N° 5028

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire
en matière pénale entre le Gouvernement de la République française
et le Gouvernement de la République de Singapour,

PAR Mme Anne GENETET

Députée

——

ET

 

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

 

 

 Voir le numéro : 4425.

 


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SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

I. Signée malgré les différences entre nos systèmes juridiques, la convention s’inscrit dans un contexte de renforcement des relations entre la France et Singapour

A. Fondé sur la Common Law issue du droit anglais, le système juridique à Singapour est très différent du nôtre

1. Le droit singapourien est un droit de Common Law

2. La procédure pénale singapourienne comporte une phase d’enquête longue et complexe qui remplace la phase d’instruction

3. Singapour ne partage pas notre conception de l’État de droit et des droits humains

B. Nos relations avec Singapour, y compris les liens humains, se renforcent

1. Singapour est un de nos principaux partenaires dans l’Indopacifique

2. Malgré les effets de la pandémie, les liens humains se renforcent

II. L’entraide pénale est gênée par La complexité de la procédure pénale singapourienne

A. La France a signé des conventions d’entraide pénale avec de nombreux pays

B. La France et Singapour coopèrent déjà en matière d’Entraide pénale, en particulier dans des affaires de lutte contre la délinquance économique et financière

1. En l’absence de convention, les deux pays coopèrent au titre de la courtoisie internationale

2. La coopération porte en large partie sur des affaires relatives à des infractions économiques et financières

C. La nouvelle convention doit contribuer à lever les difficultés dans l’exécution des demandes d’entraide pénale émises par la France

1. L’exécution de nombreuses demandes est freinée par les exigences procédurales et le formalisme stricte des autorités singapouriennes

2. La nouvelle convention présente un intérêt politique et opérationnel

III. La convention permettra de mieux réprimer tous types d’infractions pénales, dont la délinquance économique et financière

A. La convention s’efforce d’élargir le champ de l’entraide

1. Le champ de la coopération est large mais exclut l’extradition

2. Les motifs de refus sont prévus comme des garanties, ce qui exclut le refus fondé sur la nature fiscale de l’infraction

B. Au plan procédural, la convention tente de fluidifier les échanges entre les parties

1. L’exécution des demandes devrait être accélérée

2. La liste des éléments à produire à l’appui des demandes d’entraide est importante mais exhaustive

3. Les conditions d’exécution des demandes d’entraide peuvent être discutées entre les parties

C. La convention fournit des standards communs pour une série de demandes d’entraide pénale entre les deux pays

D. La convention règle les modalités pratiques de la coopération

Examen en commission

Annexe 1 : Texte adopté par la commission

Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure

    

Introduction

I. Signée malgré les différences entre nos systèmes juridiques, la convention s’inscrit dans un contexte de renforcement des relations entre la France et Singapour

A. Fondé sur la Common Law issue du droit anglais, le système juridique à Singapour est très différent du nôtre

1. Le droit singapourien est un droit de Common Law

2. La procédure pénale singapourienne comporte une phase d’enquête longue et complexe qui remplace la phase d’instruction

3. Singapour ne partage pas notre conception de l’État de droit et des droits humains

B. Nos relations avec Singapour, y compris les liens humains, se renforcent

1. Singapour est un de nos principaux partenaires dans l’Indopacifique

2. Malgré les effets de la pandémie, les liens humains se renforcent

II. L’entraide pénale est gênée par La complexité de la procédure pénale singapourienne

A. La France a signé des conventions d’entraide pénale avec de nombreux pays

B. La France et Singapour coopèrent déjà en matière d’Entraide pénale, en particulier dans des affaires de lutte contre la délinquance économique et financière

1. En l’absence de convention, les deux pays coopèrent au titre de la courtoisie internationale

2. La coopération porte en large partie sur des affaires relatives à des infractions économiques et financières

C. La nouvelle convention doit contribuer à lever les difficultés dans l’exécution des demandes d’entraide pénale émises par la France

1. L’exécution de nombreuses demandes est freinée par les exigences procédurales et le formalisme stricte des autorités singapouriennes

2. La nouvelle convention présente un intérêt politique et opérationnel

III. La convention permettra de mieux réprimer tous types d’infractions pénales, dont la délinquance économique et financière

A. La convention s’efforce d’élargir le champ de l’entraide

1. Le champ de la coopération est large mais exclut l’extradition

2. Les motifs de refus sont prévus comme des garanties, ce qui exclut le refus fondé sur la nature fiscale de l’infraction

B. Au plan procédural, la convention tente de fluidifier les échanges entre les parties

1. L’exécution des demandes devrait être accélérée

2. La liste des éléments à produire à l’appui des demandes d’entraide est importante mais exhaustive

3. Les conditions d’exécution des demandes d’entraide peuvent être discutées entre les parties

C. La convention fournit des standards communs pour une série de demandes d’entraide pénale entre les deux pays

D. La convention règle les modalités pratiques de la coopération

Examen en commission

Annexe 1 : Texte adopté par la commission

Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées par la rapporteure


—  1  —

 

    

   Introduction

 

Singapour est un des principaux partenaires de la France dans l’espace indopacifique, y compris sur le plan des liens humains qui unissent nos deux pays. En forte croissance avant la pandémie, la communauté française de Singapour est la plus importante communauté française de l’Indopacifique regroupée sur un même espace urbain, ce qui explique en partie le dynamisme de la relation bilatérale.

Aucune convention d’entraide en matière pénale ne lie à ce jour la France à Singapour dont le système juridique, issu de la Common Law, s’oppose à notre tradition civiliste. De part et d’autre, la convention dont la ratification est proposée par le présent projet de loi répond aussi bien à un besoin politique, alors que nos deux pays sont déjà parties à des accords dans les domaines culturels, fiscaux et de défense, qu’à un besoin opérationnel, dans un contexte où le nombre de demandes d’entraide pénale adressées par la France à Singapour a augmenté ces dernières années.

L’enjeu est clair pour nos deux pays : il s’agit de mieux réprimer tous types d’infractions pénales, crimes et délits, et notamment la délinquance économique et financière qui caractérise une bonne partie des demandes d’entraide. La convention fixe un cadre juridique stable et reconnu par les deux parties qui permet de lever en partie les difficultés liées à la complexité de la procédure pénale singapourienne, qui gênait jusqu’à présent l’exécution des demandes d’entraide. Elle comprend en outre toutes les garanties habituelles qui permettront de coopérer dans ce domaine sans nous départir de nos valeurs.

La ratification de cette convention devrait être suivie de la signature d’une autre convention avec Singapour, celle-ci en matière d’extradition.


I.   Signée malgré les différences entre nos systèmes juridiques, la convention s’inscrit dans un contexte de renforcement des relations entre la France et Singapour

A.   Fondé sur la Common Law issue du droit anglais, le système juridique à Singapour est très différent du nôtre

1.   Le droit singapourien est un droit de Common Law

Inspiré de la tradition britannique, le droit singapourien est un droit de Common Law. L’ensemble du système judiciaire est en effet hérité de la colonisation anglaise de la fédération de Malaisie. Les sources du droit sont donc de trois ordres : la Constitution et ses principes, un corpus de 350 textes législatifs en vigueur, et la jurisprudence issue des jugements rendus par les tribunaux.

L’article 93 de la Constitution de Singapour prévoit deux sortes de tribunaux : la cour suprême (Supreme Court) et les juridictions subordonnées (Subordinate Courts).

Composée de 16 juges, la cour suprême comprend une « Court of Appeal » exclusivement compétente pour connaître des appels sur les décisions de juridictions inférieures, en matière civile et pénale, et une « High Court » qui a compétence, en matière pénale, pour juger les infractions passibles de la peine de mort ou d’une peine d’emprisonnement supérieure à 10 ans.

Il existe cinq sortes de juridictions subordonnées dont les « Magistrates’ Courts » et les « District Courts ». En matière pénale, les infractions punies d’une peine maximale de 5 ans d’emprisonnement relèvent de la compétence des « Magistrates’ Courts » et les infractions punies d’une peine d’emprisonnement allant de 5 à 10 ans relèvent des « District Courts ».  

2.   La procédure pénale singapourienne comporte une phase d’enquête longue et complexe qui remplace la phase d’instruction

La procédure pénale à Singapour se caractérise par d’importantes différences avec la France. Dans les pays de Common Law, l’exécution des demandes portant sur des actes d’enquête nécessitant coercition comporte généralement une phase procédurale au cours de laquelle doit être sollicitée, devant une juridiction, une autorisation d’utiliser ces moyens coercitifs, avec un contrôle très strict de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure. La phase d’instruction n’existant pas, il est par ailleurs souvent difficile pour les autorités judiciaires de concevoir qu’un juge en charge de la conduite des investigations puisse avoir de telles prérogatives. Enfin, la procédure singapourienne ne connaît pas le jury populaire et la grande majorité des affaires est jugée à juge unique.

3.   Singapour ne partage pas notre conception de l’État de droit et des droits humains

L’État de droit s’entend d’abord à Singapour comme l’existence d’un appareil législatif et judiciaire efficace. Il s’accompagne de pouvoirs exorbitants confiés au gouvernement. L’exécutif peut par exemple décider l’emprisonnement sans jugement, pour une durée de deux ans renouvelable indéfiniment, de tout individu au nom de la sécurité nationale. Cette disposition a surtout été utilisée ces vingt dernières années à l’encontre d’islamistes présumés soupçonnés de préparer des attaques violentes.

En outre, Singapour ne partage pas la vision universaliste des droits de l’Homme et les pensent d’abord en termes de protection et d’inclusivité plutôt que de droits à proprement parler. Dans un pays marqué par une pluralité ethnique présentée comme un facteur de déstabilisation potentielle, la stabilité et l’harmonie des rapports intercommunautaires tendent à l’emporter sur les droits individuels et politiques. De nombreuses restrictions aux libertés d’expression et de réunion existent. La pénalisation de la sodomie, bien que non appliquée, est maintenue au nom du respect des sensibilités religieuses. Il existe aussi une population de travailleurs migrants, employés dans l’industrie et le bâtiment ou comme domestiques, dont les droits politiques et sociaux sont inexistants.

Singapour applique toujours la peine de mort, en vigueur pour les meurtres et la possession de drogue en grande quantité. Outre la peine de mort, les autorités singapouriennes font usage de châtiments corporels (essentiellement la pratique des coups de canne ou caning), obligatoires pour de nombreux crimes dont la détention et le trafic de drogue ainsi que les crimes violents (vol à main armée par exemple).

B.   Nos relations avec Singapour, y compris les liens humains, se renforcent

1.   Singapour est un de nos principaux partenaires dans l’Indopacifique

Outre son intérêt opérationnel sur lequel nous reviendrons, la signature d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale avec Singapour s’inscrit dans le contexte d’une volonté politique de renforcer les liens avec un partenaire essentiel dans le cadre du réengagement indopacifique de la France.

Singapour est un point d’appui important pour la stratégie indopacifique de la France compte tenu de son statut de plaque tournante économique, commerciale et régionale et de son engagement en faveur du multilatéralisme. Élevée au niveau d’un partenariat stratégique en 2012, la relation bilatérale entre la France et Singapour se décline aujourd’hui dans plusieurs domaines :

● La défense et la sécurité. La France accueille sur la base aérienne 120 de Cazaux (Gironde) un escadron d’entraînement de l’armée de l’air singapourienne et, en sens inverse, des bâtiments de la marine nationale font régulièrement escale à Singapour. Profonde, la coopération avec Singapour s’étend par ailleurs à des domaines sensibles, de l’innovation de défense aux enjeux de cyberdéfense.

● Économique. Les échanges avec Singapour se sont élevés en 2020 à 19,2 milliards d’euros, un montant en baisse de 24,7 % par rapport à 2019 compte tenu du ralentissement du commerce international depuis le début de la pandémie. Singapour est ainsi notre 16ème partenaire commercial à l’échelle mondiale et notre 2e partenaire en Asie. L’île-État concentre cependant les deux tiers de nos investissements dans la zone, ce qui en fait la première destination des investissements français en Asie du Sud-Est. Environ 750 entreprises françaises y sont présentes, le plus souvent au travers de leur siège régional.

● Multilatéralisme. Singapour est membre de l’Alliance pour le multilatéralisme et a soutenu de nombreuses initiatives françaises et européennes comme ACT-A en matière de santé, le Partenariat mondial pour l’intelligence artificielle ou encore l’Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace.

2.   Malgré les effets de la pandémie, les liens humains se renforcent

Avec 12 776 Français inscrits au Registre des Français établis hors de France en décembre 2021, la communauté française de Singapour est la plus importante communauté française de l’espace indopacifique regroupée sur un même espace urbain, ce qui explique en partie le dynamisme de la relation bilatérale. Après avoir triplé en dix ans, la communauté française de Singapour a enregistré un recul de 12,5 % depuis décembre 2019 du fait de la crise économique générée par la pandémie. Près de la moitié de cette population française a moins de 25 ans. S’agissant des échanges touristiques, environ 210 000 visiteurs résidents en France se sont rendus à Singapour en 2019, contre seulement 4 200 en 2021 en raison de la fermeture des frontières.

Évolution de la communauté française de Singapour entre 2016 et 2021

 

Source : MEAE.

Dans l’autre sens, la communauté singapourienne résidente en France représente autour de 1 000 personnes, dont 300 sur la base aérienne 120 de Cazaux.

II.   L’entraide pénale est gênée par La complexité de la procédure pénale singapourienne

A.   La France a signé des conventions d’entraide pénale avec de nombreux pays

Au sein du ministère de la Justice, le service responsable de la négociation des conventions en matière pénale est le bureau de la négociation pénale européenne et internationale à la direction des affaires criminelles et des grâces dont votre rapporteure a pu constater la haute technicité juridique des personnels.  

Comme l’explique Thomas Grégoire, chef du bureau de la négociation pénale européenne et internationale, il est nécessaire de distinguer deux types de négociations principales s’agissant de la coopération judiciaire en matière pénale :

● l’entraide judiciaire, dans le cadre de laquelle deux pays s’engagent à s’entraider réciproquement dans la conduite d’une enquête judiciaire, lorsque des éléments de preuve se trouvent dans l’autre État ;

● l’extradition, dans le cadre de laquelle les deux parties s’engagent à se livrer réciproquement les personnes qui sont poursuivies ou condamnées par leurs autorités judiciaires respectives.

Si ces deux formes de coopération poursuivent le même objectif – éviter que l’extranéité soit un obstacle à la lutte contre l’impunité –, l’extradition présente un risque beaucoup plus immédiat pour la protection du droit des personnes qui s’apprêtent à être jugées ou emprisonnées alors que, dans le cadre de l’entraide, l’identification d’un suspect peut n’être qu’une perspective encore lointaine. D’après Thomas Grégoire, ceci a une conséquence directe : en matière d’entraide judiciaire, le degré de précision des garanties est un peu moindre que pour les conventions d’extradition « car une perquisition, si elle est attentatoire aux droits de la personne, n’a pas les mêmes conséquences que la remise d’une personne pour que celle-ci aille en prison ».

Grâce à ces garanties, la France a un nombre très important de conventions d’entraide avec des pays dont tous ne sont pas des modèles de démocratie. En Asie, la France a signé des conventions d’entraide judiciaire en matière pénale avec le Laos (en 1956), la Corée du Sud (en 1995), Hong-Kong (en 1997), la Thaïlande (en 1997) et le Vietnam (en 2016). De son côté, Singapour a conclu des traités bilatéraux d’entraide judiciaire avec les États-Unis (en 2000), Hong-Kong (2003), l’Inde (2005) ainsi qu’avec les pays membres de l’ASEAN (2004). Les pays avec lesquels Singapour a signé une convention dans ce domaine sont tous de Common Law.

B.   La France et Singapour coopèrent déjà en matière d’Entraide pénale, en particulier dans des affaires de lutte contre la délinquance économique et financière

1.   En l’absence de convention, les deux pays coopèrent au titre de la courtoisie internationale

Comme le relève l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, à l’heure actuelle, « l’entraide judiciaire en matière pénale s’effectue, au titre de la courtoisie internationale, au cas par cas, selon le principe de réciprocité. En application de ce principe, même en l’absence de convention bilatérale, la coopération est possible dès lors que la partie requérante est en mesure, si elle était requise d’une demande similaire, de répondre favorablement à la demande. »

Le flux d’entraide entre la France et Singapour présente un fort déséquilibre. La France a délivré en tout 103 demandes aux autorités singapouriennes depuis 2010 dont 60 commissions rogatoires internationales, 23 demandes d’entraide pénale internationale, 19 transmissions d’actes judiciaires et 1 dénonciation officielle. Pour sa part, Singapour n’a délivré que 3 commissions rogatoires internationales sur la même période, dont une au cours de l’année 2021.

2.   La coopération porte en large partie sur des affaires relatives à des infractions économiques et financières

Selon l’étude d’impact, « les années 2014 et 2015 ont été particulièrement marquées par une forte croissance des demandes françaises adressées aux autorités de Singapour, dans des dossiers économiques et financiers sensibles. » Si la criminalité à Singapour ne doit pas être réduite à la délinquance économique et financière, force est de reconnaître que Singapour apparaît de façon croissante comme un lieu de destination ou de transit de fonds ayant une origine illicite.

En conséquence, les demandes d’entraide entre les deux pays relèvent pour l’essentiel de la délinquance économique et financière de haut niveau. Elles portent pour l’immense majorité sur des faits d’escroquerie, de blanchiment, la plupart du temps commis en bande organisée, d’association de malfaiteurs, mais aussi d’abus de biens sociaux, de fraude fiscale, de recel, de faux et d’usage de faux. Plus récemment, des demandes d’entraide émises par les autorités françaises portaient sur des atteintes à un système de traitement automatisé de données (STAD). Dans ce contexte, les demandes d’entraide adressées aux autorités singapouriennes visent dans la majorité des cas à obtenir des informations relatives aux comptes abritant des fonds suspectés d’avoir une origine illicite et aux sommes figurant à leur crédit.


 

Exemples d’affaires économiques et financières ayant fait l’objet
d’une demande d’entraide pénale entre la France et Singapour

 

 

 

 

 

Source : réponses écrites de l’administration.

C.   La nouvelle convention doit contribuer à lever les difficultés dans l’exécution des demandes d’entraide pénale émises par la France

1.   L’exécution de nombreuses demandes est freinée par les exigences procédurales et le formalisme stricte des autorités singapouriennes

La volonté de Singapour de coopérer avec la France ne peut pas être mise en doute. S’agissant de l’entraide dans les affaires de délinquance économique et financière, qui constituent la plupart des demandes émises par la France, il convient de relever que les autorités singapouriennes ont procédé à d’importantes saisies pour le compte des autorités françaises depuis 2017 et qu’elles multiplient les échanges avec le Parquet national financier (PNF) au sujet de l’évolution de plusieurs demandes d’entraide en cours de traitement.

Malgré tout, l’exécution des demandes d’entraide, en hausse ces dernières années, n’est pas totalement satisfaisante pour la partie française. Comme le relève l’étude d’impact, « ces demandes se sont heurtées à d’importantes difficultés en partie liées aux exigences procédurales et de formalisme très stricte des autorités singapouriennes. » Actuellement, les autorités singapouriennes sollicitent fréquemment des renseignements complémentaires ou des précisions sur les demandes d’entraide qui leur sont adressées par les juridictions françaises. « Par exemple, une perquisition à Singapour est très difficile à obtenir et implique de motiver très précisément la demande, avec un exposé des faits très complet, des éléments sur la nécessité de la perquisition pour l’enquête française, l’indication du lieu à perquisitionner et les éléments de preuve qui y seront présents. Toute demande nécessite également de nombreux certificats signés par diverses autorités visant à justifier que l’auteur de la demande a qualité pour faire la demande, ou que la demande est liée à une affaire pénale. »

Ainsi, bien que les autorités singapouriennes aient transmis des pièces d’exécution partielles dans plusieurs demandes d’entraide émises par la France, de nombreux dossiers sont toujours en cours d’exécution. Sur les 60 commissions rogatoires internationales émises par la France depuis 2010, 47 sont toujours en cours d’exécution. Par ailleurs, 21 demandes d’entraide pénale internationale sur les 23 demandes émises par la France depuis 2010 sont toujours en cours. Le nombre de demandes qui sont toujours en cours d’exécution s’explique tant par les renseignements complémentaires demandés par Singapour que par la complexité de ces affaires et la nature des actes sollicités par les autorités françaises.

2.   La nouvelle convention présente un intérêt politique et opérationnel

La signature d’une nouvelle convention d’entraide pénale répond d’abord à une volonté politique d’approfondir la relation entre la France et Singapour. Comme l’explique l’exposé des motifs, « la France et Singapour sont liés par différentes conventions bilatérales en matières culturelle, fiscale, et de défense notamment, mais jusqu’ici aucune convention d’entraide judiciaire pénale ne liait les deux pays » ([1]). Pour Singapour en particulier, la conclusion de cette convention peut être perçue comme une preuve de confiance à l’égard de notre pays. Comme l’a exprimé le ministre des affaires intérieures et du droit de la République de Singapour, K. Shanmugan, à l’occasion de la cérémonie de signature de la convention le 22 juillet 2020, « il s’agit du premier traité d’entraide judiciaire signé [par Singapour] depuis 2005 – soit depuis 15 ans » ([2]) et « le premier traité bilatéral d’entraide judiciaire signé avec un pays ayant un système de droit civil » ([3]).

Évidemment, la nouvelle convention obéit aussi à des considérations opérationnelles. La convention annonce, dans son préambule, que la France et Singapour sont « désireux d’établir une coopération plus efficace entre les deux pays dans le domaine de la prévention et de la répression de la criminalité ». Comme l’a confirmé à votre rapporteure Mme Milca Michel-Gabriel, magistrate au service des conventions, des affaires civiles et de l’entraide judiciaire du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, pour la partie française, il s’agissait d’une priorité compte tenu de la « forte hausse des demandes judiciaires actives [de la France vers Singapour] » et, simultanément, « des difficultés d’exécution liées à la procédure pénale extrêmement complexe de Singapour ».

Or, la logique de réciprocité sur laquelle repose la coopération actuellement est moins certaine et moins stable que la conclusion d’un accord. Elle est soumise au bon vouloir des deux parties, qui ne sont pas juridiquement engagées l’une envers l’autre, et ne repose pas sur une procédure transparente pourtant nécessaire lorsque les systèmes juridiques des deux parties sont très différents. Pour lever ces limites à la coopération, il est apparu nécessaire de conclure une convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Singapour. D’après l’étude d’impact, « l’objectif principal de la délégation française était de dépasser le cadre particulièrement strict et formaliste de la loi singapourienne en matière d’entraide afin d’aboutir à l’élaboration d’un instrument à la fois compatible avec la procédure pénale française et efficace pour les praticiens dans son champ d’application afin notamment de couvrir la coopération en matière fiscale. »

III.   La convention permettra de mieux réprimer tous types d’infractions pénales, dont la délinquance économique et financière

En réponse à une demande française en date de juillet 2016, les autorités singapouriennes ont répondu être favorables à l’ouverture de négociations en matière d’entraide pénale en juillet 2018. Malgré d’importantes différences entre les systèmes juridiques, qui rendait difficile d’aboutir à des formulations communes acceptables pour les deux pays, il n’aura fallu que trois tours de négociations pour aboutir à la convention dont la signature est intervenue le 22 juillet 2020.

Comme le relève Thomas Grégoire, les stipulations de la convention d’entraide sont inspirées des mécanismes de coopération qui prévalent déjà au sein de l’Union européenne et dans le cadre du Conseil de l’Europe. Si certaines dispositions s’en éloignent parfois, ces écarts sont justifiés par la nécessité de « trouver un terrain d’entente entre des systèmes juridiques très différents » et de « lever un peu de la rigidité de la procédure pénale singapourienne ».

A.   La convention s’efforce d’élargir le champ de l’entraide

1.   Le champ de la coopération est large mais exclut l’extradition

L’article 1er de la convention définit le champ de l’entraide. Il énonce l’engagement de principe des parties à s’accorder « l’entraide judiciaire la plus large possible » en ce qui concerne les enquêtes et les procédures relatives à des infractions pénales. L’entraide inclut notamment la localisation ou l’identification de personnes, la perquisition, la saisie ou encore la communication de documents publics et officiels. Elle est également accordée dans des procédures pénales particulières pouvant engager la responsabilité d’une personne morale.

De façon classique, sont exclus du champ de la convention l’exécution des condamnations pénales, les infractions pénales strictement militaires, le transfert de procédures pénales et l’exécution des décisions d’arrestation et d’extradition.

En 2016, la France avait initialement fait part aux autorités singapouriennes du souhait de conclure deux conventions, l’une en matière d’entraide, l’autre en matière d’extradition. Le droit singapourien interdit en effet toute extradition, même fondée sur la courtoisie internationale, en l’absence de convention d’extradition, ce qui est susceptible de créer une situation d’impunité si, par exemple, une personne recherchée par la France trouvait refuge à Singapour. Les autorités singapouriennes ont cependant manifesté la volonté de procéder par étape, en commençant par l’entraide, dont les enjeux en termes de standards relatifs aux droits des personnes sont moins immédiats qu’en matière de remise des personnes. Au cours des discussions, les négociateurs singapouriens ont donné leur accord pour engager des négociations sur l’extradition, une fois le processus terminé en matière d’entraide. La convention d’entraide ayant été signée et le processus d’approbation étant engagé, des discussions liminaires ont pu commencer en matière d’extradition.

2.   Les motifs de refus sont prévus comme des garanties, ce qui exclut le refus fondé sur la nature fiscale de l’infraction

L’article 2 traite des restrictions qui peuvent être apportées à l’entraide. De manière classique et évidemment bienvenue, la convention prévoit que la partie requise refuse l’entraide si la demande concerne une infraction de nature politique ou si elle estime que l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d’autres de ses intérêts essentiels. En outre, l’entraide est refusée s’il existe des motifs sérieux de croire que la demande a été présentée pour des considérations de nature discriminatoire comme la religion, l’origine ethnique, les opinions politiques ou encore la nationalité. Sont également refusées les demandes pour lesquels les faits à l’origine de la requête ne constituent pas une infraction pénale au regard de la législation de la partie requise. Comme l’explique Thomas Grégoire, de même que les parties ont l’obligation d’appliquer l’engagement à s’entraider, les parties doivent aussi appliquer les motifs de refus obligatoires contenus dans la convention.

En même temps, il est important d’éviter que les parties limitent la portée de la convention en invoquant des motifs de refus discrétionnaires. Il fut notamment un temps où plusieurs pays avec lesquels la France avait conclu une convention d’entraide pénale opposaient des refus compte tenu de la nature fiscale ou financière de l’infraction. Pour cette raison, le texte précise que l’entraide judiciaire ne peut être rejetée au seul motif que la demande se rapporte à une infraction que la partie requise qualifie d’infraction fiscale ou lorsque la partie requise dispose d’une législation fiscale différente de celle de la partie requérante. De même, de manière notable, le secret bancaire ne peut être invoqué comme motif de refus.

B.   Au plan procédural, la convention tente de fluidifier les échanges entre les parties

1.   L’exécution des demandes devrait être accélérée

L’article 3 arrête le mode de transmission des demandes. Les deux parties désignent la ou les autorités compétentes pour émettre, transmettre et recevoir les demandes. Pour la France, il s’agit des autorités judiciaires pour les émettre et du ministère de la Justice, et plus particulièrement du bureau de l’entraide pénale internationale de la direction des affaires criminelles et des grâces, pour transmettre et recevoir les demandes. En l’absence d’un magistrat de liaison à Singapour ([4]), le travail d’appui à l’exécution des demandes d’entraide française peut parfois être réalisé par l’attaché de sécurité intérieure en poste à Singapour.

La convention pose une exigence de célérité dans l’exécution des demandes. L’article 3 de la convention prévoit que la partie requise exécute rapidement les demandes transmises par la partie requérante. En cas d’urgence, une demande peut être adressée par tout moyen permettant d’en obtenir une trace écrite et peut, dans l’attente d’une demande formelle, ne pas comporter tous les éléments attendus.

2.   La liste des éléments à produire à l’appui des demandes d’entraide est importante mais exhaustive

L’article 4 liste les informations qui doivent accompagner les demandes d’entraide. Elles incluent l’autorité dont émane la demande, l’objet et le motif de la demande, la nature de l’entraide demandée, une description de la nature de l’affaire pénale, une description de l’infraction, les textes applicables définissant et réprimant l’infraction, les délais dans lesquels la partie requérante souhaite que la demande soit traitée ou encore toute information de nature à faciliter l’exécution de la demande. Cet article est particulièrement détaillé du fait de la complexité de la procédure pénale singapourienne. Mais, ainsi que le précise l’étude d’impact, il permet tout de même « de simplifier d’autres dispositions qui étaient initialement très complexes dans la contre-proposition singapourienne » et « permettra d’attirer l’attention des praticiens français sur les exigences particulières liées aux spécificités du droit singapourien ».

3.   Les conditions d’exécution des demandes d’entraide peuvent être discutées entre les parties

L’article 5 fixe les conditions d’exécution des demandes d’entraide. De façon classique, celles-ci sont exécutées en accord avec la législation de la partie requise. La partie requérante peut cependant demander l’application de formalités et de procédures particulières – par exemple des auditions sous serment – et préciser le délai souhaité pour l’exécution de la demande d’entraide. L’article 6 traite des demandes complémentaires d’entraide judiciaire.

C.   La convention fournit des standards communs pour une série de demandes d’entraide pénale entre les deux pays

Les articles suivants de la convention définissent un cadre reconnu par les deux parties pour la mise en œuvre de différentes formes de demandes d’entraide :

● L’article 7 concerne la localisation ou l’identification de personnes ;

● L’article 8 traite de la demande d’obtention de preuves ;

● Les articles 9, 10 et 11 concernent les demandes d’entraide afin de solliciter la comparution volontaire d’une personne se trouvant sur le territoire de l’autre partie. En cas d’impossibilité pour une personne de se rendre sur le territoire de la partie requérante pour témoigner, le témoignage peut se faire par vidéoconférence. Lorsque la personne concernée peut témoigner physiquement, elle se voit délivrer un sauf-conduit et bénéficie d’un régime d’immunité particulier.

● L’article 12 prévoit que les parties se prêtent une assistance mutuelle pour l’identification et la confiscation des produits et instruments d’infractions qui se trouveraient sur le territoire de l’autre partie.

● L’article 13 traite des mesures de perquisition, de saisie et de remise de toute pièce ou objet en lien avec une affaire pénale.

L’article 14 est consacré à la signification d’actes de procédure, autrement dit des formalités à accomplir par la personne dont la comparution est demandée.

● L’article 15 prévoit que chacune des parties peut informer l’autre de faits susceptibles de constituer une infraction pénale relevant de la compétence de cette dernière afin que des poursuites pénales puissent être diligentées sur son territoire.

● En vertu de l’article 16, la Partie requérante peut demander à ce que lui soient communiquées les copies de documents ou dossiers accessibles au public mais également les copies de tous les documents ou dossiers non accessibles au public dont disposent des services et des organismes gouvernementaux, comme des extraits de casier. L’article 17 prévoit que les documents ou pièces transmis au titre de la présente convention sont en principe dispensés d’authentification.

L’article 18 encadre l’entraide entre les deux parties en rappelant, conformément aux principes de confidentialité et de spécialité, que la partie ne peut divulguer ou utiliser une information ou un élément de preuve fourni et obtenu à des fins autres que celles qui auront été stipulées dans la demande, sans l’accord préalable écrit de la partie requise, ce qui représente une garantie importante.

Comme l’explique l’étude d’impact, l’ensemble de ces dispositions permettra de « renforcer les capacités communes des deux pays à lutter contre les opérations de blanchiment d’argent ». La convention instaure des possibilités très larges d’obtention d’information en matière bancaire, permet de réaliser des auditions de témoins ou d’experts par visioconférence et assure de larges possibilités en matière de gel des avoirs, d’identification et de confiscation des produits et des instruments des infractions. « La convention ne prévoit en revanche pas le recours aux techniques spéciales d’enquête (infiltrations, livraisons surveillées), le droit singapourien s’opposant à ce que ce type de technique soit réalisé dans le cadre de l’entraide judiciaire en matière pénale ».

D.   La convention règle les modalités pratiques de la coopération

De façon désormais classique dans les conventions internationales signées par la France, l’article 19 de la présente convention institue des garanties pour la protection des données communiquées ou obtenues en exécution de ses stipulations. Il prévoit notamment que ces données peuvent uniquement être utilisées par la partie à laquelle elles ont été transmises aux fins demandées et que chaque partie prend les précautions nécessaires pour préserver la sécurité des données transmises.

L’article 20 règle la question de la traduction des demandes et des documents qui l’accompagnent dans une langue officielle acceptée par la partie requise.

L’article 21 prévoit que l’ensemble des coûts ordinaires liés à l’exécution des demandes d’entraide est pris en charge par la partie requise.

Enfin, les articles 22 à 25 règlent de façon classique les conditions de consultations, de règlement des différends, de modifications, d’entrée en vigueur et de dénonciation de la convention. Celle-ci a pour spécificité d’être la première convention signée par visioconférence, signe d’une volonté politique que la pandémie ne soit pas une entrave à la coopération. Votre rapporteure sait que Singapour attend avec une certaine impatience l’achèvement par la France de ses procédures internes de ratification. Du côté singapourien, la procédure est une simple ratification et pourra être finalisée très rapidement.


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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 9 février 2022 après-midi, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame Anne Genetet, nous vous écouterons avec beaucoup d’attention car vous êtes élue des Français établis à Singapour mais également résidente singapourienne depuis de longues années.

Le contenu de la convention d’entraide est relativement classique. La commission a déjà examiné des conventions sur le même sujet mais la nouveauté tient à la nouvelle phase de coopération que nous engagerons avec Singapour, dont le système judiciaire diffère profondément du nôtre. Les diplomates et les magistrats de nos deux pays ont pourtant trouvé rapidement un terrain d’entente pour élaborer cette convention.

Mme la rapporteure nous expliquera ce contexte et la portée de la convention.

Mme Anne Genetet, rapporteure. Les conventions d’entraide pénale sont des accords assez classiques par lesquels deux pays s’engagent à s’entraider dans la conduite d’enquêtes judiciaires lorsque des éléments de preuve se trouvent dans l’autre pays. Cette entraide peut inclure la localisation de personnes, la perquisition, la saisie ou la communication de documents officiels.

Il ne faut pas confondre les accords d’entraide judiciaire avec les accords d’extradition qui concernent la remise de personnes poursuivies ou condamnées. Les accords d’extradition présentent des risques bien plus immédiats pour le droit des personnes.

La France a déjà signé des accords d’entraide pénale avec de nombreux pays en Asie dont le Laos, la Corée du sud, la Thaïlande ou le Vietnam. Le contenu de ces accords est, dans l’ensemble, assez standardisé.

Cette convention présente une spécificité : elle a vocation à nous lier avec un pays, Singapour, dont le système juridique est très différent du nôtre, puisqu’il découle de la Common law alors que nous sommes gouvernés par le droit civil. De ce fait, la procédure pénale est plus longue et complexe à Singapour, au stade de l’enquête judiciaire.

D’autre part, Singapour est l’un de nos principaux partenaires dans l’espace Indopacifique. Nous avons tissé des liens étroits. La communauté française de Singapour, à laquelle j’appartiens, est la plus importante de l’Indopacifique regroupée dans un même espace urbain. Nous sommes officiellement 14 000 mais sans doute beaucoup plus en réalité – 20 000 ou 25 000. À titre de comparaison, environ 25 000 Français sont répartis dans toute la Chine et autant le sont en Australie. Cela explique en partie le dynamisme de la relation bilatérale.

Nous avons conclu avec Singapour des accords dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de la défense, de la fiscalité ou de la culture mais nous ne sommes liés par aucune convention en matière pénale.

Même en l’absence de convention, nos deux pays s’entraident déjà sur le fondement de la réciprocité et de la courtoisie internationale. La France a saisi Singapour de 103 demandes d’entraide pénale depuis 2010. La plupart de ces demandes concernent des affaires de délinquance économique et financière. N’allez pas en conclure que Singapour est gangrenée par la délinquance financière ! La communauté française ne se résume pas à des délinquants financiers. Je signale au passage que le lycée français de Singapour accueille près de 3 000 élèves et a vocation à se développer encore davantage pour recevoir 4 000 élèves. C’est dire la bonne santé de notre relation !

L’entraide avec Singapour a récemment permis de saisir plus de 10 millions de dollars provenant de l’activité d’un réseau organisé spécialisé dans l’escroquerie aux quotas carbone.

La France souhaite encadrer plus sûrement l’entraide pénale avec Singapour pour deux raisons. Tout d’abord, les demandes adressées par la France à Singapour ont augmenté depuis sept ou huit ans et Singapour se montre beaucoup plus coopérant. Ensuite, ces demandes d’entraide se heurtent à des difficultés d’exécution qui ne sont pas liées au manque de bonne volonté des autorités singapouriennes mais à la complexité de la procédure pénale de ce pays, qui oblige les praticiens français à formuler de nombreuses demandes complémentaires.

Voici un extrait de l’étude d’impact qui traite du cas des perquisitions : « Une perquisition est très difficile à obtenir et implique de motiver très précisément la demande, avec un exposé des faits très complet, des éléments sur la nécessité de la perquisition pour l’enquête française, l’indication du lieu à perquisitionner et les éléments de preuve qui y seront présents. Toute demande nécessite également de nombreux certificats signés par diverses autorités visant à justifier que l’auteur de la demande a qualité pour faire la demande ou que la demande est liée à une affaire pénale. »

Sur les 103 demandes judiciaires que nous avons présentées à Singapour depuis 2010, plus de la moitié sont toujours en cours d’exécution.

La convention n’a pas seulement pour objet de lever ces difficultés d’exécution, elle a aussi un intérêt politique. Pour Singapour, la convention présente en réalité un faible intérêt opérationnel puisque, depuis 2010, Singapour n’a saisi la France que de trois demandes d’entraide.

En revanche, pour Singapour, la dimension politique de cet accord est importante puisque la France serait le premier pays de droit civil avec lequel Singapour conclurait une convention d’entraide pénale. Elle n’en avait conclu jusqu’à présent qu’avec des pays de la common law, ce qui témoigne de la proximité entre nos deux pays.

Alors que nos systèmes juridiques sont différents et que nous aurions pu nous attendre à de longues discussions avant de parvenir à une rédaction commune, il n’aura fallu que trois tours de négociation pour conclure cette convention.

Nous devons ce résultat à la grande compétence des négociateurs français du bureau de la négociation pénale européenne et internationale du ministère de la justice, ainsi qu’à celle des négociateurs singapouriens.

Que devons-nous attendre de cette nouvelle convention ? L’enjeu est clair : mieux réprimer toutes les infractions pénales pour faire reculer l’impunité.

Certes, il s’agira de s’attaquer plus fermement à la délinquance économique et financière mais cette convention a vocation à s’appliquer à tous les crimes et délits, y compris les homicides ou la pédophilie. Les faits de visionnage de vidéos pédopornographiques, où l’on peut assister au viol d’enfants d’Asie du sud-est, ont explosé durant le confinement. On en déplore des dizaines de milliers chaque année. Les personnels du bureau du ministère de l’intérieur chargé des enquêtes manquent cruellement de moyens contrairement à leurs homologues allemands ou britanniques.

Cette convention élargit le champ de l’entraide. Nos deux pays s’engagent, à l’article 1er, à s’accorder l’entraide judiciaire la plus large possible. L’extradition est exclue du dispositif. Les autorités singapouriennes ont indiqué vouloir procéder par étape, en commençant par l’entraide judiciaire qui pose moins de questions au regard du droit des personnes.

La convention prévoit également une série de motifs qui permettent de refuser l’entraide. Ce sera ainsi le cas lorsque la demande concernera une infraction de nature politique. Ces clauses sont classiques mais indispensables pour rester fidèles à notre conception de l’État de droit et des droits humains.

Tous les motifs de refus ne sont toutefois pas justifiés et il convenait également d’écarter ceux qui pouvaient limiter indûment la portée de la convention. Il est ainsi prévu qu’aucune partie ne peut invoquer la nature fiscale d’une infraction ou l’obstacle du secret bancaire pour refuser une demande d’entraide.

D’autre part, la convention permettra de fluidifier les interactions. Les autorités compétentes sont ainsi clairement identifiées. Au passage, nous ne disposons pas de magistrat de liaison à Singapour. Pour créer ce poste, il faudrait prévoir les crédits nécessaires dans le budget du ministère de la justice.

L’article 4 dresse la liste de tous les documents qu’il faudra produire à l’appui d’une demande d’entraide. La longueur de cette liste reflète la complexité de la procédure pénale singapourienne mais elle est simplifiée par rapport à ce que demande habituellement Singapour. Surtout, elle est exhaustive, ce qui évitera aux praticiens français de devoir présenter de trop nombreuses demandes complémentaires qui ralentissent le processus.

La convention prévoit également des standards partagés pour chaque type de demande d’entraide : localisation d’une personne, comparution, perquisition ou confiscation des produits d’une infraction. Ces référentiels communs sont évidemment très utiles pour les praticiens.

Enfin, cette convention intègre les règles les plus modernes en matière d’entraide. Elle ouvre ainsi la possibilité d’auditionner des témoins ou des experts par visioconférence lorsque la comparution en personne est compliquée. Elle sanctuarise également le socle de protection des données personnelles tel qu’il s’impose à nous dans le règlement européen sur la protection des données (RGPD). Notons que Singapour réfléchit à la rédaction d’un règlement qui s’inspire de notre RGPD, ce qui témoigne de l’influence mondiale de cette norme.

Cette convention est la première à être signée par visioconférence, signe que la pandémie ne doit pas entraver la coopération.

Je vous invite à présent à autoriser la ratification de cette convention que Singapour attend avant d’engager la sienne, selon une procédure beaucoup plus simple. Nous pourrons ainsi avancer plus rapidement sur la conclusion d’une convention d’extradition dont les discussions ont déjà commencé.

M. Pierre Cabaré (LaREM). Fermons les yeux un instant et voyons en rêve l’Eastern and Oriental Express quittant la cité-État de Singapour pour rejoindre Bangkok via Kuala Lumpur… Revenons maintenant à la réalité, évoquée par Mme la rapporteure dans sa présentation et son rapport très complet, celle de la complexité de la procédure pénale et de la gravité des infractions commises.

Vous l’avez souligné, nos rapports avec Singapour sont très divers. Cette cité-État est notre deuxième client en Asie, derrière la Chine et devant le Japon. Elle attire 62 % des investissements français en Asie. Quelque 750 entreprises françaises y sont présentes, dans des secteurs variés : services aux entreprises, habitat, loisirs, culture, agroalimentaire, nouvelles technologies.

J’avais noté que la communauté française à Singapour comptait 12 000 personnes. Ce chiffre est-il en recul ?

La présente convention d’entraide judiciaire en matière pénale complétera utilement les différents accords conclus avec Singapour, notamment en matière de défense, dans le domaine fiscal et dans le champ culturel. C’est un nouvel outil qui contribuera aux efforts que nous fournissons pour développer la coopération judiciaire internationale, indispensable pour réprimer différentes infractions – vous avez notamment évoqué des faits épouvantables de pédophilie. Le but est d’améliorer encore et toujours la lutte contre une délinquance qui se diversifie et ne connaît pas de frontières, ni d’ailleurs de limites. Tel est le cas notamment, mais pas seulement, de la délinquance économique et financière.

Des négociations viennent de s’ouvrir pour mettre sur les rails un accord d’extradition avec Singapour. De quelle façon un tel accord complèterait-il la présente convention d’entraide judiciaire ? Le groupe La République en Marche votera bien évidemment le projet de loi autorisant l’approbation de cette dernière.

M. Michel Fanget (Dem). Nous sommes réunis pour autoriser l’approbation d’une convention d’entraide judiciaire en matière pénale avec Singapour, sachant que notre partenariat avec cet État connaît une dynamique d’approfondissement depuis plusieurs années.

Singapour est l’un des principaux partenaires de la France dans la zone Indopacifique. Elle est notre onzième client à l’échelle mondiale, le deuxième en Asie après la Chine. Elle est aussi la première destination des investissements français en Asie du Sud-Est.

La proximité entre les deux pays n’est pas seulement économique ; la relation bilatérale se veut riche et repose sur de nombreux partenariats, dans les domaines scientifique, culturel et de la défense. La présence française sur ce territoire ne cesse de se renforcer, si bien que Singapour est, dans la zone Indopacifique, le pays qui accueille la communauté française la plus importante.

S’il tend à renforcer notre partenariat, le texte que nous examinons répond surtout à un besoin opérationnel. En effet, les deux pays ne sont liés à ce jour par aucune convention bilatérale en matière pénale. Or, ces dernières années, la France a adressé à Singapour un nombre croissant de demandes d’entraide pénale, en particulier dans le domaine économique et financier. La présente convention, signée le 22 juillet 2020, tend à fixer un cadre juridique stable et à lever en partie les difficultés liées à la complexité de la procédure pénale singapourienne, qui a entravé jusqu’à présent l’exécution des demandes d’entraide. Grâce à ce cadre commun, nous améliorerons l’efficacité de notre coopération dans la lutte contre la délinquance transnationale.

Je note que l’étape suivante pourrait être la signature d’une convention d’extradition. Je salue cette initiative, qui permettra une nouvelle avancée dans la coopération judiciaire avec Singapour.

Le groupe Mouvement démocrate et Démocrates apparentés soutiendra bien évidemment la présente convention.

M. Alain David (SOC). Il s’agit d’une convention d’entraide judiciaire assez classique, mais vous en avez fait une présentation éclairante, madame la rapporteure, grâce à votre parfaite connaissance du pays.

Singapour est l’un de nos principaux partenaires dans la zone Indopacifique, dont il est souvent question dans nos travaux. Je note avec satisfaction que la présente convention devrait permettre de mieux réprimer la délinquance économique et financière. C’est heureux car, d’après le Réseau pour la justice fiscale, Singapour se classe au neuvième rang des paradis fiscaux à l’échelle mondiale, derrière Hong Kong – qui occupe pour sa part la septième place, la première parmi les pays hors OCDE. Selon Oxfam, Singapour et Hong-Kong font aussi partie des dix territoires qui proposent les politiques fiscales les plus nocives.

C’est avant tout pour cette raison, ainsi que pour celles développées dans votre rapport, que le groupe Socialistes et apparentés votera le projet de loi.

Mme Anne Genetet, rapporteure. Monsieur Cabaré, vous avez souligné le dynamisme de la relation entre les deux pays, 750 entreprises françaises étant présentes sur place.

Plusieurs entrepreneurs français de grand talent se sont implantés dans la région, particulièrement à Singapour. Ils ont « pris leur risque » en montant des entreprises qui ne sont pas des filiales de structures françaises existantes, et ont souvent connu un grand succès. Je pense par exemple à des personnes qui ont créé des écoles de toutes pièces, y compris pour des enfants à besoins éducatifs particuliers, et qui sollicitent ensuite une homologation. Ils font un travail remarquable.

Il y a aussi un certain nombre de start-up. L’une d’entre elles est issue d’une plateforme de trading sur les cryptomonnaies fondée par un Français et un Singapourien. Leur travail est tellement sérieux qu’ils ont obtenu une autorisation de l’autorité des marchés financiers de Singapour, réputée pour sa rigueur. L’entreprise envisage désormais de développer son activité en France.

Ainsi, nos entrepreneurs créent à l’étranger des structures qui sont à moyen terme, voire à court terme, créatrices de valeur et d’emplois en France. Je tiens à saluer leur audace, leur créativité et leur sens de l’innovation. Nous avons besoin d’eux.

Après plusieurs années de forte croissance, la population française à Singapour accuse une légère baisse, liée à la crise sanitaire. De manière générale, nous avons assisté à un effet domino dans la région : des gens ont quitté la Chine pour Hong-Kong ; d’autres, Hong-Kong pour Singapour ; d’autres enfin, Singapour pour Dubaï.

Les communautés françaises risquent de connaître un tassement ou un affaissement dans les pays d’Asie, notamment à Singapour, et c’est pour moi un motif d’inquiétude. La principale conséquence serait une réduction du vivier de compétences et de talents dans lequel se recrutent les enseignants de nos enfants, ceux-là mêmes que nous entendons former aux principes d’éducation à la française dans les instituts régionaux de formation faisant l’objet de la proposition de loi examinée précédemment. Nous avons besoin d’eux.

Il est exact que la délinquance ne connaît pas de frontières. La convention d’extradition sera l’ultime avancée, qui permettra de faire venir en France des personnes recherchées ou condamnées, ou d’en envoyer à Singapour. Un tel texte nous aurait été bien utile pour poursuivre pénalement dans notre pays des citoyens français impliqués dans des enlèvements d’enfants.

Je vous remercie les uns et les autres du soutien que vous apportez à cette convention originale, qui établira une coopération entre un système de common law et un système de droit civil.

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.


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   Annexe 1 : Texte adopté par la commission

 

Article unique

Est autorisée l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour, signée à Singapour le 22 juillet 2020, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 4425)


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   Annexe 2 : Liste des personnes auditionnées
par la rapporteure

 

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

Mme Milca Michel-Gabriel, magistrate au service des conventions, des affaires civiles et de l’entraide judiciaire de la Direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire

Mme Christelle Delrieu, rédactrice Singapour à la direction Asie

Mme Claire Giroir, rédactrice à la mission des accords et traités de la Direction des Affaires Juridiques

 

Ministère de la Justice

M. Thomas Grégoire, chef du bureau de la négociation pénale européenne et internationale à la direction des affaires criminelles et des grâces

 


([1]) En matière de coopération judiciaire pénale, la France et Singapour sont en revanche toutes deux parties aux conventions multilatérales des Nations unies pour la répression du financement du terrorisme (10 janvier 2000) et contre la criminalité transnationale organisée (15 novembre 2000).

([2]) « it is our first mutual legal assistance treaty since 2005 – since the last 15 years ».

([3]) « the first bilateral mutual legal assistance treaty with a country with a civil law system ».

([4]) Le projet de créer un magistrat de liaison à Singapour a été évoqué en 2019 mais n’a pas été concrétisé.