N° 172

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 juillet 2022.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI
autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède

 

PAR M. Jean-Louis BOURLANGES

Député

——

AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR Mme Natalia POUZYREFF

Députée

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 Voir le numéro :

 Assemblée nationale : 157


 


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SOMMAIRE

Pages

Introduction :   L’OTAN à l’heure du retour

I. Précipité par l’invasion russe de l’Ukraine, l’élargissement de l’OTAN à la Suède et la Finlande contribuera à la sécurité de l’Europe

A. En devenant candidats à l’adhésion, la Suède et la Finlande rompent avec une politique de non-alignement militaire

1. La Suède et la Finlande ont pratiqué des stratégies distinctes de non-alignement

2. Les deux pays ont estimé que la dégradation de leur environnement sécuritaire devait les conduire à une révision en profondeur de leurs engagements internationaux

B. L’élargissement à la Suède et la Finlande, qui sont d’ores et déjà les partenaires les plus proches de l’OTAN, devrait renforcer la crédibilité de l’Alliance

1. Les candidatures suédoise et finlandaise viennent conclure un processus de rapprochement vieux de 25 ans

2. Pour l’Alliance atlantique, la Suède et la Finlande représentent des « pourvoyeurs nets de sécurité »

a. Le renforcement du potentiel militaire de l’Alliance

b. L’amélioration de la situation stratégique vis-à-vis de la Russie

II. Le processus d’élargissement est ralenti par la Turquie mais le risque d’une escalade avec la russie paraît maîtrisé

A. La Turquie fait valoir ses préoccupations de sécurité pour marchander son soutien à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

1. Le président Erdoğan a posé des conditions à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

2. Le blocage turc a été levé au prix de concessions significatives mais limitées faites par la Suède et la Finlande

3. La ratification des protocoles d’adhésion par le Parlement turc est soumise à des incertitudes

4. À l’instar des autres principaux membres de l’Alliance, la France doit rapidement ratifier les protocoles d’adhésion pour mettre la Turquie face à ses responsabilités

B. Si l’élargissement de l’OTAN est présenté par Moscou comme intolérable, le risque d’escalade dans la période intérimaire paraît limité

1. L’élargissement de l’OTAN ne peut être tenu pour responsable du raidissement de la Russie

2. Le narratif russe fondé sur l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’OTAN n’a été qu’un prétexte pour déclarer la guerre

3. Le risque d’une provocation russe destinée à faire dérailler le processus d’élargissement paraît faible

Conclusion :  L’Europe au défi de la défense collective

AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

I. clé de voûte de la défense territoriale de l’europe, l’otan est en première ligne depuis le déclenchement de la guerre en ukraine

A. L’OTAN, une organisation politico-militaire dÉfensive

1. Objectifs, organisation et moyens de l’OTAN

2. Une organisation renouvelée après 1991, compatible avec l’Europe de la défense

B. La déstabilisation puis l’agression de l’Ukraine par la Russie ont rÉaffirmé le rôle essentiel de l’OTAN dans la défense territoriale de l’Europe

1. Les présences avancées renforcées en Europe de l’Est, réponse à la déstabilisation de l’Ukraine en 2014

2. Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’OTAN a décidé de renforcer sa posture de dissuasion contre la menace russe

II. la demande d’adhésion à l’otan de la suÈde et de la finlande

A. Une neutralité historique remise en cause par la guerre en ukraine

1. Une neutralité historique

a. La Finlande

b. La Suède

2. La menace russe, principale motivation de la demande d’adhésion

B. Une procédure d’adhésion sous la pression de la turquie

1. La procédure d’adhésion

2. Une procédure d’adhésion sous pression de la Turquie

3. Favorable à l’adhésion, la France fait le choix d’une procédure de ratification rapide

III. Les conséquences de l’adhésion

A. un bénéfice mutuel, et pour l’otan, et pour les deux pays concernés

1. Le renforcement politique, stratégique et militaire de l’Alliance

a. La Suède et la Finlande ont des capacités militaires non négligeables

b. Des capacités industrielles et technologiques significatives

c. Un atout stratégique et politique important

2. La protection de l’Alliance

B. Le renforcement du pilier européen de l’otan ET DE L’EUROPE DE LA Défense

C. la réaction russe

Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

Annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission des affaires ÉtrangÈres

Annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur


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Introduction :

L’OTAN à l’heure du retour

L’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) a mal vécu l’après-guerre froide. La libération du glacis soviétique en Europe centrale et orientale, la réunification de l’Allemagne sous l’égide de la République fédérale, la dislocation de l’Union soviétique enfin, justement perçues comme autant de victoires du camp occidental, n’en ont pas moins inauguré pour l’organisation militaire intégrée qui en était le bras armé une longue période de doute et d’incertitude dont elle paraît seulement maintenant en passe de sortir. Il aura fallu le retour de la guerre avec l’invasion de l’Ukraine par la fédération de Russie et l’engagement progressif de cette dernière dans une entreprise politico-militaire de reconquête agressive de son empire perdu pour que l’OTAN sorte de ce que le président de la République avait qualifié de « mort cérébrale » mais qui, pour ne pas quitter le registre des métaphores médicales, paraît cependant aujourd’hui n’avoir été qu’une sorte de « coma profond ». L’élargissement de l’OTAN à deux États nordiques ordinairement, et pour la Finlande improprement, qualifiés de « neutres » constitue l’une des manifestations les plus spectaculaires du retour à la vie d’une organisation militaire intégrée qu’on avait pu croire moribonde.

*

Au cours des trente dernières années, l’OTAN s’était enfoncée dans une série de quatre crises dont les effets conjugués l’avaient, dans un premier temps, moins paralysée que désorientée et affaiblie.

  1. Une crise existentielle de vocation

Cette crise est inséparable de la conversion apparente de la fédération de Russie aux valeurs et aux principes des démocraties occidentales et de la disparition du pacte de Varsovie. La révolution « elstinienne » n’a pas conduit l’OTAN à renoncer à son rôle de bras armé des puissances occidentales face à un adversaire de moins en moins clairement identifié, mais a fait paraître en elle une vocation nouvelle d’animateur collectif d’un partenariat pour la paix entre les belligérants d’hier. C’est très progressivement que cette seconde vocation s’est effacée au cours des vingt dernières années sous l’effet des ambitions réaffirmées et de l’agressivité retrouvée de la Russie de Vladimir Poutine.

Au lendemain de la guerre froide, l’OTAN avait en effet besoin de nouvelles raisons d’être pour survivre, quitte à sortir de son périmètre de compétence si nécessaire. L’Alliance a d’abord cherché à renforcer sa coopération de sécurité avec des pays partenaires au travers dinstruments comme le « Partenariat pour la Paix » ou lActe fondateur OTAN-Russie de 1997 (cf. infra). LOTAN a aussi pris part à des opérations de gestion de crise, comme en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, en Afghanistan ou en Libye, y compris donc, parfois, en dehors de la zone euro-atlantique. Les conditions du retrait dAfghanistan, conjuguées au constat dune certaine inefficacité des opérations de maintien de la paix, semblent avoir refermé au moins temporairement cette phase expéditionnaire dans lhistoire de lAlliance.

Ce nest qu’à partir de 2014 que lOTAN a commencé à revenir à sa véritable raison d’être du fait de la posture de défi de la Russie, qui était jusqu’alors encore considérée comme un « partenaire » par lAlliance. Dès 2008, l’occupation par l’armée russe d’une partie du territoire géorgien avait réveillé les inquiétudes. Six ans plus tard, lannexion illégale de la Crimée puis le déclenchement de la guerre dans la région ukrainienne du Donbass ont conduit à renforcer le pilier « défense collective » de lAlliance. Lors du sommet de Newport en 2014, les Alliés ont ainsi créé une force de réaction rapide (NATO Response Force - NRF) en alerte sous très court préavis et, deux ans plus tard, à Varsovie, a été mise en place la présence avancée renforcée (Enhanced Forward Presence – EFP), un contingent permanent stationné à lest de lEurope, destiné à dissuader la Russie de mener de nouvelles actions de déstabilisation dans son environnement régional.

  1. Une incertitude périmétrique

Cette incertitude est parallèle à celle qui affectait au même moment l’Union européenne (UE). Elle résulte de l’effondrement, consécutif à la fin de la guerre froide, du limes oriental du monde prétendu libre. Les États libérés du joug soviétique avaient-ils vocation à rejoindre l’alliance occidentale et son organisation militaire intégrée ou à vivre leur vie indépendamment des anciens blocs afin d’épargner une menace à une Russie réputée durablement pacifique ? Les États du limes se sont partagés entre ces deux tentations, au risque, en intégrant l’OTAN, de favoriser l’émergence en Russie de réactions obsidionales de mauvais aloi, ou en cultivant indépendance et équidistance, de créer à la charnière des deux mondes une zone grise particulièrement vulnérable à d’éventuelles tentatives de reprise en main de l’ancien « protecteur » russe.

Face à ces deux avenirs potentiellement ouverts aux États de ce qu’on pourrait qualifier « d’étranger proche partagé » entre l’Est et l’Ouest, l’OTAN a confusément cherché sa voie. En vérité, malgré des conditions dadhésion plus restrictives, lOTAN na cessé de s’élargir. Depuis sa création par douze pays ([1]), lAlliance atlantique se définit comme une organisation ouverte, un trait matérialisé par une politique dite « de la porte ouverte » ([2]). Dès 1949, larticle 10 du traité de Washington énonce trois conditions à l’élargissement : seuls des États européens peuvent candidater, les candidats doivent apporter une contribution positive à lAlliance atlantique et toute décision sur l’élargissement doit être prise par consensus entre les pays membres. Lors de la guerre froide, lAlliance atlantique connaît ainsi trois vagues d’adhésions : la Grèce et la Turquie en 1952, lAllemagne fédérale en 1955 et lEspagne en 1982. Chaque élargissement donna lieu à des débats au sein du Conseil de lAtlantique Nord, dont certains membres étaient déjà soucieux de préserver la cohésion de lAlliance.

À la fin de la guerre froide, lOTAN était pourtant réticente à s’élargir davantage. En 1995, des critères dadhésion plus nombreux et plus précis que ceux figurant à larticle 10 du traité ont été adoptés, parmi lesquels le fait que les candidats doivent « avoir un système politique démocratique fonctionnant bien et reposant sur une économie de marché », « sengager à régler les conflits de manière pacifique », « être capables et désireux dapporter une contribution militaire aux opérations de lOTAN » et « être attachés au caractère démocratique des relations entre civils et militaires et des structures institutionnelles ».

En 1999, trois États dEurope centrale, la Pologne, la Hongrie et la République tchèque ont été, sur le fondement de telles exigences, considérés comme dignes de rejoindre l’Alliance atlantique. Depuis lors, les Alliés ont décidé de structurer un parcours dadhésion conditionnel et graduel. Les pays candidats entament dabord un dialogue intensifié avec lOTAN avant de se voir proposer un « plan daction pour ladhésion » (Membership action plan - MAP), qui lui-même est susceptible de se conclure par ladhésion. Sur cette base et jusqu’à aujourdhui, lAlliance atlantique a vécu quatre nouvelles vagues d’élargissement : en 2004, les trois États baltes, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie ; en 2009, lAlbanie et la Croatie ; en 2017, le Monténégro ; et en 2020, la Macédoine du Nord. LOTAN a plus que doublé de taille depuis sa création et compte désormais trente pays membres.

Dans les documents de travail de lOTAN, la « politique de la porte ouverte » concerne aujourdhui cinq pays. Il sagit, dune part, des trois pays dits « aspirants à ladhésion » (aspirant countries) : la Géorgie et lUkraine, bien que leur processus dadhésion nait jamais été enclenché (cf. infra sur le langage de Budapest en 2008), qui sont au stade de partenaires bénéficiant du programme « dopportunités renforcées » (cf. infra), ainsi que la Bosnie-Herzégovine, qui bénéficie pour sa part dun plan daction pour ladhésion depuis 2010 mais est paradoxalement moins avancée dans le processus dintégration avec lAlliance en raison de ses divisions internes. Il sagit, dautre part, de la Finlande et de la Suède, également partenaires « à opportunités renforcées », qui n’étaient pas formellement aspirantes à ladhésion mais qui sont considérées comme bénéficiant de la politique de la porte ouverte de lOTAN.

On ne saurait nier que ces élargissements successifs, même s’ils n’avaient aucun caractère agressif, ont profondément modifié l’équilibre géostratégique de la zone. Ils ont fait de l’appartenance à l’Alliance atlantique et à l’organisation militaire intégrée la réponse sécuritaire de droit commun à la situation créée par le démantèlement de la puissance russe dans la région. Le parallélisme est évident avec le rapprochement de ces pays – sous forme d’association ou d’adhésion – et de l’UE, rapprochement qui a fait figure de réponse politique de droit commun à cette même situation.

  1. Une cohésion politique mise à l’épreuve

En dépit du renforcement continu de l’organisation militaire, les relations politiques entre Alliés ont connu d’importants soubresauts au point d’interroger sur l’unité de l’Alliance.

Les élargissements successifs de l’Alliance ont d’abord conduit à des divergences d’analyse stratégique entre Alliés. Les nouveaux États membres de l’OTAN n’ont pas la même appréciation de la menace ou, à tout le moins, de l’intensité de chaque menace que les plus anciens. Les Alliés orientaux ont en effet toujours été plus sensibles au risque représenté par un retour de la Russie, qui incarne pour eux une menace existentielle, quand les pays du sud de l’Europe ont davantage milité au sein de l’Alliance pour la prise en compte du risque terroriste et de l’instabilité de la zone euro-méditerranéenne. C’est toutefois le positionnement d’autres pays comme la Hongrie mais surtout de la Turquie au sein de l’Alliance qui pose le plus de difficultés. Les valeurs et les intérêts de la Turquie n’ont cessé de diverger de ceux du reste de l’Alliance comme ont pu en témoigner la décision d’Ankara d’acquérir des systèmes de défense antiaérienne et antimissiles S-400 auprès de la Russie, ainsi que celle d’intervenir militairement contre les Kurdes de Syrie (YPG/PYD), alliés des Occidentaux dans la lutte contre Daech.

L’orientation prise par les États-Unis sous la présidence de Donald Trump a par ailleurs fragilisé en profondeur le pacte transatlantique qui constitue le fondement de l’OTAN. Au pouvoir jusqu’en 2020, le président Trump a jugé l’OTAN « obsolète » et n’a que faiblement rassuré les Alliés sur l’engagement des États-Unis. Ses improvisations théoriques ont semé de sérieux doutes sur la nature et l’automaticité de ce que serait l’engagement des États-Unis au titre de l’article 5 du traité en cas d’agression russe sur un État membre.

L’Alliance a enfin dû faire face à une crise de responsabilité des Européens qui, depuis la fin de la guerre froide, ont tiré les dividendes de la paix et largement démantelé leur appareil de défense. Se reposant sur la garantie de sécurité des États-Unis, les Européens ont été réticents à prendre leur part de responsabilité dans le « partage du fardeau » de l’Alliance. Trop peu nombreux restent les pays européens membres de l’OTAN à consacrer 2 % de leur PIB à l’effort de défense.

  1. La question de la stratégie militaire

Face aux évolutions rapides de la conflictualité, l’OTAN est contrainte d’adapter sa stratégie aussi bien que ses modes d’action afin de rester crédible au plan militaire. Le risque cyber est désormais un champ d’affrontement investi par l’Alliance. Depuis le sommet de Varsovie de 2014, cette menace est intégrée dans la stratégie de défense collective et une cyberattaque peut conduire les Alliés à invoquer l’article 5. Mais au-delà du cyber, l’OTAN doit également anticiper l’innovation de défense, de l’intelligence artificielle aux armes autonomes, et les effets qu’elle pourrait avoir sur les manières de faire la guerre. De surcroît, d’autres terrains d’affrontement apparaissent à mesure que reculent les frontières de la guerre. Au sein de l’Alliance, l’espace fait ainsi l’objet de réflexions approfondies, marquées notamment par l’adoption d’une politique générale spatiale en juin 2019. Terrain d’affrontement important sous la guerre froide, le Grand Nord est le théâtre de rivalités croissantes mais sa prise en compte par l’Alliance atlantique reste faible. Cet ensemble de mutations modifie en profondeur les conditions d’exercice de la solidarité entre Alliés et crée un halo d’incertitudes autour des conditions de mise en œuvre de l’article 5.

L’effacement présumé de la menace russe et la montée en puissance de la Chine ont aussi pu un moment conduire les Américains et leurs alliés à remettre en cause la spécificité et les limites géographiques des engagements respectifs des Alliés et à prétendre faire de l’OTAN un instrument de sécurité collective à vocation universelle. L’Alliance atlantique devait alors faire face à un dilemme : « out of area or out of business ». La France a toujours considéré avec une extrême méfiance cette tentation du pivot oriental appliqué à l’Alliance, jusqu’à ce que l’invasion de l’Ukraine rappelle à chacun que la défense de l’Europe avait tout lieu de demeurer la vocation principale sinon exclusive de l’organisation atlantique.

Enfin, l’OTAN est confrontée à la nécessité de repenser l’articulation de la défense conventionnelle et de la défense nucléaire. La guerre froide avait été caractérisée par un double effort de limitation de la prolifération des armes nucléaires et de mise en cohérence des doctrines d’emplois respectives des deux types d’armements. On assiste désormais à un développement de moins en moins contrôlé des risques de prolifération sur un fond préoccupant d’indétermination croissante des doctrines d’emplois. C’est ainsi que le parti démocrate et le président Biden se sont fait les avocats d’une doctrine de non-recours à l’arme nucléaire en cas d’agression opérée avec des moyens strictement conventionnels. Cette doctrine peut paraître légitime et même emprunte d’une sage prudence aux yeux de beaucoup. Elle n’en bouleverse pas moins l’équilibre stratégique sur le théâtre européen, même si la supériorité constamment alléguée des forces conventionnelles russes sur celles de l’Alliance est apparue bien incertaine à la lumière de la guerre d’Ukraine. Il résulte de ces hésitations une assez grande incertitude stratégique à l’échelle internationale.

*

Face à ces crises, l’invasion russe de l’Ukraine lancée le 24 février dernier a constitué un électrochoc qui a largement revitalisé l’Alliance atlantique. L’OTAN a ainsi véritablement retrouvé sa mission première, celle qui prévalait lors de sa création en 1949 : la défense collective contre la menace russe. Le sommet des chefs d’État et de gouvernement qui s’est tenu à Madrid du 28 au 30 juin 2022 a par ailleurs permis une manifestation d’unité des Alliés sur cinq principales actions :

– l’assistance à l’Ukraine, sur laquelle l’OTAN n’est pas en première ligne mais cherche un rôle dans l’espace réduit laissé par l’implication bilatérale de chacun des Alliés : coordination de l’aide non létale, assistance de plus long terme au renforcement des capacités militaires de l’Ukraine et au développement de l’interopérabilité avec l’OTAN, contribution aux efforts de reconstruction post-conflit, etc. ;

– le renforcement significatif de la posture sur le flanc est de l’Europe, afin de bâtir une « défense de l’avant » (forward defence), concept inspiré de la guerre froide destiné à permettre d’arrêter les forces russes en cas d’invasion, alors que la présence de forces de l’OTAN sur le flanc Est obéissait auparavant au concept de « fil déclencheur » (tripwire) selon lequel les quelques effectifs déployés n’avaient pas pour ambition d’arrêter une invasion russe mais de garantir que, en cas d’agression, les grandes puissances soient contraintes de réagir. Dans ce cadre, plusieurs pays alliés ont annoncé un renforcement, en fonction des besoins, de leurs déploiements sur le flanc oriental de l’Alliance. À cela s’ajoute le renforcement de la force de réaction rapide, qui devrait passer de 40 000 à 300 000 hommes. L’OTAN, qui pouvait déjà déployer 40 000 soldats en l’espace de 15 jours, se donne désormais pour objectif d’être en mesure de projeter plus de 100 000 hommes en moins de 10 jours et près de 200 000 hommes en moins de 30 jours ;

– l’adoption d’un nouveau concept stratégique, en remplacement du précédent adopté lors du sommet de Lisbonne de 2010. Le nouveau document stratégique de l’OTAN décrit la Russie, non plus comme un « partenaire stratégique », mais comme « la menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des Alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique », mentionne les « défis systémiques » représentés par la Chine tout en les replaçant, ainsi que les interactions avec les partenaires de l’Indopacifique, dans le strict cadre de la sécurité euro-atlantique, réaffirme la dimension nucléaire de l’Alliance et consacre la complémentarité stratégique entre l’UE et l’OTAN ;

– l’augmentation des financements en commun, qui a fait l’objet de discussions très difficiles sur une feuille de décision dont les détails ne figurent dans aucun document public ;

– l’accord sur les candidatures de la Finlande et de la Suède, permettant la signature des protocoles d’adhésion dont le projet de loi dont l’Assemblée nationale est saisie autorise la ratification, obtenu au prix de la signature d’un mémorandum trilatéral dans lequel Suède et Finlande reconnaissent les préoccupations de sécurité de la Turquie (cf. infra).

Si le sommet de Madrid a permis une telle démonstration de force et d’unité parmi les Alliés, c’est bien sûr parce que la situation est très grave et vraisemblablement plus inquiétante qu’elle ne l’était sous la guerre froide. Comme l’ont expliqué au rapporteur les hauts responsables du secrétariat général de l’OTAN, pour beaucoup de pays situés sur le flanc oriental de l’Europe, la guerre en Ukraine est plus importante que le 11 septembre. La situation actuelle est en effet marquée par l’avènement d’une guerre de haute intensité et de la défense collective, ce que l’Europe n’avait pas connu pendant la guerre froide. La confrontation crée une insécurité d’autant plus grande qu’elle n’est plus régulée par aucune architecture de sécurité collective et de doctrine militaire bien précise.

Dans ce contexte, l’appartenance à l’OTAN apparaît comme une source puissante de clarté et de sécurité. Comme le montre l’invasion russe de l’Ukraine, le statut de simple partenaire de l’Alliance, qui est celui de l’Ukraine, ne garantit a priori aucun soutien particulier en cas d’attaque militaire. L’article 42 paragraphe 7 du traité de l’Union européenne (TUE), une clause d’assistance mutuelle entre États membres de l’UE en cas d’agression armée sur le territoire de l’un d’entre eux, n’est pas aussi crédible que l’article 5 du traité de Washington, qui bénéficie de l’engagement des États-Unis. Comme l’a énoncé le président Biden récemment, « le moindre pouce » (every inch) du territoire de l’OTAN sera défendu, une garantie de sécurité très importante pour les Alliés.

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le souhait de la Suède et de la Finlande de rejoindre l’OTAN au prix du renoncement à leur politique de non-alignement.

 


I.   Précipité par l’invasion russe de l’Ukraine, l’élargissement de l’OTAN à la Suède et la Finlande contribuera à la sécurité de l’Europe

A.   En devenant candidats à l’adhésion, la Suède et la Finlande rompent avec une politique de non-alignement militaire

L’invasion de l’Ukraine a relancé le débat sur la politique de la porte ouverte, à la fois en compliquant les perspectives d’adhésion, déjà lointaines, de l’Ukraine et de la Géorgie, et en rouvrant le débat sur une adhésion de la Suède et de la Finlande.

1.   La Suède et la Finlande ont pratiqué des stratégies distinctes de non-alignement

Le royaume de Suède a une longue tradition de non-participation aux alliances militaires qui a permis à ce pays de connaître, depuis deux siècles, une paix ininterrompue ([3]). Cette tradition ne peut être comprise qu’au prix d’un détour par l’Histoire. La dernière guerre à laquelle la Suède a participé, après avoir perdu la Finlande au profit de la Russie en 1809, est celle menée contre Napoléon. Au cours de cette guerre, la Suède vainquit le Danemark, allié de la France de Napoléon, ce qui lui permit de contraindre la Norvège dans une union en 1814.

Depuis 1814, la Suède n’a plus jamais été en guerre. Cette dernière renonça à lancer une attaque militaire contre la Norvège lorsque celle-ci décida de reprendre son indépendance au début du siècle suivant. En se déclarant neutre, le royaume de Suède parvint par ailleurs à rester à l’écart des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Durant la guerre froide, la même politique de non-alignement fut observée par les sociaux-démocrates, avec un fort soutien des forces politiques au Riksdag. Les Suédois n’en ont pas moins pratiqué une coopération militaire discrète mais substantielle avec les États-Unis, coopération qui ne fut révélée que dans les années 1990.

Si la Suède a choisi la neutralité, la Finlande l’a subie du fait de sa proximité avec la Russie, avec laquelle elle partage une frontière de plus de 1 300 kilomètres. Lorsque, en 1809, la Russie s’empara de la Finlande, qui avait appartenu à la Suède depuis le XIIe siècle, celle-ci lui laissa d’abord un certain degré d’autonomie. La pression russe sur la Finlande se renforça néanmoins au cours des années précédant la première guerre mondiale en raison de l’activité des groupes de résistance contre la présence russe. Les difficultés de Moscou sous la première guerre mondiale puis la révolution d’octobre permirent à la Finlande d’arracher son indépendance à la Russie en 1917, malgré une brève guerre civile qui dura jusqu’à l’année suivante.

Les choix de la Finlande ont été déterminés par la menace d’intrusion d’une ombrageuse Russie. La montée en puissance de l’Union soviétique dans l’entre-deux-guerres obligea la Finlande à veiller à ménager son puissant voisin. En 1939, l’URSS décida néanmoins d’attaquer la Finlande, qui opposa une farouche résistance à l’envahisseur et fit le choix de s’allier avec l’Allemagne. Si l’invasion russe de la Finlande fut un échec, la défaite de l’Allemagne nazie et, parallèlement, la victoire de l’URSS à la fin de la seconde guerre mondiale obligèrent la Finlande à concéder certains territoires et à accepter ce qu’on a appelé la « finlandisation ». Tout au long de la guerre froide, la Finlande a moins connu un régime de neutralité à proprement parler qu’un système de souveraineté limitée combinant l’indépendance de son système politique, économique et social avec un quasi-alignement sur la Russie en matière internationale. Cette « finlandisation » coûta donc au pays la maîtrise de sa politique extérieure, subordonnée à celle de l’URSS, mais n’empêcha pas la Finlande de rester à l’extérieur du pacte de Varsovie.

La Suède et la Finlande ne modifièrent qu’à la marge leur position internationale avec la fin de la guerre froide. Les deux pays décidèrent cependant de rejoindre l’UE en 1992, et donc de participer progressivement à la construction d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Partisans d’une défense européenne, ils participent aujourd’hui à l’Initiative européenne d’intervention (IEI), dont l’objectif est de créer au sein d’un groupe d’États européens les conditions préalables à la conduite d’engagements opérationnels conjoints. Stockholm et Helsinki participent également à des opérations de maintien de la paix au sein de coalitions occidentales, comme la Mission intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).

2.   Les deux pays ont estimé que la dégradation de leur environnement sécuritaire devait les conduire à une révision en profondeur de leurs engagements internationaux

La Suède et la Finlande n’ont pas attendu le déclenchement de la guerre en Ukraine pour s’inquiéter du comportement de plus en plus hostile de la Russie ([4]). L’agression de la Géorgie en 2008 puis surtout, en 2014, l’annexion illégale de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass conduisirent les deux pays à réévaluer la menace représentée par la Russie dont la rhétorique devenait de plus en plus agressive. En Suède, ces évènements ont poussé les sociaux-démocrates à renforcer les moyens de la défense après les années de réductions budgétaires qui avaient suivi la fin de la guerre froide. Pour autant, les deux pays nordiques, et surtout la Finlande, se sont efforcés de garder des relations correctes à défaut d’être chaleureuses avec la Russie.

C’est l’agression de l’Ukraine par la Russie qui emporte décisivement le revirement des politiques extérieures suédoise et finlandaise. À l’image des autres pays nordiques, les deux pays condamnent fermement l’agression russe, prennent la décision d’envoyer des armes à l’Ukraine et augmentent leurs budgets de défense. Signe de l’importance historique de l’évènement, Stockholm prend ainsi deux décisions majeures qui auraient été inimaginables à la veille de l’invasion : la livraison d’armes à un pays en guerre, une première pour la Suède depuis l’envoi d’armes aux voisins finlandais en 1939, et l’objectif de porter l’effort de défense à 2 % du PIB d’ici 2028. De son côté, la Finlande, qui a toujours maintenu un budget de défense élevé depuis la guerre froide, a annoncé une enveloppe d’environ 2,2 milliards d’euros supplémentaires pour sa défense sur la période 2023-2026.

Surtout, l’invasion russe de l’Ukraine conduit la Suède et la Finlande à envisager leur adhésion à l’OTAN. De façon surprenante, dans ce processus, la Suède évolue plus lentement que la Finlande. Le 6 novembre 2021, le ministre suédois de la défense, Peter Hultqvist, se dit confiant qu’« il n’y aura pas de candidature à une adhésion [à l’OTAN] aussi longtemps que nous avons un gouvernement social-démocrate. » Lors d’une conférence de presse le 8 mars 2022, la Première ministre suédoise, Magdalena Andersson, affirme encore qu’une adhésion de la Suède à l’OTAN « risquerait de déstabiliser la région » du nord de l’Europe. Par contraste, la Finlande connaît une évolution beaucoup plus dynamique que la Suède et donne assez vite des signes avant-coureurs d’une volonté d’adhérer à l’OTAN. Dès le 10 avril, la Première ministre Sanna Marin déclare notamment qu’aucune garantie de sécurité n’est aussi forte que celle de l’OTAN. En dépit de ce sensible décalage, la Suède et la Finlande reconnaissent très tôt qu’il est primordial que, si les deux pays décident de rejoindre l’OTAN, ils le fassent ensemble.

Les deux pays entreprennent ainsi de lancer, de façon parallèle, une revue sécuritaire examinant l’opportunité de réviser leur traditionnelle politique de non-alignement. Les rapports finlandais ([5]) et suédois ([6]) qui en sont issus exposent la dégradation de leur environnement de sécurité suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ils évoquent tous deux l’hypothèse d’une adhésion à l’OTAN, présentée comme une garantie permettant d’augmenter considérablement la dissuasion envers une éventuelle agression, mais elle n’est pas explicitement recommandée. Dans les deux rapports, les autres partenariats bilatéraux ou européens sont présentés comme moins protecteurs que l’appartenance à l’Alliance atlantique. En d’autres termes, la participation à l’OTAN et la protection offerte par l’article 5 du traité permettraient une forme de clarification par rapport à un incertain système de garanties de sécurité qui, à l’heure actuelle, placent la Suède et la Finlande dans une « zone grise » pouvant s’avérer dangereuse, compte tenu de l’évolution du contexte sécuritaire.

Ces conclusions trouvent un large appui au sein de la classe politique et de l’opinion publique en Suède et en Finlande. En Suède, six des huit partis au Parlement, à l’exception du Parti de gauche (ex-communistes) et des Verts, se déclarent favorables à une adhésion à l’OTAN. En Finlande, 188 des 200 députés votent en faveur de l’adhésion à l’OTAN le 17 mai 2022. Les opinions publiques suédoise et finlandaise connaissent également une évolution rapide. Comme le précise l’étude d’impact annexée au projet de loi, alors qu’en 2020, à peine 20 % de la population finlandaise soutenait le principe d’une adhésion du pays à l’OTAN, cette proportion a grimpé à 53 % fin février, à 62 % en mars et à 76 % en mai 2022 ([7]). Pour les Suédois, alors que 42 % de la population se prononçait en faveur d’une adhésion en janvier 2022, elle était 48 % fin avril et 57 % à la mi-mai ([8]), ce qui représente une majorité, bien qu’elle soit moins claire qu’en Finlande.

Les candidatures suédoise et finlandaise à l’adhésion, qui ont été adressées à l’OTAN le 18 mai, sont inédites à plusieurs égards. D’abord, celles-ci marquent la fin d’une longue tradition de non-alignement militaire pour les deux pays. Ensuite, pour peu qu’il aille à son terme, cet élargissement sera le premier élargissement de l’OTAN en temps de crise. Il mettra également fin à une singularité norvégienne, tous les pays nordiques faisant dorénavant partie de l’OTAN. Enfin, contrairement aux derniers élargissements, ceux du Monténégro et de la Macédoine du Nord notamment, cet élargissement augmente parallèlement les engagements de l’Alliance et les moyens militaires mis à disposition de celle-ci par les nouveaux membres.

B.   L’élargissement à la Suède et la Finlande, qui sont d’ores et déjà les partenaires les plus proches de l’OTAN, devrait renforcer la crédibilité de l’Alliance

1.   Les candidatures suédoise et finlandaise viennent conclure un processus de rapprochement vieux de 25 ans

Ayant engagé un rapprochement avec l’OTAN au lendemain de la guerre froide, la Suède et la Finlande, par ailleurs membres de l’UE, peuvent aujourd’hui être considérées comme les partenaires les plus proches de l’Alliance atlantique.

La Suède et la Finlande ont noué des relations étroites avec l’OTAN. Depuis 1994, elles sont membres du « partenariat pour la paix » (PpP), un programme de coopération entre l’OTAN et des partenaires euro-atlantiques permettant à ces derniers de développer une relation individuelle avec l’Alliance en fixant leurs propres priorités en matière de coopération. La Finlande et la Suède sont aussi deux des six pays, avec l’Ukraine, l’Australie, la Jordanie et la Géorgie, à disposer du « partenariat aux opportunités renforcées » (EOP), la forme de coopération la plus avancée de l’OTAN lancée, au sommet de Newport en 2014, pour que les relations étroites entre les forces de l’Alliance et celles des pays partenaires établies au cours des années d’opérations puissent être maintenues et approfondies.

Ces liens permettent des interactions fréquentes aux niveaux politique et militaire. La Suède et la Finlande assistent déjà à de nombreuses réunions de travail de l’Alliance atlantique. Elles participent régulièrement à des exercices militaires communs (Cold Response, Baltic Operations, Defender, Saber Strike, etc.), qui favorisent l’interopérabilité de leurs forces avec celles de l’OTAN, une interopérabilité d’autant plus grande que Stockholm et Helsinki disposent déjà de longue date d’équipements et de systèmes d’armes répondant aux standards de l’OTAN. Surtout, les forces armées des deux pays ont participé aux opérations de l’Alliance dans les Balkans, en Afghanistan et en Irak et participent actuellement à la KFOR au Kosovo, ainsi qu’à la mission de formation de l’OTAN en Irak.

De façon assez révélatrice, le communiqué du sommet de Bruxelles de juillet 2021 qualifiait ainsi les liens de l’Alliance avec Stockholm et Helsinki : « La coopération étroite et mutuellement bénéfique qu’entretient l’Alliance, en matière de sécurité, avec la Finlande et la Suède – partenaires bénéficiant du programme « nouvelles opportunités », qui partagent nos valeurs et qui contribuent aux opérations et missions dirigées par l'OTAN – s’est accrue dans un large éventail de domaines. Nous continuerons de renforcer notre capacité de répondre de manière rapide et efficace à tous les défis communs et de travailler ensemble à améliorer notre résilience et la préparation du secteur civil. Nous renforcerons le dialogue politique ouvert que nous menons régulièrement ainsi que notre coopération à l’appui de notre sécurité commune, y compris par la préparation à la gestion de crise, par la conduite d’exercices et par l’échange d’informations et d’analyses, notamment concernant l’état de la sécurité dans la région de la mer Baltique ».

Depuis le sommet extraordinaire de l’Alliance du 25 février 2022, réuni au lendemain de l’offensive russe en Ukraine, la Suède et la Finlande bénéficient de « modalités d’interaction renforcées avec l’OTAN » (MSI), un mécanisme activable en cas de crise créé en 2018. Dans ce cadre, les deux pays sont désormais destinataires des documents de l’OTAN ayant trait à la situation en Ukraine, participent de plein droit aux réunions du Conseil de l’Atlantique Nord et aux différents comités sur ce sujet et l’Alliance peut accéder à leur territoire en cas de besoin militaire. Ils ont ainsi participé aux ministérielles « Affaires étrangères » et « Défense » extraordinaires de mars 2022. Leur participation à l’exercice Cold Response, un exercice de routine qui se déroule en Norvège depuis 2006, a pris au mois de mars 2022 un autre relief.

Le vice-président de la commission des affaires étrangères du Riksdag a expliqué à votre rapporteur que, si la politique de rapprochement de la Suède et de l’OTAN avait eu pour objet, jusqu’à une date récente, aux yeux des Modérés, de préparer l’entrée de la Suède dans l’organisation atlantique, elle avait eu en revanche pour effet, aux yeux des Socialistes, de dispenser le pays de cette adhésion. Il reste que, malgré cette forte proximité, la Suède et la Finlande demeuraient exclues du bénéfice de la garantie de l’article 5 et de la participation au processus de décision de l’Alliance atlantique. Deux bonnes raisons de vouloir aller plus loin et de demander l’adhésion.

2.   Pour l’Alliance atlantique, la Suède et la Finlande représentent des « pourvoyeurs nets de sécurité »

En rejoignant l’OTAN, la Suède et la Finlande intégreront la planification de défense commune et mettront des moyens à disposition de l’Alliance. Contrairement aux précédents élargissements, la Suède et la Finlande seront des contributeurs nets à la posture de l’Alliance, aux plans aussi bien militaire que stratégique.

a.   Le renforcement du potentiel militaire de l’Alliance

Comme le prévoit l’étude d’impact, les capacités suédoises et finlandaises « renforceront le potentiel militaire de l’Alliance, et de ce fait, sa stabilité ».

Tel sera le cas, en particulier, de l’intégration des forces de défense finlandaises, qui peuvent être considérées comme plus avancées que la moyenne de celle des Alliés. La Finlande dispose en effet de 280 000 soldats et peut mobiliser jusqu’à 870 000 réservistes, ce qui en fait l’une des armées les plus importantes en Europe. Les forces finlandaises opèrent par ailleurs à partir de systèmes d’armes communs à de nombreux alliés (avions américains F-18, chars de combat allemands Léopard, hélicoptères européens NH90) et bénéficient ainsi d’une interopérabilité très élevée avec les forces de l’OTAN. Enfin, la Finlande a fait le choix de cultiver une forte résilience nationale, ce qui se traduit par le maintien de la conscription, une réserve très large et le développement d’un esprit de défense toujours fortement mobilisé au sein de la population.

Déjà élevés, les moyens des forces armées finlandaises sont par ailleurs en augmentation. Le budget de la défense finlandais s’établit à 5,1 milliards d’euros en 2022, ce qui représente 1,9 % du PIB. Grâce à l’annonce d’une hausse de 2,2 milliards d’euros sur les quatre prochaines années, la Finlande devrait rapidement atteindre la cible des 2 % du PIB consacrés à l’effort de défense. Ces moyens permettront à Helsinki d’accroître ses capacités, ce qui se traduit déjà par la commande de 64 avions de combat F-35 auprès des États-Unis et l’acquisition de quatre nouvelles corvettes multi-missions auprès d’un armateur finlandais, mais aussi d’augmenter le nombre de soldats d’active, au-delà du seuil des 500 nouvelles recrues annuelles, des réservistes (10 000 réservistes de plus par an pour les trois prochaines années) et des gardes-frontières.

Par comparaison, la Suède dispose d’une armée plus réduite, qui a subi une phase de désarmement consécutive à la fin de la guerre froide. Stockholm a néanmoins inversé la tendance à compter de 2014 en rétablissant par exemple la conscription, avec un quota de 4 000 jeunes par an, en 2017. La Suède dispose actuellement de 22 700 soldats d’active, qui sont soutenus par 32 400 personnels d’appoint (réservistes et gardes nationaux). Elle se singularise par une industrie de défense nationale développée et compétitive, qui équipe les forces suédoises, ce qui n’empêche pas le pays d’acquérir des équipements américains – en 2020, la Suède a notamment acheté le système de défense antiaérienne Patriot – avec pour effet de renforcer l’interopérabilité de ses forces avec celles de l’OTAN.

Comme en Finlande, les moyens consacrés par la Suède à ses forces armées suivent une courbe ascendante. En 2021, le budget consacré à l’effort de défense avoisinait les 6 milliards d’euros, soit 1,2 % du PIB. Les autorités suédoises ont annoncé une importante revalorisation du budget de défense pour atteindre les 2 % du PIB en 2028. Pour parer à l’urgence dans le contexte de la dégradation de l’environnement de sécurité provoqué par la guerre en Ukraine, une allocation supplémentaire de 96 millions d’euros, combinée à une augmentation du plafond d’équipements de 2,9 milliards d’euros, a été annoncée fin mars pour l’année 2022.

b.   L’amélioration de la situation stratégique vis-à-vis de la Russie

L’élargissement de l’OTAN au nord-est de l’Europe procurera à l’Alliance un avantage stratégique essentiel au renforcement de la posture envers la Russie.

D’une part, l’adhésion de la Finlande à l’OTAN se traduira par 1 300 kilomètres de frontières supplémentaires – soit un doublement de la frontière – entre l’Alliance et la Russie. Même sans base de l’OTAN sur son territoire, la seule adhésion de la Finlande à l’Alliance atlantique posera un sérieux problème stratégique à la Russie. Cette dernière ne pourra ignorer qu’en s’attaquant aux pays baltes, elle aura 1 300 kilomètres de frontières à protéger en plus.

D’autre part, en donnant à l’Alliance une plus grande profondeur stratégique, l’adhésion de ces deux pays à l’OTAN bénéficiera à l’ensemble des Alliés de la Baltique. L’acquisition de cette profondeur transformera en effet la Baltique en une « mer intérieure » et contribuera à un désenclavement partiel des alliés baltes, qui sont situés sur un isthme très difficile à défendre pour l’Alliance, avec la possibilité de leur assurer un soutien immédiat en cas de besoin.

En définitive, la nouvelle donne stratégique bénéficiera beaucoup aux pays baltes qui éprouvent un très fort sentiment de vulnérabilité dans le contexte de la guerre en Ukraine. S’il est vrai que l’armée russe n’a conquis, à grand-peine, qu’un cinquième du territoire ukrainien, il faut bien mesurer que cette surface est équivalente aux territoires des trois pays baltes réunis. La garantie de sécurité que représente, pour les pays baltes, l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN pallie partiellement la faiblesse réelle de la « défense de l’avant » décidée à Madrid.

II.   Le processus d’élargissement est ralenti par la Turquie mais le risque d’une escalade avec la russie paraît maîtrisé

A.   La Turquie fait valoir ses préoccupations de sécurité pour marchander son soutien à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

1.   Le président Erdoğan a posé des conditions à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN

D’un point de vue procédural, une fois le processus lancé par les pays concernés, l’adhésion aurait dû intervenir rapidement. À n’en pas douter, Stockholm et Helsinki respectent tous les critères sur l’élargissement. Contrairement aux autres partenaires à « opportunités renforcées » que sont la Géorgie et l’Ukraine, la Finlande et la Suède répondent déjà largement aux critères politiques, économiques et militaires sur l’élargissement définis en 1995 (système démocratique fonctionnant bien et reposant sur une économie de marché, armées capables de contribuer aux opérations de l’OTAN, contrôle démocratique sur les forces armées). En outre, les capacités militaires rapidement interopérables comme le positionnement géostratégique de ces pays représentent une contribution substantielle au renforcement de la sécurité de la région euro-atlantique. Enfin, contrairement aux vagues d’élargissement des années 1990 et 2000, les Alliés convenaient de se passer du processus d’octroi du plan d’action pour l’adhésion pour tendre vers une procédure accélérée qui serait actée par un consensus entre Alliés.

Malgré la qualité des dossiers présentés par les candidats et l’intérêt que représente leur adhésion pour l’ensemble des membres de l’Alliance, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan a menacé à trois reprises, les 13, 16 et 19 mai, de s’opposer à l’adhésion de la Finlande et de la Suède. Au cours des négociations, la Turquie a mis plusieurs conditions à la levée de son veto.

Les griefs turcs ont principalement porté sur le terrorisme en raison de la proximité supposée des deux pays nordiques avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation contre laquelle la Turquie mène un combat sans merci depuis de nombreuses années. Dans une tribune publiée dans The Economist le 14 juin 2022, le président Erdoğan expliquait que la Turquie « avait tous les droits de s’attendre à ce que ces pays, qui s’attendront à ce que la deuxième plus grande armée de l’OTAN assure leur défense en vertu de l’article 5, empêchent le recrutement, le financement et les activités de propagande du PKK, que l’Union européenne et l’Amérique considèrent comme une entité terroriste » ([9]). Face à ces insinuations agressives rejetées comme sans fondement, la Finlande et la Suède ont répété qu’elles n’apportaient aucun soutien au PKK, qu’elles considéraient également comme une organisation terroriste.

Au-delà du seul cas du PKK, le président turc exigeait de ces pays un durcissement envers les « terroristes », notamment les Kurdes, et envers le mouvement Gülen. La partie turque demandait, plus précisément, la fin du soutien au PYD et aux YPG, qui devaient, selon Ankara, être également qualifiés de « terroristes » compte tenu de leurs liens organiques avec le PKK. Le président Erdoğan attendait par ailleurs de ces pays – plus de la Suède que de la Finlande – l’extradition de certaines personnalités ainsi que la fermeture de certains médias accusés d’avoir des liens avec ces organisations « terroristes ». Ces demandes ont paru inacceptables aux autorités suédoises et finlandaises et de nature à remettre en cause certains principes de l’État de droit et de la liberté de la presse.

Bien qu’il se fût agi d’une préoccupation secondaire, la Turquie posait aussi comme condition à l’adhésion de la Suède à l’OTAN la levée des restrictions à son endroit des exportations d’armements. Un tel embargo sur les ventes d’armes était jugé anormal entre des pays aspirant à faire partie d’une même organisation de sécurité collective. Si aucun embargo visant la Turquie n’a été prononcé, la Suède avait bien révoqué toutes les licences d’exportation d’armements en vigueur, le 15 octobre 2019, à la suite de l’incursion de troupes turques dans le Nord-Est syrien.

2.   Le blocage turc a été levé au prix de concessions significatives mais limitées faites par la Suède et la Finlande

La levée du veto turc à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN n’a été obtenue que le jour même où s’ouvrait le sommet de Madrid du 28 juin, grâce à la signature d’un mémorandum trilatéral entre les trois pays. Ce mémorandum constitue un document politique qui n’engage que les gouvernements de ces trois pays et aucunement les autres membres de l’Alliance.

La Suède et la Finlande ont fait des concessions significatives pour obtenir la fin du blocage turc. D’abord, les deux pays s’engagent à ne soutenir ni les forces kurdes en Syrie (YPG/PYD), ni l’organisation de Fethulah Gülen (FETÖ) dans la mesure où ces organisations qui, contrairement au PKK, ne sont pas désignées comme des organisations terroristes, représentent une menace pour la sécurité nationale de la Turquie. Ensuite, la Finlande et la Suède s’engagent à examiner loyalement toutes les demandes d’extradition émises par la Turquie « dans le respect de la convention européenne d’extradition [de 1957] ». Enfin, elles s’abstiennent de toute politique de restriction en matière d’exportation d’armements envers la Turquie.

La levée in extremis du veto turc a suscité un réel soulagement en Finlande et en Suède en permettant de reconnaître les deux pays comme « invités » à l’OTAN, à l’occasion d’une cérémonie qui s’est tenue le 5 juillet. Ce statut, préalable à l’adhésion effective, leur offre un accès accru à l’organisation atlantique. Il leur permet, en particulier, de participer à la quasi-totalité des réunions qui se tiennent au siège de l’OTAN sans leur conférer néanmoins le droit de contribuer aux décisions collectives.

3.   La ratification des protocoles d’adhésion par le Parlement turc est soumise à des incertitudes

Sitôt passé la phase de soulagement, un doute diffus s’est installé sur l’étape de la ratification, compte tenu de l’imprécision de certaines dispositions du mémorandum et des interprétations divergentes dont elles font l’objet.

Les autorités suédoises et finlandaises ont tenté de rassurer leur opinion publique sur la portée limitée des concessions faites à la Turquie. La fin du soutien aux YPG et au PYD entre à l’évidence en contradiction avec la réalité du partenariat avec les milices kurdes contre Daech auquel la Suède et la Finlande avaient souscrit. La ministre des affaires étrangères suédoise Ann Linde a toutefois précisé que l’arrêt du soutien aux YPG/PYD ne concernait que « ce qui pourrait menacer directement la sécurité de la Turquie ». Il faut mesurer que l’accord conclu par la Suède et la Finlande va bien au-delà des préoccupations de sécurité turques reconnues par les autres pays alliés, mais il faut rappeler que cet accord tripartite entre la Suède, la Finlande et la Turquie n’engage en rien les autres États membres de l’Alliance.

Par ailleurs, la Première ministre suédoise Magdalena Andersson a voulu rassurer en garantissant que les procédures d’extradition liées à des demandes turques suivraient « la législation suédoise et les conventions internationales ».

Le président Erdoğan a cependant énoncé une interprétation différente du mémorandum, qu’il a qualifié de « victoire diplomatique » pour la Turquie. D’après lui, la négociation s’est conclue par l’expression d’une solidarité dans la lutte contre le PKK et dans la lutte contre le terrorisme « sous toutes ses formes et ses manifestations » par l’engagement de la Suède et de la Finlande à ne pas soutenir les organisations « PYD/YPG et FETÖ » et par l’engagement à ne pas imposer des embargos, ni des restrictions aux exportations de défense. Ce faisant, le président turc a progressivement effacé les nuances contenues dans le mémorandum s’agissant d’une part, du PKK, et d’autre part, du PYD, des YPG et de FETÖ, pour affirmer que l’ensemble de ces organisations avaient été reconnues comme « terroristes ».

Surtout, le président Erdoğan a donné l’impression de faire des demandes reconventionnelles par rapport au texte de l’accord. Il a exigé une nouvelle modification des législations suédoise et finlandaise sur le terrorisme et mentionné une liste de 73 personnes à extrader, qu’Helsinki et Stockholm ne semblent pas toujours en capacité d’extrader faute parfois de seulement les connaître.

En l’absence de respect des engagements pris par la Suède et la Finlande, le président Erdoğan a menacé de ne pas transmettre les protocoles d’adhésion au Parlement turc pour ratification. Le 18 juillet, le président Erdogan a encore répété cette menace de « geler » l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN. La Turquie pourrait par ailleurs bloquer ou retarder l’intégration de ces pays, avant leur accession formelle, à la planification de défense commune, pré-intégration qui avait bénéficié à la Macédoine du Nord et au Monténégro lors des précédents élargissements.

En tout état de cause, la mise en œuvre de ces engagements doit faire l’objet de discussions dans le cadre d’un mécanisme conjoint permanent prévu par le mémorandum tripartite. La Grande Assemblée nationale de Turquie ayant suspendu ses travaux, au plus tard jusqu’au 1er octobre, elle n’est pas susceptible d’engager la procédure de ratification à court terme, sauf convocation expresse.

4.   À l’instar des autres principaux membres de l’Alliance, la France doit rapidement ratifier les protocoles d’adhésion pour mettre la Turquie face à ses responsabilités

Aux yeux des professionnels des élargissements de l’OTAN, le marchandage auquel se prête la Turquie ne serait pas aussi exceptionnel qu’il y paraît. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois qu’un élargissement fait l’objet de marchandages. Lors du dernier élargissement de l’OTAN, l’adhésion de la Macédoine du Nord n’avait été possible qu’au prix d’un changement de nom du pays imposé par la Grèce.

La situation serait d’autant moins originale que la Turquie a déjà, à plusieurs reprises par le passé, pris en otage l’OTAN au nom de ses intérêts nationaux, en particulier ceux qui touchent à la lutte contre le terrorisme, puisqu’elle se trouve être le pays européen le plus affecté par ce phénomène. En 2009, la Turquie avait ainsi opposé son veto à la participation de Chypre à des discussions concernant les activités militaires conjointes de l’UE et de l’OTAN. En 2019, Ankara avait bloqué le plan de défense de l’OTAN pour la Pologne et les États baltes pour les mêmes motifs que ceux invoqués aujourd’hui à l’encontre de la Suède et de la Finlande.

Pour la chercheuse Amélie Zima, il faut par ailleurs distinguer, dans le comportement de la Turquie, ce qui relève de réelles attentes à l’égard de la communauté internationale de ce qui est destiné à des fins de politique intérieure. Au final, la ratification des protocoles d’adhésion par la Turquie pourrait n’être qu’une question de temps, la Suède et la Finlande ayant déjà reçu le statut d’invités et la Turquie, qui a aussi besoin de l’OTAN, sachant bien jusqu’où pousser son avantage.

D’autres s’inquiètent davantage du marchandage du président Erdoğan et estiment que la ratification par la partie turque n’est pas acquise. Il est peu probable que la Suède et la Finlande procèdent à toutes les extraditions demandées par les autorités turques. Il semble en effet que les demandes formulées par la Turquie vont au-delà des dispositions de l’accord. De plus, la Suède et la Finlande seront fondées à faire valoir l’indépendance de leur pouvoir judiciaire pour justifier le refus de certaines extraditions.

La Turquie pourrait aussi monnayer sa ratification auprès des États-Unis avec lesquels les contentieux sont nombreux (soutien à l’YPG/PYD, présence sur le territoire américain du prédicateur Fethullah Gülen, coopération de défense avec la Grèce, etc.). L’enjeu le plus immédiat pour la Turquie, compte tenu de la nécessité de rétablir la parité avec la Grèce à laquelle la France a livré des Rafale, est celui de la cession et de la modernisation des F-16 américains en compensation de l’exclusion d’Ankara du programme F-35, qui a fait suite à l’acquisition de S-400 russes. Pour rappel, l’acquisition des F-35 combinée avec celle de S-400 serait de nature, aux yeux des experts, à faciliter l’accès des autorités russes à des informations technologiques ultra-sensibles. La cession des F-16 se trouve, à ce stade, en mauvaise posture au Congrès du fait de l’attitude de blocage turc sur la Suède et la Finlande, de la perspective d’opération dans le Nord-Est syrien, des tensions relancées avec la Grèce et de la répression interne en Turquie.

Sans accord des juridictions suédoises et finlandaises sur certaines demandes d’extradition ou du Congrès américain sur la cession des F-16, la Turquie pourrait manier l’argument de la séparation des pouvoirs qui lui serait opposé pour entraver à son tour la ratification des protocoles d’adhésion au Parlement turc.

Dans ce contexte, le rapporteur estime que la France doit ratifier rapidement les protocoles d’adhésion afin de mettre la pression sur la Turquie. Au 26 juillet, dix-huit pays alliés ([10]) les ont déjà ratifiés après avoir mis en œuvre le plus souvent une procédure accélérée. La France, qui fera d’ores et déjà partie de la deuxième moitié des Alliés dans la course à la ratification, doit résolument s’inscrire dans le mouvement général. Face à ce qui s’apparente déjà comme l’élargissement le plus rapide de l’histoire de l’Alliance, l’isolement de la Turquie ne pourrait que l’inciter à mettre un terme à sa « grève du zèle ». En cas de blocage persistant du processus par la Turquie, il y aurait toutefois lieu de poursuivre la réflexion sur les garanties que les Alliés pourraient apporter sans attendre à la Suède et la Finlande.

B.   Si l’élargissement de l’OTAN est présenté par Moscou comme intolérable, le risque d’escalade dans la période intérimaire paraît limité

1.   L’élargissement de l’OTAN ne peut être tenu pour responsable du raidissement de la Russie

Depuis plusieurs années, les autorités russes développent un récit selon lequel l’élargissement de l’OTAN serait responsable de l’accroissement des tensions avec l’Occident. Si cette idée trouve un certain écho dans l’opinion publique, elle repose en réalité sur plusieurs arguments qui ne résistent pas à l’analyse.

En premier lieu, la Russie avance, qu’au lendemain de la guerre froide, les États-Unis se seraient engagés à ce que l’OTAN ne s’élargisse pas vers l’Est. En 1990, dans le cadre des discussions du « 2+4 » sur la modification du statut de l’Allemagne et la réunification de celle-ci, le secrétaire d’État américain James Baker aurait affirmé que les forces de l’OTAN « n’avanceraient pas d’un pouce vers l’Est ». Cet engagement de ne pas déployer de bases de l’OTAN, d’armes nucléaires ou de troupes américaines ne valait toutefois que pour les Länder orientaux intégrés à la République fédérale. La question de l’élargissement de l’OTAN aux pays de l’Est ne s’est en réalité posée qu’ultérieurement après la dissolution du pacte de Varsovie et la disparition de l’Union soviétique. Il est exact que James Baker avait cru possible de donner à M. Gorbatchev certains apaisements relatifs aux perspectives d’élargissement de l’OTAN mais il avait été tout aussitôt démenti par le président George H. Bush qui avait immédiatement rappelé le droit de chaque pays d’être partie ou non à des traités d’alliance, comme l’avait notamment consacré l’Acte Final d’Helsinki en 1975. Le récit russe d’une promesse non tenue relève donc d’une reconstruction a posteriori.

Moscou avance par ailleurs l’idée que l’OTAN serait une menace pour la Russie. Pourtant, l’OTAN est une alliance purement défensive. Elle est restée passive pendant la majeure partie de son histoire, n’ayant pas tiré un seul coup de feu pendant toute la guerre froide. Si l’Alliance a développé une posture expéditionnaire après 1991, aucune de ses opérations ne pourrait être qualifiée de manœuvre d’agression. Décidées à l’unanimité, les opérations conduites par l’OTAN avec un succès politique inégal ont pour l’essentiel ressemblé à des opérations de maintien de la paix onusiennes, poursuivant des objectifs humanitaires. En ex-Yougoslavie, l’Alliance a mené des opérations de stabilisation. Après la Bosnie-Herzégovine, elle s’est certes engagée sans mandat de l’ONU au Kosovo mais la sortie de l’opération, au demeurant grandement facilitée par la diplomatie de la Russie pré-poutinienne, a été régularisée ex post par l’ONU. Dans le cas de l’Afghanistan, la Russie partageait d’ailleurs largement l’analyse de l’OTAN et a accepté qu’une partie du soutien logistique de l’opération passe par son territoire. Enfin, Moscou ne peut raisonnablement affirmer que le dispositif limité de « présence avancée renforcée » tel qu’il a été déployé par l’OTAN à l’est de l’Europe après l’annexion de la Crimée et le déclenchement de la guerre dans le Donbass soit une menace pour la sécurité de la Russie.

En outre, l’élargissement de l’OTAN n’a pas toujours été considéré comme intolérable par la Russie qui a longtemps entretenu une proximité réelle avec l’Alliance atlantique. Au début des années 1990, des enceintes de coopération intégrant la Russie ont été créées et l’acte fondateur OTAN-Russie a permis de reconnaître la place particulière de la Russie dans la sécurité européenne. Quasiment tous les comités de l’Alliance avaient des formats « OTAN-Russie » qui permettaient de nouer des coopérations dans des domaines non sensibles. Dans le cadre du précédent concept stratégique, adopté en 2010 lors d’un sommet à Lisbonne, où le président Poutine était présent, la Russie était qualifiée de « partenaire ». Dans ce contexte, jusqu’en 2008, la rhétorique russe sur l’élargissement de l’Alliance atlantique était quasiment inexistante. L’élargissement des pays d’Europe centrale était ainsi bien engagé lorsque le partenariat OTAN-Russie a été conclu et lancé. Lorsque les trois pays baltes furent invités à rejoindre l’OTAN, en 2002, le président Poutine déclara publiquement que ce n’était pas une « tragédie ». Ce n’est qu’en 2007-2008, à la suite des « révolutions de couleur » en Ukraine et en Géorgie, que la Russie commença à s’éloigner de l’Alliance atlantique, donnant lieu à une rhétorique de plus en plus confrontationnelle au sujet de l’élargissement.

2.   Le narratif russe fondé sur l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’OTAN n’a été qu’un prétexte pour déclarer la guerre

L’élargissement de l’Alliance, et singulièrement le risque d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, est mis en avant par les autorités russes comme une des principales justifications de l’« opération spéciale » lancée le 24 février 2022. À titre d’exemple, le ministre des affaires étrangères russe Sergueï Lavrov a répété le 22 mai que « la Russie avait prévenu que l’inclusion de l’Ukraine et d’autres anciennes républiques soviétiques dans l’Alliance était une ligne rouge ». La perspective d’une adhésion ukrainienne n’est pourtant qu’un prétexte forgé par les autorités russes ([11]).

L’Ukraine s’est certes rapprochée de l’OTAN avant de se donner pour objectif d’y adhérer. Ce rapprochement s’est opéré juste après la dislocation de l’URSS et l’indépendance du pays, lorsque l’Ukraine a notamment rejoint le partenariat pour la paix en 1994. L’intégration à l’OTAN est devenue un objectif de la politique étrangère ukrainienne à partir de 2002 avant d’être abandonné, en 2010, sous la présidence de Viktor Ianoukovytch. Ce n’est qu’après la révolution de Maïdan, en 2014, que le Parlement ukrainien a adopté une loi faisant à nouveau de l’intégration à l’OTAN l’un des objectifs de la politique étrangère de l’Ukraine.

En 2008, le sommet de Bucarest, auquel la Russie a du reste participé, a eu un effet délétère en évoquant l’intégration de l’Ukraine à l’Alliance de manière très ambiguë. À cette occasion, les Alliés ont reconnu à l’Ukraine et à la Géorgie une « perspective » d’adhésion mais sans accorder à ces pays le bénéfice d’un plan d’action en vue de cet objectif en raison notamment de l’opposition de la France et de l’Allemagne. En d’autres termes, les Alliés ont reconnu la vocation de l’Ukraine à faire partie de l’OTAN mais sans rien mettre en place pour lui permettre d’adhérer. S’il a pu donner l’apparence d’une solution diplomatique, ce compromis intermédiaire était nuisible en ce qu’il a alimenté les craintes de la Russie sans rassurer réellement l’Ukraine. Les autorités russes ne pouvaient cependant, malgré les formules embarrassées des Alliés, ignorer que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN avait été repoussée sine die du fait des objections françaises et allemandes.

Malgré le langage ambigu adopté à Budapest en 2008, l’analyse de la relation OTAN-Ukraine montre que l’adhésion n’était pas une perspective envisageable, y compris avant l’invasion russe. Aucun consensus n’existait entre les Alliés en faveur d’un plan d’action pour l’adhésion de l’Ukraine. En effet, Kiev ne remplissait pas les critères définis par l’Alliance, ce qui exigeait d’en passer par d’importantes réformes. Depuis les évènements survenus en Crimée et dans le Donbass à partir de 2014, l’octroi du plan d’action supposait aussi de régler les différends avec la Russie.

Pour ces raisons, le rapporteur considère que l’origine des tensions avec la Russie est à rechercher ailleurs que dans l’élargissement de l’OTAN. Comme le souligne Bruno Tertrais dans un article précité, « Moscou n’a jamais accepté de ne plus être l’égal de Washington et de perdre le contrôle des États frontaliers. L’élargissement de l’OTAN a davantage été le révélateur de cette perte de statut que la source de son raidissement » ([12]).

L’agressivité russe semble d’abord liée au développement des relations entre l’Ukraine et l’UE et à la crainte de voir cet ancien pays soviétique se rapprocher peu à peu, à l’instar de la Pologne, d’un modèle politique, économique et social de type occidental. La contagion démocratique était un risque à ne pas courir pour la Russie autoritaire et kleptocratique du président Poutine. Chacun se rappelle ainsi que la révolution de Maïdan a été déclenchée par un rapprochement avec l’UE et non avec l’OTAN.

On ne peut pas de surcroît ignorer la détermination grandissante du président de la fédération de Russie à effacer les traces de la prétendue humiliation subie par son pays à la fin de la guerre froide et à reconstituer l’équivalent de l’empire perdu, que celui-ci soit perçu comme russe ou comme soviétique. Les initiatives prises ces dernières années par le Kremlin mettent en lumière la cohérence et la constance des ambitions russes à cet égard. Une partie du territoire considérée comme ukrainien par le droit international, la Crimée, a été annexée à la fédération de Russie. Trois pays indépendants sont partiellement occupés par l’armée russe, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ; trois États sont placés sous un contrôle de plus en plus direct de Moscou : la Biélorussie, l’Arménie et le Kazakhstan. Partout, les engagements souscrits en 1975 à Helsinki sont bafoués. L’agression totalement unilatérale et parfaitement injustifiée de l’Ukraine n’est que la dernière, la plus spectaculaire et la plus tragique, étape dans la réalisation de cette entreprise impérialiste maquillée en prétendue défense de l’identité russe et de son espace vital. Le temps paraît au final bien loin où Boris Eltsine déclarait, en 1992 : « La période impériale de l’histoire russe est terminée… il n’y aura plus jamais de violence et de subordination dans les relations de la Russie avec ses partenaires ».

Si l’élargissement de l’OTAN ne peut être tenu pour responsable de l’agressivité de Moscou, en revanche, c’est bien la crainte d’une agression russe qui nourrit la dynamique des adhésions à l’Alliance atlantique. En réalité, l’expression « élargissement de l’OTAN » ne rend pas bien compte du processus à l’œuvre : ce n’est pas tant l’Alliance qui s’élargit que des pays qui, de façon souveraine, prennent la décision de rejoindre l’organisation afin de se protéger contre la réalité de la menace russe. La plupart des Alliés orientaux ont ainsi rejoint l’OTAN par crainte de se retrouver envahis et tyrannisés par la Russie comme ce fut le cas sous la guerre froide. Aujourd’hui, c’est la réévaluation de la menace russe qui conduit la Suède et la Finlande à candidater à l’adhésion. En envahissant l’Ukraine, le président Poutine a obtenu un résultat inverse au but recherché : ce dernier voulait la « finlandisation de l’Europe » mais il aura, en fin de compte, « l’otanisation de l’Europe » pour reprendre les mots du président Biden au sommet de Madrid. Principaux avocats de la « politique de la porte ouverte », les Alliés orientaux considèrent aujourd’hui que l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’OTAN aurait permis de préserver l’intégrité territoriale de ces partenaires. Il est vraisemblable que l’installation de l’Ukraine dans un statut de « zone grise » comprise entre la fédération de Russie et l’espace otanien a contribué à la vulnérabilité du pays. Ce sont assurément des considérations de cet ordre qui ont conduit la Suède et la Finlande à vouloir clarifier leur situation au regard des protagonistes d’un éventuel conflit européen.

3.   Le risque d’une provocation russe destinée à faire dérailler le processus d’élargissement paraît faible

Conformément au narratif développé par la Russie sur l’élargissement, l’idée, émise dès le début du conflit en Ukraine, selon laquelle la Finlande et la Suède pourraient rejoindre l’OTAN a donné lieu à une rhétorique agressive de la part de Moscou. Dès le 25 février, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Mme Maria Zakharova, a évoqué la nécessité pour la Russie de prendre « des mesures en réaction » à une éventuelle adhésion de ces deux pays.

Le rapporteur, qui s’est rendu en Suède et en Finlande au mois de mars, a pu mesurer l’inquiétude de ces pays au sujet d’éventuelles provocations russes dans la période intérimaire entre la décision d’adhésion et son aboutissement, pendant laquelle ces derniers ne sont pas couverts par la garantie de l’article 5 du traité de Washington. Il a toutefois constaté que ces inquiétudes n’entamaient en rien la détermination des dirigeants finlandais et suédois à assumer les conséquences d’un choix devenu essentiel à leurs yeux. Si le risque d’une invasion russe paraît exclu, des réactions russes, notamment de nature hybride, pourraient inclure de possibles attaques cyber – éventuellement ciblées sur des infrastructures stratégiques –, un blocage du transport maritime en mer baltique, la poursuite voire l’intensification des violations des espaces aériens, voire l’utilisation de forces spéciales pour commettre des actes de sabotage. Compte tenu de sa proximité avec la Russie, la Finlande serait en première ligne face à ce type d’actions.

Pour autant, plus de deux mois après le dépôt des candidatures suédoise et finlandaise à l’OTAN et alors que les deux pays se sont vus reconnaître le statut de pays invités, le risque d’une opération de déstabilisation fomentée par la Russie paraît aujourd’hui plutôt limité. Pour quatre raisons :

– Les forces russes subissent d’importantes pertes dans le cadre de la guerre en Ukraine. Moscou ne semble actuellement pas en mesure d’ouvrir un nouveau front. Affaiblie, l’armée russe a dégarni le front Nord et, par voie de conséquence, expose la Suède et la Finlande à une pression moindre qu’auparavant.

– Stockholm et Helsinki ont reçu des réassurances des Alliés, y compris des États-Unis, dans la période de transition précédant l’adhésion à l’OTAN, avec une visée dissuasive à l’égard de la Russie. La France a notamment mis en avant la clause d’assistance mutuelle qui figure à l’article 42 paragraphe 7 du traité sur l’UE.

– Le discours russe a progressivement évolué vers un ton plus apaisé. Si la réception positive par l’OTAN des aspirations suédoise et finlandaise est considérée comme un acte d’humiliation dirigé contre la Russie, ces adhésions ne sont pas présentées comme des menaces concrètes à ce stade. Le 16 mai dernier, Vladimir Poutine a ainsi déclaré ne pas considérer cet élargissement comme une menace directe pour son pays tout en précisant néanmoins que « l’expansion de l’infrastructure militaire sur ces territoires provoquerait certainement notre réponse ». De fait, la Russie considère que la Finlande et la Suède, contrairement à l’Ukraine ou la Géorgie, n’entrent pas dans ce qu’elle considère être sa zone d’influence et que, de toute manière, après 25 ans de rapprochement avec l’Alliance, ces ceux pays appartiennent déjà au « camp occidental » et sont déjà des membres de facto de l’OTAN.

– Si elles ont marqué leur volonté d’appartenir à l’OTAN, la Suède et la Finlande sont soucieuses de ne pas alimenter une escalade avec Moscou. Stockholm et Helsinki souhaitent participer à davantage d’entraînements dans le cadre de l’Alliance afin d’accroître la fluidité en opérations mais ne sont en revanche pas demanderesses d’une présence militaire de l’OTAN sur leurs territoires afin de ne pas provoquer la Russie et d’éviter une militarisation accrue de la frontière russo-finlandaise.

En tout état de cause, le rapporteur appelle à ratifier rapidement les protocoles d’accession de la Suède et de la Finlande afin de refermer au plus vite cette période intérimaire qui reste source de risques, fussent-ils limités, et de conférer à ces deux États membres de l’UE la garantie de l’article 5 du traité de Washington.

 

 

 


   Conclusion :

L’Europe au défi de la défense collective

L’agression russe de l’Ukraine aura contribué à renforcer la défense de l’Europe. L’Amérique est de retour en Europe aux côtés de ses alliés. Le président Biden s’est clairement situé dans la tradition, chère au parti démocrate, de contributeur à la sécurité collective des nations démocratiques. Il s’est posé en héritier et disciple de Woodrow Wilson et d’Harry Truman. Le secrétaire d’État Antony Blinken a confirmé tout au long de la crise sa profonde solidarité avec les démocraties européennes. Les hauts fonctionnaires de l’administration fédérale, tel le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) William Burns, font preuve d’un indiscutable savoir-faire dans la gestion d’une crise à haut risque impliquant un dosage subtil entre fermeté et prudence.

Il reste que l’évolution de la politique intérieure des États-Unis ne peut que susciter une certaine inquiétude quant à la persistance de la détermination américaine à s’engager aux côtés de ses alliés. Ce n’est pas par hasard que les trois derniers présidents américains ont affirmé que la menace principale pour les États-Unis était constituée par la Chine et que l’existence de cette menace justifiait un « pivot » des préoccupations et des moyens de défense des États-Unis vers le Pacifique. Il n’est pas non plus illégitime de la part de certains milieux influents aux États-Unis de critiquer les Européens pour l’insuffisance de leur contribution à leur propre défense. Par-dessus tout, rien ne permet d’exclure qu’à la faveur des prochaines échéances électorales, un courant néo-isolationniste puissant ne s’installe sur les rives du Potomac. Comment ne pas reconnaître que, si les États-Unis avaient été dirigés ces derniers mois par le président Trump, la solidarité américaine eût été infiniment moins ferme et que la capacité de résistance de l’Ukraine à l’agression russe en eût été très diminuée ? La sécurité future de l’Europe dépend donc très largement de la constance et de la solidité des engagements pris par son partenaire d’outre-Atlantique alors que celui-ci traverse une profonde crise politique et morale qui le rend relativement imprévisible. 

À la faveur de cette crise, l’OTAN ne s’en est pas moins recentrée sur sa mission première : la défense collective de l’espace euro-atlantique. L’identification progressive des espaces européen et otanien, renforcée par l’adhésion de deux membres supplémentaires de l’UE, la Suède et la Finlande, à l’Alliance atlantique, simultanément au choix fait par le Danemark, pays membre de l’OTAN depuis sa création, de supprimer, à la suite du référendum du 1er juin dernier, son opt-out en matière de PSDC, devrait par ailleurs favoriser une meilleure articulation entre les deux organisations. Enfin, l’effort collectif déployé par les États membres pour atteindre les 2 % du PIB montre une meilleure prise en compte par les Européens de la nécessité de contribuer à leur sécurité.

Si le concept stratégique adopté à Madrid consacre la complémentarité entre l’UE et l’OTAN, l’articulation entre les deux grandes organisations occidentales reste problématique. La complémentarité respective des missions de sécurité qui doivent être assumées par les Européens et les Américains, donc à l’intérieur et à l’extérieur de l’OTAN, reste à définir. Les Européens peuvent aujourd’hui mener à bien trois types de tâches. Ils peuvent mobiliser et développer les moyens extramilitaires de la puissance en se plaçant en tête des nations pour l’investissement technologique et contribuer par là même à la conception et à la réalisation des systèmes d’armement du futur. Ils peuvent développer une stratégie civile d’influence, de concurrence et de pression sur les plans économique, culturel et humanitaire, stratégie dont les effets peuvent être non négligeables. Ils peuvent enfin continuer de mener des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix « hors zone ». Le désengagement américain en Méditerranée, en Afrique et au Moyen-Orient justifie assurément la mobilisation des Européens sur ces objectifs indirects de sécurité.

La guerre menée par la Russie en Ukraine a toutefois rappelé combien le problème fondamental de l’Europe était celui de sa défense collective. Celle-ci reste à présent assurée par l’OTAN et demeure donc totalement subordonnée à la netteté et à l’ampleur de l’engagement américain sur le vieux continent. Pèse donc sur l’avenir de la sécurité européenne une immense incertitude. Les Européens n’ont aujourd’hui ni les moyens, ni la doctrine, ni l’organisation leur permettant d’assurer par eux-mêmes leur défense. L’article 42 paragraphe 7 du TUE et l’article 5 du traité de Washington ont très exactement le même objet : créer une obligation de solidarité des États membres en cas d’agression de l’un d’entre eux. L’article 5 a un double avantage sur son « petit frère » : il implique l’engagement des États-Unis et a justifié la mise en place d’un système politico-militaire fortement intégré. La mise en œuvre d’une capacité opérationnelle proprement européenne supposerait donc une duplication des systèmes de défense que la plupart des États membres de l’OTAN considèrent, au pire comme ingérable, et au mieux comme inutile. On peut donc douter que l’article 42 paragraphe 7 puisse avoir, à terme rapproché, une efficacité dissuasive comparable à celle de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord.

L’engagement du président de la République française et les déclarations courageuses et vigoureuses du chancelier allemand tracent la voie mais nous sommes encore loin du but. Aujourd’hui, l’Europe n’est pas en mesure d’assurer seule la protection de son territoire et de ses intérêts vitaux et demeure donc dans une situation d’incertitude stratégique. La relève de la protection américaine du continent européen par les Européens reste à inventer.

 


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   AVIS FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Depuis le 24 février 2022, l’Europe est à nouveau confrontée à la guerre. Si, depuis la chute de l’URSS en 1991, plusieurs conflits ont éclaté sur notre continent, notamment en Yougoslavie, c’est la première fois depuis la Deuxième guerre mondiale que sont impliqués deux États souverains, l’un envahissant l’autre dans l’objectif de l’annexer et utilisant à cette fin l’ensemble des armes à sa disposition sur terre, mer et air, incluant la menace de recourir à l’arme nucléaire.

La guerre est Ukraine est ainsi un nouvel exemple d’une guerre de haute intensité, avec son cortège de destructions et de morts, dont on pensait qu’il serait à jamais un mauvais souvenir en Europe.

Face à cette guerre, à la menace existentielle que représentent la Russie et son chantage à l’utilisation de la bombe atomique, la France et les États européens ont agi à différents niveaux. Individuellement, ils ont accueilli plusieurs millions de réfugiés sur leur territoire tout en envoyant armes, munitions et aide de toute nature, notamment financière, vers l’Ukraine. Au niveau de l’Union européenne, six « paquets » de sanctions ont été adoptés afin de renchérir le coût économique et financier de la guerre pour la Russie, tout en visant à réduire ses moyens de la faire. Enfin, l’OTAN, à laquelle appartiennent aujourd’hui 21 des 27 membres de l’Union européenne, a déployé sur son flanc Est plusieurs dizaines de milliers de soldats et leurs équipements, dans une posture de dissuasion que les décisions adoptées au sommet de Madrid en juin dernier vont encore renforcer.

Plus que jamais, face à la résurgence de la menace russe, l’OTAN apparaît comme le cadre fondamental de la défense territoriale de l’Europe, en cohérence avec l’action spécifique de l’Union européenne dans le cadre l’Europe de la défense.

C’est pourquoi, rompant avec leur neutralité historique, deux des États-membres de l’Union européenne ont, quelques semaines après le déclenchement de la guerre, fait part de leur intention de rejoindre l’Alliance atlantique. La demande de la Suède et la Finlande a été officiellement acceptée par les membres de l’OTAN et les protocoles d’accession ont été signés le 5 juillet dernier. L’entrée en vigueur de ceux-ci exige une ratification par l’ensemble des États-membres de l’OTAN selon leurs règles constitutionnelles internes, lesquelles impliquent, pour la France, une autorisation parlementaire formalisée par le dépôt du présent projet de loi, que le Sénat a d’ores et déjà adopté le 21 juillet dernier.

I.   clé de voûte de la défense territoriale de l’europe, l’otan est en première ligne depuis le déclenchement de la guerre en ukraine

A.   L’OTAN, une organisation politico-militaire dÉfensive

1.   Objectifs, organisation et moyens de l’OTAN

Créée en 1949 dans le contexte de la Guerre froide et rassemblant aujourd’hui 30 États[13], l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est une organisation politico-militaire dont l’objectif est exclusivement défensif. L’article 5 du traité stipule en effet qu’en cas attaque contre l’un de ses membres, tous les autres devront l’assister, y compris par l’emploi de la force armée. Cette « défense collective » constitue le fondement de l’OTAN et sa raison d’être, que la disparition de l’URSS en 1989 n’a pas remis en cause.

L’OTAN repose sur deux piliers, politique, d’une part, militaire, d’autre part.

En tant qu’organisation internationale, elle est dirigée par un Secrétaire général (aujourd’hui M. Jens Stoltenberg). Les États-membres sont représentés au sein du Conseil de l’Atlantique Nord (CAN), organe de décision politique, auquel s’ajoute l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN), qui représente spécifiquement leur Parlement national.

Les décisions politiques ayant des implications militaires sont mises en œuvre par les organes militaires de l’OTAN que sont le Comité militaire, composé des chefs d'état-major de la défense des pays membres de l'OTAN, l'État-major militaire international, qui est l'organe exécutif du Comité militaire, et la structure de commandement militaire, composée en particulier du Commandement allié Opérations (ACO). Ce dernier est toujours dirigé par un général américain, le commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), aujourd’hui le général Christopher Cavoli (depuis le 1er juillet 2022). Son adjoint est, en revanche, toujours un officier général européen, aujourd’hui le général britannique Tim Radford.

L’OTAN ne dispose pas, sauf rares exceptions (comme la flotte d’avions de surveillance Awacs), de forces et d’équipements propres. Ses capacités militaires sont celles des États qui la composent. En d’autres termes, pour ses opérations, l’OTAN fait appel aux moyens matériels et humains des différentes armées nationales, à commencer par ceux des États-Unis. En revanche, elle dispose en propre de capacités de planification et de commandement par l’intermédiaire des officiers et autres personnels mis sa disposition de manière permanente par ses membres.

En outre, afin d’assurer le bon déroulement de ces opérations comme la crédibilité de sa mission de défense collective, l’OTAN a mis en place deux instruments garantissant l’interopérabilité et la cohérence entre les différentes armées de ses membres :

– le processus OTAN de planification de défense (NDPP), qui vise à harmoniser les activités de planification de défense des pays membres ;

– un processus de normalisation définissant des règles et procédures communes que doivent respecter les membres et leurs forces armées.

Enfin, le budget de l’OTAN est alimenté par les contributions directes de ses membres, calculées selon leur revenu national brut. Représentant environ 2,5 milliards d’euros par an, elles couvrent le budget civil (frais de fonctionnement du siège de l’Organisation), le budget militaire (coûts de la structure de commandement intégrée de l’OTAN) et le programme OTAN d’investissement au service de la sécurité (infrastructure militaire et certaines capacités militaires). La contribution de la France est fixée à 10 % du budget, comme celle de l’Allemagne et du Royaume-Uni, contre 22 % pour celle des États-Unis.

2.   Une organisation renouvelée après 1991, compatible avec l’Europe de la défense

Si, pendant toute la guerre froide, la mission de l’OTAN était évidente – protéger l’Europe de l’Ouest libérale et démocratique de la menace que représentaient l’URSS et le Pacte de Varsovie – celle-ci l’était bien moins après la dissolution de ces derniers, achevée en 1991. En effet, l’OTAN étant une alliance militaire défensive dirigée depuis quarante ans contre un unique ennemi qui, étant sa raison d’être, a inspiré l’ensemble de ses concepts stratégiques, ne devait-elle pas disparaître avec la disparition de la menace ?

La question s’est évidemment posée aux membres de l’Alliance mais, très rapidement, la décision politique a été prise de conserver l’OTAN. Au sommet de Rome (1991), les membres de l’OTAN ont néanmoins tiré les conséquences du nouvel environnement stratégique et adopté un nouveau Concept stratégique. Aux termes de ce dernier, si l’Alliance atlantique est restée fondée sur la défense territoriale collective de ses membres, « en cas de crise pouvant finalement faire peser une menace militaire sur la sécurité de pays membres, les forces armées de l’Alliance peuvent compléter et renforcer les actions politiques dans le cadre d’une conception large de la sécurité, et ainsi contribuer à la gestion de ces crises et à leur règlement pacifique ».

En d’autres termes, cette « conception large de la sécurité » a pu justifier une intervention de l’OTAN en ex‑Yougoslavie, réduisant à peu de chose la frontière entre une action offensive et une action défensive tout en donnant à l’Alliance un nouveau rôle en matière de gestion de crise en Europe.

Ces orientations, qui n’ont pas été substantiellement modifiées par la révision intervenue en 1999, sont restées en vigueur jusqu’à l’adoption du Concept Stratégique de 2010. Elles ont également servi de base à l’intervention de l’OTAN en Afghanistan à partir de 2003, l’activation l’article 5 par les États‑Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001 l’ayant conduit à intervenir pour la première fois hors d’Europe.

Mobilisée dans la guerre contre le terrorisme et hors du continent européen, l’OTAN avait quelque peu délaissé sa mission historique de défense territoriale de l’Europe pendant les années 2000, en dépit de son élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale, lesquels sont particulièrement vigilants sur la résurgence de la menace russe. En effet, à cette époque, la Russie n’était en effet pas considérée comme une menace par l’Alliance mais, au contraire, comme un partenaire stratégique. Le concept stratégique adopté en 2010 le disait ainsi sans détour : « la coopération OTAN-Russie revêt une importance stratégique car elle contribue à la création d’un espace commun de paix, de stabilité et de sécurité », raison pour laquelle « nous souhaitons un véritable partenariat stratégique entre l’OTAN et la Russie ».

C’est dans ce contexte d’un apaisement des tensions en Europe que s’est progressivement développée l’Europe de la défense, sous la forme d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) officialisée dans le traité de Lisbonne (2007). Celle-ci est « compatible » avec l’OTAN selon les termes de l’article 43 du traité sur l’Union européenne (TUE). Ne mentionnant ni l’agression armée d’un État-membre, ni la défense territoriale, elle consiste en effet en des « actions conjointes en matière de désarmement, des missions humanitaires et d'évacuation, des missions de conseil et d'assistance en matière militaire, des missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits ». Par conséquent, la PSDC « n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres [et] respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l’OTAN » (article 42 du TUE).

Bien plus, en soutenant le développement capacitaire des États-membres par ses initiatives telles que la Coopération structurée permanente ou le Fonds européen de défense, la PSDC contribue à renforcer les capacités militaires globales de l’Alliance atlantique et, en son sein, le pilier européen.

Aujourd’hui, 21 des 27 membres de l’Union européenne sont également membres de l’OTAN. Outre la Suède et la Finlande, n’en font pas partie l’Autriche, Chypre, Malte et l’Irlande.

B.   La déstabilisation puis l’agression de l’Ukraine par la Russie ont rÉaffirmé le rôle essentiel de l’OTAN dans la défense territoriale de l’Europe

1.   Les présences avancées renforcées en Europe de l’Est, réponse à la déstabilisation de l’Ukraine en 2014

Alors que l’Ukraine s’était, depuis son indépendance en 1991, rapprochée de l’Union européenne et, dans une certaine mesure, de l’OTAN, le retour au pouvoir à Kiev, en 2010, du président pro-russe Viktor Ianoukovytch a entraîné un revirement radical de la politique étrangère du pays. L’Ukraine a resserré les liens avec la Russie et s’est éloignée en conséquence de l’Union européenne, le président refusant, le 23 novembre 2013, de signer l’accord d’association négocié avec cette dernière. Ce refus a déclenché de violentes manifestations qui ont débouché sur « la révolution de Maïdan » en février 2014 et la fuite en Russie du président ukrainien.

Toutefois, le changement de régime a suscité de fortes inquiétudes dans l’Est russophone du pays, où les « révolutionnaires » sont minoritaires, d’autant plus que l’une des premières décisions du nouveau pouvoir a été l'abrogation de la loi sur les langues régionales qui retire au russe (comme au roumain, au hongrois et au tatar de Crimée) le statut de langue officielle. Cette décision met le feu aux poudres et des militants pro-russes prennent le contrôle de la Crimée, qu’un référendum organisé le 18 mars 2014 a rattaché à la Russie. Dans le même temps, ces mêmes militants proclament l’indépendance de deux régions du Donbass en tant que République populaire de Donetsk et République populaire de Louhansk. Des référendums d'autodétermination sont organisés le 11 mai 2014 afin de « valider » ces déclarations d'indépendance. Une longue guerre se déclenche alors dans le Donbass, à basse intensité certes, mais causant néanmoins plusieurs milliers de morts et des destructions massives.

En Crimée comme dans le Donbass, le rôle actif de la Russie en soutien politique, financier et militaire aux militants pro-russes ne fait pas de doute et s’est poursuivi malgré les efforts de paix de la France et de l’Allemagne, qui ont abouti à la signature des accords de Minsk 2 le 11 février 2015. Ceux-ci sont largement restés lettre morte.

L’agressivité nouvelle de la Russie à ses frontières, la multiplication des exercices militaires de grande ampleur (notamment les exercices ZAPAD) et la nouvelle preuve – après la Géorgie en 2008 – que celle-ci n’hésite plus à déstabiliser militairement un pays voisin et à annexer une partie de son territoire ont inquiété les pays d’Europe centrale et orientale, en particulier les pays frontaliers de la Russie (Pays Baltes) et de son allié biélorusse (Pologne). Ces derniers, ainsi que la Roumanie, qui ont rejoint l’OTAN entre 1999 et 2009, se sont tournés vers l’Alliance pour obtenir des garanties de sécurité vis-à-vis d’une Russie plus menaçante que jamais.

Malgré l’absence d’agression permettant le déclenchement de l’article 5, l’OTAN répond à leur demande par un plan d’action « réactivité » comprenant des mesures de réassurance telles que des patrouilles aériennes ou maritimes et le déploiement de troupes terrestres dans la partie orientale de l’Alliance pour des entraînements et des exercices OTAN, par rotation. Le sommet de Varsovie, en 2016, muscle cette réponse par l’établissement d’une « présence avancée renforcée », permanente, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne et d’une « présence avancée adaptée » en Roumanie et en Bulgarie.

Effectives à partir de 2017, ces « présences avancées renforcées » dans les quatre pays susmentionnés prennent la forme d’un déploiement de quatre groupements tactiques multinationaux, de format bataillon, et de leurs équipements. Encadrés chacun par une nation-cadre, ils sont formés d’unités fournies par les États-membres de l’OTAN, dont la France. Sur les 4 500 militaires ainsi déployés, notre pays a en effet engagé 300 hommes et de nombreux équipements dans le bataillon déployé en Estonie (mission Lynx). De même, en Bulgarie et en Roumanie, dans le cadre de la « présence avancée adaptée », ont été déployées des capacités terrestres, maritimes et aériennes garantissant une présence régulière de l’Alliance.

L’objectif de ces différentes « présences » de l’OTAN est, au-delà de la protection des espaces aériens, maritimes et terrestre de l’Alliance, de multiplier les exercices renforçant l’interopérabilité entre les différentes unités et, surtout, de crédibiliser l’Alliance dans sa mission de défense territoriale de l’Europe, en envoyant un signal clair de dissuasion à la Russie qui, de l’autre côté de la frontière, multiplie elle aussi les déploiements et les exercices (ainsi que les attaques hybrides sur les pays européens.

Par ailleurs, en coordination avec les mesures prises par l'OTAN, mais sous leur commandement, les États-Unis ont également renforcé leur présence militaire en Europe. Cette « initiative de réassurance européenne » est lancée par le Président Obama en juin 2014. Elle se traduit par la présence continue en Europe de moyens terrestres, navals et aériens américains et l’organisation de nombreux exercices favorisant l’interopérabilité.

2.   Après le déclenchement de la guerre en Ukraine, l’OTAN a décidé de renforcer sa posture de dissuasion contre la menace russe

Le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 mars 2022, transformant le conflit de basse intensité en cours depuis 2014 dans le Donbass en conflit de haute intensité impliquant des centaines de milliers de soldats, l’utilisation des armements les plus modernes et les plus destructeurs et un objectif affiché d’invasion et d’annexion d’un pays souverain, ont obligé l’OTAN à rehausser considérablement sa réponse pour faire face à ces nouveaux enjeux. Le sommet de l’OTAN à Madrid, tenu en juin 2022, a ainsi permis de nombreuses avancées, s’ajoutant à celles intervenues dès février.

En premier lieu, les Alliés ont décidé d’adapter en profondeur la posture de dissuasion et de défense de l’OTAN :

– les « présences avancées renforcées » ont été renforcées dès avant le déclenchement de la guerre. En effet, au quatre groupements tactiques initialement déployés en Pologne et dans les pays Baltes se sont ajoutés dès février quatre GT supplémentaires en Bulgarie, en Hongrie, en Roumanie et en Slovaquie. La France a ainsi envoyé, dans le cadre de la mission Aigle, 500 soldats en Roumanie tout en assurant le rôle de nation cadre de ce GT. De plus, la décision a été prise que désormais, ces groupements tactiques seraient portés au niveau de la brigade, soit entre 3 000 et 5 000 soldats. Ils seront renforcés par des unités « prédésignées » dans d'autres pays de l'Alliance appelées à intervenir dans ces pays où des armements lourds auront été prépositionnés. Par conséquent, près de 40 000 soldats et les matériels nécessaires sont ou sont en voie d’être déployés sur les théâtres européens ;

– la Force de réaction de l’OTAN (NRF), qui est une force multinationale interarmées d’environ 20 000 soldats capable d’être déployée très rapidement dans un contexte de crise, y compris la défense collective, sera transformée par la mise en œuvre d’un « nouveau modèle de forces » constitué de 300 000 soldats à haut niveau de préparation. Toutefois, malgré cette transformation à venir, la NRF reste pleinement mobilisée, ainsi que les équipements nécessaires face à la menace russe. En février 2022, l’OTAN a ainsi activé pour la première fois des éléments à haut niveau de préparation de la NRF qui, par ailleurs, ont participé en mars et avril 2022 à l’exercice Cold Response 2022 en Norvège, qui a réuni plus de 30 000 soldats de 27 pays ;

En deuxième lieu, au sommet de Madrid, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’OTAN ont adopté un ensemble renforcé de mesures de soutien à l’Ukraine, qui prévoit que soient notamment livrés à ce pays des moyens de communication sécurisés, du carburant, du matériel médical, des gilets pare-balles, des équipements de lutte contre les mines ou contre les agents chimiques ou biologiques, ainsi que des systèmes anti-drones portables. Les Alliés sont en outre convenus d’aider l’Ukraine à passer d’équipements soviétiques à des équipements OTAN modernes, à accroître l’interopérabilité de ses forces avec celles des pays de l’Organisation et à renforcer encore ses institutions de défense et de sécurité.

Enfin, les Alliés ont adopté à ce même sommet un nouveau concept stratégique adapté au durcissement de l’environnement de sécurité de la prochaine décennie, très différent de celui dans lequel avait été adopté le concept stratégique de 2010. Alors que ce dernier qualifiait de « partenaire stratégique » la Russie, (voir supra), celle-ci est désormais désignée comme la « menace la plus importante et la plus directe pour la sécurité des alliés et pour la paix et la stabilité dans la zone euro-atlantique ». Quant à la Chine, elle est pour la première fois citée dans un concept stratégique de l’OTAN, qui estime que « ses ambitions […] et ses politiques coercitives sont contraires à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs ». Dans les deux cas, cependant, l’OTAN rappelle qu’elle maintient « ouverts les canaux de communication » avec la Russie et demeure disposée « à interagir avec la Chine de façon constructive ».

Toutefois, l’OTAN est et reste une organisation militaire défensive et, au-delà des décisions présentées supra, il n’a jamais été question d’utiliser les moyens de l’Alliance pour venir en aide militairement à l’Ukraine, qui n’en est pas membre, ni pour lui fournir des armes, a fortiori offensives. La seule responsabilité de l’OTAN est de faire en sorte que cette guerre ne s’aggrave pas et ne s’étende pas au-delà de l’Ukraine, dans les pays européens limitrophes qui, eux, sont membres de l’Alliance, en dissuadant toute initiative de la Russie en ce sens.

II.   la demande d’adhésion à l’otan de la suÈde et de la finlande

A.   Une neutralité historique remise en cause par la guerre en ukraine

1.   Une neutralité historique

a.   La Finlande

Si la Suède et la Finlande sont traditionnellement des pays neutres, le fondement et la portée de cette neutralité sont très différents.

La Finlande, qui a été suédoise pendant six siècles, jusqu'en 1809, puis Grand-duché russe jusqu'en 1917, n'a acquis son indépendance qu'à la fin de la Première Guerre mondiale, après la chute de l'empire tsariste. Après avoir combattu l’URSS pendant la deuxième guerre mondiale, un « traité d'amitié et de coopération » est signé en 1948 entre ce pays et la Finlande, par lequel cette dernière accepte de rester en dehors des structures de coopération occidentale, en particulier de la CEE et de l’OTAN, en échange de l'assurance que les troupes soviétiques n'envahiront pas le pays.

Ce qu’on appelle la « finlandisation » est ce droit de regard sur les questions stratégiques et une certaine influence de l’URSS sur les affaires intérieures de son voisin, Bien que connotée négativement, cette « finlandisation » imposée par la géographie et les rapports de force post-1945 a été un succès puisqu’elle a préservé tout le temps de la Guerre froide l’essentiel aux yeux des Finlandais : la démocratie, l’indépendance du pays et l’économie de marché.

Après la disparition de l’URSS, en 1991, la Finlande s’est rapprochée de l’Union européenne – dont elle est devenue membre en 1995 – et de l’OTAN dans le cadre des Partenariats pour la paix en 1994. Toutefois, malgré cette évolution de sa politique extérieure et sa participation à de nombreuses missions de l’Alliance dans les Balkans, en Afghanistan et en Iraq, elle est restée attachée à sa neutralité et tient particulièrement à maintenir le dialogue et de bonnes relations avec la Russie, la disparition de l’URSS n’ayant rien changé à la position géographique du pays et aux 1 345 kilomètres de frontières qu’il partage avec la Russie, ni à l’intensité des échanges humains et économiques.

b.   La Suède

Très différente est l’histoire de la neutralité suédoise. Contrairement à la Finlande, pour qui la neutralité était une conséquence de la géographie, de l’Histoire et des rapports de force post-1945, c’est par choix délibéré, dicté par son propre intérêt, que la Suède a opté pour la neutralité au début du XIXe siècle et l’a conservée jusqu’à aujourd’hui.

Les fondements principaux de cette neutralité suédoise datent du Maréchal Bernadotte, devenu roi de Suède qui, instruit des ravages des guerres napoléoniennes, a donné comme objectif à sa diplomatie d’éviter les engagements susceptibles d’entraîner le pays dans un conflit de grande envergure. Cette doctrine politique a été fructueuse puisque la Suède a été largement préservée de l’ensemble des conflits qui, jusqu’à présent, ont ensanglanté l’Europe, en particulier les deux Guerres mondiales, sans avoir eu besoin de concessions telles que celles faites par son voisin finlandais.

Toutefois, la Suède a eu une conception active de sa neutralité. La neutralité, pour ce pays, ne signifie pas être se tenir à l’écart des affaires du monde. Bien au contraire, être neutre et perçu comme pacifiste lui a permis de se positionner comme médiateur dans de nombreux conflits, en Palestine, au Haut-Karabakh, à Chypre ou encore au Darfour.

Toutefois, cette neutralité a connu une évolution après la chute de l’URSS. En effet, comme la Finlande, la Suède a adhéré à l’Union européenne en 1995 et, à ce titre, est tenue par les engagements pris dans le cadre de la PSDC et, depuis le traité de Lisbonne, par la clause de solidarité mutuelle entre les États-membres en cas d’agression armée de l’un d’entre eux. En outre, elle s’est également rapprochée de l’OTAN et, comme la Finlande, a rejoint le programme des Partenariats pour la paix en 1994. Elle a également participé à de nombreuses missions de l’OTAN en Afghanistan, en Irak et au Kosovo.

2.   La menace russe, principale motivation de la demande d’adhésion

Toutefois, malgré ce rapprochement et ces liens toujours plus étroits avec l’OTAN, ni la Suède et la Finlande n’ont jamais demandé officiellement leur adhésion. Ces deux pays se sont tenus à une stricte neutralité militaire, en refusant de s’engager formellement dans une alliance qui les contraindrait, par l’article 5 du TAN, à entrer en guerre sans que leurs intérêts soient directement menacés. Leur participation, certes active, aux exercices, opérations et missions de l’Alliance était ainsi décidée au cas par cas, la Finlande et la Suède restant seuls maîtres de leur niveau d’engagement, conformément à leur doctrine politique traditionnelle, tout en ménageant, s’agissant de la première, la susceptibilité de son grand voisin avec qui elle voulait maintenir de bonne relations.

Tout a changé avec le déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février dernier. La démonstration du mépris, par la Russie, de la souveraineté de son voisin et des règles les mieux établies du droit international, la haute intensité du conflit et l’ampleur des destructions et des souffrances humaines ont constitué un électrochoc dans la classe politique, les médias et l’opinion publique suédois et finlandais qui a radicalement et brutalement changé les termes du débat.

Alors que la question de l’adhésion à l’OTAN, lorsqu’elle était débattue dans ces deux pays, suscitait une forte opposition et divisait peuples et partis politiques, l’invasion de l’Ukraine a convaincu une majorité de Finlandais et de Suédois de la soutenir. 76 % des Finlandais se déclarent ainsi favorables à une adhésion à l’Alliance atlantique, contre 20 % avant le conflit. Idem en Suède où désormais, 57 % des Suédois soutiennent l’adhésion de leur pays à l’OTAN, alors qu’une majorité s’y opposait auparavant.

Au niveau politique, l’ensemble des partis, à quelques exceptions près, sont sur la même ligne. La crainte que la Russie, après l’Ukraine, ne s’en prenne militairement à un autre pays voisin, a fait de l’adhésion à l’OTAN une priorité absolue des gouvernements finlandais et suédois, soutenus par leur Parlement qui s’est massivement prononcé en faveur de la demande d’adhésion.

B.   Une procédure d’adhésion sous la pression de la turquie

1.   La procédure d’adhésion

L’adhésion à l’OTAN, qui n’est pas un droit, est ouverte à « tout État européen susceptible de favoriser le développement des principes du présent Traité et de contribuer à la sécurité de la région de l'Atlantique Nord ». La procédure d’adhésion commence par une demande officielle d’accession au traité de l’Atlantique Nord qui est déposée auprès du secrétaire général de l’Alliance. La Finlande et la Suède ont déposé la leur le 18 mai 2022.

Une fois cette demande déposée, des négociations plus ou moins longue ont lieu et un Protocole d’accession est signé entre les membres de l’Alliance et l’État demandeur. Le 5 juillet 2022, la Suède et la Finlande ont chacune signé un tel protocole avec l’ensemble des trente membres de l’OTAN, les négociations ayant été particulièrement rapides compte tenu du degré d’intégration déjà élevé des armées suédoise et finlandaise dans l’OTAN.

Ledit Protocole étant un accord international, il doit être ratifié par l’ensemble des États concernés selon leur procédure constitutionnelle interne. Une fois cette ratification effectuée, le Protocole entre en vigueur et l’État demandeur devient Partie au Traité de l’Atlantique Nord à la date du dépôt de son instrument d'accession auprès du Gouvernement des États-Unis.

2.   Une procédure d’adhésion sous pression de la Turquie

L’élargissement de l’OTAN à de nouveaux membres ne peut donc se faire qu’à l’unanimité des États membres de l’Alliance, donnant ainsi un droit de veto à chacun d’entre eux.

Or, lorsque la Suède et la Finlande ont fait part, publiquement, de leur intention de rejoindre l’OTAN, la Turquie a rapidement marqué son opposition en raison des différends qui l’opposaient à ces deux pays. Elle leur reproche en effet :

– d’avoir accueilli en tant que réfugiés politiques de nombreux militants de du PKK, organisation kurde que la Turquie considère comme terroriste mais pas la Suède ni la Finlande ;

– d’avoir refusé, malgré ses demandes répétées, d’extrader ces militants ainsi que les partisans de l’organisation du prédicateur Fethullah Gülen, le Fetö, accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’État de juillet 2016 ;

– d’avoir imposé à la Turquie un embargo sur les armes, après son offensive lancée en octobre 2019 contre la milice kurde syrienne, dans le nord-est de la Syrie.

Afin de surmonter ce blocage, des négociations intenses ont eu lieu entre ces deux pays et la Turquie qui sont parvenus, le 28 juin, à un accord permettant la levée du veto turc. Selon la déclaration qui a suivi l’annonce de cet accord, la Suède et la Finlande ont pris les engagements suivants :

– ne fournir aucun soutien aux Kurdes syriens de l’YPG/PYD ni au Fetö ;

– considérer, comme le fait déjà l’UE, le PKK comme une organisation terroriste et mener « la lutte contre le terrorisme avec détermination et résolution, conformément aux dispositions des documents et politiques de l’OTAN » en prenant « toutes les mesures nécessaires pour renforcer la législation nationale en ce sens » ;

– renforcer leur coopération avec Ankara en matière de lutte contre le terrorisme et le crime organisé, via un « mécanisme structuré à tous les niveaux », y compris entre « les services de sécurité et les services de renseignement », et d’enquêter sur « toute activité de financement et de recrutement du PKK et de toutes les autres organisations terroristes » ;

– lever les restrictions sur les ventes d’armes et d’équipements militaires.

Enfin, la « Finlande et la Suède traiteront les demandes d’expulsion ou d’extradition de personnes soupçonnées de terrorisme de manière rapide et approfondie, en tenant compte des informations, preuves et renseignements fournis » par la Turquie et « établiront les cadres juridiques bilatéraux nécessaires à la coopération en matière de sécurité avec la Turquie, conformément à la Convention européenne sur l’extradition ».

Si la Turquie s’est officiellement félicitée de cet accord, celui-ci a soulevé de nombreuses inquiétudes chez les défenseurs des Droits de l’Homme, craignant ouvertement que l’extradition vers la Turquie de militants kurdes ou « gülenistes » ne les expose à une violation de leurs droits. Ces inquiétudes ont suscité un fort écho dans l’opinion publique et dans la classe politique en Suède et en Finlande, même si ces dernières restent majoritairement favorables à l’adhésion à l’OTAN.

En outre, postérieurement à cet accord, la Turquie a maintenu la pression sur la Suède et la Finlande en présentant immédiatement ses exigences, lesquelles ont pris la forme d’une liste de 73 personnes dont elle demande l’extradition pour « fait de terrorisme ». Le Président Erdogan a rappelé, le 18 juillet, « que nous gèlerons le processus si ces pays ne prennent pas les mesures nécessaires pour remplir nos conditions ».

3.   Favorable à l’adhésion, la France fait le choix d’une procédure de ratification rapide

Après l’annonce de l’intention de la Suède et la Finlande d’adhérer à l’OTAN, le président de la République, par la voie d’un communiqué de presse, a déclaré « saluer et soutenir ces décisions de deux partenaires européens très proches, qui partagent et défendent à nos côtés les principes de démocratie, de liberté individuelle et d’État de droit. Grâce à leurs capacités de défense robustes, l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN renforcera la sécurité et la stabilité de la région baltique, de l’Europe dans son ensemble, et de la zone euro-atlantique ».

Favorable à cette adhésion, la France l’a également soutenue sans réserve au Conseil de l’Atlantique Nord et fait le choix d’une procédure de ratification rapide en présentant, deux semaines après la signature des protocoles adhésion, le présent projet de loi autorisant leur ratification.

Compte tenu du contexte de guerre, il est en effet essentiel que la Suède et la Finlande adhèrent le plus rapidement possible à l’Alliance, urgence à laquelle souscrit totalement votre rapporteur pour avis. En effet, c’est seulement en tant que membre à part entière de l’OTAN que ces deux pays pourront bénéficier de la protection de l’article 5 du TAN (voir infra).

La France rejoindrait ainsi les 18 autres membres de l’Alliance qui ont d’ores et déjà ratifié les deux protocoles d’accession : Albanie, Belgique, Bulgarie, Canada, Croatie, Danemark, Estonie, Lituanie, Allemagne, Islande, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Roumanie, Norvège, Pologne, Slovénie et Royaume-Uni.

III.   Les conséquences de l’adhésion

A.   un bénéfice mutuel, et pour l’otan, et pour les deux pays concernés

1.   Le renforcement politique, stratégique et militaire de l’Alliance

a.   La Suède et la Finlande ont des capacités militaires non négligeables

Malgré sa longue tradition de neutralité, la Suède dispose d’une armée qui n’est pas négligeable, même si elle n’est en mesure d’aligner qu’environ 14 000 soldats professionnels. Ceux-ci ont toutefois vocation à être renforcés par les réservistes (11 500), alimentés par le rétablissement en 2017 du service militaire obligatoire, et par 20 300 home guards, lesquels constituent la base de la défense territoriale de la Suède.

À défaut du nombre, les forces armées suédoises peuvent s’appuyer sur du matériel moderne. Son armée de terre dispose en effet de chars lourds Stridsvagn et son armée de l’air d’avions Gripen JAS 39. Quant à sa Marine, si elle dispose de cinq sous-marins, elle manque toutefois de navires de surface, ce qui limite sa résistance et ses capacités de projection.

Compte tenu de la petite taille de la population du pays – 5,5 millions d’habitants, l’armée finlandaise ne compte que 12 000 membres professionnels, dont 4 000 personnels civils. Toutefois, ce nombre est significativement renforcé par les conscrits (environ 23 000 chaque année). À l’issue de leur service militaire, les conscrits deviennent réservistes, si bien qu’en cas de nécessité, la Finlande peut aligner 280 000 hommes combattants.

Les trois armes bénéficient par ailleurs des armements les plus modernes. L’armée de terre bénéficie de 100 chars lourds allemands Leopard 2. L’armée de l’air est équipée d’avions multirôle Hornet mais bénéficiera à terme de 62 avions F-35 acquis en 2021 auprès des États-Unis pour un montant de 8,4 milliards de dollars. Enfin, la marine finlandaise dispose de navires lance-missiles, de mouilleurs et de dragueurs de mines, notamment.

De plus, les armées suédoises et finlandaises ont, malgré la neutralité de leur pays, fréquemment été déployées sur les théâtres extérieurs, dans le cadre des opérations et missions de l’OTAN mais également des opérations européennes ou les missions de maintien de la paix de l’ONU (en particulier au Sahel). De fait, elles présentent un certain degré d’aguerrissement mais également l’avantage d’être d’ores et déjà largement interopérables avec celles des autres Etats membres de l’OTAN. Non seulement elles participent aux exercices organisés dans le cadre de l’OTAN mais, depuis 2014, elles ont intégré « l’initiative pour l’interopérabilité » qui rassemble les Alliés et des pays partenaires actifs dans les opérations de l’OTAN. Enfin, la Finlande accueille depuis 2017 le Centre d'excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides.

Enfin, la Suède et la Finlande ont récemment annoncé une augmentation considérable de leur budget de défense. En 2020, après plusieurs années de hausse motivées par l’annexion de la Crimée, le Parlement suédois a voté une hausse de 40 % qui porterait ce dernier à 8,8 milliards d’euros en 2025. Suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, le gouvernement suédois a fait part de sa volonté de porter l’effort à 2 % du PIB, soit plus de 10 milliards d’euros par an.

Quant à la Finlande, dont le budget de défense a atteint 5,1 milliards d’euros en 2022, soit 2 % de son PIB, elle a récemment décidé de l’augmenter de 40 % pour le porter à plus de 7 milliards d’euros par an : 800 millions d'euros supplémentaires en 2023, puis 400 millions chaque année d'ici 2026. Selon le ministre de la défense, M. Anti Kaikkonen, l’essentiel de cet effort budgétaire ira à l’acquisition de nouvelles armes et équipements (armes antichars, armes antiaériennes, missiles et munitions…).

b.   Des capacités industrielles et technologiques significatives

La Suède et, dans une moindre mesure, la Finlande disposent d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) significative.

Le groupe Saab est la principale entreprise d’armement en Suède. Groupe civilo-militaire, il est actif dans les domaines de l’aéronautique (JAS 39 Gripen), des systèmes d’armes, des radars et des sous-marins. Il a réalisé en 2021 un chiffre d'affaires de 3 657 millions d'euros (dont 62 % à l'exportation).

Les capacités industrielles de la Finlande sont beaucoup plus réduites que celles de la Suède. La majeure partie du tissu finlandais est constituée de petites et moyennes entreprises privées, et le pays a fait le choix d'acquérir ses principales plates-formes et systèmes d'armes à l'étranger. L'entreprise la plus importante est Patria, contrôlé par l’État finlandais, qui a réalisé un chiffre d'affaires de 547 millions d'euros en 2021. Son produit le plus connu est le véhicule de combat à roues 8x8 et 6x6, en service dans l'armée finlandaise et dans celles de Croatie, des Émirats arabes unis, de Slovaquie, de Slovénie, de Lettonie, de la République de Macédoine du Nord, de Pologne, de Suède et d'Afrique du Sud.

c.   Un atout stratégique et politique important

Votre rapporteur considère que du point de vue de l’OTAN, malgré ces capacités militaires non négligeables, l’adhésion formelle de la Suède et de la Finlande ne changerait pas fondamentalement le rapport de force militaire avec la Russie ou tout autre ennemi. Elle n’en constituerait pas moins un atout important sur les plans stratégique et politique.

En effet, l’adhésion de la Finlande et de la Suède constitue un apport de profondeur stratégique qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l’OTAN, en facilitant notamment la protection des États Baltes en cas d’attaque de la Russie.

Cette adhésion illustre également la « résurrection » politique de l’OTAN, après une période de tension pendant la présidence de Donald Trump qui, focalisé sur la rivalité sino-américaine, avait été ambigu sur l’automaticité du déclenchement de l’article 5 en cas d’agression armée contre un membre de l’Alliance. Le fait que deux pays historiquement neutres veuillent rejoindre les 30 membres de l’OTAN symbolise l’unité et l’attractivité retrouvée de cette organisation.

2.   La protection de l’Alliance

Du point de vue de la Suède et de la Finlande, l’adhésion à l’OTAN, une fois les protocoles d’accession ratifiés, leur permettra de bénéficier de la protection de l’Alliance et, en particulier, de la clause de défense mutuelle de l’article 5 du TAN, en cas d’agression russe. Tel est d’ailleurs l’unique motivation à leur demande d’adhésion. Tant que cette ratification ne sera pas complète, les deux pays seront dans une « zone grise » qui les expose à une agression russe sans que l’Alliance ne puisse, juridiquement, intervenir.

Notre pays pourrait donc, en cas d’agression de la Suède ou de la Finlande par la Russie, être entraîné dans une guerre avec cette dernière. Toutefois, ce risque ne doit pas être exagéré. Non seulement notre pays a, depuis 1949 lié son destin à celui de l’ensemble des membres de l’OTAN mais surtout, la France s’est d’ores et déjà engagée, en application de l’article 42§7 du TUE, à porter « aide et assistance par tous les moyens en [son] pouvoir à tout État membre qui serait l'objet d'une agression armée sur son territoire ».

Membres à part entière de l’Alliance, la Suède et la Finlande seront en outre désormais parties à la prise de décision (qui se fait par consensus) au sein du Conseil de l’Atlantique Nord et seront intégrées dans le NDPP et dans les différents commandements militaires.

B.   Le renforcement du pilier européen de l’otan ET DE L’EUROPE DE LA Défense

Tout renforcement de l’OTAN et de ses capacités est parfois – souvent – présenté comme un affaiblissement ou, à tout le moins, un obstacle à l’Europe de la défense et à son développement. Tel n’est pas l’avis de votre rapporteur. En effet, Europe de la défense et OTAN ont le même objectif, à savoir contribuer à la sécurité et à la défense du territoire européen. Cette congruence entre les deux organisations – UE et OTAN – est d’ailleurs rappelée, tant dans les textes européens que dans le dernier concept stratégique. Ce dernier souligne que « l’Union européenne est pour l’OTAN un partenaire incontournable et sans équivalent », les deux organisations ayant « des rôles complémentaires, cohérents et se renforçant mutuellement ». Contrairement à l’OTAN, dont les moyens sont exclusivement militaires, l’Union européenne fait ainsi face à la crise en Ukraine avec l’ensemble des moyens à sa disposition, prenant des mesures dans le domaine politique, économique, financier ou énergétique.

De même, l’adhésion de la Suède et de la Finlande renforcera le pilier européen de l’organisation, en augmentant la part de ses membres (de 21 sur 30 à 23 sur 32), de ses capacités et de son budget provenant de l’Union européenne. En outre, l’Europe de la défense bénéficiera incontestablement des avancées en termes d’interopérabilité avec les armées suédoise et finlandaise, tout comme de l’augmentation de leur budget dicté par l’objectif des 2 %.

Enfin, la meilleure preuve qu’il est vain d’opposer l’Union européenne et l’OTAN est le Danemark. Membre de l’OTAN depuis sa création en 1949, ce pays s’était toujours tenu à l’écart de l’Europe de la défense et ce, depuis le traité de Maastricht (1992), bénéficiant à ce titre d’un « opt-out ». Or, face à la menace russe, le gouvernement danois a décidé de soumettre à référendum le maintien de cette exception. Le 1er juin, le peuple danois a voté à 67 % pour sa suppression, permettant au Danemark de participer à l’avenir pleinement à l’Europe de la défense.

C.   la réaction russe

La demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande a logiquement fait réagir la Russie mais d’une manière relativement mesurée. Le 16 mai 2022, soit quelques jours après que les deux pays aient annoncé leur intention de déposer une demande formelle d’adhésion, le président Poutine a déclaré qu’un tel « élargissement de l'OTAN ne constitue pas une menace immédiate mais le déploiement d'infrastructures militaires sur les territoires de ces pays entraînera bien sûr une réponse ». La Russie a en effet bien conscience que l’adhésion de ces deux pays, membres de l’Union européenne et d’ores et déjà largement intégrés dans les structures de l’Alliance, ne changent pas fondamentalement la donne, contrairement au casus belli qu’aurait été l’adhésion de l’Ukraine.

Quelques semaines plus tard, le 29 juin, le président russe a enfoncé le clou : « si la Finlande et la Suède le souhaitent, qu'elles y adhèrent. C'est leur affaire. Elles peuvent adhérer où elles veulent » Mais « en cas de déploiement de contingents militaires et d'infrastructures militaires là-bas, nous serons obligés de répondre de manière symétrique et de créer les mêmes menaces pour les territoires d'où émanent les menaces pour nous ». En d’autres termes, l’adhésion en tant que telle à l’OTAN de ces pays deux n’est donc pas une ligne rouge, mais l’utilisation par celle-ci de leur territoire contre la Russie – notamment le déploiement de groupements tactiques – le serait.

 


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   Travaux de la commission des affaires ÉtrangÈres

 

Le mercredi 27 juillet 2022, la commission des affaires étrangères examine, au fond, sur le rapport de son président M. Jean-Louis Bourlanges, le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.

 

Mme Eléonore Caroit, présidente. C’est un plaisir pour moi de suppléer notre président, désigné rapporteur sur le projet de loi qui nous est soumis, inscrit à l’ordre du jour de la séance publique le mardi 2 août.

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), instituée par le traité signé le 4 avril 1949 à Washington et fondée par douze pays, en comprend désormais trente. Son objectif, énoncé dans le traité et immuable depuis sa fondation, consiste à sauvegarder la liberté des peuples des États membres et à leur permettre d’unir leurs efforts pour leur défense collective. Trois membres de l’OTAN possèdent l’arme nucléaire. Les trois missions principales de l’Alliance atlantique sont la défense collective, la gestion de crise et la sécurité coopérative. Le budget annuel de l’organisation, de 2,5 milliards d’euros, est abondé par chacun des Alliés selon une clef de répartition liée à leur revenu national brut.

L’élargissement à la Suède et à la Finlande a fait l’objet de protocoles d’accession signés le 5 juillet, déjà ratifiés par plusieurs pays et que la France est déterminée à ratifier à son tour rapidement, pour les raisons évoquées au cours de l’audition, à huis clos, de Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées, et de M. Philippe Bertoux, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Chaque nouvelle adhésion étend l’obligation d’assistance en cas d’attaque armée contre l’un des membres, inscrite à l’article 5 du traité de Washington. Le Conseil d’État avait confirmé à propos du projet de loi relatif à l’adhésion de la Macédoine du Nord, voté en novembre 2019, qu’un tel protocole d’accession relève de l’article 53 de la Constitution.

Si la Suède et la Finlande ont demandé l’adhésion, c’est évidemment en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier. Chacun des deux pays avait auparavant formé un bloc entre les pays que la guerre froide opposait. La Suède, que je connais bien, jouait traditionnellement le rôle d’arbitre international de la plupart des contentieux entre l’Est et l’Ouest. Notre rapporteur abordera certainement l’imbrication entre la sécurité européenne et l’OTAN, dont nous avons également parlé au cours de l’audition précédant cette réunion. Toujours est-il que les opinions publiques finlandaise et suédoise ont clairement exprimé leur volonté d’adhérer à l’OTAN.

M. le président Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. C’est un très grand honneur pour moi d’être rapporteur sur ce sujet décisif, au cœur d’une crise qui ne l’est pas moins. J’ai donné à mon rapport un tour résolument politique – mais pas du tout partisan –, à rebours de la tendance qui consiste à se cacher derrière des formules juridiques quand c’est de grands enjeux internationaux qu’il s’agit.

Je commencerai par une brève analyse de la situation de l’OTAN au cours des trente dernières années. L’organisation a très mal vécu le succès historique que fut la fin de la guerre froide par dislocation de l’empire soviétique, car cette victoire lui a posé quantité de problèmes qu’elle a tenté de traiter de façon confuse.

D’abord, un problème de vocation : l’OTAN devait-elle continuer d’exister alors que le pacte de Varsovie disparaissait ? Il a été décidé que oui. Bien que le président Eltsine ait déclaré que jamais la Russie ne retrouverait une posture impérialiste et violente envers ses voisins, il a en effet semblé nécessaire de garder l’outil, tout en lui donnant un prolongement politique substantiel. C’est en raison de celui-ci que l’OTAN s’est associée, au cours des vingt-cinq dernières années, à des actions humanitaires, de maintien ou de rétablissement de la paix, avec un succès mitigé mais sans susciter la réaction attendue. Ainsi, en Afghanistan, nous avons échoué à installer un régime économique, politique et social conforme à nos valeurs, mais l’opération n’a pas été menée contre la Russie, qui a même participé discrètement à l’effort.

Deuxièmement, le périmètre : l’OTAN devait-elle s’élargir ? Les pays anciennement sous le joug soviétique devaient-ils être indépendants et créer une sorte d’espace commun d’intérêt entre l’Est et l’Ouest, ou rejoindre l’OTAN pour prévenir le risque d’agression de la part d’une Russie dont on ne savait pas si elle avait accepté la perte de son empire ? Fallait-il créer une ligne claire ou maintenir une zone grise entre l’Europe occidentale – essentiellement l’Union européenne – et la Russie ? On a progressivement choisi d’élargir, mais de façon incomplète, laissant notamment l’Ukraine dans cette zone grise : de plus en plus proche de l’Europe occidentale par son modèle économique et – avec beaucoup de bémols – politique, mais sans bénéficier des garanties fondamentales de l’OTAN. Même si les Russes font désormais comme s’il y avait eu au sommet de Bucarest un accord sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en réalité, l’adhésion y avait été renvoyée aux calendes grecques sous l’effet des objections allemandes et françaises, fondées ou non.

Troisièmement, la cohésion. À cet égard, l’OTAN a traversé une très grave crise, qui s’est traduite par trois éléments. Le premier a été la position de cavalier seul de la Turquie, l’intensification de sa confrontation avec la Grèce et son rapprochement partiel avec la Russie, incluant l’acquisition de matériel russe hautement sensible. S’y est ajoutée la lassitude des États européens, qui, voulant « toucher les dividendes de la paix », selon l’expression d’un homme politique français, ont modéré, pour dire le moins, leur effort militaire, s’éloignant de l’objectif de 2 % du PIB. La cohésion a enfin été menacée par les incertitudes de la politique américaine. Les trois derniers présidents des États-Unis se sont préoccupés d’organiser le « pivot » vers la zone Pacifique, considérant que la menace principale était la Chine. Et le président Trump est allé beaucoup plus loin, invoquant un conflit économique de fond entre son pays et l’Allemagne et jetant sérieusement le doute sur l’engagement américain en Europe occidentale au titre de l’article 5 du traité de Washington.

Enfin, il y a la stratégie militaire. Les équilibres stratégiques antérieurs ont été profondément perturbés par la prolifération nucléaire et par l’incertitude croissante quant aux doctrines d’emploi de cette arme. Auparavant, depuis que les Russes pouvaient envoyer des missiles intercontinentaux, la doctrine, assez claire, voulait que l’on développe en Europe, de part et d’autre, des moyens nucléaires opérationnels de manière à empêcher les conflits, puisque personne n’était en mesure de garantir que l’utilisation de ces fusées à moyenne portée ne déboucherait pas sur une escalade fatale. De nouvelles menaces sont en outre apparues, comme le cyber. Comment la solidarité visée à l’article 5 peut-elle être mise en œuvre dans ce contexte ?

Cette donne a été totalement bouleversée par la guerre d’Ukraine, qui a refait de l’Europe un théâtre central, y a ramené les États-Unis et l’exercice de la solidarité au titre de l’article 5 et a même accru la cohésion, comme le montre la démarche de la Suède et de la Finlande ainsi que le renoncement danois à l’opt-out en matière de politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Sur le plan stratégique, on reparle de défense de l’avant, qui se substituerait au « fil déclencheur », c’est-à-dire à la présence sur le territoire des nouveaux membres de l’OTAN de forces très limitées destinées à matérialiser l’offense qu’une attaque représenterait pour les puissances occidentales mais qui seraient incapables de résister efficacement à une invasion russe.

La Suède et la Finlande ont une très longue tradition de non-alignement – plutôt que de neutralité, mot impropre à définir la position finlandaise du point de vue même des autorités du pays. En Suède, c’est un prince d’origine française, Bernadotte, qui a apporté une neutralité à laquelle le pays est resté obstinément fidèle pendant deux siècles. Ce qui ne l’a pas empêché d’opérer consensuellement en trois mois, comme les Suédois me l’avaient annoncé en mars, une rotation à 180 degrés. Heureux les pays qui parviennent à un changement si profond dans un tel consensus…

Quant à la Finlande, elle connaissait pendant la guerre froide une souveraineté limitée : laissée par le Kremlin totalement libre de son modèle politique, économique et social, elle était étroitement dépendante et solidaire des choix de l’Union soviétique en matière d’action internationale. Cette gestion très habile, appelée « finlandisation », ne semble pas imaginable en Ukraine, à la différence de la neutralité.

Après la fin de la guerre froide, les deux États ont modifié leur attitude vis-à-vis de l’Occident, par l’adhésion à l’Union européenne – jusqu’alors exclue pour la Finlande et jugée téméraire par les Suédois –, puis en nouant des relations assez étroites avec l’OTAN. La Suède a toujours été solidaire des États-Unis ; dans les années cinquante, les Suédois, sans rien dire à personne, ont allongé la piste d’atterrissage de leurs aéroports pour que, en cas de conflit, des avions américains à court de carburant puissent revenir s’y poser après avoir largué des bombes nucléaires sur l’Union soviétique.

Le changement provoqué par la situation en Ukraine est double. Premièrement, en adhérant à l’OTAN, la Suède et la Finlande accèdent à la prise de décision. Je rappelle qu’en la matière, le système n’est pas supranational mais repose sur la coopération internationale : seul le libre consentement des États permet d’engager les forces, même techniquement intégrées. Au Kosovo, les Américains ont perçu la difficulté de ce système où tout le monde peut dire non à tout le monde. Deuxièmement, et surtout, les nouveaux membres accéderont au bénéfice de l’article 5, ce qui substituera une ligne claire à une zone grise où l’on ne savait pas qui protège, ni qui attaque qui. Dans la crise ukrainienne, les uns ont incriminé l’agressivité de l’OTAN, les autres l’impérialisme russe mais on ignorait les engagements des uns et des autres. Or, en matière stratégique, le pire est l’incertitude.

Je rappelle qu’en 1914, c’est le manque de clarté des Britanniques sur leur attitude en cas de violation de la neutralité belge qui a encouragé l’empereur d’Allemagne à envahir le territoire. Il est probable qu’il se serait abstenu s’il avait su que le Royaume-Uni entrerait en guerre. L’incertitude stratégique est donc un élément fondamental d’insécurité. Pour les Finlandais et les Suédois, la position des Occidentaux devait être claire, il fallait sortir du « ouine » de Bernanos – le ni oui, ni non.

Quels seront les effets de cette adhésion ? Ces pays sont des contributeurs nets de sécurité : les Suédois, qui avaient désarmé dans la période de l’après-guerre froide, sont remontés en puissance et les dépenses militaires devraient doubler pour représenter 2 % du PIB en 2028 ; les Finlandais peuvent compter sur leurs forces de réserve et une mobilisation très forte de leur population – une cohésion face aux Russes que tous les partis s’accordent à vouloir renforcer.

Par ailleurs, cette adhésion modifie l’espace stratégique de protection, en lui conférant une profondeur certaine, côtés continental et maritime : l’ensemble de l’espace balte est désormais solidaire de l’OTAN, ce qui rend une intervention russe en Lituanie, par exemple, plus difficile.

Enfin, ces États ne demandent pas de forces étrangères sur leur territoire ; ils se montrent soucieux de ne pas développer une attitude agressive à l’égard de la Russie et souhaitent que les choses se passent le mieux possible. Ni la Suède, ni la Finlande ne sont des va-t-en guerre ; leur modération est un élément important de cette nouvelle donne.

Quelle sera la réaction des Russes ? D’abord, il est inutile de rappeler combien le narratif russe sur les responsabilités de l’OTAN dans le déclenchement de la guerre d’Ukraine est sans fondement. Dans un premier temps, les Russes ont donné l’impression qu’ils ne toléreraient pas ce nouvel élargissement ; ils ont modéré cette position ensuite et il semble que les difficultés qu’ils rencontrent en Ukraine excluent une réaction agressive de leur part.

Je terminerai en évoquant la Turquie, qui a exercé un chantage en exigeant des contreparties dans la lutte contre le terrorisme. La solution qui a été trouvée est un accord tripartite, qui n’engage pas les autres puissances. Il sera interprété, les autorités suédoises s’en portent garantes, avec toutes les garanties nécessaires à la protection de l’État de droit. Seront-elles suffisantes ? Une clause de revoyure est prévue fin août et il n’est pas exclu que les Turcs remettent une pièce au jukebox en exprimant des revendications complémentaires. Les Suédois semblent décidés à y répondre avec infiniment de prudence. Si les Turcs refusaient, pendant un long moment, de ratifier, il faudrait se poser la question de la nature des garanties que les puissances alliées peuvent apporter à la Finlande et à la Suède, telle celle de l’article 5.

Pour exercer une pression maximale sur l’État turc, nous devons ratifier au plus vite l’accord, ce qu’ont déjà fait plus de la moitié des membres de l’OTAN. Notre retard est dû au contexte électoral ; nous devons y procéder de façon urgente et envoyer ainsi un signal clair à l’ensemble de nos partenaires. Le rapport est substantiel et explicite sur les orientations proposées. Je vous invite à ratifier le projet de loi et à accéder, ainsi, à la demande de la Suède et de la Finlande.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Je vous remercie pour ce rapport très détaillé et rédigé dans un temps record. Tant que ces protocoles, signés le 5 juillet, n’auront pas été ratifiés par l’ensemble des États, la Finlande et la Suède demeureront dans une situation géopolitique très compliquée. Il faut permettre à ces pays de sortir de l’incertitude, en passant de la zone grise à plus de clarté.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure pour avis. La commission de la défense et des forces armées a examiné hier le projet de loi et donné un avis favorable à son adoption.

L’adhésion de la Suède et de la Finlande présente un bénéfice pour l’OTAN car, sans être des puissances de premier ordre, ces pays ont des capacités militaires non négligeables. L’armée suédoise compte 14 000 membres, le pays a rétabli le service militaire obligatoire. L’armée finlandaise compte 12 000 membres et de très nombreux réservistes. Ce pays de 5,5 millions d’habitants a conservé le service militaire obligatoire, si bien qu’il est en mesure d’opposer, en cas d’agression, 900 000 hommes ayant reçu une formation miliaire.

Les armées finlandaises et suédoises disposent en outre d’armements modernes. La Suède peut s’appuyer sur une base industrielle, technologique et de défense (BITD) compétitive et innovante, dont le chef de file est le groupe Saab.

Le gouvernement suédois a décidé en 2020 d’une hausse de 40 % du budget de défense – soit 8,8 milliards d’euros par an à compter de 2025 – et fait part de sa volonté, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, de porter cet effort à 2 % du PIB – soit plus de 10 milliards par an. Le budget de défense finlandais a atteint 5,1 milliards en 2022, ce qui représente 2 % du PIB. Il a été décidé récemment de l’augmenter de 40 %, pour le porter à plus de 7 milliards par an à compter de 2026.

L’apport principal de l’adhésion de la Finlande et de la Suède n’est toutefois pas capacitaire mais stratégique et politique. Leur intégration confère une profondeur stratégique qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l’OTAN en facilitant notamment la protection des États baltes en cas d’attaque de la Russie.

Cette adhésion illustre également la « résurrection » politique de l’OTAN. Le président Trump, focalisé sur la rivalité sino-américaine, était en effet ambigu sur l’automaticité du déclenchement de l’article 5 en cas d’agression armée contre un membre de l’Alliance. Le fait que deux pays, historiquement neutres, ou non-alignés, veuillent rejoindre les trente membres de l’OTAN symbolise l’unité et l’attractivité retrouvée de cette organisation.

Tout renforcement de l’OTAN est parfois présenté comme un affaiblissement, à tout le moins un obstacle au développement de l’Europe de la défense. Or l’objectif est le même : contribuer à la sécurité et à la défense du territoire européen. Cette congruence entre l’UE et l’OTAN est d’ailleurs rappelée dans les textes. Le concept stratégique souligne que l’« Union européenne est pour l’OTAN un partenaire incontournable et sans équivalent (…) Les deux organisations jouent des rôles complémentaires, cohérents et se renforçant mutuellement au service de la paix et de la sécurité au niveau international. »

Contrairement à l’OTAN, dont les moyens sont exclusivement militaires, l’Union européenne fait face à la crise en Ukraine avec l’ensemble des moyens à sa disposition, prenant des mesures dans le domaine politique, économique, financier ou énergétique. L’adhésion de la Suède et de la Finlande renforcera le pilier européen de l’OTAN en portant à vingt-trois le nombre d’États membres de l’UE et en augmentant son budget.

La meilleure preuve qu’il est vain d’opposer l’Union européenne et l’OTAN est le résultat du référendum danois, le 1er juin. Les Danois ont voté à 67 % pour la suppression de l’opt-out en matière de PSDC. Le Danemark, qui était membre de l’OTAN depuis 1949, participera bientôt pleinement à l’avenir de l’Europe de la défense.

Mme Mireille Clapot (RE). Examiner ce texte dans des délais contraints était un défi, que nous allons réussir. La France doit exprimer son plein accord et affirmer sa position face à une Russie agressive et à une Turquie exigeante.

Ces trente-trois dernières années ont été marquées par les doutes et les incertitudes quant au périmètre géographique, à l’organisation, à la cohésion et aux moyens de l’OTAN, sans parler de l’attitude des États-Unis, de la doctrine nucléaire et des menaces émergentes, comme la menace cyber. Le 24 février, tout a volé en éclats, suscitant une nouvelle cohésion.

La Suède a connu deux siècles de neutralité avant d’effectuer, en trois mois, une révolution ; la Finlande sort quant à elle de la neutralité qui lui était imposée depuis la deuxième guerre mondiale. Dans l’après-guerre froide, ces pays ont exprimé par de multiples signaux leur volonté de cohésion avec l’Europe, leur capacité à mobiliser des troupes, à innover, à consacrer des moyens financiers et à renforcer l’interopérabilité. Avec cette adhésion, plébiscitée par les populations, la ligne claire remplacera la zone grise.

Les conséquences sont à la fois stratégiques et politiques. Les deux pays sont contributeurs nets de sécurité, la profondeur stratégique est renforcée avec des pays baltes davantage sécurisés. Les 1 300 kilomètres de la frontière fino-russe font que les zones de contact entre l’OTAN et la Russie sont considérablement modifiées.

L’Alliance s’enrichira du savoir-faire de la Suède et de la Finlande dans les espaces maritimes nordiques et de nouvelles compétences dans le domaine cyber. Il convient par ailleurs de remporter la bataille des narratifs vis-à-vis de la Russie. Le groupe Renaissance soutient pleinement ce texte.

M. Thibaut François (RN). Une question, à titre liminaire : l’adhésion suédoise et finlandaise ne signifie-t-elle pas qu’Helsinki et Stockholm, se défiant de l’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne, jugent que seul l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord peut les protéger ? L’Union européenne ne constituerait-elle donc aucune garantie en termes de sécurité pour ses États membres ?

Nous tenons à maintenir et à approfondir nos relations d’amitié avec les nations finlandaise et suédoise et nous ne souhaitons évidemment pas nous opposer aux décisions souveraines de ces États. Nous sommes particulièrement attachés aux engagements militaires finlandais et suédois au Sahel mais également au maintien de la coopération, y compris dans la Baltique, avec la Russie – il convient de noter, d’ailleurs, que la Finlande a toujours veillé à maintenir d’excellentes relations avec son voisin russe.

Si elle aboutit, l’adhésion ne doit pas déboucher sur l’édification d’un nouveau rideau de fer à la frontière fino-russe. Cela ne serait pas dans l’intérêt de la Finlande, et encore moins de l’Union européenne. Nous devons absolument éviter une confrontation entre l’Union et la Russie, notamment avec les États frontaliers de cette dernière.

La « volonté d’encerclement » par les États-Unis, via l’OTAN, que la Russie croit déceler en Géorgie et en Ukraine concerne évidemment la Finlande. Il faut, en faisant bien sûr la part de la propagande, mettre cela en perspective et éviter d’humilier la Russie. On a pu entendre que l’objectif de certains dirigeants était de la « briser ». Isoler définitivement ce pays le jetterait dans les bras de la Chine, ce qui n’est en rien notre intérêt stratégique. Est-il indispensable de transformer la Baltique, perçue comme un « lac allié », en lieu de confrontation avec la Russie ? On ne construit pas la paix par l’humiliation.

Le groupe RN, attaché à l’article 5 du traité de Washington, souhaite que la France se maintienne dans l’OTAN mais considère que la souveraineté et l’indépendance militaire et diplomatique nécessitent d’en quitter le commandement intégré. Un débat interne à l’Alliance doit être lancé avant tout élargissement, notamment sur le rôle de l’OTAN depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, sur la place de la Turquie, sur la définition claire des menaces contre lesquelles l’OTAN protège ses membres, sur la garantie qu’elle n’œuvre en aucun cas à l’encerclement de la Russie au profit des seuls intérêts militaro-industriels des États-Unis. Nous nous abstiendrons car nous considérons que l’élargissement n’a pas vocation à donner des solutions pour la paix.

M. Arnaud Le Gall (LFI-NUPES). Une obligation de défense mutuelle lie déjà les pays de l’Union européenne puisqu’il est prévu que dans le cas où l’un de ces pays serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres lui devraient aide et assistance. La Suède et la Finlande sont, en outre, de solides partenaires de l’OTAN. Je ne vois donc pas ce qu’apporterait l’adhésion de ces deux pays à l’OTAN, d’autant que nous devons nous poser la question de l’efficacité de l’action de cette organisation contre la Russie pour mettre fin à la guerre en Ukraine. Les dépenses militaires totales des pays de l’OTAN représentent plus de la moitié des dépenses mondiales mais cette alliance militaire est mise au supplice par le jeu de la fermeture et de l’ouverture des livraisons de gaz et n’est pas la solution la plus efficace. Pire : nous affaiblissons notre dispositif de lutte contre Daech au Proche-Orient, où les cellules djihadistes sévissent encore, en laissant la Turquie négocier le lynchage des Kurdes contre la levée de son veto.

La superposition de la carte de l’Union et de celle de l’OTAN signerait la mort de l’autonomie stratégique et de toute ambition européenne dans le domaine de la défense. Je ne suis pas d’accord avec les propos qui ont été tenus. Si un mariage de nature a été voulu, ces dernières décennies, entre l’Union européenne et l’OTAN, il n’a pas toujours été pensé ainsi. Je vous renvoie aux doctrines stratégiques américaines puisque, dès les années 1990, le Policy planning staff prévoyait d’empêcher l’émergence d’accords de sécurité européens qui concurrenceraient l’OTAN. La guerre en Ukraine ne doit pas nous empêcher de rechercher, sur le long terme, l’indépendance stratégique européenne.

Libre à la Suède et la Finlande de demander l’accession à l’OTAN, libre à nous de voter contre ce texte, au nom de notre souveraineté.

M. Pierre-Henri Dumont. Vladimir sera content !

M. Arnaud Le Gall. Notre candidat n’a pas posé avec Poutine !

Mme Michèle Tabarot (LR). Notre groupe soutiendra ce projet de loi. Face à la menace russe, la Suède et la Finlande ont choisi de renoncer à leur longue tradition de neutralité ou de non-alignement, ce qui témoigne de la gravité des risques qui pèsent sur notre continent.

Malgré les attaques dont elle fut la cible, l’Alliance atlantique garantit notre sécurité. Je remercie M. Bourlanges pour la qualité de son rapport. Il a rappelé que l’agression de l’Ukraine par la Russie n’était pas liée à l’élargissement de l’OTAN, qui n’est qu’un prétexte, que les présidents américains ont toujours soutenu le droit des pays à décider souverainement d’adhérer ou non au traité et que l’OTAN était une alliance défensive, qui ne menace aucun pays.

Les demandes d’adhésion de la Finlande et de la Suède sont d’autant plus légitimes que les collaborations entre l’Alliance et ces deux pays sont solides. Ils participent régulièrement aux opérations de l’OTAN, aussi est-il naturel qu’ils la rejoignent.

L’élargissement profitera aussi à l’OTAN puisqu’ils disposent d’armées modernes et interopérables avec les forces de plusieurs pays de l’Alliance. Au niveau stratégique, notre capacité de protection des États baltes en sortira renforcée.

Il est important de soutenir ces adhésions même si nous devrons rester vigilants. Je déplore à mon tour l’attitude de la Turquie qui tente de profiter de cette situation d’urgence pour régler des problématiques bilatérales. Elle exerce une pression indécente sur la Suède et la Finlande mais aussi sur les États-Unis et l’Europe. Il est évident que nous ne partageons ni les mêmes priorités, ni les mêmes valeurs. Les alliances stratégiques ne sauraient être soumises à de tels chantages.

Ce processus doit interpeller l’Europe dans son ensemble. La Suède et la Finlande bénéficient déjà de la garantie de sécurité prévue par le traité sur l’Union européenne. Le fait que cela ne suffise pas à les rassurer pose la question du renforcement des capacités de défense européenne. Cela étant, le Danemark vient de décider de rejoindre la politique de sécurité et de défense commune, dont il se tenait à l’écart depuis l’origine. Les décisions historiques prises par ces pays permettront-elles de renforcer les capacités propres de la défense européenne ? Des engagements ont-ils été pris au sommet de Madrid pour approfondir la coopération européenne dans le domaine industriel et militaire, qui est la clé du renforcement de l’autonomie stratégique ?

M. Frédéric Petit (DEM). Notre groupe votera pour ce projet de loi. Soyons réalistes : les bénéfices de cette adhésion, qui ont été détaillés dans le rapport, sont évidents. Restons cependant vigilants : les élections de mi-mandat aux États-Unis auront bientôt lieu et nous devons avant tout renforcer l’Union européenne.

Permettez-moi de vous livrer quelques remarques autour d’un sujet qui me tient à cœur, la bataille des narratifs. Le rapporteur a rappelé l’échec du rapprochement entre l’OTAN et la Russie pendant trente ans. La guerre qui a éclaté en Ukraine n’est pas seulement territoriale : elle est aussi une guerre de modèle. La zone grise avantage l’impérialisme moscovite, un impérialisme à géométrie variable pour ce qui concerne tant les nationalités que les nations, par rapport au nôtre, qui est une patiente construction de l’unité dans la diversité voire les conflits. Au moment de la création de l’Union européenne, la Sarre était encore française et le Bade-Wurtemberg n’était pas l’Allemagne.

Cet affrontement ne date pas de la fin de la deuxième guerre mondiale : il a toujours existé. M. Poutine critiquait l’année dernière la République des deux nations qui a mené cette région durant près d’un demi-millénaire.

La Finlande et la Suède sont elles aussi des acteurs historiques de cette tension entre les deux modèles – un député polonais n’a-t-il voté contre cette ratification en raison de l’impérialisme suédois du XVIIe siècle ? – mais elles choisissent aujourd’hui leur camp et mettent fin à une histoire de plusieurs siècles.

Je me méfie de ceux qui picorent dans l’histoire ou les règles juridiques pour asseoir leurs positions et je remercie le rapporteur d’avoir rappelé des faits essentiels. Cette adhésion se justifie par des raisons militaires et juridiques mais aussi politiques.

M. Alain David (SOC). La Suède et la Finlande ont décidé, du fait d’un contexte très particulier, de renoncer à leur politique de non-alignement pour rejoindre l’OTAN. Au Sénat, mes collègues socialistes ont évoqué cet état de nécessité qui ne pouvait laisser place au doute quant au vote du projet de loi. Après la démonstration de force et d’unité des alliés lors du sommet de Madrid, au cours duquel l’assistance et le soutien à l’Ukraine, lâchement agressée, ont été affirmés, une ratification rapide de ce projet de loi est indispensable.

Espérons que le risque d’une escalade dans les relations avec la Russie sera contenu dans les prochains mois et que les tentatives malsaines de la Turquie de marchander son soutien au processus d’élargissement ne seront pas acceptées.

Il serait insupportable que notre diplomatie cède à un odieux chantage en abandonnant nos alliés kurdes en Syrie ou en acceptant des entorses au respect des principes de l’État de droit.

Je souhaite que l’élargissement de l’OTAN ne serve pas de prétexte à l’altération de nos ambitions pour une véritable défense européenne. Mon collègue, le sénateur Jean-Marc Todeschini a relevé, à juste titre, que si l’Alliance atlantique est la première et principale garantie de la sécurité et du maintien de la paix en Europe, si, lorsque le danger de la guerre se profile en Europe, le réflexe instinctif de protection est de se tourner vers l’OTAN, cela signifie que l’Union européenne n’a pas encore réussi à devenir ce que nous attendons d’elle.

Notre groupe votera ce projet de loi.

M. Jean-François Portarrieu (HOR). C’est sans doute l’une des conséquences, si ce n’est positive, du moins inattendue, de l’agression de l’Ukraine par la Russie de Poutine : il a réussi à ce que deux États, jusqu’alors réservés à l’égard de l’OTAN, décident d’eux-mêmes de la rejoindre.

Cette décision renforce l’Alliance atlantique et consolide la place des Européens en son sein. Parce que ce sujet pose la question de la défense collective de l’Europe, nous saluons la décision de ces deux partenaires européens qui partagent et défendent à nos côtés les principes de démocratie, de liberté individuelle et d’État de droit.

Vous l’avez dit, cette adhésion doit permettre à la Suède et à la Finlande de renforcer leur sécurité face à la menace dans un voisinage immédiat. Elle contribuera également à augmenter les moyens de notre sécurité européenne tout en concourant à la stabilité de la région baltique, de l’Europe dans son ensemble et plus largement de la zone euro-atlantique.

La crise ukrainienne a permis à l’OTAN de sortir de son coma profond pour se recentrer sur sa mission principale : la défense collective de l’espace euro-atlantique.

Espérons que l’adhésion à l’OTAN de ces deux nouveaux membres issus de l’Union européenne permettra d’améliorer la collaboration entre les deux organisations. Quoi qu’il en soit, elle est, à elle seule, un message stratégique clair en direction de la Russie moscovite.

Nous souhaitons une ratification nette et rapide de la France en attendant celle de la Turquie – pas trop longtemps tout de même.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). Pourquoi deux instances seraient-elles nécessaires si elles partagent le même objectif ? Une instance sous autorité américaine serait-elle plus efficace qu’une instance sous autorité européenne ?

Je suis pour la souveraineté des peuples. Durant les six mois de la présidence française de l’UE, les Danois ont voté par référendum pour rejoindre la politique de défense de l’Union, tandis que la Suède et la Finlande déposaient leur candidature pour intégrer l’OTAN. Pendant ce temps, les Français étaient tenus dans l’ignorance des conséquences de ces décisions en raison de la campagne électorale ! Et à présent, il faudrait agir vite, sans prendre la peine d’en débattre, alors que la question de l’utilité et de la pertinence de l’OTAN était posée puisque le Président de la République lui-même la considérait en état de « mort cérébrale », ce qui expliquait la construction, en parallèle, de la défense européenne.

La situation est d’autant plus délicate que nous ne pouvons occulter l’attitude de la Turquie. Allons-nous sacrifier le peuple kurde, ces femmes héroïques, qui n’ont pas hésité à prendre les armes contre les terroristes ? Je ne veux pas en être le complice.

Enfin, quels moyens diplomatiques sont-ils déployés par les uns et les autres pour sortir de la guerre et construire les conditions d’une paix durable ? Je plaide pour une solution diplomatique plutôt qu’armée, aussi voterons-nous contre ce projet de loi.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Notre groupe soutiendra ce projet de loi. L’accession de la Suède et de la Finlande à l’OTAN est une bonne nouvelle pour l’organisation et ses membres, en plus des bénéfices pour la sécurité de ces deux candidats et la nôtre.

L’autonomie stratégique européenne, que la France essaie de promouvoir, est un horizon souhaitable. Cependant, c’est bien l’OTAN qui protège les pays européens les plus menacés, qui semblent n’avoir de pleine confiance militaire que dans les États-Unis. L’expansionnisme russe est très inquiétant et ne se limite pas à l’Ukraine. Le discours des autorités russes est chaque jour plus menaçant, revendiquant et assumant le recours à un vocabulaire impérialiste qui marque la volonté de conquérir par la force militaire de nouveaux territoires à l’Ouest.

Cette politique expansionniste, qui nous ramène un siècle en arrière, remet en cause les fondements du droit international, en particulier celui qui a été instauré au lendemain de la seconde guerre mondiale. Les autorités russes veulent nous faire revenir dans un monde dont l’unique paramètre serait la force militaire. L’unité et la fermeté sont les seules réponses. La fin de la neutralité de la Finlande et de la Suède représente un tournant historique.

Cette décision prise en réaction à un événement dramatique renforcera la sécurité des pays du continent, en particulier celle des États baltes, tandis que l’OTAN réaffirme son rôle majeur pour garantir la paix en Europe.

Nous regrettons cependant la place privilégiée que l’OTAN accorde au régime islamo-conservateur du président Erdogan. Sous cette présidence, la Turquie est devenue un allié ambigu, qui ne cesse d’utiliser le chantage, démographique ou politique, pour obtenir un traitement particulier. Nous dénonçons de surcroît le traitement réservé aux populations kurdes et le discours tranché d’Ankara à ce sujet.

M. le président Jean-Louis Bourlanges, rapporteur. Je ne répondrai pas individuellement à tous les orateurs, une grande partie d’entre eux ayant manifesté leur intention de soutenir le projet de loi – ce dont je me réjouis – et tous ayant exprimé des préoccupations convergentes. Je m’en tiendrai à trois points.

Certains, comme M. Le Gall, estiment que la sécurité de l’Europe est assurée indépendamment de l’activation de l’article 5 de l’OTAN par l’article 42.7 du traité sur l’Union européenne, qui prévoit une solidarité entre les États membres en cas d’agression. Ils ne voient donc pas ce qu’apporterait, pour la Finlande et la Suède, l’adhésion à l’Alliance atlantique.

Je ferai à cet égard deux observations. En premier lieu, la zone grise ne porte pas chance : ainsi, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine, trois pays qui ont toujours manifesté leur désir de se rapprocher de l’Europe occidentale et de nos démocraties, ont été victimes d’une agression russe et ont vu une partie de leurs territoires occupée. Je comprends que cela ait conduit nos amis finlandais et suédois à considérer que la ligne claire était préférable. L’incertitude étant la cause de bien des conflits, cela est en soi une source de sécurité.

En second lieu, l’engagement prévu par les deux traités n’est pas de même nature – cela a été souligné précédemment par les experts du ministère des Armées et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. L’article 5 est plus ferme que l’article 42.7, puisqu’il prévoit qu’une agression contre un État membre « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » et que « chacune d’elles […] assistera la ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée ». Une telle allusion à la force armée n’existe pas dans l’article 42.7. L’article 5 du Traité de Bruxelles modifié, qui régissait les relations entre États membres de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), était d’ailleurs encore plus net – j’ai toujours regretté sa disparition.

Plus généralement, pourquoi deux systèmes ? C’est le produit de l’histoire, et plus particulièrement de cette grande idée qu’est la sécurité collective, qui fut défendue par le président Wilson et, en France, par Léon Bourgeois, Aristide Briand, Léon Blum et d’autres grands esprits. L’objectif était que, face à des agressions nationalistes, les pays unis par leur confiance dans les valeurs démocratiques s’engagent à faire montre de solidarité. Si cette volonté a échoué en 1918 du fait du refus américain de signer le traité de Versailles, elle a été réaffirmée, dans des conditions extrêmement difficiles, après la seconde guerre mondiale, notamment par le président Truman qui a opposé aux visées soviétiques un front d’airain qui a permis de maintenir les libertés démocratiques à l’Ouest de l’Europe. Cette sécurité collective reste l’instrument fondamental de notre défense, et je ne vois pas pourquoi on s’en inquiéterait.

De ce point de vue, l’Union européenne est complémentaire de l’OTAN, puisque l’apport de la solidarité européenne à la défense couvre des domaines que l’OTAN ne couvre pas nécessairement, notamment tout ce qui relève de l’action non militaire ou indirecte ou de l’action « hors zone », par exemple à travers les actions que nous menons en Afrique ou en Méditerranée, ou encore le renforcement des moyens technologiques et militaires en Europe. Le Sommet de Madrid a consigné la complémentarité accrue de ces moyens de défense.

Certes, un problème se poserait si les États-Unis s’éloignaient de leurs principes et renonçaient à appliquer l’article 5. Dans ce cas, mon rapport le dit clairement, c’est non seulement la complémentarité, mais la relève par les Européens qui serait à construire. Nous n’en sommes pas là ; pour l’heure, nous n’avons rien à reprocher au président Biden, dont la gestion de la crise ukrainienne est exemplaire. Mais l’avenir est incertain.

Tout comme M. Le Gall et M. Lecoq, je suis indigné de la façon dont l’État turc marchande sa ratification. Néanmoins, je ne crois pas que cela fasse peser une menace supplémentaire ni sur les Kurdes, ni sur les Grecs. Les Turcs ont le souci d’une certaine respectabilité et ne vont pas se lancer de façon inconsidérée dans l’aggravation de l’un ou l’autre de ces conflits. Ayant reçu la maire de Raqqa, nous sommes bien placés pour savoir que la situation des Kurdes est de toute manière extrêmement délicate. Je crois savoir que leurs relations avec les Turcs se sont un peu apaisées et je ne pense pas, Monsieur Lecoq, que ce qui a été convenu dans le cadre de la procédure d’adhésion puisse nuire de quelque façon que ce soit à ceux qui, comme vous l’avez justement rappelé, ont été nos alliés dans la lutte contre Daech. Cependant, je propose que notre commission soit extrêmement vigilante, dans les mois qui viennent, à d’éventuels dérapages d’Ankara.

Article 1er : Autorisation de la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande, signé à Bruxelles le 5 juillet 2022.

La commission adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 : Autorisation de la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède, signé à Bruxelles le 5 juillet 2022.

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Elle adopte ensuite l’ensemble du projet de loi sans modification.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES SAISIE POUR AVIS

 

Le mardi 26 juillet 2022, la commission de la défense nationale et des forces armées examine, pour avis, sur le rapport de Mme Natalia Pouzyreff, le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.

 

M. Loïc Kervran, président. Chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du président Gassilloud, qui ne peut être présent parmi nous, ni aujourd’hui ni demain, car il accompagne le Président de la République dans son déplacement au Cameroun et au Bénin.

Notre ordre du jour appelle l’examen du rapport pour avis de Natalia Pouzyreff sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.

Le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février dernier, a redimensionné le rôle de l’OTAN dans la défense de l’Europe. C’est vers cette organisation que se sont tournés les pays européens principalement exposés à la menace russe. Il s’agit des pays de l’Est et des Pays baltes, qui sont membres de l’Alliance atlantique, mais aussi de deux pays nordiques historiquement neutres, la Suède et la Finlande.

Après avoir présenté officiellement leur candidature en mai, ces deux pays ont signé, le 5 juillet dernier, avec les membres de l’OTAN, leur protocole d’accession au Traité de l’Atlantique Nord. Ces protocoles doivent être ratifiés par chacun des trente membres de l’Alliance atlantique. Dix-huit d’entre eux l’ont fait.

La ratification de ces protocoles et, plus largement, l’adhésion à l’OTAN de deux États membres de l’Union européenne (UE), remet à l’ordre du jour la question de l’articulation entre l’Alliance atlantique et l’Europe de la défense. Elle a été au cœur des discussions que nous avons eues récemment avec une délégation de la sous-commission Sécurité et défense (SEDE) du Parlement européen. Les appréciations varient : certains estiment que cette articulation va de soi et est acceptée par tous, d’autres craignent que ce regain de l’OTAN soit susceptible de mettre à mal l’idée d’autonomie stratégique européenne.

Par ailleurs, la question se pose – elle intéresse très directement notre commission – de savoir quel est l’état des forces armées suédoises et finlandaises, et quels avantages politiques, militaires et stratégiques l’OTAN peut espérer de l’adhésion de ces deux pays.

Enfin, la Turquie a longtemps menacé de ne pas signer les protocoles d’adhésion. Elle n’a levé son veto qu’après des engagements de la Suède et de la Finlande. Quels sont-ils ? Quelles appréciations peuvent-ils nous inspirer ?

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure. Chers collègues, le rapport que je m’apprête à vous présenter porte sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.

Depuis le 24 février 2022, l’Europe est à nouveau confrontée à la guerre. Si, depuis la chute de l’URSS, en 1991, plusieurs conflits ont éclaté sur notre continent, notamment en Yougoslavie, c’est la première fois, depuis la Deuxième guerre mondiale, que deux États souverains sont impliqués, l’un envahissant l’autre dans l’objectif de l’annexer, et utilisant à cette fin toutes les armes dont il dispose sur terre, sur mer et dans les airs, incluant la menace de recourir à l’arme nucléaire.

La guerre en Ukraine est un nouvel exemple d’une guerre de haute intensité, avec son cortège de destructions et de morts, dont on pensait qu’il serait à jamais un mauvais souvenir en Europe. Face à cette guerre, face à la menace existentielle que représentent la Russie et son chantage à l’utilisation de la bombe atomique, l’OTAN apparaît comme le cadre fondamental de la défense territoriale de l’Europe.

C’est vers elle que se sont tournés les pays d’Europe de l’Est, qui sont en première ligne face à la Russie. C’est elle qui a déployé soldats et équipements dans les Pays baltes, en Pologne, en Bulgarie, en Roumanie, en Slovaquie et en Hongrie. En tant que membre de l’OTAN, la France contribue à cet effort de dissuasion, par le déploiement de 300 hommes en Estonie, dans le cadre de l’opération Lynx, et de 500 hommes en Roumanie, dans le cadre de l’opération Aigle.

Si les pays membres de l’OTAN se sont tournés vers elle pour dissuader la Russie, c’est également vers l’OTAN que se tournent deux pays européens historiquement neutres, la Suède et la Finlande. La démonstration du mépris, par la Russie, de la souveraineté de son voisin et des règles les mieux établies du droit international, ainsi que la haute intensité du conflit et l’ampleur des destructions et des souffrances humaines qu’il a provoquées, ont constitué un électrochoc dans la classe politique, les médias et l’opinion publique suédois et finlandais, ce qui a radicalement et brutalement changé les termes du débat.

Tandis que l’adhésion à l’OTAN, lorsqu’elle était débattue dans ces deux pays, suscitait une forte opposition et divisait peuples et partis politiques, l’invasion de l’Ukraine a convaincu une majorité de Finlandais et de Suédois de la soutenir. Ainsi, 76 % des Finlandais se déclarent favorables à une adhésion à l’Alliance atlantique, contre 20 % avant le conflit. Il en va de même en Suède : 57 % des Suédois soutiennent l’adhésion de leur pays à l’OTAN, alors qu’une majorité s’y opposait auparavant.

Au niveau politique, la crainte que la Russie, après l’Ukraine, ne s’en prenne militairement à un autre pays voisin, a fait de l’adhésion à l’OTAN une priorité absolue des gouvernements finlandais et suédois, soutenus par leur parlement respectif, qui se sont massivement prononcés en faveur du dépôt d’une demande d’adhésion. Rappelons que la Finlande partage environ 1 400 kilomètres de frontière avec la Russie.

Cette demande a été officiellement déposée le 18 mai. Les protocoles d’accession ont été signés le 5 juillet dernier. La ratification de ces protocoles est l’objet du présent projet de loi.

Ces éléments de contexte étant rappelés, j’articulerai mon propos autour de quatre axes : la procédure de ratification et les pressions de la Turquie ; le bénéfice pour l’OTAN de l’adhésion de ces deux pays ; les réactions russes ; les conséquences de cette adhésion pour l’Europe de la défense.

Toute adhésion d’un État au Traité de l’Atlantique Nord exige l’unanimité des membres de l’OTAN, qui sont trente à l’heure actuelle, chacun disposant donc d’un droit de veto. Tous ont signé les deux protocoles d’accession le 5 juillet dernier. Il faut à présent que chacun les ratifie selon sa procédure constitutionnelle interne, pour que la Suède et la Finlande soient membres à part entière de l’OTAN et bénéficient à ce titre de la protection offerte par l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Pour rappel, cet article stipule qu’une attaque contre l’une des parties au Traité « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties », et qu’en conséquence « chacune d’elles […] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée […] ».

Or, l’un des États membres de l’OTAN a vu dans cette demande d’adhésion l’occasion de faire avancer son propre agenda. La Turquie reproche en effet de longue date à la Suède et à la Finlande d’être des terres d’accueil et de refuser l’extradition de personnes qu’elle qualifie de terroristes, appartenant à des organisations kurdes, telles que le PKK, ou au Fetö du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d’avoir fomenté la tentative de coup d’État de 2016. Par ailleurs, ces deux pays ont imposé un embargo sur les exportations d’armes à destination de la Turquie en raison de l’attaque par celle-ci des milices kurdes syriennes.

La Turquie a donc fait savoir qu’elle refusait de signer les protocoles d’accession. Les négociations tripartites subséquentes ont abouti, le 28 juin, à plusieurs engagements de la Suède et de la Finlande à l’égard de la Turquie, notamment la levée des restrictions sur les ventes d’armes et d’équipements militaires, le traitement des demandes d’extradition de personnes soupçonnées de terrorisme de manière rapide et approfondie, en tenant compte des informations fournis par la Turquie, et l’absence de soutien aux Kurdes syriens de l’YPG/PYD, c’est-à-dire les milices kurdes syriennes.

Ces engagements ont soulevé de nombreuses inquiétudes parmi les défenseurs des droits de l’Homme, qui craignent ouvertement que l’extradition vers la Turquie de militants kurdes ou gülenistes ne les expose à une violation de leurs droits.

En outre, une fois cet accord conclu, la Turquie a maintenu la pression sur la Suède et la Finlande en présentant immédiatement ses exigences, sous la forme d’une liste de soixante-treize personnes dont elle demande l’extradition pour fait de terrorisme. Toutefois, le protocole d’accord tripartite prévoit l’instauration d’un mécanisme de dialogue et stipule que toute extradition doit être conforme à la Convention européenne d’extradition.

J’en viens au bénéfice pour l’OTAN de l’adhésion de la Suède et de la Finlande. Bien que neutres, ces deux pays ont des capacités militaires qui, sans être considérables, ne sont pas négligeables. Sans entrer dans les détails qui figureront dans le rapport, je rappelle que la Suède dispose d’une armée professionnelle d’environ 14 000 membres, et la Finlande d’une armée de 12 000 membres. Cet effectif est en outre grandement renforcé par les réservistes, d’autant que ces deux pays ont conservé – pour la Finlande – ou rétabli – pour la Suède – le service militaire obligatoire. Ainsi, la Finlande, qui ne compte que 5,5 millions d’habitants, est en mesure d’opposer, en cas d’agression armée, 900 000 hommes ayant reçu une formation militaire.

Les armées finlandaise et suédoise disposent en outre d’armements modernes, tels que les avions de combat JAS 39 Gripen et les chars lourds Leopard 2. En outre, l’armée suédoise dispose d’une base industrielle et technologique de défense (BITD) compétitive et innovante, dont le chef de file est l’entreprise de défense Saab.

Pour faire face à la menace russe, ces deux pays ont décidé d’augmenter considérablement leurs budgets de défense respectifs. En 2020, une hausse de 40 % du budget militaire suédois a été décidée, en vue de le porter à 8,8 milliards d’euros en 2025. Au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, le gouvernement suédois a fait part de sa volonté de porter l’effort à 2 % du PIB, soit plus de 10 milliards d’euros par an. Quant à la Finlande, dont le budget de défense a atteint 5,1 milliards d’euros en 2022, soit 2 % de son PIB, elle a récemment décidé de l’augmenter de 40 %, pour le porter à plus de 7 milliards d’euros par an en 2026.

À mes yeux, le principal apport de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN est, non pas capacitaire, mais stratégique et politique. Elle constitue un apport de profondeur stratégique, qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l’OTAN, en facilitant notamment la protection des États baltes en cas d’attaque de la Russie. Par ailleurs, elle illustre la résurrection politique de l’OTAN, après une période de tension sous la présidence de Donald Trump qui, concentré sur la rivalité sino-américaine, a tenu des propos ambigus sur l’automaticité du déclenchement de l’article 5 en cas d’agression armée contre un membre de l’Alliance. Le fait que deux pays historiquement neutres souhaitent rejoindre les trente membres de l’OTAN symbolise l’unité et l’attractivité retrouvée de cette organisation.

J’en viens à la réaction russe. La demande d’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande a logiquement fait réagir la Russie, mais d’une manière relativement mesurée. Le 29 juin, le président russe a déclaré : « Si la Finlande et la Suède le souhaitent, qu’elles y adhèrent. C’est leur affaire, elles peuvent adhérer où elles veulent ». Mais « en cas de déploiement de contingents militaires et d’infrastructures militaires là-bas, nous serons obligés de répondre de manière symétrique et de créer les mêmes menaces pour les territoires d’où émanent les menaces pour nous ». Autrement dit, l’adhésion à l’OTAN de ces deux pays en tant que telle n’est pas une ligne rouge, mais l’utilisation par celle-ci de leur territoire contre la Russie – notamment le déploiement de groupements tactiques – le serait.

J’en viens aux conséquences de cet élargissement de l’OTAN sur l’Europe de la défense. Le renforcement de l’OTAN et de ses capacités est parfois présenté comme un affaiblissement de l’Europe de la défense, à tout le moins comme un obstacle à son développement. Or, l’Europe de la défense et l’OTAN partagent l’objectif de contribuer à la sécurité et à la défense du territoire européen. Cette congruence entre les deux organisations – UE et OTAN – est d’ailleurs rappelée dans les textes européens et dans le dernier concept stratégique publié par l’OTAN, qui rappelle que l’UE est pour l’OTAN « un partenaire incontournable et sans équivalent », et que « les deux organisations jouent des rôles complémentaires, cohérents et se renforçant mutuellement ».

Contrairement à l’OTAN, dont les moyens sont exclusivement militaires, l’UE fait face à la guerre en Ukraine avec tous les moyens dont elle dispose. Elle prend des mesures dans les domaines politique, économique, financier ou énergétique. De ce point de vue, l’action de l’OTAN et celle de l’UE se complètent et concourent à la sécurité globale de l’Europe. Les deux organisations se renforcent mutuellement. L’adhésion à l’OTAN de la Suède et de la Finlande renforcera le pilier européen de l’organisation, en augmentant la part de ses membres, de ses capacités et de son budget provenant de l’UE.

La meilleure preuve qu’il est vain d’opposer la défense européenne et l’OTAN est le cas du Danemark. Membre de l’OTAN depuis sa création en 1949, ce pays s’est toujours tenu à l’écart de l’Europe de la défense, dès la conclusion du traité de Maastricht en 1992, bénéficiant à ce titre d’un opt-out. Or, face à la menace russe, le gouvernement danois a décidé de soumettre à référendum le maintien de cette exception. Le 1er juin, le peuple danois a voté à 67 % pour sa suppression, permettant au Danemark de participer pleinement à l’Europe de la défense.

La ratification des protocoles d’accession est une urgence. J’émets donc un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

Mme Anne Genetet. La demande d’adhésion qui nous est soumise constitue une décision historique pour la Suède – qui met fin à sa neutralité diplomatique – et pour la Finlande – avec la fin de la stricte neutralité qui s’était imposée à elle par la force des choses au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Mais elle est aussi historique pour les Européens, puisque ces deux États faisaient jusqu’à présent en quelque sorte office d’airbags entre l’ex-bloc soviétique et l’Europe que nous essayons de construire.

Pourquoi un tel revirement ? C’est bien l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis le 24 février qui change fondamentalement la donne.

Le texte qui nous est proposé permet de mesurer combien la déconnexion est forte entre cette prise de conscience par deux États plutôt pacifistes – qui aspirent à la démocratie et à la paix au sein de l’espace européen – et la position de certains partis politiques en France. Ces derniers expliquent sans trembler qu’il faudrait sortir du commandement intégré de l’Alliance atlantique, sans mesurer les conséquences que cela pourrait avoir pour la France.

L’OTAN est une alliance défensive, voire dissuasive, dirigée par les États qui en sont membres et où les décisions sont prises à l’unanimité. Depuis sa création, elle sert à nous défendre contre des menaces extérieures, à gérer des crises – y compris dans un contexte de menace terroriste toujours présente – et à coopérer en matière d’interopérabilité et d’opérations militaires, notamment en association avec la défense européenne. En tant que membre du commandement intégré de l’OTAN, la France dispose d’une capacité d’influence extrêmement importante. Elle bénéficie en outre d’une position originale grâce à sa force de dissuasion.

La Finlande et la Suède partagent avec la France les mêmes valeurs démocratiques et la même aspiration à la paix en Europe. Leur décision d’adhérer à l’Alliance est le fait de peuples souverains. La solidarité européenne commande de soutenir leur volonté d’autant que le temps est venu de renforcer la solidarité et l’unité des Européens face à l’adversité et aux menaces extérieures. Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance émettra un avis favorable à la demande de ratification de ces protocoles.

Quelles sont les perspectives de coopération de ces deux États avec l’Alliance et au sein de l’espace européen en termes d’exercices militaires conjoints ou de projets industriels ?

M. Laurent Jacobelli. J’éviterai les attaques sur les conceptions géostratégiques d’autres groupes. Personne ne détient la vérité et chacun peut avoir son opinion, Madame Genetet.

Deux enseignements peuvent être tirés de la crise en Ukraine.

Le premier est que nous sommes tous très attachés à l’indépendance et à la souveraineté des nations – et c’est encore plus vrai désormais. Elles sont libres de choisir leur destin, leurs alliances, leurs partenaires et leurs coopérations. Cette conclusion issue des tristes événements actuels s’applique à la Suède comme à la Finlande, et nous ne souhaitons pas nous ingérer dans leurs choix ni d’une manière – en les poussant à aller dans les mains des Américains au sein de l’OTAN – ni d’une autre – en les empêchant d’adhérer à l’Alliance alors qu’elles le souhaitent. Au demeurant, la neutralité de la Finlande et de la Suède est théorique. La Suède entretient déjà des relations très étroites avec les États-Unis. Elle n’a pas renoncé par hasard à son programme nucléaire militaire dans les années 1980. En contrepartie, les États-Unis lui ont apporté la garantie d’une assistance militaire en cas d’attaque, à l’époque par l’URSS – à laquelle on voit bien que la Russie d’aujourd’hui tend à ressembler, en tout cas géographiquement.

Nous sommes également très attachés à la coopération avec la Finlande et la Suède. Faut-il en passer par l’OTAN ? C’est un débat. Il y a d’autres structures pour le faire. Ces deux États nous ont ainsi aidés lors des opérations au Sahel – ce qui est assez rare pour être souligné – et nous devons annoncer que nous nous trouverons à leurs côtés, de manière indéfectible.

Deuxième enseignement de la crise ukrainienne : la méthode diplomatique n’a pas été employée jusqu’à son terme. On a très clairement désigné l’ennemi – et il est vrai que la Russie est l’envahisseur. Alors que des discussions se poursuivent, le moment est-il opportun de lui envoyer un signal qui pourrait être perçu comme belliqueux ? La rapporteure a souligné les déclarations un peu complexes de la Russie, qui estime en somme que la Finlande et la Suède peuvent faire ce qu’elles veulent mais qu’elle saura en tirer les conclusions si l’OTAN se rapproche.

Dans ce contexte, est-il prudent d’accélérer le processus d’adhésion ? N’est-ce pas un signe négatif pour la paix ? Le groupe Rassemblement national considère que l’on n’est pas allé au bout des efforts diplomatiques et qu’ils ne sont pas assez puissants. Nous nous abstiendrons donc.

M. Aurélien Saintoul. La Finlande et la Suède occupent une place particulière sur la scène européenne et mondiale. Leur diplomatie est caractérisée par une véritable modération et par le souci constant de privilégier le règlement pacifique des conflits ainsi que la consolidation d’un ordre international fondé sur le droit.

Cette sensibilité et les vicissitudes de l’histoire les ont conduits à choisir la neutralité au cours de la guerre froide. Depuis la fin du bloc soviétique, ces États ont opté pour une approche moins stricte, qu’on peut qualifier de non-alignée. Ces choix leur ont garanti la paix et la sécurité.

En raison de l’agression de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine et de la dégradation globale de l’architecture de sécurité, la Finlande et la Suède ont choisi de solliciter leur adhésion à l’OTAN. La demande est certes compréhensible compte tenu du contexte. Mais l’on peut toutefois s’interroger sur les conséquences d’une telle adhésion.

La procédure a été engagée hâtivement et alimente un mécanisme de polarisation extrême des relations internationales, qui n’est pas dans l’intérêt de la France – ni même selon moi dans celui de la Finlande et de la Suède. Leur statut de membre de l’Union européenne garantit déjà notre solidarité en cas d’agression. La participation aux exercices militaires menés par l’OTAN leur offre des moyens pour obtenir l’aide et l’appui des États de l’Alliance, afin de prévenir une éventuelle menace ou d’y faire face. Par ailleurs, on constate que la protection d’une alliance militaire n’est pas de nature à déjouer les menaces de la guerre hybride – pour l’heure, l’OTAN n’apporte aucune solution à la guerre du gaz et du pétrole.

Dans ces conditions, changer de statut et intégrer pleinement l’Alliance constituerait avant tout un choix politique, contribuant à superposer toujours davantage l’OTAN et l’Union européenne. Dans la mesure où la prépondérance des États-Unis au sein de l’Alliance ne fait aucun doute, ce processus est dangereux. Il tend à réduire encore la marge de manœuvre des États européens dans la défense de leurs intérêts et dans la promotion de leur singularité politique, culturelle et économique. En outre, si cette adhésion n’implique pas l’installation de bases de l’OTAN en Finlande et en Suède, nul ne peut assurer que ce ne sera pas le cas à l’avenir. Personne n’aurait ainsi pu imaginer en janvier dernier que ces deux pays seraient candidats à l’adhésion durant l’été.

Prenons garde de ne pas précipiter une décision sur laquelle il sera certes possible en théorie de revenir mais qui, dans la pratique, engage nos pays pour de nombreuses années.

Enfin, je ne peux terminer sans évoquer la transaction inacceptable qui a eu lieu pour que la Turquie lève son veto à l’adhésion de ces deux pays. M. Erdoğan a obtenu que les militants kurdes ne puissent plus désormais trouver un refuge sûr en Finlande et en Suède. La France elle-même a manqué de courage pour protéger nos alliés ces dernières années. Tant et si bien qu’on est tenté de croire que ce chantage odieux est la première des contorsions auxquelles conduit le plus souvent l’enrôlement au sein d’une alliance comme l’OTAN. Cela ternit déjà singulièrement la stratégie internationale de la Finlande et de la Suède, dont on pressent qu’elles risqueraient de perdre beaucoup de leur indépendance et de leur capacité d’action au service de la paix en adhérant à l’OTAN.

M. Jean-Louis Thiériot. Il n’y a pas de politique en dehors des réalités. La réalité actuelle en Europe c’est qu’il y a un agressé, un agresseur et une menace. Les erreurs éventuelles que l’Ouest aurait pu commettre – en particulier avec la redéfinition des frontières de la Serbie avec le Kosovo – n’excusent en rien les crimes des autres. La réalité est que l’OTAN est indispensable à la sécurité collective de l’Europe.

Si l’on revient aux réalités, il faut poser quelques principes.

Le premier est qu’il est faux de dire que l’extension de l’OTAN résulte d’une volonté impérialiste américaine. Il s’agit du choix de peuples libres, qui ont connu le communisme et la botte russe et qui ont fait le choix de la liberté. On doit le respecter. Les extensions précédentes de l’Alliance ont résulté de ce choix ; c’est désormais celui de la Finlande et de la Suède qui, après l’expérience de la neutralité, souhaitent nous rejoindre. Nous l’acceptons d’autant plus volontiers que nous avons soutenu la Finlande du maréchal Mannerheim en 1939-1940, lorsqu’elle était victime de l’agression soviétique.

Deuxième point : il faut aller sur place en Europe de l’Est, par exemple dans les Pays baltes et en Pologne – comme je l’ai fait lors de la précédente législature – et en Roumanie – d’où revient une délégation de notre commission – pour comprendre que ces peuples attendent la sécurité. La réalité politique fait qu’ils ne croient pas à la sécurité en dehors de l’OTAN et du parapluie américain. On peut le regretter, mais c’est un fait.

Rêver d’un splendide isolement est une illusion absolue. On estime qu’il faudrait entre 400 et 500 pièces d’artillerie lourde pour répondre aux besoins en Europe. Le camion équipé d’un système d’artillerie (CAESAR) est probablement l’un des meilleurs canons du monde, mais comme l’on est capable d’en produire seulement 25 par an, il faut bien aller en chercher ailleurs.

Enfin, croire que l’extension de l’OTAN répond aux intérêts américains est une erreur majeure. Cet élargissement retarde la mise en œuvre du pivot que les États-Unis auraient voulu effectuer vers l’Asie et l’Extrême-Orient. C’est la réalité qui impose le choix de l’extension, pas les intérêts américains.

Dans ces conditions, l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est une nécessité. C’est la seule manière de répondre à l’Évangile de la force que propagent les Russes. Le discours d’apaisement est une folie. Churchill disait : « Un conciliateur c’est quelqu’un qui nourrit un crocodile en espérant qu’il sera le dernier à être mangé. »

Le groupe LR est un des partis de la liberté. La liberté consiste désormais à retrouver une part de la grammaire de la guerre froide. C’est savoir que nous sommes le monde libre. Et parce que nous aimons le monde libre et que nous le défendons, nous soutiendrons bien entendu l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN.

Mme Josy Poueyto. Ce projet de loi de ratification des deux protocoles relatifs à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est une nouvelle fois l’occasion de souligner que la paix et la sécurité dans le monde sont essentielles pour notre pays.

Ces démarches d’adhésion illustrent un changement sécuritaire important et une prise de conscience indispensable dans le contexte actuel. Ces deux pays, marqués par une longue tradition de neutralité, franchissent un cap pour rejoindre les trente membres de l’Alliance.

Le groupe Démocrate s’en réjouit vivement : la Finlande et la Suède jouent déjà pleinement leur rôle au sein de l’Union Européenne et nous entretenons avec elles une forte coopération bilatérale en matière de sécurité et de défense. Leur adhésion à l’OTAN renforcera non seulement leur propre sécurité, mais elle représentera aussi un gain immédiat pour la sécurité de l’Europe et de la zone euro-atlantique. La Finlande et la Suède disposent en effet de capacités de défense robustes, qu’elles se sont engagées à renforcer dans les prochaines années.

Les agressions répétées de la Russie font craindre le retour à une période que nous pensions révolue. Aussi est-ce avec beaucoup de responsabilité et de gravité que nous soutenons ces processus d’adhésion à l’OTAN. De la sorte, vingt-trois États membres de l’UE en feront partie. C’est une satisfaction car la défense européenne ne peut se concevoir sans l’OTAN.

On peut noter que les étapes de ces adhésions sont franchies rapidement et que le veto de la Turquie a été levé – contre toute attente – au prix d’un accord qui ne lie ni l’OTAN ni aucun de ses membres. Mais la réalité de la menace russe justifie cette rapidité. Il est essentiel que ces deux pays bénéficient rapidement de la clause de défense mutuelle de l’article 5 du traité de Washington.

Notre groupe souhaite que la commission émette un avis favorable à la ratification de ces protocoles, comme l’a fait le Sénat.

Mme Isabelle Santiago. Le projet de loi dont nous sommes saisis nous ramène à l’actualité la plus grave, dont nous avons pu constater les effets lors d’un récent déplacement en Roumanie.

Le texte nous rappelle notre rôle dans la prise en compte de la redéfinition de la géopolitique mondiale et européenne. Ce débat dépasse les autres discussions en cours et s’impose par son urgente nécessité.

La manière dont le contexte stratégique a été modifié par l’attaque russe en Ukraine a déjà été très bien exposée par tous les orateurs. La situation géographique de la Finlande et de la Suède les amène à chercher un moyen juridique pour protéger leur intégrité territoriale. La Finlande partage en effet une frontière de près de 1 400 kilomètres avec la Russie. Historiquement neutres, la Finlande et la Suède aideront désormais à sécuriser l’ensemble du flanc oriental de l’Alliance – puisque c’est bien de cela qu’il s’agit. L’accélération du processus d’adhésion montre l’urgence de la situation.

Notre vote va témoigner d’une nécessaire solidarité. Il n’empêche pas de s’interroger sur l’accord tripartite entre la Finlande, la Suède et la Turquie. Nous sommes assez inquiets au sujet de la levée de l’embargo sur la vente de certaines armes, ainsi bien entendu que pour le peuple kurde. Il s’est tenu fermement à nos côtés durant la guerre en Syrie et nous sommes extrêmement attentifs à sa protection.

Dans cette situation géopolitique qui n’était pas envisagée en janvier dernier, il apparaît clairement que l’Europe de la défense a redonné des couleurs à l’OTAN, qui en sort extrêmement renforcée. Comme nous avons pu le voir en Roumanie, l’OTAN est très attendue pour protéger son flanc Est. Il conviendra de réfléchir au renforcement de l’autonomie stratégique européenne, en coordination avec l’OTAN.

Compte tenu de la situation actuelle, notre groupe est favorable à la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède.

Mme Anne Le Hénanff. L’agression de l’Ukraine par la Russie précipite l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, ce processus étant fortement soutenu par leur population.

Ces deux États souhaitent ainsi préserver leur souveraineté nationale et défendre leurs valeurs démocratiques. Leur outil de défense est très structuré et des coopérations sont déjà nouées avec des États européens – dont en particulier la France –, dans le cadre de l’OTAN ou de manière bilatérale.

L’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN aura pour effet de renforcer, en son sein, le poids de l’Europe face aux États-Unis. Elle contribuera également à stabiliser la zone des Balkans.

Le groupe Horizons et apparentés est évidemment favorable à l’entrée de ces deux pays au sein de l’OTAN. Il me semblerait toutefois utile que notre commission ait une discussion, au moins bilatérale, avec la Finlande et la Suède, au sujet des Kurdes : nous devons savoir, en toute transparence, quelle est la teneur des négociations.

Mme Cyrielle Chatelain. Voilà 153 jours que la guerre a ressurgi aux portes de l’Europe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un choc, même si elle a succédé à l’annexion de la Crimée et à la guerre du Donbass. Durant huit années, par crainte des déséquilibres économiques et politiques qui pouvaient résulter d’un conflit avec la Russie, tout a été mis en œuvre pour privilégier une solution diplomatique et préserver la paix.

Face à cette invasion, la position du groupe Écologiste-NUPES est claire : c’est celle d’un soutien à l’Ukraine, à son peuple et à son armée, pour qu’elle puisse se défendre et préserver son intégrité territoriale. Et c’est dans le même état d’esprit que nous abordons la demande d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord.

Alors que la guerre s’installe, nous ne devons pas oublier les exactions commises par les Russes à l’encontre du peuple ukrainien : le bombardement d’une maternité à Marioupol, la torture et l’exécution de civils à Boutcha, les viols à Brovary. Face à ce déferlement de violence et au bouleversement des équilibres géopolitiques mondiaux, nous ne pouvons que comprendre le souhait de la Suède et de la Finlande de rejoindre l’Alliance atlantique, en mettant ainsi fin à une position historique de neutralité. En cette période de tensions, ce protocole d’adhésion ne doit pas se traduire par le déploiement de forces de l’Alliance en Finlande et en Suède sur les 1 340 kilomètres de frontière commune avec la Russie. De même, pour les écologistes, l’enjeu n’est pas la revitalisation politique de l’OTAN, au contraire. Ce que nous devons nous demander, c’est pourquoi, soixante-dix ans après la création de l’Union européenne, la Finlande et la Suède se trouvent contraintes d’aller chercher une protection auprès de l’OTAN.

Les écologistes l’ont toujours dit : pour assurer la sécurité des peuples, la défense de nos frontières et le maintien de la paix, une défense européenne est nécessaire. Elle devient incontournable en cette période de tensions internationales ; elle seule nous permettra de conserver une autonomie diplomatique et stratégique vis-à-vis de notre partenaire étasunien. La France, du fait de l’expérience de ses forces armées et du savoir-faire des femmes et des hommes qui les composent, doit jouer un rôle moteur dans la constitution de cette défense européenne. Elle doit passer par une coordination entre pays européens, mais aussi par un renforcement et un approfondissement des coopérations entre l’Union européenne et les organisations multilatérales – l’OTAN, mais aussi l’ONU. La position tenue par la France lors du sommet de l’OTAN des 28, 29 et 30 juin au sujet du renforcement du pilier européen semble aller dans ce sens.

Je regrette les conditions imposées par la Turquie à l’intégration de la Finlande et de la Suède à l’OTAN ; elles sont contraires au respect des droits humains et fragilisent le PKK, qui a été un allié face à la menace terroriste.

M. Loïc Kervran, président. Madame Le Hénanff, sachez que nous recevrons en septembre une délégation de députés finlandais. Nous pouvons envisager d’associer à cette visite les membres de notre commission qui le souhaiteront.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure. L’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande, deux pays restés jusqu’ici attachés à leur neutralité, constitue un revirement historique, mais c’est le choix de peuples libres et souverains – nombre d’entre vous l’ont justement rappelé. Dès lors, il n’y a pas lieu de se demander, comme l’ont fait MM. Saintoul et Jacobelli, si cette décision intervient au bon moment ou si elle présente un intérêt pour ces pays. Il s’agit de choix souverains, votés par leurs parlements : nous devons les respecter.

Madame Genetet, vous m’interrogez sur les perspectives de coopération entre la Suède, la Finlande et l’OTAN. Ces deux pays participent aux exercices organisés dans le cadre de l’OTAN depuis 1994 et ils ont intégré l’initiative pour l’interopérabilité en 2014. Par ailleurs, la Finlande abrite depuis 2017 le centre d’excellence pour la lutte contre les menaces hybrides. Cela confirme la congruence entre la défense européenne et la défense collective de l’Europe via l’OTAN. J’ajoute, enfin, que ces deux pays ont participé à des opérations au Sahel pour le compte de l’Europe.

Monsieur Jacobelli, pour nous, il ne fait pas de doute que l’agresseur est bien la Russie. Lorsqu’on est mis devant le fait accompli, lorsqu’on est face à une agression, la prudence n’est plus de mise. La réponse des pays européens a été unanime. On a utilisé la diplomatie tant qu’on l’a pu ; jusqu’au bout, le président Macron a tenté de maintenir le dialogue avec le président Poutine ; ensuite, nous avons pris des sanctions ; et il s’agit maintenant de protéger nos frontières. C’est ce à quoi s’emploient les pays alliés de l’OTAN, à la frontière orientale de l’Europe.

Monsieur Saintoul, vous craignez que l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN affaiblisse la puissance européenne – ou l’Europe de la défense. J’ai pour habitude de faire une distinction entre la défense collective de l’Europe, qui appartient à l’OTAN et à l’Union européenne, d’une part, et l’Europe de la défense, d’autre part. Cette dernière est plus large et inclut une notion de souveraineté, notamment en matière technologique : il s’agit de s’assurer que nous aurons, dans le futur, un armement de pointe, assuré par notre base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne. L’Europe de la défense, c’est plus que la défense de l’Europe, mais la défense et la stabilité en Europe reposent à la fois sur l’Union européenne et sur l’OTAN.

Nombre d’entre vous m’ont interrogée au sujet de l’accord conclu le 28 juin par ces deux pays avec la Turquie. Il s’agit d’un accord tripartite dans lequel la France n’est pas partie prenante. Elle veillera évidemment, comme tous les autres pays, à ce que la Turquie n’oppose pas de nouveau son veto. En tant que parlementaires français, nous devons autoriser la ratification de cet accord.

Madame Chatelain, le PKK est considéré par l’Union européenne comme une organisation terroriste. Si nous devons nous poser des questions, c’est plutôt au sujet des Kurdes syriens et du YPG. En tant que parlementaires, nous prêterons évidemment attention à la suite des négociations mais le droit européen, notamment en matière d’extradition, ne devrait pas être remis en cause par l’accord qui a été signé. Il existe une base juridique européenne protectrice.

La Roumanie, la Pologne, l’Estonie et les autres Pays baltes ont des attentes très fortes, que l’on peut qualifier d’existentielles. Monsieur Thiériot, vous nous avez dit combien votre voyage en Roumanie vous avait permis de le comprendre.

Madame Poueyto, vous avez justement rappelé que l’OTAN va compter deux pays européens de plus : de vingt et un, ils vont passer à vingt-trois, sur trente-deux pays membres de l’Alliance. Le poids de l’Europe au sein de l’OTAN va s’en trouver renforcé. Plus les pays européens seront nombreux, plus nous serons audibles. En effet, même si la France et l’Allemagne sont déjà de gros contributeurs, les États-Unis restent le premier, à tous points de vue.

S’agissant de la levée de l’embargo sur la vente de certaines armes vers la Turquie, toutes les règles européennes demeurent, y compris celles qui lient les partenaires européens en matière d’exportations d’armes, quel que soit le pays concerné.

Comme le président l’a indiqué, ceux d’entre vous qui le souhaitent pourront rencontrer nos homologues finlandais à la rentrée. Les membres de la commission des affaires étrangères seront également concernés. Je ne peux qu’encourager ces formes de transparlementarisme.

M. Lionel Royer-Perreaut. L’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN a nécessité la levée du veto turc, qui ne s’est pas faite sans contreparties : les groupes armés kurdes ont été qualifiés de terroristes et un transfert d’armement des pays nordiques vers la Turquie a été autorisé. Avons-nous des informations plus précises au sujet de ces transferts d’armement ? Comment notre pays se positionne-t-il sur cette question ?

La procédure d’entrée dans l’OTAN, le Membership Action Plan, même si elle est moins longue que la procédure d’adhésion à l’Union européenne, prend tout de même un certain temps, puisqu’elle comporte sept chapitres. Combien de temps faudra-t-il pour aboutir à l’adhésion complète de la Suède et de la Finlande à l’OTAN ?

M. Frédéric Mathieu. Je veux tout d’abord revenir sur le chantage turc au sujet des Kurdes. On ne peut pas se contenter de dire que le PKK figure sur la liste des organisations terroristes ; mon mouvement politique milite précisément pour qu’il en soit retiré. On ne peut pas scinder les choses : il existe un continuum de peuple, de revendication politique et de combat par-delà les frontières. On ne peut pas rejeter le Kurde lorsqu’il est à l’intérieur des frontières turques et l’applaudir lorsqu’il se bat avec nous contre Daech.

Chacun est évidemment libre de sa parole, mais j’ai été surpris par quelques interventions qui confondent l’OTAN et la défense européenne, alors que ce sont deux choses tout à fait distinctes. Si l’on veut envisager l’avenir de manière intelligente – je pense notamment à la base industrielle et technologique de défense –, il faut se garder des raisonnements simplistes. L’OTAN – ce n’est un secret pour personne, tout le monde le dit à Washington et elle a été conçue pour cela –, est le VRP de l’industrie d’armement américaine. Or, qui dit industrie d’armement dit aussi choix stratégique, dès lors qu’on épouse les armements et l’interopérabilité américains.

L’agression russe, les exactions commises et l’émotion qu’elles ont pu susciter ne justifient aucunement que nous remettions les clés de notre défense à la Maison-Blanche. L’OTAN ne fonctionne pas mieux depuis que Trump a quitté la Maison-Blanche ou que Poutine a agressé la Russie. En tant que représentation nationale, nous devons faire preuve de mesure face à la complexité de la situation.

M. Yannick Chenevard. Pendant toute la guerre froide, ni la Finlande ni la Suède n'avaient souhaité rejoindre l'alliance défensive, militaire, qu'est l'OTAN et tout le monde s’accommodait parfaitement de cette « finlandisation », synonyme de situation d'équilibre. Pourtant, la Finlande possède 1 340 kilomètres de frontière avec la Russie. Elle compte 5,5 millions d'habitants, quand les Russes sont 150 millions et disposent de forces militaires sans commune mesure. Si la Finlande et la Suède demandent désormais à accéder à l’OTAN, c'est que la peur d'une agression est extrêmement présente.

J’ai sans doute mal entendu, mais il m’a semblé que certains expliquaient que nous étions les agresseurs de la Russie. Ne confondons pas l’agresseur et l’agressé. En l’occurrence, une nation démocratique a été agressée, et en partie envahie, par une autre nation. Il est donc normal que les pays riverains, militairement faibles par rapport à la Russie, souhaitent intégrer l’organisation défensive de l'OTAN.

M. Laurent Jacobelli. Nous avons tous été sous le choc de l'agression de l'Ukraine par la Russie et nous souhaitons tous trouver des solutions mais la facilité, les embardées ou les caricatures ne sont pas la meilleure réponse. Il y a huit mois, un Président de la République nous expliquait que l'OTAN était en état de mort cérébrale ; désormais, ses partisans à l’Assemblée nous disent qu'elle est l'alpha et l'oméga de la défense de chaque pays.

Il faut raison garder ! Nous comprenons la volonté de la Suède et de la Finlande d'adhérer à l'OTAN, mais notre objectif n'est pas la guerre. Madame la rapporteure, j'ai été surpris par vos propos, par ailleurs toujours très précis et clairs. Vous nous avez expliqué que la diplomatie, pas plus que les représailles économiques, n’avaient fonctionné et que la Russie était notre ennemi. J'ai très peur de la troisième étape. Ne laissons pas imaginer par notre attitude que nous souhaitons une troisième guerre mondiale.

Évitons les embardées et les raccourcis historiques, ainsi que les solutions manichéennes. Il est acquis que la Suède et la Finlande ont notre appui total, tout comme celui des États-Unis. Faut-il le formaliser ? Pourquoi pas, c'est leur choix. Mais veillons à conserver un discours équilibré et ne nous précipitons pas.

M. Julien Bayou. J’apporte également le soutien de mon groupe aux minorités kurdes et à leur demande d'autodétermination. Je tiens à souligner l'hypocrisie qui consiste à se réjouir de leurs actions à Kobané ou à Mossoul, tout en les traitant de terroristes – ou en acceptant leur qualification de terroristes en Turquie. Notre pays ne devrait pas tergiverser quand il s'agit de soutenir les minorités, les droits humains et le droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes.

De la même manière, il faut battre en brèche toutes les confusions qui ont pu émailler certaines interventions. La Russie est seule responsable du retour en grâce de l'OTAN. La Russie est l’agresseur, l'Ukraine, l’agressé, et l’ensemble de l’Europe est menacé. Il faut prendre cette affaire pour ce qu’elle est : la menace appelle un sursaut de solidarité internationale et européenne – c’est d’ailleurs ce qui a permis jusqu'ici de soutenir l'Ukraine. Elle appelle aussi un sursaut dans la prise de conscience d'une nécessaire défense européenne. Les écologistes, et d'autres, plaident en ce sens depuis longtemps et, si cette position apparaissait chimérique ou illusoire, les derniers développements montrent à quel point elle est au contraire pertinente et urgente.

Mme Natalia Pouzyreff, rapporteure. Monsieur Royer-Perreaut, depuis 1994, la Finlande et la Suède sont parfaitement intégrées au processus et aux exercices de l'OTAN, notamment en termes d’interopérabilité. C’est pourquoi le processus a été très rapide, les demandes d'accession datant du 18 mai et les protocoles ayant été signés le 5 juillet dernier. Reste l’étape de la ratification par les trente pays alliés au sein de l'OTAN.

Monsieur Mathieu et Monsieur Bayou, au cours du précédent quinquennat, vous ne pouvez pas dire que nous avons fait preuve d'hypocrisie vis-à-vis des Kurdes. Nous avons toujours soutenu les Kurdes syriens, qui nous ont eux-mêmes soutenus dans la lutte contre Daech – il s’agissait d’une position unanime sur les bancs de l'Assemblée. Personne ne veut nier le rôle qu’ils ont joué dans ce combat.

Mais il ne faut pas entretenir la confusion entre le parti des travailleurs du PKK et les unités de protection du peuple, ou YPG. On peut le regretter mais il n’existe pas de position kurde unifiée, que ce soit en Syrie, en Irak ou en Turquie. Enfin, aux yeux de l'Union Européenne, il existe également une différence puisque le PKK est considéré comme une organisation terroriste – ce que confirme le protocole d'accord de la Finlande et de la Suède. Concernant le YPG, le mémorandum Turquie-Finlande-Suède précise que la Finlande et la Suède ne lui fourniront aucun soutien.

Monsieur Mathieu, vous craignez que nous ne cédions aux sirènes américaines et que cela ouvre encore plus la porte à l'achat d’armement américain. Vous avez raison, les pays européens achètent beaucoup d'armements américains, mais ils n’ont pas attendu l'accession de la Finlande et la Suède à l’OTAN pour le faire. En revanche, nous pouvons nous féliciter du sursaut européen car les budgets de la défense sont en hausse dans tous les pays européens. Avant d’alimenter les achats de matériel américain, cela doit surtout alimenter ceux de matériel européen. C'est la position qu’a toujours défendue la France par la voix de son Président. Durant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons progressé. Bien sûr, il faut toujours être vigilants par rapport aux pays tiers coopérants. Je vous renvoie à la lecture du rapport que j'ai rédigé avec ma collègue Michèle Tabarot sur la coopération structurée permanente (CSP) en Europe, qui répondra à vos questions.

Monsieur Chenevard, vous avez raison, il ne faut pas confondre l'agresseur avec l'agressé.

Monsieur Jacobelli, je persiste à employer le terme de résurrection car l’OTAN a bien été, à un moment donné, en état de mort cérébrale. C’est certes une organisation militaire qui a toujours bien fonctionné, dont les rouages sont très bien huilés et qui sait fédérer, mais c'est aussi une organisation politique et, quand la volonté politique disparaît ou que le discours politique change complètement – comme ce fut parfois le cas sous la présidence de Donald Trump –, on peut s’interroger sur la vision et les objectifs de l’organisation. Nous sommes désormais dans une autre époque, les faits le prouvent.

Enfin, vous ne pouvez m’accuser de bellicisme car j'ai bien précisé que l'OTAN était utile pour protéger nos frontières, et les pays frontaliers de l'Union européenne, mais que nous, Européens, n’étions pas en guerre.

La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

M. Loïc Kervran, président. La commission des affaires étrangères examinera le projet de loi au fond demain matin à onze heures. La rapporteure pour avis portera les propositions de la commission de la défense. Le projet de loi sera débattu en séance publique le 2 août.

 


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   Annexe n° 1 : texte adoptÉ par la commission
des affaires ÉtrangÈres

 

Article 1er

(Non modifié)

 

Est autorisée la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République de Finlande.

 

Article 2

(Non modifié)

 

Est autorisée la ratification du protocole au Traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Royaume de Suède.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 157)

 

 


—  1  —

 

   Annexe n° 2 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

S.E. Mme Muriel Domenach, ambassadrice de France auprès de l’OTAN ;

M. Camille Grand, secrétaire général adjoint pour l’investissement de défense de l’OTAN ;

M. Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), et Mme Amélie Zima, chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM).

 

Le rapporteur a réalisé une mission en Suède et au Finlande en mars 2022.

Il a par ailleurs reçu, le 23 mai 2022, S.E. Teemu Tanner, ambassadeur de Finlande en France, et S.E. Håkan Åkesson, ambassadeur de Suède en France.

 


([1]) Belgique, Canada, Danemark, États-Unis, France, Islande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni.

([2]) Voir notamment l’article de Bruno Tertrais, « L’élargissement de l’OTAN : ni développement naturel, ni erreur historique », dans Questions internationales, « À quoi sert l’OTAN ? », n° 111, janvier-février 2022.

([3])  Voir notamment l’article du Dr Martin Lundmark, « Sweden and Finland steering towards NATO – absent anchorage in Ankara », Fondation pour la recherche stratégique, Défense & Industries, n° 16, juin 2022.

([4]) Voir notamment l’article de M. Lucas Lubin, « L’Europe du Nord après la guerre en Ukraine : revirement stratégique ou ajustements ? », Fondation pour la recherche stratégique, note n° 24/22, 27 juin 2022.

([5]) Rapport gouvernemental sur les changements dans l’environnement de sécurité, publié le 13 avril 2022.

([6]) Rapport, « Détérioration de l’environnement sécuritaire – implications pour la Suède », publié le 13 mai 2022.

([7]) Selon une étude de la radiotélévision publique YLE conduite par l’institut de recherche Taloustutkimus.

([8]) Selon un sondage d’opinion DN/Ipsos.

([9]) Traduction de l’auteur.

([10]) Canada, Danemark, Islande, Norvège, Royaume-Uni, Estonie, Albanie, Pologne, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas, Bulgarie, Lettonie, Slovénie, Croatie, Lituanie, Roumanie et Belgique.

([11]) Amélie Zima, « OTAN-Ukraine : quelle perspective d’adhésion ? », IRSEM, brève stratégique n° 32, 4 mars 2022.

([12]) Bruno Tertrais, « L’élargissement de l’OTAN : ni développement naturel, ni erreur historique », dans Questions internationales, « À quoi sert l’OTAN ? », n° 111, janvier-février 2022.

[13] Les États membres sont l’Albanie, l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, le Canada, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les États-Unis, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Turquie.