entre M. Traoré et les policiers au moment de le fouiller et de le placer en cellule.

4 avril 2017 (13h) : premier diagnostic psychiatrique faisant état de « troubles psychologiques manifestes » incompatibles avec la garde à vue.

4 avril 2017 (16h20) : fin de la garde à vue et transfert de M. Traoré à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP) puis hospitalisation d’office à l’hôpital de Saint-Maurice.

4 au 5 avril 2017 : autopsie du corps de Mme Halimi.

6 avril 2017 : inhumation de Mme Halimi en Israël.

14 avril 2017 : ouverture de l’information judiciaire, en co-saisine, pour des faits d’homicide involontaire et de séquestration.

12 juin 2017 : première expertise constatant la bouffée délirante aigüe mais concluant « qu’en dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant, le discernement ne pouvait être considéré comme ayant été aboli, au sens de l’article 122-1 du code pénal, du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis ».

10 juillet 2017 : interrogatoire de M. Traoré par la juge d’instruction et mise en examen pour homicide volontaire et séquestration.

18 septembre 2017 : ordonnance de la juge d’instruction au parquet de procéder à un réquisitoire supplétif.

20 septembre 2017 : réquisitoire supplétif afin de demander à la juge d’instruction d’informer sur le caractère antisémite du crime.

27 février 2018 : second interrogatoire de M. Traoré et mise en examen complémentaire pour homicide volontaire à caractère antisémite.

11 juin 2018 : deuxième expertise réalisée à la demande de la juge d’instruction concluant que « la bouffée délirante s’est avérée inaugurale d’une psychose chronique, probablement schizophrénique et que ce trouble psychotique bref a aboli son discernement, que l’augmentation toute relative de la prise de cannabis s’est faite pour apaiser son angoisse et son insomnie, prodromes probables de son délire, ce qui n’a fait qu’aggraver le processus psychotique déjà amorcé ».

18 mars 2019 : troisième expertise, demandée à l’initiative des parties civiles, concluant que : « le sujet a présenté une bouffée délirante caractérisée d’origine exotoxique orientant plutôt classiquement vers une abolition du discernement ».

12 juillet 2019 : saisine de la chambre de l’instruction, les juges d’instruction estimant qu’il existe « des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal ».

19 décembre 2019 : arrêt de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris concluant à l’irresponsabilité de M. Traoré pour cause de trouble mental.

14 avril 2021 : arrêt de la Cour de cassation confirmant la décision de la chambre de l’instruction, celle-ci ayant été « déduites de son appréciation souveraine des faits et des preuves » et conformément à la jurisprudence de la chambre criminelle en matière d’irresponsabilité pénale.


A.   L’impact sur le processus judiciaire de la prise en compte des troubles psychiatriques de l’auteur des faits

1.   Une procédure de garde à vue interrompue en raison de l’état mental de l’auteur des faits

a.   Les règles applicables en cas de troubles rendant la garde à vue et l’interrogatoire de l’auteur des faits impossibles

Après son arrestation, rue de Vaucouleurs dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, M. Traoré a été placé en garde à vue. À partir de ce moment a été mise en œuvre une procédure visant à déterminer si l’état de M. Traoré était ou non compatible avec cette garde à vue. La police a pu faire le constat qu’il était agité au moment de quitter la rue de Vaucouleurs comme au commissariat. Ces situations sont fréquentes. Il revient donc aux officiers de police judiciaire ou au procureur saisi de demander à ce que la personne gardée à vue soit examinée par un médecin qui peut être un psychiatre s’il s’agit d’évaluer le comportement de la personne. La personne gardée à vue a elle-même la possibilité de demander à voir un médecin conformément à l’article 63‑3 du code de procédure pénale.

Article 63‑3 du code de procédure pénale

« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois. Le médecin se prononce sur l’aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences incombant aux enquêteurs en application du présent alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande. Sauf décision contraire du médecin, l’examen médical doit être pratiqué à l’abri du regard et de toute écoute extérieurs afin de permettre le respect de la dignité et du secret professionnel.

À tout moment, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire peut d’office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue.

En l’absence de demande de la personne gardée à vue, du procureur de la République ou de l’officier de police judiciaire, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire.

Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical est versé au dossier.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu’il est procédé à un examen médical en application de règles particulières. »

 

 

Il arrive également, si une personne gardée à vue présente un comportement violent, incohérent, de panique ou dangereux pour elle-même ou pour autrui, qu’elle soit examinée par un psychiatre dans un institut médico judiciaire à la demande de la police. Cet examen même s’il est assez court est fondamental puisqu’il oriente le traitement judiciaire ou médical qui pourra être appliqué à la personne gardée à vue.

Dans les faits, pour les personnes placées en garde à vue à Paris, lorsque la demande est exprimée qu’elles soient examinées par un psychiatre, l’examen a lieu à l’unité médico judiciaire (UMJ) de l’Hôtel‑Dieu. Comme l’a expliqué le docteur Joachim Müllner, lors de son audition ([32]), cette unité prend en charge de nombreuses situations autant pour accueillir des victimes que pour examiner des personnes gardées à vue. Les personnes amenées sont présentées au médecin qui les examine seul dans une salle pendant environ vingt à trente minutes en moyenne dans le seul but d’évaluer si les personnes peuvent rester en garde à vue et donc répondre éventuellement à un interrogatoire ou si des raisons médicales s’opposent à la poursuite de la garde à vue. Le médecin sollicité doit donc répondre à une unique question à savoir : « l’état de la personne gardée à vue est-il compatible avec la garde à vue ». La réponse à cette question est transmise à l’officier de police judiciaire qui a fait la demande d’examen. Quelles que soient les informations recueillies par le psychiatre sur la personne gardée à vue, c’est la seule information qu’il doit fournir en conclusion de l’entretien. Ce premier examen est donc différent des suivants qui pourront être menés pour savoir si la personne doit être placée en hôpital psychiatrique et des examens réalisés au sein des structures hospitalières vingt-quatre heures puis soixante-douze heures après l’admission. Si le médecin qui examine la personne gardée à vue peut se faire un avis, il n’a matériellement pas le temps de diagnostiquer la personne de manière aussi précise que les médecins consultés ultérieurement.

L’examen consiste d’abord à interroger la personne pour savoir si elle sait pourquoi elle a été placée en garde à vue. Lors de ces examens, des situations typiques se présentent : les personnes présentées peuvent avoir des comportements violents, incohérents ou suicidaires par exemple. À ce moment-là, le médecin qui examine la personne amenée dispose de très peu d’informations sur les conditions de la garde à vue et sur ce qui pourrait lui être reproché. Il n’y a aucun contact entre l’officier de police judiciaire et le médecin afin que l’examen garde un caractère strictement médical. Jusqu’il y a quelques années, les médecins requis à l’UMJ de l’Hôtel-Dieu ne disposaient d’aucune information. Aujourd’hui, ils peuvent disposer de quelques éléments écrits si le procès-verbal d’interpellation leur est communiqué. Ces éléments représentent des indices qui peuvent aider le médecin à mieux comprendre la situation et le comportement ou les propos de la personne présentée mais leur absence n’empêche pas un examen satisfaisant.

Dans le cas de M. Traoré, cet examen a bien eu lieu à l’UMJ de l’HôtelDieu le 4 avril au matin. À l’issue de celui-ci, il a été établi que son état n’était pas compatible avec la garde à vue et qu’il devait être orienté vers l’Institut psychiatrique de la préfecture de police (IPPP) pour des examens complémentaires. Comme l’a expliqué le docteur Joachim Müllner, le certificat médical concernant M. Traoré et remis à la police a constaté le fait suivant : « L’examen révèle que la personne conduite présente des troubles mentaux manifestes et qu’elle représente un danger imminent pour la santé des personnes et/ou pour elle-même, nécessitant un transfert à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police, sous réserve de l’absence de pathologies somatiques nécessitant une hospitalisation » ([33]).

Cette orientation est fréquente et les personnes qui sont dirigées vers ce service sont à nouveau examinées par plusieurs psychiatres. L’objectif est soit de confirmer le premier diagnostic réalisé à l’UMJ soit d’estimer que la personne examinée est en état de retourner en garde à vue. Cela est envisageable dans la mesure où le comportement ou le degré de dangerosité de la personne peut changer et diminuer les heures passant. L’objectif de cette orientation vers l’IPPP est de savoir si une prise en charge psychiatrique est nécessaire et donc une hospitalisation sous contrainte. La procédure prévue par le code de la santé publique pour les personnes placées initialement en garde à vue est particulière puisqu’elle doit aboutir à une décision de placement d’office prise par le maire ou le préfet.

Si à la suite de l’examen dans les instituts médico judiciaires, le médecin estime que l’état de la personne qui lui est présentée est incompatible avec la garde à vue, celle-ci est immédiatement levée par le procureur (la garde à vue étant dans les procédures de droit commun de vingt-quatre heures maximum). Le commissaire ou l’officier de police judiciaire qui a fait la demande de consultation par un médecin n’est légalement pas tenu par l’avis exprimé sur le certificat médical mais le suit en pratique.

La garde à vue de M. Traoré a donc été levée le 5 avril 2017 dans l’après-midi comme l’a précisé Mme Johanna Brousse, procureure, lors de son audition devant la commission d’enquête ([34]).

Bien que la commission d’enquête n’ait pas pu réaliser plus d’auditions sur ce sujet précis des examens médicaux réalisés sur des personnes en garde à vue à la demande des officiers de police judiciaire, il est apparu à votre rapporteure important d’émettre la recommandation suivante :

Proposition  7 : Informer systématiquement et succinctement les médecins des unités médico judiciaires des raisons pour lesquelles une personne est gardée à vue lorsqu’ils sont sollicités pour examiner cette personne (sauf en cas de terrorisme).

En effet, si depuis quelques années il apparaît que les médecins consultés dans ce cadre, notamment à Paris à l’UMJ de l’Hôtel Dieu, disposent de plus d’informations que par le passé sur les personnes gardées à vue via des procès-verbaux même succincts, il serait souhaitable que cela soit prévu systématiquement (en dehors des cas très sensibles des personnes gardées à vue à la suite d’actes terroristes).

b.   La réalisation de plusieurs examens médicaux et psychiatriques prévus par le code de la santé publique et le code de procédure pénale a conduit à l’hospitalisation de l’auteur des faits pris en charge pour des troubles psychiatriques

L’avis du médecin de l’UMJ de l’hôtel-Dieu a donc conduit, sur demande de l’officier de police judiciaire, M. Traoré vers l’Institut psychiatrique de la préfecture de police. Au sein de cet institut, le mis en cause a été examiné par d’autres psychiatres devant s’exprimer sur la nécessité d’une hospitalisation. La procédure qui conduit, en ce qui concerne la ville de Paris, à une prise en charge et un examen à l’IPPP est une procédure d’urgence, entièrement déterminée par le code de la santé publique en son article L. 3213-2.

Article L. 3213-2 du code de la santé publique

« En cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical, le maire et, à Paris, les commissaires de police arrêtent, à l’égard des personnes dont le comportement révèle des troubles mentaux manifestes, toutes les mesures provisoires nécessaires, à charge d’en référer dans les vingt-quatre heures au représentant de l’État dans le département qui statue sans délai et prononce, s’il y a lieu, un arrêté d’admission en soins psychiatriques dans les formes prévues à l’article L. 32131. Faute de décision du représentant de l’État, ces mesures provisoires sont caduques au terme d’une durée de quarante-huit heures.

La période d’observation et de soins initiale mentionnée à l’article L. 321122 prend effet dès l’entrée en vigueur des mesures provisoires prévues au premier alinéa. »

Le séjour à l’IPPP ne peut donc durer plus de quarante-huit heures. Les examens psychiatriques réalisés à l’IPPP le sont par au moins deux médecins différents qui ne disposent pas des observations recueillies à l’UMJ. L’examen y est plus approfondi qu’à l’UMJ.

La multiplication des examens réalisés par des psychiatres garantit un diagnostic convergent et élimine les risques de ne pas déceler une éventuelle dissimulation de son état de santé réel par le patient qui pourrait par exemple vouloir échapper à la garde à vue et éventuellement la détention provisoire. Si les médecins concluent à la nécessité que la personne examinée soit internée sans délai dans un hôpital psychiatrique, ils doivent en informer, à Paris, le préfet de Police (et en dehors de Paris, le maire). C’est le préfet qui prend la décision de placement. Il s’agit donc d’une procédure administrative d’hospitalisation sans consentement régie par le chapitre III du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique. L’article L. 3213-1 qui pose le principe de cette forme d’hospitalisation sans consentement dispose en son premier alinéa que : « Le représentant de l’État dans le département prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil, l’admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire. Ils désignent l’établissement mentionné à l’article L. 32221 qui assure la prise en charge de la personne malade ».

Les critères d’application de cette procédure sont cumulatifs : la personne doit à la fois nécessiter des soins mais également compromettre la sécurité des personnes ou porter gravement atteinte à l’ordre public.

Comme l’a précisé le docteur Joachim Müllner, sur les 2 500 personnes examinées aux UMJ, la moitié d’entre elles sera ensuite adressée à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP ou I3P) et à nouveau 50 % d’entre ces dernières seront ensuite hospitalisées ([35]). Il n’y a donc pas d’orientation systématique vers l’IPPP et ensuite vers une prise en charge à l’hôpital psychiatrique. Dans le cas qui fait l’objet de cette commission d’enquête l’hospitalisation a paru nécessaire.

À nouveau dans le premier hôpital, appelé établissement d’accueil au sens du code de la santé publique, où a été conduit l’auteur des faits, des certificats médicaux ont été établis par des psychiatres dans les premières vingt-quatre heures puis soixante-douze heures. Ces examens ont pour objectif de déterminer si la personne doit bien être maintenue et prise en charge à l’hôpital.

Dans le cas de l’hospitalisation à la demande du représentant de l’État, dans un délai de trois jours francs passé l’examen réalisé soixante-douze heures après l’admission, le représentant doit reprendre une décision formelle qui acte de la « forme de prise en charge prévue […] en tenant compte de la proposition établie, le cas échéant, par le psychiatre en application du dernier alinéa de l’article L. 3211-2-2 et des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public ».

Un examen médical est à nouveau réalisé dans le mois suivant l’admission conformément à l’article L. 3213‑2 du code de la santé publique. Cet examen est réitéré tous les mois.

Article L. 3211‑2‑2 du code de la santé publique

« Lorsqu’une personne est admise en soins psychiatriques en application des chapitres II ou III du présent titre, elle fait l’objet d’une période d’observation et de soins initiale sous la forme d’une hospitalisation complète.

Dans les vingt-quatre heures suivant l’admission, un médecin réalise un examen somatique complet de la personne et un psychiatre de l’établissement d’accueil établit un certificat médical constatant son état mental et confirmant ou non la nécessité de maintenir les soins psychiatriques au regard des conditions d’admission définies aux articles L. 3212-1 ou L. 3213-1. Ce psychiatre ne peut être l’auteur du certificat médical ou d’un des deux certificats médicaux sur la base desquels la décision d’admission a été prononcée.

Dans les soixante-douze heures suivant l’admission, un nouveau certificat médical est établi dans les mêmes conditions que celles prévues au deuxième alinéa du présent article.

Lorsque les deux certificats médicaux ont conclu à la nécessité de maintenir les soins psychiatriques, le psychiatre propose dans le certificat mentionné au troisième alinéa du présent article la forme de la prise en charge mentionnée aux 1° et 2° du I de l’article L. 3211­-2-2 et, le cas échéant, le programme de soins. Cette proposition est motivée au regard de l’état de santé du patient et de l’expression de ses troubles mentaux ».

Article L. 3213-2 du code de la santé publique

« I.  Dans le mois qui suit l’admission en soins psychiatriques décidée en application du présent chapitre ou résultant de la décision mentionnée à l’article 706135 du code de procédure pénale et ensuite au moins tous les mois, la personne malade est examinée par un psychiatre de l’établissement d’accueil qui établit un certificat médical circonstancié confirmant ou infirmant, s’il y a lieu, les observations contenues dans les précédents certificats et précisant les caractéristiques de l’évolution des troubles ayant justifié les soins ou leur disparition. Ce certificat précise si la forme de la prise en charge du malade décidée en application de l’article L. 321121 du présent code demeure adaptée et, le cas échéant, en propose une nouvelle. Lorsqu’il ne peut être procédé à l’examen du patient, le psychiatre de l’établissement établit un avis médical sur la base du dossier médical du patient. »

M. Traoré a fait l’objet de ces examens psychiatriques et d’une admission en soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État. Un mois après son admission à l’hôpital Esquirol de Saint‑Maurice, il a été orienté dans une unité pour malades difficiles de l’hôpital de Villejuif (UMD Henri Colin). Lorsqu’une personne est placée dans ce type de structure, le code de la santé publique n’exige pas la réitération par le préfet d’un arrêté de maintien dans la structure de soins en hospitalisation complète.

 

2.   La réalisation de plusieurs expertises successives a nécessité du temps

a.   Les obligations, les conditions de saisine et les missions des psychiatres experts dans les dossiers criminels

La désignation d’experts pour éclairer les enquêtes de flagrance, les enquêtes préliminaires et l’instruction est souvent indispensable pour la pleine compréhension des affaires correctionnelles et criminelles. Il est donc fréquent que des expertises médicales soient demandées, en particulier au cours de l’instruction.

La demande d’expertise qui peut permettre de déterminer l’état de santé physique et mental de la personne mise en examen est ordonnée par le juge d’instruction et ne peut l’être que par lui. Cette compétence est prévue à l’article 156 du code de procédure pénale. Cet article dispose que toute juridiction d’instruction ou de jugement peut ordonner une expertise.

La Cour de cassation a expressément jugé que la compétence pour commettre un expert ne peut être déléguée à la police dans le cadre d’une commission rogatoire.

Article 156 du code de procédure pénale

« Toute juridiction d’instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question d’ordre technique, peut, soit à la demande du ministère public, soit d’office, ou à la demande des parties, ordonner une expertise. Le ministère public ou la partie qui demande une expertise peut préciser dans sa demande les questions qu’il voudrait voir poser à l’expert.

Lorsque le juge d’instruction estime ne pas devoir faire droit à une demande d’expertise, il doit rendre une ordonnance motivée au plus tard dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande. Les dispositions des avant-dernier et dernier alinéas de l’article 81 sont applicables. »

Les experts procèdent à leur mission sous le contrôle du juge d’instruction ou du magistrat que doit désigner la juridiction ordonnant l’expertise. Pour certains crimes, en considération de la victime, des circonstances du crime ou du caractère de récidive, une expertise médicale doit obligatoirement être réalisée ([36]). Par ses termes, la mise en examen de M. Traoré pour homicide volontaire n’entrait pas dans ce champ. Si une expertise n’était pas expressément requise par les textes, elle a paru indispensable à l’instruction.

La demande d’expertise peut émaner du ou des juges d’instruction co‑saisis. Elle est également de droit à la demande des parties ou du procureur. La réponse donnée à la question de savoir si un expert ou deux experts devaient être commis a varié dans le temps. Depuis le 1er février 1986, la règle est que toute personne qui est habilitée à demander une expertise dans le cadre d’une information judiciaire ne peut commettre qu’un expert sauf si des circonstances particulières exigent la désignation de plusieurs ([37]). L’expert est commis par voie d’ordonnance du juge d’instruction aussi bien si l’initiative vient de lui ou si la demande a été formulée par les parties ou le procureur.

Les juges d’instruction, que ce soit d’office ou à la demande des personnes habilitées à le faire, ne peuvent dans leur ordonnance commettre n’importe quel psychiatre. Les psychiatres pouvant être requis sont inscrits sur des listes près les cours d’appel, et sur une liste près la Cour de cassation ([38]). La procédure d’inscription sur ces listes garantit un processus de sélection de médecins expérimentés.

Quelle que soit l’origine de l’expertise, les conclusions du ou des experts sont notifiées et transmises aux parties.

b.   Une instruction qui a conduit à la réalisation de plusieurs expertises

Dans l’affaire retenant l’attention de la commission, une première expertise a été demandée par la juge d’instruction, Mme Anne Ihuellou ayant considéré qu’il était indispensable, pour éclairer l’instruction sur la personne du meurtrier, que soit menée une expertise psychiatrique approfondie. L’expert – le docteur Daniel Zagury – a ainsi été sollicité dès le mois d’avril 2017. Il a dû réaliser plusieurs examens et entretiens avec M. Traoré à l’UMD Henri Colin à partir du mois de mai 2017. Lorsque des experts psychiatriques sont commis dans des informations criminelles, ils sont tenus de répondre à des questions précises ([39]).

C’est ce à quoi s’est attaché le docteur Daniel Zagury qui a communiqué ses premières conclusions le 4 septembre 2017 et a réalisé un complément d’expertise en octobre 2017. Comme il l’a expliqué dans son audition devant la commission d’enquête, le docteur Daniel Zagury a examiné M. Traoré au cours de trois visites. Les conclusions du rapport ont été communiquées en septembre 2017 aux parties.

 

Questions posées aux experts psychiatres

Procéder à l’examen psychiatrique et médico-psychologique de Monsieur Traoré Kobili […] hospitalisé à l’UMD Henri Colin ;

Dire si le sujet présente des anomalies mentales ou psychiques et dans l’affirmative, les décrire et préciser à quelles affections elles se rattachent ;

Dire si l’infraction reprochée au sujet est en lien avec de telles anomalies et préciser si l’intéressé était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli / altéré son discernement ou le contrôle de ses actes, au sens de l’article 122‑1 du code pénal ;

Dire si le sujet présente pour les tiers et/ou pour lui un état dangereux ;

Dire si l’intéressé est accessible à une sanction pénale et préciser s’il est curable ou réadaptable ;

Préciser si l’intéressé est susceptible de faire l’objet d’un traitement dans le cadre d’un suivi socio judiciaire, comprenant une injonction de soins ;

Dire si le sujet est susceptible d’être placé sous le régime de la détention ordinaire ;

Dire si cette personne présente des troubles ou déficiences susceptibles d’influencer son comportement, faire connaître les caractéristiques, les aspects particuliers et l’histoire de sa personnalité, les circonstances et les conditions qui ont influé sur la formation de celle-ci, les mobiles intellectuels et les motivations affectives qui inspirent habituellement sa conduite ;

Dire s’il existe un lien entre les traits psychologiques ainsi observés et les faits reprochés ;

Faire toutes observations utiles à la manifestation de la vérité, dans le champ de votre compétence, que l’examen susciterait.

L’expertise a conclu sur le plan médical au diagnostic d’une bouffée délirante aigüe à laquelle M. Traoré était en proie au moment de la commission des actes. Pour le docteur Daniel Zagury, les signes de cette pathologie qui peut toucher des individus ayant eu une consommation importante et continue de psychotropes étaient réunis. Ce trouble mental a commencé vingt-quatre à quarante-huit heures avant la commission du meurtre et était décelable dans le comportement incohérent et paranoïaque de M. Traoré ([40]).

Le docteur Daniel Zagury a présenté la conclusion de cette première expertise en distinguant deux aspects :

– d’un point de vue strictement médical, le meurtrier ne pouvait être considéré comme capable de discernement, celui-ci ayant été aboli par le trouble psychique ;

– du point de vue de l’application du droit, donc médico-légal, le discernement de M. Traoré pouvait être considéré uniquement comme altéré et non aboli dans la mesure où ce dernier pouvait supposer que la consommation excessive de cannabis allait provoquer des troubles mentaux.

C’est lors de cette première expertise qu’est également apparu, pour la première fois au cours de l’instruction, qu’il pouvait s’agir d’un meurtre à caractère antisémite. Le docteur Daniel Zagury a conclu sans hésitation que la perception par le meurtrier de la religion de la victime pouvait avoir renforcé son délire paranoïaque et même démoniaque et donc que l’appartenance de Mme Sarah Halimi à la religion juive avait pu renforcer le comportement extrêmement violent du meurtrier.

Votre rapporteure reviendra ci-après plus en détail sur les conclusions de cette expertise.

À la suite à cette première expertise, un temps assez long s’est écoulé jusqu’à ce que la juge d’instruction, Mme Anne Ihuellou, puisse procéder à une nouvelle audition de M. Traoré pour procéder à une mise en examen complémentaire, comme le demandait le parquet, pour la circonstance aggravante d’acte commis sur une personne en raison de son appartenance réelle ou supposée à la religion juive. Pour ce deuxième interrogatoire, M. Traoré a été transporté au cabinet de la juge d’instruction à Paris. C’est à la suite de cet interrogatoire qu’il est apparu opportun à cette dernière de demander une seconde expertise. M. Traoré semblait alors tenir des propos plus cohérents mais son état de santé paraissait encore instable. Comme l’a expliqué Mme Anne Ihuellou lors de son audition : « Entre 2017 et 2018, l’amélioration de son état n’était pas suffisante pour envisager un parcours juridictionnel normal. Nous avons donc décidé de procéder à une nouvelle expertise – et non une contre-expertise – pour faire le point et confirmer le diagnostic du Dr Zagury, personne ne l’ayant jamais contesté » ([41]).

La deuxième demande d’expertise a donc été adressée le 4 avril 2018 au docteur Paul Bensussan à qui il a été demandé s’il voulait avoir le concours d’autres psychiatres. Ayant répondu par l’affirmative, c’est un collège de trois psychiatres qui a été commis composé des docteurs Paul Bensussan, et Elisabeth Meyer-Buisan et du professeur Frédéric Rouillon. Les questions auxquelles il était demandé de répondre étaient identiques à celles posées au docteur Daniel Zagury. Le rapport d’expertise a été rendu le 11 juin 2018. Les conclusions contenues dans celui-ci étaient partiellement convergentes avec celles de la première expertise. Les médecins ont également conclu à l’apparition d’une bouffée délirante aigüe entrainant une abolition du discernement ([42]). Ils ont, dans le même temps, assorti leur diagnostic d’un pronostic en considérant qu’il pouvait s’agir des signes du début d’un syndrome schizophrénique.

La troisième expertise a été demandée par les parties civiles et ordonnée par les juges d’instruction le 13 juillet 2018. Il est important de préciser qu’aux termes de l’article 167-1 du code de procédure pénale, lorsque les conclusions d’une expertise psychiatrique sont de nature à conduire à l’application des dispositions de l’article 122‑1 du code pénal relatif à l’irresponsabilité pénale et que la partie civile demande un complément d’expertise ou une contre-expertise, le juge d’instruction doit faire droit à la demande.

La réalisation de cette expertise a également réuni un collège de trois médecins, les docteurs Jean-Charles Pascal et Roland Coutanceau et le professeur Julien Daniel Guelfi. Les questions auxquelles il était demandé de répondre étaient toujours les mêmes que celles posées au premier expert et au deuxième collège. Les conclusions ont été relativement proches de la seconde expertise, mais les médecins n’ont pas ratifié le pronostic d’un possible début de schizophrénie. Ils ont conclu à une abolition totale du discernement qui devait conduire à l’application du premier alinéa de l’article 1221 du code pénal. Comme le cite l’arrêt de la chambre de l’instruction du 19 décembre 2019, les conclusions du troisième collège d’experts sont les suivantes : « Le sujet a présenté une bouffée délirante caractérisée d’origine exotoxique ; orientant plutôt classiquement vers une abolition du discernement au sens de l’article 1221 alinéa 1 du code pénal ; compte tenu qu’au moment des faits son libre arbitre était nul et qu’il n’avait jamais présenté de tels troubles antérieurement ».

Dans l’affaire à laquelle s’attache la commission, les deux premières expertises ont été demandées par les deux juges d’instruction. La troisième expertise a été demandée par les parties civiles. Quelle que soit la discussion sémantique sur la qualification de contrexpertise donnée à l’une, voire de sur-expertise donnée à l’autre, il n’en demeure pas moins que l’interrogation sur l’état de la santé mentale du meurtrier au moment des faits et ensuite à l’hôpital psychiatrique a conduit à confronter plusieurs diagnostics établis par des psychiatres expérimentés. Or, les sept psychiatres qui ont examiné M. Traoré ont été unanimes quant au diagnostic médical, à savoir l’apparition d’une bouffée délirante aigüe, diagnostic qui a conduit les deux collèges commis pour une deuxième puis une troisième expertise à conclure à l’abolition totale du discernement de M. Traoré.

L’ensemble de ces trois expertises s’est déroulé entre en juillet 2017 et début 2019. Ces actes nécessitent du temps et se sont déroulés parallèlement à d’autres mesures d’instruction. La consultation d’une personne déjà hospitalisée en UMD prend en elle-même du temps en termes d’organisation. Les deux psychiatres experts auditionnés par la commission ont confirmé avoir chacun, le docteur Daniel Zagury comme le docteur Paul Bensussan, procédé de la même manière pour rendre leurs conclusions, c’est-à-dire en réalisant un ou des examens cliniques, en consultant le dossier médical et en s’entretenant avec les soignants de l’UMD Henri Colin.

Au total, les trois expertises retiennent des diagnostics sur l’abolition du discernement suffisamment convergents pour orienter vers l’irresponsabilité pénale du meurtrier. Ainsi, une fois l’instruction close, une demande a été faite par les juges d’instruction aux fins de saisine de la chambre de l’instruction pour que celle-ci statue sur l’irresponsabilité pénale de M. Traoré au moment des faits (cf. infra).

Quant aux interrogations sur la temporalité des expertises, en particulier sur les limites d’une expertise psychiatrique réalisée plusieurs mois après la commission des faits, le docteur Daniel Zagury a répondu qu’ « il existe une représentation qui voudrait que nous puissions procéder à une expertise le plus tôt possible après les faits. Or, plus il y a du recul, plus il existe de pièces au dossier, plus l’aspect cinétique évolutif peut être apprécié. Un expert dispose de photographies avec les examens et les certificats. En appréciant tous ces documents et en mettant son examen en perspective, l’expert dispose de plus d’informations. Il est important de réaliser un bon examen clinique, ce qui a été fait à l’infirmerie psychiatrique. C’est une illusion de penser que plus l’expert intervient tôt, plus l’examen sera valable » ([43]).

Au cours des auditions votre rapporteure a pu constater l’importance du rôle des expertises dans ce dossier. Les différentes personnes qui se sont exprimées à leur propos, leurs auteurs comme les magistrats et les procureurs ont remarqué qu’elles constituaient un élément central. Elles sollicitent néanmoins des experts qui ne sont pas toujours en nombre suffisant pour réaliser une mission souvent exigeante en temps ([44]). La faiblesse de la rémunération des experts ne nuit pas à la qualité des expertises réalisées mais peut rendre la mission peu attractive. Plusieurs personnes auditionnées ont confirmé qu’une revalorisation des honoraires pourrait être nécessaire.

B.   un respect strict de la procédure pénale mais une conduite de l’instruction ayant laissé planer un doute sur l’importance accordée à cette affaire par la justice

1.   La qualification des faits

Il est difficile de regarder le déroulement de la procédure judiciaire sans l’interpréter téléologiquement. En effet, dès lors que le caractère antisémite du meurtre de Sarah Halimi ne fait désormais plus aucun doute, on peut s’interroger sur le délai qu’il a fallu pour le reconnaître. Les réponses à ces questions résident dans le déroulement de l’enquête, dans les contraintes résultant de l’internement et dans les règles qui encadrent la procédure pénale.

a.   Un réquisitoire introductif pour des faits de séquestration et d’homicide volontaire

Le 14 avril 2017, le Parquet procède à son réquisitoire introductif. Deux juges d’instructions sont co-saisis, en application de l’article 83-1 du code de procédure pénale, pour informer des faits de séquestration avec absence de libération volontaire dans les sept jours au préjudice de la famille Diarra et d’homicide volontaire au préjudice de Mme Sarah Halimi.

La commission s’est interrogée sur le délai ayant séparé le réquisitoire introductif (le 14 avril 2017) et la mise en examen effective de M. Traoré par les juges d’instruction (le 10 juillet). L’explication réside dans l’obligation d’auditionner toute personne avant sa mise en examen. L’article 80-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que : « [Le juge d’instruction] ne peut procéder à cette mise en examen qu’après avoir préalablement entendu les observations de la personne ou l’avoir mise en mesure de les faire, en étant assistée par son avocat, soit dans les conditions prévues par l’article 116 relatif à l’interrogatoire de première comparution, soit en tant que témoin assisté conformément aux dispositions des articles 113-1 à 113-8 ».

Ainsi que l’a souligné M. François Molins, si l’audition avait eu lieu plus tôt, alors même qu’il existait une contre-indication médicale, elle aurait constitué un vice qui aurait mis en danger l’ensemble de la procédure : « Cette hospitalisation a un effet majeur sur la procédure. Elle ralentit les premières investigations puisqu’elle s’oppose à l’audition de Kobili Traoré. S’il nous avait dit plus tôt ce qu’il a déclaré devant la juge au mois de juillet, la situation aurait été plus simple. Cependant, la contre-indication médicale nous empêchait de l’entendre. En l’entendant, nous aurions couru un risque procédural important d’annulation de l’audition à suivre, parce qu’il n’aurait pas été en mesure de faire valoir ses droits. La voie était donc fermée » ([45]).

L’état de santé du meurtrier ayant rendu impossible son interrogatoire, il était difficile, à ce stade de l’enquête, de démontrer le caractère antisémite du meurtre. Le fait que la séquestration ayant précédé l’assassinat ait été commise sur une famille de confession musulmane et l’absence d’éléments « graves et concordants » (propos, geste, etc.) laissant penser à un mobile antisémite a conduit le parquet à écarter cette circonstance aggravante au stade du réquisitoire introductif. Interrogé sur ce point, un policier en charge de l’enquête judiciaire a rappelé que : « La formule « Allah Akbar » ne traduit pas obligatoirement de l’antisémitisme. D’autres meurtriers ont prononcé ces mots sans lien avec l’antisémitisme et à l’encontre de victimes catholiques ou musulmanes. L’antisémitisme ne peut pas être apprécié uniquement sur cette formule » ([46]).

L’article 132-76 du code pénal prévoit que la circonstance aggravante, notamment d’antisémitisme, est retenue « lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons ».

Comme l’a expliqué M. François Molins, il n’était pas possible, dans un premier temps de retenir cette qualification : « Le 7 avril 2017, trois jours après le meurtre, M. Joël Mergui m’a téléphoné pour me demander de me rencontrer. Je l’ai reçu le jour même en fin de matinée, avec le grand rabbin, M. Haïm Korsia, et le vice-président du CRIF, Me Ariel Goldmann. Ils comprenaient la très vive émotion causée par ce drame, ainsi que toutes les interrogations suscitées au sein de la communauté. Je leur ai expliqué que j’étais incapable, en l’état actuel des choses, de dire s’il y avait une circonstance aggravante d’antisémitisme, et que je ne pouvais ni la retenir ni l’exclure. Nous étions en pleine enquête et je ne disposais pas des éléments nécessaires pour leur répondre. Je les ai assurés de notre vigilance sur le sujet, et leur ai dit que si des éléments objectifs permettaient de retenir cette circonstance aggravante, elle serait immédiatement retenue. Je cite le communiqué qu’ils ont publié après notre échange : « Selon les premiers éléments de l’enquête et sur la base des premiers témoignages, rien ne permettait de retenir le caractère antisémite. Mais rien ne permettait de l’exclure. L’enquête se poursuit et toutes les pistes sont ouvertes. » Ce communiqué me paraissait positif. Une nouvelle fois, j’ai été choqué des propos de certaines personnes que vous avez auditionnées, comme Me Majster, selon lequel j’aurais « intoxiqué » la communauté. Ces propos sont outrageants pour moi autant que pour les représentants du culte, compte tenu de la sensibilité et du soutien qu’ils ont manifesté auprès de la communauté juive. Je n’ai « intoxiqué » personne. S’ils n’avaient pas cru mes propos, je pense qu’ils l’auraient fait savoir » ([47]).

b.   La reconnaissance du caractère antisémite

L’interrogatoire de l’auteur des faits le 10 juillet 2017, ainsi que l’expertise réalisée par le docteur Daniel Zagury et conclue le 12 juin 2017, ont mis en évidence le caractère antisémite du crime. Si cela peut paraître surprenant à première vue, votre rapporteure s’en remet à l’expertise des psychiatres qui ont jugé compatible le caractère délirant de l’acte et sa motivation antisémite. Comme l’a rappelé le docteur Daniel Zagury : « Pour l’opinion publique même éclairée, un acte délirant ne peut pas être antisémite. Or c’est un préjugé. L’acte délirant est supposé absurde et irrationnel. Nous retrouvons cette problématique pour le terrorisme, où sont opposés maladies mentales et terrorisme. […] La thématique antisémite est fréquemment repérée dans les efflorescences délirantes des sujets musulmans. J’ai été psychiatre en Seine-Saint-Denis pendant trente ans, c’est un fait d’observation. Le Juif est du côté du mal, du diabolique » ([48]).

Pour instruire la circonstance aggravante d’antisémitisme, la juge d’instruction a estimé nécessaire que le Parquet procède à un réquisitoire supplétif. Comme l’a rappelé la juge d’instruction, « Lorsque le magistrat instructeur estime que sa saisine doit être étendue, il rédige une ordonnance de soit-communiqué. Elle a été adressée au Parquet qui nous a saisis du caractère antisémite du crime ».

La juge d’instruction a effectivement adressé le 18 septembre 2017 une « ordonnance de soit communiqué » au Parquet lui transmettant l’expertise et les procès-verbaux des auditions pour lui demander de compléter ses réquisitions. Le 20 septembre 2017, le procureur de la République demandait aux juges d’instructions à informer sur les faits d’« homicide volontaire au préjudice de Lucie Attal avec cette circonstance que les faits ont été commis à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une race ou une religion déterminée ».

Il a donc encore fallu attendre une nouvelle audition de l’auteur des faits, qui n’a eu lieu que le 27 février 2018, pour procéder à une mise en examen complémentaire. Comme l’a rappelé Mme Anne Ihuellou : « Pour pouvoir réaliser une mise en examen supplétive, il faut procéder à une audition. Comme nous ne pouvions pas l’auditionner, nous avons attendu ».

Deux constats peuvent être faits à ce stade. D’une part, l’impossibilité d’auditionner le mis en cause a empêché sa mise en examen rapide et la détection du caractère antisémite des faits commis. D’autre part, elle a également ralenti, ce qui est beaucoup moins acceptable, la mise en examen complémentaire à partir du moment où le caractère antisémite était reconnu. Cela a pu donner l’impression que la justice s’était désintéressée de l’affaire ou qu’elle avait voulu fermer les yeux sur l’antisémitisme de ce crime.

Aurait-on pu aller plus vite ? À la lumière des auditions, il existe une divergence d’interprétation sur la marge d’appréciation dont dispose le juge d’instruction pour informer et mettre en examen sur des faits mentionnés dans le réquisitoire introductif mais qualifiés sans circonstance aggravante.

La procédure en vigueur, impliquant un premier réquisitoire suivi d’une mise en examen, puis une demande de réquisitoire supplétif suivi d’un réquisitoire supplétif et d’une mise en examen complémentaire, est lourde et complexe. L’article 80 du code de procédure pénale prévoit que : « Le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu d’un réquisitoire du procureur de la République. […] Lorsque des faits, non visés au réquisitoire, sont portés à la connaissance du juge d’instruction, celui-ci doit immédiatement communiquer au procureur de la République les plaintes ou les procès-verbaux qui les constatent. Le procureur de la République peut alors soit requérir du juge d’instruction, par réquisitoire supplétif, qu’il informe sur ces nouveaux faits, soit requérir l’ouverture d’une information distincte, soit saisir la juridiction de jugement, soit ordonner une enquête, soit décider d’un classement sans suite ».

Selon Mme Julie Petré, substitute du procureur chargée de l’affaire, « la juge d’instruction est tout à fait libre de le faire dès la première mise en examen ou plus tard si de nouveaux éléments se présentent ». Le juge serait donc tenu par les faits dont elle est saisie mais pas par leur qualification dans le réquisitoire. La juge d’instruction co-saisie, Mme Lazerges indique pour sa part que le recours à un réquisitoire supplétif est habituel pour sécuriser la procédure. Dans une affaire « normale », cela ne reporte que de quelques jours la mise en examen complémentaire. Dans le cas présent, cela l’a repoussé de plusieurs mois en raison de l’impossibilité d’auditionner M. Traoré.

L’interprétation à géométrie variable de l’article 80 du code de procédure pénale a empêché la justice de s’adapter rapidement aux avancées de l’enquête. Il serait donc utile de bien s’assurer que le juge d’instruction, sans se saisir de faits supplémentaires, puisse revoir la qualification des faits pour l’étendre, en particulier en ce qui concerne les circonstances aggravantes.

Selon votre rapporteure, lorsque le premier interrogatoire du mis en cause ou d’autres éléments (expertise, témoignages, indices…) met en évidence la nécessité d’étendre les réquisitions et le champ de l’instruction, la mise en examen devrait pouvoir immédiatement porter sur ces faits et leurs éventuelles circonstances aggravantes, si besoin après consultation du parquet. Lorsque l’audition est difficile à réaliser, comme c’était le cas dans l’affaire Sarah Halimi, cette solution permettrait d’accélérer la procédure, sans préjuger de la culpabilité.

Votre rapporteure écarte en revanche l’hypothèse de retenir systématiquement la circonstance aggravante liée à l’appartenance à une race ou à une religion au stade du réquisitoire introductif. Cette solution maximaliste risquerait de créer la confusion entre les affaires présentant réellement un caractère discriminatoire et les autres, en renvoyant toutes les victimes à leur appartenance à une catégorie particulière de la société.

Proposition  8 : Préciser que le juge d’instruction peut revoir la qualification des faits dont il est saisi, en particulier en ce qui concerne les circonstances aggravantes, pour étendre, avec l’accord du parquet, le périmètre de la mise en examen, sans devoir attendre un réquisitoire supplétif, ni renouveler une audition du mis en cause.

c.   Une absence de qualification terroriste cohérente avec la pratique du parquet national antiterroriste

La commission s’est également interrogée sur l’absence de saisine de la section anti-terroriste du parquet de Paris, au regard du déroulement des faits : les cris d’Allah Akbar, la récitation de sourates du Coran, le choix d’une victime juive, les cris évoquant son frère, disparu au Mali. En 2017, le Parquet national antiterroriste (PNAT) n’existe pas encore et c’était alors une section du parquet de Paris, sous l’autorité directe du procureur général, alors M. François Molins, qui se chargeait de la poursuite des actes de terrorisme.

i.   L’appréciation du caractère terroriste d’une infraction repose sur des critères stricts

L’article 421-1 du code pénal définit comme terroriste un délit ou un crime commis « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».

Au regard des critères présentés comme déterminants une saisine du PNAT, il n’est pas surprenant que l’affaire qui nous préoccupe n’ait pas fait l’objet d’un tel traitement. Il convient de rappeler, comme l’a fait le procureur national antiterroriste, M. Jean-François Ricard, que le parquet antiterroriste se saisit lui-même des faits relevant de sa compétence : « Notre approche de la question terroriste consiste à déterminer, de manière un peu simpliste peut-être, si un acte est terroriste ou non. La réponse peut être très simple en présence d’un attentat manifeste. Nous décidons alors très rapidement de notre saisine, car il faut bien noter que le parquet n’est pas saisi mais il se saisit de l’affaire, selon la loi de 1986. Ce mode de fonctionnement était déjà celui de la section antiterroriste du parquet de Paris. Le procureur antiterroriste, et autrefois le procureur de Paris, décide à tout moment qu’une affaire relève du terrorisme et qu’il s’en saisit ».

Le Parquet s’appuie pour cela sur un certain nombre d’indices et écarte parfois des faits qui peuvent avoir une apparence terroriste à première vue : « Dans de nombreux autres cas, cependant, des faits peuvent sembler avoir une nature terroriste, mais nécessitent un examen plus approfondi. […] Lors de chacune de nos permanences, nous sommes interrogés sur la qualification ou non de terroristes d’actions violentes commises. Nous nous appuyons constamment sur la définition du terrorisme que j’ai citée : « entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Je commencerai par vous exposer des exemples de faits que nous ne retenons pas comme terroristes. Des faits de violence commis à l’occasion d’un mouvement social, contre les biens et les personnes, nous ont par exemple interrogés. Les participants à ces manifestations extrêmement violentes et les auteurs de ces actes s’inscrivaient-ils dans une entreprise visant à troubler gravement l’ordre public par la violence ou la terreur ? Nous avons jugé que malgré la gravité extrême de ces actes, ce n’était pas le cas. Si le parquet qualifiait de terroristes des actes s’inscrivant dans un mouvement social, les conséquences seraient majeures. Nous écartons également des faits qui s’inscrivent dans un règlement de comptes privé. En Corse par exemple, des actions très violentes de destruction ont soulevé la question de notre saisine. Nous avons cependant estimé qu’ils n’étaient pas de nature terroriste. Nous avons également été confrontés à plusieurs reprises de faits à motif raciste. Commis par un individu motivé par une adhésion à une idéologie d’ultradroite, ces faits ne s’inscrivaient cependant pas dans une volonté de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Cependant, ce sont des éléments de la procédure qui nous ont conduits à décider de ne pas nous en saisir. D’autres éléments auraient pu nous amener à nous prononcer autrement » ([49]).

M. Ricard a également exposé le cas spécifique des personnes ayant un comportement pouvant s’apparenter à celui d’un terroriste mais qui présente des pathologies psychiatriques lourdes : « Nombre de situations nous confrontent à des individus que je qualifierai de radicalisés perturbés. Cette expression peut être critiquée, mais elle est la plus pertinente que nous ayons trouvée. Nous ne pouvons nous attacher seulement à une apparence. Un intéressé qui crie « Allah Akbar » puis se jette sur des passants à un arrêt de bus avec un couteau ne justifie pas nécessairement que son action soit qualifiée de terroriste. Nous nous intéressons à l’état psychiatrique de l’intéressé, en demandant qu’il soit examiné par un psychiatre pendant sa garde à vue. La nature de l’acte et son mode opératoire sont également importants. Nous avons fait face à des parcours criminels, dans le cas d’individus se livrant à un choix des victimes selon leur adhésion religieuse. Il faut aussi prendre en compte la gravité exceptionnelle des faits » ([50]).

Enfin le procureur national a détaillé la procédure actuelle de suivi des infractions pouvant être qualifiées de terroriste, qui a été considérablement renforcée, puis la création du PNAT : « Nous procédons à notre analyse de manière détaillée et technique, hors de toute pression ou orientation politique. Nous nous appuyons sur les procès-verbaux et restons en contact permanent avec le parquet localement compétent. Nous pouvons demander une évaluation aux services spécialisés, à la sous-direction antiterroriste (SDAT) qui dépend de la direction centrale de la police judiciaire, ou à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ces services délèguent immédiatement sur place un certain nombre de fonctionnaires en lien avec leurs collègues, qui nous informent heure par heure des éléments précis pour déterminer s’ils correspondent à nos critères de saisine. Si ces informations ne sont pas suffisantes, nous déléguons un ou plusieurs magistrats du PNAT sur place, en contact avec les collègues territorialement compétents et avec notre cellule de crise qui reste en veille en continu. Nous utilisons dans ce cadre des magistrats spécialisés, qui sont référents terrorisme dans chaque tribunal, et les délégués du PNAT dans 13 grandes juridictions. Il s’agit de magistrats désignés, de rang intermédiaire, procureurs adjoints, que nous rencontrons régulièrement et formés à nos problématiques » ([51]).

Les enquêteurs ont mené des investigations sur la possible radicalisation de M. Traoré. Selon un policier chargé de l’enquête judiciaire : « La police a évidemment effectué des recherches concernant Kobili Traoré. Nous avons procédé à un « criblage » avec l’ensemble des services de renseignements quant à la radicalisation de Kobili Traoré, y compris en prison. Il est possible qu’elles n’apparaissent pas de manière très complète dans le dossier. […] Les recherches réalisées n’ont pas permis de prouver la radicalisation de Traoré » ([52]).

M. Molins a confirmé la réalisation de ces investigations : « Un contact entre la section P12 et la section C1 a permis de procéder à un criblage. L’individu n’était pas fiché S. Rien n’indiquait qu’il présentait le profil d’un individu radicalisé. En outre, il avait visiblement agi sous l’emprise d’un profond délire et était inaudible. Selon les conclusions du Dr Zagury, l’intention terroriste n’était en rien confirmée. Concernant la mosquée Omar, elle était peut-être salafiste, mais tous ceux qui se rendent dans une mosquée salafiste ne sont pas des terroristes. Sa pratique religieuse n’était pas particulièrement assidue » ([53]).

En conclusion, M. Molins a indiqué : « Nous n’avons donc pas retenu cette qualification, et s’il fallait recommencer, je referais la même chose. Si nous nous étions présentés devant un juge d’instruction terroriste, il aurait considéré que nous manquions de sérieux » ([54]).

L’absence de saisine de la section terroriste a donc été appréciée de manière régulière selon des critères précis, qui ont encore été affinés depuis la création du PNAT.

ii.   Les conséquences sur l’enquête du choix de qualifier ou non un acte de terroriste

Compte tenu des implications d’une telle saisine, qui ouvre le recours à des techniques d’enquête extrêmement intrusives (IMSI catcher, perquisition de nuit, sonorisation etc.) et la saisine des services de renseignements (DGSI, SDAT), il n’est pas possible, comme cela a été évoqué au cours de certaines auditions, « d’ouvrir au plus large » et de revenir ensuite en arrière.

Le procureur national anti-terroriste a exposé à la commission les raisons de cette stratégie : « Nous nous montrons très scrupuleux, car attribuer à une infraction une qualification terroriste entraîne un certain nombre de conséquences peu ou prou dérogatoires. Par conséquent, il ne saurait être envisagé que les magistrats usent de cette qualification juridique sans risquer de porter atteinte à l’État de droit. Cette qualification permet par exemple de recourir aux moyens employés dans les affaires de criminalité organisée, ou encore de faire appel à une juridiction non pas spéciale, mais spécialement composée, à la cour d’assises de Paris. Le juge d’application des peines est également particulier et les peines sont alourdies en matière de terrorisme. Un droit non pas spécial ou dérogatoire, mais particulier, s’applique en la matière et doit être réservé à une qualification terroriste. Ainsi, lorsque nous choisissons sur la base de critères juridiques établis qu’une affaire relève de notre compétence, il ne s’agit pas de revenir plus tard sur cette qualification. La politique pénale deviendrait illisible et incompréhensible pour nos concitoyens, et les médias pointeraient aussitôt cette contradiction. Enfin, cette qualification soulève des enjeux pour les victimes, qui bénéficient de droits particuliers, notamment liés au statut du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) qui leur attribue des avantages financiers, matériels, juridiques et médicaux. Retirer cette qualification conduirait à revenir sur les droits acquis par ces victimes, ce qui pourrait provoquer un traumatisme sérieux […] Une véritable épée de Damoclès pèse au-dessus de notre tête. Lorsque le parquet antiterroriste se saisit, il en va de sa crédibilité. Revenir en arrière aurait de lourdes conséquences sur l’ensemble du contentieux. Une rigueur absolue sur notre jurisprudence nous est indispensable, car si nous nous engageons dans un engrenage qui ne correspondrait pas véritablement à la politique que nous voudrions suivre, il serait très difficile de faire marche arrière » ([55]).

En l’espèce, l’absence de saisine des juges d’instruction pour des faits de terrorisme a restreint ensuite le champ de l’instruction. Comme l’a indiqué Mme Anne Ihuellou lorsqu’il lui a été demandé pourquoi elle n’avait pas enquêté sur la mosquée fréquentée par le meurtrier, « Vous soulevez des points qui ne sont pas dans le dossier. Je vous rappelle les termes de ma saisine, qui n’évoquaient pas des actes terroristes. Je ne pouvais pas investiguer en la matière » ([56]).

2.   La conduite de l’instruction

La commission s’est enfin penchée sur certaines décisions prises au cours de l’enquête et de l’instruction qui lui ont été signalées comme anormales ou problématiques. Comme en ce qui concerne la qualification des faits, si les règles de procédure pénale ont été respectées, ce qui a été confirmé par les différentes voies de recours, certains choix soulèvent des interrogations et ont conduit à des incompréhensions qui auraient pu être levées.

a.   Un usage normal des commissions rogatoires pour pallier la surcharge des juges d’instruction

Les avocats des parties civiles ont indiqué avoir regretté que les juges d’instruction ne procèdent pas eux-mêmes à l’audition de certains témoins. Il apparaît assez habituel, voire courant, que les juges d’instruction recourent aux commissions rogatoires afin de confier à la police le soin de procéder à un certain nombre de recueils de témoignages et d’auditions. L’article 151 du code de procédure pénale prévoit en effet que : « Le juge d’instruction peut requérir par commission rogatoire tout juge de son tribunal, tout juge d’instruction ou tout officier de police judiciaire, qui en avise dans ce cas le procureur de la République, de procéder aux actes d’information qu’il estime nécessaires dans les lieux où chacun d’eux est territorialement compétent ». Les procès-verbaux sont ensuite adressés aux juges d’instruction qui peut les exploiter pour son travail d’information.

Comme l’a indiqué la juge d’instruction, Mme Anne Ihuellou, cette situation répond à une surcharge de travail dans les cabinets d’instruction : « Comme vous l’avez sans doute compris, la charge d’un cabinet d’instruction est telle que, malheureusement, le juge d’instruction – et je le déplore – ne peut procéder lui-même à toutes les auditions nécessaires. Pour cette raison, il décerne commission rogatoire pour que les témoins importants soient entendus par la police et que leur déposition soit recueillie. À mon sens, tous les témoins importants ont été entendus dans ce dossier, pas par moi, en raison d’un manque de temps et d’une importante charge de travail. Je précise qu’à l’époque de ma saisine, je comptabilisais 31 saisines depuis le 1er janvier 2017. Par ailleurs, par habitude de travail, les policiers procèdent aux auditions des témoins. Les avocats étaient libres de demander une audition par le juge. Dans ce cas, la contrainte de temps joue et je le regrette souvent. Nous ne pouvons privilégier un dossier par rapport à un autre, même si de tels dossiers criminels ont une place importante et nous y consacrons davantage de temps » ([57]).

La police a donc mené immédiatement l’enquête judiciaire, comme l’a précisé l’un des policiers en charge de celle-ci : « Les investigations ont débuté immédiatement par les constatations, les perquisitions et les auditions des personnes présentes sur les lieux et du voisinage. L’enquête de voisinage a commencé le matin même des faits et elle a été prolongée par la suite, dans un périmètre élargi, pendant l’enquête de flagrance, sur une dizaine de jours, voire au-delà. L’enquête de voisinage consiste à rencontrer les personnes qui se trouvaient sur les lieux au moment des faits. Si nous ne pouvons pas procéder immédiatement à ces entretiens, nous laissons des convocations de sorte à entendre les personnes au cours des jours suivants, en fonction des éléments qu’ils peuvent apporter ou non. Nous avons procédé à des auditions tout au long de l’enquête dans le cadre de cette enquête de voisinage plurielle » ([58]).

Si certaines auditions, parce qu’elles ont été faites à la demande du témoin, ont eu lieu tardivement, il ressort du dossier qu’un grand nombre de témoins ont été auditionnés (plus d’une trentaine), regroupant les différents points de vue sur l’affaire (parties civiles et leur famille, témoins, famille et amis de M. Traoré, policiers présents au cours de l’intervention). Il est donc peu probable que des auditions supplémentaires auraient conduit à révéler des éléments supplémentaires. Toutefois, plusieurs témoignages entendus par la commission, notamment ceux d’amies de Mme Sarah Halimi qui avaient connaissance des craintes de la victime envers son futur agresseur et de l’existence d’anciens incidents à caractère antisémite entre la famille Halimi et la famille Traoré, auraient pu être utiles à l’enquête.

b.   Un dialogue tendu avec les avocats

Certains avocats ont également regretté que leurs demandes d’entretien avec l’une des juges d’instruction aient été rejetées. Le premier avocat de la famille Halimi, Me Jean-Alex Buchinger a présenté à la commission les difficultés qu’il avait rencontrées : « Les enfants de la victime m’ont sollicité pour assurer la défense de leurs intérêts. J’ai accédé au dossier. J’ai rencontré la juge d’instruction qui m’a reçu « comme un chien dans un jeu de quilles ». J’ai été d’autant plus surpris que je représentais les trois enfants d’une femme assassinée […] La presse est restée totalement muette sur cette affaire […], j’ai donc organisé un point de presse à mon cabinet, le 27 mai, afin que cette affaire sorte de l’anonymat. Étonnamment, un nombre très important de journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision, les plus grandes signatures, a répondu à mon invitation. […] L’affaire a suscité l’intérêt de la presse, mais cela a surtout déclenché les foudres de la juge d’instruction et mes relations avec elle en ont pâti. Il en fut d’ailleurs de même pour mes confrères qui se sont heurtés au même mépris. […] Je suis convaincu qu’elle ne faisait preuve d’aucun a priori, de quelque ordre que ce soit. Par nature probablement, cette juge d’instruction n’était simplement pas ouverte au dialogue. Néanmoins, après un an de défense des intérêts des trois enfants Halimi, j’ai été rejoint par Me Francis Szpiner et son associée, Me Caroline Toby. Me Szpiner m’a indiqué entretenir d’excellentes relations avec cette juge d’instruction et qu’il n’aurait aucune difficulté à dialoguer avec elle. J’ai donc estimé préférable, dans l’intérêt de nos clients, de me retirer totalement du dossier en juillet 2018 » ([59]).

Selon Mme Anne Ihuellou, un juge d’instruction n’a pas pour mission d’échanger de manière informelle avec les avocats au cours de l’information judiciaire : « Les conversations avec les avocats ne sont pas prévues par le code de procédure pénale. Tous les actes utiles à la manifestation de la vérité se déroulent dans un cadre procédural, écrit, et sont ensuite cotés au dossier. Par ailleurs, notre charge de travail ne nous permettait pas de distraire une, deux ou plusieurs heures pour recevoir les avocats. En outre, les parties étaient nombreuses dans ce dossier et d’aucuns auraient pensé que si je recevais l’un ou l’autre des avocats et non pas tous les autres, on m’aurait taxé de partialité » ([60]).

Votre rapporteure n’est pas au fait des usages en la matière mais les auditions laissent entendre qu’il y aurait une différence de traitement selon les affinités de la juge avec tel ou tel avocat, ce qui peut surprendre. Il s’agit d’une décision en opportunité qui ne présente aucun caractère illégal mais une plus grande souplesse aurait pu favoriser un meilleur déroulement de la procédure, dans un contexte tendu et sensible médiatiquement.

Lors de son audition, le garde des sceaux a évoqué une piste consistant à améliorer le dialogue au cours de l’instruction : « On peut imaginer une audition récapitulative, lorsque l’instruction touche à sa fin. C’est d’ailleurs ce qui est souvent pratiqué avec le mis en examen et qu’on appelait l’interrogatoire récapitulatif » ([61]). Il s’agirait de prévoir, à la demande d’une partie, un échange avec les conseils des deux parties sur le déroulement de l’instruction soit au cours de celle-ci, soit à son terme notamment lorsqu’il est envisagé de déclarer la personne mise en cause irresponsable. Cette formalisation des échanges permettrait d’éviter les incompréhensions tout en préservant l’impartialité de la procédure puisque l’ensemble des parties pourrait être représenté.

Proposition  9 : Prévoir au cours de l’instruction ou à la fin de celle-ci, la possibilité de solliciter un échange de vues entre le juge d’instruction, les parties et leurs conseils.

c.   Un refus contestable de procéder à une reconstitution

La commission a également été surprise par l’absence de reconstitution, malgré des demandes répétées des parties civiles, auxquelles l’avocat de la défense lui-même ne s’était pas opposé. Selon Me David-Olivier Kaminski, avocat de la partie civile : « La reconstitution consiste en un transport sur les lieux et en une mise en situation. Elle permet une meilleure compréhension de la situation. Elle aurait permis de mieux évaluer la proximité entre les deux familles, d’identifier des éléments qui n’ont pas été formulés dans les procès-verbaux, forcément incomplets. La reconstitution s’effectue en présentiel et la justice se rend en présentiel. C’est fondamental. Selon moi, il est anormal qu’un juge d’instruction, instruisant à charge et à décharge, ne fasse pas droit à une demande de reconstitution ; cela ne constitue pas un traitement judiciaire classique. Au contraire, il appartient au juge d’instruction de mener des investigations dans toutes les directions ».

Questionné sur ce sujet dans le cadre de l’expertise, le docteur Daniel Zagury, appelait à la prudence mais ne voyait pas de contre-indication médicale à la réalisation de la reconstitution : « Dans le rapport, je notais qu’il n’existait pas de contre-indication médicale. M. Kobili Traoré disait en espérer un apaisement pour lui, la justice et les parties civiles, et une contribution à l’émergence de la vérité des faits. J’ai toutefois indiqué dans mon rapport qu’il existait un risque de résurgence délirante. J’ajoutais que M. Kobili Traoré devait être encadré par des soignants et protégé contre un éventuel climat hostile » ([62]).

Deux raisons ont été avancées pour justifier ce refus : d’une part, les faits étant établis, la reconstitution n’aurait pas permis d’en apprendre plus sur la culpabilité de M. Traoré et, d’autre part, il était en pratique complexe de le faire venir pour qu’il participe à la reconstitution.

Un avocat des parties civiles, Me Francis Szpiner, a, pour sa part, estimé inutile la reconstitution : « La reconstitution a été abondamment évoquée. Je tiens à rappeler que la reconstitution n’est pas obligatoire dans le code de procédure pénale. De surcroît, les juges d’instruction à Paris sont peu favorables aux reconstitutions car ces dernières sont des procédures très lourdes. En effet, elles nécessitent des extractions, des conditions d’horaires similaires et un grand déploiement des forces de police. Or, à partir du moment où la culpabilité de M. Traoré ne fait aucun doute, la reconstitution avait un intérêt limité » ([63]).

La juge d’instruction, Mme Anne Ihuellou, a également indiqué qu’il fallait de nombreux soignants et que les psychiatres étaient inquiets du risque que la reconstitution provoque une nouvelle bouffée délirante. Le rejet a d’ailleurs été confirmé par la chambre de l’instruction qui a estimé qu’« une reconstitution des faits ne peut, à notre sens, apporter d’élément tranchant quant à l’altération ou l’abolition du discernement. C’est la reconstitution, la plus précise possible de la réalité psychique du sujet (en l’état un épisode délirant) qui est la clé de la compréhension de l’acte » ([64]).

Aux yeux de votre rapporteure, la reconstitution aurait principalement eu pour intérêt d’observer les conditions d’intervention de la police. Il est cependant normal que cette question n’intéresse pas la juge d’instruction, d’autant qu’aucune enquête administrative n’avait été diligentée pour éclaircir un dysfonctionnement potentiel. Une telle reconstitution, notamment en présence du mis en cause, aurait pu permettre d’éclairer les enquêteurs sur le degré de discernement de l’auteur des faits et sur l’éventuelle préméditation du crime. L’expertise du docteur Daniel Zagury ne fermait pas la porte à une reconstitution.

Il ne revient pas à la commission de se prononcer sur le choix de rejeter les demandes de reconstitution, qui a été fait dans le respect de la procédure. Votre rapporteure estime toutefois utile de rappeler que la reconstitution peut également avoir pour but d’apporter des réponses aux questions spécifiques inséparables de la manifestation de la vérité, par leur nature même ou leur influence sur le déroulement des faits, par exemple le discernement de la personne mise en cause ou les conditions d’intervention des forces de l’ordre.

d.   Une surprenante absence d’exploitation du téléphone

Un dernier point a retenu l’attention de la commission concernant le déroulement de l’enquête, il s’agit de l’absence d’exploitation du téléphone de M. Traoré. Au cours des perquisitions, les enquêteurs ont mis sous scellé une tablette lui appartenant. En revanche, aucun des téléphones trouvés au domicile de la famille de M. Traoré n’a été emporté. Selon les enquêteurs, la saisine était impossible en l’absence de certitude que l’un des téléphones appartenait à l’auteur des faits.

Selon l’un des policiers en charge de l’enquête judiciaire : « Il a été procédé à des recherches de téléphonie, mais elles n’apparaissent peut-être pas de façon explicite dans le dossier. Une recherche de géolocalisation n’aurait apporté aucun élément probant puisque les personnes habitaient sur place. […] Les lignes téléphoniques de la famille ont été identifiées. En revanche, les policiers n’ont pas trouvé le téléphone de Kobili Traoré » ([65]).

L’absence de téléphone portable est surprenante même si elle peut s’expliquer par les activités illégales auxquelles M. Traoré se livrait avant les faits. Comme l’a indiqué un policier chargé de l’enquête judiciaire : « Il n’est pas établi que Traoré disposait d’une ligne téléphonique et d’un téléphone au moment des faits. […] Ce n’est en effet pas du tout évident. Son comportement délinquant et anormal au cours des jours qui ont précédé les faits ne permet pas d’affirmer qu’il disposait d’un téléphone à cette période. […] Certains délinquants ne possèdent pas de téléphone et n’en utilisent pas de sorte à ne pas être repérés. Kobili Traoré vivait dans son quartier et rencontrait des habitants de son quartier ». Il ressort toutefois des auditions que les recherches menées pour retrouver ce téléphone ou obtenir les factures détaillées des appels ont été limitées.

La juge d’instruction n’a donc pas pu exploiter les données téléphoniques : « Lorsque les policiers ont interpelé M. Traoré, il n’avait pas de téléphone portable. En perquisitionnant à son domicile, ils ont trouvé une tablette tactile, mais n’ont pu déterminer si les téléphones présents étaient ceux de M. Traoré ou d’autres personnes. Or je ne suis pas en mesure d’expertiser des scellés que je n’ai pas » ([66]).

Si aucune illégalité ne peut être relevée au regard des règles de procédure pénale, cette attitude a pu laisser penser à un manque d’investissement des enquêteurs dans la recherche de preuves.

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Dans l’ensemble, l’instruction s’est déroulée dans le respect des règles de procédures pénales. La situation particulière, liée à la santé mentale du mis en cause, a cependant montré les limites de certaines de ces procédures, qui pourraient être améliorées.

De façon plus dérangeante, la mise en œuvre de la procédure, couplée au choix de restreindre certains actes d’enquête ou d’instruction a pu donner le sentiment aux parties civiles d’avoir été traitées avec désobligeance. Comme l’a résumé M. David-Olivier Kaminski : « Sans être ni accablant ni extrémiste, des actes qui apparaissaient comme pouvant être in fine des actes à décharge n’ont pas été réalisés alors qu’ils auraient pu l’être. Dans une instruction « normale », ils auraient dû l’être et a fortiori dans un dossier révélé publiquement. Cette affaire a fini par faire l’objet d’une médiatisation très importante. Quand la justice est vue sous le viseur des médias, elle doit être encore plus exemplaire » ([67]).

De son côté, la juge d’instruction a voulu s’en tenir aux seules obligations que lui imposait le code de procédure pénale, y compris lorsqu’elle disposait d’une marge d’appréciation supplémentaire : « La procédure est le seul guide du magistrat instructeur et sa seule légitimité. Il n’instruit pas pour la partie civile ou contre le mis en examen, mais pour la manifestation de la vérité, quelle qu’elle soit. Il se doit d’appliquer le code de procédure pénale et le code pénal dans la limite de sa saisine dans toute sa rigueur. C’est ce que je veux bien faire comprendre à la commission : certaines procédures sont obligatoires. Les faits sont tenaces et il ne m’appartient pas d’en juger. Je dois faire abstraction de mon opinion de citoyenne et d’être humain face à la rigueur du code de procédure pénale. Nous devons appliquer la loi, toute la loi et rien que la loi ».

Votre rapporteure souligne qu’il n’y a pas de justice sans apparence de justice. Dans cette situation difficile, conduisant à l’absence de procès, il aurait été utile de faire preuve de davantage de pédagogie, d’empathie, de capacité d’écoute et d’attention à l’encontre des parties civiles pour souligner davantage encore que la justice avait rempli sa mission.

Proposition  10 : Élaborer une circulaire sur la place des victimes au cours de l’instruction afin de rappeler l’objectif de conciliation de l’obligation d’impartialité et de légalité des décisions avec une attitude d’écoute et d’empathie envers l’ensemble des parties.

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III.   La déclaration d’irresponsabilité et la prise en charge des personnes déclarées irresponsables

A.   la procédure de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental

1.   La clôture de l’instruction a conduit à la saisine de la chambre de l’instruction dans les conditions prévues par le code pénal

Les règles de procédures pénales conduisant à ne pas juger les personnes considérées comme pénalement irresponsables sont assez anciennes puisqu’on trouve mention du principe dès l’antiquité gréco-romaine ([68]). Tout au long de l’Ancien Régime des règles implicites conduisaient à écarter des tribunaux les personnes considérées comme démentes.

L’article 64 du code pénal de 1810 qui est l’aboutissement d’une réflexion judiciaire et législative commencée sous le directoire énonce qu’il n’y a « ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister ».

Comme le mentionnait la journaliste Mme Ariane Chemin dans un article du Monde du 17 septembre 2021 relatif à l’irresponsabilité pénale et à l’origine de cette législation, l’article 64 du code pénal traduisait l’idée suivante : « Un criminel atteint de démence n’est pas doté de volonté, il ne saurait être considéré comme responsable de ses actes. Le châtiment ne peut se concevoir sans libre arbitre » ([69]) .

Cette rédaction de l’article 64 a été maintenue très longuement dans notre droit pénal. Elle n’a été modifiée pour la première fois qu’en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et la refonte qui a transformé l’article 64 en article 122‑1. La formulation du principe a été modifiée afin de ne plus faire apparaître le terme de démence, qui pouvait paraître péjoratif et trop général, et de distinguer les situations d’abolition totale du discernement et les situations d’altération du discernement, les deux n’ayant pas les mêmes conséquences.

Ainsi, l’article 122‑1 du nouveau code pénal établit que le discernement est totalement aboli lorsque l’auteur des faits est atteint « au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » ([70]). Le discernement peut aussi être considéré comme partiellement aboli, c’est-à-dire altéré. Dans ce cas, comme le prévoit le second alinéa de l’article 122‑1, « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ». La personne peut donc être jugée responsable de ses actes mais les peines prononcées devront être atténuées pour tenir compte de ce fait ([71]).

Jusqu’à la réforme introduite en 2008, l’affaire visant la personne déclarée irresponsable en raison d’un trouble mental devait faire l’objet, selon l’étape à laquelle était constatée l’affection mentale ayant aboli le discernement, d’un classement sans suite par le procureur de la République, d’une ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, d’un jugement de relaxe prononcé par le tribunal de police ou le tribunal correctionnel, ou d’une décision d’acquittement prononcée par la cour d’assises.

Ces procédures ont été de plus en plus critiquées, en raison de leur caractère définitif et parfois expéditif, en particulier pour les victimes qui ne pouvaient être entendues à moins qu’il y ait une audience devant une formation de jugement.

Elles ne permettaient pas non plus de distinguer les personnes dont l’innocence était établie et celles qui, bien qu’ayant commis les faits constitutifs d’une infraction, devaient néanmoins être déclarées pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental. La possibilité dont disposait le juge d’instruction de prononcer un non-lieu en l’absence d’un véritable débat était controversée, en particulier par les associations de victimes. Avant l’adoption de la loi du 25 février 2008, le législateur avait tenté de répondre en partie à ces critiques :

● La loi n° 95‑125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, a introduit la possibilité d’un appel contre l’ordonnance de non-lieu rendue par le juge d’instruction, à la demande de la partie civile. Dans ce cas, l’appel devait être examiné devant la chambre de l’instruction en présence de la personne mise en examen et au cours d’une séance publique, à condition que l’état de cette dernière le permette et que la publicité des débats ne nuise pas à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

● La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, a prévu en modifiant l’article 349-1 du code de procédure pénale que, devant la cour d’assises, la culpabilité et l’éventuelle irresponsabilité de l’accusé feraient l’objet de deux questions distinctes afin d’attribuer la commission des faits à la personne mise en examen.

● Enfin, l’article 122 de la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a modifié l’article 177 du code de procédure pénale afin de prévoir que la motivation d’une ordonnance ou d’un arrêt de non-lieu pour cause de trouble mental devrait expressément préciser « s’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés ». Cette précision permet donc en partie de répondre à la demande des victimes de voir reconnaître la personne mise en cause comme étant celle qui a commis les faits répréhensibles ([72]).

Le droit a ainsi évolué pour aboutir à une distinction claire entre la culpabilité et la responsabilité : pour être tenue responsable de ses actes une personne doit être reconnue comme ayant eu et l’intention et la conscience de l’accomplir. Les différentes modifications législatives ont mis en lumière cette déconnexion entre la culpabilité et l’imputabilité et donc la responsabilité qui peut ne pas être retenue lorsque la personne à qui les faits sont imputés souffre de troubles psychiques.

Néanmoins, ces changements n’ont pas permis d’aboutir à une procédure beaucoup plus satisfaisante pour les victimes. Dans le même temps, le nombre de décisions de non-lieu prononcées pour cause d’irresponsabilité a eu tendance à diminuer entre le milieu des années 1990 et le milieu des années 2000. C’est ce que souligne le rapport sur l’irresponsabilité pénale remis par MM. Philippe Houillon et Dominique Raimbourg au garde des sceaux en février 2021. Les statistiques collectées montrent une diminution des décisions de non-lieu et des ordonnances d’irresponsabilité au stade de l’instruction au milieu des années 2000 ([73]).

Adoptée définitivement le 25 février 2008, la loi n° 2008‑174 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a introduit une modification importante dans la procédure de reconnaissance de l’irresponsabilité pénale. Elle a modifié les articles du code de procédure pénale régissant la procédure de reconnaissance de l’irresponsabilité pénale. La procédure qui s’applique à la juridiction d’instruction saisie des faits, à la chambre de l’instruction et aux formations de jugement est prévue aux articles 706‑19 à 706‑140 du code de procédure pénale.

La loi du 25 février 2008 a également introduit la possibilité pour les parties civiles de porter l’affaire devant un tribunal correctionnel pour faire reconnaître leur préjudice. La responsabilité civile de l’auteur des faits était déjà reconnue en vertu de l’article 41‑3 du code civil mais il n’était pas possible d’obtenir une réparation sur le plan civil jusqu’en 2008 dans le cadre de cette procédure spécifique de reconnaissance de l’irresponsabilité pénale ([74]).

La loi précitée a introduit une procédure de saisine de la chambre de l’instruction. Cette procédure comporte plusieurs étapes. En vertu de l’article 706‑119 le ou les juges d’instruction saisis, lorsqu’ils estiment l’information close, doivent indiquer en transmettant le dossier au procureur s’ils estiment nécessaire l’application de l’article 122‑1 du code pénal. Ils en avisent alors les parties. Il revient au procureur et aux parties d’indiquer dans leurs réquisitions et dans leurs observations s’ils entendent saisir la chambre de l’instruction afin que celle-ci statue sur l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal. Si ces derniers ne le font pas, le juge d’instruction est fondé à demander la saisine du procureur général par le procureur de la République aux fins d’examen du dossier par la chambre d’instruction conformément à l’article 706‑120 du code de procédure pénale.

Article 706‑120 du code de procédure pénale

« Lorsqu’au moment du règlement de son information, le juge d’instruction estime, après avoir constaté qu’il existe contre la personne mise en examen des charges suffisantes d’avoir commis les faits reprochés, qu’il y a des raisons plausibles d’appliquer le premier alinéa de l’article 1221 du code pénal, il ordonne, si le procureur de la République ou une partie en a formulé la demande, que le dossier de la procédure soit transmis par le procureur de la République au procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction. Il peut aussi ordonner d’office cette transmission.

Dans les autres cas, il rend une ordonnance d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental qui précise qu’il existe des charges suffisantes établissant que l’intéressé a commis les faits qui lui sont reprochés. »

Dans l’affaire à laquelle s’attache la commission, la procédure judiciaire a parfaitement suivi ce cheminement. L’instruction s’est étalée d’avril 2017 à avril 2019. L’instruction a été clôturée par les deux juges d’instruction le 26 avril 2019. À ce moment, le dossier a été transmis au procureur de la République qui n’a pas fait droit à la demande de saisine de la chambre de l’instruction en vue de l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal. C’est pourquoi le 12 juillet 2019 les juges d’instruction ont fait application de l’article 706‑120 du code de procédure pénale afin que le procureur saisisse le procureur général aux fins de saisine de la chambre de l’instruction.

Le procureur a fait appel de cette ordonnance de transmission le 15 juillet 2019. Comme le précise l’arrêt de la chambre de l’instruction, par un réquisitoire du 20 septembre 2019 la procureure générale près la cour d’appel a ordonné la saisine de la chambre de l’instruction afin de statuer sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits pour cause de trouble mental.

La chambre de l’instruction a tenu une audience le 27 novembre 2019 et a rendu son arrêt le 19 décembre 2019.

2.   La discussion et l’audience devant la chambre ont conduit à la déclaration d’irresponsabilité

La réforme de 2008 a visé à donner une plus grande importance à l’audience devant la chambre de l’instruction qui constitue la dernière étape de la procédure, exposant les prérogatives de la formation de la chambre de l’instruction et des parties à l’audience.

Article 706-122 du code de procédure pénale

« Lorsque la chambre de l’instruction est saisie en application de l’article 706-120, son président ordonne, soit d’office, soit à la demande de la partie civile, du ministère public ou de la personne mise en examen, la comparution personnelle de cette dernière si son état le permet. Si celle-ci n’est pas assistée d’un avocat, le bâtonnier en désigne un d’office à la demande du président de la juridiction. Cet avocat représente la personne même si celle-ci ne peut comparaître.

Les débats se déroulent et l’arrêt est rendu en audience publique, hors les cas de huis clos prévus par l’article 306.

Le président procède à l’interrogatoire de la personne mise en examen, si elle est présente, conformément à l’article 442.

Les experts ayant examiné la personne mise en examen doivent être entendus par la chambre de l’instruction, conformément à l’article 168.

Sur décision de son président, la juridiction peut également entendre au cours des débats, conformément aux articles 436 à 457, les témoins cités par les parties ou le ministère public si leur audition est nécessaire pour établir s’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et déterminer si le premier alinéa de l’article 1221 du code pénal est applicable.

Le procureur général, l’avocat de la personne mise en examen et l’avocat de la partie civile peuvent poser des questions à la personne mise en examen, à la partie civile, aux témoins et aux experts, conformément à l’article 4421 du présent code.

La personne mise en examen, si elle est présente, et la partie civile peuvent également poser des questions par l’intermédiaire du président.

Une fois l’instruction à l’audience terminée, l’avocat de la partie civile est entendu et le ministère public prend ses réquisitions.

La personne mise en examen, si elle est présente, et son avocat présentent leurs observations.

La réplique est permise à la partie civile et au ministère public, mais la personne mise en examen, si elle est présente, et son avocat auront la parole les derniers. »

Ainsi, comme le décrit précisément l’article 706‑122, l’audience devant la chambre de l’instruction est davantage une véritable audience impliquant la personne mise en examen et donc la défense, les parties civiles, mais aussi les témoins et les experts. Plus précisément, la comparution personnelle de la personne mise en examen peut être ordonnée par le président de la chambre de l’instruction, soit d’office, soit à la demande de la partie civile, ou du ministère public. La personne mise en examen pourra également formuler une telle demande. L’ensemble des dispositions du code de procédure pénale autorise un dialogue contradictoire qui permettra notamment d’entendre les psychiatres qui auront constaté les troubles mentaux de la personne mise en cause et conclu à l’abolition du discernement. La ou les parties civiles sont également invitées à assister et participer aux débats devant la formation collégiale de l’instruction.

Dans l’affaire à l’origine de la constitution de la commission d’enquête, l’audience devant la chambre de l’instruction a permis d’entendre certains des experts et donc d’avoir un échange oral sur les analyses rendues par les psychiatres relatifs à l’état mental du mis en examen. Les docteurs Daniel Zagury, Paul Bensussan et Julien Guelfi ont été entendus. Le docteur Roland Coutanceau était présent au début mais a dû quitter la salle d’audience et n’a donc pas pris la parole. Les parties civiles n’ont pas souhaité se rendre à l’audience. Elles étaient représentées par leurs avocats qui ont pu prendre la parole.

Comme le précise le code de procédure pénale, la chambre de l’instruction a plusieurs possibilités à l’issue de l’audience. Elle doit statuer en tout premier lieu sur l’irresponsabilité pénale et si elle estime devoir appliquer le premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal.

Dans le même temps si elle retient l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal elle doit indiquer si la personne mise en examen est l’auteur des faits qui lui sont reprochés.

Dans le cas contraire, la chambre de l’instruction peut estimer, après examen du dossier et après avoir entendu les différentes parties à l’audience, qu’il n’y a pas lieu de faire application du premier alinéa de l’article 1221 du code pénal. Elle a donc la possibilité de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement.

Comme le démontre l’article 706‑25 du code de procédure pénale résultant de la loi n° 2008‑174 du 25 février 2008 et comme l’a souligné le procureur général M. François Molins lors de son audition : « Ainsi, pour que la culpabilité d’un individu soit tout de même affichée, un débat a lieu devant la chambre de l’instruction sur les faits. C’est le terrain de la culpabilité. Ensuite vient le terrain de l’imputabilité ou de la responsabilité, qui consiste à se demander si, compte tenu de l’état mental de la personne, ces faits peuvent lui être imputés de façon à la juger et à la condamner » ([75]).

Depuis la réforme de 2008, le législateur a introduit la possibilité pour les magistrats de la chambre de prononcer des mesures de sûreté afin d’offrir une solution non pas pénale mais adaptée à la situation de l’auteur des faits. Plusieurs mesures sont possibles dont l’hospitalisation d’office si ce n’est pas déjà le cas, ou bien le prononcé de mesures qui sont celles prévues dans les cas d’un suivi socio‑judiciaire.

Article 706‑24 du code de procédure pénale

« Si elle estime qu’il existe des charges suffisantes contre la personne mise en examen d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés et que le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal n’est pas applicable, la chambre de l’instruction ordonne le renvoi de la personne devant la juridiction de jugement compétente. »

Article 706‑25 du code de procédure pénale

« Dans les autres cas, la chambre de l’instruction rend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental par lequel :

1° Elle déclare qu’il existe des charges suffisantes contre la personne d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés ;

2° Elle déclare la personne irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ;

3° Si la partie civile le demande, elle se prononce sur la responsabilité civile de la personne, conformément à l’article 4143 du code civil, et statue sur les demandes de dommages et intérêts ;

4° Elle prononce, s’il y a lieu, une ou plusieurs des mesures de sûreté prévues au chapitre III du présent titre. »

Article 720‑135 du code de procédure pénale

« Sans préjudice de l’application des articles L. 32131 et L. 32137 du code de la santé publique, lorsque la chambre de l’instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner, par décision motivée, l’admission en soins psychiatriques de la personne, sous la forme d’une hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l’article L. 32221 du même code s’il est établi par une expertise psychiatrique figurant au dossier de la procédure que les troubles mentaux de l’intéressé nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police est immédiatement avisé de cette décision. Le régime de cette hospitalisation est celui prévu pour les admissions en soins psychiatriques prononcées en application de l’article L. 32131 du même code. »

Concernant M. Traoré, la chambre de l’instruction dans son arrêt du 19 décembre 2019 a estimé qu’il devait être fait application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal. L’arrêt de la chambre conclut donc à l’abolition du discernement et à l’irresponsabilité pénale. Elle a conclu dans le même temps qu’il existait des charges suffisantes contre M. Traoré d’avoir commis les faits qui lui étaient reprochés. Elle a ordonné l’hospitalisation complète dans un établissement mentionné à l’article L. 3222‑1 du code de la santé publique ([76]) et précisé, conformément à l’article 720‑136 du code de procédure pénale, que l’auteur des faits avait interdiction d’entrer en contact avec les membres de la famille Halimi, parties civiles au procès, pendant une durée de vingt ans.

Bien que votre rapporteure n’ait pas pu aborder ce sujet de façon plus générale mais seulement à travers la procédure suivie dans l’affaire relative au meurtre de Mme Sarah Halimi, il a pu lui apparaitre que cette nouvelle procédure pourrait faire l’objet d’une meilleure appréhension par les parties civiles qui sont invitées à y assister si elles le souhaitent et pas seulement par la voie de leurs conseils.

L’examen par la chambre de l’instruction du dossier concernant l’homicide volontaire sur la personne de Mme Sarah Halimi et la séquestration au préjudice de la famille Diarra fait partie du faible nombre d’affaires qui chaque année sont portées devant les chambres de l’instruction. Comme le rappelle la communication de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’application de l’article 122‑1 du code pénal : « le nombre annuel de personnes pour lesquelles des troubles psychologiques ont justifié l’abandon de poursuites est estimé, en 2019, à moins de 10 000, soit 0,5 % des quelque 2 millions de personnes suivies chaque année par la justice pénale ». Une très grande majorité de ces 10 000 cas correspondent à des décisions d’application de l’article 122‑1 du code pénal par le parquet suite éventuellement à une expertise médicale. Chaque année entre 2012 et 2019 moins d’une centaine d’affaires similaires ont été examinées par des chambres de l’instruction ou une cour d’assises ([77]).

Votre rapporteure ne peut que constater dans l’ensemble que tout s’est déroulé, de la saisine de la chambre de l’instruction au respect de la procédure régissant l’audience et jusqu’au prononcé de l’arrêt, conformément aux règles du code pénal et du code de procédure pénale.

C’est ce qu’a définitivement jugé la Cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2021. Les parties civiles ont introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 19 décembre 2019. Elles considéraient notamment que la chambre de l’instruction avait commis une erreur de droit en estimant que la consommation volontaire de cannabis par M. Traoré était sans conséquence sur son irresponsabilité pénale. La Cour de cassation a répondu que la chambre de l’instruction avait sans erreur de droit conclu à l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 et avait souverainement qualifié les faits en s’appuyant sur l’ensemble des expertises psychiatriques : « En l’état de ces énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et des preuves, la chambre de l’instruction a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a déclaré, d’une part, qu’il existait à l’encontre de M. Traoré des charges d’avoir commis les faits reprochés, d’autre part, qu’il était irresponsable pénalement en raison d’un trouble psychique ou neuro-psychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits. » ([78]).

En rendant cet arrêt, la Cour de cassation a appliqué une jurisprudence qu’elle avait déjà pu établir à l’occasion d’autres affaires impliquant des personnes dont l’irresponsabilité pénale était en question. Comme l’ont rappelé plusieurs articles publiés au moment où la Cour de cassation a rendu son               arrêt, et comme l’a rappelé le procureur général François Molins lors de son audition, la Cour avait déjà eu à statuer sur l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal à propos d’individus qui avaient consommé des substances psychotropes dans un temps rapproché de la commission des faits. La Cour de cassation n’avait pas considéré que la consommation de tels produits pouvait constituer une faute antérieure qui atténuerait l’abolition totale du discernement. En tant que telle la consommation de substances psychotropes peut constituer une circonstance aggravante mais indépendamment de la considération de la survenue de troubles mentaux et donc de l’abolition du discernement. Si ces troubles sont avérés, il n’est pas dans la jurisprudence de la Cour et l’esprit de l’article 122‑1 de considérer qu’ils auraient pu être aggravés volontairement par l’auteur des faits ou provoqués par la consommation ponctuelle de ces substances ([79]). Ceci est d’autant plus vrai si l’auteur des faits est atteint de troubles psychiques chroniques et qu’il consomme parallèlement des substances psychotropes sans avoir conscience des risques ([80]).

La Cour de cassation a également estimé que la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale n’était pas incompatible avec la préméditation d’un meurtre. Le caractère irrésistible de la maladie mentale qui abolit le discernement de certaines personnes n’exclut pas que ces derniers aient eu des intentions meurtrières. L’arrêt rendu le 12 avril 2016 par la chambre criminelle confirme la position de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles qui a établi que la personne mise en examen avait prémédité une agression mais que son discernement avait été aboli au moment de la commission des actes : « Au total, il ressortait de tout ce qui précédait que le mis en examen était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ; que ce trouble n’avait pas simplement altéré son discernement, mais ainsi que justement relevé par un consensus des experts, avait aboli son discernement ainsi que le contrôle de ses actes, au sens du premier aliéna de l’article 1221 du code pénal ; qu’il convenait en conséquence de déclarer M. Z... irresponsable pénalement en raison de ce trouble ; que la préméditation et le fait de se munir d’un couteau dès le mois d’octobre 2009 n’étaient pas incompatibles avec l’irresponsabilité pénale, ni même le fait de posséder des capacités intellectuelles efficientes » ([81]).

De plus, comme l’a rappelé le procureur général François Molins lors de son audition, l’état de démence est une question de pur fait qui relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Il ne revenait donc pas à la Cour de cassation de rediscuter des diagnostics médicaux et des conclusions qui en avaient été tirées par les juges d’instruction et la chambre de l’instruction ([82]).

3.   Des avis psychiatriques ayant laissé penser à une divergence des experts

a.   Une première expertise qui n’a pas les mêmes implications que les deux suivantes

La question médico-légale qui s’est posée au parquet et aux juges d’instruction dans cette affaire s’est révélée très délicate comme cela peut être le cas lorsque les personnes mises en cause se révèlent être atteintes de troubles psychiques ou neuro-psychiques. Comme nous l’avons mentionné, les conclusions des trois expertises successives étaient convergentes sur le diagnostic médical. Les auditions ont à nouveau confirmé que le diagnostic médical sur l’état mental de l’auteur des faits la nuit du 4 avril 2017 avait été unanime. Selon ce diagnostic, M. Traoré a souffert d’une bouffée délirante aiguë provoquant un trouble neuropsychique et donc une abolition du discernement au moment des faits. Le trouble ainsi désigné est documenté par la psychiatrie au niveau international. Il s’agit d’un état de délire qui n’a pas de symptôme annonciateur manifeste pour des personnes non spécialistes, qui n’est pas durable mais provoque une altération de la perception de la réalité et des comportements irrationnels pouvant conduire à des actes d’une grande violence comme en l’occurrence.

Les expertises psychiatriques présentaient un autre point de convergence à propos de la pathologie qui a touché l’auteur des faits : les psychiatres ont assuré qu’il pouvait y avoir une compatibilité entre un état délirant et l’accomplissement d’un certain nombre d’actes logiques. Comme l’ont souligné les psychiatres lors des auditions, il n’est pas exclu que les personnes atteintes de troubles psychiques présentent un comportement rationnel par certains aspects et par ailleurs puissent garder la mémoire de leurs actes. C’est ainsi que le docteur Daniel Zagury a présenté cette hypothèse à la commission : « Pour le commun des mortels, il demeure difficile de concevoir que, bien que subissant une affection psychiatrique irrécusable, le sujet demeurait dans le même monde que nous. La première erreur est d’accorder trop de raisonnements et de logique à ses propos. Le sujet peut tenir ce type de propos tout en vivant une bouffée délirante. La rationalité d’une telle parole dans ce contexte reste problématique. […] Y compris dans l’état le plus pathologique, il peut y avoir des actes à peu près coordonnés. Il me semble que l’une des difficultés rencontrées dans cette affaire est celle de se représenter en même temps l’existence de troubles sévères et le maintien de facteurs qui ne relèvent pas de la maladie » ([83]).

De même, le docteur Paul Bensussan a expliqué qu’il était fréquent que le comportement de personnes en proie à un délire n’exclut pas la commission d’actes logiques.

La divergence centrale entre la première expertise et les deux suivantes réside dans les conséquences qui doivent être déduites au plan de l’application du droit pénal de l’état de santé de l’auteur des faits. À deux des questions posées par les juges d’instruction, à savoir : « Dire si l’infraction reprochée au sujet est en lien avec de telles anomalies et préciser si l’intéressé était atteint au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli / altéré son discernement ou le contrôle de ses actes, au sens de l’article 1221 du code pénal » et « Dire si l’intéressé est accessible à une sanction pénale et préciser s’il est curable ou réadaptable », le docteur Daniel Zagury a donné une réponse médico-légale et non seulement médicale. Comme expliqué précédemment, le diagnostic médical posé n’a pas différé de ceux exprimé par la suite : M. Traoré n’était pas dans un état mental normal lui permettant de disposer de son discernement. Le docteur Daniel Zagury conclut néanmoins à la fin de son rapport que, comme le rappelle l’arrêt de la chambre de l’instruction : « L’examen psychiatrique de Kobili Traoré, 27 ans, révèle la survenue à la période des faits, d’une bouffée délirante aigüe notamment caractérisée par un délire persécutif polymorphe, à thématique mystique et démonopathique, marquée par […] un vécu d’angoisse paroxystique et de danger de mort, éprouvé et agi avec une adhésion totale. Ce trouble psychotique aigu a été induit par l’augmentation de la consommation de cannabis, sur fond de déstabilisation existentielle. La description faite par le sujet, les témoignages, les observations de l’IPPP, de l’hôpital de Saint Maurice et de 1’UMD Henri Colin sont convergents et ne laissent aucun doute sur la réalité symptomatique.

En dépit du caractère indiscutable du trouble mental aliénant, son discernement ne peut être considéré comme ayant été aboli, au sens de l’article 1221, alinéa 1 du code pénal, du fait de la consommation volontaire et régulière de cannabis, de surcroît récemment augmentée. La symptomatologie qu’il a présentée est celle de troubles psychotiques induits par les toxiques. Par contre, la nature des troubles dépassant largement les effets attendus, justifie que l’on considère son discernement comme ayant été altéré au sens du deuxième alinéa de l’article 1221 du code pénal au moment des faits qui lui sont reprochés ».

Le docteur en concluait donc que, sauf rechute de l’état de santé de M. Traoré, pris en charge de à l’UMD de l’hôpital de Villejuif, celui-ci, auteur des faits qui lui étaient reprochés, serait accessible à une sanction pénale.

Le deuxième collège d’experts a, lui, émis une hypothèse médicale assez différente de la première et de la troisième expertise en établissant un pronostic sur l’état de santé future de M. Traoré. Le collège d’experts réuni par le docteur Paul Bensussan a considéré que les symptômes de la bouffée délirante aigüe qui s’était à nouveau manifestée à l’hôpital quelques semaines après l’internement de l’auteur des faits étaient le début d’une schizophrénie paranoïde. Celle-ci devait en conséquence être traitée et justifiait l’hospitalisation de M. Traoré, individu toujours à la fois dangereux et malade plusieurs mois, voire années après les faits.

Comme l’a signalé le docteur Paul Bensussan lors de son audition, après avoir exposé cette conclusion dans le rapport d’expertise, des doutes sont apparus sur la possibilité d’un trouble schizophrénique au vu de l’état et des propos tenus par le mis en examen lors de l’audience, et il a été alors amené à nuancer ses propos ainsi que ceux de ses collègues : « S’agissant des pronostics, nous avons indiqué : "Il est donc probable que l’évolution clinique de M. Kobili Traoré se fasse vers un trouble schizophrénique de forme paranoïde". Pourtant, lorsque j’ai vu le sujet à la barre, il était différent. M. Kobili Traoré était syntone, tandis que ses réponses étaient adaptées. J’ai alors regretté la formulation plus tranchée de ma conclusion. J’ai indiqué au président de la chambre d’instruction que je trouvais le sujet en meilleure forme. Nous avions donc usé d’une formulation trop tranchée que j’ai alors regrettée, tout en maintenant l’approche probabiliste » ([84]).

Comme le rappelle l’arrêt de la chambre de l’instruction, même si le troisième collège d’experts a estimé de son côté que la pathologie dont avait souffert l’auteur des faits avait été passagère et n’était pas annonciatrice d’une autre maladie psychique, il n’en a pas moins conclu à la nécessité de considérer que le discernement de M. Traoré avait été aboli et que ce dernier était inaccessible à une sanction pénale. La conclusion principale de cette expertise est citée par l’arrêt du 19 décembre 2019 : « Le sujet a présenté une bouffée délirante caractérisée d’origine exotoxique ; orientant plutôt classiquement vers une abolition du discernement au sens de l’article 1221 alinéa 1 du code pénal ; compte tenu qu’au moment des faits son libre arbitre était nul et qu’il n’avait jamais présenté de tels troubles antérieurement ». Les psychiatres insistent par ailleurs sur la nécessité de la poursuite de la prise en charge médicale et sur le fait qu’il ne peut être exclu que la consommation de cannabis ne provoque pas à nouveau chez M. Traoré des troubles mentaux importants.

En ce qui concerne l’éventualité de l’altération du discernement, le docteur Daniel Zagury a réexpliqué lors de son audition quelle avait été son analyse : « Nul n’est censé ignorer la loi ou que les produits toxiques peuvent provoquer une perte de contrôle. Dans le cas présent, il existe un épisode pathologique authentique. La question se pose pour l’alcool en cas de delirium tremens et d’hallucinations. Traoré dit avoir consommé des produits de plus en plus forts pour « se défoncer » ; pas pour tuer sa voisine. Cette consommation a dépassé les effets escomptés. Il est équitable que ce type de sujet dans cette situation ait à répondre de ses actes, y compris pour lui-même. Cependant, il ne peut être condamné de la même manière que quelqu’un qui aurait commis délibérément le même acte ». Il ne revient pas à la commission d’enquête de critiquer cette analyse en tant que telle qui relève de la libre appréciation du médecin lors de ses examens.

Votre rapporteure constate, néanmoins, que cette analyse a elle-même été contestée par les deux collèges d’experts ultérieurs. Comme les cite l’arrêt de la chambre de l’instruction, les six autres psychiatres qui ont examiné M. Traoré en 2018 ont estimé que ce dernier n’était pas accessible à une sanction pénale et qu’il n’était pas possible de considérer que son discernement aurait été simplement altéré d’un point de vue juridique. S’il est difficile de ne pas tirer de conclusions à partir des constatations sur le comportement et la volonté de la personne mise en examen, il n’a pas paru possible aux experts autres que le docteur Daniel Zagury de conclure que M. Traoré aurait pu prévoir un effet aussi radical d’une consommation régulière et ancienne de cannabis. Les conclusions proposées par le docteur Daniel Zagury paraissent donc problématiques dans la mesure où une appréciation médico-légale s’est substituée à une appréciation médicale. Le psychiatre n’a en effet pas entendu démontrer que le discernement de M. Traoré n’était qu’altéré au moment des faits mais qu’il devait être considéré comme tel pour ne pas exclure la possibilité d’un jugement si l’état de santé de l’auteur des faits s’améliorait, et donc pour ne pas faire application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal.

Lors de son audition le docteur Paul Bensussan pour revenir sur cette divergence a résumé les termes du débat sur l’effet de l’intoxication à des substances psychotropes : « Mes collègues et moi-même concluons à cette bouffée délirante. Il n’existe aucune divergence de diagnostic entre nous à ce stade. Ainsi, sept experts sur sept posent le même diagnostic. Le rôle déclencheur du cannabis représente un problème passionnant. Nous ne serions pas là si M. Kobili Traoré n’avait pas consommé de cannabis. La grande difficulté reste de savoir si ce rôle est direct, certain et exclusif. J’affirme qu’il est impossible de formuler une réponse à cette question. Cela reviendrait à nier les comorbidités, les vulnérabilités et à confondre facteur de risque, facteur précipitant et facteur causal. En épidémiologie, on ne parle pas de cause, mais de facteur de risque » ([85]). L’avocat de M. Traoré, Me Thomas Bidnic qui a été également entendu par la commission s’est lui aussi étonné des conclusions médico légales tirées par le docteur Daniel Zagury : « En revanche, M. Kobili Traoré fumait du cannabis depuis quinze ans et jamais il n’a eu un effet proche de la bouffée délirante. Cette affirmation médico-légale s’avère erronée et le docteur Daniel Zagury sort de sa sphère de compétence ». Bien sûr il était dans le rôle du conseil de la personne mise en examen de contester l’altération du discernement avec les conséquences indiquées par le psychiatre. Cela met néanmoins en lumière le débat important soulevé par les conclusions de la première expertise.

Par ailleurs, il a pu être discuté tout au long de l’instruction de cette affaire et à la suite de l’arrêt rendu par la chambre de l’instruction en décembre 2019 de la possibilité d’un crime à la fois commis par un individu en proie au délire et en même temps qualifié d’antisémite. Si du point de vue du droit cela peut paraître difficilement conciliable dès lors que le crime à caractère antisémite requiert une intention de nuire à une personne à raison de son appartenance réelle ou supposée à la religion juive, du point de vue médical cela est concevable.

Plusieurs personnes auditionnées, dont les deux psychiatres ayant eu à examiner M. Traoré au cours de l’instruction, ont expliqué les mécanismes pouvant conduire à un acte antisémite alors même que l’individu n’est pas dans un état mental normal. Comme l’a expliqué le docteur Daniel Zagury : « M. Kobili Traoré a emprunté le balcon pour accéder à l’appartement de Mme Sarah Halimi. D’après ses propos, nous pouvons conclure à une fuite anxiopersécutrice. M. Kobili Traoré indique ne pas savoir qu’il se rendait chez Mme Sarah Halimi. Il dit avoir vu la Torah et les chandeliers dès son entrée dans l’appartement. Ces éléments auraient déclenché ce déchaînement de violence. A-t-elle été délibérément recherchée parce que juive ? Ou bien sa confession l’a-t-elle immédiatement diabolisée dans ce contexte délirant. Je ne peux pas trancher. Ces propos : "Allah Akbar", "j’ai tué le Sheitan", etc. laissent peu de doute sur l’antisémitisme au moment des faits. ». Le même docteur a déclaré devant la commission d’enquête : « En toute hypothèse, il s’agit d’un crime délirant et antisémite. Je ne peux toutefois pas statuer sur la profondeur du sentiment antisémite ». En l’espèce, il n’y a donc pas eu de contradiction entre l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits et le caractère antisémite du meurtre. La chambre de l’instruction a dans son arrêt admis la circonstance aggravante d’antisémitisme à propos des faits d’homicide volontaire imputable à M. Traoré.

b.   Des discussions devant la chambre de l’instruction qui ont finalement abouti à un consensus médical

Les magistrats de la chambre l’instruction dans leur arrêt se sont attachés à citer longuement les conclusions des différentes expertises pour exposer les éléments qui pouvaient permettre de retenir l’application du premier alinéa de l’article 122‑1 du code pénal. La chambre note en conclusion, pour souligner la concordance entre les différents éléments du dossier, à la fois des expertises, mais aussi des interrogatoires et auditions à l’audience, que : « Le fait que Kobili Traoré soit consommateur habituel et ait récemment augmenté sa consommation ce qui a entraîné une réaction psychique de bouffée délirante aigüe durant laquelle les faits ont été commis et qui n’est pas l’ivresse cannabique – s’oppose selon cet expert et selon les parties civiles à ce que puisse être reconnu un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ces actes. Cette argumentation n’est en l’espèce pas fondée, aucun élément du dossier d’information n’indiquant que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiant puisse entrainer une bouffée délirante aigüe ».

Si la première expertise réalisée par le docteur Daniel Zagury n’aboutissait pas aux mêmes conclusions que les deux suivantes, la constatation par les deux collèges suivant d’experts qu’il ne pouvait y avoir de lien direct établi entre l’apparition d’une bouffée délirante aigüe et la consommation de cannabis par M. Traoré dans les quelques heures ou jours précédents le 4 avril 2017 et que le mis en examen ne pouvait prévoir cet effet ni ne pouvait avoir voulu entrer dans un état délirant pour commettre un homicide a emporté la conviction de la chambre de l’instruction.

Cette affaire comme de nombreuses autres affaires criminelles met en lumière l’importance de l’expertise psychiatrique dans la formation de la conviction des juges. L’article 158 du code de procédure pénale dispose que l’expertise ne peut « avoir pour objet que l’examen de questions d’ordre technique » et que la mission de l’expert est explicitement précisée dans la décision du juge qui ordonne l’expertise. Bien souvent, néanmoins, la question et les réponses dépassent le niveau technique et ces dernières peuvent être déterminantes. Il est important de rappeler qu’en aucun cas les conclusions des experts ne lient les juges que ce soit au sein des juridictions d’instruction comme au sein des juridictions de jugement ([86]). Les juges du parquet comme les juges judiciaires sont libres de se former leur opinion et les jugements et arrêts qu’ils rendent reflètent leur appréciation juridique et la conviction qu’ils ont pu se former sur le dossier.

Comme l’a souligné Mme Anne Ihuellou au cours de son audition : « Aussi, le juge d’instruction effectue tous les actes utiles, qu’ils soient de nature à démontrer la culpabilité ou l’innocence d’une personne. Pour ce faire, il dispose de tous les moyens d’investigation que lui confère le code de procédure pénale : interrogatoires, expertises et éventuellement reconstitutions ».

De même le procureur général M. François Molins a rappelé les conditions de nomination et le rôle des experts : « Je n’ai pas de critiques à adresser sur le degré de qualité des experts. L’inscription sur une liste de cour d’appel nécessite l’instruction de la candidature, la vérification des titres, des diplômes, des travaux passés, des expertises et tient compte des besoins. Cette inscription est donc complexe. Dans l’affaire Halimi, un ou deux spécialistes sont experts près la Cour de cassation. L’inscription sur cette liste est encore plus complexe et requiert davantage de travaux et de qualification » ([87]).

Le procureur général a rappelé, de plus, devant la commission d’enquête le positionnement de l’expert par rapport aux parties et à la juridiction : dans le système de droit continental, les expertises doivent aider la juridiction à instruire à charge et à décharge et les experts ne doivent répondre qu’à elle : « Dans les systèmes de la common law, l’expert est l’expert des parties. Chaque partie fait son enquête, elle a ses détectives, et l’expert est véritablement au service de la partie qui l’a missionné. En France, l’expert n’est pas l’expert des parties. C’est le juge qui dirige le procès » ([88]). Il lui paraît important en conséquence qu’en matière d’expertise psychiatrique, les médecins sollicités ne règlent pas eux-mêmes des questions qui relèveraient de la seule appréciation de la juridiction qui apprécie les faits en droit.

Souligner le rôle et les limites de l’expertise ne signifie pas vouloir en réduire l’usage et priver les magistrats d’éléments d’information extrêmement utiles. En conclusion, il n’a pas paru excessif à votre rapporteure que trois expertises psychiatriques aient été réalisées au cours d’une instruction assez longue. De plus, il est apparu que celles-ci ont été débattues par les parties et devant la chambre de l’instruction.

B.   La prise en charge des personnes déclarées irresponsables

1.   Les conditions de l’hospitalisation et le contrôle des mesures

Comme nous l’avons vu, la déclaration d’irresponsabilité pénale prise par la chambre de l’instruction concernant M. Traoré contenait des éléments sur les mesures devant être prises le concernant. La chambre de l’instruction a ordonné l’hospitalisation complète de l’auteur des faits. Cela fait partie des mesures de sûreté qui peuvent être prises à l’encontre des personnes reconnues pénalement irresponsables de leurs actes. Ce sont donc en général des personnes atteintes de troubles psychiques qui nécessitent une prise en charge thérapeutique à l’hôpital. Comme le précise l’article 706‑135 du code de procédure pénale, le prononcé de mesures d’hospitalisation poursuit deux objectifs : permettre de soigner la personne reconnue irresponsable mais aussi protéger les victimes et la société dans son ensemble d’individus malades et qui ont démontré qu’ils pouvaient être dangereux.

Comme nous l’avons signalé précédemment, au moment où la chambre de l’instruction rend son arrêt, M. Traoré était hospitalisé depuis avril 2017 dans le cadre d’une décision du représentant de l’État (SDRE). En application de l’arrêt de la chambre de l’instruction du 19 décembre 2019, M. Traoré a été maintenu en hospitalisation complète. À la suite du prononcé par la juridiction d’instruction de la mesure d’hospitalisation, le préfet est tenu de mettre en œuvre cette décision qui est ensuite soumise aux mêmes mécanismes que l’admission en SDRE si ce n’est que cette admission se déroule obligatoirement, au moins initialement, sous la forme d’une hospitalisation complète.

Article L. 3212‑4 du code de la santé publique

« Lorsque l’un des deux certificats médicaux mentionnés aux deuxième et troisième alinéas de l’article L. 321122 conclut que l’état de la personne ne justifie plus la mesure de soins, le directeur de l’établissement d’accueil prononce immédiatement la levée de cette mesure.

Lorsque les deux certificats médicaux ont conclu à la nécessité de prolonger les soins, le directeur de l’établissement prononce le maintien des soins pour une durée d’un mois, en retenant la forme de la prise en charge proposée par le psychiatre en application du même article L. 3211-2-2. Il joint à sa décision, le cas échéant, le programme de soins établi par le psychiatre.

Dans l’attente de la décision du directeur de l’établissement, la personne malade est prise en charge sous la forme d’une hospitalisation complète.

Lorsque le psychiatre qui participe à la prise en charge de la personne malade propose de modifier la forme de prise en charge de celle-ci, le directeur de l’établissement est tenu de la modifier sur la base du certificat médical ou de l’avis mentionnés à l’article L. 321111. »

Article L. 3212‑7 du code de la santé publique

« À l’issue de la première période de soins psychiatriques prononcée en application du deuxième alinéa de l’article L. 3212-4, les soins peuvent être maintenus par le directeur de l’établissement pour des périodes d’un mois, renouvelables selon les modalités prévues au présent article.

Dans les trois derniers jours de chacune des périodes mentionnées au premier alinéa, un psychiatre de l’établissement d’accueil établit un certificat médical circonstancié indiquant si les soins sont toujours nécessaires. Ce certificat médical précise si la forme de la prise en charge de la personne malade décidée en application de l’article L. 321122 demeure adaptée et, le cas échéant, en propose une nouvelle. Lorsqu’il ne peut être procédé à l’examen de la personne malade, le psychiatre de l’établissement d’accueil établit un avis médical sur la base du dossier médical.

Lorsque la durée des soins excède une période continue d’un an à compter de l’admission en soins, le maintien de ces soins est subordonné à une évaluation médicale approfondie de l’état mental de la personne réalisée par le collège mentionné à l’article L. 3211-9. Cette évaluation est renouvelée tous les ans. Ce collège recueille l’avis du patient. En cas d’impossibilité d’examiner le patient à l’échéance prévue en raison de son absence, attestée par le collège, l’évaluation et le recueil de son avis sont réalisés dès que possible.

Le défaut de production d’un des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations mentionnés au présent article entraîne la levée de la mesure de soins. Les copies des certificats médicaux, des avis médicaux ou des attestations prévus au présent article et à l’article L. 321111 sont adressées sans délai par le directeur de l’établissement d’accueil à la commission départementale des soins psychiatriques mentionnée à l’article L. 32225. »

De manière générale, dans le cadre des mesures d’hospitalisation sans consentement, sont mis en place à la fois un contrôle administratif et médical et un contrôle judiciaire. Un certificat doit être établi tous les mois par un psychiatre pour évaluer le bien fondé sur le plan médical de la mesure d’hospitalisation ([89]).

Les mesures de soins sur décisions du représentant de l’État peuvent prendre fin selon des modalités diverses.

Il peut s’agir, d’abord, d’une mainlevée par décision du préfet sur proposition du psychiatre traitant ([90]). Cependant, lorsqu’il reçoit une telle proposition de la part du psychiatre, le préfet n’est pas tenu de la suivre automatiquement. Il peut solliciter des expertises complémentaires.

En effet, s’il y a une divergence d’appréciation entre le psychiatre traitant et le préfet sur l’opportunité de lever la mesure et que la décision du préfet porte refus de mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète contre la proposition du psychiatre, une procédure d’examen approfondie est mise en œuvre.

Le préfet doit d’abord informer sans délai le directeur de l’établissement de son refus. Le directeur demande immédiatement l’examen du patient par un deuxième psychiatre. Si le deuxième avis, rendu au plus tard 72 heures après la décision prise par le préfet, confirme l’absence de nécessité de l’hospitalisation complète, le préfet doit ordonner la levée de la mesure de soins psychiatriques. Si le second avis ne confirme pas la proposition du psychiatre traitant, le préfet peut maintenir la mesure d’hospitalisation complète. Dans ce cas il en informe le directeur de l’établissement qui saisit sans délai le juge des libertés et de la détention. En effet, la décision du préfet a pour enjeu la fin de la privation de liberté résultant de l’hospitalisation complète.

La proposition de lever la mesure d’hospitalisation complète peut également provenir de la commission départementale des soins psychiatriques. Le préfet n’est cependant pas davantage tenu de la suivre.

Un régime spécifique au sein de la procédure de maintien ou de levée de l’hospitalisation sur décision du représentant de l’État a été introduit dans le code de la santé publique pour les personnes jugées pénalement irresponsables et admis en hospitalisation complète. Ce régime obéit à certaines dispositions dérogeant aux règles relatives à la modification ou à la levée des SDRE lorsqu’une décision a pour objet ou effet de mettre un terme à la privation de liberté de ces malades. Ainsi, la fin d’une hospitalisation complète, soit par levée de la mesure de soins soit par transformation en programme de soins, ne peut être décidée par le préfet, « compte tenu des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public » qu’après qu’il a recueilli l’avis ou reçu la proposition d’un collège constitué de deux psychiatres (dont le psychiatre traitant) et d’un membre de l’équipe pluridisciplinaire de soins et après deux expertises qu’il est tenu de demander en vertu de l’article L. 3213‑8 du code de la santé publique.

Article L. 3213‑8 du code de la santé publique

« I.  Si le collège mentionné à l’article L. 3211-9 émet un avis selon lequel la mesure de soins psychiatriques sous la forme d’une hospitalisation complète dont fait l’objet une personne mentionnée au II de l’article L. 321112 n’est plus nécessaire et que la mesure de soins sans consentement peut être levée, le représentant de l’État dans le département ordonne une expertise de l’état mental de la personne par deux psychiatres choisis dans les conditions fixées à l’article L. 321351. Ces derniers se prononcent, dans un délai maximal de soixante-douze heures à compter de leur désignation, sur la nécessité du maintien de la mesure de soins psychiatriques.

II.-Lorsque les deux avis des psychiatres prévus au I confirment l’absence de nécessité de l’hospitalisation complète, le représentant de l’État ordonne la levée de la mesure de soins psychiatriques.

Lorsque ces avis divergent ou préconisent le maintien de la mesure de soins psychiatriques et que le représentant de l’État la maintient, il en informe le directeur de l’établissement d’accueil, qui saisit le juge des libertés et de la détention afin que ce dernier statue à bref délai sur cette mesure dans les conditions prévues à l’article L. 3211-12. Le présent alinéa n’est pas applicable lorsque la décision du représentant de l’État intervient dans les délais mentionnés aux 1° et 2° du I de l’article L. 3211121. »

Parallèlement à ces procédures médicales et administratives, le juge des libertés et de la détention est aussi amené à contrôler la nécessité d’un maintien en hospitalisation complète. Le contrôle systématique instauré par la loi n° 2011803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge s’applique aux décisions prises par les directeurs d’établissement, par les représentants de l’État et les instances judiciaires mais ne concerne que les seules mesures d’hospitalisation complète mentionnées au 1° de l’article L. 3211‑2‑1 du code de la santé publique dès lors qu’elles se prolongent au-delà du quatorzième jour.

Le contrôle du JLD est ensuite réalisé tous les six mois à la demande du directeur de l’établissement d’accueil ou du préfet dans les conditions définies par le code de la santé publique.

Lorsqu’il s’agit des personnes qui ont fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale, le JLD peut, après avoir reçu les conclusions de deux expertises psychiatriques qu’il aura demandées, décider de lever les soins psychiatriques sous forme d’hospitalisation complète conformément au même l’article L. 3211‑12‑1 ([91]).

 

L. 3211‑12‑1 du code de la santé publique

« I.  L’hospitalisation complète d’un patient ne peut se poursuivre sans que le juge des libertés et de la détention, préalablement saisi par le directeur de l’établissement lorsque l’hospitalisation a été prononcée en application du chapitre II du présent titre ou par le représentant de l’État dans le département lorsqu’elle a été prononcée en application du chapitre III du présent titre, de l’article L. 32143 du présent code ou de l’article 706135 du code de procédure pénale, ait statué sur cette mesure :

1° Avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de l’admission prononcée en application des chapitres II ou III du présent titre ou de l’article L. 32143 du même code. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi dans un délai de huit jours à compter de cette admission ;

2° Avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de la décision modifiant la forme de la prise en charge du patient et procédant à son hospitalisation complète en application, respectivement, du dernier alinéa de l’article L. 32124 ou du III de l’article L. 32133. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi dans un délai de huit jours à compter de cette décision ;

3° Avant l’expiration d’un délai de six mois à compter soit de toute décision judiciaire prononçant l’hospitalisation en application de l’article 706-135 du code de procédure pénale, soit de toute décision prise par le juge des libertés et de la détention en application du présent I ou des articles L. 3211­12, L. 32133, L. 32138 ou L. 3213-9-1 du présent code, lorsque le patient a été maintenu en hospitalisation complète de manière continue depuis cette décision. Toute décision du juge des libertés et de la détention prise avant l’expiration de ce délai en application du 2° du présent I ou de l’un des mêmes articles L. 3211-12, L. 3213-3, L. 3213-8 ou L. 3213-9-1, ou toute nouvelle décision judiciaire prononçant l’hospitalisation en application de l’article 706-135 du code de procédure pénale fait courir à nouveau ce délai. Le juge des libertés et de la détention est alors saisi quinze jours au moins avant l’expiration du délai de six mois prévu au présent 3°. […] »

M. Traoré est aujourd’hui dans une situation prévue par le code de la santé publique. Différentes possibilités se présentent donc. Les psychiatres qui l’examinent régulièrement peuvent estimer qu’une prise en charge médicale complète n’est plus nécessaire et faire part de leur appréciation au directeur de l’établissement d’accueil et au préfet. Il reviendra donc au préfet de département d’estimer s’il estime devoir suivre cet avis médical.

La décision de la levée des soins pourrait également être prise par le juge des libertés et de la détention lors de son examen régulier du maintien de la mesure d’hospitalisation.

PROCéDUREs de levée d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte
concernant une personne ayant été déclarée PÉNALEMENT irresponsable

Levée sur avis médical

Décision du préfet prise sur proposition d’un psychiatre de l’établissement, après avis conforme d’un collège de soignants et deux expertises concordantes.

Procédure en cas de désaccord entre le préfet et le psychiatre traitant la levée des soins

 

Si le préfet décide de ne pas suivre la proposition du psychiatre de l’établissement et du collège, il informe le directeur de l’établissement qui saisit le JLD.

Autre possibilité : pour que la mesure de soins soit levée, le préfet peut solliciter l’avis de deux experts.

Le préfet lève les soins si chacun des avis et expertises constate que la mesure de soins psychiatriques n’est plus nécessaire.

Levée sur décision du juge

des libertés et de la détention (JLD)

Décision du juge des libertés et de la détention (JLD) après recueil de l’avis du collège et deux expertises psychiatriques de lever les soins psychiatriques sous forme d’hospitalisation complète.

Le juge ordonne la mainlevée de l’hospitalisation complète sans différer la mainlevée :

- soit en application de l’article L. 3211-12, III, à l’occasion d’un recours contre une décision du préfet ou de sa propre initiative ;

- soit en application de l’article L. 3211-12-1, à l’occasion du contrôle systématique par le JLD des hospitalisations complètes avant l’échéance d’un délai de 15 jours à compter de l’admission, puis avant celle des six mois faisant suite au premier contrôle ou à toute décision du JLD intervenue entretemps.

Source : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/tableau_exhodef.pdf

2.   Les enjeux liés à la fin des mesures de prise en charge médicale et de suivi

Comme nous venons de l’exposer ci-dessus, les personnes hospitalisées sans leur consentement, quel que soit le motif, ont vocation à sortir de l’établissement où elles ont été placées lorsque la prise en charge médicale sous forme d’une hospitalisation complète n’est plus nécessaire ou adaptée. L’arrêt d’une mesure d’hospitalisation complète ne se fait néanmoins pas à la légère. Différentes personnes sont amenées à intervenir et à donner leur avis sur le maintien des soins ou la levée de l’hospitalisation. Les personnes hospitalisées sans leur consentement sur décision du représentant de l’État et ensuite en application d’une ordonnance de reconnaissance d’irresponsabilité pénale peuvent se voir signifier qu’elles sont autorisées à sortir et éventuellement suivre un parcours de soins de jour ou bénéficier d’une autre forme de prise en charge. Les personnes déclarées irresponsables n’ont par définition pas été condamnées. Elles ne sont donc pas sous main de justice quand elles sortent de l’hôpital. Il est possible qu’elles doivent respecter des mesures de sûreté ordonnées par la juridiction de jugement ou la chambre de l’instruction. C’est le cas en l’espèce puisque M. Traoré a interdiction pendant vingt ans d’approcher les membres de la famille Halimi. En dehors de cette injonction, M. Traoré serait libre à sa sortie de l’hôpital.

Cela peut interroger l’opinion publique et il peut paraitre choquant que des personnes ayant commis des homicides parfois très violents puissent quelques années après sortir de l’hôpital sans aucune forme de contrainte et sans qu’il y ait une durée éventuellement minimum de séjour. Mais il est important de rappeler que les personnes déclarées pénalement irresponsables sont placées en hôpital psychiatrique parce qu’elles sont malades et souffrent souvent de pathologies assez lourdes. Le placement en prison pour détention provisoire ou à la suite d’une condamnation ne serait donc pas adapté. Comme l’a rappelé l’avocat de M. Traoré, Me Thomas Bidnic, son client est un patient de l’hôpital psychiatrique dont la mission est de le soigner ([92]).

Des expertises psychiatriques peuvent être demandées par le juge des libertés et de la détention ou le préfet soit auprès de la commission départementale des soins psychiatriques, soit du collègue mentionné à l’article L. 3211‑9 du code de la santé publique et de deux autres psychiatres. L’objectif de ces expertises est d’examiner l’état de santé du patient. La question de savoir s’il peut constituer un danger pour lui-même et pour autrui peut se poser. Il ne s’agit néanmoins pas d’un examen visant exclusivement à évaluer la dangerosité de l’individu même si cette interrogation peut être présente lors de l’examen du patient dont la dangerosité psychiatrique est évaluée ([93]). Par ailleurs, les éventuelles décisions de sortie peuvent intervenir des années après le placement en hospitalisation complète. Les juridictions qui ont statué sur l’irresponsabilité pénale ont été alors entièrement dessaisies du dossier. Il y a donc une déconnexion entre la procédure judiciaire et le traitement par l’institution médicale.

Il apparaît alors qu’un relativement grand nombre de psychiatres ont pu se prononcer sur l’état de santé d’une personne mise en examen puis hospitalisée sans consentement. Il n’est pourtant pas toujours simple pour les établissements d’accueil d’avoir une vue d’ensemble des avis rendus et de pouvoir les retracer chronologiquement.

On pourrait envisager pour assurer une plus grande continuité dans le parcours des personnes placées en hôpital psychiatriques, suite à une déclaration d’irresponsabilité pénale, que le juge des libertés et de la détention ou le préfet, s’ils envisagent une sortie de la personne hospitalisée sans son consentement, puissent s’ils le souhaitent saisir l’ordre judiciaire pour avoir connaissance des expertises demandées lors des enquêtes préliminaires ou bien établies et remises au cours de l’instruction par une juridiction d’instruction ou une juridiction de jugement. Ils pourraient alors consulter ces expertises pour remonter à l’état de santé du patient avant qu’il ne soit jugé pénalement irresponsable.

Nous souhaiterions enfin proposer en conclusion que lorsqu’une personne déclarée pénalement irresponsable se voit signifier par le préfet qu’il est mis fin à la mesure d’hospitalisation sans consentement, le procureur de la République territorialement compétent soit saisi. Celui-ci pourrait alors demander une expertise psychiatrique supplémentaire et saisir le juge des libertés et de la détention s’il estime qu’il existe des éléments qui s’opposeraient momentanément à la sortie de l’hôpital du patient pour des motifs liés à la sauvegarde de l’ordre public. Le juge des libertés et de la détention statuerait donc sur la main levée de la mesure d’hospitalisation complète en vue l’autoriser ou de maintenir la mesure. Cette proposition laisse la possibilité au procureur de ne pas s’opposer à la décision de main levée du préfet s’il l’estime fondée. Dans les autres cas, il reviendra au JLD de statuer par ordonnance.

Cela permettrait de recréer un lien entre la justice et le système de prise en charge médicale sur le sort de ces personnes pénalement irresponsables et hospitalisées en raison de troubles psychiques ou neuro psychiques.

Proposition  11 : Autoriser les juges des libertés et de la détention, les préfets et les psychiatres qui doivent statuer sur le maintien ou non de l’hospitalisation sans consentement et rendre un avis dans les différentes procédures prévues par le code de la santé publique à se voir communiquer le résultat des expertises réalisées lors de la procédure judiciaire et jusqu’à ce que la juridiction qui a statué sur l’irresponsabilité pénale ait été dessaisie.

Proposition  12 : Prévoir la saisine du procureur de la République territorialement compétent lorsque le préfet met fin à la mesure d’hospitalisation sous contrainte d’une personne déclarée irresponsable par la justice et lui donner la possibilité de demander une expertise psychiatrique complémentaire et de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue par ordonnance sur le maintien ou la main levée de la mesure.


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   Synthèse des propositions 

Proposition  1 : Réviser l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour encadrer les commissions d’enquête portant sur des affaires jugées, sauf en cas d’erreur judiciaire manifeste.

Proposition  2 : Réviser l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour préciser les règles en matière de publicité et d’obligation de se présenter, pour les personnes auditionnées comme simple « témoins privés » sans responsabilité administrative ou publique.

Proposition  3 : Veiller à la mise en œuvre effective de l’équipement des services de police et de secours en « pass universels » pour l’accès aux immeubles prévu par l’article 20 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

Proposition  4 : Améliorer les modalités de transmission des informations entre les différents niveaux de commandement et d’intervention (réception des appels, salle opérationnelle, intervenants) afin de s’assurer qu’elles arrivent rapidement aux personnes sur place.

Proposition  5 : Améliorer la formation des forces de police et de gendarmerie aux premiers secours afin qu’elles puissent intervenir en cas d’extrême urgence sous la supervision du SAMU ou des sapeurs-pompiers.

Proposition  6 : Préciser la doctrine d’intervention en cas de séquestration pour lister précisément les cas où une intervention immédiate est nécessaire et mieux sécuriser les lieux afin d’éviter que la prise d’otage se déplace ou conduise à la commission d’autres délits ou crimes.

Proposition  7 : Informer systématiquement et succinctement les médecins des unités médico judiciaires des raisons pour lesquelles une personne est gardée à vue lorsqu’ils sont sollicités pour examiner cette personne (sauf en cas de terrorisme).

Proposition  8 : Préciser que le juge d’instruction peut revoir la qualification des faits dont il est saisi, en particulier en ce qui concerne les circonstances aggravantes, pour étendre, avec l’accord du parquet, le périmètre de la mise en examen, sans devoir attendre un réquisitoire supplétif, ni renouveler une audition du mis en cause.

Proposition  9 : Prévoir au cours de l’instruction ou à la fin de celle-ci, la possibilité de solliciter un échange de vues entre le juge d’instruction, les parties et leurs conseils.

Proposition  10 : Élaborer une circulaire sur la place des victimes au cours de l’instruction afin de rappeler l’objectif de conciliation de l’obligation d’impartialité et de légalité des décisions avec une attitude d’écoute et d’empathie envers l’ensemble des parties.

Proposition  11 : Autoriser les juges des libertés et de la détention, les préfets et les psychiatres qui doivent statuer sur le maintien ou non de l’hospitalisation sans consentement et rendre un avis dans les différentes procédures prévues par le code de la santé publique à se voir communiquer le résultat des expertises réalisées lors de la procédure judiciaire et jusqu’à ce que la juridiction qui a statué sur l’irresponsabilité pénale ait été dessaisie.

Proposition  12 : Prévoir la saisine du procureur de la République territorialement compétent lorsque le préfet met fin à la mesure d’hospitalisation sous contrainte d’une personne déclarée irresponsable par la justice et lui donner la possibilité de demander une expertise psychiatrique complémentaire et de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue par ordonnance sur le maintien ou la main levée de la mesure.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du jeudi 6 janvier 2022, la commission d’enquête procède à l’examen du rapport.

M. le président Meyer Habib. Mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter une magnifique année 2022. Après une année 2021 compliquée et alors que nous vivons encore des moments difficiles, nous avons tous besoin d’unité, de santé et de sérénité. Faisons en sorte que la France brille de mille feux !

Notre commission d’enquête se réunit pour la dernière fois, après quelques mois de travaux consacrés à la terrible affaire du meurtre de Mme Sarah Halimi.

Je rentre de Jérusalem. J’ai tenu à me rendre, pour la première fois de ma vie, sur la tombe de la victime. J’étais accompagné de ses enfants, et j’ai pleuré. Tous les témoignages que nous avons entendus nous ont montré à quel point cette femme, mère de famille, médecin et directrice de crèche, vivant très simplement, était la bonté même. Elle est maintenant sous terre, parce qu’elle a été massacrée pendant quinze minutes avant d’être défenestrée. Le hasard fait que son caveau se trouve à quelques dizaines de mètres de ceux de Jonathan Sandler, de ses deux enfants Arieh et Gabriel, et de la petite Myriam Monsonego dont on commémorera, dans quelques semaines, les dix ans de l’assassinat à bout portant par un barbare islamiste – je crois d’ailleurs que le Président de la République se rendra à Toulouse à cette occasion. Un peu plus loin se trouve également la tombe d’Ilan Halimi, sur laquelle je m’étais recueilli il y a quelques mois aux côtés d’Éric Danon, ambassadeur de France en Israël, ainsi que celles des quatre victimes de l’Hyper Cacher, tuées alors qu’elles faisaient leurs courses de shabbat. Alors que le cimetière est immense, toutes ces victimes françaises se trouvent réunies dans un tout petit périmètre. La seule personne tuée pour son identité juive à être enterrée en France est Mireille Knoll – j’étais d’ailleurs à son enterrement, auquel assistait également le Président de la République. Pendant que je me recueillais sur la tombe de Sarah Halimi, j’ai pris un engagement : celui de tout faire pour comprendre pourquoi elle est morte, déterminer s’il y a eu des dysfonctionnements et permettre d’éviter un tel drame si pareille situation devait se reproduire. Au début, je ne connaissais pas grand-chose à cette affaire, mais j’en sais aujourd’hui beaucoup. Rien n’est jamais parfait mais, avec mon équipe, j’ai examiné chaque détail et essayé de rendre ce qui était approximatif le plus précis possible.

Nous examinons donc aujourd’hui le rapport de Mme Florence Morlighem. Le premier rapporteur, M. Didier Paris, ici présent, a démissionné – ce que je regrette, car nous avions de bons rapports. C’est le plus calmement possible que je vais vous livrer mon intime conviction : j’ai l’impression que, même dans le cadre de cette commission d’enquête, on a voulu ne pas aller au bout. On me répète en permanence qu’on ne refait pas un procès. J’en conviens, et je le dis depuis le premier jour : il y a eu un jugement, en première instance, en appel et en cassation, qui nous oblige. Mais la justice est faillible et je suis persuadé, au plus profond de moi-même, qu’elle a effectivement failli. Même si les règles de droit ont sans doute été respectées, ma conviction, que partage le grand rabbin de France, est que la justice s’est trompée, de manière involontaire. J’espérais que notre commission d’enquête transpartisane permettrait d’y voir plus clair.

Je tiens à remercier les quatre-vingts parlementaires qui ont accepté de cosigner la proposition de résolution tendant à la création de cette commission d’enquête. Après un long parcours, nous y sommes arrivés ! Je regrette cependant le faible nombre de députés de la majorité parmi les cosignataires. On me répond que le Parlement a adopté un projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Certes, ce texte est important – je l’ai d’ailleurs voté –, mais il ne résout en rien les dysfonctionnements constatés dans cette affaire, pas plus qu’il n’explique les invraisemblances et les mensonges auxquels nous avons été confrontés. Je regrette également que ni les socialistes, ni les communistes, ni les insoumis n’aient participé, ne serait-ce qu’une minute, à nos travaux. Je ne sais pas pourquoi – il faudrait le leur demander. Est-ce parce que notre commission d’enquête se penchait sur le meurtre d’une femme à cause de son identité juive ? Est-ce parce qu’elle était présidée par Meyer Habib, député français, juif et sioniste ?

En un jour et demi, je n’ai pas eu le temps de lire le projet de rapport en détail, d’autant que la journée d’hier a été très chargée, mais je l’ai parcouru avec attention, du début à la fin, et j’ai pris quelques notes. Je ne pourrai pas le voter. Je suis déçu et peiné : on a essayé de cacher, de camoufler les choses.

J’avais des doutes sur le fait que les cris de Mme Halimi puissent être entendus par les policiers : je me suis donc rendu sur place mais vous n’avez pas voulu m’accompagner. J’ai appelé personnellement certains d’entre vous et j’ai envoyé un mail à tous les membres du bureau de la commission. Finalement, quatre membres du bureau étaient présents, ainsi que deux journalistes, un cameraman et un expert judiciaire près la cour d’appel de Chambéry que j’ai mandaté pour me remettre un rapport d’expertise. La seule chose qui m’intéresse, au-delà de toute autre considération, c’est la vérité – nous y sommes attachés, au plus profond de nous-mêmes, et c’est ce qui nous a poussés à devenir députés. Nous ne pouvons pas afficher une version édulcorée de cette vérité. Lorsque nous nous sommes rendus sur place, nous avons pu constater avec certitude qu’il était impossible de ne pas entendre, quel que soit l’endroit où l’on se trouvait, des cris qui ont duré entre douze et quatorze minutes – je note au passage que de nombreux chiffres cités dans le projet de rapport sont faux. Mes deux officiers de sécurité, qui étaient présents eux aussi, me l’ont également confirmé. Aussi, quand des policiers affirment qu’ils n’ont rien entendu alors qu’ils étaient dans la cour ou derrière la porte de l’appartement des Diarra, ils ne disent pas la vérité. J’aurais tellement voulu que vous soyez là, vous qui êtes des députés honnêtes ! Heureusement, tout a été filmé et l’affaire n’est pas terminée.

Je vous invite à lire les procès-verbaux. Lorsque la juge demande à M. Traoré si la porte-fenêtre était « un peu ouverte » ou « beaucoup ouverte », l’intéressé répond qu’elle était « un peu ouverte ». Lorsqu’elle lui demande s’il a bien vu une Torah en entrant dans l’appartement, il répond qu’il a effectivement vu une Torah et un chandelier juif. Or il n’y avait aucun de ces objets au domicile de Mme Halimi, et un expert judiciaire a constaté que la porte avait été forcée – sans que l’on puisse savoir, bien évidemment, si cela s’est produit le jour des faits. Les portes des appartements des familles Traoré et Diarra ont été ouvertes avec un Door-Raider, et non avec une clé, même si M. Traoré en possédait une. Il était absolument impossible que la victime ait laissé la fenêtre ouverte ; elle était totalement barricadée chez elle. Le meurtre était donc prémédité. Ce n’est pas par hasard que M. Traoré est entré chez Mme Halimi : il a préparé son coup, déposé des affaires et fait ses ablutions.

Une voisine musulmane, policière – une femme extraordinaire –, a expliqué devant notre commission d’enquête que Mme Halimi s’était confiée à elle, quarante-huit heures avant le drame, et qu’elle lui avait dit combien elle avait peur de Traoré. Elle-même, policière armée, avait peur de cet individu. Elle m’a d’ailleurs téléphoné après son audition pour me dire que Kobili Traoré, qu’elle connaissait depuis trente ans, n’était pas fou et qu’il venait encore très régulièrement dans le quartier – son frère l’avait encore aperçu quelques semaines auparavant – pour fanfaronner auprès de son équipe.

Nous n’avons pas réussi à auditionner tous les amis de Traoré. Pour certains, on nous a répondu qu’on ne savait pas où ils habitaient – ils habitent en réalité dans le même immeuble. Nous avons un témoignage audio de la gardienne.

Vous nous direz que nous avons refait une enquête. Il ne s’agit pas de cela : nous avons voulu voir s’il y avait eu des dysfonctionnements. On nous dit que les policiers n’ont pas entendu de cris : ce n’est pas vrai ! Une femme a crié pendant quatorze minutes mais ils ne sont pas intervenus. Toute l’instruction a été faite à décharge. Lorsque l’expert psychiatre a conclu à une altération partielle du discernement de l’assassin, la juge a demandé que soit réalisée une autre expertise, sans même que la défense ni qui que ce soit ne l’ait réclamé !

Quand je lis ce projet de rapport, je suis terriblement déçu. Tout a été édulcoré. Je ne donnerai qu’un exemple : comment peut-on encore laisser croire qu’il y a un doute sur le fait que les policiers disposaient d’une clé ou d’un vigik ? Les membres de la famille Diarra ont déclaré qu’ils leur avaient jeté un trousseau de clés, ce qu’ont reconnu un policier et un témoin. Les déclarations les plus importantes sont celles des témoins, qui ont eu l’impression que le massacre avait duré une heure, mais le projet de rapport les évoque à peine. Il commence d’ailleurs par remettre en cause notre commission d’enquête et proposer une modification du fonctionnement de ce type d’instance…

Arrêtez de pester, madame la rapporteure ! Je vous donnerai la parole tout à l’heure.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Il vaudrait mieux que je présente mon rapport avant que vous vous exprimiez ! Vous parlez déjà à charge.

M. le président Meyer Habib. Il y a des règles ! Après mon propos liminaire, vous prendrez le temps que vous voudrez. Mais arrêtez de pester ! Votre attitude est incroyable. Respectez les règles !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Respectez-les vous aussi !

M. le président Meyer Habib. Sans vouloir vous faire offense, j’ai attendu jusqu’à aujourd’hui pour vous remettre un dossier. Je tenais à votre disposition une clé USB que vous n’êtes jamais venue chercher. Le dossier, vous ne le connaissez pas.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Eh bien ! Je vous remercie !

M. Didier Paris. Arrêtez, monsieur le président ! C’est scandaleux !

M. le président Meyer Habib. C’est vous qui êtes scandaleux, monsieur Paris. Dès le premier jour, vous avez mis en cause François Pupponi. Vous m’avez dit : « Celui-là, je le connais… »

M. Didier Paris. Mais de quoi parlez-vous ?

M. le président Meyer Habib. Je rappelle certaines choses.

M. François Pupponi. Moi, mis en cause ? Qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ?

M. Didier Paris. Rien du tout !

M. le président Meyer Habib. Vous mentez, en plus !

Je ne voulais pas engager une polémique. C’est la dernière fois que notre commission d’enquête se réunit, et j’essaie de vous expliquer pourquoi je ne voterai pas ce rapport qui n’en est pas un. Je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. Je n’ai pas pu auditionner l’une des juges d’instruction, ce qui me paraissait pourtant fondamental, ni les amis de M. Traoré – l’individu chez qui il a dormi, les autres personnes qu’il fréquentait, les responsables de la mosquée, les membres de sa famille… Des policiers anonymes m’ont appelé pour m’inciter à auditionner une autre personne qui a subi d’énormes pressions. Ce dossier a été émaillé de nombreuses erreurs, évidemment involontaires – des erreurs initiales de la police, puis des mauvaises décisions prises par la justice dans la conduite de l’enquête. Le rapport en parle un peu. Je ne dis pas qu’il est entièrement mauvais, mais qu’il ne va pas au bout des choses.

Depuis le début, on a essayé de tout verrouiller. Ainsi, je ne voulais pas que l’audition des membres de la famille Diarra se tienne à huis clos, parce qu’elle me paraissait fondamentale et que ces personnes ne faisaient l’objet d’aucune menace. J’avais demandé que les visages soient simplement floutés, mais on m’a répondu que c’était techniquement impossible : j’ai alors décidé de prendre des notes que j’ai rendues publiques. Je ne savais pas que je ne pouvais pas le faire immédiatement, qu’il fallait que soit rédigé un compte rendu et que soit respecté un délai de six jours, comme pour les auditions de certains témoins. M. Paris, alors rapporteur, m’a écrit ; je lui ai répondu et il a démissionné de sa fonction. Le président de l’Assemblée nationale a été informé de cette situation et je lui ai également répondu. Je transmettrai toutes les lettres que nous avons échangées, parce que cette affaire ne fait que commencer et qu’un film sera réalisé. Certaines personnes me disent que ce drame est une nouvelle affaire Dreyfus.

L’assassin retourne très régulièrement sur les lieux et l’un des psychiatres a déclaré qu’il pourrait repasser à l’acte. Il faut que justice soit rendue pour que de tels faits ne se reproduisent pas.

Pour ce qui me concerne, j’ai essayé de faire toute la vérité sur cette affaire, à laquelle j’ai consacré trois mois de ma vie, mais mon action s’arrête ici. J’ai cru comprendre que la famille de Mme Halimi avait décidé de continuer à se battre : c’est son problème, pas celui de notre commission d’enquête dont la mission se bornait à faire la lumière sur les dysfonctionnements de la police et de la justice. Nous ne pourrons pas faire revivre Mme Halimi, mais l’honneur de la France serait de faire en sorte que de tels drames ne se reproduisent plus. C’est en tout cas ce que l’on attend des parlementaires que nous sommes.

Je donne maintenant la parole à Mme la rapporteure, avant que chacun d’entre vous puisse intervenir pour apporter à notre commission d’enquête la contribution qu’il souhaite.

C’est incroyable ! Nous n’avons même pas pu aller au bout…

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Monsieur le président, vous m’avez donné la parole. Je vous prie donc de ne pas m’interrompre, et de me laisser parler jusqu’à la fin de mon intervention.

M. le président Meyer Habib. Vous aussi, vous m’avez interrompu !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Parce que vous vous êtes exprimé à charge contre mon avant-propos avant même que je l’aie prononcé !

M. le président Meyer Habib. Je ne réagissais pas à votre avant-propos mais à votre projet de rapport.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Cette réunion marque donc la fin des travaux de notre commission d’enquête. C’est l’occasion pour moi de vous présenter mes conclusions, dont certains ont déjà pu prendre connaissance puisque le projet de rapport a été mis en consultation mardi après-midi.

Au préalable, j’aimerais faire le point sur ces six mois de travaux qui ont été, à de nombreux égards, particuliers au regard du déroulement habituel des commissions d’enquête. Vous le savez, j’ai remplacé Didier Paris après que le président a diffusé sur les réseaux sociaux des propos tenus à huis clos par des témoins, qu’il accusait par ailleurs d’avoir menti, remettant publiquement en cause leur statut de victimes. Il n’a pas été facile d’arriver ainsi au milieu des travaux, mais je me suis attachée à remplir avec la plus grande rigueur ma fonction de rapporteure, et je remercie sincèrement nombre de nos collègues de leur participation à nos travaux ainsi que de leur soutien.

Jusqu’au dernier moment, j’ai souhaité respecter le principe du droit de tirage accordé aux groupes d’opposition, qui peuvent demander chaque année la création d’une commission d’enquête. J’ai donc donné mon accord à la tenue de toutes les auditions, y compris lorsque je n’étais pas convaincue de leur utilité. Je ne me suis opposée qu’à trois reprises aux demandes de M. le président : contre l’organisation d’une pseudo-reconstitution dans l’immeuble de Mme Halimi, que nous avions déjà visité précédemment, car tel n’est pas le rôle d’une commission d’enquête ; contre la tenue de nouvelles auditions à la toute fin de nos travaux, pendant la période de Noël, alors que je devais achever la rédaction de mon rapport ; contre la publicité des auditions des témoins qui craignaient pour leur sécurité. Je souhaite d’ailleurs que les comptes rendus des auditions des personnes entendues à huis clos ne soient pas publiés, comme cela avait été convenu avec elles.

M. le président Meyer Habib. Absolument pas !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Cette commission s’assignait une mission presque impossible : enquêter sur une affaire judiciaire sans refaire le procès. Or il ne suffisait pas de répéter que nous ne faisions pas le procès pour échapper à la tentation de remettre en question chacune des décisions prises par notre justice. Je considère pour ma part que mon rôle de rapporteure m’oblige à la retenue : je ne me prononcerai donc à aucun moment sur le sens des décisions prises par les juges chargés de ce dossier. Je n’entrerai pas dans un débat pour savoir si M. Traoré était réellement irresponsable, s’il a commis un acte terroriste ou s’il avait prémédité son geste. La justice a répondu à ces questions, et je respecte cela.

J’ai souhaité m’en tenir à examiner s’il y a eu des dysfonctionnements de la justice et de la police, dans le seul but d’éviter qu’un tel drame se produise à nouveau. Il est confortable, cinq ans plus tard, de regarder les événements et de dire qu’il aurait fallu faire comme ci ou comme ça. Ce qui est intéressant, c’est de comprendre pourquoi cette affaire a suscité une telle incompréhension et de réfléchir à la façon de corriger ce qui n’a pas fonctionné.

Effectivement, tout ne s’est pas déroulé comme cela aurait dû. Ceux qui ont lu le rapport ne pourront pas m’accuser d’avoir voulu protéger la police ou la justice. Au contraire, je salue ce qui a été bien fait et je relève les dysfonctionnements que j’ai cru remarquer.

Faire ce travail n’ouvre pas tous les droits. Avant de présenter mes constats et propositions liés à l’affaire dite Sarah Halimi, vous me permettrez de m’attarder un instant sur les enseignements que nous devons tirer de cette commission d’enquête. Je regrette qu’elle ait trop souvent ressemblé à un énième degré de juridiction, par la nature des personnes interrogées et des questions posées. Je regrette aussi la partialité de certaines personnes auditionnées, qui n’avaient aucun lien avec l’affaire, et de certains propos remettant en cause le travail de nos forces de police et les accusant de mensonge ou de manipulation.

Une commission d’enquête reste un organe parlementaire : elle ne peut pas faire de reconstitutions – encore moins sans l’accord de sa rapporteure – ni viser à chercher des éléments susceptibles de nourrir une quelconque demande de révision ou procédure engagée à l’étranger. Elle n’est pas non plus une tribune politique ou un outil de communication. Hélas, la diffusion des auditions à la télévision et sur les réseaux sociaux a conduit à théâtraliser nos réunions aux dépens de la qualité des échanges. C’est pourquoi je propose de réviser l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires pour éviter que ces commissions d’enquête ne viennent à remettre en cause un jugement définitif et pour préciser les règles de publicité applicables aux auditions de simples témoins.

Ces conditions de travail, parfois difficiles, ne m’ont pas empêchée de mener ma tâche à bien, et je crois que nous avons su tirer le plus d’enseignements possible des informations que nous avons recueillies. Je vais procéder chronologiquement en parlant de l’intervention de la police, puis de la conduite de l’instruction, avant d’évoquer la question des expertises et de la déclaration d’irresponsabilité.

S’agissant de l’intervention de la police, mon rapport expose le déroulement des faits. Il faut mettre au crédit des policiers le fait qu’ils sont arrivés rapidement sur les lieux, qu’ils ont pu se placer vite derrière la porte de l’appartement de la famille Diarra et qu’ils ont sécurisé le bâtiment. Ils ont manifestement mis en œuvre la doctrine applicable en matière de séquestration – puisque c’était le motif de leur intervention –, qui consiste à stabiliser la situation, à attendre des renforts et à n’intervenir qu’en cas de nécessité. Il s’agissait de policiers expérimentés intervenant dans un contexte difficile à deux titres. D’une part, nous étions dans une période de très haute menace terroriste, et le fait que M. Traoré profère des incantations en arabe appelait la plus grande vigilance dans l’intervention. Il a été beaucoup répété que M. Traoré n’était pas armé mais rien ne permettait de savoir, par exemple, s’il avait une ceinture d’explosifs qui aurait pu faire une dizaine de victimes. D’autre part, les policiers n’avaient absolument pas connaissance des lieux, dont nous avons pu voir sur place qu’ils étaient complexes – les deux immeubles adjacents ne communiquent que par les balcons. Cela étant, le constat est terrible puisque, alors qu’une dizaine de policiers étaient sur les lieux, le meurtre de Sarah Halimi n’a pas pu être évité.

Je tire quatre enseignements de nos auditions.

Premièrement, la police s’est trouvée dans l’incapacité de lier les différents appels d’urgence reçus pour informer les policiers sur place du déroulement des faits.

Deuxièmement, le bâtiment n’a pas été suffisamment sécurisé, puisque personne n’avait été placé dans la cour alors même qu’on pouvait y entendre du bruit.

Troisièmement, les policiers ne sont pas intervenus pour prodiguer les premiers soins à la victime après sa chute, attendant une dizaine de minutes pour que les pompiers arrivent et procèdent aux tentatives de réanimation.

Quatrièmement, il m’apparaît surprenant qu’une intervention se soldant par un tel échec n’ait fait l’objet d’aucune investigation de la part de la hiérarchie policière.

Je ne souhaite pas désigner des coupables. Même si des choix réalisés dans l’urgence et la confusion se sont révélés des erreurs a posteriori, il est impossible de refaire l’histoire cinq ans plus tard. Compte tenu de la rapidité du déroulement des faits, il est peu probable que Mme Halimi aurait pu être sauvée.

Cette affaire nous donne toutefois l’occasion d’insister sur quelques réformes nécessaires. Certaines ont déjà été engagées par le Gouvernement – je pense notamment au fait de doter les services de police et de secours de badges d’accès universels aux immeubles, ou encore à l’amélioration de l’équipement radio des policiers. Il me semblerait également utile de préciser la doctrine à suivre dans les affaires de séquestration, s’agissant de l’exigence de sécurisation des lieux et de l’assouplissement du critère de nécessité d’intervenir. En outre, il conviendrait de renforcer la formation des policiers aux premiers secours lorsqu’ils doivent attendre l’arrivée des pompiers ou du SAMU.

J’en viens à l’enquête et à l’instruction judiciaires. Le premier constat est simple : il n’y a pas eu de violation du code de procédure pénale. Les règles ont été respectées. D’ailleurs, toutes les décisions de la juge d’instruction ont été confirmées en appel, devant la chambre de l’instruction, puis en cassation. Par ailleurs, François Molins et Jean-François Ricard nous ont clairement expliqué pourquoi il n’était pas possible de qualifier les faits d’acte terroriste, au regard des critères habituellement retenus. Cette rigueur dans l’application des règles est nécessaire car la forme lie le fond. S’agissant de la reconnaissance du caractère antisémite des faits, la procédure a effectivement été ralentie par l’impossibilité d’entendre M. Traoré pour des raisons médicales, mais si ce dernier avait été entendu malgré tout, la chambre de l’instruction aurait invalidé sa mise en examen et toute la procédure aurait dû repartir de zéro.

En revanche, il est vrai que le code de procédure pénale laisse aux juges d’instruction une marge d’appréciation dans l’exercice de leur office et que, dans cette affaire, il apparaît que la juge a généralement choisi de faire les actes d’instruction « a minima » en refusant la reconstitution, en n’insistant pas sur l’exploitation du téléphone et en refusant d’échanger avec certains avocats. J’ai voulu démontrer, dans mon rapport, que la justice a donné le sentiment qu’elle s’était désintéressée de ce drame, notamment en raison des troubles psychiatriques du mis en cause. Même si cela n’a rien changé à la décision finale, l’opinion publique a été choquée de la manière dont cette affaire a été instruite. Nous devons le prendre en compte, non seulement en expliquant que l’État de droit impose des règles précises, mais aussi en formulant des pistes d’amélioration, sans remettre en cause la qualité du travail des magistrats, lesquels sont bien souvent submergés de dossiers.

Du point de vue des recommandations, les auditions ont mis en évidence des interprétations différentes de l’article 80 du code de procédure pénale qui définit le rôle du juge d’instruction. Il semble donc utile de préciser la marge dont dispose le juge d’instruction pour retenir des circonstances aggravantes dès la première mise en examen et ainsi éviter de perdre du temps en devant ressaisir le parquet – notamment dans le cas où la personne ne peut être auditionnée.

Je voudrais également proposer, comme l’a suggéré le garde des sceaux, de formaliser la possibilité pour les parties et leur conseil de demander un entretien avec le juge d’instruction afin d’échanger sur les actes d’instruction en cours : cela atténuerait le sentiment de se faire imposer des décisions sans explication.

Enfin, il serait intéressant que la chancellerie, peut-être avec l’appui d’une mission parlementaire, élabore une nouvelle circulaire sur la place des victimes dans le procès pénal, notamment au stade de l’enquête et de l’instruction. Même si beaucoup a été fait, notamment pour formaliser l’audience devant la chambre de l’instruction, dans ce type d’affaire, qui aboutit à une absence de procès, la justice doit faire preuve d’une empathie et d’une capacité d’écoute particulière envers les parties civiles.

Concernant la déclaration d’irresponsabilité pénale, le rapport revient naturellement sur les expertises psychiatriques et leur importance dans cette affaire si sensible. Il m’a paru important de rappeler que, dans ce dossier, toutes les expertises psychiatriques prévues par la loi avaient été réalisées.

Dans le rapport, j’insiste sur le fait que M. Traoré a été considéré immédiatement comme en proie à un délire et dans un état incompatible avec la garde à vue par le docteur Joachim Müllner à l’Hôtel-Dieu, qu’il a été examiné ensuite à l’Institut psychiatrique de la préfecture de police puis par plusieurs médecins dans le premier hôpital où il a été placé avant d’être transféré à l’hôpital de Villejuif en unité pour malades difficiles (UMD). Son placement, à la demande du préfet, en hospitalisation complète dans un premier hôpital psychiatrique apparaît donc tout à fait régulier. Il y a eu un consensus sur le diagnostic médical dès ce stade. L’état de santé de M. Traoré n’était ni compatible avec la garde à vue ni avec un premier interrogatoire par les juges d’instruction. Je me suis efforcée de décrire la procédure qui doit être suivie lorsque, au cours d’une garde à vue, une personne apparaît comme dangereuse pour autrui et pour elle-même et j’ai rappelé les étapes qui conduisent quelqu’un à être hospitalisé sans son consentement.

Il est apparu à la suite de l’audition du docteur Joachim Müllner et de deux des psychiatres qui ont examiné M. Traoré au cours de l’instruction que la multiplication des examens médicaux réalisés par des psychiatres permet d’aboutir à un diagnostic partagé. Cela réduit le risque d’erreur et constitue une garantie, aussi bien pour le patient que pour la puissance publique qui doit ordonner l’hospitalisation.

La réalisation de plusieurs expertises au cours de l’instruction a suscité des débats. Il faut comprendre que la demande d’une seule expertise, dans un tel dossier, aurait été vivement contestée. Théoriquement, une expertise suffit pour qu’un juge d’instruction demande l’application de l’article 122-1 du code pénal mais il est courant que plusieurs soient réalisées. Par ailleurs, les parties civiles peuvent demander une contre-expertise. Il ne m’a donc pas paru possible de dire que la réalisation de trois expertises dans un délai d’un peu plus d’un an témoignait d’un problème dans le fonctionnement de la juridiction.

Dans ce dossier, la première expertise réalisée par le docteur Daniel Zagury présentait une conclusion contradictoire avec le diagnostic. Le diagnostic médical d’une bouffée délirante aiguë étant établi, l’abolition du discernement était certaine. Le docteur a ensuite conclu qu’il était possible de considérer le discernement comme seulement altéré et non aboli. Cette conclusion rendait M. Traoré éventuellement accessible à une sanction pénale dans la mesure où le meurtrier ne pouvait être dans l’ignorance totale des effets du cannabis.

Ce n’est pas la raison principale qui a poussé la juge d’instruction à demander une deuxième expertise à un collège d’experts comprenant le docteur Paul Bensussan. Cette deuxième expertise a été demandée à la suite du deuxième interrogatoire de M. Traoré, la juge s’interrogeant sur l’évolution de son état de santé. La troisième expertise, quant à elle, a été ordonnée à la suite d’une demande des parties civiles.

En ce qui concerne la procédure ayant conduit à la déclaration d’irresponsabilité pénale devant la chambre de l’instruction, la procédure s’est déroulée conformément aux règles prévues par la loi du 25 février 2008. L’audience devant la chambre de l’instruction a permis aux avocats mais également aux psychiatres de s’exprimer. Les parties civiles étaient conviées en personne ; seuls leurs conseils s’y sont rendus. Il y a eu un débat sur les trois expertises, à la fois sur la base des conclusions rendues mais également à la suite de l’expression des médecins à l’audience. Le diagnostic médical porté par les sept psychiatres qui ont examiné M. Traoré a été unanime. Il est important de le rappeler.

La chambre de l’instruction a appliqué une jurisprudence constante en matière d’irresponsabilité pénale et s’est fondée sur les conclusions convergentes de deux des trois expertises, qui concluaient à une abolition totale du discernement. La Cour de cassation a validé l’ensemble de la procédure devant la chambre de l’instruction et n’a pas contesté l’application du droit par celle-ci. Comme l’a rappelé le procureur général François Molins, la reconnaissance de l’irresponsabilité pénale prime sur d’autres considérations. Ainsi, la Cour de cassation a déjà estimé qu’une personne souffrant de schizophrénie pouvait être déclarée pénalement irresponsable même s’il était établi qu’elle avait prémédité une agression.

Dans le rapport, je souligne que les juges d’instruction, comme les juges dans les formations de jugement, ne sont pas tenus par les conclusions des experts. C’est ce qu’ont rappelé les magistrats que nous avons auditionnés et ce que prévoit le code de procédure pénale. Néanmoins, les expertises, notamment en matière médicale, permettent d’éclairer l’instruction et aident les juges à forger leur opinion.

Sur ce sujet, le rapport contient trois recommandations. La première prévoit l’information des médecins qui examinent des personnes gardées à vue pour savoir si leur état est compatible avec la mesure : je souhaiterais que leur soient communiqués les procès-verbaux de garde à vue afin qu’ils aient une idée, même sommaire, des raisons pour lesquelles la personne a été appréhendée et puissent ainsi mener un examen plus précis.

La deuxième vise à autoriser les juges des libertés et de la détention, les préfets et les psychiatres qui doivent statuer sur le maintien de la mesure d’hospitalisation sans consentement à se voir communiquer le résultat des expertises réalisées lors de la procédure judiciaire, jusqu’à ce que la juridiction qui a statué sur l’irresponsabilité pénale ait été dessaisie.

La troisième concerne la levée de la mesure d’hospitalisation d’office : je souhaiterais que soit prévue la saisine du procureur de la République territorialement compétent lorsque le préfet met fin à la mesure d’hospitalisation sous contrainte d’une personne déclarée irresponsable par la justice. Le procureur pourrait alors demander une expertise psychiatrique complémentaire et saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue par ordonnance sur le maintien ou la main levée de la mesure.

La difficulté identifiée par la commission est qu’une déclaration d’irresponsabilité pénale fait passer la personne mise en cause de l’institution judiciaire à l’institution médicale. Le lien entre la juridiction d’instruction ou de jugement et les établissements d’accueil semble alors difficile à maintenir car ils sont dans des temporalités différentes. Il m’a semblé néanmoins important de rappeler que la mission première des établissements accueillant des malades souffrant de troubles psychiatriques est de les soigner et qu’il existe un contrôle administratif et judiciaire de la mesure d’hospitalisation sans consentement. C’est le lien entre ces deux démarches que je souhaite voir amélioré.

Un dernier mot : les experts en psychiatrie sont de moins en moins nombreux sur les listes auprès des cours d’appel et les expertises demandées sont à la fois chronophages et mal rémunérées. Des recommandations sur ce sujet beaucoup plus général excéderaient le champ de notre commission mais nous ne pouvons qu’espérer qu’un plus grand nombre de psychiatres puissent être sollicités et que leurs expertises soient mieux rémunérées.

M. François Pupponi. J’ai participé à plusieurs commissions d’enquête parlementaires, mais je n’ai jamais vécu une telle expérience, observé une telle tension, assisté à de telles mises en cause. Je tiens à le dire en introduction : je trouve affligeant que, sur une affaire aussi sensible, alors que nous avons été mandatés par l’Assemblée nationale pour faire la lumière sur d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police, le rapport qu’il nous est demandé d’adopter commence par expliquer qu’il faut réformer les commissions d’enquête !

Sur le fond, madame la rapporteure, la première partie consacrée à l’intervention de la police est surréaliste. Comment pouvez-vous omettre d’évoquer des éléments aussi graves que les appels des témoins à la police, qui disaient que Mme Halimi était en train de se faire tuer, ou la déposition, sous serment, de la policière qui se trouvait sur place, ainsi que son audition par la commission d’enquête ? Ces éléments ne figurent pas dans la chronologie des faits, p. 12 du rapport. Nous sommes pourtant là au cœur de ce que je considère comme un dysfonctionnement majeur de la police. Pourquoi les occulter ?

Les premiers policiers arrivés sur les lieux ont entendu les cris. La policière, qui se trouvait derrière la porte de l’appartement de la famille Diarra a entendu les cris ; elle est descendue dans la rue Vaucouleurs et a demandé à ses collègues s’ils avaient entendu des cris ; ceux-ci lui ont dit qu’ils avaient bien entendu des cris mais qu’ils provenaient de l’autre immeuble ; elle leur a répondu que c’était impossible ; puis elle s’est rendue dans la cour et a entendu des bruits, comme si quelqu’un cassait des meubles. Elle précise, dans sa déposition, qu’elle est restée à couvert, et qu’une personne l’a interpellée en lui disant « il est en train de la tuer, appelez la police ! ». Elle explique ne pas avoir bien compris ce qu’on lui disait et qu’elle n’a donc rien fait.

Pourquoi cette policière n’est-elle pas intervenue, pourquoi n’est-elle pas sortie dans la cour ? Par peur, peut-être – on peut le comprendre. Il n’en reste pas moins que les policiers qui étaient sur place ont entendu les cris et qu’ils ne sont pas intervenus. C’est là que réside le principal dysfonctionnement. Or cela n’apparaît pas dans votre rapport.

Rédiger un rapport d’enquête parlementaire, madame la rapporteure, ne se limite pas à reprendre les déclarations du préfet Cadot.

M. le président Meyer Habib. Il se planque en permanence !

M. François Pupponi. Il est normal que le préfet défende ses troupes, mais malgré tout le respect que j’ai pour lui, j’estime qu’il nous revient de dire que, malheureusement, ce n’est pas comme ça que ça s’est passé.

Mon sentiment est que les policiers ont compris qu’ils avaient fait une erreur lorsqu’ils ont découvert le corps de Mme Halimi ; ils ont alors élaboré une version policière selon laquelle ils n’avaient pas entendu les cris. Mais la policière a confirmé qu’elle avait entendu des cris et qu’elle avait cherché d’où ils provenaient. Je pense que cela aurait dû figurer dans le rapport ; la lecture de la partie consacrée à l’intervention de la police me met très mal à l’aise.

S’agissant de la partie consacrée à l’enquête et à l’instruction judiciaires, je considère que le contenu du rapport est conforme à la réalité, excepté sur un point.

La juge d’instruction a expliqué, sous serment, à la commission d’enquête, qu’elle ne pouvait pas retenir le caractère antisémite du crime car l’audition de M. Traoré n’était pas possible. Pourtant, quand elle l’a auditionné le 18 juillet, M. Traoré a expliqué que lorsqu’il est entré dans l’appartement de Mme Halimi, il est devenu fou en voyant la Torah et le chandelier, a pensé que c’était Satan et s’est mis à la frapper. Si ce n’est pas de l’antisémitisme, qu’est-ce donc ? Il aurait fallu écrire dans le rapport que la juge d’instruction a auditionné M. Traoré dès le mois de juillet et que, sur la base de ses déclarations concernant le chandelier et la Torah, elle pouvait le mettre en examen pour antisémitisme. Il faut expliquer que la juge d’instruction s’est trompée – volontairement ou non – et que, devant la commission, elle n’a pas donné le bon déroulement des faits. C’est fondamental.

Encore une fois, il y a, dans ce rapport, des omissions qui ne sont pas acceptables. Pourquoi ne voulez-vous pas parler des témoins qui disent avoir vu Mme Halimi se faire tuer sur le balcon ? Pourquoi ne parlez-vous pas de cette policière qui reconnaît avoir été interpellée par un de ces témoins ?

M. le président Meyer Habib. Elle demande que son témoignage ne figure pas dans le rapport !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je vais vous expliquer pourquoi.

M. François Pupponi. Pour conclure, je veux vous donner mon sentiment : je ne crois pas qu’il y ait eu un dysfonctionnement de la justice. La justice a bien fait son travail, avec rigueur, mais sans humanité aucune. Sur une affaire aussi compliquée, un sujet aussi délicat et dramatique, il est choquant d’entendre la juge d’instruction ne parler que de code pénal, sans faire montre d’empathie envers la famille. Il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement, mais d’une personne qui a fait son travail sans humanité. Elle a respecté le droit mais n’a pas été capable de se rendre sur place pour voir ce qui s’était passé. Je crois que si elle l’avait fait, elle aurait compris qu’il y avait eu préméditation. Elle a refusé de rencontrer la famille de la victime, les sentiments des uns et des autres ne la concernent pas, seul compte le code pénal. C’est effrayant, mais on n’ira pas, dans un rapport parlementaire, lui reprocher sa personnalité.

En revanche, je suis convaincu qu’il y a eu un dysfonctionnement chez les policiers. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais si nous ne le soulignons pas dans le rapport, alors nous n’aurons pas fait notre travail.

Les policiers se sont loupés à deux reprises. La première fois, on peut le comprendre : il était 4 heures du matin, ils ont mal compris ce qui se passait – c’est humain. Mais ensuite, lorsqu’ils ont réalisé leur erreur, ils ont imaginé un scénario et menti lors de la première audition en expliquant que s’ils n’étaient pas intervenus, c’est qu’ils n’avaient rien entendu. Depuis, ils sont tenus par ce mensonge.

Je vous fais part encore une fois de mon malaise vis-à-vis de la partie consacrée à l’intervention de la police. Elle ne me convient pas : ce que nous avons lu et entendu doit apparaître dans le rapport. Je n’ai rien à dire sur la partie judiciaire, hormis le fait qu’il faut préciser que l’audition du 18 juillet aurait dû déboucher sur une mise en examen pour antisémitisme.

Sur la forme, les recommandations concernant le fonctionnement d’une commission d’enquête doivent apparaître à la fin. Un rapport sur le fonctionnement des autorités judiciaires et policières ne peut pas commencer par la critique de notre propre fonctionnement ! D’autant que vos deux propositions, madame la rapporteure, consistent à empêcher les parlementaires de s’occuper de décisions de justice : la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau n’a-t-elle pas servi à quelque chose ? Les députés ont le droit d’aller voir si la justice française fonctionne bien, c’est même leur rôle, et je regrette que vous cherchiez à le limiter.

J’ajouterai un dernier point. Il convient de signaler dans le rapport l’attitude de la deuxième juge d’instruction, qui s’est permis de faire la leçon aux députés…

M. le président Meyer Habib. Et de menacer la commission d’enquête !

M. François Pupponi. …en sous-entendant qu’ils étaient débiles et incapables de comprendre un dossier d’enquête et de justice. Ce n’est pas admissible. Une juge d’instruction qui est convoquée par une commission d’enquête parlementaire n’a pas à qualifier le travail des parlementaires, elle est là pour répondre à leurs questions !

Mme Constance Le Grip. Ce n’est que la deuxième commission d’enquête parlementaire à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, après celle sur les attaques à la préfecture de police de Paris, mais malgré ce peu d’expérience, je suis amère et marrie d’avoir vu nos travaux régulièrement entachés par des prises à partie. S’agissant d’une affaire aussi tragique, qui me fend le cœur à chaque fois que je l’évoque, j’aurais souhaité que nous nous montrions tous de bonne volonté, soucieux de comprendre et d’accepter autrui, malgré nos différences de tempérament et d’approche du travail parlementaire.

J’ai lu le rapport de A à Z, y compris l’introduction. Beaucoup des propositions vont dans le bon sens, je peux les faire miennes et le groupe Les Républicains peut s’y retrouver. Toutefois, nous avons été choqués de constater que les deux premières recommandations concernent la révision de l’ordonnance du 17 novembre 1958 et ont pour objet de contraindre, ou de corseter, davantage le travail de la représentation nationale en matière de commissions d’enquête. Je sais ce que signifie la séparation des pouvoirs – nous avons d’ailleurs reçu ces dernières semaines beaucoup de leçons, par écrit et par oral, sur le respect strict de ce principe et l’autorité de la chose jugée. Mais est-il acceptable de faire figurer dans les premières pages du rapport des propositions qui visent, encore une fois, à embrigader des parlementaires disposant déjà de peu de latitude dans ce domaine ? Les députés du groupe Les Républicains, qui ont participé à ces travaux en faisant montre de disponibilité et de bonne volonté, ne le pensent pas.

Nous regrettons que la partie consacrée à l’intervention de la police et celles relatives à la justice ne soient pas traitées de la même façon ; c’est l’une des raisons pour lesquelles nous ne voterons pas en faveur du rapport.

La partie consacrée à l’intervention de la police contient des éléments intéressants. Certaines phrases, remarques, ou même adjectifs, ne sont pas employés par hasard mais je regrette que bien des passages ne soient pas suffisamment mis en lumière et que l’ensemble manque singulièrement de relief. Ainsi, le C de la première partie est intitulé « Un respect strict de la doctrine d’intervention ayant conduit à un échec de l’opération ». Le mot « échec » n’est pas anodin mais le constat semble s’évaporer dans le développement, dont le ton est nettement atténué. Vous écrivez en conclusion, madame la rapporteure, que vous avez été « surprise par l’absence d’investigation interne de la part de la police nationale » sur cette intervention, alors que c’est bien d’un dysfonctionnement majeur qu’il conviendrait de parler. Cette euphémisation des propos, qui semble procéder d’une stratégie peu claire, se trouve en décalage avec le ressenti des députés Les Républicains et engendre, il faut le dire, une frustration certaine.

De la même manière, dans la partie consacrée à la conduite de l’instruction et intitulée « Une surprenante absence d’exploitation du téléphone », vous détaillez les raisons pour lesquelles les téléphones trouvés au domicile de M. Kobili Traoré n’ont pas été saisis et vous concluez que « cette attitude a pu laisser penser à un manque d’investissement des enquêteurs dans la recherche de preuves ». Dont acte. Je partage votre surprise et j’estime que vous auriez dû qualifier cela de dysfonctionnement.

Si l’on ajoute à cela les difficultés de communication et de partage d’information entre les équipes contactées au 17 et au 18, on dresse un tableau qui permet à toute personne honnête de considérer, sans vouloir accabler ou incriminer les forces de l’ordre – dont je respecte infiniment le travail –, que de réels dysfonctionnements se sont produits. Nous aurions souhaité qu’ils soient franchement mis en avant.

Concernant la partie judiciaire et la conduite de l’instruction, le rapport évoque le choix des deux juges de ne pas procéder à une reconstitution, choix que vous qualifiez de contestable ; il l’est au plus haut degré et cela devrait être beaucoup plus mis en lumière. Un rapport de commission d’enquête peut contenir des messages visibles et assumés.

En revanche, vous ne parlez pas du tout du fait que les deux juges ne se sont pas déplacées sur les lieux. Or si l’on comprend – vous le détaillez dans le rapport et la juge Ihuellou nous l’avait dit – que la reconstitution soit une procédure longue, complexe et coûteuse, surtout quand le meurtrier est placé en unité spécialisée, un tel déplacement, en revanche, est beaucoup plus léger. Nous aurions dû écrire clairement que nous ne comprenons pas, et que nous considérons comme un dysfonctionnement, que les deux juges en cosaisine n’aient même pas eu l’idée d’envisager cette démarche.

Selon le procureur Molins – je le lui ai fait répéter à deux reprises quand nous l’avons interrogé –, dès lors qu’il y a cosaisine, c’est que l’affaire est « complexe et sensible », d’après ses propres termes. Comme il me l’avait dit, « nul besoin d’avoir fait de longues études » pour comprendre ce caractère immédiatement complexe et sensible. Voilà pourquoi, je le répète, le rapport devrait souligner de manière très claire et assumée que le fait que les deux juges n’aient même pas envisagé le déplacement est un réel et grave dysfonctionnement, un manquement.

Le rapport contient par ailleurs des développements juridiques très intéressants sur l’irresponsabilité pénale et ses implications, notamment en matière de préméditation, et sur la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière, ainsi que sur la distinction, subtile pour les non-juristes mais tout à fait intéressante, entre l’imputabilité et la culpabilité. Mais ces passages masquent peut-être l’incapacité du rapport à mettre en avant de manière évidente et assumée le constat de dysfonctionnements graves, de manquements et de failles.

Le groupe Les Républicains formulera des propositions précises sur plusieurs sujets, y compris sur la reconstitution ou la possibilité pour les parties d’être entendues par un juge dans ce genre d’affaire, pour muscler la liste actuelle des préconisations.

Vu la présentation et la rédaction du rapport, vu la formulation et l’ordre même de ses douze propositions, nous ne nous y reconnaissons pas et nous ne pouvons donc pas le voter.

M. Richard Lioger. J’ai éprouvé un grand intérêt à suivre les travaux de cette commission d’enquête, la première dont je fasse partie. Je remercie les rapporteurs et le président, même si – je veux le dire en face à notre ami Meyer Habib – j’ai été quelquefois gêné de ses prises de position et du fait qu’il m’a donné l’impression d’avoir très envie de démontrer certaines thèses.

Le rapport est-il une proposition ou est-ce une version à laquelle on ne peut plus toucher ?

M. le président Meyer Habib. Chacun pourra apporter sa contribution, mais il sera voté tel qu’il est aujourd’hui.

M. Richard Lioger. D’accord.

Je ne suis pas ici en tant que député La République en marche ; je n’ai pas eu de consigne ; j’ai tout de suite accepté, sans rien demander à mon groupe, de signer la demande de création de la commission d’enquête.

M. le président Meyer Habib. Oui, vous êtes l’un des trois députés La République en marche à l’avoir cosignée ; cinq ou six ont signé, puis retiré leur signature.

M. Richard Lioger. Je me suis immédiatement engagé car cela me semblait important. Je ne représente pas mon groupe, à la différence de ma collègue Constance Le Grip, et il n’y aura pas de consigne de vote – y en aurait-il une que je m’en affranchirais. Ce rapport, en effet, n’est pas politique.

Mme Constance Le Grip. Ce n’est pas ce que j’ai dit.

M. Richard Lioger. Je faisais référence à votre propos concernant le groupe Les Républicains. Je ne sais pas si vous avez une consigne de vote…

Mme Constance Le Grip. Nous nous sommes concertés, c’est tout.

M. Richard Lioger. Je suis par ailleurs assez d’accord avec ce qu’a notamment dit François Pupponi : peut-être faudrait-il renvoyer en fin de liste les éléments proposés au début et éviter de corseter le Parlement.

Nous en avons discuté : j’étais fermement opposé à l’idée d’aller rencontrer le meurtrier et même à celle de se rendre sur place, car c’était une manière de refaire l’enquête. Toutefois, l’intervention de François Pupponi, essentiellement fondée sur les témoignages des policiers, était intéressante, et peut-être pourrait-on être plus interrogatif quant aux modalités de l’intervention policière.

Pour le reste, je suis plutôt d’accord avec le travail qui nous est présenté. À titre personnel, s’il était possible d’y apporter ces modifications, je voterais le rapport des deux mains.

M. Sylvain Maillard. C’était pour moi aussi la première commission d’enquête et j’ai trouvé l’exercice vraiment intéressant.

Je ne pensais pas prendre la parole, mais j’aimerais rappeler le cadre de notre discussion : il s’agit du vote d’un rapport. Les prises de position de François Pupponi ou de Constance Le Grip sont très intéressantes et, sur certains points, nous pouvons nous rejoindre. Mais ces interventions critiques, en posant la question de savoir s’il faut voter ou non le rapport, pourraient faire que nous sortions de cette commission d’enquête, dont il a justement été rappelé qu’elle n’avait pas toujours été facile à mener, sans produire de rapport, et on nous en fait en quelque sorte porter la responsabilité.

Vous avez décidé de créer cette commission d’enquête ; c’est une très bonne chose. Mais la façon dont elle a fonctionné, les difficultés concernant certaines auditions doivent nous inviter à tous nous demander ce qui n’a pas marché et à prendre chacun notre part de responsabilité. On nous charge en permanence, alors que nous avons participé aux travaux de bonne volonté – j’ai assisté à beaucoup d’auditions qui m’ont passionné.

Il me semble important que la commission d’enquête se conclue par un rapport. Il faut donc que nous votions le rapport, quitte à l’amender ensuite – car ce qu’ont dit François Pupponi, Constance Le Grip et Richard Lioger est intéressant. Cela fait partie de la richesse de nos travaux. Il n’y a pas de consigne de groupe : on ne vient pas comme député La République en marche, mais parce que l’on a envie d’apporter sa contribution. Le pire serait de sortir d’une commission d’enquête qui a connu des dysfonctionnements et a été compliquée à vivre sans, en plus, avoir voté de rapport.

Mme Aurore Bergé. J’ai intégré cette commission d’enquête en ayant en tête les faits tels qu’ils avaient pu nous être rapportés, dont nous avions pu lire le récit, et l’effroi qu’ils avaient évidemment suscité en chacun de nous ; mais aussi en essayant, ce qui n’est pas facile dans ce genre de cas, de n’avoir aucun a priori sur ce qui s’était passé et de le comprendre, notamment grâce aux nombreuses auditions conduites.

J’entends les remarques de Constance Le Grip sur les mots choisis dans le rapport et sur le fait que celui-ci pourrait être plus clair ou plus virulent concernant ce que nous avons ressenti lors de certaines auditions. Toutefois, je partage le point de vue de Sylvain Maillard : nous avons besoin de sortir de cette commission d’enquête avec un rapport voté, pour montrer le travail que nous avons accompli, les nombreuses auditions qui ont été menées, pour rendre public ce que les témoins auditionnés nous ont dit et pour formuler des préconisations qui me paraissent importantes vu ce que nous avons constaté.

Je n’ai malheureusement pas pu participer à l’ensemble des auditions. Je n’arrive pas à déterminer clairement s’il y a une responsabilité, où elle se situe, et si le meurtre de Sarah Halimi aurait pu être évité. Je comprends la réserve de la rapporteure, notamment vis-à-vis d’éventuels dysfonctionnements de la police. Je me rappelle l’audition du brigadier, celle du préfet de police, le contexte de l’époque, notamment le risque d’attentats. Concernant la manière dont les forces de l’ordre sont intervenues et la chronologie des faits, nul ici ne pourrait ni ne saurait dire que, si l’intervention s’était déroulée autrement, l’issue aurait pu être différente. On ne peut pas l’affirmer au terme des travaux de la commission d’enquête, car on ne le sait pas !

On peut noter certains faits, s’en étonner, comme l’absence de reconstitution et de déplacement sur les lieux, qui concerne d’éventuels dysfonctionnements judiciaires ; il n’en va pas de même s’agissant de l’intervention policière. Car si on dit cela, on pourra également le dire à propos de bien d’autres affaires et on remet en cause l’engagement de nos forces de l’ordre en général. Cher collègue Pupponi, si vous pensez sincèrement que les policiers ont menti,…

M. François Pupponi. Oui, je le pense !

Mme Aurore Bergé. …alors faites un signalement article 40.

M. François Pupponi. On pourrait peut-être le faire !

Mme Aurore Bergé. Chacun est libre de le faire en tant que parlementaire.

M. le président Meyer Habib. On va le faire !

Mme Aurore Bergé. Je ne sais pas qui est « on », mais si certains députés ici présents pensent que des policiers qui parlaient sous serment ont délibérément menti ils sont libres de le faire, eux qui soutiennent nos forces de l’ordre au quotidien.

M. François Pupponi. J’ai bien un cas de conscience à ce sujet.

Mme Aurore Bergé. Pour ma part, je ne le ferai pas, parce que je n’en ai pas la conviction.

J’ai été très frappée par l’audition du brigadier. Il a essayé d’être le plus honnête possible, il était sincèrement très affecté par ce qui s’est passé. Il nous a dit qu’en vérité, compte tenu du déroulement des faits et des modalités de son intervention, ce n’est pas dans l’affaire Sarah Halimi qu’il est intervenu, mais dans l’affaire Diarra. C’est à partir de ce témoignage que j’ai compris, ce que la lecture des faits ne m’avait pas permis jusque-là, qu’il y avait en fait deux affaires distinctes et que cela a rendu toute collaboration impossible. Peut-être – je ne suis pas policière – faut-il donc améliorer la façon dont les choses fonctionnent. Mais je ne voterais pas un rapport qui affirmerait que le dysfonctionnement est volontaire de la part des policiers ou que ces derniers ont menti.

Je le répète, sortir de cette commission d’enquête sans voter de rapport me paraîtrait une erreur pour nous tous. Nous devons montrer que la commission d’enquête a eu lieu, même si l’on a pu parfois regretter le climat ou le déroulement de ses travaux, et qu’elle débouche sur des préconisations. Chacun de nous est libre – non tenu par son groupe – d’ajouter des recommandations – je crois que nous avons jusqu’à lundi pour le faire –, voire, si vous considérez, monsieur Pupponi, que cela relève de l’article 40 du code de procédure pénale, d’aller plus loin.

M. François Pupponi. Juridiquement, non !

Mme Aurore Bergé. Nous avons le droit, individuellement ou en tant que groupe, d’ajouter une contribution.

M. François Pupponi. Après le vote du rapport.

Mme Aurore Bergé. Oui.

M. le président Meyer Habib. Avant de redonner la parole à ceux qui me l’ont demandée, j’aimerais revenir sur quelques points précis du rapport.

On lit page 24 : « Aux yeux de votre rapporteure, cette opération ne présente pas de dysfonctionnement des services de police. » Pour moi, cette seule phrase est absolument dramatique. Elle veut tout dire. C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne voterai pas ce rapport.

Page 21, on lit la citation suivante : « à 4 heures 35, le brigadier-chef de la BAC s’est rendu dans la cour », etc. Ce dossier, je le connais par cœur. Une femme a apporté un témoignage dont je veux absolument qu’il figure dans le rapport, le cas échéant en n’indiquant son nom que par des initiales ou même en le supprimant complètement. Le témoignage des témoins doit être dans le rapport. Si on ne l’y met pas, c’est dans le but de masquer.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Non !

M. le président Meyer Habib. C’est moi qui parle ! On ne vous a pas interrompue ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme Aurore Bergé. Du calme !

M. le président Meyer Habib. Vous n’avez pas à donner de leçons, madame Bergé. Vous êtes venue à une réunion sur quatre ! Ne me dites pas d’être calme : chacun parle comme il a envie de parler, avec son style !

Mme Aurore Bergé. Et avec le masque, s’il vous plaît !

M. le président Meyer Habib. On s’en occupe. Vous ne perdez jamais le nord, on l’a vu à votre parcours politique !

On sait qu’à 4 heures 37 cette femme a passé un appel. Elle nous a raconté qu’elle s’est levée, qu’elle entendait des cris, qu’elle a cherché ses lunettes, couru dans la maison. Cela prend au moins deux minutes. Elle a été réveillée par le hurlement. Donc comment quelqu’un peut-il dire qu’il était dans la cour à 4 heures 35 et n’a rien entendu ?

Mes chers collègues, je veux que l’on dépassionne les choses. (Rires sur les bancs du groupe LaREM.) Je sais, c’est peut-être mon défaut, cette passion que j’ai au fond de moi ; elle m’a servi et desservi au cours de ma vie ; elle est telle qu’elle est.

M. Richard Lioger. Essaie juste de ne pas mettre en cause les gens !

M. le président Meyer Habib. Je ne mets personne en cause. On me dit « du calme » ; je n’ai pas à recevoir de leçons. J’essaie de dépassionner le débat, même si c’est difficile pour moi. Rendez-vous sur la tombe de Mme Halimi, vous comprendrez !

J’aimerais revenir à des faits précis. À 4 heures 35, le brigadier-chef s’est rendu dans la cour et dit n’avoir rien constaté sur les balcons. C’est un mensonge sous serment. Parce qu’à 4 heures 37 il y a eu quatre appels d’un témoin qui raconte qu’elle s’est réveillée en entendant des hurlements de femme. Elle nous l’a dit. Avez-vous assisté à son audition, madame Bergé ?

Mme Aurore Bergé. Non.

M. le président Meyer Habib. Alors pourquoi dites-vous « non » ? Il fallait être là, vous auriez entendu !

Je réponds à Richard Lioger concernant l’audition de Traoré. Didier Paris voulait la faire, moi aussi, la nouvelle rapporteure aussi. Nous ne l’avons finalement pas faite, mais j’en parle très peu, y compris dans la lettre que je vous ai envoyée, car, au fond de moi, je me dis que ce n’était peut-être pas si important que cela et que c’était très problématique. J’ai moi-même certains doutes, peut-être – c’est compliqué. Mais, je vous le répète, quand la policière musulmane, sa voisine, qui le connaît depuis des dizaines d’années, nous dit que Traoré n’est pas malade, qu’il sort, qu’il vient très régulièrement fanfaronner avec son équipe de trafiquants de drogue, ça me pose un problème.

Pourquoi ai-je appelé Sylvain Maillard pour qu’il vienne sur place ? Je sais que tu es un garçon foncièrement honnête, Sylvain, doué d’une empathie particulière – tu présides le groupe d’études sur l’antisémitisme au sein de cette assemblée. Si je t’ai appelé, c’était pour lever tout doute. Mais quatre des membres de la commission, ici présents, les deux policiers qui m’accompagnaient – mes officiers de sécurité –, les deux journalistes qui étaient là, mes deux collaborateurs parlementaires et l’expert judiciaire auprès du tribunal de Chambéry – dont je demande à nouveau que l’expertise soit versée au rapport – ont constaté qu’il était impossible, y compris derrière la porte des Diarra, de ne pas entendre ne serait-ce qu’un seul cri. Il aurait fallu que vous soyez là. Nous avons filmé notre simulation, et l’enregistrement sera diffusé, mais ce n’est pas la même chose que de l’entendre directement. Je l’ai avec moi, je peux vous le faire écouter ! Soit on veut la vérité, soit on ne la veut pas ! Il y avait neuf policiers sur place cette nuit-là ; un seul cri s’entend, et la victime a hurlé pendant douze à quatorze minutes ! Dans la cour, tout est amplifié. D’ailleurs, dans l’enregistrement réalisé par le deuxième témoin, à partir de 4 heures 45, on entend tout. On ne pouvait pas ne pas entendre les hurlements d’une femme battue à mort !

Il y a donc bien eu mensonge sous serment, comme le disait François Pupponi, puisqu’il est dit que personne n’a entendu une femme. La policière nous a confié avoir subi des pressions énormes de sa hiérarchie pour ne pas venir témoigner devant notre commission d’enquête. Tous les policiers ont été briefés avant de venir. Je vous rappelle cette phrase : « Mes collègues vont vous dire qu’il s’agissait d’une voix d’homme, mais c’était une voix de femme. » Ce policier honnête a entendu une voix de femme. Il n’était pas possible de ne pas l’entendre, mais ils se sont dit ensuite qu’ils allaient prétendre ne pas l’avoir entendue, car, sinon, il y aurait non-assistance à personne en danger. C’est grave !

Veut-on le cacher ? Alors on va le faire, mais, un jour ou l’autre, la vérité sortira. Tout n’est pas terminé. Nous aurons arrêté, mais la famille non. Je veux la vérité ! Je sais, Richard, ma passion, qui m’accompagne dans tous les aspects de ma vie, sert parfois, mais peut desservir ; je m’en excuse.

M. Richard Lioger. Tu n’as pas à t’en excuser, mais c’est toi, ta cause que cela pourrait desservir !

M. le président Meyer Habib. Mais j’essaie d’être honnête. Je suis comme je suis. Personne n’est parfait !

J’ai eu la chance d’être réélu, à contre-courant, et d’avoir participé à neuf commissions d’enquête depuis que je siège dans cette assemblée, dont les plus tragiques, sur le Bataclan et sur l’Hyper Cacher. Je sais comment tout cela fonctionne, et je suis triste, car jamais une commission d’enquête n’a procédé à aussi peu d’auditions que la nôtre. Il est vrai que nous n’avons commencé que mi-septembre, puis qu’il y a eu les vacances. Dans un premier temps, je n’ai eu aucun mal à faire procéder aux auditions : j’ai fait une première liste, la rapporteure a tout validé. Ensuite, on n’y est plus arrivés. Pourquoi ? Je ne le sais pas. J’ai demandé que l’on entende la juge cosaisie ; cela me paraissait indispensable. Je voulais surtout réentendre les témoins, mais la police ne nous aide pas, car elle ne veut pas que nous les entendions. D’où cela vient-il ? J’ai posé la question à la policière : elle m’a dit que cela ne venait pas du commissariat, mais de plus haut.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Elle ne l’a pas dit en audition.

M. le président Meyer Habib. Parce qu’elle avait peur ! Elle m’a téléphoné pour me le dire après. Elle a appelé son médecin, qui m’a contacté pour me prévenir qu’elle cherchait à me parler. Vous croyez que je mens ? Je vous dis la vérité ! Peut-être certains ne veulent-ils pas l’entendre !

J’ai appelé Sylvain Maillard, membre du bureau, pour qu’il vienne, j’ai demandé la même chose à la rapporteure et à tous les membres du bureau, parce que je voulais en avoir le cœur net. Non pas pour procéder à une reconstitution – je n’ai jamais prononcé ce mot –, simplement pour savoir si on pouvait ne pas entendre les cris d’une femme battue à mort, que les témoins ont entendus. Or on ne le pouvait pas. Donc, je le répète, les policiers qui nous ont dit ne pas avoir entendu des cris de femme pendant toutes ces minutes ont menti sous serment. « Malgré des affirmations répétées », écrit la rapporteure page 23, « rien ne démontre que les forces de l’ordre […] ont menti sous serment devant la commission ». Mais quelqu’un qui dit ne pas avoir entendu ces cris – sans savoir qui en était l’auteur – ment sous serment.

M. Sylvain Maillard. Alors dites-le dans le rapport !

M. le président Meyer Habib. Je le mentionnerai dans ma contribution, sachant qu’à titre personnel, je ne voterai pas le rapport.

Il nous aurait fallu un ou deux mois de plus pour peaufiner notre travail, pour réentendre le fameux témoin qui habite l’immeuble – est-ce que je vous en ai parlé ?

Mme Aude Bono-Vandorme. Vingt fois !

M. le président Meyer Habib. Alors ce sera la vingt et unième ! Nous n’avons entendu ni Traoré ni aucun de ses proches – ni ses sœurs, ni sa mère, ni ses trois amis. Est-ce que, oui ou non, cela aurait permis de savoir s’il y a eu des dysfonctionnements ? Oui ! On est en plein dans le sujet !

La rapporteure m’a dit des choses lorsque nous nous sommes vus pour la première fois, en tête à tête ; elle dit aujourd’hui exactement l’inverse. Elle a le droit de changer d’avis, elle a tous les droits ; chacun est dans son rôle, je ne juge pas. Je veux simplement la vérité. On ne peut pas cacher la vérité.

M. François Pupponi. Je n’ai rien à dire sur la deuxième partie du rapport, plutôt bien. Mais le rappel des faits, dans la première partie, me gêne. Page 12, on peut lire « 3 heures 30 : M. Traoré quitte l’appartement (…). 4 heures 22 : premier appel à police secours d’une des filles de la famille Diarra (…). Entre 4 heures 25 à 4 heures 30 : arrivée du premier équipage de la BAC (…). Entre 4 heures 30 et 4 heures 35 : M. Traoré passe par le balcon (…). Entre 4 heures 40 et 4 heures 45 : défenestration de Mme Halimi (…). »

Mais vous n’évoquez pas dans ce rappel des faits les appels à police secours pour signaler que Mme Halimi est sur le balcon.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. C’est page 17 !

Mme Aurore Bergé. C’est écrit !

M. Sylvain Maillard. Il y a aussi le schéma !

M. François Pupponi. Mais ce n’est pas dans le rappel des faits page 12. C’est surréaliste car c’est fondamental dans la chronologie des faits. Dans un « rappel des faits », on n’oublie pas des faits aussi importants ! En outre, page 22, vous citez la policière tout en modifiant les termes du procès-verbal (PV) de son audition. Ce n’est pas admissible.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Page 22, c’est l’audition…

M. François Pupponi. Vous lui faites dire « Quand je suis redescendue au rez-de-chaussée, j’ai entendu de gros bruits, mais je n’arrivais pas à comprendre leur origine », alors qu’elle déclare « à mon arrivée au troisième étage, derrière la porte des Diarra, j’ai perçu du bruit, comme des cris, du remue-ménage, que je ne peux identifier sur le moment, mais ce vacarme provenait d’assez loin. Une chose est sûre, ce n’était pas derrière la porte. ». Vous ne le mettez pas dans le rapport ! Elle poursuit : « je redescendais pour tenter de voir d’où provenaient les bruits en question ». Elle continue : « je suis donc redescendue et je me suis rendue côté cour. J’ai demandé aux collègues en tenue s’ils avaient entendu les bruits et accessoirement les cris. Ils m’ont répondu que oui, mais que pour eux cela ne pouvait provenir que de la rue parallèle et donc pas de l’appartement des Diarra. Puisque moi je les avais entendus de l’intérieur de l’immeuble et eux à l’extérieur, cela ne pouvait venir que de cet immeuble. Je suis entrée dans le hall du 26 rue de Vaucouleurs. J’ai vu une porte menant sur l’extérieur. J’y suis allée. J’ai constaté qu’il s’agissait d’une cour-jardin intérieure. Je me suis tout de suite rendu compte que les cris et les bruits que j’avais entendus auparavant provenaient de ce côté de l’immeuble »). Cette policière entend les cris de Mme Halimi, elle le reconnaît et on ne le met pas dans le rapport. Reprenez l’audition et relisez !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je cite l’audition à l’Assemblée nationale !

M. François Pupponi. La policière n’entend pas que du bruit, elle entend aussi des cris, et vous ne le mettez pas ! Reprenez au moins sa déclaration in extenso ! Dans le PV, la policière déclare entendre des cris. Elle dit même : « un témoin en face me dit : ʺ appelez la police, appelez la police ʺ parce qu’il voit ce qui se passe et je n’ai pas voulu aller dans la cour voir ce qui se passait ». C’est là le dysfonctionnement.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Vous pouvez comprendre que j’ai entendu des gens sous serment ?

M. le président Meyer Habib. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont été briefés !

M. François Pupponi. Pourquoi oublier l’audition devant la police judiciaire, où tout est dit ?

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Si tout est dit, pourquoi cette commission d’enquête ?

M. François Pupponi. Parce qu’on a découvert qu’ils avaient entendu des cris et ne sont pas intervenus.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je vous répète ce qu’a dit Aurore Bergé : si vous pensez qu’il y a eu dysfonctionnement, signalez-le !

M. François Pupponi. On sait qu’il y a eu dysfonctionnement. Est-ce pour ne pas faire de peine aux policiers qu’on ne dit rien ? Peut-on au moins ajouter au rapport que les policiers ont entendu des cris ?

M. Brahim Hammouche. Je vous remercie pour cette restitution. J’ai un sentiment d’inachèvement et l’impression que le calendrier des auditions a accéléré sur la fin car il fallait rendre un rapport.

J’ai lu attentivement et annoté l’exemplaire du rapport dont je dispose. La procédure pénale et le code pénal ont bien été respectés. Mais, madame la rapporteure, je ne retrouve dans vos propositions ni votre analyse, ni vos interrogations. Ainsi, page 24, vous ne tirez pas les conclusions de l’insuffisance de communication sur le terrain, puisque la police intervient initialement pour une séquestration, puis prend conscience qu’il s’agit d’autre chose. Au-delà de la peur du voisinage, on a l’impression d’une sidération des forces de l’ordre qui a conduit à une perte de chance pour Mme Halimi. J’aurais souhaité que nous fassions des propositions en la matière, notamment au regard de tous les outils communicationnels à disposition des forces de l’ordre.

En outre, vous êtes « surprise par l’absence d’investigation interne de la part de la police nationale » mais vous ne faites pas non plus de proposition, d’où mon sentiment d’inachèvement. Est-ce lié à votre conviction, qui l’a emportée sur une logique d’objectivation de l’enquête ? Ou est-ce par volonté d’évitement ? S’il y a eu des dysfonctionnements, ce n’est pas faire injure à nos forces de l’ordre que de les souligner.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Un dysfonctionnement doit être prouvé !

M. Brahim Hammouche. Il s’agit de respecter une mémoire et la douleur de la famille, tout en évitant que de tels faits ne se répètent.

Pourquoi parler d’erreurs manifestes dans le rapport, et non de négligence ? Pourquoi ne pas répondre à cette question : y a-t-il eu négligence quand on reprend les faits a posteriori ?

Vous rappelez que Mme Halimi a été « frappée à mort puis défenestrée ». J’aurais été plus prudent car on ne sait pas si elle était morte quand elle a été défenestrée.

Je suis surpris que votre première proposition vise à réduire nos prérogatives. Une commission d’enquête doit avoir les coudées franches et être totalement indépendante. Vous évoquez la séparation des pouvoirs et la force de la chose jugée. Mais l’indépendance du parlementaire s’exprime dans ses prérogatives d’enquête… Qui peut en tirer profit ? Certainement pas la vérité. C’est probablement ce qui me fera m’abstenir car nous devons garder les outils de notre autonomie et notre pouvoir.

Un mot de sémantique, vous parlez d’hospitalisation d’office alors que, depuis juillet 2011, il s’agit de « soins psychiatriques sur décision du représentant de l’État ».

Le rapport comprend un paragraphe très complet sur la psychiatrie légale. J’aurais aimé que nous formulions une proposition en termes de formation, visant à l’harmonisation et à l’évaluation des pratiques. Pour cela, il faut que chaque faculté dispose d’un département de psychiatrie légale, comme c’est le cas dans les autres pays européens. Il conviendrait d’insérer la psychiatrie légale au sein des programmes du Conseil national des universités (CNU) pour les disciplines médicales, odontologiques et pharmaceutiques, soit au sein de la sous-section 03 – médecine légale et droit de la santé – de la section 46 – santé publique, environnement et société – soit au sein de la sous-section 03 – psychiatrie d’adultes ; addictologie – de la section 49 – pathologie nerveuse et musculaire, pathologie mentale, handicap et rééducation.

Si tous les psychiatres ont diagnostiqué une bouffée délirante aiguë, tous n’étaient pas d’accord s’agissant de l’altération ou l’abolition du discernement, donc de la responsabilité pénale.

M. Didier Martin. Je remercie tous ceux qui se sont investis dans la commission d’enquête. Même s’il m’a parfois énervé, je remercie également le président pour sa flamme qui nous a permis d’aller un peu plus loin, de comprendre, de ressentir.

Je remercie la rapporteure qui a pris le dossier en cours de route ; elle mérite toute notre reconnaissance. Vous semblez très attentive à nos remarques, et sensible à certaines d’entre elles. Pouvez-vous retoucher votre rapport avant sa publication ou doit-on le voter en l’état et transmettre nos contributions ?

Nous devions rechercher les éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice. Va-t-on répondre qu’il y en a eu, ou pas ?

M. le président Meyer Habib. Le rapport dit que non !

M. Didier Martin. Mon intime conviction – même si j’ai été moins présent que la plupart d’entre vous – c’est qu’il y a eu dysfonctionnement de la police, voire de la justice. Des faits ont été rapportés. Certes, il y a la vérité judiciaire, mais il y a aussi la vérité. J’ai fait de la médecine, pas une thèse. Mais ma conviction profonde est que, si cela avait mieux fonctionné, peut-être Madame Halimi ne serait-elle pas morte.

Il ne s’agit pas de juger qui que ce soit mais, si les réactions avaient été différentes, Mme Halimi aurait peut-être eu une chance de s’en sortir. Si les juges avaient eu les moyens de mieux comprendre ce qui s’est passé en amont de cet acte horrible, si la justice était allée voir sur place comment les faits se sont déroulés, peut-être la vérité judiciaire aurait-elle été un peu différente.

Reste le problème des psychiatres et des responsabilités – chacun pense ce qu’il veut des témoignages. De par mon expérience de médecin, je sais la fragilité de ces derniers – les gens de justice le savent aussi. Malgré ces fragilités, il faut avancer, et rendre une décision afin que la justice passe, pour les victimes, pour la société comme pour les coupables.

M. le président Meyer Habib. Je crois que vous exprimez ce que beaucoup expriment. Il est vrai que nous avons peu parlé de psychiatrie.

J’attendais tellement de ce rapport et j’aurais tellement voulu qu’il soit voté à l’unanimité, sur la base de faits avérés et mis en lumière par la commission d’enquête. Beaucoup de députés se sont particulièrement investis et sont honnêtes, mais le rapport est à l’image de l’enquête de police et de l’enquête judiciaire, à décharge en permanence.

Vous indiquez que « les conclusions proposées par le docteur Daniel Zagury paraissent donc problématiques dans la mesure où une appréciation médico-légale s’est substituée à une appréciation médicale. ». C’est pourtant lui qui aurait permis le renvoi de Traoré en cour d’assises ! C’est un des experts psychiatres les plus éminents en France, intervenu dans un nombre incalculable d’affaires. Lors du meurtre du disc-jockey Sébastien Selam, il avait estimé que le meurtrier était irresponsable au vu de ses antécédents psychiatriques – le caractère antisémite du meurtre n’a été reconnu qu’ultérieurement par le Président Macron.

C’est donc une preuve supplémentaire que ce rapport est intégralement à décharge ! Des députés de tous bords estiment d’ailleurs qu’ils ne peuvent pas le voter…

M. François Pupponi. Si je comprends bien, nous devons adopter, ou pas, le rapport en l’état.

M. le président Meyer Habib. Et, après, apporter nos contributions.

M. François Pupponi. Sont-elles publiées ?

M. le président Meyer Habib. Oui !

M. François Pupponi. Que se passe-t-il si le rapport n’est pas adopté ?

M. le président Meyer Habib. Il le sera !

M. François Pupponi. Mais s’il ne l’est pas…

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Alors il n’existe pas.

M. Brahim Hammouche. S’agissant des experts psychiatres, les collèges comprennent des pontes de la psychiatrie française comme Rouillon, épidémiologiste des troubles psychiatriques, Coutanceau, cité dans de nombreuses affaires, ou Guelfi, un des pères des traités de la psychiatrie française. Il s’agit donc de grands noms de la psychiatrie française, en activité ou honoraires, d’universitaires qui ont marqué des générations de jeunes psychiatres et qui ont la main sur le programme de l’enseignement de la psychiatrie dans notre pays.

La proposition n° 12 me semble complexifier un dispositif qui l’est déjà en prévoyant la saisine du procureur de la République territorialement compétent lorsque le préfet met fin à la mesure d’hospitalisation sous contrainte d’une personne déclarée irresponsable par la justice et en lui donnant la possibilité de demander une expertise psychiatrique complémentaire et de saisir le juge des libertés et de la détention afin qu’il statue par ordonnance sur le maintien ou la main levée de la mesure. En effet, le préfet saisit déjà le juge des libertés avant de procéder à la fin d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte. Quel est l’intérêt de votre proposition d’autant que beaucoup de préfets sont déjà particulièrement frileux pour lever ce type de mesure, et que le dispositif est médicalement et judiciairement très jalonné ?

M. Didier Martin. J’ai exprimé ma conviction mais n’ai pas dit que je n’allais pas voter le rapport.

M. le président Meyer Habib. Personne ne l’a dit. C’est bien noté.

M. Didier Martin. Je me souviens de ce policier en retraite que nous avons auditionné. Il a clairement exprimé que, depuis, les choses avaient changé pour assurer un meilleur suivi.

M. François Pupponi. Sûrement à la suite de cette affaire.

M. Didier Martin. Dans l’affaire qui nous intéresse, s’agit-il d’un dysfonctionnement, d’un manque de moyens ou d’une mauvaise organisation ? Je ne saurais le dire, mais l’intervention policière n’a pas abouti alors que cela aurait, éventuellement, pu sauver Mme Halimi.

M. le président Meyer Habib. Ce matin, une demi-heure avant notre réunion, j’étais dans mon bureau avec François Pupponi et j’ai appelé un policier, vice-président d’un syndicat de policiers, dont je tairai le nom, qui m’avait sollicité hier par texto.

Il nous a expliqué qu’il avait suivi tous les débats et estimait qu’il y avait eu beaucoup de dysfonctionnements. Il a défendu ses collègues en expliquant qu’ils ont eu peur d’intervenir car, en cas de problème, ils passent en conseil de discipline et la hiérarchie ne les soutient jamais. C’est pourquoi je n’accuse personne et estime que, s’il y a eu dysfonctionnement, il est involontaire.

À la question à laquelle elle devait répondre, la commission répond non mais, moi, je dis « oui » !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. S’agissant des difficultés de communication entre les services de police, de nouveaux équipements radio sont en cours de déploiement. En outre, la proposition n° 4 du rapport vise à engager une réflexion sur les modalités de transmission des informations entre les différents niveaux de commandement et d’intervention afin de s’assurer qu’elles arrivent rapidement aux personnes sur place. Ce n’est donc pas un sujet que j’ai occulté.

L’enchaînement rapide des faits figure page 17 du rapport. Entre quatre heures trente-neuf et quatre heures cinquante et une, les horaires varient selon les témoignages. Je dois en tenir compte et ne peux m’appuyer sur un seul témoignage. Peut-être n’avons-nous pas suffisamment auditionné mais j’ai accepté d’organiser l’audition de personnes qui n’avaient rien à voir avec l’affaire – nous devions, je vous le rappelle, enquêter sur d’éventuels dysfonctionnements de la police et de la justice.

Pourquoi ai-je proposé une révision de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ? Peut-être car je n’ai pas pu effectuer ma mission tout à fait sereinement et peut-être aussi parce que M. Paris a dû démissionner. Il ne s’agit pas de réduire nos attributions, mais d’encadrer les commissions d’enquête en tenant compte des nouveaux moyens de communication.

M. François Pupponi. Mais on n’est pas mandatés pour ça !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Monsieur Pupponi, ne m’interrompez pas ! J’ai laissé tout le monde s’exprimer.

On n’est pas non plus mandatés pour refaire l’enquête, monsieur Pupponi ! On n’est pas mandatés pour faire des reconstitutions !

M. François Pupponi. Bien sûr que si !

M. le président Meyer Habib. Pourquoi y être allée alors ?

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je suis venue la première fois parce que j’estimais utile d’y aller pour comprendre. Je n’ai pas eu besoin d’y retourner la deuxième fois car il est évident que, quand on crie sur le balcon, c’est audible de partout.

M. le président Meyer Habib. Et derrière la porte ?

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je n’ai pas eu besoin d’y retourner de nuit. J’avais compris.

M. le président Meyer Habib. Si vous l’avez compris, alors dites-le dans le rapport ! Cela signifie que les policiers mentent sous serment.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je me base sur les auditions des policiers. Vous les remettez en question, faites-le dans vos contributions. Elles figureront à la suite de mon rapport. Vous êtes libres ! Si vous voulez charger la police, faites-le.

M. François Pupponi. On n’est pas là pour charger la police !

M. le président Meyer Habib. Je vis avec des policiers vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis sept ans, je les respecte !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Je les respecte aussi et je ne vous autorise pas à remettre en question mon appréciation, ni à sous-entendre que j’aurais subi des pressions !

Plusieurs députés. Votons !

M. le président Meyer Habib. Si tout le monde le souhaite, nous allons voter. Je rappelle que, dans l’écrasante majorité des commissions d’enquête, les rapports sont adoptés à l’unanimité, ce qui ne sera manifestement pas le cas. Je le regrette.

Conformément à l’article 144-2 du règlement de l’Assemblée nationale, je vais mettre le rapport aux voix.

La commission adopte le rapport et autorise sa publication.

 

M. le président Meyer Habib. Je demande également la publication dans le rapport des comptes rendus, anonymisés, des auditions des témoins. Il convient de voter aussi sur ce sujet.

Mme Aurore Bergé. La rapporteure souhaite reprendre la parole.

M. le président Meyer Habib. Vous êtes présidente, madame Bergé ?

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Concernant les auditions à huis clos, la demande de non-publication concerne les auditions de M. Attal, de la famille Diarra, d’un premier et d’un second témoins des faits. Ce dernier m’a contactée suite à son audition. En raison de la teneur de cette dernière et de la manière dont elle s’est déroulée, il refuse absolument que son témoignage soit publié.

M. le président Meyer Habib. Il m’a dit l’inverse !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Ça ne doit pas être très récent.

M. le président Meyer Habib. Je l’ai eu il y a quelques jours, après vous…

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Le premier témoin m’a demandé la même chose suite à la publication sur la page Facebook de M. Attal du procès-verbal de police mentionnant son identité.

Vous voterez ainsi en votre âme et conscience. Moi également.

M. le président Meyer Habib. Nous ne sommes pas là pour masquer la vérité. Nous pouvons anonymiser les témoignages mais ils sont fondamentaux – ils expriment le fait qu’on a entendu crier et hurler. On ne peut pas ne pas les mettre dans le rapport !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Cela figure dans les rapports de police.

M. le président Meyer Habib. Non, ce sont les témoignages devant la commission d’enquête !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Alors que pour les policiers, ce sont les témoignages de police qui comptent !

M. le président Meyer Habib. À chaque audition, j’ai bien précisé qu’il y aurait un compte rendu et que les témoignages seraient publiés, si besoin anonymisés.

M. François Pupponi. Si on veut arriver à faire un travail collectif efficace, il est gênant que ces témoignages évoquant les cris ne figurent ni dans le rapport, ni en annexe. On veut occulter ce point !

M. le président Meyer Habib. Votons, c’est tout !

M. François Pupponi. Il faut que cela figure dans le rapport ou que les témoignages soient insérés en annexe. Si cela ne figure nulle part, nous n’aurons pas bien fait notre travail.

M. le président Meyer Habib. C’est fondamental.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Monsieur le président, je voudrais la parole ! Ça suffit !

M. le président Meyer Habib. Vous êtes compliquée, Madame la rapporteure ! Vous allez l’avoir ! Vous insultez le président ! Il fallait que nos collègues soient plus présents aux auditions.

Mme Aurore Bergé. On a été prévenus la veille ! Il y a parfois eu jusqu’à quatre modifications !

M. le président Meyer Habib. Je demande qu’on vote sur l’insertion des témoignages, anonymisés, au rapport.

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Pour votre parfaite information, le témoignage du second témoin avait été publié. Il a été retiré à sa demande.

Mme Constance Le Grip. Oui, il était sur le site.

M. le président Meyer Habib. Il circule déjà !

Mme Florence Morlighem, rapporteure. Mais il a été retiré à sa demande. M. Paris était rapporteur lors de l’audition de M. Attal et de la famille Diarra. En tant que rapporteure, je me prononce s’agissant du premier et du second témoin. Votons, cela ne sert à rien de poursuivre ces débats.

La commission n’autorise pas la publication des comptes rendus d’auditions tenues à huis clos.

 

La réunion se termine à midi quarante.

 

 


–  1 

 

   Liste des PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions publiques sont consultables à l’adresse suivante :

https://www2.assemblee-nationale.fr/15/autres-commissions/commissions-d-enquete/commission-d-enquete-sur-les-eventuels-dysfonctionnements-de-la-justice-et-de-la-police-dans-l-affaire-dite-sarah-halimi/(block)/ComptesRendusCommission

(par ordre chronologique)

13 septembre 2021

– Me Jean-Alex Buchinger, avocat au barreau de Paris.

– Me David-Olivier Kaminski, avocat à la Cour.

– Me Gilles-William Goldnadel, avocat à la Cour.

– Me Jean-Éric Callon, avocat à la Cour.

29 septembre 2021

– Me Oudy Ch. Bloch, avocat au barreau de Paris et au barreau de New-York, et de Me Muriel Ouaknine Melki, avocate au barreau de Paris.

– Me Nathanaël Majster, avocat à la Cour.

12 octobre 2021

– M. William Attal, frère de Mme Sarah Halimi, M. Yonathan Halimi, fils de Mme Sarah Halimi, et parties civiles.

19 octobre 2021

– Me Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris.

– Audition, à huis clos, de M. Thiéman Diarra et de Mlle Soumpo Diarra, parties civiles.

26 octobre 2021

– M. Sammy Ghozlan, président du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme.

3 novembre 2021

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris.

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris.

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris.

9 novembre 2021

– M. le Dr Daniel Zagury, psychiatre.

– Me Ariel Goldmann, président de la Fondation du judaïsme français, président du Fonds social juif unifié et M. Haïm Korsia, Grand rabbin de France.

– M. le Dr Joachim Müllner, psychiatre.

16 novembre 2021

– Audition, à huis clos, d’un témoin des faits survenus le 4 avril 2017.

– Audition, à huis clos, d’un témoin des faits survenus le 4 avril 2017.

23 novembre 2021

– Me Thomas Bidnic, avocat de la défense.

– M. le préfet Michel Cadot, ancien préfet de police de Paris.

– M. le Dr Paul Bensussan, psychiatre.

24 novembre 2021

– M. Georges Fenech, ancien député, rapporteur du projet de loi devenu loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

– Mme Anne Ihuellou, magistrat, vice-présidente de l’instruction.

–  Mme Julie Pétré, magistrat.

– Mme Johanna Brousse, magistrat, vice-procureur près le tribunal judiciaire de Paris.

– Me Matthias Fekl, ancien ministre de l’intérieur.

 

29 novembre 2021

– Audition d’un policier de l’enquête juidicaire.

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaulcouleurs à Paris.

30 novembre 2021

– M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur.

1er décembre 2021

– M. Jean-François Ricard, procureur de la République antiterroriste.

– M. Christophe Dansette, journaliste à France 24.

2 décembre 2021

– M. le Dr Charles Melman, psychiatre.

8 décembre 2021

– M. Joël Mergui, président d’honneur du Consistoire central israélite de France.

– M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation.

– M. Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des sceaux, ministre de la Justice.

– Audition d’un policier au sujet de l’intervention du 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris.

15 décembre 2021

– Mme Laurence Lazerges, première vice-présidente adjointe au tribunal judiciaire de Nanterre.

– M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. 

– Audition d’une amie proche et ancienne collègue de Mme Sarah Halimi.

– Audition d’un témoin du voisinage.

– Audition d’une amie proche et ancienne collègue de Mme Sarah Halimi.

 

 

16 décembre 2021

– Audition d’un policier du centre d’information et de commandement de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), en fonction le 4 avril 2017.

– Audition d’un policier du centre d’information et de commandement de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne (DSPAP), en fonction le 4 avril 2017.

– Audition d’un sapeur-pompier, primo intervenant le 4 avril 2017, rue de Vaucouleurs à Paris.

 

 

 

 


–  1 

 

   contribution des groupes et des députés

Contribution écrite des députés du Groupe Les Républicains

 

 

Les députés Les Républicains se sont investis avec beaucoup de sérieux et de disponibilité dans les travaux de la commission d'enquête, et ce d'autant plus qu'ils avaient été nombreux à être co-signataires de la proposition de résolution demandant la création de ladite commission d'enquête, et initiée par Meyer Habib et Constance Le Grip. La vraie incompréhension, la très grande émotion, la vive colère suscitées par la tragique et fatale agression perpétrée sur Mme Halimi et la déclaration d'irresponsabilité pénale prononcée à l'encontre de son meurtrier nous ont amenés à considérer qu'il était du devoir de la représentation nationale que de tenter de faire la lumière sur ce qui s'était passé, de « rechercher d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police », et de réfléchir à formuler des propositions pour que les manquements, les failles, les dysfonctionnements, s'ils étaient reconnus, ne se reproduisent pas.

 

Les députés Les Républicains membres de la commission d'enquête n'ont pas approuvé le rapport présenté par Madame la Rapporteure, dans lequel ils ne retrouvent pas les conclusions auxquelles le travail d'audition et de réflexion mené par la commission d'enquête les a conduits. Aussi se sont-ils abstenus lors du vote sur le rapport et présentent-ils une contribution écrite au dit rapport.  

 

Les députés Les Républicains tiennent à faire part de la déception et de la frustration qu'engendrent chez eux la teneur et le contenu du rapport.

 

A la question essentielle car ayant motivé la création de la commission d'enquête : y a-t-il eu d'éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l'affaire dite « Sarah Halimi »?, le rapport n'apporte pas de réponse très claire ni très assumée. Manifestement, le rapport penche dans le sens d'une réponse négative à cette question. Mais il se borne à pointer « les failles qui ont conduit à des incompréhensions » (page 6, Introduction Générale).

 

Le texte du rapport louvoie en permanence, comme s'il s'agissait d'éviter de prendre des positions claires et de formuler des constats précis, comme autant d'écueils à prudemment éviter. 

 

Certes, plusieurs assertions critiques sont formulées, s'agissant de l'action des forces de l'ordre. Page 21 : « Un respect strict de la doctrine d'intervention ayant conduit à un échec de l'opération ». Page 18 : des difficultés de communication (« Des informations partielles et imprécises »). Page 24 : « un certain flou dans l'interprétation de la notion de « nécessité d'intervenir » qui a pu conduire à repousser une intervention pourtant nécessaire ». Page 24 toujours, Madame la Rapporteure écrit avoir « été surprise par l'absence d'investigation interne de la part de la police nationale » ... 

 

Nous partageons ces assertions et la « surprise » de la Rapporteure devant l'absence d'investigation interne à la police nationale. S'agissant d'une affaire aussi tragique et sensible, le meurtre horrible d'une dame âgée parce qu'elle était juive, une telle absence est préjudiciable et fort regrettable. 

 

Ces différentes assertions-là auraient déjà dû, à notre sens, motiver une tonalité beaucoup plus critique et affirmée de l'appréciation à porter sur les modalités de l'intervention de la police, en cette tragique nuit du 4 avril 2017. Elles peuvent, elles doivent être qualifiées de « dysfonctionnements ». Contrairement à ce qu'écrit la Rapporteure. 

 

Le chapitre I du rapport, consacré à l'intervention de la police et des services de secours, ne fait qu'une seule mention, sans en souligner le caractère tout à fait essentiel, (page 22) d'un témoignage éclairant, celui de l'une des policières présente sur les lieux dès le début de l'intervention, et qui fait état de « gros bruits » qu'elle a entendus, qui d'après elle ne provenaient ni de l'appartement de la famille Diarra ni de la rue, et donc provenaient du jardin de l'immeuble. 

 

Aucune mention dans le rapport n'est faite des témoignages très précis, y compris chronologiquement, et très éclairants eux-aussi faits devant la commission d'enquête par deux témoins-clés, voisins habitant en face de l'immeuble où résidait Mme Halimi, qui ont appelé à plusieurs reprises Police Secours pour signaler la très violente agression se déroulant d'abord dans le salon puis sur le balcon de l'appartement de la victime. 

 

S'agissant du fonctionnement de la justice, de l'enquête et de l'instruction judiciaire, là encore, il nous apparaît qu'il y a une incapacité à pointer préciser les manquements, omissions, négligences, à tout le moins, qui devraient conduire, là aussi, à considérer qu'il y a eu des dysfonctionnements. 

 

Certes, il y a eu respect strict des règles procédurales en vigueur, et aucun article du Code de Procédure Pénale n'a été violé ou malmené! Mais, la Rapporteure l'écrit elle-même, la conduite de l'instruction a pu « laisser planer un doute sur l'importance accordée à cette affaire par la justice ». C'est bien le moins que l'on puisse écrire!

 

Cette affaire ayant d'emblée été considérée comme « sensible et complexe », selon les termes mêmes du Procureur François Molins employés devant la commission d'enquête, il y a eu co-saisine. Deux juges d'instruction ont donc instruit l'affaire. 

 

Mais la reconnaissance du caractère « sensible et complexe » de cette tragique affaire n'a malheureusement pas conduit les deux juges d'instruction à se déplacer, ne serait-ce qu'une fois, sur les lieux du meurtre, ni à procéder à une reconstitution. La Rapporteure fait état d'un « refus contestable de procéder à une reconstitution ». Nous estimons nous aussi très regrettables, voire particulièrement dommageables, l'absence de reconstitution ainsi que celle de tout déplacement sur place des deux juges. Nous comprenons les lourdeurs d'une reconstitution, surtout avec un accusé hospitalisé d'office en unité psychiatrique, mais nous ne pouvons accepter l'absence totale de déplacement sur les lieux, qui aurait permis aux juges de voir la topographie des lieux, de comprendre certaines choses. Il nous apparaît qu'il y a là une grave négligence, un dysfonctionnement, et que cette conduite de l'instruction très stricte, très limitée au strict minimum nécessaire des actes, dans un contexte de dialogue tendu, voire d'absence de dialogue et de considération, avec les avocats de la partie civile, a été plus que problématique, a soulevé incompréhension, émoi et colère. 

 

Toujours s'agissant du déroulement de l'enquête, « la surprenante absence d'exploitation du téléphone » (pour reprendre les termes de la Rapporteure page 51) est à vivement déplorer. Les policiers n'auraient pas trouvé le téléphone du meurtrier, selon l'un des policiers auditionnés ... Ce manque d'approfondissement, d'investissement, de sérieux dans la recherche des preuves est à pointer du doigt, et à qualifier de dysfonctionnement. S'agissant, encore une fois, d'une affaire tragique, grave, dans le contexte que connaissait notre pays en 2017, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle.

 

Nous ne reviendrons pas sur la lenteur déplorable mise à reconnaître le caractère antisémite de l'agression meurtrière ni sur l'irresponsabilité pénale reconnue au meurtrier de Mme Halimi. Ces deux sujets sont longuement abordés dans le rapport. Les textes en vigueur à l'époque et la jurisprudence de la Cour de Cassation sont ce qu'ils sont. Une réforme du Code Pénal et de la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental a tout récemment été votée par le Parlement.

 

Pour terminer, les députés Les Républicains, tout en manifestant leur accord avec plusieurs des propositions de bon sens et qui vont dans la bonne direction figurant en annexe du présent rapport, souhaitent faire connaître leur franche désapprobation sur les propositions 1 et 2. Que ces propositions préconisent une révision de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et visent à encadrer, limiter encore plus les prérogatives des commissions d'enquête parlementaires nous semble être tout à fait hors sujet! Tel n'était pas l'objet de la commission d'enquête, et nous ne saurions endosser une réduction des pouvoirs des commissions d'enquête parlementaires, pas plus que nous ne saurions cautionner toute velléité de « règlement de compte » et autres considérations quant au mode de fonctionnement de la commission d'enquête et aux relations entre le Président de ladite commission d'enquête et les deux Rapporteurs successifs. Tel n'est pas le propos, et des propositions et considérations à ce sujet n'ont rien à faire dans le rapport d'une commission d'enquête.  

 

Enfin, les députés Les Républicains formulent deux propositions.

 

1) En matière criminelle la reconstitution d'une affaire est de droit quand celle-ci est demandée de façon motivée par une des parties, et notamment dès lors que les expertises psychiatriques sont discordantes, afin de contribuer à déterminer si le coupable a pu agir avec discernement.

 

2) En cas d'expertises psychiatriques discordantes, une procédure systématique de réévaluation de l'état psychiatrique du coupable est prévue, afin d'adapter sa peine.

 

 

 

Mme Constance LE GRIP, Vice-Présidente de la commission d'enquête

Mme Sandra BOËLLE, Secrétaire de la commission d'enquête

Mme Emmanuelle ANTHOINE

M. Victor HABERT-DASSAULT

M. Julien RAVIER 

 


 

 

Contribution du président de la commission d’enquête, du groupe UDI
et de M. François Pupponi

 

 

 

Contribution du Président et du Secrétaire de la Commission d’enquête parlementaire :

 

M. le Député Meyer HABIB

M. le Député François PUPPONI

 

 

 

 

COMMISSION D’ENQUETE PARLEMENTAIRE

SUR LES EVENTUELS DYSFONCTIONNEMENTS DE LA POLICE ET DE LA JUSTICE DANS L’AFFAIRE DITE SARAH HALIMI

 

« LES DYSFONCTIONNEMENTS »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


SOMMAIRE

 

 

I)                   L’intervention de la police

 

  1. Le brigadier-chef primo-intervenant avait les clés de l’appartement des DIARRA
  2. Les ordres de la salle de commandement / Etat-major n’ont pas été appliqués par les fonctionnaires de police présents sur place
  3. Les cris d’une femme entendus par tous les témoins, la version des policiers contredite
  4. Les appels des témoins
  5. La chronologie des faits varie selon les versions

 

II)                L’enquête judiciaire conduite par les officiers de police judiciaire

 

  1. L’absence de saisie des téléphones portables de la famille Traoré et des amis de Kobili Traoré.
  2. L’absence de reconstitution
  3. L’absence d’audition d’un avocat de la partie civile / Manque d’empathie de la juge d’instruction
  4. L’absence d’enquête sur les fréquentations de Kobili Traoré
  5. L’absence d’auditions de témoins et des amies de Sarah Halimi par la juge d’instruction / police
  6. L’interrogatoire de Kobili Traoré
  7. Le caractère antisémite

 

III)            La préméditation

 

  1. Le parcours de Kobili Traoré avant son crime
  2. Les vêtements
  3. Le balcon, la Torah et le chandelier
  4. La radicalisation, l’antisémitisme de Kobili Traoré

 

IV)             La psychiatrie

 

  1. La première expertise du Dr Zagury
  2. Le choix du Dr Bensussan
  3. L’état actuel de Kobili Traoré

 

V)                Les auditions de la commission d’enquête parlementaire

 

  1. L’impossibilité d’auditionner certains témoins
  2. L’absence de pièces
  3. Les propos outrageants de la juge d’instruction co-saisie pendant la commission

 

VI)             Annexes

 

 

I)                 L’intervention de la police

 

 

  1. La police appelée pour une séquestration chez la famille DIARRA.

 

A 4h22, police secours reçoit le premier appel d’urgence de la famille Diarra pour une séquestration à leur domicile. Ils arriveront deux minutes plus tard à 4h24. C’est le début de cette nuit dramatique.

 

  1. Le brigadier-chef primo-intervenant avait les clés de l’appartement des DIARRA

 

Dans les trois procès-verbaux d’auditions des primo-intervenants, (D719, D54, D729), les policiers mentionnent à chaque fois que la famille Diarra leur a jeté, à leur arrivée sur les lieux à 4h25, un pass vigik leur permettant d’accéder à l’immeuble du 26 rue de Vaucouleurs. Or, c’est faux, ce n’était pas un vigik mais un trousseau de clés ! Manifestement, il y a eu une coordination entre les trois témoignages des policiers pour ne parler que du vigik.

 

Deux témoignages importants attestent du contraire :

 

Le premier au cours duquel M. Thiéman DIARRA et Mlle. Soumpo DIARRA, auditionnés le 19 octobre 2021 par notre commission d’enquête parlementaire, ont confirmé avoir jeté un trousseau de clés qui était composé de la clé du domicile et d’un pass vigik. M. Thiéman DIARRA a déclaré :

 

« Chacun a ses clés. Mes clés étaient dans ma poche. Quand les policiers sont arrivés sur les lieux, on a jeté mes clés. Il y avait le badge et une clé. C’est la clé de la maison. »

 

Propos confirmés dans son PV d’audition (D275) dans lequel Monsieur DIARRA déclare aux policiers : « J’ai alors jeté mon trousseau de clés aux policiers par la fenêtre afin qu’ils puissent entrer. »

 

Le second témoignage (D314) concerne M. Sofiane SI-BACHIR, ami de Kobili TRAORE avec lequel il se trouvait la veille et la nuit des faits, au cours duquel il confirme avoir vu la famille DIARRA jeter par leur fenêtre un trousseau de clés aux policiers :

 

« Une femme à la fenêtre a fait signe au policier que nous n’étions pas concernés et cette même femme a jeté un trousseau de clés par la fenêtre »

 

Lorsque je l’ai interrogé sur cette question, le brigadier primo-intervenant en charge du dispositif de police confirme et déclare, à la question de savoir pourquoi il n’a pas utilisé les clés pour ouvrir la porte des DIARRA, je cite :

 

« Je ne saurai vous le dire. J’ai voulu dans un premier temps pénétrer dans l’immeuble et me rendre à l’étage. Je n’ai pas eu le réflexe d’ouvrir la porte. Quatre ans sont passés, mais je suppose que je n’ai pas senti la nécessité, l’urgence même d’entrer dans les lieux.  Je ne sais pas si j’ai eu conscience à ce moment d’avoir les clés de l’appartement il est possible que je ne me sois pas rendu compte que j’avais les clés de l’appartement. »

 

En tout état de cause, l’équipage de la BAC 11 primo-intervenante détenait les clés dès leur arrivée, leur permettant d’accéder au domicile de la famille DIARRA, contrairement à ce qu’ils ont déclaré sous serment dans les procès-verbaux d’auditions de l’époque.

 

INEXACTITUDE DU RAPPORT : à la page 13 du rapport, la rapporteure affirme qu’il n’est pas possible d’attester avec certitude que les policiers avaient les clés de l’appartement. Faux ! Les travaux de la commission d’enquête, comme précités, ont démontré que le brigadier-chef primo-intervenant avait les clés.

 

 

  1. Les ordres de la salle de commandement / État-major n’ont pas été appliqués par les fonctionnaires de police présents sur place

 

Dans la retranscription des échanges radio (D790) entre la salle de commandement et les fonctionnaires de police sur place, il est écrit que les primo-intervenants reçoivent les instructions suivantes :

 

« Ouais, si c’est des appels au secours, et que c’est une tentative de séquestration, vous, en cas de nécessité, vous tentez de casser la porte sinon j’appelle les pompiers ». 

 

Réponse du policier sur place :

 

« Je ne pense pas qu’on va être en mesure de défoncer la porte, il y a trois points de fermeture, on pourra pas la casser ».

 

Les policiers reçoivent donc l’autorisation d’entrer dans le domicile des DIARRA mais font le choix de ne pas le faire, même et surtout lorsqu’ils entendent les hurlements de Sarah Halimi. Ils continueront à demander du matériel lourd pour ouvrir la porte, alors que le brigadier-chef dispose des clés de l’appartement des Diarra !

 

L’un des policiers fera état devant notre commission d’enquête parlementaire ne pas « avoir entendu d’appels au secours », et ne pas « avoir senti l’urgence et la nécessité de pénétrer dans les lieux » (audition du 3 novembre). Pourtant, ils entendent des cris en langue arabe, sont appelés pour une possible séquestration et décident très rapidement après leur arrivée de s’équiper avec du matériel lourd.

 

Les choix du Brigadier-chef en charge de l’opération de s’équiper avec des casques lourds, des gilets pare-balles et de demander des renforts semblent être en total contradiction avec ses déclarations. Ces choix laissent penser, qu’au contraire, il suspectait des faits graves et que la situation était urgente.

 

L’absence d’intervention interpelle d’autant plus que très rapidement la police sait que Kobili TRAORE n’est pas armé (D740).

 

  1. Il y a deux affaires au même endroit, au même moment et à la même heure : la police ne fera jamais le rapprochement.

 

Il est important de souligner que tout au long des faits, la police veut nous faire croire qu’elle a considéré qu’il s’agissait de deux affaires distinc²tes : l’une pour une séquestration, l’autre pour des coups portés à une femme. Face à la gravité des faits, le commissaire de police présent sur place a décidé de réveiller le substitut du procureur Mme Johanna BROUSSE pour l’informer qu’une femme se faisait rouer de coups. « J’ai reçu un appel de la police pour m’informer qu’une dame est séquestrée chez elle et qu’elle reçoit des coups. Mon interlocuteur pense qu’il s’agit peut-être d’une personne de la communauté chinoise » (audition de Johanna Brousse du 24 novembre 2021). 

 

Cette déclaration du Procureur Brousse prouve que la police était donc bien au courant qu’une femme, en l’occurrence Sarah HALIMI, se faisait massacrer. Pourquoi ne sont-ils pas intervenus ?

 

Prenant en considération l’importance de la situation, le substitut a demandé l’intervention immédiate de la BRI, en vain, en déclarant :

 

 « Avec l’expérience, nous sommes capables de sentir si une situation peut dégénérer et en apprécier la gravité. La BRI n’étant pas sur place, je demande donc que la police rappelle immédiatement le cabinet du préfet pour que cette brigade se déplace. Alors même qu’aucun homicide n’a été commis, je prends la décision de me rendre sur place. Je constate que la BRI ne sera pas là et qu’elle ne sera jamais intervenue. Vous le constaterez dans la synthèse de police » (audition de Johanna BROUSSE 24 novembre 2021).

 

Comment la police n’a pas fait le rapprochement entre deux affaires se déroulant à la même heure, à la même minute et au même endroit ? Ont-ils été tétanisés par les sourates du Coran récitées par Kobili TRAORE et les cris en arabe, allant jusqu’à leur faire « oublier » qu’ils disposaient d’un jeu de clés du domicile des Diarra ?

 

A ces dysfonctionnements s’ajoutent la non-transmission des appels d’urgence des témoins à police secours à la salle d’intervention et de commandement (SCI) qui n’a pas été informée de ces faits comme l’a confirmé le policier présent à la salle de commandement que nous avons auditionné :

 

« C’est une information qui aurait dû parvenir à la salle, à aucun moment je n’ai eu connaissance qu’une femme criait au secours » (audition du 16 décembre 2021).

 

Au lendemain de ces évènements, il nous a également été indiqué que la police avait fait évoluer les transmissions d’appels d’urgence police secours, ce qui démontre que la police a pris conscience que le système en place était défaillant. Dont acte.

 

 

  1. Les cris d’une femme entendus par tous les témoins, la version des policiers contredite

 

A leur arrivée, les policiers sur place distinguent très rapidement des cris en langue arabe et la récitation de sourates du Coran derrière la porte de la famille DIARRA. Ils diront qu’au fil du temps cette voix s’est éloignée de plus en plus. La majorité des fonctionnaires affirmeront dans leur PV d’audition ne pas avoir entendu les cris de Sarah Halimi.

 

Cette version est contredite puisque deux fonctionnaires présents sur place affirment dans leur PV d’audition les éléments suivants :

 

« En ce qui me concerne il s'agissait de cris de femme. Mes deux autres collègues vous diront peut-être qu'il s'agissait de cris d'homme mais en ce qui me concerne il s'agissait de cris de femme » (D373).

 

« A mon arrivée j’ai perçu du bruit, comme des cris, du remue-ménage que je ne peux identifier sur le moment, mais ce vacarme provenait d’assez loin. Une chose est sûre ce n’était pas derrière la porte. J’ai dit aux collègues que je redescendais pour tenter de voir d’où venaient les bruits […]. Je suis donc redescendue et je me suis rendue côté rue. J’ai demandé aux collègues en tenue s’ils avaient entendu les bruits. Ils m’ont répondu que oui mais que pour eux, cela provenait de la rue qui est parallèle à rue Vaucouleurs. Pour moi cela était impossible que ça provienne de la rue parallèle parce que moi je les avais entendus de l’intérieur de l’immeuble et eux de l’extérieur. […] je suis rentrée dans le hall du 26 rue Vaucouleurs […] et j’ai constaté qu’il s’agissait d’une cour jardin intérieure. Je me suis surtout rendu compte que les cris et les bruits que j’avais perçu provenaient de ce côté de l’immeuble. Là j’entendais distinctement de gros bruits comme si des meubles se cassaient et des cris en arabe. » (D716)

 

Devant notre commission, sous serment, et à notre grande surprise ces deux fonctionnaires sont revenus sur leurs déclarations :

 

« Quand on se retrouve derrière l’appartement en question (celui des Diarra) il est impossible d’entendre ce qu’il se passe dans la cour et sur la voie publique. Avec le nombre de portes, avec les escaliers et le palier, vous ne pouvez pas entendre ce qu’il se passe dans la cour, c’est strictement impossible. A aucun moment on ne peut entendre ce qu’il se passe dans la cour ».

 

« J’ai constaté que le bruit venait de là (la cour intérieur) j’entendais des bruits mais je n’arrivais pas à les identifier et je n’arrivais pas à voir précisément d’où ça provenait » ; « Au moment où je rentre dans cette cour je n’entends pas des cris de femme ou des appels au secours. J’entendais des bruits comme si on cassait des meubles. Je ne me suis pas avancé parce que j’étais seule, et je ne voulais pas m’exposer ».

 

Comment la version de ces deux fonctionnaires de police a pu changer quatre ans après les faits ? Ont-ils reçu des consignes ? La réponse est oui.

 

INEXCATITUDE DU RAPPORT : à la page 15 du rapport, la rapporteure indique qu’une policière présente dans la cour intérieure n’a pas entendu de cris humains. Force est de constater qu’elle ne fait pas état du procès-verbal précité prouvant que cette policière a bel et bien entendu des cris humains provenant de la cour intérieure.

 

Beaucoup de voisins pourtant endormis sont réveillés en sursaut, en pleine nuit à 4h30 du matin, par des hurlements d’homme mais aussi de femme. Sept témoignages qui ont été versés au dossier indiquent formellement avoir entendu des cris de femme :

 

-          Le premier témoignage indique (D307), à la question :

 

« Que pouvez-vous nous dire de cette personne qui recevait des coups ? »

 

Réponse du témoin :

 

« C’était les cris d’une femme. Et la voisine d’en face disait ça va aller madame j’ai appelé la police »

 

 

-          Le deuxième témoignage (D280) affirme que :

 

« Je réalise qu’il ne s’agit pas de cris d’un enfant, mais d’une femme d’un certain âge et qui est en train de souffrir le martyr. Cela dure deux à trois minutes pendant lesquelles cette femme est rouée de coups de poing »

 

-          Le troisième témoignage (D316) indique :

« J’ai ensuite entendu des cris d’une femme et je me suis levée. Elle ne prononçait pas de mots elle criait. J’ai entendu à nouveau des cris de femme quand il s’est mis à frapper »

 

-          Le quatrième témoignage (D345) atteste avoir « entendu des cris de femme pendant 2-3 minutes. J’étais tétanisée »

 

-          Le cinquième témoignage affirme avoir « entendu des cris de femme. C’était des cris de souffrance d’une femme qui se faisait frapper » (D353 – D355)

 

-          Le sixième témoignage (D360) déclare « Les bruits me faisaient penser à quelqu’un qui était frappé et à des objets qui tombaient sur le sol. Je précise qu’il s’agissait de cris de femme »

 

-          Le septième témoignage (D362) indique « vers 4h du matin nous avons été réveillés par des cris de femme provenant d’un des appartements voisins ».

 

INEXACTITUDE DU RAPPORT : la rapporteure ne mentionne pas ces sept témoignages pourtant cruciaux qui viennent s’opposer à celui des fonctionnaires de police sur place.

 

Pour en avoir le cœur net et se mettre dans les mêmes conditions que la nuit du crime, une délégation de la commission d’enquête parlementaire composée de : 4 députés, 2 collaborateurs parlementaires, 2 journalistes, un expert mais aussi 2 policiers (aucun membre de LAREM, convié, ne s’est déplacé), se sont rendus chez Sarah HALIMI le jeudi 16 décembre 2021. Ce déplacement avait pour objectif de vérifier si les cris provenant du balcon de Mme Sarah HALIMI étaient audibles ou non.

La conclusion de ce déplacement est qu’il est strictement impossible de ne pas entendre les cris tant ils sont amplifiés par l’écho de la cour intérieure, y compris avec la porte fenêtre du balcon des DIARRA fermée, ce qui n’était pas le cas la nuit des faits.

 

La réalité, c’est que tous les policiers se sont concertés et coordonnés dans leur témoignage pour qu’aucun d’eux ne déclare avoir entendu des cris de femme que sept témoins ont entendus, ce qui s’apparenterait à de la non-assistance à personne en danger.

 

Comment est-il possible que des policiers, sous serment, affirment n’avoir rien entendu alors que sept témoignages affirment sans ambiguïté, entendre Mme Halimi hurler à mort ?

 

 

  1. Les appels des témoins

 

A minima (puisque nous n’avons pas réussi à obtenir l’ensemble des retranscriptions audio entre 4h22 et 5h36 et donc entre 4h30 et 4h37) : à 4h37, à 4h40 puis 4h49 (D1035-1037), un témoin dont l’appartement est face à celui de Sarah Halimi appelle police secours pour leur faire part du massacre auquel il assiste et propose aux forces de l’ordre d’utiliser son appartement pour accéder à celui de Sarah Halimi, puisque les deux sont reliés par un toit terrasse. Il déclare :

 

 « J’ai donc appelé une troisième fois la police pour leur dire que si les policiers voulaient voir ce qu’il se passait, l’appartement, ils pouvaient venir chez moi. L’opérateur m’a dit que c’était bon, les effectifs étaient sur place. » (D1033), puis « il frappait une femme qui était à genoux sur le balcon, il lui portait des coups de poings et pieds, je ne peux vous dire combien de temps, mais c’était interminable ».

 

Un autre témoin a déclaré (D281) :

 

« Tout ce que j’entends, c’est le bruit de la viande qui se fait cogner, qui continue à cogner, et à cogner. Je suis incapable de dire la quantité de coups de poing qu’il a donné à cette femme ». Puis, je cite : « La BAC est là car je vois des lampes assez fortes, je les vois arriver dans la cour. » à ce moment-là, Sarah Halimi n’est ni morte et pas encore défenestrée.

 

INEXCATITUDE DU RAPPORT : à la page 17 du rapport, la rapporteure indique qu’une partie de l’agression se déroule à l’intérieur du domicile de Mme Sarah HALIMI, mais ne fait pas état des longues minutes où M. Kobili TRAORE la massacre sur son balcon à la vue de tous. Tous les témoins qui assistent à ce drame et ceux qui ont été auditionnés par notre commission d’enquête ont pourtant estimé le temps de ce massacre a plusieurs dizaines, voire vingtaines de minutes, tant cela leur paraissait long.

 

D’autres témoins ont appelé police secours, l’un d’eux à 4h45 indiquant qu’une femme se fait frapper, l’interlocuteur police secours lui répondra :

 

« Vaucouleurs ? On est au courant » (D242).

 

Pourtant, à aucun moment police secours ne transmettra les informations aux policiers sur place qui affirment ne pas avoir eu connaissance de ces appels d’urgence et à aucun moment la police n’utilisera ces témoins pour la bonne conduite de l’opération de police. Comment est-il possible que police secours ne fasse pas le lien entre deux évènements se déroulant à la même heure, à la même minute et au même endroit ? Voilà encore un dysfonctionnement.

 

Comment est-il possible que la salle d’intervention et de commandement (SIC) n’a pas non plus été tenue informée de ces faits, comme l’a confirmé le policier présent à la salle de commandement que nous avons auditionné : 

« C’est une information qui aurait dû parvenir à la salle. A aucun moment je n’ai eu connaissance qu’une femme criait au secours » (audition du 16 décembre).

 

  1. La chronologie des faits varie selon les versions

 

La chronologie des faits est compliquée à établir puisqu’elle varie selon les éléments transmis au dossier. Deux versions sont proposées dans le dossier, une seule est vraie, la deuxième :

 

La première version selon la fiche PEGASE fait état des éléments suivants (D740):

 

  1. Premier appel d’urgence émis par la famille DIARRA à 4h25 et 24 secondes pour une possible séquestration indiquant l’absence d’arme exhibée
  2. L’engagement de la BAC 11 N à 4h25 et 50 secondes
  3. L’arrivée de la BAC 11 N sur les lieux à 4h25 et 51 secondes
  4. Avis à l’État-major de la DSPAP à 4h26 et 54 secondes
  5. Confirmation d’une possible séquestration par l’équipage de la BAC 11 N à 4h38 et 05 secondes
  6. A 4h44 et 58 secondes, la BAC 20 se rapproche pour ouverture de porte avec bélier
  7. A 4h45 et 24 secondes appel d’un témoin indiquant voir une femme se faire frapper sur son balcon.
  8. A 5h07 et 08 secondes SAMU engagé
  9. A 5h09 et 37 secondes, la BAC 75 N et les effectifs dédiés à l’intervention arrivent sur les lieux pour pénétrer dans l’appartement
  10.  A 5h12 et 36 secondes, identité de l’auteur des faits révélée : il s’agit de Kobili TRAORE.
  11.  A 5h36 et 56 secondes, interpellation de Kobili TRAORE par la BAC 75 N

 

La deuxième version, en se référant aux différents appels police secours et aux échanges sur la conférence radio des policiers sur place indique les éléments suivants (D789 jusqu’à D812) :

 

  1. Entre 4h21 et 35 secondes et 4h23 et 01 seconde demande d’intervention pour une famille retranchée dans une chambre de leur appartement après l’intrusion d’un individu s’appelant Kobili.
  2. A 4h24 et 59 secondes, la BAC 11 N est sur les lieux.
  3. Avis à l’Etat-major DSPAP de la situation et donne pour consigne de pénétrer dans l’appartement entre 4h30 et 05 secondes et 4h32 et 07 secondes.
  4. A 4h37, un appel d’urgence est émis, un témoin assiste au massacre de Sarah HALIMI (le témoin a eu le temps de se lever, prendre ses lunettes, et ouvrir la fenêtre)
  5. Entre 4h38 et 30 secondes et 4h42 et 52 secondes, information indiquant une femme battue au 23 rue Moulin Joly + BAC 20 qui confirme partir à la recherche d’un bélier (alors que la police a les clés !)
  6. Entre 4h39 et 16 secondes et 4h40 et 01 seconde, la BAC11N prévient qu’un individu se trouve actuellement à la fenêtre et qu’il vocifère
  7. Entre 4h40 et 01 seconde et 4h42, la BAC11N indique qu’ils entendent un individu crier « j’ai tué quelqu’un ».
  8. Entre 4h42 et 40 secondes et 4h50, confirmation qu’une femme a chuté du 3ème étage 
  9. Entre 4h50 et 31 secondes et 4h52 et 47 secondes, la BAC C17 indique être au contact de la victime et que Kobili TRAORE a quitté le balcon de Sarah HALIMI
  10. Entre 4h59 et 55 secondes et 5h01 et 16 secondes, la BAC11N confirme être en présence de la mère de TRAORE qui affirme l’avoir vu la veille et qu’il était « tout à fait normal »
  11. A 5h05 et 48 secondes : confirmation du décès de Sarah HALIMI
  12. Entre 5h35 et 38 secondes et 5h36 et 46 secondes : interpellation de Kobili TRAORE

 

Pourquoi deux versions contradictoires de la chronologie des faits ? Encore un dysfonctionnement !

 

Tout d’abord, l’heure à laquelle est émis le premier appel diffère de 4mn entre les deux versions, l’arrivée des effectifs de la BAC 11 N diffère de 50 secondes, l’avis à l’Etat-major varie de 4mn selon les versions, et l’heure à laquelle l’information indiquant qu’une femme se fait battre sur son balcon change de 7mn en fonction des versions.

 

Il semble qu’il y ait eu la volonté de réduire le temps où Sarah HALIMI se fait massacrer.

 

INEXACTITUDE DU RAPPORT : la chronologie rapportée est inexacte. Entre 4h25 et 4h30, ce sont deux équipages de la BAC 11N qui sont arrivés sur les lieux. C’est seulement à 5h09 (et non entre 4h40 et 4h50), que la BAC75N chargée de pénétrer dans les lieux est arrivée sur place. Enfin, l’interpellation de M. Kobili TRAORE s’est déroulée à 5h36, et non 5h30. Comment la rapporteure ne retranscrit-elle pas la chronologie des faits les appels d’urgence des témoins ? Pourquoi la rapporteure ne fait mention à aucun moment des appels police secours émis par les témoins avant la défénestration de Sarah Halimi ?

 

Ce qui est certain, c’est qu’il s’est écoulé 1h14 entre le moment où la famille DIARRA a appelé police secours et l’interpellation de Kobili TRAORE.

 

Un temps excessivement long alors que la doctrine d’intervention a changé, à ma demande notamment, lors de la commission d’enquête du Bataclan et sous l’impulsion de l’ancien ministre de l’Intérieur Bernard CAZENEUVE, puisqu’il est désormais demandé aux policiers d’aller au contact lors d’une tuerie de masse. Dans cette affaire, certes, il ne s’agit pas d’une tuerie de masse, avec des gens lourdement armés, à l’instar d’un attentat terroriste. Raison de plus pour demander à des policiers d’intervenir lorsqu’une femme seule et sans défense est massacrée à poings nus par un individu non armé, avec de très nombreux policiers présents sur place.

 

Comment expliquer alors qu’elle ne fasse pas l’objet d’une intervention rapide ?

 

Comment un policier peut-il considérer qu’une femme qui hurle pendant qu’elle est massacrée et torturée ne constitue pas un cas d’urgence ?

 

Malgré mes demandes répétées par l’intermédiaire des administrateurs de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête n’a pas pu obtenir les échanges audio entre les différents services de police. Cela a été notamment justifié par une pseudo-application de la réglementation en vigueur sur la conservation des données, et de ce fait tous les audios ont été supprimés des archives de la police.

 

Qui peut croire que dans un cas d’homicide, ces données ne fassent pas l’objet d’un temps de conservation plus important ? Cela me parait tout à fait impossible ou sinon, c’est un dysfonctionnement majeur.

 

Il n’est d’ailleurs pas trop tard pour obtenir ces enregistrements que l’on a manifestement cherché à dissimuler à la commission d’enquête.

 

II. L’enquête judiciaire conduite par les officiers de police judiciaire

 

  1. L’absence de saisie des téléphones portables de la famille Traoré et des amis de Kobili Traoré

 

La perquisition de l’appartement de la famille de Kobili TRAORE (D24), ne permettra pas la saisie des téléphones portables de la famille Traoré, ni celui de Kobili TRAORE, contrairement à ceux de Sarah Halimi qui seront immédiatement mis sous scellés. Pourquoi une si brève perquisition chez la famille ?

 

Comment est-il possible que les fadettes de Kobili TRAORE n’ont jamais été exploitées ? Comment est-il possible que les messages envoyés avant et pendant le meurtre ne seront jamais vérifiés ?

 

L’officier de police judiciaire qui a été auditionné indique :

 

« Nous n’avons pas trouvé le téléphone de Kobili TRAORE. Nous connaissons les lignes téléphoniques des différents membres de sa famille et il est possible d’investiguer à partir de ces informations. Nous avons procédé à des recherches en téléphonie, mais nous n’avons pas trouvé le téléphone de Kobili TRAORE et nous ne pouvions donc pas étudier ses fadettes ». (Audition du 29 novembre).

 

Les déclarations du commandant de police en charge de l’enquête interrogent, puisque dans son procès-verbal de garde à vue, Kobili TRAORE a transmis son numéro de téléphone portable (D57). Par ailleurs, il est fait état (D805) dans les échanges radios entre les services de police d’une communication téléphonique après la défenestration de Mme Sarah HALIMI entre un membre de la famille TRAORE et Kobili TRAORE :

 

A 5h14 « BAC11 : je vous confirme par ailleurs, j’ai 4 effectifs au niveau de l’appartement donc à l‘appartement de TRAORE, donc ils font le topo pour voir avec les effectifs en présence et visiblement il est possible qu’une des personnes, sa sœur aurait été en communication téléphonique avec quelqu’un peut-être bien avec TRAORE »

 

A 5h16 « BAC11N : donc je vous confirme donc tout à l’heure quand on était avec la maman une des sœurs est descendue et elle a demandé à la maman de venir pour parler à Kobili dans son téléphone donc elle a été en communication avec lui »

 

Force est de constater qu’il n’y a eu aucune investigation de ce numéro de téléphone, qui aurait permis probablement la géolocalisation de l’appareil et l’exploitation des fadettes.  L’exploitation de la téléphonie est pourtant un élément indispensable dans l’enquête, notamment par rapport à la préméditation et à l’exécution du crime. Quid du téléphone utilisé par Kobili TRAORE pour communiquer avec les membres de sa famille lorsqu’il était chez les Diarra ?

 

Idem pour Abdelkader RAHBI, ami de Kobili Traoré, chez qui il a dormi la nuit du drame, connu très défavorablement par les services de police et également pour terroriser le quartier. Il a été entendu très brièvement par les services de police et a indiqué avoir un téléphone mais ne pas connaître son numéro, ajoutant qu’il ne connaissait pas davantage le numéro de portable de Kobili TRAORE, sans que cela puisse interpeller le fonctionnaire qui l’interroge (D309).

 

Aucune investigation le concernant ne sera réalisée (D309). Je reviendrai plus tard sur le fait que malgré mes demandes répétées pour l’auditionner, aucune n’a jamais abouties, alors qu’Abdelkader RAHBI habite toujours dans le même immeuble.

 

 

 

 

  1. L’absence de reconstitution

 

Bien qu’elle ne soit pas obligatoire, la reconstitution est pourtant quasiment systématique dans ce genre d’affaires d’une telle gravité. Malgré les demandes des parties civiles et malgré la non-position de la défense, la juge a conservé sa volonté de ne pas ordonner de reconstitution, ce qui interpelle et démontre un détachement flagrant face à la gravité des faits.

 

Lors de son audition, la juge d’instruction justifiera son choix en citant une partie des conclusions du Dr Zagury qui mentionne le fait que :

 

« En toute hypothèse, une telle épreuve comporte un risque de rechute délirante. Kobili TRAORE devra donc être protégé du climat d’hostilité et être encadré par des soignants en nombre suffisant, car son état mental actuel demeure fragile, justifiant la poursuite du traitement en unité pour malades difficiles » (audition du 24 novembre).

 

La juge n’a rappelé qu’une partie des propos du Dr Zagury en omettant sa conclusion ci-après (B402) :

 

« Sur un plan strictement psychiatrique, il est impossible de conclure à une contre-indication médicale absolue concernant la participation de Kobili TRAORE à une reconstitution. Kobili TRAORE dit espérer pour lui-même un apaisement, pour la justice et pour les parties civiles, une contribution à l’émergence de la vérité des faits ».

 

Il n’y avait donc aucune contre-indication médicale quant à la participation de Kobili TRAORE à une possible reconstitution. Par ailleurs, même son avocat ne s’était pas opposé à la reconstitution.  L’avocat des DIARRA lui-même nous a dit que cela aurait énormément aidé à l’enquête.

 

De plus, comme il est souvent d’usage, il aurait été tout à fait possible de remplacer Kobili TRAORE par un fonctionnaire de police pour éviter tout suicide ou acte malveillant. La reconstitution aurait également permis de mettre en avant plusieurs éléments renforçant la thèse de la préméditation.

 

Pire, la juge d’instruction n’a même pas estimé utile de se déplacer a minima sur les lieux à défaut d’organiser une reconstitution.

 

INEXACTITUDE DU RAPPORT : à la page 50 du rapport, la rapporteure oublie de mentionner que le refus de reconstitution aurait permis de constater la configuration du balcon, preuve irréfutable que M. Kobili TRAORE a choisi un endroit précis lui permettant de projeter Mme Sarah HALIMI dans le vide. La reconstitution aurait également permis de constater l’absence de chandelier à sept branches et que la porte-fenêtre du balcon a été forcée contrairement à ce qu’a affirmé Kabili TRAORE et à ce qu’a retenu la juge. Je reviendrai plus tard sur le fait que la porte a été forcée.

 

  1. L’absence d’auditions d’avocats de la partie civile / Manque d’empathie de la juge d’instruction

 

Lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire, Me. GOLDNADEL avocat de la famille Halimi a déclaré : 

 

« Je suis incapable de vous décrire physiquement ou psychologiquement la juge. Jamais la juge m’a fait l’honneur de répondre à l’un de mes courriers » (audition du 13 septembre).

 

Me. BUCHINGER, lors de son audition du lundi 13 novembre 2021 nous a déclaré je cite :

 

« J’ai rencontré la juge d’instruction qui m’a reçu dans un chien dans un jeu de quilles. J’ai été d’autant plus surpris que je représentais les trois enfants d’une femme assassinée. »

 

La juge d’instruction répondra devant notre commission que :

 

« Le rôle du juge n’est pas de tenir salon » (audition du 24 novembre), propos pour le moins choquants dans une telle tragédie, d’autant plus qu’elle aura eu une attitude surprenante voire méprisante à l’égard de William ATTAL, le frère de Sarah HALIMI, qui apportera pour la première fois à la juge d’instruction lors de son audition des photos de sa sœur vivante, en famille et avec ses petits-enfants. La juge n’y prêtera pas attention et les remettra directement à sa greffière sans même les regarder alors que les seules photos existantes étaient celles de l’autopsie, d’une femme massacrée et défigurée.

 

L’un de ses avocats nous a déclaré : 

 

« Nous serons surtout très gênés lors de la seule audition qui sera accordée par le juge d’instruction à notre client, qui fera à cette fin le voyage depuis Israël, mais pour lequel elle ne montrera à l’évidence aucune empathie. Lorsqu’il lui transmet des photographies de sa sœur, comme c’est l’usage dans tous les dossiers (pour que les seules photographies disponibles ne soient pas celles du médecin légiste), la magistrate les fait passer à sa greffière sans les regarder, et tout le monde s’en rend compte, notamment M.Attal » (audition du 13 septembre).

 

Il est clair que la juge d’instruction a fait preuve d’un profond désintérêt, d’une absence manifeste d’empathie et de considération face à l’atrocité de ce meurtre.

 

OMISSION DU RAPPORT : à la page 49 du rapport, la rapporteure ne juge pas nécessaire de rappeler les propos choquants tenus par la juge d’instruction lors de son audition : « il n’est pas du rôle de la juge d’instruction de tenir salon », en réponse à la question de savoir pourquoi elle n’avait pas donné suite à la demande d’entretien formulée par plusieurs avocats impliqués dans le dossier.

 

  1. L’absence d’enquête et d’audition des fréquentations de Kobili TRAORE

 

La veille des faits, Kobili TRAORE se trouve en compagnie d’Abdelkader RAHBI, de Sofiane SI-BACHIR et d’Abdellah CHOUCHOU. Tous sont connus défavorablement des services de police. Abdelkader RAHBI est d’ailleurs connu dans le quartier pour trafic de stupéfiants et il terrorise tous ses voisins. Nous apprenons d’ailleurs aujourd’hui par un témoignage certain qu’il continue à le faire à ce jour. Ils se rendent à la mosquée Omar réputée pour être salafiste, mangent ensemble, puis Kobili TRAORE décide de dormir de manière exceptionnelle chez Abdelkader RAHBI dont l’appartement se situe au-dessus de celui des Diarra !

 

Par ailleurs, un autre ami de Kobili TRAORE, Nabil BENHAMIDA a posté un commentaire sur une photo publiée sur Facebook par Abdellah Chouchou, en janvier 2017 soit 4 mois avant les faits : 

 

« Je le savais que tu avais l’esprit tordu !!! En même temps je ne peux qu’être admiratif sur ton choix d’antisémite !! allez fais ton coming out comme moi tu te sentiras libéré ». (D2034)

 

Nabil BENHAMIDA sera l’un des seuls convoqués par la juge le 17 octobre 2018, mais ne déférera jamais. Lui aussi n’a pas pu être localisé et entendu par la juge alors que cette audition paraît extrêmement importante. Il n’y aura aucune conséquence à cette absence (D2209-2215 / D2182).

 

Il n’y aura aucune perquisition du domicile d’Abdelkader RAHBI, alors que Kobili TRAORE s’y trouvait avant de massacrer Sarah HALIMI. Aucune expertise du téléphone d’Abdelkader RAHBI, ni de Sofiane Si BACHIR ne seront réalisées.

 

A noter que la mère de Kobili TRAORE, Koumba TRAORE ne comparaitra elle non plus devant la juge d’instruction sans que cela n’ait jamais la moindre conséquence (D2185).

 

Important, malgré mes demandes incessantes depuis le premier jour, la commission d’enquête parlementaire n’a jamais pu auditionner aucun des proches de Kobili TRAORE, les services de police justifiant l’impossibilité de les localiser. Ce qui est faux ! Le témoignage de la gardienne le jour de la visite nocturne atteste toujours de la présence d’Abdelkader RAHBI rue de Vaucouleurs !

 

  1. L’absence d’auditions de témoins et des amies de Sarah Halimi par la juge d’instruction / police

 

Deux amies et collègues de Sarah Halimi, toutes proches d’elle, n’auront jamais été entendues, ni par la police, ni par la justice. Elles se sont confiées pour la première fois devant la commission d’enquête et ont fait part d’un témoignage poignant :

 

« Sarah Halimi avait peur, on lui a dit de déménager. Elle avait même interrogé son Rabbin à ce sujet ».  (Audition du 15 décembre).

 

Par ailleurs, une voisine de Sarah Halimi, d’origine musulmane, accessoirement policière et qui la connaissait parfaitement, a reconnu devant la commission d’enquête que Sarah HALIMI avait très peur de Traoré depuis de nombreuses années et qu’elle lui en avait encore fait part quelques jours avant le drame :

 

« Peu de temps avant l’incident, j’ai eu une discussion à l’angle de la rue Vaucouleurs et de la rue de l’Orillon avec Mme Sarah Halimi qui avait son chariot et qui disait qu’effectivement elle avait peur de Monsieur KOBILI. Elle ne s’en est jamais cachée. Elle s’en plaignait souvent. Elle m’a dit : j’ai peur. Le seul moment où elle n’avait pas peur, c’est lorsque mes parents étaient présents, ils habitent sur le même palier. L’absence de mes parents ne la rassurait pas » puis « sincèrement, Monsieur KOBILI savait que l’appartement de mes parents était vide » (appartement sur le même palier que Sarah Halimi).

(Audition du 15 décembre).

 

Il est important de préciser que la policière elle-même avait très peur de Kobili TRAORE.

A la question :

 

« N’avait-il pas peur de vous qui êtes policière ? »

Elle répond :

 

« Non. C’est le seul des dealers du quartier qui me faisait peur. Son physique était imposant. Il est impressionnant. C’est quelqu’un qui bousculait la porte à mon passage et montrait quelque chose de haineux. »

 

Cette même voisine a fait état d’avoir été, je cite :

 

« Briefée par ma hiérarchie avant l’audition », et a indiqué avoir reçu des consignes, ce qui s’apparente à des pressions exercées clairement par sa hiérarchie. Dans quel but ? Masquer la vérité ?

 

La veille des faits, ayant un mauvais pressentiment, cette même témoin a demandé pour la première fois de sa vie à son frère, qui vit chez ses parents sur le même palier, de découcher et de venir chez elle.

 

Le journaliste de France 24 M. Christophe DANSETTE, auditionné le mercredi 1er décembre 2021, a confirmé devant la commission que des étudiants avaient assisté au drame et n’avaient jamais été entendus ni par la police, ni par la juge :

 

« Les appartements de cette immeuble (résidence étudiante) donnent sur un couloir extérieur qui ressemble à un balcon. Les étudiants ont entendu ce qui se passait et sont sortis sur cette coursive. Certains d’entre eux ont assisté à la scène. »

 

  1. L’interrogatoire de Kobili TRAORE

 

Kobili TRAORE a été interrogé à trois reprises par la juge d’instruction : une première fois le 10 juillet 2017, une seconde fois le 27 février et 2018 et une troisième fois le 12 octobre 2018.

 

Dans son interrogatoire de première comparution, Kobili TRAORE parle déjà de « Torah » chez Sarah HALIMI (D550) sans que cela n’interpelle la juge d’instruction qui avait dès à présent la possibilité de retenir la circonstance aggravante d’antisémitisme.

 

D’autre part, l’interrogatoire du 27 février 2018 (D1630) mené par la juge d’instruction Anne IHUELLOU pose question tant il semble complaisant à l’égard de Kobili TRAORE, jouant le jeu des questions et des réponses et prenant pour argent comptant toutes les déclarations de Kobili TRAORE.

 

Kobili TRAORE affirme une fois de plus qu’il y avait une Torah et d’un chandelier (D550, B380 et B398) : ce n’est pas vrai. Ne sont visibles dans l’appartement de Sarah HALIMI uniquement des bougeoirs qui n’ont aucun lien symbolique avec le judaïsme et des livres en français et en hébreu qu’il est très difficile de discerner en pleine nuit.

 

Kobili TRAORE affirme pouvoir voir depuis le balcon des DIARRA que la porte fenêtre de Sarah HALIMI est ouverte (D1630) : impossible et tout à fait faux ! La baie vitrée de séparation est opaque et le balcon est très encombré. Si la juge s’était rendue sur les lieux, elle aurait pu immédiatement s’en rendre compte par elle-même. Kobili TRAORE savait donc parfaitement où il allait.

 

La juge ne s’étant pas déplacée sur les lieux, elle prend pour argent comptant toutes les déclarations de Kobili TRAORE et oriente clairement ses réponses, elle questionne :

 

« Vous allez sur le balcon, vous voyez que la fenêtre de Mme Halimi est ouverte, elle est ouverte en grand ou un petit peu ? » 

 

Kobili TRAORE répond :

 

« Un petit peu »

 

Elle reprend :

 

« Est-ce que le fait de voir ces deux objets changent quelque chose dans votre tête, dans votre état et dans la conception que vous vous faites des démons ? » (D1630)

 

Kobili TRAORE répond :

 

« Je ne sais, pas peut-être, je me sentais oppressé. »

 

La juge d’instruction reprend :

 

« A cause de ces objets ? »

Kobili TRAORE répond « Oui ».

 

La quasi-totalité des questions portent uniquement sur le potentiel état de folie de Kobili TRAORE au moment des faits. Très peu de questions sont consacrées à sa vie, ses amis, son environnement, ses antécédents judiciaires et aucune question sur la présence de dépôt d’une serviette et de vêtements qu’il ne portait pas au moment des faits chez les DIARRA.

 

Il est aussi tout à fait regrettable de constater que le rapport de la commission omet de mentionner les interrogatoires de février et octobre 2018 dans la chronologie des faits.

 

  1. Le caractère antisémite

 

Très rapidement, le substitut du Procureur et le Procureur François MOLINS ont connaissance de la judéité de Sarah HALIMI. De longs débats ont lieu immédiatement pour savoir si la circonstance aggravante d’antisémitisme doit être retenue, avant de décider qu’à ce stade elle serait écartée, bien qu’elle ne soit pas totalement abandonnée.

 

La juge d’instruction débute donc ses travaux ayant connaissance de tous ces éléments mais ne semble pas prendre avec beaucoup de considération la thèse de l’antisémitisme. Le Dr Zagury a d’ailleurs déclaré devant notre audition :

 

« S’agissait-il d’un acte antisémite ? La question ne m’était pas posée (par la juge). J’ai répondu à une question que je me suis posée à moi-même » avant d’affirmer que « ces actes sont à la fois délirants et antisémites ».

 

Malgré l’avis du premier expert psychiatrique le Dr Zagury et les éléments flagrants attestant de l’antisémitisme de Kobili TRAORE, la juge ne retiendra qu’après un réquisitoire supplétif du parquet du 20 septembre 2017, en février 2018, le caractère antisémite des faits.

 

Ce délai extrêmement long a interpellé et surpris les commissaires, d’autant plus que le substitut du Procureur Julie PIETRE, nous a déclaré, je cite :

 

 « La juge d’instruction est tout à fait libre de le faire dès la première mise en examen ou plus tard si de nouveaux éléments se présentent. Je crois savoir que le parquet de Paris a fini par faire un supplétif à la lumière de nouveaux éléments. Elle pouvait tout à fait ajouter l’antisémitisme comme circonstance aggravante ».

 

Le Procureur François MOLINS a quant à lui déclaré sur un plateau télévisé le 16 avril 2021 qu’il avait dû « batailler pour que l’on retienne la circonstance aggravante d’antisémitisme ».

 

Puis le 8 décembre 2021 devant notre commission, il déclarera :

 

« Le 20 septembre 2017, nous avons donc pris des réquisitions supplétives pour que soit retenue la circonstance aggravante d’antisémitisme dans le meurtre qui lui était reproché. La juge ne l’a pas fait tout de suite, c’était son droit. Nous n’avons pas fait de recours, nous avons préféré rester dans le dialogue et le 27 février 2018 Kobili TRAORE a été mis en examen supplétivement. ».

 

La juge d’instruction a expliqué lors de son audition que pour retenir le caractère antisémite, il aurait fallu auditionner Kobili TRAORE mais que son état de santé n’a pas permis de le faire entre juillet 2017 et février 2018. C’est faux. Elle l’a auditionné lors d’un premier interrogatoire le 10 juillet 2017 (D550). Kobili TRAORE faisait déjà état de la présence d’une « Torah », ce qui sera, entres autres, un élément appuyant le réquisitoire supplétif. Elle pouvait donc dès le 10 juillet retenir le caractère antisémite.

 

Pourquoi la juge d’instruction n‘a-t-elle pas, dès l’audition du 10 juillet 2017, alors qu’elle le pouvait, retenu le caractère antisémite pourtant si flagrant ?

 

III. La préméditation

 

  1. Le parcours de Kobili TRAORE avant son crime

 

Un nombre très important d’éléments montrent qu’il y a eu préméditation.

 

La veille des faits, la mère de Kobili TRAORE le croise dans le hall de l’immeuble avec deux sacs à la main (D328-329) au moment où il se rendait chez les Diarra pour y déposer ses neveux et nièces, qu’il dépose chez les Diarra pour la première fois de sa vie.

 

Quelques temps après les avoir déposés chez les Diarra, Thiéman DIARRA s’est rendu chez les Traoré pour tenter de calmer un conflit familial. Kobili TRAORE a déclaré à ce moment-là : « Ce soir tout sera réglé » (D1630).

 

Comment personne, pas même la juge, s’interroge sur cette phrase édifiante sans en prendre la mesure ?

 

Il suit ensuite un rituel salafiste avant de se rendre chez son ami Abdelkader RAHBI. Il se rendra également à la mosquée Omar réputée pour être salafiste, puis il rencontrera un « exorciste » présenté par son ami Abdelbasset GHELLAL (D1630). Il dormira expressément chez son ami Abdelkader RAHBI, seul endroit où il pouvait aller directement chez les Diarra.

 

Vers 4h du matin, il descend pieds nus, chaussures à la main (D274) (ce qui prouve que les vêtements retrouvés étaient chez les Diarra avant les faits) et se rend uniquement chez la famille Diarra. Il ne les menace pas, ne les agresse pas puis il rassure le fils DIARRA en déclarant « Calme ton père, il n’y a rien » (D295). On peut se demander pourquoi la famille DIARRA appelle la police et jette les clés, comme d’ailleurs les amis de TRAORE que sont RAHBI et SI-BACHIR qui disent l’avoir cherché.


Sofiane SI-BACHIR déclare dans son procès-verbal d’audition (D314) :

 

« Kader m’a téléphoné sur mon portable à 3h alors que j’étais toujours en bas de chez lui à discuter. Il m’a dit que Kobili lui avait dit d’un ton nerveux et énergétique qu’il ne pouvait pas rester dans l’appartement, qu’il ne pouvait pas rester ici, il a pris ses affaires et il est parti. Kader m’a alors demandé de vérifier à ce qu’il ne sorte pas de la résidence, qu’il était inquiet de son comportement et que si je le voyais il fallait l’intercepter. »

 

Pourquoi intercepter une personne qui sort régulièrement ? Personne n’a réussi à interroger Sofiane SI-BACHIR, pas même la commission d’enquête.

 

Une fois chez eux, il commence à faire des prières, récite des sourates du Coran, fait des ablutions (une serviette sera retrouvée), se change et se rend chez Sarah Halimi via le balcon des Diarra. Il est important de noter qu’il escalade vers la partie gauche du balcon, la plus encombrée et la plus compliquée d’accès.

 

Contrairement à ce qu’il affirme, il n’a pas pu voir si la porte fenêtre du balcon de Mme Halimi était ouverte. La baie vitrée qui sépare le balcon des Diarra et de Mme Halimi est totalement opaque, et la partie gauche du balcon très encombrée. De plus, nous avons constaté avec l’aide d’un expert judiciaire que la porte fenêtre de Mme Halimi fermait parfaitement bien.

 

Il était impossible qu’une femme âgée, qui avait barricadé sa porte d’entrée et qui craignait pour sa vie, laisse la fenêtre ouverte.

 

Il semble certain que la porte-fenêtre a été forcée (voir en annexe les traces d’effraction). en revanche Tout cela aurait pu être très facilement acté par la juge d’instruction si elle avait fait le déplacement. D’après lui, il serait arrivé par hasard dans l’appartement d’une femme juive à la vue d’une Torah et d’un chandelier (D542), objets inexistants au domicile de Sarah Halimi.

 

Lorsqu’il la massacre à la vue de tous, il crie (D280) :

 

« Allah Wakbar » « Que Dieu me soit témoin » « Tu vas payer grosse pute » « c’est pour venger mon frère » avant de la défenestrer et de crier « appelez la police, elle vient de se suicider » lorsqu’il comprend que la police est là et que les voisins sont en train de le voir.

 

Il retournera ensuite calmement chez les DIARRA qui sont toujours retranchés dans leur chambre et attendra calmement son interpellation par les forces de l’ordre sans opposer aucune résistance. Je reviendrai plus tard sur la peur récurrente que Madame Halimi éprouvait depuis des années pour Kobili TRAORE.

 

La réalité est que la préméditation qui pour nous est prouvée et évidente, met à mal la théorie d’une bouffée délirante soudaine et aiguë, avec abolition totale de discernement, et donc une entrée aléatoire chez Madame Halimi.

 

  1. Les vêtements

 

Plusieurs vêtements appartenant à Kobili TRAORE, dont une serviette servant pour faire ses ablutions, seront retrouvés au domicile des DIARRA. Aucune investigation n’a été réalisée pour comprendre à quel moment ils ont été déposés. Pourtant, le fait de changer de vêtements et faire sa prière sont exactement les éléments qui accompagnent un acte prémédité et djihadiste. (D882)

 

  1. Le balcon, la Torah et le chandelier

 

Encore une fois, les deux déplacements de la commission d’enquête sur les lieux du crime ont permis de constater l’absence totale de Torah et de chandelier au domicile de Mme Halimi, comme l’a prétendu Kobili TRAORE, ce qui justifie le fait qu’il savait très bien où il se trouvait et qu’il a choisi Sarah Halimi parce qu’il la harcelait depuis des années, parce qu’elle le craignait et en réalité parce qu’elle était juive. D’ailleurs, il est à noter que tous les témoignages des voisins de l’immeuble (famille Diarra, voisins) attestent connaître la judéité de Madame Halimi et précisent tous sa gentillesse, sa discrétion et sa bonté.

 

Il a été constaté que la fermeture de la porte fenêtre du balcon n’est absolument pas défectueuse comme cela a pu être dit, mais que c’est la fenêtre de la chambre donnant sur la rue de Vaucouleurs qui ferme mal. L’expert judiciaire l’a parfaitement confirmé (voir en annexe).

 

Nous avons constaté lors de nos visites que le balcon de Mme Halimi donne à 90% sur un toit terrasse, à une hauteur d’au plus 1m50 entre sa terrasse et ce toit et que les 10% restants donnent eux sur la courette intérieure du 26 rue Vaucouleurs avec une profondeur de trois étages dans le vide. Kobili TRAORE avait beaucoup plus de chances, si l’on en croit sa folie, de défenestrer Sarah HALIMI sur 1m50 que de la projeter dans le vide. Pourtant, il fera le choix de la trainer jusqu’au seul endroit où il serait sûr qu’elle tomberait dans le vide.

 

Malheureusement, ces constatations n’apparaissent pas sur le rapport de police et la juge d’instruction ne peut pas le savoir puisqu’elle ne s’est jamais rendue sur place.

 

  1. La radicalisation, l’antisémitisme et la personnalité de Kobili TRAORE

 

Kobili TRAORE fréquente assidûment la Mosquée Omar réputée être salafiste. Le témoignage de la policière dont les parents sont voisins de palier de Sarah HALIMI affirme que : 

 

« Il est vrai que depuis deux ou trois mois il était devenu bizarre. Pour vous donner un exemple, il ne me saluait plus comme il le faisait auparavant, il ne me tenait plus la porte lorsqu’on entrait dans l’immeuble au même moment » (D957).

 

Ce même témoin déclarera devant notre commission :

 

« Kobili Traoré est quelqu’un qui me faisait peur. C’était le seul qui me faisait peur. C’est une famille pas très agréable, pas très éduquée » (audition du 15 décembre 2021).

 

Le témoignage de la collègue de Sarah HALIMI atteste la chose suivante :

 

« Sarah HALIMI nous parlait très souvent de cette famille de voisins qui habitaient en dessous de chez elle, qui la persécutait et qui était très antisémite. Pas seulement Kobili TRARORE mais toute la famille Traoré. Une des sœurs Traoré a poussé l’une des filles de Sarah HALIMI dans les escaliers en l’insultant de sale juive. Kobili TRAORE crachait devant leurs pieds lorsqu’il les croisait dans les couloirs » (audition du 15 décembre 2021).

 

Malgré cela, aucune enquête poussée n’a été réalisée sur la mosquée Omar, sur l’environnement de Kobili TRAORE ni sur sa pratique religieuse ou sur son antisémitisme. Pas plus que sur ses amis qui ne cachent pas leur antisémitisme sur Facebook. Voilà encore un dysfonctionnement.

 

 

IV. La psychiatrie

 

  1. La première expertise du Dr Zagury

 

Le Docteur Zagury, expert unanimement reconnu et éminent psychiatre, a été mandaté le 21 avril 2017 pour réaliser la première expertise de Kobili TRAORE (B36).

 

Dans ce rapport, il conclut que le meurtre de Kobili TRAORE résulte d’un acte délirant et antisémite avec altération partielle du discernement, permettant parfaitement de le traduire devant une Cour d’Assises de la République. Cette expertise n’a été contestée par personne y compris par la défense, puisque celle-ci n’a demandé aucune contre-expertise. Seule la juge Anne IHUELLOU, à qui cette expertise ne convenait pas, décide d’ordonner une nouvelle série d’expertises qui concluront à l’abolition du discernement de Kobili TRAORE, expertises menées entre autres par le Dr Bensussan.

 

Il est très important de rappeler que Kobili TRAORE n’a aucun antécédent psychiatrique. Il n’a jamais pris aucun traitement. Il a une vingtaine d’interpellations et quatre incarcérations sans qu’il n’y ait jamais eu le moindre soupçon de folie.

 

PARTI PRIS DE LA RAPPORTEURE : Je constate que la rapporteure porte un jugement sur le travail du Dr Zagury – expert encore une fois reconnu en matière de psychiatrie – en déclarant, à la page 65, remettre clairement en cause les conclusions du Dr Zagury et en les estimant problématiques ! Comment est-il possible de porter atteinte au travail d’un éminent expert ? En revanche, elle fait sienne l’expertise du Dr Bensussan.

 

  1. Le choix du Dr Bensussan

 

La juge Ihuellou a mandaté un nouveau collège autour de Dr Bensussan pour conduire de nouvelles expertises de Kobili TRAORE.

 

Sur la question du choix du Dr Bensussan, Me. Francis SZPINER, auditionné par la commission, nous a fait part de son avis sur cette nomination en déclarant :

 

« Par ailleurs, aucun des experts n’a vu M. Traoré immédiatement après le crime. La première expertise de M. Zagury a eu lieu plus de cinq mois et demi après le crime tandis que celle de l’inénarrable Dr Bensussan a eu lieu plus d’un an après. Ces deux experts ne pouvaient donc pas se baser sur des signes cliniques. Ces expertises sont des reconstitutions de l’état mental du mis en examen à partir des auditions des familiers de M. Traoré. La bouffée délirante serait donc définie cliniquement par les témoignages de proches de celui qui est accusé du crime » ; « Dans cette affaire, je pense que M. Bensussan n’a pas été choisi par hasard. Notons, en outre, les conflits personnels qui peuvent l’opposer à M. Zagury, dans une sorte de querelle d’égo. Ce contexte donne la catastrophe judiciaire que nous connaissons » (audition du 19 octobre 2021).

 

Le Dr Charles MELMAN, éminent psychiatre et psychanalyste, a également déclaré devant notre commission :

 

« Le juge sait parfaitement en nommant tel expert, la réponse qu’il va avoir. Il le sait parfaitement. Les conclusions du Dr Zagury que l’on considère comme le meilleur expert de notre génération ne sont pas passionnées. Cette expertise était la moins approximative et la plus juste ». (Audition du 2 décembre)

 

A noter que le Dr Bensussan reconnaîtra s’être trompé dans son diagnostic de schizophrénie de Kobili TRAORE. La désignation de cet expert s’ajoute à l’ensemble des éléments précités ci-dessous à décharge. Il est donc légitime, à la lumière de ces témoignages, de se poser la question de l’intérêt de la contre-expertise et du choix du Dr Bensussan par la juge Anne IHUELLOU.

 

  1. L’état actuel de Kobili Traoré

 

Le journaliste de France 24 M. Christophe DANSETTE, accessoirement résidant dans le quartier de Sarah HALIMI et s’étant donc intéressé à l’affaire, a pu s’entretenir avec une infirmière qui a été en contact de Kobili TRAORE et déclare : 

 

« Kobili TRAORE ne prend pas de traitements, il n’est pas malade, c’est un grand simulateur, je l’ai déjà vu à l’œuvre. Il fume toujours du shit, lorsqu’il se rend à la cafeteria. Il a eu récemment des permissions de sortie pour se rendre chez sa famille. Il est extrêmement religieux, il ne manque aucune des cinq prières de la journée. Il a refusé pendant un temps d’être soigné par une infirmière juive, parce qu’il avait peur de récidiver » (audition du 1er décembre 2021).

 

A son arrivée à l’Hôpital Esquirol de Saint-Maurice, le médecin qui s’occupe de Kobili Traoré déclare après lui avoir administré certains médicaments : « Il nous semble qu’il sursimule la sédation » (B74) et d’« un doute sur un certain théâtralisme de la présentation » (B71).

 

Il est légitime de se poser la question sur la possible simulation de Kobili TRAORE.

 


V)             Les auditions de la commission d’enquête parlementaire

 

  1. L’impossibilité d’auditionner certains témoins

 

Il a été impossible pour la commission d’enquête parlementaire d’entendre ni les amis de Kobili TRAORE avec lesquels il se trouvait la veille et la nuit des faits, ni son entourage familial. La raison : ils ne sont pas localisables.

 

Pourtant, d’après le témoignage (le jeudi 16 décembre en audio) d’un habitant de la rue de Vaucouleurs, Abdelkader RAHBI vit dans le même immeuble.

 

Comment est-il possible de ne pas pouvoir le déférer devant notre commission au motif qu’il n’est pas localisable alors qu’il vit toujours au même endroit ?

 

D’autre part, il n’a pas été possible d’entendre l’un des commandants de police en charge de l’enquête au moment des faits. Cette impossibilité a été justifiée par la production d’un certificat médical datant de septembre 2021.

 

Il est également regrettable que nous n’ayons pas pu auditionner :

 

_Mme Virginie Van GEYTE, juge d’instruction au moment des faits

-Mme. Koumba et Hinda TRAORE, mère et sœur de Kobili TRAORE

_M. Abdelkader RAHBI, ami de Kobili TRAORE chez qui il a dormi la nuit du drame

_M. Sofiane Si BACHIR, ami de Kobili TRAORE présent avec lui la nuit du drame

_M. Nabil BENHAMIDA, ami de Kobili TRAORE

_M. Bruno JACQUEL, commandant de police en charge de l’enquête au moment des faits.

_L’Imam de la mosquée Omar.

 

Par ailleurs, pour des raisons qui m’échappent, nous n’avons pas pu nous rendre à l’UMD où se trouve Kobili TRAORE et ce même dans des conditions très restreintes. On m’a expliqué que son avocat s’y opposait, comme si c’était à l’avocat d’en décider.

 

INEXACTITUDE DU RAPPORT : à la page 9 du rapport, il est indiqué que votre rapporteure ne s’est jamais opposée à une audition suggérée par le Président. Faux, au-delà du fait que l’ancien rapporteur Didier PARIS ait rejeté dès le début de nos travaux une quinzaine d’auditions, et que les commissaires de la majorité se sont opposés le 20 décembre 2021, par vote, parce que la rapporteure les avait refusé, à l’audition des témoins précités. 

 

Ces auditions auraient été d’une extrême importance pour une meilleure compréhension des événements et pour les travaux de notre commission. Ce refus de certains membres de la commission reste à ce jour inexplicable.

 

  1. L’absence de pièces

 

Malgré plusieurs demandes et relances, les échanges audio des policiers de tous niveaux étant intervenus le soir du drame n’ont jamais pu être transmis à la commission d’enquête parlementaire.


  1. Les propos outrageants de la juge d’instruction co-saisie pendant la commission

 

Plusieurs commissaires présents lors de l’audition de la juge Laurence LAZERGUES co-saisie ont été choqués par les propos outrageants tenus par cette juge d’instruction, à l’égard de la représentation nationale.

 

Passons sur le fait qu’elle soit venue accompagnée de Mme Lucie DELAPORTE, secrétaire générale de l’Association française des magistrats instructeurs (AFMI) syndicat des magistrats, qui n’était pas convoquée. Le Président a finalement accepté sa présence, à condition qu’elle ne communique pas avec la juge Lazerges, ce qu’elles n’ont pas respecté puisqu’elles ont tenté d’échanger et de communiquer.

 

Ce manquement au règlement a contraint le Président de demander à Mme Lucie DELAPORTE de quitter la salle. Face à cette décision, s’en est suivi des menaces à l’encontre de la commission et à l’encontre du Président.

 

A cela s’ajoute les propos de Mme Lazerges affirmant que : « Je ne communiquais pas avec ma collègue. Je suis surprise de la façon dont l’audition se passe. Je suis seule contre tous » ; « Vous ne comprendrez pas le dossier si vous ne voulez pas voir les perspectives. Le dossier d’instruction aurait été le même. » ; « Vous ne pouvez pas comprendre le dossier, si vous vous arrêtez à des points de détail. Mais si je ne peux pas m’exprimer dans un propos liminaire, je ne poursuivrai pas mon propos liminaire »

 

Ces propos ont heurté les députés de tout bord politique présents au moment de l’audition. Comment une juge d’instruction peut se permettre de sous-entendre que la commission d’enquête parlementaire ne peut pas comprendre un dossier. C’est un manque de respect à l’égard de la représentation nationale.

 


VI)     ANNEXES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Contribution au rapport de la commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements dans l’affaire dite Sarah Halimi pour éviter, le cas échéant, qu’ils ne se reproduisent

 

Aurore Bergé

07.01.2021

 

L’assassinat de Sarah Halimi a ébranlé notre pays, son identité et ses valeurs. Cette affaire, au même titre que l'assassinat de Mireille Knoll, a suscité une vive émotion parmi nos concitoyens, qui se sont interrogés après que la Cour de cassation, tout en entérinant le caractère antisémite du crime, ait confirmé l’irresponsabilité pénale du meurtrier.

 

Notre devoir est de répondre à leurs inquiétudes et de démontrer qu'il ne saurait exister d'impunité pour celles et ceux qui se rendent coupables de crimes haineux. Au-delà de cette seule affaire, il est fondamental de se donner les moyens de rétablir la confiance entre nos concitoyens, la justice et la police.

 

Depuis le début de mon mandat parlementaire, j’attache une importance particulière à ce que notre République soit toujours au rendez-vous, pour tous les Français. Elle doit les protéger et leur assurer une justice lisible, accessible et efficace. A l’Assemblée nationale, nous avons redéfini l’antisémitisme pour y inclure son paravent contemporain, l’antisionisme. En tant que Présidente du groupe d’amitié France-Israël, je suis particulièrement sensible aux crimes haineux contre la communauté juive, qui émeuvent jusqu'au-delà de nos frontières.

 

L'antisémitisme n'est pas seulement l’affaire des juifs. Il nous oblige collectivement à faire la preuve de notre fraternité. Notre devoir est de lutter, sans relâche, contre l’antisémitisme et son paravent contemporain, l’antisionisme. Il ne saurait exister d’impunité pour celles et ceux qui se rendent coupables de crimes de haine. Cette conviction, je la porte indéfectiblement. Elle est au cœur de mon action et de ma décision de rejoindre la commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter, le cas échéant, qu'ils ne se reproduisent.

 

Cette instance spéciale aurait dû être l’opportunité de nourrir la réflexion sur l’adaptation de notre droit afin de combler le vide juridique apparu dans l’affaire dite Sarah Halimi : la responsabilité pénale dans le cas de l’abolition volontaire du discernement ayant pour résultat des crimes haineux. Cette question, fondamentale, a d’ailleurs fait l’objet d’un projet de loi présenté par le Gouvernement et adopté par le Parlement cette année.

 

Aussi, je regrette profondément que la qualité des travaux de la Commission ait été impactée du fait du climat instauré par son président. Au cours de plus de quarante auditions, nous avons malheureusement constaté que nous n’étions pas là pour mener une enquête parlementaire. N’ayant que faire du principe d’autorité de la chose jugée et de la séparation des pouvoirs, le président de la commission a voulu faire ce qui, selon lui, aurait dû être fait. 

Je regrette de n’avoi pu assister à davantage d’auditions, au regard des délais invraisemblables dans lesquels les membres de la commission d’enquête étaient prévenus de leur tenue, souvent la veille ou l'avant-veille, avec des rectifications de calendrier le jour-même, parfois trois fois en 45 minutes.

Monopolisant la parole au cours des différentes sessions de la commission, le président de la commission d’enquête, n’a eu de cesse de s’attaquer aux différentes personnalités auditionnées, s’en prenant aussi bien à l’avocat de la défense, qu’à la vice-présidente de l’instruction. S’affranchissant des règles d’impartialité et de neutralité à laquelle notre fonction est censée nous obliger, le président s’est permis de rendre publiques certaines informations de la commission d’enquête, cela lui valant un rappel à l’ordre de la part du Président de l’Assemblée nationale.  Malgré ces tensions, je salue le rôle successif joué par les rapporteurs Didier Paris et Florence Morlighem, ainsi que les propositions portées par cette dernière dont le rapport été voté à une majorité claire, avec sept membres de la commission d’enquête en faveur de l’adoption du rapport, et deux contre.

 

Notre mission, en tant que parlementaires, n’est pas de refaire l’instruction ni de reconstituer des scènes de crime. Notre commission d’enquête n’est pas une instance disciplinaire, ni un tribunal.

 

Nos différentes auditions auraient dû être l’occasion de recueillir des éléments d'information précis sur des faits déterminés en vue de faire part de nos conclusions à l’Assemblée nationale dans le cadre de notre mission de contrôle. Il aurait fallu comprendre pourquoi notre système, qui semble avoir fonctionné conformément aux textes, a pu aboutir à une décision si questionnée par les Français.

 

L’antisémitisme et la confiance dans la justice sont des sujets trop sérieux pour faire l’objet de manipulations partiales. Je serai toujours engagée dans la protection de nos concitoyens, jamais pour accroitre les fractures. Je regrette que ce n’ait pas été le cas de tous les membres de cette commission d’enquête. 

 

 

 


([1]) Titre de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête chargée de rechercher d’éventuels dysfonctionnements de la justice et de la police dans l’affaire dite Sarah Halimi et de formuler des propositions pour éviter le cas échéant leur renouvellement, 3 mai 2021, XVème législature.

([2]) Projet de loi, adopté, dans les conditions prévues à l'article 45, alinéa 3, de la Constitution, par l'Assemblée nationale, relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure le 13 décembre 2021, T.A. n° 731.

([3]) II de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([4])  Compte rendu de la réunion de la commission des Lois de l’Assemblée nationale du mercredi 30 juin 2021.

([5]) L’article 143 du règlement de l’Assemblée nationale prévoit que : « Lorsque la commission d’enquête a été créée sur le fondement de l’article 141, alinéa 2, le groupe qui en est à l’origine indique s’il entend qu’un de ses membres exerce la fonction de président ou celle de rapporteur ».

([6])  Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([7]) La proposition de résolution rappelait que l’erreur judiciaire était reconnue et que les faits avaient été « qualifiés par le garde des sceaux lui-même « d'immense erreur judiciaire », de « dysfonctionnement majeur et catastrophique pour l'institution judiciaire » selon le procureur général de Paris ou encore de « véritable catastrophe » pour l'avocat général ».

([8]) Audition de M. Sammy Ghozlan, 26 octobre 2021.

([9]) Audition du docteur Charles Melman, 2 décembre 2021.

([10]) Voir infra, I. C.

([11]) Audition d’un policier, 3 novembre 2021.

([12]) h) du II de l’article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.

([13]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, 30 novembre 2021.

([14]) Article 20 de la loi n° 2021-1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

([15]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, 30 novembre 2021.

([16]) Audition d’un policier, 3 novembre 2021.

([17])  Audition du préfet Michel Cadot, 23 novembre 2021.

([18]) Audition d’une policière, 8 décembre 2021.

([19]) Ibidem.

([20]) Audition d’une policière, 8 décembre 2021.

([21]) Audition du préfet Michel Cadot, 23 novembre 2021.

([22]) Audition d’un policier, 3 novembre 2021

([23]) Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, 30 novembre 2021.

([24]) Ibidem.

([25]) Audition d’une policière, 8 décembre 2021.

([26]) Audition d’un sapeur-pompier, 16 décembre 2021.

([27]) Audition du préfet Michel Cadot, 23 novembre 2021.

([28]) Audition d’un policier, 3 novembre 2021.

([29]) Audition d’un policier, 3 novembre 2021.

([30]) Audition d’une policière, 8 décembre 2021.

([31]) Audition du préfet Michel Cadot,23 novembre 2021.

([32]) Audition du docteur Joachim Müllner, 9 novembre 2021.

([33]) Audition du docteur Joachim Müllner, 9 novembre 2021.

([34]) Audition de Mme Johanna Brousse, 24 novembre 2021.

([35]) Audition du docteur Joachim Müllner, 9 novembre 2021.

([36]) Meurtre ou assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie, infractions d'agression ou d'atteintes sexuelles ou proxénétisme à l'égard d'un mineur ou recours à la prostitution d'un mineur prévues par les articles 222-23 à 222-31, 225-7, 225-12-1, 225-12-2 et 227-22 à 2227-27 du code pénal, meurtre ou assassinat commis avec tortures ou actes de barbarie, tortures et actes de barbarie commis en état de récidive, meurtres ou assassinat commis en état de récidive.

([37]) Article 159 du code de procédure pénale : « Le juge d'instruction désigne l'expert chargé de procéder à l'expertise. Si les circonstances le justifient, il désigne plusieurs experts ».

([38]) La nomination des experts sur ces listes est réalisée dans les conditions prévues par la loi n° 71-448 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires.

([39]) Voir encadré ci-après.

([40]) Lors de son audition, le docteur a ainsi décrit le comportement de M. Traoré entre le 2 et le 4 avril 2017 : « La symptomatologie qu’il présentait comportait un début brutal après une phase prodromique de deux jours marqués par des troubles du sommeil ; une insomnie totale ; une angoisse massive ; un vécu de possession ; des idées délirantes d’empoisonnement et de sorcellerie, et une polarisation idéique avec la recherche d’une issue dans la religion. […] Les signes étaient francs : une variabilité des humeurs ; un chaos psychique avec un bouleversement des repères ; une thématique délirante mal structurée à coloration persécutrice dominée par le mysticisme ; la démonopathie et le manichéisme. Le diagnostic de bouffées délirantes aiguës demeure irrécusable. »

([41]) Audition de Mme Anne Ihuellou, juge d’instruction, 24 novembre 2021. Cette dernière précise également que « se posait la question d’une nouvelle expertise, compte tenu de ces contraintes évidentes. De plus, dans la mesure où l’intéressé n’avait pas fait l’objet d’un placement en garde à vue, n’avait pas été entendu par les services de police, compte tenu de son état de santé, il fallait vérifier que les conclusions du Dr Zagury qui n’ont jamais été contestées par personne étaient toujours valables, puisqu’il s’agissait d’envisager une comparution devant la juridiction de jugement. Il a été décidé, comme cela est souvent le cas dans les dossiers criminels où une altération est envisagée, de procéder à une nouvelle expertise de confirmation ».

([42]) Le docteur Paul Bensussan a décrit les agissements de M. Traoré dans les quelques heures précédant le meurtre dans des termes proches de ceux utilisés par le docteur Daniel Zagury : « Dans le cas de M. Kobili Traoré, le délire est vaste et précédé d’une phase prodromique avec une montée en puissance dans les 48 heures qui précèdent l’acte. Cette montée en puissance est caractérisée par une excitation, une confusion, une incohérence et une désorganisation de la pensée » (audition du 23 novembre 2021).

([43]) Audition du docteur Daniel Zagury, expert psychiatrique, 9 novembre 2021.

([44]) Selon le rapport remis par les sénateurs MM. Jean Sol et Jean‑Yves Roux en mars 2021 sur les expertises psychiatriques « 356 experts psychiatres et 701 experts psychologues sont aujourd'hui inscrits sur les listes des cours d'appel, pour un total de 1 057 experts » (Expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger, rapport d'information n° 432, 2020-2021).

([45]) Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([46]) Audition d’un policier, 29 novembre 2021.

([47]) Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([48]) Audition du docteur Daniel Zagury, expert psychiatrique, le 9 novembre 2021.

([49])  Audition de M. Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste, 1er décembre 2021.

([50])  Ibidem.

([51])  Audition de M. Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste, 1er décembre 2021.

([52]) Audition d’un policier, 29 novembre 2021.

([53]) Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([54]) Ibidem.

([55])  Audition de M. Jean-François Ricard, procureur national antiterroriste, 1er décembre 2021.

([56])  Audition de Mme Anne Ihuellou, juge d’instruction, 24 novembre 2021.

([57]) Audition de Mme Anne Ihuellou, juge d’instruction, 24 novembre 2021.

([58]) Audition d’un policier, 29 novembre 2021.

([59]) Audition de Me Jean-Alex Buchinger, 13 septembre 2021.

([60])  Audition de Mme Anne Ihuellou, juge d’instruction, 24 novembre 2021.

([61]) Audition de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, 15 décembre 2021.

([62])  Audition du docteur Daniel Zagury, expert psychiatrique, 9 novembre 2021.

([63]) Audition de Me Francis Szpiner, 19 octobre 2021.

([64]) Arrêt de la chambre de l’instruction du 19 décembre 2019.

([65]) Audition d’un policier, 29 novembre 2021.

([66])  Audition de Mme Anne Ihuellou, juge d’instruction, 24 novembre 2021.

([67])  Audition de Me David-Olivier Kaminski, 13 septembre 2021.

([68]) De nombreux auteurs et juristes romains rappellent l’impossibilité de juger un fou qui aurait commis des actes sans volonté. Seuls les crimes les plus graves comme les régicides pouvaient justifier que la nécessité de la sanction dépasse le principe de l’irresponsabilité.

([69]) « Irresponsabilité pénale : la difficile frontière entre le territoire du mal et celui de la folie », Le Monde, 17 septembre 2021.

([70]) Loi n° 92‑683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générales du code pénal.

([71]) Deuxième alinéa de l’article 122-1 du code pénal : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s'assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l'objet de soins adaptés à son état. »

([72]) À la différence de la réforme introduite en 2008, la culpabilité pour les faits répréhensibles était seulement précisée dans l’ordonnance de non-lieu prise par le ou les juges d’instruction saisis de l’information.

([73]) Mission sur l’irresponsabilité pénale, février 2021, n° 017-21. Comme le souligne le rapport, ces statistiques ne sont pas nécessairement exhaustives et complètes pour toutes les années et doivent donc être analysées avec précaution (cf. pages 13 et 14 du rapport).

([74]) Article 414‑3 du code civil : « Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation ».

([75]) Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([76]) Dans les faits, la poursuite de la mesure d’hospitalisation sans consentement en vigueur depuis avril 2017.

([77])  Communication de Mme Naima Moutchou et M. Antoine Savignat, députés, 30 juin 2021.

([78]) Attendu 28 de l’arrêt de la chambre criminelle du 14 avril 2021.

([79]) Voir par exemple l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 avril 2016 (n° 15-80.207) : la Cour répond que la chambre de l’instruction n’a pas commis d’erreur contrairement à ce qu’exposent les parties ayant introduit le pourvoi : « en s'interrogeant sur le point de savoir si la prise d'alcool ou de stupéfiants avait pu être la cause de la pathologie mentale de M. Z..., ce que personne n'affirmait, spécialement pas les parties civiles, et en ne répondant pas, en revanche, à l'articulation du mémoire des parties civiles faisant valoir, concernant la cause de l'assassinat et non celle de la pathologie mentale de l'intéressé, qu'il aurait été indispensable de déterminer si le mis en examen n'était pas, au moment des faits, sous l'emprise de substances alcooliques ou psychotropes, car l'absorption de telles substances, à la supposée avérée, était de nature à peser sur l'appréciation de sa prétendue irresponsabilité pénale, la prise d'alcool ou de drogue pouvant avoir favorisé un acte criminel sans que le discernement de l'intéressé ne soit aboli, la chambre de l'instruction, qui a tenu pour acquise l'imputabilité de l'acte meurtrier à une pathologie mentale du mis en examen, a statué par une motivation insuffisante »

([80]) Voir par exemple l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 12 mai 2010 (n° 10-80.279).

([81]) Cour de cassation, chambre criminelle, 12 avril 2016, n° 15-80.207.

([82]) Voir par exemple l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 29 novembre 2017
(n° 16-85.490).

([83]) Audition du docteur Daniel Zagury, expert psychiatrique, 9 novembre 2021.

([84]) Audition du docteur Paul Bensussan, expert psychiatrique, 23 novembre 2021.

([85]) Audition du docteur Paul Bensussan, expert psychiatrique, 23 novembre 2021.

([86]) Voir par exemple la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 13 février 2018 rappelant que les juges de la chambre d’instruction peuvent se former une opinion qui n’est pas seulement fondée sur les expertises psychiatriques mais aussi sur un ensemble d’éléments constatés matériellement et sur la personne du meurtrier. En l’espèce deux des trois experts commis avaient conclu à l’abolition du discernement et un troisième à l’altération. Les juges de la cour d’appel de Versailles ont au contraire exclu « tout trouble psychique » et avaient décidé de renvoyer le mis en examen devant la cour d’assises, ce que ne contredit pas la Cour de cassation (Crim., 13 février 2018, pourvoi n° 17‑86.952).

([87]) Audition de M. François Molins, procureur général près la Cour de cassation, 8 décembre 2021.

([88])  Ibidem.

([89]) Article L. 3213‑3 du code de la santé publique.

([90]) Article L. 3214‑4 du code de la santé publique.

([91]) « Toutefois, lorsque le patient relève de l'un des cas mentionnés au II de l'article L. 3211-12, le juge ne peut décider la mainlevée de la mesure qu'après avoir recueilli deux expertises établies par les psychiatres inscrits sur les listes mentionnées à l'article L. 321251 ».

([92])  « Pourtant, j’espère qu’il sera soigné. Aussi douloureux que cela puisse être pour beaucoup, il est dans l’intérêt de la société que M. Kobili Traoré soit guéri un jour » (audition du 23 novembre 2021).

([93]) Dans les cas d’hospitalisation sans consentement il ne s’agit pas de réaliser comme pour les personnes qui ont exécuté ou exécutent une peine de prison et pourraient être libérées d’une expertise dite post sentencielle pour voir s’il est nécessaire d’appliquer des mesures de sûreté.