N° 4920

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le […]

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune,

PAR M. Nicolas FORISSIER

Député

 

——

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 Voir les numéros :

Sénat : 701 (20192020), 480, 481 (20202021) et T.A. 87 (2020 2021)

Assemblée nationale : 4044


 


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SOMMAIRE

Pages

introduction

I. l’argentine, partenaire majeur de la France en amérique latine

A. l’argentine, un acteur économique de poids confronté à des défis substantiels

1. Un contexte politique en évolution

2. Des défis décisifs à relever en matière économique

B. Des relations solides entre la France et l’Argentine

1. Un dialogue politique de qualité

2. Des investissements et des échanges significatifs malgré une baisse sur le long terme

3. Des relations culturelles anciennes

C. une présence diversifiée des entreprises françaises

1. Une implantation dans de nombreux secteurs

2. Des projets d’envergure portés par les acteurs français

II. un accord globalement ÉquilibrÉ

A. La réduction des taux de retenue à la source sur les revenus passifs

1. La retenue à la source sur les dividendes

2. La retenue à la source sur les intérêts

3. La taxation à la source des redevances

4. L’imposition à la source des gains en capital

B. Les autres stipulations

1. La taxation des établissements stables de services

2. L’insertion d’une clause de la nation la plus favorisée

3. L’exonération d’impôts des volontaires internationaux à l’étranger

III. Une approbation nécessaire

A. Une modernisation bienvenue

B. un accord avantageux pour les deux parties

Examen en commission

Annexe  1 : texte adopté par la commission

ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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   introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie d’un projet de loi autorisant l’approbation d’un avenant à la convention conclue entre la France et l’Argentine le 4 avril 1979 en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

Engagée à l’initiative de la France, la négociation de cet avenant s’est déroulée du 14 au 16 mai 2019 à Buenos Aires. Le texte en a été signé le 6 décembre 2019 par l’ambassadrice de France en Argentine et le ministre argentin des relations extérieures.

 

 

 


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I.   l’argentine, partenaire majeur de la France en amérique latine

Membre du G20 aujourd’hui confronté à des défis délicats, l’Argentine est un partenaire majeur de la France en Amérique latine et son quatrième partenaire commercial dans la région. Des relations politiques, économiques et culturelles étroites unissent historiquement les deux pays. Cette proximité se manifeste aujourd’hui par l’implantation de nombreuses entreprises françaises en Argentine où elles se révèlent particulièrement dynamiques.

A.   l’argentine, un acteur économique de poids confronté à des défis substantiels

L’Argentine, qui compte plus de 45 millions d’habitants, représente la 25e puissance économique mondiale et la troisième d’Amérique latine (après le Brésil et le Mexique). Elle est confrontée aujourd’hui à des défis économiques importants, compliqués encore par la pandémie de covid‑19 et par la fragilisation politique du gouvernement en place.

1.   Un contexte politique en évolution

La coalition « Frente de Todos », formée par Alberto Fernández et Cristina Fernández de Kirchner, est parvenue à unir la majorité du mouvement péroniste, le menant à la victoire en octobre 2019 contre le président Mauricio Macri. Alberto Fernández a ainsi été élu président de la République dès le premier tour.

En fonction depuis décembre 2019, le gouvernement nommé par Alberto Fernández a adopté après son arrivée au pouvoir une série de mesures économiques et sociales en faveur des ménages les plus modestes. Toutefois la crise sanitaire et le confinement strict mis en place de la mi-mars 2020 au mois de novembre suivant (l’un des plus longs au monde) ont exacerbé les difficultés économiques et sociales préexistantes. Sur le plan sociétal, le président Fernández a fait adopter en décembre 2020 une loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse.

Particulièrement hétérogène, la coalition gouvernementale est composée d’une aile représentée par le président Fernández, de centre-gauche, avec des positions assez modérées sur le plan économique, et une aile plus radicale menée par Cristina Kirchner, qui milite pour une intervention plus forte de l’État dans le champ économique et qui préconise une approche plus frontale vis-à-vis du Fonds monétaire international (FMI).

Cette coalition gouvernementale a subi une défaite lors des élections législatives de mi-mandat, le 14 novembre 2021, qui ont renouvelé la moitié des députés et un tiers des sénateurs. Si elle conserve le groupe le plus important à l’Assemblée, elle a en revanche perdu sa majorité absolue au Sénat. Pour sa part, la coalition d’opposition, qui a gagné la province de Buenos Aires (province la plus peuplée du pays et bastion traditionnel du péronisme), a renforcé sa position en vue des élections générales de 2023. Le gouvernement est désormais contraint de prendre davantage en compte les aspirations des forces d’opposition s’il veut pouvoir faire avancer ses réformes.

2.   Des défis décisifs à relever en matière économique

L’Argentine a bénéficié dans les années 2000 d’une croissance forte et stable (7,5 % en moyenne par an de 2003 à 2011), soutenue par la demande interne et par les exportations de produits agricoles. La forte baisse du prix de certaines matières premières (céréales comme le soja ou le maïs, par exemple) a ensuite contribué à ralentir la croissance. Le pays a connu plusieurs années de récession, en 2014 (– 2,5 %), en 2016 (– 2,3 %), en 2018 (– 2,6 %) et en 2019 (‑2,1 %). Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement péroniste fait face à une grave crise économique, financière et sociale, exacerbée par la pandémie de covid‑19 qui a durement frappé le pays. En 2020, le produit intérieur brut (PIB) s’est ainsi contracté de près 10 %. La même année, le taux d’inflation a atteint 50 %, le taux de pauvreté (calculé selon les modalités des statistiques argentines) 42 % et le taux de chômage 13,1 % (au deuxième semestre). Cette dégradation de l’environnement économique a eu un impact direct sur les créations et faillites d’entreprises dans le secteur privé. Depuis 2018, l’Argentine enregistre ainsi chaque année plus de faillites que de créations d’entreprises. Le pays comptait 548 522 entreprises dans le secteur privé en 2020, soit 9,4 % de moins qu’en 2017. Selon les dernières données disponibles, entre 2017 et 2019, les créations d’entreprises ont diminué de 22,4 % tandis que les faillites ont augmenté de 7,8 %.

L’économie a cependant rebondi fortement en 2021 (+7,5 % selon le FMI, +8 % selon le Gouvernement). Le redressement est meilleur que prévu, grâce à l’augmentation des prix du soja dont bénéficient les exportations argentines. Ces exportations ont permis à l’Argentine de faire rentrer des devises internationales dans le pays. L’Argentine exporte majoritairement des produits agricoles (55,7 % en 2019) et importe essentiellement des produits manufacturés (78,7 % en 2019), ses principaux partenaires commerciaux étant le Brésil, la Chine et les États-Unis. Les taux de pauvreté (40,6 %) et de chômage (9,6 %) ont légèrement reculé en 2021. La reprise reste toutefois fragile et inégale. L’inflation reste très élevée, malgré l’adoption de mesures de contrôle des prix et des changes. Le PIB ne devrait retrouver son niveau de la fin 2019 qu’en 2023. Par ailleurs, les forces d’opposition au Parlement ont réussi à faire rejeter le projet de loi de finances pour 2022, ce qui a contraint l’exécutif à prolonger le budget 2021 par décret.

Les rentrées fiscales argentines sont structurellement assez élevées. Elles représentaient, avant la pandémie, 28,6 % du PIB (chiffre de 2019), faisant de l’Argentine en termes de pression fiscale le sixième pays d’Amérique latine et des Caraïbes derrière Cuba (42 %), la Barbade (33,1 %), le Brésil (33,1 %), Belize (32,4 %) et l’Uruguay (29 %). Le ratio impôts/PIB moyen était, en 2019, nettement supérieur à la moyenne de la région (22,9 %) et proche de celui des pays de l’OCDE (33,8 %). Comme dans le reste des pays d’Amérique latine, les rentrées fiscales sont très dépendantes des taxes sur les biens et services (représentant 52,2 % du total des recettes), y compris de la TVA (24,9 %). Viennent ensuite les cotisations de sécurité sociale (19,9 %), l’impôt sur les sociétés (9,6 %), les impôts fonciers (9,1 %) et l’impôt sur le revenu (7,1 %). Malgré ces rentrées fiscales relativement importantes, les finances publiques de l’Argentine se sont détériorées pendant la pandémie.

Afin de redresser l’économie du pays, une des grandes priorités du gouvernement actuel est de conclure un accord avec le FMI pour refinancer et rééchelonner la dette de l’Argentine (44 milliards de dollars, à la suite d’un prêt contracté par le précédent gouvernement en 2018). Pour éviter le défaut de paiement, cet accord doit être conclu avant mars 2022 (un compromis ayant été trouvé avec le Club de Paris auprès de qui l’Argentine doit encore 2 milliards de dollars). L’Argentine a commencé à payer au FMI les intérêts de la dette en 2021 mais les plus gros remboursements sont prévus en 2022 (avec une première tranche de 20 milliards de dollars). Les négociations ne sont pas facilitées par l’influence des kirchnéristes, très critiques vis-à-vis du FMI.

B.   Des relations solides entre la France et l’Argentine

La France et l’Argentine entretiennent traditionnellement des relations étroites sur les plans à la fois politique, économique et culturel.

1.   Un dialogue politique de qualité

Le dialogue politique franco-argentin s’est considérablement développé au cours des dernières années. Le rythme des visites et entretiens bilatéraux était dense avant la pandémie et les contacts à haut niveau ont continué même après son déclenchement : visite d’État du président François Hollande en Argentine en février 2016, visites en France du président Mauricio Macri en 2016 et 2018, entretien entre le président Emmanuel Macron et le président Mauricio Macri en 2018 à Buenos Aires en marge du G20, entretiens réguliers entre les ministres des affaires étrangères, visites à Paris du président Alberto Fernández en février 2020 et mai 2021, visite en France du ministre de l’économie Martín Guzman en avril 2021, entretien des Présidents en marge du Sommet du G20 à Rome fin octobre 2021, etc.

Le gouvernement argentin s’est engagé aux côtés de la France sur nombre d’enjeux multilatéraux (alliance pour le multilatéralisme, non-prolifération nucléaire, etc.). Concernant le Venezuela, l’Argentine a rejoint le Groupe de contact international coordonné par l’Union européenne en septembre 2020, mais ne signe pas toutes ses déclarations conjointes. La promotion des droits de l’homme et de l’égalité femme-homme constitue un axe important de la coopération franco‑argentine. Les deux pays sont à l’origine de l’adoption en 2006 de la Convention internationale contre les disparitions forcées ([1]) et ont lancé en décembre 2020 une campagne conjointe pour son universalisation. L’Argentine est par ailleurs engagée aux côtés de la France en faveur des droits et de la santé sexuels et reproductifs (DSSR) dans le cadre du Forum Génération Égalité. Le président Fernández a ainsi participé par visioconférence à ce Forum organisé à Paris en juin 2021. En matière environnementale, le gouvernement argentin a affirmé son soutien à l’Accord de Paris, en renouvelant ses engagements climatiques (soumission d’une nouvelle « CDN ([2]) » en décembre 2020).

En ce qui concerne le projet d’accord UE-Mercosur, les autorités argentines actuelles ont d’abord affiché, lors de leur arrivée au pouvoir, une volonté de ne pas le ratifier, avant de se raviser, principalement à la suite de la diffusion de la position française (réclamant des améliorations à l’accord, notamment en matière environnementale). La ligne du gouvernement actuel consiste à accepter le principe d’une ratification et à se ranger, le moment venu, à l’avis du Parlement. L’Argentine n’a donc pas pris ombrage des lenteurs dans la ratification de l’accord UE-Mercosur qui ne constitue pas un sujet de débat sur la scène politique nationale. Les experts argentins estiment néanmoins qu’il s’agirait d’un accord favorable au commerce du pays.

2.   Des investissements et des échanges significatifs malgré une baisse sur le long terme

Tant les investissements français en Argentine que les exportations de la France vers ce pays connaissent une forte baisse depuis plusieurs années. Ainsi, selon les données de la Banque de France, la part de l’Argentine dans les investissements directs de la France dans le monde a été divisée par 20 en vingt ans (de 1,2 % à 0,05 % du total). Le stock d’IDE français en Argentine, en baisse de 83,7 % sur la période, s’élevait à la fin de l’année 2019 à 783 millions d’euros. L’Argentine n’est ainsi plus que le sixième destinataire des investissements français en Amérique latine, loin derrière le Brésil (27,7 milliards), le Mexique (4,7 milliards), le Chili (3,2 milliards), le Venezuela (1,3 milliard) et la Colombie (1,2 milliard).

Sur le plan commercial, l’Argentine n’est plus, depuis 2018, que le quatrième client de la France en Amérique latine (derrière le Brésil, le Mexique et le Chili). Les échanges sont en baisse depuis près de dix ans. La fin du super-cycle des matières premières à partir de 2014-2015, et le fort ralentissement de la croissance qui en a résulté pour l’Argentine (une seule année de croissance depuis 2016), ont conduit à un brusque freinage des exportations françaises. Celles-ci s’affichent ainsi en repli chaque année depuis cinq ans : – 2,6 % en 2020, mais surtout – 52,4 % au cours des cinq dernières années, passant de 1,29 milliard d’euros en 2015 à 616,6 millions d’euros en 2020 (59e client de la France dans le monde), ce qui représente leur niveau le plus faible depuis douze ans. La France est le onzième fournisseur de l’Argentine (1,8 % de parts de marché) et le quatrième parmi les Européens, derrière l’Allemagne (5,6 %), l’Italie (2,3 %) et l’Espagne (2 %). Les principaux produits français d’exportation en 2020 ont été les véhicules et pièces automobiles (114,5 millions d’euros), les préparations pharmaceutiques (77,6 millions d’euros) et les parfums et produits pour la toilette (7,3 %). De son côté, l’Argentine est le 70e fournisseur de la France.

En dépit de ces baisses préoccupantes, l’Argentine demeure, en valeur absolue, un partenaire économique important de la France. Le solde commercial de celle‑ci vis‑à‑vis de l’Argentine, quoiqu’en baisse régulière (853 millions d’euros en 2015, 401 millions d’euros en 2018, 199 millions d’euros en 2020), constitue toujours son quatrième excédent en Amérique latine et son 35e excédent dans le monde.

Par ailleurs, l’Agence française de développement (AFD) a ouvert un bureau en Argentine en 2017. La reprise de ses activités de prêt est toutefois conditionnée à la conclusion d’un accord entre le gouvernement argentin et le FMI.

3.   Des relations culturelles anciennes

Les relations entre la France et l’Argentine dans le domaine de la culture, des arts et des sciences remontent loin dans le passé. L’Argentine a d’ailleurs été une terre d’émigration pour un nombre important de Français. Il est significatif que la ville de Buenos Aires ait été surnommée, à l’aube du XXe siècle, le « Paris de l’Amérique latine ».

La culture, l’enseignement supérieur et la recherche occupent une place centrale dans la relation bilatérale entre la France et l’Argentine. Cette dernière constitue un relais de la coopération culturelle, technique et scientifique mise en œuvre au niveau régional (avec, par exemple, la Nuit des idées andine ([3]). Avec 53 Alliances françaises, l’Argentine constitue pour la France son deuxième réseau au monde. La France mène par ailleurs avec l’Argentine un projet d’échange d’archives diplomatiques portant sur les violations des droits de l’homme pendant la dictature militaire (1976-1983) afin de mieux faire la lumière sur cette période. Le pays reste en effet marqué par cette période ; les droits de l’homme ainsi que le travail de mémoire ont été au cœur notamment du projet politique des époux Kirchner (l’abrogation des lois d’amnistie en 2003 a permis de condamner des centaines de responsables de crimes commis pendant ces années sombres).

Cette proximité culturelle se traduit par une présence non négligeable de ressortissants de chaque pays dans le pays partenaire même si la pandémie a eu pour effet de réduire cette présence. Au 1er janvier 2021, l’Argentine comptait 10 695 Français inscrits (‑ 9,45 % par rapport à 2020 où l’on comptait 11 811 Français). Le nombre de citoyens argentins résidant en France est actuellement de 5 921. La France accueille environ 1 000 étudiants argentins chaque année et l’Argentine accueille environ 500 étudiants français. Il existe entre les deux pays plus de 700 accords universitaires, parmi lesquels un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes signé en 2015.

C.   une présence diversifiée des entreprises françaises

Si seules deux entreprises argentines ont à ce jour constitué des filiales en France ([4]), en revanche de nombreuses entreprises françaises sont implantées en Argentine, dans des domaines très divers.

1.   Une implantation dans de nombreux secteurs

Sur le plan économique et commercial, la présence française en Argentine apparaît fortement diversifiée. Environ 220 filiales françaises représentant 160 groupes différents sont implantées en Argentine. Elles y emploient près de 68 000 salariés. Seuls sept sociétés du CAC 40 n’ont pas d’implantation physique en Argentine, la plupart des autres y étant souvent actives depuis des décennies. La présence française est significative en particulier dans des secteurs tels que l’agroalimentaire, l’automobile, la production d’hydrocarbures, la distribution, le tourisme et l’hôtellerie, la santé, les cosmétiques ou encore les transports.

Ainsi, dans la grande distribution, Carrefour (première filiale française avec 19 000 salariés) occupe la première place sur le marché argentin avec environ 21 % de parts de marché tandis que Casino est au cinquième rang avec environ 3 %. Dans l’automobile, Renault et Stellantis emploient près de 5 000 personnes, occupant respectivement (sans Nissan-Mitsubishi et les marques de Fiat Chrysler Automobiles) les troisième et sixième positions sur le marché argentin en 2020, avec 13,2 % et 10,4 % de part de marché.

S’agissant du négoce des céréales et des oléagineux, le groupe Louis‑Dreyfus est présent en Argentine depuis 124 ans. Il y possède aujourd’hui 22 sites et y emploie 1 300 salariés. Les entreprises françaises sont également présentes dans l’agroalimentaire. Axereal est ainsi devenu numéro 1 mondial du malt à la faveur du rachat, intervenu en 2019, de deux usines argentines de Cargill. Danone (deuxième filiale française en Argentine) emploie 6 000 salariés et détient 60 % de part du marché des produits laitiers et 45 % du marché de l’eau minérale, avec plusieurs sites de production.

Dans le secteur des hydrocarbures, Total (qui emploie 1 100 salariés), concentre ses activités en Patagonie (provinces de Neuquén et de Terre de Feu). Total produit environ 250 000 barils par jour (à 90 % du gaz dont il est depuis 2020 le premier producteur du pays avec 27 % du total). Dans le secteur des énergies renouvelables, Total Eren et Neoen ont engagé, sous l’administration Macri (2015-2019), des investissements importants (environ 650 millions de dollars) pour la construction de deux centrales solaires et de deux fermes éoliennes (pour un total de 380 MW).

Les entreprises françaises sont également présentes dans les cosmétiques (L’Oréal ([5])), la pharmacie (Sanofi-Pasteur et Servier), les télécommunications (Orange), le numérique (Atos) et les transports (Alstom).

2.   Des projets d’envergure portés par les acteurs français

Plusieurs projets d’envergure ont été lancés par des entreprises françaises depuis la mandature du président Mauricio Macri. Celui‑ci s’était fixé pour objectif de normaliser les relations de l’Argentine avec le reste du monde, notamment dans le champ économique et financier.

Outre les projets précités dans le domaine des énergies renouvelables ([6]), le groupe PSA a inauguré en septembre 2020, en présence du président Fernández, une nouvelle ligne de fabrication représentant un investissement de 320 millions de dollars pour la production de la nouvelle 208. La société Eramet a lancé un projet ambitieux (600 millions de dollars) de production de carbonate de lithium dans la province de Salta dont la phase 2, suspendue en février 2020, a redémarré en novembre 2021 à la faveur d’un accord avec des investisseurs chinois. Enfin, Air Liquide envisage d’implanter à Buenos Aires un centre de ressources d’environ 400 personnes (finances, comptabilité, etc.) pour l’ensemble de ses filiales américaines (y compris celles des États-Unis).

II.   un accord globalement ÉquilibrÉ

Les relations fiscales entre la France et l’Argentine sont régies par une convention ancienne, datant du 4 avril 1979, entrée en vigueur en 1981 et modifiée par un avenant du 15 août 2001. Elle a pour objet d’organiser la répartition du droit d’imposer entre la France et l’Argentine en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur la fortune et d’éliminer les doubles impositions pouvant résulter de l’application des législations française et argentine. Cette convention suit globalement le modèle établi par l’OCDE. Elle a été modifiée une première fois par un avenant du 15 août 2001.

À l’initiative de la France, des négociations ont été engagées en vue d’amender la convention de 1979. Un seul tour de négociation a été nécessaire. Celui‑ci s’est déroulé à Buenos Aires en mai 2019. L’objectif principal de la France était d’obtenir une réduction des taux de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances, qui étaient plus élevés que ceux de ses principaux concurrents et qui avaient donc pour effet de pénaliser les entreprises françaises. Pour obtenir gain de cause, la France a accepté l’insertion d’une clause portant sur la reconnaissance d’un établissement stable de services, cette clause étant déjà présente dans de nombreuses conventions conclues par l’Argentine.

La partie argentine n’a pas encore ratifié le présent avenant. Il semble que certaines incertitudes pèsent sinon sur cette ratification elle-même, à tout le moins sur son calendrier. L’Argentine a fait savoir que, compte tenu de sa situation financière délicate, elle souhaitait procéder à l’évaluation détaillée de tous les instruments à sa disposition, dont la fiscalité et les conventions fiscales en cours de négociation ou non encore ratifiées.

A.   La réduction des taux de retenue à la source sur les revenus passifs

Les articles 2, 3 et 4 de l’avenant modifient les plafonds des taux de retenue prélevés par l’État source sur les revenus passifs (dividendes, intérêts, redevances et gains en capital) versés à un résident de l’autre État. Le niveau élevé de ces plafonds avait pour effet de renchérir le coût des investissements pour les entreprises françaises tout en diminuant les recettes fiscales pour le Trésor public français. L’avenant de 2019 ramène ces taux à des niveaux considérés comme plus acceptables par la France. Ils sont désormais sensiblement équivalents aux taux les plus favorables accordés par l’Argentine à ses autres partenaires.

1.   La retenue à la source sur les dividendes

La convention de 1979 (article 10) fixait le taux de retenue à la source, pour les dividendes, à 15 % de leur montant brut. L’avenant (article 2) prévoit de fixer ce taux à 10 % du montant brut en cas de participation substantielle du bénéficiaire dans la société qui paie les dividendes (c’est-à-dire si le bénéficiaire détient directement au moins 25 % de la société qui paie les dividendes sur une période continue de 365 jours) et à 15 % dans les autres cas.

2.   La retenue à la source sur les intérêts

La convention de 1979 (article 11) fixait le taux de retenue à la source, pour les intérêts, à 20 % de leur montant brut. L’avenant (article 3) prévoit de fixer ce taux à 12 % du montant brut. La France a par ailleurs obtenu une extension du champ des intérêts exonérés de retenue à la source. L’article 3 prévoit en effet que les intérêts sont imposables seulement dans l’État de résidence du bénéficiaire lorsqu’ils sont payés « en lien avec la vente à crédit d’un équipement industriel, commercial ou scientifique » ou « au titre d’un prêt accordé à des conditions préférentielles par un établissement de crédit pour une période de plus de trois ans ».

3.   La taxation à la source des redevances

La convention de 1979 (article 12) précisait que les « redevances » recouvraient les « paiements de toute nature » effectués pour l’usage (ou la concession de l’usage) d’informations internationales ou d’un droit d’auteur sur une œuvre littéraire, artistique ou scientifique, d’un équipement industriel, commercial ou scientifique, d’un brevet, d’une marque de fabrique ou de commerce, d’un dessin ou d’un modèle, d’un plan, d’une formule ou d’un procédé secrets, des informations ayant trait à une expérience acquise dans le domaine industriel, commercial ou scientifique, ou des travaux d’étude ou de recherche de nature scientifique ou technique concernant des méthodes ou procédés industriels, commerciaux ou administratifs.

Pour toutes ces « redevances », elle prévoyait un unique taux de retenue à la source, fixé à 18 % de leur montant brut. L’avenant de 2019 (article 4), quant à lui, opère une distinction entre différentes catégories de redevances :

—  les redevances versées pour l’usage (ou la concession de l’usage) d’informations internationales se voient appliquer un taux de 3 % de leur montant brut ;

—  les redevances versées pour l’usage (ou la concession de l’usage) d’un droit d’auteur sur des œuvres littéraires, artistiques ou scientifiques (à l’exclusion des redevances en lien avec des films cinématographiques et des œuvres enregistrées pour la radiodiffusion ou la télévision), se voient appliquer un taux de 5 % de leur montant brut ([7]) ;

—  les autres types de redevances sont soumis à un taux plafond de 10 %.

L’Argentine a donc accepté une diminution par rapport au taux de 18 % prévu par la convention de 1979. Mais elle a aussi demandé – ce que la France a accepté – que des taux différenciés soient prévus en fonction de l’objet de la redevance. La partie argentine tenait particulièrement à cette différenciation.

Le champ d’application des redevances taxables en Argentine est par ailleurs précisé par l’article 6 de l’avenant. Les rémunérations de services ordinaires (dits « normalisés »), c’est-à-dire qui ne nécessitent pas un savoir-faire spécifique et ne font appel qu’à un savoir-faire usuel à la profession du prestataire, sont désormais exclues de façon expresse du champ des redevances visées par la convention. Cette précision conduira à limiter l’imposition en Argentine des services rendus par les entreprises françaises sans recours à un établissement stable sur place ainsi que du montant de l’impôt argentin devant être éliminé par le Trésor français.

L’Argentine aurait souhaité pouvoir taxer l’ensemble des rémunérations des prestations de services des entreprises françaises dans le cadre des « redevances » régies par l’article 12 de la convention de 1979, sur une base brute, sans condition de durée. La France s’y est refusée mais a accepté en contrepartie l’insertion d’une clause sur la reconnaissance de l’établissement stable de services ([8]).

4.   L’imposition à la source des gains en capital

À la demande de la France, l’article 5 de l’avenant plafonne l’imposition dans l’État source des gains réalisés lors de la cession du capital d’une société (gains tirés de l’aliénation d’actions, droits ou participations similaires représentant le capital d’une société). Lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source est fixé à 10 % tandis qu’il s’élève à 15 % dans les autres cas.

B.   Les autres stipulations

Les autres principales stipulations de l’avenant du 6 décembre 2019 portent sur la reconnaissance des établissements stables de services, la clause de la nation la plus favorisée et l’exonération d’impôts des volontaires internationaux à l’étranger.

1.   La taxation des établissements stables de services

La France a consenti, à la demande de l’Argentine, à l’insertion d’une clause permettant la taxation des « établissements stables de service ». Elle figure à l’article 1er de l’avenant. La clause relative aux établissements stables de services est une stipulation issue du modèle de l’ONU que la France n’insère qu’à titre exceptionnel, si son partenaire en fait la demande et à condition d’obtenir des contreparties suffisantes.

La clause négociée en l’espèce permet la reconnaissance d’un « établissement stable » (et donc d’une base taxable), même en l’absence de toute installation matérielle (telle que bureau ou atelier), dès lors qu’une entreprise fournit des prestations de services dans le pays concerné pendant au moins 183 jours au cours d’une année. Les stipulations du présent avenant sont conformes à celles que la France a conclues avec d’autres États. On retrouve ainsi des clauses équivalentes avec un seuil de déclenchement fixé à 183 jours dans les conventions signées avec Hong Kong (2010), le Chili (2004) ou la Colombie (2015).

L’impact fiscal de cette reconnaissance devrait rester modéré pour les entreprises françaises. Elle pourrait entraîner toutefois un certain alourdissement des formalités administratives tant pour les acteurs économiques que pour les services fiscaux. On ne peut exclure non plus qu’elle puisse se révéler source de contentieux concernant la délimitation de la base d’imposition en Argentine, son administration fiscale pouvant être tentée d’attraire le plus possible de bénéfices à l’établissement stable de service afin de maximiser ses recettes fiscales.

Comme le relève l’étude d’impact, la demande initiale de l’Argentine allait plus loin puisque celle-ci aurait souhaité « un droit à taxer l’ensemble des services rendus par des entreprises françaises sans condition de durée, qui figure par ailleurs dans la quasi-totalité des conventions fiscales conclues par l’Argentine ([9]) ». Les entreprises françaises sont donc, de ce point de vue, favorisées par rapport à leurs concurrentes étrangères (la demande initiale argentine aurait par ailleurs conduit à imposer tous les paiements effectués sur une base brute alors que la clause acceptée par la France revient à imposer les bénéfices réalisés par l’entreprise française sur une base nette).

2.   L’insertion d’une clause de la nation la plus favorisée

L’article 7 de l’avenant prévoit une clause dite « de la nation la plus favorisée ». La France bénéficiera ainsi de manière automatique du traitement plus favorable que l’Argentine pourrait accorder à tout autre État en matière de revenus passifs (intérêts, dividendes, redevances), de gains en capital, de revenus des professions indépendantes ou d’établissement stable.

3.   L’exonération d’impôts des volontaires internationaux à l’étranger

Prévu aux articles L. 122‑1 et suivants du code du service national, le volontariat international en entreprise (VIE) permet, sous certaines conditions, d’exercer une mission (scientifique, technique, commercial, humanitaire, etc.) dans une entreprise française à l’étranger. La gestion administrative de ce dispositif est assurée par Business France.

Une clause relative aux volontaires internationaux à l’étranger (VIE) a été insérée à l’article 9 de l’avenant, à la demande de la France. Elle est conforme à celle négociée habituellement. Elle prévoit l’exonération d’impôt des VIE sur leurs salaires dans l’État d’exercice de leur activité. Ce type de clause est désormais systématiquement proposé par la France dans les conventions et les avenants fiscaux qu’elle négocie même si elle n’en fait pas un enjeu politique. Une quarantaine de VIE français en Argentine devrait être concernée chaque année.

Depuis la création du programme en 2002, environ 50 entreprises françaises ont bénéficié d’un VIE en Argentine. Le 400e VIE en place sera atteint début 2022 ce qui veut dire que sur les 250 entreprises françaises, à peu près 15 à 20 % auront eu recours à ce dispositif. Le recours aux VIE en Argentine a souffert des difficultés économiques du pays et de la crise sanitaire. Il n’y a actuellement que deux VIE en poste au sein de deux entreprises. Il n’y a pas eu d’entrées de VIE depuis un an. On est ainsi passé de 49 VIE en 2019 à 19 en 2020 et deux en 2021. Trois nouveaux VIE devraient toutefois arriver entre janvier et février 2022. Le fait que l’intéressé ne soit pas doublement imposé constituera indéniablement un des points positifs de la convention modifiée par le présent avenant.

III.   Une approbation nécessaire

L’approbation du présent avenant fiscal apparaît utile à deux points de vue. Tout d’abord, la convention fiscale de 1979 doit être modernisée pour l’aligner sur les standards figurant dans les accords de même nature conclus par l’Argentine avec d’autres pays et pour tenir compte des évolutions de la loi française. Ensuite, l’avenant en cause apparaît intéressant pour les deux parties.

A.   Une modernisation bienvenue

L’Argentine a conclu avec d’autres États des conventions de non-double imposition plus avantageuses que la convention franco-argentine de 1979. Ces conventions fixent en effet, pour les revenus passifs, des plafonds de retenue à la source inférieurs à ceux qui sont prévus par la convention de 1979.

La législation et la jurisprudence françaises ont par ailleurs évolué depuis 1979. Tel est le cas, par exemple, pour le traitement des sociétés à prépondérance immobilière. Le paragraphe 4 de l’article 13 de la convention (tel qu’il est modifié par l’article 5 de l’avenant) permet à la France d’appliquer sa législation pour l’imposition des plus-values de cession des titres de sociétés à prépondérance immobilière.

De même, la définition des dividendes, figurant au paragraphe 3 de l’article 10 de la convention (tel qu’il est modifié par l’article 2 de l’avenant), inclut désormais « les revenus soumis au régime des distributions par la législation fiscale de l’État dont la société distributrice est un résident » afin de permettre l’application d’une retenue à la source en présence d’une rémunération occulte ou d’une distribution déguisée. Cette clause est conforme à celle dont la France demande désormais l’insertion dans toutes ses conventions fiscales, tendant à placer les revenus « réputés distribués » dans le champ de l’article « dividendes », de manière à pouvoir prélever une retenue à la source sur ces revenus. Cette stipulation expresse est nécessaire depuis que le Conseil d’État, dans un arrêt Banque de l’Orient du 13 octobre 1999 ([10]), a jugé que les revenus « réputés distribués » n’entrent pas ipso facto dans le cadre de la définition des dividendes au sens du Code civil et du Code de commerce.

B.   un accord avantageux pour les deux parties

La réduction des taux plafonds d’imposition à la source des dividendes, intérêts, redevances et gains en capital bénéficiera, d’une part, aux entreprises et acteurs économiques français dont la position concurrentielle en Argentine sera renforcée et, d’autre part, au Trésor public français. Le montant de l’impôt argentin à éliminer sera en effet diminué, augmentant en proportion les rentrées fiscales françaises. Par ailleurs, dans un contexte d’asymétrie de flux d’investissement ([11]), qui se traduisent par une forte présence des entreprises françaises en Argentine et par une moindre importance des investissements argentins en France, l’abaissement de ces taux joue en faveur des intérêts économiques de la France.

L’Argentine bénéficiera de son côté de la reconnaissance d’un établissement stable de services et de la taxation, par conséquent, de l’activité concernée.

 


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   Examen en commission

Le mercredi 19 janvier 2022, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.

Mme Isabelle Rauch, vice-présidente de la commission. L’avenant à la convention du 4 avril 1979 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République argentine résulte d’une demande de la France d’ajuster les plafonds de taux de retenue à la source des administrations fiscales afin de réduire le coût des investissements des entreprises françaises en Argentine par rapport à celui en vigueur dans les pays voisins d’Amérique latine.

Au-delà de cet aspect financier, l’examen du projet de loi est l’occasion de s’intéresser à ce grand pays d’Amérique latine, avec lequel le nôtre entretient des relations très anciennes et profondes, tant économiques que culturelles et humaines.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. L’avenant, signé le 6 décembre 2019 après un seul tour de négociation, modifie la convention fiscale liant nos deux pays, pour la première fois depuis sa signature en 1979, si l’on fait abstraction de quelques changements techniques très rapides et simples opérés en 2001.

Il est en effet important de donner quelques éléments de contexte concernant l’Argentine. Nous avons procédé à beaucoup d’auditions, du côté tant argentin, auprès de l’ambassade d’Argentine, que français, auprès de notre ambassadrice. Je remercie les services de leur aide dans la rédaction du rapport, un peu technique mais non dénué d’intérêt pour l’avenir des relations entre les deux pays.

Les liens qui unissent ces derniers sont particulièrement anciens. J’y suis personnellement sensible comme président du groupe d’amitié France-Argentine au sein de notre assemblée – nous avons eu beaucoup d’échanges avec nos homologues argentins ces dernières années. Les relations sont très suivies.

N’oublions pas que l’Argentine a accueilli de nombreux émigrés français – près de 250 000 – à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Aujourd’hui encore, les liens familiaux sont nombreux. Ce n’est pas pour rien que Buenos Aires a été appelée le petit Paris d’Amérique latine. On peut observer sur place les traces de ces relations. En 2014, l’Argentine a célébré avec beaucoup d’enthousiasme le cinquantième anniversaire de la visite du général de Gaulle. Plus de 700 accords universitaires lient nos deux pays, dont un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes signé en 2015. Bref, les liens ne sont pas seulement économiques, mais aussi culturels et universitaires. De ce fait, la relation bilatérale est très positive ; je peux en témoigner.

Les convergences sont grandes en matière de politique internationale : l’Argentine soutient beaucoup nos efforts, en particulier en matière de multilatéralisme, de non-prolifération nucléaire, d’environnement, notamment depuis l’accord de Paris, ou encore de promotion des droits de l’homme et de l’égalité entre les hommes et les femmes, sujet important pour le président Fernández. Les échanges sont nombreux. Le président Macron, lorsqu’il s’est rendu en Argentine pour le G20, a tenu à faire une visite particulière au président argentin de l’époque, et nous avons reçu beaucoup de dignitaires et responsables politiques argentins.

Enfin, les deux pays entretiennent d’importantes relations économiques. Environ 220 filiales de 160 groupes français sont installées en Argentine, souvent depuis longtemps ; seuls sept ou huit groupes du CAC40 n’y sont pas physiquement représentés. Près de 68 000 salariés sont employés par ces entreprises françaises. Elles opèrent en particulier dans l’agroalimentaire, l’automobile, la production d’hydrocarbures – notamment en Terre de Feu, par Total –, la distribution – Carrefour détient près de 25 % du marché –, le tourisme et l’hôtellerie, la santé, les cosmétiques. Dans l’automobile, Peugeot et Renault ont d’importantes implantations industrielles sur place et y investissent beaucoup. Au nombre des projets réalisés ou en cours, Peugeot a investi 300 millions de dollars dans l’ouverture d’une nouvelle ligne de production et Eramet, société de production de carbonate de lithium, développe un important projet.

Certes, les investissements se sont réduits ces dernières années, en lien avec la crise économique que connaît l’Argentine, en nette récession depuis trois ans et victime de difficultés récurrentes, notamment monétaires. L’inflation était de 50 % en 2021 et l’État argentin doit renégocier avant mars prochain avec le Fonds monétaire international le refinancement et le rééchelonnement de sa dette, qui s’élève à 44 milliards de dollars prêtés en 2018 ; ce n’est pas sans conséquence sur l’évolution de l’avenant qui nous occupe. La situation sanitaire n’est pas très bonne non plus. L’Argentine a connu le plus long confinement du monde et la situation reste délicate en raison de la forte vague de contaminations, bien que la population soit largement vaccinée. En outre, la coalition au pouvoir est fragilisée.

Toutefois, la France est toujours très présente et l’Argentine demeure pour elle un partenaire important. Notre solde commercial vis‑à‑vis d’elle constitue notre trente-cinquième excédent au niveau mondial et reste le quatrième en Amérique latine. Il est donc essentiel que nous améliorions les conditions de notre relation économique. Dans la situation difficile que connaît l’Argentine, la France – je le dis comme président du groupe d’amitié – doit plus que jamais se tenir au côté de ce pays ami.

C’est dans ce contexte qu’a été renégociée la convention fiscale de 1979 définissant les moyens d’éviter toute double imposition. La France a souhaité sa modification en raison de l’évolution des législations et des structures économiques et parce que l’Argentine avait conclu des conventions fiscales plus intéressantes avec d’autres États. Il fallait donc adapter le texte, ce qui a été fait en mai 2019 après une négociation – je l’ai dit – très rapide et sans grandes difficultés au cours de laquelle les deux parties ont fait quelques concessions. Il en est résulté un accord très équilibré qui renforce, simplifie et améliore la convention.

L’accord trouvé par les deux parties est équilibré. L’avenant prévoit d’abord une diminution significative du plafond des taux de retenue prélevée par l’État source – c’est-à-dire l’Argentine – sur les revenus passifs versés à un résident de l’autre État. Il redéfinit les taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital qui s’appliqueront désormais aux entreprises ou aux investisseurs qui sont en Argentine, mais dont le pays de résidence est la France. Jusqu’ici, la France bénéficiait de conditions moins avantageuses que d’autres pays ayant signé une convention avec l’Argentine.

S’agissant des dividendes, la convention de 1979 fixait un taux de retenue à la source de 15 % de leur montant brut. L’avenant prévoit de fixer ce taux à 10 % en cas de participation substantielle du bénéficiaire dans la société qui paie les dividendes, c’est-à-dire si le bénéficiaire en détient directement au moins 25 %, et à 15 % dans les autres cas. Cette disposition accroît l’attractivité fiscale de l’Argentine et laisse une plus grande marge de manœuvre au Trésor français.

En ce qui concerne les intérêts, le taux de retenue à la source est fixé à 12 % de leur montant brut, contre 20 % dans la convention de 1979.

Pour ce qui est des redevances, la convention de 1979 prévoyait un taux unique de retenue à la source, fixé à 18 % de leur montant brut. L’avenant de 2019 prévoit, à la demande de l’Argentine, trois taux différents : 3 % pour les redevances versées pour l’usage d’informations internationales, 5 % pour celles versées pour l’usage d’un droit d’auteur sur des œuvres littéraires, artistiques ou scientifiques et 10 % pour les autres types de redevances.

Enfin, l’avenant plafonne l’imposition dans l’État source des gains réalisés lors de la cession du capital d’une société : lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source sera fixé à 10 % et il s’élèvera à 15 % dans les autres cas.

Il y a donc, globalement, une réduction des taux de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital.

La France a également négocié une clarification du champ des revenus compris dans ces redevances. En sont expressément exclues les rémunérations de services dits « normalisés », c’est-à-dire ceux qui ne font appel qu’à un savoir-faire usuel du prestataire. Ce faisant, l’Argentine a renoncé à taxer les services rendus par une entreprise française sans recours à un établissement stable sur le territoire argentin.

En contrepartie, la France a accepté la reconnaissance d’un « établissement stable de services ». L’Argentine souhaitait initialement pouvoir taxer l’ensemble des services rendus par des entreprises françaises sur son territoire sur une base brute et sans condition de durée. La France n’a pas accédé à cette demande mais a accepté de reconnaître l’existence d’un établissement stable, en l’absence de toute installation matérielle en Argentine, dès lors qu’une entreprise rend des services pour une ou des périodes représentant plus de 183 jours au cours d’une année – soit la moitié de l’année et un jour. Il y aura donc là une source de rentrées fiscales pour l’Argentine, dont l’impact devrait toutefois rester modéré pour les entreprises françaises – seules une trentaine d’entre elles pourraient voir leurs redevances augmenter légèrement.

Une clause de la nation la plus favorisée a également été insérée. La France bénéficiera ainsi automatiquement du traitement plus favorable que l’Argentine serait susceptible d’accorder, à compter de la signature de l’avenant, à un autre État, en matière de revenus passifs et de gains en capital, mais aussi de revenus de professions indépendantes ou d’établissement stable.

J’appelle enfin votre attention sur la clause relative aux volontaires internationaux en entreprise (VIE), qui a été insérée dans l’avenant. Même si elle pèse peu économiquement, c’est une clause à laquelle je suis très sensible, puisque j’ai été président d’Ubifrance et que je présidais le conseil d’administration du Centre français du commerce extérieur lorsque le dispositif a vu le jour. Le VIE est un dispositif très utile pour nos jeunes, mais aussi pour nos entreprises qui cherchent à se développer sur les marchés étrangers. La France demande systématiquement, dans les conventions et les avenants fiscaux qu’elle négocie, l’exonération d’impôt des VIE sur leurs salaires dans l’État d’exercice de leur activité. Cette clause a été intégrée à la convention entre la France et l’Argentine.

Le nombre de VIE en Argentine était assez élevé ces dernières années et a avoisiné la soixantaine. Il est malheureusement retombé à un niveau très faible     – 2 volontaires seulement à l’été 2021 – en raison de la crise liée au covid et aux difficultés économiques de l’Argentine. D’après les services de Business France, on devrait toutefois revenir bientôt à une trentaine de VIE et leur nombre devrait continuer d’augmenter, compte tenu de l’intensité des relations économiques entre la France et l’Argentine. Cette clause est donc très importante pour eux.

L’Argentine sort gagnante de cet accord, puisqu’elle sera plus attractive aux yeux des entrepreneurs français et que ses recettes fiscales sur les services connaîtront une hausse. La France, quant à elle, trouve un intérêt manifeste à cet avenant, puisque les prélèvements à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains réalisés lors de la cession de capital vont diminuer. Au final, la France prélèvera un peu plus et le Trésor français récupérera de l’argent. En outre, les entreprises françaises présentes en Argentine seront désormais sur un pied d’égalité avec les entreprises d’autres pays, notamment italiennes et allemandes, qui bénéficiaient de clauses plus avantageuses.

Puisque cet accord paraît équilibré et avantageux pour les deux parties, comme en témoigne d’ailleurs l’aboutissement rapide des négociations qui l’ont préparé, je vous invite à adopter le projet de loi autorisant son approbation.

M. Hervé Berville (LaREM). Même si le sujet est très technique, vous êtes parvenu, monsieur le rapporteur, à évoquer tous les enjeux politiques et économiques – y compris en matière d’emploi – de cet accord visant à renforcer nos liens avec l’Argentine, qui sont déjà très forts.

Vous avez évoqué l’égalité entre les femmes et les hommes, mais l’Argentine est aussi un allié de poids dans la lutte contre le réchauffement climatique. Si la COP21 a été un succès, si nous arrivons à gagner des combats au niveau international sur ces questions, c’est aussi parce que nous pouvons compter sur l’Argentine, qui est un partenaire de choix. Vous avez parlé de l’endettement. Rappelons que le Club de Paris, qui regroupe les créanciers d’un certain nombre de pays endettés, a vu le jour, dans les années 1950, pour répondre notamment aux difficultés de l’Argentine. Et la France est toujours à l’avant-poste, lorsqu’il est question de la dette argentine. La France et l’Argentine ont aussi en commun d’être deux nations immensément politiques – sans parler du lien qui nous unit depuis l’arrivée de Lionel Messi...

La renégociation de cette convention vise avant tout à défendre la compétitivité de nos entreprises à l’étranger. Elle fait suite à la visite du Président de la République en Argentine au moment du G20 ; elle vise notamment à instaurer une équité entre nos entreprises et les entreprises italiennes, par exemple. Plus de 250 entreprises françaises sont présentes en Argentine, dont un grand nombre de TPE et de PME. Grâce à cette convention, elles vont bénéficier d’une baisse de la charge de l’impôt et gagner en compétitivité.

Cette convention représente aussi un gain pour le Trésor français, puisque le montant de l’impôt perçu à l’étranger va diminuer. Elle va améliorer la balance commerciale de la France, qui est déjà positive, avec un excédent de 225 millions d’euros en 2019 et de 1,88 milliard d’investissement direct à l’étranger (IDE). Elle favorisera le développement de grand projets industriels portés par nos entreprises, par exemple Air Liquide, qui auront aussi des retombées dans notre territoire, notamment dans le domaine des énergies renouvelables et de la transition écologique.

Cette convention va aussi bénéficier à l’Argentine, et c’est en cela qu’elle est équilibrée, car elle va élargir le périmètre du champ d’activités imposables au secteur des services. Enfin, elle préviendra l’évasion fiscale. Ayant moi-même été un volontaire international en entreprise, je suis évidemment très sensible à la clause qui les concerne.

Ce texte, qui accroît l’attractivité et garantit l’équité, renforce la relation entre nos deux pays, ce qui va aussi permettre à nos deux continents de faire face aux enjeux de demain d’une manière plus partenariale.

M. Michel Herbillon (LR). Il était absolument nécessaire que la convention fiscale entre la France et l’Argentine datant de 1979 soit renégociée, afin d’éviter la double imposition.

Monsieur le rapporteur, vous avez insisté sur les aspects très positifs de cette nouvelle convention : les trois taux différenciés, moins élevés que le taux unique qui prévalait ; la clause de la nation la plus favorisée ; le fait que l’Argentine, désormais plus attractive, attirera davantage les entreprises françaises ; les meilleures recettes fiscales pour la France ; enfin, le fait que les entreprises françaises seront désormais sur un pied d’égalité avec les autres entreprises européennes.

Vous avez eu raison de resituer ces dispositions dans le cadre plus général des relations entre la France et l’Argentine. En effet, pour toutes les raisons que vous avez évoquées, l’Argentine est l’un des pays avec lesquels nous devrions développer une vraie diplomatie d’influence. Nos relations économiques sont étroites, mais la dimension politique est également très importante : la relation bilatérale entre nos deux pays est très positive et nous avons une vraie convergence sur de nombreuses questions internationales – multilatéralisme, environnement, droits de l’homme, etc. – sans parler de nos accords universitaires. Nous avons donc tout intérêt à entretenir ces relations, et la convention fiscale que nous examinons en est un élément. Je souscris aussi à vos propos sur l’importance des VIE : ils sont effectivement l’un des vecteurs de la présence française à l’étranger.

Parce que nous sommes très attachés, au sein de cette commission, à la diplomatie d’influence, aux diverses formes de la présence française dans le monde et à tout ce qui relève des relations culturelles, permettez-moi, pour finir, de dire un mot de la place très importante de l’Argentine dans l’imaginaire français. Je m’attendais à ce que notre rapporteur, qui est un amoureux de l’Argentine, entonne en français Don’t cry for me, Argentina ! et qu’il nous parle du tango. Je rappelle que le bandonéon a été introduit en Argentine par les immigrés italiens et que c’est lui qui est aux origines du tango. Quand on pense à l’Argentine, on a aussi envie d’évoquer le grand écrivain Jorge Luis Borges, qui a reçu le prix de la langue française de l’Académie française, alors qu’il écrivait en espagnol et en anglais. J’évoquerai encore le football, bien évidemment et, parce que je suis un amateur d’art lyrique, l’opéra : le théâtre Colón, à Buenos Aires, qui a été fondé en 1908, est l’un des plus grands opéras du monde, où Maria Callas a interprété ses plus grands rôles.

M. Bruno Fuchs (Dem). Comme l’a excellemment rappelé notre rapporteur, la convention signée dans les années 1970 est née d’une volonté commune de nos deux pays d’harmoniser leurs échanges, principalement sur le plan fiscal, afin d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale. Il correspondait aussi à la volonté plus globale de renforcer l’attractivité réciproque de nos deux pays, qui sont très liés sur le plan culturel et de l’imaginaire.

Il s’agit de la seconde convention signée par la France avec ce pays du Mercosur. L’application de cette dernière n’a, depuis lors, posé aucune difficulté notable, se caractérisant même pas des échanges d’informations fluides entre nos deux administrations. Nos relations économiques restent soutenues, la France se situant même au dixième rang des fournisseurs de l’Argentine. On note toutefois une certaine asymétrie dans ces échanges, puisque l’Argentine n’est elle-même que le soixante-dixième fournisseur de la France.

Cette convention entend, d’une part tenir compte des nouvelles spécificités de la législation française et, d’autre part, réduire les taux plafonds de retenue à la source sur les dividendes, les intérêts, les redevances et les gains en capital. La convention de 1979 avait fixé des taux élevés de retenue à la source qui n’ont plus lieu d’être, alors que l’Argentine a conclu depuis lors d’autres conventions plus avantageuses avec d’autre États.

La convention, ainsi modifiée, va rapprocher nos systèmes d’imposition et permettre d’augmenter les investissements argentins en France, tout en renforçant les intérêts économiques de la France sur place. C’est un coup de pouce à la coopération économique et à la poursuite de l’ambitieuse politique de la France en faveur de l’investissement étranger. Rapprocher nos systèmes d’imposition, c’est avant tout nous rendre mutuellement plus attractifs ; c’est une incitation utile à tous les opérateurs économiques. C’est aussi une bonne opération pour nos finances publiques et pour le Trésor, puisque le montant de l’impôt argentin sera diminué et que les rentrées fiscales françaises devraient être accrues.

Ce projet de loi, adopté sans modification par les sénateurs il y a près d’un an, entend donc permettre l’approbation dudit avenant. Considérant que le nouvel équilibre conventionnel garanti par cet avenant profitera globalement aux intérêts économiques français, le groupe MODEM ne peut qu’être favorable à son adoption.

M. Alain David (SOC). Les relations commerciales entre la France et l’Argentine sont caractérisées par une dissymétrie en faveur de la France, cette dernière étant le dixième fournisseur de l’Argentine, tandis que celle-ci n’est que le soixante-dixième fournisseur de la France. Plus de 250 entreprises françaises disposent de filiales en Argentine, tandis que seules deux entreprises argentines disposent de filiales en France.

La révision de la convention fiscale entre les deux pays, entrée en vigueur en 1981 et modifiée par un premier avenant en 2001, est devenue nécessaire car elle ne correspond plus aux nouvelles réalités économiques. Elle se justifie par le fait que, d’une part, l’Argentine a accordé des taux de retenue à la source beaucoup plus bas et favorables à d’autres États et que, d’autre part, la France ayant fait évoluer sa législation, il était souhaitable d’intégrer dans la convention fiscale un certain nombre de dispositions nouvelles.

Cet avenant semble favorable au Trésor français puisque la baisse des taux de retenue à la source par l’Argentine diminuera l’impôt prélevé par l’Argentine, majorant d’autant les recettes fiscales françaises. Quant aux entreprises françaises, leurs charges fiscales dans l’État partenaire seront diminuées du fait de la baisse générale des taux de retenue à la source pratiqués par l’Argentine. De plus, elles verront leur compétitivité s’accroître sur le marché argentin puisqu’elles bénéficieront, du fait de l’élargissement de la clause de la nation la plus favorisée, des mêmes conditions d’imposition que les autres entreprises étrangères.

Pour toutes ces raisons, le groupe des députés Socialistes et apparentés soutiendra l’adoption de ce projet de loi.

M. Jean-Michel Clément (LT). Ayant eu à examiner beaucoup de conventions de cette nature dans ma vie professionnelle, j’ai parfois eu l’impression qu’elles recelaient des niches fiscales, voire constituaient une source d’optimisation, si ce n’est d’évasion fiscale. L’harmonisation me semble néanmoins être une bonne idée car la fiscalité est un domaine très mouvant – la vérité d’aujourd’hui n’est pas celle de demain.

Mon groupe salue l’initiative française qui tend à réviser cette convention dans le but de renforcer le partenariat économique entre nos deux pays. J’ai cru comprendre que l’enjeu était plus important pour nous puisque notre présence est plus importante en Argentine.

La principale difficulté tient dans les stipulations actuelles relatives aux taux de retenue à la source, qui sont élevés en matière de dividendes. L’Argentine ayant conclu des conventions plus avantageuses avec d’autres pays, nous devons rétablir l’équilibre pour que nos entreprises ne soient pas désavantagées.

Par ailleurs, la clause de la nation la plus favorisée nous permettra de bénéficier automatiquement du traitement le plus favorable que l’Argentine est susceptible de réserver à ses autres partenaires. L’avenant soumis à ratification permettra de donner un coup de pouce non négligeable aux entreprises implantées sur le marché argentin.

Je voudrais toutefois vous faire part de deux incertitudes. La première porte sur la date d’entrée en vigueur de l’avenant : alors qu’il a été signé en 2019, l’étude d’impact du Gouvernement précise ne pas savoir où en est la procédure de ratification en Argentine. Afin de rassurer les entreprises françaises implantées localement, il serait peut-être opportun d’obtenir des précisions lors de la discussion du projet de loi.

Deuxième interrogation : dans toute négociation, des contreparties sont inévitables. Le Gouvernement a fait le choix de céder partiellement sur la taxation des établissements stables de services, demandée par l’Argentine. Si nous comprenons cette concession, il ne faut pas négliger le poids administratif que représentera l’application de cette clause pour les entreprises françaises installées dans ce pays.

Le groupe Libertés et Territoires votera ce texte. Toutefois, si la signature d’un avenant à une convention fiscale peut être saluée, des sujets de préoccupation demeurent, comme le Mercosur, le déséquilibre dans les conditions sociales entre les pays ou encore les conditions de production des biens et des services dans les pays d’origine.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Cet avenant pose un grave problème de solidarité avec le peuple argentin. Pourquoi réviser la convention entre la France et l’Argentine, alors qu’aucune entreprise ou presque n’a fait état de difficultés avec l’administration fiscale argentine ? Parce que les plus grandes entreprises françaises ont voulu profiter de la faiblesse de l’État argentin pour renégocier un traité dans un sens bien plus favorable aux intérêts français.

Le PIB de l’Argentine a diminué de près de 13 % en 2020 et sa croissance en 2021 ne compensera pas la récession. L’inflation y est galopante, autour de 30 à 40 % par an depuis plusieurs années. En dépit de négociations annoncées avec le Fonds monétaire international pour revoir le poids de sa dette, l’instabilité politique perdure, liée à la situation économique catastrophique et à un taux de chômage qui explose.

Ce sont donc les intérêts économiques des plus grandes entreprises            – Danone, PSA Peugeot Citroën, Carrefour, L’Oréal, etc. – qui justifient cet avenant à la convention. L’avenant prévoit que l’Argentine renonce à une imposition plus large des services rendus dans le pays par les entreprises françaises et que la France bénéficiera automatiquement d’un ajustement avec le traitement fiscal le plus favorable que l’Argentine accorderait à un autre État. De plus, les contreparties accordées à l’Argentine sont ridicules et n’auront pas de conséquences étant donné la faible implantation des entreprises argentines en France.

Comment pouvons-nous profiter de la souffrance d’un peuple et de la faiblesse d’un État pour l’affaiblir encore plus ? Voilà le résultat cynique d’une diplomatie du portefeuille. Ce n’est pas notre conception d’une diplomatie honnête, humaniste et solidaire. Voilà pourquoi nous ne soutiendrons pas ce projet de loi.

M. Nicolas Forissier, rapporteur. Après nous être entretenus avec l’ambassadrice de France, plusieurs personnalités de l’ambassade d’Argentine en France, Business France, le ministère des affaires étrangères et Bercy, nous avons pu préciser le cadre de la convention.

Il ne s’agit pas d’affaiblir l’État argentin. Cette convention, parce qu’elle permet de renforcer l’attractivité de l’Argentine, incitera les entreprises françaises à y investir davantage et à y créer de l’emploi. J’ai moi-même assisté, il y a vingt ans, dans la banlieue de Buenos Aires, à l’inauguration d’un site de Peugeot qui représentait des milliers d’emplois, et le président Fernandez a inauguré, il y a quelques mois, les nouvelles chaînes de production de Peugeot en Argentine, un investissement de 300 millions de dollars. Air Liquide prévoit d’installer à Buenos Aires sa base de services et de gestion comptable pour l’ensemble du continent américain, avec 400 emplois à la clé.

L’intérêt de cette convention est de clarifier la situation en mettant la France au même niveau de prélèvements et donc de compétitivité que les autres grands pays européens, notamment l’Italie et l’Allemagne. J’ai évoqué la présence d’environ 160 grands groupes – et même de 250 entreprises si l’on inclut leurs filiales – mais il ne faut pas oublier que cela concerne aussi nombre de PME, de TPE et d’entrepreneurs individuels. C’est un bon accord tant pour l’Argentine que pour les investisseurs français. Dans cette période difficile, la France ne faillit pas en matière de solidarité auprès de ce pays ami.

S’agissant des délais de mise en œuvre, nous sommes dans l’incertitude. Le gouvernement argentin doit d’abord résoudre la question de sa négociation avec le FMI. Ils ont tous deux intérêt à trouver une solution. Si le FMI ne fait pas les concessions nécessaires, l’Argentine risque de retomber dans un cycle de dépression, d’inflation toujours plus importante et de défaut de paiement. Cette négociation est plutôt en bonne voie mais l’Argentine doit faire des efforts. La chargée d’affaires de l’ambassade d’Argentine nous a très clairement dit que, pour l’instant, la priorité de son gouvernement était de faire une revue des dépenses publiques et des recettes afin, d’une part, de réaliser les économies importantes demandées par le FMI sans remettre en cause les politiques sociales menées par ce pays, d’autre part, d’optimiser les recettes. C’est la raison pour laquelle le gouvernement argentin a un peu le pied sur le frein concernant les conventions fiscales.

Il est important que la France approuve et ratifie définitivement cet avenant, de façon à envoyer un signal à l’Argentine. Cependant, tant que les négociations avec le FMI ne seront pas terminées et que le gouvernement argentin n’aura pas achevé sa revue de détail, nous n’aurons pas de réponse. Un accord a en revanche été trouvé avec le Club de Paris, portant sur 2 milliards de dette.

Enfin, il est vrai que les établissements stables de services risquent d’être confrontés à quelques difficultés administratives. La délimitation du champ de la redevance au-delà de 183 jours de services par an peut poser un problème d’interprétation – s’agit-il de 183 jours dans l’année, ou bien de 183 jours d’affilée ? Toutefois, les bonnes relations historiques entre la France et l’Argentine, y compris en matière fiscale, permettront de résoudre assez facilement cette question qui, en outre, n’a que peu d’impact sur les entreprises françaises.

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 


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   Annexe n° 1 : texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un Protocole), signé à Buenos Aires le 6 décembre 2019 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 4044)


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   ANNEXE n° 2 : Liste des personnes auditionnées
par le rapporteur

 

 


([1]) Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 20 décembre 2006.

([2]) Les « CDN » sont les « Contributions Déterminées au niveau National », c’est-à-dire des documents produits par chaque pays, décrivant la manière dont il entend atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, en fonction de ses ressources et de ses capacités.

([3]) La « Nuit des idées » est un événement mondial organisé depuis 2016 par l’Institut Français de Paris, qui réunit chaque année chercheurs et artistes autour d’une thématique commune. L’édition 2021 a réuni l’Équateur, le Venezuela, l’Argentine et la Colombie.

([4]) Globant et Q4Tech.

([5]) L’Oréal fabrique 60 % des produits cosmétiques vendus en Argentine.

([6]) Cf. supra.

([7]) Toutefois, lorsque le bénéficiaire effectif n’est ni l’auteur ni l’héritier de l’auteur, le taux maximum d’imposition est fixé à 15 %.

([8]) Cf. infra.

([9]) Cf. supra.

([10]) CE, 13 octobre 1999, pourvoi n° 190083, SA Banque française de l’Orient.

([11]) Ces investissements sont très majoritairement réalisés de la France vers l’Argentine. En 2017, le stock d’investissements directs français en Argentine était de 3,18 Md € et celui d’investissements directs argentins en France était de 0,12 Md €.