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N° 488

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2022.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE
 

visant à protéger et à garantir le droit fondamental
à l’interruption volontaire de grossesse
et à la contraception

 

PAR Mme Mathilde PANOT

Députée

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Voir le numéro : 293


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction................................................ 5

Présentation de la proposition de loi constitutionnelle

I. L’interruption volontaire de grossesse et la contraception : des droits fondamentaux, une protection fragile

A. L’affirmation progressive de deux droits fondamentaux

1. Les lois Neuwirth (1967) et Veil (1975) ont légalisé la contraception et l’avortement après de longues années de lutte

a. La loi Neuwirth du 28 décembre 1967

b. La loi Veil du 17 janvier 1975

2. Une dérogation progressivement devenue droit fondamental

a. Les progrès législatifs du droit à l’avortement

b. L’élargissement progressif de l’accès à la contraception

B. Juridiquement, Une protection constitutionnelle incertaine

C. Sur le terrain, un accès encore difficile à l’IVG et à la contraception

1. Des obstacles nombreux à l’accès à l’IVG

2. La persistance de frein dans l’accès à la contraception

II. des droits menacés en France et à travers le monde

A. En France, des réticences persistantes

B. Dans certains pays, des régressions inquiétantes

C. Ailleurs, des progrès lents que la France doit soutenir

Commentaire de l’article unique

Article unique (art. 66-2 [nouveau] de la Constitution) Protection des droits à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

compte rendu des débats

Personnes entendues

 


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Mesdames, Messieurs,

« Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes ».

Ces mots de Simone de Beauvoir ont une résonance particulière après la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022 qui a conduit plusieurs états fédérés américains à interdire ou restreindre fortement le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG). En Europe, Andorre et Malte continuent de considérer l’avortement comme illégal tandis que la Pologne a récemment interdit le recours à l’IVG en cas de malformation du fœtus à la suite d’une décision de son tribunal constitutionnel.

Dans d’autres pays, la restriction du droit à l’avortement prend des formes plus pernicieuses : en Hongrie, les femmes doivent écouter le cœur du fœtus avant de procéder à l’IVG, au Portugal les mineures doivent demander l’autorisation de leurs parents pour avorter, en Italie l’extrême-droite – récemment arrivée au pouvoir – envisage de porter atteinte au droit à l’IVG. Les menaces qui pèsent sur ce droit persistent et concernent également l’accès à la contraception puisque, toujours en Pologne, l’accès à la pilule du lendemain sans ordonnance est désormais impossible.

Les femmes sont les premières victimes des assauts réactionnaires et la France, malgré les progrès récents du droit à l’IVG et du remboursement de la contraception, n’échappe pas à cette menace.

D’abord, parce qu’il existe des courants politiques luttant activement contre l’IVG. La mouvance « anti-choix » bénéficie d’un large soutien financier organisé à l’échelle internationale et les associations de protection des droits des femmes s’en inquiètent car elle promeut les entraves à l’IVG sous différentes formes.

Ensuite, parce que l’IVG ne bénéficie que d’une protection législative et non constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, s’il a admis la conformité de l’IVG à la Constitution, n’a jamais donné à ce droit le rang de principe constitutionnel et accorde un large pouvoir d’appréciation au législateur en la matière. Rien n’assure donc qu’une loi qui porterait atteinte au droit à l’IVG ou à la contraception serait censurée, c’est pourquoi il est urgent de prévoir une protection juridique effective au droit à l’IVG et à la contraception.

Tel est l’objet de cette proposition de loi constitutionnelle : consacrer le caractère fondamental des droits à l’IVG et à la contraception mais aussi reconnaître la nécessité de son encadrement par la loi pour en assurer l’effectivité. Le législateur serait soumis dans ce domaine à un principe de non-régression assurant l’inconstitutionnalité de tout dispositif législatif portant atteinte à l’exercice de ces droits, évitant ainsi de réduire en quelques jours à néant des décennies de luttes féministes

La seule reconnaissance du droit à l’IVG ne suffit pas si les conditions de son exercice sont trop limitatives, c’est pourquoi il est fait référence à l’accès libre et effectif à ces droits. L’effectivité de l’accès à ces droits est un enjeu majeur car les femmes qui décident d’avorter rencontrent encore de nombreux obstacles pour trouver sur leur territoire un professionnel acceptant de réaliser une IVG et pour financer l’ensemble de leurs démarches (transport, logement, actes médicaux). Beaucoup d’entre elles doivent encore faire face à des remarques humiliantes ou culpabilisantes lorsqu’elles demandent une contraception d’urgence ou qu’elles s’informent auprès de certaines associations qui, en réalité, militent contre l’avortement.

Il doit s’agir de droits réels s’exerçant dans de bonnes conditions : délai d’au moins quatorze semaines, absence d’obligation de respecter un délai de réflexion ou de recueillir le consentement des représentants légaux, existence de professionnels disponibles et formés. Toute personne qui en fait la demande doit pouvoir bénéficier de ces droits, quelle que soit sa situation géographique, familiale ou financière, ce qui suppose notamment la gratuité des actes médicaux et l’existence d’un maillage territorial suffisant.

Votre Rapporteure insiste sur l’importance de mentionner également le droit à la contraception, indissociable du droit à l’IVG tant dans leur progression – la loi Neuwirth de 1967 ayant précédé la loi Veil de 1975 – que dans les attaques qu’elles subissent, comme c’est le cas aujourd’hui en Pologne. L’accès à ce droit est encore difficile dans plusieurs territoires et pour de nombreuses jeunes femmes.

Au-delà de la consécration de ces deux droits, cette révision inscrirait les droits sexuels et reproductifs au sommet de la hiérarchie des normes. Ils y ont toute leur place car ce sont des droits citoyens, indissociables du bon fonctionnement de notre communauté politique. Même s’il ne s’agissait pas de l’objet initial de la Constitution de 1958 – qui renvoie à la Déclaration des droits de l’Homme et au Préambule de 1946 le soin d’édicter les principes fondamentaux de notre État de droit – il est nécessaire de faire vivre notre Constitution et de la nourrir de nouveaux droits, notamment ceux acquis depuis 1945.

Derrière une proposition de loi, il y a toujours une foule. Votre Rapporteure salue le combat des militantes et associations féministes qui réclament, depuis des années, l’inscription de ces droits dans notre Constitution.

Par cette proposition de loi constitutionnelle, la France peut se prémunir contre une régression des droits des femmes et, en devenant le premier pays à inscrire le droit à l’IVG et à la contraception dans sa Constitution, elle enverrait un message de soutien à toutes les femmes qui se battent pour leurs droits à travers le monde.

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   Présentation
de la proposition de loi constitutionnelle

I.   L’interruption volontaire de grossesse et la contraception : des droits fondamentaux, une protection fragile

A.   L’affirmation progressive de deux droits fondamentaux

1.   Les lois Neuwirth (1967) et Veil (1975) ont légalisé la contraception et l’avortement après de longues années de lutte

La dépénalisation de l’avortement, permise par la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse (IVG) défendue par la ministre de la santé Simone Veil, est l’aboutissement d’une longue lutte féministe en faveur de la liberté des femmes à disposer de leur corps. Elle est indissociable du droit à la contraception consacré quelques années auparavant par la loi n° 67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances.

a.   La loi Neuwirth du 28 décembre 1967

La loi du 28 décembre 1967, dite « loi Neuwirth » du nom de l’auteur et rapporteur à l’Assemblée nationale de la proposition de loi dont elle est issue, a légalisé les méthodes de contraception hormonale ([1]) en abrogeant les dispositions réprimant la fabrication et la vente de produits anticonceptionnels ([2]) . Cette loi abrogeait également le délit de provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle, introduit par une loi du 31 juillet 1920 pour relancer la natalité au sortir de la guerre.

Elle maintient toutefois l’exigence du consentement d’un parent ou d’un représentant légal pour autoriser la vente ou la fourniture des contraceptifs aux mineurs de dix-huit ans.

À cette époque, la contraception est considérée comme une mesure préventive pour éviter l’avortement qui ne sera légalisé que dans un second temps. Dans son discours à la tribune de l’Assemblée nationale, Lucien Neuwirth déclarait : « Il ne faut pas confondre ni même juxtaposer contraception et avortement. Je me permettrai une image peut-être un peu osée: l’une empêche le train de partir, je dirai même interdit au convoi de se constituer; l’autre le fait dérailler ».

La loi Neuwirth est entrée pleinement en vigueur en 1972 après l’édiction de diverses mesures d’application, notamment un décret du 8 août 1972 autorisant le recours aux dispositifs intra utérins comme le stérilet.

b.   La loi Veil du 17 janvier 1975

Quelques années plus tard, à la suite de plusieurs procès retentissants comme celui de Bobigny en 1972 au cours duquel l’avocate Gisèle Halimi parvient à obtenir la relaxe d’une femme ayant avorté clandestinement, la loi Veil est promulguée le 17 janvier 1975.

Cette loi prévoyait, pour une durée de cinq ans, la suspension de l’application de l’article 317 du code pénal qui sanctionnait les femmes et les soignants réalisant des IVG clandestinement.

Outre cette dépénalisation temporaire – pérennisée en 1979 ([3]) –, la loi de 1975 donnait un cadre juridique à la réalisation des IVG de façon à sécuriser une pratique alors très risquée pour les femmes concernées. Elle instaurait une procédure très précise visant à s’assurer du consentement de la femme (information par le médecin, délai de réflexion, consentement des parents pour les mineures) et du médecin réalisant l’acte qui peut faire valoir sa clause de conscience. Elle fixait également des critères stricts d’éligibilité, en particulier le délai maximal de dix semaines de grossesse, en dehors desquels la pratique des IVG était illégale et donc pénalement répréhensible.

Enfin, la loi Veil consacrait la possibilité de recourir à l’IVG pour motif thérapeutique à tout moment en cas de péril grave pour la santé de la femme ou de forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable ([4]).

2.   Une dérogation progressivement devenue droit fondamental

Incarnation juridique du droit des femmes à disposer de leur corps, les droits à l’IVG et à la contraception n’ont eu de cesse d’être défendus par de nombreuses associations. En effet, si la dépénalisation autorisait le recours à la contraception et à l’IVG, de nombreuses évolutions étaient encore nécessaires pour rendre ces droits pleinement effectifs. Le législateur s’est donc attaché à lever progressivement les freins qui pouvaient empêcher les femmes de bénéficier de ces droits.

a.   Les progrès législatifs du droit à l’avortement

Financièrement, la loi du 17 janvier 1975 prévoyait une prise en charge partielle par la sécurité sociale des frais de soins et d’hospitalisation afférents à une interruption volontaire de grossesse. Le niveau de cette prise en charge a augmenté et, depuis 2013, les différents actes relatifs aux IVG (consultation et analyse préalable, réalisation de l’IVG, suivi de contrôle) sont remboursés à 100 % par l’assurance maladie ([5]).

Pour lutter contre les entraves à l’IVG, le code de la santé publique reconnaît, depuis la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, un délit spécifique sanctionnant « le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse […], notamment par la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur » ([6]). En 2017, ce délit a été étendu aux discours hostiles en ligne ([7]) afin de lutter contre les sites et plateformes téléphoniques prétendant venir en aide aux personnes souhaitant recourir à l’avortement alors qu’elles visent à les en dissuader. Dans le même temps le délit de publicité en faveur de l’IVG a été supprimé ([8]).

Les critères et conditions pour accéder à l’IVG ont également été progressivement assouplis. Le délai dans lequel elle peut être réalisée a été porté à douze semaines en 2001 ([9]) puis à quatorze semaines en 2022 ([10]). Les obligations de recueillir le consentement des parents pour les mineurs ([11]), d’être dans une « situation de détresse » ([12]) et de respecter un délai de réflexion ([13]) ont été une à une supprimées.

Enfin, si une sanction pénale persiste pour les professionnels de santé qui pratiquent l’IVG en dehors du cadre légal, la femme concernée ne peut plus être condamnée à ce titre, la loi prévoyant depuis 2001 qu’ « en aucun cas, la femme ne peut être considérée comme complice » de la réalisation illégale d’une IVG ([14]).

b.   L’élargissement progressif de l’accès à la contraception

À la suite de la loi Neuwirth, la loi du 4 décembre 1974 a habilité les centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) à délivrer aux mineures des contraceptifs sur prescription médicale à titre gratuit et anonyme ([15]). Puis la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a autorisé les sages-femmes à délivrer les ordonnances contraceptives.

Des garanties supplémentaires ont été accordées aux mineures. La loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception a supprimé la nécessité de recueillir le consentement des titulaires de l’autorité parentale pour la prescription médicale de la pilule aux mineures. Depuis 2013, la délivrance de ces médicaments est protégée par le secret et prise en charge à 100% ([16]). Les mineures bénéficient d’une dispense d’avance des frais sur la part des dépenses prise en charge par l’assurance maladie ([17]) et de l’exonération de toute participation financière liée à la contraception ([18]). Enfin, depuis 2022, les médicaments contraceptifs sont intégralement pris en charge jusqu’à l’âge de 25 ans ([19]).

La contraception d’urgence obéit à un régime spécifique. Elle n’est pas soumise à l’obligation de prescription mais sa délivrance est longtemps restée le monopole des pharmaciens. Les infirmiers ont été autorisés par la loi n° 2000-1209 du 13 décembre 2000 à délivrer gratuitement aux mineures la pilule du lendemain. Cette faculté a été reconnue par la loi du 4 juillet 2001 aux infirmiers scolaires, dans les situations d’urgence et de détresse caractérisées et lorsqu’un médecin, une sage-femme ou un centre de planification et d’éducation familiale n’est pas immédiatement accessible. Comme pour l’IVG, le critère de la situation de détresse a été supprimé en 2016 ([20]).

Enfin, la stérilisation répond à un encadrement plus strict, la loi du 4 juillet 2001 prévoyant l’interdiction de la ligature des trompes ou des canaux déférents à visée contraceptive sur un mineur ou un majeur sous tutelle ou curatelle ([21]).

Malgré ce cadre juridique protecteur, les droits à l’IVG et à la contraception connaissent deux fragilités : leur protection constitutionnelle est limitée n’empêchant théoriquement pas un retour en arrière en cas d’alternance politique et leur effectivité est encore limitée en pratique.

B.   Juridiquement, Une protection constitutionnelle incertaine

Le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’ensemble des avancées législatives en faveur d’un meilleur accès à l’IVG. Il a opéré son contrôle au regard de « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ([22]).

À l’occasion des diverses décisions relatives à des dispositions législatives concernant l’IVG, le Conseil n’a jamais défini les limites de cet équilibre, ni dans le sens d’une libéralisation excessive de ce droit, ni dans le sens d’une trop grande restriction.

À ce jour, le Conseil s’est montré plutôt protecteur de ce droit, par exemple en admettant la suppression de la situation de détresse comme critère d’accès à l’IVG alors même qu’il en avait fait un des critères de conformité à la Constitution en 1975 ([23]).

Cependant, il n’a jamais accordé ni au droit à l’IVG, ni au droit à la contraception, le rang de principe fondamental notamment parce qu’ils ne répondent pas pleinement aux critères des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR) ([24]) malgré leur application ininterrompue depuis 1975.

Il rappelle également depuis sa décision du 15 janvier 1975 qu’il accorde au législateur un large pouvoir d’appréciation sur les questions de société considérant que « l'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement » ([25]).

Telle est l’utilité de consacrer ces droits dans la Constitution : cela sécuriserait la portée de ces droits, aujourd’hui incertaine, et ils deviendraient invocables devant le juge constitutionnel à l’appui d’une saisine a priori ou d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ce serait désormais au regard de ces droits que le Conseil constitutionnel apprécierait la conformité à la Constitution des lois touchant à l’IVG ou à la contraception, et non au moyen de l’interprétation et de la conciliation de principes préexistants.

C.   Sur le terrain, un accès encore difficile à l’IVG et à la contraception

1.   Des obstacles nombreux à l’accès à l’IVG

De l’avis des associations qui se battent au quotidien pour les femmes faisant le choix d’avorter, l’effectivité de l’accès à ce droit est encore limité. Si le cadre législatif en vigueur est aujourd’hui protecteur, les femmes rencontrent encore de nombreux obstacles pour trouver un centre médical acceptant de réaliser des IVG près de chez elles. Beaucoup d’entre elles doivent se déplacer loin de leur domicile ce qui présente un coût considérable, en particulier pour des femmes en situation de précarité ou mineures. Certaines associations prennent en charge ces dépenses en payant des nuitées d’hôtel ou en remboursant les frais de transport.

Par ailleurs, les associations s’inquiètent que les professionnels de santé, y compris dans les hôpitaux publics, fassent valoir de plus en plus souvent leur clause de conscience. Pour mémoire, cette clause, qui existe pour tous les autres actes médicaux, est explicitement prévue au niveau législatif pour l’IVG, notamment dans le but d’obliger le soignant qui la fait valoir à réorienter la personne ([26]). Faute de pouvoir identifier facilement les professionnels ou les structures pratiquant les IVG, il n’est pas rare qu’une femme doive réaliser plusieurs consultations – et les payer – avant de trouver un médecin acceptant de les réaliser. De plus, ces actes sont faiblement rémunérés, conduisant de nombreux médecins libéraux et structures de santé privée à ne pas les proposer.

Enfin, les entraves à l’IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses. Des associations « anti-choix » mettent en place des plateformes téléphoniques qui, sous couvert de bienveillance, incitent les femmes à poursuivre leur grossesse. Ces sites sont bien référencés sur les moteurs de recherche et utilisent un vocabulaire professionnel, voire féministe – certains se revendiquant même de l’héritage de Simone Veil – pour tromper les femmes qui sont peu ou mal informées.

2.   La persistance de frein dans l’accès à la contraception

L’accès à la contraception semble poser moins de difficultés et a été récemment amélioré par un remboursement accru des contraceptifs et un élargissement des possibilités de délivrance dans les établissements scolaires ou les CPEF (voir supra). L’accès à ce droit est primordial : la gratuité de la contraception pour les jeunes filles de 15 à 18 ans a participé à une diminution du taux de recours à l’IVG de 9,5 à 6 pour 1 000 entre 2012 et 2018 ([27]). Pourtant, de nombreuses femmes, notamment mineures, continuent de ne pas y avoir accès.

Une étude de la Haute Autorité de santé publiée en 2013 ([28]) soulignait de grandes inégalités territoriales dans l’accès aux CPEF s’expliquant notamment par l’engagement variable de chaque département dans leur financement. Les jeunes femmes, en particulier dans les « déserts médicaux », n’ont pas toujours accès à un gynécologue et ne souhaitent pas se confier sur leur vie sexuelle auprès du médecin de famille. Le Planning familial a également signalé à votre Rapporteure des difficultés pour trouver des gynécologues acceptant de poser un stérilet et dénonce les remarques dégradantes entendues par les femmes ayant recours à la contraception d’urgence.

Des personnes en grande précarité sociale continuent de se voir exclues de l’accès à la contraception par manque de moyens ou d’information. Comme en matière d’IVG, l’entrave à la contraception prend des formes plus subtiles, par exemple des campagnes de désinformation sur les dangers pour la santé résultant de la prise de la pilule ou de la pose d’un stérilet.

Des efforts supplémentaires doivent être engagés pour former et informer les jeunes et les professionnels de santé sur le cadre juridique et sanitaire en vigueur. Il existe de moins en moins d’infirmiers et de médecins scolaires et peu de sages-femmes et de médecins généralistes se forment dans ce domaine qui ne relève pas seulement de la compétence des gynécologues. L’accès à l’éducation sexuelle à l’école reste insuffisant, seulement 15 % des jeunes en bénéficiant au cours de leur scolarité selon un récent rapport du ministère de l’Éducation nationale ([29]). Le Planning familial, lors de son audition, a indiqué devoir refuser d’intervenir dans plus de 3 000 établissements scolaires chaque année faute de moyens suffisants.

II.   des droits menacés en France et à travers le monde

Les menaces pesant sur les droits des femmes portent principalement sur la question du droit à l’IVG. Celle-ci est néanmoins indissociable de la question du droit à la contraception qui l’a précédé et qui pourrait également être remis en question à long terme, au regard des expériences étrangères.

A.   En France, des réticences persistantes

Depuis de nombreuses années, à l’occasion de chacun des débats constitutionnels qui ont eu lieu depuis 2008, les groupes parlementaires de gauche ont demandé l’inscription des droits à l’IVG et à la contraception dans la Constitution.

De nombreuses options ont été proposées :

– dans le préambule ([30]) de la Constitution de 1958 pour en faire une véritable déclaration des droits du XXIe siècle en complément des préambules de 1789 et 1946 ;

à l’article 1er ([31]) qui reconnaît différents principes inhérents à la République, notamment l’exigence que la loi « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » ;

– à l’article 34 ([32]), qui définit le domaine de la loi, pour encadrer la compétence du législateur dans le champ précis des droits reproductifs ;

– à l’article 66-2, comme le fait le présent texte, pour inscrire ce principe au rang des libertés fondamentales individuelles, au même titre que l’interdiction de la peine de mort ([33]).

Chaque fois, il a été répondu par la majorité du moment que ce n’était ni le moment ni le lieu de consacrer ce droit. Il a fallu attendre le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême américaine pour que soit déposée une proposition de loi constitutionnelle en ce sens pour essayer de s’attribuer le bénéfice politique de cet évènement tragique.

Ce débat avait notamment eu lieu en 2018, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace – avant que ceux-ci ne soient interrompus par l’affaire dite « Benalla ». La rapporteure avait répondu à un amendement de M. Bastien Lachaud proposant l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution : « Le droit à la contraception et le droit à l’IVG sont évidemment des droits fondamentaux qu’il nous incombe de protéger. Je ne crois pas que la France puisse être suspectée de les remettre en cause ; au contraire, nos politiques publiques œuvrent au quotidien pour leur préservation. Je ne crois donc pas utile de les inscrire dans la Constitution. Je vous renvoie au Comité Veil qui a aussi pointé, en 2008, le danger qu’il y aurait de constitutionnaliser, je cite, "des principes qui peuvent apparaître aujourd’hui comme intangibles mais qui pourraient fort bien se révéler ne plus l’être demain". Les sujets de bioéthique ne gagneraient pas à être inscrits ainsi dans la Constitution, au risque d’interdire tout débat et toute évolution en la matière. Avis défavorable. » ([34])

Effectivement, le comité de réflexion présidé par Simone Veil recommandait en 2008 de ne pas faire de la Constitution le réceptacle de règles trop précises ou de principes qui ne seraient pas stabilisés, notamment dans le domaine de la bioéthique ([35]). Mais pour votre Rapporteure, l’IVG obéit bien à la définition d’un principe intangible qui doit le rester, au même titre que l’interdiction de la peine de mort.

Contrairement à ce qu’affirment certains opposants à la constitutionnalisation des droits à l’IVG et à la contraception, il n’y a pas d’obstacle à inscrire au plus haut niveau normatif des droits fondamentaux nouveaux. La Constitution, par référence aux préambules de 1789 et de 1946 ainsi qu’à ses articles 1er et 66-1, reconnait déjà une série de droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel lui-même a élevé de manière prétorienne des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République avant 1946 au rang de principes constitutionnels ([36]). Inscrire dans la Constitution des droits garantis en France depuis près de cinquante ans ne rompt donc pas avec la tradition juridique française.

Si ces réticences semblent enfin avoir été levées au sein de la majorité présidentielle, le Sénat continue d’estimer la constitutionnalisation comme inutile car ces droits ne seraient pas menacés ([37]). Or, différents mouvements comme ceux organisant chaque année une « Marche pour la vie », sont d’influents représentants des intérêts anti-IVG. Par ailleurs, les récents débats sur l’allongement des délais de douze à quatorze semaines ont démontré la présence au sein du Parlement de fervents opposants à l’avortement. Pour mémoire, 484 amendements avaient été déposés sur le texte à des fins d’obstruction, obligeant, dans un premier temps, le groupe Socialistes et apparentés à retirer ce texte de l’ordre du jour, avant que celui-ci ne puisse être adopté sur l’ordre du jour réservé à l’Assemblée nationale – avec un avis de sagesse du Gouvernement.

Votre Rapporteure partage en revanche l’inquiétude des associations et du Sénat sur les risques que comporterait le recours à un référendum sur la question de la constitutionnalisation de l’IVG, seule voie d’adoption d’une révision constitutionnelle d’initiative parlementaire. Cette crainte est d’ailleurs la preuve des risques qui pèsent encore sur ce droit en France et signale la nécessité pour le Gouvernement de déposer un projet de loi sur ce sujet rapidement. Attendre une remise en cause, par voie législative, des droits à l’avortement ou à la contraception serait une erreur car il serait alors trop tard.

B.   Dans certains pays, des régressions inquiétantes

Sous l’influence des mouvements conservateurs, plusieurs pays occidentaux ont connu un recul de la protection du droit à l’avortement et parfois même du droit à la contraception. Cette menace ne doit pas être sous-estimée, tant au regard des pays qu’elle concerne que de la vitesse à laquelle ces changements peuvent intervenir – en comparaison avec la lenteur des progrès des droits des femmes.

En Europe, la Pologne est la principale concernée puisqu’elle avait, dès la sortie du communisme, restreint en 1993 l’accès à l’IVG aux femmes victimes de viol, en cas de péril pour la vie de la femme et en cas de malformation du fœtus. Il s’agissait déjà d’un retour en arrière considérable par rapport à l’époque communiste et le nombre d’avortements légaux en Pologne est passé d’environ 130 000 dans les années 1980 à moins de 2 000 dans les années 2010 ([38]) au prix d’une explosion du nombre d’avortements clandestins. La situation s’est encore aggravée après la décision du tribunal constitutionnel de déclarer inconstitutionnelle le droit de réaliser une IVG en cas de malformation du fœtus, faisant tomber ainsi en dessous de la centaine le nombre d’IVG légaux pratiqués dans ce pays. La contraception est également visée puisque depuis le 24 mai 2017, la pilule du lendemain n’est plus disponible sans ordonnance.

D’autres pays européens pourraient être rapidement concernés. La Hongrie, sans parvenir à revenir sur les lois autorisant l’IVG, a réussi par des modifications règlementaires à entraver l’exercice de ce droit, par exemple en fixant de nouvelles contraintes procédurales comme l’obligation d’être confronté aux fonctions vitales du fœtus.

C’est également le cas de l’Italie, pays dans lequel l’accès à l’IVG est déjà très difficile en raison du recours massif des médecins à la clause de conscience, qui vient de désigner une première ministre qui a affirmé son opposition au droit à l’IVG.

L’exemple le plus récent concerne les États-Unis. L’arrêt de la Cour suprême américaine Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization du 24 juin 2022 a renversé la jurisprudence Roe v. Wade du 22 janvier 1973 qui considérait l’IVG comme un droit garanti au niveau fédéral. Sous l’influence des requérants « pro-life », la Cour suprême a utilisé un artifice juridique pour considérer que les droits mentionnés dans la Constitution ne garantissaient pas, selon une interprétation « originaliste », le droit à l’IVG. Elle a ainsi renvoyé aux états fédérés le soin d’apprécier la légalité de l’IVG ([39]). Désormais sept états ([40]) l’interdisent totalement obligeant leurs résidentes à se rendre dans d’autres états ou à l’étranger.

Cette instrumentalisation du droit est devenue une stratégie des mouvements « anti-choix » pour faire avancer leurs idées. Ces mouvements, organisés au niveau international et présents en France, s’appuient sur d’importantes ressources financières. Parfois sous couvert d’associations bienfaitrices ou de soutien à la recherche médicale, ils organisent des formations à l’intention des militants anti-IVG et financent des évènements de grande ampleur.

Votre Rapporteure souhaite que les pouvoirs publics soient plus vigilants à l’égard de ces structures et insiste sur le risque d’une régression en cas d’arrivée au pouvoir de partis politiques en lien avec cette mouvance.

C.   Ailleurs, des progrès lents que la France doit soutenir

Ce mouvement de régression ne doit pas dissimuler la persistance d’une lutte politique intense des femmes pour leurs droits dans de nombreux pays. Des progrès sont notables, y compris dans des pays de tradition catholique qui y étaient jusque-là réticents.

Les cours constitutionnelles mexicaines, colombienne et équatorienne ont récemment considéré que le régime juridique relatif à l’avortement dans leur pays était inconstitutionnel. Au Mexique, par une décision du 7 septembre 2021, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles les sanctions pénales à l’encontre des femmes ayant avorté dans un délai de douze semaines de grossesse et a limité les possibilités de recours à la clause de conscience. En Colombie, une décision du 21 février 2022 a autorisé les femmes à réaliser une IVG jusqu’à la vingt-quatrième semaine de grossesse. En Équateur, l’un des pays où le droit à l’IVG est le plus limité, la Cour constitutionnelle a imposé au législateur le 28 avril 2021 d’étendre le droit à l’IVG à toutes les femmes victimes de viols et non pas seulement celles souffrant de troubles mentaux. Pour entrer pleinement en vigueur, ces avancées doivent encore être intégrées au droit en vigueur, malgré les résistances des courants politiques les plus conservateurs. Sinon, elles demeurent des protections jurisprudentielles qui restent fragiles car réversibles.

Les inégalités mondiales en matière d’accès à la contraception sont également élevées. Selon une étude de l’Organisation mondiale de la santé, en 2019, sur 1,9 milliard de femmes en âge de procréer (15 à 49 ans) dans le monde, 270 millions n’ont pas accès à la contraception dont elles ont besoin.

Il apparaît donc essentiel que la France prenne ses responsabilités pour faire inscrire le droit à l’IVG et à la contraception dans sa Constitution. Elle serait le premier pays au monde à le faire. Il en va des droits des femmes françaises mais aussi des femmes de nombreux autres pays où ce droit est menacé ou en pleine émergence.

La constitutionnalisation des droits à l’IVG et à la contraception permettrait enfin de rendre visible la question des droits sexuels et reproductifs, qui sont inhérents au fonctionnement de notre société et encore porteurs, aujourd’hui, de nombreuses inégalités, notamment entre les hommes et les femmes. Pour Mme Stéphanie Hennette-Vauchez et Mme Diane Roman, professeure de droit constitutionnel, « la question de l’avortement, et plus généralement des droits reproductifs, [a] toute sa place dans la Constitution, texte fondateur de la citoyenneté : c’est fondamentalement une question d’égalité et de citoyenneté »  ([41]).


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   Commentaire de l’article unique

Article unique
(art. 66-2 [nouveau] de la Constitution)
Protection des droits à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

Adopté par la commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle consacre les droits à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Il confie au législateur le soin d’en garantir l’accès libre et effectif.

Ce dispositif, à cadre législatif constant, empêcherait toute atteinte aux droits à l’IVG et à la contraception de la part du législateur mais aussi de la part d’autres personnes physiques ou morales. Le législateur continuerait d’encadrer les conditions d’exercice de ces droits, sans pouvoir les faire régresser.

       Dernières modifications législatives et constitutionnelles intervenues

Le cadre législatif de l’interruption volontaire de grossesse a évolué à plusieurs reprises, en particulier depuis la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001. La dernière modification remonte à la loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 qui a prévu l’extension de douze à quatorze semaines de grossesse du délai dans lequel l’IVG peut être réalisée et la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des IVG instrumentales.

Concernant la contraception, les avancées récentes concernent l’amélioration de la prise en charge de la contraception par les lois de financement de la sécurité sociale pour 2020 et 2022.

En revanche, aucune évolution sur ces questions n’a eu lieu au niveau constitutionnel, la dernière révision remontant désormais à 2008. Deux des dernières révisions constitutionnelles ont néanmoins permis la reconnaissance de nouveaux droits fondamentaux dans la Constitution de 1958 : l’interdiction de la peine de mort à l’article 66-1 à l’occasion de la révision du 23 février 2007 et l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques et professionnelles lors de la révision du 23 juillet 2008.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission n’a pas apporté de modification.

1.   État du droit

a.   Des droits garantis au niveau législatif mais non reconnus comme des principes de niveau constitutionnel

Les droits à l’IVG et à la contraception sont garantis au niveau législatif dans le code de la santé publique et, en ce qui concerne leur prise en charge financière, par le code de la sécurité sociale (voir supra).

En revanche, il n’est fait mention dans la Constitution ni des droits à l’IVG et à la contraception, ni de droits approchants relatifs au droit des femmes de disposer de leur corps ou à d’autres droits sexuels et reproductifs.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel ne dégage pas davantage un tel principe. Le juge constitutionnel a en effet estimé que l’IVG est conforme à la Constitution tant que les règles qui l’encadrent au niveau législatif ne rompent pas « l’équilibre que le respect de la Constitution impose entre, d’une part, la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Il n’a jamais fixé les limites de cet équilibre et rappelle qu’il ne dispose pas en la matière « d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ».

Il n’est donc pas certain que le Conseil puisse justifier, au regard de la rédaction actuelle de la Constitution, la censure d’un dispositif portant atteinte aux droit à l’IVG ou à la contraception.

b.   Les modalités de révision de la Constitution à l’initiative du Parlement

La procédure de révision de la Constitution, dont les modalités sont précisées par son article 89, est complexe et exigeante. Elle ne fixe que deux limites sur le fond : celle-ci ne peut porter « atteinte à l’intégrité du territoire », ni remettre en cause « la forme républicaine du Gouvernement ».

Lorsque la révision est d’initiative parlementaire, la proposition de loi constitutionnelle doit être votée par les deux assemblées dans des termes identiques. Elle doit ensuite être soumise au référendum par le Président de la République pour être approuvée définitivement. Contrairement aux projets de loi constitutionnelle, les propositions de loi constitutionnelle ne peuvent pas être approuvées par le Parlement réuni en Congrès.

Sous la Vème République, aucune révision constitutionnelle d’initiative parlementaire n’a abouti et seulement deux révisions ont été approuvées par référendum : en 1962 pour l’élection du président de la République au suffrage universel direct – par l’utilisation de la procédure prévue à l’article 11 de la Constitution – et en 2000 pour la réduction de la durée du mandat présidentiel à cinq ans.

Ainsi, la présente proposition de loi constitutionnelle assurerait une protection plus forte des droits à l’IVG et à la contraception dès lors que toute tentative de revenir sur ces droits exigerait une révision de la Constitution, beaucoup plus contraignante qu’une modification de la loi.

Compte tenu du large consensus qui se dégage sur ce texte au sein de l’Assemblée nationale, votre Rapporteure insiste sur la nécessité, que le Gouvernement dépose un projet de loi constitutionnelle uniquement consacré à ce sujet pour permettre une adoption rapide et transpartisane de ce nouveau principe.

Cela permettrait d’éviter le recours au référendum, non par crainte d’une réponse négative du peuple français, largement acquis à l’idée de protéger le droit à l’avortement ([42]), mais parce que cela risque d’ouvrir un débat sur l’existence même de ces droits dans un contexte politique incertain, de donner une publicité excessive aux arguments des « anti-choix » et de porter in fine atteinte à l’exercice de ces droits.

2.   Le choix de la rédaction du dispositif

a.   La position de l’article dans la Constitution

Le choix d’inscrire les droits à l’IVG et à la contraception dans la Constitution pose la question de l’article à modifier ou à créer. Il n’existe pas de hiérarchie entre les normes constitutionnelles, à l’exception peut-être de la forme républicaine du Gouvernement et de l’intégrité du territoire qui ne peuvent faire l’objet d’une révision. Lorsque deux principes viennent à se contredire, le Conseil constitutionnel cherche à les concilier.

Votre Rapporteure a écarté la modification des préambules de 1789 et 1946 qui sont des textes historiques. Elle a également choisi de ne pas modifier le préambule de 1958 qui ne fait pas office, contrairement à ses prédécesseurs, de déclaration des droits, ce que l’on peut par ailleurs regretter car les droits qui ont émergé depuis 1946 trouvent difficilement leur place au sommet de la hiérarchie des normes. Il ne lui a pas non semblé opportun de modifier l’article 1er, bien que celui-ci rassemble plusieurs principes politiques fondamentaux (liberté de croyance, indivisibilité de la République, laïcité, égalité entre les hommes et les femmes…), car le droit à l’IVG ne se rattache pas directement aux principes républicains mais plutôt aux droits inaliénables des femmes. La modification de l’article 34 n’apparaît pas davantage pertinente dès lors que cet article établit le domaine de compétence du législateur mais n’a pas vocation à orienter ou limiter la portée des lois adoptées.

 

L’option retenue de créer un article 66-2 dans le titre VIII consacré à l’autorité judiciaire est guidée par deux motivations :

– l’importance de consacrer ce droit dans un article autonome car il se distingue des autres droits et libertés consacrés par la Constitution, au même titre que l’interdiction de la peine de mort ;

– le rattachement à la notion de liberté individuelle, garantie par l’autorité judiciaire ([43]) et consacrée au titre VIII de la Constitution comme un « Habeas corpus à la française » ([44]).

b.   Une formulation choisie pour éviter une régression des droits à l’IVG et à la contraception

Une attention particulière doit être portée au choix de la formulation du dispositif afin que celle-ci empêche la régression des droits à l’IVG et à la contraception et préserve le rôle du législateur pour en fixer les conditions d’exercice.

 À sa première phrase, l’article 66-2 créé prévoit que « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception ». Cette affirmation vise d’abord à empêcher une repénalisation de l’IVG et de la contraception mais aussi à éviter toute régression de ces droits. Celles-ci peuvent prendre de nombreuses formes si l’on regarde les réformes engagées par d’autres pays : réduction des délais, déremboursement des actes relatifs à l’IVG ou des dispositifs contraceptifs, création de clauses supplémentaires pour entraver l’IVG (délai de réflexion, consentement des parents, existence d’un viol ou d’un inceste, d’une malformation fœtale, d’une situation de détresse, d’un danger pour la santé de la femme, suppression de la contraception d’urgence sans ordonnance, etc.). Cette phrase consacre également le délit d’entrave et, de manière générale, renforce l’obligation pour les pouvoirs publics d’assurer l’effectivité de ces droits.

 À sa seconde phrase, il est prévu que « La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ». Cette disposition a deux conséquences juridiques : d’une part, elle renvoie au législateur le soin de fixer les conditions dans lesquelles s’exercent les droits à l’IVG et à la contraception et encadre cette compétence pour qu’il n’intervienne qu’afin d’en renforcer l’effectivité ; d’autre part, elle crée un droit-créance au bénéfice de la personne enceinte qui impose aux pouvoirs publics une obligation de résultat.

3.   Les modifications apportées par la commission des Lois

La Commission a adopté l’article unique sans modification.


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   compte rendu des débats

Lors de sa première réunion du mercredi 16 novembre 2022, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 293) (Mme Mathilde Panot, rapporteure).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6CyRZV

Mme Mathilde Panot, rapporteure. « Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Votre vie durant, vous devrez rester vigilantes. » Des décennies plus tard, une décision de la Cour suprême des États-Unis a donné raison à ces mots de Simone de Beauvoir. Ils ont une résonance particulière alors qu’une dizaine d’États fédérés interdisent désormais aux femmes d’avorter.

La menace envers les droits des femmes n’est pas une spécificité américaine. Depuis une décision de son tribunal constitutionnel en 2020, la Pologne interdit l’avortement en cas de malformation du fœtus, et la vente de la pilule du lendemain sans ordonnance a également été interdite dans ce pays. En Hongrie, les femmes doivent écouter le cœur du fœtus avant de procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). Par ailleurs, l’avortement est toujours interdit en Andorre ou à Malte. Au Portugal, les femmes mineures doivent à nouveau demander l’autorisation de leurs parents pour avorter. En Italie, enfin, l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite dissipe les doutes – s’il en restait – sur les intentions de ce camp en matière de droits des femmes.

Les femmes sont les premières victimes des assauts réactionnaires, et la France n’est pas exempte du danger qui pèse sur leurs droits. Les associations féministes ont montré comment des mouvances très bien financées s’organisent depuis des années pour mettre en échec les lois de progrès humain. C’est donc la vigilance qui a présidé au dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle.

Le socle juridique sur lequel reposent le droit à l’avortement et le droit à la contraception est fragile. Ces droits ne sont pas placés au rang de principes constitutionnels, si bien qu’il est difficile d’exclure que des lois visant à dérembourser l’IVG, à réduire les délais de recours ou encore à restreindre l’accès à la contraception puissent voir le jour. Nous devons légiférer pour le temps long, a fortiori quand nous touchons à la Constitution. Il faut parer aux risques que l’histoire humaine, dans son imprévisibilité, pourrait faire courir à nos enfants ou à nos petits-enfants.

Introduire le droit à la contraception et le droit à l’avortement dans la Constitution sécuriserait la portée de ces droits, aujourd’hui incertaine. Le Conseil constitutionnel apprécierait en effet la conformité à la Constitution des lois touchant à l’IVG ou à la contraception à la lumière de ces droits, et non au moyen d’une interprétation et d’une conciliation de principes préexistants. La France s’honorerait d’introduire ces droits dans sa Constitution et s’illustrerait en jouant en la matière un rôle de pionnier, au terme d’une longue histoire de privation des femmes du droit à disposer de leur corps.

De la loi de 1920, qui interdisait « toute propagande anticonceptionnelle », et de la loi de 1942, qui considérait l’avortement comme un crime d’État, puni par la peine de mort, à la loi Veil de 1975, qui a mis fin à des décennies de tabou et d’hypocrisie, de répression, de départs à l’étranger, de curetages à vif, d’humiliations et de morts, le droit à l’avortement a été conquis de haute lutte. Je me réjouis qu’il existe un large consensus dans cette Assemblée, représentatif de celui qui existe dans notre pays, pour renforcer le droit à l’avortement.

Cependant, je m’étonne sincèrement qu’on considère le droit à la contraception comme un détail à renvoyer au législateur, qui ne mériterait pas d’être introduit dans la Constitution, et donc protégé, au même titre que le droit à l’avortement, alors qu’il est son corollaire. Introduire le droit à l’avortement et à la contraception dans la Constitution revient en réalité à consacrer le droit de ne pas commencer ou poursuivre une grossesse. C’est la maîtrise complète de leur fertilité qui permet aux femmes d’accéder à leurs autres droits. Par ailleurs, la contraception concerne aussi les hommes.

Si l’avortement fait partie de la vie des femmes, la contraception s’inscrit encore davantage dans leur quotidien. Près de 70 % des femmes âgées de 15 à 49 ans ont recours à une contraception orale, à un dispositif intra-utérin ou à un implant. Loin d’être un détail, la contraception rythme et structure la vie des femmes : ce sont elles qui, dans une large majorité, en subissent la charge mentale – l’alarme qui retentit chaque jour pour la prise d’une pilule, les rendez-vous successifs chez le gynécologue pour examiner un stérilet ou un implant, ou encore le calcul des jours et des heures après un rapport sexuel pour aller chercher la pilule du lendemain.

L’inscription de ces droits dans la Constitution fait l’objet d’un consensus solide dans notre pays : 87 % des Français sont favorables à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, et le taux d’opinions favorables est de 92 % pour l’inscription du droit à la contraception dans la Constitution.

Si les droits des femmes étaient attaqués, ils le seraient probablement de manière pernicieuse, avec le droit à la contraception dans la ligne de mire. S’il faut se prémunir contre le risque d’une atteinte aux droits sexuels et reproductifs, je ne vois pas de raison d’exclure le risque qui pourrait peser sur le droit à la contraception. Nous ne souhaitons laisser à personne les mains libres pour s’y attaquer.

Certains craignent que cette proposition de loi constitutionnelle fasse de l’interruption volontaire de grossesse un droit absolu, qui empêcherait son encadrement par la loi. Notre rédaction permet surtout d’empêcher toute régression. Rien n’empêchera d’améliorer l’existant, en supprimant, par exemple, la clause de conscience spécifique à l’IVG.

D’autres diront, pour justifier le rejet de ce texte, qu’il s’agit d’un débat importé des États-Unis et que la menace sur ces droits est inexistante en France. Si tel était le cas, vous n’auriez rien à perdre en votant notre proposition, ou alors assumez une opposition réelle aux droits des femmes à disposer de leur corps. S’opposer à un texte qui ne fait que renforcer l’existant en dit long sur vos intentions : ne pas avoir les mains liées, en vue de porter atteinte à ce droit le moment venu.

D’autres encore disent que l’enjeu est plutôt celui de l’accès aux droits. Croyez bien que l’ensemble de la NUPES sera toujours au rendez-vous pour renforcer l’accès aux droits sexuels et reproductifs sur notre territoire. Nous avons d’ailleurs des propositions à vous soumettre, comme l’augmentation des moyens du Planning familial et une campagne nationale de prévention et d’information en matière de contraception. Des professionnels de santé nous ont fait savoir que l’acte de l’IVG était peu valorisé. Si l’introduction d’un droit dans la Constitution peut conférer davantage de dignité à cette pratique et aux professionnels de santé concernés, nous aurons amorcé un changement des mentalités.

Enfin, on entend dire que l’introduction de ces droits dénaturerait la Constitution. Nous ne sommes pas naïfs à l’égard de l’hostilité qui se manifeste lorsqu’il s’agit de faire accéder les droits des femmes à une certaine majesté. Leurs droits sexuels et reproductifs devraient être renvoyés aux confins de la sphère publique et politique, relégués à la sphère intime des femmes, de leur corps, donc au domaine privé, alors qu’ils relèvent, en réalité, de la citoyenneté et de l’égalité.

Notre histoire humaine est marquée par la domination des hommes sur les femmes, non par nature, mais par sédimentation de constructions sociales. Il se pourrait que notre Constitution en soit un reliquat. Elle est notre texte suprême, qui fonde notre communauté politique. Les droits sexuels et reproductifs en sont, littéralement, la condition de possibilité et de reproduction, mais ils sont l’angle mort du texte qui régit l’ensemble de nos lois.

Pour finir, je regrette que vous soyez peu disposés à accepter une certaine pluralité sur le plan rédactionnel. Il semblerait, en effet, que vos amendements aient pour objet d’arrimer notre rédaction à celle proposée par Mme Bergé. Nous voterons sa proposition de loi constitutionnelle, malgré plusieurs réserves. Tout d’abord, ce texte n’inclut pas le droit à la contraception, qui est le corollaire du droit à l’avortement. Contrairement à la nôtre, la rédaction de notre collègue ne permet pas, à nos yeux, de nous prémunir contre une régression en la matière. En outre, la modification apportée par Mme Bergé, à la suite d’une remarque du Conseil national des barreaux, correspond selon nous à un risque très hypothétique, étant donné que le mot « volontaire » dans IVG implique le consentement de la personne concernée par l’avortement. Par ailleurs, la rédaction proposée par notre collègue ne nous paraît pas atteindre l’objectif visé. Un tiers pourrait toujours intervenir s’il s’agit d’une femme, au sein d’un couple de femmes ou dans le cas d’une mère. La rédaction choisie pourrait également préfigurer des contentieux pour les personnes transgenres, comme l’ont soulevé plusieurs membres de cette commission. La formulation initiale était plus inclusive et, ainsi que nous l’ont fait remarquer des constitutionnalistes, l’intégralité de la Constitution est écrite au masculin.

Nous sommes toutefois ouverts à des rédactions alternatives, d’autant que notre objectif est d’envoyer le signal suivant : nous sommes prêts à voter un projet de loi constitutionnelle inscrivant le droit à l’avortement et à la contraception dans la Constitution. Vous me répondrez que cette demande est étonnante à l’heure où il s’agit de renforcer le pouvoir du Parlement. Cependant, il ne faut pas se tromper sur le devenir de ces propositions de loi constitutionnelles : si elles devaient être adoptées, ce serait au terme d’un référendum. J’ose croire que chacun voit bien ce que cela implique. Il faut imaginer une campagne où des mouvances anti-choix seraient galvanisées et transformeraient le débat en « pour ou contre l’avortement ». C’est pourquoi nous estimons qu’un référendum sur la question de l’avortement n’est pas souhaitable. Nous assumons donc que ce texte serve, avant tout, à envoyer un signal au Gouvernement en faveur de la présentation d’un projet de loi constitutionnelle à la représentation nationale – autrement, il pèsera toujours sur ces propositions de loi constitutionnelles le soupçon de l’opportunisme politique.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Pour la deuxième fois en huit jours, notre commission examine une proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l’interruption volontaire de grossesse. Ce n’est pas un hasard, tant le contexte national et surtout international atteste l’existence de menaces sérieuses contre le droit à l’IVG.

Aux États-Unis, le revirement total de jurisprudence de la Cour suprême en juin dernier a mis fin à cinquante ans de garantie fédérale du droit à l’avortement, et une douzaine d’États fédérés se sont immédiatement engouffrés dans la voie abolitionniste. En Europe aussi, les coups de boutoir contre l’IVG se succèdent. La Pologne est allée jusqu’à interdire l’avortement en cas de malformation fœtale grave. La Hongrie impose aux femmes d’écouter les battements de cœur du fœtus avant de pratiquer une IVG. En Italie, la nouvelle ministre de la famille du gouvernement Meloni, Eugenia Roccella, s’est publiquement exprimée contre le droit à l’IVG. En France également, une menace sourde prospère. Dans la société civile, la propagande antiavortement continue à se répandre, en particulier sur les réseaux sociaux. Au sein de l’Assemblée nationale siègent des députés du groupe Rassemblement national qui, l’an dernier à Bruxelles, ont voté contre une résolution appelant à garantir l’accès universel à l’avortement et un membre de ce groupe a parlé « génocide de masse » au sujet de l’IVG.

Permettre à notre République d’être la première démocratie à protéger dans sa Constitution le droit à l’IVG est un enjeu non seulement national – protéger les droits des femmes en France contre une potentielle majorité réactionnaire –, mais aussi international, puisque cela placerait notre pays à l’avant-garde du combat en faveur des droits des femmes, alors que la tendance actuelle est à la régression.

Dans ce contexte, la détermination du groupe Renaissance à conférer au droit à l’IVG la garantie la plus forte que puisse offrir notre hiérarchie des normes est totale. C’est pour cette raison qu’à l’initiative d’Aurore Bergé et de Marie-Pierre Rixain, notamment, notre groupe a déposé dès les tout premiers jours de la législature une proposition de loi constitutionnelle. C’est aussi pour cette raison que nous voterons en faveur du texte qui nous est soumis aujourd’hui.

Cette proposition de loi constitutionnelle présente d’importantes similitudes avec celle votée par notre commission la semaine dernière. En effet, elle garantit constitutionnellement le droit à l’IVG et prévoit la création d’un nouvel article 66-2, inscrit dans le titre VIII de la Constitution, relatif à l’autorité judiciaire, gardienne de nos libertés individuelles. Toutefois, la rédaction proposée par Mme Panot est beaucoup plus détaillée, puisqu’elle inclut le droit à la contraception, à l’instar de la proposition de loi constitutionnelle de la sénatrice Mélanie Vogel, rejetée par le Sénat le mois dernier. Il fait peu de doute que le présent texte subirait le même destin funeste s’il devait être soumis à l’examen de la chambre haute du Parlement.

Malgré cette réserve majeure, nous voterons sans hésitation cette proposition de loi constitutionnelle, en vue d’affirmer que le combat pour la défense des droits des femmes nous est commun, à toutes et à tous, en dépit des désaccords profonds que nous avons par ailleurs avec La France insoumise. Parce que nous sommes déterminés à faire aboutir cette constitutionnalisation, quelle que soit l’issue du présent texte, le groupe Renaissance portera jusqu’à son terme la proposition de loi constitutionnelle votée la semaine dernière. Adopté à une très large majorité par notre commission, ce texte est le seul qui ait des chances sérieuses d’aboutir et ainsi d’atteindre notre objectif commun.

Mme Pascale Bordes (RN). Le présent texte est plus large et encore plus sujet à caution que celui examiné la semaine dernière. Il vise à consacrer le droit à l’IVG et le droit à la contraception dans la Constitution afin de les rendre invocables devant le juge constitutionnel.

Comme je l’ai précisé la semaine dernière, ce n’est pas le fait d’inscrire des droits dans la Constitution qui permettra de résoudre la question majeure de l’effectivité de l’accès à l’IVG. Près de cinquante ans après la loi Veil, trop nombreuses sont les femmes qui ne parviennent pas à avoir recours à l’IVG dans de bonnes conditions et se heurtent à un manque de médecins, de sages-femmes et de structures hospitalières pouvant les accueillir. Ainsi, de trop nombreuses femmes sont encore contraintes de subir une IVG dans d’autres pays. L’effectivité de l’accès à l’IVG nécessite une réorganisation de notre système de soins, totalement défaillant en la matière, et l’instauration de mesures destinées, par exemple, à remédier aux déserts médicaux. L’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, aussi symbolique soit-elle, ne permettra absolument pas de régler au quotidien le problème de toutes ces femmes.

Par ailleurs, tout comme celle du texte examiné la semaine dernière, la rédaction même de cette proposition de loi constitutionnelle est problématique. Il n’y a aucun consensus sur la manière de constitutionnaliser le droit à l’IVG puisque les différents textes, soumis tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, ont des rédactions différentes. Ces tâtonnements démontrent l’existence d’une véritable difficulté. Le ministre de la justice n’en disconvient pas, puisqu’il a déclaré au Sénat, le 19 octobre, qu’« une rédaction inadaptée pourrait en effet conduire à consacrer un accès sans condition à l’IVG. Je pense, par exemple, à des IVG bien au-delà de la limite légale en vigueur, ce qui n’est pas souhaitable ». Il expliquait qu’il partageait certaines craintes exprimées par la rapporteure, Agnès Canayer, au sujet de l’écriture de la proposition de loi constitutionnelle, identique à celle du texte que nous examinons.

La formulation proposée, selon laquelle « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits » laisse penser que l’accès à l’IVG serait inconditionnel et absolu, sans possibilité pour le législateur de fixer des bornes. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’au détour d’une question prioritaire de constitutionnalité pourrait alors surgir une demande d’IVG au-delà de la limite du délai légal.

La mention selon laquelle « la loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits » est également hasardeuse. Elle ouvre la porte à une forme de stipulation pour autrui en matière d’IVG. Dès lors, ce texte pourrait se révéler contraire au droit qu’il est censé protéger. Le droit des femmes à disposer de leur corps mérite mieux que ces textes maladroits, rédigés dans la précipitation, qui n’apporteront pas aux femmes une sécurité supplémentaire concernant l’IVG et la contraception, mais pourraient au contraire réduire leurs droits.

Mme Martine Etienne (LFI-NUPES). C’est de la liberté des femmes à disposer de leur corps, objet de nos combats depuis tant d’années, qu’il est question. Je pense à l’accès à la contraception, à l’autonomie, au divorce et à l’IVG ou à la reconnaissance du viol : les femmes ont dû batailler pendant des siècles pour avoir le droit de disposer de leur corps, ou plutôt pour ne pas en être privées. Le corps de la femme, depuis les prémices de la littérature et dans les idéologies les plus conservatrices, n’a souvent été perçu et défini que comme un objet du désir masculin ou comme un objet reproductif servant à perpétuer une lignée ou à engendrer de la force de travail.

Dans le monde patriarcal, la femme est un objet et l’homme est le sujet. Ce n’est pas notre projet. Malgré des années de bataille sociale et les victoires arrachées par celles qui ont eu le courage de lutter pour ce qui est juste, le droit à l’IVG est remis en question dans plusieurs pays. Le patriarcat reprend de plus en plus de terrain sur les libertés des femmes et sur les conquêtes sociales. Nous ne pouvons y rester insensibles. Depuis plusieurs années, nous martelons ainsi la nécessité de constitutionnaliser l’avortement, non pas pour la forme ni par ambition politique, mais pour le protéger durablement.

Le film récemment consacré à Simone Veil retrace le combat que cette femme a dû mener, notamment dans l’institution au sein de laquelle nous nous trouvons, pour permettre aux femmes enceintes de pouvoir avorter et pour élargir leur droit à disposer de leur corps. Alors que la critique et les médias saluent unanimement ce film, le droit à l’IVG est lentement mais largement remis en cause. Des propos absurdes et venus d’un autre temps empoisonnent le débat public, même dans notre pays.

Chers collègues, vous ne pouvez promettre que le droit à l’avortement ne sera jamais aboli. Personne ne le peut. Nous avons cependant la chance de pouvoir agir en gravant ce droit dans le marbre. Nous pouvons le faire perdurer et dire à celles et ceux qui ont œuvré pour le faire adopter que leur travail n’a pas été vain. Nous souhaitons donner aux femmes le droit à la liberté, le droit de choisir la procréation ou la non-procréation. Nous voulons leur laisser le choix. C’est pour cette raison que la question du droit à la contraception est intimement liée à celle du droit à l’avortement.

La garantie de ces droits est essentielle pour quiconque souhaite préserver le droit à disposer de son corps. Or ce droit est remis en cause : en dix ans, 130 centres pratiquant l’IVG ont fermé. Certaines femmes ne peuvent ainsi avorter dans les délais impartis, en raison de la surfréquentation des centres restants et de leur manque cruel de moyens matériels et humains. Par ailleurs, les offensives réactionnaires se multiplient. De plus en plus de courants et de personnes, au sein même de l’Assemblée nationale, n’hésiteraient pas une seule seconde à remettre en cause le droit à l’IVG s’ils accédaient à la présidence de la République. Chaque jour, ils attaquent les femmes, les associations, le Planning familial et son action.

Dans ce contexte, le texte commun que nous défendons vise à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La protection de ces droits fondamentaux se résume en deux phrases à inscrire dans la Constitution pour garantir la liberté de procréer : « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. »

M. Aurélien Pradié (LR). « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. Il suffit d’écouter les femmes ». C’est Simone Veil qui a dit cette phrase, le 26 novembre 1974. Quarante-huit ans plus tard, il faut toujours l’avoir à l’esprit. Les mots prononcés par Simone Veil à l’époque étaient exigeants et nous devons aborder l’ensemble des mesures dont nous allons débattre avec la même exigence.

Ce combat est avant tout celui des femmes, mais il est aussi celui de toute une nation qui croit en des droits fondamentaux et pour laquelle la reconnaissance du droit des femmes à disposer de leur corps est essentielle.

Jusqu’en janvier 1975, l’avortement constituait un délit pénal sanctionné par cinq ans d’emprisonnement. Les médecins pouvaient être condamnés à une interdiction d’exercer, et les femmes concernées étaient contraintes de se rendre à l’étranger ou de recourir à des avortements clandestins. La reconnaissance du droit à l’interruption volontaire de grossesse fut un long chemin. On se souvient des combats publics : celui du manifeste des 343, des revirements judiciaires – l’acquittement de la jeune Marie-Claire – et des débats au Parlement, d’une rare violence, lors desquels Simone Veil, à l’époque soutenue au banc par Jacques Chirac, a défendu avec acharnement son texte, malgré des attaques d’une indignité personnelle absolue. Comme Simone Veil le soulignait si justement en novembre 1974 devant l’Assemblée nationale, l’avortement est un droit immense, autant qu’il est un drame – et cela le restera.

Par sept fois, le législateur a renforcé les dispositions relatives à l’accès au droit à l’IVG, avec la suppression de la notion de détresse, l’allongement des délais d’avortement ou encore le remboursement à 100 % par la sécurité sociale, en 2021, faisant de l’IVG un véritable droit pour la femme, au-delà d’une simple dépénalisation. Chacune de ces conquêtes est absolument majeure, et il n’est pas question de ne pas les défendre pied à pied. Vous nous trouverez toujours aux côtés de ceux qui luttent pour la conservation et le maintien de ces droits.

Faut-il aller vers une constitutionnalisation du droit acquis de l’accès à l’IVG ? Des arguments juridiques, selon lesquels une telle constitutionnalisation est inutile, pourraient être invoqués. Ils ne me semblent pas suffisants pour refuser que nous débattions de ce sujet, et je pense qu’un droit aussi fondamental peut et doit être protégé dans un texte fondamental, c’est-à-dire la Constitution. Il ne faut pas davantage refuser d’utiliser la constitutionnalisation comme un symbole. La Constitution a vocation à garantir des droits, mais aussi à les proclamer. Or ce droit doit être continuellement proclamé haut et fort.

Pour avancer collectivement dans cette voie, nous souhaitons cependant que certaines conditions soient réunies. La première est que nous soyons assurés que la portée constitutionnelle que nous voulons donner à l’accès à l’IVG ne remet pas en cause la conditionnalité à laquelle nous sommes tous attachés. La deuxième condition est de ne céder à aucune caricature, ni d’un côté ni de l’autre. Enfin, nous ne devons pas instrumentaliser ces textes. Je demande ainsi à la rapporteure comme aux députés de la majorité de ne pas faire d’un sujet aussi essentiel un trophée politique.

Ce texte nous donne l’occasion de rappeler ce que notre pays a fait de mieux : la loi Veil est une des grandes lois de la République. Nous souhaitons en inscrire les principes dans la Constitution. À nous de faire en sorte qu’un consensus émerge de nos débats.

M. Erwan Balanant (Dem). Le 24 juin dernier, dans une volte-face historique, la Cour suprême des États-Unis a invalidé l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973, qui reconnaissait le droit à l’avortement dans l’ensemble des États fédérés. Ce sévère retournement de l’histoire prive petit à petit les femmes américaines de l’un de leurs droits fondamentaux, celui de disposer en conscience et librement de leur corps. Les conséquences sont dramatiques : les droits reproductifs de ces femmes seront inférieurs à ceux de leurs mères. Cette décision a créé une véritable onde de choc en France et partout dans le monde, à juste titre. Cela doit nous conduire à nous interroger sur notre capacité à anticiper de tels revers.

L’IVG est autorisée dans la majeure partie de l’Union européenne, mais l’accès à ce droit est parfois entravé. C’est le cas en Pologne, où il est cantonné à des cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, et en Italie, où le recours à l’IVG est désormais stigmatisé. Le droit d’avorter est fragilisé sur notre continent. Nous devons donc repenser les garanties offertes par notre droit. En France, l’accès à l’IVG est garanti par la loi Veil. La jurisprudence constitutionnelle l’a considérée comme conforme à la Constitution et notre bloc de constitutionnalité, en particulier l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, reconnaît la liberté de la femme. La loi du 2 mars 2022, à laquelle notre groupe a manifesté une large adhésion, a renforcé l’accès au droit à l’IVG en allongeant à quatorze semaines de grossesse le délai de recours.

Fort heureusement, aucun parti politique français n’a verbalisé à ce jour son souhait de revenir sur la loi Veil. Cependant, nous ne devons pas nous contenter de cet état de fait au motif que notre Constitution n’aurait pas vocation à cataloguer des droits individuels, au risque d’ouvrir une boîte de Pandore. Quelle difficulté y aurait-il à renforcer, en ces temps troublés, les gages donnés à la préservation de l’autonomie décisionnelle sur les questions reproductives ? Si nous en débattons aujourd’hui, c’est que ce droit ne bénéficie pas de la protection la plus forte qui soit, à savoir une inscription dans notre norme suprême. Une quasi-unanimité se dessine à ce sujet, tant chez nos concitoyens que sur l’échiquier politique. En effet, huit Français sur dix se disent favorables à cette constitutionnalisation, et tant la majorité que l’opposition ont déposé des propositions de loi constitutionnelle en ce sens.

En ces temps de défiance à l’égard des droits des femmes, cette constitutionnalisation serait un signal fort envoyé au reste du monde, aucune Constitution ne reconnaissant aujourd’hui de façon positive le droit à l’IVG. Cependant, la révision de la Constitution ne doit pas se faire à la légère et nécessite un travail collectif de coconstruction. Le groupe Démocrate s’engage sur ce point. Le texte que nous examinons nous semble répondre au principal objectif de la consécration constitutionnelle du droit à l’IVG, mais la rédaction proposée ne nous satisfait pas complètement. À la suite du travail effectué en commission mercredi dernier, nous vous soumettons une écriture différente, plus protectrice selon nous des droits que nous cherchons à protéger. Par cette rédaction, nous poserons un principe intangible dans la Constitution, ensuite précisé par la loi. Ce principe trouve pleinement sa place à l’article 1er de la Constitution, qui énonce de nombreux droits fondamentaux, ciments de notre contrat social. Néanmoins, nous pourrions aussi imaginer faire figurer cette disposition au titre VIII, si cela permettait d’obtenir l’accord du Sénat.

En tout état de cause, le groupe Démocrate considère que le droit à l’IVG a toute sa place dans notre Constitution et votera en conséquence le dispositif retenu.

Mme Marie-Noëlle Battistel (SOC). Cette proposition de loi constitutionnelle de Mme Panot fait suite à celle de Mme Bergé, débattue la semaine dernière, à celle du groupe écologiste du Sénat, examinée le mois dernier, et à celle que j’avais déposée avec Cécile Untermaier. Ces différents textes démontrent l’importance et l’urgence de constitutionnaliser le droit à l’IVG, alors que le 24 juin dernier la Cour suprême américaine a ouvert, par un arrêt, la possibilité de restreindre ou d’interdire le droit à l’avortement à l’échelle fédérale. Des atteintes sont également portées au droit à l’IVG dans des pays européens tels que la Pologne, la Hongrie, l’Italie et peut-être bientôt la Suède. Qui aurait pu envisager une telle situation il y a seulement quelques années ?

S’il n’existe pas de menace directe envers ce droit en France, il faut se garder de toute illusion sur ce qui pourrait advenir. C’est aussi le rôle du droit constitutionnel que de prévenir de telles atteintes. L’absence de remise en cause du droit à l’IVG en France, à l’heure actuelle, constitue précisément la raison pour laquelle ce droit peut et doit être inscrit dans la Constitution dès maintenant. Une simple loi peut restreindre ce droit, que le Conseil constitutionnel n’a jamais consacré, se montrant plutôt prudent et s’en remettant à l’appréciation du législateur. L’inscription de ce droit fondamental dans la Constitution le protégerait d’initiatives politiques visant à lui porter atteinte. Cela permettrait également de faire progresser la protection réelle du droit à l’IVG, notamment en matière d’accès aux services de santé et de gratuité. En étant la première à inscrire ce droit dans sa Constitution, la France confirmerait son attachement aux droits des femmes et enverrait un message fort aux autres pays. Le groupe socialiste avait proposé une telle consécration dès 2018, dans le cadre de la révision constitutionnelle, puis en juillet 2019 par une proposition de loi constitutionnelle.

Ces multiples initiatives ne doivent pas nous conduire à nous perdre dans des débats sémantiques, bien que plusieurs questions se posent, comme l’emplacement de ce droit dans la Constitution. En effet, il pourrait être inscrit à l’article 1er, qui pose les grands principes républicains, dans la continuité de l’alinéa relatif à la parité, ou dans un article 66-2, au sein du titre VIII traitant de l’autorité judiciaire. Nous privilégions, pour notre part, une inscription à l’article 1er. Par ailleurs, la formulation peut être négative – « nul ne peut » – ou positive – « la loi garantit ». La deuxième option, que nous préférons, a le mérite de faire référence au cadre législatif actuel, et évite de laisser supposer que personne ne pourrait se voir interdire le recours à l’IVG, y compris après les délais fixés par la loi. De plus, la formulation « la personne pouvant invoquer ce droit » semble préférable à « nul ne peut » ou « toute personne qui le demande », qui pourraient laisser entendre que le père, ou le géniteur, serait susceptible d’invoquer ce droit, comme l’ont montré plusieurs auditions. La formulation « nulle femme » est problématique puisqu’elle pourrait empêcher une personne transgenre de recourir à ce droit.

Enfin, nous nous réjouissons que cette proposition de loi constitutionnelle consacre aussi le droit à la contraception, intrinsèquement lié au droit à l’IVG, et nous voterons évidemment le texte.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Nous partageons l’idée que l’inscription du droit à l’IVG dans notre Constitution serait un symbole politique fort à l’intention des femmes françaises, mais aussi du monde entier. Nous nous réjouissons qu’un consensus sur la constitutionnalisation de ce droit existe, comme en a témoigné la semaine dernière l’adoption à l’unanimité des votants du texte déposé par les députés du groupe Renaissance. C’est le signe d’une volonté affirmée des parlementaires au-delà des clivages politiques.

En revanche, un tel consensus transpartisan et bienheureux n’a pas été trouvé concernant la constitutionnalisation du droit à la contraception. Les amendements déposés en ce sens ont été rejetés par la commission des lois, et la réflexion sur ce sujet ne semble pas aboutie. Il serait regrettable que l’unanimité trouvée sur l’IVG pâtisse du désaccord sur la contraception.

De plus, il nous semble essentiel de réfléchir à la meilleure manière d’inscrire le droit à l’IVG dans notre Constitution. Les dispositions constitutionnelles, au sommet de la hiérarchie des normes, irriguent l’ensemble des autres normes. Il est de notre responsabilité que la rédaction retenue soit juridiquement fiable et ne conduise pas à une remise en cause du droit existant en matière d’IVG. Il faut sécuriser le dispositif juridique pour aujourd’hui et demain.

L’amendement que j’ai déposé permettra d’éviter les écueils signalés par plusieurs d’entre nous la semaine dernière en explicitant le rôle de la loi comme garante des conditions de réalisation de l’IVG. Cela n’atténuera en rien la force donnée au droit à l’IVG. Le Conseil constitutionnel pourra sanctionner une atteinte disproportionnée, mais le législateur aura la possibilité d’aménager les conditions dans lesquelles ce droit est garanti sans risquer une censure a priori ou a posteriori.

Le groupe Horizon votera ce texte sous réserve du retrait de la mention de la contraception.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Mon groupe votera cette proposition de loi constitutionnelle, de même qu’il a voté celle de Mme Bergé.

La question qui se pose est celle de la constitutionnalisation du droit à l’IVG. S’il n’est pas remis en cause en France, des débats sur ce droit refont surface dans plusieurs pays et son effectivité régresse. Il existe aujourd’hui une opportunité historique d’inclure ce droit dans la Constitution. Si cette dernière n’est pas une garantie absolue contre une vague conservatrice, elle est un rempart assez important contre une majorité qui pourrait arriver au pouvoir sans s’installer dans le temps. La société et la représentation politique étant majoritairement favorables à la constitutionnalisation de ce droit, il faut avancer.

Notre Constitution porte davantage sur l’organisation des pouvoirs que sur la garantie des droits, largement consacrés par le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie le préambule de notre Constitution. C’est ce qui a inspiré à M. Pradié son amendement. Toutefois, ce préambule est un texte historique que l’on ne peut facilement modifier. Nous ne voudrions pas que cet argument soit invoqué de façon spécieuse contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG : il faut avoir le courage d’inscrire ce droit dans le texte principal.

J’ai bien noté la position du Rassemblement national, qui ne me surprend pas. Pour autant, les débats au Sénat ont montré la nécessité de convaincre la droite d’appuyer cette constitutionnalisation. Nous devons donc parvenir à des compromis.

Nous avions proposé une rédaction plus ambitieuse que celle de Mme Bergé ; celle de Mme Panot nous convient très bien. Cependant, la garantie du droit à l’IVG devrait être inscrite à l’article 1er de la Constitution, car elle relève de la citoyenneté et de l’égalité, et non de l’organisation de l’autorité judiciaire. S’agissant de la formulation du dispositif, nous préférons celle proposée par Mme Panot, qui est positive et inclut la contraception, que nous devons constitutionnaliser au même titre que l’IVG. Par ailleurs, cette rédaction ne pose pas de problème pour les personnes transgenres, contrairement à celle de Mme Bergé, et elle impose au législateur de garantir un droit.

Si la rédaction proposée n’est pas aussi protectrice que celle que nous souhaitions – qui consacrait le délai de quatorze semaines, la continuité des soins et la gratuité –, la formulation retenue est sans doute suffisamment forte pour nous protéger d’une régression concernant l’effectivité du droit à l’IVG.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Le groupe GDR-NUPES votera ce texte. La situation en Hongrie, aux États-Unis ou, plus récemment, en Italie justifie les craintes de revers dans notre pays aussi en matière d’IVG. Nul ne peut affirmer que nous sommes totalement à l’abri d’une régression. Le droit des femmes à disposer de leur corps est toujours particulièrement ciblé lorsque des retours en arrière s’enclenchent.

Le Front national projetait, en 2012, de dérembourser l’IVG, au motif qu’elle était parfois utilisée comme un mode de contraception, dit « IVG de confort ». Il ne faut pas négliger la menace d’atteintes au droit à l’IVG en France. Le rapport d’information de la délégation aux droits des femmes sur l’accès à l’IVG, publié en septembre 2020, a ainsi montré que les opposants à ce droit n’ont jamais désarmé et qu’ils ne cessent de se renforcer. Leur offensive, bien réelle en France, est encore plus violente dans d’autres pays, y compris européens. Par ailleurs, je m’étonne de l’argument selon lequel ce droit n’étant pas en danger, il ne serait pas nécessaire de le constitutionnaliser. Il faut renverser la perspective : s’il était réellement menacé, comment pourrions-nous le constitutionnaliser afin de mieux le protéger ? Il serait alors difficile de réunir les conditions pour y parvenir.

Le combat que nous menons n’est ni nouveau, ni engagé à la va-vite, comme j’ai pu l’entendre dire ce matin. Nous avons proposé de nombreux textes pour constitutionnaliser ce droit. Au cours de la précédente législature, de manière parfois transpartisane, nous avons également milité pour la suppression de la double clause de conscience du médecin, qui est un frein, souvent utilisé ces derniers temps, à l’effectivité réelle de ce droit. Le droit à l’IVG et à la contraception est aussi en danger à cause de l’important manque de moyens dans les hôpitaux publics. La fermeture de 130 centres pratiquant l’IVG dans les quinze dernières années et les difficultés rencontrées par d’autres centres accentuent la menace pesant sur le droit à l’IVG. Les personnes en situation de pauvreté, de migration, d’exclusion et mineures en sont les premières victimes.

Dans ce contexte, la constitutionnalisation du droit à l’IVG et du droit à la contraception devient une urgence autant qu’un modèle à partager. Nous avons l’opportunité d’inscrire ce droit dans le marbre de la Constitution en lui donnant un statut de droit fondamental, ce qui rendrait plus difficile une remise en cause. Constitutionnaliser ce droit contribuerait également à sortir du tabou qui entoure encore l’IVG. Il s’agirait également d’un symbole, que nous revendiquons. Énoncer un principe est tout sauf un geste futile.

Nous avons voté, la semaine dernière, le texte de Mme Bergé. Nous préférons toutefois la formulation proposée par Mme Panot, qui est plus précise, non excluante et plus complète, puisqu’elle comprend aussi le droit à la contraception. Nous voterions également avec enthousiasme un texte présenté par le Gouvernement.

M. Jean-Félix Acquaviva (LIOT). Une semaine après le vote de la proposition de loi constitutionnelle défendue par Mme Bergé, notre position n’a pas changé : nous soutiendrons également ce texte.

Depuis la loi Veil, le droit à la contraception et le droit à l’accès à l’IVG n’ont pas cessé d’être renforcés grâce au travail mené par les parlementaires. Des évolutions essentielles et concrètes ont ainsi été décidées ces dernières années – remboursement de certains contraceptifs, prise en charge à 100 % de l’IVG pour toutes les femmes ou encore suppression du délai de réflexion obligatoire de sept jours. Sous la précédente législature, une loi a également permis d’étendre le délai maximal pour avorter à quatorze semaines, plaçant la France à l’avant-garde des pays de l’Union européenne, où la moyenne s’établit à douze semaines.

Notre groupe comprend les inquiétudes de certains, compte tenu des débats qui animent la société. Cependant, il nous paraît étonnant de réagir de l’autre côté de l’Atlantique à la décision de la Cour suprême américaine. La question ne peut se poser en France dans les mêmes termes. Il aurait été plus pertinent d’évoquer les dernières évolutions inquiétantes qui ont eu lieu en Europe, notamment en Hongrie et en Pologne.

Par ailleurs, nous devrions réfléchir à l’absence de droits fondamentaux dans la Constitution de 1958, essentiellement axée sur l’organisation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire et sur leurs rapports. La consécration du droit, essentiel, à l’IVG serait une avancée, mais quid des autres droits et libertés fondamentaux ? La demande des citoyens de les voir inscrits explicitement dans notre Constitution doit être entendue. Une réflexion pourrait être envisagée dans le cadre d’une révision constitutionnelle d’ampleur.

Enfin, notre groupe souligne l’importance de rassurer les citoyens sur la protection actuelle du droit à l’IVG, et rappelle la nécessité de lever les freins à son exercice.

Depuis 1975, la jurisprudence constitutionnelle a toujours considéré les lois relatives à l’avortement comme conformes à la Constitution. En outre, depuis 2001, le Conseil constitutionnel mentionne systématiquement la liberté de la femme, qu’il rattache à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle. Il est donc très probable que le Conseil n’hésiterait pas à censurer une loi interdisant ou restreignant fortement l’IVG, dès lors qu’elle priverait de garanties légales cette liberté de la femme. Cependant, notre groupe reconnaît que c’est moins certain pour le droit à la contraception, qui ne dispose pas d’une reconnaissance aussi forte.

L’accès à l’IVG et à la contraception est encore soumis à des difficultés pratiques et à des fractures sociales et territoriales importantes, qui imposent une réponse forte de la part de l’État. Je salue, à cet égard, la précision de la présente proposition de loi constitutionnelle concernant la garantie d’un accès libre et effectif à ces deux droits. Au-delà des avancées symboliques, la question pour les citoyens français est, en effet, celle de l’exercice concret et sans entrave des droits.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Nous tenons à intégrer la contraception dans ce texte, car nous la considérons comme le corollaire de l’IVG. Lorsque le droit à l’IVG sera menacé, les premières atteintes ne seront pas directes, mais pernicieuses. En Pologne, avant de restreindre le droit à l’avortement, au point de quasiment l’interdire, c’est d’abord la délivrance de la pilule du lendemain sans ordonnance qui a été interdite.

Par ailleurs – et cela répond aussi à la question de la place de l’inscription de ces dispositions dans la Constitution, sujet sur lequel nous sommes ouverts –, ces questions ne relèvent pas seulement des droits des femmes, mais de la citoyenneté. La capacité de reproduction de notre société politique est fondée sur les droits sexuels et reproductifs, dont font partie l’IVG et la contraception. Leur inscription dans la Constitution doit aller de pair.

S’agissant de la conditionnalité, notre rédaction garantit le droit à l’IVG, tel qu’il existe aujourd’hui, sans empêcher des avancées ultérieures, par exemple la suppression de la double clause de conscience.

Je suis favorable à une formulation positive du droit à l’avortement. Les débats auxquels a donné lieu l’adoption de la proposition de loi de Mme Bergé nuisent à la cause que nous défendons.

Par votre amendement CL5, chers collègues du groupe Renaissance, vous entendez arrimer notre rédaction à celle de Mme Bergé, ce qui est peu respectueux du travail parlementaire. Il peut y avoir plusieurs manières d’écrire ce droit. D’ailleurs, la rédaction de votre proposition de loi soulève des interrogations majeures, à tel point que le Gouvernement, m’a-t-on dit, réfléchit à une reformulation.

En cas de référendum, le débat serait très vite orienté, du fait de la campagne que mèneraient des mouvements anti-choix très bien financés et organisés. À titre d’illustration, le groupe Rassemblement national trouve tous les prétextes pour s’opposer aux mesures proposées sans dire qu’il est contre l’IVG. En voyant ce qu’ont écrit plusieurs députés du RN, on a une idée du climat qui régnerait lors de la campagne référendaire. Ainsi, Mme Caroline Parmentier écrivait, en mai 2018 : « Après avoir génocidé les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants ». M. Hervé de Lépinau a comparé, sur son compte Twitter, en octobre 2020, l’allongement du délai de recours à l’IVG de douze à quatorze semaines aux génocides arménien et rwandais, à la Shoah et aux crimes de Daech. Le 27 novembre 2014, lors de la commémoration des 40 ans de la loi Veil, il écrit sur ce même compte : « Sinistre anniversaire. Hommage aux millions de victimes de l’avortement. Non à la culture de la mort, oui à la vie. » M. Christophe Bentz, lors de la marche pour la vie, en 2011, déclare : « L’avortement est un génocide de masse ». Enfin, Mme Laure Lavalette signe en 2014 un texte demandant l’abrogation du droit à l’avortement. On pourrait parler des autres mouvances proches de ces idées.

Nous voulons un projet de loi constitutionnelle, présenté par le Gouvernement, qui constitutionnalise le droit à l’avortement. Nous voterions ce texte, dont je souhaiterais qu’il inclue la contraception. La France s’honorerait à être le premier État à inscrire de manière positive le droit à l’avortement dans sa Constitution.

M. Xavier Breton (LR). Je suis surpris que, sur ce sujet, vous refusiez le référendum, alors que vous êtes partisane du référendum d’initiative citoyenne. Il ne faut pas avoir peur du débat ! Vous ne souhaitez le débat que lorsque les sujets vous conviennent : autrement dit, vous pratiquez la démocratie sélective. Par ailleurs, le naming and shaming auquel vous venez de vous livrer m’a un peu choqué : montrer du doigt des collègues n’est pas une belle manière de faire avancer le débat et de chercher le consensus. Vous êtes en réalité dans une logique d’exclusion et de confrontation.

La question n’est pas d’être pour ou contre l’IVG, mais pour ou contre un IVG conditionnel. Contrairement à ce qui a été dit, le texte de Mme Bergé n’a pas été voté à l’unanimité : pour ma part, j’ai voté contre – et je continuerai à voter en ce sens – car on n’a pas de réponse sur la conditionnalité. Madame la rapporteure, êtes-vous pour ou contre la conditionnalité de l’accès à l’IVG ? Si vous êtes favorable à des conditions, en particulier de délais, sur quoi les fondez-vous ? On sait qu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le sujet sera abordé.

Il ne faut pas opposer le camp du bien à celui du mal. Nous sommes dépositaires de l’héritage de la loi Veil, qui a recherché un équilibre entre le droit de la femme à disposer de son corps, qui n’est pas absolu, et la protection de la vie à naître.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Je n’ai pas peur du débat : je vous explique l’ambiance qui régnerait dans le pays en cas de référendum. Les nombreuses femmes qui ont avorté se voient expliquer qu’elles commettent un génocide, qu’elles sont des meurtrières… C’est pourquoi je souhaite le vote d’un projet de loi constitutionnelle par le Congrès, dans la mesure où la majorité des deux tiers me paraît pouvoir être réunie. La société y est largement favorable.

Personne ne vous parle d’un droit absolu. Nous souhaitons inscrire dans la Constitution que « la loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » On peut citer, parmi les conditions, les délais et la gratuité. On ne peut pas être plus clair. Je ne comprends pas votre argument.

Les constitutionnalistes que nous avons interrogées sur les risques de censure sont très confiantes, compte tenu de la formulation positive que nous proposons.

Avant l’article unique

Amendement CL1 de M. Aurélien Pradié.

M. Aurélien Pradié (LR). L’amendement vise à inscrire dans le préambule de la Constitution les principes de la loi Veil. Madame la rapporteure, puisque vous ne souhaitez pas un accès inconditionnel à l’IVG, vous devez apporter des assurances, au même titre que la majorité, sur les principes auxquels nous devons nous référer. Il s’agit, à notre sens, des principes de la loi Veil, enrichis des acquis ultérieurs.

Ce n’est pas une manière pour nous de nous cacher. Nous défendrons bec et ongles tout ce qui permet de consolider et de graver dans le marbre l’accès à l’IVG, selon les conditions fixées par la loi. Sur un texte aussi important, on ne peut pas, en effet, se chercher d’excuses. Il est vrai, également, que les attaques contre l’IVG dans plusieurs pays d’Europe ne portent pas directement sur l’avortement, mais sur les moyens d’y avoir accès.

Les députés Les Républicains sont les héritiers des grands combats de Simone Veil. Ils entendent continuer à les mener aujourd’hui. L’objet de cet amendement est de rassurer tout un chacun sur le fait que la constitutionnalisation de ce droit n’emporte pas de faiblesses qui pourraient nuire à l’intérêt des femmes.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Parmi les grands principes de la loi Veil, certains sont encore d’actualité, en particulier la dépénalisation, même si je rappelle qu’en 1975, il ne s’agissait que d’une expérimentation. Depuis, les règles ont évolué : le délai dans lequel l’IVG peut être pratiquée est passé de dix à quatorze semaines, la prise en charge a atteint 100 %, il a été créé un délit d’entrave, le délai de réflexion a été supprimé et les sages-femmes sont désormais habilitées à procéder aux IVG.

Lorsque nous écrivons « La loi garantit… », il s’agit d’inscrire dans la Constitution le droit à l’IVG tel qu’il existe aujourd’hui, tandis que votre rédaction permettrait d’éventuels retours en arrière. Avis défavorable.

Mme Sandra Regol (Écolo-NUPES). Nous sommes en 2022, le monde a évolué. Comment peut-on prétendre soutenir le droit à l’IVG en s’appuyant systématiquement sur le droit – inexistant – de l’enfant à naître ? Soit on soutient les droits des femmes, soit on invente un nouveau droit qui s’y oppose absolument et directement, et qui repose sur un fantasme. On doit cesser de raconter cette histoire d’avortements qui auraient lieu à neuf mois de grossesse ! C’est autour de cela que se développent ces amendements. On parle de constitutionnaliser un droit et non de le réécrire : il serait bon que l’on revienne au sujet et que l’on réalise en commun ce travail somme toute assez simple.

M. Raphaël Schellenberger (LR). Nous avions déjà proposé cet amendement lors de l’examen du texte présenté par Aurore Bergé, qui avait donné un avis empreint de la même mauvaise foi. Nous ne proposons pas de constitutionnaliser la loi Veil, mais seulement ses principes fondamentaux. Il ne s’agit pas de revenir en arrière, mais d’indiquer qu’il y a un équilibre à préserver. Parmi les articles du code civil qui n’ont jamais été retouchés figurent ceux relatifs à l’inaliénabilité et à la non-marchandisation du corps humain. De fait, lorsqu’on parle de l’IVG, on traite aussi du corps humain. La liberté de disposer de son corps et la nécessité absolue d’avoir accès à l’IVG ne doivent pas occulter une réflexion sur le cadre dans lequel ces principes évoluent. Des marches dangereuses peuvent se présenter, tels que l’eugénisme et la marchandisation. Il faut faire très attention lorsqu’on cherche à exciter les foules sur des sujets qui font pourtant consensus dans notre pays.

La commission rejette l’amendement.

Article unique (art. 66-2 [nouveau] de la Constitution) : Protection des droits à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

Amendements CL4 de M. Erwan Balanant, amendement CL3 de M. Erwan Balanant et sous-amendement CL8 de Mme Mathilde Panot, amendement CL7 de Mme Mathilde Panot (discussion commune).

M. Erwan Balanant (Dem). Les amendements CL4 et CL3 sont issus de la réflexion engagée au sein de la délégation aux droits des femmes et à la suite des débats de la semaine dernière. Ils ont pour objet d’insérer la phrase suivante : « La loi garantit l’effectivité, l’égal accès à l’interruption volontaire de grossesse et son recours est libre, autonome et consenti. » Cette rédaction me paraît la plus adaptée pour assurer l’exercice des libertés. Elle protège la société et toutes les femmes.

Le fait de placer cette disposition à l’article 1er ou dans un nouvel article 66-2 n’emporte aucune conséquence juridique, mais du choix qui sera fait dépendra la portée symbolique de la mesure. À cet égard, l’article 1er me paraît plus adapté. Toutefois, si l’inscription au titre VIII permettait d’obtenir l’accord du Sénat, nous devrions, dans le cadre de la construction collective avec la Haute Assemblée, retenir cette solution.

Je ne verrais aucun inconvénient à ce que l’amendement CL3 fasse l’objet du sous-amendement CL8, qui est rédactionnel.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. L’amendement CL7 vise à remplacer la rédaction actuelle par la formulation positive « La loi garantit… » en y incluant la contraception. L’avortement et la contraception sont en effet des droits indissociables.

Monsieur Balanant, je propose qu’on inscrive cette disposition à l’article 66-2, donc mon avis est défavorable sur l’amendement CL4. En revanche, je suis favorable à l’amendement CL3 sous-amendé, même si je préférerais que nous adoptions le CL7. La première phrase de l’alinéa 2 nous paraissait constituer une garantie contre toute forme de régression mais, après réflexion, il nous paraît préférable de substituer à la forme négative « Nul ne peut porter atteinte… » la tournure positive « La loi garantit… », qui nous prémunit toujours contre la régression, tout en consacrant une IVG à droit constant.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). La rédaction de l’amendement CL7 me paraît préférable, dans la mesure où il garantit le droit à la contraception. Les Français sont favorables à 87 % à l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, et à 92 % à l’inscription du droit à la contraception. Nous entendons défendre les deux.

M. Erwan Balanant (Dem). Je retire l’amendement CL4 pour faire un pas vers les sénateurs. Je suis intimement persuadé que la contraception et l’IVG forment les deux plateaux d’une même balance, mais il faut, à mon sens, opérer une distinction entre les deux concernant l’inscription dans la Constitution. Je préfère laisser la loi traiter de la contraception.

L’amendement CL4 est retiré.

La commission rejette successivement le sous-amendement CL8 et les amendements CL3 et CL7.

Amendement CL5 de Mme Sarah Tanzilli.

Mme Sarah Tanzilli (RE). Il s’agit d’un amendement de cohérence vis-à-vis du texte adopté par notre commission la semaine dernière.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Cette méthode me paraît inacceptable. Vous voulez revenir à la rédaction de la proposition de loi de Mme Bergé alors que de nombreux collègues, ainsi que le Planning familial, se sont interrogés sur la portée de ces dispositions pour les personnes transgenres. Plusieurs constitutionnalistes jugent cette formulation négative dangereuse. Vous ne pouvez vous empêcher de vider complètement une proposition de loi de l’opposition de son contenu ou de la rendre identique à ce que vous avez proposé. C’est irrespectueux du travail mené entre différents groupes parlementaires, alors même que je viens de donner un avis favorable sur un amendement du MODEM et que la tournure positive que nous avons proposée répond aux interrogations du groupe Les Républicains. Avis défavorable.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Je ne sais pas si vous vous rendez compte de la commotion que la modification de votre proposition de loi constitutionnelle a créée dans le monde des associations féministes, des activistes et des personnes LGBTQI, qui se retrouvent exclues par cette rédaction. Les personnes trans subissent une grande violence, que vous encouragez par cette formulation. Nous étions parvenus à un consensus qui réunissait une partie de la majorité et des oppositions. Je vous demande de retirer cet amendement.

M. Philippe Latombe (Dem). Je crois exprimer le point de vue de mon groupe en affirmant que nous sommes très déçus par ce qui vient de se passer. Sur le fond, inscrire une phrase positive dans la Constitution aurait constitué un symbole plus fort que la formulation négative qui est proposée, et cela aurait de surcroît institué des garde-fous. Le fait de revenir à une phrase négative ne nous convient pas. Aussi, je pense que les membres de mon groupe voteront contre l’amendement. Quant à la forme, nous étions parvenus à un certain consensus ; nous partagions la volonté de travailler collectivement, comme les Français nous l’ont demandé lors des dernières élections. C’est un sujet sur lequel nous devons montrer à nos concitoyens que nous avons compris leur volonté. Or, ce n’est pas le signal que nous allons donner.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Chers collègues du groupe Renaissance, vous avez dit à qui voulait bien l’entendre, hier, que vous voteriez notre proposition de loi constitutionnelle, mais vous auriez dû ajouter : à condition qu’elle soit identique à la nôtre. Une fois de plus, vous montrez un irrespect déplorable pour le travail parlementaire. Nous avons voté votre texte en commission, la semaine dernière, comme nous l’avions annoncé. Nous voulons un projet de loi constitutionnelle et nous avons soulevé la question du référendum, à laquelle vous n’avez jamais répondu. Souffrez que deux formulations différentes soient discutées en séance, ce qui nous offrirait des marges de manœuvre avec le Sénat.

M. Ludovic Mendes (RE). Je propose une troisième formulation, qui s’appliquerait aux femmes comme aux personnes trans : « Nul ne peut être privé du droit d’interrompre volontairement sa grossesse. » La Constitution doit garantir les mêmes droits à toutes les personnes, dans leur diversité. Par ailleurs, la rédaction proposée se heurte à une difficulté : les hommes aussi ont droit à la contraception ; celle-ci ne peut reposer entièrement sur les femmes.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Pour la première fois, l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution est à notre portée. Nous devons le faire de manière apaisée et respectueuse du travail des uns et des autres. Nul ne peut prétendre détenir la vérité. J’ai déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire ce droit à l’article 1er. Je suis favorable à une affirmation des droits procréatifs. Aucune des propositions faites dans les amendements ne me satisfait pleinement, mais on doit se fixer pour objectif de mener à bien la constitutionnalisation. L’adoption de l’amendement du MODEM, visant à introduire une formulation positive, n’aurait pas détruit le travail accompli par la majorité. Nous avions déposé un amendement qui allait dans le même sens lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle d’Aurore Bergé. Je suis prête à renoncer à placer la disposition à l’article 1er, pourvu que l’on affirme les droits procréatifs. Nous ne voterons pas cet amendement car nous devons travailler en commun.

L’amendement est retiré.

Amendements CL2 de M. Erwan Balanant et CL6 de Mme Anne-Cécile Violland (discussion commune).

M. Erwan Balanant (Dem). L’amendement CL2 vise à retirer la contraception de la proposition de loi constitutionnelle. En effet, si l’avortement et la contraception sont liés, il ne nous paraît pas adapté, juridiquement, d’inscrire la seconde dans la Constitution. Je propose que nous travaillions à la rédaction d’un amendement commun d’ici à la séance afin de dépasser les clivages politiques.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Il s’agit également de retirer la contraception du texte, car cela le fragiliserait. La réflexion mérite toutefois d’être poursuivie. Par ailleurs, l’amendement vise à ce que la loi « détermine les conditions dans lesquelles ce droit est garanti. » On peut estimer que cette formulation, plus sobre, est aussi plus efficace. Elle n’atténue aucunement la force conférée au droit à l’avortement puisque le Conseil constitutionnel censurerait des atteintes disproportionnées.

Mme Mathilde Panot, rapporteure. Monsieur Balanant, en supprimant la seconde phrase, vous aboutissez à un résultat inverse à celui que vous recherchiez par l’amendement CL3. Je vous demande donc de retirer votre amendement ; à défaut, mon avis serait défavorable.

Madame Violland, la contraception et l’avortement sont des droits indissociables et fragiles. Le droit à la contraception est souvent attaqué en amont du droit à l’avortement. Il faut constitutionnaliser les droits tant qu’ils ne sont pas en danger immédiat ; après, on ne pourrait plus le faire sereinement. Avis défavorable.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous retirons l’amendement. Nous souhaitons néanmoins avoir un débat sur le droit à la contraception qui, à nos yeux, n’a pas la même portée juridique que le droit à l’avortement. Le fait de retirer la contraception permettrait aussi d’obtenir une majorité au Sénat. Nous devons faire preuve de réalisme.

Mme Anne-Cécile Violland (HOR). Il me paraît nécessaire de privilégier une rédaction positive, qui mentionne dans la Constitution la garantie que devrait offrir la loi au droit à l’IVG, sans l’étendre au droit à la contraception.

L’amendement CL2 est retiré.

La commission rejette l’amendement CL6.

Elle adopte ensuite l’article unique non modifié.

L’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est ainsi adopté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception (n° 293) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


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Personnes entendues

 Mme Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l’université Paris-Nanterre

 Mme Diane Roman, professeure de droit public à l’École de droit de la Sorbonne

 Mme Laura Marin Marin, secrétaire

 Mme Danielle Bousquet, présidente

 Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques

 Mme Sarah Durocher, co-présidente

 Mme Bénédicte Paoli, membre du bureau national


([1]) La pilule contraceptive est inventée en 1956.

([2]) La contraception est aujourd’hui régie par l’article L. 5134-1 du code de la santé publique selon lequel « Toute personne a le droit d’être informée sur l'ensemble des méthodes contraceptives et d’en choisir une librement ».

([3]) Article 3 de la loi n°79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l’interruption volontaire de grossesse.

([4]) Section II du titre Ier de la loi de 1975 et actuel article L. 2213-1 du code de la santé publique.

([5]) Loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

([6]) Article L. 2223-2 du code de la santé publique.

([7]) Loi n° 2017-347 du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse.

([8]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception

([9]) Ibidem.

([10]) Loi n° 2022-295 du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement.

([11]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([12]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([13]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([14]) Article L. 2222-4 du code de la santé publique modifié par la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([15]) Loi n° 74-1026 du 4 décembre 1974 portant diverses dispositions relatives à la regulation des naissances.

([16]) Articles L. 160-14 et R. 160-17 du code de la sécurité sociale modifiés par la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013.

([17]) Articles L. 162-4-5 et L. 162-8-1 du code de la sécurité sociale modifiés par la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.

([18]) Article L. 160-14 du code de la sécurité sociale modifié par la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020.

([19]) Même article modifié par la loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

([20]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([21]) Article L. 2123-2 du code de la santé publique.

([22]) Conseil constitutionnel, 27 juin 2001, n° 2001-446 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([23]) Il a considéré que la suppression de la situation de détresse ne portait pas atteinte à la constitutionnalité du dispositif dès lors que « ces dispositions réservent à la femme le soin d’apprécier seule si elle se trouve dans cette situation » (Conseil constitutionnel, 31 juillet 2014, n° 2014-700 DC, Loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes).

([24]) Le Conseil exige, pour reconnaître un PLFRLR, que ce principe ait été inscrit dans le droit par le législateur avant 1946 et qu’il ait été d’application constante depuis.

([25]) Conseil constitutionnel, 15 janvier 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([26]) Pour mémoire, l’article R. 4127-4 du code de la santé publique prévoit que « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles ». L’article L. 2212-8 précise cette règle en ce qui concerne l’IVG : « Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L.2212-2 ».

([27]) Chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques des ministères sociaux.

([28]) Haute Autorité de santé, « État des lieux des pratiques contraceptives et des freins à l’accès et au choix d’une contraception adaptée », avril 2013.

([29])  https://www.mediapart.fr/journal/france/200922/education-la-sexualite-mediapart-revele-un-rapport-d-inspection-enterre-par-blanquer

([30]) Voir par exemple l’amendement n° 1115 de M. Mélenchon au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, XVème législature.

([31]) Voir par exemple la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, Mme Mélanie Vogel, déposé au Sénat le 2 août 2022, n° 853 (2021-2022).

([32]) Voir par exemple l’amendement n° 2312 de M. André Chassaigne au projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 911, XVème législature.

([33]) Article 66-1 de la Constitution.

([34]) Mme Yaël Braun-Pivet, Compte rendu des débats en commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, n° 1137 (tome II), 4 juillet 2018, XVème législature, p. 140.

([35]) « Redécouvrir le Préambule de la Constitution », Rapport du comité présidé par Simone Veil, 2008, p. 85.

([36]) Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré comme des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République : les droits de la défense (décision du 2 décembre 1976, n° 76-70 DC), la liberté de l’enseignement (décision du 23 novembre 1977, n° 77-87 DC), l’indépendance de la juridiction administrative (décision du 22 juillet 1980, n° 80-119 DC) ou encore la recherche du relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées (décision du 29 août 2002, n° 2002-461 DC).

([37])  « L’existence en France d’une menace réelle au recours à l’IVG et à la contraception n’est pas démontrée, aucun parti politique n’ayant notamment, à la connaissance de votre rapporteur, jamais remis en question le principe de l’IVG, encore moins de la contraception », Rapport de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, 12 octobre 2022, n° 42 (2022-2023), p. 23.

([38]) Audrey Lebel, « Avortement, l’obscurantisme polonais », Le Monde diplomatique, 1er novembre 2016.

([39]) Yvonne-Marie Rogez, « La fin du droit constitutionnel à l’avortement aux USA », RDSS, 2022, p. 858.

([40]) La situation n’est pas encore stabilisée puisqu’à l’occasion des midterms de novembre 2022, les électeurs de quatre états (Californie, Michigan, Vermont et Kentucky) étaient aussi appelés à voter pour ou contre la protection de l’avortement dans la constitution de leur État. Si les trois premiers proposaient de maintenir ce droit, le Kentucky voulait empêcher d’inscrire sa protection. Les quatre scrutins ont été favorables aux partisans du droit à l’avortement.

([41]) Stéphanie Hennette-Vauchez, Diane Roman et Serge Slama, « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 7 juillet 2022, http://journals.openedition.org/revdh/14979.

([42]) Selon un sondage sur le rapport des français à l’avortement et la question de l’inscription de l’IVG dans la constitution française (Ifop pour la fondation Jean Jaurès, 29 juin 2022), 83 % des français sont favorables à l’IVG et 80 % plébiscitent son inscription dans la Constitution.

([43]) Article 66 de la Constitution.

([44]) Damiens Salles, « L’Article 66 de la Constitution de 1958 : un Habeas corpus à la française ? », Les Cahiers de la Justice, 2010/1 (N° 1), p. 59-63.