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N° 483

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÉME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI, visant à garantir l’accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux (n° 325).

 

 

PAR M. Gabriel Amard

Député

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Voir le numéros : 325.


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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS

LEXIQUE

INTRODUCTION

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er (articles L. 2224-7-1 et L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales) Accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux

Article 2 Financement de la mesure

EXAMEN EN COMMISSION

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES


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   AVANT-PROPOS

Cette proposition de loi est le fruit d’une longue suite de travaux, de propositions, de mobilisations, d’expériences de collectivités, des associations, des chercheurs, des élus, des techniciens pour garantir l’accès à l’eau potable pour toutes et tous.

Cette proposition de loi est aussi le fruit de mon engagement et de ma propre expérience. En tant que maire et ancien président d’une communauté d’agglomération ayant créé, en 2011, une régie publique de l’eau et instauré la gratuité des mètres cubes destinés à la survie. Le niveau était alors encore faible
– 3 litres par jour par personne – par rapport à ce qui est avancé dans cette proposition de loi. Cependant, c’était une première avancée. Les expériences ultérieures, présentées dans ce rapport, montrent que la gratuité de 50 litres d’eau par jour et par personne, soit 18,25 mètres cubes par an est atteignable aujourd’hui, en l’état actuel du droit et des modalités du financement d’un service d’eau potable. Ainsi, la commune de Limay dans les Yvelines a instauré sans problème de financement la gratuité de 40 % de la consommation d’eau potable d’un ménage, ce qui correspond environ par habitant à 20 mètres cubes.

Les coordinations Eau bien commun, avec lesquelles je coopère depuis une quinzaine d’années, sont à la pointe des mobilisations pour porter, entre autres revendications, la gratuité des mètres cubes vitaux d’eau ou la tarification différenciée sans rencontrer de problème avec le contrôle de légalité. Nombre de citoyen-nes désireux de garantir un accès à l’eau ou de mettre en place une tarification écologique sont devenus des élus locaux en situation notamment de mettre en œuvre cette gratuité ou ces tarifications différenciées selon les usages. Certains ont participé à la création de France Eau publique, le réseau des gestionnaires publics de l’eau au sein de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), d’autres l’ont rejoint et continuent de le rejoindre.

Enfin, cette proposition de loi est aussi une nouvelle tentative, portée conjointement avec les associations humanitaires et de solidarité internationale organisées au sein de la Coalition Eau, de permettre concrètement l’accès à l’eau de toutes et tous et en particulier des personnes les plus pauvres et les plus précaires, qu’elles soient raccordées, abonnées ou non. Ainsi, l’accès gratuit à des points d’eau potable, des fontaines, des toilettes et des douches publiques est une revendication forte des associations, confortée par la récente directive européenne sur l’eau potable, et déjà mis en œuvre dans nombre de collectivités, comme Paris, des métropoles, mais aussi des communes de plus petite taille.

Cette proposition de loi vise donc en réalité à généraliser les bonnes pratiques concernant l’accès à l’eau potable qui existent déjà en France, notamment parce que la jurisprudence du Conseil d’État ouvre des possibilités peu connues à ce jour. Le législateur a par ce texte de loi l’occasion de consolider juridiquement les pratiques locales. C’est important de le souligner. Certes les propositions sont ambitieuses, mais l’ensemble des mesures proposées existe déjà en France, sans problème de financement. Le présent rapport envisage cependant des mécanismes de financement pour aider les collectivités à mettre en œuvre les mesures proposées car les règles de recevabilité financière des initiatives parlementaires ne me permettent pas d’inscrire les mécanismes de financement dans le corps même de la proposition de loi.

Nous laissons volontairement de côté un aspect important des débats portant sur l’accès à l’eau potable : le débat entre la gestion publique et la gestion déléguée au secteur privé et le débat sur la reconnaissance du droit à l’eau. Le mode de gestion n’est pas le sujet de cette proposition de loi. La Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E), qui rassemble notamment Veolia, Suez, La Saur, la Sogedo, l’a bien compris lors de notre rencontre. Les entreprises délégataires ne sont en rien lésées par les dispositions de la proposition de loi. Un des objectifs de cette proposition de loi est donc de rencontrer le consensus le plus large sur les modalités d’accès à l’eau.

La proposition de loi se situe du point de vue du droit à l’eau, c’est-à-dire d’un droit pour toutes et tous, sans condition de ressources. C’est un parti pris volontaire. C’est celui de l’Organisation des Nations unies qui, par une résolution votée par la France le 28 juillet 2010, place le droit à l’eau et à l’assainissement au niveau des droits humains fondamentaux. Nous refusons, avec les signataires de cette présente proposition de loi, la stigmatisation des plus pauvres et des personnes précaires qui doivent faire la preuve de leur pauvreté pour obtenir un chèque eau – avec le problème du non-recours massif à ce dispositif prévu par le principe de la tarification sociale. Nous refusons également de faire payer exclusivement par les classes moyennes la charge d’une aide sociale au bénéfice des plus démunis sans que ces catégories n’y aient accès en raison de seuil : les crises politiques et sociales récentes soulignent un mécontentement croissant des classes moyennes à ce principe, car elles sont exclues (ou se pensent exclues) de la plupart des mécanismes d’aide sociale, leurs revenus leur permettant donc de plus en plus difficilement « de joindre les deux bouts ».

J’assume le principe de la perfectibilité de cette proposition de loi à l’aune des auditions réalisées. Le fonctionnement des niches parlementaires, dans le cadre duquel cette proposition de loi est présentée, inverse le calendrier traditionnel de travail. Aussi, les nombreuses rencontres et auditions de collectivités et d’associations ont eu lieu après le dépôt de la proposition. Or les apports de ces acteurs pour préciser et améliorer la mise en œuvre des dispositions prévues dans la proposition de loi sont riches, utiles et cela d’autant plus que la grande majorité des acteurs auditionnés sont favorables à la proposition de loi et que très peu y sont opposés. Aussi, je dépose personnellement plusieurs amendements à la suite de leurs demandes et réflexions afin d’enrichir, compléter, améliorer la proposition de loi.

Enfin, je tiens personnellement à remercier les personnes auditionnées, que ce soit avant ma nomination en tant que rapporteur ou après cette nomination. Il s’agit dans l’ordre chronologique des rencontres de :

– MM. Stéphane Rodier, maire de Thiers (Puy-de-Dôme) et Tony Bernard, président de la communauté de commune Thiers Dore et Montagne ;

– MM. Christophe Lime, président du réseau France eau publique et représentant de l’Association des maires de France, et Régis Taisne, chargé de mission sur le cycle de l’eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies ;

– MM. Tristan Mathieu (délégué général) et Hugues D’Antin (responsable des affaires publiques de Suez), représentants de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau ;

– MM. Michel Fournier (président) et Cédric Szabo (directeur) de l’Association des maires ruraux de France ;

– MM. Claude Borcard, président d’ECLA (Espace communautaire Lons Agglomération), Jean-Yves Ravier, maire de Lons-le-Saunier (Jura) et Jean-Yves Bailly, maire de Revigny et 6e vice-président d’ECLA ;

– M. Michel Demolder, maire de Pont-Péan (Ille-et-Vilaine) et président de l’Eau du bassin rennais (SPL) ;

– M. René Revol, maire de Grabels (Hérault), vice-président de Montpellier Méditerranée Métropole, délégué à la gestion raisonnée écologique et solidaire de l’eau et de l’assainissement et président de la régie de Montpellier Méditerranée Métropole ;

– Mme Marie Tsanga-Tabi, chercheuse en sciences de gestion ;

– M. Djamel Nedjar, maire de Limay (Yvelines) ;

– M. Yves Mesnard, maire de Roquevaire (Bouches-du-Rhône) ;

– M. Maxime Ghesquière, conseiller municipal délégué de Bordeaux (Gironde) et Mme Sylvie Cassou-Schotte, adjointe au maire de Mérignac, vice‑présidente de Bordeaux métropole à l’eau et à l’assainissement ;

– MM. Dan Lert, adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie et président d’Eau de Paris et Léo Bousquet, en charge des relations institutionnelles d’Eau de Paris ;

– Mme Anne Grosperrin, vice-présidente déléguée au cycle de l’eau à la métropole de Lyon (Rhône) et présidente de la régie de l’eau de la métropole de Lyon, M. Florestan Groult, vice-président, commission usagers et droit à l’eau d’Eau Publique du Grand Lyon, Mme Hélène Arambourou, collaboratrice de cabinet, et M. Christophe Drozd, directeur de la régie publique ;

– M. Serge Séryes, maire de Burlats (Tarn).

Ont également été sollicités, pour réagir et apporter de précieux conseils, M. Bernard Drobenko, professeur émérite de droit public, spécialiste du droit de l’eau, Mme Edith Guiochon, chargée de plaidoyer de la Coalition Eau, et M. Jean‑Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France, président de la régie publique de l’eau d’Est Ensemble et vice-président d’Est Ensemble en charge de l’eau et de l’assainissement.

Cette proposition de loi a aussi été rédigée à la suite d’auditions non officielles sur le droit à l’eau organisées le 19 septembre 2022 à l’Assemblée nationale par le rapporteur. Étaient auditionnés : M. Pedro Arrojo (rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’eau et l’assainissement), Pablo Sanchez (Right2Water), Mme Elisabetta Cangelosi (European water movement), M. Bernard Drobenko (professeur émérite de droit public), Mmes Edith Guiochon (Coalition Eau), Manon Gallego (Solidarités international), MM. Julien Eyard (Action contre la faim), Houemenou Honoré-René (La Croix rouge), Lionel Brun Valicon (Ligue des droits de l’homme), M. Emmanuel Poilane, Mme Agnès Golfier, M. Jérémie Chomette (Fondation France libertés Danielle Mitterrand), M. Jean‑Claude Oliva, Mme Edith Félix et M. Bernard Mounier (Coordination Eau bien commun France), Mme Florence Habets (hydrogéologue CNRS), M. Alexis Guilpart, Mme Marion Fourtune, Mme Noémie Morel (France Nature Environnement).

Je remercie mes collaborateurs et les collaborateurs du groupe La France insoumise – Nouvelle Union populaire écologique et sociale, pour leur travail sur ce rapport, cette proposition de loi et sur les amendements que je propose.

À des fins de bonne compréhension de la proposition de loi et du rapport et parce que ces auditions ont vocation à être des outils de pédagogie politique, ce rapport commencera par un lexique permettant aux lecteurs de comprendre l’ensemble des termes et de mieux appréhender les enjeux de la gestion de l’eau potable.


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   LEXIQUE

Pour comprendre les termes utilisés dans ce rapport, le rapporteur propose le lexique suivant

Abonné : Personne, ménage ou immeuble bénéficiant d’un abonnement au service de distribution d’eau potable. Sa consommation est calculée par un compteur, qui peut être individuel au logement ou collectif à un immeuble.

Abonnement : Le fait d’être abonné au service d’eau potable. La facturation des volumes consommés est calculée selon une part fixe (le tarif de l’abonnement, 17 % en moyenne de la facture d’eau en France en 2022, finançant selon les autorités organisatrices la pose et l’entretien du compteur et les investissements) et une part variable (calculée au regard de la consommation d’eau potable).

Autofinancement : Capacité d’une collectivité à financer ses investissements sans avoir recours à l’emprunt.

Autorité organisatrice : Dans le cas présent, commune ou groupement de communes, ou établissement public à caractère industriel et commercial en charge de la distribution d’eau potable.

Compteur : Dispositif technique permettant d’évaluer en temps réel la consommation d’eau potable d’un logement ou d’un immeuble.

Budget annexe : Le service d’eau potable n’est pas financé sur le budget général de la commune ou de l’intercommunalité, mais via un budget annexe, selon le principe de « l’eau paye l’eau » : les factures et redevances du service financent la production, la distribution de l’eau potable et l’assainissement ainsi que les investissements.

Domicile principal : Lieu de résidence habituelle d’une personne ou d’un ménage.

Droit à l’eau : Concept politique et juridique, reconnu par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010, intégré à l’ensemble des droits humains et considéré comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Il consiste à avoir accès à l’eau potable, salubre à un coût abordable pour toutes et tous. L’accès est une notion qui recouvre plusieurs dimensions : la disponibilité en eau, l’accessibilité physique de l’eau, l’accessibilité économique de l’eau, la qualité et la sûreté de l’eau, l’acceptabilité, la dignité et l’intimité de l’accès à l’eau.

 

 

Gestion publique : Gestion de la production et/ou de la distribution de l’eau potable par une personne publique (service municipal ou intercommunal, syndicat, régie publique) non déléguée à une société privée. Le cas d’une collectivité déléguant la gestion à une société publique locale (société de droit privé à capitaux publics) peut être considéré comme une gestion publique par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies. Pour autant, une gestion publique n’empêche pas que l’achat d’eau en gros soit réalisé auprès d’une entreprise privée. La gestion publique peut ne pas l’être dans tous ses aspects. Ainsi par exemple de la gestion des usagers.

Gestion déléguée : Gestion de la production et/ou de la distribution de l’eau potable déléguée par l’autorité organisatrice à une société privée.

Gratuité : La gratuité d’un volume d’eau potable est la gratuité de l’équivalent financier de ce volume pour l’usager. Soit il bénéficie d’une remise sur la facture, soit ce volume n’est pas facturé. La gratuité est nécessairement compensée par d’autres recettes.

Groupements de communes : Ensemble des établissements publics qui dépendent des communes membres pour leur administration (prise de décision par tout ou partie des élus municipaux) et pour tout ou partie de leur financement.

Facture d’eau : Il s’agit de la facture d’eau potable et de l’assainissement.

Fuites : Pertes d’eau potable en raison de canalisations défectueuses. En France, 20 % de l’eau potabilisée est perdue dans les fuites, soit l’équivalent de la consommation de 18 millions d’habitants.

« L’eau paye l’eau » : Principe de gestion de l’eau selon lequel les factures et redevances des usagers de l’eau financent le coût du service rendu.

Part fixe : Montant fixe de la facture d’eau, dans sa partie eau potable, correspondant à la répercussion du coût de l’achat, de la pose et de l’entretien du compteur.

Part variable : Montant de la facture d’eau, dans sa partie eau.

Prix de l’eau : Tarif de la facture d’eau potable et d’assainissement. Pour reprendre la formule de Danielle Mitterrand, « l’eau n’a pas de prix » même si elle a un coût. Le rapporteur préfère donc utiliser les termes « tarif de l’eau ».

Redevance : Équivalent d’une taxe payée par l’usager pour financer le service de l’assainissement.

Tarif dégressif : Tarif dont le principe est que le tarif au mètre cube décroît à mesure que la consommation augmente. C’est une pratique peu soucieuse de la ressource en eau.

Tarification progressive : Tarification dont le principe est que le tarif au mètre cube croît à mesure que la consommation augmente. C’est une pratique soucieuse de la ressource en eau. C’est aussi appelé la tarification écologique.

Tarification sociale : Tarification dont le principe est d’assurer des aides sociales aux abonnés pauvres en eau et aux familles nombreuses en cas de tarification progressive.

Taux de rendement : Performance du réseau d’eau potable mesuré en pourcentage du réseau sans fuites.

Taux de renouvellement : Linéaire de réseau de canalisations remplacé chaque année, rapporté à la totalité du linéaire de réseau de canalisations mesuré en pourcentage.

 


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   INTRODUCTION

L’eau est un élément essentiel à toute vie sur Terre. Elle détermine notre vie quotidienne et sa préservation est un des défis majeurs que doit affronter l’humanité. Au-delà de sa préservation, l’accès à l’eau pour toutes et tous est également un combat permanent à mener. Dans le monde, 2,2 milliards de personnes vivent sans accès à une eau saine et 144 millions boivent une eau non traitée. 3,6 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, ne disposent pas d’un accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité. Le réchauffement climatique aggrave cette situation : d’ici 2030, 30 % de la population européenne vivra dans des régions où l’eau sera rare toute l’année alors que notre « empreinte sur l’eau » par habitant est ainsi de 5 000 litres par jour, dont seulement 150 litres par jour pour l’eau domestique.

Pourtant, le sixième objectif de développement durable (ODD) pour 2030 est bien d’assurer un accès universel et équitable à l’eau potable ([1]), à l’hygiène et à l’assainissement. Nous en sommes loin, en particulier dans les pays en développement mais également pour des franges non négligeables de la population des pays développés. En France, 490 300 personnes n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité et plus de 882 800 personnes n’ont qu’un accès limité à des installations sanitaires. C’est notamment le cas des 300 000 sans-abri et des 20 000 personnes en bidonvilles. 90 % des cours d’eau sont pollués aux pesticides tandis qu’on trouve des microplastiques dans l’eau potable. Deux millions de personnes ont des factures d’eau et d’assainissement qui représentent plus de 3 % de leurs revenus. Les outre-mer sont particulièrement concernés : la moitié de l’eau facturée part en fuites dans des canalisations vétustes.

Le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité a été reconnu comme un droit humain fondamental par l’Assemblée générale des Nations unies en 2010. L’initiative citoyenne européenne Right2Water (droit à l’eau) a rassemblé en 2014 plus de 1,6 million de signatures. Mais la directive européenne sur l’eau potable qui en découle ne reconnaît pas le droit à l’eau et ne contraint pas les États membres en matière d’accès à l’eau. Il y a pourtant urgence à agir en France et sur le plan international. Le Conseil d’État nous y invite après qu’il a reconnu « que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé est une liberté fondamentale » dans le cadre de la saisine du juge en référé-liberté en septembre dernier (Section du contentieux, 2ème et 7ème chambres réunies, 20 septembre 2022, 451129). Cette jurisprudence invite à conforter l’accès inconditionnel à l’eau potable. 

La représentation nationale a ainsi eu plusieurs fois l’occasion d’examiner des textes ambitieux sur l’eau sans parvenir à aller jusqu’au bout de leur adoption. Parmi les initiatives récentes, une proposition de loi portée notamment par M. Michel Lesage, M. Jean Glavany et Mme Marie-George Buffet, et adoptée par l’Assemblée nationale le 14 juin 2016 ([2]), mais non adoptée par le Sénat, voulait promouvoir un droit à l’eau ainsi défini :

« Le droit à l’eau potable et à l’assainissement comprend le droit, pour chaque personne physique, dans des conditions compatibles avec ses ressources :

« 1° De disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires ;

« 2° D’accéder aux équipements lui permettant d’assurer son hygiène, son intimité et sa dignité ; ».

En 2018, M. Bastien Lachaud et les membres du groupe parlementaire La France insoumise ont déposé à l’Assemblée une nouvelle proposition de loi constitutionnelle visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable ([3]). Elle procédait ainsi à l’insertion dans la Charte de l’environnement, adossée depuis 2005 à la Constitution, d’un nouvel article 2-1 consacrant le droit fondamental et inaliénable des individus d’accéder à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité. Cette proposition de loi constitutionnelle a toutefois fait l’objet d’une motion de rejet préalable et n’a donc pas pu être discutée en séance publique.

Enfin, en février 2021, le Sénat a rejeté la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l’eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d’eau potable et l’accès pour toutes et tous à l’eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité, déposée par Mme Marie-Claude Varaillas et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste. Cette proposition de loi comprenait quatre articles visant à :

– inscrire dans le code de la santé publique que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit universel ;

– permettre à chaque citoyen de disposer chaque jour gratuitement d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires ;

– permettre à chacun d’accéder aux équipements lui permettant d’assurer son hygiène, son intimité et sa dignité ;

– charger les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de distribution d’eau potable et en matière d’assainissement de prendre les mesures nécessaires pour satisfaire gratuitement les besoins élémentaires en eau potable et en assainissement des personnes qui ne disposent pas d’un raccordement au réseau d’eau potable ;

– poser le principe de la gratuité des mètres cubes d’eau nécessaires aux besoins essentiels à la vie et à la dignité.

La présente proposition de loi s’inscrit dans la lignée de ces travaux et vise à garantir un véritable accès à l’eau, en instaurant la gratuité des 50 premiers litres d’eau vitale pour chaque individu par le biais d’un renchérissement des usages professionnels de l’eau potable ou en résidence secondaire et en accompagnant les collectivités du bloc communal dans la mise en œuvre de bornes-fontaines, de toilettes et de bains-douches publics.

Cette proposition de loi a plusieurs fonctions : mettre la question de l’eau à l’agenda public au regard de la crise de l’eau dans laquelle nous sommes entrés, prolonger les différentes tentatives parlementaires antérieures, mettre la question de l’accès inconditionnel à l’eau dans le débat public, participer d’un travail de conviction et de pédagogie sur la question de la gratuité et de l’accès à l’eau potable.

 


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er
(articles L. 2224-7-1 et L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales)
Accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux

 

Supprimé par la commission

 

L’article 1er de la présente proposition de loi vise à garantir un accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux, à hauteur de 50 litres par personne et par jour, soit 18,25 mètres cubes d’eau par personne et par an, ainsi qu’une tarification progressive et différenciée de l’eau potable et la suppression de la part fixe des factures d’eau pour les résidences principales. Il vise également à garantir l’accès de toute la population à des fontaines, sanitaires et douches publics dans tous les bassins de vie sur le territoire national à partir de seuils de population.

I.   ÉTAT DES LIEUX DE L’ACCÈS ET DU NON-ACCÈS À L’EAU POTABLE

La production et la disponibilité de données chiffrées et qualitatives fiables sur les situations de manque d’accès et de précarité en eau et assainissement en France représentent encore aujourd’hui un défi. Selon la Coalition Eau, mouvement des ONG françaises engagées pour les droits humains à l’eau et à l’assainissement et pour l’eau bien commun, près de 99 % de la population française a accès à un réseau d’alimentation en eau et 99,7 % des Français ont des toilettes à domicile ([4]). Toutefois, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement demeure problématique pour plusieurs centaines de milliers de personnes vivant sans un accès permanent à de l’eau potable, à des toilettes ou à des conditions d’hygiène suffisantes.

A.   L’ACCÈS À L’EAU POTABLE ET AUX POINTS D’EAU

Selon les chiffres de l’Organisation des Nations unies (ONU), au travers du Joint Monitoring Program de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), dans son dernier rapport de juin 2021 « 2000-2020 : Progress on household drinking water, sanitation and hygiene, five years into the SDGs » ([5]), 99,2 % de la population française a accès à un réseau d’eau potable mais 0,8 % dispose d’un accès restreint ou inexistant à des services élémentaires (soit environ 490 300 personnes). Cela peut faire référence à plusieurs types de situations :

– les personnes vivant sur un territoire où la qualité de l’eau est insuffisante (matières fécales, arsenic ou fluor) et impropre à la consommation ;

– les personnes n’ayant pas accès à une source d’eau à l’intérieur de leur domicile : notamment en zone rurale, lorsque le logement n’est pas raccordé à un réseau d’eau et où la source d’eau se trouve à l’extérieur du domicile.

Concernant l’assainissement, la situation est encore plus difficile. L’accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité est estimé à seulement 78,6 % de la population française métropolitaine, ce qui signifie que plus de 20,1 % de la population n’a qu’un accès à des services élémentaires (soit environ 13 093 300 personnes) et 1,4 % à des services limités (soit environ 882 800 personnes). L’accès non sécurisé peut recouvrir une diversité de situations :

– les déjections ne sont pas « traitées sur place en toute sécurité ou transportées et traitées hors du site » ;

– les personnes n’ont pas accès à une installation sanitaire améliorée (toilettes à chasse d’eau vers un réseau d’égouts ou une fosse septique, latrine améliorée à fosse ventilée, latrine à fosse avec dalle, toilettes à compostage) ;

– elles partagent une toilette avec d’autres ménages.

Par ailleurs, la Coalition Eau estime ainsi à 173 000 le nombre de personnes vivant sans WC à l’intérieur de leur logement et à 117 000 celui de personnes sans douche. En outre, près de 150 000 personnes sont sans domicile fixe et 100 000 personnes vivent dans des habitats de fortune, dont presque 20 000 personnes dans des bidonvilles.

Cette situation est particulièrement problématique dans les outre-mer. À Mayotte, ce sont ainsi près de 31,5 % des familles qui vivent sans eau courante et 17 % du budget est consacré au paiement des factures d’eau. À La Réunion, près de 46 % des usagers sont alimentés par des réseaux qui ne garantissent pas une sécurité sanitaire satisfaisante. En Guadeloupe, les coupures d’eau sont extrêmement fréquentes et près de 400 000 personnes sont régulièrement privées d’accès à l’eau. En outre, plus de 60 % de l’eau est perdue avant d’arriver au robinet et près de 70 % des stations d’assainissement ne sont pas conformes aux règles en vigueur.

 

 

B.   LE BESOIN D’UN DROIT À L’EAU RENFORCÉ

Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est inscrit dans plusieurs traités internationaux, soit de manière explicite comme dans la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée le 20 novembre 1989 ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006, soit de manière plus implicite comme dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966.

Ainsi, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée générale des Nations unies, stipule dans son article 14 que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales [...] et, en particulier, ils leur assurent le droit : de bénéficier de conditions de vie convenables, notamment en ce qui concerne le logement, l’assainissement, l’approvisionnement en électricité et en eau ».

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (1989), ratifiée par presque tous les États du globe, dans son article 24 rappelle que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible [...]. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour : lutter contre la maladie et la malnutrition [...] grâce notamment [...] à la fourniture d’aliments nutritifs et d’eau potable ».

Ratifié par 16 pays et entré en vigueur en août 2005, le Protocole sur l’eau et la santé, issu de la Convention d’Helsinki du 17 mars 1992 (signée et approuvée par la France), stipule dans ses articles 4 à 6 que les parties « prennent, en particulier, toutes les mesures appropriées pour assurer un approvisionnement adéquat en eau potable salubre », « un accès équitable à l’eau, adéquat du point de vue aussi bien quantitatif que qualitatif, [...] à tous les habitants ; notamment aux personnes défavorisées ou socialement exclues » et « poursuivent les buts suivants : l’accès de tous à l’eau potable ; l’assainissement pour tous ».

Depuis 2002, le droit à l’eau figure implicitement dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc, 1966), auquel 160 États sont parties. Le Pacte comprend le droit d’être à l’abri de la faim (article 2), à un niveau de vie suffisant (article 11) et le droit à la santé (article 12). Le 26 novembre 2002, le Comité des Nations unies sur les droits économiques, sociaux et culturels (CESCR) a réinterprété, dans son observation générale n° 15 sur le droit à l’eau, l’article 11 et reconnu alors que « le droit à l’eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant que l’eau est l’un des éléments les plus essentiels à la survie. » Cette observation n° 15 affirme que « l’accès à une fourniture adéquate d’eau pour un usage personnel et domestique constitue un droit humain fondamental de toute personne ».

L’article 28 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2008 stipule que les États parties à la Convention prennent des « mesures appropriées pour protéger et promouvoir l’exercice de ce droit, y compris des mesures destinées à assurer aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services d’eau salubre et leur assurer l’accès à des services, appareils et accessoires et autres aides répondant aux besoins créés par leur handicap qui soient appropriés et abordables ». 

Enfin, l’accès à l’eau potable figurait dans l’objectif 7.C des objectifs du millénaire pour le développement (2000) : « Réduire de moitié, d’ici à 2015, le pourcentage de la population qui n’a pas d’accès à un approvisionnement en eau potable ni à des services d’assainissement de base ».

Cependant, le droit à l’eau potable et à l’assainissement n’est pas reconnu dans les instruments internationaux de portée générale en tant que droit humain autonome. Il ne figure notamment pas dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Plusieurs reconnaissances ont cependant eu lieu au cours des dernières années.

1.   La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies de 2010

Une première reconnaissance mondiale a été acquise à travers l’adoption, le 28 juillet 2010, par l’Assemblée générale des Nations unies, d’une résolution qui reconnaît le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme » ([6]). Cette résolution demande aux États et aux organisations internationales « d’apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, grâce à l’aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement, afin d’intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable et des services d’assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous ». La résolution, présentée à l’initiative de la Bolivie, a été adoptée par 122 voix et 41 abstentions et aucun vote contre. L’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie et onze pays de l’Union européenne, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique, regroupent l’essentiel des votes favorables. L’Assemblée générale n’a pas créé un nouveau droit humain, mais « a simplement reconnu officiellement l’existence d’un droit existant » selon Mme Catarina de Albuquerque, première rapporteure spéciale des Nations unies pour le droit à l’eau et à l’assainissement. Cette résolution confirme que tous les États reconnaissent ce droit.

Cette résolution a été suivie de deux résolutions complémentaires. Le 30 septembre 2010, au Conseil des droits de l’homme de l’ONU a été adoptée par consensus la résolution confirmant la résolution du 28 juillet 2010. La résolution A/64/L.63/Rev.1 déclare : « le droit à une eau potable salubre et propre est un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ». Le 18 décembre 2013, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution A/RES/68/157 qui réaffirme la résolution de 2010.

L’Assemblée générale des Nations unies a ensuite adopté une nouvelle résolution le 17 décembre 2015 qui va plus loin en reconnaissant le droit à l’eau potable devant « permettre à chacun d’avoir accès sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, à un approvisionnement suffisant d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques », distinct du droit à l’assainissement devant « permettre à chacun, sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, d’avoir accès à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risque, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables, qui préservent l’intimité et garantissent la dignité »  ([7]).

En tout, 178 États de toutes les régions du globe ont déjà reconnu le droit à l’eau et à l’assainissement dans des déclarations ou des résolutions internationales et certains pays sont allés plus loin, en constitutionnalisant le droit à l’eau, à l’instar de l’Uruguay. L’article 47 de la Constitution uruguayenne, révisée et adoptée par référendum en 2004, dispose ainsi que « l’eau est une ressource naturelle essentielle à la vie. L’accès aux services d’eau potable et d’assainissement constitue un droit humain fondamental ». La Slovénie a également inscrit le 17 novembre 2016 au sommet de son ordre juridique interne le droit d’accès à une eau potable non privatisée, en consacrant les ressources en eau comme « un bien public géré par l’État [destiné] en premier lieu à assurer l’approvisionnement durable en eau potable de la population ». Parmi les autres pays ayant introduit le droit à l’eau dans leur Constitution, nous pouvons citer la Bolivie, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, le Niger, la Colombie, la République démocratique du Congo, le Kenya, l’Équateur, etc.

Enfin, le droit à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène constitue l’objectif n° 6 des dix-sept « objectifs 2030 de développement durable » (ODD) adoptés par les États membres des Nations unies, qui vise à « garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable ».

2.   Le droit à l’eau n’est pas reconnu mais des bribes éparses existent dans le droit européen et français

L’Union européenne a développé un corps de règles très abondant sur tous les aspects de la gestion de l’eau et de l’assainissement. Elle a notamment reconnu à l’approvisionnement en eau le caractère d’un service d’intérêt économique général au sens des articles 14 et 106 § 2 du TFUE et admis que cette activité puisse indifféremment, au choix des États membres, relever en tout ou partie du marché, ou être considérée comme d’intérêt général et soumise à des obligations de service public.

Le droit à l’eau n’a, toutefois, été reconnu que par le seul Parlement européen, dans deux résolutions sans portée contraignante adoptées avant les Forums mondiaux de l’eau de Mexico en 2006 et d’Istanbul en 2009. La résolution du 12 mars 2009 proclame ainsi, dans ses deux premiers considérants, que «  l’eau est un bien commun de l’humanité et que l’accès à l’eau potable devrait être un droit fondamental et universel », et que « l’eau est considérée comme un bien public et qu’elle devrait être placée sous contrôle public, qu’elle soit ou non gérée, en partie ou en totalité, par le secteur privé » ([8]).

La directive 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (dite « directive eau potable ») prévoit en outre dans son article 16 un accès à l’eau pour toutes et tous en donnant aux États membres des obligations pour identifier les personnes n’ayant pas accès à l’eau potable et mettre en place des solutions alternatives en favorisant l’utilisation d’eau potable dans les lieux publics. Bien qu’importante, cette directive ne se donne pas pour objectif de garantir l’accès à l’eau de tous (« universalité ») et ne précise pas de date limite pour parvenir au but de l’eau pour tous. De plus, elle ne traite pas de l’équité dans la tarification, ni du caractère abordable du prix de l’eau et ne se prononce pas explicitement sur l’existence d’un droit humain à l’eau. Néanmoins, la directive précise que les États devront « prendre les mesures qu’ils jugent nécessaires et appropriées afin de garantir l’accès à l’eau destinée à la consommation humaine pour les groupes vulnérables et marginalisés ». Si les États ont le choix des mesures à prendre (subsidiarité), ils doivent s’assurer du respect de l’objectif.

En proposant de créer un ensemble de points d’eau potable gratuite pour les personnes non desservies par un réseau, la présente proposition de loi vise ainsi à garantir le respect du droit européen et de la directive eau potable. La transposition de la directive doit intervenir avant le 12 janvier 2023. Or les premières ébauches de décret et d’arrêté que les associations ont reçues prévoient certes des améliorations, mais soulèvent aussi de nombreuses questions et sont jugées à bien des égards insuffisantes au regard des enjeux. Ces textes de travail proposent notamment des objectifs mais sont insuffisamment précis en termes de concrétisation de ces mêmes objectifs.

Or, le Gouvernement, par l’article 37 de la loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances, a prévu de transposer la directive par voie d’ordonnances et par voie réglementaire en modifiant des articles essentiels portant sur la gestion de l’eau potable dans le code général des collectivités territoriales, le code de l’environnement et le code de la santé publique. Le débat parlementaire est donc escamoté. Cette proposition de loi vient donc compléter, préciser les prochains textes réglementaires que le Gouvernement rédige à l’heure où ces lignes sont écrites en novembre 2022.

En France, plusieurs initiatives ont par ailleurs été prises au cours des dernières années pour donner une traduction juridique au droit d’accès à l’eau. Depuis la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau, cette ressource est considérée en France comme appartenant au « patrimoine commun de la nation ». Mais le droit à l’eau n’a pas, en tant que tel, reçu rang de principe ou d’objectif à valeur constitutionnelle. Il pourrait toutefois être indirectement rattaché à deux objectifs à valeur constitutionnelle : le droit au logement et à la protection de la santé publique. Le Conseil constitutionnel a en effet déduit des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946 ainsi que du principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » ([9]). Or, d’après un rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) de juillet 2011, le nombre de logements indécents n’ayant pas d’accès à l’eau et à l’assainissement était d’environ 350 000 en 2010. Le droit à l’eau potable pourrait également être rattaché à la protection de la santé publique ([10]), qui procède explicitement du 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 aux termes duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

De manière plus formelle, le droit d’accès à l’eau a connu une première reconnaissance par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (dite « LEMA »), qui prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Ce droit est une réalité pour la grande majorité de la population française. En effet, près de 99 % des personnes sont aujourd’hui raccordées à un réseau de distribution d’eau. À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’application de la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, le juge constitutionnel a d’ailleurs assimilé le droit d’accès à l’eau à un besoin essentiel de la personne humaine (décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 « Société SAUR SAS »).

Pour autant, il est communément admis par les spécialistes de l’eau (organisations internationales et chercheurs) qu’une facture d’eau et d’assainissement excédant 3 % des ressources d’un ménage n’est pas soutenable et place ce ménage dans une situation de pauvreté en eau. Or cette situation est malheureusement courante. Ainsi, la commune de Limay (Yvelines, 17 136 habitants, membre de la communauté urbaine Grand Paris Seine et Oise – 417 556 habitants), qui a mis en place la gratuité de 40 % de la consommation d’eau potable avant son intégration à l’intercommunalité et conservé cette pratique depuis, a repéré que tous les ménages allocataires du RSA avaient une facture égale ou supérieure à 3 % de leurs ressources. Avec 40 % de volume gratuit, tous les ménages passent en dessous des 3 %.

Poids de la facture d’eau sur le revenu pour les ménages allocataires
du RSA à Limay avant et après la gratuité de 40 % du volume

Source : Commune de Limay

L’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi « Brottes » du 15 avril 2013, prévoit en outre qu’en cas de non-paiement d’une facture d’eau par toute personne ou famille éprouvant des difficultés financières, la fourniture d’eau est maintenue jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande d’aide à laquelle elle a droit de la part de la collectivité.

D’autres dispositions permettent de garantir un meilleur accès à l’eau potable dans certaines situations :

– en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé – et, dans certains cas, le préfet – peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population (article L. 3131-1 du code de la santé publique) ;

– les articles L. 732-1 et L. 732-2 du code de la sécurité intérieure imposent aux exploitants d’un service public de production ou de distribution d’eau pour la consommation humaine de prévoir les mesures nécessaires au maintien de la satisfaction des besoins prioritaires de la population lors des situations de crise ;

– enfin, dans les communes où le nombre de décès a dépassé le chiffre de la mortalité moyenne de la France pendant trois années consécutives, le préfet doit ordonner une enquête afin de déterminer notamment si la commune est pourvue d’eau potable de bonne qualité ou en quantité suffisante. Dans les cas particulièrement graves, les travaux jugés nécessaires peuvent être ordonnés par décret (article L. 1331-17 du code de la santé publique).

Ces évolutions législatives et jurisprudentielles font émerger des bribes de droit à l’eau mais ce droit n’est pas encore affirmé en tant que tel, ni dans la Constitution, ni dans la loi. La présente proposition de loi prévoit d’en faire une réalité opérationnelle qui devra être complétée, sur le plan des principes fondamentaux, par une révision de la Charte de l’environnement, qui est intégrée au bloc de constitutionnalité.

II.   L’ACCÈS AUX BAINS-DOUCHES, AUX FONTAINES ET AUX DOUCHES PUBLIcS

Le Protocole sur l’eau et la santé, soutenu par la Commission économique des Nations unies pour l’Europe (CEE-ONU) et le Bureau régional pour l’Europe de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et que la France a ratifié en 2006, contient l’engagement des États de prendre « toutes les mesures appropriées pour assurer un assainissement adéquat d’une qualité propre à permettre de protéger suffisamment la santé de l’homme et l’environnement ». Ce texte implique l’obligation de disposer de toilettes avec évacuation hygiénique des excréments, obligation qui est déjà très largement satisfaite en France.

Néanmoins, selon les localités, il peut être compliqué d’avoir accès à des toilettes dans leur voisinage. D’autre part, il reste encore de nombreux ménages sans toilettes dans leur logement ou même sans logement. Le 25ème rapport sur le mal-logement de la Fondation Abbé Pierre estime ainsi à 143 000 le nombre de personnes sans domicile fixe, 91 000 qui vivent dans des habitats de fortune en France, 16 000 personnes dans 497 bidonvilles, 208 000 gens du voyage mal logés et 24 000 personnes hébergées dans des foyers de migrants.

Pour apporter un remède à ces situations, il conviendrait d’augmenter le nombre de toilettes disponibles et, en particulier, le nombre de toilettes publiques dans les collectivités où celles-ci sont rares. Il faut également augmenter le nombre de fontaines publiques et de bains-douches pour permettre aux plus précaires un accès réel à des services d’eau essentiels. Ces dispositions font l’objet des alinéas 1 à 6 de l’article 1er de la présente proposition de loi.

A.   UNE INSUFFISANCE D’ACCÈS À L’EAU, AUX TOILETTES ET AUX BAINS-DOUCHES

Actuellement, la seule disposition législative qui existe pour garantir l’accès à l’eau des personnes sans domicile fixe ou vivant dans des habitats précaires concerne les gens du voyage. En effet, la loi du 5 juillet 2000 oblige les communes à aménager des aires d’accueil comportant des points d’eau potable et un accès à des équipements sanitaires. Mais il n’existe pas de mesure générale concernant l’accès à l’eau potable des personnes sans-abri. Pour leurs besoins élémentaires d’alimentation et d’hygiène, ces personnes sans-abri ont recours aux points d’eau et aux équipements sanitaires mis à disposition par les collectivités ou par des associations. Toutefois, comme le note le Conseil d’État dans un rapport public de 2010 sur l’eau et son droit, « la suppression des fontaines publiques, qui permettaient d’accéder de manière permanente à une eau gratuite, et la fermeture de bon nombre de bains douches municipaux depuis la généralisation des salles de bains dans les logements ont rendu cet accès plus difficile » ([11]). La transposition de la directive eau potable, dans une des versions du projet de décret consultée, vise à assurer des points d’eau à proximité des camps et des bidonvilles. La proposition consiste ici à assurer un maillage de fontaines, douches et toilettes publiques, utilisables par les personnes non raccordées au réseau, mais aussi les sportifs, les touristes, les passants, etc.

On note en effet une divergence très importante entre les communes, évaluée ainsi par la Coalition Eau ([12]) qui a élaboré un diagnostic pour plusieurs grandes métropoles françaises :

– Bordeaux, 258 045 habitants : 68 fontaines, 72 toilettes, 0 bain-douche public ;

– Marseille, 877 310 habitants : 185 fontaines, 15 toilettes, 1 douche publique ;

– Montpellier, 297 886 habitants : 68 fontaines, 34 toilettes, 0 bain-douche public ;

– Paris, 2 151 552 habitants : 1 240 fontaines,
750 toilettes, 16 bains‑douches publics (500 douches) ;

– Toulouse, 484 550 habitants : 193 fontaines, 63 toilettes, 2 douches publiques.

La présente proposition de loi permet d’y remédier en instaurant, à travers les alinéas 1 à 6 de l’article 1er, un élargissement de la compétence des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en matière de distribution d’eau potable, laquelle est prévue à l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), à l’ouverture et l’entretien de fontaines publiques, de toilettes publiques (pour les communes de plus de 3 500 habitants) et de bains-douches publics (pour les communes de plus de 10 000 habitants). Elle fait le choix de la gratuité pour ces services.

1.   L’accès aux toilettes souffre de disparités importantes sur le territoire

La France métropolitaine dispose de près de 14 000 toilettes publiques, soit en moyenne une installation pour 4 500 habitants mais avec des disparités territoriales importantes. Selon Henri Smets ([13]), il y a une installation pour 3 100 habitants à Paris tandis que dans les Hauts-de-Seine, il y en a cinq fois moins. Ainsi Paris dispose de 750 toilettes publiques et urinoirs gratuits (dont 425 sanisettes), soit un équipement par 3 000 habitants. Le budget correspondant est de 11 millions d’euros par an, soit 5 euros/habitant. Ces toilettes ont totalisé 15 millions de visites en un an (97 visites par jour et par équipement). En plus des toilettes municipales, Paris dispose de 48 toilettes publiques dans le métro et de plusieurs dizaines de toilettes payantes dans les gares. En revanche, Marseille ne compterait qu’une installation sanitaire publique pour 48 000 habitants. En l’absence de normes ou de recommandations, chaque collectivité décide seule du nombre toilettes publiques. Selon Eurostat, il y aurait en France 0,5 % de la population sans toilettes intérieures au logement, soit 330 000 personnes.

Or, pour réduire les incivilités et rendre les villes plus accueillantes, il convient d’augmenter le nombre de toilettes publiques dans les villes où elles sont trop peu nombreuses. Chaque municipalité se doit de nettoyer sa voirie, de ramasser ses ordures et de promouvoir un cadre de vie agréable. De même, la mise à disposition d’un nombre suffisant de toilettes publiques pourrait faire partie des dépenses municipales indispensables. Cependant, de nombreuses toilettes publiques demeurent payantes et les tarifs pratiqués pour l’usage des toilettes publiques peuvent même être dissuasifs pour les plus démunis. Selon Henri Smets, si un titulaire du RMI socle faisait usage quatre fois par jour des toilettes payantes (0,5 euro /usage), il devrait consacrer 11 % de ses ressources pour ce seul usage. Cette solution est manifestement inéquitable.

Aussi faudrait-il fixer, par décret ou dans les règlements sanitaires départementaux, le nombre minimal de toilettes publiques gratuites nécessaires pour préserver la santé publique. Les villes les plus accueillantes pourraient évidemment dépasser ce minimum. La présente proposition de loi ne se prononce pas sur le nombre minimum requis d’équipements par tranche de population afin de préserver une certaine capacité d’ajustement aux réalités territoriales et démographiques.

Cela peut entraîner un coût pour les collectivités puisque le prix total pour construire et installer des toilettes est de l’ordre de 20 000 à 40 000 euros par an par équipement (investissement, entretien, consommables) selon le type d’équipement choisi.

2.   L’accès aux bains-douches municipaux et aux fontaines

Avec les hôpitaux, les transports, la gestion des déchets et l’entretien de l’espace public, ainsi que quelques guichets sociaux et l’aide de la protection civile, les bains-douches sont donc l’un des rares services publics à être demeurés ouverts pendant la crise de la Covid-19. Avec quasiment un million de douches distribuées annuellement, les bains-douches répondent toujours aujourd’hui à une forte demande de la part de personnes précaires ou sans-domicile fixe.

Au cours des dernières années, certaines grandes villes ont rouvert ou rénové des bains-douches (Paris, Lyon, Nantes) tandis que d’autres grandes villes les ont fermés (Marseille, Lille). À Paris, il existe 17 bains-douches municipaux, répartis dans dix arrondissements. La mairie de Paris met gratuitement ces bainsdouches à la disposition de tous, en cabine individuelle, mais le nécessaire de toilette doit être apporté par les utilisateurs. Les bains-douches répondent ainsi à un besoin humain de dignité par la propreté et aussi à un besoin de sociabilité.

À cet égard, l’alinéa 5 de la présente proposition de loi prévoit d’ajouter un alinéa à l’article L. 2224-7-1 du code général des collectivités territoriales qui dispose que : « Dans les communes et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 10 000 habitants, ces autorités installent et entretiennent des douches et des fontaines d’eau potable gratuites et accessibles pour toutes et tous ». Comme pour les toilettes publiques, la présente proposition de loi ne se prononce pas sur le nombre minimum requis d’équipements par tranche de population afin de préserver une certaine capacité d’ajustement aux réalités territoriales et démographiques.

La présente proposition de loi prévoit déjà que toutes les communes ou leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, le cas échéant, leur établissement public industriel et commercial installent et entretiennent des équipements de distribution gratuite d’eau potable (3ème alinéa de l’article 1er). Il peut s’agir de fontaines, mais l’alinéa visait principalement de simples lavabos et robinets d’eau potable accessibles par exemple en mairie, à l’office de tourisme, dans les gares SNCF, à la Poste, etc.

Cependant, concernant l’accès aux fontaines publiques, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) recommande de mettre en place au moins une borne-fontaine publique sur le réseau d’eau potable dans chaque commune. La présente proposition de loi prévoit cette obligation pour toute commune ou EPCI de plus de 10 000 habitants (5ème alinéa de l’article 1er). Le rapporteur proposera un amendement reprenant la revendication de l’AMRF et clarifiera la rédaction de l’alinéa 3.

B.   QUELLE DOIT ÊTRE LA COLLECTIVITÉ COMPÉTENTE POUR EXERCER CETTE COMPÉTENCE NOUVELLE ?

En application des articles L. 2224-7-1 et L. 2224-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT), les communes sont chargées d’assurer les services publics de distribution de l’eau et de l’assainissement. La loi leur confie en effet une compétence obligatoire en matière de distribution d’eau potable et d’assainissement des eaux usées. À ce titre, elles doivent établir un schéma de distribution d’eau potable déterminant les zones desservies ainsi qu’un schéma d’assainissement collectif comprenant un descriptif détaillé des ouvrages de collecte et de transport des eaux usées.

Le transfert de cette compétence à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, qui se substitue alors à ses droits et obligations pour l’exercice de cette compétence, est obligatoire s’agissant des communautés urbaines (article L. 5215-20 du CGCT) et des métropoles (article L. 5217-2 du CGCT). La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République avait prévu le transfert obligatoire des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération à compter du 1er janvier 2020. La loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes a aménagé les modalités du transfert des compétences aux communautés de communes, sans remettre en cause le caractère obligatoire de celui-ci, au plus tard au 1er janvier 2026.

La loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a quant à elle introduit la faculté, pour une communauté de communes ou une communauté d’agglomération, de déléguer tout ou partie des compétences « eau », « assainissement des eaux usées » et « gestion des eaux pluviales urbaines » à l’une de ses communes membres ou à un syndicat existant au 1er janvier 2019 inclus en totalité dans le périmètre de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

Dans le troisième alinéa de l’article 1er de la proposition de loi, le choix est donc fait de confier l’organisation de ces compétences supplémentaires obligatoires aux communes, à leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ou, le cas échéant, à leur établissement public industriel et commercial. Les maires ou EPCI seraient ainsi tenus d’intégrer les éléments relatifs à ces services dans le rapport sur le prix et la qualité du service public (RPQS), qui permet de rendre compte aux usagers du prix et de la qualité du service rendu pour l’année écoulée.

Cela est également cohérent avec l’article L. 2224-8 du même code qui définit la compétence obligatoire des communes en matière d’assainissement des eaux usées. Ces dernières établissent un schéma d’assainissement collectif qui détaille les ouvrages de collecte et l’organisation du transport des eaux usées. Les communes assurent le contrôle des raccordements au réseau public de collecte, du transport et de l’épuration des eaux usées, ainsi que de l’élimination des boues produites. Les communes sont également responsables du contrôle des installations d’assainissement non collectif (par exemple, des fosses septiques), ce qui est nécessaire dans le cas des toilettes publiques.

Afin d’intégrer les syndicats d’eau potable (production et surtout distribution) aux autres établissements publics pouvant prendre en charge cette compétence, le rapporteur proposera de remplacer les termes « établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre » et « établissements publics à caractère industriel et commercial » par « ou leurs groupements » à la demande de la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies.

En tout état de cause, les auditions des associations d’élus et des collectivités montrent des options différentes. Certaines soulignent que la prise en charge de la compétence doit être réalisée directement par la commune, voire le centre communal d’action sociale (comme Bordeaux pour les bains-douches), d’autres souhaitent développer cette politique via l’opérateur public, comme la métropole de Lyon. D’autres, comme Paris, l’organisent par une compétence communale, suivie d’une délégation de gestion à l’opérateur public Eau de Paris et la refacturation des mètres cubes à la commune par l’opérateur. Le rapporteur n’a pas donc envisagé d’empêcher la libre administration de s’exercer.

C.   FINANCER CET ACCÈS À L’EAU

Le respect de ces obligations peut entraîner de nouvelles charges financières pour certaines collectivités, selon l’état des infrastructures dont elles disposent et les infrastructures dont disposent leurs partenaires. Dans le cas d’une pose de fontaine, le coût pour une collectivité comme Bordeaux est de 9 200 euros toutes taxes comprises (travaux de pose : 4 000 euros ; raccordement et création d’un compteur d’eau : 3 000 euros ; fourniture d’une fontaine : 2 200 euros). Cependant, sans que cette dimension financière soit intégrée directement dans le corps de la proposition de loi, le rapporteur tient à exposer quelques pistes précises de financement pouvant être mobilisées.

Ainsi, comme le suggère l’alinéa 6 de l’article 1er, les collectivités peuvent, grâce à des accords avec des partenaires publics ou avec des associations (avec ou sans subventions), convenir de l’accès gratuit sur des plages horaires prédéfinies à des toilettes, des douches et des points d’eau potable au sein de gares de transports de voyageurs, de services publics de clubs sportifs, de salles de sport, de stades, mais aussi de structures de solidarité. C’est ce que fait la commune de Villeurbanne avec l’association Le Foyer Notre-Dame des sans-abris qui gère le lieu « Le Phare », qui est un lieu d’accueil convivial pour un accès à l’hygiène et une mise à l’abri en journée, proposant des actions d’orientation et/ou d’accompagnement. Le lieu est implanté dans les anciens vestiaires d’un stade de rugby, ce qui permet de mettre des douches à disposition. Le rapporteur apportera un amendement de clarification à l’alinéa 6 qui précise que les conditions de sécurité, la bonne marche du service public et la continuité du service public doivent être assurées. À ces conditions, les charges financières supplémentaires sont nulles ou quasi nulles.

Par ailleurs, de nombreuses collectivités fournissent déjà des efforts conséquents en la matière. Ainsi Eau de Paris dispose de plus de 1 200 fontaines à boire et installe durant l’été 35 fontaines temporaires, qui sont très utilisées. Un quart des fontaines sont conservées en activité durant l’hiver, dans les parcs et les jardins (au risque de casse en raison du gel) afin d’assurer l’accès à l’eau aux personnes sans abri. Eau de Paris déploie également des branchements temporaires immédiatement à chaque installation d’un campement de migrants. Enfin, la régie publique a mis en place le premier réseau de France en partenariat avec les commerçants pour donner l’accès à l’eau potable : 700 commerces se sont engagés pour assurer l’accès à l’eau potable.

Il convient ensuite de souligner que la variabilité du tarif de l’eau en France entraîne un taux d’effort budgétaire différent selon le lieu de résidence. Le tarif de l’eau correspond ainsi à la somme du tarif moyen de l’eau potable et du tarif moyen de l’assainissement collectif. C’est le coût du service (prélèvement, traitement, distribution et entretien des réseaux idoines) qui est facturé à l’usager : il est fixé localement par la collectivité, la commune ou le syndicat d’eau potable ou d’assainissement auquel elle a confié l’organisation du service, le cas échéant en application d’un contrat de délégation de service à une société privée. Selon une enquête portant sur 130 communes réalisée par l’association « 60 millions de consommateurs » publiée le 25 mars 2021, le tarif de l’eau en France a augmenté de 10,7 % en moyenne depuis dix ans. De 2011 à 2020, la croissance moyenne du tarif de l’eau a ainsi dépassé le rythme de l’inflation hors tabac. Le tarif moyen du mètre cube d’eau présente des écarts allant du simple au quintuple selon les villes, de 1,45 euro/m3 à Antibes à 8 euros à Mamoudzou (Mayotte). Le tarif de l’eau risque de continuer son augmentation sans intervention du Gouvernement en raison de l’inflation du prix des matières premières, de l’énergie et des substances nécessaires à la potabilisation de l’eau (charbon actif). C’est la raison pour laquelle certaines instances, par exemple Eau du bassin rennais, appellent à un taux de TVA nul sur l’eau potable, afin que le service de l’eau retrouve des marges de manœuvre financières.

En 2021, pour une consommation moyenne par ménage de 120 m³, le tarif de l’eau s’élève en moyenne à 4,3 euros TTC par m3 (contre 4,03 en 2017). Il se divise à part équivalente entre l’eau potable (2,11 euros/m3) et l’assainissement collectif (2,19 euros/m3), ce qui représente une facture moyenne de 489,60 euros par an. En fonction du nombre d’installations sanitaires envisagées, une augmentation et un aménagement spécifique de la dotation globale de fonctionnement pourraient être nécessaires ou bien une dotation spécifique versée par les agences de l’eau. Les agences pourraient trouver une contrepartie dans une augmentation du plafond de leurs ressources affectées qui est actuellement gelé depuis plusieurs exercices. Il s’agirait également de promouvoir une application réelle du principe de « l’eau paie l’eau » en finançant les politiques de biodiversité uniquement sur des crédits budgétaires.

Sur la suggestion de la Coalition Eau, le rapporteur défendra également un amendement qui assure la gratuité totale de l’eau potable pour les habitants d’un bidonville ou d’un campement qui a été raccordé au réseau d’eau potable avec un seul abonnement. Les conditions de ressources des habitants de ces camps et bidonvilles ne leur permettraient pas de payer la facture, qui serait techniquement impayable (un abonnement et une facture pour des dizaines ou centaines de personnes non gérées collectivement par un syndic). Aussi l’amendement consistera à garantir cette gratuité et à s’assurer que l’autorité organisatrice et la collectivité trouvent un arrangement pour le paiement de cette facture.

Enfin, sur la suggestion de la mairie de Bordeaux, le rapporteur proposera la possibilité pour l’autorité organisatrice d’instaurer un système similaire à celui de la loi n° 2005-95 du 9 février 2005 relative à la coopération internationale des collectivités territoriales et des agences de l’eau dans les domaines de l’alimentation en eau et de l’assainissement (dite loi « Oudin-Santini »), à savoir que jusqu’à 1 % des ressources affectées aux budgets des services d’eau et d’assainissement, la facture de l’eau potable et de l’assainissement puisse être dédié au financement des bains-douches. Au-delà de ces pistes immédiates de financement, la tarification de l’accès à l’eau est également revue en profondeur par la présente proposition de loi afin de garantir un accès gratuit aux litres d’eau vitaux.

III.   LA TARIFICATION PROGRESSIVE ET DIFFÉRENCIÉE

À l’heure actuelle, plus d’un million de ménages ont du mal à payer leurs factures d’eau et subissent encore trop souvent coupures ou réductions de débit, malgré l’interdiction depuis la loi « Brottes ». Au-delà de l’accès à des fontaines, douches et bains publics, le second grand objectif de la présente proposition de loi, matérialisé dans les alinéas 7 à 14 de l’article 1er, est ainsi de mettre fin à la tarification dégressive de l’eau et d’instaurer une tarification progressive doublée de la gratuité des 50 litres jugés vitaux pour une vie digne.

A.   LA TARIFICATION DÉGRESSIVE

Le rapporteur souligne le fait que la législation actuelle organise le gaspillage de l’eau car cette dernière coûte très peu cher quand on en utilise beaucoup. Ainsi, ce sont souvent les entreprises les plus consommatrices d’eau qui paient le mètre cube d’eau au tarif le moins élevé et qui bénéficient de tarifs dégressifs (plus on consomme, moins on paie), pratique qui a été confirmée par plusieurs auditionnés. Ainsi, la collectivité Eau du bassin rennais a prévu d’arrêter la dégressivité du tarif pour les usages industriels via un lissage étalé sur plusieurs années. Son président a ainsi souligné qu’un grand élevage industriel bénéficiait précédemment de 200 000 mètres cubes d’eau gratuits par an. Cette pratique ne semble pas isolée. Pour cette collectivité comme pour d’autres, les tarifs dégressifs fonctionnent comme des subventions déguisées qui ne responsabilisent pas les grandes entreprises pour l’usage de la ressource.

La tarification dégressive a donc un impact sur l’environnement et sur les comptes publics. Plusieurs auditionnés appellent cependant à ne pas considérer sérieusement les appels à délocalisation en cas de tarification plus élevée sur les usages économiques, et ce pour deux raisons. D’une part, la facture d’eau fait partie des charges déductibles du bénéfice qui sert de base de référence au calcul de l’impôt sur les sociétés et donc l’augmentation du tarif de l’eau pour la plupart des sociétés n’est pas un coût de production supplémentaire. D’autre part, le coût du départ d’une entreprise d’un territoire est très important et suppose des gains prévisibles bien plus importants que les seuls gains perdus en raison d’une tarification progressive. Pour autant, plusieurs auditionnés, et notamment la FNCCR, alertent sur le développement des forages industriels hors service public de l’eau autorisés par les agences de l’eau et les préfectures. Ces forages font peser un réel risque sur la quantité et la qualité des nappes phréatiques, mais aussi sur les comptes de l’opérateur public ou privé d’eau. Or ces forages semblent se multiplier. Le rapporteur invite l’Assemblée à se pencher sur cette question.

Par ailleurs, l’accès à l’eau a en effet un coût fixe qui frappe principalement les petits usagers. Ce sont eux qui paient le mètre cube d’eau au prix moyen le plus élevé car il faut y intégrer des parts fixes ou abonnements. À cet égard, comme le souligne le rapport de la commission d’enquête sur l’eau ([14]), « les chambres régionales des comptes ont souvent observé que les charges facturées par les entreprises ne correspondent pas toujours à des prestations clairement identifiées. Tel est le cas des frais de siège qui en représentent une part significative. Leur prise en compte forfaitaire, sans lien avec la réalité du service apporté à la délégation et susceptible d’être justifié, crée des distorsions de coût, qu’accentue parfois l’absence d’actualisation des critères de répartition de ces charges indirectes ».

La tarification progressive avec gratuité des 50 litres vitaux corrige ce biais et répond ainsi à une urgence sociale, aux besoins des plus faibles d’entre nous, tout en constituant une mesure de justice fiscale pour ceux qui consomment le moins. En outre, la tarification progressive constitue une incitation à faire un bon usage de l’eau et à lutter contre le mésusage. À cet égard, les notions de « mésusage » et de « consommations ostentatoires » relèvent, dans le cadre de l’alinéa 12 de l’article 1er, d’usages excessifs qui seront laissés à l’appréciation des communes et de leurs groupements dans le cadre de leur compétence à établir une tarification progressive. De manière générale, on peut tendre à considérer qu’au‑delà de 200 à 240 mètres cubes de consommation annuelle d’eau par ménage et par an (contre 18 mètres cubes pour les besoins vitaux), la consommation d’eau relève d’un excès manifeste qui doit être pénalisé par la tarification (fortement) progressive d’une part et une contribution forfaitaire supplémentaire d’autre part, ce que la proposition de loi dénomme un « taux marginal supérieur additionnel à la grille de tarification progressive ».

B.   LES ÉCUEILS ET LES MANQUES DE LA TARIFICATION SOCIALE

La tarification sociale de l’eau, expérimentée depuis 2013, a fait l’objet de quelques évaluations qui soulignent son intérêt pour certains ménages précaires mais aussi de larges manquements. En effet, son application demeure imparfaite et n’empêche pas les coupures ou les réductions de débit d’eau. Elle ne constitue pas non plus un droit à l’eau pour les personnes qui en sont privées. Enfin, plus d’un million de ménages n’ont accès à l’eau qu’à un prix considéré comme excessif par rapport à leurs revenus, c’est-à-dire que leur facture d’eau dépasse 3 % de leurs revenus.

L’expérimentation de tarification sociale de l’eau a été pérennisée par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, et généralisée pour toutes les collectivités volontaires, avec un panel de possibilités d’intervention laissées à l’initiative des collectivités :

– définition de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer ;

– attribution d’une aide au paiement des factures d’eau ;

– aide à l’accès à l’eau ;

– accompagnement pour des mesures d’économie d’eau ;

– tarifs incitatifs définis en fonction de la quantité d’eau consommée.

Par ailleurs, cette même loi a introduit une disposition qui prévoit que « la tarification de l’eau potable aux abonnés domestiques peut tenir compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés en situation particulière de vulnérabilité en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite » (article L. 2224-12-4 du CGCT). Eau du bassin rennais a ainsi instauré la gratuité de 10 mètres d’eau cubes couplée à une tarification progressive qui a permis de récupérer les 3 millions d’euros de manque à gagner. La commune de Limay a instauré la gratuité de 40 % de la facture d’eau, soit pour une personne seule, 20 mètres cubes par an en moyenne sur le territoire (donc plus que les 18,25 mètres cubes de la proposition de loi).

Des aides financières accordées par le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) aux personnes qui rencontrent des difficultés pour assurer les dépenses de leur logement (factures, loyers...) sont possibles. Les services publics d’eau et d’assainissement peuvent attribuer une subvention au FSL afin de contribuer au financement des aides relatives au paiement des fournitures d’eau ou des charges collectives, dans la limite de 0,5 % des montants hors taxes des redevances d’eau ou d’assainissement perçues. Il peut exister des disparités entre départements car chaque FSL a son propre règlement intérieur et donc ses propres critères d’attribution. Certains départements conditionnent, par exemple, l’obtention d’une aide du FSL au fait que le foyer perçoit uniquement la prime d’activité. Par ailleurs, l’attribution d’une aide du FSL n’est pas de droit. L’aide peut notamment être refusée lorsque le montant du loyer et des charges se révèle incompatible avec les ressources du foyer.

Depuis le 16 avril 2013 (article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles – loi « Brottes » du 15 avril 2013), en cas d’impayés des factures d’eau, les fournisseurs et les distributeurs d’eau n’ont en outre pas le droit de couper l’eau dans une résidence principale, tout au long de l’année, Certains fournisseurs et les distributeurs d’eau ne coupent pas mais réduisent le débit d’alimentation en eau. Cependant, cette pratique est également interdite par la jurisprudence.

Les réponses apportées jusqu’à présent par le législateur ont ainsi porté essentiellement sur le traitement curatif. Cette approche présente plusieurs limites. Ainsi, une grande majorité des personnes les plus démunies vivent en habitat collectif et, dans une grande majorité des cas, il n’existe pas de facturation individuelle de l’eau potable. Cette dernière est intégrée dans les charges locatives ou de copropriété et n’est individualisée que dans une minorité de cas, ce qui ne permet pas aux locataires d’accéder aux aides.

En outre, la procédure de demande d’aides est souvent considérée comme humiliante pour les ayants droit. Les rapports annuels d’analyse de l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau du Comité national de l’eau pointe que « l’identification et l’atteinte des bénéficiaires potentiels sont les difficultés les plus rapportées par les collectivités expérimentatrices ». N’ayant pas toutes les informations sociales et fiscales nécessaires pour mettre en œuvre leurs aides ciblées, elles ont dû recourir à des partenariats avec d’autres organismes (bailleurs sociaux, caisses d’allocations familiales, etc.) détenteurs de ces informations. Elles se sont cependant souvent confrontées à des difficultés juridiques d’impossibilité de partage de ces données ou des difficultés à établir des partenariats efficaces avec les institutions, parfois multiples, possédant les données utiles. En effet, selon le rapport annuel 2019 d’analyse de l’expérimentation pour une tarification sociale de l’eau du Comité national de l’eau, « la quasi-totalité des dispositifs s’appuyant sur un système déclaratif témoigne de cette difficulté. La non-consommation du budget est très variable selon le dimensionnement de l’aide et peut atteindre jusqu’à 88 % du budget attribué chez certaines collectivités » ([15]).

Enfin, de nombreuses collectivités auditionnées ont rappelé les taux de non-recours importants de ces dispositifs de la part des ménages précaires, en raison d’une méconnaissance du dispositif, de sa complexité ou de la dimension humiliante qu’il peut revêtir. Ainsi, Eau du bassin rennais constate que son chèque eau à destination des familles nombreuses fait l’objet d’un taux de non-recours de 30 % environ. La facture d’eau et d’assainissement étant relativement marginale dans les budgets des ménages, même défavorisés, l’efficience des mesures financières au cas-par-cas peut aussi apparaître faible au vu des coûts administratifs pour identifier, atteindre et délivrer l’aide. Les caisses d’allocations familiales ne sont par ailleurs pas toujours aussi coopératives qu’elles peuvent l’être avec Eau du bassin rennais (qui octroie une aide automatique à tous les bénéficiaires de la CMU-C) ou Montellier-Méditerranée métropole.

En définitive, les systèmes d’aides, qui ont bien sûr le mérite d’exister, demeurent ponctuels, limités et s’inscrivent dans une logique uniquement curative de soutien aux seuls impayés et toujours sur seule demande de l’usager. Facultatifs au niveau municipal, ces mécanismes demeurent soumis au bon vouloir des autorités locales. Un système de soutien plus large et direct, sous forme de gratuité des 50 litres vitaux, est donc devenu nécessaire.

Ces dispositifs recouvrent également une philosophie différente de celle de l’accès inconditionnel à l’eau potable. Une aide sociale à destination des plus pauvres consiste à faire payer presque exclusivement par les classes moyennes la charge de cette aide au bénéfice des plus démunis, sans que les classes moyennes n’y aient accès en raison d’effets de seuil : les crises politiques et sociales récentes soulignent un mécontentement croissant des classes moyennes à l’égard de ce principe, car elles sont exclues (ou se pensent exclues) de la plupart des mécanismes d’aide sociale, leurs revenus leur permettant donc de plus en plus difficilement de vivre correctement de leur travail.

C.   ALLER VERS LA GRATUITÉ DES LITRES VITAUX

L’eau est indispensable à la vie et à la dignité humaine. Pour des raisons d’éthique, les femmes et les hommes devraient se voir attribuer un accès inconditionnel à l’eau pour satisfaire à leurs besoins vitaux, estimés par l’Organisation mondiale de la santé à au moins 50 litres d’eau par jour et par personne physique, soit 18,25 mètres cubes par an, à leur domicile principal.

C’est pourquoi l’alinéa 11 de l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit que « la tarification de l’eau potable aux abonnés domestiques tient compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés, notamment ceux en situation particulière de vulnérabilité, en prévoyant un tarif progressif incluant une première tranche de consommation gratuite, indispensable à la vie digne. Le seuil de tarification ne peut être inférieur à cinquante litres d’eau par jour pour chaque personne physique. »

Le rapporteur est conscient que certains observateurs considèrent que la gratuité est un mauvais signal dans la mesure où il indique que l’eau n’a pas de valeur. Il serait alors préférable, selon eux, d’opter pour un tarif très social pour les plus défavorisés, par exemple 5 euros par mois comme à Madrid, pour une quantité limitée aux besoins normaux en fonction de la composition de la famille. Toutefois, comme rappelé précédemment, ce choix laisse de nombreuses personnes dans des situations de non-accès à l’eau ou de restrictions à la suite d’impayés et pose des problèmes d’équilibre social.

C’est pourquoi la gratuité proposée ici est celle des litres vitaux, nécessaires à la boisson, la cuisine et l’hygiène, afin d’assurer des conditions de vie décentes à l’ensemble de nos concitoyennes et concitoyens. Cette gratuité est assortie d’une tarification progressive sur les mètres cubes suivants, jusqu’à atteindre des prix dissuasifs au-delà d’une certaine quantité d’eau par foyer afin de sanctionner les gaspillages et mésusages. Elle se traduit également par la suppression de la part fixe au domicile principal. En outre, la gratuité ne vise que les usagers en résidence principale.

Le rapporteur note avec intérêt que la ville de Montpellier mettra en place, dès début 2023, 15 mètres cubes d’eau gratuits pour tous les abonnés qui disposent d’un compteur individuel (le tarif de l’eau diminuera pour 70 à 75 % de la population concernée), que la commune de Burlats a instauré la gratuité de 20 mètres cubes par an et que la commune de Limay a instauré également l’équivalent de 20 mètres cubes gratuits par an. Les techniques administratives pouvant être utilisées à cette fin sont multiples : système de remise, non-facturation de ce volume, etc. Entre 2012 et 2019, la commune de Roquevaire a également instauré un système de distribution d’eau quasi-gratuite (1 euro pour 30 mètres cubes d’eau potable) pour les premiers litres vitaux. Sur cette même période, la population de la commune a augmenté mais la consommation générale d’eau a diminué sensiblement. Depuis 2019, la commune de Roquevaire a cependant eu pour obligation d’intégrer une régie territoriale de l’eau. La gestion échappe désormais à la commune et la pousse à revoir la quasi-gratuité et aller vers une uniformisation de la tarification au sein du groupement auquel elle appartient.

Au contraire, la commune de Burlats (Tarn, 2 053 habitants), passée en régie publique en 2009, a instauré en 2018 la gratuité de 20 mètres cubes par abonné. Cette décision adoptée à l’unanimité a été prise à la suite du mouvement des gilets jaunes, dans une logique d’amélioration du pouvoir d’achat des habitants. Le transfert de la compétence à l’intercommunalité et la création d’une société publique locale en 2019 avec la ville de Castres n’a pas empêché le maintien de la gratuité de ces 20 mètres cubes. Cette gratuité n’empêche pas non plus la commune de maintenir des investissements élevés. En effet, elle a un taux de rendement de ses réseaux de plus de 90 %.

D’un point de vue pratique, il demeure cependant aisé d’instaurer une gratuité de l’accès à l’eau pour tous les abonnés qui disposent de compteurs individuels. Pour ceux qui disposent de compteurs collectifs, il est possible d’effectuer un calcul fondé sur le nombre de logements de l’immeuble et en divisant la consommation par le nombre de logements (calcul au tantième, réalisé par Limay par exemple). Mais il serait encore plus pertinent de disposer d’un accès aux données fiscales, dans le respect des règles de protection des données, pour connaître la composition des foyers à chaque 1er janvier. Un décret devrait pouvoir préciser les modalités de mise en œuvre de ce texte, notamment concernant l’accès par le service de l’eau aux données fiscales.

Cependant, lorsque l’habitat est quasiment exclusivement collectif et que les compteurs le sont aussi, y compris pour les entreprises en rez-de-chaussée, la mise en œuvre de la gratuité peut s’avérer un peu plus compliquée. Aussi le rapporteur propose un phasage en deux temps de la mise en œuvre de la gratuité avec une première étape de 9 mètres cubes minimum en 2025 et une seconde étape de 18 mètres cubes en 2027.

Notons enfin que les logements sur les plateformes de location comme Airbnb sont le plus souvent répertoriés comme domiciles principaux. Un décret devrait encadrer cette notion pour appliquer au mieux la mesure.

D.   LA SUPPRESSION DE L’ABONNEMENT AU COMPTEUR

L’alinéa 9 de l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit de réécrire le premier alinéa de l’article L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales en prévoyant que la facture d’eau consiste en un montant calculé en fonction du volume réellement consommé par l’abonné au domicile principal et, seulement par dérogation accordée par voie réglementaire, en un montant calculé indépendamment de ce volume en fonction des charges fixes du service dans les résidences secondaires de personnes physiques ou lorsque l’usager est une personne morale. Autrement dit, la présente proposition de loi fait disparaître toute tarification fixe au domicile principal et l’autorise sur dérogation, accordée par les autorités organisatrices compétentes, dans les résidences secondaires ou pour les personnes morales.

Dans ce cadre, il est également nécessaire que les autorités organisatrices puissent associer chaque foyer à un compteur et que chaque foyer puisse agir sur sa consommation. Il en va également d’une démarche de justice afin que chacun puisse tirer les fruits de son implication et de ses efforts par une baisse de sa facture d’eau et d’assainissement. C’est pourquoi il est nécessaire de généraliser le mouvement d’individualisation des factures d’eau des habitats collectifs via l’installation de compteurs individuels, en s’appuyant notamment sur les aides des agences de l’eau dans le cadre des programmes de modernisation des réseaux.

À cet égard, le rapporteur invite, comme le suggère Eau du bassin rennais, le législateur à se pencher sur la question des matériels d’hydro-économie qui ne sont pas obligatoires dans les logements neufs, ni lors des changements de propriétaires ou lors des opérations de rénovation.

E.   INSTAURER UNE TARIFICATION PROGRESSIVE POUR LIMITER LA CONSOMMATION

Pour financer cette ambitieuse mesure de la gratuité des premiers litres d’eau, la tarification progressive apparaît comme une évidence. Tant du point de vue de l’efficience administrative que de l’efficacité sociale et écologique, les tarifications progressives sont plébiscitées par des associations comme l’Union nationale des associations familiales ou la Coalition Eau. Ce type de tarification est d’ores et déjà mis en œuvre dans certaines régions, par exemple par le Syndicat de l’eau du Dunkerquois ou par la régie Eau d’Azur.

Si cette tarification doit évidemment partir de l’hypothèse d’un ménage moyen, défini selon la sociologie du territoire, elle doit également prévoir dans l’idéal une modulation selon le nombre d’enfants pour ne pas pénaliser les familles nombreuses. Cela peut passer par des aides financières ou une modulation du prix sur le modèle du quotient familial pour l’impôt sur le revenu. À cet égard, le Syndicat de l’eau du Dunkerquois a établi dès 2012 un tarif progressif constitué de trois tranches de prix. La première tranche de prix, de 0 à 80 m3 est qualifiée « d’eau essentielle ». Ce système tarifaire a conduit à une baisse d’environ 10 % en moyenne de la consommation d’eau, ce qui est positif d’un point de vue écologique.

Toutefois, dans la mesure où le dispositif a été conçu en se basant sur un ménage type de quatre personnes, les familles nombreuses sont pénalisées par un dispositif reposant sur des tarifs progressifs par tranche de consommation. La collectivité a alors tenté de corriger ce biais en versant des chèques eau aux familles nombreuses. Cependant, en raison de la complexité des démarches induites, ce dispositif de chèques eau a bénéficié à un nombre très limité de familles.

Dans ce cadre, l’alinéa 13 de l’article 1er de la présente proposition de loi prévoit que « la progressivité du tarif est modulée pour tenir compte du nombre de personnes composant le foyer, le tarif au mètre cube de la tranche de consommation supérieure ne pouvant toutefois excéder le double du tarif moyen au mètre cube pour une consommation de référence fixée par arrêté des ministres chargés de l’environnement et de la consommation ».

En outre, l’alinéa 14 vise à inciter les collectivités à mettre en place des dispositifs correctifs dès lors que la facture d’eau serait supérieure à 3 % des ressources moyennes d’un ménage abonné, afin de lutter contre la pauvreté en eau, ce qui concernerait aujourd’hui plus d’un million de personnes.

La gratuité proposée dans la présente proposition de loi, assortie de cette tarification progressive, permettrait ainsi d’atteindre le double objectif de protéger la dignité de nos concitoyens vivant dans la grande pauvreté, tout en pénalisant les comportements contraires à l’intérêt général. Cette tarification orienterait ainsi la population entière vers une sobriété de la consommation en eau nécessaire pour faire face aux défis de la raréfaction de cette ressource. À l’instar de la législation irlandaise, les entreprises ne seraient pas incluses dans le dispositif de gratuité et auraient leur propre grille de tarification selon un principe de tarification différenciée en fonction des usages.

La proposition est donc d’une tarification progressive au-delà du seuil des 50 litres par personne et par an qui prévoit un montant forfaitaire additionnel pour les mésusages et les consommations de luxe. Cela signifie donc une incitation à réduire sa consommation. Les consommations au-delà du volume gratuit ont vocation à être facturées à un niveau conséquent pour dissuader l’usager de consommer plus d’eau. La tarification progressive n’a cependant pas vocation à financer entièrement ou même prioritairement la gratuité des premiers litres d’eau, même si à l’évidence des recettes seraient obtenues. Cette tarification progressive a pour vocation de financer le coût de la suppression de l’abonnement au compteur.

À des fins de meilleure compréhension des intentions des rédacteurs de cette proposition de loi, et sur la suggestion de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, le rapporteur supprimera le terme « mésusages » à connotation morale pour le remplacer par les termes « consommations de luxe et de confort » qui, sans être des termes définis juridiquement, permettraient aux autorités organisatrices de mieux définir cette catégorie.

F.   LA TARIFICATION DIFFÉRENCIÉE SELON LES USAGES

L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit ainsi, dans son alinéa 12, une tarification différenciée en fonction des usages. Elle distingue en particulier les usagers domestiques, administratifs, économiques et associatifs, en majorant la tarification pour les usages économiques. Les usages domestiques sont ceux des ménages. Les usages administratifs sont ceux des services publics. Les usages associatifs sont ceux des associations. Les usages économiques sont ceux des professionnels. Les professionnels ont par ailleurs des usages différents de l’eau : usage dans le processus de production, usage de refroidissement (l’eau est ensuite rejetée) ou usage sanitaire courant. La jurisprudence a ouvert des opportunités en matière de tarification différenciée : l’arrêt du Conseil d’État Contamines-Montjoie (arrêt du CE 25 juin 2003) qui reconnaît l’existence d’un usage professionnel et l’arrêt du CE du 12 juillet 1995 commune de Bougnon qui reconnaît « sans méconnaître le principe d’égalité la différence de situation entre les résidents permanents et les habitants ne résidant pas de manière permanente ». Eau du Bassin rennais met ainsi en place une tarification différenciée selon les usages.

 

Source : Eau du Bassin rennais

Les consommations de luxe feraient l’objet d’un taux marginal supérieur additionnel à la grille de tarification progressive mise en œuvre par l’autorité organisatrice pour les quatre catégories d’usagers et non seulement pour les usagers économiques. Il est laissé à la libre administration des collectivités le soin de définir, en fonction de leurs ressources propres, ces types d’usages. Pour donner quelques exemples, le rapporteur envisage notamment comme un mésusage ou une consommation ostentatoire le fait de remplir une piscine, de laver plusieurs véhicules, d’arroser un golf en période de tension sur la ressource en eau et en particulier en période d’arrêté de restriction de l’usage de l’eau, ce qui correspond – si l’on s’en tient à l’année 2022 – à des périodes de plusieurs mois et pas seulement à quelques semaines en été. Le rapporteur est par ailleurs alerté par M. Claude Borcard, le président de l’Espace communautaire Lons Agglomération, de la croissance d’un « usage détourné » de l’eau, c’est-à-dire l’usage de celui (personne privée ou personne morale) qui prélève l’eau par lui-même (dans la rivière, dans un puits, dans un forage…).

Le taux et les critères de majoration seraient laissés à l’appréciation des collectivités en fonction de leurs spécificités tenant à leur tissu économique et social, dans l’idée de parvenir à s’approcher de l’équilibre financier. Des critères minimaux pourraient être établis par décret.

G.   COMMENT FINANCER LA GRATUITÉ DES LITRES VITAUX ?

Instaurer la gratuité des premiers litres d’eau nécessaires à la vie a un coût, bien que la dignité humaine n’ait pas de prix. Si la présente proposition de loi ne rentre pas dans le détail juridique du financement, ce qui relèverait davantage de la loi de finances, le rapporteur tient à exposer des pistes de financement détaillées qui pourraient accompagner la mise en œuvre de cette mesure au-delà de la tarification progressive.

La première piste pour financer la gratuité est la majoration du taux appliquée aux résidences secondaires et aux usages économiques dans le cadre de la tarification différenciée. Le rapporteur portera un amendement de clarification pour mettre en valeur ces pistes de financement. Eau du bassin rennais finance déjà 10 mètres cubes par foyer (et des dépenses de tarification sociale : le versement automatique de 40 euros/an par abonné bénéficiaire de la CMU-C et un chèque eau de 30 euros par enfant à partir du troisième enfant aux familles nombreuses), avec la tarification différenciée notamment envers les usagers économiques. Dans le même temps, Eau du bassin rennais pratique un taux exceptionnel de renouvellement du réseau de 1,25 % par an (pour un taux de rendement de 80 %) et entre 80 et 85 % des logements ont des compteurs individualisés, ce qui est un taux là encore très élevé. La commune de Limay avec environ un tiers des recettes perçues via la consommation des entreprises (une dizaine d’abonnés consommant plus de 5 000 m3/an qui représentent 86 % des abonnés « professionnels ») peut financer la gratuité de 40 % de la consommation domestique (3 974 abonnés pour 1 219 000 m3 facturés), grâce principalement à un tarif progressif sur les activités et une forte progressivité au-delà de 240 mètres cubes consommés par les ménages.

Tarification progressive des activitÉs Économiques à Limay

Impact financier de la gratuitÉ de 40 % de la consommation domestique
À Limay

Source : commune de Limay

Une des pistes privilégiées à mettre en œuvre serait également d’instaurer une taxe de 10 centimes sur les eaux en bouteille et sodas vendus en France. Cette taxe pourrait rapporter environ 1,25 milliard d’euros pour les finances publiques qui pourraient être consacrés à l’opération de gratuité, via par exemple des subventions des agences de l’eau. En effet, en France, en 2019, la consommation moyenne d’eau en bouteille est de 133 litres d’eau par personne et par an, tandis que la consommation moyenne de sodas est de 50,9 litres par personne et par an. Cela aboutit à un total de 12,5 milliards de litres de sodas et d’eau en bouteille consommés chaque année dans le pays. Une taxe de 10 centimes permettrait donc approximativement 1,25 milliard d’euros de recettes.

Ajoutée à cela, la suppression de la TVA à 5,5 % pour appliquer un taux de TVA nul (0 %) sur la consommation totale de l’eau en France représenterait une recette supplémentaire de 420 millions d’euros pour l’opérateur qui fournit l’eau, soit un total d’environ 1,7 milliard d’euros disponibles pour financer la gratuité des litres d’eau vitaux, en cas de maintien du tarif de l’eau au même niveau.

Le coût global, à l’échelle nationale, de la gratuité de 18,25 mètres cubes étant d’environ 2,6 milliards d’euros, la taxe sur l’eau en bouteille et les sodas ainsi que la suppression de la TVA à 5,5 % permettrait d’en financer environ un peu moins des deux tiers (64 %), soit un peu plus de 11 mètres cubes (11,57) sur les 18,25 requis ([16]). Le reste pourrait provenir d’une augmentation de la dotation globale de fonctionnement, d’un relèvement du taux de TVA sur les eaux en bouteille et les sodas, d’une augmentation du plafond de ressources des agences de l’eau ou encore d’une fiscalité renforcée concernant les atteintes à la ressource en eau.

La subvention attribuée à l’autorité organisatrice pourrait utiliser les critères suivants : taux de rendement des réseaux ; pourcentage de l’usage professionnel et économique du territoire ; pourcentage des résidences secondaires. Ces trois critères permettraient de ne pas pénaliser les autorités organisatrices faisant des efforts d’investissement au profit de celles qui n’en font pas, favoriserait les territoires avec une faible implantation d’entreprises et qui relèvent principalement du résidentiel principal.

Enfin, le rapport précité de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences rappelle que « les taux pratiqués pour les industriels préleveurs ne soient pas à la hauteur de l’atteinte faite à la ressource. […]. Selon le CGDD, les taux actuels de la redevance pour prélèvement d’eau – définis au niveau de chaque bassin hydrographique dans la limite de plafonds nationaux – ne reflètent pas la rareté locale de la ressource ni les pressions exercées par chaque type d’usager (ménages, industrie, agriculture). Il n’existe par ailleurs pas de modulation temporelle de la tarification. L’augmentation des taux des redevances de prélèvement pourrait contribuer à inciter les acteurs économiques à adopter des systèmes de production plus adaptés aux ressources en eau disponibles ». Cela est spécialement vrai pour les minéraliers et les industries des eaux de sources qui commercialisent l’eau prélevée et rompent le cycle de l’eau en expédiant très majoritairement l’eau prélevée en dehors du bassin versant dont elle provient. Dans le cas de Vittel, la commission d’enquête révèle ainsi que la redevance pour prélèvement acquittée par Nestlé Waters auprès de l’agence de l’eau pour ses activités dans les Vosges ne s’élevait qu’à 95 000 euros en 2020 pour un volume total de prélèvements de 2,52 millions de mètres cubes d’eau et un prélèvement compris entre un cinquième et un quart de la capacité de recharge annuelle de la nappe des Grès du Trias inférieur dans le secteur de Vittel.

Il est important de souligner pour conclure cette partie qu’un autofinancement intégral des investissements dans le patrimoine et dans le réseau n’est pas pertinent d’un point de vue des finances publiques. En effet, les canalisations en fonte ductile produites à l’usine Saint-Gobain de Pont-à-Mousson ont une durée de vie moyenne de 80 ans. Aussi l’amortissement des investissements dans le renouvellement du réseau devrait prendre en compte une durée importante, d’au moins la moitié, c’est-à-dire 40 ans. Par ailleurs, les taux d’emprunt de la Caisse des dépôts et consignations sont en général faibles. Ainsi, ce n’est pas au tarif d’eau potable de financer l’entièreté des investissements.

IV.   Les travaux de la commission

Lors de l’examen en commission, deux amendements identiques de suppression de l’article (CD 34 et CD 36) ont été adoptés.

Article 2
Financement de la mesure

Supprimé par la commission

L’article 2 prévoit de compenser la charge pour les collectivités territoriales en indiquant qu’il est attendu une augmentation ciblée de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l’État aux collectivités pour financer l’installation et la gestion des fontaines, toilettes publiques et douches publiques. Il est également attendu une subvention de l’agence de l’eau destinée à aider les services d’eau potable à financer la gratuité des 50 litres gratuits par jour et par personne, en cas d’insuffisance des autres sources de recettes portant sur les usages économiques, domestiques en résidence secondaire et les consommations de confort et de luxe. Des recettes supplémentaires peuvent être dégagées à cette fin par la mise à contribution des sociétés commercialisant des eaux de source et minérales embouteillées et des sodas ainsi que par le relèvement du taux de TVA applicable à ces produits. Cette subvention pourrait être versée en fonction des critères suivants : taux de rendement des réseaux ; pourcentage de l’usage professionnel et économique du territoire ; pourcentage des résidences secondaires.

Lors de l’examen en commission, un amendement de suppression (CD 35) de l’article a été adopté.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du mardi 15 novembre 2022, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a procédé à l’examen, sur le rapport de M. Gabriel Amard, de la proposition de loi visant à garantir l’accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux (n° 325).

M. Gabriel Amard (LFI-NUPES), rapporteur. Tout en remerciant ceux de mes collègues qui ont assisté aux auditions, m’ont demandé plus d’informations ou ont déposé des amendements, je déplore que des amendements de suppression visent à empêcher tout débat sur le sujet que nous abordons aujourd’hui. Plusieurs personnalités politiques de premier plan, comme Édouard Philippe ou Aurélien Pradié, ont pourtant reconnu dans les médias que la question de l’accès à l’eau était fondamentale. Cette proposition de loi est une occasion d’en parler, et il ne s’agit pas là d’un coup de communication.

Trois jours sans eau, et nous sommes morts ! L’accès à l’eau est redevenu un enjeu primordial. D’une part, pour 500 000 de nos concitoyens qui n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité et près de 900 000 d’entre eux qui n’ont qu’un accès limité à des installations sanitaires – c’est notamment le cas pour 300 000 sans-abri et 20 000 personnes qui vivent dans des bidonvilles –, sans compter les 10 millions de nos concitoyens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. D’autre part, les épisodes de sécheresse sont désormais plus longs, plus étendus et plus intenses, mettant en péril l’accès à l’eau pour les habitants – 117 communes ont ainsi été privées d’eau potable cet été – comme pour les agriculteurs et certaines industries. Il devient urgent de repenser entièrement les usages de l’eau.

Cette proposition de loi a donc deux objets : rendre concret l’accès inconditionnel à l’eau potable et permettre de réduire la consommation globale de l’eau potable dans une perspective de gestion plus raisonnée de la ressource. Pour ce faire, elle propose tout d’abord la généralisation des bonnes pratiques déjà appliquées en France, dans des collectivités de toute taille et de toute sensibilité, que la gestion de l’eau y soit publique ou déléguée à une entreprise privée.

La gratuité des mètres cubes d’eau vitaux existe déjà en France, par exemple à raison de 10 mètres cubes sur le territoire du bassin rennais, de 15 mètres cubes bientôt à Montpellier-Méditerranée, de 20 mètres cubes à Burlats, dans le Tarn, ou de 40 % de la facture d’eau à Limais, dans les Yvelines, soit 20 mètres cubes par personne et par an ou 55 litres par jour et par personne. De même, l’accès gratuit à des fontaines d’eau potable, à des toilettes publiques et à des bains-douches existe déjà dans de nombreuses communes moyennes et grandes de notre pays, même si la présence de ces équipements est parfois plus difficile dans de plus petites communes.

Cette proposition de loi est ambitieuse, mais elle prévoit d’accompagner les collectivités pour sa mise en œuvre. Je propose ainsi des pistes permettant de maintenir le principe de « l’eau paye l’eau ». C’est par la tarification progressive que la suppression de l’abonnement au compteur au domicile principal est financée, grâce à un lissage de son coût sur l’ensemble de l’eau consommée par les familles. La tarification différenciée selon les usages, qui vise plus particulièrement les usages économiques et les résidences secondaires, peut financer la gratuité des mètres cubes vitaux, comme le démontre l’exemple de la commune de Limay. Je propose également un financement par des recettes diverses.

La proposition de loi vise ensuite à appliquer concrètement et réellement un accès inconditionnel à l’eau, c’est-à-dire à concrétiser une forme de droit à l’eau. Comme l’air et le rayon de soleil, l’eau n’a pas de prix, même si son captage, sa potabilisation et sa distribution ont un coût.

Je travaille aussi à une proposition de loi constitutionnelle transpartisane visant à transposer dans la Charte de l’environnement le premier alinéa de la résolution des Nations unies de 2010 reconnaissant le droit humain à l’eau et à l’assainissement. La logique est ici différente de celle de la tarification sociale, qui propose d’aider les plus démunis par des dispositifs pour lesquels, malheureusement, on observe souvent un non-recours massif aux droits : l’accès aux 50 litres d’eau par jour et par personne, aux toilettes et aux bains-douches est offert à toutes et à tous, quelles que soient leurs ressources.

La proposition de loi écarte différents sujets, certes intéressants, mais qui mériteraient un texte beaucoup plus développé et plus de débats que n’en permet une seule réunion de commission. Ainsi, elle ne traite ni de la part « assainissement » de la facture, ni des enjeux de gestion publique ou privée, ni des usages de l’eau par des acteurs économiques disposant de forages autorisés par les préfectures et les agences de l’eau, comme la plupart des agriculteurs et de nombreuses usines. Ces usages se situant hors du périmètre de la distribution d’eau potable, plusieurs amendements qui s’y réfèrent se trouvent être sans objet dans le cadre de cette proposition de loi.

Cette dernière est, enfin, un moyen de discuter de la transposition de la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive « eau potable », adoptée en décembre 2020 et dont la transposition doit intervenir en janvier prochain. Nous sommes ici plusieurs à demander que cette transposition ne se fasse pas par ordonnance, mais que la directive puisse faire l’objet d’un débat public.

Pour conclure, j’assume, comme l’indique le rapport, le principe de la perfectibilité de cette proposition de loi, à l’aune des auditions réalisées. Durant les trois dernières semaines, j’ai mené plus de vingt auditions et rencontres, sans compter les huit auditions que j’ai organisées le 19 septembre sous le haut patronage de Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement. Ces rencontres avec des collectivités et des associations d’élus, dont une délégation de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), de l’Association des maires de France (AMF), de France eau publique, réseau de gestionnaires publics dont j’ai été l’un des fondateurs en 2012, de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), des professionnels tels que ceux de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau (FP2E) et des associations humanitaires, que je remercie, ont suscité plusieurs propositions d’amendements utiles, que j’entends défendre.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Nous en venons aux interventions des représentants des groupes.

M. Anthony Brosse (RE). Le code de l’environnement établit que chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous. Ce préalable, également ratifié par la France dans plusieurs traités internationaux, n’est pas ignoré de l’État, qui agit afin de permettre à chacun de bénéficier de ce patrimoine commun qu’est l’eau. La gratuité des 50 premiers litres d’eau consommés chaque jour par chaque Français est-elle pour autant la solution ?

Lors des auditions auxquelles vous avez procédé, vous avez exprimé le souhait que l’État garantisse ces mètres cubes d’eau gratuite au moyen d’une dotation globale de fonctionnement (DGF) fléchée. Or l’État a précisément fléché 300 millions d’euros du plan France Relance vers la gestion de l’eau, dont les agences de l’eau et l’Office français de la biodiversité (OFB) assurent le pilotage.

Par ailleurs, la loi du 27 décembre 2019 a introduit une disposition prévoyant que la tarification de l’eau potable pour les abonnés domestiques peut tenir compte du caractère indispensable de l’eau potable et de l’assainissement pour les abonnés en situation de vulnérabilité particulière, en prévoyant un tarif progressif pouvant inclure une première tranche de consommation gratuite.

Le groupe Renaissance est favorable à l’égal accès à l’eau potable pour tous, partout sur le territoire. Néanmoins, cette proposition de loi, qui tend à permettre à chacun de bénéficier de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, apparaît comme disproportionnée, alors que de nombreux foyers disposent des ressources nécessaires pour les payer.

Qui plus est, au regard du droit existant, il nous semble préférable de laisser la main aux collectivités locales pour mettre en œuvre la politique sociale de l’eau, étant donné qu’elles peuvent déjà instaurer une tarification sociale et la gratuité des premiers litres.

Nous devons également veiller à ne pas alourdir le budget des communes, qui doivent faire face à des dépenses supplémentaires pour l’entretien des réseaux.

En conséquence, notre groupe n’est pas favorable cette proposition de loi.

Mme Annick Cousin (RN). Après des années d’interdiction, la fourniture gratuite d’un volume limité d’eau potable à chacun a finalement été autorisée en droit français en 2021. À ce jour, les collectivités qui le souhaitent peuvent distribuer gratuitement de l’eau aux usagers précaires. L’extension éventuelle de la gratuité d’un volume limité d’eau à tous les usagers, précaires ou non, a été évoquée dans une proposition de loi discutée voilà quelques mois au Sénat, mais qui n’a pas reçu un soutien suffisant. Celle que nous examinons aujourd’hui a le mérite de revenir sur cette question essentielle pour l’ensemble de nos concitoyens, notamment pour les plus précaires.

Nous sommes sceptiques quant à la gratuité de l’eau, car cette ressource précieuse doit être protégée et économisée. Nous sommes favorables à ce que l’on facilite l’accès à l’eau, à l’aide d’un tarif bas, pour des gens qui ont des difficultés financières, et proposons, plutôt que la gratuité, une TVA à 0 % sur les premiers litres. En revanche, nous sommes opposés à la tarification progressive de l’eau, qui pénalisera au premier chef les agriculteurs et les entreprises consommatrices d’eau pour leur activité économique. À l’heure où nous vivons une crise énergétique, nous ne pouvons pas déstabiliser notre secteur économique, à moins de vouloir le faire couler. Il en va de même pour nos communes, qui comptent à l’euro près : est-ce le moment de leur faire installer des douches, alors qu’elles ont du mal à payer leurs factures d’énergie ? En outre, pour lutter contre le gaspillage de l’eau potable, il faut mettre le paquet sur l’entretien des réseaux. Voilà certaines des pistes que nous voulons explorer.

Les députés du groupe Rassemblement national ont déposé plusieurs amendements visant à enrichir ce texte, à l’améliorer et à le rendre plus juste. Nous espérons que ce dernier sera débattu sans sectarisme, car le sujet est sérieux pour un grand nombre de nos concitoyens, notamment ultramarins.

M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES). Après l’essence, l’électricité et le gaz, voici que l’eau rejoint la liste des ressources en danger dont la pérennité dans le futur ne peut être assurée. Cet été, nous avons tous vu la Loire totalement asséchée et le va-et-vient des camions-citernes approvisionnant la centaine de communes qui n’avaient plus d’eau dans leurs canalisations. Dans le même temps, de grands groupes, comme La Salvetat dans l’Hérault et le Tarn, privatisent la ressource pour la conditionner et la vendre dans des bouteilles en plastique. Nous devons repenser tout l’accès à l’eau sur le territoire métropolitain, car cela concerne aussi 300 000 sans-abri qui ne peuvent pas s’abreuver correctement, par manque de fontaines accessibles et gratuites. Dans les Antilles, c’est la distribution qui est au point mort, avec 70 % de fuites sur le réseau d’eau, les 30 % restants demeurant impropres à la consommation. De telles situations sont inacceptables dans une puissance comme la France.

Depuis de nombreuses années, nous revendiquons que l’eau soit gérée comme un bien commun. Sans solution magique, nous devons avoir pour objectif assumé de rendre l’eau potable accessible à toutes et tous et, conjointement, de réduire les usages que nous en faisons. À cette fin, nous soutenons l’instauration de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau, puis d’une progressivité des tarifs pour les plus gros consommateurs. Ces mesures permettraient d’économiser considérablement la ressource, à l’instar du système pollueur-payeur, que le Gouvernement nous vante tant pour les émissions de carbone. Il s’agira donc d’une mesure sociale, mais également d’une prise en compte de l’urgence écologique.

Outre la taxation, un autre levier devra être activé : la récupération et la réutilisation de l’eau consommée. Actuellement, en effet, 1 % des eaux grises sont réutilisées. Au temps du réemploi et du recyclage, nous devons investir massivement à ce niveau.

L’eau, qui est désormais l’or bleu, doit devenir une préoccupation majeure dans nos décisions d’aujourd’hui et de demain. Cette proposition de loi, consacrée à un sujet vital, est un cap qui doit marquer une avancée majeure et fonder les réflexions futures. C’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que notre groupe soutiendra cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Taite (LR). Cette proposition de loi créerait de nouvelles charges pour les communes, sans aucune étude d’impact. La gratuité n’est jamais une bonne solution. Compte tenu des investissements à prévoir, la tendance serait plutôt d’augmenter les tarifs.

L’instauration d’une gratuité sur les mètres cubes vitaux et d’une tarification progressive sur les mètres cubes suivants peut avoir un intérêt pour pallier les insuffisances des mesures curatives et instaurer des prix dissuasifs pour limiter les fortes consommations. La loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, dite Lema, a créé ce qui s’apparente à un droit à l’eau : « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Ce droit est une réalité pour la quasi-totalité des Français : le raccordement aux réseaux sanitaires et de distribution d’eau est généralisé et la facture est peu élevée par rapport aux montants observés dans d’autres pays.

L’été dernier, 116 communes ont été privées d’eau, souvent parce qu’elles n’avaient pas fait les travaux nécessaires à l’entretien de leurs canalisations. En France, 40 % des réseaux d’eau ont plus de 50 ans, pour un rendement de 80 % seulement, soit donc 20 % de perte avant même l’arrivée au robinet. Il est donc essentiel de pérenniser le financement des agences de l’eau en les recentrant sur leur première mission : le maintien du réseau et de ses infrastructures.

Réfléchir à de nouvelles recettes, c’est bien ; réduire les dépenses, c’est mieux – et pourquoi pas en essayant de mieux réutiliser les eaux usées et les eaux grises ? La réglementation française est très stricte dans ce domaine, un décret interdisant toute avancée en raison des préconisations des autorités sanitaires. Une expérimentation à l’échelle locale pourrait ainsi être utile.

 

La proposition de loi n’est donc pas justifiée, car la loi permet déjà des avancées en matière de tarification incitative sans nouveau texte. Les situations envisagées sont déjà traitées par des mesures curatives comme l’aide au logement, le chèque eau, la prise en charge des impayés par les centres communaux d’action sociale (CCAS) ou des annulations de facture. La loi « engagement et proximité » de 2019 a permis aux collectivités chargées du service public de l’eau et de l’assainissement de recourir aussi à des mesures préventives, mais cette possibilité est encore peu utilisée dans les faits.

Le groupe LR votera contre ce texte.

M. Hubert Ott (Dem). L’eau est absolument nécessaire à toute forme de vie et le service de la distribution de l’eau potable est ainsi l’une des priorités vitales que nous devons garantir en permanence pour chacun d’entre nous. L’accès à l’eau est donc un droit fondamental et, pour le garantir, il faut relever les nouveaux défis d’un approvisionnement suffisant et d’une qualité propre à préserver la santé publique et l’environnement. L’initiative proposée par le texte que nous examinons est donc pleinement d’actualité.

Toutefois, même si nous adhérons à l’idée d’une facturation évolutive, nous ne souscrivons pas à celle d’une gratuité pour les premiers litres consommés. La distribution de l’eau potable suppose un investissement et un fonctionnement qui concernent chacune des collectivités locales responsables de la distribution. L’acquittement de notre facture d’eau nous rappelle, par ailleurs, à la fois le caractère précieux de la ressource, le caractère essentiel du service public qui la rend accessible et, enfin et surtout, notre citoyenneté.

Il conviendra cependant de vérifier rigoureusement le prix pratiqué, qui ne doit en aucun cas s’inscrire dans une logique lucrative, mais au contraire rester dans la rétribution simple et transparente du service rendu à chacun par la collectivité. Trop souvent, dans le passé, des délégations de service public octroyées pour la gestion de l’eau ont entraîné dérapage des prix, profit et gaspillage. Le coût doit être mis en rapport avec la vraie mesure de la valeur, ce qui n’empêchera pas d’adapter la facturation aux moyens de chacun. La loi Brottes de 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes, la loi « engagement et proximité » de 2019 et la loi « climat et résilience » de 2021, traitent déjà de ces questions et constituent une base intéressante à partir de laquelle nous pouvons ensemble parfaire la réponse, en nous rappelant le principe d’un service public exemplaire et de qualité, qui relève des droits humains fondamentaux. Nous demandons donc une évolution du texte qui nous est soumis selon ces principes.

Mme Chantal Jourdan (SOC). Monsieur le rapporteur, nous vous remercions de nous donner l’occasion de discuter au sein du Parlement de l’un des enjeux les plus importants des années à venir. Dans le contexte climatique que nous connaissons, l’accès à l’eau sera en effet un problème central, et tout doit être fait pour préserver et partager au mieux ce bien commun de l’humanité, comme le disait Danielle Mitterrand. La question de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement dans le monde se pose avec force et urgence. En France, la situation est également problématique, puisque près de 500 000 personnes n’ont pas accès à une eau potable gérée en toute sécurité et près de 900 000 n’ont qu’un accès limité à des installations sanitaires, situation qui touche particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité, notamment les familles en forte précarité, les personnes sans domicile fixe ou les personnes migrantes.

Dans la continuité du travail engagé par la loi Brottes de 2013, les socialistes partagent la philosophie de la présente proposition de loi et son objectif de rendre effectif le droit à l’eau et à l’assainissement par la gratuité des mètres cubes indispensables à une vie digne et la suppression de l’abonnement, ainsi que d’instaurer une tarification progressive et différenciée selon les usages de l’eau pour lutter contre les mésusages et les gaspillages.

Nous avons néanmoins quelques observations à formuler et quelques points de vigilance à souligner. Tout d’abord, cette proposition de loi prévoit une mise en œuvre immédiate de ses dispositions. Cela est-il possible, notamment pour les collectivités qui, comme l’a observé la mission flash Causse-Wulfranc consacrée à cette question en février 2022, rencontrent déjà de nombreuses difficultés dans la mise en œuvre de l’expérimentation sur la tarification sociale de l’eau ? Peut-être un calendrier en deux temps serait-il plus approprié, qui prévoirait d’abord de faciliter, dès cet hiver, la mise en œuvre de cette expérimentation puis, après un bilan complet, d’organiser la généralisation d’une tarification sociale et progressive de l’eau.

En tout état de cause, la situation actuelle commande un engagement plus important de l’État pour accompagner les collectivités dans la gestion de l’accès à l’eau potable et de l’assainissement.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Le droit à l’eau est un droit humain essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les autres droits humains. Pourtant, en France métropolitaine, 2,1 % de la population, soit 1,4 million de personnes, ne bénéficient pas d’un accès à l’eau géré en toute sécurité. Dans notre pays, où l’égalité a été érigée en principe républicain et inscrite au fronton de toutes nos mairies, l’accès à l’eau est inégal. La majorité de ceux qui n’ont pas accès à l’eau sont des personnes vulnérables qui vivent dans la rue, dans des camps, des squats ou des logements mal raccordés au réseau. L’inégalité frappe encore entre le territoire métropolitain et les outre-mer. En Guyane, par exemple, ce sont 4,5 % des habitants, et 16,3 % à Mayotte, qui n’ont pas accès à des services d’eau potable gérés en toute sécurité.

Dans notre pays, face aux sécheresses et alors que l’eau va tendre à se raréfier, des multinationales accaparent l’eau en vendant au prix fort les tonnes de plastique nécessaires à sa distribution. Des centaines de villages ont dû être approvisionnés par camion-citerne cet été pour que leurs habitants aient simplement accès à de l’eau potable, et des bêtes ont été tuées dans les troupeaux, faute de pouvoir les nourrir.

Nous devons repenser notre relation à l’eau, bien commun de l’humanité. Il s’agit ici de protéger et préserver le droit fondamental à l’eau au moyen de la tarification progressive. Nous saluons donc la proposition de loi de Gabriel Amard, qui marque des avancées majeures pour la justice sociale en visant à instaurer la gratuité des premiers mètres cubes et la tarification progressive en tenant compte des besoins, tout en incitant à la baisse de la consommation.

Nous proposerons quelques amendements qui, j’en suis certaine, obtiendront les voix de la majorité des députés qui, dans cette salle, sont attachés aux idéaux républicains et aux droits humains, pour garantir la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité, et un assainissement sûr et propre pour toutes et tous, et pour renforcer les normes de garantie de la qualité de l’eau.

C’est quand le puits est sec que l’eau devient richesse. Saisissons-nous de cette belle proposition de loi et écrivons l’histoire de notre République en garantissant à toutes et à tous l’accès à l’eau.

M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES). Cette proposition de loi poursuit le travail ébauché avec notre collègue Lionel Causse sur l’accès à l’eau potable. Si la facture reste maîtrisée par rapport à ce que l’on observe pour d’autres biens essentiels, comme l’énergie ou l’alimentation, avec un montant légèrement supérieur à 500 euros par an, soit 40 euros par mois en moyenne, plus d’un million de foyers consacrent plus de 3 % de leurs revenus à cette dépense, ce qui représente le seuil reconnu comme indiquant des difficultés d’accès à l’eau. En outre, la facture d’eau tend à la hausse. La tarification progressive et la gratuité des 50 premiers mètres cubes doivent donc s’accompagner d’un soutien financier renforcé à la viabilité économique du modèle de gestion de l’eau potable. Il faut faire sauter le plafond mordant appliqué aux agences de l’eau et instaurer un plan pluriannuel d’investissement au profit des collectivités, afin d’améliorer les conditions d’accès à l’eau pour tous, et débloquer la généralisation obligatoire d’une tarification sociale et écologique.

Nous sommes favorables au principe d’une distribution de l’eau essentielle à un coût symbolique, avec la gratuité des 50 premiers mètres cubes : l’eau utile doit être distribuée à un prix inférieur au coût du service et l’eau de confort à un coût supérieur, afin d’équilibrer le budget.

Enfin, afin de prévenir toute exclusion à l’exercice du droit à l’eau potable et à l’assainissement, les collectivités et syndicats mixtes devraient pouvoir, d’ici à la fin 2025, avoir élaboré un programme de réalisation d’un schéma d’équipements à caractère social, comprenant des fontaines, des douches et des toilettes publiques, pour assurer l’accès à l’eau de première nécessité.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). Je salue votre travail, monsieur le rapporteur, sur la question, centrale et sensible, de la ressource en eau. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires est très intéressé par votre démarche intellectuelle. Plusieurs collègues l’ont relevé, le droit à l’eau reste inappliqué sur le territoire métropolitain et à plus forte raison dans les outre-mer, la situation étant particulièrement dégradée à Mayotte, où plus de 80 000 personnes, soit un tiers des habitants, n’ont pas accès à l’eau courante.

Néanmoins, nous considérons que la question essentielle est celle de l’accès au service, lequel est conditionné au premier chef par la qualité des réseaux, d’où la nécessité d’un plan d’investissement massif. En outre, compte tenu des ressources financières des collectivités, nous nous interrogeons sur leur capacité à faire face à la gratuité que vous proposez. Nous sommes à cet égard circonspects quant au calendrier, à l’instar de Mme Jourdan. Dans ces conditions, nous estimons que la généralisation de la tarification serait une solution plus adaptée que la gratuité.

Pour toutes ces raisons, le groupe LIOT s’abstiendra sur la proposition de loi. Nous souhaitons continuer à travailler ensemble sur la question de l’accès à l’eau, en particulier dans les outre-mer.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Je remercie tous ceux qui souhaitent que nous avancions sur le sujet grâce à ce texte.

Dans notre proposition de loi, nous avons fait le choix de ne pas aborder toutes les questions relatives au grand cycle ni même au petit cycle de l’eau. En particulier, nous n’avons pas traité la question des investissements. Néanmoins, je souligne dans mon projet de rapport que la lutte contre les fuites et le renouvellement des réseaux, indispensables pour améliorer les rendements, doivent être un critère important des mécanismes de financement des autorités organisatrices et de leurs opérateurs. Sans effort en matière de renouvellement des réseaux, un tel financement n’est pas envisageable.

Quel est l’objet de cette proposition de loi ? Douze ans après le vote par la France d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le droit à l’eau comme un droit fondamental, nous estimons qu’il est temps d’instituer en la matière un droit inconditionnel, autrement dit sans condition de ressources. Danielle Mitterrand aimait à le rappeler : « trois minutes sans air et nous sommes morts, trois jours sans eau et nous sommes morts ». Il s’agit donc de faire un pas de côté par rapport à l’arsenal juridique existant, notamment par rapport aux dispositifs qui permettent déjà de pratiquer la tarification sociale.

En d’autres termes, notre démarche diffère de celle des partisans de la tarification sociale. Je ne peux pas souscrire aux approches caritatives, certes généreuses, mais dont le résultat est que nombre de nos concitoyens ne bénéficient pas d’un accès satisfaisant à l’eau. Notre collègue Hubert Wulfranc l’a rappelé, la facture d’eau TTC de plus de 1 million de nos concitoyens est supérieure à 3 % de leurs ressources moyennes, alors même qu’il est admis que ce plafond ne devrait pas être dépassé. Plusieurs d’entre vous ont relevé à juste titre que, bien souvent, les dispositions existantes ne sont pas appliquées.

J’en viens aux effets sur les collectivités territoriales. Nous avons auditionné de nombreux élus locaux, dont vous trouverez la liste dans mon rapport. Les retours de dizaines, voire de centaines d’expériences, parfois longues de plusieurs années, montrent que la gratuité de 10, 15 ou 20 mètres cubes d’eau par personne et par an – cette dernière quantité est celle qui est gratuite à Limay – n’a que peu d’impact sur les autres usages, notamment professionnels. À aucun moment, les acteurs économiques n’ont été mis en difficulté. Par ailleurs, à la différence des particuliers – qui ont besoin d’eau, rappelons-le, pour vivre et rester en bonne santé –, les entreprises et les professionnels peuvent déduire leur facture d’eau du bénéfice soumis à l’impôt sur les sociétés. En outre, ils bénéficient la plupart du temps d’une tarification dégressive. La loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite Lema, à laquelle M. Taite a fait référence, n’a pas interdit la dégressivité tarifaire.

La même loi a rendu possible la tarification progressive, qui est donc une option, non une obligation. Compte tenu du contexte écologique, notre proposition de loi pose le principe de la progressivité obligatoire en fonction de la quantité d’eau consommée. Ainsi, après avoir fait un bilan social pour vérifier que cela ne pénaliserait pas des familles nombreuses, une collectivité pourra appliquer un tarif plus élevé aux usages de confort et de luxe. Je proposerai d’ailleurs, par mon amendement CD52, de substituer « consommations de confort et de luxe » à « mésusages », notion qui ne fait pas nécessairement consensus.

Pourquoi avons-nous retenu un seuil de 50 litres par jour et par personne ? Parce que c’est la quantité minimale préconisée par l’Organisation mondiale de la santé, laquelle a par ailleurs fixé à 15 litres par jour et par personne le plancher pour les situations d’urgence et les crises humanitaires. Nous vous proposons donc d’instaurer un droit inconditionnel à 50 litres d’eau par jour et par personne.

Pour ceux qui ont un toit, ce droit serait applicable au domicile principal, non dans les résidences secondaires. De la sorte, nous n’abandonnons pas les collectivités dans le financement de la gratuité. Dans toutes les expériences menées en France au cours des dernières années, les collectivités ont trouvé dans les autres usages, notamment professionnels, de quoi équilibrer leur budget annexe. Pour les collectivités où il n’y aurait pas suffisamment de résidences secondaires ou d’usages professionnels, nous proposons des mécanismes de financement complémentaires. Ainsi, je présenterai un amendement CD60 visant à instaurer une taxe sur les eaux en bouteille et les sodas, mesure demandée par la FP2E, qui regroupe les gestionnaires de réseau privés.

Pour ceux qui n’ont pas de toit ou sont dans l’espace public, nous proposons des dispositifs gratuits : des sanitaires publics dans toutes les communes et intercommunalités de plus de 3 500 habitants, des bains-douches et des fontaines d’eau potable dans toutes les communes et intercommunalités de plus de 10 000 habitants. L’AMRF ayant trouvé ce seuil injuste, je proposerai par mon amendement CD44 que chaque commune soit équipée d’au moins une fontaine d’eau potable.

Je termine en évoquant le phasage. La loi ne pouvant entrer en vigueur avant le 1er janvier 2024, l’année 2024 pourrait être mise à profit pour parvenir à un premier palier. Je suis moi-même à l’initiative d’un amendement CD52 qui prévoit que la gratuité devrait porter sur 30 litres par jour et par personne à compter du 1er janvier 2025, l’objectif des 50 litres devant être atteint le 1er janvier 2027.

À l’issue des nombreuses auditions que j’ai menées, j’ai déposé des amendements qui tendent à améliorer ou à enrichir le texte, répondant ainsi à certaines des préoccupations que vous avez exprimées dans vos interventions, qui se fondaient uniquement sur le texte initial.

Avant l’article 1er

Amendement CD18 de M. Pierre Meurin.

M. Pierre Meurin (RN). Il s’agit d’un amendement d’appel. D’après les calculs de l’Office français de la biodiversité (OFB), 1 milliard de mètres cubes d’eau sur 5,1 milliards, soit près de 20 %, ont disparu à cause de fuites en 2017. Avant d’envisager une mesure universelle de gratuité, au demeurant complexe à mettre en place, il serait de bon sens de lutter contre un tel gaspillage. La mise en œuvre par l’État, les collectivités territoriales et les gestionnaires de réseau d’un grand plan visant à limiter les fuites ferait baisser mécaniquement le coût de l’eau. C’est un enjeu de pouvoir d’achat.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Je vous remercie d’appeler l’attention sur ce sujet éminemment important, et vous demandez à juste titre la remise d’un rapport. Néanmoins, je vous invite à retirer votre amendement au profit de mon amendement CD57, qui va plus loin et dont la rédaction est plus précise. À défaut, je donnerai un avis défavorable.

La situation que vous décrivez est bien connue, mais les autorités organisatrices et les opérateurs n’en tirent aucune conclusion. Alors que l’équivalent de la consommation de 18 millions de nos concitoyens part en fuites, il n’est pas normal que des opérateurs privés notamment – même s’ils ne représentent plus qu’un quart des services d’eau en France – réalisent une partie de leur chiffre d’affaires et de leurs profits grâce à ces volumes. Ceux-ci sont captés gratuitement dans la nature, puis potabilisés et transportés pour un résultat nul.

Nous savons quels sont les taux de renouvellement. Si elle n’est pas renouvelée à raison de 1 % par an, la fonte de Pont-à-Mousson finit par fuir ou par casser. Quant aux matériaux composites, ils posent un problème de sécurité sanitaire, et leur durée de vie est inférieure à cinquante ans. Il est donc temps de se retrousser les manches !

La présente proposition de loi ne visait pas à susciter de plan d’investissement en la matière. Or, vous avez raison, il est pertinent d’en prévoir un. Nous aurons donc vraisemblablement l’occasion de discuter d’autres propositions de loi sur ces questions.

M. Pierre Meurin (RN). Je retire mon amendement. Dans l’hypothèse où la proposition de loi serait examinée en séance, ce qui est peu probable compte tenu de sa position dans la niche de votre groupe, je déposerai un amendement rédigé différemment, voire formulerai des propositions plus concrètes en ce sens.

L’amendement est retiré.

Article 1er (articles L. 2224-7-1 et L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales) : Accès à l’eau potable par la gratuité des mètres cubes vitaux

Amendements de suppression CD34 de M. Anthony Brosse et CD36 de M. Jean-Pierre Taite.

M. Anthony Brosse (RE). Comme je l’ai indiqué dans mon intervention, le prix de l’eau facturé à l’usager est fixé par les collectivités locales, qui peuvent déjà instaurer des mesures sociales d’accès à l’eau. En l’état, les dispositions de votre texte nous paraissent disproportionnées. C’est pourquoi le groupe Renaissance propose de supprimer l’article 1er.

M. Jean-Pierre Taite (LR). L’obligation d’installer et d’entretenir des points d’eau alourdirait le budget des collectivités. Au demeurant, lorsqu’ils existent, ces équipements ne sont pas nécessairement utilisés par le public ciblé. De notre point de vue, la suppression de la part fixe dans les factures d’eau serait dangereuse : compte tenu de l’importance de cette part fixe dans les recettes du budget annexe eau, cela entraînerait immédiatement un déficit de gestion. Enfin, l’instauration de la gratuité sur les mètres cubes vitaux se heurte à de nombreuses limites. En particulier, comme je l’ai signalé précédemment, elle porterait préjudice à l’investissement dans le réseau. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains demande la suppression de l’article 1er.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Monsieur Brosse, notre démarche n’est pas la même que la vôtre : notre texte vise non pas à conforter une tarification sociale, mais à garantir un accès effectif à l’eau. De la sorte, la France adresserait un signal novateur tout en se mettant en conformité avec son vote, le 28 juillet 2010, de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies reconnaissant le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité comme un droit humain fondamental. Douze ans après, nous n’avons toujours pas adopté de loi majeure et transversale relative à ce droit inconditionnel, pas plus que nous n’avons transposé la résolution dans notre bloc constitutionnel, ne serait-ce qu’en ajoutant un article dans la Charte de l’environnement – rappelons que celle-ci fait partie du bloc constitutionnel, comme cela ressort de l’arrêt Commune d’Annecy du Conseil d’État.

Monsieur Taite, en vertu du principe « l’eau paye l’eau », le service d’eau est financé non pas par le budget général de la collectivité, mais par un budget annexe, qui peut relever d’un établissement public industriel et commercial (EPIC). Ajoutons que la compétence eau a été transférée de la commune à l’intercommunalité et qu’elle peut être exercée par un syndicat mixte ou à vocation unique. En aucune manière les mesures que nous proposons n’auraient pour conséquence une détérioration des équilibres et indicateurs financiers de la collectivité, fût-elle autorité organisatrice du service de l’eau. Le même raisonnement vaut d’ailleurs pour l’assainissement, qui ne fait pas l’objet de notre proposition de loi.

S’agissant de la part fixe, vous vous trompez. Indépendamment de notre débat sur la gratuité, des dizaines sinon des centaines d’autorités organisatrices ont déjà supprimé l’abonnement, notamment pour ne pas pénaliser les personnes âgées qui perçoivent une petite pension, alors qu’un industriel peut bénéficier dans le même temps d’un tarif de 1 euro le mètre cube. À Saint-Malo, une dame m’a dit qu’elle payait 12 euros le mètre cube du fait de la part fixe ! Je connais des territoires où la part fixe est de 90 euros pour l’eau potable et de 90 euros également pour l’assainissement ; avant même d’avoir ouvert le robinet, vous devez déjà 180 euros ! Dans les cas où la part fixe a été supprimée, il n’y a pas eu de manque à gagner pour la collectivité : le coût a été répercuté sur les usagers proportionnellement à leur consommation.

Dans le code général des collectivités territoriales (CGCT), il est écrit qu’il peut y avoir une part fixe, non qu’il doit y en avoir une. La rédaction que je vous propose dans ce texte est une évolution modeste par rapport à ce que le CGCT prévoit déjà, puisque des centaines sinon des milliers de collectivités autorités organisatrices ne pratiquent plus la part fixe ou la pratiquent de manière symbolique, l’ayant fixée à quelques euros. Par le passé, certains avaient justifié l’existence d’une part fixe par le fait qu’elle devait couvrir la valeur du compteur d’eau. Or un compteur muni d’une tête de radio-relève coûte 60 euros. Est-il normal que la part fixe atteigne parfois 50 ou 100 euros par an, alors que les compteurs sont changés dans le meilleur des cas au bout de dix ans ? Les dangers qui vous ont amenés à proposer votre amendement de suppression n’existent pas.

J’émets un avis défavorable sur les deux amendements.

M. Damien Adam (RE). Je ne comprends pas pourquoi vous avez abordé autant de sujets différents dans l’article 1er, alors que vous auriez pu les traiter séparément. Mais c’est votre choix politique, qui peut s’entendre. En tout cas, l’accès aux équipements publics tels que les bains-douches me semble plus consensuel que la gratuité des 50 premiers litres d’eau.

Cette mesure, qui figurait dans votre programme pour la présidentielle et pour les législatives, me pose un problème de philosophie politique. Nous avons eu l’occasion d’en débattre localement lors de la campagne des législatives. Dans ma circonscription, je n’ai cessé d’opposer au candidat de La France insoumise que c’était une fausse bonne idée. Dans la mesure où il faut bien plus de 50 litres par jour et par personne pour couvrir les besoins primaires, ce que vous donnez gratuitement sera payé sur les autres litres consommés. C’est en quelque sorte une promesse électoraliste, puisque nos concitoyens n’en tireraient in fine aucun avantage. Qui plus est, notre collègue du groupe Les Républicains soulève à juste titre la question de son impact sur les finances locales.

Telle que vous la proposez, cette mesure est inefficace. Comme l’a indiqué mon collègue Anthony Brosse, le groupe Renaissance ne peut pas la voter en l’état.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Je relève que la plupart des groupes ont évoqué la notion de « bien commun », voire de « patrimoine commun ». Nous pourrions donc tomber d’accord sur le fait que l’accès à la quantité vitale d’eau, celle dont nous avons besoin pour l’hydratation et l’hygiène, doit être assuré par la puissance publique, dans un souci de protection des citoyens. Par cette proposition de loi, nous essayons simplement d’appliquer le principe selon lequel l’eau est un bien commun et satisfait des besoins vitaux.

La situation est critique pour la ressource en eau. Avec le changement climatique, dont on sous-estime grandement les effets, l’eau deviendra la question numéro un. Le manque d’eau risque de susciter des tensions, voire des guerres. Il n’y a rien d’extrémiste à le dire ; de nombreux experts le reconnaissent, par exemple Jean-Marc Jancovici. Compte tenu du changement climatique, il n’est pas prématuré de soulever la question dès à présent et de prendre des mesures pour assurer l’accès de nos concitoyens à l’eau.

Non seulement la suppression de l’article 1er dénaturerait la proposition de loi, mais elle couperait court au débat sur la question de l’eau, que notre assemblée aborde assez peu, à tort. Les amendements du rapporteur répondent à certaines de vos remarques, notamment celui qui prévoit une application progressive de la mesure, selon un calendrier réaliste. Dans l’intérêt du débat et pour nous donner les moyens d’anticiper en la matière face au changement climatique, je vous appelle à ne pas voter ces amendements de suppression.

M. Jean-Pierre Taite (LR). Je n’évoquais pas le budget général ; c’est bien le budget annexe que votre mesure affaiblirait. Il y a quelques mois encore, j’étais maire d’une ville d’un peu moins de 10 000 habitants, où la consommation d’eau des usagers, très vertueuse, a baissé de près de 18 % en cinq ans. Si vous supprimez la part fixe, vous éliminerez la capacité d’investissement dans le réseau. Ce faisant, vous pérenniserez les taux de perte, qui s’établissent en moyenne à 20 % en France.

Je reconnais la qualité de votre travail, monsieur le rapporteur, mais vous ne pouvez pas comparer le monde urbain, dense en habitations, et le monde rural. De mon point de vue, la part fixe est indispensable, d’où mon amendement de suppression.

M. Benjamin Saint-Huile (LIOT). J’ai exprimé les réserves du groupe LIOT sur cette proposition de loi et je conteste une partie des positions du rapporteur. Cependant, chers collègues de la majorité, je vous le dis avec beaucoup de respect, il vous est régulièrement reproché de ne pas créer les conditions du dialogue, et vous manquez à cet égard une occasion. Il n’y a guère d’enjeu, d’autant que la proposition de loi ne sera probablement pas examinée en séance, l’ordre du jour proposé pour la niche étant trop chargé. Du point de vue symbolique, il est dommage d’empêcher le débat en supprimant les articles du texte. Ce n’est pas nécessairement un bon message, ni la bonne méthode. Nous voterons donc contre les amendements.

M. le président Jean-Marc Zulesi. On ne peut pas vraiment parler d’absence de dialogue. Je veille à ce que chaque groupe politique ait le temps de s’exprimer avant la mise aux voix des amendements.

M. Vincent Thiébaut (HOR). J’espère, monsieur Saint-Huile, que vous tiendrez le même discours en séance publique lors de la présentation des motions de rejet, très nombreuses en ce moment.

Il importe de laisser de l’autonomie aux collectivités territoriales, pour qu’elles puissent mener à bien leur politique de l’eau et décider au mieux. Ma crainte est que l’on revienne à une gestion très étatique, allant à l’encontre de cette libre administration. Beaucoup de solutions sont trouvées localement, entre les acteurs. La gestion de l’eau à l’échelle d’un bassin implique les collectivités territoriales, mais aussi les chambres d’agriculture, par exemple.

Mon territoire a la chance de disposer d’un important syndicat public, le syndicat des eaux et de l’assainissement d’Alsace-Moselle (SDEA).

M. Gabriel Amard, rapporteur. Très belle référence !

M. Vincent Thiébaut (HOR). C’est effectivement un très bel outil, auquel les collectivités adhèrent si elles le souhaitent. Dans les faits, tout le monde y est associé, ce qui permet de mettre en œuvre des solutions pérennes de gestion de l’eau avec les agriculteurs.

Je vous rejoins sur un point, monsieur le rapporteur : il y a un véritable combat à mener contre le gaspillage de l’eau. Nous devons nous saisir du problème, notamment travailler sur l’assainissement, pour limiter les pertes, qui ont un impact sur le prix.

Je pose une dernière question : qui financerait cette gratuité ? Comment l’État compenserait-il ? Sur qui la charge reposerait-elle in fine ?

Le groupe Horizons et apparentés votera les amendements de suppression.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). La majorité présidentielle ne souhaite pas confisquer le débat. Simplement, notre approche est radicalement différente de la vôtre et le droit parlementaire permet aussi de déposer des amendements de suppression. Nous considérons que la tarification sociale qui existe pour l’accès à l’eau est une réponse concrète aux difficultés que peuvent rencontrer certains de nos compatriotes. De plus, la gratuité, cela n’existe pas : il y a toujours quelqu’un qui paie au bout du compte. Il serait d’ailleurs intéressant de connaître le chiffrage de l’effort que vous demandez à l’échelle des 36 000 communes de France.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Il ne faut pas entretenir l’idée que les agriculteurs seraient pénalisés par les mesures que nous proposons, car les captages et les prises d’eau qui leur sont accordés par arrêté préfectoral n’entrent pas dans le périmètre de la présente proposition de loi.

Les arguments contre ce texte sont avancés de manière récurrente par ceux qui ne veulent pas d’un droit universel à l’eau. Pour ma part, je souhaite mettre en application l’engagement pris par la France le 28 juillet 2010 devant les Nations unies. Certes, il est possible d’adopter une tarification sociale en faveur des familles les plus démunies mais cette approche caritative n’est pas le point de départ de la proposition de loi.

Concernant le manque à gagner causé par l’ouverture d’un droit inconditionnel, il n’est pas vrai que le volume gratuit serait financé par les autres usages de la famille bénéficiaire pendant le reste de l’année. L’autorité organisatrice du service de l’eau devra trouver dans les autres types de consommation – résidences secondaires ou activités professionnelles – de quoi compenser ces 50 litres. Nous avons également proposé que le Gouvernement lève le gage et que d’autres sources de financement viennent à la rescousse, si nécessaire.

Depuis l’arrêt Commune de Bougnon rendu par le Conseil d’État le 12 juillet 1995, qui reconnaît la possibilité d’instaurer une tarification différenciée pour les résidences secondaires, les réglementations communales en la matière se sont multipliées, les habitants à l’année ne supportant plus que soit répercuté dans leur facture d’eau le coût d’infrastructures nécessaires seulement pendant la période touristique. Le présent texte ne repose pas sur une lubie ni sur une conviction politique mais sur une pratique déjà bien connue des gestionnaires publics de l’eau, qui s’applique à des dizaines de millions d’habitants. Quant au chiffre de 50 litres, il ne sort pas de nulle part : c’est ce que préconise l’Organisation mondiale de la santé pour être en bonne santé dans un environnement sain.

Concernant le manque à gagner que provoquerait la suppression de la part fixe, les communes qui pratiquent déjà la gratuité des mètres cubes vitaux ont des budgets équilibrés. Leurs régies sont même souvent celles qui investissent le plus, contribuant à faire reculer les fuites dans leur territoire parce qu’elles renouvellent chaque année 1 % à 2 % de leurs réseaux, quand Veolia préconise un taux de renouvellement de 0,35 % ou 0,5 %.

En refusant la suppression de la part fixe pour le domicile principal, vous punissez les étudiants et les jeunes, qui sont de petits consommateurs, et surtout les personnes ayant des retraites de 700 ou 800 euros qui, même lorsqu’elles gardent le robinet fermé, doivent consacrer un tiers de leur facture à la part fixe. Il faut absolument supprimer cette dernière pour le domicile principal ; je suis favorable en revanche à son maintien pour les résidences secondaires.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et les autres amendements tombent.

Après l’article 1er

Amendement CD55 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Il s’agit de préciser que les points d’eau potable sont accessibles gratuitement, dans l’espace public et dans les établissements privés recevant du public, sous réserve des conditions de sécurité, de la bonne marche du service public et de sa continuité, étant entendu qu’une personne mourant de soif ne se voit jamais refuser un verre d’eau dans un bar.

Mme Danielle Brulebois (RE). Ne vaudrait-il pas mieux encourager les collectivités à développer des toilettes sèches plutôt que des toilettes publiques utilisant de l’eau potable, dont on connaît le caractère précieux ?

M. Gabriel Amard, rapporteur. Sans doute, mais ce choix relève de la libre administration des collectivités locales. Ma proposition de loi ne fait que préconiser l’existence d’un dispositif sanitaire à partir de 3 500 habitants. Par ailleurs, certaines métropoles, par exemple celle de Lyon, souhaitent que leur régie puisse, en accord avec l’autorité organisatrice, développer les sanitaires et les bains-douches.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD56 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Afin d’éviter que le volume gratuit ne constitue une sorte de prime à la consommation, nous proposons d’avancer par étapes dans l’application de la tarification progressive. Il est en effet nécessaire de vérifier que les usages en résidence secondaire et les usages professionnels pourront compenser ce volume gratuit ou, à défaut, de pouvoir mobiliser un fonds de péréquation qui serait alimenté par le produit d’une contribution de 10 centimes sur les eaux et sodas en bouteille. Ainsi, au 1er janvier 2025, le seuil de tarification commencerait à 25 litres d’eau par jour et par personne, les 25 premiers litres étant gratuits ; la progressivité serait ensuite laissée à la libre appréciation des collectivités jusqu’à atteindre 50 litres au 1er janvier 2027.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CD23, CD25 et CD26 de Mme Marie Pochon (discussion commune).

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Ces amendements ont pour objet de modifier la rédaction de l’article L. 210-1 du code de l’environnement. Cet article dispose bien que l’eau fait partie du patrimoine commun de la nation, mais il ne reconnaît pas un droit opposable à l’eau et ne fait pas mention du droit à l’assainissement.

Ces amendements visent donc à reconnaître un droit fondamental et inaliénable d’accéder gratuitement à la quantité d’eau potable indispensable à la vie et à la dignité, et à un assainissement sûr et propre qui s’applique à tous, y compris les migrants et les gens du voyage.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Le droit fondamental que vous nous proposez d’inscrire dans la loi devrait figurer au sommet de la hiérarchie des normes, dans le bloc constitutionnel. J’émets donc un avis favorable à l’adoption de ces amendements, avec lesquels je suis en phase, tout en invitant à réfléchir de façon transpartisane à la rédaction d’une proposition de loi constitutionnelle retranscrivant la résolution des Nations unies quasiment dans les mêmes termes que ceux choisis par Mme Pochon.

Par ailleurs, concernant les migrants et les gens du voyage, je précise que ce n’était pas une omission de ma part : le texte initial, en accordant ce droit à tous, incluait bien ces personnes. Vos amendements nous permettent toutefois d’évoquer la détresse de nos concitoyens qui n’ont pas accès à l’eau, dont le nombre est estimé à 300 000 par la Fondation Abbé Pierre.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Les personnes migrantes et les gens du voyage étant particulièrement touchés par le non-accès à ce droit fondamental, il s’agit d’insister sur l’égalité d’accès à l’eau, notamment pour les populations les plus vulnérables.

Mme Eléonore Caroit (RE). Je souhaite affirmer, au nom de mon groupe, que la majorité tient absolument à ce que le droit à l’eau soit reconnu et partage les engagements qui ont été pris par la France aux Nations unies. Toutefois, il ne nous semble pas pertinent d’insérer dans le code général des collectivités territoriales un principe aussi fondamental. Nous vous remercions donc pour votre invitation à débattre de ce sujet important.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CD24 de Mme Marie Pochon.

Mme Marie Pochon (Écolo-NUPES). Il s’agit d’insérer au sein du code de la santé publique un article définissant l’eau propre à la consommation comme « une eau habituellement consommée et dont la teneur en substances toxiques est inférieure à un niveau déterminé après une étude toxicologique indépendante ». Cette définition stricte nous semble essentielle, sachant que la potabilité des eaux et leur caractère propre à la consommation sont actuellement déterminés sur la base d’études menées par des industriels des pesticides, ce qui est pour le moins problématique.

En septembre de cette année, s’appuyant sur des données collectées auprès des agences régionales de santé, le journal Le Monde révélait qu’en 2021, 20 % des Français de métropole, soit quelque 12 millions de personnes, avaient reçu au robinet, régulièrement ou épisodiquement, une eau non conforme aux critères de qualité. Or, dans son édition du 12 octobre 2022, le même journal indiquait que l’eau de millions de personnes était « redevenue conforme aux normes de qualité après le relèvement des seuils réglementaires ». C’est que, de façon tout à fait pratique, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a révisé, dans un avis du 30 septembre 2022, le statut de certains pesticides omniprésents dans notre eau : à la suite d’une étude diligentée par la société Syngenta, ils ne sont désormais plus jugés « pertinents » et donc potentiellement dangereux. En conséquence, des millions de foyers ne seront plus considérés comme ayant été exposés à une eau non conforme aux critères de qualité. Nous souhaitons revenir sur cette décision.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Avis favorable. La qualité de l’eau est trop souvent tenue à distance de la vie démocratique du pays. Ainsi, la transposition de la directive « eau potable », qui doit intervenir au plus tard le 12 janvier 2023, devrait se faire par ordonnance, sans débat dans notre assemblée, alors qu’elle fixe des seuils d’admissibilité pour les composés perfluorés, potentiellement cancérogènes. Nous devons avoir un véritable débat parlementaire sur la qualité de l’eau.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD63 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Il vise à garantir l’alimentation en eau potable des villages et campements précaires ainsi que des bidonvilles, où vivent 20 000 personnes, à l’instar de ce que pratique déjà Eau de Paris dans la capitale. Cela permettrait, en outre, de mettre le droit français en conformité avec l’article 16 de la directive européenne « eau potable ».

La commission rejette l’amendement.

La réunion est suspendue de dix-huit heures quarante-cinq à dix-neuf heures.

 

Amendement CD59 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Il s’agit d’inclure au rapport annuel de l’Office français de la biodiversité des indicateurs permettant d’identifier les différents usages de l’eau et de mesurer l’impact des usages économiques, notamment dans les périodes de stress hydrique.

La commission rejette l’amendement.

 

 

Amendements CD57 de M. Gabriel Amard et CD17 de M. Pierre Meurin (discussion commune).

M. Gabriel Amard, rapporteur. Par cet amendement, le Gouvernement remettrait au Parlement un rapport proposant un plan de rénovation des canalisations en vue de récupérer l’équivalent de la consommation d’eau de 18 millions d’habitants perdu en fuites.

Mme Annick Cousin (RN). Selon l’Office français de la biodiversité, sur les 5,1 milliards de mètres cubes d’eau mis en distribution en 2017, 1 milliard, soit 20 %, a disparu. C’est l’équivalent de la consommation de 18,5 millions d’habitants. À l’heure où le stress hydrique est une réalité dans les territoires ultramarins et où il apparaît, en France métropolitaine, indispensable de lutter contre les fuites, notre amendement vise à demander un rapport envisageant les solutions pour réduire la quantité d’eau perdue.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Je vous suggère de retirer votre amendement au profit du mien.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). Étant donné ce que devient la proposition de loi, l’amendement CD57 a un tel caractère de repli qu’il devrait nous permettre de nous retrouver sur le constat de l’état actuel du réseau d’eau et faire de ce rapport la première pierre de l’édifice à construire.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendements CD58 de M. Gabriel Amard et CD19 de M. Pierre Meurin (discussion commune).

Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho (RN). L’accès à l’eau potable est critique dans les territoires ultramarins et devient problématique en France métropolitaine – 117 communes ont été privées d’eau potable durant l’été 2022. Le Gouvernement doit déployer une politique publique permettant aux gestionnaires de l’eau de faire face à ces nouveaux enjeux.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Avis défavorable à l’amendement CD19.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). L’amendement CD58 concerne un rapport par lequel le Gouvernement rendra compte de l’état de la transposition de la directive européenne et proposera également une prospective sur l’état des ressources en eau pour chaque bassin et sous-bassin. Il sera essentiel de disposer d’un tel état des lieux dans les différents territoires, eu égard aux périodes climatiques que nous allons traverser.

La commission rejette successivement les amendements.

 

 

Article 2 : Financement de la mesure

Amendement de suppression CD35 de M. Anthony Brosse.

M. Anthony Brosse (RE). Nous proposons de supprimer l’article 2, qui devait assurer la recevabilité financière de la proposition de loi.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Dans la mesure où nous n’avons pas remis en question le principe de « l’eau paie l’eau », tout service d’eau et d’assainissement doit bénéficier d’un tarif. Les dispositions du texte initial nécessitaient des ressources complémentaires, car les usages en résidence secondaire et professionnels ne pouvaient pas couvrir l’éventuelle charge engendrée par le droit inconditionnel à 50 litres d’eau par jour et par personne. L’augmentation du taux de TVA pour les eaux en bouteille et les sodas que nous proposons après l’article 2 a par ailleurs été suggérée par la FP2E.

J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement.

Mme Manon Meunier (LFI-NUPES). L’exposé sommaire de l’amendement qualifie la proposition de loi de « disproportionnée », en ce qu’elle « permet à chacun de bénéficier de la gratuité des premiers mètres cubes d’eau alors que de nombreux foyers disposent des ressources nécessaires pour les payer ». Nous considérons, au contraire, l’eau comme un bien commun : les premiers mètres cubes devraient être gratuits pour tous, y compris les plus aisés – c’est bien nous qui le disons.

Seriez-vous prêts à voter une proposition de loi réservant les premiers mètres cubes gratuits aux moins aisés ?

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et les amendements CD3 et CD4 de M. Emmanuel Blairy tombent.

Après l’article 2

Amendement CD62 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Cet amendement vise à compléter le code général des impôts afin de porter à 20 % la TVA sur les eaux minérales naturelles, eaux de source, boissons non alcoolisées autres que les sirops, les jus de fruits ou de légumes et les nectars de fruits.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD61 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Les services d’eau et d’assainissement dans les communes et établissements publics de coopération intercommunale desservant plus de 3 000 habitants sont obligatoirement assujettis à la TVA au taux de 5,5 % pour l’eau potable. L’amendement vise à instaurer un taux de 0 % pour la fourniture d’eau potable, quels que soient le nombre d’habitants desservis et le mode de gestion du service – publique ou déléguée à un opérateur privé.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CD60 de M. Gabriel Amard.

M. Gabriel Amard, rapporteur. Cet amendement tend à instaurer une taxe à l’embouteillage de 10 centimes par bouteille pour l’eau de source, les sodas et autres produits de l’industrie agroalimentaire.

La commission rejette l’amendement.

M. Gabriel Amard, rapporteur. En adoptant les amendements de suppression et en rejetant mes amendements, vous avez vidé la proposition de loi de sa substance. Cela est fort dommage, car elle aurait permis de mettre le droit français en conformité avec les engagements pris par la France, notamment aux Nations unies, il y a douze ans.

Nous envoyons là un signal peu constructif aux associations qui ont accepté d’être auditionnées dans le cadre de ce travail, dont certaines avaient suggéré des amendements. Je veux citer notamment la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), France eau publique et l’Association des maires de France qui étaient venues en délégation commune, ou encore l’Association des maires ruraux de France, qui recommandait d’équiper chaque village d’au moins une fontaine d’eau potable. Nous avons également envoyé un message étrange à la Coalition eau, qui regroupe la quasi-totalité des ONG françaises – plus de quarante – traitant de ces questions en France et au niveau international.

Ce texte aurait également pu apporter à certaines collectivités, comme les métropoles de Bordeaux et de Lyon, un soutien attendu aux travaux de réflexion et de concertation qu’elles ont engagés avec les usagers et les acteurs du territoire sur des actions en matière de tarification, de bains-douches et de bornes-fontaines.

Le texte tel qu’il est devenu est vidé de son sens. Je ne souhaite pas qu’il soit adopté en l’état.

La discussion que nous avons eue permettra du moins que nous poursuivions un travail constructif, débarrassé des objections avancées à l’infini sur la tarification ou la mise en difficulté des budgets annexes – qui n’est arrivée nulle part où cela a été appliqué. Nous pourrions alors nous retrouver sur un dénominateur commun : le droit fondamental et humain à l’eau.

Il ne s’agirait pas d’écrire un texte de loi de portée constitutionnelle puisque la résolution des Nations unies votée par la France en fait office. Il s’agirait d’en reprendre les termes et de nous mettre d’accord sur l’exposé des motifs – chacun ayant ses propres motivations – pour affirmer notre volonté que le droit humain à l’eau, reconnu comme droit fondamental, surplombe la législation française. Ainsi serait envoyé à l’ensemble des nations le signal que la patrie des droits de l’homme est capable de faire cela.

Ainsi pourrais-je aussi m’enorgueillir, dans le cadre de la mission que vient de me confier le secrétaire général de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, que la France, contrairement à d’autres pays du bassin méditerranéen, ait déjà transposé la résolution dans son bloc constitutionnel. Pour l’instant, je ne le pourrai pas, et ce sera fâcheux pour l’image de notre beau pays à l’international.

Une fois l’exposé des motifs écrit, dans le respect de notre diversité politique et de celle de l’Assemblée, j’espère que nous pourrons voter, à l’unanimité, la transposition de la résolution des Nations unies dans le bloc constitutionnel français, en adoptant un article supplémentaire à la Charte de l’environnement, qui placerait le droit à l’eau et à un assainissement de qualité au rang des droits fondamentaux de l’humanité.

M. le président Jean-Marc Zulesi. Vous pouvez compter sur notre détermination pour bâtir ensemble une politique de l’eau ambitieuse et conforme aux enjeux de développement durable et d’aménagement du territoire.

La commission ayant rejeté tous les articles de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

 

 

 


   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(après la nomination de M. Gabriel Amard comme rapporteur)

 

 

– M. Djamel Nedjar, maire de Limay

– M. Yves Mesnard, maire de Roquevaire

– M. Maxime Ghesquière, conseiller municipal délégué de Bordeaux

– Mme Sylvie Cassou-Schotte, adjointe au maire de Mérignac, vice-présidente de Bordeaux métropole à l’eau et à l’assainissement de Bordeaux métropole

– M. Dan Lert, adjoint à la maire de Paris en charge de la transition écologique, du plan climat, de l’eau et de l’énergie et président d’Eau de Paris

 M. Léo Bousquet, chargé des relations institutionnelles d’Eau de Paris

– Mme Anne Grosperrin, vice-présidente déléguée au cycle de l’eau à la Métropole de Lyon

– M. Florestan Groult, vice-président, commission « Usagers et droit à l’eau » d’Eau Publique du Grand Lyon,

– Mme Hélène Arambourou, collaboratrice de cabinet de la métropole de Lyon

– M. Christophe Drozd, directeur de la régie publique de la métropole de Lyon

– M. Serge Séryes, maire de Burlats


([1]) https://www.oxfamfrance.org/humanitaire-et-urgences/lacces-a-leau-potable-un-droit-humain-fondamental/

([2]) Proposition de loi n° 2715 de M. Michel Lesage visant à la mise en œuvre effective du droit à l’eau potable et à l’assainissement.

([3]) Proposition de loi constitutionnelle nº 498 visant à faire de l’accès à l’eau un droit inaliénable.

([4]) http://www.coalition-eau.org/actualite/les-chiffres-de-l-acces-a-l-eau-et-a-l-assainissement-en-france-2/

([5]) https://washdata.org/sites/default/files/2021-07/jmp-2021-wash-households.pdf

([6]) Résolution 64/292 du 28 juillet 2010 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies sur le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement.

([7]) Résolution A/C.3/70/L.55/Rev.1 du 17 décembre 2015 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies sur le droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement.

([8]) Résolution du Parlement européen du 12 mars 2009 sur l’eau dans la perspective du cinquième Forum mondial de l’eau à Istanbul, du 16 au 22 mars 2009.

([9]) Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, rec. p. 176, cons. 6.

([10]) Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, rec. p. 224, cons. 69 et 70.

([11]) Conseil d’État, « L’eau et son droit », rapport public de 2010.

([12]) http://www.coalition-eau.org/actualite/publication-du-premier-observatoire-des-droits-a-l-eau-et-a-l-assainissement/

([13]) « Le droit d’accès à des toilettes en France », Henri Smets, Académie de l’Eau, mai 2020.

([14]) Rapport d’enquête n° 4376 de M. Olivier Serva relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences.  

([15]) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport_experimentation_eau_loi-Brottes_2019_0.pdf

([16]) Quelques données de base : la consommation d’eau potable domestique est 148 litres par jour et habitant, soit 53,9 milliards de mètres cubes. La population française est en 2022 de 67,8 millions d’habitants. Le tarif moyen de l’eau potable (part eau potable de la facture) est de 2,11 € du mètre cube en 2021 (dernier rapport Sispea). En France, en 2019, la consommation moyenne d’eau en bouteille est de 133 litres d’eau. En France, la consommation moyenne de sodas en 2019 était de 50,9 litres par personne et par an. Par conséquent, la consommation totale d’eau potable en euros de la population française par an est de 7,7 milliards d’euros.