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N° 4896

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2022.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires,

 

 

 

Par M. Gérard LESEUL,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro :  4782. 

 

 

 

 


  1  

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos

I. Les travailleurs LES PLUS MODESTES sont les laissÉSpourcompte du partage des richesses

A. UN POUVOIR D’ACHAT AFFAIBLI : quand le travail ne prÉSERVE PLUS DE LA PRÉCARITÉ

1. Les travailleurs les plus modestes perçoivent un simple salaire de subsistance

2. Les salariés rémunérés au SMIC sont nombreux et concentrés dans un petit nombre de secteurs

B. UNE DÉFORMATION DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE AU DÉTRIMENT DU TRAVAIL

1. Un partage des richesses inéquitable

2. L’ère de la maximisation de la valeur actionnariale

II. RÉMUNÉRER LE TRAVAIL À SA JUSTE VALEUR À travers la revalorisation du salaire minimum

A. uN MOMENT OPPORTUN POUR augmenter LE SMIC

1. Un salaire minimum dont le montant est insuffisant

2. De nombreux pays ont fait le choix d’augmenter leur salaire minimum

3. Des négociations sont en cours au niveau européen

4. Une prise de conscience liée à la crise sanitaire

B. Relever le SMIC de 15 % : une mesure de justice sociale qui n’est pas incompatible avec la prospérité économique

III. OUVRIR UNE CONFÉRENCE NATIONALE SUR LES SALAIRES pour repenser la rÉMUNÉRATION DU TRAVAIL

A. Des négociations salariales affaiblies

B. la nécessité D’engager un nouveau cycle de répartition des richesses

commentaire des articles

Article 1er Revalorisation du SMIC de 15 %

Article 2 Organisation d’une conférence nationale sur les salaires

Examen en commission

ANNEXE  1: Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

Annexe  2 : textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

    


  1  

   Avant-propos

En 2021, le CAC 40 s’est envolé d’environ 29 % ([1]), sa meilleure performance annuelle depuis 1999, faisant fi de la crise sanitaire et économique que nous traversons. L’expansion des marchés financiers et les profits records des grandes entreprises, qui atteignent leur plus haut niveau historique, contrastent avec la stagnation des salaires les plus faibles.

La crise sanitaire a révélé le caractère insoutenable de cette envolée sans précédent de la rémunération du capital et du creusement des inégalités salariales. Le groupe Socialistes et apparentés considère qu’il est alors temps d’engager une nouvelle phase de répartition des richesses qui soit plus favorable aux travailleurs. Cette nouvelle phase peut être initiée en repensant notre conception du salaire minimum afin que le travail soit enfin rémunéré à un niveau décent. La présente proposition de loi invite ainsi à briser les idées préconçues sur le salaire minimum et ses répercussions sur notre économie.

Le débat sur l’augmentation du salaire minimum ne semble aujourd’hui plus possible. Le groupe d’experts sur le SMIC, constitué d’économistes appartenant tous à la même école de pensée, rend inlassablement des rapports ([2]) aboutissant aux mêmes conclusions. Selon ces économistes, l’augmentation des aides sociales serait préférable à la revalorisation du SMIC pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Le groupe d’experts va d’ailleurs encore plus loin en recommandant de supprimer les mécanismes de revalorisation automatique du SMIC. Ces mécanismes constituent pourtant la seule garantie d’une progression minimale du pouvoir d’achat des salariés les plus modestes.

La perspective d’une revalorisation du SMIC n’est donc plus, depuis longtemps, à l’ordre du jour. L’inefficacité économique de cette course au moins‑disant social aurait dû remettre en cause le bien-fondé d’un partage aussi inéquitable des richesses. Mais alors que les résultats économiques de cette politique de modération salariale sont loin d’être satisfaisants, aucun « coup de pouce » n’a été donné au salaire minimum depuis de nombreuses années.

À travers cette proposition de loi, le groupe Socialistes et apparentés propose donc de revaloriser le travail en faisant du salaire minimum un véritable instrument au service de la justice sociale et du pouvoir d’achat. L’augmentation du SMIC (article 1er) gagnerait à s’accompagner de l’ouverture de négociations salariales plus vastes dans le cadre d’une conférence nationale sur les salaires (article 2). Avec ces deux mesures complémentaires, les Français pourront vivre dignement de leur propre travail.

I.   Les travailleurs LES PLUS MODESTES sont les laissÉS‑pour‑compte du partage des richesses

A.   UN POUVOIR D’ACHAT AFFAIBLI : quand le travail ne prÉSERVE PLUS DE LA PRÉCARITÉ

1.   Les travailleurs les plus modestes perçoivent un simple salaire de subsistance

Le retour de l’inflation pèse significativement sur le pouvoir d’achat des salariés et notamment ceux d’entre eux qui perçoivent de bas salaires. Après une période de désinflation à partir de fin 2018, la montée des prix a en effet atteint 2 % en 2021 ([3]). Le fait que cette montée des prix ait été essentiellement portée par l’envolée des prix de l’énergie (+ 15 % en un an) a tout particulièrement affecté les ménages les plus modestes ([4]). Contrairement aux années 1970 ([5]), la question de la prise en compte de l’inflation dans l’augmentation des salaires n’est que très rarement posée dans le débat public. Les partenaires sociaux ne sont plus invités à se réunir pour négocier une progression des salaires qui tienne compte de l’augmentation des prix. En conséquence, les salaires réels stagnent ([6]).

Concomitamment à la stagnation des salaires réels, force est de constater que les dépenses contraintes réduisent désormais à la portion congrue le revenu arbitral, c’est-à-dire celui dont disposent pleinement les salariés. En effet, depuis les années 1990, les dépenses pré‑engagées représentent une part croissante dans le budget des ménages : 61 % du revenu disponible des ménages les plus modestes sont consacrés à des dépenses contraintes ([7]). La moitié des personnes en dessous du seuil de pauvreté n’ont que 340 euros par mois pour se nourrir, se cultiver ou tout simplement faire des choix de vie ([8]).

 

ÉVOLUTION DU REVENU DISPONIBLE BRUT ET DU POUVOIR D’ACHAT

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Source : INSEE, comptes nationaux annuels, base 2014.

Les politiques économiques misant uniquement sur des dispositifs favorables à l’offre sont en partie en cause. Celles-ci ont contribué à fortement modérer la progression des salaires. Si la fiscalité des ménages et celle des entreprises ont évolué dans les mêmes proportions jusqu’en 2013, un net décrochage s’est ensuite opéré. Les ménages sont ceux qui ont supporté l’essentiel de la hausse de la fiscalité ces dix dernières années. Le rapporteur ne remet pas en cause la volonté d’œuvrer pleinement pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises. Il estime seulement que le pouvoir d’achat est trop souvent demeuré le grand absent des orientations économiques de notre pays.

À la modération salariale s’ajoute une forte précarisation de l’emploi, qui a fait naître une véritable classe de travailleurs pauvres. Les contrats précaires se sont multipliés depuis les années 1990 au nom de la flexibilité du marché du travail. En conséquence de cette stratégie économique insoutenable, l’emploi ne protège plus de la pauvreté : 2,1 millions de personnes exerçant un emploi disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté ([9]). Parmi les travailleurs pauvres, un grand nombre sont des salariés à temps partiel. À cet égard, l’ensemble des personnes auditionnées ont souligné la nécessité de lutter contre le temps partiel subi pour réduire la pauvreté.

 

ÉVOLUTION DE L’EMPLOI PRÉCAIRE EN FRANCE

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Source : Observatoire des inégalités.

2.   Les salariés rémunérés au SMIC sont nombreux et concentrés dans un petit nombre de secteurs

En dépassant le seuil de pauvreté de seulement 200 euros, le salaire minimum ne préserve pas les travailleurs d’une certaine précarité, notamment pour ceux d’entre eux qui sont embauchés à temps partiel. Selon le baromètre d’opinion de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les Français estiment qu’une personne seule doit disposer d’un revenu minimum de 1 760 euros par mois pour vivre ([10]). Le montant brut actuel du SMIC, c’est-à-dire 1 603,12 euros par mois, n’atteint donc même pas le niveau d’un salaire permettant de vivre dignement.

Le SMIC : quelques chiffres clés

Au 1er janvier 2022 :

– SMIC horaire : 10,57 euros  
– SMIC brut : 1 603 euros  
– SMIC net : 1 269 euros

En France (hors Mayotte), dans les entreprises du secteur privé, 2,04 millions de salariés ont bénéficié de la revalorisation du Smic du 1er janvier 2021 (hors apprentis, stagiaires et intérimaires). Ils représentent 12 % des salariés de ces entreprises.

En 2020, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le ratio salaire minimum/salaire moyen était de 49 % en France. Le ratio salaire minimum/salaire médian était, lui, de 61 %. Le salaire minimum concerne de nombreux travailleurs dont les profils présentent certaines similarités. Depuis 1995, environ un salarié sur dix est rémunéré au voisinage du SMIC ([11]), ce qui correspond à 2,04 millions de salariés du secteur privé en 2021. Le nombre de bénéficiaires des revalorisations du SMIC est toutefois en augmentation sur le temps long. En 2021, 12 % des salariés sont bénéficiaires d’une revalorisation du SMIC ([12]), ce qui représente une hausse de 2,5 points par rapport à 2010 et de 3,5 points par rapport à 1990. Revaloriser le SMIC aujourd’hui bénéficiera donc à un nombre important de travailleurs.

Le rapporteur ne dispose pas de chiffres précis quant au nombre d’agents publics rémunérés au niveau du SMIC, malgré le fait qu’il ait demandé ces statistiques tant à la direction générale du Trésor qu’à la direction générale du Travail.

Les jeunes et les femmes sont surreprésentés parmi les travailleurs rémunérés au niveau du SMIC. Autour de 20 ans, un salarié sur quatre est rémunéré à un niveau proche du salaire minimum, contre un sur six à 25 ans et un sur dix à 30 ans. Les femmes représentent près de 60 % des salariés au SMIC, soit 1,33 million de travailleuses. Ainsi, en moyenne, entre 1995 et 2015, 15 % d’entre elles étaient rémunérées au voisinage du salaire minimum, contre seulement 9 % des hommes. Toute hausse du SMIC va donc dans le sens d’une réduction des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. La stagnation du salaire minimum a donc des conséquences directes sur la situation de ces jeunes et de ces femmes qui connaissent déjà, par ailleurs, des conditions peu favorables sur le marché du travail.

Les très petites entreprises, de moins de dix salariés, embauchent 24,1 % des salariés rémunérés au niveau du SMIC. Certains secteurs sont d’ailleurs fortement concernés par ces très bas salaires et souffrent d’importantes difficultés de recrutement. Selon l’économiste Henri Sterdyniak, que le rapporteur a auditionné, 3 100 000 salariés sont rémunérés à un niveau proche du SMIC dont 1 200 000 dans les métiers d’entretien ou de sécurité, un million dans les métiers du soin, 300 000 caissiers et employés de commerce, 300 000 dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants (HCR) et 100 000 dans l’agriculture. La faiblesse de la rémunération dans ces secteurs explique en partie leur déficit d’attractivité et leur difficulté à recruter.

B.   UNE DÉFORMATION DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE AU DÉTRIMENT DU TRAVAIL

1.   Un partage des richesses inéquitable

Ces dernières années, la déformation du partage de la valeur ajoutée a connu une forte inflexion en faveur du capital.

La part des revenus du travail dans l’ensemble de la valeur ajoutée s’établissait à 66 % en moyenne dans les pays de l’OCDE dans les années 1980. Cette part n’a ensuite cessé de diminuer pour atteindre 61 % en 2010 avant de remonter à 64,1 % en 2019 ([13]). Ces chiffres témoignent du fait que l’accélération de la rémunération du capital a largement dépassé l’augmentation des salaires sous l’effet de la fin du compromis fordiste. Le partage de la valeur ajoutée varie toutefois assez nettement en fonction de la taille de l’entreprise. Ainsi, dans les grandes entreprises, la part salariale est inférieure de 11 points à la moyenne nationale ([14]).

Ce constat n’est pourtant pas nouveau. Le rapport Cotis ([15]) remis au Gouvernement en 2009 faisait déjà état d’une faible distribution des bénéfices aux salariés et d’une augmentation rapide des hauts revenus. Il recommandait notamment d’opérer une répartition plus juste de la valeur ajoutée entre le capital et le travail. Plus de dix ans après, le rapporteur ne peut que partager ce constat et ces recommandations.

Évolution de la part des salaires en pourcentage de la valeur ajoutÉe (1949 – 2018)

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Source : données de la comptabilité nationale (INSEE).

 

La diminution de la part du travail dans le partage de la valeur ajoutée dissimule une montée sans précédent des inégalités salariales. Si le rapport entre le niveau de revenu des 10 % les mieux rémunérés et celui des 10 % les moins bien payés (le rapport dit « interdécile ») reste globalement stable depuis de nombreuses années, il demeure à niveau socialement inacceptable. De plus, le rapport interdécile est un indicateur imparfait puisqu’il ne rend pas compte de la hausse sans précédent du niveau des très hauts salaires. Ainsi, la part salariale des 1 % les mieux rémunérés s’est accrue de 20 % ces dernières années tandis que celle des plus modestes a diminué. L’Observatoire des inégalités montre bien que le ratio de Palma, qui rapporte la masse des revenus perçus par les 10 % les plus riches à celle que reçoit l’ensemble des 40 % les plus pauvres, a augmenté de manière significative depuis 1998. Il était de 1 en 1998 et a atteint 1,06 en 2019 ([16]). Cette proposition de loi constitue ainsi un moyen efficace de relancer la lutte contre les inégalités de rémunération.

L’analyse sur le temps long de la rémunération perçue par les hauts dirigeants, notamment ceux du CAC 40, montre un décrochage important. La rémunération annuelle moyenne d’un président directeur général (PDG) du CAC 40 s’établit à 5,19 millions d’euros. Ce montant moyen correspond ainsi à 248 SMIC en base 39 heures, à 138 fois le salaire brut moyen des Français et à 78 fois la rémunération moyenne des salariés du CAC 40. En France, en 2018, un dirigeant du CAC 40 a gagné l’équivalent d’un SMIC annuel le 2 janvier et l’équivalent du salaire moyen d’un employé le 4 janvier ([17]).

2.   L’ère de la maximisation de la valeur actionnariale

La part des dividendes a été multipliée par quatre depuis les années 1990 au détriment de la part revenant aux travailleurs. Sur le temps long, la croissance des dividendes est donc incontestable, ce qui pèse considérablement sur le coût du capital.

évolution du MONTANT DES DIVIDENDES NETS depuis 1993

                                                                                                   (en milliards d’euros)

Année

Montant des dividendes nets

1993

11,7

2005

30

2009

48,1

2011

41,8

2014

20,4

2018

33, 8

2019

37,4

                           Source : données INSEE.

L’augmentation du montant des dividendes a été portée par les réformes de la fiscalité du capital. Ainsi, l’augmentation des dividendes en 2019 (+ 3,4 %, après + 15,9 % en 2018) s’explique, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), par une fiscalité favorable à la suite de la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique (PFU) en 2018 ([18]).

Certes, en 2020, les entreprises du CAC 40 qui ont bénéficié des aides publiques aux entreprises ont dû réduire de manière importante le montant de leurs dividendes. Il est toutefois clair qu’en 2021, alors que la crise sanitaire se couplait encore d’une crise économique, les grandes entreprises ont décidé d’opérer un rattrapage massif : 51 milliards d’euros de dividendes ont ainsi été versés, ce qui représente une hausse de 22 % par rapport à 2020 ([19]). Le secteur minier, porté par l’envolée des prix des matières premières, est le premier contributeur à la croissance des dividendes, juste devant le secteur bancaire qui a bénéficié de la levée des restrictions sur la distribution des dividendes en 2021. Au mois de décembre 2021, en pleine reprise épidémique, le CAC 40 a ainsi bondi de 6,8 %. Finalement, à chaque crise, les salaires sont la variable d’ajustement et la rémunération du capital repart rapidement à la hausse.

En parallèle, de l’augmentation significative de ces dividendes, les grandes entreprises ont perçu des aides publiques directes et indirectes à l’occasion de l’épidémie. Ces aides mobilisaient 206 milliards d’euros, soit 9 % du produit intérieur brut français à la fin mars 2021 ([20]). Elles ont effectivement permis aux entreprises françaises de traverser la crise sanitaire et de limiter l’ampleur des licenciements. Toutefois, la distribution de ces aides massives a parfois entraîné des effets d’aubaine pour les grandes entreprises qui n’ont pas saisi l’occasion pour revaloriser les salaires. Cette hausse des profits n’est toutefois pas récente et s’ancre dans une gouvernance des entreprises qui, depuis les années 1990, pose en principe fondamental la maximisation de la valeur actionnariale.

II.   RÉMUNÉRER LE TRAVAIL À SA JUSTE VALEUR À travers la revalorisation du salaire minimum

A.   uN MOMENT OPPORTUN POUR augmenter LE SMIC

1.   Un salaire minimum dont le montant est insuffisant

Le rythme de croissance du SMIC réel a été divisé par 10 entre la décennie 2000 et la décennie 2010 : le SMIC a ainsi crû de 2 % en moyenne entre 2001 et 2010, contre 0,2 % en moyenne entre 2010 et 2020.

Sans « coup de pouce » impulsé par le Gouvernement, le salaire minimum s’éloigne en effet régulièrement de la moyenne des salaires. Selon l’économiste Thomas Piketty « un salaire minimum a bien été créé en 1950, mais il n’est presque jamais revalorisé par la suite, si bien qu’il décroche fortement par comparaison à l’évolution du salaire moyen » ([21]). L’économiste distingue trois périodes d’évolution du SMIC :

– entre 1950 et 1968, le salaire minimum est peu revalorisé et la hiérarchie des salaires s’élargit ;

– entre 1968 et 1983, le salaire minimum est fortement revalorisé, ce qui comprime les inégalités salariales ;

– depuis 1983, les inégalités salariales sont de plus en plus importantes et sont associées à une stagnation très prononcée du SMIC.

Le Gouvernement, conscient du faible montant du SMIC, a mis en place plusieurs dispositifs pour renforcer le pouvoir d’achat des salariés rémunérés au niveau du salaire minimum. Le Gouvernement ne s’est toutefois jamais engagé dans la voie d’une véritable revalorisation du SMIC.

Dans son intervention télévisée du 10 décembre 2018, le Président de la République Emmanuel Macron a ainsi déclaré que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Le SMIC n’a pourtant augmenté que de 1,5 % en 2019, soit une augmentation du taux horaire de 15 centimes d’euro, ce qui correspond à la stricte revalorisation mécanique prévue dans le code du travail. Ce gain de 100 euros par mois annoncé par le Président de la République est en effet passé par la hausse de la prime d’activité ([22]).

Si la prime d’activité constitue effectivement un supplément de revenu, elle ne constitue pas pour autant un salaire en ce qu’elle n’ouvre aucun droit social, ni pour la retraite ni pour l’assurance chômage. Sont particulièrement victimes de cette absence d’ouverture de droits les familles monoactives avec enfants, dont le taux de remplacement est faible en cas de chômage.

Par ailleurs, la prime d’activité étant versée sous une double condition de salaire et de ressources du ménage, 45 % des salariés rémunérés au SMIC n’ont pas bénéficié de la hausse de la prime d’activité notamment parce que leur ménage dépassait le plafond de ressources ([23]). Le taux de non-recours à la prime d’activité est d’ailleurs très important (évalué à 27 %) ([24]) notamment du fait d’une méconnaissance de cette prestation. De plus, étant financée par l’État via l’impôt, la prime d’activité repose sur une fiscalité dont le caractère anti-redistributif est prouvé ([25]). La hausse de la prime d’activité ne répond donc pas à l’ambition du groupe Socialistes et apparentés de revaloriser le travail et de lutter contre les inégalités.

Outre la prime d’activité, qui constitue la mesure phare en faveur du pouvoir d’achat, le Gouvernement a mis en place d’autres dispositifs, à l’instar d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat ou encore de l’indemnité inflation. Les experts sur le SMIC proclament que la hausse des aides sociales serait plus efficace que le relèvement du SMIC pour lutter contre la pauvreté. Toutefois, ils ne recommandent aucune mesure forte pour inverser la tendance à la précarisation de l’emploi.

Une nouvelle fois, le rapporteur rappelle que le travail devrait payer suffisamment, quitte à faire diminuer progressivement le montant de la prime d’activité.

2.   De nombreux pays ont fait le choix d’augmenter leur salaire minimum

À l’échelle internationale, la mise en place d’un salaire minimum et sa revalorisation s’imposent désormais comme une mesure de justice sociale d’évidence. Au sein de l’OCDE, seuls dix‑sept pays sur trente en disposaient en 1990. Aujourd’hui, vingt‑sept pays sur trente‑cinq ont instauré un salaire minimum pour préserver les travailleurs de la pauvreté laborieuse.

Même les pays les plus libéraux ont opté pour la voie d’un relèvement de leur salaire minimum. Le Royaume‑Uni a choisi d’opérer de fortes revalorisations de son salaire minimum : de 7,5 % en 2016 et de 4,2 % en 2017 ([26]). Ce relèvement du National Living Wage (NLW) a permis de résorber la précarité des travailleurs les moins rémunérés ([27]). Face à ce succès, le ministre des finances et du Trésor britannique a décidé de poursuivre cette revalorisation des salaires en annonçant récemment une augmentation de 6,6 % du salaire minimum en avril 2022. L’administration américaine a également défendu en 2020 un projet visant à faire passer le salaire minimum horaire de 7,25 dollars à 15 dollars brut et à instaurer un mécanisme d’indexation sur le salaire médian.

En Allemagne, l’augmentation du salaire minimum prévue en quatre étapes entre 2021 et 2022 a été maintenue malgré la crise sanitaire. En plus de cette revalorisation par paliers, le nouveau gouvernement de coalition a décidé d’aller plus vite et plus loin en proposant de relever le taux horaire du salaire minimum à 12 euros brut, ce qui permettrait à celui-ci d’atteindre 60 % du salaire moyen. Un projet de loi, déposé par le ministre fédéral du travail et des affaires sociales, sera prochainement débattu. L’instauration, en 2015, d’un salaire minimum en Allemagne constitue en effet une réelle réussite ([28]) : le dernier rapport de la Commission sur le salaire minimum a souligné l’absence d’effets négatifs du salaire minimum sur la productivité et les coûts salariaux. Le rapporteur a auditionné la conseillère aux affaires sociales de l’ambassade d’Allemagne, Katrin Auer, qui a confirmé les bons résultats économiques liés à l’instauration puis aux augmentations du salaire minimum.

3.   Des négociations sont en cours au niveau européen

Les réflexions autour du salaire minimum sont désormais à l’agenda de la Commission européenne et sont portées par la Confédération européenne des syndicats (CES). La Commission européenne a en effet émis le 28 octobre 2020 une proposition de directive relative à des salaires minima adéquats, visant à garantir un salaire minimum décent dans tous les États membres ([29]). La Commission européenne reconnaît d’ailleurs, dans l’exposé des motifs de la directive, que « lorsqu’elle est fixée à des niveaux adéquats, la protection offerte par des salaires minimaux garantit une vie décente aux travailleurs, contribue à soutenir la demande intérieure, renforce les incitations au travail et réduit la pauvreté au travail et les inégalités au bas de l’échelle des salaires ». La CES appelle à augmenter le salaire minimum au moins à hauteur de 60 % du salaire médian et à 50 % du salaire moyen dans les États membres, ce qui permettrait de revaloriser les rémunérations de 24 millions de travailleurs à travers l’Union européenne.

Dans une contribution écrite à la présente proposition de loi, l’économiste Henri Sterdyniak a rappelé qu’au 1er juillet 2021, la France ne se situait qu’à la sixième place des pays imposant le salaire minimum le plus élevé, derrière le Luxembourg, l’Irlande (1 724 euros), les Pays-Bas (1 701 euros), la Belgique (1 626 euros) et l’Allemagne (1 585 euros) ([30]).

La France est certes plutôt en avance sur un certain nombre de pays européens en ce qui concerne le niveau du salaire minimum par rapport au salaire médian. Néanmoins, elle devrait se saisir de ce projet de directive pour devenir le fer de lance des initiatives en matière de salaire minimum dans les États de l’Union européenne. À cet égard, la présidence française du Conseil de l’Union européenne constitue une réelle opportunité.

4.   Une prise de conscience liée à la crise sanitaire

En renforçant la précarisation des travailleurs et en augmentant le risque de tomber dans la pauvreté ([31]), la crise sanitaire a d’ailleurs constitué un catalyseur des débats autour du montant des salaires. Certes, les études montrent que la crise sanitaire n’a pas entamé le pouvoir d’achat moyen des Français, mais il faut bien noter que seuls 20 % des ménages ont été à l’origine de 70 % de l’épargne accumulée durant la crise ([32]).

L’argument selon lequel le contexte économique dégradé que nous connaissons devrait nous inciter à repousser à plus tard l’augmentation du SMIC n’est pas viable. Au contraire et une fois de plus, la crise sanitaire est l’occasion de repenser la répartition des richesses. Plusieurs pays ont pris conscience de la nécessité de mieux rémunérer les travailleurs dans ce contexte économique difficile. Ainsi, au Portugal, les revalorisations du salaire minimum ont été maintenues alors que celui-ci représente déjà 65 % du salaire médian. En Belgique, le taux horaire du salaire minimum sera revalorisé de 4,7 % en 2022 comme un outil de relance économique par la demande mais aussi de reconnaissance de certains travailleurs dont le rôle majeur a été mis en lumière par la crise sanitaire.

La crise sanitaire a mis également en évidence la rupture entre ceux qui peuvent télétravailler et les salariés du front qui sont tout à fait essentiels. Ces derniers ont dû continuer à se rendre sur leur lieu de travail et s’attendent à toucher la contrepartie des efforts qu’ils ont fournis.

B.   Relever le SMIC de 15 % : une mesure de justice sociale qui n’est pas incompatible avec la prospérité économique

Le rapporteur estime que le législateur a un rôle important à jouer dans la fixation du montant du SMIC. Il s’agit en effet d’un choix politique majeur : quelle valeur la société reconnaît-elle au travail ? Le rôle du législateur en la matière est d’ailleurs d’autant plus important que le Gouvernement ne souhaite pas revaloriser le salaire minimum.

L’article 1er de la présente proposition de loi vise ainsi à relever le SMIC de 15 %. Cette hausse permettra de revaloriser le travail et de placer le salaire minimum à un niveau décent. Il s’agit d’une simple mesure de justice sociale offrant à des travailleurs, dont souvent l’importance a été mise en lumière par la crise sanitaire, la reconnaissance que nous leur devons.

Une augmentation de 15 % permettrait d’engager un nouveau cycle de répartition des richesses au sein de l’entreprise et plus largement au niveau de la société. La revalorisation du SMIC ne doit pas être vue comme un coût mais comme un moyen de rééquilibrer le partage des fruits de l’activité économique. Avec cette proposition de loi, le SMIC atteindrait 73,5 % du salaire médian, faisant de la France un pays précurseur dans l’augmentation du salaire minimum et dans la reconnaissance du travail. Il s’agit d’une revalorisation ambitieuse mais qui n’est pas décorrélée, en termes d’ordre de grandeur, des augmentations de salaires déjà initiées dans certains secteurs. Le rapporteur rappelle que face aux difficultés de recrutement, le patronat de l’hôtellerie-restauration a ainsi proposé une augmentation moyenne de 16,33 % par rapport à la grille actuelle. La rémunération minimum conventionnelle sera de ce fait supérieure de 5 % au SMIC.

Les effets d’une augmentation du SMIC sur l’emploi sont ambivalents. La discipline des sciences économiques est, elle-même, et depuis longtemps traversée par des controverses internes ([33]).

Certaines études concluent à des effets négatifs d’une hausse du salaire minimum sur l’emploi. Force est néanmoins de constater que ces études font toujours état d’effets modérés et relativement incertains, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre dans le débat public. Les résultats de ces études ([34]) ne semblent d’ailleurs pas forcément pouvoir être appliqués tels quels dans la situation économique actuelle, marquée par un grand nombre de secteurs en tension. Il est probable que, dans le contexte que nous connaissons aujourd’hui, une revalorisation du SMIC ait des effets encore plus modérés sur l’emploi, voire aucun effet. Le rapporteur rappelle également que l’augmentation du SMIC devrait aussi avoir des effets positifs, à travers la possibilité d’une meilleure consommation pour les plus modestes.

D’ailleurs, un certain nombre d’études récentes concluent à un effet faible ou nul du salaire minimum sur l’emploi, à l’instar de celles menées par l’économiste Arindrajit Dube, qui indique, en 2019 ([35]), que « dans l’ensemble, les recherches les plus récentes menées aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d’autres pays développés font état d’un effet très modéré des salaires minima sur l’emploi, tout en augmentant sensiblement les revenus des travailleurs peu rémunérés. Il est important de noter que cela est vérifié même pour les politiques récentes les plus ambitieuses ». L’effet d’une hausse du salaire minimum est faible sur l’emploi car, comme le montrent certains économistes, une partie de cette hausse peut être absorbée par une baisse des profits réalisés par les entreprises. Selon les résultats des économistes Peter Harasztosi et Attila Lindner ([36]), environ 25 % du doublement du salaire minimum en Hongrie au début des années 2000 aurait été absorbé par une telle baisse des profits.

Au-delà de l’effet sur l’emploi, l’argument selon lequel l’augmentation du SMIC affaiblirait la compétitivité française n’est pas pleinement satisfaisant. D’une part, la plupart des emplois au SMIC sont concentrés dans des secteurs abrités de la concurrence internationale et, d’autre part, un grand nombre de pays, notamment en Europe, ont engagé une hausse de leur salaire minimum. Le solde extérieur français ne se dégradera pas en augmentant le SMIC. La compétitivité de notre pays relève davantage de la politique industrielle que nous mettons en place que du salaire minimum que nous décidons collectivement de verser aux travailleurs les plus modestes.

Un véritable débat sur l’augmentation du SMIC et ses répercussions devrait donc avoir lieu. Sur le plan économique, une telle revalorisation n’est en effet pas infondée.

III.   OUVRIR UNE CONFÉRENCE NATIONALE SUR LES SALAIRES pour repenser la rÉMUNÉRATION DU TRAVAIL

A.   Des négociations salariales affaiblies

La dérégulation du droit du travail a affaibli le rôle de la négociation salariale alors qu’elle représente un instrument efficace de revalorisation des salaires. Les économistes lient notamment la hausse des inégalités avec l’affaiblissement du pouvoir de négociation des syndicats. En effet, un taux de syndicalisation élevé permet aux salariés de bénéficier d’une répartition des richesses plus équitable en négociant avec les détenteurs du capital.

Les ordonnances du 22 septembre 2017, dites « ordonnances Macron » ([37]), ont accentué l’affaiblissement de la négociation collective. Il revient désormais aux partenaires sociaux de définir les négociations obligatoires au sein de l’entreprise et de la branche via un accord de méthode. Cet accord de méthode peut éluder certaines priorités pourtant essentielles telles que l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Les « ordonnances Macron » ont également desserré la périodicité des négociations. En effet, la négociation de branche sur les salaires n’est plus annuelle que par défaut, c’est-à-dire en l’absence d’accord. Il en va de même pour la négociation d’entreprise relative à la rémunération, au temps de travail et au partage de la valeur ajoutée. Enfin, en déconcentrant les négociations au niveau de l’entreprise, les ordonnances du 22 septembre 2017 ont réduit le rôle protecteur des branches professionnelles, notamment en matière de rémunérations.

La mise en place du groupe d’experts sur le SMIC a également contribué à marginaliser encore davantage le rôle des partenaires sociaux dans la négociation salariale. L’avis de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) qui réunit notamment syndicats de salariés et organisations patronales ([38]) est en effet désormais purement formel. Dans les contributions des partenaires sociaux annexées aux rapports du groupe d’experts, la CGT-FO souligne que la décision de ne pas relever le SMIC « ne peut pas être une décision d’experts et doit être laissée au pouvoir politique ». Dans la même logique, la CGT fait valoir « qu’il faut en finir avec la République des experts qui dédouane les politiques ». En Allemagne, les partenaires sociaux participent pleinement aux travaux de la Commission sur le salaire minimum.

Le rapporteur souligne le fait que la question des salaires doit réunir les partenaires sociaux et ne pas être seulement une question abordée sur le plan économique.

B.   la nécessité D’engager un nouveau cycle de répartition des richesses

L’article 2 vise à élargir la réflexion sur la revalorisation des salaires, qui ne doit pas être réduite à un simple relèvement du SMIC. Certes, la hausse du SMIC est une mesure de bon sens pour redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens mais le rapporteur est convaincu de la nécessité d’aller plus loin, en concertation avec les partenaires sociaux. Ainsi, l’esprit de l’article 2 s’inscrit dans la volonté de faire de la négociation collective un moteur d’une hausse des salaires plus générale.

Les salaires minima hiérarchiques, qui correspondent à des salaires conventionnels fixés en fonction de la qualification des travailleurs, pourront être reconsidérés dans le cadre d’une conférence nationale sur les salaires. Cette dernière devra réunir l’ensemble des partenaires sociaux, représentatifs au niveau des branches ainsi qu’au niveau national et interprofessionnel, pour ouvrir des négociations dès la promulgation de la présente loi. Un délai de six mois a été retenu pour conclure ces négociations, considérant que l’enclenchement d’un nouveau cycle de partage des richesses peut contribuer à la sortie de crise.

La conférence nationale sur les salaires doit être l’occasion de réfléchir à la progression salariale au cours d’une carrière. Aujourd’hui, la prise de responsabilité et l’ancienneté d’un salarié ne sont plus rémunératrices. La conférence nationale sur les salaires sera ainsi une enceinte privilégiée pour relever l’ensemble des salaires conventionnels et éviter que ces derniers ne se concentrent au niveau du SMIC.

Enfin, le rapporteur souhaite souligner qu’une telle conférence ne doit pas se limiter à une discussion sur les salaires conventionnels. Elle doit être l’occasion de débattre des inégalités salariales, du temps partiel subi ou encore de l’attractivité de certains métiers et en particulier ceux de la première et de la deuxième ligne.

 


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   commentaire des articles

Article 1er
Revalorisation du SMIC de 15 %

Supprimé par la commission

Le présent article propose le relèvement du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) de 15 % à compter du 1er février 2022.

I.   La revalorisatIon du smic : une mesure de justice sociale pour redonner du pouvoir d’achat aux salariÉs

Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) est censé assurer aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles « la garantie de leur pouvoir d’achat » ainsi que « la participation au développement économique de la nation » (article L. 3231-4 du code du travail). Toutefois, faute de revalorisation significative du SMIC depuis de nombreuses d’années, ce double objectif est loin d’être atteint. Il est donc temps de relever le salaire minimum et d’en faire, de nouveau, un instrument au service de la justice sociale et du pouvoir d’achat des salariés.

A.   Le SALAIRE MINIMUM est censÉ garantir un certain pouvoir d’achat aux salariÉs les plus modestes

1.   Le SMIC : un salaire minimum légal pour que le travail paye

Le contrat de travail comporte plusieurs obligations, dites principales, à la charge de l’employeur, dont celle de payer un salaire au salarié qui fournit une prestation de travail. Le montant de ce salaire ne doit pas, pour des raisons évidentes de justice et de reconnaissance sociale, être inférieur à un certain seuil.

À partir du milieu des années 1890 se mettent progressivement en place différentes formes de régulation du salaire ([39]). Ensuite, alors que les salaires étaient bloqués depuis 1939, la loi du 11 février 1950 ([40]) a posé le principe d’une rémunération minimale, fixée par les pouvoirs publics, mais pouvant être améliorée par la négociation collective. Un salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) a ainsi été mis en place. Le niveau de celui-ci différait entre les vingt zones de salaires que comportait le territoire français.

Le SMIG ayant échoué dans son rôle de « salaire de civilisation », pour reprendre les termes de Pierre Herman, rapporteur de la loi du 2 janvier 1970 ([41]), il a fallu penser un autre modèle de salaire minimum qui permette de mieux répartir les fruits de la croissance et ainsi d’en faire bénéficier les travailleurs les plus modestes. Avec l’introduction du SMIC en 1970, le salaire minimum s’applique désormais uniformément en France métropolitaine ainsi que dans les départements d’outre-mer et dans la collectivité territoriale de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon. Toutefois, un montant spécifique, indexé sur le taux d’évolution du SMIC national depuis le 1er janvier 2015, s’applique à Mayotte ([42]).

Le SMIC est une somme minimale due par heure travaillée : il s’agit donc d’un taux horaire applicable quel que soit le mode de rémunération pratiqué. Tous les salariés de droit privé et ceux du secteur public employés dans des conditions de droit privé âgés d’au moins 18 ans bénéficient d’un salaire au moins égal au SMIC ([43]). Ainsi, lorsque le salaire horaire contractuel d’un salarié est inférieur à celui du SMIC ([44]), ce salarié reçoit un complément versé par l’employeur afin que sa rémunération soit portée au niveau du SMIC (article D. 3231-5 du code du travail).

Le bénéfice du SMIC est une règle « d’ordre public absolu » et l’employeur qui ne la respecte pas s’expose à des sanctions pénales ([45]) (article R. 3233-1 du code du travail). Pour vérifier si la rémunération versée atteint le niveau du SMIC, sont pris en compte le salaire proprement dit, les avantages en nature et les majorations diverses ayant le caractère d’un complément de salaire. En revanche, sont exclues les majorations pour heures supplémentaires, les sommes versées au titre de remboursement de frais et la prime de transport (article D. 3231-6 du code du travail).

2.   Plusieurs mécanismes de revalorisation du SMIC sont prévus par le code du travail

La loi du 11 février 1950 laissait le soin au seul Gouvernement de fixer le niveau du SMIG. La loi du 2 janvier 1970 a modifié en profondeur cette logique en répondant à deux objectifs :

– mettre fin à l’existence d’un simple salaire de subsistance pour y substituer une logique de participation active au progrès économique ;

– éviter que les effets de rattrapage soudain du salaire minimum n’entraînent une surcharge dangereuse pour les entreprises.

Ainsi, le salaire minimum est régulièrement revalorisé, soit automatiquement, soit de manière discrétionnaire.

Le SMIC est automatiquement revalorisé :

– au 1er janvier de chaque année par décret, au titre de la participation des salariés au développement économique de la nation (article L. 3231-6 du code du travail), en tenant compte de l’évolution des conditions économiques générales et des revenus (article L. 3231-9 du code du travail). Cette revalorisation ne peut être inférieure à la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE) ([46]) enregistré par l’enquête trimestrielle du ministère chargé du travail (article L. 3231-8 du code du travail). Le relèvement automatique du SMIC au 1er janvier fait l’objet d’un avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle qui est transmis au Gouvernement (article L. 2271-1 du code du travail) ;

– en cours d’année, au titre de la garantie du pouvoir d’achat des salariés (article L. 3231-4 du code du travail) lorsque l’indice national des prix à la consommation atteint un niveau correspondant à une hausse d’au moins 2 % par rapport à l’indice à la consommation constaté lors de l’établissement du SMIC immédiatement antérieur (article L. 3231-5 du code du travail).

L’indice des prix à la consommation

L’indice des prix à la consommation (IPC) est l’instrument de mesure de l’inflation. Il se base sur l’observation d’un panier fixe de biens et de services pondérés proportionnellement à leur poids dans la dépense de consommation des ménages. Il est calculé par l’Institut national de la statistique et des études économiques. L’IPC pris en compte dans le cadre de la revalorisation du SMIC est l’IPC hors tabac des ménages du premier quintile de la distribution des niveaux de vie (article R. 3231-2 du code du travail).

La mesure de l’IPC constitue donc un élément crucial dans la revalorisation des salaires.

Le rapporteur souhaite, à ce sujet, faire état des critiques à l’égard de la manière dont est construit l’IPC. Actuellement, l’IPC exclut l’investissement en logement (achat ou gros travaux). Il ne prend en compte que les loyers et les charges (alimentation en eau, reprise des eaux usées, etc.), les dépenses en énergie pour le logement (électricité, gaz, etc.) et les petits travaux d’entretien et de réparation. Cela explique qu’en 2018, les dépenses de consommation en logement aient uniquement pesé pour 14 % dans l’IPC, alors même que le logement constitue un poste de dépenses très important, notamment pour les plus modestes. Il est nécessaire de mieux prendre en compte les dépenses de logement dans l’IPC, et donc de revaloriser le SMIC en conséquence.

Le SMIC peut, en plus des deux revalorisations mécaniques évoquées ci‑avant, faire l’objet d’une augmentation supérieure à celle qui résulterait de la stricte application des textes (article L. 3231-10 du code du travail). Il s’agit de ce que l’on qualifie, dans le langage courant, d’un « coup de pouce » au SMIC, lequel peut être décidé par le Gouvernement de manière discrétionnaire.

B.   Le niveau du smic stagne depuis de nombreuses annÉes

Depuis le 1er janvier 2022, le nouveau montant du SMIC brut horaire est de 10,57 euros, soit 1 603,12 euros bruts mensuels, sur la base de la durée légale du travail de 35 heures hebdomadaires.

1.   Des revalorisations automatiques sans véritable « coup de pouce »

Les revalorisations automatiques se succèdent sans que de « coups de pouce » ne soient décidés par le Gouvernement. Cette année encore, le Gouvernement n’a en effet pas souhaité donner « un coup de pouce » au SMIC considérant qu’il reviendrait à donner « un vrai coup de canif au redressement de l’emploi » ([47]). Le SMIC a donc récemment été uniquement revalorisé de manière automatique :

– au 1er octobre 2021 (+ 2,2 %), en raison d’une hausse de l’inflation supérieure à 2 %. Il s’agit d’une hausse historique, le dernier relèvement du SMIC en cours d’année due à l’inflation datant du 1er décembre 2011 ;

– au 1er janvier 2022 (+ 0,9 %) en raison de la revalorisation mécanique liée à l’inflation constatée pour les 20 % des ménages aux plus faibles revenus.

Évolution du Taux horaire du SMIC brut depuis 2013

Date d’effet

SMIC horaire brut
(en euros)

Évolution par rapport au 1er janvier de l’année précédente

Au 1er janvier 2022

10,57

0,9 %

Au 1er octobre 2021

10,48

2,2 %

Au 1er janvier 2021

10,35

0,99 %

Au 1er janvier 2020

10,15

1,2 %

Au 1er janvier 2019

10,03

1,5 %

Au 1er janvier 2018

9,88

1,23 %

Au 1er janvier 2017

9,76

0,93 %

Au 1er janvier 2016

9,67

0,6 %

Au 1er janvier 2015

9,61

0,8 %

Au 1er janvier 2014

9,53

1,1 %

Au 1er janvier 2013

9,43

0,3 %

Source : données de l’INSEE.

La position du groupe d’experts sur le SMIC n’est sans doute pas étrangère à cette stagnation du salaire minimum. Celui-ci remet en effet, chaque année, au Gouvernement et à la Commission nationale de la négociation collective un rapport analysant l’impact du SMIC sur l’économie française ([48]). Depuis sa création en 2009, les rapports qu’il produit aboutissent aux mêmes conclusions. Cette année, une fois de plus, le groupe d’experts s’est ainsi prononcé en défaveur d’un « coup de pouce » au SMIC au 1er janvier 2022.

Les « coups de pouce » au SMIC

Depuis sa création, le SMIC a fait l’objet de plusieurs « coups de pouce », qui se sont cependant raréfiés :

– en 1981, le SMIC a fait l’objet d’un « coup de pouce » de 10 % au 1er juin ;

– en 1995, le SMIC a été relevé de 4 % dont 2,2 points de « coup de pouce » puis de 0,16 % en 1996 et enfin de 2,26 % en 1997 ;

– en 1998, le SMIC a connu une hausse de 2 %, dont 0,5 % au titre du « coup de pouce » ;

– en 2001, le SMIC a bénéficié d’un « coup de pouce » de 0,29 % ;

– entre 2003 et 2006, l’harmonisation des différents SMIC (notamment entre les garanties mensuelles de rémunération issues des 35 heures) a entraîné une revalorisation de 17,6 % du salaire horaire le plus bas ;

– en 2006, le SMIC a augmenté de 0,3 % de plus que la simple revalorisation mécanique ;

– en 2012, il est décidé une hausse de 2 % du SMIC, dont 1,4 % au titre de l’inflation et 0,6 % de « coup de pouce ». Il s’agissait finalement d’une simple anticipation de la revalorisation mécanique prévue le 1er janvier.

Depuis dix ans désormais, le SMIC n’a bénéficié d’aucun « coup de pouce ».

2.   Le pouvoir d’achat du SMIC est en berne

Les revalorisations automatiques du SMIC ne font que maintenir le pouvoir d’achat au niveau de celui-ci, il ne progresse donc pas. Ainsi, en 2021, le pouvoir d’achat du SMIC a continué à progresser mais de manière plus modérée que celui des principales références salariales fournies par l’INSEE. Le salaire moyen par tête et le salaire horaire de base des ouvriers et employés ont en effet progressé plus rapidement que le salaire minimum légal. Ce constat n’est pas nouveau : depuis 2013, l’absence de « coup de pouce » a marqué le décrochage du pouvoir d’achat du SMIC.

II.   le droit proposÉ : UNE REVALORISATION DU SMIC DE 15 % À compter du 1er fÉvrier 2022

Comme l’ont rappelé les économistes auditionnés par le rapporteur, le montant du SMIC est un choix politique et non économique. Il s’agit de la valeur que notre société souhaite donner au travail. Le législateur a donc pleinement sa place dans les débats relatifs au montant du SMIC.

A.   Une revalorisation significative au profit du pouvoir d’achat des salariÉs les plus dÉfavorisÉs

L’article 1er de la présente proposition de loi complète l’article L. 3231-4 du code du travail en prévoyant un montant plancher pour le SMIC de 1 827,89 euros brut mensuel sur la base de 35 heures travaillées, soit 15 % de plus que son niveau actuel. Le taux horaire brut du SMIC passerait ainsi à 12,05 euros ([49]). L’ensemble des salariés rémunérés en deçà de 1 827,89 euros bruts mensuels verront leur salaire augmenter au moins jusqu’au niveau du nouveau montant du SMIC.

B.   Les effets attendus d’une telle revalorisation

Les travaux des économistes montrent qu’une augmentation du SMIC bénéficie à un ensemble de travailleurs qui ne sont pas nécessairement rémunérés au niveau du SMIC. La proportion totale des bénéficiaires d’une revalorisation du SMIC dépend de plusieurs facteurs et reste difficile à évaluer. Elle dépend notamment de l’ampleur de la revalorisation, de l’évolution des effectifs salariés et de la répartition des niveaux de salaires par rapport aux minima de branche.

1.   Des effets positifs pour un grand nombre de travailleurs, du secteur privé comme du secteur public

La revalorisation du SMIC aura de nombreux effets, notamment sur la rémunération de différentes catégories de salariés :

– la rémunération des travailleurs en contrat d’apprentissage, dont le salaire minimum est fixé en pourcentage du SMIC, croissant avec l’âge et en fonction de l’année d’apprentissage ;

– la rémunération des salariés de moins de 26 ans, employés sous contrat de professionnalisation ([50]) dont le salaire minimum est fixé en pourcentage du SMIC en fonction de la formation et l’âge ;

– la rémunération d’un certain nombre de travailleurs employés par des particuliers tels que les assistants maternels dont le salaire brut de base ne peut être inférieur à 0, 281 fois le SMIC horaire. Ces employés sont d’ailleurs surreprésentés parmi ceux qui sont rémunérés au niveau du SMIC ;

– le traitement des fonctionnaires rémunérés en dessous du nouveau salaire minimum, et ce en vertu d’un principe général du droit selon lequel aucun agent public ne peut être rémunéré à un niveau intérieur au SMIC ([51]). 450 000 agents publics ont ainsi été concernés par la revalorisation automatique d’octobre 2021 ;

– le montant de la pension des anciens exploitants agricoles dont les minima sont désormais fixés à 85 % du SMIC depuis la loi du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles ([52]).

2.   Un coût modéré pour les entreprises

Le rapporteur ne nie pas le coût qu’aurait, pour les entreprises et notamment les plus petites d’entre elles, une hausse de 15 % du SMIC. Ce coût est très complexe à évaluer.

Sur la base de la dispersion des salaires de l’INSEE en 2018, le rapporteur a calculé le coût « instantané » pour les entreprises d’une hausse de 15 % du SMIC, c’est-à-dire le coût qu’il y aurait à faire passer à 1,15 SMIC (SMIC + 15 %) la rémunération de tous les salariés qui sont aujourd’hui rémunérés en deçà de 1,15 SMIC. Ce coût serait d’environ 4,7 milliards d’euros ([53]). Lors de son audition, la direction générale du Trésor a également estimé qu’il serait de l’ordre de 4 milliards d’euros.

Ce coût n’est, bien sûr, que le coût « instantané ». Il ne prend pas en compte l’effet de diffusion de la hausse du SMIC sur les salaires plus élevés que 1,15 SMIC. Selon les calculs de l’INSEE, un relèvement du SMIC bénéficie ainsi à tous les actifs rémunérés en deçà de 1,7 SMIC.

Ce coût ne prend pas en compte, non plus, les effets de la hausse du SMIC sur les exonérations dont bénéficient les entreprises. Le rapporteur a calculé, sur la base de la dispersion des salaires de l’INSEE datant de 2018, qu’une hausse de 15 % du SMIC entraînerait entre 7 et 8 milliards d’euros d’exonérations supplémentaires pour les entreprises.

Les allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires

Il existe trois types d’allégement de cotisations patronales sur les bas salaires :

– une réduction générale dont bénéficient les employeurs sous certaines conditions sur les rémunérations inférieures à 1,6 SMIC par an. Cet allégement est maximal au niveau du SMIC et dégressif au-delà. La réduction s’applique aux cotisations patronales d’assurances sociales et aux contributions patronales d’assurance chômage ;

– une réduction du taux de cotisation des allocations familiales, qui est fixé à 5,25 %. Ce taux est réduit de 1,8 point pour les salariés dont l’employeur entre dans le champ d’application de la réduction générale et dont les rémunérations ou gains n’excèdent pas 3,5 fois le SMIC annuel. Il est ainsi fixé à 3,45 % pour les rémunérations annuelles inférieures ou égales à 3,5 SMIC ;

– une réduction du taux de cotisations d’assurance maladie. Il s’agit d’une réduction proportionnelle du taux de cotisations d’assurance maladie de 6 points (soit un taux de 7 % au lieu de 13 %) pour les rémunérations annuelles qui n’excèdent pas 2,5 SMIC.

3.   Un coût pour les finances publiques difficile à évaluer

L’augmentation du salaire minimum a plusieurs effets sur les finances publiques :

– une hausse du salaire des agents publics et fonctionnaires les plus modestes ;

– une hausse du montant des exonérations (voir supra) ;

– une hausse du montant des cotisations sociales et impôts perçus. Le rapporteur a, ainsi, calculé avec le simulateur de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) qu’une hausse de 15 % du SMIC permettrait un gain de 1,5 milliard d’euros de ressources, principalement pour la Sécurité sociale et, plus marginalement, pour l’État.

Lors de son audition, la direction générale du Trésor a estimé que le coût pour les finances publiques serait d’environ 5,5 milliards d’euros. Le rapporteur n’a pas pu obtenir, auprès de la direction générale du Travail et de la direction générale du Trésor, des chiffres précis sur le nombre de personnes rémunérées au niveau du SMIC dans les trois fonctions publiques. Le rapport ne peut donc pas confirmer l’estimation donnée par la direction générale du Trésor.

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*     *


Article 2
Organisation d’une conférence nationale sur les salaires

Rejeté par la commission

Le présent article vise à ouvrir une conférence nationale sur les salaires en vue de revaloriser les salaires minima hiérarchiques. Cette conférence nationale réunira les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau de chaque branche ainsi qu’au niveau national et interprofessionnel. Les accords de branche qui en découleront devront être négociés dans un délai de six mois après la promulgation de la loi.

I.   lA NÉgociation collective : un instrument de revalorisation des salaires

Des salaires conventionnels, complémentaires au SMIC, sont fixés par la négociation collective. Afin de donner davantage de valeur au travail et de mieux lutter contre la précarité qui touche encore trop de travailleurs, la revalorisation du SMIC prévue par l’article 1er gagnerait à s’accompagner d’une augmentation plus générale des salaires conventionnels.

Dans cet objectif, le présent article prévoit la mise en place d’une conférence nationale sur les salaires afin d’inviter les partenaires sociaux à impulser une véritable revalorisation des rémunérations.

A.   Des salaires Minima conventionnels sont fixÉs par accord de branche

Le SMIC n’est pas le seul seuil de rémunération minimum en France. La négociation collective fixe en effet des salaires minima en fonction de la qualification des salariés ([54]). Ces salaires minima conventionnels, appelés salaires minima hiérarchiques (SMH), sont fixés par accord de branche. Concrètement, la grille conventionnelle qui fixe la hiérarchie des salaires au sein d’une branche professionnelle se compose de coefficients de qualification renvoyant chacun à un niveau de salaire en dessous duquel un salarié ne peut être rémunéré compte tenu de sa position dans cette grille.

Les salaires minima conventionnels font partie du « noyau dur » de la négociation collective

Le droit français du travail connaît trois principaux niveaux de négociation collective : les accords nationaux interprofessionnels, les conventions collectives de branches, ainsi que les accords d’entreprise et de groupe.

Jusqu’à l’adoption de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ([55]), la branche était le niveau de négociation privilégié. En cas de conflit entre des normes de niveaux différents, un principe dit « de faveur » s’appliquait : prévalait la norme qui était la plus favorable aux salariés.

En 2004, le législateur a inversé le principe de primauté en prévoyant que l’accord d’entreprise pouvait comporter des stipulations moins favorables aux salariés que l’accord de branche, sauf si ce dernier en disposait autrement. La prévalence de l’accord d’entreprise a été renforcée par la loi du 20 août 2008 ([56]), laquelle a fait prévaloir les accords d’entreprise sur les accords de branche pour certains thèmes en matière de durée du travail.

L’ordonnance du 22 septembre 2017 ([57]) est, ensuite, venue conforter la primauté de l’accord d’entreprise. Celui-ci prime sur l’accord de branche, sauf dans quelques matières, appelées « noyau dur », énumérées à l’article L. 2253-1 du code du travail. Dans ces matières, les accords d’entreprise ne peuvent pas déroger aux dispositions prévues par la convention de branche, à moins de comporter des garanties au moins équivalentes (conformément à un principe dit « d’équivalence »).

Les salaires minima conventionnels font partie de ce « noyau dur ».

Le non-respect d’un salaire minimum conventionnel peut engager la responsabilité de l’employeur. Ainsi, même avec l’accord du salarié, l’employeur ne peut se soustraire au respect de ce salaire ([58]). De même, un salarié ne peut être licencié pour avoir refusé de percevoir un salaire inférieur au salaire minimum conventionnel ([59]).

B.   Les pouvoirs des branches en matiÈre de fixation des salaires minima conventionnels ont ÉtÉ rÉcemment Étendus par la jurisprudence

Tout comme pour le SMIC, se pose la question de l’assiette à prendre en compte pour vérifier le respect du salaire conventionnel. Dans certains cas, la convention collective détermine elle-même les éléments à prendre en compte et le juge est alors tenu de les respecter. En l’absence de détermination dans la convention collective, la Cour de Cassation tient un raisonnement analogue à celui qu’elle tient concernant le SMIC en recherchant si l’élément en question est la contrepartie du travail.

Faute de définition légale du SMH, la direction générale du travail en retient depuis plusieurs années une conception restrictive, considérant que relève de cette notion le salaire de base stricto sensu, intégrant certains avantages mais excluant tout complément de salaire.

Toutefois, le Conseil d’État a récemment retenu une interprétation extensive de la notion de SMH, venant étendre les pouvoirs des branches en matière de fixation des salaires minimaux conventionnels.

Une interprétation extensive de la notion de SMH par le Conseil d’État

Dans une décision de principe du 7 octobre 2021, le Conseil d’État est venu préciser les pouvoirs des branches professionnelles en matière de salaires minimaux hiérarchiques.

Par un arrêté du 9 juin 2019, la ministre du travail avait en effet procédé à l’extension de l’avenant du 31 mai 2018 relatif aux minima conventionnels de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire. Elle avait toutefois exclu du champ de cette extension (selon la procédure prévue à l’article L. 2261‑25 du code du travail) des stipulations prévoyant que les SMH incluent certains compléments de salaires au motif que les SMH doivent uniquement se rapporter au salaire de base, sans complément de salaire.

Faute de définition légale de cette notion nouvelle, le Conseil d’État s’est donc prononcé en faveur d’une interprétation extensive de la notion de SMH en jugeant notamment que les accords de branche peuvent non seulement fixer le montant des SMH mais aussi en définir la structure en incluant, par exemple, le salaire de base et certains compléments de salaire, c’est-à-dire la rémunération effectivement perçue.

Le Conseil d’État indique également que ces compléments de salaire minimum peuvent être modifiés, réduits voire supprimés par un accord d’entreprise. Toutefois, reprenant le principe d’équivalence consacré par les ordonnances du 22 septembre 2017, le Conseil d’État assortit cette faculté de dérogation à la condition que cet accord d’entreprise prévoit d’autres éléments de rémunération permettant aux salariés de percevoir une rémunération effective au moins égale au montant du SMH fixé par l’accord de branche.

C.   Un certain nombre de branches ne sont, aujourd’hui, pas « conformes » au SMIC

Dans certaines branches, les salaires minima conventionnels sont fixés en deçà du niveau du SMIC. Dans ce cas, le salarié conserve néanmoins le droit de bénéficier du montant du SMIC ([60]) puisqu’il s’agit d’une disposition d’ordre public. Il revient alors à l’employeur de combler cet écart.

Plus d’une centaine de branches ne sont pas « conformes » au SMIC

On dit d’une branche qu’elle n’est pas conforme au SMIC lorsque le salaire minimum du plus bas coefficient de qualification est inférieur au SMIC.

Selon le bilan du ministère du travail, fin 2021, 63 branches, soit 36,8 % des 171 branches (4,7 millions de salariés) disposaient d’une grille intégralement conforme. À l’inverse, 108 branches, soit 63,2 % (6,6 millions de salariés), avaient une grille comportant au moins un coefficient inférieur au SMIC.

Les revalorisations du SMIC augmentent généralement le nombre de branches non conformes. Avec la revalorisation automatique du SMIC intervenue au 1er octobre, 89 branches s’étaient ajoutées aux branches non conformes. Avec la nouvelle hausse du 1er janvier, 22 nouvelles branches ont désormais au moins un coefficient non conforme au montant du SMIC.

La non-conformité d’un grand nombre de branches s’explique notamment par la relative faiblesse de la périodicité des négociations au sein des branches. L’ordonnance du 22 septembre 2017 ([61]) a renforcé ce phénomène en desserrant la périodicité́ des négociations sur les salaires au sein des branches. La seule obligation d’ordre public posée par l’article L. 2241‑1 du code du travail en termes de périodicité́ est que la négociation sur les salaires intervienne au moins « une fois tous les quatre ans ». Ce n’est qu’en l’absence d’accord que les branches doivent se réunir au moins une fois par an pour négocier sur les salaires.

De plus, le calendrier choisi par les branches pour renégocier les salaires n’est pas forcément calqué sur l’année civile. Aussi, une grille conventionnelle conforme au SMIC au moment de son adoption peut être dépassée à la suite d’une ou plusieurs revalorisations de ce dernier. Or, il est essentiel d’assurer une conformité au SMIC de l’ensemble des branches, de manière à ce que la position dans la hiérarchie salariale des travailleurs rémunérés juste au-delà du SMIC ne s’érode pas.

Les hausses du SMIC ont pour effet de « tasser » les grilles salariales. Lorsque le SMIC rattrape les minima conventionnels, cela entraîne une concentration accrue des salariés dont la rémunération devient ancrée sur le SMIC. Il est essentiel d’augmenter concomitamment le SMIC et les minima conventionnels pour que la prise de responsabilité et l’expérience permettent une véritable progression salariale.

II.   Le droit proposÉ : organiser une confÉrence nationale pour engager une véritable revalorisation des salaires

Le présent article prévoit l’ouverture de négociations salariales au sein d’une conférence nationale sur les salaires. La très grande majorité des acteurs auditionnés par le rapporteur appellent de leurs vœux une telle conférence, laquelle pourrait également être l’occasion de réfléchir collectivement aux moyens de véritablement réduire les inégalités salariales, lutter contre le temps partiel subi, de renforcer l’attractivité des métiers en tension ou encore de mieux reconnaître les travailleurs de première ou de seconde ligne.

A.   Revaloriser les salaires minima conventionnels

L’augmentation du SMIC, prévue par l’article 1er de la présente proposition de loi, pourra de manière indirecte entraîner une revalorisation de l’ensemble des rémunérations, notamment en raison de la volonté de maintenir une certaine hiérarchie salariale dans l’entreprise. Néanmoins, l’effet de la diffusion d’une hausse du SMIC à l’ensemble de la distribution des salaires n’est pas connu avec certitude et semble relativement faible. Selon l’Insee une revalorisation de 1 % du SMIC rehausse les salaires de base individuels de 0,08 % en moyenne ([62]).

Afin de s’assurer d’une vraie revalorisation salariale, et notamment d’une revalorisation des salaires minima conventionnels, l’article 2 prévoit l’ouverture d’une conférence nationale sur les salaires.

Dans le cadre de cette conférence, chaque branche ouvrira des négociations, en concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. L’objectif est d’initier un relèvement général des salaires propre à créer d’importants gains de pouvoir d’achat. Selon l’INSEE, une hausse de 1 % des minima conventionnels augmente les salaires de base individuels de 0,14 % environ.

Le rapporteur insiste sur le fait que la conférence nationale sur les salaires ne devra pas porter uniquement sur la revalorisation des salaires minima conventionnels. Elle pourra être l’occasion d’aborder un certain nombre de sujets essentiels pour redonner au travail toute sa valeur et lutter encore davantage contre la précarité laborieuse. Parmi ces sujets, les acteurs auditionnés par le rapporteur ont pu, notamment, évoquer l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, la progression salariale au cours de la carrière, l’opportunité de conditionner les aides publiques et les exonérations à la conformité de la branche au SMIC, ou encore la manière de mieux reconnaître les travailleurs de première et deuxième ligne.

B.   parvenir À Des accords de branche dans un dÉlai de six mois

L’article 2 prévoit que les accords de branche seront négociés dans un délai de six mois. Ce délai peut paraître relativement court mais il est essentiel de ne pas laisser passer trop de temps entre l’augmentation de 15 % du SMIC, prévue par l’article 1er, et la revalorisation des salaires minima conventionnels, au risque, sinon, d’engendrer un tassement des grilles salariales.


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Examen en commission

Au cours de sa réunion du mercredi 12 janvier 2022, la commission a examiné la proposition de loi ([63]).

M. Gérard Leseul, rapporteur. La présente proposition de loi vise à mieux reconnaître le travail, préoccupation que nombre d’entre nous partagent. Certains métiers dont l’utilité sociale n’est pourtant plus à démontrer sont rémunérés à des niveaux trop bas pour que ceux qui les exercent vivent dans des conditions décentes. Pour faire le lien avec la discussion précédente, je rappelle que le coût de la vacation d’un urgentiste pour une garde de vingt‑quatre heures équivaut au salaire mensuel d’une aide‑soignante.

Afin de mieux reconnaître le travail, le groupe Socialistes et apparentés propose que le salaire minimum ne soit plus un simple salaire de subsistance. Le SMIC doit remplir de nouveau les deux objectifs que le législateur lui a fixés dès sa création, en 1970, sous le gouvernement Chaban-Delmas : garantir le pouvoir d’achat des travailleurs les plus modestes et assurer la participation de ces travailleurs au développement économique de la nation. À travers ces deux fonctions premières, le salaire minimum devait être un véritable « salaire de civilisation », pour reprendre les termes de Pierre Herman, rapporteur de la loi de 1970 qui a substitué le SMIC, alors « salaire minimum interprofessionnel de croissance », au SMIG, salaire minimum garanti.

Peut-on encore considérer qu’un travailleur rémunéré au SMIC dispose d’un pouvoir d’achat suffisant pour participer à la vie économique de notre pays ? S’établissant à 1 269 euros net mensuels, soit à peine 200 euros de plus que le seuil de pauvreté, le salaire minimum n’est guère plus qu’un salaire de subsistance. Certes, des suppléments de revenu, comme la prime d’activité, viennent compléter ce montant. Toutefois, il faudrait pouvoir vivre décemment des revenus de son propre travail, comme le souhaitent de nombreuses Françaises et de nombreux Français.

Le groupe Socialistes et apparentés estime qu’il est plus que temps d’engager un nouveau cycle de répartition des richesses et de revaloriser le travail par la hausse des salaires. Deux constats devraient nous pousser à reconsidérer le montant du salaire minimum.

Premier constat : le partage des richesses est de plus en plus inégalitaire. Ces dernières années, la déformation du partage de la valeur ajoutée a connu une forte inflexion en faveur du capital. Si la crise sanitaire a marqué un bref temps d’arrêt dans l’envolée des montants des dividendes distribués, ce n’était qu’une parenthèse : 51 milliards d’euros de dividendes ont été versés en 2021, soit une augmentation de 22 % par rapport à 2020. Cette hausse record contraste fortement avec la stagnation des salaires les plus faibles.

Non seulement la part des richesses qui revient au travail s’est réduite, mais elle est aussi distribuée de plus en plus inégalement entre les travailleurs. La rémunération des 1 % les plus riches est restée très dynamique, alors que celle des plus pauvres a stagné. La concentration des fruits de la croissance sur un nombre très réduit de ménages nous porte à nous interroger sur le bien‑fondé de ce modèle de société, qui n’apparaît plus soutenable.

Ces deux évolutions – hausse sans précédent des dividendes distribués et creusement des inégalités salariales – ont été soulignées à plusieurs reprises au cours des auditions que nous avons menées. La hausse du salaire minimum que nous appelons de nos vœux à travers cette proposition de loi s’inscrit pleinement et clairement dans la volonté de relancer la lutte contre les inégalités de rémunération.

Second constat : le montant du salaire minimum est désormais insuffisant pour vivre décemment. Il stagne depuis de nombreuses années. En l’absence de véritable revalorisation, le rythme de croissance du SMIC réel a été divisé par dix entre la décennie 2000 et la décennie 2010. En conséquence, le SMIC ne préserve plus complètement les travailleurs qui le perçoivent d’une certaine précarité.

Les recommandations émises par le groupe d’experts sur le SMIC ne sont sans doute pas étrangères à l’absence récurrente de « coup de pouce ». Depuis sa création, en 2009, ce groupe remet chaque année un rapport aboutissant aux mêmes conclusions : le SMIC ne doit pas être relevé, et les mécanismes de revalorisation automatique devraient même être supprimés. Je suis convaincu que la composition du groupe d’experts sur le SMIC devrait garantir davantage de pluralisme, afin que des points de vue plus divers puissent s’exprimer. J’ai déposé un amendement visant à ce que le groupe d’experts ne soit plus quasi‑exclusivement composé d’économistes, appartenant la plupart du temps aux mêmes écoles de pensée : il devrait comprendre des représentants des partenaires sociaux et au moins un représentant d’une association œuvrant dans le champ de la lutte contre la précarité.

À la stagnation du SMIC s’ajoute le retour de l’inflation et la hausse des dépenses contraintes, celles auxquelles les ménages ne peuvent échapper. De surcroît, la précarisation du marché du travail, plus particulièrement l’augmentation du nombre de temps partiels, a créé une véritable classe de travailleurs pauvres.

Le Gouvernement semble partager le constat qui soustend cette proposition de loi. En effet, il a pris un certain nombre de mesures visant à compléter les bas salaires, considérant sans doute que leur montant est trop faible pour permettre aux travailleurs les plus modestes de vivre dans des conditions décentes. La hausse de la prime d’activité, souvent présentée comme une mesure phare en faveur du pouvoir d’achat, fait partie de ces compléments de revenu qui s’ajoutent au salaire. Je rappelle toutefois que l’augmentation de cette prime n’a bénéficié qu’à la moitié des salariés rémunérés au SMIC. De plus, ce supplément de revenu ne constitue pas un salaire : la prime n’ouvre aucun droit social, ni à la retraite ni à l’assurance chômage. Elle ne répond donc pas à ce que souhaitent les Français : vivre de leur propre travail.

Partant de ces constats, notre groupe considère que le moment est opportun pour revaloriser le salaire minimum, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, de nombreux pays se sont engagés dans la voie d’une revalorisation substantielle de leur salaire minimum. La conseillère aux affaires sociales de l’ambassade d’Allemagne en France, que nous avons auditionnée, a souligné les effets bénéfiques de l’instauration, en 2015, d’un salaire minimum en Allemagne. Le nouveau gouvernement de coalition a soumis un projet de loi, qui devrait être prochainement discuté, visant à le revaloriser de 25 % : le salaire minimum atteindrait ainsi 12 euros de l’heure.

L’Allemagne n’est pas le seul de nos partenaires économiques à avoir engagé une hausse des salaires les plus faibles. Le salaire minimum britannique a augmenté d’un tiers depuis 2015 et devrait dépasser le niveau du SMIC en avril 2022. En Espagne, le salaire minimum a augmenté de 7 % en 2017 et de 22 % en 2019.

La Commission européenne s’est elle-même saisie du sujet en soutenant l’instauration de salaires minimums équitables dans l’ensemble des États membres. La présidence française du Conseil de l’Union européenne devrait permettre d’avancer, et l’Allemagne sera à nos côtés en la matière, comme nous l’a confirmé son ambassade.

En deuxième lieu, la crise sanitaire a mis en évidence la rupture qui existe entre ceux qui ont la possibilité de télétravailler et les travailleurs de la première ligne, qui ont continué à se rendre sur leur lieu de travail. On retrouve dans cette catégorie des agents d’entretien, des caissiers, des salariés agricoles, mais aussi des aides‑soignants, qui perçoivent le plus souvent des salaires très faibles. Parce qu’ils répondent aux besoins de première nécessité, les travailleurs de première et deuxième lignes ont vu leur travail s’intensifier et leurs conditions de travail, déjà difficiles, se détériorer.

En outre, la crise sanitaire a profondément ralenti l’activité d’un grand nombre de secteurs qui emploient en majorité des salariés rémunérés à un niveau proche du SMIC. Il s’agit principalement des ouvriers peu qualifiés de l’industrie et de la construction, des professionnels de l’action culturelle et sportive, des employés de l’hôtellerie et de la restauration.

L’ensemble de ces travailleurs, dont nous avons tous salué le caractère essentiel, attendent une juste contrepartie aux efforts qu’ils ont fournis. L’augmentation du SMIC est une mesure simple qui permettrait de reconnaître enfin ces métiers et de les rendre plus attractifs.

Le Président de la République entendait faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la « grande cause » du quinquennat. L’augmentation du salaire minimum s’inscrirait pleinement dans l’objectif de réduction des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes. En effet, près de 60 % des salariés rémunérés au niveau du SMIC sont des femmes, alors qu’elles ne représentent que 44 % de l’ensemble des salariés du secteur privé. En dépit de leur utilité sociale, les professions considérées comme « féminines » sont malheureusement souvent les moins reconnues, et donc les plus faiblement rémunérées. Pour atteindre l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, il ne suffit pas d’assurer la présence de quelques femmes au sommet des entreprises, dans les conseils d’administration : il faut lancer une revalorisation du salaire minimum qui bénéficiera de fait à de nombreuses femmes.

Pour revaloriser les bas salaires, nous proposons d’actionner deux leviers complémentaires : augmenter le SMIC de 15 %, et ouvrir une conférence nationale sur les salaires. En effet, l’augmentation du SMIC gagnerait à s’accompagner d’une réflexion bien plus vaste sur la répartition de la valeur ajoutée. Nous proposons d’inviter les partenaires sociaux à entamer des négociations sur la revalorisation des salaires minimums conventionnels. En d’autres termes, nous souhaitons que l’augmentation du SMIC soit le point de départ d’une meilleure rémunération du travail.

La conformité au SMIC des minima de branche a été abordée à plusieurs reprises au cours des auditions. En effet, des minima conventionnels inférieurs au SMIC ont tendance à tasser les grilles salariales. En conséquence, la prise de responsabilité et l’expérience dans l’entreprise ne sont plus rémunératrices. Les syndicats de salariés que nous avons entendus ont unanimement appelé à une mise en conformité rapide des minima de branche. Je propose donc de créer, par voie d’amendement, un mécanisme fortement incitatif pour les branches : la réduction générale sur les cotisations patronales serait calculée non plus sur le SMIC, mais sur le montant du salaire minimum conventionnel lorsque ce dernier n’est pas conforme au niveau du SMIC. La même proposition figure d’ailleurs dans le dernier rapport du groupe d’experts.

Une conférence nationale sur les salaires réunissant l’ensemble des partenaires sociaux serait également l’occasion de réfléchir aux moyens de lutter contre le temps partiel subi, les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes et les écarts de rémunération, ou encore d’évoquer l’attractivité de certains secteurs. La perspective d’une telle conférence a été saluée par l’ensemble des syndicats de salariés que nous avons auditionnés.

En actionnant ces deux leviers, nous ne pénaliserions pas l’économie française. L’inquiétude relative au coût du travail en France doit désormais être dépassée. Nous savons aujourd’hui que la course au moinsdisant social ne nous prémunit en aucun cas contre la crise économique et contre un taux de chômage élevé. Le bienfondé d’un partage des richesses aussi défavorable aux salariés doit être remis en cause. N’oublions pas que le salaire n’est pas seulement un coût ou une charge, mais aussi un revenu source de pouvoir d’achat, donc de croissance économique. Augmenter le SMIC permettra de renouer avec l’objectif initial : faire du SMIC un salaire de croissance et un « salaire de civilisation ».

J’ai bien conscience qu’une augmentation du SMIC représente un coût pour les entreprises. C’est pourquoi je proposerai, par voie d’amendement, d’instaurer un crédit d’impôt ciblé sur les petites et moyennes entreprises (PME) pour leur permettre de la financer. Les PME embauchant la majorité des salariés rémunérés au SMIC, il faut neutraliser pour elles les effets de notre disposition – surtout pour les plus petites.

Je souhaite que nous ayons ce matin un véritable débat sur le niveau de rémunération minimum des travailleurs français.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq (LaREM). Je tiens à remercier Gérard Leseul d’ouvrir un débat sur le pouvoir d’achat des travailleurs, en particulier de ceux qui sont rémunérés au SMIC.

La majorité présidentielle a eu à cœur de soutenir l’engagement du Président de la République à émanciper les Français par le travail, par la baisse du chômage et par l’amélioration du pouvoir d’achat. Pendant cinq ans, grâce aux politiques que nous avons menées, les Français, notamment ceux qui vivent au SMIC, ont vu leur salaire net augmenter chaque mois sur leur fiche de paie.

Je ne citerai que quelques mesures : l’augmentation et l’extension de la prime d’activité – 90 euros supplémentaires par mois pour un travailleur célibataire au SMIC ; la baisse des cotisations sociales sur les revenus du travail – qui correspond à un gain de 266 euros brut par an pour un travailleur au SMIC ; la défiscalisation des heures supplémentaires – gain net moyen de 200 euros par an pour un salarié au SMIC ; la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, défiscalisée et désocialisée – qui a permis aux salariés de toucher en moyenne 600 euros en 2020.

Grâce à ces mesures, au cours du quinquennat, les salariés au SMIC ont gagné 170 euros de plus par mois, c’est-à-dire 1,7 SMIC sur une année, qui se cumulent aux revalorisations annuelles du SMIC, qui se chiffrent à 97 euros. Au total, sur le quinquennat, un salarié au SMIC travaillant à temps plein aura obtenu à peu près la même augmentation que celle proposée dans votre texte. Ce gain net aura amélioré le pouvoir d’achat des travailleurs sans toucher à la compétitivité de nos entreprises.

Vous proposez en outre la tenue d’une conférence nationale sur les salaires. Cette demande nous paraît satisfaite par les négociations engagées depuis cet automne dans de nombreuses branches, à l’appel de la ministre du travail.

Pour toutes ces raisons, le groupe La République en Marche ne votera pas votre proposition de loi.

M. Stéphane Viry (LR). Monsieur le rapporteur, ce texte sur le pouvoir d’achat, à onze semaines de l’élection présidentielle, est assez opportun. Toutefois, compte tenu de la durée normale du parcours législatif, vous conviendrez avec moi qu’il s’agit davantage d’une contribution au débat que d’une future loi en préparation.

Depuis 2012, il n’y a eu effectivement aucune revalorisation du SMIC, hormis les ajustements mécaniques dus à l’inflation. Il faut manifestement avancer sur le sujet. Quant à l’ouverture d’une conférence des salaires, il convient à l’évidence de mettre le sujet sur la table, très rapidement et avec tout le monde. Je souscris à vos propos : on ne vit pas dans notre pays avec le SMIC, on survit ; force est de le constater et de le déplorer.

Au‑delà de la question du salaire, celle du pouvoir d’achat est centrale, d’une part pour les conditions de vie, d’autre part pour la cohésion sociale. Je forme le vœu que nous ayons un vrai débat à ce sujet au moment de l’élection présidentielle, projet contre projet. Pour ma part, je défends celui de Valérie Pécresse, qui propose une augmentation de 10 % des salaires nets jusqu’à 2,2 SMIC, soit 3 500 euros. La mesure concernerait 12 millions de Français. Pour un salarié au SMIC, cela correspondrait à un gain net de pouvoir d’achat de plus de 1 500 euros dans l’année. C’est mieux que ce que vous proposez, et c’est une mesure plus globale.

Il y a effectivement un défaut de reconnaissance et de valorisation du travail, du fait d’une rémunération trop faible. Je fais partie de ceux qui considèrent que la ressource humaine est un véritable capital dans l’entreprise. Néanmoins, la traduction que vous en faites dans votre proposition de loi me paraît incomplète et inefficiente. L’augmentation du SMIC n’entraînera pas de revalorisation des salaires les plus bas et ne créera pas davantage d’emplois. Au contraire, elle aura pour effet pervers que les entreprises n’embaucheront pas une partie de la population : une part plus importante de Français resteront donc sans emploi, dans la précarité. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas votre proposition de loi.

M. Nicolas Turquois (Dem). La présente proposition de loi vise d’une part à augmenter le SMIC et d’autre part à ouvrir une conférence nationale sur les salaires et des négociations de branche. Si nous pouvons comprendre les intentions, nous ne nous accordons pas sur les moyens.

Pour ce qui est des constats, vous pointez très justement, monsieur le rapporteur, deux éléments qui sont à déplorer : l’absence de différenciation significative entre le seuil de pauvreté et le montant du SMIC, et un partage des richesses assurément perfectible. Je ne doute pas que votre intention soit d’améliorer sensiblement le niveau de vie d’un grand nombre de nos concitoyens, mais la méthode proposée n’est pas la bonne.

Sur le plan économique, indépendamment de la crise actuelle, on estime que l’élasticité de la demande de travail est particulièrement forte pour le travail peu qualifié. Il est dès lors admis qu’une hausse substantielle du salaire minimum détruit des emplois. Ainsi, la mesure que vous proposez aurait pour effet immédiat de briser la dynamique actuelle de sauvegarde et de création d’emplois.

Si le SMIC est un socle salarial indispensable, en particulier pour renforcer le pouvoir de négociation des travailleurs, c’est à la négociation collective qu’il revient de dynamiser les salaires. Il est indispensable que les partenaires sociaux se saisissent pleinement à l’avenir, dans le cadre de la négociation collective, de la question des bas salaires. C’est dans cette perspective que le Gouvernement a invité de nombreuses branches, notamment l’hôtellerierestauration et les industries agroalimentaires, à ouvrir des négociations sur les salaires et les conditions de travail.

D’un point de vue plus pragmatique, votre proposition de loi pose de nombreux problèmes. L’augmentation du SMIC de 15 % conduirait inévitablement à un accroissement du nombre de salariés percevant le minimum de salaire, ce qui réduirait de facto l’attractivité professionnelle de certains postes. Par ailleurs, comment entendez‑vous accompagner les employeurs face à l’augmentation significative du coût du travail ? Comment comptez‑vous endiguer le dumping salarial pratiqué par certains pays, phénomène qui sera nécessairement accru dans ce cas de figure ? Comment anticipez‑vous l’inflation qui pourrait être induite par la hausse du niveau de vie d’une partie de la population ? À toutes ces interrogations, vous n’apportez aucune réponse.

Nous estimons qu’il est plus important de pourvoir les emplois vacants, de lutter contre le chômage et de combattre les inégalités salariales, notamment entre les femmes et les hommes. Cela ne peut être que le fruit d’une politique à la fois conjoncturelle et structurelle. Conjoncturelle d’abord, car il faut établir un ensemble de mécanismes rapidement opérationnels pour faire face aux besoins immédiats ; c’est l’un des objectifs de la réforme de l’assurance chômage. Structurelle ensuite, pour déployer une stratégie de long terme, celle de la flexisécurité, que le Président de la République a lancée dès 2017.

Enfin, pour répondre aux préoccupations exprimées à propos du pouvoir d’achat, j’ai à cœur de rappeler que, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, le SMIC est bien plus dynamique que l’évolution des prix, que le pouvoir d’achat des ménages résiste et que leur épargne augmente.

Vous l’aurez compris, le groupe Mouvement démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés ne votera pas cette proposition de loi.

M. Boris Vallaud (SOC). La question du SMIC, et plus généralement des rémunérations, est au cœur des préoccupations des Français, qui subissent de plein fouet l’augmentation des prix, en particulier de l’énergie et des logements. La question du pouvoir d’achat est centrale.

Ayons d’abord en tête que la stagnation du SMIC en valeur réelle pendant dix ans a contribué à augmenter comme jamais la part des salariés au SMIC. Il s’est donc produit l’inverse de ce que M. Turquois dit craindre avec une augmentation de 15 %.

Par ailleurs, vous affirmez que la priorité est de pourvoir en emplois. Or la réalité de la baisse du chômage que vous affichez est que vous n’avez pas créé d’emplois de qualité correctement rémunérés, et que vous avez multiplié le nombre des travailleurs pauvres.

Depuis 2008, le salaire des 10 % de Français les plus riches a augmenté trois fois plus vite que celui des 10 % de Français les plus pauvres. Il y a une distorsion du partage de la valeur ajoutée au bénéfice du capital depuis 1980, mais aussi, depuis 2008, au bénéfice des très hautes rémunérations. Au fond, les largesses accordées à quelques‑uns ont conduit à l’austérité salariale pour tous les autres.

C’est à cela que nous voulons remédier, dans une situation particulière de lendemain ou quasilendemain d’une crise considérable, au cours de laquelle nous avons pu mesurer quels étaient les travailleurs dont nous ne pouvions pas nous passer ; nous les avons même applaudis à vingt heures. Nous avons eu besoin des caissières, des aidessoignantes, des éboueurs et des travailleurs de l’agroalimentaire. Nous avons eu moins besoin des publicitaires et des conseillers en optimisation fiscale.

Voilà la justice qu’il faut rendre aujourd’hui. Nous devons nous demander comment défendre non seulement le travail, mais aussi les travailleurs – c’est-à-dire la dignité au travail, un travail porteur de sens, qui émancipe, qui n’abîme pas et qui est correctement rémunéré.

Vous répétez que le travail doit payer mais en réalité, sous votre quinquennat, ce n’est pas le travail qui a payé : ce sont nos grands‑parents. En effet, l’augmentation de la prime d’activité est le produit de la hausse de la CSG des retraités ! Qui plus est, les allocations en question sont non contributives. Autrement dit, nous ne finançons pas la protection sociale, ou mal. Dire aux Français que c’est un gain de pouvoir d’achat, c’est leur mentir. Aujourd’hui déjà, avec la réforme de l’assurance chômage, il y a moins de droits liés au travail. Demain, avec la réforme de la retraite, qui conduira à travailler beaucoup plus longtemps, on fera de nouveau des économies sur le dos des Français.

Oui, il serait juste de rémunérer dignement les Françaises et les Français, en particulier ceux que nous avons applaudis à vingt heures.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (Agir ens). La proposition de loi de Gérard Leseul vise à augmenter de 15 % le niveau du SMIC et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires pour relever les minima de branche. Le texte a le mérite d’être radical, donc de susciter le débat. Néanmoins, il y a peu de suspense : notre groupe y sera défavorable.

Non que la question des bas salaires ne soit pas importante, bien au contraire. Mais, d’une part, les solutions préconisées nous paraissent dangereuses pour le tissu économique de notre pays, et d’autre part, l’action engagée par notre majorité et par le Gouvernement pour que le travail paie davantage a porté ses fruits. Il est nécessaire de poursuivre cette démarche.

Quelques chiffres pour nos collègues du groupe socialiste : depuis 2017, l’Observatoire français des conjonctures économiques constate une hausse du pouvoir d’achat des ménages de 1 % par an, soit un gain annuel de 334 euros ; pour mémoire, elle était de 0,2 % sous le quinquennat précédent.

Ce gain de pouvoir d’achat ne tombe pas du ciel : il résulte de mesures prises pour que le travail paie mieux, surtout pour les salariés modestes. Je pense bien sûr à la hausse de la prime d’activité, à la défiscalisation des heures supplémentaires, à la suppression des cotisations chômage et maladie ou encore à la prime dite « Macron ». Très concrètement, un Français rémunéré au SMIC gagne désormais 170 euros de plus par mois par rapport à 2017.

L’article 1er de la proposition de loi tend à augmenter de 15 % le niveau du SMIC dès le 1er février. Cette hausse inédite des rémunérations aurait des conséquences tout aussi spectaculaires sur la santé économique de nos très petites entreprises (TPE) et PME, qui emploient l’essentiel des salariés au SMIC : le « coup de pouce » se transformerait en coup de poignard pour des entreprises qui se relèvent à peine de la crise sanitaire.

L’article 2 prévoit l’ouverture d’une conférence nationale sur les salaires. Nous partageons le constat du rapporteur : il n’est pas acceptable que certaines branches aient des grilles de salaires inférieurs au SMIC. Mais là encore, le travail est engagé : la ministre du travail a reçu le mois dernier chacune de ces branches pour les inciter à négocier sans délai une amélioration de ces grilles. Plusieurs d’entre elles ont trouvé un accord, notamment le secteur hôtellerie-cafés-restauration, particulièrement concerné par les tensions de recrutement. La méthode fonctionne, nous devons poursuivre dans cette voie.

Vous l’aurez compris, le groupe Agir ensemble ne votera pas ce texte.

M. Yannick Favennec-Bécot (UDI-I). Je remercie nos collègues du groupe Socialistes et apparentés d’avoir inscrit dans leur niche parlementaire un débat sur les bas salaires. Les difficultés auxquelles sont confrontés les travailleurs aux revenus modestes sont particulièrement d’actualité au moment où les prix des produits du quotidien augmentent, notamment ceux de l’énergie, des matières premières et des produits alimentaires. Les salaires n’augmentent pas, alors que, malheureusement, le coût de la vie ne cesse de croître.

Pour une partie de nos concitoyens, le travail ne paie plus. Il ne leur permet plus de s’enrichir, de faire des projets, de partir en vacances, de s’assurer de la transmission du patrimoine qu’il a permis de constituer. Il leur donne seulement des moyens de subsistance ; c’est tout simplement de la survie. Redonner un sens au travail, retrouver le goût et la fierté du travail accompli, restaurer la valeur travail, cela passe aussi par une hausse des salaires les plus modestes.

La réponse du groupe socialiste consiste en une augmentation d’environ 120 euros brut du SMIC, assortie de l’ouverture d’une conférence nationale sur les salaires. Si cette hausse du SMIC paraît séduisante au premier abord, elle risque malheureusement de n’apporter qu’une réponse de très court terme. Toutes les entreprises ne sont pas capables d’augmenter aussi considérablement le coût du travail ; c’est d’ailleurs la principale cause de l’embolisation de notre économie.

Pour notre groupe, la réponse à apporter passe par un rapprochement du montant du salaire brut et du salaire net, en diminuant de façon drastique les prélèvements obligatoires. Une telle réforme augmenterait mécaniquement les salaires et faciliterait les recrutements. En outre, il faut créer un écosystème réellement favorable aux entreprises pour tendre vers le plein‑emploi, car c’est aussi le chômage de masse qui grève nos finances sociales.

Mme Jeanine Dubié (LT). Je remercie Gérard Leseul et le groupe Socialistes et apparentés d’engager dans notre commission une discussion sur la juste rémunération du travail, question primordiale.

En effet les enjeux sont multiples. Il y a d’abord un principe de justice sociale : il n’est pas normal de ne pas pouvoir vivre dignement du fruit de son travail, ni d’être rémunéré au SMIC presque toute sa vie. Il n’est pas juste de devoir compter sur des aides sociales pour compléter un salaire trop bas. Avec la crise sanitaire, la situation des travailleurs pauvres a été mise sur le devant de la scène, mais les leçons n’ont pas été suffisamment tirées. Les professions dites de seconde ligne sont surreprésentées parmi les personnes rémunérées au SMIC. C’est également le cas des femmes.

Autre enjeu : l’attractivité de certains métiers. Malgré la reprise économique, plusieurs secteurs comme l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, la logistique ou la santé peinent à recruter. Il ne suffit pas de renvoyer cette question aux négociations de branche ; une action forte de l’État en faveur des bas salaires est nécessaire pour rompre avec le statu quo.

Plus largement, il est nécessaire de s’interroger sur les politiques de baisse du coût du travail menées depuis vingt‑cinq ans. Il convient d’envisager un meilleur ciblage des réductions de cotisations patronales pour que le soutien à l’emploi ne se fasse pas à n’importe quel prix, ni pour n’importe quel salaire. D’autant que les exonérations de cotisations sociales nuisent in fine au financement de notre protection sociale. C’est là un autre enjeu de l’augmentation des salaires : la pérennisation de notre modèle social.

Il est plus que légitime de soulever la question de l’augmentation des salaires, en premier lieu du SMIC, notamment dans le contexte d’explosion des prix. Cependant, l’augmentation du SMIC ne suffira pas : il faut agir sur le temps de travail, lutter contre les contrats précaires, les temps partiels subis et les inégalités salariales.

En l’état, les membres du groupe Libertés et Territoires voteront majoritairement ce texte.

M. Jean-Hugues Ratenon (FI). En 2021, le CAC40 s’est envolé d’environ 29 %, sa meilleure performance depuis 1999. En 2020, les entreprises du CAC40 ayant bénéficié d’aides publiques avaient dû réduire de manière importante le montant de leurs dividendes. En 2021 toutefois, alors que la crise sanitaire se doublait d’une crise économique, ces grandes entreprises ont opéré un rattrapage massif, puisqu’elles ont versé 51 milliards d’euros de dividendes, soit une hausse de 22 % par rapport à 2020. Les aides publiques qu’elles ont perçues à l’occasion de l’épidémie ont mobilisé 106 milliards d’euros, ce qui représentait, à la fin du mois de mars 2021, 9 % du produit intérieur brut. Voilà la réalité.

Les oubliés de ce grand partage sont précisément ceux qui ont créé cette plus‑value. Car c’est la valeur ajoutée des travailleurs, dont un grand nombre sont salariés à temps partiel, titulaires d’un contrat précaire, et perçoivent des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. En France, neuf millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois.

Face à la flambée des prix de l’énergie et à la hausse de ceux de l’alimentation et des matériaux entre autres, les foyers défavorisés ont du mal à s’en sortir. Et c’est encore plus difficile pour ceux qui vivent dans les outre‑mer, où la cherté de la vie est couplée avec les bas salaires. Il faut d’urgence mettre fin à cette précarité, qui est aussi à l’origine d’un problème sanitaire. Les salariés au SMIC à temps plein gagnent à peine plus que le seuil de pauvreté.

Nous approuvons ce texte. Souhaitons qu’il trouve un écho dans la majorité. Une augmentation rapide du SMIC ne serait que justice sociale.

M. Pierre Dharréville (GDR). Personne ne l’a oublié, Emmanuel Macron a été durant tout son quinquennat le président des riches, et la majorité a suivi la même voie. Vous essayez de donner le change en faisant circuler des chiffres et des éléments de langage, mais la réalité est là : vous avez méprisé le salaire, vous avez fait le strict minimum en matière de politique salariale, vous avez développé de fausses solutions. J’entends d’ailleurs, dans le débat qui s’amorce, que certaines forces politiques entendent poursuivre dans cette direction, voulant supprimer des cotisations sociales, ce qui ne peut qu’affaiblir le financement de notre système de protection sociale.

Pour notre part, nous sommes favorables à la pleine reconnaissance de tous les métiers, de tous ceux et toutes celles qui travaillent. Nous sommes favorables à ce que l’on s’attaque frontalement aux inégalités, qui sont massives et qui s’accroissent. Nous sommes favorables à ce que l’on revienne sur les politiques de modération salariale – pour employer un euphémisme cher à l’Union européenne et à quelques autres – et sur les politiques dites de baisse du coût du travail, qui conduisent en réalité à une baisse de la rémunération et à une moindre reconnaissance du travail par le salaire. Depuis 2018, le nombre de salariés payés au SMIC a augmenté ; au 1er janvier 2021, ils représentaient 12 % de l’ensemble des salariés.

Nous soutenons les mesures proposées, qui correspondent à celles que nous avions défendues en 2020 avec Stéphane Peu. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de votre travail et de votre présentation très précise du texte. J’avais une interrogation, à laquelle vous avez répondu en annonçant que vous défendriez un amendement portant sur l’accompagnement des TPE et des PME. Nous voterons votre proposition de loi.

M. Bernard Perrut. On ne peut que partager votre objectif de valorisation du travail et souhaiter lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres. Le principe est que le travail doit mieux payer que l’assistanat. Toutefois, je m’interroge sur l’augmentation du SMIC que vous proposez : comment s’assurer que cette charge supplémentaire sur les entreprises n’aura pas d’impact sur l’embauche et ne finira pas par provoquer du chômage ? Les personnes les moins qualifiées et les jeunes seraient les plus touchés face à une productivité inférieure au coût du salaire. De fait, le salaire minimum rend inemployables les travailleurs les plus vulnérables.

Dès lors, comment ne pas faire peser cette augmentation sur les entreprises ? Les dispositifs d’intéressement ne seraient-ils pas un autre moyen d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés ?

Dans notre pays, la différence entre le salaire brut et le salaire net est singulièrement forte. La France reste championne d’Europe en matière de pression fiscale et sociale, le taux moyen de taxation réelle du salarié ayant atteint, en 2021, 54,62 % du salaire complet payé par l’employeur. La baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le revenu, décidée à la suite de la crise des « gilets jaunes », n’a que peu fait baisser la pression sociale et fiscale – de 0,05 %. Cette pression fiscale n’est d’ailleurs pas nécessairement un gage de surplus de bien‑être : selon l’indicateur du vivre mieux de l’Organisation de coopération et de développement économiques, la France arrive en dixième position sur les vingt pays européens évalués.

C’est pourquoi il est impératif d’engager une baisse massive des charges sociales à tous les niveaux de salaires, financée par un plan de réduction de la dépense publique. Le ciblage des baisses de charges sur les bas salaires ne serait pas forcément efficace, notamment parce qu’elles bénéficieraient moins directement à l’industrie, où le salaire moyen est plus élevé que dans les services. Il faut donc baisser les charges patronales pour tous les niveaux de salaires. Qu’en pensez‑vous ? C’est un vœu que nous pourrions partager.

Mme Isabelle Valentin. Pour certains économistes, une forte augmentation du SMIC est économiquement néfaste ; pour d’autres, elle est indispensable pour soutenir la consommation et la croissance. Le débat est complexe.

On ne vit pas dans notre pays avec un SMIC, on survit. Il importe de rémunérer le travail à sa juste valeur, tout en veillant à ne pas pénaliser la reprise économique. Nous sommes tous sensibles au fait qu’une aide‑soignante ou une aide à domicile qui travaille le week‑end et selon des horaires très particuliers est rémunérée au SMIC.

D’après le groupe d’experts sur le SMIC, la sortie de crise s’est accompagnée, au troisième trimestre 2021, d’un retour vers l’activité. Cependant, la reprise demeure fragile, en raison à la fois des risques pandémiques persistants et de difficultés structurelles qui créent une inflation.

En 2022, l’inflation devrait se maintenir, ce qui aura des conséquences sur le pouvoir d’achat des Français et sur la dette du pays. Si l’on augmente considérablement le SMIC, comme le prévoit cette proposition de loi, ne risque‑t‑on pas de nourrir l’inflation ?

M. le rapporteur. Mes chers collègues, je vous remercie de votre participation au débat et de l’intérêt que vous lui accordez. Vous avez estimé que la question posée était légitime, voire centrale. Vous avez relevé que certains arguments étaient pertinents et fondés, même si vous ne les approuvez pas nécessairement tous.

Plusieurs d’entre vous l’ont dit, on ne vit pas avec un SMIC, on survit. Il y a donc tout lieu de débattre de sa revalorisation – et c’est bien le SMIC, un salaire, qu’il faut rehausser : il ne saurait être question de continuer indéfiniment avec des compléments de survie pour les travailleurs pauvres alors que le revenu qu’ils tirent de leur travail ne suffit pas pour vivre.

Dans certaines de vos interventions, la question de l’indexation du SMIC sur l’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation, était sous‑jacente. Depuis quelques mois, nous assistons à une flambée des prix, notamment ceux de l’énergie utilisée pour se chauffer ou se déplacer, ce qui affecte considérablement les conditions de vie des travailleurs.

Certaines propositions de candidats à l’élection présidentielle portent sur ces enjeux. À cet égard, je souhaite que nous sortions des débats mortifères que nous avons connus il y a quelques semaines, sur des questions qui ne concernent pas le quotidien des Français. Nous devons en revanche avoir un large débat sur le travail et sa revalorisation, ainsi que sur l’équilibre des revenus au sein des entreprises.

Certes, on pourrait développer l’intéressement, ou plutôt la participation. Encore faudrait-il mener un débat politique sur la manière de limiter le versement de dividendes, ou à tout le moins de trouver un équilibre avec l’intéressement. On l’a dit, 51 milliards d’euros de dividendes versés en 2021, cela correspond à une augmentation de 22 %, largement supérieure à la progression des salaires.

Pour respecter les travailleurs et leurs représentants, pour qu’il y ait un dialogue social digne de ce nom, il convient de renvoyer autant de sujets que possible à la discussion entre les partenaires sociaux. Il ne vous aura pas échappé à cet égard que, dans l’hôtellerie-restauration, le patronat fait des propositions d’augmentation des rémunérations qui s’établissaient à 10 % il y a quelques semaines et qui sont désormais montées à 16,33 % – plus que ce que nous proposons !

La référence au SMIC vaut principalement dans les métiers dits de services – l’hôtellerie-restauration, l’action sociale, culturelle et sportive – ou encore dans ceux du bâtiment. Il ne s’agit pas d’activités qui affectent la balance commerciale. Dans les domaines où se joue la compétition internationale, tels que l’industrie, les rémunérations sont supérieures au SMIC.

Que veut-on, en définitive : retrouver de la cohésion sociale, redonner de l’espoir aux travailleurs en leur permettant de vivre dignement de leur salaire, ou entériner le fait que leur travail ne suffit pas et leur donner des prestations sociales pour compléter ? Cette seconde solution n’est pas digne ; ce n’est pas ce qu’attendent les Françaises et les Français.

La France a lancé le débat sur le salaire minimum, qui fait progressivement son chemin au niveau de l’Union européenne. Le Président de la République s’est d’ailleurs engagé à défendre la question d’un SMIC européen. Nous devons être fiers de créer de la cohésion sociale à travers le salaire minimum. Je ne comprends pas la pudeur que manifestent certains d’entre vous, alors que nous proposons globalement, les uns et les autres, les mêmes mécanismes. Quoi qu’il en soit, la question du salaire minimum est absolument centrale et il convient d’en discuter. J’espère que nous aurons l’occasion de poursuivre le débat dans l’hémicycle.

Article 1er : Revalorisation du SMIC de 15 %

Amendement de suppression AS3 de Mme Charlotte Parmentier-Lecocq.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. L’article 1er vise à augmenter le SMIC de 15 % du jour au lendemain. Depuis le début de la législature, nous nous efforçons d’augmenter les rémunérations nettes, y compris pour les salariés au SMIC. Pour ce faire, nous avons diminué les cotisations sociales, augmenté la prime d’activité et défiscalisé les heures supplémentaires – autant de mesures qui ont des conséquences sonnantes et trébuchantes pour les salariés, sans pour autant nuire à la compétitivité des entreprises. Or c’est là que le bât blesse : votre proposition se traduirait par une hausse importante de la masse salariale des entreprises, ce qui risquerait de donner un énorme coup de frein à l’emploi, alors que nous sommes en train de résorber progressivement le chômage et de sortir des personnes de la précarité en leur donnant un emploi rémunéré.

Vous commencez vous aussi à mesurer ce risque pour la compétitivité puisque vous proposez, à travers l’amendement AS10, de créer un crédit d’impôt pour aider les entreprises à supporter la mesure. Mais cet amendement arrive un peu tard et il tombe comme un cheveu sur la soupe : son impact n’est pas mesuré et il relève plutôt d’une loi de finances.

Au total, des mesures comme celle-ci nous semblent totalement contreproductives.

M. le rapporteur. Vous semblez moins sensible à mes arguments que vous ne l’étiez dans la discussion générale.

En quoi le fait qu’un employé de la restauration touche un salaire décent nuit‑il à la compétitivité de la France ? La compétitivité se mesure à l’international, pas au regard de la consommation interne. Il est normal de prendre des précautions et de nouer un dialogue étroit avec les entreprises, notamment les plus petites, pour trouver le meilleur mécanisme possible. C’est d’ailleurs ce que je propose avec la création d’un crédit d’impôt destiné à leur permettre de supporter l’augmentation du SMIC. Mais il ne s’agit pas de compétitivité.

Par ailleurs, vous nous reprochez de procéder à l’augmentation du SMIC du jour au lendemain. Il est vrai que la date d’entrée en vigueur est proche. Mais vous auriez pu déposer un amendement visant à étaler dans le temps cette juste augmentation.

M. Pierre Dharréville. Les mesures prises par la majorité ont peu sonné et beaucoup trébuché, si l’on en juge par leurs résultats. Surtout, elles ont été financées directement par les salariés et les retraités. Elles ont eu également des répercussions sur l’impôt, dont vous avez accru le caractère injuste au fil des lois de finances. Il faut arrêter de contourner le salaire, comme vous l’avez fait en permanence. Le salaire est juste et nécessaire, et il faut le respecter.

M. Nicolas Turquois. Je soutiens totalement l’amendement de suppression. Une mesure aussi brutale que celle qui est proposée serait profondément délétère.

Contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, les métiers de services ne seraient pas les seuls concernés. Les producteurs maraîchers notamment – Mme Valentin pourrait en témoigner – se trouveraient en difficulté face aux produits des pays ayant une main‑d’œuvre à faible coût, alors même que notre production dans ce domaine est déjà insuffisante.

Les entreprises ont besoin de progressivité. Je ne méconnais pas le fait que certains travailleurs survivent plutôt qu’ils ne vivent, mais il faut agir dans le temps et avec détermination, à l’image de ce qu’a fait la majorité, comme en témoignent les revalorisations intervenues en 2021.

Par ailleurs, votre approche ne tient pas compte du fait que c’est contre le chômage qu’il faut lutter en priorité. Si l’on se contente d’agir au profit des personnes ayant déjà un emploi, cela se fait au détriment de celles qui sont au chômage. Compte tenu de la crise, nous pouvons d’ailleurs nous féliciter d’avoir non seulement préservé l’emploi, mais même réduit le chômage. Sur ces questions, il faut avoir une approche équilibrée.

M. Boris Vallaud. C’est l’éloge du travail pauvre que nous venons d’entendre. C’est stupéfiant ! Ce qui est délétère, ce n’est pas l’augmentation du SMIC, ce sont les faibles niveaux de rémunération.

Lorsque nous étions aux responsabilités, nous avons plafonné certaines rémunérations et taxé de manière égale le capital et le travail. Au cours des cinq dernières années, nous avons proposé de contenir les surrémunérations, ce que vous avez toujours refusé. Pendant la crise, tout le monde a applaudi les caissières ; trouvez-vous normal que le patron d’une grande enseigne continue à gagner 400 fois ce que gagne chacune d’entre elles ? Est-il normal que l’on sorte ces surrémunérations de l’assiette imposable ?

Depuis 2008, les salaires des 10 % de Français les plus riches ont augmenté trois fois plus vite que ceux des 10 % touchant les plus faibles rémunérations. Par ailleurs, 0,35 % des salariés gagnent plus de douze fois le SMIC – et cela ne représente qu’une part de leurs revenus. Si l’on redistribuait la part des rémunérations au‑dessus de douze fois le SMIC, on pourrait augmenter 20 % des salariés les plus faiblement payés de 233 euros nets par mois.

Si nous nous sommes également battus pour la taxation des multinationales, c’est parce qu’en réalité ce sont les PME qui paient les salaires des grands patrons, les impôts de ceux qui n’en payent pas. Nous voulons de la justice y compris dans la compétition économique, et de la loyauté dans la mondialisation. Nous voulons une juste rémunération et un juste partage de l’effort fiscal.

L’augmentation du SMIC ne nuit pas à la compétitivité. Après une augmentation très importante du salaire minimum en Espagne, en 2018, 400 000 emplois ont été créés. Et dans notre secteur de la restauration, on observe des augmentations fortes des rémunérations au‑dessus du SMIC, en raison du besoin de main‑d’œuvre.

Il est donc tout à fait possible d’augmenter le SMIC. S’il y a un problème de coût du travail en France et dans d’autres pays d’Europe, il est lié à la captation de la valeur ajoutée entre très peu de mains. Avec un peu plus de justice, tout le monde vit mieux : tel est le sens du message de Gérard Leseul.

M. le rapporteur. Une augmentation de 15 % du SMIC est ambitieuse, mais pas disproportionnée. D’abord, le salaire minimum a déjà connu des hausses importantes. En 1981 notamment, il avait été revalorisé de 10 %. Ensuite, contrairement à ce qui a été dit, il n’y a pas eu récemment de revalorisation du SMIC : sa hausse est le résultat mécanique de l’indexation sur l’inflation et l’indice des prix à la consommation. Le SMIC n’a bénéficié d’aucun « coup de pouce » depuis 2012. Une forte hausse est donc nécessaire pour permettre aux travailleurs modestes de vivre dignement de leur travail.

Plusieurs pays, notamment l’Espagne et l’Allemagne, se sont engagés dans la voie d’une revalorisation ambitieuse de leur salaire minimum.

Par ailleurs, certains secteurs en mal d’attractivité proposent des revalorisations très ambitieuses de leurs grilles salariales. Certes, les négociations n’ont pas encore abouti, mais les chiffres avancés sont supérieurs à la hausse que nous proposons dans ce texte.

Les effets négatifs d’une augmentation du SMIC sur notre économie ne seraient certainement pas aussi massifs que certains le prétendent. Du reste, ils ne sont pas documentés : il n’y a pas d’étude récente témoignant, dans plusieurs pays, de tels effets.

Enfin, le Gouvernement a certes pris des mesures pour limiter l’impact de la hausse des prix, mais elles ne constituent pas des éléments de rémunération. Cela ne répond pas aux souhaits des Français. Si vous poursuivez dans cette voie, nous aurons demain des retraités pauvres comme nous avons des salariés pauvres, car ces aides n’entrent pas dans les cotisations.

Certains ont toutefois évoqué, et c’est écrit dans l’exposé sommaire de l’amendement, le fait que le contexte actuel amène les partenaires sociaux à renégocier les salaires. Je les remercie de l’avoir fait et les invite à voter au moins en faveur de l’article 2, qui incite à une revalorisation globale par la négociation.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement AS6 de M. Gérard Leseul tombe.

Article 2 : Organisation d’une conférence nationale sur les salaires

Amendement AS7 de M. Gérard Leseul.

M. le rapporteur. Lors de nos discussions avec les partenaires sociaux, la direction générale du travail, la direction générale du Trésor et le groupe d’experts sur le SMIC, il est apparu que la notion de salaire minimum « hiérarchique » était un peu trop restrictive. Nous proposons donc de remplacer ce terme par « conventionnel ».

La commission rejette l’amendement.

Puis elle rejette l’article 2.

Après l’article 2

Amendement AS9 de M. Gérard Leseul.

M. le rapporteur. À la fin de l’année 2021, 108 branches sur 171 avaient une grille comportant au moins un coefficient inférieur au SMIC ; depuis l’augmentation du 1er janvier, elles sont même encore plus nombreuses. Cette situation a des incidences directes sur le niveau des salaires versés dans les entreprises. Pour inciter les branches concernées à relever rapidement leurs minima sociaux, cet amendement vise à réduire le montant des allégements de cotisations sociales consentis aux entreprises lorsque le salaire minimum conventionnel de la branche dont elles relèvent est inférieur au SMIC. Pour calculer le montant de l’allégement des cotisations, nous retenons le salaire minimum conventionnel de branche plutôt que le SMIC.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS8 de M. Gérard Leseul.

M. le rapporteur. L’amendement vise à diversifier la composition du groupe d’experts sur le SMIC, qui, depuis sa création, ne comprend presque que des économistes, qui plus est appartenant à la même école de pensée. Ce manque de pluralisme se traduit dans les recommandations que le groupe émet chaque année, déconseillant invariablement le moindre « coup de pouce ». Intégrer des représentants des partenaires sociaux et au moins un représentant des associations œuvrant dans le champ de la lutte contre la précarité permettrait de diversifier les points de vue. En Allemagne, la commission équivalente est gérée de manière quasi paritaire. Les différents points de vue s’y expriment donc librement, même s’ils sont parfois contradictoires, et l’on parvient à des conclusions consensuelles.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS10 de M. Gérard Leseul.

M. le rapporteur. Aux termes de l’article 1er, l’ensemble des salariés rémunérés entre 1 et 1,15 SMIC toucheront 1,15 SMIC à compter du 1er février. Cette mesure aura un coût pour les entreprises, notamment les plus petites, alors que les PME emploient 80 % des salariés rémunérés au SMIC. L’amendement vise donc à créer, pour les trois années à venir, un crédit d’impôt destiné à aider les PME à financer cette augmentation du salaire minimum. Le taux du crédit d’impôt est fixé à 10 %, de manière à tenir compte du coût de la hausse du SMIC, estimé à un peu plus de 4 milliards d’euros.

La commission rejette l’amendement.

La commission ayant supprimé ou rejeté tous les articles de la proposition de loi et rejeté les amendements portant article additionnel, l’ensemble de la proposition de loi est rejeté.

M. le rapporteur. Je suis déçu que nous n’ayons pas pu trouver au moins une entente sur l’article 2. Il est important qu’outre un débat national sur la hausse du SMIC, que nous aurons dans l’hémicycle, une discussion soit organisée avec les partenaires sociaux sur la revalorisation globale des salaires, comme certains d’entre vous l’ont d’ailleurs appelé de leurs vœux. Je vous remercie d’avance de réfléchir à l’article 2 d’ici à la séance.

*

*     *

L’ensemble des articles de la proposition de loi et des amendements portant article additionnel ayant été supprimés ou rejetés, le texte est considéré comme rejeté par la commission.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

 


–  1  –

   ANNEXE n° 1:
Liste des personnes auditionnÉes par lE rapporteur

(Par ordre chronologique)

     Table ronde des syndicats de salariés :

– Confédération générale du travail (CGT)  M. Boris Plazzi, secrétaire confédéral, et M. Michel Roques, conseiller confédéral

– Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) – Mme Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à l’économie et l’industrie, et Mme Anaïs Filsoofi, chargée d’études économie et fiscalité

 Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)  M. Pierre Jardon, membre du conseil confédéral en charge du dialogue social

– Force ouvrière (FO)  Mme Heïdi Akdouche, conseillère technique du secteur de la négociation collective et des rémunérations

     Table ronde d’économistes :

 M. Jérôme Gautié, professeur à l’Institut d’administration économique et sociale de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

– M. Henri Sterdyniak, Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

– Mme Christine Erhel, directrice du Centre d’études de l’emploi et du travail

– M. Mathieu Plane, directeur-adjoint de département de l’OFCE

     Mme Katrin Auer, conseillère aux affaires sociales de l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne

     Ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion – Direction générale du travail  Mme Aurore Vitou, adjointe à la sous-directrice des relations individuelles et collectives du travail, Mme Marie-Aurore de Boisdeffre, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail, Mme Florence Lefrancois, adjointe à la cheffe du bureau, et Mme Mané Taroyan, chargée de mission – Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques  M. Malik Koubi, sous-directeur « salaires, travail et relations professionnelles »

 

     Groupe d’experts sur le SMIC  M. Gilbert Cette, président, professeur d’économie à NEOMA Business School

     Direction générale du Trésor M. Antoine Deruennes, chef du service des politiques publiques, et Mme Marie Rullière, cheffe de bureau Politiques sectorielles 1 par intérim

 


–  1  –

   Annexe n° 2 :
textes susceptibles d’être abrogés ou modifiés à l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1ER

Code du travail

L. 3231-4

2

Code du travail

L. 3231-4

 

 

 


([1]) Les Échos, « Bourse : l’année de tous les records pour le CAC 40 », décembre 2021.

([2])  Le groupe d’experts sur le SMIC fournit un rapport annuel en vertu de l’article 24 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail.

([3]) INSEE, « Indice des prix à la consommation - résultats provisoires (IPC) », août 2021.

([4])  Le poids des dépenses d’énergie dans le budget d’un ménage est d’autant plus élevé que ce ménage est pauvre (INSEE, « Les dépenses d’énergie des ménages depuis 20 ans : une part en moyenne stable dans le budget, des inégalités accrues », 2010).

([5]) L’inflation annuelle atteignait 5 % en 1970.

([6]) Dans une note de conjoncture du 14 décembre 2021, l’INSEE indique ainsi que « les salaires nominaux seraient relativement dynamiques, mais leur progression en termes réels serait plus contenue ».

([7])  DREES, « Dépenses pré-engagées : quel poids dans le budget des ménages ? », 2018.

([8]) DREES, Ibid..

([9]) Observatoire des inégalités, données de janvier 2021.

([10]) DREES, « Ménages aux revenus modestes et redistribution », 2019.

([11]) DARES, « Les salariés rémunérés au salaire minimum : une minorité le reste durablement », 2019.

([12]) DARES, « La revalorisation du SMIC au 1er janvier 2021 », décembre 2021.

([13]) Direction générale du Trésor, « L’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée dans les pays avancés », 2019.

([14]) Mission présidée par Jean-Philippe Cotis, alors directeur général de l’INSEE, « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France », rapport remis en mai 2009 au Président de la République.

([15]) Ibid.

([16]) Observatoire des inégalités, « Les inégalités de niveau de vie se stabilisent », novembre 2021.

([17]) OXFAM, « Des profits sans lendemain ? », juin 2020.

([18]) Le PFU est composé d’un prélèvement au titre des cotisations sociales au taux global de 17,2 % et d’un prélèvement fixé à 12,8 %. L’ensemble de ces deux prélèvements permet d’afficher un taux unique d’imposition de 30 % sur les revenus de placement.

([19]) INSEE, « Les comptes de la Nation », 2021.

([20]) Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de Covid-19, rapport de mars 2021.

([21]) Thomas Piketty, « Le Capital au XXIe siècle », 2013.

([22]) La prime d’activité est un complément de revenu versé, sous conditions de ressources, aux actifs dès 18 ans qu’ils soient salariés, travailleurs indépendants ou fonctionnaires.

([23]) Pierre Concialdi, « Le salaire minimum en France : historique et débats », La Revue de l’IRES, n° 100, 2020.

([24]) Caisse nationale des allocations familiales, Étude qualitative sur le non-recours à la prime d’activité, 2020.

([25]) Le caractère anti-redistributif du financement de la prime d’activité par l’impôt repose notamment sur le mode de calcul de la contribution sociale généralisée, qui est un impôt proportionnel et donc non progressif.

([26]) Groupe d’experts sur le SMIC, rapport annuel, 2021.

([27]) Groupe d’experts sur le SMIC, ibid.

([28]) Odile Chagny et Sabine Le Bayon, « La loi sur le salaire minimum en Allemagne : un bilan globalement positif, des enjeux d’application majeurs », La revue de l’IRES, 2020.

([29]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A52020PC0682

([30]) Eurostat.

([31]) Conseil national de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, « La pauvreté démultipliée - Dimensions, processus et réponses », 2021.

([32]) Conseil d’analyse économique, « Dynamiques de consommation dans la crise : les enseignements en temps réel des données bancaires », octobre 2021.

([33]) Michel Husson, « Salaire minimum et emploi : histoire d’un débat », La revue de l’IRES, 2020.

([34]) Dans une étude publiée en 2012 [Les notes de l’OFCE, « Quelles conséquences économiques d’un coup de pouce au SMIC ? », n° 22, 17 juillet 2012], les économistes Mathieu Plane et Éric Heyer estiment qu’une hausse de 1 % du SMIC supprimerait 2 300 emplois environ. Cette étude a été menée dans un contexte économique spécifique, celui qui prévalait en 2012, année marquée par la poursuite de la crise des dettes souveraines et par une forte progression du chômage dans de nombreux pays développés.

([35]) « Making a Case for a Higher Minimum Wage – Essay in The Milken Review », 2019. Traduction de Michel Husson.

([36]) Peter Harasztosi et Attila Lindner, « Who Pays for the Minimum Wage ? », American Economic Review, 2019.

([37]) Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, ordonnance n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective, ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

([38]) Aux termes de l’article L. 2271-1 du code du travail, la CNNCEFP rend un avis sur la fixation du SMIC.

([39]) L’économiste Jérôme Gautié, dans un article de 2018 intitulé « D’un siècle à l’autre, salaire minimum, science économique et débat public aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni (1890-2015) », rappelle que sont notamment adoptées des clauses dans les marchés publics obligeant les fournisseurs à payer des salaires décents, comme le décret Millerand en France en 1899, prenant comme référence du salaire « normal » la moyenne des salaires pratiqués dans la localité.

([40]) Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.

([41]) Loi n° 70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance.

([42]) Le montant horaire brut du SMIC s’appliquant à Mayotte s’élève à 7,91 euros au 1er octobre 2021.

([43]) À l’exclusion des VRP, dont l’activité s’exerce en dehors de toute considération horaire, et du secteur de la pêche, qui fait l’objet d’adaptations spécifiques.

([44]) Les raisons aboutissant à cette situation sont exposées plus loin dans le rapport.

([45]) Il s’agit d’une contravention de cinquième classe.

([46]) Il s’agit du salaire horaire brut de base, avant déduction des cotisations sociales et avant versement de prestations sociales dont les salariés pourraient bénéficier, pour la population des ouvriers et des employés (SHBOE).

([47]) Intervention du ministre de l’économie, des finances et de la relance, le 6 septembre 2021 sur le plateau de BFM TV.

([48]) Article 24 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008.

([49]) La revalorisation de 15 % prévue par la présente proposition de loi s’effectue sur la base du montant du SMIC avant le relèvement opéré au 1er janvier 2022.

([50]) Les contrats de professionnalisation sont des contrats en alternance qui permettent l’acquisition, dans le cadre de la formation continue, d’une qualification professionnelle.

([51]) Arrêt de section du Conseil d’État du 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/ Mme Aragnou.

([52]) Loi n° 2020-839 du 3 juillet 2020 visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre-mer.

([53]) Ce coût est une estimation de l’ensemble des salaires nets supplémentaires que devront verser les entreprises pour leurs salariés aujourd’hui rémunérés en deçà de 1,15 SMIC ainsi que des cotisations supplémentaires (notamment celles pour les accidents du travail et les maladies professionnelles) qu’elles devront payer en plus. Ce coût a été estimé sur la base de la dispersion des salaires de l’INSEE datant de 2018, faute de données disponibles plus récentes.

([54]) La qualification est issue des grilles de classification prévues par les conventions collectives.

([55]) Loi n° 2004-391 du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.

([56]) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail.

([57]) Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([58]) Cour de cassation., Chambre sociale, 6 juillet 1997, n° 09-42.890.

([59]) Cour de cassation., Chambre sociale, 27 octobre 1999, n° 98-44.627.

([60]) Cour de cassation., Chambre sociale, 7 mars 2012 n° 10-19.073.

([61]) Ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

([62]) INSEE, « Le rôle des accords collectifs sur la dynamique des salaires », Insee-Références, édition 2018.

([63]) https://videos.assemblee-nationale.fr/video.11726782_61de8eec6ea75.commission-des-affaires-sociales--urgence-contre-la-desertification-medicale--augmentation-du-sala-12-janvier-2022