N° 5022

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2022

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,
ADOPTÉ PAR LE SÉNAT, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan sur les services aériens

PAR M. Christian HUTIN

Député

——

 

 

 

 

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Voir les numéros :

  Sénat : 58, 268, 269 et T.A. 55 (2020 2021).

  Assemblée nationale : 4821.

 


 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. Le Tadjikistan, un pays d’asie centrale qui s’ouvre aux partenariats

A. Un pays enclavé confronté aux influences russe et chinoise

1. Un régime autoritaire face à de nombreux défis intérieurs

2. La Russie et la Chine : les deux partenaires clés du pays dans un contexte régional tendu

B. une volonté de renforcer les relations bilatérales franco-tadjikes

II. un accord classique sur les services aériens dont les conséquences sont limitées

A. Un accord Qui s’inscrit dans le droit international et européen

1. Le respect des conventions multilatérales

2. La conformité au droit européen

B. Contenu de l’accord : Des dispositions classiques

1. L’octroi réciproque des droits aériens

2. La désignation des transporteurs aériens habilités et les droits et obligations qui en découlent

3. Le respect des normes de sécurité et de sûreté

4. Des exemptions douanières et fiscales

5. Des dispositions finales classiques

6. Une absence de clause sur la distorsion de concurrence

C. Des conséquences surtout diplomatiques

1. Un impact diplomatique certain

2. Un impact économique encore théorique

CONCLUSIOn

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE  1  TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères

ANNEXE  2 les libertés de l’air

 

 

 

 

 

 

 


—  1  —

    

   introduction

 

Notre commission est saisie du projet de loi relatif aux services aériens entre la France et le Tadjikistan signé le 8 novembre 2019 à Paris par le directeur général de l’aviation civile français, M. Patrick Gandil, et par le ministre des affaires étrangères tadjik, M. Sirojiddin Muhriddin.

Plus d’une centaine d’accords bilatéraux de ce type ont déjà été signés par la France, dont plusieurs avec des pays d’Asie centrale (Chine, Kazakhstan, Ouzbékistan, Pakistan, Turkménistan).

Les clauses de cet accord sont classiques : elles reprennent pour l’essentiel le modèle fourni par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et le droit européen.

Si les conséquences économiques seront probablement limitées, ce texte présente néanmoins un intérêt diplomatique, en contribuant à renforcer notre relation bilatérale avec le Tadjikistan. Il avait été demandé à plusieurs reprises par les autorités tadjikes, qui souhaitaient pallier l’enclavement de leur pays et la faiblesse de ses liaisons aériennes avec l’Europe. Il pourrait ouvrir la voie à de nouveaux partenariats entre nos deux pays.

 


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I.    Le Tadjikistan, un pays d’asie centrale qui s’ouvre aux partenariats

A.   Un pays enclavé confronté aux influences russe et chinoise

1.   Un régime autoritaire face à de nombreux défis intérieurs

Peuplé d’environ 9,3 millions d’habitants, le Tadjikistan est un pays montagneux, sans accès à la mer, limitrophe du Kirghizistan au nord-est, de la Chine à l’est, de l’Afghanistan au sud-ouest et de l’Ouzbékistan à l’ouest.

Ancienne république soviétique, le pays est devenu indépendant en 1991 puis a connu une violente guerre civile jusqu’en 1997, entre les partisans du gouvernement post-communiste et une opposition très variée (libéraux, représentants de groupes ethniques, islamistes).

La situation politique intérieure fait toutefois encore l’objet de débat sur la scène internationale. Selon le classement mondial des démocraties en 2020 élaboré par le journal britannique The Economist, le Tadjikistan se classe 159e sur 167 États ([1]). Depuis 1994, soit depuis vingt-huit ans, le pays est dirigé par le président Emomali Rahmon ([2]). Le principal parti d’opposition, le Parti de la renaissance islamique (PRIT), est interdit et son leader réside actuellement en Iran. De plus, de nombreuses voix internationales dénoncent la corruption et les atteintes aux droits humains constatées dans le pays.

En outre, le développement économique est faible. Le Tadjikistan est le pays le plus pauvre de la Communauté des États indépendants (CEI) ([3]), avec un produit intérieur brut (PIB) estimé à 8 milliards de dollars en 2020 par la Banque mondiale (soit 844 dollars par habitant par an en moyenne). Son économie est en effet très peu diversifiée. Elle dépend tout d’abord des transferts d’argent de la diaspora tadjike établie à l’étranger, notamment en Russie : ces fonds auraient représenté 40 % du produit intérieur brut (PIB) du pays en 2020 (MEAE, 2021). L’économie repose également sur l’industrie minière. L’activité de l’entreprise nationale Talco, spécialisée dans l’aluminium, représente 35 % du PIB. Enfin, l’agriculture reste également un secteur économique important (46 % de la population active). À terme, le tourisme et la production d’électricité pourraient favoriser la croissance économique, sous réserve que le Tadjikistan développe les infrastructures nécessaires ([4]).

En parallèle, la population souffre également d’un système sanitaire défaillant. La crise sanitaire provoquée par le covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation ([5]).

Enfin, le Tadjikistan connaît une situation sécuritaire tendue, qui résulte principalement de la montée du radicalisme religieux et de l’instabilité globale de la région. Les autorités estiment que plus de 1 000 ressortissants tadjiks sont partis combattre aux côtés d’organisations islamistes en Irak et en Syrie. En outre, le pays partage une frontière de plus de 1 340 kilomètres avec l’Afghanistan et craint une contagion de l’instabilité sur son territoire. La crainte de la radicalisation a amené le pouvoir à mettre en place une série de mesures pour lutter contre l’islamisme, ce qui n’a pas empêché plusieurs attaques terroristes en 2018, 2019 et 2020.

2.   La Russie et la Chine : les deux partenaires clés du pays dans un contexte régional tendu

Le Tadjikistan s’inscrit dans certaines tensions régionales. Celles-ci résultent tout d’abord de la séparation de populations tadjikes du territoire de l’actuel Tadjikistan. La délimitation des frontières entre l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et le Tadjikistan n’est pas encore résolue, comme en ont témoigné les violents affrontements à la frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizstan au printemps 2021, qui ont entraîné la mort de plus de cinquante personnes. Par ailleurs, le conflit afghan est un enjeu sécuritaire majeur dans la région : il a notamment contribué à renforcer l’islamisme, provoqué des attentats terroristes et encouragé le trafic de stupéfiants.

Il faut néanmoins noter des améliorations : le pays a récemment signé des accords pour définir la majorité de ses frontières avec l’Ouzbékistan, ce qui témoigne d’un réchauffement des relations diplomatiques entre ces pays.

Face à ce tel contexte intérieur et régional difficile, le Tadjikistan est devenu très dépendant de ses relations économiques et militaires avec les deux géants de la région : la Russie et la Chine.

La Russie est un partenaire historique majeur du Tadjikistan. Elle est son deuxième partenaire commercial et plus de 2 millions d’émigrés tadjiks vivraient en Russie. Sur le plan militaire, la Russie possède une base de 7 000 hommes sur le territoire tadjik ([6]) et procurerait une assistance aux garde-frontières tadjiks à la frontière afghane. Enfin, le Tadjikistan est membre des organisations régionales développées par la Russie, dont l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui permet par exemple des exercices militaires communs, la Communauté des États indépendants (CEI) et la Communauté économique eurasiatique (CEEA). Les deux États coopèrent en outre au sein du « Format de Douchanbé », réunissant également le Pakistan et l’Afghanistan pour lutter contre le trafic de drogues.

La Chine est aussi un partenaire clé du Tadjikistan. Elle est même désormais son premier partenaire commercial (1,5 milliard de dollars américains en 2017). La coopération économique s’inscrit alors dans le cadre de l’Initiative ceinture et route (en anglais Belt and Road Initiative, ou BRI), aussi appelée « nouvelles routes de la Soie », soit un immense projet d’infrastructures et de prêts financiers. Si ce partenariat représente pour le Tadjikistan un afflux d’investissements étrangers très important, il implique également une perte de souveraineté nationale à long terme.

Au-delà de ces partenariats régionaux, les autorités tadjikes souhaitent également ouvrir davantage le pays à d’autres partenaires, dont la France.

B.   une volonté de renforcer les relations bilatérales franco-tadjikes

En 2021, la communauté française au Tadjikistan était composée de seulement 20 à 25 résidents permanents.

Les relations bilatérales entre la France et le Tadjikistan ont été ouvertes le 3 mars 1992. L’antenne diplomatique française, qui était devenue une ambassade de plein exercice après la visite officielle du président Emomali Rahmon à Paris en 2002, a été transformée en poste à présence diplomatique en 2015. Pour sa part, le Tadjikistan a ouvert une ambassade à Paris en 2013.

Il est intéressant de noter que la France disposait d’un détachement aérien (le « Détair ») à l’aéroport de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, entre 2001 et 2014 (accord du 8 décembre 2001), pour servir ses activités en Afghanistan. La France a depuis offert la tour de contrôle au Tadjikistan, en remerciement pour la coopération de défense et les services rendus.

Le dialogue bilatéral s’est récemment traduit par des consultations et des visites officielles : consultations annuelles entre les ministres des affaires étrangères des deux pays depuis 2016 ; visite de Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, en avril 2019 ; visites du président Emomali Rahmon en France en novembre 2019 et en octobre 2021. Le Tadjikistan souhaite en effet approfondir sa relation avec la France, notamment en matière sécuritaire. Il a ainsi demandé de l’aide pour mieux protéger sa frontière méridionale (équipements divers non létaux, formations de garde-frontières). En réponse, la France a envoyé un groupe de CRS de haute-montagne pour former des garde-frontières tadjiks, à la fin de l’année 2021.

Sur le plan culturel, la coopération se traduit par le financement du Centre culturel Bactria, fondé et administré par l’ONG Acted, ainsi que par des événements telle que l’exposition « Tadjikistan, au pays des fleuves d’or » du musée Guimet, inaugurée en octobre 2021 par le président Emomali Rahmon.

Sur le plan économique, les relations franco-tadjikes sont en revanche assez limitées : les échanges commerciaux représentaient seulement 25,8 millions d’euros en 2020. Le Tadjikistan est le 136e fournisseur et le 176e client de la France. Toutefois, les entreprises françaises sont de plus en plus présentes dans le pays, notamment dans les secteurs de la grande distribution, de la construction, des services urbains et de l’hydroélectricité ([7]). L’ouverture du pays au tourisme représente également une opportunité pour les entreprises françaises du secteur. Le Tadjikistan a annoncé récemment la fin du régime de visa pour les séjours touristiques des ressortissants français.

La dernière visite du président Emomali Rahmon à Paris, en octobre 2021, a permis d’adopter une feuille de route de développement et de coopération entre la France et le Tadjikistan, avec un volet économique et une attention particulière apportée au tourisme.

II.   un accord classique sur les services aériens dont les conséquences sont limitées

La conclusion du présent accord a été demandée avec insistance par la partie tadjike depuis 2013. Les négociations n’ont posé aucune difficulté particulière. Elles se sont déroulées entre le 24 et le 26 juin 2019, soit en même temps que la signature d’un accord de coopération technique entre les deux directions générales de l’aviation civile (26 juin 2019), et la veille de l’inauguration de la tour de contrôle de l’aéroport de Douchanbé, construite avec l’assistance technique du SNIA, le 27 juin, en présence du président Emomali Rahmon.

La France est déjà signataire d’une centaine d’accords bilatéraux qui entraînent la reconnaissance réciproque de droits aériens entre les parties. Elle en a notamment signé avec plusieurs autres États d’Asie centrale : la Chine, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Pakistan et le Turkménistan.

Il est intéressant de noter que la conclusion d’un accord relatif aux services aériens n’est pas indispensable à l’établissement de liaisons aériennes entre deux pays : les autorités aéronautiques peuvent désigner les transporteurs étrangers autorisés à traverser l’espace aérien national en l’absence de tout accord. Néanmoins, elle permet d’établir un cadre juridique stable qui favorise le développement des liaisons aériennes. Ces accords prévoient également des clauses destinées à faciliter le développement des activités commerciales de ces compagnies.

A.   Un accord Qui s’inscrit dans le droit international et européen

1.   Le respect des conventions multilatérales

L’accord reprend la plupart des dispositions contenues dans le modèle d’accord aérien proposé par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ([8]). La France et le Tadjikistan sont parties à la convention relative à l'aviation civile internationale du 7 décembre 1944 (dite « Convention de Chicago ») qui a marqué le développement du transport aérien mondial et créé cette organisation.

L’article 1er de cette convention souligne que chaque État dispose d’une souveraineté complète et exclusive sur l’espace aérien situé au-dessus de son territoire. L’article 6 indique qu’aucun service international régulier ne peut être effectué au-dessus ou à l’intérieur d’un État sans autorisation.

Il est important de noter que la convention de Chicago a été complétée par d’autres accords multilatéraux ([9]). Les règles aériennes sont ainsi régulièrement étoffées pour mieux lutter contre les nouvelles menaces qui pèsent sur les services aériens.

De plus, l’OACI propose aussi des normes et des pratiques recommandées (Standard And Recommended Practices, SARP) pour l’aviation civile internationale ; et a défini des « libertés de l’air » ([10]) (voir Annexe 2), présentées comme des annexes à la convention de 1944.

Elle propose un modèle d’accord sur les services aériens qui reflète les usages et les besoins les plus répandus et les plus récents des États, qui a servi de base pour la rédaction du présent accord.

2.   La conformité au droit européen

La compétence européenne en matière de transport aérien a été consacrée par plusieurs arrêts de la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) du 5 novembre 2002, dits « Ciel ouvert ». Plusieurs accords bilatéraux passés par des États membres de l’Union européenne avec un pays tiers (en l’occurrence les États-Unis) ont été jugés contraires au droit de l’Union, notamment parce que les ouvertures commerciales prévues étaient réservées aux transporteurs aériens de ces États membres, en excluant les autres compagnies européennes.

Ces arrêts ont conduit les institutions européennes à préciser le cadre juridique applicable aux accords aériens négociés entre les États membres et des pays tiers. Le règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement et du Conseil du 29 avril 2004 ([11]) prévoit notamment qu’un État membre est autorisé à négocier ou à amender un accord sur les services aériens avec un pays tiers si les dispositions de cet accord sont conformes au droit européen et que l’État membre notifie l’accord à la Commission au préalable.

Sur le fond, le respect du droit européen est assuré par l’inclusion de clauses types développées conjointement par la Commission et les États membres. Afin de ne pas entraver la libre concurrence, les accords doivent notamment inclure une clause qui permet la désignation de tout transporteur européen, dès lors qu’il est établi sur le territoire de l’État membre, pour effectuer des services aériens autorisés par l’accord bilatéral concerné.

Sur la forme, les États membres doivent suivre une procédure de notification à la Commission qui vise à assurer la transparence des négociations et la conformité des accords bilatéraux avec le droit de l’Union. La notification doit intervenir au plus tard un mois avant le début d’une négociation avec un pays tiers afin de permettre à la Commission, aux autres États membres et aux parties intéressées, notamment les transporteurs aériens établis sur le territoire de l’État membre, de formuler des observations. Le résultat des négociations est transmis à la Commission, qui autorise la signature de l’accord bilatéral ou son application provisoire lorsque l’accord ne comporte pas l’ensemble des clauses pertinentes.

Dans le cas du présent accord, la notification du résultat des négociations a été adressée à la Commission européenne le 1er juillet 2019. Celle-ci a estimé que l’accord était conforme au droit européen et a donc autorisé la France à le conclure le 10 octobre 2019.

B.   Contenu de l’accord : Des dispositions classiques

1.   L’octroi réciproque des droits aériens

Les principaux termes et expressions utilisés dans l’accord sont définis à l’article 1er. Les « autorités aéronautiques » désignent notamment pour la partie française, la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et pour la partie tadjike, l’Agence de l’aviation civile du gouvernement tadjik.

Les deux parties se reconnaissent réciproquement des droits aériens à l’article 2, soit le point essentiel de l’accord. Ces droits renvoient à des « libertés de l’air » reconnues par l’OACI : droit de survoler sans atterrir et/ou d’effectuer des escales « à des fins non commerciales » (escale technique sans embarquement/débarquement de passagers ou de fret). De même, l’article 2 dispose : « Dans le cadre de l’exploitation d’un service agréé sur une route spécifiée, un transporteur aérien désigné par une Partie contractante a (…) le droit d’effectuer des escales sur le territoire de l’autre Partie contractante aux points mentionnés sur ladite route spécifiée afin d’embarquer et de débarquer, séparément ou ensemble, des passagers et du fret, y compris du courrier, à destination ou en provenance du territoire de la première Partie contractante. »

Or, l’article 2 mentionne l’annexe de l’accord qui autorise l’établissement de routes aériennes entre tous points (aéroports) français et tadjiks, avec des escales commerciales éventuelles, et prolongation éventuelle vers tous points au-delà. Ces routes sont donc très ouvertes.

L’article 2 exclut explicitement le cabotage c’est-à-dire le droit, pour un transporteur aérien d’une partie, d’embarquer sur le territoire de l’autre partie des passagers ou du fret à destination d’un autre point situé sur le territoire de cette autre partie. Cette exclusion est habituelle dans les accords sur les services aériens négociés par la France. Elle permet d’éviter qu’un transporteur aérien opère des services entre deux points du territoire national de l’autre partie sans être soumis à ses règles sociales ou fiscales.

2.   La désignation des transporteurs aériens habilités et les droits et obligations qui en découlent

Dans le régime de respect des souverainetés étatiques issu de la convention de Chicago, il revient aux États de désigner les compagnies aériennes habilitées à exploiter les lignes aériennes ouvertes par les accords bilatéraux, ce que rappelle le paragraphe 1 de l’article 3 de l’accord.

Selon les informations transmises par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) au rapporteur, les transporteurs aériens désignés seront Air France pour la partie française, et Somon Air et Tajik Air pour la partie tadjike ([12]).

L’autorisation d’une entreprise de transport aérien est subordonnée au respect de plusieurs conditions dont l’établissement sur le territoire d’une des parties, la détention par le transporteur d’une licence d’exploitation valide, la soumission à un contrôle réglementaire effectif et le respect des normes en matière de sécurité et de sûreté de l’aviation (article 3). La violation d’une de ces obligations est un motif de révocation ou de suspension de l’autorisation d’exploitation (article 4).

Ce pouvoir de désignation s’accompagne d’obligations qui incombent aux États parties. Les deux accords prévoient que les parties doivent veiller à ce que les transporteurs aériens désignés disposent de « possibilités équitables et égales de concurrence pour l’exploitation des services agréés » (article 5). Toute forme de discrimination ou de pratique déloyale portant atteinte au principe d’une concurrence équitable dans l’exploitation des services aériens est prohibée. Les subventions et les aides publiques qui fausseraient la concurrence de manière significative et injustifiée sont interdites (article 6).

Les entreprises désignées sont soumises à plusieurs obligations dont le respect des lois, règlements et procédures des parties contractantes pour l’entrée et la sortie des aéronefs de leur territoire (article 8) et la soumission de leurs programmes d’exploitation à l’approbation de l’autorité aéronautique de l’autre partie dans un délai d’au moins 45 jours avant le début de l’exploitation (article 19). Ces programmes doivent notamment préciser les horaires, la fréquence des liaisons, les types d’aéronefs, la configuration et le nombre de sièges mis à disposition du public.

Les transporteurs aériens désignés peuvent fixer « librement et de manière indépendante » leurs tarifs, s’ils sont fixés « à des niveaux raisonnables » (article 18).

L’article 14 contient des clauses permettant aux compagnies désignées de développer leur activité commerciale sur le territoire de l’autre partie : établissement d’un bureau aux fins de promotion et de vente de service, vente de billets, accès du personnel nécessaire pour assurer les services aériens, etc.

3.   Le respect des normes de sécurité et de sûreté

Les parties reconnaissent la validité des certificats de navigabilité, des brevets d’aptitude et des licences délivrées par l’autre partie aux fins de l’exploitation des services aériens (article 9).

Cette reconnaissance mutuelle suppose l’adoption, par chaque partie, de normes de sécurité et de sûreté jugées suffisantes par l’autre partie. La notion de sécurité consiste à éviter les accidents et celle de sûreté, à prévenir les actes illicites.

L’article 10 est consacré à la sécurité. Il prévoit un régime de consultation portant sur les normes adoptées et appliquées par l’autre partie et relatives aux installations aéronautiques, aux équipages, aux aéronefs et à leur exploitation. Il prévoit aussi la possibilité de procéder à des inspections au sol des aéronefs des transporteurs aériens désignés.

L’article 11 est dédié à la sûreté. Il introduit une « obligation mutuelle de protéger la sûreté de l’aviation civile contre les actes d’intervention illicite conformément aux accords multilatéraux qui lient les parties sur le sujet. Ainsi que le prévoit le paragraphe 5, « en cas d’incident ou de menace d’incident de capture illicite d’un aéronef civil ou d’autres actes illicites dirigés contre la sécurité de passagers, d’équipages, d’aéronefs, d’aéroports ou d’installations de navigation aérienne, les Parties contractantes se prêtent mutuellement assistance en facilitant les communications et en prenant les mesures appropriées destinées à mettre fin rapidement à l’incident ou à la menace ».

Les articles 10 et 11 reprennent les procédures qui figurent habituellement dans les accords aériens signés entre la France et des pays tiers. Après une première phase de consultation entre les Parties ou en cas d’urgence, une autorisation d’exploitation peut être suspendue ou révoquée s’il est avéré un manque aux obligations en matière de sécurité et de sûreté.

Selon les éléments transmis par le MEAE, « la menace terroriste doit être prise en compte au Tadjikistan » même si « à ce jour [fin de l’année 2021], le secteur aérien n’a fait l’objet d’aucune attaque ou projet d’attaque déclaré de la part des organisations terroristes présentes dans la région ».

Le Tadjikistan ne figure pas dans la liste des pays recensés par la circulaire d’information aéronautique (AIC) française relative au survol des zones de conflit (dans sa version en vigueur en date du 4 novembre 2021) et il n’existe pas de menace avérée contre un aéronef survolant le Tadjikistan en altitude de croisière. En revanche, le Pakistan et l’Afghanistan voisins font tous deux l’objet de restrictions de survol.

En ce qui concerne l’aéroport international de Douchanbé (code IATA : DYU, code OACI : UTDD), la DGAC n’a pas effectué de mission d’évaluation sur son niveau de sûreté car aucune compagnie française n’effectue de vol direct vers le Tadjikistan. Selon les éléments communiqués au rapporteur, une telle mission d’évaluation pourrait toutefois être envisagée si une ligne directe devait être ouverte entre la France et le Tadjikistan.

4.   Des exemptions douanières et fiscales

L’article 12 encadre le régime des redevances d’usage perçues au titre de l’utilisation des services aéroportuaires et des installations de sécurité, de sûreté et de navigation aérienne. Les redevances d’usage « doivent être justes, raisonnables, non discriminatoires et faire l’objet d’une répartition équitable entre catégories d’usagers ».

L’article 13 prévoit également une exemption douanière et fiscale sur l’équipement normal des aéronefs, les carburants et lubrifiants, les pièces détachées et les provisions de bord. Ces exemptions, conformes aux standards internationaux et aux pratiques de l’industrie aérienne, n’impliquent aucun changement, celles-ci étant déjà prévues en droit français.

L’exemption fiscale du carburant aérien est en particulier conforme au droit français et européen, même si elle interroge dans un contexte de réchauffement climatique et de multiplication des engagements internationaux pour lutter contre celui-ci.

Selon les éléments transmis par le MEAE au rapporteur, il est prévu d’inclure une clause environnementale dans les futurs accords sur les services aériens, notamment lorsque le paquet environnemental en cours de négociation à Bruxelles (dit « Fit for 55 ») aura été voté. Ce paquet, tel qu’il a été présenté par la Commission, contient notamment les mesures suivantes : taxation obligatoire du kérosène sur les vols internes à l’Union européenne (en l’alignant progressivement sur la fiscalité du transport routier), obligation d’emport de biocarburants au départ de l’Union européenne et réduction des quotas gratuits dits ETS en Europe. Une fois ces principes et leur chiffrage arrêtés, il sera possible de travailler à l’écriture d’une clause avec les pays tiers. L’écriture de cette clause impliquera de prendre en compte les capacités de ces pays et notamment l’éventuelle difficulté à se fournir en biocarburant.

5.   Des dispositions finales classiques

L’article 21 de l’accord prévoit un partage de « documents statistiques qui peuvent être raisonnablement nécessaires pour examiner l’exploitation des services agréés » entre les autorités aéronautiques.

De même, l’article 22 prévoit des dispositions classiques sur les consultations entre les parties et l’article 23 sur le règlement des différends, qui peut aller jusqu’à la mise en place d’un tribunal d’arbitrage.

L’article 25 précise les modalités de dénonciation de l’accord par l’une ou l’autre des parties : une notification diplomatique adressée à l’autre partie, ainsi qu’à l’OACI. L’accord prend fin dans un délai de douze mois après cette notification.

Enfin, l’article 27 fixe les modalités d’entrée en vigueur de l’accord : il prend effet le premier jour du deuxième mois suivant la réception de la seconde notification d’achèvement des procédures internes requises, soit en l’espèce celle de la France puisque le Tadjikistan a déjà notifié la fin de ses procédures internes le 8 juillet 2020.

6.   Une absence de clause sur la distorsion de concurrence

La faiblesse des relations aériennes entre la France et le Tadjikistan, ainsi que les propriétés du pavillon tadjik (structure de coûts, flotte, capacités), n’ont pas justifié l’inclusion d’une clause de concurrence équitable différente de la clause habituellement incluse dans les accords de ce type. À l’inverse, d’autres accords conclus récemment (notamment avec l’Éthiopie et la compagnie Ethiopian Airlines) avaient nécessité une attention particulière, compte tenu des risques de distorsion de concurrence entre pavillons.

Cet accord comprend donc les clauses standards, déjà exigeantes, qui permettent de protéger le pavillon français de la plupart des situations de distorsion de concurrence (articles 5 et 6), en rappelant notamment le principe selon lequel les transporteurs des deux pavillons disposent de « possibilités équitables et égales de concurrence pour l’exploitation des services agréés ».

Si toutefois une situation de distorsion de concurrence manifeste devait être constatée, par la DGAC ou par des transporteurs français, des consultations au niveau des autorités aéronautiques, puis éventuellement au niveau diplomatique, pourraient être demandées sous soixante jours au titre de l’article 23 et conformément à l’article 22 évoqués supra.

Ces consultations pourraient ouvrir la voie, une fois l’ensemble des recours épuisés, à une dénonciation de cet accord sur les services aériens conformément à la procédure décrite dans l’article 25 dont la mise en œuvre permettrait de revenir à un système d’autorisation des opérations aériennes au cas par cas, soumis au jugement des autorités aéronautiques des deux parties.

C.   Des conséquences surtout diplomatiques

1.   Un impact diplomatique certain

Cet accord a été demandé avec insistance par le Tadjikistan depuis 2013. En parallèle, le pays avait négocié d’autres accords bilatéraux sur les services aériens (avec l’Allemagne en 2003, la Chine en 2007, la Lettonie en 2008, le Luxembourg en 2011, l’Autriche en 2013, le Koweït et la République tchèque en 2016, le Qatar en 2017 et l’Ouzbékistan en 2018). Pour la partie tadjike, ce nouvel accord avec la France devait faciliter l’éventuelle mise en place d’une liaison aérienne directe Douchanbé-Paris, opérée par la compagnie Somon Air, qui en avait fait la demande en 2019. Cette liaison était vue comme une opportunité de désenclaver le territoire tadjik en augmentant les flux économiques et touristiques ([13]).

Pour la partie française, la signature de cet accord devait avant tout envoyer un message politique positif, dans la perspective d’une visite du président tadjik en France, qui a finalement eu lieu en novembre 2019. De plus, elle devait entretenir une relation bilatérale relativement dynamique dans le secteur aéronautique (liée à la longue présence du détachement du Détair de 2001 à 2014), avec de potentielles retombées économiques pour les entreprises françaises.

D’un point de vue juridique, la conclusion de cet accord, avant le lancement envisagé de la ligne Somon Air, permettait également à la DGAC française de fixer un cadre sécurisant et bien délimité (routes empruntables, nombre de fréquences opérables, mode de désignation des transporteurs, questions douanières, etc.) afin de permettre à la compagnie d’opérer sans recourir à des autorisations au cas-par-cas et sans visibilité.

Enfin, la signature de cet accord s’inscrivait dans la lignée des accords bilatéraux sur les services aériens conclus par la France avec le Turkménistan (2013), l’Ouzbékistan (2016) et le Kazakhstan (2016). Le Kirghizistan est désormais le seul pays d’Asie centrale à ne pas disposer d’un tel accord.

2.   Un impact économique encore théorique

L’impact de cet accord sur le trafic aérien entre la France et le Tadjikistan sera probablement limité. Il était jusqu’ici très faible : moins de 2 000 passagers en 2019. Ce trafic était toujours indirect – il passait surtout par l’aéroport d’Istanbul en Turquie – puisqu’aucune compagnie n’assurait de ligne directe.

Or, les compagnies françaises n’ont à ce jour pas exprimé de souhait de desservir en direct le Tadjikistan. Compte tenu des relations économiques et touristiques entre les deux pays, les perspectives en matière de flux de passagers semblent encore limitées et le Tadjikistan ne manifeste pas de volonté de constituer un hub régional, contrairement au Kazakhstan et à l’Ouzbékistan.

Cet accord permettra néanmoins aux compagnies françaises de réaliser des opérations de partages de codes avec des transporteurs de pays tiers, ainsi qu’une ouverture suffisante du tableau des routes, pour qu’Air France puisse desservir éventuellement le pays via Amsterdam avec KLM, la compagnie en ayant exprimé le souhait ([14]).

Du côté tadjik, la compagnie Somon Air ([15]) a indiqué souhaiter ouvrir une ligne vers l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. Au-delà de l’intérêt pour la desserte du territoire français, cette ligne lui permettrait d’assurer des correspondances vers les États-Unis et l’Afrique.

Quel que soit l’impact sur le trafic aérien, le renforcement de notre partenariat dans le secteur aéronautique pourrait avoir des retombées pour les industriels français. Les constructeurs aéronautiques ATR et Airbus prospectent déjà activement le marché tadjik. La société Thales, présente historiquement dans le pays, pourrait quant à elle fournir prochainement les équipements de la tour de contrôle de Douchanbé.

Enfin, cet accord pourrait profiter à des sociétés touristiques françaises qui souhaiteraient proposer le Tadjikistan comme destination à leurs clients.

 


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   CONCLUSIOn

 

 

Le présent accord signé entre la France et le Tadjikistan le 8 novembre 2019 à Paris apporte une sécurité juridique pour les services aériens entre nos deux pays, même s’il n’est pas certain que des lignes aériennes directes soient ouvertes à court terme.

Au-delà, il a surtout vocation à renforcer les relations bilatérales. Ces relations, initiées il y a trente ans, bénéficient aujourd’hui d’une nouvelle dynamique, impulsée notamment par le pouvoir tadjik qui souhaite désenclaver le pays et l’ouvrir à de nouveaux partenaires.

Ainsi, votre rapporteur appelle à autoriser la ratification de cet accord.

 

 

 


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EXAMEN EN COMMISSION

Le mardi 8 février 2022, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan sur les services aériens.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Je n’aurai que deux questions à vous adresser à propos de ce texte, monsieur le rapporteur.

Quelles sont les perspectives de développement du trafic de passagers entre Paris et Douchanbé ? Votre rapport fait état de moins de 2 000 passagers par an, actuellement.

J’envisage de me rendre au Tadjikistan, car c’est là que s’organise la résistance à l’emprise des talibans sur l’Afghanistan. Or, comme vous l’indiquez dans votre rapport, le meilleur itinéraire consiste à faire escale à Istanbul, et le plan de vol impose d’arriver au milieu de la nuit à Douchanbé…Dans de telles conditions, le trafic peut-il se développer ? Au-delà de l’accord, a-t-on une visibilité quant à l’ouverture d’une liaison aérienne directe ?

M. Christian Hutin, rapporteur. Je tiens, pour commencer, à remercier l’administratrice qui a travaillé avec moi sur ce rapport.

En cette fin de législature, je pense pouvoir affirmer qu’aucun d’entre nous n’a eu à se plaindre de la qualité du travail des administrateurs ainsi que de l’ensemble du personnel de l’Assemblée nationale : ils nous ont tous cocoonés. Or un certain nombre d’entre eux sont en grève. Je ne pouvais donc pas ne pas leur rendre hommage. J’ai même hésité à présenter mon rapport aujourd’hui, pour marquer ma solidarité. Disons les choses clairement : il y a un problème avec la questure.

Le personnel de l’Assemblée nationale travaille pour nous en permanence. Ce sont des gens extraordinaires – mais je ne suis pas sûr que la législature qui s’achève ait été exceptionnelle pour eux.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous présentez votre rapport tout en affirmant votre solidarité avec les grévistes : c’est une bonne chose de combiner les deux.

M. Christian Hutin, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi, déjà adopté par le Sénat, autorisant l’approbation d’un accord sur les services aériens avec le Tadjikistan. Cet accord a été signé par le directeur général de l’aviation civile de l’époque, M. Patrick Gandil, et par le ministre des affaires étrangères tadjik, M. Sirojiddin Muhriddin.

Nous sommes en terrain connu : la France a déjà conclu des dizaines d’accords de ce type, y compris avec la Chine et d’autres États d’Asie centrale tels que le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Pakistan et le Turkménistan. Les parties reconnaissent l’activité de leurs transporteurs aériens respectifs, dans le respect des règles édictées par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et du droit européen. Les accords bilatéraux signés sur ce thème avec de nombreux pays sont quasiment tous identiques, et en général les choses se passent bien.

Il n’est pas indispensable de signer une convention pour établir une liaison aérienne entre deux pays. Un État peut reconnaître à un transporteur étranger le droit de survoler son territoire ou d’y atterrir. Néanmoins, les conventions de ce type permettent de donner un cadre juridique stable et fiable, favorisant le développement du trafic aérien entre les États.

Les normes concernent le domaine économique ainsi que la sécurité, ce qui est essentiel compte tenu notamment du risque terroriste.

Il n’existe pas encore de ligne aérienne directe entre la France et le Tadjikistan, mais la compagnie tadjike Somon Air envisage d’en ouvrir une, au départ de Roissy-Charles-de-Gaulle. Air France, pour sa part, n’est pas intéressé. KLM, en revanche, qui fait partie du groupe Sky Team, pourrait en créer une au départ d’Amsterdam.

Je ne sais pas s’il existe des perspectives de développement touristique au Tadjikistan, mais le fait que nous nous ouvrions à ce pays est déjà une belle chose. Pour le reste, les choses sont compliquées. Le pays est éloigné. Sur le plan géopolitique, il est proche de l’Iran et de la Russie – ce qui peut être intéressant compte tenu de la situation actuelle.

Avant la préparation de cet accord, nous n’avions jamais eu autant de rapports avec le Tadjikistan. C’est un pays qui reste pour nous exotique, y compris sur le plan diplomatique. Le trafic aérien entre nos deux pays est extrêmement faible. Il en va de même des relations économiques. L’enjeu de cet accord est plutôt diplomatique : il s’agit de renforcer l’amitié avec ce pays et de travailler avec lui.

Le Tadjikistan est un petit pays, pas très riche, présidé par la même personne depuis 1994. Il vit de l’aluminium et des transferts de fonds de sa diaspora, comme beaucoup d’autres pays. Sa relation avec la Russie n’est pas négligeable : elle pourrait nous servir. Il se rapproche de plus en plus de la Chine, ce qui peut également nous faire réfléchir. Au cours des dernières années, les relations entre nos deux pays se sont renforcées. Le président tadjik est ainsi venu deux fois à Paris.

Sur le plan économique, nos relations sont limitées, mais plusieurs entreprises françaises y sont présentes, en particulier dans les domaines de la grande distribution, de la construction et de l’hydroélectricité.

Sur le plan militaire, le Tadjikistan nous a aidés quand nous étions engagés en Afghanistan : il nous avait autorisés à installer une base aérienne sur son territoire.

Le Tadjikistan souhaite un renforcement de son partenariat avec la France en matière de sécurité. Nous avons déjà envoyé un groupe de CRS de haute-montagne pour former des garde-frontières tadjiks.

En dépit de son caractère modeste, cet accord est important, car le Tadjikistan témoigne d’une forme d’amitié – voire d’amour – sincère envers la France. Il nous permettra d’être un peu plus ouverts envers ce pays et d’avoir avec lui des relations plus étroites. Je vous propose donc de voter en faveur de sa ratification.

L’Iran, je le disais, est très proche du Tadjikistan. Or, l’un de nos ressortissants vient d’être condamné à huit ans de prison dans ce pays pour avoir utilisé un drone de loisirs à la frontière avec le Turkménistan. Il est donc important que nous soyons amis avec un pays comme le Tadjikistan.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Si l’accord est économique dans sa nature, il est essentiellement diplomatique dans sa portée, comme vous le soulignez.

M. Pierre Cabaré (LaREM). Il est vrai que le Tadjikistan est d’accès difficile, mais l’accord permettra de développer les services aériens en leur donnant enfin un cadre juridique.

Ce pays entretient un lien fort avec la Russie, laquelle est l’une des principales destinations de l’émigration économique des ressortissants tadjiks, qui représente près de la moitié du PIB. Il est important pour nous d’avoir des relations avec des pays satellites de la Russie. Le Tadjikistan est également proche de la Chine, qui devient son principal modèle économique. L’économie du Tadjikistan est d’ailleurs envahie par la Chine.

Certes, le Tadjikistan est le plus petit pays d’Asie centrale, mais je ne considère pas qu’il y ait de petits pays, pas plus qu’il n’y a de petits accords. Chaque accord est la preuve d’un dialogue riche et équilibré. En l’occurrence, celui-ci reprend pour l’essentiel les dispositions du modèle d’accord aérien proposé par l’OACI et permet de se mettre en conformité avec le droit européen. Il comporte ainsi des clauses modernes dans les domaines de la sûreté ainsi que de la sécurité – élément particulièrement important compte tenu de la situation géographique du pays.

Vous savez que je ne résiste jamais à l’envie de défendre le secteur de la construction aéronautique, qui est une fierté nationale et même européenne. Chaque fois que l’on parle d’avions, cela me fait rêver. Qui plus est, le secteur aéronautique représente l’essentiel des emplois dans bon nombre de circonscriptions de France, plus particulièrement dans la mienne, en Haute-Garonne. C’est une des richesses de ma région, l’Occitanie – qui est à peu près de la taille du Tadjikistan. On dit parfois que je suis iconoclaste. Je le suis, en effet, mais dans le sens positif du terme : je souhaite que la rupture avec le passé soit bénéfique pour l’avenir. On voit bien, à travers ce texte, que l’avion joue un rôle extrêmement important dans la connaissance, le partage, les liens culturels et l’économie. L’avion joue toujours un rôle prééminent dans la diplomatie.

Le groupe La République en marche est honoré de voter ce texte.

M. Frédéric Petit (Dem). Notre commission est saisie de ce projet de loi autorisant l’approbation d’un accord avec le Tadjikistan relatif aux services aériens, signé le 8 novembre 2019 à Paris. Merci à M. Hutin pour son rapport et sa présentation, comme toujours riche, y compris sur le plan philosophique.

Le Tadjikistan est l’un des pays les plus pauvres d’Asie centrale. Beaucoup moins médiatisé que ses voisins – l’Afghanistan, l’Ouzbékistan et même le Turkménistan –, il est situé au carrefour d’influences régionales. En effet, il est tiraillé entre l’influence historique de la Russie et celle de la Chine, qui l’a placé sur sa nouvelle route de la soie.

Un dialogue bilatéral s’est instauré depuis quelques années avec la France, avec l’ouverture de postes diplomatiques, le lancement de consultations et plusieurs visites officielles. Nous avons un centre culturel français au Tadjikistan, qui n’est pas encore tout à fait opérationnel mais ouvre des perspectives intéressantes. C’est dans ce contexte que s’inscrit cet accord bilatéral, envisagé depuis 2013. Le président tadjik s’est rendu en France à deux reprises.

L’accord définit un nouveau cadre juridique bilatéral conforme au droit européen afin de développer les services aériens. De ce point de vue, il est tout à fait classique.

Soit dit en passant, et puisqu’il était question tout à l’heure des transports internationaux routiers en direction de l’Ouzbékistan, il m’arrive de venir de Pologne par la route. Organiser des liaisons routières avec des pays comme ceux-ci n’a rien d’extraordinaire.

Par ailleurs, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan sont des pays voisins de l’Afghanistan, où se trouvent encore des personnes que nous devons exfiltrer, soit parce qu’elles nous ont aidés soit parce qu’elles sont de la famille de gens qui nous ont aidés. Ces personnes sont menacées, se cachent et nous avons beaucoup de difficultés à les faire sortir du pays. Ces opérations prendront encore plusieurs mois. Il n’est donc pas tout à fait inintéressant d’avoir, aux frontières de l’Afghanistan, d’autres possibilités que celles offertes par le Pakistan pour faire venir ces personnes par la voie aérienne. C’est un enjeu important, même si la discrétion est de mise.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés votera évidemment en faveur de ce projet de loi.

M. Alain David (SOC). Merci, monsieur le rapporteur, pour votre présentation éclairante de cet accord qui reprend les dispositions habituelles contenues dans le modèle d’accord aérien de l’Organisation de l’aviation civile internationale. Comme c’était le cas pour les accords présentés par Jean-Michel Clément, les conséquences de celui-ci en matière de transport aérien seront limitées, en tout cas dans un premier temps. Il s’agit avant tout d’un signal diplomatique envoyé aux autorités tadjikes.

Le Tadjikistan est coincé entre ses puissants voisins russe et chinois. Il est étroitement lié par le projet de nouvelle route de la soie, qui implique forcément une perte de souveraineté à long terme. La France a un intérêt majeur au renforcement de ses relations bilatérales avec ce pays.

Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés, dont fait partie Christian Hutin, soutiendra ce texte.

M. Jean-Michel Clément (LT). D’abord, j’approuve les propos liminaires de Christian Hutin, qui a apporté son soutien à l’administration de cette noble maison.

En ce qui concerne la situation au Tadjikistan, je suis préoccupé par l’instabilité du régime. Certes, des accords comme celui-ci sont utiles pour renforcer le cadre institutionnel, mais force est de reconnaître qu’il est difficile, notamment pour les entreprises, de s’installer et de travailler dans un pays comme celui-là. Certaines personnes ont dû quitter précipitamment le Tadjikistan en raison de la corruption et des menaces dont elles étaient la cible. Un membre de ma famille, qui dirigeait les recherches d’une compagnie pétrolière, a ainsi dû faire évacuer tout son personnel pour le protéger, et lui-même est parti dès qu’il l’a pu. Au-delà des accords de partenariat que l’on peut signer, certains groupes échappant au contrôle des autorités mènent des actions nocives.

Le Tadjikistan partage effectivement une frontière avec l’Afghanistan, ce qui pourrait être un facteur d’instabilité supplémentaire. L’économie est déjà fragile, la corruption très répandue et le système politique verrouillé : tout cela peut constituer un terreau favorable au développement de l’islam radical. La priorité doit être d’éviter cette contagion.

Cela dit, mon groupe approuve cet accord qui permettra de renforcer nos liens avec le Tadjikistan. L’enjeu dépasse largement la question économique : il y va de la sécurité et d’autres aspects politiques majeurs.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Sur le plan politique, il faut souligner le fait que les Tadjiks constituent la deuxième ethnie principale d’Afghanistan. À ce titre, tout ce qui concerne le Tadjikistan et ce groupe humain est fondamental. C’était la zone de repli du commandant Massoud ; désormais, c’est celle de son fils. Il s’agit donc d’un centre névralgique. L’intérêt de resserrer nos liens politiques avec le Tadjikistan à travers cet accord est donc indiscutable.

M. Christian Hutin, rapporteur. Effectivement, l’enjeu n’est pas d’aller faire du tourisme au Tadjikistan : le fait que le fils du commandant Massoud s’y réfugie, que ce pays abrite une forme de résistance aux talibans témoigne de son importance géopolitique.

Nous connaissons tous la passion de M. Cabaré pour les pays d’Asie centrale, qu’il connaît bien, comme en témoignent ses propos. Je salue également son humanisme.

Comme M. Petit, j’aime beaucoup la Pologne. On sait à quelles difficultés terribles ce pays a été confronté au cours de son histoire. Il est indispensable de connaître les pays étrangers, surtout quand ils ne sont pas très éloignés du nôtre, comme c’est le cas de la Pologne ou même de l’Ukraine. Il faut préserver la qualité des relations internationales, contrairement à ce qu’a fait quelqu’un comme Trump, qui avait trouvé le moyen de confondre l’Afghanistan et le Pakistan dans son premier discours. Merci, monsieur Petit, pour votre action en faveur de l’amitié franco-polonaise.

Merci pour vos propos, cher Alain David. Nous n’avons jamais été très éloignés politiquement. L’amitié entre la France et le Tadjikistan peut effectivement constituer un îlot précieux dans la région sur le plan géopolitique.

Monsieur Clément, le gouvernement actuel et ceux qui le suivront pourraient aller plus loin dans le domaine de la coopération militaire et policière. Le Tadjikistan n’est pas forcément le pays le plus parfait s’agissant de la corruption : nous pourrions lui donner un sérieux coup de main.

Je salue le président de notre commission, qui a été largement à la hauteur depuis qu’il a remplacé la défunte Marielle de Sarnez.

C’est le dernier rapport que je présente en tant que parlementaire. À titre de plaisanterie, je le dédie au président de l’Assemblée nationale, connu pour adorer les aéroplanes…

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Vous avez beaucoup disserté, mes chers collègues, sur les rapports entre l’histoire et la géographie. Lorsque j’étais lycéen, l’un de mes professeurs a donné la meilleure définition de l’histoire que j’aie jamais entendue : « L’histoire, c’est ce qui met la pagaille dans la géographie. »

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 


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ANNEXE  1
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires étrangères

 

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord de partenariat entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Tadjikistan sur les services aériens (ensemble une annexe), signé à Paris le 8 novembre 2019, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 4821)

 


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ANNEXE  2
les libertés de l’air

Source : OACI

 


([1])  Democracy Index 2020, The Economist Intelligence Unit, publié en 2021.

([2])  Autorisé depuis 2016 à briguer un nombre de mandats illimité grâce à une réforme constitutionnelle, il a été réélu pour la cinquième fois en 2020 avec 85,3 % des suffrages.

([3])  Organisation internationale regroupant la grande majorité des anciennes républiques soviétiques.

([4]) En 2016, la construction du barrage de Roghun a été lancée. Celui-ci doit permettre au Tadjikistan d’exporter de l’électricité vers le Pakistan et l’Afghanistan.

([5]) Les hôpitaux étaient auparavant déjà confrontés à une progression du SIDA, de la tuberculose et de la malnutrition.

([6]) Le bail a été renouvelé jusqu’en 2042.

([7]) En 2016, l’entreprise Auchan a ouvert le premier hypermarché d’Asie centrale à Douchanbé, en partenariat avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Parmi les autres entreprises présentes figurent Lafarge, Saint-Gobain, Itron France, Nutristar, Coyne & Bellier (Tractebel GDF-Suez) dans le domaine de l’hydroélectricité, ainsi que le cabinet d’audit et de conseil Mazars.

([8])  L’OACI, créée le 7 décembre 1944 par la Convention de Chicago, regroupe désormais 193 États. Elle établit les normes et les règles nécessaires à la sécurité, à la sûreté, à l’efficacité et à la régularité de l’aviation ainsi qu’à la protection de l’environnement.

([9]) Ces accords incluent la convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs du 14 septembre 1963 (dite « convention de Tokyo »), amendée par le « protocole de Montréal » du 14 avril 2014 ; la convention pour la répression de la capture illicite d’aéronef du 16 décembre 1970 (dite « convention de La Haye »), amendée par le protocole complémentaire du 10 septembre 2010 (dit « protocole de Pékin ») ; la convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale du 23 septembre 1971 (dite « convention de Montréal »), ou encore la convention sur le marquage des explosifs plastiques et en feuilles aux fins de détection du 1er mars 1991.

([10]) Seules les cinq premières bénéficient d’une reconnaissance internationale, les quatre autres pouvant faire l’objet d’accords particuliers.

([11]) Règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la négociation et la mise en œuvre d’accords relatifs à des services aériens entre les États membres et les pays tiers.

([12]) Ces deux compagnies tadjikes ne figurent pas sur la liste des compagnies aériennes interdites de vol dans l’Union européenne.

([13])  La France envisage d’inviter les autorités tadjikes en charge du tourisme dans les Alpes françaises pour qu’elles puissent rencontrer les professionnels français de la montagne.

 

([14]) Cette ligne indirecte Air France-KLM avec escale à Amsterdam (KLM opérant le vol Amsterdam-Douchanbé) a été prise en compte durant la négociation de l’accord.

([15]) Les deux principales compagnies tadjikes sont Somon Air (compagnie privée) et Tadjik Air (compagnie nationale publique). Celles-ci se concentrent sur les dessertes de la Russie, qui constituent en moyenne plus de 90 % du trafic annuel du Tadjikistan (396 000 passagers) et sur un petit nombre de liaisons avec des pays d’Asie centrale. Les autres marchés notables sont la Turquie (27 000 passagers), ainsi que l’Allemagne (15 000 passagers).