N° 4898

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE,
 

visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française
de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse
sur le devoir de vigilance des multinationales,

PAR M. Dominique POTIER,

Député

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Voir les numéros : 4328, 4889.


 


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SOMMAIRE

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Pages

avant-propos............................................... 5

EXAMEN EN COMMISSION


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Mesdames, Messieurs,

La commission des Lois est saisie de la proposition de résolution européenne visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales. Déposée par votre rapporteur le 7 juillet 2021, elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le mardi 11 janvier 2022 sur le rapport de votre rapporteur et de Mme Mireille Clapot.

En application de l’article 151-6 du Règlement de l’Assemblée nationale, la commission des Lois dispose alors d’un délai d’un mois pour déposer son rapport sur la proposition de résolution de la commission des Affaires européennes. À défaut, le texte de la commission des Affaires européennes aurait été considéré comme adopté. Cependant, cette proposition de résolution ayant été inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée du groupe socialistes et apparentés le 20 janvier prochain, notre commission était tenue de s’en saisir afin de permettre son examen en séance publique. Ce choix est par ailleurs opportun, compte tenu des travaux actuellement réalisés par la commission des Lois sur ce sujet, dans le cadre de la mission d’évaluation de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

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*     *

L’économie mondiale repose aujourd’hui largement sur une chaîne de production fracturée entre plusieurs pays sur plusieurs continents. Dans ces circuits mondialisés, les étapes de production d’un produit, depuis sa conception jusqu’à son achat par le consommateur final, voire jusqu’à la livraison du produit à son domicile, obéissent souvent à des logiques juridiques et économiques différentes.

Ces différences peuvent susciter une forme de déresponsabilisation de la part des grandes entreprises, en particulier lorsqu’elles sous-traitent une partie de leur production à d’autres sociétés situées en dehors de l’Union européenne ou lorsqu’elles organisent leur activité via des filiales étrangères régies par des droits parfois moins protecteurs des travailleurs et de l’environnement.

Cette forme d’irresponsabilité n’est pas sans conséquence dans les pays d’accueil de ces activités. La société civile a ainsi peu à peu pris conscience des graves inégalités causées par cette extrême fragmentation. En 2013, l’effondrement du Rana Plaza, causant la mort de près de 1 200 personnes travaillant au Bangladesh dans des ateliers de confection pour des enseignes internationales, illustre tristement cette inacceptable injustice. Depuis, de nombreux évènements, moins médiatisés voire invisibles, continuent de se produire.

Face à un tel constat, d’aucuns prônent l’entre-soi et la fermeture de chaque pays sur lui-même. D’autres ignorent le problème et préfèrent le statu quo, au nom de la liberté d’entreprendre, d’une conception néo-libérale de l’économie et d’une vision dépassée du rôle de l’entreprise comme une entité dont le seul rôle est la recherche de profits.

Notre pays n’a choisi aucune de ces solutions. Il a, au contraire, eu le courage de proposer une troisième voie, celle de la responsabilisation des entreprises et du retour de l’humain au cœur de leur logique économique et de leur processus décisionnel.

Dès 2013, à l’initiative de plusieurs parlementaires, le Parlement français débattait des contours du futur devoir de vigilance imposé aux plus grandes entreprises. Finalement adoptée en mars 2017, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a créé de nouvelles obligations de vigilance à l’égard des grands groupes afin de les contraindre à mieux prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement pouvant être commises par ces sociétés, ainsi que par leurs filiales et leurs sous-traitants, dans notre pays comme à l’autre bout du monde.

En somme, cette loi novatrice appelle les plus grandes entreprises à veiller sur l’activité des plus petites sociétés et, singulièrement, à s’assurer qu’elles respectent les droits humains les plus fondamentaux. En utilisant une technique juridique originale, reposant à la fois sur la contrainte législative et sur l’autonomie de l’entreprise, elle ouvre une nouvelle ère dans laquelle les acteurs économiques et de la société civile sont invités à contribuer à la construction du droit.

Loin d’avoir nui à notre tissu économique, cette nouvelle obligation constitue aujourd’hui une garantie de qualité pour les entreprises françaises qui protège leur réputation et leur image de marque, tant en France que sur les marchés internationaux. Elle apporte la preuve que la recherche du profit peut et doit s’accompagner d’une éthique économique internationale.

Enfin, cette loi, en levant le voile juridique qui existe aujourd’hui sur la chaîne d’approvisionnement de l’entreprise, permet aux potentielles victimes de demander la réparation des préjudices subis. Il s’agit ainsi d’une loi de prévention pour les entreprises et de réparation pour les victimes.

Près de cinq ans après son entrée en vigueur, la commission des Lois de l’Assemblée nationale a souhaité procéder à l’évaluation de cette loi, qu’elle a confiée à Mme Coralie Dubost et à votre rapporteur. Votre rapporteur espère que les conclusions de cette mission d’évaluation, qui seront présentées dans le courant du mois de février, nourriront utilement les discussions relatives à la mise en place d’un devoir de vigilance à l’échelle européenne.

En effet, si la France a été pionnière en la matière, son exemple a, depuis, ouvert la voie à une révolution européenne de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. En quelques années, elle a inspiré l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Finlande, la Norvège, le Luxembourg et les Pays-Bas, qui ont tous adopté ou sont en train d’élaborer des législations similaires.

Le devoir de vigilance pourrait prochainement devenir une obligation européenne. Alors qu’en juillet 2020, la Commission européenne publiait un rapport évaluant cette possibilité ([1]), le Parlement européen a voté, en avril 2021, une résolution invitant cette dernière à présenter un projet de directive sur « le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises ([2]) ».

Cette initiative fait suite à l’adoption de deux précédentes résolutions sur le sujet, la première en octobre 2016 sur la responsabilité des entreprises dans les violations graves des droits de l’Homme dans les pays tiers ([3]) et la seconde en mai 2018 sur la finance durable ([4]).

Si l’intention est noble, la progression de cet important chantier accuse un important retard : le vote d’une directive européenne sur le devoir de vigilance est désormais espéré au mieux en 2023, voire en 2024.

L’accélération de ces travaux nécessite une volonté politique forte, que partagent assurément la France et de nombreux autres États européens. Mais elle repose également sur une impulsion.

Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), la France a, là encore, un rôle à jouer. Cet évènement politique doit devenir l’occasion pour notre pays de réaffirmer son attachement aux principes de solidarité et de responsabilité qu’il a consacrés dans son droit interne et de faciliter la prise de décision pour aboutir au plus vite à des normes unifiées entre les vingt‑sept États de l’Union et ainsi remédier au retard pris par les instances décisionnelles de l’Union européenne.

Le niveau européen est en effet, à terme, l’échelon pertinent pour mettre en œuvre une telle législation. Tant sur le plan moral qu’éthique, il revient en effet à l’Union européenne d’agir en la matière afin d’assurer le respect des droits fondamentaux et la protection de l’environnement, qui font partie de ses principes fondateurs : il est impensable que l’Union européenne reste indifférente à des atteintes graves aux droits humains ou à l’environnement, alors même que l’introduction, dans le droit de l’Union, d’un devoir de vigilance des multinationales pourrait potentiellement permettre de les éviter.

Comme votre rapporteur l’a pointé avec la députée Mme Mireille Clapot dans leur rapport d’information présenté au nom de la commission des affaires européennes relatif au devoir de vigilance des multinationales ([5]), « un encadrement juridique européen en la matière permettrait la réduction des distorsions normatives sur le marché intérieur liées à la disparité des réglementations nationales en créant un environnement juridique homogène bénéficiant aux acteurs économiques. De plus, en imposant aux entreprises la traçabilité de leurs approvisionnements, une connaissance fine de leur chaîne de valeur et des risques qui y sont associés dans le contexte du changement climatique ou des pandémies, le devoir de vigilance est appelé à constituer un instrument au service de la résilience des entreprises au niveau européen vis-à-vis d’exigences croissantes des consommateurs et de crises ».

En outre, plusieurs secteurs font déjà l’objet de réglementations européennes sectorielles instaurant un système de « diligence raisonné », qui constitue une forme de devoir de vigilance. C’est ainsi le cas :

– du secteur du bois, pour lequel le règlement européen du 20 octobre 2010 ([6]) prévoit une obligation, pour les opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché intérieur, d’identification de l’ensemble des sous-traitants tout au long de la chaîne d’approvisionnement ainsi qu’une évaluation des risques contrôlée par des autorités nationales ;

– du secteur minier, le règlement dit « minerais de sang ([7]) » imposant aux entreprises importatrices de minerais et de métaux une obligation de traçabilité de leurs fournisseurs ainsi qu’un système de gestion des risques basée sur des stratégies d’identification, sur des audits de contrôle et sur la publication de rapports annuels.

Si l’existence de ces réglementations sectorielles est à saluer, de nombreux secteurs, potentiellement à risques, ne sont pas soumis à une telle obligation de traçabilité. La création d’un devoir de vigilance au niveau européen permettrait ainsi d’élargir considérablement le champ des entreprises qui y sont assujetties, sans nécessairement exclure une application différenciée dans les secteurs identifiés comme présentant le plus de risques.

C’est donc naturellement que la commission des Affaires européennes a adopté, au cours de sa réunion du mardi 11 janvier, une proposition de résolution européenne sur le devoir de vigilance des multinationales. Afin d’accélérer la création d’un devoir de vigilance au niveau européen, cette proposition de résolution invite le Gouvernement à inscrire parmi les priorités de la PFUE en 2022 l’avancée des négociations autour d’une directive sur le sujet.

Une telle législation au niveau européen doit, aux yeux de votre rapporteur, respecter un certain nombre de principes afin d’assurer son effectivité en s’inspirant, lorsque cela semble opportun, de la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.

Ainsi, comme le prévoit la proposition de résolution, il est crucial que la législation qui sera proposée par la Commission européenne :

– instaure une procédure judiciaire permettant, d’une part, de faire cesser les manquements identifiés et, d’autre part, d’assurer, le cas échéant, la réparation des préjudices subis par celles et ceux qui sont affectés par l’activité des entreprises et de leurs chaînes d’approvisionnement. En particulier, cette future législation doit permettre, comme le prévoit aujourd’hui la loi française, à toute personne qui justifierait d’un intérêt à agir d’engager la responsabilité́ civile des entreprises quand elles manquent à leurs obligations de vigilance ;

– prévoie la consultation systématique des différentes parties prenantes et la participation des salariés au processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation des mesures et des plans de vigilance qui seront mis en place par les entreprises.

Plus largement, votre rapporteur espère que les recommandations qu’il a formulées avec Mme Mireille Clapot dans le cadre de leur rapport d’information relatif au devoir de vigilance des multinationales permettront d’alimenter la future législation européenne. Il formule ainsi le vœu que la future directive :

– inclue les atteintes à l’environnement dans le champ du devoir de vigilance des entreprises, aux côtés des atteintes aux droits humains ;

– définisse des critères et des seuils d’assujettissement des entreprises au devoir de vigilance pertinents, en ne se limitant pas nécessairement aux nombres de salariés et en envisageant, si nécessaire, un durcissement progressif de ces critères pour tenir compte de la taille des entreprises concernées ;

– ne se limite pas aux premiers rangs des fournisseurs et sous-traitants des multinationales mais institue une obligation de vigilance sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’entreprise, dès lors qu’il existe une relation commerciale établie entre l’entreprise et ses fournisseurs ;

– permette d’envisager la création d’autorités administratives compétentes en matière de devoir de vigilance, en les insérant au sein d’un réseau européen. Il conviendra toutefois de veiller à ce que l’instauration d’un contrôle administratif ne se substitue pas à la voie judiciaire et qu’il ne conduise pas les entreprises à considérer le devoir de vigilance comme une simple liste de « cases à cocher » qui seraient définies par l’autorité administrative et qui permettraient de se conformer à la législation en vigueur sans réelle attention à l’activité réelle des fournisseurs et sous-traitants.

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En conclusion, cette initiative en faveur de l’instauration d’un devoir de vigilance ambitieux au sein de l’Union européenne est de nature à enclencher un mouvement vertueux à l’échelle européenne. Votre rapporteur estime que l’influence française dans le cadre de la PFUE peut jouer un rôle prépondérant pour accélérer sa mise en place ; il est donc naturel que l’Assemblée nationale sollicite le Gouvernement et l’Union européenne en ce sens.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 12 janvier 2022, la Commission examine la proposition de résolution européenne visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales (n° 4889) (M. Dominique Potier, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/NTo9zg.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Cette proposition de résolution européenne, à l’initiative de M. Dominique Potier pour le groupe Socialistes et apparentés, a été adoptée hier par la commission des affaires européennes, sur le rapport de M. Dominique Potier et de Mme Mireille Clapot. 

À la demande de M. Potier, la commission des Lois a lancé une mission d’évaluation de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, laquelle a été confiée à M. Potier et à Mme Coralie Dubost.

M. Dominique Potier, rapporteur. Je vous remercie d’avoir donné suite – tardivement mais sûrement ! – à une demande qui remonte maintenant à plus de trois ans.

J’aurai l’occasion de présenter cette proposition de résolution européenne dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Socialistes et apparentés. C’est justice puisque la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, votée en 2017 après quatre ans de combat, souvent contre le pouvoir exécutif et face à d’importantes résistances, s’inscrit dans une filiation social-démocrate et qu’elle s’impose aujourd’hui comme une évidence.

Il s’agit de prévenir les atteintes graves à l’environnement et aux droits humains dans les chaînes de production mondialisées. L’innovation législative et juridique consiste à lever le voile hypocrite jeté sur la réalité des flux économiques séparant les donneurs d’ordre – essentiellement, les actionnaires des grandes sociétés transnationales – de la multitude des sous-traitants et des filiales. Ainsi, nous créons un régime de responsabilité qui se traduit par un système de prévention qui prend la forme d’un plan de vigilance pour les grandes entreprises – en France, les 200 entreprises qui emploient plus de 5 000 salariés et qui réalisent l’essentiel du commerce international.

Ce plan a une visée holistique, si l’on excepte les phénomènes liés à la corruption, qui ont été traités en 2016 par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 » : du travail forcé aux atteintes graves à l’environnement, tout est couvert.

Cette loi est agile, dans le sens où elle combine de manière innovante la responsabilité des entreprises et leur capacité à trouver des solutions au sein des filières et des territoires. Elle indique un certain nombre de principes en référence aux grands textes onusiens repris par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et adoptés symboliquement par les parlements nationaux mais peu appliqués, tout en laissant les entreprises trouver elles-mêmes les solutions.

Enfin, nous qualifions très souvent cette loi de « passe-murailles » dès lors qu’elle s’affranchit de ce risque juridique important qu’est l’extraterritorialité. Si l’on ne fait pas la loi chez les voisins, il est en revanche possible, au nom de notre pouvoir économique, de prendre la responsabilité de protéger le caractère universel des droits humains et notre planète, qui est notre maison commune.

Cette loi n’est certes pas une baguette magique mais elle génère des droits, car, pour répondre aux défis qu’elle met en évidence, il faut créer de nouveaux droits protecteurs au sein des filières et des territoires – souvent, des pays tiers, en voie de développement ou très pauvres. Elle promeut ainsi une mondialisation plus civilisée et, en quelque sorte, une extension de l’État de droit.

Son origine philosophique et politique remonte à l’Abbé Grégoire et à ses combats pour l’abolition de l’esclavage mais, plus sûrement, au député de la Creuse M. Martin Nadaud qui, après dix ans de combats législatifs contre le patronat le plus conservateur et le plus libéral, a réussi à créer un nouveau cycle de prospérité en faisant adopter des lois de protection contre les accidents du travail, pour un système assurantiel et un régime de responsabilité. La prévention des accidents ayant été un facteur de développement économique pour les mines et les forges du XIXe siècle, nous pouvons espérer qu’au XXIe siècle, cette loi ouvre un cycle de prospérité autour des valeurs qui nous rassemblent.

Après quatre ans de combats culturels et politiques, de face-à-face entre le Parlement et le pouvoir exécutif, elle a donc enfin été adoptée en 2017, le dernier jour de la législature. Aujourd’hui, le monde de l’entreprise ne s’y oppose plus. Une révolution culturelle et juridique du management et de la gestion est en cours afin de prendre en compte les risques que j’ai évoqués. Les organisations non gouvernementales (ONG) nous disent qu’un travail important reste à accomplir mais quelque chose d’inéluctable s’est mis en route, même s’il est encore tôt pour en faire une évaluation complète.

Cette législature a été l’occasion de trois petites avancées consolidant la loi de 2017 : tout d’abord, la clarification de la juridiction compétente grâce à la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire – en l’occurrence, le tribunal de Paris, compétent en matière de lois de concurrence internationale, une juridiction civile, donc ; ensuite, un amendement de Mme Cendra Motin à la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets excluant les entreprises qui n’auraient pas de plan de vigilance de la soumission à des marchés publics ; enfin, la loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales défendue par M. Jean-Yves Le Drian avec la déclinaison, dans l’aide publique au développement, d’une concordance avec les bons processus de développement et de droit de nos entreprises françaises et européennes dans les pays en voie de développement.

Dans une adresse datée du 13 octobre 2017 au Président de la République, nous lui avons demandé de faire de cette loi un étendard des droits humains à l’ONU et de le brandir, en leader, en Europe. C’est ce qui est en train de se passer. Sept pays s’apprêtent à adopter des lois analogues, à l’instar de l’Allemagne, qui l’a fait cet été, et quatre ou cinq autres en feront de même sous la pression de la société civile. La voie des États nations est celle du courage, de l’innovation, et le moment est maintenant venu d’obtenir une directive européenne.

Le processus est engagé puisque la Commission européenne, en juillet 2020, a rendu un premier rapport à ce propos. Le Parlement européen, à une écrasante majorité, s’est prononcé en faveur d’une telle initiative en avril 2021. Une proposition de directive devait voir le jour au printemps, puis à l’été, puis à la rentrée. La nomination de M. Thierry Breton à la Commission européenne a semé le doute, mais nous avons pu l’interroger hier et il nous a promis que ce délai ne serait pas éternellement extensible. Mi-février, c’est-à-dire dans un mois, un projet de directive devrait être présenté. Nous sommes donc au cœur du réacteur.

Quel est l’horizon ? Une adoption en 2023, puis un déploiement dans les États membres. On peut imaginer qu’en 2024 ou 2025, la directive y sera effective, ce qui sera pour la France une occasion de remédier aux carences que nous avons identifiées avec Coralie Dubost et Mireille Clapot dans nos travaux préparatoires.

J’insiste sur trois recommandations.

Tout d’abord, il est nécessaire de prévoir l’institution d’une juridiction ad hoc : il est hors de question qu’une autorité administrative se substitue à l’institution judiciaire pour ce qui relève des droits humains les plus fondamentaux.

Ensuite, nous appelons à ce que les plans de vigilance ne soient pas le fait d’un département de l’entreprise – finances, ressources humaines, management du développement durable, etc. –, mais de l’entreprise tout entière. Selon certains intellectuels ou juristes, le devoir de vigilance, comme la responsabilité sociale des entreprises (RSE), est une voie pour la codétermination des entreprises qui, ainsi, rejoignent les attentes de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE », sur la raison d’être et la participation. Nous proposons notamment que toutes les parties prenantes et les « parties constituantes », pour reprendre la logique de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), soient associées à l’élaboration de ce plan de vigilance. Qui mieux que les salariés, ici et ailleurs, peut savoir ce qu’il en est de la prévention des risques environnementaux et sociaux dans la fabrication des objets et dans les services ? Nous en appelons donc à la concertation.

Enfin, la garantie de l’accès au droit pour les victimes relève de la recherche-action : pour un paysan sans terre au Brésil, un ouvrier du textile au Bangladesh, un enfant qui travaille à la mine dans la région des Grands Lacs, l’accès au droit est tout sauf une évidence.

Cette proposition de résolution européenne a été signée par 123 collègues qui appartiennent à différentes formations politiques. Avec Mme Mireille Clapot, nous n’avons pas voulu toucher à l’équilibre politique qui a été trouvé, même si nous aurions pu y ajouter certains points, s’agissant notamment de son périmètre. Celui de la loi allemande est beaucoup plus large et englobera quasiment toutes les entreprises – avec des degrés d’exigence adaptés à leur taille. Il y a donc une leçon allemande à retenir, mais nous nous méfions aussi d’une limitation aux premiers et aux deuxièmes rangs de sous-traitance et réaffirmons le principe d’instaurer un devoir de vigilance dès lors qu’un lien commercial est établi, c’est-à-dire un lien économique effectif avec les sous-traitants ou les filiales, quel que soit leur rang juridique.

Enfin, une autorité publique, européenne ou française, serait nécessaire pour accompagner cette mutation transnationale et les entreprises et, ainsi, gagner le combat en faveur d’une mondialisation plus heureuse.

Dans son discours sur la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le 9 décembre dernier, le Président de la République a pour la première fois évoqué le « devoir de vigilance ». Le 15 septembre, Mme Ursula von der Leyen avait déclaré que nous ne voulions plus d’une Europe qui importe des produits issus du travail des enfants. Enfin, il y a quelques semaines, trois ministres français se sont engagés dans l’Alliance 8.7 pour un monde affranchi du travail forcé, de l’esclavage moderne, de la traite d’êtres humains et du travail des enfants. Si nous y ajoutons des initiatives sectorielles sur la déforestation ou sur les « minerais de sang », nous voyons bien que nous sommes à un tournant.

Votre délibération peut envoyer un signal fort à la Commission européenne et au pouvoir exécutif. Il est temps de combattre pour une directive ambitieuse qui fasse de l’Europe une puissance politique fondée sur l’éthique. Tels doivent être son rôle et sa mission dans un monde dont nous savons combien il est fragile.

Mme la présidente Yaël Braun-Pivet. Je donne la parole aux collègues qui souhaitent s’exprimer.

Mme Mireille Clapot.  Je salue le travail de M. Dominique Potier et le vote de sa loi pionnière de mars 2017. En cette fin de législature et en ce début de présidence française du Conseil de l’Union européenne, je suis heureuse que nous parvenions à un consensus et à faire entendre une parole forte au plus haut niveau de l’État et de l’Union européenne.

Lorsque l’on achète un appareil électronique, un produit alimentaire ou un vêtement, on ignore si la chaîne de valeur de l’entreprise qui les vend est exempte de graves violations des droits humains ou environnementaux : travail forcé, travail des enfants, non-respect du droit syndical, mauvaises conditions de travail – comme au Rana Plaza, qui s’est effondré en 2013 au Bangladesh –, pollution de l’air, de l’eau ou des sols.

La loi dite Potier oblige les entreprises de plus de 5 000 salariés à prévenir ces risques et à publier un rapport ; elle permet la demande de réparation par les victimes devant le juge. Cette notion de devoir de vigilance s’est peu à peu répandue auprès des États membres. La société civile et, de manière générale, les citoyens, s’emparent du sujet ; ONG et syndicats se sont exprimés et, fait notable, même les entreprises sont intéressées, certes pour leur image mais aussi pour que les marchés intérieur et mondial soient plus équitables.

En mars dernier, le Parlement européen a voté une résolution demandant à la Commission d’adopter un texte ambitieux et il a même proposé son propre projet de directive. La Commission s’est engagée à proposer une directive relative au devoir de vigilance mais, hélas ! celle-ci a subi plusieurs reports, dont le dernier date du 8 décembre. Sans doute cela sera-t-il fait au printemps 2022 mais, dans le meilleur des cas, nous ne discuterons pas d’un texte avant 2023.

La présidence française du Conseil de l’Union européenne fera du devoir de vigilance l’une de ses priorités, comme l’a dit le Président de la République lors de sa conférence de présentation.

Au fond, il s’agit de défendre une certaine vision de l’Europe pour faire entendre une voix singulière dans l’économie mondiale, celle d’une puissance fondée sur l’éthique, dont les valeurs, qui ne sont pas à vendre, à aucun prix – pour reprendre les mots de la présidente de la Commission européenne Mme Ursula von der Leyen dans son discours sur l’état de l’Union européenne de septembre dernier –, reposent sur les droits humains et la protection de l’environnement.

La mission d’information dont M. Dominique Potier et moi-même avons été corapporteurs a exploré un champ un peu plus large. Je vous invite à lire notre rapport, qui comporte dix propositions relatives, par exemple, à des critères alternatifs aux seuls critères d’effectifs, à des seuils plus ambitieux, et qui réaffirme la nécessité de traiter la chaîne de valeur dans son intégralité.

Importe également l’articulation nécessaire entre la sanction par la voie judiciaire et la prévention à travers des autorités administratives en réseau soutenant une politique publique.

Le groupe La République en marche vous invite à adopter cette proposition de résolution, acte politique fort porteur de nos exigences et de nos ambitions afin d’être à la hauteur des attentes de nos concitoyens, des entreprises, et pour poser des règles européennes des affaires plus responsables et plus éthiques.

M. Dimitri Houbron. Les interventions précédentes et, singulièrement, celle du rapporteur, ont été très claires quant aux bienfaits de la loi relative au devoir de vigilance et, par conséquent, sur les enjeux qui découleraient de son adoption sur le plan communautaire.

À la fin du mois de décembre, dans le cadre de sa conférence de presse visant à exposer les priorités de la France à la présidence du Conseil de l’Union européenne, le Président de la République a déclaré que « Nous souhaitons faire avancer le devoir de vigilance à l’échelle européenne ». Malgré la volonté affichée par un État membre pionnier en la matière, la directive européenne se fait attendre. Elle a été reportée plusieurs fois : initialement prévue à l’été 2021, elle a été repoussée à l’automne, puis en janvier 2022 avant d’être envisagée à la fin du mois de mars – ou de février, selon les dernières informations.

Deux obstacles risquent de torpiller cette volonté de la présidence française.

Tout d’abord, plus de trois ans ont été nécessaires pour adopter une loi obligeant les entreprises multinationales à assurer une activité de production respectueuse des droits humains et de l’environnement sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Bien que d’autres pays européens aient adopté des normes équivalentes dans leur corpus national, un accord à vingt-sept sur un texte aussi ambitieux exige une volonté particulièrement aiguë.

Ensuite, des ONG ont dénoncé des manœuvres de certaines entreprises cherchant à bloquer cette directive en faisant mine de la soutenir pour mieux l’affaiblir dans les faits et la rendre inefficace.

Cette proposition de résolution est importante : d’une part, bien qu’elle puisse paraître faire pression sur le Gouvernement, elle met également en lumière le soutien de la représentation nationale au Président de la République pour qu’il profite de la présidence française du Conseil de l’Union européenne afin que soit adoptée une directive très attendue par de nombreux acteurs associatifs et de la société civile ; d’autre part, elle encourage la définition d’une norme européenne qui permettra à l’Union européenne de devenir un partenaire économique et commercial offensif et respecté. Une telle législation pourrait même apporter de nouvelles pierres à notre ambitieux projet commun : la construction d’une Europe sociale.

Le groupe Agir ensemble votera donc en faveur de cette proposition de résolution européenne.

M. Hervé Saulignac. Le Président de la République a souhaité donner à la présidence française de l’Union européenne un programme ambitieux. Parmi les trois ambitions qu’il a évoquées, nous ne pouvons qu’adhérer au nouveau modèle de croissance et à l’Europe humaine.

Selon le programme des mesures économiques et financières, la France entend contribuer à la construction d’un capitalisme « responsable ». C’est bien tout le sens de cette proposition de résolution défendue par Dominique Potier, signée par de nombreux collègues appartenant à plusieurs groupes et qui sera discutée lors de la niche de notre groupe Socialistes et apparentés.

L’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales est une condition essentielle pour promouvoir un capitalisme responsable pour le XXIe siècle et une Europe qui protège tout le long de la chaîne de valeur.

L’adoption de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre a déjà conféré à la France un rôle pionnier sur un plan mondial. Cette initiative a d’ailleurs trouvé un écho favorable chez nombre de nos voisins européens, qui se sont engagés dans l’évolution de leur législation nationale.

La Commission européenne a elle-même entrepris un travail de rédaction d’une directive européenne sur cette question. La présidence française du Conseil de l’Union européenne est donc l’occasion parfaite de soutenir cette ambition, garante d’un cadre européen exemplaire et protecteur. Nous avons là l’occasion de traduire concrètement les valeurs que nous portons collectivement en tant qu’Européens, en imposant des règles au-delà de nos frontières, comme le font déjà, selon des axes un peu moins humanistes, les États-Unis et la Chine.

Tel est le sens de cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à inscrire parmi les priorités de la présidence française l’adoption de mesures d’atténuation des risques et de prévention des atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement. Vous ne serez pas surpris d’entendre que notre groupe, à l’initiative de cette proposition de résolution, votera cette dernière, en espérant le consensus le plus large possible pour son adoption.

M. Paul Molac. Certaines multinationales se déchargent de leurs responsabilités sur leurs sous-traitants et leurs fournisseurs, afin d’éviter d’avoir à en répondre juridiquement. Elles sont pourtant bien donneuses d’ordre et peuvent être responsables indirectement de pollution massive, de travail des enfants, de travail forcé et de manquements graves aux droits de l’homme et à l’environnement. Bien des exemples peuvent être cités : plusieurs milliers de travailleurs sont décédés sur le chantier de la Coupe du monde au Qatar, où opèrent douze multinationales européennes. Selon une étude du WWF, l’Union européenne serait la deuxième responsable de la destruction des forêts tropicales du fait de l’importation de bois. Et comment ne pas parler des Ouïghours ? Quatre-vingt-deux multinationales sous-traitent une partie de leur production en Chine, comme Nike ou Zara, contribuant ainsi à l’exploitation des Ouïghours, laquelle va jusqu’au prélèvement d’organes – je le signale même si ce dernier point ne concerne pas les multinationales.

La loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre est le fruit d’un long travail transpartisan dont Dominique Potier a été la cheville ouvrière. Elle a été votée à la suite de l’effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, un immeuble dans lequel plus de 1 100 travailleurs du textile ont trouvé la mort dans des conditions affreuses. Si nous regrettons que la loi ait été amputée de son volet sanctions, elle fixe néanmoins d’importants objectifs en matière de responsabilité pour les entreprises de 5 000 salariés.

Certaines ONG trouvent que la loi n’est pas suffisamment appliquée. Celle-ci a tout de même permis d’assigner en justice plusieurs entreprises, comme Total, pour un forage en Ouganda qui gênait les cultures vivrières des populations, ou encore le groupe Casino, pour de la déforestation en Amazonie à des fins de production de viande bovine. Ces procédures sont toujours en cours, certaines depuis plus de deux ans.

Toutefois, le périmètre assez flou de la loi rend son utilisation difficile dans de nombreux cas ; plusieurs plaintes n’ont pu être déposées sur son fondement. L’Association des Ouïghours de France a porté plainte en France contre Nike pour complicité de travail forcé et pratiques commerciales trompeuses, alors que 7 millions de paires de chaussures auraient été fabriquées par les Ouïghours dans le cadre du travail forcé. Il faut donc veiller à ce que ces obligations soient suivies d’effets concrets et leur non-respect réellement sanctionné. Nous devons y travailler à l’échelon européen, voire mondial, afin que les multinationales soumises à un devoir de vigilance élevé ne subissent pas de concurrence déloyale.

Par ailleurs, un protectionnisme ambitieux au niveau européen, avec la création de barrières tarifaires sur les importations de produits ayant des conséquences sociales et environnementales néfastes, pourrait avoir un impact tout à fait appréciable. Notre groupe soutiendra donc pleinement cette proposition de résolution, dans l’espoir d’un monde plus vivable, où les droits des populations, en particulier ceux des Ouïghours, sont mieux respectés.

Mme Danièle Obono. Le devoir de vigilance des multinationales vise à prévenir les violations des droits humains et les préjudices environnementaux tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Autrement dit, il s’agit de rendre l’entreprise donneuse d’ordre responsable des agissements de ses sous-traitants.

Nous ne croyons pas véritablement au capitalisme responsable, éthique ou à visage humain. Nous croyons, en revanche, en la régulation et en la nécessité pour les États d’assurer le respect des droits humains. La France a fait figure de pionnière en la matière avec la loi de 2017. Toutefois, les critiques ont relevé son champ d’application trop restreint et trop flou, le champ des entreprises couvertes n’étant pas clairement défini et les moyens nécessaires à l’application effective du dispositif étant limités. Les associations se retrouvent souvent à faire la majeure partie du travail, sans disposer de beaucoup plus de moyens. Le devoir de vigilance est donc théorique.

Nous soutenons cette proposition de résolution et l’avancée qu’elle représente. Le débat se situe au niveau international, notamment au niveau européen. Cependant, le projet de directive annoncé par la Commission européenne a été trop souvent repoussé.

Plusieurs points nous semblent importants dans la rédaction d’un texte le plus ambitieux possible, comme la définition de contraintes et la couverture de toute la chaîne d’approvisionnement, quel que soit le nombre de fournisseurs, et donc sans limitation aux seuls sous-traitants directs. Les multinationales étant capables d’exiger des contrôles qualité tout au long de la chaîne, elles pourraient contrôler les conditions de travail. Même s’il est plus simple de contrôler le produit fini que l’ensemble de la production, il n’empêche que ces multinationales ont les moyens et surtout le devoir de le faire.

La couverture de tous les droits humains est également nécessaire. Il faut aussi un système de sanction administrative ambitieux. Le dispositif, pour être effectif, doit pouvoir mobiliser un large spectre de sanctions dissuasives : l’interdiction d’importer sur le marché européen ; l’exclusion des aides et marchés publics des États membres ; des amendes au niveau de celles du droit européen de la concurrence.

L’accès effectif à la justice des victimes est également un point important : le passage devant la justice ne doit pas être empêché par des mécanismes extrajudiciaires de règlement des différends. Concernant les modalités de recours civil des victimes, une législation ambitieuse en matière de devoir de vigilance doit renverser la charge de la preuve en imposant aux entreprises de prouver qu’elles ont été suffisamment vigilantes. En outre, les droits des victimes doivent être renforcés, notamment concernant le droit d’accès aux informations et aux preuves. Elles doivent ainsi pouvoir exiger des documents internes à la multinationale.

Ces quelques points ne remettent cependant pas en cause l’utilité et le caractère très constructif de cette proposition, que nous soutenons. Il nous semble par ailleurs nécessaire de créer, au niveau français, des mécanismes complémentaires comme ceux que nous proposons en matière de protectionnisme solidaire et écologique. Nous espérons aboutir sur ce point dans les mois et les années à venir.

Mme Yolaine de Courson. Je remercie nos collègues Mireille Clapot et Dominique Potier pour leur travail sur le devoir de vigilance, qui est au cœur de l’activité parlementaire. Le groupe Démocrates votera cette proposition de résolution (PPRE), qui répond parfaitement à la définition de ce que doit être une proposition de résolution européenne, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un débat national que l’on souhaite maquiller en débat européen, mais bien d’un débat que la France se doit de porter à l’échelle européenne.

À marché européen, règles européennes ! Et ce qui vaut pour le droit contraignant doit valoir aussi pour les règles de droit plus souples, notamment l’ensemble des règles relatives au devoir de vigilance. L’Europe est un espace qui vise à la prospérité, mais celle-ci ne peut être que commune. L’idée même de prospérité commune est porteuse d’un ensemble de valeurs qui irriguent notre fond culturel commun : l’État de droit, la démocratie, les droits humains et la dignité de tous. L’instauration d’un devoir de vigilance dans l’espace économique peut contribuer à affirmer ces valeurs. Le contexte politique au sein de l’Union semble indiquer que le moment est propice pour le consacrer : le 10 mars 2021, le Parlement européen a lui-même adopté, à une large majorité, une résolution relative au devoir de vigilance appelant la Commission européenne à proposer un texte ambitieux. Alors, allons-y !

Le devoir de vigilance des multinationales, et des entreprises en général, est une exigence qui nécessite un cadre, lequel doit être défini au niveau de l’Union européenne, si nous voulons qu’il s’applique au plus grand nombre des entreprises de notre marché commun. L’objectif est de pousser les acteurs économiques du monde entier à adopter de telles règles, afin que le devoir de vigilance devienne un prérequis pour l’ensemble du monde des affaires. Les aides publiques aux entreprises n’ont pas encore eu pour conséquence de contraindre le monde de l’entreprise à instaurer une fiscalité plus écologique ou à introduire des contreparties sociales ou environnementales, relatives, par exemple, à l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est pourquoi l’instauration de ce devoir de vigilance est si intéressante.

Les multinationales font déjà, en matière de responsabilité sociale et environnementale, des efforts qui vont au-delà du simple respect des règles légales de conformité. Cette PPRE a vocation à encourager ces comportements vertueux. En agissant à l’échelon européen, nous donnons plus de poids à notre action. En tant que parlementaires, nous devrons veiller à ce que cette PPRE évolue en convergence avec les objectifs de celle adoptée par le Parlement européen, en ciblant les entreprises transnationales aussi bien que toutes celles qui sont actives sur le sol de l’Union, sur le sol national et sur le sol des pays tiers partenaires. Nous devons également garder à l’esprit que les PME ne peuvent pas, seules et individuellement, garantir la vigilance que nous demandons, du fait de leur taille, de leur poids et de leur influence dans la chaîne de valeur – car c’est bien l’ensemble de la chaîne de valeur qu’il s’agit de raisonner.

La résolution adoptée par le Parlement européen « invite la Commission à proposer un mandat de négociation pour l’Union, afin qu’elle entame des négociations constructives relatives à un instrument international juridiquement contraignant des Nations unies destiné à réglementer, dans le droit international relatif aux droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises ». Nous devons également engager des réformes à l’échelle régionale et à l’échelle européenne : tel est le sens de cette PPRE. L’Union européenne se doit d’être à l’avant-garde sur ces enjeux. Il y va de sa prospérité sociale et économique, de l’exemplarité de sa gouvernance et de son leadership dans le monde.

Instaurer les prémices d’un système de réparation pour les droits humains affectés par l’activité des entreprises ; impliquer les citoyens et les travailleurs dans l’élaboration des évaluations ; donner un intérêt à agir pour la protection des droits humains et contre les manquements au devoir de vigilance : telles sont les trois pierres angulaires de ce travail, que je nous félicite d’engager.

Article unique

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL1 de M. Dominique Potier.

Elle adopte l’article unique ainsi modifié.

Titre

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL2 de M. Dominique Potier.

M. Dominique Potier, rapporteur. Merci, chers collègues, pour vos propos encourageants, et rendez-vous le 20 janvier. Engageons-nous pour que la présidence française du Conseil de l’Union européenne fasse aboutir nos combats communs !

La commission adopte l’ensemble de la proposition de résolution modifiée.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution européenne visant à inscrire parmi les priorités de la présidence française du Conseil de l’Union européenne l’adoption d’une législation ambitieuse sur le devoir de vigilance des multinationales dont le texte figure dans le document annexé au présent rapport.

 


([1]) European Commission, Study on directors’ duties and sustainable corporate governance, Final Report, juillet 2020.

([2]) Résolution du Parlement européen du 10 mars 2021 contenant des recommandations à la Commission sur le devoir de vigilance et la responsabilité des entreprises.  

([3]) Résolution du Parlement européen du 25 octobre 2016 sur la responsabilité des entreprises dans les violations graves des droits de l’homme dans les pays tiers.

([4]) Résolution du Parlement européen du 29 mai 2018 sur la finance durable.

([5]) Rapport d’information n° 4809 enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 2021, déposé par la commission des affaires européennes relatif au devoir de vigilance des multinationales et présenté par Mme Mireille Clapot et M. Dominique Potier, députés.

([6]) Règlement (UE) n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010, modifié par le règlement (UE) n° 2019/1010 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019, établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché.

([7]) Règlement (UE) n° 2017/821 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 fixant des obligations liées au devoir de diligence à l’égard de la chaîne d’approvisionnement pour les importateurs de l’Union qui importent de l’étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l’or provenant de zones de conflit ou à haut risque.