N° 5187

 

N° 580

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2021-2022

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 17 mars 2022

 

le 17 mars 2022

 

RAPPORT

 

au nom de

 

L’OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

 

sur

 

les aspects scientifiques et technologiques
de la gestion quantitative de l'eau

 

Compte rendu de l’audition publique du 10 février 2022
et de la présentation des conclusions le 17 mars 2022

 

par

 

M. Philippe BOLO, député, et M. Gérard LONGUET, sénateur.
 

 

 

Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Cédric VILLANI,

Président de l’Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Gérard LONGUET,

Premier vice-président de l'Office


Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

 

Président

M. Cédric VILLANI, député

 

Premier vice-président

M. Gérard LONGUET, sénateur

 

Vice-présidents

 

 M. Didier BAICHÈRE, député Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, sénatrice M. Jean-Luc FUGIT, député                            Mme Angèle PRÉVILLE, sénatrice              M. Patrick HETZEL, député                            Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

 

DÉputés

 

 

SÉnateurs

M. Julien AUBERT

M. Philippe BOLO

Mme Émilie CARIOU

M. Claude de GANAY

M. Jean-François ELIAOU

Mme Valéria FAURE-MUNTIAN

M. Thomas GASSILLOUD

Mme Anne GENETET

M. Pierre HENRIET

M. Antoine HERTH

M. Jean-Paul LECOQ

M. Gérard LESEUL

M. Loïc PRUD’HOMME

Mme Huguette TIEGNA

 Mme Laure DARCOS

 Mme Annie DELMONT-KOROPOULIS

 M. André GUIOL

 M. Ludovic HAYE

 M. Olivier HENNO

 Mme Annick JACQUEMET

 M. Bernard JOMIER

 Mme Florence LASSARADE

 M. Ronan Le GLEUT

 M. Pierre MÉDEVIELLE

 Mme Michelle MEUNIER

 M. Pierre OUZOULIAS

 M. Stéphane PIEDNOIR

 M. Bruno SIDO

 

 

 


- 1 -

SOMMAIRE

 

 

Pages

 

Conclusions de l’audition publique du 10 février 2022 sur les Aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau

I. La ressource en eau et son évolution à l’aune du changement climatique

A. L’état actuel de la ressource en eau

B. De futurs changements aux conséquences importantes

1. Les impacts du changement climatique à l’échelle mondiale

2. Les impacts du changement climatique sur le territoire métropolitain

II. Les usages de l’eau et les outils de gestion de la ressource

A. Les usages de l’eau en France

B. Les outils de gestion de la ressource

1. Agir sur l’offre

2. Agir sur la demande

III. Quelle future gestion de l’eau en France ?

A. Les conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

B. La réception des travaux du Varenne

Travaux de l’Office

I. Compte rendu de l’audition publique du 10 février 2022

II. Compte rendu de la réunion du 17 mars 2022 de présentation des conclusions de l’audition publique du 10 février 2022

Liste des personnes auditionnées

 


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Conclusions de l’audition publique du 10 février 2022 sur les Aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau

 

En raison d’une grande thermosensibilité du cycle de l’eau, le dérèglement climatique provoquera une modification spatiale et temporelle du régime des précipitations. L’accès à l’eau – essentiel à la survie de l’Homme et au développement de ses activités socio-économiques – s’en trouvera menacé, avec des épisodes de stress hydrique à la fois plus importants et plus fréquents dans certaines parties du territoire français. Le développement d’une gestion soutenable et raisonnée de l’eau apparaît donc comme un enjeu majeur pour notre société.

La gestion quantitative de l’eau a fait l’objet de nombreux travaux gouvernementaux et parlementaires au cours des dernières années. En 2017, une cellule d’expertise relative à la gestion quantitative de l’eau a été installée par MM. Hulot et Travert, alors ministres de la Transition écologique et solidaire et de l’Agriculture et de l’alimentation[1]. En 2018, la seconde séquence des « Assises de l’eau »[2] s’est intéressée à l’adaptation des territoires au dérèglement climatique et a produit un pacte de 23 mesures à la suite d’une large concertation avec l’ensemble des acteurs de l’eau[3]. Cette même année, un rapport d’information sur la ressource en eau a été réalisé au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale[4]. Enfin, lancé le 28 mai 2021 par le ministre de l’Agriculture et de l’alimentation, M. Denormandie, et la secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, Mme Abba, et achevé le 1er février 2022, le « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique » a eu pour objectif d’établir une feuille de route opérationnelle pour l’adaptation et la protection de l’agriculture face au changement climatique[5].

Dans ce contexte, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, associé à la Délégation sénatoriale à la prospective, a organisé le 10 février 2022 une audition publique visant à faire le point sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau.

L’audition a été organisée autour de trois tables rondes : la première portait sur les impacts du dérèglement climatique sur la ressource en eau, la deuxième sur les avantages et les inconvénients des principaux outils pouvant être utilisés pour améliorer la gestion de cette ressource, et la troisième s’intéressait aux évolutions nécessaires de la gestion de l’eau en France, à la lumière des conclusions du « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique ».

 

I.  La ressource en eau et son évolution à l’aune du changement climatique

A.  L’état actuel de la ressource en eau

Si notre « planète bleue » est recouverte d’eau à près de 72 %, l’eau douce ne représente que 2,5 % de l’hydrosphère terrestre. Dans cette fraction, une part importante est sous forme solide (glaciers, calottes polaires, neiges). L’eau à la fois douce et liquide ne représente donc qu’une infime partie des ressources en eau et se trouve majoritairement conservée dans les aquifères ; la part facilement mobilisable pour les besoins de l’humanité ne représente qu’environ 0,03 % de l’hydrosphère terrestre[6].

Sous l’effet de la machine atmosphérique alimentée par l’énergie solaire, l’eau est recyclée en permanence, ce qui permet le renouvellement des eaux terrestres. Plus que la quantité d’eau douce présente sur Terre, c’est donc le flux qui nous parvient qui doit être considéré. Chaque année, la quantité d’eau qui s’évapore des océans est supérieure à la quantité d’eau qui s’y précipite, conduisant à un apport d’eau douce annuel d’environ 40 000 km3 sur les terres émergées[7]. Ce flux correspond à 6 000 m3 annuels par être humain ; si cette quantité est théoriquement bien supérieure aux besoins de l’humanité, elle est très inégalement répartie sur l’ensemble du globe (voir Figure 1)[8].

Figure 1 : Disponibilité en eau dans le monde en 20118

 

Outre ces disparités géographiques, ce flux reflète imparfaitement la ressource réellement disponible pour l’Homme. Tout d’abord, une partie de cette eau assure le bon fonctionnement des écosystèmes naturels. De plus, une variabilité temporelle s’ajoute à la variabilité spatiale (Figure 2) ; l’eau n’étant pas stockée dans son intégralité, seule une part de celle-ci peut être effectivement prélevée et utilisée. Enfin, les pollutions susceptibles de toucher les eaux de surface ou souterraines peuvent également restreindre la part d’eau disponible.

Figure 2 : Coefficient de variation des précipitations mensuelles, calculé en divisant l'écart-type des précipitations mensuelles par la moyenne annuelle des précipitations mensuelles (moyenne obtenue pour la période 2000-2005)[9]

 

Considérant l’équilibre actuel des ressources en eau, la France est relativement bien dotée, avec un flux renouvelable moyen d’environ 3 000 m3 par habitant. L’ensemble des rivières françaises, qui représente une longueur totale de 620 000 kilomètres dont 430 000 kilomètres en France métropolitaine[10], procure un accès relativement aisé à cette ressource. Une certaine capacité de stockage est offerte par les 623 000 hectares de plans d’eau (dont 352 000 ha en France métropolitaine)[11] et 200 aquifères d’importance régionale présents sur le territoire – qui représentent respectivement des stocks de 108 et 2 000 km³ d’eau douce[12] – ainsi que par les montagnes qui constituent des réserves d’eau sous forme de neige et de glace, partiellement restituées lors de la fonte nivale en été.

Figure 3 : Quantité de pluie en France (moyenne sur la période 1970-2005)[13]

B.  De futurs changements aux conséquences importantes

1.  Les impacts du changement climatique à l’échelle mondiale

Comme l’atteste le dernier rapport du groupe de travail n° 1 du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat)[14], le réchauffement de l’atmosphère terrestre est aujourd’hui incontestable et provient tout aussi certainement des activités humaines. Sur la période 2011-2020, la température moyenne à la surface du globe a augmenté de 1,09 °C par rapport à la période 1850-1900, conduisant à des chaleurs intenses et des épisodes de sécheresse à la fois plus fréquents et plus importants. Cette hausse est plus marquée au niveau des terres (+1,6 °C) qu’au niveau des océans (+0,9 °C). À court terme (2021-2040), il est hautement probable que la température moyenne continue de s’élever et que sa hausse atteigne à cette échéance 1,5 °C. À l’horizon de la fin du siècle (2081-2100), les scénarios considérés par le GIEC estiment un réchauffement compris 1,0 et 5,7 °C, selon l’évolution des émissions de gaz à effet de serre.

Le cycle de l’eau est un mécanisme hautement thermosensible, puisque directement lié à l’équilibre entre les différents états physiques de l’eau. En augmentant la température atmosphérique, le dérèglement climatique induit une hausse de la quantité de vapeur d’eau présente dans l’atmosphère. Cette augmentation, associée à des changements de circulation de la vapeur d’eau, entrainera un élargissement de la zone humide des tropiques et y favoriser une augmentation des précipitations ; la zone sèche subtropicale se déplacera vers de plus hautes latitudes et connaître une diminution des précipitations ; la zone humide des hautes latitudes sera elle aussi décalée et l’intensité des précipitations y augmentera. Ainsi, une augmentation des précipitations sera observée aux hautes latitudes, dans le Pacifique équatorial et dans certaines régions concernées par les moussons ‑ qui seront alors exposées à d’importants risques d’inondation ‑ tandis que certaines régions subtropicales et une partie des zones tropicales arides subiront au contraire une baisse de la disponibilité en eau (Figure 4)[15],[16].

Figure 4 : Variation des précipitations moyennes annuelles (%) par rapport à 1850-190015

 

L’augmentation de la quantité de vapeur d’eau présente dans l’atmosphère accroîtra la quantité d’eau précipitable, ce qui conduira à une augmentation globale de l’intensité des précipitations, phénomène déjà observé au cours des dernières années. En moyenne, une hausse de 1° C de la température de l’atmosphère devrait provoquer une hausse de 7 % des précipitations. Les épisodes de pluie intense seront plus violents mais moins fréquents. Ainsi, on observera à la fois une augmentation du nombre d’inondations et des épisodes de sécheresses entre ces événements pluvieux.

En raison d’un réchauffement moins rapide des océans par rapport aux continents, la demande évaporative augmentera au-dessus de ces derniers. Eu égard à l’évolution prévue du régime des précipitations, ceci conduira, dans certaines parties du monde, à une baisse de l’humidité des sols et à un risque accru de sécheresse.

 Ces différents phénomènes auront d’importantes conséquences sur les hydrosystèmes et la ressource en eau sur l’ensemble de la planète. La hausse de la température planétaire influera également sur les réserves constituées par les glaciers et les massifs neigeux : la couverture neigeuse diminuera et la fonte printanière sera plus précoce, avec un impact direct sur les bassins hydrographiques associés. Les réserves d’eau douce que sont les aquifères côtiers seront elles aussi affectées par un processus de salinisation résultant de l’élévation du niveau de la mer, autre conséquence du réchauffement climatique.

Enfin, comme l’a indiqué Florence Habets, les variations météorologiques naturelles s’ajouteront à ces changements structurels. En partie prévisibles, elles devront être prises en compte dans les politiques d’adaptation au dérèglement climatique.

2.  Les impacts du changement climatique sur le territoire métropolitain

La France métropolitaine connaîtra une hausse de température plus importante que la moyenne planétaire, conduisant notamment à des canicules plus régulières. La Figure 5 ci-après montre que les précipitations augmentera à la fois au nord de la France et diminuera au sud. L’ensemble du pays connaîtra cependant des épisodes de sécheresse plus importants[17] car les périodes estivales seront plus arides sur l’ensemble du territoire (Figure 6).

 

Réchauffement de 1,5 °C

Réchauffement de 2 °C

Réchauffement de 4 °C

Changement (%)

Figure 5 : Variation des précipitations moyennes annuelles (%) par rapport à 1995-2014[18]

 

Réchauffement de 1,5 °C

Réchauffement de 2 °C

Réchauffement de 4 °C

Changement (%)

Figure 6 : Variation des précipitations de juin à août (%) par rapport à 1995-201418

 

D’après l’étude Explore 2070, réalisée en 2012 dans l’objectif d’évaluer l’impact du changement climatique sur la ressource en eau en France, la baisse des précipitations estivales devrait être comprise entre 16 et 23 % à l’horizon 2046-2065[19]. Une baisse générale des débits moyens annuels des cours d’eau sera alors observée (de −10 % à −40 %), avec une augmentation de la sévérité des étiages. De même, une baisse du niveau moyen des nappes phréatiques sera constatée (entre −10 % et −25 %[20]), du fait d’une baisse de la recharge. Enfin, l’augmentation de l’évapotranspiration a été évaluée entre 10 % et 30 %, entrainant une augmentation de la sécheresse des sols.

L’ampleur de ces conséquences – en France comme dans le reste du monde – rappelle l’importance fondamentale de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la nécessité de tendre vers le « net zéro » le plus rapidement possible.

 

II.  Les usages de l’eau et les outils de gestion de la ressource

A.  Les usages de l’eau en France

En 2017, 32 km3 d’eau ont été prélevés[21] sur les 180 km3 transitant en moyenne annuellement en France métropolitaine[22] (soit 18 % du volume en transit). Il faut cependant distinguer les prélèvements bruts des prélèvements nets (i.e. la consommation) : en effet, une partie des prélèvements est rapidement restituée au milieu naturel et n’a donc que peu d’impact, d’un point de vue quantitatif, sur la ressource à l’échelle globale, puisque les quantités concernées sont à nouveau disponibles pour d’autres usages. Ainsi, en France, l’irrigation ne représente qu’une faible part des prélèvements bruts, largement inférieure à ceux nécessaires à la production d’énergie, principalement dus au refroidissement des centrales thermiques. Toutefois, une part très importante de cette eau de refroidissement est restituée au milieu naturel à proximité du lieu de prélèvement, ce qui fait que l’agriculture représente une part bien plus importante des prélèvements nets (voir Figures 7 et 8). La part des différents usages est cependant très variable selon les régions : dans le bassin Adour-Garonne, par exemple, l’agriculture représente 78 % de la consommation d’eau[23].


Figure 7 : Volumes des prélèvements bruts et nets par usage en France en 2009 (en km3)[24]

Figure 8 : Répartition des prélèvements bruts et nets par usage en France en 200924

 

Pour apprécier plus justement la consommation d’eau française, il ne faut pas la réduire aux usages du territoire national mais considérer la quantité d’eau ayant été nécessaire pour la production des biens et services importés et exportés (on parle alors d’eau « virtuelle »[25]). À titre d’exemple, en 2007, 15 km3 d’eau ont été utilisés à l’étranger pour produire les biens importés en France, alors que 6,6 km3 ont été nécessaires pour produire des biens exportés par la France[26]. Ainsi, la France était importatrice de l’équivalent de 8,4 km3 d’eau en 2007[27]. Alors que les prélèvements nationaux s’élevaient en moyenne à 519 m3 par habitant en 2007, l’empreinte eau des Français était de 650 m3 par habitant cette même année[28] en intégrant l’eau « virtuelle »[29].

À l’heure actuelle, les ressources dont dispose la France suffisent globalement à couvrir ses besoins. Cependant, la ressource et les prélèvements en eau se caractérisent par leur variabilité spatiale et temporelle. Durant la période estivale, où les précipitations sont plus faibles, la majorité des cours d’eau connaissent un étiage et les nappes phréatiques voient leur niveau baisser, tandis que les besoins sont plus importants : de juin à août (soit une quart de l’année), 15 % seulement du volume annuel d’eau douce transitent sur le territoire métropolitain alors que la consommation en eau correspond à 60 % de la consommation annuelle. Des situations de pénurie peuvent alors exister localement et ponctuellement et nécessiter des restrictions d’usages dans certains départements. Le changement climatique accroîtra la fréquence et l’intensité de ces situations de tension, ce qui appelle à faire évoluer les modalités de gestion de l’eau.

B.  Les outils de gestion de la ressource

1.  Agir sur l’offre

a)  Augmenter les capacités de stockage

La variabilité saisonnière de la ressource est le principal problème de la gestion quantitative de l’eau en France. Le stockage est une réponse possible, puisqu’il diffère l’utilisation de la ressource disponible et augmente la ressource mobilisable. Plusieurs options sont susceptibles d’être utilisées à cet effet.

Les grands réservoirs peuvent être utilisés pour stocker l’eau pour des usages domestiques, agricoles ou industriels, ou comme soutien d’étiage, ainsi que pour répondre à divers besoins du bassin versant : contrôle des crues, production d’hydroélectricité, etc. Cette diversité d’usages peut cependant créer des conflits : le soutien d’étiage nécessite par exemple de maximiser le remplissage du réservoir tandis que l’écrêtement des crues requiert sa minimisation sur les mêmes périodes de l’année. La construction de tels ouvrages rencontre par ailleurs des obstacles géographiques – les sites susceptibles d’en accueillir étant pour la plupart déjà utilisés – et humains, puisque l’inondation de vallées soulève des problématiques sociales et environnementales importantes.

Les possibilités restent plus ouvertes pour des retenues de plus petite taille : retenues sur, ou en dérivation, des cours d’eau, retenues collinaires qui recueillent les eaux de ruissellement et retenues de substitution alimentées par pompage en nappe ou en rivière[30].

Elles présentent cependant divers inconvénients, qui dépendent notamment de la nature de l’ouvrage et de son emplacement. Les retenues sur cours d’eau modifient la dynamique spatiale et temporelle du flux aval et induisent une perte d’eau, en raison de l’évaporation et de la part du flux amont non restituée. Elles influent également sur les dépôts des sédiments ainsi que sur la température et la qualité physico-chimique de l’eau, avec des conséquences sur la biodiversité aquatique. Elles peuvent aussi être un obstacle pour les organismes inféodés au cours d’eau, perturbant leur cycle de reproduction et le brassage entre communautés. En étant déconnectées des cours d’eau et remplies uniquement lors des périodes d’abondance, les retenues de substitution présentent – à volume équivalent – un impact global moins important.

Une approche alternative à l’utilisation de retenues superficielles consiste en la réalimentation artificielle des aquifères[31], la nature souterraine de ce stockage permettant de minimiser la perte par évaporation. Divers dispositifs de recharge peuvent être utilisés, en fonction des spécificités hydrogéologiques de la nappe considérée ; ils sont fondés sur la percolation – filtration par berges, puits ou bassins d’infiltration – ou sur une injection directe dans la nappe via des puits, fosses ou forages. Outre le stockage d’eau pour utilisation différée, cette technique peut éviter le rabattement d’une nappe surexploitée ; elle permet de traiter naturellement des eaux grâce au pouvoir d’autoépuration des sols et de protéger les aquifères côtiers des risques de salinisation.

La mise en œuvre de tels projets nécessite cependant de disposer de données fiables et pérennes quant aux caractéristiques hydrogéologiques de l’aquifère considéré. La qualité et le volume des eaux de recharge disponibles doivent également être pris en compte. S’il est possible d’utiliser des eaux de surface, des eaux de pluies ou des eaux usées traitées[32] pour recharger les aquifères, il faut s’assurer de la compatibilité de ces eaux avec celle de la nappe : le recours à ces techniques ne doit en aucun cas se traduire par une dégradation de la qualité des eaux souterraines. Aussi, il peut être nécessaire de réaliser des traitements préalables (qui génèrent des coûts financiers et énergétiques) afin d’assurer que la qualité des eaux de recharge utilisées est au moins équivalente à la qualité de l’eau de la nappe[33]. À l’heure actuelle, la France ne compte que quelques dizaines de sites de réalimentation, majoritairement utilisés pour l’alimentation en eau potable.

La réalimentation naturelle des nappes phréatiques peut, dans une certaine mesure, être favorisée par la restauration hydromorphologique des cours d’eau. Cette technique présente l’avantage de contribuer concomitamment au bon état écologique des cours d’eau, qui est généralement l’objectif recherché par ces ouvrages[34].

b)  Utiliser des ressources alternatives

Après utilisation pour des activités humaines, les eaux sont dites « usées » et traitées dans des stations d’épuration chargées de les dépolluer. En général, elles sont ensuite rejetées dans le milieu naturel. Pourtant, les eaux usées traitées constituent une ressource stable en quantité et en qualité, susceptible d’être valorisée (principalement pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts[35]) : on parle alors de réutilisation des eaux usées traitées (REUT).

Les eaux traitées ne sont pas une « nouvelle » ressource mais une alternative au prélèvement de la ressource, qui peut alors être réservée aux autres usages, comme l’alimentation en eau potable. Il convient cependant de prendre en compte l’impact éventuel d’une diminution du volume d’eau retourné au milieu naturel[36]. En outre, le prix des eaux usées traitées peut atteindre le triple de celui de l’eau brute, ce qui peut s’avérer problématique pour un usage agricole.

Actuellement, le volume annuel d’eau réutilisé représente moins de 1 % du volume d’eau traité à l’échelle de la France[37], alors que ce taux atteint 8 % en Italie et 14 % en Espagne[38]. Le potentiel de réutilisation des eaux usées traitées dépend du système d’assainissement collectif mis en place. Le système français, majoritairement constitué de petites stations, n’offre à cet égard que des possibilités limitées. Pour autant, le volume d’eaux usées traitées potentiellement exploitable en France a été estimé à 112 millions de mètres cubes par an[39], alors que seuls 7 à 10 millions de mètres cubes sont réutilisés à l’heure actuelle.

La désalination de l’eau de mer permet elle aussi d’accroître la ressource en eau douce. Éléments majoritaires de l’hydrosphère terrestre, les océans représentent une ressource théoriquement inépuisable. Néanmoins, les divers procédés disponibles[40] sont – en l’état actuel des connaissances – à la fois très coûteux et énergivores, environ 0,5 US$ et 3 à 6 kWh par mètre cube d’eau pour la technologie d’osmose inverse qui est la plus utilisée[41]. De ce fait, la désalinisation sert principalement à l’alimentation en eau potable et n’est actuellement utilisée que par les pays connaissant d’importantes tensions hydriques et disposant de moyens financiers suffisants : États du Moyen-Orient et du Maghreb, Israël, Mexique, États-Unis (en Floride et en Californie), Espagne, etc[42]. Cette solution présente également un autre inconvénient lié à la gestion des saumures – sous-produit inévitable de ces procédés – qui, rejetées en mer ou dans les sols, sont susceptibles d’affecter la biodiversité. Cette solution pourrait néanmoins présenter un certain intérêt pour nos territoires d’outre-mer, pour lesquels les ressources en eau douce peuvent s’avérer limitées.

2.  Agir sur la demande

Comme l’ont souligné l’ensemble des personnalités entendues par l’Office, les instruments agissant sur l’offre doivent s’accompagner d’une action sur la demande. En effet, s’ils permettent d’affronter des périodes de pénurie, ils entretiennent une certaine dépendance à la ressource et une vulnérabilité au manque d’eau dans le contexte du changement climatique.

a)  Dans le secteur agricole

L’irrigation, qui représente près de la moitié des usages anthropiques de l’eau, offre un levier important pour agir sur la demande en eau. Cependant, en diminuant la quantité de pluies estivales et en asséchant les sols, le changement climatique pourrait conduire à un accroissement des besoins en irrigation. Actuellement, l’agriculture repose principalement sur la ressource pluviale puisque seulement 6 % des surfaces agricoles utiles sont irriguées[43]. L’expansion de la population nécessitera parallèlement une augmentation de la production agricole pour garantir la souveraineté alimentaire et nécessitera donc potentiellement une demande accrue en eau. Ainsi, pour répondre à ces différents défis, une évolution du système agricole semble indispensable.

Actuellement, il est estimé qu’environ 40 % de l’eau fournie à la plante par irrigation est effectivement absorbée par le végétal[44],[45]. Une utilisation plus efficiente de l’eau pourrait réduire les prélèvements bruts et nets. L’irrigation goutte-à-goutte permet par exemple de diminuer la consommation d’eau d’au moins 30 % par rapport à l’irrigation par aspersion, et jusqu’à 90 % par rapport à l’irrigation gravitaire[46]. L’agriculture de précision, basée sur l’acquisition de données météorologiques et agronomiques précises grâce aux nouvelles technologies, permet également d’optimiser l’apport en eau. D’après une étude de l’Agence de l’eau Adour-Garonne[47], l’utilisation de ces outils permettrait une économie d’eau de l’ordre de 10 % à 25 % selon les exploitations. Néanmoins, ces gains d’efficience ne se traduisent pas toujours par des économies d’eau, notamment en raison de mécanismes d’effet rebond[48].

Le choix des cultures et des variétés résistantes, que ce soit en agriculture irriguée ou non, permet également de développer une agriculture plus économe en eau et plus résiliente au changement climatique. Les régions fréquemment frappées par des tensions sur la ressource en eau doivent notamment favoriser les plantes ayant des besoins d’irrigation restreints : en 2010, le maïs représentait à lui seul 41 % des surfaces irriguées en France, alors que ses besoins en eau se concentrent sur les mois estivaux, où la ressource est la moins disponible. Les développements biotechnologiques, tels que les NBT[49], pourraient aussi contribuer à une meilleure gestion de l’eau, en améliorant la résistance des végétaux au stress hydrique.

L’adaptation des modes de culture, notamment l’adoption de pratiques agroécologiques, offre un autre levier d’action. Comme l’a indiqué Lionel Alletto, l’agroécologie – qui se présente comme une alternative à l’agriculture intensive – est un cadre conceptuel recouvrant une large diversité de pratiques. Parmi celles-ci, l’agriculture de conservation offre d’importants avantages vis-à-vis du fonctionnement hydrique des sols. Elle repose sur la rotation et la succession de cultures diversifiées, l’utilisation de plantes de service pour couvrir les sols et la réduction – voire la suppression – du travail du sol. L’évaporation et le ruissellement de l’eau sont réduits, au bénéfice de son infiltration et de sa rétention. De telles pratiques permettent de réduire la quantité d’eau nécessaire aux cultures, tout en maintenant les performances économiques des exploitations agricoles[50].

Les rapporteurs signalent que si l'adaptation des prélèvements nets d'eau en agriculture est nécessaire pour faire face aux conséquences du changement climatique (raréfaction des volumes prélevables en étiage et accroissement du stress hydrique estival), elle va obliger à des arbitrages intégrant la biodiversité qui ne doivent pas oublier la nécessaire souveraineté alimentaire de la France. La crise ukrainienne révèle les difficultés en termes de satisfaction des besoins à un prix abordable en cas de dépendance à d'autres pays pour l'approvisionnement en denrées alimentaires.

b)  Dans les autres secteurs

Parallèlement à ces efforts dans le secteur agricole, des économies peuvent être réalisées dans les usages domestiques – second secteur le plus consommateur en prélèvements nets – notamment grâce au développement d’équipements plus sobres et grâce à une amélioration du réseau de distribution d’eau potable, qui connaît un taux de perte moyen d’environ 20 % (soit une perte d’environ 1 km3 chaque année)[51].

L’adoption de comportements plus économes constitue également une source d’économies potentielles ; la prise de conscience croissante de la rareté de l’eau a déjà permis une baisse des prélèvements d’eau potable au cours des dernières années, malgré l’augmentation de la population. Une sensibilisation à la notion d’« empreinte eau » permettrait d’accroître ces économies et d’agir indirectement sur les secteurs énergétique, agricole et industriel, grâce à une modification des modes de consommation et un effort de sobriété de la population.

 

III.  Quelle future gestion de l’eau en France ?

A.  Les conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

Le « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique » est une démarche de concertation avec les parties prenantes (agriculteurs, associations environnementales, élus et pouvoirs publics, experts) lancée par le Gouvernement en mai 2021 pour anticiper les effets du changement climatique sur l’agriculture, notamment vis-à-vis de la ressource en eau, et identifier les réponses possibles.

Les travaux du Varenne partent des prévisions de l’étude Explore 2070 et du constat d’épisodes de grêle plus fréquents, de pluies diluviennes et de sécheresses précoces qui perturbent les cycles de culture et menacent la souveraineté alimentaire de la France.

Ces travaux ne se limitent pas à une réflexion sur l’agriculture irriguée, mais englobent l’ensemble des enjeux liés au changement climatique. En effet, les surfaces irriguées en France ne représentent que 1,6 million d’hectares, soit une faible part de la surface agricole utilisée, constante depuis 20 ans. Les prélèvements pour l’irrigation atteignent environ 3 km3 par an, contre 4,5 km3 par an au début des années 2000. Cependant, ils interviennent principalement dans des périodes où l’eau est rare, exacerbant les conflits d’usage.

Les travaux, qui se sont achevés en février 2022, étaient structurés autour de trois thématiques examinées dans le cadre de trois groupes de travail distincts :

-   Thématique 1 : se doter d’outils d’anticipation et de protection dans le cadre de la politique globale de gestion des aléas climatiques ;

-   Thématique 2 : renforcer la résilience de l’agriculture en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales et l’efficience de l’eau d’irrigation ;

-   Thématique 3 : partager une vision raisonnée des besoins et de l’accès aux ressources en eau mobilisables pour l’agriculture sur le long terme.

Plusieurs mesures et orientations ont été annoncées à l’issue du Varenne. Certaines visent à mieux connaître les besoins et les ressources en eau pour l’agriculture. Afin de mieux appréhender au niveau français les conséquences hydrologiques des derniers scénarios climatiques du GIEC, une étude prospective Explore 2, destinée à actualiser les données de l’étude Explore 2070 de 2012, a été lancée et devrait rendre ses conclusions d’ici 2024. Une expertise nationale est également annoncée pour mieux identifier les volumes prélevables en période de hautes eaux, dans le but de constituer des réserves d’eau hivernales.

D’autres mesures visent à agir rapidement. Ainsi, les filières s’engagent à établir des stratégies d’adaptation au changement climatique visant à économiser l’eau et à améliorer l’efficience de ses utilisations. Elles seront déclinées en plans d’actions et appuyées par le réexamen par l’État de certaines règlementations, comme l’irrigation des vignes. Une réforme de l’assurance-récolte et des outils de couverture des agriculteurs face aux risques climatiques a été annoncée lors du Varenne et a fait l’objet d’un projet de loi, déposé en décembre 2021 et adopté définitivement moins de trois mois plus tard, pour renforcer la résilience économique des exploitations. Les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), outils mis en place à la suite des Assises de l’eau de 2019, sont encouragés et accélérés, en donnant au préfet coordonnateur de bassin le pouvoir de fixer un délai au-delà duquel il peut mettre un terme à la phase de concertation si un accord n’est pas obtenu. La valorisation par l’agriculture des eaux usées traitées est également encouragée à travers des expérimentations. Une optimisation de la mobilisation des retenues d’eau existantes est annoncée, mais le Varenne ne va pas jusqu’à recommander la création de nouvelles retenues. Enfin, des moyens supplémentaires ont été annoncés pour financer des appels à projets et des programmes visant à adapter les pratiques et techniques culturales, en utilisant tous les leviers disponibles.

Afin de suivre la mise en œuvre du Varenne et favoriser le lien entre l’État et les territoires, un délégué interministériel à l’eau devrait être nommé par le Gouvernement.

B.  La réception des travaux du Varenne

Tous les intervenants entendus par l’Office ont reconnu la nécessité d’une transition agroécologique et d’une adaptation des filières agricoles pour faire face au changement climatique. L’importance d’une déclinaison territoriale de la stratégie nationale, que ce soit pour l’agriculture ou la gestion de l’eau, a également fait consensus. Les outils de planification tels que les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) ont démontré leur utilité. Cependant, Alexis Guilpart a souligné le risque que la modification de l’instruction des PTGE (permettant au préfet coordonnateur de bassin de mettre un terme à la phase de concertation en absence de consensus) conduise à des solutions inadéquates. Ces outils et le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ayant des problématiques communes, un rapprochement pourrait être opportun pour créer des synergies.

L’approche du Varenne, qui considère la gestion de l’eau sous l’unique prisme agricole, a fait l’objet de vives critiques de la part d’associations environnementales[52]. Selon elles, la diversité des usages doit être prise en compte, sans oublier la biodiversité : l’eau ne doit pas être uniquement vue comme une ressource mais également comme un milieu de vie pour de nombreuses espèces, dont une part importante serait menacée d’extinction[53].

De même, le traitement de la problématique de la gestion de l’eau sous l’angle purement quantitatif a pu être regretté. Comme l’a dit Frédérique Chlous, si la gestion quantitative de l’eau correspond à la « crise actuelle », la question de la qualité de l’eau et des écosystèmes aquatiques sera la « crise de demain ».

Enfin, plusieurs des intervenants – issus d’associations environnementales mais aussi de la communauté scientifique – ont contesté que l’orientation du Varenne proposant le développement de l’accès à la ressource en eau, notamment par la constitution de réserves hivernales, puisse être considérée comme une solution d’adaptation au changement climatique. Selon elles, cela créerait un faux sentiment de sécurité – les hivers pouvant être extrêmement secs – et n’encouragerait pas l’indispensable changement radical des pratiques culturales. D’après Alexis Guilpart, le Varenne n’a pas suffisamment réaffirmé la nécessité d’une sobriété en eau dans l’agriculture, exprimée en 2019 lors des Assises de l’eau, qui avaient fixé des objectifs ambitieux de réduction des prélèvements d’eau : 10 % d’ici 2025 et 25 % d’ici 2035. Or, comme l’a montré Florence Habets, la consommation d’eau liée à l’ensemble des activités humaines est aujourd’hui une cause majeure de l’intensification des sécheresses hydrologiques[54]. L’orientation retenue par le Varenne entretiendrait alors un cercle vicieux de dépendance à l’eau pour les filières, la réduction des sécheresses agronomiques entrainant l’amplification des sécheresses hydrologiques[55]. Néanmoins, les rapporteurs soulignent qu’outre cet impératif de sobriété, l’agriculture doit mener de front l’objectif de la souveraineté alimentaire de notre pays. L’effort ne doit donc pas reposer outre mesure sur les agriculteurs mais considérer l’ensemble des usages de l’eau pour lesquels des progrès peuvent être réalisés.


En bref :

Le dérèglement climatique lié aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre entrainera une augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques, déjà perceptible ces dernières années. Le régime des précipitations s’en trouvera modifié entrainant un accroissement de la fréquence et de l’intensité des situations de tension vis-à-vis de l’accès à la ressource en eau.

Si la consommation d’eau est essentielle pour l’Homme et ses activités socio-économiques, elle est tout aussi fondamentale pour la biodiversité. L’agriculture, garante de notre alimentation, est exposée à des risques importants au regard du dérèglement climatique. Elle devra changer de modèle pour s’y adapter, tout en garantissant la souveraineté alimentaire française et en étant respectueuse de l’environnement.

Une gestion soutenable et raisonnée de la ressource en eau est de plus en plus nécessaire, en considérant l’ensemble des usages et des écosystèmes dépendant de cette ressource. Si diverses solutions – techniques ou fondées sur la nature – existent, agissant à la fois sur la ressource et sur les besoins en eau, la gestion de l’eau n’en demeure pas moins une problématique complexe et chacune des approches envisageables présente une balance avantages/inconvénients propre. Un équilibre spécifique à chaque territoire devra alors être trouvé entre ces différents outils, en veillant à minimiser les externalités négatives, notamment vis-à-vis de la biodiversité.

Cette adaptation contrainte du modèle agricole et de la gestion de l’eau pour faire face au changement climatique rappelle l’importance fondamentale de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la nécessité de tendre vers le « net zéro ».

 

Recommandations

1. Poursuivre et encourager les recherches scientifiques concernant :
- l’anticipation des impacts du changement climatique sur la ressource en eau, tant à l’échelle du pays que des territoires, y compris les territoires ultramarins soumis à des contraintes spécifiques ;             
- les options ouvertes ou possibles en matière d’adaptation du système agricole et de gestion de la ressource en eau, en veillant à minimiser leurs impacts indirects.

2. Engager sans tarder la transition permettant de construire un modèle agricole résilient face au changement climatique, capable d’assurer la souveraineté alimentaire de la France et respectueux de l’environnement, et en particulier de la biodiversité aquatique. Cette transition devra inclure un accompagnement économique et technique des agriculteurs.

3. Établir, pour les autres usages de l’eau, une Stratégie nationale de sobriété en eau.

4. Encourager la mise en place de PTGE (projets de territoire pour la gestion de l'eau) sur l’ensemble du territoire, afin de développer des politiques territoriales de gestion raisonnée de l’eau utilisant pour faire face aux déséquilibres futurs, tant spatiaux que temporels.

 


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Travaux de l’Office

 

I.  Compte rendu de l’audition publique du 10 février 2022

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Je vous prie d’accepter mes excuses pour mon retard et je vous présente également les excuses de notre président Cédric Villani, retenu actuellement par l’hommage à Olivier Léonhardt, sénateur de l’Essonne récemment décédé.

Je voudrais accueillir dans ses fonctions de président de la délégation du Sénat à la prospective notre collègue Mathieu Darnaud, sénateur de l’Ardèche. La délégation sénatoriale à la prospective ayant, comme l’Office, la mission de réfléchir à notre avenir, il est important de pouvoir se retrouver.

Nous organisons aujourd’hui une audition publique sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau. Philippe Bolo, député, a préparé avec moi cette audition. Je me tourne vers MM. Darnaud et Bolo pour qu’ils nous exposent l’importance de cette audition.

M. Mathieu Darnaud, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective. – J’ai le grand plaisir d’associer notre délégation à la prospective à ces travaux. L’Office et la délégation ont la préoccupation commune de nourrir et éclairer le débat parlementaire par des travaux approfondis dans une perspective de temps long. Notre délégation avait déjà travaillé sur l’eau il y a quelques années, ce qui avait abouti à la publication en mai 2016 d’un rapport intitulé « Eau : urgence déclarée » par deux de nos collègues sénateurs, Jean‑Jacques Lozach et Henri Tandonnet. Ce rapport alertait notamment sur les risques de voir l’accès à l’eau de plus en plus difficile en France du fait du changement climatique et identifiait les conflits d’usages possibles en invitant à imaginer des solutions pour mieux gérer la ressource.

Nous avons décidé de donner une suite à ce rapport, en confiant à quatre de nos collègues, Catherine Belrhiti, Cécile Cukierman, Alain Richard et Jean Sol, une actualisation avec un point d’attention sur la ressource qui sera au cœur de nos travaux ce matin.

S’agissant du contexte, je rappelle que la question de l’eau a fait l’objet de deux démarches récentes des pouvoirs publics. Les Assises de l’eau annoncées en 2017 et lancées en 2018 ont été achevées en 2019. Elles visaient à faire dialoguer les acteurs du petit cycle de l’eau et ceux du grand cycle de l’eau, perturbé par le changement climatique. La feuille de route qui en est issue s’articule autour de trois grands objectifs : protéger et restaurer les milieux aquatiques ; économiser et partager ; améliorer la qualité des services aux usagers.

Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, lancé en 2021 et achevé début février 2022, était centré sur les enjeux de l’eau en agriculture, dans le but de formuler des propositions pour sécuriser les usages de l’eau par les agriculteurs.

La question de l’eau est au carrefour de nombreux enjeux : environnementaux d’abord avec les pollutions, la raréfaction de la ressource, la préservation de la biodiversité, mais aussi économiques et sociaux (coût d’accès, dépendance de certains secteurs comme l’agriculture ou l’énergie).

La gestion de l’eau implique des acteurs institutionnels nombreux et variés, au premier rang desquels les agences de l’eau et les collectivités territoriales.

Enfin, au-delà d’une approche hexagonale, l’enjeu de l’eau se pose aussi dans nos territoires ultramarins ainsi qu’à l’échelle européenne, l’Union européenne disposant d’une règlementation ancienne et exigeante (directive‑cadre sur l’eau), mais aussi à l’échelle mondiale, les pénuries d’eau étant susceptibles d’entraîner des bouleversements économiques et géopolitiques profonds dans les années à venir.

Je me réjouis que nous puissions entendre ce matin des experts et spécialistes de ce sujet majeur pour l’avenir de nos territoires et de notre planète.

M. Philippe Bolo, député. – Je me réjouis également de cette table ronde sur la gestion de l’eau. Dans les différents territoires, nous constatons au quotidien que le sujet de l’eau revient souvent. Le parti a été pris de centrer les débats ce matin sur la gestion quantitative de la ressource en eau. Cela éclairera la réflexion de chacun, parce qu’il n’est jamais inutile de regarder les sujets sous l’angle scientifique et technologique pour avoir des éléments rationnels et factuels et disposer d’éléments de démonstration précis sur les décisions à prendre.

Quel impact du changement climatique sur la ressource en eau ?

Présidence : M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Nous abordons la première table ronde consacrée à l’impact du changement climatique sur la ressource en eau en France.

Grâce à l’expertise de Madame Habets et de Monsieur Andréassian, nous aurons une réflexion sur les enjeux quantitatifs compte tenu des évolutions dues au changement climatique, qui semble se confirmer chaque année, voire s’accélérer.

Mme Florence Habets, directrice de recherche au CNRS, équipe « Surface et réservoir » du Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure. – Je me concentrerai sur les principes généraux de l’impact du changement climatique sur la ressource en eau. M. Andréassian s’intéressera quant à lui aux impacts de ce changement climatique en France.

La ressource en eau est uniquement constituée de l’eau douce facilement utilisable et peu polluée, soit moins de 0,1 % de l’eau sur Terre. Il s’agit peu ou prou de la part des pluies continentales qui ne s’évapore pas. Elle est majoritairement stockée dans les sols et les nappes souterraines et s’écoule dans les rivières.

L’eau est fortement liée à la biodiversité puisqu’elle est indispensable à toute forme de vie. Elle est aussi un habitat pour environ un million d’espèces, dont un tiers sont menacées d’extinction. L’eau et le climat sont liés, car l’eau est un régulateur du climat à travers ses changements de phase (glace, vapeur, liquide). Un rapide transport de la vapeur d’eau par l’atmosphère permet de réguler les variabilités spatiales.

Comment le dérèglement climatique affecte-t-il la ressource en eau ?

En premier lieu, on observe une modification de la distribution spatiale des précipitations. L’énergie reçue par la planète, principalement au niveau de l’Équateur, permet à l’air humide de s’élever et de former des nuages. De fortes précipitations ont ainsi lieu à l’Équateur. L’air, qui s’est asséché, redescend ensuite au niveau de la surface terrestre vers 30 degrés de latitude, ce qui explique la formation de déserts. Inversement, au niveau des hautes latitudes, l’air est soulevé par le froid polaire qui conduit à la formation de nuages et donc à des précipitations. On observe donc une bande humide au niveau de l’équateur, des bandes sèches au niveau des 30 degrés de latitude puis à nouveau des bandes humides. Ces bandes sont affectées par le dérèglement climatique, car en émettant des gaz à effet de serre, on modifie le bilan d’énergie de l’atmosphère. L’atmosphère ayant plus d’énergie, les nuages sont poussés plus haut au niveau des tropiques et s’élargissent, ce qui augmente les précipitations. L’air revient alors en surface plus loin, ce qui induit un décalage des zones sèches vers les hautes latitudes. Les zones humides des hautes latitudes se décalent à leur tour. En synthèse, certaines zones du globe s’humidifient pendant que d’autres s’assèchent.

La France se situe entre le nord de l’Europe, qui s’humidifiera, et le sud, qui s’asséchera, notamment dans la zone méditerranéenne, qui connaîtra un assèchement très marqué et où la situation est similaire à celle de la zone du Mexique et de la Californie, où les incendies se multiplient ces dernières années et où les barrages hydroélectriques sont vides.

La modification de l’intensité des précipitations est un autre impact du changement climatique. Cela s’explique par la quantité d’eau portée par l’atmosphère, qui est plus importante quand l’air est plus chaud, ce qui produit une colonne d’eau plus grande. Quand il pleut, le volume d’eau qui tombe est alors plus important. En moyenne, l’augmentation de l’eau précipitable est de 7 % par degré Celsius de réchauffement. Avec une hausse de 3 degrés, cela représente une augmentation de 30 % des précipitations les plus intenses. Ces pluies les plus intenses sont plus fréquentes en été et en automne et peuvent se produire sur toute la planète, à l’exemple de ce qui s’est produit en juillet 2021 en Allemagne. Ces inondations pluviales, si l’eau n’est pas retenue dans les sols, s’accompagnent d’érosion et de transferts de polluants.

Ce phénomène sera également à l’origine d’un assèchement. En effet, la vapeur d’eau provient principalement des océans qui se réchauffent moins vite que les continents et n’apportent donc pas suffisamment de vapeur d’eau au‑dessus de ces derniers, en raison du gradient de température. Il existe donc un déséquilibre au‑dessus des océans, qui crée un déficit de vapeur d’eau au‑dessus des continents et qui accroît la demande évaporative. L’eau du sol s’évapore plus vite, ce qui augmente le risque de sécheresse. La durée des sécheresses agronomiques s’accroît pour chaque demi‑degré de réchauffement et peut augmenter jusqu’à 30 % à certains endroits.

Le dérèglement climatique n’est pas le seul facteur affectant la ressource en eau. La variabilité naturelle du climat est aussi à prendre en compte. En étudiant les débits de la Loire, on observe que pendant des périodes de 20 ans environ, le débit est de 15 % supérieur ou inférieur à la moyenne. Cela est dû à des variations naturelles de température de la surface de l’océan qui modifient la direction des fronts pluvieux. On risque de mal s’adapter si on ne tient pas compte de ces variabilités, qui se poursuivront dans le cadre du dérèglement climatique, voire s’intensifieront. Il existe toutefois un potentiel de prévisibilité.

Enfin, les activités humaines affectent aussi les ressources en eau. L’homme stocke déjà une masse d’eau importante – 20 % de la capacité naturelle de stockage des sols – et il mobilise pour ses usages environ 50 % des débits des rivières. Or, la consommation d’eau humaine est aujourd’hui une cause majeure de l’intensification des sécheresses hydrologiques (assèchement des rivières). Il existe un antagonisme entre la réduction des sécheresses agronomiques et l’amplification des sécheresses hydrologiques, les efforts menés pour réduire les premières ayant tendance à aggraver les secondes. Or, la nature est en équilibre – chaque action produit des rétroactions –, il y a un risque de faire basculer le système vers un nouveau point d’équilibre. En hydrologie, on constate des problèmes de salinisation, de réduction des deltas par perte de sédiments, voire de disparition de lacs naturels, comme la mer d’Aral ou le lac Tchad. Il est assez difficile d’anticiper l’ampleur de ces rétroactions, il faut donc faire attention à ne pas dépasser les limites.

M. Vazken Andréassian, directeur de l’unité de recherche « HYCAR » d’Inrae. – Comme l’a dit Mme Habets, le changement climatique affectera l’écoulement des fleuves et rivières. Toutefois, la ressource pourrait diminuer même si l’écoulement restait stable car la ressource n’est qu’une transformation humaine de ce que la nature nous propose. En fonction de la saisonnalité de notre demande, la ressource peut être plus ou moins affectée, et ce sont les usages saisonniers qui seront les plus touchés.

L’hydrologie est une science compliquée. J’ai pris les exemples de trois rivières provenant de différents bassins versants, la Mayenne, l’Eyrieux et la Meuse. Vous pouvez voir sur ces schémas, à partir de mesures, comment l’écoulement dépend avant tout des précipitations : il existe une relation claire entre précipitations et écoulement d’une rivière. En revanche, si l’on regarde l’influence de l’évaporation potentielle, en première approximation liée à la température –, on peut voir que la relation est plus ténue. Le même phénomène s’observe partout sur le territoire. Ainsi, ce qui influence au premier ordre l’écoulement d’une rivière est la précipitation. Le changement climatique affecte les précipitations, avec une tendance à l’assèchement en Méditerranée et à l’augmentation des précipitations en Europe du Nord. Pour la France, qui se situe au milieu, l’écoulement devrait baisser en été sur l’ensemble du territoire.

Les prévisions du GIEC peuvent être représentées sous forme de cartes. Vous pouvez voir sur les cartes que je vous présente deux visions : une hypothèse très optimiste et une hypothèse légèrement pessimiste. On remarque, dans l’hypothèse optimiste, que le bassin de la Garonne s’assèche. Dans le modèle pessimiste, toute la France est en assèchement. Les écoulements devraient donc être réduits.

Il faut distinguer ressources et écoulements. En effet, le débit d’une rivière est irrégulier et l’écoulement naturel est un maximum théorique pour la ressource. Une partie du débit devant être réservée aux écosystèmes aquatiques, toute l’eau des rivières n’est pas utilisable. De plus, les écoulements, lorsqu’ils arrivent en crue, ne sont pas non plus utilisables et ne constituent pas une ressource. Il faudrait pour cela avoir des réservoirs gigantesques, ce que nous n’avons pas en France. Le plus grand de nos réservoirs, celui de Serre‑Ponçon, avec un milliard de mètres cubes de capacité, est minuscule par rapport à d’autres réservoirs en Europe. Le rendement de la conversion écoulement‑ressources est nécessairement inférieur à 100 %. Il est fonction de ce que l’on décide de laisser à la rivière pour soutenir les écosystèmes et il dépend de nos capacités à stocker l’eau. Concernant cette capacité à stocker l’eau, on peut voir que le rendement augmente avec la taille du réservoir mais que si on crée d’énormes réservoirs, le rendement baissera, car on y perd de l’eau par évaporation.

Le type d’usage affecte également le rendement de la ressource mobilisable. S’il s’agit d’un usage d’irrigation pendant la saison chaude, des difficultés apparaissent car les rivières ont moins d’eau pendant l’été.

Nous avons mené des travaux sur la manière de traduire les changements prévisibles du climat en réduction de la ressource pour plusieurs bassins versants français. On constatait que près de 80 % des bassins versants verraient leurs ressources mobilisables baisser dans le cadre d’une demande constante de type urbain, et de 90 % dans le cadre de demandes saisonnières.

Nous n’avons pas de solution magique. Mme Habets est hydrogéologue tandis que je suis un hydrologue de surface mais nous nous occupons d’un seul cycle de l’eau. S’il manque de l’eau en surface, nous ne pourrons pas chercher de l’eau en souterrain, et inversement, car il s’agit du même cycle de l’eau.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Je vous remercie pour cette ouverture. J’imagine qu’elle suscite des questions.

Mme Vanina Paoli-Gagin, sénatrice. – Merci beaucoup pour ces interventions très intéressantes. Pouvez-vous retracer les raisons pour lesquelles il n’y a pas eu de politique de constitution de grands réservoirs dans notre pays ? Y a-t-il des justifications ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Je ne partage pas totalement l’avis de M. Andréassian sur les grands réservoirs, qui ne sont pas des réservoirs d’eau, mais des réservoirs d’écrêtement de crues. Dans le Grand‑Est, de grands réservoirs sont liés à la gestion des crues de la Marne et de la Seine pour protéger la région parisienne, comme le lac du Der.

Mme Vanina Paoli-Gagin, sénatrice. – Je pensais aux réservoirs à l’instar de ceux qui existent en Espagne, pas aux barrages‑réservoirs régulateurs de crues.

Mme Florence Habets. – En Espagne, une mobilisation pour l’irrigation par des barrages a fait suite à la sécheresse d’après‑guerre, qui a aussi fortement impacté la France, notamment en Occitanie. Les grands barrages ne représentent toutefois pas une sécurité absolue pour la mobilisation de la ressource en eau. On parvient à stocker l’eau d’hiver pour l’utiliser l’été et de très gros barrages peuvent permettre de passer une année sèche ou deux, mais l’exemple américain montre que de très grands barrages, tels le Hoover Dam, ont été complètement vidés cette année à la suite d’une sécheresse longue. On pense que le barrage est une solution mais cela ne protège pas des sécheresses longues, qui ont déjà eu lieu dans le passé et qu’on anticipe plus récurrentes dans le futur. Il ne faut pas oublier que les plus grands réservoirs sont nos sols et nos sous‑sols, sur lesquels nous pouvons aussi gagner.

M. Vazken Andréassian. – La France est bénie des dieux en termes d’eau. En comptant l’écoulement de toutes ses rivières, la France a deux fois plus d’eau que l’Espagne. En outre, elle a les Alpes, qui stockent de la neige, ce qui introduit un décalage dans les écoulements. La France a aussi le Rhône, qui a un réservoir naturel avec le lac Léman. Son débit est extrêmement régulier. L’irrigation dans le bas Languedoc a été constituée en puisant dans le Rhône par le biais du canal du bas Rhône‑Languedoc, dont la capacité d’irrigation n’a jamais été saturée.

Par ailleurs, les nappes aquifères sont très importantes. La nappe de Beauce représente 10 milliards de mètres cubes, par rapport à un milliard de mètres cubes pour le lac de Serre‑Ponçon. En conclusion, selon moi, la France a eu jusqu’ici tellement de chance avec sa situation naturelle qu’il n’était pas nécessaire d’entreprendre des travaux pharaoniques.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Je reviens sur l’exemple de l’Espagne et de l’Occitanie, pour lequel on a parlé des raisons climatiques et techniques du déficit d’eau. Depuis longtemps on alerte sur ce sujet, comme l’avait fait Martin Malvy à l’Agence Adour‑Garonne. Il existe toutefois également une raison politique à ce déficit. Loin de moi l’idée de faire l’apologie du franquisme mais, pendant cette période, des chantiers ont été entrepris sur toute la chaîne pyrénéenne. Sur les dernières années de sécheresse, nous avons été dépannés régulièrement par l’Espagne en fourrage et en paille, ce qui semble paradoxal compte tenu de l’orientation nord de notre bassin versant, alors que le leur est orienté au sud. Nous avons perdu la capacité à réaliser de grands chantiers, quelle que soit leur taille, avec des exemples tristement célèbres comme Sivens. Même si stocker de l’eau coûte de l’eau, cela reste à mon sens la seule solution pour nos besoins agricoles, surtout lorsqu’on voit les prévisions démographiques pour les années à venir. Il me semble indispensable de se remettre au travail sur les stockages en bassin versant.

M. René-Paul Savary, sénateur. – Je viens de la région du lac du Der. Nous avons construit ces réservoirs pour éviter des inondations, et non comme stockage d’eau. Il est très difficile de construire des réservoirs comme ceux‑là, car la compréhension de la population est indispensable. Quand on engloutit des villages, cela crée des cicatrices durables, sur des dizaines d’années.

Je souhaitais avoir votre avis d’ingénieur sur les théories de bassins d’écrêtement de crues, qui sont difficilement comprises par la population. En effet, on ne remplit le bassin d’écrêtement que lorsqu’on parvient à un certain niveau d’inondation, pour protéger les populations en aval. Les populations ne comprennent pas que le bassin soit vide en attendant une montée d’inondation et qu’il ne soit rempli qu’à un certain niveau. Que pensez‑vous de ces différentes théories ? Est‑il encore concevable d’imposer la construction de bassins réservoirs à nos concitoyens ? Y a‑t‑il une différence entre un bassin réservoir pour éviter des inondations et un bassin réservoir dans le but de stocker de l’eau pour faire face à une sécheresse ?

Mme Cécile Cukierman, sénatrice. – Vous avez évoqué l’enjeu des Alpes qui sert de stockage grâce à la neige. Dans le département de la Loire, la neige est plus rare qu’avant. Plus de la moitié des exploitations agricoles sont placées en situation de sécheresse car la pluie n’est jamais suffisamment abondante pour alimenter les nappes et les petits réservoirs. Nous devons faire des prévisions à plusieurs années avec des enjeux financiers si nous voulons pouvoir retenir l’eau. Aujourd’hui, dans le massif du Pilat dans le sud du département, des sources, y compris chez des particuliers, se tarissent parfois dès début juillet, ce qui induit une insuffisance d’alimentation en eau potable pour satisfaire les besoins humains.

Nous avons effectivement connu dans l’histoire des grands travaux qui ne respectaient ni les travailleurs qui y contribuaient, ni l’environnement. Que pouvons‑nous faire pour retenir l’eau quand elle arrive de plus en plus rarement ? Certes, nous pouvons réduire la consommation mais nous aurons toujours besoin d’eau pour vivre.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Ces interventions sont assez marquées régionalement, mais sont représentatives de nos préoccupations nationales.

M. Vazken Andréassian. – Les barrages‑réservoirs de l’Institution interdépartementale des barrages‑réservoirs de la Seine, devenue Seine Grands Lacs, sont multi‑objectifs. Ils ont été créés en théorie pour stocker de l’eau en cas de crue. Aujourd’hui ils ont un objectif double : soutenir la Seine en basses eaux et écrêter les crues. Il existe quatre grands réservoirs qui font 800 millions de mètres cubes. Cela est difficile à gérer. D’une part parce que les barrages‑réservoirs ont un objectif double : pour être efficace pour écrêter les crues, il faudrait qu’ils soient toujours vides, mais pour soutenir les étiages il faudrait qu’ils soient toujours pleins. D’autre part, pour des raisons géologiques, les réservoirs sont très loin de l’objectif à protéger. Dans le bassin de la Seine, on ne peut pas stocker d’eau à proximité de Paris pour des raisons géologiques. Les grands réservoirs sont ainsi, pour l’un dans le Morvan, pour les trois autres dans la Champagne humide, et sont donc très éloignés de Paris. Ils sont difficiles à gérer car si l’on veut créer de la place en prévision de pluies importantes et si l’on procède à un lâcher massif, le temps que l’eau arrive à Paris est significatif, de 7 à 10 jours. En outre, si la prévision est inexacte et qu’il ne pleut pas en amont des bassins mais à proximité de Paris, la manœuvre aggrave la situation. La gestion de ces barrages est extrêmement rigide et encadrée par des arrêtés préfectoraux avec une courbe d’objectifs prévoyant les moments de remplissage et de vidage du réservoir. Statistiquement, le réservoir remplit son rôle. Aujourd’hui, on considère que ces réservoirs protègent assez bien Paris, mais ce ne serait pas le cas pour une crue similaire à celle de 1910. Ils réduiraient la cote de 30 centimètres, mais le métro serait inondé.

D’autres projets sont à la confluence entre l’Yonne et la Seine vers Montereau, avec des casiers qui seraient remplis uniquement en cas de crue pour créer un déphasage et faire patienter l’eau de la Seine en attendant que celle de l’Yonne passe.

Nous pouvons retenir en conclusion que Paris est protégé aussi bien que possible mais serait inexorablement inondé en cas de crue du niveau de celle de 1910.

Mme Florence Habets. – En France, aujourd’hui, environ 6 à 7 % des surfaces agricoles sont irriguées. Il sera impossible de multiplier les stockages pour irriguer 100 % de la France. Il faut par conséquent être capable d’avoir une agriculture qui utilise au mieux les sols et les conditions climatiques du futur pour produire. Il faut en outre conserver de la forêt et des zones agricoles non irriguées.

La solution des barrages peut certes sembler très intéressante, mais elle mène tout de même à des impasses ponctuelles. Par exemple, les barrages en Espagne sont cette année secs en sortie d’hiver. Ce n’est pas une solution magique. Cela peut dépanner et augmenter légèrement la surface irriguée, mais il faut trouver des solutions pour les zones qui ne peuvent pas être irriguées, y compris pour les zones naturelles comme les forêts. Cela représente des enjeux en matière de gestion des sols et de la nappe. Il ne faut pas trop faire baisser la nappe pour qu’elle puisse irriguer les arbres notamment.

Par ailleurs, à cause des variabilités naturelles, les débits en France sont à la baisse depuis 40 ans. Ce n’est pas uniquement dû au changement climatique. Celui‑ci entraîne une continuité à la baisse qui s’ajoute à ces variabilités naturelles. La France connaît actuellement un point bas, mais elle pourrait avoir plus d’eau dans la prochaine décennie, malgré le changement climatique.

M. Philippe Bolo, député. – Une contradiction intrinsèque apparaît dans l’utilisation de ces réservoirs pour la gestion quantitative car il faut les remplir, mais aussi les vider, en fonction des objectifs de crue ou de soutien d’étiage. Les modélisations que vous réalisez incluent‑elles une possibilité de jouer sur la taille des retenues et leur répartition sur les bassins versants afin de déterminer la taille et la répartition optimales permettant de mieux satisfaire les deux usages ? En ce qui concerne la diminution des pluviométries dans certains territoires, aujourd’hui on observe déjà des assecs des cours d’eau dans certains bassins versants lors des périodes d’étiage. On parle des impacts négatifs des barrages mais avec une forme d’intelligence hydraulique, ne pourrait‑on pas s’en servir pour bénéficier d’un réservoir d’eau supplémentaire pour alimenter les cours d’eau pendant cette période d’étiage, éviter l’assec et bénéficier à la biodiversité ?

Mme Florence Habets. – J’ai participé à une expertise sur l’impact cumulé des retenues. Il n’est pas évident de savoir ce qu’il convient de faire sur les retenues. La perte par évaporation est un élément clef assez mal connu car elle dépend de la manière dont le barrage est alimenté, dont il relargue l’eau et de sa profondeur. Cela va être également très variable selon la position de la retenue : elle peut se trouver en fond de vallée, abritée du vent et à l’ombre, ou exposée et en zone sèche. Cela peut donc évoluer d’une région à l’autre. Il manque des données sur ce sujet. Je fais un appel régulier aux compagnies qui ont des retenues pour qu’elles transmettent aux scientifiques des informations sur les pertes par évaporation, qui sont nécessaires pour identifier les tailles de retenue les plus efficaces. A priori, les petites retenues peu profondes vont perdre plus d’eau, mais nous n’avons pas d’idée de ce que serait la taille optimale.

M. Vazken Andréassian. – On souhaiterait être capable de tout optimiser, mais il est devenu difficile de parler de construction de réservoir, même pour les ingénieurs, et il est difficile d’émettre des hypothèses qui pourraient passer pour des provocations. J’avais calculé la quantité de réservoirs qui serait nécessaire pour garantir un même taux d’utilisation de l’écoulement afin que les ressources utilisables restent équivalentes. Ceci est faisable, mais créer une retenue n’est pas seulement un problème technique, c’est aussi un problème humain et géographique. Il n’y a pas nécessairement de site disponible. Les meilleurs sites ont déjà été équipés.

Au sujet d’une éventuelle optimisation, l’écologie des cours d’eau est affectée par la présence ou l’absence d’eau, mais aussi par l’augmentation des températures. L’augmentation prévue des températures des cours d’eau aura des effets sur l’écologie des cours d’eau français dans les années à venir. L’Inrae a montré que les gros réservoirs, qui ont la plus grande inertie thermique, ont un impact sur la réduction de la température de l’eau. Un très gros réservoir permet de réduire la température maximale atteinte en été, alors que les plus petits auraient tendance à l’augmenter. Pour limiter l’évolution des écosystèmes aquatiques, il faudrait de grosses retenues, mais cela semble impossible à proposer compte tenu de l’état de l’opinion.

M. Pierre Médevielle, sénateur. – Les retenues collinaires ont un intérêt pour les champs à irriguer du fait de leur proximité immédiate avec ceux‑ci. Ce sont des chantiers beaucoup plus modestes et cela me paraît être la solution la plus facile à mettre en œuvre. En Occitanie, il y a des départements en forte tension, notamment le Gers et l’agglomération toulousaine, dont l’alimentation est insuffisante. Un épisode de sécheresse important serait catastrophique. Il nous faut trouver des solutions.

Mme Florence Habets. – Le maraîchage collecte souvent les eaux de pluie de ses structures et bâtiments pour les stocker dans des réservoirs. L’efficacité serait accrue si ces réservoirs étaient bâchés pour éviter les pertes. Cela peut être préconisé pour un usage très local.

M. Philippe Bolo, député. – Nous comprenons grâce à vos interventions de grande qualité que des paramètres climatiques modifient la dynamique du cycle de l’eau, et que cela a des conséquences sur les écoulements dans les bassins versants. Je remarque cependant que les questions posées sont surtout d’ordre technologique et se rapportent aux outils pour pallier ces problèmes.

Je vous propose donc d’aborder la deuxième partie de notre audition, qui porte sur les outils.

Quels outils pour mieux gérer la ressource en eau ?

Présidence : M. Philippe Bolo, député

M. Philippe Bolo, député. – Cette deuxième table ronde va nous permettre d’aborder les outils pour mieux gérer la ressource en eau, au‑delà des retenues.

Nous accueillons Mme Nadia Carluer, ingénieur-chercheur dans l’unité de recherche « RiverLy » d’Inrae, Mme Catherine Néel, directrice de projets « Gestion résiliente des hydrosystèmes » au Cerema, Mme Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique « Eaux souterraines et changements globaux » du BRGM, et M. Lionel Alletto, directeur de recherche à l’Inrae dans l’unité mixte de recherche « AGIR‑Agroécologie, Innovations et territoires ».

Je vous laisse d’abord nous présenter vos expertises et nous poursuivrons avec les questions nombreuses que nous aurons à vous poser sur ce sujet de la gestion de la ressource en eau.

Mme Nadia Carluer, ingénieur-chercheur dans l’unité de recherche « RiverLy » d’Inrae. – J’aborderai les retenues comme éventuelle solution d’adaptation à la fragilisation de la ressource en eau. Je vous parlerai de petites retenues, de moins d’un million de mètres cubes, et vous présenterai des éléments issus d’une expertise scientifique collective sur l’impact cumulé des retenues sur la ressource en eau.

Combien y a-t-il de plans d’eau en France ? Les grands ouvrages sont connus avec environ 560 barrages qui représentent dix milliards de mètres cubes. En revanche, les plus petits ouvrages sont mal connus et répertoriés. Certains départements ont des bases de données relativement complètes mais il n’existe pas de base de données homogène nationale. Néanmoins, comme vous pouvez le voir sur ma présentation, plusieurs modes d’évaluation des surfaces en eau ou des retenues aboutissent à une surface totale similaire d’environ 4 000 kilomètres carrés, bien que la répartition sur le territoire diffère selon la méthode utilisée. Les petits plans d’eau de moins de 10 hectares sont beaucoup plus nombreux que les grands, qui représentent en revanche le volume le plus important.

Une retenue recouvre une grande diversité d’usages et d’ouvrages. Les usages peuvent être l’irrigation, les loisirs, la pisciculture ou la pêche, avec une répartition des usages majoritaires différente selon les régions. Les divers modes d’alimentation des retenues ont par ailleurs des effets différents sur le milieu : on distingue les retenues alimentées par pompage dans la nappe ou la rivière, les retenues collinaires alimentées par le ruissellement des versants, les retenues alimentées en dérivation – avec un cours d’eau qui s’écoule normalement en dehors des périodes de remplissage – et les retenues en barrage sur cours d’eau. Les retenues collinaires et en barrage sur cours d’eau sont les plus nombreuses en France.

Les évaporations peuvent représenter une partie importante du bilan hydrique. On peut également constater une part d’infiltration éventuelle vers la nappe souterraine, mais s’il s’agit de retenues de stockage, ces écoulements sont limités. Des sorties ont également lieu par surverse pour les retenues collinaires ou par vanne de fond pour les plus grosses retenues, avec un débit réservé pour les retenues sur cours d’eau quand elles respectent les normes, et par prélèvement pour les usages d’irrigation.

Les impacts des retenues sur le milieu aquatique sont divers. Elles influencent l’ensemble des caractéristiques fonctionnelles du milieu, car elles retardent les écoulements et modifient l’amplitude, la dynamique et la saisonnalité des flux et des concentrations des éléments qui y entrent. Pour l’hydrologie, cela représente une perte d’eau pour le cours d’eau aval, avec notamment une diminution des débits à l’étiage et un retard de la reprise des écoulements à l’automne, qui peut nuire aux organismes aquatiques. D’un point de vue hydromorphologique, la retenue stocke les sédiments – notamment les plus grossiers produits sur les versants – ce qui diminue sa capacité de stockage de manière non négligeable dans les zones où l’érosion est importante. Elle modifie également le lit du cours d’eau en aval avec soit une incision du lit, soit un colmatage du cours d’eau, ce qui nuit aux capacités de frayère pour certains poissons. Concernant la qualité de l’eau, on observe une constitution de stocks de phosphore dans les retenues avec un risque d’eutrophisation au sein de la retenue et d’augmentation des températures.

D’un point de vue écologique, la retenue modifie les conditions du milieu en matière de débit, de température et de qualité de l’eau et donc les caractéristiques de l’habitat dans le lit du cours d’eau. La retenue représente aussi une rupture de la connectivité du cours d’eau, ce qui limite les possibilités de brassage entre communautés et de recolonisation de certains cours d’eau. Cela induit des richesses spécifiques moindres. Les retenues tendent aussi à favoriser l’introduction d’espèces invasives.

Pour évaluer l’impact cumulé, il n’y a pas de méthode définie. Il faut procéder par sous‑bassins, regarder le taux d’équipement et si les retenues sont sur les cours d’eau ou à l’extérieur, ainsi que leurs usages. Ces données sont cependant difficilement mobilisables. Si les impacts varient, des constantes existent néanmoins : la diminution des débits annuels avec l’altération du régime hydrologique, l’assèchement en été et un retard aux écoulements à l’automne, mais aussi un écrêtement des débits de crue qui entraîne un impact écologique important. L’impact est d’autant plus fort que les années sont sèches. La signature thermique des cours d’eau influencés par des retenues est en outre différente de celle des cours d’eau naturels. Les cours d’eau influencés par des retenues de taille modeste ont une température significativement plus élevée, ce qui a un impact notable sur l’écologie du cours d’eau et sur les organismes aquatiques, mais aussi sur les phénomènes d’eutrophisation. Du point de vue de l’écologie, la richesse spécifique en poissons s’effondre si de nombreuses retenues se trouvent en aval, car les échanges entre les différents brins du réseau hydrographique sont fortement diminués.

En synthèse, les retenues, leurs caractéristiques et leurs usages sont encore mal connus. Il faudrait réaliser un travail de terrain important. La présence de retenues sur un bassin versant influence nécessairement l’ensemble du fonctionnement de l’hydrosystème. Savoir si cela est acceptable sur un territoire suppose de déterminer collectivement les enjeux et les objectifs, en tenant compte des changements à venir. Une planification à long terme est donc nécessaire sur une échelle dépassant celle du seul bassin versant où l’on souhaite installer des retenues.

Les retenues de substitution, dont on entend beaucoup parler comme solution au problème de fragilisation de la ressource en eau, consistent à prélever l’eau dans le milieu hors période d’étiage. À volume équivalent, leur impact est moindre que celui d’un barrage sur cours d’eau. Toutefois, avant d’utiliser cette solution à très grande échelle, il faut comprendre l’impact écologique des débits de hautes eaux sur le milieu, en matière d’hydromorphologie ou de cycle de vie des espèces aquatiques. Cela pose en outre des difficultés pratiques de mise en œuvre. Si l’on souhaite prélever l’eau en période de hautes eaux ou de crues, on doit faire face au plafonnement du débit des pompes et il n’est pas envisageable de suréquiper tous les cours d’eau en pompes extrêmement puissantes. De plus, les retenues actuelles se remplissent déjà essentiellement en hautes eaux. Enfin, des retenues qui seraient remplies de façon active en puisant dans les cours d’eau ou dans les nappes ne seraient remplies qu’une fois par an, alors que certaines retenues utilisent deux à trois fois leur volume nominal au cours d’une saison parce qu’elles se vident par évaporation ou prélèvement et peuvent recapter un volume d’eau important si elles sont collinaires ou situées sur un cours d’eau.

Mme Catherine Néel, directrice de projets « Gestion résiliente des hydrosystèmes » au Cerema. – Le Cerema est un établissement public qui travaille au service des collectivités pour les aider dans leur transition écologique et dans leur adaptation au changement climatique dans des domaines qui dépassent celui de l’eau.

Je vais vous parler de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) comme solution possible d’adaptation au changement climatique. À quoi cela correspond‑il ? Par rapport à un cycle conventionnel de l’eau qui rejette l’essentiel des eaux traitées par les stations d’épuration dans le milieu, la réutilisation des eaux usées traitées permet d’utiliser tout ou partie de cette eau. En France, cette technique est utilisée majoritairement pour des usages agricoles (à 60 %), pour arroser des golfs (à 30 %) et minoritairement pour l’industrie et les usages urbains. Je parlerai exclusivement de la réutilisation des eaux usées traitées issues des stations d’épuration installées en zone urbaine, gérées par des collectivités, car cela représente le plus grand gisement et les marges d’actions les plus larges. Il existe néanmoins aussi des eaux usées qui sont traitées par des stations privées (parcs d’attraction, complexes hôteliers, etc.) et, ailleurs dans le monde, des dispositifs décentralisés d’assainissement non collectifs.

L’avantage majeur de cette technique est d’assurer une disponibilité de l’eau même en période de pénurie, car on ne prélève pas sur la ressource, mais sur l’eau produite en permanence par les usages domestiques de l’eau. Il faut néanmoins garantir les équilibres naturels, notamment dans les périodes de débit faible et à l’étiage. En effet, pour l’essentiel des usages des eaux usées traitées que je vous ai cités, on restitue l’eau usée sous forme d’évaporation et non au milieu. Si le débit journalier de la station d’épuration dépasse la moitié du débit d’étiage du cours d’eau, il n’est pas approprié de soustraire cette eau usée traitée au cours d’eau. Il faudrait alors créer un stockage en dehors de la période d’étiage, mais cela revient au problème des retenues d’eau.

Si l’on assure une disponibilité de l’eau même en période de pénurie, il ne faut pas pour autant freiner la nécessaire transition vers la sobriété des usages. La REUT permet aussi de préserver l’eau potable et de préserver les usages de l’eau mais il faut faire attention au prix, qui peut être supérieur à celui de l’eau brute – jusqu’au triple – et donc problématique pour des agriculteurs. En système littoral, cette mesure d’adaptation au changement climatique est positive, car on valorise de l’eau douce avant de la rejeter en mer.

En France, on observe des niveaux de stress hydrique variables. Le taux de réutilisation des eaux usées traitées est de 0,1 à 1 %, contre 12 à 14 % en Espagne. Toutes les stations d’épuration ne sont cependant pas suivies, et il manque donc 20 % des données. On produit entre 5 et 8 milliards de mètres de cubes d’eaux usées traitées chaque année, mais seuls 7 à 10 millions de mètres cubes sont utilisés. Une étude de 2019 menée à l’échelle européenne montre qu’il existe un potentiel d’utilisation de l’ordre de 120 millions de mètres cubes par an en France. Il est toutefois difficile de comparer les chiffres entre les pays, car les systèmes d’assainissement collectifs sont différents. En France, les stations d’épuration sont plus nombreuses, mais plus petites qu’en Espagne. On recense 63 cas d’utilisation d’eaux usées traitées contre 150 en Espagne. Les stations d’épuration espagnoles étant de grande taille avec un bon niveau de traitement, environ 60 % de l’eau usée traitée est utilisée par station, alors qu’en France, le taux est compris entre 8 et 13 %. Ainsi, le potentiel d’utilisation des eaux usées traitées en Espagne, qui est de l’ordre de 1 200 millions de mètres cubes par an, est supérieur à celui de la France. Même si notre potentiel évalué est moindre, il existe une importante marge de progrès. Il y a déjà une évolution à souligner puisque le nombre de projets se multiplie, notamment depuis 2014, année où la réglementation française a été clarifiée. Il est tout à fait possible de dépasser les objectifs des Assises de l’eau, à savoir tripler l’utilisation des eaux usées conventionnelles.

Un groupe de travail interministériel travaille à identifier les freins et leviers au recours des eaux usées conventionnelles pour un meilleur déploiement en France. Quels sont les leviers à actionner, que ce soit au niveau des territoires ou au niveau de l’État, pour que la REUT soit une bonne solution d’adaptation au changement climatique ? La REUT doit s’inscrire dans un projet de territoire en ne limitant pas l’étude de faisabilité au niveau de la station d’épuration. Il faut de surcroît travailler en lien avec les plans énergie climat et les plans d’alimentation territoriaux, car cela concerne l’énergie, l’alimentation et l’agriculture. Un plan de communication doit également être adossé à cette planification pour renforcer la confiance et éviter des conflits locaux entre particuliers et agriculteurs.

Il faut par ailleurs faire évoluer le modèle économique pour répartir les charges entre les acteurs, surtout lorsqu’on envisage des usages mixtes avec les collectivités qui bénéficient au privé. Il est en outre nécessaire de renforcer le multiusage par des coopérations pour maximiser le taux d’utilisation des eaux usées par station. Pour cela, il serait souhaitable que l’État attribue des incitations financières durables, au‑delà d’un simple appel à projets. Les règles doivent être harmonisées en ce qui concerne l’eau brute, qui est parfois de moindre qualité que les eaux issues des stations d’épuration, pour accroître la compétitivité des eaux usées traitées.

Le cadre réglementaire doit être harmonisé et stabilisé par l’État afin que les projets se concrétisent, avec des règles agiles pour expérimenter de nouveaux usages ou systèmes. Utiliser les eaux usées traitées revient à transférer des eaux d’un bassin vers un autre. Ces eaux pourraient être également utilisées pour d’autres usages actuellement non autorisés, comme l’alimentation en eau potable.

Comme je l’ai indiqué, la marge de progrès est de l’ordre d’une centaine de millions de mètres cubes par an, ce qui doit être mis en regard des 32 milliards de mètres cubes prélevés chaque année en France et des 5,5 milliards de mètres cubes utilisés pour l’alimentation en eau potable.

Il est enfin important de continuer à soutenir la recherche et l’innovation pour améliorer la connaissance, renforcer la confiance par rapport aux risques – qui existent – et faire des analyses prospectives pour évaluer les coûts évités.

En conclusion, la REUT engage de nombreux acteurs et a de multiples bénéfices parfois difficiles à quantifier. Cette solution touche à plusieurs domaines : l’eau mais aussi l’énergie et l’alimentation. C’est une solution très centralisée qui nécessite des investissements et un suivi pour maîtriser les risques. Elle n’est pas adaptée partout, et doit être planifiée et réglementée. Elle peut représenter une bonne solution d’adaptation, à condition de savoir l’aborder dans toute sa complexité.

Mme Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique « Eaux souterraines et changements globaux » du BRGM. – Je vais aborder le sujet des eaux souterraines, qui représentent 30 % des eaux douces, elles‑mêmes représentant 0,1 % des eaux de la Terre. La recharge des nappes souterraines est l’une des solutions préconisées en complément des économies d’eau et des autres solutions qui ont été présentées.

Les eaux souterraines représentent 68 % de l’eau potable consommée et 20 % du soutien à l’étiage des cours d’eau. La répartition de leur utilisation est variable selon les départements. Il faut distinguer les prélèvements et la consommation : on peut ainsi prélever et rejeter rapidement dans le milieu, ce qui fait que la consommation n’est pas totalement effective.

Aujourd’hui, on compte environ 6 500 nappes d’eau souterraine, mais seulement 200 sont d’importance régionale, notamment celle de la Beauce. Ces nappes aquifères sont dans des roches très variées. Il y a des graviers et sables qui sont poreux – l’eau se trouve alors dans les pores – et des roches volcaniques et des granits où l’eau se trouve dans les fissures et les fractures. Dans des calcaires plus ou moins quartzifiés ou dans la craie, le stockage se fait en poche avec des phénomènes de dissolution de ces matériaux. Ces aquifères sont en outre différents en termes de volume que l’on va pouvoir recharger et de réactivité de ces volumes. Certains réagissent très rapidement aux pluviométries, mais en général ce ne sont pas de grandes nappes. Pour les aquifères sédimentaires assez grands, les nappes se rechargent à la saison et à l’année avec des courbes évolutives. Pour des nappes de très grande capacité ou profondes, l’inertie est très importante. Plusieurs années, voire une dizaine d’années seront nécessaires pour voir des évolutions au sein de ces nappes.

Les aquifères se rechargent généralement lorsque les pluies sont importantes, la température est faible et la végétation ne croît pas, donc généralement entre octobre et avril‑mai. Pour amplifier cela, il faut connaître les ressources sur lesquelles s’appuyer pour augmenter la recharge naturelle. Il faut regarder où se situe la demande et quelles sont ses exigences en matière de volume, de qualité et de localisation, et mesurer l’efficacité des différents systèmes de recharge.

Différents types de systèmes de recharge existent : forages d’infiltration, bassins d’infiltration, effets de berge pour capter l’eau du cours d’eau par pompage à proximité des berges. On peut collecter l’eau de pluie, prélever dans d’autres nappes ou dans des cours d’eau, ou enfin réutiliser des eaux usées. Cela permet d’obtenir un retour à l’équilibre des hydrosystèmes en quantité ou en qualité, et pallier par exemple des baisses liées aux prélèvements, des subsidences, des crues ou des inondations. Il est également possible d’améliorer la qualité en évitant les biseaux salés dans les aquifères côtiers ou dans les îles. Cela permet également d’éviter de l’évapotranspiration. Par ailleurs, il faut connaitre suffisamment les aquifères et leurs écoulements et s’assurer que l’eau rechargée est compatible avec les aquifères. Il faut également élaborer la gouvernance de ces systèmes de recharge en fonction des prélèvements et des usages souhaités. Une problématique opérationnelle existe en outre sur le colmatage et le suivi qualitatif et quantitatif. Des experts possédant des compétences particulières sont donc requis.

Il existe actuellement une cinquantaine de sites de réalimentation d’aquifères en France, dont quatre grands sites (Croissy‑sur‑Seine, Flins, Houlle‑Moulle et Crépieux‑Charmy), qui servent principalement à alimenter l’étiage des nappes et à améliorer la qualité. Le dispositif fonctionne principalement par filtrat de berge : à Crépieux‑Charmy, l’eau est prélevée dans le Rhône, et elle est placée dans des bassins où elle s’infiltre dans la nappe et crée un dôme hydraulique qui évite des pollutions accidentelles. On prélève dans les forages pour alimenter Lyon dont 70 % de l’alimentation en eau potable est gérée grâce à cette recharge.

Aujourd’hui, nous agissons à différentes échelles. Pour l’Agence de l’eau Rhône‑Méditerranée‑Corse, nous avons établi une carte d’orientation sur les zones favorables à la recharge des nappes, car cela dépend des aquifères présents. Un autre projet, pour Rennes Métropole, a porté sur les zones où l’infiltration des eaux de pluie en milieu urbain et périurbain était favorable. Il devient alors possible de déterminer les modalités techniques et la distance entre les lieux à réinfiltrer, ainsi que les coûts associés à ces pilotes. L’utilisation des eaux usées traitées par rapport aux eaux conventionnelles peut entraîner des coûts substantiellement plus importants, de l’ordre du triplement.

Il est nécessaire de mieux connaître les aquifères, mais aussi les besoins dans le temps et à l’échelle du territoire, puisque le changement climatique aura des répercussions sur la pluviométrie naturelle et donc sur les capacités de recharge maîtrisée. Il faut également suivre les aquifères, en quantité et qualité, ainsi que les prélèvements. Des outils de prédiction sont nécessaires pour agir à l’échelle de quelques mois pour les futurs prélèvements de saison mais aussi à l’échelle de plusieurs dizaines d’années. Des outils d’aide à la décision pour partager ces ressources à l’échelle du territoire doivent être mis en place. Dans les territoires ultramarins, les connaissances sont plus faibles et les ressources en eaux souterraines ne sont pas toujours suffisantes pour satisfaire toutes les demandes.

M. Lionel Alletto, directeur de recherche Inrae dans l’unité mixte de recherche « AGIR  Agroécologie, innovations et territoires ». – J’aborderai les pratiques et systèmes agroécologiques et la gestion quantitative de l’eau, en évoquant en particulier le rôle des sols.

L’agroécologie est un ensemble disciplinaire qui croise des sciences agronomiques et écologiques appliquées aux agrosystèmes et y associe les sciences humaines et sociales. Il s’agit de systèmes qui combinent un ensemble de pratiques. L’agroécologie est présentée comme une alternative à une agriculture intensive, caractérisée par un usage d’intrants important. Elle promeut une diversité biologique et des régulations biologiques associées à cette diversité pour maximiser des services écosystémiques autour des cycles du carbone, de l’azote et de l’eau. Elle vise à promouvoir des systèmes alimentaires, ce qui implique des approches multiacteurs.

Un des leviers les plus puissants pour réduire l’usage des intrants est la diversification spatiale et temporelle des espèces végétales cultivées ou associées aux espèces cultivées. Le système conventionnel de production agricole répond bien en termes de production, mais est fortement dépendant des intrants et n’optimise pas les fonctions écosystémiques. Certains modes de production favorisent les régulations et les services écosystémiques, notamment l’agriculture de conservation, respectueuse du climat. Ces différentes pratiques forment le cadre assez large de l’agroécologie. Il n’existe pas de définition stricte mais un cadre conceptuel de raisonnement car il n’y a pas de système miraculeux répondant à tous nos objectifs (environnementaux, sociaux et économiques) mais une zone de compromis à établir en fonction des territoires et des enjeux identifiés.

Il est indispensable de noter que le cycle de l’eau est intimement lié au cycle du carbone et à celui de l’azote, ce couplage étant central dans les systèmes agricoles.

L’eau de pluie s’infiltre dans le sol si l’état de porosité du sol le permet, sinon le ruissellement peut entraîner des phénomènes d’érosion. Dans le cadre de la gestion d’une parcelle agricole, on cherche à optimiser l’infiltration pour garantir la recharge des nappes et la retenue d’une partie de cette eau par le sol pour irriguer les plantes et maximiser l’efficience de valorisation de cette eau par les plantes. L’eau dite capillaire est la seule valorisable et absorbée par les racines. Elle peut être influencée par des pratiques agricoles. L’agriculture de conservation est le mode de production qui a le plus d’influence sur le fonctionnement hydrique des sols, en lien avec des modifications fortes des propriétés physiques, chimiques et biologiques du milieu. Elle mobilise trois leviers majeurs non dissociables : la rotation et la succession de cultures diversifiées, l’utilisation de plantes de service pour couvrir les sols et minimiser les temps de sol nu et la suppression ou forte réduction du travail du sol, qui favorise l’infiltration de l’eau dans les sols.

L’optimisation de l’infiltration de l’eau est particulièrement importante en cas d’événements climatiques de forte intensité, qui tendent à se multiplier. La réduction du travail du sol permet d’augmenter mais aussi de stabiliser dans le temps les capacités d’infiltration. En effet, le travail des sols crée une macroporosité peu stable dans le temps contrairement aux édifices des vers de terre ou des racines qui tapissent les galeries de cellules organiques qui stabilisent l’édifice. Avec un sol nu sans travail du sol, l’évaporation serait augmentée. Il est donc impératif de raisonner à l’échelle systémique et de ne pas isoler les pratiques. On peut augmenter de 6 à 12 % les capacités de rétention en eau des sols. Le niveau de variation dépend des types de sols mais est généralement positif. Le réservoir utilisable est plus régulièrement alimenté par des pluies qui s’infiltrent et le remplissent. Les plantes de couverture réduisent l’évaporation et augmentent l’infiltration par des galeries de racines et par un effet physique de protection contre l’énergie cinétique des pluies. Le ruissellement est également significativement réduit. Concernant la transpiration, il existe des effets positifs et négatifs. La transpiration des plantes a en effet un impact sur le remplissage du réservoir. Il est nécessaire d’avoir les connaissances techniques pour décider du moment auquel détruire un couvert végétal afin de limiter les impacts sur les cultures suivantes.

En conclusion, les pratiques agroécologiques permettent d’améliorer ou restaurer certaines fonctions écosystémiques, notamment la rétention d’eau. L’infiltration de l’eau est 1,5 à 5 fois supérieure dans les systèmes d’agriculture de conservation et plus stable dans le temps. La couverture des sols a aussi des effets sur le stockage de carbone par les plantes et sur la diminution de l’effet albédo. Lorsque le sol est moins travaillé et couvert en permanence, les plantes ont des interactions plus importantes avec des microorganismes, ce qui permettra de prospecter des volumes de sols et de valoriser plus efficacement les ressources hydrominérales.

Sur un plan économique, ces systèmes permettent de maintenir et améliorer les performances économiques des exploitations agricoles par une moindre dépendance aux intrants. Ils réduisent certains impacts environnementaux mais ont cependant le défaut de reposer encore sur l’utilisation d’herbicides, or l’aspect qualitatif de l’eau ne doit pas être occulté. Pour agir sur le cycle de l’eau, être moins dépendant de l’irrigation et permettre aux systèmes de s’adapter au changement climatique, la clé est le carbone. Pour cela, il faut considérablement améliorer notre capacité à valoriser nos ressources à l’échelle des territoires pour que nos sols puissent se restaurer en carbone. Les enjeux sont forts en termes de recherche et développement sur la quantification des effets de ces systèmes complexes sur le bilan hydrique. On doit travailler sur la diversification des espèces végétales cultivées pour accroître l’efficience de la valorisation de ces ressources. Il est en outre nécessaire de concevoir et expérimenter on farm et d’évaluer ces systèmes de rupture, notamment les systèmes qui combinent la réduction des intrants en agriculture biologique et l’agriculture de conservation.

M. Philippe Bolo, député. – Merci pour ces présentations des technologies aujourd’hui à notre disposition.

Vous avez tous souligné la nécessité d’augmenter le temps de séjour de l’eau à un endroit donné. En effet, l’eau circule, elle a des périodes de crue et d’étiage. Les pluies influencées par le changement climatique se transforment en débit, qui nous échappe. L’humain souhaite figer la quantité d’eau qui tombe de manière variable au cours de l’année pour qu’elle soit disponible pour lui le plus longtemps possible à un endroit donné.

Face à cette envie d’augmenter les temps de séjour de l’eau disponible, qui induit une approche systémique, vous avez peu parlé des deux outils politiques que sont les SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux) et les SAGE (schémas d’aménagement et de gestion de l’eau), issus de la loi de 1992, qui permettraient de mettre tous les acteurs autour de la table pour évoquer ces différents enjeux.

Vous avez également souligné la dimension de sobriété. Est-ce possible de la concilier avec les enjeux d’alimentation et de santé publique qui lui sont liés ? Je constate également une dimension historique. Avez‑vous considéré l’ancienneté des retenues d’eau ? En matière de biodiversité, l’équilibre s’est créé avec la présence des retenues. Il est obligatoire de procéder à des études d’impact, mais il me semblerait intéressant d’étudier ce que la mise en œuvre de ces technologies pourrait nous apporter, en matière de biodiversité par exemple, dans le cadre d’une approche prospective.

Enfin, que pensez-vous du dessalement de l’eau de mer ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Qu’est-ce que l’effet albédo ?

M. Mathieu Darnaud, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective. – La problématique de l’infiltration et du ruissellement concerne de nombreux territoires. En Ardèche, le travail au niveau de la nappe est difficile à accomplir, et cela se conjugue à un important phénomène de ruissellement dû aux épisodes cévenols. Le travail sur l’infiltration est donc complexe. Quel est votre regard sur l’opportunité de travaux de captage des eaux de ruissellement ?

M. Bernard Fialaire, sénateur. – J’étais maire d’une commune qui utilisait la chaleur fatale des eaux d’une station d’épuration pour chauffer un quartier. La récupération de chaleur des rivières est‑elle envisageable à plus grande échelle ? Est‑ce que cela aura un effet sur la température de l’eau ?

M. Lionel Alletto. – L’albédo est la quantité d’énergie qui est réfléchie vers l’espace par des surfaces réfléchissantes comme par exemple la neige. Un couvert végétal a une action réfléchissante du rayon lumineux vers l’espace plus importante qu’un sol nu. Certes, des sols calcaires ont un albédo important, mais ils ne piègent pas le carbone. Si l’on simule le stockage de carbone dans les sols sur le long terme, le sol se réchauffe et cela réduit l’effet albédo.

Valoriser les flux de ruissellement par des captages dans des retenues ne me paraît pas évident, car ces flux sont souvent à l’origine d’érosions qui entraîneraient un colmatage rapide de ces réservoirs. Il ne me semble pas possible de capter les flux de ruissellement issus de phénomènes climatiques forts.

Mme Dominique Darmendrail. – Il conviendrait de savoir où pourraient se produire les épisodes extrêmes pour prévoir où installer des stockages. Les prédictions dans des modèles de conditions extrêmes sont difficiles à maîtriser.

En outre, ces événements extrêmes ont des effets de destruction d’ouvrages ou de colmatage. On essaie de multiplier les zones d’infiltration et d’accroître le temps d’infiltration. Certains pays le pratiquent déjà, mais il faut trouver un équilibre entre ce qu’il est possible de maîtriser et ce qui n’est pas maîtrisable.

S’agissant des études d’impact, nous analysons actuellement toutes les informations disponibles sur des essais de pompage dans les nappes pour mieux prédire l’actuel et le futur. Nous comprendrons mieux les conséquences des événements extrêmes, ce qui permettra d’améliorer la localisation, le volume et la qualité des ouvrages à mettre en œuvre à l’avenir.

Les outils de planification SDAGE et SAGE sont très bien ancrés, importants et très utilisés, avec également des outils plus locaux comme les PTGE (projets de territoire pour la gestion de l’eau).

Mme Catherine Néel. – Ces outils de planification sont incontournables.

La REUT a en effet une valeur énergétique indéniable. À Dijon, par exemple, la valorisation de la station d’épuration a été étudiée dans une logique d’économie circulaire. Les édiles ont choisi de privilégier une valorisation énergétique et d’utiliser des eaux d’exhaure pour augmenter la disponibilité en eau dans le cadre de leur plan de transport, le tramway nécessitant une irrigation de certaines surfaces. Le SDAGE et le SAGE sont importants mais pour certaines solutions complexes, de multiples domaines, autres que l’eau, sont concernés et on va donc au‑delà de ces schémas.

Concernant la dimension historique, la stratégie de l’Espagne en matière d’assainissement collectif a été différente de celle de la France. Par conséquent, le potentiel d’utilisation des eaux usées traitées est très différent.

Le Cerema travaille sur l’intégration de l’analyse historique des sols pour prédire leur potentiel de fonctionnalité, notamment en matière de rétention d’eau.

Les eaux usées traitées ont l’avantage d’avoir une température constante, ce qui facilite leur valorisation énergétique. L’aquaculture est un usage très fréquent, en Inde notamment, car ces eaux sont fortement chargées en éléments nutritifs et sont chaudes. Un projet existe en France, qui n’a pas encore été réalisé, et l’Europe ne semble pas avoir de projet d’aquaculture dans ce contexte.

L’Espagne possède la plus importante usine de dessalement en Europe. Cela est cependant coûteux en énergie. Il faut dépasser le domaine de l’eau quand on travaille sur l’adaptation au changement climatique.

M. Philippe Bolo, député. – Est-ce qu’il faudrait que les différentes structures de planification territoriale communiquent entre elles, par exemple, les SDAGE et les SAGE avec les PCAET (plan climat‑air‑énergie territorial) ?

Mme Catherine Néel. – Oui. Nous avons été sollicités en ce sens dans le cadre du PETR (pôle d’équilibre territorial et rural) de Montluçon. Il existe effectivement une demande de mise en cohérence de tous ces plans, ce qui n’est pas simple pour les collectivités.

Mme Nadia Carluer. – Beaucoup de petites retenues ont été construites dans les années 1970 et 1990 ; elles ne sont souvent pas aux normes, par exemple les retenues collinaires ne sont pas déconnectables du cours d’eau alors qu’elles sont supposées l’être pendant la période d’étiage. De très anciennes retenues, par exemple dans la Sarthe, sont devenues des milieux à l’équilibre en termes de biodiversité, mais l’eau est peu utilisée pour des prélèvements, et les berges sont peu pentues. Les retenues construites pour le prélèvement ont des berges abruptes avec un marnage fort et sont peu intéressantes pour la biodiversité. Elles sont en outre souvent placées dans des zones intéressantes pour la biodiversité préexistante. Ce point est à prendre en compte pour leur installation.

Concernant la sobriété, lorsque l’accès à l’eau est sécurisé, les usages se basent sur cet accès et les cultures sont dépendantes de cet accès. Cela produit un cercle vicieux de suréquipement. Des retenues peuvent certes être installées, mais seulement après avoir imaginé d’autres solutions possibles sur les bassins versants. En plus des pratiques agroécologiques qui ont été évoquées, il y a des infrastructures agroécologiques de type haies et talus qui peuvent également être implantées dans les bassins versants. Elles sont intéressantes pour la biodiversité et freinent l’écoulement de l’eau, ce qui peut favoriser l’infiltration lors d’événements de fréquence de retour élevée, mais pas extrêmes.

Mme Catherine Néel. – La restauration hydromorphologique des cours d’eau permet d’augmenter le temps de séjour de l’eau dans les cours d’eau et de favoriser la recharge naturelle des nappes. C’est une mesure gagnant‑gagnant pour l’écologie et l’adaptation au changement climatique.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l’Office. – Les nappes aquifères profondes et les nappes phréatiques sont‑elles des systèmes étrangers les uns aux autres ou existe‑il des interactions ?

Mme Dominique Darmendrail. – Cela est dépendant des secteurs. Certains possèdent effectivement un empilement de plusieurs systèmes aquifères et des forages captent plusieurs de ces aquifères à différents niveaux. Cela est en relation avec les formations géologiques présentes.

Quelle future gestion de l’eau en France ?

Présidence : M. Mathieu DARNAUD, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective

M. Mathieu Darnaud, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective. – Quelle future gestion de l’eau en France ? Pour répondre à cette question complexe, nous avons la chance d’avoir aujourd’hui avec nous M. François Champanhet, M. Jean Launay, M. Alexis Guilpart et Mme Frédérique Chlous.

M. François Champanhet, membre du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). – Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique s’est clôturé le 1er février après huit mois de travaux. Les axes de travail étaient la gestion des calamités agricoles, l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et la ressource en eau.

L’axe « adaptation de l’agriculture au changement climatique » est fortement lié aux deux autres. Il est impossible d’élaborer une assurance climatique équilibrée sans envisager une adaptation de l’agriculture pour la rendre plus résiliente au changement climatique et capable de continuer à produire dans le respect des ressources en eau à mobiliser.

L’approche générale consiste à renforcer la résilience globale de l’agriculture en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales, les infrastructures agroécologiques et l’efficience de l’eau d’irrigation.

L’utilisation de l’eau en agriculture ne se résume pas à l’irrigation. En effet, 95 % de l’agriculture repose sur l’utilisation de l’eau naturelle, sans irrigation. Il convient également de s’intéresser aux effets des températures, des sécheresses et des inondations, du gel, etc. Nous avons travaillé en conservant à l’esprit les enjeux de souveraineté alimentaire, en nous appuyant sur la science pour objectiver les débats et en abordant les questions d’innovation dans une attitude d’écoute des parties prenantes.

Les instituts de recherche académique, de développement et les chambres d’agriculture ont contribué, ainsi que 35 interprofessions agricoles et une soixantaine de parties prenantes. Des conférences ont été organisées sur la sélection génétique, l’efficience de l’irrigation et l’agriculture résiliente, avec les meilleurs experts de ces sujets.

Concernant les filières, nous avons demandé aux interprofessions d’identifier les impacts du changement climatique sur leur filière : baisse de production, déstabilisation des cycles de production, développement des bioagresseurs, délocalisation des productions, etc. Il est nécessaire d’identifier les leviers à activer pour y faire face. Nous avons donc demandé à la cellule de recherche et innovation technologique (RIT), qui regroupe l’Inrae, l’ACTA et l’APCA, de travailler sur une cartographie des leviers de réponse au changement climatique. Une centaine de leviers techniques d’adaptation au stress hydrique et thermique ont été identifiés à différentes échelles, qui ont été étudiés par des experts du réseau mixte technologique et climat.

La cartographie montre que le sol est central en matière d’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Les leviers d’amélioration à activer sont la limitation du ruissellement, l’amélioration de la capacité de rétention du sol, de l’infiltration, de l’exploration racinaire par les plantes, de la tolérance au stress climatique, et la protection des plantes contre la chaleur.

À l’échelle de l’exploitation, il convient de choisir des espèces et variétés adaptées, d’adopter des stratégies d’esquive des stress dans les moments de culture (printemps ou plus tard en automne), d’adapter la taille et la forme des parcelles, de mobiliser les ressources en eau renouvelables, de piloter l’irrigation, d’assurer une bonne répartition de l’eau, de piloter l’alimentation du cheptel et d’utiliser des races et effectifs adaptés. À l’échelle de la parcelle, l’amélioration des propriétés du sol s’obtient par un apport de matière organique, la limitation du tassement, l’adaptation du travail du sol, l’optimisation de la conduite des cultures pérennes et des techniques de greffe, le paillage du sol, la mise en place d’infrastructures écologiques (arbres), l’entretien des talus, l’installation d’ombrières. Pour les animaux, on préconise la conception de bâtiments d’élevage pour s’adapter aux excès de chaleur et l’adaptation de l’abreuvement et de la production fourragère.

S’il existe de nombreux outils identifiés, la situation se pose de manière différente selon les régions et nécessite une approche fine au niveau des territoires. Les chambres régionales d’agriculture ont travaillé avec les acteurs des territoires des treize régions métropolitaines pour élaborer des diagnostics territoriaux préalables au lancement de plans d’adaptation climatique. Ceux‑ci visent à trouver des solutions concrètes et opérationnelles pour que les agriculteurs réussissent leur transition vers l’agroécologie et pour augmenter leur résilience face au changement climatique.

Les diagnostics ont été conçus en observant les évolutions passées du climat, ainsi que les projections climatiques par des simulations par région et des observations sur des productions emblématiques de chaque région, dans l’objectif d’identifier des leviers d’action qui donneront lieu à des plans stratégiques.

Une charte a été signée entre les interprofessions agricoles, les chambres d’agriculture, les instituts de recherche et les deux ministres ayant organisé le Varenne. Il était surtout important de lancer une dynamique et de s’engager sur la suite. Les filières agricoles et les interprofessions se sont engagées à constituer des feuilles de route stratégiques d’ici 2022 et à mettre en œuvre un plan d’action d’ici 2025. Cela sera suivi par FranceAgriMer. Les chambres d’agriculture s’engagent à mettre en œuvre des plans stratégiques régionaux. Des plateformes de ressources seront ouvertes à tous les acteurs agricoles. Enfin, l’État s’est engagé à soutenir la recherche et l’innovation ainsi que l’équipement des agriculteurs.

Le Varenne de l’eau était donc un événement important qui a mobilisé de nombreux acteurs et sera une réussite s’il a une suite. L’adaptation au changement climatique est une nécessité qui s’impose à tous.

M. Jean Launay, président du Comité national de l’eau. – Le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique s’inscrit dans la suite des Assises de l’eau de 2018 et 2019. Le CGAAER et le CGEDD avaient déjà travaillé sur un rapport commun en 2020 intitulé « Eau, agriculture et changement climatique : quelle trajectoire pour 2050 ? », qui a fixé un horizon de moyen à long terme à ces travaux.

Les conclusions et objectifs des Assises ne sont pas remis en cause par le processus du Varenne. La question du partage de l’eau, surtout en été où elle est plus rare alors que les plantes ont le plus de besoins, renvoie à la hiérarchie et la compatibilité des usages, dont le principal est l’alimentation en eau potable des populations et le respect des milieux.

Nous nous sommes inscrits, dans la thématique 3 « Partager une vision raisonnée des besoins et de l’accès aux ressources en eau mobilisables pour l’agriculture sur le long terme : réalisations, avancées et perspectives », dans l’équilibre de la recherche du retour au bon état des milieux avec l’usage agricole. Je me réjouis que l’eau soit portée en haut de l’agenda politique en cette période et je constate avec ce processus du Varenne une continuité de l’action publique sur le sujet de l’eau.

La thématique 3 s’inscrit dans la continuité de la mission Bisch et de la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale de l’État. Il est en effet important que les sujets d’eau et d’agriculture soient traités dans un cadre transversal. Le Premier ministre a annoncé dans son discours de clôture du Varenne la décision de créer un délégué interministériel à l’eau. Nous avons conclu que le Varenne devait être décliné dans tous les territoires. Toutes les agences, les régions et les DREAL ont été associées dans le processus de consultation. Ainsi, lors du bilan à mi‑parcours d’octobre 2021, nous avons eu une présentation par Alain Rousset, président du Comité de bassin de l’Agence de l’eau Adour‑Garonne et président de la région Nouvelle Aquitaine. Renaud Muselier, président de la région PACA, a également témoigné, ainsi que Martial Saddier, président du comité de bassin Rhône‑Méditerranée.

Nous avons souhaité dans les conclusions qu’une ligne budgétaire du ministère de l’Agriculture soit créée pour soutenir la part agricole dans la réalisation de l’infrastructure de développement des ressources en eau. Nous avons aussi souhaité que le Varenne vive dans la durée. Avec ce processus, nous avons défini une méthode pour établir un lien cohérent et dynamique entre la politique de l’eau et l’usage économique et agricole de l’eau. Les ministères de l’Agriculture et de l’Écologie doivent continuer à travailler ensemble sur cette politique. Une enquête de la Cour des comptes est en cours sur la gestion quantitative de l’eau en France. Le Varenne est un point d’étape et doit intégrer de manière permanente la variable du changement climatique et les préoccupations de souveraineté alimentaire et d’équilibre entre les territoires.

Trois groupes de travail ont été constitués dans le cadre de la thématique 3. Le premier portait sur les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE), qui sont des outils adaptés pour trouver des réponses spécifiques sur les bassins en tension. Nous avons souhaité que le préfet coordonnateur de bassin ait la capacité de mettre un terme à la phase de concertation du PTGE si un accord n’est pas obtenu dans le délai initial, afin d’être plus rapidement opérationnel. Dans le cadre des PTGE, nous donnons suite aux recommandations générales de la mission des deux conseils généraux évoquée précédemment. L’instruction ministérielle du 7 mai 2019 devra a minima être complétée précisément par les ministères. Ce travail est déjà en cours.

Le deuxième groupe de travail portait sur la mobilisation des ressources. Le stockage de l’eau prélevée hors période d’étiage est le sujet qui interroge le plus, dès lors qu’on le considère comme un levier potentiel majeur de la sécurisation de la ressource. L’adaptation de l’agriculture au nouveau contexte climatique doit amener à une transition vers l’agroécologie avec la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature permettant des économies d’eau, mais aussi des moyens et soutiens techniques et financiers. Dans ce processus, nous avons reçu un apport important des scientifiques. La superposition des connaissances et des cartes et la facilitation de l’accès à la connaissance par chacun nous permettra de nous emparer plus facilement de la nécessité de prendre en compte le changement climatique.

Dans le cadre de la mobilisation de la ressource, nous avons intégré le risque croissant représenté par les crues dues aux pluies diluviennes ; nous avons engagé dans le cadre du Comité national de l’eau un nouveau travail sur les PAPI (plans d’aménagement et de prévention des inondations) qui ont été validés pour repérer les capacités de stockage de l’eau au‑delà des zones d’expansion des crues déjà mises en œuvre. Nous appelons par ailleurs à la création de structures d’économie mixte ou au renforcement des sociétés d’aménagement rural existantes, comme celle du Gers, la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne ou le système Nest ont été déjà mentionnés ce matin. Il nous faut encourager une maîtrise d’ouvrage multiusages.

Le troisième groupe de travail portait sur la stratégie d’aménagement. Il ne peut pas exister une seule stratégie nationale, car les stratégies à mettre en place doivent s’adapter aux territoires. Nous avons réfléchi à des stratégies territoriales à l’horizon 2030. Les deux ministères ont souhaité dans ce cadre que les préfets coordonnateurs de bassin fassent remonter une dizaine de projets prioritaires qui pourraient être mis en œuvre à cet horizon.

En conclusion, il est primordial que les projets soient menés à l’échelle des bassins et des territoires, avec les collectivités. Des acteurs locaux doivent s’emparer de la question de la gestion de l’eau de manière plus vigoureuse. La carte de France n’est pour l’instant pas couverte entièrement par les SAGE. Pour que ces objectifs de long terme s’inscrivent dans l’équilibre de la gestion durable de l’eau et la réponse aux besoins de l’agriculture dans le cadre du changement climatique, l’implication d’une maîtrise d’ouvrage et des acteurs locaux est impérative.

M. Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « Eau et milieux aquatiques » à France Nature Environnement. – Pour France Nature Environnement, les conclusions du Varenne sont assez déséquilibrées. Certaines annonces et réaffirmations sont importantes : l’enjeu autour des sols, la transition agroécologique, la dimension de l’échelle territoriale et du bassin, la nécessité pour les filières de s’adapter au dérèglement climatique et le recensement des ouvrages de stockage d’eau existants. Cependant, ceci figurait déjà dans les conclusions des Assises de l’eau de 2019.

En revanche, beaucoup de régressions et déstabilisations apparaissent dans les conclusions. Le Varenne mise sur le développement de l’accès à la ressource en eau pour l’irrigation comme réponse au changement climatique sans réfléchir sur les usages agricoles de l’irrigation. La question de la souveraineté alimentaire devrait être discutée plus en profondeur. Il faudrait réfléchir à la production agricole qu’on souhaite pour chaque territoire.

Le récent décret du 23 juin 2021 sur la gestion quantitative de l’eau et la gestion des situations de crise liées à la sécheresse serait déjà modifié pour répondre aux besoins de certaines professions irrigantes, ce qui déstabilise le cadre de la réflexion. Des solutions « technicistes » sont proposées et mériteraient d’être discutées dans leur pertinence au cas par cas. Il manque en outre deux sujets dans les conclusions : je n’ai pas constaté la réaffirmation d’une quête de sobriété dans l’agriculture, et le lien entre quantité et qualité de l’eau n’a pas nourri en profondeur les discussions du Varenne.

Face à ces conclusions que nous estimons déséquilibrées, deux sujets sont importants. L’irrigation concernerait 6 % des surfaces utiles, mais représente 48 % de l’eau consommée. On ne peut pas élargir le nombre de surfaces qui auraient recours à cette solution pour répondre au changement climatique, notamment dans le cadre des objectifs fixés par les Assises de l’Eau de réduction des prélèvements d’eau de 10 % en 5 ans et de 25 % en 15 ans.

Les conclusions misent beaucoup sur le prélèvement de l’eau en hiver. Or, l’hiver est extrêmement sec en 2022 dans de nombreuses parties du territoire français, notamment sur tout le sud de la Loire (mis à part les Pyrénées), alors que cela correspond aux territoires en forte tension et en demande d’accès à l’eau. Or, ils se trouvent privés d’eau en hiver. Miser sur l’irrigation et le stockage pour sécuriser l’accès à l’eau ne peut donc pas être une réponse unique. De surcroît, les milieux ont besoin de plus d’eau en hiver pour reconstituer et recharger des cours d’eau. L’augmentation des flux d’eau ne signifie donc pas qu’il soit possible de prélever davantage.

Trop miser sur l’irrigation revient à créer un cercle vicieux de dépendance à l’eau : plus notre agriculture misera sur l’irrigation, plus il y aura une pression exercée sur la ressource, plus il y aura une pression pour multiplier les ouvrages ou les volumes de prélèvement. Ceci conduit à aggraver des phénomènes de sécheresse et amène à une perte de résilience de nos systèmes agricoles qui ont alors encore plus tendance à se tourner vers l’irrigation. Pour certains, une solution consisterait à optimiser l’irrigation par des moyens techniques. Cela peut être une solution pour l’exploitant, mais une étude parue dans Science en 2018 montre que l’optimisation ne réduira pas la consommation, car on aura tendance à utiliser toute la ressource disponible pour irriguer plus de surfaces ou plus intensément.

Nous nous trouvons aujourd’hui à un carrefour en matière de préservation et de partage de la ressource, avec des choix qui nous engageront pour les décennies à venir. J’ai déjà évoqué le risque de maladaptation et d’aggravation des sécheresses et le cycle de dépendance à l’eau si nous misons trop sur le stockage et l’irrigation.

La dimension économique a également été absente du Varenne. Quelles que soient les techniques employées, cela nécessite de construire des ouvrages et prévoir de la maintenance, ce qui a un coût. Avec la REUT, l’eau coûte trois fois plus cher et l’agriculteur sera probablement plus enclin à repenser son modèle de production. L’hydroélectricité valorise l’eau de manière plus élevée et les agriculteurs ne souhaiteront pas payer leur eau d’irrigation au prix où la valoriserait EDF. Dans le cas d’une forte pression d’irrigation, des centrales nucléaires pourraient ne plus avoir accès à l’eau et être mises à l’arrêt, cela représenterait également un coût considérable.

La réglementation européenne doit être prise en compte, dans le cadre de la directive‑cadre sur l’eau ou de l’écoconditionnalité des aides. Aujourd’hui il n’est pas possible de mobiliser une aide au développement de l’irrigation dans un territoire qui serait en déficit structurel sans réaliser de fortes économies d’eau en parallèle.

Nous pensons qu’il faut miser en priorité sur la sobriété, les solutions fondées sur la nature et la transition agroécologique. Ces solutions ont en effet de multiples bénéfices d’atténuation du changement climatique pour la biodiversité et les aspects économiques et sociaux des territoires, ainsi que pour une meilleure alimentation. Cela rejoint les conclusions du rapport de l’IPBES, qui pointait en 2021 un risque de maladaptation et une réelle nécessité de miser sur d’autres solutions que l’irrigation.

France Nature Environnement a pour objectif de faire changer la perception de l’eau, qui n’est pas qu’une ressource, mais aussi un milieu de vie. Contrairement à ce qui a été affirmé dans les conclusions du Varenne, ce n’est pas un gisement à exploiter. L’impératif de sobriété doit être défini collectivement pour que les milieux naturels ne constituent pas une variable d’ajustement. Les enjeux de ce travail collectif sont de décider au cas par cas et dans quels contextes territoriaux les solutions méritent d’être étudiées.

L’idée de revenir sur l’instruction des PTGE et de permettre au préfet de mettre fin aux discussions, dont la durée serait jugée excessive, risquerait d’entrainer l’imposition autoritaire d’un calendrier, qui conduirait à des maladaptations. Les PTGE qui ont des difficultés à se développer souffrent d’un manque de diagnostic précis des besoins et d’une insuffisante connaissance à une échelle fine des ressources disponibles. La cartographie des ouvrages et forages et des besoins réels est encore insuffisante pour pouvoir envisager de nouveaux ouvrages et de nouvelles méthodes.

Nous souhaitons que la feuille de route des Assises de l’eau soit suivie au plus près. Contrairement à Jean Launay, nous considérons que le Varenne de l’eau déséquilibre ces conclusions. Le dialogue doit être stabilisé et les différentes solutions proposées ne peuvent être envisagées qu’au regard d’un impératif de sobriété dans les différents usages.

Mme Frédérique Chlous, présidente du conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité (OFB). – Le conseil scientifique de l’OFB a rédigé un texte en amont du Varenne de l’eau pour souligner certains points. Cette présentation s’appuie sur une analyse pluridisciplinaire des écrits du Varenne. Je reviendrai sur l’approche systémique, la question de la connaissance, la concertation locale, et la question majeure des sols qui, bien que beaucoup traitée dans la thématique 2, devrait être renforcée dans la thématique 3.

Des divergences au sein des textes ont été identifiées sur la gestion structurelle de l’eau sur le long terme et la gestion de la pénurie d’eau pendant l’été. Il a été intéressant de constater la place des initiatives dans la diversité des contextes socio‑économiques, environnementaux et climatiques, et de l’évaluation, qu’il faut renforcer. En outre, on sent une tension entre « eau agricole » et « eau bien commun ». Il faudra lever des doutes et favoriser l’approche commune entre les différentes parties prenantes sur la sobriété des usages de l’eau et des intrants en agriculture. La crainte d’un ascendant agricole sur la prise en compte de tous les enjeux devra être clarifiée. Nous reviendrons sur l’ambition réellement transformative des projets et sur la pérennité de la loi sur l’eau qui a permis de nombreuses avancées internationalement reconnues.

Trois points d’attention principaux sont identifiés : accentuer la prise en compte de l’ensemble des enjeux ; engager une transformation systémique de l’agriculture ; renforcer les connaissances pour accompagner les acteurs.

Sur le premier enjeu, il nous semble nécessaire de travailler sur le lien entre eau, biodiversité et activité humaine (anthropoécosystème) par une approche systémique.

Une concertation équilibrée entre acteurs est nécessaire, en étant vigilant sur les parties prenantes qui y participent pour éviter des déséquilibres entre une vision de l’eau pour ses usages et une vision de l’eau en tant que bien commun. Il faut se donner les moyens de mettre en place cette concertation et de mettre à disposition des données émanant des différentes sciences.

Un équilibre doit être trouvé entre les approches techniques (numériques, génétiques) et les solutions fondées sur la nature, qui sont positives pour l’eau et la biodiversité. Il n’y a pas une approche qui permettra de résoudre l’ensemble des problèmes.

La question de la quantité d’eau correspond à la crise actuelle, mais la qualité de l’eau et des écosystèmes aquatiques sera la crise de demain. Les apports de polluants et les questions de ruissellement et de sécheresse auront des effets polluants sur les rivières et les milieux marins.

Par rapport à la transformation systémique de l’agriculture, il s’agit de développer une vision de l’agriculture à vingt ans, d’intégrer davantage tous les aspects socio‑économiques et la diversité des configurations des territoires et des filières, d’équilibrer les différents leviers, de lever les verrous sociotechniques, d’être plus ambitieux sur la question de l’assurance – traitée dans la thématique 1 – pour tester des solutions plus innovantes et puissantes ainsi qu’assurer une solidarité amont‑aval entre agriculteurs, mais aussi au niveau d’un territoire entre les différentes filières agricoles (adaptation, abandon ou développement de certaines filières) en fonction des usages.

Le troisième enjeu consiste à établir des états des lieux précis pour soutenir les décisions. Il est parfois difficile d’accéder aux données de certains organismes. Il faut prendre en compte l’ensemble des effets cumulés pour mesurer les enjeux et tenir compte des rétroactions. Il est également nécessaire de poursuivre les études d’impact climatique sur les ressources en eau et les besoins agricoles pour éviter des scénarios trop médians qui gommeraient les incertitudes sur ces questions. Les modélisations passées doivent être développées et permettre de tester les modèles en cours (modélisations à 6 mois, à 10 ans ou 30 ans en intégrant les activités humaines qui peuvent aussi s’appuyer sur les savoirs locaux et professionnels). Le dernier point consiste à informer tous les acteurs de ces connaissances scientifiques pour les aider à prendre des décisions en tenant compte de l’ensemble des éléments.

M. Mathieu Darnaud, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective. – Concernant la gouvernance, vous avez souvent cité le préfet de bassin, en ajoutant qu’il fallait avoir une maille plus fine pour gérer les problématiques de ressource en eau. Dans le cadre de la loi dite « 3DS », le Sénat demandait que le préfet de département plutôt que de bassin intervienne sur les problématiques d’eau. Quelle est votre réflexion sur ce sujet ?

M. Jean Launay. – L’État a décidé de faire présider les comités de bassin et conseils d’administration des agences de l’eau par des préfets coordonnateurs de bassin. Cela est la généralisation d’une règle qui existait déjà par endroit. J’y vois la volonté d’un État qui impulse et l’affirmation d’une décentralisation indispensable. Lors de la deuxième phase des Assises de l’eau, j’avais appelé à la mise en place de « préfets de l’eau » qui puissent accompagner les préfets de département dans les discussions plus techniques sur la mise en œuvre de la politique de l’eau et le lien avec les collectivités territoriales et avec les usages. La création du délégué interministériel à l’eau sera de nature à favoriser le lien entre l’État qui donne la règle et la déclinaison sur les territoires ; encore faudra-t-il qu’il soit doté d’une maîtrise d’ouvrage efficace et volontariste. Les sujets de gestion quantitative et qualitative sont liés.

Mme Cécile Cukierman, sénatrice. – Personne ne remet en cause la nécessité d’un État qui impulse. Dans l’exemple du fleuve Loire, toutefois, il ne me semble pas que le Val de Loire ait les mêmes problématiques que l’Ardèche ou la Haute‑Loire, y compris pour la régulation de l’abondement de l’eau avec de fortes pluies. Le fleuve chemine dans des zones géographiques très différentes qui s’étendent des confins du Massif central à l’Atlantique. L’État oriente au détriment de réalités plus fines et de problématiques liées à la gestion de l’eau et à ses utilisations qui diffèrent inévitablement.

Par ailleurs, vous opposez souvent l’eau agricole et l’eau « bien commun ». Or, l’agriculture est indispensable au même titre que l’eau. Nous ne sommes pas tous prêts à changer de régime alimentaire, ni à changer un certain nombre de pratiques agricoles. Ne faudrait‑il pas redéfinir les différents usages de l’eau sans les opposer, mais en essayant de les faire cohabiter en retirant le maximum de cette ressource pour satisfaire les besoins humains ?

M. Jean Launay. – Je préside le comité national de l’eau depuis dix ans et j’ai été député pendant dix‑neuf ans. Effectivement, je ne souhaite pas opposer les usages, mais les concilier, ce qui est difficile en cas de conflit. Sur l’exemple du bassin Loire‑Bretagne, ne remettons pas en cause l’organisation de la loi de 1964 avec les bassins hydrographiques que nous connaissons ; je sais les difficultés de ce bassin, notamment dans les zones limitrophes du bassin Rhône‑Méditerranée. Nous connaissons les tensions qui apparaissent sur les têtes de bassin avec des agences de l’eau dont les pratiques sont parfois différentes, ce qui tend à exacerber les conflits d’usage. Il faut continuer à travailler sur la solidarité de l’aval avec l’amont. La solidarité entre aval et amont doit aussi s’exercer en termes d’équilibre de ressources et de moyens.

Mme Frédérique Chlous. – Je n’oppose pas l’eau pour l’agriculture et l’eau bien commun. J’exposais des visions : considère‑t‑on l’eau seulement comme une ressource pour l’agriculture ou essaie‑t‑on de penser globalement l’eau pour l’ensemble des usages ?

Enfin, il nous semble que l’articulation entre des niveaux locaux, à différentes échelles, et un niveau plus global est importante, car, outre les solidarités entre amont et aval, il existe des solidarités à l’intérieur d’un territoire qui possède des problématiques propres, mais aussi des conditions environnementales, climatiques et géologiques qui lui sont particulières. Il faut parvenir à articuler les deux avec une vision commune.

M. Mathieu Darnaud, sénateur, président de la Délégation sénatoriale à la prospective. – Je remercie l’ensemble des intervenants. Leurs contributions ont été particulièrement utiles. Nous souhaitions avoir ce diagnostic et cette vision prospective, mais aussi aborder les sujets d’inquiétude en termes de ressources et de gestion.

M. Philippe Bolo, député. – Je souligne l’utilité de cette audition pour éclairer la décision publique. Vos interventions ont permis une mise en perspective de la gestion quantitative de l’eau dans ses dimensions scientifiques, les solutions qui existent et le regard des experts sur les différents enjeux à prendre en compte.

Je souhaite également mettre en évidence le sujet de l’économie. L’eau est en effet une ressource qu’on souhaiterait pouvoir utiliser de manière plus facile, avec une plus grande disponibilité, mais qui est aussi un milieu de vie. D’un point de vue économique, le sujet agricole est révélateur d’une manière de fonctionner. Il faut certes réaliser une transition systémique de l’agriculture pour répondre aux enjeux qui ont été mis en évidence, mais il faut aussi savoir qui accompagne cette transition sur un plan financier. Une exploitation agricole est en effet une entreprise et elle n’a pas nécessairement la capacité d’investissement pour entreprendre la transition.

Outre la dimension économique, l’état d’esprit est essentiel : il ne faut pas désespérer de réussir à réorganiser la gestion quantitative de l’eau. Nous avons regardé ce matin les enseignements de l’histoire pour faire de la prospective, et constaté les avantages des solutions proposées en matière de biodiversité, d’accès à la ressource ou de satisfaction des enjeux alimentaires, dans une approche systémique. Un autre mot clé est la variabilité imposée par le changement climatique et la géographie. Merci à tous pour vos contributions.


II.  Compte rendu de la réunion du 17 mars 2022 de présentation des conclusions de l’audition publique du 10 février 2022

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Nous examinons aujourd’hui le projet de conclusions de l’audition publique du 10 février dernier sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau, organisée par nos collègues Gérard Longuet, premier vice‑président de l’Office, et Philippe Bolo, en lien avec la Délégation à la prospective du Sénat.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Philippe Bolo et moi‑même nous sommes partagés le travail pour présenter ces conclusions. L’audition en question intervenait dans le contexte de la publication du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui nous a incités à être particulièrement rigoureux. Le regard attentif de Philippe Bolo a notamment été utile pour peser précisément chaque mot, chaque inflexion verbale que nous avons choisi d’utiliser. Une petite ambiguïté demeure : nos conclusions sont censées porter sur la gestion quantitative de cette ressource, mais nous quantifions finalement assez peu. Les chiffres retenus sont néanmoins importants. Ce que nous vous présentons aujourd’hui est seulement les conclusions d’une audition : cela ouvre l’appétit sans apaiser la faim.

Je vous présenterai l’aspect quantitatif global de la question tandis que Philippe Bolo s’intéressera aux solutions pouvant être mises en place dans l’agriculture ainsi qu’à une déclinaison concrète essentielle, le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Rappelons que nous avons organisé cette audition avec la délégation sénatoriale à la prospective.

Nous avons choisi de nous intéresser au futur. Les derniers rapports du GIEC établissent que le dérèglement climatique affectera – j’emploie bien l’indicatif et non le subjonctif ou le conditionnel – le cycle de l’eau douce. Dans la perspective d’une élévation de la température atmosphérique, il induira une hausse de la quantité de vapeur d’eau présente dans l’atmosphère, de manière irrégulière suivant les territoires. Les variations de précipitations se feront plus amples ; les zones humides connaîtront une augmentation des précipitations, les zones sèches le seront plus encore. En France même, la répartition des précipitations sera moins équilibrée dans le temps. Ailleurs, les régions de mousson vont souffrir encore plus de sécheresses et de précipitations excessives.

L’intensification des précipitations peut déjà être observée ; le risque d’inondation augmente déjà de manière préoccupante. Dans des zones aujourd’hui correctement arrosées, l’augmentation de l’évaporation aboutira à une baisse de l’humidité des sols, ce qui risque de nuire aux récoltes. En outre, les réserves naturelles constituées par les glaciers, les massifs neigeux et les aquifères côtiers sont en danger, ce qui complique la gestion du stock d’eau douce dont nous avons besoin quotidiennement.

La France, « pays béni des dieux » comme l’a qualifiée Vazken Andréassian, est jusqu’à présent relativement bien arrosée : 180 kilomètres cubes d’eau transitent en moyenne annuellement sur le territoire métropolitain. Cette unité de mesure ne m’était pas familière ; il est impressionnant de se représenter un cube à l’arête d’un kilomètre…

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Ne vaudrait‑il pas mieux, pour des raisons pédagogiques, exprimer dans le rapport cette valeur en milliards de mètres cubes ?

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Certes, cette valeur semblera moins anodine si elle est exprimée ainsi ! En revanche, ces 180 kilomètres cubes peuvent être plus aisément rapportés à nos 543 000 kilomètres carrés de superficie… Toujours est‑il que l’on prélève un sixième de ce volume, 30 kilomètres cubes, ce qui n’est déjà pas rien.

Une question nous vient à l’esprit. Existe‑t‑il des solutions techniques pour lisser les périodes de précipitations fortes et les périodes de sécheresse ? Comment gérer ces 30 kilomètres cubes d’eau prélevée ? Deux approches sont possibles : celle de l’offre et celle de la demande. Dans tous les cas, la répartition dans le temps des ressources posera problème.

L’audition a permis de se familiariser avec différentes solutions techniques : les grands réservoirs, utiles pour la régulation des rivières et la prévention des inondations, dont la réalisation dépend de conditions géographiques et humaines contraignantes – ils sont souvent mal acceptés, car peu souhaitent céder leur espace à des étendues d’eau ; les retenues de plus petite taille, plus mesurées dans leur ampleur, à l’image des anciens biefs des moulins à eau ; les retenues collinaires et les retenues de substitution, qui ont posé problème dans le Sud‑Ouest ; enfin, la réalimentation des nappes aquifères, grâce à une réattribution des trop‑pleins, solution technique assez complexe.

Les difficultés majeures sont celles de l’occupation de l’espace et du fonctionnement des cours d’eau. Les riverains et utilisateurs sont très attentifs à ces questions. Ils sont très attachés à la biodiversité, alors que le risque de perturbations graves de cette biodiversité est réel.

La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) fait l’objet d’efforts considérables en France, parfois mal compris. Les installations sont assez coûteuses, notamment pour les particuliers. Nous souhaitons aller dans le même sens que les Espagnols, qui disposent de capacités bien supérieures aux nôtres.

La désalinisation de l’eau de mer est une autre solution, à laquelle je ne crois pas, sauf pour les îles et les outre‑mer. Elle ne peut pas être exclue dans des cas très ponctuels, mais ce n’est pas une solution d’ensemble pour la France. Voilà pour ce qui concernait l’offre.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Je vais évoquer la demande. Notre raisonnement se fonde sur les graphiques 7 et 8 du rapport, qui appellent plusieurs considérations. Ils comparent les prélèvements aux consommations. Nous constatons que le domaine agricole consomme tout ce qu’il prélève, avec un rapport presque équivalent à 1, ce qui n’est pas le cas de l’énergie, avec un rapport d’environ 0,06.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Les centrales nucléaires prélèvent considérablement et restituent ensuite les eaux réchauffées.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Nous pouvons examiner ce graphique de deux manières, qualitativement et quantitativement. Même si cela n’était pas le sujet de notre audition, l’eau restituée peut subir une perte qualitative : les usages industriels ou domestiques restituent une eau de moins bonne qualité.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Des maires se faisaient photographier avec leur pastis noyé dans une eau sortie des stations d’épuration ! Jacques Chirac prétendait, comme candidat à la mairie de Paris, que nous pourrions bientôt nager dans la Seine.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Ce sera possible bientôt.

M Cédric Villani, député, président de l’Office. – Seul un segment est dépollué…

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – L’agriculture consomme le plus d’eau.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Mais elle contribue au stockage du CO2.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Dès lors, quelles sont les solutions possibles, pour que les prélèvements diminuent ? Pour les choix de culture, l’assolement est en jeu ; il faut aussi s’intéresser aux variétés et à la sélection génétique des espèces plus résistantes à la sécheresse, notamment aux nouvelles techniques de sélection des plantes (NBT). Plus on avance, plus les questions deviennent complexes, car les acteurs du territoire ont des points de vue divergents. La mise en œuvre opérationnelle d’un ajustement de la demande n’est pas évidente.

Il faut aussi interroger les pratiques agricoles. Faut‑il continuer à irriguer ? Quelles ressources en eau utiliser ? La France réutilise 1 % de l’eau traitée, contre 14 % pour l’Espagne. Il faut interroger de nouvelles pratiques : le goutte‑à‑goutte, plutôt que l’irrigation massive, les pratiques agronomiques comme le travail du sol et sa couverture, qui jouent un rôle de régulation de la teneur en eau des terres. Se pose la question cruciale du rendement, dans laquelle l’eau joue un rôle crucial, car l’accès à l’eau est un facteur de limitation du rendement.

Les points de vue sont très différents, il faudra faire des arbitrages, entre préservation de la biodiversité et rendement agricole, et trouver un équilibre…

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – … en fonction des circonstances historiques ! Désormais, les bateaux russes ne peuvent plus livrer de blé en Afrique du Nord.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Le 24 février dernier nous a rappelé l’importance de notre souveraineté alimentaire, ne l’oublions pas. Nous sommes un pays développé, mais d’autres pays ont des difficultés à assurer leur autosuffisance alimentaire. Les décisions à prendre sont complexes.

Par ailleurs, l’audition a permis de mettre autour de la table des acteurs qui n’avaient pas accepté de participer au Varenne de l’eau de 2021, organisé sur l’initiative du ministère de l’agriculture pour anticiper les effets du changement climatique sur l’agriculture et identifier les solutions ; le besoin de concertation avec l’ensemble des parties prenantes avait été mis en évidence.

Je m’arrête sur quatre conclusions essentielles du Varenne. Une expertise nationale va s’intéresser aux volumes disponibles en période de hautes eaux pour être stockés, et non plus seulement à l’eau directement prélevable en période de sécheresse, ce qui est une grande nouveauté : l’efficience de l’eau utilisée est au cœur du Varenne.

Ensuite, les filières se sont engagées à établir des stratégies d’adaptation ; ce n’est pas à l’État de tout dicter.

La réforme de l’assurance récolte est également engagée. Le projet de loi voulu par Julien Denormandie a été adopté à une large majorité, dans les deux chambres, démontrant une grande convergence de vues.

Enfin, il faut déployer des moyens supplémentaires pour la recherche sur les pratiques culturales. Le monde agricole est prêt à évoluer en la matière, mais il a besoin de nouveaux référentiels.

De notre côté, nous avons pu mettre autour de la table certaines associations environnementales. Avancer ne sera pas évident, car la vision d’ensemble n’est pas partagée par tous. Les acteurs du monde associatif disent deux choses essentielles : premièrement, l’eau n’est pas seulement une ressource pour les centrales, les cultures ou les usages domestiques, mais avant tout un milieu de vie ; deuxièmement, sécuriser l’accès à une ressource variable dans le temps et dans l’espace ne permet pas de se préparer intellectuellement aux changements culturels nécessaires pour consommer moins.

Nous présentons quatre recommandations à la fin de ce rapport : premièrement, poursuivre et encourager la recherche scientifique ; deuxièmement, engager les transitions permettant de construire un modèle agricole résilient, sujet essentiel pour assurer l’alimentation en eau de notre pays et notre souveraineté alimentaire ; troisièmement, mettre en place une stratégie nationale de sobriété en eau – il a beaucoup été question d’agriculture, mais l’industrie, l’énergie et le secteur domestique offrent également des leviers considérables en termes d’efficience ; quatrièmement, encourager la mise en place des projets territoriaux de gestion de l’eau, dont la mise en œuvre pose question.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Il me semble important de faire la différence entre sobriété et décroissance. La sobriété, qui fait appel à des comportements responsables, a rencontré un certain succès dans nos sociétés modernes : je viens d’une époque où seule la performance technique des véhicules limitait la vitesse ; si je prends ma voiture aujourd’hui avec mes enfants ou petits‑enfants, je suis rappelé à l’ordre en permanence. Il est possible d’installer la sobriété grâce aux efforts d’information. Il en va de même de la consommation de tabac ou d’alcool.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Vous voilà prêt à défendre la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 kilomètres par heure ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Certainement pas ! Je suis persuadé que l’on y viendra un jour, mais j’y suis très hostile. (Mêmes mouvements.)

La décroissance inquiète en raison de son caractère autoritaire ; la sobriété rassure en ce qu’elle suppose une démarche individuelle de responsabilité.

Le concept d’humanisme pose une autre question d’ordre philosophique. Si l’on s’attache à l’étymologie, l’humanisme suppose que l’être humain est prééminent. Quand nous écrivons que l’eau ne doit pas être vue uniquement comme une ressource, mais aussi comme le milieu de vie de nombreuses espèces, cela induit que l’homme soit au même rang que les autres espèces concernées. Nous n’avons pas tranché cette question, qui n’est pas sans intérêt, même si elle concerne surtout les pages « réflexions » des grands quotidiens.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Ou celles de la revue antispéciste à laquelle vous serez heureux d’offrir votre contribution ! (Sourires.)

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Alors que le Président de la République souhaite relancer la filière nucléaire, il serait bon de se pencher sur la question du prélèvement d’eau du secteur de l’énergie. Je suis persuadé qu’il est possible de trouver une solution technique plus satisfaisante afin de récupérer à la fois l’eau utilisée et la chaleur dégagée sur ce petit nombre de sites.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Je voudrais tout d’abord remercier nos deux rapporteurs de ce travail très riche.

L’eau douce liquide ne représente que 0,6 % de l’eau présente sur Terre, mais il s’agit majoritairement d’eaux souterraines, de nappes phréatiques. L’eau des rivières, des fleuves et des lacs ne représente que 0,01 % du total. Peut‑être faudrait‑il le souligner dans le rapport.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Sans doute faudrait‑il le souligner plus fortement.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – En ce qui concerne la pluviométrie, certains pays comme la Chine cherchent à développer une technologie permettant de faire pleuvoir sur leur territoire plutôt que sur un autre. Peut‑être faudrait‑il également le mentionner, même si cette technologie, à base de poudre d’argent, n’est pas encore au point.

Je relève que vous avez souligné l’importance des biens et services importés consommateurs d’eau, mais il ne s’agit pas d’eau « virtuelle », comme vous l’avez écrit. C’est de l’eau consommée ailleurs et très fortement polluée, notamment dans l’industrie textile.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Cette eau n’est virtuelle qu’en termes comptables.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Il me semble nécessaire de développer encore la sobriété. Beaucoup de choses ont déjà été faites dans le secteur industriel, mais avons‑nous fait suffisamment dans le secteur domestique ? Peut‑être faudrait‑il renforcer le dispositif de tarification sociale de l’eau pour sensibiliser les consommateurs.

La technologie nous permet de récupérer les eaux plus chaudes produites par les centrales nucléaires et de les utiliser, par exemple, pour chauffer des serres. Pour ne plus laisser perdurer ce gâchis de chaleur et diminuer l’impact écologique du déversement des eaux plus chaudes, ne faudrait‑il pas rendre obligatoires de tels dispositifs de récupération ?

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je tiens à saluer notre collègue Catherine Procaccia, pilier de l’Office, victime d’un accident assez sérieux. Nous pensons à elle et lui adressons tous nos vœux de prompt rétablissement.

Mme Laure Darcos, sénatrice. – Je voudrais simplement remercier nos deux rapporteurs pour leur remarquable travail.

Il s’agit d’un sujet essentiel que les élus de terrain abordent constamment, sous d’autres prismes. Je vais poursuivre ma formation sur ces questions.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je félicite nos deux rapporteurs d’avoir mis ce sujet sur la table et de l’avoir traité de manière aussi synthétique.

Ce rapport est extrêmement pédagogique. Les figures 7 et 8 sont effectivement très parlantes quant à l’importance des prélèvements bruts et nets et font bien ressortir l’importance cruciale du secteur de l’irrigation.

La carte des disponibilités en eau dans le monde est bienvenue. Pourrait‑on ajouter un graphique décrivant la variabilité des précipitations dans le temps ?

Vous évoquez, page 5, les « variations naturelles du climat » : ne s’agit‑il pas plutôt des variations naturelles de la « météorologie » ?

Nous pouvons garder le kilomètre cube comme unité de mesure, mais il faudrait alors préciser que le kilomètre cube équivaut à un milliard de mètres cubes. On peut presque visualiser un mètre cube, unité à taille humaine, mais le kilomètre cube est invisualisable.

Page 13, vous mentionnez les New Breeding Techniques (NBT). Je vous propose, après avoir eu tant de mal à parvenir à un équilibre sur les conclusions de l’audition publique qui traitait de ce sujet, de remplacer « peuvent » par « pourraient ». Si le débat sur la santé n’est plus au cœur de la question des OGM, celui de leur intérêt est toujours d’actualité : leurs partisans soulignent qu’ils permettront de s’adapter au réchauffement climatique ; leurs opposants demandent des preuves et relèvent que les OGM aujourd’hui utilisés ne sont pas du tout vertueux en termes biologiques. Au contraire, ils sont associés à des pratiques destructrices de biodiversité en raison du développement de variétés soit tolérantes aux herbicides soit très standardisées. Il n’existe toujours aucune preuve de concept.

Le paragraphe spécialement dédié à la situation de la France est le bienvenu. Il précise que la France est relativement bien dotée en eau. C’est une litote. Nous pourrions développer ce point et l’illustrer par une carte.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Excellente idée.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Page 17, il est question des critiques émises par les associations environnementales, mais les contestations sont plus larges : dans un autre cadre, j’ai entendu Florence Habets tenir des propos extrêmement critiques au sujet du Varenne de l’eau en tant que directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle estime que le raisonnement suivi n’a pas été mené à son terme. En particulier, elle déplore que les enjeux quantitatifs et la question de la sobriété aient été laissés de côté.

Il me semble nécessaire de nuancer la formulation, sur la base des travaux menés. La remise en cause du Varenne vient également du monde scientifique ; peut‑être Florence Habets pourrait‑elle suggérer elle‑même une formulation.

Les quatre recommandations émises sont excellentes et me paraissent suffisantes. Les deux premières relèvent de l’ADN même de l’Office. De plus, il est bon de mettre en avant le mot « sobriété », au sujet duquel le Varenne a fait preuve d’une certaine pudeur.

Reste la question des bassines. Dans les Deux‑Sèvres, en Vendée et dans d’autres territoires, celles‑ci donnent lieu à des conflits sur le terrain, notamment entre les associations environnementales et les agriculteurs. Certes, elles n’ont été qu’évoquées en audition, mais peut‑être faudrait‑il approfondir ce point.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – J’étais la semaine dernière auprès de l’agence de l’eau Adour‑Garonne, et je vous confirme que les bassines suscitent un certain nombre de tensions.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Il s’agit là d’une importante ressource en eau pour les agriculteurs, mais son utilisation peut être contestée, surtout lorsqu’elle est destinée à l’agriculture intensive. Il faudra à coup sûr promouvoir de bonnes pratiques et trouver des arrangements locaux.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – La rue de Varenne, c’est le siège du ministère de l’agriculture. Ce nom a donc une connotation particulière.

D’un côté, la profession agricole assure notre sécurité alimentaire et, ce faisant, notre indépendance nationale. Elle a besoin d’indications à l’heure où les changements culturaux lui imposent des adaptations considérables, qu’il s’agisse des expérimentations ou des investissements. De l’autre, un certain nombre de partenaires, développant une vision à plus long terme, estiment que, sans être un cautère sur une jambe de bois, le Varenne n’est pas la véritable solution. Ce sont ces deux points de vue que M. Denormandie a tenté de concilier.

Pour comprendre la figure 7, il me semble nécessaire de rappeler l’existence de ces conflits de temporalité et de statut, d’autant que l’usage agricole vient après l’usage énergétique. Le ministre de l’agriculture a pour rôle de faire vivre un secteur économique qui a le mérite de nous nourrir. À cet égard, il a des objectifs à moyen terme. Il ne faut pas culpabiliser les agriculteurs outre mesure ; en revanche, sans doute faut‑il responsabiliser davantage le secteur de l’énergie. La réponse sera probablement plus rapide et plus facile, car, en la matière, EDF est le seul interlocuteur.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Ce paragraphe mérite effectivement d’être retravaillé.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Il faut écrire clairement que les désaccords résultent d’un conflit entre différentes échéances et différentes responsabilités.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Au chapitre des recommandations, nous pourrions insister sur l’amélioration de la réutilisation des eaux usées : nous sommes très en retard par rapport aux autres pays.

Enfin, le caractère énergivore de la désalinisation appelle des précisions, en particulier pour ce qui concerne le coût.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – Il faut prendre en compte les différentes technologies existantes.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – L’ultrafiltration consomme moins d’énergie et d’argent que l’évaporation, même si les membranes ne durent pas éternellement. Précisons qu’il s’agit là d’une fourchette de coûts. Ces derniers varient selon les procédés.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – À titre d’ordre de grandeur, on pourrait indiquer que les 32 kilomètres cubes d’eau prélevés en 2017 représentent 64 térawattheures d’énergie, soit 15 % de la consommation électrique française, donc la production de neuf centrales nucléaires. Ces chiffres seraient plus parlants.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Peut‑être faudra‑t‑il également développer la désalinisation dans les territoires ultramarins.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je reviens à la figure 7. À titre personnel, je serais curieux de connaître la répartition entre l’énergie hydroélectrique et l’énergie nucléaire.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Cette information mérite d’être vérifiée.

Pour ma part, j’insiste sur le sérieux de Philippe Bolo et sur son sens politique aigu, qui nous a permis d’éviter un malentendu dont l’Office aurait fait les frais. Il s’agit d’un sujet extrêmement sensible, qui plus est en période électorale.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Je m’associe bien sûr à ces éloges. Du reste, je connaissais déjà les qualités de Philippe Bolo, notamment son sens de la diplomatie et sa capacité à étudier les sujets en profondeur.

Mme Angèle Préville, sénatrice, viceprésidente de l’Office. – J’ai personnellement été très heureuse du travail d’une année mené avec notre collègue député sur la pollution plastique.

M. Philippe Bolo, député, rapporteur. – Voici quelques précisions en réponse à vos questions. Nous nous devons d’utiliser la notion d’eau « virtuelle », car c’est l’expression consacrée dans la communauté scientifique ; mais peut‑être exige‑t‑elle certaines précisions dans une note en bas de page.

Il convient par ailleurs effectivement de préciser les conclusions pour tenir compte des remarques formulées par M. le président sur la distinction entre climat et météorologie.

En revanche, nous traitons déjà indirectement des bassines aux pages 9 et 10, car ces dernières ne sont rien d’autre que des retenues de substitution de petite taille.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Dans ce cas, une mention du mot « bassines », assortie de quelques éléments, pourrait suffire à éclairer ce point. Il faut préciser que les retenues peuvent être sur sol naturel et sur sol artificiel.

M. Gérard Longuet, sénateur, premier viceprésident de l’Office, rapporteur. – Il existe bien des bassines naturelles, par exemple en Bresse, mais elles sont souvent gérées. Ainsi, en Argonne, l’eau est drainée de très longue date pour la pisciculture – c’est un héritage chrétien, car la Lorraine est assez loin de la mer et il fallait du poisson pour faire maigre. N’oublions pas ces raisons culturelles, qui vont de pair avec les facteurs hydrographiques et géologiques.

C’est un mélange entre le relief, la nature du sous‑sol et les raisons culturelles et sociologiques, que l’on oublie souvent.

M. Cédric Villani, député, président de l’Office. – Il y a donc une influence indirecte de la religion sur ce sujet...

L’Office adopte les conclusions de l’audition publique du 10 février 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l’audition et de ces conclusions.

 


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Liste des personnes auditionnées

 

-     Florence Habets, directrice de recherche au CNRS dans l’équipe « Surface et réservoir » du Laboratoire de géologie de l’École normale supérieure

 

- Vazken Andréassian, directeur de l’unité de recherche « HYCAR » d’Inrae

 

- Nadia Carluer, ingénieur-chercheur dans l’unité de recherche « RiverLy » d’Inrae

 

- Catherine Néel, directrice de projet « Gestion résiliente des hydrosystèmes » au Cerema

 

- Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique « Eaux souterraines et changements globaux » du BRGM

 

- Lionel Alletto, directeur de recherche à Inrae dans l’unité mixte de recherche « AGIR – Agroécologie, Innovations et territoires »

 

- François Champanhet, membre du CGAAER et rapporteur de la thématique « Renforcer la résilience de l’agriculture dans une approche globale en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales et d’élevage, les infrastructures agroécologiques et l’efficience de l’eau d’irrigation » du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

 

- Jean Launay, président du Comité national de l’eau et co-président de la thématique « Partager une vision raisonnée des besoins et de l’accès aux ressources en eau mobilisables pour l’agriculture sur le long terme : réalisations, avancées et perspectives » du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

 

- Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « Eau et milieux aquatiques » à France Nature Environnement

 

- Frédérique Chlous, présidente du Conseil scientifique de l’Office français de la biodiversité


[1] P.-E. Bisch, L. Hubert, C. Mailleau, F. Denier-Pasquier, L. Servant, « Cellule d’expertise relative à la gestion quantitative de l’eau pour faire face aux épisodes de sécheresse », 2018, Rapport CGEDD n° 011865-01 (https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/184000654.pdf).

[2] La première séquence des Assises de l’eau, conclue en août 2018, était consacrée aux services publics d’eau et d’assainissement (petit cycle de l’eau), tandis que la seconde s’est intéressée au grand cycle. Voir : Ministère de la transition écologique et solidaire, « Assises de l’eau : 17 mesures pour relancer l’investissement dans les réseaux d’eau et d’assainissement », 2018 (https://www.ecologie.gouv.fr/assises-leau-17-mesures-relancer-linvestissement-dans-reseaux-deau-et-dassainissement).

[3] Ministère de la transition écologique et solidaire, « Assises de l’eau : Un nouveau pacte pour faire face au changement climatique », 2019             
(https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/20190701_Dossier_de_presse_Assises_Eau.pdf).

[4] Rapport d'information par la mission d'information sur la ressource en eau de MM. Henri Morenas et Loïc Prud’homme, fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, Assemblée nationale n° 1101 (15e législature) (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/mieau/l15b1101_rapport-information).

[5] Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, Rapports des thématiques 1, 2 et 3, 2022 (https://agriculture.gouv.fr/tous-les-travaux-des-groupes-de-travail-du-varenne-de-leau).

[6] Centre d'information sur l'eau, « L’eau douce : sa formation, ses réservoirs et les ressources disponibles » (https://www.cieau.com/connaitre-leau/leau-dans-la-nature/eau-douce-tout-savoir/).

[7] Un kilomètre cube correspond à un milliard de mètres cubes.

[8] Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « The state of the world’s land and water resources for food and agriculture – Managing systems at risk », 2011 (http://www.fao.org/3/i1688e/i1688e00.htm).

[9] M. Fader et al.,  Environ. Res. Lett. 2016, 11, 055008 (https://doi.org/10.1088/1748-9326/11/5/055008).

[10] Eaufrance, « Longueur de rivières », 2016 (https://www.eaufrance.fr/chiffres-cles/longueur-de-rivieres).

[11] Eaufrance, « Les lacs, étangs et autres plans d’eau » 2019 (https://www.eaufrance.fr/les-lacs-etangs-et-autres-plans-deau).

[12] BRL Ingénierie, « Ressources et besoins en eau en France à l’horizon 2030 », 2012 (http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/rapport_france_version_finale.pdf).

[13] Météo France, « Indices mensuels de précipitations et nombre de jours de précipitations issus du modèle Aladin-Climat » 2016 (https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/indices-mensuels-de-precipitations-et-nombre-de-jours-de-precipitations-issus-du-modele-aladin-climat/).

[14] IPCC, « Climate Change 2021 : The Physical Science Basis. Contribution of Working Group I to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change », 2021 (https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-i/).

[15] IPCC, « Climate Change 2021 : The Physical Science Basis. Summary for Policymakers », 2021 (https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-i/).

[16] L’importante augmentation en pourcentage dans les régions arides (notamment le Sahara) ne pourrait correspondre qu’à de faibles changements absolus.

[17] En Europe, le nombre de régions touchées par la sécheresse a augmenté d’environ 20 % entre 1976 et 2006. En 2015, au moins 11 % de la population européenne connaissait un problème de rareté de la ressource en eau toute l’année et 23 % pendant les périodes estivales. En 2030, ces proportions devraient respectivement passer à 30 et 45 %. Voir : V. Da Costa, E. Jobard, J. Marquay, M. Ollagnon, B. Plat, S. Radureau, « Les services publics d’eau et d’assainissement en France - Données économiques, sociales et environnementales »

(http://www.fp2e.org/userfiles/files/publication/etudes/Etude_BIPE_2015_
Services_publics_d%27eau_et_d%27assainissement_10_6%20nov_%202015.pdf
).

[18] Graphiques obtenus à partir de l’atlas interactif du GIEC en utilisant la projection CORDEX Europe et le scénario RCP8.5 (https://interactive-atlas.ipcc.ch/).

[19] Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « Explore 2070. Synthèse de l’étude “hydrologie de surface” », 2012 (https://professionnels.ofb.fr/fr/node/44).

[20] Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, « Explore 2070. Synthèse de l’étude “hydrologies souterraines” », 2012 (https://professionnels.ofb.fr/fr/node/44).

[21] Service des données et études statistiques (SDES), « Eau et milieux aquatiques - Les chiffres clés - Édition 2020 » (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/datalab_80_chiffres_cles_eau_edition_2020_decembre2020v2.pdf).

[22] Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), « Les acteurs économiques et l’environnement », 2017

(https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-acteurs-economiques-et-lenvironnement-edition-2017).

[23] Commissariat général au Développement durable (CGDD), « L’environnement en France en 2019 : rapport de synthèse » (https://www.vie-publique.fr/catalogue/271414-lenvironnement-en-france-en-2019-rapport-de-synthese).

[24] Il existe cependant une certaine incertitude quant à la part d’eau prélevée pour l’agriculture qui est restituée au milieu naturel. Voir : BRL Ingénierie, « Ressources et besoins en eau en France à l’horizon 2030 », 2012

(http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/rapport_france_version_finale.pdf).

[25] L’eau est qualifiée de « virtuelle » car invisible au niveau du produit fini mais elle correspond cependant bel et bien à de l’eau « réelle » lors du processus de production.

[26] Commissariat général au développement durable, « L’eau et les milieux aquatiques - Chiffres clés - Édition 2016 »

(https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-10/reperes-2016-eau-milieux-aquatiques-b.pdf).

[27] Cette situation n’est pas nécessairement problématique dès lors que les produits importés ayant une forte « empreinte eau » proviennent de pays où la ressource n’est pas sous tension. Le principe d’eau « virtuelle » permettrait d’ailleurs d’équilibrer le bilan hydrologique de pays sous tension : si le transport d’eau « réelle » est coûteux par rapport à sa valeur volumique, il est possible de transférer de l’eau « virtuelle » grâce à des produits ayant une forte « empreinte eau » et une importante valeur marchande. Pour une carte des flux nets d’eau « virtuelle » sur la période 1996-2005, voir : A. Y. Hoekstra et al., PNAS 2012, 109, 3232

(http://www.pnas.org/content/early/2012/02/06/1109936109).

[28] Cette estimation ne prend en compte que les prélèvements bruts d’eau « bleue » (l’eau prélevée dans les eaux souterraines et superficielles pour les usages domestiques, agricoles et industriels) mais pas l’eau « verte » (l’eau pluviale qui va irriguer naturellement les cultures et retourner à l’atmosphère par évapotranspiration) ni l’eau « grise » (l’eau nécessaire pour diluer les eaux usées). Au niveau global (eau « bleue », « verte » et « grise »), l’empreinte eau est estimée en France à 1 875 m3/personne/an (contre 1 243 m3/personne/an en moyenne dans le monde). Voir : A. Y. Hoekstra et al., Water Resour. Manag. 2007, 21, 35

(https://link.springer.com/article/10.1007/s11269-006-9039-x).

[29] Ce volume est à comparer aux 53 m3 d'eau consommés en moyenne annuellement par un Français pour ses usages domestiques (donnée obtenue en 2017). Il existe cependant des disparités importantes entre les différents départements. Voir : Service des données et études statistiques (SDES), « Eau et milieux aquatiques – Les chiffres clés – Édition 2020 » (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/datalab_80_chiffres_cles_eau_edition_2020_decembre2020v2.pdf).

[30] Ces dernières sont parfois qualifiées de « bassines ».

[31] a) A. Wuilleumier, J. J. Seguin, « Réalimentation artificielle des aquifères en France. Une synthèse », BRGM/RP-55063-FR, 2008 (http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-55063-FR.pdf); b) J. Casanova et al., « Recharge artificielle des eaux souterraines : État de l’art et perspectives », BRGM/RP-61821-FR, 2013 (http://infoterre.brgm.fr/rapports/RP-61821-FR.pdf).

[32] Voir sous-partie suivante quant à la réutilisation des eaux usées traitées.

[33] Inversement, dans certains cas, la recharge artificielle peut permettre d’améliorer la qualité des nappes par dilution.

[34] a) Agence de l’eau Seine Normandie, « Manuel de restauration hydromorphologique des cours d’eau », 2007

(https://www.eaufrance.fr/sites/default/files/documents/pdf/01Manuel_restauration.pdf);

b) Agence française de la biodiversité, « Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau », 2019               (https://www.documentation.eauetbiodiversite.fr/notice/guide-pour-l-elaboration-de-suivis-d-operations-de-restauration-hydromorphologique-en-cours-d-eau0).

[35] Autrefois associée à une barrière psychologique importante, la réutilisation des eaux usées voit son acceptabilité sociale progresser dans la population avec la prise de conscience de la rareté de la ressource. Ainsi, en 2014, 68 % des Français se disaient prêts à accepter de consommer des fruits et légumes arrosés avec des eaux usées traitées et 45 % se disaient prêts à accepter sa réinjection dans les réseaux d’eau potable. Voir : CGDD, « Ressources en eau : perception et consommation des Français. Résultats d’enquête. », Études et documents du CGDD n° 106, 2014 (http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/document.html?id=Temis-0081062).

[36] D’après Catherine Néel, si le débit journalier de la station d’épuration dépasse la moitié du débit d’étiage, il n’est pas approprié de soustraire cette eau usée traitée au cours d’eau. En revanche, dans le cas de stations d’épurations situées proche du littoral, cela permet de valoriser une eau qui aurait été rapidement rejetée à la mer.

[37] Cerema, « Réutilisation des eaux usées traitées - Le panorama français » 2020 (https://www.cerema.fr/fr/centre-ressources/boutique/reutilisation-eaux-usees-traitees-panorama-francais).

[38] Centre d’information sur l’eau, « Réutilisation des eaux usées traitées : un formidable procédé d’économie circulaire » (https://www.cieau.com/eau-transition-ecologique/solutions/reutilisation-des-eaux-usees-traitees-un-formidable-procede-deconomie-circulaire/).

[39] European Union Network for the Implementation and Enforcement of Environmental Law (IMPEL), « Report on Urban Water Reuse », 2018 (https://www.impel.eu/wp-content/uploads/2019/01/FR-2018-07-Urban-Water-Reuse-1-1.pdf).

[40] Les multiples procédés reposent soit sur le principe de l’osmose inverse soit sur celui de la distillation (respectivement, 60 et 40 % des installations en fonctionnement). Voir : J.-M. Rovel, « Dessalement de l’eau de mer », Éditions T.I., 2021, w5700 (https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/environnement-securite-th5/procedes-de-traitement-des-eaux-potables-industrielles-et-urbaines-42318210/dessalement-de-l-eau-de-mer-w5700/).

[41] D. Curto et al., Appl. Sci. 2021, 11, 670 (https://doi.org/10.3390/app11020670). Pour produire les 32 km3 d’eau prélevés en France en 2017, une production énergétique de plus de 96 TWh serait nécessaire.

[42] Pour une carte des capacités de désalination mondiales, voir : GRID-Arendal, « Water desalination », 2010 (https://www.grida.no/resources/7609).

[43] Seulement 6 % des surfaces agricoles utiles sont actuellement irriguées, l’agriculture reposant principalement sur la ressource pluviale. Voir M. Campardon, et al., « L’irrigation en France. État des lieux 2010 et évolution. », IRSTEA 2012 (https://hal.inrae.fr/hal-02597968/document).

[44] Une partie des pertes retourne cependant à la ressource, sous la forme d’écoulements ou par recharge des aquifères.

[45] Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Faire face à la pénurie d’eau. Un cadre d’action pour l’agriculture et la sécurité alimentaire », 2012 (http://www.fao.org/3/i3015f/i3015f.pdf).

[46] « Eau : urgence déclarée », Rapport d’information de MM. Henri Tandonnet et Jean-Jacques Lozach, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, Sénat n° 616 (2015-2016) (https://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-616-notice.html)

[47] Agence de l’eau Adour-Garonne, « Étude pour le renforcement des actions d’économies d’eau en irrigation dans le bassin Adour-Garonne », 2018

(https://www.documentation.eauetbiodiversite.fr/notice/etude-pour-le-renforcement-des-actions-d-economies-d-eau-en-irrigation-dans-le-bassin-adour-garonne0).

[48] Par exemple, lorsque le foncier n’est pas limitant, les économies d’eau réalisées peuvent servir à accroître la surface irriguée. Voir : L. Mateos, Sciences, Eaux et Territoires 2020, 34, 86 (http://www.set-revue.fr/efficience-de-lirrigation-et-economie-deau-effet-dechelle-et-effet-rebond).

[49] Pour une vue d’ensemble des nouvelles techniques de sélection végétale et des enjeux associés, voir : « Les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021 : avantages, limites, acceptabilité », Rapport de Mme Catherine Procaccia, sénateur, et M. Loïc Prud’homme, député, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, Assemblée nationale n° 4220 (15e législature), Sénat n° 671 (2020-2021) (http://www.senat.fr/rap/r20-671/r20-6711.pdf).

[50] Agence de l’eau Adour-Garonne, INRAE, « Synthèse de l'étude BAG’AGES », 2021 (https://www.eau-grandsudouest.fr/sites/default/files/2022-01/Plaquette%20Bagages_2021.pdf).

[51] Service des données et études statistiques (SDES), « Eau et milieux aquatiques – Les chiffres clés – Édition 2020 » (https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2021-02/datalab_80_chiffres_cles_eau_edition_2020_decembre2020v2.pdf).

[52] France Nature Environnement, « Varenne de l’eau : 5 organisations dénoncent le modèle agricole promu par le Varenne », 2021 (https://fne.asso.fr/communique-presse/varenne-de-l-eau-5-organisations-denoncent-le-modele-agricole-promu-par-le).

[53] UICN Comité français, MNHN, SFI, AFB, « La Liste rouge des espèces menacées en France – Chapitre Poissons d’eau douce de France métropolitaine », 2019 (https://uicn.fr/liste-rouge-poissons-d-eau-douce/).

[54] Y. Wada et al., Environ. Res. Lett. 2013, 8, 034036 (https://doi.org/10.1088/1748-9326/8/3/034036).

[55] W. Wan et al., J. Geophys. Res. 2018, 123, 5947 (https://doi.org/10.1029/2017JD027825).