N° 292

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 octobre 2022.

RAPPORT

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2023 (n° 273),

 

PAR M. Jean-René CAZENEUVE,

Rapporteur général

Député

 

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ANNEXE N° 26
 

 

 

LUTTE CONTRE L’évasion fiscale

 

(GESTION DES FINANCES PUBLIQUES)

 

 

 

Rapporteure spéciale : Mme Charlotte LEDUC

 

 

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

PRINCIPALES OBSERVATIONS de la RAPPORTEURe SPÉCIALe

DONNÉES CLÉS

Propositions de la rapporteure spÉciale

Introduction

I. L’évasion fiscale, un phénomène complexe à définir et à chiffrer

A. Des termes nombreux aux définitions souvent confuses qui doivent être clarifiées

1. Des définitions multiples et confuses

a. La fraude et l’optimisation fiscale : deux termes aux définitions claires, qui renvoient à des situations définies

b. D’autres termes employés dans le débat public recouvrent une réalité plus floue et méritent d’être clarifiés

2. Des tentatives de clarification encore inabouties

a. L’approche de la DGFiP : le critère du redressement

b. Le critère de l’abus de droit et de la substance économique : un fondement prometteur qui doit être approfondi

B. Des problématiques de chiffrage

1. Des obstacles méthodologiques et des raccourcis de raisonnement problématiques

a. Une mesure complexe du phénomène

b. Une mesure complexe de l’impact de ce phénomène sur les finances publiques

2. Un chiffrage inégalement complexe selon les différents impôts, qui doit être systématisé

a. La fraude à la TVA, un phénomène plus facilement chiffrable

b. La nécessité de systématiser le chiffrage de la fraude par impôt

II. Si la DGFiP en est l’acteur principal, la lutte contre l’évasion fiscale relève de plusieurs ministères, invitant à Affirmer une véritable logique interministérielle

A. Le travail conjoint de la DGFiP et d’autres ministères

1. L’organisation de la DGFiP en matière de lutte contre la fraude fiscale

2. Dans le domaine judiciaire, des juridictions et des services d’enquêtes spécialisés sur les questions de fraude fiscale complexe

a. Le parquet national financier, un parquet spécialisé notamment sur les questions fiscales complexes

b. La BNRDF, un service de la police judiciaire doté d’officiers fiscaux judiciaires

c. Le SEJF, un service des ministères économiques et financiers à la main du ministère de la justice

3. TRACFIN, un service de renseignement chargé notamment de lutter contre la fraude

B. Un échelon interministériel propre renforcé par la création de la MICAF

C. Aller plus loin en mettant en place une direction interministérielle de lutte contre l’évasion fiscale

III. Les moyens alloués à la lutte contre l’évasion fiscale : une présentation incomplète et un niveau insuffisant

A. Les crédits budgétaireS consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale

B. Les moyens humains alloués à la lutte contre l’évasion fiscale sont insuffisants

1. Une baisse alarmante des effectifs et la mise en place mal avisée de nouvelles technologies

a. Des effectifs insuffisants et en baisse, notamment au sein de la DGFiP

i. L’importante baisse des effectifs au sein de la DGFiP

ii. L’insuffisance de personnel dans les autres services chargés de la lutte contre l’évasion fiscale

b. Le recours accru à l’intelligence artificiel ne saurait remplacer les effectifs humains

2. Des difficultés de recrutement du fait de la concurrence avec le secteur privé

C. une insuffisance de moyens qui se manifeste À travers Des résultats du contrôle fiscal en baisse sur le long terme

IV. De récentes évolutions législatives qui conduisent à une perte de sens du contrôle fiscal

A. Lors de la phase administrative, le développement d’une logique d’accompagnement des entreprises en amont qui doit être limitée

1. Le développement d’une logique préventive et partenariale

2. La logique partenariale d’accompagnement ne peut cependant se faire au détriment de la logique répressive du contrôle fiscal

B. Lors de la phase judiciaire, le développement de modes alternatifs de règlement des conflits au service d’une logique exclusive de rendement

1. Une pénalisation accrue de la fraude fiscale…

2. … mise à mal par le développement de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP)

C. Un nÉcessaire sursaut de volonté politique

1. Agir résolument pour harmoniser les règles de taxation entre pays et limiter les opportunités d’évasion fiscale internationale

a. Instaurer un impôt commun au niveau communautaire via une coopération renforcée ou un mécanisme de taxation différentielle en France

b. Proposer des critères de définition pertinents des paradis fiscaux

c. Créer un cadastre financier

2. Limiter les marges de manœuvre en modifiant les règles déclaratives et en durcissant les règles applicables aux intermédiaires

a. Faire évoluer les règles de déclaration

b. Durcir les règles applicables aux intermédiaires

3. Proposer un véritable statut des lanceurs d’alerte et des aviseurs

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

Annexe : Fiche de la DGFiP relative aux montages visant à dissimuler les détentions d’avoirs à l’étranger

L’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires.

À cette date, 100 % des réponses étaient parvenues à la commission des finances.


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   PRINCIPALES OBSERVATIONS de la RAPPORTEURe SPÉCIALe

L’évasion fiscale affaiblit l’Etat et les services publics, pousse la Nation à l’endettement et réduit les ressources disponibles pour lutter contre la pauvreté, les inégalités et engager sérieusement la bifurcation écologique dont l’humanité a besoin. Après près de deux mois de travail sur cette question, la rapporteure spéciale dresse les principaux constats suivants.

L’évasion fiscale est une notion encore floue qui nécessite une définition claire, regroupant la fraude délibérée et toute pratique d’optimisation fiscale agressive dont l’objectif principal est d’échapper à l’impôt.

Les estimations du manque à gagner pour les finances publiques liées à la fraude fiscale sont insuffisamment précises – allant de 50 à 120 milliards d’euros par an. La France est un des rares pays de l’OCDE à ne pas publier régulièrement une estimation globale et impôt par impôt du montant de la fraude fiscale – une situation qui doit évoluer d’urgence.

Les effectifs du contrôle fiscal ont diminué de plus de 4 000 personnes depuis 2010, dont 1 600 depuis 2017. Ce budget 2023 planifie de nouvelles baisses d’effectifs au sein de la Direction générale des finances publiques. Ces baisses ont un réel effet sur l’efficacité du contrôle fiscal dont le rendement chute sur longue période avec moins de 16 milliards récupérés chaque année depuis 2019. Tous les services d’enquêtes et de contrôle auditionnés par la rapporteure spéciale (le SEJF, la BNRDF, TRACFIN, les syndicats représentatifs de la DGFiP, le PNF…) ont d’ailleurs fait part d’un manque de moyens matériels et humains.

La réponse pénale face à l’évasion fiscale n’est pas adaptée. La justice négociée donne le sentiment à nombre de nos compatriotes d’une justice à deux vitesses ce qui réduit dangereusement le consentement à l’impôt.

Pour remédier à cette situation, la rapporteure présente 34 propositions, qui visent plusieurs objectifs :

– améliorer l’évaluation quantitative et qualitative de l’évasion fiscale ;

– améliorer le pilotage institutionnel de la lutte contre l’évasion fiscale ;

– renforcer les moyens humains et matériels des administrations chargées de lutter contre l’évasion fiscale ;

– réfléchir à l’évolution de la pénalisation des fraudeurs fiscaux ;

– réaffirmer la clause de « substance économique » ;

– revenir plus efficacement les pratiques d’échappement à l’impôt des grandes multinationales françaises ou étrangères (avec une filiale en France) ;

– lutter résolument contre les pratiques des intermédiaires qui favorisent l’évasion et la fraude fiscale ;

– améliorer la transparence fiscale. ;

– protéger les lanceurs d’alerte et les « aviseurs ».

Au-delà des recettes phénoménales qu’elle rapporterait à l’État, une lutte efficace contre l’évasion fiscale est un enjeu fondamental de justice sociale, garante de la préservation du consentement à l’impôt et de la cohésion sociale dans notre pays.

La rapporteure spéciale appelle donc le Gouvernement à engager une véritable politique de lutte contre l’évasion fiscale en donnant les moyens humains, matériels, technologiques et législatifs aux services concernés pour que cette insoutenable injustice prenne fin.

 

 


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   DONNÉES CLÉS

Recensement fonctionnel des effectifs de la DGFIP 2017-2021

 

2017

2018

2019

2020

2021

Effectifs du contrôle fiscal

11 924

11 387

11 109

10 899

10 373

Effectifs réels payés DGFiP (en ETP) au 31 décembre

100 598,3

98 593,4

96 348,7

94 044,5

91 487,7

Source : Réponses au questionnaire budgétaire adressé par la rapporteure spéciale.

Évolution du nombre de contrôles sur place entre 2013 et 2018

Source : Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », 2019.

Évolution des résulTats du contrôle fiscal depuis 2012 ([1])

(en milliards d’euros)

Source : Assemblée nationale, commission des finances, à partir des rapports d’activités de la DGFiP 2017 à 2021, du rapport d’information du Sénat n° 668 du 22 juillet 2020 sur les moyens du contrôle fiscal (MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac, rapporteurs) et du rapport d’information du Sénat relatif à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, octobre 2022 (M. Jean-François Husson, rapporteur, M. Claude Raynal, président).


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   Propositions de la rapporteure spÉciale

Recommandation  1 : Créer un groupe de travail composé d’experts nationaux et européens, de chercheurs et de parlementaires afin d’établir un lexique harmonisé.

Recommandation  2 : Proposer une résolution parlementaire qui rappelle la clause de la « substance économique » : toute opération dont le but principal est d’échapper à l’impôt est illégale.

Recommandation  3 : Mettre en place (ou généraliser) un programme de contrôle fiscal randomisé par la DGFiP.

Recommandation  4 : Prévoir une obligation légale pour le CPO de proposer toutes les ans une évaluation de la fraude, impôt par impôt, grâce aux contrôles randomisés.

Recommandation  5 : Revenir sur les transferts des missions de la DGDDI à la DGFiP en matière de gestion et de recouvrement déjà intervenus et ne pas effectuer ceux qui doivent l’être d’ici 2026.

Recommandation  6 : Mettre en place une direction interministérielle de la lutte contre l’évasion fiscale associant les ministères des finances, de l’intérieur et de la justice.

Recommandation  7 : Enrichir le document de politique transversale Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales afin d’avoir une vision claire et exhaustive des moyens consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale.

Recommandation  8 : Créer une mission budgétaire consacrée aux crédits et emplois relatifs à la lutte contre l’évasion fiscale.

Recommandation  9 : Faire un moratoire sur les suppressions de poste dans le contrôle fiscal et planifier l’embauche de 4 000 agents d’ici à 2027.

Recommandation  10 : Instaurer une concertation avec les syndicats de la DGFiP sur le renforcement de la formation, notamment la formation initiale, des agents du contrôle fiscal.

Recommandation  11 : Pérenniser des agents sur leurs postes et titulariser des contractuels afin de ne pas perdre les qualifications et l’expertise à cause du turnover interne ou externe.

Recommandation  12 : Conduire une évaluation quantitative et qualitative des besoins humains de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, du service d’enquêtes judiciaires des finances, de la cellule TRACFIN ainsi que du Parquet national financier.

Recommandation  13 : Mettre en place de services décentralisés de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, du service d’enquêtes judiciaires des finances et de la cellule TRACFIN en région pour traiter les dénonciations obligatoires de fraude fiscale

Recommandation  14 : Évaluer les moyens et les besoins techniques de ces différents services dans la « course à l’armement » face aux fraudeurs et planifier les investissements nécessaires à la suite de cette évaluation.

Recommandation  15 : Créer un service d’expertise dédié à l’étude des schémas de fraude et d’optimisation agressive au sein de la DGFiP qui informerait les agents du contrôle fiscal sur les dernières innovations des fraudeurs et alimenterait les paramètres du datamining et de l’intelligence artificielle.

Recommandation  16 : Mettre en place des possibilités encadrées de dérogation aux grilles salariales de la fonction publique dans ces différents services pour attirer des profils à haute compétence dans le domaine fiscal, juridique et informatique.

Recommandation  17 : Évaluer les effets de la loi ESSOC sur la dimension dissuasive du contrôle fiscal et sur le travail des agents du contrôle fiscal.

Recommandation  18 : Rendre possible la dérogation à la limitation à trois ans des enquêtes préliminaires en matière de fraude fiscale.

Recommandation n° 19 : Proposer d’un débat parlementaire sur les objectifs de la lutte contre l’évasion fiscale. Comment arbitre-t-on entre les deux objectifs :

– Faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État ;

– Punir les fraudeurs pour renforcer le consentement à l’impôt.

Recommandation n°20 : Lancer une nouvelle évaluation ministérielle sur les effets des conventions judiciaires d’intérêt public.

Recommandation n° 21 : Mettre en place de critères d’exclusion des marchés publics à tous les échelons administratifs (municipal, intercommunal, départemental, régional et national) pour les entreprises non-coopératives.

Recommandation  22 : Faire de la France un percepteur en dernier ressort pour les entreprises françaises et les multinationales implantés en France au prorata de leur activité en France grâce à la mise en place d’un « impôt universel » avec un taux d’imposition de référence à 25 %.

Recommandation  23 : Voter une résolution parlementaire pour que l’impôt minimum européen soit lancé par la France en coopération renforcée si l’unanimité est impossible à un taux de 25 %.

Recommandation  24 : Modifier la liste noire française avec deux critères non‑négociables :

– tout pays à taux 0 doit être automatiquement sur la liste ;

– tout pays sans registre des bénéficiaires réels doit être automatiquement sur la liste.

Recommandation  25 : Voter une résolution parlementaire pour que la France réclame la publicité des débats du groupe « code de conduite » au niveau européen.

Recommandation  26 : Créer un cadastre financier.

Recommandation  27 : Lancer un groupe d’étude interministériel chargé d’évaluer la possibilité de limiter les impôts auto-déclaratifs.

Recommandation  28 : Mettre en place un fichier national des donations anticipées (pour permettre l’évaluation de la fraude dans ce domaine).

Recommandation n° 29 : Pénaliser davantage les intermédiaires : toute personne participant à un montage dont le but principal est d’échapper à l’impôt est pénalement responsable (le secret des affaires ou le secret professionnel des avocats ne doit pas être opposable).

Recommandation  30 : Séparer les activités de conseil en fiscalité et d’audit et validation des comptes au sein des cabinets de conseil afin qu’elles soient exercées par deux entités distinctes sur le modèle du Glass-Steagall Act américain qui avait jadis séparé les banques d’investissement et les banques commerciales.

Recommandation  31 : Revoir le cadre légal des assujettis à la déclaration de soupçons de fraude fiscale avec, par exemple, l’obligation de signalement pour les avocats et les notaires lorsqu’ils ne connaissent pas leur client.

Recommandation  32 : Organiser une campagne de communication et de formation auprès des professions autorégulées pour leur rappeler leurs obligations en termes de déclaration de soupçons de fraude fiscale.

Recommandation  33 : Mettre en place un statut du lanceur d’alerte, prise en charge de la formation pour celles et ceux qui souhaitent se reconvertir et possibilité de postuler aux troisièmes concours de la fonction publique.

Recommandation  34 : Augmenter et généraliser la rémunération des « aviseurs fiscaux » par la DGFiP et mettre en place un statut qui garantit l’exfiltration et la possibilité de reconversion pour l’aviseur s’il les demande.

 


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   Introduction

Créé au début de la XVIème législature sur proposition du président de la commission des Finances Éric Coquerel, ce nouveau rapport spécial thématique porte sur les crédits du programme 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local de la mission Gestion des finances publiques consacrés au contrôle fiscal. Fortement interministérielle, la politique de lutte contre les comportements visant à éluder l’impôt dépasse cependant le cadre budgétaire de ce seul programme – conduisant la rapporteure spéciale à s’intéresser à d’autres entités que celles financées par le programme 156.

Le choix de l’intitulé de ce rapport, Lutte contre l’évasion fiscale, n’est pas anodin. Le terme d’évasion fiscal n’est en effet pas clairement défini en droit, comme peut l’être la fraude fiscale, et ne bénéficie pas non plus d’une acception communément admise dans le langage courant, comme c’est le cas pour l’optimisation fiscale. Sa définition mouvante reflète la multitude des comportements mis en œuvre pour éluder l’impôt, parfois légaux en apparence. Parce que des définitions claires sont un préalable à toute discussion sérieuse, le rapport s’attache ainsi à rappeler les principaux termes employés pour désigner les manœuvres d’évitement de l’impôt, et invite à réfléchir à une définition harmonisée de l’évasion fiscale.

Au cours de ses travaux, la rapporteure spéciale s’est intéressée à l’organisation de la lutte contre l’évasion fiscale et aux moyens financiers et humains qui y sont affectés. Il en résulte un constat clair : l’évolution en volume des crédits budgétaires est à la baisse ([2]), la lutte contre l’évasion fiscale décline. Les effectifs insuffisants au sein de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) et dans d’autres organes comme le Parquet national financier (PNF) ou la cellule TRACFIN, la diminution du nombre de contrôles sur place ou encore la tendance à la baisse, depuis dix ans, des sommes encaissées à la suite des contrôles fiscaux témoignent d’un effort en matière de lutte contre l’évasion fiscale bien inférieur à ce qui serait nécessaire. Le recours accru aux nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, présenté par la DGFiP comme l’avenir du contrôle fiscal, ne produit pour l’instant pas de résultats satisfaisants – et ne pourra en tout état de cause jamais remplacer le travail humain.

La rapporteure spéciale s’est également penchée sur l’évolution de la philosophie du contrôle fiscal voulue par le Gouvernement : la « nouvelle relation de confiance » portée par la loi dite ESSOC ([3]) du 10 août 2018. Si le développement d’une logique préventive, permettant aux contribuables d’être mieux informés en amont sur les schémas de fraude par exemple, et l’aide apportée aux contribuables de bonne foi sont louables, cette « nouvelle relation de confiance » a conduit à transformer le contrôle fiscal en une forme de compliance à la française. Les garanties excessives données aux entreprises, les possibilités de régularisation en cours de procédure et les contraintes accrues pesant sur le travail des agents du contrôle fiscal tendent à faire primer aujourd’hui l’accompagnement du fraudeur sur un contrôle répressif.

Cette dérive s’observe également au niveau des suites pénales qui peuvent être données à un contrôle fiscal. Si la rapporteure spéciale reconnaît que des progrès ont été faits en matière de pénalisation de la fraude (avec par exemple la suppression du « verrou de Bercy »), ceux-ci sont obérés par le recours croissant aux modes alternatifs de règlement des conflits, en particulier la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Ce dispositif permet aujourd’hui aux grandes entreprises faisant l’objet d’une enquête pour fraude fiscale de transiger avec le parquet – et d’échapper, moyennant le paiement d’une amende, à une condamnation pénale. Si la CJIP a le mérite d’assurer une rentrée d’argent pour les finances publiques, elle permet peu ou prou aux grandes multinationales de payer en échange d’une impunité pénale et d’une réputation sauvegardée. Un tel dispositif ne saurait perdurer en l’état, alors que le consentement à l’impôt des citoyens continue de s’éroder.

Le sujet de la lutte contre l’évasion fiscale mériterait des développements qui vont bien au-delà de l’exercice que constitue un rapport spécial sur les crédits d’un projet de loi de finances initiale. La rapporteure spéciale propose ainsi plusieurs pistes d’évolution qui ont vocation à être portés par d’autres véhicules législatifs, qui pourront constituer une feuille de route pour cette législature.


I.   L’évasion fiscale, un phénomène complexe à définir et à chiffrer

Plusieurs termes sont employés dans le langage courant, de manière souvent indifférenciée, pour décrire la manœuvre par laquelle un contribuable, personne physique ou morale, ne paye pas le montant d’impôt qui lui incomberait en l’état de la législation fiscale applicable : fraude fiscale, évasion fiscale, optimisation fiscale, optimisation fiscale « agressive », évitement fiscal… Si certains de ces termes sont clairement définis par le droit en vigueur, d’autres varient selon les institutions ; et le même terme est parfois utilisé pour désigner des situations de nature différente ([4]).

Une définition claire et harmonisée des différents termes employés dans le débat public est un préalable indispensable pour mener une lutte efficace contre les pratiques d’évitement de l’impôt. Elle permettra de s’entendre sur les pratiques qu’il faut effectivement combattre, ou encore d’avoir une vision pluriannuelle du chiffrage de ces pratiques.

A.   Des termes nombreux aux définitions souvent confuses qui doivent être clarifiées

La rapporteure spéciale se propose de rappeler ici les différents termes les plus utilisés et les tentatives de définition faites par les différentes institutions qui ont eu à en connaître.

1.   Des définitions multiples et confuses

a.   La fraude et l’optimisation fiscale : deux termes aux définitions claires, qui renvoient à des situations définies

La fraude fiscale désigne « l’opération consistant à se soustraire ou tenter de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt, selon différentes modalités » ([5]). Elle implique une violation délibérée et consciente de la réglementation fiscale en vigueur ([6]). L’article 1741 du code général des impôts (CGI) fait de la fraude fiscale une infraction pénale passible d’une amende de 500 000 euros et d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.

L’optimisation fiscale, non définie par le droit, consiste pour un contribuable à exploiter les moyens légaux à sa disposition pour réduire ou éliminer sa charge fiscale ([7]). Elle est donc légale, et découle du droit du contribuable de choisir la voie la moins imposée, reconnue par le juge administratif ([8]) puis par le juge européen dans sa décision Halifax de 2006 ([9]).

Le droit pour le contribuable de choisir la voie la moins imposée :
la décision Halifax de la CJCE (2006)

La Cour de justice, alors Cour de justice des Communautés européennes, a consacré dans sa décision Halifax de 2006, pour un contribuable, le « droit de choisir la structure de son activité de manière à limiter sa dette fiscale », suivant en cela les conclusions de son avocat général Poiares Maduro qui rappelait « la liberté de choisir la voie la moins taxée pour exercer une activité afin de minimiser les coûts ».

Source : Assemblée nationale, rapport d’information n° 1236, Mme Bénédicte Peyrol, rapporteure, op. cit.

b.   D’autres termes employés dans le débat public recouvrent une réalité plus floue et méritent d’être clarifiés

L’optimisation fiscale « agressive », non définie en droit, désigne des pratiques consistant « à tirer parti des subtilités d’un système fiscal ou des incohérences entre plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l’impôt à payer » selon le ministère de l’économie et des finances ([10]) ; une définition reprise du rapport produit en 2013 par la mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale ([11]) qui insistait en outre sur le fait que l’optimisation fiscale « agressive » était souvent le fait de multinationales qui « contournent de fait l’esprit des lois des pays dans lesquels elles opèrent ». Le Parlement européen, qui parle quant à lui de planification fiscale plutôt que d’optimisation fiscale, précise que « la planification fiscale organisée à des fins fiscales dominantes voire exclusives, dont l'élaboration a créé un marché du conseil en la matière, évaluée à l'aune de son effectivité et de ses modalités, peut être qualifiée d'agressive au cas par cas » ([12]).

L’évasion fiscale est couramment définie comme une zone grise entre la fraude et l’optimisation fiscale. Le rapport d’information rédigé par la députée Bénédicte Peyrol indique que l’évasion a « en commun avec la fraude la volonté des auteurs de contourner la norme fiscale en vigueur dans le but d’éluder d’impôt, mais repose sur des mécanismes réguliers ou en apparence réguliers ».

L’imprécision autour de cette notion apparaît assez clairement dans la définition qu’en donne la cellule TRACFIN : l’ensemble des opérations destinées à réduire le montant des prélèvements dont le contribuable doit normalement s’acquitter et dont la régularité est incertaine ([13]).

Son statut de « zone intermédiaire » est exposé sans équivoque dans la définition qu’en donne le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) lorsqu’il indique que si le contribuable « a recours à des moyens légaux, l’évasion entre alors dans la catégorie de l’optimisation. À l’inverse, s’il s’appuie sur des techniques illégales ou dissimule la portée véritable des opérations, l’évasion s’apparentera à la fraude » ([14]).

L’évasion fiscale est également parfois simplement définie comme une fraude fiscale avec une composante internationale ([15]).

Dans les instances et organisations internationales, comme l’OCDE, la terminologie anglaise employée est encore différente et peut poser des difficultés de traduction. On note ainsi que c’est le terme de tax avoidance plus que celui de fiscal evasion qui se rapproche le plus de la réalité que recouvre le terme français d’évasion fiscale.

Définitions des termes de fraude, évasion et optimisation fiscales par l’OCDE

 

Dans son glossaire des termes fiscaux ([16]), le Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE définit les notions de fraude, d’évasion et d’optimisation comme suit :

« Fraude (« fraud ») : la fraude fiscale est une forme délibérée d’évasion qui revêt généralement un caractère pénal. Le terme inclut des situations au titre desquelles des déclarations délibérément erronées, de faux documents sont transmis (aux administrations fiscales), etc.

« Évasion (« evasion ») : un terme difficile à définir mais que l’on utilise généralement pour caractériser les dispositions illégales grâce auxquelles les obligations fiscales sont occultées ou ignorées. Le contribuable acquitte un impôt moins élevé qu’il ne le devrait juridiquement en dissimulant des revenus ou des informations aux administrations fiscales.

« Évitement (« avoidance ») : un terme difficile à définir mais que l’on utilise généralement pour caractériser les dispositions prises par un contribuable dans le but de réduire sa charge fiscale et qui, bien qu’elles puissent être strictement légales, sont généralement en contradiction avec l’esprit des législations qu’elles prétendent respecter. »

« Optimisation fiscale (« tax planning ») : dispositions prises par le contribuable dans la conduite de ses affaires fiscales professionnelles ou privées dans le but de minimiser sa charge fiscale. »

N.B. : la traduction en français des notions (le glossaire est en anglais) est celle réalisée à l’occasion du rapport produit en 2013 par la mission d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’optimisation fiscale de 2013 (Pierre‑Alain Muet, Rapport d’information de la mission d’information sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, Assemblée nationale, XIVe législature, n° 1243, 10 juillet 2013).

 

 

2.   Des tentatives de clarification encore inabouties 

a.   L’approche de la DGFiP : le critère du redressement

Auditionnée par la rapporteure spéciale, la DGFiP a rappelé que le terme d’évasion fiscale n’avait pas de définition juridique et que si ce terme était employé, il n’entrait cependant pas dans la grille d’analyse de la DGFiP.

La DGFiP différencie ainsi d’une part les situations ne justifiant pas de redressement fiscal, donc les cas d’optimisation fiscale, et d’autre part les situations donnant lieu à redressement, parmi lesquelles on distingue les situations frauduleuses, caractérisées par une intentionnalité, une volonté manifeste de frauder, et les situations non frauduleuses, résultant d’une erreur de bonne foi dans l’application de la loi. En fonction du caractère frauduleux ou non, le montant du redressement et l’application d’intérêts de retard et de pénalités ne seront pas les mêmes.

b.   Le critère de l’abus de droit et de la substance économique : un fondement prometteur qui doit être approfondi

L’abus de droit fiscal est défini à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF) comme un acte ayant un caractère fictif ou pris uniquement dans le but d'éluder ou d'atténuer l'impôt. La procédure de l’abus de droit permet à l’administration fiscale de « déchirer le voile de légalité apparente » d’un acte, pour en révéler le véritable objectif.

La loi de finances pour 2019 ([17]) a modifié l’article L. 64 A du LPF pour élargir cette procédure d’abus de droit aux opérations à but principalement fiscal.

Article L. 64 A du LPF

« Afin d'en restituer le véritable caractère et sous réserve de l'application de l'article 205 A du code général des impôts, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige peut être soumis, à la demande du contribuable ou de l'administration, à l'avis du comité mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 64 du présent livre. »

Cette procédure d’abus de droit constitue selon la rapporteure spéciale un critère pertinent pour déterminer ce qui relève ou non de l’évasion fiscale. Dans son rapport d’information au nom de la commission des finances, Mme Bénédicte Peyrol avait d’ailleurs proposé une analyse approchante, en s’intéressant à l’artificialité d’un comportement ou au défaut de substance économique. La méthodologie retenue conduisait ainsi la rapporteure à différencier la fraude fiscale, caractérisée comme actuellement par une intention frauduleuse, et l’évasion fiscale, qui recouvrirait des opérations légales mais marquées par une artificialité et un défaut de substance.

La proposition du rapport Peyrol : le critère d’artificialité
et de substance économique

Le rapport Peyrol propose une distinction des notions d’optimisation, d’évasion et de fraude reposant sur l’artificialité des comportements des contribuables et la substance des opérations, entendue économiquement.

Un comportement « artificiel » désigne un montage dans lequel l’objectif fiscal est déterminant, les considérations économiques ou financières étant très secondaires, voire inexistantes. Dans une telle hypothèse, même si le montage respecte la lettre des textes normatifs qui s’imposent à lui, qu’il s’agisse de la loi ou des conventions fiscales internationales, un redressement est possible (et souhaitable).

Le défaut de substance économique conduit à permettre les redressements d’opérations qui, tout en étant là aussi légales, associent des coquilles vides, des sociétés « boîtes aux lettres », ou des transactions sans réalité économique.

Source : Rapport Peyrol, op.cit.

Lors de l’examen des crédits de la mission Gestion des finances publiques en commission des finances, la rapporteure spéciale a ainsi proposé une définition large de l’évasion fiscale comme « tout comportement d’un individu ou d’une personne morale dont l’objectif est d’échapper à l’impôt » ([18]). L’évasion recouvrirait ainsi l’ensemble des comportements répréhensibles :

– la fraude fiscale, caractérisée par une intention frauduleuse ;

– et l’optimisation agressive, qui recouvrirait les situations où un contribuable mène une opération dépourvue de toute substance économique.

Afin de clarifier les termes employés dans le débat public, la rapporteure spéciale recommande la création d’un groupe de travail chargé de proposer un lexique harmonisé.

Recommandation  1 : Créer un groupe de travail composé d’experts nationaux et européens, de chercheurs et de parlementaires afin d’établir un lexique harmonisé.

 

Recommandation  2 : Proposer une résolution parlementaire qui rappelle la clause de la « substance économique » : toute opération dont le but principal est d’échapper à l’impôt est illégale.

 

B.   Des problématiques de chiffrage

La mesure de l’impact de la fraude ou de l’évasion fiscale est complexe, ces pratiques étant par essence occultes. Cet impact n’est pas seulement économique ; la fraude et l’évasion fiscales ont également un important impact social, à travers l’érosion du consentement à l’impôt ([19]).

1.   Des obstacles méthodologiques et des raccourcis de raisonnement problématiques

a.   Une mesure complexe du phénomène

Dans un rapport de 2007 La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, le Conseil des prélèvements obligatoires propose un classement des méthodologies de mesure utilisées en deux catégories.

Les méthodes dites « indirectes », « macroéconomiques », ou encore « descendantes » ([20]) passent par l’adoption de certaines hypothèses concernant le fonctionnement de l’économie ou encore par le recours à des modèles macro‑économiques (approche par les transactions monétaires, qui compare le volume des transactions et le PIB officiel, approche fondée sur la demande de monnaie etc.). Le CPO les juge insuffisamment robustes, dans la mesure où elles « reposent, en général, sur l’estimation d’un niveau « normal » ou « structurel » d’une variable qui est comparée au niveau réel pour estimer la part de l’économie souterraine. Or, le calcul de ce niveau normal n’est pas toujours évident et il est marqué par de nombreuses incertitudes. » De ce fait, le CPO recommande d’« exclure les approches indirectes pour procéder à une évaluation fiable de la fraude ».

Les méthodes dites « directes », « microéconomiques » ou « ascendantes » ([21]) cherchent à l’inverse à quantifier le phénomène directement à partir d’éléments disponibles (comme les chiffres de l’administration fiscale, la réalisation d’enquêtes…). Il s’agit par exemple de questionnaires transmis à un panel de personnes, de l’extrapolation des résultats des contrôles fiscaux, ou encore de l’analyse des incohérences statistiques des comptes nationaux. Si le CPO juge ces méthodes comme fournissant les approches les plus solides, il relève plusieurs limites, comme la part de non‑réponse à des enquêtes et la volonté de coopération des personnes interrogées.

En particulier, s’agissant de l’extrapolation des résultats des contrôles fiscaux, le CPO souligne d’une part que « les contrôles ne sont pas menés de façon aléatoire mais sont généralement ciblés de façon à ce que les contrôles aient le plus de chance de saisir les fraudeurs. Ceci aboutit donc à une surreprésentation des fraudeurs dans l’échantillon et donc, après extrapolation, un risque de surestimation de la fraude » ; et d’autre part que « les résultats de contrôles donnent une indication sur le niveau de fraude des personnes qui déclarent leur activité mais ces contrôles ne dévoilent qu’une partie des montants éludés et prennent imparfaitement en compte la fraude des redevables non déclarés ».

Cette importance du biais sélectif dans les méthodes extrapolant les résultats du contrôle fiscal a été rappelée plus récemment par la Cour des comptes dans son rapport de 2019, dans lequel elle explique que « cette extrapolation ne pose pas de problème lorsque les échantillons issus du contrôle fiscal sont représentatifs, ce qui suppose que les contrôles fiscaux soient réalisés de manière aléatoire. Lorsqu’ils sont ciblés sur les contribuables les plus susceptibles de frauder, il convient de redresser l’échantillon ainsi constitué pour éliminer ce que les statisticiens désignent sous le nom de ʺbiais de sélectionʺ.

Interrogée sur ce point par la rapporteure spéciale, la DGFiP a indiqué que des contrôles aléatoires commençaient à être conduits. Des premiers résultats sont attendus pour la fin de l’année 2022.

Le rapporteure spéciale recommande qu’un programme de contrôle fiscal randomisé par la DGFiP soit rapidement mis en place et généralisé afin de pouvoir obtenir dès l’année prochaine un chiffrage plus fiable du montant de l’évasion fiscale. Un amendement en ce sens a été déposé en commission des finances et en séance publique.

Recommandation  3 : Mettre en place (ou généraliser) un programme de contrôle fiscal randomisé par la DGFiP.

Tableau n° 4 : avantages et inconvénients de l’utilisation
des méthodes ascendantes et descendantes

Méthode

Avantage

Inconvénients

Descendante

1)    Grande applicabilité suivie dans le temps des résultats.

2)    Comparaisons. Internationales plus faciles.

3)    Faible coût.

4)    Crédibilité des résultats (car données extérieures à l’administration fiscale)

5)    Prise en compte de-là fraude non détectable lors de contrôles (travail non déclaré, économie souterraine, fraude internationale)

6)    Résultats et méthodes faciles à présenter.

1)    Effet « boîte noire » : estimateur global, mais difficile à affiner (type de contribuables, de comportements érotogènes). Conséquence : traduction en termes de politique publique difficile.

2)    Révision régulière des données des comptes nationaux, largement utilisés pour cette méthode.

3)    Intervalle de confiance sur la précision des estimateurs difficiles à obtenir.

4)    Cet indicateur est établi à partir d’autres évaluations de la fraude, qui reposent elles-mêmes sur une méthode « ascendante ».

Ascendante

1)    Interprétation des résultats plus facile (identification des contribuables et des comportements les plus fraudogènes).

2)    Contrôles aléatoires : extrapolation à l’ensemble de la population relativement simple.

3)    Précision des estimateurs (subdivision de l’écart fiscal en plusieurs catégories).

 

1)    Coût important (mise en place des contrôles, analyse des résultats).

2)   Problème de la non-détection lors des contrôles (qui e peut entraîner une sous-estimation de la fraude).

3)   Certaines fraudes échappent à cette méthode (travail dissimulé, comptes offshore…).

4)   Décalage temporel entre l’année fiscale contrôlée et les résultats du contrôle fiscal (les résultats du contrôle peuvent être connus plusieurs années après la fin d’un exercice, dans la limite des règles de prescription).

5)   Contrôles ciblés : extrapolation basée sur des hypothèses fortes pour corriger les biais de sélection.

Source : Cour des comptes, La fraude aux prélèvements obligatoires, 2019.

b.   Une mesure complexe de l’impact de ce phénomène sur les finances publiques

La mesure de l’impact de l’évasion fiscale sur les finances publiques présente également des difficultés.

Si l’impact de l’évasion fiscale sur les recettes de l’État n’est plus à démontrer, la DGFiP a indiqué à la rapporteure spéciale que l’équivalence entre chiffrage de la fraude et manque à gagner pour l’État serait cependant incorrecte pour plusieurs raisons :

– d’abord parce que si certaines entités ne se livraient pas à l’évasion fiscale et payaient effectivement l’impôt dû, elles ne pourraient poursuivre leur activité – et donc payer la part d’impôt qu’elles payent en l’état ;

– ensuite parce qu’en cas de redressement, la fraude cesserait certes pour l’avenir, mais il ne serait pas systématiquement possible de récupérer l’intégralité des montants éludés (pour des raisons de délai de reprise notamment).

La fraude évaluée n’est donc pas mécaniquement un supplément de recettes du même montant.

2.   Un chiffrage inégalement complexe selon les différents impôts, qui doit être systématisé

a.   La fraude à la TVA, un phénomène plus facilement chiffrable

La taxe sur la valeur ajoutée a historiquement concentré les analyses en matière de fraude fiscale, à la fois parce qu’elle constitue l’impôt au rendement le plus élevé, mais également parce que c’est l’impôt le mieux harmonisé à l’échelle européenne, du fait notamment de structures de consommation assez voisine entre les différents États membres.

La fraude à la TVA fait ainsi l’objet d’un chiffrage par la Commission européenne depuis plus d’une quinzaine d’années ([22]). Dans son rapport de 2019, la Cour des comptes évaluait le manque à gagner en matière de TVA à près de 15 milliards d’euros par an (pour un rendement total d’environ 150 milliards d’euros nets). Plus récemment, l’Insee a publié une estimation encore plus importante de ce manque à gagner, qui serait de l’ordre de 20 à 25 milliards d’euros ([23]).

b.   La nécessité de systématiser le chiffrage de la fraude par impôt

Parce que la mesure du phénomène d’évasion est inégalement complexe selon l’impôt dont il est question, la rapporteure spéciale recommande que la DGFiP présente annuellement un chiffrage de la fraude par impôt, assorti d’un indicateur de fiabilité de la mesure.

Dans son rapport de 2019, la Cour des comptes avait d’ailleurs émis comme principale recommandation d’effectuer une évaluation régulière de la fraude – recommandation qui n’a pas été suivie.

Recommandation  4 : Prévoir une obligation légale pour la DGFiP de proposer toutes les ans une évaluation de la fraude, impôt par impôt, grâce aux contrôles randomisés.

Afin d’assurer la parution d’un chiffrage, la rapporteure spéciale proposera également à la commission des finances de l’Assemblée nationale une saisine du Conseil des prélèvements obligatoires sur cette question, en application de l’article L. 331-3 du code des juridictions financières.

Article L. 331-3 du code des juridictions financières

« Le Conseil des prélèvements obligatoires peut être chargé, à la demande du Premier ministre ou des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances ou des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des affaires sociales, de réaliser des études relatives à toute question relevant de sa compétence. Il peut également être saisi pour avis, dans les mêmes conditions, en vue d'apprécier les incidences économiques, sociales, budgétaires et financières de toute modification de la législation ou de la réglementation en matière d'impositions de toutes natures ou de cotisations sociales. Les résultats de ces études et avis sont transmis au Premier ministre et aux mêmes commissions. Ils sont rendus publics. »

II.   Si la DGFiP en est l’acteur principal, la lutte contre l’évasion fiscale relève de plusieurs ministères, invitant à Affirmer une véritable logique interministérielle

cartographie des principaux acteurs

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Assemblée nationale, commission des finances.

A.   Le travail conjoint de la DGFiP et d’autres ministères

Les services des ministères économiques, du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice travaillent en étroite collaboration pour lutter contre l’évasion fiscale.

1.   L’organisation de la DGFiP en matière de lutte contre la fraude fiscale

Au sein de la DGFiP, les services opérationnels de la lutte contre la fraude sont organisés par niveau géographique (national, interrégional, départemental) et selon l’importance économique de la personne physique ou morale contrôlée.

Au niveau national, trois services assurent les opérations de contrôle fiscal des grandes entreprises et des dossiers particuliers significatifs :

– la direction nationale d’enquêtes fiscales (DNEF) qui dispose de brigades spécialisées dans les opérations de lutte contre les réseaux frauduleux (brigades d’intervention rapide), compétentes pour contrôler les secteurs économiques à risques (plus spécifiquement dans le domaine de la TVA intracommunautaire et des carrousels TVA) ;

– la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) qui contrôle les dossiers des personnes physiques les plus complexes et les plus significatifs, que ce soit en termes d’enjeux ou de notoriété ([24]) ;

– la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) qui est chargée du contrôle fiscal des grandes entreprises nationales et internationales et de leurs filiales ([25]). Elle se compose de 25 brigades spécialisées par secteur d’activité économique, d’un service de consultants financiers et internationaux et de 11 brigades de vérification des comptabilités informatisées (BVCI). Elle intervient dans le traitement des montages internationaux et financiers.

Au niveau interrégional, les directions spécialisées de contrôle fiscal (DIRCOFI) à compétence interrégionale assurent le contrôle fiscal des entreprises de taille moyenne ([26]) relevant de leur ressort territorial.

Au niveau départemental, enfin, les brigades départementales des directions régionales ou départementales des finances publiques (DRFiP ou DDFiP) assurent les opérations de contrôle fiscal des entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,5 million d’euros pour les ventes et à 0,5 million d’euros pour les services. Elles s’appuient sur les brigades de vérification départementales (BDV) ; la quasi-totalité d’entre elles sont généralistes, même si certaines directions ont mis en place une ou plusieurs brigades dédiées à la lutte contre la fraude ([27]).

Le récent transfert des compétences de la DGDDI à la DGFiP

L’ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021 portant partie législative du code des impositions sur les biens et services et transposant diverses normes du droit de l'Union européenne, complété par le décret n° 2021-1914 du 30 décembre 2021 portant diverses mesures d'application de l'ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021 portant partie législative du code des impositions sur les biens et services et transposant diverses normes du droit de l'Union européenne a transféré à la DGFiP la gestion et le recouvrement des principales taxes gérées par la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI).

Si la rapporteure spéciale n’a pu, en raison des délais très contraints de l’étude du budget, auditionner cette année la DGDDI, elle souligne cependant que la DGDDI a une expertise et des agents connaissant le terrain ; et que la DGFiP n’a pas les moyens d’assumer cette charge de travail supplémentaire comme le lui ont confirmé les syndicats représentatifs de la DGFiP. Il faut donc sanctuariser les missions de la DGDDI et lui fournir les moyens humains de travailler sereinement.

Elle recommande ainsi de revenir sur les transferts des missions de la DGDDI à la DGFiP en matière de gestion et de recouvrement déjà intervenus et ne pas effectuer ceux qui doivent l’être d’ici 2026. (recommandation n° 5)

2.   Dans le domaine judiciaire, des juridictions et des services d’enquêtes spécialisés sur les questions de fraude fiscale complexe

a.   Le parquet national financier, un parquet spécialisé notamment sur les questions fiscales complexes

Le parquet national financier (PNF) a été créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance financière ([28]) et par la loi organique du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier ([29]).

Au 31 décembre 2021, le PNF était doté d’une quarantaine de personnes, dont 18 magistrats, six assistants spécialisés et 10 fonctionnaires de greffe.

Composition du PNF (décembre 2021)

Source : Synthèse annuelle 2021 du Parquet national financier.

Le PNF travaille sur quatre domaines de compétence : l’atteinte à la probité (par exemple la corruption, les détournements de fonds publics…), qui représente plus de 50 % des dossiers, les questions fiscales (environ 43 % des dossiers), les infractions boursières (une compétence exclusive du PNF, qui représente 6 % des dossiers) et les infractions anticoncurrentielles (une compétence aujourd’hui résiduelle mais avec un nombre croissant de dossiers).

Affaires en cours du PNF par catégorie, au 1er DÉcembre 2021

Source ; Synthèse annuelle 2021 du Parquet national financier.

Les dossiers du PNF proviennent en grande majorité de la DGFiP, mais également de services comme TRACFIN, de particuliers ou d’autres parquets.

Origine des dossiers d’atteinte aux finances publiques
dans les dossiers du PNF depuis 2019

Chiffres au 30 septembre 2022.

Source : Documents transmis par le PNF à la rapporteure spéciale.

Au 31 décembre 2021, le PNF suivait 650 dossiers, dont 270 relevaient de la matière fiscale. Parmi eux, 169 étaient ouverts sur présomption de fraude fiscale, 52 sur présomption de blanchiment, et le reliquat sur présomption d’escroquerie à la TVA. Les dossiers liés aux atteintes aux finances publiques représentaient 38 % du portefeuille du PNF en 2015. Ils représentent près de la moitié des dossiers en cours en septembre 2022. Parmi eux, la dissimulation d’avoirs à l’étranger (comptes bancaires, sociétés, patrimoine immobilier) représente la principale problématique.

Part des dossiers d’Atteinte aux Finances Publiques
dans les dossiers du PNF depuis 2015

 

Principales problématiques visées par les dossiers d’Atteinte
aux Finances Publiques au 30 septembre 2022

Chiffres au 30 septembre 2022.

Source : Documents transmis par le PNF à la rapporteure spéciale.

Ces évolutions traduisent l’ampleur prise par le phénomène d’évasion fiscale.

b.   La BNRDF, un service de la police judiciaire doté d’officiers fiscaux judiciaires

La Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) est un service d'enquêtes placé au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Créée en 2010 ([30]), elle a pour mission de rechercher et de constater, à la demande du parquet, les infractions énumérées à l’article L. 28‑2 du code de procédure pénale (fraudes fiscales complexes, montages financiers sophistiqués, domiciliations fiscales fictives, et blanchiment de ces infractions), sur l’ensemble du territoire national.

La BNRDF travaille principalement avec le PNF : sur les 138 affaires en cours, 87 sont traitées avec le PNF, 24 avec le tribunal judiciaire de Paris et le reste avec les tribunaux judiciaires de province.

Fortement interministérielle, la BNRDF est aujourd’hui composée de 45 personnes : 24 officiers fiscaux judiciaires (OFJ) et 21 officiers de police judiciaire (OPJ), qui apportent respectivement des compétences en matière fiscale et comptable et en matière de techniques d’investigation judiciaire. La BNRDF peut de plus faire appel à d’autres services de police ou de gendarmerie en vue de bénéficier de leur soutien opérationnel (sécurisation d’un périmètre, enquête de voisinage, unités cynophiles, police technique et scientifique, BRI…), mais aussi à des formes de coopération policière (Europol, Interpol, Schengen, équipes communes d’enquête…).

Les officiers fiscaux judiciaires

Les officiers fiscaux judiciaires (OFJ) sont une catégorie d’agents publics créée, à la suite de la crise financière de 2008, par la loi de finances rectificative pour 2009 du 30 décembre 2009 ([31]).

Les OFJ sont des agents des services fiscaux habilités à effectuer des enquêtes judiciaires. Contrairement aux officiers de police judiciaire, les OFJ ont une compétence limitée à certaines infractions fiscales. Les OFJ peuvent également rechercher et constater les délits qui leur sont connexes.

Dans le cadre de l’exercice de leur mission, les OFJ mettent en œuvre des prérogatives de police judiciaire. À cet effet, ils effectuent personnellement à l’occasion de leurs enquêtes les actes de procédure et réalisent les opérations matérielles permises par le code de procédure pénale (filatures, surveillances, auditions, perquisitions, interpellations, gardes-à-vue, écoutes téléphoniques, sonorisations).

Les OFJ effectuent des enquêtes judiciaires sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction. Ils ne disposent pas de pouvoir d’enquête à leur initiative.

Avec la création du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) en 2019, il existe désormais deux services spécialisés en matière de fraude fiscale complexe (cf. infra). Le SEJF n’étant composé que d’officiers des douanes judiciaires et d’officiers fiscaux judiciaires, la BNRDF intervient prioritairement sur les affaires à fort potentiel pénal dans lesquelles la fraude fiscale est mêlée à d’autres infractions (corruption, escroquerie, crime organisé…).

Depuis 2010, la BNRDF a traité et clôturé 317 affaires, sur les 455 ouvertes. Toutes ont donné lieu à une réponse pénale : procès devant le tribunal correctionnel, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), pour les personnes physiques ou convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) pour les personnes morales. En 12 ans, la BNRDF a saisi près de 233 millions d’euros d’avoir criminels. Au 8 mars 2021, sur 138 enquêtes terminées et contrôlée par la Direction nationale des vérifications de situation fiscale, plus de 400 millions d’euros de droits et pénalités avaient été notifiés par cette seule direction ([32]).

c.   Le SEJF, un service des ministères économiques et financiers à la main du ministère de la justice

Créé par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude ([33]) et ouvert le 1er juillet 2019, le SEJF est un service à compétence nationale d’enquêtes judiciaires en matière fiscale et douanière, rattaché à la DGFiP et à la DGDDI et dirigé par un magistrat judiciaire. Le SEJF est compétent pour rechercher les infractions définies aux articles 28‑1 et 28‑2 du code de procédure pénale (infractions douanières et infractions fiscales complexes).

Il regroupe à ce jour 239 officiers de douane judiciaire (ODJ) issus de l’ancien service national de douane judiciaire (SNDJ) et 40 officiers fiscaux judiciaires (OFJ) affectés par la DGFiP.

L’intérêt du SEJF consiste à regrouper ainsi dans un même service, au sein du ministère du budget, des ODJ et des OFJ de culture proche, qui disposent d’un haut degré de technicité pour enquêter sur des infractions économiques, financières, douanières et fiscales le plus souvent complexes et aux enjeux financiers importants.

Sur réquisition du parquet ou commission rogatoire du juge d’instruction, les OFJ du SEJF sont plus spécialement chargés de la recherche et de la constatation, sur l’ensemble du territoire, du délit de fraude fiscale « complexe » (fraude réalisée dans des paradis fiscaux, fraude recourant au faux ou à la falsification, fraude utilisant les domiciliations fiscales fictives ou artificielles, fraude recourant aux manœuvres destinées à égarer l’administration), afin de permettre l’établissement de l’impôt éludé et la condamnation des auteurs. Ils sont également compétents pour rechercher et constater les délits connexes, et mettent en œuvre des prérogatives de police judiciaire à l’occasion de leurs enquêtes. Près de 75 % des dossiers traités par le SEJF relèvent d’un parquet spécialisé, avec une prépondérance du PNF.

Répartition des dossiers par parquet

Parquet compétent

Nombre d’affaires en cours

Nombre d’affaires terminées

Total

%

PNF

105

9

114

68

JIRS de Paris

7

0

7

4

TJ de Paris et d’île de France

20

2

22

13

JIRS territoriales

3

2

5

3

TJ territoires

17

3

20

12

Total

152

16

168

 

Source : Assemblée nationale, commission des finances, à partir des documents transmis par le SEJF à la rapporteure spéciale.


Le SEJF est un service mobilisé de manière croissante. De 27 saisines en 2019, dont 18 pour présomption de fraude fiscale, il est passé à 69 saisines en 2021, en provenance de divers parquets (au premier chef desquels le PNF). Fin septembre 2022 le nombre de saisines a encore augmenté de 15 % par rapport à septembre 2021. Concernant les plaintes en présomption de fraude fiscale aggravée, les enjeux financiers sont, pour les affaires terminées en 2021 et 2022, en moyenne par dossier, d’environ 650 000 euros en droits (estimation du service) et pour les saisies confiscatoires, d’environ 250 000 euros.

Le SEJF a ainsi réalisé depuis sa mise en service près de 58 millions d’euros de saisies.

Montant des saisies par le SEJF

(en milliers d’euros)

Année

Montant des saisies réalisées

Total

Plainte en présomption de la DGFiP
(art. L 228 II du LPF)

Autres

2019

220,6

0

220,6

2020

1 424,6

0

1 424,6

2021

6 670,9

32 049,3

38 820,2

2022

12 050,4

5 570,9

17 621,4

Total

20 366,5

37 620,2

57 986,8

Source : Assemblée nationale, commission des finances, à partir des documents transmis par le SEJF à la rapporteure spéciale.

3.   TRACFIN, un service de renseignement chargé notamment de lutter contre la fraude

TRACFIN est un service de renseignement créé par décret du 9 mai 1990 ([34])  placé sous l’autorité du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Il concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

TRACFIN est à la fois :

– La cellule de renseignement financier (CRF) française, au sens du groupe d’action financière (GAFI) ([35]), des directives européennes et du code monétaire et financier (CMF). Il est dans ce cadre chargé de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) ;

– L’un des services spécialisés de renseignement de la communauté dite du premier cercle, visés à l’article R. 811-1 du code de la sécurité intérieure.

Ses trois missions prioritaires sont la lutte contre la criminalité économique et financière, la lutte contre la fraude aux finances publiques et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation

Dans le cadre de ses missions, TRACFIN recueille, analyse, enrichit et exploite tous renseignements propres à établir l’origine ou la destination délictueuse d’une opération financière. Ces renseignements proviennent des déclarations qu’environ 200 000 professionnels assujettis ([36]) sont tenus, par la loi, de lui fournir, ou d’informations transmises par les administrations partenaires et les cellules de renseignements financiers étrangères. TRACFIN n’est en revanche pas habilité à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers.

Afin d’effectuer son travail d’enrichissement, et de reconstituer les transactions réalisées par une personne ou une société ayant fait l’objet d’un signalement, TRACFIN dispose de plusieurs prérogatives :

– un droit de communication, lui permettant d’obtenir des pièces utiles à son enquête, auprès de professionnels déclarants (article L. 561-25 du CMF) ainsi qu’auprès des pouvoirs publics (article L. 561-27 du CMF) ;

– un droit d’opposition à une opération financière qui n’a pas encore été réalisée (article L. 561-24 du CMF).

TRACFIN transmet le résultat de ses investigations à l’autorité judiciaire, aux administrations partenaires, en particulier au sein des ministères économiques et financiers, des services de renseignement et de ses homologues étrangers.

Au 31 décembre 2021, TRACFIN disposait de 196 agents, un chiffre en constante augmentation depuis 2010, en provenance majoritairement de la DGFiP ou de la DGDDI.

Source : TRACFIN, Rapport d’activité et d’analyse 2021.

 

 

Source : TRACFIN, Rapport d’activité et d’analyse 2021.

TRACFIN est particulièrement actif dans la lutte contre les circuits d’évasion fiscale complexe à l’échelle internationale. Dans la plupart des dossiers traités, le service constate le recours à des structures intermédiaires domiciliées dans des paradis fiscaux utilisées pour dissimuler l’identité des bénéficiaires effectifs. En 2021, TRACFIN a effectué 72 transmissions à la DGFiP portant sur de potentiels cas de fraude fiscale internationale. L’enjeu financier total de ces dossiers s’élève à 205 millions d’euros, soit une moyenne de 2,8 millions d’euros par dossier. Le montant total des enjeux financiers a été multiplié par plus de deux en 2021 par rapport à 2020 (205 millions d’euros contre 100,6 millions d’euros pour 109 transmissions), confirmant la montée en gamme des investigations de TRACFIN lors de l’année 2021 quant aux enjeux financiers identifiés.

B.   Un échelon interministériel propre renforcé par la création de la MICAF

Le dispositif interministériel de lutte contre la fraude a été profondément modifié par le décret n° 2020-872 du 15 juillet 2020 qui remplace la délégation nationale à la lutte contre la fraude par une nouvelle Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF) ([37]).

La logique poursuivie est celle d’un partage opérationnel de renseignements et d’une définition d’actions communes entre les différents ministères, les organismes de protection sociale et l’institution judiciaire. Il s’agit aussi d’impulser les adaptations juridiques ou technologiques indispensables à une meilleure détection et une meilleure sanction de ces phénomènes de fraude. La MICAF pilote les groupes opérationnels nationaux anti-fraude (GONAF), groupes thématiques qui réunissent les principaux acteurs concernés, ainsi que les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), qui permettent d’organiser des contrôles ciblés et coordonnés et des échanges de renseignements. Elle coopère également avec les instances européennes.

Les missions de la MICAF

Au niveau européen, la MICAF doit faciliter la coopération avec les instances européennes chargées de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, notamment avec l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) et le Parquet européen. Au plan opérationnel, elle joue désormais un rôle clef dans le traitement des droits de communication exercés en France par l’OLAF. Elle a aussi pour mission de préparer une stratégie nationale anti-fraude aux intérêts financiers de l’Union européenne et d’en suivre la mise en œuvre.

Au niveau national, la MICAF pilote, avec des directions chef de file, des groupes opérationnels nationaux anti-fraude (GONAF) autour d’enjeux prioritaires :

– la lutte contre la fraude à la TVA, la contrefaçon, les trafics de tabac, les fraudes fiscales et sociales commises via l’e-commerce ou des sociétés éphémères, le travail illégal et la fraude fiscale connexe, la fraude documentaire et à l’identité, la fraude à la résidence ;

– l’adaptation des moyens d’enquête aux enjeux du numérique ;

– la recherche d’un meilleur recouvrement des créances en matière de fraude aux finances publiques.

Ces groupes réunissent l’ensemble des partenaires concernés par les fraudes à forts enjeux au sein des administrations des ministères de l’économie, des finances, de la justice, de l’intérieur, des solidarités et de la santé, du travail, des organismes de protection sociale ainsi que des services d’enquêtes administratifs et judiciaires.

Outre la mise en place de nouvelles articulations opérationnelles, la MICAF peut aussi favoriser de nouvelles synergies en étant force d’initiative et de proposition en vue d’une lutte contre la fraude plus efficace.

À titre d’exemple, une convention DGFiP, DACG, DGGN, DGPN a été élaborée pour un meilleur recouvrement des amendes via la saisie des sommes en espèce dans le cadre des gardes à vue. D’autres travaux sont par ailleurs en cours, comme la rédaction d’un guide interministériel de détection des sociétés éphémères à destination des agents de terrain, l’organisation de travaux interministériels pour permettre des accès croisés aux bases de données entre partenaires et favoriser la dématérialisation des réquisitions et droits de communication bancaire, l’élaboration d’un protocole d’échanges d’informations entre les OPS et le ministère de l’intérieur pour une meilleure détection de la fraude documentaire.

Au niveau local, la MICAF assure la coordination des Comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) dont la composition a été modifiée par arrêté du 12 octobre 2020. Elle fait, à ce titre, l’interface entre les problématiques abordées au sein des GONAF et celles rencontrées par les partenaires locaux. Co-présidés par les préfets et procureurs de la République, les CODAF permettent d’organiser des contrôles ciblés et coordonnés et des échanges de renseignements. La circulaire du Premier ministre n° 6263/SG en date du 27 avril 2021 fixe leurs actions prioritaires pour les années à venir.


C.   Aller plus loin en mettant en place une direction interministérielle de lutte contre l’évasion fiscale

La lutte contre l’évasion fiscale mobilisant des services de ministères différents et devant être une véritable priorité politique, la rapporteure spéciale propose la création d’une direction interministérielle de lutte contre l’évasion fiscale. Un amendement d’appel en ce sens a été déposé en commission des finances et en séance publique.

Cette direction interministérielle pourrait s’appuyer sur des crédits qui figureraient dans une mission budgétaire propre, dont la rapporteure spéciale recommande la création (cf. infra III. A).

Recommandation  6 : Mettre en place une direction interministérielle de la lutte contre l’évasion fiscale associant les ministères des finances, de l’intérieur et de la justice.

III.   Les moyens alloués à la lutte contre l’évasion fiscale : une présentation incomplète et un niveau insuffisant

A.   Les crédits budgétaireS consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale

Aucun document budgétaire ne permet aujourd’hui aux parlementaires de disposer d’une vision claire et consolidée de l’ensemble des crédits alloués à la lutte contre l’évasion fiscale. Le document de politique transversale, dit « orange budgétaire » Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales, qui est prévu par le 21°du I de l’article 128 de la loi du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, a été prévu par l’article 7 de la loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2016. Il s’agissait à l’origine d’un document relatif à la « lutte contre l’évasion et la fraude fiscales », avant que son champ soit élargi aux cotisations sociales par la loi de finances pour 2019. Mais ce document qui est annexé chaque année au projet de loi de finances manque de précision.

Pour évaluer les crédits consacrés à cette politique transversale de lutte contre la fraude fiscale, le document de politique transversale fait figurer les crédits des actions 1 Fiscalité des grandes entreprises, 2 Fiscalité des PME et 3 Fiscalité des particuliers et fiscalité directe locale du programme 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local de la mission Gestion des finances publiques, auxquels sont ajoutés des crédits du programme 302, Surveillance douanières des flux de personnes et de marchandises et lutte contre la grande fraude douanière.


Évolution des Crédits consacrés À la lutte
contre la fraude fiscale en PLF 2022-2023

(en millions d’euros)

Numéro et intitulé du programme ou du PSR ou de l’action

2022 (LFI + LFR)

2023

P. 156 Gestion fiscale et financière de l’État et du secteur public local

841,55

932,26

Action 1 Fiscalité des grandes entreprises

83, 97

78,96

Action 2 Fiscalité des PME

448,5

563,31

Action 3 Fiscalité des particuliers et fiscalité directe locale

309,08

289,98

P. 302 Facilitation et sécurisation des échanges

1 564,92

1 602,52

Action 1 Surveillance douanière des flux de personnes et de marchandise et lutte contre la grande fraude douanière

20,8

29,73

Action 3 Préservation de la sécurité et de la sûreté de l’espace national et européen

32,9

40,65

Action 4 Promotion de la sécurité et de la sûreté de l’espace national et européen

15,84

12,09

Action 5 Fiscalité douanière, énergétique et environnementale

8,10

8,45

Action 6 Soutien des services opérationnels

198,87

180,21

Action 8 Soutien au réseau des débitants de tabac

79,83

64,86

Action 98 Personnel du programme à reventiler *

1 232,72

1 266,53

Total

2 406,47

2 534,78

* Il ne s’agit pas à proprement parler d’une action du programme 302, mais cette ligne budgétaire figure dans le document de politique transversale.

Source : Document de politique transversale Lutte contre l'évasion fiscale et la fraude en matière d'impositions de toutes

natures et de cotisations sociales annexé au PLF 2023.

Les sommes consacrées par le programme 156 à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales figurant dans le tableau ci-dessus comprennent les dépenses de personnel (titre 2) et autres que de personnel (hors-titre 2) liées directement à l’activité de contrôle fiscal.

Ainsi, le document de politique transversale est incomplet à deux titres :

– en premier lieu parce que la présentation des crédits des programmes manque de précision. L’explication des crédits du programme 156 figurant dans le DPT ([38]), par exemple, se borne à une présentation du programme 156, des grandes réformes conduites par la DGFiP ou de la modernisation de ses missions. Si ces informations sont bien sûr intéressantes, il n’en reste pas moins qu’elles ne permettent pas aux parlementaires et aux citoyens de comprendre le budget alloué à la lutte contre l’évasion fiscale. Le DPT devrait ainsi a minima présenter les différents acteurs et services financés par ces crédits (les différents services de la DGFiP et leur rôle précis, TRACFIN etc.) et la ventilation du budget entre eux ; la ventilation du budget entre les personnels ; le budget finançant les différentes réformes techniques et organisationnelles conduites etc. ;

– en deuxième lieu parce que les différents acteurs et services concourant à la lutte contre l’évasion fiscale sont parfois financés par certains programmes qui ne figurent pas dans le DPT. On peut citer par exemple :

Une présentation claire du budget alloué à la lutte contre l’évasion fiscale est un préalable indispensable à toute discussion sérieuse sur le sujet. De ce fait, la rapporteure spéciale recommande qu’a minima, le document de politique transversale soit enrichi afin de donner une vision claire et exhaustive des moyens mis en œuvre pour lutter contre l’évasion fiscale.

À cet effet, le document de politique transversale pourrait être utilement complété par une cartographie de l’ensemble des acteurs participant à la lutte contre l’évasion fiscale, leur rôle et les relations entre eux, le budget qui leur est alloué et le programme portant ce budget.

Recommandation  7 : Enrichir le document de politique transversale Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’impositions de toutes natures et de cotisations sociales afin d’avoir une vision claire et exhaustive des moyens consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale.

Plus encore, afin de permettre aux parlementaires d’avoir un vrai moment de discussion consacré à la lutte contre l’évasion fiscale durant l’examen du budget, la rapporteure spéciale recommande de réfléchir à la création d’une mission budgétaire Lutte contre l’évasion fiscale. Rappelons que la LOLF dispose qu’une mission budgétaire est créée à l’initiative du Gouvernement, peut être interministérielle, et regroupe un ensemble de programme concourant à une même politique publique (un programme, au sens de la LOLF, relevant d’un seul ministère et regroupant un ensemble cohérent d’actions).

 

Recommandation  8 : Créer une mission budgétaire consacrée aux moyens et aux effectifs relatifs à la lutte contre l’évasion fiscale.

B.   Les moyens humains alloués à la lutte contre l’évasion fiscale sont insuffisants

L’insuffisance des moyens humains consacrés par le Gouvernement à la lutte contre l’évasion fiscale apparaît de deux manières : d’une part, les effectifs qui participent effectivement à la lutte contre la fraude fiscale ne sont pas uniquement des effectifs de la DGFiP, d’autre part, au sein de la DGFiP, le nombre d’agents qui travaillent sur cette thématique n’est pas clairement fixé.

1.   Une baisse alarmante des effectifs et la mise en place mal avisée de nouvelles technologies

a.   Des effectifs insuffisants et en baisse, notamment au sein de la DGFiP

i.   L’importante baisse des effectifs au sein de la DGFiP

Ainsi que l’a rappelé la DGFiP à la rapporteure spéciale, les moyens et les effectifs s’analysent au niveau de l’entité administrative qu’est la DGFiP dans son ensemble. Il est dès lors complexe de décompter avec précision les effectifs consacrés à la lutte contre l’évasion fiscale, cette difficulté étant accentuée par le fait que certains agents ne consacrent qu’une quotité de leur temps de travail à cette thématique.

Depuis 20 ans, la DGFiP est l’administration qui connaît les plus importantes baisses d’effectifs. Selon les chiffres communiqués par la DGFiP à la rapporteure spéciale lors de son audition, les effectifs de la DGFiP s’élèveraient aujourd’hui à près de 97 000 (dont un peu plus de 91 000 effectifs réels payés) contre plus de 140 000 en 1999. Le directeur adjoint de la DGFiP a indiqué à la rapporteure spéciale lors de son audition qu’on observait depuis 2013 une « quasi-stabilité des moyens sur le contrôle fiscal » - et que la baisse des effectifs était davantage liée à la suppression de certains postes qui n’étaient pas consacrés à 100 % à cette question.

Un décompte opéré par la DGFiP permet cependant de constater la très forte baisse des effectifs consacrés au contrôle fiscal ces dernières années – une diminution en phase avec la baisse globale des effectifs de la DGFiP.

 

 

Recensement fonctionnel des effectifs 2017-2021

 

2017

2018

2019

2020

2021

Effectifs contrôle fiscal

11 924

11 387

11 109

10 899

10 373

Effectifs réels payés DGFiP (en ETP) au 31 décembre

100 598,3

98 593,4

96 348,7

94 044,5

91 487,7

Source : Réponses au questionnaire budgétaire adressé par la rapporteure spéciale.

La baisse des effectifs à Paris

Entre 2020 et 2022, le nombre de brigades de vérification à Paris est passé de 47 à 32.

La DIRCOFI d’Ile-de-France est passée de 475 agents à 450 entre 2018 et 2022. En prenant en compte les vacances de postes, on ne compte en son sein que 413 emplois réels.

Cette baisse d’effectifs peut se justifier en partie par certaines évolutions législatives : la mise en place du prélèvement à la source par exemple, ou encore la modification de la première tranche d’impôts sur le revenu, qui a fait sortir de nombreux contribuables du champ de cet impôt, ou encore la suppression de la taxe d’habitation.

La DGFiP donne également d’autres éléments d’explications, comme le recours croissant à l’intelligence artificielle ou la mise en place d’une logique d’accompagnement en amont des entreprises – des éléments qui ne convainquent cependant pas la rapporteure spéciale (cf. infra).

Cette baisse massive des effectifs consacrés au contrôle fiscal, en plus de constituer une diminution des forces vives luttant contre la fraude, complique sensiblement le travail des vérificateurs et des enquêteurs restants. Entendus par la rapporteure spéciale, les différents syndicats des finances publiques ont expliqué qu’ils devaient désormais effectuer des missions qui étaient auparavant effectuées par d’autres. Dans les brigades départementales, par exemple, la suppression des effectifs d’appui (agents de catégorie C et D) conduit les enquêteurs à effectuer des tâches chronophages de secrétariat en plus de leur mission de contrôle fiscal. Les brigades dont les effectifs baissent ont ainsi de moins en moins de temps pour aller effectivement effectuer leur mission sur le terrain.

La Cour des comptes relevait ainsi dans son rapport de 2019 la très forte baisse des contrôles sur place. Les vérifications de comptabilité (c’est-à-dire le contrôle sur place des professionnels) ont baissé de 20 % entre 2013 et 2018 ; et le nombre de contrôle sur place des particuliers a baissé de 25 % sur la même période.

Évolution du nombre de contrôles sur place entre 2013 et 2018

Source : Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », 2019.

Comme l’ont rappelé les ONG Attac et OXFAM lors de leur audition, la priorité doit aujourd’hui être donnée aux moyens humains – et non aux innovations technologiques comme le datamining. La rapporteure spéciale invite fortement le Gouvernement à cesser ces suppressions de postes et à doter la DGFiP des effectifs dont elle a besoin pour mener une réelle politique de lutte contre l’évasion fiscale. À cet effet, la rapporteure spéciale a déposé deux amendements en commission des finances et en séance publique.

 

Recommandation  9 : Faire un moratoire sur les suppressions de poste dans le contrôle fiscal et planifier l’embauche de 3 900 agents d’ici à 2027.

 

Recommandation  10 : Instaurer une concertation avec les syndicats de la DGFiP sur le renforcement de la formation, notamment la formation initiale, des agents du contrôle fiscal.

À noter également que pour pallier cette baisse, les services de la DGFiP ont recours de manière accrue aux contractuels, une situation qui pose, entre autres, un problème déontologique. Même s’ils sont bien sûr soumis à des obligations déontologiques, les agents contractuels ne sont pas sujets au statut ; et leur accès à des informations sensibles (informations de contentieux, ou de datamining) peut légitimement interroger.

Les agents sont de plus en plus soumis à des règles contreproductives, comme celle qui les oblige à changer de poste au bout de cinq ans ; alors même qu’une certaine durée en poste est nécessaire pour acquérir une vraie compétence spécialisée sur un sujet. Cette règle de mouvement concerne tous les vérificateurs et les enquêteurs. Les anciens agents, qui forment les nouveaux arrivants, sont ainsi obligés de partir. Cette situation est d’autant plus problématique que de nouveaux supports de fraude comme les crypto monnaies se développent, nécessitant une vraie compétence particulière ; ce que les jeunes recrues n’ont pas, ou peu.

Recommandation  11 : Pérenniser des agents sur leurs postes et titulariser des contractuels afin de ne pas perdre les qualifications et l’expertise à cause du turn over interne ou externe.

ii.   L’insuffisance de personnel dans les autres services chargés de la lutte contre l’évasion fiscale

Outre les services de la DGFiP, les autres organes qui participent à la lutte contre l’évasion fiscale manquent d’effectifs.

Le SEJF, dont l’allocation de moyens généraux dépend de la DGDDI ([39]), a besoin de 16 ETP supplémentaires sur des postes d’enquêteurs, pour passer de 34 à 50. Si la BNRDF est également sous tension, elle a surtout fait part à la rapporteure spéciale de son besoin d’effectifs techniques spécialisés pour pouvoir apporter une réponse à des nouveaux sujets complexes, comme le forensic numérique, c’est-à-dire la recherche de preuves numériques.

Avec près de 200 agents seulement, la cellule TRACFIN ne dispose pas aujourd’hui d’un nombre d’ETP suffisants pour faire faire face à la hausse des déclarations de soupçon (+ 43 % depuis 2020, (cf. supra II. A. 2. b) et des demandes des administrations partenaires. La trajectoire haussière de 10 % d’ETP promise durant le quinquennat 2022‑2027 apparaît très insuffisante.

Le PNF dispose d’un effectif de 40 personnes dont 18 magistrats, alors même que l’étude d’impact préalable à la création de ce parquet préconisait un minimum de 22 magistrats. Deux postes seulement doivent être créées en 2023, pour un total de 20 magistrats ; un chiffre encore inférieur à ce qui était recommandé. La rapporteure spéciale considère par ailleurs que le nombre de 22 magistrats doit être revu à la hausse afin de tenir compte de la croissance très rapide de l’activité du PNF. Les magistrats, qui travaillent toujours en binôme, traitent en moyenne 80 à 90 dossiers chacun ; chaque dossier étant particulièrement complexe.

Afin d’assister les magistrats, la création de postes d’assistants spécialisés est également impérative. Ces juristes de haut niveau sont une aide indispensable. La satisfaction de besoins spécifiques, comme un analyste informatique, est également souhaitable.

Il est donc impératif d’évaluer correctement les besoins humains tant quantitatifs que qualitatifs de ces services spécialisés qui jouent un rôle crucial dans la lutte contre l’évasion fiscale.

Recommandation  12 : Conduire une évaluation quantitative et qualitative des besoins humains de la BNRDF, du SEJF, de TRACFIN et du PNF.

 

Recommandation  13 : Mettre en place de services décentralisés de la BNRDF, du SEJF et de TRACFIN en région pour traiter les dénonciations obligatoires de fraude fiscale

 

Recommandation  14 : Évaluer les moyens et les besoins techniques de ces différents services dans la « course à l’armement » face aux fraudeurs et planifier des investissements nécessaires à la suite de cette évaluation.

b.   Le recours accru à l’intelligence artificiel ne saurait remplacer les effectifs humains

La DGFiP s’est dotée en 2014 d’une cellule de datamining destinée au ciblage et à la valorisation des enquêtes. L’intelligence artificielle (IA) et le datamining sont présentés par la DGFiP comme un réel progrès, permettant de mieux repérer les situations frauduleuses, et, partant, de réaliser des gains de productivité rendant moins nécessaires les effectifs humains. Lors de son audition, la DGFiP s’est ainsi félicitée de cibler la moitié de ses contrôles grâce à l’intelligence artificielle avant la fin de l’année 2022.

L’indicateur 1.1 « Efficacité de la lutte contre la fraude fiscale » du programme 156 figurant dans le projet annuel de performance fait ainsi apparaître une ligne « Part des contrôles ciblés par intelligence artificielle et data mining », avec une cible de 50 % en 2022 – un niveau qui doit rester constant jusqu’en 2025.

Cependant, si l’utilisation des nouvelles technologies au service de la lutte contre l’évasion fiscale est dans l’absolu une bonne chose, elle ne peut constituer une fin en soi. L’utilisation de l’IA en elle-même n’a pas grande signification ; elle doit être mise au regard des résultats obtenus. Or, ces derniers ne sont pas particulièrement bons.

Dans son rapport de 2019, la Cour des comptes relève ainsi que la stratégie de diversification des moyens d’action opérée par la DGFiP « aurait dû se traduire par un meilleur ciblage des contrôles et une réduction du nombre d’affaires à faible rendement et d’affaires conformes. » ([40]). La Cour note cependant qu’un résultat inverse a été enregistré, « puisque la baisse du nombre de contrôles sur place s’est accompagnée d’une hausse du nombre d’affaires à faible rendement et d’affaires conformes. »

Évolution du nombre d’affaires à faible rendement
et d’affaires conformes entre 2016 et 2018

 

2016

2017

2018

Nombre d’affaires à faible rendement

12 381

12 392

12 959

Taux d’affaires à faible rendement

25,4 %

25,9 %

26,8 %

Nombre de conformes

7 128

7 409

8 048

Taux de conformes

14,6 %

15,5 %

16,6 %

Source : Cour des comptes, « La fraude aux prélèvements obligatoires », 2019.

L’IA est un outil intéressant et prometteur pour lutter contre l’évasion fiscale. La rapporteure spéciale recommande de poursuivre les investissements pour le rendre plus performant. Afin de l’utiliser pleinement, un service spécifique à l’étude des schémas de fraude et d’optimisation agressive pourrait être créé au sein de la DGFiP, afin d’alimenter en données cet outil.

Recommandation  15 : Créer un service d’expertise dédié à l’étude des schémas de fraude et d’optimisation agressive au sein de la DGFiP qui informerait les agents du contrôle fiscal sur les dernières innovations des fraudeurs et alimenterait les paramètres du datamining et de l’IA.

Cela étant dit, la rapporteure spéciale souligne que cette technologie ne remplacera pas un cerveau humain, une confrontation de déclarations spontanées d’une entreprise avec la réalité sur le terrain. Anticiper des suppressions d’emplois du fait de cet outil apparaît risqué. Si poursuivre l’investissement dans cette technologie est souhaitable, la rapporteure spéciale affirme qu’elle n’est pas une raison suffisante pour poursuivre la réduction des personnels du contrôle fiscal.

2.   Des difficultés de recrutement du fait de la concurrence avec le secteur privé

Le service public de la lutte contre l’évasion fiscale fait face à une forte concurrence du secteur privé ; les profils qu’il cherche à recruter étant également la cible d’entreprises privées, notamment les banques et les cabinets d’avocat, qui sont en mesure d’offrir une rémunération bien plus importante, notamment à partir d’un certain niveau d’ancienneté. Cette situation pénalise notamment les services spécialisés, comme TRACFIN.

La rapporteure spéciale souligne dès lors la nécessité de réfléchir à une évolution des modalités de rémunération des agents qui travailleraient dans ces services. En particulier, ces services pourraient bénéficier d’une flexibilité accrue pour fixer un niveau de prime.

Recommandation  16 : Mettre en place de possibilités encadrées de dérogations aux grilles salariales de la fonction publique dans ces différents services pour attirer des profils à haute compétence dans le domaine fiscal, juridique et informatique.

C.   une insuffisance de moyens qui se manifeste À travers Des résultats du contrôle fiscal en baisse sur le long terme

Les résultats du contrôle fiscal accusent une nette baisse depuis 10 ans, en dépit du rebond observé en 2021. Si les faibles chiffres de l’année 2020 peuvent s’expliquer par la crise sanitaire que traversait alors le pays, les droits notifiés ont connu une baisse continue entre 2015 et 2019, passant de 21,2 milliards à 13,9 milliards d’euros

Les résultats sont également très mitigés s’agissant des sommes effectivement recouvrées, que l’utilisation de nouvelles technologies n’a pas fait croître significativement. 10,7 milliards d’euros ont ainsi été encaissés en 2021 contre 12,2 milliards d’euros en 2013.

Évolution des résultats du contrôle fiscal depuis 2012 ([41])

(en milliards d’euros)

Source : Assemblée nationale, commission des finances, à partir des rapports d’activités de la DGFiP 2017 à 2021, du rapport d’information Sénat n° 668 du 22 juillet 2020 sur les moyens du contrôle fiscal (MM. Claude Nougein et Thierry Carcenac, rapporteurs) et du rapport d’information du Sénat relatif à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, octobre 2022 (M. Jean‑François Husson, rapporteur, M. Claude Raynal, président).

IV.   De récentes évolutions législatives qui conduisent à une perte de sens du contrôle fiscal

A.   Lors de la phase administrative, le développement d’une logique d’accompagnement des entreprises en amont qui doit être limitée

La mission de contrôle fiscal de la DGFiP a vocation à appréhender l’ensemble des manquements à la législation fiscale, qu’ils soient délibérés ou non. Si une partie de l’activité de contrôle est tournée vers la lutte contre la fraude, c’est-à-dire de manquements délibérés à la loi, une part substantielle des contrôles conduits par les agents de la DGFiP vise à corriger des erreurs commises de bonne foi.

L’adoption de la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite « ESSOC », et celle de la loi de lutte contre la fraude en 2018 ont consacré cette distinction entre, d’une part, la régularisation de l’erreur commise par le contribuable de bonne foi et, d’autre part, la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale.

1.   Le développement d’une logique préventive et partenariale

L’administration fiscale a réaffirmé sa volonté de mieux accompagner le contribuable de bonne foi.

Cela passe en premier lieu par le développement d’une démarche de prévention et de sécurité juridique, qui est au cœur du plan « Améliorer les relations entre l’administration fiscale et les entreprises » de la DGFiP. Fondée sur une meilleure information des contribuables sur les risques encourus lorsqu’ils utilisent certains montages, cette démarche a par exemple conduit à publier sur le site de la DGFiP 24 fiches (à ce jour) recensant les montages abusifs caractéristiques de ce que les services de contrôle peuvent rencontrer, en matière d’IR, d’IFI, de droits de mutation à titre gratuit, d’IS ou encore de TVA (à titre d’exemple, la fiche sur les montages visant à dissimuler la détention d’avoirs à l’étranger figure en annexe du présent rapport).

Le meilleur accompagnement du contribuable passe également par la procédure du rescrit fiscal, c’est-à-dire la possibilité pour ce dernier de saisir l’administration fiscale en amont d’une opération pour obtenir une prise de position formelle sur une situation précise. La procédure de rescrit fiscale et d’accord préalable en matière de prix de transfert, par exemple, permet au contribuable de s’assurer qu’il n’agira pas dans le cadre d’un montage fiscal abusif.

Cela passe en deuxième lieu par le développement d’une logique partenariale et d’accompagnement entre administration et contribuables. C’est l’objectif principal de la loi pour un État au service d’une société de confiance dite « ESSOC » du 10 août 2018 ([42]) : créer une « nouvelle relation de confiance » avec le contribuable.

La loi ESSOC a ainsi généralisé ([43]) le droit pour les usagers de bonne foi de se mettre en conformité avec leurs obligations déclaratives sans faire l’objet d’une sanction pécuniaire, communément appelé « droit à l’erreur ».

En matière fiscale, la possibilité est ainsi notamment donnée aux contribuables de régulariser leur situation en cours de contrôle. L’article L. 62 du LPF permet aux contribuables de régulariser les erreurs, inexactitudes, omissions ou insuffisances relevées dans leurs déclarations lors d’un contrôle fiscal ([44]) et de bénéficier d’un intérêt de retard réduit. La déclaration de régularisation vaut reconnaissance par le contribuable des erreurs ou anomalies relevées et les droits et les intérêts de retard qu’elle contient sont définitivement établis. Le contribuable s’engage ainsi à verser l’intégralité des droits et de l’intérêt de retard au taux réduit à la date limite prévue ([45]).

Pour les entreprises en particulier, la loi ESSOC a créé le service de mise en conformité fiscale (SMEC). Mis en œuvre par une circulaire du 28 janvier 2019, dont le champ a été récemment étendu par instruction du 8 mars 2021, le SMEC permet à une entreprise ou à son dirigeant de mettre spontanément en conformité sa situation fiscale au travers d’une démarche simplifiée. En 2021, 104 dossiers ont ainsi été déposés, contre 70 en 2020, dont 53 ont abouti à la mise en recouvrement de plus de 17 millions d’euros de droits et pénalités (contre 4 millions en 2020) ([46]).

La possibilité de régularisation spontanée :
les précédents de la cellule de 2009 et du STDR

Dans le contexte de la révélation des « listes HSBC », a été créée une première « cellule de régularisation » pour un laps de temps relativement court en 2009. Elle avait permis d’encaisser des recettes fiscales d’un montant de 1,2 milliard d’euros.

Mis en place après l’affaire dite « Cahuzac », le dispositif de régularisation des avoirs non déclarés à l’étranger a été géré par un service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), entre 2013 et 2017, qui a permis à près de 51 000 contribuables de déposer des demandes de régularisation, pour un total de 32 milliards d’euros d’avoirs régularisés et 8 milliards d’euros de recettes encaissées ([47]).

Dans la continuité de la loi ESSOC, a été créé par un décret de janvier 2021 ([48]) l’examen de conformité fiscale, dont l’objectif est de renforcer la sécurité juridique et fiscale des entreprises. Ces dernières peuvent confier à un prestataire un contrôle préventif sous la forme d’un audit. Ce prestataire peut être un commissaire aux comptes, un expert-comptable, un avocat, une association de gestion et de comptabilité ou un organisme de gestion agréé.

L’examen de conformité fiscale porte sur un exercice fiscal et fait l’objet d’un compte rendu de mission rédigé par le prestataire, qui doit être transmis à la direction générale des finances publiques. Si cela n’exonère bien entendu pas l’entreprise de ses obligations, toutefois, en cas de contrôle entraînant un rappel d’impôt sur un point audité et validé par le prestataire, l’entreprise peut demander le remboursement de la part des honoraires correspondants.

Selon la DGFiP, ces évolutions contribuent d’une part, à un meilleur civisme fiscal et d’autre part, à une atténuation de la sanction pour les contribuables qui ont commis des erreurs sans intention d’éluder l’impôt. Le traitement des dossiers dans le cadre d’un dialogue contradictoire plus apaisé conduit en outre le plus souvent à des rappels d’impôts moins importants, mais mieux recouvrés, comme en atteste le maintien à un niveau équivalent à celui de 2019 du recouvrement des créances après contrôle fiscal en 2021 (10,7 milliards d’euros contre 11 milliards d’euros en 2019 ([49])).

2.   La logique partenariale d’accompagnement ne peut cependant se faire au détriment de la logique répressive du contrôle fiscal

Dans un courrier du 9 mai 2019 adressé aux organisations syndicales, le ministre des comptes publics indiquait que « pour les entreprises, la nouvelle relation de confiance est un axe fort de la transformation d’une direction qui a vocation à se tourner plus encore vers l’accompagnement et le conseil » ([50]). Cette nouvelle direction ne peut cependant conduire à tourner le dos au contrôle fiscal.

Or, la loi ESSOC a, selon la rapporteure spéciale, entériné un glissement de la notion de contrôle à une forme de compliance à la française, où l’administration accompagnerait les entreprises dans l’accomplissement de leurs obligations. La logique n’est plus « d’aller chercher la fraude avec les dents » ; et les garanties offertes aux contribuables sont parfois excessives.

C’est par exemple le cas de la « garantie fiscale » qui résulte de la combinaison des articles L. 49 et L. 80 A du LPF. Cette garantie permet au contribuable de se prévaloir, pour l’avenir, des positions prises par l’administration à l’issue d’un contrôle fiscal externe, y compris sur les points du contrôle n’ayant pas donné lieu à rectification. Autrement dit, l’administration ne peut procéder à aucun rehaussement d’impositions antérieures lorsqu’elle a pris position sur des points, y compris tacitement, au cours d’un précédent contrôle. Cette situation est problématique du point de vue des agents du contrôle fiscal, qui devront parfois opérer un contrôle sur des points alors même qu’aucun rehaussement ne sera in fine possible.

C’est également le cas de la limitation de la durée du contrôle fiscal pour les PME, expérimenté durant quatre ans dans la région des Hauts de France et dans la région Auvergne Rhône Alpes. Introduite à l’article 32 de la loi ESSOC, cette expérimentation prévoit que les opérations de contrôle (fiscal ou social) des entreprises de moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d'euros ne pourront pas excéder une durée cumulée de 9 mois sur une période de 3 ans. L’administration devra en outre informer l’entreprise concernée, à titre indicatif, de la durée de ce contrôle et (avant le terme annoncé), le cas échéant, de sa prolongation. L’exposé des motifs du projet de loi ESSOC justifie cette mesure par le fait que « les contrôles des administrations peuvent peser lourdement sur les entreprises et mobiliser leurs ressources internes au détriment de leur force productive ». Selon la rapporteure spéciale, les agents du contrôle fiscal ne devraient pas être contraints dans leur travail par le fait qu’un contrôle représente une charge pour les entreprises.

Ces évolutions, en plus d’avoir entraîné le redéploiement d’une partie des effectifs du contrôle fiscal au profit de l’accompagnement fiscal des entreprises, ont provoqué une perte de sens et de repère dans le travail des agents. Lors de leur audition, les syndicats des finances publiques ont témoigné de l’impact de ces évolutions sur les agents du contrôle fiscal : un sentiment de « schizophrénie » dans le fait de vouloir accompagner les contribuables et d’en même temps mener un contrôle qui est le pendant de la vérification. Les agents vivent ces évolutions comme un signe de défiance à leur égard, en contrepoint d’une confiance accrue accordée aux entreprises.

La rapporteure spéciale propose ainsi que soit conduite par l’Assemblée nationale une évaluation de la loi ESSOC, et en particulier de son impact sur la dimension dissuasive du contrôle fiscal ainsi que sur le travail des agents du contrôle fiscal.

Recommandation  17 : Évaluer les effets de la loi ESSOC sur la dimension dissuasive du contrôle fiscal et sur le travail des agents du contrôle fiscal.

L’importance prise par la logique partenariale entre l’administration et les contribuables se voit notamment au travers de l’explosion du nombre de transactions fiscales, prévues à l’article L. 247 du LPF, qui conduisent l’administration à appliquer au redevable une atténuation des pénalités encourues.

Évolution du nombre de transactions entre 2019 et 2021

 

 

2019

2020

2021

Transactions après CFE et avant mise en recouvrement*

2 183

1 420

3 082

Transactions après CSP10 et avant mise en recouvrement*

392

544

1 136

Transactions suite à MECF11 et avant mise en recouvrement*

0

4

10

Transactions après mise en recouvrement

1 266

1 094

1 242

Total

3 841

3 062

5 470

* Hors transactions pour lesquelles les pénalités encourues n’ont finalement pas été remises.

Source : Rapport au Parlement Remises et transactions à titre gracieux et règlements d’ensemble en matière fiscale pour l’année 2021, remis en application de l’article L. 251 A du LPF.

En 2021, le nombre de transactions a augmenté de 79 %. Dans plus de 77 % des cas, elles ont été conclues avant mise en recouvrement.

Autre effet de bord, l’extinction rapide des procédures ne favorise pas l’identification par l’administration des nouveaux schémas d’évasion.

Extrait du rapport au Parlement Remises et transactions à titre gracieux et règlements d’ensemble en matière fiscale pour l’année 2021,
remis en application de l’article L. 251 A du LPF.

La transaction, suivant la définition qu’en donne l’article 2044 du code civil, est un contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Elle suppose donc, contrairement à la remise ou modération sur demande gracieuse qui constitue un acte unilatéral d’abandon de créance, des concessions réciproques faites par le créancier et le débiteur sur leurs droits respectifs.

Compte tenu de sa nature propre, la transaction n’a de raison d’être que dans la mesure où elle s’applique à une créance fiscale (impôt ou pénalité) contestée ou encore susceptible de contestation.

Elle ne peut pas conduire à une réduction de l’impôt dû au principal (droit, taxe, prélèvement, redevance, etc.). Elle conduit en revanche l’administration à appliquer au redevable une atténuation des pénalités encourues.

En contrepartie, le contribuable renonce à toute procédure contentieuse – née ou à naître – visant les pénalités ou les droits ; il s’engage à verser au Trésor, à titre de sanction, en sus des droits et des frais éventuellement exigibles, une somme inférieure aux pénalités initialement appliquées. La transaction prend en compte les caractéristiques particulières du comportement du contribuable conformément au principe d’individualisation applicable en matière de sanctions.

Conformément aux dispositions de l’article L. 251 du LPF, après approbation par l’autorité compétente et exécution par le redevable, la transaction est définitive et fait obstacle pour les deux parties – administration et contribuable – à toute introduction ou reprise d’une procédure contentieuse.

B.   Lors de la phase judiciaire, le développement de modes alternatifs de règlement des conflits au service d’une logique exclusive de rendement

Depuis 2018, l’arsenal normatif pour lutter contre la fraude fiscale s’est étoffé, en poursuivant simultanément deux objectifs apparemment contradictoires : la pénalisation accrue de la fraude fiscale et la logique d’accompagnement du contribuable. Si ces deux dimensions sont souhaitables, dans une certaine mesure, la rapporteure spéciale souligne que les possibilités données aux grandes entreprises de régulariser à l’amiable leur situation entraînent une perte de sens et d’effet dissuasif du contrôle fiscal.

1.   Une pénalisation accrue de la fraude fiscale…

Certaines évolutions vont dans le sens d’une pénalisation accrue de la fraude fiscale.

La loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a renforcé les sanctions à l’égard de la fraude commise en bande organisée ou reposant sur des comptes bancaires ou entités détenus à l’étranger, et étendu le champ de compétences de la BNRDF au blanchiment de fraude fiscale.

La loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, qui a créé le SEJF, a en outre supprimé le verrou de Bercy, en imposant à l’administration fiscale un mécanisme de dénonciation obligatoire au parquet pour les affaires les plus graves, afin qu’au-delà de la sanction administrative, il y ait éventuellement des suites pénales – une obligation codifiée au I de l’article L. 228 du LPF.

La suppression du « verrou de Bercy »

Avant la loi du 23 octobre 2018, l’administration fiscale disposait du monopole de l’action publique en matière de fraude fiscale. Autrement dit, elle était la seule à pouvoir déposer une plainte pour fraude fiscale auprès du parquet, après avis conforme de la commission des infractions fiscales (à partir de 1977). Cette exception au principe de libre exercice de l’action publique par le parquet était désignée sous le nom de « verrou de Bercy ».

Avec l’exigence accrue de transparence, notamment à partir de l’affaire dite « Cahuzac », le « verrou de Bercy » a fait l’objet de critiques de manière croissante : il était ainsi présenté comme « un obstacle à la justice, comme une atteinte à l’égalité entre les citoyens et les justiciables, à la séparation des pouvoirs et à la liberté de poursuite des magistrats » ([51]). Seuls les dossiers les plus simples étaient orientés au pénal par l’administration fiscale, par crainte d’un échec de la procédure pénale. La mission d’évaluation a posteriori de la loi du 23 octobre 2018 soulignait ainsi que « paradoxalement, les délinquants les plus astucieux, les fraudes les plus sophistiquées échappaient le plus souvent à la voie pénale ».

L’article 36 de la loi du 23 octobre 2018 a remplacé ce dispositif du verrou de Bercy par un mécanisme de dénonciation obligatoire pour les affaires les plus graves. En vertu de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF), la DGFiP est désormais tenue de transmettre automatiquement au parquet les dossiers concernant des affaires graves et caractérisées, c’est-à-dire ayant conduit à l’application, sur des droits éludés supérieurs à 100 000 euros (50 000 euros pour les contribuables soumis à des obligations déclaratives auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie politique), des majorations prévues pour les infractions les plus graves (100 % en cas d’opposition à un contrôle fiscal, 80 % en cas d’activité occulte, d’abus de droit ou de manœuvres frauduleuses, de défaut de déclaration d’avoirs financiers détenus à l’étranger ou de trafics illicites, 40 % en cas de récidive, appréciée sur une période de six ans).

Dans les autres situations, l’administration reste juge de l’opportunité de déposer une plainte pour fraude fiscale, après avis de la CIF.

Il en est résulté une augmentation substantielle des saisines de l’autorité judiciaire. Ainsi, en 2019, 1 678 dossiers fiscaux, dont 965 dénonciations obligatoires, ont été transmis aux parquets, soit le double du nombre de plaintes pour fraude ou présomption de fraude fiscale déposées en 2018. Malgré le contexte sanitaire, l’administration fiscale a également saisi les parquets de 1 272 dossiers fiscaux, dont 823 dénonciations obligatoires, en 2020 ([52]). En 2021, dans un contexte de reprise des opérations du contrôle fiscal liée à l’amélioration du contexte sanitaire, 1 503 dossiers de fraude fiscale après contrôles ont conduit à une saisine de l’autorité judiciaire (1 217 dénonciations obligatoires et 286 plaintes déposées après avis favorable de la commission des infractions fiscales) ([53]).

La loi relative à la lutte contre la fraude a également renforcé les peines d’amendes encourues en cas de fraude fiscale, qui peut désormais atteindre le double du produit tiré de l’infraction pour les personnes physiques et le décuple pour les personnes morales. Elle a enfin rendu obligatoire le prononcé, sauf décision contraire motivée, de la peine complémentaire de publication et de diffusion des décisions de condamnation pénale pour fraude fiscale.

2.   … mise à mal par le développement de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP)

D’autres dispositions renforcent la logique transactionnelle.

La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dite « plaider coupable », a été étendue aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Le nombre d’affaires ayant conduit à la mise en œuvre d’une CRPC conclue en matière de fraude fiscale est dynamique : il a été multiplié par quatre en trois ans, avec 64 décisions de condamnation en 2021, contre 25 en 2020 et 15 en 2019. 85 % des condamnations comportaient une peine d’emprisonnement, contre 76 % en 2020 et 80 % en 2019, avec le bénéfice du sursis pour la plupart d’entre elles. La durée moyenne des peines d’emprisonnement est de 8 mois en 2021, contre 11 en 2020 et 9 en 2019. Le jugement qui valide la CRPC est une condamnation avec inscription au casier judiciaire, contrairement à la CJIP.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 » a introduit en droit français la procédure de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Cette procédure permet au procureur de la République et à une personne morale mise en cause de conclure une transaction qui entraîne le paiement d’une amende et la mise en place d’un programme de remise en conformité en échange de l’arrêt des poursuites.

La CJIP, initialement réservée aux faits de corruption, a été étendue aux faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Au 31 décembre 2021, quatre CJIP avaient été conclues en matière de fraude fiscale. Le 2 septembre 2021, la CJIP validée concernait la société JP Morgan Chase Bank National Association pour des faits de complicité de fraude fiscale ayant donné lieu à une amende d’intérêt public d’un montant de 25 millions d’euros ([54]). Depuis, deux autres CJIP ont été validées :

– le 16 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris a validé la CJIP signée entre le procureur de la République financier et plusieurs sociétés françaises du groupe McDonald’s, dont la somme des droits et pénalités dus au titre du règlement d’ensemble et de l’amende d’intérêt public s’élève précisément à 1 245 624 269 euros, soit une somme totale record en matière de fraude fiscale ([55]) ;

– plus récemment, le 24 octobre 2022, la banque Crédit Suisse a annoncé avoir conclu une CJIP avec le PNF à la suite de l’enquête ouverte en 2016 pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage illégal de clients en France, pour un montant de 238 millions d’euros.

Les justifications apportées à l’utilisation d’une CJIP sont multiples :

– d’abord parce qu’elle implique la coopération totale de l’entreprise poursuivie, et permet de ce fait de contourner d’éventuelles difficultés juridiques liées à sa stratégie de défense. Les très nombreuses voies de recours dont dispose une entreprise poursuivie (appel de la décision, pourvoi en cassation, recours devant la CJUE et / ou la CEDH) peuvent en effet conduire une procédure à durer plusieurs années ;

– ensuite parce que la CJIP implique la régularisation par l’entreprise de la pratique litigieuse. Elle permet donc de faire cesser immédiatement l’atteinte constatée ;

– enfin, parce qu’elle permet d’imposer une amende importante (souvent bien plus importante que celle qui aurait été prononcée par un tribunal) à l’entreprise concernée et constitue de ce fait une source de recettes pour les finances publiques.

La CJIP se justifie donc par une logique d’efficacité et de rendement. L’objectif est avant tout d’assurer une rentrée d’argent pour les finances publiques.

Dès lors, si la CJIP peut apparaître louable, la rapporteure spéciale souligne qu’elle pose un véritable problème : offrir une impunité aux entreprises qui en bénéficient.

En effet, même si les amendes peuvent atteindre des montants très importants, elles restent une sanction purement financière. La CJIP n’ayant pas valeur de jugement pénal, elle n’est de ce fait pas inscrite au casier judiciaire. Autrement dit, une entreprise peut, grâce à cette procédure, payer pour éviter une condamnation. Le PNF a d’ailleurs indiqué à la rapporteure spéciale que ce que craignait avant tout une entreprise poursuivie pour fraude fiscale, c’était le risque d’atteinte à sa réputation. Éviter l’atteinte réputationnelle est la principale motivation d’une entreprise à demander une CJIP (la procédure pouvant conduire à un fort écho dans la presse, au placement en garde à vue de dirigeants, à la saisie d’avoirs dans différents pays etc.).

Ce mode alternatif de règlement des conflits porte en lui le risque de faire perdre à la procédure de contrôle fiscal, et à la procédure pénale qui peut en résulter, leur caractère dissuasif.

La limitation dans la durée de l’enquête préliminaire en matière fiscale

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire limite désormais la durée de l’enquête préliminaire à trois années maximum « à compter du premier acte de l’enquête, y compris si celui-ci est intervenu dans le cadre d’une enquête de flagrance ». Si cette durée peut être prolongée jusqu’à 5 ans pour les crimes et délits commis bande organisée ainsi que les crimes et délits relevant de la compétence du procureur national antiterroriste (PNAT), ce n’est pas le cas pour les enquêtes préliminaires en matière fiscale.

La rapporteure spéciale recommande ainsi de rendre possible la dérogation à la limitation à 3 ans des enquêtes préliminaires en matière de fraude fiscale (recommandation n° 18).

Il renforce de surcroît le sentiment d’injustice fiscale ressenti par nos concitoyens devant cette impunité et érode leur consentement à l’impôt.

Comme l’explique Julie Gallois, maître de conférences à l’Université de Lorraine : « Si cet accord ne va pas jusqu’à instituer un marchandage, les termes utilisés au sein de la convention [conclue avec McDonald’s] ainsi que les discussions avec la personne morale portant sur les montants d’amende envisagés peuvent laisser entendre la mise en place d’une justice réservée à quelques privilégiés. Car c’est bien en contrepartie de l’abandon des poursuites pénales, et donc de l’absence de toute déclaration de culpabilité, que la personne morale – et uniquement la personne morale, à l’exclusion des personnes physiques, dont ses organes ou représentants – accepte de signer la CJIP. En outre, les conventions sont souvent conclues avec de très grandes entreprises ou groupes de sociétés pesant lourdement dans le secteur économique – la présente CJIP n’échappe pas la règle ! Aussi, la CJIP ainsi conclue donne l’impression d’un règlement répressif dérogatoire mais aussi discret et expéditif, favorable à ces personnes morales, lesquelles auraient plus à perdre à être mises en cause sur le long terme, en raison par exemple de la diffusion d’informations confidentielles durant la procédure. » ([56]).

Les justifications apportées à l’utilisation de la CJIP apparaissent de surcroît contestables dès lors qu’elles découlent pour la plupart d’un manque de moyens dans les différentes institutions concernées. Les délais de jugement seraient ainsi bien plus courts si la justice disposait de davantage de moyens humains et matériels.

La rapporteure spéciale, si elle ne nie pas l’importance de l’objectif budgétaire de la lutte contre l’évasion fiscale, alerte sur les effets de bord d’un dispositif comme la CJIP. Parce que le consentement à l’impôt est au fondement de la société, la rapporteure spéciale propose la tenue d’un grand débat parlementaire pour trouver un équilibre juste entre les deux objectifs de la lutte contre l’évasion fiscale que sont les recettes budgétaires et la condamnation pénale des fraudeurs.

Recommandation n° 19 : Proposer un débat parlementaire sur les objectifs de la lutte contre l’évasion fiscale. Comment arbitre-t-on entre les deux objectifs :

– Faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État

– Punir les fraudeurs pour renforcer le consentement à l’impôt ?

 

Recommandation n°20 : Lancer une nouvelle évaluation ministérielle sur les effets des conventions judiciaires d’intérêt public.

La rapporteure spéciale souligne en outre que le développement des modes alternatifs de règlement des conflits au détriment de la condamnation pénale a d’autres conséquences juridiques, « en ricochet », favorables aux fraudeurs. A titre d’exemple, l’article L. 2141-1 du code de la commande publique prévoit qu’une condamnation pour fraude fiscale emporte interdiction de concourir à un marché public. Une interruption de la procédure pénale au profit d’un règlement à l’amiable rend inapplicable cette disposition.

La rapporteure spéciale recommande ainsi de modifier l’article L. 2141-2 du code de la commande publique, afin de prévoir une interdiction d’accès à la commande publique dès lors que des faits d’évasion fiscale sont constatés – qu’il y ait ou non jugement pénal. Cette exclusion pourrait également être prévue au stade de la phase administrative de contrôle fiscal dès lors que l’entreprise ne se montre pas coopérative.

Recommandation n° 21 : Mettre en place de critères d’exclusion des marchés publics à tous les échelons administratifs (municipal, intercommunal, départemental, régional et national) pour les entreprises non-coopératives

C.   Un nÉcessaire sursaut de volonté politique

La lutte contre l’évasion fiscale est une tâche complexe, dont les tenants et les aboutissants impactent des domaines variés : économique, financier, social, judiciaire… En faire une priorité politique requiert une véritable volonté, qui n’est, selon la rapporteure spéciale, pour l’instant pas au rendez-vous.

Outre les recommandations déjà faites dans ce rapport, la rapporteure spéciale se propose d’esquisser une première feuille de route pour mieux lutter contre l’évasion fiscale.

1.   Agir résolument pour harmoniser les règles de taxation entre pays et limiter les opportunités d’évasion fiscale internationale

a.   Instaurer un impôt commun au niveau communautaire via une coopération renforcée ou un mécanisme de taxation différentielle en France

Alors que le ministre de l’économie et des finances avait annoncé promouvoir un impôt commun au niveau de l’Union européenne, au travers si besoin d’une coopération, aucune action n’a finalement été menée en ce sens. Au regard du fonctionnement actuel de l’Union européenne, un impôt commun ou a minima un rôle de percepteur en dernier ressort de la France, apparaît comme indispensable.

Recommandation  22 : Faire de la France un percepteur en dernier ressort pour les entreprises françaises et les multinationales implantés en France au prorata de leur activité grâce à la mise en place d’un « impôt universel » en France avec un taux d’imposition de référence à 25 %.

 

Recommandation  23 : Voter une résolution parlementaire pour que l’impôt minimum européen soit lancé par la France en coopération renforcée si l’unanimité est impossible à un taux de 25 %.

b.   Proposer des critères de définition pertinents des paradis fiscaux

La France publie annuellement une liste des états et territoires non coopératifs (ETNC), dits paradis fiscaux. Cette liste comporte à la fois des États répondant aux critères initiaux de classement retenus par la France figurant à l’article L. 238‑0 A du CGI (critères de transparence fiscale et de coopération administrative) et des États inscrits sur la « liste noire » de l’Union européenne, elle‑même fondée sur des critères de transparence et coopération fiscale, d’équité fiscale (i.e. de pratiques fiscales dommageables) et d’application des critères internationaux (mesures anti-BEPS) ([57]).

Ces critères apparaissent aujourd’hui insuffisants voire contre‑productifs. Le critère de l’équité fiscale par exemple, qui implique de ne pas « appliquer de mesures fiscales préférentielles » à des entreprises nationales ou étrangères, a conduit certains pays à appliquer un taux identique, mais à la baisse, afin d’éviter d’y figurer.

Les ONG Attac et OFXAM ont recommandé à la rapporteure spéciale une inscription sur liste noire automatique dès lors que le taux d’impôt sur les sociétés est nul ; et une inscription sur liste grise dès lors qu’il est inférieur à 15 %.

Recommandation  24 : Modifier la liste noire française avec deux critères non-négociables :

– tout pays à taux 0 doit être automatiquement sur la liste ;

– tout pays sans registre des bénéficiaires réels doit être automatiquement sur la liste.

De plus, le screening des pays est aujourd’hui effectué par un groupe de conduite qui ne publie aucune minute. Plus de transparence apparaît souhaitable.

Recommandation  25 : Voter une résolution parlementaire pour que la France réclame la publicité des débats du groupe code de conduite européen.

c.   Créer un cadastre financier

Afin de renforcer la transparence sur les possessions de chacun, la rapporteure spéciale recommande la création d’un cadastre financier. Il n’est en effet plus concevable de laisser des sociétés écrans et des trusts posséder anonymement des milliards en actifs financiers sans connaître les bénéficiaires réels qui peuvent donc frauder en toute impunité.

Recommandation  26 : Créer un cadastre financier.


2.   Limiter les marges de manœuvre en modifiant les règles déclaratives et en durcissant les règles applicables aux intermédiaires

a.   Faire évoluer les règles de déclaration

La possibilité d’éluder l’impôt vient notamment du fait que le contribuable déclare lui-même son impôt. À ce titre, l’instauration du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu a diminué les risques de fraude en la matière. La rapporteure spéciale recommande ainsi de réfléchir à une évolution des modalités de déclaration des impôts.

Recommandation  27 : Lancer un groupe d’étude interministériel chargé d’évaluer la possibilité de limiter impôts auto-déclaratifs.

 

Recommandation n° 28 : Mettre en place un fichier national des donations anticipées (pour permettre l’évaluation de la fraude dans ce domaine).

b.   Durcir les règles applicables aux intermédiaires

Le rôle des intermédiaires (avocats fiscalistes, conseillers financiers…) est souvent déterminant dans l’élaboration de montages fiscaux abusifs. L’OCDE a publié au début de l’année 2021 un rapport au titre sans équivoque : En finir avec les montages financiers abusifs : réprimer les intermédiaires qui favorisent les délits fiscaux et la criminalité en col blanc.

Des progrès ont été effectués en la matière. La loi du 23 octobre 2018 a ainsi créé une amende fiscale, spécifique, codifiée à l’article 1740 A bis du CGI. L’administration fiscale dispose désormais de la possibilité de sanctionner les professionnels du droit ou du chiffre dont les agissements portent une grave atteinte au principe d’équité entre les contribuables et aux règles de leur profession. Le montant de l’amende est égal à 50 % du revenu tiré de la prestation et ne peut être inférieur à 10 000 euros.

Cette sanction n’a pas été appliquée jusqu’à maintenant puisqu’elle ne concerne que les prestations réalisées à compter du 25 octobre 2018 et que les investigations nécessaires pour appréhender les fraudes visées par le dispositif sont souvent longues et complexes.

Quoi qu’il en soit, les règles pesant sur les intermédiaires doivent encore être renforcées – par exemple s’assurer qu’ils se soumettent bien aux obligations qui leur incombent en matière de déclarations de soupçons qu’ils doivent transmettre à la cellule TRACFIN ; en 2021, sur 170 000 déclarations de soupçons, seules cinq provenaient des 75 000 avocats exerçants.

Recommandation  29 : Pénaliser davantage les intermédiaires : toute personne participant à un montage dont le but principal est d’échapper à l’impôt est pénalement responsable (le secret des affaires ou le secret professionnel des avocats ne doit pas être opposable).

 

Recommandation  30 : Séparer les activités de conseil en fiscalité et d’audit et de validation des comptes au sein des cabinets de conseil afin qu’elles soient exercées par deux entités distinctes sur le modèle du Glass-Steagall Act américain qui avait jadis séparé les banques d’investissement et les banques commerciales.

 

Recommandation  31 : Revoir le cadre légal des assujettis à la déclaration de soupçons de fraude fiscale avec, par exemple, l’obligation de signalement pour les avocats et les notaires lorsqu’ils ne connaissent pas leur client.

 

Recommandation  32 : Organiser une campagne de communication et de formation auprès des professions autorégulées pour leur rappeler leurs obligations en termes de déclaration de soupçon de fraude fiscale.

3.   Proposer un véritable statut des lanceurs d’alerte et des aviseurs

Le statut de lanceur d’alerte a été introduit en droit français par la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ([58]) dite « Sapin II », et récemment modernisé par une loi ordinaire du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ([59]) et une loi organique du 21 mars 2022 ([60])  visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte, dites « Waserman ».

Définie à l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016, la notion de lanceur d’alerte désigne « une personne physique qui signale ou divulgue sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation, d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».

La loi ordinaire du 21 mars 2022, qui transpose notamment la directive du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union ([61]), a permis une amélioration du statut de lanceur d’alerte en instaurant des mesures de protection renforcées : règles strictes s’agissant de la divulgation d’éléments de nature à identifier le lanceur d’alerte, causes d’exonération de responsabilité civile ([62]), interdiction des tentatives ou des mesures de représailles (le texte dresse une liste particulièrement étendue de faits susceptibles de constituer une telle mesure), et mesures de soutien financier (possibilité d’octroi d’une provision pour frais de justice au lanceur d’alerte qui conteste une mesure de représailles ou lorsque sa situation financière s’est considérablement dégradée).

Le texte crée également en droit français un statut de facilitateur, défini comme toute personne physique ou toute personne morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la loi et élargi les conditions de recours à l’alerte publique ([63]).

Un renforcement du rôle du Défenseur des droits

La loi organique du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte ([64]) a élargi les missions du Défenseur des droits s’agissant des lanceurs d’alerte et des facilitateurs.

La loi organique du 9 décembre 2016 ([65]) avait précisé le périmètre des missions du Défenseur des droits, lequel est compétent pour orienter les lanceurs d’alerte vers les autorités compétentes, pour recevoir leur signalement et veiller à leurs droits et leurs libertés.

La loi organique du 21 mars 2022 vient compléter ses missions en précisant que le Défenseur des droits interviendra pour informer, conseiller les lanceurs d’alerte et « défendre » leurs droits et libertés. Ces nouvelles missions seront conférées à un nouvel adjoint au Défenseur des droits chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte.

Si la rapporteure spéciale salue ces avancées, elle recommande d’aller encore plus loin en assurant notamment une prise en charge de la formation pour tous les lanceurs d’alertes qui souhaitent se reconvertir.

Recommandation  33 : Mettre en place un statut du lanceur d’alerte avec sécurité sociale, prise en charge de la formation pour celles et ceux qui souhaitent se reconvertir et possibilité de postuler aux troisièmes concours de la fonction publique (amendement possible)

Le dispositif des aviseurs fiscaux a été créé (à titre expérimental pour une durée de deux ans) par l’article 109 de la loi de finances pour 2017 ([66]). En vertu de celui-ci, le Gouvernement peut autoriser l'administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu'elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d'un manquement aux règles en matière de fiscalité internationale.

Le dispositif a été pérennisé par l’article 21 de la loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, puis codifié à l’article L. 10‑0 AC du livre des procédures fiscales par la loi n° 2019‑1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 (article 175).

Le dispositif a été étendu par un décret du 25 janvier 2021 ([67]) aux manquements aux dispositions régissant la TVA.

À titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2023, le Gouvernement peut également autoriser l'administration fiscale à expérimenter un périmètre différent, défini par la gravité de certains agissements, manquements ou manœuvres en infraction avec la législation fiscale, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros.

Article L. 10-0 AC du LPF

Le Gouvernement peut autoriser l'administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors que cette personne lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d'un manquement aux règles fixées à l'article 4 B, au 2 bis de l'article 39 ou aux articles 57, 123 bis, 155 A, 209, 209 B, 238 A ou au chapitre Ier du titre II de la première partie du livre Ier du code général des impôts ou d'un manquement aux obligations déclaratives prévues au deuxième alinéa de l'article 1649 A ou aux articles 1649 AA ou 1649 AB du même code.

A titre expérimental, jusqu'au 31 décembre 2023, le Gouvernement peut également autoriser l'administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors que cette personne lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte de tout autre agissement, manquement ou manœuvre susceptible d'être sanctionné en application du c du 1 ou du 5 de l'article 1728, de l'article 1729, de l'article 1729-0 A, du 2 du IV ou du IV bis de l'article 1736, du I de l'article 1737, de l'article 1758 ou de l'article 1766 du code général des impôts, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros.

L'administration peut recevoir et exploiter les renseignements mentionnés aux premier et deuxième alinéas du présent article dans le cadre des procédures prévues au présent titre, à l'exception de celle mentionnée à l'article L. 16 B du présent livre lorsque ces renseignements n'ont pas été régulièrement obtenus par la personne les ayant communiqués à l'administration.

Les conditions et modalités de l'indemnisation sont déterminées par arrêté du ministre chargé du budget.

Tout en saluant à nouveau ces avancées, la rapporteure spéciale recommande de renforcer ce statut d’aviseur fiscal, en mettant par exemple en place un statut garantissant l’exfiltration et la possibilité de reconversion de l’aviseur s’il en fait la demande. Elle souligne également la nécessité d’augmenter la rémunération des aviseurs qui est aujourd’hui évaluée à un montant de 200 000 euros par informateur en moyenne en supprimant par exemple le plafond d’un million d’euros par affaire fixé par une circulaire interne ([68]).

 

Recommandation  34 : Augmenter et généraliser la rémunération des « aviseurs fiscaux » par la DGFiP et mettre en place un statut qui garantit l’exfiltration et la possibilité de reconversion pour l’aviseur s’il en fait la demande.

 

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   EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 26 octobre 2022, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Gestion des finances publiques.

L’enregistrement audiovisuel de cette réunion est consultable sur le site de l’Assemblée nationale.

Le compte rendu de cette réunion est disponible en ligne.

La commission a, contrairement à l’avis défavorable de la rapporteure spéciale, adopté les crédits de la mission Gestion des finances publiques non modifiés.

 


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LA RAPPORTEURE SPÉCIALE

Direction générale des Finances publiques (DGFIP) :

– M. Antoine Magnant, directeur général adjoint,

– M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal.

 

 M. Alexis Spire, sociologue, École des hautes études en sciences sociales.

 

Parquet national financier :

– M. Jean-François Bohnert, procureur de la République financier,

– Mme Céline Guillet, procureur adjoint.

 

M. Raphaël Halet, lanceur d’alerte des LuxLeaks.

 

Table-ronde :

– ATTAC – M. Vincent Drezet, membre du Conseil scientifique et Mme Ophélie Vildey, membre de la coordination de l'observatoire de la justice fiscale ;

– OXFAM France* – M. Quentin Parrinello, responsable Plaidoyer Justice Fiscale et Inégalités.

 

Table ronde :

– M. Gabriel Zucman, économiste ;

– Mme Anne-Laure Delatte, économiste.


Audition commune :

 M. Christophe Perruaux, chef du service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF) et M. Philippe Azibert, directeur adjoint ;

– M. Guillaume Hézard, commissaire divisionnaire, chef de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et M. Fabien Devos, administrateur des finances publiques adjoint.

Service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) :

– M. Guillaume Valette Valla, directeur,

– Mme Hélène Martinez, cheffe du département Lutte contre la fraude.

 

Table ronde :

 Syndicat national FO-DGFiP : M. Olivier Brunelle, secrétaire général et M. Jean‑Paul Philidet, secrétaire général adjoint.

 Solidaires Finances publiques : Secrétaires nationaux en charge de dossier Contrôle fiscal : Mme Linda Elodie Sehili, Mme Sabine Portela et M. Christian Flottes

 CGT Finances publiques : Mme Véronique Pascalides, secrétaire nationale en charge du dossier du contrôle fiscal, M. Frédéric Gonzales‑Munoz, vérificateur à la DNEF‑Direction nationale des enquêtes fiscales Île-de-France et Julien Dioudonnat, vérificateur à la Dircofi‑Direction du contrôle fiscal Île-de-France.

 CFDT Finances publiques : M. Christophe Bonhomme Lhéritier, inspecteur des Finances publiques, secrétaire général adjoint CFDT Finances publiques.

 

Cour des comptes :

– M. Christophe Strassel, conseiller maître, secrétaire général du conseil des prélèvements obligatoires, rapporteur général du rapport « La fraude aux prélèvements obligatoires » (2019).

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

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Annexe : Fiche de la DGFiP relative aux montages visant à dissimuler les détentions d’avoirs à l’étranger

 

 


([1]) La méthodologie de présentation des résultats du contrôle fiscal a évolué en 2018, le Gouvernement ne communiquant plus sur les montants notifiés mais sur les montants recouvrés.

 

([2]) La hausse des crédits ne compense pas l’inflation.

([3]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

([4]) Pour un développement approfondi sur les problématiques de définition, voir Mme Bénédicte Peyrol, rapporteure, M. Jean-François Parigi, président, Rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 1236 relatif à l’évasion fiscale internationale des entreprises, Assemblée nationale, XVe législature, septembre 2018.

([5]) Dalloz, Fiches d’orientation, « Fraude fiscale – Règles élémentaires », Juin 2021.

([6]) Rapport d’information n  1236 précité.

([7]) Rapport d’information n° 1236 précité.

([8]) Voir ainsi Conseil d’État, 16 juin 1976, n° 95513, au Recueil, Conseil d’État, 21 mars 1986, Société

Auriège, n° 53002, aux Tables, ou encore Conseil d’État, 20 mars 1989, Société Malet Matériaux,

n° 56087, aux Tables.

([9]) CJCE, 21 février 2006, Halifax plc, Leeds Permanent Development Services Ltd, County Wide Property

Investments Ltd, C-255/02, § 73, et conclusions de l’avocat général M. Poiares Maduro présentées le

7 avril 2005, § 85.

([10]) https://www.economie.gouv.fr/node/33900

([11]) M. Pierre-Alain Muet, rapporteur, M. Éric Woerth, président, Rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire relatif à l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, Assemblée nationale, XIVe législature, n° 1243, juillet 2013.

([12]) Service de recherche du Parlement européen, Briefing sur la planification fiscale agressive, Cécile Remeur, mais 2015.

([13]) TRACFIN, Rapport d’activité et d’analyse 2021.

([14]) Conseil des prélèvements obligatoires, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, mars 2007.

([15]) Voir par exemple Dalloz, Répertoire de droit commercial, Chapitre 2 : Procédure du contrôle fiscal, Section 4 : Autres procédures, Art 1er – Lutte contre l’évasion fiscale internationale, Janvier 2020.

([16]) http://www.oecd.org/ctp/glossaryoftaxterms.htm

([17]) Article 109 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.

([18]) Assemblée nationale, commission des finances, réunion du mercredi 26 octobre 2022, 21h30.

([19]) Les personnes intéressées par cette dimension pourront utilement se reporter aux travaux du sociologue Alexis Spire ou à des publications comme celle du Conseil économique, social et environnemental, Les mécanismes d’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale, décembre 2016.

([20]) Cette dernière terminologie figure notamment dans le rapport de la Cour des comptes La fraude aux prélèvements obligatoires de 2019.

([21])  Cette dernière terminologie figure notamment dans le rapport de la Cour des comptes « La fraude aux prélèvements obligatoires » de 2019.

([22]) Un chiffrage à la méthodologie contestable : étaient pris en compte aussi bien les comportements d’évitement que l’application des taux réduits de TVA.

([23]) Insee, Document de travail Estimation des montants manquants de versements de TVA : exploitation des données du contrôle fiscal, juillet 2022.

([24]) La DNVSF dispose à ce titre du Service à compétence nationale de contrôle des valeurs mobilières (SCVM) qui valorise les titres de sociétés dans le cadre du contrôle des droits d’enregistrement ou de l’IFI, ou encore d’un service de contrôle des élus (SCE) chargé depuis 2016 du contrôle de cohérence des déclarations de situation patrimoniale des parlementaires (nationaux et européens), des présidents et vice-présidents des conseils régionaux et départementaux ainsi que des maires des communes de plus de 20 000 habitants, souscrites auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

([25]) Il s’agit des entreprises dont l’actif brut est supérieur ou égal à 400 millions d’euros et de celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 152,4 millions d’euros pour les ventes ou 76,2 millions d’euros pour les prestations de service.

([26]) Il s’agit des entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 1,5 million d’euros et 152,4 millions d’euros pour les ventes et entre 0,5 million d’euros et 76,2 millions d’euros pour les services.

([27]) C’est notamment le cas au sein des DDFIP de Paris, des Bouches-du-Rhône ou encore du Var.

([28]) Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

([29]) Loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.

([30]) Décret n° 2010-1318 du 4 novembre 2010 portant création d’une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

([31]) Loi 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009.

([32]) Source : Documents complémentaires transmis par la BNRDFà la rapporteure spéciale.

([33]) Loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([34]) Décret du 9 mai 1990 portant création d'une cellule de coordination chargée du traitement du renseignement et de l'action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN).

([35]) Le GAFI est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Dans ce cadre, 167 cellules de renseignements financiers ont été créées à travers le monde.

([36]) On compte parmi eux des établissements sportifs et financiers, des antiquaires, des notaires, des agents sportifs, des greffiers de tribunal de commerce etc.

([37]) La MICAF a pour objectif de lutter contre toutes les fraudes : fraude aux prélèvements obligatoires fiscaux et sociaux, travail illégal, fraude aux prestations sociales.

([38]) Précisons que le projet annuel de performance du programme 156 propose une présentation plus complète.

([39]) La DGDDI est remboursée dans un deuxième temps par la DGFiP en vertu d’une convention.

([40]) Depuis le 1er janvier 2015, sont considérées comme affaires à faible rendement en Dircofi les affaires où les droits bruts redressés sont inférieurs à 10 000 euros et en directions territoriales lorsqu’ils sont inférieurs à 7 500 euros.

([41]) La méthodologie de présentation des résultats du contrôle fiscal a évolué en 2018, le Gouvernement ne communiquant plus sur les montants notifiés mais sur les montants recouvrés.

([42]) Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance.

([43]) Le droit à l’erreur existait en effet avant la loi ESSOC. Il résulte ainsi des dispositions du code général des impôts et du livre des procédures fiscales qu’un contribuable déposant spontanément une déclaration rectificative pour corriger une erreur de bonne foi n’encourt, dans la très grande majorité des cas, aucune majoration ou amende, mais uniquement l’application des intérêts de retard (voir article 1727 du CGI).

([44]) Qu’il s’agisse d’une vérification de comptabilité, d’un examen de comptabilité, d’un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ou d’un contrôle sur pièces.

([45]) BOFIP - BOI-CF-IOR-20-10.

([46]) Document de politique transversale annexé au PLF 2023 Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’imposition de toutes natures et de cotisations sociales.

([47]) Cour des comptes, « Les régularisations d’avoirs à l’étranger gérées par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) », Communication à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, octobre 2017.

([48]) Décret n° 2021-25 du 13 janvier 2021 portant création de l'examen de conformité fiscale.

([49]) Document de politique transversale annexé au PLF 2023 Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’imposition de toutes natures et de cotisations sociales.

([50]) CGT Finances publiques, « Péril sur le contrôle fiscal : la justice fiscale n’est plus garantie », juin 2019.

([51]) Mme Émilie Cariou et M. Eric Diard, Rapport d’information sur la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, Assemblée nationale, XVe législature, n° 3341, 16 septembre 2020.

([52]) Document de politique transversale annexé au PLF 2022 Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’imposition de toutes natures et de cotisations sociales.

([53]) Document de politique transversale annexé au PLF 2023 Lutte contre l’évasion fiscale et la fraude en matière d’imposition de toutes natures et de cotisations sociales.

([54]) TJ Paris, 2 sept. 2021, JP Morgan Chase Bank National Association, n° PNF-12 174 072 093.

([55]) Il ne constitue cependant pas le montant le plus élevé pour une CJIP. La société Airbus avait ainsi été condamnée à plus de 2 milliards d’euros pour des faits de corruption d’agent public étranger, abus de biens sociaux, abus de confiance, escroqueries en bande organisée, blanchiment de ces délits, faux et usage de faux (voir TJ Paris, 29 janv. 2020, n° PNF-16 159 000 839).

([56]) Dalloz Actualité, « Fraude fiscale : une amende d’intérêt public record prononcée contre le groupe McDonald’s pour une CJIP controversée », Julie Gallois, Maître de conférences, Université de Lorraine, 22 juin 2022.

([57]) Ces critères ont été définis lors du conseil ECOFIN de novembre 2016 - https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14166-2016-INIT/fr/pdf

([58]) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

([59]) Loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d'alerte.

([60]) Loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.

([61]) Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union.

([62]) Les personnes ayant signalé ou divulgué publiquement des informations dans le respect de la loi ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.

([63]) Pour plus de précisions sur les nouveautés introduites dans le droit par la loi du 21 mars 2022, voir par exemple Dalloz Actualité : « Protection des lanceurs d’alerte et rôle du Défenseur des droits : les enseignements des lois du 21 mars 2022 », Pauline Dufourq, Avocate, avril 2022.

([64]) Loi organique n° 2022-400 du 21 mars 2022 visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d'alerte.

([65]) Loi organique n° 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte.

([66]) Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

([67]) Décret n° 2021-61 du 25 janvier 2021 pris pour l'application de l'article L. 10-0 AC du livre des procédures fiscales.

([68]) Sur ce point, voir Mme Christine Pires-Beaune, rapporteure, Rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 1991 sur les aviseurs fiscaux, Assemblée nationale, XVe législature, juin 2019.