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N° 277

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 septembre 2022

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

relative à la charge fiscale de la pension alimentaire(n° 209),

PAR Mme Aude LUQUET

Députée

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 Voir le numéro : 209


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. La contribution À l’entretien et l’Éducation de l’enfant tente de rÉpondre aux besoins de l’enfant et aux difficultÉs rencontrÉes par le parent qui en a la garde.

1. Le rôle indispensable de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant (CEEE)

2. Malgré le volontarisme des pouvoirs publics, la CEEE reste insuffisante au regard du coût que représente la garde d’un enfant

II. Une fiscalisation des pensions alimentaires reçues au titre de la contribution pour l’entretien et l’Éducation de l’enfant qui interroge.

A. la contribution À l’entretien et l’Éducation de l’enfant ne devraiENt pas Être considÉrÉe comme un revenu pour le parent crÉditeur

B. l’articulation de la fiscalisation des contributions à l’Éducation et l’entretien de l’enfant avec le quotient familial

1. La cohérence d’ensemble du système fiscal est fondée sur la reconnaissance de la charge des membres du foyer fiscal par l’attribution de parts fiscales supplémentaires

2. Mais cette cohérence ne répond pas à la priorité devant être donnée à l’intérêt de l’enfant et est particulièrement favorable aux débiteurs aisés

III. Le dispositif proposÉ par la proposition de loi vise À renverser la charge fiscale portant sur les contributions À l’entretien et l’Éducation de l’enfant

A. Un soutien aux parents gardiens

1. Un gain limité mais réel concernant l’impôt sur le revenu…

2. …complété par une augmentation des prestations sociales et familiales touchant les ménages qui ne paient pas nécessairement l’impôt sur le revenu

B. Des effets importants pour les dÉbiteurs

Travaux en commission

Discussion générale

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er [article 80 septies du code général des impôts] Exonération d’impôt sur le revenu des pensions alimentaires reçues pour la contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur

I. L’ÉTAT DU DROIT existant

A. Une contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant prévue par le code civil

B. Le régime fiscal des pensions alimentaires pour le parent ayant la charge d’un engant

II. Le dispositif proposÉ

III. la position de la commission : La nÉcessitÉ d’améliorer la situation des crÉanciers sans affecter trop fortement celle des dÉbiteurs nÉcessite de repenser le dispositif

a. La définition du revenu fiscal de référence (RFR)

b. Les effets de la déduction proposée

Article 2 [article 156 du code général des impôts] Restriction de la déductibilité de la pension alimentaire versée pour un enfant mineur aux sommes supérieures à 4 000 euros par an et par enfant et 12 000 euros par an.

I. Le droit existant

II. le dispositif proposÉ

III. La position de la commission

Article 3  Gage

Liste des personnes auditionnÉes PAR LA rapporteurE


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   Introduction

Les inégalités économiques entre les hommes et les femmes, et la priorité qui doit être donnée à l’intérêt de l’enfant, conduisent aujourd’hui à repenser la fiscalité qui s’applique au versement des pensions alimentaires destinées à l’entretien et à l’éducation des enfants en cas de séparation des parents.

I.   La contribution À l’entretien et l’Éducation de l’enfant tente de rÉpondre aux besoins de l’enfant et aux difficultÉs rencontrÉes par le parent qui en a la garde.

Une rupture a souvent des conséquences économiques différenciées selon le genre : un divorce ou une rupture de pacs est à l’origine d’une perte moyenne de niveau de vie de 19 % pour les femmes contre seulement 2,5 % pour les hommes([1]). S’appuyant sur les données de l’INSEE, le rapport d’information des députés Sophie Auconie et Guillaume Gouffier-Cha publié en juillet 2019([2]) indique que le niveau de vie des femmes concernées par cette étude baisse de l’ordre de 14,5 % en moyenne entre 2008, où elles vivaient en couple, et 2010, où elles vivent sans conjoint. Ce niveau de vie aurait augmenté de 5,5 % si elles étaient restées en couple. Pour les hommes vivant sans conjointe en 2010, le niveau de vie après rupture est, en moyenne, plus élevé qu’avant (+ 3,5 %).

Les facteurs explicatifs de cette inégalité, connus et documentés, sont multiples : rémunération inégale entre les hommes et les femmes (les femmes gagnent 17 % de moins que les hommes en équivalent temps plein ([3])), obligation de quitter le logement familial plus fréquente, passage en temps partiel ou perte d’emploi en raison de difficultés de garde des enfants. Le rapport précité rappelle qu’un tiers des personnes concernées par la pauvreté en conditions de vie sont des familles monoparentales et que 85 % des mères inactives avec deux enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 60 % du salaire médian. Pour les mères qui ne se remettent pas immédiatement en couple, la monoparentalité constitue ainsi une cause majeure de la pauvreté (30 % des parents entrés en monoparentalité sont pauvres l’année de séparation contre 14 % avant la séparation).

1.   Le rôle indispensable de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant (CEEE)

Pour répondre aux besoins de l’enfant, une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (CEEE) est prévue, en cas de séparation, à l’article 373-2-2 du code civil sur le fondement de l’article 371-2 du même code qui prévoit que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant » sans que cette obligation ne cesse ni à la majorité de l’enfant ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré. Cette contribution peut prendre la forme d’une pension, mais aussi d'une prise en charge directe de frais exposés au profit de l'enfant ou être servie sous forme d'un droit d'usage et d'habitation.

Si la contribution prend la forme d’une pension, elle est versée par le parent non gardien au parent gardien ou par le parent qui, tout en partageant la garde avec le second, a un niveau de vie supérieur qui justifie une participation aux dépenses de ce second parent. Cette contribution doit être distinguée de la prestation compensatoire prévue par l’article 270 du code civil qui vise à corriger la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vies respectives.

La fixation du montant de la CEEE

Différents cas de figure se présentent pour la fixation de la contribution respective des deux parents à l’entretien et l’éducation de l’enfant :

– soit les parents fixent conventionnellement leur contribution respective. Cette convention peut prendre la forme d’une convention homologuée en justice par le juge aux affaires familiales (en vertu de l’article 373-2-7 du code civil) ou être intégrée à d’autres conventions : acte reçu en la forme authentique par un notaire, convention entre ex-concubins ou partenaires pacsés à laquelle l’organisme débiteur des prestations familiales donne force exécutoire ([4]), convention de divorce ou de séparation de corps par consentement mutuel non judiciaire récemment autorisée ;

– soit les parents ne parviennent pas à s’entendre. À défaut d’un accord trouvé après la médiation, la conciliation ou la procédure participative, le juge des affaires familiales fixe lui-même le montant de la pension alimentaire devant être versée. En 2010, le ministère de la justice a publié une table de référence permettant la fixation de la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants sous forme de pension alimentaire à destination des premiers présidents des cours d’appel et des procureurs généraux près les cours d’appel. Cette dernière devait permettre d’aboutir à une certaine homogénéité des pensions fixées par le juge affaires familiales sur l’ensemble du territoire. Cette table a été actualisée en 2020 afin d’augmenter le montant des CEEE et d’améliorer la situation des enfants séparés. Le montant de la pension alimentaire est calculé en fonction du mode de garde, des revenus du parent débiteur et du nombre d’enfants. Il ne prend pas en compte le niveau de besoins réels de l’enfant ni les ressources du parent créancier.

extrait de la table de référence de 2020 permettant la fixation de la contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant

(en euros)

Revenu du débiteur (montant total)

Revenu du débiteur (minimum vital)

Revenu du débiteur (après déduction)

1 enfant REDUIT*

1 enfant CLASSIQUE*

1 enfant ALTERNE*

Proportion

 

 

18,00 %

13,50 %

9,00 %

700

565

135

24

18

12

800

565

235

42

32

21

900

565

335

60

45

30

1 000

565

435

78

59

39

1 100

565

535

96

72

48

1 200

565

635

114

86

57

1 300

565

735

132

99

66

1 400

565

835

150

113

75

1 500

565

935

168

126

84

1 600

565

1 035

186

140

93

1 700

565

1 135

204

153

102

1 800

565

1 235

222

167

111

1 900

565

1 335

240

180

120

2 000

565

1 435

258

194

129

2 100

565

1 535

276

207

138

2 200

565

1 635

294

221

147

2 300

565

1 735

312

234

156

2 400

565

1 835

330

248

165

2 500

565

1 935

348

261

174

2 600

565

2 035

366

275

183

2 700

565

2 135

384

288

192

2 800

565

2 235

402

302

201

2 900

565

2 335

420

315

210

3 000

565

2 435

438

329

219

3 100

565

2 535

456

342

228

3 200

565

2 635

474

356

237

3 300

565

2 735

492

369

246

3 400

565

2 835

510

383

255

3 500

565

2 935

528

396

264

3 600

565

3 035

546

410

273

3 700

565

3 135

564

423

282

3 800

565

3 235

582

437

291

3 900

565

3 335

600

450

300

4 000

565

3 435

618

464

309

4 100

565

3 535

636

477

318

4 200

565

3 635

654

491

327

4 300

565

3 735

672

504

336

4 400

565

3 835

690

518

345

4 500

565

3 935

708

531

354

4 600

565

4 035

726

545

363

4 700

565

4 135

744

558

372

4 800

565

4 235

762

572

381

4 900

565

4 335

780

585

390

5 000

565

4 435

798

599

399

Source : ministère de la justice, https://www.justice.fr/simulateurs/pensions-alimentaire/bareme.

* Les termes : réduit, classique et alterné correspondent aux différentes amplitudes du droit de visite et d'hébergement.

Si la pension alimentaire est fixée à un montant inférieur à celui de l’allocation de soutien familiale (ASF) ([5]) ou si le débiteur ne la verse pas, la différence est prise en charge par les caisses d’allocation familiale qui est, dans ce dernier cas, subrogée dans les droits du créancier.

Ces pensions alimentaires bénéficient dans l’immense majorité des cas, aux femmes. Le rapport publié par le Haut Conseil de la Famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) d’avril 2014 indique ainsi qu’en cas de séparation des parents, une contribution pour l’entretien et l’éducation de l’enfant est versée pour 7 enfants sur 10 et que la pension est versée par le père dans 97 % des cas ([6]). Selon le rapport d’information précité de Sophie Auconie et Guillaume Gouffier-Cha, environ 1,5 million de personnes déclarent avoir reçu une pension alimentaire (au titre de la CEEE ou de la prestation compensatoire) représentant un total de 5,7 milliards d’euros en 2018. Dans 90 % des cas, ce sont des familles monoparentales qui bénéficient de la pension, ces dernières étant elles-mêmes composées, dans 85 % des cas, d’une mère et de ses enfants. ([7])

2.   Malgré le volontarisme des pouvoirs publics, la CEEE reste insuffisante au regard du coût que représente la garde d’un enfant

Les pouvoirs publics se sont mobilisés depuis plusieurs années pour soutenir les familles devant bénéficier de pensions alimentaires. La mise en œuvre du service public des pensions alimentaires vise à lutter contre les impayés : création de l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires le 1er janvier 2017, possibilité donnée aux caisses d’allocations familiales ou de mutualité sociale agricole depuis octobre 2020 ([8]) de collecter et verser les pensions alimentaires à l’ensemble des familles monoparentales, possibilité donnée aux familles d’exiger ce versement depuis janvier 2021, etc. Une attention particulière a été portée aux plus fragiles comme le montre le projet de loi de finances de la sécurité sociale pour 2023 qui propose une augmentation de 50 % de l’allocation de soutien familial (ASF) dont le montant est aujourd’hui de 122,93 euros par mois.

Mais, malgré ces efforts, le niveau de la pension alimentaire fixé conventionnellement entre les parents ou par le juge permet rarement de compenser les charges représentées par la garde d’un enfant (le montant moyen mensuel des pensions alimentaires fixées par un juge aux affaires familiales était en 2012 de 170 euros par enfant ([9])). Céline Bessière, professeure de sociologie à l'Université Paris-Dauphine, l’a souligné au cours des auditions : « lorsqu’on étudie comment son montant est déterminé, la CEEE ne tient compte que des revenus du parent non-gardien, du nombre d’enfants et de la fréquence du droit de visite et d’hébergement. Elle ne tient pas compte ni des besoins des enfants, ni du revenu ou des conditions de vie du parent chez qui résident les enfants (la mère le plus souvent). Elle ne tient pas compte du coût du logement, ni du coût d’opportunité pour la carrière professionnelle de celles qui prennent en charge les enfants. Dans un tiers des situations judiciarisées, le parent non-gardien est déclaré impécunieux, et le parent gardien (une mère le plus souvent) est renvoyé vers l’allocation de soutien familial versée par la CAF ».

II.   Une fiscalisation des pensions alimentaires reçues au titre de la contribution pour l’entretien et l’Éducation de l’enfant qui interroge.

Alors que la situation des familles devant bénéficier d’une pension alimentaire est très souvent fragile, le traitement fiscal des pensions alimentaires demeure défavorable aux parents qui ont la charge des enfants : la pension alimentaire versée par le parent n’ayant pas la charge de ses enfants est considérée comme un transfert de revenus entre ménages, du parent non gardien vers le parent gardien. Cette pension s’ajoute donc, après abattement de 10 %, au revenu imposable du parent qui assure la garde des enfants. Parallèlement, le parent qui verse la pension alimentaire peut la déduire de son revenu brut global.

Cette répartition de la charge fiscale est contestable au regard du différentiel de niveau de vie observé entre les hommes et les femmes après leur séparation. Elle est différente de ce qui est pratiqué à l’étranger, comme le montre l’exemple canadien mis en lumière par le Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dans son rapport de janvier 2021 Les ruptures de couples avec enfants mineurs ([10]). Elle s’ajoute à un traitement social d’ensemble incohérent et injuste mis en lumière par le HCFEA et que le directeur de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) a rappelé lors de son audition avec la rapporteure.

Des exemples de traitement socio-fiscal absurde de la CEEE

1) La CEEE est doublement prise en compte dans le calcul du RSA et de la prime d’activité : le parent qui la verse ne peut pas la déduire de ses ressources disponibles alors que le parent gardien qui la reçoit doit l’intégrer à ses ressources ;

2) Lorsque la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant prend la forme d’une participation directe à certaines dépenses du parent non gardien, elle n’est prise en compte ni au titre des ressources du parent qui en bénéficie ni déduit des ressources du parent qui assure cette participation ;

3) Il est préférable pour un parent gardien de recevoir l’allocation de soutien familial (ASF) plutôt qu’une pension alimentaire du même montant aussi bien au regard de l’impôt que celui du calcul et de l’attribution de certaines aides.

A.   la contribution À l’entretien et l’Éducation de l’enfant ne devraiENt pas Être considÉrÉe comme un revenu pour le parent crÉditeur

Le rapport du HCFEA précité le rappelle : « l’objet de la CEEE n’est pas en soi de verser un revenu au parent gardien (à la différence de la prestation compensatoire), mais vise à la prise en charge, par le parent non gardien, de la part des dépenses en faveur de ses enfants qui lui revient au titre de son obligation alimentaire envers ces derniers ».

Il est donc contestable d’envisager la contribution pour l’éducation et l’entretien de l’enfant comme un revenu. C’est ce qu’a développé la professeure de droit Lise Chatain lors de son audition par la rapporteure :

« La perception de la pension alimentaire par la mère ne contribue pas véritablement à son enrichissement dès lors que cette pension est absorbée par l’entretien de l’enfant. En effet, la pension alimentaire constitue une contribution à la charge de l’enfant en fonction de ses besoins. Il s’agit donc d’un partage des frais liés à l’entretien de l’enfant qui prend en compte à la fois ses besoins propres et les capacités financières de chacun de ses parents. Les pensions alimentaires ne constituent pas un revenu de remplacement pour le parent bénéficiaire mais un partage des charges d'entretien de l'enfant entre ses parents. La pension alimentaire vient compenser une distorsion entre les revenus des parents pour s'acquitter de l'entretien de l'enfant. Cette pension procède ainsi par péréquation un rééquilibrage en fonction des capacités contributives des parents pour l'entretien de l'enfant. La contribution à la charge de l'enfant est seulement destinée à répondre aux besoins de celui-ci et elle n'est donc pas assimilable à un revenu qui devrait être imposable entre les mains du parent qui la reçoit. La pension alimentaire doit donc être perçue comme une dotation de rééquilibrage entre les parents impliquant que chaque parent prend en charge les besoins de l'enfant en fonction de ses revenus ».

La récente jurisprudence du Conseil d’État a, de façon indirecte mais néanmoins significative, confirmé ce point. Un arrêt du 14 avril 2022 ([11]) précise ainsi que, pour le calcul d’une pension alimentaire, les pensions reçues pour la charge d’enfants issus d’une précédente relation ne pouvaient pas être prises en compte au titre des ressources du parent.

B.   l’articulation de la fiscalisation des contributions à l’Éducation et l’entretien de l’enfant avec le quotient familial

La rapporteure s’est vue opposer la cohérence actuelle du système fiscal que viendrait mettre à mal la présente proposition de loi.

1.   La cohérence d’ensemble du système fiscal est fondée sur la reconnaissance de la charge des membres du foyer fiscal par l’attribution de parts fiscales supplémentaires

La direction de la législation fiscale a souligné que la fiscalisation des pensions alimentaires doit être articulée à la question du quotient familial : les charges du foyer fiscal liées aux enfants sont prises en compte par le nombre de parts fiscales supplémentaires prévu à l’article 194 du code général des impôts, et majorées pour les parents isolés.

Le calcul des parts fiscales en cas de séparation

Pour calculer l’impôt sur le revenu du contribuable, le revenu imposable est divisé en parts fiscales d’après la situation et les charges de famille du contribuable.

En cas de séparation, l’article 193 ter du CGI précise que les enfants ([12])  ou personnes à charge s’entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d’entretien à titre exclusif ou principal « nonobstant le versement ou la perception d'une pension alimentaire pour l'entretien desdits enfants ».              

En cas de garde exclusive


L’article 194 du CGI détermine le nombre de parts à prendre en considération pour la division du revenu imposable. Pour les parents ayant la charge d’entretien d’enfants au sens des articles 193 ter et 196 du CGI, le nombre de parts fiscales est ainsi calculé :

– lorsqu’un parent ayant la charge d’un ou de plusieurs enfants du deuxième parent dont il est séparé, s’est marié ou a contracté un pacte civil de solidarité (Pacs), ces enfants-ci sont traités comme l’ensemble des enfants à charge de ce nouveau ménage (les deux premiers enfants comptent pour une demi-part chacun, puis chaque enfant à partir du troisième compte pour une part) ;

– le parent d’une famille monoparentale bénéficie quant à lui d’une demi-part supplémentaire dès le premier enfant à charge. En dehors de cette demi-part supplémentaire, les règles de calcul pour l’attribution de parts fiscales supplémentaires sont  celles qui s’appliquent pour les autres familles : les deux premiers enfants comptent pour une demi-part chacun, puis chaque enfant, à partir du troisième, compte pour une part. Par ailleurs, pour les enfants majeurs rattachés au foyer fiscal du parent mariés, pacsés ou chargés de famille, le rattachement au foyer fiscal du parent permet de bénéficier d’un abattement sur le revenu prévu à l’article 196 B du CGI : il est aujourd’hui de 6 042 euros par personne pris en charge.

En cas de garde partagée


En cas de garde alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dont la liste est fixée au troisième alinéa de l’article 194, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l'un et de l'autre parent, les parts fiscales sont partagées. Chaque parent bénéficie ainsi de :

– 0,25 part pour chacun des deux premiers enfants et 0,5 part à compter du troisième, lorsque par ailleurs le contribuable n'assume la charge exclusive ou principale d'aucun enfant ;

– 0,25 part pour le premier et 0,5 part à compter du deuxième, lorsque par ailleurs le contribuable assume la charge exclusive ou principale d'un enfant ;

– 0,5 part pour chacun des enfants, lorsque par ailleurs le contribuable assume la charge exclusive ou principale d'au moins deux enfants.

Lorsqu’un contribuable seul ou divorcé a la charge d’un ou de plusieurs enfants dont la charge est réputée également partagée avec l'autre parent, la majoration est de 0,25 pour un seul enfant et de 0,5 si les enfants sont au moins deux.

Dans sa décision n° 2021-907 QPC du 14 mai 2021, le Conseil constitutionnel a en ce sens validé le principe de non-déductibilité des pensions versées par le père dans le cadre d’une garde alternée lorsqu’il bénéficie de la moitié de la part fiscale supplémentaire prévue par enfant.

Plusieurs personnes auditionnées ont ainsi exprimé la nécessité de prévoir un partage des parts fiscales si le débiteur ne pouvait plus déduire les pensions alimentaires versées de son revenu imposable, sans que les conséquences d’un tel changement majeur n’aient été évaluées.

2.   Mais cette cohérence ne répond pas à la priorité devant être donnée à l’intérêt de l’enfant et est particulièrement favorable aux débiteurs aisés

Si la rapporteure reconnaît la cohérence du système fiscal actuel, elle souhaite rappeler que la rigueur du raisonnement juridique ne peut s’abstraire des données sociologiques et de l’impératif politique de lutter contre des profondes inégalités existantes entre les deux parents après la séparation. Imposer le parent gardien au titre des contributions à l’entretien et l’éducation de l’enfant qu’il reçoit, au motif qu’il bénéficie d’une part fiscale pour cet enfant à charge c’est non seulement aller contre l’intérêt des parents gardiens, bien souvent des mères de familles monoparentales dans une situation économiquement moins avantageuse que celle de leur ancien conjoint, mais c’est aussi et surtout, aller contre l’intérêt de l’enfant qui a besoin que l’entièreté de la contribution lui soit allouée.

En outre, le mécanisme actuel de déduction des contributions à l’entretien et l’éducation des enfants est particulièrement plus favorable aux débiteurs aisés que ne l’est l’avantage conféré par le quotient familial (plafonné à 1 592 euros par demi-part ([13])) s’ils en disposaient (et dont ils bénéficiaient lorsqu’il formait un unique foyer fiscal avec l’autre parent).

Le régime fiscal des pensions alimentaires pour les très hauts revenus : une niche fiscale ?

Soit un débiteur célibataire ou divorcé ayant des revenus salariaux annuels d’environ 120 000 euros en 2020 et versant une pension alimentaire de 2 000 euros pour ses 2 enfants dont il n’a ni la garde alternée, ni la garde principale ou exclusive.

Son revenu annuel imposable s’élèverait environ à 84 000 euros (120 000 x 0,9 – 2 000 x 12). L’impôt sur le revenu dû en 2022 pour ce parent débiteur après déduction de la pension s’élèverait ainsi environ à 20 160 euros.

Si le débiteur avait pris en compte les 2 enfants dans le calcul de son quotient familial (soit 1,5 part fiscale) sans déduire la pension alimentaire de son revenu imposable, son impôt se serait élevé à 25 230 euros compte tenu du plafonnement de l’avantage lié à l’application du quotient familial (3 x 1 592 = 4 776 euros).

La déduction de la pension alimentaire permet donc à l’ex-époux de réaliser une économie d’impôt sur le revenu d’environ 5 000 euros.

Source : Simulation proposée par la professeure Lise Chatain dans sa contribution écrite.

III.   Le dispositif proposÉ par la proposition de loi vise À renverser la charge fiscale portant sur les contributions À l’entretien et l’Éducation de l’enfant

Fort de ces constats, la présente proposition de loi proposait dans sa rédaction initiale, d’inverser la charge fiscale de la pension alimentaire : les pensions alimentaires reçues au titre d’une contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur pourraient être exonérées d’impôt sur le revenu dans la limite de 4 000 euros par enfant et pour un plafond total de 12 000 euros par an (article 1er) tandis que les parents versant la pension alimentaire ne pourraient plus les déduire de leur revenu imposable que pour les montants supérieurs à ces plafonds (article 2).

A.   Un soutien aux parents gardiens

Le plafond de la proposition de loi a été envisagé pour cibler spécifiquement les parents bénéficiaires de pensions alimentaires appartenant à la classe moyenne, c’est-à-dire bénéficiant d’une pension alimentaire ne dépassant pas le montant de 330 euros par mois.

1.   Un gain limité mais réel concernant l’impôt sur le revenu…

Du fait des revenus structurellement plus faibles des familles bénéficiant d’au moins une pension au titre de la CEEE et d’un seuil de mise en recouvrement de l’impôt sur le revenu majoré en raison des parts fiscales supplémentaires liées à la composition du ménage et, quand c’est le cas, à la bonification du parent isolé ([14]), ces familles sont peu nombreuses à être redevables de l’impôt sur le revenu.

Selon le rapport des députés Sophie Auconie et Guillaume Gouffier-Cha déjà mentionné ([15]) , les foyers déclarant recevoir une pension alimentaire en 2017 avaient un revenu médian de 14 400 euros annuel. Le graphique ci-après détaille la répartition des foyers recevant une pension alimentaire par décile en 2017.

RÉPARTITION PAR DÉCILE DES FOYERS RECEVANT UNE PENSION ALIMENTAIRE

1er décile

Revenu fiscal de référence (RFF) annuel inférieur à 3 780 €

2e décile

3 780 € < RFF ≤ 6 491 €

3e décile

 

6 491 € < RFF ≤ 9 178 €

4e décile

9 178 € < RFF ≤11 677 €

 

5e décile

11 677 € < RFF ≤14 394 €

6e décile

14 394 € < RFF ≤ 17 417 €

7e décile

17 417 € < RFF ≤ 21 577 €

8e décile (entrée dans le barème pour deux parts fiscales à partir d’un RFF de 25 000 euros)

21 577 €< RFF ≤ 27 647 €

9e décile

27 647 €< RFF ≤ 38 898 €

10e décile

 

RFF supérieur à 38 898 €

 Source : Direction de la législation fiscale  
 

Alors que le seuil d’entrée pour le paiement de l’impôt sur le revenu est de 25 400 euros en 2021 pour une famille monoparentale avec un seul enfant, seule une minorité de parents créanciers doit aujourd’hui payer l’impôt sur le revenu. Ainsi, selon les simulations de la direction de la législation fiscale, 157 000 foyers fiscaux seraient gagnants (pour environ 700 000 foyers fiscaux percevant une pension et ayant à charge au moins un enfant de moins de 20 ans selon les données transmises à la DREES), soit un peu plus de 20 % des ménages qui reçoivent aujourd’hui une pension alimentaire. ([16])

Cela représenterait un gain moyen de 497 euros par an et par ménage pour l’impôt sur le revenu. En l’absence de plafonnement de l’exonération, le gain serait en moyenne de 786 euros.

2.   …complété par une augmentation des prestations sociales et familiales touchant les ménages qui ne paient pas nécessairement l’impôt sur le revenu

L’exonération fiscale des pensions alimentaires perçues n’a pas d’effet que sur le seul montant de l’impôt sur le revenu. En effet, l’attribution et le calcul d’un nombre important de prestations sociales ou familiales dépendent du revenu net imposable. À titre d’exemple peuvent être citées : les allocations logement, les allocations chômage du régime de solidarité (allocation de solidarité spécifique, allocation équivalent retraite de remplacement, allocation temporaire d’attente), l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou le chèque énergie. Certaines prestations familiales qui dépendent des ressources des parents comme la prestation à l’accueil du jeune enfant (PAJE) dépendent également du revenu imposable. Les aides des collectivités comme celles du centre communal d’action social ou la tarification sociale de certains services (cantine, accueil périscolaire, accueil en crèche, accès aux transports) dépendent également du revenu imposable des ménages. On peut cependant noter que l’attribution et le calcul du RSA et de la prime d’activité ([17]) ne sont pas modifiés par l’exonération des pensions reçues.

La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) a transmis une estimation des dépenses sociales supplémentaires ([18]) engendrées par l’exonération proposée, à partir des enquêtes revenus fiscaux et sociaux de l’INSEE : elle estime que sur le champ des ménages ordinaires de France métropolitaine, la déduction ainsi plafonnée bénéficierait à 300 000 ménages de tous les déciles soit presque le double des ménages affectés par la seule baisse de l’IR selon les estimations transmises par DLF.

Outre l’effet direct de baisse d’impôt sur le revenu estimé à 120 millions d’euros, la mesure permettrait aussi à des parents créanciers, de conditions souvent plus modestes, de bénéficier de 110 millions d’euros d’aides personnelles au logement supplémentaires et de 30 millions de prestations familiales ([19]). Le tableau ci-dessous permet de retracer les effets de la mesure pour les différents déciles : si les gains moyens sont plus élevés pour les derniers déciles, ce sont les ménages du second décile qui, en nombre, bénéficient le plus de la mesure.

Nombre de ménages gagnants par décile de niveau

Source : DREES.
Le scénario de la proposition de loi est le Sc A1. Le Sc A2 évalue les effets de la proposition de loi conjuguée au retrait de la base ressources du RSA et de la prime d’activité les pensions alimentaires versées au titre de la CEEE.

D’autres tableaux transmis par la DREES permettent de préciser les effets de la mesure par configuration familiale avec des gains moyens mensuels de 50 euros pour un parent seul avec un enfant, 80 euros pour un parent seul avec deux enfants et 90 euros pour un parent seul avec trois enfants.

détail des effets de l’article 1 de la proposition de loi par configuration familiale

 Source : DREES.

B.   Des effets importants pour les dÉbiteurs

La proposition de loi n’a pas été pensée pour « punir » le parent qui n’aurait pas la charge de ses enfants et disposerait d’un revenu sensiblement supérieur à celui du deuxième parent dont il est séparé. Cela étant, la rapporteure constate que l’inversion de la charge fiscale pesant sur les CEEE touche davantage les débiteurs qu’elle n’est avantageuse pour les créanciers :

– même si ces estimations doivent être prises avec précaution, la DREES estime que la restriction de la déduction des pensions versées au titre de la CEEE rapporterait 510 millions d’euros aux finances publiques (soit environ 90 euros par mois en moyenne pour 490 000 ménages). La perte pour les débiteurs serait ainsi supérieure à quatre fois le gain pour les créanciers. La proposition de loi est ainsi extrêmement vertueuse du point de vue des finances publiques et son application entraînerait une recette nette (impôt sur le revenu et prestations) ce qui n’était pas nécessairement l’objectif poursuivi par la proposition de loi ;

– en ce qui concerne le seul impôt sur le revenu, les estimations de la DLF montrent une perte pouvant atteindre jusqu’à 1 200 euros par an pour des contribuables de classe moyenne gagnant autour de 3 000 euros par mois comme le montrent les simulations retracées ci-dessous.

simulations micro des mesures proposées par la proposition de loi

Source : DLF.

Au total, le dispositif bénéficierait insuffisamment aux parents créanciers tout en pénalisant durement les débiteurs.

Ce constat, qui s’ajoute aux résistances politiques pour repenser la fiscalité qui s’applique aux pensions alimentaires, a conduit la rapporteure à repenser le dispositif proposé par la proposition de la loi. Pour limiter les effets redistributifs de la proposition de loi et ne pouvant maintenir le bénéfice de l’exonération pour les pensions reçues par les créanciers sans revenir sur la déduction dont bénéficie le débiteur dans le droit en vigueur, la rapporteure a proposé deux amendements que la commission a adoptés :

– le premier transformant l’exonération des pensions alimentaires devant bénéficier au créancier en une déduction du revenu fiscal de référence (RFR) de ces pensions alimentaires reçues ;

– le second maintenant la possibilité pour le débiteur de déduire de son revenu imposable les pensions alimentaires versées au titre de la CEEE.


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   Travaux en commission

   Discussion générale

Lors de sa réunion du mercredi 28 septembre 2022, la commission examine la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire (n° 209) (Mme Aude Luquet, rapporteure).

M. le président Éric Coquerel. Nous examinons la proposition de loi relative à la charge fiscale de la pension alimentaire, que le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) a inscrite à l’ordre du jour de sa journée d’initiative réservée, le jeudi 6 octobre.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Toutes les études le montrent, la séparation des deux parents entraîne un appauvrissement de celui qui a la garde des enfants du couple : perte d’un logement, sacrifice de la vie professionnelle, augmentation des frais de garde… D’après les chiffres les plus récents, la garde des enfants revient dans près de 70 % des cas à leur mère. Un rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) explique qu’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est versée pour sept enfants sur dix, et que cette pension est payée par le père, qui a un revenu supérieur, dans 97 % des cas. Selon une récente étude de l’INSEE, la moitié des femmes isolées ayant la garde de leurs enfants connaissent, l’année de leur séparation, une baisse de leur niveau de vie d’au moins 24 % par rapport à l’année qui précède la rupture.

J’insiste sur le fait que ma proposition de loi n’a qu’un seul but : agir dans l’intérêt de l’enfant. Elle ne vise en aucun cas à résoudre les questions liées à la répartition, entre le père et la mère, de la garde de l’enfant, ou plus largement à la séparation du couple.

La contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant versée par le parent non gardien au parent gardien a normalement vocation à compenser la perte de niveau de vie pour l’enfant. Si de nombreux efforts ont été réalisés par notre majorité lors de la précédente législature, et aujourd’hui encore dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, pour faciliter et garantir le versement effectif de cette contribution ou rehausser l’allocation de soutien familial (ASF), nous conviendrons tous qu’une pension d’un montant moyen de 170 euros par mois ne permet pas de couvrir l’ensemble des besoins d’un enfant.

En outre, le traitement socio-fiscal des contributions à l’entretien et à l’éducation de l’enfant est incohérent et injuste, comme le montre une étude sur les ruptures de couples avec enfants mineurs réalisée par le HCFEA en 2019. En effet, les pensions versées sont aujourd’hui incluses dans le revenu imposable des parents qui en bénéficient, après un abattement de 10 %. Cela augmente leur quotient familial, avec des répercussions multiples : augmentation du montant de l’impôt, augmentation de la tarification des services proposés par les collectivités territoriales – crèches, cantines, activités périscolaires – et diminution de certaines prestations familiales et sociales comme les aides personnelles au logement (APL) et la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Cela paraît d’autant plus absurde que la plupart des parents gardiens concernés sont des femmes qui ont un niveau de vie inférieur à celui de leur ex-conjoint, puisque nous n’avons pas encore tout à fait résolu le problème de l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes.

J’aimerais d’ailleurs insister sur ce point : ce qui est improprement appelé « pension alimentaire » est en réalité une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Cette contribution ne constitue pas, pour le parent bénéficiaire, un revenu de remplacement mais correspond à un partage des charges d’entretien de l’enfant, qui prend parfois même la forme d’une aide directe en nature. Il s’agit en quelque sorte d’une péréquation, d’un rééquilibrage des dépenses en fonction des capacités contributives de chaque parent. Le Conseil d’État a précisé, dans un arrêt du 14 avril 2022, que la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ne participait pas des ressources du parent qui en bénéficie. Fiscaliser cette contribution, c’est faire peser un impôt sur l’enfant en limitant le montant disponible qui lui est destiné ; par conséquent, c’est agir contre son intérêt. Cette contribution n’étant pas un revenu du parent gardien, il faudrait presque la concevoir, comme au Canada, comme un remboursement par le parent non gardien des frais engagés par le parent gardien. En ce sens, elle est bien différente de la prestation compensatoire, qu’on confond souvent sous le même terme de « pension alimentaire ».

Vous l’avez compris, le système actuel ne protège pas l’intérêt des enfants, et il est injuste envers les parents qui en assurent la garde. Aussi notre proposition de loi vise-t-elle à défiscaliser les contributions à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur, dans la limite de 4 000 euros par an et par enfant et de 12 000 euros par an quel que soit le nombre d’enfants. Ces plafonds permettraient de concentrer l’effort sur les parents gardiens appartenant à la classe moyenne, qui sont imposables et qui bénéficient d’une contribution à l’entretien et à l’éducation inférieure à 340 euros par mois. Selon les informations transmises par la direction de la législation fiscale (DLF), cela représenterait un gain moyen de 497 euros par an pour quelque 150 000 foyers. Très concrètement, pour un parent seul avec un enfant mineur à charge, percevant des revenus de 2 000 euros par mois et une pension de 300 euros, l’adoption de notre proposition de loi permettrait d’économiser 513 euros d’impôt sur le revenu par an.

Si ce texte a vocation à toucher les familles monoparentales appartenant à la classe moyenne, il n’oublie pas les familles les plus modestes. En effet, le calcul et l’attribution d’un nombre important de prestations sociales et familiales dépendent des revenus imposables du contribuable : défiscaliser la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant revient donc aussi à augmenter le montant des APL que le parent perçoit.

En contrepartie de la défiscalisation de la contribution reçue par le parent ayant la garde de l’enfant, l’article 2 prévoit que le parent non gardien ne pourra plus déduire de son revenu imposable la pension alimentaire versée.

Toutefois, les éléments chiffrés transmis par la DLF montrent qu’une adoption de notre proposition de loi, en l’état, aurait des effets redistributifs puissants au détriment des débiteurs de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, y compris ceux de la classe moyenne et de la classe moyenne inférieure. Je constate également, avec regret, qu’il n’y a pas aujourd’hui de consensus pour faire évoluer notre conception de cette contribution. Un compromis possible aurait été d’imposer un partage égalitaire, entre les deux parents, des frais engagés pour l’enfant, ce qui aurait nécessité un partage des parts fiscales entre les deux parents même en cas de garde exclusive par l’un des deux. Mais il semblerait que cette option soit peu avantageuse pour les parents gardiens, notamment quand les contributions versées sont d’un faible montant.

En conséquence, je vous proposerai plusieurs amendements de repli. Il s’agira de maintenir la possibilité, pour les débiteurs, de déduire les contributions versées de leur revenu imposable, et donc de maintenir aussi l’imposition des contributions reçues par les parents créanciers – ce qui est contraire à ce que propose notre texte initial – mais en permettant à ces derniers de déduire les contributions reçues de leur revenu fiscal de référence.

Cette solution peut paraître éloignée des principes fiscaux les plus classiques, mais le revenu fiscal de référence est aujourd’hui pris en compte pour l’attribution et le calcul d’un certain nombre de prestations, comme le chèque énergie, ainsi que pour la tarification de services locaux tels que les crèches, les activités périscolaires, les cantines ou les transports. Dans un contexte de forte inflation qui alourdit jour après jour la charge d’élever seul ses enfants, cette mesure constituerait un premier message envoyé à l’ensemble des familles monoparentales de classe moyenne et modeste.

Si cette proposition de compromis ne règle pas totalement la question du traitement fiscal des familles, notamment monoparentales, qui ont la charge des enfants après une séparation, elle permet de leur porter une plus grande attention. Je rappelle encore une fois que cette proposition de loi est motivée par l’intérêt des enfants et qu’elle vise à permettre aux parents gardiens de leur offrir des conditions de vie meilleures. Je serais étonnée que nous ne trouvions pas une majorité autour de cet intérêt.

M. Denis Masséglia. Cette proposition de loi part d’un constat sans appel : en cas de séparation, les femmes, auxquelles revient majoritairement la garde des enfants, voient leur niveau de vie diminuer davantage que celui des hommes.

Ces familles monoparentales, la majorité présidentielle les soutient. Aussi, je souhaite remercier la rapporteure Aude Luquet pour son investissement sur cette question qui préoccupe au quotidien des millions de Français et surtout de Françaises. Dès juillet, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, notre présidente de groupe avait évoqué ce sujet. Oui, l’accompagnement des familles est une priorité pour le Gouvernement et la majorité présidentielle. Nous avons récemment annoncé une revalorisation de 50 % de l’ASF, qui passera de 123 à 184 euros par mois et par enfant, pour un coût total de 900 millions d’euros, ainsi qu’une extension du complément de libre choix du mode de garde (CMG), qui pourra désormais être perçu jusqu’aux 12 ans de l’enfant et non plus 6 ans.

Le groupe Renaissance partage le principal objectif de cette proposition de loi, qui est de mieux accompagner ceux qui perçoivent des pensions alimentaires, principalement des femmes dont le niveau de vie se trouve fortement diminué après la séparation. En l’état, ce texte présente néanmoins des limites : du côté des verseurs, la réforme fragiliserait des personnes se trouvant dans une situation déjà précaire, dans les premiers déciles de revenus, tandis que du côté des receveurs elle favoriserait les foyers aux revenus les plus élevés, ce qui ne correspond évidemment pas à l’objectif recherché.

Toutefois, des amendements proposent une solution qui semble plus juste. Afin que nous puissions évaluer leur impact réel, il serait souhaitable que le Gouvernement nous transmette des données chiffrées d’ici à l’examen du texte en séance la semaine prochaine. Dans cette attente, le groupe Renaissance ne prendra pas part au vote.

M. Jocelyn Dessigny. Vous voulez améliorer la qualité de vie des enfants en défiscalisant la pension alimentaire pour les parents receveurs. Mais que faites-vous lorsque c’est le parent au revenu le plus élevé qui perçoit la pension ? Ce serait une double peine pour le parent verseur ! Lors de la campagne présidentielle, le Rassemblement national avait proposé que chaque foyer bénéficie d’une part fiscale entière supplémentaire dès le deuxième enfant : cela permettrait aux foyers recevant la pension alimentaire de voir diminuer leurs impôts de façon plus importante. Pour autant, nous sommes favorables à la défiscalisation de la pension pour les parents receveurs, même si nous nous montrons plus réservés quant à la prise en compte de son montant dans les revenus des parents verseurs.

Mme Marianne Maximi. Vous l’avez dit vous-même, madame la rapporteure, la fiscalisation des pensions alimentaires est une double peine pour les femmes : en plus de voir leurs ressources diminuées par les impôts qu’elles paient sur la pension reçue, elles perdent le bénéfice de certaines aides et prestations sociales. De l’autre côté, les pères peuvent défiscaliser, c’est-à-dire déduire de leur revenu imposable la pension versée pour leurs enfants. Ces règles fiscales absolument sexistes traduisent une vision très archaïque du couple séparé : la pension est considérée comme un revenu pour la mère alors qu’elle relève en réalité de l’obligation, pour le père, de contribuer à l’entretien de ses enfants, même lorsqu’il est séparé de leur mère.

La présente proposition de loi vise à inverser la règle fiscale, c’est-à-dire à défiscaliser la pension reçue par les mères et à refiscaliser la pension payée par les pères. En cela, elle va dans le bon sens. Mais il faut aller plus loin : la majorité doit comprendre que les mères seules souffrent avant tout de la politique menée par le Gouvernement – la casse des droits sociaux, les salaires trop bas, la détérioration voire l’abandon des services publics, les coupes dans les aides, l’absence de lutte contre les violences subies par les mmes.

Nous voulions soutenir ce texte, mais nous nous interrogeons sur une disposition particulièrement étrange qui prévoit la refiscalisation des pensions versées par les pères mais dans la limite de 330 euros par mois. Cela signifie que les pères très riches, redevables d’une pension supérieure à ce montant, continueront à bénéficier de cet avantage fiscal tandis que les plus pauvres paieront des impôts sur la totalité de la pension. Ce n’est pas normal. Si les amendements qui nous seront soumis permettent de rectifier les choses, peut-être pourrons-nous voter la proposition de loi.

M. Fabien Di Filippo. En toile de fond de notre débat se pose le problème général de l’inflation et de la hausse des coûts de l’énergie, qui affecte indubitablement le niveau de vie des familles monoparentales, notamment lorsqu’elles comptent plusieurs enfants. Le levier fiscal est-il le bon outil pour y répondre ? Sans doute pas.

J’ajouterai à ce qu’ont déjà dit les orateurs précédents que ce texte peut entraîner, à moyen terme, deux effets pervers. D’une part, il est susceptible d’aggraver le phénomène de non-versement des pensions alimentaires, que nous ne devons pas négliger. D’autre part, une défiscalisation des pensions entraînera une majoration des revenus nets des parents receveurs ; petit à petit, le juge en tiendra compte dans la détermination du montant des pensions, qu’il sera peut-être amené à minorer. Cette logique de rééquilibrage économique ne peut être ignorée.

Le groupe Les Républicains considère que le problème des pensions alimentaires n’est pas d’ordre fiscal : une modification des règles fiscales n’est pas le bon instrument pour y répondre. Sur le principe, ce retournement de fiscalité, même partiel, ne nous paraît pas forcément justifié. Nous espérons qu’une prise de conscience amènera la majorité à rectifier les choses. À ce stade, nous ne souhaitons pas prendre part au vote.

M. Pascal Lecamp. Merci, madame la rapporteure, pour la clarté et la simplicité de cette proposition de loi de trois articles qui ne fait que corriger une injustice historique, d’autant plus au regard de ce qui se fait dans les pays européens comparables.

Nous savons tous que la séparation d’un couple et ses conséquences dans l’organisation de la vie familiale créent une grande vulnérabilité, face à laquelle le versement d’une pension alimentaire est essentiel. La pension alimentaire concerne 1,5 million de personnes en France. Il est en notre pouvoir de l’améliorer afin qu’elle atteigne pleinement son but, qui est d’assurer une juste contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant par chacun de ses parents. La présente proposition de loi vise à garantir que la pension reçue puisse être entièrement dédiée à cette mission : si nous modifions la charge fiscale, le parent gardien ne subira plus l’imposition de la pension reçue ni l’effet de seuil tout à fait néfaste qui, du fait de l’augmentation de son revenu fiscal de référence, le rend inéligible à certaines aides sociales.

Cette proposition de loi constitue une avancée pour la situation économique des femmes, qui représentent 97 % des bénéficiaires de pension alimentaire. Elles sont aussi celles qui s’appauvrissent le plus après une séparation, à hauteur de 375 euros par mois, alors même que leur rémunération moyenne est malheureusement toujours inférieure de près de 30 % à celle des hommes.

Je sais, madame la rapporteure, que vous avez mené de nombreux travaux au cours des dernières semaines. Je vous félicite d’avoir trouvé ce point d’équilibre, qui permet d’éviter d’augmenter les impôts de certains en recentrant le dispositif pour mieux soutenir les parents gardiens de la classe moyenne. Votre proposition de loi offre un cadre protecteur aux parents célibataires – en grande majorité des femmes – et diminue la vulnérabilité économique des populations modestes dans le contexte économique tendu que nous connaissons.

Le groupe Démocrate votera naturellement cette proposition de loi. J’espère, mes chers collègues, vous avoir convaincus de faire de même.

M. Philippe Brun. Je me réjouis que le groupe Démocrate ait décidé de consacrer sa première niche à ce débat fondamental pour les familles monoparentales. En France, 25 % des parents vivent seuls, 83 % de ces parents seuls sont des femmes, et 40 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Cette grande question sociale qu’est la situation des familles monoparentales est très peu discutée dans les médias, et absente des débats politiques. On en a pourtant beaucoup entendu parler lors du mouvement des gilets jaunes, quand de nombreuses femmes seules, mères célibataires, sont allées sur les ronds-points pour expliquer leur situation.

Cette proposition de loi a donc le mérite de poser la question de la fiscalisation de la pension alimentaire, reçue à 97 % par des femmes. J’ai organisé dans ma circonscription un atelier législatif citoyen sur les familles monoparentales : c’est la première revendication qui a été exprimée.

Le texte qui nous est soumis n’est hélas qu’une première version : on comprend que la majorité ou Bercy – ou probablement les deux – ne souhaitaient pas aller si loin. Le dispositif de repli qui nous est proposé est, sans offense, un peu modeste. Il consiste à exclure les pensions du revenu fiscal de référence, lequel sert à déterminer l’éligibilité et le montant d’un certain nombre de prestations. Les socialistes voient évidemment cette proposition de loi d’un œil très favorable, même s’ils regrettent ce recul. Nous la voterons probablement après la discussion, en redisant notre attachement aux familles monoparentales et aux mères célibataires de notre pays, qui ont besoin d’être fortement soutenues par les pouvoirs publics.

Mme Félicie Gérard. Je remercie Mme la rapporteure de son initiative qui permet de mettre à notre ordre du jour un sujet d’une grande importance, celui de la situation financière souvent précaire du parent recevant la pension alimentaire versée pour l’entretien et l’éducation de l’enfant en cas de divorce ou de séparation.

Le groupe Horizons et apparentés se réjouit que la discussion sur ce sujet se tienne, mais le texte proposé, centré sur l’outil fiscal, ne lui semble pas le plus adapté pour répondre à l’enjeu. En effet, il crée un précédent important en permettant au parent bénéficiaire de la pension alimentaire de défiscaliser les sommes perçues, qui sont tout de même des recettes.

Il comporte également une limite importante en ce qu’il supprime, pour le parent payeur, la possibilité de défiscaliser les sommes versées. Ce faisant, il soumet à l’impôt sur le revenu des sommes qui ne constituent pas un revenu, mais bien une charge : cela reviendrait donc à alourdir l’impôt sur le revenu des nombreux contribuables qui versent ces pensions, allant à l’encontre de l’objectif fixé par le Président de la République de poursuivre les baisses d’impôts engagées durant le quinquennat précédent.

Le dispositif semble par ailleurs manquer sa cible initiale que sont les parents isolés en situation de précarité, puisque la majorité des parents bénéficiaires de pensions alimentaires ne sont pas, à l’heure actuelle, soumis à l’impôt sur le revenu.

Les modifications proposées par la rapporteure apportent des réponses à quelques-uns de nos points d’inquiétude. Néanmoins, en sortant les sommes perçues du revenu fiscal de référence, le texte créerait un précédent qui nous semble dangereux sans augmenter de manière significative le pouvoir d’achat des citoyens concernés.

Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons et apparentés ne pourra pas se prononcer en faveur de ce texte.

M. Karim Ben Cheikh. Les chiffres sont éloquents. Comme divers rapports le soulignent depuis plusieurs années, en cas de séparation, la garde des enfants revient à la mère dans près de 70 % des cas, et au père dans 20 % des cas. Selon l’INSEE, le revenu médian des femmes après une séparation se détériore de 31 %, celui des hommes de seulement 6 %. Notre législation fiscale ne fait qu’aggraver cet écart puisque, sauf situation particulière, les pensions alimentaires perçues sont soumises à l’impôt sur le revenu. Il y a donc bien une inégalité de genre que vient souligner ce texte.

Au regard de ces éléments, il est important de déconstruire certains discours présentant les pensions alimentaires comme des revenus de remplacement. Leur unique but est en réalité d’assurer un juste partage de l’entretien et de l’éducation des enfants subissant la séparation du couple. Dès lors que nous avons en tête les éléments précédemment cités, l’imposition de ces pensions pour le parent bénéficiaire apparaît injuste ; elle est à l’opposé de ce qui se pratique à l’étranger et de la vision de justice sociale défendue par le groupe écologiste.

C’est pourquoi nous saluons votre travail, madame la rapporteure. Cette proposition de loi, dont nous approuvons les principes généraux, est la bienvenue. Toutefois, permettez-moi de poser quelques questions relatives au calibrage du texte. Comme vous le savez, la défiscalisation des pensions alimentaires reçues pourrait entraîner des effets de seuil pour les bénéficiaires de certaines prestations sociales. Est-il envisagé d’exclure ces pensions des calculs visant à déterminer l’attribution et le montant de l’ensemble des allocations ? Par ailleurs, comment les plafonds annuels de 4 000 euros par enfant et de 12 000 euros au total ont-ils été choisis ? Enfin, comment le risque de défaut de paiement des pensions alimentaires a-t-il été évalué, étant donné que l’article 2 de la proposition de loi supprime, d’une certaine manière, l’incitation à payer ?

Ces interrogations rejoignent en grande partie celles de mes camarades de la NUPES. Je sais que vous avez déjà proposé un certain nombre de modifications. Quand vous en aurez précisé les contours, nous soutiendrons probablement votre proposition de loi.

M. Michel Castellani. Je comprends votre volonté de soutenir les femmes ayant la garde exclusive d’un enfant. Cependant, nous avons un certain nombre de réserves sur ce texte. Nous considérons que le législateur doit faire preuve de prudence et engager une concertation avant de bouleverser les avantages fiscaux prévus par la loi.

Si le dispositif actuel comporte des faiblesses, il repose sur la volonté d’assurer un juste équilibre entre les parents. Actuellement, lorsqu’une pension est versée en cas de garde exclusive, chaque parent bénéficie d’un avantage fiscal. Pourquoi bouleverser cet équilibre ? N’est-il pas logique qu’un parent qui verse une pension, et qui transfère donc un revenu à l’autre parent, puisse déduire ce montant de son revenu imposable ? Le fait de priver l’un des parents d’un avantage fiscal légitime pour renforcer celui de l’autre parent nous paraît contestable. Cela risque d’ailleurs d’accroître les tensions au sein des couples séparés.

J’avais aussi quelques remarques à propos de l’article 2, qui sont sans objet puisque vous proposez de le supprimer.

Enfin, notre groupe s’interroge sur la constitutionnalité du dispositif. Le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de valider l’interdiction de cumuler le gain de quotient familial avec la déduction de la pension alimentaire en cas de garde alternée, cette règle visant avant tout à éviter le cumul d’avantages fiscaux ayant le même objet. Ne risque-t-il pas de censurer le cumul que vous proposez en cas de garde exclusive ?

M. le président Éric Coquerel. Certains collègues ont expliqué que la fiscalité ne permettrait pas de régler l’ensemble des problèmes auxquels sont confrontées les familles monoparentales. Mais elle en réglera quand même certains ! Cette proposition de loi me semble donc positive. Je remarque simplement que les amendements de repli, dont l’objectif est manifestement de rassembler davantage de groupes, ne suffiront peut-être pas. Je préférerais donc que nous en restions à la version initiale du texte.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Effectivement, nous avons cherché un compromis car c’est notre rôle de députés que de trouver des solutions.

Aujourd’hui, 11 millions de foyers bénéficient d’aides telles que le CMG ou l’ASF, qui sont encore renforcées par la majorité. L’objet de notre proposition de loi est d’aider aussi les autres foyers, ceux qui n’en bénéficient pas.

Je rappelle que l’intérêt de l’enfant est de bénéficier de l’intégralité de la pension alimentaire prévue par la décision de justice ou la convention conclue entre ses parents, et que ce n’est pas le cas lorsque cette pension est fiscalisée.

Monsieur Di Filippo, vous avez affirmé que le levier fiscal n’était pas le bon. Pour avoir consulté toutes les propositions de loi déposées jusqu’à présent, je peux vous dire que ce sujet n’a encore jamais été abordé à l’Assemblée nationale. Cela fait des années que nous entendons parler de la fiscalisation ou de la déductibilité des contributions à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, mais nous n’en avons encore jamais débattu en tant que législateur. Il s’agit pourtant d’un sujet du quotidien, d’une réalité pour les parents qui élèvent seuls leurs enfants. On l’a dit, c’est souvent la mère qui obtient la garde exclusive et qui se retrouve avec des moyens insuffisants. On sait aussi que les montants des pensions alimentaires ne sont pas assez élevés pour couvrir l’intégralité des coûts d’entretien et d’éducation d’un enfant. Notre proposition de loi a pour objet de marquer notre intérêt et de faire en sorte que la pension due aux enfants leur profite entièrement et améliore leurs conditions de vie.

Je suis tout à fait ouverte à ce que l’on réfléchisse aux montants des plafonds. Ceux que nous avons retenus permettent de cibler tout particulièrement les classes moyennes, qui ne pourront pas bénéficier des avantages prévus dans le PLFSS et auxquelles le groupe Démocrate souhaite accorder une plus grande attention.

On peut effectivement regretter le recul de la portée du texte, mais l’adopter nous permettra de faire un pas en avant et nous donnera l’occasion, dans la suite de la législature, de remettre sur la table les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes et l’intérêt des enfants, qu’il nous appartient de protéger lorsque leurs parents se séparent et d’aider à se construire.

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EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
[article 80 septies du code général des impôts]
Exonération d’impôt sur le revenu des pensions alimentaires reçues pour la contribution à l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur

L’article prévoit d’exonérer d’impôt sur le revenu les pensions alimentaires reçues pour la contribution d’un parent à l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur dans la limite de 4 000 euros par enfant et de 12 000 euros en totalité. Modifié par l’amendement proposé par la rapporteure, il prévoit dorénavant de déduire du revenu fiscal de référence les pensions versées en revenant sur l’exonération initialement prévue.

L’article est adopté tel que modifié par l’amendement CF5 proposé par la rapporteure.

I.   L’ÉTAT DU DROIT existant

Fondé sur l’article 203 du code civil, qui impose aux époux l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants, l’article 371-2 du code civil prévoit que « chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant », sans que cette obligation ne cesse ni à la majorité de l’enfant ni lorsque l’autorité parentale ou son exercice est retiré. Cette obligation a une portée plus large que la stricte obligation alimentaire prévue à l’article 205 du code civil.

A.   Une contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant prévue par le code civil

En cas de séparation, une contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant (CEEE) est prévue par l’article 373-2-2 dudit code. Cette contribution peut prendre la forme d’une pension alimentaire pouvant être versée d’un parent à un autre, d’une prise en charge directe de frais exposés au titre de l’enfant ou d’une contribution en nature sous la forme d’un droit d’usage et d’habitation. Si, par principe, c’est le parent qui n’a pas la garde de l’enfant qui verse la pension au parent gardien, une garde alternée n’empêche pas le versement de cette pension en cas de différence de revenus importante entre les deux parents afin de rééquilibrer le niveau de vie de l’enfant. ([20])

Le code civil prévoit également à son article 373-3-5 le versement d’une contribution à l’entretien et à l’éducation d’un enfant majeur : elle est versée au parent qui la charge de l’enfant majeur ou directement entre les mains de l’enfant.

B.   Le régime fiscal des pensions alimentaires pour le parent ayant la charge d’un engant

Les pensions alimentaires pour les descendants mineurs comme majeurs  sont aujourd’hui incluses dans le revenu imposable de celui qui les reçoit (le parent créancier ou l’enfant majeur) ([21]), conformément aux articles 1 A, 79 et 82 du code général des impôts : les « pensions » sont intégrées au revenu net global du contribuable servant de base à l’impôt sur le revenu.

Cette pension est taxée à l’impôt sur le revenu entre les mains de son bénéficiaire conformément à l’article 82 du Code général des impôts après un abattement de 10 %. L’abattement au titre de l’ensemble des pensions alimentaires reçues est plafonné à 3 912 euros conformément au a) du 5 de l’article 158 du CGI.

II.   Le dispositif proposÉ

Le dispositif proposé vise à exonérer d’impôt sur le revenu les pensions alimentaires reçues pour un enfant mineur dans la limite de 4 000 euros et pour un montant total de 12 000 euros par an pour l’ensemble des enfants à charge.

La limite de 4 000 euros par an et par enfant correspond donc à une pension alimentaire versée d’environ 333 euros par mois soit le montant proposé par la table de référence du ministère de la justice de 2020 pour la fixation de la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant lorsque le parent débiteur dispose d’un revenu de 2 400 euros par mois en cas de garde exclusive et de 4 200 euros par mois en cas de garde partagée.

III.   la position de la commission : La nÉcessitÉ d’améliorer la situation des crÉanciers sans affecter trop fortement celle des dÉbiteurs nÉcessite de repenser le dispositif

L’amendement CF5 de la rapporteure propose une nouvelle rédaction de l’articler premier : au lieu de prévoir une exonération, il propose de déduire du revenu fiscal de référence défini à l’article 1417 du code général des impôts, les pensions reçues au titre de la contribution pour l’entretien et l’éducation de l’enfant sous les mêmes conditions de plafond que celles prévues par la rédaction initiale de l’article (4 000 euros par an et par enfant, 12 000 euros par an).

a.   La définition du revenu fiscal de référence (RFR)

Le revenu fiscal de référence, défini au 1° du IV de l’article 1417, est calculé à partir du revenu net imposable auquel s’ajoutent plusieurs autres revenus, comme :

– les cotisations d'épargne retraite déduites du revenu global et, dans des conditions définies à l’article 163 unvicies du CGI, les sommes versées au titre de la souscription dans des sociétés de navires armés au commerce (IV, 1°, a) ;

– les divers abattements ou exonérations prévus sur certaines plus-values et dividendes, ainsi que les revenus et plus-values imposés à un taux forfaitaire (IV, 1°, a, bis et IV, 1°, d) ;

– les revenus professionnels exonérés d’impôt en raison de l’implantation de l’entreprise (IV, 1°, b) ;

– les revenus soumis à une taxation forfaitaire (prélèvement forfaitaire obligatoire, prélèvement libératoire, etc.) (IV, 1°, c).

b.   Les effets de la déduction proposée

Le RFR est aujourd’hui pris en compte pour un certain nombre d’avantages. Ces avantages concernent aussi bien la fiscalité que l’attribution d’aides et de prestations. Parmi les dispositifs dont le bénéfice dépend du niveau de RFR du contribuable, on peut notamment citer :

– les exonérations et dégrèvements s’appliquant à la taxe foncière (articles 1391 à 1391 B ter du CGI) et à la taxe d’habitation (article 1411 du CGI) ;

– l’exonération de CSG qui s’applique aux pensions de retraite et d’invalidité ainsi qu’aux allocations de chômage (art. 136-1-2 du code de la sécurité sociale) ;

– l’exonération de contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (art. 137-41 du même code) portant sur les pensions de retraite et d’invalidité ;

– la dispense d’acompte du prélèvement forfaitaire non libératoire portant sur des revenus de capitaux mobiliers (article 117 quater du CGI)

– l’exonération d’impôt sur le revenu portant la plus-value immobilière prévue au 1° ter du II de l’article 150 U du CGI ;

– l’attribution du chèque énergie (art. R. 124-1 du code de l’énergie) ;

– l’octroi de l’aide juridictionnelle (article 3 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles) ;

– l’octroi d’un logement social (art. 4 de l’arrêté du 29 juillet 1987 relatif aux plafonds de ressources des bénéficiaires de la législation sur les habitations à loyer modéré et des nouvelles aides de l'État) en secteur locatif et l’attribution de différentes aides afférentes au logement ([22]) ;

– l’ouverture et à la détention d’un livret d’épargne populaire (art. R. 221-33 du code monétaire et financier).

Par ailleurs, la tarification sociale des services proposés par les collectivités territoriales (crèche, cantines scolaires, accès aux transports, etc.) tout comme les critères d’octroi de bourses d’étude peuvent également prendre en compte le revenu fiscal de référence.

La rapporteure a demandé des informations complémentaires aux administrations compétentes pour dresser une liste exhaustive des dispositifs qui dépendent du RFR ainsi que les conséquences budgétaires du dispositif proposé. Les informations n’ont pas été transmises à la date d’impression du rapport.

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Amendement CF5 de Mme Aude Luquet.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Il s’agit de la solution de repli que j’ai évoquée : la contribution pour l’éducation et l’entretien de l’enfant est toujours fiscalisée pour le parent qui la reçoit mais elle est sortie de son revenu fiscal de référence. Le Conseil d’État a cependant bien précisé que ces contributions ne peuvent pas être considérées comme des revenus. Elles ne devraient donc pas être fiscalisées dans l’idéal, d’autant que cela a pour effet de réduire les sommes consacrées à l’enfant.

Mme Christine Arrighi. Mme la rapporteure s’est manifestement rendu compte que, sur le sujet qui la préoccupe et qui nous préoccupe également, elle sera soutenue par la gauche de cette salle plutôt que par la droite. Compte tenu de la situation que vivent les femmes seules dans notre société, notamment celles qui ont des enfants, je trouve cela navrant.

M. Denis Masséglia. La majorité sera toujours présente pour accompagner les familles monoparentales – pour l’essentiel, des femmes seules avec enfants. La majorité sera toujours présente pour travailler à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Telle que vous souhaitez qu’elle soit adoptée dans sa formulation initiale, monsieur le président, la proposition de loi représente un gain de 440 millions d’euros pour le budget de l’État. Voulons-nous en faire une solution pour réduire le déficit public ? Elle induit une augmentation d’impôts de 311 euros pour les personnes du premier décile qui paient une pension alimentaire. Voulons-nous mettre en difficulté les plus fragiles ? Non.

Nous partageons l’objectif de la proposition de loi mais telle quelle, elle ne nous convient pas.

M. Philippe Brun. Le sujet n’est pas le déficit public, mais la situation des familles concernées, qui sont très nombreuses dans ce pays. Toutes demandent la défiscalisation de la pension alimentaire.

Chers collègues de la majorité, vous faites une erreur magistrale, semblable à celle que vous avez commise pour la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés. Pendant des années, vous l’avez refusée, au motif que c’était trop complexe et techniquement infaisable. Puis vous avez fini par vous rendre à l’évidence : cette mesure de justice était réclamée par tous. La Première ministre l’a donc annoncée, et nous l’avons adoptée.

Nous, socialistes, ne voterons pas l’amendement, qui est un repli. Madame la rapporteure, chers collègues du groupe MODEM, vos alliés sont du côté gauche de la salle, et seront demain du côté gauche de l’hémicycle. La proposition de loi a plus de chances d’être adoptée avec nos voix qu’avec celles de vos alliés habituels.

Il faut conserver l’ambition première de la proposition de loi et accéder à la demande de l’écrasante majorité du corps social de défiscaliser la pension alimentaire.

M. Jocelyn Dessigny. J’aimerais apaiser le débat, que la convocation de la gauche et de la droite de cette assemblée tend à enflammer. Le sujet, me semble-t-il, est transpartisan et dépourvu de coloration politique.

Certains propos suggèrent que la situation se résume à « l’homme contre la femme ». Il faut sortir de cette approche sexiste selon laquelle les femmes ont toujours la garde des enfants. Pour ma part, j’ai la garde de mes enfants, j’ai un revenu supérieur à celui de mon ex-femme et c’est elle qui me verse une pension alimentaire. C’est un contre-exemple pour le texte.

Nous ne sommes d’ailleurs pas défavorables à la proposition de loi. Nous constatons simplement qu’elle alourdit les impôts du parent qui verse la pension alimentaire, qu’il s’agisse du père ou de la mère, ce qui ne nous semble pas judicieux. Il aurait été plus juste pour les enfants de prévoir une pleine part fiscale dès le deuxième enfant.

M. Jean-Paul Mattei. Je soutiens l’amendement. Certes, il peut être considéré comme un recul par rapport à la disposition initiale, et il faudrait d’autres modifications pour équilibrer un peu cette mesure. Mais il est important de se fonder sur la notion de revenu fiscal de référence. Le code civil pose une obligation parentale de s’occuper des enfants, qui se transforme ensuite en obligation des enfants vis-à-vis des parents. Les sommes concernées ne peuvent pas être considérées comme des revenus, découlant de cette obligation légale. Il est donc pertinent d’agir au niveau du revenu fiscal de référence, ce qui permet d’éviter de perdre certaines aides sociales.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Je conçois que l’on puisse estimer, comme nos collègues de gauche, que cet amendement de repli ne va pas assez loin. Toutefois, si nous voulons avancer aujourd’hui, il faut faire des propositions de cet ordre. Cela reste un progrès pour le parent ayant la garde de l’enfant.

Chers collègues de gauche, cette avancée manque peut-être d’ambition à vos yeux, mais je la défends car il est nécessaire d’apporter des solutions à des situations concrètes. Quels que soient les cas particuliers, ce sont plutôt les mères, statistiquement, qui ont la garde de l’enfant – soit dit sans stigmatiser les pères, ce qui n’est aucunement l’objet du texte.

Se fonder sur le revenu fiscal de référence est un moyen de remédier à la perte de prestations sociales et d’élargir les aides que nous apportons aux classes moyennes et modestes. Il s’agit d’une nécessité pour remplir notre seul objectif, celui de l’intérêt de l’enfant.

La commission adopte l’amendement et l’article 1er est ainsi rédigé.

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Après l’article 1er :

Amendement CF1 de Mme Marianne Maximi.

Mme Marianne Maximi. Nous demandons au Gouvernement un rapport sur l’opportunité d’exclure les pensions alimentaires reçues du calcul des prestations sociales. Même défiscalisées, elles sont prises en compte dans le calcul des ressources déterminant le montant de certaines de ces prestations, notamment le RSA et la prime d’activité, ce qui pénalise clairement les ménages concernés.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Demande de retrait. La détermination des conditions de ressource permettant d’attribuer et de calculer les prestations sociales ne dépendent pas du législateur. Par ailleurs, nous attendons, en vue de l’examen du texte en séance publique, la communication de données par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES).

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF2 de Mme Marianne Maximi.

Mme Marianne Maximi. Nous demandons un rapport étudiant l’effet redistributif de la défiscalisation partielle des pensions alimentaires reçues. Environ un tiers des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté et ne sont pas imposables.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Demande de retrait. Nous disposons déjà d’études, menées notamment par le HCFEA. Par ailleurs, nous attendons des retours de la DREES sur les effets microéconomiques et macroéconomiques de la défiscalisation des pensions alimentaires.

La commission rejette l’amendement.

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Article 2
[article 156 du code général des impôts]
Restriction de la déductibilité de la pension alimentaire versée pour un enfant mineur aux sommes supérieures à 4 000 euros par an et par enfant et 12 000 euros par an.

Corollaire de l’article 1er, l’article 2 propose de supprimer la possibilité pour le débiteur de déduire de son revenu imposable la pension versée au titre de la contribution pour l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur pour les sommers versées inférieures à 4 000 euros par enfant et par an et 12 000 euros par an. Pour les sommes supérieures à ces montant, la déductibilité serait maintenue.

L’article est supprimé par l’adoption de l’amendement CF6 proposé par la rapporteure

I.   Le droit existant

En vertu de l’article 13 du code général des impôts, seules les dépenses contractées pour l’acquisition ou la conservation d’un revenu sont déductibles du revenu taxable. Les dépenses d’ordre privé pour entretenir le train de vie du contribuable ou de sa famille constituent un emploi de revenu et ne sont pas déductibles de ses revenus taxables, dès lors qu’elles ne contribuent ni à l’acquisition d’un revenu ni à sa conservation. Ainsi, les dépenses d’un parent pour des frais liés à l’entretien ou l’éducation des enfants ne constituent pas des dépenses liées à l’acquisition ou la conservation d’un revenu et ne sont donc pas déductibles, dès lors que l’enfant est intégré au foyer fiscal de ses parents

À l’inverse, lorsque l’enfant n’est pas pris en compte dans la détermination du quotient familial, le 2° du II de l’article 156 du CGI, tel qu’interprété par le juge administratif, permet aujourd’hui la déduction par le débiteur de la pension alimentaire versée pour l’entretien et l’éducation de l’enfant.

Une interprétation jurisprudentielle très charitable du 2° du II de l’article 156 pour le parent débiteur

Le 2° du II de l’article 156 du code général des impôts prévoit aujourd’hui la déductibilité des pensions alimentaires versées au titre de :

– l’obligation alimentaire (des descendants aux ascendants et réciproquement, des gendres et belles-filles envers leurs beaux-parents et réciproquement, des héritiers envers le conjoint de la personne décédée, etc.) fondée sur les articles 205 à 211 du code civil ;

 – la prestation compensatoire (lorsqu’elle n’est pas versée sous forme de capital entre 12 mois et 8 ans ou lorsqu’elle est versée sous forme de rente viagère) ;

Il n’est à aucun moment fait référence aux articles 203 du code civil, qui imposent aux époux l’obligation « de nourrir, entretenir et élever leurs enfants » et aux articles 371-2 et 371-2-1 du code civil qui fondent la contribution pour l’entretien et l’éducation.

L’arrêt « Brouard » du 14 octobre 2009 ([23]) a permis d’adopter une lecture extensive du 20 du II de l’article 156 en harmonisant le traitement de l’obligation alimentaire et l’obligation d’entretien.

Il n’existe pour les enfants mineurs aucun plafond déterminé à cette déduction du revenu imposable. Cependant, en l’absence de fixation judiciaire ou conventionnelle du montant de la contribution versée par le parent n’ayant pas l’enfant à sa charge, l’administration fiscale peut demander justification du montant de la pension alimentaire déduit du revenu imposable pour s’assurer de son utilisation pour l’entretien de l’enfant. La jurisprudence administrative ([24]) a ainsi confirmé que la pension est déductible si son montant présente un caractère raisonnable et proportionné au regard de l’obligation d’entretien de l’enfant incombant au contribuable, compte tenu des ressources de chacun des parents et des besoins de l’enfant eu égard à son âge. Dans la pratique, il semblerait que la table de référence proposée par le ministère de la justice serve d’étalon.

Pour les enfants majeurs, lorsqu’ils ne sont pas rattachés foyer fiscal du parent, le 2° du II de l’article 156 du CGI plafonne la déduction au montant mentionné à l’article 196 B soit 6 042 euros par an pour l’année 2022.

II.   le dispositif proposÉ

L’article 2, en parallèle de l’article 1er, vise à restreindre la possibilité de déduire du revenu imposable du débiteur les pensions alimentaires, versées au titre de la contribution pour l’entretien et l’éducation d’un enfant mineur, aux sommes supérieures aux plafonds prévus pour les parents créanciers à l’article 1er de la proposition de loi.

Si le dispositif peut s’avérer avantageux pour les débiteurs les plus aisés qui disposent de revenus significatifs, il s’agit d’éviter une double imposition, l’article 1er de la proposition de loi prévoit que les personnes concernées ne pourront déduire de leur revenu imposable les montants dépassant ces plafonds de 4 000 euros par enfant et par an et de 12 000 euros par an.

III.   La position de la commission

Au regard de la sensible augmentation du montant d’impôt sur le revenu devant être acquitté par les débiteurs appartenant aux classes moyennes, la commission a voté, sur proposition de la rapporteure, un amendement supprimant cet article

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Amendement CF6 de Mme Aude Luquet.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Il s’agit de supprimer l’article 2, et donc de maintenir la possibilité, pour le débiteur, de déduire de son revenu imposable les contributions versées pour l’entretien et l’éducation de l’enfant.

M. Denis Masséglia. Cet article 2, relatif à la fiscalité, illustre ma précédente intervention. Si j’ai bien compris, la partie gauche de notre assemblée souhaite augmenter les impôts des personnes versant des pensions alimentaires, à hauteur de 516 millions en plus des impôts déjà perçus. En réalité, la proposition de loi fait huit perdants pour un gagnant !

Nous, au sein de la majorité présidentielle, nous sommes pour l’égalité et pour une juste imposition. Nous ne souhaitons pas surfiscaliser pour avoir plus d’argent dans les caisses de l’État. C’est le choix de la majorité présidentielle, qui n’est peut-être pas celui de l’opposition. Chacun est libre de son vote.

L’article, tel qu’il était initialement rédigé, évite à l’État une perte fiscale de 400 millions d’euros. Nous aurions voté contre. L’objectif que nous devons viser n’est pas le renflouement des caisses de l’État, mais l’accompagnement des personnes recevant une pension alimentaire, qui sont le plus souvent des femmes à la tête de familles monoparentales se trouvant dans une situation très difficile.

M. Philippe Brun. Si je comprends bien ce qui vient de dire notre collègue Masséglia, les députés du groupe Démocrate font partie de l’opposition, et il faut donc fustiger les dispositions qu’ils proposent. C’est extraordinaire !

Le dispositif est équilibré. Si la somme est fiscalisée d’un côté, elle doit être défiscalisée de l’autre. Nous soutenons cet amendement : l’article 1er ayant été modifié, il est logique, par souci de coordination, de supprimer l’article 2.

M. Jocelyn Dessigny. J’aimerais être certain que l’article 2 permet au parent qui verse la pension alimentaire de la défiscaliser.

Mme Aude Luquet, rapporteure. L’article 2 supprimait la défiscalisation. En le supprimant, on en revient à l’existant.

M. Jean-Paul Mattei. À l’heure actuelle, le parent qui verse la pension alimentaire peut la déduire de son revenu imposable, et celui qui la reçoit est fiscalisé. Nous venons d’adopter une disposition selon laquelle cette somme, qui ne peut pas être considérée comme un revenu, n’entre pas dans le calcul du revenu fiscal de référence. Par conséquent, avec cet amendement, les équilibres financiers sont maintenus. J’ai donc du mal à comprendre certains des propos qui ont été tenus.

J’ai bien compris que certains veulent aller plus loin, ce qui a des conséquences financières. Dont acte. En excluant la pension alimentaire du revenu fiscal de référence, le dispositif est complet et va dans le bon sens.

Mme Marianne Maximi. Mais revenir à la situation actuelle n’est pas satisfaisant. Les pères continueront à défiscaliser entièrement les pensions alimentaires, alors que l’exonération des femmes sera plafonnée à 330 euros par mois.

Cette fiscalité demeure sexiste, au détriment des femmes. Elle peut aussi être utilisée par les hommes les plus aisés, qui versent de grosses pensions alimentaires, comme une niche fiscale.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Je conçois que l’on puisse regretter que le texte ne va pas assez loin. Il s’agit d’un premier pas, qui ne doit pas être le dernier. Nous devrons aussi travailler à l’échelon réglementaire pour faire évoluer les situations.

La commission adopte l’amendement. En conséquence, l’article 2 est supprimé.

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Après l’article 2 :

Amendement CF3 de Mme Marianne Maximi.

Mme Marianne Maximi. Il vise à interroger le Gouvernement sur le potentiel effet inégalitaire de la défiscalisation des pensions alimentaires versées au-dessus d’un certain seuil. Le barème mis à disposition par le ministère de la justice prévoit plusieurs seuils. Il faut s’assurer que le seuil retenu n’a pas d’effet régressif préjudiciable aux parents les plus pauvres.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Demande de retrait. Plusieurs études ont déjà été réalisées, notamment par l’Union nationale des associations familiales et le HCFEA. Il faut des éléments chiffrés pour répondre à votre question, qui soulève un vrai problème sur lequel nous devrons revenir.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF4 de Mme Marianne Maximi.

Mme Marianne Maximi. Nous proposons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport pour étudier les effets réels de la défiscalisation des pensions alimentaires sur les débiteurs à faibles revenus et énoncer des pistes de réflexion visant à garantir un juste calcul des prestations sociales auxquelles ils et elles peuvent prétendre.

Mme Aude Luquet, rapporteure. Demande de retrait. Il est exact que les débiteurs les plus touchés par la proposition de loi sont ceux qui sont assujettis à l’impôt sur le revenu. Nous attendons des éléments complémentaires sur ce sujet, que nous présenterons en séance publique le 6 octobre prochain.

La commission rejette l’amendement.

 

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Article 3

Gage

Cet article prévoit un mécanisme de compensation des pertes de recettes et des charges qui résulteraient, pour l’État, de l’adoption des articles 1 et 2.

La commission a adopté cet article

La commission adopte l’article 3 non modifié.

M. Philippe Brun. En dépit des dispositions de repli adoptées, la proposition de loi comporte des avancées. L’article 1er modifié permet d’exclure les pensions alimentaires du calcul du bénéfice de certaines prestations sociales.

Nous allons donc voter pour cette proposition de loi en commission. Nous espérons qu’elle sera examinée dans l’hémicycle, ce qui dépend de la position dans laquelle vous la présenterez lors de votre journée de niche. Nous serons à vos côtés, madame la rapporteure, pour la voter, car elle représente un progrès social pour les femmes et les parents seuls de ce pays.

M. Denis Masséglia. Les membres du groupe Renaissance sont satisfaits qu’il n’y ait plus de hausse de la fiscalité sur les personnes les plus fragiles.

Nous ne disposons d’aucune simulation des impacts de la proposition de loi sur les personnes concernées. Nous espérons que les services de l’État nous fournirons, d’ici l’examen du texte en séance publique la semaine prochaine, des éléments complémentaires pour nous permettre de prendre une décision en toute connaissance de cause.

Pour l’heure, le groupe Renaissance ne prendra pas part au vote.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi ainsi modifié.

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   Liste des personnes auditionnÉes PAR LA rapporteurE

Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Direction du budget : Mme Marie Chanchole, sous-directrice, MM. John Houldsworth, adjoint à la sous-directrice, Jean Fournier, chef du bureau de la solidarité et de l’insertion, et Jules Crepin, adjoint au chef du bureau de la solidarité et de l’insertion.

Direction de la législation fiscale : MM. Christophe Pourreau, directeur, et Lucas Paszkowiak, chef du bureau C1 « Principes généraux de l’impôt sur le revenu ».

Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques : M. Fabrice Lenglart, directeur.

Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l'âge : M. Michel Villac, président du conseil de la famille, et Mme Laurence Rioux, secrétaire générale.

Union nationale des associations familiales : Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, M. Jean-Philippe Vallat, directeur des politiques et actions familiales et des études, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires.

Personnalités qualifiées :

– Mme Céline Bessière, Professeur à l’Université Paris-Dauphine ;

– Me Nathalie Bouché, avocate ;

– Mme Lise Chatain, professeur à l’Université de Bourgogne.


([1]) Céline Bessière et Sibylle Gollac, Le genre du capital : Comment la famille reproduit les inégalités, Paris, La Découverte, 2019, p. 44.

([2])  Rapport d’information n° 2184 relatif au régime fiscal des pensions alimentaires réalisé au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes par de Sophie Auconie et Guillaume Gouffier-Cha, 23 juillet 2019, p. 15.

([3]) INSEE première, n° 1803, 18 juin 2020.

([4]) Cf. article 373-2-2 du code civil.

([5]) Son montant est fixé conformément aux articles R523-1 à R523-8 du code de la sécurité sociale.

([6]) HCFEA, Les ruptures familiales, État des lieux et propositions, Rapport du 10 avril 2014, p. 90.

([7]) Idem, p. 12.

([8]) Cf. décret n° 2020-1202 du 30 septembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l’intermédiation financière des pensions alimentaire.

([9])  Carrasco V. et Dufour C., Les décisions des juges concernant les enfants de parents séparés ont fortement évolué dans les années 2000, Infostat Justice n° 132, ministère de la Justice-SDSE, 2015. Il convient de préciser que ce montant a vraisemblablement augmenté avec la nouvelle table de référence proposée par le ministère de la justice.

([10]) Rapport disponible à l’adresse suivante : https://www.hcfea.fr/IMG/pdf/synthese_et_propositions-2.pdf.

([11]) CE, 3e et 8e ch., 14 avr. 2022, n° 436589 et 436590 : « S'agissant d'une pension versée en application de l'obligation d'entretien et d'éducation, il appartient au contribuable qui entend la déduire de ses revenus imposables de justifier du montant correspondant à cette obligation, soit en se prévalant d'une décision de justice fixant ce montant, soit en établissant son caractère proportionné au regard de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant, compte tenu notamment de son âge. Les ressources à prendre en compte pour apporter cette justification s'apprécient sans déduction ou adjonction des pensions versées ou reçues. Lorsque le contribuable verse plusieurs pensions, cette proportionnalité doit s'apprécier en tenant compte de l'ensemble des pensions versées ».

([12]) L’article 196 du CGI précise que les enfants pris en compte sont ses enfants mineurs (ou les enfants mineurs qu’il a recueilli dans son propre foyer) ainsi que ses enfants infirmes. Le 3 de l’article 6 du CGI prévoit qu’un enfant majeur peut demander son rattachement au foyer fiscal dont il faisait partie avant d’avoir 18 ans à condition d’avoir moins de vingt et un ans, ou d’avoir moins de vingt-cinq ans et de poursuivre ses études, ou, quel que soit son âge, s’il est atteint d’une infirmité.

([13]) L’article 197 du CGI prévoit que pour les familles monoparentales ayant la charge exclusive, l’avantage fiscal soit limité à 3 756 euros pour la part entière accordée pour le premier enfant à charge. En cas de garde alternée enfants, le quotient familial est plafonné à 939 euros pour le quart de part supplémentaire accordé s’il y a un seul enfant, et à 1 878 euros pour la demi-part supplémentaire si le parent gardien isolé a deux enfants ou plus.

([14]) Ce seuil au titre des revenus 2 021 est de 25 400 euros pour un parent seul avec un enfant, de 30 531 euros pour un parent seul avec ses deux enfants et de 40 738 pour un parent seul avec ses trois enfants

([15]) Idem, p. 13

([16]) La simulation de la direction de la législation fiscale transmise est fondée sur des données déclaratives qui ne différencient pas les pensions alimentaires versées au titre de la prestation compensatoire de celles versées au titre de la contribution pour l’éducation et l’entretien de l’enfant. Les chiffres présentés sont donc, par construction, surévalués.

([17]) Cf. article R.262-6 articles R. 844-1 à R. 844-5 du code de l’action sociale et des familles

([18]) Les données transmises incluent les enfants majeurs à charge de moins de 20 ans contrairement à la proposition de loi qui ne vise que les enfants mineurs.

([19]) Le modèle INES de la DREES à partir duquel des simulations ont été réalisées prenant en compte les prestations suivantes :

- les aides personnelles au logement ;

- les minima sociaux : le revenu de solidarité active solidarité active (RSA), l’allocation pour adulte handicapé (AAH) et ses compléments, l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), la garantie jeunes, l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ;

- la prime d’activité (PA) ;

- les prestations familiales : allocations familiales (AF), complément familial, prime à la naissance ou à l’adoption et allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), complément de libre choix d’activité (CLCA) ou prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE), allocation de rentrée scolaire (ARS), bourses du secondaire, allocation de soutien familial (ASF), allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH).

([20]) Selon l’article 373-2-9 du code civil, la résidence de l’enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l’un d’eux, suivant les critères énumérés à l’article 373-2-11 du code civil. En l’absence d’alternance, dans le cas d’une garde « classique » prise en compte par le juge des affaires familial dans le calcul de la pension alimentaire, l’enfant réside chez l’un des parents et l’autre parent a un droit de visite et d’hébergement le plus souvent une fin de semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires.

([21]) Cf. 80 septies du CGI.

([22]) Cf. Avances remboursables sans intérêt pour la construction, l'acquisition et l'amélioration de logements en accession à la propriété (R. 138-5 du code la construction et de l’habitat)

([23]) CE, 3e et 8e ss-sect., 14 oct. 2009, n° 301709, Brouard : JurisData n° 2009-081553.

([24]) Cf. par exemple : TAParis,2e sect.,2e ch.,19 sept.2011,n° 0905629, Alberti : RJF 3/2012, n° 208