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N° 447

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 340 rect.)
 

visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse

 

PAR Mme Aurore BERGÉ

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

introduction......................................................... 5

présentation  de la proposition de loi constitutionnelle

I. l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) : un droit protégé au niveau législatif qui n’est pas reconnu comme un principe de valeur constitutionnelle

A. Les étapes de la protection du droit à l’IVG

1. La légalisation de l’IVG par la loi Veil en 1975

2. Les avancées législatives en faveur d’un meilleur accès à l’IVG

B. Les garanties constitutionnelles attachées au droit à l’IVG

II. À l’étranger, Une pression accrue contre le droit à l’IVG

A. Aux États-Unis, un revirement brutal de la protection du droit à l’IVG

B. L’Europe entre régressions et progrès fragiles

C. Dans le reste du monde, une lutte encore en cours

D. Faire de la France le premier pays au monde à reconnaître le droit à l’IVG dans sa Constitution

III. La nécessité de dépasser les réticences à la constitutionnalisation du droit à l’IVG

A. Un débat né de la situation des États-Unis auquel la France n’échappe pas

B. Un droit encore contesté et un débat dont il ne faut pas avoir peur

C. une protection qui reste fragile aux niveaux constitutionnel et européen

D. Une révision dans le respect de l’esprit de la Constitution de la V° République

commentaire de l’article unique

Article unique (art. 66-2 [nouveau] de la Constitution) Protection du droit à l’interruption volontaire de grossesse

Examen en commission

Personnes entendues


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Mesdames, Messieurs,

« Cette loi archaïque ne peut survivre. Elle est contraire à la liberté de la femme ». Il y a cinquante ans, en novembre 1972, l’avocate Gisèle Halimi prononçait ces mots pour obtenir, lors du procès de Bobigny, la relaxe d’une jeune femme ayant dû avorter clandestinement, avec l’aide de sa mère, après avoir été violée. Quelques années plus tard, le 17 janvier 1975, la loi n° 75-17 relative à l'interruption volontaire de la grossesse (IVG), dite « loi Veil », était promulguée.

Un demi-siècle plus tard, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à inscrire le droit à l’IVG au titre VIII de notre Constitution. Le groupe Renaissance a pris en premier l’initiative de déposer ce texte, dès le 30 juin 2022, puis de l’inscrire à l’ordre du jour de la première semaine de l’Assemblée de la XVIe législature. Cela s’inscrit dans le prolongement de l’engagement continu de la majorité pour les droits des femmes depuis 2017. Lors de la précédente législature, la majorité s’était engagée en faveur de l’accès à l’IVG, en soutenant notamment, malgré l’obstruction, l’extension de douze à quatorze semaines du délai légal pour pratiquer une IVG et la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer l’IVG instrumentale ([1]).

Mais ce droit est aujourd’hui remis en cause de façon inquiétante. En France, chacune des avancées législatives le concernant fait l’objet de nombreux débats et ravive les réticences de nombreux mouvements conservateurs, organisés au niveau européen, abondamment financés, et qui organisent subtilement l’entrave à l’avortement.

Pour de nombreuses femmes, l’accès à l’IVG reste semé d’obstacles : rareté des centres pratiquant les IVG, persistance de pratiques humiliantes et culpabilisantes, impossibilité de faire face aux coûts des transports et de certaines prestations médicales… Votre Rapporteure est consciente de ces difficultés, relayées par les associations qui les combattent.

Pour continuer à faire progresser l’effectivité du droit à l’IVG, il est indispensable de s’assurer que ce droit ne sera plus remis en question. C’est pourquoi ce débat sur la constitutionnalisation de l’IVG est aussi celui de la protection à long terme de l’accès des femmes à l’IVG.

Les expériences étrangères nous démontrent que ce droit n’est jamais acquis. Dans de nombreux pays occidentaux, le droit à l’avortement recule. Aux États-Unis et en Pologne, sa légalité est remise en question. À la suite du revirement de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis, qui renvoie aux états fédérés le soin de légiférer sur le droit à l’avortement ([2]), sept états l’interdisent désormais. En Pologne, où l’avortement était déjà limité à un nombre restreint de situations, une décision du Tribunal constitutionnel a interdit l’avortement en cas de malformation du fœtus, réduisant encore de plus de 90 % le recours à l’IVG. Dans d’autres pays, les reculs sont plus pernicieux : rétablissement du consentement des parents pour les mineures au Portugal, obligation de démontrer l’existence d’un viol et de porter plainte au Brésil, confrontation des femmes souhaitant avorter aux fonctions vitales du fœtus en Hongrie.

Aucun pays n’est protégé contre de telles régressions et la gFrance n’offre pas à l’IVG une protection constitutionnelle suffisante. Le Conseil constitutionnel a admis la conformité des lois relatives à l’avortement au regard du respect de l’équilibre entre la liberté de la femme, telle qu’elle découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ([3]). En revanche, il n’a jamais donné à l’IVG le rang de principe constitutionnel et il rappelle, depuis 1975, qu’il ne dispose pas, en la matière, d’un pouvoir d’appréciation de même nature que celui du législateur ([4]). Rien n’indique donc qu’il s’opposerait à une tentative de faire régresser le droit à l’IVG.

L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution est un geste attendu en France, mais aussi à travers le monde. En devenant le premier pays à constitutionnaliser l’IVG, notre pays apportera un soutien décisif à toutes les femmes qui continuent de lutter pour le droit de disposer librement de leur corps.

Il incombe donc au législateur, en sa qualité de constituant, de prendre ses responsabilités pour donner au droit à l’IVG le statut de principe fondamental et empêcher sa régression. Il est urgent d’ouvrir ce débat et de réaliser ce pas décisif : si nous attendons qu’il soit menacé davantage, il sera déjà trop tard.

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   présentation
de la proposition de loi constitutionnelle

I.   l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) : un droit protégé au niveau législatif qui n’est pas reconnu comme un principe de valeur constitutionnelle

A.   Les étapes de la protection du droit à l’IVG

1.   La légalisation de l’IVG par la loi Veil en 1975

La loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG) défendue par la ministre de la santé Simone Veil a dépénalisé l’avortement et encadré les modalités de recours à l’interruption volontaire de grossesse. Il s’agissait avant tout à cette époque de mettre fin à une situation qui posait de graves problèmes de santé publique puisque les femmes souhaitant avorter devaient le faire clandestinement.

À son article premier, ce texte rappelle que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie » et qu’il « ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». Ce principe persiste encore aujourd’hui à l’article 16 du Code civil, qui prévoit que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Afin de dépénaliser l’avortement, cette loi suspendait d’abord pour cinq ans l’application de l’article 317 du Code pénal qui définissait trois infractions :

– « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, et d’une amende de 1 800 F à 100 000 F » ;

– « Sera punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 360 F à 20 000 F la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même ou aura tenté de se le procurer, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet » ;

– « Les médecins, officiers de santé, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, ainsi que les étudiants en médecine, les étudiants ou employés en pharmacie, herboristes, bandagistes, marchands d’instruments de chirurgie, infirmiers, infirmières, masseurs, masseuses, qui auront indiqué, favorisé ou pratiqué les moyens de procurer l’avortement seront condamnés aux peines prévues aux paragraphes premier et second du présent article. La suspension pendant cinq ans au moins ou l’incapacité absolue de l’exercice de leur profession seront, en outre, prononcées contre les coupables ».

Quatre ans et onze mois plus tard, l’article 317 du Code pénal a été complété par un alinéa excluant définitivement son application aux personnes recourant à l’interruption volontaire de grossesse dans le respect des conditions fixées par la loi ([5]).

Les sanctions pénales encourues par les professionnels réalisant une IVG hors du cadre légal ont été maintenues et sont encore en vigueur aujourd’hui. Elles s’élèvent à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsque le délai pendant lequel elle est autorisée par la loi n’est pas respecté ([6]) et à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende en cas de réalisation d’une IVG sans le consentement de la personne concernée ([7]). Le délit consistant à « fournir à la femme les moyens matériels de pratiquer une interruption de grossesse sur elle-même » persiste également et est puni de trois à cinq ans d’emprisonnement ([8]).

La loi Veil sanctionnait également la provocation ou la publicité en faveur de l’IVG ou des établissements les réalisant. Cette infraction a depuis été supprimée et a, au contraire, été créée un délit d’entrave à l’encontre des personnes voulant empêcher le recours à l’avortement (voir infra).

Outre la dépénalisation, la loi du 17 janvier 1975 encadrait dans le code de la santé publique le recours à l’IVG en précisant les établissements médico-sociaux compétents, les professionnels habilités et leur droit de faire valoir une clause de conscience, l’exigence que la femme soit dans une « situation de détresse » ([9]), les différentes étapes de la démarche (information de la personne, entretien avec le médecin, délai de réflexion, recueil du consentement des parents pour les mineures) et les modalités de sa prise en charge financière par la sécurité sociale.

Enfin, la loi Veil, à la section II du titre Ier, reconnaissait le cas spécifique de l’interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique – dite aussi interruption médicalisée de grossesse (IMG) – qui peut être réalisée à tout moment mais dans des conditions plus strictes. L’article L. 2213-1 du code de la santé publique prévoit ainsi que « l’interruption volontaire d’une grossesse peut, à tout moment, être pratiquée si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ».

2.   Les avancées législatives en faveur d’un meilleur accès à l’IVG

L’accès à l’interruption volontaire de grossesse, plus qu’une dérogation, est devenu un droit fondamental pour les femmes, indissociable de celui de disposer librement de son corps. Au fur et à mesure des réformes, plusieurs freins au recours à l’IVG ont été levés :

– la loi du n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social a reconnu le délit d’entrave à l’IVG, c’est-à-dire « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse […], notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur » ([10]) ;

– la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a étendu le délai dans lequel l’IVG peut être réalisée de dix à douze semaines de grossesse, a autorisé les femmes mineures à y recourir sans le consentement d’un adulte, a supprimé le délit de publicité ou de propagande en faveur l’IVG et a précisé qu’ « en aucun cas, la femme ne peut être considérée comme complice » ([11]) de la réalisation illégale d’une IVG.

– depuis la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, l’IVG est remboursée à 100 % ;

– la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a supprimé l’exigence d’être dans une « situation de détresse » pour recourir à l’IVG ;

– la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a supprimé le délai obligatoire de réflexion avant le recours à l’IVG et a permis aux sages-femmes de procéder aux IVG par voie médicamenteuse ;

– la loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse a inclus les discours hostiles sur internet dans la définition du délit d’entrave ;

– la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement a étendu de douze à quatorze semaines le délai pour recourir à l’IVG.

B.   Les garanties constitutionnelles attachées au droit à l’IVG

Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution la loi de 1975 et les différentes évolutions législatives qui s’en sont suivies.

En 1975 ([12]), le Conseil a considéré que la loi était conforme à la Constitution dès lors qu’elle « ne porte pas atteinte au principe de liberté posé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ; qu’elle « n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie, rappelé dans son article 1er, qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit » ; « qu’aucune des dérogations prévues par cette loi n’est, en l’état, contraire à l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni ne méconnaît le principe énoncé dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres dispositions ayant valeur constitutionnelle édictées par le même texte ».

En 2001 ([13]), il a précisé sa position en considérant qu’ « en portant de dix à douze semaines le délai pendant lequel peut être pratiquée une interruption volontaire de grossesse lorsque la femme enceinte se trouve, du fait de son état, dans une situation de détresse, la loi n’a pas, en l’état des connaissances et des techniques, rompu l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ».

Il a également indiqué à cette occasion que l’IVG n’était pas une pratique eugénique et qu’en fixant l’exigence d’une situation de détresse – depuis supprimé – « le législateur a entendu exclure toute fraude à la loi et, plus généralement, toute dénaturation des principes qu’il a posés, principes au nombre desquels figure, à l’article L. 2211-1 du code de la santé publique, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Concernant l’exigence d’une « situation de détresse » pour autoriser le recours à l’IVG, le Conseil a estimé en 2014 que sa suppression ne méconnaissait aucune exigence constitutionnelle dès lors que « la loi du 17 janvier 1975 a autorisé une femme à demander l’interruption volontaire de sa grossesse lorsque son état la place dans une situation de détresse ; que ces dispositions réservent à la femme le soin d’apprécier seule si elle se trouve dans cette situation [et] que la modification, par l’article 24, de la rédaction des dispositions de la première phrase de l’article L. 2212-1, qui prévoit que la femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut en demander l’interruption à un médecin » ([14]).

Néanmoins, si le Conseil constitutionnel a toujours considéré comme conforme à la Constitution ces avancées législatives successives, il n’a jamais eu à se prononcer sur des reculs, d’où la nécessité d’aller plus loin en inscrivant dans le texte de la Constitution le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Il n’a pas davantage reconnu le droit à l’IVG comme un principe de nature constitutionnelle.

II.   À l’étranger, Une pression accrue contre le droit à l’IVG

A.   Aux États-Unis, un revirement brutal de la protection du droit à l’IVG

Plusieurs États des États-Unis sont revenus sur la légalité de l’IVG à la suite d’un revirement de jurisprudence de la Cour suprême. Tandis que l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973 considérait l’IVG comme un droit garanti au niveau fédéral, l’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization du 24 juin 2022 a estimé que le pouvoir d’autoriser l’avortement revenait aux états fédérés. Ce changement repose sur une interprétation « originaliste » de la Constitution américaine selon laquelle un droit qui n’est pas « profondément enraciné » dans l’histoire constitutionnelle américaine ou qui ne découle pas directement des principes inscrits dans la Constitution ne peut être protégé au niveau fédéral ([15]).

En quelques semaines, l’avortement est devenu interdit – même en cas de viol ou d’inceste – dans sept états (Alabama, Arkansas, Dakota du Sud, Kentucky, Louisiane, Missouri, Tennessee) et fortement limité dans six autres (Arizona, Idaho, Indiana, Oklahoma, Mississippi, Wisconsin).

Cette nouvelle jurisprudence est venue creuser le fossé entre les états fédérés qui avaient déjà utilisé la marge d’appréciation dont ils disposaient, soit pour étendre, soit pour restreindre les conditions d’accès à l’IVG.

L’expérience américaine démontre la fragilité de la protection d’un droit pouvant apparaître comme intangible mais qui a fini par céder sous l’effet de plusieurs dizaines d’années d’activisme juridique.

B.   L’Europe entre régressions et progrès fragiles

L’Europe n’est pas épargné par ce phénomène. Si l’Irlande est devenue en 2018 l’un des derniers pays de l’Union à légaliser l’avortement, par référendum ([16]) – seule Malte continue de l’interdire –, d’autres États membres voient le droit à l’IVG régresser ou être menacé.

En Pologne, après avoir tenté de l’interdire totalement en 2016, le Gouvernement a supprimé en 2021 la possibilité d’avorter en cas de malformation grave du fœtus alors qu’il s’agissait du motif de 98 % des IVG dans ce pays. Cette lourde restriction du droit à l’avortement a résulté de l’application par le gouvernement d’un arrêt du Tribunal constitutionnel du 22 octobre 2020 ([17]). L’avortement n’est plus autorisé qu’en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère. En complément, le Gouvernement a adopté, le 6 juin 2022, une disposition obligeant les médecins généralistes à inscrire les grossesses dans un registre numérique pour lutter contre les IVG clandestines ([18]) .

En Hongrie, le Gouvernement a également essayé de revenir sur le droit à l’IVG mais il n’est parvenu qu’à faire inscrire dans l’article 2 de la Constitution que « la vie humaine est protégée depuis la conception ». Les règles encadrant le recours à l’IVG ont cependant été durcies de manière détournée : un décret publié en septembre 2022 prévoit que les femmes souhaitant effectuer une IVG devront désormais être confrontées « d’une manière clairement identifiable » aux « fonctions vitales » du fœtus, par exemple en « écoutant les battements de cœur du fœtus » ([19]).

En Espagne, un projet de loi prévoyant de limiter l’IVG aux cas de grave danger pour la vie, la santé physique ou psychologique de la mère ou de viol avait été approuvé en Conseil des ministres puis retiré en 2014 après de nombreuses manifestations. Finalement, c’est l’obligation de recueillir le consentement des parents pour les mineures qui avait été rétablie en 2015 ([20]) avant d’être à nouveau supprimé en 2018.

Au Portugal, où l’avortement est légal depuis 2007 – également après référendum – un projet de loi, adopté en juillet 2021, a restreint l’accès à ce droit en prévoyant que les femmes devront désormais payer tous les frais médicaux et se soumettre à un examen psychologique avant d’avorter ([21]).

En Italie, l’effectivité de l’accès au droit à l’IVG est entravée, notamment par les médecins faisant valoir la clause de conscience pour ne pas les pratiquer. Le taux de médecins concernés a récemment été évalué à 70 % ([22]). Si la nouvelle première ministre a indiqué ne pas vouloir revenir sur la légalisation de l’IVG, elle a indiqué vouloir dissuader les femmes d’y recourir ([23]) .

C.   Dans le reste du monde, une lutte encore en cours

L’avortement reste complètement interdit dans quelques États d’Amérique latine : Suriname, Nicaragua, Salvador et dans deux micro-états : Andorre et le Vatican. Il n’est accessible qu’en cas de danger pour la vie de la femme dans les pays suivants : Côte d’Ivoire, Libye, Ouganda, Soudan du Sud, Irak, Liban, Syrie, Afghanistan, Yémen, Bangladesh, Birmanie, Sri Lanka, Guatemala, Paraguay, Venezuela.

Dans beaucoup d’autres pays, les progrès sont récents, lents et encore fragiles.

Le Brésil n’autorise l’avortement qu’en cas de viol, danger pour la vie de la femme ou problèmes congénitaux graves du fœtus. En 2020, la législation a été à nouveau durcie : le personnel médical est désormais contraint de proposer à la femme de voir l’embryon ou le fœtus par échographie. La femme qui souhaite avorter doit justifier sa situation et risque des poursuites si elle ne peut pas prouver qu’elle a été violée. Pour décourager les jeunes femmes, notamment mineures, les viols signalés dans le cadre d’une procédure d’avortement sont systématiquement signalés à la police ([24]).

En Argentine, après un premier échec pour quelques voix en août 2018, députés et sénateurs ont adopté une loi légalisant l’avortement en septembre 2020. Sa mise en œuvre rencontre néanmoins des obstacles : manque de pilules abortives, désinformation, impossibilité de trouver des médecins réalisant l’opération dans certaines villes etc([25])

Au Chili, un projet de référendum constitutionnel impliquant, parmi de nombreux sujets, l’inscription de l’IVG dans la Constitution a été rejeté le 4 septembre 2022. Dans ce pays, l’avortement ne reste donc autorisé qu’en cas de viol, de danger pour la vie de la mère ou de malformations fœtales ([26]).

Au Mexique, dans une décision du 7 septembre 2021, la Cour suprême a déclaré non conforme à la constitution les sanctions pénales à l’encontre des femmes ayant avorté durant les douze premières semaines de grossesse. Elle a également encadré le pouvoir d’appréciation du législateur en lui interdisant de protéger la vie depuis le moment de la conception et a limité la possibilité de faire valoir une clause de conscience en obligeant les services de santé à rendre l’avortement accessible aux femmes qui le souhaitent ([27]). Cette décision n’est pas encore pleinement effective car les différents états doivent maintenant modifier leur législation.


Carte des législations sur l’IVG ([28])

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


En Colombie, la situation a récemment évolué puisque le 21 février 2022, la Cour constitutionnelle colombienne a autorisé les femmes à avoir recours à l’avortement pour n’importe quel motif jusqu’au sixième mois de gestation ([29]).

En Équateur, la Cour constitutionnelle a dépénalisé l’avortement en cas de viol le 28 avril 2021. Jusqu’alors la loi n’autorisait l’avortement en cas de viol que si la femme souffrait d’un handicap mental. La modification de la loi n’a pas encore eu lieu car le Président équatorien a opposé son veto au texte adopté par le Parlement qui permettrait aux mineures de faire valoir leur droit à l’avortement jusqu’à la dix-huitième semaine de grossesse. Il a également conditionné la levée de son veto à l’obligation que les avortements en cas de viol donnent lieu au dépôt d’une plainte ou à un examen médical prouvant l’agression.

En Corée du Sud, la Cour constitutionnelle a jugé non conforme une loi de 1953 qui limitait l’avortement aux femmes victimes de viol ou en cas de danger pour la mère et l’enfant. Toutefois, aucune nouvelle loi n’a été prise depuis, créant une situation de vide juridique concernant l’accès à l’IVG.

En Thaïlande, l’avortement a été légalisé en février 2021 jusqu’à douze semaines et, depuis septembre 2022, jusqu’à vingt semaines de grossesse ([30]).

D.   Faire de la France le premier pays au monde à reconnaître le droit à l’IVG dans sa Constitution

Dans de nombreux pays, y compris au sein de l’Union européenne, l’IVG reste ou redevient un sujet d’actualité et de débat. En ce sens, il est de la responsabilité de la France de réaffirmer ce principe et son attachement à la protection des droits des femmes.

En adoptant cette révision, la France deviendrait le premier pays au monde à reconnaître le droit à l’IVG dans sa Constitution. Cela perpétuerait l’inspiration qu’a été l’histoire constitutionnelle française pour de nombreux pays, en particulier dans le domaine de la protection des droits fondamentaux.

De l’avis de l’ensemble des personnes auditionnées par votre Rapporteure, il s’agirait d’un signal fort envoyé au niveau international en faveur de la protection des droits fondamentaux et du progrès et d’un message de soutien puissant aux personnes qui se battent à travers le monde pour que ce droit soit respecté.

Pour mémoire, en France, le nombre d’IVG est stable et s’élève, selon la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques des ministères sanitaires et sociaux (DREES), à 223 300 pour 2021, 220 000 en 2020 et 232 000 en 2019.

III.   La nécessité de dépasser les réticences à la constitutionnalisation du droit à l’IVG

Le contexte international invite le législateur à se prononcer sur l’opportunité de constitutionnaliser le droit à l’avortement. Des réticences existent, comme le montre le rejet par le Sénat, le 19 octobre 2022, d’une proposition de loi en ce sens. Votre Rapporteure tient donc à expliquer sa démarche et à répondre aux arguments qui sont opposés à cette révision.

A.   Un débat né de la situation des États-Unis auquel la France n’échappe pas

Il est reproché au dispositif proposé d’importer un débat, venu des États-Unis, qui ne concernerait pas la France compte tenu de son organisation territoriale. Certes, aux États-Unis, le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême repose principalement sur une question de répartition des compétences entre État fédéral et états fédérés. Il est également vrai que la France, compte tenu de son organisation décentralisée, ne confie pas à d’autres pouvoirs que le Parlement le soin d’encadrer le recours à l’interruption volontaire de grossesse.

Néanmoins, le débat américain, qui touche également plusieurs pays européens (voir supra), doit nous alerter : la remise en cause de l’IVG concerne des pays parmi les plus démocratiques et les plus développés économiquement. Cette législation pourrait également être instrumentalisée en France à des fins politiques et ne sera, à ce titre, jamais pleinement garantie.

B.   Un droit encore contesté et un débat dont il ne faut pas avoir peur

La rapporteure de la commission des Lois du Sénat a estimé dans son rapport que « l’existence en France d’une menace réelle au recours à l’IVG et à la contraception n’est pas démontrée, aucun parti politique n’ayant notamment, à [sa] connaissance, jamais remis en question le principe de l’IVG, encore moins de la contraception » ([31]).

Votre Rapporteure doute de cette affirmation. Comme l’ont souligné les responsables d’associations auditionnées, l’opposition dont a pu faire l’objet la récente proposition de loi visant à étendre de douze à quatorze semaines de grossesse le délai de recours à l’IVG ([32]) démontre les réticences importantes d’une partie du spectre politique aux avancées dans ce domaine. Pour mémoire, 484 amendements avaient été déposés sur le texte à des fins d’obstruction, obligeant, dans un premier temps, le groupe Socialistes et apparentés à retirer ce texte de l’ordre du jour, avant que la majorité ne l’y réinscrive pour qu’il puisse être adopté.

Ceux qui prétendent que l’IVG n’est pas menacée en France s’inquiètent d’ailleurs du risque de recourir au référendum – seule option laissée par l’article 89 de la Constitution pour faire approuver une révision d’initiative parlementaire. Cette crainte démontre que le débat, dans notre pays, n’est pas pleinement achevé. Passer par le référendum pour inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution acterait un choix de société auquel votre Rapporteure estime que la France est prête. Comme l’a souligné la Sénatrice Mélanie Vogel lors de son audition, « il ne faut pas attendre que ce droit soit contesté pour le protéger car il sera déjà trop tard ».

C.   une protection qui reste fragile aux niveaux constitutionnel et européen

L’affirmation selon laquelle le Conseil constitutionnel garantit d’ores et déjà le droit à l’IVG et censurerait toute tentative de régression est incertaine. Le Conseil constitutionnel accorde au législateur un large pouvoir d’appréciation sur les questions de société. C’est d’ailleurs à l’occasion de sa décision du 15 janvier 1975 qu’il a indiqué que « l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement » ([33]).

Par ailleurs, le Conseil n’a jamais accordé au droit à l’IVG le rang de principe fondamental notamment parce qu’il ne répond pas pleinement aux critères des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) ([34]).

La protection prétorienne accordée par le Conseil constitutionnel, au titre de l’équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et la liberté de la femme ([35]), est essentielle mais fragile. D’autres pays occidentaux ont su s’appuyer sur leur tribunal constitutionnel ou leur cour suprême pour faire reculer le droit à l’IVG. En ce sens, la présente proposition de loi constitutionnelle sécurise davantage le droit à l’IVG en modifiant la lettre même de la Constitution.

Par ailleurs, en l’absence de consensus sur la question, la protection du droit à l’IVG en droit européen et international est limitée. Il n’est pas reconnu dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales au titre de la protection de la vie privée et familiale prévue par son article 8. Dans un arrêt A,B et C contre Irlande, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a explicitement précisé que « l’article 8 [de la Convention] ne peut s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement » ([36]).

D.   Une révision dans le respect de l’esprit de la Constitution de la V° République

Enfin, il est opposé à cette révision qu’elle ne serait pas compatible avec l’histoire de la Constitution de 1958, qui aurait pour seule finalité l’organisation des relations entre les pouvoirs publics. Comme l’a rappelé Mme Diane Roman lors de son audition, « contrairement à de nombreuses constitutions européennes, la Constitution de la Ve République ne s’ouvre pas par l’énumération d’une série de droits fondamentaux. Pour autant, elle est bien le lieu d’affirmation des droits fondamentaux ».

En effet, la Constitution s’ouvre par un préambule, qui – renvoie explicitement à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, au Préambule de 1946 et à la Charte de l’environnement. La portée constitutionnelle de ces derniers ne fait plus débat et a même été étendue par le Conseil constitutionnel qui a intégré au bloc de constitutionnalité le premier alinéa du Préambule de 1946 qui évoque les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (PFRLR). Par sa jurisprudence, le Conseil a considéré comme des PFRLR les droits de la défense ([37]), la liberté de l’enseignement ([38]), la recherche du relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées ([39]) ou encore l’indépendance de la juridiction administrative ([40]).

Plusieurs articles de la Constitution de 1958 protègent des droits et libertés fondamentales. Dès 1958, l’article 2 – devenu depuis l’article 1er – garantissait le caractère « indivisible, laïque, démocratique et social » de la République, « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » et le respect de « toutes les croyances ». En 2008, l’article 1er a été complété par l’exigence que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». La Constitution de 1958 fait également référence au droit d’asile (article 53-1), à l’interdiction de la peine de mort (article 66-1), à la garantie de la liberté individuelle par la justice (article 66).

Certes, la constitution ne doit pas être le réceptacle de règles trop précises ou de principes qui ne seraient pas stabilisés. Le comité de réflexion présidé par Simone Veil recommandait en 2008 de ne pas inscrire dans la Constitution « des principes qui peuvent apparaître intangibles, mais qui pourraient fort bien ne plus se révéler l’être demain » ([41]). Au contraire, l’IVG est un principe intangible et doit le rester, au même titre que l’interdiction de la peine de mort.

La rédaction choisie veille à rester dans l’affirmation de ce principe en laissant au législateur les marges d’appréciation pour continuer de faire progresser l’exercice de ce droit. Mais, surtout, elle réduirait considérablement le risque d’une régression contre laquelle les protections existantes sont encore aujourd’hui insuffisantes.

Enfin, la portée symbolique de cette reconnaissance est essentielle. Comme l’a souligné Mme Stéphanie Hennette-Vauchez lors de son audition, « parler dans la Constitution des questions reproductives permet de rendre visible des éléments sous-jacents essentiels au fonctionnement d’une communauté politique ».

En somme, la reconnaissance du droit à l’IVG dans la Constitution n’est ni inutile ni contre-productive. Elle répond à des attentes élevées et assurera une protection supplémentaire de ce principe fondamental.

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   commentaire de l’article unique

Article unique
(art. 66-2 [nouveau] de la Constitution)
Protection du droit à l’interruption volontaire de grossesse

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article vise à reconnaître dans la Constitution le droit fondamental pour toute femme d’avoir accès à l’interruption volontaire de grossesse. Cet article fait obligation à l’État de garantir ce droit pour que nul n’en soit privé.

Comme de nombreux autres droits et principes fondamentaux reconnus par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cet outil juridique permettra de prévenir toute régression dans le champ du droit d’accéder à l’IVG, sans porter atteinte au pouvoir d’appréciation du législateur quant aux modalités pratiques de son exercice. Il n’appelle pas de modification immédiate du cadre législatif en vigueur.

       Dernières modifications législatives et constitutionnelles intervenues

Les règles relatives à l’interruption volontaire de grossesse ont évolué à plusieurs reprises au cours des dernières années dans le domaine législatif (voir supra). La dernière avancée en la matière concerne l’extension de douze à quatorze semaines de grossesse du délai dans lequel l’IVG peut être réalisée.

En revanche aucune évolution en la matière n’a eu lieu au niveau constitutionnel, la dernière révision remontant désormais à 2008. On pourra néanmoins mentionner la reconnaissance en 2007 de l’interdiction de la peine de mort à l’article 66-1 qui précède l’article nouvellement créé dans le même titre VIII.

       Principaux apports de la commission des Lois

À l’initiative de votre Rapporteure, la commission des Lois a adopté un amendement visant à éviter que des tiers puissent faire valoir un droit à l’interruption de la grossesse d’autrui.

1.   État du droit

a.   Un principe non reconnu au niveau constitutionnel

Le droit à l’IVG est reconnu et encadré par la loi depuis 1975. Au terme des différentes évolutions, ce droit obéit aux règles suivantes :

– Les médecins et les sages-femmes peuvent réaliser les IVG, jusqu’à quatorze semaines de grossesse avec le consentement de la personne concernée ;

– Le professionnel de santé peut faire valoir sa « clause de conscience », à condition d’orienter la personne vers un professionnel acceptant de réaliser l’IVG ;

– Il n’y a plus de délai de réflexion, ni de recueil du consentement des parents pour les mineures ;

– L’IVG est prise en charge financièrement à hauteur de 100 % ;

– Les entraves auxquelles les femmes souhaitant avorter peuvent être confrontées sont punies de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ;

– Enfin, les professionnels pratiquant illégalement l’IVG ou mettant à disposition les moyens de réaliser soi-même une IVG sont sanctionnés jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Encadré au niveau législatif, le droit à l’IVG n’est pas reconnu comme un principe constitutionnel même si le Conseil constitutionnel a toujours considéré la législation en la matière comme conforme à la Constitution. Bien qu’il ait fait l’objet d’une application constante depuis maintenant plus de quarante-sept ans, il ne peut être reconnu comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République car sa reconnaissance dans la loi est postérieure à 1946 ([42]).

Sa constitutionnalité repose aujourd’hui sur « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ([43]). Les limites de cet équilibre ont été définies de manière prétorienne, laissant planer un doute sur la position qu’adopterait le juge constitutionnel en cas de remise en question du droit à l’IVG – par exemple sa restriction à certaines situations (viol, inceste, danger pour la santé de la femme…).

b.   Les modalités de révision de la Constitution à l’initiative du Parlement

L’article 89 de la Constitution de 1958 précise les modalités de révision de la Constitution. Elle ne fixe que deux limites quant à la portée de la révision : celle-ci ne peut porter « atteinte à l’intégrité du territoire », ni remettre en cause « la forme républicaine du Gouvernement ».

Lorsque la révision est d’initiative parlementaire, la proposition de loi constitutionnelle doit être votée par les deux assemblées dans des termes identiques. Elle doit ensuite être soumise au référendum par le Président de la République pour être approuvée définitivement. Contrairement aux projets de loi constitutionnelle, les propositions de loi constitutionnelle ne peuvent pas être approuvées par le Parlement réuni en Congrès.

Sous la Ve République, aucune révision constitutionnelle d’initiative parlementaire n’a abouti et seulement deux révisions ont été approuvées par référendum : en 1962 pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct – par l’utilisation de la procédure prévue à l’article 11 de la Constitution – et en 2000 pour la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans.

Ainsi, si un retour en arrière serait toujours possible comme l’ont souligné certains opposants à cette révision, une modification de la Constitution reste considérablement plus contraignante qu’une modification de la loi. En ce sens, la présente proposition de loi constitutionnelle assurera une protection plus forte du droit à l’IVG.

2.   Le choix de la rédaction du dispositif

a.   Des tentatives nombreuses mais inabouties

Diverses propositions de loi constitutionnelle et amendements à des projets de loi constitutionnelle ont été déposés afin de constitutionnaliser le droit à l’IVG. Si cela montre qu’un large spectre politique est en faveur de cette révision, aucune d’entre elle n’a encore su emporter l’adhésion.

 Préambule

En l’absence de possibilité de modifier les préambules de 1789 et de 1946, plusieurs amendements ont porté sur le préambule de la Constitution de 1958 ([44]). Ce dernier, assez méconnu, renvoie aux autres préambules : la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, le Préambule de 1946 et la Charte de l’Environnement. Il n’a été modifié qu’à une seule reprise en 2005 pour intégrer la mention de cette dernière. Son second alinéa est un héritage de l’époque de la décolonisation puisqu’il rappelle la participation des territoires d’outre-mer aux institutions dans le respect de la « libre détermination des peuples ».

Ce préambule intègre les droits issus de textes anciens mais ne contient pas l’affirmation de droits nouveaux. C’est pourquoi il semble à votre Rapporteure qu’il ne serait pas opportun d’y intégrer le droit d’accéder à l’IVG, à moins de l’accompagner d’une série d’autres droits propres à notre époque, ce qui n’est pas l’ambition de cette révision.

 Article 1er

Plusieurs propositions de rédaction ont fait le choix d’inscrire le droit à l’IVG à l’article 1er de la Constitution qui rassemble plusieurs principes constitutionnels, notamment, depuis 2008 « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Une proposition de loi déposée au Sénat a souhaité inscrire à l’article 1er que « la loi garantit l’autonomie décisionnelle en matière reproductive ainsi que l’accès aux soins et aux services de santé » ([45]). Cette hypothèse a été étudiée en détail par votre Rapporteure et constitue l’alternative la plus intéressante à la création d’un article 66-2. Toutefois, il est apparu que l’article 1er énonçait des droits politiques relatifs à l’organisation de la société et de la République davantage que des droits et libertés individuels. C’est la raison pour laquelle, bien que le droit à l’IVG soit le fruit d’une longue lutte politique, il lui a semblé que ce droit trouve mieux sa place au titre VIII.

 Article 34

D’autres propositions suggéraient d’intégrer le droit à l’interruption volontaire de grossesse à l’article 34 de la Constitution qui définit le domaine de la loi afin de préciser que le législateur est compétent pour assurer « la mise en œuvre du droit à l’interruption volontaire de grossesse » ([46]). Une telle rédaction vise à reconnaître en creux l’impossibilité pour la loi de cesser de mettre en œuvre ce droit.

Cela pose deux difficultés. Premièrement, l’article 34 définit un nombre limité de domaines d’intervention du législateur sans préciser le sens dans lequel ce dernier doit légiférer. Deuxièmement, une telle précision est superfétatoire : le législateur est déjà intervenu pour encadrer la mise en œuvre de l’IVG sans que soit remis en cause sa compétence. Préciser qu’il est en droit de le faire n’apporterait donc pas de réelle avancée.

 Article 66-2

Enfin, plusieurs parlementaires ont proposé la création d’un article 66-2 dans le titre VIII consacré à l’autorité judiciaire. Si ce choix, également fait par votre Rapporteure, semble judicieux, la rédaction des dispositifs qui ont été proposés ne répondait pas exactement au but poursuivi.

Deux rédactions, différentes du présent texte, ont été proposées.

– « Nul ne peut entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse » ([47]) ;

– « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits » ([48]).

Dans les deux cas, ces rédactions renvoient davantage à la notion d’entrave qui a un sens très précis en la matière puisqu’il est défini à l’article L. 2223-2 du code de la santé publique. Ces rédactions sanctuariseraient le délit d’entrave mais ne reconnaîtraient qu’indirectement le droit à l’IVG et créeraient peu d’obligations pour l’État, hormis celle de lutter contre les personnes qui cherchent à entraver le droit à l’avortement. En outre, ces rédactions pourraient remettre en cause la clause de conscience des professionnels de santé, reconnue pour tous les actes médicaux. Votre Rapporteure insiste sur le fait que cette révision doit être compatible avec un maintien à droit constant de l’encadrement juridique de l’IVG.

b.   Le dispositif proposé et sa portée

La présente proposition de loi propose également de créer un nouvel article 66-2 dans le titre VIII de la Constitution consacré à l’autorité judiciaire ainsi rédigé : « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

i.   Une rédaction qui reconnaît une liberté et crée un droit-créance pour les femmes et une obligation de résultat pour les pouvoirs publics

La volonté de votre Rapporteure est de consacrer la liberté de choisir de recourir à l’avortement si elles le souhaitent. Dès lors, il semble opportun d’adopter une rédaction qui vise directement les personnes concernées et non celles qui voudraient les empêcher d’exercer leur droit. Ainsi, comme le fait l’article 66-1 qui prévoit que « nul ne peut être condamné à la peine de mort », le présent article dispose que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Il en résultera une obligation de moyen et de résultat pour les pouvoirs publics qui devront garantir un accès libre, effectif et gratuit à l’IVG et devront lutter contre toutes les formes d’entrave.

ii.   Une précaution contre les régressions du droit à l’avortement dans le respect des prérogatives du législateur

En priorité, la rédaction choisie vise à empêcher une repénalisation de l’avortement et garantit un nouveau pan de la liberté individuelle, raison pour laquelle il a été choisi de l’inscrire à la suite de l’article 66-1 sur la peine de mort dans le titre consacré à l’autorité judiciaire. Comme l’a rappelé M. Stéphane Mouton lors de son audition, ce titre VIII avait été conçu en 1958 comme un « Habeas corpus à la française » attribuant à l’autorité judiciaire le rôle de « gardienne de la liberté individuelle » ([49]).

Ensuite, elle prévient la restriction des conditions dans lesquelles il peut y être fait recours, par exemple en déremboursant l’IVG ou en le limitant aux cas de viol, d’inceste, de danger pour la femme ou de malformation du fœtus.

Le fait que l’accès à ce droit soit garanti pour toutes les femmes ne signifie pas l’abandon de tout encadrement par la loi. Comme différents autres droits garantis par la Constitution, il s’exerce dans les conditions fixées par le législateur et le Conseil peut apprécier les atteintes portées à un principe constitutionnel en fonction d’autres objectifs qu’il estime de valeur constitutionnelle (OVC), par exemple la protection de la santé publique ([50]) ou la sauvegarde de l’ordre public ([51]). Les OVC ont pour fonction de permettre au Conseil constitutionnel de concilier différents principes constitutionnels mais ils ne doivent pas porter une atteinte excessive à ces droits en les dénaturant ([52]).

Le Conseil constitutionnel a également pu reconnaître un « effet cliquet » en matière de droits fondamentaux. Dans une décision du 11 octobre 1984, il a considéré le législateur ne saurait modifier ou abroger des dispositions législatives touchant une liberté comme la liberté de communication qu’« en vue d’en rendre l’exercice plus effectif » ([53]).

Il a précisé sa jurisprudence récemment puisqu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le respect de l’article 1er de la Charte de l’environnement, il a indiqué que « s’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » ([54]). Il a également rappelé que « les limitations apportées par le législateur à l’exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».

L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution vise donc à inscrire un principe de non-régression en la matière tout en laissant au législateur le soin d’encadrer ce droit, sans toutefois pouvoir le dénaturer, le rendre moins effectif ou le priver de garanties légales.

iii.   Une modification à droit constant au niveau législatif

Votre Rapporteure est attachée à ce que cette révision ne bouleverse pas le droit applicable en matière d’IVG, déjà récemment modifié et ne porte pas atteinte aux délais, ni à la clause de conscience des médecins, qui est explicitement prévue dans la loi dans le cas de l’IVG mais qui existe pour tous les autres actes médicaux ([55]).

Pour autant, comme l’ont rappelé les personnes auditionnées, la constitutionnalisation du droit à l’IVG ne doit pas faire oublier les difficultés rencontrées par certaines femmes pour accéder à l’IVG en France. Selon le Comité consultatif national d’éthique, entre 1 500 et 2 000 femmes avortent à l’étranger chaque année faute d’avoir pu y procéder légalement en France ([56]). Loin d’entrer en concurrence avec les revendications en faveur d’un accès plus effectif à l’IVG, votre Rapporteure estime que son initiative ne pourra que venir renforcer les efforts des pouvoirs publics pour améliorer l’exercice de ce droit.

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

Les auditions ont fait naître la crainte que des tiers (conjoint, parents…) puissent se prévaloir du droit à l’IVG pour imposer un avortement à une femme. Le mot nul au masculin pouvait également prêter à confusion.

À l’initiative de votre Rapporteure, la commission des Lois a donc adopté un amendement CL16 visant à remplacer l’expression « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » par la formule « Nulle femme ne peut être privée du droit à l’interruption volontaire de grossesse ».

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   Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 9 novembre 2022, la Commission procède à l’examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse (n° 340 rect.) (Mme Aurore Bergé, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/dwJmyH

M. le président Sacha Houlié. L’examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse, déposée par Mme Aurore Bergé, Mme Marie-Pierre Rixain et les membres du groupe Renaissance, a lieu au lendemain du cinquantième anniversaire du procès de Bobigny, au cours duquel Gisèle Halimi a défendu Marie-Claire Chevalier, jugée pour avoir avorté après avoir été violée, ce qui a ouvert la voie à la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Il intervient aussi concomitamment aux élections de mi-mandat aux États-Unis. Plusieurs de nos collègues ont déposé des propositions de loi constitutionnelles à ce sujet pour protéger, dans notre pays, ce qui est remis en cause, de façon inattendue, dans d’autres.

Dans l’arrêt rendu le 24 juin dernier, la Cour suprême des États-Unis a considéré que l’avortement n’est pas protégé par la Constitution fédérale, revenant sur une jurisprudence établie et solide qui, depuis 1973, offrait au droit à l’avortement une protection fédérale. Ce revirement spectaculaire ne peut que nous mettre en garde contre la possibilité d’une mise en cause, ailleurs dans le monde, des jurisprudences les plus établies.

Certes, la décision d’une juridiction étrangère est sans conséquence sur notre ordre juridique interne. Toutefois, cet arrêt procède d’un mouvement insidieux de remise en cause du droit à l’avortement, observable par exemple dans certains pays d’Europe centrale et orientale. Depuis 2020, en Pologne, l’IVG n’est plus possible en cas de malformation du fœtus. En Hongrie, les femmes souhaitant avorter doivent désormais écouter le cœur de leur fœtus avant de procéder à l’IVG. Quant à la position personnelle d’opposition à l’IVG de la nouvelle présidente du conseil italien, Mme Meloni, elle ne peut que nous inquiéter, s’agissant d’un pays où l’accès concret à l’avortement reste compliqué.

Pour ces raisons, les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption de grossesse en avaient déposé une première version dès le 30 juin dernier, et ce texte sera le premier texte inscrit à l’ordre du jour de la première semaine de l’Assemblée de la XVIe législature. D’autres groupes ont déposé des propositions de lois similaires, présentées notamment par Mme Panot et par Mme Untermaier. Toutefois, le règlement interdit, depuis 2010, l’examen concomitant de plusieurs propositions de loi dont l’objet est identique.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. « Cette loi archaïque ne peut survivre. Elle est contraire à la liberté de la femme », ces mots, prononcés par Gisèle Halimi il y a cinquante ans, sont inséparables de la relaxe obtenue pour une jeune femme ayant dû avorter clandestinement, avec l’aide de sa mère, après avoir été violée. Ce procès a accéléré la légalisation de l’avortement, consacrée par l’adoption de la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite loi Veil.

Un demi-siècle plus tard, la proposition de loi constitutionnelle soumise à notre examen vise à inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution. Si le groupe Renaissance, que j’ai l’honneur de présider, a choisi d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de la première semaine de l’Assemblée de la législature, ce n’est ni pour le symbole, ni par opportunisme politique ; c’est parce qu’il nous revient, aujourd’hui, de faire ensemble ce pas décisif.

Certains estiment que la priorité est de rendre ce droit plus effectif. En dépit d’indéniables progrès législatifs, consacrés de façon transpartisane lors de la précédente législature, les femmes souhaitant avorter dans notre pays demeurent confrontées à de trop nombreux obstacles, notamment la difficulté de trouver un centre pratiquant l’IVG, la persistance de pratiques humiliantes et culpabilisantes ainsi que l’impossibilité d’assumer le coût du transport ou de certaines prestations médicales.

J’ai conscience de ces difficultés et je ne m’y résous pas. Lors de la précédente législature, la majorité s’est engagée en faveur de l’accès à l’IVG, en soutenant notamment, contre l’obstruction de certains, l’extension de douze à quatorze semaines du délai légal pour pratiquer une IVG et la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer l’IVG instrumentale.

Toutefois, le débat que nous ouvrons est autre. Je suis convaincue que sa constitutionnalisation améliorera, à terme, l’accès effectif à l’IVG. Il y a quelques années, nous aurions peut-être estimé que le droit à l’IVG n’était pas menacé dans son principe, et que sa constitutionnalisation n’était donc pas nécessaire. Certains continuent d’affirmer qu’il fait consensus dans notre pays. Cet argument, parmi d’autres, fut avancé par le Sénat pour rejeter une proposition de loi similaire le mois dernier.

Il me semble que le contexte national et surtout international fait planer une menace de plus en plus inquiétante sur le droit à l’avortement, et exige cette protection supplémentaire. En France, les associations témoignent de la présence de mouvements puissants, souvent coordonnés à l’échelle européenne, promouvant la suppression ou la restriction du droit à l’avortement dans notre pays, et bénéficiant d’abondantes sources de financements étrangers pour mener des actions de grande ampleur.

Il ne me semble pas souhaitable d’attendre que l’IVG soit davantage remis en cause dans notre pays pour nous préoccuper de sa protection. Les associations de protection du droit à l’avortement, dont je salue l’engagement, nous demandent d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Dans de nombreux pays occidentaux, le droit à l’avortement recule. Aux États-Unis et en Pologne, c’est sa légalité même qui est mise en cause. Sept États fédérés américains l’interdisent désormais. En Pologne, 90 % des IVG légales ont été interdites par décision du tribunal constitutionnel.

Certains estiment que le débat américain ne doit pas être importé en France, s’agissant d’un conflit de compétences entre l’État fédéral et les États fédérés, étranger à notre tradition décentralisée. Toutefois, ce que la Cour suprême a fait, sous l’influence de requérants pro-life, c’est utiliser l’arme du droit pour mettre à mal un droit fondamental. Aucun pays n’est protégé contre une telle manipulation. Au demeurant, certains reculs, tels que le rétablissement du consentement des parents pour les mineures au Portugal, l’obligation de démontrer l’existence d’un viol et de porter plainte au Brésil ainsi que l’obligation d’être confrontée aux fonctions vitales du fœtus en Hongrie, sont plus pernicieux. C’est contre toutes ces régressions que nous luttons.

Trois reproches nous sont adressés : le droit à l’IVG serait suffisamment protégé par la loi et la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; sa constitutionnalisation n’apporterait aucune protection supplémentaire ; la Constitution ne serait pas le texte adéquat où inscrire de nouveaux droits fondamentaux.

Malheureusement, l’IVG ne bénéficie pas, dans notre droit, d’une protection aussi élevée que certains le pensent. Les juristes s’accordent à dire qu’il est très difficile d’anticiper la réaction du juge constitutionnel face à un texte visant à restreindre le droit à l’avortement, car le Conseil constitutionnel n’a jamais donné à l’IVG le rang de principe constitutionnel. Ils rappellent que, depuis 1975, le Conseil considère ne pas disposer, en la matière, d’un pouvoir d’appréciation de même nature que celui du législateur.

S’il a admis la conformité des lois relatives à l’IVG au regard du respect de l’équilibre entre la liberté de la femme, telle qu’elle découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation, il n’a jamais fixé, ni à la hausse, ni à la baisse, les limites de cet équilibre. Il incombe donc au législateur, en sa qualité de Constituant, de le faire.

La protection offerte par la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas davantage satisfaisante. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) considère qu’il n’y a pas de consensus selon lequel le droit à l’avortement est inhérent au respect de la vie privée et familiale. Compte tenu de ce flou, la sagesse veut que le Constituant inscrive ce droit dans le texte de la Constitution.

Certes, la Constitution de la Ve République n’est pas un catalogue de droits et de libertés. Elle est davantage un précis d’organisation des relations entre les pouvoirs. Elle inclut cependant les principes de 1789 et de 1946, qui sont toujours d’actualité, mais pas les droits acquis au cours de la seconde moitié du XXe siècle, ce que l’on peut regretter.

L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution de 1958 constitue-t-elle pour autant une rupture avec notre tradition juridique ? Je ne le pense pas. Son préambule renvoie aux principes de 1789 et au préambule de la Constitution de 1946. Comme tel, il reconnaît de nombreux droits fondamentaux. Par ailleurs, ses articles 1er et 66-1, pour ne citer qu’eux, consacrent des droits inhérents à la République, tels que la liberté de croyance, la laïcité, le refus des discriminations, l’égalité entre les femmes et les hommes et l’interdiction de la peine de mort.

En outre, le Conseil constitutionnel, pour contourner l’absence de certains droits dans la Constitution, a érigé au niveau constitutionnel, de façon prétorienne, des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République avant 1946, notamment les droits de la défense, la liberté de l’enseignement ou la primauté de l’éducatif sur le répressif dans la justice des mineurs. Consacrer un nouveau droit ne serait donc ni inédit ni inutile, compte tenu de la portée que la jurisprudence constitutionnelle donne à ces principes.

L’inscription de l’IVG dans la Constitution a donc deux vertus, outre celle de symbole : ériger le droit à l’IVG au rang de principe constitutionnel et le protéger contre ceux qui seraient tentés de le faire régresser.

Une fois démontrée l’opportunité d’une telle révision, il faut trouver la rédaction la plus juste. Les contraintes que nous nous sommes fixées dans cet exercice sont multiples : adopter une rédaction suffisamment précise pour prévenir toute régression du droit à l’IVG ; laisser au législateur une marge d’appréciation suffisante pour faire progresser celui-ci en fonction de l’évolution des mentalités ainsi que de nos connaissances scientifiques et techniques ; garder à l’esprit que cette révision n’aboutira qu’en prenant en considération certaines critiques formulées par le Sénat à son encontre.

J’ai fait le choix de placer ce droit spécifique, presque autonome, dans un nouvel article 66-2, et non dans le préambule ou dans l’article 1er de la Constitution. Ce choix n’est pas le fruit du hasard. L’article 66 se situe dans le titre consacré à l’autorité judiciaire, garante des libertés individuelles. L’article 66-1 énonce le seul grand principe issu d’une révision constitutionnelle : l’interdiction de la peine de mort.

J’ai retenu la rédaction suivante : « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » – je proposerai de faire évoluer en « Nulle femme ne peut être privée du droit à l’interruption volontaire de grossesse ». Lors de nos auditions, le Conseil national des barreaux nous a en effet alertés sur la nécessité de lever toute ambiguïté sur la possibilité qu’un tiers impose un avortement à une femme.

Cette rédaction concise est centrée sur la femme et non, comme d’autres rédactions dont nous aurons l’occasion de débattre, sur ceux qui entendent faire obstacle à l’exercice du droit à l’IVG. Certes, le délit d’entrave joue un rôle essentiel dans la protection de ce dernier, mais il s’agit de reconnaître un nouveau droit. Au demeurant, l’interdiction de la peine de mort est formulée comme suit : « Nul ne peut être condamné à mort ».

Il ne nous a pas semblé indispensable de préciser que ce droit s’exerce dans les conditions fixées par la loi, car il va de soi qu’il ne s’agit pas d’un droit absolu, mais d’un droit qui a toujours été encadré par le législateur, et apprécié au regard d’autres impératifs juridiques. Faire référence à la loi aurait pu contraindre le législateur à intervenir pour rendre la loi conforme à la Constitution, alors même que nous voulons en priorité consolider le droit en vigueur et éviter toute régression. La formule choisie crée une obligation de résultat, qui peut être respectée à droit constant, à condition d’en assurer l’effectivité, comme le demandent les associations.

Mes chers collègues, nous avons l’occasion d’envoyer un signal puissant à toutes les femmes qui luttent dans leur pays pour faire reconnaître le droit à l’IVG – elles sont encore nombreuses. En devenant le premier pays au monde à constitutionnaliser l’IVG, la France montrerait son appartenance au camp du progrès et de la protection des droits des femmes.

Certains reprochent à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution son caractère symbolique. Or elle est bien plus qu’un symbole. N’attendons pas de ne plus pouvoir agir pour nous désoler et agissons quand nous en avons l’occasion, donc le devoir ! Assumons l’importance des symboles dans notre texte fondateur !

L’affirmation du droit à l’IVG est un rappel de notre attachement au droit des femmes à disposer de leur corps, indissociable de la bonne santé de notre société et de notre idéal républicain d’égalité et de liberté.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Le groupe Renaissance, à l’initiative d’Aurore Bergé et de Marie-Pierre Rixain, a déposé la présente proposition de loi constitutionnelle dans les tout premiers jours de la législature, le 30 juin 2022 très exactement, dans un contexte de forte inquiétude. La Cour suprême des États-Unis venait d’autoriser les États fédérés à restreindre, voire abolir le droit à l’avortement. Malheureusement, cette décision n’est pas un phénomène isolé. En Pologne, le gouvernement n’a eu de cesse, depuis six ans, d’asséner des coups de boutoir contre le droit à l’IVG, et ce dernier a été abrogé en cas de malformation grave du fœtus. En Italie, Giorgia Meloni a nommé au ministère de la famille Eugenia Roccella, qui s’est publiquement exprimée contre l’avortement. En France aussi, les idées réactionnaires gagnent du terrain.

Dans ce contexte politique incertain, l’objet du présent texte est de conférer au droit à l’IVG, dans ses modalités telles qu’elles sont définies par le droit positif, la garantie la plus forte possible dans notre ordonnancement juridique. C’est une nécessité, car, si le juge constitutionnel a eu l’occasion d’affirmer que le droit à l’avortement n’est pas incompatible avec les principes constitutionnels, il ne lui a pour autant jamais conféré une valeur constitutionnelle.

Il ressort des diverses auditions réalisées qu’il n’existe pas de rédaction parfaite ni d’emplacement idéal pour intégrer ce principe dans la Constitution. Nous avons donc fait le choix d’un texte sobre et épuré, laissant intacts le préambule et l’article 1er de la Constitution. La rédaction respecte l’esprit de notre texte fondamental, en fixant le principe d’un droit à l’IVG sans en arrêter les détails, et laissant au juge constitutionnel le soin d’interpréter ce principe à l’aune de nos débats et de l’exposé des motifs du texte.

Dans cette perspective, le groupe Renaissance votera contre les amendements visant à détailler le contenu du principe constitutionnel, mais pour l’amendement de la rapporteure qui, suivant les conseils avisés des juristes auditionnés, a pour objet d’empêcher tout tiers de se prévaloir du droit à l’IVG sur une femme. Cette précision nous semble spécifiquement nécessaire, à la lumière des pressions que subissent toujours les femmes dans l’exercice de leur droit à l’IVG.

Cette rédaction épurée permet de conférer au principe du droit à l’IVG et à son contenu tel qu’il est établi par la législation en vigueur, une valeur constitutionnelle, tout en rassemblant le consensus le plus étendu. Comme l’a dit Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, lors de son audition, nous sommes peut-être amenés à nous prononcer sur le texte le plus important et le plus fondamental de la législature.

Il est de notre responsabilité de créer les conditions pour faire aboutir la constitutionnalisation de l’IVG, vis-à-vis de l’avenir, afin que demain nos filles et nos petites-filles conservent la maîtrise de leur corps et de leur destin, quelle que soit la majorité qui sera dans ces murs, et vis-à-vis du monde, car la France deviendrait ainsi le premier pays à garantir dans sa Constitution le droit à l’IVG, envoyant un signal fort de lutte contre la tendance à la régression des droits procréatifs dans le monde.

Mme Pascale Bordes (RN). Le texte soumis à notre examen viserait à sécuriser le droit à l’IVG, en le plaçant au plus haut niveau de la hiérarchie des normes de notre ordre juridique interne, pour éviter, d’après ses auteurs, un « retour en arrière insupportable », comme on le constate aux États-Unis, en Pologne et en Slovaquie. Une inscription dans la Constitution permettrait de « consacrer le droit d’accès à l’IVG ».

Ces arguments ne résistent pas à l’analyse.

En premier lieu, le droit à l’avortement n’est pas menacé en France. Il ne fait l’objet d’aucune remise en cause. Nous avons une protection juridique de l’IVG, solide et durable, depuis sa légalisation par la loi du 17 janvier 1975, portée par Simone Veil. Depuis, l’accès à l’IVG n’a cessé d’être renforcé, et encore récemment avec la loi du 2 mars 2022 qui a allongé de douze à quatorze semaines le délai légal pour pratiquer une IVG.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel s’est prononcé à quatre reprises sur l’IVG, qu’il a toujours jugée conforme à la Constitution, fondant ses décisions sur la liberté de la femme, qui découle du principe général de liberté inscrit à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il en a fait une composante de la liberté personnelle de la femme.

Dès lors, l’existence, en France, d’une menace réelle pesant sur le recours à l’IVG et d’un risque de retour en arrière, n’est pas démontrée. Il n’y a aucune raison que des événements extérieurs à notre pays ou des décisions de juridictions étrangères imposent de réviser la Constitution.

En second lieu, une inscription purement proclamatoire et symbolique dans la Constitution ne permettra pas de résoudre le problème majeur de l’effectivité de l’accès à l’IVG. Près de cinquante ans après l’adoption de la loi portée avec beaucoup de force et de courage par Simone Veil, de nombreuses femmes désireuses de recourir à une IVG ne parviennent pas à le faire dans de bonnes conditions. Elles se heurtent à un manque de médecins, de sages-femmes et de structures hospitalières susceptibles de les accueillir. Trop nombreuses sont encore les femmes contraintes, face à tous ces obstacles, de quitter l’Hexagone pour subir une IVG en Espagne ou dans d’autres pays bien mieux organisés que le nôtre en matière d’accès effectif à l’IVG, lequel ressortit à l’organisation du système de soins, totalement défaillant sur ce point.

Ces enjeux ô combien cruciaux excèdent largement la portée de la présente proposition de loi constitutionnelle. Au demeurant, son adoption ne réglerait en rien le problème de la prise en charge de l’IVG, et la question de l’effectivité de l’accès à l’IVG serait toujours d’actualité. Elle ne doit pas cacher le véritable scandale de la défaillance de notre système de soins, incapable de répondre dans les délais légaux aux attentes des femmes désireuses de subir une IVG.

En troisième lieu, la rédaction même du texte pose problème. Écrire « Nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse » suggère que l’accès à l’IVG est inconditionnel et absolu, et que le législateur ne peut lui fixer des bornes. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques.

Il n’est pas déraisonnable de penser que pourrait surgir, au détour d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), une demande d’IVG après expiration du délai légal, au motif que nul ne peut être privé du droit à l’IVG. Dans cette hypothèse, nous placerions malencontreusement au cœur de l’actualité le débat de fond sur l’IVG, dont la remise en cause est inexistante, au risque de fracturer notre société.

À titre personnel, j’appelle à rejeter cette proposition de loi constitutionnelle, préférant rester fidèle aux conclusions du rapport rendu par le comité présidé par Simone Veil en décembre 2008, qui ne recommande pas de modifier la Constitution en la matière.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Enfin la majorité présidentielle s’est réveillée et propose d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution. Cette mesure figure depuis plusieurs années dans le programme de La France insoumise, et notre groupe politique l’a appelée de ses vœux à plusieurs reprises. En 2018, déjà, nous avions déposé au projet de loi constitutionnelle un amendement visant à garantir dans la Constitution l’accès libre et gratuit à la contraception et à l’avortement. Votre groupe avait voté contre. Nous ne pouvons que nous féliciter de votre revirement, qui contribue à améliorer la protection des droits sexuels et reproductifs des femmes.

Vous rappelez, dans l’exposé des motifs, à quel point le droit à l’avortement est « fragile ». Toutes et tous, nous avons pu constater cette fragilité récemment. Ce droit a été remis en cause de manière brutale dans plusieurs pays, où il était pourtant acquis depuis plusieurs décennies.

Nous sommes bien d’accord avec vous, ces retours en arrière sont insupportables. Comme vous, nous pensons que le droit à l’avortement doit devenir inviolable. Faut-il rappeler que la conférence mondiale sur les femmes des Nations unies considère que la liberté de décision en matière de procréation fait partie des droits fondamentaux des femmes ?

Nous avons donc déposé notre propre proposition de loi constitutionnelle à ce sujet, quelques jours avant que vous ne déposiez la vôtre. Les deux sont très proches : il s’agit de garantir le droit à l’IVG en l’inscrivant après l’article 66 de la Constitution, juste après l’interdiction de la peine de mort. Mais votre texte, à nos yeux, souffre d’une grosse lacune : il n’inclut pas le droit à la contraception.

Au fond, ce que nous devons défendre et protéger, c’est la possibilité pour les femmes de maîtriser leur fertilité et de choisir si et quand elles veulent devenir mères, ce qui implique et l’accès à l’avortement et l’accès à la contraception. Il y va de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. L’avortement et la contraception sont, pour les femmes, des droits premiers, dont découle tout le reste : l’accès à l’emploi, l’indépendance, la possibilité d’exercer leur droit de citoyennes à égalité avec les hommes et de s’investir dans la sphère publique. L’anthropologue Françoise Héritier l’a bien montré : la domination masculine commence par la maîtrise du ventre des femmes.

Nous avons donc déposé un amendement à votre proposition de loi constitutionnelle pour y inclure notre dispositif. Il s’agit de la rendre plus protectrice, en y ajoutant la garantie d’accès à la contraception.

Oui, l’avortement et la contraception sont une question de citoyenneté et d’égalité. Au lieu de débattre de l’opportunité de protéger ces droits dans la Constitution, nous devrions toutes et tous nous indigner qu’ils n’y figurent pas encore.

Non, le droit à l’avortement n’est pas suffisamment protégé dans notre pays. Il ne bénéficie pas d’une protection constitutionnelle autonome et n’a pas été consacré comme droit fondamental par le Conseil constitutionnel. Il ne tient qu’à la faveur dont il jouit auprès d’une majorité d’élus. Or les mouvements politiques réactionnaires et conservateurs montent en puissance, et des velléités de revenir sur ce droit s’expriment dans la société française.

La position de notre groupe est donc claire : nous voterons votre proposition de loi constitutionnelle, en espérant que vous voterez la nôtre. Il est de notre devoir d’envoyer un signal fort en faveur des droits des femmes.

Une question importante, que nous ne cessons de poser depuis plusieurs mois, demeure : pourquoi recourir à une proposition de loi constitutionnelle plutôt qu’à un projet de loi constitutionnelle ? Même adoptée par l’Assemblée et le Sénat, une proposition de loi constitutionnelle doit être validée par référendum pour être définitivement adoptée. Je doute que quiconque ici souhaite qu’un tel référendum soit organisé.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Nous ne saurions entamer l’examen de ce texte législatif sans nous extraire brièvement du présent pour regarder notre passé.

Jusqu’en janvier 1975 – c’était hier –, l’avortement constituait un délit, sanctionné par cinq ans de prison. Les médecins qui le pratiquaient pouvaient être condamnés à une interdiction d’exercer ; les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l’étranger ou de recourir à des avortements clandestins.

La reconnaissance de l’IVG a été le fruit d’un long combat. Chacun se souvient du Manifeste des 343 et de l’acquittement de la jeune Marie-Claire, ainsi que des débats, d’une rare violence, au Parlement, où Simone Veil, soutenue par Jacques Chirac, a défendu son texte avec acharnement, en dépit des attaques personnelles. Comme elle l’a si justement souligné le 26 novembre 1974 devant l’Assemblée nationale, « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. […] C’est toujours un drame et cela restera toujours un drame ». Son combat était celui de toutes les femmes. Il est devenu celui de notre société.

Depuis le moment fondateur qu’a été l’adoption de la loi du 17 janvier 1975, la liberté d’interrompre sa grossesse a été continuellement confortée. Par sept fois, le législateur l’a renforcée, notamment en supprimant la nécessité d’être dans une situation de détresse, en allongeant le délai légal de recours à l’avortement, en prévoyant le remboursement de l’IVG à 100 % par la sécurité sociale et en ouvrant la voie, en 2001, à la transformation de sa dépénalisation en un véritable droit de la femme. Le droit à l’IVG fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique fondamental, ce dont nous nous félicitons.

Avant d’en venir au fond du texte que nous examinons, je tiens à dire qu’il est regrettable d’instrumentaliser ce sujet dans les « guéguerres » politiques opposant la majorité non majoritaire aux groupes d’opposition d’extrême gauche, à coups de textes examinés dans le cadre des niches parlementaires, alors même que le présent texte ne peut matériellement et constitutionnellement être adopté, dès lors qu’il a été rejeté par le Sénat le mois dernier. Le droit à l’IVG est revenu au cœur de l’actualité en raison d’une décision prise outre-Atlantique, où le système juridique n’a rien à voir avec celui de la France. L’affichage politique a la vie dure.

Sur le fond, sa constitutionnalisation emporte certes une symbolique forte, mais il n’en fait pas moins l’objet, en France, d’une protection constitutionnelle solide, car il figure dans notre droit depuis 1975, et durable – le Conseil constitutionnel l’a toujours jugé conforme à la Constitution, se prononçant en sa faveur en 1975, 2001, 2014 et 2016.

Par ailleurs, je demeure convaincue, comme l’était Simone Veil en 2008, que la Constitution ne doit être modifiée que d’une main tremblante, et pas forcément pour y inscrire, écrivait-elle dans son rapport, « des dispositions de portée purement symbolique », dès lors que le Conseil constitutionnel, en 2001, a fait de l’IVG une composante de la liberté personnelle de la femme, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Notre groupe propose donc un amendement pour clarifier cette proposition de loi écrite à la hâte. Il a pour objectif d’éviter de multiples contentieux sur les délais d’IVG. La formulation qui figure dans la proposition de loi constitutionnelle laisse à penser que l’IVG serait admise jusqu’à la fin du terme, alors qu’elle est actuellement autorisée jusqu’à la quatorzième semaine de grossesse. Par souci d’équilibre, nous proposons donc de constitutionnaliser comme principes fondamentaux le droit de la femme de demander l’IVG et le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. C’est un amendement de bon sens pour donner à ce texte un peu de solidité juridique.

La question centrale demeure celle de l’effectivité du droit à l’IVG et de l’accès à la contraception. Pour cela, il faut des mesures concrètes, comme la lutte contre les déserts médicaux, la valorisation des actes médicaux des personnels soignants pratiquant l’IVG, l’augmentation des moyens du Planning familial et une campagne de prévention et d’information pour faire connaître les moyens de contraception à chaque femme. Ces mesures relèvent du domaine réglementaire et, pour ce qui concerne les moyens financiers, du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) – pour lequel l’usage de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution nous prive de débat.

M. Erwan Balanant (Dem). Nous aurions préféré ne jamais connaître un temps où la plus haute institution judiciaire d’une des plus anciennes démocraties occidentales annule le droit de recourir à l’IVG. La décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin dernier est un revers historique, qui dépouille les femmes d’un droit fondamental, celui de disposer librement et en conscience de leur corps. Dans un avenir proche, les jeunes filles américaines pourraient avoir moins de droits que leurs mères.

L’ouverture de cette brèche doit nous faire réagir, afin d’anticiper un tel revers. La décision de la Cour suprême met-elle en danger notre modèle de protection des droits des femmes ? En droit, évidemment non. Mais force est de constater que si l’IVG est autorisée dans la majeure partie de l’UE, son accès est parfois difficile – comme en Pologne, en Hongrie et en Italie. Cette inégalité d’accès démontre que le droit d’avorter est fragilisé en Europe. Sommes-nous condamnés à faire fi de ce mouvement ultraconservateur au motif que nous, Français, disposerions d’un arsenal juridique suffisant ?

Même à supposer que cela soit le cas, nous ne vivons pas en vase clos. Quelle difficulté y aurait-il à renforcer l’autonomie de décision sur les questions reproductives ? Certes, l’accès à l’IVG est garanti par loi Veil. La liberté des femmes à recourir à l’IVG est reconnue par le bloc de constitutionnalité, en particulier grâce à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Et aucun parti politique n’a verbalisé à ce jour son souhait de revenir sur la loi Veil.

Pour autant, devons-nous nous accommoder de cet état de fait au motif que la Constitution n’aurait pas vocation à cataloguer des droits individuels, sous peine d’ouvrir la boîte de Pandore ? Faut-il rappeler que le droit à l’IVG ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit, à savoir son inscription dans la Constitution ? Alors que les droits des femmes sont remis en question, la constitutionnalisation du droit à l’IVG serait un signal fort envoyé au reste du monde.

Il est vrai que réviser la Constitution n’est pas un exercice aisé, et que Montesquieu nous invite à l’accomplir d’une main tremblante. Légiférons néanmoins d’une main ferme pour reconnaître une liberté fondamentale, et ce d’autant plus que la solidité d’un régime démocratique se mesure à la garantie constitutionnelle apportée aux libertés. La Constitution est la loi des lois, et tout procède d’elle.

Malgré les difficultés rédactionnelles, le dispositif retenu par la présente proposition permet d’atteindre l’objectif principal de consécration constitutionnelle du droit à l’IVG. C’est la raison pour laquelle notre groupe votera en sa faveur.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Nous ne pouvons que souscrire à l’inscription de la protection du droit à l’IVG dans la norme suprême. Nous regrettons les raisons qui nous obligent à en débattre : les évolutions législatives et sociétales montrent que les droits que l’on supposait acquis ne sont jamais gravés dans le marbre. Les avancées obtenues pour le droit des femmes à disposer d’elles-mêmes dans les années 1970 s’évaporent avec la remise en question depuis plusieurs années de l’État de droit et des libertés fondamentales. Dans les années 1970, l’accès à l’IVG était une mesure de santé publique ; aujourd’hui, nous discutons de la création d’un droit.

Le constat actuel est alarmant : une femme sur trois a recours à une IVG au cours de sa vie et une femme meurt toutes les neuf minutes à l’occasion d’un avortement clandestin. Le revirement de jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis et l’évolution législative de nombreux pays européens – la Pologne et la Hongrie en tête – sont autant de signaux qui justifient l’inscription du droit fondamental à l’IVG dans la Constitution. Cela constituerait une première dans le monde. La norme suprême est un rempart contre toute initiative d’une majorité politique qui chercherait à revenir sur les libertés acquises.

Nous sommes donc d’accord avec le principe de la proposition de loi constitutionnelle, mais nous formulons des réserves sur le dispositif retenu.

La rédaction sous la forme d’une négation permet-elle bien d’affirmer les droits procréatifs de manière assumée ? N’y a-t-il pas une contradiction possible avec l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, qui dispose que l’IVG ne peut être pratiquée qu’avant la fin de la quatorzième semaine de grossesse, sauf pour des raisons médicales ?

Par ailleurs, la modification de la Constitution doit être l’opportunité de garantir l’accès à l’ensemble des droits procréatifs, y compris la contraception. La contraception et l’IVG – qui est une solution de dernier recours – sont intimement liées, car elles permettent aux femmes qui le souhaitent de ne pas commencer ou poursuivre une grossesse. Comme le disait Gisèle Halimi en 1972 : « Dans la logique de la contraception, je dis qu’est inscrit le droit à l’avortement. » Qui plus est, les détracteurs de l’IVG n’attaquent pas de front les droits procréatifs, mais ils rognent petit à petit le cadre légal, à commencer par l’accès à la contraception. Donner un caractère constitutionnel à ces deux droits ne sera guère suivi d’effet si leur accès n’est pas assuré – c’est encore le cas à ce jour, par manque de moyens humains et matériels, et en raison de la clause de conscience des médecins. Inscrire l’égal accès dans la Constitution oblige l’État à agir.

Il faut aussi rappeler le principe qui fonde ce droit constitutionnel de garantie d’accès aux droits procréatifs. Comme l’ont proposé les constitutionnalistes, il ne doit s’agir que de l’autonomie personnelle, c’est-à-dire du droit de disposer de soi et de choisir pour soi-même. Ce principe autonome mettrait ainsi fin à la conciliation entre la liberté de la femme, qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et le respect de la dignité de la personne humaine.

La place où figurerait le dispositif dans la Constitution me paraît inadaptée ; nous en discuterons à l’occasion d’un amendement.

Malgré ces remarques, notre groupe votera pour ce texte, tout comme il le fera le 24 novembre pour la proposition de loi constitutionnelle déposée par Mathilde Panot.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). La France, pays de Simone Veil et de la liberté, se doit d’être exemplaire : nous ne transigerons jamais avec le droit à l’IVG. Le protéger, c’est protéger les femmes. C’est protéger la France contre un retour aux « faiseuses d’anges », aux avortements sur la table d’une arrière-cuisine qui laissaient des femmes mutilées, humiliées et dévastées. L’accès à l’IVG est aussi une question de santé publique. Il permet de s’assurer que cet acte, qui est toujours un drame pour celles qui y ont recours, est pratiqué sans risques physiques et psychiques.

Le groupe Horizons et apparentés estime qu’il est absolument nécessaire que ce droit continue d’être protégé et renforcé. Nous devons tous être extrêmement vigilants afin qu’il ne soit restreint d’aucune manière. Sa remise en cause, même indirecte, par la Cour suprême des États-Unis est inacceptable. Dans ce contexte, inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution est un symbole politique fort pour les femmes et les hommes non seulement en France, mais aussi dans le monde entier.

Pour autant, cette réaction émotionnelle est-elle pertinente ? N’y avait-il pas d’autres réponses à apporter après la décision de la Cour suprême des États-Unis ? Pouvez-vous nous assurer que les droits des femmes et l’accès à l’IVG seraient garantis inconditionnellement en cas d’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle ?

Pays des Lumières, nous portons en nous cette volonté d’éclairer le monde, particulièrement s’agissant des droits fondamentaux. Mais le temps de l’humilité et de la lucidité n’est-il pas venu ? En l’état actuel du droit – et fort heureusement – une loi qui viendrait restreindre le droit à l’IVG serait censurée par le Conseil constitutionnel. Depuis sa décision du 27 juin 2001, la liberté d’interrompre sa grossesse est considérée comme une composante de la liberté de la femme découlant de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. De plus, comment l’inscription avec une rédaction épurée du droit à l’IVG dans la Constitution peut-elle garantir ses modalités, qui restent encadrées par la loi ?

Il est rassurant de constater que la France est dans une situation très éloignée de celle des États-Unis et des pays européens qui attaquent ce droit. Notre réaction doit être empreinte de mesure. Le droit à l’IVG ne fait l’objet d’aucune remise en question par les partis politiques. Seuls des mouvements relativement marginaux, tels que La Manif pour tous, sont absolument pro-vie. En outre, nul n’ignore que l’accès à l’IVG n’est pas inconditionnel. Quel sera le sort réservé à la clause de conscience reconnue aux médecins ? La responsabilité de l’État ne risque-t-elle pas d’être invoquée si l’accès égal au droit à l’IVG n’est pas assuré de manière parfaitement égale sur l’ensemble du territoire ? Enfin, si les textes qui composent le bloc de constitutionnalité comprennent des libertés et des droits fondamentaux qui structurent notre société, la Constitution de 1958 vise essentiellement à organiser la démocratie. L’inscription du droit à l’IVG au sein du titre consacré à l’autorité judiciaire est-elle la plus pertinente ?

Profondément attaché au droit à l’IVG, le groupe Horizons et apparentés aura pour seule boussole que le droit à l’IVG ne soit remis en question par quiconque. Plus encore, il nous appartient de veiller à l’équilibre défini par la loi Veil et de le préserver chaque jour pour toutes les femmes.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Nous sommes d’accord avec la quasi-totalité du texte proposé par la rapporteure. La sénatrice Mélanie Vogel a déposé une proposition de loi constitutionnelle ayant le même objet, qui n’a pas été adoptée par le Sénat.

Nous sommes convaincus de la nécessité d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution.

Des reculs ont lieu dans certains pays. Il faut être prudent lorsque l’on fait des comparaisons avec les États-Unis, car leur système politique et constitutionnel est différent. Les comparaisons avec les pays européens sont beaucoup plus pertinentes.

Par-delà l’aspect symbolique, il faut se poser la question d’un possible recul du droit à l’IVG à l’avenir. Mieux vaut intervenir sans attendre que ce droit soit directement attaqué. C’est donc le bon moment.

Il ne faut pas faire de politique politicienne et nos débats doivent être apaisés. Les discussions sur la rédaction seront longues, car il n’est pas évident d’inclure le droit à l’IVG dans une Constitution qui n’a pas été pensée pour cela. Nous voterons en faveur de toutes les rédactions qui vont dans le bon sens, à condition qu’elles ne soient pas des formules creuses et qu’elles garantissent le droit à l’IVG. Il ne faut pas que le texte autorise des reculs lorsqu’il sera interprété par le juge constitutionnel.

Lors des auditions d’associations, la question a été posée à plusieurs reprises de savoir s’il valait mieux une proposition ou un projet de loi constitutionnelle. Nous devons jouer notre rôle de parlementaires et aller au bout de la démarche engagée, pour trouver une rédaction qui convienne à une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Néanmoins, si le Gouvernement voulait saisir ce moment pour déposer un projet de loi, cela pourrait être également une bonne idée. Nous craignons que l’organisation d’un référendum fasse surgir des minorités radicalisées qui exerceraient des pressions inutiles et pourraient rendre le débat plus tendu qu’il n’est nécessaire.

La place du droit à l’IVG au sein de la Constitution fera l’objet de discussions. Nous pensons qu’il vaut mieux l’inscrire à l’article 1er, plus adapté que le titre relatif à l’autorité judiciaire, et qu’il faut également inscrire dans la Constitution le droit à la contraception et la notion d’autonomie procréative. Nous insistons également sur le fait que le délai de quatorze semaines doit figurer dans la Constitution, pour éviter que des lois régressives puissent revenir dessus ultérieurement.

Il n’est pas nécessaire de prévoir de nouveaux droits, mais il faut consacrer l’état actuel du droit.

Mme Emeline K/Bidi (GDR-NUPES). Alors que le droit à l’IVG est inexistant ou remis en cause dans de nombreux pays, nous avons la chance de discuter non pas de son bien-fondé mais de sa place dans la hiérarchie des normes.

Constitutionnaliser un droit en l’érigeant au plus haut niveau de la pyramide des normes est une décision qui nécessite sagesse et rigueur, et surtout qui oblige. À la question : « Faut-il faire entrer le droit à l’IVG dans la Constitution ? », le groupe GDR-NUPES répond sans surprise favorablement. L’importance de ce droit, qui touche à la liberté des femmes, à leur santé et à l’égalité, justifie sa place dans la Constitution, d’autant plus que les droits acquis par les femmes, dont celui à l’IVG, restent particulièrement fragiles et peuvent facilement être remis en cause. Les luttes passées sont encore celles d’aujourd’hui.

Il n’y a pas de meilleur exemple que celui des États-Unis, où le 24 juin dernier la Cour suprême a annulé une décision du 22 janvier 1973 reconnaissant le droit à l’avortement au niveau fédéral. C’est manifestement cet événement qui a conduit le parti présidentiel à présenter cette proposition de loi constitutionnelle. Cependant, bien avant la remise en question du droit à l’IVG aux États-Unis, sa constitutionnalisation avait été proposée à plusieurs reprises par la gauche lors de la précédente législature – ce qui avait été à chaque fois rejeté. Si la jurisprudence de la Cour suprême a pu faire prendre conscience de la fragilité de ce droit, nous nous en réjouissons.

Toutefois, la constitutionnalisation du droit à l’IVG ne doit pas être réduite à une réaction à la politique menée outre-Atlantique. Ce droit est aussi sans cesse attaqué en France, et il est fragile. J’en veux pour preuve le refus du Sénat de voter, le 19 octobre dernier, un texte similaire à celui que nous examinons ce matin. Le président du Sénat avait alors estimé dans la presse qu’il n’y a pas de danger menaçant le droit à l’IVG en France. La rapporteure du texte au Sénat avait assuré pour sa part qu’« il n’y a pas lieu d’importer dans notre pays un débat lié à la culture américaine […]. »

La défense du droit des femmes et le droit à l’IVG ne sont pas liés à la culture américaine. La France est le pays des droits de l’homme. Elle doit aussi être celui des droits des femmes. C’est justement parce que le droit à l’IVG a été reconnu chez nous que nous ne devons pas attendre qu’il soit gravement menacé pour l’inscrire dans le marbre de la Constitution.

Reste que, pour qu’un droit jouisse d’une protection constitutionnelle, il faut l’assortir des moyens qui en garantissent l’exercice effectif. La proposition qui nous est soumise ne dit rien à ce sujet. Or l’accès à l’IVG reste inégal en France. Chaque année, entre 3 000 et 5 000 femmes se rendent à l’étranger pour avorter. Les associations dénoncent une baisse des budgets qui leur sont alloués. La direction générale de la cohésion sociale (DGCS) prévoit 2,8 millions d’euros par an pour financer tous les établissements d’information, dont la moitié relève du Planning familial, dans l’ensemble de la France, y compris les territoires d’outre-mer. L’essentiel dépend donc des financements déconcentrés, ce qui entraîne de grandes disparités. La fermeture de nombreux centres d’IVG contribue à entretenir de fortes inégalités territoriales. Selon le planning familial, 130 centres d’IVG ont été fermés ces quinze dernières années, et d’autres sont encore menacés. Nous appelons donc le Gouvernement à garantir l’effectivité du droit à l’IVG sur l’ensemble du territoire et pour l’ensemble des Françaises, quels que soient leur origine ou leurs revenus.

Comme je le disais, la constitutionnalisation vous oblige.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. L’objectif de cette proposition de loi constitutionnelle est de garantir un équilibre : protéger le droit existant sans aller au-delà de ce que le législateur a déjà prévu. Il s’agit de prévenir toute régression ultérieure. Tel est l’état d’esprit qui a présidé à la rédaction de ce texte.

Ceux qui estiment inutile d’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution sont les mêmes qui, en vérité, ne souhaitent pas que l’accès à l’IVG soit garanti de manière effective. Ils seront peut-être même tentés demain de le remettre en question. Comme l’a dit notre collègue Iordanoff, c’est précisément parce que nous avons les moyens d’agir aujourd’hui qu’il faut modifier la Constitution. Une majorité semble se dessiner au sein de l’Assemblée nationale pour voter cette proposition de loi constitutionnelle, afin de réaffirmer notre attachement aux droits procréatifs des femmes ainsi qu’au droit et à l’accès à l’IVG.

Je ne peux évidemment pas préjuger de la situation dans cinq ans ou dans dix ans, mais une majorité peut se former aujourd’hui. Il est donc de notre devoir d’agir, pour ne pas avoir à se lamenter dans quelques années de ne pas l’avoir fait quand nous le pouvions.

Il est exact qu’inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution ne nous décharge pas de toute responsabilité pour en garantir l’accès effectif. Celui-ci doit être égal partout. La loi le prévoit déjà, mais des difficultés persistent. Il peut s’agir de problèmes pratiques, comme le coût des transports, mais aussi de façons d’agir qui peuvent être humiliantes ou culpabilisantes. Il faut que davantage de moyens soient consacrés à la santé des femmes.

Il ne m’appartient pas de me prononcer sur l’opportunité du dépôt d’un projet de loi constitutionnelle. Le texte que je propose bénéficie du soutien de mon groupe et de la majorité. Alors que l’on parle du renforcement du pouvoir du Parlement, il serait quelque peu contradictoire de se dire que ce sujet ne relève pas de notre responsabilité et de nous en remettre à un projet de loi. L’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle ne préjuge d’ailleurs pas de son éventuelle reprise par un projet de loi. Mais il faut franchir en commission puis en séance publique une étape essentielle vers l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution au cours de cette législature – et peu importe le groupe politique qui en a pris l’initiative. Cet objectif est largement partagé par les différents groupes qui se sont exprimés.

M. le président Sacha Houlié. Nous en venons aux interventions individuelles des députés.

M. Xavier Breton (LR). Les interventions des orateurs des groupes montrent bien que le débat n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre l’IVG, mais bien plutôt s’il s’agit de l’IVG inconditionnelle. Madame la rapporteure, vous n’avez pas répondu à la question posée à plusieurs reprises pour savoir si la rédaction proposée conduisait à un droit absolu et inconditionnel.

La loi Veil et la jurisprudence concilient deux principes : la liberté de la femme, qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et la protection de la vie à naître, dont le fondement est la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.

Pouvez-vous nous dire très précisément si votre proposition de loi constitutionnelle cherche également à les concilier ? Certains parmi nous privilégient exclusivement la liberté de la femme. Le débat se situe là et il faut l’avoir ouvertement dès le stade de la commission, pour savoir si l’on reste dans une logique d’équilibre entre deux principes.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Il est assez symptomatique que dès que l’on parle du droit des femmes à disposer de leur corps, on ajoute toujours des « si » et des « mais ». Les femmes ont le droit de choisir leur vie. Je n’ai vu la définition du droit de la vie à naître ni dans la Constitution ni dans le code civil ; j’y ai bien vu, en revanche, le droit à la dignité humaine. Je m’étonne que les mêmes qui ne la défendent pas quand elle est en cause en Méditerranée en appellent à son nom pour mettre les droits des femmes entre parenthèses quand il s’agit de les inscrire dans la Constitution.

M. Guillaume Gouffier-Cha (RE). Certains objectent qu’il n’y a pas lieu de constitutionnaliser le droit à l’avortement, car aucun risque ne pèserait sur son existence en France. Tel n’est pas le cas. Nous l’avons constaté encore l’an dernier lorsque nous nous sommes battus pour renforcer l’accès effectif au droit à l’avortement.

En outre, il suffit de voir ce qu’il se passe tant de l’autre côté de l’Atlantique que dans un certain nombre d’États européens, comme la Pologne, la Hongrie et, plus récemment, l’Italie – où, dès l’arrivée au pouvoir de Mme Meloni, le droit à l’avortement est immédiatement attaqué. Souvent, les courants politiques qui obtiennent une première victoire au sujet de l’avortement s’en prennent ensuite à d’autres droits des femmes – en Pologne, le droit au divorce est remis en question.

Il est donc nécessaire d’offrir la protection la plus forte au droit à l’avortement, tout en continuant à travailler à l’amélioration de son effectivité. Il faut aussi le faire pour renforcer notre diplomatie féministe et envoyer un message à tous ceux qui se battent à travers le monde pour la reconnaissance et la défense du droit à l’avortement, des droits sexuels et reproductifs, et pour les droits des femmes de manière générale.

M. Raphaël Schellenberger (LR). D’un côté, il y a ceux qui veulent, de manière apaisée et sérieuse, parler du fond, de la nécessité absolue de protéger ce droit, de l’attachement à ce qui fait l’histoire politique et juridique de notre nation. De l’autre, il y a ceux qui veulent mettre en scène des oppositions qui n’existent pas forcément – on vient d’entendre une intervention sur les droits humains qui n’a pour objet que de tendre les débats.

C’est symptomatique de la manière dont on fait de la politique aujourd’hui : on est filmé, nos débats sont retransmis sur internet, commentés sur Twitter, sortis de leur contexte… Alors que ce texte devrait faire consensus, certains l’abordent dans l’optique de « démasquer » ou de « débusquer » ceux qui pourraient exprimer un doute, une crainte, ou seulement le souci de la précision sur une question aussi sensible.

Fallait-il, par exemple, faire le choix d’une proposition de loi constitutionnelle ? Nous aurions pu nous entendre sur une proposition de résolution, qui aurait dessiné le début d’un chemin d’équilibre. Le problème de la proposition de loi constitutionnelle, c’est qu’elle mène au référendum. Je n’ai pas peur du référendum, mais je m’inquiète s’il est un moyen de galvaniser les foules et de faire monter artificiellement dans le pays des oppositions qui n’existent pas. Le droit à l’avortement, que nous défendons tous, mérite un débat apaisé.

Mme Raquel Garrido (LFI-NUPES). Des tas de gens en France, souvent du fait de leurs convictions spirituelles, sont contre l’avortement, mais ce n’est pas le sujet. Chacun d’entre nous doit observer une stricte séparation entre ce qui relève de son travail de législateur, dans l’intérêt général, et ce qui relève de ses opinions.

Il n’y a qu’un seul principe absolu dans notre droit constitutionnel : la liberté de conscience. C’est le seul qui n’est pas assorti d’un encadrement par la loi. Si certains d’entre vous sont contre l’avortement, c’est leur droit, mais nous sommes dans une nation civilisée, et l’heure est venue d’inscrire le droit à l’IVG dans la hiérarchie des normes. Cette constitutionnalisation se fait à droit constant, la rapporteure l’a dit. Ne créons pas de faux débat : aucune organisation de femmes ne demande le droit absolu à l’avortement en toutes circonstances, seulement son effectivité pour que des femmes qui n’ont pas accès à l’hôpital ou au Planning familial ne se mettent pas en danger. Essayons de faire la part des choses et d’éviter les propos ouvertement hostiles à la démarche que nous sommes en train d’effectuer.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Monsieur Breton, je crois avoir été très claire : notre objectif n’est pas d’aller au-delà de ce que la loi permet déjà, mais seulement d’éviter de possibles régressions. Certains, sans s’en prendre frontalement à l’IVG, pourraient vouloir le dérembourser, réduire le délai de recours à celui-ci, imposer aux femmes, comme en Hongrie, d’écouter les fonctions vitales du fœtus, ou que sais-je encore. Nous voulons empêcher toute régression du droit. Au reste, j’ai rappelé que le Conseil constitutionnel dit lui-même ne pas être compétent sur le sujet, puisqu’il renvoie systématiquement au législateur. Il a seulement considéré que les différentes lois sur l’IVG n’entraient pas en contradiction avec des principes ayant eux-mêmes une valeur constitutionnelle.

Notre projet n’est pas de donner au droit à l’avortement un caractère inconditionnel ; nous ne disons pas qu’une femme pourra avorter au-delà des délais prévus par la loi. L’intention du législateur est bien de concilier le respect de la dignité humaine et la liberté de la femme.

Avant l’article unique

Amendement CL2 de M. Olivier Marleix.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Notre groupe n’est pas hostile à la constitutionnalisation du droit à l’IVG, mais il propose de le faire en modifiant le préambule de la Constitution et en faisant référence de façon explicite à la loi de 1975.

En proposant d’inscrire dans la Constitution que « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse », les signataires de la présente proposition de loi constitutionnelle modifieraient en profondeur l’équilibre de notre droit tel qu’issu de la loi du 17 janvier 1975, en supprimant toutes les mesures d’équilibre et de protection de l’enfant à naître contenues dans cette loi, notamment le délai légal de l’IVG ou le recours à un médecin. Nous proposons donc d’ajouter la loi Veil au nombre des textes fondamentaux auxquels le constituant rappelle son attachement.

Le préambule de la Constitution serait ainsi rédigé :

« Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004, ainsi qu’aux principes fondamentaux de la loi du n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse. »

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Je vois deux problèmes dans cette rédaction. Vous proposez d’inscrire le droit à l’avortement dans le préambule de la Constitution : nous considérons que ce n’est pas le bon endroit et ce point était très important pour les sénateurs.

Par ailleurs, vous voulez faire référence à la loi de 1975, mais celle-ci introduisait un principe dérogatoire à notre droit qui, depuis, a évolué : le délai de recours à l’IVG a été porté à quatorze semaines, les sages-femmes peuvent désormais la pratiquer et le mode de remboursement a changé. S’en tenir à la loi Veil de 1975 signifierait, de facto, une régression par rapport au droit actuel.

Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). L’objet de ce texte est la constitutionnalisation d’un droit existant. Il ne s’agit pas de transformer ce droit, ni dans un sens, ni dans l’autre. Pour ma part, je suis favorable à un allongement du délai légal de recours à l’IVG, mais ce n’est pas le cadre approprié pour défendre cette conviction. Je constate que ceux-là mêmes qui, il y a quelques minutes, nous accusaient de vouloir faire dévier le débat, sont les premiers à le faire – non sans cynisme. Nous voterons évidemment contre cet amendement.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Vous disiez tout à l’heure qu’il ne faut toucher à la Constitution que d’une main tremblante – cinq réformes constitutionnelles ont pourtant été conduites sous les présidences Chirac et Sarkozy. Je remarque, par ailleurs, que ceux qui s’opposent à la constitutionnalisation du droit à l’IVG sous prétexte qu’elle serait superflue, sont les mêmes qui s’opposent au renforcement des droits des femmes et à la conquête de nouveaux droits pour les femmes.

Sur le fond, je trouve votre amendement extrêmement surprenant, puisque la loi de 1975 était dérogatoire. D’ailleurs, elle n’appartient plus à l’ordonnancement juridique. Je ne comprends pas comment nous pouvons nous référer, dans notre Constitution, à une loi qui n’existe plus. Nous voterons contre cet amendement.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Essayez donc d’écouter ce que nous disons : à aucun moment nous n’avons dit que nous étions contre l’inscription du droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. L’objet de cet amendement est de le faire autrement. Comme je l’ai dit, le débat juridique sur la manière d’inscrire ce droit dans la Constitution ne doit pas servir de prétexte à interprétation – pour certains, vous êtes en train de créer des oppositions qui n’existent pas.

Sur le fond, vous nous dites que la loi de 1975 n’est plus le texte en vigueur et qu’il n’y a donc pas lieu d’y faire référence dans le préambule de la Constitution. C’est méconnaître la manière dont les textes qui sont mentionnés dans ce préambule sont interprétés par le juge constitutionnel et servent à la construction de notre cadre constitutionnel. Ces textes ne sont jamais interprétés à la lettre et c’est bien pour cela que nous proposons de faire référence aux « principes fondamentaux » de la loi de 1975, et non à la lettre de cette loi.

La commission rejette l’amendement.

Article unique (art. 66-2 [nouveau] de la Constitution) : Protection du droit à l’interruption volontaire de grossesse

Amendements CL5 de Mme Cécile Untermaier et CL15 de M. Jérémie Iordanoff (discussion commune).

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Cet amendement est issu de notre proposition de loi constitutionnelle visant à constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, déposée à la suite d’un atelier législatif citoyen ayant rassemblé des citoyens, un médecin gynécologue, l’ancienne présidente du Planning familial, une professeure spécialisée dans le droit constitutionnel et une universitaire américaine.

À la formulation « nul ne peut être privé du droit à l’interruption volontaire de grossesse », qui pourrait entrer en contradiction avec l’article L. 2212-1 du code de la santé publique aux termes duquel l’IVG ne peut être pratiqué après la quatorzième semaine de grossesse, nous préférons la formulation positive : « la loi garantit l’égal accès à l’interruption volontaire de grossesse ».

Par ailleurs, notre amendement consacre également le droit à la contraception, puisque nous proposons d’ajouter : « ainsi qu’à la contraception, dans le respect de l’autonomie personnelle ». Cette modification de la Constitution doit être l’occasion de garantir l’accès à l’ensemble des droits procréatifs.

« Dans la logique de la contraception, je dis qu’est inscrit le droit à l’avortement », déclarait Gisèle Halimi lors de sa plaidoirie de 1972. L’avortement n’est pas un moyen de contraception, mais une solution de dernier recours, dès lors que la contraception n’a pas fonctionné par échec, erreur ou oubli – sans exclure les autres raisons justifiant un avortement. Contraception et IVG sont intimement liées en ce qu’elles constituent des solutions pour les femmes ne souhaitant pas commencer ou poursuivre une maternité.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Notre amendement a un triple objectif : rattacher l’autonomie procréative et le droit à l’IVG à la reconnaissance de l’égalité des citoyennes et des citoyens, en inscrivant ce principe à l’article 1er de la Constitution ; conférer également une valeur constitutionnelle au droit à la contraception ; consacrer les acquis de notre législation en explicitant en quoi consiste le droit à l’avortement, afin que toute régression soit impossible. Nous souhaitons ainsi préciser que toute personne a droit à un accès « libre, gratuit et continu » à l’avortement et que le délai de recours à celui-ci est de quatorze semaines, afin qu’aucune loi ne puisse revenir dessus. Il ne s’agit pas de consacrer de nouveaux droits, mais d’expliciter en quoi consiste le droit actuel.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Vous avez pu constater par vous-même qu’il n’y avait pas de consensus parmi les personnes que nous avons auditionnées – constitutionnalistes, membres des barreaux d’avocats, associations –, ni sur l’endroit où il fallait inscrire ce droit, ni sur la formulation à retenir.

Je préfère créer un article autonome à l’intérieur du titre VIII, à la fois parce que c’est l’autorité judiciaire qui garantit les libertés individuelles, et parce qu’il faut aussi réfléchir à la meilleure manière de faire aboutir cette proposition de loi. L’écart des voix, au Sénat, a été beaucoup plus serré que prévu et je crois qu’on a une chance d’y faire adopter cette proposition de loi, à condition de tenir compte de certaines des remarques formulées par les sénateurs. Si l’on s’en tient au texte initial, les mêmes causes produisant les mêmes effets, je crains qu’on n’y arrive pas.

L’égalité d’accès est déjà garantie par la loi et la question que vous posez est celle de l’effectivité de cet accès. Or je ne pense pas que la Constitution permette cette effectivité. Inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution est un pas essentiel, mais il ne doit pas nous exonérer de nos obligations pour garantir l’effectivité de ce droit, en y consacrant les moyens nécessaires. Ce sont deux questions disjointes.

Demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). S’agissant de la question de l’emplacement, le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que tous les articles de la Constitution ont la même valeur juridique, qu’il n’y a pas de hiérarchie entre eux.

La Constitution sert à poser des principes ; il revient ensuite à la loi de dire comment les faire respecter et les rendre effectifs. Il faut choisir la formulation la plus simple, la plus efficace et la plus pertinente. C’est la meilleure manière de garantir le droit des femmes sur cette question. Nous avons un quasi-consensus dans cette assemblée : c’est une chance historique.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Je ne sais pas s’il faut à tout prix s’aligner sur ce que propose la droite au Sénat. Par ailleurs, je ne suis pas convaincu par votre argumentation au sujet du délai de recours à l’IVG, d’autant que, dans une interview, M. Olivier Marleix a dit que ne pas mentionner ce délai de quatorze semaines pouvait laisser supposer que l’avortement serait autorisé jusqu’au terme de la grossesse.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Si nous proposons de faire figurer le principe du droit à l’IVG à l’article 1er, c’est parce qu’en l’absence de titre spécifiquement consacré à la reconnaissance des droits et des libertés, il est progressivement devenu l’écrin de ces différents droits. En 2008, on y a ainsi ajouté que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Inscrire le droit à l’IVG dans l’article 1er consacrerait un nouveau droit autonome, sans le rattacher à un droit existant.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL6 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il me semble inexact de dire que l’article 1er est au même niveau que les autres. Il consacre des droits importants, comme la parité, et rappelle que la France est « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » – et, je l’espère, bientôt « écologique ». Il ne serait pas anodin d’ajouter à cela le droit procréatif, mais je sais que ce pas est difficile à franchir.

Faut-il choisir un emplacement et une formulation par défaut pour obtenir les voix du Sénat ? C’est une stratégie qui peut s’entendre : espérons qu’elle sera couronnée de succès.

Inscrire le droit à l’avortement à l’article 1er serait ambitieux. C’est là aussi que nous aurions voulu, lors de la dernière tentative de révision constitutionnelle, inscrire le droit à l’environnement. L’article 1er dispose que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ». Notre proposition de rédaction est très proche de celle-ci et paraît donc assez pure du point de vue constitutionnel.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. J’ai déjà exposé les raisons pour lesquelles je crois préférable de créer un nouvel article 66-2. Je comprends ce que vous dites sur la portée symbolique de l’article 1er, mais l’enjeu essentiel est d’apporter une protection aux femmes. Et je préfère qu’elle existe à l’article 66-2 que pas du tout.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Il nous a été répondu que l’abolition de la peine de mort figure à l’article 66-1 : il est tout à fait légitime que cette disposition figure au titre VIII, relatif à l’autorité judiciaire. Mais je suis convaincue que le droit à l’avortement a sa place à l’article 1er. J’ai entendu les constitutionnalistes, mais nous sommes ici pour faire des choix.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL10 de Mme Cécile Untermaier, CL3 de Mme Mathilde Panot et CL4 de Mme Marie-Noëlle Battistel (discussion commune).

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Dans le même esprit que nos amendements précédents, nous proposons une autre formulation pour le nouvel article 66-2.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Historiquement, le corpus législatif français a été largement composé par des hommes, pour s’appliquer aux hommes et à des femmes qui ont longtemps été considérées par ces lois comme mineures, quand ce n’était pas comme des actifs mobiliers, voire comme des moyens de reproduction et de la force de travail.

Nous avons une belle occasion de mettre à l’abri des forces réactionnaires ce droit des femmes à disposer de leur corps, en l’inscrivant dans la Constitution. Si garantir le droit à l’IVG et une priorité sur l’échelle des urgences sociales et humaines, on ne peut se dispenser de prendre en compte ce qui fait que les femmes sont forcées d’y recourir. Il faut donc intégrer aussi le droit à la contraception, qui est le moyen de prévenir l’avortement.

L’inscription du droit à la contraception dans la Constitution se justifie par la baisse des moyens dont bénéficient les structures chargées de faire de la prévention, comme le Planning familial, mais aussi l’éducation nationale, dont les programmes d’éducation à la sexualité se sont appauvris.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). J’aurais aimé sous-amender mon propre amendement, puisque nous avons compris lors des auditions qu’il fallait préférer au mot « nul », les mots « nulle femme » – et Mme la rapporteure a elle-même déposé un amendement en ce sens.

Notre amendement visait par ailleurs à consacrer également le droit à la contraception.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Je vous ferai la même réponse que précédemment. L’enjeu de ce texte est d’abord de garantir le droit d’accès à l’IVG, pas d’aborder l’ensemble des questions relatives aux droits procréatifs, qui pourraient s’étendre à d’autres, comme la PMA. Aborder ces questions modifierait de facto la nature de cette proposition de loi constitutionnelle. Je souhaite que l’on s’en tienne à la question de la protection du droit d’accès à l’IVG.

Demande de retrait, sinon avis défavorable.

M. Erwan Balanant (Dem). Sur ce texte, il n’y a ni obstruction ni amendement de suppression : nous sommes proches d’un consensus, voire de l’unanimité. Deux propositions de loi presque identiques sont débattues au même moment ; elles font suite à d’autres textes et au travail mené au cours de la précédente législature par la Délégation aux droits des femmes, notamment par Mme Rixain. Nous avons donc une chance historique et c’est pourquoi nous devons travailler ensemble pour parvenir à une rédaction la plus simple possible, et qui offre la meilleure garantie de protection du droit à l’IVG.

Nous avions ainsi proposé de sous-amender l’amendement de Mme Panot, afin que l’article 66-2 de la Constitution dispose que « nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse ». C’était la rédaction la plus protectrice, et j’ai quelques doutes quant aux raisons pour lesquelles ce sous-amendement a été déclaré irrecevable.

M. le président Sacha Houlié. Le sous-amendement réécrivait l’amendement de Mme Panot, tout en modifiant radicalement son objectif. En outre, vous contourniez par là le délai de dépôt des amendements, habileté qui n’a pas échappé à ma vigilance.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Le groupe La France insoumise a, lui aussi, déposé une proposition de loi constitutionnelle, qui sera débattue le 24 novembre en séance. Comme vous, nous pensons que les menaces qui pèsent sur le droit à l’interruption volontaire de grossesse doivent être prises au sérieux – on a vu ce qu’il en est aux États-Unis et en Pologne, notamment. Des forces politiques opposées au droit à l’avortement essaient de revenir dessus.

Ce risque pèse aussi sur l’accès à la contraception. C’est la raison pour laquelle l’amendement de Mme Panot vise à garantir à la fois le droit à l’interruption volontaire de grossesse et le droit à la contraception dans la Constitution.

M. Xavier Breton (LR). Le choix de l’emplacement est tout aussi important que celui des termes. S’il était fait référence, dans la Constitution, au « respect de l’autonomie personnelle », cela conférerait au droit à l’IVG un caractère absolu, inconditionnel, qu’il n’a pas en l’état de notre droit. Il en est ainsi car la liberté de la femme n’est pas un principe absolu, elle va de pair avec le principe de protection de la vie à naître. Il faut l’assumer.

On ne changera pas le droit existant, a dit Mme la rapporteure. On annonce pourtant des prolongations de délai durant cette législature et on sait que certains sont partisans d’un droit inconditionnel à l’IVG. On se demande pour quelles raisons vous conservez des critères législatifs comme le délai ou la clause de conscience pour les professionnels de santé. Si ce n’est pas pour la liberté de la femme, c’est pour un autre principe : celui de la protection de la vie à naître. Dites-le clairement, pour que l’on ne reste pas sur de faux-semblants ! À défaut, on pourrait penser que la proposition de loi constitutionnelle a pour objectif d’aller vers un droit absolu, inconditionnel, à l’avortement.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL16 de Mme Aurore Bergé.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. L’amendement tend à remplacer les mots « nul ne peut être privé » par « nulle femme ne peut être privée » au début de l’alinéa 2. Il est issu des auditions préparatoires que nous avons menées, notamment avec les représentants du Conseil national des barreaux. Connaissant bien les risques contentieux potentiels, ces derniers considèrent que la rédaction initiale présente le risque que des tiers puissent contraindre des femmes à avorter alors qu’elles ne le souhaitent pas.

Mme Virginie Duby-Muller (LR). Le mot « nul » était en effet équivoque. Il ne faut pas qu’une tierce personne puisse imposer une IVG, alors que le texte fait référence à la liberté des femmes de disposer de leur corps. Pour ce qui me concerne, je souscris à cet amendement.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Outre que la formulation négative ne paraît pas la plus adaptée, elle conduit vraisemblablement à réduire les droits des personnes trans par rapport à la législation actuelle.

M. Erwan Balanant (Dem). Je préférerais également une autre formulation. La nouvelle rédaction proposée semble aller de soi, car être enceinte est encore un privilège féminin. Pourtant, il poserait une vraie difficulté dans un cas que j’ai découvert dans la presse de ma région : une femme qui avait entamé une transition pour devenir homme est tombée enceinte ; à l’état civil, bien qu’encore femme physiologiquement, elle est considérée comme un homme et ne peut pas déclarer son enfant – il faut obligatoirement une femme pour cette formalité. Nous devons donc retravailler le texte, pour que sa rédaction soit la plus simple et la plus précise possible – je sais que nous allons y arriver.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Notre groupe votera l’amendement, même si notre formulation positive permettrait d’éviter les difficultés décrites et répondrait à la préoccupation de Xavier Breton, qui est légitime. La loi précisera, comme elle le fait déjà, si ce droit est ouvert à tous les stades de la grossesse. En outre, la mention de « l’égal accès » à l’IVG obligerait l’État à garantir une forme d’effectivité.

Cette formulation positive placée à l’article 1er serait vraiment le dispositif idéal.

La commission adopte l’amendement.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette les amendements CL8 et CL9 de Mme Cécile Untermaier.

Amendement CL7 de Mme Cécile Untermaier.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Cet amendement vise à introduire le principe de respect de l’autonomie personnelle, c’est-à-dire du droit à disposer de soi et de faire ses propres choix. Il nous semble que c’est ce seul principe qui doit fonder la garantie d’accès aux droits procréatifs. Peut-être n’est-il pas suffisamment mûr dans l’esprit des sages du Conseil constitutionnel, mais il constituerait un ajout important dans la Constitution et au dispositif des droits procréatifs.

Mme Aurore Bergé, rapporteure. L’amendement qui vient d’être adopté répond à votre souci de l’autonomie personnelle des femmes : l’IVG est un droit qui leur est intimement attaché.

Demande de retrait.

M. Xavier Breton (LR). On lit, dans l’exposé sommaire, que « le droit constitutionnel à l’IVG se fonde sur le seul principe de l’autonomie personnelle, à savoir le droit de disposer de soi et de faire ses choix pour soi-même, ce qui doit fonder la garantie d’accès aux droits procréatifs. ». Selon cette logique, seule compte la liberté des femmes et la protection de la vie à naître est évacuée.

Notre désaccord ne porte pas tant sur le fait d’être pour ou contre l’IVG que sur le fait de savoir s’il s’agit d’un droit absolu, inconditionnel. Les différentes rédactions montrent que tel est bien l’esprit du texte, et nous ne pouvons pas nous y retrouver.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Mon amendement visait l’autonomie « procréative » plutôt que « personnelle ». Cela peut nourrir un futur débat.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Je ne peux pas laisser entendre que nous défendons un droit absolu à l’avortement, quelles que soient les conditions et les situations. En tant que femme, je suis soucieuse de la qualité du corps qui abrite un enfant mais aussi de la liberté de la femme d’aller ou non au bout de sa maternité. Sachons-le, une femme qui ne veut pas d’enfant avortera, quels que soient les principes que l’on puisse mettre en avant.

Le texte ne défend pas le droit absolu à l’interruption volontaire de grossesse, au contraire. En tout cas, notre proposition de rédaction selon laquelle « la loi garantit le droit à l’interruption volontaire de grossesse » revenait à encadrer l’IVG par un principe normatif.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL11 de Mme Marie-Noëlle Battistel.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Il s’agit d’une nouvelle tentative d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution sous une forme positive, ce qui est manière d’obliger l’État. Constitutionnaliser ce droit ne sera suivi que de peu d’effet si son effectivité n’est pas assurée. À ce jour, ce n’est pas le cas puisque, selon divers rapports, les moyens humains et matériels manquent, les subventions aux associations sont diminuées ou supprimées, des services d’IVG et des maternités ferment.

La rédaction que nous proposons – « la loi garantit à toute personne l’accès libre et effectif à ce droit » – répondrait, en outre, aux inquiétudes de notre collègue Erwan Balanant. Quels risques ferait-elle courir ?

Mme Aurore Bergé, rapporteure. Il ne s’agit pas forcément de risques. Nous poursuivons le même objectif, celui de garantir le droit constant, non de proclamer un droit inconditionnel. Ce que le législateur voudra ou pourra faire ensuite, dans cette législature ou les suivantes, n’est pas l’objet de la proposition de loi constitutionnelle.

Au regard de l’effectivité, l’enjeu se tient entre la proclamation du droit à l’égal accès, déjà garanti par la loi, et notre responsabilité quant aux moyens donnés pour le traduire dans les faits. C’est pourquoi l’inscription dans la Constitution de la protection de l’accès à l’IVG doit rester l’objectif à atteindre au cours de cette législature – et ce ne sera pas simple compte tenu des conditions d’examen des textes. Parallèlement, nous devons exercer notre vigilance de législateur sur les moyens à consacrer, notamment dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pour assurer l’effectivité réelle de ce droit.

Je n’ai pas la prétention de présenter cette rédaction comme étant la meilleure – la nature de ces dispositions appelle à l’humilité. D’ailleurs, parmi les constitutionnalistes, avocats et associations auditionnés, il n’y a pas d’accord sur un emplacement ni sur une rédaction. La question est plutôt de saisir l’opportunité politique du dépôt de ce texte et de chercher à garantir au mieux l’équilibre entre le droit constant et des principes forts que sont la dignité humaine et la liberté de la femme.

C’est pourquoi je vous propose à nouveau de retirer votre amendement. À défaut, l’avis sera défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous voterons cet amendement qui vise à garantir l’accès libre et effectif au droit à l’interruption volontaire de grossesse, comme le faisait l’amendement de Mathilde Panot. Il pose la question des moyens pour accéder, de manière gratuite, à des dispositifs permettant l’interruption volontaire de grossesse, sans que leur coût ou les moyens financiers puissent être un frein.

Sur cette question, qui transcende les groupes politiques, chacun essaie de faire au mieux, selon ses convictions. Je vous invite à les suivre pour adopter un amendement qui offre un outil supplémentaire et indispensable à la proposition de loi constitutionnelle.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi adopté.

 

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption volontaire de grossesse (n° 340 rect.) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


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   Personnes entendues

 Mme Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre

 M. Stéphane Mouton, professeur de droit public à l’université Toulouse 1 Capitole

 Mme Sophie Paricard, professeure de droit privé à l’université Toulouse 1 Capitole

 Mme Diane Roman, professeure de droit public à l’École de droit de la Sorbonne

 Mme Chrystel Bornat, co-présidente

 Mme Danielle Bousquet, présidente

 Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente

 Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

 Dr Hatem Ghada, fondatrice et médecin-cheffe

 Mme Sarah Durocher, co-présidente

 Mme Bénédicte Paoli, membre du bureau national

 M. Bernard Fau, président de la commission « Textes »

 Mme Florence Neple, présidente de la commission « Égalité »


([1]) Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.

([2]) Cour suprême des États-Unis, 24 juin 2022, Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization.

([3]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([4]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([5]) Article 3 de la loi n°79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l’interruption volontaire de grossesse.

([6]) Article L. 2222-2 du code de la santé publique.

([7]) Article L. 2222-1 du code de la santé publique et article 223-10 du Code pénal.

([8]) Article L. 2222-4 du code de la santé publique.

([9]) Dès 1980, le Conseil d’État a estimé que l'appréciation de la situation de détresse était réservée à la femme enceinte (CE, 31 octobre 1980, n° 13028, Lahache).

([10])  Article L. 2223-2 du code de la santé publique.

([11])  Article L. 2222-4 du code de la santé publique.

([12]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([13]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([14]) Conseil constitutionnel, 31 juillet 2014, n° 2014-700 DC, Loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([15]) Yvonne-Marie Rogez, « La fin du droit constitutionnel à l'avortement aux USA », RDSS, 2022, p. 858.

([16]) Le 25 mai 2018, les Irlandais se sont prononcés à 66,4 % en faveur de l’abrogation du 8ème amendement de la Constitution qui reconnaissait au même titre le droit à la vie du fœtus et de la mère.

([17]) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/22/pologne-le-tribunal-constitutionnel-rend-illegal-l-avortement-pour-malformation-grave-du-f-tus_6057023_3210.html

([18]) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/06/avortement-en-pologne-l-opposition-denonce-un-registre-de-grossesses-introduit-par-le-pouvoir_6129133_3210.html

([19]) https://www.la-croix.com/Monde/En-Hongrie-femmes-decident-davorter-contraintes-decouter-coeur-foetus-2022-09-15-1201233323

([20]) https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/espagne-l-avortement-pour-les-mineures-limite_1714425.html

([21]) https://information.tv5monde.com/terriennes/au-portugal-recul-sur-l-avortement-45246

([22]) https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/05/23/en-italie-70-des-medecins-refusent-de-pratiquer-des-ivg_5303169_3214.html

([23]) https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/elections-italiennes/meloni-est-dautant-plus-dangereuse-quelle-sera-sournoise-des-italiennes-craignent-pour-leur-droit-a-l-avortement_5393410.html

([24]) https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/29/le-bresil-durcit-sa-reglementation-sur-l-avortement-en-cas-de-viol_6050306_3210.html

([25]) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/16/ivg-legale-en-argentine-l-application-de-la-loi-n-est-ni-correcte-ni-complete_6130509_3210.html

([26]) https://information.tv5monde.com/terriennes/le-chili-rate-l-occasion-d-inscrire-le-droit-l-avortement-dans-sa-constitution-462197

([27]) https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/07/au-mexique-la-criminalisation-de-l-avortement-jugee-inconstitutionnelle-par-la-cour-supreme_6093790_3210.html

Source : Législations sur l’avortement

([29]) https://www.lemonde.fr/international/article/2022/02/22/la-colombie-depenalise-l-avortement-jusqu-a-24-semaines_6114685_3210.html

([30]) https://www.la-croix.com/Monde/Thailande-autorise-lavortement-jusqua-vingt-semaines-2022-09-27-1201235150

([31]) Rapport de la commission des Lois du Sénat, Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Agnès Canayer, 12 octobre 2022, n° 42 (2022-2023), p. 23.

([32]) Proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement, Mme Albane Gaillot, 25 août 2020, n° 3292, XVe législature.

([33]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([34]) Le Conseil exige, pour reconnaître un PLFRLR, que ce principe ait été inscrit dans le droit par le législateur avant 1946 et qu’il ait été d’application constante depuis.

([35]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([36]) CEDH, A, B et C contre Irlande, 16 décembre 2010, n° 25579/05

([37]) Conseil constitutionnel, 2 décembre 1976, n° 76-70 DC, Loi relative au développement de la prévention des accidents du travail.

([38]) Conseil constitutionnel, 23 novembre 1977, n° 77-87 DC, Loi relative à la liberté de l’enseignement.

([39]) Conseil constitutionnel, 29 août 2002, n° 2002-461 DC, Loi d’orientation et de programmation pour la justice.

([40]) Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, n° 80-119 DC, Loi portant validation d’actes administratifs.

([41]) « Redécouvrir le Préambule de la Constitution », rapport du comité présidé par Simone Veil, 2008, p. 85.

([42]) Conseil constitutionnel, 23 janvier 1987, n° 86-224 DC, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence.

([43]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([44]) Amendement 1115 de M. Mélenchon au projet de loi constitutionnel pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, XVe législature.

([45])Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Mélanie Vogel, déposé au Sénat le 2 août 2022, n° 853 (2021-2022).

([46]) Amendement n° 2312 de M. André Chassaigne au projet de loi constitutionnel pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, XVe législature.

([47]) Amendement n° 1372 de M. Luc Carvounas au projet de loi constitutionnel pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, XVe législature.

([48]) Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Mélanie Vogel, déposé au Sénat le 2 septembre 2022, n° 872 (2021-2022).

([49])  Article 66 de la Constitution.

([50]) Conseil constitutionnel, 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, M. Mathieu E.

([51]) Conseil constitutionnel, 27 juillet 1982, n° 82-141 DC, Loi sur la communication audiovisuelle.

([52]) Conseil constitutionnel, 29 juillet 1998, n° 98-403 DC, Loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions.

([53]) Conseil constitutionnel, 11 octobre 1984, n° 84-181 DC, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.

([54]) Conseil constitutionnel, 13 mai 2022, n° 2022-991 QPC, Association France nature environnement.

([55]) Pour mémoire, l’article R. 4127-4 du code de la santé publique prévoit que « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». L’article L. 2212-8 précise cette règle en ce qui concerne l’IVG : « Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L.2212-2 ».

([56]) Opinion du CCNE sur l’allongement du délai légal d’accès à l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, 8 décembre 2020, p. 5.