N° 4906
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2022
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE visant
à identifier les dysfonctionnements et manquements
de la politique pénitentiaire française
Président
M. Philippe BENASSAYA
Rapporteure
Mme Caroline ABADIE
Députés
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La commission d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française est composée de : M. Philippe Benassaya, président ; Mme Caroline Abadie, rapporteure ; Mme Laetitia Avia ; Mme Françoise Ballet-Blu ; M. Ugo Bernalicis ; Mme Aude Bono-Vandorme ; Mme Blandine Brocard ; M. Alain Bruneel ; M. Alain David ; M. Éric Diard ; M. Olivier Falorni ; M. Jean-Michel Fauvergue ; Mme Maud Gatel ; M. Raphaël Gérard ; Mme Séverine Gipson ; M. Philippe Gosselin ; Mme Émilie Guerel ; M.Michel Herbillon ; M. Dimitri Houbron ; M. Sacha Houlié ; Mme Élodie Jacquier-Laforge ; M. Hubert Julien-Laferrière ; M. Jacques Krabal ; Mme Monica Michel-Brassart ; Mme Naïma Moutchou ; M. Thomas Rudigoz ; Mme Michèle Tabarot ; Mme Agnès Thill ; Mme Nicole Trisse ; M. Stéphane Trompille ; Mme Cécile Untermaier.
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SOMMAIRE
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Pages
PREMIÈRE PARTIE ‒ des hommes : personnels pénitentiaires et personnes détenues
I. Les agents de l’administration pÉnitentiaire
1. Organisation et effectifs de la direction de l’administration pénitentiaire
a. Rappel historique sur l’administration pénitentiaire
b. Organisation actuelle de l’administration pénitentiaire
c. Les métiers et l’évolution des effectifs pénitentiaires
i. Les personnels de surveillance
ii. Les personnels d’insertion et de probation
iii. Les personnels de direction
iv. Les personnels administratifs et techniques
2. Recrutement et formation des personnels pénitentiaires
a. Les concours et l’École nationale d’administration pénitentiaire
b. Les enjeux de la formation continue
c. Des métiers de terrain : l’importance de l’expérience et de l’apprentissage auprès des pairs
3. La revalorisation récente des conditions statutaires et salariales
B. Des conditions de travail difficiles et des métiers souvent mal connus et peu reconnus
1. Les problèmes quotidiens des agents et de leur hiérarchie
a. Des difficultés concrètes et quotidiennes
i. Des conditions de travail difficiles qui doivent être mieux prises en compte
ii. La question particulière de l’accès au logement
b. Des problèmes de recrutement et de gestion
i. Un déficit ancien de personnels pénitentiaires
ii. Des difficultés de recrutement
ii. Une prime de fidélisation pour pallier le manque d’attractivité de certains établissements
2. L’accentuation récente de la revalorisation des métiers pénitentiaires
a. Mieux reconnaître le travail des personnels pénitentiaires
i. La question de la progression statutaire et salariale
ii. Donner aux personnels les moyens d’assurer leurs missions
b. Mieux former le personnel pénitentiaire
i. Allonger le délai de formation initiale
ii. Mieux valoriser les bonnes pratiques de formation continue
c. Le surveillant, acteur de la détention
d. Le nécessaire renforcement des services d’insertion et de probation
i. Continuer de faire monter en puissance les personnels des SPIP
ii. Améliorer le statut des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation
A. L’Évolution de la population incarcÉrÉe depuis vingt ans
1. Une augmentation continue du nombre de personnes écrouées
a. Une augmentation absolue et relative
b. Une évolution comparable à celles des autres pays du Conseil de l’Europe
c. Une augmentation continue du nombre de places de prison
2. La répartition de la population carcérale sur le territoire national
3. Le profil de la population carcérale
b. Une population peu diplômée
c. Une population cumulant problèmes sociaux et de santé
i. Des difficultés socio-économiques
ii. Des problèmes de santé mentale et physique
iii. Une forte prévalence des addictions
d. Le poids stable des ressortissants étrangers parmi la population détenue
e. Des profils minoritaires en détention
iii. Les personnes âgées de plus de 50 ans
1. Les détenus mineurs, une réalité carcérale minoritaire
b. Le profil des mineurs détenus :
2. Les spécificités de l’incarcération des mineurs
a. Les lieux de détention des mineurs
b. L’organisation de la détention des mineurs
i. La séparation des mineurs et des majeurs
ii. La non séparation des prévenus et des condamnés
iii. Le strict respect de l’encellulement individuel
c. Le fonctionnement de la détention des mineurs
ii. Les différentes modalités de prise en charge
d. La prise en charge des mineurs détenus
i. Le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse en milieu pénitentiaire
3. La récente réforme de la justice pénale des mineurs : des avancées importantes et attendues
b. Une réforme de grande ampleur
4. Des moyens importants pour répondre à cet enjeu crucial pour notre société
1. Appréhender l’ampleur du phénomène : la montée en puissance des plans et des structures dédiées
a. Des plans d’action de grande ampleur
b. Des structures dédiées au sein de l’administration pénitentiaire
i. La mission de lutte contre la radicalisation violente
ii. Le renseignement pénitentiaire
ii. Prise en charge spécifique dans les QPR
c. Le cas des détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR)
ii. Évaluation et prise en charge
3. La lutte contre la radicalisation en 2021 : réalités, enjeux et perspectives
b. Perspectives de la prise en charge de la radicalisation
i. La continuité entre milieu fermé et milieu ouvert
ii. Les résultats encourageants du programme PAIRS
iii. Le retour des djihadistes français : un défi pour nos prisons
iv. La question de la diffusion de la radicalisation en milieu carcéral
v. Garantir des moyens à la hauteur de l’enjeu
Deuxième partie ‒ dES MURS : des conditions de travail et de détention qui se confondent
I. uNE SURPOPULATION PERSISTANTE QUI A DES CONSéquences sur La vie en détention
A. Malgré un parc pénitentiaire vaste, la France se caractérise par une surpopulation chronique
1. Un parc immobilier vaste et qui se diversifie
b. … et en voie de diversification
2. Mais une surpopulation chronique
a. La France se démarque par sa densité carcérale
b. Des raisons structurelles à cette densité
B. La surpopulation a des conséquences sur les conditions de détention en prison
1. Les prisons françaises font face à des conditions de détention particulièrement difficiles
a. Un principe d’encellulement individuel jamais respecté
b. Les conséquences graves de la surpopulation carcérale sur les conditions de détention
c. La surpopulation, facteur d’augmentation des violences carcérales
i. Des conditions propices aux violences
ii. Les violences à l’encontre des personnels et des intervenants extérieurs
iii. Les violences à l’encontre des personnes détenues
b. La prise en compte récente de l’opposabilité des conditions de détention par le juge interne
3. Un contrôle régulier effectué par une pluralité d’acteurs
a. Les autorités administratives indépendantes
i. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté
c. Les magistrats et les avocats
II. Un parc immobilier vaste eT VIEILLISSANT, en voie de réhabilitation
B. Des programmes de construction ambitieux
a. Le programme 13 000 de 1987-1989
c. Le programme 13 200 de 2002
d. Le « dispositif d’accroissement de capacité » de 2004
e. Le nouveau programme immobilier de 2011-2012
f. Le programme « 3 200 » de 2014
2. Les problématiques des programmes de construction :
b. L’inefficacité des partenariats public-privé
i. Un choix avant tout budgétaire…
ii. … qui se révèle coûteux sur le long terme
c. Le développement de la gestion déléguée
d. Centrer la réflexion architecturale sur l’objectif de réinsertion
3. Le programme de construction « 15 000 places » face au défi d’une nouvelle architecture
b. Le déploiement d’une nouvelle architecture et de nouveaux services tournés vers le numérique
III. La politique pénitentiaire et l’utilisation du parc carcéral dépendent de la politique pénale
A. UNe réponse pénale sévère et centrée sur l’enfermement
1. La sévérité des condamnations : état des lieux chiffrés de la politique pénale
b. Une tendance confirmée par les données de l’incarcération
i. Un fort accroissement des peines correctionnelles d’emprisonnement et de leur durée
ii. Des peines criminelles stables mais plus sévères
3. Mais des effets encore peu visibles
a. Une appropriation sans doute encore insuffisante sur le terrain
b. Certaines critiques sévères sur l’insuffisance de ces mesures…
c. … malgré de premières évolutions qui laissent présager un changement progressif
B. LE Poids problématique de la détention provisoire
a. Évolution du nombre de personnes prévenues
b. Une influence directe sur la surpopulation carcérale
c. Un temps d’enfermement difficile à rendre utile
2. Quelques réflexions sur cette problématique spécifique
a. Les cas de détention provisoire
iii. Comparution à délai différé
iv. Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)
c. Les enjeux de la procédure de comparution immédiate
C. repenser la peine au-delà du seul emprisonnement
1. L’importance des aménagements de peine pour limiter le recours à l’emprisonnement ferme
a. Les différentes procédures prévues
ii. La libération sous contrainte
b. Un nombre d’aménagements ab initio enfin en progression
ii. Des aménagements en progression
c. Le recours aux différents aménagements de peine en cours d’exécution
d. Faciliter le recours aux aménagements de peine
2. Les alternatives à l’emprisonnement, des mesures pénales pertinentes
a. Le travail d’intérêt général
c. La peine de détention à domicile sous surveillance électronique
iii. Le suivi socio-judiciaire
3. La question de la régulation carcérale
a. Un serpent de mer pénitentiaire
b. La régulation carcérale mise en œuvre pendant la crise sanitaire
Conclusion : Oser interroger le principe de l’encellulement individuel
Troisième Partie – La prison : une ville dans la ville
a. Un droit à la santé équivalent à celui de la population générale
b. Le développement balbutiant d’une politique de réduction des risques en milieu carcéral
i. La prévention et la prise en charge des maladies transmissibles
ii. La prévention des conduites addictives
iii. Le repérage du risque de suicide
a. L’organisation des soins somatiques
b. La prise en charge des soins psychiatriques
i. Les services médico-psychologiques régionaux (SMPR)
ii. Les hospitalisations psychiatriques
a. La nécessité d’une meilleure coordination en vue d’améliorer le respect des droits des détenus
b. La conception ou la rénovation des établissements doit associer le personnel médical
c. Faire des agences régionales de santé l’actrice centrale de la coordination des soins
a. La prise en charge médicale des détenus entraîne un surcoût pour la collectivité
c. Un manque de moyens qui nuit à la qualité des soins
5. Tenir compte du vieillissement de la population carcérale
A. Inclure les détenus dans la vie professionnelle
1. La place du travail en détention
a. Le recul du travail en détention, une dynamique enfin en cours d’inversion
b. Les différents régimes de travail en détention
c. La rémunération du travail en détention
2. Des difficultés de terrain qui compliquent le développement du travail
a. Des contraintes logistiques
b. Des difficultés organisationnelles
c. La question de l’employabilité des personnes détenues
d. Les problématiques en lien avec la rémunération des détenus travailleurs
3. La création d’un statut de travailleur détenu pour faciliter la réinsertion
a. Évolution des règles applicables au travail en détention
b. La réforme opérée par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire
4. Le pilotage d’une politique du travail pénitentiaire
a. Mieux accompagner des personnes détenues vers le travail et la réinsertion
b. La coordination des acteurs et le renforcement des liens avec les entreprises et les territoires
c. Valoriser le travail réalisé en détention
B. Mieux Orienter les détenus vers la vie professionnelle
1. L’enseignement en milieu pénitentiaire
a. La scolarisation des personnes détenues majeures
b. La scolarisation des personnes détenues mineures
2. La formation professionnelle en milieu pénitentiaire
a. Le cadre de la formation professionnelle en détention
b. La diminution de l’accès à la formation professionnelle : une évolution inacceptable
c. Les difficultés actuelles de la formation professionnelle en milieu pénitentiaire
C. Développer les autres activités au sein de la détention EN LIEN AVEC LA CITE
1. Les activités sportives et socio-culturelles
2. Le développement de nouvelles activités
III. réinsérer les personnes détenues : un objectif devenu central dans la politique pénitentiaire
A. L’accroissement de la mission de réinsertion de la politique pénitentiaire
1. Certaines structures pénitentiaires spécialement conçues pour la réinsertion
a. Les centres ou quartiers de semi-liberté
b. Les centres ou quartiers pour peines aménagées
c. Les structures d’accompagnement vers la sortie (SAS)
2. Gagner en efficacité et adapter la prise en charge aux besoins des détenus
a. Professionnaliser les greffes pénitentiaires
b. Fluidifier les transfèrements
c. Développer les prises en charge spécifiques
3. Préparer la sortie reste un enjeu crucial sur tous les plans
a. Insertion et réinsertion : structurer et fortifier le lien dedans-dehors
b. Sortir du parcours de délinquance : l’enjeu de la désistance
c. La nécessité de l’évaluation pour faire progresser la prise en charge
B. Continuer à changer la place et l’image de la prison dans notre pays
a. Valoriser les efforts de réinsertion
b. Valoriser les réussites de réinsertion
a. Garantir en détention le respect des droits et l’accès aux droits
i. L’enjeu crucial du respect des droits fondamentaux
b. Faire connaître les prisons
c. Considérer la prison comme un service public à part entière
Contributions des groupes politiques et des députés
Liste des personnes auditionnÉes
Liste des personnes entendues lors des visites d’Établissements pÉnitentiaires
INSTITUTIONS, ORGANISATIONS et experts AYANT FAIT PARVENIR DES DOCUMENTS ET ANALYSES
ANNEXE statistique réponses des établissements pénitentiaires
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« Une société se juge à l’état de ses prisons », écrivait Albert Camus. L’auteur avait vu juste, notamment pour ce qui concerne notre pays. Malgré les nombreux efforts de modernisation accomplis depuis des années, nos prisons posent encore question, dans une société parfois indifférente à leur avenir. Avec près de 190 établissements pénitentiaires, dont plus de 80 maisons d’arrêt touchées par la surpopulation carcérale, 69 000 détenus pour 60 000 places, dont 1 600 matelas au sol, plus de 1 000 détenus radicalisés, 120 suicides en 2020, un personnel pénitentiaire mal reconnu et aux missions de plus en plus complexes, il y a urgence. Sans noircir à l’envi le tableau d’un monde carcéral en forte mutation, les problématiques restent nombreuses. Elles fondent la nécessité d’une évaluation objective mais sans complaisance.
Un champ d’investigation ambitieux
C’est à l’aune de ce constat que la commission d’enquête visant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française a fixé un champ d’investigation ambitieux :
– identifier les facteurs de la surpopulation carcérale et de la dégradation progressive des conditions de détention des personnes incarcérées en France ;
– étudier l’éventuel lien de causalité entre les conditions d’incarcération et le phénomène de la radicalisation religieuse de personnes détenues ;
– évaluer le risque de la dégradation de la réponse pénale associée à l’insuffisance du nombre de places de prison et l’efficacité des aménagements des peines ;
– mesurer l’incapacité grandissante à garantir l’accès aux dispositifs de réinsertion et de préparation à la sortie des personnes détenues ;
– améliorer, le cas échéant, le traitement carcéral des délinquants mineurs.
En corollaire à ces thèmes généraux, la commission d’enquête a en outre convenu de se pencher sur :
– les moyens consacrés à l’entretien du parc immobilier existant et à la construction de nouvelles structures ;
– les ressources humaines (recrutements, conditions de travail, attractivité des carrières, formation, logement et prestations sociales) ;
– les conditions de détention (accompagnement éducatif, social et de loisirs, activités professionnelles et accès aux soins, notamment psychiatriques) ;
– la question de l’encellulement individuel ;
– la différenciation entre les catégories de détenus, en particulier les différents régimes d’incarcération ;
– les violences en prison ;
– la sécurisation des lieux de détention ;
– le respect de la laïcité en prison.
Les centres de rétention administrative (CRA), évoqués dans la proposition de résolution tendant à la création de la commission d’enquête, ne relèvent pas de l’autorité de l’administration pénitentiaire, mais de celle du ministère de l’intérieur. La situation de ces établissements a par conséquent été exclue de son champ d’investigation.
Par ailleurs, s’agissant des jeunes placés sous main de justice, la commission d’enquête s’est seulement intéressée à ceux détenus dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) et les quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires, à l’exclusion des différentes catégories de structures relevant de la protection judiciaire de la jeunesse.
Enfin, interrogé par le président de l’Assemblée nationale conformément à l’article 139, alinéa 1, du Règlement de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond‑Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, lui avait fait savoir, dans un courrier du 5 juillet 2021, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée était « susceptible de recouvrir des procédures liées au contentieux de l’indignité des conditions de détention ». La commission d’enquête a donc veillé, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.
Le constat d’une lacune politique
Sous la XIVe législature et depuis le début de la XVe législature, de nombreux textes ont intégré des mesures ou soulevé des débats relatifs à la politique pénitentiaire. Par ailleurs, à l’Assemblée nationale – comme au Sénat –, plusieurs rapports parlementaires ont alimenté le débat sur les questions carcérales, sans compter les travaux du groupe d’études prisons et conditions carcérales de l’Assemblée nationale, auxquels adhèrent plusieurs membres de la commission d’enquête et que préside la Rapporteure de notre commission, Mme Caroline Abadie.
Cependant, malgré l’ensemble des réflexions conduites et des mesures envisagées, les moyens mis à la disposition de l’administration pénitentiaire par les pouvoirs publics demeurent insuffisants, dans certains établissements de métropole comme d’outre-mer, afin de mieux répondre aux missions de l’institution pénitentiaire :
– sévir contre des personnes que la justice a jugées suffisamment dangereuses pour les priver de liberté, à la fois pour sanctionner leurs actes et pour protéger la société ;
– quelle que soit la durée de la peine accomplie, préparer la sortie des personnes incarcérées afin de leur permettre de se réinsérer convenablement, dans leur intérêt comme dans celui de la société.
L’intention du groupe Les Républicains, qui a exercé son droit de tirage annuel en demandant la création de cette commission d’enquête, a été précisément de combler cette lacune politique en cherchant à identifier les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française.
Concernant l’intitulé de la commission d’enquête, une mise au point s’impose afin de tuer dans l’œuf toute tentative de procès d’intention : le groupe Les Républicains n’a nullement eu pour intention d’incriminer l’administration pénitentiaire, ses responsables opérationnels et ses dizaines de milliers de fonctionnaires engagés quotidiennement en première ligne de la République, mais bien de pointer du doigt les manquements et dysfonctionnements de la politique pénitentiaire, déterminée et conduite par les autorités auxquelles il incombe de donner aux prisons de France des moyens humains, immobiliers, matériels et organisationnels suffisants.
Un travail d’investigation en séquences, jalonné par des visites de terrain
Sur un sujet aussi vaste, la commission d’enquête a choisi, par souci de clarté, d’organiser ses travaux de façon séquencée, en examinant successivement les problématiques suivantes :
– l’organisation et les missions de la direction de l’administration pénitentiaire ;
– les autorités administratives et services nationaux et européens compétents pour le contrôle et l’inspection du milieu carcéral ;
– les travaux de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République ;
– les organisations syndicales des différents corps et catégories de personnels de surveillance, d’insertion et de probation, ainsi que de support administratif et technique ;
– l’immobilier pénitentiaire ;
– l’insertion des prisons dans leurs écosystèmes locaux ;
– la situation particulière des établissements pénitentiaire d’outre-mer ;
– le travail en prison, la formation professionnelle et l’employabilité des détenus libérés ;
– le phénomène de la radicalisation islamiste en prison ;
– les associations partenaires de l’administration pénitentiaire ;
– la vie quotidienne en détention ;
– la santé des personnes détenues ;
– les dispositifs de détention des mineurs ;
– la politique pénale, l’application des peines et les alternatives à la détention ;
– l’insertion et la probation ;
– la prospective pénitentiaire.
Le cycle de ces auditions a commencé avec M. le directeur de l’administration pénitentiaire et s’est achevé avec celle de M. le ministre de la justice, garde des sceaux.
Il a été jalonné par la visite de quatre établissements représentatifs de la diversité des infrastructures d’incarcération et des dispositifs de prise en charge des personnes détenues :
– à Paris, La Santé, centre pénitentiaire implanté en milieu urbain dense, rénové en 2019 et fonctionnant depuis lors en gestion déléguée dans le cadre d’un partenariat public-privé, doté d’un module « Respect » et d’un quartier de prise en charge de la radicalisation ;
– à Marseille, Les Baumettes, centre pénitentiaire lui aussi historique, en cours de rénovation et d’agrandissement, doté d’un quartier pour femmes (QF) accueillant notamment des mineures, d’une unité pour détenus violents (UDV) et d’une structure d’accompagnement vers la sortie (SAS) ;
– à Fresnes, deuxième plus grand centre pénitentiaire de France, qui n’a jamais fait l’objet d’une rénovation d’ensemble depuis son inauguration, en 1898, qui héberge le Centre national d’évaluation et où vient d’être créé un quartier de prévention de la radicalisation spécialisé dans l’évaluation (QPRse) destiné aux femmes ;
– à Château-Thierry, petit centre pénitentiaire, l’un des plus vétustes de France, spécialisé dans la prise en charge des personnes présentant des troubles psychiatriques lourds.
Le recueil d’un matériau analytique considérable
Au total, 135 personnes ont été auditionnées, au cours de 42 séances, qui se sont tenues tantôt à l’Assemblée nationale, tantôt en visioconférence. Parallèlement, une cinquantaine de professionnels exerçant en prison ont été rencontrés sur le terrain lors des visites d’établissements pénitentiaires. De plus, une cinquantaine de contributions écrites substantielles, émanant d’institutions publiques, d’organisations privées ou d’experts, nous ont été adressées.
Je tiens à adresser mes remerciements à chacun de ceux qui, à titre personnel ou en leur qualité de représentants d’une administration, d’une autorité administrative, d’un syndicat, d’une entreprise ou d’une association – sans oublier M. Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, garde des sceaux –, ont ainsi contribué à parfaire notre connaissance du milieu carcéral et à alimenter le matériau analytique sur lequel nous avons fondé notre réflexion.
Je remercie également l’ensemble des membres de la commission d’enquête, qui, par-delà les appartenances politiques, ont œuvré avec le souci de l’intérêt collectif en vue d’identifier les problèmes structurels à régler et de faire émerger des propositions réalistes. Je souligne en particulier la qualité du travail en commun avec Mme la Rapporteure Caroline Abadie, qui a été déterminante pour garantir le bon esprit dans laquelle nous avons conduit nos investigations.
Enfin, je salue l’implication de l’équipe administrative de la direction du contrôle et de l’évaluation de l’Assemblée nationale qui nous a accompagnés.
L’administration centrale et déconcentrée du ministère de la justice, en particulier la totalité des services de l’administration pénitentiaire sollicités – au premier rang desquels les personnels de direction, d’encadrement et d’application des prisons visitées –, s’est montrée très coopérative, sauf sur un point particulier.
En effet, la commission d’enquête a élaboré un questionnaire détaillé à destination des établissements pénitentiaires, qu’elle souhaitait diffuser directement. Elle s’est cependant heurtée à des prétextes dilatoires de l’administration centrale, qui s’est refusée à lui communiquer la liste des coordonnées des chefs d’établissement. Pour ne pas trop retarder l’opération, la commission d’enquête a préféré consentir à ce que le questionnaire soit finalement diffusé sous la responsabilité de l’administration centrale. Au total, moins d’une centaine de réponses nous sont parvenues, soit à peine plus de la moitié des établissements pénitentiaires français. La validité du traitement statistique des données est par conséquent sujette à caution ; ceci est dommage car des résultats plus probants auraient non seulement été utiles pour les travaux de la commission d’enquête, mais auraient surtout servi à l’administration pénitentiaire pour compléter son portefeuille de données internes.
Cinq thèmes prioritaires
Quoi qu’il en soit, au terme des travaux de la commission d’enquête, cinq thèmes me semblent devoir être traités prioritairement pour améliorer la situation des prisons françaises.
Premièrement, l’État se doit d’accentuer son effort en faveur des personnels pénitentiaires, en améliorant la formation, en renforçant l’accompagnement social – notamment dans le domaine de l’accès au logement –, en revalorisant les déroulements de carrière, en réexaminant les grilles indiciaires. C’est la condition indispensable pour doper l’attractivité des métiers, aussi bien dans la filière surveillance que dans la filière insertion et probation, et ainsi pour accroître le nombre et le niveau des candidats se présentant aux concours.
Deuxièmement, force est de constater que le Gouvernement, en dépit de promesses, n’est aucunement parvenu à réduire la surpopulation carcérale, qui nuit à la dignité des personnes détenues. Résoudre durablement le problème passe par une meilleure coordination entre politique pénale et politique pénitentiaire, ainsi que par la construction de nouvelles places de prison afin d’assurer une meilleure application du principe d’encellulement individuel prévu par la législation. Ainsi, sur les 15 000 places annoncées, seules 2 000 places nettes ont été créées et 7 000 places mises en chantier – dont 2 000 programmées déjà avant 2017. Il faut néanmoins avouer que la construction de places de prisons coûte cher et prend du temps.
Troisièmement, la prison est de plus en plus un lieu de cristallisation de la radicalisation religieuse, compte tenu de la concentration de détenus islamistes, qu’ils aient été condamnés pour des faits de terrorisme ou de droit commun. L’administration pénitentiaire a eu la clairvoyance de s’adapter à cette nouvelle donne en créant des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) et de nouvelles spécialisations professionnelles, comme celles des médiateurs du fait religieux. La structuration de la réponse à ce phénomène doit être renforcée, dans la perspective de la libération des détenus concernés, au terme de leur peine judiciaire.
Quatrièmement, un système pénitentiaire ne marche sur deux jambes que si la privation de liberté s’accompagne d’une préparation à la réinsertion. À cet égard, l’employabilité des personnes détenues est évidemment essentielle, à travers l’éducation, la formation professionnelle et l’exercice d’une activité professionnelle qualifiante et non occupationnelle. Or, malgré de nombreuses initiatives locales, les résultats sont encore faibles. La situation est spécialement préoccupante en matière d’emploi puisque le nombre de postes de travail proposés a chuté ces dernières années.
Cinquièmement, la société se doit de prendre en charge la santé des personnes détenues. Au-delà de l’impératif humain, c’est aussi une condition indispensable à la réinsertion. Or, l’accès aux soins est partout difficile, surtout pour certaines spécialités médicales et paramédicales, comme les soins dentaires. La première urgence est l’augmentation des moyens consacrés au suivi psychologique et psychiatrique en prison, le système actuel ne permettant pas de traiter convenablement la masse des patients concernés – au moins 30 % de la population carcérale –, et encore moins les cas les plus aigus.
Le développement d’un modèle carcéral considérant les surveillants à leur juste valeur, permettant une réinsertion effective des détenus et profitant ainsi à l’ensemble de la société ne pourra faire l’économie de ces cinq grands chantiers.
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Selon les termes de l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958, le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques ». Dans ce cadre, le droit d’enquête, corollaire de la mission de contrôle des parlementaires, revêt une importance particulière puisqu’il confère aux parlementaires des pouvoirs spécifiques.
La commission d’enquête sur les dysfonctionnements et manquements de la politique pénitentiaire française, constituée en juillet 2021 par l’exercice du droit de tirage annuel du groupe Les Républicains, porte l’ambition de faire le bilan de l’action des gouvernements dans ce domaine au cours des dernières années.
Avant tout, votre Rapporteure souhaite remercier le président de la commission d’enquête, M. Philippe Benassaya, avec lequel elle a pu travailler en bonne intelligence. Abordant, lui aussi, les sujets carcéraux avec pragmatisme et ambition, cherchant sans idées préconçues à ancrer l’enquête dans le réel, il a garanti le bon déroulement des travaux de la commission. Elle salue en particulier le climat apaisé et l’esprit transpartisan dans lesquels se sont déroulés aussi bien les auditions que les déplacements.
Le sujet des prisons tient une place particulière dans les travaux parlementaires et nombre d’entre eux ont abordé les problématiques carcérales ; dont certains constituent sans aucun doute des réflexions clefs, dans la lignée desquelles s’inscrit le travail de votre Rapporteure.
● L’un des premiers travaux parlementaires effectués sur cette question remonte aux débuts de la Troisième République, sous l’impulsion du député orléaniste Paul-Gabriel d’Haussonville. Intervenant durant la période de l’Ordre moral, en réaction à la Commune de Paris, le système pénitentiaire y est observé sous le prisme de la « moralisation » des détenus. Lancé en 1872, ce vaste travail d’enquête – qui aboutira à la publication de six volumes rassemblant une soixantaine de rapports sur les prisons françaises et leur fonctionnement – était motivé par des statistiques carcérales mettant alors en évidence une augmentation continue de la récidive. La commission parlementaire, composée de trente-sept membres, a mené un travail d’enquête minutieux, auditionnant de nombreux députés, préfets, magistrats, représentant de l’administration pénitentiaire et experts étrangers. Ce travail a été à l’origine de la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales qui a intégré dans notre droit le principe de l’encellulement individuel.
● Bien plus tard, en 1989, sur proposition du garde des sceaux de l’époque, M. Pierre Arpaillange, le Premier ministre, M. Michel Rocard, charge le député socialiste Gilbert Bonnemaison de dresser un bilan des problèmes que rencontre l’administration pénitentiaire et de proposer des mesures d’amélioration. Le système carcéral est alors en pleine évolution, notamment depuis les révoltes de prisonniers de l’été 1974. Le régime des peines a été réaménagé et les détenus se sont vu reconnaître davantage de droits. La prison n’a désormais plus comme rôle essentiel de punir et de moraliser, mais de réinsérer socialement les condamnés. Le rapport Bonnemaison, qui n’est pas à proprement parler un rapport parlementaire, centre sa réflexion sur l’amélioration de la vie en détention ainsi que sur la restructuration et la rénovation des établissements.
● Les 28 et 29 juin 2000, l’Assemblée nationale ([1]) puis le Sénat ([2]) publient les rapports de leurs commissions d’enquête respectives. Tandis que l’Assemblée nationale s’est fixé un champ d’investigation vaste, ayant pour ambition de traiter l’ensemble des aspects du système carcéral français, le Sénat a concentré son enquête sur les conditions de détention dans les maisons d’arrêt au regard de la présomption d’innocence et sur le régime de contrôle des prisons relevant de la justice et de l’administration. Ces deux rapports d’enquête sont intervenus, d’une part, après la visite par l’Assemblée nationale, en septembre 1999, de la maison d’arrêt de Saint-Denis, à La Réunion, constatant l’état lamentable de l’établissement et la nécessité d’une réflexion sur le système pénitentiaire français, et, d’autre part, après la publication de l’ouvrage du Dr Véronique Vasseur ([3]) mettant en lumière les dysfonctionnements de la prison, déjà connus mais qui, relayés dans les médias, ont suscité une grande émotion dans l’opinion publique.
Ces différents rapports réalisés, à des époques et dans des cadres différents, par des membres du Parlement, ont constitué des jalons essentiels dans l’évolution de la politique pénitentiaire en France. Ils ont abordé, avec des perspectives qui leur sont propres, des problématiques qui sont, aujourd’hui encore, le socle des réflexions conduites sur les questions carcérales. Ces rapports éclairent utilement le travail qui a été conduit par la présente commission d’enquête et permettent de prendre un recul nécessaire sur les différentes questions abordées.
I. Une commission d’enquête qui s’inscrit dans la continuitÉ d’une longue rÉflexion parlementaire sur les sujets carcÉraux
1. Des conditions de travail difficiles pour le personnel pénitentiaire, confronté à un sous-effectif chronique
● Le premier sujet auquel la commission d’enquête de 1875 s’est attachée concernant le personnel était celui du sous-effectif des agents de surveillance, dans les prisons départementales comme dans les maisons centrales, empêchant une présence optimale de jour et de nuit. Le matériel insuffisant et défectueux participait également aux difficultés des conditions de travail des surveillants. Certaines personnes auditionnées par cette commission, notamment les aumôniers, mentionnaient aussi l’insuffisance des modalités de recrutement des agents pénitentiaires, amenant au recrutement de gardiens dépourvus de principes et empêchant l’amendement moral du prisonnier : « Savoir lire et écrire, c’est tout ce que vous demandez au candidat. Tout est bon pour garder un prisonnier. Est-il surprenant que dans cette grande légion d’agents il y ait des hommes sans mœurs, sans délicatesse, sans fidélité, sans humanité ? ».
● Faisant suite aux mouvements sociaux des personnels pénitentiaires de 1988, les enjeux de personnel et de conditions de travail sont au cœur du rapport Bonnemaison de 1989. Les conditions de travail, tout d’abord, faisaient toujours l’objet de critiques. Les sous-effectifs étaient encore d’actualité, avec un déficit de personnel administratif et technique, et de travailleurs sociaux. Le rapporteur constatait le désinvestissement des personnels, certains exerçant des activités extraprofessionnelles, conduisant à un taux d’absentéisme élevé et rendant difficile l’organisation des temps de travail et la mise en œuvre d’un projet d’établissement. À cela s’ajoutait le fait que la médecine du travail et l’assistance sociale gratuite peinaient à se mettre en place, malgré la règlementation. En outre, ces difficultés s’accompagnaient d’une mauvaise image dans l’opinion publique et d’accusations diverses, en particulier de laxisme. Dans ce contexte, le personnel se sentait dévalorisé, écarté, isolé, réduit à la fonction de porte-clés, doté toujours, comme en 1875, d’un matériel insuffisant et dégradé. Le sentiment de marginalité du personnel était aggravé par les relations difficiles entretenues avec les magistrats. L’administration pénitentiaire était considérée comme une « exécutante » par les magistrats, et les personnels se considéraient comme les « mal-aimés » du ministère de la justice, les juges ne prenant pas assez en compte les contraintes de la détention. Les personnels en ressentaient un manque de légitimité, notamment dû à un défaut de discussion, de concertation et de prise en compte de la relation entre surveillants et détenus, dans un contexte d’irruption de nouveaux droits pour ces derniers.
● Ces difficultés ont aussi été soulignées par les rapports d’enquête de 2000, d’autant que la surpopulation et les mauvaises conditions ont rendu le travail des personnes particulièrement pénibles. Le personnel pénitentiaire se sentait, en outre, relégué à la gestion des incidents, au détriment de la mission d’observation et de surveillance. Le problème chronique du sous-effectif était à nouveau souligné, avec un faible taux d’encadrement des détenus – théoriquement de 2,6 détenus par surveillant, mais en réalité d’un surveillant seulement par coursive, accueillant une centaine de détenus. Cette situation s’expliquait par le fait que les effectifs d’un établissement étaient fonction de sa capacité d’accueil théorique et non de son niveau d’occupation réelle. Ce sous-effectif a eu pour conséquence de conduire à renoncer à des tâches essentielles à la sécurité comme des services de nuit, des fouilles de cellules ou des passages dans les chemins de ronde. Il pesait aussi sur la formation des agents, qui n’avaient pas toujours la possibilité de quitter leur poste pour partir en formation. Les rapporteurs notaient aussi que la politique pénitentiaire, favorisant le contrôle électronique, a sédentarisé les agents dans leurs postes de contrôle et diminué les contacts avec les détenus, d’autant plus avec la construction d’établissements à grande capacité. Le personnel ressentait ainsi un profond déphasage entre, d’une part, les missions de réinsertion et d’organisation des meilleures conditions de détention possibles, et, d’autre part, les moyens financiers et humains accordés. Enfin, les formations sont jugées inadaptées, orientées principalement vers la sécurité plutôt que le dialogue, la gestion des mineurs et le travail en partenariat avec le social, le médical ou l’éducatif, sans sensibilisation à la réinsertion et sans formation continue, ce qui ne permet pas aux personnels de s’adapter aux évolutions de l’administration et de voir évoluer leur carrière.
Ainsi, comme en 1989, les personnels pénitentiaires ressentaient un malaise relatif au décalage entre leur travail et les missions qu’ils perçoivent être les leurs, et au manque de concertation : « En maison d’arrêt, le temps de parole est largement insuffisant ; nous sommes confrontés à une surpopulation chronique, et le surveillant n’a pas le temps d’engager un réel dialogue avec les détenus ». Le sentiment de manque de soutien hiérarchique a aggravé un sentiment d’isolement des personnels dans l’accomplissement de leurs missions. Si des progrès ont eu lieu ensuite en matière de concertation, avec la création des comités techniques paritaires au niveau des régions, en 1991, et des comités d’hygiène et de sécurité spéciaux au niveau de chaque établissement, en 1992, le dialogue n’était pas organisé de façon continue. À ce titre l’intérêt porté par la représentation nationale au travers de ces deux commissions d’enquête à la situation des personnels et plus largement à la question pénitentiaire a été positivement ressenti.
2. La problématique particulière des mineurs en prison
● Les jeunes détenus sont un sujet important pour la commission d’enquête de 1875. En effet, en 1850, une législation avait été adoptée à propos des mineurs de 16 à 21 ans, permettant aux magistrats, souvent réticents à assimiler ces jeunes aux adultes, de recourir au placement en établissements de correction jusqu’à l’âge de 20 ans ou à une incarcération en maison d’arrêt quand les peines étaient inférieures ou égales à trois ans.
Les jeunes étaient ainsi principalement envoyés dans des colonies pénitentiaires, établissements de correction privées ou publiques, ou des maisons d’éducation pour filles. Selon la loi dite « Corne » ([4]), ces derniers devaient y « recevoir en commun une éducation morale, religieuse et professionnelle, être appliqués aux travaux de l’agriculture et aux principales industries ». Dans ces établissements, on trouvait aussi des enfants délaissés par leurs familles ou éloignés de ces dernières par le juge, sans avoir été nécessairement condamnés. Le législateur a voulu, d’après le rapport, « venir en aide à de pauvres enfants délaissés et entraînés dans de premiers écarts, les préparer à rentrer dans la vie, débarrassés des mauvaises impressions et des vices qui ont failli les perdre, rendre à la société d’honnêtes et paisibles ouvriers de l’agriculture, au lieu de jeter dans les carrefours de nos grandes villes de jeunes êtres pervertis et prêts à toute espèce de guerre contre les lois et la société ».
Si la commission avait constaté des effets bénéfiques – pour commencer, sur le fait que les enfants ne soient pas placés en prison, dans la promiscuité avec des adultes –, elle a aussi pointé des incohérences et des lacunes. Tout d’abord, ces colonies étaient surpeuplées, ce qui rendait difficile le travail de « moralisation », la surveillance et l’enseignement professionnel, et conduisait également à l’absence de séparation et de distinction de traitement entre les acquittés, les condamnés et les enfants soustraits à leur famille. Cette réalité était d’autant plus problématique que la commission soulignait le nombre relativement élevé de mineurs de moins de 12 ans dans ces établissements. Par ailleurs, le système d’éducation y était médiocre et non adapté à la future réinsertion des jeunes, notamment ceux vivant en ville, le législateur ayant essentiellement prévu des travaux agricoles, considérés comme plus efficaces du point de vue de la régénération morale. En conséquence, le taux de récidive avoisinait les 25 %.
● Bien sûr, cette problématique est bien différente à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Selon l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, les mineurs doivent « en priorité, bénéficier de mesures de surveillance, de protection, d’assistance et d’éducation et une condamnation pénale ne pourra être prononcée que lorsque la personnalité du mineur et les circonstances particulières l’exigeront ». Le juge, concernant les mineurs, doit ainsi prioriser la liberté surveillée préjudicielle, le contrôle judiciaire, les mesures de réparation ou placement en foyer, en unité éducative renforcée, en centre de placement immédiat ou dans une famille. Un décret de 1972([5]) a fixé le principe de séparation entre les détenus mineurs de moins de 21 ans et les détenus adultes, et une loi de 1987 ([6]) a interdit le recours à la détention provisoire en matière correctionnelle pour les mineurs de moins de 16 ans.
● En 2000, les rapports d’enquête de l’Assemblée et du Sénat ont constaté que la délinquance des mineurs s’est aggravée et que la détention provisoire constituait plus de 90 % des incarcérations de mineurs. Cependant, peu de structures permettaient d’accueillir des mineurs en difficulté et le placement de mineurs, notamment récidivistes, dans des foyers classiques représentait souvent un danger pour ces derniers. Des unités éducatives à encadrement renforcé ont été créées mais elles étaient insuffisamment nombreuses et la protection judiciaire de la jeunesse souffrait d’un manque d’éducateurs. Si les conditions de détention des mineurs, notamment par l’amélioration de la prise en charge des structures éducatives, se sont améliorées depuis 1998, elles restaient tout de même déplorables. Dans beaucoup d’établissements, les mineurs ne sont pas séparés des majeurs, notamment en raison de la surpopulation et l’encellulement individuel n’était généralement pas appliqué.
Dans le cas des mineurs en détention, l’enjeu primordial, selon les rapporteurs, était celui de la scolarité, obligatoire jusqu’à 16 ans. Très peu de mineurs en détention suivaient des cours au-delà, incitant à la réflexion sur une possible extension de l’obligation de scolarité au-delà de cet âge. Cependant, la gestion même de la scolarité était complexe en détention, les enseignants étant trop peu nombreux, des associations intervenaient souvent en complémentarité, comme le GENEPI – Groupement étudiant national d’enseignement aux personnes incarcérées.
L’administration se trouvait ainsi démunie, et surtout sans formation spécifique, face à cette population de mineurs qui « n’est pas à réinsérer mais à insérer purement et simplement » et pour laquelle on attend de la prison qu’elle « réussisse là où tous les autres intervenants de la société ont échoué ». Cette population est d’autant plus compliquée à gérer qu’elle dispose de ses propres codes et qu’elle tend souvent à reproduire l’organisation sociale à laquelle elle était soumise à l’extérieur des murs, en constituant des bandes, avec des phénomènes corollaires de violences, de trafics et de rackets, d’autant même que la prison a tendance à renforcer le « prestige du mineur délinquant » dans son quartier. Le rapport du Sénat concluait ainsi que la prison devait être en réalité « le dernier recours à envisager pour les mineurs » car elle fabrique « des fauves, des individus détruits, néanmoins très jeunes ».
3. Le constat d’une surpopulation carcérale persistante en dépit du principe d’encellulement individuel
● En 1875, le rapport d’Haussonville a mis en lumière un des points noirs du système carcéral de l’époque, à savoir la promiscuité entre détenus et la non-séparation entre différentes catégories. La promiscuité est constante, en particulier dans les dortoirs et cellules, où les prisonniers sont entassés. La commission constatait alors que la division des détenus par quartiers – quartiers pour les prévenus, quartiers pour les accusés et condamnés et quartiers pour les enfants, avec à chaque fois séparation des sexes – n’était effective presque nulle part. L’Inspection générale des prisons déplorait que les prévenus et les condamnés soient mélangés, de même que les récidivistes et les primo-délinquants, et que des enfants soient parfois enfermés avec des adultes. Selon la commission, si ces questions ne sont pas résolues, aucune réforme ne sera possible.
La question de la surpopulation était alors traitée sous l’angle de la moralité. Ainsi la non-séparation entre catégories de détenus revenait à « soumettre à un contact impur des hommes qui sont peut-être innocents ». Les récidivistes et les criminels participeraient à une « école du vice » et à une corruption des primo-délinquants, nuisibles pour la moralité de ces derniers et leur rédemption. Elle estimait qu’« il y a des milliers d’individus qu’on pourrait ne pas mettre en prisons [et que] vingt-quatre heures peuvent suffire pour perdre une existence ».
Face à ces problèmes, la commission s’est interrogée sur l’encellulement individuel. Depuis l’adoption d’une loi de 1844 qui l’érigeait en principe ([7]), cette question faisait l’objet d’un vif débat : certains considérant qu’il assure l’amendement du détenu et le préserve de la contagion criminelle ; d’autres jugeant ce système néfaste pour la santé mentale. Ce principe est discuté par la commission, laquelle conclut qu’il s’agit d’un principe essentiel à mettre en application car il permettra de préserver les détenus « de tout contact impur » et d’éviter la récidive.
Cependant, l’état des locaux et leur configuration inadaptée ne permettait pas de le mettre en application. Or, à l’époque, l’État était rarement propriétaire des bâtiments : les maisons d’arrêt, pour les prévenus, les maisons de justice, pour les accusés, et les maisons de correction, pour les condamnés à un an et plus, sont des prisons départementales. Ainsi, aucune reconfiguration des locaux, pour résoudre leur mauvaise disposition ou leur exiguïté, ne pouvait s’effectuer sans validation du conseil départemental, et celui-ci était libre de ses choix financiers. Selon de nombreux membres de la commission, l’un des enjeux était donc l’étatisation des prisons, sans laquelle « aucune amélioration n’est possible ». Le rapport d’Haussonville conclut finalement à la nécessaire mise en place d’un encellulement individuel mais sous un angle essentiellement moral.
● Les rapports suivants ne pourront que constater la persistance du phénomène de surpopulation, en particulier dans les maisons d’arrêt. Malgré l’étatisation des prisons départementales en 1947, le système pénitencier est toujours marqué par la promiscuité du fait de la surpopulation carcérale, le nombre de détenus ayant même tendance à fortement augmenter à partir de la fin des années 1960.
Le rapport Bonnemaison de 1989 a ainsi constaté que les maisons d’arrêt étaient principalement touchées par ce phénomène, avec un taux d’occupation moyen de 170 %. Ainsi, les prévenus et condamnés à de courtes peines sont ceux qui supportent les plus mauvaises conditions, en raison de cette surpopulation, et qu’une grande partie d’entre eux n’ont rien à faire en prison. Face à cela, le rapport a proposé d’instaurer un numerus clausus pour les maisons d’arrêt, tout en développant le milieu ouvert, et en le sécurisant grâce à un système de surveillance électronique. Pour M. Bonnemaison, l’emprisonnement doit être une sanction parmi d’autres, et non celle qu’il faut privilégier, et l’on doit y recourir avec discernement. La réalisation de cet objectif supposait un parc d’établissements diversifiés et justifiait une politique d’investissement ambitieuse. Le rapport précisait néanmoins que le risque était de voir de plus en plus de personnes en détention, en réaction à l’augmentation du nombre de places, aggravant ainsi la surpopulation.
● Les rapports d’enquêtes publiés en 2000 ont toutefois constaté que ce problème de surpopulation n’a jamais été résolu, la population pénitentiaire ayant même doublé en une vingtaine d’années. Le phénomène est toujours imputable aux mêmes raisons : multiplication de la détention provisoire, augmentation de la durée des peines, lenteur des procédures judiciaires. Comme en 1989, la surpopulation concerne essentiellement les maisons d’arrêt, dont le taux d’occupation moyen atteint 132 %. Les deux rapports parlementaires soulignant que celles-ci sont utilisées comme variable d’ajustement du système pénitentiaire, en accueillant les prévenus – qui représentent 35 % de la population carcérale –, les condamnés à des courtes peines mais aussi les condamnés en transfert attendant une place en établissement pour peines. Le numerus clausus de ces derniers provoque d’ailleurs un bouchon à leur entrée et vient aggraver le surencombrement des maisons d’arrêt. Cette surpopulation empêche de respecter le principe légal de l’encellulement individuel. En outre, la promiscuité est aggravée, dans nombre d’établissements, par l’absence de quartiers séparés selon la nature des statuts de détention, les détenus étant principalement affectés en fonction de l’âge, de leur comportement voire de leur nationalité ou de l’origine ethnique, ce qui rend les conditions de prévention de la récidive et réinsertion sous-optimales. Le rapport des sénateurs a d’ailleurs affirmé que cette situation « fait le lit de la récidive et constitue une école de perfectionnement de la délinquance », non sans rappeler les réflexions de 1875. Ce dernier rapport constatait par ailleurs qu’une grande partie de la population carcérale n’a rien à faire en prison. En effet, beaucoup de détenus sont des étrangers en situation irrégulière, des toxicomanes, des malades mentaux ou des mineurs, qui alourdissent la surpopulation pénale et compliquent les conditions de détention, alors qu’ils mériteraient une prise en charge alternative. Les rapports se sont enfin questionnés sur l’opportunité du remède à la surpopulation que constitue théoriquement la construction de nouvelles places de prison, en constatant qu’elle a souvent amené à l’augmentation parallèle du nombre de détenus. Pour cette raison, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale avait rappelé le caractère indispensable d’une régulation des entrées et posé le principe d’un numerus clausus pour les incarcérations dans les maisons d’arrêt, en concertation avec les magistrats.
4. L’état toujours préoccupant du parc pénitentiaire
● Interrogé lors de la commission d’Haussonville de 1875, l’Inspection générale des prisons faisait remarquer qu’un grand nombre d’établissements, souvent d’anciens couvents ou d’anciennes prisons seigneuriales, étaient inadaptés aux règlements de la détention. Ainsi, la plupart ne comportait ni jardin ni préau, et le nombre de cellules était insuffisant. Comme rappelé précédemment, le problème de l’état des locaux, à l’époque, était indissociable de la propriété des prisons. Si l’État avait l’usage des prisons, il ne pouvait en réaliser les travaux d’adaptation nécessaires car celles-ci demeuraient la propriété des départements. Comme l’avait souligné un des membres de la commission, « on ne peut rendre responsable l’administration de l’étroitesse, de l’insalubrité, du délabrement des locaux dont elle dispose […]. Il ne suffit pas que l’usage des prisons départementales lui ait été remis, il faut à toute force que l’État devienne propriétaire de ces bâtiments ».
● Le rapport de 1989 a, quant à lui, été remis un an après le lancement du programme de construction « 13 000 places de prison ». Selon M. Bonnemaison, ce programme avait cependant pour conséquence de grever les crédits nécessaires pour assurer la maintenance du patrimoine existant et de renoncer aux programmes de rénovation pourtant indispensables compte tenu de la dégradation de certains établissements.
● Ce constat est à nouveau partagé en 2000. Les rapporteurs ont constaté que le parc pénitentiaire, tout particulièrement les maisons d’arrêt, était devenu inadapté à la réalité carcérale, avec des établissements majoritairement vétustes, dégradés ou mal adaptés, plus de la moitié d’entre eux datant d’avant 1920. Les locaux sont humides et insalubres, les cellules étroites, les coursives exiguës, et les normes de sécurité, notamment pour les installations électriques, sont ignorées. Ainsi, la surpopulation n’a pas été prise en compte et, faute de programmes de maintenance et de personnels techniques, les équipements ont vieilli.
5. La prise en compte récente de la nécessité des conditions dignes de détention
● Sous la Troisième République, la question des droits de l’homme et des droits des détenus ne se posait pas. Même si apparaît alors l’idée d’une fonction de rédemption morale, la prison est essentiellement conçue comme devant appliquer un châtiment en réponse à une faute, le détenu n’étant pas considéré comme sujet de droit. Du reste, rappelons que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne s’appliquait que partiellement en droit positif – et encore moins dans le monde carcéral – et que la Convention européenne des droits de l’homme, importante source pour le droit de la prison, n’entrera en vigueur qu’en 1953.
Les conditions de vie en détention ne sont cependant pas absentes des réflexions de la fin du XIXe siècle. En 1875, les conditions sanitaires des détenus étaient jugées médiocres. Si la nourriture, essentiellement constituée de pain et de soupe, était considérée comme suffisante en quantité – dans le sens où les détenus ne mouraient pas de faim –, du point de vue hygiénique, le pain n’était pas toujours fabriqué selon les prescriptions, mais quelquefois avec des farines de qualité inférieure, achetée par un entrepreneur trompant ainsi l’administration.
● Toutefois, à partir des années 1980, les rapports se sont beaucoup concentrés sur les conditions dignes de vie en détention ; le changement de conception du système pénitentiaire est évident. Dans son observation des prisons, M. Bonnemaison jugeait inacceptable que le système carcéral porte encore atteinte à la dignité de la personne et aux droits de l’homme. La surpopulation et la promiscuité constituaient des conditions de détention ne correspondant plus aux standards fondamentaux. Les conditions de détention sont donc devenues un enjeu déterminant dans la réflexion sur le système carcéral. L’idée que le détenu a des droits, jadis étrangère à l’administration pénitentiaire, est notamment illustrée par un décret de 1972 ([8]) assouplissant les règles de correspondance, le régime des visites, les permissions de sortir et l’accès des détenus aux journaux et à la radio.
● En 2000, les constats portaient sur la vétusté des locaux et ses conséquences sur la vie en détention, du fait du manque criant d’hygiène. Les repas arrivaient rarement chauds, les capacités de production d’eau chaude étaient insuffisantes pour permettre le nombre de douches réglementaires et certaines cellules n’étaient pas équipées en sanitaires et ne jouissaient pas d’une bonne aération. À cela s’ajoute le fait que les installations, notamment dans les cuisines, étaient rarement conformes aux normes techniques et sanitaires, que les parloirs étaient mal nettoyés et mal éclairés, et que les douches étaient dégradées, avec du salpêtre, des moisissures voire la présence de cafards.
Le rapport du Sénat en 2000 a choisi de faire des droits des détenus un des axes majeurs de son enquête.
Le premier enjeu était celui du régime de détention des prévenus, lesquels, quoique présumés innocents, subissaient des conditions de vie moins bonnes que les condamnés, en raison de la surpopulation et de la promiscuité en maison d’arrêt, du manque d’activités culturelles, sportives, de formation et de travail, d’absence de permissions de sorties ainsi que de l’interdiction de téléphoner : les sénateurs vont d’ailleurs jusqu’à affirmer que les conditions de détention en France sont indignes du pays des droits de l’homme. De surcroît, les durées d’encellulement étaient plus élevées qu’ailleurs.
L’arbitraire carcéral constituait le deuxième enjeu de taille. Selon les rapporteurs du Sénat, le droit de la prison était illusoire car reposant sur des dispositions réglementaires, des circulaires et des notes de services surabondantes, dont la mise en œuvre apparaissait très disparate selon les établissements. Il était ainsi très difficile, pour les détenus, de connaître les règles qu’ils devaient suivre et leurs fondements, d’autant que les principes composant le droit de la prison – l’encellulement individuel par exemple – sont assortis de dérogations et de souplesse afin d’assurer une meilleure sécurité.
Alors que le détenu est normalement privé de sa seule liberté d’aller et venir, de nombreuses libertés, en prison, étaient, de fait, inapplicables. Par exemple, le droit de vote n’était pas interdit mais quasiment inappliqué car aucune disposition ne facilite son exercice, et le secret de la correspondance était constamment violé car la permission donnée à l’administration de contrôler les lettres des détenus a été transformée en principe de fonctionnement.
De plus, chaque établissement possédait son propre règlement, qui pouvait fortement varier d’un établissement à un autre : certains établissements autorisaient le téléphone, d’autres non ; certains se conformaient à la règle concernant le nombre de douches, d’autres les accordaient à la demande. Si ces règles spécifiques sont censées être détaillées dans un « guide du détenu arrivant », ce dernier n’était pas systématiquement distribué ; de ce fait, elles deviennent souvent un enjeu de négociation entre détenu et surveillants, pour une douche, un parloir, une heure de sport ou un déplacement en bibliothèque.
Enfin, les rapports notaient que les détenus manquaient d’informations concernant leur situation judiciaire, et que les juges, de leur côté, recevaient peu d’informations sur le prévenu.
En outre, selon les auteurs des rapports remis en 2000, l’administration disposait d’une trop grande latitude dans la procédure disciplinaire : elle en était à l’initiative tout en jouant le rôle de juge, le prétoire étant composé d’un représentant de la direction et d’un représentant du personnel, devant lesquels le détenu devait assurer seul sa défense. Comme l’observe le Sénat, la procédure disciplinaire était surtout, dans certains établissements, une opération de communication interne, car les surveillants obtenaient souvent gain de cause, la direction se gardant de les désavouer. Il apparaissait que les sanctions prévues par le code de procédure pénale pouvaient être prononcées quelle que soit la faute, et il était constaté un nombre de punitions à des peines de quartier disciplinaire très élevé, mais surtout une adéquation irrégulière, voire une réelle disproportion, entre infractions et sanctions. Ces dernières, en tant que mesures d’ordre intérieur, furent longtemps insusceptibles de recours pour excès de pouvoir ; si cette possibilité a été reconnue par la jurisprudence en 1995 ([9]), cela s’avérait assez théorique.
Des progrès ont été notés quant aux conditions de détention dans les quartiers disciplinaires, qui étaient particulièrement rigoureuses avant 1970 – pain sec et eau, obscurité quasi complète et seau hygiénique. Cependant, l’état des mitards demeurait variable, certaines cellules étant encore dotées de toilettes à la turque dégradées, d’un simple robinet, d’un mince matelas posé sur une dalle de béton et d’une aération déficiente, ou encore soumises à une température glaciale en hiver et suffocante en été.
6. Le contrôle parcellaire du système pénitentiaire mais de plus en plus effectif
● Le constat dressé en 1875 était celui d’une quasi-absence de contrôle du système pénitentiaire. Le contrôle des établissements pénitentiaires était normalement assuré par les commissions de surveillance, créées par une ordonnance royale de 1819 ([10]). Si, dans certains cas les commissions de surveillance s’avéraient dynamiques, la plupart d’entre elles se montraient peu efficaces voire inexistantes : les visites d’inspection étaient trop rares ou jamais effectuées. Cette inefficacité des commissions, qui n’existaient « que sur le papier », laissait au gardien-chef un pouvoir discrétionnaire. D’autres autorités devaient théoriquement visiter les prisons, comme les préfets et les maires, mais ces visites étaient tout aussi peu effectuées.
● Le rapport Bonnemaison de 1989 constatait, quant à lui, le manque de contrôle exercé par les magistrats. En effet, le code de procédure pénale prévoit le contrôle par les magistrats de l’exécution de leurs décisions et des conditions de leur application : cela nécessitait qu’ils se rendent sur place, afin de connaître et de prendre en compte l’organisation et le fonctionnement des prisons. Or ces visites étaient très peu effectuées. De même, les juges d’instruction, qui avaient la possibilité de voir les prévenus à la maison d’arrêt, le faisaient peu voire pas du tout.
● En 2000, alors que l’enjeu du contrôle était devenu fondamental notamment sous l’effet de la Convention européenne des droits de l’homme de 1952, les rapporteurs remarquaient que si les contrôles étaient multiples en théorie, ils étaient en réalité inexistants ou inefficaces car trop disséminés et parcellaires pour constituer une véritable force de contrainte sur l’administration pénitentiaire.
Il existait tout d’abord des contrôles internes à l’administration, exercés, en théorie, par les directions régionales des services pénitentiaires. Toutefois, en pratique, ces derniers n’ayant pas de service d’inspection, le gros du contrôle interne était assuré par l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), qui n’avaient pas de capacité d’intervention suffisante. L’ISP ne disposait ainsi que de cinq inspecteurs, et les deux services avaient des tâches multiples, comme le conseil technique de l’administration pénitentiaire pour l’ISP et le contrôle des 1 100 juridictions françaises pour l’IGSJ. Ce contrôle n’était donc pas susceptible de s’assurer des conditions de détention et de détecter des dysfonctionnements dans une prison. À la marge, d’autres services d’inspection pouvaient être compétents : l’Inspection du travail pour le contrôle du respect des conditions d’hygiène et de sécurité sur les lieux de travail des détenus ; l’Inspection des affaires sociales pour le contrôle des conditions d’hygiène relatives à l’alimentation des détenus ; l’Inspection générale de l’éducation nationale pour le contrôle des activités d’enseignement et des formations. Cependant, ces contrôles, même s’ils étaient t nombreux et fréquents, s’avéraient inefficaces, car un grand nombre d’installations ne respectaient pas les normes sans qu’aucune conclusion en soit tirée.
Les commissions de surveillance demeuraient un sujet de préoccupation en 2000. Chaque établissement pénitentiaire disposait d’un tel organe, présidé par le préfet ou le sous-préfet et composée de magistrats, d’élus, de fonctionnaires, de personnalités et de membres d’associations. Selon la loi, elle se réunissait au moins une fois par an dans l’établissement où elle est située, un ou plusieurs de ses membres pouvaient être délégués pour effectuer des visites, elle pouvait procéder à l’audition de toute personne susceptible de lui apporter des informations, et elle recevait les requêtes des détenus sur toute matière relevant de sa compétence. Néanmoins, en pratique, les commissions de surveillant ne remplissaient pas leurs missions. Elles se réunissaient au mieux une fois par an, mais le plus souvent jamais. Les visites, quand elles existaient, étaient très brèves, et les commissions n’assuraient pas de suivi et n’utilisaient pas la possibilité de procéder à des auditions.
Enfin, les magistrats n’assuraient presque jamais leur mission de contrôle. Les juges de l’application des peines, pourtant fortement impliqués dans la vie des prisons, ne procédaient pas tous à la visite destinée à vérifier les conditions dans lesquelles les condamnés exécutent leur peine. Ces défaillances s’expliquaient avant tout par la charge de travail des magistrats, en sous-effectif chronique ; mais aussi par la difficulté, pour eux, d’appréhender leur rôle vis-à-vis de la détention, certains ayant le sentiment qu’il s’agissait là d’un contrôle inutile, les rapports produits ne faisant l’objet d’aucun retour.
Selon le rapport du Sénat, le seul contrôle efficace existant concernant les prisons était celui exercé par un organe supranational : le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe, qui a pris l’habitude d’examiner l’ensemble des sujets concernant la détention, particulièrement les conditions matérielles. Le CPT exerce son contrôle au moyen de nombreuses visites, ses rapports sont complets et il démontre une grande capacité à détecter les dysfonctionnements, mais ses recommandations n’étaient pas entendues.
7. La question de la prise en charge médicale des détenus
● En 1875, le service médical apparaissait lacunaire. Les prisonniers étaient pris en charge par un médecin installé hors des murs et qui ne percevait pas une indemnité suffisante pour être présent assez souvent. Certaines prisons, qui disposaient d’un nombre de lits médicaux limité, voire qui ne possèdent pas du tout d’infirmerie, étaient ainsi obligées d’envoyer des malades à l’hôpital, dans des conditions difficiles et dangereuses.
● En 1989, le rapport Bonnemaison a cependant fait le constat que, dorénavant, le service public pénitentiaire était davantage préoccupé par les conditions de détention qu’un siècle auparavant : « La société doit assurer aux détenus une exécution des peines dans des conditions satisfaisantes et dignes de notre temps ». Toutefois, la pauvreté de l’administration en infirmières était notée. La santé mentale, peu considérée en 1875, est devenue une question à part entière : le recrutement de psychologues professionnels pour suivre la population pénale souffrant de troubles du comportement est affirmé comme une nécessité. Le rapport intervient, en effet, après un décret de 1986 qui crée des services médico-psychologiques régionaux dans certains établissements pénitentiaires ([11]).
● Alors que la prise en charge médicale en détention relevait au départ de la seule compétence de l’administration – avec des médecins vacataires désignés auprès de chaque établissement et un chirurgien-dentiste tenu de faire minimum deux visites par mois, ce qui était dérisoire au regard des besoins –, elle a évolué dans les années 1980 et 1990, avec le décret de 1986 sur les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et une loi de 1994 ([12]) qui donne mission au service public hospitalier de dispenser les soins aux détenus en milieu pénitentiaire et affilient ces derniers à l’assurance maladie. Il s’agit alors d’un tournant dans la conception des soins en prison : sont reconnus le droit pour les détenus de bénéficier des mêmes soins que s’ils étaient à l’extérieur, le respect de la relation médecin-patient et la continuité des soins à la libération. Ainsi, des unités de consultation de soins ambulatoires (UCSA) ont été aménagées dans les prisons afin d’assurer les soins courants et les consultations.
Cependant, comme l’ont constaté les rapports d’enquête de 2000, la prise en charge médicale connaissait toujours des difficultés importantes. Les locaux étaient souvent inadaptés aux soins car peu rénovés et avec une surface insuffisante. En outre, certaines prisons étant éloignées des centres urbains, il était difficile de trouver des médecins pour assurer les consultations spécialisées. Par ailleurs, le manque des spécialistes dans les prisons était dénoncé comme criant : des établissements disposaient d’appareils de radiologie neufs mais inutilisés faute d’un manipulateur radio ou d’un médecin spécialiste.
En conséquence, le nombre d’extractions s’est multiplié, avec toutes les difficultés d’organisation et de sécurité que cela implique. Il revient à la police ou à la gendarmerie d’assurer la garder des détenus, missions peu appréciées car mobilisant sur une longue période des effectifs importants, requérant de multiples autorisations et une coordination entre trois administrations différentes. Enfin, les rapporteurs s’interrogeaient sur le respect du secret médical lors des consultations médicales en milieu hospitalier, car, par peur pour leur sécurité, il arrive que les médecins demandent à un surveillant de rester dans la pièce.
La prise en charge des addictions et des troubles psychiatriques est aussi devenue un enjeu fondamental dans la prise en charge médicale en détention. En effet, la consommation de substances addictives, drogues, alcool ou produits psychotropes, a des conséquences lourdes sur la prise en charge et la vie en détention, car elle alimente aussi des trafics internes. Cette consommation est d’ailleurs très liée, comme l’ont constaté les rapporteurs, à la prévalence des troubles psychiatriques communs parmi la population carcérale. Cette prise en charge psychiatrique a connu d’indéniables progrès, malgré des difficultés latentes. Ainsi, le rapport de l’Assemblée nationale mentionnait tout d’abord que les expertises psychiatriques étaient trop rapides et mal rémunérées. Elles étaient effectuées par des psychiatriques qui, pour beaucoup, ne connaissaient pas la vie en prison. Elles pouvaient aussi se retrouver biaisées, les experts voulant éviter que la personne détenue ne se retrouve à sa charge, à l’hôpital psychiatrique du département, donnant ainsi à la prison une vocation asilaire qu’elle ne devrait pas avoir. Par ailleurs, la prise en charge était difficile en raison du nombre insuffisant de SMPR, de la vacance de postes dans certains secteurs de psychiatrie, d’une disparité de moyens au détriment des maisons d’arrêt, et de la complexité des hospitalisations en hôpital psychiatrique ou en unité pour malades difficiles, dans la mesure où les établissements d’accueil n’avaient souvent pas la capacité nécessaire et n’étaient t pas équipés contre le risque d’évasion. Enfin, le service de santé en prison ne pouvait assurer le suivi psychiatrique des détenus en dehors de la prison, et le service de secteur compétent devait prendre la suite. Or ce dernier était soit débordé, soit inquiet de la dangerosité du patient ex-détenu.
Un autre enjeu a suscité l’intérêt des membres des commissions d’enquête : le vieillissement de la population carcérale, notamment dû à l’allongement de la durée moyenne des peines. Les détenus âgés sont parfois dépendants physiquement, présentant des problèmes de santé de type gériatrique et nécessitant par conséquent une prise en charge particulière. L’administration pénitentiaire apparaît démunie face à cette situation, les établissements étant inadaptés à une telle prise en charge, ne possédant pas l’équipement ni l’architecture pour des personnes invalides ou dépendantes, dont l’hygiène devient d’ailleurs souvent précaire.
8. Un climat de violence endémique
● En 1875, les parlementaires s’inquiétaient du climat de violence carcérale, liée à la fois à la promiscuité et aux mélanges des personnes écrouées. Face à cette violence, le pouvoir disciplinaire était entièrement exercé par le gardien-chef, qui peut infliger des punitions, par exemple priver de vivres chaudes et de promenade ou infliger le cachot et les fers. Différents témoins rapportent que ces punitions étaient décidées arbitrairement car ne nécessitant qu’un simple contrôle du directeur départemental. Les punitions les plus sévères devaient faire l’objet d’une mention sur un registre, soumis théoriquement au visa du maire, lequel, bien souvent, ne prenait pas la peine de le signer ou de prendre connaissance du dossier.
● Pour les parlementaires de 2000, la violence dans les établissements pénitentiaires met en lumière une certaine impuissance de l’administration pénitentiaire à faire face à la vie quotidienne carcérale, faite de tensions et de rapports de force entre les détenus et avec les personnels, aggravée par la surpopulation carcérale et le manque d’effectifs. Les violences prennent ainsi diverses formes et connaissent une croissance relative, notamment dans les maisons d’arrêt : agressions entre détenus, rackets, violences sexuelles, encore très occultées dans le milieu carcéral ; auto-agressions – automutilations et suicides – ; violences contre les surveillants ; dans une moindre mesure, agressions de détenus par des surveillants, réprimées avec faiblesse par l’administration. La population carcérale a fortement évolué, avec de nouvelles catégories de délinquants : par exemple, ceux liés au trafic de stupéfiants, qui posent des problèmes de gestion et de coexistence, ou encore les délinquants sexuels, qui suscitent le rejet de leurs codétenus et subissent des violences psychologiques, physiques et sexuelles face auxquelles l’administration est démunie.
9. Le travail de réinsertion et la prévention de la récidive
● Au XIXème siècle, si l’amendement moral, qui passe essentiellement par le travail et la religion, est considéré comme un des moyens d’action que l’État doit utiliser pour réduire la récidive, il n’est pas considéré comme le principal objectif du système pénitentiaire. En effet, les doctrines de droit pénal de l’époque affirment le besoin de défendre la société et d’infliger un châtiment proportionné au détenu, en prenant en compte certains principes d’humanité : la prévention de la récidive ne sera efficace que lorsque « les détenus sortiront des prisons corrigées aussi bien que punis ».
Cependant, le taux de récidive reste très important et croissant, passant de 28 % en 1850 à plus de 40 % dans les années 1870, et même 80 % dans certaines prisons départementales. La réinsertion commence alors à être pensée au travers du travail en détention – de plus en plus considéré comme le socle essentiel de la moralisation – et de l’enseignement, ainsi que du patronage, une aide apportée aux libérés, principalement assurée par les aumôniers, permettant à ces derniers de retrouver ressources et emploi.
Selon le rapport d’Haussonville, le travail est un agent puissant de moralisation pour le détenu et de lutte contre l’oisiveté. Elle a cependant constaté que peu de travail était proposé, notamment dans les prisons départementales. Elle estimait en outre que le travail, paradoxalement, pouvait constituer un obstacle à la moralisation, puisqu’il impose le rapprochement entre détenus, c’est-à-dire la promiscuité, source de corruption. L’entrepreneur étant un spéculateur, il peut se retrancher derrière son cahier des charges pour faire obstacle aux réformes qui visent justement à séparer les catégories de condamnés.
En plus du travail, l’enseignement – ainsi que le service religieux, qui, à l’époque, lui est indissociable – était un facteur important d’amendement moral essentiel contre la récidive. Dans les prisons départementales, le service religieux était assuré par un vicaire de la localité, mais qui disposait d’une rétribution trop minime pour pouvoir assurer l’enseignement, rendant cette mission négligeable voire nulle dans ces établissements, si ce n’est la présence de quelques instituteurs, dotés de matériel scolaire très incomplet. Dans les prisons centrales, si le service religieux était assuré et que, grâce à une rétribution correcte, l’aumônier assurait aussi l’enseignement primaire, le nombre de détenus était beaucoup trop important pour un seul enseignant.
Selon la commission, il ne saurait y avoir de réforme pénitentiaire moderne sans patronage pour le suivi des libérés, surtout pour ceux ne disposant d’aucun pécule, et des sociétés privées ont été fondées à cet effet. Ce dispositif apparaissait alors indispensable pour accompagner la liberté provisoire ou les réductions de peine, récompensant ainsi la bonne conduite et l’amendement moral. Ce système devait permettre de « réveiller, dans l’esprit des condamnés, la notion du bien et du mal ».
Mais dans certaines maisons centrales, il n’y avait pas de patronage ou alors il pouvait être perturbé par la surveillance dite « de haute police » : l’administration choisissait le lieu de vie de certains libérés et les obligeait à suivre des procédures complexes avant d’être autorisés à changer de localité, ce qui pesait sur leur réinsertion et les faisait « retomber dans le mal ». Plusieurs membres de la commission d’enquête réclamaient une réforme de cette surveillance et un plus grand soutien du patronage de la part de l’administration.
● Le rapport Bonnemaison en 1989 témoigne d’une nouvelle conception de la réinsertion qui, en vue notamment d’éviter la récidive, apparaît comme l’objectif majeur de l’établissement pénitentiaire.
Sur ce plan, le rapport est ainsi très critique, constatant que le système, en n’intégrant pas assez l’insertion sociale, n’a cessé de produire de la délinquance, avec des personnes incarcérées de plus en plus longtemps et un taux de récidive qui reste très élevé, entre 60 et 70 %. La peine de prison favorise souvent davantage la délinquance qu’elle ne la combat, et le recours à l’incarcération sans discernement est une pratique aberrante. Mais cette mission d’insertion est difficile, la prison arrivant souvent après l’échec du cercle familial et de l’école.
Des progrès ont tout de même eu lieu : depuis 1975 les activités socio-éducatives se sont développées en détention, décloisonnant la prison en y faisant entrer la culture, le sport, la santé et la formation, ce qui facilite l’insertion sociale des détenus, pour laquelle le rôle des travailleurs sociaux devient essentiel. De même, le milieu ouvert s’est développé, avec la montée en puissance des comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), créés à la Libération, dont les missions se sont diversifiées : chargés des sursis avec mise à l’épreuve, des libérations conditionnelles et de l’accueil des sortants, ils se sont également vus confier le travail d’intérêt général et le contrôle judiciaire.
Cependant, selon le rapport, la mission d’insertion sociale était mise en défaut, d’abord parce que la prison n’est pas assez ouverte sur la société – l’auteur milite pour davantage de partenariats locaux et régionaux ainsi que pour le développement d’actions de la ville en matière de formation, d’emploi, de culture ou de santé dans les prisons –, mais aussi et surtout en raison du nombre très insuffisant de travailleurs sociaux et d’agents des CPAL.
● Les rapports de 2000 observent les défaillances persistantes de l’administration pénitentiaire en matière de réinsertion. Selon les rapporteurs, le personnel de surveillance est en première ligne pour cette mission : leur contribution à la réinsertion passe par l’écoute, le dialogue et le contact avec les détenus. Or les sous-effectifs, les conditions de travail et les conditions de détention font obstacle à sa réalisation. De plus, l’impératif de sécurité, basé sur la crainte de l’évasion et des désordres dans un climat de détention tendu, prime encore sur l’insertion : « Quand les jeunes arrivent dans l’établissement, on leur dit d’oublier ce qu’ils ont appris en sciences humaines ou en psychologie. Le principal est que le détenu ne s’évade pas. La preuve en est qu’en cas d’évasion, le surveillant passe au conseil de discipline alors que ce n’est pas le cas lorsqu’un suicide a lieu ». Les objectifs d’insertion n’étant pas évalués clairement, l’administration pénitentiaire se recentrait sur cet impératif sécuritaire, déshumanisant ainsi la prison. Les sénateurs ont d’ailleurs précisé que le contact humain avec le surveillant, souvent l’unique personne avec laquelle le détenu peut s’entretenir, est fondamental dans le processus de réinsertion. Or la conception sécuritaire des établissements pénitentiaires peut faire qu’un détenu ne voit aucun surveillant pendant toute une journée. Elle a de plus comme effet d’infantiliser les détenus, ce qui ne les incite pas à s’impliquer dans une démarche d’insertion, surtout lorsque cela s’accompagne d’un cadre de détention dégradé et d’une absence des mesures d’aménagement de peine, privant de perspectives les détenus de longue durée – en 1996 et 1997, 82 % des condamnés libérés n’avaient bénéficié d’aucun aménagement.
En second lieu, les détenus doivent être intégrés socialement. Les deux rapports ont noté que l’isolement du détenu par rapport à la société nuisait à la réinsertion sociale. La situation des prisons, souvent reléguées dans des zones inaccessibles en transport, a des conséquences en matière de lien social : selon les rapporteurs il apparaissait alors nécessaire de réintégrer les prisons dans les villes pour faciliter les liens familiaux et sociaux, et faire de ces derniers un fondement de la politique de réinsertion.
De manière plus générale, les députés ont constaté que l’insertion était « le parent pauvre de l’administration pénitentiaire », avec des activités socio-éducatives, culturelles, sportives ou de formation inégalement organisées – les maisons d’arrêt, où les séjours sont brefs, éprouvent plus de difficulté à cet égard ‑, un matériel pédagogique variable et quelquefois inaccessible, et une pénurie de postes de travailleurs sociaux toujours criante.
De surcroît, l’organisation de la détention n’était en elle-même pas favorable à la réinsertion car elle désocialisait les personnes. En raison des contraintes des horaires de travail des agents, les journées de détention sont courtes et laissent de grandes plages horaires sans activité – le soir à partir de dix-huit heures, les week-ends et l’été –, ce qui favorise les tensions et les complications d’organisation, quand il faut choisir, par exemple, entre les cours scolaires, la promenade et le travail. Sur ce sujet, les sénateurs ont émis l’idée d’une rémunération des détenus suivant une formation.
Depuis 1999, les services d’insertion ont connu des évolutions, avec une fusion des CPAL, qui s’occupaient du milieu ouvert, et des services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires, qui étaient chargés du milieu fermé. Les sénateurs ont dressé un bilan mitigé de cette réforme : en étant à présent organisés au niveau départemental et étendus au milieu ouvert, les travailleurs sociaux sont moins présents en détention, tandis que les intervenants extérieurs ont un contact moins clair avec les établissements ; de plus, se renforçait la crainte des surveillants d’être cantonnés au rôle de porte-clés.
Le travail en détention n’est désormais plus considéré comme un outil de moralisation, mais comme un moyen de réinsertion sociale. Les deux rapports soulignaient néanmoins que la réalité est bien loin de cette mission car le travail apparaissait davantage comme un instrument de gestion de la détention. Il n’est d’ailleurs pas proposé partout et les locaux étaient diversement adaptés selon les établissements. De plus, les activités en elles-mêmes ne nécessitaient généralement pas de qualification et avaient donc peu de valeur pour la future réinsertion professionnelle des détenus : le rapport du Sénat a donc insisté sur la nécessité de développer les activités qualifiantes et d’instituer des procédures de certification des compétences. L’objectif de réinsertion par le travail est, en dernier lieu, compromis par la non-application du droit du travail, du fait de l’absence de relation contractuelle et de l’impossibilité de recours contre les conditions d’exercice de l’activité.
II. Une commission d’enquÊte qui s’intéresse à ces questions et à de nouveaux enjeux
1. Les prisons : un sujet central pour les parlementaires
L’analyse des rapports précédents montre que la politique pénitentiaire tient une place à part dans le contrôle parlementaire.
Comme le rappelle Michel Foucault dans Surveiller et punir, la prison est « un appareil disciplinaire exhaustif » qui « doit prendre en charge tous les aspects de l’individu », sans interruption, et qui « donne un pouvoir presque total sur les détenus » ([13]). Les règles pénales et la procédure pénale relevant du domaine de la loi, le législateur y a toujours porté une attention spécifique. D’ailleurs, depuis les dernières commissions d’enquête sur les prisons, nombreuses sont les lois qui ont fait évoluer les normes applicables. Les différentes lois de programmation et de réforme pour la justice, ainsi que la loi pénitentiaire de 2009 ([14]) ont ainsi marqué des étapes importantes dans l’évolution du cadre juridique de la politique pénitentiaire.
Depuis 2000, les membres du Parlement disposent en outre d’un droit formel de visiter à tout moment, même à l’improviste, les établissements pénitentiaires ([15]). Ils peuvent, dans ce cadre, être accompagnés de journalistes. Visant à mieux contrôler les conditions de détention, le rôle des parlementaires, représentants de la Nation, est essentiel et il n’a eu de cesse de se développer, en particulier au cours des dernières années. Ainsi, en 2017, 212 parlementaires sur les 999 représentants aux parlements français et européen ont visité un établissement pénitentiaire, soit 21,22 % d’entre eux, contre seulement 7,4 % en 2014 ([16]).
Le sujet pénitentiaire constitue un des sujets d’attention de la commission des Lois de l’assemblée nationale. Le 6 novembre 2017, les députés membres de la commission, de tous bords politiques, avaient ainsi décidé d’exercer, simultanément et sur l’ensemble du territoire de notre pays, leur droit de visite : plusieurs dizaines de centres pénitentiaires et de maisons d’arrêt ont été concernés.
Établissements pénitentiaires visités par les députés membres de la commission des Lois de l’Assemblée nationale le 6 novembre 2017
Source : Assemblée nationale
À la suite de cette initiative inédite, emblématique d’une volonté nouvelle d’aborder les politiques publiques sur la base de contrôles exercés « sur le terrain », la commission des Lois a décidé, en décembre 2017, la création exceptionnelle de quatre groupes de travail transpartisans, dont la direction a été confiée à la présidente, Mme Yaël Braun-Pivet, et à trois vice-présidents, Mme Laurence Vichnievsky et MM. Philippe Gosselin et Stéphane Mazars, afin d’étudier plus spécifiquement quatre sujets centraux : l’activité en détention ; le lien avec le tissu économique local dans une perspective de réinsertion ; la prise en charge des détenus présentant des troubles psychiatriques et la diversification des conditions de détention par le recours aux établissements ouverts. S’inscrivant dans une démarche concrète, au plus proche du terrain, leurs travaux ont également permis de formuler des recommandations pragmatiques.
C’est dans la même démarche concrète et opérationnelle que veut s’inscrire aujourd’hui votre Rapporteure. L’objectif de cette commission d’enquête n’est ni de critiquer les personnels de l’administration pénitentiaire, dont le travail est remarquable et le dévouement certain, ni de faire le procès des responsables politiques, dont l’objectif – de tout temps et quel que soit leur bord politique – est toujours d’améliorer la politique pénitentiaire, l’état de nos prisons, ainsi que les conditions de travail et de détention.
Comme l’a montré le développement historique qui débute cette introduction, les questions carcérales sont anciennes et dépassent de loin le seul champ politique. Cela n’enlève toutefois rien aux réalités qui se jouent derrière les murs des établissements, ni à la responsabilité que portent les responsables publics, dont font partie les parlementaires qui participent aujourd’hui à la présente commission d’enquête. Nous nous devons de garantir l’état de nos prisons et l’efficacité de notre politique pénitentiaire : c’est un enjeu crucial pour notre société.
2. Neuf thématiques anciennes, devant aujourd’hui être appréhendées avec l’œil du XXIe siècle
Conditions de travail, détention des mineurs, surpopulation carcérale, état du parc immobilier, dignité des conditions de détention, contrôle du système pénitentiaire, prise en charge médicale, violences, réinsertion et prévention de la récidive : ces sujets, tous abordés par les rapports décrits ci-avant, sont encore d’actualité et, logiquement, tous sont abordés dans le présent rapport d’enquête.
Bien sûr, le contexte n’est plus le même, de nombreux changements ont eu lieu et c’est d’ailleurs ces évolutions qui sont au cœur de la réflexion de votre Rapporteure : vingt après les commissions d’enquête parlementaires de 2000, où en est-on sur ces différentes thématiques ? Comment doit-on aujourd’hui les aborder ? Quelles sont les questions qui se sont posées au cours des travaux de la commission d’enquête ?
● Conditions de travail : le constat des difficultés de recrutement et du manque de valorisation du travail réalisé par les agents pénitentiaires apparaît d’emblée. Malgré un engagement constant, l’administration pénitentiaire demeure méconnue et la question d’une amélioration des carrières des personnels se pose encore aujourd’hui avec acuité.
● Détention des mineurs : ce sujet demeure essentiel. La récente réforme de la justice pénale des mineurs et l’entrée en vigueur du nouveau code afférent en septembre 2021 marquent des avancées importantes qui soulignent la volonté politique actuelle d’améliorer la prise en charge des mineurs. Leur placement en détention demeure exceptionnel, mais il doit être parfaitement adapté aux besoins présents et à venir de ce public spécifique.
● Surpopulation carcérale : les récentes condamnations de la France par la CEDH suffisent à prouver que ce sujet est malheureusement toujours d’actualité. Depuis des décennies, il s’agit d’ailleurs sans doute d’un des pivots de toutes les réflexions sur les questions carcérales. Force est de constater que les politiques menées depuis vingt ans n’ont donc pas permis de résorber la surpopulation carcérale, ce qui dégrade tout le système pénitentiaire. Est-on alors condamné à l’impuissance dans ce domaine ? Quelles autres pistes existent ?
● État du parc immobilier : l’ambitieux programme de construction de 15 000 nouvelles places de prison d’ici 2027 (7 000 d’ici 2022, puis 8 000 d’ici 2027) et l’augmentation des moyens dédiés à l’entretien du parc existant sont autant de marqueurs de l’engagement du Gouvernement pour améliorer l’état de l’immobilier pénitentiaire. L’avancement de ces projets fera bien sûr l’objet d’une attention particulière dans le présent rapport. Cette analyse ne doit pas être que quantitative, mais intégrer également les aspects qualitatifs : type de places créées, développement de structures innovantes tournées vers la réinsertion, modernisation de la détention, sécurisation des établissements, développement du numérique, liens des établissements avec leur environnement local, etc.
● Dignité des conditions de détention : dépendant directement de l’état du parc immobilier, cette question ne se résume toutefois pas aux conditions matérielles. La jurisprudence de la CEDH prend ainsi de nombreux aspects en compte : conditions d’hygiène en cellule, fouilles corporelles imposées aux détenus, règles disciplinaires, isolement, violences et mauvais traitements, transfèrements répétés… Ces différents critères ne sont bien sûr pas exclusifs, mais bien souvent c’est le cumul de ces difficultés qui conduit à caractériser le caractère indigne de certaines conditions de détention. L’accroissement des droits reconnus aux personnes détenues – qui sont privées de leur liberté d’aller et venir, mais ne doivent pas être privées des autres libertés – impliquent de considérer cette question des conditions de détention sous un angle plus large et plus inclusif.
● Contrôle du système pénitentiaire : les vingt dernières années ont été marquées par de très importants progrès dans ce domaine. En particulier, des autorités ad hoc ont été créées et le contrôle des juges (administratifs et judiciaires) s’est développé. L’attention ainsi portée au respect des droits des personnes détenues marque une nouvelle ère de notre politique pénitentiaire : l’entrée du droit commun dans les prisons.
● Prise en charge médicale : les alertes, concernant notamment la santé mentale des personnes incarcérées, ont été nombreuses au cours des dernières années. Malgré l’arrivée de l’hôpital dans la prison et la professionnalisation de la prise en charge sanitaire des personnes détenues, des difficultés persistent. De nouvelles questions doivent être prises en compte, par exemple la mise en œuvre d’une véritable politique de réductions des risques ou encore l’adaptation de la détention au vieillissement de la population carcérale.
● Violences : ce sujet, comme tous ceux qui caractérisent la vie en détention, a été influencé par l’entrée du droit commun dans les prisons. Les procédures disciplinaires sont mieux encadrées, des points d’accès au droit ont été créés, le CGLPL et le Défenseur des Droits peuvent être saisis. Ces progrès ont-ils permis de réduire la violence en détention ?
● Réinsertion et prévention de la récidive : en vingt ans, la réinsertion est devenue un objectif aussi central dans les missions de l’administration pénitentiaire que la garde des détenus. La montée en puissance des services pénitentiaires d’insertion et de probation marque un tournant dans les pratiques professionnelles de prise en charge des personnes détenues. Cela implique de très nombreux sujets : programmes de réinsertion, diversification des types de structures pénitentiaires, développement des activités, du travail, de la formation professionnelle… Par ailleurs, mieux réinsérer passe par une prise en charge toujours plus spécialisée, qui doit s’adapter aux différentes composantes de la population carcérale. Dans une perspective de lutte contre la récidive et de réinsertion, la prise en charge des détenus radicalisés a confronté ces dernières années les personnels pénitentiaires à de nouveaux défis qui doivent eux aussi faire l’objet d’une analyse particulière.
Ces sujets ne sont bien sûr pas distincts les uns des autres. En réalité, le système carcéral se définit par l’addition de tous ces aspects qui s’entrecroisent. Par exemple, la question de la radicalisation concerne aussi bien la formation des agents, que le développement de quartiers de détention spécifiques, les conditions de détention adaptées, les programmes de réinsertion… Tout sujet carcéral est par essence transversal car il touche à l’humain et la prison accueille ainsi en son sein une partie de notre société.
3. Un rapport d’enquête qui entend prendre en compte ces différentes questions et remettre la prison au cœur de la cité
Le système carcéral est complexe et multidimensionnel. Pour prendre en compte l’ensemble de ses composantes, votre Rapporteure a organisé sa réflexion autour de trois grands axes qui structurent la prison :
– Des Hommes : personnels pénitentiaires et personnes détenues
En grande partie coupée de la société extérieure, la prison n’en demeure pas moins un lieu humain, un lieu de vie quotidienne, dans lequel évoluent les agents pénitentiaires et les personnes détenues. La prison, se caractérise avant tout par son encadrement humain, ces hommes et ces femmes – personnels de direction, de surveillance, d’insertion et de support –, qui assurent une mission de service public au sein d’une institution de la République et dont le travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. La prison, c’est aussi évidemment les prisonniers : ces hommes, principalement, qui ont été privés de leur liberté par décision de justice et qu’il revient à l’administration pénitentiaire de prendre en charge, en tenant compte de leurs spécificités.
– Des murs : des conditions de travail et de détention qui se confondent
La prison est un espace identifiable et identifié. Dans ce lieu, les conditions de travail des agents et les conditions de détention des prévenus et des condamnés sont intimement liées. Composée par un important parc immobilier, les prisons couvrent différents types d’établissements, qui correspondent à des réalités architecturales complexes et à des normes spécifiques définies par la politique pénitentiaire ainsi que par la politique pénale.
– La prison : une ville dans la ville
Du fonctionnement des hommes et de l’organisation des murs découle le quotidien du système carcéral, une réalité complexe faite d’interactions nombreuses. Contrairement à une idée reçue, une prison n’est pas intégralement coupée du reste de la société. Au contraire, il s’agit d’une institution de la République, partie prenante de la communauté nationale. Dans le rapport d’enquête du Sénat de 2000, cet enjeu de l’ouverture des prisons à la société était déjà mis en avant, car « la prison ne peut changer que si elle est placée sous le regard des citoyens ». Vingt ans après, d’importants progrès ont été faits : la prison a ouvert ses portes à des intervenants extérieurs toujours plus nombreux, le droit des détenus s’est rapproché du droit commun dans de nombreux domaines, le développement de la mission de réinsertion de l’administration pénitentiaire a conduit à concevoir la peine de manière plus inclusive.
La prison joue un rôle essentiel pour le fonctionnement de notre justice et le maintien du lien social. C’est dans cette perspective que certaines pratiques doivent encore être questionnées et que l’ouverture du monde carcéral vers l’extérieur doit se poursuivre. La prison ne peut continuer d’être vue comme un lieu d’exil, éloigné du travail, des villes, des citoyens…
C’est dans cette perspective que votre Rapporteure a choisi d’aborder l’ensemble des questions carcérales au sein d’un rapport complet qui conclue six mois d’un travail particulièrement riche.
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Offrir de meilleures conditions de travail aux personnels pénitentiaires
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Des conditions de travail difficiles et des métiers mal connus et peu reconnus
Proposition n° 1
Réviser les organigrammes des établissements pénitentiaires afin de les adapter aux effectifs réels des personnes détenues.
Mieux reconnaître le rôle des agents pénitentiaires
Proposition n° 2
Renforcer l’attractivité de la profession de surveillant pénitentiaire en :
– améliorant leurs conditions de logement, en particulier dans les zones urbaines tendues et en début de carrière ;
– étudiant le passage de l’ensemble des personnels de surveillance du corps d’encadrement et d’application en catégorie B.
Proposition n° 3
Renforcer la formation des agents pénitentiaires en :
– alignant la durée de formation initiale des surveillants pénitentiaires dispensée à l’École nationale d’administration pénitentiaire sur celle des gardiens de la paix, afin d’accroître le niveau de recrutement et la professionnalisation de la filière surveillance qui assure des missions de plus en plus diversifiées ;
– valorisant d’avantage les bonnes pratiques de formation continue mises en œuvre dans les établissements pénitentiaires en facilitant leur partage via la plateforme numérique de l’École nationale d’administration pénitentiaire.
Proposition n° 4
Affirmer une véritable identité professionnelle du surveillant pénitentiaire en :
– créant un référentiel-métier permettant de clarifier la diversité des tâches qui lui sont aujourd’hui confiées ;
– mettant en valeur les possibilités de progression de carrière du premier au dernier échelon dans l’administration pénitentiaire ;
– élargissant ses opportunités de carrière via l’ouverture de passerelles vers les autres administrations, notamment au sein du ministère de la justice.
Mieux valoriser le rôle des services de probation et d’insertion pénitentiaires
Proposition n° 5
Engager une réflexion sur la revalorisation du statut des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation et le développement de passerelles entre les postes de directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation et de directeurs des services pénitentiaires.
Proposition n° 47
Pérenniser l’échelon départemental des services pénitentiaires d’insertion et de probation et renforcer la coopération de ces services avec les collectivités territoriales.
Proposition n° 49
Internaliser les compétences d’assistance social et de suivi psychologique en créant des postes spécifiques dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation.
Proposition n° 50
Recruter des statisticiens et des sociologues dans chaque direction interrégionale des services pénitentiaires afin de réaliser des études sur des cohortes de personnes prises en charge par les différents services pénitentiaires d’insertion et de probation départementaux, afin notamment d’évaluer les dispositifs d’accompagnement mis en œuvre et, ainsi, de piloter une politique nationale dans ces domaines.
Résoudre le problème de la surpopulation carcérale
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Des marges de progrès en matière de politique pénale
Proposition n° 16
Permettre le transfèrement des personnes prévenues incarcérées dans des maisons d’arrêt particulièrement surpeuplées vers des établissements pour peine dont le taux d’occupation est inférieur.
Accélérer, après jugement, le transfèrement dans un établissement pour peine des personnes dont le projet de réinsertion n’est pas abouti, quand bien même le reliquat de peine serait faible.
Proposition n° 17
Conduire une évaluation de l’emploi de la détention provisoire selon les différentes procédures applicables afin de mieux calibrer son usage par rapport aux réalités des situations.
Proposition n° 18
Développer le recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) comme alternative à la détention provisoire en :
– créant un répertoire des services pénitentiaires d’insertion et de probation mis à disposition des magistrats concernés ;
– harmonisant les gestions des alertes des bracelets électroniques afin notamment d’alléger la charge de travail supplémentaire induite pour les magistrats ;
– développant des canaux de communication facilités entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les magistrats concernés pour fluidifier les procédures afférentes au prononcé et au suivi de l’ARSE ;
– sensibilisant davantage les magistrats et les avocats au recours à l’ARSE.
Proposition n° 19
Conduire une évaluation spécifique sur les conséquences des procédures de comparution immédiate en termes de détention provisoire, d’une part, et de prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme, d’autre part.
Proposition n° 20
Favoriser les alternatives à l’incarcération en :
- développant une politique pénale spécifiquement liée aux peines privatives de liberté autres que l’emprisonnement ;
– lançant, le plus tôt possible, parfois dès la garde à vue, les enquêtes sociales rapides ;
– renforçant la mise en œuvre des peines de probation ;
– sensibilisant les professionnels de la justice, notamment les avocats et les magistrats, sur les peines alternatives à la détention.
*
Proposition n° 21
Systématiser et sanctuariser dans la loi les mécanismes d’échanges entre l’administration pénitentiaire et les juridictions afin de mieux réguler les incarcérations et de mieux lutter contre la surpopulation carcérale.
La question de l’encellulement individuel, un principe qu’il faut oser questionner
Proposition n° 22
Oser repenser l’absolu de l’encellulement individuel pour concevoir ce principe de manière plurielle et pragmatique.
Il est tout à la fois une obligation pour les détenus qui construit parfois le sens de leur peine, une mesure de sécurité et d’organisation de la détention et un droit pour les détenus qui participe de la dignité de leurs conditions de détention. Ce principe non absolu peut ainsi connaître de nombreuses dérogations pertinentes : pour éviter la désocialisation, pour faciliter la construction de projets de réinsertion, pour prévenir certains risques de santé…
L’encellulement individuel doit être garanti quand il est souhaité par la personne détenue et quand il est souhaitable en termes d’organisation de la détention. L’encellulement collectif –en cellule double respectant le droit à la dignité – doit être possible quand il est souhaité par la personne détenue et quand il est souhaitable en termes d’organisation de la détention.
Proposition n° 23
Les dispositions ont été prises pour respecter la date butoir du moratoire, le 31 décembre 2022, pour le respect du principe d’encellulement individuel, tant en matière de construction de places qu’en matière de politique pénale (développement des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération). Dans ce second champ, les effets des réformes menées ne sont pas encore totalement visibles et devraient monter en puissance au cours de cette année, laissant espérer une amélioration de la situation carcérale. Nous resterons vigilants quant à l’application de ces nouveaux dispositifs.
Cela étant, dans la continuité de la réflexion sur le caractère non absolu du principe d’encellulement individuel, il conviendra d’oser questionner dans les mois qui viennent la pertinence de l’inscription dans notre droit d’un objectif de 100 % d’encellulement individuel qui ne correspond pas nécessairement aux réalités carcérales, que ce soit en termes de conditions de détention, souhaitées ou souhaitables, ou d’organisation des établissements pénitentiaires.
Améliorer durablement les conditions de détention
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L’enjeu de la lutte contre les violences en détention
Proposition n° 12
Lutter davantage contre les violences commises en détention en développant les statistiques, à l’aide notamment d’enquêtes de victimation auprès de la population carcérale, et en étudiant les facteurs et formes de violences en détention.
Proposition n° 13
Dématérialiser les procédures de signalement des violences subies par les personnes détenues, dans le cadre du grand plan numérique déployé en détention.
Autoriser l’accès à ces données au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, aux membres du Parlement et aux bâtonniers.
Faciliter le traitement de ces signalements en lien avec les autorités compétentes.
La prise en charge sanitaire, un investissement pour la réinsertion
Proposition n° 6
Diligenter une enquête épidémiologique sur l’état de santé des détenus en France afin d’adapter au mieux la prise en charge médicale au sein des établissements pénitentiaires.
Proposition n° 24
En concertation avec les personnels pénitentiaires et à la lumière de l’expérience des pays voisins ayant mis en place ce type de politiques, prendre le décret d’application mentionné à l’article L. 3411-10 du code de la santé publique, créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, pour définir et encadrer les objectifs et les outils de la politique de réduction des risques en milieu carcéral.
Proposition n° 25
Renforcer la continuité de la prise en charge des détenus souffrant d’addictions au moment de la sortie de détention pour lutter contre les rechutes.
Proposition n° 26
Rendre plus attractive et plus facile la pratique médicale en détention en :
– mettant en place des dispositifs incitatifs à destination des praticiens se trouvant à proximité des établissements pénitentiaires, en particulier les psychiatres, les chirurgiens-dentistes et les kinésithérapeutes ;
– calculant les effectifs des professionnels de santé intervenant en détention et le budget alloué aux unités sanitaires en fonction des effectifs réels de personnes détenues – et non pas des effectifs théoriques.
Proposition n° 27
Associer le personnel de l’unité sanitaire de l’établissement pénitentiaire à la définition du niveau d’escorte en amont de chaque extraction médicale sans caractère d’urgence.
Associer systématiquement les personnels de santé à la conception architecturale des prisons en construction ou en rénovation.
Proposition n° 28
Mettre en place, sous l’autorité de chaque agence régionale de santé, un schéma pluriannuel d’organisation régionale de la prise en charge des soins somatiques et psychiatriques des personnes écrouées, en tenant compte des spécificités sanitaires de la population détenue et de l’offre régionale des soins.
Tenir une réunion semestrielle, sous l’autorité du directeur de l’agence régionale de santé, réunissant les représentants de l’État, le directeur interrégional des services pénitentiaires, les directeurs des centres hospitaliers, les chefs d’établissements pénitentiaires et les responsables médicaux, sur la mise en œuvre du schéma, les problèmes rencontrés et les solutions proposées.
Proposition n° 29
Mieux prendre en compte le vieillissement de la population carcérale en :
– proposant aux détenus en situation de dépendance de bénéficier de l’aide d’un binôme composé d’un intervenant extérieur spécialisé sur ces problématiques et d’un détenu bénévole ou auxiliaire du service général formé à cette mission ;
– chargeant le ministère de la justice de mettre en place un plan d’accompagnement au vieillissement de la population carcérale en détention et à la sortie de détention.
Proposition n° 30
Effectuer des évaluations régulières de l’état physique et mental des personnes placées en longue détention pour adapter les conditions de détention à l’état réel du détenu.
Proposition n° 48
Mettre en œuvre un parcours de santé pluridisciplinaire et individuel autour de quatre priorités :
– un bilan somatique et psychiatrique global à l’arrivée ;
– une amélioration de l’accès des femmes aux soins et une vigilance particulière sur leur santé ;
– la levée des obstacles techniques à la continuité de la protection maladie pendant et après la détention ;
– une multiplication des partenariats entre établissements pénitentiaires et acteurs extérieurs du champ de la santé somatique et psychique (notamment des addictions, du handicap et de la dépendance) qui interviendront pendant et après la détention. Ils favoriseront en outre les aménagements de peine.
Développer des prises en charge spécifiques
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Les mineurs incarcérés, une réalité minoritaire mais importante
Proposition n° 7
Fluidifier les éventuels échanges entre police, justice, conseils départementaux et administration pénitentiaire sur les mineurs non accompagnés.
Proposition n° 8
Profiter du temps de détention des mineurs pour préparer leur orientation professionnelle par la découverte des métiers et des éventuelles formations pour y accéder.
Garantir aux mineurs incarcérés une prise en charge scolaire adéquate, se rapprochant le plus possible des conditions de scolarité en milieu ouvert.
Proposition n° 9
Améliorer la coordination entre les différents acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs détenus, afin notamment d’assurer davantage de continuité dans leur parcours avant, pendant et après-détention.
Proposition n° 10
Garantir les mêmes conditions de détention et de prise en charge des mineurs dans les quartiers pour mineurs et les établissements pour mineurs.
Prendre en compte ce défi dans la conception des futurs établissements pénitentiaires.
La prise en charge des détenus radicalisés, un défi relevé par l’administration pénitentiaire
Proposition n° 11
Cinq ans après le déploiement par l’administration pénitentiaire des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prévention de la radicalisation, conduire une évaluation globale de la prise en charge de la radicalisation en milieu pénitentiaire.
Envisager d’autres prises en charge spécifiques pour d’autres profils de détenus
Proposition n° 45
Développer les prises en charge spécifiques en fonction du profil de la personne détenue ou du type d’infraction commise. Permettant un suivi plus adapté de certains profils, ces prises en charge spécifiques pourront reposer sur :
– des établissements spécialement dédiés, comme c’est par exemple le cas avec les mineurs : ces établissements pourront, le cas échéant, accueillir simultanément prévenus et condamnés qui sont confrontés à des mêmes sujets, comme les violences intrafamiliales par exemple ;
– une prise en charge assurée par un binôme : cela pourrait être particulièrement pertinent pour les personnes souffrant de troubles psychologiques ou d’addictions par exemple ;
– la poursuite du développement des structures d’insertion par l’activité économique en milieu pénitentiaire.
Développer les activités en détention en lien avec l’extérieur
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Le travail en détention, une voie pour mieux inclure les détenus dans la vie professionnelle
Proposition n° 31
Recenser les difficultés matérielles faisant obstacles au développement des activités de travail et engager les actions nécessaires afin d’adapter les établissements anciens aux impératifs logistiques.
Proposition n° 32
Retisser le lien entre la vie économique et la prison à travers la conception d’un plan national de développement des activités de travail en détention visant à :
– rendre visibles les activités proposées sur chaque territoire ;
– ajuster les offres en fonction du type d’établissement pénitentiaire ;
– disposer d’un outil d’ensemble pour développer les offres manquantes là où les besoins existent et s’adapter ainsi davantage aux réalités locales.
Proposition n° 33
Systématiser et développer les bilans de compétence des détenus lors de leur arrivée en détention afin de déterminer un programme de formation ou une orientation vers un travail.
Proposition n° 34
Renforcer et structurer le réseau des acteurs du travail en détention grâce notamment à :
– la professionnalisation et la spécialisation des référents locaux du travail qui doivent avoir le temps et les moyens nécessaires pour accomplir les missions qui leur sont dévolues ;
– la mise en réseau, impulsée et coordonnée par l’ATIGIP, des acteurs impliqués dans le travail en détention.
Proposition n° 35
Systématiser l’organisation de forums sur l’emploi en détention, afin de préparer les détenus aux entretiens d’embauche, de favoriser les liens entre les acteurs, de sensibiliser des différents publics à cette problématique et de développer de nouvelles activités professionnelles en milieu carcéral.
La formation professionnelle et l’enseignement, deux enjeux centraux pour la réinsertion
Proposition n° 36
Évaluer le déploiement du test de compétences élémentaires en lecture du français dans l’ensemble des établissements pénitentiaires.
Proposition n° 37
Établir une nouvelle convention entre la direction de l’administration pénitentiaire et les régions sur la formation professionnelle en détention, définissant pour 2022-2026 les objectifs chiffrés de formation et coordonnant les actions en la matière, afin que la formation professionnelle retrouve son niveau d’avant 2014.
Proposition n° 38
En s’appuyant sur le rôle national de l’ATIGIP, renforcer le pilotage de la formation professionnelle en détention par la publication d’un plan d’actions précis et la création d’un point de rencontre des acteurs impliqués dans ce domaine.
L’importance et la diversité des autres activités
Proposition n° 39
Inscrire dans la loi un objectif de temps « hors cellule », par exemple de huit heures par jour.
Poursuivre le développement et la diversification des activités en détention.
Prévoir des financements spécifiques, visibles dans le budget de l’administration pénitentiaire, pour la mise en œuvre des activités.
Proposition n° 40
Développer des partenariats entre établissements pénitentiaires et fédérations sportives afin de favoriser l’organisation d’événements associant les personnes détenues.
Proposition n° 41
Développer et diversifier les activités en détention, notamment en :
– construisant avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation un référentiel listant les associations du territoire, y compris celles qui ne sont pas initialement tournées vers l’univers carcéral ;
– développant les liens avec ces différentes associations, par exemple grâce à un forum annuel des associations au sein de l’établissement pénitentiaire.
Proposition n° 42
Mettre en place un agrément « visiteur de confiance » permettant aux intervenants réguliers – en particulier les aumôniers, les employeurs, les formateurs et les acteurs associatifs – de bénéficier d’un accès à l’établissement pénitentiaire sur des horaires élargis et selon des modalités simplifiées.
Inclure la prison dans la vie de la Cité
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Solidifier la réinsertion des personnes détenues
Proposition n° 43
Accroître le nombre de places en centres ou quartiers de semi-liberté et développer les passages dans ces structures dans le parcours d’exécution de la peine.
Proposition n° 44
Mieux adapter la politique de transfèrements aux réalités des personnes détenues :
– limiter les transfèrements quand un projet de réinsertion est en cours de construction dans un établissement pénitentiaire ;
– accélérer les transfèrements quand un détenu souffre d’un environnement carcéral qui l’empêche de s’investir dans des activités et de préparer sa réinsertion ;
– sauf pour des impératifs de sécurité, informer systématiquement les avocats en amont des transfèrements ;
– identifier des interlocuteurs dédiés aux relations avec les avocats au sein des établissements pénitentiaires.
Proposition n° 46
Assurer une meilleure coopération entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) en :
– en actualisant la circulaire relative à la coordination entre les SIAO et les services pénitentiaires d’insertion et de probation, pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes sortant de détention ou faisant l’objet d’un placement à l’extérieur du 13 mai 2016 ;
– assurant le lien entre services pénitentiaires d’insertion et de probation et SIAO et les associer systématiquement aux partenariats avec les acteurs de l’hébergement et du logement ;
– nommant des référents justice dans chaque SIAO afin de mieux accompagner les publics sortant de détention qui sont dans une situation de particulière fragilité ;
– mettant en place des dispositifs permettant d’éviter la perte du logement pendant la période de détention, en particulier pour les personnes condamnées à de courtes peines.
Ouvrir le monde carcéral vers l’extérieur et resserrer les liens entre prison et société
Proposition n° 14
Conduire une réflexion globale sur les leviers financiers à même de faciliter l’adhésion des élus locaux :
– s’agissant de la part de la dotation générale de fonctionnement destinée à la péréquation communale pour les communes accueillant des établissements pénitentiaires, de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, des modalités de calcul du taux de logements locatifs sociaux, du financement de dispositifs ponctuels tels que « Action cœur de ville » ou « Petites villes de demain » ;
– concernant les retombées économiques locales des établissements pénitentiaires par le biais d’une politique volontariste d’approvisionnement auprès des commerçants et producteurs locaux.
Proposition n° 15
Améliorer les relations entre les acteurs locaux, les membres du Parlement, le représentant de l’État et l’administration pénitentiaire en instituant des réunions trimestrielles à l’échelle des territoires possédant une prison.
Changer l’image et la place des prisons dans notre pays
Proposition n° 51
Identifier d’anciens détenus au parcours de désistance exemplaire afin qu’ils participent bénévolement à des actions concourant à la lutte contre la récidive et à une image plus positive de la prison.
Proposition n° 52
Permettre l’accès des personnes détenues à Internet, selon des modalités adaptées aux spécificités de la détention et aux caractéristiques des personnes détenues et des régimes de détention, afin de mieux garantir l’accès effectif aux droits et de favoriser la construction des parcours de réinsertion.
Proposition n° 53
Faire entrer davantage les services publics en détention, notamment en permettant l’accès des Bus France Service à l’intérieur des établissements pénitentiaires.
Proposition n° 54
Accroître la visibilité de la prison et améliorer la connaissance de l’administration pénitentiaire dans la cité :
– en créant une journée porte ouverte annuelle dans les établissements pénitentiaires afin de permettre au grand public de découvrir le fonctionnement carcéral, selon des modalités adaptées aux contraintes de la détention ;
– en systématisant le défilé des personnels pénitentiaires à l’occasion de la cérémonie nationale du 14 juillet.
Proposition n° 55
Changer l’image de la prison par une communication plus moderne en proximité grâce :
– aux chefs d’établissements, les mieux placés pour communiquer sur le territoire avoisinant, notamment auprès des habitants, associations, entreprises… ;
– à la distribution aux habitants d’un bulletin régulier présentant l’établissement pénitentiaire, ses interactions positives avec le territoire et les activités qui y sont développées ;
– à l’ouverture de pages dédiées à chaque établissement pénitentiaire sur les réseaux sociaux, comme le font par exemple la police nationale ou la gendarmerie ;
– à la mise en place de modules de présentation des métiers pénitentiaires dans les établissements scolaires ;
– à la création de stages d’observation pour les élèves à partir de la classe de troisième.
— 1 —
PREMIÈRE PARTIE ‒ des hommes : personnels pénitentiaires et personnes détenues
Depuis toujours, une prison se caractérise par la dichotomie entre deux catégories de personnages : ceux qui la gardent et ceux qui y sont gardés, ceux qui surveillent et ceux qui sont surveillés. Essentiellement coupée de la société extérieure, la prison n’en demeure pas moins un lieu humain, un lieu de vie quotidienne, un lieu où se côtoient chaque jour les personnels pénitentiaires et les personnes détenues.
En préambule de cette partie, les membres de la commission d’enquête ont été marqués, tout au long de ses travaux, par l’investissement et le dévouement de tous les personnels pénitentiaires rencontrés. Bien sûr certaines difficultés peuvent exister, mais il semble fondamental de leur rendre ici hommage afin de saluer le travail qu’ils réalisent – travail difficile et méconnu – en exécutant une mission indispensable au fonctionnement de notre société et au maintien du lien social.
Comprendre le système carcéral en 2021, c’est également s’intéresser aux hommes, aux femmes et aux mineurs qui y sont pris en charge. Réceptacle des difficultés sociales et des actes hors-la-loi, la prison est en réalité le miroir de notre société, car s’y traduisent les évolutions des comportements et des normes que nous nous appliquons.
*
* *
— 1 —
I. Les agents de l’administration pÉnitentiaire
La prison, c’est donc avant tout son encadrement humain, l’ensemble du personnel pénitentiaire – de surveillance, d’insertion et de support – qui assure le bon fonctionnement de cette institution de la République et dont le travail manque de reconnaissance.
Comme l’a rappelé M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO), « La politique pénitentiaire n’est certes pas parfaite, mais elle est portée par des hommes et des femmes qui ont beaucoup donné au cours des quarante dernières années pour faire évoluer l’administration, dont l’évolution est sans pareille. Il convient de mesurer, à l’échelle de l’histoire, le travail réalisé. » Votre Rapporteure mesure le travail réalisé par l’administration pénitentiaire et ses personnels. Sans nier d’éventuelles difficultés de terrain ni la problématique systémique de la surpopulation carcérale, elle mesure l’ampleur des progrès déployés, ces dernières années, pour améliorer l’organisation et le fonctionnement de la détention.
Alors qui sont ces hommes et ces femmes qui travaillent dans nos prisons ? Comment l’administration pénitentiaire est-elle organisée ? Son fonctionnement est-il satisfaisant ? Quels points doivent encore être améliorés ?
L’administration pénitentiaire est principalement structurée autour d’une administration centrale, de directions interrégionales et des directions des 186 établissements pénitentiaires et des 103 services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP).
1. Organisation et effectifs de la direction de l’administration pénitentiaire
a. Rappel historique sur l’administration pénitentiaire
Sans prétendre, bien sûr, présenter une histoire exhaustive des prisons dans notre pays, certaines évolutions sont à connaître pour appréhender la réalité de l’administration pénitentiaire, de son organisation et de ses missions en 2022.
En 1791, le premier code pénal place l’enfermement au cœur du dispositif judiciaire et généralise la peine privative de liberté. La prison est un lieu de punition mais aussi d’amendement du condamné, par le travail et l’éducation. Après 1791, deux types de prisons coexistent : les départementales, maisons d’arrêt pour les courtes peines et les prévenus ; les maisons centrales pour les longues peines.
Dès 1795 est créée, au sein du ministère de l’intérieur, l’administration des prisons. Celle-ci se développe progressivement et, en 1858, elle compte 5 bureaux et 55 agents.
Le 13 mars 1911, l’administration pénitentiaire est transférée par décret au ministère de la justice. Elle ne changera plus de tutelle – sauf sous le régime de Vichy ([17]). Les gardiens deviennent des surveillants – ils sont rebaptisés officiellement en 1919 ([18]) – et le rôle des juges dans l’exécution des peines se trouve renouvelé. Jusqu’en 1924, ils ne bénéficient pas du droit de se syndiquer.
L’après-guerre marquera plusieurs changements de l’administration pénitentiaire. Auparavant organisées autour des maisons centrales, les circonscriptions pénitentiaires ont été rénovées en 1944, avec la création de dix-neuf régions pénitentiaires, dotées d’organes administratifs autonomes. Puis le décret du 16 juillet 1948 a réduit le nombre de circonscriptions aux neuf directions régionales métropolitaines encore existantes de nos jours – Paris, Bordeaux, Dijon, Lille, Lyon, Marseille, Rennes, Strasbourg, Toulouse ([19]) – auxquelles s’ajoutera l’outre-mer. En outre, en 1945, la réforme Amor, instituant une politique d’humanisation des conditions de détention, assigne à la prison, donc à son administration, des objectifs d’amendement et de reclassement social du condamné.
En 1964, les premiers instituteurs sont détachés dans les prisons par le ministère de l’éducation.
En 1974, un secrétariat d’État à la condition pénitentiaire voit le jour.
En 1987, la loi relative au service public pénitentiaire précise les missions de celui-ci : « Le service public pénitentiaire participe à l’exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. Il est organisé de manière à assurer l’individualisation des peines » ([20]). La loi pose aussi le cadre de la participation du secteur privé à la gestion des établissements pénitentiaires.
Dans les années 1990, la prise en charge de certaines fonctions se spécialisent. En 1994, la santé en milieu pénitentiaire est confiée aux hôpitaux publics et en 1999, les services pénitentiaires de probation et d’insertion sont créés par décret ([21]). Ces derniers possèdent une compétence départementale et résultent de la fusion des comités de probation et d’assistance aux libérés, pour l’insertion en milieu ouvert, et des services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires, pour l’insertion en milieu fermé.
Depuis 2000, de nombreuses mesures sont venues préciser et étendre les missions de l’administration pénitentiaire, tandis qu’une attention spécifique est portée aux conditions de détention et au respect des droits des personnes détenues ([22]).
En 2003, les équipes régionales d’intervention ont été créées par voie de circulaire en réponse à des incidents survenus en détention l’année précédente – mutineries, évasions.
En 2007 et 2009 sont créés les établissements pour mineurs.
Le 30 octobre 2007, la loi institue une nouvelle autorité indépendante, compétente dans le champ pénitentiaire : le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ([23]).
En 2009, la loi pénitentiaire clarifie et précise les missions du service public pénitentiaire ([24]).
En 2010, le code de déontologie du service public pénitentiaire est créé par décret ([25]).
À partir de 2015, l’administration pénitentiaire se voit également confier plusieurs missions en matière de lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation violente.
En 2018, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (ATIGIP) est créée par décret ([26]).
En sus de ces évolutions touchant spécifiquement au monde pénitentiaire en tant qu’administration, de nombreux textes de loi ont également modifié le droit pénal et notamment l’exécution des peines, entraînant ainsi d’importants changements dans les pratiques des agents pénitentiaires.
Comme le souligne M. Laurent Ridel, directeur de l’administration : « L’administration pénitentiaire est l’une des administrations qui a le plus évolué en l’espace d’une génération. »
b. Organisation actuelle de l’administration pénitentiaire
La direction de l’administration pénitentiaire (DAP) se compose :
– d’une administration centrale ;
– de services déconcentrés : les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), les établissements pénitentiaires et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ;
– d’un service à compétence nationale dédié au renseignement : le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) ;
– d’un établissement public administratif dédié à la formation des personnels : l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP).
En outre, l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice est rattachée à la DAP pour sa gestion administrative et financière.
En 2017, la DAP a connu une nouvelle réforme organisationnelle, après celle de 2015, conduisant à la création, d’une part, d’une cinquième sous-direction de sécurité pénitentiaire et, d’autre part, d’une mission nouvelle du renseignement pénitentiaire, au sens de l’article L.811-4 du code de la sécurité intérieure.
Conformément à l’extension de ses missions, la composante centrale de l’administration pénitentiaire se répartit aujourd’hui en différents bureaux spécialisés sur les grands sujets de compétences.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
c. Les métiers et l’évolution des effectifs pénitentiaires
En tout, au 1er janvier 2021, la DAP comptait 42 452 agents, répartis comme suit entre ses différentes structures :
– 488 en administration centrale ;
– 3 776 dans les services déconcentrés ;
– 30 488 dans les établissements pénitentiaires ;
– 5 946 dans les SPIP ;
– 1 588 à l’ENAP ;
– 166 à l’ATIGIP.
Ces dernières années, les effectifs ont connu une augmentation très importante, passant de 21 573 en 2007 à près du double aujourd’hui.
Évolution des effectifs de l’administration pénitentiaire entre 2007 et 2021
Au 1er janvier de chaque année
|
Adm.centrale |
ATIGIP |
DISP |
établissements |
SPIP |
ENAP |
Autres |
Total |
2007 |
103 |
68 |
1 268 |
17 566 |
2 286 |
166 |
116 |
21 573 |
2008 |
143 |
94 |
1 702 |
21 854 |
3 198 |
191 |
2 |
27 184 |
2009 |
166 |
119 |
3 128 |
24 209 |
3 304 |
205 |
2 |
31 133 |
2010 |
221 |
123 |
3 220 |
26 252 |
3 467 |
208 |
4 |
33 495 |
2011 |
269 |
125 |
2 875 |
26 909 |
3 777 |
211 |
4 |
34 170 |
2012 |
297 |
127 |
3 196 |
27 072 |
4 069 |
220 |
2 |
34 983 |
2013 |
326 |
124 |
3 076 |
27 580 |
4 075 |
226 |
2 |
35 409 |
2014 |
334 |
126 |
2 614 |
27 774 |
4 205 |
223 |
1 |
35 277 |
2015 |
360 |
123 |
3 049 |
27 641 |
4 388 |
212 |
0 |
35 773 |
2016 |
368 |
130 |
3 548 |
27 991 |
4 777 |
221 |
0 |
37 035 |
2017 |
395 |
151 |
2 999 |
28 016 |
5 227 |
1 887 |
0 |
38 675 |
2018 |
411 |
151 |
3 187 |
28 806 |
5 240 |
2 392 |
0 |
40 187 |
2019 |
463 |
152 |
3 517 |
28 922 |
5 357 |
2 926 |
0 |
41 337 |
2020 |
466 |
160 |
3 702 |
30 011 |
5 556 |
1 901 |
0 |
41 796 |
2021 |
488 |
166 |
3 776 |
30 488 |
5 946 |
1 588 |
0 |
42 452 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Il convient de signaler qu’à plusieurs reprises, la hausse du nombre d’agents pénitentiaires a résulté de conflits sociaux. Par exemple, le 14 décembre 2015, un accord a été signé entre la garde des sceaux et les représentants syndicaux des personnels de surveillance, qui mit fin à un conflit pénitentiaire en prévoyant la création de 1 100 emplois supplémentaires en 2016 et 2017 afin notamment de résorber les emplois vacants et de renforcer la sécurité en prison. À cette occasion ont également été accordées des revalorisations indemnitaires dans le but d’accroître l’attractivité des métiers de la pénitentiaire. Ces mouvements se sont poursuivis les années suivantes et, aujourd’hui encore, les principaux syndicats du personnel pénitentiaire réclament davantage de recrutements.
i. Les personnels de surveillance
Les surveillants prennent en charge les personnes confiées par les autorités judiciaires, en assurent la garde et participent à la mission de réinsertion des personnes détenues et de prévention de la récidive.
Le personnel de surveillance a toujours été majoritaire parmi les effectifs de la DAP (75 % des effectifs totaux en 2007 et 71 % en 2021). Entre décembre 2007 et juillet 2021, ses effectifs théoriques et réels ont augmenté de 87 %, avec l’ouverture de nouveaux établissements et le développement de nouvelles missions, notamment la reprise des extractions judiciaires ou celles incombant aux équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP).
La carrière des personnels de surveillance
Grâce au statut d’avril 2006 modifié en 2013, les surveillants pénitentiaires peuvent évoluer vers des postes d’encadrement (premier surveillant et major) puis accéder à des postes de commandement (lieutenant, capitaine, commandant pénitentiaire).
Ils peuvent être amenés à assurer les fonctions de chef d’établissement dans un établissement pénitentiaire de moins de 200 places.
– Les surveillants peuvent, par sélection interne, accéder à des fonctions spécialisées comme formateur des personnels, moniteur de sport, membre d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS).
– Les surveillants qui ont atteint au moins le cinquième échelon de leur grade, périodes de formation comprises, peuvent, par une validation des compétences sous forme d’unités de valeur (UV), devenir surveillant brigadier. Le surveillant brigadier est un surveillant expérimenté auquel sont confiées plus de responsabilités, mais il n’est pas le supérieur hiérarchique des autres surveillants.
– Les surveillants et surveillants brigadiers peuvent, après six ans d’ancienneté, par concours interne, atteindre le premier niveau des postes d’encadrement, celui de premier surveillant. Après treize ans de service dans l’administration pénitentiaire, dont quatre dans son grade, le premier surveillant peut devenir, par examen des capacités professionnelles, major pénitentiaire. Les premiers surveillants et majors pénitentiaires ont pour mission principale d’encadrer une équipe en détention. Les premiers surveillants peuvent occuper des fonctions spécialisées telles que référent local informatique, coordinateur du service des sports. Les majors pénitentiaires peuvent être responsables de secteurs particuliers, responsables de formation, etc.
– Les surveillants peuvent également présenter le concours de lieutenant en interne au bout de quatre ans d’ancienneté.
– Les premiers surveillants et majors pénitentiaires âgés de 38 ans au moins, après douze ans de service effectif dont cinq ans en qualité de premier surveillant, peuvent devenir, au choix, lieutenant pénitentiaire. C’est le premier niveau du corps de commandement. Au bout de deux ans, les lieutenants pénitentiaires peuvent être promus capitaine pénitentiaire. Les capitaines pénitentiaires, après six ans, peuvent accéder, par examen professionnel, au grade de commandant pénitentiaire.
Source : École nationale d’administration pénitentiaire
Selon la DAP, pour l’année 2021, le besoin de recrutement des personnels de surveillance s’élevait à 1 908 surveillants : 1 189 équivalents temps plein au titre du comblement des départs et 719 équivalents temps plein au titre des créations en loi de finances.
En 2021, 655 surveillants stagiaires sortants de l’ENAP, recrutés en 2020, ont été affectés dans les établissements, puis environ 800 autres, recrutés en 2021, ont été affectés en juillet-août. Il convient toutefois de rappeler que l’administration pénitentiaire n’a pas atteint ses objectifs de recrutement en 2019 et que la demande de rattrapage de cette sous-exécution en 2020 n’a pas été acceptée. Les moindres sorties constatées sur 2020 ont permis de ramener le nombre de créations non réalisées sur les cinq dernières années à 72.
ii. Les personnels d’insertion et de probation
Les missions des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP)
Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation ont pour missions d’aider à la prise de décision judiciaire et de mettre à exécution les décisions pénales, restrictives ou privatives de liberté. Pour mener à bien ces différentes missions, ils travaillent avec les autres personnels pénitentiaires et s’appuient sur un réseau de partenaires institutionnels et associatifs.
En prison
– Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation accompagnent les personnes détenues dans le cadre d’un parcours d’exécution des peines.
– Ils aident à la décision judiciaire et à l’individualisation des peines : ils proposent des mesures d’aménagement de peine au juge de l’application des peines, en fonction de la situation du condamné.
– Ils aident à la préparation à la sortie de prison : il s’agit de faciliter l’accès des personnes incarcérées aux dispositifs d’insertion et de droit commun (logement, soin, formation, travail, etc.). Pour ce faire, les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation développent et coordonnent un réseau de partenaires institutionnels et associatifs.
– Ils luttent contre la désocialisation des personnes détenues.
En milieu ouvert
– Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation interviennent dans le cadre d’un mandat judiciaire.
– Ils apportent à l’autorité judiciaire tous les éléments d’évaluation utiles à la préparation et à la mise en œuvre des condamnations.
– Ils aident les personnes condamnées à comprendre la peine et impulsent avec elles une dynamique de réinsertion notamment par des programmes de prévention de la récidive.
– Ils s’assurent du respect des obligations imposées aux personnes condamnées à des peines restrictives ou privatives de liberté (semi-liberté, travail d’intérêt général, libération conditionnelle, placement sous surveillance électronique, etc.)
– Dans le cadre des politiques publiques, ils favorisent l’accès des personnes placées sous main de justice aux dispositifs d’insertion sociale et professionnelle.
Source : École nationale d’administration pénitentiaire
Services déconcentrés de l’administration pénitentiaire à compétence départementale œuvrant sous mandat judiciaire, créés en 1999, les SPIP ont pour mission principale la prévention de la récidive. Ils sont ainsi chargés d’évaluer la personne placée sous main de justice et de lui assurer un accompagnement adapté. Ils assurent également le contrôle et le respect des obligations prononcées par l’autorité judiciaire et aident à la décision judiciaire, par la transmission de rapports réguliers aux magistrats. En milieu ouvert comme en milieu fermé, ils assurent le suivi, en pré-sentenciel, avant que la condamnation définitive ne soit rendue, ou post sentenciel, après celle-ci.
Comme l’explique Mme Laura Soudre, secrétaire générale de l’Union nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (UNDPIP CFE‑CGC) : « Le SPIP intervient à tous les stades de la condamnation : en amont, pendant et après. Sa mission première est de prévenir la récidive et d’accompagner les personnes vers une réinsertion à travers un accompagnement individualisé. L’intervention du SPIP s’effectue en milieu ouvert – pour les deux tiers des personnes actuellement suivies par la justice – comme en milieu fermé. »
Entre 2007 et 2021, la part des personnels de SPIP parmi les effectifs totaux de l’administration pénitentiaire a augmenté, passant de 10,6 % à 14 %. En effet, leurs effectifs ont connu une forte augmentation de l’ordre de 160 % entre ces deux dates.
Effectifs affectés en SPIP depuis 2018
(en ETP)
Corps |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
Directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation |
438,2 |
417,2 |
423,8 |
470,0 |
476,1 |
Conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation |
2 993,6 |
3 102,1 |
3 295,3 |
3 351,0 |
3 520,5 |
CPIP stagiaires et élèves |
532,5 |
463,5 |
446,0 |
536,5 |
653,0 |
Assistants de service social |
61,6 |
54,8 |
81,6 |
107,4 |
100,5 |
Non-titulaires social médico-social & culture |
398,3 |
406,1 |
349,4 |
570,2 |
564,1 |
Personnels de surveillance |
299,1 |
295,2 |
318,4 |
319,2 |
312,9 |
Attachés d’administration |
29,6 |
29,6 |
30,7 |
27,9 |
30,8 |
Secrétaires administratifs |
142,5 |
142,8 |
150,9 |
149,6 |
146,3 |
Adjoints administratifs |
552,3 |
545,0 |
561,0 |
576,1 |
574,6 |
Non-titulaires administratifs |
64,5 |
81,8 |
90,7 |
100,0 |
100,2 |
Apprentis, autres non-titulaires |
26,4 |
37,7 |
35,0 |
45,0 |
38,8 |
Effectif Global |
5 538,6 |
5 575,7 |
5 782,8 |
6 252,9 |
6 517,7 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
La loi de finances pour 2014 a permis de créer, pour la période allant de 2014 à 2017, 1 000 emplois supplémentaires afin de faire face à l’évolution constante des missions de la filière insertion et probation. Dans le cadre du développement des alternatives à l’incarcération et pour permettre d’assurer le suivi des mesures afférentes, la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019 a prévu de renforcer les SPIP par la création de 1 500 emplois supplémentaires sur la période 2018-2022 ([27]). Elle se décompose de la manière suivante : 150 créations en 2018, 400 en 2019, 400 en 2020, 300 en 2021 et 250 en 2022. Par ailleurs, cent emplois de CPIP contractuels ont été créés en fin d’année 2020 dans le cadre du renforcement de la justice de proximité.
L’administration pénitentiaire a précisé à votre Rapporteure qu’en raison des délais de formation, les agents recrutés au titre de ces créations d’emplois seront affectés à partir de la fin d’année 2021 : ainsi, 238 CPIP entrés à l’ENAP en 2019 ont été affectés en septembre 2021 et 289 élèves actuellement en cours de scolarité seront affectés en septembre 2022.
La carrière des CPIP
Le corps des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation du ministère de la justice, régi par le décret n°2019-50 du 30 janvier 2019, est classé en catégorie A.
Titularisés à l’issue de deux années de formation, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation bénéficient d’un déroulement de carrière en deux grades :
– conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, comprenant deux classes (la seconde classe comporte douze échelons et un échelon élève, la première classe comporte neuf échelons)
– conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation de classe exceptionnelle (comportant neuf échelons)
Ils peuvent accéder au corps des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation par voie d’examen professionnelle ou de promotion au choix.
Les personnels pénitentiaires d’insertion et de probation sont affectés principalement dans les 104 services pénitentiaires d’insertion et de probation ou de l’une de leurs antennes. Ils peuvent aussi être affectés au centre national d’évaluation, en direction interrégionale, à l’école nationale d’administration pénitentiaire ou à l’administration centrale.
À titre d’information, la durée minimale d’affectation d’un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation dans un premier emploi est fixée à deux ans. Une dérogation peut être accordée par le garde des sceaux, ministre de la justice, fondée notamment sur la situation personnelle ou familiale de l’agent ou dans l’intérêt du service.
Source : École nationale d’administration pénitentiaire
iii. Les personnels de direction
Les effectifs des personnels de direction de l’administration pénitentiaire, qui comptent les directeurs des services pénitentiaires et les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation, ont eux aussi augmenté ces dernières années, passant de 384 au 1er janvier 2007 à 1 148 au 1er janvier 2021, soit une hausse de 200 %.
● Les directeurs des services pénitentiaires mettent en œuvre la politique définie pour la prise en charge des personnes faisant l’objet d’une mesure privative de liberté. Ils sont pour cela chargés de l’encadrement des services pénitentiaires. Ils sont recrutés par la voie du concours, externe ou interne, de directeur des services pénitentiaires. Ils exercent leurs fonctions à la tête des établissements pénitentiaires, au sein des circonscriptions et services de l’administration pénitentiaire ou encore au sein de l’administration centrale.
● Les directeurs pénitentiaire d’insertion et de probation forment un corps classé dans la catégorie A et sont responsables de l’organisation et du fonctionnement des SPIP. À ce titre, ils sont chargés d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques de prévention de la récidive et d’insertion et de réinsertion des personnes placées sous main de justice. Ils sont recrutés par concours, interne ou externe, par examen professionnel ouvert aux CPIP qui ont accompli au moins quatre ans de services effectifs dans ce corps et qui comptent au moins un an d’ancienneté dans le sixième échelon lorsqu’ils relèvent de la seconde classe du premier grade, ou encore au choix parmi les CPIP selon certaines conditions. Ils peuvent exercer leurs fonctions en SPIP, dans un centre pour peines aménagées ou un centre de semi-liberté, en quartier de préparation à la sortie, dans une direction interrégionale des services pénitentiaires, au Centre national d’évaluation (CNE), à l’ENAP ou en administration centrale.
iv. Les personnels administratifs et techniques
● Les personnels administratifs peuvent être des attachés d’administration qui ont vocation à exercer des fonctions de responsabilités administratives et financières en tant qu’attachés d’administration dans l’administration centrale. Ils peuvent également être des secrétaires administratifs, participant principalement à la gestion économique, financière ou administrative du lieu d’affectation et susceptibles d’encadrer des personnels d’exécution. Enfin, ils peuvent être des adjoints administratifs exerçant dans toutes les structures et amenés à remplir diverses fonctions de gestion administrative, de secrétariat, d’économat, de greffe, de comptabilité, etc.
En 2007, on comptait 2 842 personnels administratifs dans l’administration pénitentiaire. En 2021, ils sont 5 187.
● Les personnels techniques regroupent des métiers divers, ayant vocation à piloter l’ensemble des actions de maintenance, de production ou d’ingénierie dans les services pénitentiaires.
Ils participent à deux missions essentielles : le fonctionnement et la sécurité technique des établissements, en matière de patrimoine, d’équipement, de gestion quotidienne et de maintenance ; l’insertion professionnelle des détenus, à travers les actions de formation et l’encadrement du travail. Exerçant logiquement en service déconcentré ou en établissement pénitentiaire, ils sont recrutés par spécialités et par voie de concours.
En 2007, on comptait 267 personnels techniques dans l’administration pénitentiaire. En 2021, ils sont 674.
2. Recrutement et formation des personnels pénitentiaires
a. Les concours et l’École nationale d’administration pénitentiaire
Chacun des métiers de l’administration pénitentiaire dispose de son propre concours, comme présenté ci-avant. Cette diversité traduit la richesse du monde pénitentiaire et de ses missions, mais aussi la variété des profils des agents pénitentiaires.
Les niveaux de recrutement
– Aucun diplôme requis : adjoint administratif.
– Brevet national des collèges ou diplôme ou titre classé au moins de niveau 3 : surveillant pénitentiaire (de 18 à 45 ans au 1er janvier de l’année du concours) et adjoint technique.
– Baccalauréat : secrétaire administratif et technicien
– Bac + 2 : lieutenant pénitentiaire (40 ans au plus au 1er janvier de l’année du concours)
– Bac + 3 : directeur des services pénitentiaires (45 ans au plus au 1er janvier de l’année du concours), directeur pénitentiaire d’insertion et de probation, directeur technique, attaché d’administration (voie instituts d’administration publique) et conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation.
Source : École nationale d’administration pénitentiaire
L’ENAP est l’unique école de formation des fonctionnaires pénitentiaires, toutes catégories confondues. Bien sûr, les formations techniques, comme la maintenance, sont dispensées dans d’autres structures, mais l’exercice professionnel en milieu pénitentiaire fait toujours l’objet d’un apprentissage spécifique à l’ENAP. Le directeur de l’école, M. Christophe Millescamps, le souligne : « Toute personne travaillant pour l’administration pénitentiaire passe, à un moment donné, par l’ENAP, dans le cadre d’une formation initiale, d’une formation d’adaptation à l’emploi ou d’une formation d’adaptation à la prise de fonction. »
La durée de formation est variable : de six mois pour les surveillants pénitentiaires à deux années pour les directeurs des services pénitentiaires, les directeurs d’insertion et de probation et les CPIP.
S’agissant des surveillants pénitentiaires, le concours permet d’accéder à une formation à l’ENAP d’une durée de six mois, rémunérée 1 200 euros mensuels nets, pendant laquelle les élèves surveillants suivent, en alternance, différents cours – droit pénitentiaire, connaissance des populations prises en charge, gestion du stress, techniques d’intervention, etc. – et participent à des stages pratiques en établissement pénitentiaire.
S’agissant des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, le concours leur permet d’accéder à une formation de deux années à l’ENAP. Lors de la première année, les lauréats du concours ont la qualité d’élève CPIP et sont rémunérés à l’échelon d’élève. Ils sont soumis, à l’issue de la première année, à des épreuves de sélection permettant l’accès à la seconde année pendant laquelle ils seront nommés CPIP stagiaires et rémunérés au premier échelon de la seconde classe du premier grade.
b. Les enjeux de la formation continue
La formation continue est un enjeu stratégique dans la construction de la carrière des personnels pénitentiaires et dans l’effort de modernisation que l’administration doit poursuivre pour mieux accomplir les missions qui lui sont assignées. « Il s’agit d’un axe d’autant plus important que la carrière pénitentiaire des surveillants s’est beaucoup diversifiée : elle recouvre le métier de base des surveillants, l’extraction judiciaire, les équipes régionales d’intervention et de sécurité ou les équipes locales de sécurité pénitentiaire, par exemple » précise le directeur de l’ENAP.
L’administration centrale a un rôle d’organisation et d’impulsion ; plus précisément, elle transcrit en objectifs généraux de formation, les orientations définies par le directeur de l’administration pénitentiaire aux directions interrégionales et à l’ENAP, auxquels incombe la mise en œuvre de l’offre de formation.
● D’une part, l’ENAP est chargée des actions de portée nationale ou très spécialisées – monitorats, greffes pénitentiaires – ou des actions ponctuellement demandées par l’administration centrale. Cela concerne en moyenne près de 3 % des agents formés tous les mois ; sur l’année 2021, selon la direction de l’administration pénitentiaire, ce chiffre approche même les 5 % d’agents formés par mois.
● D’autre part, les directeurs interrégionaux élaborent des plans de formation régionaux qui doivent s’inscrire au plus près de la réalité des besoins des établissements, des services et des situations de travail. Cette offre est distincte et complémentaire de celle proposée par l’ENAP.
Cette politique de formation continue au plan interrégional est animée par les unités de recrutement et de formation et qualifications (URFQ), organisées en pôles de formation puis en services de formation. 60 % des agents affectés en services déconcentrés –– c’est-à-dire au sein des DISP, des établissements pénitentiaires et des SPIP– – ont suivi au moins une action de formation en 2021.
Au sein de chaque DISP, les services de formation disposent de salles de formation, de salles informatiques – près de quatre par DISP – et, dans certains cas, de dojos, plus rarement de stands de tir ([28]). Un centre de formation continue est en projet sur le domaine pénitentiaire de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Il disposera de plateaux de simulations cellules incendie, dojos, stand de tir, un amphithéâtre et de nombreuses salles de formation modulables. Le catalogue de formation DAP comporte près de 400 désignations répertoriées autour de trois axes :
– garde et contrôle des personnes placées sous main de justice ;
– accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice ;
– soutien aux missions.
La formation continue est à la fois un droit et un devoir conformément à la réglementation de la fonction publique. Les personnels pénitentiaires peuvent aussi choisir de suivre certaines formations d’ordre varié : outils de l’évaluation, gestion du stress, communication non violente, applicatifs informatiques, etc. Ils peuvent également bénéficier de l’offre de formation interministérielle sur des thématiques transverses et généralistes.
Les obligations de formation des personnels de surveillance renforcées en 2018
L’arrêté du 26 octobre 2018 portant organisation de la formation statutaire des surveillants relevant du corps d’encadrement et d’application du personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire, prévoit une obligation de formation continue durant l’année de stage de dix jours de formation notamment sur les modules suivants : le tir ; les techniques d’intervention ; la sécurité incendie ; la prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) ; le positionnement professionnel-déontologie.
La circulaire du 22 novembre 2018 relative au socle commun de formation des personnels de surveillance en matière de sécurité prévoit que tous les agents de la filière de surveillance doivent suivre cinq jours de formation annuels portant sur des modules sécurité dont : le tir ; les techniques d’intervention ; la sécurité incendie ; la prévention et secours civiques de niveau 1 (PSC1) ; le positionnement professionnel-déontologie.
La note du 30 juillet 2013 relative aux modalités d’organisation de la formation des agents affectés au greffe des établissements pénitentiaires prévoit une formation obligatoire pour les agents affectés au sein des greffes et des modules complémentaires pour les responsables. Elle prévoit également une convention d’engagement entre l’ENAP, la DISP et l’agent.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Ce renforcement des obligations de formation a-t-il porté ses fruits ?
M. Sègla Blaise Gangbazo, président du Syndicat libre justice CFTC (SLJ‑CFTC), considère qu’en raison d’un nombre insuffisant de personnels, l’accès à la formation n’est pas suffisant pour permettre aux agents de gagner en compétence et de demeurer parfaitement performants. Il rappelle que c’est contraire à la règle 81‑2 des règles pénitentiaires européennes, selon laquelle « l’administration doit faire en sorte que, tout au long de sa carrière, le personnel entretienne et améliore ses connaissances et ses compétences professionnelles en suivant des cours de formation continue et de perfectionnement organisés à des intervalles appropriés. »
En effet, d’après les statistiques fournies par l’administration pénitentiaire, près de 25 % des agents inscrits en formation ne la suivent finalement pas, dont près de 5 % parce qu’ils ne s’y présentent pas. Les 20 % d’absentéisme restant s’expliquent par l’annulation des formations en raison de l’indisponibilité des agents ou des animateurs pour nécessité de service, problème de logistique ou en raison du contexte sanitaire.
Votre Rapporteure partage l’idée que la formation continue est un enjeu fondamental pour l’administration pénitentiaire qui doit poursuivre ses efforts en la matière, notamment en s’assurant que les animateurs comme les agents soient disponibles lors des sessions de formation. Elle note cependant que sur l’année 2021, de janvier à novembre, dans un contexte de crise sanitaire, selon l’administration pénitentiaire, les formations ont quand même été suivies par 60 000 stagiaires ([29]), ce qui représente en moyenne 5 400 stagiaires par mois.
c. Des métiers de terrain : l’importance de l’expérience et de l’apprentissage auprès des pairs
Si ce point n’a pas fait l’objet d’analyses ni d’auditions spécifiques au cours des travaux de la commission d’enquête, votre Rapporteure souhaiterait souligner que les métiers pénitentiaires sont des métiers particulièrement ancrés dans le réel. La formation initiale et continue est une nécessité absolue, mais elle ne saurait être suffisante pour garantir la parfaite opérationnalité des agents et doit toujours être complétée par un apprentissage de terrain.
— 1 —
3. La revalorisation récente des conditions statutaires et salariales
Grilles indiciaires des corps de l’administration pénitentiaire
(pour les filières métiers et les filières de direction)
Octobre 2021
Catégories |
Corps propres à la DAP |
Corps type |
IM Minimum |
IM Maximum |
IB Minimum |
IB Maximum |
Nombre d’échelons |
Catégorie A + |
DSP Classe Ex. |
|
792 |
1124 |
977 |
HEB bis |
11 |
Catégorie A + |
DSP Hors Classe |
|
632 |
972 |
767 |
HEA |
9 |
Catégorie A + |
DSP |
|
448 |
807 |
522 |
996 |
11 |
Catégorie A + |
|
Administrateurs généraux |
830 |
1279 |
1027 |
HED |
16 |
Catégorie A + |
|
Administrateurs de l’Etat Hors Classe |
667 |
1124 |
813 |
HEB bis |
14 |
Catégorie A + |
|
Administrateurs de l’Etat |
461 |
821 |
542 |
1015 |
10 |
Catégorie A |
CSP Classe Ex. |
|
655 |
972 |
797 |
HEA |
9 |
Catégorie A |
CSP Hors Classe |
|
500 |
821 |
593 |
1015 |
10 |
Catégorie A |
CSP |
|
390 |
673 |
444 |
821 |
13 |
Catégorie A |
DPIP Classe Ex. |
|
655 |
972 |
797 |
HEA |
9 |
Catégorie A |
DPIP Hors Classe |
|
515 |
821 |
614 |
1015 |
10 |
Catégorie A |
DPIP |
|
410 |
673 |
469 |
821 |
11 |
Catégorie A |
CPIP Classe Ex. |
|
503 |
668 |
597 |
815 |
9 |
Catégorie A |
CPIP |
|
394 |
638 |
449 |
776 |
14 |
Catégorie A |
DT Classe Ex. |
|
695 |
972 |
850 |
HEA |
8 |
Catégorie A |
DT 1ère classe |
|
519 |
821 |
619 |
1015 |
9 |
Catégorie A |
DT 2ème classe |
|
390 |
673 |
444 |
821 |
10 |
Catégorie A |
|
Attaché Hors Classe |
655 |
972 |
797 |
HEA |
9 |
Catégorie A |
|
Attaché Principal |
500 |
821 |
593 |
1015 |
10 |
Catégorie A |
|
Attaché |
390 |
673 |
444 |
821 |
11 |
Catégorie B |
Officiers : Commandant pénitentiaire |
|
512 |
756 |
609 |
930 |
9 |
Catégorie B |
Officiers : Lieutenant et capitaine |
|
365 |
640 |
404 |
778 |
11 |
Catégorie B |
Technicien 1ère classe |
|
439 |
587 |
510 |
707 |
8 |
Catégorie B |
Technicien 2ème classe |
|
356 |
534 |
389 |
638 |
10 |
Catégorie B |
|
SA Classe Ex. |
392 |
587 |
446 |
707 |
11 |
Catégorie B |
|
SA Classe Supérieure |
356 |
534 |
389 |
638 |
13 |
Catégorie B |
|
SA Classe normale |
343 |
503 |
372 |
597 |
13 |
Catégorie C |
CEA : Major |
|
484 |
553 |
573 |
663 |
6 |
Catégorie C |
CEA : Premier surveillant |
|
426 |
517 |
494 |
616 |
6 |
Catégorie C |
CEA : Surveillant brigadier |
|
377 |
483 |
425 |
572 |
6 |
Catégorie C |
CEA : Surveillant et surveillant principal |
|
332 |
472 |
354 |
557 |
12 |
Catégorie C |
AT 1ère classe |
|
379 |
482 |
429 |
570 |
7 |
Catégorie C |
AT 2ème classe |
|
332 |
442 |
354 |
514 |
10 |
Catégorie C |
|
AAP1 |
355 |
473 |
388 |
558 |
10 |
Catégorie C |
|
AAP2 |
341 |
420 |
368 |
486 |
12 |
Catégorie C |
|
AA |
340 |
382 |
367 |
432 |
11 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
De nombreuses mesures catégorielles ont été prises au cours des dernières années afin de revaloriser certains métiers pénitentiaires à travers des mesures d’amélioration catégorielles des carrières et des régimes indemnitaires des personnels pénitentiaires. Les différentes lois de finances consacraient pour cela :
– 16,8 millions d’euros en 2018 ;
– 19,1 millions d’euros en 2019 ;
– 11,7 millions d’euros en 2020 ;
– 29,2 millions d’euros en 2021 ;
– 22,4 millions d’euros en 2022.
Au total, sur ces cinq années, près de 100 millions d’euros sont ainsi dédiés à la politique catégorielle de l’administration pénitentiaire. Sans viser ici à l’exhaustivité – ces données faisant l’objet d’une analyse approfondie chaque année dans les rapports spéciaux et avis budgétaires – certaines de ces mesures méritent d’être soulignées.
D’une part, il s’agit de refontes de grande ampleur de certains corps : passage en catégorie A des CPIP, réforme statutaire du corps de commandement, réforme statutaire de la filière technique. Comme l’a confirmé la direction de l’administration pénitentiaire, d’ici 2023, lorsque les réformes concernant la filière de surveillant auront été menées à leur terme, 1 400 agents de catégorie C auront ainsi été requalifiés en catégorie en B et 450 agents de catégorie B en A.
D’autre part, ce sont des mesures indemnitaires et de carrière : création d’une prime de fidélisation pour certains établissements ([30]), hausse de la prime de sujétions spéciales, de l’indemnité pour charge pénitentiaire ou de l’indemnité forfaitaire des personnels d’insertion et de probation, ou encore revalorisation de l’indemnité pour charges pénitentiaires des surveillants pénitentiaires.
Le passage en catégorie A+ des directeurs des services pénitentiaires
La création du corps de chefs des services pénitentiaires (CSP) entre le corps de commandement (catégorie B) et le corps des directeurs des services pénitentiaires (catégorie A), par le décret n° 2019‑1038 du 9 octobre 2019 modifiant le décret n° 2006‑441 du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire, nécessite aujourd’hui la modification des modalités d’accès au corps des directeurs des services pénitentiaires (DSP) prévues par le décret n° 2007-930 du 15 mai 2007 portant statut particulier du corps des directeurs des services pénitentiaires.
Le projet de décret modificatif prévoit ainsi de substituer à l’actuel accès réservé de la voie promotionnelle (examen professionnel et liste d’aptitude) une voie professionnelle dont les modalités sont identiques à celles du « tour extérieur » prévu par le statut particulier du corps des administrateurs civils.
Il est également proposé, afin de positionner le corps des DSP en catégorie A+, d’introduire des « marqueurs » de cette catégorie dans le statut des DSP. Dans cette optique, le projet de décret prévoit :
– de modifier les règles de classement au moment de la nomination dans le corps, afin de substituer aux actuelles règles inspirées de celles applicables aux attachés, les règles applicables aux administrateurs civils ;
– la possibilité d’affecter des DSP dans tous les services de l’administration centrale du ministère ;
- une durée de formation initiale d’un an sous le statut de stagiaire pour les DSP issus du tour extérieur ;
– l’augmentation de la durée minimale d’engagement de servir à sept ans, contre cinq actuellement, avec la possibilité de comptabiliser la durée de services accomplie dans un emploi relevant de la fonction publique territoriale ou hospitalière, ou des services de l’Union européenne ;
– l’intégration d’officiers supérieurs dans le corps des DSP sur le modèle de celle prévue dans le corps des administrateurs civils ;
– l’obligation de mobilité statutaire pour accéder au grade de DSP hors classe.
Par ailleurs, le projet de texte prévoit l’introduction de la mesure issue de l’article L. 412-1 du code de la recherche relative à l’accès des titulaires d’un doctorat aux concours de la fonction publique et il propose de subordonner l’accès au corps des DSP à la détention de la nationalité française, à l’instar des corps de la filière de surveillance et de la filière d’insertion et de probation de l’administration pénitentiaire.
La modification statutaire en cours lève toute ambiguïté sur le positionnement du corps qui devient un corps de catégorie A+. La réponse de la direction générale de l’administration et de la fonction publique valide ce positionnement. L’objectif serait de présenter au début de l’année 2022 le texte dans les instances paritaires, de saisir le conseil d’État et de publier le nouveau décret. Cette réforme fournirait un ancrage certain pour les évolutions indiciaires et indemnitaires du corps à l’identique des administrateurs de l’État.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
B. Des conditions de travail difficiles et des métiers souvent mal connus et peu reconnus
Au-delà de cet état des lieux factuel, la commission d’enquête a constaté que les métiers pénitentiaires étaient plus variés que dans l’imaginaire collectif, leurs fonctions ayant en plus eu tendance à se renforcer et à se diversifier au fil des dernières années. Cette diversification contribue à valoriser ces métiers, mais elle les rend aussi plus complexe à exercer, d’autant plus dans des conditions parfois difficiles, en particulier dans les établissements surpeuplés.
1. Les problèmes quotidiens des agents et de leur hiérarchie
a. Des difficultés concrètes et quotidiennes
i. Des conditions de travail difficiles qui doivent être mieux prises en compte
En premier lieu, la surpopulation carcérale ([31]) dégrade considérablement les conditions de travail des agents pénitentiaires. Comme l’ont rappelé l’ensemble des représentants syndicaux auditionnés par la commission d’enquête, ainsi que les membres du personnel rencontrés au cours des déplacements dans les établissements, les conditions de travail des personnels pénitentiaires sont intrinsèquement liées aux conditions de détention des personnes détenues. Ainsi, le constat posé par exemple par M. Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT pénitentiaire, est sans appel : « Les conditions de travail des personnels manquent d’attractivité, au regard des charges de travail. L’administration pénitentiaire n’attire pas, force est de constater qu’il s’agit d’un problème d’attractivité et de reconnaissance de nos métiers. »
Or, les organigrammes des établissements ne tiennent pas compte de la surpopulation carcérale car ils sont basés sur les places de détention théorique et non sur le nombre réel de détenus. Le directeur de l’administration pénitentiaire explique en effet qu’il n’existe pas d’indexation des personnels sur le nombre de détenus. Il serait donc judicieux de continuer les efforts de recrutement afin de permettre la révision de ces organigrammes et leur adaptation aux effectifs réels et non pas théoriques.
Proposition n° 1
Réviser les organigrammes des établissements pénitentiaires afin de les adapter aux effectifs réels des personnes détenues.
En outre, les métiers pénitentiaires sont délicats en ce qu’ils consistent à suivre les personnes que nulle autre institution de la République n’a finalement réussi à prendre en charge. Les agents peuvent ainsi être confrontés à des individus violents, le risque de subir une agression, les pressions voire les menaces sont des réalités quotidiennes de leur métier.
Mais l’aspect humain ne se résume pas à ces actes de violence ponctuels. En réalité, les métiers pénitentiaires s’inscrivent dans un rapport social spécifique. Les surveillants pénitentiaires en particulier ont une relation quotidienne avec les personnes détenues ; la prison s’inscrit dans un vivre ensemble qui repose sur un équilibre délicat entre respect de l’autorité pénitentiaire et respect des détenus. Bien souvent, les surveillants peuvent être interrogés sur des questions qui ne concernent pas directement leurs missions : dispositifs juridiques, actualités, fonctionnement de tel ou tel service, etc. Ils sont ainsi de plus en plus impliqués dans une forme d’accompagnement des personnes détenues.
ii. La question particulière de l’accès au logement
La commission d’enquête a été alertée à plusieurs reprises de difficultés de logement des personnels pénitentiaires, en particulier en Île-de-France.
Comme l’indique la direction de l’administration pénitentiaire, deux options d’aide au logement sont disponibles pour les personnels :
– le logement ministériel : une mise en relation entre les agents du ministère avec les bailleurs sociaux par le département des ressources humaines et de l’action sociale ; les offres sont publiées sur l’intranet ;
– les logements de la Fondation d’Aguesseau : plusieurs propositions de logements sociaux meublés ou de logements en colocation en Île-de-France principalement, disponibles pour les agents pour une période de vingt-quatre mois maximum. La DISP d’Île-de-France a en outre mis en place des dispositifs spécifiques.
Le directeur de l’administration pénitentiaire, insistant sur la nécessité de lutter contre l’isolement et le sentiment d’insécurité des personnels pénitentiaires, a rappelé que l’administration a mis en place des dispositifs d’accueil et de fidélisation. A par exemple été mis en place un accompagnement social, permettant notamment la recherche de logement.
Si elle salue, bien sûr, les efforts faits en la matière, votre Rapporteure souhaite ici se faire le relais des difficultés rencontrées par les personnels pénitentiaires et considère qu’il serait opportun de lancer une concertation pour améliorer les conditions de logement des personnels pénitentiaires, en particulier dans les zones urbaines tendues et en début de carrière.
b. Des problèmes de recrutement et de gestion
i. Un déficit ancien de personnels pénitentiaires
Comme l’a reconnu le directeur de l’administration pénitentiaire lors de son audition par la commission d’enquête, cette administration a longtemps été confrontée à un déficit de personnels. Un plan de rattrapage a toutefois permis de passer « de 2 500 vacances d’emploi à 1 000, actuellement, ce qui représente un taux de couverture de 95 % ».
Si de réels progrès ont été accomplis en matière de recrutement, comme le montrent les chiffres précédemment évoqués, votre Rapporteure considère que l’effort doit se poursuivre. Elle tient d’ailleurs à rappeler que les organisations syndicales font toutes le constat d’un manque de moyens humains.
En outre, l’accroissement des missions confiées à l’administration pénitentiaire – ce qui va plutôt dans le sens d’une meilleure reconnaissance de ses métiers et des compétences qui y sont liées – augmente les difficultés. M. Samuel Gauthier, secrétaire général de la CGT pénitentiaire, explique par exemple que le transfert des missions d’extraction n’a pas été accompagné des moyens suffisants : « Ce sont les agents en charge de la détention qui ont été choisis pour compléter les effectifs dédiés aux missions extérieures, au détriment de la gestion de la détention. Nous trouvons toujours des postes vacants dans le domaine de la détention et dans les établissements pénitentiaires ». M. Sébastien Nicolas, secrétaire général du Syndicat national pénitentiaire des personnels de direction FO (SNP PD FO), confirme ce point et illustre ce transfert à moyen décroissant : pour la mission d’extraction judiciaire, « il nous a été accordé 800 équivalents temps plein (ETP) pour une mission préalablement calibrée pour 2 500 ETP par les services de police et de gendarmerie ».
Un personnel en effectifs insuffisants conduit à négliger des missions pourtant essentielles. L’administration pénitentiaire constate elle-même que cette situation rend difficile la gestion des ressources humaines. Ainsi, le ratio effectif gérants/effectifs gérés était en 2019 de 2,65 % pour la police nationale contre 2,29 % pour la DAP, soit un écart significatif dans une période où les deux directions sont régulièrement comparées.
ii. Des difficultés de recrutement
Le manque d’attractivité des métiers pénitentiaires, en particulier celui des surveillants, a été mis en avant tout au long des travaux de la commission d’enquête. Il rend difficile le recrutement et menace, à moyen terme, les effectifs de notre service pénitentiaire.
M. Philippe Kuhn, secrétaire général national adjoint du SPS a témoigné en ce sens : « On constate une déperdition importante, au point que la pénitentiaire recrute à 3 de moyenne. Notre syndicat dénonce cette situation. Il faudra savoir redonner confiance aux candidats pour les inciter à postuler, en sachant que le métier est compliqué ». L’attractivité des métiers permet en effet d’attirer davantage de candidats aux concours pénitentiaires et d’assurer un niveau de recrutement suffisamment élevé.
Le directeur de l’administration pénitentiaire a signalé un autre problème : les bassins d’emploi ne correspondent pas aux bassins de recrutement : « Les bassins de recrutement sont de plus en plus situés en outre-mer et dans le Nord de la France », tandis que le principal bassin d’emploi est l’Île-de-France.
c. Des difficultés de recrutement accrues pour certains établissements compte tenu de leur faible attractivité
À la fin de leur scolarité à l’ENAP, une liste de postes est proposée aux agents : elle correspond aux postes qui sont restés vacants à l’issue de mobilité des surveillants et qui sont donc considérés par les agents comme étant les moins attractifs. Les postes dans les établissements franciliens dominent parmi ceux proposés en sortie d’école.
Certaines affectations, ressenties comme plus difficiles, sont plus difficilement pourvues. En 2021, les établissements les moins attractifs étaient les suivants :
– à la DISP de Bordeaux, le centre de détention d’Uzerche ;
– à la DISP de Dijon, les centres de détention de Châteaudun et de Joux-la-Ville, les centres pénitentiaires de Châteauroux et d’Orléans-Saran et la maison centrale de Saint-Maur ;
– à la DISP de Lille, les centres pénitentiaires de Beauvais et de Liancourt ;
– à la DISP de Lyon, les centres pénitentiaires de Bourg-en-Bresse, d’Aiton, de Grenoble-Varces, de Moulins-Yzeure, de Saint-Etienne, de Saint-Quentin-Fallavier, de Valence et de Villefranche-sur-Saône ainsi que les maisons d’arrêt de Bonneville et de Lyon-Corbas ;
– à la DISP de Marseille, les centres pénitentiaires d’Aix-Luynes et de Marseille ainsi que les maisons d’arrêt de Grasse, de Nice et d’Arles ;
– à la DISP de Paris, les centres pénitentiaires de Bois-d’Arcy, de Fresnes, de Nanterre, de Meaux, de la Santé et du sud-francilien ainsi que les maisons d’arrêt de Fleury-Mérogis, d’Osny, de Versailles, de Villepinte et de Poissy ;
– à la DISP de Rennes, le centre de détention de Val-de-Reuil, les centres pénitentiaires d’Alençon, du Havre et de Nantes ainsi que la maison d’arrêt d’Évreux ;
– à la DISP de Strasbourg, les centres de détention de Montmédy, de Saint-Mihiel, de Villenauxe-la-Grande, les centres pénitentiaires de Lutterbach et de Nancy-Maxéville, la maison d’arrêt de Mulhouse et les maisons centrales de Clairvaux et d’Ensisheim ([32]).
Les élèves qui connaissent des difficultés sociales particulières – enfants handicapés, problèmes médicaux, charges de famille, soutien à ascendant – ont la possibilité de faire valoir leur situation, qui donne lieu à un examen. Quand le cas mérite un traitement particulier, il est alors procédé à une dérogation d’affectation. Les organisations syndicales sont informées de cette situation. À chaque promotion de surveillants pénitentiaires, une dizaine d’agents, sur environ 350, bénéficient d’une telle dérogation.
ii. Une prime de fidélisation pour pallier le manque d’attractivité de certains établissements
Comme mentionné précédemment, certains établissements sont considérés comme peu attractifs, souvent en raison de conditions de travail particulièrement difficiles, et rencontrent donc des difficultés de recrutement. Pour répondre à ces difficultés, l’administration pénitentiaire a instauré une prime de fidélisation.
En 2018, un décret ([33]) a ouvert aux membres des corps de commandement et du corps d’encadrement et d’application (CEA), dès le 31 décembre 2018, le bénéfice de deux dispositifs :
– pour l’ensemble des agents appartenant à ces deux corps, l’attribution d’une prime de fidélisation d’un montant de 1 000 euros après trois ans d’exercice effectif des fonctions au sein de l’un des vingt-huit établissements ou services listés par arrêté ;
– pour les lauréats d’un concours national de surveillants à affectation locale, l’attribution d’une prime de fidélisation de 8 000 euros en trois fractions : 4 000 euros bruts lors de l’affectation, 1 000 euros bruts à l’issue de la troisième année d’exercice effectif des fonctions après l’affectation et 3 000 euros bruts à l’issue de la cinquième année d’exercice effectif des fonctions après l’affectation.
Au total, cette prime de fidélisation a pu bénéficier à :
– 655 agents en 2019, pour 655 000 euros ;
– 1 123 agents en 2020, pour 1 123 000 euros ;
– 882 agents en 2021, pour 882 000 euros.
Soit 2 660 agents pour un total de 2 660 000 € sur la période 2019-2021.
À titre transitoire, les membres du corps de commandement et du CEA qui, lors de l’entrée en vigueur du décret, étaient affectés depuis au moins trois ans dans un établissement ou service mentionné dans l’arrêté, ont bénéficié du versement exceptionnel de la prime de fidélisation, d’un montant de 800 euros. Cette disposition transitoire a bénéficié à 3 597 agents, pour 2 879 400 euros.
Votre Rapporteure salue la mise en place de cette nouvelle prime de fidélisation afin de renforcer l’attractivité de certains établissements pénitentiaires.
2. L’accentuation récente de la revalorisation des métiers pénitentiaires
a. Mieux reconnaître le travail des personnels pénitentiaires
« La prise en charge des personnes détenues en France est exceptionnelle : notre pays est ainsi l’un des rares du monde à prendre en charge des personnes difficiles, sans arme, grâce à des techniques et pratiques professionnelles. L’autorité s’y exerce sans recourir à la violence, ce qui est tout à l’honneur de la France et des personnels pénitentiaires. » Ces mots de M. Jean-François Beynel, chef de l’Inspection générale de la justice (IGJ) illustrent parfaitement la particularité, la délicatesse et la pertinence du travail des personnels pénitentiaires. Votre Rapporteure y adhère pleinement et considère qu’il convient de continuer à mieux valoriser ces métiers et les agents qui les exercent.
i. La question de la progression statutaire et salariale
La commission d’enquête ne s’est pas penchée de manière exhaustive sur l’ensemble des conditions salariales et statutaires de chaque métier pénitentiaire. Toutefois, elle a été alertée à plusieurs reprises sur certaines revendications concernant notamment le statut des surveillants pénitentiaires.
Les organisations syndicales considèrent que la sous-évaluation statuaire et indemnitaire des métiers de la pénitentiaire ne permet pas de rémunérer leur travail à leur juste valeur et conduit à les dévaloriser. M. Frédéric Belhabib, conseiller technique de la CFDT pénitentiaire, fait ce constat du manque d’attractivité, liée selon lui « surtout à la rémunération et au manque de reconnaissance ».
Pour remédier à cette situation, le passage de certaines catégories d’agents pénitentiaires à une catégorie statutaire supérieure a été évoqué à plusieurs reprises au cours des auditions.
M. Sègla Blaise Gangbazo, président du Syndicat libre justice CFTC (SLJ CFTC), estime notamment que les surveillants du corps d’encadrement et d’application devraient passer de la catégorie C à la catégorie B. La même demande est formulée par la CGT pénitentiaire, dont son secrétaire général, M. Samuel Gauthier, explique : « Tout métier à risque et difficile justifie une reconnaissance indemnitaire et statutaire, par le biais du passage en catégorie B en ce qui nous concerne ». Il estime qu’une telle progression est nécessaire pour attirer des candidats : « Lorsqu’un candidat passe les concours de la fonction publique, la grille indiciaire revêt toute son importance. Il a donc tendance à s’orienter vers la police nationale ou municipale et la gendarmerie. »
M. Armand Minet, secrétaire général du SLJ CFTC, complète ce constat en expliquant que « le maintien en catégorie C est d’autant plus incompréhensible que le métier de surveillant se révèle différent et un peu plus compliqué que celui de policier ». Insistant ainsi sur la complexité du métier de surveillant pénitentiaire, « polyvalent, loin de l’image du porte-clés », il souligne que de surcroît la population pénale évolue et que le métier de surveillant s’imprègne d’un fort rôle d’accompagnement psychologique et technique qu’il ne faut pas négliger et qui justifie d’autant plus le passage en catégorie B. Plus précisément, « le corps du personnel de surveillance a été découpé, avec une partie des officiers qui accèdent à la catégorie A, celle qui reste en catégorie B, et le reste du corps d’encadrement et d’application, maintenu en catégorie C. C’est un non-sens, car il faut responsabiliser et rendre plus autonome la profession de surveillant à l’étage. Nous souhaiterions que le chantier de la catégorie soit rouvert. Les organisations syndicales se montrent quasi unanimes pour revendiquer cette catégorie B pour le corps d’encadrement et d’application. »
Interrogée sur ces questions, l’administration pénitentiaire précise que « plusieurs réformes statutaires et indemnitaires ont d’ores et déjà été lancées ces dernières années. Sur le plan indemnitaire on peut citer le passage des corps propres au RIFSEEP (DSP, DPIP, CPIP, techniques), avec des revalorisations indemnitaires. Des plans de requalification sont aussi en cours d’exécution (filière de surveillance et technique) jusqu’en 2023. À titre d’exemple à cette échéance, la DAP aura requalifié 1 400 agents de catégorie C en B et 450 agents de catégorie B en A pour la filière de surveillance. »
La nécessité de faire progresser en catégorie B les surveillants pénitentiaires est partagée par M. Jean-Louis Daumas, inspecteur général de l’administration, particulièrement catégorique sur ce sujet : « Les surveillants de prison relèvent de la catégorie C, quand les gardiens de la paix sont des fonctionnaires de catégorie B. Pourtant, ces métiers s’assortissent de difficultés et de responsabilités équivalentes. Malheureusement, la direction générale de l’administration et de la fonction publique s’est opposée à ce que les surveillants pénitentiaires rejoignent la catégorie B, au motif qu’il fallait, pour cela, être titulaire du baccalauréat. Il faut que vous nous aidiez à la convaincre de faire évoluer sa position. En effet, la mobilité est beaucoup plus facile pour un corps de catégorie B que pour un corps de catégorie C. Une réforme vient d’être mise en œuvre, pour permettre aux officiers pénitentiaires d’être rattachés à la catégorie A, ce qui constitue un excellent signal. Il est primordial de mettre en œuvre la même démarche pour les agents pénitentiaires de catégorie C. »
Votre Rapporteure estime que d’importants efforts de revalorisation et de fidélisation ont été conduits, notamment la revalorisation de la rémunération de tous les agents de la fonction publique de catégorie C. Elle espère vivement que cette évolution récente permettra à l’administration pénitentiaire de palier ses difficultés de recrutement et son manque d’attractivité. Cependant, en cohérence avec celles menées pour d’autres corps de nos forces de sécurité, elle appelle à engager une réflexion sur le passage de l’ensemble des personnels de surveillance en catégorie B.
Proposition n° 2
Renforcer l’attractivité de la profession de surveillant pénitentiaire en :
– améliorant leurs conditions de logement, en particulier dans les zones urbaines tendues et en début de carrière ;
– étudiant le passage de l’ensemble des personnels de surveillance du corps d’encadrement et d’application en catégorie B.
ii. Donner aux personnels les moyens d’assurer leurs missions
Exprimant sans doute une vision commune à l’ensemble des personnels pénitentiaires, M. Éric Faleyeux, secrétaire générale de la CFDT pénitentiaire, a rappelé que ceux-ci souhaitent « donner une autre image de l’administration pénitentiaire, toujours un peu ternie ». La démonstration en a largement été faite pendant la crise sanitaire et la commission d’enquête a fait le même constat sur le terrain : les personnels pénitentiaires font preuve d’un réel dévouement et d’un engagement profond à l’égard des missions qui leur sont confiées, absolument essentielles pour notre société. Mais pour cela, il faudrait « de nouveaux moyens humains et techniques dans ses différents domaines, qu’il s’agisse de la sécurité, de la prise en charge de la population pénale ou du renseignement pénitentiaire ».
Reconnaissant les efforts budgétaires, M. Sébastien Nicolas partage ce constat des moyens limités et constate que « nous partons néanmoins avec un certain retard qui nous a empêchés de rénover à hauteur suffisante notre parc immobilier, dont chacun s’accorde à dire qu’une part est vétuste et l’autre insuffisante. Cela ne nous a pas permis non plus de travailler suffisamment au recrutement et à la fidélisation des personnels pénitentiaires, toutes catégories confondues. »
Les moyens ont en effet considérablement augmenté ces dernières années : pour 2022, l’administration pénitentiaire voit un renforcement de ses moyens avec une progression globale des crédits de paiement de 7,4 % par rapport à 2021. Cette nouvelle augmentation s’inscrit dans la continuité de la dynamique enclenchée depuis 2017 avec des augmentations budgétaires de 2,2 % en 2018, 5,7 % en 2019, 6,2 % en 2020 et 7,8 % en 2021.
Cette évolution va dans le bon sens et la commission d’enquête ne peut que se réjouir de ce que le Gouvernement ait pris la mesure des enjeux liés à l’administration et à la politique pénitentiaires ces dernières années.
Votre Rapporteure tient toutefois à rappeler que les agents pénitentiaires voient leurs tâches croître et se diversifier : équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), renseignement pénitentiaire, extractions, etc. Comme elle a eu l’occasion de le souligner précédemment, il s’agit d’une démarche vertueuse puisqu’elle enrichit les métiers pénitentiaires et permet de les valoriser et de diversifier les carrières. Toutefois, cette évolution des missions doit s’accompagner de moyens suffisants pour les exercer.
En outre, elle tient à souligner que l’administration pénitentiaire doit également prendre en compte d’autres évolutions, visant à moderniser le travail des personnels pénitentiaires. L’accès au numérique est un enjeu particulièrement important. Elle salue à ce titre le futur déploiement de terminaux portatifs, qui faciliteront les tâches quotidiennes des surveillants pénitentiaires.
Adapter le travail des agents pénitentiaires aux conditions actuelles :
deux exemples concrets
– Le développement du télétravail chez les professionnels en SPIP
Le télétravail était totalement absent de la pratique professionnelle en SPIP avant la crise sanitaire. Le confinement de l’ensemble de la population française a contraint les directions des SPIP à penser des solutions de contournement, afin d’assurer la continuité du service public de prise en charge des auteurs d’infractions. Ainsi, les agents ont été autorisés à travailler à domicile selon un système de rotation des ordinateurs portables disponibles dans les services. Depuis, les directions interrégionales ont doté l’ensemble de leurs agents en matériel informatique et en téléphones portables professionnels. Le succès de cette pratique dans le suivi des personnes placées sous main de justice et l’accueil favorable des professionnels pour cette nouvelle pratique ont incité les directions interrégionales et la direction de l’administration pénitentiaire à entamer des réflexions destinées à encadrer une pratique qui a vocation à se pérenniser, conformément aux accords relatifs à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique.
– Le développement et l’amélioration de l’outil numérique
La nécessité de doter les services d’outils numériques performants a été mise en lumière lors de la crise sanitaire. Le nécessaire repérage des profils délinquants les plus à risques et prioritaires en terme de suivi a permis de mettre à jour la nécessité d’améliorer les systèmes de requête du logiciel APPI (application des peines, probation et insertion). De plus, les services doivent désormais pouvoir être dotés d’outils à destination des cadres destinés à établir des plannings de façon rapide et simplifiée. Enfin, la nécessité d’une gestion documentaire au sein même de notre système d’information doit permettre la centralisation mais surtout la sécurisation de données et de documents personnels et confidentiels.
Le recours massif au système de visioconférence, notamment s’agissant de la tenue des commissions d’application des peines, a permis de gagner du temps et de réduire les déplacements au plus fort de la crise.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
b. Mieux former le personnel pénitentiaire
i. Allonger le délai de formation initiale
La formation initiale des surveillants pénitentiaires à l’ENAP a été concentrée, passant de huit à six mois. Selon la DAP, une refonte de l’architecture de formation a permis de mettre en œuvre une approche par les compétences. Pour cela, la période de 4 semaines de pré‑affectation, auparavant comptabilisée dans les 8 mois de formation, ainsi que les 2 semaines de congés annuels, ont été supprimées de l’architecture. Le reste des temps de formation a été densifié pour parvenir aujourd’hui à 260 heures de formation en moyenne. La DAP précise en outre que cette formation de 6 mois en tant qu’élève est aujourd’hui mieux articulée avec la période d’un an passée au sein d’un établissement en qualité de stagiaire durant laquelle doit être mis en œuvre le principe de la formation « continuée ».
Chaque année, l’ENAP reçoit quatre promotions d’élèves surveillants qui se composent de 350 à 450 élèves, sachant, comme l’a rappelé le directeur de l’ENAP que « le contrat passé avec l’administration de tutelle porte sur la formation de quatre promotions de 600 élèves chaque année ».
Bien sûr, les besoins de recrutement sont forts, mais il ne serait pas acceptable de réduire la qualité de la formation pour en augmenter la quantité. Le directeur de l’ENAP le souligne lui-même : « Les besoins sont très forts. Il n’en demeure pas moins nécessaire de limiter les promotions, aux fins que la formation conserve un sens et puisse se dérouler dans de bonnes conditions. »
Le chef de l’IGJ a par ailleurs exprimé « de vraies inquiétudes sur le niveau de recrutement des agents pénitentiaires, qui fait l’objet d’efforts budgétaires considérables depuis des années. […] Il est indispensable de renforcer la durée de la formation des surveillants. Bien évidemment, il est difficile de le faire, puisque nos établissements ont besoin de personnels de terrain. En poursuivant sans rien faire, on favorise la dévalorisation des métiers pénitentiaires et on en dégrade l’attractivité ». Utilisant une comparaison courante, il rappelle que « la durée de la formation des policiers est très nettement supérieure à celle du personnel pénitentiaire ». Or la durée de formation des policiers devrait elle-même être augmentée : il considère donc qu’il devrait en être de même de la durée de formation des personnels pénitentiaires.
M. Jean-Louis Daumas, également inspecteur général de la justice, formule la même recommandation : « Le métier de surveillant est aussi difficile – peut-être même plus – que celui de gardien de la paix. Le Président de la République entend allonger la durée de la formation initiale des gardiens de la paix, ce qui est très positif. Aujourd’hui, ils sont formés en douze mois. Les surveillants pénitentiaires, pour leur part, ne le sont plus qu’en six mois, contre huit mois par le passé. À titre personnel, j’estime qu’il est primordial d’accroître la durée de leur formation, à des fins de qualité ».
Sur le terrain, les syndicats de personnels pénitentiaires s’inquiètent également de la formation initiale. M. Sébastien Nicolas, secrétaire général de SNP PD FO considère qu’en « abaissant considérablement le niveau du recrutement, on accepte des agents que l’on met en danger face à une population pénale extrêmement manipulatrice dans certains établissements ».
Cette situation apparaît problématique aux yeux de votre Rapporteure. Si la concentration de la formation de 8 à 6 mois lui apparaît ne pas poser de difficulté particulière, les témoignages et analyses des personnes auditionnées posent la question du niveau de cette formation. Même si votre Rapporteure est tout à fait consciente que l’allongement de la formation implique non seulement des efforts budgétaires, mais également des difficultés de gestion des ressources humaines tant les besoins sur le terrain sont importants, il lui semble problématique que la durée de formation initiale soit aussi courte ; elle considère qu’il faudrait envisager de l’allonger afin d’accroître le niveau de formation, en cohérence avec le passage en catégorie B qu’elle recommande par ailleurs s’agissant du personnel de surveillance.
ii. Mieux valoriser les bonnes pratiques de formation continue
Afin de former les personnels à leurs nouvelles missions, des efforts importants ont d’ores et déjà été fournis en matière de formation continue. Quelques exemples fournis par l’administration pénitentiaire sont particulièrement parlants.
Premièrement, la doctrine des unités pour détenus violents (UDV), de novembre 2018, prévoit une formation spécifique portant notamment sur les techniques d’intervention. Par la suite, une mallette pédagogique a été réalisée. La formation d’adaptation à l’emploi est d’une durée de trois semaines. Ces formations sont organisées à destination de l’ensemble des agents exerçant dans ces quartiers dont les CPIP.
Deuxièmement, des arrêtés du 24 mai 2019 prévoient une formation obligatoire d’adaptation à l’emploi pour les membres des équipes de sécurité pénitentiaire : les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), les ELSP, les unités hospitalières (UH) et les équipes nationales de transfert (ENT). Cette formation est composée :
– de trois modules de formation obligatoires validant, d’une durée de dix-huit jours : doctrine, tir et techniques d’intervention ;
– de quatre modules obligatoires non validant, d’une durée de dix-huit jours et demi : sécurité périmétrique, sécurité intérieure, secourisme d’intervention, conduite opérationnelle
– de sessions de formation continue pour maintenir leurs compétences : deux sessions tir et deux sessions techniques d’intervention tous les vingt-quatre mois.
Troisièmement, la doctrine des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR), d’octobre 2019, prévoit une formation d’adaptation à l’emploi de trois semaines portant notamment sur des modules comme les techniques opérationnelles, la déontologie pénitentiaire ou la doctrine du dispositif. Une formation continue est mise en place tous les six mois, intégrant notamment une journée de retour d’expérience (RETEX) et une journée d’actualisation des méthodes d’intervention et des connaissances. Ces formations sont organisées à destination de l’ensemble des agents exerçant dans ces quartiers dont les CPIP.
Enfin, comme l’a indiqué le directeur de l’ENAP, les formations sont désormais presque toutes accessibles à distance.
Lors de ses déplacements, la commission d’enquête a également constaté que la formation était conçue directement sur le terrain, au cas par cas, selon les établissements pénitentiaires. À la prison de la Santé, par exemple, des modules sont conçus en interne pour former tout surveillant intégrant l’équipe du QPR.
Votre Rapporteure salue les efforts importants engagés en matière de formation continue. Elle a pu constater beaucoup de bonnes pratiques sur le terrain et considère qu’il serait utile de mieux les partager.
Proposition n° 3
Renforcer la formation des agents pénitentiaires en :
– alignant la durée de formation initiale des surveillants pénitentiaires dispensée à l’École nationale d’administration pénitentiaire sur celle des gardiens de la paix, afin d’accroître le niveau de recrutement et la professionnalisation de la filière surveillance qui assure des missions de plus en plus diversifiées ;
– valorisant d’avantage les bonnes pratiques de formation continue mises en œuvre dans les établissements pénitentiaires en facilitant leur partage via la plateforme numérique de l’École nationale d’administration pénitentiaire.
c. Le surveillant, acteur de la détention
Le surveillant pénitentiaire est un acteur central de la détention. Afin de réaffirmer ce rôle et la pluralité de ses missions, le 19 avril 2021, à l’occasion d’une visite au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, le garde des sceaux a signé, avec les représentants nationaux des organisations syndicales des personnels de surveillance, une charte sur les « Principes du surveillant pénitentiaire, acteur incontournable d’une détention sécurisée ».
Comme l’explique le directeur de l’ENAP : « Ce document revient sur la participation des surveillants pénitentiaires à l’observation et à l’évaluation des personnes relevant de la justice. […] Par essence, l’administration pénitentiaire exerce une double mission de réinsertion et de sécurité. »
Quatre grands principes sont mis en avant :
– un cadre professionnel respectueux, participant d’une meilleure qualité de vie au travail ;
– le positionnement du surveillant au sein d’un collectif, comme pierre angulaire de la sécurité et de la prise en charge du détenu ;
– une relation entre le surveillant et le détenu fondée sur l’autorité, l’écoute, l’observation et la responsabilité, permettant une réduction des violences ;
– vers une plus grande responsabilisation du surveillant dans ses missions régaliennes portées par un socle commun de formation ambitieux.
Cette démarche de reconnaissance du rôle central et pluriel des surveillants pénitentiaires est pertinente et correspond à la fois aux réalités du terrain et aux aspirations du personnel. Toutefois, comme le propose le directeur de l’ENAP, il serait peut-être utile « de la compléter par un travail de référencement, qui aboutirait à un véritable référentiel métier, adossé à un référentiel de compétences et qui porterait une vision assise sur la formation plus que sur les ressources humaines ». Le chef de l’IGJ souligne quant à lui la nécessité d’accroître les perspectives de carrière des surveillants : « Il s’agit également de favoriser les mobilités au sein du ministère de la justice. À titre d’exemple, des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse doivent pouvoir, s’ils le souhaitent, prendre des emplois de premier surveillant ou d’officier en détention, et inversement. En effet, tous ces individus exercent des mandats de justice ».
Sensible à la nécessité de rendre plus visible et plus attractif le métier de surveillant pénitentiaire, votre Rapporteure est convaincue qu’il faut à la fois agir sur la forme, en communiquant davantage sur les opportunités qu’offre d’ores et déjà ce métier, et, sur le fond, en accentuant les possibilités de mobilités.
Pour accroître l’attractivité de la profession de surveillant pénitentiaire, votre Rapporteure considère qu’il faut sortir de l’image obsolète d’un métier de « porte-clefs » et repenser dans leur globalité les carrières pénitentiaires. Nous devons mieux reconnaître et faire connaître la diversité des missions qu’exercent aujourd’hui les surveillants pénitentiaires. L’administration pénitentiaire est l’une des rares administrations dans laquelle on peut commencer sa carrière au premier échelon et progresser jusqu’à être directeur d’établissement. Au-delà de l’ascension verticale, les perspectives transversales doivent être accrues en créant des passerelles au sein du ministère de la justice et, pourquoi pas, avec d’autres administrations. En plus de rendre de l’attractivité à la prison, cela diffuserait une meilleure connaissance de la détention dans d’autres services de l’État.
Proposition n° 4
Affirmer une véritable identité professionnelle du surveillant pénitentiaire en :
– créant un référentiel-métier permettant de clarifier la diversité des tâches qui lui sont aujourd’hui confiées ;
– mettant en valeur les possibilités de progression de carrière du premier au dernier échelon dans l’administration pénitentiaire ;
– élargissant ses opportunités de carrière via l’ouverture de passerelles vers les autres administrations, notamment au sein du ministère de la justice.
d. Le nécessaire renforcement des services d’insertion et de probation
i. Continuer de faire monter en puissance les personnels des SPIP
La réinsertion est, au même titre que la garde, une mission à part entière de l’administration pénitentiaire et de ses agents. Elle concerne également les surveillants pénitentiaires qui doivent avoir leur part dans ce processus, même si relève avant tout des personnes d’insertion et de probation.
Le directeur de l’administration pénitentiaire a mis en avant l’effort appuyé consenti pour recruter des personnels d’insertion et de probation : « Sous le quinquennat actuel, nous comptons 1 500 effectifs supplémentaires […]. Un conseiller d’insertion et de probation suit en moyenne 60 personnes, contre 100 à 130 personnes dans le passé ». Au 1er janvier 2021, on compte en tout 5 946 personnels dans les SPIP, dont 3 514 CPIP.
Pour appréhender l’activité des SPIP, il faut garder à l’esprit que, comme, l’a rappelé Mme Flore Dionisio, membre de la coordination nationale CGT insertion et probation, en sus des missions en milieu fermé, « deux tiers des condamnés sont suivis en milieu ouvert et les services pénitentiaires d’insertion et de probation sont les seuls à suivre les personnes du pré-sentenciel au post‑sentenciel ». Bien sûr, le suivi en milieu ouvert ne nécessite pas le même taux d’encadrement qu’en détention. Si toutefois l’on veut en finir avec le modèle de l’incarcération comme référence de la peine, nous devons sans aucun doute accroître le poids et les moyens des services d’insertion et de probation et reconnaître ces métiers à leur juste valeur. En effet, le développement des peines alternatives, qui sera abordé plus précisément dans la seconde partie du présent rapport, passe par un renforcement des effectifs des SPIP.
La question des ressources humaines ne concerne d’ailleurs pas que les CPIP. M. Alexandre Bouquet, secrétaire national du SNDP CFDT, rappelle : « Les assistantes sociales, [sont] présentes en nombre trop peu important, essentiellement en SPIP, où desquels l’accès au droit, la préparation à la sortie et la réinsertion peuvent être rendus très compliqués. La même question se pose pour les psychologues. Notre administration a pris du retard sur leur recrutement, peine à boucler leur statut, alors qu’il s’agit d’une profession très importante compte tenu des publics que nous accompagnons et des professionnels que nous encadrons, qui vivent souvent des situations difficiles, voire de crise. »
En sus de la question des effectifs, se pose celle des moyens matériels. Selon Mme Laura Soudre, secrétaire générale de l’Union nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (UNDPIP CFE-CGC) : « Si l’on souhaite développer les peines alternatives, il est indispensable de disposer de locaux adaptés à la prise en charge en milieu ouvert, pourtant bien souvent trop vétustes et trop petits, qui ne permettent ni la mise en œuvre d’actions collectives ni l’accueil de partenaires au plus près des besoins des personnes suivies ».
L’augmentation des moyens et des effectifs des SPIP a été réelle, comme le montrent les données chiffrées présentées ci-avant. Votre Rapporteure salue ces efforts et appelle à poursuivre sur cette voie.
ii. Améliorer le statut des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation
Se référant au rapport de 2006 de la Cour des comptes sur la gestion de la détention, Mme Laura Soudre en rappelle le constat : « La faible attractivité du statut des chefs de service d’insertion et de probation, au regard des responsabilités qui leur incombent, est à l’origine d’importantes difficultés de recrutement. […] Les difficultés perdurent à travers le problème de fidélisation au sein des postes. »
Les organisations syndicales partagent toutes ce constat d’une trop faible valorisation du statut des DPIP. Mme Flavie Rault, secrétaire générale du SNDP CFDT, souligne, elle aussi, que pour les directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation, « les statuts sont complètement en décalage avec ce que sont devenues les missions. Ce décalage très important porte sur les contraintes d’une part, et le statut et les avantages indemnitaires d’autre part ». Cette analyse est confirmée par M. François Jean, secrétaire général adjoint du SNEPAP FSU, selon lequel il est anormal que les DPIP ne disposent pas d’un statut en correspondance avec l’expertise acquise et le niveau de responsabilité exercé.
M. Sègla Blaise Gangbazo, président du SLJ CFTC, appelle à intégrer les DPIP en catégorie A+ afin de revaloriser leurs missions. Pour Mme Laura Soudre, cette possibilité est liée à celle des perspectives de carrières des DPIP, car « la question des passerelles entre en lien avec celle de la grille indiciaire et des possibilités qui lui sont alignées dans l’ensemble de la fonction publique. Il s’agit donc d’un cercle vicieux. Si un DPIP aspire à devenir DSP, il est contraint de repasser par une sélection et par une formation à l’ENAP. »
Proposition n° 5
Engager une réflexion sur la revalorisation du statut des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation et le développement de passerelles entre les postes de directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation et de directeurs des services pénitentiaires.
*
* *
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Il y a vingt ans, la précédente commission d’enquête de l’Assemblée nationale portant sur la thématique des prisons ([34]) mettait en avant certaines mutations de la population pénale et constatait que la prison devenait le réceptacle des crises de notre société. Qu’en est-il vingt ans plus tard ? Comment évolue la population carcérale ? Quelles en sont les caractéristiques ? Quels nouveaux défis s’imposent à l’administration pénitentiaire en fonction du profil des personnes détenues ?
A. L’Évolution de la population incarcÉrÉe depuis vingt ans
Comprendre les prisons aujourd’hui implique de cerner la population qui y est détenue : l’évolution des effectifs, sa répartition sur le territoire national, le profil des personnes concernées.
1. Une augmentation continue du nombre de personnes écrouées
a. Une augmentation absolue et relative
En vingt ans, le nombre de personnes écrouées détenues a augmenté de 31,5 %, passant de près de 48 000 au 1er janvier 2001 à près de 70 000 à la fin de l’année 2021.
Augmentation absolue du nombre de personnes détenues, cette hausse est également relative : en effet, le nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants est passé de 78,5 en 2001 à 103,6 à la fin de l’année 2021.
Exprimée en flux, elle se traduit par le passage d’environ 67 000 placements sous écrou en 2001, à près de 102 000 en 2019. Les chiffres sont donc clairs : la France incarcère davantage depuis vingt ans alors que l’on n’assiste pas à une telle hausse de la délinquance. L’OIP le démontre clairement : « Si le taux de détention est passé sur la période 1990-2020 de 78 détenus pour 100 000 habitants à 105,4 pour 100 000, les indicateurs de l’évolution de la délinquance et de la criminalité recensée – que ce soient les enquêtes de victimisation ou le recueil des crimes et délits constatés par les services de police – ne témoignent pas d’une évolution corollaire. Les analyses de l’Observatoire scientifique du crime et de la justice (OSCJ) tirées de données policières et sanitaires témoignent même d’une tendance à la baisse de divers types d’infractions, comme les vols de véhicules et les cambriolages qui diminuent depuis deux décennies ou encore les homicides qui se situent à un niveau très bas (0,013 décès pour 1 000 habitants). Les vols avec armes diminuent en outre sensiblement depuis dix ans (16 100 enregistrés en 2009, 7 600 en 2019). Quant aux agressions physiques non létales, elles sont restées globalement stables sur la période, avec néanmoins une augmentation récente. Même chose concernant les violences sexuelles. On note une hausse significative des dépôts de plainte que depuis fin 2016 (SSMSI) ». Elle conclue, citant l’ancien contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue : « Il faut se défaire résolument de l’idée commune selon laquelle les effectifs de personnes emprisonnées sont liés à l’état de délinquance du pays » ([35]).
Effectifs, capacité et densité carcérale des établissements pénitentiaires depuis 2001
Au 1er janvier |
Personnes écrouées non détenues |
Personnes écrouées détenues |
Ensemble |
Capacité opérationnelle pénitentiaire |
Taux de densité carcérale |
2001 |
- |
47 837 |
47 837 |
48 593 |
98,4 % |
2002 |
- |
48 594 |
48 594 |
48 021 |
101,2 % |
2003 |
- |
55 407 |
55 407 |
47 987 |
115,5 % |
2004 |
- |
59 246 |
59 246 |
48 605 |
121,9 % |
2005 |
966 |
58 231 |
59 197 |
50 094 |
116,2 % |
2006 |
1 178 |
58 344 |
59 522 |
51 252 |
113,8 % |
2007 |
2 001 |
58 402 |
60 403 |
50 588 |
115,4 % |
2008 |
2 927 |
61 076 |
64 003 |
50 693 |
120,5 % |
2009 |
3 926 |
62 252 |
66 178 |
51 997 |
119,7 % |
2010 |
5 111 |
60 978 |
66 089 |
54 988 |
110,9 % |
2011 |
6 431 |
60 544 |
66 975 |
56 358 |
107,4 % |
2012 |
8 993 |
64 787 |
73 780 |
57 236 |
113,2 % |
2013 |
10 226 |
66 572 |
76 798 |
56 992 |
116,8 % |
2014 |
10 808 |
67 075 |
77 883 |
57 516 |
116,6 % |
2015 |
11 021 |
66 270 |
77 291 |
57 841 |
114,6 % |
2016 |
9 923 |
66 678 |
76 601 |
58 561 |
113,9 % |
2017 |
10 364 |
68 432 |
78 796 |
58 681 |
116,6 % |
2018 |
10 811 |
68 974 |
79 785 |
59 765 |
115,4 % |
2019 |
11 191 |
70 059 |
81 250 |
60 151 |
116,5 % |
2020 |
12 209 |
70 651 |
82 860 |
61 080 |
115,7 % |
2021 |
12 348 |
62 673 |
75 021 |
61 037 |
103,4 % |
1er novembre 2021 |
13 746 |
69 812 |
83 558 |
60 494 |
115,4 % |
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
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L’inflexion de la population carcérale en raison de l’épidémie de covid-19
La crise sanitaire liée à l’épidémie de covid-19 a considérablement réduit la population carcérale. Au-delà du rythme habituel des flux sortants d’incarcération, plusieurs mesures ont contribué à cette évolution :
– le ralentissement de l’activité de jugement des tribunaux, qui a freiné les placements sous mandat de dépôt des personnes condamnées ;
– la facilitation des procédures permettant la libération anticipée des personnes condamnées ;
– la réduction supplémentaire de peine à titre exceptionnel.
Cette évolution a été particulièrement marquée sur le premier semestre 2020. Ainsi, le nombre de détenus a diminué de 11 956 personnes entre le 1er janvier et le 1er juillet 2020, faisant baisser le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires de près de 117 % à 97 %. Même si la seconde moitié de l’année a été marquée par une reprise des incarcérations et par une hausse de la population carcérale, l’amélioration de la situation pénitentiaire a toutefois été sensible.
En un an, entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 :
– le nombre de détenus est passé de 70 739 à 62 673 ;
– la part des prévenus parmi les détenus est passée de 25,9 % à 28,5 % ;
– le taux d’occupation global est passé de 117 % à 103 % ;
– en maison d’arrêt (hors places pour mineurs), ce taux est passé de 141 % à 119 % ;
– le nombre de personnes détenues dans un établissement suroccupé à plus de 120 % est passé de 42 853 à 21 664 ;
– le nombre de personnes détenues dans un établissement suroccupé à plus de 150 % est passé de 22 118 à 6 117 ;
– le nombre de détenus en surnombre par rapport aux places opérationnelles disponibles est passé de 14 905 à 9 650 ;
– le nombre de matelas au sol est passé de 1 614 à 688 ;
– le taux d’encellulement individuel est passé de 40,9 % à 48,6 %.
Source : Ministère de la justice (mesure de l’incarcération au 1er janvier 2021)
b. Une évolution comparable à celles des autres pays du Conseil de l’Europe
Comme l’a toutefois noté lors de son audition M. Marcelo Aebi, chef du projet SPACE (Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe), le taux d’incarcération français se situe en-deçà de la moyenne européenne.
Taux d’incarcération (nombre de personnes détenues pour 100 000 habitants
au 1er janvier 2001
Source : Conseil de l’Europe (statistiques pénales annuelles)
En effet, pour l’année 2020, le taux d’incarcération s’établit à 105,3 personnes détenues pour 100 000 habitants, la médiane des pays membres du Conseil de l’Europe étant de 103,2 et la moyenne de 124. En comparaison avec les pays voisins, la situation française n’a rien non plus d’exceptionnelle : si le taux allemand est effectivement bien plus faible, s’établissant à 76,2, le taux italien est de 101,2, le taux espagnol de 108,4, le taux anglais de 138.
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c. Une augmentation continue du nombre de places de prison
Parallèlement, le nombre de places opérationnelles dans les établissements pénitentiaires a augmenté de 19,7 %, passant de 48 593 au 1er janvier 2001 à 60 494 à la fin de l’année 2021 : le nombre de places a donc augmenté plus faiblement que le nombre de personnes détenues, engendrant ainsi une surpopulation carcérale chronique. Ce sujet sera plus précisément abordé dans le cadre de la seconde partie du présent rapport.
Des capacités pénitentiaires structurellement insuffisantes
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par la direction de l’administration pénitentiaire
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2. La répartition de la population carcérale sur le territoire national
Conséquence de la répartition des établissements pénitentiaires sur le territoire, mais également de la dynamique des bassins de délinquance, la population carcérale est plus importante dans certaines régions.
Évolution des effectifs des personnes détenues par direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP)
Au 1er janvier 2010 et au 1er janvier 2020
|
Effectifs des détenus en 2010 |
% par rapport à la totalité des détenus en 2010 |
Effectifs des détenus en 2020 |
% par rapport à la totalité des détenus en 2020 |
Évolution du % entre 2010 et 2020 |
DISP Bordeaux |
4 678 |
7,7 % |
5 383 |
7,6 % |
- 0,1 point |
DISP Dijon |
5 179 |
8,5 % |
4 794 |
6,8 % |
- 1,7 point |
DISP Lille |
9 261 |
15,2 % |
7 220 |
10,2 % |
- 5 points |
DISP Lyon |
4 968 |
8,1 % |
6 781 |
9,6 % |
+ 1,5 point |
DISP Marseille |
7 234 |
11,9 % |
7 985 |
11,3 % |
- 0,6 point |
DISP Outre-mer |
4 506 |
7,4 % |
5 023 |
7,1 % |
- 0,3 point |
DISP Paris |
11 058 |
18,1 % |
13 235 |
18,7 % |
+ 0,6 point |
DISP Rennes |
5 089 |
8,3 % |
8 467 |
12,0 % |
+ 3,7 points |
DISP Strasbourg |
4 912 |
8,1 % |
5 685 |
8,1 % |
/ |
DISP Toulouse |
4 093 |
6,7 % |
6 078 |
8,6 % |
+ 1,9 point |
Total |
60 978 |
100 % |
70 651 |
100 % |
0 |
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par la direction de l’administration pénitentiaire
Entre 2010 et 2020, la répartition des personnes détenues entre les différentes DISP reste donc globalement stable. Seules évolutions notables : la part des personnes détenues augmente dans les DISP de Rennes et de Toulouse, mais diminue dans celle de Lille.
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3. Le profil de la population carcérale
Depuis vingt ans, l’âge moyen des personnes écrouées, détenues ou non détenues, est demeuré extrêmement stable, oscillant entre 34,2 et 35 ans.
structure des effectifs des personnes écrouées (détenues et non détenues) par âge
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
S’agissant des personnes écrouées détenues, la répartition par tranche d’âge est elle-aussi relativement stable ces dernières années, avec une moyenne d’âge de 33,7 ans en 2010 et de 34,9 ans en 2020.
Répartition par tranche d’âge des personnes détenues
2010 2020
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par la direction de l’administration pénitentiaire
b. Une population peu diplômée
En 2001, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale notait que 56 % des personnes détenues étaient sans diplômes et 81 % ne dépassaient pas le niveau du CAP ([36]). Qu’en est-il vingt ans après ?
Évolution du niveau d’Études À l’entrÉe en dÉtention
|
Niveau 1-2 (sans diplôme, DILF-DELF, CFG, titre professionnel) |
Niveau 3 DNB, CAP-BEP |
Niveau 4 DAEU, Bac |
Niveaux 5 à 8 Études supérieures |
2000 |
77 % |
17 % |
4 % |
2 % |
2004 |
68,4 % |
25,4 % |
2,8 % |
2,3 % |
2008 |
61,1 % |
31,1 % |
4,7 % |
3,1 % |
2009 |
62,2 % |
31,1 % |
4,7 % |
3,0 % |
2010 |
61,6 % |
30,8 % |
4,8 % |
2,8 % |
2011 |
59,9 % |
32,1 % |
5,2 % |
2,8 % |
2012 |
60 % |
31,6 % |
5,3 % |
3,1 % |
2016 |
59,5 % |
31,6 % |
5,5 % |
3 % |
2019 |
67,0 % |
23,7 % |
6,6 % |
2,7 % |
2020 |
65,9 % |
24,1 % |
6,9 % |
3,1 % |
DILF : diplôme initial de langue française / DELF : diplôme d’études en langue française
CFG : certificat de formation générale
DNB : diplôme national du brevet
CAP : certificat d’aptitude professionnelle / BEP : brevet d’études professionnelles
DAEU : diplôme d’accès aux études supérieures
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par la direction de l’administration pénitentiaire
Plus précisément, pour la période récente, le niveau d’études à l’entrée en détention se répartit entre les personnes détenues comme suit.
Niveau scolaire déclaré à l’entrée en détention en 2019-2020
Niveau scolaire |
Niveaux 1 et 2 |
Niveau 3 |
Niveau 4 |
Niveaux |
||||
Sans diplôme |
DILF-DELF |
CFG |
Titre professionnel |
DNB |
CAP-BEP |
Bac-DAEU |
Supérieur |
|
En % de la population pénale |
52,1 % |
2,2 % |
10,4 % |
1,2 % |
8,6 % |
15,5 % |
6,9 % |
3,1 % |
65,9 % |
24,1 % |
6,9 % |
3,1 % |
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par la direction de l’administration pénitentiaire
Le niveau d’études des personnes détenues est donc demeuré sensiblement le même depuis vingt ans : en 2020, plus de la moitié des détenus n’ont aucun diplôme et 90 % ne dépassent pas le niveau du CAP. Au-delà du diplôme, M. Albin Heuman, directeur de l’ATIGIP, a indiqué que 27 % des détenus échouent au bilan de lecture, et l’Observatoire international des prisons (OIP) indique que 10 % sont en situation d’illettrisme.
Le directeur de l’administration pénitentiaire explique que le public carcéral est carencé dans de nombreux domaines : « carences éducatives, carences psychologiques et psychiatriques non traitées, carences professionnelles, etc. Dans la sphère privée, le parcours affectif et familial est souvent très cabossé ; peu de personnes incarcérées disposent d’une situation amoureuse et familiale stable ».
c. Une population cumulant problèmes sociaux et de santé
Selon M. Laurent Michel, administrateur de la Fédération addiction, lors de son audition devant la commission d’enquête, « les personnes qui arrivent en détention sont celles qui cumulent un certain nombre de handicaps, parmi lesquels la précarité sociale, des troubles psychiatriques ou des conduites addictives ».
i. Des difficultés socio-économiques
La population carcérale cumule souvent les difficultés sociales. En sus d’un niveau scolaire faible déjà évoqué, les personnes détenues sont souvent confrontées à des situations de précarité et à un éloignement des systèmes sociaux. Pour plus de la moitié d’entre elles, selon l’OIP, les personnes détenues sont sans emploi au moment de leur entrée en détention. Elles ont souvent aussi des parcours de vie plus heurtés.
Une enquête conduite par l’INSEE en 1999 comparant l’histoire des hommes incarcérés avec celle du reste de la population, montrait que les histoires familiales des détenus se caractérisent plus fréquemment par la précocité et l’instabilité des engagements familiaux ([37]). Si cette enquête est ancienne, les investigations de la commission d’enquête laissent à penser que cette fragilité socio-économique est toujours une réalité du profil des détenus aujourd’hui. Analyser plus régulièrement les données sociodémographiques des personnes placées sous main de justice permettrait sans doute d’affiner le suivi proposé par les services pénitentiaires.
ii. Des problèmes de santé mentale et physique
Au-delà des enjeux de précarité socio-économique, les personnes détenues présentent souvent un état de santé fragilisé avec une prévalence importante de troubles mentaux et de comportements à risque. Là encore, les données sont malheureusement insuffisantes, notamment à l’échelle nationale.
En 2018, dans la revue trimestrielle du Haut Conseil de la santé publique, Mme Christine Chan-Chee et Mme Charlotte Verdot, de l’agence Santé publique France, ont présenté un état de santé des personnes sous main de justice ([38]). Elles relevaient l’insuffisance des données en la matière et présentaient des données issues d’une étude de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) de 2003 ([39]) selon laquelle, à leur arrivée en détention, plus de la moitié des détenus avaient besoin de soins bucco-dentaires, 9 % signalaient avoir eu un suivi régulier ou une hospitalisation en psychiatrie et 6 % déclaraient avoir fait une tentative de suicide dans les douze mois précédant l’incarcération. Ils étaient par ailleurs 15 % à déclarer un traitement psychotrope en cours. Après la consultation médicale d’entrée en détention, 24 % des personnes détenues étaient orientées vers une consultation spécialisée, notamment en gynécologie et en psychiatrie.
En 2015, une observation de la santé des détenus entrant en détention dans l’ex-région Picardie dressait des constats du même ordre ([40]). L’article de Santé publique France rapporte que, selon cette étude, 61 % des personnes détenues avaient besoin de soins bucco-dentaires, plus d’un tiers déclaraient au moins une pathologie somatique chronique, 85 % déclaraient consommer au moins une substance de façon excessive – tabac, alcool ou drogue –, 25 % déclaraient avoir eu un suivi psychiatrique antérieur et 17 % un traitement psychiatrique en cours. Suite à la visite d’entrée, 49 % s’étaient vu prescrire au moins une consultation avec un spécialiste, dont 26 % en psychiatrie.
Selon le rapport du groupe de travail de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur ce sujet, en 2018, huit hommes sur dix et sept femmes sur dix en détention présentent au moins un trouble psychiatrique ([41]). Les détenus présentent un taux de prévalence fort pour les troubles psychotiques, les syndromes dépressifs et les troubles anxieux. Ainsi, 10 % des entrants nécessitaient une prise en charge psychiatrique. La Dr Marie Bur a constaté « depuis plusieurs années, […] une évolution des profils psychopathologiques des détenus, avec une représentation importante de la maladie mentale en tant que telle. Il s’agit de pathologies psychotiques de type schizophrénie, de la maladie bipolaire, de la polytoxicomanie, de l’enclavement dans la violence extrême chez ces sujets carencés sur tous les versants, entraînant un passage à l’acte destructeur dirigé tant contre autrui que contre soi. Ces personnes ont souvent connu un parcours développemental entravé par l’insécurité, l’absence ou la pauvreté majeure des repères socio-éducatifs familiaux ou sociétaux, l’instabilité de vie, et l’exclusion sous toutes ses formes ».
Certaines maladies sont plus présentes parmi la population détenue. Ainsi la prévalence du VIH est de 2 % en détention, contre 0,35 % dans la population générale. La séropositivité est découverte durant l’incarcération dans 25 % des cas ([42]). La proportion de détenus atteints de tuberculose est de 106,9 pour 100 000 personnes, contre 20,8 en population générale. Le même constat peut être fait pour les hépatites, notamment l’hépatite C.
Comme l’a rappelé l’Institut de veille sanitaire en 2015 ([43]) , l’état de santé dégradé à l’entrée en détention s’explique également par « un faible accès aux soins (problèmes de couverture sociale), d’un moindre recours aux soins (populations davantage "éloignées" du système de santé et n’exprimant pas forcément de demande de soins), d’une prévalence importante des comportements à risque en amont de l’incarcération (addictions, usage de drogues par voie intraveineuse, partenaires sexuels multiples, par exemple) et d’un état psychologique souvent fragilisé ».
Cependant, le manque de données épidémiologiques récentes, en raison de l’absence d’enquête de santé globale sur la population carcérale, ne permet pas de caractériser avec précision l’état de santé actuel des populations détenues. Ce manque est d’autant plus dommageable qu’il a des conséquences sur l’organisation des soins en détention. Votre Rapporteure recommande donc de diligenter une telle enquête et d’en publier les résultats dans les plus brefs délais.
Proposition n° 6
Diligenter une enquête épidémiologique sur l’état de santé des détenus en France afin d’adapter au mieux la prise en charge médicale au sein des établissements pénitentiaires.
iii. Une forte prévalence des addictions
Comme l’a indiqué Mme Aline Chassagne dans un ouvrage récent : « Les personnes entrant en détention présentent des caractéristiques sanitaires plus dégradées que la population générale à âge égal. De plus elles sont plus souvent polyconsommatrices de produits stupéfiants (tabac, alcool et drogue) et présentent une consommation plus importante d’antidépresseurs et de neuroleptiques […]. Leur fragilité à l’entrée en prison est accentuée pendant la période de privation de liberté par les facteurs pathogènes inhérents à la détention : manque d’activité, alimentation carencée, consommation excessive de tabac ou même de stupéfiants » ([44]).
Les détenus présentent de nombreuses addictions, en particulier en raison d’un fort tabagisme – pour 78 % d’entre eux – ainsi que d’une forte dépendance à l’alcool pour près 31 % des détenus. La population carcérale se caractérise aussi par une consommation de drogues. Ainsi, en 2003, 33 % des entrants déclaraient avoir eu une utilisation prolongée et régulière de drogues illicites au cours des douze derniers mois précédant l’incarcération, dont 30 % pour le cannabis.
d. Le poids stable des ressortissants étrangers parmi la population détenue
Depuis vingt ans, la population étrangère détenue est restée stable, représentant en moyenne 20 % de la population carcérale.
effectifs des personnes écrouées par nationalité
Au 1er janvier |
Personnes de nationalité française |
Personnes de nationalité étrangère |
Ensemble des personnes écrouées |
% de personnes de nationalité étrangères |
2001 |
37 603 |
10 234 |
47 837 |
21,4% |
2002 |
38 087 |
10 507 |
47 837 |
21,6% |
2003 |
43 489 |
11 918 |
55 407 |
21,5% |
2004 |
46 123 |
13 123 |
59 246 |
22,2% |
2005 |
46 455 |
12 742 |
59 197 |
21,5% |
2006 |
47 331 |
12 191 |
59 522 |
20,5% |
2007 |
49 498 |
11 905 |
60 403 |
19,7% |
2008 |
51 766 |
12 237 |
64 003 |
19,1% |
2009 |
54 146 |
12 032 |
66 178 |
18,2% |
2010 |
54 349 |
11 740 |
66 089 |
17,8% |
2011 |
55 023 |
11 943 |
66 966 |
17,8% |
2012 |
60 807 |
12 973 |
73 780 |
17,6% |
2013 |
62 977 |
13 821 |
76 798 |
18,0% |
2014 |
63 315 |
14 568 |
77 883 |
18,7% |
2015 |
62 601 |
14 690 |
77 291 |
19,0% |
2016 |
61 648 |
14 953 |
76 601 |
19,5% |
2017 |
62 779 |
16 017 |
78 796 |
20,3% |
2018 |
63 335 |
16 450 |
79 785 |
20,6% |
2019 |
64 033 |
17 217 |
81 250 |
21,2% |
2020 |
65 339 |
17 521 |
82 860 |
21,1% |
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
e. Des profils minoritaires en détention
i. Les femmes
Les femmes détenues représentent moins de 4 % de la population carcérale, proportion est stable depuis vingt ans.
Dans le respect strict de la non-mixité, les femmes sont incarcérées soit dans des établissements accueillant exclusivement des femmes, soit dans des établissements avec un quartier séparé dédié aux femmes. Dans ces derniers, la détention séparée peut poser des difficultés en termes d’accès aux activités et aux infrastructures, notamment sportives ou culturelles, de la prison. Une attention particulière doit être portée à ce point.
Effectifs et part des femmes dÉtenues dans la population carcÉrale
Au 1er janvier |
Hommes |
Femmes |
Ensemble des personnes détenues |
Pourcentage de femmes |
2005 |
56 026 |
2 166 |
58 192 |
3,7 % |
2006 |
56 168 |
2 130 |
58 298 |
3,7 % |
2007 |
56 194 |
2 152 |
58 346 |
3,7 % |
2008 |
58 830 |
2 246 |
61 076 |
3,7 % |
2009 |
60 159 |
2 093 |
62 252 |
3,4 % |
2010 |
58 935 |
2 043 |
60 978 |
3,4 % |
2011 |
58 600 |
1 944 |
60 544 |
3,2 % |
2012 |
62 587 |
2 200 |
64 787 |
3,4 % |
2013 |
64 357 |
2 215 |
66 572 |
3,3 % |
2014 |
64 914 |
2 161 |
67 075 |
3,2 % |
2015 |
64 197 |
2 073 |
66 270 |
3,1 % |
2016 |
64 531 |
2 147 |
66 678 |
3,2 % |
2017 |
66 167 |
2 265 |
68 432 |
3,3 % |
2018 |
66 581 |
2 393 |
68 974 |
3,5 % |
2019 |
67 525 |
2 534 |
70 959 |
3,6 % |
2020 |
68 119 |
2 532 |
70 651 |
3,6 % |
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
Selon l’avis du CGLPL sur la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté, il n’existe en France aucune donnée publique sur le nombre de personnes transgenres privées de liberté et les études sur les difficultés particulières auxquelles elles sont exposées sont embryonnaires ([45]).
La problématique de la prise en charge en détention des personnes transgenres a été identifiée par le législateur bien avant la présente commission d’enquête. Par exemple, à la suite de l’adoption d’un amendement de M. Raphaël Gérard, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a complété l’article 22 de la loi pénitentiaire de 2009 pour préciser que les restrictions imposées aux personnes détenues doivent également tenir compte de leur identité de genre – en plus de l’âge, l’état de santé, du handicap éventuel et de la personnalité ([46]).
À la demande de la Rapporteure, l’administration pénitentiaire a précisé prendre aujourd’hui en charge 17 personnes transgenres.
iii. Les personnes âgées de plus de 50 ans
Comme l’a expliqué Marcel Aebi, chef du projet SPACE (statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe), le taux de personnes âgées de plus de 50 ans s’établit à 12 %, ce qui est relativement faible comparé aux autres pays européens.
Pourcentage de détenus de plus de 50 ans
Au 31 janvier 2020
Source : Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe
Si ce taux demeure limité, il a considérablement augmenté ces dernières années, le nombre d’écroués de plus de 50 ans ayant été multiplié par 3,4 entre 1991 et 2013, contre 1,4 dans la population générale ([47]). Cette augmentation s’explique par l’effet conjugué du report des délais de prescription dans le cadre des infractions et crimes à caractère sexuel et de l’allongement des peines prononcées. Le vieillissement de la population implique d’adapter la prise en charge en détention. Quand elles sont très âgées, certaines personnes peuvent en effet avoir besoin de soins particuliers, que ce soit pour des maladies chroniques ou des problématiques liées à la dépendance.
B. Les mineurs placÉs en Établissement pÉnitentiaire : une rÉalité minoritaire mais un dÉfi particulier pour notre justice et nos prisons
Compte tenu de son champ d’investigation, déjà très large, la commission d’enquête a décidé, s’agissant de la jeunesse, de s’intéresser seulement aux établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs (EPM) et aux quartiers pour mineurs des établissements pénitentiaires (QPM), à l’exclusion des différentes catégories d’établissements relevant de la protection judiciaire de la jeunesse. Si, heureusement, les mineurs demeurent très minoritaires parmi les personnes détenues en établissement pénitentiaire, ils représentent un défi particulier pour notre justice et nos prisons. En effet, ils ne constituent pas une population comme les autres, et ne sont, du reste, considérés comme tels ni par les services judiciaires ni par l’administration pénitentiaire.
Les mineurs se voient appliquer une procédure pénale et des conditions d’incarcération spécifiques. En vertu des articles L. 11-2 et L. 11-3 du code de la justice pénale des mineurs, ceux-ci peuvent faire l’objet de mesures éducatives ou de peines fixées par ce même code, et les décisions prises à leur égard doivent tendre à leur relèvement éducatif et moral ainsi qu’à la prévention de la récidive et à la protection des victimes.
Relevant d’un droit pénal spécifique, récemment rénové dans le cadre du nouveau code de justice pénale des mineurs, entré en vigueur le 30 septembre 2021, les mineurs peuvent faire l’objet d’une incarcération. Celle-ci se déroule toutefois dans des établissements ou des quartiers dédiés et selon une gestion spécifique associant la protection judiciaire de la jeunesse.
1. Les détenus mineurs, une réalité carcérale minoritaire
Les mineurs peuvent faire l’objet de différents types de sanctions et mesures éducatives. Leur emprisonnement en milieu pénitentiaire demeure une exception, comme en témoigne ce tableau récapitulatif de l’activité des juges des enfants et des tribunaux pour enfants de 2020.
Activité des juges des enfants et des tribunaux pour enfants en 2020
Source : Ministère de la justice - chiffres clés de la justice 2021
a. Les mineurs : des incarcérations relativement rares, de courte durée et principalement sous le régime de la détention provisoire
Rarement incarcérés, les mineurs représentent donc une part très faible de la population carcérale : au 1er novembre 2021, on dénombre 726 mineurs détenus, soit 1 % de la population carcérale.
Ils sont détenus pour 34 % d’entre eux dans les six établissements pour mineurs déployés sur le territoire et pour 66 % dans des quartiers pour mineurs.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Entre 2004 et 2021, le nombre de détenus mineurs a varié entre 579 et 907. Le nombre de détenus mineurs a évolué de manière proportionnelle à l’évolution du nombre de détenus et la part de détenus mineurs parmi l’ensemble des détenus est ainsi restée très stable sur la période, oscillant entre 1,3 % et 1,1 %.
La durée moyenne de placement sous écrou des mineurs étant très courte – selon les chiffres fournis au 1er janvier 2021, les mineurs sont placés en détention pour une durée de trois mois et demi –, ils sont en réalité autour de 3 000 chaque année à être placés en détention.
placement et durée d’écrou des personnes mineures
|
Nombre de mineurs placés en détention |
Population moyenne annuelle de mineurs détenus |
Indicateur de durée moyenne de détention des mineurs (en mois) |
2000 |
3 757 |
599 |
1,9 |
2001 |
3 141 |
655 |
2,5 |
2002 |
4 074 |
817 |
2,4 |
2003 |
3 411 |
774 |
2,7 |
2004 |
3 218 |
681 |
2,4 |
2005 |
3 311 |
678 |
2,5 |
2006 |
3 350 |
731 |
2,6 |
2007 |
3 392 |
728 |
2,6 |
2008 |
3 229 |
704 |
2,6 |
2009 |
2 977 |
677 |
2,7 |
2010 |
2 985 |
682 |
2,7 |
2011 |
3 011 |
705 |
2,8 |
2012 |
3 053 |
723 |
2,8 |
2013 |
2 954 |
732 |
3,0 |
2014 |
2 901 |
719 |
3,0 |
2015 |
3 101 |
710 |
2,7 |
2016 |
3 281 |
752 |
2,8 |
2017 |
3 376 |
776 |
2,8 |
2018 |
3 289 |
783 |
2,9 |
2019 |
3 178 |
799 |
3,0 |
2020 |
2 759 |
808 |
3,5 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Il est souvent dit que l’on incarcère de plus en plus de mineurs : les chiffres montrent que cette réalité doit être nuancée.
nombre annuel d’incarcérations de personnes mineurEs
Source : Assemblée nationale, d’après des données transmises par l’administration pénitentiaire
Nombre moyen de personnes mineures détenues
moyenne du nombre mensuel de personnes détenues mineures
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par l’administration pénitentiaire
Si la population mineure détenue qui se retrouve simultanément en détention a bien tendance, en moyenne, à augmenter, on constate, sur le graphique présenté ci-dessus, que le nombre de mises en détention prononcées annuellement suit quant à lui une tendance plutôt décroissante. Cette inversion des courbes s’explique par l’augmentation de la durée moyenne de détention, passée d’environ deux mois au début des années 2000 à trois mois et demi en 2020 et 2021.
Un dernier point doit être souligné pour appréhender la réalité carcérale des mineurs : la majeure partie des mineurs placés en détention le sont au titre de la détention provisoire. Au 1er novembre 2021, sur 726 mineurs détenus, 521 le sont au titre de la détention provisoire, soit 71,8 %.
Poids de la détention provisoire dans l’incarcération des mineurs
au 1er janvier
|
Nombre de mineurs prévenus |
Nombre de mineurs condamnés |
Nombre total de mineurs détenus |
% de prévenus parmi le total des détenus |
2000 |
560 |
158 |
718 |
78 % |
2001 |
454 |
162 |
616 |
73,7 % |
2002 |
613 |
213 |
826 |
74,2 % |
2003 |
592 |
216 |
808 |
73,3 % |
2004 |
467 |
272 |
739 |
63,2 % |
2005 |
414 |
209 |
623 |
66,5 % |
2006 |
479 |
253 |
732 |
65,4 % |
2007 |
459 |
268 |
727 |
63,1 % |
2008 |
413 |
311 |
724 |
57 % |
2009 |
385 |
290 |
675 |
57 % |
2010 |
394 |
275 |
669 |
58,9 % |
2011 |
375 |
313 |
688 |
54,5 % |
2012 |
412 |
300 |
712 |
57,9 % |
2013 |
434 |
290 |
724 |
59,9 % |
2014 |
452 |
279 |
731 |
61,8 % |
2015 |
449 |
255 |
704 |
63,8 % |
2016 |
487 |
221 |
708 |
68,8 % |
2017 |
558 |
200 |
758 |
73,6 % |
2018 |
542 |
230 |
772 |
70,2 % |
2019 |
599 |
170 |
769 |
77,9 % |
2020 |
669 |
156 |
825 |
81,1 % |
2021 |
571 |
181 |
752 |
75,9 % |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
évolution du poids de la détention prOvisoire parmi les mineurs détenus
Source : Assemblée nationale, à partir de données transmises par l’administration pénitentiaire
Ces dernières années, plus de trois-quarts des mineurs détenus le sont au titre de la détention provisoire, alors que cette part se situe autour de 30 % pour les détenus majeurs. Votre Rapporteure considère qu’il s’agit là d’un motif de préoccupation.
Dans un rapport de 2018, le Sénat propose plusieurs explications à cette surreprésentation de la détention provisoire chez les mineurs détenus :
« Au cours de son audition, le directeur des affaires criminelles et des grâces a indiqué qu’il pourrait s’agir d’un effet indésirable de la réforme de la procédure de la présentation immédiate intervenue en 2011 : cette procédure a été rendue plus difficile à mettre en œuvre, car a été posée l’exigence supplémentaire d’avoir mené des investigations sur la personnalité du mineur au cours de l’année écoulée. Le moindre recours à la présentation immédiate a entraîné, mécaniquement, une utilisation plus fréquente des procédures classiques, plus longues à mettre en œuvre, qui sont susceptibles de donner lieu à un placement en détention provisoire.
« Il s’agit là d’un premier élément d’explication : il est vrai que le nombre de fois où la procédure de présentation immédiate a été appliquée a été presque divisé par cinq entre 2011 (1 546 procédures) et 2016 (328).
« Mais cette explication ne saurait être exclusive. La détention provisoire prend souvent la suite d’un placement sous contrôle judiciaire, décidé par le juge dans l’attente du jugement du mineur. Or on a observé une augmentation importante du nombre de mesures de placement sous contrôle judiciaire décidées par les juges des enfants : 4 277 mesures en 2007, 6 340 en 2012 et 7 439 en 2016, soit une progression de près de 74 % en dix ans.
« Dans le cadre du contrôle judiciaire, le juge impose au mineur des obligations, par exemple se soumettre à des mesures de protection, d’assistance, de surveillance et d’éducation confiées à la PJJ, suivre une formation ou une scolarité, ne pas paraître dans certains lieux ou rencontrer certaines personnes, ou encore intégrer un centre éducatif fermé. Le non-respect par le mineur des obligations qui lui incombent dans le cadre de son contrôle judiciaire peut conduire à son placement en détention provisoire. Or l’expérience montre que les mineurs placés sous contrôle judiciaire, qui sont par définition des jeunes en manque de repères, ont du mal à respecter leurs obligations.
« Un dernier élément d’explication réside dans l’incarcération d’un nombre croissant de mineurs non-accompagnés (MNA). » ([48])
b. Le profil des mineurs détenus :
Selon les données transmises par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, à l’automne 2021 :
– 95 % des mineurs incarcérés sont des garçons ;
– 90 % sont âgés de 16 à 17 ans ;
– 85 % sont incarcérés dans le cadre d’une procédure correctionnelle ;
– 40 % des mineurs sont incarcérés pour la seconde fois ;
– près de 10 % sont incarcérés pour la quatrième fois ou plus ;
– 20 % ont fait l’objet d’un placement judiciaire avant l’incarcération ;
– près de 40 % ont déjà été placés en CEF auparavant ;
– plus de 80 % sont suivis par un service éducatif au moment de leur incarcération ;
– les MNA représentent entre 10 et 20 % des mineurs incarcérés. « Ce nombre est plus élevé dans certaines villes où la problématique de délinquance des MNA est importante – comme Paris et Bordeaux, où la proportion dépasse les 30 % – mais il est plus faible ailleurs – comme à Dijon, où cette proportion est inférieure à 10 % » ([49]).
Les mineurs emprisonnés sont donc majoritairement des multi-réitérants ayant commis des délits. Seuls 20 % d’entre eux sont toutefois concernés par une procédure criminelle, le plus souvent en lien avec des agressions sexuelles. L’emprisonnement des mineurs a alors pour objectif de punir les auteurs de faits criminels graves ou, plus majoritairement, de mettre un coup d’arrêt à un parcours délinquant qui voit la répétition d’infractions et l’échec des autres mesures éducatives.
Dans certains établissements les MNA représentent une part importante des mineurs détenus. À l’EPM de Marseille par exemple, ils représentent 20 à 25 % des jeunes incarcérés. Il ressort d’ailleurs de plusieurs auditions, que l’administration pénitentiaire se heurte aux mêmes difficultés qu’à l’extérieur en ce qui concerne l’évaluation de l’âge de ces mineurs non accompagnés. Il arrive même qu’après une première incarcération en tant qu’adulte, des jeunes en effectuent une seconde en quartier mineur. Il convient, dans de tels cas, d’assurer une bonne coordination entre les différences services administratifs et judiciaires impliqués. Il apparaîtrait par exemple utile que l’administration pénitentiaire ait accès au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité (AEM) et que soient fluidifiés les éventuels échanges entre police, justice, conseils départementaux et administration pénitentiaire sur ce sujet.
Proposition n° 7
Fluidifier les éventuels échanges entre police, justice, conseils départementaux et administration pénitentiaire sur les mineurs non accompagnés.
2. Les spécificités de l’incarcération des mineurs
a. Les lieux de détention des mineurs
Les mineurs peuvent être incarcérés soit dans les établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs (EPM), soit dans des quartiers pour mineurs (QPM) situés dans des établissements pénitentiaires. En tout, l’administration pénitentiaire disposait, au 1er novembre 2021, de 1 161 places opérationnelles destinées aux mineurs, réparties entre six EPM et quarante-six QPM.
i. Les EPM
Spécifiquement dédiés à cette population carcérale à part et conçus en ce sens, les établissements pénitentiaires pour mineurs sont relativement récents, puisque leur construction a été prévue par la loi d’orientation pour la justice de 2002 ([50]) réformant, entre autres, la justice des mineurs et les dispositifs de placement des mineurs délinquants ([51]).
Caractéristiques des établissements pénitentiaires pour mineurs
Au 1er novembre 2021
Nom de l’EPM |
DISP |
Capacité opérationnelle |
Personnes mineures détenues |
Densité carcérale |
Quiévrechain |
Lille |
59 |
38 |
64,6 % |
Rhône |
Lyon |
60 |
49 |
81,7 % |
Marseille |
Marseille |
59 |
38 |
64,4 % |
Porcheville |
Paris |
54 |
48 |
88,9 % |
Orvault |
Rennes |
55 |
52 |
94,5 % |
Lavaur |
Toulouse |
58 |
41 |
70,7 % |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Ils sont au nombre de six depuis 2007 : Marseille, Porcheville, Orvault, Meyzieu (dit « Rhône »), Lavaur et Quiévrechain. Les DISP de Bordeaux, de Dijon, de Strasbourg et d’outre-mer ne comptent donc pas d’EPM.
D’une capacité opérationnelle d’une soixantaine de places chacun, ces établissements pénitentiaires spécialement conçus pour accueillir des mineurs respectent l’encellulement individuel et permettent une prise en charge pluridisciplinaire au quotidien : administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale, santé. Ils sont en outre mixtes, exception notable dans le monde pénitentiaire.
ii. Les QPM
Les quartiers pénitentiaires pour mineurs ont été officiellement créés par la loi du 3 août 1850 sur l’éducation et le patronage des jeunes détenus. L’article 2 de cette loi dispose : « Dans les maisons d’arrêt et de justice, un quartier distinct est affecté aux jeunes détenus de toute catégorie ». En 1819, l’article 6 de l’arrêté du 25 décembre sur la police des prisons départementales précise que les mineurs de moins de 16 ans doivent être séparés des autres condamnés. C’est à la suite à cet arrêté que le premier quartier pour mineurs ouvre officiellement ses portes à la maison d’arrêt de Strasbourg en 1824. D’autres ouvrent par la suite aux maisons d’arrêt de Rouen (1826), Paris les Madelonnettes (1831), Lyon (1833), Toulouse (1835) et Carcassonne (1836) ([52]).
Aujourd’hui les QPM sont au nombre de quarante-six et offrent une capacité opérationnelle allant jusqu’à 132 places (QPM de Fleury-Mérogis).
Caractéristiques des QUArtiers pénitentiaires pour mineurs
Au 1er novembre 2021
Établissement du QPM |
DISP |
Capacité opérationnelle |
Personnes mineures détenues |
Densité carcérale |
CP BORDEAUX GRADIGNAN |
Bordeaux |
23 |
16 |
69,6 % |
MA ANGOULÊME |
Bordeaux |
9 |
4 |
44,4 % |
MA LIMOGES |
Bordeaux |
10 |
1 |
10,0 % |
MA PAU |
Bordeaux |
5 |
3 |
60,0 % |
CP VARENNES LE GRAND |
Dijon |
16 |
4 |
25,0 % |
MA BESANÇON |
Dijon |
20 |
12 |
60,0 % |
MA BOURGES |
Dijon |
4 |
1 |
25,0 % |
MA DIJON |
Dijon |
11 |
3 |
27,3 % |
MA TOURS |
Dijon |
10 |
3 |
30,0 % |
CP LAON |
Lille |
14 |
4 |
28,6 % |
CP LIANCOURT |
Lille |
20 |
6 |
30,0 % |
CP LILLE LOOS SEQUEDIN |
Lille |
0 |
1 |
- |
CP LONGUENESSE |
Lille |
20 |
8 |
40,0 % |
CP GRENOBLE VARCES |
Lyon |
20 |
10 |
50,0 % |
CP MOULINS YZEURE |
Lyon |
11 |
11 |
100,0 % |
CP ST ETIENNE LA TALAUDIERE |
Lyon |
0 |
1 |
- |
MA BONNEVILLE |
Lyon |
18 |
3 |
16,7 % |
MA LYON CORBAS |
Lyon |
0 |
5 |
- |
CP AIX LUYNES |
Marseille |
26 |
24 |
92,3 % |
CP AVIGNON LE PONTET |
Marseille |
20 |
12 |
60,0 % |
CP MARSEILLE |
Marseille |
9 |
3 |
33,3 % |
MA GRASSE |
Marseille |
31 |
22 |
71,0 % |
CP FRESNES |
Paris |
0 |
0 |
- |
CP NANTERRE |
Paris |
18 |
18 |
100,0 % |
MA FLEURY MEROGIS |
Paris |
132 |
85 |
64,4 % |
MA VILLEPINTE |
Paris |
43 |
27 |
62,8 % |
CP LE HAVRE |
Rennes |
15 |
6 |
40,0 % |
CP RENNES VEZIN |
Rennes |
0 |
2 |
- |
MA BREST |
Rennes |
10 |
10 |
100,0 % |
MA CAEN |
Rennes |
10 |
8 |
80,0 % |
MA ROUEN |
Rennes |
27 |
14 |
51,9 % |
CP METZ |
Strasbourg |
14 |
7 |
50,0 % |
MA EPINAL |
Strasbourg |
14 |
7 |
50,0 % |
MA MULHOUSE |
Strasbourg |
19 |
10 |
52,6 % |
MA REIMS |
Strasbourg |
10 |
4 |
40,0 % |
MA STRASBOURG |
Strasbourg |
19 |
7 |
36,8 % |
CP PERPIGNAN |
Toulouse |
12 |
7 |
58,3 % |
CP VILLENEUVE LES MAGUELONE |
Toulouse |
20 |
12 |
60,0 % |
MA NIMES |
Toulouse |
0 |
1 |
- |
CP BAIE MAHAULT |
MOM |
15 |
6 |
40,0 % |
CP DUCOS |
MOM |
17 |
4 |
23,5 % |
CP FAAA NUUTANIA |
MOM |
4 |
2 |
50,0 % |
CP MAJICAVO |
MOM |
30 |
20 |
66,7 % |
CP NOUMEA |
MOM |
18 |
10 |
55,6 % |
CP REMIRE MONTJOLY |
MOM |
11 |
5 |
45,5 % |
CP ST DENIS |
MOM |
40 |
13 |
32,5 % |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
b. L’organisation de la détention des mineurs
i. La séparation des mineurs et des majeurs
Le principe de séparation entre mineurs et majeurs incarcérés est affirmé pour la première fois en 1831 : « Tout enfant âgé de moins de seize ans, arrêté et incarcéré, doit être entièrement séparé, de jour comme de nuit, de tous les autres détenus adultes » ([53]). Auparavant, l’incarcération des détenus âgés de moins de 21 ans, par voie de correction paternelle ou par condamnation pénale, était prévue dans des maisons de correction ([54]) – distinctes des maisons d’arrêt et de justice et des maisons centrales – mais ils y étaient mélangés avec des condamnés par voie de police correctionnelle, c’est-à-dire des majeurs.
Ce principe de séparation entre mineurs et majeurs incarcérés est à nouveau réaffirmé par l’instruction sur l’administration des maisons d’éducation correctionnelle affectées aux jeunes détenus du 7 décembre 1840, dans laquelle le ministre de l’intérieur dispose : « Il faut d’abord entièrement séparer ces enfants des prisonniers adultes, sous peine de les voir exposés aux séductions les plus perverses, sous peine de voir leur avenir entièrement compromis. »
Les articles L. 124-1 et L. 124-2 du code de la justice pénale des mineurs posent le principe d’une stricte séparation des détenus mineurs et majeurs. À titre exceptionnel, un mineur détenu qui atteint la majorité en détention peut être maintenu dans ces établissements jusqu’à ses 18 ans et demi. Il ne doit avoir aucun contact avec les détenus âgés de moins de 16 ans.
La loi pénitentiaire de 2009 prévoit certaines règles spécifiques aux mineurs détenus : d’une part, l’administration pénitentiaire doit garantir le respect des droits fondamentaux reconnus à l’enfant ; d’autre part, les mineurs détenus, lorsqu’ils ne sont pas soumis à l’obligation scolaire, sont tenus de suivre une activité à caractère éducatif ([55]).
ii. La non séparation des prévenus et des condamnés
Une autre spécificité du système d’incarcération des mineurs réside dans la non séparation des prévenus et des condamnés. Comme l’a expliqué M. Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d’arrêt de Villepinte, les mineurs « condamnés présentent souvent le même profil que les [mineurs] prévenus » et « la séparation entre les prévenus et les condamnés strictement respectée chez les majeurs est envisagée différemment chez les mineurs, en raison des effectifs ». En effet, afin d’organiser la vie en détention et les activités, il ne semblerait ni possible ni souhaitable de séparer strictement prévenus et condamnés. En outre, « le besoin éducatif, social et médical du jeune importe plus que son statut de condamné ou de prévenu » et il s’agit sans conteste de la priorité dans le cadre de l’incarcération des mineurs.
iii. Le strict respect de l’encellulement individuel
« L’encellulement individuel offre au jeune la possibilité de se poser, souvent pour la première fois. Ils ne parlent d’ailleurs parfois plus de cellule, mais de chambre. Ils n’ont plus à faire le guet dans des points de deal, la détention représente ainsi un moment d’apaisement dans leur parcours de vie. » C’est ainsi que Mme Fanny Bouchard, directrice de l’établissement pour mineurs de Marseille justifie son attachement à l’encellulement individuel pour les mineurs.
Comme votre Rapporteure a pu le constater au cours des déplacements et des auditions conduites par la commission d’enquête, l’encellulement individuel des mineurs détenus est respecté au sein des QPM et EPM.
La circulaire de 2013, qui rappelle le principe de l’encellulement individuel de nuit des mineurs, en organisant le strict respect : « La capacité d’hébergement de la structure d’accueil doit être vérifiée avant toute décision d’affectation d’un mineur. Cela nécessite une véritable politique de gestion des flux dans l’établissement et un travail d’information préalable des magistrats. Ainsi les chefs d’établissement informent au moins une fois par semaine les magistrats du ressort de la cour d’appel (procureurs de la République, juges des enfants, juges d’instruction, juges des libertés et de la détention) du nombre de places disponibles pour accueillir de nouvelles personnes détenues. »
Dans certaines DISP, les échanges entre magistrats et EPM ont été approfondis et ont permis de développer un mécanisme informel de « stop‑écrou ». C’est par exemple le cas pour l’Île-de-France, ainsi que l’a précisé Mme Nathalie Jaffré, directrice de l’EPM de Porcheville : les magistrats sont informés par les établissements de la situation des effectifs et des places disponibles. « L’idée [est] de prévenir les juridictions que nos établissements avaient atteint un certain seuil : cinquante-cinq détenus pour l’EPM de Porcheville, trente-cinq pour Villepinte et quinze pour Nanterre. Nous les informions qu’en incarcérant davantage de mineurs dans nos établissements, nous risquions de rencontrer des difficultés de gestion, voire de nous retrouver en situation de surencombrement ». Pour elle comme pour M. Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d’arrêt de Villepinte, le bilan est plutôt positif et la régulation des effectifs s’est améliorée. Ce dispositif est ainsi le fruit d’une collaboration active entre l’administration pénitentiaire et l’autorité judiciaire. Rappelant que celle-ci est partie prenante sur ce dispositif, M. Michaël Gilmant Merci souligne que « c’est grâce à elle que nous régulons nos effectifs ».
Certaines exceptions existent toutefois à ce respect de l’encellulement individuel pour les mineurs détenus. L’article R. 124-2 du code de la justice pénale des mineurs précise que lorsqu’un mineur détenu ne peut bénéficier d’un encellulement individuel pour l’un des motifs prévus aux articles 716 et 717-2 du code de procédure pénale ([56]), apprécié le cas échéant au regard de son état de santé, il ne peut être placé en cellule qu’avec un autre mineur de son âge. En outre, la circulaire précise que deux exceptions à l’encellulement individuel peuvent exister : pour motif médical ou en raison de la personnalité du jeune. Dans les deux cas, l’accord du mineur doit être préalablement recueilli par écrit. Elle précise en outre que les mineurs ne peuvent en aucun cas être plus de deux et qu’il n’est pas possible qu’une personne devenue majeure et encore incarcérée en QPM ou EPM soit hébergée dans la même cellule qu’un mineur.
c. Le fonctionnement de la détention des mineurs
La décision de placement en détention d’un mineur relève du juge des enfants et du juge des libertés et de la détention. Les critères d’orientation en EPM ou en QPM sont fixés par la circulaire du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs.
Pour les mineurs prévenus, l’affectation se fait selon certains critères, notamment les besoins du mineur en matière de prise en charge éducative et de formation, son lieu de vie habituel et la proximité de la juridiction chargée du dossier.
Pour les mineurs condamnés, une procédure d’orientation est obligatoirement mise en œuvre si le temps d’incarcération restant à subir est supérieur à trois mois ([57]). La décision d’affectation prend un compte tous les éléments relatifs à sa situation : sexe, âge, catégorie pénale, antécédents, état de santé, personnalité, aptitudes, possibilité de réinsertion, liens familiaux. Elle doit permettre une « gestion dynamique du temps de détention et la préparation de la réinsertion ».
Selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, il a été demandé aux directions interrégionales et à celles de l’administration pénitentiaires d’élaborer des schémas des lieux de détention pour les mineurs sur leurs territoires et de les porter à la connaissance des juridictions. Ce pilotage doit permettre de répondre aux enjeux des différents territoires.
L’affectation des mineurs détenus
L’article R. 57-9-10 du code de procédure pénale pose le principe de l’accueil des mineures au sein d’unités prévues à cet effet sous la surveillance de personnels de leur sexe.
Afin d’éviter l’isolement d’une mineure détenue, il convient de veiller de manière rigoureuse à ce qu’elle ne soit jamais incarcérée seule dans un établissement. La détermination, sur l’ensemble du territoire national, d’un nombre restreint d’établissements susceptibles d’accueillir des mineures détenues doit permettre d’éviter cet isolement.
Les mineures condamnées seront, autant que faire se peut, regroupées dans un même établissement. S’agissant des mineures prévenues, il convient de sensibiliser l’autorité judiciaire notamment en lui indiquant les établissements qui accueillent déjà des mineures.
En tout état de cause et quelle que soit l’affectation décidée, la mineure doit pouvoir bénéficier d’un suivi éducatif continu par les services de la protection judiciaire de la jeunesse, qui peut se faire dans un contexte de mixité.
L’encadrement peut comporter des personnels masculins conformément à l’article 1er du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires annexé à l’article R. 57‑6‑18 du code de procédure pénale.
L’hébergement de nuit des filles doit être effectué dans des unités de vie distinctes de celles des garçons et sous la surveillance des personnels de leur sexe (article R. 57‑9‑10 du code de procédure pénale). Cela n’exclut pas, qu’en cas de nécessité et sur autorisation du chef d’établissement, le personnel gradé masculin puisse intervenir dans l’unité de vie filles (article D. 222 du code de procédure pénale).
Source : Circulaire du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs
ii. Les différentes modalités de prise en charge
Comme dans les établissements pour majeurs, les EPM et QPM proposent plusieurs modalités de prise en charge applicables aux mineurs détenus : prise en charge générale, prise en charge de responsabilité et prise en charge renforcée. Elles sont déconnectées de la procédure disciplinaire et visent à adapter le régime de détention au profil du mineur et à sa capacité de s’intégrer dans le collectif. Le passage entre ces modalités de prise en charge n’a donc aucune incidence pour les mineurs sur l’exercice de leurs droits ni sur leur participation aux activités dirigées. Seules les modalités et l’organisation de ces activités peuvent être adaptées : horaires, taille du groupe, etc.
Les trois modalités de prise en charge applicables aux mineurs
– Modalité de prise en charge dite « générale »
Cette modalité de prise en charge s’adresse à la majorité des mineurs détenus. Son objectif est de mener un travail de réflexion sur l’acte, les règles de vie en collectivité, le projet d’insertion et d’autonomisation. Les éducateurs de la PJJ et les surveillants favorisent l’organisation de temps collectifs par les mineurs afin qu’ils bénéficient d’activités de socialisation non dirigées.
– Modalité de prise en charge dite « de responsabilité »
Les objectifs de cette modalité de prise en charge sont d’accroître l’autonomie du mineur et de consolider son projet de sortie visant à l’insertion sociale et professionnelle. Les professionnels sollicitent davantage les mineurs pour des temps collectifs et les encouragent à échanger sur la vie quotidienne en détention, notamment dans ses aspects matériels. Il s’agit de la modalité de prise en charge au sein de laquelle peuvent être affectés des mineurs détenus qui ont engagé une réflexion sur l’infraction, la ou les victime(s) et leur situation pénale. Ces mineurs doivent être acteurs de leur projet de sortie et leur comportement doit permettre de constater qu’ils sont capables d’une certaine autonomie tant dans la prise en charge individuelle que dans ses aspects collectifs.
– Modalité de prise en charge dite « renforcée »
Cette modalité de prise en charge poursuit un double objectif :
– d’une part, proposer un accompagnement individualisé, renforcé et sécurisant pour les mineurs en situation de grande fragilité, voire en situation de soumission au sein du groupe (exemples : mineur présentant un risque suicidaire, mineur incarcéré pour des faits d’infraction à caractère sexuel) ;
– d’autre part, répondre aux besoins des mineurs qui posent des difficultés dans le respect de l’autorité ou dans le cadre de la vie en détention, indépendamment de la commission de fautes disciplinaires.
Le renforcement se traduit notamment par une présence accrue du service de la PJJ auprès des mineurs concernés en termes, notamment, d’entretiens individuels et d’activités socio-éducatives. Il doit permettre d’évaluer la capacité du mineur à vivre au sein de la collectivité des mineurs détenus afin d’envisager leur éventuelle réaffectation.
La modalité de « prise en charge renforcée » permet d’adapter, lorsque cela s’avère nécessaire, les conditions dans lesquelles les activités d’enseignement, socio-éducatives, sportives et les entretiens avec le service éducatif ou avec les psychologues sont dispensés au mineur. Il s’agit notamment de réduire la proportion de temps collectifs au bénéfice d’une intervention particulièrement individualisée.
Source : Circulaire du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs
Par exemple, dans l’EPM de Porcheville, comme l’a expliqué sa directrice, Mme Nathalie Jaffré, lors de son audition, la détention est organisée en sept unités de vie, fonctionnant sous la forme de régimes différenciés : « L’unité de vie du quartier arrivant est composée de six places. Nous disposons également de quatre unités de vie de dix places en régime de détention classique, d’une unité de dix places en régime de responsabilité et d’une unité de vie de trois places en régime à prise en charge renforcée. Enfin, l’établissement possède également un quartier disciplinaire de quatre places. Chaque unité de vie dispose d’entre trois et dix cellules, toutes équipées d’une douche, de sanitaires et d’un téléphone. Les unités de vie possèdent également une salle de détente, une cuisine ainsi qu’une cour de promenade centrale constituée d’un petit patio. »
Le régime disciplinaire est spécifique aux mineurs détenus et précisé par les articles R. 124-16 à R. 124-26 du code de la justice pénale des mineurs, ainsi que par la circulaire de 2013 précitée. Les sanctions disciplinaires sont prononcées en considération de l’âge, de la personnalité et du degré de discernement du mineur concerné. Les sanctions visent à limiter le recours au quartier disciplinaire en offrant des alternatives. Ces sanctions se doublent d’un caractère éducatif en ce qu’elles visent en premier lieu à faire prendre conscience au mineur du préjudice causé par son acte.
Les sanctions disciplinaires pour les mineurs détenus
Les sanctions applicables, autres que le quartier disciplinaire, sont :
1° l’avertissement ;
2° la privation pendant une période maximale de 15 jours de la faculté d’effectuer en cantine tout achat autre que celui de produits d’hygiène et du nécessaire de correspondance ;
3° la privation pour une durée maximale de 15 jours de tout appareil audiovisuel dont le mineur a l’usage personnel (même si la faute commise est sans lien avec l’utilisation de l’un de ces appareils) ;
4° une activité de réparation ;
5° la privation ou restriction d’activités culturelles, sportives et de loisirs pour une période maximale de huit jours (même si la faute a été commise en dehors de ces activités) ;
6° le confinement en cellule individuelle ordinaire sans incidence sur les activités d’enseignement et de formation.
Par ailleurs, il existe une sanction spécifique de mise à pied d’une formation ou d’un emploi d’une durée maximale de trois jours et uniquement applicable aux mineurs de plus de 16 ans. Elle ne peut être prononcée :
– que lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours ou à l’occasion du travail ou d’une activité de formation ;
– qu’en cas de faute grave au cours ou à l’occasion de ces activités, l’exclusion des dispositifs d’insertion devant demeurer exceptionnelle.
Le déclassement définitif d’un emploi ou d’une formation ne peut être prononcé en commission de discipline.
Une sanction de quartier disciplinaire ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’un mineur âgé de plus de 16 ans et à titre exceptionnel. Pour les mineurs détenus, la sanction de cellule disciplinaire n’emporte aucune restriction à leur faculté de recevoir les visites de leur famille ou de toute autre personne participant à leur éducation et à leur insertion sociale. Ils rencontrent les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse et ont accès à l’enseignement ou à la formation.
Les fautes susceptibles d’être sanctionnées par un placement en cellule disciplinaire sont circonscrites aux fautes les plus graves de chacune des deux premières catégories prévues aux articles R. 57-7-1 et R. 57-7-2 du code de procédure pénale (violences physiques, introductions d’objets illicites, vol, etc…).
Le quantum de la sanction de placement en cellule disciplinaire est de 7 jours maximum pour les fautes du premier degré et de 5 jours pour les fautes du 2e degré.
Source : Ministère de la justice
d. La prise en charge des mineurs détenus
Les articles L. 124-1 et L. 124-2 du code de la justice pénale des mineurs disposent que ceux-ci sont détenus dans des quartiers ou établissements spécifiques garantissant l’intervention continue d’un service de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Les mineurs détenus sont pris en charge conjointement par la PJJ et l’administration pénitentiaire. S’inscrivant dans une logique de prise en charge pluridisciplinaire, ce travail en binôme est salué par tous et permet en premier lieu de contenir plus facilement la violence.
i. Le rôle de la protection judiciaire de la jeunesse en milieu pénitentiaire
La direction de l’éducation surveillée apparaît en 1945, pour devenir la direction de la PJJ le 21 février 1990. D’abord intégrée à l’administration pénitentiaire, la protection judiciaire de la jeunesse s’en est progressivement détachée pour adopter une approche distincte et spécifique de la prise en charge des mineurs délinquants. Son rôle dans les prisons n’a donc pas toujours été le même. Selon Mme Anne Coquet, sous-directrice des missions de protection judiciaire et d’éducation : « La protection judiciaire de la jeunesse n’est plus intervenue en détention à la suite d’une décision politique prise en 1978 et mise en œuvre en 1979. » C’est à partir des années 2000 que cette administration retrouve sa place dans les espaces carcéraux.
Tout d’abord, la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 précitée a prévu que les éducateurs de la PJJ prendraient en charge le suivi des mineurs en détention, qui relevait à l’époque des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Par la suite, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance ([58]) a contribué à recentrer les missions de la protection judiciaire de la jeunesse sur les actions pénales et la prise en charge des mineurs délinquants ; ses missions ont été précisées clairement par un décret du 9 juillet 2008 ([59]), puis, un décret du 2 mars 2010 ([60]) a finalisé cette réforme, notamment l’organisation décentralisée de cette direction.
Les missions de la protection judiciaire de la jeunesse
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) est la direction de la justice des mineurs. Elle est chargée, dans le cadre de la compétence du ministère de la justice, de l’ensemble des questions intéressant la justice des mineurs et de la concertation entre les institutions intervenant à ce titre.
À ce titre, elle :
– contribue à l’élaboration et à l’application des textes concernant les mineurs délinquants et les mineurs en danger : projets de lois, décrets et textes d’organisation ;
– apporte aux magistrats une aide permanente à la décision, pour les mineurs délinquants comme pour les mineurs en danger, notamment par des mesures dites « d’investigation » permettant d’évaluer la personnalité et la situation des mineurs ;
– met en œuvre les décisions des tribunaux pour enfants dans les 1 500 structures de placement et de milieu ouvert (217 structures d’État, 1 057 structures associatives habilitées et contrôlées) et assure le suivi éducatif des mineurs détenus ;
– contrôle et évalue l’ensemble des structures publiques et associatives accueillant des mineurs sous mandat judiciaire ;
– en liaison avec le secrétariat général, elle définit et conduit la politique des ressources humaines menée au profit des personnels des services déconcentrés et élabore les règles statutaires applicables aux corps propres à la protection judiciaire de la jeunesse. Elle développe les outils de gestion prévisionnelle et assure un suivi individualisé des carrières. Elle conduit la politique de formation mise en œuvre par l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) ;
– détermine les objectifs stratégiques et opérationnels, définit les besoins de fonctionnement et d’équipement, répartit les ressources et les moyens entre les différents responsables fonctionnels et territoriaux.
Au quotidien, les professionnels de la PJJ mènent, en équipe pluridisciplinaire (éducateurs, assistants sociaux, psychologues, professeurs techniques, infirmières) et en partenariat avec d’autres ministères (éducation nationale, santé, culture, sports…) des actions d’éducation, d’insertion sociale et professionnelle au bénéfice des jeunes sous protection judiciaire (au pénal ou au civil) et de leur famille.
Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
Le rôle de la PJJ dans les établissements et quartiers pénitentiaires pour mineurs ne constitue donc qu’une petite partie de ses missions ([61]). Ce rôle est réaffirmé et organisé par la circulaire du 24 mai 2013 relative au régime de détention des mineurs. Selon Mme Anne Coquet : « Cette [circulaire] consacre toutes les modalités d’intervention et de prise en charge des mineurs en détention, et réinstaure le partenariat de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) avec la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Elle définit notamment une intervention pluridisciplinaire impliquant quatre partenaires : la PJJ, la DAP, l’éducation nationale et la santé. Nous construisons depuis une culture commune. »
La détention à proprement parler demeure en effet de la compétence de l’administration pénitentiaire, mais il revient bien aux services de la protection judiciaire de la jeunesse de garantir l’évaluation et la prise en compte des besoins éducatifs de tous les mineurs détenus au titre d’une détention provisoire ou de l’exécution d’une peine. Chaque jeune emprisonné fait ainsi l’objet d’une prise en charge par un binôme associant systématique un personnel pénitentiaire de surveillance et un personnel de la protection judiciaire de la jeunesse.
ii. Un fonctionnement pluridisciplinaire principalement organisé autour des activités éducatives à destination des mineurs
L’article R. 124-4 du code de la justice pénale des mineurs, qui vient consacrer la primauté de l’éducatif déjà prévue par l’ordonnance de 1945, précise qu’« au sein de chaque établissement pénitentiaire recevant des mineurs, une équipe pluridisciplinaire réunit des représentants des différents services intervenant auprès des mineurs incarcérés. Elle est chargée d’assurer la collaboration de ces services et le suivi individuel de chaque mineur détenu ».
Très concrètement, les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse interviennent au quotidien auprès des mineurs détenus en partenariat avec les professionnels de l’administration pénitentiaire, de l’éducation nationale et de la santé. Soulignant ce partenariat, Mme Fanny Bouchard, directrice de l’EPM de Marseille, a expliqué qu’il était notamment organisé par certains documents, comme le guide méthodologique de 2019 sur la prise en charge sanitaire ainsi que la circulaire commune de la direction de l’administration pénitentiaire et de la direction générale de l’enseignement scolaire de 2020. Ces documents « réaffirment la prédominance et l’importance de l’éducation nationale dans le cadre de la prise en charge des mineurs en détention ».
Ce constat est entièrement partagé par Mme Anne Rouville-Drouche, directrice de la maison d’arrêt de Nanterre, qui confirme que « la scolarité est au cœur du projet de détention, les mineurs suivant douze heures de cours par semaine » et par M. Michaël Gilmant Merci, directeur de la maison d’arrêt de Villepinte, qui estime que « la primauté de l’éducatif est inscrite dans la prise en charge des mineurs ». Mme Nathalie Jaffré, directrice de l’EPM de Porcheville, explique, elle aussi, que la détention s’adapte « à l’emploi du temps établi par l’éducation nationale ».
Selon les témoignages de terrain des chefs d’établissement concernés, les matinées et le début d’après-midi sont prioritairement consacrés au temps scolaire : l’éducation nationale est ainsi au centre de la prise en charge du mineur et douze heures hebdomadaires sont dédiées à l’enseignement. À Porcheville par exemple, les classes scolaires sont composées de cinq mineurs maximum et l’équipe pédagogique est composée de dix enseignants et d’un proviseur. Les activités sportives, culturelles et d’insertion ne sont quant à elles proposées qu’à partir de seize heures.
L’éducation en détention
Après réalisation d’un bilan pédagogique personnalisé, l’équipe enseignante assure une diversité d’actions de formation allant de l’alphabétisation à la préparation des diplômes du second degré.
Ainsi la prise en charge scolaire des mineurs est diversifiée, adaptée aux parcours et aux besoins de chacun d’entre eux :
– 15,3 % des mineurs scolarisés suivent des cours de français langue étrangère ;
– 7,1 % des mineurs sont scolarisés dans le cadre de l’alphabétisation et de la lutte contre l’illettrisme ;
– 69,7 % des mineurs sont scolarisés dans le cadre d’enseignements de niveau 3 (soit 33,1 % de remise à niveau et préparation au CFG, 21,3 % de préparation CAP et BEP, et 15,3 % au niveau du diplôme national du brevet (DNB) ;
– 5,4 % des mineurs suivent des enseignements de niveau 4 (DAEU et baccalauréat) ;
– 3 % des mineurs sont engagés dans un parcours d’études supérieures.
Dans un objectif de raccrochage scolaire, de caractérisation et de valorisation des compétences pour favoriser la réinsertion, à chaque fois que la réussite est possible, les élèves sont présentés à des examens ou des certifications nationales. Lorsque cela n’est pas possible dans le temps imparti, les compétences acquises sont attestées par l’unité scolaire dans un document officiel remis au jeune et à sa famille.
Chiffres de réussite aux examens pour l’année 2020 :
– 118 mineurs ont obtenu un diplôme de l’éducation nationale avec un taux de réussite moyen de 52,2 % (taux de réussite selon les examens : 23,6 % au CFG ; 62,5 % au DNB ; 15,8 % au CAP/PEP ; 66,7 % au baccalauréat) ;
– 81 mineurs se sont présentés et 79 ont obtenu un diplôme attestant de compétences linguistiques (taux de réussite de 97,5 %) ;
– 567 mineurs ont obtenu des attestations de compétences (99,3 % de réussite).
Les examens sont organisés localement par les équipes enseignantes en lien avec les départements académiques et examens. Cela représente les mêmes difficultés (petits effectifs, plusieurs types de diplômes selon des modalités variées, disponibilités des jurys) que pour les détenus majeurs.
Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
Au-delà du temps scolaire, les agents pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse accueillent le mineur au moment de son incarcération, travaillent avec lui sur le sens de son incarcération, maintiennent le lien avec sa famille, mettent en place des activités socio-éducatives, culturelles et sportives. La protection judiciaire de la jeunesse peut également proposer, au regard de l’évolution du mineur détenu, des projets d’aménagement de peine adaptés à sa situation : libération conditionnelle, placement extérieur, semi-liberté, placement sous surveillance électronique, permission de sortir, etc. L’objectif est bien sûr de préparer les conditions de la réinsertion du jeune à sa sortie de détention.
Parmi les activités destinées à étayer le travail de socialisation, le sport tient une place conséquente, mais de nombreux autres supports sont proposés : théâtre, écriture, fresque, médiation animale, danse, atelier citoyenneté, etc. Des activités de sensibilisation ou de prévention sur le thème de la santé sont également souvent proposées.
3. La récente réforme de la justice pénale des mineurs : des avancées importantes et attendues
Depuis l’ordonnance de 1945 ([62]), la justice pénale des mineurs repose sur trois grands principes, qui ont été identifiés par le Conseil constitutionnel comme principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ([63]) et qui ont bien sûr été consacrés par la réforme récente.
Premièrement, la spécialisation des acteurs : les mineurs soupçonnés d’avoir commis un crime ou un délit ne relèvent pas des juridictions pénales de droit commun, mais des tribunaux pour enfants et des cours d’assises des mineurs ([64]).
Deuxièmement, la primauté de l’éducatif sur le répressif : la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral par des mesures adaptées à l’âge et à la responsabilité du jeune est l’une des principales caractéristiques de la justice pénale des mineurs. « La réponse pénale doit nécessairement comporter une dimension éducative qui peut se traduire de diverses manières : accompagnement par un éducateur, poursuite ou reprise d’une formation scolaire ou professionnelle, suivi médical ou psychologique, accompagnement de la famille, etc. » ([65]).
Troisièmement, l’atténuation de la responsabilité pénale : les mineurs ne peuvent être condamnés à des peines aussi lourdes que celles prévues pour les personnes majeures ([66]). Concernant les peines privatives de liberté, le tribunal pour enfants et la cour d’assises des mineurs ne peuvent prononcer une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue et, si la peine encourue est la réclusion criminelle ou la détention criminelle à perpétuité, elle ne peut être supérieure à vingt ans de réclusion criminelle ou de détention criminelle. En outre, les dispositions de l’article 132-23 du code pénal relatives à la période de sûreté ne sont pas applicables aux mineurs ([67]).
b. Une réforme de grande ampleur
Dans le respect de ces grands principes, la justice pénale des mineurs a récemment connu, avec le nouveau code de la justice pénale des mineurs, une réforme de grande ampleur visant à améliorer et moderniser son fonctionnement. Cette réforme associe une réponse pénale plus rapide et adaptée à un accompagnement éducatif individualisé, renforcé pour chaque mineur. Elle introduit, de plus, une présomption de non discernement pour les mineurs de moins de 13 ans.
Les principales évolutions de la réforme pénale des mineurs
Dans le respect des fondamentaux de la justice pénale des mineurs, la réforme a souhaité voir un jugement rapide sur la culpabilité du mineur. Elle a pour cela :
– fixé une présomption de discernement à partir de 13 ans ;
– prévu une déclaration de culpabilité en présence des parents dans les trois mois ;
– prévu une décision sur l’indemnisation de la victime dans les trois mois.
Elle a également cherché à mettre en place une action éducative individualisée reposant sur la cohérence du parcours du jeune et sur l’adaptabilité des réponses éducatives. Ces avancées reposent sur plusieurs mesures clefs :
– une période de mise à l’épreuve éducative de six à neuf mois ;
– un même juge, un même avocat et un même éducateur pendant toute la procédure ;
– une mesure éducative judiciaire unique avec des modules insertion, placement, réparation, santé, des obligations et des interdictions.
Par ailleurs, la réforme de la justice pénale des mineurs porte l’ambition de mieux adapter la sanction à l’évolution globale du mineur grâce à :
– un jugement sur la sanction en neuf à douze mois ;
– une meilleure prise en compte de l’évolution et des capacités du mineur ;
– la possibilité pour le juge des enfants de prononcer des peines à vocation éducative (travaux d’intérêt général, stages) ;
– la possibilité d’un suivi éducatif pendant cinq ans, jusqu’à 21 ans.
Source : Ministère de la justice
Comme l’a expliqué Mme Charlotte Caubel, directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, lors de son audition par la commission d’enquête, avec cette réforme, la justice pénale des mineurs s’inscrit désormais dans une temporalité plus lisible et compréhensible, ce qui permettra notamment de favoriser l’implication du mineur concerné dans son projet éducatif.
En effet, les nouvelles dispositions du code de la justice pénale des mineurs prévoient une procédure pénale encadrée dans des délais qui permettent qu’il soit statué rapidement sur la culpabilité, sans pour autant raccourcir le temps d’accompagnement éducatif, lequel commence dès le jugement sur la culpabilité, voire dès le déferrement, et peut se poursuivre après le prononcé de la sanction :
– audience d’examen de la culpabilité dans un délai compris entre dix jours et trois mois après la saisine de la juridiction afin de rendre un jugement sur la culpabilité du jeune, ce qui permet d’évacuer cette question de la prise en charge éducative pour se concentrer sur les efforts d’insertion ;
– période de mise à l’épreuve éducative d’une durée comprise entre six et neuf mois, au cours de laquelle le mineur bénéficie d’un accompagnement éducatif adapté à sa personnalité et ses besoins ;
– audience de prononcé de la sanction à l’issue de laquelle un suivi éducatif post-sentenciel peut se poursuivre jusqu’aux 21 ans du jeune.
4. Des moyens importants pour répondre à cet enjeu crucial pour notre société
a. Un temps d’enfermement le plus utile possible : réinsérer des jeunes bien souvent en situation de décrochage scolaire
Comme l’a expliqué Mme Charlotte Caubel lors de son audition, « à l’instar des jeunes qui nous sont confiés dans les CEF ou dans certaines unités d’hébergement, les mineurs en détention sont fréquemment déscolarisés depuis très longtemps. Il s’agit d’une population souvent paupérisée, ayant connu un certain nombre d’accidents familiaux et venant principalement de zones urbaines. » Selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, 82,2 % des mineurs sont en situation de déscolarisation lors de leur incarcération et 64,6 % le sont depuis plus d’un an.
Les auditions et les déplacements de la commission d’enquête ont permis de constater la diversité des situations scolaires des mineurs détenus. À l’EPM de Porcheville par exemple, la directrice témoigne que les jeunes accueillis sont plutôt scolarisés et les cas de déscolarisation sont le plus souvent récents, remontant à un an maximum et seraient souvent liés à des problèmes d’orientation. Les mineurs qui étaient peu scolarisés suivent environ douze heures de cours par semaine, les niveaux lycée pouvant suivre jusqu’à vingt-deux heures de cours hebdomadaires.
De nombreux mineurs détenus sont également des mineurs non accompagnés, parfois en situation d’analphabétisme. Lorsque leur proportion est importante au sein de l’établissement ou du quartier de détention, leur prise en charge peut compliquer l’organisation des cours et la composition des groupes. Cette forte hétérogénéité du public est donc une difficulté importante pour la mise en place et le déroulement des enseignements.
Les textes prévoient que la participation à un enseignement est, par principe, obligatoire pour les mineurs détenus. L’enseignement répond aux exigences de l’obligation d’instruction pour les moins de 16 ans et se traduit par une forte incitation à suivre une scolarité ou à entamer une formation pour les mineurs de plus de 16 ans.
Cela a été dit en audition et vu sur le terrain par la commission d’enquête : l’emploi du temps du mineur doit être élaboré en concertation entre les acteurs et favoriser au maximum l’individualisation de la prise en charge en tenant compte de l’évaluation scolaire réalisée au cours de la phase d’accueil. Sur l’année 2019-2020, le taux de scolarisation était de 99 %, soit 2 876 mineurs scolarisés pour 2 844 détenus mineurs durant 2020. Quant à la durée de ces enseignements, les professionnels de terrain rappellent à la commission d’enquête que le public depuis longtemps déscolarisé qu’on trouve en détention n’est pas toujours en capacité de suivre un grand nombre d’heures quotidien, même si s’approcher du volume horaire du droit commun reste un objectif.
La convention nationale conclue entre la DAP et la direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) le 15 octobre 2019 précise les conditions d’intervention de l’éducation nationale dans les établissements pénitentiaires et redéfinit les modalités de partenariat mises en œuvre entre les deux ministères pour garantir aux mineurs un parcours de formation individualisé. L’objectif est d’assurer un minimum de douze heures hebdomadaires d’enseignement.
Un rapport réalisé en 2019 par l’IGJ sur les établissements et quartiers pénitentiaires pour mineurs souligne l’efficacité du partenariat entre l’administration pénitentiaire, la protection de la jeunesse et l’éducation nationale. Selon la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, il permet d’offrir à plus de 80 % des mineurs détenus un emploi du temps individualisé, à hauteur de vingt heures d’enseignement par semaine, avec toutefois des disparités de durée de scolarisation moyenne hebdomadaire entre les QPM et les EPM. Dans la continuité de ce partenariat, un projet de circulaire conjointe entre la DAP, la DGESCO et la DPJJ serait actuellement en réflexion, avec pour objet, entre autres, de réduire les disparités entre établissements.
Proposition n° 8
Profiter du temps de détention des mineurs pour préparer leur orientation professionnelle par la découverte des métiers et des éventuelles formations pour y accéder.
Garantir aux mineurs incarcérés une prise en charge scolaire adéquate, se rapprochant le plus possible des conditions de scolarité en milieu ouvert.
La prise en charge éducative des mineurs est cependant compliquée par la courte durée de leur détention, laquelle est en moyenne de trois à quatre mois selon les années. À Porcheville par exemple, en 2020 « 8 % des détenus sont restés moins de quinze jours, 11 % entre quinze et trente jours, 20 % entre trente et soixante jours. En tout, 40 % des détentions ont duré moins de soixante jours. Ainsi, 60 % des détenus sont incarcérés plus de soixante jours, 16 % entre soixante et quatre-vingt-dix jours, 19 % entre quatre-vingt-dix jours et six mois, et 23 % au-delà de six mois », explique la directrice de l’EPM.
Il paraît en effet difficile d’établir un projet construit en si peu de temps ; celui-ci doit en réalité se faire dans la continuité de ce qui a été fait précédemment, éventuellement dans d’autres types de structures, tout en préparant l’avenir et la sortie de la détention. D’ailleurs, le récent rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) sur les droits fondamentaux des mineurs enfermés souligne que « pour les mineurs privés de liberté, plus particulièrement ceux mis en cause dans une procédure pénale ou exécutant une peine d’emprisonnement, l’enjeu de la continuité de la prise en charge mérite une attention particulière tant au sein du ou des lieux de privation de liberté par lesquels ils transitent durant leur parcours qu’entre ces lieux et le lieu déterminé à leur sortie » ([68]).
Cette situation conduit votre Rapporteure à formuler deux axes de réflexion.
● D’une part, les projets commencés avant l’incarcération ne doivent pas s’arrêter en prison et les projets commencés en prison ne doivent pas s’arrêter à la libération. La coordination entre les différents acteurs est évidemment déjà une réalité, que la commission d’enquête a pu constater au cours de ses travaux, mais elle doit être approfondie pour garantir une meilleure continuité dans la prise en charge de ces mineurs détenus, le plus souvent confrontés à des difficultés sociales profondes et inscrits dans un parcours délinquantiel réitérant.
L’accompagnement et le suivi de la rescolarisation s’opèrent dans le cadre de la mesure éducative exercée par les services de la protection judiciaire de la jeunesse. La rescolarisation est prise en charge par le responsable local de l’enseignement ou le directeur des enseignements pour les EPM avec l’aide du psychologue de l’éducation nationale, afin de formaliser un projet de reprise scolaire et définir les modalités d’affectation par les services départementaux de l’éducation national. Ce travail se fait avec l’appui des services de lutte contre le décrochage scolaire et les services d’orientation et d’affectation des élèves de chaque académie. Les situations sont toutefois plus complexes à traiter lorsque le lieu de détention est éloigné du lieu de vie et de scolarité. Alors, le projet scolaire travaillé en détention avec le jeune n’est pas toujours en adéquation avec la solution d’hébergement définie et l’offre locale de rescolarisation accessible.
En 2019, la mission d’évaluation de l’IGJ s’est attachée à tous les champs de la prise en charge dans les lieux de détention pour les mineurs. Bien que cette mission relève des pratiques innovantes dans de nombreux établissements, elle indique néanmoins la nécessité de conforter la dynamique pluridisciplinaire entre les quatre partenaires. La direction de la protection judiciaire de la jeunesse a indiqué que des projets sont actuellement en cours afin d’améliorer la coordination des services et la formation des personnels, notamment en favorisant les instances communes de pilotage et en développant les formations conjointes pour découvrir les différentes cultures professionnelles et partager les bonnes pratiques.
Votre Rapporteure salue ces efforts et constate que d’importants progrès ont été accomplis dans la dernière décennie pour améliorer la prise en charge et l’accompagnement des mineurs détenus. Elle souligne toutefois l’importance de la continuité de cette action et la nécessité d’améliorer le lien entre l’avant‑ et l’après‑prison.
Proposition n° 9
Améliorer la coordination entre les différents acteurs impliqués dans la prise en charge des mineurs détenus, afin notamment d’assurer davantage de continuité dans leur parcours avant, pendant et après-détention.
● D’autre part, la détention provisoire, qui constitue la majeure partie des incarcérations de mineurs et qui implique le plus souvent des détentions de courte durée, est une difficulté pour prendre en charge efficacement les mineurs détenus.
Comme cela lui a été signalé par de nombreux acteurs de terrain, ce recours excessif à la détention provisoire et cette part majoritaire des prévenus parmi les mineurs détenus ne participe pas de leur bonne prise en charge. Comme l’a indiqué Mme Nathalie Jaffré : « Le statut de prévenu complexifie toutes les questions d’alternatives à l’incarcération et de rescolarisation. » Là encore des efforts doivent être faits afin de gagner en cohérence.
Comme cela a été rappelé par le garde des sceaux à l’occasion de son audition, la réforme de la justice pénale des mineurs vise, entre autres choses, à réduire le recours à la détention provisoire pour les mineurs, évoqué plus haut.
La protection judiciaire de la jeunesse a elle aussi indiqué que, dans la continuité de la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019 ([69]), le code de la justice pénale des mineurs réaffirme le caractère exceptionnel de la détention des mineurs en limitant à la fois les possibilités de placer un mineur en détention provisoire et la durée de celle-ci, en interdisant les peines d’emprisonnement inférieures à un mois et en développant les aménagements de peine à tous les stades de la procédure.
Ainsi, en matière correctionnelle, le nouveau code pose le cadre strict du renvoi en audience unique devant le tribunal pour enfants comme seule hypothèse dans laquelle le juge des enfants peut prononcer une détention provisoire lors du déferrement. Cette période de détention ne peut alors excéder un mois et cette mesure n’est censée être prononcée que lorsque les alternatives ne sont pas ou plus possibles, notamment lorsque le contrôle judiciaire ou l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) ne sont pas envisageables. Dans le même objectif de limiter la détention provisoire, le code de la justice pénale des mineurs renforce les conditions de révocation d’un contrôle judiciaire ou d’une ARSE. Il pose ainsi comme exigence le caractère répété ou particulièrement grave du non-respect des obligations et l’insuffisance du seul rappel de ces obligations ou de leur aggravation.
L’entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs devrait dès lors induire un infléchissement de la part des prévenus parmi les mineurs détenus et une augmentation des aménagements de peine pour les mineurs condamnés, en application de la loi de programmation et de réforme pour la justice précitée.
Votre Rapporteure salue ces mesures qui vont dans la bonne direction et appelle à leur rapide application. La réduction de la part des prévenus parmi la population des mineurs détenus permettra à n’en pas douter d’améliorer le travail de l’ensemble des personnels auprès de ce public spécifique et appelle à conduire dès que possible une évaluation concernant le point spécifique de la détention provisoire des mineurs.
b. Continuer à faire de l’emprisonnement une exception et privilégier l’enfermement en établissement pour mineurs plutôt qu’en quartier pour mineurs
Le nouveau code de la justice pénale des mineurs de 2021 et la loi d’orientation et de réforme pour la justice de 2019 prévoient une réduction des courtes peines et encourage le recours aux alternatives à l’emprisonnement et aux aménagements de peine. Ces différents enjeux, qui feront l’objet de développements spécifiques dans les parties suivantes du présent rapport, concernent également les mineurs détenus. L’emprisonnement des jeunes délinquants, pour incontournable qu’il soit dans certaines situations, est et doit demeurer une exception, un recours judiciaire ultime. Il doit, lui aussi, être resserré autour du sens de la peine.
Selon la circulaire de 2013 précitée : « L’EPM doit être privilégié dans les cas où une détention longue est prévisible, notamment dans le cadre des procédures criminelles, afin que les mineurs puissent bénéficier des conditions les plus favorables en termes d’encadrement éducatif ou de préparation du projet de sortie. Le choix du QPM correspond ainsi davantage à des situations de détention courte nécessitant une extraction dans un bref délai (procédures de présentation immédiate devant les juridictions des mineurs par exemple) ».
En effet, les QPM ne bénéficient pas des mêmes conditions que les EPM.
D’une part, les QPM garantissent moins bien la séparation entre les mineurs et les majeurs. Selon ce rapport de la CGLPL : « Le plus souvent, les quartiers mineurs bénéficient d’un étage dans une aile de détention qui n’est pas toujours complètement séparé de l’hébergement des majeurs. Les mouvements, certaines activités ou certains équipements sont partagés avec les majeurs. Les promenades peuvent offrir l’occasion d’échanges verbaux permettant de nouer des relations de dépendance, le plus souvent aggravées par des trafics, en particulier de tabac, de téléphone ou de produits stupéfiants. » ([70])
D’autre part, les infrastructures y sont moins adaptées à la prise en charge pluridisciplinaire et au développement des activités diverses à destination des mineurs. Les EPM ont en effet été conçus avec des pôles scolaires et socio‑éducatifs, tandis que la majorité des QPM, notamment ceux de moins de quinze places, ne dispose pas de plateau technique ni d’équipements adaptés pour les mineurs. En outre le fonctionnement des QPM qui dépend des contraintes internes liées à la gestion de la détention – mouvements, activités – et du respect du principe de la séparation des mineurs et des majeurs peut en lui-même limiter l’accès des mineurs à certaines activités.
À Villepinte, par exemple, le QPM se situe dans un bâtiment éloigné des espaces de détention des majeurs, mais il est tout de même le quartier arrivant des majeurs, ainsi que le quartier des majeurs présentant une pathologie psychologique. Le directeur de cet établissement en témoignait à l’occasion de son audition : « En matière de prise en charge, de bruit et d’ambiance au sein du bâtiment, nous sommes aux antipodes de ce que peut offrir un EPM. »
Les conditions de prise en charge du mineur ne sont donc pas les mêmes en fonction du lieu d’emprisonnement, en cohérence d’ailleurs avec le coût de prise en charge moindre en QPM qu’en EPM.
Le coût de prise en charge des mineurs en détention
La prise en charge plus intensive au sein des EPM se traduit, logiquement, par des coûts de fonctionnement plus élevés.
En effet, d’après les chiffres diffusés par le ministère de la justice en 2016, le coût total moyen de la journée de détention s’élève, en EPM, à 536 € par mineur incarcéré, se répartissant ainsi :
– 378,55 € pour l’administration pénitentiaire (282,62 € de dépenses de personnel, 92,38 € de dépenses hors personnel et 3,55 € versés à la sécurité sociale) ;
– 157,47 € pour la protection judiciaire de la jeunesse (151,37 € de dépenses de personnel et 6,10 € de dépenses hors personnel)
Ce montant s’avère près de cinq fois plus élevé que celui d’une prise en charge au sein d’un quartier pour mineurs, évalué à 124 €, se répartissant entre 89,40 € pour l’administration pénitentiaire et 34,50 € pour la protection judiciaire de la jeunesse.
Source : Sénat, rapport d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés,
Catherine Troendlé et Michel Amiel, 25 septembre 2018
Ces disparités dans la prise en charge des mineurs détenus devraient partiellement se réduire dans les années à venir avec la réalisation du programme « 15 000 places » et les différents projets de création de QPM d’une plus grande capacité d’accueil, comprenant au minimum vingt places, avec des moyens matériels et humains adaptés.
Il convient toutefois de s’interroger sur les possibilités pour résorber complétement et rapidement ces disparités qui nuisent au système de détention des mineurs. Les EPM sont au nombre de six : une première piste pourrait être d’envisager la construction de structures supplémentaires. Toutefois, y compris en cas de création de nouveaux EPM, ceux-ci demeureraient fort heureusement en nombre trop restreint pour assurer un maillage suffisant de notre territoire national. Il ne peut donc être envisagé de renoncer au système mixte associant EPM et QPM, mais il paraît impératif d’assurer les mêmes conditions de détention entre ces deux types de structures.
Proposition n° 10
Garantir les mêmes conditions de détention et de prise en charge des mineurs dans les quartiers pour mineurs et les établissements pour mineurs.
Prendre en compte ce défi dans la conception des futurs établissements pénitentiaires.
C. L’importance cruciale de la lutte contre la radicalisation : une adaptation rapide et importante de l’administration pénitentiaire
Au cours des dix dernières années, notre pays a été frappé par plusieurs attentats terroristes islamistes et s’est trouvé confronté à un phénomène croissant de radicalisation. Cette menace, qui devient sans doute plus diffuse mais également plus endogène, n’est pas sans lien avec les espaces carcéraux puisque c’est l’administration pénitentiaire qui prend en charge les détenus radicalisés et parce que la prison a souvent été vue comme un lieu propice à la radicalisation.
1. Appréhender l’ampleur du phénomène : la montée en puissance des plans et des structures dédiées
a. Des plans d’action de grande ampleur
La survenance d’attentats terroristes islamistes sur notre territoire national au cours des dernières années a conduit les gouvernements successifs à étoffer l’arsenal juridique et les pratiques administratives afin de mieux appréhender une menace mouvante. Dès le 29 avril 2014, un plan d’actions contre les filières djihadistes et la radicalisation est mis en place, puis, le 9 mai 2016 est lancé un plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme comprenant quatre-vingts mesures. Concernant plus spécifiquement les prisons, un plan d’action « Sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente » est présenté par le garde des sceaux le 25 octobre 2016. Ces premiers plans ont permis de développer une politique de prévention autour de la détection, la formation, la prise en charge en milieux ouvert et fermé et le développement de la recherche.
Le risque terroriste demeurant élevé, de nombreuses initiatives et actions ont été mises en œuvre par le Gouvernement depuis mai 2017 pour faire face à cette situation. En 2018, ce sont deux plans distincts qui sont adoptés :
– d’une part, un plan d’action contre le terrorisme, qui prévoit trente-deux actions, complétées par des mesures confidentielles, pour renforcer la lutte contre le terrorisme, prévoyant notamment la restructuration du renseignement pénitentiaire ;
– d’autre part, un plan national de prévention de la radicalisation, qui formule soixante mesures, dont certaines concernent directement l’administration pénitentiaire et le suivi des publics détenus radicalisés. Ces mesures sont organisées autour de cinq axes : prémunir les esprits face à la radicalisation ; compléter le maillage détection-prévention ; comprendre et anticiper l’évolution de la radicalisation ; professionnaliser les acteurs locaux et évaluer les pratiques ; adapter le désengagement.
Un bilan d’étape de ce dernier plan a été réalisé le 11 avril 2019 à l’occasion d’un comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation organisé par le Premier ministre à Strasbourg. Ce bilan met en lumière la formation d’une toute nouvelle chaîne de protection grâce à la mobilisation conjointe des acteurs de l’État, des acteurs locaux et des acteurs de la société civile. S’en sont dégagées quatre axes d’approfondissement du plan pour les années suivantes, dont un concerne spécifiquement l’administration pénitentiaire. Le premier axe propose en effet d’intensifier le travail de prévention et de désengagement de la radicalisation en prison :
– en finalisant l’évaluation des détenus pour terrorisme ;
– en accélérant l’évaluation des détenus de droit commun suivis au titre de la radicalisation, y compris les femmes, avant un placement qui tienne compte de leur niveau de dangerosité, et un suivi en santé mentale renforcé ;
– en poursuivant les actions de formation des personnels pénitentiaires, en intégrant notamment la connaissance du socle de l’idéologie salafiste djihadiste, les différents profils des personnes détenues concernées par la radicalisation et les différents niveaux d’imprégnation idéologique ainsi que la géopolitique.
Les trois autres axes tendent à intégrer la prévention de la radicalisation dans la prévention de la délinquance, dans la prévention de la pauvreté et dans le développement du service national universel (SNU)
b. Des structures dédiées au sein de l’administration pénitentiaire
i. La mission de lutte contre la radicalisation violente
La mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV) a été créée en 2015 dans le cadre des plans gouvernementaux évoqués ci-avant. Elle compte aujourd’hui plus de 800 professionnels spécialement formés et spécialisés dans la lutte contre la radicalisation violente.
– 259 professionnels affectés dans les quartiers spécifiques. Comme l’a précisé M. Naoufel Gaied, chef de la MLRV : « Il s’agit d’équipes dédiées composées de surveillants, essentiels dans l’observation fine des détenus au quotidien, d’éducateurs, de psychologues, de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, d’officiers, de médiateurs du fait religieux et occasionnellement d’autres experts, par exemple en géopolitique, qui nous permettent de développer d’autres types de modules, traitant par exemple du complotisme. » Ces professionnels de la MLRV sont spécifiquement formés aux questions de la radicalisation violente : ils reçoivent à cet effet « une formation initiale de trois semaines, complétée d’une semaine blanche entre les sessions ». Ces semaines sont l’occasion d’un retour d’expérience et d’un approfondissement de certains modules de formation ;
– 305 CPIP spécialisés sur ces sujets ;
– 95 cadres spécialisés ;
– 142 éducateurs et psychologues référents.
Comme l’explique le chef de la MLRV, « ce réseau assure un maillage territorial très fin au-delà des quartiers spécifiques et donc des moyens suffisants pour la mise en œuvre des trois axes de notre mission ».
La MLRV participe également à la formation des personnels pénitentiaires. Dès 2014, elle a instauré une politique de formation à l’école nationale d’administration pénitentiaire et des modules de formation continue. Selon le chef de la MLRV, ce sont aujourd’hui près de 50 % des professionnels pénitentiaires qui sont formés aux questions de la radicalisation.
Les principales missions de la MLRV sont les suivantes :
– définir et coordonner la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la radicalisation violente, en lien notamment avec les bureaux et départements des sous-directions de la sécurité, de l’insertion et de la probation et avec le service national du renseignement pénitentiaire ;
– définir les besoins nécessaires à l’évaluation et à la prise en charge individualisée des publics placés sous main de justice radicalisés ou en voie de radicalisation violente ;
– participer aux instances nationales et internationales relatives à la prise en charge des publics placés sous main de justice radicalisés ou en voie de radicalisation violente et assure une veille scientifique dans son domaine de compétence.
ii. Le renseignement pénitentiaire
Le bureau central du renseignement pénitentiaire a été créé en 2003, avec pour mission d’assurer une surveillance des détenus dits difficiles. Après les attentats de Londres et de Madrid, en 2005, sa mission a été étendue aux phénomènes de radicalisation. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ([71]) a permis à l’administration pénitentiaire d’user de certaines techniques de renseignement.
Le 1er février 2017, un bureau central du renseignement pénitentiaire a été créé au sein de la direction de l’administration pénitentiaire, ainsi que dix cellules interrégionales du renseignement pénitentiaire intégrées dans les DISP. Des référents agents pénitentiaires ont également été désignés dans les établissements, garantissant un meilleur maillage du dispositif.
Par la suite, ce service a été profondément rénové à travers un arrêté du 29 mai 2019 transformant le bureau central en un service à compétence nationale, le SNRP, le rattachant au directeur de l’administration pénitentiaire et l’inscrivant dans le second cercle du renseignement. Selon Mme Charlotte Hemmerdinger, cheffe du SNRP, cette restructuration a permis « l’unification de l’ensemble des moyens du service et la création d’une ligne hiérarchique unique du sommet du service du renseignement pénitentiaire jusqu’à ses agents. Le service a gagné en réactivité et en efficacité opérationnelle des agents, a amélioré son contrôle de l’activité ainsi que de ses capacités de rationalisation des outils et moyens. Il a par ailleurs pu mettre en œuvre une stratégie de pilotage du réseau beaucoup plus cohérente. »
Le SNRP compte 330 personnels répartis sur trois échelons : 80 personnes à l’échelon central, plus de 160 dans des cellules interrégionales et 90 délégués locaux au renseignement pénitentiaire implantés dans les établissements pénitentiaires les plus sensibles. Dans les autres établissements, le SNRP dispose systématiquement et obligatoirement d’au moins un correspondant local du renseignement pénitentiaire, officier de l’établissement concerné.
Définies par le code de la sécurité intérieure, les principales missions du SNRP sont organisées autour d’un même objectif : la protection des intérêts fondamentaux de la nation, à travers la prévention du terrorisme, de la délinquance et de la criminalité organisée. Principalement tournées vers les personnes détenues, en particulier issues des mouvances terroristes ou extrémistes, les missions du SNRP peuvent depuis 2019 concerner tous les intervenants en détention, aussi bien les personnels pénitentiaires que les intervenants extérieurs.
Comme l’a expliqué la cheffe du SNRP, ce service, comme toute structure de renseignement, est chargé de « la collecte, de la fiabilisation, du recoupement et de l’analyse des données à des fins d’externalisation aux autorités politiques, aux autorités opérationnelles pénitentiaires, aux autorités judiciaires et aux partenaires de la communauté ». Il constitue ainsi « l’un des maillons de la chaîne du renseignement » et assure la continuité du renseignement entre milieu fermé et milieu ouvert, puisqu’il assure le suivi, pendant leur incarcération, d’« un très grand nombre d’individus qui, à l’issue, seront gérés par des services partenaires ».
Les groupes d’évaluation départementaux (GED) : un maillon essentiel de la coopération des services en matière de lutte contre la radicalisation
Les GED ont été créés par l’instruction de la garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre de l’intérieur du 25 juin 2014. Leur fonction a ensuite été précisée par plusieurs notes ministérielles.
Chaque préfet a constitué dans son département un GED afin d’organiser le décloisonnement interservices de l’information et de structurer les échanges entre les instances départementales et nationales. Dispositif au cœur de la prévention et du suivi, le GED répond à un double objectif :
– organiser l’échange d’informations entre services compétents au niveau du département, considéré comme le premier échelon opérationnel pertinent ;
– s’assurer que chaque individu signalé pour radicalisation potentiellement violente fasse l’objet, en premier lieu, d’une évaluation puis, si l’évaluation menée conclut à cette nécessité, d’un suivi sécuritaire dans la durée.
Dans ce cas, le suivi permet notamment :
– l’identification du service chargé du suivi des personnes signalées, dans la durée ;
– la mise en place de mesures d’entrave administrative et/ou judiciaire, lorsqu’elles sont nécessaires ;
– le lien avec le suivi psycho-socio-éducatif assuré par les cellules départementales pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles (CPRAF).
La direction générale de la surveillance intérieure (DGSI) assure prioritairement le suivi de toute personne qui présente un lien supposé avec un projet ou un réseau terroriste, et/ou de velléitaires pour rejoindre une terre de jihad. Elle peut aussi évoquer tout dossier des autres services.
Le GED se compose des représentants locaux des différents services de renseignement, des services de police judiciaire, de gendarmerie, de l’administration pénitentiaire et du procureur de la République. Selon l’ordre du jour, le préfet peut également convier des membres occasionnels représentant les douanes, la police aux frontières, les services fiscaux, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, etc.
Il se réunit au moins deux fois par mois et examine les signalements issus des services, des états-majors de sécurité des préfectures (EMS) et du centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR), piloté par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Les GED sont supervisés par les zones de défense et sécurité en métropole et leur activité est suivie par l’UCLAT au niveau national.
Source : Direction générale de la sécurité intérieure
2. Évaluer et prendre en charge la radicalisation : des défis relevés par l’administration pénitentiaire
a. L’origine et le développement des quartiers d’évaluation et de prise en charge de la radicalisation au sein des établissements pénitentiaires
Les premiers dispositifs d’évaluation et de prise en charge de la radicalisation se sont construits de manière empirique. Confrontés à l’accueil et à la gestion de détenus prévenus ou condamnés pour des faits de terrorisme, impliquant de nouveaux risques pour la gestion de la détention, l’administration pénitentiaire a dû s’adapter et a, pour cela, développé des modalités spécifiques de prise en charge.
Comme l’explique le chef de la MLRV, c’est d’abord à Fresnes que, dès 2014, une première unité spécifique d’accueil et de regroupement des détenus terroristes a vu le jour, sous l’impulsion du chef d’établissement de l’époque. À l’occasion de la table ronde réunissant les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires, M. Hubert Moreau, directeur interrégional Grand-Est-Strasbourg a rappelé que ce projet avait alors été rejeté par la garde des Sceaux de l’époque qui refusait le principe d’« unités dédiées à la prise en charge de certains profils ». Face à la cruelle réalité des attentats perpétrés en 2015 dans notre pays, des unités dédiées ont progressivement vu le jour en 2015 et une expérimentation a été conduite pendant plusieurs mois avec la mise en place d’unités de prévention de la radicalisation violente (UPRA). L’année 2016 marque un tournant, en raison notamment, selon M. Naoufel Gaied, du « premier attentat en détention, au cours duquel un détenu tente d’assassiner, avec une extrême violence, deux surveillants pénitentiaires » ([72]). Cet événement ayant montré les limites du regroupement des détenus radicalisés, l’administration pénitentiaire a mis en œuvre une nouvelle méthodologie « que certains pays européens qualifient de "régime mixte", qui consiste dans un premier temps à évaluer l’ensemble des détenus impliqués dans les faits de terrorisme et dans un second temps à proposer une prise en charge adaptée ».
Depuis 2017, six quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) ont été créés : un à la maison d’arrêt d’Osny, un à celle de Fleury et quatre au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil. Selon M. Naoufel Gaied, chef de la MLRV : « Nous disposons aujourd’hui de six QER, à hauteur de douze détenus suivis sur une durée de quinze semaines. Notre capacité d’évaluation des détenus djihadistes et des détenus de droit commun radicalisés s’élève à 234 détenus par an, ce qui nous a permis, en un peu plus de deux ans, d’évaluer la quasi-totalité des détenus poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste ».
Parallèlement, dès janvier 2017, est également créé un premier quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) au centre pénitentiaire d’Annœullin. Par la suite cinq QPR supplémentaires ont été mis en place : à Condé-sur-Sarthe, la Santé, Aix-Luynes, Nancy, Bourg-en-Bresse et Rennes. Ces six QPR sont actuellement en capacité de prendre en charge 189 personnes détenues.
Concernant la prise en charge des femmes détenues radicalisées, un QPR, disposant d’une capacité de vingt-six personnes par session, a été ouvert en septembre 2021 au sein du centre pénitentiaire de Rennes. Un QER, d’une capacité de huit places, ouvrira d’ici la fin janvier 2022 au centre pénitentiaire de Fresnes. Il permettra d’évaluer annuellement trente-deux femmes détenues radicalisées.
b. Le fonctionnement des QER et des QPR : le cas des détenus incarcérés pour des faits de terrorisme en lien avec l’islam radical
L’ensemble des personnes incarcérées pour des faits de nature terroriste en lien avec l’islam radical – détenus dits « TIS », pour terrorisme islamiste – ont vocation à faire l’objet d’une évaluation en QER, celle-ci gouvernant une affectation dans un établissement pénitentiaire disposant des conditions de détention adaptées au profil de la personne et de dispositifs de prise en charge spécifiques.
L’évaluation dans les QER se fait à travers des sessions regroupant douze détenus pendant quinze semaines. Comme l’explique le chef de la MLRV, cette évaluation se déroule en deux phases :
– dans un premier temps, l’identification par une équipe pluridisciplinaire des facteurs de risque de passage à l’acte violent ;
– dans un second temps, l’évaluation du degré d’imprégnation idéologique par un des dix-sept médiateurs du fait religieux. Un médiateur du fait religieux « n’est ni un aumônier ni un imam, mais un islamologue proposant une approche académique et possédant une double attribution : celle du sachant, qui dispose de connaissances en matière d’histoire des religions et de théologie, mais aussi un rôle beaucoup plus éducatif, qui lui permet d’entrer en lien avec les détenus fortement imprégnés idéologiquement afin de mesurer le degré de cette imprégnation ». Il fait ainsi partie intégrante de l’équipe dédiée dans les QER – ou les QPR comme précisé ci-après.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Cette double évaluation permet ensuite à l’administration pénitentiaire d’orienter le détenu concerné selon son degré de radicalisation. Trois solutions sont possibles :
– l’orientation en quartier d’isolement pour les détenus présentant un fort risque de passage à l’acte violent ;
– l’orientation en QPR pour les détenus fortement imprégnés idéologiquement, mais accessibles à la prise en charge ;
– l’orientation en détention ordinaire pour les autres détenus dans un établissement en capacité de les prendre en charge en termes de sécurité. Pour cela, soixante-dix-neuf établissements se sont adaptés pour accueillir ces détenus et ont développé des programmes de prévention de la radicalisation violente (PPRV).
Les PPRV
Ces programmes ont été créés dans 79 établissements cibles susceptibles d’accueillir des détenus poursuivis pour des faits de terrorisme. Ils sont mis en œuvre par les équipes pluridisciplinaires des établissements concernés, souvent avec l’appui de partenaires extérieurs.
En 2019, 61 PPRV ont été réalisés (contre 49 en 2018 et 27 PPRV en 2017).
En 2020, 44 PPRV ont été prévus, dont seulement 19 ont été débutés ou réalisés en totalité ; la crise sanitaire a en effet freiné la dynamique d’organisation des PPRV.
L’administration pénitentiaire développe également un nouveau format de PPRV intitulé « interculturalité et fait religieux ». Ces interventions de spécialistes du fait religieux, sous la forme d’ateliers à visée pédagogique, ont pour objet de proposer un discours alternatif à l’idéologie radicale violente.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
ii. Prise en charge spécifique dans les QPR
La prise en charge de certains détenus radicalisés se fait donc dans les QPR, qui ont vocation à les héberger dans des conditions de sécurité renforcées et d’étanchéité par rapport au reste de la détention. Les décisions d’affectation en QPR sont valables pour une durée de six mois maximum, renouvelable, en vertu du décret du 31 décembre 2019 ([73]). Ces décisions sont prises par l’administration centrale sur préconisation de la synthèse pluridisciplinaire d’évaluation réalisée dans un QER ou par une commission pluridisciplinaire unique dédiée à la radicalisation (CPU‑R). Selon l’administration pénitentiaire, la durée moyenne de prise en charge en QPR est de dix-huit mois.
Dans un rapport de 2020, la CGLPL formule plusieurs critiques sur cette politique d’évaluation et d’orientation en QPR ([74]). Pour elle, les conditions d’organisation des évaluations sont insuffisamment encadrées d’un point de vue juridique et les critères d’orientation en QPR seraient trop flous. Elle considère que « l’affectation post-QER apparaît davantage comme un outil de gestion de la détention qu’un outil permettant la prise en charge des personnes évaluées ».
Des programmes spécifiques tendant vers le désengagement de la violence et l’endiguement du risque de prosélytisme sont pourtant bien mis en œuvre dans les QPR. La prise en charge pluridisciplinaire vise ainsi la distanciation des idées radicales à travers une double approche :
– d’une part, le renforcement des capacités psychosociales des personnes permettant de réduire les facteurs de risque et d’augmenter les facteurs de protection, activités socioéducatives, vivre ensemble, citoyenneté, conférence-débats, etc. ;
– d’autre part, le déploiement d’activités de médiation du fait religieux par un expert en islamologie. Réalisée par l’un des 17 médiateurs du fait religieux, la médiation permet d’accompagner les détenus vers une distanciation des idées radicales, à partir d’une démarche individualisée, combinée à des ateliers collectifs.
Les programmes de médiation scientifique du fait religieux
Plusieurs programmes de ce type ont été mis en place à destination de personnes détenues. À l’occasion de l’audition de la mission de lutte contre la radicalisation violente (MLRV), Mme Hala Jalloul, chargée de mission médiation du fait religieux, a décrit un de ces programmes qui a été mis en œuvre pendant un an et demi dans le QPR de la prison de La Santé à Paris, auprès de dix-neuf personnes détenues.
Il s’agit d’un programme mis en œuvre dans le cadre d’un partenariat entre la MLRV de la DAP et un centre de recherche public, rattaché au CNRS, l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman (IISMM). Visant la diffusion des savoirs en sciences humaines auprès d’un public néophyte à partir d’interventions d’universitaires, ce programme a été conçu et adapté pour le public spécifique des détenus TIS.
Ce programme reposait sur une équipe d’intervenants pluridisciplinaire sur un même QPR avec pour objectif d’offrir à travers des conférences-débats, une lecture nuancée et contextualisante des quatre grandes thématiques du programme. L’équipe a réuni des historiens, des islamologues, des politistes, des sociologues, des juristes et des linguistes pour une variété d’interventions en sciences sociales. Il s’agissait d’un dispositif expérimental pilote d’ateliers collectifs – soixante-dix sur une période d’un an et demi – combinés à des entretiens individuels. Le programme s’articulait autour de quatre grands axes thématiques et reposait sur une approche académique et contextualisante.
– le premier axe était celui de l’islamologie ou histoire de la pensée islamique, abordant des questions telles que la pluralité des courants de l’islam, le chiisme et le soufisme – idéologies combattues par des discours de propagande djihadiste – ou le rapport de l’islam avec le christianisme et le judaïsme, etc.
– le deuxième axe était l’histoire et la géopolitique des pays arabes et méditerranéens où de nombreuses questions ont été abordées de front : la colonisation ou les conflits au Proche-Orient et au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien ou encore le conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
– le troisième axe se concentrait sur l’islam en France et en Europe : notamment l’histoire de l’immigration des musulmans en France et sur le concept même de radicalisation.
– le quatrième axe abordait la littérature arabe et les arts à travers des ateliers intercatifs, culturels et artistiques. Cela permettait d’ouvrir un espace d’expression avec les personnes détenues et de faire le lien avec leurs interrogations concrètes ou leurs lectures individuelles antérieures.
Mme Hala Jalloul conclut : « Après ces soixante-dix ateliers et cette vingtaine d’entretiens individuels, le bilan de ce programme est, selon moi, positif. Sur les dix-neuf détenus rencontrés, dix-huit ont participé régulièrement aux ateliers, avec très peu d’absences injustifiées. » Sans pouvoir en tirer une conclusion exhaustive quant à l’efficacité de ce programme, elle souligne que la parole et le travail des enseignants et des chercheurs impliqués ont été respectés par les personnes détenues et n’ont pas suscité de réactions négatives. Sur les dix-neuf personnes rencontrées, trois ont repris leurs études, trois ont commencé un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU) afin de pouvoir ensuite effectuer des études universitaires et trois détenus supplémentaires avaient obtenu un diplôme certifiant pour devenir artisans.
Ce type de partenariats avec des institutions académiques commence à se développer sur d’autres QPR (QPR de Nancy et de Condé-sur-Sarthe).
Source : DAP et audition de la MLRV
Il convient de préciser que l’administration pénitentiaire prête une attention particulière à la constitution des groupes de détenus orientés vers les QPR. Ainsi, le renseignement pénitentiaire est systématiquement saisi et vérifie notamment que, parmi les groupes de détenus constitués, il n’existe pas de risque de recréer des réseaux terroristes. En outre, des mesures de sécurité renforcées sont mises en œuvre au sein des QPR : palpations de sécurité à chaque mouvement, ouverture à trois agents, encellulement individuel, étanchéité du quartier, fouilles de cellule et rotation de sécurité.
Le contrôle des communications en QPR
Les correspondances écrites sont contrôlées au sein des quartiers spécifiques de même que les appels téléphoniques.
Ces contrôles et l’exploitation de la correspondance écrite et/ou téléphonique doivent être rigoureux et sont réalisés dans un cadre légal et réglementaire strict. Il convient ainsi de contrôler les correspondances écrites, dans le respect des dispositions de l’article 40 la loi n° 2009-1439 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, des articles R. 57‑6‑7 et R. 57-8-20 du code de procédure pénale, et des prescriptions de la circulaire du 9 juin 2011 relative à l’application des articles 4, 39 et 40 de la loi n° 2009‑1439 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, relative à la correspondance téléphonique et à la correspondance écrite des personnes détenues.
Les communications téléphoniques des personnes détenues font l’objet d’un enregistrement pour traitement différé, dans les limites des dispositions de l’article 727‑1 du code de procédure pénale. Ces opérations de contrôle peuvent s’appuyer en particulier sur la compétence des traducteurs arabophones recrutés par le SNRP. L’objectif est de détecter tous les éléments susceptibles de compromettre la sécurité des personnes et/ou de l’établissement.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Les QPR doivent être implantés dans des secteurs garantissant une étanchéité totale, sonore, visuelle et physique, avec le reste de la détention. Ils doivent être dotés d’un portique de détection des masses métalliques et d’un magnétomètre. Chaque QPR dispose d’au moins une cour de promenade dédiée et d’un système de vidéo-surveillance couvrant l’intégralité des zones communes du dispositif, cours de promenade et salles d’activité comprises.
Des règles spécifiques de fonctionnement sont également appliquées. Dès qu’advient une dégradation brutale du comportement d’un détenu, l’usage des menottes peut être autorisé par le chef d’établissement pour un temps limité. Pour chaque déplacement, la circulation des personnes détenues est prise en charge par au moins trois agents pénitentiaires. Pour autant, les personnes détenues en QPR doivent avoir accès à l’enseignement, au culte, au travail, aux activités culturelles et sportives, et leurs liens familiaux doivent être maintenus. Selon la doctrine QPR de 2019, ce sont les chefs d’établissement qui sont chargés de garantir l’accès à ces droits en fonction des spécificités des QPR, qui implique notamment que cet accès se fasse de manière séparée du reste de la détention.
Dans son rapport de 2020 portant sur la prise en charge pénitentiaire des personnes radicalisées, la CGLPL constatait toutefois que cet accès n’était pas toujours garanti ([75]). Elle estimait : « Le fait que l’administration pénitentiaire ne soit pas en capacité de produire des chiffres permettant d’évaluer la réalité de l’accès des personnes "TIS" et "DCSR" au travail, à la formation professionnelle, à l’enseignement et aux unités de vie familiale est tout à fait inacceptable et démontre, s’il en était besoin, que ces droits, acquis pour l’ensemble des personnes détenues et destinés à favoriser leur réinsertion, ne sont pas considérés comme essentiels pour cette catégorie de la population pénale. » Elle considérait également que les contraintes sécuritaires spécifiques au QPR prennent le pas sur les autres enjeux de détention et notamment la préparation de la sortie.
Si votre Rapporteure est bien évidemment sensible au respect des droits des personnes prises en charge dans les QER et les QPR, elle considère toutefois que de très importants progrès ont été accomplis en la matière par l’administration pénitentiaire. Au cours des dernières années, l’évaluation et la prise en charge ont en effet été affinées. Afin de mieux en garantir l’application et de l’articuler avec le respect des droits des personnes détenues, la doctrine et la méthodologie appliquées devraient faire l’objet d’une formalisation dans les prochains mois. Cela permettrait sans aucun doute d’améliorer la gestion de cette détention à laquelle s’imposent, c’est une évidence, des contraintes spécifiques nécessaires à la protection de nos concitoyens et à la lutte contre la radicalisation violente.
c. Le cas des détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR)
i. Détection
Les détenus de droit commun, c’est-à-dire condamnés pour des faits autres que des actes terroristes, peuvent aussi être suspectés de radicalisation violente, c’est tout l’enjeu de la détection en détention. Il s’agit dans cette première phase de détection, pour les services pénitentiaires, de détecter les signaux faibles et forts de radicalisation violente en détention.
Cette étape repose sur une méthodologie construite, là encore, de manière d’abord empirique. Puis une première grille de détection a été conçue en décembre 2016 par l’administration pénitentiaire. Le chef de la MLRV explique qu’elle était issue « d’une recherche action menée en partenariat avec l’Association française des victimes du terrorisme, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste et le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation ». Elle a ensuite été refondue en 2019 en se basant sur les connaissances acquises de ce phénomène à travers plus de 550 évaluations de détenus en QER par les équipes pluridisciplinaires dédiées.
Les évaluations précédemment conduites sur des TIS ont ainsi permis à l’administration d’acquérir des connaissances spécifiques de la radicalisation et d’affiner une méthodologie de détection fiable. Bien sûr, il s’agit d’un travail délicat et des dissimulations peuvent exister. Dans leur rapport sur les services publics face à la radicalisation, nos collègues M. Éric Diard et M. Éric Poulliat signalaient les mécanismes suivants : « Certains détenus exagèrent une radicalisation largement artificielle dans l’espoir de bénéficier par priorité des dispositifs d’insertion et de probation. D’autres, soumis à la pression de leurs codétenus, affichent une radicalisation de façade pour avoir la paix en détention. À l’inverse, de véritables radicalisés peuvent ne pas être détectés du fait de leur pratique de la taqiya (dissimulation). » ([76]) Cependant, comme le souligne le chef de la MLRV, grâce à une « observation continuelle et [des] échanges pluridisciplinaires très fins, nous disposons de capacités importantes de réduction du risque ».
ii. Évaluation et prise en charge
S’agissant des personnes détenues radicalisées de droit commun, l’évaluation est d’abord réalisée au sein du lien de détention dans le cadre des commissions pluridisciplinaires uniques (CPU). Selon les profils, si la CPU estime que la situation nécessite une évaluation approfondie, une demande d’orientation en QER est réalisée. La procédure suivie est alors la même que précédemment décrite. Par la suite, selon les situations, une prise en charge en QER est possible. Il ressort des échanges avec les acteurs de terrain que cette prise en charge peut être plus difficile, car, n’ayant pas été condamnés pour des faits en lien avec des actes terroristes, l’adhésion de ces détenus aux programmes proposés peut être plus difficile à obtenir.
La CGLPL émet également des critiques quant au traitement des DCSR. « […] Les contraintes supplémentaires ou les restrictions aux droits sont nombreuses : surveillance accrue ; accès fréquemment impossible au travail, à l’enseignement, à la formation professionnelle, aux unités de vie familiales ; contrôle accru des communications et des correspondances ; mise en œuvre de régimes de fouille exorbitants pour la plupart ; présence quasi-systématique du personnel de surveillance pendant les soins, etc. Ces conditions de détention justifiées par des impératifs de sécurité ont un caractère systématique qui interroge sur leur légalité et des conséquences néfastes sur la vie en détention de personnes qui sont toutes amenées un jour à sortir de prison. » ([77])
Si la lutte contre la radicalisation violente demeure une priorité et si la base légale de ce régime n’est pour votre Rapporteure pas discutable, cette dernière a également le souci de la préparation de la sortie. Elle rappelle que l’évaluation et la prise en charge éventuelle des DCSR ne se résument pas à des impératifs de sécurité, mais ont également des retombées en termes de réinsertion. Elle considère que la prise en charge pluridisciplinaire spécifique proposée par l’administration pénitentiaire est compatible avec la préparation de la sortie : non seulement elle n’exclut pas toute activité, mais en plus elle est le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation et d’offrir ainsi aux détenus des perspectives de réinsertion. Elle rappelle en outre qu’après un passage en QER et/ou en QPR, le DCSR peut retrouver le cadre de la détention normale et les activités associées. La prise en charge des DCSR n’empêche donc pas de garantir un suivi personnalisé du parcours de l’exécution de leur peine.
En sus du milieu carcéral, il convient de rappeler que certains individus sont suivis dans le cadre de la lutte contre la radicalisation en milieu ouvert. La préparation à la sortie et le suivi post-carcéral des personnes condamnées pour faits de terrorisme relèvent des missions de sécurité et de réhabilitation de l’administration pénitentiaire qui assure la continuité de la prise en charge entre milieu fermé et milieu ouvert. La continuité de la prise en charge fait l’objet d’une préparation au minimum six mois avant la sortie, notamment à l’occasion de CPU‑R au cours desquelles est dressé un bilan du parcours de détention et défini le plan d’accompagnement à la sortie.
Les personnes condamnées pour faits de terrorisme et qui sont soumises à une mesure judiciaire en milieu ouvert font ainsi l’objet d’un suivi par les SPIP dans le cadre d’une prise en charge multidimensionnelle recouvrant le désengagement violent, l’idéologie et le discours alternatif, la ré-affiliation ainsi que l’insertion socio-professionnelle. Dans cette perspective, dès 2017, 229 CPIP référents radicalisation violente ont été spécifiquement formés aux différentes thématiques liées à la radicalisation violente : géopolitique, socle de l’idéologie salafiste djihadiste, etc.
Selon le chef de la MLRV, en 2021, ce sont un peu plus de 310 personnes, poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme, qui sont suivies en milieu ouvert par les services pénitentiaires.
3. La lutte contre la radicalisation en 2021 : réalités, enjeux et perspectives
a. Chiffres
En juillet 2021, environ 1 800 personnes placées sous-main de justice étaient sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire dans le cadre de la lutte contre la radicalisation :
– 461 personnes incarcérées pour des faits d’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, ou TIS ;
– 330 en milieu ouvert pour le même type de faits, en pré-sentenciel ou en post-sententiel ;
– 655 personnes incarcérées pour des faits de droit commun suspectées de radicalisation, ou DCSR.
Le nombre de personnes considérées comme DCSR a donc diminué, passant d’environ 1 700 au 1er septembre 2016 à un peu plus de 650 aujourd’hui. Mais, comme l’a signalé le chef de la MLRV lors de son audition : « Il n’y a cependant pas moins de détenus et nous considérons qu’il n’y a pas non plus moins de détenus de droit commun radicalisés. Nous avons simplement affiné nos modalités de détection et surtout nous en avons affiné les critères, à savoir les signaux faibles et forts que je décrivais tout à l’heure. »
Parmi l’ensemble de ces personnes, on dénombre :
– 451 détenus TIS évalués en QER ;
– 162 détenus DCSR évalués en QER ;
– 51 détenus TIS pris en charge en QPR ;
– 19 détenus DCSR pris en charge en QPR.
évolution du nombre de personnes TIS ou DCSR détenues annuellement
|
TIS |
DCSR |
1er septembre 2016 |
241 |
1701 |
1er janvier 2017 |
390 |
1329 |
1er janvier 2018 |
513 |
1130 |
1er janvier 2019 |
502 |
1076 |
1er janvier 2020 |
525 |
897 |
1er janvier 2021 |
480 |
861 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Comme l’a expliqué à votre Rapporteure la direction de l’administration pénitentiaire, la baisse significative du nombre de DCSR depuis 2017 s’explique par la mise en place de dispositifs d’évaluation qui se sont professionnalisés, tant au niveau du renseignement pénitentiaire – distinction entre radicalisation en cours d’évaluation, ou RAE, et radicalisation avérée, ou RAV –, qu’à travers des quartiers dédiés à partir de 2017, les QER. Ces quartiers permettent ainsi de déterminer le niveau d’imprégnation idéologique des personnes détenues et, ainsi, d’écarter les signaux de radicalisation qui n’ont pas été corroborés dans le cadre de l’évaluation.
La répartition post-QER se fait selon la répartition suivante en 2021 :
– pour les TIS, 20 % sont orientés en détention ordinaire, 64 % en QPR et 16 % en quartier d’isolement ;
– pour les DCSR, 73,43 % sont orientés en détention ordinaire, 16,78 % en QPR et 9,79 % en quartier d’isolement.
Selon les informations fournies par la direction de l’administration pénitentiaire, les dix-sept médiateurs du fait religieux considèrent que les détenus peuvent être classés en trois catégories distinctes :
– ceux adoptant une approche collaborative, c’est-à-dire se situant dans l’échange et le partage avec les médiateurs ;
– ceux vouant un intérêt plutôt stratégique à la discussion, par exemple en vue d’une audience ;
– ceux se situant dans une approche beaucoup plus antagoniste.
Comme le rapporte le chef de la MLRV, cette dernière catégorie représenterait cependant un peu moins de 20 % des détenus, ce qui signifie donc que plus de 80 % des détenus participent activement aux entretiens et aux activités qui leur sont proposés dans le cadre de la prise en charge de la radicalisation.
Les mineurs détenus radicalisés
Actuellement, quatre mineurs sont poursuivis pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste dont trois sont incarcérés.
Il ressort que les jeunes filles détenues mises en examen pour des faits de nature terroriste sont plus virulentes et prosélytes que les garçons dont le comportement est plus lisse. Néanmoins, il faut tenir compte des stratégies de dissimulation qui restent une difficulté dans la prise en charge de ces mineurs.
Il n’existe pas de structures équivalentes aux quartiers de prise en charge ou d’évaluation de la radicalisation dans les QPM et EPM. Le nombre de personnes radicalisées étant bien moins élevé chez les mineurs que chez les majeurs, la protection judiciaire de la jeunesse a fait le choix de ne pas regrouper les mineurs radicalisés au sein de mêmes lieux de placement ou de détention et de privilégier l’individualisation des prises en charge.
La prise en charge des mineurs radicalisés ou en voie de radicalisation s’appuie sur l’ensemble des dispositifs de prise en charge existants pour le public sous protection judiciaire. Une note relative à la prise en charge des mineurs radicalisés ou en risque de radicalisation violente a été réalisée le 10 février 2017, puis réactualisée par une note du 1er août 2018. En détention, les prises en charges sont renforcées à travers la fréquence des entretiens individuels et les activités socio-éducatives proposées notamment en lien avec la thématique de l’engagement dans une recherche d’investissement des jeunes.
Dans ces situations, des mesures judiciaires d’investigation éducative (MJIE) sont presque systématiquement ordonnées et réalisées concomitamment par deux unités éducatives de milieu ouvert, dont l’une est chargée d’investiguer la personnalité du mineur et l’autre, sur des bases systémiques, la dynamique familiale.
Au vu des longues durées de détention provisoire ou des peines prévisibles, il convient d’anticiper le passage à la majorité ; pour cela, des protocoles ont été signés en 2017 et actualisés en 2020 avec les SPIP sur les modalités de continuité des prises en charge lors du changement de statut.
Par ailleurs, en avril 2015, la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a créé la mission nationale de veille et d’information (MNVI) composée de 74 référents laïcité et citoyenneté (RLC) présents sur l’ensemble du territoire. Chaque RLC a un rôle de coordination et d’information en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation afin de soutenir et d’enrichir les pratiques des professionnels. Ils apportent une aide en termes de repérage, d’évaluation et d’orientation des situations individuelles chaque fois que les professionnels le sollicitent et veillent à une bonne articulation des interventions. Ils développent des partenariats en fonction des besoins d’un territoire, impulsent diverses actions de formation et de sensibilisation et tentent d’accompagner au mieux les professionnels face aux réactions que peut générer la prise en charge de mineurs radicalisés (doute, sidération, peur, etc.). Leur action est attendue tant en milieu ouvert qu’en détention.
Enfin, l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) a mis en place, également depuis 2015, différentes formations dédiées à la prévention de la radicalisation à destination des professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse.
Source : Direction de la protection judiciaire de la jeunesse
De très importants efforts ont donc été réalisés par l’administration pénitentiaire pour s’emparer pleinement de la lutte contre la radicalisation et le risque terroriste. D’ailleurs, comme l’a expliqué le directeur de l’ENAP, M. Christophe Millescamps, la formation initiale des élèves surveillants a pris en compte ce nouveau champ de compétence puisqu’ils « bénéficient désormais d’une sensibilisation au renseignement pénitentiaire d’une heure trente. La formation initiale comprend : deux heures de formation au principe de laïcité ; trois heures de formation aux religions ; deux heures de formation à la pratique des cultes. S’y ajoutent des travaux dirigés de deux heures par groupe, portant sur l’utilisation de l’outil de repérage des signes de radicalisation violente ».
b. Perspectives de la prise en charge de la radicalisation
i. La continuité entre milieu fermé et milieu ouvert
Tout d’abord, au moment de l’entrée en détention. Comme l’a expliqué la cheffe du renseignement pénitentiaire, « grâce à notre accès au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), nous savons dès son incarcération si un individu était déjà suivi à l’extérieur pour des faits de radicalisation religieuse ou pour des risques terroristes ». Ainsi, 75 % des individus radicalisés étaient déjà repérés par les services partenaires à l’extérieur avant leur incarcération ; ce sont donc 25 % qui sont repérés en interne par l’administration pénitentiaire et le service du renseignement pénitentiaire.
Mais cet enjeu se pose encore plus fortement au moment de la sortie de détention : comment assurer alors le suivi des personnes radicalisées ? Le suivi en milieu ouvert est également assuré par les personnels pénitentiaires. La perspective de libération d’un certain nombre de détenus incarcérés pour des faits de terrorisme a conduit le législateur et les responsables politiques à agir pour renforcer ce suivi.
Comme l’expliquait en 2020 Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale : « Des personnes très dangereuses, condamnées pour des faits de terrorisme, vont sortir de prison et nous n’avons pas tous les outils nécessaires pour assurer leur suivi » ([78]). Devant ce danger identifié, le législateur dans une loi proposée par le Gouvernement, a instauré de nouveaux dispositifs pour garantir un suivi adapté des détenus terroristes à la sortie de leur détention. Promulgués le 30 juillet 2021 dans la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ([79]), ces dispositifs prévoient notamment la création d’une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion pour les sortants de prison condamnés pour terrorisme à une peine de prison de cinq ans ou plus (trois ans en cas de récidive). Cette mesure judiciaire concernera des individus particulièrement dangereux. Prononcée en fin de peine par le tribunal de l’application des peines de Paris sur réquisition du parquet national antiterroriste, cette mesure pourra être décidée en l’absence de mesure de suivi judiciaire. Sa durée sera d’un an maximum, renouvelable dans la limite de cinq ans. Elle impliquera notamment une obligation de prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique.
Il s’agit bien d’un enjeu majeur de sécurité publique. En effet, au 3 mai 2021, 162 personnes détenues pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste devraient sortir de détention dans les quatre prochaines années ([80]). De plus, au 30 mars 2020, le SNRP dénombrait 853 personnes détenues pour des faits de droit commun identifiées comme radicalisées, dont 327 devraient être libérées dans les trois prochaines années.
Ces DCSR peuvent également faire l’objet d’un suivi en milieu ouvert. La libération est préparée six mois à l’avance et, en sus de l’accompagnement par les SPIP, ces personnes peuvent bénéficier de plateaux techniques ([81]) facilitant l’accès au soin et à l’hébergement, qui sont des facteurs de protection contre la récidive, ainsi qu’éventuellement d’un placement au sein d’un programme d’accompagnement individualisé et de ré-affiliation sociale (PAIRS) ([82]).
En cas d’absence de mesure ou de fin de la mesure judiciaire en milieu ouvert, le relais est assuré avec la cellule de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles (CPRAF) de la préfecture concernée. En outre, les personnes ayant achevé leur peine et ayant été identifiées en raison de leurs liens avec la radicalisation font également l’objet d’un suivi par le renseignement pénitentiaire, qui assure l’articulation avec les autres services de sécurité, notamment via l’unité permanente de suivi des sortants de prison (UPSSP).
L’unité permanente de suivi des sortants de prison (UPSSP)
Face au risque que représentent potentiellement ces personnes, un dispositif ad hoc est aujourd’hui mis en œuvre de manière à anticiper la sortie de prison des individus incarcérés pour terrorisme islamiste ou détenus pour des faits de droit commun radicalisés et à s’assurer que chaque personne fera l’objet d’un suivi opérationnel adapté, par les services de renseignement.
Une coordination nationale pilotée par l’unité permanente de suivi des sortants de prison (UPSSP), créée au sein de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) en juin 2018, entretient des relations étroites avec les différents services concernés : les services de renseignement, les services de police judiciaire, le Parquet national antiterroriste, les juges d’application des peines terroristes, la direction des affaires criminelles et des grâces, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques, la direction générale des étrangers en France et les préfectures de zone de défense et de sécurité.
Une réunion de coordination mensuelle nationale permet de :
– s’assurer du suivi envisagé des personnes sortant dans les deux mois suivants, qu’il s’agisse de surveillance ou de mesures de police administrative (par exemple une assignation à résidence, des obligations de pointage, le signalement de déplacements ou de changement de domicile, une expulsion) ;
– actualiser le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) ;
– s’assurer de l’information des groupes d’évaluation départementaux (GED) au sein des préfectures concernées.
Source : Direction générale de la sécurité intérieure
ii. Les résultats encourageants du programme PAIRS
Après l’adoption de la loi du 3 juin 2016 ([83]), instaurant des mesures permettant de contraindre une personne placée sous main de justice à respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté, un premier programme expérimental a été lancé : le programme « recherches et interventions sur les violences extrémistes » (RIVE). De 2016 à 2018, vingt-deux personnes ont été prises en charge dans ce cadre, en moyenne cinq heures par semaine et par personne. Selon M. Marc Hecker, directeur de la recherche et de la valorisation de l’Institut français des relations internationales (IFRI), chercheur au Centre des études de sécurité de l’IFRI, « le résultat a été jugé plutôt positif et encourageant puisqu’à l’issue, aucun cas de récidive terroriste n’a été rapporté ».
Cette expérimentation a ensuite fait l’objet d’une triple expansion, grâce à un nouvel appel d’offre : extension géographique, nouvelle possibilité d’hébergement – largement utilisée aujourd’hui – et flexibilité de la prise en charge en fonction des besoins des individus, conduisant à proposer entre trois et vingt heures de suivi hebdomadaires. Le Groupe SOS ayant remporté l’appel d’offre, il a lancé le programme PAIRS (programme d’accompagnement individualisé et de ré‑affiliation sociale), que l’IFRI a été chargé d’évaluer. Cette évaluation a été transmise à la direction de l’administration pénitentiaire en 2020.
Aujourd’hui, le PAIRS est développé dans quatre villes : Lille, avec vingt-cinq places, Lyon, avec vingt-cinq places, Marseille, avec vingt-cinq places, et Paris, avec cinquante places.
L’évaluation du programme PAIRS par l’IFRI
Propos de M. Marc Hecker, directeur de la recherche et de la valorisation de l’IFRI, recueillis lors de son audition du 21 octobre 2021
En pratique, les activités de ce programme sont de plusieurs ordres : entretiens classiques psychologiques réalisés en binômes, visites à domicile, parfois sans préavis, activités à vocation professionnalisante, activités liées à la religion, avec notamment des médiateurs qui accompagnent les individus à la mosquée, discutent avec eux des prêches, les accompagnent dans les librairies islamiques pour observer quels ouvrages les intéressent et discuter des concepts qu’ils contiennent, débats interreligieux avec des intervenants issus d’autres religions, et enfin activités récréatives en apparence mais qui reposent en fait sur une logique de détection ou de prévention de la radicalisation – pratique du sport, visites de musées, etc.
Le bilan global est assez encourageant. On ne compte aucun cas de récidive terroriste parmi les TIS pris en charge. Lorsque j’ai achevé mon étude il y a un an, on dénombrait 64 TIS suivis en post-sentenciel, dont aucun n’avait été incarcéré pour un fait terroriste. On déplorait à l’époque un seul cas de réincarcération, liée à des affaires de stupéfiants et non de radicalisation. Les choses sont plus compliquées pour les RAD et les DCSR, dans la mesure où les cas de réincarcération sont beaucoup plus nombreux, mais, jusqu’à présent, ils ne sont pas liés à un problème de radicalisation – exception faite d’un seul cas –, mais à des questions de récidive criminelle plus classique.
J’ai identifié six difficultés dans la mise en œuvre de ce programme, que je listerai brièvement. La première est liée à la situation de marché public. En 2018, le changement de prestataire s’est traduit par une rupture du suivi, entraînant un problème majeur. Ainsi, les TIS suivis par un psychologue ont vu leur suivi psychologique s’arrêter du jour au lendemain et ont été contraints à le reprendre avec d’autres professionnels. La deuxième difficulté est un déficit d’outils d’évaluation du risque de la récidive. La troisième est un besoin de formation du personnel, lequel, pour partie, n’est pas spécialiste des questions de radicalisation. La quatrième est l’importance du turn-over parmi le personnel du programme, même si l’on se dirige actuellement vers une stabilisation. La cinquième est la friction de cultures entre différentes institutions, à savoir la culture sociale des personnels du programme, la culture du contrôle du ministère de la justice et la culture de surveillance du ministère de l’intérieur. Enfin, la sixième difficulté identifiée est l’interruption du programme pour les bénéficiaires en pré-sentenciel lorsqu’ils sont condamnés puisque, je ne l’ai pas encore mentionné, ce programme s’adresse certes à des sortants de prison, mais aussi à une minorité de bénéficiaires en pré-sentenciel, qui débutent un travail de réinsertion et qui, s’ils vont en prison, voient leur prise en charge interrompue, ce qui induit des questions sur la continuité du suivi en détention ainsi qu’un sentiment de frustration et de colère chez ces personnes, entraînant potentiellement un effet contre-productif en les radicalisant d’avantage.
Source : M. Marc Hecker, directeur de la recherche et de la valorisation de l’IFRI, audition du 21 octobre 2021
Face à la hausse des libérations de détenus incarcérés pour des faits de terrorisme et de détenus identifiés comme radicalisés, il semble important de continuer à déployer le programme PAIRS.
iii. Le retour des djihadistes français : un défi pour nos prisons
Ce sujet n’a pas été directement évoqué au cours des travaux de la commission d’enquête. Il constitue toutefois un enjeu important concernant la prise en charge de la radicalisation dans notre pays pour les années à venir.
Selon le rapport d’activité 2019-2020 de la délégation parlementaire au renseignement : « Parmi les Français partis rejoindre Daech en Irak ou en Syrie, ceux revenus sur le territoire français ont fait l’objet d’une judiciarisation systématique à leur retour qui s’est accompagnée, pour certains d’entre eux, d’une incarcération.
« Les services de renseignement estiment qu’environ 200 ressortissants français se trouveraient encore détenus par les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie. La question de leur possible retour en France représente un défi pour notre système carcéral. Ces combattants sont des personnes très aguerries qui ont vécu pendant une longue durée dans une zone de guerre ; elles présentent a priori un niveau de dangerosité bien plus élevé que les autres détenus et nécessitent un suivi spécifique par le renseignement pénitentiaire.
« Le retour des djihadistes français pose trois défis à notre système pénitentiaire :
« – le premier est d’ordre capacitaire ;
« – le deuxième concerne la prise en charge des femmes radicalisées, dont le nombre est en augmentation régulière ces dernières années, au point que davantage de femmes que d’hommes revenant du djihad ont été incarcérées en 2019 […] ;
« – le troisième est relatif aux mineurs : ils seraient déjà près de 150 à être revenus des zones de combat avec leurs parents, dont une forte majorité est âgée de moins de dix ans. Une circulaire du Premier ministre du 23 février 2018 définit un dispositif de prise en charge spécifique qui s’appuie largement sur le droit commun tout en mettant en œuvre des dispositions innovantes telles que le recours à des mesures de protection de l’enfance et la mise en place systématique d’un bilan somatique et médico-psychologique. » ([84])
Concernant la prise en charge des femmes radicalisées, l’administration pénitentiaire a d’ores et déjà procédé à la création d’un QPR à la prison pour femmes de Rennes en septembre 2021 pour une capacité de vingt-neuf places, dont deux de nurserie. Un QER ouvrira d’ici la fin janvier 2022 au centre pénitentiaire de Fresnes. Parallèlement, une convention relative à l’accompagnement des détenues sujettes au stress post-traumatique a été signée le 2 janvier 2020 avec le Centre Georges‑Devereux.
iv. La question de la diffusion de la radicalisation en milieu carcéral
Le milieu carcéral constitue l’un des vecteurs de la diffusion d’idées radicales avec l’augmentation du nombre d’individus incarcérés pour des infractions terroristes en lien avec l’islam radical. Mais ce n’est que l’un des vecteurs et il n’est pas majoritaire.
Une base de données a été constituée par M. Xavier Crettiez, professeur de sciences politiques à Sciences-po Saint-Germain-en-Laye, chercheur au Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), en partenariat avec la MLRV. Elle concerne 353 des 380 hommes TIS et permet donc d’en dresser un portrait statistique détaillé et de décrire le profil des djihadistes incarcérés. Lors de son audition, M. Xavier Crettiez a ainsi été en mesure de déconstruire, sur la base de cette étude plusieurs clichés concernant les détenus terroristes :
« On avance souvent que les individus radicalisés sont des étrangers, ce qui s’avère statistiquement faux, puisqu’il s’agit de Français dans 81 % des cas […].
Les TIS sont souvent perçus comme d’anciens délinquants qui se seraient reconvertis dans le djihadisme pour se racheter une bonne conscience après une vie de péchés. Ce discours est très présent dans la police mais, très clairement, cela ne correspond pas aux statistiques réalisées : 70 % des TIS ne possèdent en effet aucun dossier de mineur délinquant et 57 % d’entre eux n’ont aucun passé criminel. Parmi les personnes ayant un passé criminel, 25 % des faits sont des atteintes aux personnes ou des poly-infractions. Seules 4 % de ces personnes ont un passé criminel de type infractions terroristes et 2 % des antécédents de grande criminalité organisée. »
La grande majorité des djihadistes n’ont donc pas eu de parcours délinquant avant leur passage à l’acte ; ils ne sont donc pas radicalisés en prison. Selon Xavier Crettiez : « La socialisation au djihad, c’est-à-dire l’entrée dans la carrière djihadiste peut se faire de cinq façons différentes : socialisation amicale, familiale, militante dans des associations de type Frères musulmans ou autres, institutionnelle, en particulier cultuelle dans les mosquées ou les clubs sportifs, et virtuelle, via internet. Il apparaît de façon très nette que la socialisation virtuelle est aujourd’hui largement dominante ».
Toutefois, il demeure que l’incarcération peut avoir des effets sur la radicalisation. D’une part, elle peut permettre la structuration de réseaux et d’autre part elle peut favoriser la constitution d’un capital culturel militant. Les recherches de M. Farhad Khosrokhavar montrent que la détention renforce les sentiments de frustration sociale, de victimisation et accentue le ressentiment et parfois la rupture avec les institutions : autant de phénomènes qui contribuent à ce que le sociologue qualifie de « sur‑radicalisation » ([85]).
En conclusion, si le risque de prosélytisme en milieu carcéral existe et doit continuer d’être pris en compte par l’administration pénitentiaire, il convient toutefois d’en finir avec l’idée fausse que la prison est un foyer de contamination radicale.
v. Garantir des moyens à la hauteur de l’enjeu
D’importants efforts ont clairement été faits ces dernières années pour permettre à l’administration de lutter plus efficacement contre la radicalisation violente. Toutefois, certains personnels de terrain ont alerté la commission sur des moyens trop faibles alloués au renseignement pénitentiaire. En particulier, M. Éric Faleyeux, secrétaire générale de la CFDT pénitentiaire, considère : « Le premier constat est celui du manque de moyens humains. » En audition, le même constat a été exprimé par M. Joseph Paoli, secrétaire général national adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillants (SPS).
Les exemples donnés sont concrets. Selon M. Éric Faleyeux : « À la cellule interrégionale du renseignement pénitentiaire de Strasbourg, un seul officier se charge de la sécurité pénitentiaire des vingt-trois établissements que compte la région Grand Est », alors que les sujets traités sont nombreux : « trafics en détention, les phénomènes de bandes, la criminalité organisée, les évasions, les détenus dangereux ».
La création des postes de délégués locaux au renseignement pénitentiaire semble elle aussi rencontrer des difficultés. Si des postes à temps plein ont bien été ouverts, selon M. Éric Faleyeux, les personnels qui y sont affectés « ne se concentrent pas seulement sur le renseignement pénitentiaire dès lors que l’autorité locale leur confie d’autres missions, comme la gestion des quartiers des arrivants, disciplinaires, d’isolement ou encore la gestion des extractions ou de la prévention du suicide. Ils ont pourtant été nommés en commission administrative paritaire sur des postes entièrement dédiés au renseignement. Lorsqu’ils arrivent dans les établissements, ce n’est pas plus le cas. » Il fait également le constat d’un manque de moyens techniques, en particulier concernant les logiciels d’exploitation des téléphones dernière génération. Il explique que « les licences d’exploitation liées aux logiciels n’ont pas encore été validées, ce qui nous empêche de réaliser un travail de qualité ». Enfin, illustrant ses problématiques avec sa propre situation, il explique qu’« un délégué interrégional au renseignement pénitentiaire comme moi gère de cinquante à soixante dossiers. En comparaison, nos collègues policiers du renseignement territorial gèrent entre dix et douze dossiers chacun ».
Au-delà de la question des moyens, se pose également celle de l’évaluation des dispositifs. Selon M. Bruno Domingo, coordinateur d’un programme de recherche de la Fondation Maison des sciences de l’homme (FMSH), université de Toulouse, les outils d’évaluation « ne sont pas encore tout à fait formalisés, acceptés ni considérés comme légitimes dans l’espace administratif pour assurer l’estimation du niveau de dangerosité ou des capacités de réinsertion des personnes ». L’évaluation est nécessaire pour mieux adapter nos méthodologies et mieux calibrer les moyens devant être affectés à cette problématique. Depuis 2017, nous disposons d’un recul important sur la question de la prise en charge de la radicalisation en milieu pénitentiaire et un travail d’évaluation devrait pouvoir être systématisé.
Proposition n° 11
Cinq ans après le déploiement par l’administration pénitentiaire des quartiers d’évaluation de la radicalisation et des quartiers de prévention de la radicalisation, conduire une évaluation globale de la prise en charge de la radicalisation en milieu pénitentiaire.
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Au cours des vingt dernières années, l’administration pénitentiaire a, de toute évidence, fait montre de très importantes capacités d’adaptation. Les effectifs de personnels pénitentiaires ont été considérablement augmentés, en particulier au sein des services de probation et d’insertion. Si la politique de ressources humaines semble avoir pris la mesure des enjeux, des progrès restent toutefois encore à accomplir pour renforcer notre secteur pénitentiaire et mieux valoriser les agents qui y travaillent.
Les travaux de la commission d’enquête se sont concentrés sur deux publics spécifiques : les détenus mineurs et les détenus radicalisés. Dans les deux cas, l’administration pénitentiaire a réalisé de profondes transformations afin d’adapter sa prise en charge avec la création des établissements pénitentiaires pour mineurs à partir de 2008 et la mise en place des QER et des QPR à partir de 2017.
Un défi demeure toutefois omniprésent : celui de la surpopulation. Car malheureusement, les constats sont toujours les mêmes qu’il y a vingt ans, à l’époque des précédentes commissions d’enquête parlementaires : la surpopulation carcérale demeure massive et chronique dans notre pays.
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Deuxième partie ‒ dES MURS : des conditions de travail et de détention qui se confondent
Qui a déjà visité une prison sait à quel point les conditions de travail des personnels pénitentiaires sont profondément liées aux conditions de détention. Aussi, quand on améliore les conditions de vie des détenus, on améliore l’outil de travail des surveillants et mécaniquement leurs conditions de travail. Répondre à ces deux enjeux simultanément est donc un double objectif à poursuivre. C’est aussi une double satisfaction quand on y parvient.
I. uNE SURPOPULATION PERSISTANTE QUI A DES CONSéquences sur La vie en détention
La France dispose d’un parc immobilier pénitentiaire vaste mais surpeuplé. Cette surpopulation est chronique et a des conséquences directes sur les conditions de détention : manque d’hygiène, promiscuité, tensions entre détenus, autant de facteurs qui concourent à la dégradation des conditions de vie en prison, ainsi que sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Avant d’entrer dans le détail de ce parc immobilier, votre Rapporteure soumet à la réflexion, cette remarque de M. Marcelo Aebi, chef du projet Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE) : « La situation tend-elle à s’améliorer ou à se dégrader ? Encore faut-il se mettre d’accord sur ce que l’on entend par là ». Tout comme lui, nous nous tiendrons aux sens communs de ces termes : l’« amélioration » correspondrait à une diminution de la population et de la densité carcérales, tandis qu’une « dégradation » signifierait qu’elles augmentent.
A. Malgré un parc pénitentiaire vaste, la France se caractérise par une surpopulation chronique
1. Un parc immobilier vaste et qui se diversifie
Derrière le mot « prison » se cache en réalité une grande diversité d’établissements, avec des missions bien distinctes. Le patrimoine immobilier de l’administration pénitentiaire existant est aujourd’hui composé de 186 établissements, incluant l’Établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF). Ce parc pénitentiaire, hétérogène et dispersé sur l’ensemble du territoire national, représente plus de 3 450 000 mètres carrés de surface hors œuvre nette ([86]), dont une majeure partie est en propriété domaniale ([87]). Selon un calcul effectué par la Cour des comptes, le parc immobilier pénitentiaire représentait, en 2017, une valeur patrimoniale de 7,5 milliards d’euros, soit 75 % de l’immobilier de la justice ([88]).
Il se répartit de la manière suivante :
– 131 maisons d’arrêt (MA) et quartiers MA situés dans des centres pénitentiaires, accueillant des prévenus à titre principal ([89]), mais pouvant aussi recevoir des détenus condamnés à une peine inférieure ou égale à deux ans, ou auxquels il reste à subir une peine inférieure à un an ([90]), ainsi que les condamnés en attente de transfèrement ;
– 96 établissements pour peines à destination de l’exécution des peines définitives ([91]), qui se répartissent de la manière suivante :
● 64 centres de détention et quartiers « centre de détention », dont le régime est principalement orienté vers la réinsertion sociale ([92]) ;
● 13 maisons centrales et quartiers maison centrale, soumis à un régime de sécurité renforcé car accueillant des détenus condamnés à une longue peine et présentant une dangerosité élevée ([93]) ;
● 41 centres de semi-liberté et quartiers de semi-liberté, dont l’organisation permet les entrées et sorties des détenus bénéficiant de cette mesure ([94]) ;
● 8 quartiers pour peines aménagés à destination de détenus sans projet de réinsertion dont le reliquat de peines est inférieur à deux ans ([95]) ;
● 55 centres pénitentiaires, qui comprennent au moins deux quartiers de régime de détention différents ;
– le Centre national d’évaluation, présent sur quatre sites, dont les missions sont, d’une part, d’orienter les condamnés et d’élaborer des projets d’exécution de peines, et, d’autre part, d’évaluer la personnalité des détenus condamnés à une peine de réclusion criminelle de plus de quinze ans ainsi que la dangerosité des condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité susceptibles de bénéficier d’une libération conditionnelle ;
– six établissements pénitentiaires pour mineurs ;
– l’Établissement public de santé national de Fresnes.
Parmi ces établissements, 58 sont en gestion déléguée.
De plus, 103 bâtiments accueillent les SPIP, les bâtiments des directions interrégionales ainsi que l’ensemble des autres bâtiments spécifiques : les pôles de rattachement des extractions judiciaires (PREJ), les bases pour les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS), les bases cynotechniques, les stands de tir ainsi que les centres de formation.
Dans chaque établissement pénitentiaire, il convient aussi de distinguer certains quartiers :
– le quartier d’isolement (QI), destiné à accueillir les détenus qui doivent être séparés du reste de la détention et sont placés à l’isolement sur décision judiciaire ou administrative ;
– le quartier disciplinaire (QD), destiné à accueillir les détenus faisant l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’un placement préventif en cellule disciplinaire ;
– le cas échéant, le QER ou le QPR, sachant qu’il existe actuellement trois QER ([96]) et six QPR ([97]), un QER pour femmes devant ouvrir en janvier 2022 au centre pénitentiaire de Fresnes et un QPR pour femmes ayant ouvert en septembre 2021 au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes.
b. … et en voie de diversification
De nouveaux quartiers, orientés vers la réinsertion, sont apparus récemment.
Il en est ainsi des quartiers courtes peines, des quartiers nouveau concept ou encore des établissements à réinsertion active ([98]). Ces structures, plus souples, sont à destination des détenus pour courtes peines ne présentant pas de risques de dangerosité particulière ([99]). Ces établissements sont orientés vers la réinsertion et bénéficient d’un dispositif de sécurité allégé.
En outre, a été décidé la création de 2 000 places de structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) ([100]). Situées en agglomération, ces unités visent à préparer la sortie grâce à des formations professionnelles ou encore en favorisant l’autonomisation, pour les condamnés à des peines de moins d’un an ou des condamnés à des longues peines qui finissent leur temps de détention.
Enfin, des quartiers de confiance, ou modules respect, ont été mis en place à partir de 2017. Dans ces quartiers, des détenus volontaires s’engagent à respecter des règles de bonnes conduites et de socialisation en échange d’une plus grande liberté d’aller et de venir. Les personnes détenues passent un contrat avec le chef d’établissement : ce rapport contractualisé individuel entre l’établissement et la personne détenue permet de formaliser les conditions d’intégration et d’exclusion du dispositif pour le détenu. Votre Rapporteure a pu visiter celui mis en place au sein du centre pénitentiaire de Paris-la Santé.
CaRTE DES éTABLISSEMENTS PéNITENTIAIRES EN France (décembbre 2020)
Source : Ministère de la justice
Au total, la France disposait d’une capacité d’accueil en prison de 61 080 places en 2020, contre 85 049 en Angleterre et Pays de Galles et 73 008 en Allemagne ([101]).
2. Mais une surpopulation chronique
a. La France se démarque par sa densité carcérale
Définie par un nombre de personnes détenues supérieur au nombre de places disponibles dans les établissements pénitentiaires, la surpopulation carcérale est chronique en France. Selon les données recueillies par le Conseil de l’Europe ([102]), avec une densité de 115,7 détenus pour 100 places de détention au 31 janvier 2020, contre une médiane européenne de 90,3, la France se démarque des autres pays européens, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Densité en prison, comparaisons européennes
Source : Conseil de L’Europe (Annual Penal Statistics on Prison Populations)
En Europe, la France est ainsi en cinquième position en partant de la fin, devant la Turquie, Chypre, l’Italie et la Belgique. Comme l’a indiqué M. Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, lors de son audition par la commission d’enquête, la surpopulation carcérale constitue un « mal endémique et structurel qui nécessite un effort continu en termes d’investissement » ([103]).
Cette situation est permanente, et concerne principalement les maisons d’arrêt et quartiers de maisons d’arrêt, comme le montre le graphique ci-dessous présentant l’évolution, depuis vingt ans, de la population carcérale.
Source : Ministère de la justice (2021)
Dans son rapport de 2016 sur la surpopulation pénitentiaire ([104]), M. Jean‑Jacques Urvoas, alors garde des Sceaux, montrait que si, entre 1990 et 2016, 40 600 places de prison avaient été construites, contre 14 500 entre 1900 et 1986, ces constructions n’avaient pas résolu le problème de la surpopulation. Au 1er août 2021, la France ne disposait que de 60 388 places opérationnelles ([105]) pour 68 301détenus ([106]). Le graphique ci-après montre que le nombre de places opérationnelles dans les établissements pénitentiaires a presque toujours été inférieur au nombre de détenus depuis 2000.
Source : Ministère de la justice
Ainsi, au 1er novembre 2021 ([107]), sur les 69 812 personnes détenues, 38 554 se trouvaient dans des structures avec un taux d’occupation supérieur ou égal à 120 %, dont 16 484 dans des établissements avec une densité d’occupation supérieure ou égale à 150 %. Le nombre de détenus en surnombre était de 13 188, soit 19 % des détenus. La densité carcérale des maisons d’arrêt et quartiers maisons d’arrêt était de 136,3 %, près des deux-tiers de ces structures affichaient une densité carcérale supérieure à 160 % et le nombre de détenus en surnombre, parmi le nombre de détenus, était de 27 %.
Taux d’occupation selon le type d’établissement
au 1er janvier 2021
Type d’établissement |
Capacité |
Nombre de |
Densité (%) |
Centre de détention et quartier centre de détention |
20 148 |
17 581 |
87,3 |
Centre et quartier de centre national d’évaluation |
169 |
76 |
45,0 |
Centre pour peines aménagées |
611 |
343 |
56,1 |
Centre de semi-liberté |
1 439 |
797 |
55,4 |
Établissement pénitentiaire pour mineurs |
1 151 |
737 |
64,0 |
Maison d’arrêt et quartier de maison d’arrêt |
34 754 |
41 507 |
119,4 |
Maison central et quartier de maison centrale |
2 227 |
1 593 |
71,5 |
Établissement public national de santé national |
84 |
39 |
46,4 |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Ainsi, la part de détenus en surnombre parmi l’ensemble des détenus est passée de 17,6 % en 2011 à 18,9 % en 2021. Alors que 48 % des détenus se trouvaient dans des maisons d’arrêt ou quartiers maisons d’arrêt dont la densité était supérieure à 120 % en 2011, ce taux atteint 54 % en 2021. Comme l’ont indiqué les membres du projet SPACE ([108]), cette surpopulation est corrélée à la part importante de détenus n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation définitive : les établissements les plus touchés par la surpopulation sont ceux où l’on trouve des personnes en détention préventive.
* : effets spécifiques de la crise sanitaire
Source : Ministère de la justice (mesure de l’incarcération, 2021)
Dans le détail, selon les éléments fournis par la direction de l’administration pénitentiaire, vingt-quatre maisons d’arrêt ou quartiers maisons d’arrêt subissent des situations chroniques de surpopulation importantes ([109]) avec des taux d’occupation moyen sur la période pré-crise sanitaire dépassant 170 %. Il est à noter que les maisons d’arrêt de Nîmes et de La-Roche-sur-Yon, ainsi que le quartier maison d’arrêt de Faa’a Nuutania, ont des taux d’occupation en moyenne supérieurs à 200 %.
En septembre 2021, le nombre de matelas au sol était de 1 281, un chiffre stable hors crise sanitaire ([110]). Le centre pénitentiaire de Toulouse, à lui seul, en comptabilise 178. Suivent celui de Béziers, avec 70 matelas au sol, puis celui de Baie Mahault, en Guadeloupe, avec 68 matelas au sol et Nouméa avec 61 matelas.
b. Des raisons structurelles à cette densité
L’inégale répartition de la densité carcérale est, comme le rappelle M. Jean-René Lecerf dans son Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire, le résultat de « l’attention accordée aux établissements pour peines depuis la réforme de 1975 qui leur garantit, sur le territoire hexagonal, un numerus clausus de fait » ([111]). Au total, l’augmentation du nombre de places dans le parc immobilier pénitentiaire, qui est passée de 36 815 places en 1990 à 61 080 en 2020, ne s’est pas accompagnée d’une baisse de la densité carcérale.
Comme le rappelle la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), les causes de la surpopulation carcérale sont structurelles en France. Elles résultent d’un durcissement de la politique pénale, d’une augmentation du taux de réponse pénale et d’un recours accru à l’emprisonnement par les juges. Selon le rapport de 2016 précité de M. Jean-Jacques Urvoas, le durcissement de la législation pénale, notamment l’introduction des peines planchers par la loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, « s’est donc naturellement accompagné d’une sévérité accrue des décisions de justice, en résonnance avec des attentes de la société » ([112]).
La prétendue indulgence, ou le soi-disant laxisme, des juges semblent dès lors devoir être remis en cause. En 2018, 101 431 peines d’emprisonnement fermes ont été prononcées contre 76 786 en 2000 ([113]). Hors crise sanitaire, la surpopulation carcérale n’a cessé de croître. La section française de l’OIP, dans un document remis à la commission d’enquête, pointe, en outre, l’augmentation de la détention provisoire, en raison du recours accru à cette mesure et à un allongement des délais avant jugement. Au 1er octobre 2021, près de 28 % de la population carcérale est en attente de jugement. Enfin, la durée moyenne de détention est passée de 5,8 mois en 1982 à 10,7 mois en 2019.
Part des prevenus parmi les écroués
Année (au 1er janvier) |
Nombre de personnes sous écrou |
Part des prévenus parmi les écroués |
2010 |
66 089 |
23,3 % |
2011 |
66 975 |
23,4 % |
2012 |
73 780 |
22,1 % |
2013 |
76 798 |
21,4 % |
2014 |
77 883 |
21,3 % |
2015 |
77 291 |
21,4 % |
2016 |
76 601 |
23,7 % |
2017 |
78 786 |
24,7 % |
2018 |
79 785 |
24,8 % |
2019 |
81 250 |
25 % |
2020 |
82 860 |
25,4 % |
2021 |
75 021 |
23,8 % |
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Sans doute centrale dans la lutte contre la surpopulation carcérale, la question de la détention provisoire fera l’objet d’une analyse spécifique.
Les conséquences de la crise sanitaire sur la population carcérale
La population carcérale a connu une chute brutale lors de la crise sanitaire : du 16 mars à juin 2020, le nombre de personnes détenues a baissé de 18 % en raison d’une hausse du nombre de sorties de détention et d’une baisse du nombre d’entrées.
Selon la DAP, la crise sanitaire a eu un effet « catalyseur » sur la mise en application de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([114]) concernant les aménagements de peines. Ainsi, les libérations conditionnelles et la détention à domicile sous surveillance électronique ont augmenté significativement.
Cependant, à partir de juin 2020, le nombre moyen d’entrées par jour augmente régulièrement pour atteindre des niveaux équivalents à ceux observés en 2019. En conséquence, le nombre de personnes détenues augmente régulièrement depuis juin 2020.
Or la surpopulation est un frein majeur à la mise en œuvre des mesures sanitaires et au respect des gestes barrières et amplifie les risques de contamination et de diffusion du virus. Dans les établissements ayant un taux d’occupation de moins de 80 %, la moyenne du taux de détenus contaminés par la covid-19 est de 3,1 %, tandis que cette moyenne s’établit à 4,2 % pour les établissements dont le taux d’occupation se situe entre 80 et 130 % et grimpe à 7,5 % pour les établissements avec un taux d’occupation supérieur à 130 % ([115]).
(2) Assemblée nationale, Rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2022, Bruno Questel
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
B. La surpopulation a des conséquences sur les conditions de détention en prison
1. Les prisons françaises font face à des conditions de détention particulièrement difficiles
Comme l’a analysé la CGLPL dans un rapport de 2018, « loin de la simple privation du droit d’aller et venir, la peine de prison infligée à des personnes que l’on enferme dans des cellules dégradées et suroccupées perd son sens, voire se révèle contre-productive » ([116]). En effet, la surpopulation détériore les conditions de détention, multiplie les violences qu’elle génère, remet en question la qualité des soins ou fait obstacle aux dispositifs de réinsertion.
a. Un principe d’encellulement individuel jamais respecté
Le principe de l’encellulement individuel a été introduit par la loi du 5 juillet 1875 et réaffirmé à l’article 100 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ([117]).
Ce régime, longtemps qualifié de « philadelphien » ou « pennsylvanien », consistait en un isolement cellulaire de jour comme de nuit et était réservé à tous les prévenus et aux condamnés à des peines inférieures ou égales à un an. En dehors d’une courte promenade quotidienne dans un préau cellulaire, les détenus soumis à ce régime ne quittaient pas leur cellule et portaient une cagoule pour tout déplacement. Ce régime, dur à supporter, avait pour vocation d’isoler totalement le détenu pour faciliter son amendement et éviter la corruption entre détenus.
Le principe de l’encellulement individuel répond aujourd’hui à une autre préoccupation, celle de la dignité des conditions de vie en prison. Les règles pénitentiaires européennes, ensemble de prescriptions publiées par le Conseil de l’Europe, rappellent que « chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus » ([118]). Ainsi une « cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter » ([119]).
Ce principe a été repris en France dans le code de procédure pénale de 1958. Comme l’a rappelé M. Jean-René Lecerf lors de son audition, le principe de l’encellulement individuel a fait débat au moment des discussions autour de la loi pénitentiaire de 2009. En effet, « le gouvernement et l’Assemblée nationale inclinaient à remplacer le principe d’encellulement individuel par celui de l’encellulement collectif. Les raisons qui avaient été avancées par les gardes des sceaux successives, Mme Rachida Dati puis Mme Michèle Alliot-Marie, reposaient sur le fait que le principe existait depuis 1874 mais n’avait jamais été appliqué, si ce n’était, en quelque sorte, pour ridiculiser le pouvoir du Parlement. Le Sénat était quant à lui franchement opposé à ce changement car, même si le principe d’encellulement individuel n’était pas appliqué, sa simple existence permettait de limiter un certain nombre d’abus. Nous n’avons jamais été, les uns comme les autres, des ayatollahs de l’encellulement individuel. Certaines situations imposent effectivement que l’on y déroge. Mais nous étions convaincus que la dignité exigeait le maintien de ce principe et que l’on tente d’en faire une plus grande réalité ». Ainsi, malgré l’adoption de la loi de 2009, réaffirmant le principe d’encellulement individuel, il n’a jamais été réellement appliqué et un moratoire sur la question s’applique depuis. Au 1er novembre 2021, le taux d’encellulement individuel des 83 558 personnes écrouées n’était que de 42,6 % ([120]). Il semble difficile, à brève échéance, de parvenir à atteindre les objectifs fixés par la loi. Le respect de l’encellulement individuel varie beaucoup selon le type de prison : d’après les réponses des établissements au questionnaire de votre Rapporteure, 100 % des détenus en maison centrale sont en cellule individuelle, contre seulement 13,5 % en maison d’arrêt ([121]).
Pour la CGLPL, il existe, de manière structurelle, « une inadéquation entre la capacité d’hébergement prévue à l’origine » de la construction des établissements pénitentiaires, même les plus récents, et « l’évolution du nombre de personnes incarcérées ». Le rapport de visite du centre pénitentiaire de Béziers, ouvert en 2009, montre que dès son ouverture la quasi-totalité des cellules individuelles de la maison d’arrêt étaient équipées d’un second lit ([122]). Au 1er août 2021, le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, qui dispose d’une capacité opérationnelle de 644 places, comptabilisait 449 détenus en surnombre et 172 matelas au sol, pour un taux d’occupation de 169,7 %. Le modèle français de cellule individuelle standard, développé par les programmes de construction depuis les années 1970, d’au moins 9 mètres carrés, en tenant compte des espaces sanitaires, correspond bien aux standards développés par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), cependant l’occupation collective de ces cellules individuelles, caractéristiques des maisons d’arrêt, fait en réalité vivre les détenus en deçà du minimum d’espace vital.
b. Les conséquences graves de la surpopulation carcérale sur les conditions de détention
La surpopulation carcérale ne permet souvent pas de respecter les séparations prescrites par le code de procédure pénale, qu’il s’agisse de séparer les personnes condamnées définitivement des personnes en détention provisoire, ou encore des différents profils de détenus. Pour la CGLPL, ces conditions compromettent les objectifs de prévention de la récidive et de réinsertion et peuvent favoriser des tensions et violences entre détenus.
La surpopulation carcérale induit des conditions indignes de détention. Selon le Conseil d’État, dans un arrêt rendu le 30 juillet 2015, le non-respect du principe de l’encellulement individuel dont témoigne la sur-occupation des cellules dans des conditions de vie dégradées « qu’aggravent encore la promiscuité et le manque d’intimité qu’elles engendrent exposent les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave à une liberté fondamentale ».
La promiscuité dans des cellules surchargées et dégradées nuit particulièrement à l’intimité. Ainsi, dans une cellule de neuf mètres carrés, outre les lits, les détenus disposent généralement d’une table, d’étagères, de chaises et d’une armoire. Ce mobilier est particulièrement inadapté si cette cellule est occupée par trois personnes, et rapidement encombrés. L’absence de meuble de rangement individuel est souvent à l’origine de tensions entre codétenus, « que ce soit pour des raisons d’encombrement de la cellule ou de suspicions de vol » ([123]). Par ailleurs, les sanitaires en cellule sont souvent isolés par un petit muret ou une cloison n’atteignant pas le plafond, pour permettre aux surveillants de pouvoir voir le détenu à tout moment. En situation d’encellulement collectif, cette organisation est susceptible d’entraîner du bruit et des odeurs intimes dans l’unique pièce. Il faut ajouter l’absence d’aération suffisante en été et la faible isolation en hiver, ainsi que la surutilisation du matériel. L’ensemble de ces facteurs concourt à un manque flagrant d’hygiène pouvant favoriser la prolifération de nuisibles dans les cellules. Selon le témoignage d’un détenu de la maison d’arrêt de Basse-Terre en 2017 recueilli par la CGLPL, « nous sommes trois dans une cellule. Je dors au sol dans des locaux vétustes à moins d’un mètre d’une poubelle. La nuit, je suis réveillé par des cafards qui me marchent dessus ».
À titre d’illustration, le centre de détention de Bédenac et le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses ont fait récemment l’objet de visites de la part des équipes du CGLPL. La deuxième visite du centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses, réalisée en juin 2021, a ainsi donné lieu, selon un document remis à la commission d’enquête, « au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves qui permettent de considérer que les conditions de vie des personnes détenues au sein de cet établissement sont indignes ». La surpopulation dramatiquement élevée de l’établissement – 186 % d’occupation pour le quartier maison d’arrêt des hommes et 145 % pour le quartier maison d’arrêt des femmes au moment du contrôle ; près de 200 matelas au sol au centre pénitentiaire (soit presque le quart du nombre de matelas au sol pour l’ensemble des établissements en France) affecte tous les aspects de la détention. La CGLPL a ainsi recommandé de mettre en place des mesures urgentes concernant la surpopulation pénale, la rénovation des cellules, la désinfection et l’accès aux soins somatiques de cet établissement.
La situation est particulièrement inquiétante dans les outre-mer, en particulier les établissements visités de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et de Rémire-Montjoly, en Guyane. Ces rapports font état de conditions de détention indignes, d’hébergement précaire voire insalubre et d’un climat de violence extrême « dans un contexte d’inactivité généralisée des détenus ».
Comme en a témoigné Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, lors de son audition par la commission d’enquête, les problèmes d’hygiène sont importants dans les prisons en France. « Lors de ma première visite dans une prison, j’ai éprouvé le choc carcéral. J’ai alors compris ce que représentait la situation de trois personnes encellulées dans 4,3 mètres carrés, compte tenu de la place prise par les équipements. J’ai entendu des hommes nous raconter que quand l’un allait aux toilettes, ses codétenus devaient augmenter le volume de la télévision. Un autre nous racontait attendre que ses codétenus se rendent en balade pour aller aux toilettes. À la prison de Seysses, occupée à 180 %, les détenus faisaient leurs besoins dans des seaux en raison de l’indisponibilité des toilettes. Nous recevons des lettres de détenus qui se disent terrorisés en raison des importantes infestations de cafards dans les cellules. Certains détenus dormant sur le sol nous racontent qu’ils se calfeutrent la nuit dans leurs draps et se bouchent leurs oreilles avec du papier hygiénique pour se protéger des cafards. Il existe de nombreux exemples en la matière ». La promiscuité créée par la surpopulation carcérale dégrade les conditions de détention, jusqu’à engendrer des carences importantes en termes d’hygiène et de santé.
Ces exemples extrêmes ne doivent pas être généralisés à l’ensemble du parc pénitentiaire français. Pour autant, il faut reconnaître que, mécaniquement, les prisons surpeuplées ne permettent pas de réunir des conditions de travail idéales pour que les personnels pénitentiaires puissent remplir leur mission de réinsertion. Comme l’a rappelé M. François Jean, secrétaire général adjoint du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire FSU, « la surpopulation carcérale, les conditions de détention indécentes, les conditions de travail peu propices à une intervention quantitative pour l’ensemble des personnels pénitentiaires, ne permettent pas un travail de qualité sur la prévention de la récidive. La surpopulation entraîne de facto la dégradation des conditions de détention : promiscuité, offres de travail, de formation, d’activité déjà sous-dimensionnées par la capacité théorique de l’établissement. Les personnels pénitentiaires, dans l’encadrement au quotidien des détenus et dans l’accompagnement et la préparation à la sortie, sont dans l’impossibilité numérique et temporelle de répondre à toutes les demandes ».
c. La surpopulation, facteur d’augmentation des violences carcérales
i. Des conditions propices aux violences
L’article 44 de la loi pénitentiaire de 2009 dispose que « l’administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ». Cependant, la surpopulation est souvent un catalyseur d’un climat de détention dégradé. Selon la CGLPL, c’est un facteur de perturbations de l’ordre intérieur notamment en raison de la sur-occupation des cellules et des cohabitations forcées.
Le lien entre la surpopulation et le niveau de violence n’est pas forcément démontrable, mais a été souvent évoqué lors des auditions menées par cette commission d’enquête. Ainsi, les syndicats du personnel pénitentiaire ont pointé le climat de violence engendré par la surpopulation. M. Sègla Blaise Gangbazon, représentant de la Confédération française des travailleurs chrétiens note ainsi que « la surpopulation et la promiscuité dans les cellules sont vecteurs d’agressions physiques et verbales ».
L’administration pénitentiaire ne reste pas sans rien faire face à ces réalités. Un plan national et pluriannuel de lutte contre les violences a été construit a été mis en place et sa traduction en détention s’appuie sur trois axes : le repérage (avec notamment le développement de l’applicatif PRINCE relatif à la remontée des incidents), la prévention (avec le renforcement de la formation des personnels dans ce domaine et la mise en place de campagnes de sensibilisation et de prévention) et la prise en charge (avec la réforme de la procédure disciplinaire et la mise en place d’unités pour détenus violents centrées sur des actions de désengagement de la violence) ([124]).
S’il demeure difficile d’établir une typologie des causes de la violence, il apparaît que les conditions de détention et les relations carcérales la favorisent. En dehors de la psychologie individuelle des détenus, plusieurs éléments explicatifs permettent de saisir le phénomène de violences ([125]) :
– la peur, qui peut aussi favoriser la non-dénonciation du fait d’une culture de l’omerta ;
– la méfiance, qui imprègne les relations sociales de tous les acteurs de la prison ;
– la promiscuité, en particulier dans les maisons d’arrêt, qui entraîne absence d’espace à soi et cohabitations obligées ;
– l’impuissance liée à la dépendance des personnes détenues en ce qui concerne leur situation judiciaire et leur vie quotidienne, alimentant les frustrations ;
– l’instabilité des règles quotidiennes, qui peuvent être marquées par l’arbitraire.
L’ensemble de ces facteurs est aggravé par la surpopulation.
Dans un rapport sur les violences dans les lieux de privation de liberté, la CGLPL note que les nuisances sonores sont aussi facteur de violences : « en détention, les constats portent à la fois sur le bruit permanent et sur l’intensité assourdissante du silence de certaines maisons centrales qui créé un sentiment de malaise et de déshumanisation. L’excès comme l’absence de bruits variés sont générateurs de violences » ([126]).
La conception architecturale de certaines cellules peut aussi favoriser les incidents, notamment lors des déplacements des personnes détenues convergeant vers les mêmes lieux. Ces mouvements entraînent des regroupements propices aux trafics ou aux intimidations.
ii. Les violences à l’encontre des personnels et des intervenants extérieurs
● En 2020, selon les données fournies par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), 20 570 faits d’agressions verbales et physiques ont été commis à l’encontre des personnels pénitentiaires, soit une baisse de 10 % par rapport à l’année 2019. Le nombre de violences à l’encontre du personnel enregistre une baisse de 4,5 % entre 2017 et 2020.
Dans 82 % des cas, les violences prennent la forme d’insultes ou de menaces. La DAP recense 3 611 faits de violences de nature physique, soit une sur cinq. Parmi les violences physiques recensées, le personnel a été victime de coups ou de bousculades dans 68 % des cas, de morsures ou crachats dans 15 % et de projections d’objets dans 12 % des cas. Les violences commises au moyen d’une arme ont été relevées dans 4 % des cas recensés.
Ces violences ont lieu en majorité dans les maisons d’arrêt, pour 66 % des cas recensés, ainsi que dans les centres de détention pour 26 % des violences commises sur les personnels. À l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, 76 % des incidents ont lieu dans un « autre lieu », qui peut correspondre aux cellules, aux coursives ou encore aux terrains de sport. Les quartiers de détention concentrent 10 % des violences.
En 2020, selon l’administration pénitentiaire, 29 faits de violence ont été signalés à la permanence nationale concernant un intervenant extérieur. Parmi les faits signalés, cinq ont pris la forme de violences verbales, huit étaient des coups portés ou bousculades, quatre des agressions sexuelles, deux des prises d’otages et la dernière consistait en une agression impliquant une strangulation. Dans 71 % des cas, les victimes étaient des membres du personnel médical.
● En 2021, afin de mieux appréhender ce phénomène, des nouvelles modalités de recensement ont été mises en place permettant de préciser les lieux de violences. Ainsi, sur les 971 incidents recensés entre le 1er janvier et le 21 septembre 2021, 47 % ont eu lieu en cellule, 13 % dans les quartiers de détention et 12 % lors des mouvements de réintégration, dont les cours de promenade. Les violences avec arme ou objet sont plus fréquentes en cellule pour 60 % des faits, tout comme les coups ou bousculades (51 % des cas) alors que les crachats sont plus fréquents au quartier de détention (pour 39 % des faits).
Concernant les intervenants extérieurs, on recense, entre le 1er janvier et le 13 septembre 2021, 29 faits de violences : dix agressions verbales, neuf coups portés ou bousculades et cinq agressions sexuelles. 76 % des victimes appartenaient au personnel médical.
iii. Les violences à l’encontre des personnes détenues
● Dans un rapport réalisé en 2019, l’OIP souligne que les violences commises par des personnels pénitentiaires sur des détenus ne sont pas comptabilisées ([127]). À titre indicatif, le rapport indique qu’en 2018 le Défenseur des droits a traité 250 saisines mettant en cause des personnels de surveillance, dont 62 % concernaient des faits des violences. En deux ans, l’OIP indique avoir reçu près de 200 signalements de ce type de violences. Comme le précise ce rapport, ces données ne sont pas faciles à analyser, mais « elles témoignent a minima du fait que les violences perpétrées par des personnels pénitentiaires ne sont pas exceptionnelles ».
Bien sûr, les procédures disciplinaires existent et l’administration pénitentiaire rappelle clairement que toute forme de violence, physique ou verbale de la part des agents pénitentiaires, est interdite et sanctionnée. Selon la DAP, « dans l’attente de leur passage en conseil de discipline national, les agents sont généralement suspendus provisoirement de leurs fonctions sur le fondement de l’article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. […] Dans la plupart des cas, en parallèle de la sanction disciplinaire, les agents sont poursuivis et condamnés pénalement pour le chef de violences commises par une personne dépositaire de l’autorité publique ».
● Concernant les violences commises entre détenus, selon la direction de l’administration, 9 484 actes de violence ont été commis en 2018, 9 626 en 2019, 8 204 en 2020 et 7 188 sur les trois premiers trimestres de 2021. Le recensement de ces actes repose sur le signalement produit par le personnel de surveillance au moyen de comptes rendus d’incidents. Si le fait est grave, il est signalé à la permanence téléphonique nationale. L’outil statistique de recueil des violences est donc fonction des remontées administratives.
En outre, une part des violences échappe sans doute à toute mesure, car les incidents n’affectant pas gravement l’intégrité physique des détenus ne sont pas ou peu détectés. Selon la CGLPL, « les violences "discrètes" qui ne laissent pas de marques visibles, et que les victimes craignent de révéler, sont probablement sous-évaluées, dans des proportions mal connues » ([128]).
Proposition n° 12
Lutter davantage contre les violences commises en détention en développant les statistiques, à l’aide notamment d’enquêtes de victimation auprès de la population carcérale, et en étudiant les facteurs et formes de violences en détention.
● Dénoncer les violences subies en détention peut être compliqué : dans un rapport sur les violences interpersonnelles dans les lieux de privation de liberté, la CGLPL explique que cela suppose « de rédiger une requête pour obtenir un entretien avec un officier ou un membre de la direction. Or, dans de nombreux établissements pénitentiaires, les personnes détenues se plaignent de ce que leurs requêtes ne sont pas traitées ou ne parviennent pas à leur destinataire. Les contrôleurs constatent fréquemment que les requêtes, quelle qu’elles soient, ne sont pas enregistrées et qu’elles ne reçoivent pas systématiquement de réponse » ([129]).
Les personnes détenues n’ont par ailleurs pas toujours connaissance de leurs droits et des procédures pour les faire valoir. Même si l’accès au droit a beaucoup progressé en détention, avec notamment le déploiement des points d’accès au droit et du réseau des délégués du Défenseur des droits, il semble que saisir la justice pour des faits de violences demeure difficile pour les personnes détenues. Selon l’OIP, « obtenir justice pour une personne détenue victime de tels agissements relève d’un véritable parcours du combattant : il lui faut d’abord connaître ses droits, pouvoir déposer plainte, étayer les faits par un certificat médical, des témoignages ou des images de vidéosurveillance… autant d’obstacles difficiles et parfois impossibles à surmonter dans l’univers contraint et fermé de la prison » ([130]).
Qu’elles soient commises par d’autres personnes détenues ou par des agents pénitentiaires, les violences ne peuvent rester impunies en détention. La prison ne doit jamais être une zone de non droit, votre Rapporteure insiste sur ce point. Elle rappelle toutefois que la détention est un espace où des tensions peuvent survenir ; il faut en tenir compte pour appréhender ces problématiques avec lucidité et sanctionner les violences.
Pour mieux tenir compte de ces réalités, votre Rapporteure appelle à simplifier les démarches permettant aux personnes détenues de signaler des violences subies. Elle propose pour cela d’utiliser l’actuel déploiement du numérique en détention et de prévoir, dans la plateforme interne à chaque établissement, un espace dédié au signalement des violences. Il conviendra ensuite d’établir une procédure de traitement de ces signalements en lien avec les autorités compétentes.
Proposition n° 13
Dématérialiser les procédures de signalement des violences subies par les personnes détenues, dans le cadre du grand plan numérique déployé en détention.
Autoriser l’accès à ces données au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, aux membres du Parlement et aux bâtonniers.
Faciliter le traitement de ces signalements en lien avec les autorités compétentes.
2. Les normes internationales et européennes de détention ont permis de renforcer le contrôle des établissements pénitentiaires
a. Les normes internationales et européennes ont débouché sur un ensemble de prescriptions concernant la condition digne de détention
Plusieurs conventions internationales relatives au droit pénal, adoptées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies, ont reconnu aux détenus un certain nombre de droits. Le pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966 pose le principe du respect de la dignité inhérente à la personne, même en cas de privation de liberté. En outre, le protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, ratifié par la France en juillet 2008, impose aux États de mettre en œuvre un mécanisme de contrôle interne et indépendant des lieux de privation de liberté et de se soumettre aux visites du sous-comité de l’ONU.
L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », cet article n’admettant aucune dérogation. L’article 25 garantie en outre qu’un individu puisse déposer plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) lors d’une violation de la Convention ou de l’un de ses protocoles additionnels par un État partie. Ce recours individuel supranational ouvert à toute personne, même détenue, a permis d’élargir l’influence européenne sur le droit pénitentiaire.
Depuis l’arrêt Kudla contre Pologne du 26 octobre 2000, la CEDH a admis que l’article 3 était applicable aux conditions de détention ([131]). Ainsi, il revient à l’État de garantir que les conditions de détention « ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention » en s’assurant notamment du bien-être du prisonnier. La jurisprudence de la Cour a aussi permis de dégager des normes européennes sur la dignité des conditions de détention. Ainsi, est exigée une surface minimale de trois mètres carrés de surface au sol par détenu en cellule collective ([132]). Pour la CEDH, les États doivent « réduire le nombre de personnes incarcérées, notamment en appliquant davantage des mesures punitives non privatives de liberté et en réduisant au minimum le recours à la détention provisoire » ([133]). Lors de son audition, M. Régis Brillat, secrétaire exécutif du Comité européen de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), a rappelé que la norme défendue par cet organisme est la suivante, « à savoir une superficie de six mètres carrés pour une cellule individuelle et de huit mètres carrés pour une cellule occupée par deux détenus. La partie toilettes, séparée du reste de la cellule, n’est pas prise en compte dans le calcul de ces superficies ». En cas d’occupation collective, la superficie doit être de quatre mètres carrés par personne supplémentaire ([134]).
La France a par la suite fait l’objet de procédures devant la Cour européenne des droits de l’homme du fait des conditions de détention. Dans l’arrêt Canali de 2013 ([135]), la Cour jugeait que les conditions de détention à la prison de Nancy étaient constitutives d’un traitement dégradant du fait de son insalubrité et de sa surpopulation. Cet arrêt fut le premier à s’attaquer aux conditions générales de vie en détention, et non uniquement à la condition particulière d’un détenu ([136]). Ainsi, dans l’arrêt J.M.B et autres contre France du 30 janvier 2020, la Cour constatait l’indignité de détention dans lesquelles vingt-sept personnes avaient été détenues dans six établissements pénitentiaires : Ducos, Nîmes, Nice, Nuutania, Fresnes et Baie-Mahault, du fait de la vétusté et de l’insalubrité des installations ([137]). Pour la Cour, les possibilités restreintes de sortie de cellule et d’accès aux activités offertes aux détenus n’étaient pas de nature à compenser la réduction de leur espace de vie du fait d’une surface disponible par détenu en cellule inférieure à trois mètres carrés ([138]). La Cour recommandait alors à la France d’adopter des mesures générales pour garantir des conditions de détention dignes, notamment par la « résorption définitive de la surpopulation carcérale ».
b. La prise en compte récente de l’opposabilité des conditions de détention par le juge interne
La Convention européenne des droits de l’homme ainsi que les arrêts de la Cour européenne en découlant sont invocables devant le juge interne et opposables aux autorités publiques. Cependant, les recours devant le juge judiciaire ou le juge administratif se sont longtemps révélés peu effectifs pour les détenus.
Ainsi, dans un arrêt en 2009, la Cour de cassation avait jugé que les mauvaises conditions de détention ne pouvaient être réprimées pénalement ([139]). Devant le juge administratif, le mécanisme des référés libertés de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ont permis des avancées. Ainsi, le juge des référés du Conseil d’État a ordonné la dératisation et la désinsectisation de la prison des Baumettes dans son ordonnance du 22 décembre 2012 ([140]). Comme l’a souligné M. Mathias Guyomar, auteur de cette ordonnance, « dans les hypothèses où il y aurait des défaillances systémiques de l’administration pénitentiaire, avec un risque soit vital soit au regard de la dignité ou de l’article 3 lato sensu, le juge des référés est désormais armé juridiquement pour pouvoir intervenir en temps utile et de manière la plus efficace possible » ([141]). Cependant, ces ordonnances ne peuvent pas contraindre l’administration pénitentiaire à la mise en œuvre de mesures de grande ampleur, mais seulement de prendre des dispositions d’urgence en vue de rétablir, au plus vite, une liberté fondamentale. Comme l’a précisé le juge administratif, dans une autre décision, le juge des référés ne peut ordonner d’autres mesures que celles « qu’exige le rétablissement à court terme de la salubrité, de la dignité et de sécurité dans les conditions de détention des personnes » ([142]). Le juge ne peut ordonner que les « mesures d’urgence » susceptibles de sauvegarder « dans un délai de quarante-huit heures » la liberté fondamentale en cause ([143]), et ne peut donc prescrire « des mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique » ([144]).
L’arrêt J.M.B et autres contre France de 2020 de la CEDH a ainsi rappelé que le juge des référés français ne pouvant exiger des mesures pouvant être mise en œuvre rapidement, il ne s’agissait pas d’une voie de recours compatible avec le caractère intangible du droit protégé par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de l’homme en concluait donc à l’absence, en France, d’une voie de recours pour mettre effectivement fin aux conditions indignes de détention, soit aussi une violation de l’article 13 de la Convention consacrant le droit au recours effectif.
Le Conseil constitutionnel a suivi l’avis de la CEDH, enjoignant au législateur français d’assurer aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge des conditions de détention contraires à la dignité humaine ([145]). Dans un arrêt du 15 décembre 2020, la Cour de cassation s’est prononcée sur les manières d’examiner les conditions de détention en cas de surpopulation carcérale ([146]). Si la surface personnelle est inférieure à trois mètres carrés hors installations sanitaires alors il existe « une forte présomption » de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Seul un ensemble de facteurs pourraient réfuter cette présomption. D’une part, une limitation courte, occasionnelle et mineure de l’espace personnel. D’autre part, le fait que l’établissement pénitentiaire offre, de manière générale, des conditions de détention décente. Si la surface personnelle est comprise entre trois et quatre mètres carrés, alors d’autres aspects de la détention doivent être pris en considération, tels que l’accès à la lumière et l’air naturels ou des exigences sanitaires et hygiéniques de base, notamment l’accès facilité à des installations leur permettant d’assurer la protection de leur intimité ainsi que la lutte contre la présence d’animaux nuisibles par des moyens efficaces et des vérifications régulières.
La mise en œuvre de cette jurisprudence de la Cour de cassation a entraîné une augmentation du nombre de demande de mise en liberté au titre des mauvaises conditions de détention. Selon des données fournies par la DAP, ce sont principalement les établissements situés dans les ressorts des directions interrégionales des services pénitentiaires de Paris – 43 demandes, Toulouse – 45 demandes, Rennes – 26 demandes et des outre-mer – 101 demandes. Sur l’ensemble des demandes, onze mises en libertés ont été ordonnées par l’autorité judiciaire ([147]), neuf dans les outre-mer – dont 8 pour le seul centre pénitentiaire de Faa’a – et 1 dans le DISP de Paris ainsi que dans le DISP de Toulouse, en raison de l’état de santé de chacun des détenus. Sur l’ensemble des DISP, deux transfèrements ont été ordonnés par l’autorité judiciaire.
Le législateur a finalement créé une nouvelle voie de recours spécifique devant le juge judiciaire ([148]). Désormais, l’article 803-8 du code de procédure pénale dispose ainsi que, sans préjudice de la possibilité de saisir le juge administratif statuant en référé, « toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes ».
Cette nouvelle procédure de saisine du juge judiciaire s’effectue en plusieurs étapes encadrées par des délais courts et précis ([149]) et qui démarre par une simple requête du détenu, faite au juge qui procède aux vérifications nécessaires. S’il estime la requête fondée, le juge fixe à l’administration pénitentiaire un délai maximum d’un mois « pour permettre de mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention ». À l’issue, s’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes, le juge peut décider lui-même :
– soit le transfèrement de la personne dans un autre établissement ;
– soit la mise en liberté immédiate de la personne si elle est en détention provisoire, « le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique » ;
– soit, si la personne est définitivement condamnée, et si elle est éligible à une telle mesure, un aménagement de peine.
Le chef d’établissement est tenu de prendre toutes dispositions pour informer les détenus de la possibilité de former ce recours ([150]).
3. Un contrôle régulier effectué par une pluralité d’acteurs
a. Les autorités administratives indépendantes
i. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté
La loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 a créé le contrôleur général des lieux de privation de liberté. Son rôle est de contrôler les conditions de détention et la manière dont les détenus sont traités et de mettre en application le protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Le contrôleur général est nommé pour six ans non renouvelables par décret du président de la République, après avis des commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il a pour mission de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, dont les personnes détenues dans des établissements pénitentiaires, et notamment du respect des conditions dignes de détention. S’il peut s’auto-saisir ou être saisi par le Premier ministre, les membres du gouvernement et du Parlement ainsi que les autres autorités administratives indépendantes, l’article 6 de la loi du 30 octobre 2007 dispose que « toute personne physique, ainsi que toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux, peuvent porter à la connaissance du contrôleur général des lieux de privation de liberté des faits ou situations susceptibles de relever de sa compétence ».
Comme l’a expliqué Mme Dominique Simonnot lors de son audition devant la commission d’enquête, « avec mon équipe, nous avons la possibilité de visiter l’ensemble des établissements pénitentiaires, quand nous le souhaitons. Nous pouvons visiter l’ensemble de l’établissement, parler à l’ensemble des personnes qui s’y trouvent et nous faire remettre les documents que nous demandons. Ainsi, nous interrogeons aussi bien les détenus que les surveillants ou les directeurs. Nous réalisons des visites inopinées qui peuvent durer plusieurs journées, voire plusieurs semaines. À l’issue de chaque journée de visite, nous faisons le point au sein de notre équipe. À l’issue de la visite, nous réalisons une restitution en présence de l’ensemble du personnel de l’établissement pénitentiaire ».
Les contrôles sont effectués, par délégation, par des contrôleurs placés sous l’autorité du contrôleur général. Comme l’a décrit M. André Ferragne, secrétaire général du CGLPL, lors de son audition devant la commission d’enquête, il s’agit d’équipes pluridisciplinaires « composées de personnes chargées de la sécurité, d’un juriste et d’une personne issue des professions de santé ». Ils peuvent pénétrer à tout moment et sans préavis, dans tous les établissements où peuvent se trouver des détenus. Ils ont aussi la possibilité de visiter et s’entretenir sans témoin avec les détenus et les personnels.
Après chaque visite, le contrôleur général dresse un « rapport de constat » adressé au chef d’établissement pour le contradictoire, puis un « rapport de visite » comportant « ses observations concernant en particulier l’état, l’organisation ou le fonctionnement du lieu visité, ainsi que la condition des personnes privées de liberté, en tenant compte de l’évolution de la situation depuis sa visite » ([151]). S’il constate une violation grave des droits fondamentaux d’une personne privée de liberté, le Contrôleur général communique aux autorités compétentes ses observations et impartit un délai pour y répondre. Si le rapport peut être public, les avis ou les recommandations formulées n’ont aucun caractère contraignant. Comme l’a rappelé M. Ferragne, « nos recommandations, directement issues de nos constats, portent sur la situation de l’établissement. Par ailleurs, nous avons la possibilité d’adresser au gouvernement des recommandations de portée plus générale ; elles prennent la forme d’avis quand la question est théorique, ou de recommandations en urgence quand il s’agit d’atteintes graves que nous constatons. Ces textes sont publiés au Journal officiel et font également l’objet d’un suivi au bout de trois années. Dans le cas des recommandations en urgence, nous retournons visiter l’établissement au bout de trois ans ».
Le Défenseur des droits, créé par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, a pour mission de veiller au respect des droits et libertés par les administrations publiques. Comme l’a rappelé Mme Claire Hédon, défenseure des droits, lors de son audition devant la commission d’enquête, « l’article 4 de la loi organique du 29 mars 2011 donne compétence au Défenseur des droits pour traiter des réclamations de toutes les personnes physiques s’estimant lésées en raison d’un dysfonctionnement administratif, d’une atteinte aux droits ou à l’intérêt supérieur de l’enfant, d’une discrimination ou d’un manquement au respect de la déontologie de la sécurité. Cette possibilité est également ouverte aux personnes détenues ». Il est nommé par le Président de la République, après avis conforme de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour un mandat de six ans non renouvelables et non révocables.
Des délégués du Défenseur tiennent des permanences dans les établissements pénitentiaires pour effectuer une médiation entre les personnes détenues et les représentants des autorités publiques, en particulier en ce qui concerne les questions de logement, d’état civil, de nationalité et de droits des étrangers. En outre, le Défenseur des droits peut être saisi par toute personne s’estimant victime ou témoin de faits pouvant constituer un manquement aux règles de déontologie par des agents publics. Depuis le 20 mars 2020, il a été créé un numéro dédié pour permettre aux détenus de comprendre et d’accéder à leurs droits dans le contexte des restrictions particulières liées à la crise sanitaire. Pendant le premier confinement, environ 2 500 appels ont été traités selon les chiffres fournis par Mme Claire Hédon. Depuis juillet 2020, cette ligne dédiée a été prise en charge par la plateforme téléphonique générale du Défenseur des droits et compléte les permanences des délégués du Défenseur des droits au sein des établissements pénitentiaires.
La loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, modifiée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes a introduit le droit explicite, pour les députés, sénateurs et parlementaires européens élus en France, de « visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés ». Ces dispositions ont pour objet de « permettre aux élus de la Nation de vérifier que les conditions de détention répondent à l’exigence du respect de la dignité de la personne » ([152]).
Cependant, comme le rappelle la note du directeur de l’administration pénitentiaire du 20 janvier 2017 relative à la visite des établissements pénitentiaires par les parlementaires et les journalistes accompagnant des parlementaires, « les visites réalisées par les parlementaires, notamment auprès des détenus, ne sauraient être utilisées afin de contourner le principe selon lequel leur pouvoir de contrôle ne peut porter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Seuls les parlementaires ont un droit de visite. Ils peuvent être accompagnés par des journalistes ([153]).
c. Les magistrats et les avocats
L’article 10 de la loi pénitentiaire de 2009, modifié par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, dispose que le premier président de la cour d’appel, le juge des libertés et de la détention, le juge d’instruction, le juge de l’application des peines et le juge des enfants doivent visiter au moins une fois par an chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort territorial de compétence.
En outre, l’article 18 de la loi n° 20214-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire autorise désormais les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires ([154]).
d. Le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants
La Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a été adoptée le 26 novembre 1987 et est entrée en vigueur, en France, le 1er mai 1989. Le Comité issu de cette Convention, composé de membres élus pour quatre ans par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, doit examiner le traitement des personnes privées de liberté et tout État partie à la Convention doit autoriser la visite, par le comité, de tout lieu relevant de leurs juridictions où des personnes sont privées de liberté par une personne publique. Comme l’a rappelé M. Vincent Delbos, membre du Comité européen, lors de son audition devant la commission d’enquête, il « constitue le plus ancien organe de contrôle externe et indépendant des lieux de privation de liberté ».
Le Comité dispose de toute latitude pour visiter des lieux de détention et peut même décider de visites impromptues, y compris la nuit. Les membres peuvent se déplacer dans les locaux sans être accompagnés. Un rapport confidentiel et communiqué au gouvernement concerné est rédigé à la suite de ces visites. Ce rapport formule des recommandations à l’égard de l’État concerné.
Depuis 2000, le CPT a ainsi réalisé 6 visites ad hoc et 6 visites périodiques en France, avec la publication d’un rapport et de la réponse afférente des autorités françaises.
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En vingt ans, le contrôle des établissements pénitentiaires s’est considérablement accru – droit de visite explicite des parlementaires depuis 2000, CGLPL depuis 2007, Défenseur des droits depuis 2008, obligation de visite de certains magistrats depuis 2009, droit de visite des bâtonniers sur leur ressort depuis 2021. Favorisant la garantie des droits des détenus et la dignité de leurs conditions de détention, cette évolution était indispensable après les constats des commissions d’enquête parlementaires de 2000. Votre Rapporteure salue cette évolution et l’importance de ces différents contrôles.
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II. Un parc immobilier vaste eT VIEILLISSANT, en voie de réhabilitation
Depuis le début des années 2000, les crédits consacrés à l’immobilier pénitentiaire n’ont cessé d’augmenter, sans jamais réussir à endiguer la surpopulation carcérale.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Comme l’a souligné M. Eric Besson, chef du bureau de l’immobilier de la DAP, lors de son audition, le programme immobilier pénitentiaire a deux objectifs : d’une part, résoudre le problème de la surpopulation carcérale ; d’autre part, lutter contre la récidive en offrant de meilleures conditions de préparation à la sortie et, plus largement, à améliorer les conditions de détention, de tendre vers plus d’activité physique. Pourtant si l’immobilier pénitentiaire est une solution indispensable pour résoudre les problèmes concernant les conditions de détention, il ne saurait à lui seul suffire pour endiguer la surpopulation carcérale.
A. depuis 2018, des efforts budgétaires remarquables pour l’entretien et la rénovation du bâti existant
L’insuffisance des crédits destinés à la maintenance du parc pénitentiaire a entraîné une dégradation rapide des structures qui nécessitent des travaux lourds de rénovation. Comme l’a résumé M. Laurent Ridel, « nous disposons d’un parc immobilier ancien, offrant des conditions de détention qui ne sont pas dignes ».
Dans le même sens, dans son rapport En finir avec la surpopulation carcérale, M. Jean-Jacques Urvoas estimait que le sous‑investissement chronique dans l’entretien du parc existant a entraîné une dégradation rapide du patrimoine ([155]). En effet, sur les établissements pénitentiaires actuels, 120 établissements ont été construits avant 1920 et 15 avant 1830, sachant qu’en outre 72,6 % de ces bâtiments n’avaient, à l’origine, pas été conçus pour un usage pénitentiaire. Les programmes immobiliers en place depuis 1987 ont d’abord visé à accroître la capacité carcérale, non à entretenir ou remettre à niveau des cellules existantes : la résorption de la vétusté s’est tenue pour l’essentiel à la fermeture de quelques établissements particulièrement dégradés. Le rapport estimait que, sur 51 153 cellules au 1er janvier 2016, 18 262 pouvaient être considérées comme vétustes.
Entre 2007 et 2015, 514 millions d’euros ont été consacrés à la maintenance des établissements pénitentiaires, pour un besoin estimé à 1,170 milliard d’euros, sans compter la part des crédits non consommés en raison d’annulations en cours d’année. Comme le souligne le rapport précité, « le cercle vicieux du sous-investissement [crée] les conditions d’une détérioration rapide des établissements concernés ou d’un renchérissement du coût des interventions, ce qui restreint d’autant les marges de manœuvre de l’État ». Une étude conduite par la direction de l’administration pénitentiaire en 2017 estimait le besoin annuel minimal de crédits nécessaire à la maintenance du parc pénitentiaire à 140 millions d’euros ([156]).
Les travaux de maintenance concernent plusieurs opérations. Tout d’abord, la mise en conformité réglementaire en lien avec les normes techniques, d’hygiène ou de sécurité. L’installation des douches en cellule, par exemple, requiert d’importants travaux, qui sont progressivement conduits. Sur 97 établissements ayant répondu au questionnaire de votre Rapporteure, 27 % disposent de douches dans toutes les cellules, mais près de 30 % n’ont encore aucune cellule équipée de douche ([157]).
Ensuite, le maintien en état de fonctionnement des locaux et des équipements. Enfin, les travaux de gros entretien, de renouvellement, de réaménagement et de restructuration. Ainsi en 2021, sont notamment prévus :
– 4,1 millions d’euros pour la mise aux normes électriques du centre pénitentiaire de Bois d’Arcy ;
– 3,6 millions d’euros pour le déploiement des douches en cellules au centre pénitentiaire de Saint-Étienne ;
– 3,1 millions d’euros pour la restructuration de la maison d’arrêt de Tulle ;
– 2,6 millions d’euros pour le déploiement du système de sécurité incendie dans les centres pénitentiaires de Tarascon et de Grasse ;
– 1,1 million d’euros pour le renforcement des plafonds de la maison d’arrêt de Chambéry ;
– 1,1 million d’euros pour la séparation des cours de promenade au centre pénitentiaire d’Aiton.
Les données fournies par la direction de l’administration pénitentiaire font apparaître que les moyens budgétaires consacrés à l’entretien du parc immobilier pénitentiaires sont en forte hausse depuis 2018. En effet, alors que 60 à 80 millions d’euros étaient consacrés chaque année à la maintenance, entre 2014 et 2016, cette dotation annuelle a été relevée à 110 millions d’euros sur la période 2018-2022. Comme l’a souligné M. Laurent Ridel, directeur de l’administration pénitentiaire, lors de son audition devant la commission d’enquête, « pendant longtemps, cet entretien constituait le talon d’Achille de la pénitentiaire avec un budget insuffisant ». Grâce à des redéploiements internes, 136 millions d’euros ont été affectés à la rénovation et l’évolution du parc en 2017, 133 millions en 2018, 130 millions en 2019 et 140 millions en 2020. En 2021, 140 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 138 millions d’euros en crédits de paiement ont ainsi été prévus pour les opérations d’entretien et maintenance.
Ainsi, des programmes de rénovation, voire de reconstruction de grande ampleur sont déployés dans des établissements particulièrement vétustes. Comme l’a signalé la direction de l’administration pénitentiaire, trois grands chantiers ont été, ou sont en train d’être, réalisés ces dernières années :
– la reconstruction de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ;
– la reconstruction de la maison d’arrêt de Paris-La Santé, conduit en partenariat public-privé, pour un coût de 170 millions d’euros ;
– la réhabilitation du centre pénitentiaire de Marseille-les Baumettes, en remplacement du centre historique.
Pour les opérations de grande envergure, la mise en œuvre de cette politique immobilière est confiée, pour des raisons opérationnelles, à l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ).
L’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ)
L’APIJ est un établissement public administratif ([158]) sous tutelle du ministère de la justice et du ministère de l’action et des comptes publics. L’agence a trois missions principales : réaliser toute étude et analyse préalables relatives aux investissements immobiliers ; assurer la réalisation d’opérations de construction et de réhabilitation ; mener à bien toute mission d’assistance dans le domaine du patrimoine immobilier.
L’APIJ agit en qualité de maître d’ouvrage de plein exercice ou de mandataire, dans le cadre des grands projets pénitentiaires. Un protocole de maîtrise d’ouvrage vient cadrer le déroulement d’un projet, ainsi que les rôles de l’APIJ, de l’administration pénitentiaire et du conseil d’administration de l’APIJ, par lequel transitent les commandes.
L’APIJ ne définit pas les besoins pénitentiaires, ceux-ci sont établis par la direction de l’administration pénitentiaire, qui débloque les budgets requis. L’APIJ dispose, par décret, de l’ensemble des compétences juridiques requises pour conduire les projets, des opérations de recherche foncière jusqu’aux études préalables et financières. L’APIJ est également chargée : de la fixation du programme des locaux ; de la réévaluation du budget consacré aux opérations ; de la définition des modalités afférentes aux appels d’offres ; du pilotage des études de conception et des chantiers ; de l’accompagnement de la garantie de parfait achèvement des ouvrages.
Quant à la rénovation du parc pénitentiaire, l’APIJ n’intervient que sur les grands projets, notamment ceux de réhabilitation comme aux Baumettes, à la Santé, à Fleury-Mérogis ou à Basse-Terre. En tenant compte de l’ensemble des activités judiciaires et pénitentiaires, l’Agence gère plus de 5 milliards d’euros de commandes. Les projets de moins de 10 millions d’euros sont portés par les directions interrégionales des services pénitentiaires de l’administration pénitentiaire.
L’APIJ s’est ainsi vu confier des projets d’accroissement de capacité, notamment 300 places à Baie-Mahault, ainsi que quatre schémas directeurs de rénovation pour les établissements de Fresnes, Poissy, Faa’a et Nouméa, pour réhabiliter les sites concernés. Concernant Fresnes, l’opération est estimée entre 420 millions et 730 millions d’euros sur une période allant de cinq à dix-neuf ans, selon que l’opération serait réalisée en site libre ou occupé, et selon le périmètre d’intervention.
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B. Des programmes de construction ambitieux
Trois arguments sont souvent évoqués en faveur de la construction de prisons : l’amélioration des conditions de détention ; l’incarnation de l’autorité de l’État et la rationalisation des coûts budgétaires ([159]).
Les programmes de construction ne visent pas seulement à résorber la surpopulation carcérale, mais aussi à améliorer les conditions de détention des détenus, et de travail du personnel pénitentiaire. Les effets en sont sensibles. Comme l’a indiqué Mme Marie-Luce Bousseton, directrice générale de l’APIJ, lors de son audition devant la commission d’enquête, « au cours des dix dernières années, le nombre de mètres carrés par détenu a nettement progressé, ce qui atteste d’une amélioration des conditions de détention et des conditions de travail. Ainsi il est passé de 28 à 35 mètres carrés par détenu, pour un établissement de 500 à 600 places ». Il s’agit notamment de l’augmentation de la part des locaux dédiés à l’activité et à l’insertion des détenus.
Cependant, selon les estimations de la Cour des comptes, le respect du principe de l’encellulement individuel supposerait la construction de 32 établissements soit un investissement de 3,5 milliards d’euros au titre des constructions, 720 millions d’euros pour le recrutement des personnels et 700 millions d’euros pour le fonctionnement ([160]).
1. Depuis trente ans, les programmes de construction de nouvelles places se sont succédés sans réussir à atteindre pleinement leurs objectifs
Les programmes de construction pour absorber l’augmentation du nombre de détenus et améliorer les conditions de détention se sont multipliés depuis la fin des années 1980.
Au total, en trente ans, 24 465 nouvelles places ont été construites, faisant passer la capacité totale du parc pénitentiaire français de 36 615 en 1990 à 61 080 places en 2020 ([161]).
a. Le programme 13 000 de 1987-1989
Le garde des sceaux, M. Albin Chalandon, a décidé en 1987 de construire 25 000 nouvelles places de prison pour faire face à la surpopulation carcérale ([162]). Cette ambition a été revue à la baisse en 1989 avec un nouvel objectif de 13 000 places.
Entre 1989 et 1992, vingt-cinq établissements pénitentiaires ont été ainsi mis en service, soit une construction de 12 788 places. En parallèle, vingt-quatre établissements ont été fermés pour un total de 1 775 places. Ce « plan 13 000 » a donc permis donc la construction nette de 11 013 places, dont 40 % en maison d’arrêt et 60 % en établissements pour peine. Au 1er août 1993, la capacité des établissements a été portée à 47 628 places pour une population carcérale de 52 402 personnes.
Comme le souligne le Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire ([163]), ce programme a permis la construction d’établissements avec une capacité variant entre 400 et 600 places, et des unités d’hébergement, de taille réduite autour de 25 places avec une majorité de cellules individuelles et de fonctions centralisées. Son objectif était d’améliorer les conditions de surveillance et de favoriser la réinsertion en développant l’autonomie des déplacements de la personne détenue. Les choix fonciers se sont concentrés en zone rurale ou péri-urbaine.
En 1994, le programme Méhaignerie prévoyait quant à lui la construction de 4 000 places jusqu’en 2005 avec la construction de six nouveaux établissements, dont celui de Meaux-Chauconin.
Les objectifs ne furent pas non plus atteints. Entre 2003 et 2005, seuls six établissements furent mis en service pour un total de 3 736 places, et un solde net de nouvelles places à 2 736 places. Entre-temps, à partir de 1997, l’accent fut mis sur le financement du programme engagé ainsi que la restructuration du parc ancien.
Le programme 4 000 de 1995 place la cellule au centre de la réflexion architecturale, notamment en introduisant l’installation d’un coin sanitaire. Malgré l’extension des espaces dédiés aux activités socio-éducatives, la contrainte sécuritaire est essentielle dans ce programme : les postes protégés se sont développés et les cours de promenade doivent pouvoir être vues depuis les miradors. Selon M. Lecerf, ces choix architecturaux ont deux conséquences : d’une part, « avoir de nombreux espaces délaissés dans les surfaces à l’intérieur du périmètre de l’établissement » et, d’autre part, « une poursuite des implantations excentrées ».
c. Le programme 13 200 de 2002
En 2002, M. Dominique Perben annonça la création de 13 200 places dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la Justice du 9 septembre 2002.
Compte tenu de la fermeture de 2 485 places vétustes, le solde net a été de 10 079 places ouvertes entre 2008 et 2015.
Selon M. Jean-René Lecerf, ce programme a introduit deux nouveautés. D’un côté, une diversification des régimes de détention à l’intérieur d’un même périmètre. D’un autre côté, le développement des partenariats public-privé qui « aboutit à un renforcement de la production standardisée et homogénéisée sur l’ensemble du territoire » ([164]).
d. Le « dispositif d’accroissement de capacité » de 2004
Le dispositif d’accroissement des capacités avait pour vocation l’ouverture de 3 000 places dans les établissements pénitentiaires existants, en parallèle d’une politique pénale plus répressive. En 2016, ce programme n’avait permis la création que de 1 807 places à son achèvement.
e. Le nouveau programme immobilier de 2011-2012
Le nouveau programme immobilier lancé en 2011 avait pour ambition d’ouvrir 7 577 places à horizon 2018, pour permettre au parc pénitentiaire de disposer d’une capacité totale supérieure à 70 000 places. Entre 2014 et 2016, le nouveau programme immobilier (NPI) n’a concerné que quatre établissements pour un total de 2 463 places.
Comme l’a montré la Cour des comptes ([165]), les objectifs du programme, dont le financement n’a pas été assuré, ont été revus à la baisse. Ainsi, en 2014, le plan immobilier de 2011-2012 a été abaissé avec pour objectif d’atteindre 63 500 places en 2019, en incluant la construction de six établissements, l’extension de deux structures, la rénovation de deux sites, la création de trois quartiers nouveau concept et l’achèvement du programme « 13 200 », notamment avec l’opération de rénovation de Fleury-Mérogis.
Le NPI cherchait à remplacer les petits établissements situés en centre-ville, soit essentiellement des maisons d’arrêts. Centré sur le développement d’activités, il se traduisait par une contraction des espaces dédiés à l’hébergement. Cependant, comme le souligne le Livre blanc, ce programme a été réalisé avec une attention donnée à l’architecture, notamment en prenant en compte l’importance de la luminosité et de la végétalisation.
f. Le programme « 3 200 » de 2014
Le programme « 3 200 » ambitionne l’amélioration des conditions de détention et de travail des personnes, adossé à une politique pénale en faveur de l’insertion et de la prévention de la récidive.
Lancé en 2014, il doit s’échelonner jusqu’en 2023 sur seize sites, et s’est accompagné d’un plan « encellulement individuel » en 2016 avec la construction de quartiers de préparation à la sortie (QPS). L’objectif était de reconvertir douze structures existantes et d’en créer seize nouvelles, d’une capacité de 90 à 120 places chacune, soit un accroissement de 1 740 places à horizon 2024. L’objectif est d’atteindre un taux d’encellulement individuel de 80 % dans ces établissements.
Ainsi, alors qu’entre 1988 et 2016, le parc immobilier pénitentiaire aurait dû croître de 33 000 places, la capacité des établissements s’est en réalité accrue de 28 000 places, en raison des fermetures qui, selon le rapport de Jean-Jacques Urvoas étaient « indispensables en raison de la vétusté de bien des équipements ».
S’il apparaît nécessaire de construire, il faut réfléchir à l’emplacement des nouveaux centres pénitentiaires. Comme l’a rappelé M. François Jean, il « convient de créer de nouvelles places pour remplacer des établissements vétustes à proximité des voies de communication, des lieux habituels de résidence des PPSMJ – personnes placées sous-main de justice –, des bassins d’emploi pour favoriser les liens avec l’extérieur, le travail, la formation, les activités, l’intervention du droit commun ».
2. Les problématiques des programmes de construction :
a. Les difficultés pour trouver un emplacement allongent les délais de livraison et éloignent souvent les prisons des centres-villes
Les programmes de construction accusent presque toujours un décalage de livraison. Selon les calculs de la Cour des comptes ([166]), la durée moyenne de construction d’un établissement neuf de type centre pénitentiaire ou de rénovation de grande ampleur atteint six années et trois mois. Selon le rapport En finir avec la surpopulation carcérale, une pluralité de facteurs explique ce décalage entre les annonces et la mise en service des nouvelles places de prison ([167]). Il s’agit, tout d’abord, des difficultés liées à la recherche foncière et à l’accomplissement des formalités d’urbanisme qui peut prendre deux à trois ans. Rappelons à cet endroit, que c’est l’APIJ, Agence publique pour l’immobilier de la justice, qui est en charge d’« acquérir, pour le compte de l’État, les terrains nécessaires à la construction des établissements pénitentiaires, soit par voie amiable, soit par voie d’expropriation », comme le précise sa directrice Mme Marie-Luce Bousseton. Des expropriations sont déjà intervenues pour permettre la construction d’établissement pénitentiaire ; cela a été le cas par exemple pour le projet de Troyes-Lavau ou, plus anciennement, pour Basse-Terre et Réau - Sud-Francilien ([168]). Cependant, l’expropriation n’est que rarement utilisée, l’administration pénitentiaire préférant la concertation.
Il s’agit, ensuite, des cahiers des charges liées aux contraintes urbanistiques et environnementales, car les établissements pénitentiaires ont besoin de vastes surfaces relativement planes, proches des centres urbains et bien desservies par les transports en commun.
Ainsi, les étapes préalables à la construction d’un établissement pénitentiaire nécessitent au moins quarante-trois mois, si aucune résistance n’entrave le processus :
– trente mois en moyenne pour les études préalables et les acquisitions foncières ;
– neuf mois pour la programmation ;
– douze mois de consultations des concepteurs et entreprises sous la forme de marché de conception réalisation ;
– douze mois pour la notification de marché.
De fait, presque tous les projets d’implantation pénitentiaire font l’objet de résistances. Comme l’a souligné l’APIJ lors de son audition, si « tous les maîtres d’ouvrage font face à un dialogue difficile avec les riverains, les associations et les élus », la particularité des projets pénitentiaires est de se heurter à des résistances encore plus fortes que les projets traditionnels, nécessitant d’ouvrir un dialogue social fort, notamment avec les élus, par l’intermédiaire des préfets. Comme le rappelle le rapport de M. Jean-Jacques Urvoas, « il est rarissime que l’implantation d’une prison réponde à une aspiration des futurs riverains. Les nuisances avérées ou supposées, constituent de ce fait, un frein majeur aux programmes immobiliers ».
La présence d’un établissement pénitentiaire pose, pour un élu, des problèmes à la fois sécuritaires, sociaux et économiques. Selon M. Bertrand Barre, adjoint au maire de Béthune, « un changement récent dans le comportement des détenus, l’augmentation des nuisances sonores ainsi que les jets de colis de toute nature provenant de l’extérieur posent problème et sont à l’origine d’une inquiétude grandissante [des] administrés » ainsi que d’une dévalorisation de l’immobilier. Ainsi, Mme Ramona Gonzalez-Grail, maire de La Talaudière, fait état de problèmes liés à la proximité des habitations, notamment en raison des « intrusions permanentes de personnes qui viennent jeter des objets, de même que des projections multiples vers la prison. […] Le trafic [de cannabis] est permanent aux abords de la prison ».
On voit ainsi que le renforcement des effectifs de police ou de gendarmerie revêt une importance toute particulière pour rassurer les élus locaux et la population qu’ils représentent. Le maire de Fleury-Mérogis, M. Olivier Corzani indique justement que « jusqu’à très récemment, dans notre commune […], les effectifs dédiés à la maison d’arrêt étaient comptabilisés dans les effectifs ville de la police. Ce problème tend à se régler » et proposait à notre commission la mutualisation des moyens, à commencer par celle des centres de supervision urbains. Ce type de coopération pourrait être discutées lors des réunions trimestrielles dont l’institution est proposée ci-après. Votre Rapporteure prend bonne note du fait que les élus locaux ont besoin de davantage de transparence dans les attributions d’effectifs de police ou de gendarmerie et y reviendra plus précisément dans la troisième partie du présent rapport.
En tout état de cause, les constructions nécessitent l’implication des élus locaux pour la réussite des projets grâce à des consultations. En effet, les résistances, et notamment les recours juridictionnels qui peuvent s’en suivre, allongent les délais.
La présence d’un établissement pénitentiaire peut pourtant constituer une ressource pour les communes, notamment du point de vue social et économique. Comme l’a rappelé M. Bertrand Barre, « en ce qui concerne Béthune, la maison d’arrêt comme le tribunal judiciaire, la gendarmerie et d’autres services font partie intégrante de l’activité économique. Le travail des employés, l’usage des transports en commun, la scolarisation et les emplois dérivés bénéficient à la ville ». Comme l’a également souligné Mme Marie-Luce Bousseton, certains leviers économiques peuvent être activés, notamment au bénéfice des communes de petite taille.
Auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale en novembre 2017, M. Stéphane Bredin, alors directeur de l’administration pénitentiaire, rappelait d’ailleurs que les retombées économiques sont plus fortes pour « les départements les moins urbanisés » ([169]). Ainsi, les détenus sont comptabilisés dans la population de ces dernières, ce qui entraîne une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF), alors que les établissements ne créent aucune charge. En outre, un certain nombre d’agents pénitentiaires habitent dans la commune du centre détention. Par exemple, à Fleury‑Mérogis, 900 des 2 600 agents habitent la commune. Comme l’a rappelé M. Olivier Corzani, maire de Fleury-Mérogis, concernant la DGF de la commune « le supplément a été évalué, approximativement en fonction des années, autour de 350 millions d’euros ». En complément, l’APIJ prend en charge l’ensemble des impacts de ses centres, sur la voirie ou l’assainissement par exemple.
Lors de son audition par la commission d’enquête, M. Éric Rigamonti, économiste et professeur à l’école supérieure des sciences commerciales d’Angers (ESSCA) a cependant tenu à nuancer les retombées économiques pour les communes d’implantation des établissements pénitentiaires.
Premièrement, il a rappelé que « les emplois ne sont pas réservés aux riverains dans la mesure où ils sont pourvus par voie de concours nationaux ».
Deuxièmement, les gains économiques seraient, selon lui, « largement surestimés ». Prenant l’exemple de la nouvelle prison d’Angers, alors que les retombées économiques annuelles étaient estimées à environ 600 millions d’euros, elles ne sauraient en fait « excéder les 100 millions d’euros ». En effet, « partant du principe que le poste budgétaire le plus important dans un établissement de services est la masse salariale, et sur la base d’un millier d’emplois – en réalité, il s’agirait plutôt de 750 emplois – à raison de 30 000 euros de salaire annuel moyen, on arriverait ainsi à une trentaine de millions d’euros. Même si les retombées économiques étaient en définitive deux ou trois fois supérieures, l’ordre de grandeur serait de la centaine de millions d’euros tout au plus, bien loin du montant annoncé ». En outre, les contrats de travaux et de services sont avant tout gérés par des centrales d’achats nationales, et peu de prisons ont développé une politique d’achat locale. Comme l’a rappelé le garde des Sceaux lors de son audition, actuellement 15 % des produits achetés pour la restauration sont d’origine locale, et, en application de la loi dite « EGalim » de 2018 ([170]), l’objectif est d’atteindre 25 %, même si des difficultés peuvent se poser dans certains territoires.
Troisièmement, M. Éric Rigamonti précise que « les surveillants résident généralement dans d’autres communes, pas toujours à proximité de la prison », notamment pour des raisons de sécurité et de tranquillité ; « ils dépenseront donc vraisemblablement leur salaire dans d’autres communes que celle où la prison est construite ».
De plus, les détenus ne sont pas comptabilisés au titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU). Enfin, les maires auditionnés par la commission d’enquête ont noté des moyens financiers souvent insuffisants, notamment parce que la DGF ne prend pas en compte « l’espace foncier utilisé par le ministère » ([171]) dont ne dispose plus la commune, ni « la présence des agents qui sont demandeurs de services publics élargis » ([172]). Les rotations d’agents entraînent un renouvellement constant du public scolaire mais aussi une forte demande en termes de services publics pour les communes d’accueil. En raison des horaires spécifiques des agents, la mairie de Fleury-Mérogis a par exemple mis en place une crèche « dont les horaires s’étalent de six heures trente à dix-neuf heures trente », avec dix places réservées aux agents du ministère de la justice.
Proposition n° 14
Conduire une réflexion globale sur les leviers financiers à même de faciliter l’adhésion des élus locaux :
– s’agissant de la part de la dotation générale de fonctionnement destinée à la péréquation communale pour les communes accueillant des établissements pénitentiaires, de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, des modalités de calcul du taux de logements locatifs sociaux, du financement de dispositifs ponctuels tels que « Action cœur de ville » ou « Petites villes de demain » ;
– concernant les retombées économiques locales des établissements pénitentiaires par le biais d’une politique volontariste d’approvisionnement auprès des commerçants et producteurs locaux.
M. Jean-René Lecerf note aussi l’importance de mettre en place « dans chaque département une réunion annuelle coprésidée par le préfet et par le président du conseil départemental, le département ayant un rôle à jouer de par ses compétences sociales, à laquelle participeraient aussi le président du conseil régional ou son représentant, des parlementaires, le président de l’association des maires, les directeurs d’établissement, les présidents de tribunaux de grande instance ainsi que les procureurs. N’y aurait-il qu’une réunion annuelle, au moins ces personnes se connaîtraient. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas ; elles ne savent pas parler ensemble alors qu’elles sont interdépendantes ».
Améliorer les relations entre les acteurs locaux, les membres du Parlement, le représentant de l’État et l’administration pénitentiaire en instituant des réunions trimestrielles à l’échelle des territoires possédant une prison.
Ces difficultés certes ralentissent les projets, mais elles peuvent aussi avoir une incidence sur les choix géographiques d’implantation des établissements. Deux problématiques en découlent. D’une part, comme l’a expliqué M. Hubert Moreau, directeur interrégional Grand-Est-Strasbourg : « on peut regretter que les décisions politiques ne soient pas toujours en corrélation avec les besoins recensés, notamment en matière de cartographie des établissements ». D’autre part, cela conduit souvent à éloigner les prisons des centres-villes, ce qui pose le problème du maintien des liens familiaux.
b. L’inefficacité des partenariats public-privé
Dès 1987, pour « soulager l’État sur le plan financier » selon les mots du garde des sceaux, M. Albin Chalandon, une partie de la gestion des établissements pénitentiaires a été attribuée à des entreprises privées dans le cadre de marché de « conception-réalisation » ([173]). La loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice ([174]) a ouvert au domaine pénitentiaire la possibilité de recourir à la procédure dite d’autorisation d’occupation temporaire-location avec option d’achat (AOT-LOA). Ainsi l’administration pénitentiaire peut confier à un opérateur privé le financement, la conception, la réalisation d’une opération ainsi que la responsabilité de l’entretien et de la maintenance de l’établissement moyennant le versement de loyers pendant trente ans, avant d’en devenir propriétaire. La convention de bail définissait la consistance, le loyer et les modalités d’exécution des prestations. L’AOT précisait la durée de l’occupation, les conditions de réalisation et de retrait du titre, l’affectation des installations à l’échéance de l’autorisation et les engagements réciproques du bénéficiaire et de l’État. En 2004, cette formule a été remplacée par celle du contrat de partenariat, permettant à l’administration de passer un contrat avec un interlocuteur unique en charge de la conception, la réalisation et du financement de l’opération, ainsi que de l’entretien et la maintenance de l’ouvrage. L’administration pénitentiaire n’avait pas à recourir à un marché distinct pour les prestations à la personne (ou gestion déléguée). Sept établissements ont été réalisés sous cette formule, à savoir Réau, Lille Annoeullin, Nantes, Riom, Valence, Beauvais et Paris-La Santé.
Les partenariats public-privé (PPP)
Les PPP, relevant des articles L 1112-1 et suivants du code de la commande publique, sont des contrats administratifs globaux qui comprennent le financement de tout ou partie d’une opération immobilière, la construction, la transformation, l’entretien, la maintenance l’exploitation ou la gestion d’ouvrage, d’équipement ou de bien immatériel nécessaire au service public.
Le titulaire du contrat, ou co-contractant, peut aussi fournir des prestations concourant soit à l’exercice par la personne publique de sa mission de service public, soit même à l’exercice d’activités étrangères à l’exécution du service public.
La durée de ces contrats correspond généralement à la période d’amortissement des ouvrages, ce qui implique une relation contractuelle longue de l’ordre d’une trentaine d’années. Le partenaire est rémunéré sous la forme d’une redevance payée par la personne publique et étalée sur la durée du contrat, mais dont la mise en paiement débute à compter de la prise de possession de l’ouvrage par l’administration. La rémunération du partenaire est susceptible de varier en fonction de résultats associés à des objectifs de performance.
Les PPP permettent de lisser l’investissement sur le long terme en reportant le coût initial d’investissement sur les entreprises. Ils ont pour objectif de permettre une construction plus rapide en transférant une partie du risque sur le partenaire privé.
Actuellement, les partenariats public-privé pénitentiaires sont constitués de cinq lots de prisons et de la maison d’arrêt de Paris-La Santé, soit un total de quatorze établissements. Les loyers annuels, qui comprennent les redevances investissement, financement et fonctionnement devraient atteindre 223,8 millions d’euros en moyenne entre 2020 et 2036, soit 40,5 % des crédits consommés en 2015 pour l’immobilier pénitentiaire. Ainsi, pour maintenir la part que représentaient les loyers de PPP dans les crédits immobiliers de l’administration pénitentiaires en 2015, ces derniers devraient augmenter de 59 % en 2020.
Selon la Cour des comptes, cette hausse étant peu compatible avec le taux de croissance des dépenses publiques, l’évolution du coût des PPP représentera un coût croissant des dépenses immobilières et aura un effet d’éviction sur les autres dépenses immobilières ([175]). Selon la Cour des comptes, les coûts annuels de PPP en fonctionnement devraient atteindre 170 millions d’euros en moyenne entre 2020 et 2036, alors que l’ensemble des dépenses immobilières de l’administration pénitentiaire ne représentait que 223 millions d’euros en 2015. Les engagements de l’État relatifs aux PPP pénitentiaires, c’est-à-dire les sommes qu’il doit encore payer dans le cadre de ces contrats, étaient évalués à 5 milliards d’euros début 2017. Entre 2019 et 2027, les loyers annuels d’investissement dus au titre des PPP pénitentiaires devraient s’élever à 64 millions d’euros, réduisant de fait la capacité de financement du programme de construction.
Le recours à ces contrats de partenariats est assorti de conditions spécifiques. En effet, une évaluation préalable est indispensable, indiquant si l’opération en cause est éligible à l’un des critères justifiant le recours à un partenariat, soit la complexité du projet ([176]), le caractère d’urgence ([177]) ou l’efficience économique ([178]). La Cour des comptes souligne que l’évaluation préalable effectuée par l’État s’est traduite « systématiquement par des bilans concluant à l’intérêt de recourir à cette formule », notamment en raison de l’utilisation de chiffres peu transparents, de la définition d’une complexité surtout interne au contrat et non en raison de facteurs externes et d’une évaluation du coût économique systématiquement favorable par la sous-estimation du risque supporté par l’administration ([179]).
Au titre du programme immobilier 13 200, trois lots ont été réalisés en maîtrise d’ouvrage privée (AOT-LOA) :
– le lot 1, réalisé de juillet 2004 à novembre 2009, qui comprend le centre de détention de Roanne, la maison d’arrêt de Lyon et les centres pénitentiaires de Nancy et Béziers ;
– le lot 2, réalisé d’octobre 2006 à janvier 2010, et qui comprend les centres pénitentiaires de Poitiers et du Havre ainsi que la maison d’arrêt du Mans ;
– le lot 3, réalisé en PPP entre février 2009 et décembre 2011, avec la création de 1 996 places sur trois établissements : le centre pénitentiaire de Lille pour 688 places, le centre pénitentiaire du Sud francilien pour 798 places et la maison d’arrêt de Nantes pour 510 places. Ce lot inclut des services à la personne pour vingt-sept ans.
Les loyers ont ainsi commencé à être versés en 2009. La loi de finances pour 2022 prévoit, pour l’ensemble de ces lots, des loyers de fonctionnement et d’investissement de 2,1 milliards d’euros chacune. Les loyers annuels de fonctionnement vont ainsi passer de 64,4 millions d’euros en 2020 à 83,3 millions d’euros en 2023, soit une hausse de 30 %. Les loyers de financements atteindraient, quant à eux, 638 millions d’euros.
Au titre du nouveau programme immobilier de 2011-2012, les contrats de partenariat pour la construction et la maintenance d’établissements pénitentiaires sont divisés en trois lots :
– le lot A en PPP, signé en décembre 2012 et livré en 2015, concerne les centres pénitentiaires de Valence pour 456 places, et de Riom pour 554 places et inclut des prestations de services à la personne pour une durée de neuf années ;
– le lot B en AOT-LOA, signé en décembre 2012, qui concerne le centre pénitentiaire de Beauvais, soit 594 places de détention, et ne comprend pas de services à la personne ;
– le centre pénitentiaire de Paris-la Santé, en PPP, signé en novembre 2014, soit un engagement de 259,5 millions d’euros pour la démolition-reconstruction de ce centre pénitentiaire, livré le 22 juin 2018.
Les loyers pour ces lots ont commencé à être versés dès 2015. Selon le programme annuel de performance du projet de loi de finances pour 2022, « la direction de l’administration pénitentiaire a engagé une démarche volontariste pour profiter des conditions favorables proposées par les marchés financiers afin de refinancer les emprunts bancaires privés initiaux adossés à deux contrats de partenariat, dont les maturités sont alignées sur la durée de la phase d’exploitation des sites (25 ans, soit jusqu’en 2040) ». L’objectif est ainsi d’optimiser les loyers « investissement-financement » payés par l’État, en réduisant les marges bancaires. Au total, pour ces établissements, les loyers d’investissement devraient atteindre 579 millions d’euros, les loyers de fonctionnement 748,4 millions d’euros (en hausse constante) et 383 millions d’euros pour les loyers de financement.
Cependant, comme l’a souligné un rapport de la Cour des comptes en 2017, le choix des partenariats publics-privés se révèle, sur le long terme, fort peu judicieux concernant l’immobilier pénitentiaire.
i. Un choix avant tout budgétaire…
Même si la rapidité et l’efficacité de la construction sont évoquées, le choix des PPP était avant tout guidé par une contrainte budgétaire. Ainsi, de 2004 à 2010, Eurostat a recommandé de ne pas comptabiliser ces contrats de partenariats dans les actifs publics ni dans la dette publique dès lors que le risque était supporté par la personne privée. Toutefois, en 2010, l’office statistique européen a revu sa position, classant ces contrats en dette publique dès lors que, en cumulant les financements directs et indirects, le financement public était prédominant. Comme l’établit la Cour des comptes ([180]), la révision de cette doctrine a entraîné une réduction drastique du nombre d’établissements dont la construction, en 2010, était prévue en PPP – de dix sur onze, à seulement un tiers.
Les acteurs publics ont toutefois continué de recourir aux PPP. Selon un rapport de l’Inspection générale des finances de décembre 2012 ([181]), les PPP permettent aux acheteurs publics de s’affranchir de contraintes budgétaires en étalant dans le temps la dépense d’investissement et en décalant de plusieurs années le début des paiements. Les opérations immobilières décidées en 2010 n’ont commencé à être payées qu’en octobre 2015, décalage qui permet de desserrer la contrainte budgétaire. L’horizon budgétaire des PPP dépassant les programmations triennales et pluriannuelles des finances publiques, les gestionnaires n’intègrent dans leurs prévisions que les loyers annuels. Les PPP permettent donc de sanctuariser des crédits et d’échapper à la régulation supportée par les opérations conduites en maîtrise d’ouvrage publique. Ils permettent aussi de disposer de ressources pour effectuer des opérations d’entretien-maintenance, au contraire des opérations en gestion publique.
Ces opérations font pourtant peser un risque d’éviction sur les autres dépenses de l’administration pénitentiaire en raison de la part croissante des loyers de PPP, tant en investissement qu’en fonctionnement. Le décret n° 2012-1093 du 27 septembre 2012 a rendu obligatoire la réalisation d’une étude portant sur l’ensemble des conséquences de ces opérations sur les finances publiques, la disponibilité des crédits ainsi que sur leur comptabilité avec les orientations de la politique immobilière de l’État.
ii. … qui se révèle coûteux sur le long terme
Tout d’abord, les contrats en PPP sont concentrés autour d’un nombre limité d’acteurs de la construction, limitant de fait la mise en concurrence. Pour l’APIJ, un contrat de partenariat élargi aux services permettait à l’administration pénitentiaire de n’avoir qu’un seul interlocuteur et de développer une démarche en coût global, permettant une synergie entre la construction et l’exploitation. Cependant, du fait de l’importance du volume de l’opération, les candidatures se sont limitées aux quatre grandes entreprises du secteur, à savoir Bouygues, Vinci, Eiffage et Spie-Batignolles. En outre, ces contrats nécessitent la constitution d’un groupement pour une prise charge tous les aspects. Dans le domaine pénitentiaire, « la capacité d’un constructeur à s’associer avec les acteurs significatifs du marché constitue également un atout ». Le marché de la gestion déléguée est dominé par trois entreprises : Sodexo Justice Service, Gepsa et Idex. Sachant par ailleurs que les banques n’acceptent de s’associer qu’avec des partenaires dont les capacités à conduire le projet sont avérées, l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché des PPP est limitée. Le principe même du partage des risques au cœur de la logique du PPP favorise donc les entreprises importantes. Les paramètres fondant le recours au PPP n’aboutissent qu’à un marché restreint dont l’État se retrouve prisonnier.
Enfin, des coûts indirects tout au long du contrat accroissent la charge financière pour l’État, qui peut atteindre jusqu’à 10 % du coût initial du contrat ([182]).
Premièrement, le financement est coûteux. En effet, la plupart du temps le titulaire du contrat doit créer une société de projet dans laquelle des investisseurs apportent des capitaux tandis que les ressources complémentaires sont apportées par les banques sous forme d’emprunts, que l’État garantit en partie en versant un loyer aux établissements bancaires. Cette « dette cédée acceptée » des sociétés sur l’État aux banques représentait, par exemple, plus de 80 % du plan de financement du contrat de partenariat relatif au lot A pénitentiaire ([183]). Or, le taux d’intérêt consenti par les banques à cette dette est plus élevé que les emprunts souscrits directement par l’État alors que le risque est nul. Du fait des faibles marges de renégociation et de leur complexité juridique, l’État peut en outre difficilement effectuer un refinancement. De plus, le coût de financement d’un PPP doit être analysé au regard des loyers qu’il va générer. Ainsi, selon les calculs de la Cour des comptes, les loyers dus au titre de la construction (ou loyers « investissement ») vont atteindre 1,4 milliard d’euros, et ceux correspondant au financement de l’opération (loyers « financement ») 1,1 milliard d’euros, soit 44,2 % du coût global de construction.
Deuxièmement, les coûts de réalisation sont importants. Ainsi, selon les calculs effectués par la Cour des comptes, la somme des coûts additionnels ([184]) a accru de 25 % le coût de conception et de travaux du centre pénitentiaire de Riom, en PPP, contre 4 % pour Orléans-Saran en maîtrise publique. Selon la Cour des comptes, ces surcoûts résulteraient principalement du transfert des risques opérés entre la personne publique et le titulaire du contrat en PPP.
Troisièmement, les charges de maintenance des établissements en PPP sont plus importantes que celles des établissements réalisés en conception‑réalisation et dont la maintenance a été externalisée dans le cadre de marchés de gestion déléguée. Elles sont supérieures de 69 % à 81 % par rapport à la gestion déléguée. La longue durée des contrats en PPP implique en effet de prendre en compte le renouvellement d’une part plus importante de matériels.
Enfin, les contrats en PPP s’avèrent difficilement pilotables sur le long terme. Comme le rappelle le rapport de M. Jean-Jacques Urvoas, ces contrats sont très rigides pour une longue période d’une vingtaine d’années, rendant onéreuse toute modification ultérieure. L’administration pénitentiaire devient ainsi dépendante de son co-contractant et incapable d’appréhender des évolutions non prévues lors de la conclusion du contrat.
En effet, les PPP encadrent de façon stricte les relations entre les parties contractuelles. Ainsi, tous les travaux modificatifs nécessitent des avenants contractuels longs et onéreux à mettre en place, d’autant plus qu’ils induisent une hausse significative des loyers. Le lot 1 pénitentiaire, livré entre septembre 2008 et décembre 2009, comprenant le centre de détention de Roanne, la maison d’arrêt de Corbas et les centres pénitentiaires de Nancy et Béziers, a engendré 9,4 millions d’euros de travaux modificatifs en 2016, soit 3 % du coût d’investissement. Pour les travaux modificatifs, les PPP prévoient une procédure de négociation portant sur leur nature, leur montant et les modalités de réalisation. Le cadre non-concurrentiel de la négociation, entre l’État et le co-contractant rend toutefois difficile la mise en place des travaux, et, selon la Cour des comptes, le premier devis proposé apparaît presque toujours surestimé. Par exemple, une demande de déplacement de caméras de la maison d’arrêt de Nantes ou la modification des radios du centre pénitentiaire de Lille ont mis près d’un an à aboutir. La Cour des comptes souligne que la rigidité du contrat implique presque toujours un bras de fer entre l’administration et le co-contractant, à l’issue duquel la personne publique est souvent conduite à payer des travaux au-dessus du prix en situation concurrentielle. En outre, ces travaux modificatifs entraînent une augmentation des loyers d’entretien-maintenance et de renouvellement. Ainsi, entre 2008 et 2014, les quatre avenants intervenus sur le lot 1 ont entraîné une augmentation de 7,4 % du loyer de base.
Et si les contrats de partenariat fixent des objectifs d’exploitation et de performance au partenaire privé moyennant des pénalités financières en cas de retard de résolution des dysfonctionnements, ces dernières ne sont quasiment pas appliquées. Dans une relation de long terme, l’application de pénalités est délicate.
En outre, confier des prestations de maintenance sur la durée du contrat, ce peut être justifié pour lisser l’investissement en raison des coûts de maintenance, mais cela présente, en réalité, un faible intérêt financier. Le coût est peu significatif, la durée de vie moyenne de ces équipements inférieurs à la durée du contrat et l’expérience des sociétés partenaires faibles, dégradant la qualité du service. La mauvaise exécution des services a entraîné de nombreuses mises en demeure, et de nombreuses malfaçons ont été constatées.
Ainsi, selon les données recueillies en 2014 par le rapport de M. Dominique Raimbourg sur l’encellulement individuel ([185]), le coût d’une journée de détention s’avère particulièrement onéreux dans les établissements en PPP, par rapport aux autres modes de gestion.
CoÛt d’une journée de détention selon les établissements (données de 2014)
Type d’établissement |
Gestion déléguée classique |
AOT-LOA |
PPP |
Gestion publique |
Moyenne générale |
Centre de détention |
82,61 € |
146,19 € |
|
100,42 € |
93,57 € |
Centre pénitentiaire |
83,43 € |
110,23 € |
141,77 € |
87,33 € |
90,79 € |
Maison d’arrêt |
64,65 € |
112,74 € |
150,49 € |
77,08 € |
76,55 € |
Maison centrale |
296,90 € |
|
|
165,75 € |
179,02 € |
Moyenne générale |
77,95 € |
114,67 € |
144,59 € |
86,81 € |
87,05 € |
Source : Dominique Raimbourg, Encellulement individuel : Faire de la prison un outil de justice,
rapport remis à la garde des sceaux, décembre 2014
Depuis 2017, il a été décidé ne plus recourir aux contrats de partenariats, tant ce mode de gestion s’est révélé particulièrement inadapté à l’administration pénitentiaire. Comme le rappelle M. Thibault Nardi, chef du bureau de la gestion déléguée et des partenariats public-privé lors de son audition, « la durée des contrats, peu pertinents pour certaines prestations comme les services à la personne, ainsi qu’une rigidité lors de l’évolution des politiques pénitentiaires, notamment la création de nouveaux quartiers au sein d’établissements existants, nécessitent des négociations assez longues avec les prestataires ». Votre Rapporteure salue cette évolution et enjoint de continuer dans cette voie.
c. Le développement de la gestion déléguée
La logique d’externalisation des fonctions pénitentiaires non régaliennes depuis 1990 s’est traduite par une part croissante de crédits consacrés à la gestion déléguée. La part de la gestion déléguée est ainsi passée de 30 % en 2006 à 36 % du parc pénitentiaire en 2009 ([186]). En 2021, sur les 97 établissements ayant répondu au questionnaire transmis par votre Rapporteure, 37 % fonctionnent en gestion déléguée ([187]).
La gestion déléguée est un mode de gestion des établissements pénitentiaires alternative à la gestion publique, caractérisée par le transfert vers un opérateur ou un groupement d’opérateurs de la responsabilité d’organiser d’assurer un certain nombre d’activités et de services supports de l’exploitation pénitentiaire. Elle est permise depuis la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire et deux catégories de services sont principalement déléguées :
– les services à la personne : la restauration des personnes détenues et du personnel, la cantine, l’hôtellerie, la buanderie, le transport, l’accueil des familles et le travail ;
– les services d’entretien et de maintenance.
Les fonctions régaliennes de direction, de greffe et de surveillance ne peuvent être déléguées à des prestataires privés. M. Thibault Nardi le rappelle : « l’objectif principal de la mise en place de la gestion déléguée était double. Il s’agissait tout d’abord de recentrer l’administration sur ses missions régaliennes. Ensuite, il reposait sur la volonté de s’appuyer sur l’expertise d’entreprises disposant de compétences complexes dans les services délégués, notamment en raison de la complexité de la maintenance de certains équipements ».
Chaque marché de gestion déléguée a une durée de six à sept ans, et nous sommes actuellement à la quatrième génération de marchés de gestion. Une nouvelle génération de marché est en train d’être mis en place à périmètre quasi-constant. Le mode classique de la gestion déléguée s’applique à des marchés publics multi-techniques et multiservices d’une durée de six à sept ans et les prestataires interviennent sur l’existant.
Le suivi des marchés délégués repose sur un réseau à trois niveaux :
– un niveau central par le bureau de la gestion déléguée ;
– un niveau régional avec des unités de gestion déléguée ;
– un niveau local, au sein de chaque établissement, avec une cellule qui a des compétences techniques et administratives.
Selon M. Sylvain Allirot, chef de la mission maintenance de la DAP, la gestion déléguée « présente le très grand avantage pour le chef d’établissement d’avoir affaire à un interlocuteur unique pour répondre aux besoins de son établissement ». Près de la moitié des 97 établissements ayant répondu au questionnaire transmis par votre Rapporteure, signalent toutefois certaines difficultés liées aux opérations de maintenance et de restauration, mais également à la gestion de ces contrats ([188]).
Actuellement, quatre marchés de gestion déléguée sont en cours :
– les trois marchés de gestion déléguée dits MGD 2015 (2016-2022), pour 1,7 milliard d’euros en autorisations d’engagement, sont conclus pour une durée de six ans : le marché A pour des services immobiliers et des services à la personne pour 168,7 millions d’euros de crédits de paiement (32 établissements métropolitains) ; le marché B pour 43,9 millions d’euros dans sept autres établissements pénitentiaires ; le marché C qui concerne le centre pénitentiaire de Saint-Denis et celui du Port à La Réunion pour 4,1 millions d’euros ;
– le marché de gestion déléguée dit MGD 2016 (2017-2023), qui couvre l’externalisation des services d’entretien et de maintenance en outre-mer pour 4,4 millions d’euros de crédits de paiement ;
– les marchés de gestion déléguée dits MGD 2017 (2018-2024), pour 100 millions d’euros en crédits de paiement qui intègrent la prestation de gros entretien et de renouvellement pour un coût de 100 millions d’euros ;
– le marché dit MGD 2019 (2019-2024), pour 3,2 millions d’euros de crédits de paiement couvre les dépenses liées aux services à la personne du centre pénitentiaire de Beauvais.
d. Centrer la réflexion architecturale sur l’objectif de réinsertion
Les prisons n’ont longtemps été pensées que comme un simple lieu d’exécution d’une peine, donnant la priorité à la garde des détenus, par rapport à la mission de réinsertion. Pourtant la conception architecturale des projets de construction doit intégrer cet objectif.
En effet, les conditions de détention ne doivent pas s’écarter démesurément de la vie en société car tout prisonnier a vocation, un jour ou l’autre, à sortir de prison. Cela nécessite un travail sur l’architecture des bâtiments et leur intégration dans le paysage urbain et l’environnement. Les nouvelles conceptions architecturales des prisons devraient pour cela :
– s’écarter des conceptions classiques symétriques et répétitives et diversifier les réponses architecturales pour favoriser l’individualisation des parcours ;
– renouveler les concepts architecturaux en favorisant l’aération entre l’espace bâti et l’espace non construit ;
– diversifier les ambiances, en augmentant la luminosité et en créant des surfaces de rangement ;
– travailler sur la perception et les sens en valorisant la diversification des matériaux (bois, pierre) et en plaçant des horloges dans les espaces communs ;
– atténuer les signes et facteurs anxiogènes de l’enfermement : végétalisation haute et basse, cellule en étage donnant des perspectives sur l’horizon, espaces sociaux en rez-de-chaussée avec vue sur la cour intérieure ([189]).
Pour votre Rapporteure, il est essentiel de penser la prison comme un lieu de transition pour un retour dans la vie à la société. Elle doit donc disposer d’espaces de socialisation ou encore de cours de promenade mieux insérées et plus sûres. Elle salue d’ailleurs la création de structures expérimentales totalement dédiée à l’activité professionnelle, telles que décidées dans la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019 ([190]).
3. Le programme de construction « 15 000 places » face au défi d’une nouvelle architecture
Comme l’a indiqué M. Laurent Ridel, « le programme immobilier ambitionne la création de 15 000 places variées », nettes des fermetures, pour tenir compte de la diversité des situations des détenus, et de la nécessité de développer leurs activités. Hors partenariat public-privé, les crédits d’investissement immobilier augmentent de 917 millions d’euros en autorisations d’engagement, une progression de 309 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, et de 163 millions d’euros en crédit de paiement, une progression de 49,8 % par rapport à 2020.
Le programme de construction « 15 000 places » se déroule en deux phases et permettra la création de 18 000 nouvelles places et la fermeture de 3 000 places vétustes.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Ce programme immobilier vise à la création de 7 000 places dans des territoires connaissant une surpopulation carcérale importante, principalement dans les grandes agglomérations. Selon le rapport d’exécution 2021 de la loi de programmation et de réforme pour la justice ([191]), ces opérations verront la construction de 7 862 places au sein des établissements pénitentiaires, la fermeture de 2 484 places ainsi que l’ouverture de 2 000 places au sein des structures d’accompagnement vers la sortie, soit une création nette, d’ici 2022, de 7 378 places, dont 5 378 pour les seuls établissements pénitentiaires.
Fin 2021, sept opérations ont été livrées pour un total net de 2 049 places de détention créées, soit, approximativement, une construction de 3 600 places et une fermeture de 1 600 places. Cela représente 30 % des places prévues dans cette première phase du plan immobilier. Il faut aussi noter l’ouverture du centre pénitentiaire de Lutterbarch qui a permis la création de 120 places nettes, soit une ouverture de 520 places en parallèle de la fermeture des maisons d’arrêt de Colmar et de Mulhouse.
De plus, dix-huit opérations en cours de travaux permettent la production de 3 700 places, au sein de sept maisons d’arrêt ou centres de détention ([192]) et onze SAS ([193]). Ces travaux représenteront un total de 2 541 places nettes devant être livrées à la fin de l’année 2022.
En outre, quatre opérations sont à l’étude de conception pour la création de 1 260 places. Pour l’établissement de Baie-Mahault en Guadeloupe ainsi que du SAS de Ducos, les travaux devraient débuter en 2022.
Enfin, des opérations menées par la DAP permettront, d’ici 2022, la création de 180 places, comme par exemple avec la création du quartier de semi-liberté de Saint-Martin-Boulogne.
Au total, ce programme ambitionne la création de 2 499 places de centres pénitentiaires, 2 197 places de maisons d’arrêt, 2 130 places au sein de structures d’accompagnement vers la sortie, 360 places dans deux établissements du projet « Innover par des structures expérimentales de responsabilisation et de réinsertion par l’emploi », 120 places de centre de détention et 92 places en quartier de semi-liberté.
Il est indispensable, du fait de leur taux d’occupation particulièrement élevé, de faire porter l’effort immobilier en priorité sur les maisons d’arrêt.
Source : Direction de l’administration pénitentiaire
Cinq projets, pour un total de 2 750 places ont été lancés en 2019 et ont franchi le cap des concertations publiques, dont quatre ont obtenu une déclaration d’utilité publique. Il s’agit de la maison d’arrêt de Seine-Saint-Denis avec l’extension de Villepinte, du site des Murets, d’un site près d’Avignon, du projet de Saint-Laurent-du-Maroni. La maison d’arrêt de Rivesaltes, cinquième opération, est en programmation avec un futur appel d’offres.
En complément, cinq consultations publiques, pour un total de 3 200 places, sont en cours de préparation situées à Nîmes, au Muy dans le Var, à Crisenoy en Seine-et-Marne, à Vannes et dans l’agglomération d’Angers.
Enfin, une dernière vague, pour un total de 1 800 places aura lieu avec le lancement de consultations au second semestre de 2022 pour les sites de Noiseau dans le Val-de-Marne, de Bernes-sur-Oise dans le Val d’Oise et de Pau.
Ce programme vise à s’adapter aux nouvelles modalités de détention. Des établissements à sécurité adaptée ([194]) (Caen-Ifs, Troyes-Lavau), renforcée ([195]) (Seine‑Saint-Denis, Bordeaux-Gradignant) et maximale (Alençon et Vendin-le-Vieil) seront créés. Un certain nombre de SAS avec des dispositifs de sûreté allégés conçus sur un principe de déplacement autonome dans la détention seront aussi livrés. Enfin des quartiers et unités spécifiques seront mis en place, notamment les unités pour détenus violents ou encore des quartiers de prise en charge renforcée pour accueillir les personnes détenues dont le comportement pourrait nuire au bon fonctionnement de l’établissement.
b. Le déploiement d’une nouvelle architecture et de nouveaux services tournés vers le numérique
Au-delà de la création de places et de la conception des programmes de construction, l’architecture doit être une donnée essentielle pour que la prison puisse accomplir sa mission. Ainsi, depuis le nouveau programme immobilier (NPI) de 2011-2012, les établissements intègrent des espaces dimensionnés pour une offre diversifiée d’activités à l’échelle du quartier et de l’établissement dans le respect des cinq heures d’activités par jour par détenu.
Les référentiels de programmation des nouveaux établissements des différents programmes pénitentiaires participent directement à l’amélioration des conditions de détention des personnes détenues et des conditions de travail des personnels pénitentiaires. Le premier référentiel est paru en 2012 et a servi de base à la construction des établissements de Beauvais, Riom, Valence, Paris la Santé, Baumettes 2, Draguignan et Papeari. Comme l’a indiqué la DAP, il n’a, depuis, cessé d’évoluer pour permettre d’améliorer les conditions de vie des personnes détenues, de faciliter leur accès au travail et de renforcer la sécurité des personnels pénitentiaires.
Référentiels de programmation du programme 8 000 places
– La meilleure prise en compte de la qualité de l’éclairage et de la vue : orientation des ouvrants au maximum sur des vues ouvrant sur le paysage plutôt que la détention ;
– Une configuration de l’établissement en campus avec de larges voies extérieures permettant une meilleure aération et ventilation, un meilleur éclairage naturel ; que l’établissement ne se traduit plus par un immense bâtiment mais par des ensembles bâtis rappelant un modèle de petit bourg agrémenté d’espaces verts et un véritable travail sur les espaces verts et paysagers ;
– Un travail constant sur la qualité des cellules (ergonomie des mobiliers, équipement) ;
– La constitution d’un pôle d’insertion et de prévention de la récidive : développement des programmes d’insertion et des programmes de prévention de la récidive (espaces forum, bureaux d’entretien, nombreuses salles, bureaux d’accès au droit, Pôle Emploi, salles informatiques, etc.) ainsi que de salles d’activité dans le secteur d’enseignement dans chaque bâtiment d’hébergement ;
– La création et le déploiement des unités de vie familiale pour favoriser le lien familial ;
– Des espaces sportifs diversifiés (terrains de sport et gymnases, salles de musculation dans les unités d’hébergement) ;
– L’augmentation conséquente des locaux d’activités, de travail et de formation ;
– La création de salles de spectacle pouvant éventuellement accueillir des visiteurs, des salles multicultuelles ;
– La mise en œuvre de petits quartiers mère-enfant au sein des quartiers Femmes avec une plus grande autonomie par rapport au reste de la détention, une cour dédiée, etc.
– Un retour aux coursives communicantes suite au programme 4000 (Meaux, Liancourt) qui les avait supprimées, pour retrouver une communicabilité entre agents leur assurant une meilleure sécurité ;
– Un meilleur traitement de l’égalité hommes-femmes incluant des travaux de remise à niveau des locaux vestiaires par exemple ;
– Un travail attentif sur l’ergonomie des postes de travail notamment dans les postes protégés ;
– Création de locaux pour l’encadrement de détention au centre de la détention et sur les circulations principales ;
– Évolution des principes de sûreté active permettant une surveillance facilitée et une meilleure sécurité des agents (développement de l’interphonie, extension de la couverture de la vidéosurveillance).
Concernant la conception architecturale, l’APIJ indique à la commission que les programmes immobiliers intègrent désormais le principe d’une double circulation primaire, permettant de connecter l’ensemble des quartiers aux fonctions communes en détention (ateliers, unités sanitaires, parloirs) et de gérer des flux simultanés de groupes de détenus ou des déplacements individuels. Les cellules sont aussi dotées d’équipements permettant le déploiement de la téléphonie et du numérique. Il est à noter que la valeur architecturale compte pour 9 % dans le jugement des offres lors de la phase de commande.
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Aucun programme immobilier n’a réussi à résorber la surpopulation carcérale. Mme Sabrina Delattre, co-responsable du groupe travail prisons pour la Ligue des droits de l’homme, affirme que « la construction de nouvelles prisons n’a jamais résolu le problème de la surpopulation carcérale ». Selon elle, il s’agit d’une approche quantitative « qui ne traite que les conséquences de la surpopulation et favorise l’exécution de peines plus dures concernant la petite délinquance ».
Lors de son audition, M. Jean-René Lecerf a rappelé que « la nature est ainsi faite : toute place sera occupée, les magistrats sauront qu’il existe effectivement des possibilités qui représenteront en quelque sorte une solution de facilité ». Le doublement, en quarante ans, du nombre de places en détention n’a pas empêcher la surpopulation. L’augmentation de la capacité d’une prison n’apparaît donc pas comme une stratégie durable. La recommandation n° 99-22 du Conseil de l’Europe du 30 septembre 1999 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale précise que « l’extension du parc pénitentiaire devrait plutôt être une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème de surpeuplement ».
Votre Rapporteure tient à rappeler que les mesures immobilières n’en demeurent pas moins nécessaires pour remplacer certains établissements vétustes, moderniser le parc immobilier et l’adapter dans les régions où il est insuffisant.
Elle considère toutefois, elle aussi, que la construction de nouvelles places ne doit pas être la seule réponse à la question de la surpopulation carcérale. Une politique pénitentiaire va nécessairement de pair avec une politique pénale dont elle assume les décisions d’enfermement. À ses yeux, une attention particulière doit être portée à ce sujet afin d’en finir avec la surpopulation carcérale. C’est uniquement en associant ces deux aspects : politique immobilière pénitentiaire et politique pénale d’incarcération qu’une réflexion sur l’encellulement individuel pourra être menée.
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III. La politique pénitentiaire et l’utilisation du parc carcéral dépendent de la politique pénale
L’administration pénitentiaire arrive à la fin de la chaîne pénale en prenant en charge les personnes condamnées par la justice à exécuter une peine privative de liberté en milieu fermé ou en milieu ouvert. Pour reprendre l’image employée par M. Jean-François Beynel, chef de l’IGJ, elle n’est en quelque sorte que le maître d’ouvrage, quand la justice est, elle, le maître d’œuvre.
Elle ne peut donc en rien être considérée comme responsable de la situation de surpopulation carcérale. Bien au contraire, elle en pâtit, non seulement en termes de conditions de détention des personnes détenues, mais également de conditions de travail des personnels pénitentiaires.
Si la construction de nouvelles places de prison évoquées ci-avant dans le présent rapport, est une facette des réponses possibles pour améliorer ces conditions – de travail et de détention – et en finir avec la surpopulation carcérale, elle n’est sans doute pas la mesure centrale pour faire face à cette situation. Avant toute chose, nous devons changer notre regard sur la peine et faire évoluer les mentalités afin de ne plus considérer l’enfermement comme la seule réponse pénale valable.
De nombreux projets et réformes ont d’ores et déjà été conduits dans ce sens, mais la persistance de la surpopulation carcérale, qui gangrène nécessairement tout le fonctionnement de notre système pénitentiaire, conduit aujourd’hui à envisager d’aller plus loin en matière de réforme de la politique pénale pour permettre d’améliorer la politique pénitentiaire.
A. UNe réponse pénale sévère et centrée sur l’enfermement
La surpopulation carcérale chronique qui touche notre pays doit en effet être appréhendée de concert avec l’évolution des mesures prises dans le champ pénal et des condamnations prononcées par nos juridictions.
1. La sévérité des condamnations : état des lieux chiffrés de la politique pénale
a. Une tendance durable de l’augmentation des condamnations et de l’aggravation des sanctions prononcées en matière correctionnelle
En 2017, le ministère de la justice publiait une analyse sans appel de l’évolution des peines correctionnelles d’emprisonnement de 2004 à 2016 :
– le nombre de peines correctionnelles prononcées contre des majeures a augmenté de 17 % ;
– le volume d’années d’emprisonnement ferme prononcé a fortement augmenté passant de 66 100 à 87 300 années ;
– le nombre de peines d’emprisonnement en tout ou partie ferme connaît une hausse globale de 21 % ;
– en 2004, le quantum moyen d’emprisonnement était de 7 mois et demi ; il est descendu à 7 mois en 2006 et 2007 ; en hausse depuis 2012, il atteint 8 mois et 6 jours en 2016 ;
– la part de la récidive légale parmi les condamnés à de l’emprisonnement ferme est passée de 16 % en 2004 à 33 % en 2014 ;
– la part des peines inférieures ou égales à 4 mois a diminué, passant de 60 % en 2007 à 49 % en 2016 ;
– la part des peines d’emprisonnement ferme supérieures à 4 mois et inférieures ou égales à 1 an a le plus progressé, passant de 31 à 38 %.
b. Une tendance confirmée par les données de l’incarcération
i. Un fort accroissement des peines correctionnelles d’emprisonnement et de leur durée
Personnes condamnées à une peine correctionnelle : répartition selon le quantum de l’affaire en cours D’exécution
Ce tableau présente les chiffres pour l’ensemble des condamnés – détenus ou non. S’agissant des peines correctionnelles, en 2021, sur 52 862 condamnés ils étaient 41 974 détenus.
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
En l’espace de vingt ans, les peines correctionnelles d’emprisonnement ont été multipliées par plus de deux, passant de 25 166 en 2000 à 53 862 en 2020.
Les politiques pénales mises en œuvre ont un impact direct sur les durées et l’ampleur des détentions. Lors de son audition, Marcelo Aebi, chef du projet SPACE (Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe), interprétait ainsi la courbe présentée ci-dessous : « En 2007 avait été votée la loi introduisant des peines planchers. La conséquence en est immédiatement visible. Cela renvoie au problème du stock et du flux que j’évoquais tout à l’heure : plus les peines imposées sont longues, plus la population carcérale augmente. La suppression des peines planchers par une autre loi, en 2014, se traduit par une diminution ».
Taux de population incarcérée pour 100 000 habitants
Source : Statistiques pénales annuelles du Conseil de l’Europe (SPACE)
ii. Des peines criminelles stables mais plus sévères
Personnes condamnées à une peine criminelle : répartition selon le quantum de l’affaire en cours D’exécution
Ce tableau présente les chiffres pour l’ensemble des condamnés – détenus ou non. S’agissant des peines criminelles, les condamnés sont majoritairement détenus : en 2021, sur 7 923 ils étaient 7 602 détenus.
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
Le nombre de peines criminelles d’emprisonnement est demeuré assez stable, oscillant entre 8 306 et 7 843. On remarque toutefois que la part des peines de 20 à 30 ans a considérablement augmenté passant de 8,3 % des peines criminelles d’emprisonnement prononcées en 2000 à 25,9 % en 2020.
2. D’importants efforts faits pour limiter la surpopulation carcérale : la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019
Selon M. Olivier Christen, directeur des affaires criminelles et des grâces (DACG), « la loi de programmation pour la justice ([196]) (LPJ) témoigne d’une volonté de prendre en compte les facteurs de surpopulation carcérale en modifiant profondément l’approche de la peine pilotée par les législateurs et mise en place par les juridictions ».
La présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet rappelle la logique qui a orienté cette réforme : « les très courtes peines d’emprisonnement étaient d’une inefficacité absolue. Les peines de prison inférieures à un mois ont donc été supprimées, et nous avons adopté un certain nombre de dispositifs pour faire en sorte que le prononcé des peines inférieures à six mois ou un an d’emprisonnement soit aussi limité que possible et que l’on privilégie les peines alternatives. Nous avons également adopté des mesures visant à favoriser le placement à l’extérieur, notamment en sécurisant le financement de certaines associations ».
Dans cette perspective, la LPJ de 2019 a mis en œuvre une refonte de l’échelle des peines, entrée en vigueur le 24 mars 2020 et visant à éviter le prononcé de courtes peines d’emprisonnement et à renforcer les peines alternatives à l’emprisonnement ainsi que les aménagements de peine ab initio. Ainsi, le législateur a souhaité changer fondamentalement de paradigme pénal en ne faisant plus de l’emprisonnement la peine de référence.
modalités d’individualisation de la peine applicable aux délits encourant l’emprisonnement à compter du 24 mars 2020
Source : Direction des affaires criminelles et des grâces
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3. Mais des effets encore peu visibles
a. Une appropriation sans doute encore insuffisante sur le terrain
Malgré ces évolutions législatives, sur 41 553 personnes condamnées détenues au 1er janvier 2021, 12 116 l’étaient au titre d’une peine de moins d’un an, soit 29 %. La commission d’enquête constate donc que les effets de la réforme votée par le législateur ne sont pas encore pleinement effectifs.
Pourtant, les efforts sont réels pour accélérer la mise en œuvre. Le ministère de la justice indique avoir multiplié les échanges avec les juridictions. Ont également été mises en place des réunions avec les DISP au niveau de chaque cour d’appel afin d’instaurer un dialogue permanent. Sur le plan technique, le DACG explique que « le décret du 24 mai 2019 a précisé un certain nombre de dispositions et a été accompagné de quatre circulaires relatives aux différentes modifications, incluant des fiches pratiques, des foires aux questions, des guides interactifs ou encore des vidéos didactiques ».
Votre Rapporteure souligne la pertinence des actions de sensibilisation et de formation qui ont été menées auprès des juridictions et appelle à leur renforcement afin de permettre une meilleure mise en œuvre des dispositions prévues dans le cadre de la LPJ.
L’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) partage le constat d’une appropriation de ces nouvelles dispositions qui ne serait pas « encore optimale, compte tenu du temps nécessaire à l’acculturation professionnelle, ainsi que de l’entrée en vigueur de la loi en plein confinement national de mars 2020 ». Elle souligne toutefois trois points qui expliqueraient également la persistance des courtes peines d’emprisonnement :
– la LPJ a réduit le quantum aménageable en le faisant passer de deux ans à un an. Ce quantum peut être rapidement atteint, notamment lorsque la personne fait l’objet de deux condamnations dans un délai rapproché ;
– il est toujours possible, notamment dans le cadre des procédures de comparution immédiate ou en cas de récidive d’actes violents, de prononcer un mandat de dépôt sur une peine d’un mois et un jour sous réserve des nouvelles exigences s’agissant de l’aménagement de principe de la peine et de la motivation du mandat de dépôt ;
– nombre d’incarcérations pour de courtes peines d’emprisonnement font suite à la carence des condamnés devant la juridiction de jugement, ce qui limite les possibilités d’individualisation de la peine, et/ou dans le cadre de procédure d’aménagement devant le juge de l’application des peines, empêchant le prononcé de cette mesure.
Pour répondre à cette dernière problématique, l’ANJAP préconise la conduite d’une réflexion en vue de favoriser la présence des intéressés aux convocations et suggère plusieurs leviers : système de rappel par SMS ou réduction des délais d’audiencement qui favorisent l’oubli des convocations par exemple.
b. Certaines critiques sévères sur l’insuffisance de ces mesures…
Les syndicats de magistrats auditionnés par la commission d’enquête ont dénoncé l’empilement de mesures qui complexifient les procédures et leur appropriation par les professionnels du droit et créent parfois des incertitudes dans le traitement des peines.
L’ANJAP considère en outre que des mouvements législatifs contraires brouillent la lecture des évolutions souhaitées. D’une part, certaines lois font de la lutte contre la surpopulation carcérale un objectif et déclinent des mesures pour réduire le nombre de peines d’emprisonnement ; d’autre part, d’autres lois créent de nouvelles incriminations ou aggravent les peines encourues ou leur régime d’application.
Dans cette perspective, tout comme les syndicats pénitentiaires, l’ANJAP critique la remise en cause du système des crédits de réduction de peines qui pourrait engendrer une hausse de la durée d’incarcération. Pour l’ANJAP, comme par exemple pour le syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT, la décorrélation entre infraction et peine d’emprisonnement n’est pas aboutie puisque l’ensemble des délits continuent d’être punis de peines d’emprisonnement et que les messages politiques continuent d’aller dans le sens de la seule efficience des peines d’emprisonnement effectivement exécutées en prison.
Par ailleurs, Mme Flore Dionisio, de la CGT PIP, a regretté la suppression de la contrainte pénale, considérant qu’il « s’agit du seul moyen de déconnecter la peine de la référence à la prison ».
Ces critiques, parfois très sévères à l’égard des dispositions prévues par le législateur interpellent toutefois la commission d’enquête. Pour être mise en œuvre, une réforme a besoin de temps pour montrer ses effets. Le balancier législatif qui place comme priorité tantôt l’insertion, tantôt la sécurité ne permet à aucune politique pénale de s’installer dans la durée.
c. … malgré de premières évolutions qui laissent présager un changement progressif
Cela étant, votre Rapporteure adhère à l’analyse du DACG selon laquelle « la LPJ a bouleversé profondément des pratiques professionnelles ancrées. Son impact sur l’accumulation de la population carcérale à court terme ne saurait être visible aujourd’hui. Lorsque ce texte a été voté, il avait été souligné que son temps d’appropriation serait long ».
En effet, la LPJ vient tout juste d’entrer en vigueur, dans un contexte sanitaire qui a grandement compliqué le travail des juridictions et les réalités des établissements pénitentiaires. Il est sans doute trop tôt pour en évaluer toutes les conséquences. Seuls les premiers effets sont visibles, comme l’a expliqué le DACG devant la commission d’enquête :
« Une diminution du nombre de peines en prison ferme prononcées s’observe. En effet, 95 000 peines d’emprisonnement ferme ont été prononcées par les présidents des tribunaux en correctionnelle dans le cadre des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité entre janvier et septembre 2021. Ce nombre représente une diminution de 7 % par rapport à la même période en 2019. Cependant, 76 000 années d’emprisonnement ferme ont été prononcées dans le même temps, soit un accroissement de 3 % depuis 2019.
« Si moins de peines d’emprisonnement fermes sont prononcées, ce qui témoigne de l’appropriation du dispositif général de réduction de peines de prison ferme, le quantum de peines d’emprisonnement ferme prononcées est en hausse. Le quantum moyen de ces peines fermes a augmenté de plus de 15 jours, passant de 8,6 mois en 2019 à 9,2 mois en 2021. Si les courtes peines prononcées ont diminué de manière sensible de 17 %, les peines de six mois à un an ont quant à elles augmenté de 22 %, et celles de plus d’un an de 3 %. Le quantum prononcé augmente. Les détenus restent plus longtemps en prison, ce qui impacte la population carcérale ».
état du prononcé des peines d’aménagement ferme
Source : Observatoire mensuel des peines d’emprisonnement ferme (OPEFM)
Ces premières évolutions, qui marquent une réduction des courtes peines sont encourageantes.
B. LE Poids problématique de la détention provisoire
La détention provisoire permet de placer en détention une personne qui n’a pas encore été jugée. En matière pénitentiaire, elle pose plusieurs questions : l’enfermement d’une personne présumée innocente ; une prise en charge trop courte pour être utile ; son impact sur la surpopulation en maison d’arrêt.
a. Évolution du nombre de personnes prévenues
Nombre de prévenus parmi les personnes écrouées et détenues
Total personnes écrouées |
dont personnes prévenues |
% de prévenus parmi les écroués |
Total personnes détenues |
dont personnes prévenues |
% de prévenus parmi les détenus |
|
2000 |
51 441 |
18 100 |
35,2 % |
ND |
ND |
ND |
2001 |
47 837 |
16 107 |
33,7 % |
ND |
ND |
ND |
2002 |
48 594 |
16 124 |
33,2 % |
ND |
ND |
ND |
2003 |
55 407 |
20 852 |
37,6 % |
ND |
ND |
ND |
2004 |
59 246 |
21 749 |
36,7 % |
ND |
ND |
ND |
2005 |
59 197 |
20 134 |
34,0 % |
58 231 |
20 134 |
34,6 % |
2006 |
59 522 |
19 732 |
33,2 % |
58 344 |
19 732 |
33,8 % |
2007 |
60 403 |
18 483 |
30,6 % |
58 402 |
18 483 |
31,6 % |
2008 |
64 003 |
16 797 |
26,2 % |
61 076 |
16 797 |
27,5 % |
2009 |
66 178 |
15 933 |
24,1 % |
62 252 |
15 933 |
25,6 % |
2010 |
66 089 |
15 395 |
23,3 % |
60 978 |
15 395 |
25,2 % |
2011 |
66 975 |
15 702 |
23,4 % |
60 544 |
15 702 |
25,9 % |
2012 |
73 780 |
16 279 |
22,1 % |
64 787 |
16 279 |
25,1 % |
2013 |
76 798 |
16 454 |
21,4 % |
66 572 |
16 454 |
24,7 % |
2014 |
77 883 |
16 622 |
21,3 % |
67 075 |
16 622 |
24,8 % |
2015 |
77 291 |
16 549 |
21,4 % |
66 270 |
16 549 |
25,0 % |
2016 |
76 601 |
18 158 |
23,7 % |
66 678 |
18 158 |
27,2 % |
2017 |
78 796 |
19 498 |
24,7 % |
66 432 |
17 498 |
26,3 % |
2018 |
79 785 |
19 815 |
24,8 % |
66 974 |
17 815 |
26,6 % |
2019 |
81 250 |
20 343 |
25,0 % |
70 059 |
10 343 |
14,8 % |
2020 |
82 860 |
21 075 |
25,4 % |
70 651 |
21 075 |
29,8 % |
Source : Assemblée nationale, d’après les données transmises par l’administration pénitentiaire
Depuis le début des années 2000, la part des personnes prévenues parmi les personnes écrouées et a fortiori parmi les personnes détenues a eu tendance à diminuer, ce que la commission d’enquête ne peut que saluer.
Cette part des prévenus en détention demeure toutefois relativement élevée et au 1er novembre 2021, les prévenus représentaient 29,2 % des personnes détenues, ce qui reste considérable.
Évolution de la part des prévenus parmi les personnes écrouées
Source : Assemblée nationale, d’après les données transmises par l’administration pénitentiaire
Évolution de la part des prévenus parmi les personnes détenues
Source : Assemblée nationale, d’après les données transmises par l’administration pénitentiaire
b. Une influence directe sur la surpopulation carcérale
La part significative du nombre de personnes prévenues parmi les personnes détenues constitue l’une des causes de la surpopulation. Comme l’analyse notre collègue M. Bruno Questel, rapporteur pour avis de la commission des Lois sur les budgets dédiés à l’administration pénitentiaire, « cela explique que [la surpopulation] se concentre plus particulièrement dans les maisons d’arrêts, dont le taux d’occupation était de 138 % au 1er janvier et de 111 % au 1er juillet 2020. Que ce soit en début ou en milieu d’année, il s’agit du seul type d’établissement dont le niveau de densité carcérale globale est presque systématiquement supérieur à 100 % » ([197]).
Il apparaît nécessaire de réfléchir à la place des personnes prévenues au sein des établissements pénitentiaires. En ce sens, votre Rapporteure souhaite attirer l’attention sur un point spécifique : parmi les détentions provisoires se distinguent en effet celles des personnes en attente de leur jugement et celles des personnes ayant été jugées mais en attente de leur appel.
Évolution de la répartition des personnes prévenues
Au 1er janvier de chaque année
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
Comme le montrent les chiffres présentés dans les tableaux ci-avant, en 2021, 16,6 % des personnes prévenues sont en attente d’un appel ou d’un pourvoi : elles ont donc déjà été jugées, mais sont en attente d’un jugement définitif. La problématique de la détention provisoire n’est pas la même pour ces personnes que pour celles qui sont en attente de l’instruction ou du jugement.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire de 2021 a pris en compte ces situations en prévoyant que les personnes placées en détention provisoire incarcérées en maison d’arrêt ayant interjeté appel ou formé un pourvoi en cassation contre leur condamnation puissent être incarcérées dans un établissement pour peines lorsque cet établissement offre des conditions de détention plus satisfaisantes eu égard à la capacité d’accueil de la maison d’arrêt où ces personnes sont détenues ([198]).
Votre Rapporteure se félicite de cette évolution qui permettra de prendre en compte les différents cas de détention provisoire et de mieux répartir la population pénale en fonction des réalités carcérales. Elle estime, qu’au-delà des personnes ayant interjeté appel ou formé un pourvoi en cassation, il pourrait être pertinent de permettre également le transfert des autres personnes prévenues dans les établissements pour peine dont les taux d’occupation sont inférieurs à ceux des maisons d’arrêt. Elle appelle en outre à accélérer le transfert des personnes ayant reçu leur jugement, même si le reliquat de peine ne semble pas assez important pour envisager un projet carcéral dans un autre établissement.
Permettre le transfèrement des personnes prévenues incarcérées dans des maisons d’arrêt particulièrement surpeuplées vers des établissements pour peine dont le taux d’occupation est inférieur.
Accélérer, après jugement, le transfèrement dans un établissement pour peine des personnes dont le projet de réinsertion n’est pas abouti, quand bien même le reliquat de peine serait faible.
c. Un temps d’enfermement difficile à rendre utile
Le temps de la détention provisoire ne permet pas la construction d’un suivi utile par les services pénitentiaires d’insertion et de probation. S’il n’est bien sûr pas question de souhaiter un allongement de ce temps d’enfermement, cela interroge sur son utilité et sur les risques de désocialisation qu’il peut engendrer.
En outre, incarcérées en maison d’arrêt, les personnes prévenues sont particulièrement touchées par les conséquences de la surpopulation. Sans revenir trop longuement sur celles-ci – qui font l’objet d’un développement détaillé ci-avant dans la présente partie –, votre Rapporteure tient à souligner que cela conduit à un temps passé en cellule extrêmement important. À l’inverse, l’accès au travail, à la formation et aux activités – s’il est réel – est très limité et ne permet pas de rendre utile ce temps passé en détention.
2. Quelques réflexions sur cette problématique spécifique
a. Les cas de détention provisoire
La détention provisoire ne peut être prononcée que dans certaines conditions, prévues par la loi, et pour une durée limitée. Elle est possible dans plusieurs cas.
Une personne mise en examen peut être placée en détention provisoire en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté si les obligations du contrôle judiciaire ou de l’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE) ne sont pas suffisantes ([199]).
La détention provisoire ne peut être ordonnée que si le mis en examen encourt une peine criminelle ou une peine correctionnelle d’une durée égale ou supérieure à trois ans d’emprisonnement ou s’il se soustrait volontairement aux obligations du contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence avec surveillance électronique ([200]).
Motifs de la détention provisoire au cours d’une information judiciaire
La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s’il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu’elle constitue l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence avec surveillance électronique :
1° Conserver les preuves ou les indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité ;
2° Empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ;
3° Empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ;
4° Protéger la personne mise en examen ;
5° Garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ;
6° Mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ;
7° Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l’affaire. Toutefois, le présent alinéa n’est pas applicable en matière correctionnelle.
Source : Article 144 du code de procédure pénale
La détention provisoire est ordonnée par le juge des libertés et de la détention (JLD) saisi par une ordonnance motivée du juge d’instruction, qui lui transmet le dossier de la procédure accompagné des réquisitions du procureur de la République ([201]). Le juge d’instruction peut également estimer que la détention provisoire demandée par le procureur de la République n’est pas justifiée. Dans ce cas, sous certaines conditions, en matière criminelle ou pour les délits punis de dix ans d’emprisonnement, le procureur de la République peut saisir directement le JLD ([202]).
Le JLD reçoit la personne mise en examen, obligatoirement assistée d’un avocat. La décision de détention provisoire prise par le JLD intervient après un débat contradictoire au cours duquel le procureur de la République, le mis en examen et son avocat ont la parole à tour de rôle. La décision de placement en détention provisoire est susceptible de recours.
En matière correctionnelle, la durée initiale de détention provisoire est de quatre mois. Elle peut être prolongée deux fois pour quatre mois – un an au total – par une ordonnance motivée du JLD prise après débat contradictoire. La durée d’un an est portée à deux ans lorsqu’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national ou lorsque la personne est poursuivie pour trafic de stupéfiants, association de malfaiteurs, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour une infraction commise en bande organisée et qu’elle encourt une peine égale à dix ans d’emprisonnement ([203]).
En matière criminelle, la durée initiale de détention provisoire est d’une année. Elle peut ensuite être prolongée, toujours par une ordonnance motivée du JLD prise après débat contradictoire, pour une durée de six mois. La durée totale de la détention provisoire est de deux ans lorsque la peine encourue est inférieure à vingt ans et de trois ans dans les autres cas. Ces délais sont portés respectivement à trois et quatre ans lorsque l’un des faits constitutifs de l’infraction a été commis hors du territoire national. Le délai est également de quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour plusieurs crimes mentionnés aux livres II et IV du code pénal, ou pour trafic de stupéfiants, terrorisme, proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée ([204]).
Cette procédure permet de juger une personne le jour où prend fin sa garde à vue. Elle peut être engagée si le procureur estime que les charges sont suffisantes et que l’affaire est en état d’être jugée. L’auteur présumé doit, en présence de son avocat, accepter d’être jugé immédiatement. Si la personne ne peut pas être jugée le jour-même, elle peut être mise en détention provisoire en attendant son procès : le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard le troisième jour ouvrable suivant – à défaut, il est remis d’office en liberté. La détention provisoire est prononcée par le JLD sur demande du procureur. Cette ordonnance n’est pas susceptible d’appel ([205]).
Cette procédure de comparution immédiate s’applique si la peine encourue est au moins égale à deux ans ou, en cas de délit flagrant, au moins égale à six mois ([206]).
iii. Comparution à délai différé
Cette procédure permet au procureur de la République de faire juger une personne après sa garde à vue si certains actes déterminants pour l’enquête pénale (résultats de réquisitions, d’examens techniques ou médicaux déjà sollicités) n’ont pas été obtenus avant la fin de la garde à vue. En attendant le procès, la personne mise en cause peut être placée en détention provisoire.
La détention provisoire ne peut être ordonnée que si la peine d’emprisonnement encourue est égale ou supérieure à trois ans. L’ordonnance rendue est susceptible d’appel dans un délai de dix jours devant la chambre de l’instruction. Le prévenu doit comparaître devant le tribunal au plus tard dans un délai de deux mois, à défaut de quoi il est mis fin d’office au contrôle judiciaire, à l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou à la détention provisoire ([207]).
iv. Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)
Cette procédure, utilisée en matière pénale, permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction qui reconnaît les faits reprochés. Cette procédure est possible pour les délits, sauf si le mis en cause est mineur, ou qu’il s’agit de délits de presse, de délits d’homicides involontaires, de délits politiques ou de délits d’atteintes volontaires et involontaires à l’intégrité des personnes et d’agressions sexuelles prévus aux articles 222-9 à 222-31-2 du code pénal lorsqu’ils sont punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à cinq ans ([208]).
La personne concernée par la CRPR peut demander à disposer d’un délai de dix jours avant de faire connaître si elle accepte ou si elle refuse la ou les peines proposées ([209]). Dans ce cas, si l’une des peines proposées est égale ou supérieure à deux mois d’emprisonnement ferme et que le procureur de la République a proposé sa mise à exécution immédiate, le JLD peut alors prononcer son placement en détention provisoire jusqu’à ce qu’elle comparaisse de nouveau devant le procureur. Cette ordonnance du JLD n’est pas susceptible d’appel. Cette nouvelle comparution doit intervenir dans un délai compris entre dix et vingt jours à compter de la décision du juge des libertés et de la détention. À défaut, il est mis fin au contrôle judiciaire, à l’assignation à résidence avec surveillance électronique ou à la détention provisoire de l’intéressé si l’une de ces mesures a été prise ([210]).
Votre Rapporteure considère qu’il faudrait mieux mesurer les conséquences de chacune de ces procédures et qu’il serait pour cela opportun de conduire une évaluation fine de l’usage qui est fait de la détention provisoire afin de mieux calibrer son usage par rapport aux réalités des situations. Compte tenu des lourdes conséquences de la détention provisoire en termes de surpopulation carcérale – et donc de conditions de détention –, mener une telle analyse des différents cas de détention provisoire est en effet nécessaire.
Conduire une évaluation de l’emploi de la détention provisoire selon les différentes procédures applicables afin de mieux calibrer son usage par rapport aux réalités des situations.
b. Développer l’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE), une alternative pertinente à la détention provisoire
L’assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE) est une mesure privative de liberté alternative à la détention provisoire. Elle peut être ordonnée, d’office ou à la demande de l’intéressé, par le juge d’instruction ou par le JLD si la personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel d’au moins deux ans. Cette mesure oblige la personne à demeurer à son domicile ou dans une résidence fixée par le juge et de ne s’en absenter qu’aux conditions et pour les motifs déterminés par le magistrat ([211]).
Le juge statue après avoir fait vérifier la faisabilité technique de la mesure par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui peut être saisi à cette fin à tout moment de l’instruction ([212]).
L’ARSE est ordonnée pour une durée qui ne peut excéder six mois. S’agissant des personnes mises en examen, l’ARSE décidée au cours d’instruction peut être prolongée pour six mois sans que la durée totale ne dépasse deux ans. S’agissant des personnes prévenues – en attente de leur procès devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assise – la durée totale de la mesure, compte tenu de celle exécutée au cours de l’instruction, ne peut excéder deux ans, sans qu’il soit nécessaire d’en ordonner la prolongation tous les six mois et sous réserve de la possibilité pour l’intéressé d’en demander la mainlevée ([213]). La personne qui ne respecte pas les obligations résultant de l’assignation à résidence avec surveillance électronique peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt ou d’amener et être placée en détention provisoire ([214]).
La LPJ de 2019 a élargi les cas dans lesquels il est possible de prononcer l’ARSE et a renforcé le recours aux enquêtes de faisabilité technique mettant à disposition du magistrat d’éléments complémentaires pour prononcer une ARSE.
Recours aux dispositiFs d’ARSE et d’ARSEM
Au 1er janvier de chaque année
|
ARSE |
ARSEM |
2011 |
130 |
9 |
2012 |
186 |
9 |
2013 |
227 |
4 |
2014 |
259 |
5 |
2015 |
320 |
11 |
2016 |
250 |
6 |
2017 |
287 |
3 |
2018 |
318 |
9 |
2019 |
326 |
7 |
2020 |
340 |
5 |
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
Le recours aux dispositifs d’ARSE et d’ARSEM (assignation à résidence sous surveillance électronique mobile) a donc bien tendance à se renforcer mais demeure très résiduel par rapport aux nombres de personnes placées en détention provisoire. Plusieurs difficultés ont été mises en avant au cours des auditions.
Tout d’abord des difficultés d’ordre technique et tenant aux délais de vérification. En effet, le placement sous bracelet électronique requiert la vérification par le SPIP de la faisabilité technique du projet ([215]). Le juge peut en outre demander au SPIP de vérifier la situation familiale, matérielle et sociale de la personne mise en examen, notamment aux fins de déterminer les horaires et les lieux d’assignation ([216]). Comme l’explique M. Guillaume Martine, les services chargés de ces vérifications sont très encombrés et il peut être difficile de concilier cela avec les délais imposés par les procédures. En effet, « en matière de détention provisoire, les magistrats sont également tenus à des délais, par exemple quant à la prolongation de la détention provisoire. Si le débat devant un juge des libertés et de la détention se tient peu de temps avant la date de renouvellement de la détention provisoire, il rejettera la demande de placement sous bracelet électronique, car la vérification ne pourra pas être effectuée avant la date de renouvellement ».
Ensuite, des difficultés en matière de pratiques professionnelles. M. Guillaume Martine, avocat au barreau de Paris, témoigne que cette habitude n’avait pas été prise par les juges d’instruction, qui semblent parfois réserver le recours au bracelet électronique aux JAP. M. Boris Kessel, vice‑président de la commission libertés et droits de l’homme du Conseil national des barreaux (CNB), indique quant à lui que « la procédure est complexe pour les magistrats » et que certains d’entre eux considèrent « manquer d’informations pratiques sur le placement sous bracelet électronique pour envisager d’y recourir de manière massive ». Selon Patricia Théodose, sous-directrice adjointe de l’insertion et de la probation, l’ARSE est plus lourde à gérer que la détention pour les magistrats instructeurs. En détention le greffe pénitentiaire prend le relais, tandis qu’en ARSE il faut suivre les alertes sur l’évolution de la mesure, ce qui représente nécessairement une charge de travail supplémentaire.
Il serait nécessaire de renforcer le recours à ce dispositif. C’est l’un des objectifs poursuivis par la récente loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont l’article 5 prévoit notamment une motivation spéciale pour refuser de recourir à l’ARSE et une saisine de droit du SPIP élargie dans le cadre de l’étude de la faisabilité d’une ARSE.
Votre Rapporteure estime ces mesures adéquates et recommande de continuer dans cette direction. Pour cela, des améliorations pratiques doivent sans doute être pensées, en particulier pour fluidifier la gestion des alertes des bracelets électroniques et renforcer les liens entre les SPIP et les magistrats. Comme en témoigne Patricia Théodose, certains magistrats « ne connaissent pas bien les SPIP, et […] ne disposent pas forcément de tous les éléments pertinents quand ils rédigent leur jugement, ne serait-ce que d’un répertoire des SPIP ». Ces difficultés freinent la mise en œuvre des alternatives à la détention provisoire. Votre Rapporteure considère donc qu’il faut sensibiliser davantage les magistrats à ce dispositif et leur fournir les outils utiles pour en développer l’utilisation. Elle insiste également sur le rôle des avocats qui doivent eux aussi s’approprier ce dispositif.
Développer le recours à l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) comme alternative à la détention provisoire en :
- créant un répertoire des services pénitentiaires d’insertion et de probation mis à disposition des magistrats concernés ;
- harmonisant les gestions des alertes des bracelets électroniques afin notamment d’alléger la charge de travail supplémentaire induite pour les magistrats ;
- développant des canaux de communication facilités entre les services pénitentiaires d’insertion et de probation et les magistrats concernés pour fluidifier les procédures afférentes au prononcé et au suivi de l’ARSE ;
- sensibilisant davantage les magistrats et les avocats au recours à l’ARSE.
c. Les enjeux de la procédure de comparution immédiate
Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a été alertée à plusieurs reprises sur la procédure de la comparution immédiate et ses conséquences sur la détention. L’ANJAP considère que « la comparution immédiate, dont le champ n’a cessé d’être élargi et le recours encouragé, est une grosse pourvoyeuse de courtes peines assorties d’un mandat de dépôt ». Elle identifie plusieurs facteurs d’explication :
« – les règles juridiques de prononcé du mandat de dépôt sont plus souples en comparution immédiate que pour les autres modes de poursuite ;
« – la personne comparaît dans le box, ce qui « facilite » le prononcé du mandat de dépôt par rapport à une personne qui comparaît libre ;
« – la personne comparaît à l’issue d’une garde-à-vue qui peut avoir duré jusqu’à 96 heures […] et n’est donc pas à même d’exposer sa défense dans les meilleures conditions ni de produire les pièces permettant une individualisation de la peine et notamment le prononcé des aménagements ab initio ».
Dans la même logique, Mme Flavie Rault, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs pénitentiaires CFDT (SNDP CFDT) estime que cette « machine […] s’est complètement emballée, notamment dans les grosses juridictions, entraînant de très nombreuses incarcérations, aussi bien pour les détentions provisoires que pour les peines, souvent de courte durée. Nous devons donc nous repencher sur cette organisation afin de vérifier si elle est justement calibrée et de mesurer ses impacts ».
Ces témoignages de terrain, venant à la fois du corps des magistrats et des personnels pénitentiaires, alertent votre Rapporteure sur les modalités de recours à la comparution immédiate. Notre justice se doit d’aller vite, en particulier en matière pénale ; mais cette justice rapide ne doit pas conduire à accentuer la surpopulation carcérale.
En termes de détention provisoire, il est vrai que la comparution immédiate pose des questions de gestion complexes pour l’administration pénitentiaire puisque les personnes placées en détention provisoire quand la comparution ne peut être véritablement immédiate ne sont incarcérées que pour trois jours. Toutefois, en termes de « stock », cela ne pèse que faiblement sur la détention provisoire comme le montrent les tableaux présentés ci-avant.
Mais en termes de condamnation, plusieurs des magistrats et syndicats pénitentiaires auditionnés considèrent que cette voie de jugement conduit à davantage des peines d’emprisonnement ferme compte tenu des modalités de comparution. En outre, comme le rappelle Mme Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, les magistrats n’ont parfois d’autres choix que l’enfermement quand se combinent comparution immédiate, précarité et troubles de la personnalité.
La commission d’enquête n’ayant pu se pencher sur ce point précis, votre Rapporteure estime opportun de mener une évaluation spécifique sur les conséquences de la procédure de comparution immédiate sur la détention.
Conduire une évaluation spécifique sur les conséquences des procédures de comparution immédiate en termes de détention provisoire, d’une part, et de prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme, d’autre part.
C. repenser la peine au-delà du seul emprisonnement
Pour repenser, ensemble, la politique pénale et la politique pénitentiaire, nous devons revenir sur le sens de la peine : pourquoi incarcère-t-on ? Quelle sera la plus-value, l’utilité d’une mesure d’incarcération ? Une telle mesure est-elle plus pertinente qu’une alternative à l’emprisonnement ? Quelles sont les infractions justifiant le recours à l’emprisonnement ? Ces questions doivent conduire la réflexion dans ce domaine, car la réponse pénale ne se résume pas et ne doit pas se résumer à l’incarcération. Ces questions ont été au cœur de la réflexion du législateur ces dernières années et au centre de la démarche adoptée par la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019.
1. L’importance des aménagements de peine pour limiter le recours à l’emprisonnement ferme
a. Les différentes procédures prévues
En vertu de l’article 707 du code de procédure pénale, le régime d’exécution des peines privatives et restrictives de liberté vise à préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne condamnée afin de lui permettre d’agir en personne responsable, respectueuse des règles et des intérêts de la société et d’éviter la commission de nouvelles infractions. Ce régime est adapté au fur et à mesure de l’exécution de la peine, en fonction de l’évolution de la personnalité et de la situation matérielle, familiale et sociale de la personne condamnée, qui font l’objet d’évaluations régulières.
Ce même article précise également que tout personne condamnée bénéficie, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.
Les types d’aménagement de peine
– La libération conditionnelle permet la mise en liberté d’un condamné avant la date d’expiration normale de sa peine d’emprisonnement ou de réclusion, sous condition de respect, pendant un délai d’épreuve, d’un certain nombre d’obligations. Au terme de ce délai d’épreuve et en l’absence d’incident, la personne condamnée est considérée comme ayant exécuté l’intégralité de sa peine. Le suivi est assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui veille au respect des obligations et accompagne la personne dans sa réinsertion, sous le contrôle du JAP.
– Le placement en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) ou « bracelet électronique » est une mesure permettant d’exécuter une peine d’emprisonnement sans être incarcéré. Tout comme l’assignation à résidence (ARSE), alternative à la détention provisoire, cette mesure repose sur le principe que la personne s’engage à rester à son domicile (ou chez quelqu’un qui l’héberge) à certaines heures fixées par le juge (par exemple de 19 h à 8 h du matin). La personne porte le bracelet à la cheville. Si elle sort de chez elle en dehors des heures fixées, un surveillant pénitentiaire est aussitôt averti par une alarme à distance.
– Le placement à l’extérieur permet au condamné de bénéficier d’un régime particulier de détention l’autorisant à quitter l’établissement pénitentiaire afin d’exercer une activité professionnelle, de suivre un enseignement, une formation professionnelle, de rechercher un emploi, de participer de manière essentielle à sa vie de famille, de subir un traitement médical ou de s’investir dans tout autre projet de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive. L’activité terminée, la personne placée doit se rendre soit dans les locaux d’une association qui l’encadre et l’héberge, soit à l’établissement pénitentiaire, soit dans tout autre lieu désigné par le magistrat. Elle doit obligatoirement respecter toutes les conditions fixées en fonction de sa situation : horaires et suivi des activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter des personnes.
– La semi-liberté permet à une personne condamnée de quitter l’établissement pénitentiaire aux mêmes fins que le placement à l’extérieur (activité professionnelle, enseignement, formation, recherche d’emploi, vie de famille, traitement médical, projet d’insertion…). De même, elle doit obligatoirement suivre les conditions fixées en fonction de sa situation : horaires des activités, indemnisation des victimes, interdiction de fréquenter des personnes, etc. La différence majeure réside dans l’incarcération de la personne condamnée dans un centre de semi-liberté ou dans un quartier spécifique de l’établissement pénitentiaire où elle est écrouée et où elle doit retourner chaque soir une fois l’activité terminée.
Source : Ministère de la Justice
La LPJ de 2019 a profondément remanié les conditions d’aménagement des peines en vue de réduire notamment les courtes peines d’emprisonnement fermes qui sont en effet vues comme inopérantes, car désocialisantes et peu à même de prévenir la récidive.
Les peines de moins d’un mois sont désormais interdites.
Les peines inférieures ou égales à six mois doivent obligatoirement être aménagées, sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné (absence de domicile pour la pose d’un bracelet électronique par exemple) ([217]).
Dans la même logique, les peines comprises entre six mois et un an peuvent être aménagées, si la situation et la personnalité du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle ([218]). Si elle est aménagée, la peine sera donc exécutée ailleurs qu’en prison : sous le régime de la détention à domicile sous surveillance électronique, de la semi-liberté ou du placement à l’extérieur ([219]).
Pour les peines plus longues, deux situations existent. Pour une infraction commise avant le 24 mars 2020, la peine ne peut être aménagée, si les conditions le permettent, que si la peine est inférieure ou égale à deux ans ; elle ne peut pas être aménagée si elle est supérieure à deux ans. Pour une infraction commise après le 24 mars 2020, la peine ne peut pas être aménagée si elle est supérieure à un an. Les personnes condamnées à une peine d’un an ou plus seront donc incarcérées. Par la suite, elles pourront toutefois, si elles remplissent les conditions et notamment construisent un projet de sortie, bénéficier d’un aménagement de cette peine élaboré avec les SPIP.
Les obligations générales et particulières s’imposant en cas
d’aménagement de peine
● Selon l’article 132-44 du code pénal, les mesures de contrôle auxquelles le condamné doit se soumettre sont les suivantes :
1° Répondre aux convocations du JAP ou du SPIP ;
2° Recevoir les visites du SPIP et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ;
3° Prévenir le SPIP de ses changements d’emploi ;
4° Prévenir le SPIP de ses changements de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour ;
5° Obtenir l’autorisation préalable du JAP pour tout changement d’emploi ou de résidence, lorsque ce changement fait obstacle à l’exécution de ses obligations ;
6° Informer préalablement le JAP de tout déplacement à l’étranger.
● Selon l’article 132-45 du même code, la juridiction de condamnation ou le JAP peut imposer spécialement au condamné l’observation de l’une ou de plusieurs des obligations suivantes :
1° Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;
2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;
3° Se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation ;
4° Justifier qu’il contribue aux charges familiales ou acquitte régulièrement les pensions alimentaires dont il est débiteur ;
5° Réparer en tout ou partie, en fonction de ses facultés contributives, les dommages causés par l’infraction, même en l’absence de décision sur l’action civile ;
6° Justifier qu’il acquitte en fonction de ses facultés contributives les sommes dues au Trésor public à la suite de la condamnation ;
7° S’abstenir de conduire certains véhicules ;
7° bis Sous réserve de son accord, s’inscrire et se présenter aux épreuves du permis de conduire, le cas échéant après avoir suivi des leçons de conduite ;
8° Ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ou ne pas exercer une activité impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
9° S’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ;
10° Ne pas engager de paris, notamment dans les organismes de paris mutuels, et ne pas prendre part à des jeux d’argent et de hasard ;
11° Ne pas fréquenter les débits de boissons ;
12° Ne pas fréquenter certains condamnés, notamment les auteurs ou complices de l’infraction ;
13° S’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes, dont la victime, ou certaines catégories de personnes, et notamment des mineurs, à l’exception, le cas échéant, de ceux désignés par la juridiction ;
14° Ne pas détenir ou porter une arme ;
15° Accomplir à ses frais un stage de citoyenneté, de sensibilisation ou de responsabilisation à certains sujets ;
16° S’abstenir de diffuser tout ouvrage ou œuvre audiovisuelle dont il serait l’auteur ou le co-auteur et qui porterait, en tout ou partie, sur l’infraction commise et s’abstenir de toute intervention publique relative à cette infraction ;
17° Remettre ses enfants aux personnes à qui la justice en a confié la garde ;
18° En cas de violences intrafamiliales, résider hors du domicile ou de la résidence du couple et, le cas échéant, s’abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats de celui-ci, ainsi que, si nécessaire, faire l’objet d’une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ;
18° bis Respecter l’interdiction de se rapprocher d’une victime de violences commises au sein du couple contrôlée par un dispositif électronique mobile anti-rapprochement ;
19° Obtenir l’autorisation préalable du JAP pour tout déplacement à l’étranger ;
20° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider ;
21° L’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ;
22° L’injonction de soins, dans les conditions prévues aux articles L. 3711-1 à L. 3711‑5 du code de la santé publique, si la personne a été condamnée pour un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru et qu’une expertise médicale a conclu qu’elle était susceptible de faire l’objet d’un traitement ;
23° L’obligation de justifier de la remise d’un bien dont la confiscation a été ordonnée ;
24° L’obligation de justifier du paiement régulier des impôts ;
25° L’obligation de justifier de la tenue d’une comptabilité régulière certifiée par un commissaire aux comptes.
● Enfin, selon les articles 132-43 et 132-36 du code pénal, le condamné peut bénéficier de mesures d’aide qui ont pour objet de seconder ses efforts en vue de son reclassement social. Ces mesures, qui s’exercent sous forme d’une aide à caractère social et, s’il y a lieu, d’une aide matérielle, sont mises en œuvre par le service pénitentiaire d’insertion et de probation avec la participation, le cas échéant, de tous organismes publics et privés.
ii. La libération sous contrainte
Au-delà des aménagements de peine, qui peuvent être prononcés ab initio ou en cours d’exécution comme expliqué ci-après, les aménagements de peine peuvent être décidés dans le cadre d’une libération sous contrainte.
La libération sous contrainte (LSC) a été instituée en 2014 ([220]). Elle a été modifiée par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([221]) afin de systématiser le prononcé d’une LSC au bénéfice de toute personne ayant purgé les deux tiers d’une peine de prison de moins de cinq ans, sauf décision spécialement motivée du juge de l’application des peines. L’objectif est de réduire au maximum les « sorties sèches » de détention.
Cette mesure de suivi post-sentenciel permet donc d’organiser un retour progressif et encadré à la liberté. La LSC se distingue des aménagements de peine en ce qu’elle ne requiert pas de la personne condamnée la conception d’un projet d’insertion, mais constitue une étape de l’exécution d’une peine permettant d’encadrer et d’accompagner une personne condamnée à une courte ou moyenne peine lors de sa sortie de détention. Quelle que soit la forme d’aménagement choisie, la personne condamnée libérée sous contrainte est suivie par le JAP et le CPIP durant la durée de la peine qui lui reste à effectuer. S’il ne respecte pas ses obligations, le condamné peut être de nouveau incarcéré pour effectuer le reste de sa peine en établissement pénitentiaire.
De 664 au 1er janvier 2016, le nombre de LSC octroyées est passé à 1 408 au 1er janvier 2021, dont un peu moins des deux-tiers sont exécutées sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) ([222]).
Depuis, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ([223]) a élargi les règles en matière de LSC. Cet article systématise la libération sous contrainte pour les personnes condamnées à deux ans au plus et dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à trois mois. La LSC est alors de plein droit, sauf en cas d’impossibilité matérielle résultant de l’absence d’hébergement. Plusieurs exceptions sont prévues et ce mécanisme de libération sous contrainte automatique n’est pas applicable aux condamnés incarcérés pour une infraction qualifiée de crime, un acte de terrorisme ([224]), une infraction qualifiée d’atteinte à la personne humaine lorsqu’elle a été commise sur un mineur de moins de quinze ans, une infraction commise par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ([225]). En sus, cette procédure ne s’applique pas non plus aux personnes détenues ayant fait l’objet, pendant la durée de leur détention, de certaines sanctions disciplinaires (liées aux violences notamment).
Cette nouvelle procédure vise ainsi à systématiser la LSC pour les auteurs d’infraction de plus faible gravité. Ce faisant, elle permet une sortie de détention progressive et garantit une meilleure continuité entre le milieu fermé et le milieu ouvert grâce à un accompagnement assorti de mesures de suivi et de contrôle.
b. Un nombre d’aménagements ab initio enfin en progression
Les aménagements de peine peuvent être prononcés ab initio par la juridiction de jugement. C’est notamment le cas pour les peines de moins d’un an, comme expliqué précédemment.
Par ailleurs, dans le cadre d’une CRPC, l’article 495-8 du code de procédure pénale précise que le procureur a la possibilité de proposer à la personne d’exécuter sa peine d’emprisonnement sous la forme d’un aménagement de peine. Le président du tribunal ou le juge délégué homologue ou non cette proposition, mais il ne peut pas dissocier la peine d’emprisonnement proposée de ses modalités d’exécution.
Dans les autres cas, en application des dispositions de l’article 132-26 du code pénal, la juridiction de jugement peut, dans sa décision soumettre le condamné en aménagement de peine aux obligations générales et particulières prévues aux articles 132-43 à 132-46 du code même code.
Cependant, seul le JAP est compétent pour fixer les modalités de ces différentes obligations. Ainsi à l’issue de l’audience, est remise au condamné une convocation à comparaître, dans un délai n’excédant pas 30 jours, devant le JAP afin de déterminer les modalités d’exécution de la peine. Le condamné reçoit également une convocation devant le SPIP dans un délai qui ne peut excéder 45 jours ([226]). Le JAP doit, dans un délai de 4 mois à compter de la date à laquelle la condamnation est exécutoire, fixer, par une ordonnance insusceptible de recours, les modalités d’exécution de l’aménagement ([227]).
Lorsque la juridiction de jugement a prononcé ab initio l’aménagement de la peine d’emprisonnement et a ordonné le placement ou le maintien en détention du condamné et déclaré sa décision exécutoire par provision, le délai donné au JAP pour fixer les modalités d’exécution de l’aménagement est réduit à cinq jours ouvrables à compter de la décision de condamnation ([228]).
ii. Des aménagements en progression
Selon le directeur des affaires criminelles et des grâces, « en vertu d’un réel volontarisme du parquet dans les réquisitions prises, il apparaît que l’appropriation de la réforme a déjà porté ses fruits. L’aménagement de peine ab initio en est un exemple. Il s’agit de l’un des points essentiels de la réforme. Une augmentation des aménagements de peine ab initio de l’ordre de 17,9 % a été constatée en septembre 2021, contre 3 % en septembre 2019. Ces aménagements prennent notamment la forme de détention à domicile sous surveillance électronique ».
Nombre d’aménagements ab initio prononcés en France depuis 2019
Source : Direction des affaires criminelles et des grâces
taux d’aménagement ab initio en France depuis 2019
Source : Direction des affaires criminelles et des grâces
Selon le rapport d’exécution de la LPJ le prononcé des aménagements de peine ab initio a fortement progressé dans tous les ressorts, notamment sous la forme de la DDSE. Il précise qu’une grande partie des DDSE ont été prononcés dans le cadre de conversions de peine inférieure à 6 mois. « Même si cette nouvelle peine semble faire l’objet d’une appropriation progressive, passant de 423 mesures prononcées au 1er septembre 2020 à 1 295 au 1er septembre 2021, son installation dans l’échelle répressive des juridictions pénales est encore à parfaire » ([229]).
Votre Rapporteure salue les importants progrès réalisés en matière d’aménagements ab initio et appelle à continuer dans la même direction.
c. Le recours aux différents aménagements de peine en cours d’exécution
Répartition des aménagements de peine et libérations sous contrainte exécutés par type au cours de l’année
Source : Ministère de la justice (séries statistiques des personnes placées sous main de justice)
Les chiffres présentés ci-dessus mettent en évidence le développement des aménagements de peine au cours des vingt dernières années.
Au 1er novembre 2021, on comptait 13 085 personnes détenues à domicile sous surveillance électronique, 1 545 en semi-liberté et 917 placées à l’extérieur.
Nombre de personnes condamnÉes écrouÉes selon le type de libÉration sous contrainte (LSC) par DISP
Source : Ministère de la justice, statistique des établissements des personnes écrouées en France, 1er novembre 2021
RÉpartition des personnes ÉcrouÉes condamnÉes en amÉnagement de peine (hors LSC) par DISP
Source : Ministère de la justice, statistique des établissements des personnes écrouées en France, 1er novembre 2021
Selon Mme Claire Mérigonde, sous-directrice de l’insertion et de la probation à la direction de l’administration pénitentiaire, le développement très important de la surveillance électronique ces dernières années a demandé aux SPIP d’importantes évolutions et les services ont, encore une fois, su faire preuve d’adaptation.
d. Faciliter le recours aux aménagements de peine
La commission d’enquête a pris la mesure des efforts consentis dans ce domaine des aménagements de peine, qu’ils soient prononcés ab initio, en cours d’exécution ou à l’occasion d’une libération sous contrainte. Elle a toutefois été alertée, notamment par l’ANJAP sur la question des moyens dont les SPIP ont besoin pour mettre en œuvre ces aménagements. Cela concerne bien sûr la surveillance électronique, mais également les places de semi-liberté et en placement extérieur. Cet aspect a bien été pris en compte par la commission d’enquête et fait l’objet de plusieurs recommandations, notamment dans la première partie du présent rapport.
En outre, plusieurs mesures ont déjà été prises pour faciliter les aménagements de peine. Mme Claire Mérigonde, sous-directrice de l’insertion et de la probation, explique que c’est dans cette optique que sont développés des outils, comme la trame d’enquête sociale rapide (ESR) harmonisée à l’échelle du territoire national afin de faciliter le travail des associations ([230]) et des SPIP et ainsi de mieux éclairer les décisions des magistrats en matière d’aménagements. Elle précise également qu’il existe une « fiche destinée aux juridictions présentant l’offre de services du SPIP, l’ensemble des stages mis en œuvre, des aménagements de peine et des places de semi-liberté dont il dispose, les délais dans lesquels il est en mesure de réaliser des poses dans le cadre de la surveillance électronique. Cette fiche rassemble tous les éléments de nature à doter les chambres correctionnelles d’une meilleure connaissance de l’action du SPIP sur le département ». Mme Patricia Théodose a aussi rappelé qu’en 2022 sera créée une cartographie des placements extérieurs, ce qui permettra de mieux informer les juges.
Des conventions ont été signées entre les juridictions, les SPIP et le secteur associatif concernant la réalisation des ESR, notamment pour organiser leur répartition, clarifier les modalités de communication entre le SPIP et le réseau associatif et également faciliter la transmission d’informations relatives à la situation et à la personnalité des prévenus par les avocats. Au 25 février 2021, 83 protocoles étaient signés (soit 50 % des juridictions concernées). Sur les 83 tribunaux judiciaires restants, le protocole de 36 d’entre eux (soit 22 % du total) est finalisé et uniquement en attente de signature ([231]).
Votre Rapporteure salue les efforts déployés pour faciliter le recours aux aménagements de peine. Elle appelle à poursuivre dans cette voie, à sensibiliser encore davantage les magistrats et à fluidifier les relations entre les différents acteurs impliqués.
2. Les alternatives à l’emprisonnement, des mesures pénales pertinentes
Comme l’entendait le législateur dans la LPJ de 2019, les courtes peines de prison sont à éviter puisqu’elles ne produisent que peu d’effet positif en termes de prévention de la récidive. En effet, un temps court de détention ne permet de travailler ni sur le sens de la peine, ni sur des projets de réinsertion. Les courtes peines ont ainsi des effets désocialisants et sont parfois contreproductives en ce qu’elles peuvent aggraver certains parcours délinquantiels.
La sanction des délits de faible ou de moyenne gravité passe par des alternatives à l’emprisonnement. En outre, les peines de prison ferme de moins de six mois peuvent être transformée en une autre peine par le JAP : travail d’intérêt général, jours-amende ou encore sursis probatoire renforcé.
a. Le travail d’intérêt général
Créé en 1983 ([232]) et mis en œuvre en 1984, le travail d’intérêt général (TIG) est une peine prononcée qui consiste à effectuer un travail non rémunéré. Le prononcé du TIG est possible à titre de peine principale ou de peine secondaire.
Le travail d’intérêt général peut être prononcé :
– pour les délits punis d’une peine d’emprisonnement, à titre de peine principale, alternative à l’emprisonnement ;
– pour les délits n’encourant pas une peine d’emprisonnement et pour les contraventions de cinquième classe, lorsque le texte de répression le prévoit expressément, à titre de peine complémentaire ;
– à l’encontre des majeurs et des mineurs âgés d’au moins 16 ans à la date du jugement, dès lors qu’ils avaient au moins 13 ans le jour de la commission de l’infraction ;
– quels que soient les antécédents judiciaires du prévenu.
Le TIG peut être prononcé sous forme :
– d’une peine alternative à l’emprisonnement comportant l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ([233]) ;
– d’un sursis probatoire (simple ou renforcé) assorti de l’obligation d’accomplir un TIG ([234]) ;
– d’une conversion prononcée par le juge d’application des peines ([235]).
Le consentement du prévenu au TIG
Le prévenu présent à l’audience doit être informé de la possibilité de refuser la peine de TIG, son accord devant être recueilli pour permettre son prononcé et consigné dans les notes d’audience.
Le prévenu absent à l’audience mais représenté par son avocat (titulaire d’un mandat de représentation) et ayant fait connaître son accord par écrit peut être condamné à une peine de TIG.
Le prévenu absent à l’audience et n’ayant pas fait connaître son accord ne pourra être condamné à une peine de TIG que si le tribunal fait application de l’article 131-9 alinéa 2 du code pénal, en prévoyant alors obligatoirement l’emprisonnement ou l’amende maximum encouru en cas de refus du condamné d’accomplir le TIG. Le consentement du condamné sera alors ultérieurement recueilli par le JAP.
Source : Direction des affaires criminelles et des grâces
La juridiction se prononce sur le quantum d’heures et le délai d’exécution ; elle peut fixer une durée maximum de l’emprisonnement ou le montant maximum de l’amende que le JAP pourra mettre à exécution en cas de violation des obligations ou interdictions. Elle ne peut décider du type de poste ou d’organisme au sein duquel le TIG sera exécuté, ces éléments étant fixés par le JAP après une évaluation de la personnalité et de la situation de la personne condamnée par le CPIP et de l’obtention de l’accord de la structure d’accueil ([236]).
Les durées minimales et maximales de peines de TIG sont les suivantes :
– 20 à 120 heures pour les contraventions de 5ème classe ;
– 20 à 400 heures pour les délits.
En application de l’article 131-22 du code pénal, la juridiction qui prononce la peine de travail d’intérêt général fixe le délai pendant lequel le travail d’intérêt général doit être accompli dans la limite de dix-huit mois. S’il est prononcé à titre d’obligation d’un sursis probatoire, le délai d’exécution est celui du sursis probatoire.
Le TIG peut s’exercer en même temps qu’une ARSE, qu’un placement à l’extérieur, qu’une semi-liberté ou qu’un placement sous surveillance électronique.
La fin de la mesure de TIG
– en l’absence d’incident, le TIG et le sursis probatoire se terminent une fois le travail exécuté, sauf si des obligations et interdictions ont été prévues dans le cadre du sursis probatoire, la mesure s’achevant alors à l’issue du délai d’épreuve fixé par la juridiction. Le JAP peut également mettre fin au sursis probatoire de manière anticipée, après un an d’exécution de la mesure, si le condamné satisfait aux mesures de contrôle et aux obligations particulières imposées, si son reclassement apparait acquis, et, dans l’hypothèse où un TIG a été prononcé à titre d’obligation, si le travail a été exécuté (article 744 du code de procédure pénale). Dans cette hypothèse, il convient d’en aviser le casier judiciaire national.
– en cas d’incident dans le cadre de la peine de TIG (inexécution du travail dans le délai fixé) : le probationnaire peut être poursuivi pour le délit d’inexécution d’un TIG (article 434-42 du code pénal ou, si la juridiction de jugement a prononcé la peine encourue en cas d’inexécution, être sanctionné par le JAP, lequel peut alors ordonner la mise à exécution de la peine fixée par la juridiction de jugement (article 733-2 du code de procédure pénale).
– en cas d’incident dans le cadre du sursis probatoire (inexécution du travail, non-respect des obligations ou nouvelle condamnation), le juge de l’application des peines peut révoquer totalement ou partiellement la mesure et au besoin, incarcérer provisoirement le probationnaire. Cette révocation peut également être prononcée par la juridiction de jugement en cas de nouvelle condamnation pour des faits commis pendant le délai de probation (article 132-48 du code pénal).
Source : Direction des affaires criminelles et des grâces
En hausse de 2000 à 2010, le prononcé de TIG était depuis en déclin.
évolution du prononcé des tig et sursis-tig entre 1984 et 2018