N° 287

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France (n° 218),

PAR M. Antoine Armand

Député

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Voir le numéro : 218.

 


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Mesdames, Messieurs,

M. le président Olivier Marleix et les membres du groupe Les Républicains et apparentés ont déposé, le 5 septembre 2022, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France (n° 218).

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur cette proposition.

Par courrier adressé le 31 août 2022 à la présidente de l’Assemblée nationale, M. Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains et apparentés, a indiqué faire usage du pouvoir confié à certains présidents de groupe par l’article 141 du Règlement, qui prévoit que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Dans le cadre de ce « droit de tirage », comme le prévoit l’article 140 du Règlement, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de la commission d’enquête. Aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable.

Par la suite, si la commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la Conférence des Présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête.

Ces conditions sont au nombre de trois :

1° Tout d’abord, l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, à son I, que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l’article 137 du Règlement, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Dans le cas présent, l’article unique de la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête « chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France sous la présidence de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ».

L’exposé des motifs de la proposition de résolution permet d’en savoir davantage sur les faits et les gestions publiques en cause. Il souligne la hausse substantielle des importations d’électricité ces dernières années et il met en avant les alertes du gestionnaire du réseau de transport d’électricité, RTE, sur l’approvisionnement en électricité de la France en 2022 et 2023 et les craintes relatives à d’éventuelles coupures de courant le prochain hiver. Il rapproche cette perte de maîtrise de notre approvisionnement électrique de l’affaiblissement des capacités de production nucléaire nationales, du fait, notamment, des retards du chantier de l’EPR à Flamanville et de l’arrêt de 32 réacteurs nucléaires sur les 56 que compte notre pays, dont il questionne les causes. Il interroge à ce propos les politiques publiques menées depuis 2012, qui ont acté la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, arrêté le projet ASTRID et favorisé les investissements dans les énergies renouvelables, qu’il oppose aux politiques menées à la sortie de la seconde guerre mondiale et après le premier choc pétrolier, qui se sont attachées à construire l’indépendance électrique française en développant une importante industrie nucléaire civile.

L’objectif premier de la commission d’enquête est ainsi de comprendre les raisons de la perte de cette indépendance énergétique, et de la perte de souveraineté qui en découle, mais aussi d’en déterminer les causes politiques et les éventuelles responsabilités, en particulier au niveau de la définition des politiques énergétiques nationales et de leurs choix stratégiques.

Le rapporteur relève que les auteurs de la proposition de résolution questionnent plus spécifiquement les décisions des chefs de l’État en fonction depuis 2012. Il rappelle que, constitutionnellement, une commission d’enquête parlementaire ne peut mettre en cause la responsabilité, réelle ou hypothétique, de présidents de la République dans l’exercice de leurs fonctions. Elle est en revanche dans son rôle s’il s’agit d’évaluer les politiques mises en œuvre par leurs gouvernements.

Cela étant précisé, les objectifs que la commission d’enquête entend poursuivre apparaissent décrits avec une précision suffisante.

La proposition de résolution appelle cependant quelques réserves.

On remarquera d’abord qu’au regard des précisions apportées par l’exposé des motifs, et contrairement à l’énoncé large du dispositif de la proposition de résolution, la commission d’enquête ne devrait s’attacher qu’aux problèmes de la production et de l’approvisionnement électriques de la France.

Le rapporteur observe en outre qu’une recherche méthodique, impartiale et complète des causes de la crise actuelle ne peut s’arrêter aux deux derniers quinquennats. Pour ne citer que la décennie précédente, le réacteur nucléaire le plus récent date de 2002 et lorsque la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique a donné le cadre législatif pour le projet EPR, le défi du renouvellement des centrales à horizon 2020 était déjà connu mais un seul nouveau chantier a été lancé, en avril 2007, et s’est trouvé confronté à des difficultés qui ont débuté avant 2012. Les productions électriques alternatives, issues des énergies renouvelables, n’ont, elles-mêmes, que très peu progressé dans les années 2000 en dépit des interrogations sur notre avenir énergétique. Il paraît ainsi pertinent de questionner de la même façon les choix d’investissement des précédents quinquennats dans les capacités de production nationales. Au demeurant, les politiques énergétiques étant élaborées et mises en œuvre sur un temps long, elles impliquent, par nature, différents responsables et acteurs publics et privés qui ont pu jouer un rôle dans la situation présente.

Quoi qu’il en soit, le rapporteur souligne combien il est singulier que la proposition de résolution désigne d’ores et déjà des responsabilités que la commission d’enquête a précisément pour objet de clarifier.

S’il ne peut amender le texte de la proposition de résolution portant création d’une commission d’enquête pour en expliciter la portée, le rapporteur insiste donc sur le fait que le bureau de la future commission devra repréciser le périmètre de ses travaux au regard des exigences de légalité et d’efficacité d’une commission d’enquête ;

2° En deuxième lieu, l’article 138 du Règlement prévoit l’irrecevabilité de « toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité.

3° Enfin, le I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée dispose qu’« il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ».

L’application de cette disposition est précisée de la manière suivante par l’article 139 du Règlement :

« Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice.

« Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. »

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, M. Éric Dupond‑Moretti, garde des Sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 29 septembre 2022 qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était actuellement en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de cette proposition de résolution.

En conclusion, selon votre rapporteur, la création d’une commission d’enquête chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France est, d’un point de vue juridique, recevable.


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EXAMEN EN commission

Lors de sa réunion du mercredi 5 octobre 2022, la commission a examiné, sur le rapport de M. Antoine Armand, la proposition de résolution de M. Olivier Marleix tendant à la création d’une commission d’enquête chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France (n° 218).

M. le président Guillaume Kasbarian. L’ordre du jour appelle, en premier lieu, l’examen de la recevabilité de la proposition de résolution de M. Olivier Marleix tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France.

Par un courrier en date du 31 août dernier, M. Olivier Marleix, président du groupe Les Républicains, a informé la présidente de l’Assemblée nationale que son groupe souhaitait exercer son « droit de tirage » sur cette proposition de résolution. Ce souhait a été renouvelé lors la Conférence des présidents du mardi 4 octobre.

En conséquence, si la proposition de résolution a été renvoyée à notre commission du fait de notre compétence en matière d’énergie, nos pouvoirs quant à l’appréciation de sa recevabilité sont réduits. Il nous appartient seulement de vérifier que les conditions juridiques requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur l’opportunité de cette création et aucun amendement n’est recevable.

En outre, contrairement à la procédure utilisée pour les propositions de résolution ne faisant pas l’objet d’un droit de tirage, il n’y aura pas de débat dans l’hémicycle. Il appartiendra à la prochaine Conférence des présidents, le mardi 11 octobre, de prendre acte de la création de la commission d’enquête si nous constatons en commission que les conditions requises pour sa création sont réunies.

M. Antoine Armand, rapporteur. Aux termes de l’article 140 de notre Règlement, « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». Il appartient donc à la commission des affaires économiques de se prononcer sur la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Le 31 août, le président du groupe Les Républicains, M. Olivier Marleix, avait indiqué faire usage du pouvoir confié par l’article 141 de notre Règlement : « Chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celles précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Dans le cadre de ce droit de tirage, la commission compétente doit uniquement vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies, sans se prononcer sur l’opportunité de celle-ci ; aucun amendement au texte de la proposition de résolution n’est recevable. Si notre commission estime que les conditions requises pour cette création sont réunies, la Conférence des présidents prendra acte de la création de la commission d’enquête.

Ces conditions sont au nombre de trois.

Premièrement, l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit l’irrecevabilité de toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre. La présente proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité.

Deuxièmement, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires indique qu’il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. L’article 139 de notre Règlement précise que le Président de l’Assemblée nationale notifie au Garde des sceaux le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ; le Garde des sceaux doit lui indiquer en retour si des poursuites judiciaires sont en cours. Interrogé par la Présidente de l’Assemblée nationale, le Garde des sceaux, ministre de la justice, lui a fait savoir par un courrier en date du 29 septembre 2022 qu’à sa connaissance, aucune poursuite judiciaire n’était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la présente proposition de résolution.

Troisièmement, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que « les commissions d’enquête sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ». Cette condition est réitérée à l’article 137 du Règlement de l’Assemblée, qui prévoit que les commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publiques dont la commission doit examiner la gestion ».

Dans le cas présent, la proposition de résolution vise à créer une commission d’enquête « chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France sous la présidence de François Hollande puis d’Emmanuel Macron ». L’exposé des motifs souligne la hausse substantielle des importations d’électricité ces dernières années et met en avant les alertes du gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) sur l’approvisionnement en électricité de la France en 2022 et 2023 ainsi que la crainte de coupures de courant durant le prochain hiver. Il rapproche cette perte de maîtrise de notre approvisionnement électrique de l’affaiblissement des capacités de production nucléaire national, du fait notamment des retards du chantier de construction du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville et de l’arrêt de trente-deux réacteurs nucléaires sur les cinquante-six que compte notre pays – il convient de préciser que le nombre de réacteurs nucléaires à l’arrêt est désormais de vingt-six. L’exposé des motifs interroge les politiques publiques menées depuis 2012, qui ont acté la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, mis un terme au projet de réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle (Astrid), et favorisé les investissements dans les énergies renouvelables. Il leur oppose celles menées à la sortie de la seconde guerre mondiale et après le premier choc pétrolier, qui se sont attachées à construire l’indépendance électrique française en développant une importante industrie nucléaire civile.

Les auteurs de la proposition de résolution questionnent plus spécifiquement les décisions des chefs de l’État en fonction depuis 2012. Je rappelle que, constitutionnellement, une commission d’enquête parlementaire ne peut mettre en cause la responsabilité réelle ou hypothétique des présidents de la République dans l’exercice de leurs fonctions. En revanche, elle est dans son rôle lorsqu’il s’agit d’évaluer les politiques mises en œuvre par leurs gouvernements.

Il découle donc de l’exposé des motifs que l’objectif premier de la commission d’enquête est de comprendre les raisons de la perte par la France de son indépendance énergétique et de la perte de la souveraineté qui en découle, ainsi que d’en déterminer les causes politiques et les éventuelles responsabilités, en particulier pour ce qui concerne la définition des politiques énergétiques nationales et les choix stratégiques. Les objectifs que la commission d’enquête entend viser apparaissent décrits avec une précision suffisante.

J’exprimerai cependant quelques réserves sur son périmètre.

En premier lieu, si l’intitulé de la proposition de résolution évoque l’indépendance énergétique de la France au sens large, l’exposé des motifs ne traite que de la production et de l’approvisionnement électrique de notre pays. Il serait cohérent que la commission d’enquête ne s’attache qu’à cette question, qui est déjà vaste.

En second lieu, une recherche méthodique, impartiale et complète des causes de la crise actuelle ne saurait s’arrêter aux deux derniers quinquennats. Par exemple, le réacteur nucléaire le plus récent date de 2002. Lorsque la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique a défini le cadre législatif pour le projet EPR, le défi du renouvellement des centrales à l’horizon 2020 était déjà connu. Pourtant, un seul nouveau chantier a été lancé, en avril 2007, et les difficultés auxquelles il s’est trouvé confronté ont commencé avant 2012. Les productions électriques issues des énergies renouvelables n’ont elles-mêmes que très peu progressé dans les années 2000, en dépit d’interrogations déjà présentes sur notre avenir énergétique. Il paraît donc pertinent d’examiner aussi les choix opérés durant les précédents quinquennats en matière d’investissement dans les capacités de production nationale. Au demeurant, les politiques énergétiques étant élaborées et mises en œuvre sur la longue durée, elles impliquent par nature et par construction différents responsables, organismes et acteurs publics et privés. La commission d’enquête ayant pour objet de clarifier les causes politiques, stratégiques, opérationnelles, conjoncturelles, collectives et éventuellement individuelles de la situation actuelle, il paraît hautement discutable que la proposition de résolution en désigne d’ores et déjà les responsables, qui plus est avec un ton péremptoire et comminatoire, au risque de laisser penser que ses auteurs n’ont pas l’intention de mener les travaux approfondis et sans parti pris que de tels enjeux imposent.

Enfin, je ne peux que déplorer la violence des attaques personnelles que contient l’exposé des motifs, attaques qui ne reposent que sur l’opinion des auteurs et paraissent d’autant plus illégitimes et déplacées que la personne concernée ne peut y répondre.

En conclusion, la création de la commission d’enquête demandée par le groupe Les Républicains m’apparaît recevable d’un point de vue juridique. Toutefois, si je ne peux amender le texte de la proposition de résolution pour en expliciter la portée, j’insiste sur le fait que le bureau de la future commission devra bien préciser le périmètre de ses travaux au regard des exigences de légalité et d’efficacité d’une commission d’enquête.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Maud Bregeon (RE). Je suis extrêmement contente qu’une telle commission d’enquête puisse avoir lieu, même si je crois que les responsabilités sont partagées, non pas sur les dix dernières années, mais plutôt sur les vingt ou vingt-cinq dernières. Vu l’état de la filière, nous nous devons de faire cette introspection.

En revanche, je suis moi aussi très étonnée par la période retenue. Dix ans, soit deux quinquennats, cela correspond peut-être au temps politique, mais pas au temps industriel. Quiconque connaît un peu cette industrie sait bien qu’elle s’inscrit dans un temps plus long. Il serait nécessaire de remonter au moins jusqu’en 2002, date de la mise en service commercial de la centrale de Civaux. Il conviendrait de s’attarder sur l’arrêt de Superphénix, qui a sonné le glas de la quatrième génération de réacteurs. On pourrait aussi s’interroger sur la restructuration de la filière, qui a conduit à la fusion de Framatome, de Cogéma et de TechnicAtome au sein d’Areva, dont on connaît aujourd’hui les déboires industriels. On pourrait parler de la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique de 2006, qui prévoyait la production de 13 gigawatts d’éolien pour 1,6 gigawatt seulement de nucléaire, et de celle de 2009 : 5,6 gigawatts de solaire, 16 gigawatts d’éolien et, pour le nucléaire, seulement Flamanville 3 et Penly 3. En 2010, le rapport Roussely propose de différer la construction de Penly 3, et le ministre chargé de l’énergie, Jean-Louis Borloo, refuse la construction d’Atmea, réacteur qui aurait pu constituer une alternative à l’EPR, déjà considéré comme extrêmement complexe. La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dite « loi Nome », a été largement critiquée car elle a imposé à EDF de revendre à ses concurrents 25 % de sa production électronucléaire, à un prix significativement inférieur à son coût de revient ; en d’autres termes, on a demandé, pendant plus de dix ans, à EDF de subventionner ses concurrents pour qu’ils puissent lui piquer des parts de marché ! Et comment peut-on affirmer vouloir créer une commission d’enquête sur l’état de la filière sans prendre en considération l’année 2011, qui, avec l’accident de Fukushima et ses répercussions sur le plan tant national qu’international, a sonné le début de « l’hiver du nucléaire » ? Bref, le choix de la période 2012-2022 m’apparaît bien partial !

M. Antoine Armand, rapporteur. Je suis d’accord avec vous : la période retenue ne semble pas adéquate ; il vaudrait mieux ne pas s’en tenir aux deux derniers quinquennats et à la temporalité politique. Et vous avez raison : il faudra aussi étudier les décisions des entreprises, car la situation actuelle résulte d’une combinaison de décisions stratégiques, publiques et privées.

M. Nicolas Meizonnet (RN). Disons-le d’emblée : nous, élus du Rassemblement national, approuvons pleinement la demande de création d’une commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, alors qu’une crise énergétique et industrielle frappe les Français de plein fouet. Ce que nous attendons de cette enquête, c’est qu’elle fasse la lumière sur des années de décisions politiques désastreuses et irresponsables, de forfaitures qui ont fragilisé notre souveraineté énergétique, nous rendant vulnérables et dépendants de l’étranger, alors même que nous étions exportateurs. Reconnaissons que le président Marleix est légitime à demander la création de cette commission, compte tenu de ses prises de position courageuses sur le dossier Alstom. Néanmoins, au nom de la cohérence, il lui faudra regarder aussi là où le bât blesse, et pointer les responsabilités et les turpitudes des dirigeants issus de sa propre famille politique, celle du RPR, de l’UMP et de LR.

Certes, la crise que nous subissons est le fruit du choix idéologique et électoraliste de François Hollande puis d’Emmanuel Macron de rejeter le nucléaire, jusqu’à un revirement tardif, qui n’aura pas permis d’empêcher la fermeture de Fessenheim ni de rattraper le temps perdu pour la construction de nouveaux EPR sur notre territoire. Elle découle de leur décision de se tourner vers les énergies renouvelables et d’y déverser des milliards d’euros d’argent public : 90 milliards d’ici à 2028 rien que pour l’éolien, énergie pourtant intermittente, non pilotable et peu fiable, alors même que l’intérêt de la France serait d’engager un grand programme industriel de rénovation et de modernisation de notre parc nucléaire. Mais n’ayons pas la mémoire courte ! C’est sous la présidence de Jacques Chirac que la libéralisation du marché de l’électricité s’est accélérée, avec, en 2000, l’obligation pour EDF d’acheter l’électricité des autres opérateurs, véritable subvention publique à l’éolien et au photovoltaïque, et, de 2004 à 2007, l’ouverture totale du marché à la concurrence. C’est sous la présidence de Nicolas Sarkozy qu’a vu le jour, en 2011, le dispositif d’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh), outil de libéralisation du marché ; la même année, alors que Nathalie Kosciusko-Morizet était ministre de l’écologie, les procédures pour l’installation des parcs éoliens étaient simplifiées ; en 2011 toujours, Valérie Pécresse étant ministre du budget, de gros contrats d’éolien en mer étaient attribués à Alstom. Bref, nous souhaitons que cette commission d’enquête permette de mettre au jour ce que nous dénonçons depuis longtemps avec constance : la soumission à la Commission européenne, la libéralisation du marché de l’énergie, la fermeture de Fessenheim, la vente d’Alstom, l’abandon du nucléaire et du projet Astrid, etc.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je me joins à vous pour faire la louange de M. Marleix et salue le revirement idéologique de votre groupe sur la question du nucléaire. Voici en effet ce que disait en 2011 sa présidente : « Une sortie du nucléaire ? C’est un objectif qu’il faut avoir à l’esprit, parce que c’est une énergie qui est extrêmement dangereuse ».

M. le président Guillaume Kasbarian. Je rappelle que l’affaire Alstom a fait l’objet d’une commission d’enquête, dont je fus le rapporteur. Je vous engage à consulter les 400 pages de ce travail extrêmement sérieux, et pas uniquement les déclarations des uns et des autres dans les médias.

M. Matthias Tavel (LFI-NUPES). Réjouissons-nous en effet de l’initiative du président Marleix et de ses collègues, qui peut-être nous permettra, comme ce fut le cas pour l’affaire Alstom, de disposer d’une enquête exigeante sur de grands enjeux industriels pour notre pays et contribuera à poser dans des termes clairs le débat sur la stratégie énergétique de la France. C’est un enjeu fondamental pour la démocratie.

Néanmoins, le caractère limité du champ de la commission d’enquête soulève des interrogations. Bien sûr, il faudra traiter de la responsabilité des quinquennats les plus récents, en particulier du dernier, pour que l’Assemblée puisse exercer son pouvoir de contrôle, mais il est curieux qu’un texte sur l’indépendance et la souveraineté énergétique fasse l’impasse sur un certain nombre de décisions prises depuis une vingtaine d’années : l’ouverture générale du secteur à la concurrence, le dogme européen en la matière, la privatisation d’EDF – qui était pourtant la garante de l’indépendance et de la souveraineté énergétique de la France depuis 1945 –, le renoncement de la puissance publique à exercer sa souveraineté et à défendre l’indépendance énergétique de notre pays.

Pourquoi en outre s’en tenir à la seule énergie nucléaire ? L’un des principaux problèmes, c’est précisément la trop grande dépendance de la France envers cette énergie, et le retard accumulé en matière de sobriété énergétique, qui nous rend vulnérables et dépendants des énergies fossiles que nous importons. C’est la prédominance du nucléaire qui a rendu si compliqué, si tardif et si insuffisant le développement des énergies renouvelables. Le retard pris dans la transition énergétique est le principal facteur d’affaiblissement de l’indépendance et de la souveraineté de la France en matière énergétique. Les questions industrielles doivent être posées pour l’ensemble de la production d’énergie dans notre pays, et pas seulement sur le nucléaire. Il ne s’agit pas de refaire la commission d’enquête sur Alstom, mais abandonner les turbines à gaz et les éoliennes off-shore au moment même où l’on prétendait développer ces énergies, c’était clairement agir contre l’indépendance et la souveraineté de la France.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je le répète : nous n’avons pas la possibilité d’amender la proposition de résolution. En revanche, le futur bureau de la commission d’enquête devra reconsidérer le périmètre de la commission.

Je me réjouis que votre groupe s’intéresse désormais aux questions industrielles. Le précédent gouvernement, en baissant les impôts, en formant mieux les jeunes, en réformant l’assurance chômage, a posé depuis 2017 les bases de nouvelles créations d’emploi dans l’industrie. Nous nous en félicitons.

M. Matthias Tavel (LFI-NUPES). Prétendre que M. Macron serait un défenseur de l’industrie alors que nous venons d’évoquer la situation énergétique et le dossier Alstom, voilà qui est un peu fort de café !

M. le président Guillaume Kasbarian. Tout le monde semble s’intéresser à Alstom, mais je rappelle que la question a fait l’objet en 2017 d’une commission d’enquête, à la demande – déjà – de M. Marleix. Tous les groupes y ont participé, nous avons travaillé pendant six mois, un rapport a été rédigé et sa publication décidée à l’unanimité. Il serait bon de revenir au sujet qui nous occupe aujourd’hui : l’énergie – ou alors utilisez un droit de tirage pour créer une nouvelle commission d’enquête sur l’affaire Alstom.

M. Jérôme Nury (LR). La perte de notre souveraineté et de notre indépendance énergétique est indiscutable. La France, qui avait fait le choix audacieux d’un mix électrique fondé principalement sur l’énergie nucléaire et sur l’hydroélectricité, n’est décidément plus la même. La vision politique du général de Gaulle, prolongée par tous les présidents de la République jusqu’à François Hollande non inclus, a permis aux Français de bénéficier d’un approvisionnement électrique sécurisé, continu, bas-carbone et à faible coût durant des dizaines d’années, procurant un avantage industriel certain à nos entreprises, un confort de vie indiscutable à nos concitoyens et une réelle protection contre les crises pétrolières. Or nombreux sont les députés qui ne mesurent pas entièrement la chance que représentent ces choix industriels. On a joué sur les peurs, faute de pouvoir exposer des arguments scientifiques, et notre pays s’est laissé engager dans une extrême vulnérabilité. Par idéologie, voire par sectarisme, certains dirigeants politiques, et avec eux des responsables publics, des associations, des lobbyistes, n’ont cessé de dénigrer auprès de l’opinion notre savoir-faire nucléaire, tout particulièrement depuis dix ans. Ce cynisme électoral a fait perdre toute lucidité aux décideurs publics, au point d’assumer la fermeture d’une centrale nucléaire, Fessenheim, qui était pourtant encore certifié par l’Autorité de sûreté nucléaire. Elle a été sacrifiée pour satisfaire un accord électoral !

Disons les choses clairement : depuis dix ans, la France se saborde sur le plan énergétique. Une loi a été adoptée, visant à réduire la part du nucléaire dans notre mix électrique. Alors que tout indiquait que la consommation d’électricité augmenterait, la France a choisi délibérément de réduire sa production – première folie. Elle est partie prenante de la charte européenne de l’énergie, soutenant, dans ce cadre, un mécanisme de formation du prix de l’électricité en Europe qui va à l’encontre de ses propres intérêts, le prix de l’électricité étant basé sur celui du gaz, lequel explose avec la guerre en Ukraine. Sans le choix de la décroissance, nous aurions pu exporter à prix d’or de l’électricité décarbonée, mais, au contraire, les Français payent très cher une électricité pourtant produite à 80 % sur leur sol et dont les coûts ont déjà été amortis – deuxième folie. L’arrêt du projet Astrid, prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération qui aurait permis de réutiliser les combustibles nucléaires usés pour produire de l’énergie, est un non-sens, un gâchis immense pour les ingénieurs de Cadarache, site international en faveur duquel le président Chirac s’était battu afin de conserver la recherche sur notre territoire – troisième folie. Nos actifs stratégiques ont été gérés comme de banales transactions d’achat et de revente ; le passage de nos turbines sous pavillon américain a mis en lumière une perte de savoir-faire et un manque de considération envers toute une filière – quatrième folie. Et je ne parle pas de l’insuffisance des investissements dans la maintenance des centrales ni des lacunes dans la formation des soudeurs, qui conduisent à ce que seuls vingt-neuf de nos cinquante-six réacteurs soient en fonctionnement ! Quant à la volonté d’avoir une production d’électricité entièrement issue de sources d’énergie renouvelable (EnR), sans même que cela fasse l’objet d’une stratégie globale et réfléchie, c’est une illusion qui conduit les Français à refuser localement tout projet.

Les travaux de cette commission d’enquête permettront de faire la lumière sur les raisons qui ont conduit à cette situation. Je me félicite de sa prochaine création, à l’initiative d’Olivier Marleix et du groupe Les Républicains. Nos concitoyens payent lourdement les choix énergétiques des dix dernières années, sous les quinquennats jumeaux de François Hollande et d’Emmanuel Macron, que ce soit directement sur leur facture, à travers les risques de coupures durant le prochain hiver ou par la dette ainsi créée. Toute la lumière doit être faite sur les responsables de ce désastre qui nous place dans une situation de vulnérabilité dans un contexte géopolitique particulièrement tendu. Ce sera l’honneur de la Représentation nationale que de s’y atteler.

M. Antoine Armand, rapporteur. Les propos de M. Nury étayent les craintes que l’on peut avoir à la lecture de l’exposé des motifs : il semblerait que les conclusions soient tirées et les accusations formulées avant même que la commission d’enquête ait été installée ! Attention à ne pas brûler les étapes : il faut d’abord réunir le bureau et fixer le périmètre de la commission d’enquête, puis que celle-ci mène ses travaux avec sérénité et objectivité.

M. Philippe Bolo (Dem). Merci au groupe Les Républicains de saisir la commission des affaires économiques d’un sujet aussi important, qui concerne tous les Français. Les prix de l’énergie ne cessent d’augmenter, et chaque foyer se demande s’il pourra payer sa facture et s’il disposera d’assez d’électricité pour passer l’hiver ; la compétitivité de notre économie est aussi en jeu.

Toutefois, les causes de ce manque de souveraineté et de cette perte d’indépendance débordent largement le cadre politique des deux derniers quinquennats ; elles s’inscrivent dans le temps long de l’industrie de l’énergie, en particulier de celle du nucléaire. Si la proposition de résolution débouche sur la création d’une commission d’enquête, il faudra dépasser la seule temporalité politique et examiner les contextes dans lesquels ont été prises les décisions. Les vérités du présent ne sont pas nécessairement celles du passé. Prenons le cas de l’Arenh, si décrié aujourd’hui : il avait été créé dans un contexte très différent. Il faudra aussi examiner ce qui se passe au-delà de nos frontières, ainsi que les mécanismes imposés par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et les effets à l’échelon national de la volonté de libéralisation du secteur de l’énergie.

Nous sommes donc favorables à la création de cette commission d’enquête, sous réserve qu’elle adopte une démarche d’évaluation et qu’elle cherche à établir et à comprendre les erreurs du passé, de manière que nous disposions des recommandations nécessaires pour élaborer une politique énergétique plus profitable à nos concitoyens et aux industries françaises.

M. Antoine Armand, rapporteur. J’abonde dans votre sens, s’agissant de la période à considérer comme des aspects européens et internationaux, sous réserve que cela s’inscrive dans le périmètre retenu par le bureau de la commission, c’est-à-dire, au vu de l’exposé des motifs, l’approvisionnement et la production électrique de la France.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). On ne peut qu’adhérer à la proposition de nos collègues du groupe Les Républicains. Néanmoins, il serait nécessaire de réexaminer la période considérée, sous peine d’occulter des décisions qui ont eu un fort impact sur la situation actuelle. Je citerai l’engagement pris auprès de la Commission européenne en 2008, à l’époque du ministère Borloo, de mettre en concurrence les centrales hydroélectriques – vous savez combien je lutte contre cette perspective. Autre exemple, la loi Nome et la création du dispositif de l’Arenh, dont on mesure aujourd’hui les effets néfastes. On n’avait pas du tout perçu la nécessité de caler les prix sur le coût réel de production ; résultat : les tarifs sont aujourd’hui largement sous-évalués. On n’a pas non plus encadré suffisamment l’obligation faite aux fournisseurs alternatifs de se doter de moyens de production : en une douzaine d’années, la situation n’a guère évolué. Il faudrait donc étendre le champ temporel de la commission d’enquête si l’on veut que l’analyse soit précise et complète et le rapport de qualité.

M. Antoine Armand, rapporteur. Pour aller dans votre sens, l’exposé des motifs remonte jusqu’à la fin de la guerre et cite l’ensemble des présidents de la Ve République, sauf un, sous les deux septennats duquel quarante réacteurs nucléaires ont pourtant été ouverts. Il convient donc non seulement d’étendre la période étudiée, mais aussi d’analyser l’ensemble des politiques énergétiques, sous le prisme des choix scientifiques et énergétiques et non des seules étiquettes partisanes.

M. Thierry Benoit (HOR). Au nom du groupe Horizons et apparentés, j’exprime un avis favorable à la création de cette commission d’enquête. Une commission d’enquête est un outil à la disposition des parlementaires et nous ne pouvons que nous réjouir qu’un travail sérieux et approfondi puisse avoir lieu grâce à lui. Je rappelle que les personnes auditionnées dans ce cadre prêtent serment : il n’y a pas de place pour la petite politique politicienne.

Un tel travail nous permettra peut-être de mettre un terme à une querelle qui dure depuis plusieurs années. Il faut reconnaître que, depuis une dizaine d’années, des signaux contradictoires sont envoyés tant aux industriels qu’à nos compatriotes concernant l’avenir du nucléaire. Alors que la France est un pays pionnier et en pointe dans le domaine du nucléaire, notamment civil, depuis le Grenelle de l’environnement et les lois qui l’ont suivi, il y a une quinzaine d’années, nous nous sommes engagés dans la transition énergétique et les énergies dites alternatives sont montées en puissance, l’objectif inscrit dans la loi étant de réduire à 50 % la part de l’énergie nucléaire dans le mix énergétique. Je pense que c’est cet objectif-là qu’il faut examiner.

Il importe aussi de regarder dans le rétroviseur une période suffisamment longue : on ne peut pas se limiter à la temporalité politique et aux quinquennats de François Hollande et d’Emmanuel Macron.

Il faut enfin que les travaux de la commission nous permettent de nous projeter dans l’avenir : si nous souhaitons connaître les raisons de notre perte de souveraineté et d’indépendance énergétique, c’est bien pour ne pas reproduire les mêmes erreurs !

Je compte sur le futur président et sur le futur rapporteur pour conduire les travaux de manière consciencieuse et sérieuse.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je partage vos attentes. La question de la recevabilité est purement juridique et l’opportunité de la création de cette commission semble faire l’objet d’un consensus. Il est bon que le Parlement puisse se saisir de cet outil et faire toute la lumière sur ce sujet éminemment complexe.

La commission d’enquête est fondée à examiner les causes de la perte de souveraineté et se limitera donc, a priori, à regarder dans le rétroviseur. Néanmoins, le président Marleix a d’ores et déjà souligné qu’il souhaitait que la commission définisse ce que pourrait être l’indépendance énergétique et fasse des propositions quant aux moyens de la retrouver. On ne peut que se réjouir d’une telle ambition.

Mme Julie Laernoes (Écolo-NUPES). L’intitulé de la commission ne me semble pas correspondre à son objet. Si l’on veut établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, on ne peut pas s’en tenir à la production d’électricité. En outre, on associe la souveraineté énergétique au nucléaire, ce qui est erroné.

Il conviendrait d’enquêter aussi sur les dissimulations et les minimisations de la part d’EDF concernant l’état du parc : les incidents s’enchaînent et la moitié du parc est à l’arrêt, ce qui constitue une grave atteinte à la sûreté et à la sécurité, y compris à celle de nos milieux, avec des eaux polluées, des températures excessives, etc. On se trompe d’objet. Le problème du nucléaire, c’est la corrosion sous contrainte et les incidents, plutôt que la fermeture de Fessenheim ! RTE et EDF ont d’ailleurs reconnu qu’on ne pouvait pas réinvestir dans cette centrale et qu’il fallait la fermer.

Si l’on peut comprendre la volonté de l’opposition de droite de dénoncer les revirements de Macron en matière de politique énergétique, sa vision me paraît restrictive et obsolète. Nous sommes en 2022 : il faut analyser la crise énergétique à l’aune de la situation actuelle, afin de protéger les intérêts et la souveraineté énergétique de notre pays. Nous, écologistes, souhaiterions que cette investigation porte plutôt sur les monstrueux projets relatifs aux énergies fossiles. Pourquoi la France soutient-elle les activités de Total en Russie, avec la guerre en Ukraine, en Ouganda, avec le projet Eacop (East African Crude Oil Pipeline), et au Yémen, avec l’ancienne usine gazière de Balhaf ? Il serait en outre nécessaire d’examiner le retard pris par la France en matière d’énergies renouvelables. Certains parlent d’idéologie à propos du nucléaire mais ce sont eux qui sont enfermés dans la vision selon laquelle le nucléaire garantirait la souveraineté énergétique de la France : il n’en est rien, et c’est une des causes de la faiblesse de la production énergétique française actuelle. Si nous voulons atteindre nos objectifs en matière de climat et de production d’énergie, il nous faut changer de mentalité et sortir de cette culture dominée par le nucléaire.

M. le président Guillaume Kasbarian. Madame Laernos, je vous serais reconnaissant de dire « Emmanuel Macron », « M. Macron » ou « le Président de la République », et non « Macron ».

M. Matthias Tavel (LFI-NUPES). Les députés s’expriment comme ils le souhaitent !

M. le président Guillaume Kasbarian. Vous vous exprimez comme vous le souhaitez à l’extérieur de la commission, mais en son sein, je vous demande de faire preuve d’un minimum de respect institutionnel.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je le répète : s’agissant de l’exercice d’un droit de tirage, seule la recevabilité de la proposition doit être examinée ; il n’y a pas d’amendement possible. Les élargissements que vous proposez et les hypothèses que vous formulez ne me semblent pas, au vu de l’exposé des motifs, relever de cette commission d’enquête. Cela étant, chaque groupe a la possibilité de demander la création d’une autre et d’exercer son droit de tirage, s’il le souhaite.

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). En politique, quand on va selon le vent, on a l’avenir d’une feuille morte ! C’est vrai dans beaucoup de cas, y compris quand on souhaite analyser la politique énergétique de la France.

Je me réjouis que nos collègues de droite aient retrouvé la sève originelle du gaullisme, celle qui a permis, dans le sang et les larmes de la Libération, aux cocos et aux gaullistes de doter la France de services publics structurants, assurant ainsi notre souveraineté. EDF était au cœur de tout cela. Il faut que les nombreux libéraux ici présents se rassurent, on pointera leurs responsabilités dans l’état actuel d’EDF : le siphonnage financier, les renoncements industriels, les pertes de souveraineté. Le fait d’avoir considéré l’énergie comme une marchandise, de lui avoir inoculé le virus du marché, a conduit à des renoncements sans nom. Quand la logique de marché s’empare du nucléaire, on fait des économies sur la recherche, sur la sous-traitance, sur la sûreté, sur le niveau de maintenance. Quand la logique du marché s’empare des énergies renouvelables, on met les maires en situation de concurrence, on n’anticipe pas les conflits d’usage, on fait des cicatrices dans les paysages. Le marché est incompatible avec l’ardente obligation de considérer que l’énergie est un bien de première nécessité. Soyez donc rassurés, les libéraux : avec cette commission d’enquête, vous allez en prendre plein la tête !

Lorsque nous l’avons auditionné l’autre jour, j’ai demandé à Lévy s’il avait été un électron libre, pour lui rappeler qu’en tant que président d’EDF, il devait répondre aux ordres de l’exécutif et aux prescriptions du cadre législatif offert à EDF. Les Marcheurs ont peur que l’on pointe les errances, les erreurs stratégiques, les renoncements de Macron ? Eh bien, allons-y ! Astrid, qu’est-ce, sinon un renoncement ? Fessenheim, c’est une succession de renoncements.

Je participerai donc avec enthousiasme à cette commission d’enquête, en souhaitant qu’elle nous serve de leçon et que la puissance publique reprenne la main sur la détermination de la politique énergétique. Un mix équilibré, intelligent, consenti ne pourra prendre place que si nous nous en donnons les moyens. J’espère que la commission d’enquête permettra de dégager un diagnostic partagé sur ce point.

M. le président Guillaume Kasbarian. Monsieur Jumel, dans un souci d’équité, je réitère ma remarque : quand je m’adresse à vous, je ne dis pas « Jumel ».

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Ce serait une marque d’affection…

M. le président Guillaume Kasbarian. En dehors des réunions, nous pouvons nous appeler par nos prénoms et nous tutoyer, mais, dans le cadre de nos débats, il me semble important de respecter les usages.

M. Antoine Armand, rapporteur. Un consensus semble se dessiner pour que la recherche de la vérité soit complète et exhaustive ; personne n’en a peur. De même, nous partageons la volonté de retrouver notre indépendance énergétique. La seule solution pour que cette commission d’enquête soit à la fois efficace et productive, c’est que toute la lumière soit faite sur les raisons de notre perte de souveraineté énergétique et que tous les leviers susceptibles d’être actionnés pour sa reconstruction soient envisagés, que cela relève de décisions politiques ou de mécanismes de marché.

M. Sébastien Jumel (GDR-NUPES). Que poliment ces choses-là sont dites ! Il reste que l’État a des représentants au conseil d’administration d’EDF, que le Président de la République nomme le PDG d’EDF, et que la majorité confirme cette nomination. Vous devez assumer vos responsabilités !

M. Max Mathiasin (LIOT). La crise énergétique que nous traversons n’est due qu’en partie à la guerre en Ukraine. Le mécanisme européen faisant dépendre le prix de gros de l’électricité de celui du gaz en est une autre cause. Surtout, à l’approche d’un hiver qui pourrait être rigoureux, les difficultés d’approvisionnement doivent nous inquiéter.

Qui est responsable de cette situation ? La proposition de résolution accuse la stratégie à court terme des deux derniers exécutifs et leurs prétendus atermoiements sur le nucléaire. Nous, membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, trouvons que l’explication est un peu courte. On oublie, par exemple, les retards accumulés dans le déploiement des énergies renouvelables. Nous considérons que l’heure est à la recherche, non pas de responsables, mais de solutions. Il serait bon d’organiser un débat global et citoyen sur le mix énergétique et que nous réfléchissions à la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, que nous devons adopter en 2023. Quel devenir pour nos centrales nucléaires ? Quel avenir pour les énergies renouvelables ? Comment embarquer l’ensemble des territoires dans la transition énergétique ?

En effet, la question de la souveraineté énergétique ne se joue pas qu’à l’échelle nationale, elle se pose également à l’échelon local, et notamment dans les outre-mer. La problématique du nucléaire y a peu d’importance, puisque nous n’en dépendons pas. En revanche, la question de l’autonomie énergétique y est particulièrement sensible. La dépendance à l’égard des énergies importées et fossiles est très forte, et ne semble pas faiblir. En Guadeloupe, par exemple, le taux de dépendance atteint 93 %. Il faudrait que l’on s’interroge sur les moyens mis en œuvre dans les territoires ultramarins pour que, là-bas aussi, la souveraineté énergétique soit une réalité. La commission d’enquête se penchera-t-elle aussi, au-delà de la question nucléaire, sur cette problématique centrale pour les outre-mer ?

M. Antoine Armand, rapporteur. Je suis d’accord avec vous : face à un sujet d’une telle complexité, et vu l’ampleur des enjeux, pointer d’emblée des responsabilités individuelles, et uniquement de cet ordre, c’est un peu court. Il paraît d’autre part indispensable que la situation des territoires ultramarins soit traitée dans le cadre de la commission d’enquête : en raison de l’implantation de nos centrales, la situation du mix énergétique, et du mix électrique en particulier, y est, comme vous l’avez expliqué, très différente. Il reviendra au bureau de la future commission de l’inclure dans son champ d’investigation.

M. Max Mathiasin (LIOT). Je me réjouis d’apprendre que les outre-mer seront concernés par cette commission d’enquête. Mais la période prise en considération est vraiment trop courte, vu le temps d’installation et de déploiement nécessaire à ce secteur. Il ne faudrait pas qu’un aspect partisan par trop prononcé prive la commission de sa liberté d’investigation et de réflexion.

M. le président Guillaume Kasbarian. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Pascal Lavergne. En écoutant les différents orateurs, on comprend que certains cherchent à désigner des boucs émissaires. Pourquoi ne consacrons-nous pas notre énergie à construire, que dis-je, à coconstruire des solutions plutôt qu’à refaire le match ? Oui, c’est une évidence, les décisions politiques prises ces trente dernières années jouent dans la situation actuelle en matière énergétique – et pas seulement. S’il faut examiner ce qui s’est passé pour ne pas réitérer nos erreurs, le diagnostic semble assez facile à faire – il transparaît des prises de parole successives. Il y a eu sans doute une série de renoncements, sous la pression notamment des tenants de la bonne conscience. Consacrons plutôt notre énergie à construire : les Français nous en seront reconnaissants.

Mme Yaël Menache. Comme les autres membres de mon groupe, je soutiens activement la proposition de résolution. Il ne fait aucun doute que le laisser-aller de François Hollande, suivi par le mondialisme effréné de M. Emmanuel Macron et de son gouvernement ont mis à mal notre souveraineté énergétique. Je m’étonne cependant qu’il ne soit fait aucune mention du mécanisme de l’Arenh, qui constitue pourtant l’un des leviers essentiels de cette perte de souveraineté, notamment pour ce qui est de la fixation des prix de l’électricité. Quelle suite sera donnée aux conclusions inéluctables de la commission d’enquête quant aux responsabilités de M. Hollande et de M. Emmanuel Macron dans la perte de souveraineté énergétique de la France ? Pour ce qui nous concerne, nous souhaitons ardemment la relance du secteur nucléaire en France et comptons sur le groupe LR pour nous aider à atteindre cet objectif.

M. Jean-Pierre Vigier. Cette commission d’enquête est indispensable pour déterminer pourquoi nous avons perdu notre souveraineté énergétique, ce qui a pour conséquence, on l’oublie trop souvent, que nous achetons l’énergie à des prix très élevés. J’espère qu’elle montrera comment des accords politiques et politiciens ont sacrifié la filière du nucléaire. Résultat : vingt-sept réacteurs sur cinquante-six sont aujourd’hui à l’arrêt. J’espère que l’on proposera des solutions pour relancer cette belle filière, car si l’on veut de l’énergie pas chère et en quantité, cela passe par le nucléaire. Ne réitérons pas les erreurs du passé !

Mme Delphine Batho. Je n’interviendrai pas sur le fond. Chaque groupe est libre de son appréciation et de l’usage de son droit de tirage.

Je ne participerai pas à la délibération sur cette proposition de résolution, car je me tiens à la disposition du Parlement. C’est avec plaisir que je décrirai la situation du ministère de l’énergie en 2012 : il y aura beaucoup de choses à dire.

D’autre part, je ne voudrais pas refroidir les espoirs de nos collègues, mais il est probable que cette commission d’enquête se heurte aux limites de la Ve République et du présidentialisme puisque les présidents de la République successifs ne peuvent prêter serment et rendre des comptes à une commission d’enquête parlementaire – ce que, personnellement, je déplore, car ce serait le réel intérêt de l’exercice.

M. Charles Fournier. Nous pourrions souscrire à une commission d’enquête qui s’attacherait à dresser un état de la situation désastreuse du nucléaire ou qui se préoccuperait vraiment de la souveraineté énergétique, sans exclure aucun sujet. Pourquoi tant de retard dans les énergies renouvelables ? Si nous avions atteint les objectifs que nous nous étions fixés, nous aurions l’équivalent de six Fessenheim disponible aujourd’hui. Quant à l’indépendance énergétique, il y a une arnaque : le taux d’indépendance est calculé comme si nous extrayions encore de l’uranium du sol français. On prétend qu’il est de 50 %, mais si l’on prend en considération d’où vient l’uranium, c’est plutôt 12 % !

M. André Villiers. Entre 2007 et 2021, on constate un doublement des importations d’énergie. C’est sans doute le signe d’une augmentation des besoins, mais c’est aussi l’amère prise de conscience de la perte de notre autonomie énergétique. L’enjeu n’est rien de moins que notre souveraineté. La crise pétrolière du début des années 1970 aura entraîné le renforcement de l’industrie nucléaire civile jusqu’aux atermoiements de l’ère Hollande. Sous les pressions politiques hexagonales et européennes, notamment allemandes, la trajectoire va s’infléchir jusqu’à la révision par le président Macron de ces erreurs de jugement. Les événements militaires que vit l’Europe, s’ils étaient imprévisibles, sonnent l’heure d’une nouvelle trajectoire. La question qui se pose, au-delà de la recherche des responsabilités, est de savoir comment les Français et notre économie vont traverser la crise et quel chemin nous devons emprunter. La seule réponse, c’est le rapport de RTE qui la donne ; il arrive cependant bien tard. Souhaitons néanmoins que le scénario privilégiant un mix électrique basé sur le nucléaire et une part significative d’énergies renouvelables soit mis en œuvre avec célérité et détermination.

M. Hervé de Lépinau. J’ai rencontré ce matin, avec d’autres collègues, le président de CCI France. La catastrophe pour nos TPE et PME est annoncée dans les trois mois. N’attendez pas les résultats de la commission d’enquête, dans dix-huit mois, pour prendre des mesures correctives ! C’est maintenant qu’il faut agir, sinon 25 % des TPE et PME vont se retrouver au tapis.

M. le président Guillaume Kasbarian. Une commission d’enquête dure six mois, monsieur de Lépinau. Ses conclusions seront donc disponibles vers mars-avril. D’ici là, il va se passer plein de choses sur le plan énergétique. Il faudra passer l’hiver, le budget va être voté et des projets de loi seront déposés sur le sujet. Nous aurons donc de multiples occasions de parler de la souveraineté énergétique dans l’intervalle. La commission d’enquête sera indépendante, travaillera sur son objet, remettra ses conclusions, mais rien ne nous empêche de travailler en commission des affaires économiques sur la question de l’énergie dès maintenant et tout au long de l’hiver.

M. Antoine Armand, rapporteur. Je partage entièrement le constat de l’imprécision du périmètre de la commission. Il faudra, au vu de l’exposé des motifs, qu’elle se concentre sur la production et l’approvisionnement électriques. Je rappelle, après Mme Batho, que la responsabilité des présidents de la République, qu’ils soient ou non en exercice, ne peut être mise en cause dans le cadre d’une commission d’enquête. Les travaux de la future commission gagneraient énormément en efficacité si cette tentative politicienne était enterrée d’emblée.

La commission, en application de l’article 140, alinéa 2 du règlement, constate que sont réunies les conditions requises pour la création, demandée par le groupe Les Républicains, de la commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France.


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   texte de la proposition de rÉsolution

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée d’établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France sous la présidence de François Hollande puis d’Emmanuel Macron.