N° 4914

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2022.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la convention de coopération judiciaire internationale entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation des Nations unies, représentée par le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie

PAR Mme Mireille CLAPOT

Députée

——

 

 

 

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 Voir le numéro :

Assemblée nationale : 4696


 


—  1  —

SOMMAIRE

Pages

introduction

I. un conflit syrien source de multiples violations des droits humains

A. une décennie de guerre pour une syrie fracturée

1. Les grandes étapes du conflit

2. Une quasi-partition du territoire syrien

3. Des perspectives incertaines

B. de nombreuses atteintes aux droits de l’homme

1. Dix ans d’exactions et de violations graves des droits humains

2. Des violations qui persistent aujourd’hui

II. Une sanction des auteurs passant par la création d’un Mécanisme international inédit

A. Des initiatives utiles mais insuffisantes

1. Des initiatives internationales positives

2. L’impossibilité de saisir la CPI ou un tribunal international ad hoc

3. La compétence encadrée des juridictions françaises

B. La création du Mécanisme international pour la Syrie

1. Une mission de recueil des preuves en appui des juridictions

2. Un bilan à saluer

III. un texte précis dont l’approbation s’impose

A. Un accord rédigÉ pour permettre une pleine coopÉration

1. Une convention négociée pendant deux ans

2. L’organisation d’un cadre juridique de coopération

B. Une approbation nécessaire

1. Le renforcement de la lutte contre l’impunité

2. Une réflexion à engager sur l’adaptation de la loi pénale française

Examen en commission

Annexe 1 : texte adopté par la commission

ANNEXE 2 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

annexe 3 : Chronologie de l’introduction en droit français du Statut de Rome


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   introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie d’un projet de loi autorisant l’approbation de la convention de coopération judiciaire internationale entre la France et l’Organisation des Nations unies, représentée par le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie.

Cette convention a été signée à Genève le 29 juin 2021 entre le représentant permanent de la France auprès de l’Office des Nations unies à Genève et la Cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Elle vise à renforcer la coopération entre les juridictions françaises et le Mécanisme et à faciliter les enquêtes relatives aux violations des droits de l’homme sur le territoire syrien commises depuis 2011.

 

 

 


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I.   un conflit syrien source de multiples violations des droits humains

Déclenché en 2011 à la suite de la répression de manifestations populaires, le conflit syrien a vu d’abord un recul des forces gouvernementales, puis une reconquête par le régime d’une grande partie du territoire. Ce conflit a été marqué par l’implication de groupes djihadistes ainsi que d’États étrangers, tant aux côtés du régime (Russie, Iran) que de certains insurgés (Turquie) ou en vue de mener la lutte contre l’État islamique (Coalition internationale) ou encore pour jouer sa propre partition (Israël). Il a été le théâtre de très nombreuses exactions, imputables tant aux milices djihadistes qu’aux forces du régime.

A.   une décennie de guerre pour une syrie fracturée

1.   Les grandes étapes du conflit

En 2011, c’est la répression par le régime syrien d’un mouvement pacifique de contestation populaire (des millions de Syriens étant descendus dans les rues de Deraa, d’Alep ou de Damas pour réclamer la démocratie et le respect de leurs libertés et de leurs droits fondamentaux) qui a abouti au déclenchement du conflit. Celui‑ci a connu plusieurs grandes étapes.

Jusqu’en avril 2013, le régime subit des reculs face à l’opposition. Il reçoit l’appui militaire de l’Iran et du Hezbollah libanais. Il recourt à plusieurs reprises à des armes chimiques contre sa propre population, notamment dans la Ghouta orientale, où une attaque, en août 2013 fait plus de 1 500 victimes. Progressivement, des organisations terroristes (Daech et Al-Qaeda, via le Front Al‑Nosra) s’implantent sur le théâtre syrien à la faveur de la crise.

En 2015, l’opposition mène une contre-offensive de grande ampleur. Le régime se trouve alors dans une situation de grande fragilité, mais l’intervention militaire de son allié russe en septembre 2015 renverse le rapport de force à son profit, débouchant sur la chute d’Alep en décembre 2016. Cet épisode ouvre une période de reconquête pour le régime, y compris dans des bastions historiques de l’opposition comme la Ghouta orientale (printemps 2018) ou la région de Deraa (été 2018, puis nouvelle offensive à l’été 2021).

L’évolution du conflit est également marquée par le recul de Daech en 2017 et 2018. Le groupe terroriste perd le contrôle de la ville de Raqqa en octobre 2017 grâce à l’action de la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS), appuyées par la Coalition internationale contre Daech, tandis que les forces pro-régime parviennent dans le même temps à reprendre pied sur la rive droite de l’Euphrate. Depuis la chute du dernier réduit territorial de Daech, à Baghouz, au début de l’année 2019, les Forces démocratiques syriennes contrôlent l’ensemble du territoire syrien situé à l’est de l’Euphrate. Une opération de la Turquie en octobre 2019, menée avec l’aide de supplétifs syriens, lui permet de prendre le contrôle d’une bande de territoire syrien le long de sa frontière, entre les villes de Ras el Aïn et Tell Abyad.

2.   Une quasi-partition du territoire syrien

Trois grandes zones d’influence coexistent aujourd’hui en Syrie, sans évolution majeure des lignes de séparation depuis octobre 2019 :

—  l’ouest, sous le contrôle du régime et de ses alliés (représentant deux tiers de la population résidant encore en Syrie et la majorité des grandes villes),

—  au nord-est, un territoire partagé en plusieurs zones d’influence (notamment kurde) et où la Coalition internationale intervient pour lutter contre Daech,

—  au nord-ouest, une zone où se sont repliés de nombreux groupes armés d’opposition et dont certaines parties (régions d’Afrin et d’Azaz) sont sous forte influence de la Turquie qui y a mené des opérations militaires (opération Bouclier de l’Euphrate dans la région d’Azaz à l’été 2016, opération Rameau d’olivier en janvier 2018).

La région d’Idlib a été la cible, entre décembre 2019 et mars 2020, d’une offensive militaire du régime syrien, avec l’appui aérien de la Russie. Cette offensive a donné lieu à de nombreux déplacements de population (près d’un million de civils déplacés selon les Nations unies) ainsi qu’à des violations graves du droit international, comme des bombardements indiscriminés d’infrastructures non militaires et d’hôpitaux, qui ont fait de nombreuses victimes civiles. Si les fronts sont gelés depuis mars 2020, la province d’Idlib continue toutefois d’être régulièrement la cible de frappes du régime et de la Russie (et encore récemment dans les tout premiers jours de l’année 2022).

3.   Des perspectives incertaines

La communauté internationale s’est entendue sur un cadre politique pour mettre un terme à la crise syrienne, avec l’adoption du communiqué de Genève de 2012 ([1]) et de la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies du 18 décembre 2015. Cette dernière résolution prévoit notamment la mise en œuvre d’un cessez-le-feu, l’adoption par les parties de mesures de confiance, propres à favoriser un environnement sûr et neutre, une nouvelle Constitution et des élections libres et régulières, auxquelles pourraient participer tous les Syriens, y compris les membres de la diaspora. C’est sur cette base que la France a soutenu la reprise des négociations inter-syriennes à Genève, sous l’égide de l’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies. Celui-ci a lancé en 2019 un Comité constitutionnel, composé à parité de représentants du régime, de l’opposition et de la société civile, avec pour objectif de préparer une nouvelle constitution. Du fait de l’obstruction délibérée du régime, ces efforts n’ont pas permis pour l’instant d’entamer la rédaction d’un texte constitutionnel.

S’agissant des élections présidentielles organisées par le régime syrien le 26 mai 2021, qui ont accordé à Bachar al-Assad plus de 95 % des suffrages, elles n’ont été jugées ni libres ni régulières par la communauté internationale. Les 27 États membres de l’Union européenne ainsi que les États-Unis et le Royaume‑Uni ont déclaré le 14 mars 2021 que la décision du régime d’organiser des élections hors du cadre prévu par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies ne remplissait pas les critères requis de transparence et de sincérité du scrutin et ne pouvait par conséquent contribuer au règlement du conflit ni conduire à une normalisation des relations.

En dépit de l’absence de progrès du processus politique conduit sous l’égide des Nations unies, certains États ont amorcé de façon unilatérale un mouvement de rapprochement avec le régime de Damas, motivé notamment par l’espoir de débouchés économiques et le souhait de sécuriser leurs frontières et d’endiguer les influences étrangères à l’œuvre en Syrie. La Jordanie a ainsi rouvert en 2019 son poste-frontière avec la Syrie, et réactivé des contacts à haut niveau ; les Émirats arabes unis et Bahreïn ont rouvert en 2018 leur ambassade ; enfin le ministre des affaires étrangères émirien s’est rendu à Damas en octobre 2021.

La France a fermé son ambassade en Syrie le 6 mars 2012. Elle reconnaît la Coalition nationale syrienne (en exil) comme la seule représentante légitime du peuple syrien. Pour la France, il ne saurait y avoir de retour durable à la stabilité dans le pays sans solution politique qui réponde aux aspirations légitimes de tous ses habitants et leur permette de vivre en paix. En complément de ses efforts diplomatiques, l’action de la France, membre de la Coalition internationale contre Daech, comprend un volet militaire, mis en œuvre dans le cadre de l’opération Chammal. Créée en 2014 et composée aujourd’hui de 75 États et de cinq organisations internationales, la Coalition internationale a apporté un appui militaire décisif aux Forces démocratiques syriennes pour mener à bien la reconquête du nord-est syrien et mettre fin à la mainmise de Daech sur un territoire de plus de 110 000 km2. Elle poursuit aujourd’hui son action contre l’organisation terroriste dont les cellules clandestines restent actives en Syrie. Parallèlement à ses activités militaires, la Coalition contribue, depuis sa création, à la stabilisation des territoires libérés et au soutien des populations civiles dans le Nord-Est syrien et en Irak (pour un montant de 507 millions de dollars en 2021).

B.   de nombreuses atteintes aux droits de l’homme

1.   Dix ans d’exactions et de violations graves des droits humains

Le 21 janvier 2021, en amont de la 46e session du Conseil des droits de l’homme (CDH) des Nations unies, la Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne (dite « Commission Pinheiro ») a publié un rapport complet présentant son analyse de la situation en Syrie couvrant la période de mars 2011 au 24 décembre 2020 ([2]).

La Commission considère qu’au cours de la période considérée, « les parties au conflit ont perpétré les plus odieuses violations du droit international humanitaire et violations du droit international des droits de l’homme ou atteintes à celui-ci. Ces violations et atteintes comprennent des actes susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes internationaux, y compris celui de génocide ». Le conflit a entraîné la mort de plus de 511 000 personnes, selon l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH). Parmi les populations les plus touchées figurent des minorités telles que les Yézidis, victimes d’une véritable tentative de génocide de la part de Daech.

Selon la Commission, dans le cadre du conflit armé, « les forces pro gouvernementales, mais aussi les autres parties belligérantes, ont employé des méthodes de guerre et des armes qui minimisaient les risques pour leurs combattants plutôt que de minimiser les dommages pour les civils ». Les populations civiles ont ainsi « subi de lourds bombardements aériens sur des zones densément peuplées ; des attaques à l’arme chimique et des sièges modernes dont les auteurs ont appliqué des méthodes médiévales en affamant délibérément la population, ainsi que des restrictions indéfendables et honteuses à l’acheminement de l’aide humanitaire. »

Dans son rapport, la Commission d’enquête met également en avant les violations des droits de l’homme commises au-delà du cadre du conflit armé, dont notamment :

—  des « campagnes d’arrestation et de détention massives, en particulier de la part des forces de sécurité gouvernementales ». La Commission note que « dans le contexte de la détention, les forces gouvernementales, Daech et Hay’at Tahrir el-Cham ont tous commis des crimes contre l’humanité » ; des cas de torture systématique et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris des tortures à caractère sexuel et de disparitions forcées, sont relevés tout au long de la période considérée par le rapport ;

—  des déplacements forcés, la Commission estimant « qu’à ce jour, plus de 11,5 millions de personnes ont été déplacées par le conflit en République arabe syrienne, et beaucoup de leurs logements ont été endommagés ou détruits » ;

—  des violences sexuelles et basées sur le genre, la Commission ayant « constaté depuis 2011 des violences sexuelles et fondées sur le genre commises à l’égard des femmes, des filles, des hommes et des garçons » commises par l’ensemble des parties (forces gouvernementales, groupes armés, Hay’at Tahrir el-Cham, Daech) ;

—  des violations des droits de l’enfant.

Sur ce dernier point, M. Mazen Darwish, directeur du Syrian Center for Media and Freedom of Expression, auditionné par votre rapporteure, a souligné à quel point les femmes et les enfants avaient été parmi les premières victimes de la guerre. En plus des actes militaires directs, ils ont souffert tout particulièrement de la destruction des systèmes éducatifs et de santé.

2.   Des violations qui persistent aujourd’hui

Plus de la moitié des Syriens ont dû quitter leurs foyers et plus de 6 millions d’entre eux ont fui leur pays pour échapper aux exactions du régime. Des dizaines de milliers de personnes ont été victimes de disparitions forcées, laissant encore aujourd’hui leurs familles dans l’incertitude sur leur sort.

Dans son rapport 2020-2021 sur la situation des droits humains dans le monde ([3]), Amnesty International écrit que « les forces régulières ont cette année encore entravé la fourniture d’aide humanitaire à la population civile » et que le gouvernement syrien a continué à recourir à la disparition forcée, à la détention arbitraire et à des attaques illégales visant des quartiers d’habitation dans le gouvernorat d’Idlib, dans le nord de celui de Hama et dans l’ouest de celui d’Alep. Amnesty International indique aussi que « soutenue par la Turquie, l’Armée nationale syrienne autoproclamée a soumis les populations civiles des villes d’Afrin et de Ras el Aïn (nord du pays), contrôlées de fait par la Turquie, à toute une série d’exactions, se livrant notamment à des pillages et à des confiscations de biens, à des détentions arbitraires et à des enlèvements ». Dans le Nord-Ouest, « le groupe d’opposition armé Hayat Tahrir al Cham a arbitrairement arrêté et attaqué, entre autres, des militants actifs sur Internet, des journalistes et des membres du personnel médical et humanitaire ».

Les risques d’attentat terroriste, d’enlèvement, d’arrestation ou de détention arbitraires restent aujourd’hui très élevés dans de nombreuses régions de Syrie. La situation humanitaire a été qualifiée de « catastrophique » par M. Mazen Darwish lors de son audition. C’est le cas en particulier pour la population civile à Idlib, estimée à 1,5 million de personnes. Les agences spécialisées des Nations unies estiment que plus de 13,4 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire en Syrie en 2021, en augmentation de 21 % par rapport à 2020. L’insécurité alimentaire s’est aggravée et touche 12,4 millions de personnes.

II.   Une sanction des auteurs passant par la création d’un Mécanisme international inédit

Différentes initiatives ont été prises en vue de permettre le jugement des auteurs des violations du droit international perpétrées en Syrie et d’assurer la conservation des preuves nécessaires. Insuffisantes en elles-mêmes, elles ont néanmoins permis d’ouvrir la voie à la création en 2016 du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie.

A.   Des initiatives utiles mais insuffisantes

1.   Des initiatives internationales positives

Le 23 août 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a créé, par la résolution S-17/1 ([4]), une Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne. Son mandat consiste à « enquêter sur toutes les violations alléguées du droit international des droits de l’homme commises en Syrie depuis mars 2011, d’établir les faits et circonstances qui pourraient constituer de telles violations et des crimes perpétrés et, si possible, d’en identifier les responsables et de faire en sorte que les auteurs des violations répondent de leurs actes ». Son mandat est renouvelé annuellement au mois de mars au Conseil des droits de l’homme ([5]). La Commission d’enquête publie plusieurs rapports chaque année (un en septembre et un en mars). N’ayant pas accès au territoire syrien et afin de nourrir ses rapports, la Commission « Pinheiro » transmet régulièrement aux États des demandes d’information, auxquelles la France répond quand elle dispose d’informations déclassifiées.

En décembre 2016, le Canada a déposé et fait adopter avec succès par l’Assemblée générale des Nations unies une résolution sur la situation des droits de l’homme en République arabe syrienne (A/RES/71/203) ([6]). Cette résolution, exigeant la fin des violations, n’a malheureusement pas eu d’effet concret, la situation à Alep s’étant aggravée dans les jours qui ont suivi son adoption. Elle a cependant, comme les initiatives qui l’ont précédée, préparé le terrain à la décision de créer le Mécanisme international.

S’agissant de l’emploi d’armes chimiques en Syrie, un mécanisme d’enquête conjoint entre l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques) et l’ONU a été créé en 2015, avec pour mission d’établir les responsabilités respectives en la matière. Ses travaux ont finalement été interrompus, faute d’accord politique sur ce sujet au Conseil de sécurité. En 2018, la France a lancé le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques, qui rassemble aujourd’hui 40 États et l’Union européenne. Par ailleurs, dans le cadre de la 25e Conférence des États parties à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC), en avril 2021, la France a présenté, au nom de 46 délégations, une décision relative à l’emploi d’armes chimiques par le régime syrien.

2.   L’impossibilité de saisir la CPI ou un tribunal international ad hoc

La Cour pénale internationale (CPI), créée par le Statut de Rome du 18 juillet 1998, est compétente pour poursuivre les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Les crimes relevant de la compétence de la CPI, et commis en Syrie par des ressortissants syriens dans le cadre de la situation syrienne, ne peuvent en principe faire l’objet de poursuites devant la Cour, la Syrie ayant signé mais n’ayant pas ratifié la Convention de Rome. Il ne pourrait en aller autrement qu’en vertu d’une saisine par le Conseil de Sécurité des Nations unies.

La France a certes porté en 2014 une résolution au Conseil de sécurité visant à déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale. La résolution française n’a toutefois pas pu aboutir, en raison des vétos russe et chinois. Toute tentative de créer un tribunal international ad hoc par la voie du Conseil de sécurité se heurterait manifestement au même blocage.

3.   La compétence encadrée des juridictions françaises

La loi n° 2010-930 du 9 août 2010 ([7]) qui transpose le statut de Rome a introduit en droit français une compétence (dite « universelle » ou « quasi universelle ») des juridictions françaises pour connaître des crimes de génocide, crimes contre l’humanité, et crimes et délits de guerre commis à l’étranger, par un ressortissant étranger et à l’encontre de victimes étrangères.

Les juridictions françaises sont ainsi compétentes, en application de l’article 689-11 du code de procédure pénale, pour poursuivre et juger toute personne qui se serait rendue coupable de l’un de ces crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, sous réserve que :

—  cette personne réside habituellement sur le territoire français ;

—  les faits soient punis par la législation de l’État où ils ont été commis (principe de double incrimination) ou que cet État, ou l’État de nationalité de l’auteur, soit partie au Statut de Rome ;

—  les poursuites soient exercées à la seule requête du ministère public français, la constitution de partie civile ne pouvant déclencher les poursuites en la matière ;

—  aucune juridiction nationale ou internationale ne demande la remise ou l’extradition de la personne, ce qui implique que le ministère public s’assure auprès de la Cour pénale internationale qu’elle décline expressément sa compétence, et qu’il vérifie qu’aucune autre juridiction n’a demandé la remise ou l’extradition de la personne.

L’article 689-11 du code de procédure pénale ([8]) a servi de fondement à la grande majorité des procédures ouvertes en France concernant des crimes commis en Syrie à compter de 2011 ([9]). 21 enquêtes préliminaires et 12 informations judiciaires sont actuellement en cours concernant de tels faits, lesquels sont qualifiés de crimes contre l’humanité, actes de torture, assassinats, génocide, crimes de guerre, disparitions forcées, ou encore complicité de l’un ou plusieurs de ces crimes. Aucune condamnation d’un ressortissant syrien n’a toutefois encore été prononcée par les juridictions françaises dans ce cadre ([10]).

Ces enquêtes préliminaires et ces informations judiciaires sont suivies par le pôle « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste (PNAT) ([11]). La majorité des enquêtes préliminaires a été ouverte à la suite d’un signalement de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), lequel signale systématiquement au Parquet national antiterroriste le rejet d’une demande d’asile, sur le fondement des points a, b, et c de l’article 1F de la Convention de Genève ([12]), en raison de faits graves susceptibles d’avoir été commis par le demandeur de protection internationale. Tandis que certaines procédures sont ouvertes contre X, d’autres visent des personnes physiques ou des personnes morales bien identifiées. Les enquêtes sont confiées à la police judiciaire, notamment à l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité (OCLCH).

Prévue par le droit français, la compétence universelle des juridictions françaises est cependant soumise à des conditions assez restrictives, rappelées plus haut, que la jurisprudence tend à interpréter strictement, comme le montre le récent arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021 ([13]).

Les juridictions françaises se heurtent en outre à des difficultés pour disposer d’éléments de preuve solidement établis. Outre la confirmation de la présence sur le territoire syrien, au moment des faits, des individus faisant l’objet d’une enquête, elles ont besoin d’éléments probatoires concernant notamment les groupes rejoints ou la nature des activités sur place. Les juridictions s’efforcent de recueillir ces éléments par le biais de témoins ayant pu quitter le territoire syrien. Le Parquet national antiterroriste comme les magistrats instructeurs recourent aussi à la coopération judiciaire internationale. Des demandes d’entraide pénale ont ainsi été transmises à des autorités étrangères (par exemple à la Suède, à la Norvège, à l’Allemagne ou encore aux États-Unis). Des demandes de renseignements ont également été adressées à des organes non judiciaires des Nations unies tels que la Commission d’enquête internationale sur la Syrie.

Le principe de la compétence universelle est reconnu par la législation d’autres États européens, tels que l’Allemagne, la Belgique, la Norvège, les Pays‑Bas ou encore la Suisse. Plusieurs condamnations judiciaires ont déjà été prononcées à l’étranger, pour des crimes commis par des ressortissants syriens en Syrie depuis 2011. Tel est le cas, par exemple, en Allemagne, en Suède ou aux Pays-Bas. En Allemagne, Anwar Raslan, ancien colonel des services de renseignement syriens, a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité par la Haute Cour régionale de Coblence le 13 janvier 2022 ([14]). Il s’agit de la deuxième condamnation dans ce procès après celle, en février 2021, d’un ancien agent moins gradé du renseignement syrien, Eyad Al-Gharib.

B.   La création du Mécanisme international pour la Syrie

1.   Une mission de recueil des preuves en appui des juridictions

Les difficultés rencontrées pour engager la responsabilité pénale des auteurs de violations des droits de l’homme en Syrie ont conduit l’Assemblée générale des Nations unies à créer un « Mécanisme international, impartial et indépendant » (IIIM, International, Impartial and Independent Mechanism) ([15]). Cette création résulte de la résolution A/DES/71/248 adoptée par l’Assemblée générale le 21 décembre 2016 ([16]). Déposée par le Liechtenstein et coparrainée par 59 États (dont la France), elle a été adoptée par 105 votes en sa faveur, contre 15 votes contre ([17]) et 52 abstentions.

L’adoption de la résolution et la mise en place du Mécanisme ont été fortement critiquées par certains États, en particulier par la Fédération de Russie et par la République arabe syrienne. Ces États contestaient en particulier la légalité de sa création par l’Assemblée générale sur la base des articles 2, 10, 11 et 12 de la Charte des Nations unies ([18]).

Le Mécanisme a reçu pour mandat de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international, commises en République arabe syrienne. Il n’a pas vocation à juger lui‑même les auteurs de ces violations mais à aider les juridictions compétentes à y parvenir. Comportant deux volets, sa mission consiste à :

—  centraliser sous les auspices des Nations unies et préserver les informations et éléments de preuves relatifs aux atrocités commises en Syrie, recueillis par diverses entités ;

—  analyser ces informations et constituer des dossiers pour soutenir des procédures pénales équitables, indépendantes et conformes aux normes du droit international devant des cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux, qui ont ou auront compétence pour connaître de ces crimes.

Conformément à ses principes fondateurs d’impartialité et d’indépendance, le Mécanisme enquête sur les violations commises, quelle que soit l’affiliation (politique, religieuse, idéologique, etc.) de leurs auteurs.

Le Mécanisme constitue indéniablement une innovation juridique, compte tenu des modalités de sa création et de la nature de son mandat. On ne lui connaît pas de précédent. Ni tribunal, ni organe judiciaire, il est une entité qui applique les normes du droit pénal international et qui travaille en soutien des poursuites judiciaires. Selon les termes du Secrétaire général des Nations unies, il remplit des fonctions de « quasi-procureur ». Sa création a inspiré ultérieurement celle du Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, créé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en septembre 2018 et dont le mandat est proche de celui du Mécanisme pour la Syrie.

Dirigé par la magistrate française Catherine Marchi-Uhel, le Mécanisme dispose de moyens importants. Il emploie à ce jour 67 fonctionnaires internationaux. 19 fonctionnaires supplémentaires sont en cours de recrutement. Le Mécanisme prend entièrement en charge les frais liés à la location de ses locaux, situés à Genève. Du point de vue budgétaire, il est financé depuis 2020, à la demande du Secrétaire général, sur le budget régulier des Nations unies. Le Mécanisme a ainsi bénéficié de 17,5 M$ en 2020, 17,3 M$ en 2021 et 17,16 M$ en 2022. La France contribue à ce financement par le budget régulier à hauteur de sa quote-part fixée à 4,43 % ([19]). En plus du financement via le budget régulier des Nations unies, le Mécanisme bénéficie de contributions volontaires des États (ainsi que de l’Union Européenne) ([20]). La France a ainsi contribué de manière volontaire au budget du Mécanisme à hauteur de 250 000 € annuellement en 2017, 2018, 2019 et 2020 (crédits pour 2020 utilisés en 2021, compte tenu du contexte sanitaire). Pour l’année 2022, le Mécanisme bénéficiera de 5 M$ (4,42 M€) de contributions volontaires.

2.   Un bilan à saluer

Opérationnel depuis 2018, le Mécanisme consigne les informations et les éléments de preuve recueillis dans un « répertoire central », qui comporte aujourd’hui deux millions de fichiers et qui est en constante croissance. Le Mécanisme a su construire, selon M. Mazen Darwish, directeur du Syrian Center for Media and Freedom of Expression, auditionné par votre rapporteure, une bonne relation avec la société civile. Il a eu l’intelligence de se situer dans un rapport d’égalité et de réciprocité avec les organisations de la société civile syrienne, qui ont pris des risques pour collecter des preuves sur le terrain et qu’il importe de ne pas déposséder de leur mission.

Le Mécanisme travaille en particulier sur trois axes d’enquête. Le premier axe a trait aux crimes commis en détention, en particulier dans les centres de détention du gouvernement syrien. Le Mécanisme a produit plus de 20 rapports analytiques sur des centres de détention, dont beaucoup ont été partagés avec des juridictions nationales. Le deuxième axe d’enquête porte sur les attaques systématiques, de la part notamment de membres de Daech, contre des populations civiles pour des motifs discriminatoires fondés sur le genre, l’âge, la religion, les préférences sexuelles, etc. Le troisième axe d’enquête est relatif aux attaques illégales. Il a donné lieu à l’ouverture de deux dossiers portant, pour l’un, sur une attaque chimique en 2015, et pour l’autre, sur plusieurs attaques en 2017 dont certaines impliquant l’utilisation d’armes chimiques et d’autres impliquant l’emploi d’armes conventionnelles contre des centres médicaux.

Lors de son audition, Mme Catherine Marchiez a souligné que le Mécanisme veillait à ce que des types d’infraction longtemps négligés et sur lesquels on dispose de peu d’informations, comme les crimes sexuels ou fondés sur le genre et les crimes sur la personne d’enfants, reçoivent une attention particulière.

Le Mécanisme a, depuis son entrée en fonction en 2018, proposé son aide aux autorités judiciaires françaises, notamment aux magistrats du parquet et aux juges d’instruction spécialisés du pôle « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste. Les dossiers relatifs aux crimes internationaux commis sur la zone irako-syrienne représentent aujourd’hui la majorité des dossiers suivis par ce pôle. Les éléments de preuve en possession du Mécanisme peuvent en effet permettre d’obtenir des condamnations à la hauteur de la participation réelle des individus aux activités criminelles en cause.

À la date du 28 décembre 2021, 26 demandes d’entraide avaient été adressées au Mécanisme par le pôle « crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste, dont 14 avaient déjà été exécutées. La coopération avec le Mécanisme est jugée satisfaisante et fluide par les magistrats concernés.

III.   un texte précis dont l’approbation s’impose

Dès sa mise en place, le Mécanisme a jugé nécessaire de formaliser ses relations notamment avec les autorités judiciaires d’un certain nombre d’États partenaires. Ceci s’avérait particulièrement nécessaire avec la France, le droit français ne permettant pas, en l’absence de convention, la transmission d’informations des juridictions vers une entité non juridictionnelle. Négociée à partir de 2019 et signée en 2021, la présente convention est appelée à concrétiser la priorité donnée par la France à la lutte contre l’impunité en Syrie.

A.   Un accord rédigÉ pour permettre une pleine coopÉration

1.   Une convention négociée pendant deux ans

À la demande du Mécanisme, des négociations ont été ouvertes à Paris en juillet 2019 avec les autorités françaises sur un projet de convention d’entraide judiciaire internationale. Le premier projet de convention a été élaboré par les autorités françaises, sur la base d’échanges interministériels entre le ministère de la justice et le ministère des affaires étrangères, puis a été transmis au Mécanisme. Des réunions de négociation se sont tenues par visioconférence le 17 février 2020, le 20 janvier 2021 et le 22 février 2021. Le Bureau des affaires juridiques des Nations unies a également été consulté. Le texte final de l’accord a été signé le 29 juin 2021 à Genève. L’Organisation des Nations Unies a d’ores et déjà accompli, en ce qui la concerne, les procédures internes requises pour l’entrée en vigueur de la convention.

Pour régir cette coopération, les autorités françaises ont souhaité recourir à une convention internationale plutôt qu’à une loi ou à un protocole d’accord. Des options différentes ont parfois été retenues par d’autres États, en fonction de leur ordre juridique interne. Au total, 64 accords de coopération avec des États, des juridictions nationales, des organisations internationales et des organisations de la société civile ont déjà été conclus par le Mécanisme et sont opérationnels. Des législations spécifiques ont été édictées en Autriche, en Suisse et en Belgique. Un accord d’assistance juridique mutuelle ([21]) a été conclu avec l’Allemagne par le biais d’un échange de lettres, permettant des communications directes avec le parquet allemand sans passer par le ministère des affaires étrangères. La coopération a également été organisée avec la Norvège à travers un échange de lettres. Plusieurs « Memorandum of understanding » sont en cours de signature, dont un avec le Royaume-Uni.

D’un point de vue opérationnel, le parquet national antiterroriste et le Mécanisme ont convenu de mener des échanges, une fois la convention entrée en vigueur, afin d’examiner plus précisément les perspectives et les modalités de leur coopération future.

2.   L’organisation d’un cadre juridique de coopération

Le préambule de la convention souligne la volonté des parties de se fournir une assistance mutuelle aux fins de faciliter les enquêtes et les jugements des responsables des violations les plus graves du droit international commises en Syrie.

Aux termes de l’article 1er, les parties s’engagent à se communiquer des informations, documents ou objets attestant la commission de crimes graves en Syrie ou permettant d’en identifier les responsables, qu’il s’agisse de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de toute autre violation grave du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l’homme, perpétrés à partir de mars 2011. L’article 1er exclut du champ de la convention l’exécution « de mesures d’investigations telles que des interceptions téléphoniques, autopsies, mesures de gel ou de saisie d’avoirs », « des décisions d’arrestation provisoire et d’extradition » et « des condamnations pénales » (y compris les « mesures de confiscation »). La convention ne s’applique pas non plus aux « infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun ([22]) ».

Chaque partie garde la possibilité de prévoir des restrictions à l’entraide (article 2). Ainsi la France pourra refuser l’exécution d’une demande se rapportant à une infraction politique ([23]) ou si elle estime que cette exécution est susceptible de porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité ou à l’ordre public. Il est également loisible à chaque partie de « différer » l’exécution pour ne pas entraver une enquête ou des poursuites en cours.

Aux termes de l’article 3, les autorités compétentes pour recevoir les demandes et les pièces d’exécution sont, d’un côté, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour la France et, de l’autre côté, la Cheffe du Mécanisme. La transmission des demandes et le retour des pièces d’exécution s’effectuent toujours par la voie diplomatique. S’agissant de l’exécution des demandes, les autorités françaises compétentes sont les autorités judiciaires (article 4).

L’article 5 prévoit les exigences relatives au contenu et à la forme des demandes. Elles doivent être écrites et transmises par voie diplomatique. Les demandes d’audition ou d’interrogatoire adressées par le Mécanisme à la France doivent contenir l’identité et la localisation de la personne sollicitée, les noms et fonctions des personnes présentes pour l’audition, et toute autre pièce permettant de faciliter l’audition, notamment une liste de questions.

Les objets communiqués sont conservés par la partie requérante, sauf si la partie requise en a demandé le retour (article 6).

Les parties peuvent échanger spontanément des informations. La France peut ainsi informer le Mécanisme de toute procédure en cours portant sur des faits qui pourraient relever de son mandat. De même, le Mécanisme peut informer la France de tout processus interne portant sur des faits pouvant relever de sa compétence (article 7).

Aux termes de l’article 8, la partie requise peut demander que l’information ou l’objet qu’elle communique demeure confidentiel ou ne soit divulgué que dans les conditions qu’elle aura précisées. Lorsqu’une partie envisage la transmission à un tiers d’informations ou d’objets qu’elle a reçus en application de la convention, elle doit solliciter au préalable l’accord de l’autre partie. Elle doit aussi, dans ce même cas, obtenir de ce tiers la garantie que la peine capitale ou des traitements inhumains et dégradants ne seront ni requis, ni prononcés, ni mis à exécution à l’encontre des personnes poursuivies sur le fondement de ces éléments.

L’article 9 impose le respect, pour les échanges d’informations, des règles en matière de protection des données personnelles applicables tant à la France qu’au Mécanisme.

Les derniers articles de la convention constituent des stipulations habituelles dans ce type d’accord. L’exécution des demandes ne donne pas lieu à remboursements de frais, sauf arrangement contraire (article 10). Si nécessaire, les parties se consultent par la voie diplomatique sur l’interprétation et l’application du texte (article 11). Les différends éventuels portant sur son interprétation ou son exécution sont réglés par la voie diplomatique (article 12). La convention peut être modifiée d’un commun accord (article 13). Elle entre en vigueur à l’achèvement des formalités de notification et peut être dénoncée à tout moment, la dénonciation alors prenant effet le premier jour du sixième mois suivant sa notification à l’autre partie (article 14).

B.   Une approbation nécessaire

L’approbation de la présente convention apparaît indispensable pour renforcer la lutte contre l’impunité en Syrie, laquelle constitue un objectif porté avec constance par la France. La punition des crimes commis sur le territoire syrien depuis plus de dix ans constitue en effet un préalable à toute solution politique durable. Cette approbation devra s’accompagner, à plus long terme, d’une réflexion sur les modifications à apporter à la loi pénale française en vue de rendre plus effective la compétence universelle des juridictions françaises.

1.   Le renforcement de la lutte contre l’impunité

L’approbation de la présente convention apparaît nécessaire afin que la France tienne les engagements qu’elle a pris en faveur de la lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Syrie. La France s’est en effet engagée pour que ces crimes ne restent pas impunis et que leurs auteurs soient jugés. Il y a là une exigence de justice et d’égard pour les victimes, mais aussi un préalable pour la construction d’une paix durable en Syrie. La Syrie ne pourra se reconstruire socialement et politiquement que si les responsabilités des uns et des autres sont établies et sanctionnées.

La France porte régulièrement ce message, dans les médias comme dans les enceintes internationales. En témoigne, par exemple, le communiqué de presse du Président de la République sur l’intervention des forces armées françaises en réponse à l’emploi d’armes chimiques en Syrie, publié le 14 avril 2018 ([24]). Le Président de la République a réaffirmé cet engagement le 15 mars 2021 sur Twitter, à l’occasion des dix ans du début du conflit syrien ([25]). On retrouve la même volonté exprimée par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères Jean‑Yves Le Drain dans une tribune du 31 mars 2021, publiée conjointement avec dix-sept de ses homologues européens : « Nous ne resterons pas silencieux face aux exactions commises en Syrie, et dont le régime et ses appuis extérieurs portent la responsabilité principale. Nombre de ces crimes, y compris ceux commis par Daech et d’autres groupes armés, peuvent être assimilés à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité. Il est donc de la responsabilité de tous de lutter contre l’impunité des auteurs de ces actes et d’exiger que ceux-ci, quels qu’ils soient, rendent des comptes (…). » Cet enjeu est régulièrement évoqué par le représentant français lors des réunions consacrées à la situation en Syrie au sein des Nations unies, que ce soit au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale ou au Conseil des droits de l’homme. Enfin, la France a été régulièrement co-auteur, avec d’autres États, de résolutions sur la situation des droits de l’homme en Syrie au Conseil des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations unies, avec comme objectif majeur la lutte contre l’impunité.

La France, en approuvant la présente convention de coopération avec le Mécanisme international pour la Syrie, sera fidèle aux engagements réitérés qu’elle a pris de lutter contre l’impunité. La présente convention y contribuera concrètement en encadrant les transmissions d’informations du Mécanisme vers les juridictions françaises, qui sont déjà pratiquées mais qui seront rendues plus aisées et plus sûres. Elle y contribuera surtout en permettant la transmission d’informations des juridictions françaises vers le Mécanisme, qui n’est pas possible aujourd’hui. La loi française prévoit en effet que l’entraide judiciaire est réservée aux autorités judiciaires étrangères (articles 694 et suivants du code de procédure pénale), à la Cour pénale internationale (article 627 et suivants du même code) et au Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux ([26]) (loi n° 2013-711 du 5 août 2013 ([27]). Le Mécanisme n’étant ni une autorité judiciaire étrangère ni une juridiction avec laquelle l’entraide est permise, la présente convention est indispensable pour permettre aux juridictions françaises de répondre à ses demandes d’entraide. Le Mécanisme n’ayant pas accès au territoire syrien, il est particulièrement important pour lui de bénéficier d’éléments transmis par des États tiers.

2.   Une réflexion à engager sur l’adaptation de la loi pénale française

Par arrêt du 24 novembre 2021 ([28]), la chambre criminelle de la Cour de cassation a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître des poursuites engagées à l’encontre d’un ressortissant syrien mis en examen pour des faits de complicité de crimes contre l’humanité commis en Syrie. Elle a jugé, s’agissant de crimes contre l’humanité, que « l’exigence posée par l’article 68911 du code de procédure pénale, selon laquelle les faits doivent être punis par la législation de l’État où ils ont été commis [règle dite de la « double incrimination »], inclut nécessairement l’existence dans cette législation d’une infraction comportant un élément constitutif relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d’un plan concerté ». Rappelons en effet que les crimes contre l’humanité, tels qu’ils sont définis au chapitre II du sous-titre Ier du Code pénal, sont légalement constitués par des actes « commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ([29]) ».

La Cour de cassation a donc cassé (avec renvoi) l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait considéré que le droit syrien, même s’il n’incriminait pas, de manière autonome, les crimes contre l’humanité, réprimait les faits sous-jacents (meurtre, actes de barbarie, viol, violences et tortures) qui le constituent.

Cette décision tend à remettre en cause la compétence des juridictions françaises pour connaître des procédures ouvertes du chef de crime contre l’humanité commis en Syrie, mais également concernant des faits commis dans tout autre État n’incriminant pas le crime contre l’humanité ou incriminant cette infraction mais sans l’élément constitutif d’« une attaque lancée contre une population civile en exécution d’un plan concerté ». Elle pourrait également avoir des conséquences sur les procédures ouvertes du chef de crimes de guerre dans la mesure où la condition de « double incrimination » s’applique également à ces crimes.

La Cheffe du Mécanisme international pour la Syrie, Mme Catherine Marchi-Uhel, elle-même magistrate française, s’est émue de cette décision dans une tribune du 16 décembre 2021 ([30]). Elle y invite la France, « pour éviter de devenir un refuge pour les auteurs de ces crimes », à « reconsidérer les conditions qui l’empêchent de les poursuivre ». Elle y rappelle que le législateur français l’a déjà fait s’agissant d’autres crimes fondamentaux, « en supprimant la condition de double incrimination pour le génocide en 2019 et en permettant la poursuite en France des crimes de torture ou de disparition forcée commis à l’étranger, y compris par un auteur étranger dès lors que ce dernier est présent sur le territoire français, même si la victime est étrangère ».

Au vu de l’arrêt du 24 novembre 2021 qui pourrait fragiliser les procédures en cours, votre rapporteure souligne la nécessité d’engager une réflexion sur la nécessité d’adapter la loi française, qui apparaît aujourd’hui trop restrictive. Plus que d’une compétence « universelle », les juridictions pénales françaises paraissent en effet dotées seulement d’une certaine compétence « extraterritoriale ». La France est l’un des seuls pays européens à imposer le verrou de la « double incrimination ». Les restrictions prévues par le droit français risquent aujourd’hui d’apparaître comme autant d’obstacles à la quête de justice des victimes et de leurs familles qui ne peuvent, dans le contexte actuel, saisir aucune juridiction pénale internationale.

 


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   Examen en commission

Le mardi 18 janvier 2022, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de la convention de coopération judiciaire internationale entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation des Nations unies, représentée par le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je remercie notre rapporteure, Mme Mireille Clapot, pour son remarquable rapport, qui est à la fois clair et précis, et lui adresse mes sincères félicitations pour la rapidité du travail accompli, puisqu’elle n’a pu être nommée rapporteure de ce texte qu’il y a douze jours, au début du mois de janvier.

La matière est très sensible. Elle concerne l’une des priorités absolues affichées par notre diplomatie des dix dernières années, à savoir la cessation et la poursuite devant les tribunaux des violations des droits de l’homme perpétrées en Syrie depuis 2011.

La France a signé, le 29 juin 2021 – ce qui montre que notre Gouvernement peut aller vite pour présenter au Parlement des projets de loi d’autorisation de ratification –, une convention avec la cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie, qui est basé au siège des Nations unies à Genève, afin d’améliorer la coopération judiciaire et de lutter ainsi contre l’impunité dont tentent de bénéficier les tortionnaires et commanditaires du régime de Bachar al-Assad.

Notre pays est d’autant plus impliqué dans cette convention que la cheffe de ce mécanisme est une magistrate française, Mme Catherine Marchi-Uhel, et qu’elle a convaincu l’ONU, avec l’appui de notre Gouvernement, de renforcer très substantiellement – de 25 % – les moyens humains dont elle dispose pour accomplir ses missions.

Nous voulons que ce Mécanisme aboutisse. Nous voulons que les tortionnaires et les commanditaires du régime de Bachar al-Assad, convaincus de crimes contre l’humanité, puissent être punis mais notre rapporteure va nous démontrer que cela ne va pas de soi, parce que des problèmes d’ordre juridique se posent.

Mme Mireille Clapot, rapporteure. La convention d’entraide judiciaire conclue en juin 2021 entre la France et le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie a pour but de renforcer et de faciliter les échanges entre les juridictions françaises et cet organe onusien tout à fait original.

Avant d’entrer plus en détail dans la description de ce mécanisme et dans l’analyse de la convention qu’il nous est demandé d’approuver, il me semble utile de revenir sur le contexte de cet accord, en faisant un point sur la situation en Syrie.

Le conflit en Syrie a été déclenché par la répression opérée par le régime, dans les premiers mois de l’année 2011, de manifestations populaires qui étaient pacifiques, au moins au début. Le soulèvement populaire a ensuite progressivement pris un caractère armé et a été en partie repris à leur profit par des mouvements djihadistes, comme Daech, d’un côté, et le Front al-Nosra, de l’autre. Le régime a d’abord subi des revers, au point de se trouver, à un moment, au bord de l’effondrement. Il a toutefois tenu bon, notamment grâce à l’aide apportée d’abord par le Hezbollah libanais et par l’Iran, puis par la Russie à partir de 2015. Il a ainsi pu reconquérir une grande partie de son territoire, essentiellement située à l’ouest du pays. Je vous ai transmis deux cartes pour que vous puissiez vous repérer : l’une, purement géographique, et l’autre, intitulée « Qui contrôle quoi ? ».

À la suite de différents accords de cessez-le-feu, une grande partie des milices armées, de tendance djihadiste, se sont regroupées dans la poche d’Idlib, au nord-ouest du pays. Dans le nord-est, les Forces démocratiques syriennes, à majorité kurde, appuyées par la coalition internationale, remportent, à partir de 2017, des victoires contre Daech qu’elles chassent notamment des villes de Raqqa et de Baghouz. La Turquie, de son côté, se disant inquiète de l’implantation des milices kurdes à sa frontière sud, intervient à plusieurs reprises dans le nord de la Syrie, par exemple dans la ville d’Afrin, et cherche à y établir une zone sous son contrôle, surtout à partir d’octobre 2019. C’est finalement vers une forme de partition du territoire que l’on semble se diriger, les fronts étant plus ou moins gelés depuis mars 2020.

Quelles perspectives, dans ces conditions, pour la Syrie ?

Pour la communauté internationale, le cadre à suivre est celui fixé par la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies du 18 décembre 2015, qui prévoit un cessez-le-feu, la rédaction d’une nouvelle Constitution et des élections libres et transparentes. De ce point de vue, le scrutin présidentiel qui s’est tenu en Syrie au mois de mai 2021 ne saurait évidemment être tenu pour légitime, tant les garanties en termes de pluralisme et de transparence faisaient défaut. Le régime a néanmoins obtenu des gains diplomatiques indéniables, avec un début de normalisation de la part de certains États de la région. La seule voie acceptable reste donc celle des négociations intersyriennes organisées à Genève en vue d’élaborer une nouvelle Constitution. Ces négociations n’enregistrent toutefois aucun progrès réel, en raison essentiellement de la mauvaise volonté du régime.

On ne voit pas bien comment sortir d’une telle situation de paralysie. Le régime, appuyé par la Russie, mène des frappes ponctuellement sur la poche d’Idlib. La Turquie semble s’être implantée durablement dans certaines zones, faisant même naître un soupçon d’expansionnisme territorial sur des territoires longtemps disputés. La coalition internationale demeure en Syrie, avec quelque 900 soldats américains déployés dans le nord-est et sur la base d’Al-Tanf dans le sud. Israël mène régulièrement des frappes en Syrie sur des objectifs gouvernementaux ou liés à l’Iran ou au Hezbollah. Les cellules de Daech sont toujours actives et organisent des attentats. Bref, la perspective d’une Syrie démocratique, sûre et souveraine paraît plus lointaine que jamais.

La première victime de ces onze ans de guerre et de la paralysie actuelle, c’est évidemment la population civile, à laquelle on peut ajouter les jeunes hommes enrôlés malgré eux dans un camp ou l’autre. L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) estime à plus de 511 000 le nombre de morts dus au conflit. Plus de la moitié des Syriens ont dû quitter leur foyer et plus de 6 millions d’entre eux ont fui leur pays. Le conflit a été marqué par des très nombreuses violations graves des droits humains, de la part des forces gouvernementales comme des milices djihadistes : arrestations massives, disparitions forcées, torture et traitements inhumains et dégradants, attaques visant des quartiers d’habitation ou des hôpitaux, etc. Différentes minorités ont été particulièrement visées, notamment les Yézidis, victimes d’une véritable tentative de génocide. Les femmes et les enfants ont été spécialement touchés, non seulement de façon directe mais aussi indirectement, du fait de la destruction des systèmes éducatifs et de santé. La situation humanitaire est catastrophique. Plus de 13,4 millions de personnes ont besoin d’aide humanitaire, ce qui représente une augmentation de 21 % par rapport à l’année précédente.

La Syrie se trouve donc au carrefour de multiples enjeux. Il y a la question de son avenir politique. Il y a celle de l’aide humanitaire, médicale et alimentaire, et de son acheminement. Il y a aussi la question du terrorisme, de Daech et d’Al-Qaïda, et de leurs ramifications hors du territoire syrien. Et puis il y a la question de la lutte contre l’impunité, qui est au cœur du projet de loi que nous examinons.

La communauté internationale a pris plusieurs initiatives pour que les graves violations des droits de l’homme en Syrie ne restent pas impunies. Une commission d’enquête internationale, la commission Pinheiro, a été créée en 2011 sous l’égide de l’ONU et continue son travail en publiant chaque année des rapports publics. Ces rapports sont utiles et documentés mais ne permettent pas directement d’engager la responsabilité des auteurs des violations relevées. S’agissant de l’emploi d’armes chimiques, un mécanisme d’enquête conjoint entre l’ONU et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a été créé en 2015, avec pour mission d’établir les responsabilités des uns et des autres en la matière. Ses travaux ont toutefois été interrompus, faute d’accord politique sur ce sujet au Conseil de sécurité.

La France a, par ailleurs, porté en 2014 une résolution au Conseil de sécurité pour déférer la situation en Syrie à la Cour pénale internationale (CPI). Cette résolution n’a toutefois pas pu aboutir, en raison des veto russe et chinois. Toute tentative de créer un tribunal international ad hoc par la voie du Conseil de sécurité se heurterait, à l’évidence, au même blocage.

Il reste, pour essayer de juger et de sanctionner les coupables d’atrocités commises en Syrie, la compétence des juridictions nationales. La compétence « universelle » des juridictions nationales donne à celles-ci la possibilité de poursuivre et de punir des criminels étrangers pour des crimes commis à l’étranger contre des victimes étrangères. C’est à ce titre qu’il y a quelques jours, en Allemagne, un ancien colonel des services de renseignement syriens a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité. Les victimes et les proches des victimes ont exprimé leur satisfaction à cette occasion : la lutte contre l’impunité passe par ce genre de sanction exemplaire.

Cette possibilité existe en droit français. Elle a été reconnue par la loi du 9 août 2010 qui a transposé dans notre droit le Statut de Rome, c’est-à-dire le traité international qui a créé la Cour pénale internationale. Actuellement, vingt et une enquêtes préliminaires et douze informations judiciaires sont ouvertes sur ce fondement. Elles sont suivies par le pôle « Crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste (PNAT), placé près le tribunal judiciaire de Paris. Toutefois, la compétence des juridictions françaises est strictement encadrée. Elle est soumise à plusieurs conditions assez restrictives, sur lesquelles je reviendrai. Par ailleurs, les juridictions françaises se heurtent à des difficultés en matière de collecte de preuves. N’ayant pas directement accès au territoire syrien, elles doivent se fonder sur des témoignages ou recourir à l’entraide judiciaire internationale, que ce soit avec d’autres États ou avec des instances internationales comme la commission Pinheiro.

C’est parce que ces différentes initiatives se sont révélées insuffisantes pour lutter efficacement contre l’impunité que l’Assemblée générale des Nations unies a décidé, en 2016, de créer le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Un veto de la Russie ou de la Chine ne pouvait, dans cette hypothèse, y faire obstacle, parce que ce Mécanisme n’est pas à proprement parler une juridiction. Il s’agit d’un organe inédit, sui generis, dont la mission est double. D’une part, il doit collecter des informations et des éléments de preuve concernant les violations graves des droits humains commises en Syrie depuis mars 2011. D’autre part, il doit analyser ces éléments et constituer des dossiers susceptibles d’être utilisés par des juridictions nationales, et peut-être demain par des juridictions internationales si elles venaient à être saisies. Le Mécanisme permet ainsi d’éviter la déperdition des preuves, qui sont déjà si difficiles à collecter. Il évite aussi que des procédures judiciaires ne puissent aboutir, faute d’éléments probatoires. J’ajoute qu’il recueille des éléments imputables aussi bien aux forces gouvernementales qu’aux groupes djihadistes.

Nous avons auditionné Mme Marchi-Uhel, la magistrate française qui est à la tête du Mécanisme, et qui fait un travail remarquable. Depuis son entrée en fonction, le Mécanisme a constitué un répertoire central contenant plus de 2 millions de fichiers, qui peuvent être des photos, des vidéos, des témoignages écrits, des images satellites, etc. Le Mécanisme dispose également d’outils informatiques permettant la recherche dans ce répertoire. Il fonctionne avec une équipe d’environ soixante-dix personnes, composée d’enquêteurs, de juristes, d’analystes, de spécialistes des questions de sécurité et de cybersécurité, d’experts en soutien aux victimes ou encore de traducteurs. Il axe notamment ses enquêtes sur les crimes commis dans les centres de détention du régime, à la sinistre réputation, sur les attaques contre des populations civiles avec des visées discriminatoires, notamment de la part de Daech, et sur les attaques à l’arme chimique.

Ses bons résultats ont inspiré la création du Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar, créé en 2018 par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. C’est la preuve, s’il en fallait, que ce type d’instance, tout à fait originale, répond à un besoin de la justice internationale.

Quel est, dans ce contexte, le but de la convention d’entraide qu’il nous est demandé d’examiner et d’approuver ?

Il est essentiellement de permettre la transmission d’informations des juridictions françaises vers le Mécanisme. Cette transmission n’est pas possible à l’heure actuelle, faute d’un accord de coopération. La présente convention d’entraide permettra également d’apporter un encadrement juridique à la transmission d’informations dans l’autre sens, du Mécanisme vers les juridictions françaises – cette transmission est déjà possible mais elle sera fluidifiée. L’idée est donc de faciliter les échanges d’informations, de documents ou d’objets attestant la commission de crimes graves ou permettant d’en identifier les responsables, qu’il s’agisse de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou de toute autre violation grave du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l’homme, perpétrés en Syrie à partir de mars 2011.

La convention s’inspire des accords d’entraide judiciaire internationale conclus avec des États étrangers, dont elle reprend les garanties traditionnelles. Sont ainsi exclues du champ de la convention les infractions politiques et les infractions militaires. L’exécution d’une demande d’entraide peut être différée pour ne pas entraver une enquête ou des poursuites en cours. Des exigences sont posées quant à la forme et au contenu des demandes. Une partie peut aussi demander que l’élément transmis demeure confidentiel. Les règles en matière de protection des données personnelles doivent être respectées.

Par rapport aux accords classiques conclus avec des États, une spécificité est à noter : une partie ne pourra demander à l’autre partie l’exécution de mesures d’investigations telles que des interceptions téléphoniques, des autopsies, des mesures de gel ou de saisie d’avoirs, des décisions d’arrestation provisoire et d’extradition, ou encore l’exécution de condamnations pénales. Le Mécanisme n’étant pas une juridiction, mais ayant pour seul but la collecte et l’analyse d’éléments de preuve, de telles mesures n’auraient pas leur place dans la présente convention.

L’approbation de cette convention apparaît indispensable. Un certain nombre de demandes formées par le Mécanisme auprès des juridictions françaises sont en effet pendantes. Elles ne pourront pas être exécutées tant que la présente convention n’aura pas été approuvée.

Elle doit l’être si nous voulons prendre au sérieux l’engagement souscrit et réitéré par la France de lutter contre l’impunité en Syrie. C’est une position constante de notre pays. Il ne s’agit pas d’un vain esprit de vengeance mais d’une exigence de justice, qui est elle-même un préalable à toute paix durable et à tout règlement politique. Il n’y a pas de paix sans justice. Les auteurs de violations graves, parfois gravissimes, des droits humains en Syrie doivent être jugés. Ils doivent évidemment l’être selon les normes du droit pénal international, avec toutes les garanties juridictionnelles nécessaires, au premier rang desquelles le droit à un procès équitable. S’ils sont reconnus coupables, ils doivent être sanctionnés à proportion de leurs responsabilités. Le MIII pour la Syrie y contribue, et c’est pourquoi il est nécessaire de garantir et d’encadrer ses échanges avec les juridictions françaises.

À l’approbation de cette convention devrait succéder une autre étape, à laquelle j’invite à réfléchir. La Cour de cassation, dans un arrêt du 24 novembre 2021 qui a fait couler beaucoup d’encre, a déclaré les juridictions françaises incompétentes pour connaître des poursuites engagées à l’encontre d’un ressortissant syrien mis en examen pour des faits de complicité de crimes contre l’humanité commis en Syrie. La loi française pose en effet plusieurs conditions pour qu’une personne soupçonnée de crime contre l’humanité puisse être poursuivie et jugée par nos juridictions. Celle-ci doit, en particulier, résider habituellement sur le territoire français et, surtout, les faits reprochés doivent être punis par la législation de l’État où ils ont été commis. C’est ce que l’on appelle le « verrou de la double incrimination ». Selon l’interprétation de la Cour de cassation, il ne suffit pas que les faits constitutifs soient punis, comme c’était bien le cas dans le droit syrien, mais encore que la définition juridique du crime contre l’humanité, exigeant l’existence d’un « plan concerté », se retrouve dans le droit de l’État concerné. Comme ce n’était pas le cas dans le droit syrien, la Cour de cassation a jugé les juridictions françaises incompétentes pour en connaître.

De nombreuses associations et personnalités, y compris la cheffe du Mécanisme, se sont émues de cette jurisprudence – à juste titre, me semble-t-il. Comme l’a écrit Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, dans une récente tribune, il ne s’agit pas de mettre en cause la décision des magistrats de la Cour de cassation : « Ils sont dans leur rôle en interprétant le droit en fonction de la loi telle qu’elle est. La Cour de Cassation s’appuie sur les dispositions de la loi du 9 août 2010, transposant en droit français le statut de la Cour pénale internationale. » Toutefois, l’exigence de la double incrimination fait que l’on ne peut pas poursuivre des criminels de guerre syriens, parce que la Syrie ne reconnait pas les crimes contre l’humanité.

La France est l’un des seuls pays européens à imposer ce verrou de la « double incrimination ». Il me semble donc utile de réfléchir, sans tarder, à la nécessaire adaptation du droit français, actuellement trop restrictif. En attendant, je vous invite à adopter le présent projet de loi, qui constitue déjà une étape très attendue et très utile.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Le dernier point que vous avez soulevé sera certainement au cœur de notre discussion, car c’est le problème central posé par ce dispositif.

Mme Nicole Trisse (LaREM). La Syrie est probablement le plus grand trou noir du respect des droits humains dans un conflit armé au XXIe siècle, une tache sur la communauté internationale, qui n’a pas réussi à mettre fin à ce conflit destructeur et aux multiples violations des droits de l’homme qui l’ont accompagné. Les chiffres sont connus de tous ; ils témoignent de la descente aux enfers du peuple syrien. Depuis le 15 mars 2011, les Syriens sont entrés dans une longue nuit moyenâgeuse où chaque belligérant a rivalisé de cruauté et de terreur pour imposer son pouvoir.

La France a adopté une position constante depuis les premières manifestations de Deraa en 2011. Le régime de Bachar al-Assad, les groupes djihadistes, les groupes armés, les potentats locaux et leurs soutiens devront un jour répondre de leurs crimes. Derrière cette position, il y a le constat qu’aucune réconciliation, qu’aucun retour à la vie ne seront possibles en Syrie sans justice, sans réparation et sans restauration de la dignité d’un peuple meurtri et exilé.

La communauté internationale a un rôle clé à jouer pour qu’un jour la justice fasse son office. Elle n’a pas su empêcher le drame en Syrie mais elle peut agir pour que, demain, les bourreaux s’expliquent devant les victimes. C’est le sens de la création en 2016 du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie. Dépendant de l’ONU, basé à Genève, cet organisme permet de constituer des dossiers contre tous les belligérants ayant commis des crimes pendant le conflit.

C’est également le sens de la convention entre l’État français et le Mécanisme international que nous examinons et dont il nous revient d’autoriser l’approbation. Notons que plusieurs États européens coopèrent déjà avec le MIII dans le partage d’informations. Il ne s’agit pas d’une démarche inédite, mais d’un mouvement de fond européen pour rendre justice au peuple syrien, comme l’illustre la condamnation récente par un tribunal allemand d’un ancien colonel des services de renseignement syriens pour crime contre l’humanité.

Cette convention prévoit le partage de renseignement entre les autorités judiciaires françaises et l’organisme onusien. C’est un bon outil, suffisamment souple dans son fonctionnement, qui protège les intérêts français et les procédures en cours sur la Syrie. Elle fait de la lutte contre l’impunité face à des crimes commis et qui perdurent encore en Syrie une priorité, tant pour le Mécanisme international que pour les États européens dotés de la compétence universelle.

Elle garantit un peu mieux le fait que des personnes ayant commis des crimes en Syrie ne pourront jamais mettre un pied en Europe sans rendre des comptes. C’est la raison pour laquelle le groupe La République en marche votera ce texte.

Je termine avec quelques questions. La durée d’existence du MIII pour la Syrie a-t-elle été fixée ? Combien de procédures françaises sont actuellement en cours à propos de la Syrie ? Le droit français doit-il être modifié pour permettre de mieux instruire des procédures pénales contre des violations des droits de l’homme commises à l’étranger ?

M. Michel Fanget (Dem). Le conflit qui touche la Syrie depuis plus d’une décennie a profondément marqué ce territoire, qui se trouve fracturé à bien des niveaux. Cette guerre a laissé des traces indélébiles sur une population, dont l’immense majorité a éprouvé la perte d’un proche, du fait des exactions commises, tant par les milices djihadistes que par les forces du régime. Le rapport publié en janvier 2021 par la commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne est éloquent. D’après celui-ci, les parties en conflit ont commis les plus odieuses violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, qui comprennent des actes susceptibles de constituer des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et d’autres crimes internationaux, y compris celui de génocide. Alors que cette guerre aurait conduit à la mort plus de 511 000 individus depuis 2011, il est plus que jamais essentiel que les auteurs de ces crimes fassent l’objet de poursuites et de condamnations. C’est une exigence de justice à l’égard des victimes, mais c’est aussi le préalable à la construction d’une paix durable.

Forte de cette volonté et face à l’impossibilité de saisir la Cour pénale internationale, l’Assemblée générale des Nations unies est donc convenue, en décembre 2016, de la création d’un Mécanisme international pour la Syrie. Cet organe doit, par l’analyse et le regroupement de preuves, constituer des dossiers afin de faciliter, pour les juridictions compétentes, la traduction en justice des auteurs de violations du droit international en Syrie. La France, en soutenant pleinement la création de ce Mécanisme, s’est ainsi montrée fidèle à ses engagements réitérés de lutter contre l’impunité pour les crimes contre l’humanité, qu’elle a pris tout au long de cette décennie.

Il s’agit d’assurer une coopération fluide et efficace entre le Gouvernement français et le Mécanisme. Bien qu’il collabore étroitement avec la commission Pinheiro, celui-ci ne peut accéder au territoire syrien et dépend par conséquent de la coopération des juridictions internationales. Or, dans le cas de la France, cette coopération se trouve limitée par notre droit interne, qui empêche nos juridictions de transmettre des informations à cet organe, puisque l’entraide judiciaire en France demeure réservée aux juridictions nationales ou internationales. Le projet de loi qui nous est présenté doit permettre l’adoption d’une convention à même de garantir cette coopération juridique réciproque entre le Gouvernement et le Mécanisme.

La convention rendra les transmissions d’informations du Mécanisme vers les juridictions françaises plus aisées et plus sûres, mais elle permettra surtout à cet organe de recevoir des informations essentielles de la part des juridictions françaises, afin de lutter contre l’impunité des crimes commis. Notre groupe soutiendra pleinement ce projet de loi.

M. Alain David (SOC). Les combats qui se déroulent en Syrie mobilisent moins l’attention médiatique qu’aux heures les plus sombres de la lutte contre le califat autoproclamé de Daech. Les exactions continuent et la partition quasi actée du pays en différentes zones d’influence maintient les populations dans une détresse humanitaire et une insécurité permanentes.

Nous avons tous bien compris combien l’approbation de cette convention est indispensable pour renforcer la coopération entre les juridictions françaises et le MIII, et pour faciliter les enquêtes concernant les violations des droits de l’homme en Syrie. Les éléments de preuve de ces exactions sont compilés dans un répertoire central.

Anwar Raslan, tortionnaire syrien et ancien responsable des services de renseignement, a été condamné récemment par la Haute Cour régionale de Coblence pour crime contre l’humanité. La compétence universelle de la justice allemande a rendu possible ce procès. Pourquoi un tel procès et une telle condamnation – accueillie avec soulagement par des victimes et leurs familles, ainsi que par de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) – seraient-ils impossibles en France ?

En tout état de cause, convaincu par vos explications, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra l’approbation de cette convention de coopération judiciaire, en espérant que le MIII puisse contribuer à dissuader de futures exactions de la part des belligérants.

Mme Aina Kuric (Agir ens). L’approbation de cette convention m’apparaît indispensable pour renforcer la coopération internationale et la lutte contre l’impunité. La punition des crimes commis sur le territoire syrien depuis plus de dix ans répond en effet une exigence de justice à l’égard des victimes, mais elle constitue aussi un préalable à une solution politique durable. À plus long terme, notre vote positif devra être accompagné par une réflexion sur les modifications à apporter à la loi pénale, afin de rendre plus effective la compétence universelle des juridictions françaises.

La France tient ses engagements en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Syrie. En approuvant la convention de coopération avec le Mécanisme international, notre assemblée sera fidèle aux engagements réitérés de lutter contre l’impunité des dirigeants et des personnalités qui leur sont liées. Ce Mécanisme n’étant ni une autorité judiciaire étrangère ni une juridiction, la présente convention est indispensable pour permettre aux juridictions françaises de répondre aux demandes d’entraide. Dès lors, nous ne pouvons pas nous dispenser d’adopter à une large majorité ce projet de loi autorisant son approbation. Fort de cette conviction, le groupe Agir ensemble soutiendra ce projet de loi.

Je souhaiterais vous interroger à propos d’un événement récent, celui du retour en Syrie de Rifaat el-Assad, après trente-six ans d’exil. Il avait été condamné par la cour d’appel de Paris à quatre ans de prison pour avoir constitué frauduleusement en France un patrimoine évalué à 90 millions d’euros. Comment cela a-t-il pu être possible, alors qu’un dispositif concernant les biens mal acquis a été adopté lors de l’examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ?

M. Jean-Michel Clément (LT). J’ai peu de choses à ajouter : la rapporteure a très bien expliqué la situation dramatique. Le temps passe et on risque de finir par ne pas se souvenir des exactions commises. L’ONU a opportunément mis en place un dispositif destiné à ne pas laisser tomber dans l’oubli les crimes de guerre commis en Syrie depuis maintenant onze ans. Il faut se féliciter de l’originalité de ce mécanisme. Il est peut-être le précurseur de quelque chose de plus important, à l’image de la compétence universelle dont s’est dotée l’Allemagne et qui avait déjà été mise en œuvre s’agissant de la Biélorussie. On voit que l’Allemagne poursuit dans cette voie pour les événements en Syrie, et il serait bienvenu que tous les États européens s’en inspirent pour pouvoir mieux condamner les crimes de guerre.

Je souhaite personnellement qu’on avance dans cette direction, et le groupe Libertés et territoires soutient l’approbation de cette convention. La France doit pleinement coopérer avec le MIII pour la Syrie, afin de faire la lumière sur des crimes atroces. Je crains que ce ne soit malheureusement pas suffisant – et même conduire leurs auteurs devant les tribunaux n’est pas forcément un gage de cessation de ces exactions.

Soyons malgré tout optimistes et mettons en place les mécanismes nécessaires.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Madame la rapporteure, une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec chacune des phrases de votre intervention. J’en reprends une que je trouve très belle : « Il n’y a pas de paix sans justice. »

J’aimerais qu’il en soit de même partout dans le monde ; ce n’est malheureusement pas le cas, mais il faut bien débuter quelque part. Les conflits en Syrie et au Yémen font suite aux printemps arabes, mais on a l’impression que les deux cas ne sont pas traités de la même manière.

Au risque de faire un peu « canal historique », j’étais dans cette même salle, en 2010, lors de l’examen du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (CPI), dont Nicole Ameline était rapporteure pour avis. La commission des affaires étrangères avait alors contesté, à l’unanimité, le fait que les quatre conditions mentionnées par la rapporteure soient nécessaires pour reconnaître la compétence des tribunaux français. Ces conditions revenaient à faire de la France presque un paradis pénal pour les criminels, tellement il serait difficile de les y poursuivre.

Nous avions été battus par la commission des lois de l’Assemblée nationale et par le Sénat. On en voit le résultat : la justice française ne dispose plus de la compétence universelle alors que l’Allemagne l’a conservée. C’est la raison pour laquelle le criminel de guerre récemment condamné en Allemagne n’aurait pas pu l’être en France.

Les députés communistes soutiennent, bien entendu, la création du Mécanisme par l’ONU. En organisant le recueil d’éléments de preuve, il permet de juger des criminels de guerre ou contre l’humanité le moment venu, et ce même si certains États n’ont pas signé le statut de Rome instituant la CPI.

Nous voterons également en faveur de ce projet de loi. Mais nous ne pouvons le soutenir si la commission des affaires étrangères ne confirme pas ce qu’elle avait dit en 2010, en demandant à revenir sur les quatre critères de compétence qui posent problème. Si on ne le fait pas, on pourra toujours dire que l’on agit pour la justice et pour la paix, mais cela restera un discours. Nous vous proposons de passer aux actes et que notre commission interpelle la commission des lois de l’Assemblée et le Gouvernement. Il faut d’urgence changer la loi.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je vous remercie pour ces précisions sur les circonstances dans lesquelles la loi avait été adoptée, notamment s’agissant de la différence d’approche entre notre commission, d’une part, et la commission des lois de l’Assemblée ainsi que le Sénat, d’autre part. Après les réponses de la rapporteure, je vous proposerai une initiative pour tenir compte de la position assez unanime des différents groupes.

Mme Mireille Clapot, rapporteure. Madame Trisse, les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et cette convention va permettre d’échanger des informations en vue de les poursuivre. Selon moi, et peut-être sous réserve d’une étude plus détaillée, il n’y a pas de limite à son application dans le temps.

Le pôle « Crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre » du Parquet national antiterroriste (PNAT) a adressé vingt-six demandes d’entraide au Mécanisme et quatorze ont déjà été exécutées. Le PNAT suit vingt et une enquêtes préliminaires et douze informations judiciaires concernant des faits commis en Syrie à compter de 2011.

Rifaat el-Assad est l’oncle de Bachar el-Assad, et son surnom de « boucher de Hama » laisse bien imaginer ce qu’il a fait. Ex-opposant au régime, il a été poursuivi en Suisse pour crimes de guerre et ses biens ont été confisqués. Il a pu s’enfuir de France en passant par la Biélorussie – autre régime sympathique –, mais je ne sais pas précisément dans quelles circonstances. Je prendrai le temps de vérifier si cette affaire a un rapport avec la convention et si Rifaat el-Assad est concerné par celle-ci, sous réserve que le Mécanisme fournisse des informations qui sont peut-être couvertes par le secret.

Vous êtes plusieurs à avoir posé la question de l’évolution du droit français. Comme je vous l’ai dit, lors des auditions, je me suis émue du quadruple verrou. Le sujet concernant aussi le ministère de la justice, les représentants du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sont restés sur une position prudente. Mais je vous annonce que ce dernier soutient le principe d’une évolution du droit, afin que le critère de double incrimination ne puisse plus être opposé à la poursuite de personnes pour crimes contre l’humanité. C’est cohérent avec l’engagement constant de la France pour lutter contre l’impunité en Syrie.

Le projet de loi ne permettant pas de traiter de cette question, il faudra trouver un vecteur législatif pour faire disparaître le critère de double incrimination, sous réserve d’un accord du ministère de la justice et sans obstruction du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Je propose que nous affirmions notre soutien à cette position.

M. Jean-Paul Lecoq. J’entends bien que le ministère des affaires étrangères interpelle à juste titre sur la double incrimination. Mais les trois autres verrous demeurent et ils resteront bloquants compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation. Rappelons, une fois encore, qu’il s’agit du monopole de poursuite confié au ministère public et de la résidence habituelle du suspect en France – il faut le démontrer au moment de l’arrestation. Enfin, le ministère public doit s’assurer auprès de la CPI qu’elle décline sa compétence.

Il faut oser revenir à la compétence universelle sans filtre pour pouvoir juger ces crimes, comme le fait l’Allemagne. Il faut faire sauter ces verrous : lorsqu’on arrête une personne suspectée de crime contre l’humanité à la descente de l’avion, on ne va pas vérifier où elle habite. Grâce à la compétence universelle, on peut la déférer devant un juge puis organiser un procès, le Mécanisme indépendant permettant d’obtenir des éléments de preuve.

Je ne sais que trop les raisons qui ont présidé à la mise en place de ces filtres en 2010, lors de la présidence de Nicolas Sarkozy. Il faut se rappeler tout ce qui se passait alors en Afrique, et peut être n’avait-on pas envie d’interpeller certaines personnes en France. Si l’on s’inscrit désormais dans une dynamique différente pour faire justice partout où ont été commis des crimes contre l’humanité – et tel est le sens de votre rapport –, alors il faut supprimer les verrous pour revenir à la compétence universelle pure.

M. Jacques Maire. Il faut aussi s’intéresser à la question de la réciprocité. Je fais référence à la doctrine des États-Unis qui combat toute juridiction pénale internationale, afin d’éviter que leurs troupes ou leurs acteurs fassent l’objet de poursuites. La situation de l’Allemagne est particulière puisqu’elle intervient de manière assez limitée dans des zones de conflit, ce qui n’est pas le cas pour la France.

Madame la rapporteure, le risque de réciprocité a-t-il été mentionné comme une limite à nos ambitions lors de vos discussions avec le Quai d’Orsay ? Des États autoritaires pourraient adopter des dispositions analogues pour exercer des pressions, sans aucune garantie sur la réalité de ce qui serait reproché à des ressortissants français ou d’autres pays.

Mme Mireille Clapot, rapporteure. Je vais rester prudente dans mes réponses, parce que je ne suis pas la porte-parole de ceux qui ont négocié la convention et que je n’ai pas participé, en 2010, à la discussion du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la CPI. Je ne dispose peut-être pas de tous les éléments de réponse, mais je pense qu’une partie d’entre eux figure dans la question de Jacques Maire. Il me semble que la France veut préserver ses intérêts bien légitimes en évitant l’instrumentalisation d’une incrimination. On ne peut donc pas transposer la solution allemande.

J’entends bien la demande de Jean-Paul Lecoq, mais je n’ai pas de réponse à y apporter. Si l’on arrive à faire évoluer le droit à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021, en particulier en ce qui concerne la double incrimination, nous aurons déjà franchi un pas. Le débat mérite d’être ouvert, mais il convient de progresser prudemment, car le monde est ce qu’il est et non pas ce qu’on rêverait qu’il soit. Il faut éviter une instrumentalisation de la lutte contre l’impunité.

M. Jean-Paul Lecoq. L’Allemagne participe à des opérations extérieures dans un cadre international, même si ses forces sont déployées en faible nombre. Si elle a conservé la compétence universelle, c’est en raison de son histoire et du traumatisme de la Shoah. Le sujet des crimes contre l’humanité et des génocides reste à fleur de peau pour le peuple allemand.

On parle souvent d’Europe mais, par rapport à d’autres États membres, la législation de la France pourrait faire apparaître celle-ci comme une zone de non-droit, ou à tout le moins comme un pays où certains criminels ne peuvent pas être jugés. Il n’est pas très bon de rester dans cette situation. J’entends bien qu’on veuille avancer à petits pas, mais il faudra quand même faire un saut à un moment donné.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les analyses de la rapporteure et de chacun d’entre vous, et certaines choses se dessinent assez clairement.

Tout d’abord, il faudra, bien entendu, procéder au vote sur l’approbation de cette convention, qui fait l’objet d’un accord général.

Ensuite, la situation est profondément insatisfaisante puisque la mise en œuvre des quatre conditions posées par la loi de 2010 aboutit en pratique à soustraire les criminels contre l’humanité à toute sanction par les tribunaux français. Nous ne pouvons pas nous en accommoder.

Comment réagir ?

Il y a une question de fond et une de forme, ainsi qu’une question annexe qui est la suivante : si l’on modifiait la loi de 2010, cela aurait-il un effet rétroactif ? Un Syrien pourrait-il alors être poursuivi pour des crimes contre l’humanité commis il y a dix ans ? Je crois que oui et c’est aussi l’avis de Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Syrie, avec qui j’en ai discuté. Le crime – en l’espèce imprescriptible – ou la sanction applicable ne seraient pas modifiés. Il s’agirait simplement d’une modification procédurale portant sur les modalités de poursuite et la juridiction compétente. Il faut y faire allusion, mais cela n’est pas le plus important.

Sur le fond, l’intervention de M. Lecoq est très éclairante. Il a montré que les quatre conditions sont autant d’obstacles, dont aucun n’est négligeable. J’avais aussi tiqué à la lecture du critère de résidence habituelle, qui est très troublant et flou. Quelqu’un qui se trouve sur le territoire français devrait pouvoir être déféré devant une juridiction française. Il est donc très logique de remettre en question les quatre critères posés par la loi du 9 août 2010.

Cela étant, d’autres considérations doivent être prises en compte. Tout d’abord, l’avis de la commission des affaires étrangères n’avait pas été suivi lors de la discussion du projet de loi. Les résistances étaient sans doute très fortes. Or l’absurdité de la condition de double incrimination est criante. Dans le cas d’espèce, elle interdit toute poursuite puisque la législation syrienne ne prévoit pas le crime contre l’humanité. C’est inacceptable, car notre capacité d’action est laissée à la discrétion du tortionnaire, M. Bachar el-Assad. C’est sur cette condition qui bloque le plus les poursuites contre les bourreaux et les commanditaires que nous devons insister, car nous serons les plus convaincants.

À l’inverse, l’État répugnera probablement à remettre en cause la clause selon laquelle les poursuites doivent être exercées à la seule requête du ministère public français, la constitution de partie civile ne pouvant les déclencher. L’État veut garder la main, car il ne souhaite pas que la politique d’accueil sur son territoire dépende d’un autre que lui. Gardant la main, il dispose également d’un moyen de pression – de chantage – sur ces États, en l’espèce l’État syrien.

Quand on plaide pour la justice, on ne peut qu’être réservé mais l’État français, tel qu’il est constitué depuis Philippe le Bel, est soucieux de maintenir ce type de relations. En conséquence, si nous proposons une remise en cause globale des quatre critères – proposition très logique de notre collègue Lecoq –, nous risquons de ne pas aboutir. Je suggère donc que nous marquions notre opposition aux quatre conditions, tout en faisant un sort particulier à la double incrimination qui aboutit, spécifiquement pour la Syrie, à un blocage, le droit syrien ne prévoyant pas de condamnation pour crime contre l’humanité.

Je plaide pour cette solution qui, vous en conviendrez, est profondément centriste !

Quelle forme pourrait prendre notre intervention ? Il pourrait s’agir d’un courrier de ma part – dont le projet serait bien évidemment transmis en amont à tous les membres de la commission – à l’attention du garde des sceaux et du ministre des affaires étrangères, avec une copie pour information à ma collègue Braun-Pivet, présidente de la commission des lois.

Cette lettre accompagnerait notre vote et rappellerait que la commission estime qu’une modification immédiate de la loi du 9 août 2010 précitée est indispensable. Nous avons de bonnes chances de l’emporter sur ce point ; je suis moins optimiste s’agissant des trois autres. Il faut tenter le compromis avec le Gouvernement, car, pour toutes les raisons que la rapporteure a rappelées, on ne peut s’accommoder du maintien du système actuel qui nous met au ban des États et en difficulté par rapport à notre partenaire allemand.

Je ne ferai pas allusion à la question de la rétroactivité, car il n’est pas utile d’agiter un chiffon que personne n’a, jusqu’à présent, vraiment agité.

M. Jean-Paul Lecoq. Tout de même, ne peut-on également évoquer le critère de la « résidence habituelle » ? Cela ne mange pas de pain ! Cette notion est extrêmement complexe à évaluer, y compris pour les juges.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je pensais la faire apparaître en deuxième priorité.

Mme Mireille Clapot, rapporteure. Je vous remercie pour cette proposition, certes centriste, mais qui correspond aussi à un point d’équilibre. Je nous fais confiance pour trouver les bons mots.

Dans le rapport, nous avons rappelé les événements intervenus entre 2010 et 2022, mais surtout l’arrêt de la Cour de cassation du 24 novembre 2021, que certains observateurs voyaient venir mais qui aurait pu être différent, car l’équivalence avec le crime contre l’humanité dans la législation syrienne aurait pu être trouvée. Désormais, l’interprétation est stricte alors que la justice allemande, elle, a su condamner à perpétuité un criminel syrien. Ce télescopage d’agendas met la France en porte-à-faux par rapport à ses engagements sincères contre l’impunité en Syrie. Il est de l’intérêt de tout le monde de lever cette contradiction.

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 


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   Annexe 1 : texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de la convention de coopération judiciaire internationale entre le Gouvernement de la République française et l’Organisation des Nations unies, représentée par le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie, signée à Genève le 29 juin 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 4696)

 

 


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   ANNEXE 2 : Liste des personnes auditionnées
par la rapporteure

 

Mme Catherine Marchi-Uhel, cheffe du Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international, commises en République arabe syrienne depuis 2011, Mme Laëtitia Husson, coordinatrice de la section de la coopération et du soutien aux juridictions, et M. Jörn Eiermann, assistant spécial

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères : Mme Amélie Becquart, magistrat, chargée de mission justice pénale internationale à la direction des affaires juridiques, M. Étienne Le Marchand, adjoint à la sous-directrice des droits de l’homme et des affaires humanitaires de la direction des Nations Unies, des organisations internationales, des droits de l’homme et de la francophonie, M. Alexandre Bachelet, rédacteur au pôle droits de l’homme de la sous-direction des droits de l’homme et des affaires humanitaires, Mme Wassan Al Wahab, rédactrice Syrie à la sous-direction d’Égypte‑Levant de la direction d’Afrique du Nord et du Moyen‑Orient, et Mme Claire Giroir, rédactrice à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques

Ministère de la Justice, direction des affaires criminelles et des grâces : Mme Caroline Bötschi, magistrat au bureau de la négociation pénale européenne et internationale, et Mme Aurélie Meyer, magistrat, adjointe au chef du bureau de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment

Mme Clémence Bectarte, avocate, coordinatrice du Groupe d’action judiciaire de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH)

M. Mazen Darwish, directeur du Syrian Center for Media and Freedom of Expression


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   annexe 3 : Chronologie de l’introduction en droit français du Statut de Rome

La loi du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions du Code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre les personnes a introduit le crime de génocide et les crimes contre l’humanité dans le nouveau Code pénal français, respectivement aux articles 211-1 et 212-1.

Le 18 juillet 1998, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale était signé par la France. Par une loi du 30 mars 2000, la convention était ratifiée avec une entrée en vigueur au 1er juillet 2002.

La loi du 26 février 2002 relative à la coopération avec la Cour pénale internationale a défini les modalités de l’entraide judiciaire, de la remise des personnes et de l’exécution des peines et des mesures de réparation prononcées par la Cour pénale internationale aux articles 627 et suivants du code de procédure pénale.

La loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale a introduit les crimes et délits de guerre à l’article 461‑1 du Code pénal et a attribué une compétence extraterritoriale aux juridictions françaises en matière de génocide, crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre, prévue à l’article 689-11 du code de procédure pénale, sous certaines conditions cumulatives :

—  le mis en cause réside habituellement sur le territoire de la République ;

—  les faits sont punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou cet État (ou l’État dont la personne soupçonnée a la nationalité) est partie à la convention portant statut de la Cour pénale internationale ;

—  la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu’à la requête du procureur de la République ;

—  aucune demande de remise ou d’extradition n’émane d’une autre juridiction nationale ou internationale.

Lors de l’introduction de cette compétence extraterritoriale, par voie d’amendement en première lecture devant le Sénat, le rapporteur indiquait que cela répondait à la volonté de ne pas faire de la France un pays d’accueil ou un refuge pour ces criminels, de lutter contre l’impunité, tout en prévoyant qu’elle resterait « circonscrite dans des limites raisonnables qui rendent l’action de la France légitime » et sans concurrencer la Cour pénale internationale. Le critère de la double incrimination avait, quant à lui, pour justification le respect du principe de la légalité des délits et des peines.

Lors de l’examen de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2019-2022 et de réforme pour la justice (LPJ), le Sénat a proposé de supprimer les conditions de résidence habituelle et de double incrimination et d’atténuer le principe de subsidiarité de la compétence des juridictions françaises par rapport à celles des juridictions internationales et étrangères. Face à l’opposition de l’Assemblée nationale, il a été approuvé la suppression de la condition de double incrimination pour le crime de génocide. La garde des Sceaux avait alors précisé, lors des débats à l’Assemblée nationale, qu’il n’était possible de déroger à cette exigence de double incrimination que de façon tout à fait exceptionnelle, la dérogation pour les crimes de génocide étant justifiée par la spécificité absolue de ces crimes. Il s’agissait de trouver un équilibre visant à assurer la nécessaire répression d’infractions particulièrement graves, tout en permettant de concilier la sauvegarde des intérêts nationaux et le respect de grands principes du droit international.


([1]) Cf. Communiqué final de la Réunion du Groupe d’Action pour la Syrie, à Genève le 30 juin 2012 : « Les mesures clefs dans tout processus de transition sont : la mise en place d’un organe de gouvernement transitoire capable d’instaurer un climat de neutralité dans lequel la transition pourra se faire. Le résultat du processus de rédaction de la Constitution serait soumis à l’approbation du peuple ; Dès que le nouvel ordre constitutionnel sera établi, il faudra préparer l’organisation d’élections multipartites libres et équitables, en vue de la mise en place des nouvelles institutions (…) »

([2]https://undocs.org/fr/A/HRC/46/54

([3]) Amnesty International, Rapport 2020-2021, La situation des droits humains dans le monde, p. 440 et suivantes.

([4]) https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoISyria/ResS17_1.pdf

([5]) La Commission est constituée à ce jour de son président, le Brésilien M. Paulo Sérgio Pinheiro, de l’Égyptien M. Hanny Megally et de la Britannique Mme Lynn Welchman. Elle est financée par le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme.

([6]) https://undocs.org/fr/A/RES/71/203

([7]) Loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale. La chronologie de l’introduction en droit français du Statut de Rome est rappelée à l’annexe 3 du présent rapport.

([8]) La compétence tirée de l’article 689‑11 du CPP a également été mise en œuvre concernant des crimes commis dans d’autres zones géographiques, comme le Sri Lanka, la Libye ou encore l’Irak.

([9]) La compétence des juridictions françaises peut également se fonder sur l’existence d’une convention particulière, telle la Convention de New York contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée le 10 décembre 1984, lorsque l’auteur se trouve en France, ou bien sur la compétence personnelle active (nationalité française de l’auteur présumé) ou passive (nationalité française de la victime) prévue aux articles 113-6 et 113-7 du Code pénal.

([10]) En revanche, 148 personnes ayant rejoint les rangs d’organisations terroristes en Syrie et ayant possiblement commis des violations graves des droits de l’homme, ont été jugées en France sous des qualifications terroristes.

([11]) Créé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, le Parquet national antiterroriste (PNAT) a été installé le 1er juillet 2019. Il est dirigé par le procureur national antiterroriste et placé près le tribunal judiciaire de Paris. Le PNAT a repris les attributions autrefois dévolues à la section AC5 du parquet de Paris. Il est composé de 5 magistrats et de 3 assistants spécialisés. Ses effectifs ont connu une augmentation significative par rapport à l’ancienne section AC5.

([12]) La clause d’exclusion du bénéfice de l’asile prévue par l’article 1er F de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés est ainsi rédigée : « Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes ; b) qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiées ; c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

([13]) Cf. infra le point 2 du B du III.

([14]) Sa culpabilité a été retenue pour le meurtre de 27 personnes dans le centre de détention secret d’Al-Khatib, dit aussi « branche 251 ».

([15]) Son titre exact est : « Mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables ».

([16]https://undocs.org/pdf?symbol=fr/A/RES/71/248

([17]) Algérie, Biélorussie, Bolivie, Burundi, Chine, Cuba, Fédération de Russie, Iran, Kirghizistan, Nicaragua, République arabe syrienne, République populaire démocratique de Corée, Soudan du Sud, Venezuela et Zimbabwe.

([18]) D’autres États, qui ont généralement soutenu la résolution, ont critiqué en revanche la décision initiale (revue par la suite) de financer le Mécanisme à partir de contributions volontaires et non du budget régulier des Nations Unies.

([19]) La quote-part de la France s’élève à 4,318 % depuis le 1er janvier 2022.

([20]) Liste exhaustive disponible sur https://iiim.un.org/funding/

([21]Mutual legal assistance (MLA).

([22]) Sont visés par exemple la désertion, le refus d’obéissance, l’insoumission, etc.

([23]) Les infractions « politiques » sont traditionnellement définies comme celles qui tendent à porter atteinte aux intérêts fondamentaux d’une nation (trahison, espionnage, mouvement insurrectionnel, etc.). L’exclusion de ce type d’infraction permet de refuser l’entraide lorsqu’il apparaît que la véritable raison d’une demande est d’ordre politique (c’est‑à‑dire concrètement que la partie requérante cherche à poursuivre un opposant politique). La présence de cette clause a sans doute ici moins de sens que dans les conventions de coopération judiciaire conclues avec des États mais il s’agit d’une garantie traditionnelle que la France a souhaité conserver.

([24]) Communiqué de presse du Président de la République, 14 avril 2018 : « Le samedi 7 avril 2018, à Douma, des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été massacrés à l’arme chimique, en totale violation du droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (…) J’ai donc ordonné aux forces armées françaises d’intervenir cette nuit (…) La France et ses partenaires reprendront, dès aujourd’hui, leurs efforts aux Nations unies pour permettre la mise en place d’un mécanisme international d’établissement des responsabilités, prévenir l’impunité et empêcher toute velléité de récidive du régime syrien (…) ».

([25]) Emmanuel Macron, 15 mars 2021 : « Il y a dix ans, le peuple syrien se soulevait pacifiquement pour la liberté et la dignité. Nous restons à ses côtés pour répondre aux besoins humanitaires, défendre le droit international, lutter contre l’impunité, trouver enfin une solution politique, la seule possible. »

([26]) Créé par le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 décembre 2010, le « Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux » exerce un certain nombre de fonctions qu’assumaient auparavant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) et le Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY). Il est entré en fonction le 1er juillet 2012 à Arusha (Tanzanie) et le 1er juillet 2013 à La Haye. La division d’Arusha exerce certaines fonctions auparavant assumées par le TPIR et la division de La Haye exerce certaines fonctions auparavant assumées par le TPIY.

([27]) Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.

([28]) Crim., 24 novembre 2021, Pourvoi n° 21-81.344.

([29]) Article 212-1 du Code pénal.

([30]https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/16/syrie-pour-eviter-de-devenir-leur-refuge-la-france-devrait-reconsiderer-les-conditions-qui-l-empechent-de-poursuivre-les-auteurs-de-crimes-contre-l-humanite_6106253_3232.html