N° 292

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

——

 

ANNEXE N° 14
 

 

DÉfense :

 

PRÉPARATION DE L’AVENIR

 

 

 

 

Rapporteur spécial : M. Christophe PLASSARD

 

Député

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SOMMAIRE

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Page

Principales analyses du rapporteur spécial

DONNÉES CLÉS du budget 2023

I. Le budget 2023, une annÉe charniÈre pour les crÉdits de la mission DÉfense

A. Un Budget qui confirme le respect de la programmation militaire engagÉe en 2019

1. Des crédits en hausse de 3 milliards d’euros

2. Une trajectoire budgétaire ambitieuse mais soutenable

a. Des restes à payer maîtrisés

b. Un report de charges en diminution

3. Un contexte d’inflation dont l’impact est à nuancer

B. Un effort À poursuivre Pour se préparer à la haute intensité

1. L’effort de la LPM ne s’arrête pas en 2023

a. Une remontée en puissance des forces armées

b. Beaucoup reste encore à faire pour atteindre l’ambition 2030

2. Les perspectives pour la LPM 2024-2030

a. Préserver un modèle d’armée cohérent, crédible et équilibré

b. Préparer nos forces à la haute intensité

c. Affronter le défi de l’économie de guerre

d. S’appuyer sur les forces morales de la Nation

e. Réussir la transition écologique des armées

II. Le Programme 144 : les moyens allouÉs au renseigNement et À la prospective en hausse de 7 %

A. le renforcement des moyens des services de renseignement

1. Les moyens du renseignement extérieur

2. Les moyens du renseignement de sécurité et de défense

B. la consolidation des moyens EN FAVEUR DE la Prospective de dÉfense

1. Les crédits prévus pour l’analyse stratégique

2. Les crédits prévus pour la prospective des systèmes de force

3. Les crédits prévus pour les études amont

4. Les crédits prévus pour soutenir l’innovation de défense

C. La stabilitÉ des moyens affectÉs À la gestion des Relations internationales et À la diplomatie de dÉfense

III. Le programme 146 : un effort conséquent pour l’Équipement des forces, qui n’écarte pas tout risque de déficit capacitaire

A. La modernisation des moyens de la dissuasion nucléaire

1. Les moyens prévus pour la composante océanique

2. Les moyens prévus pour la composante aéroportée

3. Les autres dépenses liées à la dissuasion

B. La consolidation des crédits affectés au commandement et à la maîtrise de l’information

1. Les capacités de l’armée de l’air

a. Les avions de renseignement électromagnétique

b. Les avions légers de surveillance et de reconnaissance

c. Les avions de guet

d. Les drones aériens militaires

2. Les capacités spatiales militaires

a. Les équipements de renseignement d’origine image

b. Les moyens de renseignement d’origine électromagnétique

c. Les satellites de télécommunications

d. Les outils de positionnement, de navigation et de temps

e. Les nouvelles capacités de maîtrise de l’espace

3. Les équipements de télécommunications

4. Les outils de géographie numérique

5. La montée en puissance des moyens consacrés à la cyberdéfense

C. Le renforcement des crédits prévus pour la projection, la mobilité et le soutien des forces

1. Les capacités aériennes de transport

a. Le programme A400M

b. Le programme MRTT

2. Les hélicoptères militaires

a. Le programme HIL

b. Le programme NH90

c. Le programme HM NG

3. Les capacités terrestres de transport et de soutien

4. La flotte logistique de la marine nationale

D. La hausse des crédits prévus pour les équipements d’engagement des forces et de combat

1. Les capacités de l’armée de terre

a. Le char de combat Leclerc

b. Les véhicules blindés du second segment

c. Les hélicoptères de combat

d. Les systèmes d’artillerie

2. Les capacités de la marine nationale

a. Le porte-avions Charles de Gaulle et son successeur

b. Les frégates multi-missions

c. Les frégates de taille intermédiaire

d. Les sous-marins nucléaires d’attaque

e. Les capacités de lutte anti-mines

f. Les avions de patrouille maritime

g. Les stocks de munitions de la marine nationale

3. Les capacités de l’armée de l’air et de l’espace

a. Le programme Rafale

b. Le programme SCAF

E. La forte augmentation des crédits affectés aux missions de protection et de sauvegarde

1. Les patrouilleurs métropolitains et ultramarins

a. Les patrouilleurs métropolitains

b. Les patrouilleurs Antilles Guyane

c. Les patrouilleurs outre-mer

2. La maîtrise des fonds marins

3. Les équipements d’autodéfense et d’interception

a. Les missiles d’interception

b. Les systèmes de défense sol-air

EXAMEN EN COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes  par le rapporteur spÉcial

 


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L’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 99 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances, et les réponses restantes ont été transmises le lendemain.

 

Les réponses transmises dans les délais sont d’autant plus appréciables dans la mesure où, en raison du calendrier électoral et de leur nomination tardive, les rapporteurs spéciaux de la commission des finances n’avaient pas été en mesure de respecter le délai qui leur était imparti au 10 juillet.

 

Le rapporteur spécial s’étonne toutefois de la qualité variable des réponses, dont certaines se contentent de répéter les projets annuels de performances, y compris lorsqu’elles sont classées « diffusion restreinte », sans aucune explication sur la variation des crédits budgétaires entre la loi de finances pour 2022 et le projet de loi de finances pour 2023.

 

Il rappelle que l’effort budgétaire consacré aux armées, qui est amené à croître dans les prochaines années, sera d’autant plus accepté par la Nation qu’il est compris par le plus grand nombre. Dans cette perspective, le rapporteur spécial ne saurait trop inviter le ministère des armées à faire montre d’une plus grande pédagogie dans l’explication et la justification de ses dépenses. Le rapporteur spécial ne demande qu’à l’aider dans cette tâche.

 

 


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   Principales analyses du rapporteur spécial

Le projet de loi de finances prévoit de doter la mission Défense de 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 53,1 milliards d’euros en crédits de paiement. Hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions, les crédits de la mission Défense s’élèvent à 43,9 milliards d’euros, en augmentation de 3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2022. Pour la cinquième année consécutive, le budget est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025.

Le rapporteur spécial appelle à ne pas sous-estimer l’ampleur de l’effort réalisé par l’État au profit du budget des armées. La programmation militaire 2019-2025 était ambitieuse. Au regard de l’exécution des lois de programmation antérieures, son respect n’allait pas de soi. Or toutes les annuités de la LPM ont été respectées, à la fois en loi de finances initiale et en exécution. Entre 2018 et 2023, le budget des armées aura ainsi augmenté de 34,1 à 43,9 milliards d’euros (+ 36 %).

Malgré la conjoncture économique actuelle, l’impact de l’inflation sur le budget des armées est, à ce stade, maîtrisé. Le coût des hausses économiques sur les crédits de la mission Défense se limiterait à environ un milliard d’euros en 2023. En compensation, le ministère des armées devrait faire usage des marges de manœuvre regagnées ces dernières années en relâchant le report de charges de l’ordre d’un milliard d’euros.

Les crédits de paiement du programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense sont prévus à hauteur de 1,9 milliard d’euros et progressent de 127,8 millions d’euros (+ 7 %) par rapport à 2022. Ils permettront notamment de poursuivre la remontée en puissance des moyens humains et matériels des services de renseignement (+ 16 %) et l’accroissement de l’effort budgétaire en faveur de la prospective et de l’innovation de défense (1,02 milliard d’euros pour les études amont).

Les crédits du programme 146 Équipement des forces s’élèvent à 15,4 milliards d’euros en crédits de paiement, en hausse de 900 millions d’euros (+ 6 %) par rapport à 2022. Parmi les principaux postes de dépenses revalorisés, les grands programmes d’armement hors dissuasion bénéficieront de 8,5 milliards d’euros (+ 5,6 %) et l’effort au profit de la dissuasion nucléaire de 4,65 milliards d’euros (+ 6,5 %).

Le budget proposé pour 2023 permet ainsi de poursuivre les investissements prévus dans la LPM, avec 14,2 milliards d’euros de commandes nouvelles pour les programmes d’équipement majeur. En outre, d’importantes livraisons de matériels auront lieu en 2023 : 18 chars Leclerc rénovés et 264 véhicules blindés multi-rôles ; 13 avions de chasse Rafale, 2 avions de transport A400M, 3 avions multi-rôles de transport et de ravitaillement MRTT ; le deuxième sous-marin nucléaire d’attaque du programme Barracuda ou encore 1 patrouilleur outre-mer.

Le renouvellement des stocks de munitions bénéficiera quant à lui d’un effort exceptionnel de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,1 milliard d’euros en crédits de paiement. Ces crédits permettront de financer les commandes de 200 missiles antichars de moyenne portée, de 100 missiles antiaériens sol-air moyenne portée de nouvelle génération, d’une centaine de missiles air-air MICA et de 10 000 obus de 155 mm destinés aux camions équipés d’un système d’artillerie (Caesar).

L’année 2023 est une année charnière entre la LPM 2019-2025 et la loi de programmation pour 2024-2030 annoncée par le Président de la République. Dans un contexte géopolitique instable, marqué par la recrudescence des menaces et le retour de la guerre sur le sol européen, la LPM doit connaître une inflexion anticipée afin de mieux prendre en compte l’accélération que nous imposent les enseignements de la guerre en Ukraine.

En vue de la prochaine LPM, le rapporteur souhaite notamment insister sur la nécessité :

– de préserver un modèle d’armée cohérent, crédible et équilibré, en évitant autant que possible les choix capacitaires qui aboutiraient à des renoncements définitifs et affaibliraient notre autonomie stratégique ;

– de continuer à préparer nos forces à la haute intensité, en retrouvant davantage de masse sans renoncer à la technologie et en tirant le maximum de nos équipements militaires grâce à un entraînement renforcé ;

– d’affronter le défi de l’économie de guerre, en reconstituant des stocks de matériels et de munitions tout en se préparant à une augmentation rapide et massive de la production d’armements en cas de conflit de moyenne ou de haute intensité ;

– de renforcer le lien entre les armées et la Nation, en s’appuyant davantage sur la réserve opérationnelle pour retrouver de la masse et soulager les armées de certaines missions de sécurité ;

– d’accélérer la transition écologique du ministère des armées, en poursuivant les actions entreprises pour maîtriser l’empreinte environnementale de ses infrastructures et équipements et en s’appuyant sur l’expérience des armées en matière de gestion des ressources.


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   DONNÉES CLÉS du budget 2023

 

Mission Défense

53,1 milliards d’euros de crédits de paiement,

dont 43,9 milliards d’euros hors CAS Pensions

+ 3 milliards d’euros par rapport à 2022

 

 

Programme 144 Environnement et prospective de défense

1,9 milliard d’euros de crédits de paiement

+ 16 % pour les services de renseignement

+ 5 % pour la prospective et l’innovation de défense

 

 

Programme 146 Équipement des forces

15,4 milliards d’euros de crédits de paiement

+ 5,6 % pour la modernisation de la dissuasion

+ 6,5 % pour les grands programmes d’armement


 

Évolution des crÉdits de la mission DÉfense

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 

Évolution des restes À payer de la mission DÉfense

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.


 

Évolution des crÉdits de paiement du programme 144

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 

Évolution des crÉdits de paiement du programme 146

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.


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I.   Le budget 2023, une annÉe charniÈre pour les crÉdits de la mission DÉfense

L’année 2023 est une année charnière entre la loi de programmation militaire pour la période 2019-2025 ([1]) et la loi de programmation pour 2024-2030 annoncée par le Président de la République ([2]). L’augmentation des moyens alloués aux armées se poursuit, dans la continuité des exercices précédents. Compte tenu du contexte géopolitique instable, marqué par la recrudescence des menaces et le retour de la guerre sur le sol européen, mais aussi de la conjoncture économique et de la reprise de l’inflation, de grandes transformations sont attendues dans les années à venir, qui transparaissent déjà un peu dans le budget prévu pour 2023.

A.   Un Budget qui confirme le respect de la programmation militaire engagÉe en 2019

Malgré la forte augmentation du budget des armées, en hausse de 3 milliards d’euros en 2023, les dépenses de la mission Défense demeurent soutenables et l’impact de l’inflation sur la programmation demeure à ce stade contenu.

1.   Des crédits en hausse de 3 milliards d’euros

Les plafonds de dépense de la mission Défense prévus dans le projet de loi de finances pour 2023 s’élèvent à 62 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 53,1 milliards d’euros en crédits de paiement.

Évolution des crÉdits de la mission DÉfense

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI

2022

PLF

2023

Évolution

LFI

2022

PLF

2023

Évolution

P144 – Environnement et prospective de la politique de défense

2 146,4

1 989,8

– 156,6

– 7 %

1 778,4

1 906,2

+ 127,8

+ 7 %

P178 – Préparation et emploi des forces

14 892,9

12 528,7

– 2 364,1

– 16 %

10 798,6

12 032,2

+ 1 233,6

+ 11 %

P212 – Soutien de la politique de la défense

25 459,2

23 898,0

– 1 561,2

– 6 %

22 479,5

23 773,9

+ 1 294,4

+ 6 %

P146 – Équipement des forces

17 087,5

23 588,8

+ 6 501,3

+ 38 %

14 503,6

15 404,1

+ 900,6

+ 6 %

Total

59 586,0

62 005,4

+ 2 419,4

+ 4 %

49 560,1

53 116,5

+ 3 556,3

+ 7 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Par rapport à la loi de finances pour 2022, les autorisations d’engagement progressent de 2,4 milliards d’euros (+ 4 %) et les crédits de paiement de 3,6 milliards d’euros (+ 7 %), confirmant ainsi la remontée en puissance du budget des armées prévue dans la loi de programmation militaire et la poursuite des investissements lancés depuis 2019.

Pour la cinquième année consécutive, le projet de loi de finances est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019-2025 :

– hors contribution du ministère des armées au compte d’affectation spéciale Pensions, les crédits de paiement de la mission Défense s’élèvent à 43,94 milliards d’euros pour 2023 ([3]), en augmentation de 3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances pour 2022, comme prévu à l’article 3 de la LPM ;

– le projet de loi de finances prévoit la création nette de 1 547 équivalents temps plein (ETP) en 2023, soit les 1 500 prévus à l’article 6 de la LPM auxquels s’ajoutent 45 ETP pour le service industriel de l’aéronautique ([4]) et 2 ETP au titre du renforcement des délégués à l’encadrement supérieur dans les ministères ;

– la dotation relative aux opérations extérieures (OPEX) et aux missions intérieures (MISSINT) s’élève à 1,1 milliard d’euros (1,07 milliard d’euros pour les OPEX et 30 millions d’euros pour les MISSINT), conformément à l’article 4 de la LPM, auxquels s’ajoutent 100 millions d’euros de crédits de titre 2 pour les MISSINT, soit un montant total de 1,2 milliard d’euros.

Le budget proposé pour 2023 permet ainsi de poursuivre les investissements massifs dans les équipements militaires, avec 14,2 milliards d’euros de commandes pour les programmes d’équipements majeurs (hors dissuasion) et d’importantes livraisons de matériels. En parallèle, les infrastructures militaires seront renforcées à hauteur de 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2 milliards d’euros en crédits de paiement et, face à la menace d’un conflit de haute intensité, les stocks de munitions bénéficieront d’un effort exceptionnel de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 1,1 milliard d’euros en crédits de paiement.

Le rapporteur se félicite de ces réorientations, nécessaires pour reconstituer les stocks de munitions et accélérer le renforcement de nos capacités face aux risques de conflit de haute intensité. Il note que l’effort est réalisé à budget constant, grâce à des redéploiements au sein de la mission Défense, ce qui prouve que le ministère des armées est en mesure d’exploiter les marges de manœuvre existantes.

Le rapporteur spécial appelle à ne pas sous-estimer l’ampleur de l’effort réalisé par l’État au profit du budget des armées. La programmation militaire 2019-2025 était ambitieuse. Au regard de l’exécution des lois de programmation antérieures, son respect n’allait pas de soi. Certaines voix ont d’ailleurs regretté que la plus grande partie de l’augmentation des crédits et des créations d’emplois ait été programmée en fin de période ou craint que la hausse du budget de 3 milliards d’euros entre 2022 et 2023 ne pourrait se réaliser. C’est désormais chose faite, et il faut s’en féliciter.

Toutes les annuités de la LPM ont été respectées, à la fois lors du vote de la loi de finances initiale et en exécution. S’agissant de l’exécution 2022, si le décret d’avance du 7 avril 2022 ([5]) a annulé 300 millions d’euros de crédits de la mission Défense pour contribuer au financement du plan de résilience économique et sociale mis en œuvre par le Gouvernement pour faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine, ces crédits ont été restitués au budget du ministère des armées dès la loi de finances rectificative du 16 août 2022 ([6]).

Évolution des crÉdits de la mission DÉfense

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Entre la loi de finances pour 2018 et le projet de loi de finances pour 2023, le budget des armées aura ainsi augmenté de 34,1 à 43,9 milliards d’euros, soit une hausse de 36 %. Cette dynamique permet à la France de consacrer désormais 2 % de son PIB au budget de la défense, conformément à ses engagements au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). En outre, la trajectoire budgétaire de la mission Défense a été précisée dans le cadre du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, avec des annuités de 3 milliards d’euros en 2024 et 2025, permettant ainsi d’atteindre les 50 milliards d’euros hors CAS Pensions prévus en 2025.

2.   Une trajectoire budgétaire ambitieuse mais soutenable

Malgré les investissements considérables engagés par le ministère des armées depuis 2019, la soutenabilité des dépenses de la mission Défense est assurée, comme le rapporteur spécial a pu le constater au fil des auditions qu’il a menées dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances.

a.   Des restes à payer maîtrisés

Les restes à payer ([7]) de la mission Défense ont atteint 83 milliards d’euros au 31 décembre 2021 et pourraient atteindre 93 milliards d’euros fin 2022. Leur évolution est particulièrement dynamique, puisqu’ils ont augmenté de 30 milliards d’euros en deux ans.

Évolution des restes À payer de la mission DÉfense

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le niveau des restes à payer est jugé « particulièrement élevé et dynamique » par la Cour des comptes ([8]), qui rappelle que la prévision initiale de 73 milliards d’euros en 2025 est d’ores et déjà dépassée et que l’évolution actuelle induit pour cette même année 2025 un montant de 100 milliards d’euros, supérieur de près de 30 milliards d’euros à la cible. Or, selon la Cour, les restes à payer risquent de rigidifier les dépenses futures du ministère des armées : plus leur niveau sera élevé et plus il sera difficile au ministère de mobiliser les crédits de paiement nécessaires, sauf à le faire au détriment d’autres dépenses ou au prix d’un effort budgétaire important.

La dynamique des restes à payer est donc à surveiller. La situation en Ukraine impliquera des réorientations par rapport à la programmation 2019‑2025. Il conviendra donc de veiller à ce qu’elles soient compatibles avec le niveau des restes à payer actuels. Toutefois, compte tenu du maintien annoncé de l’effort budgétaire consacré par l’État à la défense, le rapporteur spécial note que la soutenabilité des dépenses de la mission n’est pas menacée à ce stade.

Sur le programme 146 – qui concentre 57 % des restes à payer, soit 53,5 milliards d’euros fin 2022 –, la montée en puissance des programmes d’armement, conduits sur une base pluriannuelle, entraîne mécaniquement un écart croissant entre les autorisations d’engagement et les crédits de paiement. Ainsi, un programme d’armement nécessite dans sa phase initiale un fort niveau d’autorisations d’engagement mais un faible niveau de crédits de paiement. L’exécution des crédits de paiement s’étale ensuite sur plusieurs années et tend à s’accroître au cours du temps, mais certains crédits de paiement peuvent être versés plus tardivement que prévu compte tenu des aléas industriels et techniques fréquents pour ce type d’opérations.

De la même manière, sur le programme 144, ce sont en particulier les efforts réalisés en faveur du renseignement et des études amont qui contribuent à la progression des restes à payer.

S’agissant du programme 178, l’évolution des restes à payer est liée à la verticalisation des contrats de maintien en condition opérationnelle (MCO). En effet, le regroupement de contrats auparavant signés sur une base annuelle ou biannuelle en un contrat pluriannuel unique implique d’engager en une seule fois des crédits qui auparavant l’auraient été sur plusieurs années. Il en résulte nécessairement une hausse des restes à payer. Les besoins de financement du MCO demeurent toutefois inchangés et la courbe des crédits de paiement garde la même trajectoire que celle qu’elle avait auparavant. Il est en outre possible que la verticalisation des contrats conduise à une diminution du coût global, car elle donne de la visibilité aux industriels chargés d’assurer la maintenance des équipements.

De surcroît, le rapporteur spécial souligne que la soutenabilité des dépenses de la mission Défense est garantie par une gouvernance des investissements militaires structurée autour du Comité ministériel d’investissement et du Comité financier interministériel (voir encadré). Ces instances induisent un dialogue régulier entre le ministère des armées et le ministère du budget et permettent ainsi d’anticiper les éventuelles difficultés de soutenabilité susceptibles d’intervenir dans la conduite des grands programmes d’armement ou de maintien en condition opérationnelle.

Malgré la hausse des restes à payer, il serait donc excessif d’affirmer que le ministère des armées ne dispose plus d’aucune marge de manœuvre. Sur une année donnée, les crédits de paiement prévus pour couvrir des autorisations d’engagement déjà exécutées lors d’un exercice antérieur représentent les trois quarts de l’ensemble des crédits de paiement, ce qui laisse un quart d’entre eux pour de nouveaux programmes – et cette proportion est stable dans le temps. Les marges, même réduites, sont donc bien réelles, et elles sont pleinement exploitées par le ministère des armées, même si elles sont à réévaluer en cas de réorientation majeure des programmes pour une préparation à la haute intensité.

 

La gouvernance des investissements militaires

La gouvernance des investissements militaires, à laquelle participent à la fois le ministère des armées et le ministère du budget, est principalement organisée autour de deux comités.

Le Comité ministériel d’investissement est chargé d’assister le ministre des armées dans la maîtrise de chaque projet d’investissement militaire. Outre la soutenabilité budgétaire du projet, il examine la satisfaction du besoin opérationnel, la stratégie de maîtrise des risques, le coût prévisionnel d’acquisition, le coût global de possession, la stratégie d’acquisition à retenir, les modalités de MCO ainsi que le potentiel de l’équipement à l’exportation.

Le Comité financier interministériel est quant à lui chargé, dans le cadre du contrôle de la gestion budgétaire, d’approuver les propositions d’affectation relatives aux opérations d’acquisition de matériels dont le coût prévisionnel est supérieur à 500 millions d’euros, aux opérations d’entretien dont le montant excède 100 millions d’euros ainsi qu’aux projets d’infrastructure dont le coût de réalisation excède 130 millions d’euros. Si elle l’estime nécessaire, la direction du budget peut s’opposer à l’approbation de ces affectations.

 

Compte tenu du contexte international et géopolitique, la prochaine LPM devrait permettre de doter la mission Défense, et notamment le programme 146, d’un niveau de crédits de paiement suffisant pour honorer les engagements passés ayant donné lieu à la réalisation de prestations.

b.   Un report de charges en diminution

Outre les restes à payer, l’analyse des crédits de la mission Défense appelle également un examen attentif du report de charges ([9]). En effet, le rapport annexé à la LPM définit pour la période 2019-2025 une trajectoire de diminution du report de charges du ministère des armées afin de le faire revenir à des proportions raisonnables par rapport aux périodes précédentes.

En 2021, le report de charges de la mission Défense a atteint 3,88 milliards d’euros, soit 14,4 % des crédits hors titre 2. Structurellement, c’est surtout le programme 146 qui concentre le report de charges de la mission (74 % de la dette fournisseurs, soit environ 2 milliards d’euros en 2021).

Si le résultat 2021 excède légèrement la cible fixée dans la LPM, qui était de 14 %, le rapporteur spécial note que l’écart est infime. En outre, il souligne que, conformément à la programmation, le report de charges est en diminution depuis 2019 et qu’il a atteint en 2021 son niveau le plus bas depuis plusieurs années. Par ailleurs, le montant des intérêts moratoires payés par le ministère au titre des factures non payées dans les délais demeure à un niveau négligeable par rapport au total des crédits de la mission (12,7 millions d’euros en 2021 contre 20,2 millions d’euros en 2020).

Évolution du report de charges de la mission DÉfense

(en pourcentage des crédits hors titre 2
de la mission au 31 décembre de l’année)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le rapporteur spécial tient à saluer les efforts engagés par le ministère des armées. Compte tenu de la diminution du report de charges, le budget des armées retrouve des marges de manœuvre supplémentaires qui pourraient s’avérer particulièrement utiles dans le contexte d’inflation actuel.

3.   Un contexte d’inflation dont l’impact est à nuancer

L’augmentation des crédits de la mission Défense de 3 milliards d’euros en 2023 est proposée dans un contexte d’inflation soutenue. Ainsi, les prévisions d’inflation du Gouvernement, que le Haut Conseil des finances publiques estime « crédibles » ([10]), s’élèvent à 5,3 % sur l’ensemble de l’année 2022 et 4,2 % sur 2023.

Si la conjoncture économique a nécessairement un impact sur les dépenses initialement prévues, il convient toutefois de nuancer l’impact de l’inflation sur le budget de la défense en 2023, pour plusieurs raisons.

L’évolution du « coût des facteurs », et plus globalement de l’inflation, est un paramètre qui est pris en compte chaque année dans les travaux d’ajustement annuel de la programmation budgétaire (A2PM). Dans ce cadre, les projections d’indices macroéconomiques sont appliquées à l’ensemble des lignes budgétaires de la mission Défense, permettant ainsi d’anticiper la hausse ou la baisse des coûts de façon précise pour chaque type de dépense – étant entendu que l’inflation n’a pas nécessairement le même effet sur les toutes opérations d’armement, les opérations d’infrastructure ou encore les dépenses de fonctionnement.

Dans le cas particulier des carburants opérationnels, les ressources prévues dans le projet de loi de finances de l’année N+1 reposent sur les hypothèses de construction budgétaire établies durant l’année N en matière de cours du baril et de parité euro-dollar. Toutefois, l’article 5 de la LPM prévoit qu’« [e]n cas de hausse du prix constaté des carburants opérationnels, la mission “Défense” bénéficiera de mesures financières de gestion et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en construction budgétaire, pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l’activité opérationnelle des forces ». Dans le cas où le cours constaté des carburants se situerait au delà des hypothèses retenues pour 2023, un recours à l’article 5 de la LPM pourrait s’avérer nécessaire.

Par ailleurs, l’impact de l’inflation sur les crédits de la mission est limité, au moins à court terme, par la rigidité des contrats conclus par le ministère des armées. Les grands programmes pluriannuels, qui portent la majorité des crédits, vont continuer, en 2023, de se déployer dans le prolongement des exercices précédents, les crédits de paiement d’aujourd’hui couvrant les autorisations d’engagement d’hier. Si des clauses économiques peuvent dans certains cas être déclenchées, l’effet de l’inflation est le plus souvent reporté à la fin de l’exécution des contrats, au moment des livraisons, sans conséquence sur les acomptes dus en cours d’exécution.

En outre, la direction générale de l’armement (DGA), dans le cadre de ses relations contractuelles avec les industriels, dispose de nombreux leviers pour lisser la charge de l’inflation pesant sur le budget de la défense, notamment vis-à-vis des groupes disposant d’une taille critique leur permettant de faire face aux chocs de prix. La DGA intervient directement ou indirectement en soutien des sous-traitants, ETI, PME et TPE du secteur de la défense qui rencontreraient des difficultés face à l’inflation afin de leur garantir le maintien d’un niveau de trésorerie adapté à leur plan de charge – le rapporteur spécial souligne que ces acteurs ont, malgré leur échelle modeste, un rôle déterminant dans l’équipement des forces et que le défaut d’un seul est susceptible de remettre en cause l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Des marges de manœuvre permettent donc au ministère de repositionner des ressources sur les secteurs les plus en tension.

En définitive, le coût de l’inflation pour les crédits de la mission Défense se limiterait à environ un milliard d’euros en 2023 ([11]). En compensation, comme l’a annoncé le ministre des armées devant la commission de la défense, le ministère des armées devrait faire usage des marges de manœuvre regagnées ces dernières années en relâchant le report de charges de l’ordre d’environ un milliard d’euros. Le rapporteur spécial prend acte de cette solution mais insiste sur le fait qu’il ne s’agit là que d’un « fusil à un coup » ; une utilisation de ce levier de manière prolongée dans le temps s’avérerait inefficace, voire contre-productive. Il s’agira donc de maîtriser la hausse des intérêts moratoires et de s’assurer que le report de charges n’affecte pas outre mesure les PME, TPE et ETI de la base industrielle et technologique de défense (BITD) dans un contexte économique difficile.

Plus que l’inflation, ce sont les surcoûts dus aux OPEX et MISSINT qui pourraient affecter le budget de la défense en 2022 et 2023. La réorganisation de l’opération Barkhane entre le Mali et le Niger, même si elle s’est déroulée dans des conditions optimales, voit ses coûts augmenter, comme pour tout retrait ou toute mise en place d’opération qui coûte plus cher que la gestion d’un dispositif. En outre, les moyens de réassurance mobilisés par la France sur le flanc est de l’OTAN occasionneront un surcoût de l’ordre de 700 millions d’euros en 2022 ([12]). Cela pose la question de la solidarité interministérielle des OPEX-MISSINT, mais aussi celle d’un allègement des missions confiées aux armées.

B.   Un effort À poursuivre Pour se préparer à la haute intensité

Depuis plusieurs années, les états-majors évoquent la possibilité d’un retour aux combats de haute intensité. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a fait que confirmer leurs prévisions et la nécessité pour les armées de s’y préparer. Dans cette perspective, le budget de la défense pour 2023 peut être vu comme un budget de transition entre la LPM actuelle et la LPM 2024-2030 annoncée par le chef de l’État.

1.   L’effort de la LPM ne s’arrête pas en 2023

La LPM 2019-2025 a rempli son office et tracé la route de la remontée en puissance des armées. Néanmoins, il convient de conserver un regard lucide sur les carences auxquelles nos armées sont confrontées.

a.   Une remontée en puissance des forces armées

La LPM 2019-2025 a rompu avec deux décennies de diminution du budget de la défense, dans le contexte de la fin de l’URSS et du choix politique assumé de profiter des « dividendes de la paix ». Le respect de la trajectoire budgétaire prévue dans la LPM a permis une première remontée en puissance des équipements militaires et de réparer certaines défaillances critiques auxquelles faisaient face les armées après plusieurs décennies de maîtrise des budgets militaires.

● La LPM 2019-2025 a tout d’abord initié la modernisation de la dissuasion nucléaire, clé de voûte de notre système de défense. Strictement « défensive et suffisante », selon les termes du rapport annexé à la LPM, la dissuasion est au cœur de la protection et de l’indépendance de la Nation et permet à notre pays de préserver ses intérêts vitaux contre toute agression d’origine étatique. Cela explique les moyens considérables qui y sont consacrés chaque année.

Pour la composante océanique, il s’agit de moderniser les quatre sous-marins nucléaires lanceurs en activité, de préparer leurs successeurs de troisième génération et de développer les nouvelles versions du missile M51. Pour la composante aéroportée, outre le renforcement de la flotte d’avions de chasse Rafale et d’avions multi-rôles de transport et ravitaillement en vol MRTT, le renouvellement des moyens de dissuasion passe par la rénovation à mi-vie du missile ASMP-A et les travaux de développement de son successeur, le missile ASN 4G.

 S’agissant des forces conventionnelles, plusieurs programmes d’armement majeurs destinés à renouveler les matériels vieillissants, dont certains datent de plus de trente ans, ont été lancés ou se sont poursuivis. Les effets des hausses budgétaires se ressentent déjà dans nos armées et sur les théâtres d’opérations, même s’il ne s’agit que d’un début.

Pour l’armée de terre, les investissements les plus emblématiques concernent le renouvellement des véhicules de l’avant blindés, dans le cadre du programme SCORPION. À la fin de l’année 2022, les forces auront réceptionné 560 véhicules blindés multi-rôles, auxquels s’ajouteront, en 2023, 123 Griffon et 22 Jaguar et une commande de 420 Serval supplémentaires. En outre, un programme de rénovation des chars Leclerc a été lancé, et les 18 premières unités seront livrées en 2023.

Pour l’armée de l’air et de l’espace, le renouvellement de la flotte est enclenché, symbolisée notamment par les dix-huit avions de transport A400M désormais en service (auxquels s’ajoutent deux aéronefs en 2023) ainsi que par les neuf avions multi-rôles de transport et de ravitaillement en vol MRTT qui seront opérationnels fin 2022 (auxquels il faudra ajouter trois appareils en 2023). La LPM aura également permis de franchir des étapes décisives dans le renforcement des capacités spatiales militaires.

Même si les équipements majeurs de la marine nationale s’inscrivent dans le temps long, ils sont eux aussi en phase de consolidation. Avec la livraison de la Lorraine, la flotte a réceptionné l’intégralité de ses huit frégates multi-missions (FREMM). Avec le Suffren en 2022 et le Duguay-Trouin en 2023, elle disposera de ses deux premiers nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque issus du programme Barracuda. En 2023, seront aussi livrés le premier patrouilleur d’outre-mer ainsi qu’un bâtiment de ravitailleur de forces.

● En outre, la LPM 2019-2025 a permis de poser les premiers jalons pour certains programmes d’armement du futur, à l’horizon 2030-2040. Des étapes importantes ont été franchies pour le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération ainsi que pour les études d’avant-projet liées au développement d’un porte-avions à propulsion nucléaire destiné à succéder au Charles de Gaulle.

D’autres programmes, menés en coopération avec d’autres États européens et particulièrement ambitieux, ont connu des avancées plus ou moins importantes, notamment le programme de drone moyenne altitude longue distance (MALE) européen ainsi que les projets de système de combat aérien du futur (SCAF) et de système principal de combat terrestre (MGCS).

Le renforcement des moyens alloués aux programmes à effet majeur s’est accompagné d’une augmentation importante des crédits consacrés à la recherche et à l’innovation, avec 1,0 milliard d’euros en 2022 et 1,02 milliard d’euros en 2023 consacrés aux études amont.

b.   Beaucoup reste encore à faire pour atteindre l’ambition 2030

Malgré la hausse des moyens, ceux-ci n’ont, à ce stade, pas encore suffi à combler vingt années de diminution des budgets, de conflits asymétriques et d’engagements choisis, qui ont réduit certaines capacités. Entre 1991 et 2001, les effectifs de militaires sont ainsi passés de 453 000 et 420 000 réservistes à, respectivement, 203 000 et 41 000, principalement en raison de la fin du service militaire ; en outre, tandis que la France pouvait compter sur 1 350 chars de bataille et 686 avions de combat au sortir de la Guerre froide, elle n’en possède plus que 220 et 250 aujourd’hui ([13]). Cette perte de masse n’est que partiellement compensée par la montée en gamme technologique des équipements.

L’effort de réparation amorcé dans la LPM n’est donc pas terminé et doit se poursuivre pour permettre un renouvellement complet de l’outil militaire. Parmi les capacités à renforcer, le chef d’état-major des armées, auditionné par la commission de la défense en juillet 2022, a notamment cité les moyens de défense sol-air, les drones, les feux dans la profondeur, les systèmes d’information et de communication, le renseignement, les outils de guerre électronique, les moyens de franchissement ou encore la protection nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) ([14]).

Pour l’armée de l’air et de l’espace, le format de la flotte d’avions de chasse Rafale manque encore d’épaisseur et – outre les difficultés liées aux ventes à l’export prélevées sur le stock existant – la cible de 185 Rafale en 2030 gagnerait à être réévaluée ([15]). En outre, le retrait des Transall, bien que compréhensible compte tenu du coût de leur entretien et de leur très faible disponibilité, crée des tensions sur les opérations de transport et logistique que ne résolvent que partiellement les actuels A440M et MRTT, fortement sollicités par la réorganisation de l’opération Barkhane et le déploiement de forces sur le flanc est de l’Europe.

Dans la marine, malgré les investissements considérables consacrés depuis le début de la LPM, des réductions temporaires de capacités significatives sont attendues à court terme. Ainsi, la France ne disposera que de quatre sous-marins nucléaires d’attaque sur six dans les deux prochaines années, de deux pétroliers ravitailleurs sur quatre d’ici à 2029 ou encore de la moitié de ses patrouilleurs de haute mer d’ici à 2030, sans parler de la faible disponibilité des hélicoptères NH90.

Pour l’armée de terre, outre le renouvellement des véhicules blindés et des « petits » équipements (armements individuels, jumelles de vision nocturne, outillage), l’exercice Warfighter mené en 2021 a montré la nécessité de renforcer l’artillerie dans la profondeur et les systèmes de défense sol-air ([16]). Une récente étude de l’Observatoire de l’artillerie a d’ailleurs évalué les besoins des forces à 215 canons équipés d’un système d’artillerie (Caesar) en 2030, contre 109 dans la programmation actuelle et 58 en service actif.

Si les cessions d’armements à l’Ukraine sont le juste résultat de la réaction française à l’agression d’un partenaire souverain par la Russie, elles soulignent le retard, déjà lourd, qu’accuse la France en termes d’équipement depuis une trentaine d’années. Ces cessions ayant été prélevées sur un stock déjà maigre, les trous capacitaires ont été accrus en conséquence. À titre d’exemple, les 18 canons Caesar cédés à l’Ukraine représentaient 25 % du stock, et il est heureux que ces unités soient remplacées dès le projet de loi de finances pour 2023.

Enfin, pour les trois armées, les stocks de munitions ont longtemps été considérés comme une variable d’ajustement des budgets militaires. Compte tenu des changements d’échelle en train de s’opérer – la Russie a déployé plus de 150 000 soldats en Ukraine là où la France ne dispose que de 5 000 hommes dans le Sahel –, il apparaît que nos stocks de munitions et de missiles dans leur état actuel ne nous permettraient pas de tenir un conflit de haute intensité. En outre, la reconstitution des stocks n’est pas sans poser des difficultés s’agissant des munitions dites complexes, pour lesquels les délais de fabrication peuvent monter jusqu’à deux à trois ans. Or un sous-marin sans torpilles, un canon sans obus ou un fantassin sans munitions est à la fois inutile et à la merci de l’ennemi.

2.   Les perspectives pour la LPM 2024-2030

La rupture stratégique du 24 février 2022, premier jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a fait voler en éclat beaucoup de nos certitudes. Sans doute aura-t-elle un impact au moins aussi important que celui des attentats terroristes du 11 septembre 2001. Dans ce contexte, la LPM 2019-2025 mériterait, à deux ans de son terme, d’être infléchie, afin de mieux prendre en compte l’accélération que nous imposent les enseignements de la guerre en Ukraine : faire face plus vite aux menaces de haute intensité et nous permettre de fonctionner en économie de guerre.

Aussi le Président de la République a-t-il appelé à une « réévaluation » de la LPM destinée à prendre en compte le retour de la guerre sur le continent européen et à prolonger la dynamique de remontée en puissance initiée depuis 2019, tout en réorientant certains efforts pour renforcer la cohésion et la résilience nationales, mieux prendre en compte l’extension de la conflictualité dans les nouveaux espaces et accélérer l’aptitude des armées à s’engager dans un conflit de haute intensité.

a.   Préserver un modèle d’armée cohérent, crédible et équilibré

Un rapport récemment publié par la Cour des comptes envisage trois scénarios d’évolution des ambitions nationales pour faire face aux menaces et, en conséquence, de transformation du modèle d’armée apte à y répondre : « [l]e premier est la confirmation de l’ambition 2030 de la LPM : il suppose une poursuite de la croissance de l’effort budgétaire de défense, qu’il sera difficile de concilier avec la réduction du déficit public à 3 % du PIB en 2027 à laquelle la France s’est engagée. Le second est celui d’une réduction homothétique des moyens, comme cela a été fait en 2008 et en 2013 : la réalisation de ce scénario risque de mettre à mal la cohérence des armées et leur aptitude à remplir leurs missions. Le dernier est celui de choix capacitaires, à l’image de ce qu’a commencé à faire le Royaume-Uni. Cependant il ne produit pas d’économie budgétaire à court terme et implique des renoncements » ([17]).

S’il est conscient des contraintes budgétaires actuelles, le rapporteur spécial est convaincu que la défense de la Nation et l’indépendance de la France sur la scène internationale ont un coût certain qu’il est nécessaire d’assumer. Il recommande d’éviter autant que possible tout choix capacitaire, qui aboutirait à des renoncements définitifs, en raison des pertes de compétences qu’il entraînerait, et donc à une potentielle dépendance contraire à nos objectifs d’autonomie stratégique.

Il reprend à son compte le choix de l’état-major des armées de s’orienter vers un modèle d’armée « crédible, équilibré et cohérent » ([18]), qui garantirait notre aptitude à nous imposer dès la phase de compétition et à nous engager jusque dans des affrontements de haute intensité. Un équilibre doit être maintenu entre la masse et la technologie. Nos forces doivent garder une cohérence globale en exploitant les équipements à disposition à leur maximum au moyen d’un entraînement renforcé. En disposant ainsi de forces armées équipées et préparées, la France doit être perçue comme une puissance crédible à la fois par ses adversaires par les alliés avec qui elle pourrait un jour combattre en coalition.

b.   Préparer nos forces à la haute intensité

Si les armées et les services de renseignement avaient anticipé le possible retour des conflits de haute intensité, la rapidité et la violence avec laquelle ce retournement est survenu, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, demeurent surprenantes et nous obligent à accélérer le mouvement opéré par la LPM 2019-2025.

Le rapport sur la préparation à la haute intensité récemment présenté par Mme Patricia Mirallès et M. Jean-Louis Thiériot ([19]) ne manque pas de souligner les principales menaces qui pèsent sur notre pays en cas de conflit à grande échelle et durable. Nos forces armées, organisées sur un modèle « échantillonnaire », manquent de profondeur et de masse, tant en termes d’équipements que de stocks de munitions légères et lourdes. La haute intensité supposerait de lourdes pertes humaines et matérielles, comme l’ont montré les exercices Warfighter pour l’armée de terre et Polaris pour la marine en 2021. Un tiers des soldats mobilisés au sol pourraient être mis hors de combat en dix jours. L’aviation française pourrait être réduite à néant ou dans l’incapacité d’agir faute d’armements en seulement cinq jours. Quatre frégates pourraient être détruites ou neutralisées, avec quatre cents marins à leur bord, dès les premières heures du conflit.

La réduction de la masse n’est certes pas une spécificité française, mais une tendance européenne, qui remonte aux années 1990. Ainsi, une étude de l’Institut français des relations internationales relève qu’entre 1999 et 2014, « les pays européens ont réduit de 66 % leurs parcs de chars de bataille, de 45 % leur aviation de combat et de 25 % leur flotte de bâtiments de surface » ([20]). Ces chiffres sont à mettre en perspective avec les ambitions de la Chine, qui entend devenir la première marine militaire au monde et dont les moyens de production lui permettent d’agrandir ses capacités de l’équivalent de la flotte française tous les trois ans.

Au‑delà de la masse et de la technologie se pose aussi la question de la préparation et de l’entraînement des forces. En 2020, le général d’armée Thierry Burkhard, alors chef d’état-major de l’armée de terre, constatait que notre modèle d’armée s’est essentiellement organisé autour d’un type très particulier d’opérations, notamment le combat contre le terrorisme militarisé, et qu’il nous fallait « réapprendre la grammaire de la guerre de haute intensité » ([21]). À titre d’exemple, les pilotes n’effectuent que 150 heures de vol par an, alors que la norme OTAN est de 200 heures par pilote.

Lorsque la LPM 2019-2025 a été adoptée, l’éventualité d’un conflit de haute intensité sur le continent européen n’était encore qu’une faible probabilité. Elle est désormais une réalité. La prochaine loi de programmation militaire devra en tirer toutes les conséquences.

c.   Affronter le défi de l’économie de guerre

Croire que le retour des conflits de haute intensité sur le sol européen ne concerne que nos armées serait une grave erreur. Comme le montre si bien l’exemple ukrainien, la guerre est l’affaire de toute une nation. Si les forces armées sont en première ligne, elles doivent être soutenues par nos industries, nos administrations et chacune des personnes présentes sur notre territoire.

L’accroissement des menaces nécessite une montée en puissance de notre base industrielle et technologique de défense vers une économie de guerre pour être en capacité d’accélérer rapidement les flux de production et de reconstituer les équipements et stocks. Il s’agit d’être en mesure, en cas d’engagement de moyenne ou de haute intensité, de disposer de suffisamment de stocks pour faire face à l’attrition des matériels, d’être en capacité de s’approvisionner en munitions rapidement et dans la durée, et en même temps de garantir une autonomie stratégique française et européenne en matière industrielle.

La situation requiert, à l’évidence, une reconstitution de certains stocks de munitions, pour préparer la haute intensité, mais aussi pour renforcer l’entraînement des forces. Il convient toutefois de nuancer cette affirmation. Il serait contre-productif de se contenter d’accumuler des quantités infinies de munitions, dans la mesure où les munitions non utilisées doivent dans la plupart des cas être détruites ou rénovées tous les dix ans. En outre, en cas d’engagement majeur face à un adversaire de force égale ou supérieure, la France ne se battrait sans doute pas seule mais en coalition ; nos alliés pourraient alors nous fournir une partie des munitions et une aide logistique. Le rapporteur spécial note toutefois que cette aide ne serait possible que si nos systèmes sont interopérables avec ceux de nos alliés et si ces derniers ne sont pas engagés dans le même conflit, auquel cas ils auront eux-mêmes besoin de leurs stocks de munitions.

Plus que l’accumulation des stocks et des matériels, il nous faut retrouver la capacité d’accélérer la production d’armements et de munitions en cas de conflit de haute intensité. L’idée est de disposer d’un stock minimal d’équipements pour tenir durant la première phase du conflit, en attendant la montée en puissance industrielle et l’arrivée de moyens complémentaires pour la suite de l’affrontement. Cela suppose de gagner en agilité et de réduire drastiquement les délais de production des équipements essentiels, notamment des munitions complexes telles que les missiles dont le temps de fabrication peut prendre jusqu’à deux à trois ans.

Le Président de la République a souhaité donner une première impulsion vers de telles évolutions ([22]). La direction générale de l’armement a entamé un dialogue avec les industriels afin de trouver des solutions à court et moyen termes. L’équation s’annonce toutefois complexe. Il s’agira, dans certains cas, de constituer des stocks de composants ou de matières premières essentiels à la fabrication des équipements (comme les composants électroniques des missiles), ou a minima de sécuriser nos approvisionnements afin de garantir une complète autonomie.

Il s’agira aussi, dans d’autres cas, de simplifier certaines procédures administratives qui ralentissent parfois inutilement nos capacités de réaction en cas de crise. Sur ce point, le rapporteur spécial renvoie aux propositions particulièrement pertinentes de M. Thomas Gassilloud, désormais président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, dans son rapport sur la résilience nationale ([23]). Des évolutions législatives pourraient avoir lieu en ce sens dans la prochaine LPM.

Plusieurs solutions sont d’ores et déjà envisageables : une mutualisation des équipements de nos armées, sur le modèle des hélicoptères interarmées H160M Guépard ; des programmes d’armement développement plus agiles, qui permettraient la production d’équipements s’adaptant au mieux aux besoins des forces, avec une amélioration continue des matériels basée sur des retours d’expérience ; l’adaptation des normes juridiques à l’industrie de guerre, qui répond à des besoins et des standards bien différents de ceux de l’économie civile.

Il faudra surtout reconstituer des chaînes de production qui n’existent plus, ce qui n’ira pas sans des investissements massifs. Il conviendra notamment de donner de la visibilité aux industriels sur les futures commandes. Dans cette perspective, l’exportation d’armement apparaît plus que jamais comme une nécessité, en complément des commandes nationales qui ne pourront suffire, pour permettre à notre base industrielle et technologique de défense de constituer des chaînes de production adaptables et soutenables dans la durée.

Le rapporteur spécial souligne que la France a su, en pleine épidémie de covid-19, dépasser ses limites en amorçant une production autonome de masques et de gel hydroalcoolique qui n’existait plus sur le territoire depuis des années. L’effort lié à l’économie de guerre est certes autrement plus important, mais il peut être anticipé dès maintenant.

L’économie de guerre ne concerne d’ailleurs pas que l’industrie de la défense. L’ensemble de l’économie française sera affecté en cas de conflit de haute intensité. C’est d’ailleurs déjà le cas aujourd’hui, en matière énergétique, en raison de l’arrêt des relations commerciales entre l’Union européenne et la Russie. À cet égard, il est indispensable que la France conserve une indépendance énergétique totale afin de pouvoir résister aux chocs extérieurs.

La France doit également pouvoir assurer son indépendance alimentaire. Or, si nous avons une économie primaire développée, elle reste très spécialisée par aires géographiques, le reste étant assuré par l’importation. D’ailleurs, plus de la moitié des protéines servant à l’élevage animal est importée en provenance de pays non européens. L’alimentation inclut aussi les ressources en eau potable ; or les réactifs indispensables pour son traitement, comme le chlore ou les charbons actifs, sont principalement importés de Chine, d’Australie ou de Nouvelle-Zélande. Ces aspects méritent d’être étudiés et anticipés avant les prochaines crises.

La résilience de nos moyens de communication est également un enjeu majeur de l’économie de guerre. Une armée sans moyens de communication longue distance et sécurisés perd en efficacité. Une société coupée des moyens de communication modernes et des réseaux internet est paralysée. Il importe donc de veiller, dès maintenant, à ce que nos services essentiels soient en mesure de s’organiser et de fonctionner même en mode dégradé en cas de crise majeure.

Dans cette perspective, le rapporteur spécial recommande de déterminer la liste des acteurs essentiels au fonctionnement de la Nation et, pour chacun d’eux, de mettre en place un protocole de fonctionnement en cas de conflit de moyenne ou de haute intensité.

d.   S’appuyer sur les forces morales de la Nation

Depuis le 24 février dernier, la guerre en Ukraine a montré l’importance des forces morales d’une Nation, à la fois chez les combattants et chez les civils. Ce n’est pas une armée qui gagne une guerre, c’est un pays tout entier, avec le soutien de l’ensemble de sa population. Cela vaut, évidemment, pour le passage en économie de guerre. Cela vaut aussi, plus généralement, pour toutes les formes de mobilisation citoyenne qu’il est possible d’imaginer au sein de la population.

Le rapporteur spécial est convaincu de la nécessité de renforcer le lien entre les armées et la Nation, notamment en s’appuyant d’avantage sur la réserve opérationnelle. La France compte aujourd’hui 41 000 réservistes, dont 25 000 dans l’armée de terre, 5 300 dans la marine et 5 300 dans l’armée de l’air et de l’espace ([24]), auxquelles s’ajoutent la réserve de la gendarmerie et celle de la police nationale. Le rapporteur note que ces réserves fonctionnent selon des modalités variables et que certaines d’entre elles présentent à n’en pas douter des marges d’amélioration.

Le Président de la République a récemment annoncé un renforcement des réserves opérationnelles, en doublant leur volume, ainsi qu’une intensification du projet de service national universel (SNU), afin de renforcer la cohésion nationale et l’esprit de défense ([25]). À la suite de cette annonce, le ministre des armées a mis en place un groupe de travail, en vue de la future LPM, afin d’identifier les freins à l’engagement dans la réserve ainsi que les leviers nécessaires pour y remédier, y compris s’agissant d’éventuelles évolutions législatives ou réglementaires.

Le rapporteur spécial ne peut que s’inscrire dans la continuité de ces orientations. La réserve et le SNU sont des outils pertinents pour renforcer notre effort de défense. Il convient d’ailleurs de souligner que leur renforcement n’engendrerait que des coûts marginaux (le coût actuel de la réserve est d’environ 200 millions d’euros par an) pour des gains opérationnels certains et une utilité maximale en cas de conflit de moyenne ou de haute intensité.

La réserve pourrait ainsi permettre de consolider le lien entre les armées et la Nation, de sensibiliser l’ensemble de la population aux risques d’un conflit de haute intensité ou encore d’améliorer la connaissance des enjeux militaires. Le cas échéant, elle pourrait aussi contribuer à donner de la masse à nos armées, marquées par la fin de la circonscription et par vingt années de diminution des effectifs militaires. Outre la réserve militaire et opérationnelle, il pourrait être envisagé de créer une réserve de l’industrie de défense, en vue de faciliter le passage d’une économie de paix à une économie de guerre. Dans cette perspective, des évolutions du droit du travail en cas de crise pourraient être envisagées dans le cadre des débats sur le prochain projet de loi de programmation militaire.

En vue des débats qui auront lieu dans les prochains mois, le rapporteur spécial recommande aussi de mettre fin au cloisonnement des réserves et d’évoluer vers un modèle intégré avec des réservistes qui côtoieraient les militaires tout en assurant également des missions de sécurité intérieure. Cette évolution serait notamment souhaitable en vue des grands événements sportifs qui auront lieu en France, la coupe du monde rugby (2023) et les Jeux Olympiques d’été (2024).

La réserve permettrait ainsi de décharger les armées de certaines missions qui leur sont aujourd’hui imposées et qui engendrent des effets indésirables, en particulier sur l’entraînement des militaires. Cette proposition s’inscrit dans la continuité d’un récent rapport de la Cour des comptes sur l’opération Sentinelle, dans lequel elle estime qu’il serait « plus pertinent » que cette mission ne soit plus confiée aux militaires, car trop éloignée de leur cœur de métier, et recommande par conséquent un désengagement progressif ([26]).

e.   Réussir la transition écologique des armées

La prochaine LPM devra également traiter la question de la transition écologique de nos forces armées. Le changement climatique est un enjeu générationnel, dont le ministère des armées doit nécessairement tenir compte.

À ce titre, le rapporteur spécial rappelle que les armées n’ont pas attendu 2023 pour amorcer leur effort de transition vers un modèle plus durable. Plus grand propriétaire foncier de l’État, avec quelque 275 000 hectares de terrain, le ministère des armées a mis en place, dès 2016, une stratégie de défense durable visant notamment à préserver les terrains occupés, à protéger la biodiversité et à maîtriser l’empreinte environnementale des infrastructures et des équipements. En 2022, il s’est doté d’une stratégie « Climat et Défense » visant à renforcer la gestion durable des terrains, à consolider sa politique d’achats responsables (écoconception, lutte contre l’obsolescence) ainsi qu’à s’engager encore davantage dans l’efficacité et la sobriété énergétiques.

La transition écologique n’en représente pas moins un véritable défi pour les armées. Les forces sont nécessairement contraintes de prendre comme dénominateur commun l’exploitation dans l’environnement le plus dégradé. Pour prendre un exemple trivial, il serait vain d’acquérir des véhicules blindés fonctionnant à l’énergie électrique ou aux biocarburants si ces sources d’énergie ne sont pas disponibles sur les théâtres d’opérations extérieures. Distinguer les équipements qui ont vocation à évoluer en OPEX de ceux qui ne quitteront jamais le territoire n’a rien d’évident.

Néanmoins, le rapporteur spécial a la conviction profonde que les armées ont des choses à nous apporter dans l’adaptation au changement climatique. Le besoin opérationnel ne doit pas freiner les innovations. Les bases militaires, parfois construites au milieu de nulle part ou en plein désert, sont des écosystèmes autonomes et donc des laboratoires grandeur nature en termes de gestion des ressources énergétiques, hydrauliques et matérielles. Le développement durable des infrastructures militaires, avec des matériels moins énergivores, issus d’une énergie bas carbone et recyclables, est donc un axe de travail pertinent pour le ministère, qui est susceptible de créer des externalités positives pour l’ensemble de la société.

Par ailleurs, l’article 22 du projet de loi de finances pour 2023 modifie le compte de commerce Approvisionnement de l’État et des forces armées en produits pétroliers, biens et services complémentaires ([27]), dans la continuité de la nouvelle stratégie énergétique de défense, afin de permettre aux armées d’évoluer d’un paradigme dans lequel les énergies fossiles assurent la très large majorité de l’énergie utilisée pour la mobilité vers un modèle qui intègre les énergies alternatives. D’un point de vue organisationnel, une division énergie opérationnelle est créée au sein de l’état-major des armées et le service des essences des armées est transformé en service de l’énergie opérationnelle.

 

 


—  1  —

II.   Le Programme 144 : les moyens allouÉs au renseigNement et À la prospective en hausse de 7 %

Le projet de loi de finances pour 2023 propose de doter le programme 144 Environnement et prospective de la politique de défense de 1,99 milliard d’euros en autorisations d’engagement et de 1,90 milliard d’euros en crédits de paiement. Les crédits de paiement progressent de 127,8 millions d’euros (+ 7 %) conformément à la trajectoire prévue dans la LPM.

Évolution des crÉdits du programme 144

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

Action 03 – Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France

665,3

467,3

– 30 %

409,5

476,8

+ 16 %

Action 07 – Prospective de défense

1 439,8

1 481,5

+ 3 %

1 327,7

1 388,3

+ 5 %

Action 08 – Relations internationales et diplomatie de défense

41,3

41,1

– 0,6 %

41,3

41,1

– 0,6 %

Total

2 146,4

1 989,8

 7 %

1 778,4

1 906,2

+ 7 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

L’augmentation des crédits permettra notamment de poursuivre la remontée en puissance des moyens humains et matériels des services de renseignement ainsi que l’accroissement de l’effort budgétaire en faveur de l’innovation de défense.

Évolution des crÉdits de paiement du programme 144

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

A.   le renforcement des moyens des services de renseignement

En 2023, les crédits du programme 144 alloués à la recherche et l’exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France s’élèveront à 476,8 millions d’euros, en augmentation de 16 % par rapport à la loi de finances pour 2022 (action 03 Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France).

1.   Les moyens du renseignement extérieur

Dans le cadre de la LPM, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), le service secret de l’État, s’est fixée pour objectif de renforcer son modèle intégré, de garantir la résilience de ses infrastructures et d’accroître ses capacités d’action en lien avec les exigences de sécurité liées à sa mission.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit d’élever les moyens alloués à la DGSE sur le programme 144 à 440,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 417,6 millions d’euros (sous-action 03.31).

Évolution des crÉdits du renseignement extÉrieur

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

● Après deux années marquées par le financement exceptionnel du projet de nouveau siège de la direction centrale de la DGSE au Fort neuf de Vincennes, pour un montant total de 1,1 milliard d’euros d’autorisations d’engagement affectées sur tranche fonctionnelle, les engagements prévus en 2023 reviennent à un niveau plus habituel.

Le projet du nouveau siège devrait se concrétiser avec la signature du marché principal en 2023, pour un démarrage des travaux à l’automne 2024 et un emménagement du service en 2028. Il permettra à la direction centrale de la DGSE de quitter l’actuel siège du boulevard Mortier, morcelé et vieillissant, et offrira un cadre plus adapté au fonctionnement du service. Dans l’attente, les crédits de la DGSE couvrent aussi d’autres dépenses d’infrastructure liées à la modernisation et l’adaptation des locaux existants.

En outre, les autorisations d’engagement prévues en 2023 ont vocation à renforcer le soutien et la logistique technique nécessaires aux opérations de la DGSE mais aussi les moyens de recueil de renseignement du service, notamment via l’acquisition de matériels adaptés aux évolutions techniques et technologies de plus en plus variées, avec un point d’attention majeur sur la diversification et la sophistication constante de la menace cyber.

● En raison de redéploiements opérés au sein du budget de la défense, les crédits de paiement prévus dans le projet de loi de finances sont inférieurs à la programmation initiale (423 millions d’euros), mais ils continuent d’augmenter (+ 7 % par rapport à 2022). Cette hausse est nécessaire en particulier pour financer les travaux immobiliers lancés par la DGSE ces dernières années, mais aussi la réorganisation de la DGSE intervenue en 2022 ([28]), qui doit permettre un fonctionnement plus agile et moins vertical ainsi qu’une mutualisation renforcée avec les autres services de renseignement.

En tant qu’agence technique de l’État, la DGSE mobilise aussi une partie de ses ressources pour le développement de dispositifs techniques mutualisés au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement.

Enfin, l’augmentation des crédits de paiement doit également permettre de financer la hausse des effectifs de la DGSE. Les effectifs programmés du service dépasseront les 6 000 ETP en 2023, dont environ 20 % de militaires et 80 % de civils, soit une augmentation d’un peu plus de 250 ETP par rapport à 2022.

Les recrutements prévus sont en particulier destinés à renforcer les capacités de cyberdéfense, conformément à l’ajustement de la programmation militaire de 2021 qui prévoit d’augmenter de 770 le nombre de cyber-combattants d’ici 2025. La DGSE rencontre toutefois des difficultés pour pourvoir l’ensemble de ses postes, dans un contexte de marché du travail tendu, et compte tenu des exigences inhérentes au personnel travaillant dans un service de renseignement.

● Dans un contexte géopolitique instable marqué par la recrudescence des menaces, l’activité opérationnelle de la DGSE est appelée à croître dans les années qui viennent. Si les opérations du service connaissent aujourd’hui un pic d’activité certain, ce-dernier est, à ce stade, en capacité d’opérer des bascules d’effort. Toutefois, l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le retour de la guerre sur le sol européen rendent d’autant plus nécessaire la croissance des moyens humains et matériels mis à la disposition du renseignement extérieur.

2.   Les moyens du renseignement de sécurité et de défense

La direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) est « le service dont dispose le ministre des armées pour assumer ses responsabilités en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles » ([29]). Dans le cadre de la LPM, elle poursuit la modernisation de son organisation et de ses moyens, commencée à la suite des attentats de 2015, et rendue nécessaire face aux nouvelles menaces, évolutives et durables.

Les crédits affectés au renseignement de sécurité et de défense sont prévus à hauteur de 26,9 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 12 %) et 59,3 millions d’euros en crédits de paiement (+ 67 %) en 2023 (sous-action 03.32).

L’augmentation des crédits est avant tout liée aux travaux de construction du nouveau siège de la direction centrale de la DRSD à Malakoff, engagés en 2021. Le marché de construction du nouveau bâtiment de la direction centrale mobilise ainsi à lui seul à hauteur de 6,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et 41,6 millions d’euros en crédits de paiement. Cette nouvelle infrastructure doit permettre au service de renforcer et de diversifier ses moyens de lutte contre le terrorisme, l’espionnage, le sabotage, la subversion et le crime organisé.

La montée en puissance du renseignement de sécurité et de défense s’accompagne d’une augmentation des effectifs de la DRSD. Ainsi le service voit son plafond d’emplois augmenter de 1 590 ETPT en 2022 à 1 610 ETPT en 2023. L’effort doit toutefois être poursuivi, car les ressources humaines demeurent sous-dimensionnées par rapport à l’augmentation des besoins.

Évolution des crÉdits du renseignement de SÉcurité et de dÉfense

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

La transformation de la DRSD s’appuie également sur des investissements significatifs lui permettant de moderniser ses moyens techniques et d’acquérir des outils de contre ingérence efficaces et innovants. En 2023, le service poursuivra le développement du système d’information de renseignement et de contre-ingérence de défense (SIRCID), qui doit permettre de stocker et d’exploiter le renseignement à partir d’une solution logicielle souveraine.

En matière d’habilitation et de contrôle des sites sécurisés, la hausse des effectifs et le renforcement des moyens de la DRSD a d’ores et déjà permis une amélioration de la performance, comme en témoignent les résultats des indicateurs associés au programme 144 : 95 % des demandes d’habilitation traitées (indicateur 1.1) et 95 % des sites inspectés (indicateur 1.2) dans les délais prévus.

Néanmoins, la montée en puissance doit se poursuivre. Face à la généralisation et la sophistication des cyberattaques et des opérations d’influence visant la sphère défense, la DRSD poursuit le renforcement de ses capacités de cyberdéfense, notamment via le développement du service de réponse à incident et de veille en vulnérabilités (CERT), un nouvel outil destiné à protéger les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD) non couvertes par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

En cas de haute intensité, la DRSD risque d’être énormément sollicitée. Elle devra notamment faire face à un nombre croissant de cyber-attaques, tandis que de nombreuses personnes arrivant en renfort seront à habiliter dans des délais contraints. Il est donc nécessaire d’apporter à la DRSD des capacités supérieures afin d’anticiper une éventuelle attaque et le surcroît de besoins qu’elle entraînerait.

L’augmentation des moyens humains et matériels de la DRSD vise aussi à accompagner le renforcement des moyens de contre-ingérence économique. Pour protéger les quelque 4 000 entreprises de la BITD, le service doit pouvoir disposer d’effectifs en nombre suffisant et être capable de traiter de plus grandes quantités d’informations de manière efficiente.

 


B.   la consolidation des moyens EN FAVEUR DE la Prospective de dÉfense

Outre le renforcement des moyens accordés au renseignement extérieur et de défense, le programme 144 contribuera aussi à la prospective de défense à hauteur de 1,39 milliard d’euros en crédits de paiement pour 2023 (action 07 Prospective de défense), soit une augmentation de 5 % par rapport à 2022.

1.   Les crédits prévus pour l’analyse stratégique

L’analyse stratégique, pilotée par la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), vise à aider le ministère des armées à anticiper les éventuelles ruptures stratégiques susceptibles d’intervenir à moyen et long termes ainsi que leurs conséquences sur la politique de défense française.

En 2023, les crédits du programme 144 en faveur de l’analyse stratégique (sous-action 07.01) s’élèveront à 7,8 millions d’euros en autorisations d’engagement et 8,7 millions d’euros en crédits de paiement, des montants similaires à ceux de 2022. Ils se situent dans la moyenne des crédits disponibles les années précédentes.

Évolution des crÉdits de l’analyse stratÉgique

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les moyens de la sous-action permettront de financer la réalisation d’études et recherches prospectives, réalisées par des prestataires privés au profit des organismes de défense, sur l’évolution du contexte international et stratégique ainsi que sur les risques et menaces susceptibles d’affecter la sécurité de la France et de l’Union européenne.

Ils financeront également des dispositifs de soutien à la recherche stratégique à la fois auprès d’acteurs publics (des universités, dans le cadre d’allocations doctorales ou postdoctorales) et privés (des think tanks et instituts de recherche, dans le cadre des études prospectives et stratégiques). Deux démarches guident l’action de la DGRIS :

– une démarche directive, qui identifie des axes de recherche sur lesquels des acteurs publics et privés peuvent travailler ;

 une démarche plus ouverte permettant de financer une recherche innovante sur des sujets dont l’intérêt stratégique peut se révéler à plus long terme, de façon à entretenir un vivier d’experts.

Le soutien à la recherche stratégique s’organise au moyen de contrats pluriannuels, englobant des prestations de natures diverses (veille, consultance, organisation d’événement) afin de permettre aux prestataires de développer et de pérenniser leur vivier d’experts, tout en consolidant leur modèle économique.

Les domaines d’études prioritaires pour le ministère des armées sont, notamment, la cyberdéfense, le nucléaire de défense, la Russie, le Moyen Orient, l’Arctique ou encore la politique de défense des États-Unis. Les études portent également sur la région indo-pacifique, le spatial et les risques sanitaires.

Enfin, la DGRIS travaille à la promotion à l’international de la recherche stratégique française sur les questions de défense. En 2023, cette ambition se traduira par la création d’une antenne de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) à Bruxelles, dont l’une des missions sera d’héberger les chercheurs nationaux.

2.   Les crédits prévus pour la prospective des systèmes de force

En complément des moyens mobilisés pour l’analyse stratégique, le programme 144 finance des actions de prospective des systèmes de forces (sous-action 07.02). L’objectif de ces actions est de proposer une adaptation des moyens dont sont dotées les forces en fonction des nouvelles menaces, des nouvelles technologies et de l’évolution des modes d’actions de nos adversaires ou rivaux. Elles sont donc essentielles dans la définition des futures capacités de défense et de leur emploi.

Évolution des crÉdits de la prospective des systÈmes de forces

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les moyens mobilisés contribuent à la réalisation d’études opérationnelles et technico-opérationnelles, exécutées sous la maîtrise d’ouvrage du Comité des études à caractère opérationnel ou technico-opérationnel (CETO), avec le soutien de l’état-major des armées et de la direction générale de l’armement.

En complément des études amont (sous-action 07.03), les études opérationnelles et technico-opérationnelles participent à la préparation des programmes d’armement du futur. Elles permettent d’identifier des besoins militaires prévisibles. Elles contribuent à la décision de lancement des travaux de préparation des programmes, à l’élaboration des outils spécifiques à l’étude des architectures et à la définition des futures capacités opérationnelles.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une légère augmentation des moyens affectés à la prospective des systèmes de forces, avec 22,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, en cohérence avec les trois exercices précédents. La variation des crédits est minime (+ 0,7 % par rapport à 2022) et dénote une stabilité dans les prévisions d’actions.

Les études opérationnelles et technico-opérationnelles réalisées en 2023, réparties en cinq systèmes de forces miroirs de ceux du programme 146, mobiliseront 3,9 millions d’euros de crédits de paiement pour la dissuasion, 4 millions d’euros pour la prospective, le commandement et la maîtrise de l’information, 7,9 millions d’euros pour l’engagement et le combat, 0,9 million d’euros pour le système de forces « projection – mobilité – soutien » et 2,8 millions d’euros pour les missions de protection et sauvegarde.

Les études prévues en 2023 permettront au ministère des armées d’approfondir ses projets d’amélioration des communications aéronautiques, navales, sous-marines ou encore satellitaires, de renforcement des capacités de cyberdéfense, de développement de capacités d’action dans l’espace et de constellations de satellites et nano-satellites, d’engagement collaboratif naval, de lutte anti-drones, de défense antiaérienne et antimissile ou encore de guerre des mines.

3.   Les crédits prévus pour les études amont

Les études amont sont des recherches et études appliquées rattachées à la satisfaction d’un besoin militaire prévisible spécifiquement identifié dans le cadre des travaux de prospective. Elles contribuent au soutien et au développement de la base industrielle et technologique de défense ainsi qu’à l’expertise technique de l’État nécessaires à la réalisation des opérations d’armement.

En permettant d’investir dans des technologies de rupture, de lancer des démonstrateurs innovants et de faire face aux enjeux de préparation des futurs systèmes d’armes, les études amont sont essentielles pour permettre à la France de disposer des technologies pour lesquelles une autonomie totale ou partielle est nécessaire, pour maintenir les compétences industrielles en vue des programmes d’armement futurs ainsi que pour susciter et accompagner l’innovation dans les domaines intéressant la défense.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 1,11 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1,02 milliard d’euros en crédits de paiement au profit des études amont (+ 1,5 % par rapport à 2022), poursuivant ainsi laccroissement de l’effort d’investissement inscrit dans la LPM.

Évolution des crÉdits des Études amont

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

 Les principaux engagements prévus en 2023 porteront :

– en ce qui concerne l’aéronautique, sur les briques technologies concourant aux évolutions du programme d’avions de chasse Rafale, sur la préparation du système de combat aérien du futur mené en coopération européenne ainsi que sur l’amélioration de la résilience des hélicoptères et aéronefs de transport ;

– concernant les missiles, sur l’amélioration des capacités de frappe à distance au moyen de missiles de croisière et des capacités de combat aérien, d’attaque au sol ou antinavire ainsi que sur la maîtrise de l’hypervélocité ;

– en ce qui concerne l’information et le renseignement, sur le renforcement des systèmes d’information et de communication, qui constituent des outils de souveraineté essentiels pour garantir l’autonomie d’appréciation et de décision nationales, mais aussi les moyens de guerre électronique ainsi que d’exploitation et de traitement des données de renseignement ;

– s’agissant du domaine spatial, en lien avec la stratégie spatiale de défense de 2019, sur la préparation des nouvelles capacités de communications militaires par satellites, les nouveaux satellites de renseignement et les appuis aux opérations maritimes, terrestres ou aériennes ;

– pour les capacités navales, sur l’amélioration des systèmes de détection, la lutte anti-torpilles et en surface ou encore la guerre des mines ;

– concernant les études dans le domaine terrestre, sur le futur système de combat terrestre (main ground combat system) mené en coopération européenne, sur la protection du combattant et des véhicules, sur la robotique, la lutte anti-drones ou encore sur le renforcement des équipements de défense nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC).

 Le projet de char de combat du futur MGCS

En 2023, les crédits alloués aux études ont donc notamment vocation à financer les études de définition de l’architecture du système MGCS. Bien qu’il existe une sous-action 09.80 pour le projet MGCS sur le programme 146, celle-ci n’est à ce stade dotée d’aucun crédit.

En discussion entre la France et l’Allemagne depuis 2012, le programme MGCS (main ground combat system) vise à renouveler les moyens lourds de combat terrestre de haute intensité et à mettre au point un système de combat centré sur un nouveau char lourd destiné à remplacer le char Leclerc dans l’armée française et le char Leopard 2 dans l’armée allemande à un horizon post 2030. À compter de 2015, les travaux sur le programme MGCS ont permis de faire converger nos deux pays vers des concepts d’architecture similaires. La signature par les ministres des armées pour la France et de la défense pour l’Allemagne d’une lettre d’intention en 2017 et d’un accord-cadre de coopération en 2020 a permis d’ouvrir une phase de démonstration préalable au possible lancement, en 2028, d’un programme commun de réalisation.

Le rapporteur reconnaît les avantages de la coopération sur le programme MGCS. Elle permet notamment de multiplier les synergies industrielles, de réduire les coûts et sans doute d’avancer plus rapidement. Elle facilitera aussi l’interopérabilité des futurs chars de combat. En outre, elle est essentielle dans la voie vers l’autonomie stratégique européenne, défendue de longue date par la France et à laquelle ses partenaires ne sauraient rester insensibles dans le contexte actuel.

Néanmoins, la question du partage industriel du projet – déséquilibré depuis l’arrivée de Rheinmetall dans la coopération initialement organisée autour de Nexter et de Krauss-Maffei Wegmann – n’étant toujours pas réglée, le contrat relatif à la phase d’étude de définition de l’architecture du système, destinée à préparer les futurs démonstrateurs, n’a toujours pas été signé. Le contrat notifié au consortium industriel en 2020 a été prolongé jusqu’à début 2023. La coopération ne présente en effet d’avantages que si les deux parties jouent le jeu et ont une envie sincère d’avancer.

À ce titre, le rapporteur spécial tient à souligner la réussite du projet CaMo (coopération motorisée), engagé entre la France et la Belgique, qui a permis la conclusion d’un partenariat stratégique visant à terme une interopérabilité maximale entre les armées de terre de nos deux pays.

S’agissant du programme MGCS, il convient de veiller à ce que le calendrier initialement prévu ne déborde pas davantage. Le partage initial de 50 % pour chaque part était clair et ne saurait être remis en cause. Si l’Allemagne souhaite poursuivre la coopération engagée, il lui appartient de poser un acte politique clair et de trouver une solution aux blocages actuels, que la France n’a ni la possibilité, ni la responsabilité de résoudre.

4.   Les crédits prévus pour soutenir l’innovation de défense

Outre les études amont, l’innovation de défense s’appuie sur un ensemble de dispositifs pilotés par la direction générale de l’armement et l’Agence de l’innovation de défense créée en 2018 ([30]).

● Le programme ASTRID (accompagnement spécifique des travaux de recherche et d’innovation de défense) a pour objectif de soutenir des projets duals de recherche exploratoire et d’innovation. De 2011 à fin 2021, 347 projets ont été financés pour un montant de 101 millions d’euros. Environ 10 millions d’euros par an sont consacrés au financement de projets de recherche, soit une trentaine de nouveaux projets par an. En 2021, deux appels à projets spécifiques ont été lancés sur l’intelligence artificielle et la robotique. En 2022, les deux thématiques choisies sont l’énergie et la guerre cognitive.

● Le programme ASTRID Maturation, lancé en 2013, vise à valoriser des travaux scientifiques financés par la défense mais ayant déjà été mis en œuvre avec succès dans le cadre d’un partenariat entre un organisme de recherche et une entreprise, afin de les accompagner jusqu’à un niveau de maturité technologique supérieur. De 2013 à fin 2021, 59 projets ont été financés pour un montant total de 29 millions d’euros. Entre 4 et 5 millions d’euros par an sont consacrés au dispositif, permettant la sélection d’une dizaine de nouveaux projets chaque année.

● Le régime d’appui pour l’innovation duale (RAPID) a été mis en place en 2009 en partenariat avec la direction générale des entreprises. Ce dispositif de subvention vise à soutenir des projets d’innovation d’intérêt dual portés par des PME ou, depuis 2011, des ETI de moins de 2 000 personnes, seules ou en consortium avec un ou deux partenaires, lesquels peuvent être des laboratoires, des organismes de recherche publics, des associations ou d’autres entreprises de toute taille. Près de 85 % des travaux menés visent des ruptures technologiques ou des incréments dont les systèmes de défense pourraient bénéficier à terme. La dotation annuelle du programme RAPID est de 50 millions d’euros. En 2021, 57 projets ont été sélectionnés pour un montant total de 43 millions d’euros.

● Le fonds d’investissement DEFINVEST, opéré par BpiFrance, vise à soutenir le développement des PME stratégiques pour la défense via des prises de participations au capital aux côtés d’investisseurs financiers et industriels. L’objectif est de permettre à ces entreprises de se développer en toute autonomie grâce à l’augmentation de leurs fonds propres. En 2022, ce fonds est doté de 100 millions d’euros. Depuis sa création, le fonds DEFINVEST a investi dans treize entreprises. La loi de finances pour 2022 a en outre prévu 20 millions d’euros de versement à l’Agence des participations de l’État. Le projet de loi de finances prévoit une dotation de 10 millions d’euros pour 2023.

● Le Fonds pour l’innovation de défense est un fonds d’investissement en capital-risque qui permet la prise de participations dans des entreprises – start-ups, PME, ETI – innovantes et en phase de croissance. Il a pour objectif de développer des technologies duales et transverses présentant un intérêt pour la défense. Il permet de compléter l’action publique et l’investissement privé. Il est ainsi complémentaire du fonds DEFINVEST, plus centré sur le soutien des entreprises de la base industrielle et technologique de défense. Doté de 200 millions d’euros provenant de crédits budgétaires, il pourra être complété jusqu’à 400 millions d’euros par des crédits publics ou privés. La dotation du fonds s’élève à 35 millions d’euros pour 2023, un montant similaire à celui de 2022.

● D’après les informations transmises au rapporteur spécial, il apparaît que les efforts de recherche et technologie (R&T) ainsi que de recherche et développement (R&D) de la France en matière de défense, bien que largement inférieurs à ceux des États-Unis en valeur, sont comparables en pourcentage des dépenses de défense. En outre, elles se révèlent plus importantes que celles de nos voisins européens, y compris l’Allemagne.

Source : réponses au questionnaire budgétaire prévu à l’article 49 de la loi organique relative aux lois de finances.

Dans un contexte international marqué par une concurrence accrue entre les États, l’effort d’innovation de la France, renforcé dans le cadre de la LPM, apparaît plus que jamais comme une priorité pour consolider les systèmes de forces. Ces efforts d’innovation ont d’autant plus d’impact que nombre d’équipements créent des synergies en dehors du champ militaire, notamment dans les domaines du spatial civil, de l’électronique et de la robotique, des fonds marins, du numérique, de la santé ou encore des avions bas carbone. À cet égard, le rapporteur spécial s’étonne des faibles montants de crédits prévus pour chacun des dispositifs de soutien à l’innovation ainsi que du petit nombre de projets soutenus jusqu’ici.

C.   La stabilitÉ des moyens affectÉs À la gestion des Relations internationales et À la diplomatie de dÉfense

Les crédits du programme 144 financent également les actions de la DGRIS en matière de coordination de l’action internationale du ministère des armées et de définition de sa stratégie d’influence à l’étranger. En 2023, ces moyens s’élèveront à 41,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, un montant en légère diminution de 0,5 % par rapport à 2022 (action 08).

Évolution des crÉdits EN FAVEUR DES relations internationales
et DE la diplomatie de dÉfense

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

● Cette diminution est principalement portée par les dépenses de communication et de relations publiques, en baisse de 58 % entre la loi de finances pour 2022 et le projet de loi de finances pour 2023, lesquelles avaient connu une hausse exceptionnelle en 2022 afin de financer l’organisation de la présidence française de l’Union européenne. Les crédits alloués à la contribution française au partenariat mondial contre les armes de destruction massive diminuent elles aussi de 13 %, conformément aux échéances prévues.

● En 2023, année de la renégociation du traité de coopération avec la République de Djibouti, le fonds de soutien à la modernisation des armées djiboutiennes sera consolidé à hauteur de 26,1 millions d’euros. La contribution de la France au fonds de soutien à la modernisation des forces armées djiboutiennes s’élèvera quant à elle à un million d’euros.

● Les initiatives en matière d’Europe de la défense seront également renforcées en 2023. Les crédits prévus pour financer la contribution française à l’Agence européenne de défense (AED) augmentent de 10 % par rapport à 2022. L’AED disposait, en 2022, d’un budget de 38 millions d’euros alimenté par les États participants en fonction de leur produit intérieur brut. La France contribue à hauteur de 6,8 millions d’euros, soit 18 % du budget de l’AED. À ce budget s’ajoutent des contributions des États pour le financement de projets en coopération (principalement des projets de R&D). L’AED gère un portefeuille d’études de 52 millions d’euros pour le compte des États membres.

En raison du contexte géopolitique et de la guerre en Ukraine, l’AED verra son rôle renforcé dans les années qui viennent, d’une part en matière de soutien à l’innovation, en lien avec les projets de recherche du Fonds européen de défense, et d’autre part en matière de soutien à l’acquisition conjointe de matériel de défense par les États membres de l’Union européenne – acquisition soumise à la condition qu’il s’agisse de matériels européens. À court terme, les moyens mobilisés pourraient permettre de reconstituer des stocks des munitions et, dans les pays d’Europe centrale et orientale, de remplacer des équipements de l’ère soviétique. À moyen terme, des capacités plus ambitieuses sont évoquées (drones, systèmes de ravitaillement en vol, systèmes de défense de l’espace, moyens de cyberdéfense, voire production de blindés).

À ce stade, le rapporteur spécial note toutefois la faiblesse des crédits débloqués, qui se limitent aujourd’hui à 500 millions d’euros par an. Surtout, il souligne que la hausse des investissements nationaux et européens de défense est vaine si elle ne soutient pas des projets visant une autonomie stratégique européenne. Pour de nombreux États européens, l’OTAN reste l’horizon indépassable de la politique de sécurité et de défense. Cela ne doit toutefois pas empêcher la constitution au sein de l’alliance Atlantique d’un pôle européen fort, soudé et structuré, qui défende une stratégie industrielle et d’innovation claire et qui œuvre pour une souveraineté stratégique commune.

● Enfin, la DGRIS coordonne le programme des personnalités d’avenir de la défense, qui vise la sensibilisation de futures élites étrangères, civiles et militaires, aux positions françaises en matière de sécurité et de défense, contribuant ainsi à la constitution et à l’entretien d’un réseau d’influence sur le long terme. En 2023, il sera financé à hauteur de 1,3 million d’euros.

 


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III.   Le programme 146 : un effort conséquent pour l’Équipement des forces, qui n’écarte pas tout risque de déficit capacitaire

Le programme 146 Équipement des forces, sous la double responsabilité de l’état-major des armées et de la direction générale de l’armement (DGA), « vise à mettre à disposition des armées les armements et matériels nécessaires à la réalisation de leurs missions » et « concourt par ailleurs au développement et au maintien des savoir-faire industriels français ou européens » ([31]). Représentant 29 % des crédits de la mission Défense, il est structuré selon cinq « systèmes de forces » : dissuasion, commandement et maîtrise de l’information, projection – mobilité – soutien, engagement et combat, protection et sauvegarde.

Évolution des crÉdits de paiement du programme 146

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de porter les crédits du programme 146 à 23,6 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 15,4 milliards d’euros en crédits de paiement, soit des hausses significatives, respectivement, de 6,5 milliards d’euros (+ 38 %) et 900 millions d’euros (+ 6 %). Parmi les principaux postes de dépenses revalorisés, les grands programmes d’armement hors dissuasion verront leur budget augmenter de 5,6 % pour représenter 8,5 milliards d’euros tandis que l’effort au profit de la dissuasion nucléaire augmentera de 6,5 %.

Évolution des crÉdits du programme 146

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

Action 06 – Dissuasion

6 277,5

4 161,4

– 34 %

4 362,8

4 645,2

+ 6,5 %

Action 07 – Commandement et maîtrise de l’information

2 947,7

2 964,8

+ 0,6 %

2 611,3

2 613,3

+ 0,1 %

Action 08 – Projection – mobilité – soutien

1 079,4

1 994,1

+ 85 %

1 654,9

1 788,7

+ 8 %

Action 09 – Engagement et combat

5 694,9

11 085,6

+ 95 %

4 957,7

5 197,8

+ 5 %

Action 10 – Protection et sauvegarde

841,7

3 082,4

+ 266 %

699,6

901,4

+ 29 %

Action 11 – Préparation et conduite des opérations d’armement

246,4

300,5

+ 22 %

217,2

257,8

+ 19 %

Total

17 087,5

23 588,8

+ 38 %

14 503,6

15 404,1

+ 6 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le budget proposé pour 2023 permet ainsi de poursuivre les investissements dans les équipements militaires, avec 14,2 milliards d’euros de commandes nouvelles pour les programmes d’équipement majeur. En outre, d’importantes livraisons de matériels auront lieu en 2023, avec, pour l’armée de terre : 18 chars Leclerc rénovés et 264 véhicules blindés multi-rôles ; pour l’armée de l’air et de l’espace : 13 avions de chasse Rafale, 2 avions de transport A400M, 3 avions multi-rôles de transport et de ravitaillement MRTT ; pour la marine : le deuxième sous-marin nucléaire d’attaque du programme Barracuda, 1 patrouilleur outre-mer et 1 bâtiment ravitailleur de forces.

En parallèle, les infrastructures militaires seront renforcées à hauteur de 2,7 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 2 milliards d’euros en crédits de paiement. Ces crédits permettront notamment de poursuivre la mise en place des infrastructures d’accueil des avions Rafale et MRTT et des véhicules blindés du programme SCORPION, l’adaptation du port de Toulon aux SNA du programme Barracuda ou la réalisation des installations d’accueil des hélicoptères Guépard.

Face à la menace d’un conflit de haute intensité, le renouvellement des stocks de munitions bénéficiera d’un effort exceptionnel de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,1 milliard d’euros en crédits de paiement. Ils financeront les commandes de 200 missiles de moyenne portée, de 100 missiles antiaériens sol-air moyenne portée de nouvelle génération (Aster 30), d’une centaine de missiles air-air MICA pour équiper les Rafale et les Mirage 2000D, de 700 bombes ou encore de 10 000 obus de 155 mm pour les canons Caesar. L’achat de munitions de petit calibre sera financé à hauteur de 50 millions d’euros.

Ces réorientations sont nécessaires pour reconstituer les stocks de munitions et accélérer le renforcement de nos capacités face aux risques de conflit de haute intensité. À ce titre, il faut souligner que l’effort est réalisé à budget constant, grâce à des redéploiements au sein de la mission Défense, le ministère des armées ayant exploité les marges de manœuvre à sa disposition, notamment celles permises par le report de la signature de certains contrats d’armement.


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Carte des principales livraisons prÉvues en 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : ministère des armées, dossier de presse relatif au projet de loi de finances pour 2023.


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A.   La modernisation des moyens de la dissuasion nucléaire

La dissuasion nucléaire, strictement « défensive et suffisante » selon les termes du rapport annexé à la LPM, est la clé de voûte de la stratégie de défense de la France. Elle est au cœur de la protection et de l’indépendance de la Nation et permet à notre pays de préserver ses intérêts vitaux contre toute agression d’origine étatique. Cela explique les moyens considérables qui y sont consacrés chaque année.

Évolution des crÉdits de la dissuasion nuclÉaire

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

La posture permanente de dissuasion s’appuie sur deux composantes, soutenues par un ensemble de capacités conventionnelles renforcées :

– une composante océanique, qui repose sur des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, équipés de missiles mer-sol balistiques stratégiques M51, dont au moins un est en permanence à la mer depuis 1972 ;

– une composante aéroportée, qui repose sur une flotte d’avions de chasse Rafale – le Rafale étant porteur unique de l’arme nucléaire depuis 2018 –, équipés de missiles air-sol moyenne portée améliorés (ASMP-A) et capables de prendre leur envol à tout moment.

La LPM 2019-2025 prévoit la modernisation de ces deux composantes afin d’en garantir la crédibilité opérationnelle. En 2023, les moyens mobilisés seront de 4,16 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 4,65 milliards en crédits de paiement (action 06). Les demandes d’autorisations d’engagement, plus volatiles car liées à l’avancement des programmes, sont en nette diminution de 2,11 milliards d’euros (– 33,7 %) par rapport à la loi de finances pour 2022, année marquée par un fort niveau d’engagement au profit du missile M51.

Les crédits de paiement augmentent quant à eux de 282 millions d’euros (+ 6,5 %), dans la continuité des lois de finances précédentes. Les principales hausses concernent les programmes de SNLE de troisième génération et d’ASN 4G.

Évolution des crÉdits de la dissuasion NUCLÉAIRE

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2021

PLF 2023

Évolution

LFI 2021

PLF 2023

Évolution

06.14 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion M51

1 605,0

543,7

– 66,1 %

795,6

809,8

+ 1,8 %

06.15 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion SNLE NG : adaptation M51

0,0

0,0

3,0

0,0

– 100,0 %

06.17 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion – Air sol moyenne portée amélioré (ASMPA)

50,8

64,1

+ 26,0 %

127,1

144,6

+ 13,7 %

06.18 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion Simulation

562,8

531,2

– 5,6 %

616,8

543,7

– 11,8 %

06.19 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion – Autres opérations

2 088,0

1 705,5

– 18,3 %

1 281,6

1 408,3

+ 9,9 %

06.22 – Assurer la crédibilité opérationnelle de la dissuasion – soutien et mise en œuvre des forces – toutes opérations

1 146,1

1 069,2

– 6,7 %

830,7

922,4

+ 11,0 %

06.23 – Assurer la crédibilité technique de la posture – toutes opérations

824,8

247,8

– 70,0 %

372,1

388,9

+ 4,5 %

06.24 – Assurer la crédibilité technique de la dissuasion – SNLE 3G

0,0

0,0

335,9

427,4

+ 27,2 %

Total

6 277,5

4 161,4

 33,7 %

4 362,8

4 645,2

+ 6,5 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Les moyens prévus pour la composante océanique

● Les crédits de l’action 06 du programme 146 alloués à la dissuasion financent en premier lieu la modernisation des quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) en activité – Le Triomphant, Le Téméraire, Le Vigilant et Le Terrible –, les travaux de préparation relatifs aux SNLE de troisième génération ainsi que le démantèlement des anciens sous-marins retirés du service.

En 2023, 349,9 millions d’euros en autorisations d’engagement et 340,9 millions d’euros en crédits de paiement sont ainsi prévus pour les opérations nécessaires à l’adaptation opérationnelle des SNLE en activité, pour les opérations de démantèlement des SNLE retirés du service et de leurs systèmes d’armes, pour des études scientifiques et technologiques dans le domaine de la propulsion nucléaire ainsi que pour l’adaptation des moyens d’essai à terre de la propulsion nucléaire navale (sous-action 06.19).

Les opérations d’adaptation des sous-marins et du centre d’entraînement des forces sous-marines à l’embarquement du nouveau missile M51 étant désormais achevées, aucun crédit n’est prévu sur la sous-action 06.15.

Le programme de SNLE de troisième génération, visant à renouveler les quatre sous-marins actuellement en service à l’horizon 2030, avec des capacités renforcées, se poursuivra en 2023 à hauteur de 427,4 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 91,5 millions d’euros (+ 27 %) par rapport à 2022 (sous-action 06.24). Ces crédits font suite aux 5 milliards d’euros d’autorisations d’engagement prévues en 2021 lors du lancement de la phase de réalisation, et qui donneront lieu à des paiements au delà de 2023.

● La modernisation de la composante océanique de la dissuasion passe également par la poursuite des travaux de mise en service de la troisième version du missile M51 (dite M51.3) et le développement de la quatrième version du missile (M51.4). En 2023, ces moyens s’élèveront à 543,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 809,8 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 06.14). Les autorisations d’engagement sont significativement inférieures à leur niveau de 2022, en raison de l’avancement des programmes, mais les crédits de paiement continuent leur montée en charge (+ 14,2 millions d’euros, soit + 1,8 %).

Enfin, le soutien des missiles M51 en service, têtes nucléaires comprises, coûtera 907,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 793,9 millions d’euros en crédits de paiement en 2023 (sous-action 06.22).

2.   Les moyens prévus pour la composante aéroportée

● Les crédits de l’action 06 alloués à la composante aéroportée de la dissuasion sont en premier lieu destinés à financer le maintien en condition opérationnelle et la modernisation des missiles air-sol à tête nucléaire actuellement en service. Sont ainsi prévus, en 2023 :

– pour la poursuite de la rénovation à mi-vie du missile ASMP-A : 64 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 144 millions d’euros de crédits de paiement (sous‑action 06.17) ;

– pour le soutien des missiles ASMP-A en service : 162 millions d’euros en autorisations d’engagement et 128 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 06.22).

L’action 06 finance également les travaux de développement du futur missile ASN 4G, successeur de l’ASMP-A à l’horizon 2030. En vue du lancement en phase réalisation de l’ASN 4G, l’incrément 2 de la phase de préparation a été initié en janvier 2022 grâce aux 700 millions d’euros d’autorisations d’engagement prévues en loi de finances pour 2022. En 2023, 567 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 255 millions d’euros de crédits de paiement y seront consacrés (sous-action 06.19).

3.   Les autres dépenses liées à la dissuasion

● Les crédits relatifs à la dissuasion comprennent aussi les moyens de garantir la fiabilité de fonctionnement et la sûreté des charges nucléaires, permettant ainsi de maintenir la capacité nationale de dissuasion sur le long terme.

Depuis la fin des essais nucléaires, la garantie du bon fonctionnement des armes nucléaires repose sur le développement de moyens de calcul et de simulation avancés. Pour 2023, 531,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et 144,6 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 06.18) sont prévus pour :

– la montée en puissance du laser mégajoule, mis en œuvre par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, qui permet de chauffer et de comprimer la matière jusqu’aux conditions que l’on retrouve lors du fonctionnement des armes nucléaires ;

– la poursuite de la construction des installations radiographiques et hydrodynamiques dans le cadre du programme franco-britannique TEUTATES ;

– l’exploitation des supercalculateurs en service ainsi que la recherche et le développement des supercalculateurs numériques de la génération suivante ;

– les conduites d’études scientifiques et technologiques nécessaires à la tenue des simulations garantissant le bon fonctionnement des moyens de dissuasion.

● S’y ajoutent 787,2 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 811,6 millions d’euros de crédits de paiement pour la modernisation des moyens d’essai, en particulier la modernisation du bâtiment d’expérimentation et de mesure Le Monge en service depuis 1992, ainsi que pour la production et le recyclage des matières nucléaires utilisées dans les missiles et les chaufferies (sous-action 06.19).

● La stratégie de dissuasion exigeant des moyens de transmission permanents, sûrs et résistants, pas moins de 248 millions d’euros et 389 millions d’euros de crédits de paiement y seront consacrés en 2023 pour le soutien en service des systèmes de transmissions actuels et le développement des systèmes ayant vocation à leur succéder. Ces dépenses, méconnues et peu spectaculaires, constituent néanmoins un investissement crucial pour garantir la bonne transmission des ordres du pouvoir politique vers les forces chargées de la posture permanente de dissuasion.

● Au delà des crédits de l’action 06 du programme 146, la modernisation des capacités conventionnelles participe elle aussi du renouvellement de la dissuasion nucléaire, non seulement sur la composante aéronavale (avions de chasse Rafale et avions multi-rôles de transport de ravitaillement en vol MRTT) mais aussi sur la composante océanique (les SNLE sont aidés dans leurs missions par les sous-marins nucléaires d’attaque et les bâtiments de premier rang).

 


B.   La consolidation des crédits affectés au commandement et à la maîtrise de l’information

Le système de forces « commandement et maîtrise de l’information » du programme 146 rassemble les moyens de recueil, de transmission et d’exploitation de l’information permettant de garantir l’autonomie de décision de la France.

Évolution des crÉdits de l’action 07

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

07.23 – Commander et conduire – ARTEMIS IA

19,0

36,9

+ 94,4 %

17,7

26,7

+ 50,9 %

07.24 – Commander et conduire – Système de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA)

918,2

12,9

– 98,6 %

230,0

273,5

+ 18,9 %

07.25 – Commander et conduire – Système d’information TERRE

28,4

35,1

+ 23,4 %

57,9

75,4

+ 30,2 %

07.27 – Commander et conduire – Géographie numérique

5,0

341,0

+ 6 720,0 %

85,1

82,9

– 2,6 %

07.28 – Commander et conduire – Autres opérations

27,8

25,1

– 9,8 %

50,9

49,9

– 2,0 %

07.29 – Commander et conduire – Système d’information des armées (SIA)

70,6

167,1

+ 136,5 %

96,1

106,5

+ 10,8 %

07.30 – Communiquer – Cyber

259,6

17,1

– 93,4 %

98,7

170,6

+ 72,9 %

07.35 – Communiquer – Autres opérations

117,3

439,7

+ 274,9 %

184,4

194,9

+ 5,7 %

07.36 – Communiquer – CONTACT

0,0

0,0

273,1

245,6

– 10,1 %

07.37 – Communiquer – DESCARTES

114,3

221,5

+ 93,8 %

70,7

81,8

+ 15,7 %

07.42 – Espace – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – ROEM

0,0

24,7

28,4

20,8

– 26,8 %

07.43 – Espace – Communiquer – Moyens de communication satellitaire

238,1

457,2

+ 92,0 %

572,8

456,1

– 20,4 %

07.44 – Espace – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – ROIM

211,0

145,5

– 31,1 %

89,1

84,6

– 5,0 %

07.45 – Espace – Maîtrise de l’Espace

110,0

400,0

+ 263,6 %

12,2

35,0

+ 185,3 %

07.46 – Espace – Commander et conduire – OMEGA

0,0

41,0

44,0

52,0

+ 18,1 %

07.50 – Communiquer – Transmission

432,6

0,0

– 100,0 %

25,7

32,6

+ 26,9 %

07.60 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – ALSR

0,0

2,8

23,7

18,6

– 21,7 %

07.61 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – CUGE

0,0

0,0

129,4

105,1

– 18,8 %

07.62 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – Drones aériens

57,0

384,2

+ 574,0 %

265,9

224,2

– 15,7 %

07.63 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – Hawkeye

0,5

1,0

+ 100,0 %

55,9

82,8

+ 48,0 %

07.64 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – ROEM

265,4

137,9

– 48,0 %

90,0

119,1

+ 32,3 %

07.67 – Renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître – SDCA

0,0

0,0

51,5

17,1

– 66,8 %

07.68 – Renseigner, surveiller, acquérir – Autres opérations

73,0

74,2

+ 1,6 %

58,0

57,7

– 0,5 %

07 – Commandement et maîtrise de l’information

2 947,7

2 964,8

+ 0,6 %

2 611,3

2 613,3

+ 0,1 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de porter les crédits de l’action 07 Commandement et maîtrise de l’information ’à 2,96 milliards d’euros en autorisations d’engagement, un montant quasiment stable par rapport à la loi de finances pour 2022 (+ 0,6 %), et à 2,61 milliards d’euros en crédits de paiement (+ 0,1 %).

Évolution des crÉdits de l’action 07

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

1.   Les capacités de l’armée de l’air

Les moyens du commandement et de la maîtrise de l’information reposent tout d’abord sur des équipements de renseignement mis en œuvre par les forces armées.

a.   Les avions de renseignement électromagnétique

En matière de renseignement d’origine électromagnétique, les capacités militaires se sont longtemps appuyées sur les avions Transall C-160 Gabriel, lesquels ont été retirés du service en 2022, en raison d’un maintien en condition opérationnelle au coût particulièrement élevé et d’une disponibilité problématique. Or les trois avions de renseignement ARCHANGE (avions de renseignement d’origine électromagnétique à charge utile de nouvelle génération), successeurs des Transall, ont été commandés en 2019 mais ne seront pas livrés avant 2026.

Dans l’intervalle, l’armée de l’air et de l’espace, et par extension la direction du renseignement militaire, se trouvent privées d’une capacité importante. Des alternatives existent, notamment les nacelles ASTAC (analyseur de signaux tactiques) embarquées sur les Mirage 2000, les avions radar SDCA (système de détection et de commandement aéroporté ou AWACS), les drones moyenne altitude longue distance ou encore les satellites du système CERES. Néanmoins, ces moyens ne comblent que partiellement le trou capacitaire laissé par le retrait des Transall. Une capacité intérimaire pourrait être envisagée.

En 2023, les futurs systèmes ARCHANGE, constitués d’un segment aéroporté et d’un segment sol, et complétés par un programme de formation et d’entraînement, bénéficieront de 105 millions d’euros (sous-action 07.61) dans le cadre du programme CUGE (capacité universelle de guerre électromagnétique).

b.   Les avions légers de surveillance et de reconnaissance

Le programme d’avion léger de surveillance et de reconnaissance (ALSR) a pour objectif de doter le renseignement militaire français d’une capacité complémentaire à celle des autres moyens de renseignement présents sur les théâtres d’opérations extérieures, permettant d’effectuer des missions de renseignement avec une faible empreinte logistique et une capacité de déploiement réactive.

La location d’aéronefs équipés, auparavant pratiquée, a été jugée coûteuse et comporte des limitations, notamment en termes de liberté d’action. C’est pourquoi le ministère a retenu le principe d’une acquisition patrimoniale. La programmation initiale prévoyait une cible de 8 ALSR à l’horizon 2030. Elle a été réduite à 6 appareils lors de l’actualisation de la programmation effectuée en 2021.

Les deux premiers appareils ont été livrés à l’armée de l’air et de l’espace. La commande du troisième a été anticipée dans le cadre du plan de soutien à l’industrie aéronautique décidé en 2020, pour une livraison avancée de 2027 à 2023. La majeure partie des crédits de paiement prévus pour 2023 concerne ce troisième aéronef (soit 16 millions d’euros, 56 millions d’euros ayant été engagés en 2020).

c.   Les avions de guet

Outre les avions de renseignement électromagnétique stratégique et les ALSR opérés par l’armée de l’air et de l’espace, la marine nationale dispose de trois avions de guet Hawkeye, dont la mise à niveau a été lancée en 2021 (915 millions d’euros d’autorisations d’engagement en loi de finances pour 2021).

En 2023, 82,7 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus, soit une augmentation de 48 % par rapport à 2022 (sous-action 07.63), pour financer ces travaux de mise à niveau, maintenir l’employabilité des aéronefs et conserver leur interopérabilité avec les équipements de l’OTAN.

Le programme Hawkeye prépare en outre le remplacement des trois aéronefs de type E-2C actuellement en service, acquis entre 1998 et 2003, par leurs successeurs Advanced Hawkeye de type E-2D, qui doit intervenir à l’horizon 2030.

d.   Les drones aériens militaires

Si la France, comme la plupart des pays européens, a pris du retard dans l’acquisition de drones militaires ([32]), un rattrapage est en cours pour permettre aux forces de disposer de capacités adaptées, notamment pour le recueil de renseignement (sous-action 07.62).

S’agissant des drones moyenne altitude longue distance (MALE), la DGA a, dans un premier temps, été contrainte de faire appel à des drones américains MQ9‑REAPER. Quatre systèmes de trois drones ont ainsi été livrés, aptes à opérer des missions de renseignement mais aussi à mettre en œuvre des armements.

Depuis 2013, les industriels français se sont progressivement engagés dans un projet de drone MALE européen. Après l’étude de définition lancée en 2016 et l’accord trouvé entre les industriels en 2020, la France, l’Italie, l’Allemagne puis l’Espagne ont débloqué les financements nécessaires pour permettre à l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) de notifier au maître d’œuvre Airbus DS le contrat de phase 2, pour une valeur totale de 7,1 milliards d’euros. L’impact budgétaire du programme en 2023 s’élèvera à 23,2 millions d’euros en autorisations d’engagement, qui s’ajoutent aux 595,4 millions d’euros d’autorisations d’engagement affectées non engagées à fin 2022, et à 79,4 millions d’euros en crédits de paiement.

L’aboutissement du drone MALE européen doit ainsi permettre à la France de disposer de drones pouvant être employés de manière souveraine pour effectuer l’ensemble des missions de renseignement, de surveillance, de repérage de cibles et de reconnaissance ainsi que pour des opérations de sécurité intérieure. L’avancée, longtemps attendue, du projet mené sous le leadership de l’Allemagne, doit être saluée. Le rapporteur souhaite toutefois émettre deux réserves.

D’une part, les quatre futurs systèmes de drone commandés par la France n’arriveront pas avant 2028 et, comme le notent nos collègues sénateurs : « si les performances de l’Eurodrone devraient être nettement supérieures à celles du Reaper (qu’il s’agisse des capteurs, de la capacité d’emport ou de la vitesse), on peut craindre qu’au moment de sa livraison, elles soient, du fait des retards accumulés et du rythme rapide de l’innovation, en décalage avec les dernières technologies » ([33]).

D’autre part, le rapporteur spécial note qu’Airbus DS entend équiper le drone MALE européen avec un moteur italo-américain (fabriqué en Italie mais conçu aux États-Unis), au détriment du moteur développé par Safran. Ce choix est regrettable, puisqu’il fragilise un projet initialement conçu comme un vecteur vers l’autonomie stratégique européenne. Le rapporteur rappelle que, en application de la réglementation américaine ITAR (international traffic in arms regulations), les États-Unis peuvent garder le contrôle de la vente et de la distribution de tous les matériels ou composants conçus sur le sol américain. Le fait que les composants du drone européen ne se trouvent actuellement pas dans la liste des matériels faisant l’objet d’un contrôle n’y change rien, puisque cette liste peut être amenée à évoluer. Quitte à rester dépendants des États-Unis, pourquoi les pays participants n’ont-ils pas directement acheté américain ? La question peut légitimement se poser.

Par ailleurs, outre les drones moyenne altitude longue distance, le projet de loi de finances prévoit une montée en puissance des investissements dans les systèmes de drones tactiques pour l’armée de terre, qui visent à répondre aux missions de renseignement et aux besoins de surveillance, de reconnaissance et de renseignement des unités tactiques. En 2023, sont prévus 334,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et 29,1 millions d’euros en crédits de paiement.

Enfin, 50 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 11,3 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus pour développer des systèmes de drones aériens pour la marine (SDAM), destinés à doter les navires de premier rang (FDI, FREMM et patrouilleurs, notamment) de capacités leur permettant d’accroître significativement leur portée de détection des menaces et leur maîtrise de la situation tactique. La LPM prévoit l’acquisition de 15 systèmes d’ici 2030. Le rapporteur spécial souligne que ces « boosters de capacités », pour reprendre les termes utilisés par l’état-major de la marine, sont fondamentaux pour optimiser la performance opérationnelle des bâtiments de la marine à moindre coût.

2.   Les capacités spatiales militaires

Conformément à l’ajustement de la programmation militaire de 2021, les moyens consacrés aux capacités spatiales de défense connaîtront une forte hausse en 2023, notamment en matière de télécommunications et de maîtrise de l’espace.

a.   Les équipements de renseignement d’origine image

S’agissant du renseignement d’origine image, c’est-à-dire de l’observation de la Terre, les moyens militaires se sont longtemps appuyés sur le système HELIOS 2, désormais en fin de vie, et progressivement remplacé par les nouvelles capacités mises en place dans le cadre du programme CSO (composante spatiale optique ([34])). Si les deux premiers satellites, lancés en 2018 et 2020, sont opérationnels, le lancement du troisième, initialement prévu fin 2021, a été retardé à plusieurs reprises. Compte tenu de la suspension des lancements Soyouz et des retards accumulés par le lanceur Ariane 6, ce satellite ne sera pas lancé avant 2023. Ce troisième satellite est attendu car il contribuera à augmenter la résolution et le nombre d’images accessibles ainsi qu’à améliorer le délai de revisite.

En 2023, le programme 146 y consacrera 145,5 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 84,6 millions d’euros de crédits de paiement. La majeure partie des engagements couvriront la poursuite du développement du programme IRIS (instruments de renseignement et d’imagerie spatiale), successeur du programme CSO à l’horizon 2030, actuellement en phase 1-B.

b.   Les moyens de renseignement d’origine électromagnétique

En matière de renseignement d’origine électromagnétique, c’est-à-dire de surveillance radar et d’écoute des télécommunications, les capacités militaires s’appuient sur les satellites, situés en orbite basse, du programme CERES (capacité de renseignement électromagnétique spatiale). Le renseignement d’origine électromagnétique et le renseignement d’origine image sont complémentaires, l’un pouvant être utilisé lorsque l’autre est inefficace.

Le projet de loi de finances pour 2023 porte les crédits du programme à 24,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 20,7 millions d’euros en crédits de paiement. Une partie de ces crédits sont destinés au développement du programme CELESTE (capacité électromagnétique spatiale), qui doit répondre aux besoins opérationnels à compter de 2029, date de fin de vie théorique des capacités CERES, avec des possibilités opérationnelles et techniques améliorées.

c.   Les satellites de télécommunications

En ce qui concerne les télécommunications, les armées s’appuient sur les satellites géostationnaires du programme Syracuse, qui offrent un système de radiocommunications longue distance, sécurisées et résistantes à la menace de guerre électronique. Les capacités actuelles reposent encore sur les satellites Syracuse 3A et 3B lancés en 2005 et 2006, complétés par le satellite Sircal-2 lancé en 2015 en coopération avec l’Italie et par des segments sol. Elles ont vocation à être remplacées par le système Syracuse IV, dont les premiers segments sol ont été mis en place en 2019 et 2020 et dont le premier satellite a été lancé en octobre 2021.

En 2023, les crédits consacrés au programme Syracuse s’élèveront à 457,2 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 92 % par rapport à la loi de finances pour 2022) et 456,1 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 70.43). Les principaux engagements prévus en 2023 couvriront notamment le maintien en condition opérationnelle des segments sol et spatial Syracuse III et Syracuse IV déjà en service ainsi que, pour le système Syracuse IV, la commande de 46 stations sol terrestres (notamment destinées aux territoires ultramarins) et de 19 stations embarquées devant équiper certains bâtiments de la marine.

d.   Les outils de positionnement, de navigation et de temps

S’agissant des solutions de positionnement, de navigation et de temps (PTN), le programme Omega (opération de modernisation des équipements GNSS [global navigation satellite system]) doit doter les armées d’une capacité autonome de géolocalisation pour les systèmes d’armes, basés sur les futurs systèmes de navigation par satellites GPS et Galileo, mais utilisant des signaux différents, sécurisés et résilients. En 2023, 41 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 52 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus pour ces investissements (sous-action 07.46).

e.   Les nouvelles capacités de maîtrise de l’espace

Enfin, dans le cadre de la nouvelle stratégie spatiale de défense de 2019, l’espace n’est plus vu comme un milieu neutre mais comme un milieu de confrontation. Face aux nouvelles menaces, le programme ARES (action et résilience spatiales) a pour objet de :

– renforcer les capacités de surveillance, c’est-à-dire de détection et de caractérisation des objets en orbite, depuis le sol (radars, télescopes) et depuis l’espace ;

– doter la France de capacités de protection des satellites militaires ou stratégiques, en développant, d’une part, des moyens de défense passive (depuis le sol ou au moyen d’outils d’autoprotection intégrés aux nouveaux satellites) et, d’autre part, des moyens de défense active, notamment avec les nano-satellites du programme YODA (yeux en orbite pour un démonstrateur agile) dont le démonstrateur est prévu pour 2024.

En outre, la nouvelle ambition spatiale s’articule autour de nouvelles capacités de commandement et de contrôle, avec la construction d’un centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales, à proximité du centre spatial de Toulouse du Centre national d’études spatiales (CNES), et destiné à doter le commandement de l’espace des moyens de suivre la situation spatiale ainsi que de planifier, commander et conduire les opérations spatiales militaires.

En 2023, sont prévus 400 millions d’euros d’autorisations d’engagement (+ 263,6 % par rapport à 2022) et 34,9 millions d’euros de crédits de paiement (sous-action 07.45). Les principaux engagements ont vocation à couvrir les opérations de développement du successeur du système de radar de surveillance spatiale Graves (grand réseau adapté à la veille spatiale) ainsi qu’aux études, développements et acquisitions de matériel pour le centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales en construction.

3.   Les équipements de télécommunications

Dans le cadre du programme Contact (communications numérisées tactiques et de théâtre), 1 305 nouveaux postes de radiocommunications haut débit et sécurisés seront livrés aux forces en 2023, pour un montant de 245,6 millions d’euros de crédits de paiement (comme en 2022, aucune autorisation d’engagement n’est prévue sur l’action 07.36). Ces postes radio destinés à équiper différentes plates-formes – fantassins, véhicules blindés notamment ceux du programme Scorpion, aéronefs de combat, de renseignement et de transport, bâtiments de la marine – présentent l’avantage d’être interopérables avec les systèmes équivalents existant au sein de l’OTAN.

Dans le cadre du programme Descartes (déploiement des services de communication et architecture des réseaux de télécommunications sécurisées), le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 221,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 81,8 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 07.36) pour renforcer les moyens des armées en matière de réseaux d’infrastructures fixes de télécommunications.

Ces crédits sont destinés à couvrir des besoins généraux en proposant des solutions de téléphonie et d’échange de données sécurisés, mais aussi des besoins de communications résilientes correspondant aux chaînes critiques nécessaires à la permanence du commandement pour les sites stratégiques ainsi que des besoins d’échanges plus spécifiques à la défense aérienne (posture permanente de sûreté aérienne, avec une interconnexion avec les réseaux de la DGAC et les réseaux satellitaires).

4.   Les outils de géographie numérique

La capacité de la France à maîtriser les informations d’environnement sur l’ensemble des terrains – terrestres mais aussi maritimes et aériens – dans lesquels les forces armées peuvent être amenées à évoluer est un enjeu de souveraineté majeur, puisqu’elle peut constituer un facteur de supériorité opérationnelle important.

Les crédits du programme 146 contribuent de longue date à cette maîtrise, avec le développement du système d’informations Geode 4D, dont l’objet est la collecte, le traitement et la diffusion des données géographiques, hydrographiques, océanographiques et météorologiques (GHOM).

En 2023, 341 millions d’euros en autorisations d’engagement et 82,9 millions d’euros en crédits de paiement seront consacrés à la poursuite des travaux de réalisation du système d’informations ainsi qu’à l’acquisition de nouvelles données GHOM numériques (sous-action 07.27).

Le rapporteur spécial souligne l’importance de ces dépenses. Il est nécessaire de préserver une capacité nationale de production GHOM et des personnels aptes à apporter une plus-value opérationnelle, afin de pouvoir transmettre des données adaptées à nos forces en opérations, leur garantissant ainsi une plus grande liberté d’action.

 


5.   La montée en puissance des moyens consacrés à la cyberdéfense

Les moyens consacrés par le programme 146 à la cyberdéfense s’élèvent à 190 millions d’euros de crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2023, dont 176 millions pour les programmes à effet majeur Cyber et GESA :

– 155,8 millions d’euros sont prévus pour le programme Cyber, dont l’incrément 5 a été lancé en 2020, pour la poursuite des travaux sur la téléphonie sécurisée, la commande de composants nécessaires aux chiffreurs IP et la poursuite des travaux sur les moyens de lutte informatique défense (sous-action 07.30) ;

– 19,9 millions d’euros pour le programme GESA (gestion des éléments secrets des armées), qui prend la suite du programme Seltic, et qui a pour objet de fournir aux forces des systèmes leur permettant de conserver des informations secrètes, de les échanger de façon sécurisée en interne ou avec des alliés sur le territoire national, en outre-mer ou sur les théâtres d’opérations extérieures (sous-action 07.35).

Le rapporteur spécial tient à souligner l’accroissement de l’effort budgétaire alloué à la cyberdéfense. Outre les 190 millions d’euros du programme 146, 68 millions d’euros sont prévus sur le programme 144 et 30 millions d’euros sur le programme 178, soit un budget total de 288 millions d’euros en 2023 pour renforcer nos moyens de lutte informatique défensive.

En outre, le nombre de cyber-combattants augmente avec 363 postes ouverts en 2023, conformément à la cible initiale de 1 123 postes sur la LPM, amplifiée de 772 postes à la suite de l’actualisation stratégique de 2021. La hausse des effectifs s’accompagne de la consolidation des infrastructures du quartier Stéphant, près de Rennes, destiné à regrouper les experts en cyberdéfense et cybersécurité des mondes industriel, académique et étatique sur un même pôle.

 


C.   Le renforcement des crédits prévus pour la projection, la mobilité et le soutien des forces

Le système de forces « projection – mobilité – soutien » englobe les moyens permettant la projection des forces armées sur des théâtres d’opérations éloignés de la métropole, leur mobilité à l’intérieur des théâtres et leur soutien durant toute la durée des opérations.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de doter l’action 8 de 1,99 milliard d’euros en autorisations d’engagement, soit une hausse significative de 84,7 % par rapport à la loi de finances pour 2022. Les principales commandes porteront sur l’adaptation des infrastructures aéroportuaires aux hélicoptères NH90 Caïman et Tigre ainsi que celles concernant les avions de transport A400M.

Évolution des crÉdits de l’action 8

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

08.42 – Projeter les forces – Avion de transport futur (A400M)

11,2

48,7

+ 333,9 %

232,1

247,7

+ 6,7 %

08.43 – Projeter les forces – Autres opérations

477,8

197,0

– 58,8 %

167,3

98,6

– 41,0 %

08.44 – Assurer la mobilité – VLTP

56,0

0,0

– 100,0 %

45,5

22,0

– 51,7 %

08.45 – Assurer la mobilité – HIL

0,5

43,4

+ 8 574,0 %

145,3

140,0

– 3,7 %

08.46 – Assurer la mobilité – Rénovation Cougar

0,0

0,0

1,0

0,3

– 73,1 %

08.47 – Assurer la mobilité – Hélicoptère NH 90

112,9

525,2

+ 365,1 %

283,7

263,3

– 7,2 %

08.48 – Assurer la mobilité – Autres opérations

130,7

188,1

+ 43,9 %

113,8

107,1

– 5,9 %

08.49 – Assurer la mobilité – Hélicoptères de manœuvre nouvelle génération (HM NG)

264,0

0,0

– 100,0 %

52,2

53,3

+ 2,0 %

08.51 – Assurer la mobilité – FTLT

0,0

192,8

0,0

3,5

08.53 – Maintenir le potentiel ami et autre – Autres opérations

26,2

341,4

+ 1 203,6 %

65,8

59,2

– 10,1 %

08.55 – Maintenir le potentiel ami et autre – MRTT

0,0

457,5

394,0

554,4

+ 40,7 %

08.56 – Maintenir le potentiel ami et autre – Flotte logistique

0,0

0,0

154,2

239,4

+ 55,3 %

08 – Projection – mobilité – soutien

1 079,4

1 994,1

+ 84,7 %

1 654,9

1 788,7

+ 8,1 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les crédits de paiement s’élèvent à 1,79 milliard d’euros, en augmentation de 8,1 % par rapport à 2022. Les principales livraisons attendues concernent deux avions de transport A440M et les trois derniers avions MRTT, le premier bâtiment ravitailleur de forces, cinq hélicoptères H160 et cinq hélicoptères NH90 Caïman.

1.   Les capacités aériennes de transport

En 2022, les capacités aériennes de transport tactique et stratégique ont été affectées par la destruction partielle et l’immobilisation des avions russes et ukrainiens Antonov 124 et Antonov 225, sur lesquels la France, comme la plupart des armées européennes, s’est longtemps reposée. Plusieurs rapports parlementaires ont eu l’occasion de souligner les difficultés posées par notre dépendance capacitaire vis-à-vis d’États étrangers ([35]), qui rendent d’autant plus nécessaire le bon avancement des programmes d’avion de transport A400M et d’avion de transport et de ravitaillement MRTT prévus dans la LPM.

a.   Le programme A400M

Le programme d’avion de transport A400M vise à doter les forces d’un avion de transport quadrimoteur destiné à réaliser le transport et le largage de troupes et de matériels inter-théâtres mais aussi intra-théâtre. Il assurera également un complément à la capacité de ravitaillement en vol, notamment au bénéfice des hélicoptères, et des missions d’évacuation sanitaire. Les A400M ont vocation à remplacer la flotte de transport tactique de C160 Transall, retirés du service en 2022, et à être utilisés aux côtés des C130J encore en service.

Le programme, conduit en coopération avec six autres pays – la Belgique associée au Luxembourg, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Turquie – et dont la gestion est confiée à l’OCCAR, doit permettre aux forces françaises de disposer de 25 appareils à l’horizon 2025. En 2022, 18 appareils ont déjà été livrés. En 2023, deux appareils supplémentaires seront livrés, pour un montant de 221,8 millions d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 6,7 % par rapport à 2022 (sous-action 08.42).

Outre les acquisitions, la France, première nation ayant réceptionné des A400M, a mis en place un soutien des appareils articulé autour d’une coopération avec le Royaume-Uni depuis 2015, avec l’Espagne depuis 2016 et avec l’ensemble des autres États participants depuis 2019, dont l’objet est en particulier la mise en place de stocks de rechanges communs et l’assistance technique centralisée.

Le programme inclut aussi la réalisation des infrastructures nécessaires à l’accueil de la flotte A400M, avec notamment des aires aéronautiques adaptées aux caractéristiques des aéronefs, un centre de maintenance ainsi qu’un centre de formation des équipages et du personnel mécanicien. En 2023, ces projets mobiliseront 40,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement (sous-action 08.42).

Le rapporteur spécial note que « [l]es conséquences du retrait de service des C160 Transall ne sont que partiellement compensées en 2023 par la montée en puissance des A400M » ([36]). Or si le désengagement de Barkhane constitue une opération logistique aérienne et maritime d’une ampleur si massive que peu de pays au monde seraient capables de la réaliser, elle suppose des capacités pleinement opérationnelles et en grand nombre, encore plus maintenant qu’elle se combine avec le déploiement de troupes sur le flanc est de l’OTAN. Compte tenu de la forte mobilisation des A400M, il paraît donc essentiel, en vue de la prochaine LPM, que l’armée de l’air et de l’espace puisse disposer d’un nombre suffisant d’appareils.

b.   Le programme MRTT

Le programme d’avion multi-rôles de transport et de ravitaillement en vol MRTT (multi role tanker transport) a vocation à remplacer les capacités de ravitaillement en vol actuelles (avions C-135FR et KC-135RG) ainsi que les aéronefs de transport stratégique de personnel et de fret (A310 et A1340 de l’armée de l’air et de l’espace) par un parc de gros-porteurs polyvalents.

Dans le cadre de la LPM, la cible de douze MRTT en 2025 a été rehaussée à quinze appareils à l’horizon 2030. Les six premiers appareils ont été livrés avant 2022 et trois le seront en 2022. Avec les trois derniers MRTT devant être livrés en 2023, le format de la flotte atteindra les douze aéronefs initialement prévus dès la fin 2023. En outre, dans le cadre du plan de soutien à l’industrie aéronautique, l’achat de trois avions A330, destinés à être transformés en MRTT, a été anticipé dès 2020. La date de leur conversion n’est, à ce stade, pas encore connue, mais elle pourrait avancer au rythme d’un avion par an entre 2024 et 2026.

La montée en puissance de la flotte des avions de transport et de ravitaillement MRTT explique l’ampleur des moyens mobilisés en 2023, avec 457,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et 554,4 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 08.55). Le programme inclut la réalisation des infrastructures d’accueil des MRTT (stationnement, dépannage, maintenance, formation du personnel).

Le rapporteur spécial tient à rappeler l’importance des MRTT, qui sont indispensables pour permettre à l’armée de l’air et de l’espace d’assurer l’ensemble de ses missions (dissuasion, posture permanente de sûreté aérienne, projection des forces aériennes, soutien aux forces en opération extérieure). À ce titre, il conviendrait de s’interroger sur le format relativement réduit de la flotte. Dans la mesure où la posture permanente de dissuasion nucléaire est susceptible de mobiliser à elle seule 12 MRTT, cela ne laisserait que 3 appareils à l’armée de l’air et de l’espace pour assurer l’ensemble des autres missions qui lui sont confiées.

Le rapporteur note que certains de ses collègues partagent ce constat : « la cible reste en deçà des besoins exprimés par l’armée de l’air et de l’espace et des recommandations de l’OTAN en la matière, qui seraient plutôt de 22 appareils » ([37]). Une réévaluation de la cible n’est pas à exclure, et pourrait même sembler souhaitable, dans le cadre de la prochaine LPM.

2.   Les hélicoptères militaires

Actuellement, cinq modèles d’hélicoptères différents, en service depuis les années 1960-1970, sont encore utilisés par les forces : les Fennec, les Gazelle, les Panther, les Alouette III et les Dauphin. Leur moyenne d’âge étant souvent très élevée, leur disponibilité tend à décroître et le coût de leur maintien en condition opérationnelle atteint parfois des niveaux difficilement soutenables. Ces modèles ont vocation à être progressivement remplacés par de nouvelles capacités.

a.   Le programme HIL

Le programme d’hélicoptères interarmées légers (HIL) vise à doter les trois armées d’une flotte unique d’hélicoptères H160M Guépard, aptes à réaliser un large spectre de missions opérationnelles : aides à l’engagement, appui au commandement et appui feux, reconnaissance, mais aussi renseignement, transport et soutien logistique léger et lutte anti navire. Modulaire et polyvalent, le HIL assurera ces missions aux côtés des hélicoptères spécialisés de dernière génération comme le NH90 Caïman, le Caracal et le Tigre.

Outre l’acquisition de 169 HIL à l’horizon 2030, dont 30 appareils ont été commandés en 2021 pour un montant de 3,2 milliards d’euros en autorisations d’engagement, le programme doit aussi permettre la réalisation des infrastructures destinées à accueillir les HIL ainsi que des bâtiments simulateurs de vol nécessaires à la formation et à l’entraînement des pilotes. En 2023, le programme HIL mobilisera 43,4 millions d’euros en autorisations d’engagement et 139,9 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 08.45).

En attendant la livraison des HIL, prévue après 2023, la marine nationale pourra bénéficier de la fourniture en location-vente d’une flotte intérimaire de six hélicoptères H160, en remplacement des Alouette III, entrés en service dans les années 1960 et pour lesquels le coût de l’heure de vol est devenu prohibitif. Le premier de ces H160 sera livré en 2022 et les cinq autres en 2023. Cette flotte intérimaire sera en outre complétée par dix à douze hélicoptères Dauphin N3, également dans le cadre d’un contrat de location-vente.

b.   Le programme NH90

Le programme NH90 Caïman, réalisé en coopération ([38]), vise à doter les forces d’un hélicoptère biturbines équipé d’un système d’armes intégré et de commandes de vol électriques, principalement destiné au transport tactique ainsi qu’à la lutte antinavire. Le NH90 Caïman se décline en deux versions différentes :

– la version NFH (NATO frigate helicopter) destinée à la marine nationale remplace les Lynx et les Super Frelon, retirés du service actif de la marine. En service depuis 2005, il a pour missions principales la protection des forces navales, avec des capacités de lutte anti sous-marine et antinavire, mais aussi le transport à partir de la terre ou d’un bâtiment et le sauvetage ;

– la version TTH (tactical transport helicopter) remplace progressivement les Puma de l’armée de terre. En service depuis 2011, ses missions principales sont le transport tactique de matériel et l’héliportage de commandos tandis que ses missions secondaires sont l’appui feu, le parachutage, l’évacuation de blessés et l’appui au commandement.

Actuellement, 27 hélicoptères version NFH sont en service au sein de la marine, contre 50 appareils version TTH au sein de l’armée de terre, auxquels devraient s’ajouter 7 TTH en 2022 et 5 TTH en 2023. Les crédits prévus pour 2023 s’élèvent à 525 millions d’euros en autorisations d’engagement (+ 365 % par rapport à 2022) et 263 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 08.47).

Si le NH90 Caïman est très employé sur les théâtres d’opérations, il rencontre néanmoins des problèmes de disponibilité assez inquiétants dans sa version TTH terrestre et plus encore dans sa version NFH marine. Des constats similaires sont faits chez nos partenaires étrangers. En outre, le coût de son entretien est particulièrement élevé.

Sur ce point, le rapporteur spécial note, d’une part, que la verticalisation des contrats de maintien en condition opérationnelle mise en place par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) pourrait permettre de mieux maîtriser les coûts. D’autre part, la France et l’Allemagne ont, en mai 2022, confié au consortium NH Industries un nouveau contrat de soutien opérationnel basé sur la performance, qui doit permettre aux armées de disposer de pièces de rechange et d’atteindre l’objectif de 50 % de disponibilité dès début 2023. Il est encore trop tôt pour en tirer un bilan, mais il conviendra de rester attentif aux effets de ces réorganisations sur la disponibilité des matériels.


c.   Le programme HM NG

Le programme d’hélicoptères de manœuvre de nouvelle génération (HM NG) doit permettre le remplacement des flottes d’hélicoptères vieillissantes de l’armée de terre et de l’armée de l’air encore en service à l’horizon 2030 (Puma, Cougar, Caracal) et ainsi une rationalisation du parc de chaque armée.

La LPM fixe un objectif de 12 appareils à l’horizon 2030. La commande des 8 premiers a été anticipée en 2021, dans le cadre du plan de soutien à l’industrie aéronautique mis en place en réaction à la crise sanitaire, pour un coût de 317 millions d’euros en autorisations d’engagement et des crédits de paiement étalés sur 2021-2026, dont 53 millions d’euros en 2023 (sous-action 08.49).

3.   Les capacités terrestres de transport et de soutien

Le programme de véhicules légers tactiques polyvalents (VLTP) dont la phase de réalisation a débuté en 2016 est destiné à remplacer les véhicules de liaison et de commandement en fin de vie par des véhicules interarmées au profit des unités d’appui et de soutien de l’armée de terre, des commandos de l’air et des fusiliers commandos de la marine. Deux gammes de véhicule sont prévues : une gamme légère de véhicules non protégés destinés l’emploi sur le territoire national et sur les théâtres d’opérations extérieures stabilisés ainsi qu’une gamme de véhicules protégés, plus lourds, destinés à l’engagement sur les théâtres d’opérations extérieures non stabilisés.

Outre les 3 000 VLTP non protégés livrés aux forces avant 2022, 1 200 véhicules doivent être livrés d’ici la fin de l’année et 180 supplémentaires en 2023, pour un total de 4 380, conformément à la cible initiale. S’agissant des VLTP protégés, 50 livraisons sont prévues en 2023 et 53 en 2024, pour un total de 103 véhicules. Les crédits afférents s’élèvent à 21,9 millions d’euros en 2023 (sous-action 08.44).

Le VLTP non protégé version sanitaire (SAN), dont la phase de réalisation devait initialement être lancée en 2022, a fait l’objet d’une mesure de décalage dans le but d’assurer la soutenabilité de l’A2PM 2022 et les commandes de reconstitution des stocks d’armements et de matériels cédés à l’Ukraine.

 

 


4.   La flotte logistique de la marine nationale

Depuis le retrait du pétrolier ravitailleur Meuse en 2015 et du bâtiment de commandement et de ravitaillement Var en 2021, la flotte logistique de la marine nationale n’est plus constituée que de deux bâtiments de commandement et de ravitaillement, Marne et Somme, en service depuis les années 1980. Or les bâtiments ravitailleurs sont essentiels pour permettre à la marine de mener à bien ses missions. Ainsi le groupe aéronaval, constitué autour du porte-avions et des frégates, ne peut être déployé en opération sans la présence à ses côtés d’un bâtiment de ravitaillement.

Le programme FLOTLOG, lancé en 2018, vise à remplacer ces bâtiments vieillissants par des bâtiments ravitailleurs de force répondant aux normes internationales en vigueur et permettant de les déployer sans restrictions sur l’ensemble des théâtres où la marine est appelée à évoluer. La cible du programme est de deux bâtiments en 2025 et quatre bâtiments en 2030.

Le premier bâtiment ravitailleur de forces, dénommé Jacques Chevallier, a été mis à flot en avril 2022. L’intégration à bord des différents équipements se poursuit et les essais à quai ont débuté, pour une mise en service programmée en juin 2023. Dans le cadre du programme 146, 239,4 millions d’euros de crédits de paiement sont prévus à cet effet en 2023 (sous-action 08.56).

Dans l’attente des livraisons ultérieures, la flotte logistique de la marine subira donc un déficit capacitaire temporaire. Cela montre – pour les forces navales, soumises au temps long, encore plus que pour les autres forces – que l’effort de réparation amorcé dans la LPM 2019-2025 n’est pas terminé et doit se poursuivre pour permettre un renouvellement complet des capacités nécessaires à la défense du pays.


D.   La hausse des crédits prévus pour les équipements d’engagement des forces et de combat

Le système de forces « engagement et combat » comporte les moyens permettant l’engagement des forces armées dans le but d’altérer le potentiel adverse et de contrôler les théâtres sur lesquels sont engagées les forces armées. En 2023, les autorisations d’engagement de l’action 09 Engagement de combat sont prévues à hauteur de 11 milliards d’euros, en augmentation de 5,4 milliards d’euros, soit une hausse de 95 % par rapport à 2022. Les principales commandes concernent 42 avions de chasse Rafale, 420 véhicules blindés Serval, et le troisième arrêt technique majeur du porte-avions Charles de Gaulle.

Évolution des crÉdits de l’action 09

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

09.56 – Frapper à distance – Missile de croisière naval (MDCN)

0,0

0,0

44,3

20,1

– 55 %

09.59 – Frapper à distance – Rafale

74,6

6 068,8

+ 8 037 %

574,3

1 204,5

+ 110 %

09.61 – Frapper à distance – Autres opérations

127,1

129,9

+ 2 %

183,2

213,5

+ 16,5 %

09.62 – Frapper à distance – SCAF

0,0

0,0

157,2

328,0

+ 109 %

09.63 – Frapper à distance – Porte-avions

1 023,6

1 574,7

+ 54 %

158,2

214,6

+ 36 %

09.66 – Opérer en milieu hostile – Véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI)

0,0

0,0

8,0

5,3

– 34 %

09.68 – Opérer en milieu hostile – Hélicoptère Tigre

0,0

0,3

175,0

272,6

+ 56 %

09.69 – Opérer en milieu hostile – Future torpille lourde (FTL)

0,0

0,0

40,3

31,1

– 23 %

09.71 – Opérer en milieu hostile – Évolution Exocet

0,0

118,1

62,8

47,9

– 24 %

09.73 – Opérer en milieu hostile – Frégates multi-missions (FREMM)

27,4

0,0

– 100 %

427,9

338,2

– 21 %

09.74 – Opérer en milieu hostile – SNA Barracuda

497,7

44,1

– 91 %

772,7

665,2

– 14 %

09.75 – Opérer en milieu hostile – Autres opérations et conduire des opérations spéciales

392,8

371,2

– 5,5 %

405,1

391,6

– 3 %

09.77 – Opérer en milieu hostile – SCORPION

3 020,5

898,0

– 70 %

1 058,2

796,4

– 25 %

09.78 – Frapper à distance – Mirage 2000

70,1

74,0

+ 5,5 %

90,0

73,6

– 18 %

09.79 – Opérer en milieu hostile – Plateformes

203,9

227,3

+ 11,5 %

167,0

147,9

– 11,5 %

09.80 – Opérer en milieu hostile – MGCS Système de combat terrestre principal

0,0

0,0

0,0

0,0

09.84 – Opérer en milieu hostile – MAST-F

240,0

0,0

– 100 %

39,1

63,3

+ 62 %

09.85 – Opérer en milieu hostile – SLAMF

4,2

1 201,3

130,8

80,3

– 39 %

09.86 – Opérer en milieu hostile – ATL2

13,0

25,0

+ 92 %

63,4

37,4

– 41 %

09.88 – Opérer en milieu hostile – missile moyenne portée MMP

0,0

353,0

44,1

30,3

– 31 %

09.89 – Opérer en milieu hostile – Frégates de taille intermédiaire

0,0

0,0

356,0

236,0

– 34 %

09 – Engagement et combat

5 694,9

11 085,6

+ 95 %

4 957,7

5 197,8

+ 4,8 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les crédits de paiement de l’action 08 s’élèvent quant à eux à 5,2 milliards d’euros, en augmentation de 4,8 % par rapport à 2022. Les principales livraisons attendues concernent les blindés du programme Scorpion (123 Griffon, 119 Serval et 22 Jaguar), 18 chars Leclerc rénovés, le deuxième SNA du programme Barracuda, 200 missiles moyenne portée et 31 missiles antinavires Exocet.

1.   Les capacités de l’armée de terre

Les crédits du projet de loi de finances pour 2023 portent principalement sur la rénovation à mi-vie du char Leclerc, le renouvellement des véhicules blindés terrestres et le développement des programmes d’hélicoptères de combat.

a.   Le char de combat Leclerc

La rénovation à mi-vie du char Leclerc a été lancée en 2015, avec une cible de 122 appareils en 2025 et 200 à l’horizon 2030. La principale opération porte sur l’intégration au char des équipements de communication et d’information développés dans le cadre du programme Scorpion. Doivent également être mis en place de nouveaux brouilleurs et moyens de lutte contre les engins explosifs improvisés (improvised explosive devices), un renforcement du plancher et des éléments de blindage supplémentaires.

Le premier char Leclerc rénové devrait être livré en décembre 2022 et les dix-huit suivants l’année prochaine. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit de porter les financements du programme à 70,6 millions d’euros de crédits de paiement (sous-action 09.77).

La pérennité du char Leclerc est donc assurée, d’autant qu’un nouveau contrat de maintien en condition opérationnelle du char et de son dépanneur a été signé par le ministère des armées en 2021, pour une période de dix ans et un montant supérieur à un milliard d’euros.

Le rapporteur spécial s’interroge toutefois sur le format de l’armée de terre française, au regard des changements d’échelle à l’œuvre dans le monde actuel. Après sept mois de guerre en Ukraine, l’armée russe aurait ainsi perdu, si l’on en croit les sources ouvertes (open source intelligence), plus d’un millier de chars et plus de deux mille véhicules blindés de second rang. À l’aune de ces constats, il faudra débattre, lors de l’examen du prochain projet de loi de programmation militaire, d’une éventuelle réévaluation du nombre de chars de combat dont doivent disposer les forces, en tenant compte de nos ambitions et de nos moyens.

b.   Les véhicules blindés du second segment

La programmation militaire prévoit aussi, dans le cadre du programme Scorpion, une modernisation des groupements tactiques interarmées et un renouvellement massif des véhicules blindés du second segment. Il s’agit notamment d’acquérir :

– des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) lourds Griffon et des VBMR légers Serval, destinés à remplacer les véhicules de l’avant blindés (VAB) ;

– des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar, destinés à remplacer l’AMX10RC, l’engin blindé ERC Sagaie et le VAB HOT.

La LPM fixe un objectif de 1 818 Griffon et 54 Griffon version MEPAC (mortier embarqué pour l’appui au contact), de 978 Serval et de 300 Jaguar à l’horizon 2030. Dans le cadre de l’actualisation de la programmation militaire opérée en 2021, l’armée de terre a accepté une modification du programme de livraisons pour 2025, abaissé de 50 % à 45 % de la cible 2030. Cette baisse est liée à la prise en compte des impératifs industriels et à la possibilité de financer en contrepartie d’autres dépenses telles que la rénovation du char Leclerc.

Les livraisons 2022 permettront d’atteindre, d’ici la fin de l’année, un stock de 452 Griffon, 70 Serval et 38 Jaguar. Les autorisations d’engagement prévues en loi de finances pour 2022 auront également permis de commander 302 VBMR lourds, 54 VBMR version MEPAC et 88 EBRC supplémentaires. En 2023, les livraisons attendues s’élèvent à 123 Griffon et 22 Jaguar, tandis que 420 Serval seront commandés. Le coût du programme Scorpion s’élèvera en 2023 à 825 millions d’euros en autorisations d’engagement et 644 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 09.77).

S’y ajouteront 73 millions d’euros en autorisations d’engagement et 81 millions d’euros en crédits de paiement pour la réalisation des infrastructures d’accueil des nouveaux véhicules blindés et de formation des militaires.

En parallèle, dans le cadre du programme de régénération des véhicules blindés légers (VBL), 90 VBL seront livrés en 2022 comme en 2023, venant s’ajouter aux 81 appareils déjà en service, pour une cible de 733 VBL en 2025 et 800 en 2030. Les crédits de paiement prévus en 2023 s’élèvent à 14 millions d’euros. En outre, les cinq premiers véhicules destinés aux forces spéciales seront livrés en 2023, pour un coût de 152 millions d’euros en autorisations d’engagement et 29 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 09.79).

Avec le programme Scorpion, les unités de l’armée de terre bénéficient d’une modernisation sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Outre le remplacement des matériels vieillissants par des véhicules neufs et dotés d’équipements de dernière génération, le programme permet aussi de capitaliser sur les apports du combat collaboratif. Ainsi, les nouveaux véhicules blindés se voient dotés d’outils de communication permettant aux unités de partager des informations en temps quasi réel, ce qui facilite leur coordination et aide à déterminer la meilleure combinaison possible pour se protéger et pour détruire l’ennemi.

Le rapporteur spécial ne peut que saluer la réussite du programme Scorpion qui, plus que tout autre, symbolise, pour les militaires qui en bénéficient comme pour les civils qui l’observent, l’effort consacré par la LPM.

c.   Les hélicoptères de combat

Les capacités offensives de l’armée de terre reposent également sur l’hélicoptère de combat Tigre, développé en coopération avec l’Allemagne et l’Espagne et introduit dans les forces en 2005, qui assure des missions d’appui-protection (version HAP) et des missions d’appui-destruction (version HAD).

La modernisation du Tigre est en cours depuis le lancement en réalisation du standard 3 en 2020. Elle est menée avec l’Espagne dans le cadre de l’OCCAR. L’Allemagne n’ayant pas confirmé sa participation, malgré le droit d’option qui lui avait été laissé jusqu’au 1er juin 2022, il a été décidé, dans un premier temps, de réduire la rénovation du Tigre à 42 appareils sur les 67 que possède l’armée de terre, une option restant activable pour les équipements restants jusqu’en 2030. S’y ajoutent en outre les 18 appareils de l’armée espagnole.

La modernisation du Tigre prolonge sa durée de vie pour permettre son exploitation jusqu’à son remplacement au delà de 2050. Elle améliore ses capacités d’agression et d’autoprotection et permet son intégration et son interopérabilité dans les systèmes de combats futurs. Elle donne ainsi le temps nécessaire pour conduire en cohérence les études sur la succession du Tigre à partir de 2045, horizon auquel il est envisagé un système d’attaque combinant aéronef habité et drones de combat.

Le coût de la modernisation du Tigre a donné lieu à une importante consommation d’autorisations d’engagement sur les exercices précédents (3,28 milliards d’euros de restes à payer fin 2021 et 1,03 milliard d’euros d’autorisations d’engagement affectées non engagées fin 2022). Pour 2023, sont prévus 272,6 milliards d’euros destinés à couvrir les paiements programmés ainsi que des hausses économiques.

La modernisation des Tigre est menée en parallèle du programme de missile air-sol tactique du futur (MAST-F), destiné à doter les hélicoptères de combat dans la version standard 3 d’une capacité de neutralisation de combattants, de cibles blindées et d’infrastructures, en remplacement du missile Hellfire 2 actuellement en service. Depuis 2022, le programme MAST-F a également été étendu pour équiper les futurs drones MALE européens. Le projet de loi de finances prévoit 63 millions d’euros de crédits de paiement pour 2023.

d.   Les systèmes d’artillerie

En matière d’artillerie longue distance, la LPM prévoit de doter l’armée de terre de 77 camions équipés d’un système d’artillerie (Caesar) en 2025 et de 109 exemplaires à l’horizon 2030. Les forces terrestres n’en comptent actuellement plus que 58. En effet, un exemplaire a été perdu en opération et 18 ont été livrés à l’Ukraine pour l’aider à résister sur son territoire face à l’invasion de la Russie.

Les Caesar permettent d’effectuer des tirs d’artillerie mobiles, disséminés et camouflés. Sur ordre, ils sont capables de tirer en batterie et, avant même que le premier obus n’ait frappé la cible, d’avoir déjà quitté leur position. L’emploi des Caesar en Ukraine montre leur utilité et leur efficacité, comme en témoigne l’approvisionnement envisagé de six à douze obusiers supplémentaires, cette fois prélevés sur une commande export destinée au Danemark.

Cela ne fait donc que confirmer la pertinence de ce choix de matériel dans l’armée de terre française. Néanmoins, l’exercice Warfighter mené en 2021 a montré la nécessité pour l’armée française de renforcer les capacités d’artillerie dans la profondeur ([39]). Une récente étude de l’Observatoire de l’artillerie a d’ailleurs évalué les besoins des forces à 215 canons équipés d’un système d’artillerie en 2030, soit quasiment le double de ce que prévoit la programmation actuelle. Là encore, il s’agit d’un débat qui méritera d’être tenu dans le cadre de l’examen du prochain projet de loi de programmation militaire.

À ce stade, le rapporteur note que, conformément aux engagements pris par le ministre des armées, une commande de 18 Caesar aura lieu dès 2023, pour un montant de 64 millions d’euros (sous-action 09.61). Il devrait s’agir de canons en version Mk1, la nouvelle version Mk2, plus robuste, ne devant être disponible qu’en 2026. Le rapporteur se félicite de cet effort, réalisé à budget constant, grâce à des redéploiements au sein de la mission.

Par ailleurs, le missile moyenne portée (MMP), qui équipe les unités de combat au contact, certaines unités navales et les forces spéciales débarquées, leur permet de neutraliser des combattants, des véhicules blindés ou de petites embarcations. En 2023, 200 missiles commandés précédemment seront livrés aux forces, s’ajoutant au stock de 1 150 unités existant (pour une cible de 1950 missiles inscrite dans la LPM). La dépense est estimée à 30 millions d’euros de crédits de paiement en 2023 (sous-action 09.88), auxquels s’ajoutent 353 millions d’euros d’autorisations d’engagement pour la commande de 200 MMP supplémentaires.

Enfin, 50 millions d’euros sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2023 afin de renforcer les stocks de munitions de petit calibre.

2.   Les capacités de la marine nationale

Avec le groupe aéronaval, constitué autour du porte-avions Charles de Gaulle, des frégates et des sous-marins nucléaires d’attaque, la France dispose d’équipements stratégiques et diplomatiques de premier plan.

a.   Le porte-avions Charles de Gaulle et son successeur

Le porte-avions Charles de Gaulle est un vecteur majeur pour les missions de maîtrise de l’espace aéromaritime et de projection de puissance, alliant autonomie d’action, puissance, mobilité et endurance. Il appelle toutefois des dépenses importantes pour son entretien et son maintien en condition opérationnelle.

Après le deuxième arrêt technique majeur (mars 2017 – octobre 2018), qui a permis de remplacer et de moderniser certains des équipements embarqués et de faire évoluer le groupe aérien embarqué vers le tout Rafale, un arrêt technique intermédiaire est prévu en 2023, auquel 200 millions d’euros d’autorisations d’engagement issues de la loi de finances pour 2022 vont contribuer (sous-action 09.63). Les autorisations d’engagement prévues pour 2023 à hauteur de 544 millions d’euros financeront quant à elles l’arrêt technique majeur prévu en 2024. Les crédits de paiement (80 millions d’euros en 2022 et 117,9 millions d’euros en 2023) suivent quant à eux l’avancement des opérations.

Outre le porte-avions actuellement en service, l’action 09 du programme 146 contribue déjà au financement du porte-avions de nouvelle génération, qui doit prendre le relais du Charles de Gaulle à compter de 2038. Comme en 2022, le montant des autorisations d’engagement prévus pour 2023 atteindra 1,01 milliard d’euros pour financer, dans la continuité des études préparatoires lancées en 2018, la phase d’avant-projet et d’étude de levée des risques. S’y ajoutent 10,7 millions d’euros en autorisations d’engagement et 8,6 millions d’euros en crédits de paiement contribuant à la mise en place des infrastructures qui permettront d’accueillir le futur porte-avions pour l’installation de ses derniers systèmes d’armement, son stationnement et sa maintenance.

Malgré ces investissements massifs, l’utilité du porte-avions n’est pas remise en cause. Un groupe aéronaval centré autour d’un porte-avions reste encore aujourd’hui un équipement capable d’infliger d’importants dommages à l’ennemi, sur terre comme sur mer, même dans les espaces où la France ne dispose d’aucune base aérienne à terre. Outre ses avantages stratégiques et opérationnels, le porte-avions est un outil politique et diplomatique qui contribue au rayonnement de la France et à la crédibilité des forces conventionnelles, comme l’a montré le rôle joué par le Charles de Gaulle au début de la guerre en Ukraine.

La vulnérabilité du porte-avions face aux missiles antinavires, même hypersoniques, doit quant à elle être relativisée. De fait, peu d’États ont choisi de renoncer au groupe aéronaval, même parmi ceux qui développent des missiles « tueurs de porte-avions » : les États-Unis entendent maintenir une flotte de dix à douze porte-avions ; la Chine prévoit de construire pas moins de six porte-avions d’ici 2040 ; le Royaume-Uni, qui a pourtant réduit le format de ses forces armées, s’est doté de deux grands porte-avions ; le Japon, la Corée du Sud, le Brésil et l’Inde consacrent d’importants efforts pour se doter de cette capacité.

Par ailleurs, il convient de souligner l’importance de maintenir les compétences nécessaires à la construction et à la maintenance d’un porte-avions à propulsion nucléaire – outil que la France est aujourd’hui un des rares pays au monde à posséder – afin de préserver notre autonomie stratégique. L’exemple de la marine britannique, désormais fortement dépendante des États-Unis, tend à confirmer que tout abandon capacitaire risque d’aboutir à un renoncement définitif, sans retour en arrière possible.

Compte tenu des besoins de la France liés à l’étendue de nos territoires ultramarins et de nos ambitions géopolitiques en Europe mais aussi dans la région indo-pacifique, le porte-avions garde toute sa pertinence. Néanmoins, la disponibilité du groupe aéronaval mérite d’être posée du fait de ses longues périodes d’indisponibilité pour entretien et maintenance. La question de l’acquisition d’un second porte-avions, qui ne date pas d’hier, sera nécessairement posée lors des débats relatifs à l’examen du prochain projet de loi de programmation militaire. D’autres solutions méritent également d’être étudiées, telles que le double équipage du porte-avions ou l’acquisition d’un porte-avions d’escorte plus léger mais offrant des capacités complémentaires.

b.   Les frégates multi-missions

Les frégates multi-missions (FREMM) constituent l’ossature principale de la force navale. Bâtiments de premier rang, de la classe 6 000 tonnes, elles ont la capacité de mettre en œuvre des moyens de détection et de lutte contre les navires (missiles MM40), contre les sous-marins (sonar remorqué et torpilles Mu90) et contre les menaces aériennes (missiles Aster 15 ou 30).

Depuis 2022, la France dispose de huit Fremm, conformément à la LPM 2019-2025. Six d’entre elles sont équipées en version anti sous-marine (Fremm ASM) et disposent d’une capacité de frappe dans la profondeur (missile de croisière naval) : Aquitaine (2012), Provence (2015), Languedoc (2016), Auvergne (2017), Bretagne (2018) et Normandie (2019). Les deux autres, Alsace (2021) et Lorraine (2022), disposent d’une capacité renforcée de défense aérienne (FREMM DA). Toutes embarquent l’hélicoptère NH90 Caïman dans sa version NFH, notamment pour la lutte anti sous-marine.

Le programme Fremm, conduit au sein de l’Occar en coopération avec l’Italie depuis 2005, a donc effectué l’intégralité des livraisons de bâtiments prévues, mais se poursuit sur son volet infrastructures pour le stationnement, l’entretien et l’avitaillement en munitions sur les bases de Brest et Toulon. En 2023, il mobilisera 338,2 millions d’euros, destinés à acquérir des armements et des équipements cryptographiques ainsi qu’à couvrir des hausses économiques.

c.   Les frégates de taille intermédiaire

Le programme de frégates de taille intermédiaire (FTI) vise à doter la marine nationale de cinq frégates de défense et d’intervention (FDI), en complément des huit Fremm et des deux frégates de défense aérienne de type Horizon. Technologiquement moins ambitieux que le programme Fremm, le programme de FDI est la traduction d’un ajustement opérationnel et financier permettant à la France de maintenir un format de quinze frégates de premier rang à l’horizon 2030.

Les 236 millions d’euros de crédits de paiement prévus pour 2023 (sous-action 09.89) visent à financer les trois premières FDI commandées, la commande de la troisième ayant été anticipée dès 2021 afin de répondre plus rapidement aux besoins opérationnels de la marine et de contribuer au maintien des compétences des industriels français. Toutefois, les livraisons attendues pourraient être différées en raison de l’acquisition de trois FDI par la Grèce avec une option pour une quatrième, toutes attendues entre 2025 et 2026.

Il convient toutefois de s’interroger sur le format de notre marine. La France, pourtant deuxième espace maritime mondial ([40]), semble décrocher dans un contexte de réarmement naval massif et sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. Là où le Royaume-Uni ambitionne de passer de 18 à 24 bâtiments de premier rang d’ici à 2030, la France a revu son ambition de 19 à 15 navires. Dans le même temps, le tonnage de la flotte chinoise pourrait augmenter de 138 %, mais cette tendance concerne aussi des pays à proximité immédiate du territoire français : l’Égypte (+ 170 %), l’Algérie (+ 120 %), la Turquie (+ 32 %), l’Espagne (+ 21 %) ou encore l’Italie (+ 36 %).

Dans ces conditions, le rapporteur spécial ne peut que reprendre à son compte les mots de l’amiral Vandier : la future LPM « devra traiter de grands enjeux, au premier rang desquels la perspective d’une confrontation globale, qu’il faut désormais regarder avec lucidité » ([41]).

d.   Les sous-marins nucléaires d’attaque

Le sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) est une composante essentielle des forces navales, destinée à la maîtrise des espaces maritimes. Il peut agir isolément, venir en appui des SNLE ou du groupe aéronaval, mais aussi participer à des opérations de renseignement ou des démonstrations de puissance.

En juin 2022, le Suffren, premier des SNA du programme Barracuda destinés à remplacer les cinq SNA de la classe Rubis ([42]) d’ici 2029, est entré en service actif. Plus rapide, plus discret, plus endurant et mieux armé, le Suffren offre des capacités inédites en matière de lutte anti sous-marine. Il peut embarquer à son bord jusqu’à vingt torpilles et missiles antinavires, soit le double de ses prédécesseurs, et sera le premier sous-marin français à pouvoir embarquer des missiles de croisière naval, ce qui lui offre une capacité de frappe dans la profondeur.

Le Duguay-Trouin, deuxième des six sous-marins commandés dans le cadre du programme Barracuda, doit être livré en 2023. Plus de 665 millions d’euros seront ainsi mobilisés l’année prochaine, dont 406 millions d’euros pour les sous-marins et 177 millions d’euros (sous-action 09.74) pour la réalisation en cours des infrastructures portuaires, industrielles et nucléaires nécessaires au fonctionnement des SNA.

Comme pour les frégates, le rapporteur spécial, à l’instar du chef d’état-major de la marine, s’interroge toutefois sur le format de la flotte française. En effet, « compte tenu du rythme de réparation des cinq sous-marins que nous détenons et des livraisons des suivants », le nombre de SNA va descendre à quatre pour les deux prochaines années ([43]). L’immobilisation prolongée du sous-marin Perle, dont le chantier a récemment été marqué par un nouvel incendie, ne fait qu’accroître les tensions qui pèsent sur les forces sous-marines. Une marine se construit nécessairement sur le temps long ; c’est donc dès maintenant qu’il convient de s’interroger sur l’opportunité de rehausser nos efforts, et notamment d’augmenter la cible de six SNA prévue à l’horizon 2030.

e.   Les capacités de lutte anti-mines

Le programme de système de lutte anti-mines du futur (Slamf) bénéficiera, en 2023, d’un important effort budgétaire à hauteur de 1,2 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 80 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 09.85). Ce programme prépare le renouvellement des capacités de lutte contre les mines de la marine nationale. Il vise à remplacer les moyens actuels (chasseurs de mines, bâtiments remorqueurs de sonars, bâtiments base de plongeurs démineurs) par des bâtiments de nouvelle génération et des systèmes de drones.

Dans le cadre de l’étape 1 lancée en 2020, un premier module de lutte contre les mines constitué de drones (MLCM) sera livré en 2023, issu d’un prototype développé lors de la phase de préparation dans le cadre d’une coopération franco-britannique conduite au sein de l’Occar. Interviendra aussi la livraison d’un système d’exploitation des données de guerre des mines (Sedgm).

f.   Les avions de patrouille maritime

Les capacités de la marine nationale s’appuient par ailleurs sur des avions de patrouille maritime Atlantique 2 mis en service dans les années 1980. Grâce à leurs capteurs embarqués et leur capacité à voler pendant quatorze heures de suite, les Atlantique 2, conçus pour assurer des missions de lutte anti sous-marine, peuvent aussi mener des missions de renseignement et de surveillance ou encore coordonner un raid aérien.

La programmation militaire prévoit la rénovation de 18 des 22 appareils encore en service, dont la disponibilité se révèle problématique. Six ATL 2 ont déjà été livrés, 4 doivent l’être en 2022 et 3 le seront en 2023. Le coût du programme atteindra 25 millions d’euros en autorisations d’engagement et 18 millions d’euros en crédits de paiement en 2023.

Le renouvellement des avions de patrouille maritime est quant à lui en suspens. Le programme MAWS (maritime airborne warfare system), qui devait être mené en coopération avec l’Allemagne, est sévèrement compromis en raison du décalage des calendriers français et allemand. Face au coût de maintenance élevé de ses appareils, l’Allemagne a anticipé leur retrait dès 2025 (contre un besoin en 2035 pour la France) et acheté des avions américains Boeing P-8A Poseidon. Ce choix d’acheter du matériel américain est regrettable, puisqu’il nuit aux efforts entrepris en faveur d’une autonomie stratégique européenne.

g.   Les stocks de munitions de la marine nationale

Le système de missile Exocet est un armement de lutte anti-navire et anti-sous-marin de premier plan, décliné en version air-mer (AM39), mer-mer (MM40) et depuis les sous-marins (SM39). Le programme engagé en 2008-2009 vise à traiter les obsolescences techniques du missile et à l’intégrer sur les Fremm et les frégates de la classe Horizon ainsi que sur les avions de chasse Rafale et les sous-marins nucléaires d’attaque du programme Barracuda. En 2023, une commande de vingt missiles Exocet rénovés sera engagée. En outre, le programme s’accompagne d’investissements au profit du futur missile anti-navire, menés conjointement avec le Royaume-Uni, pour un montant total de 118 millions d’euros en autorisations d’engagement et 48 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 09.71).

Le programme Artemis a pour objet de fournir une torpille lourde F21 assurant une capacité de lutte anti sous-marine et anti-navire aux trois types de sous-marins actuellement en service : les SNLE type Le Triomphant, les SNA type Rubis et les SNA type Suffren. Mené en coopération, ce programme lancé en 2008 a rencontré de nombreuses difficultés d’ordre industriel. Le nombre de torpilles commandées a été réduit de 105 à 93. À fin 2022, les forces ne disposeront que de 35 unités, auxquelles s’ajouteront 20 torpilles en 2023. Le projet de loi de finances pour 2022 prévoit d’y consacrer 31,1 millions d’euros en crédits de paiement (sous-action 09.69).

3.   Les capacités de l’armée de l’air et de l’espace

Les capacités d’engagement et de combat de l’armée de l’air et de l’espace reposent avant tout sur l’avion de chasse Rafale, un appareil polyvalent capable d’effectuer l’ensemble des missions confiées aux forces aériennes (dissuasion nucléaire, pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d’action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique).

a.   Le programme Rafale

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit un effort particulièrement conséquent pour le programme Rafale, avec 6,1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement, soit une hausse de 110 % par rapport à la loi de finances pour 2022 (sous-action 09.59). Le périmètre du programme comprend la fourniture des avions, avec leurs équipements de mission et leur stock de rechanges initial ainsi que des moyens de maintenance et deux centres de simulation avec leurs infrastructures associées.

La LPM a fixé une cible de 225 avions de chasse Rafale en 2030, dont 185 appareils pour l’armée de l’air et de l’espace et 40 pour la marine. Ce format, pourtant présenté comme un « strict minimum » par le chef d’état-major de l’armée de l’air et de l’espace, a toutefois été fragilisé par les ventes de Rafale à l’export.

En 2021, la France a ainsi vendu douze avions Rafale d’occasion à la Grèce puis à la Croatie, pour un total de vingt-quatre appareils qui doivent être prélevés sur le parc existant. Six avions ont déjà été livrés à la Grèce fin 2020 et les six autres le seront en 2022-2023. La Croatie recevra quant à elle ses commandes en 2024‑2025.

Afin d’éviter tout déficit capacitaire à moyen terme, il était nécessaire de compenser les ventes à l’export par des commandes à due concurrence. Une première commande de douze avions Rafale a été décidée début 2021, en remplacement des avions vendus à la Grèce. Le renouvellement des aéronefs vendus à la Croatie aura quant à lui lieu en 2023. Il s’ajoutera à la cinquième tranche du programme Rafale, déjà prévue de longue date à hauteur de 30 avions, pour un total de 42 commandes. Ces commandes expliquent le montant des autorisations d’engagement prévues en 2023, à hauteur de 5,14 milliards d’euros.

Le rapporteur spécial tient à rappeler l’importance d’allouer à l’armée de l’air et de l’espace un nombre suffisant d’avions Rafale afin de lui permettre d’assurer l’intégralité des missions qui lui sont confiées. En conséquence, il salue le respect de la trajectoire permise par les crédits du projet de loi de finances. Une nouvelle fois, il renvoie à la prochaine LPM le soin de réévaluer le nombre d’avions de chasse sur lesquels l’armée de l’air et de l’espace doit pouvoir compter.

Par ailleurs, l’armée de l’air et de l’espace recevra ses premières livraisons de Rafale depuis 2018 avec un avion en 2022 et 13 appareils en 2023 issus de la quatrième tranche précédemment engagée. Pas moins de 666,8 millions d’euros de crédits de paiement y seront consacrés. Ces 13 appareils s’ajoutent aux 9 prévus pour l’export ; il s’agit donc d’une montée en cadence pour Dassault Aviation et pour ses sous-traitants, et d’un premier test de la capacité de la BITD à accroître son plan de charge en cas d’économie de guerre.

Outre les avions de chasse Rafale, la LPM prévoit également une cible de 55 Mirage 2000D rénovés en 2025. À ce stade, 9 Mirage rénovés ont été livrés, 14 doivent l’être en 2022 et 13 le seront l’année prochaine. Les crédits prévus à cet effet atteindront 73,9 millions d’euros en autorisations d’engagement et 73,6 millions d’euros en crédits de paiement en 2023 (sous-action 09.78).

 


b.   Le programme SCAF

Le programme de système de combat aérien du futur (SCAF) dans lequel la France s’est engagée avec l’Allemagne en 2017 et l’Espagne en 2019 vise à développer à l’horizon 2040-2050 un avion de combat de nouvelle génération (next generation fighter) complété par des drones et munitions autonomes pouvant remplir des missions plus ou moins spécifiques, l’ensemble étant interconnecté au sein d’un cloud de combat, dans une logique de système de systèmes et de combat collaboratif. L’accord-cadre signé porte sur les activités de R&T et sur les travaux qui doivent permettre d’aboutir à de premiers démonstrateurs et tests en grandeur nature entre 2028 et 2030.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 327,9 millions d’euros (sous-action 09.62) destinés à financer la poursuite de la coopération, sous réserve d’une convergence entre les industriels parties au projet. Or le programme est aujourd’hui enlisé en raison des désaccords entre les deux principaux industriels, le Français Dassault Aviation, chef de file sur le pilier du next generation fighter, et l’Allemand Airbus DS, qui avait obtenu en contrepartie d’être chef de file sur cinq autres des sept piliers du programme (l’Allemagne ayant par ailleurs – il n’est pas inutile de le rappeler – obtenu en outre le pilotage du programme de drone MALE européen et la direction de six des neuf piliers du programme MGCS). Ces désaccords portent notamment sur la réalisation des commandes de vol électrique du futur prototype d’avion de nouvelle génération.

À titre liminaire, le rapporteur tient à rappeler que l’ambition de mener le programme SCAF en coopération, bien qu’elle soit exigeante, présente de multiples avantages. La France pourrait envisager de développer seule un tel système, mais cela reviendrait sans doute plus cher à nos finances publiques et nous prendrait davantage de temps. En outre, la coopération a un intérêt évident en termes d’interopérabilité des équipements avec nos principaux alliés. Par ailleurs, il est aisément concevable qu’un programme de cette ampleur se heurte à des désaccords et prenne du temps. Néanmoins, cela fait désormais dix mois que le programme n’avance pas, pour des raisons connues de tous, et que le calendrier prend du retard

Il est important de veiller à ce que les avantages tirés de la coopération demeurent supérieurs aux inconvénients. Sur ce programme comme sur les autres, nous ne devons pas être naïfs sur les intentions de nos partenaires, ni sur les éventuelles divergences de besoins opérationnels. La France a besoin de pérenniser la composante aéroportée de sa dissuasion, et donc d’un avion de chasse compact, capable d’armer le porte-avions de nouvelle génération, de disposer d’une grande allonge opérationnelle et de capacités de pénétration à basse altitude et haute vitesse. C’est à la satisfaction de ces besoins que doivent servir en priorité les crédits mis à la disposition du ministère des armées.

 

Les intérêts de Dassault Aviation, qui a largement fait ses preuves dans le domaine des commandes de vol et la furtivité, rejoignent ceux de la France. Nous devons conserver, dans la durée, une industrie indépendante et capable de fournir les équipements et systèmes d’armes dont nos forces ont besoin, de manière efficiente et autonome, tout en faisant face à la concurrence notamment américaine.

Si certains de nos partenaires actuels ne souhaitaient pas poursuivre la coopération, pilotée par la France conformément aux accords acceptés et signés par tous, ce serait évidemment leur droit légitime. Cela ne doit toutefois pas nous empêcher de continuer à poursuivre nos objectifs. Le cas échéant, il nous resterait la possibilité d’étudier l’opportunité d’ouvrir la coopération à d’autres partenaires, ce qui n’est pas impossible dans le cadre du programme actuel, et qui aurait notamment l’avantage d’accroître le marché potentiel final.

 


E.   La forte augmentation des crédits affectés aux missions de protection et de sauvegarde

Le système de forces « protection et sauvegarde » vise à doter les forces armées des moyens assurant la sécurisation des espaces aériens et maritimes du territoire national face aux menaces conventionnelles ou terroristes ainsi qu’aux risques nucléaires, radiologiques, bactériologiques et chimiques (NRBC).

En 2023, les crédits de l’action 10 Protection et sauvegarde s’élèveront à 3,1 milliards d’euros d’autorisations d’engagement, soit une augmentation de 2,2 milliards d’euros (+ 266 %) par rapport à la loi de finances pour 2022. Les principales commandes concernent 100 missiles Aster 30 destinés aux frégates de défense et d’intervention.

Évolution des crÉdits de l’action 10

(en millions d’euros)

 

Autorisations d’engagement

Crédits de paiement

 

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

LFI 2022

PLF 2023

Évolution

10.74 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – SECOIA

0,0

130,2

19,9

51,8

+ 161 %

10.75 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – Patrouilleur futur

0,0

1 435,2

98,5

114,1

+ 16 %

10.76 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – Missiles

15,0

41,2

+ 175 %

194,6

179,0

– 8 %

10.77 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – AVSIMAR

3,2

74,4

+ 2 250 %

92,0

114,0

+ 24 %

10.79 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – Autres opérations

50,2

111,2

+ 122 %

52,0

72,0

+ 38 %

10.80 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – Alerte Avancée

0,0

0,0

0,0

0,0

10.82 – Assurer la protection des forces et des sites – Famille de systèmes sol-air futurs (FSAF)

501,2

930,4

+ 86 %

140,0

174,2

+ 24,5 %

10.86 – Assurer la protection des forces et des sites – Autres opérations et assurer la protection de l’homme

77,1

354,3

+ 360 %

76,4

166,9

+ 118 %

10.87 – Assurer la protection de l’homme – e-SAN

8,0

0,5

– 94 %

2,2

2,6

+ 17 %

10.88 – Assurer la sûreté des approches, la sécurité de l’État, de la nation et des citoyens – BALLASTIERES

117,0

5,0

– 96 %

1,0

1,8

+ 78 %

10.89 – Assurer la protection des forces et des sites – LAD

70,0

0,0

– 100 %

23,0

25,1

+ 9 %

10 – Protection et sauvegarde

841,7

3 082,4

+ 266 %

699,6

901,4

+ 29 %

Source : commission des finances d’après les annexes budgétaires.

Les crédits de paiement sont prévus à hauteur de 901 millions d’euros, en augmentation de 202 millions d’euros (+ 29 %) par rapport à 2022. Les livraisons attendues concernent le premier patrouilleur outre-mer, 30 missiles d’interception à domaine élargi et 77 missiles d’interception et d’autodéfense remotorisés.

1.   Les patrouilleurs métropolitains et ultramarins

Si, dans les dernières décennies, la mer était un espace de circulation et d’échanges, elle est désormais redevenue un espace de compétition et de confrontation entre puissances, où se jouent des luttes pour l’exploitation des ressources naturelles parfois assimilables à du pillage, à la maîtrise des voies commerciales, voire des stratégies de conquête territoriale tentant d’imposer un fait accompli.

Pour assurer ses missions de protection et de sauvegarde, la marine dispose d’une flotte de patrouilleurs vieillissante et dont le renouvellement a commencé. Toutefois, malgré la remontée en puissance des crédits de la mission Défense, la marine n’échappera à un déficit capacitaire temporaire, preuve que l’effort de réparation amorcé dans la LPM 2019-2025 n’est pas terminé et doit se poursuivre pour permettre un renouvellement complet.

En 2023, pas moins de 1,44 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 114 millions de crédits de paiement seront mobilisés pour les programmes de patrouilleurs (sous-action 10.75).

a.   Les patrouilleurs métropolitains

En mer Méditerranée, la marine s’appuie sur trois patrouilleurs de haute mer Avisos de type A69, qui connaissent une activité particulièrement soutenue. Entrés en service entre 1983 et 1984, leur retrait du service actif est prévu en 2025 et 2026. Ils ont vocation à être remplacés par des patrouilleurs océaniques, plus polyvalents et capables d’assurer des missions de sauvegarde mais aussi d’escorte de SNLE. Dans l’attente, les Avisos sont épaulés par deux bâtiments de soutien et d’assistance métropolitains admis au service en 2018 et 2019.

Le programme de patrouilleurs océaniques, dont la phase d’analyse de la valeur et de conception a commencé fin 2020, doit entrer en phase de réalisation en 2023. Sur le plan industriel, la préoccupation majeure pour la marine est que l’organisation adoptée garantisse la cadence de production programmée, qui doit conduire à la livraison deux unités par an de 2026 à 2029. Les autorisations d’engagement prévues dans le projet de loi de finances pour 2023 sont destinées à financer une commande de patrouilleurs océaniques.

b.   Les patrouilleurs Antilles Guyane

Dans les Antilles françaises et en Guyane, la flotte s’appuie encore sur deux frégates de surveillance des années 1990, mais le renouvellement des capacités a déjà permis la livraison de deux patrouilleurs « Antilles Guyane » (PAG), livrés en 2017 (La Confiance et La Résolue), auxquels s’est ajouté en 2020 un troisième PAG (La Combattante) destiné à la Martinique en remplacement d’un patrouilleur P400. Afin d’assurer le maintien des capacités, la flotte a été complétée par un bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer (d’Entrecasteaux) en 2016.

Les capacités ainsi déployées dans la zone économique exclusive antillaise et guyanaise permettent d’assurer les missions de l’État en mer (police des pêches, lutte contre les trafics illicites et sauvegarde des personnes), mais aussi des missions de souveraineté et de protection des intérêts nationaux de la France. Ils contribuent aussi à la protection du Centre spatial guyanais et à la sécurité des tirs de fusée.

c.   Les patrouilleurs outre-mer

Dans les territoires français de l’océan Indien et de l’océan Pacifique, la marine s’appuie encore sur un patrouilleur P400 admis en service actif en 1987 et dont le retrait est prévu pour 2022, quatre frégates de surveillance des années 1990 et un patrouilleur de type Lapérouse dont le retrait a dû être retardé de 2022 à 2024 en raison de retards dans le renouvellement des navires.

En outre, trois bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer ont été déployés en Polynésie française (2016), en Nouvelle-Calédonie (2016) et à La Réunion (2017), permettant d’assurer le maintien des capacités dans l’attente des futurs patrouilleurs outre-mer.

Le programme de patrouilleurs outre-mer (POM) amorcé dans la LPM doit permettre de combler la réduction temporaire de capacité en 2025, avec la livraison étalée entre 2023 et 2025 de deux POM en Polynésie française, deux en Nouvelle-Calédonie et deux à La Réunion. Ces navires, conçus pour naviguer dans les grands espaces océaniques, permettront d’assurer plus efficacement les missions de protection ainsi que les missions d’action de l’État en mer. Ils disposeront de moyens de surveillance étendus et seront équipés de drones pour démultiplier leurs capacités. Compte tenu de l’étendue des espaces maritimes à contrôler, notamment en Polynésie française, le format des POM prévu gagnerait toutefois à être augmenté dans le cadre du prochain projet de loi de programmation militaire.

La phase de conception des POM est en cours d’achèvement. La fabrication du premier POM a été lancée en juillet 2020 et celle du deuxième en juillet 2021. Les crédits de paiement prévus en 2023 viendront financer l’acquisition de matériels d’armement destinés à équiper les navires et à compenser des hausses économiques. Le premier POM, Auguste Bénébig, devrait entrer en service actif en Nouvelle-Calédonie dans les prochains mois.

Dans l’accomplissement de ses missions, la marine nationale s’appuie également sur quatre bâtiments de soutien et d’assistance hauturier, capables d’effectuer des missions de surveillance et d’interventions maritimes dans le cadre de l’action de l’État en mer (remorquage d’engins, ancrage, relevage, sauvetage, assistance à la protection des biens, protection de l’environnement, lutte contre les pollutions maritimes, investigation sous-marine). En cas de besoin, ces bâtiments sont aussi aptes à assurer des missions de soutien des forces, tels que l’accompagnement d’une force aéronavale ou d’un SNA.

2.   La maîtrise des fonds marins

L’évolution du contexte stratégique à de nouveaux champs de conflictualité ne concerne pas uniquement le cyberespace, l’espace exo-atmosphérique ou la sphère informationnelle, mais aussi les fonds marins, zone immense et mal connue mais très convoitée, où passent 97 % des échanges numériques par des câbles sous-marins. Dans ce cadre, la France doit être en mesure de protéger sa souveraineté, ses ressources et ses infrastructures jusque dans les profondeurs océaniques.

Plusieurs événements récents montrent la nécessité de mettre en place des moyens de protection des fonds marins. En 2019, la rupture d’un câble sous-marin a interrompu toutes les connexions internet sur l’archipel des Tonga, laissant ce territoire coupé du monde et des services de base, avec pour seule alternative une liaison par satellite à faible bande passante. Plus récemment, dans le contexte de la guerre en Ukraine, les gazoducs Nordstream 1 et Nordstream 2 ont fait l’objet de fuites en mer Baltique, vraisemblablement dues à des explosions sous-marines, laissant échapper de grandes quantités de gaz.

Aussi le rapporteur spécial ne peut que saluer la stratégie de maîtrise des fonds marins dont s’est dotée la France, en février 2022, à l’initiative des états-majors et du ministère des armées. Cette stratégie vise à élargir les capacités d’anticipation et d’action de la marine jusqu’à 6 000 mètres de profondeur pour :

– garantir la liberté d’action des forces face à des stratégies de surveillance et d’interdiction sous-marine potentiellement déployées depuis les fonds marins ;

– protéger les infrastructures sous-marines, telles que les réseaux de transport d’énergie et les câbles de communication ;

– protéger les ressources halieutiques et la biodiversité ;

– être prêts à agir et faire peser une menace crédible face à des nouveaux modes d’actions sous-marins.

Si la marine dispose déjà de capacités concourant à la maîtrise des fonds marins, les investissements vont s’accroître dans les années à venir. En 2023, le programme CHOF (capacité hydrographique et océanographique future) poursuivra le renouvellement des capacités hydrographiques et océanographiques en service, à hauteur de 1,8 million d’euros (sous-action 10.79).

En outre, dans le cadre du programme de maîtrise des fonds marins, des acquisitions de drones sous-marins et de robots téléopérés disponibles sur étagère sont envisagées afin de doter les forces de premières capacités exploratoires destinées à évoluer dans une démarche de construction capacitaire de long terme. Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit 22 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 3 millions d’euros de crédits de paiement à cet effet.

Outre les crédits de la mission Défense, les programmes de maîtrise des grands fonds marins bénéficieront également de crédits du plan d’investissement France 2030 afin de soutenir le développement de l’innovation et l’émergence d’une filière nationale répondant aux besoins identifiés dans les grandes profondeurs océaniques.

3.   Les équipements d’autodéfense et d’interception

Les capacités de protection et de sauvegarde de l’armée de l’air et de l’espace reposent sur deux types de missile d’interception ainsi que sur des systèmes de défense sol-air.

a.   Les missiles d’interception

Le missile d’interception à domaine élargi (MIDE) Meteor, missile air-air doté d’un statoréacteur, intégré sur le standard F3-R de l’avion de chasse Rafale et conçu pour intercepter une cible de type avion de chasse à plusieurs dizaines de kilomètres, fait l’objet d’une rénovation à mi-vie permettant de régénérer le potentiel des missiles en stock et de maintenir leurs performances. Sur les 160 missiles commandés, 100 ont été livrés à l’armée de l’air et de l’espace, 30 devraient l’être en 2022 et 30 en 2023. Les crédits prévus en 2023 s’élèvent à 41 millions d’euros en autorisations d’engagement et 38 millions d’euros en crédits de paiement.

Par ailleurs, le ministère des armées travaille déjà sur le successeur du missile d’interception, de combat et d’autodéfense (MICA), destinés au combat rapproché et d’autodéfense des avions Rafale de l’armée de l’air et de l’espace ainsi que de la marine. Le programme MICA nouvelle génération vise à doter les forces d’un missile de combat et d’interception équipant les Rafale à partir du standard F3-R en complément du MIDE ainsi que la remotorisation des MICA actuels au profit des Rafale et des Mirage 2000D.

Près de 141,5 millions d’euros seront mobilisés l’année prochaine pour des prestations d’expertise et d’essais. Ces crédits permettront notamment de financer le premier tir du nouveau missile de défense air-air MICA de nouvelle génération, qui équipera les avions de chasse à partir de 2023.

Si les forces sont dotées de systèmes de défense sol-air, ces équipements ont été identifiés comme un de nos principaux points de fragilité par le chef d’état-major des armées. En conséquence, dans le cadre de l’A2PM 2022, une remontée en puissance des investissements dès 2023 a été décidée.

b.   Les systèmes de défense sol-air

Le programme FASF (famille de systèmes air-sol du futur), basé sur les missiles Aster, est destiné à assurer l’autodéfense des bâtiments de la marine nationale ainsi que la défense antiaérienne du corps de bataille et la défense des bases aériennes. Mené en coopération franco-italienne, il repose notamment sur :

– un système sol-air moyenne-portée terrestre (SAMP-T), équipé de missiles Aster 30 B1, destiné à traiter des cibles conventionnelles et des cibles balistiques rustiques ;

– un système anti-air missile (SAAM), équipé de missiles Aster 15, destiné à contrer les attaques de missiles manœuvrant, les avions de chasse et les avions lents de type patrouille maritime ou de guet aérien ;

– un système de défense antiaérienne équipé de missiles Aster 30 et embarqué sur les Fremm DA et les frégates de la classe Horizon.

Certaines des unités SAMP-T, aussi connues sous le nom de « Mamba », sont actuellement mobilisées sur le flanc est de l’Europe, en soutien des pays membres de l’OTAN. Cela montre l’utilité de ces équipements, alors que la guerre en Ukraine rappelle l’importance des systèmes de défense sol-air. Néanmoins, les forces ne disposent actuellement que de 12 SAMP-T, dont seulement 8 sont opérationnels. Le rapporteur spécial salue à ce titre l’annonce récente du ministre des armées d’augmenter les capacités disponibles. Il recommande en parallèle un effort sur les stocks de missiles Aster.

Par ailleurs, le système air-sol de moyenne portée terrestre (SAMP-T) fait l’objet d’un programme de modernisation et de traitement des obsolescences des lanceurs et des missiles Aster, en vue de parvenir à un SAMP-T de nouvelle génération. En 2023, ce programme mobilisera la majeure partie des 930 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 174 millions d’euros de crédits de paiement prévus (respectivement en hausse de 360 % et de 25 % par rapport à 2022).

Le rapporteur spécial relève que ce programme de modernisation franco-italien est concurrencé par le projet de bouclier anti-missile auquel vient de se rallier l’Allemagne, mais qui sera composé, outre les composants allemands, de systèmes américains et potentiellement israéliens ; preuve s’il en est du fait que l’augmentation des budgets de la défense dans certains États européens, en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ne contribuera pas nécessairement à l’autonomie européenne.

 

 

 

 


—  1  —

   EXAMEN EN COMMISSION

 

Lors de sa réunion de 9 heures 30, le jeudi 20 octobre 2022, la commission des finances a entendu M. Christophe Plassard, rapporteur spécial des crédits des programmes 144 Environnement et prospective de la politique de défense et 146 Équipement des forces de la mission Défense.

La vidéo de cette réunion est disponible sur le site de l’Assemblée nationale. Le compte rendu sera prochainement consultable en ligne.

Après avoir examiné onze amendements, la commission a adopté les crédits de la mission.

 

 

 

 


—  1  —

Liste des personnes auditionnÉes
par le rapporteur spÉcial

(par ordre chronologique)

 

 

 

État-major des armées

        M. le général d’armée aérienne Éric Autellet, major général des armées

        M. le colonel Emmanuel Durville, chargé des relations avec le Parlement

        M. le colonel Stanislas Michel

        M. le colonel Yann Bourion

 

État-major de l’armée de l’air et de l’espace

        M. le général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace

        M. le colonel Wolfgang Schmit, chef du bureau des finances

        M. Jacques Dubourg, conseiller politique

        M. le lieutenant-colonel Nicolas Dion, assistant militaire

 

Cour des comptes

        M. Stéphane Jourdan, conseiller référendaire à la quatrième chambre

        M. Laurent Weill, conseiller référendaire à la quatrième chambre

 

Direction du budget

        M. Pierre Chavy, sous-directeur de la sixième sous-direction

        M. Cédric Clolus, chef du bureau de la défense et de la mémoire

 

Direction des affaires financières du ministère des armées

        M. Christophe Mauriet, directeur des affaires financières

        M. Thibault Granier, adjoint à la cheffe du service des synthèses et du pilotage budgétaire

 


 

Direction du renseignement et de la sécurité de la défense

        M. le général de corps d’armée Éric Bucquet, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense

        M. Paul Chiappore, sous-directeur de la stratégie et des ressources

        M. Jérôme Montant, chargé de mission

 

État-major de la marine

        M. le contre-amiral Éric Malbrunot, sous-chef d’état-major chargé de la division des plans et programmes

        M. le capitaine de frégate Adrien de Mathan

        M. le capitaine de vaisseau David Desfougères

        M. le capitaine de Sébastien Goinère

 

État-major de l’armée de terre

        M. le général de division Damien Tandeau de Marsac, sous-chef d’état-major chargé de la division des plans et programmes

        M. le colonel Olivier Coquet

 

Direction générale de l’armement

        Mme Evelyne Spina, directrice des plans, des programmes et du budget

 

Direction générale de la sécurité extérieure

        M. Antoine Guérin, directeur de l’administration

        M. Philippe Ullmann, conseiller en charge des questions parlementaires

 

Direction générale des relations internationales et de la stratégie

        Mme Alice Guitton, directrice générale des relations internationales et de la stratégie

        Mme Patricia Lewin, déléguée pour le rayonnement

 

 

*

*     *

 

 

 


([1]) Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([2]) Voir le discours du Président de la République lors de l’inauguration du salon Eurosatory, le 13 juin 2022, et son discours aux armées, le 13 juillet 2022.

([3]) L’écart par rapport aux 44 milliards d’euros prévus à l’article 3 de la loi de programmation militaire résulte d’une mesure de périmètre, la suppression des loyers budgétaires versés par les administrations occupantes à l’État propriétaire, décidée en 2020 pour le ministère des armées et en 2019 pour les autres ministères.

([4]) Conformément à l’article 6 de la loi de programmation militaire, l’évolution des effectifs du ministère des armées « ne porte que sur les emplois financés par les crédits de personnel du ministère des armées à l’exclusion des apprentis, des volontaires du service militaire volontaire et des effectifs militaires éventuellement nécessaires au service national universel » et à l’exception « des éventuelles augmentations d’effectifs du service industriel de l’aéronautique ».

([5]) Décret n° 2022-512 du 7 avril 2022 portant ouverture et annulation de crédits à titre d’avance.

([6]) Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

([7]) Les restes à payer correspondant aux autorisations d’engagement non couvertes par des crédits de paiement.

([8]) Cour des comptes, note d’analyse de l’exécution budgétaire 2021 de la mission Défense, page 32.

([9]) Le report de charges correspond aux paiements comptabilisés mais non encore réalisés.

([10]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° 2022-4 du 21 septembre 2022 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2023.

([11]) Voir Assemblée nationale, audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, 11 octobre 2022.

([12]) Voir Assemblée nationale, audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des armées, par la commission de la défense nationale et des forces armées, 11 octobre 2022.

([13]) Assemblée nationale, rapport présenté par M. Thomas Gassilloud au nom de la mission d’information sur la résilience nationale, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022.

([14]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées, 13 juillet 2022.

([15]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, du général de corps aérien Frédéric Parisot, major général de l’armée de l’air et de l’espace, 20 juillet 2022.

([16]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état‑major de l’armée de terre, 12 octobre 2021.

([17]) Cour des comptes, « La loi de programmation militaire 2019-2025 et les capacités des armées », rapport public thématique, publié en mai 2022, page 61.

([18]) Vision stratégique du chef d’état-major des armées, octobre 2021.

([19]) Assemblée nationale, rapport d’information présenté par Mme Patricia Mirallès et M. Jean-Louis Thiériot, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la préparation à la haute intensité, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2022, page 75.

([20]) Institut français des relations internationales, « La masse dans les armées françaises : un défi pour la haute intensité », focus stratégique n° 105, juin 2021.

([21]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, du général d’armée Thierry Burkhard, alors chef d’état-major de l’armée de terre, 18 juin 2022.

([22]) Voir le discours du Président de la République lors de l’inauguration du salon Eurosatory, le 13 juin 2022, et son discours aux armées, le 13 juillet 2022.

([23]) Assemblée nationale, rapport présenté par M. Thomas Gassilloud au nom de la mission d’information sur la résilience nationale, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2022.

([24]) Ces ordres de grandeurs sont issus des chiffres clés de la Défense, édition 2021.

([25]) Voir le discours du Président de la République aux armées le 13 juillet 2022.

([26]) Cour des comptes, observations définitives sur « L’opération Sentinelle », publiées le 12 septembre 2022.

([27]) Les comptes de commerce retracent des opérations de caractère industriel et commercial effectuées à titre accessoire par des services de l’État non dotés de la personnalité morale.

([28]) Arrêté du 13 juillet 2022 portant organisation de la direction générale de la sécurité extérieure

([29]) Voir l’article D. 3126-5 du code de la défense.

([30]) L’AID est responsable des trois unités opérationnelles « études amont » (P144), « subventions et transferts » (P144) et « recherche duale » (P191), qui représentent au total 1,51 milliard d’euros en 2023.

([31])Projet annuel de performances du programme 146 annexé au projet de loi de finances pour 2023, page 282.

([32]) Voir Cour des comptes, « Les drones militaires aériens, une rupture stratégique mal conduite », rapport public annuel 2020.

([33]) Sénat, rapport d’information sur les drones dans les forces armées, présenté par MM. Cédric Perrin, Gilbert Roger, Bruno Sido et François Bonneau au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, enregistré à la présidence du Sénat le 23 juin 2021, page 50.

([34]) Le programme CSO était à l’origine destiné à être la « composante spatiale optique » du programme MUSIS (multinational space-based imaging system for surveillance, reconnaissance and observation), mené en coopération avec l’Allemagne et l’Italie, dont les ambitions sont toutefois moindres que prévu initialement.

([35]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 4595 sur le transport stratégique, présenté par M. François Cornut-Gentille, déposé en application de l’article 146 du règlement par la commission des finances, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 28 mars 2017, puis rapport d’information n° 2040 sur l’externalisation du soutien aux forces en opérations extérieures, présenté par M. François Cornut-Gentille, déposé en application de l’article 146 du règlement par la commission des finances, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 19 juin 2019.

([36]) Projet annuel de performances du programme 178 Préparation et emploi des forces annexé au projet de loi de finances pour 2023.

([37]) Assemblée nationale, rapport d’information présenté par Mme Patricia Mirallès et M. Jean-Louis Thiériot, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la préparation à la haute intensité, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2022, page 75.

([38]) Le NH90 Caïman est réalisé en coopération avec l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique ; il a été élargi à la Finlande, la Suède, la Norvège, l’Espagne, la Nouvelle Zélande et l’Australie.

([39]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, du général d’armée Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de terre, 12 octobre 2021.

([40]) L’espace maritime française s’étend sur 11 millions de kilomètres carrés, soit vingt fois la superficie de la France, situé à 90 % dans l’océan Indien et dans l’océan Pacifique, et peuplé de 2,7 millions de Français.

([41]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine par la commission de la défense nationale et des forces armées, 27 juillet 2022.

([42]) Le Saphir ayant été retiré du service en 2019, les SNA de la classe Rubis sont désormais au nombre de cinq : Rubis, Casabianca, Émeraude, Améthyste et Perle.

([43]) Assemblée nationale, compte-rendu de l’audition, à huis clos, de l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la marine par la commission de la défense nationale et des forces armées, 27 juillet 2022.